81 Kristina Gregorčič: À LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ DES EXPRESSIONS IDIOMATIQUES ... Kristina Gregorčič kristina.gregorcic@gmail.com À LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ DES EXPRESSIONS IDIOMATIQUES VERBALES DU FRANÇAIS 1 INTRODUCTION Les unités phraséologiques (UP) sont souvent considérées comme des blocs de langue com­ plètement figés : elles n'admettraient ni transformations syntaxiques ni modifications de leurs constituants. Même dans les dictionnaires et dans les manuels de FLE, elles sont pré ­ sentées et traitées comme des structures monolithiques qui doivent être apprises par cœur. Les études linguistiques plus ou moins récentes montrent néanmoins que les UP peuvent être sujettes à différentes variations (Lamiroy et al. 2010, Melka 2013, González Rey 2015, entre autres). Certains de ces changements font coexister les lectures idiomatique et littérale des séquences figées, ce qui peut créer des effets ludiques, voire humoristiques et ironiques. Dans ce cas-là, on peut parler du défigement, procédé dont le but est de faire naître un sentiment de connivence auprès du destinataire (G. Gross 1996, Mejri 2013). Un changement, qu'il soit d'ordre morphosyntaxique ou lexical, ne réactive pourtant pas toujours le sens littéral des UP. Une modification ou une transformation syntaxique peut faire partie du « paradigme flexionnel » d'une UP, de sorte que son application ne compromet pas le sens idiomatique de la séquence figée. Plus son paradigme flexionnel est riche, plus l'UP est flexible et plus elle ressemble aux séquences libres, dont l'inter­ prétation est normalement indépendante de la configuration syntaxique. Cette variation paradigmatique, qui ne déstabilise pas l'idiomaticité d'une UP, représente le focus de notre recherche. Le présent article se concentre sur le paradigme flexionnel des expressions idio­ matiques verbales (EIV), les UP les plus fréquentes du français. Selon Nunberg et al. (1994), il y a une corrélation entre la structure sémantique et la flexibilité syntaxique des expressions idiomatiques anglaises. De même, Fellbaum (1993) démontre qu'en anglais, le type de déterminant dans une expression idiomatique n'est pas insignifiant. Par notre recherche, nous avons tenté de vérifier la légitimité des affirmations de ces auteurs en étudiant le comportement syntaxique de 20 EIV françaises. L'article se compose de trois parties. La première donne un aperçu du cadre théo­ rique de notre recherche. Dans la deuxième, nous décrivons les questions de recherche, la méthode de travail et l'échantillon étudié avant de nous pencher sur l'analyse et l'inter­ prétation des résultats dans la troisième partie. UDK 811.133.1'367.4 DOI: 10.4312/vestnik.10.81-98 Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 81 4.1.2019 14:17:33 82 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES 2 EXPRESSIONS IDIOMATIQUES : DU SÉMANTISME À LA FLEXIBILITÉ SYNTAXIQUE Beaucoup de théories phraséologiques décrivent les expressions idiomatiques (EI) comme des unités se situant à mi-chemin entre les collocations et les phrases figées (phrases situationnelles et parémies – proverbes, dictons, maximes, aphorismes, sentences, etc.), aussi bien du point de vue sémantique que morphosyntaxique (González Rey 2015, La­ miroy et Klein 2016, entre autres). Nous évoquerons tout d'abord certaines caractéris­ tiques sémantiques séparant les EI des autres UP. Ensuite, nous présenterons les propos de Nunberg et al. (1994) et de Fellbaum (1993), qui tous traitent des caractéristiques morphosyntaxiques des EI. 2.1 Caractéristiques sémantico-lexicales des EI Les traits sémantico-lexicaux permettant de distinguer les EI des autres UP sont : (i) la non compositionnalité et l'opacité du sens, (ii) le sens connotatif, (iii) la proverbialité, (iv) l'exocentrisme, (v) la limitation/rupture paradigmatique. Le sens des EI n'est pas compositionnel (Lamiroy et al. 2010, González Rey 2015, Lamiroy et Klein 2016, entre autres). Le fait de connaître le sens littéral des mots qui composent l'EI casser sa pipe ‘mourir’ ne garantit pas du tout la compréhension de l'ex­ pression en tant qu'unité idiomatique. De plus, il est souvent difficile de reconnaître la motivation du choix des constituants idiomatiques, surtout si l'on ne connaît pas l'étymo­ logie des expressions. Pourquoi casser sa pipe et non casser sa gorge, casser son tuyau ou écraser sa pipe ? Toujours est-il que la transparence et la motivation sémantiques importent peu dans le cas des EI, car ces dernières remplissent avant tout des fonctions connotatives. Loin de rendre un discours concis et objectivement précis, elles dévoilent le rapport du locuteur à la réalité, tout en dessinant une image pittoresque de l'événement auquel elles réfèrent. Cette expressivité des EI permet aux destinataires de « mieux ‘visualiser’ le concept en question » (González Rey 2015 : 118–121). La proverbialité des EI découle du fait que ces expressions se servent d'un scénario lié aux objets et aux relations familières afin de décrire les situations récurrentes qui concernent un grand nombre de personnes (Nunberg et al. 1994 : 493). L'EI briser la glace ‘dissiper la gêne’ est, par exemple, basée sur une image concrète qui sert à décrire une situation abstraite, typique de la vie de tous les jours. En tant qu'unités exocentriques, les EI sont composées de mots dont aucun n'a plus d'importance que les autres. En conséquence, elles ne se laissent remplacer par aucun Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 82 4.1.2019 14:17:33 83 Kristina Gregorčič: À LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ DES EXPRESSIONS IDIOMATIQUES ... constituant sans qu'il y ait des changements au niveau de leur sens, parfois aussi au niveau de leur grammaticalité (González Rey 2015 : 115). Ainsi, les phrases de l'exemple (1) ne sont pas synonymes ; la grammaticalité de l'exemple (c) est même compromise par l'absence du groupe nominal complément d'objet direct (GN-COD). (1) a. Ne coupe pas les cheveux en quatre, nous n'avons pas beaucoup de temps ! ≠ b. # Ne coupe pas les cheveux, nous n'avons pas beaucoup de temps ! 1 ≠ c. * Ne coupe pas, nous n'avons pas beaucoup de temps ! Vu que les constituants des EI ne sont normalement pas remplaçables par les mots et les syntagmes du même champ notionnel, on parle de « limitation » et de « rupture para­ digmatique » (Lamiroy et al. 2010 : 15). Même si une EI admet une certaine variation au niveau de ses constituants, il ne s'agit là que d'une flexibilité lexicale extrêmement restreinte et imprévisible. Quand le GN ses oignons fait partie de l'EI s'occuper de ses oignons ‘s'oc­ cuper de ses affaires’ (2), il n'est, par exemple, pas du tout interchangeable avec d'autres GN appartenant au même champ sémantique (ses échalotes, ses fenouils, etc.). Ce constituant idiomatique se laisse remplacer par ses fesses, son cul et son pot, GN sans aucun rapport évident avec les oignons et les légumes. En outre, quoique les noms fesse, cul et pot soient sémantiquement proches l'un de l'autre, ils ne sont pas remplaçables par les GN son pos- térieur et son derrière, qui pourtant font référence à la même partie du corps. La variation lexicale dans l'EI s'occuper de ses oignons n'est donc ni libre ni systématique, ce qui la sépare de la variation paradigmatique, caractéristique de la syntaxe libre. (2) [ s'occuper / se mêler ] de [ ses oignons / ses fesses / son cul / son pot ] 2.2 Caractéristiques syntaxiques des EI Les EI sont des UP sous-phrastiques ; elles sont censées être plus complexes que les collocations (Lamiroy et Klein 2016). Cette complexité se traduit par un nombre consi­ dérable de restrictions et d'écarts syntaxiques. On invoque souvent le « caractère archaïque » des EI (González Rey 2015 : 116). Certes, il en existe qui témoignent d'une syntaxe obsolète (baisser pavillon) ou qui contiennent des lexèmes désuets (chercher noise) ; il ne faut pourtant pas oublier que la structure d'une vaste majorité de ces expressions n'indique aucune déviation de la norme linguistique (M. Gross 1982 et 1993, Lamiroy et al. 2010). L'EI mettre la puce à l'oreille ‘éveiller des soupçons’ est ainsi composée de lexèmes qui sont en usage en français moderne. Comme il se doit, le verbe transitif y est suivi par un GN-COD ; il s'accorde en genre et en nombre avec le sujet de la phrase ; son mode et son temps changent en 1 Le signe dièse (#) indique que la phrase, quoique grammaticale, n'a pas de sens idiomatique. Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 83 4.1.2019 14:17:33 84 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES fonction de l'environnement syntaxique (3). Cette EI n'est donc exceptionnelle ni par sa composition ni par son interaction avec le reste de la phrase. (3) a. Ils m'ont mis la puce à l'oreille. b. Il faut que tu lui mettes la puce à l'oreille. c. Il m'a dit que son amie lui avait mis la puce à l'oreille. Malgré la structuration régulière de beaucoup d'EI, les « anomalies » de ces expres­ sions apparaissent le plus souvent au niveau des transformations syntaxiques. Étant donné que les constituants d'une EI pris isolément n'ont pas de référent, leur réorganisation interne ou leur séparation du reste de l'EI peuvent perturber l'idiomaticité de l'expression. Voici les changements qui peuvent être bloqués par les EI : (i) le changement du déterminant, (ii) la modification interne d'un constituant, (iii) l'omission et la pronominalisation d'un constituant, (iv) la formation d'une question portant sur un constituant, (v) la relativation d'un constituant, (vi) la mise en relief d'un constituant, (vii) le changement de la polarité de la phrase, (viii) le changement de la voix, de l'aspect, du mode et du temps verbal. Toutes les EI ne sont pas figées au même degré. L'EI casser sa pipe, par exemple, n'admet pas la passivation (4a), la relativation (4b) et la mise en relief (4c). Les EI dans les exemples (5–7) jouissent d'une plus grande flexibilité puisqu'elles peuvent subir au moins quelques-unes de ces transformations. (4) a. # Sa pipe a été cassée. b. # La pipe qu'il a cassée était longue. c. # C'est sa pipe qu'Oliver Dragojević a cassée hier. (5) La glace a été brisée par l'arrivée de Paul. (Melka 2013 : 286) (6) Le pli qu'il a pris est détestable. (Lamiroy et al. 2010 : 82) (7) C'est sur ton dos que Jean a cassé du sucre. (Abeillé 1995 : 21) Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 84 4.1.2019 14:17:33 85 Kristina Gregorčič: À LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ DES EXPRESSIONS IDIOMATIQUES ... Si l'applicabilité des transformations aux EI a longtemps été une énigme, Nunberg et al. (1994) démontrent que la flexibilité syntaxique d'une EI peut être constatée à partir de ses caractéristiques sémantiques. Fellbaum (1993), à son tour, montre que la variation des déterminants à l'intérieur des EI dépend du sémantisme aussi. 2.2.1 Le sémantisme et la syntaxe des EI vont main dans la main Dans leur article, Nunberg et al. (1994) soutiennent l'idée que la plupart des EI sont compositionnelles. Ces auteurs n'emploient pas le terme de compositionnalité au même titre que M. Gross (1982, 1993), G. Gross (1996), Lamiroy et al. (2010) et González Rey (2015). Pour Nunberg et al., une EI est compositionnelle s'il est possible de relever des corrélations entre ses constituants et sa dénotation grâce au contexte (1994 : 496). Peu importe quel est le sens « prototypique » (dictionnairique) d'un constituant isolé ; ce qui compte c'est le sens idiomatique, le sens de l'expression en tant qu'UP. Dans certaines EI, ce sens idiomatique global peut être « divisé » en unités sémantiques plus élémentaires. Si une EI est sémantiquement « divisible » et que chacun de ses constituants se laisse relier à l'une des unités de sens, il s'agit d'une expression compositionnelle. Pour éviter les malentendus, nous appellerons cette caractéristique des EI « ana­ lysibilité ». Langacker (1987) la définit comme dépendant des processus cognitifs du locuteur : celui-ci peut être plus ou moins conscient de ce que le sens d'un constituant apporte au sémantisme de la totalité de l'expression (ibid. : 457). Autrement dit, une EI est analysable si le locuteur est capable de redistribuer mentalement la « dénomination générique unitaire et codée […] sur les parties de l'expression » (Perrin 2013 : 111). Selon cette théorie, l'EI vendre la mèche ‘révéler un secret’ est analysable : le verbe vendre peut y être interprété comme un équivalent métaphorique du verbe révéler, tandis que la mèche correspond à un secret. Le tableau suivant illustre la répartition du sens idiomatique entre les constituants de l'expression : EI vendre la mèche DÉFINITION POSSIBLE 'révéler' 'un secret' Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 85 4.1.2019 14:17:33 86 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Nunberg et al. (1994) appellent les EI analysables les combinaisons idiomatiques 2 . Vu qu'il est possible de leur attribuer une sorte de référent, les constituants de ces EI sont relativement autonomes. Par conséquent, les combinaisons idiomatiques témoignent d'une grande flexibilité syntaxique : elles permettent la séparation, la modification, l'o­ mission et la pronominalisation de leurs constituants nominaux sans que ces changements compromettent leur idiomaticité (ibid. : 506). Nunberg et al. (1994) proposent les exem­ ples suivants illustrant la flexibilité des combinaisons idiomatiques de l'anglais : pull the strings ‘litt. et idiom. tirer des ficelles’ (8) modification interne 3 Pat got the job by pulling the strings that weren't available to anyone else. (ibid. : 500) ‘Pat a obtenu le poste en tirant les ficelles n'étant disponibles à personne d'autre.’ (9) mise en relief Those strings, he wouldn't pull for you. (ibid. : 501) ‘Ces ficelles, il ne les tirerait pas pour toi.’ touch a nerve ‘litt. toucher un nerf ; idiom. toucher un point sensible’ (10) quantification touch a couple of nerves (ibid. : 501) ‘toucher quelques points sensibles’ cook X's goose ‘litt. faire cuire l'oie de X ; idiom. causer la ruine de X’ (11) ellipse et pronominalisation My goose is cooked, but yours isn't. (ibid. : 501) ‘Je suis ruiné, mais tu ne l'es pas.’ spill the beans ‘litt. déverser les haricots ; idiom. vendre la mèche’ (12) passivation The beans were spilled by Pat. (ibid. : 510) ‘La mèche a été vendue par Pat.’ 2 Terme anglais : idiomatically combining expressions. 3 La modification interne est un type de modification où le modificateur n'est compatible qu'avec le sens idioma ­ tique d'un constituant idiomatique (Nunberg et al. 1994 : 500). Ce type de modification ne modifie que ce constituant et non l'expression entière. Le modificateur interne sature le prédicat idiomatique et se laisse substituer par un groupe prépositionnel introduit par la préposition de (i). De l'autre côté, la modification externe modifie l'ensemble d'une EI : le modificateur externe correspond à une construction adverbiale (ii) (Abeillé 1995 : 21–22). (i) Paul tourne la page électorale. = Paul tourne la page des élections. (ibid. : 22) (ii) Paul prend une veste inattendue. = Paul prend une veste de façon inattendue. (ibid. : 22) Pour une étude détaillée des modifications à l'intérieur des expressions figées, voir Haßler et Hümmer (2005). Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 86 4.1.2019 14:17:33 87 Kristina Gregorčič: À LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ DES EXPRESSIONS IDIOMATIQUES ... Ces exemples prouvent que les composantes des combinaisons idiomatiques ne sont pas sémantiquement vides : elles sont chargées d'une partie du sens que porte l'EI en tant qu'UP. Une preuve supplémentaire en est le fait qu'il existe des constituants qui apparaissent dans plusieurs EI différentes, mais dont le sens idiomatique reste inchangé malgré le changement d'environnement linguistique (ibid. : 505). Tel est le cas de l'EI se mêler de ses oignons, où le GN ses oignons pourrait être interprété comme ‘ses propres affaires’. Ce même GN apparaît dans l'expression ce ne sont pas mes oignons avec le même sens idiomatique. Les syntagmes idiomatiques 4 (EI non analysables) ne se laissent pas transformer. Un exemple français en est l'EI casser sa pipe ‘mourir’ : aucun de ses constituants ne peut être interprété comme détenant une partie du sens idiomatique de l'expression. En conséquence, cette EI est totalement invariable (cf. l'exemple (4)). 2.2.2 Quand les déterminants déterminent la flexibilité des EI Fellbaum (1993) met en relief l'importance des déterminants dans les GN idiomatiques. Sur la base des exemples anglais, l'auteur démontre que les déterminants dans les combinaisons idiomatiques (cf. 2.2.1) peuvent être dotés d'un sens précis. Les constituants nominaux des EI analysables font référence à des objets extralinguistiques ; les déterminants dans ces GN ont pour fonction de fournir des informations supplémentaires sur la qualité du nom qu'ils précèdent. Les combinaisons idiomatiques spill the beans ‘vendre la mèche’ et bury the hatchet ‘mettre fin aux hostilités’ contiennent l'article défini. En anglais, ce type de déterminant est employé devant les noms désignant les entités déjà connues des locuteurs. La présence de l'article défini dans les deux combinaisons idiomatiques citées se justifie par le fait que les interlocuteurs sont censés tous connaître les référents des noms beans ‘secret’ et hatchet ‘hostilités’ : les personnes participant à la conversation doivent savoir de quel secret et de quelles hostilités il s'agit (ibid. : 285–286). Les déterminants sémantiquement pleins – comme ceux dans les EI spill the beans et bury the hatchet – sont souvent interchangeables avec d'autres déterminants qui ont un sens similaire. Une telle variation du déterminant ne change pas considérablement le sémantisme global d'une expression. Fellbaum (ibid.) ne prétend pas que l'interchangea­ bilité des déterminants dans les EI soit si fréquente et si facile qu'en syntaxe libre. Néan­ moins, l'auteur affirme que le comportement des déterminants dans les combinaisons idiomatiques suit le schéma qui structure le fonctionnement des séquences libres (ibid. : 274–275). Comme en syntaxe libre, le déterminant défini signalant les entités connues peut ainsi être remplacé par un adjectif démonstratif (13). L'article indéfini, qui indique l'indétermination et l'unicité, laisse la place à d'autres quantificateurs qui préservent le caractère indéfini du GN (14). En anglais, l'article zéro révèle qu'un GN dénote une entité indénombrable. Ce déterminant est, par conséquent, interchangeable avec l'adjectif indé­ fini much ‘beaucoup’, lui aussi réservé aux noms indénombrables (15). 4 Terme anglais : idiomatic phrases. Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 87 4.1.2019 14:17:33 88 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES (13) bury the hatchet ‘litt. enterrer la hache ; idiom. mettre fin aux hostilités’ Bob and John finally buried that old hatchet. (ibid. : 286) ‘Bob et John ont enfin arrêté ces hostilités anciennes.’ (14) have a bone to pick with X ‘litt. avoir un os à ramasser avec X ; idiom. avoir un compte à régler avec X’ John has several bones to pick with Bob. (ibid. : 290) ‘John a plusieurs comptes à régler avec Bob.’ (15) cannot make head nor tail of X ‘litt. ne pas pouvoir faire tête ni queue de X ; idiom. ne pas arriver à comprendre X’ They couldn't make much head or tail of his story. (ibid. : 292) ‘Ils n'ont pas arrivé à comprendre ce qu'il disait.’ La flexibilité des déterminants dans les combinaisons idiomatiques prouve que les GN y sont bel et bien référentiels. Or, si une combinaison idiomatique admet la variation du déterminant, cela n'implique pas nécessairement qu'elle puisse subir d'autres modifi­ cations et transformations syntaxiques (ibid. : 272). 3 À LA RECHERCHE DES TENDANCES SYNTAXIQUES DES EIV Nunberg et al. (1994) et Fellbaum (1993) tirent des parallèles entre l'analysibilité séman­ tique et la flexibilité syntaxique. Les auteurs corroborent leurs propos par des exemples anglais. À notre connaissance, les spécialistes du français n'ont pas essayé de faire des généralisations comparables à celles des linguistes anglophones. C'est plutôt vers le traitement individuel de chaque expression que se penche la plupart des études sur la syntaxe des EI françaises (M. Gross 1988, par exemple). Le but de notre recherche a été de combler, au moins partiellement, cette lacune en vérifiant si les théories proposées par Nunberg et al. (1994) et par Fellbaum (1993) étaient valables pour les EI françaises. Nous nous sommes concentrée sur la flexibilité syntaxique des expressions idioma ­ tiques verbales (EIV). Il s'agit d'expressions qui sont obligatoirement composées d'un verbe précédé ou suivi d'un ou de plusieurs arguments figés. Ces derniers peuvent jouer le rôle de sujet (les carottes sont cuites), d'objet direct/indirect (vendre son âme au diable) ou même de complément circonstanciel (casser du sucre sur le dos de X) (Lamiroy et al. 2010 : 60–61). Nous avons étudié des EIV qui contiennent au moins un verbe et un GN figé rem­ plissant la fonction de complément d'objet direct (GN-COD). À 20 EIV différentes, nous avons appliqué diverses modifications et transformations afin d'identifier d'éven ­ tuels facteurs qui déterminent le type des changements admis ou rejetés par une EIV française. Pour obtenir les réponses à nos questions, nous avons dressé une enquête par Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 88 4.1.2019 14:17:34 89 Kristina Gregorčič: À LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ DES EXPRESSIONS IDIOMATIQUES ... questionnaire. Cela nous a permis de collecter les réponses d'un échantillon relativement équilibré et représentatif de locuteurs, composé de spécialistes, d'amateurs de langue et de personnes qui ne portent pas d'intérêt particulier aux langues. 3.1 Questions de recherche Tenant compte des propos présentés dans les sections 2.2.1–2.2.3, nous nous sommes posée les questions de recherche suivantes : 1. L'analysibilité sémantique exerce-t-elle une influence sur la flexibilité syntaxique des EIV françaises ? 2. Le déterminant dans le GN-COD idiomatique influence-t-il les capacités transforma­ tionnelles des EIV françaises ? 3.2 Méthode de recherche Nous avons obtenu les réponses à nos questions grâce à deux questionnaires numériques dont chacun contenait 20 questions concernant le sens et la flexibilité de 10 EIV différen ­ tes. 5 Chaque questionnaire comprenait cinq syntagmes et cinq combinaisons idiomatiques. Leurs constituants nominaux étaient précédés de l'article défini, indéfini, partitif, de l'article zéro ou de l'adjectif possessif, de sorte qu'il y avait cinq paires d'EIV selon le déterminant dans le GN-COD idiomatique. Toutes les EIV choisies appartenaient à la langue standard. La première question portant sur une EIV donnée contenait une phrase authentique 6 dans laquelle l'EIV était utilisée dans sa forme la plus usuelle : à la forme active, sans omission ni pronominalisation de ses constituants, etc. Les personnes interrogées de­ vaient fournir une courte définition du sens de l'EIV dans le contexte proposé : Quelle est la signification de l'expression mettre le feu aux poudres dans la phrase suivante ? Diplomatie : comment Trump met le feu aux poudres un peu partout dans le monde 29 □ Signification : ____________________ □ Je ne connais pas cette expression. (Gregorčič 2018 : 103) 7 5 Nous avons établi deux questionnaires afin de ne pas dépasser la durée optimale de l'enquête (environ 20 mi­ nutes). Les questionnaires sont publiés en intégralité dans : Gregorčič (2018 : 101–114). 6 Les phrases étaient puisées dans différents articles et blogs francophones librement accessibles sur Internet. Outre quelques abrégements et modifications des noms propres, elles n'avaient subi aucun autre changement ni transforma­ tion syntaxique avant d'être intégrées dans les questionnaires. 7 Source : https://www.lesechos.fr/03/02/2017/lesechos.fr/0211764908373_diplomatie---comment-trump-met­ -le- feu-aux-poudres-un-peu-partout-dans-le-monde.htm (consulté le 28 septembre 2017). Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 89 4.1.2019 14:17:34 90 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Si les personnes interrogées fournissaient une explication exacte du sens de l'EIV, une liste s'affichait avec des phrases illustrant l'usage non prototypique de la même expression : à la voix passive, avec le GN-COD extrait ou omis et pronominalisé, etc. Parmi les usages proposés, les personnes interrogées devaient indiquer tous ceux qui leur semblaient accep­ tables et qui ne provoquaient pas la perte du sens idiomatique de l'expression. Les locuteurs avaient aussi la possibilité de ne choisir aucune alternative proposée. Les phrases utilisées pour illustrer l'emploi non conventionnel des EIV étaient éga­ lement empruntées à différents textes authentiques disponibles sur Internet. Dans ces textes, les EIV étaient normalement employées dans leur forme prototypique. Nous les avons donc transformées après coup afin de créer les propositions d'usage non prototy­ pique. Voici les changements appliqués à toutes les EIV dans nos questionnaires : 8 (i) le changement du déterminant devant le nom tête dans le GN-COD : 9 Trump met son feu aux poudres un peu partout dans le monde (ii) la quantification du nom tête dans le GN-COD : Trump met beaucoup de feu aux poudres un peu partout dans le monde (iii) la modification interne du nom tête dans le GN-COD : 10 cette dernière a mis le feu de la rage aux poudres, entraînant des heurts entre jeunes et policiers (iv) la relativation du GN-COD : Le feu que sa phrase a mis aux poudres sera impossible d'éteindre. (v) l'extraction du GN-COD : Au lieu de calmer l'auditoire, c'est le feu que la petite phrase d'Emmanuel Macron a mis aux poudres. (vi) la passivation : comment le feu a été mis aux poudres un peu partout dans le monde par Donald Trump (vii) l'ellipse et la pronominalisation du GN-COD : 11 Si la première proposition d'Emmanuel Macron n'a pas mis le feu aux poudres, la deuxième l'a mis immédiatement. 8 Les exemples sont puisés dans : Gregorčič (2018 : 103). 9 Le déterminant n'a été changé que dans les cas où il y avait un déterminant sémantiquement comparable au déter­ minant usuel de l'EIV (cf. 2.2.2). L'article zéro n'a donc pas été remplacé par d'autres déterminants puisqu'il n'a pas d'équivalent sémantique en français moderne. 10 Parfois la modification du nom a entraîné le changement du déterminant dans le GN-COD. Afin de rendre toutes les phrases grammaticalement correctes, nous avons ainsi inséré le déterminant approprié dans les EIV dont les GN- COD prototypiques contenaient l'article zéro : (i) Athènes et Ankara baissent le pavillon militaire en mer Egée. (Gregorčič 2018 : 106) 11 Dans les GN-COD à déterminant zéro, la relativation, l'extraction et la passivation ont provoqué la variation du déterminant (i). Celle-ci était nécessaire pour maintenir la grammaticalité des séquences. Quant à la pronominalisa­ tion des noms précédés de l'article zéro, nous l'avons effectuée à l'aide du pronom personnel le (ii). (i) Le pavillon que baissent Athènes et Ankara n'a pas surpris les analystes politiques. (ii) Le pavillon est baissé par Athènes et Ankara en mer Egée. (Gregorčič 2018 : 106) Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 90 4.1.2019 14:17:34 91 Kristina Gregorčič: À LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ DES EXPRESSIONS IDIOMATIQUES ... Notre enquête a été ouverte du 2 novembre au 6 décembre 2017. Les questionnai­ res ont été disponibles sur Internet. Ils avaient été créés à l'aide de 1KA 12 , logiciel de création, de diffusion et d'analyse des questionnaires en ligne. Les locuteurs accédaient aux questionnaires en cliquant sur les liens qui leur avaient été transmis par un courriel électronique. 3.3 Échantillon étudié Les personnes interrogées n'étaient que des locuteurs natifs du français. Elles pouvaient transmettre les liens vers les questionnaires à leurs contacts personnels. Notre échantillon est donc partiellement aléatoire. Il est également représentatif puisqu'il n'inclut pas que des spécialistes de langue. Il comprend des individus de différentes générations, âgés de 22 à 70 ans. Le premier questionnaire a été rempli par 47 personnes dont 81% venaient de France, 17% de Belgique et 2 % de Suisse. Environ 8 personnes sur 10 ont affirmé être souvent en contact avec des langues étrangères, c'est-à-dire des langues autres que le français. Les graphiques suivants présentent le profil des personnes interrogées selon l'âge et selon l'intérêt éprouvé pour la langue française et/ou les langues en général. 12 Lien vers le site officiel du logiciel : https://www.1ka.si/ (consulté le 4 juin 2018). 21–30 9 % 30 % 21 % 23 % 23 % 17 % 31–40 41–50 Âge (Questionnaire 1) Intérêt pour les langues (Questionnaire 1) 51–60 Spécialistes de langue Amateurs de langue Ni amateurs ni spécialistes de langue 61–70 30 % 47 % Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 91 4.1.2019 14:17:34 92 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Le second questionnaire a été rempli par 39 personnes : la plupart d'entre elles étaient des Français (92%), seuls 8% venaient de Belgique. Presque 9 personnes sur 10 se sont dites être en contact régulier avec des langues étrangères (87%). Les graphiques ci-dessous illustrent la structure d'âge des personnes interrogées ainsi que leur affinité pour les langues. Presque toutes les personnes interrogées ont affirmé lire des articles dans la presse et de la prose littéraire, où les EIV sont souvent utilisées dans les formes tant prototypiques que non prototypiques. La plupart des locuteurs étaient également en contact régulier avec des langues étrangères. De ce fait, nous nous sommes attendue à ce qu'ils fassent preuve d'une tolérance relativement élevée à l'égard des modifications et des transformations proposées dans les questionnaires. Étant donné la diversité des personnes interrogées, notre enquête devrait nous permettre d'obtenir une image plutôt fiable du statut syntaxique des EIV. 21–30 18 % 28 % 18 % 18 % 28 % 18 % 31–40 41–50 Âge (Questionnaire 2) Intérêt pour les langues (Questionnaire 2) 51–60 Spécialistes de langue Amateurs de langue Ni amateurs ni spécialistes de langue 61–70 33 % 39 % Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 92 4.1.2019 14:17:34 93 Kristina Gregorčič: À LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ DES EXPRESSIONS IDIOMATIQUES ... 4 RÉSULTATS Dans le tableau suivant sont indiquées toutes les modifications et transformations des EIV jugées à la fois acceptables et idiomatiques par plus de 50% des personnes interrogées. TYPE DE CHANGEMENT VAR. DU DÉT. QUANT. MODIF. RELAT. EXTR. PASSIV. OMISSION, PRONOM. SYNTAGMES IDIOMATIQUES (EIV non analysables) baisser les bras ‘renoncer à une action’ prendre la mouche ‘se mettre en colère’ régler ses comptes avec X ‘se venger de X’ ✓ ✓ ✓ tirer son épingle du jeu ‘bien se sortir d'une situation délicate’ broyer du noir ‘être abattu’ ✓ ✓ manger de la vache enragée ‘être pauvre’ ✓ filer un mauvais coton ‘être dans une mauvaise passe’ baisser pavillon ‘capituler’ ✓ plier bagage ‘partir’ COMBINAISONS IDIOMATIQUES (EIV analysables) mettre le feu aux poudres ‘créer de nouveaux problèmes là où il y en a déjà assez’ ✓ couper les ponts avec X ‘arrêter toute relation avec X’ ✓ ✓ retourner sa veste ‘changer d'avis ou de camp’ ✓ abattre ses cartes ‘dévoiler ses intentions’ ✓ ✓ reprendre du poil de la bête ‘retrouver de la force’ ✓ apporter de l'eau au moulin de X ‘apporter des arguments en faveur de X’ ✓ Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 93 4.1.2019 14:17:34 94 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES TYPE DE CHANGEMENT VAR. DU DÉT. QUANT. MODIF. RELAT. EXTR. PASSIV. OMISSION, PRONOM. avaler des couleuvres ‘subir des affronts’ ✓ ✓ ✓ ✓ jeter une pierre dans le jardin de X ‘lancer une remarque contre X’ ✓ ✓ ✓ faire un pied de nez à X 35 ‘se moquer de X’ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ déclarer forfait ‘annoncer son retrait’ ✓ ✓ faire flèche de tout bois ‘créer une circonstance opportune en se servant de tout moyen possible’ 13 En général, les combinaisons idiomatiques admettent les transformations syn­ taxiques plus librement que les syntagmes idiomatiques. La non analysibilité ne bloque pourtant pas tous les changements. Les syntagmes idiomatiques régler ses comptes avec X et broyer du noir admettent, par exemple, non seulement l'omission et la pronominalisa­ tion, mais aussi l'extraction du GN-COD et la variation du déterminant dans le GN-COD. Par contre, la combinaison idiomatique faire flèche de tout bois ne permet apparemment aucune transformation, quoique son analysibilité doive lui conférer une certaine liberté sur le plan syntaxique (cf. 2.2.1). Il est possible d'en conclure que, même si l'analysibilité sémantique peut faciliter les transformations syntaxiques, elle n'est pas une condition nécessaire ni suffisante pour assurer la flexibilité d'une EIV française. La modification du nom dans le GN-COD, la passivation et la relativation du GN-COD ne sont pas admises par les EIV non analysables. Ces changements ne sont pas tolérés par bien des EIV analysables non plus. Ce sont surtout l'extraction, l'omission et la pronomi ­ nalisation du GN-COD qui sont le plus généralement compatibles avec les EIV françaises, que celles-ci soient analysables ou non. Des tests supplémentaires seraient nécessaires pour expliquer les raisons de l'applicabilité considérable de ces transformations. Il n'y a apparemment pas de rapport entre la passivation, la relativation et l'extrac­ tion du GN-COD au niveau de leur applicabilité aux EIV françaises. Bien que toutes les trois transformations impliquent la séparation du GN-COD du reste de l'EIV, il y a 13 Quoique, au début de notre recherche, nous ayons classé l'EIV faire un pied de nez à X parmi les EIV non analysables, force est de constater que cette expression est plus proche des combinaisons que des syntagmes idio­ matiques. Il s'agit d'une EIV décrivant le geste qui, lui-même, est un signe de moquerie. En imaginant l'exécution de ce geste, les locuteurs sont capables de relier le nom pied de nez directement au geste, c'est-à-dire à un référent extralinguistique. Le GN-COD idiomatique étant sémantiquement autonome, sa place et sa forme à l'intérieur de l'EIV ne sont pas totalement figées. Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 94 4.1.2019 14:17:34 95 Kristina Gregorčič: À LA RECHERCHE DE LA FLEXIBILITÉ DES EXPRESSIONS IDIOMATIQUES ... des expressions qui n'en admettent qu'une ou deux (couper les ponts avec X, avaler des couleuvres, etc.) sans que les raisons de cette applicabilité sélective soient claires. Une étude supplémentaire, basée sur un échantillon d'EIV plus large, devrait être menée pour que ce comportement irrégulier des EIV devienne explicable. Il est incontestable que le verbe idiomatique, lui aussi, peut imposer des restrictions aux EIV. Beaucoup d'UP sont sensibles aux changements du mode, du temps, de l'aspect verbal et de la polarité des phrases dans lesquelles elles sont utilisées. L'EIV ne pas remuer le petit doigt ‘ne pas faire le moindre effort’ ne garde, par exemple, pas son sens idiomatique lorsqu'elle apparaît dans une phrase affirmative (16). Il se peut que la passi­ vation des EIV ne soit donc pas bloquée que par les constituants nominaux, mais aussi par les verbes. Une étude des constituants verbaux pourrait apporter des informations intéressantes au regard de ce sujet. Elle fournirait aussi les réponses aux questions de savoir quelles EIV françaises sont des items de polarité (négative ou positive), lesquelles connaissent des restrictions par rapport au mode, à l'aspect et/ou au temps verbal. (16) Elle n'a pas levé le petit doigt pour l'aider. ≠ # Elle a levé le petit doigt pour l'aider. La corrélation entre le type de déterminant dans le GN-COD et la flexibilité syntaxique des EIV s'est avérée faible. Il y a pourtant des tendances qui méritent d'être notées. La quan ­ tification s'applique le plus facilement aux GN-COD à déterminant indéfini. Le remplace ­ ment du déterminant par un quantificateur est admis par cinq EIV étudiées : quatre d'entre elles contiennent l'article indéfini ou partitif, seule une comprend un déterminant défini. Les déterminants indéfinis servent souvent à quantifier les entités nominales qu'ils précèdent. Leur interchangeabilité avec d'autres quantificateurs à l'intérieur des EIV rapproche le com ­ portement syntaxique de ces expressions de celui des séquences libres. L'interchangeabilité faible des déterminants définis dans les EIV peut être expliquée par le sémantisme de ces déterminants. Vu qu'ils sont porteurs de traits sémantiques très spécifiques ([± possession], [± proximité], [± présupposition d'existence], etc.), leur varia ­ tion dans un GN peut entraîner un changement sémantique considérable. En conséquence, l'idiomaticité d'une EIV risque le plus souvent de se perdre quand un déterminant défini y est remplacé. La substitution du déterminant défini par un quantificateur est néanmoins jugée acceptable dans l'EIV abattre ses cartes, quoique cette dernière contienne l'adjectif possessif. Un échantillon d'EIV plus large devrait être étudié pour permettre d'établir si et dans quel cas les déterminants définis sont plus figés que les déterminants indéfinis. Comme attendu, les EIV à déterminant zéro sont les moins flexibles. Deux d'entre elles admettent toutefois l'omission du GN-COD et sa pronominalisation par le pronom le. Une d'entre elles permet même la relativation du GN-COD. En général, la présence de l'article zéro est pourtant indicatrice du caractère monolithique des EIV françaises. Cela pourrait s'expliquer par le fait que l'article zéro n'a pas d'équivalent parmi les déterminants du fran ­ çais moderne et qu'aujourd'hui, son sens est quasi inidentifiable. Du fait de cette obscurité Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 95 4.1.2019 14:17:34 96 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES sémantique, l'invariabilité de l'article zéro et du GN dont il fait partie ne nous semble pas surprenante. 5 CONCLUSION Notre étude représente un pas vers une meilleure connaissance des EI françaises. Elle prouve que la perception traditionnelle, soulignant l'absence de flexibilité des EI, n'est pas appropriée à la situation du français moderne. Vu que les locuteurs n'ont généralement pas carte blanche pour appliquer toutes les transformations à toute EI, l'étude de la syntaxe des EIV constitue un grand défi pour les linguistes. Notre étude confirme que les EIV françaises s'inscrivent sur un continuum allant des EIV monolithiques aux EIV hautement flexibles (cf. G. Gross 1996, Mejri 2005, Lamiroy et al. 2010, Perrin 2013). Le plus souvent, l'inflexi ­ bilité caractérise les syntagmes idiomatiques et les EIV contenant l'article zéro. Notre recherche n'est focalisée que sur la partie nominale des EIV, notamment sur les transformations qui affectent le GN-COD à l'intérieur de ces expressions. Étant donné qu'aucun élément formatif des EI n'est supérieur aux autres (González Rey 2015 : 115), il serait nécessaire d'étudier également l'influence des constituants verbaux, adverbiaux et prépositionnels sur la flexibilité des EI. Une étude comparative de la flexibilité des EI de différentes langues pourrait aussi s'avérer intéressante et édifiante : elle permettrait d'éta­ blir d'éventuelles tendances « universelles » de ces UP. Dans le domaine de la syntaxe des EI, il reste encore beaucoup de pain sur la planche… RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES : ABEILLÉ, Anne (1995) The Flexibility of French Idioms: a Representation with Lexi­ calized Tree Adjoining Grammar. M. Everaert, E. J. van der Linden, A. Schenk et R. Schreuder (éd.), Idioms: Structural and Psychological Perspectives. Hillsdale : Erlbaum, 15−42. 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Izvedena je bila anketa z vprašalnikom, v kateri je sodelovalo preko 35 rojenih govorcev francoščine, obsegala pa je vpra­ šanja, povezana z 20 francoskimi glagolskimi rekli. Ključne besede: frazeologija, skladnja, glagolska rekla, skladenjska pregibnost, pomenska raz­ členljivost, francoski določevalniki ABSTRACT In Search of the French Verbal Idioms' Flexibility The article presents the results of research on the syntactic flexibility of French verbal idioms that consist of at least a verb and a nominal direct object. The aim of the research was to determine whether the semantic analysability and the type of the determiner in the idiomatic direct object influence the syntactic behaviour of verbal idioms. A questionnaire survey was conducted to obtain an answer to this question. It contained questions about 20 French verbal idioms and was carried out among more than 35 native speakers of French. Key words: phraseology, syntax, verbal idioms, syntactic flexibility, semantic analysability, French determiners RÉSUMÉ Dans l'article sont présentés les résultats de la recherche sur la flexibilité syntaxique des ex­ pressions idiomatiques verbales du français qui sont composées au moins d'un verbe et d'un groupe nominal complément d'objet direct. Le but de la recherche était d'établir si l'analysibilité sémantique et le type de déterminant dans le complément d'objet direct idiomatique exercent une influence sur le comportement syntaxique des expressions idiomatiques verbales. Une enquête par questionnaire a été menée pour obtenir la réponse à cette question. Les questionnaires conte ­ naient des questions sur 20 expressions idiomatiques françaises ; ils ont été remplis par plus de 35 locuteurs natifs du français. Mots-clés : phraséologie, syntaxe, expressions idiomatiques verbales, flexibilité syntaxique, analysibilité sémantique, déterminants français. Vestnik za tuje jezike 2018_FINAL.indd 98 4.1.2019 14:17:34