91 Ana Zwitter Vitez Faculté des lettres, Université de Ljubljana Institut « Jožef Stefan » Slovénie ana.zwittervitez@ff.uni-lj.si L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE DE RÉACTIONS À UN ÉVÉNEMENT POLITIQUE 1 1 INTRODUCTION L’expression de l’opinion est devenue un objet de recherche très important (Speriosu et al. 2011, Smailović et al. 2014, Tedeschi et al. 2015) à cause de l’énorme intérêt qu’il représente pour de nombreuses entreprises et organisations. Si on comprend ce que pense un électeur ou un utilisateur d’un produit, on peut adapter le discours ou les produits afin d’influencer son opinion. Le journaliste et le manager Alex Wright constate dans New York Times (2009) que l’opinion en ligne est transformée en une sorte de monnaie virtuelle par laquelle les entreprises ou les structures politiques cherchent à atteindre l’utilisateur final, ses orientations, ses désirs et ses angoisses. Lorsqu’on parle de l’expression de l’opinion dans le domaine de la linguistique, cette notion est à première vue perçue comme transparente et facilement descriptible : de nom- breuses méthodes d’apprentissage (Nouvel Edito, Français facile, etc.) constatent que l’expression de l’opinion se réalise à l’aide de verbes d’opinion (Je pense que, Je crois que, Je trouve que... ) ou bien à l’aide de locutions comme À mon avis, D’après moi ou En ce qui me concerne, etc. Les moyens décrits représentent une base très utile pour les apprenants de français comme langue maternelle ou étrangère, mais aussi pour les uti- lisateurs qui souhaitent étendre leur potentiel argumentatif (Anscombre et al. 1976 : 8). Pourtant, la réalité des pratiques langagières couvre tout un éventail de moyens à l’aide desquels les utilisateurs expriment leur opinion de manière moins explicite. Si on prend pour l’exemple l’énoncé Quelle honte !!!!, on peut voir que son auteur n’est pas d’accord avec quelque chose, qu’il estime un fait ou une action comme dégradants et causes de déshonneur pour leur auteur. C’est pourquoi il semble important de prendre en 1 Cette étude a été effectuée dans le cadre du programme P6-0218 Recherches théoriques et appliquées des lan- gues : approches contrastives, synchroniques et diachroniques et du projet J6-2581 Analyse computationnelle du discours médiatique à l’aide des plongements lexicaux, financés par L’Agence nationale de la recherche scientifique (ARRS). Ana Zwitter Vitez: L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE ... UDK 811.133.1'42:004.773 DOI: 10.4312/vestnik.13.91-108 92 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES compte l’aspect pragmatique des textes analysés afin de pouvoir comprendre la richesse des moyens utilisés dans leur globalité. L’objectif de cet article est d’analyser les messages par lesquels les utilisateurs du réseau social Twitter ont réagi à l’événement produit le 8 juin 2021 à Tain-l’Hermitage où Emmanuel Macron a été giflé alors qu’il allait à la rencontre du public. Le jeune homme qui avait commis le geste contestable, Damien Tarel, a été détenu et placé en garde à vue juste après l’incident. Cet événement a immédiatement suscité de nombreuses opinions assez polarisées sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter. Ont été analysées les spécificités linguistiques des commentaires qui expriment l’accord, le désaccord ou une attitude plutôt neutre envers le geste contestable. L’analyse englobe 80 tweets et porte sur les niveaux textuel, syntaxique et lexical. 2 RECHERCHES SUR L’EXPRESSION DE L’OPINION Sur le plan théorique, l’analyse de l’opinion sur les réseaux sociaux couvre trois domaines scientifiques : l’analyse du langage des réseaux sociaux, l’expression de l’opinion en lin- guistique et la fouille de l’opinion en informatique. À l’époque des nouveaux médias, les utilisateurs de forums, de réseaux sociaux et de portails d’actualité ont la possibilité d’exprimer publiquement leur opinion sur le dy- namisme politique, social ou personnel. Le discours sur Twitter fait partie du discours électronique médié (Panckhurst 2006 : 345). Il est doté de certaines spécificités lexicales, graphiques et syntaxiques, comme les émoticônes, abréviations et répétitions de carac- tères (Farzindar et al. 2013 : 7) et connaît un certain nombre d’ajustements à cause de la limitation de la quantité de caractères dans un message (280 caractères maximum, es- paces comprises). Il existe de nombreuses opinions critiques à propos de ces spécificités surtout de la part du public général, mais des recherches récentes (Popič et al. 2018 : 157) constatent que les spécificités linguistiques mentionnées ne sont pas la conséquence de l’incompétence linguistique des utilisateurs mais plutôt la preuve d’une créativité spéci- fique présente sur les réseaux sociaux. Au niveau de l’analyse linguistique, l’expression de l’opinion est souvent étudiée dans l’objectif de l’apprentissage de FLE (Gomez Sanchez et al. 2018 : 198). Ce type de recherches s’appuie sur des catégories pragmatiques, comme les sensations (rougir, pleu- rer), les émotions (avoir peur, avoir honte) et les processus cognitifs (croire, admirer), ce qui est utile pour des objectifs pédagogiques. Les analyses qualitatives permettent d’examiner des opinions et des émotions raffinées comme le bonheur (Stefanowitch 2004 : 137), la honte (Retzinger 1995 : 1104) et l’ironie (Haverkate 1990 : 77). L’analyse du discours permet d’observer la fonction performative du langage (Austin 1962 : 40), d’analyser les niveaux implicites de la communication (Ducrot 1972 : 5) et d’examiner les discours socialement déterminés (Butler 1997 : 27). Ces approches sont très intéressantes 93 pour l’analyse qualitative mais ne peuvent pas être appliquées directement à l’étude de l’opinion ou à l’identification des émotions sur des bases de données plus vastes. Dans le domaine du traitement automatique du langage, l’expression de l’opinion est étudiée sous le terme de fouille d’opinion qui fait l’objet d’un intérêt particulier ces dernières années. La fouille d’opinion fait partie d’un domaine plus large, l’analyse des sentiments (Pang et Lee 2008 : 1 ; Smailović et al. 2014 : 285) qui utilise surtout les méthodes d’apprentissage automatique. Celles-ci reposent sur un ensemble d’exemples annotés manuellement avec différentes catégories de sentiments (par exemple positif, négatif, neutre). Cet ensemble d’exemples sert de modèle pour les logiciels informatiques qui identifient les caractéristiques distinctives des sentiments. Dans l’étape suivante, les logiciels attribuent l’un des sentiments aux exemples non-catégorisés. Ces modèles sont très utiles sur de grands ensembles de données mais fournissent des résultats très souvent sous forme de n-grammes (Jalam et Chauchat 2002 : 1) qui se prêtent moins bien pas à faire des interprétations significatives. Notre approche d’analyse des messages postés sur Twitter essaie de combiner les approches quantitative et qualitative afin de pouvoir fonctionner sur des bases textuelles plus étendues et fournir des résultats sous forme de catégories linguistiques facilement interprétables. 3 MÉTHODOLOGIE Nous présentons une analyse quantitative et qualitative de tweets qui reflètent la dyna- mique politique et sociale en France en juin 2021. L’objectif de l’analyse était d’exa- miner les caractéristiques linguistiques des messages qui expriment l’opinion positive, négative et neutre. Une fois que les messages ont été catégorisés manuellement selon le sentiment qu’ils véhiculent, ils ont été analysés aux niveaux textuel, syntaxique et lexical. 3.1 Compilation du corpus La première étape consistait à compiler le corpus. Nous avons pris pour notre analyse les tweets qui ont été inspirés par l’événement dans le cadre duquel Emmanuel Macron s’est fait gifler lors de sa visite à Tain-l’Hermitage par un jeune homme, Damien Tarel (Image 1). Nous avons pris en compte les 80 premiers messages publiés en tant que réactions au tweet annonçant la nouvelle par la chaîne d’info BFMTV (https://twitter.com/BFMTV/ status/1402244842500071427). Les messages traités pour l’analyse témoignent d’une grande polarisation d’opinion des usagers. Ana Zwitter Vitez: L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE ... 94 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Image 1 : Photo d’Emmanuel Macron après avoir été giflé par Damien Tarel à Tain-l’Hermi- tage. Source : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/emmanuel-macron-gifle-l-agres- seur-condamne-a-4-mois-de-prison-ferme_2152627.html 3.2 Annotation de l’opinion Nous avons manuellement attribué une opinion (positive, négative ou neutre) aux 80 tweets du corpus. La catégorie positive a été nommée « Accord » (exemple 1) et la caté- gorie négative « désaccord » (exemple 2) : (1) je salue la beauté du geste 2 (2) C’est honteux on gifle pas le président ou quelqu un d’autre... Nous avons pris en considération également la catégorie « Neutre » (exemple 3) à cause du nombre relativement important de tweets qu’on ne pouvait pas considérer comme positifs ou négatifs. (3) Peut on dire que #macron s’est prit une tarte à Tain 2 Les messages analysés sont cités sous leur forme authentique. 95 Même si les trois catégories ne sont pas tout à fait homogènes et comportent des nuances d’opinions différentes (surtout la catégorie « neutre »), nous n’avons pas voulu faire de catégories plus raffinées parce que l’un des objectifs de notre étude était d’éla- borer une méthodologie utilisable également pour des analyses de grandes quantités de textes. On n’ignorera pas le fait qu’un seul annotateur ne puisse pas assurer une objecti- vité totale de catégorisation, alors nous avons fait une attention particulière aux exemples qui n’étaient pas tout à fait polarisés. Dans cinq exemples (6%), nous avons demandé l’opinion extérieure de deux autres annotateurs (exemple 4) : (4) Mr Macron souhaitait prendre le pouls de la France... La décision finale sur la catégorie des exemples problématiques était donc prise en consensus entre trois annotateurs. 3.3 Analyse linguistique Nous avons analysé chaque message aux niveaux de la longueur textuelle, de la syntaxe et du lexique comme suite au travail présenté dans Zwitter Vitez (2020a : 157). Au ni- veau textuel, nous avons examiné la longueur des tweets analysés (de 1 à 5 phrases). Au niveau syntaxique, nous avons d’abord déterminé la structure syntaxique de phrase (simple, complexe). Ensuite, nous avons examiné le type de phrase selon la méthodologie de Riegel et al. (1994 : 101) : phrase déclarative, exclamative, interrogative et injonctive. Dans l’étape suivante, nous avons identifié la présence éventuelle d’éléments lexicaux ex- plicitant le sentiment de l’auteur (soutenir, honteux, etc.). Le tableau (1) présente les an- notations linguistiques aux niveaux textuel, syntaxique et lexical du commentaire choisi. Tableau 1 : Les annotations linguistiques du commentaire choisi. Je salue la beauté du geste Opinion Accord Structure du texte 1 phrase Structure de phrase Simple Type de phrase déclarative Lexique saluer, beauté Une fois que tous les tweets ont été annotés, nous avons examiné les trois catégories d’opinion (accord, désaccord et opinion neutre) à tous les niveaux d’annotation linguis- tique. L’objectif de cette analyse était de voir s’il existe, pour chaque catégorie d’opinion, Ana Zwitter Vitez: L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE ... 96 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES des différences au niveau linguistique qui pourraient aider à distinguer les messages qui expriment une opinion positive, négative ou neutre. 4 ANALYSE ET RÉSULTATS Après avoir attribué à tous les commentaires une catégorie au niveau de l’opinion prédo- minante de la structure textuelle, de la structure syntaxique et du lexique, nous avons pu procéder à l’analyse des résultats. 4. 1 Distribution de l’opinion Tout d’abord, nous voulions examiner la distribution de l’opinion dans les tweets du corpus. Le graphique (1) montre la proportion de commentaires exprimant l’accord, le désaccord et l’opinion neutre. 0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40% 45% Accord Désaccord Neutre Graphique 1 : Distribution de l’opinion dans les commentaires exprimant l’accord, le désaccord et l’opinion neutre. Les résultats montrent que les tweets exprimant le désaccord représentent la plus grande catégorie (40%), suivent les tweets véhiculant l’accord (31%) et l’opinion neutre (29%). Sur ce point, il semble pertinent d’exposer quelques observations qualitatives à propos des trois catégories de l’opinion analysées. Il était assez facile de distinguer entre les deux catégories polarisés qui expriment l’accord et le désaccord. Pourtant, ces 97 commentaires ne se réfèrent pas seulement au geste d’activisme du jeune homme qui a giflé le président. Par exemple, les commentaires exprimant l’accord ne touchent pas toujours le geste lui-même mais critiquent plutôt le travail et l’attitude du président et de son équipe (exemple 5) : (5) A force de se prendre pour un Roi... Voyez le résultat. Contrairement aux catégories de l’accord et du désaccord, la catégorie neutre repré- sente des opinions très hétérogènes. En effet, l’opinion neutre englobe des commentaires qui apportent une dimension ironique ou des jeux de mots à propos de l’événement sans montrer de soutien ni de critique (exemple 6) : (6) C’est une tarte à Tain alors ? Quelques tweets de l’opinion neutre commentent la formulation « essayer de gifler » telle que présentée par les médias (exemples 7 et 8) : (7) Il a pas tenté de le gifler, il l’a giflé (8) Il l’esquive il le touche à peine Et parfois les commentaires classés dans la catégorie neutre font allusion à un autre événement dont les moyens de publicité gouvernementale ne voudraient pas parler. C’est par exemple l’affaire appelée FauciLeaks dévoilant que L’Agence France-Presse, selon France Soir (2021), n’avait pas fait écho d’une étude importante révélant l’origine du coronavirus (exemple 9) : (9) Vous remarquerez comme: - il est allé DIRECT sur la «bonne» personne - le caméraman était à l’intérieur des barrières Bonne excuse pour ne pas parler des emails de #Fauci? Ces remarques qualitatives sur les trois catégories de l’opinion nous serviront de moyen d’interprétation quant aux spécificités linguistiques des commentaires analysés dans la suite. Ana Zwitter Vitez: L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE ... 98 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES 4.2 Structure textuelle Au niveau textuel, nous avons essayé de voir les spécificités concernant la structure et la longueur des tweets qui expriment l’accord, le désaccord et l’opinion neutre. Le gra- phique (2) montre la distribution du nombre de phrases composant les tweets analysés. 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% Accord Désaccord Neutre 1 phrase 2 phrases 3 phrases 4 phrases 5 phrases Graphique 2 : La longueur des commentaires exprimant l’accord, le désaccord et l’opinion neutre. Les résultats montrent que les tweets exprimant l’accord et l’opinion neutre sont le plus souvent composés d’une seule phrase : c’est le cas de 80% de tweets exprimant l’accord (exemple 10) et de 70% de tweets exprimant l’opinion neutre (exemple 11). Les tweets qui comportent 2, 3 phrases ou plus sont très rares. (10) Le sale gamin s’en est pris une ! (11) Pour une fois au moins c’était pas des figurants La catégorie véhiculant le désaccord, en revanche, montre une proportion égale de tweets comprenant une seule phrase (41%) et de tweets qui comportent deux phrases (41%), et il y a même une proportion non négligeable de tweets composés de trois phrases (17%, exemple 12). 99 (12) Macron n’est pas ma tasse de thé, mais là, tolérance zéro envers le gifleur !!! Qu’il soit sévèrement condamné !!! 4.3 Syntaxe Au niveau de la syntaxe, nous avons d’abord déterminé la structure de phrase utilisée (Riegel et al. 1994) : simple ou complexe. Le graphique (3) montre la distribution des structures syntaxiques dans le corpus analysé. 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% Accord Désaccord Neutre Simple Complexe Graphique 3 : La structure de phrase dans les tweets exprimant l’accord, le désaccord et l’opinion neutre. Les résultats montrent que les tweets qui expriment l’accord avec le geste d’avoir giflé le président se caractérisent par une utilisation prédominante de phrases simples (69%), tandis que la phrase complexe n’est pas fréquemment utilisée (31%). Ceci est démontré par l’exemple (13) : (13) L arrogance et le mépris à pris une claque ! Les tweets qui véhiculent le désaccord ont une proportion légèrement différente entre les phrases simples (60%, exemple 14) et complexes (40%, exemple 15). (14) ça va trop loins Ana Zwitter Vitez: L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE ... 100 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES (15) Déjà que notre image à l’étranger n’est pas terrible, ne l’aggravez pas encore plus qu’elle ne l’est déjà. Une proportion bien différente est présente dans les tweets qui expriment l’opinion neutre : dans cette catégorie, la phrase simple est présente dans 47% (exemple 16) et la phrase complexe dans 53% (exemple 17) : (16) Encore un contrefeu de JLM (17) C’est du même niveau que «si elle n’avait pas mis de mini-jupe, on ne l’aurait pas violée». Dans la deuxième étape de l’analyse syntaxique, nous avons déterminé le type de phrase utilisée pour chaque tweet du corpus selon la classification de Riegel et al. (1994, 101) : phrase déclarative, exclamative, interrogative et injonctive. Le graphique (4) montre la distribution des types de phrases dans le corpus analysé. 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% Accord Désaccord Neutre déclarative exclamative impérative interrogative Graphique 4 : Les types de phrases dans les commentaires exprimant l’accord, le désaccord et l’opinion neutre. Les résultats montrent que dans les tweets exprimant l’opinion neutre, la phrase dé- clarative prédomine (69%, exemple 18), mais il y a aussi une proportion considérable 101 de phrases interrogatives (16%, exemple 19) qui apportent une dimension ironique aux messages publiés. (18) Du sentiment d’insécurité au venez me chercher en passant par des décisions et un comportement qui conduit un français à frapper le president en exercice. (19) C’est pas la «France heureuse» dans laquelle il souhaitait se promener ? Dans les tweets exprimant le désaccord, la phrase déclarative est également très fré- quente (47%, exemple 20), mais on peut noter une présence non négligeable de la phrase exclamative (40%, exemple 21) : (20) Les désaccords politiques ne justifient absolument pas ce type de geste. (21) En taule le jaunard, on va lui apprendre les bonnes manières ! Dans les tweets qui véhiculent l’accord avec le geste, la distribution des types de phrases est bien différente. Le type de phrase prédominant est la phrase exclamative (47%, exemple 22), suit la phrase déclarative (41%). (22) 1 sur 100... wouahou ! Les résultats de l’analyse syntaxique des tweets analysés démontrent que les diffé- rences entre les opinions se font au niveau de la structure de phrase et au niveau du type de phrase utilisé. Pourtant, il semble important de mentionner quelques difficultés quant à l’annotation de la catégorie. Premièrement, beaucoup de tweets ne comportent pas de marques de ponctuation finale (exemple 23), alors nous avons déterminé le type de phrase selon le critère de modalité la plus probable (phrase déclarative dans l’exemple respectif). (23) comme je dis toujours, pour être respecté, encore faut-il être respectable Une autre limite de la détermination du type de phrase réside dans l’impossibilité d’analyser les émoticônes qui, à notre avis, pourraient avoir une influence importante sur la modalité d’énonciation de l’auteur. Ana Zwitter Vitez: L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE ... 102 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES 4. 4 Lexique Au niveau lexical, nous examinons si les tweets étudiés contiennent un lexique relevant explicitement le sentiment ou l’opinion de l’auteur (génial ou quelle honte, par exemple). À partir de ce critère, nous avons classé les tweets en catégories de lexique explicite (adorer) et implicite (Que ce serait dans les urnes qu’il devrait montrer son opposition). Le graphique (5) montre la distribution de tweets qui contiennent le vocabulaire explicite et implicite exprimant l’opinion de l’auteur. 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% Accord Désaccord Neutre implicite explicite Graphique 5 : Le lexique dans les commentaires exprimant l’accord, le désaccord et l’opinion neutre. À partir du graphique 5, nous pouvons constater que les commentaires qui véhi- culent l’accord et le désaccord se ressemblent tandis que les tweets à l’opinion neutre ont une distribution lexicale différente. En effet, les tweets qui expriment le désaccord comportent dans la plupart des cas (79% ) un lexique à partir duquel il est possible de déterminer de manière explicite l’opinion de l’auteur (exemple 24). Parmi les exemples typiques de structures exprimant le désaccord, on trouve, par exemple, honteux, lâche et irrespectable. (24) Quelles images honteuses, on peut ne pas être d accord mais on se doit de respecter nos institutions. La catégorie des tweets exprimant l’accord avec le geste comporte elle aussi, un taux important du lexique démontrant de manière explicite l’opinion de l’auteur (55%, 103 exemple 25). Les exemples typiques de structures qui expriment l’accord avec le geste sont bravo, mériter une claque et chercher la gifle. (25) Cette gifle, Macron l’a bien cherché pour tout ce qu’il a fait et ce sera pas la première, ni la dernière. Contrairement aux commentaires exprimant l’accord et le désaccord, l’opinion neutre comporte 78% de tweets dans lesquels l’opinion de l’auteur n’est pas explicitement exprimée au niveau lexical, ce que démontre l’exemple (26) : (26) Je pense que ce citoyen était dans le même état d’esprit avec Emmanuel Macron. Les résultats montrent que les tweets exprimant l’accord et le désaccord ont, en tant qu’opinions polarisées, plus de points en commun au niveau lexical que les tweets qui expriment l’opinion neutre de manière implicite. 5 DISCUSSION Dans la discussion, nous voudrions faire quelques remarques à propos de deux études avec une méthodologie semblable que nous avons menées récemment. Dans la première étude (Zwitter Vitez 2020a : 157), nous avons analysé les tweets publiés en tant que ré- actions au développement du mouvement des Gilets jaunes. Dans l’article Zwitter Vitez (2020b : 509), nous avons analysé les réactions au tweet d’Emmanuel Macron déclarant qu’il a régularisé la situation d’un migrant qui avait sauvé la vie d’un enfant. Les résultats des études mentionnées montrent que les tweets de support ont ten- dance à s’articuler surtout par phrases exclamatives simples et un vocabulaire de support explicite. De l’autre côté, les tweets qui révèlent les émotions négatives se caractérisent par une structure syntaxique complexe, des phrases interrogatives et un vocabulaire plu- tôt neutre. Nous avons essayé d’expliquer ces différences par le fait que les auteurs de messages positifs n’hésitent pas à montrer leur émotion sans donner d’explication, alors que les auteurs des commentaires négatifs s’identifient plutôt avec une argumentation élaborée et sans marque d’affect. La présente étude se sert d’une méthodologie semblable aux études mentionnées mais apporte des résultats légèrement différents. Les résultats montrent que les tweets exprimant le désaccord se composent souvent de plusieurs phrases de type déclaratif ou exclamatif et de structure simple qui comportent un lexique explicite exprimant l’opinion Ana Zwitter Vitez: L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE ... 104 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES de l’auteur (honteux, irrespectable). Les tweets véhiculant l’accord sont souvent struc- turés d’une seule phrase simple exclamative et comportent un lexique explicite (bravo, mériter une claque). Les tweets à opinion neutre sont souvent composés d’une phrase déclarative de structure complexe et ne comportent pas de lexique explicite exprimant l’opinion de l’auteur. D’après ces résultats, on peut conclure que les tweets exprimant l’accord et le désac - cord se ressemblent au niveau de la structure phrastique (phrase simple) et du lexique ex - plicite. Les tweets à opinion neutre diffèrent des deux catégories polarisées puisqu’ils sont le plus souvent composés de phrases complexes et ne comportent pas de lexique d’opinion typique. À quels éléments peut-on attribuer les différences entre les études précédentes et la présente étude ? À notre avis, la première explication réside dans l’introduction de la troi - sième catégorie d’opinion neutre qui représente l’opinion de l’auteur critique et plutôt dis - tant qui ne s’implique pas de manière émotionnelle dans l’affaire commentée. La deuxième explication est liée à la spécificité de l’acte d’avoir giflé le président. Contrairement au fait d’avoir sauvé la vie d’un enfant, il s’agit d’un acte plutôt négatif, alors il semble compréhen - sible que les commentaires positifs et négatifs montrent plus d’émotions. Troisièmement, comme nous l’avons démontré dans le chapitre méthodologique, les tweets analysés ne se réfèrent pas seulement à la gifle mais aussi au travail du président et de son équipe, ce qui explique le caractère hétérogène des trois catégories d’opinion. 6 CONCLUSION La présente étude a démontré qu’il existe des différences d’ordre linguistique (structurel) entre les messages qui expriment l’opinion positive, l’opinion négative et l’opinion neutre de l’auteur. Les spécificités linguistiques identifiées sont bien différentes des moyens typiques de l’expression de l’opinion abordés dans de nombreuses descriptions linguis- tiques. En effet, nous montrons que l’opinion de l’auteur n’est pas identifiable par des syntagmes prévus par les descriptions taxinomiques, mais plutôt par une combinaison de structures linguistiques qui créent leur effet final par la longueur textuelle, la complexité syntaxique, le type de phrase et les marqueurs lexicaux. S’il est vrai que l’échantillon analysé est limité, les résultats montrent une certaine cohérence tout au long de l’analyse. Les tweets exprimant l’accord et le désaccord sont donnés sous forme de phrase simple exclamative et comportent le lexique explicite, tan- dis que les tweets à opinion neutre sont souvent composés de phrases déclaratives com- plexes et ne comportent pas de lexique affectif. C’est pourquoi il serait intéressant de continuer avec cette méthodologie mais sur d’autres sujets liés à l’actualité sociale. Les méthodes utilisées pourraient se tenir aux niveaux textuel, syntaxique et lexical, mais auraient pu bénéficier peut-être des catégories d’opinions plus fines. 105 À l’époque où les méthodes d’analyse d’opinion sont utilisées principalement par de grandes entreprises et des corporations, il semble justifié de mobiliser des recherches dans le domaine des sciences humaines et sociales. Ce type de recherche pourrait contri- buer à une meilleure compréhension de la société et aider à fournir des réponses aux défis politiques, sanitaires et sociaux (les élections, la pandémie du coronavirus ou la problé- matique de la corruption). SOURCE Chaîne d’info BFM. 20 juin 2021. https://twitter.com/BFMTV/status/1402244842500071427. BIBLIOGRAPHIE ANSCOMBRE, Jean-Claude/Oswald DUCROT (1976) L’argumentation dans la langue. Langages 41, 5–27. AUSTIN, John Langshaw (1962) How to do things with words : The William James Lec- tures delivered at Harvard University in 1955. Oxford : Clarendon Press. BUTLER, Judith (1997) The psychic life of power : Theories in subjection. Stanford : Stanford University press. DUCROT, Oswald (1972) Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris : Herman et Cie. FARZINDAR, Atefeh/Mathieu ROCHE (2013) Les défis du traitement automatique du langage pour l’analyse des réseaux sociaux. Revue TAL – Traitement Automatique des langues 54 (3), 7–16. Français facile. Le 20 juin 2021. https://www.francaisfacile.com/exercices/exercice-fran- cais-2/exercice-francais-12640.php. France Soir. Le 4 juin 2021. https://www.francesoir.fr/societe-sante/mails-fauci-afp-sa- vait-originevirus. GOMEZ SANCHEZ, Ingrid (2018) L’expression de l’affect dans les échanges des appre- nants de FLE. Revista de linguas modernas 28, 197–207. HA VERKATE, Henk (1990) A speech act analysis of irony. Journal of Pragmatics 14 (1), 77–109. JALAM, Radwan/Jean-Hugues CHAUCHAT (2002) Pourquoi les n-grammes permettent de classer des textes? Recherche de mots-clefs pertinents à l’aide des n-grammes ca- ractéristiques. A. Morin/P. Sébillot (éds.), JADT Journées internationales d’Analyse statistique des Données Textuelles. Rennes : INRIA, 1–10. Ana Zwitter Vitez: L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE ... 106 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Nouvel Edito B1. Le 20 mai 2021. https://didierfle-edito.com/exercices/b1/unite-4-b1/ lexpression-de-lopinion-indicatif-ou-subjonctif/. PANCKHURST, Rachel (2006) Le discours électronique médié : bilan et perspectives. Lire, Écrire, Communiquer et Apprendre avec Internet 1, 345–366. PANG, Bo/Lillian LEE (2008) Opinion Mining and Sentiment Analysis. Foundations and Trends® in Information Retrieval 1–2, 1–135. POPIČ, Damjan/Darja FIŠER (2018) (Ne)normativnost računalniško posredovane ko- munikacije v slovenščini : merilo vejice. D. Fišer (éd.), Viri, orodja in metode za analizo spletne slovenščine. Ljubljana : Znanstvena založba Filozofske fakultete, 140–159. RETZINGER, Suzanne (1995) Identifying Shame and Anger in Discourse. American behavioral scientist 38 (8), 1104–1113. RIEGEL, Martin/Jean-Christophe PELLAT/René RIOUL (1994) Grammaire métho- dique du français. Paris : PUF. SMAILOVIĆ, Jasmina/Miha GRČAR/Nada LA VRAČ/Martin ŽNIDARŠIČ (2014) Stream-based active learning for sentiment analysis in the financial domain. Infor- mation Sciences 285, 181–203. SPERIOSU, Michael/Nikita SUDAN/Sid UPADHY A Y (2011) Twitter polarity classifi- cation with label propagation over lexical links and the follower graph. O. Abend (éd.), EMNLP '11 : Proceedings of the First Workshop on Unsupervised Learning in NLP. Edinburgh : Association for Computational Linguistics, 53–63. STEFANOWITSCH, Anatol (2004) Happiness in English and German: A metaphorical- pattern analysis. M. Achard/S. Kemmer (éds.), Language, culture and mind. Stan- ford : CSLI Publications, 137–149. TEDESCHI, Antonio/Francesco BENEDETTO (2015) A cloud-based big data sentiment analysis application for enterprises' brand monitoring in social media streams. P. Sangregorio/A. L. Cologni/F. Previdi (éds.) 2015 IEEE 1st International Forum on Research and Technologies for Society and Industry Leveraging a better tomorrow (RTSI). New Jersey : Institute of Electrical and Electronics Engineers,186–191. WRIGHT, Alex (2009) Mining the Web for Feelings, Not Facts. New York Times (2009). 20 mai 2021. https://www.nytimes.com/2009/08/24/technology/internet/24emotion. html. ZWITTER VITEZ, Ana (2020a) Le discours politique et l’expression de l’opinion sur Twitter : analyse syntaxique, lexicale et orthographique. Ars et humanitas 14 (1), 157–170. ZWITTER VITEZ, Ana (2020b) La contribution de la linguistique dans l’analyse de la dynamique sociale : l’exemple des Gilets jaunes. I. Lazar/A. Panjek/J. Vinkler (éds.), Mikro in makro : pristopi in prispevki k humanističnim vedam ob dvajsetletni- ci UP Fakultete za humanistične študije. Koper : Založba Univerze na Primorskem, 509–52. 107 POVZETEK IZRAŽANJE MNENJA O POLITIČNIH DOGODKIH: ANALIZA BESEDILNIH, SKLADENJSKIH IN LEKSIKALNIH PRVIN V času novih medijev ima sleherni uporabnik forumov, družbenih omrežij in novičarskih portalov možnost javno izražati svoje mnenje o aktualnih političnih dogodkih, družbenem dogajanju ali svojem vsakodnevnem življenju. Analiza izražanja mnenja je zato v zadnjih desetletjih prestopila okvir učenja jezikov in postala izjemno aktualna raziskovalna tema tudi za področje računalniške- ga jezikoslovja, ki omogoča zanimive rešitve za različna podjetja in organizacije. V prispevku smo analizirali komentarje, s katerimi so se uporabniki družbenega omrežja Twitter odzvali na inci- dent, v katerem je francoskega predsednika Emmanuela Macrona med rokovanjem udaril moški iz množice. Analizirali smo tvite, ki izražajo strinjanje, nestrinjanje in nevtralen odnos do dogodka. Analiza zajema 80 tvitov in se nanaša na besedilno, skladenjsko in leksikalno raven. Rezultati kažejo, da so tviti, ki izražajo nestrinjanje, večinoma podani v povednem ali vzkličnem naklonu, imajo enostavčno zgradbo in vsebujejo besedišče, ki eksplicitno izraža avtorjevo mnenje (sramota, nespoštljivo). Tviti, ki izražajo strinjanje, imajo pogosto zgradbo enostavčne vzklične povedi in vsebujejo eksplicitno besedišče (bravo, zaslužil si je klofuto). Tviti, ki izražajo nevtralno mnenje, pa so v največ primerih podani s povednim naklonom, imajo večstavčno zgradbo in ne vključujejo eksplicitnega besedišča, ki izraža avtorjevo mnenje. Predstavljena metoda analize je osnovana na osnovnih slovničnih kriterijih (število povedi, zgradba povedi, stavčni naklon, ključne besede), kar omogoča tudi avtomatsko analizo velikih količin besedil. V prihodnosti bi lahko metodo uporabili pri raziskovanju različnih političnih, zdravstvenih in družbenih izzivov (volitve, pandemija koro- navirusa ali vprašanje korupcije). Ključne besede: izražanje mnenja, družbena omrežja, besedilna analiza, skladenjska analiza, le- ksikalna analiza ABSTRACT EXPRESSING OPINION ON POLITICAL EVENTS: TEXTUAL, SYNTACTIC AND LEXICAL ANALYSIS Users of forums, social networks and news portals now have the opportunity to publicly express their opinions on current political events, social issues, or their everyday lives. The analysis of opinion expression, which primarily represented a research topic in the field of language learning, has now become an important research challenge in the field of computational linguistics, which provides relevant solutions for various companies and organizations. The aim of this article is to analyse messages by which users of the social network Twitter reacted to an incident in which Ana Zwitter Vitez: L ’EXPRESSION DE L ’OPINION : ANALYSE TEXTUELLE, SYNTAXIQUE ET LEXICALE ... 108 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Emmanuel Macron was slapped in the face by a man as he went out to meet the public. We ana- lysed the tweets that express agreement, disagreement and a neutral attitude towards the action. The analysis includes 80 tweets and refers to the textual, syntactic and lexical levels. The results show that tweets expressing disagreement have a typical declarative or exclamatory form, simple sentence structure and include explicit vocabulary expressing the author’s opinion (shameful, dis- respectful). Tweets demonstrating agreement are more likely to have an exclamatory form, simple sentence structure and include an explicit term (well done, deserve a slap). Opinion-neutral tweets, on the other hand, are more likely to be formulated as declarative sentences with complex sentence structure and do not include an explicit term expressing the author’s opinion. The presented meth- od is established on basic grammatical criteria (number of sentences, sentence structure, sentence form, keywords), which can also be applied to computational analysis of large collections of texts. In the future, the presented model could be applied to investigate various political, societal or healthcare challenges (elections, corruption or pandemic issues). Keywords: expression of opinion, social media, text analysis, syntactic analysis, lexical analysis