Filozofski vestnih Letnik/Volume XXI • Številka/Number2 • 2000 • 83-126 LES CATÉGORIES DU POLITIQUE JEAN-PIERRE M A R C O S »je ne parle pas des hommes, mais, dans l'abstrait, du siège clu pouvoir (/ speaknot of the men, but (in the Abstract) of the Seat of Power)...« Hobbes, Léviathan (Dédicace à M. Francis Godolphin) Introduction générale Choisissons d'adopter une posture hobbienne. Nous parlerons donc dans l'abstrait, du lieu du pouvoir1. Nous reprendrons dans un premier temps, les philosophèmes principaux de Claude Lefort dans le contexte d'une intelligi- bilité de la modernité démocratique, non sans avoir caractérisé les traits majeurs d'une philosophie du politique. Nous présenterons ensuite, sommairement, quelques réflexions critiques concernant les catégories nodales d'imaginaire et de symboliqué, lesquelles fondent un certain nombre de propos philosophiques contemporains sur le politique. Notre modernité »La crise de la modernite se révèle en ceci, ou consiste en ceci, que ' Cf. sur cet aspect »topologique« de l'espace social, référable à une théorie du »lieu du pouvoir«, C. Lefort et M. Gauchet, Sur la démocratie: le politique et l'institution du social, in: Textures n° 2-3, Bruxelles, 1971, p. 69. 2 Ce qui n'est pas sans évoquer les concepts même de la psychanalyse, notamment lacanienne. Il existe au moins, à notre connaissance, une confrontation explicite des thèses de C. Lefort et de la psychanalyse in Psychanalystes, Revue du Collège de psychana- lystes, N°9, octobre 1983, ainsi que le n°2, Mars 1982, de la même revue. Cf. également Cahiers Confrontation, N°2, Automne 1979. 8 3 JFAN-PIF.RRK M A R C O S l'homme occidental moderne ne sait plus ce qu'il veut - qu'il ne croit plus possible la connaissance du bien et du mal, du bon et du mauvais. Jusqu'aux générations les plus récentes, il était généralement admis que l'homme peut savoir ce qui est bon ou mauvais, et quel type de société est juste ou bon ou supérieur aux autres; en un mot, il était admis que la philosophie politique est possible est nécessaire.« »La philosophie politique classique était une quête du meilleur ordre politique, ou du meilleur régime, entendu comme le plus favorable à la pratique de la vertu ou au mode de vie que les hommes devraient mener.«3 Généalogiquement parlant, notre présent hérite d'une crise majeure de la légitimité politique au point que d'aucuns y voient le dernier visage de la crise moderne4. Plus exactement, il s'agit d'une crise de l'Autorité, c'est-à-dire de l'autori- sation traditionnelle et religieuse d'exercer le pouvoir politique, à contrain- dre, et à normer l'existence collective. Ainsi, la »disparition moderne de l'autorité« apparaît-elle comme la phase finale d'une double crise: de la religion instituée - dont la critique radicale des croyances religieuses aux XVTIème et XVIIIème siècles est l'événement idéologique marquant - et de la faillite politique de la tradition. Nous pouvons ainsi considérer avec Hanna Arendt que »le déclin de la trinité romaine de la religion, de la tradition et de l'autorité« et »la dégrada- tion concomitante des fondations spécifiquement romaines du domaine poli- tique« caractérisent notre modernité. Sans évoquer néanmoins ici l'histoire païenne, nous nous devons de re- marquer l'importance politique de la séparation de l'Eglise chrétienne et de l'Etat, c'est-à-dire de prendre la mesure d'une revendication d'autonomie et de relégation de la religion dans le domaine des croyances privées. Lorsque les Princes se déclaraient de droit divin, ils affirmaient ainsi leur mission médiatrice entre Ciel et Terre, entre l'Autre - fondement trans- cendant de l'ordre social - et l'Un de la communauté. Le Souverain était alors un point de contact, un lieu médian ou char- nière entre le divin et l'humain, dépositaire légitime et exclusif d'un pouvoir ne trouvant pas en lui son origine ou son foyer. La référence à un au-delà, la Leo Strauss, The Three Waves of Modernity in Political Philosophy: Six essays by Leo Strauss, New-York, 1975, trad, franç. Les trois vagues de la modernité, in Cahiers philosophiques, n°20, septembre 1984, p. 7 et 10. 4 Hanna Arendt, Qu'est-ce que l'autorité ?, trad, de M.-C. Brossolet et H. Pons, in: La crise de la culture, Paris, Editions Gallimard, 1972, p. 183. 8 4 L E S CATÉGORIES DU POLI TIQUE révérence à une transcendance dernière, précisait les conditions d'une fon- dation divine du pouvoir. Le mode surnaturel de légitimation laissait appa- raître un Prince héritier, autorisé d'en haut à exercer ici le pouvoir, interces- seur entre Dieu et la communauté humaine. La thématique de l'altérité est donc, dans ce cas, prégnante. Il existait un Principe hors du monde, extérieur au champ humain, tout à la fois pôle d'intelligibilité du social, et pôle de légitimité du pouvoir, lequel précisait les modalités délégatoires de l'exercice du pouvoir monarchique. Le régime particulier de cette délégation étant l'Incarnation. Le Prince (l'empereur, le Roi très chrétien, le monarque absolu) incarnait à la ma- nière du Christ, le Principe divin dont il demeurait le médiateur auprès des hommes 5. De la même façon, il prêtait corps à la communauté politique dont il était le Prince: »Son pouvoir faisait signe vers un pôle inconditionné, extramondain, en même temps qu'il se faisait, dans sa personne, le garant et le représentant de l'unité du royaume.«1' Il incarnait l'au-delà et incorporait l'ici-bas Comme le corps du Christ — corps mystique - symbolisait l'union des hommes avec Dieu et leur union entre eux dans l'eucharistie (corpusEcclesiae mysticum), le corps visible du Roi figurait, donnait à voir sinon à toucher, l'unité invisible du royaume (corpus Republicae mysticum). La représentation médiévale de la royauté se confond ainsi avec une théologie du corps royal. Le schème de l'incorporation christique et ecclé- siale conforte la thématique royale de l'incarnation mondaine du Principe divin. Le Roi est donc double. »Humain par nature et divin par grâce«: »A partir du moment où la royauté, par l'institution de l'onction et du couron- nement devient sacrée, s'ouvre pour le roi la possibilité d'arguer d'une sou- veraineté qui le retranche du reste des hommes, d'apparaître à la fois comme vicaire, ministre du Christ, et comme à son image, doué simultanément d'un corps naturel, mortel et d'un corps surnaturel, immortel«7. 0 Cf.: »Comment oublier que cet Etat s'est institué sous l'effet d'une sécularisation des valeurs chrétiennes - et, dans un premier temps, du transfert de la représentation du Christ médiateur entre Dieu et les hommes dans celle du roi médiateur entre la commu- nauté politique et ses sujets« (C.Lefort, Droits de l'homme et politique (mai 1979), in: Libre, 80- 7, pp. 21-22, souligné par nous). Délégué de Dieu, »le Roi de France est dans son règne comme un Dieu corporel« écrivait au XVIème siècle, Charles de Drassaille. " C. Lefort, La question de la démocratie (1983), in Essais sur le politique, XIXe-XXe siècles, Paris, Editions du Seuil, 1986, p. 26. 7 C. Lefort, Permanence du théologico-Politique (1981) in: Essais sur le politique... pp. 294-95. Toutes ces analyses du »dédoublement du corps du roi« convoquées à seule fin de penser 8 5 J E A N - P I E R R E M A R C O S * » corpus corporatum in corpore naturali, et corpus naturale in corpore corporalo. «K Les analyses consacrées à la problématique théologico-politique des »deux corps du roi« laissent clairement apparaître la spécificité du problème consi- déré - soit la question de la nature juridique du lien entre le roi et le royaume - et la modalité de sa résolution. Si le roi n'était évidemment pas le propriétaire des fiefs et des biens des autres seigneurs, s'il possédait à titre de seigneur, en toute légitimité, ses propres biens, il était clair pour les juristes que les droits du roi sur la Cou- ronne ne relevaient pas des articles du droit romain concernant la propriété. Le droit canon quant à lui, établissait par exemple, que l'évêque pleine- ment responsable de son évêché n'en était pas le propriétaire. L'évéché de- meurait, à la manière de l'Eglise, inaliénable. La succession des papes mor- tels ne contrevenaient pas ainsi, à la continuité »suprapersonnelle« de l'insti- tution écclésiale. De même, comme corporation, la Respublica demeurait mineure et dé- pendait de curateurs ou tuteurs successifs. Mais, s'il était ainsi possible de distinguer le corps corporatif de la Cou- ronne de son tuteur provisoire et précaire - tel ou tel roi dont le corps soumis aux accidents, aux maladies, aux caprices de la fortune, s'avérait mortel - , il demeurait impossible de les rendre séparables: aliud est distinctio, aliud separatio. La minorité juridique de la Couronne rendait inconcevable son existence juridique indépendante'1. Ainsi, le corps naturel du roi n'était »ni divisé en lui-même, ni distinct de son office ou de la Dignité royale«. Il demeurait »un Corps naturel et un Corps politique ensemble indivisi- le »mystère de l'incarnation monarchique« pour reprendre ici une formule de Michelet, s'inspirent évidemment du livre de Ernst H. Kantorowicz, The King's Two Bodies, A study in MediaexialPolitical Theology, Princeton, Princeton University Press, 1957 (trad, franç. Paris, Gallimard, 1989). La catégorie de Corpus Mysticum désignait primitivement la »présence réelle« du Christ dans l'hostie, puis par transfert, l'Eglise toute entière - le corps écclésial - avant d'être transposée au corps politique du royaume en appliquant à la personne du monarque le dogme des deux natures - charnelle et spirituelle - du Christ. La théorisa- tion, par les juristes anglais, des deux corps du Roi - corps naturel mortel relevant du tempus et corps politique d'une durée indéfinie, perpétuelle, sinon éternelle (aevum) - reprenait comme les canonistes impérieux pour construire le corps de majesté de l'Empe- reur, la problématique du corps mystique glorieux de J.-C. On consultera également à ce sujet le livre de R. Giesey, Le roi ne meurt jamais (1957), trad, franç., Paris, Flammarion, 1987 et Cérémonial et puissance souveraine: France, XVe-XVIIIe siècles, trad, franç. Paris, A. Colin/E.H.E.S.S., 1987. 8 Francis Bacon cité par E. Kantorowicz, op. cit., p. 316. 9 Cf. sur cette question E. Kantorowicz, op. cit., p. 263 sq. 8 6 L E S CATÉGORIES DU POLI TIQUE bles (...) ces deux Corps sont incarnés en une seule Personne, et forment un seul Corps et non plusieurs, c'est-à-dire le Corps corporatif dans le corps naturel, et e contra le Corps naturel dans le Corps corporatif.«1" Le roi est donc le tuteur inaltérable - comme Roi Phénix, à travers la succession des rois mortels, il ne meurt jamais - d'une Couronne mineure inaliénable. S'il est donc bien possible de distinguer la fonction ou la charge royale de l'individu l'exerçant - le Roi n'est pas un despote11 dans la mesure où il ne s'exhausse pas à la place de Dieu, où il n'est ni hors-la-loi, exlex, ni la Loi, mais Roi selon les lois fondamentales du royaume, soumis à celles-ci en même temps que gardien de leur intangibilité et de leur transmission - , s'il est possible de différencier le monarque de la Couronne, et donc de récuser toute identification12 rigoureuse du Royaume au Roi - L'Etat, ce n'est pas moi« devrait dire le monarque éclairé - la logique de l'incarnation interdit que l'on pense une distinction en terme de séparation™. Il nous revient donc d'être pleinement attentifs au motif de la division, du dédoublement présent dans la symbolique théologico-politique, mais de demeurer conscient que le motif de l'incorporation réduisait la portée de ces différenciations en maintenant l'indissolubilité des deux corps, l'unité indi- vise du corps souverain 14: »L'image du corps qui informait la société monar- 10 Propos du juriste anglais Plowden, cité par E. Kantorowicz, op. cit., p. 316. " Cf.\ »Dans la monarchie, le pouvoir était incorporé dans la personne du prince. Cela ne veut pas dire qu'il détenait une puissance sans limites. Le régime n'était pas despotique. Le prince était un médiateur entre les hommes et les dieux, ou bien, sous l'effet de la sécularisation et de la laïcisation de l'activité politique, un médiateur entre les hommes et ces instances transcendantes que figuraient la souveraine Justice et la souveraine Raison. Assujetti à la loi et au-dessus des lois...« {La question de la démocratie, p. 26). 12 De la même façon, le »roi béni et couronné comme l'Oint du Seigneur« n'est pas le Christ. Le monarque n'est qu'une »réplique« du Christ ; il demeure »humain par nature« et »divin par grâce« à la différence du Christ, divin par nature et humain par grâce. La »place du sacré« demeure humainement inoccupable. Dès lors, »se fait visible dans sa personne, en même temps que l'union, la division du naturel et du surnaturel (...) la voie d'une identification complète au Dieu fait homme lui reste barrée.« (C. Lefort, Perma- nence..., p. 296) Les prédicats de la divinité, unicité, infaillibilité, se disent comme la perpétuité continuelle à défaut de l'éternité, en un autre sens pour Dieu et pour son lieutenant. 1:1 Cf. par ex.: »Le roi est la tête et les peuples des trois ordres sont les membres ; et tous ensemble sont le corps politique et mystique dont la liaison et l'union est indivise et inséparable.« (Guy Coquille, Discours des états de France, inJ.-M. Apostolidès, Le Roi-machine. Spectacle et politique au temps de Louis XTV, Paris, Les Editions de Minuit, 1981p. 13.) 14 Nous ne pouvons donc pas suivre sur ce point J . Rogozinski lorsqu'il écrit au terme d'une très pertinente réflexion kantienne sur le principe de la dissociation du »véritable Souverain invisible« des souverains empiriques, simples agents et non auteurs de la Loi: »Peu importe que la division fondatrice du politique y soit référée à la distinction »mo- derne« de la volonté générale législatrice et de l'exécutif, ou à celle du corps de chair du 8 7 J E A N - P I E R R E M A R C O S chique s'était étayée sur celle du Christ. En elle s'était investie la pensée de la division du visible et de l'invisible, la pensée du dédoublement du mortel et de l'immortel, la pensée de la médiation, la pensée d'un engendrement qui à la fois effaçait et rétablissait la différence de l'engendré et de l'engendrant, la pensée du corps et de la distinction de la tête et des membres. Le prince condensait en sa personne le principe du pouvoir, le principe de la loi, le principe du savoir, mais il était censéobéïr à un pouvoir supérieur:; à la fois il se disait délié des lois et assujetti à la loi, père et fils de lajustice; il détenait la sagesse mais était soumis à la raison. Selon la formule médiévale, il était major et minor se ipso; à la fois au-dessus et au-dessous de lui-même.«15 La théologie chrétienne des deux corps du roi superposait bien au corps naturel, physique, visible du roi, lequel naît, croît et meurt, un corps politi- que, invisible et immortel, mais dans une relation de stricte co-appartenance. * L'autorisation divine définit donc une logique de l'incorporation du pouvoir et de la société dans la personne du Roi. Pouvoir incarné et incorpo- rant, »participation vivante et singulière« de la volonté d'en haut, »commu- nion vivante« avec les sujets du royaume11', »l'extériorité du pouvoir va ici de pair avec la consubstantialité du pouvoir et de la société«17. Si l'on considère désormais la distinction Etat/Eglise à la lumière de cette problématique, on remarquera qu'une crise de l'altérité divine ne peut pas ne pas conduire à une critique du schème théologico-politique de Y incar- nation/ incorporation. La modernité se caractérisant par un défaut ou un retrait18 de toute trans- monarque et son corps christique immortel, du moment que ces démarcations préser- vent un écart entre le pouvoir politique et le Principe dont il s'autorise.« ( Un crime inexpia- ble (Kant et le régicide) in: Rue Descartes, N°4, avril 1992, p. 112) Ce qui nous importe ici,c'est précisément le régime spécifique de l'écart. Soit: la distinction mais non la séparation. 15 C. Lefort, L'image du corps et le totalitarisme (1979), in Cahiers Confrontation, N°2, Automne 1979, p. 20. Ce portrait politique du Prince s'oppose donc à celui de l'»Egocrate« qui »coïncide avec lui-même, comme la société est supposée coïncider avec elle-même.« (Ibid.) "' M. Gauchet, Des deux corps du roi au pouvoir sans corps. Christianisme et politique. 1 in Le Débat, n° 14, juillet-août 1981, p. 149. " M. Gauchet, Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1985, p. 284. 18 Nous empruntons à P. Lacoue-Labarthe et àJ . -L. Nancy, l'expression«retrait«. Cf.: »En parlant de retrait, nous avons voulu dire que quelque chose se retire dans (ou de) ce que j'appellerai à la fois pour faire vite et par provocation, la cité moderne. Dans la constitution de l'énorme ensemble complexe qu'on ne peut même plus appeler l'Etat - ni au sens machiavélien ni, peut-être, au sens hégélien - se retire justement quelque chose comme la cité, ou comme la »civité« de la cité. Cet ensemble complexe (éco-socio-techno- culturel) correspond à ce qu'on peut de manière économique déterminer par trois traits empruntés à la description de Hanna Arendt: 8 8 L E S CATÉGORIES DU POLI TIQUE cendance, expose l'ordre collectif à la question du fondement. Si la naissance de l'Etat - y compris de l'Etat laïque - transfère du dehors au-dedans l'alté- rité plutôt qu'elle ne l'abolit1'', il reste que cette intériorisation du fondement demeure une réduction. La réappropriation humaine de la puissance instituante initialement reportée hors du social, confère à la souveraineté une fragilité fondamentale et désorganise la société elle-même. La crise de ['»imaginaire (institué) dans le monde moderne«20 est autant une crise de la légitimité politique, qu'une crise de la conjonction sociale. Lorsque le souverain ne se réclame plus d'une mission d'ordre divin, lors- que l'Etat se laisse concevoir comme une »réalité sui generis«, il ne peut plus guère prétendre unir en lui, rassembler en son corps, la dispersion singu- lière du collectif. * Les historiens s'accordent en effet, à identifier »Révolution démocrati- que« et »dissolution du lien social communautaire«. Le procès historique de l'égalisation des conditions pour parler comme Tocqueville, procédant de la désintégration de l'individu moderne des struc- tures hiérarchisées des anciens corps, eut pour effet sociologique de pro- 1. La »victoire de l'animal laborans«, c'est-à-dire de l'homme défini comme travailleur et producteur; 2. La détermination ou le recouvrement de l'»espace public« par le social, par la société comme telle ( Gesellschaft, distinguée de Gemeinschaft), c'est-à-dire par une vie-commune ou une interdépendance réglée en fonction de la vie tout court ou de la subsistance et non en fonction d'une fin publique ou politique en soi; 3. La perte de l'autorité comme élément distinct du pouvoir, et se rapportant à la transcendance d'une fondation (dont le modèle est pour Arendt la fondation de Rome), qui va de pair avec la perte de la liberté.« (Le »retrait« du politique in Le retrait du politique, Paris, Galilée, 1983, pp. 191-92) . Les auteurs insistent àjuste titre sur »le retrait de la transcendance ou de l'altérité« du fondement du politique. Il est d'ailleurs possible de parler à ce propos d'une »tendance à la réduction de l'altérité dans l'espace humain« depuis la Révolution démocratique carac- térisée par »la dissolution des repères traditionnels de l'autre sous toutes ses formes en- traînée par l'interminable avènement de l'égalité [...] c'est à la réduction de tout ce qui peut figurer ou incarner l'altérité dans l'espace humain que tend fondamentalement le mouvement social démocratique.« (M. Gauchet, »Tocqueville, l'Amérique et nous,« in Libre, 1980, n° 7, pp. 83 et 101) Hl Cf.\ »L' Etat ne crée pas l'altérité: il en infléchit le cours, il en change le point d'appli- cation, il la transfère du dehors au dedans« (ibid., p. 101). A ce titre, la remarque méthodologique de J.-L. Nancy et de P. Lacoue-Labarthe est fondamentale: »Ace compte du reste, la question du retrait n'est pas de »récupérer« une transcendance retirée, mais de se demander comment le retrait impose de déplacer, de réélaborer et de rejouer le concept de »transcendance politique.« (art. cité, p. 193) 20 Novis reprenons ici le titre de l'ouvrage de Cornélius Castoriadis, L'Institution imagi- naire de la société, Paris, Editions du Seuil, 1975. 8 9 JF .AN-PIERRE M A R C O S duire une dissolution atomistique du lien social, une décomposition ou dé- sorganisation individualiste de l'être collectif. Mais, l'égalisation des condi- tions ne concerne pas tant la sphère juridique ou économique que la dimen- sion sociale de la reconnaissance du semblable21. Désormais, les hommes se reconnaissent similaires, et peuvent tous pré- tendre à la même position ou place sociale. La »révolution démocratique« affirme l'identité de principe des individus en réduisant leurs différences ou dissemblances naturelles, c'est-à-dire, en ne fondant plus sur elles les distinc- tions sociales. L'exigence démocratique identitaire, effet d'une réduction de l'altérité divine, promulgue ainsi la société des semblables. Quelles que soient les causes historiques de l'émergence de l'individu comme valeur - religieuses, sociales, économiques ou politiques22 - il im- porte de remarquer la condition majeure de son avènement: une mutation sans précédent des formes de sociabilité entendues comme des modalités spécifiques de relation des individus au Tout social, et des individus entre eux. On parlera désormais avec F. Tônnies plus de société (Gesellschaft) que de communauté (Gemeinschaft)23 pour rendre raison des modalités propre- ment modernes de lier les hommes les uns aux autres. La destruction, au lendemain de la Révolution française des structures sociales d'Ancien Ré- gime - abolition des Etats et des corps intermédiaires - mit fin, statutairement, à une logique organique et hiérarchique de la Totalité sociale où, pour ce qui regarde l'ordre féodal, les relations personnalisées de vassalité liaient encore entre eux les seigneurs de rangs différents en les liant tous à leur commun suzerain. La prééminence de l'ordre collectif, l 'antériorité ontologique et axiologique du social sur l'individu, la préséance du tout et de son unité organique, a disparu avec l'importance du fait hiérarchique inégalitaire. La contrainte primordiale qui engageait les individus, dans une relation de su- bordination, envers une communauté supposée les précéder, est défaite. Les sociétés dites »holistes«, dont la relation hiérarchique est la »formule logi- que«, définies par une organisation communautaire de la vie sociale ont disparu du monde occidental moderne. 21 Cf. pour ce qui regarde l'importance de la catégorie du »semblable«, M. Gauchet, Tocqueville, l'Amérique et nous in Libre, n°7, 1980, pp. 84-85. 22 Cf. sur cette question P. Michon, Eléments d'une histoire du sujet, Paris, Kimé, 1999. 23 Cf. F. Tönnies, Communauté et société (Gemeinschaft und Gesellschaft, 1935) trad, franç. Paris, 1944. Cf. également E. Dürkheim, De la division du travail social, Paris, 1893, rééd. P. U.F., 1973 et M. Weber, Economie et société ( Wirtschaft und Gesellschaft), 1922, trad, franç., 1.1, Paris, 1971. 9 0 L E S CATÉGORIES DU POLI TIQUE Les thèses de Claude Lefort Le politique »Penser, repenser le politique, dans le souci de prendre en charge les questions qui sourdent de l'expérience de notre temps, ce projet, l'on ne saurait assurément s'y attacher sans se demander: qu'est-ce que le politique?«24 Ces quelques »traits« de la modernité sommairement soulignés. Nous pouvons nous demander quels sont les objectifs de la philosophie politique et plus encore, ce qu'est la philosophie politique. La philosophie politique n'a de sens que si elle est spécifiquement habi- litée à tenir un discours - de type philosophique - sur son »objet«. Il convient, pour la philosophie politique, de se démarquer des sciences sociales lesquelles, suivant une démarche descriptive, prennent certes pour objet le »fait politique, considéré comme fait particulier, distinct d'autres faits sociaux particuliers: économique, juridique, esthétique, scientifique, ou bien purement social, au sens où le mot désigne les modes de relation entre groupes ou classes«2-1", mais ignorent ou négligent »la condition de la défini- tion de leur objet et de leur démarche de connaissances«20 soit: »que quel- que chose comme la politique en soit venu à se circonscrire à une époque, dans la vie sociale, a précisément une signification politique, une significa- tion qui n'est pas particulière, mais générale.«27 Il convient donc de souligner l'importance et l'irréductibilité du politi- que - et ce, notamment contre toute réduction économiste ou positiviste confondant dans une même étude objective sinon quantifiable, les compor- tements sociaux et politiques - mais également, de ne pas autonomiser, spé- cifier abstraitement et arbitrairement une région de l'étant dite politique. La politique n'est pas en effet »un secteur particulier de la vie sociale, elle implique au contraire la notion d'un principe ou d'un ensemble de prin- cipes générateurs des relations que les hommes entretiennent entre eux et avec le monde.«28 La politique est ainsi, proprement, le déploiement d'un principe géné- rateur de la configuration d'ensemble de l'être collectif, la mise-en-acte d'une logique institutionnelle. 24 C. Lefort, Essais sur le politique..., Avant-propos, p. 7. 25 C. Lefort, La question de la démocratie, p. 73. 2fi Ibid., p. 74. 27 Ibid. 28 C. Lefort, Avant-Propos, Essais sur le politique, p. 8. 9 1 J E A N - P I E R R E M A R C O S Or, seule une discipline spécifique permet de considérer le ou les princi- pes de génération et d'organisation du corps social. Ainsi, le politique con- cerne-t-il la forme d'une société. Plus qu'une modalité constitutionnelle, un simple énoncé institutionnel, la »politeia« désigne la normativité sociale elle- même, l'effectivité sociale d'une »structure, conçue comme légitime, du pou- voir, dans ses fonctions exécutive, législative etjudiciaire [...] qui conditionne elle-même la distinction légitime des statuts sociaux.«2!' * »Est intenable jusqu'au bout, en effet, le discours qui affirme que cha- que secteur d'activité se détermine exclusivement selon ses lois intrinsèques, puisqu'il équivaudrait à faire de l'hétérogénéité sociale une hétérogénéité de fait, une dispersion empirique, incapable de susciter pour ses acteurs la di- mension de l'un symbolique.«30 Il s'agit donc ici de penser plutôt le politique que la politique31, c'est-à- dire de déterminer les principes générateurs de la société, la modalité de mise en forme de la coexistence humaine plurielle32. L'objet de pensée est ici le »principe d'intériorisation« qui fonde le rap- port des classes sociales entre elles, précise les règles économiques, juridi- ques, esthétiques et religieuses du vivre ensemble33, rend raison de la discri- mination des repères du vrai et du faux, du juste et de l'injuste, de l'imagi- naire et du réel. Le politique est donc proprement le mode politique particulier d'institu- tion du social. En cela il ressortit à une logique génératrice de la différencia- tion et de l'articulation des classes, des groupes, des conditions : »si le politi- que ne s'avère pas, aux yeux du philosophe, localisable dans la société, c'est pour cette simple raison que la notion même de société contient déjà la référence à sa définition politique; c'est pour cette simple raison que l'espace nommé société n'est pas concevable en soi, comme un système de relations aussi complexe qu'on puisse l'imaginer; que c'est, à l'inverse, son schéma directeur, le mode singulier de son institution qui rend pensable [...] l'articu- lation de ses dimensions et les rapports qui s'établissent en son sein entre les classes, les groupes, les individus, comme entre les pratiques, les croyances, 2!l Ibid., p. 9. La traduction de politeia par régime n'a de sens que dans l'expression »Ancien Régime« où »se combinent l'idée d'un type de constitution et celle d'un style d'existence ou d'un mode de vie.« (Ibid., pp. 8-9 ) 30 C. Lefort et M. Gauchet, Sur la démocratie ... p. 70. 31 Cf. C. Lefort, Permanence... pp. 254-55 . 32 Cf. ibid., p. 257. 33 Cf. ibid., pp. 258-59. 9 2 L E S CATÉGORIES DU POLI TIQUE les représentations.«34. La »distinction analytique« des domaines, tel l'écono- mique, le juridique, le religieux demeure dès lors, secondaire35. Penser 1 etre-ensemble des hommes implique donc d'être attentif à son mode d'institution, au »schéma directeur« qui l'organise. Il existe une dimensionnalité originairement politique du social31' dont la catégorie heu- ristique majeure est celle d'institution. L'espace social est ainsi constitué, informé. L'ordonnancement et l'unifi- cation de la société procèdent d'une mise en forme, mise en sens, mise en scène, inaugurales et continuées. Le politique est dès lors, fondateur ou matriciel37. * A ce titre, l'expérience démocratique ne se laisse-t-elle pas seulement caractériser comme une forme de gouvernement, ni même comme une modalité particulière de légitimation du pouvoir. C. Lefort critique à ce sujet les thèses des libéraux: »Guizot et Constant sont des libéraux qui ne conçoi- vent la démocratie que comme une forme de gouvernement. La démocratie est pour eux ce qu'elle était pour Aristote, ce qu'elle était encore pour Mon- tesquieu, le régime où la souveraineté du peuple est affirmée et où l'on gou- verne en son nom. Ils n'ont ni l'un ni l'autre l'idée d'une aventure historique sans précédent dont les causes et les effets ne sont pas localisables dans la sphère conventionnellement définie comme celle du gouvernement.« 38 Or, la démocratie doit être également pensée comme une forme de so- MIbid„ p. 256. : C. Lefort, L'image du corps et le totalitarisme, p. 20. L'auteur poursuit: »Mais voilà qui ne prend sens qu'à la condition de se demander à quel foyer s'est allumée la pensée de Freud.« I3r'Ainsi que certains emprunts explicites, telle la catégorie de mise en sens: »j'emprunte l'expression à Piera Aulagnier« (in: Permanence..., p. 257). Il est indéniable également que la phénoménologie de Merleau-Ponty constitue une référence majeure pour C. Lefort. Cf. l'usage du »narcissisme de la vision« pour critiquer tout »lieu de survol« comme un »lieu imaginaire du pouvoir« (C. Lefort, M. Gauchet, Sur la démocratie...p. 65, note 39), et du concept de »diplopie« (ibid., p. 56) 137 Le »lieu du pouvoir« révélé comme lieu vide apparaît alors pleinement comme un »lieu symbolique, et non un lieu réel« (Cf.\ C. Lefort, L'invention démocratique, p. 121). Cf. également: »l'idée du pouvoir comme pure instance symbolique« (Permanence..., p. 267). mIbid., p. 253. Cf. de manière plus éloquente encore: »un sujet supposé savoir l'ensem- 1 2 3 J f .AN-PIERRE M A R C O S entendre le sujet supposé savoir, principe de l'imaginaire du transfert selon Lacan. Gageons également que nous retrouverions certaines problématiques lacaniennes, comme le défaut de métalangage...13'', la chute du symbolique dans le réel140 - ou l'on pourrait reconnaître la thèse de C. Lefort concernant la précipitation ou la déchéance du symbolique dans le réel, l'»installation de l'empire de l'imaginaire dans le réel«, lorsque l'»Egocrate« prétend con- denser en sa personne la souveraineté de la loi, du pouvoir et de la connais- sance: »L'empire de l'imaginaire, non pas seulement l'emprise de l'illusion sur l'action des hommes, mais la prise du pouvoir par l'imaginaire, l'inscription dans le réel du gouvernement de l'imaginaire, l'occupation de la scène politi- que par l'entreprise fantasmagorique de transmutation du symbolique en réel grâce à la magie du Prince: tel est en effet le visage de la folie dont la virtualité est inscrite dans l'histoire...«141. Là où Y absence de totalité, le défaut de sujet supposé savoir le social, l'inexistence d'une réponse définitive aux interrogations du social se trou- vent préservés, l'ordre symbolique du politique prévaut. A contrario, l'affir- mation de la totalité, de l'incarnation du pouvoir, l'existence d'une réponse politique absolue »institue dans l'imaginaire la coïncidence du réel et du symbolique«142. * Mais, loin d'établir de simples généalogies, il conviendrait d'interroger la pertinence de la manière dont C. Lefort fait travailler, en les important peut-être, ces catégories dans le champ de la philosophie politique de la démocratie moderne143. Il nous est apparu que sur ce point, les résultats demeuraient plus qu'élo- quents. A ceci près, qu'il nous semble impossible de faire prévaloir exclusive- ble du processus productif«, »la position dans le champ social de l'absence du sujet du savoir absolu sur le social« (C. Lefort et M. Gauchet, Sur la démocratie... p. 72) 130 Que l'on compare par excellence la thèse lacanienne - »il n'y a pas d'Autre de l'Autre« - à la pensée de l'impossibilité de concevoir un point de vue extérieur à l'institu- tion elle-même et ce, lorsque le pouvoir n'est plus défini comme un simple organon des acteurs politiques, et que nous n'avons accès à notre identité de membres d'une commu- nauté politique qu'à partir des principes de son institution symbolique. 140 Cf.: à propos de l«adhésion à soi« qui »précipite dans l'imaginaire«, la »puissance symbolique« du pouvoir, C. Lefort et M. Gauchet, Sur la démocratie, p. 21. <4'Ibid.,p. 31. 142 C. Lefort, M. Gauchet, Sur la démocratie..., p. 32 et p. 59. 14:1 Cf. dans une autre perspective, l'usage des catégories lacaniennes par J.-C. Milner in Les noms indistincts, Paris, Seuil, 1983, pp. 105-123, pour penser les modalités du rassemble- ment, imaginaire, symbolique et réel. 1 2 4 L E S CATÉGORIES DU POLI TIQUE ment, pour une pleine intelligence du politique contemporain, la dimension symbolique sur celle de l'imaginaire. Tout démocrate est certes attaché aux procédures juridico-politiques de simulation, par voie de représentation, de l'»unité du Peuple«, simulation vouant à la stricte virtualité d'une présence à soi, la collectivité réconciliée, dans la mesure où le conflit n'est pas annulé par le résultat électoral. Tout démocrate est convaincu de la nécessité politique de la distinction, de la différenciation systématique de la personne et de la fonction, pour ne jamais confondre le mandataire du Peuple avec le Peuple lui-même et préve- nir toute tentative d'accaparement du pouvoir. La démocratie se définit bien, sur ce point, par l'affirmation d'une »indépendance entière vis à vis de tout pouvoir de fait«144. Nous savons néanmoins, que l'imaginaire d'un espace commun d'appar- tenance fondé sur le processus de la reconnaissance spéculaire, tisse des liens autrement plus solides que les »cordes de la nécessité« pour parler comme Pascal, qu'au coeur même du processus de légitimation moderne - sans par- ler de la décadence totalitaire de la démocratie14r' — le portrait du Roi en la personne du Souverain moderne, continue de parer des feux de l'illusion le vide symbolique et nominal du pouvoir. C. Lefort conscient du phénomène d'expansion bureaucratique de l'Etat moderne et de technicisation de l'action politique, normée désormais par le critère d'efficacité, selon une logique de l'organisation planifiée de la vie sociale, note d'ailleurs à ce sujet, que »le pouvoir ne fait plus signe vers un lieu vide«, mais »paraît incarné dans l'Etat«141', identifié au »point de vue de l'Universel«. Il reste alors à la société à faire procéder de ses propres divi- sions, de sa continuelle sécession, le principe de sa cohésion en l'opposant au seul »point de vue formel de la Loi«147. Il est vrai que souvent, seul Y imaginaire de l'identification peut informer - au sens de donner forme - un électorat, lorsqu'il confond, en lui faisant servir le rôle de support d'incarnation le corps singulier de l'élu ou du pré- tendant avec la fonction publique. Le »premier fonctionnaire« de l'Etat se trouve alors en position d'être par exemple, la France qu'il représente. La double contrainte qui définit le mandat démocratique - ne pas pré- 144 L'invention démocratique, p. 149. I4r' Dans son dernier livre, C. Lefort, évoque, mais à propos du communisme, »deux termes qui semblent se contredire«: »en un sens, on peut parler d'une efficacité symboli- que; en un autre, d'une emprise de l'imaginaire« (La complication. Retour sur le communisme, Paris, Fayard, 1999, p. 185) Il faut donc penser, au sujet cette fois de la démocratie, cette apparente »contradiction«. I4" L'invention démocratique, op. cit., p. 154. 147 La question de la démocratie.., p. 25. 1 2 5 JFAN-PIKRRF. M A R C O S tendre incarner par sa seule autorité personnelle le Peuple, éviter de ne figurer que soi - , contraint le mandaté à un jeu avec le symbolique et l'ima- ginaire. * Dès lors, la philosophie politique se voit assigner son véritable pro- gramme: penser le noeud singulier constituant l'être-ensemble moderne des hommes, entre l'imaginaire de la légitimité et la nécessaire procédure for- melle de l'élection démocratique. A défaut de penser cette conjonction, c'est au réel de la pure déliaison que nous nous trouverions livrés. Il est vrai que cette tâche doit se donner pour but de désintriquer14" le symbolique et l'imaginaire pour restituer la valeur instituante de la loi mo- derne. Mais, l'enchevêtrement peut-être inextricable des deux instances de l'humaine condition politique de l'homme, où les puissances fallacieuses de l'imaginaire réduisent certainement l'efficacité symbolique des liens de pure forme, caractérise à proprement parler, sinon nos républiques abstraites, à tout le moins les peuples dont nous sommes les citoyens. Peuples de droit, peuples de langue et d'histoire tout autant, où le lien civil ou politique est aussi lien social. Ce qui fait tenir ensemble les hommes n'est donc jamais un rapport de pur droit, si l'imaginaire ne doit pas sa seule raison d'être aux points de défaillance du symbolique, mais demeure le symptôme »d'une difficulté, sans doute incontournable, sans doute ontologique, de la démocratie à se rendre lisible pour elle-même«14''. Il nous revient donc de penser à quel titre, par exemple, les nations répondent, comme structures spécifiques d'appartenance, aux désirs d'iden- tification et d'attachement des peuples. 148 Cf. pour une problématique de l'»intrication« des deux »ordres« du symbolique et du réel où se trouve confirmer le symbolique comme symbolique, C. Lefort et M. Gauchet, Sur la démocratie..., p. 62. 1411 C. Lefort, Permanence... p. 300. 1 2 6