H • ... me •••• TABLEAU GENERAL D E L'EMPIRE OTHOMAN. TOME QUATRIÈME, PREMIÈRE PARTIE. TABLEAU GÉNÉRAL D E L'EMPIRE OTHOMAN, DIVISÉ EN DEUX PARTIES, Dont l'une comprend la LégislationMahométane; l'autre, l'Histoire de l'Empire Othoman. DÉDIÉ AU ROI DE SUÈDE, PAR M. DE M*** D'OHSSON, Chevalier de l'Ordre Royal deWasa, Secrétaire de S. M. le Roi de Suède , ci-devant son Interprète, et chargé d'affaires à la Cour de Constantinople. OUVRAGE ENRICHI DE FIGURES. TOME QUATRIÈME, PREMIÈRE PARTll fIilTCBAj A P A R I S, El LiOïilEX DE L'IMPRIMERIE DE MONSIEUR. M. D C C. X C I. TABLEAU GÉNÉRAL D E L'EMPIRE OTHOMAN SECTION III. PARTIE MORALE. Cette partie comprend , comme nous l'avons annoncé dans notre discours préliminaire , tous les préceptes relatifs à la nourriture, au vêtement , au travail et aux vertus morales : ces quatre points principaux font la matière des quatre livres suivans. LIVRE PREMIER. d e la nourriture, G n divise ce livre en cinq chapitres: le premier traite de la nourriture en Tome IV, A 3 CODE RELIGIEUX, général ; le second, des al i mens mondes ou immondes ; le troisième , de la manière dégorger légalement les animaux ; le quatrième, de la chasse; et le cinquième, des boissons prohibées. CHAPITRE PREMIER. De la nourriture en général} Ekl. La nourriture est un besoin physique auquel l'homme doit satisfaire , mais toujours avec modération et sobriété. C. Il y a quatre différens degrés de nourriture : le premier est celui du pur besoin, c'est-à-dire , l'usage qu'on fait des alimens dans la vue de soutenir son existence, ce qui est d'une obligation divine pour tout mortel; le second, louable par sa nature, n'a d'autre objet que d'acquérir des forces physiques, ou de les augmenter pour être plus en état de remplir ses devoirs , soit religieux, soit civils ; le troisième est celui de CODE RELIGIEUX. 3 la satiété, chose indifférente en soi, et qui n'emporte ni louange, ni blâme; enfin le quatrième, qui va au-delà de la satiété, chose très - condamnable dans l'homme , comme étant une gourmandise , un excès qui nuit également à sa santé et à sa fortune. L'homme doit éviter sur ce point les extrêmes; il ne doit jamais pécher, ni par trop d'alimens , ni par trop d'abstinence. Dans ce dernier cas, si l'homme pousse la rigueur de son régime jusqu'à périr d'inanition, il se rend coupable du crime de suicide, péché énorme aux jeux du Créateur. Au défaut de toute autre nourriture, le fidèle peut même se permettre le? alimens immondes , plutôt que de se laisser mourir de faim. Il peut au reste s'abstenir des mcdicamens, vu l'incertitude de leurs effets. G. 11 est cependant de la prudence de taire A ij 4 CODE RELIGIEUX. usage des remèdes nécessaires à la santé , mais en évitant ceux qui sont réputés immondes, conformément à cette parole du Prophète : Certes! Dieu ajait descendre sur la terre le mal et le remède , en créant les remèdes applicables à tout mal : faites-en usage , mais non de ceux qui sont immondes et prohibés ( i ). La sobriété est une vertu nécessaire à l'homme. Il doit éviter la profusion sur sa table et en bannir la multiplicité des plats ; tout, jusqu'au pain , doit y être servi avec mesure. Il faut respecter cette nourriture objet de premier besoin, comme un présent à a ciel. C. Et cela d'après cette parole du Prophète : Respectez le pain commeuzi-donbéni, (i) Inné aUah'i cnzel-ed-dâ ved-deva ve djealé H Kuli'i dû deva fetedou veilla tedav'ul mouharrem. comme un signe d'abondance du ciel et de la terre ( i ). On ne doit pas s'en essuyer les doigts, en nettoyer les couteaux , y poser la salière ; ce seroit un manque de respect pour un don si précieux. Si le pain est servi avant toute autre chose, il faut en goûter d'abord en signe d'action de grâces envers l'Eternel, et être attentif à n'en laisser tomber aucun morceau, aucune miette. Enfin, on ne doit jamais se mettre à table sans faire la prièfë Bessmclê (2); ni la quitter sans réciter le Ham-daïla (j). On doit aussi se laver les mains , soit avant, soit après le repas. (1) Ekrem,ul Khoubz fe cnncliu mai hcrel sont des abominations suggérées par les artifices du démon : abstenez- vous-en pour votre bien , pour votre salut. En vérité, c'est par le vin , et par le jeu que lesprit de ténèbres veut vous armer de haine et d'inimitié les uns contre les autres. C'est par là qu'il vous détourne de Dieu , de la prière > de la méditation. Que ne vous en abstenez-vous (2)/ Le dispositif de cet ayeth ne laissa plus (1) Ve la tekarrib'us salai h ve entum snkeara. (2") Ta eyyuiiel-'eziné amenott innem'çt-khamr vçl mtiêsir , v'el-enssab , S&f e^lam y fie. CODE RELIGIEUX. 21 aucun cloute sur ]a nature du vin, qui dès lors fut relégué dans la classe des choses immondes, et aucun disciple n'osa plus en faire usage. Depuis cette époque le Prophète ne cessa pas non plus de fulminer contre le vin et contre toute liqueur quelconque. Celui qui boit du vin dit-il un jour , est absolument comme celui qui adore les idoles (1), Le vin y disoit-il encore, est la mère des abominations (2). — Au moment oit l'homme prend en main un verre de cette liqueur 3 il est j'rappé d'anathême par tous les anges du ciel et de la terre (3). Telle doit être l'horreur du Musulman pour le vin et pour toute liqueur enivrante, qu'il ne peut pas même en avaler une goutte , levj-Catratemi, ni s'en servir comme remède , soit intérieurement, soit extérieurement, ni --' —-—---*-• 1V (1) Scharib'ttl khamt ke abidul-TVessému (2) El-khamr û wmn 'ul-khabaïss. (3) Tza wazi'ur-roudjeoulcadh'eim men Jihamr al» yedlhh'i laiielihl tnelaïkcliti'is-sememaih v'el arz. B il) 22 CODE RELIGIEUX, pour lai, ni pour ses enfans, ni pour ses bestiaux. Le fidèle ne doit pas non plus en faire un objet de commerce ou de spéculation. C. Aussi cette boisson , maudite de Dieu et de son Prophète, est comme le porc et la bête morte, qui ne sont d'aucune valeur aux yeux de l'Islamisme. Il ne doit pas même se servir d'aucun vase de terre où il y auroit eu du vin, ou toute autre boisson également proscrite , à moins que le vase ne fût très-vieux , et par-là incapable de s'imbiber de cette liqueur. Encore doit-il être lavé jusqu'à dix fois. Enfin le fidèle doit s'interdire jusqu'à la lie du vin et n'en faire aucun usage , pas même pour s'en frotter la barbe. Observations. Quel est l'empire de ces préceptes chez les CODE RELIGIEUX. 23 Othomans? Comment, dans quel esprit, et jusqu'à quel point sont-ils suivis et pratiqués parmi eux? Quels sont les usages, les coutumes , les affections, les habitudes actuelles de ces peuples? Tels sont les divers objets qui vont faire la matière de nos observations. Dans le tableau que nous en présenterons, on verra d'un côté quelle a été l'influence de ces loix sur les mœurs des Othomans, et de l'autre, combien elles contrastent avec celles des Européens. Peut-être qu'au premier coup d'œil, la plupart des détails où nous allons entrer paroîtront minutieux à quelques-uns de nos lecteurs; mais le philosophe en jugera différemment. Il sait qu'en toutes choses la réunion des faits particuliers conduit à la connoissance des principes généraux , et c'est par cette méthode, sur-tout , que l'historien met à portée d'apprécier avec plus de justesse le caractère et les moeurs des nations. De la Nourriture en général. C'est aux lois canoniques que les Musul- B ir 24 CODE RELIGIEUX, nions sont redevables de ce genre de vie simple et frugal, qui , de siècle en siècle, s'est perpétué chez eux sans beaucoup d'altération. Conrmie elfes prononcent sur la nature des comestibles, en déterminant la pureté ou Pi m pureté légale des uns et des autres , il n'est point de Mahométan qui, conformément aux préceptes de sa religion , ne soit très-circonspect sur la qualité des mets , et de tout ce qui est dans l'ordre des alimens. Il ne l'est pas moins sur les formalités prescrites par la loi , et sur la manière de chasser et d'égorger les animaux. De toutes les viandes de boucherie, celle du mouton et celle de l'agneau sont presque les sexdes dont ces peuples se nourrissent. Le boeuf paroît rarement sur leurs tables ; la volaille est très-commune, même dans les maisons les moins aisées. Les Othomans ont de la répugnance pour la chair du chameau, et plus encore pour celle du cheval : ils ne s'en nourrissent jamais : mais les Arabes estiment la viande du chameau , et les Tatarx celle des chevaux. Quoique celle-ci soit in- terdite par l'Islamisme, de tout temps néanmoins elle a servi de nourriture aux Tatars. Leur genre de vie , qui remonte à leurs aïeux idolâtres, leur en fait une nécessité. Comme ils sont pauvres ; qu'ils ne connoissent ni l'agriculture, ni le commerce; que la guerre est leur état habituel, ces animaux sont très-communs chez eux, et font leur principale ressource. Au reste , tout le monde commit l'extrême frugalité de ces peuples, et la manière dont ils apprêtent la chair du cheval, compagnon de leurs travaux et de leurs courses. *Si les Mahométans mangent peu de gibier, c'est moins par dégoût pour cette viande, que dans la crainte de se nourrir d'un animal immonde qui auroit pu être tué contre l'esprit de la loi. D'ailleurs il en est beaucoup qui ont pour principe de ne jamais maltraiter les animaux. Aussi dans aucun temps on ne vit chez ces peuples, ni parmi les Princes, ni parmi les Grands, ni parmi les simples Citoyens , un goût bien marqué pour la chasse. On lit encore dans les historiens nationaux que les plus religieux épronvoient toujours des scrupules au milieu de ce divertissement, et se regardoient même comme obligés de donner en aumônes la valeur de tout le gibier qu'ils prenoient. II faut néanmoins en excepter les Othomans des premiers siècles. Us avoientpour la chasse plus de penchant qu'aucun autre peuple de l'Orient. Parmi les anciens Sultans qui ne respiroient que la guerre, plusieurs sy li-vroient avec transport : c'étoit même leur amusement le plus ordinaire ; et la pompe la plus brillante les y accompagnoit toujours. Souvent leurs courses s'étendoient depuis la Capitale jusqu'à Andrinople. Rien n'étoit capable de ralentir en eux les mouvemens de cette passion , qu'ils satisfaisoient même en temps de guerre, et lorsqu'ils commandoient en personne leurs armées. Mais depuis Selim IIy le premier des Souverains qui s'abandonna à.tous les excès de la vie molle et efféminée du Sérail , le goût de la chasse s'évanouit dans la maison Othomane, et insensiblement parmi les Grands de la Cour et dans le reste de la Nation. Les officiers de chasse, établis dès l'origine de la Monarchie, n'ont cependant pas été réformés. Ils subsistent encore aujourd'hui, mais rarement exercent-ils leur office. Quoique le pays offre de toutes parts le gibier le plus abondant et le plus •varié, on ne voit presque plus que les hommes du commun aller à la chasse, quelques-uns par goût, les autres par état, parce qu'ils en font commerce, et qu'ils y trouvent un moyen de subsistance. On peut chasser dans tous les environs de Constanlinople , moyennant un billet du Couschdjj Baschj , lieutenant du Bostandjy Baschy , l'un des premiers officiers du Sérail , et en même temps grand - maître des forêts. Les Grecs du pays y chassent avec la même liberté que les Mahométans : les Européens établis, soit dans la Capitale, soit dans les autres échelles du Levant, jouissent du même avantage. Une expérience assez désagréable leur a cependant appris à ne se hasarder ni seuls, ni dans des endroits trop éloignés de la ville, pour ne pas s'exposer 28 CODE RELÏGIE U.X. aux caprices des Boslandjys ou garde-forêts, qui souvent se font un jeu de leur enlever et leurs gibecières et leurs fusils. Les Othomans n'ont pas plus de goût pour le poisson que pour le gibier. Il en est peu qui en mangent; et rien de ce qui appartient au genre des coquillages, comme homards , écrevisses, huîtres, tortues , etc. ne paroît jamais sur leurs tables. Quant à la viande du porc et du sanglier, tous les peuples Musulmans ont pour elle la plus grande aversion , comme étant rigoureusement prohibée par le Confann. Ainsi il n'entre jamais de lard dans l'assaisonnement d'aucun de leurs mets. Us font toute l'année un grand usage des végétaux, des légumes , de la pâtisserie , du laitage, des sucreries et des fruits qui sont délicieux dans toutes les contrées de l'Orient. Au reste leur cuisine est assez bonne : ils ont une multitude de plats très-sains et très-appétissans. Les entrées, les entremets, les rôtis même qui sont ordinairement d'agneau ou 4e mouton, ne se servent que coupés par CODE RELIGIEUX. 29 petits morceaux : jamais ils n'ont besoin de couteaux, ni de fourchettes. La volaille que l'on met à la broche est cuite de manière que l'on peut aisément la découper et s'en servir avec les doigts. La nation aime d'ailleurs de préférence toutes sortes de viandes hachées et préparées avec des végétaux , tels que le céleri, les choux, les courges , les épinards, les oignons, les coucombres , les coings, les feuilles de vignes , etc. C'est ce qu'on appelle dolma. La pâtisserie, Beuréh, est aussi un plat favori de ces peuples. On en fait d'une grandeur énorme , en viandes, en légumes, en fruits, en confitures. Ces mets ressemblent par leur légèreté et leur délicatesse , aux gâteaux feuilletés que l'on fait en Europe. Les cuisiniers, dont la plupart sont A;aljes, excellent dans ces sortes d'apprêts. A proprement parler, il n'y a dans les tables Maho-înétanes qu'une seule chose qui pourroit répugner avec raison aux Européens ; ce sont les ragoûts dans lesquels entre l'huile ou le beurre, parce que ces deux articles sont un t 3o CODE RELIGIEUX, peu négligés clans le pays. Enfin la préparation de presque tous les plats est assez simple; les Mahométans ne font pas un grand usage des épiceries : la canelle, le gérofle, la noix muscade , la moutarde , les sauces fortes sont bannies de leurs tables. Les repas de société ne sont pas connus chez eux. Dans presque toutes les maisons , particulièrement dans les familles distinguées, les hommes mangent séparément de leurs femmes : ils font deux repas par jour ; ils dînent entre dix et onze heures du matin , et soupent à Rentrée de la nuit, une demi-heure avant le coucher du soleil. Le père de famille fait presque toujours seul ses repas. Quels que soient leur état et leur âge , rarement les enfans mangent avec lui. C'est la suite du respect profond dans lequel on les élève pour les auteurs de leurs jours ; et même dans beaucoup de maisons , ce sont eux qui servent à table, le père, l'aïeul, l'oncle, etc. Les convives les plus ordinaires sont les pa-rens , les amis intimes , et les clients attachés à leur fortune. Les enfans dînent et soupent ensemble. La femme fait ses repas seule dans son harem : si elle a des filles , elles mangent avec elle. Lorsque le harem est composé de plusieurs femmes , chacune a sa table particulière, attendu que,dans l'économie domestique, tout est absolument distinct et séparé entre elles. Cet ordre étoit nécessaire pour évi ter les tristes effets de la jalousie et de la rivalité. Il est peu d'exemples que deux femmes vivent ensemble. Si le même hôtel réunit la mère, des sœurs, des tantes , des nièces , elles font aussi leurs repas séparément, à moins qu'elles ne soient intimement liées entre elles. Mais les filles esclaves du Harem, qui par-tout servent de femmes de chambre , font leurs repas en commun sur une ou plusieurs tables, en raison de leur nombre. Les autres domestiques en usent de même , mais toujours dans le corps de logis appelé Séiamlik , et destiné à l'habitation particulière du maître et de tous les hommes de la maison. En général les tables ne sont jamais que pour quatre , cinq ou six personnes au plus. 32 CODE RELIGIEUX. Elles ne doivent point être comparées à celles des Européens, parce que dans aucune maison Mahométane il n'existe de salle à manger, et qu'à l'heure du repas chacun se fait servir dans son appartement ou plutôt dans la pièce où il se trouve. Dans la bel le saison , plusieurs se font un plaisir de prendre leurs repas dans les endroits les plus gais de la maison, et même dans les keoschks ou pavillons qui décorent leurs jardins. Us se livrent à ce goût d'autant plus aisément , que le service de la table chez eux n'entraîne pas un grand attirail, A l'heure du dîner, des valets apportent sur leur tête les plats rangés sur des espèces de plateaux, tabla , et les déposent à la porte même de la pièce qui, ce jour-là , sert de salle à manger. Us contiennent chacun huit, dix ou douze plats (i). Les tables sur lesquelles on dîne sont petites , rondes et de cuivre bien étamé. On les appelle sinjr : elles sont placées sur une espèce d'escabeau qui Ieursertdepied, et par dessous est une grande toile blanche (i) Voyez la Planche 85. ou ou bigarrée, que l'on étend , pour pins grande propreté, sur le parquet devant le sopha. Un ou deux amis avec le maître y sont assis sur les genoux , ou bien un pied alongé sous la table : les autres se placent tout autour sur de grands carreaux qui tiennent lieu de chaises. Si les convives sont plus.nombî eux, on dresse alors une seconde table , et, s'il le faut, une troisième le long du même sopha (i). La plus grande simplicité règne dans ces repas : on n'y voit ni nappe , ni assiette, , ni fourchettes, ni couteaux. Plusieurs morceaux de pain de deux ou trois différentes qualités sont épars sur ces tables , garnies aussi d'une salière simple, de cuillers de bois ou de cuivre , de cinq ou six petits plats de salade, d'olives, de confitures liquides, de cornichons, de céleri ou autres végétaux confits au vinaigre , et que pour cette raison on appelle tourschjr. Quant aux autres mets , on n'en sert jamais qu'un à-la-fois , et on le pose au milieu de la table. Alors un domestique pré- (i) Voyez les Planches 41 et $3. Tome IV. C 34 CODE RELIGIEUX. sente au maître de la maison et à chacun des convives une serviette brodée aux deux bouts. On la jette d'un côté sur 1 épaule droite , et on s'en couvre de l'autre le sein et les cuisses. On donne en même temps à chacun une serviette ordinaire pour s'essuyer les doigts. On en a besoin à tout moment, parce que les premiers doigts de la main tiennent lieu de fourchettes. Dès que le dîner est servi, chacun porte la main au plat, et c'est toujours le maître qui commence. Le service est prompt ; les mets se succèdent avec célérité ; à peine a-t-on quelquefois le temps d'en prendre trois ou quatre bouchées. Dans les grandes maisons le dîner est composé de vingt-cinq ou trente plats. Le potage est servi le premier, et le pilaiv le dernier; C'est un mets national fait de riz cuit au bouillon , auquel on ajoute quelquefois de l'agneau , du mouton ou de la poularde. Ce n'est que pour ces deux plats que l'on présente des cuillers. Après le pila)]' , on sert différentes sortes de fromages, coupés en tranches fort minces, CODE RELIGIEUX. 35 dans de petites assiettes que l'on place autour d'un grand vase de Khosch'ab : c'est le dessert ordinaire des Mahométans : ils ne mangent jamais de fruits à la fin du repas. En été, le raisin , les figues , le melon , et les concombres, le plus souvent préparés en salade avec du vinaigre et de l'ail , sont les seuls qui pa-roissent sur leur table : mais on les sert dans de petites assiettes avec la soupe ; ils tiennent lieu de hors-d'œuvre , et chacun en mange à son gré pendant le dîner. Tous les autres fruits sont réservés pour le déjeûner et le goûter. Le Khosch'ab, par où se terminent tous les repas, est une boisson douce faite de pistaches , de raisins secs, de pommes, de poires, de prunes , de cerises, d'abricots ou autres fruits cuits au sucre , et avec beaucoup d'eau : dans les maisons opulentes , on y ajoute quelquefois de l'eau de rose, de cèdre, de fleurs d'oranges ou d'essence de musc On présente alors des cuillers d'ivoire qui ne servent jamais que dans cette occasion , et chacun prend quelques cuillerées de ce khosch'ab toujours dans le même vase. Ci) Cette boisson est presque la seule dont on fasse usage. Peu de personnes demandent à boire pendant le repas, sur-tout en hiver , et on ne leur présente que c|e l'eau pure, dans de grands vases de cristal. En été ils y jettent de la glace pour la boire plus fraîche. Plusieursy fontencore verser quelquesgouttes d'eau de rose ou de cèdre. Chez les Européens celui qui boit porte la santé aux autres : chez les Othomans , c'est le contraire. Lorsque quelqu'un a bu, soit à table, soit hors de table , toute la compagnie le salue en portant la main droite sur le sein ou sur la tête, et en proférant ces paroles afiyelhler-ola ou bien ab'u hayath-ola , ce qui répond à grand bien vous fasse. Cet usage est général dans la nation , sur-tout parmi les personnes de qualité. On commence et on finit le repas par une courte prière, telle qu'elle est prescrite par la religion. On ne se met jamais à table sans se laver les mains , et on n'en sort point sans se nettoyer la barbe et les moustaches avec de l'écume de savon. C'est une espèce d'ablution à laquelle tous se soumettent, non-seulement par propreté, mais encore par obéissance à la loi, qui, comme on l'a vu dans le texte, impose ce devoir à tout Musulman. Ainsi, avant comme après le dîner, les domestiques de la maison donnent à laver les mains aU maître et à tous les convives. L'un présente une riche serviette , peschhir, dont on se couvre les genoux5 un autre s'avance, tenant de la main gauche un bassin d'argent, de vermeil ou de cuivre étamé , leyenn , et verse de la main droite de l'eau avec une aiguière du même métal, ibrik ; un troisième se tient à côté avec un essuie-main brodé tout autour, qu'il présente au moment que l'on a fini de se laver. On observe la même chose à l'égard de tous «les convives , qui, placés le long du sopha , attendent tranquillement leur tour de l'air le plus grave et le plus sérieux. Si, avant le dîner, les enfan's ou les plus jeunes de la compagnie passent les premiers pour se laver les mains, c'est par respect pour les vieillards qu'ils ne doivent pas faire attendre au moment de se mettre à table. Au sortir 38 CODE RELIGIEUX, du dîner on présente la pipe et le café, et c'est par où se terminent tous les repas, soit du jour, soit de la nuit. Ces usages sont presque universels. Us s'observent dans les dernières classes des citoyens, comme chez les premiers seigneurs de la Cour. Us sont absolument les mêmes dans le Sélamlik pour les hommes , et dans le Harem pour les femmes. Les grands dîners , les grands soupers , les tables somptueuses , en un mot, les festins ne sont point connus chez eux, excepté dans les nuits du Ramazann, où les parens se rassemblent avec leurs amis les plus intimes, et où le Grand-Vczir traite avec pompe les difïërens ordres de l'Etat. Dans tout le reste de l'année , il n'est jamais question de ces fêtes ou de ces repas de société , ni au Sérail , ni à la Cour, ni dans aucune maison particulière , si ce n'est à l'occasion des noces ou de la circoncision des enfans. La généralité de cet usage ne leur fait cependant pas oublier les devoirs prescrits par la bienséance et l'hospitalité. Rien de plus ordinaire que de les voir offrir leur table aux nationaux, qui, ' au moment du dîner , se présentent chez eux, soit pour affaires, soit par devoir, soit par pure amitié. Mais ils n'en usent pas de même envers les Chrétiens et tous ceux qui sont étrangers à leur culte. Leur générosité est gênée sur ce point , autant par les mœurs publiques que par les préjugés religieux. Dans les grandes maisons , le souper consiste toujours en autant de plats que le dîner, et plusieurs citoyens ont L'habitude de faire le matin, toujours vers le lever du soleil , un assez ample déjeûner. Ils prennent ordinairement une soupe ; ils mangent ensuite du fromage avec du pain , et finissent par une tasse de café, accompagnée de la pipe. La loi distingue trois sortes de repas : celui du jour eliVuUghida , à telle heure que ce soit, depuis le lever jusqu'au coucher du soleil ; celui que l'on prend depuis le coucher du soleil jusqu'à minuit, eJd'ul-1scha j enfin celui qui peut avoir lieu depuis minuit jusqu'au lever du soleil , et que l'on appelle chPiLs-sahhaur. Ces distinctions sont relatives C iv 40 CODE RELIGIEUX, au jeûne canonique du Ramazann, et à tout s jeûne volontaire auquel se soumettent les dévots de la nation. Les Mahométans en général mangent peu de pain ; mais nous remarquerons qu'ils ont pour cette première nourriture de l'homme, un sentiment de respect qui leur est particulier. Us n'en parlent jamais qu'avec une espèce de vénération , comme étant le plus précieux de tous les dons du ciel. S'ils en voient un morceau, une miette sur le pavé de la maison ou dans la rue, tous, même les plus grands Seigneurs , s'empressent de le ramasser , de le porter à la bouche, de le mettre ensuite dans leur poche , ou de le poser quelque part, pour éviter qu'on ne le foule aux pieds. Plusieurs même ne se mettent jamais à table qu'ils ne commencent par baiser respectueusement le morceau qui est devant eux. Malgré ce respect religieux que les Mahométans ont pour le pain , malgré Pabondance et l'excellente qualité de leurs grains , sa fabrication est chez eux très-négligée : ils le pétrissent mal ; il n'est ni assez blanc , ni assez cuit ; les farines ne sont pas bien tamisées. Les boulangers d'ailleurs se permettent d'y mêler de la farine d'orge, de maïs, et quelquefois même de fèves, de pois-chiches et autres légumes. On ne peut attribuer ces malversations qu'aux vices du Gouvernement, à l'avidité, à la corruption extrême des officiers chargés de l'inspection des denrées. Le pain le plus estimé est celui qui est rond et plat; on l'appelle pidé ou jodola : l'autre que l'on appelle somoun , mot sans doute corrompu du grec , psomos , psorny , est moins plat, mais il est noir et extrêmement lourd. Le premier est pour les maîtres ; le second pour les domestiques et le bas peuple. C'est assez l'usage, dans beaucoup de maisons , de faire deux ou trois fois la semaine le pain nécessaire à la famille , et ce sont les femmes-dc-chambre , ou les filles esclaves qui en sont chargées ; ce pain est infiniment meilleur que celui des boulangers. Le pain du Sérail est supérieur à tous;on le fait clans le palais même : aussi est-il dis- 4* CODE RELIGIEUX. tingué sous le nom de khass-ekmek, ( pain, royal ) et l'endroit où on Je fabrique , sous celui de hhass-fourounii (i) ( four royal ): cette boulangerie est toujours desservie par les Bostandjjs du Sérail. Elle fournit chaque jour le pain nécessaire à la table du Sultan, des dames de son Harem et des principaux officiers du Sérail. Le Grand-Vèzir , les Ministres et quelques-uns des premiers personnages de l'Empire ont également la liberté de s'en procurer, mais en le payant. Ceux des citoyens qui ne peuvent pas jouir de cet avantage , et qui ne s'accommodent pas du pain que débitent les boulangers, sur-tout pour leur déjeûner , ont ordinairement recours aux pâtissiers qui font toutes sortes de gâteaux, de couronnes, de flûtes, simith, gueuwrek , tscheureh , Idialca } beurek > etc. dans lesquels on emploie toujours une farine très-épurée. On se sert aussi d'une assez bonne farine (i) Le mot Khass qui répond au mot noble, est pris ici pour royal ou impérial. pour le biscuit des marins ; mais, quoique d'une qualité supérieure au pain ordinaire, il n'est pas comparable à celui des boulangers étrangers , qui sont établis dans les quartiers des Européens , tant à Constantinople que dans les autres places du Levant. Outre l'avantage, dont jouissent ceux-ci , de fournir le pain et le biscuit nécessaires aux étrangers et à leurs navires , ils ont encore celui d'en vendre à un grand nombre de sujets règni-coles qui habitent les mêmes quartiers , et ils ne sont jamais soumis aux réglemens de police qui concernent les boulangers du pays. Au reste, le Gouvernement a pour maxime de régler le prix des denrées , et celai du pain et de presque tous les comestibles, qui d'ailleurs sont exempts de droits à Constantinople et dans la plupart des autres villes de l'Empire. Il a toujours soin que le pain, la viande, l'huile, le beurre et tous les articles de première nécessité , soient au taux le plus modique. A Constantinople cette partie de la police est du ressort de Vls-larnhol-Cadissj, juge ordinaire de la Capi- 44 GODE RELIGIEUX, taie : l'un de ses vicaires , Meuhhtessib ou wîyaJi-Naîby , fait , deux ou trois fois la semaine , une tournée générale dans la ville, soit pour veiller au maintien du prix fixe des comestibles , soit pour vérifier le poids et la qualité du pain, et examiner les balances avec lesquelles on pèse la viande et les autres articles. Il fait ordinairement cette course avec un certain appareil. Seul à cheval , il est précédé de quatre Janissaires en grand unirorme , et suivi de plusieurs bas-officiers, parmi lesquels sont aussi des licteurs ou exécuteurs publics portant le falaca. C'est un instrument avec lequel on donne la bastonnade sur la plante des pieds. Ceux que l'on surprend en malversation subissent ce châtiment dans le moment même, au milieu de la rue, et toujours devant leur boutique ou leur magasin. Les Mollas cYEjub, de Gha-lata et de Scutary, exercent la même police , chacun dans son district, tantôt en personne , tantôt par les Ndibs leurs substituts : dans toutes les villes de l'Empire elle est faite également par les juges ordinaires. Les courses que fait le Sultan, incognito, dans les difterens quartiers de la Capitale, ont presque toujours pour objet la même surveillance.%I1 en est de même de celles du Grand- f^ézir,qu\ sont encore plus fréquentes. Ce premier Ministre a le plus grand intérêt de voir par lui-même l'état des comestibles, et d'inspecter la conduite des Magistrats qui y sont préposés. Sa sûreté personnelle en dépend; parce qu'en qualité de vicaire du Sultan, et de lieutenant-général de l'Empire, il en est responsable , et envers le Souverain et envers le peuple , dont le. mécontentement et les clameurs, dans des momens de disette ou de calamité publique ,< n'éclatent jamais que contre sa personne et son administration. Il fait ces courses, toujours travesti et à cheval, accompagné seulement de quelques bas-officiers , qui, déguisés comme lui, le précèdent ou le suivent à pied. Ses perquisitions sont très-rigoureuses : il fait aussitôt arrêter et punir les délinquans , en demandant main-forte aux corps-de-garde les plus voisins. Un ancien usage l'oblige, deux fois l'an, quelques 46 CODE RELIGIEUX. jours après la célébration des deux fêtes de Bejram , de faire ces courses publiquement et avec un certain appareil. Il est pour lors accompagné du Meuhhlessib , de tous les Ministres d'Etat, et de plusieurs officiers de sa maison. Cette cérémonie est appelée Coll. Des esprits peu éclairés sur ïa véritable grandeur et la noblesse des actions humaines, regarderont peut-être ces fonctions comme trop au-dessous de celles d'un premier Ministre , et peu dignes de l'auguste caractère dont il est revêtu. Mais , outre qu'elles sont très-importantes dans leur objet, puisqu'elles intéressent le bonheur et la tranquillité publics , elles tiennent encore aux principes constitutionnels de l'Empire , dont on verra l'entier développement dans le code politique. En général tout ce qui concerne les besoins et les commodités de la vie n'est pas extrêmement cher dans les Etats du Grand-Seigneur. Les dépenses relatives aux comestibles , au loyer des maisons , au salaire des domestiques, à l'entretien d'une famille, même dans la Capitale où tout est à un CODE RELIGIEUX. 47 plus haut prix que dans'les provinces, ne sauroient être comparées à celles des grandes villes de l'Europe. H y a environ quarante ans que les denrées y étoient encore à des prix infiniment plus modiques. Au commencement du règne de Mahmoud I, et sous le ministère du fameux Grand-Vézir Héhiin-Oghlou-Alj Pascha, le pain de cent dragmes ne valoit qu'un aspre , le bœuf quatre paras l'ocque, le mouton six, etc. Mais le luxe, la population progressive de la Capitale, et plus encore l'altération des monnoies , ont influé d'une manière sensible sur le prix de tous les objets nécessaires à la vie -, de sorte que depuis quelques années le pain de cent dragmes se vend à trois aspres, le bœuf à huit paras , le mouton à seize, et quelquefois même à vingt paras l'ocque. Néanmoins dans l'état actuel des choses, l'entretien d'une bonne maison à Constantinople , avec huit ou dix domestiques , ne coûte guères par an plus de dix ou douze mille piastres , qui font en-i viron vingt-deux ou vingt-cinq mille livres tournois. 48 CODE RELIGIEUX. g. II. Des boissons douces et des sucreries. Les Mahométans sont aussi sobres dans le boire que dans le manger : l'eau est l'unique boisson de la majeure partie de ces peuples. Les Grands font communément usage d'une liqueur douce que l'on appelle Scherbeth. Il y en a de simple pour le peuple, et de composé pour les maisons opulentes. L'ingrédient qui domine dans le premier est le miel ou le sucre raffiné : l'autre est une composition faite de jus de limon ou d'orange, de citron , de cèdre, de violettes, de roses, de safran, de tilleul, d'épine - vinette , etc. Chez les Grands il y a toujours des officiers uniquement chargés de la préparation annuelle de ces différens Scherbeths, que l'on conserve dans des vases de porcelaine ou de cristal, et dont une ou deux cuillerées, mêlées dans un verre d'eau , offrent aux Mahométans le breuvage le plus délicieux. Plusieurs ' en relèvent encore le goût avec du musc, de l'ambre gris, de l'essence d'aloès , et avec différens différens autres parfums ou aromates des plus précieux. On en boit assez souvent dans la journée, sur-tout en été , quelquefois même pendant le repas, mais particulièrement après la pâtisserie. Indépendamment de ce Scherbeth , on fait encore des sucreries, des confitures liquides, des gelées, des compotes avec toutes sortes de fleurs, de fruits , de racines et de végétaux ; c'est ce qu'on appelle retschélontâtljr. L'Egypte, l'Arabie et les Indes en fournissent d'une préparation particulière à ces pays, tels que le humass, le ùmour-hhulj , etc. Il s'en débite tous les ans une grande quantité dans toutes les provinces de l'Empire , mais surtout dans la Capitale. Cet article fait un objet de dépense très-considérable pour le Sérail. Il y a dans ce palais un office immense uniquement destiné à la préparation de ces sucreries, principalement à celle de la conserve de rose : aussi l'appelle-t-on Gul-khané. Chaque année un officier du Sultan , sous le titre de Scherbelhdjy , se rend en Egypte pour y faire des provisions de tout ce que Tome IV. D 5o CODE RELIGIEUX, les contrées orientales produisent en ce genre de plus rare et de plus précieux. Les soins et les recherches de la nation entière sur ces objets , peuvent être comparés à ceux des Européens sur l'article des vins : ils sont même plus dispendieux, vu la consommation qui s'en fait dans toutes les classes des citoyens. Chez les Musulmans , comme chez les Chrétiens , il faut du Scherbelh , des sucreries et du café , soit pour la famille, soit pour les personnes dont on reçoit la visite. Aussi voit-on dans toutes les villes Maho-métanes, une quantité de boutiques de confiseurs , Schékerdjy, et de limonadiers, Scherbelhdjy , où l'on débite une quantité prodigieuse de sucreries et de boissons douces. Le bas peuple fait encore usage , sur-tout en hiver, du'Salep, végétal résineux que l'on fait bouillir avec du miel et de l'eau, ainsi que du boza , espèce de millet fermenté. Du fin. On a remarqué dans le commentaire de la loi les véritables motifs qui ont engagé le législateur Arabe à défendre le vin et toute liqueur qui a la vertu d'enivrer. Les foudres du Cour'ann contre ces boissons , qu'il proscrit comme maudîtes de Dieu et de son Prophète , les font encore aujourd'hui rejeter avec horreur par tous les dévots , et par tous les zélateurs de l'Islamisme. La loi est si rigoureuse à cet égard , que le Mouphty Behhdjé Abd'ullah Ejendj déclare dans ses Fednvas, que si pour une maladie quelconque on donne du vin à un mouton, à une vache ou à tout autre animal, on est obligé, pour que la viande puisse servir de nourriture aux Musulmans, délaisser écouler plusieurs jours avant de l'égorger. Il dit encore que le fidèle qui se déleeteroit à fixer les yeux sur une carafe ou sur un vase de cristal plein de vin, pécheroit grièvement contre la religion. Nonobstant l'extrême sévérité de ces défenses , l'histoire nous apprend que dans tous les siècles, des Mahométans de tous les ordres ont trangressé plus ou moins publiquement ce point capital de la loi du Prophète. Les D ij 52 CODE RELIGIEUX, auteurs citent même des personnages très-distingués qui s'adonnoient au vin. De-là ils prennent occasion de fulminer contre ce vice, si condamnable sur-tout dans les Grands, les Princes et les Souverains,qui sont obligés plus que personne de donner aux peuples des exemples de vertu, de tempérance et de soumission aux préceptes du Cour'ann. Selon Ahrned-Efendj, plusieurs des anciens Khaliphes faisoient usage de cette liqueur; mais le premier qui en but publiquement , en présence des officiers de sa Cour, fut MohammedI surnommé Mehhdy. l'an 158. (775.) Cet exemple qui eut les suites les plus funestes pour les mœurs nationales, fut imité , et avec plus d'excès encore , par quelques-uns de ses successeurs , entre autres, par Mensour I et Abd'i/l/ah VII, le dernier des Khaliphes Abassides de Baghdad, qui-périt sous le fer du fameux Hé/akeou, l'un des plus grands fléaux de l'Orient. L'historien Sad'ed-dinn Efendj parle aussi de Bajezid I, comme du premier Sultan de la maison Othomane qui s'abandonna à son goût pour le vin. Il attribue aux débauches de ce Prince tous les désastres de son règne et les malheurs de ses enfans. Cet éloquent Mouphty fait la peinture la plus frappante de tous les maux qu'entraînent les débauches d'un Monarque : Fait., dit-il , pour être le pere et le modèle de ses peuples il eu devient le tyran , et seme le vice dans le cœur de ses sujets , au lieu de les encourager à la vertu par son exemple. Il rapporte à ce sujet cette maxime remarquable : La religion du peuple n'est jamais que celle du Prince qui le gouverne (i). Le même Sad'ed-dinn Ejendjr ajoute en vers persans, que le vice efface tout Véclat de la science , de la doctrine , de la dignité , de la puissance même , et n'enfante jamais que des amertumes et des désastres. Enfin, en déplorant le sort des Princes' qui ont le malheur de se livrer au vin ou à d'autres vices aussi scandaleux , il invite leurs Ministres , leurs confidens, leurs favoris, par les motifs les plus puissans de la religion et (i ) En nassu âla dinn muîukih'im. D iij de l'intérêt public ,' à saisir toutes les occasions pour dessiller les yeux de leurs maîtres, et les faire revenir de leurs égaremens. On lit dans cet auteur célèbre un trait relatif à la vie du même Ba.yézid I, et digne d'être rapporté. Ce Prince visitoit un jour les travaux de la Mosquée de son nom, qu'il fai-soit élèvera Brousse, l'an 798. (1396.) Emir Seyyid, son gendre , homme de loi , d'une érudition profonde et d'une vertu peu commune, l'accompagnoit. Bayézid lui demanda comment il trouvoit l'édifice ; si tout y éfoit de son goût. Oui , Seigneur, répondit Emir Seyyid : rien n'égale la beauté de cet édifice y sa grandeur , sa solidité} sa magnificence j ??iais il manque une chose à sa perfection alors l'ouvrage aura un tout autre prix aux jeux de Votre Haut es se. Quoi donc? répartit ce Sultan avec sa vivacité ordinaire. Il me paroit, dit XEfendy , d'un ton facétieux , quil Jaudroit aux quatre coins de la Mosquée quatre beaux cabarets : ils relevé-roientl'élégance du bâtiment, et engage roi ent Vùlre Hautesse à y venir souvent avec les amis de sa table. Bayézid, frappé de ce propos , fît sentir à son gendre jusqu'à quel point il s'oublioit. Vous manquez de respect, dit-il, non-seulement à votre maître , mais encore à votre religion , en osant proférer ces paroles dans la maison même de Dieu, dans un lieu consacré au culte de l'Etemel. -Non , Seigneur , dit alors Emir Seyyid, avec la confiance que lui inspiroit son zèle, ma proposition n'est pas aussi scandaleuse quelle le paraît j car si l'homme se permet de se dégrader lui-même , de souiller son cœur , ouvrage céleste, ouvrage sorti des mains du Créateur, paitri de sa grâce et de son amour , le vrai centre de l'adoration, l'autel le plus chéri de Dieu , le vrai repo-soir de la sainteté , de la méditation et des mystères les*plus sublimes de notre sainte religion , d'après ces paroles sacrées , le cœur du croyant est la maison de Dieu , Coulb'ul Muminn beïth'ullah ; si l'homme, dis-je, ne se fait aucun scrupule de souiller son cœur par le vin, comme par d'autres iniquités, pourquoi s'en feroit-il d'élever des tavernes D iv dans- les angles d'une Mosquée qui n'est que l'ouvrage des hommes, un édifice matériel fait de pierre , de boue et de ciment ? Ces paroles , ajoute l'historien , déconcertèrent Bayézid , désarmèrent sa colère , et réveillèrent en lui l'amour de la vertu et de la religion. Il lit vœu de ne plus boire de vin, s'en abstint en effet quelque temps, et, s'il succomba ensuite à safoiblesse , au moins ne se livra-t-il plus aux excès qui avoient tant déshonoré les commencemens de son règne. Bayézid II n'eut pas moins de penchant pour cette liqueur. Dans toutes les fêtes qu'il a voit coutume de donner aux Grands de sa Cour, il Jesexcitoit à boire, et les entraînoit par son exemple. Mais il se corrigea vers la fin de son règne, et mena alors une vie si austère et si pénitente, qu'à sa mort on lui donna le surnom de JVcly ou Saint. Sous Suleyman I, le goût du vin avoit déjà fait tant de progrès dans la nation , que ce Prince vertueux , et l'un des plus célèbres de sa maison, déploya en 962 (1ÔÔ0) toutes les rigueurs de son autorité contre cette boisson funeste, et, par unédit sanglant, en défendit l'usage à tous les sectateurs de l'Islamisme. Il fit même brûler tous les navires qui arrivèrent chargés de vins à Constantinople dans les premiers jours de la publication de cette défense. Sa sévérité alla jusqu'à ordonner qu'il seroit versé du plomb fondu dans la bouche de ceux qui oseroient transgresser les préceptes du Cour'ann à cet égard. Les dispositions de son édit furent maintenues avec vigueur dans tout le reste de son règne. sSelim II, son fils et son successeur, ne marcha pas sur ses traces. Dès son bas âge, ce Prince montra une passion décidée pour le vin , pour la volupté, pour la dissipation. Les Historiens nationaux comparent le Sérail de ce Sultan, rempli d'esclaves , de chanteurs, de musiciens , de bouffons, etc. à la Cour des anciens Rois de Perse, sur-tout à celle de Djem et de Djemschid, qui passent pour avoir été les Souverains les plus voluptueux et les plus dissolus de l'Orient. Du vivant de son père , et n'étant encore que gouverneur de Kulahijè , en Asie , il demanda un jour, 58 CODE RELIGIEUX, au milieu de son dîner , à Djélal -Bey, le plus intime de ses favoris, ce que le peuple pensoit de lui et de ses frères. Djélal-Bcy , qui étoit déjà dans les premières vapeurs du vin , lui répondit d'un ton sec , que la Cour, la milice , le peuple adoroient également tous ses frères ; que pour lui, personne ne s'en occupoit , a cause de sa vie efféminée et voluptueuse. Que mes Frères > répliqua Selim avec un éclat de rire , mettent leur confiance dans le secours des hommes ; la mienne est dans les bras du Tout-Puissant , et dans ma résignation aux décrets irréfragables du ciel. Je ne songe qu'aux plaisirs du jour j l'avenir ne m'inquiète pas. Il termina ces paroles en vidant la coupe qu'il tenoit à la main. Quelques semaines après son avènement au trône il ordonna des réjouissances publiques , au milieu desquelles il révoqua l'édit de Suleyman son père contre le vin. Ce trait frappa d'étonnement tout l'Empire , et fournit matière à mille épigrammes. L'adulation di-rigeoit la plume des amateurs du vin, et la critique la plus amère celle des Mahométans austères. Les débauches de ce Prince furent si excessives , que le public lui donna le surnom de Messth, qui veut dire ivrogne. \ L'usage du vin fut presque général sous son règne : on ne sauvoit même plus les apparences ; et les gens de loi, les ministres de la religion , non plus que les personnes des autres classes de la nation , ne se faisoient aucun scrupule d'en boire publiquement. Hassan-Bejzadé , l'un des historiographes de l'Empire , rapporte à cette occasion un trait assez singulier. Dans son histoire de la conquêtede l'île de Chypre, sur les Vénitiens, en 979 ^1071), il dit que le général La/a Moustapha Pascha s'étant rendu maître de Famagouste} capitale de ce royaume, y établit , entre autres Magistrats, un Mouphtj,-et un Cadj ; c'étoient Ehnel Efendyet Keamy Efendy. Us eurent d'abord pour logement deux grands hôtels qui avoient servi de cabarets, et où ily avoit encore beaucoup de tonneaux de vin et d'eau-de-vie que le Pascha leur abandonna. L'avidité , ajoute l'auteur, aveugla ces Magistrats, ces indignes Ministres de la loi sacrée, au point de faire vendre publiquement, à leur profit, ces liqueurs proscrites par le Cour'ann. Des Musulmans et des Chrétiens se rendoient tous les jours en foule à leurs hôtels pour en acheter. Les uns et les autres disoient souvent tout haut : Ou irons - nous aujourd'hui chercher noire vin ? Sera-ce chez le Mouphtj , ou chez le Cadj ? Cet opprobre de l'Islamisme, continue le même écrivain , aggravé encore par les excès crapuleux des mêmes Magistrats , marchands de liqueurs, fut chanté dans tout l'Empire , par les poètes les plus licentieux et les plus satiriques de ce règne malheureux. Mohammed IIIplus vertueux que son aïeul, tonna contre le vin, et renouvella , en 1004 ( 1596.), les défenses de Sulejman I, par unédit terrible. AhmedI alla encore plus loin. En 1022 ( i6i3. ), il fit, à Constantinople et dans le reste de l'Empire, démolir tons les cabarets et défoncer par-tout les tonneaux de vins et de liqueurs-fortes. Il réforma même le Schérab-Eminj, officier chargé de la perception des droits publics sur le com- merce des vins. Moustapha I et Osman II ne maintinrent que foiblement ces dispositions sévères ; mais Mourad //'"porta le dernier coup à ce vice honteux qui augmentoit tous les jours. Il renouvella, en 1048(1633.), les lois qui proscrivoient le vin ; il défendit même l'usage du café, de la pipe et de l'opium ; il fit raser toutes les boutiques à café, et tous les nouveaux cabarets élevés clandestinement sous le règne de son prédécesseur ; il ordonna la peine de mort pour quiconque oseroit contrevenir à ses défenses, et en effet il en coûta la vie à un grand nombre de Musulmans réfractaires. Le jour et la nuit il par-couroit lui-même, travesti, tous les faubourgs de la Capitale , et livroit aux bourreaux les personnes ivres qu'il rencontrait, même celles dont l'haleine sentoit encore le vin. Il se rendit en personne à Brousse pour voir si ses ordres étoient fidèlement exécutés dans les provi nces. Un jour même, ayant aperçu un homme ivre qui chanceloit sur les rives du Bosphore, Mourad, emporté par la sévérité de son caractère , lui décocha une flèche et le précipita dans la mer. Tous les Sultans successeurs de l'inflexible Mourad IV respectèrent ses édits, mais sur l'article du vin seulement : aucun deux ne s'est permis d'en boire ; tel est du moins le témoignage de l'histoire, et l'opinion publique. On voit cependant encore des violateurs de la loi dans les différentes classes de la nation ; mais ils ont soin , sur-tout les personnes d'un certain rang , de n'en faire usage qu'avec la plus grande circonspection: ils n'en boivent presque jamais qu'à leur souper, afin d'ensevelir dans leur, lit l'odeur du vin'et les dangers de leur prévarication. Celui qui est sujet à cette passion ne s'ouvre ordinairement qu'au plus affidé de ses domestiques : lui seul apporte à son maître les flacons , qu'il donne pour des tisannes prises chez l'apothicaire $ lui seul le sert à table, et lui présente sa boisson dans des coupes de cuivre ou d'argent, pour en dérober la couleur aux yeux des enfans et du reste de la famille. En général on use à cet égard delà plus grande réserve, pour ne pas se perdre de réputation clans l'esprit du public. / Parmi les officiers des différens ordres de l'Etat, on en connoît peu qui fassent usage du vin : la religion et la crainte de nuire à leur fortune les retiennent également. Ce vice est encore bien plus rare parmi les Oulémas, ministres de la religion et de la loi. Mais les Denvischs, quoique voués à l'état monastique, y sont plus enclins que personne , ainsi que les soldats , les marins, et une partie de la bourgeoisie et du bas peuple/ Ceux-ci prennent moins de précautions que le reste des citoyens : ils s'y livrent même avec excès. Ils boivent le vin toujours pur, et le plus souvent hors des repas. C'est ordinairement avant le souper , et quelquefois à leur goûter : ils se font servir tout ce qui excite à boire, du fromage, des olives , de la bou-targuedu khaviardes anchois, des sardines et autres poissons salés. C'est dans ces collations, que l'on appelle mèzé> qu'ils s'abandonnent à la crapule; et ceux mêmes qui ne se permettent pas d'aller jusqu'à une entière ivresse , ne quittent jamais le verre qu'ils n'aient une pointe assez forte de vin. Cet état est connu chez eux sous le nom de Kéff, qui répond à gaieté. Nonobstant cette foiblesse pour une liqueur proscrite par le Cour'ann, et l'usage même immodéré que plusieurs en font, ils n'osent cependant pas faire du vin eux-mêmes. Ils possèdent des vignobles , ils les cultivent, en vendent les fruits, et les Chrétiens seuls les convertissent en vins. Ce commerce qui leur est dévolu est très-considérable. Les vins des îles de l'Archipel, sur-tout ceux de Chypre , de Candie, de Ténédos , de Scopoly , de Sa-mos, etc. forment un produit immense, et leur consommation se fait en bonne partie dans le reste de l'Europe. Us se vendent publiquement par les Grecs du pays, en gros et en détail, moyennant des droits assez modiques que l'on paie au gouvernement. Cette branche des revenus publics qu'Ahmed I avoit réformée , et que Moustapha I rétablit dès la première année de son règne, est ordinairement confiée au Bostandjj Baschy du Sérail, qui a en même temps l'administration générale des droits de la pêche, et de ceux qui sont sont imposés sur le commerce de la chaux. Tous les ans il afferme ces droits à trois différens Khassékys du Sérail, connus sous les titres de Schérab-Eminy j de Balik-Emirvy, et de Kiredjh-Eminy. Autrefois tous les Chrétiens dé la Capitale avoient la liberté de faire chez eux le vin nécessaire pour la provision de la maison. Un ancien usage autorisoit le Patriarche des Arméniens à en demander tous les ans la permission expresse au Grand- Vézir, et leferman qu'il obtenoit embrassoit généralement tous les sujets étrangers à l'Islamisme. Cette concession valoit toujours une certaine somme à XAgira des Jânnissaîres, en sa qualité de premier lieutenant de police ; mais sous Mahmoud I, la cherté du raisin ayant un jour excité des murmures dans le public qui en attribuoit la cause à la grande quantité de vins que faisoient les Chrétien*, ce Sultan défendit par unKhatfy-Schérifk tout citoyen d'en faire désormais chez lui , de sorte que depuis cette époque ce n'est que clandestine^ ment, et par la connivence vénale des suppôt* Tome IV. E 66 C O El E :1K E L I G I E U X. delà police,que quelques-uns des principaux Chrétiens continuent encore à jouir de cet avantage. Ceux qui en font le trafic n'épiou-vent aucune gêne à cet égard; mais par-tout c'est ordinairement hors des villes que l'on travaille les vins, parce que les frais et les droits en sont plus modiques. La consommation, .la plus considérable s'en fait dans les tavernes et les cabarets qui n'appartiennent qu'à des Chrétiens, et qui né sont jamais établis que dans les quartiers habités par eux. C'est-là que le Musulman de la dernière classe va se livrer à son goût, mais non pas.toujours sacs impunité. La police qui ne sévit jamais contre un Chrétien , à moins qu'il ne soit trouvé ivre mort .dans les «rues, a le droit d'arrêter tout Ma home tan dout l'haleine sent le vin. On verra dans le code criminel les. peines afflictives que la loi décerne aux Musulmans qui se livrent aux boissons défendues. Ces lois s'exécutent dans tout l'Empire , avec plus ou moins de rigueur, selon la piété ou le caractère plus ou moins ferme des officiers chargés de la police et du maintien GODE RELIGIEUX 67 de Tordre public. Ceux des Maliométans qui, au-mépris de la religion et de la loi; boivent du vin, ne se font pas scrupule non plus de boire de l'eau-de-vie , qui est presque la seule liqueur forte connue dans tout le Levant. Au reste ils ne connoissent ni la bière, ni le cidre, ni le puntëh ; etc. l'opium chez eux supplée à toutes ces boissons si communes en Europe. j! s g-wijnoiq * -ncYB 801 Jnoio'io^ De l'opium. Tous les peuples Mahométans ont eu pouf l'opium le même goût que les anciens Arabes, nonobstant la diversité d'opinions de leurs docteurs sur la légitimité ou l'illégitimité de cet électuaire d'après les principes de l'Islamisme. On disputa pendant des siècles sur cet article , comme sur celui de la thériaque , de l'ànibre gris , de la cochenille, de l'huile de lin, etc. sur lesquels les anciens Imams ne s'é-toient pas expliqués. Sous les premiers règnes des Empereurs Othomans , les gens de loi ne furent pas plus d'accord sur ces différens objets; mais la majorité pensa toujours que l'opium Eij 1 y. devoir, être nroscr't, et que l'on pouvoit faire usage des autres sans pécher contre la religion. Malgré ce jugement contre l'opium, la nation n'a pas cessé de se livrer avec fureur à ce spécifique si nuisible à la santé. On lui attribue la vertu d'exciter des sensations voluptueuses, et d'enivrer l'esprit d'illusions èt de charmes imaginaires. Des Empiriques, dont le pays abonde, ont été les premiers à le mettre en vogue ; ils en exagéraient les avantages , sur-toutsa qualité soporifique, et celle de restaurer les estomacs foi blés et débiles. Avant Mourad IV > aucun Sultan n'avoit osé se déclarer ni pour ni contre l'opium. Mais ce Prince , informé que cet électuaire, pris à une dose forte, avoit la vertu d'enivrer, n'hésita pas un instant à le proscrire, et à le défendre à tous ses sujets, Il ne fut pas moins inflexible à cet égard que sur le vin, les. liqueurs, le café, et le tabac. Entre autres victimes de ses poursuites sévères , l'historien Naïma parle cVE/nir Tsché-léby, premier médecin de la Cour. On sait que Mourad IV, dans sa fameuse expédition ri 3 * « de Baghdad, fit ruisseler le sang de ses sujets dans toutes les provinces où il passa, en punissant de mort les officiers qui négligeaient leurs devoirs, et les citoyens qui contreve-noient à ses ordonnances. L'an 1048 (i<538.)» il étoit campé en Syrie dans la plaine Méridjli Dabikj remarquable par la victoire de Selim 1 sur Cannsou-Ghawrj , lorsque l'envie et la cabale lui dénoncèrent son premier médecin comme transgresseur de ses lois, par l'usage continuel qu'il faisoit du tabac et de l'opium. Sur les reproches qu'il lui fit d'un ton foudroyant , Emir Tschélébj protesta de son innocence, se récria contre la calomnie des malveillans , et n'oublia rien pour persuader au Monarque que depuis long-temps il avoit abjuré l'opium et le tabac. heSilihdar Pascha étoit l'un de ses ennemis et celui qui l'avoit accusé : résolu de perdre le médecin dans l'esprit du Prince , il trouva moyen de corrompre l'un de ses domestiques , et apprit qu'Emir Tschélébj portoit toujours de l'opium dans une poche ménagée exprès dans ses hauts-de-cbausses , et que , toutes les fois qu'il E iij faisoit de longues séances dans la tente du Sultan, il en sortoit sous prétexte de faire ses ablutions, et profîtoit de ce moment pour prendre son opium. Un jour que l'armée étoit campée à Nizeb, Mourad y après avoir travaillé avec ses Généraux et ses Ministres, demanda , à l'ordinaire , ses favoris et ceux qui avoient chez lui leurs entrées. De ce nombre étoient le S ilihdar Pascha et le premier médecin. Au milieu de la conversation, Emir Tschélébj se leva et sortit de la tente. Voilà notre hommey dit alors le Silihdar Pascha , qui va encore avaler son opium. Ne cesserez-vousdonc pas y répondit le Sultan , de persécuteret de calomnier cè pauvre médecin ? A Dieu ne plaise auguste Monarque, répartit le Pascha, que je calomnie jamais personne ! Emir Tschéléby porte sur lui-même les preuves de ce que j'avance à V. H. A ces paroles , Mourad fait rentrer le médecin, s'approche de lui d'un air riant, fouille ses poches , et y trouve en effet un gros morceau d'opium dans une boîte d'or. Qu'est-ce donc que cette drogue ? lui demanda-t- il d'un ton sévère. Emir Tschélébj, glacé d'effroi , répondit, d'une voix tremblante , que c'étoit un opiat des plus simples, où il n'entroit qu'une foible dose d'essence d'opium. Cela étant, répliqua Mourad , il faut le prendre tout entier. Emir Tschélébj en détacha un morceau ; et, comme le Sultan le pressoît d'achever le reste, il se jeta à ses pieds, et implora sa clémence en lui représentant que la dose étoit trop forte, et qu'elle pouvoit se convertir en poison. Qu importe , Ffendj , lui dit Mourad ? un médecin aussi habile que vous saura bien j trouver l}ant:~ dote nécessaire } et, insistant plus fortement encore pour qu'il prît le reste , l'infortuné Emir Tschélébj se soumit à ses ordres. Mourad se fit encore un plaisir de le forcera jouer aux échecs , et même à faire trois parties de suite , ce qui acheva d'accabler son corps et son esprit. Rentré dans sa tente, Emir Tschélébj se livra à tous les mouvemens de sa honte et de son dépit: il refusa tout secours, et dans son désespoir il but un grand verre d'eau à la glace , en disant que la mort dcvoit E iv suivre sa disgrâce et le traitement qu'il venoifc d'essuyer aux yeux de ses ennemis. Il mourut en effet dans la journée. Ce trait seul, dit judicieusement Naima, suffirait pour faire connaître le caractère de Mourad IV , et jusqu'où peuvent aller dans les courtisans les noirceurs de la cabale et de l'envie. Après la mort de Mourad IVj l'usage de T©pium reprit avec plus de force que jamais, et gagna toutes les classes de la nation , sans même en excepter les Sultans. Les différentes sortes d'opiats que l'on en fait depuis quelque temps, s'appellent berdjh ou madjounn: les effets en sont plus ou moins violens, selon la qualité des ingrédiens qui les composent, et la force des tempéramens. Le madjounn ordinaire est un mélange d'opium, de pavot, d'aloès et de diverses épiceries. Les personnes opulentesy ajoutent encore de l'ambre gris, de la cochenille, du musc, et autres aromates ou essences précieuses. On y met encore plus de raffinement pour celui qui est destiné à l'usage du Sultan et des Grands île l'Empire : on y emploie les perles fines, les rubis, les éméraudes et le corail, réduits en poudre. Aussi distingue-t-on ces opîats sous le nom de Djewahir-Madjouny, c'est-à-dire ^ électuaire précieux ou plutôt spécifique de pierres fines ; le moindre pot revient à trois ou quatre cents piastres ( environ mille livres.) On a peine à concevoir la quantité prodigieuse de ces différens madjounns qui se consomment dans l'Empire. Ceux qui en font le plus d'usage sont les personnes qui ont abandonné le vin, soit par raison de santé, soit par un retour de scrupule et de dévotion. Elles s'en dédommagent alors amplement par cet opium , dont le plus simple, à l'usage du bas peuple, est ordinairement préparé en forme de pilules, habb. On les porte sur soi'dans de petites boîtes, et on en prend une ou deux, plusieurs fois dans la journée, tantôt avec un demi verre d'eau , tantôt avec une tasse de cafe. Quelques personnes même, à la suite d'une longue habitude, parviennent à en avaler des morceaux 4e la grosseur du pouce, trois et même quatre 74 CODE RELIGIEUX, fois par jour. Cependant les plus passionnés pour tous ces madjounns ne laissent pas d'être en butte à des épigrarnrnes et des satires sanglantes; on leur donne même communément le sobriquet de Téryaky, pour désigner des hommes abrutis par l'excès qu'ils en font. On doit encore ranger dans la classe de cesélectuaires , le tennsoukh, où il n'enlre aucune espèce d'opium : il est composé de musc, d'aloès, d'ambre gris, de perles fines, d'eau de de rose, quelquefois même d'essence de rose : on en fait de plusieurs formes avec des moules, mais toujours plates, les deux surfaces unies, et le plus communément empreintes du mot Masch'allah. Un très-grand nombre de Mahométans, les femmes sur-tout, portent constamment sur eux de ce tennsoukh, à cause de l'odeur agréable qu'il exhale : plusieurs même, par un raffinement de volupté, le prennent en petits morceaux avec une tasse de café. Le goût extrême de la nation pour tous ces objets, est un moyen de fortune pour une infinité de citoyens qui en font le com- CODE RELIGIEUX. yS jnerce; on les appelle Madjounndjy. Plusieurs d'entre eux sont spécialement attachés au Sérail et aux hôtels des Grands. Les médecins et les chirurgiens, en vertu d'un ancien usage, sont tenus chaque année, vers l'équinoxe du printemps, d'envoyer à tous les Seigneurs dont ils ont la confiance, et du tennsoukh et du madjounn de différentes compositions, faits par eux-mêmes ou sous leurs yeux. Cette attention leur vaut en retour les présens les plus riches. Mais ceux qui en retirent davantage sont le premier médecin, Héhim-Baschy, et le premier chirurgien, Djerrah-Baschy, du Sérail. Comme ils ont seuls le droit d'en faire hommage, à cette même époque, non-seulement au Souverain, mais encore aux Princes du sang, aux SuU tanes, aux dames de S. H., aux Ministres, aux Oulémas et à tous les principaux Seigneurs delà Cour, ils reçoivent de chacun d'eux les présens les plus magnifiques, en bijoux, en étoiles ou en ducats d'or. Nfcus n'ajouterons plus qu'un mot; c'est qu'aujourd'hui l'usage de ces.différens spécifiques est aussi général que celui du café, du tabac et des parfums. Du Café. L'historien Ahmed-Efendy attribue la découverte du café à un Derwisch de l'ordre des Schazilys à Mocca en Arabie, l'an 656 de l'Hégire ( n58). Un jour ce solitaire, qui avoit été proscrit de son couvent, et exilé sur la montagne Kiouhh-Eivsab, se voyant pressé par la faim et privé de toute ressource dans ce lieu désert, imagina de faire bouillir les grains d'un arbuste dont tous les environs étoient couverts : il ne subsistoit depuis trois jours que de cetle boisson, lorsque deux de ses amis, affligés de son sort, allèrent le trouver dans sa retraite, et lui prodiguèrent tous les secours de l'humanité. Us étoient incommodés l'un et l'autre de la gale. Curieux de connoître la boisson à laquelle le Derwisch étoit redevable de sa vie, ils en goûtèrent, y trouvèrent un parfum agréable, et continuèrent d'en prendre pen- dant les huit jours qu'ils passèrent auprès de leur ami; se voyant alors délivrés de leur indisposition, ils en attribuèrent la cause à cette liqueur salutaire. Le bruit s'en répandit dans Mocca. Les citoyens envoyèrent chercher de ces grains , connus sous le nom <\e cahhwé, et en firent usage avec l'empressement et l'espèce d'enthousiasme qu'inspiraient la nouveauté de cette découverte, et les vertus qu'on y atta-choit. Le Prince de Mocca rappela alors le Derwisch, célèbre depuis sous le nom de Scheykh Orner, le combla de bienfaits, et fit construire pour lui, aux pieds de la même montagne, un couvent qui, à ce que l'on assure, existe encore aujourd'hui. Telle est l'opinion des Musulmans sur l'origine d'une boisson qui fait les délices de tout l'Orient. Les Arabes furent long-temps seuls à en faire usage. Le café ne s'introduisit dans les pays cireonvoisins, en Egypte, en Syrie, en Perse et dans les Indes, que plus d'un siècle après. Il ne pénétra même à Constantinople que sous le règne de Suleymann /.On lit dans Pèmliéwy, que l'an 902 ( t555), deux Syriens, llnhm etSchemss', natifs, l'un A-lep, l'autre' <îè Damas, arrivèrent à Constantinople, et ouvrirent deux grandes boutiques de calé, dans le faubourg Taliht'ul-Cat'aa. Les charmes de cette nouvelle boisson y attirèrent d'abord un concours prodigieux de Bejs, de seigneurs, d'officiers de marque, jusqu'à des Mûdcrriss , des Càdjs et autres gens de loi. Ces cafés devinrent pour eux des lieux de réunion où ils passoient des heures entières, les uns à jouer aux damés ou aux échecs, et les autres à s'entretenir utilement, dit l'histoire , non des affaires du temps, mais des arts, des sciences et dés belles lettres. Enfui l'affluence fut telle', que lcs'minibtrcs de la religion, tesSchét7 fils ÏÏOrkhannl, porta le premier bonnet uskiuf\ et voici à quelle occasion. Ce Prince s'adressant un jour à Molla Hunnltear Djelal-ud-dinn Roumy , général de l'ordre de Metvlcuys à Conya , lui demanda sa bénédiction pour le succès de ses armes dans une expédition qu'il alloit faire? contre les Grecs du bas-Empire. Le prélat lui couvrant alors la tête d'un de ses bonnets , récita divers passages du Cour'ann , et l'assura que la victoire marcheroit sur ses pas. Aussitôt Suleymann Pascha fit couvrir ce bonnet de broderie en argent, et ordonna des turbans à peu près de la même forme, pour lui et pour tous les officiers de son armée. Cet uskiuf devint bientôt le bonnet de cérémonie de tous les Grands de la Cour et des Sultans eux-mêmes. Celui des Souverains étoit distingué par une riche broderie en or : il leur tenoit lieu de diadème : on l'appeloit tadjh sultany, Couronne Impériale. La Cour n'abandonna cet uskiuf que sous Mohammed CODE RELIGIEUX. 11S II. Il fut pour lors affecté d'unfe manière spéciale aux officiers de l'état-major des Janissaires qui le portent encore aujourd'hui quoique d'une forme un peu différente, dans toutes les cérémonies publiques. Mohammed II , connu par son goût pour les sciences, et par la protection qu'il accor-doit aux gens de lettres, mais sur-tout aux Ministres de la loi, adopta Yœurf, c'est-à-dire , le turban des Oulémas , qu'il fit broder en or de la largeur de quatre doigts dans le milieu même de la mousseline. Bayézid II fut le premier qui porta le mudjewézé, et de Son temps les grands officiers des corps de milice eurent ce turban de velours rouge , avec des habits de drap d'or ou de riches étoffes. Selim I introduisit la coëffure appelée de son nom sélimy. Suleymann I, quoiqu'il eût inventé plusieurs formes de turbans, s'en tint de préférence au mudjewézé : il le portoit garni en entier de mousseline, tantôt blanche et tantôt rouge. Ses successeurs jusqu'à Mahmoud I, prirent quelquefois cette coëffure qui est encore aujourd'hui celle des Hij Ministres et de tous Jes grands officiers de l'Empire dans les jours de cérémonie. Mous-tapha III se singularisa par un tui ban de son invention, qui approclioit par son volume de celui des Oulémas : il étoit surmonté d'un plumet blanc extrêmement long, et orné d'une aigrette en brillans : il ne le prenoit cependant que dans les jours de représentation. Sa coëffure ordinaire , comme celle des derniers Sultans de sa maison , étoit le turban que l'on appelle pascJialy-caivouk , absolument conforme à celui que portent presque tous les officiers du Sérail et de la Cour. Ce ne fut que sous Orkhann I que l'on commença à établir des distinctions entre les militaires et les citoyens. Ce grand Prince, à qui l'Etat doit ses premiers réglemens civils et politiques, guidé par les sages conseils d'A la-ed-dinn-Pascha son frère , donna , fan 729 , ( i32q) à toutes les milices une espèce d'uniforme, et affecta à elles seules les bonnets blancs : il préféra, dit l'historien Saded-dinn Fjendy , cette couleur à toutes les autres , parce qu'étant l'emblème de la félicité, COT>E RELIGIEUX, 117 elle devenoit par-là d'un heureux présage pour les prospérités futures de cette Monarchie naissante. Ces réglemens furent observés jusqu'au régne de Bayézid I , qui, sur les représentations du fameux Général Ti-mour-Tasch-Bey , établit de nouvelles distinctions parmi les troupes devenues alors considérables en raison de l'étendue que l'Empire avoit acquis par ses nouvelles conquêtes. Le hnlahh blanc fut donc réservé aux milices de la Capitale et aux officiers de la maison du Sultan , et les rouges que l'on appeloit beurk, aux troupes provinciales, aux milices féodales, et aux gens des Ministres, des Généraux et des grands Officiers. Les turbans garnis de mousseline blanche étoient peu connus sous ces premiers règnes ; mais l'usage en devint presque général sous Mohammed II. De son temps les Janissaires furent les seuls à qui l'on accorda les beurks blancs. Les officiers et les soldats eurent pour lors ces bonnets brodés en or et en argent. C'étoit une sorte d'imitation des grands bonnets uskiuf, richement brodés en or , q"e H iij portoient les officiers de l'état-major depuis le règne ÏÏOrhhann I. Les autres milices de l'Empire conservèrent leurs beurks rouges jusqu'au règne de Suleymann 1 ; règne remarquable et par les exploits du Monarque, et par le luxe désordonné qui se répandit dans toutes les classes de la nation. C'est alors que les turbans blancs furent d'un usage universel, et que l'ancienne mode des kulahhs fut abandonnée aux officiers des classes inférieures du Sérail, tels que les Baltadjys , les Zulur Jly-Balladjys , les Aschdjys etc. Suleymann I s'occupa d'une manière particulière à distinguer tous les ordres de l'Etat, par des turbans et des costumes différens. II se fît gloire d'imiter sur ce point ceux des Khaliphes, qui, voulant en apparence réprimer , par des lois somptuaires , le luxe de leurs sujets, établissoient des distinctions non-seulement entre les Mahométans et les non Ma-hométans, mais encore entre les particuliers des différentes classes de la nation dominante. Cette variété infinie de turbans adoptés alors tant par les Seigneurs de la Cour, que par les CODE RELIGIEUX. 119 simples citoyens, donna lieu à l'établissement cl'n ne mu 11 i t u de de bou t i ques, où l'ou ne s'occtt- poit quamonteretàgarnir des turbans. Comme on avoit porté déjà beaucoup d'atteintes à ces distinctions sous Sellmïl,et dans les commen-cemensdu règne de MouradIII, ce Prince fit, l'an 991. ( 1583),de nouveauxréglemens dont les dispositions embrassoient tous les ordres de l'Etat, et tous les peuples soumis à sa domination. Depuis cette époque il n'y eut que de très-légers changemens dans le turban de certains officiers de la Cour ; le costume en général s'est conservé sans altération , de sorte qu'aujourd'hui, ce n'est plus une affaire d'usage, mais un devoir des plus sévères, de porter l'habit et le turban consacrés, pour ainsi dire, à l'état et au grade d'un chacun dans les divers départemens de l'Empire. Comme cette partie regarde l'étiquette de la Cour, nous nous réservons d'en parler dans les codes su i vans , où nous exposerons en détail cette multitude de costumes qui distinguent non-seulement les officiers de la Cour et du Sérail, mais encore les différentes H ir 120 CODE R ELI GI^UX. classes des milices régulières de l'Empire. Il ne sera donc question ici que du costume ordinaire des Othomans , qui présente encore des nuances très marquées dans chaque ville et dans chaque province, soit dans la forme de f habit, soit dans celle de la coëffure. Les citoyens de Constantinople et ceux des provinces Européennes n'emploient communément à leurs turbans que de la mousseline blanche. Les Arabes se servent d'une toile bigarrée ou teinte d'une seule couleur, ainsi que les Egyptiens, les Syriens et les habi-tans de quelques contrées Asiatiques. LesBar-baresques s'en tiennent de préférence à une étoffé de soie garnie de fils d'or. Les Tatars, sur-tout ceux de la Tauride, n'ont jamais porté qu'un bonnet de drap vert , avec une bordure de peau à'Astracan. Enfin , dans quelques cantons de l'Empire, les Mahomé-tans se couvrent la tête d'un bonnet de drap garni de coton , sans mousseline. On aura une idée de tous ces costumes les plus remarquables parmi les citoyens des diverses contrées de l'Empire, dans les douze planches CODE RELIGIEUX. 121 que l'on jo;nt ici sous les n0" de 63 à 74. Quant aux sujets étrangers à l'Islamisme, il y a une différence sensible entre leur costume et celui des Mahométans, sur-tout pour la coëffure. Ils sont tous obligés de porter un grand bonnet de peau de mouton noir,c*z/-pack, ou de se couvrir la tête d'une toile de couleur foncée. Cette dernière coëffure est presque générale en Egypte , en Syrie et dans 3a plupart des provinces Asiatiques. Les Insulaires Grecs de l'Archipel portent communément un bonnet de laine rouge ou blanc. Jamais un Musulman ne se permet de prendre aucun de ces costumes étrangers à sa nation: outre l'idée de honte et d'opprobre que l'on y attache, on est encore retenuvpar un principe religieux. Un habit , mais sur-tout un bonnet qui n'est pas à l'usage des Mahométans, est regardé comme une marque d'apostasie. Cette opinion est même fondée sur les Felhwas de divers Mouphtys. Ces Fcthwas déclarent que si, de propos délibéré, un Musulman se couvre la tête d'un bonnet persan , ou de tout autre qui ne seroit pas celui de la nation, il se rend coupable d'infidélité , et que , comme tel, il est obligé à renouveler sa profession de foi et même la cérémonie de son mariage, Tedjhdid imann vé-ni+ liiahh. D'après ces principes on sent que le chapeau n'est pas en plus grande recommandation chez ces peuples, et particulièrement dans les provinces où l'on est peu accoutumé à voir des Européens. Anciennement, lorsqu'au milieu des orages qui agitoient l'Empire , on vouloit perdre dans l'esprit du peuple un Grand, un Ministre, un des Oulémas , et le désigner comme traître à la religion et à la patrie, les mutins alloient clouer un chapeau sur la porte de son hôtel. Indépendamment du turban et de la mousseline , les Musulmans sont encore distingués des autres sujets de l'Empire par la couleur de leurs souliers : ils les portent tous de maroquin jaune, excepté les Oulémas, qui ont adopté le bleu foncé, et certaines classes de militaires qui se servent de bottes rouges. Tout ce qui n'est pas Mahométan porte dçj chaussures noires. CODE RELIGIEUX. is3 Lorsque , parmi les prérogatives dont jouis, sent les Européens, même les Chrétiens du pays attachés au service des puissances étrangères , ils ont celle de prendre à leur gré le costume des Musulmans, même les chaussures jaunes , ils ne se permettent pas de porter le turban, parce que c'est la première marque distinctive de la nation dominante. Ils ont un bonnet particulier fait de martre zibeline, semhlable à celui de l'Interprète de la Porte et des Princes de Walachie et de Moldavie y qui sont toujours des Grecs sujets de l'Empire (i). Ce n'est que dans les voyages seulement que les Européens vêtus à l'orientale, peuvent se hasarder de porter le turban. C'est même une des prérogatives que l'Etat accorde expressément aux interprètes des nations étrangères. Il en est fait mention dans leurs Bérathsj et cela, y est-il dit, pour leur sûreté , et lorsqu'ils traversent des cantons pé- (i) On verra ces différens costumes dans le code, politique. rllieux. Cependant on use rarement de cette concession , par la crainte de s'exposer à des dangers d'une autre nature. S'ils venoient à être reconnus, leur turban scandaiiseroit les esprits vulgaires, et ils essuiero;ent peut-être toutes les violences du fanatisme , avant de pouvoir exposer leurs droits et leurs titres. Us s'en tiennent donc ordinairement au boa-net tatar, qui, quoique de drap vert, blesse infiniment moins que le turban l'orgueil et les préjugés de la nation. Indépendamment des costumes réservés en général aux divers peuples du pays,ainsi qu'à l'état , au grade et à la condit;on de chaque individu dans l'ordre politique , on en remarque encore une infinité d'autres affectés particulièrement aux citoyensdechaque province, de chaque ville et de chaque île de la mer blanche : celte diversité si frappante dans les Etats Othomans, mais sur-tout dans les villes maritimes, et plus particulièrement encore dans la Capitale, offre par-tout et à chaque instant le tableau le plus riant et le plus pittoresque. CODE RELIGIEUX. ia3 . Mais quels que soient la condition et l'habit d'un Musulman, il est toujours distingué des autres peuples par sà coëffure. Nous avons déjà dit que les Mahométans ne se découvrent jamais, ni à la Cour, ni en présence du Sultan , pas même à la mosquée. Selon eux, c'est une indécence de se découvrir la tête pour saluer quelqu'un; ils ne l'exigent pas même des étrangers : aussi nul Européen note le chapeau devant un Mahométan. Dans toutes les audiences publiques, chez le Grand-Vézir et chez le Sultan même, les Ambassadeurs se présentent la tête couverte, ainsi que tous les officiers qui forment leur cortège. Généralement tous les Mahométans se font raser la tête , qu'ils couvrent d'abord d'une calotte rouge,jess, et ensuite du turban. Les anciens Arabes portoient leurs cheveux : ce fait est attesté par tous les historiens nationaux. Ils parlent même de la chevelure de Mohammed qui étoit très-courte , et lui cou-, vroit à peine les oreilles. Dans le portrait qu'ils font à'A bas son oncle , l'un des plus beaux hommes de son siècle , ils disent qu'il avoit de superbes cheveux, et toujours deux; tresses très-longues, flottantes sur les épaules. L'usage de réformer les cheveux s'est Introduit sous le Khaliphat d'Osman I : il devint bientôt si général che2 tous les peuples Musulmans , que l'on ne voit plus aujourd'hui que quelques ordres de Derivischs les porter encore. Ils ne les laissent point flotter sur leurs épaules : ils les partagent ordinaire--meut en deux flocons, et les relèvent par derrière sur le turban. Ce seroit pour tout autre Musulman se singulariser au dernier point que de laisser croître ses cheveux. Un préjugé général y attache une certaine honte , en ce qu'on prétend qu'ils assimilent en quelque sorte l'homme à la femme, à qui seule les Mahométans pensent que cet ornement de ht nature est permis. On n'en voit pas même aux enfans : on les rase lorsqu'ils sont encore au berceau. Mais, pour conserver la mémoire de l'ancien usage des Arabes, et de ce qu'ont pratiqué le Prophète et ses disciples , on a soin de laisser au milieu même de la tête sur le sommet, à la manière des Chinois, une CODÉ RELIGIEUX. 127 espèce de toupet que Ton noue et que l'on cache sous le turban. Comme personne n'est dans l'usage de se raser soi-même , on peut juger du grand nombre de barbiers qui sont établis dans toutes les villes de l'Empire ; ils manient le rasoir avec une légèreté étonnante. Les uns , fixés dans des boutiques décemment entretenues, y reçoivent les citoyens des classes inférieures, et emploient le linge le plus propre et le plus fin : ce sont des espèces de serviettes ou de mouchoirs souvent brodés tout autour à la manière du pays. Les autres sont attachés au service des personnes de marque, et vont les raser chez elles deux ou trois fors la semaine (1). Il est peu de Seigneurs qui entretiennent chez eux des barbiers pour le service de leur maison. La moustache et la longueur de la barbe dédommagent ces peuples de la perte de1 leurs cheveux. Il n'y a pas un seul Mahomé-tan qui n'ait des moustaches; mais la barbe (1) Voyez la planche 86. longue n'est pas aussi générale; Nous avons remarqué plus haut que ceux qui ont fait le pèlerinage de la Mecque , contractent par-là une obligation indispensable de la laisser croître. Si les Ministres, les Grands, les Oulémas portent la barbe, c'est moins par un principe de religion que par la force d'un ancien usage auquel le préjugé de la nation entière a attaché un caractère de dignité. Mais ceux de la bourgeoisie et du peuple qui la conservent volontairement, ne suivent en cela que les mouvemens de leur zèle et de leur dévotion : c'est pour se conformer a l'exemple du Prophète et obéir à la loi. Tous les états cependant et toutes les conditions n'ont pas également la liberté de suivre cet usage : il est interditaux simples commis , aux bas-officiers, aux domestiques des Grands et à quelques classes des officiers militaires : il l'est également à tous les gentils-hommes de la chambré du Sultan , et à tous les officiers de sa maison , excepté le BostanHjj Baschj. On sera sans doute étonné que les lois du Serail ne permettent pas même aux Princes du sang de CODE RELIGIEUX. 129 de suivre sur ce point leur volonté ou leur goût. La barbe d'un nouveau Sultan ne date jamais que du jour de son avènement au trône. Selim I est le seul de sa maison, et même de tous les Monarques des différentes dynasties Mahométanes, qui n'ait jamais laissé croître sa barbe ; ce qui frappa d etonnement l'Empire entier, et fournit matière à mille propos satiriques pendant tout le cours de sou règne. On aime en général à avoir la barbe longue : le ciseau n'y touche que pour l'arrondir, et lui conserver dans sa longueur une forme ovale. Tous les matins on lui consacre quelques minutes pour en faire la toilette ; on a soin de la parfumer avec du bois d'aloès et de l'eau de rose. Chacun porte sur soi un peigne, qui chez les Grands est d'or ou d'argent; on en fait usage plusieurs fois pendant le jour. Ceux qui ont les cheveux gris, se servent de peignes de plomb. D'autres se font teindre en noir la barbe et la moustache, comme le font les femmes d'un certain âge pour leurs cheveux. Selon Ahmed tijendy , Tome IV. I Abd'ul-Muualib grand père du Prophète, fut le premier des Arabes qui se fit teindre la barbe : cet usage s'introduisit insensiblement dans sa nation, et fut également adopté par les Othomans. Tous ces peuples ont pour la barbe un respect particulier. Une fois qu'on l'a laissé croître, quel qu'en soit le motif, on n'est plus maître de la quitter : ce seroit Une action répréhen-sible aux yeux de la religion et de la société. Aussi regarde-t-on- comme un outrage sanglant d'arracher ou de couper la barbe à quelqu'un. Les expressions véhémentes qu'emploient les historiens nationaux, en rapportant des faits de cette nature, montrent à quel point cette opinion domine chez les Mahométans. Ils ne parlent qu'avec indignation de Timour, qui se plaïsoit à faire raser la barbe à tous les docteurs et à tous les prélats Othomans qui tomboient en son pouvoir. Ils se déchaînent également contre le Khaliphe Mé-mour I , qui, l'an 53o (n^6), ayant été déposé par un arrêt des Oulémas de Baghdad, se permit, par la plus* lâche vengeance, en se CODÉ RELIGIEUX. i3i retirant en Perse, d'exercer ce traitement indigne envers les gens de loi qu'il reucontroît sur sa route. Enfin cette vénération des Mahométans pour la barbe tient à un principe religieux : c'est pour imiter Mohammed qui la portoit, disoit-il lui-même, à l'exemple des anciens Prophètes et des premiers Monarques de l'Orient, et qui témoignoit toujours une considération particulière à ceux qui la lais-soient croître. On voit dans l'histoire que, l'an 7 de l'Hégire , il refusa de donner audience à deux députés de l'Yémen , parce qu'ils étoient sans barbe. Il fallut tout le crédit et toutes les sollicitations d1Ebu-Beklr et d'Orner pour l'engager à les admettre en sa présence. Comme les sujets tributaires de l'empire sont obligés de se conformer plus ou moins aux usages de la nation dominante, presque tous se font également raser là tête : on n'en excepte que les prêtres Grecs et les insulaires de l'Archipel qui conservent leur cheveux en entier. La plupart des Thraces, des Alba-nois et des Grecs de la Morée ne se font raser que le devant de la tête, et laissent croître les cheveux de derrière. Mais tous en général t>nt des moustaches. Un très-grand nombre de Grecs et d'autres sujets non-Mahométans laissent aussi croître leur barbe; les uns par état, comme les Ministres du culte, les autres par dévotion, comme les Chrétiens qui ont fait le pèlerinage de Jérusalem, et d'autres par bienséance , lorsqu'ils remplissent des offices publics, ou qu'ils s'attachent au service des Seigneurs de la Cour. Tous ont sur la barbe la même opinion que les Mahométans , de sorte qu'ils regardent comme un affront sanglant le moindre attentat contre elle. §. III. Parure. On ne doit pas croire que les préceptes dé la loi sur la simplicité du vêtement soient aujourd'hui plus scrupuleusement observés par la nation Othomane, qu'iis ne le furent par les Mahométans des premiers siècles. Si l'on en excepte les Oulémas et quelques dé- CODE RELIGIEUX. i33 Vots parmi les laïcs, toutes les familles opulentes font usage des habits de soie et des plus riches étoffés. Celles des Indes sont les plus recherchées. Leur diversité est infinie tant pour le prix que pour la qualité. Il y en a d'unies, de rayées, en fleurs de toute espèce , en soie , en or et en argent. Ces deux dernières étoffes ne sont cependant que pour l'usage des femmes. Les hommes ne portent jamais ni or ni argent sur leurs habits. On en excepte les valets de chambre des premiers Seigneurs, et quelques officiers de la Cour dans les jours de cérémonie. Parmi les étoffes des Indes , il faut distinguer les schals qui sont d'une laine extrêmement fine et du plus grand prix. Ils ont la forme d'un carré long , et sont brodés tout autour de fils de laine également fins , mais de couleurs différentes. Les plus amples de ces schals, qui ont communément douze pieds de long sur quatre de large, pourraient passer dans une bague : ils servent de ceinture aux hommes, comme aux femmes, dans toutes les saisons de l'année. En hiver, les hommes , soit à cheval, soit à pied, s'en couvrent Ja tête pour se garantir du mauvais temps. L'usage des parapluies n'est pas connu chez eux, et les voitures sont réservées aux femmes. Celles-ci se serve t également des scha/s de l'Inde pour se couvrir la tête et les épaules, et se garantir des rigueurs du froid. Elles en font encore des habits d'hiver. Les dames d'un certain rang les préfèrent aux mousselines les plus précieuses et aux étoffes les plus richement brodées. Le peuple porte des s chah communs et travaillés dans le pays. Les pelleteries sont le plus grand luxe de l'un et de l'autre sexe. Sous les six premiers Sultans, la cour et la nation entière ne portoient communément que des habits de drap, et de simples étoffes ouatées. Ce fut après la conquête do Constantinople sous Moham^ med 11, que l'usage des fourrures s'introduisit dans l'Empire. Aujourd'hui il est de-Venu général ; il n'est point de simple artisan , de soldat, de paysan qui ne porte en hiver une pelisse de pea^u d'agneau , ou cle CODE RELIGIEUX. i3S luouton, de chat, d'écureuil, etc.; plusieurs même en ont de peau de renard fauve, ou de lièvre , qui sont les fourrures ordinaires des simples bourgeois, et dont les prix varient selon la couleur, la qualité et la longueur du poil. L'hermine, la martre simple , le renard blanc , le petit-gris blanc ou noir, mais sur-tout la zibeline forment les garde-robes des familles opulentes et des personnes distinguées. Ces fourrures sont aussi les habits de gala des Ministres, des Seigneurs de la Cour et des principaux officiers de tous les ordres de l'Etat. Dans l'arrière-saison on prend l'habit d'hermine ; trois semaines après , le petit-gris , et ensuite la zibeline pendant tout l'hiver. Au printemps, on quitte la zibeline pour reprendre le petit-gris, et quelques jours après , l'hermine. Pendant l'été, on porte une robe large,féredjê, de camelot moiré d'Angora. Ce n'est jamais une affaire de mode, mais un devoir d'étiquette, de prendre ou de quitter quatre fois fan ces différens vêtemens. Les jours en sont fixés tous les ans à. la volonté du Souverain. Le I iv jour même qu'il change de fourrure, et c'est ordinairement le Vendredi en allant à la Mosquée, un officier du Sérail se rend en cérémonie chez le Grand- FeVrpour l'en informer, et aussitôt toute la Cour prend le même habit. Le renard noir, la plus précieuse de toutes les pelleteries, est réservée à S. H. Aucun Grand de J'Empire n'a la liberté de porter cette fourrure , sur-tout publiquement. Il arrive quel piefois que le Monarque en fait présent au Grand-Vézir, et alors il est permis à ce premier Ministre de s'en revêtir dans les grands jours. Lorsque le Sultan accorde cet honneur à un Pascha ou à un Seigneur de la Cour, cette distinction est toujours une marque de la plus grande faveur ou la récompense d'un service signalé. En général le loup cervier n'est pas au rang des fourrures d'étiquette. Les officiers de l'état-major des Janissaires so..t les seuls qui en portent dans les cérémonies publiques. Les femmes se servent indistinctement de toutes ces founures ; chacune ne consulte que son goût et ses moyens. L'hermine, le CODE RELIGIEUX. i37 petit-gris et la zibeline sont cependant les plus en usage parmi elles. Toutes leurs robes d'hiver en sont fourrées avec une double bordure par devant, comme sont les pelisses des hommes. Le bas de ces robes et le contour des poches en sont également garnis. On sait que la zibeline est de toutes les pelleteries la plus distinguée. La moindre coûte douze ou quinze cens livres. Une infinité de Dames et de Seigneurs en ont dont le prix est de cinq ou six mille livres. Les plus belles Valent dix, quinze et vingt mille livres ; et il n'est pas rare de trouver dans les garde-robes des Seigneurs, huit^ dix, et même douze de ces fourrures. Dans le fort de l'hiver, tous les Grands et toutes les personnes opulentes sont dans l'habitude de porter deux fourrures : il en est même qni en portent trois ; les uns le lonfc par ostentation, et les autres par raison de santé. Comme dans ces contrées les maisons sont légèrement bâties, que presque tous les appartemeussont percés de plusieurs croisées, que la nation ne connoît guères l'usage ni des cheminées ni des poêles , et que plusieurs même travaillent chez eux sans feu , les four* rures deviennent alors un objet de nécessité et de luxe tout à la fois. Par ces détails on peut juger quelle est la consommation des pelleteries dans tout l'empire. Presque toutes se tirent de la Russie dont le commerce sur cet article est immense dans les Etats Othomans. Il en sort tous les ans des sommes prodigieuses, tant pour ces objets que pour les étoffes des Indes , les draps manufacturés en Europe, et les mousselines dont se coëffent généralement les hommes et les femmes. Le reste de la parure, sur-tout parmi les hommes, est peu dispendieux. Les Mahométans ne se servent que de montres d'argent : ceux d'entre les Grands qui en ont d'or ne les portent presque jamais sur eux, pour ne scandaliser personne par cette transgression publique de la loi. Les dévots n'ont que des montres de pintschbeh. Excepté quelques jeunes Seigneurs qui portent des bagues montées en pierres fines, on ne voit au doigt de tout le reste des citoyens qu'une CODE RELIGïUEX. i3cj simple bague d'argent qui leur sert de cachet : sur le chaton qui est de même métal, ou de r cornaline rouge , est gravé leur nom. Quelques-uns y ajoutent à leur gré deux mots du Coudann $ ou un distique pieux , ou bien ces paroles : Serviteur de Dieu. Les Grands, les Oulémas et toutes les personnes dévotes ne portent pas ces cachets au doigt, mais sur le sein , dans une petite poche de la veste où ils gardent aussi leurs montres. Chez ces peuples qui n'ont aucune idée du blason, les cachets tiennent lieu d'armes de familles : ils servent en même temps et de signature et de sceau pour tout écrit quelconque. Un billet n'est pas valide si celui qui le donne n'y appose son cachet , quand même il l'au-roit écrit et signé de sa main. Cette loi dans son origine eut pour objet de prémunir les citoyens contre de fausses signatures, qui étoient sans doute très-communes chez une nation où anciennement l'art d'écrire n'étoit pas général , et où chacun recouroit à des écrivains publics autorisés à tracer jusqu'au nom des personnes qui s'adressoient a eux. Ainsi le cachet, qui bien souvent n'est que la gravure du nom, s'appose à côté du seing ou bien au dos de l'écrit. Cet usage est général, et si impérieux, que les Ministres, les Magistrats, les chefs des bureaux ne peuvent pas y déroger , même pour les pièces qui émanent de leur département : un officier , sous le nom de Muhhurdar, se tient à côte du maître, et en sa présence il les scelle de son sceau. Le premier cachet du Prophète étoit d'or en forme de bague; mais il le quitta, disent les historiographes , la première année de son apostolat, défendit aux hommes l'usage de ce métal précieux , et se fit un cachet de fer entouré d'un simple fil d'argent. L'empreinte portoit ces deux mots : Ressoul'ullah , (l'Envoyé de Dieu. ) Quelque temps après il proscrivit aussi le fer, et se servit, ainsi qu'il est dit dans le texte, d'un cachet d'argent qu'il avoit reçu en présent de Meaz, son disciple. C'est ce même cachet dont les trois premiers Khaliphes héritèrent successivement ; ils le portoient au doigt comme le gage le plus CODE RELIGIEUX. 141 précieux du Khaliphat, et le symbole le plus auguste de leur puissance et de leur autorité sacerdotale. Muawiyé I, le premier des Ommiades, ne porta jamais qu'un cachet d'argent sur lequel il avoit fait graver ces paroles : Kull'u amcl'-un séivab ( toute action a son mérite ) c'est-à-dire , qu'elle emporte avec elle sa récompense ou sa peine. Cette devise fut adoptée par la plupart de ses successeurs et des Princes de sa maison. Abd'ul-Melih I y substitua ces mots : Ament'u b'illahh' y Moukhlis-senn : ( Je crois en Dieu sincèrement. ) Abd'ullah Seffah, le premier des Khaliphes Ahassides , s'en tint à ce dystique : Abd'ullah, serviteur de Dieu , met toute confiance en lui, avec un cœur plein de droiture et de sincérité. Tous les autres Khaliphes , et presque tous les potentats delà religion Musulmane ne se servoient également que de cachets d'argent qu'ils portoient toujours au doigt : quelques-uns y faisoient graver leur chiH're ou leur monogramme. D'autres y ajoutaient un verset du Coudann, ou une sentence de morale , ou une maxime de philosophie. Le cachet d'or des Sultans de la maison Othomane est presque le seul de ce métal dans l'Empire ; aussi ne le portent-ils pas au doigt, ils le gardent dans leur sein. La gravure qui est sur l'or même, et de la gran* deur tout au plus d'une pièce de douze sols, ne présente que le chiffre de S. H. On y lit son nom et celui de son père. Il lui sert , comme ceux de chaque individu de la nation, de signature et de cachet. Un second , absolument pareil, est déposé entre les mains du Grand-Vézir ; c'est ce qu'on appelle en Europe les sceaux de l'Empire. Le Souverain , en remettant ce cachet, renfermé dans une petite bourse de drap d'or, à celui qu'il veut élever à la première dignité de l'Etat , est censé par-là l'investir de la plénitude de ses pouvoirs. Ce cachet, consacré sous le nom de Muhhur-houmayounn ( sceau auguste, sceau impérial') devient à la fois le gage et de la confiance du maître, et de l'autorité absolue qu'exerce en son nom le premier Ministre, comme son Vicaire, et le Lieutenant-général de l'Empire. Le Grand-Vézir garde respectueusement dans son sein l'auguste symbole de sa puissance, et ne l'emploie jamais qu'à cacheter les mémoires qu'il adresse au Sultan. Indépendamment de ces bagues , de ces anneaux , de ces cachets ordinaires et particuliers , il y a aussi des sceaux publics chez le Grand- Vézir, chez XAgha des Janissaires , etc. Nous en parlerons dans ie code politique qui embrasse toutes les matières relatives à l'administration générale de l'Etat. Les Othomans ne se servent jamais que de tabatières d'argent, d'écaillé où de carton. Peu de citoyens font usage de boîtes d'or. Mais plusieurs en ont de petites et communément plates , qui sont même garnies de pierres précieuses, où ils gardent leur aloès9 ou des pilules à'opium. La nation paroît être moins scrupuleuse dans l'emploi de Por et des pierreries sur les poignards, khanntscherou sur les couteaux, bitschak , que l'on porte à la ceinture. Ceux du peuple sont très-simples, les citoyens aisés les ont d'argent. Ceux des personnes opulentes, sur-tout parmi les officiers de la Cour, sont en or et enrichis de diamans. Ces armes peuvent en quelque sorte être comparées à J'épée des Européens. Les Grands les attachent toujours à la ceinture du coté droit. Les bas-officiers et les citoyens les portent indistinctement à droite ou à gauche. Le poignard, plus distingué que le couteau, est l'arme ordinaire des Vézirs , des Pachas } des généraux et des officiers militaires. Le couteau est celle des Ministres, des gens de plume , et des officiers du Sérail. Quelques-uns des premiers ont quelquefois Pun et l'autre, le khanntscher à droite, le bitschah à gauche de la ceinture. Les Sultanes , les Cadinns du Sérail et les femmes des Grands portent aussi, comme les hommes, un couteau ou un petit poignard enrichi de brillans. 11 en est de même des Princesses de Walachie \ et de Moldavie. Les soldats , les matelots et les gens du commun sont les seuls qui portent de grands coutelas. Quelques-uns d'eux garnissent en-cqre leur ceinture d'une paire de pistolets, non pas à Constantinople où le port d'armes est CODE RELIGIEUX. 145 est rigoureusement défendu, mais dans certaines provinces de l'Empire , sur-tout dans les places maritimes. Rien de plus commun cjuc des pistolets garnis en argent , ainsi que des 6abres de toute forme et de toute grandeur. On ne les porte cependant qu'en voyage ou à la guerre , et alors ceux des Paschas , des Bejs et des grands officiers sont pour la plupart garnis en or et en pierres fines. Si, parmi les Musulmans, les hommes s'écartent des principes de la loi sur la nature des étoffes et des métaux qu'ils emploient à leur vêtement et à leur parure, on peut juger avec quelle liberté les femmes en usent, elles pour qui la loi est infiniment plus indulgente. Il n'en est point qui n'aient des boucles d'oreilles , des brasselets, des colliers et des boucles de ceintures en or ou en argent, quelque médiocres que puissent être leur état et leur fortune. Dans les rangs élevés, ces brnemens et ces joyaux sont en perles fines , en dia-mans et en toutes sortes de pierreries. Le luxe est quelquefois si exa-géré chez les femmes, qu'elles portent cinq ou six bagues à Ja Tome IV. K i4'6 CODE RELIGIEUX. fois. Tous les doigts en sont garnis , même le pouce. Leurs hautes coëffures , toujours de mousseline unie ou brodée, ou peinte de toutes les couleurs , sont ordinairement garnies de fleurs, de diamans, de rubis et d'é-meraudes : quelques-unes portent aussi , à l'imitation des Sultans, des plumes de héron. Ces serghoulschs , comme on les appelle, ont la forme d'un bouquet. La tige en est enrichie de pierres précieuses. L'usage des montres n'est pas aussi général parmi le sexe : celles qui les ont en or ou enrichies de diamans , les placent à la gauche de leur sein, dans une petite poche qui ne laisse voir que la chaîne. Les femmes d'un état médiocre portent au col de longues chaînes d'or qui descendent jusqu'au milieu du corps : il y en a même qui sont composées de soixante à quatre-vingt sequins neufs, ou bien de médailles de différentes grandeurs et de différentes formes. Les unes ont pour inscription des passages du Cour'ann d'où est dérivé le nom à'Ajet-lu-altounn ? sous lequel on les désigne ; et les autres qui sont ordinairement en forme de poire , et appelées par cette raison Ar-moudy-, ont pour toute devise le mot de Masch'allah , exclamation à la louange de Dieu. Il est encore d'usage, chez les femmes de qualité, de tenir dans leur main un long chapelet dont les grains sont pour l'ordinaire de jaspe, ou d'agathe, on d'ambre blanc, ou de corail très-artistement ciselé. Quelques-uns même sont entremêlés de perles fines et ornés de glands à fils d'or. Les femmes comme les hommes s'en servent par manière d'amusement et de contenance : on peut les comparer aux éventails des femmes Européennes. Les Mahométans se servent aussi d'éventails, mais ce n'est qu'en été , dans l'intérieur de leur maison et rarement en public. Ils sont de forme ronde, et faits de plume de paon, ou de parchemin, semés de fleurs d'or : la poignée est d'ivoire ou d'ébène. Ceux des hommes sont plus simples. On ne leur voit jamais à la main ni canne, ni baguette , ni fouet, excepté hors des villes, et lorsqu'ils font de longs voyages. Si des personnes d'un K i; certain rang ou d'un dge avancé tiennent quelquefois un évantail, ce n'est ordinairement que pour se garantir des rayons du soleil, les parasols n'étant point connus chez ces peuples. Mais ils se font éventer, les hommes par un domestique, les femmes par une esclave, dans les momens du jour où il» se reposent et pendant qu'ils sont à table. On se sert encore du sineldik , qui veut dire chasse-mouche , pour se garantir de ces insectes. C'est une espèce de long houssoir en brins d'osier très-fin > que l'on fait agiter sans cesse devant soi. Cet usage est sur-tout pratiqué chez les Grands, toutes les fois qu'ils écrivent, ou qu'ils dînent en public dans leur appartement. Il est même devenu une étiquette pour le Sultan et pour son premier Ministre. Le Monarque ne dîne jamais que l'un des premiers gentils-hommes de sa chambre ne soit placé derrière lui avec un riche sineldik à la main ; et toutes les fois que le Grand-Vézir tient Divan dans son palais, il a également un officier qui fait promener le sine-hlik au-dessus de sa tête. Les modes qui tyrannisent tant l'esprit des femmes Européennes n'agitent guères le sexe en Orient : là, c'est presque toujours la même coëffure, la même coupe d'habits* le même genre d'étoffes. On ne doit point s'étonner de cette stabilité de la nation dans ses goûts et dans ses usages , puisque ni à Constantinople , ni dans aucune autre ville de l'Empire, on ne voit point de ces marchandes de modes intéressées à aiguillonner l'inconstance et la frivolité par la mobilité perpétuelle de leurs inventions. C'est en vain qu'on chercherait chez les Mahométanes cette élégance et ces grâces enjouées qui semblent être le partage des femmes Européennes. Mais si elles ne peuvent se flatter de ces avantages , elles en sont amplement dédommagées par la noblesse du costume et par les charmes de la simple nature. De belles formes,, des yeux noirs et vifs, un teint frais et vermeil, un abord noble et majestueux, semblent distinguer les iëm-mes de ces.-contrées. Quoiqu'elles n'aient aucune idée des corps des busqués , des cor- Kiij sets, etc. elles ne laissent pas en général d'avoir la taille fine et une tournure assez intéressante. Elles n'ont point recours à ces prestiges par lesquels on cherche vainement à réparer l'outrage du temps, ou à voiler les désordres des passions. Les Mahométanes ne connaissent ni le fard , ni le rouge : elles ont cependant la manie de teindre la moitié de leurs ongles avec une espèce d'argile rou-geatre que l'on appelle hinria, et vulgairement hina. Elles attachent un certain intérêt à cet ancien usage qui est assez général dans la nation, et qui doit sa naissance à l'Arabie païenne. Elles aiment encore à se peindre les sourcils, et pli-s communément les paupières avec du collïnum, que l'on appelle surmê, et qui est une prcpai ai ion d'antimoine et de noix de galle. Parmi les Arabes et les Africains, beaucoup d'hommes ont aussi adopté cette pratique, les uns-d'après l'opinion que le col-lire a la vertu de conserver les yeux , surtout dans les climats chauds-, et les autres dans un esprit de dévotion, pour imiter le Prophète et ses disciples. ! Il est rare qu'une femme Mahométane se serve de faux cheveux, parce qu'ils sont proscrits par la loi. Les fausses boucles, les toupets, la poudre, la pommade, en un mot, cet attirail tout à la fois si important et si pénible des toilettes Européennes , leur est absolument étranger : elles portent leurs 'cheveux tels que la nature les donne. Ils sont simplement tressés, retombent sur leurs épaules , ou sont relevés avec grâce , et roulés autour du turban de mousseline qui forme leur coëffure. Il y en a qui ont jusqu'à cinquante, soixante et même quatre-vingts tresses , ordinairement garnies de fleurs , ou de joyaux de toute espèce. Les cheveux de devant voilent une partie du front, et les côtés du visage. La mode même la plus recherchée exige que tout le front soit couvert, et que les cheveux forment au-dessus des sourcils un double croissant réuni par une pointe qui s'étend jusqu'à la naissance du nez. Cette mode est assez commune parmi les femmes de qualité, qui se distinguent encore parla forme de leur coëffure toujours très-volunu- K iv neuse sur Jes côtes , trcs-élevée sur le haut de In tête , et se terminant en pointe par une houppe de soie ou de fils d'or , ou de perles Hues. Nous donnons une idée de ce costume, dans les planches y5, 76 et 77. Les femmes des classes inférieures portent u n e coë IT u re m c > i ns h a u t c c t o n 11 e fron t p I u s découvert. Ce costume est encore celui des femmes esclaves, qui d'ailleurs, lorsqu'elles font leur service et qu'elles paroissent devant leurs maîtres , ne portent jamais de robes fourrées, non plus que les Tschocadars , et tous les domestiques des grandes maisons. Voyez la planche 78. Généralement toutes les femmes portent, comme Içs hommes , une calotte de drap rouge sous leur coëffure. Quelques-unes les ont de drap blanc. Elles se fabriquent dans les trois cantons de Barbarie, et depuis quelques années à Orléans en France. Aucune femme ne se couvre le sein , surtout eu été , qu'avec sa chemise qui est ordinairement de gaze fine, bouroundjeouh: elle descend jusqu'aux talons, et les manches 7143 ✓ 0773 71 -M couvrent les bras en entier. Mais toutes portent des caleçons et des hauts- de -chausses aussi longs que ceux des hommes, et serrés avec un cordon en coulisse au bas de la jambe. Ceux des hommes ne sont jamais que de camelot ou de drap rouge : les soldats , les marins , quelques Derwischs et les classes inférieures des citoyens, en ont d'une grandeur énorme, de drap bleu on blanc, et souvent d'une simple toile. Les femmes y emploient ton tes sortes d'étoffés ; et quoique ce vêtement paroisse ridicule au premier coup-d'œil par le volume qu'il présente, il ne répond cependant pas mal au reste de l'habillement. Il est vrai que celles qui ont la jambe belle n'ont pas l'avantage de la faire voir. A peine leur aperçoit-on les bas , qui d'ailleurs ne sont jamais que de coton fin, et ne vont que jusqu'au milieu de la jambe. Une espèce de chaussure, lerlik, de maroquin jaune leur couvre le pied; elles portent par-dessus des pantoufles plates, pdi-pouschs , faites un peu plus élégamment que celles des hommes, Les dames de qualité et les Sultanes les ont brodées en or et en ar- gent, et même en perles fines. Elles n'ont aucune liée des talons, des souliers , des boucles , des rosettes , etc. ; mais plusieurs portent chez elles , sur-tout en se promenant clans leurs jardins , des galoches, ou de hautes sandales brodées en or et incrustées de nacre de perle. Presque toutes les femmes prodiguent la broderie pour une infinité d'objets destinés non-seulement à leur toilette, mais encore à l'usage ordinaire de la maison. Mouchoirs de mousseline , essuie-mains, serviettes de tables , enfin tout, jusqu'aux attaches ou lîiramens de leur caleçons et de leur haut-de-chausses, de ceux même des hommes d'un certain rang, sont brodés en fils d'or et d'argent; beaucoup de femmes portent aussi des chemises fines artistement brodées en soie. Les femmes Mahométanes s'attachent beaucoup plus à la richesse des vêtemens qu'à l'élégance de leurs formes, ce que peut-être l'on pourront attribuer à la vanité ; car ce sentiment l'emporte presque toujours chez elles sur le désir de plaire. En effet ne vivant qu'avec les personnes de leur sexe; jetées, lors- CODE RELIGIEUX. 1*55 qu'à peine elles sont parvenues à lage de puberté, dans les bras d'un homme qu'elles regardent plutôt comme leur maître que comme leur époux ; ne voyant les autres hommes qu'à travers les grilles et les jalousies ; condamnées enfin pour toujours à la retraite la plus rigoureuse, il est difficile qu'elles aient l'idée même de ce qu'on appelle coquetterie. C'est un art qui paroît leur être absolument étranger. Par une suite des mœurs particulières à cette nation , les femmes sortent rarement de chez elles; mais, lorsqu'elles paraissent en public, elles sont vêtues d'une longue robe que l'on appelle jérer/jé. Qejéredjé est en été f de camelot d'Angora, et en hiver, de drap, avec une espèce de collet très-large ,yaca> qui s'étend sur les épaules, et qui est ordinairement de satin vei d , rouge ou bleu. Deux voiles de mousseline leur couvrent le visage. Le premier part du milieu du nez, et descend jusqu'à la ceinture en couvrant tout le sein. Le second enveloppe la tête jusqu'aux paupières ; le tout est arrangé de façon qu'on leur voit à peine les yeux : elles portent aussi une espèce de bottines larges, i.sdicdlk, de maroquin jaune qui va jusqu'au milieu de la jambe, et par-dessus leurs paipouschs. Il y a dos provîntes en Asie où le voile qui couvre la tête descend jusqu'à la moitié du corps, et même jusqu'aux genoux. En Egypte et eu Syrie ce voile est noir : il enveloppe le corps on entier, et ne présente dans la partie qui répond au visage que deux ouvertures vis-à vis desyeux, semblables à celles d'un masque, Voyez les planches 79 et 80. Les femmes chrétiennes du pays , mais principalement les Grecques, qui dans la vie privée, jouissent d'une liberté presque égale à celles des Européennes, adoptent quelquefois les modes de celles-ci , et font même usage du rouge et du blanc. Mais si elles se permettent de copier les manières et l'élégance des femmes étrangères , elles n'osent cependant jamais paroître en public autrement vêtues que les femmes Musulmanes, Elles sont même obligées non-seulement.de prendre le voile de pudeur, jadis si respecté CODE RELIGIEUX. i5; chez les Grecs et chez les Romains, maioencore de porter des robes, jéredjé, de couleur foncée , et des chaussures noires. En général les femmes , de quelque nation qu'elles puissent être , ne paraissent jamais en public que sous les dehors les plus décens, soit dans leur vêtement, soit dans leur maintien. Quoique toujours voilées , elles se donnent bien de garde de porter de hautes coëffures , et de laisser apercevoir quelque recherche ou une certaine élégance dans leur manière d'être mises. La police est très-sévère sur ce point : de temps à autre elle renouvelle ses défenses, par la bouche des hérauts, dans tous les quartiers de la ville. Les femmes qui ont l'imprudence de s'écarter de ces lois sont publiquement insultées. On a vu assez souvent à Constantinople des officiers de là garde les apostropher au milieu des rues , et même déchirer le grand collet de leur robe, lorsqu'il est plus large que de coutume, ou d'une forme trop recherchée. Une sévérité de ce genre étonne sans doute les Européens; mais elle ne paraît point extraordi- tâS CODE RELIGIEUX, naire à un peuple accoutumé à plier sous l'autoritésouvo une,etdansuiipaysoùlegou-vernement veille sans cesse sur tous les objets qui intéressent le maintien des bonnes mœurs. On est encore plus sévère à l'égard des hommes ,et sur-tout des sujets non-Mahomé-tans. Ceux-ci sont tenus à la plus grande simplicité dans leur vêlement, aux formes les moins recherchées, et aux couleurs les plus rembrunies. La police est toujours vigilante sur cet article , mais plus particulièrement encore aux époques de chaque nouveau règne. A peine un Sultan est-il monté sur le trône, qu'il s'occupe de ces objets, fait revivre les anciens réglemens , et donne les ordres les plus sévères pour leur exécution. Il y déploie même toutes les rigueurs de l'autorité, jusqu'à punir de mort la moindre prévarication. Cette conduite n'est pas toujours l'effet d'un caractère dur et inhumain, mais celui d'une politique dirigée par les principes mêmes du Gouvernement. Un Monarque croit qu'il est de son intérêt de donner, dès les premiers jours de son règne, des marques éclatantes et de son zèle pour le maintien de tout ce qui concerne l'ordre public , et de son inflexibilité contre tous ceux qui se permettent la plus légère désobéissance aux ordres émanés du trône. Il est de la plus grande importance pour lui d'entretenir dans tous les esprits ce principe de crainte servile et de soumission aveugle , qui fait le premier ressort et le seul peut-être de tout Gouvernement despotique. Quoique les édits qui renouvellent les lois somptuaires embrassent ordinairement dans leurs dispositions toutes les classes des citoyens des deux sexes , ils sont cependant toujours déterminés par des motifs différens , relativement aux uns et aux autres. Ceux qui concernent les Mahométans ont pour but de maintenir parmi eux la décence , de proscrire le luxe immodéré, et d'établir des distinctions dans les différens ordres des citoyens : ceux au contraire qui regardent les autres sujets de l'Empire sont dirigés par les maximes de la religion et de la politique. Ils ont pour objet de marquer dans l'état social , la distance qui doit séparer de la nation domi- nante les peuples tributaires, étrangers à Vls. lamisme. Quant à la partie de ces ordonnances cjui a rapport aux femmes en général, elle n'a d autre principe que la conservation des mœurs publiques. Ces lois sont rigoureusement observées dans la capitale. Dans les provinces, leur exécution dépend toujours du caractère plus ou moins ferme des Gouverneurs , des Magistrats et des officiers principaux. Sur cet objet, comme sur bien d'autres, les îles de l'Archipel jouissent d'une assez grande liberté , parce qu'elles ne sont pour la plupa rt habitées que par des Grecs. Là, les femmes toujours opiniâtrement attachées aux anciens costumes du pays, s'élèvent au-dessus de toutes les contraintes ; elles paraissent même en public sans être voilées. Les Européennes établies dans les diverses provinces de l'Empire sont encore moins gênées, sur-tout lorsqu'elles ne s'éloigrient pas des quartiers qu'elles habitent : aussi leur vêtement est un mélange de costumes divers qui offre à l'œil une bigarrure très-agréable \ quelques- CODE RELIGIEUX. l6i quelques-unes prennent la robe ,Jërerfje'f mais elles se dispensent du voile , et se couvrent la tête d'un schal des Indes. A Smyrne et à Salonique, où les quartiers des Européens sont peu fréquentés par les Mahométans , elles ne portent même qu'un voile de mousseline , dont la bordure large de quatre doigts est de fils d'or ou d'argent. Voyez les planches 81 et 82,. Mais lorsqu'elles veulent paroitre dans les faubourgs des Musulmans, elles sont obligées de suivre le costume de la nation dominante. A titre d'étrangères, elles ont le liberté de s'habiller comme les femmes Maho-métanes, en prenant les formes et les couleurs de leurs vêtemens : il n'y a que le vert qui leur soit interdit. Couleurs. Si la loi recommande le blanc et le noir, comme étant de toutes les couleurs celles qui conviennent le plus aux Mahométans, c'est par respect pour le Prophète qui les prêté- Tome IV. L roit à toutes les autres. Ses drapeaux, dit l'historien Ahmed-Efendy, étoient blancs ou noirs, ainsi que la plupart de ses robes. Dans sa première entrée triomphale à Médlne, il étoit vétu de blanc ; et dans celle qu'il fit à la Mecque , après l'avoir conquise, il parut en habit noir. Dans les premières années de l'hégire, il ne portoit le plus souvent que des robes blanches; et cela, disoit-il, en l'honneur des légions d'anges qui lui apparurent sous cette couleur, lorsqu'il l'assistèrent dans la journée de Bedr-Œuzma. Quelquefois aussi il prenoit des robes vertes : il en avoit même de rouges, sur-tout les vendredis et les fêtes de Beyram ; mais après sa mort, comme ses disciples ne prirent jamais cette couleur , ce fut sans doute pour les Imams juristes une raison de la proscrire ^ ainsi que le jaune , et de recommander spécialement le blanc et le noir. Les trois premiers Khaliphes prirent indistinctement le blanc, le noir et le vert. Aly adopta cette dernière couleur, mais principalement pour la mousseline de son turban : il la préféra à toute autre, parce qu'elle étoit l'une des couleurs favorites du Prophète et qu'elle rappeloit à sa mémoire la fameuse journée de Khanndak, où vêtu de vert il terrassa Amr-ibn Abdoud , dans un combat singulier , et le tua en présence des deux armées : il crut qu'en ne quittant jamais cette couleur, elle seroit toujours pour lui d'un présage favorable. A ce préjugé déjà si puissant sur l'esprit du Khaliphe, se joignirent encore ceux de la nation : tous étoient persuadés que dans l'affaire de Wedann, et dans sept autres actions, les armes du Prophète avoient été secondées par des anges dont le turban étoit vert, comme celui de l'Envoyé céleste qui avoit apparu au disciple Abd'ullah ibn zeïdAbdérijé, pour lui indiquer le moyen d'annoncer les cinq Ezanns du jour : le vert fut donc la couleur a'Aly. Muawiyé I, en usurpant le Khaliphat, choisit le blanc qui fut celle de sa cour et de tous les Khalipjies Ommiades qui lui succédèrent. On n'en excepte que Suleymann I, surnommé Mif-tahh'ul-Kha'ir, qui par goût portoit près- Lij que toujours des habits et des turbans verts'. Les Abassides prirent le noir; Ibrahim-ion Mohammed} le premier de cette maison qui arma contre les Ommiades, fit marcher ses troupes sous deux drapeaux noirs; et dès lors Abdullah I et ses successeurs s'en tinrent à cette couleur. Au milieu des troubles qui pendant plusieurs siècles agitèrent le Khaliphat, tous les chefs de parti , tous les usurpateurs des provinces, ne prenoicnt que des drapeaux blancs , par opposition à la couleur noire des Abassides, tandis que les Princes de la maison à'Aly, et tous leurs partisans, s'en tinrent constamment à la couleur verte. Après la décadence de la maison àAbas, mais sur-tout à l'époque de la destruction de sa puissance à Baghdad, le noir fut regardé comme une couleur sinistre par tous les peuples Mahométans. C'est delà que la Cour Othomane, qui anciennement prenoit le deuil à la mort des Souverains , et le por-toit en noir , a renoncé absolument, sous Ibrahim i, à cet usage, qui d'ailleursn'au-roit. pas tenu loog-tems sans doute contre le préjugé quiportc les Mahométans à n'imiter en rien les mœurs et les coutumes des nations Chrétiennes. D'après leur répugnance actuelle pour le noir, on ne voit jamais ni hommes, ni femmes porter sur eux rien qui s'en rapproche.. Il en faut excepter quelques Deiwischs, sur-tout ceux de l'ordre des Ca-drys, qui l'ont adopté pour leur turban, à l'imitation du Prophète. Le blanc et le vert sont les couleurs les plus distinguées dans la nation. Les Sultans eux-mêmes leur donnent la préférence et s'en revêtissent, sur-tout dans les grandes cérémonies, Mourad I et Mohamed III no portoient presque jamais que des habits blancs, Les principales enseignes des ordres militaires de l'empire sont vertes ou blanches indistinctement. Les unes sont unies, les autres bigarrées , ou brodées en or. On y voit tantôt des versets du Cour'ann , tantôt le sabre d'Aly, consacré par la. vénération Musulmane, sous le nom de Zhd-fécar. On sait que le satin blanc est l'uniforme ou l'habit de gala du Grand- Vézir y et le drap blanc L ifj celui du Mouphtj, tous deux comme vicaires et représentans du Souverain, l'un pour le temporel, l'autre pour le spirituel. Le satin vert est aussi l'habit d'ordonnance de tous les Paschas à trois queues , en qualité de lieutenans du Monarque dans les provinces confiées à leur administration , et le drap vert, la robe de cérémonie des Oulémas , comme étant les Ministres de la justice , de la loi et de la religion, au nom et sous l'autorité du Sultan , qui est Ylmam suprême ou le premier Pontife de l'Islamisme. D'ailleurs le turban vert est exclusivement réservé à tous les Emirs descendans à'Aly. C'est par-là qu'on les distingue du reste de la nation , comme on le verra plus bas à l'article du Nakib'ul -Eschraf leur chef. A moins d'être Emir, aucun Mahométan n'ose employer la mousseline verte dans son turban ; mais il est permis à tous, soit homme, soit femmes, de prendre des habits verts; car, depuis l'époque de l'extinction de l'ancien Khaliphat dans les maisons d'Abas et d\.41j cette couleur est devenue la marque distinc- CODE RELIGIEUX 167 tive non-seulement de la nation Othomane mais encore de tous les peuples Musulmans. C'est pour cela qu'elle est la plus dominante dans les différens ordres de l'Etat. Après le vert, toutes les autres couleurs, sans en excepter même le rouge et le jaune proscrits par la loi , sont indifféremment employés dans-les vêtemens et dans les meubles, même par les personnes les plus attachées à leur religion. § v. Effets mobiliers. Ceux des Mahométans qui s'écartent sans scrupule des principes de la loi sur le vêtement, la parure et les couleurs, ne les observent pas davantage pour tout ce qui regarde les meubles, ustensiles et autres effets à leur usage. L'or et l'argent y sont très-communément employés. Les défenses ne sont observées que pour les couverts et la vaisselle : rarement on se sert de fourchettes et de couteaux y et nous avons déjà dit que leurs cuillers ne sont jamais que de bois, d'étaim L iv f ou d'ivoire. Les maisons même les plus opulentes n'ont point de vaisselle d'argent : leurs plats sont de cuivre étamé , de terre , de faïence, ou de porcelaine. Quelques Seigneurs seulement en ont de cuivre doré. Il étoit de l'intérêt des Sultans de respecter ces lois somptuaires : cependant ils n'y ont pas toujours été fidèles. Entraînés, comme la nation elle-même , par le goût du luxe et l'amour de l'ostentation , ils se sont permis d'avoir de la vaisselle d'argent. Mohammed I fut le premier qui donna cet exemple, que n'osèrent suivre ses successeurs jusqu'à Bayézid II. Celui-ci cédant aux sollicitations des premiers personnages de sa Cour, fit faire une magnifique vaisselle d'or et d'argent; mais, pour en légitimer l'usage, il crut devoir la faire servir d'abord à un grand nombre de pauvres qu'il nourrit pendant trois jours consécutifs dans l'intérieur de son Palais. Suleymann I, moins scrupuleux encore, employa ces deux métaux à une infinité de vases et d'ustensiles. Un jour même qu'il avoit admis à son audience publique des Ambassa- deurs de Perse , il les fit servir, au dîner d'étiquette qui se donne dans la salle du Divan, sur une magnifique vaisselle d'or , au grand étonnement d'une partie du public, et au scandale de l'autre. Depuis la mort de ce Prince , ce luxe a entièrement disparu au Sérail. Tous les Sultans s'en tiennent à la porcelaine; et encore aujourd'hui, dans tous les repas de cérémonie , on ne se sert que de porcelaine verte de la Chine. A l'exception de la vaisselle plate , on ne se fait aucun scrupule , ni dans l'intérieur du Palais, ni dans les grandes maisons, d'avoir en argent, en or, et même en pierreries, une infini té d'objets qui servent à d'autres usages , tels que les aiguières , les vases , les soucoupes, les fioles, les cassolettes, et ce qui. est plus étonnant encore , les cuillers à café avec lesquelles on sert les confitures liquides. Ce luxe ne se fait pas moins apercevoir dans le reste du mobilier , sans cependant avoir rien de commun avec cette magnificence qui règne dans les hôtels des Grands en Europe. Chez les Mahométans le premier des meubles est le Sopha. Toutes les pièces des ap-partemens en sont garnies. Il tient lieu de canapés, de fauteuils, de chaises, de bergères , dont l'usage n'est guères connu en Orient. Il y a une infinité de grandes maisons dans Constantinople même, où l'on auroit peine à trouver une chaise. Par-tout on ne voit que des sophas qui garnissent le pourtour d'une pièce, et offrent de tous côtés un siège large et commode. On s'y assied les jambes croisées , attitude qui ne peut qu'inspirer le goût de la mollesse et le plus grand éloignement pour la vie active. Ces sophas , -sur-tout dans les appartemens des dames , sont de drap , de velours ciselé, ou d'autres étoffés aussi précieuses. C'est, à proprement parler, le seul meuble de la maison. Les commodes , les consoles , les encoignures , les girandoles , les bras de cheminées, les lustres, les boiseries, les tapisseries, les tableaux, les lits garnis, etc. sont des ornemens dont on con-noità peine le nom dans les villes Mahomé-tanes. On ne voit même des flambeaux d'ar- gent ou de vermeil que dans les harems des plus grands Seigneurs. Tout le reste de la nation ne se sert que de grands chandeliers de laiton ou de cuivre étamé, que l'on pose la nuit sur de petites tables rondes placées au milieu de la chambre. Si quelques-uns parmi les Grands veulent s'écarter de l'usage général, et se procurer des ouvrages d'Europe et des effets de prix ou de goût, ils ont pour lors un soin extrême de dérober ces futiles recherches aux yeux d'un public toujours sévère dans les traits qu'il lance contre tout luxe désordonné , quand sur-tout ce luxe se rapproche des coutumes des nations étrangères, et qu'il a pour objet leurs productions et leurs modes. En général les salons et les pièces principales d'une maison n'offrent qu'un mur blanc peint en marbre, et percé de doubles croisées, les unes, au-dessus des autres; les premières, qui ne sont pas trop éloignées du plafond, sont des vitraux sur lesquels sont tracés différens dessins en couleur ou en plâtre. La partie supérieure des murs au- dessus de ces vitraux , est ordinairement ornée de peintures à fresque qui ne présentent que des paysages , des arbres, des hameaux , des heoschhs, des parterres, des jets d'eau, des fleurs et des fruits. On n'y voit jamais rien d'analogue à la mythologie, parce que le Mahométan ne connoît pas les héros ni les demi-dieux de l'antiquité , et parce que la loi défend les figures d'hommes et d'animaux. Les seuls tableaux que l'on voie dans quelques maisons , comme dans les boutiques, les magasins, les cafés publics, sont de petits cadres décorés du chiffre, ou plutôt du monogramme, toughra, de chaque Sultan régnant : les uns sont en lettres noires ou rouges, les autres en caractères d'or. Chez quelques officiers de la marine, on trouve encore des dessins de galères et de vaisseaux ; et chez quelques militaires, les enseignes de leurs régimens ou de leurs compagnies. Le plafond qui est en bois comme tout le reste de l'édifice, est également peint en différentes couleurs : celles qui dominent le plus sont le blanc, le vert et le bleu. Le parquet de toute la maison est couvert en été de nattes d'Egypte , et en hiver, de tapis travaillés dans le pays même, à Smyrne, à Salo-nique , -etc : ceux, de Perse sont les plus estimés par la finesse et la beauté des dessins. Peu de maisons sont ornées de glaces, encore ne consistent-elles qu'en des miroirs portatifs, avec des bordures dorées , dont la plupart viennent de Venise. Les rideaux des fenêtres ne sont jamais que d'indienne, ou d'une toile assez ordinaire. Dans les harems des Grands il y a ordinairement plus de luxe et de recherche , soit dans les meubles , soit dans les décorations. On voit dans la plupart de ces maisons opulentes deux ou trois pièces ornées de lambris et de boiseries de noyer, de noisetier, d'olivier, ou des murailles incrustées en nacres de perle, en ivoire, en porcelaine de la Chine ou du Japon. Ces sortes d'em-bellissemens se font remarquer sur-tout chez les Sultanes qui ont leur palais dans la ville, et chez les Princesses et les Cadinns qui demeurent au Sérail. Nous avons déjà dit que l'usage des poéjes est inconnu chez les Mahométans, et on ne voit de cheminées que dans quelques maisons des Grands; elles sont même d'une construction particulière : le foyer en est élevé de trois ou quatre gradins; les deux jambages de la cheminée avancent dans la chambre d'environ trois pieds : au lieu d'appui , c'est un manteau qui s'élève à la hauteur de six ou sept pieds ; il est extrêmement bomba à l'extérieur pour donner un cours plus libre à la fumée. Un dessin artistement travaillé en stuc ou en peinture, décore en dessus la partie du mur jusqu'au plancher ( i ). Une grande terrine de cuivre remplie de braise, et placée au milieu de la chambre, est la manière la plus générale d'échauffer les appartenons ; c'étoit celle des Romains et des anciens Grecs. Les femmes ont leur tanndour, mot corrompu de tennour, qui signifie chauffe-corps. C'est une espèce de table carrée sous laquelle on met un réchaud. On garnit cette table (i) Voyez la planche 62. d'une ou de deux grandes couvertures qui y entretiennent une chaleur douce et salutaire. Le tarmdour se place dans un des angles du sopha, et les femmes assises à l'en tour prennent sur leurs genoux les bouts de la couverture , et se chauffent ainsi d'une manière commode. Si les dames Européennes en con-noissoient l'usage, elles n'auroient peut-être pas d'éloignement à l'adopter : elles trouve-roient que la chaleur modérée du tanndour est plus saine et moins dangereuse que l'action vive du feu de la cheminée. Les femmes Mahométanes y passent la journée : c'est là qu'elles travaillent, qu'elles prennent ordinairement leurs repas, qu'elles reçoivent leurs parentes, leurs amies,et qu'elles forment leurs cercles de conversation pendant l'hiver. Dans presque toutes les maisons ces tanndoursfont un objet de luxe. Les couvertures en sont de satin, de drap d'or et d'argent, ou d'une étoffe richement brodée. L'usage de ces tanndours est général dans toutes les classes des diverses nations du pays, et même chez les Européens établis dans l'Empire. Voyez la planche 83. On trouve l'ancienne simplicité des mœurs orientales dans la manière de se coucher des Mahométans : ils ne connoissent encore ni les lits ordinaires, ni les lits de parades des Européens. Les hommes et les femmes prennent leur sommeil sur le sopha. Dans toutes les chambres à coucher on a soin de ménager de vastes armoires où pendant la journée on enferme les matelas, les draps, les couvertures, les oreillers, etc. Le soir on fait le lit ou sur le sopha même, ou sur une espèce d'estrade ; haute d'environ un pied, qui règne dans presque toutes les chambres. Le déplacement continuel de ces objets est une perte de temps et un travail pénible pour les domestiques. Les matelas sont de laine ou de coton, jamais de crin, ni de plume. Les draps sont le plus communément de coton , et les couvertures toujours d'étoffes plus ou moins riches, piquées en coton fin. C'est pourquoi il est assez ordinaire de garnir chaque couverture d'un drap blanc faufilé, qui déborde sur l'étoffe, et que l'on change une ou deux fois la semaine. Au lieu de bonnets de nuit, les C OD E; R&LI1GIE U X, 177 les homnies portent dans, toutes les saisons des turbans bien ouatés, et les femmes une haute coëffure de plusieurs morceaux de mousseline. Les Uns. et, les autres se couchent avec une veste et.des caleçons- Cet usage,, assez général dans tout l'Empire^ est principalement observé dans,les villes l'es plus sujettes, aux incendies;-Gornme! les* lits disparaissent . pondant fè jour , on n'en voit jamais dans aucune maison', Si oé"n'ést en cas de maladie ou d'infirmité^ alors lé 'hrâfctdë garde Je lit sur le sdphà^neme. Dans les faj milles distinguées, lorsque la dame est enceinte , on.a;soin , quelques sèuiaines avant ses .couches ,.mais suT-rout à l'époque dts premières > de tapissersa chanibre de damas, de satin, ou d'une autre étoffe'dë'-prix ,'ct d'y élever uirjit de la mfme^offe.'C est-là qu'elle accouche,.et qu'elle reçoit les visites de ses proches et de ses amiesintimeSv Mais au quarantième; jour , supposé q*ri'ellë: soit entièrement ^établie ,011 enlève -tOns'ces ornemens jusqu'à ; l'époque d'une ilOWelle' grossesse. La ma-kson Souveraine est la seuiç dans Tome IV. M *7? .C ODE ORELIGIE UX. l'Empire qui ait des lits de parade, et des appartemens tapissés en damas ou en riches étoffés ci c'est une.sorte de distinction réservée au Monarque* aux Princes du sang, aux Sultanes et aux Cadlnns du harem dé Sa Hautesse. Une ancienne coutume exige même que du moment qu'une Cadinn est enceinte, le Sultan ordonne pour sa chambre à coucher un nouveau meuble qui consiste en une tapisseries , un. lit, et un sopha de satin brodé en perïe§,en rubis, etën émeraudes. Nous en donnerons ailleurs le détail , avec tout ce qui concerne la maison Impériale.. Au reste, on ne doit pas croire que cette sirriplicité. qui restreint le mobilier dé la plus grande partie delà nation , pour ainsi dire, au seul nécessaire, dérive uniquement dé la rusticité et de la barbarie primitive dés Othomans ; elle tient à leur genre de vie , à l'empire des préjugés, à la stabilité de leurs coutumes, à l'ignorance où ils sont de celles des nations étrangères •., enfin à l'état de solitude où vit chaque famille , suite naturelle des mœurs publiques qui ne permettent aucune CODE RELIGIEUX. 179 communication entre les deux sexes. On peut y ajouter encore les maux physiques et politiques , tels que les incendies, les tremble-mens de terre, et les confiscations, qui, dans , dans la capitale sur-tout, frappent sans cesse les Grands et les particuliers les plus opulcns' ' de l'Empire. En efrèt, d'un côté la crainte d'exposer sa fortune au x hazards de ces événèmens, détermine à ne faire construire que des édifices en bois , et à ne se donner que des meubles peu recherchés; et de l'autre la nécessité de dérober sans cesse la connoissance de son patrimoine à l'avidité du fisc^empêche les Othomans de se livrer avec trop d'éclat aux attraits du luxe et dé l'ostentation. 'A V«.~ï t■' •: *' ■ ' • »"umo 'T. >, ta \\ . ' vV-.Lvi • alrfi • " * Des équipages. . - La Moldavie et la Walachie sont les seules provinces de l'Empire où les citoyens, qui tous suivent le rit grec, fassent usage de voitures. Ces deux principautés, situées sur les frontières de la Pologne et des Etats de la M ij i8o CODE RELIGIEUX, maison d'Autriche, sont sur un autre pied que le reste des provinces. Connue le gouvernement de Tune et de l'autre est toujours déféré à des Grecs, dont les mœurs se rapprochent infiniment plus des mœurs Européennes que de celles des Asiatiques , il n'est pas étonnant que les régnicoles Walaques et Moldaves aient conservé leurs anciens usages, et même les aient fait adopter aux familles grecques qui, par un trait de. politique du Divan , ont succédé aux anciens TVqjvodes de ces deux belles et fertiles contrées. Dans tout le reste de l'Empire les voitures ne sont que pour les femmes : le Mahomé-tan les dédaigne pour lui-même. Le carosse, disent les courtisans et les militaires, est le symbole du luxe et de la mollesse. Il ne peut être que Vapanage du sexe et des nations effetninces. Le cheval est la seule monture de l'hommr. Aussi l.\ nation n'en connoît point d'autre. Daus-toutes..les saisons de l'année, le Monarque lui-même ne se montre jamais en public qu'à cheval : les trois ou quatre voitures que l'on entretient au Sérail ne;pa-k roissent dans aucune occasion , pas même dans les grandes'cérémonies. MoustaphalII ne s'en servit que deux fois, et Abd'ul ffa-mid I, une seule fois , encore n'étoit-ce pas dans la ville, mais dans les environs de Constantinople. De tous lés Grands de l'Empire, les Oulémas du premier ordre, tels que le Mouphtj-et les Cazi-ashers, sont les seuls qui aient la liberté d'aller en voiture. Celle du Mouphtj est couverte de drap vert, et celles <\q% Cazi-ashers le sont de drap rouge. Ces voitures, que l'on appelle cotschj, sont faites dans le pa3's : elles n'ont point de ressort. Le fond du travail, ainsi que les ornemens, sont de la plus grande simplicité. Elles n'ont pas même de marche-pied ; on y supplée par une petite échelle de trois ou quatre gradins qui reste attachée derrière la voiture. On n'y met jamais que deux chevaux dont les har-nois sont plus simples encore. Il n'y a guères plus de somptuosité dans l'extérieur des cotschjs des dames. En dedans ils sont marquetés en bois de noyer ou de noisetier, la M iij \ pissés iïlliluams avec des galons et des 1 ranges d'or, et garnis de coussins de velours , de damas, ou de satin brodé ; quelques-uns môme de miroirs avec des jalousies dorées aux portières. Ceux des Sultanes sont les seuls qui soient attelés de quatre chevaux, et couverts extérieurement de drap écarlate, Au reste il n'y a que les Princesses et les premières clames de la nation qui aient des cotschjs h elles ; les autres n'en ont que de louage, et les occasions où elles s'en servent ne se renouvellent pas souvent, parce qu'elles ne jouissent pas de l'agrément d'une vie libre et active , comme les Européennes. Jamais un officier ou un homme de marque ne fait usage de ces cotschjs. Si les infirmités de 1 âge ou quelque accident l'oblige à y monter , il s'y renferme et baisse les jalousies pour se dérober aux regards du public. On ne s'en sert pas même pour les voyages. Toutes les courses se font à cheval ; et à moins qu'il ne soit malade, un Pascha un Bej } un officier rjuelconque auroit honte de voyager en carrosse. Dans les courses longues , les femmes , qui' d'ailleurs voyagent rarement, et ne sortent presque jamais de la ville où elles sont nées que pour aller une fois dans leur vie au pèlerinage de la Mecque , se servent encore d'une autre espèce de voiture dont le mouvement est moins rude que celui des cotschys. Ce sont des espèces de litières portées par deux chevaux ou deux mulets. Ces voitures tirent leur origine de la Perse. On les appelle taldith-rewann, mot persan qui signifie siège ambulant. En Arabie les femmes du commun suivent encore aujourd'hui l'ancien usage de la nation de voyager sur des chameaux : elles n'y sont pas montées comme les hommes, mais elles y sont assises dans une espèce de berceau que l'on appelle hewdedjh , dont on charge l'animal sur les deux côtés. C'étoit la monture ordinaire à'Aïsché ]a plus chérie des femmes de Mohammed , et celle qui l'accompagnoit presque toujours dans ses expéditions guerrières. On rapporte à ce sujet , que dans celle de Dewrné , l'an 5 de l'hégire, ayant M iv eu besoin de sortir de son heit'ded/h et de s'écarter un instant:pour passer dans un bois yojsin., l'esprit de! malignité, selon Ahmed-]ffej1AY t tança. d.ës." .traits- envenimés contre sou-honneur, ce qui engagea le Prophète à la répudier dès son retour à Mèdine : il ne la reprit , quelques jours après, dit gravement le même auteur, que sur les assurances qu'il eut du ciel, par un ayeth sacré, de sa vertu et dé son innocence. II est étrange sans doute j.qw;un événement de cette nature ait fait l'un des plus grands points de controverse entré .les Sunnys et les Schiys. Ceux-ci ont constamment regardé Alsché comme une prostituée , et c'est encore aujourd'hui un des principaux articles iqui font regarder les Persans comme hétérodoxes, et qui les séparent de tous les autres peuples Mahométans. Aux environs des villes, dans les bourgs et dans les campagnes , les femmes font encore usage d'une autre espèce de voiture que l'on appelle araba. Sa construction est des plus simples : elle est entourée de balustrades de bois , couverte d'un tapis ou d'un simple CODE RELIGIEUX. i85 llihram, et traînée par des bufles. Généralement toutes ces voitures peuvent contenir quatre, six et même huit personnes : elles sont assez longues pour servir de lit dans le besoin. Presque toutes sont garnies d'une espèce de matelas couvert de drap où l'on s'assied les jambes croisées, 'à la manière orientale. Nous donnons une esquisse de ces différentes voitures du pays dans la planche 84. Elle représente le keaghid-hhané , que les Euporéens appellent eaux douces. C'est l'une des promenades les plus agréables dans les environs de Constantinople, vers l'ouest du coté de l'Amirauté. Des coteaux, des plaines , de petits pavillons avec des dômes dorés, des ponts légers sur une rivière peu profonde , qui se jette dans le Bosphore, des barques flottantes, enfin tout s'y réunit pour présenter le coup-d'œil le plus pittoresque et le plus imposant. Autrefois il y avoit là une manufacture de papiers d'où dérive son nom de heaghidddiatié. Dans une partie de celle vaste plaine, de jeunes artilleurss'exercent de temps i86 CODE RELIGIEUX, à autre, à tirer au blanc avec le canon, ou bien à y diriger des bombes. Les prairies dont elle est enrichie sont sous l'inspection du Grand Ecuyer de Sa Hautesse , et c'est là que tous les ans on met au vert les chevaux du Sérail, et ceux de quelques Seigneurs de la Cour. Dans la belle saison, des citoyens de tous les ordres ; de l'un et de l'autre sexe, vont quelquefois y prendre le plaisir de la promenade ; mais les femmes y sont toujours voilées et séparées des hommes. On ne voit jamais, ni à Constantinople , ni dans aucune autre ville de la Turquie Européenne , une Mahométane aller à cheval; mais en Asie cet usage est assez commun , sur-tout parmi les femmes des dernières classes; les unes montent de côté , les autres comme les hommes: toutes présentent le coup-d'œil le plus singulier : on ne leur voit jamais que les yeux; un voile énorme leur couvre la tête et tout le corps. Les Mahométans, ayant pour maxime de ne jamais rien adopter de ce qui est propre au sexe, s'en tiennent uniquement aux che- vaux : aussi y mettent-ils le plus grand luxe. Il n'est point de bas-officier dans tout l'Empire, ni de citoyen un peu aisé qui n'en ait un ou deux. Dans les grandes maisons on voit des écuries de vingt, trente et quarante chevaux , tous plus beaux les uns que les autres. Il est tel Vézir et tel Pascha qui en a plus de trois cens. Les harnois font aussi un grand objet de somptuosité chez les Othomans. Les housses sont communément d'une belle étoffe, ou de drap richement brodé : elles descendent jusqu'à terre : les rênes, le poitraiLet les étriers sont presque toujours garnis de plaques d'argent. Les Seigneurs n'y emploient pas moins que le vermeil ou l'or massif. Les grands officiers ont encore, à la droite de la selle, une masse d'armes, lopoziz, et à gauche un sabre,ghad-daré, garnis en or ou en argent. Plusieurs Paschas en ont même qui sont enrichis de pierreries. Le faste de la nation éclate d'une manière frappante dans ces équipages. Comme les Othomans ne connoissent pas ce qu'on appelle en Europe courir en désha- i88 CODE RELIGIEUX. bille ou en frac, qu'ils ne paraissent jamais en public qu'avec les dehors de leur état et de leur rang, le moindre officier, lorsqu'il sort à cheval, pour aller même à dix pas de chez lui, est toujours accompagné d'un ou de deux laquais qui marchent à ses côtés. Ceux d'un état plus élevé en ont quatre ou six, et les Seigneurs douze, quinze, vingt, chacun suivant son rang et sa condition. Les Ministres et les grands officiers de la Cour ne sortent même jamais de chez eux qu'ils ne soient suivis d'un cheval de main. Il est à observer que toutes ces distinctions ne regardent que la nation dominante. Les sujets non-Maho-métans n'ont pas même la liberté d'aller à, cheval : il n'y a que les médecins et ceux qui remplissent des offices publics ; encore sont-ils tenus à un extérieur modeste, et obligés de mettre pied à terre, lorsqu'ils rencontrent sur leur passage des Magistrats ou des grands officiers de la Cour. Y manquer, c'est s'exposer à être insulté et puni dans le moment même par celui qui se croit offensé. Nous ne citerons là-dessus qu'un seul exemple. Au commencement du règne de Mous/apha III, un médecin Grec ayant rencontré Je Capoudan Pascha , tourna la bride de son cheval, et s'arrêta à l'entrée de la rue la plus voisine sans mettre pied à terre. Le Grand Amiral s'en étant.aperçu arrête sa marche, fait ordonner au médecin de s'approcher , prend sa masse d'armes, et lui porte plusieurs coups en l'accablant d'invectives. Le Capou-. dan Pascha étoit d'autant plus blâmable , que par une violence de ce genre il manquoit à sa dignité, et au gouvernement , en se faisant lui-même justice au sein de la Capitale.1 Aussi sa conduite fut-elle hautement désapprouvée, et ses ennemis ne manquèrent pas de profiter de cette circonstance pour le perdre dans l'esprit du Sultan. En effet, peu de jours après il fut destitué de sa place , et rélégué sur les frontières de l'Empire. Les Mahométans sont dans-l'habitude d'avoir ui» grand nombre de domestiques : ils font partie du faste des grandes maisons , et sont ordinairement partagés en deux classes • distinctes ; l'une comprend ksItsçh-Agàas* sys, espèce de pages ou de valets de chambre uniquement préposés au service intérieur tre la maison ; l'autre est celle des ischoca-dars, ou valets de pied, qui font le service extérieur, et qui suivent le maître dans ses visites ou dans ses courses. Parmi les premiers il y a toujours quatre officiers distingués sous le nom collectif de Guédikfy , pour désigner qu'ils ont des offices particuliers. Ce sont, ip. le Khazinédar auquel ils sont tous subordonnés ; et qui est spécialement chargé de la garde-robe, de l'argenterie et des meubles les plus précieux de la maison ; 20. le Tutnnïï-djy, qui a soin des pipes et du tabac; 3°. le Cahwedjy , chargé dp la préparation du café , dont l'usage est journalier et des plus considérables clans presque toutes les maisons ; et 40. le Kilerdjyqui a sous son inspection tout ce qui concerne l'office et les approvi-sionnemens de l'hôtel. Les laquais sont ordinairement commandés par leur ancien que l'on appelle par cette raison , Basck-Tscho-cadar. Le Grand-Vézir, et les Paschas des provinces, dont les maisons sont composées d'un très-grand nombre d'officiers et de domestiques , en ont encore sous différentes autres dénominations 5 et chez eux ils sont tous subordonnés au Silihdar-Agha , leur porte-glaive. Le Kéhaya de ces Seigneurs, qui est leur lieutenant et leur représentant dans tou tes les affaires civiles et politiques, exerce aussi une sorte d'inspection sur toute la maison. Dans les harems des grands, les filles esclaves ont aussi chacune son office particulier, avec les mêmes titres qui distinguent les Itsch-Aghassys au service des hommes. Par-tout il est d'usage de nourrir, de loger et d'habiller les domestiques, dont le salaire ordinaire n'est que d'un sequin, zermahboub, par mois, ce qui fait environ soixante-douze livres tournois par an. La modicité de ce traitement est amplement compensée par les profits qui leur reviennent , sur-tout dans les grandes maisons. Ils consistent dans les étrennes qu'ils appellent bahschisch ou cah-hwé-parassy, ce qui répond à la buona man-citf des Italiens,,au pour-boire des François, etc. Il n'y a point de pays au monde où cet abus soit aussi importun et aussi dispendieux: pour Jes Grands eux-mêmes, et pour tous ceux qui sont dans le cas de les Voir souvent. Personne ne peut pénétrerchez un Ministre, chez un Magistrat, chez un Seigneur , soit dans son hôtel, soit dans son département, qu'il ne soit obligé detrcnner à son départ ]qs Itsthj-.Jghassj's ,ct les Tchocadars, et les portiers. Reçoit-on un billet, un message , un avis quelconque, agréable ou désastreux , n'importe, i] faut toujours étrenner. Plus on est élevé en•jgrade , ou plus la personne que l'on va visjtër est considérable, et plus on est tenu d'être généreux dans ses1 hahschîschs. On voit par-là combien ce casuel est énorme pour les gens d'un Grand-Vézïiy .d'un Ministre; d'Etat, etc. chez qui les arïajres publiques attirent chaque jour une multitude de citoyens de tous les ordres. Dans aucune maison les domestiques ne-portent de livrée. Les ïtschs^Agfiàssjs> dis- • tingués des autres.par leur office, le sont également par leur costume. Ils font-usagé dè toutes sortes d'étoffes de %dmt et même dé s chah schalsdes Indes. Ceuxdes Vézirs,desPaschas, des Grands, ne portent même jamais que des étoflès d'or ou d'argent. Les Tschocadars ont en hiver.des robes de drap , et en été des habits de toile blanche ou de camelot. La couleur est arbitraire, et Ion voit souvent dans une maison vingt laquais porter vingt couleurs différentes. Il n'en est pas de même du turban : la forme de la mousseline ne varie jamais. Les domestiques de tous les officiers de la Cour portent le turban ordinaire paschaly-cawouk. Ceux des militaires se distinguent par un bonnet dont les plis de la mousseline sont différens ; et ceux de tous les officiers du Sérail portent un grand bonnet de drap rouge , comme celui des Boslandjjs. Deux de ces laquais, en suivant leur maître, sont chargés, l'un d'un porte-manteau, et l'autre d'un schal des Indes qu'il tient dans son sein. 'Voyez les planches 87 et 88. En cas de pluie le maître s'enveloppe la tête du schal, et se couvre le corps du manteau. Généralement toutes les personnes d'un certain rang ne portent jamais que des manteaux Tome IV. N d ecarlate d'un superbe drap de Venise, qu'ils appellent saja. Plusieurs en font aussi des capuchons, baschlik, dont ils se couvrent la tête pour se mieux garantir de la pluie et de la neige pendant l'hiver. Tous les Tschoca-dars portent des bottes de couleur jaune , rouge ou noire, suivant l'état et le grade de l'officier au service duquel ils sont attachés. On doit encore ajouter à ce luxe des équipages , celui des barques dont on se sert sur le canal de Constantinople. Ces Ca'iks , comme on les appelle, ont depuis quatre jusqu'à sept paires de rames : ils sont la plupart dorés , et les Grands seuls ont la liberté de les faire peindre en blanc à l'extérieur. On y est assis sur des tapis ou sur des ïldirams , le dos appuyé contre des coussins de drap. Mais la décence publique ne permet à personne d'y être à couvert, pas même d'y faire usage de parasols, ni de parapluies. Après le Monarque et la maison Impériale , Je Grand- Vézir est le seul dont la barque soit de douze paires de rames, et couverte d'un tentelet de drap vert. Les Cdiks publics, dont on voit des milliers CODE RELIGIEUX. 195 le long des quais sur les deux rives du Bosphore , sont de deux ou trois paires de rames, et à peu près de la même construction, tous légers, ayant la course rapide, et allant quelquefois à la voile, mais très-sujets à verser. Aussi tous les ans , sur-tout en hiver, une infinité de citoyens périssent dans les eaux de ce canal, qui souvent est très-orageux. Comme les barques des Grands, ainsi que leurs-équipages , tiennent autant aux étiquettes de la Cour qu'au luxe de la nation , nous nous réservons d'en donner les détails avec leurs estampes , dans le code politique. LIVRE III. Du travail, Kessb. L e travail est prescrit à l'homme , comme un moyen de gagner sa vie et de pourvoir à ses besoins. Nul mortel n'en est exempt. Les Prophètes eux-mêmes ont rempli cette obligation chacun dans un genre différent. C. Adam notre prejnier père étoit agri- Nij culteur. Nod étoit charpentier , et Abraham tisserand. David faisoit des cottes de maille , et Salomon des corbeilles de dattier. 7>acha-rie faisoit aussi le métier de charpentier, et Ebii.-Bèkir.} le premier des Khaliphes, celui de tisserand. Orner travailloit les cuirs ; Osman faisoit le trafic des comestibles ; enfin slly y cousin et gendre du Prophète, fut lui-même , dans son enfance , aux gages d'un maître pour gagner son pain. Ce devoir imposé à tout le genre humain a d'ailleurs pour fondement c*et oracle sacré: O mon serviteur! meus ta main , et les richesses y descendront en abondance (1). Cependant le travail, ou l'art d'acquérir les choses nécessaires à sa subsistance, offre à l'homme plusieurs carrières les unes plus excellentes que les autres. Elles forment quatre classes générales, selon l'ordre de leur prééminence aux yeux de la religion , savoir : i°. L'art militaire, état qui a pour objet la défense et la propagation de la foi. (1) Ta abdj hurrekyedek ennzel aleyk'er-rïzk. CÔ>DË RELIGIEUX; 197 £°. Le commerce, profession chëHe et estimée, par le Prophète qui a dit : Le commer-r cant- droit et juste est au rang des ames les plus élevées par la piété, (1). 3°. L'agriculture , également distinguée et encouragée par ces mots de l'Apôtre céleste : L'agriculteur est récompensé pdr son Dieu (2). ; Et 4°. Les différens arts et métiers , quï ne composent qu'une classe, et qui sont égà-. lement recommandés à l'homme, sur-tout à l'indigent, par ces paroles sacrées : Le travail, l'art j l'industrie garantissent Vhôirime de là pauvreté (3). -rro .}•••> Otr.'.r, n&h 917 pats à •[j\\7o': Tout homme est obligé de se procurer, parle travail, le nécessaire pour soi, pour l'entretien de sa famille , et pour satisfaire à ses dettes religieuses et civiles. Il convient ensuite çfaçqué- (1) 'Eftaâjirus-sadouJi ma*el-kirani ul-hérérelh. (2) E^zerd'joitfadjer reùbddi'y.. (3) El-hirfeth emann-min el-fah: N iij *c>? GODE RELIGIEU X. rjr mèjftç du superflu pour se mettre en état de soulager les pauvres, et sur-tout d'assister ceux de ses parens et de ses proches qui languissent dans l'indigence. C Ces actes d'humanité sont recommandés par le prophète en. ces termes : Le peuple est la famille de Dieu sur la terre j et le fidèle le plus chéri à ses yeux , est celui qui est le plus utile axette famille, (f). Il est enfin permis d'augmenter, ses profits et sa fortune, afin de pouvoir ajouter àr une vie déjà aisée et commode, quelques.agrémens extérieurs. ■'■ :'-■". }fî Ol- • iHT*.r«"'f ) *>i 7 .-Ci 'JOTt.'O C. Cependant ces profits , ces biens , ne doivent jamais être que les fruits de la droir-ture et de l'intégrité, pour que la jouissance en Soit licite et agréable aux jeux de l'Eter- (i) En 'nass'u TyaÇalla}Cit< fil-arz ve ahuhb\tiï\um ileïh enfaâhum U iyalifi'j. ■ CODE RELIGIEUX. 199 uel ; c'est ainsi que s'en explique le Prophète : Celui *jui reclierche légitimement les biens de la terre , approchera de Dieu avec une face douce et resplendissante comme la lune au milieu de son cours (1). Nonobstant cette liberté accordée au fidèle de vivre dans l'abondance et dans la prospérité, suivant ces autres paroles : Je suis envoyé dans la voie d'aisance et de largesse , et non dans celle de détresse et d'austérité (2), il est cependant beaucoup plus louable de se borner dans cette vie au pur nécessaire , et d'employer le reste de ses biens à des œuvres pies et méritoires. , Rien de plus odieux que des trésors amassés par des voies malhonnêtes et injustes, et que l'emploi des biens à des objets de luxe , d'ostentation et --,--.-,-,-———' 1 (1) Men tala.b-cd-du.nya halaVcnn mtisstafean.it Jafay'uUah vedjh *U kel-camer leyleful-bedr. (2) Basse Vil lianifetliis-seJddetltussçinhhaih v* lem basse b'ir rehhbamyelh-is-sâbeth. N iv 2oo CODE RELIGIEUX, de volupté , quand même ces biens seroient légitimement acquis. C. Voici la menace du Prophète contre ces vicieux et mauvais riches : Celui qui accumule les biens de là terre dans un esprit de vanité ou de volupté , trouvera Dieu à son approche plein d'ire et de vengeance (i). L'homme de bien qui gagne sa subsistance dans la crainte du Seigneur, doit éviter les extrêmes : il doit se tenir dans un juste milrru entre la profusion et une économie sordide (2) pour, soi ou pour sa famille. Knfin^si un homme manque absolument de moyens pour gagner sa vie , il doit alors mendier plutôt que de s'exposer à mourir de l'ai m. C. Ce n'est cependant qua la dernière (1) Mentatab 'edtâuhnya m'efakhir *ehn mekeassiY enn lakif 'ultufiy teala ve humé aléih ghdzbann. {i^Bila issrafinn vela tuktir'inn. extrémité qu'il doit prendre ce parti affligeante C'est ainsi que pensoit l'apôtre céleste lorsqu'il disoit : La mendicité doit être la dernière ressource de d'homme (1). Réduit à cet état, on ne doit y attacher aucune idée de honte ni de déshonneur , attendu que plusieurs Prophètes ont été dans le cas de mendier leur subsistance. Le coriphée des saints personnages , Mohammed lui-même , ne se vit-il pas un) jour obligé de recourir à la table d'un de ses disciples ? Observations. Les mœurs actuelles des Mahométans ne sont que lè résultat de ces maximes dont le but est d'encourager l'industrie , de rendre l'homme laborieux , humain , charitable ; de lui inspirer l'amour de la vertu, le goût de la médiocrité, et l'horreur du.vice; de lui donner de l'aversion pour le luxe et l'abus des richesses ; d!en n obi ir enfin toutes les pro-r ■ • , _ - • ■ : UTTF—-""— . .-- ■■ ' — (1) Es-soual akhir Aessb'ul-dkï. 202 CODE RELIGIEUX. fessions de la viecivile, mais sur-tout le métier des armes. Met1er des armes. Il ne falloit rien moins qu'un législateur tel que Mohammed , guerrier et politique tout à-!a-fois, pour présenter à des peuples encore barbares, comme la plus noble des professions , cet art destructeur que la raison désavoue , et qui fut dans tous les temps un des plus redoutables fléaux de l'humanité. Mais il lui étoit important d'ériger en principe religieux ce funeste préjugé, pour entretenir constamment narmi ses sectateurs le goût et l'esprit militaire, leur inspirer l'amour des conquêtes , et par elles étendre l'Islamisme avec plus de rapidité dans toutes les parties du monde. Aussi le gouvernement militaire est-il devenu la constitution fondamentale de tous les Etats Musulmans. Chaqi/e individu s'v reconnoît soldat : toujours il est prêt à prendre les armes et à marcher sous 1 étendard du Prophète. On doit enfin considérer la nation entière comme un grand corps d'armée dont le Souverain est le Généralissime. Les annales de l'Orient nous apprennent en èflet que presque tons les anciens Khaliphes se faisoient un devoir de marcher en' personne à -la tête de leurs armées. Leur exemple fut suivi par les dix premiers Sultans de la maison Othomane. Sclim II, en s'en écartant, transgressa à cet égard les lois du Courann, qu'il sacrifia r comme tout autre devoir, à ses goûts voluptueux. Dès-lors tous les Monarques qui n'eurent pas Je courage de s'arracher aux-langueurs et à la mollesse du Sérail, déférèrent le commandement des armées au Grand-Vézir, comme étant leur vicaire et lieutenant-général de l'Empire. Nous nous réservons de faire connoîtredans le code militaire les dispositions de la loi sur tout ce qui concerne la guerre , les forces de terre et de mer , ainsi que la discipline et les réglernens du Souverain sur cet objet. Il nous suffira d'observer que si cette partie , qui fait 2Q4 CODE RELIGIEUX, le principal ressort de l'administration publique des Etats Musulmans, n'a jamais été bien organisée , on ne doit pas s'étonner qu'il existe encore des imperfections et des vices dans les autres branches dé leur gouvernement. Les lois relatives à l'état civil, et à la fortune des citoyens , objets d'une si grande importance pour le bonheur des peuples ; les réglemens relatifs à l'agriculture ,. au commerce , aux arts et à l'industrie , ces : sources si fécondes de richesses , de gloire et de prospérité, n'ont pas encore atteint, à beau- > conpprès, chez les Othomans, le degré de perfection auquel ils sont parvenus chez les1 nations Européennes. . Commerce. Le commerce dans les Etats du Grand-Seigneur est considérable, sans doute; mais il le scroit bien davantage si- le Mahométan étoit plusinstruit » et si le ministère protégeoit l'agriculture , encourageoit les'arts, et s'oc- cupoit des moyens de faire jouir les sujets de toutes les ressources que pourroient leur procurer de grandes provinces, un sol riche et fertile, des productions abondantes et variées, et une infinité de places maritimes, propres par leur position à devenir les entrepôts du commerce de l'Orient et de l'Occident. Tous les sujets de l'Empire indistinctement font le commerce intérieur : il consiste à verser les fruits de la nature et les productions des arts d'une contrée dans une autre. Des caravanes nombreuses et fréquentes se promènent dans toute l'étenduejde l'Empire, et une multitude de navires couvrent les mers et les fleuves navigables. Mais tout est simplifié dans ces opérations de commerce. Les marchands prennent des notes sommaires de ce qu'ils achètent ou de ce qu'ils vendent, paient en marchandises ou en argent , et si c'est à terme , ils sont ordinairement assez exacts à remplir leurs engagemens. Le plus riche , celui dont le commerce est le plus considérable et le pins étendu, n'a qu'un registre et deux commis tout au plus. Ils n'ont qu'une idée imparfaite des lettres de change, et ils ignorent absolument les ressources des assurances maritimes. Les expéditions se font au nom de Dieu: qu'elles aient du succès, ou qu'elles échouent, on bénit' également la providence, et 6n se soumet sans murmure à sa destinée. Ce sentiment ; qui dérive du dogme de la prédestination, et qui dirige toutes les actions du Mahométan , s'est insensiblement emparé de l'esprit des sujets Chrétiens, par une suite de cette analogie de mœurs et d'opinions qui s'établit à la longue entre les divers peuples et les divers individus d'un grand Empire. Au surplus, tout le gros du commerce est entre les mains de la nation dominante : c'est l'effet naturel de son opulence, de ses moyens, et des privilèges exclusifs dont elle jouit par rapport aux impositions publiques. Comme on n'attache au commerce aucune idée de clérogeance, les Grands de tous les ordres se livrent sans scrupule à ses spéculations ; et s* quelques-uns les dédaignent, soit par une sorte de délicatesse, soit par ignorance abso- lue des premiers élémens , ils confient leurs fonds et l'exécution de leurs projets à des facteurs ou à des régisseurs intelligens, en leur abandonnant une partie des bénéfices qui résultent de leurs opérations. Plusieurs branches de commerce sont aussi entre les mains des sujets non-Mahométans. Grecs, Arméniens , Juifs , etc. tous ont également la liberté de les exploiter dans toute l'étendue de l'Empire. Mais les Grecs, comme étant en général plus répandus dans les îles, sur les côtes et dans les villes maritimes , sont , par cette raison, plus adonnés que les autres citoyens à la navigation et à la pêche. Les Arméniensselivrentplusparticulièrement à leurs spéculations dans les provinces continentales. Ce sont eux qui, confondus avec les Mahométans , forment ces riches caravanes que l'on voit parcourir tous les ans les diverses contrées de l'Asie, pour y répandre les productions des quatre parties du monde. L'attirail immense de ces caravanes, les tentes, les bagages , les bestiaux , les soldats, les armes, retracent d'une manière frappante un 208 CODE RELIGIEUX, usage qui remonte à la plus haute antiquité, et prouvent, en même temps, la nécessité de ne jamais se séparer de ses efïc-ts , et de les faire transporter toujours avec soi et sous bonne escorte. Cette précaution est d'autant plus nécessaire , que dans ces régions où la sûreté des grandes routes se ressent encore des imperfections de la police et des vices de l'administration, on est exposé sans cesse aux attaques des brigands. L'office de courtier est {a principale ressource des Juifs. C'est par eux que se fait presque tout le commerce de l'Empire : ils y sont les facteurs des commerçans de toutes les nations. Les ventes, les achats, les trocs, les recettes, les paiemens , enfin toutes les opérations du négoce roulent sur eux. Ce sont eux aussi qui régissent, en sous-ordre, presque tous les bureaux des finances , ainsi que les biens et les fortunes de la plupart des Grands. Ces places de commerce , que l'on appelle bourse chez les Européens, n'existent.dans aucun endroit de l'Empire. Il n'y est jamais. question CODE RELIGIEUX. 209 question d'effets royaux, d'emprunts publics, d'agiotage, d'escompte. Le cours du change, qui a lieu dans quelques villes, n'a même de rapport qu'aux affaires des Européens, Les marchés pour tous les articles en général se font dans les magasins des particuliers , ou dans des bézesstenns , des tscharschys des hhanns , et des kéarbanii-séràihs. Les bëzess ternis sont des bâtimens immenses qui renferment les objets les plus précieux du commerce en joyaux, en bijoux, en or , en argent et en riches étoffés. La garde ou la police en est confiée à deux Kéhayas , nommés par le gouvernement. Ils Sont responsables du inoindre désordre quiysurvien-droit ou du moindre vol qui sy commettrait pendant la nuit. La sûreté y. est si parfaite , même contre les incendies, que les magistrats y font ordinairement déposer les fortunes des mineurs et des orphelins. Cette ressource est également ménagée à ceux des citoyens qui , étant dans le cas de voyager, voudraient mettre à l'abri des événemcns leur portefeuille et ce qu'ils ont de plus précieux. Les Tome IV. O tsdiarscliys sont un assemblage immense de boutiques où l'on exerce différens métiers , et où se débitent presque tous les objets nécessaires à la nourriture, au vêtement et au mobilier. Les îdiaims sont des espèces d'hôtels réservés aux banquiers et aux gros corn-men ans : ils y occupent chacun une ou deux chambres où ils travaillent et suivent leurs allàires. Ordinairement il n'y a que des hommes qui y passent la nuit. Aucune femme n'a la liberté d'y entrer, pas même le jour, à moins qu'elle u'y soit conduite par l'Intendant du kluauL . ou son substitut, qui doivent être l'un pu d'autre témoins de la conversation. Le premier s'appelle Klianndjy , le second, Oda-Baschy. Dans Constantinople on compte environ quarante xle ces khanns : les plus considérables sont ceux de Vtdidé-Khany> de Vèdr-Khany , Yéni-Khany , Tschokha-djdcr l\hany y etc. Enfin les héarbami-sérddis sont des espèces de halles où descendent ordinairement les caravanes, les voyageurs et les marchands avec leurs effets. Tous ces édifices , la plupart bâtis çn marbre, sont les entrepôts de tous les effets bruts ou manufacturés , soit du pays , soit de l'étranger. Dans plusieurs villes il se tient encore chaque année des foires considérables, où les grands spéculateurs achètent les marchandises de la première main , et se procurent par-là des bénéfices considérables. Le commerce extérieur est presque tout entier dans les mains des étrangers. Il seroit inutile de parler ici des comptoirs des Européens établis à Constantinople et dans les principales échelles du Levant. Personne n'ignore et la nature et l'étendue du commerce de chacune deces nations, sur-tout des François, des Anglois, des Hollandois, des Vénitiens. Tous paient des droits beaucoup plus modiques que les nationaux eux-mêmes, comme nous le verrons dans le code politique, à l'article des finances. Si -le négociant Othoman ne porte pas ses vues hors de l'Empire; si le pavillon vert ne Hotte pas dans les ports de la Méditerranée et de l'Océan ; si des maisons de commerce ne sont pas établies à Marseille , à Cadix , à Oij Londres, à Amsterdam, on ne peut en accuser que les préjugés populaires et les fausses conséquences que l'on tire de la loi. Elle ne permet pas, il est vrai , au Mahométan de s'établir hors des terres Mahométanes ; mais sur ce point , elle s'exprime sans équivoque , ne parlant que d'une résidence permanente, et non d'un établissement passager. Ainsi le Musulman qui passcroit dans un pays chrétien , qui y demeurerait plusieurs années de suite, toujours dans l'intention de retourner dans sa patrie , ne pécherait nullement contre sa religion, quand même il viendrait à mourir chez l'étranger. Que les gens de loi, de concert avec les Grands et les Ministres , travaillent à détruire insensiblement des préjugés trop funestes, et l'on verra s'établir enfin dans cette Monarchie des systèmes qui, sans porter atteinte aux lois, seront plus conformes aux vues dHine saine politique et plus favorables à l'intérêt général de l'Etat. Un autre motif retient encore le Mahométan : il craint d'exposer sa liberté et sa fortune au milieu des nations étrangères où il croit que le droit des gens n'est pas rigoureusement respecté, et où il ne trouve aucun homme de sa nation , qui , revêtu d'un caractère public i puisse le protéger aussi efficacement que le sont les étrangers eux-mêmes dans les Etats du Grand-Seigneur. On ne voit donc que très-peu de Mahométans qui pour des objets de commerce se déterminent à sortir des terres de l'Empire, à se rendre chez leurs voisins, et à séjourner quelque temps même dans les villes les moins éloignées des frontières. Quant aux sujets non-Mahométans , il en est plusieurs, sur-tout parmi les Grecs, qui vont former des établissemens à Venise, à Livourne , à Pétersbourg, à Amsterdam, etc. ils y entretiennent des liaisons d'intérêt avec leurs correspondans dans les principales villes Othomanes , en suivant dans leurs opérations la marche et la méthode des commerçans Européens. Ces établissemens , s'ils étoient soutenus et encouragés par le gouvernement, pourraient devenir très-considérables, et contribuer d'une manière efficace à l'augmenta- O iîj 214 CODE RELIGIEUX. tion des revenus publics, en donnant plus de valeur aux productions par le développement de l'industrie et par une plus grande étendue de commerce ; mais ils sont à peine tolérés. L'opinion où l'on est que quitter sa patrie c'est violer la loi et heurter les principes de l'administration , fait ordinairement regarder comme transfuge tout sujet quelconque qui voyage ou qui s'établit dans l'Europe chré-' tienne ; d'où il arrive que très-souvent il expose à des traitemens fâcheux ses parens et ses correspondans clans l'Empire. On sent à quel point ces préjugés et ces contraintes arrêtent non-seulement les progrès du commerce étranger en faveur des citoyens, mais encore ceux de la marine et de la navigation. §• 1 I I. Navigation. Le nombre des navires, chez les Othomans, ne répond pas à l'étendue de leurs possessions maritimes. L'art de la construction et CODE RELIGIEUX. 2i5 celui de la navigation n'y ont pas,fait encore de grands progrès. Presque tous leurs vaisseaux pèchent par une hauteur disproportionnée , par l'imperfection des agrès , et par la nature des bois qu'on ne garde pas assez long-temps avant de les y employer. Les bâtimens destinés pour le cabotage ainsi que pour la navigation particulière de l'Archipel , et dont le plus grand nombre est équipé et même commandé par des Grecs , sont de petits navires d'un seul mât, qu'ils appellent volih : ils ont de longues antennes, de grandes voiles , la poupe plate et très-élevéé. Les Grecs , autrefois si fameux dans la navigation qu'ils apprirent des Egyptiens, et qu'à leur tour ils enseignèrent aux Romains, la possèdent encore aujourd'hui , eux et les Barbaresques des trois cantons d'Afrique , mieux que les Othomans. Ceux-ci ont cependant, des traités assez bien faits sur cet art. Plusieurs Sultans, entr'autres Suleymati I , se donnèrent des soins particuliers pour sa perfection ; mais la nation n'y fit jamais des O iv progrès bien marqués : elle n'en sentit même toute l'importance qu'à la suite de la journée désastreuse de Tschcsciimé , sous le règne de Moustapha III. Depuis cette époque, le gouvernement, secondé par le zèle infatigable du Grand Amiral Ghazj Hassan Pasclia , s'occupa plus sérieusement que jamais de tous les objets qui concernent la marine. Indépendamment de l'école de mathématiques établie à Constantinople en 1773, sous la dénomination de Midicndiss-Khané , le Grand-Vézir Hamid Khalil Pasclia en fit ouvrir, en 1784, une seconde qui embrasse plus complettement encore toutes les études relatives à la navigation. La conduite de ces établissemens fut confiée à d'habiles maîtres, la plupart étrangers , qui dirigèrent même la construction de quelques vaisseaux de guerre dans les chantiers de la capitale. Les efforts que font aujourd'hui les Othomans , et l'ardeur avec laquelle ils travaillent à perfectionner leur marine militaire , objet si essentiel à la sûreté de leurs Etats, ne pourront sans doute qu'influer sur la marine marchande, à laquelle seule ont rapport les observations que nous faisons ici. Il s'en faut de beaucoup que l'état actuel de cette marine soit florissant. Plusieurs des officiers et des matelots ignorent encore les premiers élémens de l'art nautique. Quelques-uns de leurs Réi's ou Capitaines ne connoissent pas même l'usage de la boussole, et ne se servent pas de cartes marines : le dogme de la prédestination leur sert de guide et de pilote au milieu des tempêtes et des flots ; et lorsqu'ils échouent sur une côte ou sur une île , ils attribuent leur malheur moins à leur ignorance qu'aux décrets immuables du ciel. Il n'y a point de saison dans l'année où, par une suite de ce préjugé , ils ne perdent un grand nombre de vaisseaux, sur-tout dans la mer noire où la navigation est plus considérable , parce que de tout temps elle a été exclusivement réservée aux sujets de l'Empire. Tout le monde sait comment les deux Cours Impériales ont obtenu successivement pour le commerce de leurs Etats , le libre passage de cette mer par le Bosphore de Thrace. Mais ce que la nécessité des circonstances a fait accorder aux deux Puissances voisines et alliées entre elles, aucune considération d'amitié, d'intérêt, de politique, n'a pu jusqu'ici déterminer la Porte à l'octroyer aux autres nations commerçantes dont les navires cependant pénètrent dans la mer blanche, sur toutes les cotes , dans toutes les îles, et dans toutes les places maritimes du Grand-Seigneur. Indépendamment des avantages de leur commerce particulier, les bâtimensétrangers, sur-tout ceux des Français et des Ragusois, ont encore celui de faire le cabotage d'une échelle à l'autre. Les Mahométans instruits et prudens préfèrent les pilotes et les vaisseaux de ces nations aux leurs. Le gouvernement lui-même leur témoigne plus de confiance , et se sert le plus souvent de leurs navires pour le transport des munitions et des comestibles, mais particulièrement pour celui des grains nécessaires à l'approvisionnement de la Capitale. • GODE RELIGIEUX. 219 I V. Agriculture. Quoique l'agriculture ne soit pas clans un certain état de prospérité chez les Othomans, elle n'y est cependant pas aussi négligée qu'on se l'imagine en Europe. Chaque province trouve sa subsistance dans le produit même de ses terres; et les contrées les plus fertiles, comme la Morée, la Walachie, la Moldavie, la basse Anatolie, la Syrie , l'Egypte , etc. versent tous les ans leur superflu dans les cantons les plus stériles", et les plus montagneux : l'abondance règne dans toute l'étendue de la Monarchie : rarement la famine s'y fait sentir; et il n'y a point d'année où les Européens n'aillent faire des chargemens considérables de grains à Smyrne , en Morée, et sur les différentes côtes de l'Empire. Quoique l'exportation en soit rigoureusement défendue , le Ministère a cependant la sage politique de fermer les yeux sur ce commerce, sur-tout dans les années les plus abondantes. L'état ordinaire de l'agriculture est donc au- dessus des besoins et de ce qui est nécessaire à la subsistance de tous les citoyens. Cependant, eu égard à la fertilité du sol et à l'étendue des possessions Otbomanes , l'agriculture pourroit devenir beaucoup plus florissante,et procurer à ces contrées les plus grandes ressources , si le cultivateur y étoit encouragé par le gouvernement ; si les Grands et les officiers publics n'étoient pas exposés tous les jours à des confiscations arbitraires , et si les particuliers, soit Mahométans , soit Chrétiens, également protégés par la loi , n'étoient pas livrés à l'avarice et aux vexations d'un Pascha , d'un Bey , d'un Agha, qui le plus souvent s'assurent l'impunité en associant à leurs déprédations ceux même qui par état sont chargés de les réprimer. A ces vices généraux de l'administration se joignent encore une multitude d'entraves qui gênent le commerce des denrées et ralentissent la circulation intérieure; mais les plus accablantes sont celles qui proviennent de la fixation'des prix. Peut-il en effet y avoir d'autres valeurs dans les productions , que celles qui résultent du fruit des avances qu'exige l'agriculture , de l'abondance des récoltes , et de la concurrence plus ou moins considérable des acheteurs et des vendeurs ? A Constantinople cet article important est soumis à l'inspection générale de Ylstambol-Cadissy , juge ordinaire de la Capitale. Un de ses Ndd)s ou vicaires a sous ses ordres la régie de ce bureau que l'on appelle Ounn-Capann : il est établi sur la rive du Bosphore entre le Sérail et l'Amirauté. C'est-là qu'abordent tous les bâtimens chargés des grains que produisent les côtes de la mer noire, et celles de la mer blanche. Le Naib en tient registre , et après en avoir déterminé le prix assez arbitrairement , il en fait la distribution, plus arbitrairement encore, à tous les boulangers de la ville. Cette police désastreuse a pour objet de prévenir les funestes abus des accaparemens. Il n'est permis à personne d'emmagasiner les denrées pour les vendre à son gré : aussi n'existe-t-il nulle part, ni halles, ni greniers, ni autres dépôts nécessaires pour les spéculations de ce genre. Cependant les vices de ce système économique entraînent quelque-lois les malheurs même que l'on voudroit prévenir. La détention d'une infinité de navires qui attendent souvent deux ou trois mois leur tour pour décharger leur cargaison ; la violence exercée contre les boulangers pour leur faire acheter ces grains, qu'ils sont obligés de renfermer dans de mauvais greniers à côté de leurs boulangeries et de leurs moulins, dont la construction est toute en bois ; les accidens fréquens qu'éprouve cette denrée précieuse , tantôt avariée par les eaux de la mer, tantôt incendiée dans les différens quartiers d'une ville si sujette a cette calamité, sont autant de circonstances qui exposent la Capitale aux dangers de la famine. Il est vrai que le gouvernement ne néglige rien pour engager les marchands à tenir les grains en abondance dans Constantinople. Il se ménage même une autre ressource pour subvenir dans le besoin à la subsistance du CODE RELIGIEUX. 223 peuple. Il a pour maxime de faire acheter tous les ans, avec les deniers du fisc , environ .un million de quilots de grains dans les contrées les plus fertiles, telles que Volo , Sa-ïonifjuc } Rodosto Cara-Aghatz , Varna , etc. Ils jj^nt transportés par mer à la Capitale , et déposés dans un vaste grenier au fond du port vers l'Amirauté. Ou ne touche à cette provision que lorsque les blés particuliers deviennent rares dans la ville, ou lorsque ceux de l'Etat qui sont emmagasinés commencent à péricliter, Une précaution si sage mérite sans doute des éloges , mais elle en mériterait encore davantage, si l'administration étoit assez généreuse pour se dépouiller de tout esprit d'intérêt et de monopole. Elle ne paie jamais ces blés que vingt paras par qui lot ; et comme elle ne les cède aux boulangers que dans les momens où la denrée est au plus haut prix, à 35, 40, 4Ô paras, elle y trouve alors un bénéfice de 5o, 60 ou 70 pour cent. Mais ce qu'il y a de plus odieux dans cette opération financière, ce sont les manœuvres des officiers qu'on y emploie. Les Capoudjys„ Baschjs , espèce de chambellans , sont ceux qui pour l'ordinaire obtiennent ces commissions toujours lucratives. Sous le titre de fflubaïadgy, qui veut dire acheteur ou collecteur public , ils parcourent le$ districts soumis à cette contribution, et obligent les propriétaires à consigner la denrée à l'échelle même. Indépendamment du droit de dix pour cent qui leur est alloué par l'Etat aux dépens des mêmes propriétaires, il n'y a point de vexations qu'ils n'exercent envers ceux-ci. Ils font plus; ils osent, au mépris des devoirs de leur office , vendre à leur profit la dixième ou la quinzième partie des fromens qui leur sont confiés, et remplacent ce vuide par de l'orge , du seigle et de la paille qu'ils mêlent avec ce qui reste : ils y répandent même quelquefois de l'eau de mer qui, en faisant gonfler les grains, dérobe en quelque sorte les fraudes dont ils se rendent coupables encore dans le mesurage. Le plus souvent ces iniquités restent impunies par la connivence de ceux qui ont droit droit de les inspecter. Cependant lorsqu'elles sont poussées à l'excès, rien ne peut sauver les prévaricateurs des poursuites du gouvernement, qui les punit par l'exil, par la confiscation de leurs biens, souvent même par la mort. Mais ils sont remplacés par d'autres qui, malgré la sévérité de ces exemples, n'en sont pas plus fidèles dans l'exercice de leur commission. Ainsi les blés vendus pour le compte du Souverain dans Constantinople , sont presque toujours d'une qualité inférieure à ceux des particuliers. D'après ces malversations des officiers publics et celles des boulangers, il n'est pas étonnant que le pain en général soit d'une qualité assez médiocre, non-seulement dans les provinces, mais dans la Capitale même. Sur cet objet, comme sur beaucoup d'autres, tout concourt à démontrer les funestes effets d'une administration qui ne protège pas assez l'agriculture dans un pays d'ailleurs si fertile , et chez une nation qui n'est point dépourvue d'activité et d'industrie. Tome IV. P ^/yj1 mécaniques. Nous avons cru inutile de nous étendre sur les immenses productions des terre* Qlhomanes, telles que les cafés, les riz, les lins, les sucres, les soies, les laines, les cotons, les noix de gale, les cires, les poils de chèvres, les huiles , les sels, les tabacs , les fruits, les vins, les cuirs, etc. Ceux des Européens qui en font le commerce doivent connoître l'étendue, la variété et l'importance de tous ces articles. Mais nous allons entrer ici dans quelques détails relatifs aux manufactures sans nombre, établies dans les diverses provinces de l'Empire , et qui toutes fournissent à une multitude de citoyens des travaux toujours renaissans. "■ On y fait de très belles étoffes, de soie , de fil et de coton. Les unes sont simples, les autres travaillées en or ou en argent. On connoît les mousselines , dulbend , et les Couthnys de Constantinople et de Brousse; CODE RELIGIEUX. 227 \esguermessiirfis à'Atep j les Serges , shaly et les camelots , sof , & Angora , de Tossia et du Caire j les tabis, ha ré , et les sandales de Chio j les bours, aladjea, de Magnessiej les basma ou Indiennes de Tocath et de Caslambol, les coussins de sopha et les chemises de gaze fine, bouroundjouk, de Brousse et de Salonique; les mousselines , yéménjs et tschembers , les dentelles de soie, dW ou d'argent, les tapis de Smyrne et de Salonique ; les scdjeadés , les ihhrams , les fess , ou calottes de Barbarie ; les savons de l'île de Candie ; les maroquins jaunes , rouges et noirs; les ustensiles de toute espèce en fer et en cuivre ; les superbes broderies d'or et d'argent; les soies teintes; les filigranes, les divers ouvrages d'ofévrerie ; les quincailleries ; les lames damassées ; la fonte des canons, des fusils, des pistolets, etc. Quant à l'horlogerie, aux glaces, aux verreries, papeteries, marqueteries, on ne peut disconvenir que les Othomans ne soient encore très-peu avancés sur ces objets. Mais ce qu'il .y a de plus étonnant, c'est que l'administra- pij tion n'ait jamais songé à établir dans l'Empire des manufactures de drap, et qu'elle soit encore sur cet article dans la dépendance des nations étrangères. Salonique est la seule ville où l'on travaille à un drap grossier pour la milice des Janissaires. Divers cantons de l'Anatolie ne fournissent qu'une espèce de feutre noir et blanc, que l'on appelle aba, et qui sert de vêtement ordinaire aux Der-iiischs et aux dernières classes du peuple. Chaque art, chaque métier est soumis à des lois particulières ; et ceux qui les exercent forment des corporations distinctes et séparées, sous le nom ÏÏEssnaf. Des officiers nommés par l'Etat en ont la surintendace , pour le maintien de l'ordre parmi eux, et pour l'observation des réglemens qui les concernent. Ces officiers , que l'on appelle Ké-hayay ont encore chacun un substitut sous le nom à'Jjith-Baschy , et tous sont sous l'inspection générale de YIstambol-Cadissj, Dès l'aube du jour , toutes les boutiques s'ouvrent ; mais on les ferme régulièrement à l'entrée de la nuit. Excepté pendant les CODE RELIGIEUX. 229 deux fêtes de Bejram , le travail des mains , ni les affaires de commerce n'éprouvent jamais la moindre interruption. D'après les principes de la loi, qui recommande tous les métiers et toutes les professions comme autant de ressources propres à procurer à l'homme sa subsistance, beaucoup de Mahométans se font un point de religion d'exercer un art quelconque. L'histoire de tous les siècles du Mahométisme en fournit mille exemples , même parmi les anciens Khaliphes. Plusieurs Princes de la maison Othomane, et quelques-uns même des Sultans, ont eu cette noble émulation , mais sur-tout pendant cette espèce d'emprisonnement auquel ils sont condamnes du vivant de leurs prédécesseurs. Ahmed III , qui excelloit dans l'art de l'écriture , copioit des livres canoniques , dressoit de belles inscriptions et faisoit de ces tableaux qui présentent en gros caractères les noms de Dieu, de Mohammed, et des quatre premiers Khaliphes , ainsi que'le chiffre , Toitghra, des Souverains, qui sont piij 23o CODE RELIGIEUX, les seuls ornemens permis dans les mosquées et dans les maisons. Mahmoud I faisoit des cure-dents d'ébène et d'ivoire , et de superbes ouvrages d'orfèvrerie et de bijouterie. La menuiserie occupoit Osman III ; il réussis-soit singulièrement à faire de ces petits secrétaires , pisch-tahhta , que tous les gens de plume tiennent à côté d'eux pour y poser l'écritoire et pour y enfermer des papiers. Mdustapha III avoit un magnifique atelier où il- s'enfermoit souvent pour battre mon-noie , avec les officiers préposés à son service et à sa garde. Abdhd-IIamidI avoit un goût particulier pour le travail des arcs et des flèches : il fit de sa main plusieurs de ces armes dans une perfection étonnante. Seîim III, aujourd'hui régnant, s'étoit adonné à la peinture des mousselines qui sont à l'usage des femmes. Presque tous les princes se font un devoir de consacrer ce travail de leurs mains ou son produit, au sépulchre du Prophète à Médine ou au Kéabé de la Mecque. C'est un acte de dévotion auquel ils attachent le plus grand CODE RELIGIEUX. i3i prix. Plusieurs en font aussi des présens à leurs favoris et à leurs amis intimes. Lorsque dans leur jeunesse ej; pendant leur emprisonnement, ils trouvent moyen d'entretenir des liaisons avec des officiers de la Cour , la marque la plus signalée de faveur et de bienveillance qu'ils puissent leur donner, c'est de leur envoyer de ces productions de leurs mains. §. v I. Architecture. Malgré les foibles progrès des arts et des scie»ces chez les Othomans , on ne peut cependant pas dire que leur ignorance aille jusqu'à méconnoître les premiers principes de l'architecture, et les élémens de la géométrie. Il est vrai qu'ils n'ont encore élevé aucun de ces monumens qui, par l'heureux emploi des différens ordres, la régularité de leur ensemble et la perfection des détails, embellissent les grandes villes de l'Europe. On n'y remarque nulle part ces places pu- P iv 232 CODE RELIGIEUX, bliques, ces chemins pavés, ces rues alignées, ces hôtels magnifiques, ces arcs de triomphe, ces superbes obélisques » enfin ces décorations somptueuses et ces merveilles de l'art et du génie qui ont tant illustré les Grecs et les Romains, et qui distinguent encore aujour* d'hui la plupart des nations modernes ; mais on ne peut refuser à cette nation de la hardiesse , et même un certain goût dans ses édifices. Si Ton veut examiner avec attention les divers bâtimens qui composent ie Sérail, les Mosquées impériales, les aqueducs , les mausolées des Sultans , les casernes des Janissaires , les khanns publics , les palais des Grands, enfin une multitude d'édifices, soit ' à Constantinople, soit dans les grandes villes de l'Empire , on se persuadera aisément que les sujets , Mahométans et Chrétiens , ne manquent pas de sagacité et de talens pour saisir et exécuter tout ce qu'il y a de grand dans les arts. La forme des maisons chez ces peuples , ainsi que l'ordonnance et la distribution des pièces , n'ont rien de ressemblant à ce que l'on voit par-tout ailleurs : les maisons ne sont communément qu'à un ou deux étages; très-peu en ont trois. Le rez-de-chaussée, qui dans la plupart des hôtels forme le premier, est abandonné aux officiers et aux domestiques de la maison. Il est composé de deux ou trois grandes pièces, que l'on appelle coghoschs, et qui sont communes à tous. Le logement du maître est toujours partagé en deux aîles, dont l'une est consacrée à l'habitation des femmes. L'escalier aboutit à une espèce de salon qu'on appelle dhvann-hhané , et qui est très - vaste dans les grandes maisons : il tient lieu d'antichambre, et communique à presque toutes les pièces qui composent cet étage et qui sont distribuées autour du même salon. La légèreté de la bâtisse, la grandeur des chambres, les doubles croisées que l'on y ménage , et la facilité de passer d'une chambre à l'autre, y répandent de l'agrément et de la gaieté. Dans tous les étages d'une maison , même dans celles du peuple, le plancher est parqueté. On n'y emploie ordinairement que le 234 CODE RELIGIEUX, bois le plus commun , coupé en planches larges de plus d'un pied , et posées dans toute leur longueur. Dans les maisons des Grands , ce plancher est le plus souvent de bois de noyer ou de noisetier : on ne connoît pas les parquets des Européens , et on ne fait usage des carreaux de marbre et de pierre que pour les bains, les cuisines, les escaliers et les salles des édifices publics. En général rien de plus simple que la construction de ces bâti mens. Si quelques Seigneurs s'y permettent des décorations , ce n'est que dans l'intérieur , mais jamais au dehors, ni dans les parties exposées aux regards du public. Les maisons de tous les sujets, étrangers à l'Islamisme, sont même peintes en noir ou en couleurs rembrunies. On voit très-peu d'hôtels élevés entre cour et jardin. La plupart sont bâtis sur la rue ; et comme tous n'offrent ni la même couleur , ni la même hauteur, ni la même forme et le même ordre d'architecture, ils présentent à la vue un coup-d'œil très-varié. Nul citoyen n'a la liberté de suivre ses goûts dans l'exé- CODE RELIGIEUX. 235 cution de son plan. Il ne peut pas ouvrir des fenêtres sur la maison ou sur le terrain d'au-trui : la loi sur ce point est rigoureuse. II ne peut pas non plus exhausser son bâtiment à son gré : des réglemens de police en fixent l'élévation; elle est de douze pics pour les maisons des Mahométans , et de dix pour celles des non - Mahométans , de quelque nation ou religion qu'ils soient. Les motifs de ces réglemens sont de diminuer le danger des incendies et de faciliter le moyen de les éteindre : de laisser à l'air une libre circulation dans les rues qui par-tout sont assez étroites, et de faire ressortir davantage les monumens publics , mais sur-tout les Mosquées qui , par la nature de leur destination , doivent toujours dominer sur tous les autres édifices de la ville. A Constantinople , l'intendance générale de tous les bâtimens est confiée à un officier, sous le nom de Mimar-slglia. Il exerce une autorité absolue sur tous les architectes. Personne ne peut bâtir sans sa permission expresse. C'est lui qui détermine la hauteur des 236 CODE RELIGIEUX, maisons, et qui trace du côté de la rue Ia ligne sur laquelle on peut en poser les fon-demens. Il faut également son aveu pour la construction de cette partie du toit, satschali , qui déborde les murs extérieurs, et d'où les eaux de pluie tombent presque perpendiculairement au milieu des rues. C'est enfin de lui que l'on obtient la liberté d'avoir des espèces de balcons hors des croisées. On les appelle schahnisohinn , mot persan qui signifie siège royal. Garnis de tous côtés de carreaux et de jalousies , ces balcons font les délices des femmes , qui toujours renfermées chez elles en regardent la jouissance comme un bonheur extrême. On conçoit que l'office éki Mimar-Agha est infiniment lucratif, non-seulement par les droits qui lui sont légitimement dûs pour chaque construction nouvelle, mais encore par les avantages que lui procurent ses complaisances secrettes, toutes les fois qu'il ose se relâcher sur larigueurdes ordon" nances dont l'exécution est confiée à sa vigilance et à ses soins. Les grands officiers delà police, tels que XAgha des Janissaires, le Bostandjj-Basckyy le Woyvode de Ghalata, etc. ont aussi des droits autorisés par un ancien usage , sur tous les nouveaux bâtimens qui se font dans les quartiers soumis à leur juridiction. Par-tout, les maisons sont construites en bois et couvertes de tuiles rouges : il riy a que les Mosquées et les édifices publics qui soient bâtis en pierres et couverts de plomb , comme l'est.le Sérail ou le palais des Sultans. Dans une infinité de maisons on voit cependant une ou deux pièces en pierres et en marbres, connues sous le nom de héarkir : elles sont très - solidement construites , et garnies de portes et de volets de fer pour les mettre entièrement à l'abri des incendies : aussi est-ce là que Ton renferme les effets les plus précieux , et que l'on transporte à\ la hâte tout ce qu'il est possible de dérober à la fureur des flammes. La plupart des maisons sont à porte-eo-chère , celles même qui ont le moins d'apparence. Les cuisines et les offices ne sont jamais qu'au rez-de-chaussée. On ne voit 238 CODE RELIGIEUX, nulle part des caves, dés écuries, des magasins, moins encore des boutiques sous terre : les uns ignorent ces ressources, qui cependant sont si nécessaires dans des emplace-mens étroits; et les autres craindroient l'humidité de ces habitations souterraines. L'eau abonde dans presque toutes les maisons , mais sur-tout dans les hôtels des Grands. 11 est d'usage d'avoir chez soi des citernes, sarnidih : elles sont très-profondes et très-artistement travaillées. Les eaux de pluie s'y écoulent par le moyen de plusieurs conduits placés le long des toits. Les Mahométans préfèrent cette eau à toutes les autres, à cause de sa légèreté. D'ailleurs il n'est presque point de maison qui n'ait un puits ou la ressource d'une fontaine publique dans son voisinage. C'est un objet dont le gouvernement s'occupe par-tout avec le plus grand soin. Les personnes charitables et pieuses se font même un devoir de consacrer une partie de leur fortune au maintien de ces établissemens. - On appelle Ew, les maisons des bourgeois CODE RELIGIEUX. 239 et des simples particuliers ; et Conak ou Khané, les hôtels des Grands et de tous les officiers publics. Le palais du Sultan et celui du Grand-Vézir sont les seuls qui portent le nom de Serai, prononcé Serai/ par les Européens. Pour les distinguer l'un de l'autre, on appelle le premier Serai houmayounn, qui veut dire le palais royal ou impérial, et l'autre Serai sadr-Aly, c'est-à-dire, le palais du Grand- Fézir, ou plutôt du Ministre Suprême. On le nomme encore et plus communément Pascha Capoussy } qui signifie la Porte ou le palais du Pascha , mot sous lequel l'on désigne aussi dans toutes les provinces les hôtels des Paschas qui en sont les Gouverneurs. C'est par abus que les hôtels des Ministres étrangers sont appelés Serai , par leurs gens et les habitans de leur quartier. Dans la conversation et dans tous les écrits où il est question de ces palais, l'Etat et la nation n'emploient jamais que le mot Conak, comme pour ceux de tous les Grands du pays. Les hôtels publics , qui tous appartiennent à l'Etat, sont aussi désignés sous le nom de Capou , tels que le Defterdar Ca-poussj , hôtel du Ministre des finances ; \'Ag-ha-Capoussy , hôtel de YAgha des Janissaires, etc. Ces édifices, ainsi que les maisons des particuliers , malgré leurs défauts et le peu de goût qui règne dans leurs décorations , ne laissent pas cependant de plaire, et de présenter des habitations agréables et commodes. Elles le seroient infiniment plus, si leurs dehors répondoient au moins à leur intérieur , si les façades étoient plus régulières et plus ornées , si les boutiques étoient garnies de glaces et peintes avec goût, si les rues étoieut bien alignées, moins étroites et mieux entretenues. Dans la Capitale il n'y a qu'une seule rue de remarquable par sa largeur et par son étendue ; c'est le Divan-joli j elle s'étend depuis le Sérail jusqu'à la porte Edir-né-Capoussj, et c'est-là que se font les marches solennelles dans toutes les fêtes civiles ou religieuses. Aucune maison n'est numérotée : on n'y voit ni affiches, ni écriteaux , ni armes, ni enseignes. • CODE RELIGIEUX. 241 enseignes. Les hôtels publics et les monu-mens élevés parla piété des Grands, portent seuls des inscriptions écrites souvent en style pompeux et en caractères d'or. Nulle part on n'y a le secours des horloges publiques. Les Muezzinns des Mosquées y suppléent en annonçant du haut des Minarets > cinq fois par jour , les heures consacrées à la prière. On ne doit pas être étonné si les villes ne sont pas éclairées ; les mœurs de la nation rendent cette précaution inutile : personne en effet ne sort la nuit ; dans toutes les saisons , une heure après le coucher du soleil , on ne rencontre plus dans les rues , même dans celles de la Capitale, que des hommes de la garde, et quelquefois des laquais qui, le fanal à la main, vont faire des commissions pour leurs maîtres. Ce n'est jamais que dans les nuits du Ramazann que l'on éclaire les rues principales , les places publiques , les palais des Grands et les cours du Sérail. Cette illumination a quelque chose de sim gulier; ce sont des réchauds de fer élevés de Tome IV. q distance en distance sur de longues piques, et dans lesquels on entretient une flamme rouge avec du bois de pin , ou avec des chiffons goudronnés : on les appelle mesch'-alés. Au reste , soit le jour, soit la nuit, la sûreté est parfaite dans toutes les villes de l'Empire; et c'est moins aux précautions d'une police vigilante, qu'à la bonté naturelle des mœurs nationales que l'on doit en attribuer les effets. Les grandes routes sont quelquefois infestées de brigands , mais l'ordre est parfaitement établi dans l'intérieur des villes ; et à Constantinople sur-tout, dont la population est immense , il est porté à un degré étonnant. Rien de plus rare que d'y entendre parler de vols ou d'assassinats. Les filouteries sont des délits plus rares encore, nonobstant l'affluence prodigieuse des marchés publics, et même la négligence avec laquelle souvent on garde les boutiques et les magasins les plus précieux. Il faut cependant convenir que ce calme disparaît ordinairement en temps de guerre. Le passage des milices CODE RELIGIEUX. 243 laisse par-tout des traces horribles du brigandage et de l'indiscipline du soldat'. Ou ne trouve ni à Constantinople, ni ailleurs aucune auberge , aucun hôtel garni. Les voyageurs n'ont d'autre ressource que les khanns, ou plutôt les kéarbann-sérdis, vastes édifices destinés à recevoir , comme nous l'avons déjà dit, tout l'attirail des caravanes , avec les marchands et leurs effets. C'est dans ces bâti mens , où l'on n'est ni magnifiquement, ni commodément logé , que descendent aussi les courriers, les fermiers et les officiers que le gouvernement dépêche et expédie dans les provinces. Les Paschas ^ les Capoudjjs-Baschjs et les Seigneurs d'un certain rang logent presque toujours chez les principaux officiers des villes par où ils passent, ou dans des maisons particulières qu'on loue pour quelques jours. Aussi ont-ils à leur suite un officier sous le titre de Conakdjy, qui prend les devants pour préparer dans chaque station le logement nécessaire. En général on ne voyage jamais que pour Q''j ses affaires particulières , ou pour celles du public. Le goût, la curiosité ou l'instruction n'y entrent pour rien ; et à moins d'y être forcé par la nécessité, personne ne veut s'exposer aux fatigues des voyages , ni aux dangers plus ou moins imminens des grandes routes, sur-tout dans les provinces les plus éloignées de la Capitale. Ces peuples d'ailleurs voyagent à cheval, lentement et à petites journées : la poste n'est que pour les courriers. Les Seigneurs et les officiers d'un certain rang ont leurs équipages et leurs chevaux, avec lesquels ils font trois ou quatre cents lieues , toujours au pas ou au petit trot. Un nombreux domestique les suit avec des lits, des tentes, des tapis , des armes, des ustensiles de cuisine, et une foule d'autres choses que le luxe, la commodité et la sûreté du voyage leur rendent nécessaires. Les frais énormes qu'entraîne cet attirail immense ajoutent sans doute aux autres motifs qui ne leur permettent de faire de longues courses que dans des cas indispensables. §• VII. Jardinage. L'abondance des eaux dans toutes les villes Mahométanes, jointe au prix assez modique des terrains , engage la plupart des propriétaires à se ménager chez eux des jardins même assez étendus. Les Orientaux aiment beaucoup les fruits , les fleurs , et le jardinage en général. Mais on ne voit pas chez eux ce goût, cet ordre, ces dispositions, ces ornemens de toute espèce qui régnent dans les campagnes des Européens. Dans ces heureux climats les jardins n'ont d'autres beautés que celles de la nature : l'art n'entre que pour très-peu de chose dans leur décoration. La plupart de leurs jardiniers sont des Grecs de l'Archipel. L'expérience les rend très-habiles en tout ce qui a rapport à la culture , à la greffe, à l'entretien des arbres , à la conservation des fruits, des fleurs , des végétaux ; ils n'ont qu'une foible idée de ce qu'on Qiij appelle tapis, gazon, boulingrin, charmille, espalier, cascades, allées régulières et couvertes, moins encore de ces nouveaux em-bellissemens qu'à.l'exemple des Chinois on a adoptés dans les jardins de Frauce , d'Angleterre et de Hollande. Des kcoschhs ornés de riches sophas , de vastes bassins avec des jets d'eau qu'ils appellent scliadirWann > des sentiers ou des allées garnies de cailloux disposés en mosaïque , et des parterres ornés de tenues sortes de fleurs , entassées presque sans ordre et sans goût, sont les seuls objets qui intéressent les Mahométans. .Ceux qui aiment les fleurs, en ont même dans leurs chambres presque toute l'année. On y voit de petites tables rondes faites de bois de noyer ou incrustées de nacre de perles : elles sont couvertes de vases de porcelaine ou de flacons à longs cols garnis de toutes sortes de fleurs. .Quelques-uns.se ménagent aussi dans un coin de l'appartement , ou dans une pièce séparée par de simples vitrages , des espèces de parterres composés de rosiers , d'orangers , de citronniers , de CODE RELIGIEUX. 247 tulipes , d'anémones, de jasmins , d'œilléts, de tubéreuses, etc. • Ils. en font des présens à leurs parens, à leurs amis intimes, à leurs protecteurs : les Grands s'envoient aussi mutuellement des Heurs et des fruits , à certaines époques de l'année. Le Grand-Vèzir y est tenu par étiquette envers le Sultan et les dames du Harem Impérial ; c'est de sa part un hommage de soumission et de respect. Tous les vendredis YAgha des Janissaires , et, dans certaines occasions, le Grand Douanier, sont également obligés à cette étiquette envers le Souverain et envers son premier Ministre. Un ancien usage y assujettit encore le Grand-Vézir lui-même à l'égard des Ministres des puissances étrangères , soit à leur arrivée, soit le jour de leur audience publique. C'est le Grand-maître des cérémonies qui s'acquitte pour lui de ces témoignages d'honnêteté, auxquels l'opinion publique attache un certain prix. De là, l'établissement de deux officiers connus sous les noms de Yèmischdjj-Basc/tj et de Tschitschekdj'j-Baschj, dont Q iv l'un a l'intendance des fruits , et l'autre celle des Heurs. Le premier fournit annuellement les fruits nécessaires à la table du Sultan et des dames de son Harem. Il a toujours le plus grand soin d'en conserver de l'espèce la plus rare dans des serres-chaudes , afin de pouvoir en toute saison satisfaire les désirs ou les fantaisies des Sultanes et des Cadinns y pendant leur grossesse. C'est lui aussi qui procure tous les présens en ce genre au Premier Ministre et à tous les Grands de l'Empire. Le Tschitschekdjy-BascJiy , qui remplit le même office à l'égard des fleurs, est en même temps chargé de fournir tout ce -qui est nécessaire à l'entretien des jardins du Sérail. Dans ces jardins, comme dans la plupart de ceux des Grands , la tulipe tient un rang distingué parmi les autres fleurs. On attribue ce goût particulier de la nation au fameux Grand- Vézir Ibrahim Pascha gendre & Ahmed III > qui entretenoit un parterre immense de tulipes dans sa maison de campagne située sur la rive du Bosphore au delà de Beschihtasch. Dans une fête qu'il donna au Sultan son maître, il lit illuminer ce parterre de plusieurs milliers de petites lampes de cristal, disposées avec beaucoup d'art. Ahmed III, enchanté de ce spectacle , le redemanda plusieurs fois à Ibrahim Pascha , et voulut qu'au Sérail même il se renouvelât chaque année dans la saison de ces fleurs. Ce divertissement d'un genre nouveau fut consacré sous le nom de lalé-tschi-raghany , qui veut dire illumination des tulipes ; et on ne connut plus dès-lors la maison de campagne d1Ibrahim Pascha , que sous celui de Tschiraghann-jalissj. Mahmoud I prit aussi beaucoup de plaisir à ce divertissement pendant tout soft règne. Mais ses successeurs n'eurent pas le même goût, et il ne reste plus aujourd'hui que le souvenir de cette fête brillante, qui excite encore les regrets de tout le Sérail. Après les fleurs , les Mahométans s'occupent singulièrement de la plantation et de la conservation des arbres. Les plus estimés chez eux sont le chêne, le tilleul, le platane, l'orme, le sapin, le marronnier, le noisetier, le palmier, mais sur-tout le cyprès, qui est spécialement consacré aux cimetières. Ces peuples, par un effet de leurs opinions super-stiticuses, ont une sorte de respect pour toute espèce d'arbres. Plusieurs d'entre eux croient que c'est s'exposer à quelque événement funeste que d'en couper un, de le brûler ou de je déraciner sans nécessité. Ce sentiment est plus ou moins exalté chez eux, en raison de la fécondité de l'arbre, de sa beauté ou de son âge. Mais rien n'est comparable à celui que leur font éprouver les plantations qui entourent ou ombragent un'tombeau : si le dogme de l'unité d'un Dieu n'étoit pas la base fondamentale de la religion des Musulmans, on croiroit qu'ils ont hérité du système mythologique des anciens , qui remplissoient de divinités les forêts et les bois. En un mot, abattre ou mutiler un arbre , sur-tout dans un cimetière, c'est à leurs yeux pécher contre la nature, et insulter aux mânes de ceux qui reposent sous son ombre. Ces idées superstitieuses , qui sont assez générales , n'em- CODE RELIGIEUX. 2S1 pèchent cependant pas que le soldat ne se livre à toute sa fureur lorsqu'il traverse les campagnes en pays ennemi. §. VIII. Des maisons de campagne. Quelque vif que soit le goût des Mahométans pour le jardinage , ils ne jouissent cependant pas beaucoup des agrémens de la vie champêtre. Si l'on en excepte quelques^ citoyens de la Capitale, il y a dans tout le reste de l'Empire très-peu de Mahométans qui aient des habitations hors des villes. Les maisons de campagne à Constantinople même ne sont pas, comme chez les autres nations, des châteaux isolés dans le continent , et élevés au milieu de jardins et de parcs. Elles font partie des bourgs et des villages qui embellissent les deux rives du Bosphore de Thrace. Ce canal superbe qui sépare l'Asie de l'Europe) a une étendue de plus de six lieues depuis Constantinople jusqu'à l'embouchure de la mer noire. Sa largeur varie en certains endroits. Ses eaux forment à droite et à gauche de grands bassins et même des baies assez profondes , dont le terrain s'élève de tous côtés en amphithéâtre , et présente à chaque pas les aspects les plus riants. Excepté Couscounndjcoiik et Tschenguel-Keuïh , tous les villages de la rive orientale sont habités par des Mahométans. Ceux de la rive occidentale, tels i\VLOrta-Keuih, Courou-Tsches-chmé, Bebck, Isténiyatj Ye/ii-Keuïh, etc. ne renferment que des Chrétiens. Vers l'embouchure sont les bourgs de Tharapia et de Bujuhdéré , où les Ministres étrangers et plusieurs familles Européennes passent ordinairement la belle saison. On remonté le Bosphore dans des barques de différentes grandeurs, en le côtoyant sur l'un ou l'autre de ses bords; on y descend à rames dans le beau temps, et à voile lorsque le vent le pertnet, en ne quittant pas le milieu de ce vaste canal. C'est alors que l'on jouit du spectacle le plus beau que la nature puisse offrir dans l'univers. Malgré la simplicité extérieure des édifices, l'irrégularité de leur construction, la négligence des CODE RELIGIEUX. 253 jardins, l'aridité de quelques coteaux, l'état de dégradation où se trouve une grande partie des quais , et une infinité de petites arches qui , placées à côté des maisons , servent de remises aux bateaux ; la diversité de ces objets, réuuie à la majesté que déploie la nature dans un canal de cette étendue , ne peut que frapper délicieusement les spectateurs , et exciter en eux les sensations les plus vives : mais quel tableau plus enchanteur encore ne présenterait pas ce Bosphore, si les édifices et les jardins qui le bordent étoient relevés par toutes les ressources de l'art et les décorations du goût, et si l'uTie et l'autre de ses rives ombragées par une grande allée d'arbres, et flanquées d'un quai large et commode, offraient dans toute leur longueur un passage libre à tous les voyageurs, et une promenade publique aux citoyens de la Capitale et des environs! Une des beautés de ce canal est l'aflluence continuelle d'une infinité de barques et de grands vaisseaux, qui dans toutes les saisons, vont commercer au Pont-Euxin et rapportent les riches productions de ces contrées. Parmi les Mahométans qui ont des maisons sur le Bosphore , les gens de loi , les ex-Ministres et les simples particuliers sont ceux qui jouissent le plus de ce spectacle ravissant : les officiers en place et les Seigneurs n'y passent ordinairement que la nuit , parce qu'à la Cour Othomane tous les jours sont consacrés au travail et qu'à l'exception des deux Bejramschacun est obligé d'être sans relâche à son poste ou à son département. Ces maisons de campagne , que l'on appelle jalï, sont les seules que l'on voie aux environs de Constantinople. Dans la Capitale, comme dans les provinces, les Musulmans n'ont aucune idée des possessions lointaines , des châteaux, des maisons de plaisance ; ils ne connoissent pas assez les agrémens de la campagne pour abandonner le séjour de la ville. L'état de guerre qui leur est naturel , l'instabilité des charges et des fortunes , le danger qu'il y auroit à montrer son opulence , les vexations des Grands et des Gouverneurs des provinces , le défaut même de sûreté dans les routes publiques , particulièrement en temps de guerre, sont autant de motifs qui arïbiblissent en eux le goût de la vie champêtre , et qui arrêtent en même temps les progrès de l'agriculture dans toute l'étendue de l'Empire. Un Seigneur ou un particulier qui a de grandes possessions y fera tout au plus élever un manoir sous le nom de tschifdik j encore est-ce moins pour son usage, que pour l'habitation ordinaire de son régisseur ou de son fermier. On voit très-peu de ces tschifdiks dans le voisinage de Constantinople : les uns sont au delà àeScuiary en Asie, et les autres dans les environs de Bujuk-Tscliekmcdjc et de Kutschuk-Tschekmedjé sur la route d'An-drinople. Ils appartiennent à différens Seigneurs de la Capitale, qui n'y vont pas fréquemment. Le plus considérable est celui qu'éleva il y a dix ans Ghazy-Hassan Pascha à Lewend-Tschifdighy , à deux lieues de la ville du côté de Tharapia. Il'y passe quelquefois la nuit , rarement la journée. Il f reçoit plus rarement encore ses amis. Abdul- 206 CODE RELIGIEUX. HamidI honora plusieurs fois ce lieu de sa présence, et daigna même agréer les fêtes somptueuses que lui donna ce Grand Amiral. Les Souverains eux-mêmes ne paroissent pas avoir plus de goût pour les plaisirs de la campagne. Si en été ils changent quelquefois de demeure, c'est toujours sans sortir de la ville. Au printemps ils quittent leur palais situé sur la rive méridionale du Bosphore, pour se transporter avec leur Harem et une partie de leur maison sur la rive septentrionale, à Beschihlasch , qui est presque vis-à-vis du Sérail. Ce lieu n'a rien d'extraordinaire que sa position. Ni la construction de l'édifice, ni son étendue, ni celle de son parc et de ses jardins, ni les décorations ne répondent à la grandeur des maîtres de l'Empire. Cependant ce château est presque la seule maison de plaisance des Monarques Othomans. Nous ne parlons point de celles d'A'ùialy-Qavak , de Cara-AghaLsch , de Deftcrdar-Bournou et de Vavoud - Paschas , parce qu'elles sont peu considérables et peu fréquentées. CODE RELIGIEUX. 207 quentées. A l'égard du château de Mourad IF à Scutarj, il tombe en ruines, et aucun des successeurs de ce Prince n'a témoigné lé moindre désir de le faire réparer. Tout ce qu'on voit d'ailleurs à Gueuk-souyi, à Idriss-Keoschky} à Ilunnkear-lshclessy ou Tocadi > à Keaghid-Khane , à Bébek-Baghtschessy , à Schemsj'Pascha y a Dolma-Baghtschessy , etc. ne consiste qu'en des keoschks, ou én de simples pavillons où le Sultan, dans ses promenades ordinaires , va prendre du café et se reposer quelques heures : c'est pour cela qu'on les appelle Binisch-Yérlcry, qui signifie station de la ravalcade impériale. Si ces Monarques ne mettent pas plus de faste dans leurs châteaux et dans leurs maisons de plaisance; s'ils n'élèvent pas des bâ-timens somptueux dans des sites encore plus agréables ou plus éloignés de la Capitale, c'est qu'il est de leur politique d'économiser les deniers royaux, de se ménager dans l'esprit du public , de ne point s'écarter de la Capitale , et même de ne jamais passer une seule nuit loin du trône; afin d'être toujours à Tome IV. R 258 CODE RELIGIEUX. portée d'étouffer par leur présence les premières étincelles de troubles ou de séditions, et de voler aux incendies cjui sont si fiéquens dans cette ville immense. Il résulte de ces observations, que les Sultans et leurs sujets sont également esclaves des préjugés dominans, et obligés de sacrifier sans cesse leurs goûts aux usages impérieux que le temps et l'intérêt public ont consacrés dans cet Empire. LIVRE IV. Des vertus morales. Ce livre traite de la charité , de la probité , de la pudeur, des devoirs de société, des devoirs de bienséance et d'honnêteté , de la propreté, de l'interdiction des jeux , de la musique et des images , de l'attention du fidèle à ne jamais prendre le nom de Dieu en vain, de la sainteté des sermens, CODE RELIGIEUX. 25g et de l'obligation en général , pour tout Musulman, de fuir le vice et de pratiquer la vertu. CHAPITRE PREMIER. De la charité. Il est de précepte divin , et par là d'une obligation absolue pour tout fidèle , de faire la charité aux pauvres , de soulager ceux dont on connoît la misère ou rimpuissance de gagner leur vie : et si Ton n'est pas en état, de les secourir soi-même , on doit alors les recommander à ceux qui en ont les moyens. C. Le Musulman qui manque à l'un ou à l'autre de ces devoirs , se rend coupable de la mort du pauvre qui succombe à sa misère , ainsi que l'atteste cette parole du Prophète : Point de grâce pour celui qui meurt rassasié , 8 m 2Ôo GODE RELIGIEUX. laissant à coté de lui soji voisin affamé Cf\ Et cette autre parole non moins terrible : Certes ! la perte de l'indigent mort de faim au milieu des hommes opulens , fait évanouir à leur égard la miséricorde de Dieu et celle de son prophète (2). On peut faire l'aumône à toute personne, en tout temps, en tout lieu , même clans le Messdjid : il n'est cependant pas permis au pauvre de mendier dans le temple du Seigneur. C. Le prophète lui-mê/ne le défend par ces paroles remarquables : Une voix céleste criera au jour du juge/nent : Levez-vous , o les objets de la haine de Dieu f et les mendians, des Messdjids se lèveront (3). C'est que dans. (1) Maemn ma maté Scliébann vé djéareliu il* djenbih'i djeâyi. (1) Innema redjoul maté djeyachin béiné akvajn aglmiyenn fekad bcr'eth anrdCum zimmetk ullah ve zimmeth ressoul 'ullah. (3) Younady yewm'id-Myamelh leyecoumé meù-gliouz 'ullah fi Uala fcyecoumé soual'ul' messdjid. CODE RELIGIEUX. 261 la maison de Dieu on doit éviter tout ce qui peut troubler la prière de ses adorateurs, qui sont cependant les maîtres d'y faire* des aumônes à ceux qui les demandent en silence et avec respect. On en a des exemples du temps du Prophète : slly donna un jour sa bague en aumône au milieu même de la prière, Namaz. CHAPITRE II. De la probité. La probité , l'intégrité, la droiture , doivent être Paine de toutes les actions d'un Musulman. Il ne peut jamais rien acquérir que par des voies légitimes. La jouissance de tout bien acquis injustement est tellement criminelle et odieuse aux yeux du Créateur , qu'il n'est pas même permis de rien recevoir en présent de quelqu'un reconnu pour un homme vénal, injuste et concussionnaire. R iij C. On ne peut recevoir des dons qu'avec la certitude qu'ils proviennent de biens légitimement acquis, si ce n'est en entier, du moins pour la majeure partie. Il faut également refuser tout présent en or, en argent, ou en effets , de la part d'un esclave, Abd-Mézounn, qui jouit de quelques droits de propriété par la concession de son maître : il est défendu de rien recevoir de sa main à moins que ce ne soit un objet de peu de valeur. C. On peut cependant, sur son invitation, manger à sa table , et même se servir de ses bestiaux, le tout à l'imitation du Prophète qui ne refusa pas de se rendre au banquet de l'esclave Ebu.-Sdidet de recevoir les petits présens de Berweré et de Selmana-Farissy. CHAPITRE III. De la pudeur. Les lois de la pudeur défendent à tout Musulman de jeter les jeux sur certaines parties du corps 9 soit de l'homme , soit de la femme, à moins d'une nécessité indispensable. C. Cette exception ne regarde que les médecins , les chirurgiens, les sages-femmes et les sunnetdjis j dont l'office est de circoncire les enf'ans : encore ne doivent-ils jamais porter leurs regards que sur la partie qui a besoin de leurs secours. Hors tout ce que la pudeur doit couvrir d'un voile épais , l'homme peut regarder l'homme, et la femme peut regarder la femme; mais si leur imagination vient à s'égarer, ils doivent aussitôt fermer les jeux pour ne Riv 264 CODE RELIGIEUX pas exposer leur cœur aux dangers de la tentation. L'homme cependant ne pèche pas s'il voit à découvert sa femme ou son esclave légitime. C. II est néanmoins de la décence de détourner les regards de certaines parties du corps : Aisché avoua elle-même s'être lavée souvent au bain avec le Prophète son mari, tous deux se servant de l'eau de la même urne ; mais sans que ni L'un ni l'autre y disoit-eile , nous nous fussions jamais vus (0- Voici d'ailleurs ce que le Prophète ordonne : Lorsque vous vous approchez de vos fenïmes, couvrez-vous l'un et Vautre^ autant qu'il vous est possible, caries regards alors énervent l'ame et en affaiblissent les facultés (2). Malgré les droits légitimes qu'un patron a sur ses esclaves, il est tenu aux mêmes ré- (1) Mu réeyi menny ve ma réeyeth îninnh'u. (2) ïza eti ahadk'um ehhlihi, feleyessler ma isstità le inn en nazar youress'im-nissyann. CODE RELIGIEUX. i65 serves : on sait qu'il peut avoir commerce avec elles, quand même il seroit marié avec quatre femmes de condition libre. Cette loi en faveur des patrons est appuyée sur l'exemple de notre saint Prophète qui , quoique marié à plusieurs femmes , habitoit aussi avec ses esclaves. Ibrahim fut le fruit de son commerce avec Merjein. Il n est pas interdit au Musulman de regarder sa fille , sa sœur, sa tante, enfin toute proche parente , ISIahhrcm, qui seroit à un degré prohibé pour le mariage , lorsqu'elles sont vêtues décemment. C. II peut leur voir le vuage, la tête , le sein , les bras, les jambes , pourvu que ses regards soient exempts de passion et de volupté. U pourroit même les embrasser par un sentiment d'affection, mais jamais avec des désirs impurs. Le Prophète nous en a donné l'exemple : au retour de ses expéditions guerrières il ne manquoit jamais de donnera Fathima y sa fille, des marques de sa tendresse , et de lui baiser le front, en disant chaque ?v\$tqu'il sentoit en elle Vodeur du paradis. Le baiser donné par t enfant à sa mère disoit-il encore , égale en douceur celui que l'on donnerait au seuil de la porte du ciel (i). A moins d'être très-proches parens, il est défendu aux femmes de se montrer aux hommes , et aux hommes de regarder les femmes. C. Ceux-ci ne peuvent leur voira la rigueur, mie le visage et la paume de la main, supposé encore qu'ils puissent le faire avec des jeux chastes. Ce n'est que dans les tribunaux et dans les cas de formalités judiciaires qu'il est permis aux juges et aux témoins de regarder une femme , de fixer les yeux sur elle , cjuand même ils s'exposeroient à des désirs réprouvés par la loi. (i) Menn cabbélé redjoul «mmeh'u jéhéénéma cab-hélé âtébelh 'ul-djennélh. L'homme ne doit jamais toucher la main, moins encore le visage d'une femme. C. A naoms que ce ne soit un viei llard décrépit, ou une femme très-avancée en âge ; car alors ce seroit sans conséquence. Il est cependant permis à l'homme de voir et même de toucher l'esclave qu'il auroit envie d'acheter, ou la femme qu'il seroit dans l'intention réelle d'épouser , et cela en vertu de cette parole du Prophète , adressée à Mitghaïré ibn Schcubé , à l'occasion de son mariage avec une jeune fille : Voyez-la pour vous assurer d'avance de la satisfaction que vous aurez à bien vivre ensemble. Les femmes ne peuvent entreprendre aucun voyage, sans être dans la compagnie et sous la garde de leurs époux, ou d'un proche parent. Les esclaves y sont également obligées. C On doit cette disposition aux docteurs modernes. Nos anciens Imams n'ont parlé que des femmes de condition libre , et non des esclaves , pour qui il n'est pas d'une obligation aussi étroite de se dérober aux regards des hommes. Mais leurs successeurs ont exigé la même précaution pour les unes et pour les autres , à cause de la corruption de notre siècle, bien différent de ceux où vivoient le Prophète et les premiers docteurs , siècles distingués dans nos annales par la vertu et la piété éminente des fidèles. Un esclave ne doit jamais se permettre de voirie visage de sa maîtresse. Les eunuques, haussa, et même ceux qui sont entièrement mutilés medjh-houb t ne doivent jamais avoir aucune fréquentation avec les femmes. C. C'est que nonobstant leur impuissance ils ne sont point exempts, ni les uns ni les autres, de désirs voluptueux. Enfin les hommes eux-mêmes doivent CODE RELIGIEUX. 269 être scrupuleusement attentifs à ne se permettre jamais entre eux rien de contraire aux lois de la chasteté et de la pudeur. CHAPITRE IV. Des devoirs de société. D ans les occasions de joie ou de tristesse , les fidèles doivent s'embrasser en signe d amitié et d'union fraternelle. C. Abraham donna le premier cet exemple en embrassant Z'oul-Carneïn-Ekber , lorsqu'il le rencontra à la Mecque. Selon Ebu-Eéis , on distingue six sortes d'embrassemens, savoir , de tendresse, de respect, de fraternité, d'amitié, d'amour et de religion : le premier est celui des pères et mères envers leurs enfans ; le second , celui des enfans envers les pères et mères; le troisième, celui des frères et des proches parens ; le quatrième, 270 CODE RELIGIEUX, celui des fidèles entre eux ; le cinquième , celui de deux époux ; et le sixième celui de la Pierre-noire au Kéabé de la Mecque. Les disciples du Prophète s'embrassoient souvent par amitié. Mohammed lui-même,les em-brassoit aussi , et nommément Djeafer , qu'il baisa au front à son retour de l'Ethiopie, et dans la journée de Kha'ibcr. Ce divin Apôtre recommanda même expressément aux fidèles de donner ces marques d'affection aux pèlerins et aux guerriers. Celui , disoit il , qui embrasse un pelerin ou un héros , est censé embrasser mille Prophètes à la fois (i). Les fidèles doivent aussi se toucher la main en signe de cordialité et de tendresse. C. Le Prophète l'ordonne et en relève le mérite par ces paroles : Lorsque deux Musulmans se rencontrent et se touchent la main y (i) Mehfï âtaca hadjenn ei>ghayyenn fecad âtaca elfneby. CODE RELIGIEUX. 271 ce procédé doux et fraternel les délivre de leurs péchés 3 qu'il fait tomber comme les feuilles sèches d'un arbre (1). L'honune d'un état inférieur doit se lever pour recevoir l'homme d'un état supérieur ; mais ceux d'une condition égale ne doivent jamais se lever les uns pour les autres , moins encore pour leurs subalternes. Le respect dû à la science et à l'érudition doit toujours placer les savans et les hommes de lettres au-dessus des ignora 11 s , quand même ceux-ci seroient courbé* sous le poids de l'âge. C. Le Prophète lui-même en a donné l'exemple: il l'ordonne encore par ces paroles ; Les lettrés et les non-lettrés doivent-ils donc être (1) lia ettakiy'ulmuminaiiyfe tessafehhann tenus-chereth zenoubi-tiuma kcte/iuacharcth 'el-vera!C ul-fabiss min 'esch-schedjhr. 272 CODE RELIGIEUX. mis au même niveau (i) ? — Soyez soumis à Dieu, soyez soumis à son Prophète , et à /'OuPul-Emr (2) , mot qui désigne le Souverain , et en même temps les Oulémas , les docteurs de la loi, que l'Apôtre céleste appeloit toujours les héritiers des Prophètes (3). Il faut cependant respecter la vieillesse ; et les jeunes doivent baiser la main des vieillards , comme les inférieurs celle de leurs supérieurs. C. C'est un hommage de respect et de soumission qui est dû aux Souverains , aux hommes savans et vertueux , aux pères et mères, enfin à toutes les personnes recom-mandables par leur religion et leur piété (4). (1) Hel y essteivi y'elleçiné yalemouné v'elleziné la yalemouné. (2) Eti ouîlànu ve etiour-ressoul ve oul-ul-emr. (3) El ouléma veresselh'ul ennbiya* ' (4) Sultan âdll t ve alim-amil, ve ébéivcinn , ve Toudjoul-salihh. Cette CODE RELIGIEUX. 273 Cette loi est fondée sur l'exemple des disciples du Prophète , qui dans toutes les occasions lui baisoient la main ou là robe. CHAPITRE V.: Des devoirs de bienséance et d'honnêteté. Les fidèles sont tenus à des égards entre eux : ils doivent se traiter avec civilité , honnêteté et bonté , sans toutefois se permettre jamais ni bassesse , ni foiblcssé , ni aucun excès de complaisance. C Dés procédés humbles et soumis ne conviennent dans l'ordre civil , suivant Iâ' parole du Prophète , qu'aux disciples envers leurs maîtres , qu'aux enfans envers leurs parens , qu'aux esclaves envers leurs patrons (O- ______ (r) Lcissc mena ahhlak'ul imunimi l'ttvinelhtk iïl-el-inutriWcm // ussladcJnt vyel veled li vatitfehù v'id (ihd IL metviatiu. Tome IV. S Les mauvais traitemens sont interdits aux fidèles , les uns envers les autres : il ne leur est pas permis non plus d'en user autrement à l'égard des sujets tributaires qui n'admettent pas la doctrine de notre saint Prophète ; mais il ne convient pas aux Musulmans de les saluer les premiers , attendu la supériorité de leur condition , et l'excellence de leur culte. C. A moins que la nécessité des circonstances ou des rapports d'intérêt ne l'exigent; alors cette conduite seroit excusable. Ils ne peuvent même leur rendre le salut de paix que par le mot aâleikum. Cependant il est permis à tout fidèle d'aller voir ou de visiter un non-Musulman , sur-tout s'il est malade. C Et cela à l'exemple du Prophète , qui CODE RELIGIEUX 275 un jour alla visiter au lit de la mort un Juif de son voisinage. Assis à côté de lui , il l'exhorta même avec amitié à embrasser le Musulmanisme : le malade ayant alors fixé les yeux sur son père , et celui-ci l'ayant engagé à se rendre à cette salutaire invitation , il fit aussitôt la profession de foi ; et Mohammed, dans les transports de son alégresse, ne cessoit de rendre grâces à Dieu de ce que sa visite avoit sauvé ce jeune homme des feux de l'enfer. Il est permis au Musulman de faire des vœux pour un infidèle , c'est-à-dire , de prier Dieu pour sa conversion , mais jamais d'implorer sur lui sa miséricorde. L'humanité prescrit aux maîtres de ne pas maltraiter, sans raison, leurs esclaves ; ce seroit pécher contre la nature que de les rendre plus malheureux encore , et d'aggraver leur joug en les chargeant déchaînes. S ij 276 CODE RELIGIEUX. •• . :oxià <& Du - '• ;i ;;;. • 'moi :• < 6'. Si.l'on est forcé d'en venir à ces extrémités, il ne faut employer que des chaînes très-légères. Enfin les hommes doivent être bien-faisans. Ils doivent s'entre-aider , se secourir mutuellement, avec charité, avec amitié, et sans aucune vue d'intérêt, même lorsqu'ils prêtent de l'argent, parce que tout intérêt est proscrit par rislamisme. -fris! *>n tic • i ' •■ 'r-r rte " - i fî . C H A ? I T RE VI. Z?e la propreté. T '1 !.. '•: $31 J • fa <-•'•• • . . . : : . La propreté du corps et du.vêtement est une vertu nécessaire aux fidèles de Fuh et de l'autre sexe.: Elle a été fortement recommandée par le Prophète. ■ ■ v... . '■ '' J "'"'<[ ï.ut::,.: ■ : . \li$<$ C. Il faut se laver tout le corps une fois la semaine, ou tous les quinze jours, ou pour le moins tous les quarante jours. Ceux qui manquent à ce devoir , pèchent contre les CODE RELIGIEUX. 277 lois de la propreté et de la pureté corporelle. Il faut aussi se couper souvent les ongles et s epiler.....L'homme doit encore raser une partie de sa moustache , mais respecter sa barbe. Ces pratiques sont d'obligation imi-tative, ayant été observées par le Prophète lui-même, qui souvent disoit à ses disciples : Elaguez votre moustache , et laissez croître votre barbe (1). Ce n'est'qu'à la guerre seulement que les fidèles peuvent se dispenser de toucher à la moustache et même aux ongles , pour paroître , disoit le Khaliphe Orner, avec un extérieur plus effrayant aux yeux de l'ennemi. CHAPITRE VI 1/ De Vinterdiction des jen.v. Tous les jeux, quels qu'ils soient, sont prohibés aux Musulmans, excepté l'exercice de Parc et la course à pied ou à cheval. (1) Ahaffousch-Scharib ve âyul-lihîia. S iij C. Avec le cheval on comprend ici l'âne , le mulet et le chameau. Le Prophète ordonne ces exercices aux militaires. Ses disciples ne les négligeoient pas, et lui-même fit en plusieurs occasions des courses avec Ebu-Behir son beau-père. Il entroit ordinairement en lice avec son chameau , ghadba, qui, quoique toujours triomphant, fut un jour vaincu par celui d'un Arabe nomade. Le Prophète voyant la douleur des siens , les consola en leur disant que ce qui est exalté est quelquefois humilié. Tous les autres jeux sont rigoureusement défendus, en vertu de ces paroles sacrées : Les anges n'assistent à aucun jeu quelconque , hors ceux de la course et des flèches (1). — A l'exception des amusemens que le fidèle peut prendre avec son cheval, son arc , et en folâtrant avec sa femme j tout autre jeu lui est interdit (2). (1) La youhzar'ut melaïketihhy scheyen minel meîahhy seivinn-ni^at vel mirhhann. (2) Le houjvel muminn batil Ma fi sélasse melaâ* hetihhiferessehlui ve remïyétïhi an cawsihhiwc melad-helihhi ma ehhliby. Cette défense s'étend jusqu'au jeu des dames et des échecs. C. Elle est fondée sur cette maxime du Prophète : Celui qui joue aux échecs et aux dames est aussi impur que celui qui trempe ses mains dans le sang du pore (1). Le Musulman vertueux ne doit ni rendre , ni donner le salut au Musulman transgresseur de cette loi, et cela, à l'exemple des Khaliphes Orner et Aly , qui détournoient leurs regards des fidèles de leur temps, qui jouoient aux échecs. v% L'Imam Schafiy permet les échecs , pourvu , dit-il, que l'on joue sans aucun intérêt, par pur amusement, de sang-froid, sans s*échauflTer ni se livrer jamais à des imprécations et à des juremens scandaleux. Il n'est pas permis non plus au Musulman de parier, parce que la gageure est aussi une espèce de jeu. (0 Men leubé b'issatrandjh vewnczd fékknmcma ghams ycdtiiifi dem'ul-khinzir. S iv C. A moins quelle n'ait pour objet un prix que l'on veuille accorder à la valeur , à \% science, au talent. C'est pourquoi si l'une des patries, ou un tiers, s'engage à un présent en faveur du vainqueur, ou si dans une dispute littéraire un savant se soumet à un djn quelconque dans le cas où l'on condam-neroit son opinion ; alors la chose devient indifférente en soi. CHAPITRE VIII. De Vinterdiction de la musique. La musique et tous les instrumens sont interdits au fidèle. C. Cette disposition est fondée sur ces paroles du Législateur : Entendre la musique, ccst pécher contre la loi)faire de la musique, dest pécher contre la religion } y prendre plaisir, ccst pécher contre la foi , et se rendre coupable du crime d*infidélité (i). (i) Isslimd !el-melahhy mâssiyeth, v'el djoulouss aleihha fissk , ael-télezzuz mimdxha hifr* La musique n'est permise ni dans le particulier, ni en public, ni dans aucune circonstance de la vie, pas même dans les réjouissances des noces. C. Ces fêtes doivent se passer sans jeux et sans musique : autrement elles dégénéreraient en banquets profanes dont tout Musulman doit s'abstenir avec soin. Il est même de sa religion et de sa piété de fuir ces sortes d'assemblées, et de se refuser à toute invitation à cet égard. Si, par hasard , il s'y trouve engagé, il doit tout mettre en œuvre pour en écarter la musique et les jeux , ou bien se dérober promptement à ces fêtes scandaleuses, sur-tout s'il est d'une condition et d'un rang qui pourraient ajouter encore à la contagion* de l'exemple. La musique vocale est également défendue , soit pour les chants profanes, soit pour les cantiques spirituels. C. On en excepte l'annonce, Ezann , que font les.Mnezziuns , et le cantique Telbijé qui se chante à la Mecque dans le temps du pèlerinage. Quant aux passages du Coudann, il n'est permis de les chanter ou de les psalmodier que pendant la prière, Namaz, faite en commun , chez soi ou à la Mosquée. V. Cependant plusieurs Imams, et nommément Sérakhsy, regardent comme une chose indifférente «n sot qu'un Musulman, au milieu de son affliction, chante chez lui, dans la retraite et dans la solitude, uniquement pour se distraire et dissiper son chagrin. CHAPITRE IX. De T interdiction des images. Les images et les figures, soit d'hommes , soit d'animaux, sont interdites aux fidèles. C. A moins qu'elles ne soient très-petites et presque imperceptibles à l'œil. Il seroit même indiffèrent d'avoir des figures d'animaux sous ses pieds ou derrière soi lorsqu'on fait la prière, Namaz. Il çst encore indiffé- CODE RELIGIEUX. 283 rent qu'une femme Musulmane fasse la prière, le sein garni de médaillons d'or ou d'argent frappés parles infidèles, et portant l'empreinte de quelques figures, mais assez petites pour qu'elles échappent au premier regard de l'homme. Il en est de même du Musulman qui s'acquitteroit des devoirs du culte ayant sur lui des pièces monnoyées en argent ou en or, qui représenteroient des figures d'animaux , et portant même une veste ou un habit peint de ces figures, mais entièrement recouvert d'un manteau ou d'une robe simple et unie. CHAPITRE X. De Vallenlioii du Musulman à ne pas prendre le nom de Dieu en vain. Le fidèle ne doit jamais proférer en vain le nom de Dieu. £■ Il se rendrait coupable d'un sacrilège; car plus il y a démérite à se rappeler le nom de l'Eternel et ses divins attributs , à 284 CODE RELIGIEUX, s'entretenir de son Prophète et de ses pro. diges , lorsqu'on accomplit les devoirs que prescrivent la vertu , la religion, la piété ; et plus aussi il y a de péché quand on en parle au milieu des occupations mondaines et profanes. Ainsi tout homme, tout commerçant qui profère le saint nom de. Dieu, dans le cours de ses affaires ou de ses spéculations mercantiles , commet un sacrilège, parce que ce n'est point en l'honneur et pour la gloire du Tout-puissant qu'il l'invoque, mais dans des vues humaines et intéressées. Le Musulman ne peut jamais prononcer le nom d'un Prophète sans le bénir et le saluer par ces mots : sali' allait u âlédih vé seleni , salut, et paix de Dieu sur lui. C. Ce salut n'est pas nécessaire pour les saints, à moins que leurs noms ne soient proférés à la suite de celui d'un ange ou d'un Prophète. CODE RELIGIEUX. 285 CHAPITRE XI. De la sainteté des sermens. Le serment d'un fidèle est un acte sacré qui a pour objet ou d'affirmer la vérité d'une chose , ou de déterminer une intention, une volonté, un projet quelconque, et par cela même il a toute la force d'un vœu. La validité de cet acte exige que le sujet soit majeur et doué de raison , et que le ser-. ment se fasse au nom de Dieu ou de L'un de ses attributs. C. J'atteste , je jure, je fais vœu , esehhëdé, ahhlejé, nèzéré , sont les mots consacrés à la validité d'un serment fait au nom de Dieu ou de l'un de ses attributs essentiels , tels que sa grandeur, sa gloire , sa puissance , sa justice , sa clémence , sa miséricorde , etc. Si on en articule d'autres , même les noms du Cortdank, du Prophète, de la Mecque, 286 CODE RELIGIEUX. de Médine , le serment ou le vœu ne peut jamais être réputé valide. Tout serment ou vœu fait dans les principes de la loi est obligatoire , yéminn-munâkidé. Sa violation est un péché qui soumet le parjure à une peine expiatoire , kefaréth-yeminn. C. Cette peine consiste, au gré du fidèle, ou dans l'affranchissement d'un esclave, quels que soient son sexe et sa religion , pourvu qu'il ne soit ni aveugle ni estropié; ou dans la nourriture de dix pauvres une fois seulement , ou dans le sacrifice d'une somme nécessaire pour les vêtir, en leur fournissant pour le moins une chemise et une veste à chacun. Si le parjure manque de moyens pour satisfaire à l'une de ces trois obligations, il doit alors expier sa faute par un jeûne de trois jours de suite. Sur l'article des esclaves, il est à observer que le fidèle ne doit trahir ni sa religion, ni ses devoirs. Il faut que l'affranchissement CODE RELIGIEUX. 287 qu'il leur accorde soit absolu, sans fraude, et dégagé de tout intérêt quelconque. Si l'esclave est une femme, et que ne la possédant plus comme patron il veuille la retenir à titre d'épouse, c'est un procédé contraire à l'esprit de la loi, qui fait évanouir la validité de l'affranchissement, et l'oblige à y suppléer par celui d'une autre esclave. II est même nécessaire , lorsqu'on est dans le cas d'acheter pour cet objet une personne de condition serve , d'en déclarer le motif, et de lui donner sa liberté immédiatement après en avoir fait l'acquisition. Au reste , le fidèle satisfait également à cette loi par le rachat de son père , de sa mère , de son frère , ou de tout autre proche parent, quoique tous réputés libres, en vertu des principes de l'Islamisme , au moment même qu'ils tombent en son pouvoir. Un serment qui pèche par les formes ou qui porte sur une erreur involontaire, est décidément nul , yeminn-laghw, et n'exige aucune expiation ; parce qu'aux jeux de la divinité , c'est l'intention qui détermine la ^nature de toutes les actions des hommes. Mais un faux serment , yeminn-ghamousa j fait à dessein et de propos délibéré , est un péché des plus graves qui doit être expié , non par des aumônes et des abstinences , mais par le repentir, la douleur , et des actes répétés d'une vive et sincère componction. Les sermens sont de trois espèces, réguliers, irréguliers et mixtes. . C. Les premiers sont ceux qui portent sur des objets conformes à la religion et aux lois, comme seroit le serment ou le vœu de ne jamais boire de vin, de ne jamais manquer aux prières canoniques du jour , etc. Les seconds sont ceux qui ont pour but un engagement contraire à la loi; par exemple, de boire du vin, de ne s'acquitter d'aucune prière canonique, etc. De pareils actes obligent le lidèle non-seulement à ne point exécuter son vœu , mais encore à effacer son crime par une peine expiatoire. Les troisièmes sont ceux qui portent sur des choses en quelque sorte indifférentes, et qui n'attaquent ni la religion , ni CODE RELIGIEUX. 289 ni la loi, ni la pureté des mœurs, comme seroit le serment ou le vœu de ne pas saluer ou fréquenter quelqu'un; de ne pas'manger de telle viande , de tel fruit. Ici le fidèle , quoique maître de s'en tenir à son serment, ou non, feroit cependant mieux, dans le premier cas, de l'oublier, et dans le second , de l'observer fidèlement. Un serment ou un vœu quelconque doit être pris dans son sens littéral, dans l'acception ordinaire du mot proféré, ou de la chose qui en fait l'objet, sans lui donner des extensions et des interprétations arbitraires. C. Si donc un homme fait serment de ne jamais mettre le pied dans aucune maison , il ne devient pas parjure en entrant dans une Mosquée et même dans les églises des Chrétiens, et dans les synagogues des Juifs. 11 ne l'est pas non plus s'il se présente dans le portique et même sur le seuil d'une maison quelconque: mais si le serment porte sur une maison indiquée, alors on ne doit jamais ni Tome IV. T entrer dans cette maison, ni monter sur son toit, ni mettre le pied ssur son sol, quand même l'édifice seroit entièrement détruit. L'obligation ne cesse que lorsque le même terrain se trouve converti en jardin, en potager , etc. ou occupé par un autre édifice , Soit particulier, soit public. Si le serment est relatif à la maison même où l'homme se trouve, il est tenu d'en sortir sur le champ, lui et sa famille, avec tout son mobilier; s'il est question de la ville, du bourg, du village qu'il habite, dans ce cas le serment n'engage que sa personne, et nullement sa famille ni ses biens. Si le serment est relatif à l'habit que l'on porte, ou au cheval que l'on monte, on est également tenu de s'en dessaisir à l'instant même. Celui qui fait serment de ne pas manger d'un fruit, d'une denrée, d'un animal, ne s'interdit pas pour cela le même fruit préparé en boisson, la même denrée convertie en pain, ni le lait ou la graisse du même animal. Il en est de même si en montrant un arbre quelconque, un dattier, par exemple, dont les CODE RELIGIEUX 291 fruits portent six noms différens, tous analogues à leur progression successive, talaâ, zilal y bélédihh , bus sur , ritil et témer qui est le dernier degré de leur maturité , on disoit, je ne mangerai jamais de ce ritd j le ritil, devenu témer, fait évanouir ^obligation du serment. Mais il en est autrement s'il s'agit d'un homme ou d'un animal que l'on indi-queroit : si par exemple , on disoit, je ne parlerai jamais à cet enfant, ou je ne mangerai jamais de cet agneau , alors le serment est pour toujours inviolable, sans égard ni à l'âge de l'enfant parvenu à majorité, ni à la nature de l'agneau devenu bélier. Fait-on serment de ne pas boire dans leTygre, dans i'Euphrate, ou dans une rivière quelconque, on ne peut plus y porter la bouche, mais on ^ toujours la liberté de se servir de son eau Par le moyen d'un vase, à moins que le serment «e parle d'une manière déterminée de cette rivière. Il n'en est pas de même si le serment porte sur un puits ou sur une citerne , vu l'impossibilité d'y puiser sans le moyen d'un seau ou d?un vase quelconque. T ij Si un homme fait vœu de répudier sa femme ou d'affranchir son esclave , au cas qu'elle enfante, le vœu devient obligatoire, quand même la femme ou l'esclave accou-cheroit d'un enfant mort : si le vœu est relatif à l'enfant de l'esclave que le patron déclarerait libre par avance, alors son engagement est censé exister jusqu'à l'époque de la naissance d'un enfant vivant. Si un homme s'engage par serment à donner la liberté au premier esclave qu'il aura, cet engagement ne saurait être applicable à aucun des deux esclaves qu'il viendrait à posséder à la fois, ni même au troisième qui passerait depuis sous sa puissance : et si le même serment porte sur le dernier des esclaves qu'il acquerrait , alors il ne devient obligatoire qu'à l'époque de sa mort ; et l'affranchissement de l'esclave le plus récent de sa maison corn* pte du jour de son acquisition : mais si le même patron n'a jamais possédé qu'un seul esclave, dans ce cas son serment devient nul. Si un homme s'engage à remettre en liberté l'esclave qui lui donnerait telle ou telle bonne CODE RELIGIEUX. 293 nouvelle, le premier qui là lui apporterait, auroit seul le droit de réclamer l'émancipation : si deux ou plusieurs esclaves donnent conjointement la nouvelle désirée , alors tous acquièrent un droit égal sur la promesse du patron. Si un homme marié, après avoir fait serment de ne pas épouser une seconde femme, qu'il déclarerait même par avance répudiée, contrevient à son engagement, cette seconde femme, quoique légitime, ne saurait exercer aucun droit légal sur l'hérédité de son mari. Le serment par lequel un homme s'engage à affranchir les esclaves avec lesquelles il cohabiterait , devient exécutoire au moment même qu'il s'approche de toutes celles qui étoient sous sa puissance lors de son serment. Si l'homme qui auroit quatre femmes, déclare en termes vagues l'une d'entré elles répudiée, son serment n'aurait d'effet qu'à l'égard de celle qu'il auroit épousée la dernière. Il en est de même si le patron de plusieurs esclaves déclare libre l'un d'entre eux : l'esclave acquis le dernier auroit la préférence sur les autres. T iij ,Si oWtaf$P&&& serment de ne,jamais s'as~ seoir, :sua: ' terre, il ne le viole'paé en s'y repo-sa n t. sur Am .tapis, ou suri, aine natte : mais si le ser.rrient âYoiti.poûr,objet un siège.bu un lit désigné , lè tapibqù là natte; dont on les eouvriroit ne fèroit point évanouir l'obhga--Uon i;âl moins q[ue;T.ofr*fte. posât sur le siège un second siège,.ou suc le lit un second lit. Le défaut d'exécution d'un serment ou d un vœu par des empechemens légitimes n'emporte pas sa violation, et ne soumet à,rien le fidèle» C. Telle seroit Imposition d'un homme qui, ~^#ès'&Voïr fait serment de ne jamais quitter la Ville qu'il habite, viendrait à être condamnée l'exil. o u\)1j\> tBt»'"!i-."r,>l 9 ;" »io i. > 'jrn'mon'l i Xorsau'un serment ou un vœu. ne pp^le sur aucun temps déterminé :, e'esjt au fidèle. lu iriiiê me à y suppléer ;.par:>4'intention ; faute de quoi , son engagement devient obligatoire pour mWaèd de 5ix mois t GODE RELIGIEUX. 295 C. La loi est la même, si le fidèle, en taisant son vœu, en a indiqué le terme par le mot vague de zémann, qui désigne un certain temps. Selon l'opinion de plusieurs Imams et nommément iïlbn-Abas , cetlé expression présente une continuité de temps assez étendue dont le terme lé plus cçurt est de six mois , et Je plus long de quarante ans. Si le fidèle a parlé d'une manière indéterminée de jours, de mois ou d'années, alors il n'y est tenu que pour trois jours, ou pour trois mois, ou pour trois ans , attendu que c'est le premier nombre du pluriel (i). S'il s'est servi du mot bientôt, caiibéim,\\ s'y engage pour un mois; mais s'il a proféré les mots de siècle i") t\~ • * ;.•>> • ••rw...........■ ~> "z - •• j'.vr.v» ou d'éternel, dchhr, ébed , alors son serment •"«/if*. : ■>■:■> < ; . i .: t'A devient obligatoire pour la vie (s). mi * b h i! m& c" - • ^ f. (1) U faut observer que l'Arabe a le duel. (2) Ici le rédacteur «le Multéca dit ingénuement dans une note séparée , que fini a ni Azam Ebu Ha-n'/é 11 toujours gardé le silence sur huit points relatifs à la doctrine, à la religion et à l'ordre civil t savoir r i°. sur la définition des mots siècle t e.t T iv Ils est des sermens ou des vœux qui, dans certains actes civils,lient le fidèle d'une manière absolue, et d'autres sur lesquels la loi est plus indulgente , lorsqu'il y contrevient, non en personne mais par procuration. C. Les sermens de la première classe sont ceux qui concernent les mariages, les répudiations , les divorces, la punition des esclaves, leur affranchissement, les compositions en matière criminelle,les donations, les aumônes, éternité ; aQ. sur la prééminence entre les anges et les Prophètes ; 3°. sur le sort éternel des enfans morts hors de l'Islamisme ; 4°. sur l'âge requis pour la circoncision 5 5°. sur la qualité monde ou immonde des restes d'une eau bue par un âne ; 6°. sur la pureté ou l'impureté de la chair des vaches , et des animaux qui se nourrissent d'immondices ; 70. sur la légitimité de la vente des chiens et des chats dressés ; et 8°. sur les droits de succession de cette classe d'hermaphrodites en qui la nature n'indique pas d'une manière déterminée le sexe prédominant, CODE RELIGIEUX. 297 Jessacrifices,lesprêts,lesemprunts,la construction desédifices,les dépôts reçus ou confiés,etc: dans tous ces cas qui exigent une action directe et personnelle de la part du fidèle, son serment ou son vœu doit être inviolable. Ceux de la seconde classe sont les ventes, les achats, les baux, les compositions en matière civile, le partage des biens, les actions judiciaires, la correction des enfans , etc : si le fidèle déroge sur ces points à son serment ou à son vœu, non pas en agissant lui-même, mais par l'entremise d'un procureur, il n'est pas absolument soumis à la peine expiatoire, malgré tout ce que son action peut avoir de.blamable aux yeux de la religion et.de la loi. CHAPITRE XII. De Vobligation pour tout Musulman de fuir le vice et de pratiquer la vertu. Il est d'une obligation indispensable pour le fidèle de pratiquer la vertu } et d'éviter le vice , c'est-à-dire, tout 298 CODE RELIGIEUX, ce qui est contre la religion, la loi, l'humanité, les bonnes mœurs et les devoirs de.la société. Il doit sur-tout garantir .son esprit et son cœur de \d ruse, du mensonge , de la censure , delà ipédisance , des injures et des imprécations contre le prochain. n C. Le. mensonge ne peut être toléré que clans les.cas où il y auroit pour but unique le bien ou-davantage de quelqu'un ; comme seroit, par exemple, la réconciliation dç C ODE : R ELIGIE UX. 299 ment aux maximes du Prophète qui dit un jour, que les stratagèmes et la ruse sont famé de la guerre (1). La médisance est un vice honteux. La critique n'est pas défendue si elle est fondée sur l'exacte vérité,et si elle a pour objet la correction de quelqu'un , ou le redressement d'un homme en place qui se livrerait à l'injustice et à la tyrannie. 11 y a même du mérite à censurer de pareilles gens; et plus la critiq"ue:èst sévère, lorsque c'est le zèle, l'humanité et le désintéressement qui l'animent,'plus aussi elle est méritoire aux yeux de Dieu et des hommes. Enfin les injures, les imprécations, sont des emportemens et des excès qui n'attirent que la honte et le mépris sur celui qui s'en rend coupable- Parmi lesv,viçes qui déshonorent l'humanité, on doit comprendre encore Wt^^^^Mh^W^M les stigmates, schem , soTt ati Visage , soit aux bras, (1) El-harb'u VifikmtttfJ. 3oo CODE RELIGIEUX. soit aux jambes ou dans toute autre partie du corps. C. On ne doit jamais mutiler ni défigurer aucun homme, aucun esclave, aucun captif. On ne peut se permettre de couper que les animaux : il est même blâmable pour des Musulmans de se faire servir par des Eunuques. Quant aux stigmates, aucun fidèle ne doit ignorer ces paroles du Prophète : Dieu a maudit et les stigmates et les faux cheveux dans ceux qui en font commerce comme dans ceux qui en font usage (f). OBSERVATIONS. De la charité. Nous avons déjà vu dans le premier volume de cet ouvrage, que les Mahométans se font (2) Lan * allait ul-vassileth v'el-mussteivsilelh v'el~ yasehimcth v'el musslewschimcth. un devoir de sacrifier une partie de leur fortune à des fondations et à des œuvres pies, qui toutes ont pour objet la consolation des malheureux et le soulagement des pauvres : c'est sans doute aux principes de la doctrine Musulmane que l'on doit attribuer ces établissemens charitables. L'humanité, la bienfaisance , l'hospitalité , qui , depuis tant de siècles,font le caractère distinctif des nations soumises au sceptre de l'Islamisme, sont une suite nécessaire des lois qui les régissent. Voici les passages les plus remarquables du Courann sur ces vertus fondamentales de l'homme en société. « 0 croyans ! laites la «< prière, donnez l'aumône ; le bien que vous « ferez, vous le retrouverez auprès de Dieu, « parce qu'il voit toutes vos actions. — Le « fidèle qui aime Dieu doit aussi aimer son « prochain. Il est obligé de secourir ses pai ens", « les orphelins, les veuves, les pauvres, les « voyageurs, les étrangers, les captifs, tous « ceux enfin qui se recommandent à sa cha-« rite. — Faites le bien ; le Seigneur aime « les bienfaisans. — Faites l'aumône > le 3o2 GODE RELIGIEUX. « joins la nuit, en secret, en publie ; vons « en recevrez le prix des mains de l'Eternel. u — O fidèles ! ne perdez pas le mérite de « vos aumônes par le murmure, par l'osten-'« tation ou par l'iniquité. —- Il est bien de « manifester ses bonnes œuvres, mais il est « encore mieux de les dérober aux regards « d'autrui : elles effacent les péchés , parce « que le Très-Haut est le témoin de toutes « les actions des hommes. — Que l'avare ne « considère pas les biens qu'il reçoit de Dieu «comme une faveur , puisqu'ils causeront « son malheur s'il n'en fait pas un bon usage: « les objets de son avarice seront attachés à « son col au jour de la résurrection. — Si tu « t'éloignes de l'indigent, parles:lui au moins « avec humanité. » Ces préceptes qui sont profondément gravés dans l'esprit et dans la mémoire des sectateurs du Cour'ami, les rendent les plus humains et les plus charitables de tous les peuples de la terre. Si, malgré ces vertus, généralement pratiquées parmi eux , ils paroissent encore féroces et barbares aux yeux des étrangers, CODE RELIGIEUX. 3o3 c'est qu'on ne les juge jamais que d'après les rigueurs et les excès qu'ils se permettent en tems de guerre. Il est vrai que le Mahomé-tan , naturellement belliqueux , et ne voyant dans ses ennemis que ceux de sa religion et de son culte , s'abandonne alors à l'impétuosité de son caractère, et aux impulsions du fanatisme ; il ne connoît pas ce droit des gens respecté dansjles camps mêmes, par les nations bien policées. Mais, comme on le verra dans le code militaire, ce n'est pas aux principes du Cour'ann qu'il faut attribuer les excès qui leur sont justement reprochés; ils sont l'effet nécessaire de l'insubordination des troupes, de la férocité du soldat, sur-tout quand il est victorieux , et d'une foule de circonstances absolument étrangères aux lois de l'Islamisme. Ce n'est point dans le tumulte des armes et au milieu des combats que l'on peut juger du caractère des nations. Celles même qui l'emportent sur les autres par leur civilisation et la rigueur de la discipline militaire, peuvent-elles se flatter de contenir toujours la fureur du soldat et d'arrêter ses brigandages ? Si 3o4 CODE RELIGIEUX, donc on veut connoître les Othomans, aprc-eier leurs vertus, et juger de l'influence des lois sur leur caractère et sur les actions qui en dérivent , c'est dans la paix qu'il faut les observer et étudier leurs mœurs* En effet, autant ils sont fiers et cruels les armes à la main, et sur-tout dans l'ivresse des succès, autant ils s'abandonnent aux heureuses impulsions de la nature dans le calme de la paix. Rendus alors à leurs occupations -privées, ces hommes qui se sont permis à la guerre les atrocités les plus révoltantes, ne tardent pas à reprendre leur véritable caractère , qui est la bienfaisance et l'humanité. Ces sentimens qui les animent, s'étendent à tous les individus, et ils sont si profondément gravés dans tous les cœurs, que l'homme en place, qui se montre souvent l'oppresseur des familles opulentes, est tout à-la-fois le soutien de l'indigence et de la misère, et que le citoyen le plus vicieux et le plus avare se fait également un devoir sacré de répandre sans cesse des aumônes dans le sein des pauvres. Indépendamment des biens-fonds et des revenus revenus perpétuels consacrés, par la munificence des Princes et la libéralité des citoyens, à la subsistance des malheureux dans presque toutes les villes de l'Empire, mais principalement à Constantinople, il est peu de Mahométans qui ne se fassent un devoir de distribuer chaque jour des aumônes, et de voler même au secours des malheureux emprisonnés pour dettes , tantôt en pourvoyant à leur subsistance, et tantôt en les libérant de leurs engagemens vis-à-vis de leurs créanciers. Dans toutes les classes de la nation, les pères et mères , les parens , les tuteurs en donnent l'exemple à leurs enfans, et les y accoutument dès l'âge le plus tendre. C'est ainsi que la charité, cette vertu sublime qui élève l'homme si fort au-dessus de lui-même, en faisant taire l'intérêt personnel , l'avarice et la cupidité , pour venir au secours de son semblable, fortifiée d'ailleurs par une hepieuse habitude, ne route plus rien aux Musulmans, et les rend à cet égard bien supérieurs aux autres nations. ^ il faut cependant convenir que ce senti-Tome IV. V 3o6 CODE RELIGIEUX, ment, qui fait tant d'honneur à ces peuples, est souvent la source d'une multitude d'abus. C'est lui qui entretient dans la paresse et dans les vices qu'elle entraîne,cette foule de men-dians qui infestent la Capitale et toutes les villes de l'Empire. Assurés presque toujours de trouver dans la charité compatissante de leurs frères des ressources contre la misère qui les opprime, ils préfèrent une vie oisive et précaire , aux avantages du travail et de l'industrie. Hommes, femmes et enfans , de toute nation et de toute religion, mendient dans les rues, dans les marchés, dans les places publiques et aux portes des temples. , A Constantinople , toutes les avenues des grandes maisons , sur-tout des hôtels et des bureaux,sont bordées à droite et à gauche de ces malheureux ,qui sans lasser la.charité des citoyens , font la honte de l'administration à qui seule il appartient de remédier à ces désordres. Rien de plus commun que de voir un Ministre, un Seigneur, un Officier de marque, arrêtes son cheval au milieu de sa course pour leur faire l'aumône de sa main, ou de celles des gens qui marchent à sa suite. Beaucoup de familles sont encore dans l'usage de nourrir un certain nombre de mendians.On en voit souvent qui pénètrent dans les hôtels publics, jusques dans l'antichambre; et si quelquefois on ne leur donne rien,on les renvoie toujours avec des paroles consolantes , accompagnées de vœux et de bénédictions. On en rencontre enfin par-tout, excepté dans les Mosquées. 11 n'y a jamais de quêtes dans ces lieux, ni pour les pauvres, ni pour le Temple, ni pour ses Ministres : en aucun temps rien n'y trouble l'exercice du culte public. Les prêtres ne sont pas même dans l'usage de quêter, ni chez les Grands, ni dans les maisons des particuliers. Sur cet article, les citoyens ne sont pas soumis à des taxes comme on l'est ailleurs. Chez eux, les aumônes sont absolument volontaires, et cependant, il n'est point de nation où elles soi«flfc plus abondantes, plus désintéressées et plus pures; parce que ce n'est ni la vanité, ni l'ostentation , mais la religion et l'humanité seules qui les inspirent. Les actes de bienfaisance s'étendent jusques sur les animaux : personne ne se permet de les maltraiter. Si même le propriétaire d'un cheval, d'un mulet, d'un chameau, en fait un usage immodéré, les officiers de police ont le droit de réprimer sa dureté, et d'exiger le soulagement de la bête excédée de travail. Chaque jour offre des traits de cette nature, qui font sans doute honneur à la nation. Quoique les lois de la pureté corporelle excluent des maisons toute espèce de chiens, on n'en est pas moins attentif à les nourir et à les conserver dans les quartiers où ils se retirent ordinairement. Une foule de citoyens s'empressent de pourvoir tous les jours à leur subsistance On a un sentiment encore plus marqué pour les chats ; et cela, d'après l'exemple du Prophète, qui, suivant le témoignage de tous les auteurs contemporains, avoit pour eux une certaine foiblesse, les caressoit souvent, et leur donnoit à manger et à boire de sa propre main. Aussi plusieurs dévols se font-ils un mérite d'en entretenir chez eux un certain nombre. La répugnance que la plupart des Mahométans ont pour la chasse, est une CODE RELIGIEUX. 3o9 suite de ces principes. Ils regardent comme une inhumanité criminelle, non-seulement l'action de tuer les animaux, mais encore celle de les priver de leur liberté, sur-tout ceux dont la chair est interdite sur leur table. Plusieurs les achètent et les délivrent ainsi des mains des chasseurs. On voit dans toutes les villes des cages remplies d'oiseaux que l'on vend sous le nom iïazad-couchlery, c'est-à-dire , oiseaux à affranchir, dont les dévots paient la valeur pour les remettre en liberté. §. I I. De la probité. Les Othomans ne sont pas moins recom-mandables par la probité , l'intégrité et la droiture, dont les principes sont si fortement exprimés dans le Courann. La candeur et la bonne foi semblent présider à toutes les relations que l'ordre social établit entre eux. Il n'est pas toujours nécessaire, comme ailleurs, de recourir à des écrits pour engager les ci- V iij toyens les uns envers les autres, et assurer l'effet de leurs stipulations. On peut dire à la louange des Othomans, qu'en général ils sont esclaves de leur parole, qu'ils se feroient scrupule de tromper leur prochain , de trahir sa confiance, de profiter de sa simplicité ou d'abuser de sa candeur. Ce sentiment qui les guide envers leurs concitoyens, est le même à l'égard des étrangers , à quelque religion qu'ils appartiennent. Sur ce point-là , toute distinction du Mahométan et du non-Maho-métan s'évanouit à leurs 3-eux , parce qu'ils regardent tout gain illicite comme proscrit par l'Islamisme, et qu'ils sont fermement persuadés que le bien mal acquis ne prospère à personne , ni dans ce monde ni dans l'autre. Ces opinions, si précieuses pour le maintien de la vertu et de l'ordre social, dérivent essentiellement des préceptes de la loi et de ces belles paroles du Cour'ann : « Ne trom-« pez personne $ remplissez la mesure ; pesez <* avec équité ; soyez vrais dans vos discours, « dans vos sermens , fût-ce contre vous-« mêmes. — Ecartez la fraude de vos conven- » tions et de vos marchés. — Ceux qui dévo-« rent injustement le bien d'autrui, se nour-« rissent d'un feu qui consumera leurs en-« Irai lies. » Aussi r'en n'est-il plus commun dans la bouche des Mahométans que les mots de halalet de h ara m. Le premier indique un bien licite ; le second , une acquisition , ou une jouissance injuste et criminelle. Il est même d'usage chez cette nation , que dans les cas douteux ou dans les causes litigieuses, lorsque les parties en viennent à une composition, soit par l'ordre du magistrat, soit par la médiation de leurs amis communs, celui qui reçoit le prix de l'accommodement, sollicite son adversaire d'en faire le sacrifice de bon cœur, et d'en légitimer la possession parle motdeka/af. Les personnes même les moins scrupuleuses, les magistrats les plus iniques, les officiers qui abusent le plus des devoirs de leur état, rendent également hommage à ces principes, en s'efforçant, par toutes sortes de moyens, d'arracher ce mot de halal aux malheureuses victimes de leur cupidité ce qui prouve tout V iv à-la-fois et l'empire des passions et la force de l'opinion sur l'esprit humain. Ceux des Mahométans qui, plus corrompus que les autres,fouleut ouvertement aux pieds les devoirs que l'honneur et la probité prescrivent, sont assurés là plus qu'ailleurs du mépris et de l'indignation» publics. Nous ne parlons ici que des rapports des citoyens entre eux : ceux du gouvernement avec les sujets seront traités dans le code politique. On y développera les principes d'équité , de droiture , de dignité même qui dirigent la marche du ministère, et l'on y reconnoîtra sans peine que si quelquefois il s'écarte des règles ordinaires et des maximes constantes de son administration , cette conduite n'est jamais l'effet d'une politique artificieuse ou de la mauvaise foi dans ses engagemens, mais celui de la nécessité ou des circonstances impérieuses du moment. Cependant, quels que soient les sentimens de droiture et de délicatesse de cette nation dans les différens ordres de l'Etat, très-peu sont capables de s'élever jusqu'à la hauteur de ces principes sévères de la loi , qui recommande de refuser même les présens de peu d'importance , lorsqu'ils sont faits par une personne suspecte dans sa probité et dans sa vertu. Rien ne peut être comparé à l'avidité des Mahométans : ils sont aussi faciles à recevoir, qu'à faire des aumônes et des largesses. Chez eux on n'attache aucun déshonneur aux dons de l'amitié ou du devoir : ce n'est cependant pas toujours par un mouvement de cupidité que l'on met un prix à ses services; la plupart n'envisagent ces pratiques que comme des devoirs de bienfaisance. Tout ce qui tient aux coutumes est consacré chez ces peu pies i sous le nom d'ade/h ou de canounn , et respecté comme une loi inviolable. Chacun interprète ce principe à sa manière , et toujours conformément à son amour propre et à son intérêt particulier. Si, à une époque quelconque, un Musulman a reçu un bienfait ou une marque de générosité , il s'en fait un droit pour l'avenir, et crie à l'injustice si l'on vient à changer de conduite dans une autre occasion. Personne ne se fait scrupule de faire valoir ses services, d'exagérer les droits de sa charge ou de son emploi, et même de composer , sans pudeur, avec ses subalternes, ses égaux et ses supérieurs. / C'est ainsi que l'usage des présens s'est insensiblement accrédité dans la nation. Toutes lçs circonstances de la vie , les noces , la circoncision, les couches, le départ, le retour, les fêtes de Beyram , les nominations aux emplois , sont autant d'occasions de donner ou de recevoir des pi ésens , ne fût-ce qu'une boite de sucreries, qu'un panier de fruits, ou un bouquet de fleurs. Parmi les personnes distinguées, ces dons sont toujours quelques aunes de draps , des étoffes , des fourrures, des bijoux ; des vases d'or ou d'argent, le linge nécessaire pour le bain, richement brodé, enfin ce qu'ils appellent parmi eux le boghts-chalikj c'est-à-dire, la totalité des étoffés qui entrent dans la composition d'un habit complet : ce nom provient de boghtscha, qui est le sac de taffetas ou* de satin dans lequel on les enveloppe. Les présens qu'on se fait entre amis d égale condition sont purs et désinté- ressés ; ceux des Grands sont reçus comme des marques de distinction et de bienfaisance; ceux des inférieurs ne sont jamais que des actes d'hommage et de respect. §■ III De la pudeur. C'est aux dispositions de la loi sur la chasteté et la pudeur, que les Othomans sont redevables de la sévérité de leurs moeurs publiques et privées. On auroit tort d'attribuer à des usages barbares, à la rusticité de la nation, à la jalousie des maris , ce qui n'a jamais été chez eux que l'effet nécessaire d'une législation morale et religieuse. Sur ce point Mohammed n'a fait que suivre les mœurs de sa nation , mœurs conformes à celles des peuples Orientaux, et dont l'origine se perd dans la plus haute antiquité. On sait que de tout temps les femmes ont été voilées dans l'ancienne Grèce , comme dans les diverses contrées de l'Asie ; et que de tout temps aussi la fréquentation entre les deux sexes y étoit interdite aux citoyens de tous les ordres. Ces mœurs sanctionnées par le Coudann, et surveillées avec la plus grande rigueur, se sont maintenues jusqu'ici de génération en génération chez tous les peuples qui professent la foi Mahométane. La maison paternelle ou celle du mari est une espèce de cloître pour les femmes en général. Delà , cette forme de construction et cette distribution intérieure qu'on a adoptées pour les palais, les hôtels et toutes les habitations, soit à la yille , soit à la campagne. Chaque maison , comme nous l'avons déjà observé, est séparée en deux corps-de-logis : l'un, que l'on nomme sélamlih, et qui répond à Xandrôn ou andronitis des Grecs, est destiné à la demeure du maître, de ses fils et de ses domestiques : l'autre est absolument réservé à toutes les femmes de la maison, épouses, filles , mères , sœurs , tantes, esclaves , etc. Cette partie est consacrée sous le nom de harem, mot qui signifie retraite ou lieu sacré, ce qui annonce que c'est le séjour de la chasteté , et que l'entrée en est interdite à tous les hommes. Sous le mot de harem, qui rentre dans celui de yinaikion ou yinœconilis des Grecs , on comprend non-seulement la demeure des femmes, mais les femmes elles-mêmes , comme sous celui de maison on désigne , dans la langue françoise, et l'hôtel et la famille. Les pièces que l'on ménage quelquefois entre le sélamlih et le harem sont distinguées sous le nom de mabéinn, qui signifie entre-deux ; et ce n'est jamais que le père de famille qui peut en avoir la jouissance. Ou conçoit que cette séparation absolue de la demeure, emporte avec elle une séparation également absolue de toutes les personnes attachées, chacune dans son emploi, au service de la famille. Jamais un domestique, pas même les Eunuques,n'entrent dans le harem: tout le service se fait par des femmes esclaves. Au rez-de-chaussée il y a ordinairement une espèce de parloir d'où la plus âgée donne les ordres de la maîtresse au commissionnaire de la maison. C'est-là aussi qu'elle reçoit, par le moyen d'un tour, que l'on appelle dolab , tout ce qui est nécessaire à l'entretien des dames. Ainsi , à l'exception du maître , personne n'a ses entrées libres dans le harem. Les plus proches parens, tels que les frères, les oncles, les beaux-pères , n'y sont reçus qu'à certaines époques de l'année, c'est-à-dire, dans les deux fêtes de Bejram, et à l'occasion des noces, des couches et de la circoncision des enfans ; encore est-il d'usage qu'ils abrègent leur visite et que les filles esclaves assistent à leur conversation. Ordinairement elles se tiennent en groupe vers la porte de l'appartement , les mains jointes et appuyées sur la ceinture, comme font chez les hommes , les pages, les valets-de-chambre, les laquais. Ces proches parens sont les seuls devant lesquels une femme peut se montrer sans voile. La raison de cette préférence , c'est qu'à son égard ils sont tous à un degré de parenté qui leur interdit le mariage avec .elle. Par une suite de ces principes, la loi les distingue sous le nom de Mahhrém. Tous les autres parens et tous ceux qui sont étrangers à la famille sont appelés Na-Mah- hrém : ce mot signifie que toute communication leur est interdite avec le harem. Jamais une femme ne peut donc paroître devant eux, pas même devant ses beaux-frères, ni ses cousins, qu'elle ne soit couverte d'un voile. Cette loi s'étend jusqu'aux médecins , qui ne peuvent d'ailleurs voir aucune Mahométane qu'en présence de son mari ou de quelques-unes de ses esclaves. II y a plus encore; le médecin ne peut lui làter le pouls que le bras ne soit couvert d'une mousseline. La loi ne se relâche de cette rigueur que dans le cas d'une nécessité absolue ; et alors une femme peut, sans scrupule, se dévoiler, faire voir la langue, les yeux, ou toute autre partie du corps qui auroit besoin des secours de l'art. Ces réserves font que dans beaucoup de harems on n'a ordinairement recours qu'à des femmes qui exercent la médecine. Elles ont peu de eonnoissanees; mais une longue expérience les rend habiles, sur-tout pour les maladies de leur sexe. Ce sont aussi les femmes qui sont chargées des accouchemens, soit au Sérail, soif ailleurs. C'est une profession par- 3îo CODE RELIGIEUX, ticulière , à laquelle plusieurs se dévouent sous le nom d'Ebé-Cadinn qui répond à celui de sage-femme. Le nom même d'accoucheur n'est pas connu clans l'Empire; et si dans les maladies sérieuses, on se détermine à appeler un médecin ou un chirurgien, ce n'est jamais lorsqu'il s'agit de la délivrance d'une femme, quelque pénible et dangereuse qu'elle puisse être. Les secours d'un homme, même dans ces circonstances , seroient regardés comme un opprobre pour toute la famille. D'après ces principes maintenus par-tout avec la plus grande sévérité par une police jalouse de conserver les mœurs nationales, on voit qu'il est presque impossible aux femmes de manquer aux lois de la décence et de la pudeur, si naturelles d'ailleurs à leur sexe. Renfermées dans leur appartement, à peine y respirent-elles un air libre; toutes les croisées qui donnent au-dehors ou sur la cour de la maison, sont garnies de ce qu'on appelle ailleurs si improprement des jalousies. Celles qui ont un jardin n'ont pas même la liberté de s'y promener en tout temps. Pour la leur accorder, accorder, il faut être sûr qu'elles n'y rencontreront jamais les pas d'un mortel. Veulent-elles aller au bain public, voir leurs parentes, faire des emplettes , ou se promener , elles sont toujours accompagnées des autres dames de la maison , suivies de leurs esclaves et gardées par des Eunuques, ou par des domestiques spécialement préposés pour cet objet. Exceptécellesquisontavaneées en âge,aucune ne peut aller à la Mosquée : d'accord avec les mœurs, la loi les en dispense. Les femmes d'un certain rang ne paroissent que très-rarement en public. Il n'est pas du bon ton qu'elles sortent de chez elles, à moins qu'elles n'y soient forcées pour des causes indispensables. C'est pourquoi l'on ne rencontre ordinairement dans les rues que des femmes du commun , mais toujours voilées, observant la plus grande circonspection , et n'adressant presque jamais la parole à personne, pas même aux proches parens qu'elles pourroient rencontrer. Ce seroit le comble de l'indécence pour les hommes d'arrêter leurs regards sur elles ; et si quelqu'un venoit à Tome IV. X s'oublier au point de se permettre un mot équivoque ou quelque liberté à leur égard,rien ne pourrait le sauver des poursuites de la police, et même des citoyens , qui témoins de sa témérité, ont le droit de l'arrêter et de l'as* somer à coups de bâton, en cas de résistance. Par une suite naturelle de ces mœurs, on ne voit jamais dans aucune ville Mahométane des femmes tenir boutique ou magasin,moins encore vendre des effets dans les rues ou dans les places publ iques. Ces différens étals ne sont exercés que par des hommes ; et suivant les réglemens de la police, une infinité de colporteurs vendent dans tous les quartiers des comestibles et des marchandises de tout genre. Par ce moyen les familles peu aisées, toutes celles qui n'ont point de domestiques , ont la facilité de s'en pourvoir chaque jour , sans sortir de leur maison. Ce n'est pas cependant que des femmes d'un certain âge, et qui font le métier de brocanteuses , ne parcourent la ville ; mais elles se gardent bien de rien vendre en public : ce n'est que dans les Harems qu'elles ont la permission d'entrer pour four- CODE RELIGIEUX. 8%3 hir tout ce qui est nécessaire à l'entretien des dames et de leurs esclaves. Ainsi chaque famille vit absolument isolée, et dans chacune encore nulle communication entre les deux sexes. Tel est l'empire de ces usages, qu'un mari n'a pas la liberté d'entrer dans l'appartement de sa femme lorsqu'elle reçoit la visite d'une amie, à moins qu'une raison quelconque n'y rende sa présence absolument nécessaire ; et alors il est tenu de se faire annoncer, pour que la dame étrangère ait le temps de reprendre son voile et de paroitre à ses yeux avec la décence requise par la loi. Le souverain lui-même n'oseroit se dispenser de cette obligation , parce qu'il est tenu , plus encore que les particuliers, à donner des exemples de vertu, et à respecter tout ce qui tient aux mœurs publiques de la nation. Nous avons déjà dit que les hommes raan-geoient rarement en société, et seulement avec leurs parens très-proches ou leurs amis intimes. Le genre de vie parmi les femmes est plus austère encore : privées de la société des hommes, elles n'ont pas même, pour s'en X ï, dédommager, la liberté de se voir et de former entre elles des liaisons : elles ne eon-noissent ni les visites d'amitié, ni celles de la bienséance ou du devoir. Aucune dame n'est tenue de se faire présenter au Harem d'un Grand , d'un Seigneur de la Cour , pas même à celui du Grand-Fézirj et si les femmes des principaux Ministres vont quelquefois rendre leurs hommages à celles du Monarque, ce n'est jamais qu'à la suite d'une invitation formelle , et à l'occasion de la naissance d'un Prince ou d'une Princesse de la maison souveraine. Nous renvoyons les détails de cette étiquette à l'article du Sérail , qui est une des parties les plus intéressantes du code politique. L'intimité la plus parfaite entre les maris n'influe en rien sur leurs Harems respectifs. Il n'est pas même reçu parmi eux qu'un homme parle de ses affaires domestiques, et demande à son ami des nouvelles de sa femme ou de sa fille. Les bains publics sont presque les seuls endroits où les femmes aient occasion de se voir et de converser entre elles, mais CODE RELIGIEUX. 325 ces liaisons éphémères ne s'étendent pas p]us loin. Il faut des circonstances très particulières pour qu'une dame en reçoive une autre chez elle. Cette liberté n'est ordinairement accordée qu'à la femme ou à là proche parente d'un homme attaché depuis long-temps au service de la maison. Dans les Etats Musulmans les femmes n'ont d'autres ressources que celles de voir et de visiter leurs parentes , et comme ces visites ne peuvent pas se répéter souvent, on s'en dédommage ordinairement par une demeure de quinze ou vingt jours. Une femme, suivie de ses enfans en bas âge et de quelques-unes de ses esclaves, va passer quelques semaines chez sa mère, sa sœur, sa tante, sa cousine, sa belle-mère , sa belle-fille. Elle n'est pas moins empressée de les recevoir à son tour. Beaucoup de familles vivent ainsi presque toute l'année alternativement les unes chez les autres, sur-tout lorsqu'elles sont unies par les liens du sang. Ce sont autant de fêtes qu'elles se donnent, et où régnent toujours l'innocence , la candeur et l'union la plus X iij parfaite. La gravité naturelle de la nation, ce respect profond qui accompage chez elle toutes les démarches envers les personnes d'un âge plus avancé ou d'un rang supérieur, maintiennent rigoureusement l'ordre et les devoirs de bienséance dans toutes les sociétés de l'un et de l'autre sexe. On conçoit aisément que ce genre de vie qui concentre les femmes Mahométanes dans le sein de leur famille, doit leur donner plus d'éloignement encore pour la société des femmes étrangères à leur culte. Les préjugés qui naissent de la religion et de la politique se réunissent encore pour fortifier ces mœurs nationales. Celles qui parviennent à s'introduire dans les Harems n'y sont jamais reçues qu'en qualité de marchandes : en effet, la plupart ne s'y présentent que pour vendre des joyaux, des étoffes précieuses ou le produit de leur industrie , comme des chemises de soie, des mousselines , des toiles, des broderies , etc. Si des Grecques d'un état distingué recherchent quelquefois les occasions de pénétrer dans les Harems des Grands , c'est toujours dans Ja vue de solliciter pour leur famille la protection de ces dames auprès de leurs maris. Les unes n'y parviennent que par des dons ou des promesses magnifiques, les autres par l'intérêt qu'elles inspirent sur leur situation , en faisant assidûment leur cour, et en employant le manège, l'artifice, et trop souvent les complaisances les plus humiliantes. La curiosité seule engage quelquefois des femmes Européennes à rechercher les moyens d'y entrer ; mais alors elles sont obligées de prendre le costume des marchandes de modes, et de les suivre en cette qualité dans les maisons des Grands. Ce travestissement ménage î'amour-propre de ces femmes qui ne veulent pas être reconnues, et met à leur aise les dames du Harem qui sont dispensées par là de se gêner avec elles. La différence du langage, la difficulté de se rendre dans des quartiers éloignés, à pied ou dans les voitures uicommodes du pays, les dangers de la peste qui ordinairement désole la Capitale pendant sept ou huit mois de l'année, l'impossibilité X iv où sont les Musulmanes de rendre les visites qu'on leur fait , sont de nouvelles entraves qui ajoutent encore à celles que présentent sur ce point les mœurs et tes préjugés. Quant au Sérail, il est impossible d'y pénétrer : aucune Européenne , aucune Ambassadrice ne peut se flatter d'avoir réussi dans ses tentatives à cet égard. Il n'y a pas plus de société parmi les hommes que parmi les femmes,sur-tout entre les Mahométans et les non-Mahométans : cette barrière qui dans Tordre civil sépare la nation dominante de toutes les autres, n'est point l'ouvrage de la loi. Si l'on y voit des passages capables d'inspirer de la répugnance pour toute liaison intime avec les peuples qui ne reconnoissent pas l'apostolat du Prophète, il en est d'autres qui tempèrent ce sentiment et n'attachent à ce commerce aucune idée de profanation. L'exemple de Mohammed qui fréquentoit et même visitoit les Hébreux et les Païens de son temps, et l'article de sa doctrine qui permet le mariage des Musulmans avec des Chrétiennes ou des Juives, sont sans doute suffisans pour combattre avec succès toutes les opinions contraires. Mais elles ont prévalu sur les esprits vulgaires, et le fanatisme les entretiennent dans presque toutes les classes de la Monarchie. C'est de là que naissent et cette haute idée que les Musulmans ont d'eux-mêmes, et ce sentiment dédaigneux qu'on leur inspire dès la plus tendre enfance pour toutes les autres nations. Les Européens établis dans l'Empire ne se ressentent pas moins que les sujets tributaires, de ces opinions funestes. L'ignorance où ils sont presque tous de la langue, le contraste frappant de leurs mœurs avec celles du pays, leur qualité même d'étrangers , sont autant de motifs qui fortifient ces préjugés et ces réserves auxquelles sont tenus envers eux tous les nationaux, et principalement les Grands, les Ministres, et les officiers en place. Les Othomans les plus instruits ne seroient cependant pas éloignés de fréquenter les Chrétiens et de vivre avec eux. Mais si, dans leur particulier, ils sont maîtres de s'élever au-dessus de ces préventions générales , ils ne 33o CODE RELIGIEUX, peuvent que les respecter aux yeux du public. Une fois liés ou d'intérêt ou d'amitié avec un non-Mahométan, soit regnicole, soit étranger, il n'est point d'honnêtetés qu'ils ne lui témoignent, lorsqu'ils sont en société privée : ils ne se font pas même scrupule de l'admettre à leur table, et de se livrer à tous les épanche-mens de l'amitié. Mais survient-il un national, ils ne sont plus les mêmes ; ils reprennent alors leur gravité ordinaire, et avec elle,cet air de protection et de supériorité qui les caractérise. Jamais on ne voit un Ministre, un officier public , un commerçant, un citoyen quelconque que pour affaires. L'intérêt des uns ou des autres les met à portée de se voir , et de suivre l'objet qui les rapproche ; du moment que cet intérêt cesse, la liaison s'évanouit. On ne connoît pas dans ces contrées l'usage de présenter un étranger dans une maison Maho-métane. Les ambassadeurs eux-mêmes ne sont pas sur ce point plus privilégiés que les autres. Ce qu'en Europe on appelle cour, n'existe pour eux à Constantinople , ni chez le Sultan, ni chez le Grand- Vézir. Après la première audience qu'ils reçoivent pour présenter leurs lettres de créance, ils n'ont plus occasion de voir ni le Souverain, ni les Ministres, ni aucun autre Grand de l'Etat : ils suivent leurs affaires par le moyen des secrétaires-interprètes; et ce n'est que pour des objets importans qu'ils ont quelquefois des conférences particulières avec le Réïs-Efcndj> Ministre au département des affaires étrangères, ou avec quel qu'autre Seigneur de la cour. Le travail , l'éducation des enfans et les soins du ménage font tout le bonheur des femmes Mahométanes. Il n'y en a point, quelle que soit sa naissance ou son rang, qui ne passe une grande partie de la journée à filer, à coudre, a broder. Toutes les mères, eh général, sans en excepter les Sultanes , nourrissent elles-mêmes leurs enfans. Le chagrin le plus violent qu'elles puissent éprouver, c'est lorsque la nature les oblige à les confier aux soins mercenaires d'une autre femme. Dans ce cas même, elles ne les font jamais sortir de la maison paternelle : c'est toujours sous leurs yeux qu'ils sont nourris, soignés et élevés. Dans cette nation, rien de plus heureux que l'état d'une nourrice. Ce sont pour la plupart de jeunes esclaves qui obtiennent dès le premier jour leur affranchissement. On les appelle sud-ana, qui veut dire, mère de lait. On a pour elles les plus grandes attentions, parce qu'on les regarde alors comme incorporées à la famille. Cette opinion dérive des principes de la loi qui interdit toute alliance entre les proches parens des deux parties , ainsi qu'on le verra dans le code civil. Les mères partagent avec les nourrices tous les soins que la nature et la raison exigent en faveur des enfans. Ils restent communément emmaillotés huit ou dix mois , et on ne les sèvre d'ordinaire que lorsqu'ils en ont douze ou quatorze. Un berceau est destiné à chaque enfant. C'est-là qu'on l'endort, qu'on le tient même une grande partie du jour. Ces berceaux , que l'on appelle beschik , sont plus ou moins artistement travaillés : quelques-uns sont de bois de noyer ou de noisetier ; les maisons opulentes les font garnir de nacre de CODE RELIGIEUX. 333 perle et de lames d'argent : tous ceux des Princes et Princesses de la maison Othomane sont enrichis d'or et de pierreries. L'éducation des enfans se fait dans la maison paternelle. On sait que chez les Mahométans il n'y a ni pensions pour les hommes, ni couvens pour les femmes. Les filles de tout état et de toute condition sont élevées dans le sein même de la famille : elles n'ont ni maîtres, ni instituteurs. La danse , ni la musique n'entrent dans l'éducation de l'un et de l'autre sexe. Le catéchisme et les préceptes de morale sont les seuls objets d'instruction pour les filles, et ordinairement c'est la mère ou une parente, ou des femmes esclaves les plus instruites qui s'acquittent de ce devoir. Quelques-unes apprennent aussi à lire, mais il est rare qu'on les forme à l'écriture. Ces premiers soins de leur enfance sont suivis de ceux qu'entraîne leur établissement. Les mères s'en occupent de très-bonne heure. Comme il n'est jamais question chez ces peuples quelle mariages de convenance, ils sont toujoure ménagés par les parens des deux 334 CODE RELIGIEUX, partis. Les filles sont ordinairement promises très-jeunes, à l'âge de trois ou quatre ans; et à peine .en ont-elles douze ou quatorze qu'elles reçoivent la bénédiction nuptiale. Dans aucun cas le nouvel époux ne peut voir sa femme qu'après cette cérémonie. Le père ou le tuteur naturel de la fille est le seul qui ait droit de choisir un gendre; et la mère ou à son défaut la plus proche parente du garçon, est aussi la seule qui ait la liberté d'aller voir la fille; c'est sur son rapport que le père se décide. Jamais la fille ni aucune femme n'assiste à la solennité du mariage : il se fait par procureurs ; et les parens des deux maisons signent le contrat avec l'Imam de la Mosquée , en présence de trois ou quatre amis , qui servent de témoins. Les noces se célèbrent dans les deux familles avec une gaieté qui n'a rien débrayant. Les deux sexes ne se trouvent jamais ensemble ; les hommes sont dans leur séiamlikj les femmes dans leur harem. Si la nouvelle mariée est trop jeune ou d'une foible santé , elle reste encore plusieurs mois renfermée chez elle ou chez sa CODE RELIGIEUX. 335 belle mère et ne voit son mari que le jour, ou pour mieux dire, au moment même que l'on juge à propos de la conduire au lit nuptial. Cette sollicitude des pères et dés mères pour l'établissement de leurs filles ne se borne pas au premier mariage. Sont-elles veuves ou répudiées , ils se croient plus obligés que jamais de leur chercher un nouvel époux, à moins qu'elles ne soient déjà d'un âge avancé. En général toute femme se fait un point de religion de vivre constamment dans l'état de mariage: tous ceux qui lui appartiennent par les droits de la nature se croient également obligés de concourir a son établissement; et si, n'étant pas sous le joug et la surveillance d'un mari, elle venoit à blesser son honneur et sa vertu, ils se regardcroient comme coupables de ce crime. Tel est le respect de ces peuples pour le mariage que le célibat d'une femme encore en âge de remplir tous les devoirs de la société conjugale leur paroît une transgression perpétuelle de la loi. « L'union de deux époux , disent-ils, est un 336 C ODE RELIGIEUX. » vœu ordonné par le ciel et prononcé par la « nature. Nul homme et nulle femme n'ont « le droit de s'écarter de cette vocation géné-« raie et de se refuser à une institution qui « a pour but important la propagation de « l'espèce humaine. » Delà , cette douleur accablante des femmes frappées de stérilité , et les espérances consolantes de celles qui sont chargées d'enfans, quoique accablées de misère. Plus une femme est féconde, et plus elle ajoute à ses droits sur le cœur de son mari et sur l'estime du public. C'est ainsi que les femmes Mahométanes, soumises dès leur enfance à l'empire de ces mœurs, ne connoissent ni la liberté, ni la dissipation , ni les plaisirs tumultueux de sociétés Européennes. Accoutumées par là sans effort et sans contrainte , à la retraite , à la|vie intérieure,et aux soins domestiques, elles ne peuvent jamais faire aucune de ces comparaisons affligeantes qui inspirent des désirs et remplissent la vie d'amertume. Comment en effet pourroient-elles déplorer leur condition et envier le sort des femmes étrangères? elles ignorent Ignorent ce qui se passe hors de chez elles, puisqu'elles n'ont ni les ressources de la lecture , ni celles de la conversation. Comme les hommes, elles ne parlent que leur langue, et il n'existe pas dans tout l'empire un seul ouvrage national qui traite des coutumes des peuples étrangers. On ne peut pas se dissimuler que ces usages qui rendent les femmes Mahométanes; si re-commandahles dans l'intérieur de leurs familles et si précieuses aux yeux de leurs maris, ne les privent de ces ressources multipliées, et de ces agrémens qui, chez les autres nations, rendent plus piquans encore les attraits de ce sexe enchanteur; cependant, malgré le peu de soin que Ton prend pour orner leur esprit et ajouter à leurs avantages extérieurs, il ne faut pas croire qu'elles soient dépourvues de grâces et d'enjouement. La nature, si libérale à tant d'égards dans presque toutes les contrées de l'Orient , s'est plue à douer les femmes, comme les hommes, d'une sagacité singulière, et d'une sorte de délicatesse qui fait oublier en elles les torts de leur éducation. Tome IV. Y Elles ont tin maintien noble et honnête, des manières aimables, une conversation simple, naïve et gracieuse. Tel est du moins le témoignage constant de toutes les femmes chrétiennes qui ont occasion de voir et de fréquenter les harems des Othomans; et certes, il ne peut être suspect. J'ai moi-même rencontré plusieurs fois des dames de tous les états, chez des Ministres, des Seigneurs, des Magistrats; et j'ai été étonné de la pureté de leur langage, de la facilité de leur élocution, de la finesse de leurs pensées, du ton noble de leur conversation , et des grâces dont elles l'assaisonnent. Ce n'est jamais que pour des intérêts de famille qu'une femme se présente chez un Magistrat, chez un officier en place ; et ordinairement ce sont des veuves, ou des femmes d'un certain âge. Elles n'ont pas besoin de demander audience, moins encore de se faire annoncer; dès qu'elles paraissent dans l'antichambre , les pages les font entrer , et elles , exposent publiquement les motifs de leur visite. Lorsqu'elles veulent parler en secret, elles s'approchent du maître de la maison et baissent la voix. S'il arrive que le Ministre soit seul dans son appartement, il est d'usagç alors que les valets-de-chambre et les pages se tiennent vers la porte , rangés en file , comme pour être les témoins de ce tête-à-tête. II faut qu'une dame soit d'un rang très-distingué pour qu'un Magistrat ou un Ministre se lève pour la recevoir et l'invite à s'asseoir sur le sopha. Ordinairement elles restent debout, et vont même, sans que leur délicatesse en souffre, jusqu'à lui baiser la main ou la robe , avec cet air de respect qui est dû à tout homme en place. Quoique toujours voilées, les officiers qui les reçoivent fixent rarement les yeux sur elles; mais ils les écoutent attentivement; et dans leurs réponses, ils ont toujours pour elles ces égards que la bienséance et leur pudeur semblent recommander à tous les hommes. Plus nous faisons connoître ces usages qui contrastent si fort avec ceux des autres nations, plus ils donnent matière sans doute aux réflexions et à l'étonnement des Européens. Y ij C'est ( et nous Favons déjà dit ) à cet état de solitude où vivent les femmes chez tous les peuples Musulmans ; c'est à celte privation constante des douceurs et des agrémcns qui naissent d'une communication mutuelle entre les deux sexes, que les Mahométans doivent l'austérité de leurs mœurs ; et s'ils ne con-noissent pas les jouissances attachées à ces liaisons de société, du moins n'ont-ils pas le malheur d'éprouver les amertumes et les remords qu'elles entraînent si souvent à leur suite. Les Othomans font consister leur bonheur dans le calme de la vie,dans la paix intérieure, dans la douceur des plaisirs simples et honnêtes. Toutes les autres jouissances présentent à leur imagination un intérêt trop foible pour exciter dans leur ame des désirs inquiets. La seule chosequi affecte les femmes,qui altère leur bonheur, et empoisonne souvent le cours de leur vie, c'est de se voir condamnées, par La loi même , à supporter dans le silence , le partage du camr et de la fortune de leurs époux. Comme la religion permet à tout CODE RELIGIEUX. 341 Mahométan d'avoir jusqu'à quatre femmes, et même de cohabiter avec ses esclaves, plusieurs en usant de ce privilège rendent malheureuses toutes les femmes de leur Harem, et particulièrement celles qui y ont été admises les premières. Il est difficile en effet à celles-ci de voir sans jalousie , sans dépit et sans trouble, ou de nouvelles compagnes, ou leurs propres esclaves devenir leurs rivales, et partager avec elles, quoique d'une manière légitime, leurs droits sur le cœur d'un patron ou d'un mari commun. Malgré ces dispositions de la doctrine et des lois , si favorables aux hommes , et si fâcheuses pour le repos des femmes, la polygamie n'est pas aussi commune qu'on pourrait se l'imaginer. Peu de Mahométans ont deux femmes, et il est rare de voir un Seigneur donner sa main à quatre à-la-fois. Le défaut de moyens pour les entretenir, la crainte de troubler la paix domestique, la difficulté de s'allier avantageusement, et le scrupule que se font les parens de donner leur fille à une personne déjà mariée, sont autant d'obstacles Y iîj 342 CODE RELIGIEUX, qui restreignent , sur ce point, l'indulgence des lois. Il arrive encore assez communément qu'un homme n'obtient la main de son épouse que sous la condition expresse de n'en pas prendre une seconde, tant que subsisteront les liens de leur mariage. Ceux qui ont plusieurs femmes ne les obligent jamais à vivre ensemble : elles ont ordinairement , chacune dans le Harem, leur appartement, leur table, et un certain nombre d'esclaves attachées à leur service. Mais il est rare qu'une seconde ou une troisième femme loge séparément dans un autre hôtel, Hamad-zadé Mourad Molla, dans la famille duquel on compte plusieurs Mouphtjrs, qui lui-même s'éleva jusqu'au grade de Cazi-asker, et qui, par ses imprudences et ses dérégle-menSp encourut la disgrâce du Sultan Abd'uU Hamid 1, dans les commencemens de son règne, fut de tous les Grands de l'Empire le seul qui eut quatre femmes, chacune dans un hôtel particulier, sans compter une multitude de jeunes esclaves qu'il entretenoit encore chez lui et dans ses différentes maisons de campagne. Quoiqu'il n'y eût dans sa conduite rien de contraire aux préceptes de la religion, il n'en fut pas moins en butte pendant toute sa vie aux censures du public, scandalisé de voir ces excès de luxe, d'ostentation et de volupté dans un des premiers membres du corps des Oulémas. Les citoyens peu opulens n'ont jamais qu'une femme ; et ceux qui Je sont assez pour acquérir une ou deux esclaves ont ordinairement soin de les choisir d'un certain âge , pour ne point donner d'ombrage à leurs femmes, et pour maintenir la paix dans leur intérieur. Il y en a beaucoup qui ne se marient jamais, et qui préfèrent de vivre avec de jeunes esclaves qui leur appartiennent. C'est à tort qu'en Europe on içs appelle concubines, puisque la cohabitation du patron avec elles est permise, et que les enfans qui en naissent sont aussi légitimes que ceux de la femme que l'on épouse. Nous ne pousserons pas plus loin nos observations sur ces objets relatifs à l'état social des femmes et des esclaves; ils appartiennent Y iv 344 CODE RELIGIEUX, au code civil où ils seront traités dans le plus grand détail. 11 ne s'agit ici que des mœurs publiques, et de cette attention scrupuleuse des Mahométans à écarter toute communication entre les deux sexes. On ne doit pas croire que les villageois jouissent de plus de liberté. Le Mouphtj Behhdjé Abd'ullah Ffrndy s'explique à cet égard d'une manière également précise et sévère. Il dit dans ses Fethwas que la fréquentation des deux sexes n'est pas plus permise dans les campagnes que dans les villes; que les femmes doivent éviter par-tout la société des hommes ; qu'elles ne doivent ni se promener, ni causer, ni folâtrer avec eux; qu'elles doivent s'interdire tout repas et tout amusement commun ; que le juge du lieu doit veiller sans relâche au maintien de cette police , prévenir tout scandale, et réprimander fortement les hommes et les femmes qui ose-roient contrevenir à ces dispositions de la loi; que si un Imam ou tout autre Ministre de la religion,ou même quelqu'un de leur famille, commettoit de semblables prévarications , il doit être destitué sur-le-champ, comme n'étant plus digne d'être l'organe des lois , et le Ministre du culte; qu'enfin si un Maho-métan , quel que fût son rang ou son état, s'avisoit de protéger de pareils désordres, ou de les regarder comme des choses innocentes, par ce procédé seul il se rendoit coupable d'infidélité, encourrait la peine d'une réprimande en justice, et seroit encore obligé de renouveler sa profession de foi et la célébration de son mariage. AbcPullah Ejèndj va jusqu'à prononcer la sentence de mort contre un aussi mauvais Musulman , si après une première correction faite par le juge,il.avoit l'audace de prévariquer de nouveau ou par ses opinions ou par ses négligences. L'austérité de ces mœurs est universelle, et forme le caractère distinctif de ces peuples. On n'en excepte que quelques tribus nomades dont la vie est toujours errante et vagabonde. Parmi les différentes hordes de Tatars, les Noghaïs sont presque les seuls qui accordent une certaine liberté à leurs femmes : elles n'y sont point voilées comme ailleurs ; 346 CODE RELIGIEUX, elles peuvent s'immiscer dans la conversation des hommes, participer à leurs plaisirs , assister à leurs banquets. Aussi tous les autres Mahométans , ceux même qui sont les plus relâchés , les regardent-ils comme des prévaricateurs , des hétérodoxes, des infidèles et ils se feroient scrupule de s'allier avec eux. D'après l'empire de ces opinions, on conçoit à quel point il est difficile chez les Mahométans de former des intrigues amoureuses. Vivre avec une maîtresse, entretenir un commerce criminel avec une femme ou une fille sur laquelle on n'a pas un droit légitime , sont des désordres inconnus aux Mahométans. Il n'arrive même jamais qu'un mari se permette la moindre liberté avec l'esclave de sa femme , à moins que celle-ci ne lui eût cédé tous ses droits de propriété sur elle. La loi est si impérieuse sur l'article de la chasteté, que, selon les Fetluvas à'Abd'ul-lah Efendy, une femme qui se verroit exposée à la brutalité d'un homme , doit faire tous ses efforts pour lui arracher la vie, et employer s'il le faut le poison, plutôt que de prostituer son honneur. Même disposition en faveur de la femme contre son mari, qui, après s'être séparé d'elle par trois actes de répudiation articulés verbalement, nieroit le fait, et voudrait user des droits matrimoniaux qui n'existent plus pour lui. Ce Moitphty déclare encore, dans le recueil de ses FctlnvaS) que si un homme surprend sa femme en adultère avec un étranger et les tue tous deux, il est à l'abri de toute poursuite judiciaire , et ne perd pas même ses droits sur l'hérédité de sa femme, quoique devenu son meurtrier. Telle est la sévérité des mœurs Mahomé-tanes, qu'une femme, pour peu qu'elle soit suspecte dans sa conduite, devient l'objet du mépris universel. Le soupçon seul couvre d'opprobre le mari et toute la famille. Les voisins, tous les habitans même du quartier, se croient également déshonorés. Aussi ont-ils le droit de faire observer la maison suspectée, et même d'exiger que la garde, accompagnée d'un Imam } la force et y fasse des perquisitions. Dans ces cas , la présence d'un étranger dans le Harem est suffisante pour justifier le soupçon. On arrête les coupables : la femme est conduite et gardée chez Yljîiam jusqu'à ce que le mari, le père , le tuteur ou le Magistrat ait prononcé sur son sort : l'autre est puni suivant la loi ; et quand même les preuves ne seroient pas complètes pour être condamné juridiquement, il ne recouvre sa liberté que par le sacrifice d'une partie de sa fortune , et le plus souvent par la perte entière de sa considération. Si donc, par une circonstance extraordinaire , une femme vient à concevoir une passion criminelle , les verroux, et tout ce qui l'entoure, soit chez elle, soit hors de chez elle, sont autant de chaînes qui la captivent et qui ajoutent à ses tourmens. Quant aux femmes publiques , on aura peine à croire que ni à Constantinople, ni dans aucune grande ville de l'Empire, il n'en existe peut-être pas quarante , parmi les Mahométans ; encore sont-elles des dernières classes du peuple , et ce n'est que par un excès de misère qu'elles se vouent à la prostitution. Ce sont elles qui ordinairement vont chercher les célibataires, mais avec toutes les précaur tions que la prudence exige pour se dérober aux recherches inquiétantes des Officiers de police qui ont toujours les jeux ouverts sur les délits de cette nature. Cette vigilance du gouvernement est cependant moins sévère à l'égard des femmes qui ne professent pas l'Islamisme : elles s'établissent dans les quartiers les plus éloignés, et chaque année elles achètent la protection tacite des suppôts de la police : obligées de garder tous les dehors de la décence, elles ne reçoivent communément que des gens de leur nation. Il est rare que des Musulmans recherchent leur connoissance. D'ailleurs on ne voit ces femmes qu'à la dérobée et pendant le jour : la nuit on est souvent exposé aux poursuites de la garde. Sur ce point, comme sur tous les autres qui ont rapport aux mœurs publiques , la conduite des officiers subalternes est toujours déterminée par le caractère plus ou moins ferme des chefs de l'administration. Dans la Capitale , c'est YJgha des Janissaires et le 34o COPE RELIGIEUX Bosiand/j'Buschj qui remplissent les fc-ne*. tions de lieutenant de police, l'un dans la cité, l'autre hors de la cité: tous deux sont subordonnés au Grand- P^ézîr, comme chef suprême de tous les départemens, en sa qualité de Premier Ministre et de Lieutenant-Général de l'Empire. Les annales de la Monarchie présentent par-tout des traits eff'rayans de la sévérité du gouvernement envers ces malheureuses victimes du libertinage et de la misère î en voici un des plus remarquables et des plus révoltansj il est tiré de l'histoire de Hassan Béizade\ Sous le règne de Suleymann I, le Grand» Vèzir Louriify Pascha, Ministre d'ailleurs jrès'habiie, très-vertueux , et d'un grand caractère , déployoit toutes les rigueurs de la loi et de son autorité contre les femmes dé-<^r,, bauchées. Un jour, il alla jusqu'à ordonner 1540. qu'une Mahométane , surprise au milieu de ses débauches , fût mutilée à coups de rasoir dans une partie du corps que la pudeur ne permet pas de nommer. L'indécence et la bar* barie de cette punition révoltèrent tous les esprits. Louthjj Pascha étoit marié à une Sultane, sœur de son maître. Cette Princesse indignée lui en fit les reproches les plus vifs et les plus amers. Ne devois-tu vas, lui dit-elle , respecter la pudeur P Comment as-lu pu inventer un supplice aussi cruel et aussi flétrissant P II est j ait pour le crime, répondit le Vézir , et désormais il sera la peine que l'on infligera à toutes celles qui se déshonoreront au mépris de la religion et des lois. A ces mots la Sultane l'accabla d'injures : elle le traita d'impudent, de barbare, de tyran. Transporté de colère , le Ministre met la main sur une masse d'armes, et se précipite sur elle : aux cris de la Sultane , les filles esclaves et les Eunuques préposés à sfe garde , volent à son secours, et chassent à coups de poing le Vézir de l'appartement de leur maîtresse. Un événement si extraordinaire entraîna la perte de Louthjj-Pascha. Sulejmann I blâma hautement sa conduite, ordonna sa séparation d'avec la Sultane, le dépouilla de sa dignité, et l'envoya en exil à Démotica, où il termina ses jours. Ce genre de supplice imaginé par Louthfy. Pascha disparut avec lui ; mais le fouet et une longue prison sont encore aujourd'hui les peines les plus ordinaires infligées aux femmes de mauvaise vie. On est encore plus rigoureux envers celles qui se laissent surprendre après une première ou une seconde correction. On les lie dans un sac, et on les jette dans la mer, comme des êtres indignes de retourner à la terre qu'ils ont souillée par leurs crimes. Dans les cas d'un double adultère, la loi condamne et l'homme et la femme à la lapidation; et tout Chrétien, qui auroit eu un commerce criminel avec une Musulmane , est obligé non-seulement de l'épouser, mais encore de changer de religion. S'il s'y refuse , ou s'il a commis le crime avec une femme mariée, la loi lui décerne irrémissi-blement la peine de mort. Tout concourt ainsi chez les Mahométans, et les lois , et la police, et l'opinion, à opposer des barrières insurmontables à la plus effrénée de toutes les passions. Mais la nature, toujours impérieuse dans ses besoins et plus exigeante CODE RELIGIEUX. 353 exigeante encore dans les climats ardens , s'égare quelquefois dans ses voies , et précipite l'un et l'autre sexe dans des crimes encore plus abominables. D'abord la rigueur avec laquelle on poursuit la débauche , dans un pays où il n'existe aucun hôpital pour les enfans trouvés, engage les femmes qui sacrifient leur honneur, à se permettre tous les moyens capables de prévenir les indices de leur inconduite. Les unes ont recours à divers breuvages que l'on croit propres à frapper le sexe de stérilité, et les autres font usage des remèdes les plus violens dans les premiers jours de leur grossesse. Si ces moyens sont insuffisans , elles étouffent alors dans leur ame le cri de la nature, et immolent à leur sûreté le triste objet de leur opprobre. Les femmes qui ont des passions vives, et ceux des hommes qui, par état ou par défaut de moyens , sont obligés de garder le célibat, se permettent également , chacun dans son genre, des excès non moins criminels. Depuis quelque temps cette dépravation gagne insensiblement toutes les classes; et aujourd'hui Tome IV. Z 354 CODE RELIGIEUX. ou voit des citoyens illustres, des personnages respectables par leur rang, des hommes qui conservent tous les dehors de la vertu et* de la piété, des officiers enfin qui entretiennent les Harems les plus nombreux, sacrifier leurs devoirs envers leurs femmes et envers leurs esclaves légitimes, à un goût abhorré par la nature et réprouvé par la loi. §. I V. Des devoirs de société. L'état de retraite perpétuelle où vivent les Mahométans, leur gravité naturelle, la simplicité de leurs mœurs, et cette subordination rigoureuse qui règne dans tous les ordres de l'Etat, suite nécessaire de la constitution d'un gouvernement despotique, leur rendent faciles tous les devoirs auxquels ils sont soumis par la loi , et en maintiennent constamment l'observation. Ils ne se permettent jamais ces manières libres , et cette familiarité si ordinaire dans les familles et dans les sociétés CODE RELIGIEUX. 355 des nations Européennes. Là, les rangs et les conditions ne se confondent jamais. Dans tow tes les classes et dans tous les états, chacun est plein de soumission et de respect pour ceux qui sont au-dessus de lui, et il reçoit à son tour les mêmes hommages de ses subal-ternes. En public, comme dans la vie privée, on conserve toujours les mêmes dehors de décence, de déférence,-de vénération, pour les personnes supérieures en rang , ou plus avancées en âge. Paraître dans une société avec un air enjoué, y prendre un ton de berté et d'aisance, n'avoir pas de dignité dans son maintien , ou assaisonner ses propos de cette légèreté qui passe ailleurs pour de l'agrément , ce seroit heurter tous les usages et s'exposer aux satires de la nation entière. Nous avons déjà dit que les Mahométans ne se découvrent jamais la tête. Chez eux les bienséances, d'accord avec le costume , n'exigent pas que l'on ôte le turban pour qui que ce soit. Leur manière de saluer est simple et naturelle. On salue son égal en portant la main sur le sein ou sur le cœur, et son supé- 356 CODE RELIGIEUX, rieur en la dirigeant d'abord vers la bouche, ensuite vers le (Vont. Lorsqu'on se présente chez les Grands , chez les Ministres , chez les personnes constituées en dignité, on fait une profonde inclination en portant la main droite vers la terre, et la ramenant ensuite vers la bouche et sur la tête. Mais lorsqu'on rend ses hommages au Souverain , la main doit toucher la terre pendant l'inclination. L'air de gravité si général clîez les Othomans, la décence qui accompagne tous les actes extérieurs de la vie civile, et la majesté du costume , sur-tout dans les personnes de qualité, ajoutent infiniment à la noblesse de ce salut. Il est encore d'un usage universel de baiser la robe. C'est un hommage de respect et de soumission que rendent par là les subalternes à leurs chefs , les enfans à leurs parens , l'homme enfin d'un rang inférieur à tous ceux qui sont élevés au-dessus de lui dans quelque ordre que ce soit. On ne se permet guères de baiser la main : c'est un acte trop affectueux, et qui n'est reçu que lorsqu'on veut témoigner du respect ou de la reconnoissance à des per- sonnes plus âgées, quoique du même état,ou même inférieures en grade. Par une suite de cet usage, ou plutôt du sentiment qui Je détermine, lorsqu'un officier supérieur veut donner une marque de faveur à quelqu'un, il lui refuse sa robe et lui donne sa main. S'il lui en présente le dedans, cette attention ajoute encore à sa bienveillance. Il n'y a jamais que les frères ou les amis intimes qui s'embrassent, et encore n'est-ce que dans des occasions extraordinaires. Entre personnes de connoissance, on se touche rarement la main, et on ne s'embrasse que deux fois l'an , c'est-à-dire dans les deux fêtes de Beyram. Cet acte même est moins un témoignage d'amitié qu'une marque de confraternité religieuse, et il ne se fait jamais qu'en approchant la joue de celle de son ami. Lorsqu'un homme d'un certain âge ou d'un certain rang veut donner à quelqu'un une marque de tendresse ou d'affection particulière, il lui touche le menton et porte ensuite sa main à sa propre bouche, ce qui indique un embrassement paternel. Les jeunes gens en font de même à 1 égard des vieillards en leur touchant la barbe. Dans toutes les classes de la nation , un enfant n'ose jamais embrasser ni son père, ni son aïeul , ni aucun parent respectable par son état ou par son âge; mais il lui baise la main ou la robe, et n'en use jamais autrement le reste de sa vie , fût-il marié et père de plusieurs enfans. Lors même que les enfans sont en bas âge , les parens les embrassent rarement : ils se contentent de leur baiser quelquefois le front. Ces réserves et ses bienséances , commandées par les mœurs nationales, s'observent avec encore plus de rigueur entre les parens de l'un et l'autre sexe. Jamais un Mahométan n'embrasse sa mère, sa belle-mère, sa tante, etc. il leur baise les mains, et reçoit à son tour les mêmes marques de respect de ses sœurs, de ses cousines, de ses belles-filles , enfin de toutes les personnes de sa famille sur lesquelles il domine par son âge ou par son rang. Les filles rendent les mêmes honneurs aux mères, aux belles-mères, aux tantes et aux sœurs aînées; rarement elles s'embrassent. Celle qui a droit de présenter sa main à une parente, répond à l'hommage qu'elle reçoit par un baiser au front. Enfin ces marques de déférence et de respect, graduées et déterminées ainsi dans les familles par les lois de la nature , sont telles que la femme elle-même baise la main de son mari à différentes époques ; le jour de ses noces , dans le temps de ses couches, au mariage de ses enfans, dans les deux fêles de Beyram, etc. Jamais une femme n'appelle son époux ou ne parle de lui qu'en employant les mots d'Agka, d'Ffendy ou de Tschëléby, qui répondent à Monsieur. Les enfans eux-mêmes n'appellent leurs père et mère que par les noms d'Agka-Baba et de Néné-Cadinn, qui répondent à ces tournures italiennes signor padre } signora madie. Les Grecs en font de même : ils disent toujours Avfendy ou Avfen-dahy, Kéra ou Kéraka, Monsieur, Madame. Mais les parens, sans égard ni à l'âge , ni à l'état, ni à la fortune de leurs enfans, ne les appellent jamais que par leurs simples noms, Ismdily Osman, Fadiyma, Aisehé, etc. Ces usages entretiennent dans les familles l'ordre, la décence , l'union et l'intimité la plus parfaite. La nature conserve tous ses droits sur le cœur d'une mère envers ses enfans. Mais les sentimens de ceux-ci varient assez communément suivant la naissance et la qualité des mères. Les femmes esclaves, nonobstant toute la légitimité de leurs liens avec leur patron , ne rencontrent pas toujours en eux une tendresse bien filiale : ils leur sont moins attachés dans cet état que si elles étoient de condition libre, et unies à leur père par contrat de mariage. Cette différence se remarque encore dans les sentimens du père envers les enfans des différens lits. Mais, dans tous les cas comme dans tous les ordres , rien n'égale le respect et l'obéissance des enfans envers les auteurs de leurs jours. Ces sentimens , dictés par la nature et avoués par la raison , se trouvent encore fortifiés chez eux par ces préceptes du Cour'ann: « Dieu vous ordonne l'amour, la vénération « et la bienfaisance pour vos pères et mères ; « gardez-vous de leur marquer du mépris ; « gardez-vous de les reprendre; ne leur parliez jamais qu'avec respect; ayez toujours « pour eux de la tendresse et de la soumis-« sion. » Aussi ce n'est jamais que les yeux baissés, les mains jointes sur le sein, et dans la contenance la plus humble , qu'un enfant se présente chez son père. En aucun temps il ne se permet de s'asseoir devant lui qu'il n'en ait reçu l'ordre. Dans plusieurs familles, même les plus distinguées, le pere ne sort jamais de chez lui que les enfans, quels que soient leur âge et leur état, ne l'accompagnent jusqu'à la porte cochère en le soutenant sous les bras, l'un à droite, l'autre à gauche, et en l'aidant à monter à cheval. A son retour ils sont également empressés d'aller à sa rencontre , et de lui rendre les mêmes devoirs. Dans les grandes fêtes, comme dans divers événemens de la vie, les enfans ne manquent jamais, en baisant la main de leur père, de leur mère, de leur aïeul, de leur oucle, etc., de demander leur bénédiction : tous y attachent la plus haute idée de bonheur. De cette 362 CODE RELIGIEUX, opinion précieuse résulte en eux un sentiment contraire, lorsque, par leur inconduite, ils se voient menacés de la malédiction de leurs parens : l'homme le plus immoral et le plus irréligieux tremble d'attirer sur sa personne les anathêmes de ceux à qui il doit le jour. Les vœux ou les imprécations d'un Magistrat respectable, ou d'un homme avancé en âge, produisent'le même effet sur l'esprit de tout Mahométan. Jamais un père de famille ne se lève devant un enfant, un neveu ou autre descendant; ni un homme d'un certain rang pour recevoir quelqu'un qui lui est inférieur en grade. Les Ministres, les Magistrats, les grands officiers gardent ordinairement chez eux l'angle du sopha, et ne se lèvent que pour les personnes qui , par leur état et leur condition , ont droit de se placer à côté d'eux. Les subalternes prennent séance sur de petits carreaux de drap, toujours posés vers les deux extrémités du sopha (i). Quelques-uns même n'ont la (i) Voyez la planche 62. liberté de s'asseoir que sur le tapis qui couvre l'appartement; d'autres enfin sont obligés de rester debout vers la porte , et d'attendre souvent des heures entières pour s'approcher, baiser la robe et dire un mot. Il convient d'ailleurs, lorsqu'on se présente chez les Giands,chez les personnes d'un rang distingué , d'être enveloppé dans sa robe et d'avoir les mains couvertes avec le bout de ses manches. La décence prescrit encore à l'un et à l'autre sexe la manière de s'asseoir; la plus générale est celle de se mettre sur les genoux en se reposant sur les talons. Quand on est en présence d'un supérieur, on se place toujours sur le devant du sopha, sans s'appuyer contre le coussin ou le dosier: ce n'est qu'entre amis très-intimes, ou devant des personnes d'un grade inférieur, que l'on se permet quelquefois de croiser les jambes, d'alongcr un pied, ou de prendre une posture plus commode. La manière de s'asseoir .à l'Européenne n'est reçue dans aucune société: elle est réservée au Sultan quand il paroît sur le trône dans les jours de cérémonie, et aux membres du Divan, lorsqu'ils tiennent leurs audiences au Sérail , ou au Palais du Grand- Fézir. D'après l'empire de ces coutumes , doit-on s'étonner si la nation n'en use pas autrement avec les étrangers , et si un Mahométan ne se lève jamais pour recevoir un Chrétien ? Les gens en place et les personnes bien nées n'ignorent pas tout ce qu'exigent d'eux la bienséance et l'honnêteté. Mais, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, ils n'osent pas heurter les préjugés nationaux, et particulièrement ceux qui dérivent de la doctrine et de la loi : on ne déroge à ces usages à l'égard de personne, pas même des Ministres étrangers. Lorsque les officiers de la Porte sont dans le cas d'avoir des conférences secrettes avec eux , ils ne se lèvent jamais pour les recevoir. Ils sont cependant attentifs, sur-tout depuis quelque temps, à ménager ces entrevues de manière à concilier à-la-fois ce qu'ils doivent et à la religion et k la politesse : ils entrent dans l'appartement après le Ministre étranger , et au moment de son départ, ils sont ordinairement les premiers à se lever et à quitter le salon. Dans les audiences publiques des Ambassadeurs, même chez le Grand-Vézir, ce Premier Ministre entre dans l'appartement quelques minutes après , et l'audience finie, l'Ambassadeur se lève, salue et se retire, laissant le Grand- Vézir gravement assis dans l'angle du sopha. On est frappé de la singularité de ces étiquettes , mais elles tiennent beaucoup à la manière de vivre des Othomans. L'usage n'est pas chez eux, comme ailleurs, de se promener dans la chambre, de se ranger autour d'une cheminée ou d'un poêle, de recevoir enfin et d'entretenir ses amis en se tenant debout. Ils passent la journée assis. Lecture, écriture, travail, conversation , tout se fait sur le sopha ;et de là tant de gêne et de contrainte dans les visites chez les personnes que l'on voit ou par bienséance ou pour affaires. Au reste, ni chez le peuple , ni chez les Grands, ni en particulier, ni en public , quel que soit le sujet de l'entretien, et de quelques sentimens qu'on puisse être atïècté , jamais la 366 CODE RELIGIEUX, conversation ou les discussions ne deviennent bruyantes et tumultueuses. Dans les plus nombreuses assemblées, il est rare que deux personnes parlent à-la-fois. Assis le long du sopha , chacun fume et prend du café. Les gens même les plus distingués ne parlent qu'à leur tour, et les autres écoutent dans le plus respectueux silence. Les Othomans ne sont pas dans l'usage d'aller au-devant de quelqu'un pour le recevoir , ni de l'accompagner au moment de son départ. Ces marques de civilité et de respect ne s'observent que parmi les Grands ; et dans cette classe, c'est l'étiquette qui règle ce que chacun doit à son égal ou à son supérieur. Un Seigneur est toujours reçu suivant son rang, au haut ou en bas de l'escalier , par deux officiers de la maison qui, placés à ses côtés, relèvent les devans de sa robe , le soutiennent sous les bras, et le conduisent dans l'appartement du maître qui fait quelques pas à sa rencontre. A son départ, le maître l'accompagne encore jusqu'à la porte du salon ou de l'antichambre, non pas en se tenant à sa droite CODE RELIGIEUX. 367 ou à sa gauche , mais en marchant devant lui à la distance de cinq ou six pas. A l'endroit où ils se quittent, ils se saluent de nouveau, et les mêmes officiers reconduisent le Seigneur jusqu'au bas de l'escalier, où ils l'aident avec ceux de sa suite à remonter à cheval. Nous avons déjà dit que ces peuples ne se servent ni de cloches ni de sonnettes pour appeler leurs gens. Les pages, les valets-de-chambres ou les laquais se tiennent vers la porte de la pièce où l'on est, tous en groupe, debout et les mains jointes. Si le maître les renvoie, ils se retirent alors dans l'antichambre, et pour les appeler on ne fait que frapper des mains. Cet usage est universel dans la nation, soit au Sélamlih des hommes, soit au Harem des femmes. § V. Des devoirs de bienséance et d'honnêteté. Les règles prescrites et consacrées par la loi même , relativement à la bienséance et à l'honnêteté, étoient sans cloute nécessaires à une nation qui, privée des ressources de la société et de la fréquentation des deux sexes, ne pouvoit qu'entretenir chez elle cet esprit de rusticité qui semble être le partage de l'homme de la nature. Ceux qui ont fréquenté les Mahométans, ou qui ont eu avec eux des liaisons assez étroites pour les bien connoître, conviendront sans peine qu'ils ont de l'aménité et une politesse simple et naturelle ; qu'on remarque même une certaine aisance dans leurs manières, et que leur esprit a une sorte de souplesse dont ils sont redevables à cette extrême subordination qui règne dans les familles et dans les différens ordres de l'Etat. Ces heureuses qualités sont plus frappantes dans les officiers de la Cour et du Sérail, dans les personnes attachées à leur service , et dans celles qui , par leur état et leurs offices , ont plus de relations avec eux. C'est pourquoi l'homme de la plus basse extraction, élevé par la fortune aux premières charges de l'Empire, semble avoir eu dès son enfance la CODE RELIGIEUX. 369 la plus brillante éducation. On retrouve dans ses proposées manières et son maintien,toute l'aisance et toute la dignité des personnes issues du sang le plus illustre. Les Mahométans n'attendent jamais qu'on les salue: tous s'empressent de prévenir leurs amis, ou ceux qu'ils rencontrent. Mais il n'en est pas de même avec les Grands : ceux - ci saluent toujours les premiers. Il est même d'étiquette, dans toutes les marches publiques, que le Grand- Vézir, les Paschas, les Ministres, les Généraux préviennent le peuple. Le Sultan en tait de même: il salue les deux haies de Janissaires, au milieu desquelles il marche, par un léger signe de tête, et par un foible mouvement de la main droite dirigée vers le sein. Ces manières sont encore accompagnées dans toute la nation d'un langage très-poli et très-honnête, qui tient au génie même de la langue. Les mots de djé* nabiniz ou bazrétiniz > qui répondent aux vossignoria , voslra Excellenca des Italiens, sont dans toutes les bouches. On ne dit jamais moi, mais votre serviteur, votre esclave y Tome IV. A a votre dévoué , etc. bendéniz , coulouniz 3 dvadjiniz: Dans la conversation, sur-tout lorsqu'on parle à un homme supérieur en rang , il est encore de la politesse de porter de temps à autre la main sur la bouche, et ensuite sur le front, ce qui est un témoignage de respect et de soumission. Il faut convenir cependant que quelque générale que soit, parmi les Mahométans, la pratique de ces règles de politesse et de bienséance , ils n'en conservent pas moins cet air de hauteur et de fierté qui leur est commun à tous, mais qui se manifeste de diverses manières, selon la différence des caractères, du rang et des fonctions de chaque individu. On remarque dans les officiers du Sérail un ton de grandeur mêlé d'orgueil ; dans les Ministres , une dignité pleine de noblesse 5 dans les Oulémas, une gravité morne, sèche et austère; dans les chefs de la police, et plus encore clans leurs suppôts , des manières brusques, dures , on peut même dire féroces. Dans le militaire , ce qui est sans doute étonnant, les officiers sont très-attentifs à adoucir les rigueurs de l'autorité et de la discipline, : ils n'ont jamais dans la bouche que les mots d'amis, de camarades, de frères , dosth , yoldasch, cardasch. Ce n'est que dans le besoin, ou au moment même d'une prompte exécution , qu'ils déploient toute la sévérité du commandement. Mais dans tous, ce caractère fier et hautain se porte, à la moindre occasion, à une pétulance incroyable. Rien chez eux n'arrête les élans de la nature, même parmi les hommes de la plus grande distinction. Dans son emportement, le père, le mari , le maître , le patron, le général , l'officier, l'homme public , l'homme privé, se fait le plus souvent justice lui-même, soit en frappant de la main ou du bâton l'objet de sa colère , soit en l'effrayant par des menaces accompagnées d'injures les plus atroces. C'est alors qu'ils prodiguent sans ménagement les épithètes de Dinnsis, Imannsizhomme sans foi 3 sans loi) de Keavour et de Keajir, infidèle, blasphémateurs de hiopéh et de domouz, chien , porc j mais sur-tout le jurement A a i j 3?2 CODE RELIGIEUX, national anassiny-nhéim, que la décence ne nous permet pas de traduire : il est si commun , qu'on le prononce presqu'à tout moment , même pour les choses les plus indifférentes : il est dans la bouche des enfans de l'âge le plus tendre, et même dans celle de beaucoup de femmes, le plus souvent néanmoins comme un mot de gentillesse. Les citoyens d'un certain état mettent encore du raffinement dans les injures qu'ils se permettent. Ont-ils affaire à un homme irreligieux ou immoral , ils le traitent de kizil-hascli, tête ronge, qui est le sobriquet que l'on donne aux persans schiysy et de papas-oghloiij enfant de prêtre , comme pour désigner le comble de l'impiété et du blasphème. Veut-on reprocher à quelqu'un son défaut de zèle, ou quelque trait de perfidie, on le compare aux ennemis de la nation, et on l'appelle communément inoscow , Moscovite, parce qu'ils regardent les Russes comme les ennemis les plus acharnés de la Monarchie Otho-mane. On emploie la dénomination de turc à l'égard d'un homme brutal et grossier ; et c'est ici le lieu d'observer que, selon les nationaux , elle ne convient qu'aux peuples du Turkusslatin, et à ces hordes vagabondes qui croupissent dans les déserts du Mawerain-nehhr, de Mazendcrann, du liliorassann, etc. Tous les peuples soumis à l'Empire ne sont désignés que sous le nom collectif d'Osman/y, Othoman, du nom d'Osman Iy fondateur de la Monarchie ; et ils ne conçoivent pas pourquoi en Europe on les appelle Turcs. Comme ils attachent à ce mot l'idée de l'insulte la plus marquée , aucun étranger dans l'Empire ne se permet jamais de le proférer. Au reste, ces injures et ces emportemens auxquels ils se livrent avec aussi peu de réserve, n'ont presque jamais de suites sérieuses, parce qu'ils ne connoissent pas toutes les subtilités du point d'honneur si funestes parmi les Européens. Il ne faut cependant pas en conclure qu'ils sont peu susceptibles de délicatesse ou de sentimens. Ceux qui ont prétendu que le mot d'honneur n'existe pas dans la langue des Othomans, n'ont prouvé que A a iij leur parfaite ignorance et de l'idiome et des mœurs de ces peuples. En effet , comment n'oni-ils pas connu les mots d'irz, de namouz, de schann, de scheuhhrelh , qui répondent à ceux ^honneur> de dignité, de réputation, de considération , et qui sont dans la bouche de tous les citoyens , lorsqu'il s'agit de la moindre discussion relative à la probité , à l'honnêteté, à la justice ? Mais ils n'ont pas la manie de ce qu'on appelle affaires d'honneur : ils n'ont aucune idée du duel. La supériorité d'état ou de condition de l'homme qui en maltraite un autre, lui assure ordinairement l'impunité de ses outrages : s'il s'oublie envers son égal , celui-ci se venge en se permettant les mêmes injures. Si des amis s'entremettent pour les réconcilier, l'offense est bientôt oubliée; et l'on renoue souvent les mêmes liaisons avec plus d'intimité que jamais. Il arrive pourtant que des arnes fières et dures se refusent à tout moyen de conciliation , et vouent une haine éternelle aux personnes qui leur ont manqué. Ce n'est jamais que dans les der- CODE RELIGIEUX. 375 nières classes du peuple, sur-tout dans les tavernes et les cabarets, que l'on voit des citoyens en venir aux mains. Les soldats et les marins sont presque les seuls qui se battent avec le couteau,le sabre ou le pistolet; et leurs querelles sont toujours viciées sur le lieu même , et dans les premiers transports de colère et de vengeance. Nonobstant toute la vigilance de la police, et la rigueur des punitions militaires, ces scènes sanglantes se renouvellent assez souvent dans les places frontières , mais plus encore dans les ports de, mer. De tous les ordres des citoyens , ceux qui se voient le plus exposés, et presque toujours impunément, aux saillies d'humeur des grands et du peuple, sont les sujets tributaires.Tout ce qu'ils souffrent de la part des autres citoyens, sans oser se plaindre, les rend plus malheureux encore que les privations auxquelles ils sont condamnés dans l'ordre politique. Ils ne doivent les procédés pleins de hauteur et de dédain auxquels ils sont journellement exposés, qu'aux préjugés religieux A a ir fortifiés par l'orgueil national. Tout citoyen, Chrétien ou Juif, est clans une sujétion perpétuelle devant un Mahométan : par-tout et en toute circonstance il est obligé de lui céder le pas , quels que soient le rang et la condition de celui-ci ; sans cette attention de sa part, il s'exposeroit aux injures les plus mortifiantes , et souvent même à des actes de violence , sur-tout de la part de l'homme du peuple, toujours prêt à lever la main sur lui ; et s'il osoit se permettre le moindre mot, la moindre représaille , dans l'instant même il seroit assommé par la multitude. En un mot, toute insulte, toute offense faite par un non-Mahométan à un sectateur du Prophète, est regardée comme un attentat contre la majesté de l'Islamisme. Ainsi, malgré la sagesse des préceptes renfermés clans la morale Mahométane , et les peines que la loi décerne au citoyen qui maltraite , offense ou attaque l'honneur de son prochain , objets dont nous parlerons amplement dans le code civil, ces désordres ne sont que trop fréquens chez les peuples orientaux. II est rare qu'un Mahométan insulté ait recours à la police : ou il se fait justice lui-même, ou il cède à la force, sans plainte et sans murmure. Il est plus rare encore qu'un non-Mahométan réclame les lois du Cour'ann contre un croyant ; car, en supposant même que Je Magistrat fût disposé à lui faire justice et à sacrifier les préjugés ordinaires de la nation aux devoirs de sa place, des insinuations secrètes et des menaces indirectes auroient bientôt déterminé la partie plaignante à abandonner ses poursuites et à oublier l'insulte. On ne jouit cependant pas de la même impunité lorsqu'on outrage une femme , quels que soient son état, son rang, sa religion , vu le respect qu'inspirent les lois pour le sexe en général ;*les Magistrats et les officiers de la police usent toujours de la plus grande sévérité contre tout citoyen qui manque à une femme. Les préjugés de la nation contre ies non-Mahomélans ne vont pas cependant jusqu'à l'oubli des premiers devoirs d'honnêteté et de bienséance. On ne voit que les dévots austères observer scrupuleusement le précepte qui défend au Musulman de les saluer le premier» Mais presque tous observent la défense relative au salut de paix. Voici l'origine de ce salut. Suivant la tradition, le jour que Mohammed quitta la montagne de hira où il avoit eu la première apparition de l'archange Issrafd, pendant toute la route, depuis cette montagne jusqu'à son hôtel, les airs reten-tissoient de ces paroles : Es-sélam'un aleïké jra ressoul'ullalï : le salut de paix à toio le prophète de Dieu ! Les deux premiers mots furent dès lors consacrés comme un salut fraternel, à l'usage particulier des disciples et des premiers sectateurs du Prophète. Ce salut devint enfin commun et général à tous les peuples Musulmans, de sorte qu'encore aujourd'hui , soit parmi les hommes , soit parmi les femmes, on ne se rencontre jamais, à telle' heure que ce soit du jour ou de la nuit, sans se saluer par ces mots. L'un dit : Sélamhin alcilCum j et l'autre répond : rê'ale'ik'um sélam, qui est une transposition des mêmes paroles. Ce seroit profaner cç » salut que de l'adresser à un non-Mahomé-tan ; et quoique les docteurs semblent permettre à l'étranger de l'employer à 1 égard du Musulman , et à celui-ci d'y répondre par le seul mot à"aleï/<'um, à toi aussi, le préjugé, qui l'emporte sur l'esprit même de la loi , interdit absolument ce genre de salut envers tous ceux qui ne sont pas de la même religion. Ce n'est que dans quelques cantons de l'Egypte et de la Syrie que les citoyens Mahométans ne paraissent pas aussi scrupuleux sur ce point. Mais ce que l'on observe par-tout avec une égale attention ,. c'est de ne désigner jamais un non-Mahométan décédé par les mots de merhhoum ou de maghfour, qui signifient le décédé en Dieu , ou plutôt celui à qui Dieu a fait paix et miséricorde; ils sont consacrés aux seuls Musulmans. Dans leurs prières publiques, les Mahométans ne demandent jamais à Dieu la conversion des autres peuples; mais dans le particulier, il arrive assez souvent qu'un homme emporté par son zèle ou par son attachement pour un Chré- tien ou pour un Juif, hausse les mains au ciel, en s'écriant : Grand Dieu ! éclairez cet infidèle, et faites-lui la grâce d'embrasser votre sainte religion. Il arrive aussi quelquefois que des ames dévotes se font un devoir d'inviter à l'Islamisme de jeunes gens qui se distinguent par leur esprit et leurs connois-sanccs. Ces exhortations se font presque toujours d'un air riant , et en des termes trcs-ménagés. Ordinairement on garde le silence, ou bien l'on répond par un mot vague ; c'en est assez pour ralentir le zële du missionaire. Ce que des Scheyldis, de vieux Oulémas ou des fanatiques se permettent par un pur effet de leur zèle , et dans la seule vue d'exercer un acte méritoire, des Ministres, des Seigneurs de la Cour, les Sultans eux-mêmes le font aussi, mais dans un esprit bien différent : guidés par un sentiment politique, ils ordonnent quelquefois de faire les mêmes insinuations à des personnes qu'ils croient pouvoir employer utilement au service de l'état. Je connois des Chrétiens d'un mérite distingué, auxquels Moustapha III fit promettre dans le plus grand secret sa faveur et leur élévation aux premières charges de l'Empire , s'il svouloient embrasser la foi mahométane. On leur prodigue alors les caresses et les offres les plus séduisantes ; mais jamais on n'en vient à des menaces, moins encore à des voies de contrainte. Sur ce point, ni la nation, ni le gouvernement ne s'écartent jamais des principes de l'Islamisme : du moins les exemples en sont-ils rares, et l'on ne voit guères que des milir taires ou des patrons obliger leurs esclaves encore jeunes, sur-tout lorsqu'ils sont orphelins , à reconnoître la doctrine du Coufann. j, - Mais si leur zèle les entraîne quelquefois à des démarches violentes, leur humanité les rendprcsque toujours dociles aux maximes de la loi, qui défend de maltraiter sans raison des êtres déjà trop malheureux par leur état, il n'existe peut-être pas de nation où les captifs , les esclaves , les galériens même soient mieux entretenus et plus ménagés que chez les Mahométans. Nous développerons ces articles dans les codes suivans auxquels ils appartiennent. S- VI. De la propreté. Il est naturel de penser que les lois de» la nature, fortifiées encore par la religion et les pratiques du culte extérieur, inspirent aux Musulmans un grand amour pour la propreté du corps : aussi rien n'égale leur attention, dans l'un et l'autre sexe, à se laver et à se baigner presque tous les jours, tant pour satisfaire leur goût particulier que pour obéir à la loi des lustrations. On conviendra cependant que l'article de la propreté seroit encore mieux observé s'ils ebangeoient plus souvent de linge et d'habits, et s'ils ajoutoient à leur costume, qui n'admet ni cols ni manchettes, de quoi se garantir de la sueur. Pour y remédier, les personnes opulentes ont soin de ne pas laisser vieillir leurs habits; et les autres n'emploient jamais dans leur vêtement que des étoffes qui peuvent se laver. Nous avons déjà parlé de la propreté qui règne dans l'intérieur des maisons. On sait que chez les grands comme chez les citovens ordinaires , toutes les chambres , quoique parquetées, sont couvertes de tapis ou de nattes d'Egypte. Le reste de la maison est lavé chaque semaine, avec un soin extrême : jamais on n'y voit ni crotte, ni ordure, ni boue, parce qu'il est d'un usage général, sans exception de raoïg ni de sexe, de laisser au bas de l'escalier ses bottes ou ses sandales. Les hôtels publics, malgré la simplicité des meubles, présentent également par-tout un air de propreté. Il en est de même des cafés, des boutiques, des magasins, des ateliers, des bains , etc. D'après un fait aussi constant et aussi public, on est étonné que les Européens jugent les Othomans d'une manière aussi défavorable, et qu'ils attribuent à leur mal-propreté le retour périodique de la peste et des autres épidémies qui désolent assez souvent l'Empire. Nous dirons ici un mot sur cet objet, quelque triste et affligeant qu'il «oit pour les âmes sensibles, Il est difficile de remonter à l'origine de la peste, d'en connoître la nature, et d'indiquer les remèdes les plus salutaires contre cette horrible maladie. Des hommes instruits nous ont laissé de siècle en siècle une multitude de traités sur cette matière ; mais leurs méditations et leurs recherches ne les ont conduits qu'à des systèmes et à de vagues résultats. Ce fléau, qui a parcouru autrefois les diverses contrées de l'Europe , semble, de nos jours, s'être fixé dans l'Orient. Constantinople et le Grand-Caire en sont devenus les foyers les plus ordinaires : c'est là que la triste humanité est continuellement exposée à ses plus terribles ravages. Il n'entre pas dans le plan de notre travail, et les bornes de nos connoissances ne nous le permettent pas d'ailleurs , d'examiner si dans la Thrace cette funeste épidémie n'au-roit pas pour principe la mauvaise nourriture et la mal-propreté des habitans, et dans l'Egypte l'humidité de l'air, les eaux croupissantes des marais qui se forment dans les champs incultes, et les chaleurs excessives qui qui corrompent Je limon du Nil dans ses dé-bordemens annuels. Tous les monumens historiques nous attestent que les anciens Grecs ne connois-, soient, pas plus que.les modernes la nature de la peste : aussi l'appeloient-ils la maladie sacrée; et au défaut de l'art et des secours humains, ils faisoient des expiations, imploraient l'assistance des Dieux et leur im-moloient des victimes. Les Mahométans affligés comme eux de ceîte calamité, et n'en connoissant pas plus ni la cause ni le remède, ont également recours aux moyens surnar turels : ils font des sacrifices, des aumônes et des prières publiques. Persuadés que c'est un fléau du ciel, ils se résignent à ses décrets , et croiraient manquer à la providence si , pour se garantir de ce fléau destructeur, ils prenoient les précautions que leur indiquent la sagesse humaine et l'exemple de leurs voisins. L'expérience de tant de siècles sur la nature de ce mal, se borne donc à la connois-sance des symptômes qui l'annoncent et de Tome IV. B b ses funestes erïèts. Le vomissement, les maux de tête, l'inflammation des yeux, l'hémorragie, les syncopes, l'enrouement, une fièvre ardente, des bubons, des anthraxs, caractérisent cette épidémie. Il est cependant beaucoup d'individus sur lesquels la variété de ces premiers symptômes, par une suite de leur tempérament ou de la malignité plus ou moins forte du venin, déconcerte et trompe assez souvent les médecins les plus expérimentés. L'ail, le vinaigre, l'opium, le laudanum, le mercure, les parfums, et selon quelques-uns, le vin et les liqueurs, sont les préservatifs les plus ordinaires de la peste. Les panades , les cordiaux, les béchiques et un régime sévère sont les moyens curatifs que l'on emploie le plus communément. Le bouillon est pernicieux et la saignée presque toujours funeste. La violence du mal et la subtilité du poison sont telles, qu'elles emportent ordinairement leur victime le troisième ou le quatrième jour de ses souffrances: CODE RELIGIEUX. 337 de cent personnes qui en sont attaquées, à peine huit ou dix en réchappent.- Le bubon, qui en est le symptôme Je plus caractéristique^ se manifeste presque toujours sous Jes bras, à la cuisse et au col : ner à sa famille et à ses amis, à l'occasioQ de ses noces ou de la naissance d'un enfant. Les ombres chinoises , que l'on appelle khayal-zil', sont le divertissement auquel on donne la préférence. Ceux qui gagnent leur Tome IV. C c vie à ce métier; vont solliciter de porte en porte la curiosité des familles. Ces spectacles consistent, là comme ailleurs, dans quelques .scènes bouffbnes dont les principaux rôles sont ceux de Cara-gueuz et de Hadjy-aiwath, qui répondent en quelque sorte à l'arlequin et. au pantalon des Italiens. Tout s'y ressent encore de la barbarie des siècles qui ont donné naissance à ces jeux grossiers : rien de plus indécent que les gestes de ces figures, soit en hommes, soit en fejmmès,et rien de plus obscène que les vers qui se récitent derrière la toile. Ces spectacles, malgré le mauvais goût qui y règne, suffisent cependant pour dérider le front des personnes les plus graves. Ce n'est que-très-rarement, et toujours par complaisance pour les femmes, les ehfanset les esclaves de la maison, que l'on se permet ces sortes de spectacles : les personnes:d'un certain état, les gens de loi sur-tôut, se feroient scrupule d'assister à ces jeux , qu'ils regardent comme des amusemens que le bon sens et la raison désavouent. : Dans aucune époque de l'année on ne voit chez cette nation ni masques, ni danses publiques ni ces divertissemens du carnaval, ni ces fêtes bruyantes si communes ailleurs. Il est difficile de rendre la gravité, le phlegme et cette espèce d'apathie qui forment le caractère des Othomans. C'est le peuple du monde fe plus propre pour le quiétisme. Rien ne frappe, rien n'exalte son imagination. Il n'est ni importun ni curieux. Voit-il quelque chose d'un peu extraordinaire, un costume étranger, un objet bizarre, un animal singulier, il s'arrête un instant, il regarde de sang froid, sourit, et continue son chemin sans se permettre une plus longue distraction. S'attrouper, courir après quelqu'un, se livrer à des éclats de joie ou de surprise , sont de ces mouvemens qu'on ne voit jamais, même parmi le peuple, dans aucune ville Mahométane. On a déjà observé que les Othomans n'ont ni fêtes ni dimanches : leurs Be^ramsXexxx en tiennent lieu ; et ils n'emploient les sept jours consacrés par la religion dans ces deux fêtes, qu'à se promener tranquillement dans la ville et aux environs. Tout le reste de l'année on se promène rarement. Les grands' n'ont pas plus de goût pour l'exercice et pour la vie active. Ceux môme qui dans les beaux jours vont à une campagne ou aune promenade publique, en bateau ou à cheval, n'ont d'autre objet que de respirer un air pur, et de se mettre dans un kéoschk ou sous un arbre, pour lu-mer leur pipe et prendre du café. Tout, dans les mœurs de cette nation, tend à lui inspirer, sur-tout dans les classes supérieures, un penchant'invincible pour la mollesse et la vie sédentaire. Les hommes et les femmes attachent même une certaine grandeur à ne se permettre aucun mouvement, aucune agitation, et à ne jamais quitter l'angle du sopha. Si leur mouchoir tombe, s'il est question de ramasser quelque chose à quatre pas d'eux, rarement ils se dérangent : ils frappent dans leurs mains, et les Itsch-Aghassys , ou les filles esclaves, accourent à leurs ordres. En général chez tous ces peuples on sort rarement de sa maison : les personnes de l'un et de l'autre sexe passent toute l'année sur un sopha, dans l'inaction et l'insouciance. Mais ce CODE RELIGIEUX. 400' qu'il j a de plus étonnant, c'est que ces mêmes hommes, que l'on croiroit condamnés à un engourdissement physique et moral, sont plus propres qu'on ne le croit, à soutenir tous les travaux et de l'esprit et du corps» Parviennent-ils à une charge, ils v développent des talens et une aptitude supérieurs à leur éducation. Sont-ils charges d'une commission dans les provinces, ils font à cheval une course rapide de cinq cent lieues, sans se ressentir de la moindre fatigue. Malgré cet éloigne ment pour les plaisirs, et ce genre de vie austère qui semble être le partage d'une nation peu civilisée, on rencontre néanmoins chez les Qthomans des hommes assez gais, assez aimables,assez commu-nicalifs. Aussi Ip société est-elle l'unique ressource d'une infinité de familles. Réunis entre parens et amis intimes, ilsy concentrent toutes les affections de leur amc. Ces cercles, ces conversation? familières lie pont pas dépourvus d'agrément , et souvent même d'un certain intérêt. L'air de décence qui les accompagne par-tout* leur manière méthodique deseran- gér le long d'un sopha; l'attention de présenter à chacun une pipe et dn café; les égards respectueux des uns envers les autres ; le calme avec lequel s'énonce celui qui parle, les grâces naturelles de l'élocution orientale, sur-tout dans les personnes qui possèdent bien la langue; le silence profond que garde le reste de l'assemblée; tout enfin présente un tableau assez piquant, mais qui sous aucun rapport ne peut cependant être comparé à ceux des sociétés Européennes. D'ailleurs les personnes mêmes qui ont tous les dehors de la gravité la plus imposante , se livrent quelquefois à toutes les saillies d'un esprit gai et facétieux. Plusieurs ont aussi le talent particulier de saisir l'à-pro-pos d'une sentence, d'un bon mot, d'une satire ingénieuse. Chez les unson voit, comme dans les cafés, des espèces de jongleurs qui racontent des fables ou des traits d'histoire, en les relevant par des maximes de morale et de philosophie : chez les autres, on s'occupe de divers objets de littérature, ou des affaires du temps, qui ne sont jamais relatives qu'à l'intérêt de l'Em- CODE RELIGIEUX. 407 pire. On sent bien qu'un peuple isolé, qui ne Voyage jamais, qui ne fréquente pas même les étrangers établis dans son sein , et qui n'a pas Ja ressource de puiser clans les productions toujours renaissantes des nations Européennes, est nécessairement borné n un cercle étroit de connoissances. Les Othomans n'ont pas l'avantage de pouvoir lire les gazettes étrangères : ils n'ont pas même celui d'être exactement informés de ce qui se passe à la Cour, à la ville et dans les différentes provinces de l'Empire. Les Chroniques, les journaux, les feuilles périodiques sont des ouvrages absolument inconnus chez eux, et qui n'ont pas encore exercé leurs imprimeries. Aussi, dans toutes ces contrées, on ne parle jamais que de ces événemens qui parleur nature ne sont pas susceptibles d'être dérobés à la connoissance publique. C'est une des maximes du ministère de répandre un voile mystérieux sur tout ce qui pourroit inquiéter ou affliger le peuple. En temps de guerre, il arrive souvent que le public de Constantinople n'apprend la défaite d'une armée ou la prise 408 CODE RELIGIEUX, d'une place frontière que quatre ou cinq moi» après l'événement. On peut juger par-là de l'ignorance où sont les Othomans surtout ce qui se passe dans les pays étrangers. Le gouvernement lui-même ne s'occupe que des objets relatifs à ses intérêts politiques , et encore est-il réduit à s'en rapporter aux informations que lui donnent les ministres des puissances amies, comme on le verra dans le code politique auquel appartiennent proprement ces difïërens objets. Les Othomans ne dérogent au calme profond qui règne perpétuellement chez eux que dans une seule occasion; c'est à l'époque des réjouissances publiques, que l'on appelle do-nannma. Elles ont lieu à la naissance des deux ou trois premiers enfans d'un nouveau Monarque, le jour de la circoncision d'un Prince du sang, ou lors d'un événement heureux pour l'Empire, tel que le gain d'une bataille, la conquête d'une place forte , etc. Ces réjouissances qui sont ordinairement de trois, cinq ou sept jours, consistent dans des banquets somptueux, dans l'illumination du Sérail, de la ville et des mosquées; clans la décoration des boutiques, des magasins, des balles et marchés publics. Les Ministres, les Grands, et tous les officiers en charge, font aussi décorer les portes de leurs hôtels et élever au milieu de la cour une espèce de salon tapissé de glaces et de belles étoffés, orné de lustres, de girandoles, de fanaux, et garni tout autour d'un riche sopha : ils y passent une grande partie de la nuit, et reçoivent successivement les visites de leurs parens, de leurs amis et de leurs connoissances, auxquelles ils prodiguent le café, le tabac, le schecrbcth, des sucreries, des essences et des parfums. Ces décorations ont également lieu au sérail, et toujours à la porte Orta-Capou qui sépare les deux cours du palais. Des drapeaux, des boucliers, des armes et d'autres trophées , enlevés pendant la guerre aux ennemis de l'Empire, font ordinairement les objets les plus remarquables de cette espèce d'arc de triomphe. L'illumination du Tarap-Khanc ou hôtel des monnoies, situé à l'aile gauche de la première cour du Sérail, offre un coup-d'œil d'un genre 4io CODE RELIGIEUX, différent. Elle est analogue aux travaux de cet hôtel. Tout le portique extérieur est tapissé de pièces d'or et d'argent dont on forme des chiffres, des monogrammes et autres dessins qui sont exécutés avec beaucoup d'art et de goût. Ces fêtes sont le plus souvent accompagnées d'unspectacleaussi intéressant que magnifique; celui d'une marche processionnelle des artistes de toutes les classes. Tous sont richement vêtus, et chaque corps avance séparément à la tête d?une espèce de char de triomphe décoré des symboles, des insttumens, et des productions même de chaque art et de chaque métier. Dans ces jours d'une extrême liberté, les Chrétiens des dernières classes se livrent de leur côté, sans que jamais cet exemple soit imité parles Mahométans, à tous les excès des anciennes saturnales, et à toutes les folies que le peuple se permet ailleurs dans les derniers jours du carnaval. Les rues, les places, les promenades publiques ne présentent que des jeux, des danses, des farces , des bouffonneries : des troupes de masques y jouent toutes sortes de rôles , en représentant divers Magistrats dans l'exercice public de leurs fonctions ; mais principalement XeMeuhhtessib ou X Ayak-Naiby, qui ont la police des comestibles. La nuit, ces troupes entrent dans les maisons des grands ; ils y répètent leurs jeux dans les salons postiches, et ne cèdent leur place à une autre troupe qu'après avoir reçu quelques pièces en or ou en argent. Souvent aussi le gouvernement donne des feux d'artifice au milieu du Bosphore. Ce sont des captifs Malthois, Italiens, Portugais, etc. qui les exécutent, et ils ont ordinairement l'attention de représenter l'île de Rhodes, ou une place ennemie assiégée et emportée d'assaut par les Othomans. On ne doit pas s'imaginer que dans ces jours de réjouissances et de liberté publique pour tous les citoyens indistinctement, les femmes sortent de cet état de solitude auquel elles sont condamnées. Elles ne participent à la joie universelle qu'à travers les jalousies de leurs croisées , et de celles qu'on leur ménage alors dans l'intérieur des maisons; trop heureuses, lors^ 412 CODE RELIGIEUX* qu'elles obtiennent de leurs maris l'agrément de sortir en voiture pendant le jour, pour se promener dans la ville, et voir, sans être vues, les décorations des grands hôtels, des marchés et des places publiques! Ce n'est pas cependant que dans les Harems les femmes ne se dédommagent entre elles de ces privations : elles y exécutent des jeux et des comédies bouffonnes, en.s'attachant presque toujours à contrefaire les Chrétiens, et à jeter du ridicule sur leurs mœurs, sur leurs coutumes, et même sur diverses pratiques de leur culte. Il leur arrive quelquefois am\si de s'habiller en hommes, et de prendre jusqu'au costume Européen pour rendre leurs facéties encore plus piquantes. Dans ces occasions, Je Harem de SaHautesse, c'est-à-dire les plus jeunes des esclaves du Sérail, s'abandonnent à toute leur gaîté; et ces folies servent de récréation aux Sultanes, aux Cadinnset au Souverain lui-même, qui cependant ne se montre pas : il se tient ordinairement derrière une fenêtre grillée qui domine sur la salle où se passe la fête. La majesté du trône et la crainte de gêner par sa présence la liberté des actrices, lui font une sorte de loi de cette retenue. Enfin pendant ces Bonannmas , que des événe-mens extraordinaires ramènent tous les quinze ou vingt ans, les Othomans en général semblent se dépouiller de leur caractère naturel : tous les fronts se dérident; et la gravité, le calme, le recueillement font place aux démonstrations de la joie la plus vive et la plus bruyante. Fin du tome quatrième, première partie.