77 Pregledni znanstveni članek (1.02) BV 73 (2013) 1, 33—46 UDK: 272-72-1Lubac H.d. Besedilo prejeto: 07/2012; sprejeto: 11/2013 Alek Zwitter La théologie de Lumen gentium 13 à la lumière de la pensée d'Henri de Lubac Résumé: Le point de départ de cette discussion est le N°13 de Lumen Gentium parlant de la nature catholique, universelle de l'Église qui est le nouveau Peuple de Dieu. La richesse théologique de cet article est expliquée à partir de la théologie de Henri de Lubac. En effet, ses écrits théologiques ont assuré un fondement essentiel pour la rédaction de la constitution Lumen Gentium. Dans la première partie de l'article, l'auteur met en évidence les fondements théologiques de la catholicité de l'Église. Il se demande comment le Concile peut-il affirmer que tous les hommes soient appelés à appartenir au nouveau Peuple de Dieu (LG N°9, N°13)? Chaque homme porte en lui l'image de Dieu. Et puisque la guérison de la ressemblance divine, blessée par le péché, n'est possible que dans le Christ - il s'ensuit que l'humanité ne peut trouver la vraie unité, à laquelle elle est appelée, que dans l'Église. C'est l'Esprit Saint qui réalise cette unité. Le lieu principal et privilégié où l'unité de la communauté ecclésiale s'affermit sont les sacrements et, en particulier, l'eucharistie. La deuxième partie de l'article traite de la catholicité de l'Église ad extra, surtout dans son rapport aux traditions non-chrétiennes. Le christianisme ne devrait pas les combattre, mais plutôt les transformer. Ces religions non-chrétiennes ne reposent pas sur les faux présupposés, mais plutôt sur les fondements faibles qui ont besoin d'être purifiés. La troisième et la dernière partie évoque la catholicité de l'Église adintra : il s'agit de la légitimité de la diversité à l'intérieur de l'Église même. Cela s'exprime par la diversité des charges dans l'Église, mais aussi dans la diversité, la pluriformité des Églises particulières. La perspective lubacienne n'est ni cléricale ni trop laïque. Toutes les charges dans l'Église sont complémentaires entre elles et dépendantes les unes des autres. Le modèle des rapports entre les membres de l'Église trouve sa source dans les rapports de la Trinité même. L'unité entre les Églises particulières, représentée spirituellement par l'offrande du même sacrifice eucharistique, se vérifie et se confirme par la communion visible avec l'évêque de Rome. Mots clés: unité de la nature humaine, communication des choses saintes., intégration des traditions, pluriformité des Églises particulières 34 Bogoslovni vestnik 73 (2013) • 1 Povzetek: Teologija 13. člena Dogmatične konstitucije o Cerkvi v luči teologije Henrija de Lubaca Izhodišče avtorjeve razprave je 13. člen Dogmatične konstitucije o Cerkvi (Lumen gentium), ki govori o katoliški, vesoljni naravi Cerkve oziroma novega božjega ljudstva. Bogastvo teoloških poudarkov tega člena razlaga avtor v luči teologije Henrija de Lubaca. Prav njegove teološke študije so pomenile bistveno podlago za pripravo konstitucije Lumen gentium. V prvem delu odkriva avtor teološke temelje katoliškosti Cerkve. Kako more koncil trditi: vsi ljudje so poklicani, da pripadajo novemu božjemu ljudstvu (C13)? Ker je božja podoba vtisnjena v vsakega človeka in ker je ozdravitev te po grehu ranjene božje podobnosti možna le v Kristusu, lahko človeštvo najde pravo edinost, h kateri je poklicano, samo v Cerkvi. To edinost uresničuje Sveti Duh, privilegirani in bistveni kraj, kjer se utrjuje edinost cerkvenega občestva, so zakramenti in še posebno evharistija. Drugi del obravnava katoliškost Cerkve ad extra, zlasti v odnosu do nekrščanskih izročil. Krščanstvo naj teh izročil ne bi izpodrinilo, ampak preobrazilo. Nekrščanske religije ne stojijo na zmotnih temeljih, ampak na slabotnih temeljih, ki so potrebni prečiščenja. Zadnji, tretji del razprave govori o katoliškosti Cerkve ad intra, torej o legitimni notranji raznolikosti Cerkve, ki se kaže v raznolikosti služb v Cerkvi, pa tudi v raznolikosti, pluriformnosti krajevnih Cerkva. Lubacova perspektiva ni niti preveč klerikalna niti preveč laiška. Vse službe so med seboj komplementarne in odvisne druga od druge, model odnosov med udi Cerkve so odnosi znotraj same Trojice. Edinost med krajevnimi Cerkvami v duhovnem smislu ponazarja obhajanje iste evharistije, ta edinost pa se preverja z vidno povezanostjo z rimskim škofom. Ključne besede: enost človeške narave, komunikacija svetih reči, integracija izročil, pluriformnost krajevnih Cerkva Abstract: Theology of Lumen gentium 13 in the Light of Henri de Lubac's Thought The starting point of the paper is section 13 of Lumen gentium that speaks about the catholic, universal nature of the Church, which is the new people of God. The theological richness of this section is explained in the light of the theology of Henri de Lubac. In fact, his theological writings represented the essential basis for the preparation of the constitution Lumen gentium. In the first part of the paper, the author discloses the theological foundations of the catholicity of the Church. How can the Council maintain that all men are called to belong to the new people of God (LG 9, LG 13)? Each person bears within him the image of God. This godlikeness, which was wounded by sin, can only be cured in Jesus Christ - and this is why humanity can only find the real unity it is called to within the Church. This unity is realized by the Holy Spirit. And the unity of the church community is primarily strengthened by the sacraments, especially the Holy Eucharist. The second part of the paper deals with the catholicity of the Church ad extra, especially in relation to non-christian traditions. Christianity ought not to fight against them, but to transform them. Nonchristian religions are not built on false foundations, but on weak foundations Alek Zwitter - La théologie de Lumen gentium 13 à la lumière 35 that need purification. The third part of the paper speaks about the catholicity of the Church ad intra, i.e. about the legitimate inner diversity of the Church. It is expressed by the different duties of its members, but also by the plurifor-mity of particular Churches. Lubac's angle is neither clerical nor too lay. All offices in the Church complement each other and depend upon each other, the relations among the members of the Church are modelled on the relations within the Trinity itself. The unity between the particular Churches, which is spiritually represented by offering the same Eucharist, is verified and confirmed by the visible communion with the bishop of Rome. Key words: unity of human nature, communication of holy things, integration of traditions, pluriformity of particular Churches 1. Théologie de la catholicité (LG 13a) faire partie du Peuple de Dieu, tous les hommes sont appelés. C'est pourquoi ce peuple, demeurant uni et unique, est destiné à se dilater aux dimensions de l'univers entier et à toute la suite des siècles pour que s'accomplisse ce que s'est proposé la volonté de Dieu créant à l'origine la nature humaine dans l'unité, et décidant de rassembler enfin dans l'unité ses fils dispersés (cf. Jn 11, 52). C'est dans ce but que Dieu envoya son Fils dont il fit l'héritier de l'univers (cf. He 1, 2), pour être à l'égard de tous Maître, Roi et Prêtre, chef du peuple nouveau et universel des fils de Dieu. C'est pour cela enfin que Dieu envoya l'Esprit de son Fils, l'Esprit souverain et vivifiant, qui est, pour l'Église entière, pour tous et chacun des croyants, le principe de leur rassemblement et de leur unité dans la doctrine des Apôtres, et la communion fraternelle, dans la fraction du pain et les prières (cf. Ac 2, 42 grec).« (LG 13a. 1.1 le projet du Père: l'unité de la nature humaine ous les hommes sont appelés« à faire partie de l'Eglise, pour laquelle le Concile utilise de préférence l'image du »Peuple de Dieu.« Tous les hommes, sans exception! Alors, comment peut-on prononcer une formule si directe et si ambitieuse? Comment peut-on expliquer que les paroles du Concile n'ont rien à voir avec un prosélytisme aveugle, qu'elles ne sont point comparables aux affirmations de tant de courants et de sectes religieux? Pour répondre à ces questions, il nous faut toucher le fond de la nature humaine, le fond du mystère d'homme. La suite du premier paragraphe du Lumen Gentium 13 exprime de façon lapidaire les étapes majeures de l'histoire du salut : la création de la nature humaine dans l'unité, la dispersion des fils de Dieu, la mission du Fils en vue du rassemblement d'un nouveau peuple des fils de Dieu. Les écrits du p. de Lubac nous offrent un complément ample et solide pour préciser et approfondir les formules brèves du concile. Au début de son Catholicisme, Lubac souligne l'unité initiale du genre humain : »aussi les Pères de l'Eglise ... avaient-ils ... coutume, lorsqu'ils traitaient de la créa- 36 Bogoslovni vestnik 73 (2013) • 1 tion, de ne pas mentionner seulement la formation des individus, premier homme et première femme : ils aimaient à contempler Dieu créant l'humanité comme un seul tout.« (Lubac 1938, 3) Pour eux, Adam ne fut pas seulement premier homme ; pour eux, il représentait l'ensemble de la nature humaine, toute la race humaine. Et donc »si plusieurs tiennent si fort, comme on le sait, au salut d'Adam,27 l'une des raisons n'en est-elle pas qu'ils voyaient dans le salut de son chef une condition nécessaire au salut même du genre humain?« (Lubac 1938, 5) Or, pourquoi la nature humaine serait-elle unie, d'où lui proviendrait cette unité, l'humanité ne serait-elle tout simplement un ensemble d'individus différents? Les Pères réfléchissaient sur la nature humaine en son fond, ils cherchaient l'élément principal de son unité. Pour eux, la réponse principale se trouvait dans le livre de la Genèse qui enseigne que »Dieu créa l'homme à son image.« (Gen 1,27) »L'image divine, en effet, n'est point autre en celui-ci, et autre en celui-là : en tous, c'est la même image. La même participation mystérieuse à Dieu, qui fait être l'esprit, réalise du même coup l'unité entre eux des esprits.« (Lubac 1938, 7) Ce qui caractérise la nature humaine, l'image divine en homme, est encore ce qui garantit son unité. L'ensemble des hommes qui participent à la même vie divine sera donc nécessairement une fraternité. 1.2 La mission du Fils : »le rétablissement de l'unité perdue« C'est intéressant de noter que le texte du concile ne parle pas du péché, mais seulement de la dispersion des fils de Dieu. Or, le sens biblique de la »dispersion« est souvent chargé d'un caractère négatif ; la dispersion des hommes est la conséquence directe du péché.28 La pensée lubacienne également est très sensible aux conséquences sociales du péché. Pour Lubac, le péché ne rompt pas seulement la relation entre l'homme et Dieu, il atteint en même temps les relations entre les hommes : »... toute infidélité à l'Image divine que l'homme porte en lui, toute rupture avec Dieu, est du même coup déchirement de l'unité humaine.« (Lubac 1938, 10) Il s'agit d'une individualisation au sens péjoratif : »'la nature unique fut brisée en mille morceaux', et l'humanité qui devait constituer un tout harmonieux, où le mien et le tien ne se seraient point opposés, devint une poussière d'individus aux tendances violemment discordantes.« (11) Cette humanité déchirée et aliénée de Dieu nécessite d'une façon urgente une œuvre de Rédemption. Il s'agit d'un rétablissement de l'amitié avec Dieu, mais également d'un rétablissement de l'unité entre les hommes. Car si Dieu »naturam humanam in initio condidit unam« (LG 13, texte latin), cette unité de la nature humaine reste également la finalité du plan divin, qui veut »rassembler enfin dans l'unité les fils dispersés.« 27 Nous trouvons cette idée déjà chez saint Paul, explicitée en Rom 5,12-21 : ». Adam, figure de celui qui devait venir.« (Rom 5,14) 28 Cf. Gen 11, 9-10 : »Le Seigneur les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi la nomma-t-on Babel, car c'est là que le Seigneur confondit le langage de tous les habitants de la terre et c'est de là qu'il les dispersa sur toute la face de la terre.« Cf. Jn 11, 51-52 : »Or cela, il ne le dit pas de lui-même; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés.« Alek Zwitter - La théologie de Lumen gentium 13 à la lumière 37 En s'appuyant sur les sources patristiques, le Catholicisme nous offre deux images magnifiques qui soulignent la dimension sociale du salut opérée par le Christ. Le Christ est comme une reine d'abeilles, qui vient regrouper autour de lui l'humanité ; il est encore comme »cette aiguille qui douloureusement percée lors de la passion, tire désormais tout à sa suite, et répare ainsi la tunique jadis déchirée par Adam, cousant ensemble les deux peuples, celui des Juifs et celui des Gentils, et les faisant un pour toujours« (Lubac 1938, 13-14). 1.3 L'Eglise, appelée à recouvrir l'humanité toute entière C'est seulement à partir de ces considérations-là que le Concile peut proclamer avec confiance qu'»à faire partie du Peuple de Dieu, tous les hommes sont appelés.« Car si, comme le dit saint Paul »tous [les hommes] ont péché« (Rom 5,12) et si l'Eglise »est ici-bas le sacrement de Jésus Christ« (Lubac 1953, 175), pour obtenir le salut il est indispensable de passer par elle. L'Eglise »achève - autant qu'elle peut être achevée ici-bas - l'œuvre de réunion spirituelle rendue nécessaire par le péché« (Lubac 1938, 25). L'Eglise ne représente donc en aucune façon un élément étranger à la nature de l'homme : entre les dogmes de la foi, qu'elle garde fidèlement, et la nature humaine, »il y a une correspondance profonde ... L'Eglise en chaque homme s'adresse à tout l'homme, le comprenant selon toute sa nature.« (26) Quand le Concile affirme que l'Eglise »est destiné à se dilater aux dimensions de l'univers entier«, cela ne veut pas dire qu'au cours de son pèlerinage terrestre elle va effectivement englober toute l'humanité par ses structures visibles. Dans l'avertissement à l'édition italienne du Catholicisme, Lubac lui-même fait une remarque éclaircissante sur ce point-là : »Mon livre n'est pas un livre sur le catholicisme ou sur l'Eglise catholique. C'est un recueil d'études diverses qui, par leur diversité même, entendent toutes montrer le caractère universel, et plus précisément catholique, du christianisme.« (V) L'Eglise est catholique parce que cela fait partie de son essence, »elle était déjà catholique au matin de Pentecôte« (26). Elle est catholique parce que »par cela même qu'elle touche au fond de l'homme, l'Eglise peut atteindre tous les hommes et tirer d'eux ses 'accords'.« (26). Elle est catholique parce »rien d'analogue n'a jamais été réalisé, ni même conçu par les hommes« (Lubac 1953, 43), parce qu'elle est la seule capable de restaurer l'image divine dans l'homme et par cela restaurer l'unité du genre humain. Elle est vraiment une société unique parce qu'elle est, »de par les intentions divines et l'institution du Christ, la seule voie normale du salut«29, et donc »si le monde perdait l'Eglise, il perdrait la Rédemption« (176). C'est pourquoi la nature de ce »Peuple de Dieu ... uni et unique« (LG 13) est fondamentalement missionnaire. L'Eglise est »destiné à se dilater«. »Tant qu'elle n'aura pas recouvert et pénétré l'humanité tout entière pour lui faire la forme du Christ, l'Eglise ne peut être en repos .... Tant qu'elle n'a pas recouvert toute la ter- 29 Lubac H. de, Bulletin des Missions, mars-juin 1934, p. 60, dans: Lubac H. de, Catholicisme, p. 189. 38 Bogoslovni vestnik 73 (2013) • 1 re et cimenté toute les âmes, croître est pour l'Eglise une nécessité de nature.« (Lubac 1938, 189.191) 1.4 L'Esprit Saint, la vie divine qui réalise l'unité Dans le premier paragraphe de LG 13, nous pouvons facilement discerner une structure trinitaire ; sa dernière partie porte sur l'Esprit Saint comme »le principe de rassemblement« des fidèles dans l'Eglise. Le texte mentionne encore quatre éléments vécus à l'intérieur de la première communauté chrétienne, autour lesquels cette unité des croyants devient concrètement visible : l'enseignement des apôtres, la communion fraternelle, l'eucharistie, les prières communes. Si donc l'Eglise, comme nous l'avons vu, »est destinée à se dilater aux dimensions de l'univers entier« pour unir entre eux tous les hommes, comment cette communion s'opère-t-elle concrètement? Quelle est la spécificité de la communion entre les croyants dans l'Eglise? Quelle est la différence entre l'unité telle que la comprend un homme séculier, et l'unité dans l'Eglise? Plus précisément, qu'est ce qui est communiqué à l'intérieur de cette communion ecclésiale? Tout d'abord, pour Lubac, l'élément de la cohésion dans l'Eglise est l'Esprit Saint ou la vie divine : »Par la 'communio sanctorum' s'opère la 'communicatio sancti Spiritus', la communication de l'Esprit du Christ« (Lubac 1984, 20). »Bien plus qu'une institution, elle [Eglise] est une vie qui se communique. ... Or, ce mystère de vie et d'unité qui nous est présent dans la foi, il arrive, à certaines heures, que le sentiment nous en soit quelque peu donné. Entre tous ceux que l'Eglise s'agrège, nous percevons alors une mystérieuse et profonde parenté d'âme« (Lubac 1953, 44). L'unité dans l'Eglise est donc bien plus que cette unité ou cet accord extérieur qu'on peut trouver chez les différents groupements sociaux : »Entre ceux qu'elle reçoit dans son sein, les rapports sont autrement intimes qu'entre les membres d'aucune société humaine. Entre eux ne règne pas seulement une concorde extérieure, mais une véritable unité.« (Lubac 1938, 88) »Le catholique n'est pas seulement le sujet d'un pouvoir, il est le membre d'un corps. Sa dépendance juridique à l'égard du premier a pour fin son insertion vitale dans le second ... ; il n'a pas seulement le devoir d'obéir à des ordres, ... il lui faut participer à une vie, communier à un esprit.« (50-51) Il ne s'agit alors pas seulement d'une unité extérieure, mais aussi intérieure. Mais en même temps, cette unité intérieure n'est pas seulement une réalité psychologique qui dépendrait de nos sentiments ; cette unité a un fondement spirituel objectif. Cependant, par moments, heureusement, nous pouvons aussi ressentir cette unité des croyants ; la réalité spirituelle objective rejoint notre humanité subjective, et alors nous expérimentons »une mystérieuse et profonde parenté d'âme«. En résumé, nous pouvons dire que cette vie divine qui se communique et qui fait l'unité de l'Eglise est une réalité spirituelle à la fois intérieure et objective. Alek Zwitter - La théologie de Lumen gentium 13 à la lumière 39 1.5 »Pas de 'communion des saints' sans une communication des choses saintes.« Comment alors cette vie divine rejoint-elle concrètement la communauté chrétienne? Quelles sont les conditions nécessaires pour que cette communion intérieure et objective se réalise? Sur ce point-là, la pensée de notre théologien est particulièrement intéressante car il semble que ses écrits nous en révèlent un développement progressif. Quand en 1938 Lubac a publié son Catholicisme, son souci principal était de montrer le caractère social du christianisme ; il voulait démontrer que »la justice repousse (donc) le pur et strict individualisme« (Lubac 1938, IX). Même quand il parlait des sacrements, il voulait surtout souligner leur dimension horizontale, communautaire : »Etant les moyens du salut, les sacrements doivent être compris comme des instruments d'unité. Réalisant, rétablissant ou renforçant l'union de l'homme au Christ, ils réalisent, rétablissent ou renforcent par là- même son union à la communauté chrétienne. Et ce second aspect du sacrement, l'aspect social, est si intimement uni au premier, qu'on peut dire quelquefois tout aussi bien, ou même qu'en certains cas on doit dire plutôt, que c'est par son union à la communauté que le chrétien s'unit au Christ.« (57) Sa Méditation sur l'Eglise, publié en 1953, a introduit avec plus de force l'aspect vertical de la communauté chrétienne. L'Eglise est à la fois Eglise sanctificatrice et Eglise des sanctifiés : »Pas de peuple sans ses chefs ; pas de sainteté acquise sans un pouvoir et sans une œuvre de sanctification ; pas d'union effective dans la vie divine sans une transmission de cette vie ; pas de 'communion des saints' sans une communication des choses saintes.« (Lubac 1953, 93) Dans son article tardif Communio sanctorum (1984), Lubac réagit, semble-t-il, à certaines incompréhensions postconciliaires sur l'essence de la communauté chrétienne. Depuis son Catholicisme, l'aspect social de la foi chrétienne a été bien intégré par le peuple chrétien, mais d'autres difficultés ont surgi. C'est pourquoi il souligne plus fortement que jamais l'aspect vertical de la communauté chrétienne, qui doit sans cesse se recevoir de Dieu et en particulier par une participation à l'eucharistie : »Depuis le temps de saint Augustin, depuis celui de saint Paul, jamais peut-être ne fut plus forte que de nos jours l'heureuse conviction que le salut de l'homme ne peut être individualiste ... Mais plus d'un hésite à reconnaître les conditions auxquelles cette communion se réalise ... Pendant longtemps, il ne fut pas indispensable, à l'intérieur de l'Eglise, de rappeler toujours explicitement ... que la communion des saints entre eux, c'est-à-dire l'union de la communauté chrétienne, dépend de l'action efficace exercée par cette réalité sainte entre toutes qu'est le sacrement de l'Eucharistie.« (Lubac 1984, 28-29) Pour Lubac, le lieu privilégié et fondamental où se réalise et se fortifie la communion ecclésiale est la célébration eucharistique. Il renforce cette pensée par la découverte que dans les premiers siècles, comme il le montre avec beaucoup de précision, le sens original de l'article 'Credo ... sanctorum communionem'. se rapportait en particulier à l'Eucharistie. »Les sancti sont en communion entre eux 40 Bogoslovni vestnik 73 (2013) • 1 grâce à leur participation commune aux sancta ... Par la Vie qui leur est communiquée dans la communion eucharistique, ceux qui sont déjà devenus membres du Christ par le baptême resserrent leur communion entre eux.« (25-26) 2. catholicité ad extra : intégration et purification des traditions dans le christ (LG 13b) insi, l'unique Peuple de Dieu est présent à tous les peuples de la terre, em- pruntant à tous les peuples ses propres citoyens, citoyens d'un Royaume dont le caractère n'est pas de nature terrestre mais céleste. Tous les fidèles, en effet, dispersés à travers le monde, sont, dans l'Esprit Saint, en communion avec les autres, et, de la sorte 'celui qui réside à Rome sait que ceux des Indes sont pour lui un membre'30. Mais comme le Royaume du Christ n'est pas de ce monde (cf. Jn 18, 36), l'Église, Peuple de Dieu par qui ce Royaume prend corps, ne retire rien aux richesses temporelles de quelque peuple que ce soit, au contraire, elle sert et assume toutes les capacités, les ressources et les formes de vie des peuples en ce qu'elles ont de bon ; en les assumant, elle les purifie, elle les renforce, elle les élève. Elle se souvient en effet qu'il lui faut faire office de rassembleur avec ce Roi à qui les nations ont été données en héritage (cf. Ps 2, 8) et dans la cité duquel on apporte dons et présents (cf. Ps 71 [72], 10 ; Is 60, 4-7 ; Ap 21, 24). Ce caractère d'universalité qui brille sur le Peuple de Dieu est un don du Seigneur lui-même, grâce auquel l'Église catholique, efficacement et perpétuellement, tend à récapituler l'humanité entière avec tout ce qu'elle comporte de bien sous le Christ chef, dans l'unité de son Esprit.«31 (LG 13b) 2.1 L'intégration de »toutes les diversités humaines« Le deuxième paragraphe de LG 13 apporte une grande ouverture de l'Eglise aux »richesses temporelles du monde«, la pensée qui s'inscrit dans la pensée même de l'Apôtre : »N'éteignez pas l'Esprit ..., mais vérifiez tout: ce qui est bon, retenez-le; gardez-vous de toute espèce de mal.« (1 Thés 5, 19.21-22) Le paragraphe énonce la capacité et la volonté de l'Eglise d'intégrer toutes les traditions des nations »en ce qu'elles ont de bon.« Notons ici simplement que le Concile n'utilise pas les notions de »culture« et de »religion« mais un terme plus général : »richesses temporelles du monde.« C'est certainement un choix volontaire parce qu'au fond il s'agit d'une même réalité humaine inséparable, la culture et la spiritualité n'étant jamais séparées. L'accueil »des capacités, des ressources et des formes de vie« veut ainsi dire l'intégration des richesses culturelles, mais nécessairement aussi l'intégration des religions humaines. 30 Cf. Saint Jean Chrysostome, In Io., Hom. 65, 1 : PG 59, 361. 31 Cf. Saint Irénée, Adv. Haer. III, 16, 6 ; III, 22, 1-3 : PG 7, 925 C - 926 A et 955 C - 958 A ; Harvey 2, 87 s. et 120-123 ; Sagnard, Sources chr., 290-292 et 372 s. Alek Zwitter - La théologie de Lumen gentium 13 à la lumière 41 Autre remarque préliminaire : l'évangélisation ad extra des cultures non chrétiennes devient possible seulement si elles sont ouvertes à l'aspect spirituel. C'est précisément ce que souligne Joseph Ratzinger dans son fameux discours Le Christ, la foi et le défi des cultures à Hong-Kong : »l'inculturation n'a de sens que si la foi et la culture sont intérieurement ouvertes l'une à l'autre ..., si elles tendent naturellement à se rapprocher et à s'unir« (Ratzinger 2005, 36). L'Eglise ne peut ouvrir ses trésors spirituels au monde que si les traditions de celui-ci sont prêtes à les accueillir. Le IXème chapitre du Catholicisme anticipe la pensée du Concile et lui donne en même temps un arrière-fond solide. On peut dire que la phrase célèbre du Saint Irénée représente le fondement de la pensée lubacienne sur le rapport entre le christianisme et les traditions du monde : »Le Logos de Dieu n'a jamais cessé d'être présent à la race des hommes.«32 Le théologien s'appuie d'abord sur l'humanité du Christ : »Jésus, notre Sauveur, a pris dans notre race les éléments de son corps .... Don de Dieu, Jésus n'en est donc pas moins, en même temps, fleur de Jessé. Venu du ciel, il est aussi le fruit de la terre. ... Pareillement son Eglise. C'est l'humanité qui lui fournit son corps« (Lubac 1938, 244-245). La visibilité, l'humanité de l'Eglise proviennent ainsi nécessairement des »richesses du monde«. Lubac insiste fortement sur une attitude accueillante à l'égard des religions non chrétiennes et il critique le raisonnement d'un Marcion ou des jansénistes extrêmes qui voyaient dans les religions naturelles la »Cité de Satan.« Il met un grand accent, (peut être même un trop grand accent), sur la bonté de la création, sur la bonté ontologique de la nature humaine qui »est infirme, mais elle n'est pas totalement corrompue .... Les fausses religions sont donc des religions qui s'égarent ou s'enlisent, plutôt que des religions dont l'élan serait trompeur ou dont tous les principes seraient faux .... Et les déchéances mêmes auxquelles ils [les messagers du Christ] se heurtent demandent non une expulsion, mais un re-dressement.« (242-243) Ainsi le christianisme doit transfigurer l'ancien monde en l'absorbant et non pas »en le combattant« (244). L'Eglise est appelé à regarder avec bienveillance toutes »les capacités, les ressources et les formes de vie des peuples«, car »rien de vraiment humain, d'où qu'il vienne, ne lui doit rester étranger«, il n'y a »rien d'excellent que le catholicisme ne soit pas prêt à revendiquer pour sien« (255).33 Toutes ces considérations dictent, naturellement, la méthode missionnaire de l'Eglise. Si certains efforts missionnaires sont resté infructueux, n'est-ce pas parce que »pendant longtemps, les chrétiens n'ont pas su faire à son endroit [du monde] l'effort indispensable de compréhension? ... Combien un tel effort d'intelligence est urgent, lorsqu'il s'agit de traits de civilisation dont le tort principal n'est parfois que de nous dépayser« (249) souligne Lubac avec un peu d'ironie. L'Eglise ne 32 Saint Irenée, Adversus Haereses, III, 16, 1. 33 Cf. Pie XI, Discours aux prédicateurs de carême à Rome, 28 février 1927 : »Les hommes ne sont pas créés pour l'Église, mais l'Eglise est créée pour les hommes.« 42 Bogoslovni vestnik 73 (2013) • 1 doit exercer aucun »impérialisme culturel«, car elle n'est ni latine, ni grecque, mais tout simplement universelle. C'est pourquoi elle doit tendre à accueillir en son sein toutes les cultures, »toutes les diversités humaines« (254). 2.2 La purification des cultures dans le christ Enfin, nous pouvons constater que les cultures ne doivent pas être seulement accueillies et intégrées par l'Eglise, elles doivent être également purifiées et élevées par le message du Christ. D'après les Pères, constate le théologien dans son Paradoxe et mystère de l'Eglise, »l'Eglise du Christ ... doit, dans sa foi au Christ, intégrer en le convertissant tout l'effort religieux de l'humanité« (Lubac 1967, 130). Car »hors du christianisme, rien n'arrive à son terme, .... Les plus beaux et les plus puissants de ces efforts ont donc absolument besoin d'être fécondés par le christianisme pour produire leurs fruits d'éternité.[. Seul l'idéal que le Christ a transmis à son Eglise est assez pur, est assez puissant.« (Lubac 1938, 186-187). »C'est la mission de l'Eglise d'épurer et de vivifier chacun d'eux, de les approfondir et de les faire aboutir, par la révélation surnaturelle dont elle a le dépôt« (253). Nous pouvons constater que, de manière semblable à LG 13, Lubac, lui aussi, insiste moins sur ce dernier aspect de la purification des traditions humaines, qui reste cependant présent dans son Catholicisme. 3. catholicité ad intra : variété des fonctions dans un même corps (LG 13c) n vertu de cette catholicité, chacune des parties apporte aux autres et à toute l'Église le bénéfice de ses propres dons, en sorte que le tout et chacune des parties s'accroissent par un échange mutuel universel et par un effort commun vers une plénitude dans l'unité. C'est pourquoi le Peuple de Dieu ne se constitue pas seulement par le rassemblement des peuples divers, mais jusqu'en lui-même, il se construit dans la variété des fonctions. En effet, entre ses membres règne une diversité qui est, soit celle des charges, certains exerçant le ministère sacré pour le bien de leurs frères, soit celle de la condition et du mode de vie, beaucoup étant, de par l'état religieux qui leur fait poursuivre la sainteté par une voie plus étroite, un exemple stimulant pour leurs frères. C'est pourquoi encore il existe légitimement, au sein de la communion de l'Église, des Églises particulières jouissant de leurs traditions propres - sans préjudice du primat de la Chaire de Pierre qui préside à l'assemblée universelle de la charité34, garantit les légitimes diversités et veille à ce que, loin de porter préjudice à l'unité, les particularités, au contraire, lui soient profitables. De là, enfin, entre les diverses parties de l'Église, les liens de communion intime quant aux richesses spirituelles, quant au partage des ouvriers apostoliques et des ressources matérielles. Les membres du 34 Cf. Saint Ignace, Ad Rom., préf. : Funk I, p. 252. Alek Zwitter - La théologie de Lumen gentium 13 à la lumière 43 Peuple de Dieu sont appelés en effet à partager leurs biens et à chacune des Églises s'appliquent également les paroles de l'Apôtre : >Que chacun mette au service des autres le don qu'il a reçu, comme il sied à de bons dispensateurs de la grâce divine qui est si diverse< (1 P 4, 10).« (LG 13c) 3.1 Variété des charges Si le deuxième paragraphe du LG13 parle du rapport entre l'Eglise et les diversités du monde ad extra, le troisième paragraphe présente la diversité ad intra, au sein de l'Eglise catholique même. La première partie de ce paragraphe explicite la variété des charges et des fonctions à l'intérieur de la Catholica et la seconde partie s'occupe de la variété des Eglises particulières à l'intérieur d'un même corps ecclésial. Le quatrième chapitre de Méditations sur l'Eglise présente le lien organique entre le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel. La perspective lubacienne n'est ni cléricale ni trop laïque : »le peuple chrétien ... joue véritablement, en célébrant son 'culte spirituel', un rôle sacerdotal par rapport au monde entier ... Mais ce sacerdoce du peuple chrétien ne concerne pas la vie liturgique de l'Eglise. Il n'a pas de rapport direct à la confection de l'Eucharistie.« (Lubac 1953, 117) Le sacerdoce ministériel »n'est pas, si l'on nous passe l'expression, une sorte de superbaptême, constituant une classe de super-chrétiens ... Tous participent de la même vie, tous jouissent de la même grâce et des mêmes sacrements, en vue de la même fin« (117-118). Mais »le caractère sacerdotal ..., souligne encore Lubac, doit toujours être grandement honoré. C'est que ceux qui en sont revêtus, quel que soit le mode humain de leur désignation, participent, en vertu d'une délégation de Dieu même, à la mission de l'Eglise d'engendrer et d'entretenir la vie divine en nous.« (122) La pensée lubacienne, nous le voyons, est très équilibrée. Toutes les charges dans l'Eglise sont complémentaires, tournées les unes vers les autres. Chacune offre le meilleur aux autres, chacune également se reçoit des autres : »point de personne isolé : chacune, en son être même, reçoit de toutes, et de son être même doit rendre à toutes.« (Lubac 1938, 289) Le onzième chapitre du Catholicisme nous offre trois belles images des rapports entre la distinction et l'unité. La première image est celle du corps : »un vivant s'élève dans la hiérarchie des êtres, il acquiert plus d'unité interne, à mesure qu'en lui s'opère une différenciation plus profonde des fonctions et des organes [... et ainsi] la plus grande individualité des parties est au bénéfice de l'unité du tout.« (285) Pareillement, dans un groupe d'hommes librement associés pour une même cause, chacun peut contribuer de son mieux selon sa psychologie propre. Ici aussi »la plus grande individualité des parties est au bénéfice de l'unité du tout«. Enfin, l'amour sincère mutuel de deux êtres exalte leurs qualités morales, il ne les uniformise pas mais, en leur permettant de se donner l'un à l'autre, les affermit dans leur individualité. C'est en s'intégrant au grand Corps ecclésial qu'on peut, paradoxalement, trouver sa plus grande originalité et l'achèvement de sa personne : »L'homme, en 44 Bogoslovni vestnik 73 (2013) • 1 s'intégrant au grand Corps spirituel dont il doit être membre, ne se perd ou ne se dissout. Il se trouve, au contraire, il se libère et s'affermit dans l'être.« (287) »Catholicisme et Personnalisme s'accordent et se fortifient mutuellement.« (293) En fait, comme nous pouvions le pressentir, la perspective lubacienne est clairement trinitaire. Pour le théologien, les rapports entre les diverses personnes de la Trinité représentent un modèle des rapports entre les croyants dans l'Eglise : »Entre les diverses personnes, si variés que soient leurs dons, si inégaux leurs 'mérites', ne règne pas un ordre de degrés d'être mais, à l'image de la Trinité même ..., une unité de circumincession.« (291) Cette perspective trinitaire garantit une même dignité des personnes tout en gardant une diversité entre elles. Aussi, l'homme ne peut jamais trouver son bonheur de façon solitaire. Au contraire, il ne peut trouver son accomplissement qu'en communion et dans la complémentarité avec les autres : »Chaque personne ne constitue donc pas à elle seule ... une fin dernière .... Dieu ne nous aime pas comme autant d'êtres séparés.« (291) »Il nous a faits pour être introduits ensemble au sein de la Vie trinitaire.« (Lubac1953,206) 3.2 Variété des Eglises particulières Le texte conciliaire expose avec force la légitimité de l'originalité des Eglises particulières, »jouissant de leurs traditions propres«, à l'intérieur de l'assemblée universelle de l'Eglise. La garantie de son unité réside dans le primat de Pierre. Pour Lubac, semble-t-il, les liens d'unité entre l'Eglise particulière et l'Eglise universelle se tissent par la célébration de l'eucharistie et par la communion avec le successeur de Pierre. Comme dans l'Eglise il n'y a qu'un seul sacrifice salvifique, il n'existe aussi qu'un seul Autel, celui du Christ. Et ainsi, mystérieusement, partout où la messe est célébrée, l'Eglise toute entière est là : »Ce n'est qu'une cellule du grand corps, mais, virtuellement, le corps entier est là. L'Eglise est en divers lieux, mais il n'y a pas plusieurs Eglises. L'Eglise est toute entière en chacune de ses parties . chaque évêque fait l'unité de son troupeau ... mais l'évêque lui même est 'en paix et en communion' avec tous ses frères ... eux et lui ne forment tous ensemble qu'un seul épiscopat, et tous ils sont également 'en paix et en communion' avec l'évêque de Rome, successeur de Pierre, lien visible de l'unité.« (Lubac 1953, 128) On peut ainsi dire que l'unité de toute l'Eglise, représentée spirituellement par l'offrande du même sacrifice eucharistique, se vérifie et confirme par la communion visible avec l'évêque de Rome. Le catholique voit dans le ministère de Pierre »l'unique centre visible de tous les enfants de Dieu. Dans l'autorité de Pierre, il voit le soutien de sa foi et le gage de sa communion. Aussi sa fidélité à la foi chrétienne se concrétise t'elle en fidélité à Pierre. Son amour de l'unité chrétienne se concrétise en amour de Pierre.« (235) Alek Zwitter - La théologie de Lumen gentium 13 à la lumière 45 Il n'est pas difficile de voir que dans ce rapport entre les Eglises particulières et l'Eglise universelle il y a deux dangers possibles : l'uniformité et d'autre part la discorde. Pour l'Eglise catholique la nouveauté du texte conciliaire se situe surtout par rapport à l'ouverture aux »traditions propres« des Églises particulières. Après le Concile certains théologiens, comme Philips, ont fortement souligné cet aspect de la »pluriformité« de l'Eglise : »soyons sur nos gardes contre l'uniformisation qui nous menace. La suppression volontaire de toute variété n'entraîne pas seulement la monotonie et l'appauvrissement, elle devient en outre une cause de tension, combien dangereuse pour l'union des cœurs.« (Philips 1967, 184) Or, il semble que pour Lubac le premier souci reste l'unité de l'Eglise. Pour lui, il est clair que »la mise en pratique de ces enseignements [conciliaires] n'est pas sans poser bien des problèmes« (Lubac 1971, 58). Il se rend bien compte de la nécessité des traditions diverses à l'intérieur de l'Eglise : »Si la foi chrétienne est unique, la culture humaine varie selon le temps et le lieu d'où cette originalité socio-culturelle parfois très marquée de chaque église locale. C'est là un bienfait pour la catholicité toute entière ... L'unité concrète et vivante de l'Eglise n'est pas une uniformité. Elle est, si l'on veut dire, une 'pluriformité', elle est un concert, une harmonie.« (60) Mais, son ouvrage Les Eglises particulières dans l'Eglise universelle, semble souligner encore plus la nécessité d'une recherche permanente de l'unité : »Seulement, pour que l'harmonie se réalise toute diversité doit être assumée dans le mouvement essentiel vers l'unité.« (61) Il y cite encore la parole du cardinal Wojtyla : »La pluralité, bien plus la diversité même, est toujours à recevoir par rapport à la communion, avec la tendance à l'unité.« (64) Si »dans l'Eglise latine, l'importance des communautés locales n'a pas toujours été suffisamment reconnue, dans les églises d'Orient, en revanche, lorsqu'a prévalu l'idée d''autocéphalie', ce ne fût pas sans un risque souvent prochain de 'ruiner le sentiment d'appartenance à l'Eglise universelle'.« (67-68) Une fois de plus, nous pouvons le constater, l'ecclésiologie du p. de Lubac est une ecclésiologie eucharistique. Pour lui, c'est l'Eucharistie qui ressert l'unité de chaque communauté chrétienne, comme nous l'avons vu en commentant le premier paragraphe du LG 13. Et c'est encore l'Eucharistie qui représente le fondement de l'unité entre les Eglises particulières et l'Eglise universelle. Références Lubac, Henri de. 1938. Catholicisme. Paris : Cerf. ---. 1953. Méditation sur l'Église. Paris : Cerf. ---. 1967. Paradoxe et mystère de l'Eglise. Philips, Gérard. 1967. L'Église et son mystère au deuxième Concile du Vatican. Tome 1. Paris : Desclée de Brouwer. —. 1971. Les Églises particulières dans l'Église universelle. Paris: Aubier-Montaigne. Œuvres complètes, N° IX. Paris: Cerf. Ratzinger, Joseph. 2005. Le Christ, la foi et le défi des cultures. La documentation catholique, hors-série : 35-46. —. 1984. Sanctorum communio. Théologies d'occasion. Paris : Désclée de Brouwer.