Evelyne Bulot-Delabarre URA CNRS 1164 - Université de Rouen CDU 804-5::371.3 DIDACTIQUE ET ACTANCIALITÉ DANS L'ENSEIGNEMENT DE LA GRAMMAIRE EN FRANCE: LE CAS DU PRIMAIRE. Cette réflexion fait suite à la communication faite lors du colloque de Mont Saint Aignan Lucien Tesniere aujourd'hui dont elle reprend quelques éléments; j'y avais en fait tenté de démontrer que l'utilisation du modèle de description élaboré par L. TESNIERE peut actuellement constituer, pour le cas de l'enseignement du Français Langue Maternelle, une alternative réelle pour l'enseignement de la grammaire. Celui-ci pose de réelles difficultés d'apprentissage aux élèves du primaire (c'est à dire pour les enfants de 6 à 10 ans) et, à cause de cela, est source supplémentaire d'échecs pour les uns et pour le moins de perplexité pour les enseignants eux-mêmes; c'est pourquoi, dans ma précédente communication, j'avais essayé de voir en quoi les propositions tant théoriques que didactiques de L. TESNIERE étaient en mesure d'aider les élèves pourtant locuteurs natifs à reconnaître une évidence fort sophistiquée car bien peu naturelle: le mot qui, dans une phrase, est le verbe, et celui qui est le sujet. Le conclusion que j'avais pu faire, à ce moment, était que la mise en stemma de la phrase ne résolvait pas nécessairement la difficulté que pose, pour de jeunes élèves, le repérage du verbe dans la phrase; en revanche, il m'avait semblé, à la lumière des exemples pris dans ma précédente communication que la mise en stemma permettait aux enfants de mieux visualiser, à défaut de les comprendre, les relations des éléments entre eux, c'est à dire résoudre une partie des problèmes d'orthographe grammaticale qui constitue une part importante des points à acquérir pendant le primaire; ce sont entre autres, les problèmes d'accord en nombre, entre le verbe et le sujet, et conjointement en nombre et en genre à l'intérieur du syntagme nominal. Je vais aujourd'hui mettre à l'épreuve ces premières conclusions. L'habitude veut que, en France, ouvrages théoriques de grammaire, de syntaxe d'une part et manuels pédagogiques utilisés en classe d'autre part soient deux objets distincts; les seconds tentant d'intégrer les acquis des premiers. Ainsi a-t-on vu fleurir tout un ensemble de manuels de grammaire de ce type qui tendaient -par la méthnode utilisée, voire par leur préface- vers une prise en compte d'une approche plus linguistique de la grammaire du français (opposition oral/écrit, niveaux de langue, etc). On ne peut nier l'intérêt et l'avancée pédagogique que constitue une telle démarche, mais la prise en compte de l'oral n'a à l'évidence pas résolu pour autant la difficulté que constitue l'apprentissage de la grammaire de l'écrit à de jeunes enfants. 57 Comment enseigner la grammaire de l'écrit? Cette question sous-entend deux autres questions: dans l'apprentissage d'une langue, à quoi peut servir une grammaire de ce type? Est-il indispensable de l'apprendre, et donc de l'enseigner? Nina CATACH (1992) pose ainsi le problème: On apprend curieusement en France les catégories, les "marques" et les "accords" syntaxiques (et toutes les unités se situant entre la lettre et le mot) avant que l'enfant ne soit capable de les comprendre dans la langue. Il semble que la difficulté vienne d'une part, de ce que l'enseignement des pratiques de l'écrit ne tienne pas encore suffisamment compte des réelles compétences de l'enfant à l'oral. On impose, en France tout du moins, un enseignement de la grammaire de l'écrit dès le plus jeune âge (dès 6 ans au rythme de plusieurs séquences par semaine) sans tenir réellement compte du fait que l'enfant a une connaissance implicite, opératoire, fonctionnelle, même partielle du fonctionnement de la langue puisqu'il l'utilise en parlant alors que l'enseignement de la grammaire tel qu'il est pratiqué actuellement vise davantage l'amélioration de la performance écrite. D'autre part, et ceci est la conséquence de cette réalité, ce qui est pratiqué à l'école primaire concerne davantage la grammaire orthographique qu'une grammaire descriptive du fonctionnement de la langue. Un autre type de difficulté, plus spécifique, pour de jeunes élèves est la reconnaissance des différentes parties du discours: en effet, les Instructions Officielles qui sont les textes qui définissent les éléments à acquérir, cycle par cycle leur demande, par exemple, d'être capable d'accorder le verbe avec le sujet; pour cela, les manuels utilisés par les enseignants de primaire fournissent des procédures plus ou moins "bricolées" pour retrouver le sujet d'une phrase: la question qui est-ce qui + le verbe de la phrase étudiée et qui donne parfois des réponses à la question Qui est-ce qui mange? C'est les enfants où la prégnance de l'oral dans les activités métalinguistiques nécessaires à ce type de repérage place l'enfant dans une situation proche du double-bind: quelle attitude privilégier dans une situation d'apprentissage de l'écrit qui requiert l'écart par rapport à la norme. L'enseignement de la grammaire en primaire reste donc essentiellement structural sans faire explicitement référence au sens, à la visée communicationnelle et ce même enseignement de la structure, du fonctionnement de la langue se trouve horriblement alourdi par les contraintes de la grammaire orthographique. La réflexion de Lucien Tesniere semble pouvoir répondre à certaines de ces difficultés posées par les différents ouvrages de grammaire: tout d'abord, les Eléments de Syntaxe Structurale constituent un des rares ouvrages théoriques de description linguistique du français dans lequel l'enseignant peut trouver des indications précises -directement proposées par l'auteur- concernant une possible application en classe. On sait, par ailleurs, que ses propositions pédagogiques ont été appliquées par des formateurs de formateurs (Ecole Normale 58 de Montpellier) et par des enseignants (lettre de M. CAYLA - Fonds Tesnière). Ces deux situations différentes mais complémentaires sont la preuve de la faisabilité d'un enseignement reposant sur la théorie tesnérienne non seulement auprès de jeunes adultes déjà grammaticalisés mais aussi auprès de jeunes enfants, ensuite l'intérêt de la pensée syntaxique de Tesnière repose dans la notion de connexion en ce que celle-ci -et je cite Tesniere - "est indispensable à l'expression de la pensée. Sans la connexion, nous ne saurions exprimer aucune pensée continue et nous ne pourrions qu'énoncer une succession d'images et d'idées isolées les unes des autres et sans lien entre elles. " (p. 12) La notion de connexion et sa schématisation en stemma intéresse l'enseignant de primaire même si la représentation graphique ne plait pas nécessairement; elle a l'avantage de proposer un modèle de description qui met davantage en valeur les relations entre les mots en se servant plus explicitement du sens et c'est au sens, plus qu'à la structure que les jeunes enfants sont sensibles dans l'apprentissage d'une langue. "Débrouiller la phrase d'un texte par un stemma ayant pour noeud le verbe et indiquant des connexions, l'analyser en une action et des actants et des circonstants, c'est pour l'élève de l'école primaire, apercevoir l'articulation d'une expérience vécue avec la structure linguistique, la structuration de l'événement en vue de sa communication parla langue." (FOURQUET J., 1988: 6). Il ne faut pas pour autant penser que le modèle de description du français élaboré par L. Tesniere constitue la solution idéale à l'apprentissage du Français Langue Maternelle: en effet, certaines difficultés subsistent et le repérage du verbe dans la phrase pour la construction du stemma n'est pas la moindre. Quoi qu'il en soit, ce modèle est alléchant et je me propose, à mon tour, d'envisager l'utilisation moderne de la théorie tesnérienne par rapport à certains points prévus par les dernières Instructions Officielles concernant le primaire: d'abord, la relation sujet/verbe pour le cycle des apprentissages fondamentaux dont j'ai déjà parlé lors de ma précédente communication et que je vais me contenter d'évoquer et plus particulièrement ici l'identification des différents constituants du Groupe Nominal (GN) pour le cycle des approfondissements. Pour mémoire, l'école primaire, en France, touche les enfants de 6 à 12 ans maximum répartis de la façon suivante: le cycle des apprentissages fondamentaux concerne les anciennes dénominations de GS de maternelle, CP et CEI1 (de 5 à 8ans) et le cycle des approfondissements celles de CE2, CM1 et CM22 (de 8 à 11 ans). Les 1 GS: Grande Section de Maternelle CP: Cours Préparatoire CEI : Cours Elémentaire 1ère Année 2 CE2: Cours Elémentaire 2ème Année CM1: Cours Moyen 1ère Année CM2: Cours Moyen 2ème Année 59 progressions proposées respectivement d'abord par L. TESNIERE, puis par les dernières Instructions Officielles de 1991 sont les suivantes: dans les E.L.S., pour le Premier Degré: le stemma pour les phrases à un, deux ou trois actants; pour le Troisième Degré: la connexion pour les espèces de mots, les mots pleins et les mots vides, etc. dans les I.O., pour le cycle des apprentissages fondamentaux: la distinction GN/GV, l'accord du verbe avec le sujet, de l'adjectif avec le nom, du nom avec le déterminant; pour le cycle des approfondissements: identification des différents constituants d'une phrase, identification et construction des groupes syntaxiques (reconnaissance des classes de mots: déterminants, prépositions, conjonctions, pronoms), connaissance des règles d'accord dans le GN (relation sujet/verbe, relation sujet/verbe/attribut), connaissance des différentes constructions des verbes (construction directe et indirecte). La relation sujet/verbe qui m'a servi d'exemple dans ma précédente communication, est de fait un des points qui constitue une des difficultés majeures et premières dans l'enseignement de la grammaire aux jeunes enfants en ce que le repérage de l'accord sujet/verbe suppose bien évidemment qu'ils soient capables de reconnaître quel mot dans la phrase est le verbe pour pouvoir ensuite en déterminer le sujet. Comme je le disais plus haut, le modèle de L. TESNIERE ne donne pas véritablement les moyens de repérer à coup sûr le verbe dans une phrase, pas plus d'ailleurs que la plupart des manuels de grammaire utilisés actuellement qui propose, pour ce type de travail, de découper la linéarité de la phrase en conservant implicitement l'opposition thème/prédicat. La procédure utilisée que je me contente d'évoquer ici va être reprise durant toute la durée du primaire dès qu'il s'agira de reconnaître telle partie du discours dans des phrases d'exercices. On procède donc en observant si le déplacement ou l'élimination de certains éléments de longueur variable, affecte le sens de l'énoncé en question. Si le sens est affecté, on concluera que tel élément est obligatoire: ainsi, par déplacement et / ou élimination, les enfants doivent repérer le verbe et le sujet, éléments minimaux à la cohérence de la phrase. Et cette méthode n'est pas sans poser de difficultés aux jeunes enfants; pour ce cas précis, les propositions théoriques de L. TESNIERE consistant à placer le verbe au centre de la phrase, ne résolvent pas plus les difficultés. En revanche, la mise en stemma doit pouvoir, une fois le verbe reconnu, permettre de placer correctement les relations des différents éléments de la phrase et, de cette façon peut-être, justifier des accords qui peuvent paraître pour certains enfants pour le moins arbitraires. Qu'en est-il pour les autres difficultés rencontrées par les enfants dans l'apprentissage du Français Langue Maternelle? Les différents constituants du Groupe Nominal (GN). Ceci nous amène à un des autres points délicats: la reconnaissance des différents constituants de la phrase. Si on analyse les points à acquérir durant le cycle des approfondissements, on prend 60 conscience que l'orthographe grammaticale est plus que jamais à l'ordre du jour: ainsi, la reconnaissance des différents éléments du GN va se poursuivre par un ensemble de leçons dont les objectifs sont essentiellement orthographiques: le singulier et le pluriel le masculin et le féminin le genre et le nombre dans le GN La procédure permettant de reconnaître les différents éléments constituant le GN est la même que pour reconnaître le GN du GV: on procède par commutation, puis par effacement élément par élément afin de voir quel élément est indispensable au sens de la phrase: on détermine ainsi le nom; puis quel élément est affecté par le remplacement du nom par un autre nom: on détermine alors nom et/ou adjectif. Quand il s'agit de groupes nominaux composés d'un déterminant et d'un nom, les enfants en faisant appel au sens, reconnassent facilement le déterminant du nom. Soit la phrase, Le chien mordille la pantoufle, en procédant par effacement, les élèves sont conscients du fait que si l'on efface la mot chien, l'énoncé Le mordille la pantoufle ne veut rien dire alors que chien mordille la pantoufle est compréhensible. Le mot chien indispensable au sens de la phrase est reconnu comme étant le nom, l'élément Le ne servant qu'à indiquer le genre du nom. Si l'on prend la phrase Le petit chien mordille la pantoufle, une difficulté se présente: très rapidement, les enfants repèrent les déterminants mais repérer l'adjectif du nom dans petit chien leur pose davantage de difficultés dans la mesure où les phrases Le chien mordille la pantoufle et Le petit mordille la pantoufle sont grammaticales et porteuses de sens. C'est bien le connexionisme de L. TESNIERE qui est enjeu dans l'acquisition de notions aussi abstraites que NOM, DETERMINANT, ADJECTIF; de la même façon que la mise en stemma de la phrase peut permettre de mieux mettre en valeur la relation sujet/verbe, le rapport de dépendance entre le nom, l'adjectif et le déterminant tel que le présente L. TESNIERE explicite tout à fait ce qui est utilisé pour repérer les différents constituants du GN. Si ce principe est acquis par les enfants, les problèmes posés par l'accord en genre et en nombre à l'intérieur du GN ne peut plus poser de difficultés: quand le régissant est au pluriel, tous ses subordonnés le sont aussi (une mise en stemma du GN permettrait une visualisation). Comme nous venons de le voir les procédures préconisées dans Les livres du maître ne donnent pas nécessairement aux enfants les moyens de trouver efficacement et le sujet et le verbe dans une phrase et les différents constituants du GN pour ne parler que de ces exemples là. D'abord parce qu'ils ignorent et ne comprennent pas la nécessité d'acquérir une terminologie qui leur semble plus que complexe parce qu'appartenant plus au métalangage qu'autre chose, ensuite parce que cela fait appel à une conception grammaticale qui paraît, pour eux, n'avoir rien à voir avec leur compétence, réelle, de la langue à l'oral: ils savent produire des phrases tout à fait correctes du point de vue de la norme mais ils ne voient pas la nécessité d'apprendre un métalangage qui ne leur donne pas davantage les moyens d'améliorer leur pratique de 61 l'oral et pas nécessairement non plus leur pratique de l'écrit. L'apprentissage du stemma permettra, aux enfants, de visualiser plus concrètement, par les traits de connexion, les liens des éléments les uns avec les autres (trait de connexion entre l'adjectif et le nom ou du verbe avec le sujet, par exemple) que des "règles", pour le moins mystérieuses, propres à chaque manuel de grammaire du type Le groupe jaune donne sa loi au groupe rouge qui se cojugue (ce qui veut dire en clair: le sujet agit sur le verbe qui alors change de forme) qui ne permettent pas toujours efficacement de faire admettre à défaut de comprendre pourquoi, dans la langue française, les variations en genre et en nombre du nom affectent les éléments qui en dépendent. Utiliser le modèle de description de L. TESNIERE en didactique du FLM peut constituer un moyen de faire le lien entre un enseignement qui, pour la part grammaire, vise à faire admettre et acquérir des rudiments d'orthographe grammaticale, et une conception largement prescriptiviste de l'usage en instaurant une taxinomie linguistique dont l'intérêt, pour l'âge et pratique des enfants, reste à démontrer. BIBLIOGRAPHIE Ouvrages scientifiques: CATACH N., 1991, "Lectures et écritures: pluralité et unité." dans Les entretiens Nathan - Actes I-Lecture, Paris, Nathan. TESNIERE L., 1988, Eléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksiech, 674 pages. Ouvrages didactiques DUPRE J. P., 1988, Langue française - La balle aux mots, CM1, Paris, Nathan. DUPRE J. P., 1988, Langue française - La balle aux mots, CM2, Paris, Nathan. GENOUVRIER E., GRUWEZ C., 1987, Grammaire pour enseigner le français à l'école élémentaire, Paris, Larousse. GENOUVRIER E„ GRUWEZ C., 1987, Grammaire française - CM1, Paris, Larousse. GENOUVRIER E„ GRUWEZ C., 1987, Grammaire française - CM2, Paris, Larousse. GUERAULT D. et alii, 1984, Le français au CM2, Paris, Hachette. Povzetek DIDAKTIKA IN TESNIERJEV OPISNI MODEL PRI POUKU SLOVNICE NA RAZREDNI STOPNJI OSNOVNE ŠOLE V FRANCUI Prispevek nadgrajuje razmišljanje, predstavljeno na simpoziju "Lucien Tesniere danes" v Mont Saint Aignanu, kjer je avtorica skušala razložiti uporabnost Tesnierjevega opisnega modela pri pouku maternega jezika na razredni stopnji osnovne šole v Franciji. Tesnierjevi Elementi strukturalne skladnje so eno redkih teoretičnih del francoskega jezikoslovja, v katerih avtor daje natančna navodila glede konkretne uporabe v razredu. Tesnierjeva ponazoritev z drevesom (stemma) pomaga, da učenci vizualno zaznajo razmelja med posameznimi sestavinami stavka. Model jim sicer ni v veliko 62 pomoč pri določitvi osebka in povedka oz. odnosnice v glagolski in samostalniški besedni zvezi (učinkovit postopek za to sta npr. zamenjava in izločitev drugih elementov stavka), pomaga pa razumeti nekatere slovnične zakonitosti, med drugim ujemanje osebka in povedka oz. posameznih sestavin samostalniške zveze v spolu in številu. 63