Rong Zhang Fernandez UDK 811.581'243(44):37.091.3 Université Paris-Est Créteil Val de Marne* DOI: 10.4312/linguistica.54.1.485-498 L'ENSEIGNEMENT DU CHINOIS DANS UNE CLASSE HÉTÉROGÈNE: STRATÉGIES ET PRATIQUES 1 INTRODUCTION Que ce soit dans l'enseignement secondaire ou dans l'enseignement supérieur, une des difficultés les plus récurrentes dans l'enseignement du chinois en France réside dans l'hétérogénéité des élèves. Cette hétérogénéité existe à plusieurs niveaux : différences de niveaux langagiers, d'objectifs, d'origines, de parcours, de culture et d'ordre psychofamilial. Comment faire face à cette hétérogénéité et adapter au mieux l'enseignement du chinois à la complexité des profils et à la diversité des capacités langagières ? La pédagogie différenciée peut-elle être une solution nécessaire et adaptée pour faire face à une classe pluri-niveaux ? Quelles stratégies et quelles pratiques à adopter dans l'enseignement du chinois pour mieux répondre aux exigences du CECRL (Cadre Européen Commun des Référence pour les langues) en matière de contenus, de tâches, de structures et d'évaluation dans le contexte d'une classe hétérogène ? Notre réflexion commence par l'analyse d'une classe de terminale et des difficultés rencontrées pour gérer cette classe hétérogène. Ensuite, nous allons étudier les possibilités d'une pédagogie différenciée applicable à l'enseignement du chinois dans cette classe. Dans un troisième temps, nous essayons de montrer les pratiques pédagogiques et les stratégies mises en œuvre pour l'application de la pédagogie différenciée avec les problèmes rencontrés. 2 ANALYSE DE LA CLASSE DE TERMINALE L'évolution des théories de l'apprentissage et des méthodes d'enseignement des langues vient bousculer le rapport traditionnel de maître à l'élève, vis-à-vis des savoirs, et l'appropriation de ces savoirs. L'enseignant remplace le maître, et l'apprenant l'élève, et cette notion d'apprenant met l'apprenant au centre du processus d'apprentissage et le reconnaît comme individu-personne. Il est acteur actif aux processus d'appropriation et l'enseignant n'est qu'un « facilitateur » de l'appropriation des savoirs (Martinez 2004 : 4). Une des tendances majeures depuis les années 90 est l'approche communicative qui a le grand mérite de mettre l'apprenant au centre de l'apprentissage. Par cette méthode, l'enseignant doit tenir compte d'une façon très fine des caractéristiques et des besoins des apprenants. D'où l'importance de prise en compte des « représentations des élèves », comme Przesmycki (2004 : 32-33) le souligne : Adresse de l'auteur : Faculté d'Administration et Echanges internationaux de l'Université Paris Est Créteil, 61, avenue Charles de Gaulle, 94100 Créteil, France. Courriel : rong.zhang@laposte.net. 485 Dans une situation d'apprentissage, les élèves arrivent avec un bagage plus ou moins dense et complexe de représentations qu'ils ont constituées en combinant des informations émises par leur propre espace corporel, psychologique, intellectuel, avec celles fournies par leur environnement familial, social, culturel, économique et géographique. Nous avons choisi une classe de terminale de chinois comme objet d'étude dans un lycée où le chinois, enseigné comme langue « inter établissement » (LIE), est ouvert à des élèves en provenance de divers établissements secondaires publics de l'Académie de Paris. Cette classe très chargée comprend 31 élèves, dont 25 sont d'origine sino-asiatique. Le tableau ci-dessous représente la diversité des origines des élèves : Origine des élèves 16 14 12 10 8 6 4 2 0 14 11 6 - ■ Nés en France □ Nés en Chine Française Sino-asiatique Cette hétérogénéité ne concerne pas seulement l'origine ethnique. Pour résumer grossièrement en deux axes, disons que l'hétérogénéité est patente 1) dans les niveaux atteints, 2) dans les objectifs, d'où la nécessité d'une différenciation pédagogique. En ce qui concerne leur différence de niveaux, parmi les 25 élèves d'origine sino-asiatique, il y en a 11 qui sont nés en Chine et y ont été scolarisés. Mais la durée de leur scolarité en Chine varie. Leur point commun : le chinois est leur langue maternelle. Ils maîtrisent le chinois aussi bien à l'oral qu'à l'écrit. Après leur arrivée en France, ils sont dans un bain linguistique favorable (chinois parlé en famille). Leur différence existe surtout au niveau de la rédaction en chinois. Les autres élèves d'origine sino-asiatique sont nés en France. Leur situation par rapport au chinois est, elle aussi, très variée. Par exemple, il y a une élève qui a commencé le chinois dès l'âge de 4 ans et parle le chinois avec ses parents, une autre a commencé le chinois à 10 ans mais parle le chinois depuis son plus jeune âge. Une élève parle le chinois depuis son enfance avec sa mère mais a commencé à apprendre à 486 lire et à écrire très tard. Une douzaine d'élèves d'origine chinoise ou asiatique mais nés en France présentent un niveau de chinois relativement faible. Leur lieu de pratique linguistique se limite aux cours. Leur niveau à l'oral est très limité, mais ils ont un niveau relativement correct à l'écrit. Des difficultés existent aussi au niveau du vocabulaire et de la syntaxe. Il n'y a que 6 élèves d'origine française dans cette classe. En général, leur niveau de compréhension et d'expression orale du chinois est très faible, par contre le niveau à l'écrit correspond à leur niveau d'études. Ils éprouvent des difficultés en prononciation, en syntaxe, en grammaire. Ces difficultés réduisent leur chance de réussite à l'examen du baccalauréat. S'appliquant l'apprentissage de toutes les langues, le CECRL nous sert de référence fondamentale dans trois domaines essentiels de l'enseignement des langues : apprentissage, enseignement et évaluation. Selon les six niveaux définis par le CECRL, nous avons évalué cinq compétences par niveau pour cette classe, ce qui donne le schéma ci-dessous (les chiffres représentent le nombre d'élèves possédant le niveau concerné) : A1 A2 B1 B2 C1 C2 Compréhension de l'oral 3 13 5 6 4 Interaction orale 3 13 5 7 3 Expression orale 3 13 6 6 3 Compréhension de l'écrit 16 8 5 2 Expression écrite 17 4 7 3 En matière de différence d'objectifs, la majorité des élèves ont la lourde tâche de passer le baccalauréat. Il y a 4 élèves d'origine chinoise qui ont choisi le chinois comme LV1 (langue vivante 1) en série S (série scientifique) pour passer l'épreuve écrite. Ils se sont inscrits aux cours de chinois pour se préparer aux examens, se familiariser avec les formes d'épreuves, s'y conformer, et surtout, réussir le mieux possible. L'examen de chinois est un des leurs atouts pour gagner des « points ». Deux élèves d'origine chinoise ont opté pour le chinois comme LV2 (langue vivante 2) en série S, épreuve écrite. Trois autres élèves ont le chinois comme LV2. Leurs séries diffèrent : 2 sont en série ES (Bac économique et social), un en STI (Bac technologie). Ce sont des épreuves orales. 14 élèves vont passer l'épreuve orale de chinois comme LV3 (langue vivante 3). Tous ces 14 élèves ont besoin de s'entraîner beaucoup à l'oral. Le tableau ci-dessous montre les différences d'objectifs de ces élèves pour le baccalauréat. 487 Différences d'objectifs 13 % En plus de l'hétérogénéité des niveaux et des objectifs, il nous manque des supports pour le contenu de l'enseignement du chinois : problème crucial et primordial. Comme l'enseignement doit s'adapter aux exigences de l'examen du baccalauréat et que la plupart de ces élèves vont passer l'oral, il s'agit de créer une liste de textes à étudier durant toute l'année pour qu'ils puissent la présenter à l'examen. Cette liste de textes sera le support de base. Quels en sont les critères de choix ? Comment intégrer le contenu culturel dans ces choix ? Comment accorder ces choix avec les points grammaticaux du programme ? Face à cette classe pluri niveaux, les supports peuvent-ils être les mêmes ? Si la réponse est négative, quels sont les autres supports possibles pour répondre aux différents objectifs ? D'autres difficultés en découlent avec les supports communs et différents : comment organiser les cours ? Quels sont les moyens ou stratégies que nous pouvons envisager et les mettre en œuvre pour assurer le bon fonctionnement de la classe et favoriser les élèves faibles à l'oral ? Que faire pour assurer une progression à la fois cohérente et personnalisée des séquences ? Comment favoriser l'oral en provoquant l'interaction entre l'enseignant et l'apprenant, et celle entre les apprenants ? En quoi cette hétérogénéité peut jouer un rôle positif pour que les élèves sinophones et les francophones s'entra-ident mutuellement dans l'amélioration de leurs connaissances linguistiques et dans leur échange interculturel ? Autant de questions pour faire fonctionner l'enseignement d'une manière efficace et fructueuse, et permettre une réussite à l'examen. Ces problèmes sont à la fois pour nous des difficultés à surmonter et un défi à relever. 3 LA PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE COMME SOLUTION NÉCESSAIRE À UNE CLASSE HÉTÉROGÈNE ET PLURI NIVEAUX EN LIE DE CHINOIS Nous nous sommes orientés vers la pédagogie différenciée pour chercher des pistes de réflexion nous offrant des possibilités de résoudre les difficultés rencontrées. Selon Halina Przesmycki, la pédagogie différenciée se définit comme « une pédagogie indi- 488 vidualisée qui reconnaît l'élève comme une personne ayant ses représentations propres de la situation de formation ; une pédagogie variée qui propose un éventail de démarches, s'opposant ainsi au mythe identitaire de l'uniformité » (Przesmycki 2004 : 10). Mais la démarche d'enseignement reste collective dans un cadre plus souple où les apprentissages sont diversifiés. Dans son analyse de l'hétérogénéité, Przesmycki définit ainsi l'hétérogénéité (Przesmycki 2004 : 75) : Celle-ci (hétérogénéité) comprend à la fois l'hétérogénéité de leur cadre de vie ainsi que de leurs processus d'apprentissage. Seront mises en valeur les incidences de l'appartenance socio-économique, de l'origine socioculturelle, des cadres psycho familiaux, des stratégies familiales et du cadre scolaire sur la façon dont un élève réussit dans un apprentissage. L'hétérogénéité des processus d'apprentissage met l'accent sur l'importance de la motivation, de l'âge, des rythmes, des styles cognitifs, ainsi que des modes de communication et d'expression. Les objectifs fondamentaux se précisent en trois points (Przesmycki 2004 : 14): • enrichir l'interaction sociale et cognitive • améliorer la relation enseignés/enseignants • apprendre l'autonomie La finalité de la pédagogie différenciée est « la lutte contre l'échec scolaire en alliant la transmission des savoirs au développement de chacun » (Przesmycki 2004 : 13). C'est pourquoi la pédagogie différenciée est souvent liée à la notion de soutien et de rattrapage. La pratique de la pédagogie différenciée pour cette classe de terminale en chinois LIE ne vise pas un tel but. Il s'agit plutôt « d'amener tous à aller le plus loin possible, au maximum de leurs capacités » (Gillig 1999 : 94) et de leurs possibilités tout en conservant de l'idée de « la lutte contre l'échec scolaire » celle de n'abandonner en route si possible aucun élève. Il ne faut surtout pas retarder les meilleurs élèves (en l'occurrence les natifs) en les laissant se débrouiller seuls. Philippe Meirieu (2012) insiste sur ce point : « La pédagogie différenciée est conquête de nouveaux possibles, découverte de nouvelles satisfactions dans l'apprendre, accès renouvelé au plaisir de comprendre et à la joie de penser. Elle est construction de l'humain par toutes les voies possibles, quand on ne se résigne pas à laisser quiconque au bord de la route. » Philippe Perrenoud parle de la pédagogie différenciée comme étant une approche nouvelle plus centrée sur l'apprenant et son itinéraire (Perrenoud 2008 : 44), ce principe de la différenciation au cœur de la pédagogie différenciée « participe du dispositif didactique et de l'action pédagogique quotidienne » (Perrenoud 2008 : 46). Dans son ouvrage intitulé « Pédagogie différenciée », Sabine Kahn (2010) explique la problématique de départ de la pédagogie différenciée par la difficulté qu'a l'enseignant à s'adapter à des élèves ayant des capacités et des modes d'apprentissage très variables impliquant un niveau d'hétérogénéité importante des groupes. Pour elle, ce phénomène nécessite une mise en place de pédagogies adaptées aux situations rencontrées, et les stratégies pédagogiques à utiliser sont plutôt des solutions données à un 489 moment donné à partir d'un groupe d'élèves donné. Ces techniques sont une « boîte à outils » pour optimiser l'enseignement. Cette approche née de l'évolution progressive de la reconnaissance de l'élève comme personne, est basée plutôt sur des éléments caractéristiques de l'hétérogénéité des élèves comme leurs différences cognitives, socio-économiques, socioculturelles, psychologiques et familiales pour différencier la pédagogie à partir d'objectifs communs. Elle ne saura pas s'adapter à cent pour cent à l'enseignement du chinois dans la classe de terminale dont l'hétérogénéité relève de plusieurs niveaux. L'important est de nous inspirer de cette pédagogie différenciée en nous appuyant sur ses idées, son processus, ses stratégies, sa méthodologie d'ensemble pour les mettre au service de l'enseignement du chinois. La pédagogie différenciée en classe de chinois devient une nécessité surtout pour la LIE. Les raisons sont les suivantes : le niveau de connaissances linguistiques et de pratique est trop différent, la diversité des capacités langagières des élèves rend cette pédagogie nécessaire. Le parcours personnel, le cadre de vie, sont autant de données méthodologiques, sociales, culturelles, psychologiques différentes à prendre en considération pour adapter au mieux l'enseignement à la diversité des profils. Le grand mérite de cette pédagogie est qu'elle est plutôt laissée à l'initiative des enseignants qui sont libres de recourir ou pas à des pratiques différenciées selon la constitution de sa classe et selon ses propres possibilités. Concernant les méthodes et les formes possibles de la pédagogie différenciée, Philippe Meirieu propose six formes de différenciation pédagogiques possibles : • Une différenciation successive dans la classe • Une différenciation des stratégies d'apprentissage dans la classe • Une différenciation des stratégies d'apprentissage par regroupement d'élèves de différentes classes • Une différenciation simultanée dans la classe • Une différenciation des objectifs par regroupement d'élèves de différentes classes • Une différenciation par utilisation de la diversité des contenus disciplinaires pour l'acquisition de capacités (Meirieu 1986 : 7-23). Christian Puren, quant à lui, a repris les termes de Meirieu de « différenciation successive » et de « différenciation simultanée », préférant réserver le concept de « différenciation » au second cas qui « est le seul à impliquer une véritable modification des pratiques [...] Seule la différenciation simultanée oblige l'enseignant à déplacer la centration sur ses élèves, puisqu'il va devoir se poser lui-même et en contexte la question des critères de différenciation » (Puren 2001 : 64-65). De ce fait, il a proposé une distinction entre variation et différenciation. Pour lui, la variation est la diversification des tâches d'apprentissage successives qui existe traditionnellement en didactique des langues, ces activités diversifiées sont utilisées à l'identique, de manière très rigide et en enseignement collectif constant. La « différenciation » proprement dite est que « les élèves, individuellement ou en groupes, réalisent à un moment donné des tâches différentes » (Puren 2001 : 64). Mais il reconnaît que dans la pratique les enseignants combinent souvent différenciation et variation dans la même séquence. Il a retenu 490 dans la pratique des enseignants les domaines de différenciation suivants : objectifs, contenus, supports, dispositifs, aides et guidages, tâches, méthodes, évaluation et remédiation (Puren 2001 : 15-20). Przesmycki parle de plusieurs démarches différenciées ou des dispositifs de différenciation : le travail autonome (Przesmycki 2004 : 121), la pédagogie du contrat (Przesmycki 2004 : 139), la différenciation des contenus (Przesmycki 2004 : 143) et la différenciation des structures (Przesmycki 2004 : 146). 4 LA MISE EN ŒUVRE DES PRATIQUES PÉDAGOGIQUES ET DES STRATÉGIES À LA LUMIÈRE DE LA PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE À partir de ces éléments théoriques, nous avons mis en pratique une pédagogie différenciée dont la différenciation se situe au niveau des contenus, des tâches, des structures et de l'évaluation. La première différenciation porte sur les contenus et les tâches. Cela nécessite d'abord une organisation de la classe. Comme la majorité de la classe doit préparer le baccalauréat, nous avons décidé de diviser la classe en deux groupes différents en tenant compte de leurs objectifs en terme d'examen, c'est-à-dire ceux qui vont passer le chinois à l'oral comme LV2 ou LV3 forment un groupe, et ceux qui vont passer l'épreuve écrite en LV1 ou LV2 en forment un autre. La répartition des deux groupes peut se présenter comme le tableau suivant : GROUPE 1 = GB (groupe de base) GROUPE 2 = GA (groupe avancé) 17 élèves 14 élèves Pour avoir un noyau commun d'enseignement et d'apprentissage dans cette classe hétérogène, nous avons décidé de créer la liste de textes que ces élèves vont présenter à leur examinateur à l'oral comme supports communs de base. Cette décision est loin d'être une solution idéale, c'est plutôt un compromis pour que les élèves puissent avoir des références communes qui les aident à dialoguer ensemble et s'entraider. Le choix des textes s'est opéré pour intégrer le mieux possible contenu culturel et contenu linguistique en fonction des exigences du programme de chinois pour classe terminale (Bulletin officiel, hors-série N° 5, 9 septembre 2004). Nous prenons comme exemple le texte « Conduire » pour illustrer cette démarche. Il s'agit d'un texte contemporain qui traite un sujet d'actualité. Ce texte, sous couvert d'une simple histoire drôle, est très riche en sous-entendus culturels, socio-économiques et psychologiques. Il permet de parler de la Chine actuelle, de son développement économique considérable depuis son ouverture, et surtout celui de l'industrie automobile qui change la vie des Chinois. Plus profondément, le texte amène à réfléchir sur l'écart creusé entre les nouveaux riches et les pauvres. Il permet aussi d'aborder les problèmes de pollution et de protection de l'environnement, et plus généralement les thèmes tels que la mondialisation, la modernisation, les relations commerciales sino--européennes, les échanges technologiques et les présences étrangères actuelles. Du point de vue du contenu linguistique, ce texte donne l'excellente occasion de parler de la forme verbale résultative et d'aborder aussi la construction en « ba » en introduisant la préposition « bei » (marqueur du passif). 491 Si les supports de base sont les mêmes pour toute la classe, les tâches se diffèrent entre GB et GA. Pour les premiers, les tâches se concentrent sur la lecture du texte, les questions-réponses concernant la compréhension du texte, le résumé ou la synthèse du texte, la traduction à l'oral, l'explication des points grammaticaux à l'oral. Pour les plus avancés, les tâches s'orientent davantage vers la compréhension rapide après une première écoute du texte avec les questions-réponses portant aussi bien sur le sens explicite du texte que sur sa signification profonde, l'expression libre, la réflexion plus approfondie, le débat sur le sujet traité (capacité de défendre un point de vue, d'exprimer un jugement, de commenter un fait de civilisation), et la traduction en français par écrit. Ces tâches et exercices ont pour objectif de renforcer l'aptitude à la compréhension de la langue écrite et l'aptitude à l'expression écrite et d'améliorer leur niveau de traduction en français. Pour que les élèves les plus avancés se sentent concernés et impliqués dans un débat ou une discussion, et les inciter à y participer plus activement, nous guidons la discussion vers ce qui est proche de leur vie, de leurs expériences personnelles, de leurs parcours individuels et de leur environnement quotidien. Par exemple, quand on étudie le texte « Beijing et Shanghai », en comparant ces deux villes, nous introduisons aussi Paris et Wenzhou dans la discussion, parce que la plupart de ces élèves sont originaires de Wen-zhou, région de la province de Zhejiang dans le sud de la Chine avec une longue tradition d'immigration vers l'Europe. En parlant de leur pays natal et de leur environnement familier, ces élèves montrent un dynamisme surprenant qui les favorise à s'exprimer davantage et à réfléchir sur les différences entre les cultures, les mentalités des gens, les modes de vie. Les discussions leur donnent un sentiment d'être valorisés par rapport à leur origine. Et ces séances de débat et de discussion deviennent un véritable lieu pour réfléchir et pour exprimer leurs points de vue d'une manière profonde et efficace. Pour les francophones minoritaires, tels témoignages les aident à comprendre l'itinéraire de leurs camarades dans un environnement culturel différent et à faire une comparaison avec le leur. Pour les plus avancés, il est impossible de les faire travailler avec les mêmes supports compte tenu de leur différence de niveaux et d'objectifs. Il faut les faire travailler à leur niveau et progresser vers leurs objectifs. La solution que nous avons adoptée est de prendre des petits articles de journaux en rapport avec le texte de base. Par exemple, pour accompagner le texte « Conduire », nous avons choisi deux textes d'accompagnement pour les plus avancés : « Journée internationale sans voitures, pourriez-vous ne pas conduire ? » et « Ce n'est qu'après avoir acheté une voiture que l'on comprend pourquoi ». Ces textes authentiques donnent lieu à des discussions sur le développement des transports en commun et la protection de l'environnement. Ces supports différents exigent bien sûr des tâches différentes. Les élèves doivent effectuer d'abord une lecture rapide en repérant les mots qu'ils ne comprennent pas. Ensuite ils vont faire un résumé du texte en dégageant les grandes lignes, pour raconter l'histoire avec leurs propres mots, et répondre à une série de questions pour la bonne compréhension du texte. En phase finale de ces tâches, en insistant sur le thème du texte, nous proposons aux élèves une discussion libre pour les aider à développer leur aptitude à l'expression personnelle. Avec une classe pluri-niveaux, non seulement la différenciation des contenus s'avère nécessaire, mais aussi les structures, l'organisation des cours et des séances de différen- 492 ciation. Deux groupes distincts ne signifient pas forcément deux cours complètement différents. Pour que chacun travaille à son niveau et progresse d'une manière efficace, les cours doivent être organisés d'une façon intelligente, le professeur doit savoir gérer son temps et répartir son enseignement d'une façon plus ou moins égale entre les deux groupes. Nous avons organisé les cours selon le schéma suivant : pour démarrer un nouveau texte, nous commençons par un cours commun pour une entrée en matière avec différents supports (documents iconographiques, cartes postales, séquence de documentaire, documents en chinois et en français, etc.). Après cette entrée en matière s'adressant à tous, ils écoutent le texte pour la première fois. GA a compris le texte sans trop de difficultés, nous leur avons donné alors des tâches écrites. Pendant ce temps-là, GB travaille d'une manière plus fine sur le vocabulaire, la compréhension et l'expression orale. Une séquence finie avec GB, ils se consacrent aux tâches écrites ; nous revenons alors au GA qui travaille à la compréhension globale du texte, à sa reformulation (résumé, expansion, argumentation) et aux discussions plus profondes sur le sujet du texte. Pour la partie de la grammaire, nous donnons des cours communs avec des fiches d'explications et des exercices. Les explications grammaticales se font en général en français, un des points faibles des élèves pour qui le chinois est leur langue maternelle est la non maîtrise de la terminologie grammaticale. Ce cours commun sur la grammaire leur donne l'occasion de se poser des questions sur les faits de langue et d'apprendre à les expliquer. Le schéma ci-dessous représente le déroulement d'une séance qui dure environ trois ou quatre semaines : 493 L'évaluation ne peut qu'être différenciée par obligation. Pour l'évaluation formative qui intervient en cours d'apprentissage et permet de situer la progression de l'élève par rapport à un objectif donné, la différenciation est une nécessité pour suivre et soutenir l'avancée des deux groupes. Dans le cas d'une évaluation formative, l'objectif est d'obtenir une double rétroaction sur l'élève et sur le professeur. C'est pour indiquer à l'élève les étapes qu'il a franchies et les difficultés qu'il rencontre et, indiquer au professeur comment se déroule son programme pédagogique et quels sont les obstacles auxquels il se heurte. Pour GB, cette évaluation formative est souvent basée sur des exercices tels que la dictée, des exercices grammaticaux, les ajustements phonétiques, l'entraînement à la transcription, le questionnement oral et écrit. Pour GA, l'évaluation formative s'appuie plutôt sur les exercices de rédaction et de traduction, l'expression libre orale et écrite pour tester leur capacité de comprendre l'implicite, de reformuler des opinions et points de vue, de défendre différents points de vue, et de conduire une argumentation. L'évaluation sommative est différenciée également. Cette évaluation permet de faire la somme des connaissances et des savoir-faire des élèves à un moment précis sous forme de contrôles. Après chaque leçon, un contrôle est prévu pour chaque groupe. La différenciation de l'évaluation se joue sur les différents objectifs des élèves pour l'examen du baccalauréat et leurs différents niveaux de langue. Des contrôles oraux sont organisés pour GB selon les exigences de l'épreuve orale du baccalauréat. Pour GA, les élèves ont comme contrôle écrit des sujets de rédaction et des sujets du baccalauréat de différentes séries en LV1 ou en LV2. Ces activités leur permettent de se familiariser avec la forme de l'examen et de gagner la confiance en eux-mêmes. Nous avons recours aux autres stratégies d'enseignement telles que le travail de groupe et le travail en tandem. Le travail de groupe nous permet de mettre en valeur les aspects positifs de l'hétérogénéité. Les différences entre élèves sont aussi des richesses à exploiter, ces richesses peuvent favoriser l'échange linguistique et interculturel. Or, cette dimension interculturelle est bien intégrée aux objectifs de l'enseignement des langues par le CECRL qui met l'accent sur l'importance d'une prise de conscience de « la dimension interculturelle », des « aptitudes interculturelles » et du « savoir être » ou « compétence existentielle » (Byram/Gribkova/Starkey 2002 : 7). Le travail de groupe intègre d'une manière appropriée les élèves forts (souvent les natifs) dans les petits groupes et leur permet de « prendre conscience de leur rôle social d'assistants » et « leur donne la possibilité de mettre en œuvre leur supériorité de performances de telle manière que leurs camarades la considèrent comme un avantage pour eux-mêmes » (Przesmycki 2004 : 97). C'est particulièrement vrai pour une classe en LIE chinois du fait que l'échange interculturel se fait constamment entre les élèves natifs et les élèves francophones, ils sont transformés en locuteurs interculturels. Sur différents sujets de débat, les élèves travaillant en groupe s'affrontent à des points de vue, des valeurs et des comportements différents qui les aident à relativiser leurs propres cultures, leurs propres croyances et comportements. Le travail de groupe offre un lieu idéal pour l'interaction en temps réel entre ces élèves de différentes origines et cultures. Avec le travail de groupe, une sorte de tandem se forme au fur et à mesure tant que la possibilité s'offre à l'intérieur du groupe. C'est l'occasion privilégiée pour les apprenants francophones pour dialoguer directement avec un locuteur natif. Cette com- 494 munication interpersonnelle entre deux natifs de langues différentes est authentique et très fructueuse. Les élèves étaient motivés pour s'entraider mutuellement et se donner de l'assurance. Les élèves forts se sentaient valorisés dans leur rôle d'assistant en prodiguant leur aide à leur partenaire francophone qui, à son tour, profitait d'une communication intensive et authentique et d'une correction constante non publique. 5 CONCLUSION En conclusion, il n'y a pas une seule pédagogie différenciée, il y a des pédagogies différenciées. Nous avons expérimenté certaines différenciations dont les résultats sont plutôt positifs. Cette pédagogie centrée sur l'apprenant a permis à l'enseignant d'adapter son enseignement aux besoins de ses élèves. Elle a aussi permis aux apprenants de s'impliquer dans leur apprentissage autonome, de se motiver davantage et de se responsabiliser sur leurs progrès. Il est bénéfique de différencier la pédagogie pour faire face à l'hétérogénéité de la classe, mais existe-t-il des limites ? Trop d'écart de niveaux entre les élèves pose le problème du seuil d'hétérogénéité. Mais il est très difficile de définir d'une manière précise ce seuil d'hétérogénéité. La solution d'organiser la classe en deux groupes distincts et de leur aménager des cours différents est loin d'être idéale et demande beaucoup de préparation des cours de la part de l'enseignant. De nouveaux modes d'organisation de la classe de langue pourraient à l'avenir aider à résoudre le problème de l'hétérogénéité, par exemple, le regroupement des élèves non plus en fonction du niveau académique, mais par groupes de compétences constitués en fonction des compétences d'expression et de compréhension orales et écrites des élèves. Références bibliographiques BYRAM, Michael/Bella GRIBKOVA/Hugh STARKEY (2002) Développer la dimension interculturelle de l'enseignement des langues: une introduction pratique à l'usage des enseignants. Strasbourg : Conseil de l'Europe, Division des politiques linguistiques. GILLIG, Jean-Marie (1999) Les pédagogies différenciées : origine, actualité, perspectives. Paris/Bruxelles : De Boeck & Larcier s.a., département de Boeck Université. GRANDGUILLOT, Marie-Claude (1993) Enseigner en classe hétérogène. Paris: Hachette éducation. KAHN, Sabine (2010) Pédagogie différenciée. Éditions De Boeck. 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PUREN, Christian (2001) « Pédagogie différenciée en classe de langue. » Cahiers pédagogiques N° 399, 64-66. ZAKHARTCHOUK, Jean-Michel (2014) Enseigner en classes hétérogènes. Paris : ESF. Résumé L'ENSEIGNEMENT DU CHINOIS DANS UNE CLASSE HÉTÉROGÈNE: STRATÉGIES ET PRATIQUES En chinois l'hétérogénéité de la classe est une réalité dans l'enseignement en France, tant dans l'enseignement secondaire que dans l'enseignement supérieur. Cette hétérogénéité a plusieurs sources : différences de niveaux, d'origines, de parcours, d'objectifs, de culture, etc. Pour notre propos, nous avons choisi comme objet d'étude une classe de terminale en LIE (langue inter-établissement) dans un lycée français. Nous nous interrogeons sur les questions suivantes : Comment adapter au mieux l'enseignement du chinois à la diversité des profils? La pédagogie différenciée peut-elle être une solution nécessaire pour faire face à l'hétérogénéité d'une classe pluri-niveaux ? Quelles stratégies et quelles pratiques adopter dans l'enseignement du chinois pour mieux répondre aux exigences du CECRL (Cadre Européen Commun des Référence pour les langues) dans un contexte d'hétérogénéité de la classe en matière de contenus, de tâches, de structures et d'évaluation? Après une analyse fine de cette classe en termes de typologie des élèves, de différence de niveaux langagiers et d'objectifs pour le baccalauréat, en évoquant les problèmes de supports et de la gestion de cette hétérogénéité, nous nous sommes appuyés sur la théorie de la pédagogie différenciée avec ses idées maîtresses, son processus, ses stratégies, sa méthodologie d'ensemble, et ses techniques de mise en pratique afin de résoudre les difficultés rencontrées face à une classe pluri niveaux. La différenciation mise en pratique se situe au niveau des contenus, des tâches, des structures et de l'évaluation. Il est bénéfique de différencier la pédagogie pour faire face à l'hétérogénéité de la classe, mais existe-t-il des limites ? Trop d'écart de niveaux entre les élèves pose le problème du seuil de l'hétérogénéité et d'autres problèmes tels que la gestion de la différence dans le rythme de chacun et la surcharge de travail de l'enseignant. De nouveaux modes d'organisation de la classe de langue tels que le regroupement des élèves par compétences peuvent aider à résoudre le problème de l'hétérogénéité. Mots clés: hétérogénéité, pédagogie différenciée, enseignement du chinois. 496