SLAVONNE. PALEOGRAPHIE SLAVONNE, D’APRES LES MO DL L KS ECRITS, DESSINES ET PEIN.TS PAR M. J. B. SILVESTRE, COMMANDEUR ET CHEVALIER DE PLUSIEURS ORDRES, PROFESSEUR DE CALLIGRAPHIE DE LL. AA. RR. LES ENFANTS DU ROI, ET ACCOMPAGNES DEXPLICATIONS HISTORIQUES ET DESCRIPTIVES, PAR MM. CHAMPOLLION FIGEAC ET Al ME CHAMPOLLION FILS. PARIŠ, TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DIDOT FRERES, LIBRAIRES, IMPRIMEURS DE LANSTITUT DE FRANCE, RUE JACOB, 56. 1843 . ECRITURES SLA VES, CYRILLIENNE ET GLAGOLITIQUE. - XIV* SIECLE. -- -— (&mn$eliaixe Slane DE LA BIBLIOTHEQUE COMMUNALE DE REIMS, VULGAIREMENT NOMME TEXTE DU SACRE. --— -—- - Le volame manuserit qui a fourni les deux modeles d’ecritures joints a cette notice a ete recommande a la curiosite da publie et a 1’attention des savants il y a deja plus d’un siecle. Son histoire authentique remonte encore a cent quarante ans plus loin. S’il faut se confier a quelques graves temoignages, la premiere partie du volume aurait ete ecrite durant le xi e siecle, et la seconde a la fin du xiv e . Enfin, et pour completer 1’interet qui s’attache naturellement a ce manuserit, il serait un des plus precieux monuments de notre histoire nationale; car ce serait sur ce meme livre que les rois de France auraient prete serment par le saint evancjile touche, le jour de le ur onction religieuse dans la cathedrale de Reims : c’est de la que ce vo- lume a ete appele Texte du sacre. Nous devons tacher de ne laisser dans Tesprit du leeteur aucun doute sur tant de donnees interessantes, et d’exposer en quelques pages les circonstances historiques ou deseriptives qui sont necessaires pour lui donner une idee complete de la nature, du contenu et de la destinee du manuserit de Reims. Tout recemment, ce meme sujet a occupe serieusement deux bibliographes tres- instruits, et fort bien places pour tout savoir; l’un, comme bibliothecaire de la ville de Reims, M. Louis Pariš; 1’autre, M. Jastrzebski (J.-L. Corvinus), qui a retrouve dans ce manuserit d’antiques souvenirs de sa patrie, et qui en a, le premier, exactement qualifie le texte et reconnu le veritable contenu. Nous aurons done pour guides dans notre expose une notice manuserite, redigee par M. Louis Pariš, et la notice impri- mee de M. Jastrzebski (i) : nous n’y ajouterons que de courtes remarques, qui res- sortent du sujet meme. Le manuserit de Reims qui nous occupe est un volume petit in-4°, sur velin, de (i) Notice sur le texte du sacre, adressee sous forme d’un rapport a M. le ministre de 1 ’inslruction publique, inseree dans le journal du meme ministere, feuilles des 4 et 7 septembre 1839, et tiree a part, 11 pages in-8°, avec deux fac-simile. 9 ' (texte du sacre, 1.) quarante-sept feuillets, ecrits des deux cotes, a deux colonnes sur chaque page, relie en deux ais de chene, recouvert de cuir rouge, et anciennement orne, sur les plats de la couverture, de feuilles d’argent dore, de plusieurs pierres et de cristaux, sous lesquels on avait plače plusieurs saintes reliques, parmi lesquelles on distinguait celles de la vraie croix, de Feponge et de la ceinture du Sauveur. Des emaux, oii etaient figures les symboles des evangelistes, garnissaient les coins de eette couverture (i) : tous ces ornements ont disparu des la fin du dernier siecle. Deux ecritures tres-differentes 1 ’une de Fautre partagent le volume en deux por- tions : la premiere composee seulement de seize feuillets, et la deuxieme de trente et un. Chacune de ces deux portions est concue en la meme langue; mais les deux ecritures different caracteristiquement 1 ’une de Fautre, et toutes deux, etrangeres a la France, et meme a FEurope latine, sont restees longtemps inconnues a nos cli- mats, ce qui n’a pas peu contribue a faire a notre manuscrit quelque renommee. Au gre de tous les systemes, ou plutot des fecondes inspirations de 1 ’ignorance, on y vovait un texte grec, syriaque, oriental, ou indien, provenant du tresor de Constantinople, et tire de la bibliotbeque de saint Jerome. Mais, en Fannee 1717, le prestige fut dissipe; le manuscrit fut montre avec les autres reliques du tresor de la cathedrale au tzar Pierre I er , qui s’arreta quelques instants a Reims, et les person- nages instruits de sa suite reconnurent aussitot, dans la premiere partie de notre manuscrit, les fragments d’un evangeliaire en langue et en ecriture slaves, telles qu’elles etaient usitees dans la liturgie russe. Us ne purent rien dire de la seconde partie du manuscrit. 11 fut des lors reconnu pour un livre slave; Piganiol de la Force Je mentionna, des Fannee 1718 , dans sa Description historigue de la France; un envoye moscovite, passant a fieims en 1727 , confirma le premier jugement porte de ce livre par ses compatriotes; Pluche, ne a Reims, n’avait garde de Foublier dans son Spectacle de la Nature, et, comme pour relever au plus haut point le merite de cette curiosite paleographique, il publia, lui le premier, en 1732, et on ne sait sur quel fondement, que « cet ancien recueil d’epitres et d’evangiles en lettres esclavonnes etait le livre sur «lequel nos rois mettaient la main dans leur sacre», y ajoutant, toutefois, que, de son temps, on se servait du livre des evangiles en caracteres d’usage. En 1782 , un ecrivain-jure de la ville de Reims livrait a la tradition ecrite cette supposition de Pluche; le savant geographe allemand Rusching la repeta dans un ou vrage traduit en plusieurs langues, et jusqu’a nos jours cette supposition a subsiste comme un fait acquis a 1 ’histoire, et qui n’etait point expose aux doutes de la critique. L’AUe- magne savante la reproduisit en diverses occasions, et c’est ainsi que Fattention des erudits francais fut ramenee vers le manuscrit de Reims. o Tel fut Feffet du volume de Melanges de Philologie et de Critique, publie a Vienne, en 1799, P ar Charles Alter, professeur de langue grecque litterale et vulgaire, me¬ langes consacres en grande partie a des sujets interessant la langue et la litterature (1) Inventaire des reliques de N. D. de Reims, dresse en 1669. slavonnes. Rappelant par occasion les souvenirs de la prise de Constantinople par les Venitiens en 1240, et du grand nombre d’objets d’art qu’ils en enleverent, M. Alter mentionna, par mi ce butin ra vi aux eglises, des livres d’evangiles d’un grand prix, d’une rare execution, et il conjectura que le manuscrit de Reims n’avait pas d’autre origine, le considerant aussi comme le livre d’evangiles qui servait au sacre des rois de France, et ne doutant point qu’il ne fut ecrit en langue slavonne; regrettant, enfin, qu , aucnn Francais n’eut donne une notice de ce rare volume. Notre illustre orientaliste Silvestre de Sacy ne laissa pas tornber dans Foubli Fap- pel fait a la France par le docte professeur allemand; il s’enquit de Fexistence du manuscrit de Reims, apprit qu’il avait disparu pendant nos jours de troubles, et il en repandit la nouvelle, accompagnee de la vive expression de ses regrets (1). Il croyait que ce volume etait ecrit sur deux colonnes a chaque page, en deux langues, c’est-a-dire, en grec et en slavon, et d’une tres-belle execution. Le conservateur des depots litteraires de la ville de Reims, Fancien Renedictin Engrand, lui avait transmis ces renseignements par Fintermediaire d’un autre celebre disciple de saint Renoit, D. Poirier. Ces renseignements venus de telles sources devaient faire autorite dans FEurope savante, et la confiance publique ne leur faillit point. M. le chanoine Dobrowski pu- blia en 1822, a Vienne, des principes de la langue slave ancienne, et il y exprima de douloureux regrets de ce que ce livre du sacre des rois de France, contenant les evangiles en ancienne langue slave, avait ete brule dans les plus mauvais temps de nos discordes civiles. Il avanca, en meme temps, contre Fopinion de M. Alter, que ce manuscrit avait ete donne par Helene, reine de Servie, vers Farmee i25o (2). L’opinion des savants n’etait pas plus eclairee sur la verite en Fannee i836, quand parut le bel ouvrage que M. Kopitar, garde de la bib!iotheque imperiale palatine, donna sous le titre de Glncjolita Cloziamis, contenant la description et le texte inedit d’un manuscrit slave en caracteres glagolitiques, du cabinet de M. le comte Pariš Cloz de Trente, et precede de prolegomenes, 011 le savant critique a resume Fhistoire des antiquites de la litterature slave et de ses prineipaux monuments. Le manuscrit de Reims, qui appartenait a cette litterature, et semblait, selon Fopinion commune, pouvoir prendre plače parmi ses plus precieux monuments, devait en avoir une aussi dans les savantes recherches de M. Kopitar : le livre n’y fut pas oublie; il est pour lui aussi le texte du sacre, contenant les quatre evangiles en langue slave, ecrits dans ses deux alphabets, le cyrillien et le glagolitique, mais, helas! brule par la fu- reur populaire de 1792. M. Kopitar ne forme plus qu’un voeu au sujet de ce ma¬ nuscrit, c’est qu’il se trouve du moins en France quelque savant bibliographe qui recherche dans nos archives Fhistoire de ce manuscrit condamne au feu (3). A cet appel de M. Kopitar, on fit mieux que chercher les documents de Fhistoire d’un manuscrit dont la perte devait etre a jamais deplorable; on retrouva le manuscrit ( 1 ) Magasin encyclopedique de Millin; Y e annee, 1799 , torne VI, pages 457 ‘i 4^9- (a) Institutiones Linguae Slavicae dialecti veteris; V indob., i 8 aa, in- 8 °. (3) Gl a goli ta Clozianus, ete.; Vindob., Gerold, i836, gr. in-4°; praefatio, pag. x. 9 a (texte du sacre, 2.) lui-meme, et c’est sur Poriginal que les modeles reproduits dans les deux planches jointes a cette notice ont ete fidelement calques. M. Kopitar, en effet, demanda de nouveaux renseignements a Pariš; en meme temps, le chapelain de S. M. Pempereur de Russie en demandait aussi; les deux in- formations aboutirent a la meme source, et bientot apres M. Louis Pariš, bibliothe- caire et archiviste de la ville de lieims, put repondre que le manuscrit etait retrouve, qu’il etait sous sa garde, et il en publia en meme temps deux fac-simile (i). Des ce moment, toutes les incertitudes relatives au manuscrit de Reims ont ete eclairees d’un jour nouveau : on a pu dire et savoir Page, le sujet, Pimportance litte- raire ou paleographique de ce volume, et s’enquerir, avec plus d’esperance de suc- ces, comment il est venu dans le tresor de la cathedrale de Reims. La notice de M. Jastrzebski contient sur ces donnees nouvelles, des renseignements tres-propres a satisfaire une juste curiosite. La premiere partie du volume, composee de seize feuillets, est en langue slave, ecrite en caracteres de Palphabet cyrillien; nous donnons dans d’autres notices des in- dications precises et completes sur Porigine et la nature de cet alphabet, sur Porigine et les affinites de la langue slave, et nous n’avons rien a y ajouter apres la pre- cieuse Histoire de la langue et de la litterature des Slaves, dont Petude philosophique et comparative des anciens idiomes vient d’etre enrichie par M. F.-G. Eichhoff ( 2 ). Cette premiere partie du manuscrit de Reims, de seize feuillets seulement, contient les lecons du Nouveau Testament pour les jours du mois, depuis la fin d’octobre jusqu’au i er marš suivant, selon le rite grec catholique. Notre premier modele est tire de cette premiere partie. La seconde, composee de trente et un feuillets, est ecrite aussi en langue slave, mais en caracteres de Palphabet glagolitique ou de saint Jerome : nous donnons egalement dans d’autres notices de suffisantes indications sur Pecriture glagolitique. Notre second modele est tire de cette seconde partie du manuscrit; elle contient les lecons des evangiles pour les principales fetes de Pannee, a partir du dimanche des Rameaux. Le sujet, Pidiome et les ecritures de ce manuscrit, sont ainsi tres-certainement de- termines. Il reste quelque doute sur son age : voici des elements de quelque valeur pour le faire cesser. A la fin de la deuxieme partie, on trouve une annotation en encre rouge (voy. notre deuxieme planche), dont M. Jastrzebski a donne cette traduction : « Lan du Seigneur i3g5. Ces evangiles et epitres (la deuxieme partie, la glagoli- tique) sont ecrits en langue slavonne. Ils doivent etre chantes durant Pannee, pen- dant que Pabbe officie pontificalement. » «Ouant a Pautre partie (la premiere, en caracteres cyrilliens), elle est suivant le rite ruthenique (greco-catholique). Elle a ete ecrite de la propre main de saint Procope, abbe, et ce texte ruthenique fut offert par feu Charles IV, empereur des Romains, ( 1 ) Chronique de Champagne; i83y, pages 4oi et suivant.es. ( 2 ) Pariš, Cherbuliez et C ie , i83g; 36o pages in-8°. aux Slavons de ce monastere-ci, et en Fhonneur de saint Jerome et de saint Procope.» Ces renseignements si prečiš laisseront pen a desirer, meme a la plus exigeante curiosite. Toutefois, une critique impartiale et eclairee ne peut se dispenser de faire observer que tous ces renseignements ne sont pas d’im caractere absolument sem- blable, et n’anthentiqnent pas egalement tous les faits qu’ils renferment. La note oii ils sont contenus s’ouvre par une date, celle de Fannee i3q 5 de Fere chretienne et il n’y a point de plausible motif pour en contester la veracite. Elle prouve done que les deux portions du manuserit de Reims existaient en leur etat actuel a cette meme epoque, ce qui ne permet pas de fixer Fage des deux manus- crits au-dessous de la fin du xiv e siecle. Le surplus de cette note ne renferme que des traditions, historiques, peut-etre, mais dont son auteur n’indique pas la source, et dont il n’apporte d’autre temoignage que sa propre affirmation. Cest lui qui nous fait savoir que la premiere partie de notre manuserit, celle qui est ecrite en caracteres slaves cyrilliens, fut donnee par Fempereur Charles IV, roi des Romains, a un monastere slave de Saint-Jerome et de Saint-Procope. Or, un histo- rien de la Boheme nous apprend que ce meme souverain exposa au pape Clement VI, que les inoines Benedictins slavons, survivant a la dispersion de leur ordre qui avait ete accueilli en Boheme des Fannee 999, menaient dans ces regions une vie errante, et demanda en meme temps au pontife romain son agrement pour fonder un nouveau monastere oii seraient reunis ces pieux cenobites. Le meme historien ajoute que le pape accueillit favorablement cette demande, a la condition que le roi n’erigerait qu’un seul monastere dans tout le royaume de Boheme; et des diplomes, conserves jusqu’a nos jours, nous apprennent aussi que Fempereur Charles IV, accomplissant ses religieux desseins, fonda, en effet, et dota, en 1 et en i 349, un monas¬ tere de Benedictins slaves, et qu’il mit cette maison de Dieti sous Finvocation de saint Jerome. Ces temoignages historiques s’accordent done avec les termes de la note au sujet du don que Charles IV put faire de notre manuserit au monastere de Saint- Jerome. Ifassertion de Fauteur de la note a ainsi en sa faveur des temoignages his- toriques fort analogues, et qui, sans la revetir d’un caractere absolu de certitude, lui donnent beaucoup de vraisemblance. L’ecrivain certifie d’ailleurs, en 1395 , des faits qui ne remontaient pas au dela d’un demi-siecle. Il n’en est pas de meme a Fegard de Fautre assertion de notre annotateur, assertion d’une haute portee paleographique, puisque, en Facceptant dans tous ses termes, nous retrouverions ici non-seulement le plus ancien manuserit slave en ecriture cv¬ ri Ilienne, mais encore Fautographe de la main d’un saint illustre dans les fastes de FEglise slavonne, de saint Procope, qui fut vers Fan io3o le premier abbe du mo¬ nastere de Sazawa, en Boheme, fonde par Boleslas II. Or, F auteur de la note de Fannee i 395 certifie, lui seul, un fait important qui ifavait pu s’accomplir que trois siecles et demi avant lui; car Procope, qui aurait ecrit ce livre slave, et qui fut mis au nombre des saints par le pape Innocent II, etait mort en Fannee io55. Il n’y a done pas ici preuve suffisante d’un tel fait; 3 (texte du sacre, 3.) et comme le prix qu’on attacherait au manuscrit ne pourrait qu’etre proportionne a Fantiquite extraordinaire que la note lui donne, et au respect qu’imposerait 1 ouvrage de la inain d’un saint personnage, il nous semble que les regles ordinaires de la critique peuvent nous dispenser de croire a Fantiquite et a la saintete de notre manuscrit. Nous ne pensons pas neanmoins qu’on puisse le rajeunir, comme on F a voulu dire, jusqu’au xv e siecle, et nous nous rangeons volontiers de Favis du doete Kopitar qui, informe de la decouverte du manuscrit de Reims, et en ayant reeu un fac-simile , en a porte ce jugement ecrit de sa main, en forme d’annotation, sur un exemplaire de son Glagolita Clozianus deja cite et appartenant a M. Silvestre, annotation qui porte textuellement ces mots : « Page X: le texte de Rheims s’est retrouve, a Rheims meme, quoique denue de ses ornements. Ce n’est qu’un assemblage de deux manus- crits relies Tun apres Fautre (i), et de textes differents; tout au plus du xiv e siecle. » II nous semble difficile d’infirmer un tel jugement. Les faits que nous venons d’exposer doivent servir a Faccrediter. II nous reste encore,au sujet du manuscrit de Reims, qui n’est pas moins precieux quoique depouille de toute merveilleuse tradition, a nous informer des circonstances qui Font amene dans le tresor de la catbedrale. Un document autbentique, et de date certaine, nous donne pleine satisfaction sur cet autre point non nioins interes- sant de Fbistoire de notre manuscrit. 11 existe a la bibliotheque publique de la ville une piece intitulee : «Inventaire des reliquaires, chasses, images, joyaux, calices, « croix, vaisseaux d’or et d’argent, appartenant a Feglise et fabrique de Notre-Dame « de Rheims, fait, renouvele et extrait sur les anciens inventaires.» On y lit ce qui suit: « Item un livre dans lequel sont ecrits les evangiles en langue grecque et siriaque, « selon d’autres en esclavonique, du don de mori diet seigneur Cardinal de Lorraine, « laict la vedle de Paques i574,icelluy couvert d’argent dore d’un cote avec plusieurs « pierres et cinq cristaux sous lesquels sont plusieurs reliques, scavoir une croix du « bois de la vraie croix et des reliques de saint Pierre et saint Philippe apotres, « de saint Silvestre pape, de saint Cvrille, de sainte Marthe, sainte Marguerite, de « Fesponge et de la ceinture de nre Seigneur; aux quatre coings sont les figures « d’argent emaille de Faigle, de Fhomme, du lion, et du boeuf simboles des quatre « evangelistes : le dit livre provient aussy du tresor de Constantinople et on tient « venir de saint Hierosme; et pese six mares, six onces.» 11 est done certain que ce manuscrit fut donne au tresor de Feglise de Reims, au mois d’avril 1674 , par Charles de Guise, qui fut le celebre Cardinal de Lorraine, et qui enrichit aussi d’une universite la ville de Reims, dont il etait archeveque. Ce prelat avait-il recu ce meme manuscrit ou en present au concile de Trente, ou bien d’un Grec nomme Michel Paleocappas; enfin, ce volume provenait-il du tresor de Constantinople? On a fait toutes ces suppositions, et on les a deja examinees, mais sans aucune utile solution pour Fhistoire du volume vulgairement nomme Texte du sacre. ( 1 ) L un a la suite de 1’autre; (enseml)le). 11 nous semble, quant a Miehel Paleocappas, qu’on a fait une supposition denuee de toute vraisemblance, en considerant ce manuscrit du sacre comme donne par ce Grec au Cardinal de Lorraine. On se fonde, en effet, sur Finventaire deja cite des reliques du tresor de Notre-Dame de Reims, oii on lit aussi ce qui suit : « Item une tablette en deux fort antique dont les personnages sont faits de bois de « la vraye croix et de la chreche de nostre Seigneur, d’un coste est represente nostre « Seigneur et les pelerins d’Emaus, et de Fautre une Vierge tenant le petit Jesus : la « dite tablette est dans une custode d’argent dore.... du don de monseigneur Charles « Cardinal de Lorraine faict la veille de Pasques i 5 y 4 - Lile provient du tresor de Cons- « tantinople suivant Finscription grecque qui est gravee sur une lame d’argent traduite « en latin portant ces mots : Michael Palceocappas regiam hanc sanctam iconem post ex- « pugnationem Constannopolis suh Martha, monachus et ancilla regina assumens nudam, « oh metum Turcarum, sic pro sua facultate concinnavit . 1469. » Et on raisonne ainsi : la tablette en deux, fort antigue, a ete donnee a Feglise de Reims par le Cardinal de Lorraine la veille de Paques de i 5 y 4 ; le manuscrit slave a ete donne le meme jour par le meme Cardinal a la meme eglise; monseigneur de Lorraine tenait cette ta¬ blette de Miehel Paleocappas, qui la lui avait envoyee en present avec d’autres objets precieux; le manuscrit vient done aussi de Constantinople, sauve de la fureur des Turcs par le žele courageux de Paleocappas qui en fit present au Cardinal. Mais il y a dans ce raisonnement Foubli d’un fait chronologique qui le compro- met singulierement; car Finscription grecque du diptyque (tablette en deux), datee de Fannee 1469, dit que Paleocappas sauva cette relique en Fannee i 453 , qui est celle de la prise de Constantinople par les Turcs, et ce ne fut que soixante-deux ans apres que le Cardinal de Lorraine vint au monde, et cent vingt et un ans apres en- core, qu’il fit present du diptyque a Feglise de Reims. Cette meme inseription, traduite en latin et dans sa barbare latinite, n’enonce evi- demment qu’une seule chose, e’est que cette meme relique, sauvee nue , nudam, c’est- a-dire, sans ornements aucun, a ete ensuite ajustee, ornee et richement montee par ce Paleocappas, selon que ses facultes le lui ont permis, et que cela fut fait ou etait fait en Fannee 1469. Et Finventaire prečite dit, en effet, que le diptyque est dans une custode (un etui) d’argent dore, attache a une chaine d’argent, et que Finscription est aussi gravee sur une plaque d’argent. Voila, en tout ou en partie, Fouvrage de Paleocappas termine en 1469 : il dut passer en plusieurs mains avant de venir dans celles du Cardinal de Lorraine, car le prelat n’a pu ni voir ni connaitre le moine grec avec lequel on Fa inattentivement mis en de si bons rapports. Ceci encore detruit une des suppositions qu’on a faites sur Forigine de notre manuscrit slave. il est vrai qu’on voit dans la bibliotheque de Reims un manuscrit grec conte- nant les commentaires de Theodoret sur le livre du Levitigue; on assure que ce vo- lume, qui est orne de dessins, est Fouvrage du meme Paleocappas, que celui-ci en fit aussi present au Cardinal; et on tire ces renseignements tres-precis dTme epitre dedica- toire en latin, signee et adressee a Fillustre prelat par le savant Ryzantin. Nous ferons au sujet de ce manuscrit grec les remarques deja faites au sujet du diptyque, au sujet du g/j (TEXTE DU SACRE, 4.) livre du sacre : le Cardinal de Lorraine et le Grec Paleocappas ne se sont tres-vrai- semblablement point trouves en meme temps sur la terre, et nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que ce manuscrit grec de Reims doit avoir ete execute par un Constantin Paleocappas, qui est connu par d’autres manuscrits grecs, dont un, possede par la bibliotheque rovale, est dedie au roi de France Henry II; et le Paleocappas qui restaura le diptyque se nommait Michel. II n’y eut done rien de commun, que la meme origine peut-etre, entre Michel et Constantin Paleocappas, mais a un siecle de distance, et rien du tout entre Michel et le Cardinal de Lorraine, entre Michel et le Texte du sacre. Enfin le manuscrit slave merite-t-il aussi cette denomination? L’examen scrupuleux des traditions et des notions qu’elles ont pu fournir ne permet pas de repondre affir- mativement. L’abbe Pluche parait etre 1 ’auteur de cette assertion sans preuves; Pin- ventaire du mobilier de la cathedrale, dresse en 1790, qualifie aussi notre manuscrit de texte d’evangiles a deux caracteres, servant pour le sacre; cet inventaire fut redige en presence de plusieurs chanoines dont la signature peut etre consideree comme une preuve de leur adhesion a cette denomination, consequemment de 1’usage sup- pose du manuscrit, lequel servait reellement au sacre. Mais M. L. Pariš fait, en ce point de Phistoire du manuscrit, une sage distinction, accreditee par 1 ’absence de tout temoignage contraire, et en voici les termes : le manuscrit slave, enrichi de precieuses reliques, pouvait etre du nornbre de celles que le roi baisait religieuse- ment dans les ceremonies du sacre, et c’est pour cela que les chanoines de Reims ont pu dire que ce precieux volume servait pour le sacre; mais, les monarques pouvaient preter le serment sur un ancien evangeliaire latin; et en effet, un autre manuscrit sur velin, enrichi de miniatures, depouille, il est vrai, de son ancienne et precieuse couverture, existe encore dans la bibliotheque communale de Reims, et il est constate que c’est sur ce meme manuscrit que les rois de France pretaient le serment. Cette action solennelle ne s’accomplissait done pas sur le manuscrit slave. Cest ainsi que Phistoire du manuscrit slave de Reims, mal a propos nomme Texte du sacre (1), depouillee, enfin, de toute merveilleuse conjecture, se trouve, ce nous semble, eclaircie et authentiquee aujourd’hui par les details circonstancies que nous venons d’exposer au jugement du lecteur. Nous aurons peu d’occasions de Pentre- tenir de manuscrits et de documents paleographiques d’un interet aussi eleve pour Phistoire litteraire en general, et pour notre histoire nationale en particulier. Toutefois, nous ne pouvons pas oublier dans notre recueil le veritable evangeliaire manuscrit touche par nos rois dans la ceremonie de leur sacre : ce volume historique sera le sujet d’une notice speciale, et nous fournira un beau et precieux modele d’ecriture romaine. ([) On doit donner ce titre, comme M. Louis Pariš en fait la remarque, au volume qui fut imprime pour la premiere fois sous le titre de Consecratio et Coronatio regis Frančiče, par Guillaume Eustau, libraire et relieur de livres a Pariš, en m d x. ECRITURE GLAGOLITIQUE A LUNETTES. - XI E SIECLE. (ČlHUtaUcS sllUU'6 DE LA BIBLIOTHEQUE DU VATICAN. Dans notre Notice du beau Missel slave du xiy e siecle, et dans celle qui est relative au Psautier de Bologne, estime du xn e siecle, nous avons donne ime idee sommaire de Forigine des peuples et des idiomes slaves, de la conversion de ces peu- ples au christianisme, et de Feffet de cette conversion sur leurs usages litteraires. Les al- phabets dont les diverses familles de cette origine se sont servies ou se servent encore furent la consequence de leur nouvel etat religieux; et deux systemes graphiques principaux y prirent naissance, parce que les nombreuses populations slaves se partagerent, quoique inegalement, entre les deux principales communions chre- r r tiennes, FEglise grecque et FEglise latine. Cyrille inventa F al phabet a Fusage de la premiere, et cet alphabet fut nomrae cyrillien; un docteur esclavon, nomme Jerome, voulut en donner un aussi aux Slaves latins, et il a pris de Ja le nom d’alphabet de saint Jerome. Cet alphabet est connu aussi dans ie monde savant sous la denomination de cjla- golitique; nous ignorons Forigine et Fetymologie de ce mot. D’apres les recherches relatives a toutes les parties de la litterature glagolitique, publiees il y a peu d’annees par M. Kopitar (i), que nous avons deja eu Foccasion de nommer, on doit distinguer trois epoques principales dans Fusage de Falpha¬ bet slave-glagolitique, savoir : les signes en usage dans Fimprimerie, dont le premier produit remonte a Fannee i4$3, annee oii fut publiee a Venise Fedition princeps du Missel slave en caractere glagolitique, livre de la plus grande rarete, dont un exemplaire existe dans la Bibliotheque imperiale de Vienne. Les caracteres de ce volume, specialement employes dans Fimprimerie, sont de la forme la plus recente. Deux autres especes de caracteres, toujours analogues, mais differents entre eux par plus ou moins de simplicite, existent dans les manuscrits, et ces differences servent a en determiner Fepoque. L’ecriture des manuscrits modernes, c’est celle du Missel du xiy e siecle que nous avons deja decrite; la Bibliotbeque royale de Pariš pos- (i) Glagolita Clozianus etc., Vindobonae, C. Gerold, i836, in-4°. x6 (evangiles slaves.) sede un beau manuscrit de ce genre, exeeute sur velin. L’ecriture des manuscrits plus anciens, c’est celle-la meme dont la planche jointe a la presente notice reproduit le modele. Cet autre alphabet slave hieronymien est distingue des deux autres par la qua- lification de glagolitigue a lunettes, tiree de ses formes tres-apparentes. Tl est employe dans les plus anciens manuscrits. Celui qui a fourni le fac-simile joint a cette notice est un vol ume in-4°, en velin aussi, qui appartient a la Bibliotheque du Vatican. II fut acliete des Slaves-Grecs de Jerusalem par le savant J. S. Assemani., pendant son voyage au mont Liban. Le volume contient les Evangiles de Bannee et des saints, en langue slave eccle- siastique, dialecte bulgare. II est suivi du Calendrier des saints et d’instructions di- verses sur les principales ceremonies de BEglise. L’opinion des savants en cette matiere varie sensiblement sur 1’age du manuscrit: selon les uns, il remonterait au xi e siecle, et c’est Eopinion exprimee en tete de notre planche. Cependant nous avons so us les yeux 1’avis de M. Michel Brobwski, chanoine de Vilna, qui n’estime ce manuscrit que du xm e siecle, se fondant particu- lierement sur ce que le texte des Evangiles se rapproche avec evidence de Eancien texte imprim^ au x:v e siecle, circonstance qui semble d’un grand poids au docte chanoine, ainsi que certains signes orthographiques qui donnent plus de rudesse a la prononciation, et il se fixe sur le xm e siecle, quoique certaines fetes, du nombre r des dernieres etablies dans TEglise slave, ne soient pas inscrites dans le menologe qui fait partie de ce manuscrit. Il ne nous appartient pas d’intervenir dans une si diiTicile contention : nous ajou- terons seulement une remarque plus utile au but essentiel de notre recueil paleo - graphique, et la voici : Le manuscrit du Vatican ne permet pas d’adinettre, comme un principe absolu, que 1’alphabet glagolitique hieronymien, simple ou a lunettes, fut a 1’usage exclusif des Slaves latins; notre manuscrit en effet, quoique execute en caracteres de ce dernier alphabet, est redige et classe dans 1’ordre assigne par la liturgie du rite grec : circonstance remarquable d’oii M. Kopitar, qui croit le ma¬ nuscrit du xi e siecle, a conclu que Ealphabet glagolitique a lunettes fut, dans les r . temps anciens de 1’Eglise chretienne-slave, a 1’usage des deux rites a la fois. Dans toute supposition, le volume qui a fourni le sujet de notre planche est un des plus anciens et des plus precieux dans cette classe de documents paleographiques. ■Quelques lignes en ecriture glagolitique a lunettes existent dans un manuscrit latin de la Bibliotheque royale (n° 234o),et c’est de ce fragment que les Benedictins avaient tire Ealphabet de cette espece, qu’ils nomment bulgare, et qui fait partie de leur Nouvelle Diplomatique (i). (i) Tome I, page 708, planche XIII, col. IX. MANUSCRIT SLAVE. — XII E SIECLE. JJeautkr bc Cokane. COMMENTAIRE DE SAINT ATHANASE. On trouvera dans la Notice relative a un autre manuscrit slave, qui est un Evan- geliaire, quelques renseignements sur Forigine de Falphabet slave, et sur Fepoque oii il fut introduit, avec le christianisme, parmi les peuples qui appartiennent a la grande famille de ce nom. r L’Evangeliaire dont nous parlons est remarquable par sa belle exeeution graphique: on ne peut pas faire le meme eloge du manuscrit d’ou est tire le modele reproduit par notre planche. Ce manuscrit appartient a la Bibliotheque du Monastere de S.-Sauveur de Bologne. II contient le Psautier traduit en langue slavonne, ecrit en caracteres slaves cyrilliens; le texte du Psautier est accompagne d’un Commentaire allegorique en ce meme idiome, qu’on croit etre traduit du grec, et avoir ete compose par saint Athanase, patriarche d’Alexandrie au iv e siecle. Le Cardinal Antonelli, qui a publie, dans le siecle dernier, VExposition de ce meme pere grec sur les Psaumes (i), a parle Fort au long dans sa preface de cette version slave de ce Commentaire, a donne un fac-simile, peu bdele, du manuscrit, et a considere ce Commentaire comme inedit, quoiqu’il existe, du texte grec original, des manuscrits a Vienne et a Madrid. La Bibliotbeque royale de Pariš, riche en manuscrits des ouvrages de saint Atbanase, n’en possede cependant aucun de ce Commentaire. Quoi qu’il en soit, le Manuscrit slave de Bologne est un veritable monument paleo- graphique dans une serie de productions graphiques assez rares, meme dans la partie de FEurope, qui est leur veritable patrie. Ce manuscrit porte en effet dans une note le nom des copistes qui Font execute, Findication du pays et de Fepoque predse ou il a ete ecrit. Cette note se lit au verso du 126® feuillet (i re colonne), elle est aussi en slave, et le savant directeur de la Biblio- theque imperiale palatine de Vienne, M. B. Kopitar, a bien voulu nous en communi- quer une traduction latine, qui signibe, en francais : (i) Rome, 1746, in-folio. (psautier SLAVE DE BOLOGNE.) « Souvenez-vous, Seigneur, de vos serviteiirs Joseph, Tichota et Beloslav, qui ont ecrit ce livre avec bakle de Dieu et de la mere de Dieu, Marie toujours vierge. II fut ecrit dans le village de Ravno, preš la vil le d’Achride, sous le regne d’Assan, roi des Bulgares.» Cette note nous apprend en effet que l e vol ume a ete exeeute dans un village voisin d’Achride, ville de la Bulgarie et qui fut, dit-on, la patrie de 1’empereur Justi- nien, par trois ecrivains qui se nomment, et sous le regne d’Assan, roi des Bulgares. Trois rois de cette region reculee porterent ce nom, et la note ne donne aucun moven de se fixer avec certitude sur čelni de ces trois princes dont nos ecrivains imeni les contemporains. Le premier, se detachant de sa fklelite envers Lempereur de Constantinople, se Lit proclamer roi des Bulgares, en bannee 1186. Dans ce temps, les Bulgares, tribu tartare, venue des environs de Kasan, etant meles depuis plus de six siecles avec les Slaves da- nubiens, en avaient en partie adopte la langue, et avaient etendu leurs conquetes sur les contrees voisines. Le christianisme aussi en avait pris possession, et les Bulgares 1 ’avaient adopte a Timitation des Slaves qu’ils avaient conquis, et qui etaient plus nombreux que leurs vainqueurs. Les Bulgares adopterent en meme temps Lecriture du pays oii falphabet cyrillien etait d’un usage general. Depuis la declaration du sebi s me, cet alphabet etait devenu celui de la liturgie, de la langue de la religion, comme il Lest encore de nos jours en Russie, oii il est reserve a ce meme usage; et si les Bulgares se servirent vulgairement d’un alphabet quelque peu different, ils conserverent Lalphabet cyrillien pour leurs textes religieux. Ces circonstances ne nous fournissent aucun motif pour decider parmi les trois rois bulgares nommes Assan ou Asan, quel est celui que les ecrivains de notre Manuscrit ont entendu designer. Le premier regna de 1186 a iiC)5, le second de I2i5 a 1242, et le troisieme avant 1271. M. Kopitar attribue notre Psautier slave au temps d’Assan I er , a la fm du xn e siecle; nous n’avons aucune raison de contredire un aussi savant homme en pareille matiere. Sa note precitee nous apprend aussi qu’on remarque au ver so du i 57 e feuillet de ce manuscrit, quatre lignes oii le copiste, oubliant qu’il ecrit en caractere cyrillien ou de saint Cyrille, a employe les caracteres glacjolitiques ou de saint Jerome nous aurons Loccasion de mettre sous les yeux de nos leeteurs de beaux modeles de cet autre sys- teme d’ecriture qui fut a 1 ’usage special d’un des peuples de LEurope orientale. ECRITURK SLAVE. - XIII* SIECLE. (fomn^eUuire Slnue DE LA BIBLIOTHEOUE DU VATICAN. Ce volame est ecrit sur velin, a deux colormes, en langue slave et en caracteres cy- rilliens. On trouvera dans la description d’un autre Evangeliaire slave, appartenant a la Bibliotheque imperiale de Vienne, et dans la Notice sur un autre volume ecrit dans le metne idiome, mais avec un alphabet different, les notions necessaires po ur avoir une idee exacte des circonstanees relatives a 1’introduction de Fusage de Fecriture chez les Slaves, des causes de 1’invention des alphabets differents qu’ils adopterent; car la difference en quelques points de certains dogmes religieux a cree aussi et entretenu parmi les chretiens slaves cette difference entre leurs alphabets usuels pour le meme idiome. En general, Falphabet cyrillien, tel qu’il est employe dans notre fragment, est celui des Slaves de la communion grecque; avec quelques modifications, il est devenu Fal¬ phabet russe vulgaire. L’alphabet hieronymien, specialement nomme glagolitique, et qui se subdivise en glagolitique a lunettes, est celui des Slaves latins, mais non pas sans exception. Le manuscrit en caractere cyrillien, qui a fourni le sujet de notre planche, appar- tient a la Bibliotheque pontificale du Vatican; il contient les lecons des Evangiles r pour tous les dimanches de Fannee, selon la liturgie de FEglise grecque, commencant par le dimanche de Paques, et finissant avec le samedi saint, et dans le meme ordre que celui que donnent les menologes manuscrits et imprimes. Le calendrier qui se trouve a la fin du manuscrit commence au contraire par le i er septembre, comme Fexige le calendrier de Fannee civile grecque, qui s’ouvre par le i er jour de ce meme mois, les annees se supputant selon Fere dite de Constantinople, dont le point initial est le commencement du monde, ou plutot une opinion sur une epo- que de la creation du monde consideree comme certaine, et qui arriva 55o8 ans avant la premiere annee de 1’ere vulgaire. Les Slaves avaient adopte cette ere avec le calendrier, Falphabet et la croyance des chretiens grecs; et Fusage de cette ere n’a ete abandonne par les Busses que sous le regne de Pierre le Grand. 34 (evangeliaire slave du vatican.) Deux opinions differentes ont ete emises sur Fage du manuscrit slave qui est le sujet de cette notice. Le savant orientaliste Assemani F a cru du xi e siecle, et il a fonde son sentiment sur ce qu’on ne trouve inscrite, dans le calendrier qui fait partie de ce manuscrit, la fete d’aucun des saints qui ont včcu apres le xi e siecle. Un docte professeur de Wilna, au contraire, a juge ce volume du xm e siecle, parce qu’on trouve dans son texte de modernes lecons qui ne se lisent point dans les manuscrits reellement anciens : et cette raison, de tres-grand poids en critique philologique, doit faire adopter Fopinion du professeur Bobrowski. L’aspect du manuscrit porte aussi a se ranger de son avis; Fecriture en est vul- gaire, quoique reguliere, ferme et bien rangee; il s’y revele une certaine perfection, particuliere aux siecles oii Favancement de Fetat politique de la nation slavo-grecque avait plus generalement repandu le gout de la lecture, multiplie les copistes, et avait amene de la rivalite de leur profession une moyenne perfection commune qui suffisait au gout, public, et excluait habituellement une excessive recherche et les riches ornements, qui, au contraire, etaient indispensables quand les moines seuls etaient les copistes, travaillant pour Fhonneur de leur monastere ou des princes qui les protegeaient. On pouvait alors ne faire que des chefs-d’oeuvre, parce qu’on n’avait rien a produire pour Fusage du vulgaire. Plus tard, quand on travailla pour un plus grand nombre de classes, il fallut aussi des productions mediocrement parfaites et surtout denuees de tout luxe dispendieux,sans toutefois renoncer a une elegante exac- titude. Notre manuscrit nous semble etre de cette classe. L’Eglise grecque florissait a Fe- poque qui lui est assignee; les Paleologues regnaient a Constantinople; les affaires ecclesiastiques tenaient une grande plače dans 1’ensemble des affaires publiques; on essayait, encore les perpetuelles unions des deux communions cbretiennes; Fenipe- reur en signait Facte avec confiance au mois d’avril de Fan 1277, et il envoyait sa soumission au pape Martin IV, qui ne croyait guere a sa sincerite. Toutes ces cir- constances ainsi que la richesse des monasteres dans tous les pays de la langue slave, devaient concourir a multiplier les manuscrits qui, comme FEvangeliaire du Vatican, se distinguaient par une execution soignee sans ornements extraordinaires. Nous Fassi- gnerons done au xm e siecle avec le savant professeur de Funiversite de Wilna. EC HITIJU E SLAVE GLAGOLITIQUE. — XIV E SIECLE. Jttissd DE LEGLISE SLAVE LATINE. L’eglise chretienne slave est divisee en deux rites, le rite grec et le rite latin, ce dernier etant adopte par une population infiniment moins nombreuse que ne Fest la population slave grecque. A 1’imitation des Bulgares, les Croates se convertirent au christianisme vers le ix e siecle, par Finfluence des predications et du žele des missionnaires que Charles le Chauve leur envoya en 866, et par 1’entiere protection de Fempereur d’Orient et du pape Nicolas l er . Constantin et Methodius furent leurs premiers apotres. Le moine Methodius avait ete appele comme peintre par Bogaris, roi des Bulgares, qui voulait faire decorer son palais : le moine grec y peignit le jugement dernier; le sujet frappa profondement Fesprit du roi, et il se fit baptiser. Les deux apotres continue- rent leur mission avec de grands succes; appeles a Rome, ils y furent sacres eveques. Toutefois, les Bulgares cederent aux liberalites de 1’empereur Basile, et se reunirent a FEglise grecque; mais d’aiitres peuplades resterent latines, et c’est a cette separa- tion que Fon rapporte Finvention du nouvel alphabet slave dont notre planche offre un beau modele. II resulta de cette invention, que Falphabet cyrillien (voyez la notice intitulee Evangeliaire slave du Yatican) demeura a Fusage des Slaves grecs, et que Falphabet nouveau fut celui des Slaves latins. On raconte qu’un docteur tbeologien, Dalmate de nation, et nomme Jerome, en fut Finventeur, qu’il s’en servit pour ecrire une traduction en langue slave des livres saints ou des livres liturgiques, et qu’il Faccredita ainsi parmi ses contemporains, Fayant compose a Fimitation des lettres hebraiques et grecques(i). Cet alphabet a ete aussi attribue a saint Jerome, mais sans aucun motif plausible; et il est a presumer que la position geographique des lieux a autant contribue a Fusage de deux alpha- bets differents pour ecrire la meme langue parlee dans tous, que cette volonte, dont les exemples sont si frequents dans Fhistoire des sectes religieuses, d’avoir pour Fusage de chacune d’elles un alphabet particulier, un alphabet orthodoxe, essentiellement (i) Gnili. Postel, Linguarum duodecim, cliaracteribus differentium, Alphabetum; Parisiis, 1 538; in-4°. 4o (MISSEL DE l’eGLISE SLAVE LATINE.) different de celui des autres sectes, des autres rites qui sont condamnes et proscrits de to us cotes avec une si cordiale reciprocite. L’alphabet employe sur notre planche porte aussi les noms d’alphabet glagolitique, esclavon, boukonitza; la bizarrerie des ornements dont ses signes sont surcharges en rend Fusage difficile; l’examen le plus attentif ne decouvre aucun systeme de type, aucune analogie de formation dans ces divers signes; quelques lettres grecques y sont plus ou moins defigurees a dessein; le reste est pleinement arbitraire et sureharge de traits irreguliers, qui ne paraissent supportables qu’en comparant ces lettres a celles du meme alphabet glagolitique d luneltes, dont nous reproduisons aussi un modele. Uhistoire de Falphabet glagolitique en fait Fusage contemporain de celui du Slave cyrillien : telle est Fopinion de M. Kopitar, dont les savantes recherches nous fournis- sent aussi 1 ’histoire du manuscrit d’oii le sujet de notre planche a ete tire(i). Ce manuscrit est un Missel qui est ecrit de la main du comte de Novak, chevalier au Service de Louis le Grand, roi de Hongrie. 11 est en langue slave litterale; mais on reconnait une diction vulgaire dans une souscription qui nous apprend, d’apres la traduction de M. Kopitar, que, en Fannee i368, Novak, fils du comte Pierre, a ecrit ce volume pour le salut de son ame, et pour qu’il soit donne a FEglise, priant les pretres et les diacres qui officieront avec ce missel, de ne pas oublier l’e- crivain dans leurs prieres. Toutefois, ses intentions ne furent pas entierement remplies, et nous lisons dans une autre souscription que, en 1’annee i4o 5, Antoine etant patriarche d’Aquilee, ce meme manuscrit fut achete du comte Pierre, fils du comte de Novak, au prix de quarante-cinq pieces d’or, aux depens du tresor de 1’eglise de Sainte-Helene et Saint- Pierre de Nugla (en Istrie, diocese d’Aquilee.) Ainsi, ce volume, qui fut ecrit en Croatie dans 1’annee i368, qui fut vendu en Jl- lyrie dans 1 ’annee i4o5, se trouve aujourd’bui dans la bibliotheque imperiale de Vienne. On considere comme le plus ancien monument de Pecriture g!agolitique un Psau- tier du xm e siecle, qui est ecrit sur velin. Mais le plus curieux monument qui existe en idiome slave et en caractere a la fois cyrillien et glagolitique, est sans contredit le celebre manuscrit de Reims, nomme Texte du Sacre, et qui servait, dit-on, aux ceremonies du sacre des rois de France dans la cathedrale de Reims; singuliere destinee d’un Evangeliaire en langue slave, rapporte de Constantinople en 1’annee 1204 , et qui est prefere a tous les livres de la liturgie de FEglise latine pour Finauguration religieuse des rois francais! Lalphabet glagolitique se trouvera dans la serie de ceux qui sont le plus differents de Falphabet latin. ( 1 ) Glagolita Clozianus, ete., Vindobonae, Gerold, 1 836; in-4°, pag. mi. ECRITURE SLAVO-BULGARE. — X1V E SIECLE. Cl)i(miquc <£*i*ccqiic 0v?antiitc, TRADUITE EN LANGUE BULGARE. Le texte reproduit par la planche jointe a cette notice est tire d’un manuscrit qui contient la traduction en langue bulgare d’une chronique ecrite en langue grecque moderne. C’est celle qu’un savant Byzantin, Constantin Manasses, rčdigea vers le milieu du xn e siecle, et dedia a Irene, soeur de Fempereur Alexis Comnene. Cet Abrege historigue (Vest son titre) embrasse tous les temps depuis le commen- cement du monde, selon les chretiens grecs vraisemblablement, jusqu’a Fannee 1081 de L ere chretienne. L’auteur s’est donne la peine, ou le plaisir, de Fecrire en vers politiques. Ce trait dfimagination, bien propre a caracteriser 1 ’esprit de notre chroniqueur, nous epargne toute surprise en apprenant qu’il composa aussi un roman sur les amours d’Aristandre et de Callisthee, dont les fragments qui restent ont ete publies, en 1819, par notre illustre pliilologue, M. Boissonade. L 'Abrege historique devait figu- rer de droit dans la collection des ecrivains byzantins; il s’y trouve, en effet, et dans 1 ’edition du Louvre, avec la date de i 655 , apres avoir ete anterieurement pu¬ bl ie a Bale et a Leyde. Les guerres des Bulgares contre 1 ’empire grec sont decrites dans 1 ’ouvrage de Ma¬ nasses : il devait done interesser les Bulgares, lies, d’ailleurs, avec les Grecs par la communaute de leur croyance religieuse. D’origine tartare, venus des bords du Volga, ils passerent le Danube au commen- eement du Yi e siecle, subjuguerent plusieurs tribus slavonnes vers la fin du siecle suivant, et subirent, en s’etablissant au milieu d’elles, Linfluence de leurs idees, de leur langue, se firent chretiens avec elles, et adopterent aussi 1’alphabet slave de saint Cyrille, tel qu’il est employe dans le texte de notre planche. La puissance des Bulgares s’accrut jusqu’aux premieres annees du xi e siecle : Fempereur Basile II Febranla alors dans ses fondements; les Ottomans Faneantirent pour toujours des la seconde moitie du xiv e siecle. La langue des Bulgares, unie par la plus etroite filiation a la langue serbe, Fest aussi a Fesclavon et au russe, et appartient ainsi a la branche serbo-russe ou branche des Slaves de Fest, de la langue mere de tous les idiomes slaves. io 5 (chronique grecqde en bulgare.) Le dialecte employe dans notre manuscrit est Fancien slave proprement dit, celui que la religion a consacre a sod usage, et que la piete publique a reserve po ur la liturgie. Cet ancien idiome, qui s’est conserve surtout parmi les Slaves de la com- munion grecque, a neanmoins subi Finfluence inevitable des localites, et les savants slavonistes de FAllemagne reconnaissent sans effort cette influence, comme, malgre Funiformite fondamentale des signes de Falpbabet, ils distinguent si un manuscrit a ete eopie par un Bulgare, un Servien ou un Russe. Notre manuscrit est de la main d’un Bulgare, et il fut ecrit vers le milieu du xiy e siecle : ces deux indications paleograpbiques sont tirees du manuscrit lui-meme, car il est dedie au roi des Bulgares, Alexandre, qui fut 1’un des partisans de Fem- pereur Jean Paleologue, et qui mourut en Fannee i35o. Le volume se reeommande par une execution soignee, par ses rubriques en rouge, et les capitales initiales de meme couleur. Les catacteres de Fecriture, en tout con- formes, pour le fond, a Falpbabet invente par saint Cyrille, sont massifs, elegants, a queues prolongees se terminant en pointe, a montants rectangulaires non tranches; cette ecriture, presque distincte, accentuee, est accompagnee de quelques signes de ponctuation; quelques mots y sont abreges. Lne vignette coloriee orne la page de notre fac-simile. On y voit, aupres d’une eglise d’architecture fort simple, un personnage etendu sur un lit; celui qui Fassiste au cbevet parait Faider a se mettre sur son seant; un troisieme personnage presente au premier des images, vraisemblablement peintes, des portraits de saints, reeon- naissables a Faureole qui environne leur tete, et le nom de Theophile qui se lit au- dessus de cette scene, autorise a croire que son sujet fait allusion a la haine tres- prononcee contre les images du Sauveur et de ses martyrs, que manifesta Fempereur Theopbile, fils de Michel JI, parvenu au trdne en 829, et mort en 842, Ldiistoire dit, en effet, qu’il persecuta les catholiques, et la chronique de Manasses, dont notre manuscrit est une version en bulgare, mentionne expressement les effets de la haine furieuse de Theopbile contre les images. Notre manuscrit appartient a la bibliotheque pontiflcale du Vatican; il porte le n° 2 dans le catalogue oii il est inscrit. ECRITURE SLAVONNE. - XVI E SIECLE. 6