1 l D E I L'AMERIQUE j li T | DES AMERICAINS, | ü U I OBSERVATIONS CURIEUSES DU PHILOSOPHE LA DOUCEUR, ^£ qui a parcouru cet Hémifphere pendant la dernière ^ij *\ gueixt^en failant le noble métier de tuer des î 4 BERLIN, chez SAMUEL l'ITRA, libbairi. i 7 7 i. 1 a i QUI SERVIRA D E P R É F A C E. Jl y a quelques jours qu'une perfonne me fit ces aucftions. La de-fcription que Mr. de P**. a faite de l'Amérique dans fes Recherches philosophiques, elt - elle donc vraie, & les Américains font-ils aufli miférables qu'il le dit? — Non, ai-je répondu. — Dom Pernety a donc raifon ? — Oui. — Mais Mr. de P * *. a fait une défenfe qui renverfe la differtation critique de Mr. l'Abbé, l'avez vous lue? — Oui, la défenfe ne vaut pas mieux que les Recherches; elle n'en eu qu'une répétition. — Cela me furprend, Mr. de P**. eu un homme d'efprit, il n'y a pas d'ap A a 4 PRÉFACF. parence qu'il avanc des chofes, qu'il ne puifîe bien prouver. — Mr. de P**. eft fans doute un homme d'efprit, mais un homme d'ef-prit peut fort bien l'avoir de travers & être dans l'erreur; fur tout, quand il écrit fur des chofes qu'il n'a pas vues de fes propres yeux ; & Dom Pernety, le prenez-vous pour un Sot? — non, mais fa differtation contre les Recherches philofophiques, eft plus-tôt un difcours académique, une apologie de l'Amérique & de les habitans, qu'une réfutation complette ; Il n'a fait que généralifer les faits dont Mr. de P * *. a donné des preuves bien détaillées du contraire. — Mr. de P**. n'a rien prouvé; il s'en faut de beaucoup; fes citations & les conféquen-ces qu'il en a tirées à perte de vue ne font rien moins que des preuves: & puis les trois quarts & demi, & les trois quarts de l'autre demi-quart de fon livre ne font que des difcuflions phyfiques, métaphyfiques, d'hiffoire naturelle, retournées avec érudition, & qui avoient déjà été tournées & retournées vingt fois par vingt auteurs différents : car vous favez qu'aujourd'hui nos faifeurs de livres ne brillent guère par l'efprit d'invention: toutes les Sciences fe réduifent à compiler, compiler, à faire un PRE F A CE. gros volume d'un petit, à transmuer des mots & des phrafes ; Pierre a dit jus-verd & Paul dira verà-juï. Peu d'auteurs ont pour but l'utilité publique; la plû-part ne cherchent qu'à fe faire un nom, de la réputation, & n'en acquièrent fouvent que chez les £ots. Je fuis bien éloigné de mettreMr.de P**. dans ce cas; à dieu ne plaife: il a produit du neuf dans fes Recherches, comme par exemple, que le Japon, pouvoit bien avoir e'té peuplé par des Tartares du Tibet; ce qui étoit très important & très utile àfavoir; mais il n'a pas été auffi heureux par rapport aux Américains— vous ironifez, parlez moi férieufement : quel pays en-ce donc que l'Amérique, & quels hommes font les fauvages ? — Dom Pernety vous les a fait connoitre, un peu fuperficiellement à la vérité, car il s'en faut bien qu'il ait réfuté Mr. de P * *. dans toutes fes afîèrtions. — Oferai-je vous prier de me faire le plaifir de me donner quelques lignes à ce Sujet •— Je le ferai volontiers pour vous obliger: mais je ne toucherai que légèrement fur ce que Dom Pernety a déjà dit dans fa differtation ; & je vous parlerai de bien des chofes curieufes A 3 dont il n'a pas fait mention, parce qu'apparemment elles croient trop crouiWleufes pour un homme de fon état : en un mot ie vous ferai connoître F Amérique & les Américains tels qu'ils font. Je n'ai pas l'honneur de connoître, ni celui détre connu de ces deux Mef-fieurs ; La vérité feule guidera ma plume ; elle ne tracera rien en phyfique & en morale que ce que j'aurai vu par mes propres yeux. Quant aux autres idées qui s'échapperont du creux de mon cerveau, vous les regarderez Si vous voulez comme ces bulettes de Savon, que les enfans foutïlent avec un fétu de paille. — Ne vous êtes-vous pas apperçu dans la differtation de Dom Pernety, qu'il avoit trempé fa plume dans le vinaigre ? — Oui, mais Mr. de P. a écrit fes Recherches phi-lofophiqucs avec du fiel, & fa défenfe n'a pas été écrite avec du miel; ce qu'il y a de plaifant, c'eft qu'il l'a conclue par dire que D6m Pernety fait dire des injures & qu'il fait les lui pardonner; au lieu de fc fouvenir que la tirade indécente, qu'il a faite contre les Bénédictins, avoit donné l'impulfion à la plume de Mr. l'Abbé; & que ce religieux en avoit été öfFerifé avec rai fon- Tout le mon- P Ri: F A CF. ^ de aujourd'hui tombe fur les moines; on les regarde comme les Maringouins de la fociété politique: mais les Bénédictins doivent être diftinpués des autres: ils méritent Feftime de tous les honnêtes-gens, & ilferoit àfouhaiter qu'il n'y ait jamais eu d'autres moines qu'eux. Les Bénédictins font les premiers Cénobites qui ont adouci les mœurs fauvages de ces conquérans barbares qui ont envahi les débris de l'Empire Romain en Europe; ils font Jes premiers qui ont défriché les terres incultes, marécageufes, & couvertes de forêts, de la Germanie & des Gaules; leurs couvenv ont étéL'azile des déplorables reftesdes f bien-ces Jadis cultivées par les Grecs & les Romains ; ils ne doivent leurs richefles & leur bien-être, qu'a leurs bras & à la générofité des Souverains: il eiè bien jufte d'en laifTer jouir leurs SuccefTeurs fans envie, d'autant plus que ce font les religieux du Monde, les plus généreux & les moins intérefîés. — Quoi, vous, un Hérétique? faire l'Apologie de ces moines? je ne m'y attendons en vérité pas: ils vous ont bien de l'obligation — je ne vois pas qu'ils duflint m'en avoir aucune pour cela ; je tendrais juf* tice aux calouyers Turcs, comme je la rends A + PKI-FACE. aux Bénédictins: la différence des oppi. nions religieufes parmi les hommes doivenc-elles donc les divrfer au point de s'entre-déchi-rer par des calomnies auffi indécentes qn'in-juîres? j'aime tous les hommes, quelqueRe-ligion qu'ils proicilent, cela m'eit égal. Je ne voudrois pas égorger un chevreau pour leur converfion, li la mort de cet animal avoit le vertu de pouvoir les forcer à être de ma croyance ; mais je donnerois volontiers mon fang, pour les rendre meilleurs; & plus heureux. Bon fair, votre Serviteur, portez-vous bien. Chapitre I. Pour démontrer qu'une chofe a dégénéréon doit commencer par prouver qu'elle a excellé antérieurement dans fa qualité naturelle. WT L'Auteur des Recherches philofophiques fur Jjj^Sj) les Américains dit qu'il a été occupé pendant neuf ans à la compofition de fon livre: je le plains de tout mon cœur, d'avoir employé tant de temps aufïï inutilement quant à fon objet, puifque je ne vois pas quelle utilité le public retirera de cet ouvrage : il fervira tout au plus à amufer quelques lecteurs en les induifant en erreur: ce n'en pas qu'il n'y ait de l'érudition, de très bonnes choies , & quelques vérités incontelbbles : mais j'aime-rois mieux m'être occupé à. méditer pendant vingt ans à Rechercher les moyens de faite croître deux Fpics de bled, l'a où il n'en croît qu'un, que d'avoir employé fnfmois à faire les Recherches philofophiques de Mr. de P * *. ; & fi j'entreprends ici de les A 5 relever, c'elt par manière de récréation, d'autttlt plus (juc je n'emploierai guère plus de temps à mes ob-fervarions, que celui, que cet Auteur dit que Dom. Pernety a mis a faire fa differtation. Si, àulieQ de s'etre occupé à des Récherches (î pénibles, dans fon cabinet, pendant neuf ans, en dépeç int & en compilant les livres des Rclateun, L'i^Uteur eût employé feulement trois ansà voyager & a rechercher en Amérique, il y auroit acquis des connoiflânees plus certaines, &fonefprit recherche:* nous eut aifurétnent crayonné le tableau des Américains avec des traits bien différens de ceux qu'il noci a tra:'s, De dix millions d'Européens qui ont palTc & repayé depuis deux ficelés en Amérique, il n'y en a peut-être pas dix qui aient réfléchi en philofophes fur ce qu'ils y ont appercu : cependant nous avons foietqucs relations dont les détails s'écartent peu de la vérité ; mais elles ont été rejettées avec mépris par Mr. de P * *. parce qu'elles ne s'accommodoient pas avec fon fifleme dégénérateur, & qu'elles avuient été écrites, dit il, par des imbéciles, des fcldats, des matelots, des avanturiers ou des moines ignorons ; il: il ne veut croire que des Géomètres académiciens &c. mais malheureufement le peu de ces Mef-fteurs qui ont voyagé en Amérique, n'en ont vû qu'un coin &c n'ont pas toujours fu diitinguer les objets qu'ils rixoient, comme je le ferai connoitre ci-arixs. Au rcile a peine commît-on la vingtième partie de ce valte terrein, & celui que les Colons Eu- ropéens occupent, n'eu affurément pas le meilleur; ils fe font prefque tous cantonnes fur les côtes &C dans les Iles à fin de profiter des avantages de la navigation & du commerce. J'ai parcouru l'Amérique Sepfendrionale & une partie de la Méridionale, pendant la dernière guerre, j'ai pénétré alTez avant dans les terres en quelques endroits. J'ai été aux Antilles, auX Iles caraïbes : J'ai aufii parcouru une partie des côtes de l'Afrique. J'ai mis les pieds à la Chine ; car les Européens ne peuvent y pénétrer plus avant quà Quan-tong ; mais quand on a vu une ville de la Chine & fts habitans, ou les a tous vus. J'ai vu encore une partie des Indes, & depuis le golfe Perfique, j'ai fait le trajet par terre jufqu'à Conuantmople. Tout cela dans l'efpace d'environ cinq ans. Ainfi ce que je dirai ici, n'aura pas été compilé dans les livres des reiateurs. Je m'imagine bien, que Mr. de P**. y ajoutera peu de foi, n'importe, ce n'eu pas pour le convaincre que j'écris; lui & ceux qui ne voudront pas me croire pourront aller fe promener en Amérique. Le but principal de cet auteur étoit de démontrer, que le Sol du terrein de cet Hémifphere, fes productions, les hommes, & les animaux qui l'habitent avoient dégénéré & dégénèrent encore. Le mien eu de démontrer que rien n'a dégénéré, au contraire. Pour démontrer qu'une chofe a dégénéré,, on doit commencer par prouver qu'elle a excellé antérieurement dans fon efpece naturelle : Or je doute que Mr. de P * *. puilTe prouver que le terrein de l'Amérique, fes productions, fon climat, ont jadis été meilleurs qu'a préfent: que les Américains indigènes ont été barbus, plus forts, plus braves, plus beaux, plus amoureux, plus fpirituels, plus induftrienx &c. qu'ils ne font actuellement. Enfin que les différentes cfpeces d'animaux Indigènes, y ont été plus grottes & plus féroces : car de dire que quelques colons, quelques animaux, quelques plantes exotiques, foufnent & ne réuifiiTent pas en certains endroits où l'air & le fol du terrein font mauvais, cela n'eft pas une preuve que tout dégénère dans route l'étendue de cet Hémifphere: toutes les productions réulîiiTent-elles également bien dans les différentes parties de l'Europe? la moitié des terres de l'allemagne & de la France ne font pas propres i la culture du froment. la vigne de la Bourgogne dégénère par tout ailleurs où on la tranfplante. Les vignes de la Champagne ne donneroient que des Vinaigres en Normandie, en Bretagne ou en Flandre. Au Cap de bonne Ffpérance, où tout réuffit affe* bien dans un petit Canton, l'avoine y dégénère: la première récolte ne peut fervir a Enfemencerpour la féconde, elle ne produiroit rien. Si j'avois à démontrer que la nature d'un terrein, ou d'un pays & celle de fes habitans a entièrement dégénéré, je prendrois l'Egypte & une partie de l'Afie méridionale pour exemples; une infinité de Moiuiemens de toute efpece en fait preuve. L'Egypte , Jadis fi fertile en tout genre, le berceau de l'agriculture, des feiences & des arts, n'eft plus au- lourd'hui qu'un Cloaque en comparaifon de ce qu'elle a été i un défère ftérile couvert de marais &C de ûbles; 6k le peu de defeendans qui relient de fes anciens habitans font des animauxfiftupides, fi greffiers & fi médians, que j'aurois honte de les mettre en parallèle, avec les fauvages les plus fauvages de J'Amérique. Chapitre II. L'Opinion, que Dieu en créant Adam en Afîe, a aujji créé-d'autres hommes dans les autres dtffe-rentes parties de la terre, efl pour la raifon, fans être contraire au dogme du Criflianifme. Les Théologiens regardent comme une héréfie d'agiter la queftion; fi Dieu, quand il fit le monde, n'a pas créé plufiéurs hommes à la fois de différentes efpeces quant à la figure , la couleur tkc. Je n'y vois cependant rien de contraire à la foi Chrétienne: jerefpecte le Chapitre facré de Moyié fur la Création ; il eft le fondement fur le quel eft élevé l'Edifice de la Religion chrétienne, & mon intention n'eft aiïïirément pas de le Saper. La Divine morale de Jefus-Chrift efl gravée au fond de mon cœur ; mais je ne fuis pas chrétien comme les Buffons & leurs femblables, je ne feais pas allier ma foi avec ma raifon, quand elles ne font pas d'accord. Quand le Créateur forma le globe que nous habitons, il répandit les differens germes des végétaux & des animaux fur toute ù furface:- la Semence du pramen, le glan du chêne &c. n'ont pas été emportés par le vent depuis l'Aile, jufqu'en Amérique. Les deux Hémifpheres ont été toujours féparés par un vafte Océan ; ce qui le prouve, c'eft qui! y a une multitude d'animaux en Amérique de différentes efpcccs abfolument inconnues dans les trois autres parties du globe ck qui ne le Tont jamais mêlées; une quantité de plantes végétales, qui ne refièmblent en rien a celles de l'Afie, de l'Afrique & de l'Europe. Dieu a créé Adam cv Eve dans le Paradis texref-tre, jardin magnifique, fitué dans un coin de l'Alie, comme le rapporte Moyle. De ce couple eft fonie la race d'hommes, la plus belle, la plus parfaire, en un mot la poitérité d'Abraham, fon peuple chéri, pour les quels tous les divins Myfteres ont été opérés; je crois tout cela; mais pourquoi ne.eroirois-je pas aulîi, qu'il a créé en même tems dans les autres différentes parties de la terre, des hommes &c. de différentes phyfion-nomies, de différentes couleurs, dont les Organes de la nature & de la nifon ont été gradués; de l'Arabe au Chinois, du Chinois au Tartare Kalmouck, de celui-ci au Samoïde, du Samoïde au Lapon, du Lapon au Nègre, du Nègre au Pongos &c. car je regarde ces deux Efpeces comme les dernières de toutes celles qui exiitent fur le globe, quoi qu'on place le Pongos au rang des bêtes parce qu'il ne parle pas : les Américains imberbes, couleur de cuivre &c. font les fculs de leur efpece, dans leur hémifphere. Je crois par conféquent que chacune de ces ef-pe«esque je viens de nommer, eft aufli indigène dans le pays qu'elle habite, que l'herbe qui y croît ; cette opinion eft félon la raifon, fans être contre la foi, comme je le pouverai tout a l'heure ; & malgré les différentes nuances caufées par le mélange de ces peuples dans les phyfionomies & dans les couleurs, un habile naturalifte, f.ura toujours bien diltinguer les efpeces provenues de ces mélanges, d'avec les primitives. Il n'eft pas vrai, comme le dit Mr. de P**. que les familles Arabes qui fe font établies fur les côtes de l'Afrique, de la Caffrerie tkc. foient devenues par la chaleur du climat, femblables aux naturels du pays, il n'y a que ceux qui fe mêlent avec les Noirs qui en prennent les Nuances : mais les Arabes qui ne fe font pas mêlés confervent leur couleur, leur nez aquilin, leurs cheveux plats & bruns, & leur longue barbe de même couleur, pour la qu'elle ils ont beaucoup de Vénération; en un mot, ju n'ai vû aucune différence entre les Arabes de Madagafcar, qui y font établis depuis plus de huit cens ans, &i ceux que j'ai vus à Balfora, Il n'eft pas vrai non plus que les Nègres deviennent Blancs dans les climats froids & tempérés à moins qu'ils ne fe mêlent avec les naturels. Il y a plufieurs familles Négroifes qui fe font perpétuées en-tr'elles dans l'Amérique feptentrionale depuis plus de cent cinquante ans, je n'ai pas apprçu le moindre changement dans leur couleur ni leur phyfionomie. J'ai examiné ces deux faits avec d'autant plus d'attention , que je connoiflbis déjà les fentimens de Mr. de Biiffon à cet égard. Mr. de P * \ traite de fable ce que la Peyreire allure, qu'on trouve des Efquiiuaux aulÏÏ noirs que des Négrês du Sénégal: J'en ai vu trois qu'on avoit amenés a Louisbourg du Cap Breton, d'une Noirceur naturelle aulli éclatante que du velours, je les ai touchés &C frottés: donc la Chaleur ne fait pas les hommes Noirs? cet auteur dit, qu'il faudrait donc croire que les Llpagnols & les Porruguais font d'une race différente que les Suédois : cela pourrait bien être, mais je lui dirai que non, que les Efpagrtôls & Jes Portugais fe font noircis en fe mêlant avec les Maures d'Afrique, &C cela efl fi vrai qu'il y a quantité de perfonnes très blanches dont les familles font établies en Efpagne ck en Portugal depuis plus defixcens ans, celt-à-dire, du rems des Croifàdes. Mr. de P**. dit encore que les Naturels de l'Ile de Céylan qui font répandus dans les Campagnes & fur les plages découvertes, y ont le vifage couleur de cuivre jeaune, & que ceux qui refient dans leurs Cabanes • ont le teint blanc comme les Italiens. Il a voulu dire fans doute, comme les Seigneurs & Dames d'Italie, car pour ce qui efl du peuple de la campagne, il a auili le teint couleur de cuivre jeaune; mais aflurément les enfansde ces payfins de l'Ile de Céylan, ni les enfans des payfans Italiens, 112 deviennent pas couleur de cuivre jeaune, comme les négrillons deviennent noirs deux à trois jours après être fortis du ventre de la mere, fans même avoir été ex-pofés à l'air. Non, non, les Hollandois & les autres colons de différentes nations Européennes établis au Cap de bonne bonne efpérance, depuis long-terris, ne font pas devenus des Hottentots ni des C.tffres ; pas plus que lesFrançois établis à Madagafcar, aux îles Bourbon & Mafcareigne ne deviennent des Noirs. Quiconque n'étudiera la Nature que dans fon cabinet, ne la connoîtra jamais, 6k n'écrira qu'un Roman au lieu d'une Hifcoire. C mapi t r e III. Continuation du précédent; les Américains ne peuvent participer aux myfiaes dû Cknjîumifme ; déafîon d'un concile à ce Sujet ; Idée qu'ont les Sauvages de T être fuprême qu'ils appellent grand Efpiit. On me dira peut-être que Moyfe n'a fait aucune Mention que Dieu aie créé d'autres hommes qu'Adam: à cela je répondrai que Moï'fe pouvoir fort bien l'ignorer. Dieu l'avoit fut dépositaire 6k fecrétaire des Sacrés Myfleres qui regardoient fon peuple chéri feulement: les autres peuples n'éroient pas de fon département; Ils étoient abandonnés à leur propre conduite 6k aux païïions inhérentes à leur propre nature. Et comme les Calmoucks, les Nègres, les Américains 6kc. ne font point defeendus d'Adam 6k d'Eve, ils n'ont pas eu part au péché de ce premier couple, ni par conféquent à la Rédemption. Il ne faut dont pas être furpris, fi Dieu n'a pas donné à ces peuples la foi pour les Myiteres de nôtre làinte Religion : cela eft fi vrai, qu'effectivement le Clergé Efpagnol aflemblé en un concile B a décidé que les Américains n'étoicnt pas digues d'y participer. Uu pere de ce concile, y dit même afïè^ éloquemment, que jamais l'Amérique n'avoit été faite pour être Chrétienne, parce qu'elle neprodui-foit pas de vin pour dire la Méfie. Mais la Praga-ganda jide en a décidé autrement, elle veut qu'ils l'oient chrétiens malgré qu'ils en aient & lans qu'ils fâchent pourquoi; du moins ceux qui font fous la domination des Efpagnols ckdes Portuguais: mais ils font très peu de progrès, pareequ'on n'aime guère la Religion de fes perfécuteurs: il y en a beaucoup cependant qui fe font Chrétiens par politique ou par intérêt, mais ils ne connoiflent p;s plus la Religion qu'ils embraffent que le Syfteme des mouvements de la Sphère & des révolutions des Planètes. Au refte les proceffions comiques que le Clergé fait au Pérou pour attirer l'attention des Indiens, fe font de même en Efpagne, où les peuples font auffi, bêtes qu'en Amérique; à bruxcücs, capitale du Brabant, il fe fait tous les ans une grande proccllion dans le même goût, & je défie qu'on puifiè voir une Comédie plus ridicule & plus indécente. Les Efpagnols ont laiflë bien d'autres cérémonies auili peu cenfées dans les pays-bas. Les autres Millionnaires qui font répandus dans l'Amérique fèptentrionnale ne réulfiffent pas mieux avec les Sauvages. Quelques Miniilres du faine Evangile fe font auffi mêlés de les endoctriner, mais avec auffi peu de fruit: tant qu'ils leur ont parlé de nos Myfleres incompréhenfibles fans la foi, il n'y ont rien compris; mais lorfqu'ils leur oV débité la pure morale de Jéfus-Chrift, ils l'ont fort bien comprife, & on répondu que fi cela s'appelloit être Chrétien, ils l'étoicnt déjà un peu fins le favoir, tant cette Divine morale eft d'accord avec la raifon, même chez les hommes les plus fauvages. Ils objeéfoient feulement, qu'ils ne pouvaient pas aimer leurs ennemis comme eux mêmes quand la hache étcit levée c'eft-à-dire, lorfqu'ils croient en guerre': mais que quand le Calumet de paix avoit été accepté, ils ne les tuoient plus, ne leur déroboient plus rien, & les aidoient dans le beloin. Qu'il y avoit entr'eux quelque fois; des querelles tk des inimitiés, mais que les anciens favoient toujours les accommoder, & qu'ils éroient alors frères & bons amis ; que quand un voyageur étranger fe nrcf-ntoit chez eux, ils par-tageoient de bon cœur leur nourriture avec lui. Mr. de P**. dit que les Sauvages adorent aujourd'hui un caillou, demain un arbre ou la dépouille d'un caftor. Ce ne font aiTurément pas ces chofes qu'ils adorent, ils les préfentent feulement au grand Efprit en le remerciant du bien qu'ils en retirent : car j'ai ouï dire a des veillards Illinois, que le grand Efprit a tout fait, & qu'il eft le maître de tout; mais qu'il y a un autre Efprit, moins grand, mais fi méchant qu'il fait continuellement du mal aux hommes, s'ils n'ont pas foin de lui offrir quelquefois des pelleteries ou autre chofe. Je n'ai jamais vu les Sauvages de l'Amérique, adorer un caillou; mais s'ils le faifoient, ce feroit fins B 1 doute dans le même Efprit que ceux de Madag.-.fcar, qui adorent un grillon. Kcnefort, Secrétaire du Conflil du commerce, üirpris de ne pas trouver des principes de Religion développés chez les Madagafcarois, voulut fcavoir d'un de leurs Savans fur quoi ils fondoient l'adora-tion d'un aulfi vil animal qu'un grillon. Un Om-biaffe qui elt un Savant du pays, lui répondit fort gravement, que dans le Sujet ils rclpccroient le Principe, & qu'il falloir déterminer un objet pour fixer L'Kfprit; Renefort dans l'admiration de cette réponfe, lui demanda, Si le Soleil ne lui paroifioit pas plus adorable que fon grillon. Il me le paroit tout autant, dit le Docteur; & ramallânt un Caillou, dans cette pierre que tu vois, ajouta-t'iî, le Soleil efl tout entier ; & plus l'objet paroîf humble plus il repréfente le véritable Être; la nature s'ouvre pour l'expliquer elle même; un Rayon de lumière qui anime cet être unique, s'épenchant de tout côté, pénètre tous les fujets; il y a, à la vérité, moins d'éclat dans les plus fimples; mais par cette raifon même il y a plus de fa vertu. Chapitre IV. Du terrein de l'Amérique 6' de fes productions naturelles. Mr. de P**. dit que l'air de l'Amérique elt humide & mauvais, que la terre y eft inféconde & remplie de marécages. Il y a fans doute du mauvais terrein 6k des endroits marécageux où l'air n'cll pas Sec, comme il y en a fur tout le globe ' mais proportion gardée, le terrein y cil généralement meilleur que celui de nôtre hémiiphere ; on n'y connoîr pas de valîes défera fabîbnneux, 6k des bruyères immenfes comme on en rencontre en Afie, en Afrique 6k même en Europe. La terre y efl meuble 6k féconde quand on la cultive bien. Les colons du Septentrion envoyent aujourd'hui des bleds en Europe; & nourriffent la plupart des Antilles 6k des Iles Caraïbes, dont les terres ne font employées qu'à la culture du Sucre de l'indigo 6kc. Les Indignes de l'Amérique méridionale 6k fcp-tentrionale ont cultivé le Maïs en tout tems, quoi-l'aureur des Recherches philosophiques drié qu'il y avoit vingt Provinces où il n'étoit pas connu: c'étaient fans doute des provinces déferres; «encore y en croît-il naturellement, dans la plupart de ces endroits; mais il efl plus petit que celui que l'on cultive ; toutes les productions de la terre ne fe bonifient que par la culture. Les Américains en cultivent autant qu'ils en ont befoin, fans beaucoup de peine. Des Sauvages fe contentent de lever le gafon, ils font des trous dans la terre avec un bâton à un demi-pied de difhnce les uns des autres, 6k jettent itti grain de Maïs dans chaque trou. Un grain en produit ordinairement entre deux cens cinquante à trois cens autres. Cette précieufe denrée, dont on néglige mal à propos la culture en bien des endroits en Europe, mais dont une bonne partie de l'Italie fc nourrit aujourd'hui, eft pour le produit, la première de toutes les graines deCérès ; & pour le goût& la bonté, fi elle eft au delfous de nôtre froment, elle l'emporte furie Seigle & fur le bledSarazin: mais il y a une méthode d'en faire du pain, inconnue en Europe. Les Sauvages fe contentent de piler ce grain dans un mortier de bois ou de pierre, en font une pâte, qu'ils font cuire au four ou fous la Cemre, ils le mangent aulfi en bouillie Si quelque fois ils le contentent de le griller fur la braife: tout cela eft bon pour des Eftomachs fiuvages, qui font bien plus robuftes que ceux des civilifés Européens. Le Manioc, dont Mr. de V * *. fait un fi dangereux poifon, lie l'eft pas autant qu'il le dit, a moins qu'on ne le laiffe croupir & fermenter dans fon eau, en failànt la Caffave ; alors le Diable n'en mangeroit pas quand il creveroit de faim ; ainfi il ne peut pas faire de mal, tk j'ai vu des Sauvages en manger en racine en fortant de terre. La Caffave eft une excellente Nourriture: on en fait de la pâtiflèrie délicieufe Si très délicate. On a tranfplanté le Maïs Si le Manioc fur les côtes de Guinée & en plufieurs endroits de l'Afrique, Si les Nègres bien plus miférables que n'ont jamais été les Sauvages de l'Amérique, s'en trouvent très bien. Il y a en outre, dans les deux Amériques, quantité de patates, de racines balbeufes Si de pommes déterre de différentes efpeces, greffes comme les deux poings, qui cuites fous la cendre ou au four, font préférables à nôtre meilleur pain, du moins la plupart des colons les préfèrent-ils; j'en mangeois aulli plus volontiers. On lait des trajets de fept à huit cens lieues dans ,un terrein fertile, d'un air pur tk fec, dans les plus belles forêts tk les plus belles prairies du monde; rempli de beaux arbres de toute efpece & nottamment de foyards qui portent des gonflés de la grofleur de nos Noix & qui font trts bonnes à manger ; je les préfère à nos amandes douces, tk j'en ai fait faire de l'huile qui valoit mieux que celle que nous faifîms avec de mauvaifes olives. Il y a aulli des Cantons où il ne manque pas de Négers tk de Châtaigniers: les châtaignes font petites en bien des endroits, mais généralement les nôtres ne font guère plus proilès : 11 ne faut pas confondre les Marrons avec les châtaignes ; la grofleur des premiers efl la production de l'induflrie. Dans les forêts de l'Amérique méridionale, tk dans quelques Iles, on trouve beaucoup de fruits aqueux tk rafraichiflàns. Je ne m'amuferai pas ici a en fpécifïer le nombre tk les qualités^ cela me mènerait plus loin que je ne veux aller. On ne doit affurément pas douter que, quand le terrein de la Germanie étoit fans culture, il ne fut incomparablement plus mauvais que le plus mauvais de l'Amérique: il n'y avoit que du gland, des Pomes fauvages & des Pignons : mais alors cette partie de l'Europe n'étoit prefque pas habitée, fi non par quelques chal-feurs qui ne vivoient que de gibier ; tk ce ne font apurement pas ces chaiTeurs qui font les percs des premiers Germains. La population ne s'y eft faite que des colons gaulois qui font venus s'y établir en apportant avec eux les productions de leur climat: les Gaules, quelques Siècles auparavant, avoient été dans le même cas ; toutes Ils productions étoient exotiques, elles y furent transportées de l'Ali e, de l'étrurie &C. mais il ne faut pas croire que ces productions étoient aulli bonnes & que le terrein étoit auffi fertile, il y a douze à quinze fiecles feulement qu'aujourd'hui : ce n'a été qu'a' force de culture qu'on y eft parvenu ; par exemple depuis vingt cinq à trente ans 0:1 a rendu les vins de Bourgogne & de Champagne infiniment meilleurs qu'ils n'étoient. Il en fera de même en Amérique ; & dans la fuite des teins, on y trouvera ainfi qu'en Europe , des Cantons favorables à toutes fortes de productions, même pour la vigne. C'étoit une opinion reçue il y a deux milles ans, & cette opinion eft vraifemblable, que'les premiers Bretons & Germains étoient enfans des gaulois, & que les premiers Germains étoient les pères des premiers Danois & Suédois: Ainli, tous ces pays, comme je l'ai déjà dit, ne fe font peuplés dès les premiers tems que peu à peu & par Colonies, comme les gaules avoient été peuplées elles-mêmes par les Afiati-ques, les Grecs, les Etrufques &c. mais je doute que du tems de Tacite toute l'Europe ait été aulft peuplée que l'Amérique Iorfqu'on en fît la découverte, proportion gardée à la grandeur du terrein, &C a. l'Etat fauvage de fes peuples. 11 n'en eft pas de mé- me de l'Amérique: tout y étoit Indigène, hommes-, animaux tk végétaux. De bons Calculateurs fe font occupés à faire le dénombrement des différentes Nations connues tk de celles que l'on ne commit que par le rapport des. uns & des autres: ils ont trouvé qu'on pouvoit compter quatre vingt dix millions d'Indigènes, tk quil y en avoit le double avant que les Européens enflent mis les pieds en Amérique. Cette population, eu égard au pays tk à la vie agrefîe de lès peuples, étoit fulfifnte pour que les peuples y puflènt vivre commodément dans cet Etat: plus nombreux les peuples y euflcnt vécu plus difficilement. Qu'un déluge poflérieur à celui de Noé ait été caufe que les peuples de l'Amérique font reliés plus Jongtems dans l'Etat fauvage, cela ne paroît pas vrai-fembiable ; & cette rai fon n'en feroit pas une pour dire que tout a dégénéré, pas plus que l'Afie, après le déluge de Deucalion. Quelques parties de terrein en auront fins doute été gâtées; Et une infinité d'hommes & d'animaux y auront péri; cela eft indubitable. L'Auteur des Recherches philofophiques, dit q ie le bois de chêne n'a pas de dureté en Amérique: il peut y en avoir de cette qualité comme il y en a en Europe : mais s'il a voulu infirmer par là, que tous les bois étoient tendres tk poreux en Amérique, il s'efl bien trompé: le bois de Campeche, ou de Brézil qu'on transporte en Europe pour les tenitures, efl prefqu'aulli dur que le fer; tk il y en a une infinité d'autres ef ,peces qui le font autant: le foyard & le hêtre y font aufll compacts qu'en Europe, & leurs racines ne courent pas fur la fuperficie de la terre, mais s'enfoncent bien profondément, de quoi fe plaignent le les Colons, parcequ'ils ont beaucoup de peine à les déraciner en défrichant. J'ai vû des arbres en Amérique d'une grofleur montrueufe; j'ai oublié le nom de l'cfpece, mais j'en mefurai un qui avoit dix fept pieds de diamètre; les branches de ces arbres retombent en bas en forme de voûte, reprennent racine, remontent en haut, puis retombent en bas, cinquante à foixante fois fuccelïivement, en forte qu'il y en a qui ont une demi-lieuë de circonférence. Chapitre V. Za facilité qu'ont eue les Américains de fe procurer les chofes néccjfaires à leur nourriture & à leurs véte-mens, les à retenus dans la vie fauvage. Quand Mr. de Montefquieux a dit que la facilité de fe procurer la Nourriture avoit retenu les Américains dans un Etat fauvage, il n'a pas dit une abfurdité, comme le prétend l'auteur des Recherches philofophiques, qui n'étoit affurément pas aulli bien informé que ce grand homme, lequel peut bien s'être quelques fois trompé, pareequ'il n'y a pas d'homme infaillible; mais dont peut dire avec ju-ftice qu'il étoit le moins faillible de tous. La quantité immenfe de gibier de toute efpece qu'il y avoit autre fois datis cet hémifphere fournif- fait la nourriture aux hommes avec abondance, & des peaux pour fe vêtir; les Rivières & les lacs y font très poifîbnneux & les productions végétales four-nillbient au refte, & d'autant plus aifément à ceux qui favoicnt fe choilîr un bon terrein: alors ils s'y maintenoient quelques année*, au bout des quelles ils changeoient, pour donner le tems au Canton qu'ils quittoient de repeupler; ces changemens d'un endroit à l'autre, font caufes des guerres perpétuelles que les Nations fauvages ont entr'elles, au Sujet des diftricts qu'elles avoient déjà occupés & dont elles prétendent la propriété quand d'autres veulent s'en emparer. Voilà une des caufes pourquoi l'Amérique n'a jamais été trop peuplée. On reproche aux fauvages les guerres continuelles qu'ils fe font, comme fi les Européens n'étoient pafe plus fauvages qu'eux à cet égard : Mr. de P. a beau dire que l'intérêt d'un feul dérange l'Equilibre & l'union générale; que les loix, qui peuvent réprimer & contenu- la multitude, ne peuvent par une in ipuiflànce finguliere contenir cinq à fix tirans avides & orgueilleux; de quelques fources que découlent les diilcntions des Européens, ils n'ont aucun reproche a taire aux Sauvages là-def-fus, que ceux ci ne puiflcnt leur faire. Un terrein qui n'a jamais été cultivé eft dans un Etat fauvage ; l'État fauvage eft l'enfance de la Nature, & non pas fa décrépitude dégénératrice comme le prétend l'auteur des Recherches philofophi-ques. Un terrein quelconque, reliera inculte en rai-fon de ce qu'il produira naturellement les choies né-ceffaires à la vie des hommes qui i'occupent. La grande population, eft la mère de la nécef-fité & celle de l'induftrie; l'induftrie ne fera de progrès qu'en raifou des befùns des Individus, ÓV ces befoins feront toujours relatifs aux climats, aux tempéraments de la nature des hommes-, au plus ou au moins de délicateflé de leurs (èns, de leurs organes , de leur façon de penfer, de leur efprit plus ou moins développé: chez les uns, les befoins fe réduiront au feu! phylique, tandis que d'autres d'un tempérament plus fenfuel, plus délicat, s'en formeront tous les jours de nouveaux, & ceux-ci me parodient bien plus malheureux que les autres. Lorfque les Suédois, dit Mr. Muller dans fa defeription de 1a Sibérie, remontraient aux Sibériens qu'ils Vivaient comme des bêtes, laréponfe de ceux-ci étoit que leurs pères avoient vécu de tout tems de cette façon, & qu'ils vouloienten faire de même. Al'égard du préfent, diioientils, nous voyons beaucoup de RufTcs qui non-obûant les peines qu'ils fe donnent, malgré qu'ils s'épuifent à force de travail, tk qu'ils prétendent avoir une Religion toute divine , ne laif-fènt pas que u'étre plus malheureux que nous : Pour ce qui eft du futur, cela eft li incertain, que nous nous en rapportons aux foins de nôtre Créateur: nous avons peu de befoins ; la Nature y fournit, &C nous fivons nous en contenter. Vol'a la façon de penfer de tous les Sauvages ; cependant ceux de Sibérie mènent une vie bien plus miCrablcque ceux de l'Amérique,foit pour le phyfique, foit pour le moral: ils font peu fi.nfii.Ics aux maux & aux peines, & ies Sibériennes enfantent fins douleur ainfi que les Américaines: donc la Nature a aulîi bien dégénéré en Sibérie qu'en Amérique: mais il y a bien d'autres peuple* fur la terre qui font dans ce cas. Mr. de P. dit que les Sibériens ont eu l'efprit d'aprivoilér des Renés, mais non pas les Canadien*; il veut ablùlument faire palier les Américains pour des betes; mais aifurément ce n'eft pas ignorance de leur part, c'eft qu'il n'en ont pas befoin: cela eft fi vrai, que beaucoup de fauvages élèvent des codions, des boeufs, des vaches &c. ainfi que je le dirai ci-après; mais ils ne boivent pas de lait comme les Sibériens; comme Eux ils n'ont pas befoin d'avoir des animaux domeftiques pour faire les corvées &ç traîner les voitures de leurs maîtres; car il ne faut pas croire que tous les Sauvages de Sibérie ont des Renés privées autant que ceux qui font lur les grandes routes ;, ce font les Rulles qui les y ont obligés. Ces Sibériens que Mr. de P. veut élever au def-fus des Américains, ne favent pas plus lire tk écrire qu'eux : le plus grand commerce qu'ils font avec les; Rufiës, eft d'échanger des pelleteries contre de l'eau dévie, écueil de tous les fauvages, des uftencilles de ménage, des haches &c. &C quand ils prennent quelque chofe à crédit, ils fe font des marques fur les mains, & montrent ces marques â leurs créanciers pour les diftinguer des autres; ils ne les éfacent que quand ils ont payé. Quelques tentatives que l'on ait faites pour les inltruire dans la Religion chrétienne, on n'a jamais pu y parvenir; ils ne defcendent pas plus d'Adam & d'Eve, que tes Américains. Il ne faut pas écrire que les Canadiens foient obligés de faire cent lieues pou tuer un Caribou, comme le dit l'auteur des Recherches philofophiques, qui outre toujours les chofès quand il s'agit de faire dégénérer; la vérité efl que le gibier ell beaucoup plus rare aujourd'hui parmi les Nations qui font dans le voifinage des Européens, qu'il n'étoit avant ta découverte de l'Amérique, àcaufe du grand commerce de pelleteries que les Sauvages font avec les marchands colons ; car avant leur venue dans cet Hé-mifphere, ils n'en tuoient qu'autant qu'ils en avoient befoin : moyennant quoi ils étoient toujours dans l'abondance: mais dans les cantons où le gibier devient plus rare, les Sauvages commencent à élever des bêtes ik à cultiver d'avantage. Certains Philofophes font fonner bien haut, le bonheur des peuples civi-lifés; ils ne rérlèchiffent pas que ce bonheur efl concentré dans un très petit nombre d'hommes qui en jouiflént aux dépens de celui du plus grand nombre. Que ces Philofophes fortent de leur cabinet, qu'ils aillent faire un tour de promenade en Amérique ; qu'ils parcourent enfuite les Campagnes de la plus grande partie de nôtre hémifphere, habitées par ces peuples qu'on appelle policés: fi leurs cœurs font fenfibles à la pitié, ils faigneront à l'afpecl de la mi-fere des trois quarts des individus qu'ils y verront, & ils leur fouhaiteront volontiers le bonheurr & la bonne chère des Sauvages de l'Amérique. L'exemple des malheureux Péruviens & Mexicains, qui vivent fous la Tyrannie des Efpagnols, a donné tant d'horreur a la plupart des Sauvages, puur ce qu'on appelle fociété policée, que je doute qu'onpuhTe jamais les y réunir tout-à-fait : ce n'eft pas la ftupidité ni l'indolence comme le dit Mr. de P. qui les en éloigne: c'eft la barbarie de ces Européens, qu'on dit être fi civilifés, fi doux 6c fi cly étions : mais je reviendrai ailleurs fur cette matière. Ce ne font pas la (lérihté 6c la pauvreté du ter-rein, qui retiennent les hommes dans la vie fauvage: le terrein de la Chine eft généralement très mauvais, il n'y a pas même de bonne eau a boire dans tout ce vafte Empire. Se afliirément les Chinois ont quitté la vie fauvage depuis quelques années: j'o ferai même croire qu'ils font les plus anciens peuples policés de l'univers, fans même en excepter les indous : la grande population, c'eft-à-dire, la nécelfité a rendu la Chine fertile à force de culture; il n'y a pas un coin de terre qui ne foit cultivé. On ignorera toujours, quoiqu'en dife l'auteur des Recherches phisofophiques, fi la Société a été établie infiniment plutôt, dans des pays tempérés 6c riches en végétaux, que dans des pays ingrats Si dont le Sol eft aulli mauvais qu'à la Chine i mais il y a apparence qu'elle a commencé plutôt dans les féconds, que dans les premiers. Les Indes Se une partie de l'Afie méridionale qu'il donne pour exemple, ont été fans doute très fertiles en fruits; mais peu en beftiaux Se en gibier : auffi les Rhizo- p.hages doivent avoir été des Sauvages d'une autre efpecc, naturellement plus tranquilles que les chafîèurs ; mais aulli trts parrelïeux tk très ftupides, piiHbue leurs defeendans font l'un tk l'autre. Ce ne font pas les Indiens qui ont traniplanté leurs fruits en Egypte; ce font les Egyptiens eux-mêmes qui ont fait des courfes dans les Indes, pour enlever le fable d'or que le gange charioit alors; Et fous Séfofh is, quand l'Egypte étoit déjà un état policé, peut-être que les Indes ne conrenoient que des peuplades de Sauvages Mangeurs de Bannanes tk de Courges. Tout ce que l'on a dit de l'antiquité de la police des Indous eft lans preuve; il n'y en a aucun monument ex if tant, fi non les écrits qu'on nomme le Vedam, leZends, le Shailah &c. donc on necon-noît pas la date, tk qui contiennent des réflexions contemplatives, qui peuvent fort bien avoir été traduites d'une autre langue. Les villes tk les habitations des Indes font de boue & de rofèaux, excepté celles que les Tartares mongols leurs vainqueurs ont bâties. Les'Delcen-dans des anciens Indiens font des bêtes brutes, ,qui vivent dans la dernière mifere tk dans une indolence extrême: c'elr vraiment dans ce pays que règne dans toute la gloire l'infenfibiiité, que certains rêveurs ont voulu faire palier pour de la Phibfo-phie. Quels fhilofophes que les Brachmanes & les Santons ! Si Séfoflris, Sémiramis, Cyrus, Alexandre &c. ont été les dévallateurs des Indes, cela n'a rien d'ex- traordi- traordinaire ; Les motifs qui les ont fut agir font les mêmes que ceux qui ont attiré les Brigands Efpagnols au Pérou ; la Soif de l'or. Il eft à remarquer que le Gange charioit jadis une grande quantité de Sable d'or (peut être y avoit-il des mines aulli ;) qui étoit l'objet de la convoitife des étrangers qui ont défolé fes bords: aujourd'hui il n'en charie prefque plus; mais l'Inde eft le gouffre ou va s'engloutir tout l'or du Pérou. Un. tems viendra que ces fources d'or tariront à leur tour, & je me lailferois volontiers couper la phalange d'un doigt & même plus, fi ce Sacrifice avoit la ^-ertu de les {aire tarir en vingt quatre heures. Chapitre VI. Des Qualités phyjiques & morales des Sauvages de. l'Amérique. Les hommes en Amérique n'avoient pas plus dégénéré au tems de la découverte, que le Sol du terrein qu'ils occupoient; mais leur efprit & leur induftrie ne s'étendoient pas au de là de la Sphère de leurs befoins; & ils en avoient peu, de befoins. il ne faut qu'un grand, ou un méchant homme pour changer toute la conftitution fociale de fa nation ; & la nation plus imbécile eft celle qui fe laiflè conduire par les opinions étrangères quand ces opinions font contraires à la raifon & au bonheur des individus. Foe fut le Législateur des Chinois, & les C opinions de ce philofophe étoient analogues au tempérament & à la façon de penfer des peuples de la Chine. Le premier Inca du Pérou, que l'on appellera fi l'on veut Mango-Capac, raffemblades peuples fauvages &difperfés & leur dicta des loix : les befoins, le hazard & les circonstances réunies ont formé les Sociétés & ont fait faire des progrès à l'induftrie humaine. Le terrein du Pérou & du Mexique eft: généralement mauvais & montueux , des hommes fauvages ne pouvoient y vivre que difficilement: l'induflrie d'un feul les rafTembla en fociété & leur enfeigna l'agriculture. Voilà les raifons pour quoi cette partie de l'Amérique s'eft plutôt policée que les autres, qui étoient meilleures & qui fourniffoient plus abondamment la nourriture à ceux qui les occupoient. Mais avant que de parler de l'induftrie des Américains, examinons leur tempérament. Je ferai fouvent obligé de parler phyfique, puis morale, &z puis morale &C phyfique, pareeque Mr. de P. a fait un mélange de ces deux qualités dans les recherches philofophiques, par fes répétitions continuelles, quoi qu'il les ait divifées par Chapitres ; &C je ne me donnerai aflurément pas la peine de les arranger ici plus géométriquement ; je fuis d'ailleurs un peu fauvage dans mes goûts, quoique d'un naturel doux dans mes opinions; car quand on me fourient qu'une chofe eft blanche, quoi qu'elle foit noire, je dis toujours vous avez raifon, plutôt que de difputer; & c'eft le meilleur parti qu'on puilfe prendre avec les opiniâtres. Les Sauvages de l'Amérique font généralement bienfaits, de la taille des Européens, Sv/elts, & les Contours de leurs membres bien défîmes; ils ont la démarche noble tk l'air riant, quand ils' ne font pas en colère; la phyfionomie de la plupart eft rude, puifqu'afiurément ils ne ménagent pas leur teint; d'ailleurs la peinture dont ils fe barbouillent, défigure la nature tk la rend bien différente de ce qu'elle eft à nud ; mais ils font néceffairement obligés de fe barbouiller, ainfi que le feroient.les Italiens s'ils allaient tout nuds; car il y a, proportion gardée, autant d'infectes en Italie qu'en Amérique, tk je ne vois pas que Mr. de P, ait lieu de tant crier contre les mouches de l'Amérique, qui ne l'ont d'ailleurs jamais piqué. L'Italie, dis-je encore une fois, que lesEuropéens regardent comme la terre promife & qui eft peuplée depuis bien des fiecles, eft remplie de mouches de toutes le efpeces, de coufins, de mofqui-tcs, de maringouin &c. qui tourmentent les hommes & les bêtes ; Et combien de reptiles venimeux n'y a - t-il pas auifi, comme des Scorpions, des Vipères &C. peu monftreux à la vérité ; mais qui ne Iaifîént pas que d'être plus dangereux qu'un gros ferpent, qu'on peut appercevoir tk éviter, tandis que l'autre fe cache dans l'herbe ou fous la feuille, & infinue fou-vent fou poifon iàns qu'on s'en appercoive : qu'on life d'ailleurs l'hiîtoire naturelle de l'Afrique; on verra que la quantité des reptiles venimeux y elt pour le moins auffi. cônfidérable qu'en Amérique : il en eft de même des plantes vénimeufes, qui croüTent C a plus dans les bons terreins que dans les mauvais: d'ailleurs les poifons ne font pas toujours des poi-fons. Apres cette petite digrelTIon je reviens aux Sauvages Américains. Les jeunes gens, qui ont peu fatigué, ont une phyfionomie' fraiche &C revenante ; ils font vifs, enjoués, &C ne refpirent cjue la danfe, fur tout ceux qui fréquentent les françois , qui font de tous les Européens ceux qu'ils aiment le mieux, pareeque leur humeur légère & enjouée fympatife avec celle des Sauvages. Paffé l'âge de quarante ans, ils deviennent plus férieux & le deviennent encore d'avantage à quatre-vingts ans, âge qui eft fort commun parmi eux, quoique ce foient des hommes dégénérés; mais rien n'eft plus admirable qu'un vielliard Sauvage; leurs fentences & la morale quils débitent continuellement aux jeunes, valent celles d'Epictete; & Dom Pernety aeuraifon de dire, que parmi les Sauvages il y avoit des philofophes ftoïciens; j'en ai connu qui valoient Carnéade, & qui n'avoient pas fes fanfaronnades. Les Sauvages font des hommes robuftes : & fi l'on confidere que les poumons font le principe de la vie, il n'y a pas d'hommes au monde qui en ayentplus qu'eux: leur vue eft très perçante, tk beaucoup meilleure que celle des Européens, ce qui prouve que le genre nerveux eft bien conftitué; ce qui prouve encore que leurs nerfs ne font pas affaiblis, c'eft qu'un Sauvage peut faire vingt-cinq lieues par jour, en continuant fa route pendant fîx femaines avec un fardeau de cent livres fur le corps, qui confifle en pelleterie ou autre chofe. Deux à trois cens lieues font une promenade pour eux : Ils ont des jaréts plus forts que ceux de nos chevaux. Je vais citer un exemple, qui n'eft ailurément pas un conte fait à plaifir. Un Officier anglois ayant été blellé dans tin détachement, deux Sauvages Hurons s'offrirent de le tranfporter à Philadelphie : Cet Officier étoit leur ami, & il accepta leur offre. Ils partirent de l'endroit où le fleuve St. Laurent forme vis-a vis Québec la rivière qu'on appelle de la Chaudière, qui fe jette dans la Baye de Quinibeky. Ils arrivèrent en treize jours à Philadelphie : il y a cent cinquante milles d'Allemagne en droite ligne, ce qui fait près de douze milles par jour. Cependant leur charge étoit confidérable. Un grand bateau d'ofier recouvert de cuir grailîé, qui pefoir au de là de foixante livres, dans le quel le Blefîé étoit couché fur des peaux, il y avoit en outre trois fuiils &une petite provifion, & l'équipage qui étoit peu de chofe à la vérité; mais le tout pouvoit bien affurémenc peler deux cens vingt livres au moins, qui jointes à la pefanteur du bateau faifoient deux cens quatre vingt livres: mais pour ne rien exagérer, je mets le poids total à deux cens cinquante ou foixante livres. Les deux Sauvages mirent des liens au deux extrémités du bateau, à travers des quels ils firent paffer un Soliveau, dont les bouts qui pofoient fur les épaules étoient bien garnis de peaux afin qu'ils ne fe bleuaffent pas : par tout où ls rencontroient des lacs & des rivières atraverfer, C 3 ils n'étoient pas arrêtés. De tels hommes ont-ils donc dégénéré? je doute que les meilleurs chro-cheteurs de l'Europe puiilènt en faire autant. Chapitre VII. Continuation du précédent; & Polijfonneries philofo-phiques. L'Auteur des Recherches philofbphiques, ayant agité des matières un peu (aies; il eu: néceliai-re pour les réfuter de parler le même langage: mais ce Chapitre fini, je jetterai ma plume au feu pour en prendre une neuve. Le Sexe fauvage n'eft afTurément pas dans un auffi affreux mépris qu'il le prétend, &C la nature ne leur a pas refufé, à toutes, les charmes de la beauté: Il y en a de laides & de jolies; leur défaut en général eft de devenir graffes quand elles approchent les quarante ans: avant cet âge, elles ne font ni graffes ni maigres ; leur embonpoint eft celui de la fanté, car elles ont la chair ferme. Il n'eft pas vrai que les fauvages en général maltraitent leurs femmes : il y a fans doute parmi - eux des brutaux ainfi qu'ailleurs, & comme il y en avoit, il y a un demi liecle, en Ruffie où la plupart des femmes ne croyoient être véritablement aimées de de leurs Maris, que quand ils les régaloient à coups de bâtons. Les Ruffes avoient-ils dégénéré avant Piètre I. Non, ils étoient Sauvages, mais peut" être un peu moins que ceux de l'Amérique. Quant aux écoulemensmenftruels des Américaines, je ne dirai pas s'ils font fupprimés ; je n'ai pas eu la curiolité de les vifiter, ni de le leur demander: je crois qu'il en eft à peu près de cela en Amérique, comme en Europe : mais il n'eft pas vrai que tous les Sauvages foient polygames ; la polygamie n'eft en ufige que parmi un petit nombre de nations. Je ne fais pas pourquoi l'Auteur des Reccerches philofophiques eft furpris de ce que les Américains n'avoient pas la moindre idée de ce que nous riom-nous incefte, qu'ils époufoient leurs plus proches parentes, leurs fœurs ; comme s'il n'en avoit pas été de même en Egypte, lorfqu'elle étoit policée & dans l'état le plus brillant de fa gloire ; &C comme fi les Européens n'époufoient pas les entàns de leurs fœurs, de leurs frères. Prefque tous les Tartares époufent auffi leurs fœurs; on dit qu'ils maltraitent & mépris fent auffi leurs femmes ; mais je crois qu'il en eft de cela parmi eux, comme parmi les Améicains. Si ces derniers ne connoiffent pas leurs femmes lorfqu'ellei fontgroffes, eft-cedonc une marque de manque de tempérament? fi je dis que c'eft un des principes de leur moraIe,Mr. de P. n'en croira rien. Cependant j'ai vu réprimander par les anciens, un jeune Illinois qui s'étoit trouvé dans ce cas ; il blefla fa femme, qui accoucha d'un enfant mort: je demande fi en cela les Européens ne font pas plus fauvages & plus brutaux que les Américains. Au refte l'Auteur des Recherches philofophiques auroit dû réfléchir, que fi les Sauvages étoient tous polygames, comme il ledit, ils pourroient fort bien fe parler d'une femme enceinte, C 4 tandis qu'ils en ont d'autres qui ne le font pas. Que U pédéraftie ait été en vogue en Amérique, avant l'arrivée des Efpagnols, cela ne me fur-prendroit pas : cette faute d'Ortographe de la Nature humaine eft connue de toutes les nations, même plus de celles que nous appelions policées, que des Sauvages: mais Mr. de P. auroit dû faire attention à une chofe; c'eft qu'il n'y a guère que les tempéraments chauds, lubriques & même vigoureux qui foient dans ce cas ; heureufement pour la propagation de l'efpece, je ne crois pas que cette confrérie foit fort nombreufe dans l'un tk l'autre hémif-phere. Il eft ridicule de prétendre, comme le fait cet Auteur, que tous les Américains ont le membre génital petit. Il en eft de cela en Amérique comme en Europe; il y en a de gros, de médiocres, & de petits; & il en eft de même des foureaux. Il prétend encore que les Américaines frottent le membre viril des hommes avec desj drogues pour le faire enfler, tk cite la relation d'Améric vefpuce pour garant: mais cette gentillelïé fe pratiquoit en Efpagne depuis bien des Siècles; que dis-je? les les Dames Romaines la connoiffoient. Les Efpagnols auront voulu fans doute faire honneur aux Américaines de l'invention; ainfi que de celle des bagues qu'on appelle de la chine, lesquelles font auffi réellement de l'invention des Dames Efpngnoles Américanifées. La première Dame de diftinclion qui en fit pré-fent a fon amant s'appelloit Dona Catherina de Ze- valos; mais elle ne lui procura pas tout le plaifir qu'elle en attendoit, puffque peu de tems après fou mari fut informé de fes intrigues & lui fit prendre un bon Chocolat. On fe fervoit en Ëlpagne &c en. Italie d'une corde de boyau froncée &i repliée en plufieurs doubles, & c'étoit avec cette bague qu'on dônnoit aux Dames l'Infuocata picola, ck c'eft uns doute ce qui aura donné l'Idée aux Dames Espagnoles Américanifées de fe fervir de la réfme, dent on fut ce»; bagues. Mr. de P. pourra s'inftruire amplement de tout ceci dans un livre qui a pour titre Bréviaire des Courtifanes traduit de l'Italien de Bernardo Bérettùti, h Lyon 1700, fan nom d'Imprimeur: je l'ai vu dans la Bibliothèque des Jéfuites d'Avignon ; il y fera peut-être encore. Parcequ'il y a quelques Sauvages qui ont du lait dans les Mamelles, s'enfuit-il donc qu'ils font tous des nourrices? mais Mr. de P. voudrok.infinucr par là que tous les Sauvages font efféminés, d'un tempérament lâche ck foible: iguore-t-il donc qu'un grand nombre d'hommes en Europe, ont aufli ce qu'on appelle du lait dans les mamelles ? J'ai connu particulièrement un grand homme; un des plus grands favoris de Mars & de Vénus, un Hercule pour la force &C la taille, en un mot, celui à qui une aimable ducheflé difoit, mon cher ****. le treizième, comme aux petits pâtés. Ce Héros, dis-je, avoit beaucoup de cette matière laiteufe dans les mamelles; & moi même, n'en dépiaife à cet auteur, moi qui ne fuis pas un cha- G 5 4i DE L'AMÉRIQUE • pon ou une femme, j'en ai eu pendant fort long-tems. Il efl prouvé', dit-il encore, que l'ufage immodéré des femmes, n'eft pas contraire au dévélo-pement de l'efprit, tandis que Ja caftration lui eft ma-nifeftementnuifible & ne promue que des hommes pu-fillanimes, indolens, fans vivacité, dont l'âme efl autant dégradée que le corps : mais à quoi bon ces réflexions? Mr. le Rechercheur a -1 - il trouvé que les Américains étoient fans oreilles? il auroit tout au plus pù dire, qu'elles ne font pas auffi chaudes que les fiennnes: & s'enfuit-il pour cela que tous ceux qui ont perdu leurs oreilles foient des Sots? on compte plus d'un Narzes: Purpurino qui a perdu les fiennes, n'eft pas un Coyon ni un imbécile ; fou-vent il eft un Héros. L'efprit & la vigueur des hommes qui ont fait un ufage immodéré des femmes, font comme leurs nerfs, lâches tk fans force, quand ils fe font épuifés: nous n'en avons aujourd'hui que trop d'exemples dans toute l'Europe : mais le tempérament naturel de la plupart des Sauvages ne les expofe pas a de pareils malheurs. Il eft uniforme chez eux ; point de ces élancements fougueux que nous appelions amour impétueux, ne troublent leurs fens. Il ne font affu-rément point infenfibles aux plaifirs de l'amour ; mais ces plaifirs, qui font les tourmens des Européens, font chez eux un délafîcment, un befoin de la nature , tk non un travail brutal. Je me rappelle avec plaifir (Pardon à la Philo* fbphie!) les tnomens délicieux que j'ai paffes avec une jeune,Illinoife, qui bien loin d'être infatiable, comme Mr. de P. voudroit innnuer que les Américaines le font, me difoit avec douceur; O mon petit guerrier, tu te feras malade , $ tu ne vaudras plus rien pour la guerre. Je doute que beaucoup d'Européennes aient eu autant de modération : cet Auteur pourroir peut-être dire, que celle-là avoit peu de'tempérament, il fê tromperoit; mais les paffions des Sauvages ne maî-trilènt pas leur raifon, & ils n'ont pas dégénéré pour cela. Au refte, il y a des hommes de toute forte de tempéraments, chez les hommes en Amérique comme en Europe, & j'ai connu des Sauvages qui l'avoient très chaud, très amoureux & même très jaloux. J'ai eu trois fauvages Soldats dans ma Compagnie ; deux Iroquois &C un Hurôn: celui-ci étóit marié, & je n'aurois confeillé à perfonne de compter fleurette à fa femme. Quelques-uns de ces Sauvages fe font engagés pendant la dernière guerre dans des Régimens francois, ou anglois ; leurs conditions étoient ordinairement, qu'ils feroient la guerre pendant quinze lunes: qu'au bout de ce temps, on leur laiiferoit pour récompenfe le fufil avec fa Bayonnete, & quelques livres de poudre & de plomb. Quand Zirate a dit que plus de cinq mille femmes font Venues fe proflituer aux vainqueurs fur le champ de Bataille de Caxamalca, il a outré le fait. La vérité eft qu'une multitude de femmes vinrent fe jetter aux pieds de ces fcélérats, & leur offrir leurs coliers & leurs bracelets ; ces monftres affuré- ment peuvent bien avoir abufé des plus jolies : mais pour les trois cens concubines de Linca, cela ne fè-roit pas furprenant ; ces victimes de la volupté' d'un feul, fe livreront toujours volontiers, enrre les bras des premiers hommes qui voudront les recevoir; & je fuis perfuadé*, que fi les Runes aujourd'hui fai-foient main balle fur le Harem du grand Seigneur, les femmes qu'il renferme, ne leur feroient aflurément pas cruelles. Si quelques Américaines témoignèrent de l'attachement aux Européens, ce n'eft pas que toutes les femmes fe foient proftituées à ces Canailles ; les vices de quelques particuliers ne font pas ceux de toute une Nation: beaucoup de femmes Efpagnoles & Italiennes aiment mieux les François que les hommes de leur propre pays ; & nous avons plnfieurs exemples , qu'une femme dans les tranfports de l'amour facrifieroit l'Etat à fon amant, fi elle en avoit le pouvoir. Au refle les Américaines Indigènes font des veffales en comparaifon des,femmes Efpagnoles Amé-ricaniféeis les quelles mènent la vie la plus licencieuiè &C la plus débordée. A l'égard des Amazones & des Hermaphrodites je n'en ai point vu en Amérique : je fais feulement que certaines Nations fauvages puniflént ceux qui re-fufent d'aller à la guerre ou qui défertent de la troup-pe pendant l'Action, en les habillant en femmes tk en les faifant fervir aux fonctions les plus baffes de l'habitation. Chapitre .VIII. Source du mal Vénérien & de plufieurs autres maladies qui affligent la Nature humaine. De l'an-. tropophagie. Des tourmens que les Sauvages font foujfrirà certains prifonniers : qu'ils ne font pas naturellement infenjibles. Lifter & beaucoup d'autres ont été dans l'erreur quand ils ont attribué l'origine du mal vénérien à la morfure d'un fèrpent ou de quelque béte vénimeufe. La nourriture que les Américains faifoient des animaux qu'ils avoient tués avec des flèches empoisonnées, eft la véritable fource de^ce mal, La lèpre, qui efl lajfœur de la vérole, n'a pas été apportée en ■ Europe par les croifés, ainfi qu'on le prétend: elle y étoit très ancienne, & elle n'a non plus d'autre origine que dans la nourriture que laplûpart des Gaulois faifoient des animaux qu'ils avoient tués avec des- flèches envenimées, & la différence des poifons del'Amérique & de l'Europe à auffi différencié les fymptomes de.la vérole & de la lèpre. Mr. de P. dit qu'il n'y a aucun danger de manger du gibier tué avec des flèches envenimées dont toute l'action fe borne à figer le fan g, & que les Européens établis aux Indes occidentales ne s'en font aucun fcrupule; que depuis que l'Amérique elt découverte , il n'y a pas d'exemple que quelqu'un s'en fot mal-trouvé. Perfonne affurément n'en eft mort tout de fuite; mais un Européen fenfé &hütruit, fe gardera 46 DE L'AMÉlUQUfi bien d'en manger: j'ai vu à Ste Lucie, que quand des Caraïbes venoient vendre du gibier, plufieur.ç perfunnes n'en vouloient point, s'il n'avoit été tué avec des armes à feu, ou avec des flèches qui n'éroient pas empoifonnées : c'eft de Mr. Hevrit Chirurgien anglois, que je tiens que la vérole n'a d'autre origine, que de s'être nourri de la chair des animaux, qui avoient été tués avec des flèches envenimées; il avoit fait plufieurs expériences pour s'en aflùrer, 6V effectivement il ne faut pas être grand Docteur pour être convaincu, qu'une pareille nourriture, fur tout quaud elle eit habituelle, ne peut qu'être très pernicieufe; d'autant plus, que l'animal qui a été tué ainfi, exhale une puanteur infupporta-ble, cinq à fix heures après, & tombe en pourriture du jour au lendemain; au lieu qu'on peut garder cinq-va-fix jours, celui qui a été tué avec des armes a feu. Qu'on juge après cela , fi, quand les Caraïbes fe nourriffoient d'hommes tués avec les flèches , le virus n'en devoit pas être plus actif 6c plus peff ilenciel ? Les chiens du Pérou ont aulfi hérité la vérole de Mrs. leurs ancêtres, qui s'étoient,nourris de cadavres véroles. La plupart des maladies, qui affligent l'humanité , ne proviennent que des nourritures mal-faines & pernicieufes qui corrompent la malle du lang, 6c cette corruption fe perpétue de génération en gêné-ration; les Perfonnes, par exemples, qui fe nourrirent habituellement dufang & des entrailles des animaux, engendreront des enfans, qui naîtront avec les écrouelles; les Tartares qui ont fait des incur-fions en Pologne, ont communiqué la Plica aux Po-lonnois, c'eft-à dire, à ceux qui font nés des femmes avec qui ils avoient eu à faire, & ceux-ci l'ont communiquée à d'autres. Ces Tartares, qui ont prefque tous la plica, ne fe nourriffent que du fang des chevaux , qu'ils tuent après les avoir bien fait courir & outrés de fatigues; ils mangent leur chair crue & corrompue, & boivent du lait de jument aigri; ces Barbares meurent la plupart en détail, les membres leur tombent de pourriture les uns après les autres. Il y a des années que les feigles contractent une maladie, qui efl quelque fois très dangereufe à ceux qui en mangent du pain: on attribué* à cette caufe laPefle noire qui défola tout le nord de l'Europe. Le fang des animaux, le Porc-frais dans plufieurs climats de l'Afie, donnent la galle à ceux qui s'en nourriffent. Cette nourriture a été défendue aux Juifs, & à plufieurs Nations afiatiques par la loi, qui n'eft qu'une police. Je crois, que s'il étoit poffibie defavoir l'endroit oui la petite vérole s'efl déclarée pour la première fois, on connoîtroit qu'elle n'a d'autre fource qu'une certaine nourriture qui aura vicié le fang. L'antropophagie des Américains fe réduit à très peu de chofe aujourd'hui; elle n'a d'autre motif que de confacrer les prifonniers au Dieu de la guerre, c'efl [ùTt-Deum des Sauvages, & chacun dans la cérémonie, n'a fouvent pas une demi-once de chair pour fa part. Ils ne mangent ni femmes ni filles, non pas parceque leur chair eft moins bonne que celle des hommes ; au contraire, ils difent qu'elle feroit plas délicate; mais parcequ'ils ne regardent pas le fexe comme ennemi ; & fi .les chiens Efpagnols ont re-fuié d'attaquer des femmes, Cela n'eft pas plus fur-prenant que de ce que les lyons d'Afrique n'attaquent jamais une femme, furtout fi elle a le fein découvert; au contraire ils fe laifferit fouvent battre à coups de bâton par elles, quand ils approchent des habitations pour marauder. On ne trouve aujourd'hui de vrais antropopha-ges qu'en Afrique. Me promenant un jour dans l'Ile d'Antigoa, je vis trois nègres attachés à des arbres, qu'un Colon faifoit étriller a coups de fouets ; je demandai' la raifon de cette inhumanité : on me dit qu'un de leurs Camarades étant malade, ils l'avoient aftommé, rôti, &C mangé dans un bois voi-fin; que même l'un, qui étoit le frère du mort, avoit donné le premier coup afin de lui épargner les fouffrances de la maladie ; &C c'eft ainfi, dirent-ils, qu'on en agiflbit dans leur pays: on nomme ces Nègres Azincos ; ils font voifins du Congo, & chaf-fent après les autres Nègres pour les manger, comme nous chaffons après les fangliers : ils vendent publiquement la chair de ceux qu'ils ont tués: mais il n'eft pas vrai qu'ils fe mangent les uns les autres, comme l'on débité quelques Rélateurs: une pareille fociété eft un être de raifon, elle ne pourroit pas fubfiller vingt quatre heures. Le Les tourmens que les Sauvages font quelquefois fouffrirapx prifonniers qu'ils ont faits fur une Nation qui les a incendiés, maflacré leurs femmes & leurs enfans pendant qu'ils étoient à la chaffe, n'ont rien qui doivent furprendre; non plus que l'infenfibilité de quelques-uns, quand on faura que ces prétendus tourmens ont fouvent plus d'appareil que de réalité; puifqu'ils donnent quelquefois ce qu'ils appellent le breuvage de la mort au patient, lequel eft compofé de fucs de certaines plantes, qui leur en-gourdillènt tous les lens & les rendent infenfïbles j mais il y en a à qui on ne donne pas le breuvage ; alors ils crient comme des enragés. Il y a quelques années qu'on donna à Barcelone la queiHon extraordinaire la plus rude à un Soldat, fans quil refientit la moindre douleur : le fècret qui le rendoit infenfible eft très fimple, mais on n'a pa« voulu le rendre public. D'ailleurs les Sauvages ne font aflurément pas infenfïbles , & j'en ai oui crier bien fort de la douleur qu'ils refTentoient, quand ils s'étaient planté dans les pieds des chauM'e-trapes, qu'on avoit femées dans les forfés de quelques redoutes. C'eft une puérilité que de dire qu'ils ne fe débatent prelque point en mourant ; les Européens fe débattent-ils donc beaucoup, quand ils font à l'ago* nie ? à moins qu'ils n'ayent la fièvre chaude, la plupart meurent allez tranquillement ; & quand nos Militaires font blefîes à mort, ils ne font pas des con* torfions de Polichinel. D Chapitre XI. Que les Américains ne font ni lâches ni poltronsl L'Auteur des Recherches philofophiques dit que les fuicides qui font fréquens chez les Péruviens, prouvent que lâcheté efl inhérente en eux, (quoiqu'il ne föit pas encore prouvé que le fuicide foit une lâcheté) : mais qu'il life l'hiftoire de la Chine, il y verra que plufieurs millions d'hommes s'y font pendus à la dernière révolution : qu'il jette auffi les yeux fur l'hiftoire du Japon; il y verra que les Ja-ponois font les plus déterminés fuicides qui exiftentfur la terre. Quand Cortez vint au Mexique, il avoir neuf cens tk quelques Brigands auffi déterminés que le font ordinairement ces monftres, tous couverte de Cottes de Mailles, de Cuirafîès tk de Cafques impénétrables aux flèches, & autres armes hlanches. Quarante mille Indiens, de la République de Tlafca-la, les plus braves de ces Indiens tk les plus redoutables ennemis des Mexicains, fe joignirent à eux, fans quoi ils n'auroientpasofé pouffer jufqu'à Mexico. La bande de Pizzaro étoit à peu près du même nombre; tk ils n'eurent qu'à combattre quelques ha-bitans de la province de Cufco. Tous les Péruviens étoient fbulevés contre Atabaliba qui étoit un Ufur-pateur tk le meurtrier de fon frère, légitime héritier du Thrône; ckils voyoient fa chute avec plaifir. Quoiqu'il en foit, ces malheureux peuples furent confternés tk détruits par des hommes invulnérables à leurs traits, qui lançoient la foudre, &C qu'ils croyoient d'une nature divine ou infernale. L'Auteur des Recherches philofophiques aura fans doute lu l'Hiftoire da Charles XII. Roi de Suéde. Cinq à fix mille Suédois chaffoient cent mille Ruffes couverts de Retranchements ; les Ruffes pre-noient les Suédois pour des Sorciers ; tk l'on connoît encore la belle prière qu'ils adreffoient a St. Nicolas, afin qu'il les délivrât des maléfices de ces Sorciers. Que feroit l'empire de Ruffie aujourd'hui, s'il n'avoir pas été régi par un auffi grand Prince que Pierre premier ? Ç'auroit été bien pis, fi les Ruffes n'avoient pas eu connoilfance de la poudre à Canon, & qu'ils cuffent été nuds & armés comme les Péruviens ? alors mille Suédois tk cent Chiens dogues auroient conquis la Ruifie avec autant de facilité que les Efpagnols en ont eu à conquérir le Pérou. Les Rulles avoient-ils donc dégénéré? non,' mais alors ils étoient crédules, ignorans, groffiers, fans courage tk fans dicipline militaire. Mr. de P. devoit-il ignorer que ce font les bons Chefs qui font les bons Soldats ; qu'une troup-pe d'hommes mal conduite & fans dicipline, quelque riombreufe qu'elle puiflé être, s'enfuiera devant l'ennemi, comme un troupeau de moutons devant un loup ; tk que même en Europe, la bravoure des Armées, eft moins un effet de la Nature que celui de l'art. Nous lifons dans l'Hiftoire de la Chine, fa tragédie de cette fameufe prairie enfànglantée par le Rebelle Littechin en 1640. qui avec une poignée de-fcéléracs "comme lui, égorgea en fix jours dans le Ho- D a nan, fixmillions d'habitans, qui fe laiiferent égorger comme des moutons fans fe défendre. Or je demande lesquels étoient les plus ftupides, de ces Chinois ou des Péruviens. Les Sauvages Américains aiment plus leur liberté que leur vie, & ils fe caffeunent plutôt la tête, que d'être Efclaves, je ne dis pas comme les Nègres, niais comme nos valets Européens ; & je fuis fur-pris que l'Auteur des Recherches philofophiques difè qu'il ne croit pas que l'amour de la liberté naturelle foit gravée profondément dans l'anie des Iroquois &des Algonquins; s'il avoit dit que les Sauvages vivent fans boire ni manger, il n'auroitpas dit une plus grande abfurdité. Quoi, combattre pour fon terrain , cela ne s'appelle pas combattre pour la liberté? en vérité, c'elt vouloir abufer des termes: fi quelques pauvres petites Nations ont offert une douzaine de peaux pour qu'on les laiffât tranquilles, elles étoient bien plus fenfées que les Barbares qui les inquiétoient: au refte ce fait efl très douteux, pour ne pas dire faux. C'eft envain que cet Auteur veut faire paffer les Sauvages pour des lâches, quand ils font en guerre avec les François ou les Anglois : ils font aulfi braves que les troupes irréguliere! de Hongrie, ils font h petite guerre de même : les embufcades & les fur-prifes font leur fait, ils ne combattent jamais en bataille rangée vis-à-vis des Européens: ils entendent irop bien leur'intérêt pour cela, ils ont aifezd'efprit pour fentir que trois à quatre petites Nations n'ayant »as les reffources des Européens feroient bientôt dé- truites ; ils n'ignorent pas que la dicipline des Européens les rend liipérieurs à eux; tk ces pauvres gens fa vent bien dire, qu'en faifant la guerre contre les François ou les Anglois, ils ont tout k perdre & rien à gagner ; que leurs forces n'étant pas égales, ils y fuppléent par la rufe & les fuiprilés. Mais quand ils fe font la guerre enrr'eux ils fe battent à toute outrance ? les Iroquois ont détruit depuis peu les Eriés tk les Ouatouais: vouloir faire paffer des peuples qui font perpétuellement en guerre pour des lâches, c'efl dire que les loups ont peur des moutons. D'ailleurs l'exemple de quelques pauvret Nations qui ont eu le malheur d'avoir les Européens pour voifins, par qui ils font vexés quelque fois, mais qui ne le font pas toujours impunément; n'influe en rien fur le général des Sauvages. II y a des milliers de Nations, au Nord-eft tk k l'Oueft, avec lesquelles les Européens n'auroient pas beau jeu, & fi elles étoient toutes alfez amies pour fe réunir, il ne feroit bientôt plus queffion de leurs colonnies : mais ces Nation* font k peu près comme les puiffan-cesde l'Europe, qui font divifées entr'elles par intéréc. Les Sioux, les Mifaurites, les Eokoros, les Ontaganis, lee Efenapes, les Padoucas, les Cafez tkc. tkc. tous ces Sauvages font doux, honnêtes tk pour ainfi dire k-demi policés, faifant de belles toiles de coton colorées; nourriflàntdesbefciauxtk même des chevaux ; les bœufs ont beaucoup multiplié dans ces endroits : Ils cultivent beaucoup de Maïs, & plufieurs légumes d'Europe, comme pois, fèves tkc. T'ai demeuré trois femaines avec les Padoucas, tk je D 3 puis aflurer que ces gens ne refpirent que la gaîte. La plupart de ces Nations lauvagcs ne font cruelles que parceque les Européens les ont rendues telles; ceux mêmes qui ne connoiffent les Efpagnols que que par oui-dire, les ont en horreur, & l'effet de ce reflentiment retombe fouvent fur d'autres Nations Européennes, ce quielt un grand obfhcleà l'établifle-ment du commerce, Se à des découvertes. Les An -glois même ouvrent les yeux, ils confeffent que leurs compatriotes n'ayant pas toujours agi de bonne foi avec eux, ont attiré dernièrement cette guerre fanglante de leur part, où près de quarante mille perfonnes de tout âge & de tout fèxe ont été maflacrées. Je finirai ce Chapitre en rapportant un Quolibet que l'Auteur des Recherches philofophiques à fait pour prouver la poltronnerie des Américains. Quelque foit l'exceflive préfomption, dit-il, qu'ont ces barbares d'eux mêmes, ils reconnoiflent fecretement la Supériorité des Européens, & craignent tout homme qui a de la barbe : loiïqu'on amena les premiers Américains en France fous la minorité de Charles IX., on obferva très bien qu'ils ne firent aucun cas de laperfonne du Roi qu'ils prirent pour un Indien, pareequ'ii n'avoit pas de barbe; pendant qu'ils tremblèrent devant les gardes SuifTes pourvus d'énormes mouftaches ; par une méprife bien moins pardonnable que celle d'un Holîandois, qui s'imaginoit que la Fontaine le Fabulifte étoit le prédicateur de Louis XIV. 6c Pierre Corneille fon Mi-niitre d'Etat, pareequ'ii faifoit parler fi noblement les Princes dans fes Tragédies. Qu'eft-ce que l'Auteur prérend donc prouver par là, fi non qu'il y a des fots en Amérique comme en Hollande. Ces Américains étoient - ils Sauvages, Péruviens ou Mexicains? les premiers ne tremblent pas pour les Mouftaches, & ne connoifTent pas la Majefté& la puiflance des Rois, dont ils n'ont qu'une trop foible idée pour en faire cas-. S'ils étofent des Péruviens ou des Mexicains ils étoient accoutumés à refpeéier & à craindre leurs Vice-Rois & leurs autres Supérieurs, qu'ils euflent de la barbe, ou non. Mr. de P. croit-il donc que ces gens étoient allez ignorons pour ne pas lavoir que la barbe ne venoit aux Européens qu'à un certain âge: ils en avoient vû des millions en Amérique qui n'en avoient pas encore. J'aurois bien voulu voir par exemple, qu'alors on eût envoyé une douzaine de ces Suifles en ambaffade chez leslroquois & les Hurons, & que ceux-ci les euflènt reçus dans tout leur appareil de guerre/ barbouillés comme des Diables, le caflè-tete d'une main, l'arc de l'autre ; les Crânes 6V les chevelures de leurs ennemis en guife d'ordre de Chevalerie avec une demi-douzaine de prifonniers à la broche pour les régaler. Je crois que les Mouftaches de nos braves SuhTes auroient blanchi de peur. Chapitre X. Que les Américains ne font pas des ignorant & desim-bécilles qui ne favent pas compter jufqu'à vingt. Je ne dirai pas comme Mr. Timberlake que les Sauvages font des Cicérons & des Démofthenes; D 4 mais ils ne font pas non plus fi ignorans que Mr. de P. veut les faire. L'éloquence naturelle eft la meilleure, tk afîu-tément les Sauvages en ont. Seroit-ce donc, pareequ'ils ne fovent pas manier la hache tk la feie, qu'ils ne pourroient s'exprimer avec force: tous les Sauvages ne font afliirémc'-.r pas habiles dans les arts méchaniques, non plus que tous les Européens ne font pas des menuiiicis ni des maçons : mais il y a des Sauvages qui font très adroitement tout ce qu'ils voyent faire aux Européens. Il y a fans doute des Cabanes mal conifruites, comme je l'ai déjà dit; il y en a auffi de fort jolies, bien meublées tk tapiffées de belles peaux en hiver, & de nattes très fines & bien colorées en été. Il eft vrai qu'ils ne connoifîènt pas nos ordres d'architecture. Quand l'auteur des recherches philofophiques fur les Américains a dit que les habitans de cet Hé-mifphere, étant viciés du côté des qualités phyfiques, l'étoient de même du côté des facultés morales; que la dégénération avoit atteint leurs fens & leurs organes ; que leur ame avoit perdu à proportion de leur corps ; que la nature ayant tout ôté à un Hémif-phere de ce globe pour le donner à l'autre, n'avoit placé en Amérique que des enfans dont on n'a encore pu faire des hommes qui fâchent penfer; quand, dis-je, cet Auteur nous dit toutes ces chofes, il ne dit pas la vérité. Quoi, il voudroit en dépit du bon fens tk de l'évidence nous perfuader que les Américains n'ont pas même la faculté des bétes? non feulement ils pen- fent avec discernement. Mais ils font encore très capables dedifcuterlescaslesplus épineux, &depréyou les Cuites qui pourroicnt réfulter d'une entrepriie eu s'y prenant de telle ou telle manière. La prudence qui eft fi rare parmi les Européens, eft, pour ainfi dire, inhérente aux Américains; Il faut voir comment dans Ieius confeils ils tournent &c retournent les affaires qu'ils ont fur le tapis. Je vais rapporter ici un fait qui fera connoître fi les Sauvages penfent. Les Anciens de plufieurs Nations ont tenu un congrès pour tâcher d'accommoder les différens qui s'étoient élevés entre les François & les Anglois au fujet des limites de l'Acadie : ces pacificateurs Sauvages & imbécilles, qui ne penfent pas, envoyèrent plufieurs députés à Mrs. de Vaudreuil & Bradock qui propoferent de tirer une ligne de démarcation depuis l'embouchure du Rijligouc/u jufqu'au lac Ke-feben, &de là en fnivant la rivière, jufqu'à la baye de Kinibequy, tout le long de la plage, jufqu'au cap Coi. Rien n'étoit plus fage que cette compenfation ; mais comme cette difpute entre les François & les Anglois n'étoit qu'un prétexte; ces deux Nations civilifées qui vouloientabfolument s'égorger, n'écoutèrent pas les propofitions pacifiques des barbares fauvages. Je pourrois citer plufieurs exemples de l'efprit, de l'intelligence -& du bon fens des Sauvages; mais je n'aime pas à faire de gros livres qui contiennent peu de chofes. Cependant je vais encore rapporter un fait contre ce que dit Mr. de P. qu'on n'a jamais trouvé dans toute l'étendue du nouveau monde, mal- L> 5 gré la grande diverfité des Climats, unhommed'une capacité fupérieure à un autre: Il eft bien certain qu'on n'y a pas rencontré des Raphaëls, des Newtons , d« Lokes, des Montefquieux &c. où d'ailleurs ils auroient été très inutiles. Mais les Sauvages, qui veulent s'appliquer à apprendre quelque chofè des arts tk des Sciences, réuffiflent aiîez bien. Heureufèment pour eux, il y en a peu qui le veuillent J'ai pourtant connu un Sauvage qui s'eft distingué tk qui l'auroit même été parmi les Européens■■: il s'appelloit Louis Gafion Kerby ; apparemment que les Miflionnaires qui l'avoientbaptile lui avoient donné le furnom du Duc d'Orléans ; quoiqu'il en foit ce Sauvage fils d'un des chers de la Nation des Illinois, fut mis par fon pere entre les mains des Millionnaires de la nouvelle Orléans en 1740. âgé de dix à, douze ans : il fit dans fes éttides dès progrès furpre-nans, dans la Géométrie, la Géogrephie, la Phyfique tk même la Mufique. Sa curiofité étoit in-fatiable ; il lifoit nuit & jour, tk lorfqu'il avoit rencontré quelque trait d'hiftoire curieux, il le traduifoit dans fa langue, pour avoir le plaifir d'en régaler fes parens quand il les alloit voir, qui tous alïis au tour de lui, l'écoutoient bouches béantes, oreilles ouvertes tk fans dormir. On lui fit faire un voyage à Paris ; ce Mr. Kerby avoit environ trente ans quand je le vis pour la première fois, & afïûrément il n'avoit rien oublié tk n'étoit pas devenu imbécille. J'ai paffe bien des momens agréables avec lui. Son pere n'avoit en d'autre but en le faifant instruire que de le rendre utile à fa Naaion, dans la partie du commerce. Il étoit le Secrétaire & l'interprète général de l'état Illinois. Je crois que ce pere penfoit aufli quand il lit cette démarche. L'auteur des Recherches philofophiques s'imagine que les Sauvrges ne lavent pas compter jufqu'à vingt ; que leur langage eft borné Se deftitué de mots ; qu'il eft impolTible par leurs moyens de rendre un fens Méthaphyfique ; qu'il n'y a aucune de ces langue* dans la quelle on puilfe compter au de la de trois. Se que de quelque façon qu'on endoéirine les Sauvages, il ne parviennent pas à parler médiocrement un idiome Européen. A cela je répondrai, que la lagne d'une Nation eft toujours en raifon de lès befoins ; moins elle en a, moins elle a de mots pour les exprimer; il eft bien fur que dans aucune langue fauvage il n'y a aucun mot pour exprimer tous les colifichets néceffai-res à nos petits maîtres Se petites maîtreffes; mais peut-être trouveroit-on dans leurs langues les termes d'atrraétion Se d'impulfion. Les Sauvages apprennent plus facilement les idiomes Européens, que ceux-ci n'apprennent les leurs, & on en trouve plufieurs qui favent parler franc ois anglois Se efpagnol. Je le répète encore une fois, quand un Sauvage s'eft bien déterminé à vouloir apprendre une chofe il l'apprendra; mais il eft rare qu'ils le veuillent. Us n'aiment pas à Sacrifier leur repos, ni a fatiguer leur efprit, à la recherche des choies dont ils peuvent fort bien fe paflèr, Se je crois qu'ils n'ont pas tort. car plus les hommes ont de feience plus ils veulent en acquérir, femblables & aufli. malheureux que les avares.; ils accumulent des tréfors dont ils ne jouiflent guerre. Voici la manière de compter de plufteur Nations fauvages. Ilsnombrentduhauten bas 10. cy — Quand ils veulent exprimer 40. ils marquent 4 au bas de la colonne à gauche ... — >io I I I I Quand ils veulent dire foixante <__ ils marquent 6 &c. ' 4 Pour exprimer 63 Pour nombrer 100 Us font une équerre .... 10 Pour compter 500 Ainfi du reftc. Us fe fervent de Terre rouge pour tracer fur une planche; ou ils le font fur le fable avec un bâton ; c'eft à peu près comme nous nombrons avec les jetions. Tout homme eft naturellement Arithméticien & Géomètre eû égard à fes befoins: fi on en doutoit, je n'en donnerons d'autre preuve que l'arc &• les flèches. Tous les Sauvages répandus fur les di/férens points du Globe, connoiilènt cette arme meurtrière ; & il feroit ab-furde de dire que cette invention s'eft communiquée d'une Nation à l'autre. Il y a près de trois ûecles, dit l'Auteur des Recherches philofophiques, que l'Amérique eft découverte ; on n'a celle depuis ce tems d'amener des Américains en Europe, on a eflàyé fur eux toute efpece de culture, & aucun n'a pu parvenir à fe faire un nom. Je le crois bien, il y a apparence que les Efpagnols en mèneront encore bien longtemps en Efpagne, avant que d'en trouver un qui fe falle un nom dans les feiences, puifque parmi les Efpagnols même, on ne connoît guère que l'Auteur du Roman de Dom Quichotte qui s'en foit fait un. Mais généralement les Indiens ont plus de bon fens -que leurs tyrans : ils font peut-être moins habiles dans les futilités. Mais auffi ils font moins fourbes. Connoît-on une Nation plus abrutie, plus ignorante, plus fauvage & plus barbare que l'Efpagnole. je défie qu'on me la nomme. Mr. de P. n'a fans doute jamais voyagé en Efpagne : fi l'envie lui en prend un jour, je lui confeille de faire bonne provision, fans quoi il courrort rifque d'y mourir plûror de faim, qu'en parcourant depuis l'iftme de Darien jufqu'au JJréfii, ou depuis le lac Outorio Jaqu*a la Californie. Chapitre XI. Des Établijfements des Jéfuites au Paraguai: des Bd-> tirnens des Péruviens : de leurs Mines de fer & de cuivre. L'éloge qu'a fait Mr. de Montefquieu dans fon Efprit des loix des établiffemens des Jéfuites au Paraguai, étoit bien mérité, & ce grand homme avoit été affurément bien informé de leur état & de leur police. Il feroit ridicule de dire que les Jéfuites n'ont pas confulté leurs intéréts en formant ces établiffemens ; Mais qu'importe de quelle manière on entreprenne de faire le bonheur des hommes, pourvu qu'on y réuififlé : il vaut toujours mieux que ce foit en faifant fon profit qu'en fe ruinant: car il y a peu de particuliers, qu dis-je? il n'y a pas même de Prince qui fût alfez généreux pour faire le bonheur public, fans que fon intérêt pcrfonnel y eût part. Les Jéfuites ont raffemblé plus de cent mille fauvages errans & vagabonds dans les forêts, & en ont formé des Sociétés où tout étoit en commun, à peu près comme parmi les Hernautes, ou rien ne manque à chaque individu, quoiqu'il n'ait rien en propre. Les Jéfuites ont fans doute été très circonfpects, en ne permettant pas aux Eipagnoh de venir exami- r.er leurs Actions, parce qu'ils auroienr vû les profits coufidérables qu'ils retiroient de cesétabliflèmens: ils craignoient leur envie & leur avarice ; ils crai-gnoient d'être débufqués ou rançonnés: car les grands d'Efpagne ainli que tous les autres grands, ferment les yeux fur les concuffions, pourvu qu'ils partagent avec les concuifioimaires ; Se les Jéfuites nevouloient partager avec perfonne: voilà leur crime, Se c'eft celui qui leur avoit attiré le plus d'ennemis; mais il efl bien abfurde de vouloir faire croire, que dix-huit k vingt pères Jéfuites, car ils n'ont jamais guère été davantage, ont forcé cent-cinquante-mille Indiens à être efclaves malgré eux, à être tyrannifés, accablés de travaux Se de mauvais traitemens, tandis que toutes les Semaines, on leur mettoit les armes à la main pour les exercer k tirer au blanc ; tandis qu'ils pûuvoient, quand ils l'auroient voulu, tnaifacrer les Pères, ou tout au moins leur échapper comme des lièvres : car les Jéfuites n'avoient affurément pas une armée de foldats Européens pour les garder. Et tout animal qui fe trouve mal dans un endroit, n'y refle pas quand il peut s'échapper. Bien loin de tout cela, ces Indiens étoient extrêmement attachés aux Jéfuites, & ils fe font défefpérés lors de leur expulfîon. On fera fans doute furpris que les Jéfuites exer-caifent leurs Colons au maniement des armes : leur prétexte étoit qu'ils vouloient fe mettre mieux en état de fe défendre contre les Sauvages qui venoient fou-vent piller leurs habitations: ils avoient peut-être d'autres vues que le public ignore encore Se ignorera peut-être toujours. Je dois parler ici en panant de l'architecture des Péruviens tk des Mexicains: je n'ai pas été à Cufco, mais vingt auteurs différens s'accordent à dire que les Mexicains étoient bien logés, qu'ils avoient même des édifices publics magnifiques; ' tk il plait à Mr. de P * * * de donner le démenti a tous ces auteurs : il dit même que les Péruviens n'ont pas eu l'efprit de couvrir leurs maifons, ni d'y faire des fenêtres, tandis que prefque toutes les cabanes des Sauvages ont des toits & des fenêtres. On lit pourtant dans l'Hifloire de la conquête du Mexique, que les Mexicains s'étant révoltés contre les Efpagnols ; Montézu-ma fe mit à une fenêtre de fon palais (que Mr. de P. appelle une grange) pour appaifer la fédition, & qu'il y fut bleffé. Cet auteur dit aufli que les Péruviens n'ont pas eu I'induflrie de forger le fer, tk qu'ils ont eu celle de durcir le cuivre. Il y a très peu de mines de fer au Pérou, tk celles que l'on y connpît font d'une très mauvaife qualité, puifque les Efpagnols n'en ont jamais pu faire des doux : ils cafïoient comme du verre, tk ils ont été obligés de renoncer à en faire ufage. Les mines de cuivre n'y font pas fort abondantes non plus, mais il y en a d'une qualité qui donne une efpece de platine (non pas cette platine qu'on appelle or blanc ; ) dure comme de l'acier. J'en ai eu une pépite du poids d'environ deux livres, qu'un foldat Ef-pagnol avoit efcamotté comptant que c'étoit un morceau d'or: tk c'eft une erreur que de croire que les Péru- Péruviens aycnt eu le fecret de durcir le cuivre par artifice, ïà dureté lui étant naturelle. Mr. de P. met encore au rang de la ftupidité, de ce que les Péruviens n'ont pas fait ulàge de la monnaie:, mais les Abylfms, qui font affurément un des plus anciens peuples policés que nous cou-noiffions, n'en ont jamais lait ufage ; & à la Chine, il n'y a point de m on noie d'or tk d'argent; ces mé-' taux n'y font regardés que comme marchandée. Chapitre XII. Que beaucoup de découvertes font dues au hazard» C'e n'eft pas un préjugé comme le dit Mr. de P. i qae de foutenir qu'on eft uniquement redevable au hazard des grandes découvertes & des inventions utiles. Kóus lui en devons au moins la moitié, lefqtieües n'ont été perfectionnées que par la réflexion. Un Volcan a fait couler la matière que contenoit, une mine d'or, d'argent, de Cuivre & de fer; l'homme a connu que cette matière étoit fufible : fon in-dnilrie aiguillonnée par lanécellité s'eft appliquée à la rendre propre à fon ufge, foit pour les armes, les uftêneiles d'agriculture ou de ménage, ainfi que pour les décorations de luxe. Un feu allumé fur du fable a &it couler le verre, & l'on a connu cette matière. - Avant l'invention de la Typographie, on impri-moit avec des figures de bois fur de la terre, du cuire, delà toile, tkc. IPn'a pas fallu de grands efforts de génie pour imaginer qu'on pourroit faire de même avec des caractères, qui d'ailleurs au commencement étoient r.flez greniers, puifque toutes les lettres n'étoient pr.s mobiles & détachées comme elles font aujourd'hui; on jetroit au moule des mots entiers avec du plomb ; mais on a perfectionné l'art de l'imprimerie petit à petit. Des arbres flotrans fur l'eau ont fait connoître qu'avec des vaifleaux de bois on pouvoir voguer fur cet élément; on a commencé par creufer des arbres pour en faire des canots. Deux verres à béftcles placés par hazard l'un derrière l'autre, out donné l'idée des lunettes ou Tel eic or es. Une pomme tombée d'un arbre a donné cel!» des loix de la gravitation. Quand Bacon ou Schwartz trouvèrent que le fdpetre tk le fouffre unis s'enflammoicnt ; ils étoient d'abord bien éloignés d'en connoître tous les effets; ils n'avoient en vue qu'un amufement chimique, une récréation phyfique; l'expérience tk la réflexion leur o .tiit trouver plus qu'ils n'avoient cherché: de là l'invention de le concentrer dans des tubes, nour lancer des globes de pierre tk de fer. Je n'aurois jamais fait fi je voulois récapituler toutes les découvertes qui font dues au hazard. Celle à jamais mémorable du nouveau Monde, dit Mr. de P., eft fi peu l'effet du hazard, que Chriftophe Colomb avoit promis de le découvrir fept ans avant la date de fa première navigation en i 49 a. 11 employa tout ce tems à folliciter en Efpagne l'équipement d'un vaifïèau, qui ne lui eût pas été accordé fitôt, s'il ne lui croit venu dans l'efprit de promettre une fomme confldérabie à un Moine intriguant & avare qui conk.fToit le Roi Ferdinand & la Reine Ifabelle; cet événement m'a toujours frappé, &c. Cette découverte mémorable, a jamais exécrable pour les Américains, eft cependant due au hazard, n'en déplaife à l'auteur des Recherches philofophiques. L'exiftence du nouveau Monde avoit été affuré a Colomb pr.r Un pilote qu'une tempête avoit jette fur les cotes de l'Amérique: plufieurs hiftoriens ont rapporté ce fait. Il en eft de même k l'égard d'Améric Vtfpuce, qui n'entreprit fes courfes qu'après avoir été m;!ruit comme Colomb l'avoit été. Chapitre XIII. Qui traite des réflexions Politico-philofophiques un peu fauvages. T es réflexions philofophiques de Mr. de P. font JLi généralement très dures quand il s'agit des Rois; mais fur tout celle-ci où il dit, „que l'Amérique & l'Afrique ne font peuplées que de Sauvages: que le defpotifnûe a accablé l'Alïe, & pénétre en mille endroits en Europe, qui femble être menacée de ce fléau, dans le tems même que les philofophes élèvent de toute part la voix contre le defpotifme & contre la tyrannie des Princes, qui font h leurs fujets les mêmes maux qu'ils ferdient à leurs ennemis, s'ils les avoient vaincus: qne cependant ils s'imaginent qu'ils régnent, comme fi on pouvoit régner fur ceux dont on n'eft pas aimé, & qu'on n'aime point, qu'on E a peut contraindre, qu'on peut imoler; mais qu'il y ^ moins de dillance du ciel à la terre, que d'un Roi à un tyran." Voila des réflexions qui, fi elles étoient vraies, prouveroient tout au moins que les peuples civilifés' de l'Europe font infiniment plus malheureux que les Sauvages de l'Amérique. Je n'ai pas fujet d'aimer les Rois, ils ne m'ont jamais fait que du mal; mais la vérité m'oblige de dire qu'il leur efl bien difficile aujourd'hui de régner fur des foi-difiins philofbphes, qui ne font la plupart que des raifonneurs ; & fur des peuples auifi inconféquens, aufïï inquiets, & auffi legers que le font les Européens. Qu'on ne me dife pas que ce font les Rois qui les ont rendus tels; ce fèroit dire une abfurdité: ce font les peuples qui font les Rois, ck il y en a peu qui naiffent méchans; mais ils le deviennent la plupart, par les intrigues de ceux qui les approchent. \ Un Prince accoutumé h être trompé devient méfiant, dur, acariâtre, croit que tout le monde le trompe, & fe méfie de tout le monde; fa confiance cil en guerre perpétuelle avec celle de fes fujets, lef-quels cherchent à leur tour à le duper autant qu'ils peuvent. J'ai remarqué avec douleur que des Princes qui avoient le meilleur coeur du monde, étoient regardés comme les tyrans & les fléaux de leur peuples, parce-que ne pouvant fuffire à tout, ils font obligés de confier l'adminiflration d'une partie de leur puiffance à des monflres, qui n'en abufent que trop fouvent, k l'infçu de leur maître. Ces exemples font malheureufement fi communs que perfonne ne les ignore, hors ceux qui de-vroient en être informés. Auiïï quand on dit qu'un Roi eil un tyran, cela ne lignifie rien autre chofe 11 non que ceux qui l'environnent, ceux qui font revêtus de fon pouvoir font des tyrans ; jamais un homme feul n'a eu la puiflànçe d'en tyrariniïèr plufieurs , s'il n'a été fécondé par plufieurs autres. Mais quel intérêt les Rois auroient-ils aujourd'hui de tyrannilèr leurs fujets de grdtéde cœur? On me dira peut-être leur ambition aujourd'hui ne fe porte guère qu'à maintenir leurs droits, & à fe pré-cautionner contre les furprifès de l'ennemi: ils ne font plus des conquérans injuites tk dévafVatcurs. Dirai-je d'où provient la mifere dont on fe plaint tant: c'eft du partage trop inégal des richeffes; les uns ont trop & les autres n'ont rien du tout. Je fais que ce mal eif. fans remède; mais j'ofe dire que tant qu'il fubfiiten, les trois quarts tk demi des peuples de notre hémifphere feront dans la mifere, tk regarderont les grands ou les riches comme leurs tyrans. Si tous ces maux étoient inévitables aux Etats policés , je dirois toujours que les trois-quarts tk demi des hommes qui les compofent, font bien moins heureux que les Sauvages de l'Amérique. Ne les plaignons donc pas ces Sauvages ignorans, fans befoins , fans foucis tkc. Déplorons au contraire notre efprit & notre induifrie, qui nous ont fait imaginer des fuperfluités, qui de jour en jour nous deviennent d'autant plus néceffaires, que l'habitude ne nous permet plus de nous en paifer fais fouffrir. Chapitre XIV. Réfutation des preuves dent Mr. de P. fe targue dans la défenfe de fes Pxcherches philofephiques, que les hommes & Içs bétes de l'Europe dégénèrent en Amérique. Cet auteur rapporte dans fa Défenfe, pour prou-f ver que les Européens dégénèrent en Amérique, un paffcge de l'hiftoire naturelle tk politique de la Penfylvanie par Mrs. Bertrand tk Calm, qui difent que dans l'Amérique Septentrionale, les Européens dégénèrent fenfiblcment ; que leur conftitution s'alte-< re à mefure que les générations fe multiplient ; qu'on a remarqué dans la dernière guerre que les hommes nés en Amérique ne pouvoient pas fupporter aulTi longtems que ceux qui étoient venus d'Europe, les travaux des fieges & les fatigues des voyages de mer j qu'ils mouroient en grand nombre; qu'il leur eft pareillement impoihble d'habiter un autre climat fins, être fujets à quantité d'accidents qui les font périr. Tout ceci eft auffi faux qu'inconféquent ; la manière dont on fait la plupart des obfervations eft de généralifer des faits qu'on ne devroit que particu-. tarifer, tk fouvent de particularifer ceux qu'on au-, roit dû généralifer. Quoi, parce qu'il y a des hommes, 6k le nombre à la vérité n'en eft pas petit, que l'yvrognerie, la vie crapuleufe, tk le commerce qu'ils ont avec les. Négrelfes qui leurs communiquent le mal de guinée, ont abrutis & énervés; s'enfuit-il de là que tous dé-- génèrent? Non, non, il s'en faut bien; & il y a des hommes d'une vie réglée à Philadelphie, à la nouvelle York, à Boftou, à la nouvelle Orléans, à la Jamaïque, k la Martinique, aux Barbades tkc. qui ont autant de fanté tk de courage, que ceux qui font en Europe. Tous ceux de notre héinifphere en arrivant en Amérique, payent le tribut au climat par une bonne fièvre: je l'ai payé comme les autres, & il eft ridicule de dire qu'il eft itnpofftbte aux Américains d'ha-biter un autre climat fuis être f .jets à quantité d'accidents qui les font périr; comme fi nous n'avions pas tous les jours l'exemple devant les yeux, que la changement de climat en Europe même eft nuiûble aux Européens. Les armées Allemandes & Francoifesj quand elles fout les campagnes en Italie, périflent comme des mouches k l'approche de l'hyver; tk le climat de l'Allemagne a toujours défolé les .•.nuées Françoifes. Tous les animaux dome'üqucs, continue Mr. Calm, que l'on voit ici, y ont été apportés par les , premiers Européens qui y ont abordé, les Sauvages naturels n'en avoient point, & même k préfent ils fe foucient peu d'en avoir ou d'en élever : tout le bétail dégénère peu à peu, & devient beaucoup plus petit qu'il n'eft en Angleterre. Je répondrai à cela que les bœufs qu'on a abandonnés k eux - mêmes dans les forêts, font généralement auffi gros que ceux que l'on voit en Angleterre; tk que les bœufs domeftiques qui font réduits k multiplier toujours dans les mêmes races, dont chacune eft ordinairement peu nombreufe, ref-tent plus petits : les chevaux perdent de leur beurré, mais ils gagnent beaucoup en bonté ; j'ai eu un cheval né aux environs de Bofton, qui étoit aulli infatigable que fubre ; il mangeojt de tout, jufqu'à du poifîon fee, 6k j'ai fût fouvent avec ce cheval vingt-cinq lieues par jour. Les brebis ck les moutons viennent fans doute plus petits, quand on n'a pas foin de renouveller les béliers : mais, les chevaux ck les moutons dégénèrent auiu en Efpagne, fi l'on n'a pas foin de renouveller de tems.en tems les haras 6k les bergeries d'étalons 6k de béliers de Barbarie. Les chevaux ck les moutons dégénéreraient de même en Angleterre, fi l'on n'y avoit pas la même attention: 6k jl n'y a pas de pays au monde où les chevaux 6k les moutons, même ceux du Nord de l'Allemagne 6k de la Pologne (c'eft à dire les chevaux), dégénèrent plus que dans certaines provinces de France, parce qu'on y néglige de renouveller les efpeces : la moitié des chevaux des payfans n'y font pas plus gros que des chèvres. Or je demande à ces Meflieurs les Naturaliftes d'où proviennent ces caufes? s'ils me dilbient que c'eft de la malignité du climat, je les enverrois à l'école. Ne voyons-nous pas que le mélange des différentes nations produit une belle efpece d'hommes, 6k que ce mélange eft plus avantageux à la population. Il y a apparence que fi les nations Américaines font peu fécondes en population, ou du moins ne le font pas tant qu'elles devroient l'être, la caufe eft en partie de ce que les races ne fe croifent pas allez parmi eux, où fouvent les plus proches parens fe conjoignent. Vn habile laboureur fe gardera bien de femer du froment ou du bled dans le même terrain qui en aura produit pendant trois à quatre ans confécu-tifs; il cherchera toujours des femences ailleurs que chez lui. La plupart de Mefïïeurs les Obfervateurs auraient fouvent befoin de lunettes, & je crois très fort qu'on a fait infiniment plus de progrès dans les obfervations aftronomiques que dans celle de la nature des animaux tk des végétaux. L'auteur des Recherches philofophiques dit que la chair des taureaux efl plus mauvaife en Amérique qu'en Europe : le taureau efl un mauvais manger par tout quand il" efl vieux ; on ne mange en Europe que des boeufs tk des vaches; en Amérique, quand on chafl'e les bêtes à cornes, on ménage les vaches & les geniiîès, tk on ne tue les jeunes taureaux que quand on a envie d'avoir de la viande fraîche; car pour celle des vieux taureaux, on l'abandonne aux oifeaux de proie, on ne veut que le cuire. Si l'on envoie d'Europe beaucoup de filaifon dans les Iles de l'Amérique, où d'ailleurs il y a peu de beftiaux, puifqu'il n'y a point de prairies, excepté à St. Domingue tk à la Jamaïque ; c'eft qu'on y préfère la viande falée à celle qui eft fraîche, dont on mange très peu dans les climats chauds ; tk que véritablement le bœuf d'Irlande eft préférable a un taureau fauvage, ou à de la viande qu'on y faleroit: % mais il y a quelques Colons qui élèvent des boeufs domefliques pour leur ufage, & dont la viande eft aufll bonne que celle d'Irlande, fur tout s'ils fe fer-vent de fel de France qui elt le meilleur pour les faisions & que les Irlandois préfèrent à tout autre. Les lyons & les tigres n'ont pas dégénéré en Amérique, puifqu'il n'y en a abfolument point. Et J5om Pernety s'elt trompé fur cet article, d'après les ■auteurs, Zarate, Sec. J'ai vu plufieurs Pumas morts Se en vie; ils ne font pas plus des lyons que des ânes; ce font des animaux naturels Se indigènes en Amérique, qu'on ne trouve nulle part ailleurs; il en eft de même du Jugùal Se du Cougouar qui ne font pas des tigres. II n'y a rien d'étonnant, fi les Nègres ne peuplent pas en Amérique, c'eft k dire, ceux qui font dans la méridionale Se aux Iles; car ils font peu nombreux dans la Septentrionale dont le climat ne leur eft d'ailleurs pas favorable ; il n'y a rien de fur-prenant, dis-je, qu'ils propagent peu, quand on confidere les traitemens indignes Se l'avarice de leurs tyrans, qui leur donnent à peine de quoi fe nourrir; la plupart meurent d'inanition: les Négreffes fe font fouvent avorter ou étouffent leurs enfans au berceau; j'ai vû une de ces malheureufes avec deux petits Négrillons, à qui fon maître donnoit par jour une livre de mauvaife firine qu'elle délayoit dans de l'eau Se un peu de fel ; elle n'avoit abfolument rien de plus, fi non qu'elle pouvoit manger des cannes de fucre tout fon foui à la dérobée ; auffi la mere Se les enfans n'étoient que des fpeétres anibu- lans. Il y en a beaucoup qui font employés aux fu-creries des Iles, qui font dans ce pitoyable état: mais le n-.enf mge de Mittclberger que Mr. de P. a relevé mérite d'être réf lté. Je dis donc qu'il efl: faux que les colnnifT.s Saltzbourgeois & autres Allemands, font dans la mifere en Peofylvanie ik dans les autres provinces Septentrionale. Les parrcffcux & les yvro-gnes y font fins doute aulli gueux qu'en Europe; mais on ne peut avoir plus da fïu\ &î de charité, que n'en ont les anciens colons pour les nouveaux venus: d'ailleurs les vivres ne manquent pas plus dans ces pays-là que l'eau dans la rivière. I.'hofpitalité des Sauvages n'eftpas unegrofliereté, ni une choie indifférente ; elle elf un bienfait dicté par la Nature, uni nous avertit qu'un voyageur a befoin de nos fecoursî Quand un étranger voyageoit che/. les Germains, dit Tacite, & qu'il avoit fjj.Air-né trois jours dans une maifim, on le menoit dans un autre, fi la nécellité l'obligeoit à s'arrêter plus longterm ; il en eit de même chez les Sauvages de l'Amérique; ils ne fe font pas des révérences & des courbettes a la Françoife, ni des génuflexions & des cérémonies à la Chinoife: quand un voyageur arrive dans une cabane ; le maître lui tend la main & lui dit: frère, fois le bienvenu; & s'il a une bonne pièce de gibier en réfèrve, il la fera fervir extra-. Les Quakers ne font pas plus de cérémonie quand ils reçoivent un étranger. Il efl faux qu'il y ait une mal-propreté dégoûtante dans leurs cabanes & leurs cuifines ; ils n'ont aliurémcnt pas des cuifiniers François ; cependant ils font quelques ragoûts allez appétifïàns ; mais le plus, fouvent leurs mets ne font que bouillis, rôtis, ou grillés; ils ne font jamais ufage du bouillon, ils le jettent. Mr. de P. d.ins fa défenfe paraît fort furpris que Mr. de laCondamine puifieétre contredit; comme fi pour être Géomètre on étoit infaillible : ce lavant a-t-il donc vû tous les Américains, lui qui a prefque toujours été confiné dans les montagnes du Pérou? Il peut avoir vû quelques Sauvages quand il a défcendule Maragnon ; mais il n'en a pas vû des millions d'autres qui font dans les autres parties : ainfi quand il auroit dit que ceux qu'il a vus étoient des ftupides, cela peut être vrai ; mais il ne s'enfuit pas de là que tous foient des ftupides. Au refte, fi tous les Géomètres & les Académiciens de l'Europe difoient noir quand j'ai vû blanc, je ne les en croirais pas pour cela, Il n'eft pas vrai non plus que les Caraïbes ont fi peu d'efprit tk de conception, qu'ils vendent le matin leur lit, tk qu'ils s'en repentent le foir : la vérité eft que comme ils travaillent fort joliment leurs ha-machs, les Européens font tout ce qu'ils peuvent pour les engager à les vendre, ce qu'ils ne font pas volontiers de fang froid ; pour cela, les Européens commencent par leurs faïre boire du Tafia, tk les foulent enfin ; alors ceux-ci vendent ce qu'on veut leur acheter, tk fouvent on les friponne; quand ils font revenus en fens froid, ils en font très fâchés. N'avons-nous pas tous les jours en Europe quantité d'yvrognes qui fe vendent eux-mêmes, tk qui en font très fâchés lorfqu'ils font dégrifés ? La tnoftié' de nos foldats ont été dans ce cas. Je ne difcuterai pas fur les Nègres blancs, je n'en ai jamais vû enfociété; j'ai vû quelques Blaifards, & il n'y a pas de doute que c'elf une maladie qui les a rendus tels. Pour ce qui eff du grand Lama, je n'ai pas eu l'honneur de lui faire ma révérence, Se j'ignore très fort s'il ne mange que deux onces de f ;rine pétrie avec du vinaigre à fon diner ; fi cela elf, j'aimerais mieux erre le marmiton du Pape, que d'être le Grand Prêtre des Tartares. Je n'ai pas eu le plaifir non plus de voir des Géans Patagons ; mais fi en tout cas une telle race d'hommes exiftoit en Amérique, cela prouverait encore qu'ils ne font pas defcendus d'Adam Se d'Eve, Se que ce ferait une efpece particuliere d'hommes ; ou que les defeendans d'Adam en Europe auraient dégénéré s'ils avoient été jadis de la taille de ces Géans. A l'égard du froid Se du chaud qu'il fait en Amérique; il eff certain qu'il y fait plus froid Se moins chaud aux mêmes degrez, qu'en Europe Se en Afrique; mais la différence n'elt pas auffi grande qu'on le dit ; généralement on ne voit pas d'hyver plus rigoureux en Canada que ceux que j'ai vus à Berlin depuis quatre ans ; les étés font fuperbes dans l'Amérique feptentrionale ; ils ne font pas extrêmement chauds dans les Iles, parce que l'air y efl toujours rafraîchi par des vents légers Se réglés. Je n'ai pas été allez avant dans le Sud pour juger de fa tem- pérature; mais je crois que l'auteur