ACTA CARSOLOGICA XXVI/2 6 63-73 LJUBLJANA 1997 UNE CAVERNE CLASSIQUE DU VERCORS: LA GROTTE DES CUVES DE SASSENAGE CUVES DE SASSENAGE, KLASIČNA JAMA V VERCORJU CHRISTOPH GAUCHON^ Izvleček UDK 551.442(44)(091) Christoph Gauchon: Cuves de Sassenage, klasična jama v Vercorju Jama Cuves de Sassenage leži v SV vznožju planote Vercors, blizu Grenobla. V jami, dolgi 9 km, se pojavlja voda iz brezna Berger. Tolmuna - "cuves" - v jamskem vhodu sta bila dvakrat opisana v prvi polovici 16. stol. in uvrščena v "Sedem čudes Dofineje". Vsako leto so se okoličani podali do tolmunov, da bi po njih sklepali na letino, globlje v jamo pa do raziskav Faujas de Saint-Fondsa 1781 ni šel nihče. J. Fonne je 1898-1899 izdelal prvi jamski načrt, nadaljevanja jame pa kljub prizadevanjem ni našel. Ključne besede: zgodovina speleologije, Francija, Vercors, Gouffre Berger, Cuves de Sassenage. Abstract UDC 551.442(44)(091) A classic cavern in Vercors, Cuves de Sassenage The cave of the "Cuves de Sassenage" lies at the foot of Vercors, 5 km far from Grenoble. This more than 9 km long cave is the resurgence of the Gouffre Berger. Twice described in the first half of the XVIth century, the Cuves were two large rockbasins, considered as one of the 7 Wonders of Dauphine. People scrutinized them each year to know if harvests would be copious but no-one passed beyond, before the first exploration by Faujas de Saint-Fonds in 1781. The first survey of the cave was drawn in 1898-1899 by Joseph Fonne, who could not find any extension in spite of his endeavours. Key words: history of speleology, France, Vercors, Gouffre Berger, Cuves de Sassenage. 13, Impasse du Languedoc, F - 34730 PRADES-LE-LEZ, FRANCE L'histoire de la grotte des Cuves de Sassenage est tout entiere placee sous le signe du paradoxe: "connue depuis toujours", citee par les erudits au moins depuis le XVP™ siecle, la grotte ne fut reellement exploree que bien plus tard. Cavite horizontale, eile opposa longtemps aux curieux I'eau froide de ses cascades, le reseau labyrinthique de ses galeries et les silex dechiquetes qui en ornent les parois; ces obstacles, que nous ne percevons plus guere aujourd'hui, retarderent considerablement la connaissance de cette grotte dont I'exploration fut, pendant des siecles, d'une lenteur desesperante. Et pourtant, on ne cessa jamais de s'interesser ä cette caverne qui, s'ouvrant au pied du Vercors, ä 5 kilometres de Grenoble, reste accessible en toutes saisons. Au fil des siecles, plusieurs centres d'interet se relayerent, suivant revolution des mentalites, et assurerent aux Cuves de Sassenage une renommee ininterrompue. L'histoire des Cuves, assez proche finalement de Celle de beaucoup de cavernes connues de longue date, merite bien d'etre racontee. I. LE TEMPS DES FABLES La grotte des Cuves de Sassenage est, ä ma connaissance, la cavite naturelle des Alpes fran^aises la plus anciennement citee: en 1525, dans une biographic du fameux chevalier Bayard, heros dauphinois disparu I'annee precedente, Symphorien Champier decrit les "singularites" de sa province, parmi lesquelles "trois tines faites naturellement dans une roche aupres d'un chateau nomme Sassenage, en la montagne, lesquelles sont grandes ä merveilles. Et un certain jour de I'annee, ceux du pays vont voir lesdites tines dans le rocher assises, et si I'annee doit etre sterile, elles sont vides et n'y a comme point d'eau. Si I'annee doit etre abondante en biens, elles sont pleines d'eau. Et ainsi I'affirment ceux du pays entour." (Champier 1525, 39). Neuf ans plus tard, un autre erudit dauphinois, Aymar Falcoz donne davantage de details ä propos de ces cuves: "On voit ä Sassenage deux fosses que les habitants appellent tines, lesquelles sont dans un rocher et une pierre, et sont d'une grande capacite, dans lesquelles durant toute I'annee on ne voit aucune marque d'humidite, et demeurent tout ä fait seches et on ne peut voir d'oü I'eau peut sortir ou couler. Si ce n'est un jour de I'annee et inevitable-ment la nuit de I'apparition de notre seigneur qu'on les voit pleines d'eau en abondance, toutefois I'eau n'y abondant toujours d'une egale fagon mais I'une ou I'autre fait voir tantot plus, tantot moins d'humidite et les habitants de ce lieu tirent des conjectures de ce signe, de la fecondite ou de la sterilite de la terre. L'une de ces fosses denotant I'abondance ou disette de vin, et I'autre marquant la grande quantite ou peu de ble qu'on cueillera cette annee. Or, ce jour etant passe, toute I'eau s'ecoule et disparait merveilleusement sans que personne ne puisse apercevoir comment cela se fait" (Falcoz 1534, LXII-LXIII). Ces deux textes, peu connus, meritent d'etre cites in extenso, d'abord en raison de leur anciennete, mais surtout parce qu'ils fixent pour pres de 200 ans la vision dominante des Cuves. Si Champier et Faleoz ont juge utile d'incorporer la description des Cuves dans le tableau qu'ils dressent de leur province, c'est que les Cuves de Sassenage font partie de ce qu'il sera bientot convenu d'appeler les "7 Merveilles du Dauphine": ces "Merveilles" ou "Miracles" sont des sites naturels comme le Mont-Aiguille ou la grotte de La Balme, auxquels l'imagination pretait quelques vertus surnaturelles. Pendant des siecles, et jusqu'ä aujourd'hui, toute description du Dauphine comportait une evocation de ces Merveilles, et c'est pourquoi l'interet pour les Cuves de Sassenage n'a jamais faibli. Le caractere miraculeux des Cuves tenait done ä cette valeur prophetique qu'on leur pretait, et ä la suite de Falcoz, tous les auteurs posterieurs ont repris la description de la procession qui, le jour de la fete des Rois, montait jusqu'ä la grotte. Chacun ajoutait d'ailleurs des elements propres ä renforcer le mystere; en 1656, Salvaing de Boissieu attribue ä la fee Melusine, aieule legendaire des seigneurs de Sassenage, I'origine de la vertu predictive de ces deux grandes marmites. A partir de ce moment-la, le souvenir de Melusine s'attache de fagon indelebile aux Cuves de Sassenage, dont la toponymie souterraine va s'orner d'une "table de Melusine", d'un "lavabo de Melusine", d'un "labyrinthe de Melusine", des "oubliettes de Melusine", et meme d'un "vase de nuit de Melusine", ce qui est un peu irrespectueux! Le phenomene des Cuves divinatrices est ä coup sür au centre du premier interet pour le site, au point que les deux cuves eclipsent la cavite elle-meme, dont ne parlent ni Champier, ni Falcoz. Le premier ä VOIR veritablement la grotte semble avoir ete Nicolas Chorier, grand historien du Dauphine. Avant meme de decrire le miracle des Cuves, il ecrit: "Les grottes de Sassenage ne sont pas moins dignes d'etre contemplees. L'une est d'une grandeur incroyable, & elle jette de I'horreur dans les ames les plus fermes. En I'autre sont ces cuves si celebres, & dans la troisieme est une table de pierre, que Ton nomme la table de Melusine" (Chorier 1661, I, 34). Sans doute la description est-elle breve, mais elle nous prouve peut-etre que Chorier a pu aller sur place, et personne n'en dira plus jusqu'ä la fin du XVIIP"'' siecle: la premiere grotte laisse echapper une bruyante cascade, susceptible en effet d'effrayer les visi-teurs que Chorier encourage pourtant ä venir. La seconde galerie, haute de trois metres et large d'un, est entierement occupee au sol par les fameuses bassines que personne n'ose franchir pour s'aventurer au-dela. La troisieme est une galerie de peu d'importance, qui s'ouvre en contre-haut du porche principal. Au "miracle des Cuves", Chorier ajoute d'ailleurs une autre merveille, que sont les "pierres ophtalmiques": "Rien ne purifie les yeux ni ne les eclaircit ä I'egal de ces pierres" que Ton fait ghsser sous la paupiere (id., 40). II est difficile pour nous d'identifier ces pierres, que Chorier semble avoir vues, mais qu'il ne dit pas explicitement avoir trouve dans les grottes mais "sur la meme montagne de Sassenage". Apres quoi la plupart des auteurs piocheront dans le texte de Chorier pour donner du site une relation stereotypee. Personne n'ose encore remettre en doute le caractere prophetique du lieu, mais certains cherchent ä I'expliquer. En effet, Chorier avait provoque la curiosite de ses lecteurs: "Quel esprit conduit si fidelement cette eau en ce lieu, pour y etre un oracle qui parle sans enigme? Comment I'eau perce-t-elle un rocher si dur? Comment disparait-elle sitot? Les savants se sont appliques souvent ä la recherche de la cause de cette merveille, mais leurs doutes en ont augmente les tenebres." (id., 39). Pique au vif, le voyageur J. Dumont proposera une premiere explication: "Cela pourrait bien etre parce qu'elles se remplissent suivant I'abondance des eaux qui descendent des montagnes toujours couvertes de neige pendant I'hiver, & comme vous savez, cette abondance n'est pas indifferente ä la fertihte de la Terre. Mais avec cela je serais aisement porte ä croire qu'il y aurait bien de I'abus & de la superstition" (Dumont 1699, I, 107). On voit par la que les premieres interrogations rationnelles amenent ä prendre un certain recul vis-a-vis des croyanees ancestrales. Un certain scepticisme s'installe parmi les erudits, et Thomas Corneille ecrira dans son Dictionnaire: "Ces Cuves passe-raient avec raison pour une des merveilles du Dauphine, s'il n'y avait rien de fabuleux dans ce qui s'en dit" (Corneille 1708, III, 400). Certes, I'exploration de la cavite elle-meme en est toujours au point zero, mais I'incredulite qui va gagner tout au long du XVIIP™ siecle va constituer un nouveau moteur de la curiosite; des lors il s'agit de venir aux Cuves pour verifier le bien-fonde de la legende, et souvent pour la battre en breche. II. LE TEMPS DE LTNCREDULITE Dans les premieres annees du XVIIP™ siecle, les Academies parisiennes demandent ä leurs corespondants en province de verifier un certain nombre de faits tenus pour merveilleux: ainsi M. Dieulamant examina successivement la fontaine ardente et la grotte de la Balme, MM de Vaubonnays et Casset rendirent du Mont-Aiguille une relation plus conforme ä la realite; et en avril 1721, M. Lancelot prononga devant I'Academie des Inscriptions et Belles-Lettres un "Discours sur les 7 Merveilles du Dauphine", tout entier place sous le signe de I'incredulite: ici il rabaisse le merveilleux, la il le nie, rien ne resiste ä cet esprit cartesien. Des Cuves, il ecrit: "C'est une vieille fable que I'adresse maligne de quelques uns des habitants du lieu qui les remplissaient d'eau, a entretenue pendant plusieurs siecles. II ne s'y en trouve plus ä present, & le miracle a cesse, sitot qu'il a ete examine avec attention" (Lancelot 1729, 763). Le jugement est severe, les Sassenageois etant tout simplement accuses de supercherie, bien que Ton ne comprenne pas exacte-ment dans quel but. Heureusement pour les Cuves, Lancelot ajoute: "Ce qu'il y a de curieux ä Sassenage, & dont on parle le moins, est une cascade qui est dans une grotte ä cote de celle oü sont les cuves. La source qui la forme, & qui sort du creux du rocher, a communication avec un lac qui est ä deux lieues de la sur le haut de la montagne de Lans. Cette chute d'eau est regue dans un grand bassin naturel." (id., 764). Ce texte-la est fondateur car, alors que d'autres Merveilles du Dauphine une fois desacralisees allaient sombrer dans I'oubli, Lancelot parvient ä requalifier I'interet du site sassenageois: si les Cuves n'ont rien de remarquable, la grotte non seulement est admirable comme le disait dejä Chorier, mais encore elle pose aux savants un probleme autrement plus interessant, celui de la circulation des eaux ä travers les masses calcaires du Vercors. Certes, il n'y a pas de lac ä Lans, mais I'idee d un bassin versant est dejä clairement exposee, et le fonctionnement de la grotte s'en trouve rationnalise. L'opinion de Lancelot est frequemment reprise dans les decennies qui suivent, et les Cuves de Sassenage eurent ainsi I'honneur de la grande Encyclopedie de Diderot et d'Alembert (1765, X, 392-393), qui re-prirent ä leur compte I'explication du pseudo-miracle par la supercherie des Sassenageois. Mais ces assauts de scepticisme ne faisaient pas progresser la connaissance reelle de la caverne, et il faut attendre pour cela I'intervention d'un nouveau personnage, Faujas de Saint-Fond, Lieutenant-General de la ville de Monteli-mar. En 1781, ce magistrat public une copieuse "Histoire Naturelle du Dauphine", dans laquelle un chapitre entier est consacre ä la "Description des Fig. 1: Plan des Cuves de Sassenage (S. & J. Fonne 1900). Grottes et des Cuves de Sassenage". Faujas avait lu ce que Chorier avait ecrit des Cuves mais n'avait pu admettre "les choses extraordinaires et incroyables qu'il en debitait" (Faujas 1774, 246); il vint done sur place par deux fois en 1774, puis une fois ä nouveau en 1778. Faujas s'est done livre ä une veritable exploration, ä une epoque oü les investigations souterraines connaissent en France une vogue notable. La description qu'il donne de la caverne est precise; s'il n'en dresse malheureusement pas de plan, il a mesure la hauteur, la largeur et la longueur des galeries qu'il a parcourues, d'autant plus systematiquement qu'il progresse avec un fil d'Ariane, pour etre sür de ne pas se perdre dans les dedales. Sa description suit les trois grottes qu'avait dejä distinguees Chorier: du cote oü sortent les eaux, Faujas s'etait heurte en 1774 ä des eaux trop abondante, mais son guide I'avait assure que c'etait par la que se trouvaient les pierres ophtalmiques (Faujas 1774, 249). "Pendant I'ete 1778 & par un temps de secheresse", Faujas revint done aux Cuves et put progresser d'environ 100 pieds "dans un boyau etroit & humide", et fut tout de§u de n'y trouver ni stalactites ni fossiles (Faujas 1781, 277)..., ni pierres ophtalmiques (id., 289). Fig. 2: Portrait de Faujas de St Fond Fig. 3: Les Cuves de Sassenage vers (fonds et cliche Bibliotheque Munici- 1770 (fonds Bibliotheque Municipale de pale de Grenoble). Pau). Ses efforts portent done ensuite sur la galerie oü sont les Cuves: ayant d'abord donne les mesures precises de ces deux grandes marmites, il avoue que "l'on imagine difficilement ce qui a pu donner tant de celebrite ä deux simples creux ou excavations dans le roc vif" (id., 278). Faujas passe done au-delä des Cuves, observe quelques belemnites dans la galerie d'en face, decou-vre sur sa gauche une galerie qui le ramene jusqu'au cours d'eau souterrain oü 'Ton est etourdi par le bruit des eaux & fatigue par le vent" (id., 279). Au total, Faujas n'a parcouru ici que 168 pieds, moins de 60 metres, et il est passe au pied de la "Cheminee des Quatre Vents" sans penser ä lever la tete et ä chercher au plafond la suite de la cavite. Enfin, tout comme Chorier, il signale la troisieme grotte, celle oü Ton remarque la "table de Melusine". Au total, la longueur de I'ensemble ne depasse pas les 100 metres, et c'est bien peu de choses car il y a dejä en France plusieurs grottes connues sur plus d'un kilometre (Osselles, Arcy, La Balme...). Les observations de Faujas seront connues du monde savant de I'epoque, puisque le grand geologue Guettard s'en fera I'echo, et que 30 ans plus tard, I'Encyclopedie methodique de Geographie physique en reprendra des elements. L'opiniatrete de Faujas, son entetement ä verifier la realite de ce qui avait ete ecrit avant lui, les mesures systematiques auxquelles il se livre et qui se substituent des lors aux dimensions mythiques du lieu, tout cela inscrit bien cette demarche dans le XVIIP""= siecle; on retrouve, au meme moment, les memes attitudes chez les explorateurs de la grotte de La Balme, dans le Nord de risere. A partir de la, on pourrait penser que tout est dit, et que les Cuves, ayant perdu tout leur mystere, vont cesser d'attirer les curieux. La sensibihte du XIX®™ prendra le relais ä point nomme: le goüt pour le moyen-age entretient la curiosite pour la legende de Melusine, et s'y ajoute meme la croyance selon laquelle la "table de Melusine" avait servi ä des sacrifices druidiques. D'autre part, le pittoresque du site continue ä faire venir les promeneurs qui admirent les jeux de lumiere du double porche et s'amusent ä s'effrayer du bruit de la cascade. Si Ton en croit Fonne, "tous les dimanches de la belle saison, on voit des centaines de promeneurs (...) s'avancer jusqu'aux grottes" (Fonne 1900, 178). III. A LA RECHERCHE DE PROLONGEMENTS Entre 1781 et 1900, il semble que plus personne ne se soit reellement soucie d'etudier les Cuves de Sassenage et de voir s'il serait possible de depasser le terminus de Faujas. Certaines assertions audacieuses auraient pourtant pu provoquer la curiosite des chercheurs; Pallias n'avait-il pas ecrit: "On assure que ces grottes conduisent jusque dans le Royans situe ä plus de six lieues de lä" (Palhas 1854, 5)? Toutefois, ä travers certains ouvrages d'histoire locale ou certains guides touristiques, il semble bien que certains prolongements etaient dejä connus vers le milieu du XIX'™'= siecle. Taulier parle ainsi de "vastes souterrains" dont la visite "n'est pas sans dangers, ä cause des crevasses qu'il faut franchir, et au fond desquelles on entend mugir les eaux ä une assez grande profondeur" (Taulier 1855, 78). On reconnait la I'allee des Tombeaux, equipee de "deux rails ä ornieres graves dans la paroi" (Fonne 1900, 255) pour faciliter le passage en opposition. Sans doute les visiteurs allaient-ils done au moins jusqu'a la salle des Ratapanades. Un autre guide confirme qu'il s'agit d'une excursion assez eprouvante d'oü "les curieux ne sont pas assures de rapporter de leur expedition toutes les pieces de leur vetement intactes" (Ferry 1869, 58). Ces quelques notations montrent combien, avant que la speleologie ne se soit institutionnalisee grace aux efforts de Mattel, I'excursion touristique et I'exploration etaient melees, ces guides de promenade etant les seuls temoignages de cette epoque. La deuxieme etude serieuse sur les Cuves de Sassenage attendra done la toute fin du XIX=""= siecle, et I'intervention d'un personnage peu connu et qui se signala pourtant par deux series d'explorations speleologiques importantes, d'abord aux Cuves de Sassenage entre 1898 et 1899, puis, apres 1900, dans les grottes des Echelles (massif de la Chartreuse): il s'agit de R. Joseph Fonne, aide le plus souvent de son frere Edouard. II semble que sa carriere de speleologue se soit limitee ä ces deux groupes de cavites, mais les memoires qu'il en a laisses sont precieux et accompagnes de plans fort precis. Le plan qu'il dressa des Cuves, qui n'avaient jamais ete topographiees, fut d'ailleurs reproduit ä plusieurs reprises par Martel, qui remarqua en particulier "le degre de fissuration interne de la montagne" que Fonne s'etait efforce de restituer le plus fidelement possible (Spelunca Bulletin, 1900, n° 21-22, p. 78). L'interet de Fonne pour les Cuves de Sassenage coincide avec un moment oü le pro-prietaire des lieux, le marquis de Berenger envisage pour sa grotte de grands amenagements touristiques et industriels. II est probable que les deux hommes se soient concertes, la plaquette de Berenger etant illustree d'un plan qui, quoique signe d'un certain Riboulet, ressemble etrangement ä celui de Fonne. Quoiqu'il en soit, les freres Fonne vont s'attacher ä fouiller aussi complete-ment que possible les galeries labyrinthiques, et si possible ä en decouvrir les prolongements. Leurs investigations se font sous la conduite des guides habitu-els des grottes, qui s'amusent ä les perdre sur le chemin du retour, ce qui prouve bien que jusqu'a la salle du Styx qui sera leur terminus, les freres Fonne ne font pas de veritables decouvertes. lis sont toutefois les premiers ä decrire toute cette partie de la grotte, et ne se resignent pas ä ne pas pouvoir progresser au-dela. Le 6 fevrier 1898, ils s'acharnent done ä trouver un passage dans la salle du Styx, et, en se faufilant a travers les blocs, parviennent ä descendre assez pour retrouver le cours d'eau souterrain en amont de sa partie connue : ce sera la "cascade Edouard", atteinte apres 5 heures d'efforts. Pas moyen d'aller plus loin, I'eau sortant d'un trou impenetrable. Mais Fonne n'a pas dit son dernier mot. En 1857, le geologue Lory avaient explique que les eaux ressortant aux Cuves de Sassenage venaient du "large plateau qui s'etend vers le Sud jusqu'au village de Saint-Nizier (Lory 1858, 18), et un echo avail paru au debut de 1899 dans Spelunca, signalant I'existence ä Saint-Nizier d'un puits: "on pretend qu'il doit communiquer avec les grottes ou cuves de Sassenage" (Spelunca, Bulletin n° 17-20, p.70). Le 12 fevrier 1899, voici done Fonne ä pied d'oeuvre, ä plus de 1000 metres d'altitude; le puits, dans lequel se jette un ruisselet, est encombre de stalactites de glace, mais qu'importe, Fonne et ses trois compagnons descendront chacun ä leur tour jusqu'a 35 metres de profondeur, oü ils constateront tous que le puits est irremediablement bouche. La s'arreteront les recherches de Fonne. Conclusion: Martel, semble-t-il, n'est jamais venu aux Cuves, mais il en parle ä plusieurs reprises. Avant les explorations de Fonne, il supposait que la navigation souterraine pourrait, ici aussi, faire progresser I'exploration (Martel 1894, 416), mais les lieux ne s'y pretaient vraiment pas. Si, par la suite, il chercha ä proteger le site menace par un projet de captage hydro-electrique, Martel ne cacha pas sa deception quant aux resultats obtenus par Fonne: dans une des comparaisons dont il est coutumier, il dit sa preference pour les grottes des gorges de la Bourne explorees par Decombaz (1928, 165). II est vrai qu'au terme de tous ces efforts, le point ultime atteint dans les Cuves n'est distant de I'entree que d'environ 160 metres, et les centaines de metres de developpement acquis dans les labyrinthes ne font pas illusion: les Cuves restent une caverne bien modeste. Le terminus de la salle du Styx ne sera depasse que le 27 octobre 1947 par Geo Mathieu et Louis Eymas qui, trouvant au sol un passage entre les blocs, allaient donner la cle des decou-vertes ä venir. Fonne, qui n'avait pas epargne sa peine et qui avait minutieuse-ment fouille ce secteur, etait passe tout pres du but. Apres quoi, Mathieu, Eymas et leurs camarades, au lieu de retourner sur le plateau de Saint-Nizier qui ne leur parait pas interessant (Cadoux et al. 1955, 88), investirent le plateau du Sornin oü, le 24 mai 1953, ils allaient decouvrir le Gouffre Berger. L'aventure ne faisait que commencer! Meme si la jonction avec le gouffre Berger n'a jamais pu etre reussie, malgre de nombreuses plongees et escalades, les Cuves de Sassenage sont aujourd'hui connues sur plus de 9 kilometres de developpement, et jusqu'a plus de 400 metres au-dessus de I'entree. Les speleologues grenoblois aiment done ä visiter ce reseau varie et agreable ä parcourir, sans toujours penser aux efforts de leurs lointains predecesseurs. BIBLIOGRAPHIE A. A. (1774) "Histoire naturelle", c.r. d'un memoire de Faujas, in Les Affiches du Dauphine du 28 oct., p. 118-119 BERENGER (marquis de), 1900, Visite aux Cuves de Sassenage et coup d'oeil rapide sur le chateau, Grenoble, Gratier, 8 p. 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Nekdaj so jamo uvrščali v "Sedem čudes Dofineje", to je med sedem naravnih pojavov, ki so jih v srednjem veku šteli za čudežne. Enkrat letno so se okohčani v procesiji podah do jame in si ogledah tolmuna v živi skali; glede na to, ali sta bila polna vode ali suha, so sklepali na dobro ali slabo letino. Ta dva tolmuna - "cuves" - sta v samem jamskem vhodu in kaže, da globlje v jamo ni šel nihče. Od začetka 16. stol. dalje so številni opisi teh "cuves", toda pred 18. stol. nihče ni opisal jame in njenih rovov. 1781 je Faujas de Saint-Fonds izdal "Naravoslovni opis Dofineje", kjer je poglavje z opisom te jame, takrat preiskane v dolžini 178 čevljev. Do 1898 ni bilo o njej ničesar novega, takrat pa se je J. Fonne ponovno lotil raziskav, opisal labirint rovov in izdelal prvi jamski načrt (1898-1899). To je svojevrsten paradoks: velika jama v več nivojih, znana že zelo dolgo časa, v katero pa ni nihče stopil pred koncem 19. stol.!