LILLYRIE et LA DALMATIE. IMPRIMERIE DE LE NORMANT, Hl/E DE iF.INE - L'ILLYRIE ET LA DALMATIE, ou -mœurs, usages et costumes de leurs hae1tans et de ceux des contrées voisines. TRADUIT DE L'ALLEMAND , DE M. LE DOCTEUR IIACQUET, PAR M. BRETON. Augmenté d'un Mémoire sur la Croatie militaire; orné de trente-deux planches, dont viiigi-tjuatre d'après les gravures de l'ouvrage allemand, et Jiuit d'après des dessins originaux inédits. TOME DEUXIÈME. PARIS, NEPVEU, LIBRAIRE, PASSAGE DES PANORAMAS, N° aÇ. //3 *v ^7 1 5322 A L'ILLYRIE et LA D/1.LMATIL. vw\\wvwvwvvwvwvvwww\ wvwwvwvwvw v> wwvw suite DES MŒURS DES MORLAQUES. L'occupation ordinaire -les Mor-laques dans leur bas 3g.-.. esi de garder les troupeaux au miiiai des bois et des mon1 .jtitent de leurs morneu> de loisir pour exér a L'ILLYRIE cuter, avec un simple couteau, diverses sculptures en bois. Elles ressemblent à ces figures grossières d'animaux que taillent les pasteurs de la Suisse ou de la Souabe, avec des bois résineux, que les colporteurs achètent à la grosse, et revendent ensuite à vil prix jusque dans Paris même. Les jeunes Morlaques font encore des tasses et des sifflets ornés de bas-reliefs d'un travail curieux. La nourriture la plus habituelle des Morlaqqes, consiste en lait et en laitages de toutes sortes. Ils font aigrir le lait avec du vinaigre, et obtiennent ainsi \ia breuvage très-rafraîchissant. Leur plat le plus estimé consiste en fromage frit dans du b«Urre. Les jettes nommées ET LA DALMATIE. 3 pogaccie qui leur tiennent, lieu > » Croiroit-on que les Morlaques, dans leur insouciance , se rendent tributaires de l'étranger pour une production dont la culture seroit pour eux si facile? Ils font venir tous les ans d'Ancône et de Rimini, de l'ail pour plusieurs milliers de ducats. Quant à l'âge avancé auquel parviennent les Morlaques, il seroit difficile de le fixer au juste. La plupart ignorent la date précise de ^eur naissance qu'ils se soucient peu de constater. Et comme passé un certain terme , la même coquet- 6 L'ILLYRIE terie qui portoit d'abord à diminuer son âge, dispose ensuite à l'augmenter, il se pourroitque plusieurs de ces centenaires n'eussent pas en réalité plus de quatre-vingts ans. Au reste, il n'en est plus qui ait, comme l'illyrien Dando dont parle Pline, la prétention d'avoir vécu cinq cents années (i). A la mort des Morlaques, on paie, suivant la fortune des héritiers, un certain nombre de pleureuses qui poussent des cris lamentables. Un voyageur allemand, témoins pour la première fois d'une cérémonie lugubre de ce genre, s'informa des qua- (i) Alcxander Cornélius memorat Dan-donem illyricum quinque centum a nu os vixisse. Plin. 7. c. 4& ET LA DALMATIE. 7 litésdu défunt qui paroissoit inspirer des regrets si douloureux. Hélas ! répondit une des pleureuses , vous voyez bien que c'étoit un homme riche f et que ses héritiers ne regardent pas à la dépense ! Mais avant de parler de ces tristes cérémonies, examinons le régime des Morlaques durant la maladie qui les conduit au tombeau. Je dis la maladie , car la force de leur tempérament ne leur permet guère d'en connoître qu'une seule espèce : ce sont les maladies inflammatoires qui résultent très-souvent des transpirations arrêtées à l*suite des exercices violens que ces hommes se donnent dans leurs bal». Dans ce cas, la plupart des Morlaques n'appellent point de méde- 8 L'ILLYRIE decins ; ils cherchent à se guérir eux-mêmes. Le premier médicament auquel ils aient recours, est une dose copieuse d'eau de-vie, où ils font infuser, suivant la gravité ou l'opiniâtreté du mal , une forte quantité de poivre ou de poudre à canon. Ils ne négligent rien pour provoquer une sueur abondante. En hiver ils s'accablent de vêtemcns, en été ils s'exposent couchés sur le dos à l'ardeur du soleil. Ils guérissent les obstructions en appliquant sur le ventre du malade une grande pierre plate fortement échauffée, lis chassent les douleurs rhumatismales à l'aide d'une pierre rougie au feu, enveloppée d'un linge mouillé. Pour recouvrer leur appétit à la ET LA DALMATIE. 9 suite d'une longue fièvre, ils avalent force vinaigre ; enfin ils appliquent sur les blessures et les contusions une ocre rougeâtre. Leur principal remède, celui dont ils se servent contre tous les maux, est le sucre ; ils en font même avaler des morceaux aux agonisans, afin d'adoucir, disent-ils, l'amertume de leurs derniers instans. Quand un Morlaque a succombé a l'excès de son mal, toute sa famille, renforcée, comme on vient de le dire, de pleureuses stipendiées, fait retentir la maison de ses cris. Les amis du mort s'approchent de lui, et lui adressent très-sérieuse-mcnt la parole, en le chargeant de leurs commissions pour l'autre monde. io L'ILLYRIE L'heure de l'enterrement étant arrivée , on couvre le cadavre d'un linceul blanc, et on le porte à l'église. Dès qu'il est en terre, le cortège revient à la maison avec le curé ; on y recommence les prières, que suit un grand repas, où la plupart des convives perdent la raison par l'excès de leurs orgies. Le deuil consiste parmi les hommes à se laisser croître la barbe, à se coiffer d'un bonnet bleu ou violet. Les femmes s'enveloppent la tête d'un mouchoir bleu ou noir, et couvrent de lambeaux d'étoffe noire tout ce qui est rouge dans leur habillement. Pendant la première année qui suit le décès d'un Morlaque, les femmes de sa famille vont tous les ET LA DALMATIE. „ jours de fêtes, faire de nouvelles lamentations sur sa tombe : elles y répandent des fleurs et des herbes aromatiques. Si quelque circonstance impérieuse les force de manquer à ce pieux devoir, elles ont soin de venir lui présenter leurs excuses, et de lui rendre compte de leur conduite, comme s'il étoit capable de les entendre. Elles lui demandent aussi des nouvelles de l'autre monde, en faisant sur ce sujet les plus étranges questions. Ces discours ne se font pas d'un ton de voix naturel, mais d'un ton lamentable et mesuré, comme on répéteroitune leçon apprise. Les costumes des Morlaques ne sont point uniformes : voilà pour- tz L'ILLYRIE quoi les descriptions de Cassas, de Fortis et des autres voyageurs, se ressemblent si peu. Les estampes ci-jointes donneront une idée des ha-billemens les plus en usage parmi eux. L'homme est coiffé d'un haut bonnet de poil ou kolpak; ses cheveux sont flottans sur la nuque. La veste et le pantalon sont blancs, avec des paremens bleus. ( Voyez la planche, page i36 du tome Ier. ) lis ont une ceinture de cuir à laquelle pendent un couteau et une bourse à Contenir du tabac. Les guêtres, en forme de bottines, sont d'une laine grossière et blanche, brodées sur leur bord supérieur et échancrées sur les côtés. Les hommes mariés même, qui ET LA DALMATIE. i3 ne font point partie des milices, ne sortent presque jamais sans leur attirail militaire. Un longschallgarni de franges se drape assez élégamment sur leur épaule gauche : ils sont enveloppés au besoin , comme dans une couverture. ( V. la planche, p. t.) Les femmes se coiffent, d'un mouchoir blanc dont les deux bouts, tombant par derrière, sont garnis de rubans rouges et bleus. Celles des villes p or len t p ou r coi ffu re la pasôlat; elle est d'étoffe blanche à Heurs, enrichie de broderies d'or ou d'argent. ( Voyez la même planche. ) Les fdlcs portent de petits bonnets rouges garnis de pièces de monnaie et de coquillages , notamment de ceux appelés porcelaines (.typera moneta),lesquels servent de i4 L'ILLYRIE monnaie dans quelques parties des Indes. Les paysannes morlaques, excellentes travailleuses, font quelquefois de longues marches , en portant un paquet très-lourd sur leur tête et un enfant atta hé derrière leur dos. Ce double fardeau ne les empêche pas de filer pour charmer l'ennui de leur route, ou pour tirer parti de leur temps. ( Voyez la planche en regard. ) La même méthode existe parmi les laborieuses villageoises de l'Espagne et du Portugal. Les Morlaques, soit catholiques, soit professant le rite grec , se font de la religion l'idée la plus étrange, et malheureusement les ecclésiastiques sont intéressés à les maintenir dans l'erreur. Il n'est presque per- ET LA DALMATIE. i5 sonne parmi eux qui ne croit à l'exis-lence desrevenans et à tous les prestiges de la sorcellerie. Ils ont aussi des vakodlak , de prétendus vampires qui passent pour se faire un plaisir de sucer le sang des enfans. Lorsqu'un de ces êtres qui sont l'effroi de tout un canton vient à mourir, on a soin de lui couper les jarrets, et de lui piquer avec des épingles toutes les parties du corps. Cette opération, disent-ils , empêche le vampire oie retourner parmi les vivans. Et comment ne croiroit-on pas qu'il y a des hommes livrés à cette funeste soif du sang, lorsqu'on en voit qui, à leurs derniers momens, soutiennent qu'ils se sentent tout prêts à devenir vakodlak, et supplient 2. 16 L'ILLYRIE leurs parens de les traiter après leur mort, comme convaincus d'appartenir à cette caste abominable ? Le plus intrépide des Haiduks prend la fuite à l'aspect du premier objet qu'il envisage comme un spectre ou comme un esprit follet. Leurs imaginations ardentes, leurs esprits naturellement crédules multiplient de pareilles apparitions. Ce qu'il y a d'étrange, c'est qu'ils ne regardent pas comme honteux d'être sujets à de pareilles terreurs; ils excusent leur poltronnerie par un proverbe illyrien qui revient à ce vers de Pindare : « La crainte des fantômes met en fuite les enfans des dieux. » Les femmes morlaques, beaucoup plus adonnées à la superstition que ET LA DALMATIE. i7 les hommes , la portent souvent jusqu'à se croire sorcières elles-mêmes. On attribue aux vieilles sorcières des choses qui passent toute croyance. On dit qu'elles ont le pouvoir de faire perdre le lait des vaches de leurs voisins pour augmenter celui de leurs propres vaches. M. Fortis raconte sur le même sujet une histoire merveilleuse qu'un cordelier, à l'époque de son voyage, affirmoit sous serment être de la plus exacte vérité. Le cordelier, suivant son récit, étoit couché dans une même chambre avec un jeune JMorlaque. Il ne dormoit pas, et vit distinctement deux sorcières qui vinrent ouvrir le corps du jeune homme, et lui enlevèrent son cœur pour le faire rôtir 3.. t8 L'ILLYRIE et le manger. Le jeune homme à son réveil sentit la place du cœur vide. En ce moment l'enchantement dut cesser; lessorcières s'envolèrent, en laissant sur la braise le cœur à moitié rôti. Le cordelier qui jusque là n'avoit point bougé, parce qu'il étoit enchanté, eut alors le pouvoir de sortir de son lit. Il se hâta d'aller sauver le cœur du jeune Morlaque, et le lui fit avaler. Celui-ci, comme on pense bien, sentit tout de suite ce viscère rentrer à sa place. Les bonnes gens à qui le cordelier raconte cette aventure, n'oseroient, dit M. Fortis, soupçonner que l'unique fondement de cette histoire est une scène de libertinage. Une des femmes, du propre aveu du père cordelier, étoit assez jeune, et quel- ET LA DALMATIE. i9 ques verres de vin auront été le charme employé par ces imposteurs pour lui donner le change sur tout ce qu'il verroit ou croiroit voir (i). 11 y a de mauvaises sorcières appelées ujesthc, qui n'ont d'autre occupation que de faire du mal , et des magiciennes bienveillantes bahomize qui détruisent leurs enchantemens. Ces femmes, qui tiennent une conduite si opposée, s'accordent néanmoins dans un point essentiel, celui de réunir leurs efforts pour faire des dupes. Il ne seroit pas prudent de déclamer devant une bahor- (i) M. Charles Nodier rapporloit, il y a peu de mois, cette même histoire dans le Journal des Débats, où il a donné û'excellens articles sur les Slaves. ao L'ILLYRIE tiize contre les fraudes des ujestize, car ce seroit attaquer son métier à elle-même. Plus de maléfices ; partant, plus de nécessité de recourir a des enchantemens pour en détruire l'effet. Les prêtres des communions romaine et grecque se sont voué une haine mortelle ; chacun des deux partis invente ou propage contre l'autre mille réaits scandaleux. Les églises des deux sectes sont également pauvres ; mais celles des catholiques romains sont seules tenues avec quelque propreté ; celles des Grecs schismatiques sont d'une saleté révoltante. « Dans une ville de la Morlaquie, dit M. Fortis, j'ai vu un prêtre accroupi sur la place devant l'église, ET LA DALMATIE. 2I écouler la confession de femmes agenouillées auprès de lui. Cette singulière attitude prouve la naïveté des mœurs de cette nation. » Les Morlaques ont pour les ministres des autels une vénération profonde, une déférence absolue et une confiance illimitée. «Souvent, à l'exemple de l'Eglise primitive , ces prêtres infligent à leurs pénitens un châtiment public et corporel : ce sont eux qui leur administrent sans ménagement quelques douzaines de coups de bâton. M J'ai déjà parlé des amulettes que les prêtres vendent très-cher, atin de préserver contre les maléfices. On donne le nom de zapîs à ces billets mystiques, sur lesquels est 2a L'ILLYRIE écrit le nom de quelque saint. Les Morlaques portent des tapis cousus à leur bonnet, et en attachent même aux cornes de leur bétail. Pour peu qu'un succès fortuit vienne confirmer l'utilité des zapis7 tout le monde crie au miracle. Les Turcs eux-mêmes, entraînés par l'exemple , en achètent, et l'exportation de ces talismans est pour les prêtres grossiers de ce pays un article de négoce considérable. On y attribue aussi une propriété miraculeuse à diverses monnaies t soit du Bas-Empire , soit frappées à Venise dans le moyen âge ; on les confond sous la dénomination de médailles de sainte Hélène. On a aussi la plus haute vénération pour des monnaies hongroises, appelées ET LA DALMATIE. 23 petizze, et sur lesquelles est représentée la figure de la Vierge. Telle est la confiance que l'on a dans toutes ces contrées en l'image de la Vierge Marie, que les Turcs, en infraction absolue contre les préceptes de l'Alcoran, ont soin d'envoyer de riches offrandes à celles de ces images qui passent pour miraculeuses , et même de faire dire des messes. C es mêmes hommes qui professent tant de vénération pour la mère du Christ, et qui doivent même, aux termes de leur propre religion, regarder Jésus-Christ comme un grand prophète, sont entraînés par l'esprit départi, par l'aveugle fanatisme, qui ne calcule pas, à une contradiction non moins bizarre. Le salut ordinaire a4 L'ILLYRIE parmi les habitans de ces côtes, huaglian Issus, gloire à Jésus, leur inspire une sorte d'horreur ; ils y substituent cette variation, huaglian Bog, gloire à Dieu. ET LA DALMATIE. 25 ^vvvv\.\vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvxvwv\^vvv%vvvvv\vv'vxvvvvv CROATES ou H OR V ATI. Cette nation, qui descend des aques, se nonrrmoit anciennement Croates, et de là est venue la dénomination de Chrobates, que les Grecs et les Romains lui ontdonnée. Elle habite aujourd'hui la haute ÏUyrie, tandis que les Morlaques occupent la basse Illyrie, ou petite Ulyrie des anciens. La Croatie actuelle confine au nord avec la Slavonie, à l'occident avec le pays des Dolenzi et des Uskokes septentrionaux , au midi 2 3 a6 L'ILLYRIE avec les Liburniens et les Morlaques , au levant avec la Turquie? d'Europe. Ce pays est en général uni du nord a l'est , mais montagneux vers le midi. Cette différence de sol en apporte une très-grande dans le caractère des habitans. Ceux du Bannat qui occupent la plaine, ne ressemblent guère à cpux du Gé-néralat qui habitent les montagnes. Les Croates en général sont entre eux des hommes très - bons, pleins de probité et fort serviables; mais ils traitent comme étrangers tous ceux de leurs voisins qui ne sont pas de la même caste, et regardent presque tous les autres peuples comme des ennemis. Souples et rampans tant qu'ils ont quelque chose à craindre, ils traitent avec mépris, ET LA DALMATIE. a7 et même avec outrage, ceux de qui ils n'ont rien à redouter. Le peu de fertilité de leur sol nous dispense de dire combien ils sont pauvres, et combien leurs mœurs sont grossières. C'est du temps de l'empereur Héraclius que les Croates ont embrassé le christianisme ; ils respectent beaucoup leur religion et encore plus leurs prêtres. M. Hacquet raconte qu'étant un jour venu par mer, de la Carniole, sur un petit brigantin de douze canons, et étant vêtu à la mode des marins de ce pays-là , d'une jaquette d'un bleu foncé (i), les (i) C-à-d. comme les popes russes que nous avons vus attache'* en qualité' d'au- aS L'ILLYRIE Croates le prirent pour un prêtre en pèlerinage ; ils accoururent de tous côtés sur le rivage, s'agenouillèrent dévotement devant lui, et lui demandèrent sa bénédiction. Cette peuplade , étant toute militaire, n'est pas aussi adonnée que les autres à la superstition. Ils font rarement des pèlerinages, et n'ont pas beaucoup d'images miraculeuses. Ce n'est pas non plus qu'ils soient fort instruits ; car ils confirment plus que d'autres cette vieille maxime înter arma silent Muscc. mônîers aux divers régimens. Le costume négligé de ces prêtres ne différoit pas beaucoup de celui des simples domestiques ou serfs avec leur caftan bleu et leur longue barbe ; souvent je les ai pris les uns pour les autres. ET LA DALMATIE. ag On retrouve encore en Croatie quelques vestiges des moeurs patriarcales ; souvent on voit cinq à six familles vivre de la meilleure intelligence du monde, dans une maison extrêmement resserrée. Le plus âgé des hommes est sous le nom de gospodar, le chef absolu : c'est lui qui distribue les travaux, et chacun doit lui obéir. Sa femme , ou à son défaut, la doyenne d'âge, a la surintendance des cnfans. La mère de chacun de ceux-ci n'a rien à changer aux ordres formels de la gospodina, ou de la stara-maiko. Les plus jeunes femmes sont chargées de tous les travaux pénibles et de toutes les fonctions peu agréables à remplir ; de même que 3.. Zo L'ILLYRIE que les jeunes hommes se livrent seuls à la culture des (hamps. « Lorsque je mangeois parmi une de ces familles, dit AL Hacquet, si j'offrois à boire à quelque jeune femme , elle le refusoit ; mais la slara-maiko ou les autres vieilles femmes acceptoient sans difficulté.» Enfin, il règne dans ces maisons tant d'harmonie , que trois ou quatre femmes vivent auprès du même foyer sans jamais se quereller. Telle est la docilité des enfans envers leurs parens , que rarement un jeune garçon recherche une jeune fille sans leur consentement. C'est ordinairement aux danses champêtres, qui ont lieu près des églises , à l'issue du service divin , que se font ces liaisons amoureuse». ET LA DALMATIE. 3r Les noces se font, la plupart du temps, le jour de Sainte-Calherine. Huit jours avant la cérémonie, deux zazioachi ou amis de l'époux vont h cheval engager les convivps. On fait les mêmes invitations du côté de l'épouse. La veille du mariage , les principaux szvati ou conviés du côté du futur se rendent avec celui-ci chez l'épouse où ils s'occupent avec les filles de la noce, à façonner le chapeau ou couronne nuptiale. Leur arrivée est annoncée par des décharges de fusils ou de pistolets. Le lendemain , les szvati se réunissent à cheval devant la maison de l'époux. Le zastavink ou porle-drapeau, et d'autres personnages remplissant des fonctions particu- 3a L'ILLYRIE lières , les précèdent. Si la maison de l'épouse est éloignée, on fait de temps en temps des haltes pendant lesquelles ou se range en cercle pour boire et pour manger. Quand on est sur le point d'arriver , un des cavaliers prend les devants, et porte à la future un mouchoir de soie blanche appelle marama. Elle ne le garde pas ; l'envoyé revient , et le partage entre toute la société , qui se range encore une fois en cercle , et se met à manger au milieu des salves des armes à feu. Lorsqu'on est parvenu à la demeure de l'épouse, les filles de la noce attachent à la lance qui surmonte le drapeau du zastavink, une pomme entourée d'une couronne de fleurs. Après cela, le jeune couple ET LA DALMATIE. 33 se met à genoux, et reçoit la bénédiction des parens. Toute la caravane se rend ensuite en bon ordre à l'église. Tout le monde met pied à terre, à l'exception de deux hommes qui doivent, pendant la cérémonie, garder le drapeau et les chevaux de de leurs compagnons. Quand on est arrivé à la maison nuptiale, la mariée, pour amuser les enfans, jette par-dessus le toit des noix et des figues. La mariée descend la dernière de cheval ; elle a cependant le droit d'aider le père de l'époux à descendre de sa monture. Ensuite elle l'embrasse ainsi que tous les autres parens. Après le repas on danse. Autrefois on exécutoit la danse du sabre que Valvasor a décrite ; mais il 34 L'ILLYRIE paroît qu'elle a été supprimée à cause des dangers qu'elle entraîne, de même que la danse de la hache qui a lieu parmi les Pokutiens dans la Russie Rouge. A minuit la kumi conduit au lit les nouveaux mariés. La jeune épouse se met à genoux devant elle, landis que l'époux lui enlève sa couronne. Cela fait, la kumi et les filles de la noce se retirent. Il faut que le lendemain matin l'épouse soit la première levée, qu'elle arrange les chambres , et quelle dresse la table. Ensuite, accompagnée des szvati et du porte-drapeau, elle va puiser de l'eau fraîche pour laver les mains des convives.On recommence aussitôt les festins qui durent quelquefois huit jours ou deux au ET LA DALMATIE. 35 moins. Les cérémonies du baptême sont à peu près les mêmes que celles des autres Illyriens. Celles des funérailles ressemblent à celles des TJskokes et des Lycaniens, qui seront décrites plus loin. L'habillement des Croates de la plaine est assez propre, et ne laisse pas d'être élégant. Les hommes ont les cheveux courts ; ceux qui se destinent à l'état militaire les arrangent en tresses. Tous ont des moustaches. Leur bonnet est noir; ils sont vêtus, comme les Hongrois, d'une courte tunique. Les femmes attachent leurs cheveux par derrière, et arrangent pardessus un mouchoir rouge rayé de blanc. Elles ont une jupe de laine brune, une camisole bleue, un ta- 36 L'ILLYRIE Llier de toile blanche et des bottines de cuir jaune. ( Voyez, la planche , page 25. ) Ces peuples aiment beaucoup le chant et la musique. Une de leurs chansons héroïques est à la louange d'un ancien roi du pays nommé Marsh. Mais cette ballade est toute remplie d'erreurs graves et d'ana-chronismes. Ce fameux chef de rebelles , ou peut-être de brigands , é^oit renommé par sa bravoure. II se ligua en i358 avec les autres seigneurs grecs qui firent la guerre à l'empereur d'Orient Paléologue. ET LA DALMATIE. 37 >'V\lVVW(VVW\VWVW\V\VVW«\UMX«\\WVVVW«^\HHV USCOKES, ou skoko, ou serbli. Tout ce qu'on sait de l'origine de cette petite peuplade, c'est que le nom de Skoko signifie transfuge. Leur autre nom Serbli semble indi-q*er qu'ils viennent de la grande Servie ou du pays des anciens Sar-mates, qui a fait partie de la domination des Romains. A ne considérer que leurs traits et leurs mœurs , on seroit fondé à croire qu'ils sortent; a 4 38 L'ILLYRIE du Caucase, et en particulier de la nation des Tcherkesses ou Circas-siens. Inconslans et cruels, se contentant des plus grossiers alimens, élrangers aux idées de probité et de justice, comme les babitansdu Caucase, ils allient aux habitudes de la vie pastorale celles que fait contracter l'amour du pillage. Enfin ils ont des rapports avec les Circassiens par leur teint, par la force et la beauté de leur corps, et même par leur costume qui ressemble d'une manière remarquable à celui de ces derniers. ( Voyez la planche. ) « Les Uscokes, dit Cassas, ce peuple de brigands, ne descend d'aucune nation (i); il fut seize lustres (i) C'est un peu fort. ET LA DALMATIE. 39 redoutable contre les Musulmans et les "Vénitiens, réunit sur sa tète tous les genres d'oppression et de supplices, que la vindicte vénitienne et la barbarie mahométane purent inventer; et plutôt détruit que vaincu, plutôt massacré que soumis, disparut de la terre aussi rapidement, aussi silencieusement, pour ainsi dire , qu'il s'y étoit montré. » Les Uscokes étoient autrefois répandus dans la Dalmatic, la Bosnie , la Servie, la Croatie, et jusque dans la Carniole. Grâce à leur vie errante, ils se sont tellement confondus avec les autres nations, qu'on ne pourroit guère leur assigner au juste de territoire. Tout ce qu'on peut dire à ce sujet, c'est qu'ils se montrent en plus grand nombre 40 L'ILLYRIE dans un espace compris entre la Carniole, à l'ouest, et l'Albanie, à l'est. Ce territoire confine au nord, à la rivière de Save, au midi, à la partie montagneuse de la Dalmatie. L'amour de ce peuple pour les montagnes, son éloignement pour les plaines, où il se montre rarement, sont des preuves qu'il ne vient point des Steppes de la ïarlarie ; car les plaines de la Croatie auroient plus d'attraits pour lui. Dans leurs montagnes, ils élèvent des moulons et des chèvres, et pratiquent peu les arts. Ils façonnent avec le produit de leurs bestiaux, de grossiers tissus de laine, et des cuirs, et font d'assez bons fromages. La vie militaire est celle qui flatte le plus l'ambition des Uscoles. ET LA DALMATIE. 41 Leur pauvreté est extrême. Un jour, dit M. Hacquet, voyageant dans leurs montagnes, je rencontrai une fille d'environ seize ans, qui portoit un sac sur sa tête, et qui, d'une voix presque éteinte, me demanda du pain. Cela me surprit; caries Uskokes, tout indigens qu'ils sont, n'ont pas coutume de mendier. J'étois à cheval; je lui fis voir que je n'avois pas de pain à lui donner, et j'offris à la place quelques pièces de monnoie. Elle les accepta, mais sans paroître satisfaite. En effet, la malheureuse n'avoit pas niangé depuis trois jours; ses forces étoient épuisées ; et quand je lui aurois donné davantage, cela ne lui auroit servi de rien. On étoit au mois d'avril, et il n'étoit pas pos- 4a L'ILLYRIE sible de se procurer du pain dans ieurs villages, à quelque prix que ce fût. «Je lui pris le bras, et je comptai les pulsations de son artère : il y en avoit à peine soixante par minute. Alors je lui demandai où elle alloit, et ce qu'elle portoit dans son sac de cuir. J'avois pensé que c'étoit de la farine, mais, à l'inspection , il se trouva que c'étoit de l'écorce broyée. Ces malheureux , en temps de disette, la mêlent avec du son, pour faire du pain. Par bonheur, je retrouvai encore un petit morceau de pain au fond de ma valise, je le donnai à cette pauvre créature, qui le dévora avec une avidité, que je m'empressai de modérer, de peur qu'elle ne se fît du mal. » ET LA DALMATIE. 43 Les habitations des Uscokes sont semblables à celles des Croates > mais moins spacieuses. Leurs fêtes principales sont des feux de joie à l'équinoxe du printemps ; jeunes et vieux , tous y prennent part. Ils dressent à l'entrée du village un immense bûcher avec du bois tiré des forêts voisines ; on y met le feu au soleil couchant ; les jeunes garçons et les jeunes filles viennent tout autour danser lekolo, au son de la cornemuse et du chalumeau. Celte fête dure toute la nuit. Cependant on a renoncé peu à peu à cette coutume, à cause des dommages qui en résultent pour les forêls. Quelquefois les jeunes garçons sautent à l'envi par-dessus le brasier ardent, au risque de se faire beaucoup de mal si leur pied venoit à manquer. Dans quelques cantons il se fait à la Saint-Jean d'autres feux de joie que les Dalmatcs appellent koléda. Au renouvellement de l'année, les Uscokes s'embrassent les uns les autres, et se font des complimens sur la manière dont ils ont passé l'année précédente. Ainsi ils ne souhaitent pointée jour-là, comme font les autres peuples, une longue suite d'heureuses années. A quoi sert, disent-ils, de faire des vœux pour l'avenir? C'est du présent qu'il faut jouir et se féliciter. De même que les Likaniens et les Dalmates, ils suivent le rite grec. Ils ont peu de respect pour leurs ET LA DALMATIE. 45 prêtres hors de l'église , et à la vérité ceux-ci n'ont pas des mœurs qui commandent la considération. Les Uscokes ne laissent pas d'être superstitieux ; ils ont contre l'épizoo-tie parmi les bestiaux, toutes sortes d'amulettes et de poudres sympa-th iques dont la seule énumération est faite pour exciter le rire. Leur remède favori contre toutes les maladies est de prendre un verre d'eau-de-vie de genièvre, de s'exposer ensuite au soleil , et de se mettre chaudement au lit, afin d'exciter la sueur. On conçoit aisément combien cette méthode est funeste dans les maladies inflammatoires. L'eau-de-vic de prunes, assaisonnée de force poivre et de gingembre, est un autre remède qu'ils opposent à la fièvre. Ils se servent contre les douleurs rhumatismales de briques fortement échauffées sur lesquelles ils répandent du vinaigre, du vin, ou de l'eau-de-vie , et qu'ils enveloppent ensuite de linge. M. Iiacquet croit que ce remède est assez bien entendu. Pour la goutte, ils emploient un cataplasme d'yèblc (sam-bucus ebuïus ). Quand un malade se trouve dans un état dé5espéré, il prend un bain, afin de paroître pur devant son dieu, Troiza. Les mariages se font à peu près comme chez les Croates. Autrefois ils aimoient à différer le baptême , et l'on ne conféroit guères ce sacrement qu'aux adultes. Mais, depuis le règne de Marie-Thérèse , des ET LA DALMATIE. /{7 réglcmens sévères ont mis ordre à cette négligence. Les registres de baptême dans ces provinces deviennent les registres d'une véritable conscription militaire. Les funérailles se font comme chez les Likaniens ; nous ne parlerons ici que d'une ancienne coutume qui leur est propre. Quand une mère a perdu son enfant , elle se répand en imprécations , et s'écrie qu'un démon jaloux l'a dévoré. Lorsqu'enfin le corps de l'innocente créature est enfermé dans la tombe, la mère y apporte son berceau qui, suivant l'usage du pays, est fait de planches de chêne, très-proprement arrangées, et elle le brise avec ses pieds. Le costume des Uscokes ressem- 4» L'ILLYRIE ble beaucoup a celui des habitans. de la Basse-Dalmatie ; les hommes ont un petit bonnet d'étoffe rouge , les cheveux tressés , et de longues moustaches. Souvent ils ont la poitrine et les bras nus. Leur veste et leur pantalon sont rouges , avec de$ paremens galonnés en laine. En hiver ils portent par-dessus un manteau rouge à capuchon. Leur arme favorite est une sorte de hallebarde. ( Voyez la planche, page 38. ) Les femmes ont souvent une tunique bleue lisérée de jaune, et une ceinture rouge serrant une sorte de tablier rayé ; leur coiffure est jaune et comme étranglée vers le milieu. ( Voyez la planche en regard. ) Les hommes ne vont guères travailler à la campagne sans se munir •h \ t ET LA DALMATTE. "une longue pique, d'i et d'un pistolet. La pique est attachée derrière leur dos. Ils ont une veste sans manches assez semblable aux gilets de nos hussards, et une chemise brodée à l'extrémité des manches et sur les épaules. Les fdles ont un costume encore plus élégant que celui de la planche précédente. Elles ont sur la tête une toque rouge brodée avec de gros pois, et garnie de pièces de mon-noie d'argent. De gros paquets de l'espèce de coquille appelée porcelaine , pendent de chaque côté aux longues tresses de leurs cheveux. ( Voy. la planche en tête du chapitre.) ) ) j o ) > > )> > ) » ) > > ; j5 ) > ». :> ■»'■&.> > • > > >} i * > > > » . y > -» > > >>>.>>> j a» ) > » ) v ; > -, )Ï">J)J)) » Jfe £ 1 >> >>J 5 O "->->. •)> » <>> ' ■ ■ j _> >. j> o ? > > > • > y& y> > > > > > ^ > > ) > ^ >-:»-;> >-ox> > 3 > £ > >;> > .> > > - > > > > l: > > 5 > > > > > > > » ' ») ») : y s> > . ) )y » > o .> > ■ > > >: " o > J> ' 3 ) y .) 3 » ^ )>>>>> iT ? > > >3 J>^ ) ■ ) -y > ^ > 1> x&> Djo > ^> ^ .j ^ ) » >) ^ > ; > 3 y D ? » . ) ; . > J* *> ) y > > ) " ) >^ ? > » > => ^ > :> ■>> N' ■ ? > > 1 . ; > y > > • :• .y. •:. > % > > \ ? > ><;>< f))> >2X ' ,r>>- >\vv, >> > ;v »> > ^ > ^ • >> 1 > >»•» ^ >> > > S> > y> ^ » >>>y> - h 1 > ) >:» ^ » > » ■ > ■