467 Jacqueline Oven Faculté des Lettres, Université de Ljubljana Slovénie jacqueline.oven@ff.uni-lj.si UN SON VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ : LES DÉFIS DE LA COMPRÉHENSION ORALE ET DE LA TRANSCRIPTION DE DOCUMENTS ORAUX INTRODUCTION Dans cette contribution, nous nous proposons d'analyser les défis relevés par des étu- diants slovènes lors de la transcription de documents oraux authentiques. Cette analyse repose sur un corpus constitué de 300 copies d'étudiants FLE de 2ème année Licence. Dans le cadre du cours Français en usage 2 (5 heures par semaine au 1 er et au 2 ème semestre), 1 heure est consacrée à la compréhension orale de documents authentiques avec 2 objectifs sous forme de savoir-faire : rédiger un résumé et faire la transcription de documents oraux. Dans cette contribution, nous nous focaliserons sur la transcription, ses enjeux et ses difficultés pour un non-natif, en répertoriant les types de difficultés, engen- drant les erreurs commises par nos étudiants, et en les regroupant dans différentes caté- gories selon le type de difficulté/d'erreur et en identifiant les phases au cours desquelles elles interviennent (décodage, encodage). 1 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA COMPRÉHENSION ORALE ET CADRE DE L'ANALYSE Revenons, dans un premier temps, à des considérations plus générales sur l'analyse lin- guistique de productions orales par le biais de productions écrites, pouvant certes susciter quelques interrogations, mais s'avérant indispensable, voire nécessaire, quelle que soit d'ailleurs l'exploitation des documents oraux, comme souligné maintes fois par de nom- breux chercheurs : « On ne peut pas étudier l’oral par l’oral, en se fiant à la mémoire qu’on en garde. On ne peut pas, sans le secours de la représentation visuelle, parcourir l’oral en tous sens et en comparer les morceaux. » (Blanche-Benveniste 2000 : 24), ou encore « pour approcher l’oral, on doit « en passer » par l’écrit. » (Blanche-Benveniste et Jeanjean 1987, Blanche-Benveniste 1997 et 2000, Gadet 2003, Raingeard et Lorscheider 1977). Jacqueline Oven: UN SON VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ ... UDK 811.133.1'243'271.14:378(497.4) DOI: 10.4312/vestnik.13.467-480 468 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Lors des TD de Compréhension orale intégrés au cours de Français en usage 2, l'étudiant FLE perçoit un flux sonore émanant d'un document oral authentique qui doit être décodé pour pouvoir procéder aux deux objectifs/savoir-faire prévus dans le cadre de ces TD : le résumé et la transcription. Ces deux savoir-faire requièrent une description du processus de compréhension orale. A cet effet, deux modèles différents peuvent être adoptés : la démarche sémasiologique (de la forme au sens), où la construction du sens d’un message est envisagée, ou la démarche onomasiologique (du sens à la forme). Dans le cas du résumé, c'est le modèle sémasiologique qui est mis en oeuvre. Dans ce modèle, le processus de compréhension est décrit de la manière suivante : dans un premier temps, l’auditeur isole la chaîne phonique du message et identifie les «sons» qui constituent cette chaîne (phase de discrimination) ; puis, il délimite les mots, groupes de mots, phrases que représentent ces sons (phase de segmentation) ; ensuite il associe un sens à ces mots, groupes de mots et phrases (phase d’interprétation) ; enfin, il construit la signification globale du message en «additionnant» les sens des mots, groupes de mots et phrases (phase de synthèse). La transcription, elle, suit la démarche onomasiologique (du sens à la forme), avec entre autres un découpage pertinent du discours, avec un repérage des unités de segmen- tation, des séquences et des unité de sens. En fait, les deux objectifs fixés dans nos cours de compréhension orale représentent le croisement des compétences orales et écrites. L'écoute de documents sonores est réa- lisée en vue d’un objectif : écrire un résumé, comparer ou croiser et organiser des infor- mations, faire un compte-rendu oral/écrit ou une transcription. Dans cette contribution, nous nous limiterons à un des deux savoir-faire préalable- ment mentionnés, à savoir la transcription, c'est-à-dire l’encodage de documents sonores et oraux. Ce travail de transcription permet donc de décrire et de structurer l’oral sous une forme textuelle. Précisons que la transcription demandée est une transcription sans modifications graphiques, comme le préconise Gadet (2003 : 30), « seule une graphie sans aménagement ni réécriture limite le risque de stigmatiser un énoncé », c'est-à-dire « sans trucages orthographiques », appellation adoptée par Blanche-Benveniste et Jean- jean (1987), qui expliquent que ces formes ne correspondent pas à des graphies connues d’un scripteur/lecteur de la langue, telles que répertoriées dans les ouvrages de référence, tout en y renvoyant néanmoins. Pour désigner ces modifications graphiques, différents termes sont employés : Giovannoni et Savelli (1990) parlent de « bricolage orthogra- phique », Gadet (2003) d’« aménagement graphique », Raingeard et Lorscheider (1977) de « bâtards phonético-orthographiques ». On reproche souvent aux apprenants non-na- tifs d'avoir tendance à adopter une vision «maximaliste» en cherchant toujours à tout comprendre et en oubliant de ce fait que le critère de réussite de sa compréhension ne requiert pas toujours une compréhension exhaustive, voire une écoute détaillée. Cette attitude de «sur-correction » représente bel et bien un handicap pour tout apprenant de langue étrangère et dessert certes bon nombre d'activités proposées aussi bien en classe 469 que dans les manuels dans le cadre de la compréhension orale, mais est indispensable lors du processus de réécriture d'énoncés oraux. Comprendre, c’est construire du sens, et transcrire, c'est reconstituer des formes linguistiques. Le corpus qui nous a servi de point de départ pour la présente analyse est constitué de 300 transcriptions (processus de réécriture d'énoncés oraux sans modifications gra- phiques), réalisées par nos étudiants FLE de 2 ème année entre 2016 et 2020. Nous y avons répertorié les difficultés rencontrées par nos apprenants, ayant engendré des erreurs dans leur encodage de documents oraux/sonores, pour ensuite les classer selon le type de dif- ficulté/d'erreur (découpage en énoncés, mots ou phonèmes ), la phase lors de laquelle est intervenue cette difficulté/erreur (décodage/encodage), les éventuelles causes et des recommandations pour une meilleure transcription. 2 RECENSEMENT DES DIFFICULTÉS/ERREURS Après le recensement des difficultés/erreurs répertoriées dans les copies des étudiants, nous les avons regroupées en fonction de la phase durant laquelle elles sont intervenues : le décodage, l’encodage ou les deux, décodage et encodage. 2.1 Difficultés/erreurs au niveau du décodage Dans les cas de difficultés ou erreurs dans la phase de décodage, on est souvent en présence d’homophones hétérographes engendrant une altération du sens : (1) Dites-moi, c'est un Paris (pari) fou que vous avez lancé en créant ce magazine. Parfois, il arrive que ces homophones hétérographes soient translexicaux (suite à un mauvais découpage du flux sonore) : (2) Après tant d'années de réflexion, tant de projets d'hiver (divers), le rêve est enfin réalisé. (3) En Grèce, la pelle (l'appel) au secours du gouvernement. Dans ces cas d'homophonie translexicale, on observe souvent une défaillance au ni- veau de la délimitation du déterminant ou de la préposition (morphèmes grammaticaux) et du mot sémantiquement plein (morphèmes lexicaux). On peut également observer des cas de parophonie, avec des parophones sans al- tération majeure du sens et sans véritable faute de langue (juste une écoute inattentive entraînant une mauvaise reconnaissance des phonèmes) : Jacqueline Oven: UN SON VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ ... 470 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES (4) 85% des Français maîtrisent entre cinq et (à) six mille mots. (5) Elle nous propose des recettes dans un coffre (coffret) qui vient de sortir. Comme dans les exemples préalablement répertoriés, on assiste parfois à des inat- tentions au niveau de la perception, sans que cela ne provoque d'altération du sens : (6) Pour répondre à l'angoisse (aux angoisses) des enfants et des parents. Il est vrai que, dans certains cas, on peut considérer que le processus défaillant au niveau de la compréhension est très certainement dû à des lacunes lexicales, avec pour solution un recours au vocabulaire connu et maîtrisé par l'étudiant, comme le montre le premier exemple, ou pas, comme dans le deuxième exemple : (7) C'est parti pour un pardon (parcours) de six heures. (8) L'école pourrait remédier à cette faille d'écrêtage (de décryptage). Par ailleurs, des altérations de sens ont été recensées suite à une écoute approxima- tive, avec une mauvaise distinction des différents phonèmes, notamment au niveau des nasales /ɑ̃/ /ɔ̃/ /ɛ̃/ et des /u/ vs /y/ : (9) C'est un bon (banc) iniciatique, faut pas se planter. (10) Le problème est que j'ai du mal à m'arrêter et, comme (quand) je m'y mets le soir, après le dîner, ça m'empêche de m'endormir. (11) La préfecture dispose encore de 600 (500) places. (12) Vous avez trois prix dans (dont) le prix France télévision. (13) Hier soir, ils étaient des milliers à accueillir 2016 au pied de l'Arc de triomphe, pour tous un même cri de joie et lors (l'heure) des premiers voeux. (14) Des embrassades, quelques boules (bulles) de champagne et même des pas de danse. (15) Plusieurs fois encore, il parait (apparait) que Nicolas parvient à ressusciter des enfants. (16) Les lieux de ville (vie), comme cette église, sont concernés par cette mesure. (17) Ce livre est parti d'un drame au débat (départ). (18) L'accord sur le climat est validé, ce sommeil (sommet) ne sera donc pas un échec. (19) Nous avons choisi ces (sept) mots un peu recherchés : véhément, déférence, éponyme, disert, arbalète, pusillanime et sautoir, pour voir s'ils étaient connus. 471 2.2 Difficultés/erreurs au niveau de l’encodage Dans la majorité des cas, on a relevé des erreurs de type homophones hétérographes, en- gendrant des fautes de langue (grammaire, syntaxe), dont la cause peut probalement être imputée à un manque d’inattention de l’étudiant, vu que les formes ou structures peuvent être qualifiées de basiques dans la langue française : (20) Choisir son futur métier et (est) parfois un choix cornélien. (21) J'ai du mal à me réveillée (réveiller) à cause de ça. (22) La privation de sommeil va générée (générer) des troubles cardiovasculaires. (23) Mais qu'est-ce qu'on va faire de tous ses (ces) gens ? (24) Votre livre c'est (s'est) vendu à 90.000 exemplaires, c'est incroyable. Des cas d’homophones hétérographes translexicaux, suite à un mauvais découpage du flux sonore, ont pu également pu être observés, ayant le plus souvent pour consé- quence des structures syntaxiques incorrectes : (25) Il l'en (Il en) contient des mots, le dictionnaire. (26) Mais utilisent-on (utilise-t-on) vraiment toutes les nuances de sens ? (27) Cette (C'est) une équipe américaine qui a réalisé ce projet. Ici, on relève surtout des défaillances engendrées par la liaison, qui est un phéno- mène quasi inexistant dans la langue maternelle de nos étudiants, le slovène, ce qui peut vraisemblablement expliquer ce manque d'attention face à ce type d'occurrence. Par ailleurs, on remarque aussi des erreurs au niveau des morphèmes grammaticaux, comme dans l'exemple suivant : (28) C'est comme ça qu'on combattre à (combattra) ça. Ces homophones hétérographes (translexicaux ou pas) engendrent, dans la grande majorité des cas, des fautes de langue relevant de la grammaire et de la syntaxe. Dans la catégorie des paraphones, on peut relever des cas ne présentant pas d'altéra- tion de sens mais avec des fautes de langue au niveau de l'encodage : (29) Les autres migrants seront répartis dans l'un de (des) cent centres d'accueil. (30) Plusieurs personnalités depuis quelque temps et notamment à (un) linguiste s'inquiètent. (31) …avant de vous parler de (du) livre, … Jacqueline Oven: UN SON VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ ... 472 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES (32) De Lille à Collioure, on (en) passant par Rennes ou Paris, on n'avait qu'une seule idée. (33) …mais la plupart de (des) familles dorment à même le sol. Dans certaines copies, on observe des erreurs qu'on pourrait appeler des illusions auditives avec des rajouts entraînant des structures ou collocations incorrectes : (34) La décision est prise et les autorités ne la reculeront pas. (35) …comme nous l'avons toujours fait depuis des mois en tenant en compte chaque situation individuelle. De même, on peut constater le contraire, c'est-à-dire un manque : (36) Les associations de réfugiés (d'aide aux réfugiés) s'inquiètent et contestent les chiffres avancés par la préfecture. (37) …comme nous l'avons toujours fait depuis des mois en tenant compte (de) chaque situation individuelle. (38) Nous sommes encore loin de (le) savoir. Certaines règles caractéristique de l'oral engendrent également des transcriptions défaillantes : (39) Donc y (il) reste 500 places dans les contenaires. Dans certaines transcriptions, on constate certes des erreurs au niveau de l'encodage, mais d'un autre ordre : l'étudiant a apparemment tellement focalisé sur le processus de compréhension (décodage) qu'il a 'failli' au moment de la transcription (encodage) en procédant à une reformulation lexicale sur l'un des termes entendus par le biais d'un sy- nonyme : (40) Quand vous avez des gants, vous ne pouvez plus utiliser (manipuler) l'écran tactile. (41) Que s'est-il vraiment (réellement) passé ? (42) Les deux voitures ont servi à semer la mort à (dans) Paris. 2.3 Difficultés/erreurs au niveau du décodage et de l’encodage Bon nombre de difficultés de compréhension au moment du décodage, dues très souvent à des homophones hétérographes, parfois translexicaux, engendrent des altérations du sens (suite à un mauvais découpage du flux sonore) et des fautes de langue : 473 (43) Les Français prennent de plus en plus leurs vacances d'été ou divers (d'hiver) dans leur pays. (44) Les autres migrants seront répartis dans l'un de (des) cent de (deux) centres d'accueil. (45) La pollution est omniprésente dans notre quotidien. Comment on peut le constater ? (…quotidien, comme on peut le constater.) (46) Mais, à l'air (ère) des raisons (réseaux) sociaux et de longue formation (l'infor- mation), qu'est devenu le discours politique ? Parfois, nous sommes en présence de parophones, translexicaux ou pas, avec alté- ration du sens et fautes de langue, dues à une différenciation difficile et récurrente de certains phonèmes (nasales /ɑ̃/ /ɔ̃/ /ɛ̃/, /ə/ vs /e/, …) : (47) Alors, dont on parlait (doit-on parler) d'un réel appauvrissement de la langue française. ( ?) (48) De (dès) matin, ils participeront à une mission de simulation de la vie sur Mars. (49) Au fil des siècles, le mythe de Saint Nicolas se répond (se répand). (50) Ils ont aussi peu mesuré (pu mesurer) le risque d'avoir un enfant microcéphale. avec, dans certains cas, comme préalablement mentionné, un mauvais découpage du flux sonore : (51) Bernard Cazeneuve, lui évoque une démarche humanitaire et promet à porter (apporter) une solution à chaque personne évacuée. (52) Ils s'enfuient (ont fui) l'Afghanistan, il y a deux mois. (53) Abdeslam les appelait (a appelés) vendredi soir à la rescousse. (54) Un habitant pensait le voir (l'avoir) aperçu dans cet immeuble. Quand il y a erreur au niveau du décodage ou/et de l'encodage, on constate assez régulièrement un problème de distinction entre certaines paires de phonèmes, comme le /ə/ et le /e/ : (55) La preuve ce (c'est) que vous n'avez plus besoin de prendre le bateau pour aller en Angleterre. (56) Le kamikaze se (s'est) fait exploser boulevard Voltaire. (57) …ce (c'est un) titre énigmatique pour une histoire qui est en train de se trans- former en conte de fée. Jacqueline Oven: UN SON VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ ... 474 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES ou le /e/ et le /ɛ/ : (58) …pour qu'on est (ait) dans notre assiette quelque chose qui nous parle. ou le /o/ et le /ɑ̃/ : (59) En (Au) moment où la presse écrite va mal, … (60) Les chercheurs ne sont pas au (en) mesure de se prononcer. On observe aussi des difficultés au niveau de la liaison (non-perception ou non-re- connaissance) : (61) Les dauphins sont des animaux qui vivent dans (en) groupe. ou une reconnaissance difficile des nasales ou une mauvaise distinction des diffé- rentes nasales : (62) Elle permet aux malades de retrouver le schéma (chemin) de la mémoire. (63) Des volontaires infectés par le veillage (VIH) ont reçu le vaccin qui a fait bais- ser la quantité de virus dans leur sain (sang). Parfois, il arrive que la combinaison de difficultés aussi bien au niveau du décodage que de l'encodage aboutissent à des solutions n'ayant ni véritable sens ni fondement dans les règles de la langue française. L'incompréhension est due, dans un premier temps, à l'incapacité de procéder à un découpage translexical adéquat du flux sonore et, de ce fait, à faire face à une incompréhension de ce qui vient d'être entendu, pour ensuite, à partir seulement des phonèmes plus ou moins bien identifiés (donc en zappant complètement la phase du décodage), d'y donner une forme textuelle en se basant sur ces phonèmes, aboutissant à des transcriptions incorrectes (tant au niveau du sens que de la forme) : (64) L'école pour repère remédié à cette faille lexicale. (L'école pourrait-elle remédier à cette faille lexicale ?) (65) Bonjour, on est vraiment heureux de pour se voir (vous recevoir) pour nous parler de ce livre. (66) C'est la preuve que l'action du gouvernement semble commencer apporter (à porter) ses fruits. (67) C'est aussi par là qu'il y met (émet) des sons. (68) Mais sa mémoire n'est pas perdue pour un temps (autant). 475 (69) L'industrie du tourisme bat de loin la gros (l'agro-) alimentaire. Un mauvais découpage translexical peut conduire à de véritables non-sens, avec des transcriptions voulant coller plus ou moins à l'image acoustique de ce qui est entendu/ perçu par l'étudiant, qui dans ces cas de figure zappe complètement la phase du décodage et qui le reconnait volontiers lors des corrigés (oui, je savais que cela ne voulait rien dire, mais je ne voulais pas laisser de vides) ou qui le met directement dans la copie sous forme de commentaire (je ne suis pas sûr(e) d'avoir bien compris) : (70) Il porte alors un beau costume des vecs (d'évêque). (71) Ils se sont mis d'accord sur les pineuses questions (l'épineuse question) des retraites complémentaires. (72) L'Assemblée prévoit un budgstab (budget stable) pour l'enseignement supé- rieur et la recherche. (73) Un Français sur deux à vous (avoue) être prêt à revendre ses cadeaux. (74) La Grande-Bretagne n'est plus unide/unile/utile (une île). (75) Les trains transportent les voitures deux jours comme venu (de jour comme de nuit). (76) …, alors qu'un autre est battu (a été abattu) par la police. (77) Quelques siècles ne peuvent suffire à fermettre (faire naître) une nouvelle langue. (78) Douze élèves étaient abords (à bord) de ce car scolaire. (79) Il a loué deux chambres dans cette résidence au tolière (hôtelière) avec sa carte bancaire. En cas de non-décryptage du flux sonore (portant sur un seul ou plusieurs termes), certains étudiants, toutefois peu nombreux, décident tout simplement de ne rien mettre et laissent un blanc : (80) Il sera …….. (bel et bien tête de liste) socialiste pour les régionales en Bretagne. (81) Les Anglais et les Français ont …. (creusé) un tunnel sous la Manche. (82) Depuis l'inauguration, des … (tonnes) de voyageurs sont passés dans les deux sens. (83) ….. (S'aimer les uns les autres), c'est ce qu'il faut faire. (84) Il y a dix ans, c'est l'enclave espagnole au Maroc de Ceuta qui avait ….. (édifié) sa barrière. Jacqueline Oven: UN SON VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ ... 476 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES (85) …ce qui va dans le bon sens, … (à la fois en terme) de santé publique et de dépenses. (86) Pour lui, … (le verdict est) sans appel. (87) …pour viabiliser des terrains inoccupés, … (un aéroport désaffecté), mais cela ne suffit pas. (88) … (Quand on sort de la piscine, on se sent allégé). Toutefois, les difficultés au niveau de la compréhension, au moment du décodage, peuvent donner lieu à des solutions quelque peu cocasses, qui pourraient s'apparenter, dans d'autres circonstances et contextes, à des jeux de mots : (89) Les communes gèrent les illuminations de Noël : l'imitation (limitation) du pé- rimètre illuminé et installation d'une poule (d'ampoules) basse consommation. 3 RÉCAPITULATIF DES CAUSES ET DOMAINES ENGENDRANT DES DIFFICULTÉS ET ERREURS / ENSEIGNEMENTS ET APPLICATIONS L'analyse du corpus a fait ressortir des difficultés/erreurs aussi bien au moment du dé- codage que de l'encodage, avec parfois une combinaison des deux, dans les copies des étudiants. Le décodage a surtout mis en évidence des lacunes lexicales, avec l'émergence de phénomènes, sources d'erreurs, tels que l'homophonie et la parophonie, et des découpages défaillants du flux sonore. Par ailleurs, force est de constater que les étudiants ont des difficultés quant à la distinction de certains phonèmes, dont la plupart sont caractéris- tiques du français et inexistants en slovène tels que par exemple les nasales. Au niveau du découpage, on observe également que la liaison ainsi que les morphèmes grammaticaux (surtout les déterminants et les prépositions), phénomènes plus rares, voire inexistants dans la langue maternelle de nos étudiants, sont à la source de bon nombre de difficultés. La phase de l'encodage a permis de dégager deux grandes tendances, en fonction du degré de performance lors de la phase de décodage : quand il y a une bonne maîtrise au niveau du décryptage du sens, les erreurs relèvent le plus souvent d'un manque d'atten- tion (formes morphologiques incorrectes), alors qu'en cas de flottement dans la phase de décodage, on observe souvent des tentatives de restitution textuelle faite directement à partir des phonèmes perçus, plus ou moins correctement, sans prise en considération du sens et du contexte, aboutissant alors à des solutions inappropriées tant au niveau du sens que de la forme. Au vu des constatations quant aux difficultés/erreurs, relevant surtout de diffé- rences entre les langues française et slovène, il semblerait approprié d'avoir recours plus 477 fréquemment et plus systématiquement à l'approche contrastive pour une meilleure inté- riorisation, qui se fait sur le long terme, même au-delà des cours de compréhension orale, pour sensibiliser les étudiants à des phénomènes comme l'homophonie/l'homonymie, la parophonie/la paronymie, la liaison, et de manière plus générale, la différence entre ce que l'on perçoit (les phonèmes) et ce que l'on écrit (les morphèmes), ce qui caractérise en fait le français, à la différence du slovène. Par ailleurs, pour remédier à la confusion concernant certains phonèmes (comme les nasales ou certaines voyelles), il serait bon d'insister non seulement sur leur perception, mais surtout sur leur bonne production/pro- nonciation. En effet, en cours, on peut constater une corrélation très étroite entre les deux - les étudiants ayant une bonne prononciation maîtrisent beaucoup mieux la perception des différents phonèmes, ce qu'on pourrait résumer en ces termes : qui prononce bien, entend bien. 4 CONCLUSION L'analyse des transcriptions effectuées par les étudiants lors de ces quatre dernières an- nées montre l'exigence de ce savoir-faire, qui requiert et combine deux compétences, le décodage et l'encodage. Les difficultés/erreurs ont été répertoriées aussi bien lors de la phase du décodage que de celle de l'encodage, avec parfois une combinaison des deux, à savoir un décodage et un encodage approximatifs, voire incorrects. Le succès du déco- dage est évidemment en corrélation étroite avec le degré de maîtrise de la langue fran- çaise, mais – fait plus étonnant – certaines défaillances ont pu être recensées dans des domaines connus et relativement bien maîtrisés, du moins face à des documents écrits, comme par exemple la liaison, la combinaison 'déterminant + nom', sources d'erreurs relativement fréquentes dans le corpus ayant servi de point de départ à cette analyse. Autre constatation : une meilleure maitrise de certains phonèmes, comme par exemple des nasales, contribuerait à une meilleure reconnaissance, passant déjà préalablement par une meilleure production de ces phonèmes, et à une meilleure performance, à un meilleur découpage du flux sonore au moment de l'écoute et a fortiori lors de la transcription. Lors de l'encodage, on a pu repérer deux cas de figure : si l'étudiant a compris et maitrisé la phase du décodage, les erreurs recensées peuvent être qualifiées d'erreurs d'inattention ; par contre, si le décodage a posé problème (de quelque nature que ce soit, aux niveaux lexical ou translexical), l'étudiant a dans la majorité des cas tendance à vouloir à tout prix faire directement correspondre le flux sonore à une forme textuelle (avec zappage com- plet de la phase de décodage), avec des solutions n'ayant très souvent aucun sens et étant incorrectes d'un point de vue de la langue, ce qu'ils avouent volontiers lors des mises en commun et corrigés en cours, en évoquant parfois la hantise de l'espace blanc. Par contre, rares sont les étudiants à laisser des blancs/vides en cas de difficultés lors du décodage. Par ailleurs, l'enseignant, en se référant à une approche contrastive entre les deux langues Jacqueline Oven: UN SON VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ ... 478 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES de l'apprenant, peut anticiper, d'une certaine manière, les points épineux auxquels l'appre- nant sera confronté, comme par exemple les nasales, la liaison, qui sont des phénomènes marginaux, voire inexistants en slovène, tout comme d'ailleurs les phénomènes de l'ho- monymie et de la paronymie, fréquents en français et rares en slovène. L'apprenant a donc plus de difficultés à les intégrer et, plus important encore, à véritablement les intérioriser lors de l'apprentissage du FLE, ce qui explique grand nombre des difficultés/erreur réper- toriées dans les transcriptions de notre corpus. BIBLIOGRAPHIE BLANCHE-BENVENISTE Claire/Colette JEANJEAN (1987) Le français parlé. Trans- cription et édition. Paris : Didier Érudition. BLANCHE-BENVENISTE Claire (1997) Approches de la langue parlée en français. Paris : Ophrys. BLANCHE-BENVENISTE Claire (2000) Transcription de l’oral et morphologie. Roma- nia Una et diversa, Philologische Studien für Theodor Berchem (Gille M. et Kiesler R. Ed.). Tübingen : Gunter Narr, 61-74. GADET Françoise (2003) La variation sociale en français, Paris : Ophrys. LOSIER Line/Sylvia KASPARIAN/Gisèle CHEV ALIER/Karine GAUVIN (2002) Guide de présentation de mémoires et de thèses en linguistique et conventions pour la transcription de conversations. Moncton : Université de Moncton. RAINGEARD Martine/Ute LORSCHEIDER (1977) Édition d’un corpus de français par- lé. Recherches sur le français parlé 1, 14-29. CORPUS 300 copies d'étudiants de 2 ème année Licence (2016-2020) POVZETEK MANJKA LE EN FONEM IN SVET OKROG V AS JE ENA SAMA PRAZNINA: IZZIVI SLUŠNEGA RAZUMEV ANJA IN TRANSKRIPCIJE SLUŠNIH BESEDIL V prispevku z naslovom Un son vous manque et tout est dépeuplé : les défis de la compréhension orale et de la transcription de documents oraux (Manjka le en fonem in svet okrog vas je ena sama praznina: izzivi slušnega razumevanja in transkripcije slušnih besedil) obravnavamo in analizira- mo težave in napake, opažene v izdelkih oz. transkripcijah študentov francoščine kot tujega jezika 479 v 2. letniku 1. stopnje študija. Gre za transkripcije, nastale v okviru predmeta Francoščina v rabi 2 – Slušno razumevanje (korpus 300 izvodov, zbranih med letoma 2016 in 2020). Analiza nam omo- goča izdelavo popisa težav oz. napak, ki so jih študentje storili v svojih izdelkih, in razvrščanje teh napak glede na fazo, v kateri pride do omenjenih težav (dekodiranje, enkodiranje, dekodiranje in enkodiranje). Najpogostejše napake pri dekodiranju so po eni strani povezane z leksikalnimi vrzelmi, po drugi strani pa z napačno razčlenitvijo zvočnega toka, ki študenta sooči s pojavi, kot sta homofonija in parafonija (leksikalna in transleksikalna). Na drugi strani je na ravni enkodiranja opaziti dve vrsti težav: na eni strani napake zaradi nepazljivosti (v primeru uspešnega dekodiranja) in po drugi strani poskuse besedilne reprodukcije neposredno iz zvočnega toka, na podlagi zazna- nih fonemov, a s popolno abstrakcijo faze dekodiranja, za ublažitev strahu pred praznim prosto- rom. Poleg tega opažamo na ravni dekodiranja in kodiranja težave študentov pri prepoznavanju in razlikovanju določenih fonemov (kot na primer nosnikov, polglasnika, ozkega in širokega e) in zaznavanju vezave, liaison. V prispevku ponujamo nekatere predloge oz. rešitve, ki izhajajo iz izsledkov analize omenjenih transkripcij in temeljijo tudi na kontrastivnemu pristopu. Koristile bodo študentom in učiteljem, za boljše obvladovanje in učenje te vrste kompetenc. Poskušali smo tudi opredeliti vzroke in področja za izvor teh težav in napak. Ključne besede: študenti francoščine kot tuj jezik, slušno razumevanje, transkripcija, dekodiranje, enkodiranje ABSTRACT ONLY ONE SOUND IS MISSING AND THE WHOLE WORLD SEEMS DEPOPULAT- ED: THE CHALLENGES OF LISTENING COMPREHENSION AND TRANSCRIPTION OF ORAL DOCUMENTS This contribution, entitled Un son vous manque et tout est dépeuplé : les défis de la compréhen- sion orale et de la transcription de documents oraux (Only one sound is missing and the whole world seems depopulated: the challenges of listening comprehension and transcription of oral doc- uments) proposes to list and analyse the difficulties and errors noted in the copies of FLE students in the second year of their License degrees, as part of the course Français en usage 2 - Listening comprehension (corpus of 300 copies collected between 2016 and 2020), which proposes, among other things, to realize the transcription of oral documents. The analysis makes it possible to draw up an inventory of the errors committed according to the phase during which this difficulty occurs (decoding, encoding, decoding and encoding). The most frequent errors in decoding are, on the one hand, linked to lexical gaps and, on the other, to a faulty breakdown of the sound flow, which confronts the student with phenomena such as homophony and paraphony (lexical and translex- ical). As far as the encoding is concerned, two types of difficulties are noticed: on the one hand, errors of inattention (in the event of successful decoding) and, on the other hand, attempts at textual Jacqueline Oven: UN SON VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ ... 480 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES reproduction directly from the sound stream, based on perceived phonemes, with complete ab- straction of the decoding phase, to alleviate the fear of white space. In addition, we observe at the level of decoding and encoding the difficulties of the students to recognize different phonemes and to take account of the liaison. Finally, some proposals or recommendations resulting from occur- rences identified in the corpus and based on contrastive considerations, are listed to help students and teachers for a better approach and performance of this type of know-how, with an identifica- tion of the causes and areas which are at the source of these difficulties and errors. Keywords: FLE students, listening comprehension, transcription, decoding, encoding RÉSUMÉ UN SON VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ : LES DÉFIS DE LA COMPRÉ- HENSION ORALE ET DE LA TRANSCRIPTION DE DOCUMENTS ORAUX Cette contribution intitulée Un son vous manque et tout est dépeuplé : les défis de la compréhen- sion orale et de la transcription de documents oraux se propose de répertorier et d'analyser les dif- ficultés et erreurs relevées dans les copies d'étudiants FLE en 2 ème année de Licence dans le cadre du cours Français en usage 2 – Compréhension orale (corpus de 300 copies recueillies entre 2016 et 2020), qui prévoit entre autres la transcription de documents oraux. L'analyse permet de dresser un inventaire des erreurs commises en fonction de la phase, au cours de laquelle intervient cette difficulté (décodage, encodage, décodage et encodage). Les erreurs les plus fréquentes au niveau du décodage sont, d'une part, liées à des lacunes lexicales et, de l'autre, à un découpage défaillant du flux sonore, qui met l'étudiant face à des phénomènes comme l'homophonie et la paraphonie (lexicales et translexicales). L'encodage, lui, a mis en évidence deux types de difficultés : d'une part, des erreurs d'inattention (en cas de décodage réussi) et, d'autre part, des tentatives de restitu- tion textuelle directement à partir du flux sonore (des phonèmes perçus), avec abstraction pure et simple de la phase de décodage, pour pallier la hantise de l'espace blanc. Par ailleurs, on observe au niveau du décodage et de l'encodage les difficultés des étudiants à reconnaître certains phonèmes et à tenir compte de la liaison. Enfin, des pistes, résultant d'occurences repérées dans les copies et reposant sur des considérations contrastives, sont proposées aussi bien aux étudiants qu'aux ensei- gnants pour une meilleure approche, maîtrise et performance de ce type de savoir-faire, avec une identification des causes et domaines qui sont à la source de ces difficultés et erreurs. Mots-clés : étudiants FLE, compréhension orale, transcription, décodage, encodage