MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ Mwamba Cabakulu DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ Mots-clés: littératures africaines, littérature orale, genres littéraires, transculturalité Introduction Oralité et écriture se trouvent dans le prolongement l'une de l'autre. La preuve en est que rien n'est écrit qui ne passe par le travail de formulation de la pensée. Et de fait, en dépit de son caractère factice, l'écriture supplante l'oralité par sa fiabilité, sa capacité d'archiver et, partant, d'impulser le progrès. Mais l'oralité n'en perd pas pour autant de son importance et demeure comme la marque identitaire des peuples qui l'ont cultivée. De sorte que les deux canaux différencient le monde de la tradition de l'écriture de celui de la tradition orale dont fait partie l'Afrique. Pourtant, il serait bien erroné de croire que les peuples dits de civilisation écrite n'ont pas vécu l'étape de l'oralité, au contraire ; mais ils l'ont quittée très tôt. Ses signaux propres d'énoncés ou d'énonciation sont repérables dans toute écriture. Paul Zumthor remonte le temps pour trouver le fondement d'un tel fait et écrit à ce propos : Mais Platon a partie liée avec ce qui, de son temps, subsiste vigoureusement des vieilles traditions orales. Il laissera le souvenir d'un orateur : les abeilles distilleront leur miel dans sa bouche. Il se situe à l'extrême bord où se joignent l'univers traditionnel de la voix et l'univers nouveau, incertain, de l'écrit. [...] Les rédacteurs des livres bibliques n'ont fait en grande partie que transcrire et 63 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA fixer des traditions orales. Le nom devenait texte. Mais comme par compassion, la glose retournait à l'oralité (Zumthor, 1981, 15). Paul Zumthor note aussi la difficile perplexité du poéticien tentant de démêler les liens de suprématie de l'oralité sur l'écriture ou l'inverse. Il écrit justement : « Oral Ecrit Où sont les critères Selon quelle ligne de clivage opérer la distinction quand ces deux univers de communication s'interpénétrent et se concurrencent » (Zumthor, 1981, 19). En fait quels rapports peut-on établir entre l'oralité et l'écriture S'agit-il d'une interpénétration, d'une concurrence ou d'un rapport de succession. Pour répondre à ces questions, il convient, au préalable, de définir les termes-clés « oralité » et « écriture » et de situer les contextes de leur fonctionnement. L' oralité peut se définir comme la transmission, de bouche à oreille, de savoirs constitués par une communauté de façon spécifique par des procédés mnémotechniques bien définis en vue de permettre sa continuation. L' oralité se présente donc comme une marque culturelle, une manifestation littéraire et esthétique du langage non écrit. Et le groupe humain qui, même s'il connaît l'écriture, fonde la plus grande partie de ses échanges de messages sur la parole, est appelé « société à tradition orale ». C'est le cas de l'Afrique traditionnelle. Les civilisations africaines sont des civilisations de l'oralité, du verbe, de la parole, du rythme et du symbole. Elles véhiculent, à travers le temps, les créations sociales et culturelles des peuples africains ; elles représentent le témoignage le plus éloquent de ce que l'Afrique apporte sur son propre passé, sur sa façon de vivre, de penser et de sentir. Précisant les caractéristiques de l'oralité, P. Zumthor écrit : Il est stérile de penser l'oralité de façon négative, en en relevant les traits par contraste avec l'écriture. Oralité ne signifie pas analphabétisme, lequel est perçu comme un manque, dépouillé des valeurs propres de la voix et de toute fonction sociale positive [...], l'oralité ne se définit pas plus par soustraction de certains caractères de l'écrit que celui-ci ne se réduit à une transposition de celle-là (Zumthor, 1983, 34). On sait que celle-ci a connu l'écriture soit par contact culturel (arabe), soit par invention (alphabets vay au Libéria, mende en Sierra Leone, masa- 64 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ ba au Mali, bamoum au Cameroun, nsibidi au Nigéria). Mais elle n'a jamais été adoptée pour plusieurs raisons : le refus par les Africains de la domination arabe pour la sauvegarde de l'indépendance religieuse et de la divination ; il y aussi fondamentalement la crainte que l'avènement de l'écriture ne mette fin à l'oralité et ne détruise les richesses du mode de vie auxquelles elle est liée. Il s'agit donc d'une option de sauvegarde de l'identité culturelle que permet l'oralité. Quant à l'écriture, elle est apparue comme une tentative de sauver le patrimoine de l'humanité du fait d'une crainte que l'immatérialité de la parole ne laissât en rade des pans entiers de la mémoire commune. Sa matérialité lui a conféré ainsi une apparente suprématie. C'est dans cet esprit qu'Amadou Hampate Ba1 a déclaré, en 1960, à l'UNESCO : « Un vieillard traditionaliste qui meurt, c'est une bibliothèque inexploitée qui brûle » Pour plus de clarté de la compréhension et du fonctionnement de ces deux concepts en Afrique, il sied d'examiner leurs modalités de fonctionnement, notamment la littérature orale d'abord, ensuite la littérature écrite en français en vue de discerner les rapports qui les lient actuellement. La littérature orale La littérature, expression consacrée aujourd'hui par l'usage, désigne la littérature de voie orale. Employée pour la première en 1881 par le folklo-riste français Paul Sébillot (1881), l'expression met l'accent sur le moyen de transmission de ce type de littérature, à savoir la bouche, l'adjectif « oral », du latin os, oris,(bouche) évoquant l'usage de la parole, par opposition au graphique, à l'écrit. Néanmoins, en dépit de quelques problèmes d'ordre étymologique tendant à faire considérer cette expression comme contra- 1 Écrivain et anthropologue malien (1901-1991), il a écrit notamment : Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara (1957), Kaïdara, récit initiatique peul (1969), L'Etrange destin de Wangrin (1973), Jésus vu par un musulman (1976), Amkoullel l'enfant peul et Oui mon commandant (mémoires, 1991 et 1994). Cette phrase devenue célèbre car contenant une vérité profonde, à savoir qu'il ne faut pas laisser perdre les savoirs des terroirs, les métiers anciens, les choses qui nous paraissent peut-être futiles aujourd'hui, avec notre course à la modernité ; cette dernière peut même aider à sauver la tradition orale africaine. 65 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA dictoire en soi, actuellement, ce concept est largement adopté, comme le confirme R. Finnegan : Ce terme plus large a été quelquefois contesté sous prétexte qu'il est en soi contradictoire si l'on tient compte de l'étymologie originelle du mot « littérature » (associé à littera « lettre »). Mais le terme est aujourd'hui si largement accepté et les exemples où il s'applique clairement si nombreux c'est un excès de pédantisme de discuter au sujet de l'étymologie du mot « littérature ». [... ] Trop s'occuper d'étymologies risque de nous conduire à ne pas voir les faits tels qu'ils sont. « Littérature orale » et « Littérature non écrite » sont aujourd'hui des concepts utiles et importants dans la description de quelque chose de réel (Finnegan, 1977, 16). La littérature orale est appelée aussi littérature traditionnelle. Cette expression souligne le caractère traditionnel de cette forme de littérature, au sens quelque peu péjoratif qu'avait naguère le terme « tradition » abusivement associé aux peuples sans écriture et toujours opposé à « modernité ». Ainsi conçu, littérature traditionnelle s'oppose à littérature moderne en ce que la première est orale2 et la seconde écrite, la première se définissant comme porteuse des traditions des peuples dont elle est le produit. Selon certains critiques, l'expression « littérature traditionnelle » présenterait un avantage sur celle de « littérature orale » : « Elle comblerait les lacunes de cette dernière, jugée restrictive et permettrait ainsi d'englober à la fois les textes transmis oralement comme ceux véhiculés par les moyens autres que la parole » (Maalu-Bungi, 2006, 30). Il s'agit de formes qu'on appelle « littérature instrumentale et gestuelle » qui est transmise principalement et non exclusivement par le tam-tam et par les gestes. Précisons à ce niveau que la littérature orale se réalise presque exclusivement dans les langues africaines, d'autant plus qu'on n'a pas encore, à ce jour, une société en Afrique précoloniale qui ait instauré une littérature écrite à partir d'une écriture proprement africaine. 2 L'une des caractéristiques de la tradition étant de se transmettre oralement. 66 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ Comme pour toute littérature, le problème de la classification des genres se pose aussi en littérature orale. Jacques Chevrier, à ce sujet, nous édifie en écrivant : « La plupart des langues africaines opèrent cependant de subtiles distinctions entre les différents textes de la tradition orale, distinctions qui se fondent à la fois sur la nature et la structure de ces textes et sur les conditions de leur prolifération et de leur réception » (Chevrier, 1986, 18). Cette catégorisation de la parole traditionnelle en genres aux contours plus ou moins bien définis a conduit C. Maalu-Bungi (2006, 80) à distinguer les textes littéraires oraux en genres narratifs et genres poétiques. Les premiers, genres narratifs, connus aussi sous le nom de « récit en prose », désignent l'ensemble des textes littéraires qui utilisent la narration dans leur transmission. Il s'agit de la relation d'une histoire, vraie ou fausse, réelle ou fictive. Les genres narratifs se répartissent en trois classes : les mythes, les légendes et les contes populaires. Les seconds, genres poétiques, sont des textes chantés, déclamés ou récités caractérisés par le rythme. Les genres poétiques sont classés ainsi : les jeux verbaux, la devinette, le proverbe, la devise, le langage télécommuniqué, les textes chantés, les textes sacrés, l'épopée. Pour plus de clarté, il convient de passer en revue certains genres et de proposer quelques ouvrages de référence. Le mythe D'après le Dictionnaire de l'Académie française, le sens premier du mot mythe, apparu au XIXe siècle, est un récit fabuleux, contenant généralement une morale. Plusieurs critiques3 sont d'accord pour dire que le mythe désigne un récit en prose qui dans la société où il est raconté, est considéré comme une relation vraie des faits qui se sont produits dans les temps les plus reculés et que ses principaux personnages sont des divinités, des héros culturels, des hommes ou des animaux qui se comportent comme des 3 W. R. Bascom, « Four functions of folklore », Journal of American Folklore, 67, 1954, pp. 279-298 ; M. Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963 ; P. Smith, « La nature des mythes », Diogène, 82, 1973, pp. 91-108. 67 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA humains et dont l'action se situe dans le monde originel. Claude Lévi-Strauss, dans son essai Anthropologie structurale, renchérit : Un mythe se rapporte toujours à des événements passés avant la création du monde [...] ou pendant les premiers âges ; [...] en tout cas [...] il y a longtemps [...]. Mais la valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce que les événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur. (Lévi-Strauss , 1958, 231.) A mi-chemin entre le merveilleux qui fascine et le sacré qu'on accepte pour vrai, le mythe à l'origine est un récit que définit ainsi M. Eliade : Une histoire sacrée, [...] un événement qui a lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements [...] il raconte comment grâce aux exploits des Êtres surnaturels, une réalité est venue à l'existence, que ce soit la réalité totale, le cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce végétale, un comportement humain, une institution (Eliade, 1963, 16-17). D'après Maalu-Bungi (2006, 84 et passim), on distingue trois grandes catégories de mythes, a savoir : les mythes de création, appelés aussi mythes cosmogoniques, qui traitent de la création en général et plus de la création du monde et de l'univers. La plupart d'entre eux attribuent le pouvoir de création à un être suprême, à un héros culturel ou même à une création spontanée. Il y a ensuite les mythes théogoniques, qui traitent de la nature et des activités des dieux ainsi que de leurs rapports avec d'autres êtres sacrés. Il y a enfin les mythes explicatifs, qui traitent de l'origine des croyances, des pratiques culturelles, du feu, des interdits, des totems, des tabous, des classes sociales, des clans, de l'origine d'un peuple, etc. En somme, les mythes4 traitent toujours les questions qui se posent dans les sociétés qui les véhiculent. Ils ont un lien direct avec la structure religieuse et sociale du peuple, et avec leur cosmogonie. Le mythe, selon J. Che- 4 Ch. Mbodj, L. Kesteloot, Contes et mythes wolof, Paris, Présence Africaine, 1989. 68 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ vrier, « fait partie de la parole sérieuse et, à ce titre, il est objet de croyance » (Chevrier, 1986, 33). La légende5 Aujourd'hui, le mot « légende » est synonyme de récit historique. D'après M. Simonsen, « la légende est le récit d'événements considérés par le locuteur et les auditeurs comme véridiques, qu'il s'agisse d'êtres surnaturels liés aux éléments [...], de personnages ou d'éléments locaux, ou de miracles des saints » (Simonsen, 1981, 10). À la différence du mythe, son action se situe à une époque beaucoup moins éloignée, quand le monde était déjà tel qu'il est actuellement. On peut distinguer trois principales catégories de légendes. Il y a les légendes migratoires, qui traitent de migrations ; on trouve aussi les légendes familiales ou claniques, qui évoquent l'origine des clans, leurs relations, le plus souvent des conflits les ayant opposés ; il y a enfin les légendes locales ou étiologiques, qui expliquent l'origine des villages, des lacs, des rivières. Par leurs contenus, les légendes sont généralement considérées comme le pendant de l'histoire écrite pour les sociétés à tradition orale. Le conte Les contes sont des récits en prose qui, dans la société où ils sont racontés, sont considérés comme de la fiction. Ce que confirme M. Simonsen en écrivant : « cette forme de littérature est un récit en prose d'événements fictifs transmis oralement » (Simonsen, 1981, 9). G. Calame-Griaule renchérit en définissant le conte comme « un récit, une dramatisation, mettant ensemble des personnages imaginaires, humains, animaux ou surnaturels et situant leurs aventures dans un cadre imaginaire, à la différence de l'anecdote qui suppose toujours que tous les éléments du récits sont authentiques » (Calame-Griaule, 1978, 19). Comme pour les autres genres, une typologie des contes a été établie par les spécialistes, mais elle n'est pas absolue : les fabliaux, les contes à mo- 5 O. Socé, Contes et légendes d'Afrique Noire, Paris, Nouvelles Editions latines, 1998. 69 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA ralité, les contes merveilleux, les contes étiologiques, les contes d'ogres, les contes humoristiques. Le proverbe L'homme a toujours été hanté par le désir de se faire comprendre. Ce qu'il dit n'est pas toujours clair ou assez précis. Il cherche à convaincre son interlocuteur, et pour cela, il utilise des formules frappantes, différentes des formules habituelles. C'est ainsi qu'est né le proverbe, au lendemain de la parole, c'est-à-dire de l'utilisation de la langue dans une organisation rigoureuse des phrases. En Afrique, le proverbe s'emploie pour désigner généralement, aussi bien le proverbe proprement dit que les formes apparentées, comme l'adage, la maxime, l'aphorisme, le dicton qui, dans la tradition occidentale, possèdent des critères propres de différenciation. D'après C. Maalu-Bungi, « la raison en est qu'à quelques exceptions près, ces distinctions, inhérentes à cette civilisation, n'existent guère en littérature africaine où il est souvent difficile d'appliquer les critères utilisés pour établir ces catégorisation, celui, par exemple, de l'existence d'un auteur connu qui caractérise la maxime, l'aphorisme et apophtegme par rapport au proverbe réputé anonyme. » (Maalu-Bungi, 2006, 141). Selon L.S.Senghor, le poète sénégalais, qui ne voit tout que sous l'angle poétique, toute parole est poésie, c'est-à-dire création, en Afrique noire. Il précise : Les proverbes africains, plus que tout autre genre de la littérature orale, conservent la forme qu'ils avaient dans les temps anciens : celle du poème. « Forme », car dans les temps anciens, même le conte était dit d'une voix monotone, et un ton plus haut, comme le poème. Quant aux proverbes, ils se présentent encore aujourd'hui, comme un court poème : un distique en général. (Senghor, 1977, 387.) En Afrique, pour définir le proverbe, les vieux utilisent encore d'autres proverbes. Ainsi, écrit Paul Hazoumé, « Les Yorouba n'assurent-ils pas que les proverbes sont les chevaux de la conversation : lorsque celle-ci se perd à force de s'allonger, c'est grâce aux proverbes qu'on la reprend facilement » 70 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ (Hazoumé, 1956, 36). Ce qui signifie que ce sont les proverbes qui relèvent la conversation qui s'affadit. On peut évoquer aussi cette autre définition de l'écrivain nigérian Chinua Achebe qui écrit : « Chez les Ibo, l'art de la conversation jouit d'une grande considération, les proverbes sont l'huile de palme qui fait passer les mots avec les idées. » (Achebe, 1972, 13.) En somme, plus que par l'usage, comme c'est le cas pour la plupart des genres littéraires de la tradition orale, le proverbe se définit essentiellement par son emploi. Il n'existe donc que replacé à l'intérieur d'une culture spécifique ; mais encore faut-il, pour l'interpréter correctement, le re-situer dans son environnement culturel. A cet effet, le proverbe est récité textuellement par celui qui l'utilise, ce qui démontre une certaine pérennité. En plus, il joue un rôle. C'est cette notion de rôle qui distingue peut-être le proverbe africain du proverbe occidental. En effet, comme nous l'avons déjà écrit, chez les Africains, « le proverbe est avant tout pragmatique. Il sert. Il joue le rôle de conseiller et de redresser l'esprit qui s'égare. Le proverbe est une éthique » (Cabakulu, 2003, 10.) En raison de leurs relations avec les événements historiques d'une part, et avec la vision du monde d'autre part, les proverbes constituent l'expression de la sagesse des peuples. Leur concision et leur précision leur permettent de convaincre l'auditoire et d'emporter l'adhésion. Ils participent du goût du bien dire. Et C. Maalu-Bungi a raison d'affirmer : Ils intéressent les historiens qui les considèrent comme une source historique inconsciente, car ils n'ont pas pour dessein de transmettre l'histoire, à l'inverse d'autres traditions littéraires (légendes, épopées) et aussi les philosophes africains qui s'en servent comme l'un des matériaux possibles, parmi d'autres, d'une philosophie africaine, au sens large de « philosophie spontanée » ou de « systèmes de pensée collectifs » en tant qu'expression de l'expérience vitale du groupe. (Maalu-Bungi, 2006, 153.) En somme, citant Jean Cauvin, Jacques Chevrier remarque que « les proverbes marquent les temps forts d'une communauté ; ils sont comme les arêtes vives de la pensée que le locuteur inscrit dans son discours, et ils 71 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA peuvent jouer un rôle à la fois rhétorique, didactique et juridique » (Che-vrier, 1986, 301). I ! ' ' L epopee Dans la tradition orale africaine, l'épopée se présente sous la forme d'un long récit en vers ou en prose dans lequel des événements historiques authentiques font l'objet d'une réinterprétation légendaire et où le merveilleux et le vrai interfèrent de manière souvent complexe. Dans cet ordre d'idées, J. Chevrier écrit : L' épopée n'a pas pour but de retracer et de faire revivre des événements du passé, mais bien plutôt de réinterpréter la réalité historique, dans un sens qui varie selon la conception que chaque peuple, ou chaque groupe ethnique, se fait de la culture ou de son identité propres. Cette fonction idéologique de l'époque autorise donc toutes sortes de manipulations, qui aboutissent à une recomposition de la réalité dans une perspective politique, et au nombre desquelles figure en particulier le traitement réservé au temps (Chevrier, 1986, 180). Citant Christiane Seydou, L. Kesteloot et B. Dieng font remarquer que « l'épopée semble devoir se définir de façon prioritaire par référence à sa fonction et à sa finalité » (Kesteloot / B. Dieng. 1997, 34). En outre, dans l'épopée ou récit héroïque traditionnel, le griot, maître de la parole et mémoire de la tribu, célèbre et exalte l'individu ayant accompli des prouesses ou marqué l'histoire. Et l'épopée met en scène généralement un personnage dont la naissance est annoncée soit par un devin, soit par des signes de toutes sortes. Ce personnage accomplit des exploits surhumains. Amadou Koné écrit à ce propos et donne cette précision : Le récit héroïque a pour sujet un conflit qui naît de la volonté de réhabilitation d'une personne spoliée de ses biens ou offensée dans son honneur [...] et relate une destinée d'élection ? Il s'agit pour l'essentiel d'une destinée par la volonté d'acquérir la connaissance profonde. (Koné, 1985, 35) 72 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ En somme, l'épopée dont la narration peut durer plusieurs jours, intéresse une vaste collectivité et se présente donc, à cet égard, comme une sorte de devise collective qui, par sa proclamation, l'émeut, le fanatise, lui propose des modèles à suivre, exalte les vertus patriotiques et morales comme la bravoure, le sens de l'honneur et du dévouement, la fidélité à la parole donnée au clan, l'horreur de la trahison. Dans ce sens , l'épopée joue un rôle didactique important, renforce la cohésion sociale et renforce le sentiment d'identité ethnique ou nationale. Pour conclure ce premier point consacré à l'oralité, il convient de rappeler que la littérature orale, dont les genres majeurs ont été examinés ici assez sommairement, constitue un pan important de l'oralité et des traditions africaines toujours vivantes, dynamiques, non figées ; elle se pose comme source encore vivante de l'africanité et de la littérature africaine écrite en langues européennes. Elle fonctionne de manière autonome et parallèlement à la littérature africaine écrite. Elle avait été portée à la connaissance et à la reconnaissance par des administrateurs, des enseignants et des voyageurs français6 aux 19e et 20e siècles. Elle est aujourd'hui véhiculée comme intertexte (esthétique et thèmes) par la littérature africaine écrite en langues européennes. La littérature africaine écrite La forme écrite de la littérature africaine, connue également sous le nom de « littérature africaine moderne » est née des contacts entre les civilisations arabe, occidentale et africaine. Elle s'exprime en langues européennes (français, anglais, portugais) et africaines. Les textes en langues européennes sont aujourd'hui les plus développés et les plus connus du public lettré, aussi bien en Afrique qu'à l'étranger. Quant aux textes en langues africaines, 6 R. Baron, Fables sénégalaises recueillies dans l'ouolof, Paris, Nepveu, 1828 ; B. Cendrars. Anthologie nègre, Paris, Correa, 1920. 73 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA ils existent sous plusieurs formes : des textes littéraires proprement dits 7 et des textes oraux traduits en langues européennes.8 Pour plus d'approfondissement et de clarté, on se limitera, dans le cadre de cet article, à la littérature africaine francophone dont on présentera l'émergence, l'évolution et les principales productions. En suivant la chronologie de la création littéraire africaine, on peut y observer dans les thèmes comme dans l'écriture quatre grandes périodes, couvrant trois genres majeurs (roman, poésie, théâtre) : la marche vers l'indépendance, les années de l'indépendance, l'Afrique des nations et l'Afrique de la migritude. Cette chronologie a pour point de repère la colonisation. La marche vers l'indépendance : 1920-1960 C'est une période marquée par la prise de conscience suivie du procès de la colonisation par les écrivains. En effet, dans le genre romanesque, on parle de la période du roman colonial, non par référence à l'époque, mais en raison de la nature propre du premier roman africain. Les écrivains de cette période s'assignaient comme rôle de contribuer au succès de l'entreprise coloniale et au rayonnement de la civilisation occidentale. Ils sont profondément influencés par l'idéologie coloniale par l'intermédiaire de l'institution scolaire et par les canons de la littérature française coloniale. La situation coloniale n'est pas perçue par eux comme un conflit politique où se jouent les intérêts contradictoires du colonisateur et du colonisé, mais comme un conflit de cultures appelé à être surmonté non par la lutte, mais par le dialogue l'Occident et l'Afrique, entre la tradition et la modernité. Cela explique la prédominance, dans le roman, de l'orientation ethnographique, destinée à satisfaire les goûts exotiques d'un public presque exclusivement 7 Chaka de Thomas Mofolo en langue sessotho ; Mbaam, roman en wolof du sénégalais Cheik Aliou Ndao ; Doomi golo, roman en wolof d'un autre sénégalais, Boubacar Boris Diop. 8 B. Diop, Les contes d'Amadou Koumba, Paris, Présence Africaine, 1947 ; Bernard Dadié. Le Pagne noir. Paris : Présence Africaine, 1955. 74 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ européen. Il convient de signaler que cette période reste une période de gestation : les auteurs sont fort peu nombreux.9 La poésie est surtout marquée par le mouvement de la négritude10 fondé sur un retour aux sources du passé africain. La poésie de cette période exploite surtout les thèmes comme l'exploration du passé africain, la recherche de l'harmonie avec le monde, la révolte. En ce qui concerne le théâtre, il convient de mentionner la grande influence exercée par le théâtre missionnaire qui sert de transition entre le théâtre traditionnel et le théâtre moderne. Mimes, jongleurs, acrobates, bouffons interprètent les attitudes de la vie sociale, donnent des représentations chorégraphiques et des danses folkloriques. Tous ces spectacles forment le premier répertoire du théâtre africain. 0 Du point de vue de l'administration coloniale, le principe de déracinement et d'assimilation culturels fait jouer Molière, Shakespeare, Racine, et fait exalter la mise en scène et les techniques dramatiques occidentales. L'activité théâtrale prend de l'ampleur surtout avec l'enseignement dispensé à l'Ecole William Ponty à Gorée11. Ce théâtre a pour finalité première didactique et morale. La langue est très sobre, les auteurs et les acteurs n'hésitent pas à introduire des locutions en langues locales et des chants traditionnels. À partir des années 1950, le nombre des auteurs s'est accru, les publications romanesques deviennent plus régulières. Les productions littéraires africaines commencent à s'imposer comme une littérature de fait, autonome. Mais suite aux bouleversements de la Seconde guerre mondiale et à la conférence de Bandoeng12, une nouvelle génération13 de romanciers 9 A. M. Diagne, Les trois volontés de Malic (1920) ; O. Socé. Karim, roman sénégalais (1935) et Mirages de Paris (1937). 10 On considère L. S. Senghor, A. Césaire et L. Damas comme des fondateurs de ce mouvement à côté d'autres écrivains comme J. Rabemananjara, B. Diop. 11 Ilôt côtier du Sénégal, à 3km de Dakar. Comptoir français important depuis 18e siècle et d'où on exportait des esclaves vers les Amériques à travers l'océan Atlantique. Cette école formait des agents auxiliaires autochtones pour l'administration coloniale. 12 Ville d'Indonésie où se tint en avril 1955 une conférence afro-asiatique qui ressembla pour la première fois 29 pays du tiers monde et condamna le colonialisme. 13 E. Boto tout en restant attaché aux aspects historiques et folkloriques (Ville cruelle, 1956); F. Oyono (Une vie de boy, 1956) ; O. Sembene (Les bouts de bois de Dieu, 1960). 75 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA se donnent comme objectif, à travers le réalisme social, la dénonciation ouverte de l'exploitation coloniale, à côté d'autres écrivains14 pratiquant encore la veine ethnologique. En poésie, il est question d'une poésie d'exaltation qui trouve ses motifs dans la réhabilitation d'une race noire niée et humiliée. Écrite souvent en dehors de l'Afrique, elle est inspirée par le sentiment de nostalgie. Cependant dénonciation, haine, révolte, violence se succèdent dans cette poésie, mais transparaissent difficilement étant donné la censure à laquelle sont soumis ces écrits15. Quant au théâtre, il exploite encore les thèmes de conflits provoqués par l'acculturation. Mais l'intention première est de divertir et de juger moralement la société coloniale. C'est ainsi que les problèmes sociaux prennent de plus en plus d'importance. Cette période débouche sur celle des indépendances. Les années de l'indépendance : 1960-1970 Jusqu'aux indépendances, les auteurs africains ont essentiellement écrit sur et contre la colonisation dans un contexte d'affirmation de l'identité africaine. Avec les indépendances, on assiste à un prolongement de l'action antérieurement menée. Au conflit entre le colonisé et le colonisateur, la tradition et la modernité vient s'ajouter la problématique de la gestion des indépendances. Dans le roman, la création va exploiter le registre du réalisme fonctionnel visant à restituer à l'Africain son univers et les contradictions qu'il comporte. La révolte du romancier va s'effectuer au niveau de la prise de conscience par la jeunesse africaine face à la vie, à la misère, au sous-développement et au niveau de la dénonciation de nouveaux régimes en Afrique, responsables de prolonger la personnalisation héritée de la colonisation. Les romanciers 14 C. Laye (L'Enfant noir, 1953) ; B. Matip (Afrique, nous t'ignorons, 1956) ; S. Badian (Sous l'orage). 15 B. Dadié (Afrique debout, 1950) ; D. Diop (Coups de pilon, 1956) ; T. U Tamsi (Le mauvais sang, 1955) ; B. Diop (Leurres et lueurs, 1960). 76 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ ont exploité des thèmes comme l'exaltation des valeurs anciennes, le conflit des cultures, la construction de l'Afrique nouvelle.16 Pendant que le roman atteint un certain degré d'épanouissement, la poésie se cherche encore. A la thématique traditionnelle comme négritude, colonisation se juxtaposent d'autres formes de lutte comme prétextes thématiques. Depuis les indépendances, un processus idéologique détermine les formes du gouvernement et les discours sur l'exercice du pouvoir politique divise l'Afrique en deux camps : l'Afrique dite progressiste dont l'idéologie est inspirée du socialisme17 et l'Afrique dite modérée relevant du giron occidental et encore attachée aux valeurs de la négritude.18 Ce clivage a affecté les créations littéraires dont le théâtre et a donné naissance à plusieurs orientations. Ainsi, on a le théâtre historique avec des auteurs comme Jean Pliya( Kondo, le requin, 1969), Bernard Dadié( Béatrice du Congo, 1970), Abdou Anta Ka (Les Amazoulou, 1972). Il y a aussi le théâtre social et le théâtre de mœurs avec Guy Menga (La marmite de Koka-Mbala, 1964), Guillaume Oyono Mbia (Trois prétendants, un mari, 1964). Il y a enfin le théâtre politique, politiquement et idéologiquement engagé, avec des auteurs comme Cheik Aliou Ndao (L'exil d'Albouri, 1967), Charles Nokan (Abra Pokou, 1970). L'Afrique des nations : 1970-1990 À partir des années 1970, les thèmes des romans et des pièces de théâtre ont trait de plus en plus aux problèmes nationaux. En outre, il y a un tel bouillonnement et un tel foisonnement littéraires qui se produisent en Afrique francophone que les critiques ont tendance à envisager le phénomène littéraire et culturel sous l'angle national et non plus sous son aspect global. On parle alors de littératures nationales en Afrique. Cela suppose un nombre d'écrivains et un corpus d'œuvres publiées suffisants, 16 M. Fall (La Plaie, 1967) ; A. Kourouma (Les soleils des indépendances, 1968) ; C. H. Kane (L'Aventure ambiguë, 1961) ; Y. Ouologuem (Le devoir de violence, 1968). 17 La Guinée, le Tanzanie. 18 La Côte-d'Ivoire, le Sénégal. 77 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA une certaine continuité et l'existence de traits communs à l'ensemble des œuvres, découlant de traditions culturelles et d'une expérience historique communes. Cette période est aussi marquée par deux phénomènes notoires : « la nouvelle écriture » et « l'écriture féminine ». En effet, la littérature, notamment le roman, connaît un second souffle qui inaugure des voies nouvelles. Cette innovation se manifeste au niveau des thèmes, de l'écriture et de l'esthétique. Dans son ouvrage Nouvelles écritures africaines (1986), Sewanu Dabla a étudié ce phénomène sur le roman et mis en relief le nouveau modèle thématique et les innovations esthétiques avec des écrivains comme Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi, Henri Lopes, Boubacar Boris Diop, Thierno Monenembo, Williams Sassine. Quant à l'écriture féminine, les femmes prennent la plume, partent de leur vécu de femme pour écrire, exprimer la spécificité du discours des femmes.19 Il faut signaler enfin que dans beaucoup de nouvelles républiques africaines, des partis uniques se sont installés, la liberté d'expression est supprimée. Les intellectuels opposés aux régimes dictatoriaux sont obligés de s'exiler. Ainsi une grande partie de la littérature africaine de cette période sera une littérature d'exil. L'Afrique de la migritude : à partir de 1990 Depuis presque vingt ans, à la fin de 1980, des concepts nouveaux ont été créés et diffusés pour définir ces voix nouvelles de la littérature africaine francophone qui s'affirmaient depuis la France et qui, majoritairement, réclamaient leur singularité et faisaient part de la globalité -monde contre la globalité-Afrique. Dans cet ordre d'idées, les littératures africaines ont une propension à thématise sur le séjour des Africains dans les pays occidentaux et principalement pour les Francophones en France. Cette tradi- 19 A. Sow Fall (La grève des battus, 1979, Les douceurs du bercail, 1998) ; M. Bâ (Une si longue lettre, 1980) ; C. Beyala (C'est le soleil qui m'a brûlée, 1989) ; F. Diome (Le Ventre de l'Atlantique, 2003). 78 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ tion a véritablement germé avec les récits des tirailleurs20 de la première guerre mondiale dont le roman Force-Bonté de Bakary Diallo (1926) constitue l'un des actes esthétiques aboutis de cette période. Dans les années 1930, Ousmane Socé, dans Mirages de paris (1937) perpétue, jusqu'à aujourd'hui, une relation littéraire qui allait, au regard de la marche de l'histoire et des rapports entre la France et ses colonies, connaître une tonalité plus critique et moins idéalisante avec les poètes de la négritude. Ainsi, Le thème de l'immigration exposant des tranches de vie des immigrés africains en France, a révélé au public français des écrivains comme Calixthe Beyala notamment avec Le petit prince de Belleville (1992), Maman a un amant (1993), Les honneurs perdus (1999) , Daniel Biyauoula avec L'Impasse (1997), Sami Tchak avec Place des fêtes (2001), Fatou Diome avec Le Ventre de l'Atlantique (2003), Alain Mabanckou avec Mémoires deporc-épic (2006). En fait, le débat critique sur l'immigration littéraire africaine en France a été initié au début des années 1990, avec la revue Notre Librairie (devenue Cultures Sud). Depuis, il ne cesse de susciter un intérêt grandissant comme l'attestent l'ouvrage d'Odile Cazenave (2003) ou celui de Christiane Albert (2005). Cependant, il faudrait analyser ce mouvement migratoire africain avec attention, car il semble marquer des nouvelles interrogations au sein de l'espace littéraire africain. De ce fait, il convient donc de distinguer l'immigration comme thème littéraire faisant l'objet d'un traitement plus ou moins particulier selon les époques, et l'immigration comme modalité existentielle de l'écrivain qui l'oblige à une position spécifique avec son pays d'origine : il peut décider de s'en écarter totalement dans ses œuvres et évoquer d'autres univers ou bien il garde, c'est souvent le cas, une relation littéraire charnelle comme chez les écrivains de la négritude, ou conflictuelle comme chez Calixthe Beyala. En somme La littérature de l'immigration africaine en France ne saurait, en ce moment constituer un espace littéraire identifiable parce qu'elle apparaît instable du point de vue littéraire et n'a pas d'autonomie par rapport au champ littéraire africain francophone. De fait, les textes qui s'inscrivent dans la perspective d'une littérature de l'immigration sont difficilement 20 Tirailleur : soldat de certaines formations d'infanterie recrutées hors de France. 79 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA identifiables comme tels ; ils méritent bien leur rattachement à l'espace littéraire africain du fait des liens transversaux que ces textes tissent avec l'Afrique. Au total, la littérature africaine écrite francophone est un carrefour de langues, de cultures et d'écritures. Il convient d'ajouter, à ce niveau, que la nouvelle est bien exploitée par des écrivains africains, elle reste néanmoins le parent pauvre de la critique africaine. Conclusion Au terme de ce long parcours de son histoire, l'Afrique présente l'inventaire de son patrimoine riche, varié et diversifié. L'oralité se perpétue à travers les générations successives malgré la menace certaine de voir sa vitalité baisser au contact de nouveaux supports tels que les écritures et l'audio-visuel rencontrés sur sa route. Mais loin d'être un appauvrissement, les écritures importées constituent un enrichissement en suscitant de nouvelles formes de littératures (roman, nouvelle, avec esthétique et thèmes transculturels). Les traditions africaines et la littérature en langues européennes font aujourd'hui de l'Afrique un immense champ du savoir et des littératures qui sont passées de l'africanité à la transculturalité. Ainsi l'Afrique n'est plus seulement un réservoir de matières premières presque inépuisables, mais aussi un continent où se dressent des monuments culturels. 80 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Achebe, C., Le Monde s'effondre, Présence Africaine, Paris 1972. 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Zumthor, P., Introduction à la poésie orale, Seuil, Paris 1983. 82 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ OD USTNOSTI DO PISAVE ALI OD AFRIŠKOSTI DO TRANSKULTURNOSTI Kjučne besede: afriške književnosti, ustna književnost, literarni žanri, transkulturnost Povzetek Članek pregledno predstavi vlogo in nekatere poglavitne značilnosti ustne in pisne literature v Afriki ter njuno razmerje. Pri tem izhaja iz splošne ugotovitve, da med tema dvema načinoma predajanja vednosti obstaja kontinuiteta, da so tudi ljudstva, katerih kultura temelji na pisavi, šla skozi ustno fazo, prehod pa je zaznaven denimo v antični in biblični literaturi, ter opozarja na njune različne funkcije. Ustnost definira kot ustno predajanje vednosti, nakopičenih v določeni skupnosti, in sicer na specifičen način in s pomočjo specifičnih tehnik pomnjenja; je literarna in estetska manifestacija nezapisanega jezika. V tradicionalnih afriških družbah je večji del jezikovnih izmenjav potekal po tej poti in ustno izročilo je najboljše pričevanje Afrike o svoji lastni preteklosti, načinu življenja, mišljenju in čutenju. Pisava nasprotno olajšuje ohranjanje izročila in vednosti. Nekatere pisave so v Afriko prišle od zunaj, druge so avtohtone; iz različnih razlogov, povezanih z ohranjanjem kulturne samobitnosti, pa se njihova raba ni zelo razširila. Predstavitev ustne literature, ki se v Afriki razvija skoraj izključno v afriških jezikih, se začne z razmislekom o terminih »ustna« in »tradicionalna« literatura ter o vprašanju klasifikacije ustne literature. V zvezi s tem avtor opozori, da znotraj nje vsi afriški jeziki razločujejo med različnimi zvrstmi - glede na naravo in strukturo besedil ter pogoje njihovega izvajanja in recepcije -, in na kratko predstavi klasifikacijo C. Maalu-Bungija na pripovedne (miti, legende, pravljice) in pesniške zvrsti (od uganke in pregovora do epa). Mit je prozna pripoved o bogovih, kulturnih junakih itd., postavljena v daljno preteklost, ki v družbi, v kateri se pripoveduje, velja za resnično. 83 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA Avtor povzema kategorizacijo mitov po Maalu-Bungiju in jih deli na mite o stvarjenju, teogonične mite ter razlagalne mite; sklene, da miti vedno govorijo o vprašanjih, ki se zastavljajo v družbah, v katerih so nastali, in da so neposredno povezani z njihovo religiozno in družbeno strukturo. Tudi legendo (tri poglavitne kategorije so legende o selitvah, družinske ali klanske legende ter lokalne ali etiološke legende) imajo tako pripovedovalec kot poslušalci za resnično pripoved, vendar pa je postavljena v zgodovinsko manj oddaljeno dobo kot mit, v svet, ki je že enak sodobnemu. V ustnih kulturah na splošno igra enako vlogo kot zgodovinopisje v pisnih. Za razliko od mita in legende pravljice v družbi, kjer se pripovedujejo, veljajo za fikcijo in so postavljene v domišljijski svet. Pregovor je pomembno komunikacijsko orodje. V Afriki ta izraz označuje tako pregovor kot tudi sorodne žanre; po mnenju strokovnjakov namreč njihova kategorizacija, ki velja na Zahodu, afriški ustni literaturi ne ustreza. Kaj je pregovor, v Afriki pogosto razložijo s pregovorom (»pregovori so konji pogovora«, »pregovori so palmovo olje, s katerim se jedo besede«). Kar ga definira, je njegova raba: obstaja le znotraj določenega kulturnega okolja, v katerem mu je odkazana posebna pragmatična in etična vloga. Prav v tej avtor vidi specifiko afriškega pregovora v primerjavi z zahodnim. Kot jedrnat izraz modrosti vsega ljudstva, ki se naslanja na zgodovinske dogodke in njegovo vizijo sveta, ima lahko retorično, didaktično ali tudi juridično funkcijo. Ep je v afriški ustni tradiciji dolga verzna ali prozna pripoved, ki ponuja legendarno reinterpretacijo zgodovinskih dogodkov in v kateri je pogosto mogoče najti kompleksno razmerje med resničnim in čudežnim. Strokovnjaki pripominjajo, da ga kot zvrst najmočneje določata njegova funkcija (ideološka, politična) in smoter. V središču epa ali junaške pripovedi je izjemna oseba, katere rojstvo je bilo naznanjeno in ki izpelje nadčloveške podvige. Pripoveduje se ga lahko več dni, in to pred veliko množico ljudi, ki ji pripovedovalec ponuja vzore ravnanja, jo spodbuja k raznim krepostim itd. Ep ima torej pomembno didaktično vlogo, krepi povezanost družbe in občutje pripadnosti. Prvi del članka se sklene z ugotovitvijo, da je ustna književnost pomemben vidik ustne kulture in afriških tradicij, ki so še vedno žive in dinamič- 84 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ ne, ter med drugim pomemben vir za pisno afriško literaturo v evropskih jezikih, tako estetsko kot tematsko. Drugi del predstavi pisno književnost v Afriki. Ta se je rodila iz stikov med arabsko, zahodno in afriško civilizacijo in nastaja tako v evropskih kot v afriških jezikih. Prva je danes bolj razvita in bolj znana tako v Afriki kot drugod. Tisto v afriških jezikih delimo na izvirna literarna besedila ter prevode ustne književnosti. Članek pa se omejuje na predstavitev nastanka in razvoja frankofonske afriške književnosti, ki jo glede na teme in slog deli na štiri poglavitna obdobja. Obdobje do neodvisnosti traja od leta 1920 do 1960 in ga zaznamujeta ozaveščanje pisateljev ter kritika kolonizacije. V prozi govorimo o obdobju kolonialnega romana; prvi (redki) avtorji so namreč pod močnim vplivom kolonialne ideologije in kanona kolonialne francoske literature. V ospredju so kulturna vprašanja, ki naj bi se razrešila z dialogom med Zahodom in Afriko, tradicijo in modernostjo - od tod prevladujoče etnografska usmeritev teh besedil. Poezijo zaznamuje gibanje négritude (L. S. Senghor, A. Césaire, L. Damas idr.) in njegovo vračanje h koreninam; poglavitne teme so preteklost Afrike, prizadevanje za harmonijo s svetom ter upor. Na področju dramatike ima velik vpliv misijonarsko gledališče, ki pomeni prehod od tradicionalnega k modernemu gledališču. V ospredju je predstavljanje folklore, po drugi strani pa se s ciljem kulturne asimilacije igra klasične evropske avtorje. Gledališka dejavnost se razvija predvsem v šoli Williama Pontyja na Goréeju, kjer ima prevladujoče didaktično in moralno vlogo. Po letu 1950 so romanopisci že številnejši in afriška književnost se uveljavlja kot avtonomen literarni pojav. Po drugi svetovni vojni in konferenci v Bandungu ob starejših piscih nastopi nova generacija (E. Boto, F. Oyono, O. Sembène), ki v romanih socialnega realizma odkrito kritizira kolonialno izkoriščanje. V poeziji (B. Dadié, D. Diop, T. U Tam'si, B. Diop), ki pogosto nastaja zunaj Afrike, srečamo zanosno rehabilitacijo ponižane rase, medtem ko pridejo obtoževanje, upor itd. zaradi ostre cenzure težje do izraza. Gledališče se še vedno ukvarja s konflikti akulturacije, ker pa je namenjeno zabavi in moralni presoji kolonialne družbe, v ospredje stopajo tudi družbeni problemi. 85 ARS & HUMANITAS / PODSAHARSKA AFRIKA Čas osamosvajanja, od 1960 do 1970, je čas precejšnjega razcveta romana. Prevladuje realizem; pisatelji se kot v prejšnjem obdobju še naprej ukvarjajo s temo kolonizacije ter konflikta med tradicijo in modernostjo v kontekstu potrjevanja afriške identitete, temu pa se pridruži še poosa-mosvojitvena problematika: revščina, nerazvitost, obtožba novih režimov in njihove kolonialne dediščine ter izgradnja nove Afrike (A. Kourouma, Y. Ouologuem, C. Hamidou Kane). Poezija še naprej razvija tematiko négritude, pa tudi drugih oblik boja. V dramatiki se razvije več usmeritev, kar je povezano z ideološko-politično delitvijo na »progresistično«, socialistično usmerjeno ter t. i. zmerno Afriko, ki je še navezana na vrednote négritude: ob zgodovinski (J. Pliya, B. Dadié) in družbeni (G. Menga, G. O. Mbiya) se razvija tudi politična, angažirana drama (A. Ndao, C. Nokan). Obdobje od 1970 do 1990 avtor imenuje obdobje Afrike narodov. Roman in dramatika se vedno bolj ukvarjata s problemi posameznih držav. Poleg tega književnost doživi velik razcvet. Ob dovolj obsežnih in koherentnih korpusih objavljenih besedil, ki izhajajo iz skupnih kulturnih izročil in zgodovinske izkušnje, je odslej mogoče govoriti o nacionalnih književnostih. Poleg tega to obdobje zaznamuje pojav »nove pisave« in »ženske pisave«. Zlasti v romanu se pojavijo številne tematske, slogovne in estetske inovacije (A. Kourouma, S. Labou Tansi, H. Lopes, B. B. Diop, T. Mone-nembo, W. Sassine). Zaradi političnih razmer v novih afriških državah velik del afriške književnosti tega obdobja nastaja v izgnanstvu. Končno se od konca osemdesetih let uveljavljajo novi frankofonski pisatelji, ki objavljajo v Franciji in tematizirajo življenje Afričanov na Zahodu. Gre za izročilo, ki sega k pripovedim kolonialnih vojakov, udeleženih v prvi svetovni vojni (B. Diallo, O. Socé). Med sodobnimi pisatelji imigracije so C. Beyala, D. Biyaoula, S. Tchak, F. Diome in A. Mabanckou. Od začetka devetdesetih let ta literatura uživa veliko kritiško pozornost, v afriško literaturo pa vnaša nova vprašanja, zlasti problematiko položaja izseljenega pisatelja, katerega ustvarjanje pogosto ostaja povezano z deželo izvora, naj gre za tesno zavezanost kot pri négritude ali za konflikten odnos kot pri C. Beyala. Avtor argumentira, da izseljenska literatura v Franciji v tem trenutku ne pomeni ločenega literarnega prostora, avtonomnega glede na literarno polje frankofonske Afrike. 86 MWAMBA CABAKULU / DE L'ORALITÉ À L'ÉCRITURE OU DE L'AFRICANITÉ À LA TRANSCULTURALITÉ Članek se sklene z ugotovitvijo, da je afriška književnost bogata in raznolika. Ustna književnost se še naprej razvija, čeprav jo ogrožajo pisava in avdio-vizualni mediji; po drugi strani od drugod prinesene pisave pomenijo obogatitev, saj so spodbudile razvoj novih oblik književnosti. Oboje skupaj sestavlja obsežno polje vednosti in literatur, ki so od afriškosti prešle v transkulturnost. Afrika torej ni več le skoraj neizčrpen rezervoar surovin, ampak tudi celina, kjer nastajajo kulturni spomeniki. 87