VOYAGE E N SIBERIE. TOME PREMIER. VOYAGE E N SIBÉRIE, CONTENANT LA DESCRIPTION des mœurs & ufages des peuples de ce Pays, le cours des rivières considérables, la fituation des chaînes de montagnes, des grandes forêts, des mines, avec tous les faits d'Hiftoire Naturelle qui font particuliers à cette contrée. Fait aux frais du Gouvernement Ruffè , par M. GMELIN, Profijfeur de Chymic & de Botanique. Traduction libre de l'original allemand, par M. de Keralio, premier Aide-Major à l'Ecole Royale Militaire, & charge d'en-feigner la Tactique aux Elevés de cette Ecole. TOME PREMIER, A PARIS* Chcx DES AI NT, Libraire, rue Saint Jacques. • M. D. CC. L X V 1 I. Avec Approbation, & Privilège du Roi, >** A A A A;AIA A A. A AS $ v vvv ; w w v« AVERTISSEMENT Dtf TRADUCTEUR. J'avois deiïiné cet ouvrage à faire partie de celui qui parut il y a quelques années, fous le titre de Collection de differens morceaux fur VHiJloire civile SC naturelle , des pays du nord. Une longue maladie m'ayant empêché de continuer celui-ci , & durant ce long temps ? le Libraire qui s'en étoit chargé > ayant fuivi d'autres vues » j'ai pris le parti d'en donner la fuite en volumes féparés? & je commence par le voyage de M. Gmélin, en Sibérie. J'ai traduit cet ouvrage avec tant de liberté, que je dois dire les raifons que j'ai eues de le faire ainfi. L'original cil en qua- ait) fre gros volumes in»8°. Je l'ar réduit à deux in-12. Quelle que foit la prolixité qu'on fuppofe dans l'auteur , on aura peine à croire que la moitié de Ton ouvrage foit inutile, Se Ton pourra au premier abord, me fbupçon-ner d'avoir retranché des chofes întérefTantes. Cependant, je crois pouvoir dire avec afTurance, que tout ce que j'ai fupprime auroit été pour nous très ennuyeux: L'auteur a donné à fon ouvrage la forme feche & défa-gréable de journal : afin d'éviter ce défaut, j'ai divifé ma traduction en chapitres, & lai/Té dans l'original les dates inutiles Ilrapi porte fcrupuleufement les noms de tous les hameaux, villages & bourgs où il a pafTé : cette exactitude géographique de-voit plaire aux RufTes, pour qui, principalement, M. Gméiin écri-voit : elle peut être de quelque avantage aux officiers ou aux marchands qui voyagent en Sibérie , mais ne préfenteroit à la plupart des lecteurs françois, qu'une fuite infupportable de fons extraordinaires pour euxj & peu leur importe fi Ton trouve en Sibérie , Biélakovskaïa , 8i Otiafchkaïa , & Schalafchnaïa-Krepoft, &. Orlovo Gorodi£ chtche, & tant d'autres petits hameaux , qui félon l'ufage du pays, changent quelquefois de nom. Le petit nombre de lecteurs que ces détails pourroient récréer , trouveront à fe fatif-faire dans l'original, ou confùl-îeront l'atlas ruffe. M. Gmélin qui eft excufablô de les avoir donnés, ne l'efl point à l'égard de plufieurs autres dont il a rempli fon journal; il faut eiïuyer avec lui les orages, les vents, les pluies, les neiges, 8c la date du jour ; il la même chofe que le jour pré-x> cèdent, car le vent ne nous » laifTa pas avancer plus d'un demi a> vérité : nous nous vîmes obli-» gés de nous arrêter vis-à-vis » d'un rocher fauvage & efcarpé, » qui a nom baran........Nous » paiTâmes auilî devant un lac » nommé Kolpinnoïe ouNarang-» nor que nous laiiîames à gau-» che 5 Se l'on nous dit qu'il y en »avoit encore deux de même y> nom, loin du chemin, du même »côté. Enfuite nous paiTâmes » quelques petits ruiïïeaux & un * bras de l'Ouda ; nous eûmes » des deux côtés, pre/que tou-» jours des montagnes pelées * *qui font pour cela nommées »Goltfî par les Rufles; & le matin vers dix heures , nous anous arrêtâmes auprès d'une » montagne qui s'élève au-defTus » des autres, le Sannoï mouis, en » Bratskain - T/ïrkoutfbu , ( le w mont aux chevreuils ), pour » faire manger nos chevaux. Pen-y> dant que nous y reliâmes , il » commença à tonner un peu, & » nous allâmes plus loin après x> avoir dîné. Il y a peu de lecteurs affés patiens, pour foutenir deux gros volumes écrits de la forte, & j'efpere que les obfervations in-téreiTantes de M. Gmélin, étant féparées de cet amas de«circonf~ tances futiles , n'en feront que plus agréables. J'ai confervé les noms &. la fituation des villes 8c rivières conlidérables, des grandes forêts, des longues chaînes de montagnes, des lacs remarquables par leur étendue , ou la qualité de leurs eauxr; ceux de toutes les mines & fonderies * parce que leur nature & leur quantité peuvent faire juger de la richeiTe du pays ; tout ce qui ^eut concerner l'Hiftoire Natu- relie, (& l'Ouvrage de Gméli'n» contient en ce genre, des choies très curieufes ) : enfin, la description des mœursckufages des ha* bitans de la Sibérie. J'ai défigné les plantes dont il cil parlé dans ce voyage, par les caractères fpécifiques de Lin-nœus, parce que je les regarde comme les meilleurs qui aiert été publiés jufqu'à prêtent, & même comme les feuls d'après lesquels les plantes foient recon-noiiTables. Je me fuis auilî fervî de fon fyflême de la nature, & de la minéralogie de Wallerius » pour fpécifier Tes minéraux. On trouvera dans mon ouvrage > toutes les mefures ruffes, réduites en mefures de France : le verfle , par exemple, évalué à cinq cents toifès ruïïes ou an-gloifes, qui font environ un quart de lieue de France; le copeke évalué à un fol quatre deniers 3 le. Avertissement, xiij poud à quarante livres. J'ai fiiivî pour les noms propres, l'ortogra-phe ruffe , autant que j'ai pu la connoître, Se j'ai du fans doute la préférer, parce que la langue allemande n'a pas toujours les caractères néceilaires pour exprimer les fons rufTes. J'ai même pris la liberté d'écrire Pétcrbourg qui eft le véritable nom , au lieu de Pétersbourg, qui eft le nom altéré par les Allemans ; ils ont fuivi en ce point l'analogie de leur langue, SC non pas Portogra-phe ruffès Se en recevant d'eux cenom,nousl'avons écrit comme ils le font. J'ai été tenté auffi d'écrire Tcliar, au lieu de Czar : nous avons été trompés ici par l'ortographe polonoife , où ces deux lettres, cz (qui ne peuvent pas en François fe prononcer enfemble), expriment le fon tebe, Se répondent au caractère ruffe qui exprime le même fon; mais j'ai craint que ce changement na parut trop extraordinaire. Quant aux autres noms ruiïes , j'en aï rendu les fons par nos caractères; ainfi on les pourra lire comme des noms françois > 8c ils ne pa-roîtront point fi difficiles à prononcer. A la fuite du voyage, on trouvera l'hiftoire des navigations & découvertes des RuïTes dans la mer glaciale 8c dans la partie fèptentrionale de celle du Sud. Je l'ai tirée des préfaces placées parM.Gmélin à la tête des trois premières parties de fon journal? des mémoires publiés par M. Muller concernant ces navigations , 8c de la lettre d'un officier de la marine rufïïenne » concernant la carte de M. de Lille. En général, j'ai rapporté ce qui m'a paru vrai ou digne d'être connu? & j'ai fupprimé l'incertain , per-ruade que l'ignorance de quel- ques vérités eft préférable à l'erreur. Après avoir dit la manière dont 1"ai fait cet ouvrage, je pourrois ouer ici les rares connoifîances de M. Gmélin, mais on fçait af-fés combien il étoit verfé dans l'Hiftoire naturelle & dans la Chymie. Ceux qui voudront le connoître plus particulièrement > trouveront fon éloge dans la colleclïon dont j'ai parlé, & pei> fonne ne doutera que lesobferva-tions d'un homme fi éclairé & fi pénétrant, ne foient précieufes. Il fut envoyé par l'impératrice Anne Joannovna, pour faire des obfèrvations fur l'Hiftoire naturelle de la Sibérie ; il y voyagea aux frais du Gouvernement, avec des académiciens chargés d'ob-fervations d'autre genre. Les gouverneurs , commandans & magiftrats de tous les lieux de leur route > eurent ordre de leur. xv j Avertissement. fournir tous les fecours héce£àfL' res. La relation d'un voyage fait avec ces fecours, dans un pays encoreinconnu, & par un homme favant & profond, nepeutqu'ê-tre curieufe & fatisfaifante. On y voit dans un beau jour une vafle contrée que Strahlenberg n'a vu & n a pu montrer qu a travers de nuages épais. «Il n'a pu, » étant prifonnier, dit M. Gmélin, » que raiTembler des rapports & »que voir par les yeux d autrui. » D'ailleurs, ignorant la langue » ruffe & celle du pays, & pour-y> fuivant toujours les fau/Teslueurs » d'une reflêmblance de noms » fouvent chimériques, il s'efl » trompé très fouvent. Il veut > » par exemple, que le mot ruffe, xpetck ou pietcA, fignifiechien, y> afin d'en dériver le nom des » Petchénéftens ; mais ce mot truffe fignifie four & non » chien : on nomme cet animai y> en rufTe fahaka} en efclavon y>pes. Il dit qu'en langue rufTe, » on appelle le fufain chéroumka, » ( il falloit dire te hé rem ka ) ; »mais ce mot ne fignifie que le y> cerifier fauvage a fruit noir. » Il prétend que l'ellébore noir » croît abondamment en Sibé-»rie : on l'y nomme , dit-il 9 y>Jlara doupska, il faut dire [tara adouba ou doubka. De plus*, »c'eft une efpece d'adonis que »les anciens botaniftes regar-» doient, il eft vrai, comme l'el-»lebore noir d'Hypocrate; mais »il y a long-temps qu'on a réfuté » cette opinion, & qu'on nomme » ellébore noir une tout autre » plante». En général, fon ouvrage eft plein d'erreurs & d'obfcuri-tés. On pourroiten citer un grand nombre d'autres exemples, mais laifTons le baron s'égarer feul dans fes recherches étymologiques, & fuivons un guide plus sûr. TABLE DES CHAPITRES. PREMIERE PARTIE. Chapitre I. T~\épart, S. Antoine £S de Novgorod, p. i. II. Fables des habltans du pays , embarquement , accidens. $ III. Des Fchouvaches. 9 TV. Fête de Kafan. lS V. Mofquée. Prière des Tatares. 19 VI. lahoutes & animaux menés à Téier-bourg. Serment dei Jbldats tatares & Dotiaques. De la Ville de Kafan. 2% VII. Habillement coutumes , mœurs des Tatares 3 des Votiaques 3 des Tche-rêmijjes. ^8 VUI- Caverne de Kongour. Fonderies d'Irghin. Iécathcrinebourg j Fonderies de Poleva. 40 IX. Dlverfes mines de Sibérie 3 Foire dTrbit. 46 X. Carnaval de Tobolsk. Mariage ta-tare. 5 3 XL Spectacles, dévotions tatares. And" tiquités j départ de la flotte* c 3 t> t s C H A V l T H 1 S. *i* XII. Tobolsk. Habitans de cette ville. 70 XIH. Circoncifion ta tare. 77 XIV. Départ de Tobolsk. Vierge. Sépulcres tatares. 81 XV. Mœurs des bateliers tatares. Incom* modités du voyage. 9f XVI. Voyage par terre. Feux du défert. Lacfalé. Fort lamichéva. 98 rt de lamichéva. Saiga. Al-larmes des voyageurs. 101 XVIII. Ruines de S empalât & fort de même nom. 1 07 XIX. Ancienne habitation d*un Kalmouke Idolâtre. Tombeaux k-ilmoukes. Ruif-feau de Béréfovka. i i o XX. Ablai ■ Kit Oufl-Kameno-Gorsk. Autres tombeaux kalmoukes. I I J XXI. Mine de la montagne plate & de Piktova. Kalmoukes ourongai. 1 18 XXII. Mines de Kolivan. Rujjes fchif-matiques. Ii2 XXIII. Commencement de la Sibérie proprement dite y Tatares théléitiches. XXIV Volcan. Tatares abintflenst verk-tomskiens. Sortilèges du Kamrn. 1 ^7 XXV. Kousnetsk. 147 XXVH. Départ de Koufnetsk. Tatares; ît Table toulihertiens j kijlimiens j &c. Rocher de Pifanoi. 149 XXVII. ot.j* j fon corn-mené: vices des Tomskicns. Fonderies. M5 XXVIII. Tatares de la Tchoulime. 16 J XXIX. Iènifcisk. Eau de Golova. Froid exceffif \"]X XXX. Krafnoïark. 184 XXXI. Argali$t 190 XXXII. Souierreins de VUnifel Oulous tatares. Fêtes de Krafnoïark. 1 94 XXXIII. Départ de Krafnoïark. Forts de Kanskoïj d'Oudinskoi, Vouretes, 101 XXXIV Huttes de Bout'êtes. Fort Bala-chanskoï. Damafquinage des Bouretes. 108 XXXV. Cahutes Bratskaines. Taicha. 115 XXXVT. Frontières de la Chine. 226 XXXVH.Sélinghinsk. 2. ] 5 XXXVIII. Tafcha.Nertchinsh 138 XXXIX. Mines d'Argoune. Plantes.Ma-ladies. Climat. 248 XL. Bains chauds. Alontagne de Jafpe, Sorcier & Sorcière. Eaux vitriolées. Bornes. 260 XLI. Dijlillations des Tongoufes. Bor- des Chapitres. xxj nés de t empire ruffe. Mongoliens. Lacs falês. Mœurs des Tongoujes. 2.6 £ %\A\.SuperJlitions des Bratskains. Tombeaux. Apparition. 277 XLllI. Changemens de la Sêlenga. Lac Baïkal. Tempête. Irkoustk & /es en-* virons. 282. XLIV. Fonderies de fer. Salines. Offrandes des Bratskains. Conquête de leur pays. Rivière déAngare. Pêche, finguliere. 191 XLV- Tongoufes dïIUmsk. Ilimsk. 30$ XLVl- Simovies. Mine. Cliaffe à l'écureuil. Ecureuils volans. Autres chaf-fes, &c. 312 XLVII. Tongnufcs. Leursfermens. Fontaines falées. Carrières de Talc. 317 XLVIll. Rivière de Vilime. Moifjon, Tradition hifloriquc des lakoutcs. Fontaines falées. Montagne de fel. XLIX. Sacrifices & Têtes Iakoutes. Tort Olecminskoï. Payfans ruffes. Froid. 344 L. Ruifjeau falé. Montagnes en forme de colonnes. Mine de fer &c. 3 5" 2 Lï. Navigation des RuJJes dans la mer glaciale. ' 358 LU. Hyver de Iakoutsk* Marmottes, jrxij Table des Chapitres. Alirnens ordinaires des RuJJes & des: Iakoutes j &c. 377 U11.< Mine de fer. Rocher forcier. 3 5? j LIV*. Arbres facrés. Offrande de lait. Iakoutsk. Terrein brûlant. 398 LV. Route de Iakoutsk à Okotsk. Au* rore boréale. % 4.1 f LVI. Tongoujes. 4.1 $ VOYAGE VOYAGE E N SIBERIE. PREMIERE PARTIE. ■ CHAPITRE PREMIER. Départ. Saint Antoine de Novgorod* 'Impératrice Anne Joan-novna voulant faire des ob-fervations tk des recherches de tout genre tant en Sibérie , que dans la prefqu'ifle de Kamtchatka , je reçus ordr^ de faire ce voyage avec M. Mullcr , profeffeur d'hiftoi* re , & M. D-lille de la Croyere , pro-felfeur d'aftconomie. On nous donna j Tome L A 1 V o y a e 8 pour nous aider dans nos opérations, fix alfociés , un interprète , cinq arpenteurs , un ouvrier en inftrumens, un peintre & un delîinateur. Nous fîmes embarquer notre équipage te une partie de ceux qui nous accom- I>agnoient ; ils partirent de S. Péterbourg e 3 août 1735 > remontèrent la Neva , fuivirenc le lac Ladoga & la Volkhov jufqu a Veliki Novgorod , ville éloignée de Péterbourg de 19 5 vérités, ou environ 50 lieues de France. Nous fk le refte de notre fuite , nous nous y rendîmes par terre. Un peu au-delTous de cette ville il y a un couvent dit de faint Antoine. Curieux de voir les reliques du faint, nous nous y fîmes conduire. On nous mena d'abord à 1 eglife , & on nous y montra Ja meule de moulin fur laquelle, dit-on , faint Antoine eft venu de Rome à Novgorod , ainfi que l'herbe à laquelle il fe prit, effrayé par un grand danger qui le menaça j elle refta dans la main de ce fàint homme, & il l'apporta jufqu'ici. On nous dit qu'un peu de rapure de cette meule délayée dans l'eau,& appliquée fur une dent douloureufe , la guérit fubitement, fi on a de la foi. Nous yîmes enfuice le tombeau. Il en fortoiç en SlBERIf.' I tirte odeur fuave , qui provenoit, difoit-011, des exhalaifons du bienheureux ; elle approchoit fort de celle de la menthe. Nous voulions voir les reliques , mais on nous allégua qu'il n'y avoit que l'archevêque & le fuperieur qui pufTenc les découvrir. L'archevêque étoit à Péterbourg , & le fuperieur nous lir dire qu'il n'y étoit pas. L'herbe croit peu loin du tombeau : elle reflèmbloit à une algue y mais dans l'abfence du fuperieur , nous ne pûmes la voir de plus près. J'herborifai le jour fuivant , & je vis que les bois & les champs de Novgorod peuvent fatisfaire un botanifte. Nous allâmes aufli à la cathédrale : parmi plusieurs belles chofes qu'on nous y mon* tra , nous remarquâmes une porte apportée autrefois de Corfim dans cette ville ; elle eft à deux battans & d'un métal particulier, de couleur jaune. CHAPITRE II. Fables des habltans du pays. Embarque* ment. Aca'dens. NOus voulions faire à Bronnits quelques obfervations fans retarder noire voyage \ mais la mauvaife volonté; % V o y a fi 8 du VûSorn ou élu de cet endroit réduisît à peu de chofe nos obfervations. Nous quittâmes promptement Bron-nirs, Se nous nous rendîmes par terre i Vychnei Volotchok. En palfantpat Kou-cliaukina , nous fûmes furpris de la quantité de mendians qui vinrent a nous : il n'y eut peut-être pas un feul enfant dAns ce village qui ne nous ait demandé l'aumône ; iorfqu'ils mendient, il femble qu'ils chantent. Leur dialecte a, comme leur ton , quelque chofe de particulier : j'y remarquai pîufieurs mots qui lui font propres : au relte c'eft à peu près celui de Novgorod. Vychnei Volotchok eft une place de foire. Ce village elt grand & beau , Se la navigation le rend très-vivant. Les vivres y font a bas prix : mais on n'y mange point de poiiTon j la rivière de Tvertfa n'en fournit pas. Cette rivière communique à la Mfta par un canal qui porte les bâtimens d'Aftracan , de Tver ck de Kafan dans la Neva par la Mfta, le lac llmen , la Volkhov Se le lac Ladoga, Nous nous embarquâmes ici , Se paflâmes à Tor/'ok. Cette ville eftafTés grande &c entourée de murs de terre» Nous y demandâmes du poiiîbn fort in* Utilement j tout au relte y eft à bas priai ïm Sibérie. 5 A quatre lieues au-delà nous trouvâmes une chute d'eau. Nos bateliers nous dirent que les bois qui couvroient les deux bords de cette rivière étoient pleins de lifchi j que ces lifchi font des animaux ûuvages tout couverts de poil, qui font toujours de la même hauteur que les chofes qui fe trouvent près d'eux : dans les bois, par exemple , ils font aullï grands que les arbres , ôc dans une prairie , pas plus hauts que l'herbe. Ils ne font point de mal aux hommes , mais ils samufent à les chatouiller , & fi par malheur on eft chatouilleux , ce jeu des lifchi peut faire mourir. Ils ajoutoient qu'il y en avoir de mâles &: de femelles. Nous promîmes de bien payer une couple de ces animaux, & un de nos bateliers fe flatta de nous fatisfaire. 11 fit choix de la nuit, comme du tems le plus propre à cette chaire , &c ne celfa de faire un cri fmgulier qui fut fans effet. Le lendemain nous le menaçâmes de le changer en lifchi par la vertu de nos arts, s'il ne nous appoitoit le foir à dix heures un de ces animaux au moins. Il y travailla tout le jour &c le foir , point de lifchi. La haute idée qu'il avoit de notre fçavoir le faifant trembler > il vient à nous tout interdit, fe jette à nos pieds s if V o y a g t nous reprcfente Ton innocence & fen-\ie qu'il avoir de nous fatisfaire , de nous fupplie humblement de ne pas le rendre malheureux pour toute ia vie en le changeant en lifchi. Quand nous eûmes aiïez prolongé cette comédie, nous lui fîmes grâce, & il fe rerira. Nous arrivâmes à Tver ^ ville fituée au-delfus de l'embouchure de la Tvertfa, fur les deux rives du Volga. Certe ville eft atfèz grande , mais mal bâtie. Tout, excepté le pohlon, s'y vend à bon compte : la livre de bœuf y conte trois quarts de copeke, ou un loi quatre deniers de France. Nous nous embarquâmes ici pour nous rendre à inroflav : c'eft une grande & belle ville. Les vivres y font à très-bon marché. On y voit un grand bâri-Oient nommé la maifon marchande , qui renferme des boutiques aullî bien conftruircs qu'alforries en marchandifes, foit du pays , foit des royaumes étrangers. On fait voir au couvent de Spas-ivoï deux os rompus , qu'on regarde comme des os de géant. Ils furent trouvés dans la terre , lorfqu'on voulut déterrer l'archevcque Tryphon de Roftov. Ce font vraifemblablement des os d'éléphant : l'un eft un morceau du zigoma, l'autre de l'ifchium. en Sibérie. 7 î)e-là continuant notre route , nous vîmes Coftroma , ville entourée d'un rempart de terre : plus haut fur notre gauche le couvent dlpatskoï , tout bâti en pierre &c entouré d'un mur Manqué de tours, & la ville d'Ioiiriov-PovolsKi-gorod3prcs de laquelle font les ruines d'un grand fort bâti en briques. Nous achetâmes ici d'une efpece d efturgeon pour un copeke 8c demi, ou deux fols la pièce. Cet efturgeon n eft différent de l'eAut* geon commun , qu'en ce qu'il n'ell jamais aulîi gros , & qu'il a la tête pointue fur le devant. La chair en elt fort délicate y mais la grande quantité de grailfe qu'elle contient , fait qu'on s'en dégoûte aifément. A une lieue de cette ville nous fûmes arrêtés par le vent contraire. 11 s'appaifa vers le foir , 2>c nous parûmes à l'aide d'une chaloupe à quatre rames qui tiroit notre bateau. Ces obf-tacles étoient d'autant plus fâcheux que nos bateliers abhoroient le travail , Sf nous auroient laifTe cinq ou fix jours au même endroit, fi nous ne les eullions forcés de partir. Nous paiTâmes devant le village de Gorodès avec un vent foible. A quelques vérités plus, loin nous entendîmes ;\ grand bruit fur notre bateau : ectoit un A îv £ Voyage nuage de neige que le vent y avoit pouffé avec violence : en un moment il fut tout couvert de neige, il s'éleva en même tems un vent fort 6c favorable, qui ne dura qu'une demi-heure. Un fécond nuage de neige alîàillit notre bateau quatre heures après, 6c nous ramena le vent favorable, qui nous conduilîr juf-qu'à Balafchna. Cette ville a peu d'apparence j elle s'étend beaucoup en longueur. Ses fontaines filées l'ont rendue célèbre : elles font ii riches , qu'elles occupent continuellement cinquante falines. Les environs font couverts de bois coupé , parce qu'on en confomme aux falines une grande quantité. Nos gens en firenr provision ; ils le trouvoient rout coupé fur le rivage , 6c n'avoient que la peine de le prendre. Nous ne voulions pas d'abord nous fervir de ce bois , 6c nous envoyâmes dans quelques villages pour en acheter , mais on nous fîr répondre qu'on n'en vendoir pas : nous penfâmes donc qu'on s'en feroit un fcrupule dans le pays où nous étions, & nous ne voulions forcer la confcicnce de perfonne. Nous paiTâmes devant certe ville 6c devant plusieurs autres villes 6c villages , entr'aurres Nijnei-Novgorod. Les en S i 15 e r ii. £ environs en font fertiles &c Ci propres a la culture des choux, qu'on en charge des bateaux, qui partent par centaines pour d'autres endroits. L'ifle de Douban fituce à cinq lieues au-delà de Cpftro-ma , eft fur-tout renommée pour cette efpece de fertilité. Nijnei-Novgorod eft une grande & auez belle ville \ les marchands y font bien fournis, &c les vivres peu chers. CHAPITRE III. Des Tchouvachcs. ON nous dit qu'il y avoit dans cette contrée beaucoup de Tchouva-ches. M. Muller 6c moi nous étions curieux de les voir : nous partîmes ^ouc pour Tchébaxar dans norre chaloupe. Ceux qui réitèrent fur le bateau nous promirent qu'ils partiroientaufli-tôt qu'il îeroit polfible & qu'en paflanr devant Tchébaxar ils rireroient quelques coups de fufil : nous promîmes d'y répondre Se de fuivre à l'inftant. A peine avions-nous fait une lieue que nous appercrûmes un feu fur la montagne : deux de nos foldats, qui étoient Tchouvaches To Voyage baptifés , nous dirent que c croient de9 gens de leur nation qui faifoient leur prière auprès de ce feu. Nous y montâmes avec beaucoup de peine j mais enfin arrives près du feu, nous y trouvâmes deux Tchouvaches, Se à quelques pas un cheval attache qui les avoir apportes à ce fiint lieu. Ils a voient tue un agneau, Se en cuifoientdans un chaudron les inreftins Se l'eftomac , qu'ils avoienc remplis de fang, de graille'& de gruau» Près de-Iâ vers I orient, il y avoit un endroit carre, entouré de pieux , où ces gens-là font leur prière. On nous raconta que cet endroit avoit été choifi Se montré par une perfonne , homme ou femme, nommée IumalTe en langue rchouvache , & en rulfe} vorogei ou vorogeia , c efr-d-dire , forcier ou forciere. Selon ce qu'on nous en a dit, ce font des prêtres on des prctrelTes dontlesplus fermes appuis font des fupercheries de toutes les fortes-Us font fort considérés Se ont une grande autoriré ; chaque village en a un au moins. Des que les Tchouvaches fe fen-tent mafades, Se même légèrement in-commoJé.ç, ils courent à leur IumalTe , Se ils paient fans doute la confultation. Alors celui-ci defigne la victime que le maladedoit offrir. Ils viennent, li c'eft un. en Sibérie- i i agneau , le tuer à l'endroit dont je viens de parler ; ils en cuifent les entrailles comme je l'ai dit, 8c en mangent autant qu'ils veulent. Ils font leur prière au même endroit, mettent une fomme proportionnée à leurs facultés dans un arbre creux entouré de pieux , emportent dans leurs maifons les reftes de la victime, 8c les mangent avec leurs amis. Ils offroient autrefois la peau de l'agneau, 8c la fufpendoient dans l'endroit defti-né à la prière j mais cet ufage eft aboli : ils aiment mieux aujourd'hui , difent les RufTes, vendre cette peau. Ils adorent un feul Dieu qu'ils nomment Tora. Ils croient que le foleil eft faint, ëc lui adrelfent aufli des prières : ils ont d'ailleurs plufieurs petits dieux qu'ils comparent aux faints des chrétiens. Chaque bourg a fon idole qui eft placée dans le lieu facré dont j'ai parlé. Celle du bourg d'où étoient nos deux Tchouvaches , eft appellée Borodon : nous n'en vîmes que la hutte. Nous n'avons pu fçavoir quel ufage on fair de l'argent offerr : nous avons appris feulement qu'après un certain tems un homme de confiance du village le venoit prendre. Les Tchouvaches font fort économes : ç'eft par efprit d'économie qu'ils ne s'en* A vj 12 V o y a g ! ivrent pas de brandevin. On dit qu'ils volent les chevaux des RinTes avec une adrelfe étonnante , & ce vol leur eft ordinaire. Nous en aurions volontiers appris davantage concernant ce peuple j mais il étoit tard, & entre ncms & Tchébaxar il y avoit encore cinq lieues. Nous nous rendîmes à norre chaloupe , Se nous y montâmes près d'un poufrinkaou hermirage. Entre cet endroir Se Tchébaxar , nous allâmes par un air de vent qui nous parut favorable à norre bateau , Se qui nous fit cfpcrer qu'il paifc-roit pendant la nuit devant cette ville. Nous mîmes , en y arrivant, une fentinelle à notre chaîou- {>e , Se nous allâmes chercher un gîte à a ville : nous eûmes pour hôtes un tailleur , fi mere Se fi fille avec beaucoup de punaifes &: de tarakanes > efpéce d'efenrbets. Nous mangeâmes des a-ufs êe du lait, & nous couchâmes fur des bancs. Nous étions dépourvus de tout, mais en m. me tems ii mal habillés, que nous n'efions pas nous préfenter chez le voi-yode ou gouverneur de la province ; cependant la nécellîté vainquit notre répugnance. Il nous reçut très-civilement, Çc nous retint à dîner. Nous lui pailâ- en Sibérie. i j mes des Tchouvaches : il nous dit que ce peuple étoit fort nombreux ; qu'aux environs de Tchébaxar il y en avoit plus de dix-huit mille j aux environs de Koufmademianski plus de dix mille ; de Sirilfgorod plus de douze mille j de Svyachk plus de foixante mille, & de KokchaïsK plus de quatre cents mille. 11 nous dit aullî qu'on travailloit à les convertir; qu'on avoit établi dans toutes les villes rulles de cette contrée des écoles pour les jeunes Tchouvaches \ qu'on les y inftruifoit'des principes du chrif-tianifme, afin qu'ils fulTent un jour en état de convertir la nation entière ; qu'on avoit peu réuiii jufqu'alors dans l'exécution de ce projet, &c qu'il étoit à délirer qu'on eut un meilleur fuccès ; mais qu'on avoit toujours manqué d'inftirn-teurs intelliaens , qui Ment prendre ces enfans dans leur caractère. Il eft vrai , ajouta-t-il, qu'on a déjà baptifé beaucoup de Tchouvaches; mais ce font des membres dont l'églife ne peut faire gloire ; la crainte ou l'intérêt les a fuir chrétiens. Revenus le foir au logis , nous fumes fort étonnés de n'avoir point de nouvelles de notre bateau, & nous commençâmes à foupçonner qu'il étoit pafle T4 V Ô Y A e H la nuit du dimanche, mais que l'obfctf-rite de la nuit 8c le venteontraire avoient empêché notre fentinelle de le voir &c d'entendre les coups de fulil. Le matin vint, 8c aucune nouvelle. Nous envoyâmes prier le voivode de dépêcher un courier vers l'endroit où nous l'avions laifîc, 8c nous nous informâmes de tout côte dans les environs de Tchébaxar. Nous étions à diner chez le voivode , lorfqu'on vint nous dire qu'il étoit pa (Té un bateau pendant la nuit du dimanche; que l'obfcuriré de la nuir avoit empêché de le voir , mais que la fentinelle de ce bateau avoit dit qu'il portoit des foldats. Ce rapport donnoit à nos foupçons un grand air de vérité. Cependant nous fîmes réparer notre chaloupe , 8c amener à notre logis deux Tchouvaches , pour nous inftruire davantage des mœurs de ce peuple. Les Tchouvaches s'abftiennent de travail le vendredi , mais fans y attacher aucune idée de fainteté. Ils ont une grande fête dans l'année, & vont ce jour-là viliter enfemble le faint lieu dont nous avons parlé ci-deiTus. Cette fete eft mobile au gré du Iumafîè. Notre chaloupe étoit réparée ; le mef* fager envoyé par le voivode n'éroit pas en Sibérie» de retour , & il pouvoir l'être : nous pen-fûmes qu'ayant ordre de ne point revenir fans apporter des nouvelles du bateau j 8c ne l'ayant point trouvé au lieu délîgné, il étoit allé plus loin. Nous partîmes donc , n'ayant pour pilote qu'un de nos foldats, & nous nous rendîmes le foir à Soundir. On nous y annonça qu'on y avoir vu palTer un bateau le lundi : la defcription qui nous en fut faite convenoit fi bien au nôtre , que nous ne doutâmes plus qu'il ne fût au moins près de Kafan* On ajoutoit qu'un bateau qui remontoit le Volga , en avoit rencontré un autre dont les gens avoient dit qu'ils alloient en Sibérie. Nous nous remîmes en route, & arrivâmes le lendemain à l'embouchure de la Kafanka. Nous y trouvâmes un pofte , ou l'on nous dit qu'il n'étoit entré depuis le dimanche aucun bateau dans cette rivière ; mais bientôt après un foldat de Kafan nous alTura qu'il avoit vu notre bateau remonter la Kafanka. Nous cherchâmes à le découvrir en la remontant T mais envain , 8c nous entrâmes dans Kafan prefque gelés 8c accablés de faim T defommeil 8c d'inquiétude. Nous avions fait depuis Péterbourg environ trois cents foixante-douze lieues- 16 V o y a g B CHAPITRE IV. Fête de Kafan* LE gouverneur nous fît donner ufl mauvais logement-: nous ignorons quelle en fur la caufe : tout ce que nous pûmes conjecturer , c'eft que Platonn Ivanovirch Mouchinn Pouclikinn ne fur pas , pendant le féjour qu'il ht dans nos universités allemandes , trop bien traité par les profelfeurs. Pour nous refaire un peu de notre fatigue , nous achetâmes du vin Se de l'eau-de-vie de France. On boit ici du vin de Makariow : il a le gout de cidre, eft affez fort, Se n'eft pas défagréable : l'eau-de-vie eft renforcée d'une dofe de poivre , Se s'enflamme promprement. Nous n'avions bu que du kouas pendant plufieurs jours.. Le Jcouas eft ordinairement une eau acidulé, faite de farine délayée dans l'eau,& qu'on laiffe fermenter, ou bien l'eau qu'on a verfée fur du pain fans levain , Se qu'on metenfuite en fermentation par une chaleur douce. Quelquefois la petite bière tient lieu de kouas. Ainfi le vin Se l'eau-de-vie qu'on nous donna nous femblerenr in Sibérie. 17 desboiffons très-bonnes , 8c elles eufTent été parfaites , fi nous eu fiions eu des nouvelles de notre bateau. Nous allâmes à la rivière le vingt au matin : il y avoit peu de tems que nous y érions,lorfqif un de nos foldats vint nous annoncer que notre bateau entroir dans la Kafanka. Il arriva bientôt en effet, 8c nous revîmes avec joie nos compagnons de voyage. Ils n'avoient pu partir que deux jours après nous , 6c avoient pallé à Tchébaxar quelque tems après que nous en fûmes partis. Ne pouvant réfiftet au froid dans notre bateau , nous allâmes demander au gouverneur d'autres logemens , 8c quoique fes promeffes fulfent magnifiques , nous ne fûmes logés que trois jours après. Le vingt-deux , il nous fit inviter à la célébration de la fête de fainte Marie de Kafan. Nous aîîilrâ-mes à la procefiion : elle alla de la cathédrale au couvent de la Vierge , qui efl un couvent de filles. Lorfqu'elle y fut arrivée , l'abbefle 6c quelques re-ligieufes apporrerent l'image de fainte Marie : elle eft peinte fur bois , 8c ornée d'une couronne 6c d'un collier dont le travail a coûté trois cents roubles ou deux mille livres de France. L'abbeife i8 Voyage ayant complimenté M. le gouvernent, on entra dans l'églife; il y eut fermon. Le prédicateur étoit fi tranfporré d'amour pour cette Vierge, qu'il ne pouvoit s'em- fecher de s'approcher de tems en tems de im.ige Se de la baifer. Pendant tout l'office on alluma beaucoup de cierges de différentes grolleurs ; on les éteignoit continuellement pour les remplacer par d'autres. Tout le revenu du couvent con-fifte en ces cierges. La cérémonie finit a midi , Se le commiffeire général de l'amirauté nous pria d'aller dincr chez lui. Nous y trouvâmes une grande afTem-blce distribuée en deux chambres , les femmes dans l'une Se les hommes dans l'autre. On fe mit à table : la chère fut bonne Se la converfationdu commiffaire des plus agréables. Nous bûmes des vins de France , d'Afiracan , Se du ponch fait de citron & de petite eau-de-vie. Vers la fin du diner le commilTaire appella fa femme , qui vint verfer du ponch a la ronde dans de grands verres a bière , Se l'on n'auroit pu le refufer fans commettre une grande incivilité. La femme du général major fut priée d'en faire autant , Se s'en acquitta très-bien. Le repas fini, on danfa, Se nous vîmes alors IN SlBERIÏ. *9 les belles qui s etoient tenues jufques-Ià dans 1 autre chambre. Nous fortîmes du bal à fept heures du foir, Se nous vifitâmes les logemens qu'on nous avoit deftinés. C'étoient de vraies boutiques , où cependant nous nous établîmes. Nous allâmes le vingt-fix au couvent de Silandovo , fnué à une demi-lieue de la ville fur la Kafanka. On a établi dans ce couvent une école où des cnfans tchouvaches, tchérémilTes, mordounich.es , kalmoukes , Se tatares , apprennent la langue rufTe Se la langue latine , la philofophie Se les principes du chriftianifme. On prend dans ces différens pays les enfans qui font les plus vifs Se dont les pères ont le plus d'efprit : on les enlevé à leurs parens, on les inftruit, Se on efpére qu ils convertiront leurs nations à la foi chrétienne. CHAPITRE V. Mofquce j prière des Tatares. NOus allâmes quelques jours après à une mofquée ou églife ratare. 11 y en a quatre dans le flobode ou vil- 10 Voyage ■âge tarare , qui eft un peu éloigné de h ville & fur le lac qu'on nomme Bou-lak. Celle que nous vîmes eft un vaif-feau carré & bâti en bois , fur lequel 11 y a une tour avec une gallerie fans cloches & fans croix. Située fur l'alignement des maifons, elle en eft féparée des deux côtés. On y monte du côté de la rue par quatre ou cinq marches , & on entre par une petite porte dans une efpéce de chambre qu'on peur regarder comme lavant-nef. C'eft dans cet endroit que les Tatares ôtent ôc lai/lent leurs fouliers avanr que d'entrer dans la mofquée. Ils y entrent en fui te par une porte qui eft vis-à-vis de la porte extérieure, & de même grandeur. La nef eft une chambre carrée & furfifimment éclairée par un aifez grand nombre de fenêtres. A droite de la porte il y a un four qui donne une chaleur très-douce. Ce bâtiment eft foutenu par quatre pil-Iicrs. II y a au-defTus de la porte une petite tribune où fe placent les chantres. L'abilf ou prêtre tatare étoit vis-à-vis de la porre & au milieu du mur oppofe , le vifage tourné vers le peuple. Il y a fur la gauche de la porte un /îége élevé de quelques marches, & devant ce fiége un pupitre où font les fiiints livres. în Sibérie.""' il Àu-cleflus de ce fiége il y a une fenêtre hors du rang des autres , par laquelle le pupitre elt éclairé. Le milieu de la tne-fquce entre les piliers étoit couvert d'un tapis : cet endroit eft regardé comme le fanctuaire ; on ne nous eût pas permis d'y aller les pieds chaulfés. Nous trouvâmes la mofquée pleine : les Tatares y étoient rangés comme en ordre de bataille des deux cotés de l'abilf, jusqu'aux piliers voifins de la porte. Ils étoient ailïs 1 la turque , & prefque tous avoient la tête couverte. Les Tatares qui entroient alloient au rang le plus voiliti qui n'étoit pas complet, fe mettoient i genoux , puis s'afleyoient. Au moment où nous entrâmes l'abilf lifoit ou plutôt chantoit. Nous nous tînmes près de là porre , la tête couverte. Tant que cette lecture dura , les Tatares eurent les mains jointes. Peu après les chantres chantèrent, mais peu de tems : leur chant n'eft pas défagréable. Enfuite l'abilf revêtu de fes habits de cérémonie vint i fon liège tk lut d'un livre arabe très-bien peint. H nous fembla qu'il béguayoit,' mais je ne peux dire fi cela vient d'un accent propre à la langue ou d'un défaut propre au lecteur. Il cefla de lire2 defcendit de fon fiége, & s'alla remettra zi V 0 v a g e à fa première place; alors les diantre* recommencèrent & chantèrent allez long* tems. Enfuite on commença la prière générale. L'abiffmarmota quelques mors, & les Tatares fe levèrent. Aucun régiment ne fait l'exercice avec plus d'en-femble. Au même inftant ils furent debout ; mais ici leurs mouvemens cefîe-rent d'être égaux. Leur murmure indi-quoit qu'ils prioienr. Chacun avoit une efpéce de chapelet fur lequel il fe gui-doit. Je ne fçais fi tous font obligés au même nombre de prières & de gcftes. Ils prioient tous avec les mêmes cérémonies ; mais je n'en ai point obfervé l'ordre , & n'en ai pu pénétrer l'efprit, j'en parlerai comme un fpectateur qui les a vues à fa manière. Quelquefois tels que des gens près de qui on va tirer un coujp de canon , & qui ne font point habitues à ce bruit, ils tiennent un doigt dans chaque oreille , comme s'ils vouloient éviter d'entendre. Quelquefois on diroit qu'ils veulent fe fivonner la barbe ou qu'ils ont affez mangé : ils fe pafTent la main entière en demi-cercle fur le vifa-ge principalement fur la bouche. Souvent il femble qu'ils veulent jetter quelque chofe hors de leur bouche ; ils tiennent les mains de forte que le bout des en Sibérie. i'*' doigts regarde la bouche, &c qu'elle n'eft touchée que par celui du milieu. Ils font fur-tout ce gefte lorfque Ton chante ces mots : Laïlaha lllalahu Mahammeden rafuluja : ils fe courbent quelquefois, comme s'ils avoient laiffe tomber quelque chofe \ enfuite s'étant relevés, ÔC comme s'ils ne s'étoient courbés que pour prendre leurs mefirres , ils tombent pnof-ternes , relient quelque tems la face comte terre , fe relèvent à moitié , puis fe profternent de nouveau. Ils paroiffent enfin trouver ce qu'ils cherchoient, ôc leur prière alors eft près d'être achevée. Chacun fort dès qu'il l'a finie : dans l'ef-pace d'un quart d'heure la mofquée fut prefque vuide. Il refta feulement quelques bonnes ames qui vinrent s'afieoir autour de l'abilf. U étoit déjà un peu tard , nous ne pûmes diftinguer ce qui fe paifoit ; mais on auroit dit qu'ils jouoient avec de petites billes : c'étoit peut-être le bruit des coraux de leurs chapelets. Ce jeu dura fi longtems _, qu'il nous ennuya j quoiqu'il fût fans doute près de finir, nous fortunes de la mofquée. On nous conduifit le long du village tatare & du village ruffe qui le touche : celui-ci n'eft féparé de l'autre que par une barrière. Nous revînmes 24 Voyage peu de rems après fur nos pas par le» deux villages , àk nous vîmes comment on appelle les Tarares à la prière. 11 y avoir fur la tour de la mofquée , un homme qui crioit ou chantait de toutes fes forces : cet homme eft nommé malin en langue tatare. A fes cris qui durèrent peu , nous vîmes le peuple accourir. On nous dit qu'il alloit cinq fois par jour à la mofquée> au point du jour, à dix heures , midi, quatre heures 6c fix heures. CHAPITRE V.L Iakoutes & animaux menés à Téterbourg, Serment des joldats tatares & votia-kes. De la ville de Kafan. N'Ous vîmes ici une fille & un garçon de nation iakoute qu'on ame-noit de leur pays par ordre de la cour j le garçon avoit onze ans, la fiile quatorze. Ils étoient en route depuis trois années , & dévoient partir pour Péterbourg dans deux jours. Ils avoient paffé deux ans à Tobolsk , où on les avoit habillés à la majaiere du pays. Quant à in Sibérie.' i$ la forme du vifiige , ils refTembloient aux Kalmoukes j ils avoient les cheveux noirs , les yeux petits, le nez plat Se le vifage prefque rond. On y avoit tracé différentes figures, non que ce foie l'ufage des iakoutes , mais à la cour on vouloit voir des Tongoufes, qui fe peignent ainfi le vifage, & on n'avoir, pu en avoir. Ces figures étoient déliées, régulières &: de couleur bleue. ( v. la pL ) Elles fournirent à M. de la Croyere, l'occafion de nous en montrer quelques-unes , de même efpece Se de même couleur, que des fauvages d'Amérique lui avoient tracées fur le corps avec trois aiguilles très-fines, bien liées enfem-ble, Se noircies par la pointe avec de la poudre à canon. L'on m'afîura que celles de ces enfans avoient été formées Se coufues avec du fil ; c'eft tout ce que j'en pus apprendre. On menoit avec ces Iakoutes quelques animaux de lamycheva , nommés en rulTe maralis. Il y en avoit fix mâles 8c un femelle, tous de couleur jaune. Ils avoient la forme Se le bois du cerf, & ce font en effet des cerfs. Nous affiliâmes au ferment des tatares Se des votiakes nouvellement engagés. Les tatares font à genoux j "un, Tome U B 16 Voyage greffier leur Jir le ferment en rufTè ; il leur eft expliqué en leur langue par leurabifT, qui leurprcfenteenfuite l'alcoran ouvert, Se ils le baifent. On lit de même aux votiakes le ferment en rulîe , Se il leur eft expliqué par leur fotnik, qui eft un centurion ou infpectetir de cent payfans. Enfuite on croife deux épées nues j ils s'en approchent l'un après l'autre , Se on préfente à chacun d'eux , par delfus les épées , un petit morceau de pain coupé en quarré , Se rrempé dans du fel j ils le prennenr à genoux Se l'avalent. Cette cérémonie veut dire qu'ils confentenc que ce pain les tue , s'ils ne font pas fidèles au ferment qu'ils viennent de faire. Avant que de quitter Kafan , je dirai un mot de cette ville. Elle eft fîtuée fur la Kafanka, environ à deux lieues du confluent de cette rivière Se du Volga, & à 1490 vérités ou 372 lieues de Péterbourg : elle a une ciradelle bâtie en pierre fur une hauteur. Le logement du gouverneur Se du commandant eft dans cette citadelle. La cathédrale y eft aufîî, c'eft un ufàge général dans l'empire ruffe. On y voit un couvent fondé par le Czar Juan Vafilovitz, & un arfenal. Ii y a vers le haut de la ville une belle. IN SlBERl!. *7 maifon marchande , où l'on trouve des imrchandifes de toute efpece &£ des marchands tant rulfes que tatares. Ceux-ci vendent des étoffes de Perfe, qui font prefque toutes de foie. A l'une des extrémités de la ville, il y a une manufacture de draps. Elle fut établie aux frais du gouvernement par un Rulfe » qui s'y eft tellement enrichi, qu'il a fait bâtir à fes frais fept églifes en pierre. La cour a ordonné , pour foutenir cette manufacture , que tous les nobles qui poffc-dent des biens dans le diftrict de Kafan , aient à y fournir tous les ans une certaine quantité de laine. De plus elle acheté à un prix fixé tous les draps qu'on y travaille, &c en habille les troupes. Vers le centre de la ville eft un hôpital bâti en bois, deftiné à la garnifon de Kafan , laquelle confifte en trois ré-gimens. Du lac Kaban , qui eft derrière le flobode tatare , fort la rivière de Bou-lak, qui traverfe la balfe ville. On ea préfère les eaux à celles de la Kafanka , que l'on prétend même être pernicieufes. 13 Voyage CHAPITRE VII. Habillement coutumes mœurs des Tatares des Voùakes 3 des Tché-re'rnijjes. ON trouve au-delà de Kafan plu-fîeurs villages des Tatares. Ceux de ce canton font mufulmans j ils ont autant de femmes qu'ils en peuvent nourrir. Celui chez qui nous logeâmes à Kpurfa , en avoit quatre. Il nous fut d'autant plus aifé de les voir , qu'il croit abfent. Elles vinrent à nous l'une après l'autre d'un air fort ouvert, & défiroient beaucoup nous parler , mais nous n'avions point d'interprére. Elles tirèrent de leurs poches des noix avec des oignons , qui paroilTent erre pour elles de friands morceaux , & nous donnèrent ^quelques noix. Nous prenions alors du thé j nous fîmes préfent à chacune d'un petit motceau de fucre , dont le gout leur fît grand plaifîr. L'une étoit dans toute fa parure ; elle avoit une coeffe garnie de coraux &c d'anciens copekes, qui lui couvroienr prefque toute la tete, & un anneau pendant £ en Sibérie. 29 îa narine droite : le refte de l'habillement étoit a la rulfe. On voyoit par derrière une trèfle terminée par une boucle de ruban, dont les deux bouts pafloient en écharpe autour du corps, &c retomboient par devant. Elle portoit aux oreilles deux anneaux joints par une chaîne jaune , palTée au travers de plusieurs copekes, 6V cjui pendoit fort bas par devant. Nous vîmes aulli la fœur de notre hôte > qui étoit venue voir fes bel-les-fceurs. Elle nous dit que fon mari avoit payé pour elle un kalin de dix-huit roubles, mais que fon pere l'a voit rendu. Le kalin eft un préfent que le fiancé ou fes patens font aux parens de la fiancée. Toutes les nations idolâtres de Sibérie font dans cet ufage} il n'y a de différence entre elles à cet égard , que dans l'efpece du préfent, qui confifte foit en argent, foit en chevaux , moutons , bœufs, renés ou fourrures : quant à la valeur , 011 la proportionne à la beauté de la fille ou à la richefïe des parens, mais rarement on rend ce préfent. Au refte les Tatares font les plus civils des peuples de la Sibérie, & parmi eux, les Mahométans le font beaucoup plus que les idolâtres. Les Tatares s'habillent à la rufTe, ainfi que leuis femmes, mais ils fe fon: râler B iij 3<3 Voyage la rète, 8c plufieurs fe taillent la barbe en pointe, lis ne font point ufage de poêles ; dans chaque chambre ifs ont deux cheminées , Tune pour fe chauffer, & l'autre pour la cuifîne. Leurs chambres font toujours propres. Ils y ont.des bancs larges 8c bas, fur lefquels il y a toujours un tapis plus ou moins beau félon I'aifance du maîrre , 8c une couchette ou un couffin qu'ils offrent aux étrangers. Au lieu de vitres ils emploient la tunique extérieure de l'efto-mac du veau. Us tendent ces membranes fur les chaflîs, 8c elles tranfmettent affés de lumière. Nous les trouvâmes en général civils 8c affables, 8c nous réformâmes les idées que nous avions aflo-ciées jufqu'alors au nom de Tatares. Tous ceux chez qui nous allâmes , nous firent un préfent, qui étoit le plus fouvent une oie plumée 8c un pain rajîîs, Un riche fotnik nous donna de plus une affiette d'étain pleine de miel, avec trois fpatules de bois 8c une affiette remplie de noifettes. Les Tarares ont un infiniment de mu-lîque , que les Ruffes nomment goufli j cet infiniment eft fait comme une harpe. Il a dix-huit cordes , foutenues par un chevalet fort bas, 8c pofé près de l'en- inSïberie. 3 t droit où ces cordes vont s'attacher. Les chevilles , autour defquelles elles font tournées, & avec lefquelles on les accorde , font à l'autre côré de l'inftiLiment. La première & la féconde font à la quinte l'une de l'autre j la troilieme elt à un demi ton plus haut que la féconde ; la quatrième à la tierce de la féconde \ la cinquième à la tierce de la quatrième ; la fixieme à un demi-ton dIus haut que la cinquième ; la feptieme a un ton de la fixieme & ainli des autres. Le muficien s'aified à terre, joue de la main droite ia baiTe , & de l'autre le delfus. Au-delà de ces Tatares on trouve des villages votiak.es. Ici les hommes & les femmes ont prefque tous les cheveux roux. Les hommes s'habillent à la rulTe , mais ils portent les cheveux courts. Les femmes ont trois habillemens , dont chacun convient à un certain âge. Les vieilles portent l'habit rulTe. Les jeunes ont aulli les corps-de-robe faits à la ruiTè, mais leurs manches font faites à la po-lonoife , c'eft-à-dire , qu'elles ont vers le milieu une ouverture pour palTer les mains. La partie inférieure eft pendante, 8z on la porte en écharpe. Elles ont une COerTe étroite, faite d ccorce de bouleau, "ji VovAGI à chaque coté de laquelle elt attachée une bande Iar^e d'environ deux doigtl, qui pend un peu par derrière , retombe enfuite fort bas par devant, Se eft garnie fur les côtés ainli que fur le devant, tantôt d'une étoffe déchiquetée , tantôt d'une méchante frange : cette coefture reftemble aux fontanges. Elles portent les cheveux de devant tombait* fur le front, ceux de derrière pafïêmblés en chou , Se par deiîus , un bandeau qui pend fort bas par derrière. Les filles ont un capot foupîe , garni par deflous de fix rangs de ruban, ornés de coraux , Se de copekes d'argent Se d'étain. Ce capot terminé en pointe eft garni tout-autour , fut la longueur, de huit rangs de ruban , ornés quelquefois de coraux : leurs cheveux font treffes à la rulTe. Elles font toutes un peu fauvages, & nous ne pûmes en voir qu'après beaucoup d'inftances. Peu s'en faut que les Votiakes ne foient fans religion. Us croient, il eft vrai, qu'il y a un Dieu, qu'ils nomment loumar, Se qu'ils placent dans le foleil, mais ils ne lui rendent aucuns honneurs. Dans les cas de quelque importance, ils ont recours à un homme qu'ils appellent dona, Se qui eft pour « n Sibérie. 4 > eux ce que le iumalie eft pour ks Tchouvaches. Nous fîmes venu un de ces donas : M. Muller lui dit qu'il ref-fentoit au côté de grmdes douleurs, Se qu'il defirc>ic lavoir fi ces douleurs cef-feroient bientôt, ou fi on ne poiuroic pas les appaifer fubitement. Le ciona prit du tabac à fumer, le roula pendant quelque tems entre fes doigts, Se demanda le nom du malade } on lui en ait un fuppofé : il prononça qu'il falloit que le malade allât trouver un abilf ratai e , qui le guériroir par la lecture dun paf-fage de 1 Alcoran. M. Muller lui dit de le guérir lui-même : alors cet ru mme demanda une ccuelle pleine d'eau de-vie , qu'il remua quelque tems en rond avec un couteau , marmotanr je ne fçais quels mots, & la voulut faire boire au malade. M. Mull r n'en voulant rien faire , le pria de boire pour luij le dona parut s'acquitter avec p'aifu de la com-milïion , Se dit enfuite que les ^oulei rs ceftlroient bientôt. Nous lui fîmes encore quelques queftions qui l'emba'raf-ferent ex raordinairement , de forte qu'avant peur de nous faire ^nfin quelque réponle abfurde , il voulut absolument fe retirer. Un votiake auquel je parlai de fêtes, B Y 34 V o y a g i me dit que c'étoit fête pour eux, r.mr qu'ils avoient de la bière & de l'eau-de-vie. Cependant il ajouta qu'ils ont une fete par an; elle tombeau jour de Nocl, mais il leur importe peu de la célébrer quelques jours plutôt ou plus tard. Ils manquent ailes fouvent d'une con-noilTance exacte des temps , & quelquefois leur bière elt bralfée avant le jour de la fête, ou ne l'elt pas encore, quand ce jour arrive. Je demandai à mon vo-tiake ce qu'il entendoit par cette fête; il me dit qu'il falloir boire ce jour-là de toutes fes forces. Je lui repréfenrai que nous révérions ce jour, parce que celui qui nous a mérité le falut éternel, naquit ce même jour, mais c'étoit entretenir de couleurs un aveugle né. Les Voriakes font fpirituels ; je Us voir à l'un d'eux ma montre, & je lui expliquai comment, à l'aide de cette machine , on peut toujours favoir l'heure du jour ; c'elt donc, me dit-il , un petit foleil. En général ils font pauvres : on ne nous lit de préfent que dans un feul de leurs villages. La chalfe eft leur occupation principale J dès qu'il géle un peu, ils vont dans les bois & tuent des ours, des loups, des renards , des lièvres, des écureuils. L'arc eitleut en Sibérie. 55 arme ordinaire j il eft rare qu'ils aient des fufils. Ici le théâtre change Se les Tchérémif-fes paroilfent fur la icene. En arrivant à Verchnoï-Pobiou, nous ne trouvâmes que des gens yvres de l'un Se de l'autre fexe. On y falloir une noce : la joie Se la liberté qui régnoient dans ce village , nous facilitèrent l'examen de l'habillement de ce peuple. Celui des hommes eft rude ; les femmes fe règlent fur l'âge , comme les votiakes. Les vieilles font habillées à la rulfe j les jeunes ont deux manières qui ne différent cependant entre elles que par la coefture. Quelques-unes font coeffées de deux anneaux , dont l'un entoure la tête du devant à l'arriére, Se l'autre du haut en bas. Le premier eft le plus large ; il eft orné d'un rang de copekes entre deux rangs de coraux : d'autres copekes font fuf-pendus â l'extrémité extérieure. A l'endroit où l'anneau s'allonge par derrière & commence à fe rétrécir , les deux bouts font contenus l'un fur l'autre par un bandeau garni de deux rangs de copekes Se de coraux. Cet anneau eft terminé par une queue faite d'un bandeau large de deux pouces, qui pend jufqu aux reins, & qui eft engagé dans les plis de leur 7,6 Voyage robe. Cette queue eft ornée d'un grand nombre de pièces de mon noie ik de coraux de toutes couleurs. L'anneau qui va du deifus au delTous de la tête, fe termine fous le menton : il eft orné de croix de corail vert , dont les extrémités font garnies de petits coraux blancs. Au deilôus de l'oreille droite , il pend de cet anneau un autre anneau mince , dont les bouts ne fe joignent pas. L'un de ces bouts eft orné d'un petit cryilal blanc, monté dans un chaton d'érain. Ce chaton eft prolongé au delà du crvftal , entouré d'un fil d'étain , terré ôC terminé par un penr anneau d'étain. A l'autre bout eft attaché un petit morceau de queue de lièvre. Une boucle d'oreille toute tétùblable eft à i'o-reille gauche. Au defîus des deux anneaux qui entourent la tête, s'élève un bonnet pareil par la forme tk par la hauteur à ceux de nos grenadiers. Il elt large de cinq pouces à fi: partie antérieure-, d'un pouce à fon extrémité fu-périedre-, & mur le devant eft couvert de copekes. Du rang inférieur de copekes , & fur route la largeur qui elt d'environ trois pouces , pendent des ra les de coraux verts & jaunes, de cinq eu cinq alternativement, longs de trois n S 1 B e R ! t'. 37 ponces 6V garnis en haut & en bas d'un rang de grands copekes d'argent. Aux côtes év par derrière , au lieu de ces coraux , pendent des fils de foie verte Se rouge y ceux des côtés font de même longueur que les coraux du devant : les fils de derrière vont jufqu'i i anneau qui entoure la tête du haut en bas. Les cheveux de devant fortent du bonnet, ceux de derrière font en chou. Une autre jeune femme n'avoir qu'un petit capot rond garni de trois rangs de copekes Se d'autant de rangs de coraux. U étoir termine par une queue formée d'un bandeau large d'un pouce , Se oiné à fa naitlîance de fix pfennings placés trois à trois. Cette femme portoit des pendans d oreille femblables à ceux que je viens de décrire. Deux rangs de coraux , attachés à l'extrémité de ces p^ndans , fe réunifiaient fur la poitrine , & entre ces deux rangs deux autres formés de gros coraux rombount par devant. Nous vîmes encore une fille d'environ quinze ans , qui n'avoir fur la tête qu'un morceau de drap triangulaire & brodé par derrière comme un tapis de Pcrfe. Elle portoit deux rangs de coraux qui re-tomboient fur la poitrine, Se tous fa robe une pièce de coraux. Elle étoit $8 Voyage affés folie , Se avoit été demandée ce jour-là même en mariage j mais on n of-froit qu'un kalin de cinq roubles, Se fon pere en voulait dix. Nous remarquâmes encore dans les habillemens quelques différences, Se entr'aurtes de petits grelot que les femmes portent au> pieds. Nous voulûmes voir au/fi des magiciens Tchérémilfes, mais ils refu-ferenr de venir. Ap'ès Verclinei-Pobiou , l'on trouve un village de Votiakes, qui ne relfem-* blent point aux précédens. Je ne peux les comparer à aucun peuple avec plus de j u (telle qu'aux paylans de Finlande, qui font les plus ruftres des hommes. Les premiers que j'ai vus, doivent fans doute leur civilité à leurs voifïns les Tatares. Ceux-ci parlent communément ruffe Se tcliérémiffe; les TchérémilTes parlent tarare Se ruffe ; les Votiakes parlent aufli tatare Se rulfe, mais ne fa-vent pas le tchérémilfe, parce qu'ils ont peu de commerce avec certe nation. Tous ces peuples fe fervent de cheminées , comme je l'ai dit des Tatares. Leurs chambres font toujours plemes de fumée , parce qu'ils s'éclairent, comme les Rurfès , avec des loutchinski ou éclats de fapin. Ils vivent de chair de en Sibérie» cheval, de vache , d'ours & d'écureuil. Les Voriakes & les TchérémilTes mangent aulîi du cochon. En partant de ce village votiake pour OlTa, on peut palTer par Sarapoul ou par de (impies villages. Nous choisîmes cette première route, quoiqu'elle foit plus longue de deux lieues & demie, dans l'efpoir de faire à Sarapoul quelques de-couvertes fur fa fondation , tk fur les lieux circonvoilins. Avant que d'arriver à Bugrich iéfachnoi, nous vîmes à quelques vérités de ce bourg , deux kéré-mets, l'un votiake , l'autre tchérémiffe ; c'eft ainfi qu'on nomme les lieux faints, où ces deux nations vont facrifier : ils étoient tous deux pareils à celui des Tchouvaches , duquel j'ai parlé. Cependant ils avoient ceci de particulier qu'ils croient au milieu d'une plaine, aulieu qu'ils font ordinairement dans les bois. La feule raifon qu'on pût nous donner de cette différence , fut que le dona votiake ck le mouchan tchérémiiTe la-voient ordonné. J'appris ici que les TchérémilTes, outre leur mouchan, ont une efpece de prêtres qu'ils nomment iougtouch : c'eft lui qui régie les préparatifs tk l'ordre des facrifices c'eft lui qui, iorlquon fait une noce, prie pour 40 Voyage la profpéritc de la famille future, 8è donne aux convives autant d'hydromel ce de bière qu'il le juge convenable. Avant que d'arriver à Bourma , nous traversâmes une forêt qui a douze lieues de long. Plufieurs nomment ce village Baiki ; c'eft le nom d'un habitant célèbre de cet endroir. Les Tatares qui l'habitent , defcendent de ceux de Kongour, & ont un autre dialecte que ceux de Kafan : les habillemens des femmes y ont aufîi quelques différences. L'une d'elles que fon mari avoit achetée cinquante roubles ou deux cent foixanre-lix livres quatre fols, portait attaché à fon écharpe un étui de plomb long 6c mince. A cet étui étoit jointe une amulette , qui eft un os du genou de caflor, Ôc qui guéut, difent-ils, des douleurs des pieds. CHAPITRE VUE Caverne de Kongour. Fonderies dTrghini. lécatherinebourg. Fonderies de Po/eva* DE s que nous fûmes arrivés à Kongour , nous nous rendîmes à la caverne décrite par Scrahlenberg, & que ïn Sibérie. 4t tour, curieux va voir. Nous y entrâmes vers les dix heures avec notre guide. Les parois de cette caverne font de pierre calcaire : elle eft l'ouvrage de la nature , mais n'a point autant de fingu-larités que celle du duché de Wirtem-berg ou de Hartz. On voit dans celle-ci beaucoup de figures formées par l'eau qui filtre au travers des rerres : ces figures repréfentent quelquefois des arbres, des animaux. Un coup de piftolet y fait autant de bruit qu'un canon du plus grand calibre tiré en plein air. A une certaine diftance les flambeaux s'éteignent j ainli on n'eft point encore allé jufqu'au fond de cette caverne. Nous nous rendîmes de Kongour à la fonderie d'irghin: elle étoit nouvellement établie & mal pourvue en ouvriers. Nous y vîmes, pour la mine de fer, un fourneau de grillage & un haut fourneau ; pour celle de cuivre , une place à griller, un fourneau moyen & deux fourneaux de fulion. La traite de la mine de fer eft de cinq lieues , & cette mine ne donne que vingt pour cent : celle de cuivre eft tirée de Bourma. On vend en cet endroit de petites marchandifes mofeovires de toute efpece, & toutes fortes d'uftcniî-les de cuivre étamés en dedans & en de- 4i Voyage hors : ces uftcniiles fonr mal faits, parce qu'on manque de bons ouvriers. De-là nous nous rendîmes .1 I.ilyme, village rarare. Ici la coerfure des femmes a quelque chofe de particulier. Deux bandeaux larges de deux doigrs, 6V ornés d'un rang de copekes entre deux rangs de coraux, pendent des deux oreilles, 6V fe joignent fous le menton. Elles portent fur la tête un capot ouvert en rond par le haut. Ce capot garni de copekes 6V de petits coraux elt terminé par une queue lî chargée de coraux 6V de médailles de plomb, qu'elle pcfe pref-qu'autant que la femme qui la porte. Il n'y a gueres que des hameaux entre îalyme 6V Iccatherinebourg. Cette ville a été fondée en 1725 3 par Pierre le grand , 6V achevée foris l'Impératrice Catherine , qui lui a donné fon nom : elle eft dans la province de Tobolsk environ à fix cents lieues de Péterbourg. On peut la regarder comme le centre de routes les fonderies 6V mines de la Sibérie : c'eft auiïï la réfidence de ceux qui ont infpeétion fur ces mines. Elle a été bâtie en entier aux frais du gouvernement , & n'eft habitée que par des inf-pedteurs des mines, par des mineurs & des fondeurs. in Sibérie* 4 $ Elle eft bâtie à l'allemande, régulière, fortifiée à caufe du voifinage des Bachki-res, 6c traverfée par l'Ifet. On a oppofé a cette rivière une grande digue, qui la fait enfler au point qu'elle fournit l'eau fuffifante aux machines des fonderies. Le lieutenant général Hennin, qui a le plus contribué à la fondation de léca-therinebourg, en étoit alors gouverneur: il étoit aulîi préfident de la jurifdiction des mines, & avoit fous lui un alfef-feur, outre les officiers nécefïaires. 11 y a dans cette ville une douane qui relevé de la jurifdiction de Tobolsk j on y vifite les marchandifes qui font portées à la foire d'irbit. C'eft le feul temps de l'année où l'on permette aux marchands de palfer ici, & on voudroit bien fup-primer cette permifïion , parce qu'ils peuvent frauder les droits en prenant r des chemins détournés. Mais comme plufieurs feroient obligés à un trop long circuit, fi ce paffage leur étoit refufé , on a égard à la commodité du plus grand nombre, & on veille autant que l'on peut à ce qu'il n'y ait aucune fraude. On peut s'inftruire ici de tout ce qui concerne les mines &c la manière de les fondre - les machines font entretenues avec un foin furprenant, les ouvriers 44 Voyage montrent une application qu'on délire vainement ailleurs, l'ordre des rravaux eft admirable , les difpofitions font parfaites. On n'a point recours aux coups de bâton pour prévenir l'ivrognerie : il n'eft permis de vendre du brandevin que le dimanche, la quantité que l'on en peut vendre eft fixée, 8c, ce qui eft tiès-rare ailleurs, on fait obferver cet ordre avec une grande exactitude. Au refte rien ne manque aux ouvriers ; ils font régulièrement payés, vivent à bas prix , 8c fonc traites à l'hôpital quand ils font malades. La nuit du 31 Décembre, nous vîmes tout-à-coup entrer dans notre chambre une troupe de mafques. L'un d'eux habillé de blanc tenoit une faux qu'il ai-guifoit avec un morceau de bois j celui-là vint droit à moi, me menaçant avec fa faux , 8c difant, CIvifl veut ta mort. Autant que le commencement de cette farce me parut étrange , autant la fin fut ridicule : l'un étoit le diable , un autre la mort, quelques-uns étoient mu-ficiens , le refte croit des hommes ôc des femmes qui danferent au fon des inftru-mens. La mort 8c le diable les regar-doient en difant, tous ces gens feront bientôt en notre pouvoir. Cette danfe e m S i b f. r. i e. 4$ de morts nous amufant peu , nous donnâmes promptement à la mort de quoi boire à notre fanté j aulli-tôt toue fon troupeau prit congé de nous. L'efprit de cette efpece de fpectacle , eft de rappel-ler l'idée de la mort à la fin de l'année , &: le but principal, fi je ne me trompe, eft de ramalfer quelques copekes. Nous allâmes à la fuite du gouverneur , voir la fonderie de cuivre de Po-leva , à treize lieues de Iécatherine-bourg. On l'avoit entourée de retran-chemens, pour la garantir des infultes des Bachkires. Nous ne defcendîmes point par le puits où les mineurs paf-foient ordinairement, mais par un escalier commode. Quoiqu'il le fût moins à mefure que l'on avançoit nous y defcendîmes avec beaucoup moins de peine que dans les mines d'Allemagne. La mine ne fe montroit point en filons , mais fe trouvoit par nids ou glèbes, dans une terre noire un peu alumineufe : elle étoir pyriteufe & donnoit environ trois pour cent. Cette mine étant pref-que épuifée , l'on fe préparoit à l'abandonner. Nous allâmes de la mine à la fonderie, où nous vîmes tous les fourneaux •tiécelTaires pour couler la matte, deux 4<> Voyage bocards ou moulins à piler la mine J donc l'un avoit pluiïeurs pilons , l'autre un feul : c étoient les eaux de la Poleva qui les mettoient en jeu. Nous vîmes de plus un hangard où l'on gtilloit la mine. Les mattes coulées ici étoient portées à Iécatherineboutg, pour les affiner & les mettre en lames. Comme cette mine s'épuifoit, on avoit déjà fait conftruire un haut fourneau, afin que fi l'on ne trouvoit aucun nouveau filon de cuivre, on pût exploiter la mine de fer, qui s'y montroit en grande quantité. CHAPITRE IX. Diverses mines de Sibérie. Foire d'Irblt. MEflîeurs Muller &c de la Croyere, ayant été obligés de fe rendre promptement à Tobolsk, l'un pour faire des obfervations aftronomiques j l'autre pour y prendre avec l'amiral quelques arraneemens concernant la continuation de notre voyage, j'accompagnai ieul le gouverneur, & je vis avec lui la fonderie de Silfert : c'eft: une fonderie de fer, établie dans l'été de 1755 par le gouverneur de Iécatuerinebourg, pour e*. t n Sibérie. 4? ploiter le riche minerai de fer qui fe trouve en ceu endroit en grande quantité. Cette fonderie eft iituée avantar geufement : la rivière de Siflert, qui eft contenue par une digue de cent toifes de long fur vingt de large , a toujours affés d'eau pour faire aller fix martinets & les foufrlets de deux hauts fourneaux. On a conftruit autour de cette fonderie un rempart de bois que l'on a entoure d'une palilfade. Je me remis en route, & dans un village nommé Phomime, on me dit qu'il y avoit, à deux jours de marche, un vafte défert où l'on trou voit plu-fieurs lacs, les uns d'eau falée, &: les autres d'eau fi amére, que les bef-tiaux ne pouvoient en boire : on trouve aufti dans ce défert des chevaux fauva-ges. Aux environs de Pokrovskoïé , qui eft à dix-huit lieues de Iécatherinebourg, le feigle vient très-bien , le froment très-mal. Les payfans en aceufent le terroir , qui, quoique de bonne qualité , ne fournit point au froment une nour-rirure qui lui convienne. On trouve aufti dans ce même endroit une cfpece de cerifes fauvages qui font aigres, & dont le noyau eft allongé. Plus loin eft la fonderie de Kamenskié, 48 Voyage iituée fur la kamenka : elle elt entourée) d'un rempart de bois Se de chevaux de fiïfe. C'eft une des plus anciennes de la Sibérie , Se celle où l'on fait le meilleur fer, il eft très-fibreux , très-liant, Se l'on ne coule point ailleurs des gueufes aufti parfaites : prefque toutes loutien-nent l'épreuve , ce que ne font point la plupart des gueufes des autres fonderies. On tire le minerai près de la kamenka , & à fept lieues de cette rivière , auprès de Pinar. Il y a dans cette fonderie deux hauts fourneaux Se deux mattinets, qui, de même que les fon-flets, font mis en jeu par les eaux de la kamenka. Ces eaux font refferrées par une digue , mais quelquefois elles manquent, ce qui eft un inconvénient très-préjudiciable. On penfoit, lorfque j'y pallai, à tranfporrer cette fonderie dans un endroit plus commode. Quelquefois , fur-tout au printemps , cette rivière déborde Se ravage les campagnes voifines. Je me rendis de cette fonderie au village d'Irbit, par un défert parfemé de bois Se par des chemins fort difficiles. Ce village eft fur la rivière d'Irbit, à cinquante lieues de Verkhotourié, Se à cin-quante-fept lieues de Iécatherinebourg. t, m Sibérie. -\4 11 croit aile de juger des l'entrée du village , qu'il s'y paûfoit quelque chofe d'extraordinaire \ on pouvoir à peine y pénétrer , tant les chemins étoient remplis de chevaux , d'hommes, de traîneaux, de voitures de toute efpece : c'étoient les préludes de la foire prochaine. A peine y a-t-il une ville de Ru£ fie , d'où il ne vienne des marchands à cette foire. J'y vis des Grecs, des Boukhares , des Tatares de toutes les elpeces , qui s'y étoient rendus par ordre du gouverneur Galdantliren : chacun avoit apporté les denrées de fon, pays, ou les ouvrages que l'on y travaille -\ mais les Grecs avoient fur-tout des marchandifes étrangères , achetées à Arkhangel , telles que du vin ÔC de l'eau-de-vie de France. La principale marchandife des Boukhares étoit de l'or & de l'argent natif , qu'ils vendoient au poids. Quelques Ruffes avoient aufli de l'argent qu'ils trouvent dans les vieux tombeaux. Les marchands font obligés de pré-fenter leurs marchandifes à la douane : ils y payent des droits pour tout, excepté pour l'or & l'argent. Ces droits font le dixième de toute marchandife Tome L Ç 50 Voyage effectivement vendue; en fuite on fait leltimation de celles qui refont, ôc on en paye auiîi dix pour cent. Lorfque toutes les marchandifes font enrégiftrées à la douane , l'ouverture de la foire dépend du voivode de Verkh nourié, qui vers ce temps fe rend à Irbit avec un petit détachement de fa chancellerie. 11 elt de l'intérêt des marchands que la foire s'ouvre de bonne heure : mais lorfque le voivode aime les prefens , il diffère l'ouverture jufqu a ce qu'il foir content de ce qu'il a reçu. Elle ctoit fixée autrefois à la fête des rois; il y a déjà long-temps que cette règle ne fubfifte plus. Le vingt janvier de cette année (1754) toutes les boutiques furent ouvertes , Se on ordonna enfui te de les refermer. On les rouvrit deux heures après, Se elles furent encore ouvertes 1>eu de temps. Enfin l'on n'eut que le 27 e plein pouvoir d'ouvrir Se de -vendre. En même temps on mit un commis a la porte du village, pour percevoir les droits des denrées qui entreroient durant la foire. On ne peut dire quels font ces droits : il femble que le commis les fixe à fon gré. J'entendis un pay-fan qui s'en plaignoit ; on lui avoir * n S i e e r i z. P fait payer fix copekes potir deux cochons de lait qu'il n'avoit vendus que quatre copekes. Dès que les boutiques furent ouvertes, ce fut un grand concours de marchands, pour vendre ou pour acheter : quelques-uns fimplement curieux regardoient les marchandifes. Il y avoir, une feule boutique d'uftenfiles de cuivre de Iécathennebourg. On vendoit aulîi du vin, on buvoit largement, ÔC on cuifoit dans les rues de petits gâteaux. On voyoit ça Se là des troupes de mendians, qui aflis auprès du feu chantoient des cantiques Se recevoient de temps en temps de leurs auditeurs qui n'étoient pas en petit nombre , quelque argent ou morceau de pain. Après avoir joui de ce lpecracle pendant tout un jour, je lailfai Irbit Se la foire , Se me rendis àTioumenne. Cette ville eft afTez grande , prefque toute en bois Se même entourée de remparts de bois : on y voit neur églifes Se deux cou-vens, dont l'un eft de filles : elle eft fut la rive méridionale de la Toure , Se au lieu d'être le long de cette rive, elle s'étend dans les terres. Elle efttraverfée par une rivière qui fe jette dans la Toure a l'extrémité de la ville. '5* Voyage J'allai de Tioumenne d Mirime cV je voulus y changer de chevaux ; mais les Tarares de ce village qui descendent des Boukhares, prétendent qu'en vertu de leurs anciens privilèges, ils font exempts de tout devoir, même de celui de fournir des chevaux. Ils mexpoferent leurs raifons avec une telle éloquence qu'il me partit prudent de m'y rendre : je demandai feulement à voir leurs privilèges ; ils me dirent qu'on les gardoit chez leurs frères dans le village voifin. Cependant il y avoit un alfés grand débat entre les Tatares de Mirime & ceux de Tourbinne : ces derniers me con-feilloient d'obliger les autres à me louer des chevaux, difant qu'ils le dévoient, &: qu'oubliant ainli l'honneur & le ciel , ils méritoient d'être bâtonnés. Les Tatares de Mirime m'en difoient autant de ceux de Tourbinne & chaque parti vouloir que je bâto-nafîe l'autre. J'engageai ceux de Tourbinne à me mener à Tobolsk , où je trouvai mes compagnons de voyage en aufli bon état que ie le deùVois, & avec eux un chirurgien que nous avoit lailTé l'amiral Béering par ordre du fénat. e il S i b e r t e.j $$' Avant de parler de cette ville Se du féjour que j'y fis , je dirai quelque chofe de certains ufages que j'ai remarques. Il y a en Sibérie plufieurs bourgs entourés d'un rempart de bois y on les nomme flobodes dans la province de Tobolsk ; on y voit peu d'autres fortifications, fi ce n'eft à Tobolsk même. On ne craint que les Bachki-res, les Kalmouckes Se les Cofaques : la guerre que font ces peuples n'étant qu'un brigandage Se confiftant en cour-fes qu'ils font A cheval, il fuffit, pour s'en préferver, de s'entourer d'un retranchement que leurs chevaux ne puiffent franchir : leurs armes ne font ordinairement qu'un arc Se des flèches. CHAPITRE X. Carnaval de Tobolsk. Mariage tarare: JE ne vis rien de particulier à Tobolsk jufqu'au 17 février : mais ce jour, qui fut le premier du carnaval , tout fembla revivre. Les gens les plus confidérables fe rendoient vi-fite Se fe donnoient des divertiffemens. Quant au peuple il étoit comme fou : ce n'étoit jour Se nuit que promenades. 44 Voyage cris, tumultes, batteries. Il étoit diffî-cile d'aller dans les rues, tant il y avoit d'hommes, de femmes, de bétes & de traîneaux. En palTant pendant la nuit devant une auberge , j'y vis un di-verriffement des plus finguliers. Un alfés grand nombre d'hommes avoient fait un tas de neige devant la maifon au bord d'une petite rivière : ils s'étoient afiis fur cette neige , & là chantoienr & buvoient avec délices. Lorfqu'ils n'a-voient plus à boire , un deux alloit au cabaret , rapportoit de nouvelles proviiions 8c avec elles un redoublement de joie : ils ne paroiffoient pas lèntir le moindre froid , 8c ils invitoient les palîànsà prendre part à leurs plaifirs. L'amufement des femmes étoit la promenade ; il y en avoir jufqu a huit fur le meme traîneau : on en remarquait fouvent qui fe reffentoienr des fumées du vin. On s'entretenoit chaque marin des tumultes , des batterie?, des déportemms delà nuit. Un bas officiet de la flotte dépouilla une femme dans Ja rue , 8c la bâtit fi cruellement fur tout le corps avec une garcette, qu'elle en mouruc quelque? jours après. Je fus bientôt obligé de retourner i Iéc.uiierinebourg pour y voir 1© in Sibérie. 5 ç gouverneur, qui étoir dangereufemtnt malade. En partant au village de Pekhter, j'entrai dans une maifon des Tatares tobolskains : chez eux, les bœufs , les veaux, les moutons, les femmes, les vaches, les hommes, &c les enfans vivent en fociété. Je vis dans Pekhter un enfant qui portoit trois amulettes : elles étoient attachées au cou 6c pendoient fur les épaules. Celle du milieu étoit la plus grande &c de forme quarrée : il y avoit au-delfous un rang de coraux terminé par un grelot rond. De chaque côté de cette amulette , une autre triangulaire un peu plus petite pendoit à un fil garni par en-haut d'une couple de coraux ; elles étoient toutes trois dans du cuir. Les amulettes ne font autre chofe que des fentences de l'alco-ran, qu'il'faut acheter de l'abifl* ou prctre ; elles confervent en famé , dit-on, l'enfant qui les porte : les pères en achètent le plus qu'ils peuvent, & il n'y a pas un feul enfant qui n'en ait une pour le moins. Dès que je vis que la fanté du gouverneur fe rétablifibit, je repris la route de Tobolsk, & je retrouvai cette ville aufii paifible que je l'avois lai (fée tu-• Civ #6 Voyage multueufe. On y prioit, on y jeunoit : une cérémonie faire le trois mars par l'archevêque dans la cathédrale » augmenta cette ferveur. On célébra la béatitude des czars fanctifiés, de toutes les faintes perfonnes de la famille royale, des faints patriarches 8c de plusieurs faints du commun , au nombre defquels on mit le lermak qui conquit la Sibérie. Au contraire on lança folemnellement la grande excommunication contre les incrédules , les hérétiques, tels que les luthériens 8c les réformés , contre ceux qui avoient fair fchifme dans l'églife, comme les catholiques romains. On n'entendit pendant le carême ni chants, ni di-vertiffements : on ne pouvoit pendant ce faint temps ni fiancer ni époufer , 8c s'il n'y avoit point eu de Tatares en cet endroit, nous n'aurions facisfair en rien notre curiofité. Il y eut au village de Sabanaka une noce tatare : nous nous y rendîmes le matin vers les huit heures. Nous allâmes à la maifon où fe devoir faire la cérémonie; on nous conduifiravec les autres étrangers dans une chambre particulière , où l'on nous avoit préparé des fiéges : nous retrouvâmes ici les bancs e n S i b e r i ï. 5T larges 8c bas que nous avions vus chez tous les Tatares. Ces bancs étoient couverts de tapis, ainfi que la table fur laquelle étoit un gâteau de gros raifins 8c de noix de cèdre. Dès que nous fûmes dans cette chambre, on nous fervit félon Pufage ruffe, du brandevin 8c en-fuite du thé. On nous dit qu'il y avoir des chevaux raffemblés dans la ville* qui dévoient faire une courfe jufqu a cette maifon : c'eft un ufage fort ancien. Afin qu'il fe trouve toujours des cavaliers 8c des gens qui veuillent louer des chevaux pour cette courfe , la fiancée &le fiancé donnent plufieurs prix, dont le plus confidérable eft à celui qui arrive le premier , 8c ainfi des autres. Le fiancé donnoit cette fois une pièce de kamka rouge ,une peau de renard , une pièce de kham verd , un pièce de tchan-dar blanc, une peau de cheval rouge. La fiancée donnoit une pièce de kamka violet, une pièce de cfrap boukhare , nommé daréi, moitié laine 8c moitié foie, rayé de blanc 8c de rouge , une peau de loutre , une pièce de kitaica rouge , une peau de cheval rouge. On attachaces prix à de longues perches que l'on planta devant la maifon. On le', rangea félon leur valeur dans l'ordre Cv, 5^ V o y a c e îuivant ; le kamka violer, le kamka ïouge , le darei, la peau de loutre , le Jkitaica, la peau de renard, le kham verd, le rchandar, les peaux de cheval. 11 y avoit donc en tout dix prix , pour les dix premiers qui arriveroient, A onze heures on en vit trois ; c'étoient trois jeunes garçons rulfos, qui potoient des culottes blanches : on leur donna les trois premiers prix. Trois autres arrivèrent quelque temps après, & ainli de fuite» Prefque tous étoient'de jeunes garçons rudes ou tatares , & porroient auflï des culot-es b'anthes. On donna les dix prix aux dix premiers qui arrivèrent, maison nous dit que ces prix n étoient pas toujours dillribués fans partialité. 11 y avoit près de là deux rables , & fur chacune un inftrumenr tatare ; il étoit fait d'un vieux pot, fur lequel on avoit tendu un cuir : les muficiens ftappoient fur ces pots comme un tambour fur fa caille , avec cette différence qu'ils battoient moins bien. Ce concerto ne nous flatta pas : cependant une foule de Tatares entouroient ces joueurs. Nous allâmes dans la chambre du fiancé : elle étoit remplie de gens qui buvoienc, & deux muficiens tatares s n S n s n i !. augmentoient la joie. L'un avoit un tuyau percé de quelques trous , duquel il tiroit des Ions, en mettant tout entier dans fa bouche le bout par lequel il fouftloit : l'autre avoit un violon ordinaire. Ils nous jouèrent quelques morceaux qui n'étoient pas trop mauvais , un enrre autres qu'ils trouvent très-beau &c qu'Us nous tirent remarquer : ils nomment ce morceau iermak , & nous dirent qu'il fut compofé lorfque Iermak conquit leur pays. Nous retournâmes dans la chambre ou nous avions pris du thé. On nous dit peu de temps après que les parens &i conducteurs du fiancé le conduifoient dans la cour. H en fit le tour trois fois, 6v lorfque au premier tour il palfa devant la chambre de la fiancée, on en jetta par les fenêtres, beaucoup de petits morceaux de drap, fur lefquels le peuple fe précipita. Le fiancé portoit une longue robe tatare de couleur rouge & à boutonnières brodées en or. Il avoit un bonnet rond à la tatare, de couleur fouge & orné de fils d'or. U monta dans une chambre où deux abilfcV l'akhou-ne , c'eft - à - dire l'évêque du pnys , étoit afiis fur un banc tata-e avec deux hommes qui repréfentoient les pères éo Voyage des fiances. Les deux conducteurs du fiancé entrèrent les premiers & vinrent demander à l'akhoune fi on pou-voit commencer la cérémonie, l'akhoune l'ayant permis, le fiancé entra. Ses conducteurs lui demandèrent s'il vouloit époufer une telle : à l'inftant un des abilT envoya faire à la fiancée la même demande. Lorfqu'on eut rapporté fon oui, & que les pères eutent donné le leur, l'akhoune expofa au fiancé les loix du pays touchant le mariage : la principale étoit qu'il ne pou-voit prendre aucune autre femme fans le confentement de celle qu'il prenoit actuellement. Le fiancé ne répondit point, mais fes conducteurs promirent pour lui, qu'il obferveroit ces loix : cela fait, l'akhoune le bénit &c termina la cérémonie par une efpece d'éclat de rire, auquel on répondit de la. même manière. Plufieurs perfonnes donnèrent comme préfent de noces, chacune un pain de fu-cre : ce fur pendanr la cérémonie. Lorf. qu'elle fut près de finir, ces pains furent mis en morceaux , & ces morceaux fur des afiiertes, les plus gros à part. Ceux-ci furent diftribués aux prêtres 5c le refte aux affiftans : nous en eûmes en Sibérie» 6-auffi chacun un morceau , pefant envi-ton deux onces. Au fortir de cette chambre nous revînmes dans la première ou nous étions encres : on nous y apporta du riz cuit, des pois, du bœuf, de l'agneau. Nous retournâmes bientôt à Tobolsk &c nous apprîmes quelque temps après que la noce avoit duré trois jours , pendant lefquels on avoit bû &c mangé de toutes fes forces. 11 eft permis à tous ceux qui le veulent devoir cette cérémonie du fiancé , mais il n'en eft pas ainfi de celle de la fiancée , qui fe fait la veille de la noce : il n'y a gueres que les proches parens ou les intimes amis qui puiftent y être. M. Muller ayant eu ce plaifir, m'a fait part de ce qu'il a vu. Une troupe de femmes & de filles parentes de la fiancée fe rendirent chez, elle la veille du mariage : c'étoit fans doute pour pleurer fa virginité , comme c'eft l'ufage en Ruflie parmi le peuple : toute la chambre étoit fi pleine qu'on auroit eu peine à y trouver place. On commença par manger, &c bientôt on entendit un violon tk une flûte tatare j cependant de petits garçons danfoient & chantoient ; il y avoit avec eux un, Ci Voyage homme qui recevoir de temps en temps quelques copekes pour les muficiens &: les danfcurs, 6V faifoit cnfuite de pompeux éloges de la générofité des convives. La fiancée aflîfe derrière un rideau , étoit entourée de plufieurs filles. M. Muller parvint à elle avec quelques livres de rainn, qu'il offrit comme préfent de noce. Elle étoit fur un tapis étendu à part pour elle, ik avoit à fes côtés une jeune fille de fes compagnes : un grand drap blanc les couvroit routes deux. Les filles & femmes qui étoient préfentes venoient l'une après l'autre embraffer la mariée, 6c fe retiroient. Enfin parurent deux hommes de la part du marié : ils fe placèrent au milieu de la chambre 6V chantèrent l'hymne de la fiancée. Le ton en efl allés chérif & les paroles ne valent pas mieux. Tandis qu'on les chantoit, plufieurs filles & femmes pleuroient, & on entendoit aufîî la fiancée fangloter un peu. Ce jour-là le fiancé ne doit pas paroître. Lorfque le chant fut fini, les chanteurs & d'autres hommes qui les accompagnoient, vinrent derrière le rideau, & prenant par les quatre coins le tapis fur lequel croît la mariée, l'enlevèrent elle & fa compa-i ïtf Sibérie. 6$ jgne , toujours enveloppées du drap blanc , tk la portèrent dans une autre maifon, qui n'étoit pas celle du fiance. On y avoit porté des Lumières , &: les muficiens commencèrent à jouer. On re- 1 mit encore ici la mariée derrière un rideau , fur le même tapis : elle y trouva des parentes du fiancé qui lembraflerenc & la confolerent. La fymphonie , les dan fes, les chants recommencèrent, tk la mariée refta dans cette maifon toute la nuit tk le jour fuivant, qui fut celui de la noce , jufqu'à ce que Le marié vint la prendre & l'emmenât chez lui. CHAPITRE XI. Spectacles, dévotions tatares. Antiquités. Départ de la flotte. LE terme des jeûnes étant arrivé , fut aulli le terme de la triftelfe où Tobolsk. étoit plongé. Pâques fut célébré dans cette ville, comme il l'eft en Rufiie par le peuple. Nous allâmes à un fpectacle qui nous rappella ceux de Iécatherinebourg. Le premier acte commença par des chants : enfuite un périr garçon vint fouhaiter à l'alfcmblée les bonnes fêtes de Pâques. <>4 Voyage Celui-ci forçant il en vint un autre; habillé de noir de la tête aux pieds & tel cjue l'on peint le diable : il faifoit marcher devant lui un vieillard à cheveux gris, qui haletant beaucoup , repréfen-toit au petit diablotin la foiblelïe de fon âge. Celui-ci lui ayant fait toutes fortes d efpiégleries, lui mit autour du cou un ferpent empaillé , qui avoit une pomme à la gueule, &c le vieil Adam tomba comme morr. La mort entra, fa faux à la main , & voulut enlever le cadavre ; mais le Diable s'y oppofa , faifant des lingeries de toute efpece. Enfin Jefus-Chrift parut : c'étoit un jeune homme allez mal vêtu , qui d'une main tenoit une croix , de l'autre une couronne. A fon afpeét le Diable effrayé s'échappa le plutôt qu'il put. La vertu de la croix donna au vieil Adam une vie nouvelle : le Seigneur ordonnant qu'il fe levât j lui mit fur la tête la couronne d'or qu'il lui avoit préparée j le vieillard tranfporré de joie ne favoir comment témoigner fa re-connoilTance : cependant il remercia poliment le Sauveur, qui lui dit de le fuivre au ciel, & ils s'en allèrent. Le fécond acte repréfenroit les dix commandemens, & ne contenoit rien oui mérite d'être rapporté. % M S u i h 1 !.' £f Le fujet dutroifieme a&e étoit le baptême. Un jeune homme affublé d une peau déchirée fur laquelle on voyoit un filet, ouvrit la fcene ; il étoit orné d'un fabre & d'un carquois plein de flèches : c'étoit un feigneur oltiake. Après qu'il eut vanté fa bravoure, deux aurres hommes demi-nuds, mais fans carquois, flèches ni fabres, s'approchèrent du feigneur , fe faiiirent de lui malgré fe* efforts, lui oterent tous fes habits, excepté la culotte > firenr apporter une cuve ., le mirent dedans &c l'arroferent largement de .trois ou quatre féaux d'eau. Il renonça pour lors à fa fourure & à tout ce qu'il avoit : tel fut le baptême. Il vint enfui te deux bouffons affés in-fipides, &c le fpeétacle finit comme il avoit commencé. Le Diable , le vieil Adam , la mort 6c Jefus-Chrift reparurent : un petit garçon prononça une efpece de difcours qui fut fuivi de chants. Toutes ces pièces étoient verfifiées , ÔC les jeunes gens qui les débitèrent, le firent avec une affurance étonnante : c'eft fans doute parce qu'étant fous la difcipline du clergé , ils font exercés à ce* jeux. 11 y eut encore ce même jour une 66 Voyage lemnité que Je ne vis pas, maïs le Jiazard fie que M. Muller en fut fpec-tateur. Il trouva fur une montagne qui eft à un quart de lieue de la ville , une maifon qui paroilfoit n'avoir qu'une chambre : il y defeendir par des marches balfes , & y vit plufieurs bières qui n'écoient pas fermées. On les avoit remplies de cada/res, qui étoient ceux des perfonnes mortes de morr violente ou fans facremens. 11 y avoit auprès de ces morrs, beaucoup de vivans qui leur croient parens ou amis : il y en avoit auflï qui ne leur appartenoient en aucune manière , mais qui venoient leur dire adieu. Quoique nous ne foyons pas de leurs amis, difoient-ils , ils peuvent dire un mot en norre faveur. Ces corps relient dans cette chambre tout au plus un an, &c il y en a beaucoup qu'on n'y lailfe pas aufii long-temps. Ceux qui meurent de la forte entre les deux jeudis qui précèdent la Pentecôte, font privés de fcpulture &c dépofés dans cette maifon jufqu'au jeudi le plus voi-fin de cette fête. S'ils meutent ce jeudi même , ils font privés de fépultute une année entière; mais s'ils meurent un jour auparavant, ils font délivrés le lendemain. L'archevêque de Tobolsk va çe ï h Sibérie. 67 jour-là en procetTion avec fon clergé à cette efpece de purgatoire , tk après quelques prières il déclare que Dieu remet aux morts qui font dans ces bières, les péchés qu'ils ont commis , foit par négligence , foit en abrégeant leur vie. On paiïà gaiemenr les fêtes de Pâques à recevoir 6V: faire des vifites. Le peuple s'amufa à fa manière, mais avec moins d'extravagance que pendant le carnaval : ce dont il s'occupa le plus , fut le commerce des filles publiques, qui ne font pas rares à Tobolsk. Je n'a-vois vu nulle part tant de gens fans nez, que j'en vis ici. Le froid ne peut pas en être caufe , car il y eft moins vif, ou du moins ne l'eft pas plus qu'à Péterbourg , où prefque tous les habitans ont leur nez. 11 faut donc l'imputer au mal de Naples , qui doit être ici fort commun. On n'y a que le chirurgien major de la gamifon qui ne guérir pas graris les bourgeois , 6c beaucoup de pauvres gens font hors d'état de payer les remèdes. Le bâtiment conftruit ici , qui de-voit aller par l'Ob tk la mer glaciale , à l'embouchure de l'Ienifei , fut lancé à l'eau le deux mai. L'eau ayant un efturgeon de cinq pieds de longueur,, qui nous coûta feize fous, Se nos bateliers tatares achetèrent au Ai pour quatre; fous deux cents coraftins. Pour arriver à Tara , nous remontâmes la rivière d'Agarke ,qui tombe avec rapidité dans l'Irtich , au-delfous de la, ville. Tara eft divifé en haute Se balfe ville. La ville haute eft entourée de chevaux de frife , d'un rempart de bois 6e d'un rempart de terre; il y a fur ces remparts trente pièces de canon. C'eft IX qu'habitent le voivode 6c toure la chancellerie. A l'extrémité de la baffe ville y il y a un village tatare qui a une mofquée. Cette ville eft petite Se pauvre \ toutes les maifons , foit publiques , foit particulières , y font bâties en bois \ oa n'y a que les denrées les plus communes : enfin je peuple y eft peu nombreux, parce qu'en 1721 on y exécuta par ordre de Pierre le Grand , fept cents habitans , qui réfutèrent de prêter le fer-m.nt de fidélité. Ceux d'aujourd'hui paroill-nr fainéans : pendant toute une femaine que nos bateaux rotent dans EN SlBERI!, 8? l'Agarka , il y eut continuellement fur le rivage une foule de curieux qui les regardoient. Nous n'eûmes point dans cette ville l'incommodité que nous avions eue par- tout jufqu'ici : on n'y voit point de tarakanes , Se on n'en trouve plus par delà l'Irtich. Lorfque nous partîmes de Tara , on nous donna une eîcorte de vingt flouchivies, à qui l'on diftribua des armes Se de la poudre. Ces flouchivies font des troupes légères à pied , comme les cofaques le font à cheval. Près de l'embouchure de la Tara , eft un village tatare , où demeure un knia-zes, ou petit prince; il veille fur les Tatares de cette contrée , qu'on appelle iéfachnies ou tributaires. Nous fîmes venir le prince à notre bateau : il arriva dans une grande chaloupe à quatre rames , Se fes bateliers lui temoignoient beaucoup de refpect. Il étoit de belle figure , de moyen âge, Se habillé comme les Tatares : il nous fit préfent d'un gros agneau. La converfarion que nous eûmes avec lui , nous fit juger que c'étoit un homme de fens. Ayant vu par hazard une de nos bouffoles, il nous dit qu'il en avoit appris l'iifage d'un matelot de diftindion qui vova- 8£ Voyage geoit : lesTatarcs nomment matelots tous les gens de mer. Il ajouta que l'aiguille aimantée Te dirigeoit vers la grande poutre de fer , placée à l'un des bouts de la terre , & qui s'élève jufqu'à certaine petite étoile. Il nous demanda de l'opium 6v nous en montra quelque peu, mais qu'on avoit falfifié par le mélange d'un autte extrait. Quand on en a mangé le foir, nous dit-il , on eft le lendemain pokiimiéli, c'eft-à-dire , dans l'état où met rivreflfe de la veille. Nous taillâmes le prince rrès content de nous, Ôc nous reprîmes notre route. Nous failions faire ici bonne garde. Nous avions fur la rive orientale le défert barabin , fur l'occidentale le défert cofique. Les Tatares barabins érant fujçrs de l'impératrice, nous n'avions rien à craindre de leur part ; mais la horde cafatche ou cofaque, vifîte quelquefois ces déferts. La rivière les empêchant en été de palfer dans celui des barabins, le défert qui eft de leur côté n'en eft que plus dangereux , d'autant plus que de l'Irtich à la horde cofaque , il n'y a que trois jours de chemin : ces brigands courent ce défert , tuent les hommes & emmènent les femmes. Ils traitent pourtant les Tatares moins mal ïn Sibérie. 87 que les Rafles ; ils les font marcher avec eux pendant quelque temps, les battenr chemin faifant, les mettent nuds 8c les renvoient. Ils emmenoient autrefois les Rulfes en efclavage : j'en ai vu quelques-uns qui leur étoient échappés , tk qui fe plaignoient extrêmement des traire-jmens qu'ils en avoient reçus. La rivière couloit ici en droite ligne, nous avions bon vent, nous parvînmes bientôt à la rivière d'Om ; elle fe jette dans l'Irtich , par la rive droite quelques-uns la nomment la rivière noire , parce que les eaux en paroiffent noires , quand on les compare aux eaux de l'Irtich : les unes 8c les autres ne fe confondent parfaitement qu'à près d'un quart de lieue au-delfous de l'Om. Nous pafsâmes devant le ririffeau de Solonovka, qui vient d'un lac falé , fitué vers l'occident, environ à deux lieues dans le défert. Il y a beaucoup de ces lacs dans les deux déferts qui bordent ici l'Irtich. Je vis un directeur des mines , qui avoit demeuré quelque temps à celles de Kolivanne , 8e qui me donna du fel de ces lacs, qu'il avoit obccnu par la ddfolution 8e la cryftallifation. 11 étoit parfaitement femblable au fel de Glau-ber ) te les mineurs l'employoient avec 83 Voyage fuccès au lieu du fel purgatif" ang'oisv Le forr de Chcléfinslc elt femblable à tous ceux que nous avions vus : l'enceinte en eft affés grande. Lorfqu'on voulut y conftruire un foi t, on ne choific qu'un petit terrein que l'on entoura d'un rempart de bois ; ce petit rempart fub-fifte encore, 8c renferme une chapelle 6c la maifon de la chancellerie : il eft dans l'enceinte du nouveau forr, près de la rivière. On a bâti des cafernes dans ce fore parallèlement au périt rempart de bois. Le commandant a le grade de lieutenant : c'eft un Suédois qui embralfa la religion grecque dans Tobolsk , en 17 31. Il y a dans ce fort une garnifon de foixante-dix hommes 8c quatre pièces d'artilkrie. Il n'a pas d'autres habitans que ces foixante-dix foldats 8c cent jflouchivies : ainfi les enviions de ce fort font incultes; on y apporte tout de Tobolsk, de Tara ou d'Omsk. Nous n'y trouvâmes un agneau qu'avec beaucoup de peine, 8c les habirans s'en exeufetent fur ce quïls en avoient perdu depuis peu plus de cent dans le défert. Us font fort expofés à ce malheur , parce que les rnoutons qu'ils menenr paître, font fouvent pourfuivis par les betes fauvnges , 8c s'égarent dans les bois. Les habitans «n Sibérie.' 89 de ce fort ne vivent, pour ainfi dire, que de leur chalfe : ils font fécher la chair des bêtes qu'ils tuent, & la gardent pour le befoin. Tous les toits y font de terre & fans charpente, afin que le feu n'y prenne que difficilement. Au-delà de Chéléfmsk , nous voyageâmes avec lenteur tk difficulré. Les bords de la rivière jufques là couverts d'ofiers Se de peupliers, ne l'etoient plus que de vieux bois, que font flotter au printemps les eaux qui débordent. Nous n'avions point eu de vent depuis Chéléfmsk : nos bateliers étoient las de tirer fi long-temps contre le courant, tk ils avoient de plus à marcher fur ce bois flotté qui couvroit la rive. Nous vîmes à l'occident quelques maifons , dont la dernière efl habitée par cinq ou fix hommes , qui fe font raflemblés pour chaf-fer &: pêcher, tk qui partagent leurs profits : on les nomme en langue du pays promichlennikes. Ceux-ci étoient de Tara; ils avoient embralfé ce genre de vie , parce qu'ils n'avoient pas, difoient-ils, d'autre moyen de payer l'impôt. Ils font fécher au foleil les iafli ou rougets , les truites, les brochets, les tenches , tk rejerrent dans l'eau les perches tk les co-raflins, parce qu'ils ne font pas propres 90 V O y a r, e à fécher. Ils (echem suffi les bêtes qu'il* tuent à la chaffe : on mange en ce pays-ci beaucoup de viande Se de poiirons fecs. Ils retournent dans leur patrie vers* l'automne, avec leurs provisions, & les y vendent. A l'approche de l'hiver, ils' reviennent à leur demeure , ou plus or-dinairemenrà une autre habitation qu ils ont au bord orienral de la rivière , 6\: ils châtient pendant tout l'hiver. Il y a dans ce canton beaucoup de fm-gliers: je n'en ai vu nulle parc de plus gros ; cependant on n'y rrouve que des ofiers Se des peupliers blancs cv noirs, peu propres à nourrir ces animaux : ils n'ont à manger que de l'herbe 6v des ra-, cines. Notre navigation devenoit trcs-difïï-cile ; les bancs de fable , les grands détours de l'Irtich , le vieux bois qui couvre les bords de cette rivière, les arbres dont elle eft remplie dans certains endroits, rendent le trajet de Chélélinsk" à lamichéva , au Ai pénible que dangereux , fur-tout lorfque l'on va jour Se nuit, comme nous avions prcfquc toujours fait. M îk Sibérie. CHAPITRE XV. Mœurs des bateliers tatares. Incommodités du voyage. NOus continuâmes notre route avec lenteur malgré le zele cV L'ardeur de nos bateliers tatares ; ils font en gênerai officieux , pailibles tk de bonne volonté. Nous les avons vus fouvent travadler jour cv nuit, fans proférer une feule plainte. Un jour que l'eau entra dans notre bateau, ils nous donnèrent un exemple frappant de leur bonne volonté. Nous avions beaucoup de cochon fumé, & l'on fait que toucher cette chair eft une abomination parmi les Tatares; mais il falloir au plus vite décharger le bateau ; la néceflité commandoir , ils obéirent. Une autre fois, un des cochons de lait que nous avions, tomba du bateau dans la rivière ; un Tarare s'y jette aulli-tôt, le fuit à la nage ck nous le rapporte. Nousavons vùfouvent avec quelle ardeur ils fe fecourent. Entre Cnéléfinsk cv lamichéva, il falloir que trois ou quatre d'entre eux allaffent devant la barque en nageant ou marchant dans çi V o Y A r. E l'eau pour fonder la rivière tk nous empêcher de donner fur des bancs de fable ♦ un d'eux qui ne nageoit pas bien , chofe extraordinaire dans un tarare, couroir rifque de fe noyer dans un creux où il tomba ; dès que ceux du bateau s'en apperçurenr, ttois ou quarre fautèrent à l'eau, allèrent à fon fecours tk ]g retirèrent. Nous n'avons remarque en eux nul penchant au vol ; li l'on favoit ce qu'il y entre d'idées religieufes : mais n'ayant pu en être inftruit, je dirai feulement ce que j'ai vu. La chofe fut commencée par trois Tatares, dont l'un faifoit l'office de boucher. Après avoir lié les pieds de l'agneau, ils le portèrent au côté du bateau qui regardoit le midi , c'eft-à-dire la Mecque , lui tournant la tête vers ce côté ; ils s'y tournèrent eux-mêmes tk firent leur prière accoutumée. Enfuite le boucher égorgea l'agneau , tk lailfa couler le fang dans la. 94 Voyage rivière : lorfque l'animal hic mort, il verfa de l'eau fur la blellure , le mit i terre 8c le dépeça ; il abbatit d'abord le pied droit de devant, enfuite le gauche , enfin les deux derniers dans le même ordre ; puis coupant prés de la gorge & des deux côtés du lternum , il enleva la pAu reltce fur cet os avec la chair de defïbus qu'il mit de côté. Il fuf. pendit l'animal à une corde par les pieds de derrière, lui coupa la tête , fendit la peau du haut en bas, coupa les parties 8c les jetta , alors il tira toute la peau , coupa la poitrine , enfuite le ventre : le nombril 8c la veflîe furent jettes à l'eau. Le cœur fut incifé en plufieurs endroits 8c tout le fang que l'on en tira fur jette, ainfi que le fang du foie 8c des autres inteftins. L'eftomac 8c les boyaux furent preilés avec les mains 8c lavés dans l'eau chaude. Les glandes du méfenrere furent jettées ; les inteftins étant tirés, on coupa les quartiers de devant, puis les côtés 8c les quartiers de derrière : jufques-là le Tatare qui fer-voit de boucher avoit tout fait avec fej deux aides , mais tous les autres (autant alors aux quartiers de l'agneau, oterenc la chair de defTus les os 8c la coupèrent en petits morceaux. Le petit morceau; en Sibérie. 9Ç du flernum hic rôti fur les charbons 6c mange comme un mets ùiand ; ils firent cuire en même temps Les os avec ce qui reltoit delfus, Se après avoir fait L-ur prière , ils mangèrent avec les doigts (ans couteau ni fourchette. Enfuite ils panèrent aux inteftins Se de-la vinrent à la viande : tout fut expédié de la même manière 6e avec une prompritude qui nous rit plaifir. L'agneau fut mange par vinet Tatares ; ils commencèrent la cérémonie à dix heures du matin : il meparoît que le principal, le divin de ce repas elt de n'y employer que les doigts. Dans notre voyage par eau nous n'eûmes aucune autre incommodité que celle des coufins , mais il y en eut toujours fur notre bateau. Us s'attachent au premier endroit de la peau qu'ils trouvent découvert, y enfoncent leur aiguillon, pompent le fang jufqua ce qu'ils en foient pleins 6c recommencent à voler : ils tourmentent fi fort les vaches dans llimsk , qu'ils en font mourir. Ces petits animaux font fort délicats ; il ne faut pour les tuer , que les toucher légèrement. Lorfqu'on les tue à l'endroit qu'ils piquent , il y refte un peu de l'aiguillon Se la douleur elt plus -yivej à l!endroic de la piquure il le $6 V o y a g e forme communément une tache rouge qui paffe enfuite , mais il y a des per-i'oimes à qui cette piquure caufe des ampoules femblables à celles que caufe l'ortie. On fe garantit de ces animaux en s'encourant la tête d'une efpece de crible, au travers duquel on peut voir dz on garnit les lirs, de rideaux faits d'une efpece de toile rulfe qui elt fort claire. Nous t'imçs ufage de ces deux moyens, tk nous trouvâmes des incon-véniens à l'un tk à l'autre. Le premier échauffe trop la tète, parce qu'il pafle peu d'air au travers du crible , tk on ne peut le fupporter long-temps , quand il fait très-chaud. Le fécond nous fut d'abord alTés inutile : nos lits étoient remplis de coufins tk nous dormîmes peu pendant quelques nuits. La grande chaleur du crible m'étant infupportable , je voulus braver les moucherons tk j'en vins à bout fur le bateau , fur-tout lorfqu'il faiioit froid ou fort chaud ; mais lorfqu'il pleuvoit un peu ou que le ciel fe couvroit, il n'éroit pas pofîïble de s'en garantir. 1J fallut revenir au crible , mais il ne dé-fendoit que le vifage , & on ne pouvoit ni écrire ni relier tranquille ; ils pi. quoient au travers des bas tk de la che- mife. en S i 15 e a i fi. $7 mife. Je mis des bottines de cuir , des gants de femme , par-deffus encore des gants d'homme , tk dans cet accoutrement je pus écrire. Je voulus un jour aller à terre le vifage &c les mains nudî, mais je ne peux exprimer ce que j'y fouftris J j'y trouvai plus de couhns que fur le bateau, tk j'eus dans un moment le vifage tk les mains couverts d'ampoules qui me caufoient une de-mangeaifon continuelle : je revins vite au bateau me bafliner avec du vinaigre , qui me frulagea beaucoup. Nous nous appercumes bientôt que ceux qui nous tourmentoientla nuit, ne palïbient point au travers du rideau , mais fe glilfoient par-delfous entre le rideau tk le châlit. Il nous fut aifé d'y remédier : nous attachâmes le rideau , l'appliquant au châlit bien exactement, & nous dormîmes en paix. Lorfque nous voulions être fans crible pendant le jour dans nos chambres, il falloir y enttete-nir de la fumée. Dès qu'il faifoit un peu de Vent Se qu'on ouvroit les fenêtres , l'incommodité devenoit moindre ; mais le meilleur expédient que nous trouvâmes , fut de faire drelfcr fur le bateau une efpece de tente : il y faifoit toujours un peu de vent, tk les coufins ne le fou-Tome I, £ oS Voyage tiennent pas y nous pouvions donc y are uns crible & Tans gants. Plus nous approchions de lamichéva , moins ces animaux nous incommo d Ment : des que le temps fe refroidifîoit, ils fe colloient aux murs de nos chambres, comme s'ils eulfent été morts: mais quelques heures de chaleur les ra-mmoient. Nous trouvâmes vers Iami. ciié va une efpece de mouches très petites, qu'on nomme en langue du pays mochki y elles font à peine fur la peau qu'elles font remplies de fang : dès qu'on les touche , on les tue & on en-fanglante l'endroit où elles font. CHAPITRE XVI. Voyage par terre. Feux du défert. Lac falê. Fort lamichéva. LA lenteur de notre bateau devenant intolérable , nous demandâmes des chevaux tk nous allâmes.par terre avec la moitié de nos flouchivies. Notre chemin traverfoir des plaines déferres ; nous vîmes ça £v là pendant la nuit des feux dans l'éloignement ; nous les avions déjà vus pendant quelques en Sibérie. 99 nuits , tk les flouchivies nous dirent que le défert brûloit. Nous éprouvâmes dans ces plaines une chaleur prefque infup-portable , & celle que nous reffentîmes â lamichéva fut fi vive que nous ne croyions pas pouvoir la foutenir plufieurs jours de fuite : il y a apparence qu'elle étoit caufée par les incendies du défert. Il y avoit peu de temps que nous étions dans ce fort, lorfque nous entendîmes une caille appeller au feu : nous fûmes bientôt que le défert brûloit &e que le vent poulfoit le feu vers le fort avec violence. Nous allâmes au rempart, ôc nous vîmes dans la plaine de grands feux très - clairs : quelques-uns fem-bloient un long rang de maifons illuminées. Le major qui commandoit dans le fort, n'étoit pas tranquille ; le feu n'en étoit pas â plus d'une lieue : il fit ordonner aux femmes de porter dans leurs maifons quelques féaux d'eau , 8c envoya des hommes faire un foffé au dehors pour couper au feu le chemin du fort ; mais il s'éteignit prefque enrie-rement. Ce défert ftérile ôc fec relfemble à un champ rempli de chaume; l'herbe defféchée qui le couvre s'enflamme aifé-ment Se eft bientôt confumée : elle brûle de proche en proche tk peut porter le feu ïoo Voyage dans plufieurs endroits.par le moyen des étincelles. Déplus, on voit dans ce défère beaucoup d'endroits marécageux ; il y en a qui pendant l'été font entièrement fecs & ne produifent aucune herbe ; enfin il y a des lacs tk des chemins battus : le feu s'arrête à tous ces endroits tk s'éteint de foi-même. Au refte ces incendies n'y font point des phénomènes ; avant lamichéva nous en, avions vus ; nous en vîmes encore après, tk les habitans de ce canton nous ditent qu'ils en voyoient prefque tous les ans. On les attribue à deux eau-fes : la première eft que d'un fort à l'autre il n'y a point de village, tk que les voyageurs obligés d'allumer des feux dans la campagne aux endroits où ils s'arrêtent , fe remettent fouvent en route fans les éteindre : la féconde eft le tonnerre; les orages font fréquents dans ce canton : nous en eûmes deux ou trois par jour pendant les huit derniers que nous y pafsames : mais la première de ces caufes eft la plus fréquente. Du côté de la horde cofaque, endroit que ces brigands ne fréquentent plus, tk où il paffe très raremenr quelques chalTeurs &: jamais de voyageurs , nous ne vîmes le feu qu'une fois & dans un feul en- e m Sibérie. tQ * droit, tandis que du côté de l'orient ou. palfent les voyageurs, nous vîmes plufieurs feux pendant plufieurs jours en dilrétens temps tk en plufieurs lieux. Le lendemain de notre arrivée , nous allâmes avec une petite efcorte au fameux lac filé, nommé lamicha. Il elt environ à deux lieues , à l'orient du fort qui en a tiré lé nom qu'il porte. Ce lac eft une merveille de la nature : il eft de figure ronde &: a plus de deux lieues de tour ; l'eau en eft extrêmement fa-lée : elle eft rouge au foleil comme l'eau qui réfléchit les premiers rayons du jour , &le fond cil d'un fel qui paroîtcryftalli-fé. Les bords en font aufti couverts : il eft blanc comme la neige & tout en cryftaux cubiques : il y en a une telle quantité qu'on en chargeroit en peu de temps plufieurs bateaux , ce aux endroits où l'on en prend , il s'en reforme de nouveau dans l'efpacc de cinq ou fix jours. Enfin ce lac en fournit les provinces de Tobolsk tk de Iéniifei , & en fourniroit plufieurs autres. Le gouvernement s'eft empare du commerce de ce fel, comme de celui de tout l'empire : on le vend ici douze copekes le poud, ou environ cinq deniers la livre, ce vingt copekes ou huit loi Voyage deniers la livre à Tobolsk , à Tomsk 3c à Iénifcisk. Il y a près de ce Lie , fur une hauteur, une garde de dix hommes , qui veille à ce qu'il ne foit pris de fel que par les envoyés du gouvernement. Ce fel elt d'une qualité fupérieure ; il eft plus blanc que tout autre 3c plus propre à filer les viandes. CHAPITRE XVII. Départ de Iamlchévi. Saïga. Allarmts des voyageurs. XTOus partîmes de lamichéva fous ±/% une efeorte de vingt hommes , commandés par un enfeigne 3c un caporal. On eft obligé d'aller fur les mêmes chevaux jufqu'à Sempalat ; il faut donc les faire repofer & paître de cinq en cinq lieues.On s'arrête ordinairement auprès d'une rivière , dans les endroits oit il y a de bonne herbe : ces endroits font nommés places de fourage. Hors de ces efpeces de prairies nous marchâmes toujours dans le défert, c'eft-à-dire, en des champs arides , 3c prefque rouées les nuits nous vîmes de ces feux dont j'ai parlé. Nous pafsâmes aufti dans quel- en Sibérie. 105 ques endroits qui avoient brûlé peu auparavant} ils étoient tout noirs, je remarquai que le feu avoit mis en charbon les tiges des plantes, fans endommager les racines. A quinze lieues de lamichéva , nous pafsâmes devant un lac qui n'a d'eau qu'au printemps ; il croit alors deffeché & couverr d'un fel un peu amer : nous en avions déjà "trouvé de pareils entre Omsk & Tara , 6c nous en vîmes encore en plus grand nombre fur le chemin de Sempalat. A moitié chemin de cet endroit, la terre change de face : au lieu des fables, des failles, tk des peupliers blancs 6-: noirs que l'on trouve depuis Chélcnnsk, on commence à voir de la terre noire mêlée de gravier , tk un grand nombre de fapins & de bouleaux qui croi lient dans la plaine 6c fur le bord des rivières. La plante la plus remarquable de ce canton , c'eft la fauge ; elle y croît en grande quantité , 6c c'eft le premier endroit où je l'aie trouvée. Quelques-uns de nos foldars nous demandèrent permiftion d'aller à la chaf-fe, parce qu'il y a beaucoup de fiiga de l'autre côté de la rivière. Le faiga ref-femble au chamois, mais il a les cornes droites. On ne trouve cet animal dans E iv joi V o y a g t aucun autre canton de la Sibérie : celui qu'on appelle du même nom dans la province d'Irkoursk, eft le mufc. On mange fouvent ici de cette efpece de chèvres fauvages : elles ont entre la chair 6c la peau, même pendant qu'elles vivent, plufieurs gros vers blancs, longs d'environ neuf lignes, Se pointus par les deux bouts j ces vers font fort dégou-tans, on en trouve aufti dans l'élan , le rêne, le chevreuil.: les vers de ces animaux , de même que ceux du bceuf, ne paroilfent différer des vers du fiiga que par la grofteur. Quelqu'éloge que l'on nous fît de la faveur de cet animal, que l'on égale à celle du chevreuil , à peine eûmes-nous vu ces vers, que nous perdîmes l'envie de manger du faiga. Nos foldats moins délicats que nous vouloient en tuer, mais il falloit palfer la rivière , Se ils n'avoient point de bateau : ils firent auilî-tôt un radeau avec deux arbres qu'ils lièrent enfemble; un aurre morceau de bois fervit rour à la fois de rame Se de gouvernail, Se ils s'embarquerenr. Le courant les fit un peu dériver, cependant ils abordèrent 6c revinrent quelque temps après avec trois faiga. Après avoir fait neuf haltes, noug en Sibérie. 105 arrivâmes à Sempalat ; deux foldats que nous y avions envoyés , vinrent au-devant de nous, Se nous dirent que deux hommes de la garnifon s'étant hafardés a palier la veille à la rive des Cofaques , les Kalmouckes avoient tué l'un & bielle l'autre à mort. Cette nouvelle nous- al-larma : nous n'avions pas cru jufques alors devoir craindre les Kalmouckes. L'officier qui commandoit dans le fort, n'étoit nullement propre à nous ralfurerj fort elfrayé lui même , il craignoit d'être attaqué. Il nous dit qu'il y avoit peu de temps que les Kalmouckes s'etoiént présentés à fon fort, au nombre de cent, qu'après s'y être informés de la faute oe l'impératrice , ils avoient dit qu'il y avoit encore dans le voilinaee cent au-très Kalmouckes , mais qu'ils n'en vou-loient qu'aux Cofaques 6c nullement aux Rimes. Le commandant regardoit ce propos comme une rufe de guerre , Se croyoit que leur entreprife regardoit lou fort. J'allai chez le foldat blelfé , dans l'ef- , perance de lui être utile : il me raconta fon aventure, Se me dit qu'il avoit été attaqué par cent cinquante cavaliers kalmouckes , qu'il s'étoit aum-tot jette dans la rivière , pour gagner l'autre bord à la E v îô£ Voyage nage, que les Kalmouckes lui avoient tiré quelques coups de moufquet, que quelques - uns l'avoient pourfuivi , & qu'un deux l'ayant arreinc , lui avoit donné un coup de lance dans le dos à l'inftant s'éroit retiré vers le gros de la troupe. Il ajouta qu'ayant atteint fon camarade qui étoir derrière lui à quelque diftance , ils l'avoient tué fur le champ, qu'ils avoient mangé très promptement du pain qu'il porroir , qu'enfuite ils avoient déchiré & partagé entr'eux fes habits. Je lui demandai s'ils n'avoient pas été les agrefleurs, 3c ne s'étoient pas fervis de leurs armes : il me répondit qu'ils n'avoient tiré que fur les faiga, &c n'avoient vu de Kalmouckes qu'à l'inftant qu'ils furent attaqués. On alla vifî-rer le champ de bataille , &c l'on n'y trouva que dix-fept traces de chevaux. Cette obfetvation nous raffura ; nous en conclûmes que le récit du foldat n'étoit {x>int exact, 3c que ces dix-fept cava-iers étoient des voleurs kalmouckes» en Sibérie. 107 CHAPITRE XVIII. Ruines de Sempalat & fort de même nom. NO us partîmes pour Sempalat dès le lendemain de notre arrivée : le chemin eft montagneux , fablonneux & difficile j il traverfe une partie du défert. Sempalat eft: dans ce défert environ à quatre lieues du fort qui en a tiré le nom qu'il porte. Les Ruffes ont ainfi nomme cet endroit, parce qu'on y voit les ref-tes de fept anciennes maifons bâties en pierre : on les appelle en langue kal-moucke , le couvent de dareban tfort-chi. C'eft une efpece de couvent que ce kalmoucke idolâtre fit bâtir , c\: qu'il habita : on n'y trouve ni ordre ni magnificence j ce font fix maifons élevées fans fymmétrie l'une auprès de l'autre. La plupart n'ont que quatre murs : l'une eft: quarrée ,'une autre eft pyramidale, toutes les autres font rectangles. On voir encore dans l'une deux idoles de bois , qui représentent des ours : dans une autre le plancher eft d'ardoife , le plafond de briques , &c il y a quelques figures humaines peintes fur le plâtre j mais le E vj io8 Voyage temps les a rendu méconnoi(Tables , 8c Je peu qu'il a épargné ne fait point regretter ce qu'il a détruit.On n'y voit pas une feule voûte , 8c le deffus des potces appuie fur une (impie planche. Il y avoit dans ces bâtimens quelques morceaux de porcelaine : nous y vîmes aufh une grande folfe , d'où Ton a tiré depuis peu deux onces d'or, qui étoit , dit-on , fort pâle, 8c nous trouvâmes parmi des ruines, une colonne de pier es brifée en deux , dont le chapiteau repréfentoit une têre humaine. On fe fert dans ce canton d'une efpece de chaloupe , nommée failfanka, qui fut inventée par Likherov, général major. Ce général marchant à Nour-Saif-ian, ou le Lac des Nobles, fan ijio , trouva les eaux fi baffes, qu'elles ne pouvoient porter de gros bateaux , 8c ceux du pays étoient trop petits. II ht conilruire des chaloupes qui transportèrent fes troupes, fes munitions 8c fon artillerie. On fe fert encore aujourd'hui de celles de ces chaloupes, qui font reftées dans le pays j on en conf-truit tous les ans du même modèle , parce qu'elles font très commodes : en mémoire de l'expédition dans laquelle elles fervirent , on les appelle faiffanka, en S i e e r i e. 1^9 Le fort de Sempalat fut conftrutt en 1718 , fur la rive orientale de Ulrich. 11 eft entouré d'un folfé , d'une ra-gatte ou barrière «Se d'un retranchement en bois ou nadolobi. Tous les habitans font promichlennikes ou flouchivies. Les environs font agréables, &C paroiûent fertiles , cependant on n'y cultive aucun arbre fruitier.On y mange une efpece de melon que l'on appelle concombre kalmoucke. (, tg & 13. no Voyage point de toit de charpente. On n'y con~ noît point l'ufage des vitres; les fenêtres ne fonr garnies que de carreaux de papier : il n'y en avoit même pas à la chancellerie, où nous logeâmes; on ne les plaça qu'à notre arrivée, tk nous trouvâmes nos chambres fort fombres. CHAPITRE XIX. Ancienne habitation d'un Kalmoucke ido* lâtre. Tombeaux kalmouckes. liuijjeau de Bcreflovka. NOus trouvâmes dans le défert, à quelque diftance du fort Sempalat, les ruines de l'ancienne habiration d'un kalmoucke idolâtre : on n'y voit plus que les fondemens d'une maifon qui étoit divifée en fix chambres. Aux environs de cette maifon , l'on apperçoit des canaux pratiqués dans la campagne : ils ont fans doute été fairs par les anciens habitans de ce canton, pour conduire l'eau dans leurs champs. Il elt probable qu'ils étoient Boukhares : Bouftoukan ayant conquis la petite Boukharie, emmena en captivité tous les Boukhares qu'il put trouver. De plus, ce n'eft que in Sibérie. i i i depuis peu que toute la contrée , depuis Omsk, en remontant l'Irtich , eft habitée par les Kalmouckes, 6c ce peuple ne cultive point, mais vit du produit de . les troupeaux : le chef même des Kalmouckes n'a point d'habitation fixe. La principale raifon de cet e vie errante eft peut-être lanéceftîté de chercher de iioh-veaux pâturages, quand leurs troupeaux ont confommé toute l'herbe de ceux ou ils font : ils paillent pendant l'hiver dansi la KalmoucKie , parce qu'il y tombe peu de neige. Les Kalmouckes ne" cherchent donc que des pâturages, tk ne penleht point à cultiver. A deux lieues par delà ce? ruines, on trouve une rivière qui fe jette dans l'Irtich , du côté de l'occident : les Kalmouckes l'ont nommée rivière des trois bœufs; ils la defcendent ordinairement lorfqu'ils vont en Ruflie. Les bords en font très-montagneux , tk l'on y trouve beaucoup de loutres tk de caftors. Plus loin s'élèvent de hautes montagnes , où nous vîmes plufieurs tombeaux ; ce font des monumens-des anciens Kalmouckes ou Boukhares : nous en avions vu de pareils dans tout notre voyage le long de l'Irtich. Les habitans de ce pays les ont ouverts, tk en ont ïiz V o y a • b fouvent tire' beaucoup de morceaux d'or 8c d'argent; ce font ordinairement des garnitures de harnois , de grands ca-. chefs, des bralfelets & quelquefois des idoles : il y en a aulii de ter , de cuivre ou de laiton. Norre peinrre trouva dans un de ces tombeaux , entre Sempalat 8c lamichéva, de petits coins de fer quar-rés, pointus & pyramidaux. Si les gens qui ouvrent ces tombeaux y gagnent quelque chofe, l'hiltoire y fait une perte prefque irréparable : ils fondent tout l'or 8c l'argent, 8c jettent le fer 8c le cuivre. En fortant de ces montagnes , nous arrivâmes au ruiffeau de Béreifovka : [©g eaux de ce ruifleau , pures 8c claires comme un cryllal , coulent fur de gros cailloux , avec un murmure agréable , à l'ombre des bouleaux quelles arro-fent ; les bords font couverts de fleurs 8c de tapis de verdure ; l'Irtich 6V les montagnes voilines ferment une vue charmante , 6c le concert des oifeaux où le roiïignol tient le premier rang , accomplit les charme? de ce beau lieu. Les vallées où nous paftames enfuite font fertiles 8c belles : on y voit quelques tombeaux qu'on n'a point fouillés • ils font prefque tous entourés de pierres mi fes de bout de l'efpece de celles. en Sibérie. « 11 'dés environs ; ce font des pierres ordinaires ou des ardoifes. L'endroit où eft le mort, eft rempli de pierres tk de terre. Nous nous arrêtâmes près d'un beau ruif-iean nomme Oulba, dont les bords font de grès Se de gros cailloux, tk à demi-lieue au - delà nous trouvâmes Ouft-Kaméno-Gorskaia-Krépoft , qui eft à quinze cents quarante lieues de Saint-Péterbourg. CHAPITRE XX. Ablai-Kit. Ouffl Kaméno-Gorsk. Autres tombeaux kalmouckes. ENviron dix-huit lieues à l'occident de l'Irtich, il y a un endroit fameux depuis quelque temps ; on le nomme Ablai-Kit ou Ablain-Kit : il confifte en quatre maifons. Deux de ces maifons font bâties fur un fondement fort élevé au de {Tus du rez-de-chauffée.La première eft une grande faite où il y a deux fourneaux placés chacun dans un angle : ils font pointus par en-haut & par en bas, & ventrus par le milieu ; au fond il y a un trou par où pouvoit couler quelque matière , tk un autre où l'on plaçoit un foLililet. 114 Voyage Dans la maifon qui eft derrière celle-ci , on voir de même une grande falle> dans laquelle il y avoit autrefois près de l'enrrée, fur un piedeftal, une grande idole de terre, qui en conrenoit feize aurres. Derrière ce piedeftal , le mur étoit orné de peintures extraordinaires, comme d'un nomme à quatre têtes 6c vingt-quatre bras, d'un autre à deux tètes tk huit bras : je n'ai pas la patience de les décrire , tk en renvoyant les curieux aux figures des alchymiftes , je crois en dire ce qu'il faut. Il y avoit aufti dans ce bâtiment une grande caiffe à plufieurs cafés, où l'on trouva des ma-tiufcrits, qui font à préfent difperfcs dans toute la falle. Les maifons font de brique , tk percées de quelques trous, mais il ne pa-roît pas qu'on y ait fait de fenêtres. Nos foldats nous apportèrent beaucoup de manuferits, tant kalmouckes que Tan» goûtes , de toute forme , de toute efpece , 6c en différens caractères. Les Tan-outes étoienr fur du papier fort uni, leu ou blanc, ou de couleur d'or ; tous les kalmouckes fur du papier blanc 6c en encre noire ou rouge. Nous trouvâmes aufti quelques papiers imprimés , & on nous apporta des cara&eres eu en Sibérie. i i S bois : ils étoient longs, quadrangulai-res & portoient des lettres mongales. A la couleur noire dont ils étoient teints, on voyoit clairement qu'ils avoient fer-vi j mais nous ne trouvâmes rien d'imprimé avec ces caractères On nous apporta aulîi quelques ligures peintes fur bois en détrempe & alfés mauvaifes, niais bien confervées ; c'étoir un des or-nemens du plancher de la féconde maifon : elles repréfentoient une efpece de (aine, On nous donna dans Oulr-ka-méno-gorsk une image pareille , peinte en petit fur du papier , mais avec plus d'art. II y avoit encore dans ces maifons un grand nombre de manuferits , èc quoiqu'on eût enlevé les mieux confervés, on pouvoit lire ceux qui reftoient. Ablai-Kit étoit autrefois le temple d'un prince kalmoucke , appelle Ablai , de la famille des Khochotes : il vivoit vers le milieu du lîecle dernier , 6c fut dé-pollédé vers l'an 1671 , pendant les guerres civiles des Kalmouckes. Durant le féjour que nous fîmes â Oult kaméno-gorsk , nous vîmes toutes les nuits à l'orient, une grande clarté -y c'étoit le défert qui brûïoit derrière les montagnes. Les Kalmouckes de ce fcltf V 0 Y A g E pays y mettent eux-mêmes le feu pour ariêtcr les Cofaques : ceux-ci ne vont ja« mais qu a cheval , & les Kalmouckes brûlant les fourages qui font entre eux & leurs ennemis, les empêchent d'ap-procher. Le fort d'Ouft-kaméno-gorsk a tiré ce nom d'une montagne voiline : il elt à l'occident de cette montagne dans une plaine alfcs fpacieufe ÔC fur un bras peu profond de l'Irtich. Le rempart eft de terre 6c revêtu de fafcines, parce qu'on éprouve fouvent ici des tourbillons3 qui bouleverfent aifémenrun (impie rempart de terre. Les environs paroiflent moins bons que la campagne de Sempalat ; nous n'y ttouvâmes que peu d'arboufes 6c de concombres kalmouckes. La fauge 6c l'hyfope y croilfent en grande quantité : on y trouve aufli beaucoup d'animaux, des cerfs, des chevreuils 0 deux efpeccs particulières de chèvres fuivages, des clans, des fangliers. Depuis que l'impératrice a fair ordonner de prendre des argalis 6e des maralis vivans , 6c de les envoyer à Péterbourg s la chaffe s'en fait comme il fuit. On creufe une folfe de la longueur , largeur 6c hauteur dont elt l'animal que l'on yeut prendre; de part& d'autre de cette en Sibérie. 117 foffe,on fait une longue haie tk Ton recouvre la folle avec des gafons : lorfqu'il vient un animal qui veut palier au-delà de cette haie , comme il ne trouve qu'une ouverture , il s'y lance; mais n'y pouvant arriver qu'en panant fur la foire, il enfonce le gafon , y tombe tk la bête eft prife. On dit qu'il fe prend quelquefois à ce piège des cerfs fi grands tk fi vieux, qu'on ne peut les apprivoi-fet & qu'il faut les tuer fur le champ. L'impératrice fait payer pour un argali deux roubles &c demi, qui font 16 livres 13 fols 4 deniers monnoie de France. M. Muller vifita ici quelques tombeaux que l'on n'avoit point encore ouverts : il vouloit en voir la forme inté-? neure. Le mort y elt couché par terre, la tête tournée vers l'orient : tous les os avoient confervé leur fituation naturelle ; ils s'étoient feulement amollis. Nous y trouvâmes aulfi quelques petits morceaux de fer , mais la>, rouille les avoir fi fort endommagés , qu'on ne pouvoit voir à quoi ils avoienr fervi. Le refte de la folTe étoit rempli de cailloux , de l'efpece de ceux des ruiffeaux ^ des rivières du voifinage. uS Voyage CHAPITRE XXI. Mine de la montagne plate & de Fiktova Kalmouckes Ourongài. EN quittant Ouft-kaméno-gorsk i nous revînmes fur nos pas. Entre les ruilfeaux de Gluboka ôc de Béréf-fovka , nous trouvâmes une efpece particulière de petirs amandiers : j'en emportai quelques pieds jufqu'au Béréftbv-ka, ôc je les plantai fur les bords de ce ruilfeau pour en augmenter les charmes. A quatre lieues de Loube il y a une monragne nommée Ploskaia - gora, c'eft-à-dire la montagne plate ; c'eft li qu'on tire la mine que l'on fond à Ko-livan.Nous nous y rendîmes par de hautes montagnes d'un accès aftes difficile, ôc nous y vîmes un nid de minerai qui étoit à découvert : la mine n'eft pas à plus de huit toi fes de profondeur. Nous y trouvâmes trente mineurs , qui peuvent tirer en un jour depuis quatre cents juf. qu'à huit cents livres de minerai : la qualité en eft bonne , mais on ne peut exploiter cette mine que pendant les EN S 1 b e r I I. 119 trois mois d'été : le printemps tk l'automne les Cofiiques fréquentent ce canton , tk en hiver la neige couvre toute la mine. Au pied de cette montagne qui eft arrofce parl'Ouba , les mineurs ont de petites huttes d'écorce de bouleau. A quelque diftance de cette mine efl la montagne de Piktova ou des fapins blancs , où il y a cinq autres mines qui rendent beaucoup. On y trouve le minerai à peu de profondeur ; il n'y a point ici de terriers a plus de quinze toiles de la furface ôc prefque tous ne font qu'à fept. La mine y eft en filons confi-dérables tk donne douze pour cent de cuivre pur : on n'y a pas la peine de rechercher les filons y il ne faut que fuivre les puits des anciens habitans du pays. 11 n'eft pas facile de dire quels étoient ces habitans : ce n'étoient point des Kalmouckes , car ils ne favent encore aujourd'hui que fondre le fer. A un quart de lieue au fud de Piktova , il y a une montagne , & à un quart de lieue plus loin une autre montagne appellée Goltfovka-gora , où l'on trouve aufli quelques puits. On trouve des puits de mines fur prefque toutes les montagnes de cette contrée, tk la plupart des no Voyage travaux anciens ne font que des puits j il y en a quelques-uns de huit toiles de profondeur , mais ce n'eft qu'en un ter-rein mou ck qui cède aifément au marteau : il y a donc apparence qu'on ne connoiftbu point alors ici l'ufage de la, poudre. Nous rencontrâmes à Kolivan une petite caravane de Kalmouckes ourongaï ou tributaires ; ce font des payfans kalmouckes qui ne fervent point à la guerre. Ils ont un petit prince qu'ils nom-menr Omba ôc ils habitoient autrefois ce canton-ci. Lorfqu'on y établit une fonderie , ils vinrent faire à ce fujet des repré-fentations , mais ayant été pillés deux fois par les Cofaques, ils fe font retirés de ce canron ôc habitent maintenant â la fource de laTchariche , qui eft environ à trois journées de Kolivan : ils font fort amis des Ruffes comme tous les autres Kalmouckes. Ayant été avertis l'année dernière d'une irruption des Cofaques , ils vinrent en informer les habitans de cet endroit-ci. Leur avis fut faluraire; les Cofaques vinrent en effet jùfquauprès de ce forr, mais on les y attendoit ; on en prit un ôc on çhaffa le refte. Ces Kalmouckes portoient prefque tous \ en Sibérie. Ht Cous de longues robes, des bonnets ronds, rouges, bordés de fourrure & couronnés d'une houppe jaune ; ils avoienc la taille petite, les'yeux petits, les joues groffes, le menton long , les cheveux coupés, excepté une touffe qui leur pendoit fort bas par derrière ; il y en avoit deux, encore garçons, qui por-toient chacun quatre de ces touffes ; ils étoient venus ici pour acheter des vivres. Après que nous leur eûmes parle quelque temps , nous les engageâmes à" tirer des flèches : les leurs font affés larges tk peu pointues ; ils s'éloignèrent à* la diftance de fept à huit toifes, tk en-fuite drefferent des buts de toute efpece. Ils palferent devant ces buts à toute cour-fe de cheval tk tirèrent une flèche à chaque but avec une adteffe étonnante ; il eft rare qu'ils les manquent. Ce ne font pourtant que de fimples payfans, qui n'ont reçu vraifemblablement aucune inftruction académique : ils ont les étriers fort courts, le carquois à la droite ôc l'arc à la gauche. Ils nous montrèrent deux des flèches dont ils fe fervent à la guerre & qui font plus pointues tk plus tranchantes que celles qu'ils portoient : ces dernières font les {lèches de chaffe. Joint /, £ CHAPITRE XXII. Mines de Kolivan. RuJJes fchifmatiqiteSm IL y a fur la montagne de Kolivan une fonderie de cuivre : on y voit vers le bas les relies de la première fonderie qu'on y a établie, Se du rempart qui l'en-touroit ; on la rebârit dès l'année fui-vante ( 1719 ) à l'endroit où elle eft actuellement , parce qu'il parut plus commode. Il y a au haut de la montagne un puits profond de dix-fept toifes Se un iilort de cinq pieds, dont la mine elt bleue Se verte: elle donne vingt-quatre pout cent, &: c'eft la plus riche de cette contrée : on la cependant abandonnée depuis 1732, ainfi que toutes les autres des environs , parce qu'un incendie qui s'étendit depuis l'Irtich jufqua l'Ob, les brûla toutes dans cette même année. On n'a exploité depuis ce temps que celle de Picktova Se de Ploskaïa , parce qu'étant fort pyriteufe , elle eft facile à traiter, & qu'au contraire les mines de Kolivane Se de Voskréfenski ne fe laif-fent pas réduire en matte. A un quart de lieue de cette monta» gne y il y en a une autre, au midi, noQjg E M SlDERIE. Ï2$ mée fîna'ia fopka ou la folitaire bleue , parce qu'à certaine diftance elle paroît bieue ; elle eft extrêmement limite : lorfque le temps eft ferein on l'apper-coit de foixante lieues. Elle eft fameufe .dans cette contrée tk fert de guide aux voyageurs : on y trouve de perites zibelines noires, qui n'ont pas le poil fort long, mais la charte en a été défendue de "peur que le travail des mines n'en fouffrît. On dit que cette efpece elt fort commune dans cette chaîne de montagnes 6c jufques chez les Kalmouckes tributaires : on les connoîc fous le nom de zibelines de Kanka-Faga. Plus loin eft le lac Biélo tk la montagne de Voskréfenski. On a tiré de ce lac au ruifteau de Bielka , un canal qui fait aller les machines des mines. Près de ce lac , il y en a encore trois autres petits , dont l'eau pourroit fervir aux mines, 6V: faire aller continuellement les plus grandes machines j mais il paroît que le peu de bois que l'on a ici , empêche d'y établir de grands ateliers. Les montagnes de Voskréfenski font prefque entièrement à l'occident de la fonderie } la mine la plus voifine eft a, deux lieues, la plus éloignée à deux 6£ 114 V o y a « e ^ demie. Dans cet efpace d'une demi, lieue on a établi neuf terriers , parce qu'on y à trouvé autant d'anciennes fouilles. Ces montagnes font forr pau, vres en comparaifon de celles de PicJç, tova tk de Kolivan j il eft vrai qu'elles font remplies de minerai , mais il y eft prefque tout par nids , tk dans des cte-vaftès. L'incendie dont j'ai parlé ci-def-fus, brûla tous Tes bâtimens de ces mines , tk des mineurs expérimentés en ayant reconnu le peu de valeur, on a ceifé d'y travailler. Ce fut de quelques payfans chafTeurs établis fur l'Ob , que Démidov reçût en 171 j , les premiers minerais tk quelques indices de l'endroit où étoit la mine. Il obtint un privilège pour l'établillement d'une fonderie , fit l'année fui van te plufieurs fouilles , tk en 1717 établit la fonderie de Kolivannkagora : elle eft dans la montagne tk protégée par un fort à quatre baftions de terre , entourés d'un folié. Vers l'occident eft un village , 8c au nord la fonderie : un mur de terre entoure le tout. Le commandant tk les mineurs logent dans la citadelle. Le principal atelier eft: compofé de cinq autres ; il y a dans le premier cinq fourneaux tk un martinet X en Sibérie. i 2.5 cuivre j dans le fécond deux caftes , un fourneau d'affinage ôc un moulin à broyer du fel } dans le troifiéme on crame de l'on travaille le cuivre j dans le Quatrième il y a cinq forges dont les fourriers ne vont qua bras j dans le cinquième un moulin à feier 6c un bocard à charbon. On y envoie des fondeurs 6c des forgerons de Catherinebourg 6c de Névianski, mais la plupart des mineurs font des payfans de différentes provinces , qui viennent gagner ici de quoi payer l'impur. Dès qu'ils ont atteint leur but, prefque tous retournent chez eux, 6c les travaux de la mine en fouffrent. De-midov a établi quelques villages fur la Tcharich , qui contiennent au plus cinquante habitans , ôc il en faudroit au moins huit cents pour bien exploiter cette mine. Il n'y a point d'églife dans ce fort ; la plupart de ceux qui y travaillent font des Ichifmatiques qui ont abandonné l'églife grecque ou rulfe : on dit qu'ils ont leurs livres particuliers fur lefquels ils fe règlent. 11 leur eft preferit de ne boire ni manger dans aucun vafe dont un Ruffe jBdelle fe feroit fervi, de n'aller dans aucune églife ruffe , de s'abftenir entièrement d'eau-de-vie 5c de ne faire le ligne ï iij \iZ Voyage de la croix qu'avec deux doigts comme Jes prêtres ruffe-, lorfqu'ils bénifTeni Ie peuple. Au refee , il paroît que les reproches faits a la religion ruffe par ces fchifmatiques \ n'ont pour objet que de petites chofes. U n'y a peut-être pas entre eux plus de différence qu'entre les luthériens orthodoxes 6c les lurhériens piétiftes. Un d'eux qui étoit malade me vint confulter : je lui propofai de fe purger , mais il ne voulut pas y confentir, difant qu'il commettroit un grand péché s'il prenoit une médecine j je lui repr.j-fenrai qu'il fe trompoir, que Dieu nous avoit ordonné de prendre de nous tout le foin pollible : il me répondit que s'il Je faifoit, il s attirerait l'inimitié de fes compatriotes ; je lui confeillai de la prendre en fecret, 6c je l'y déterminai. Le principal fchifmatique de ce canton , eft un prétendu fouilleur de mines qui habite fur la Tcharich , 6c à qui l'on attribue la fondation d'un couvent de filles. C'eft un payfan dont la conduite peur prouver que fa religion ne détruit point l'efprit de fourberie. On m'a affûté que quelques uns de f:s compatriotes ayant découvert une mine fort riche, il leurperiuàda de la lui indiquer, en Sibérie. tiy & courut auilitôt à Démidov, dont il reçut une ample récompense qu'il garda pour lui. La fonderie de Kolivan eft aujourd'hui une des plus confidérables qui foientenEurope:onatrouvé de nouveaux filons y le nombre des ouvriers s'eft accru. Démidov en a porté des échantillons à Catherinebourg, il les a montrés à d'habiles mineurs, il les a fait ef-fayer , ôc l'on s'eft bientôt apperçu qu'ils n'étoientpas feulement riches en cuivre, mais encore en argent, ôc de plus que cet argent tenott alfés d'or pour mériter qu'on en fît le départ. Démidov a donc établi de nouveaux ateliers avec des fourneaux d'affinage. Ces derniers éta-bliftemens font encore devenus plus néceûaires depuis qu'aux environs de Kolivane on a découvert une montagne fi riche en mines de cuivre tenant argent , que l'on y a trouvé des filons de deux à trois pieds de largeur & qui s'étendent à plus d'un mille d'Allemagne. On y trouve une quantité d'or natif affcs confidérable : il s'y montre quelquefois , foit dans la mine, foit à la fur-face , en grains ou en petites feuilles alfés épaiffes. La découverte de cette mine a été F iv "Il 8 V 0 y A g i fuivie de celle de plufieurs autres qui s'étendent à l'orient au-delà d'Ouft ka-méno-gorsk , palîànt entre ce fort 5c Nor-faiilan , jufqu'à la rivière de Bouk-tourma qui fe jette dans l'Irtich. 11 y a donc lieu de croire que cette vafte étendue de pays qui eft entre l'Irtich tk l'Ob eft remplie de mines très riches tk quelle que foir l'ardeur que l'on apporte à l'exploitation de ces mines , qu'il s'écoulera plufieurs frecles avant que l'on ait épui-fé ce rréfor. Il n'eft pas befoin d'y con-ftruire des machines difpendieufes pour en tirer les vapeurs ou l'eau fuperflue : le minerai eft par-tout à peu de profon» deur, tk un puits de dix toifes eft une chofe très rare dans ce canton. A quelque diftance des mines, Démidov a fait bâtir un village fur les bords de l'Ob, une des plus grandes rivières de la Sibérie. CHAPITRE XXIII. Commencement de la Sibérie proprement dite. Tatares Thcléitiches. NOus paiTâmes enfuite la Tchou-mich, tk nous fûmes alors dans la Sibérie proprement dite. Les habitans de z n Sibérie. \i$ ce canton ne croyoient pas que nous fuflions chrétiens , parce qu'ils ne nous voyoient pas faire le ligne de la croix : nous nous apperçûmes cependant qu'ils s'étonnoient qu'étant chrétiens, nous fufiions aulfi affables. Il y a fur la Tchoumich beaucoup de Tatares , dont la plupart font théléifiches , mais ils font moins nombreux qu'ils ne l'ont été : plufieurs quittèrent ce canton lors des irruptions des Kalmouckes & allèrent plus avant dans la Sibérie : ils reviennent maintenant dans leur ancien pays. Le village de Kaltirak eft environ à cinquante lieues de laTchoumich : il crow: aux environs d.s pins, des bouleaux ÔC des peupliers. Il n'y avoit dans ce village que quatre familles rulfes ; tous les autres habitans étoient Tatares , la plupart Théléïtifches ou Kichtimich.es $ plufieurs d'entre eux furent baptifés lors du voyage apoftolique fait chez les Oftia-ques parPhilophei archevêque de Tobolsk, mais ils font peu de cas de cet avantage. Les chrétiens de ce canton fe croient obligés de porter la croix qu'ils ont reçue au baptême, mais ceux-ci ne la portent point ; ils difent hardiment qu'onles a forcés à recevoir le baptême F Y îjo Voyage ôc qu'ils ne l'auraient jamais fait de leur plein gré : cependant lorfqu'on le délire ils font le ligne de la croix : ils fe marient comme les chrétiens & vont quelquefois aux églifes rulfes. Nous allâmes voir une maifon de ces Tatares , ôc nous y trouvâmes aufti des bancs larges ôc bas, avec deux cheminé s, dont une pour la cuifine j le foyer en eft prefque au raz du plancher, au lieu qu'il eft fort élevé chez les. Tatares précedens. Nous fîmes venir une femme ôc une fille Tatares-Théléitifches : cette femme?' étoit fort belle , el'e avoit les cheveux noirs, la peau blanche, l'air doux,, agréable ôc la taille nvantageufe. Nous lui demandâmes fi elle étoit contente de fon mari ( qui étoit avec elle ôc n'a-voit qu'un œil) & fi elle ne* defiroic point d'en avoir un plus agréable : elle nous fit entendre ciu'elle verroit volon-tiers cette métamorphofe, mais que Dieu ayant voulu le lui donner tel , elle en étoit fatisfaite : elle s'énonçoir alfés bien en Ruffe ôc paroifïbit fpiri-ruelle. Elle avoit une longue robe de foie rouge, fur une chemife de laine , ôc Dorroit des bas de toile comme toutes les femmes tatares : le cou de la che: 1 h Sibérie. 1 $ î mife étoit orné de perles de Chine ; elle étoit ouverte par-devant comme nos che-mifes d'homme , Se garnie de boutonnières Se de boutons de différentes grandeurs. Elle portoit un bonnet tatare , très bien fait Se garni de zibeline j fes cheveux formoient deux trclfes dont chacune paffiint fur l'épaule pendoit par-devant d'environ un pied , Se retournoit de-là aux épaules où les extrémités de ces ttelles étoient attachées enfemble t elle avoit à chaque oreille deux anneaux: d'argenr , l'un grand Se l'aurre petit. A celui-ci pendoit une pierre bleue en-châifée par l'extrémité fupérieure dans un chaton d'argent : à l'autre pendoit une plaque prefque ronde , un peu étroite Se percée par le bas, à laquelle étoient attachés cinq petits globes ou pierres. La fille étoit habillée de la même manière , excepté que fes habits étoient moins bons ôc que fes cheveux formoient une feule trelfe qui pendoit par derrière. On nous dit qu'environ à deux lieues de Kaltiralc il y avoit un endroit autrefois couvert d'eau , mais qui , depuis cinq ans, étoit fec Se fumoit fans celfe. J'allai voir ce lieu merveilleux Se j'y apperçus en effet beaucoup d'en- ï$i Voyage droits qui fumoient ; mais la caufe de cette fumée croit facile à découvrir. La moinTe avoit tellement multiplié dans ce marais, qu'elle couvrait toute l'eau , & le tonnerre ou quelque paffanr avoit mis le feu à cette mouife. A quelque diftance de cet endroit, nous vîmes encore lé même phénomène. Nous trouvâmes plufieurs tombeaux auprès du village de Batchatska , qui eft fitué dans une vallée fort agtéable. Ils reftemblentà ceux dont j'ai parlé , mais on n'y trouve que de l'argent, du cuivre Se du fer. Env iron à une lieue de Kousnetsk il va un village de Tatares théléitiches, i • . 6c dans ce village deux efpeces de maifons, dont les unes font habitées l'été, les autres l'hiver. Celles d'été font de figure ronde, pointues par le haut, &c ont par le bas environ trois toifes de diamètre : on y entre par une petite porte qui regarde l'orient. A l'extrémité fupé-rieure il y a un trou rond , qui ferr d'if-fue à la fumée. A l'intérieur 6c autour de ces habitations, il y a des bancs à la tatare ; au milieu la terre eft un peu creufée , 6c ce creux eft le foyer. Elles font faites de joncs paftes entre des baguettes attachées intérieurement l'une à l'autre, 6c afin que la pluie n'y en- en Sibérie. fcre pas j on met des écorces de bouleau entre les joncs tk les baguettes. Nous vîmes diftiller l'eau-de-vie dans une de ces cabanes : on faifoit cette opération au foyer ordinaire. Il y avoit fur un trépied un chaudron de fer garni d'un couvercle de bois, percé de deux trous, l'un au milieu «Se l'autre au côté. Celui du milieu étoit bouché ; on avoit adapté à l'autre un tuyau de bois recourbé , qui entroit dans un petit vaiffeau placé dans un autre vaifïeau de bois fait comme une auge & plein d'eau : c'eft avec du lait de jument qu'ils font leur eau-de-vie. Ils commencent par le faire aigrir dans une efpece d'outre qui paroît mal propre : de-là vient la mauvaife odeur qu'a leur eau-de-vie , quoiqu'elle pa-roifTe affés forte ; ils en font un cas fin-gulier , parce que l'ivreffe caufée par cette liqueur n'eft point accompagnée de maux de tête comme l'ivreffe du bran-devin. Ces Tatares ne font point mahomé-tans; leur religion n'a aucune forme générale, & leur foi paroît fort incertaine : ils croient un Dieu & l'honorent en fe tournant vers l'orient tous les matins tk prononçant avec ferveur cette courte prière 3 ne me tuepas.ll y a près ij4 Voyage de leur village certains endroits qu'ifa nomment Tailga en leur langue, qui diffère du tatare commun y ces endroits font diftingucs par quatre poteaux de bon-leau plantes en quarré à une roife l'un de l'autre j c'elt là qu'ils l'ont leurs dévotions au moins une fois chaque année. Ils tuent un cheval, l'écorclient & en mangent la chair auprès du tailga : en-fuite ils empaillent la peau , lui mettent dans la bouche une ou deux branches d'arbre garnies de leurs feuilles, Se placent ce iimulacre de cheval fur le railga qu'ils garnilfent auparavant de traver-fes. Le tailga Se le cheval font toujours tournés vers l'orient. Les Tatares conftruifoient autrefois ces efpeces d'autels loin de leurs habitations, mais s'étant apperçûs que les Ruffes fai-foient un meilleur ufage de ces peaux de cheval confcicrées, ils ont rapproché les tailga de leurs demeures. Nous remarquâmes encore auprès du tailga trois pieux de bouleau, plantés fur une ligne droite 6c joints enfemble par une corde. A l'extrémité fupérieure des pieux étoit fixée horifontalement une petite planche quarrée, Se de chaque angle de cette planche s'élevoit un petit morceau de bois long de quelques pouces Se entouré t'N Sibérie. t 3 f «îe crins. Des rubans de différentes couleurs , 6c longs d'environ deux pouces pendoient à la corde : j'en comptai quatorze dans chaque intervalle. Le def-ius du pieu du milieu étoit orné d'une peau de lièvre , 6c il y en avoit une d'hermine attachée à la corde entre le premier 6c le fécond pieu. La chair de ces animaux eft peut-être aufti un mets de leur faint repas. Nous demandâmes fi ce privilège étoit accordé à d'autres bêtes , & on nous fit entendre qu'il n'y avoit que les trois que j'ai nommées. On nous dit que le renard en éroit exclus, parce qu'il creufe la terre. Les tailga font regardés comme des lieux laints , 6c les peaux que 1 on y place font des offrandes faites â Dieu. Pendant les cérémonies qui accompagnent ces offrandes., les Tatares fonr fouvent leurs prières. Ils donnenr â leur prêtre le nom de kamm , & c'eft de lui que dépend tout l'ordre des cérémonies.. Ils difent que ce kamm paffe quelquefois des nuits entières dans la campagne pour étudier ce qu'il doit ordonner. Il ne fait pas plus lire 6c écrire que le refte des Tatares, 6c les lignes qui font connoître qu'il eft digne de laprêtrife , font des convulfions pareilles à celles de Vjjf Voyage nos poffédés. Il dit durant ces corli vulfions , que Dieu l'a ordonne prêtre , Ôc il en eft crû. Dès qu'il eft reconnu pour tel, il eft forcier \ par la vertu de ion tambour, il peut rendre ce qu'on a perdu , guérir les malades ôc prédire l'avenir : cependant les Tatares nous ont avoue que fes prophéties Ôc fes cures n'étoient pas toujours des plus certaines. Nous aurions vu avec plailir quelques-uns de fes tours , mais notre foi, à cet égard , paroifïant fort chancelante , on nous dit qu'il n'y avoit point de kamm dans le canton. Ces Tarares ont plufieurs femmes. Ils ne mangent point de cochon, mais ils boivent de l'eau-de-vie, ôc s'enivrent affés fouvent. Leurs femmes ne font pas belles , 6c prefque toutes fument du tabac. Une d'elles m'ayant vu charger une pipe, rira la fienne de fa poche 6k demanda de quoi la remplir. Cela fait, elle l'alluma, avala toute la fumée , 6c donna la pipe à une autre qui en fit autant : avaler la fumée du tabac eft un. ufage général parmi ce peuple. Quelques-uns de ces Tatares brûlent leurs morts, d'autres les enterrent. Ils n'ont dans l'année que deux jours de fête : celui dont je viens de parler eft le jom; en Sibérie. ï37 dcfigné pour la provifion d'eau-de-vie. H y auroit encore fans doute beaucoup de chofes à dire de ces Tatares , mais ils font artificieux tk cachent avec foin leurs ufages. CHAPITRE1 XXIV. Volcan. Tatares abintfiens 3 yerk-tom* skiens. Sortilèges du Kamm. SElon certaines relations , il devoit y avoir un volcan près de l'embouchure du ruiflèau d'Abachéva , qui fe jette dans la Tom. Les habitans du pays con-firmoient ces relations, tk nous alfu-roient que ce volcan fumoit fans cef-fe. M. Muller tk moi, nous nous y rendîmes , 6c nous vîmes en effet quelque fumée fortir çà 6c là du pied de la montagne. Lorfque nous fûmes plus près , nous fentîmes une odeur très-forte : enfin 5 nous arrivâmes à l'endroit du feu, tk nous vîmes que c'étoit un terrein réfineux qui bruloit. Le lit de terre n'étant pas profond , on pourroit éteindre ce feu. En defcendant la rivière de Tom , ou trouve un petit village de Tatares abintfiens. Leurs huttes font à moitié enterrées : quelques-unes étant couvertes de t 3 S V o y a g e traverfes, reiTemblent allés à des haies. Les trous de ces efpeces de haies font bouchés tant bien que mal avec toutes foires de matériaux , tk les traverfes qui forment le roit, font couvertes de terre: la fumée fort par un trou pratiqué au milieu du toit. L'intérieur oe ces maifons eft comme chez les Théléitiens : il paroît feulement un peu plus file. Nous trouvâmes un feul homme dans tout ce village : ils étoient tous d labourer. Nous ne pûmes nous informer ni de leur religion ni de leurs coutumes : tout ce que nous en apprîmes , fut qu'elles étoient conformes à celles des Théléitiens. Le principal objet de notre voyage, étanc de voir le kamm en exercice de forcier, nous le demandâmes ; mais on nous répondit qu'il étoit mort il y avoit deux mois. Nous voulûmes voir du moins fa hutte ; on nous dit qu'on l'avoit détruite , tk l'on nous en montra les ruines : c'eft un ufage général parmi ce peuple , de détruire les maifons de ceux qui meurent. Nous demandâmes enlm où étoit le tambour magique : on l'avoir enterre aveG le kamm. Les femmes de ces Tatares font habillées comme les Théléi-tiennes. Les femmes tk filles tatares verk- en Sibérie. 159 tomskiennes ont de chaque côté quatre trèfles qui pendent par devant : ces tref-fes font ornées d'un bout à l'autre de coquillages de porcelaine , 6c terminées par des cachets pareils à ceux qu'on vend en Rulhe. Une de celles que nous vîmes , portoit de chaque côté à même hauteur, quatre grands coquillages de porcelaine difpofés en croix. Les filles avoient de plus autour de la tête un ruban orné de ces coquillages. Ou nous avoit dit que les Tatares qui habitent le long des rivières de Kon-doma &deMraîîa9 connoilfoient l'ait de fondre le fer , & que l'on n'avoir dans ce canton que celui qu'ils forgeaient. Torique nous fumes à leur village nommé Gadœva , nous regardions de tous côtés pour découvrir la fonderie , 6c ne voyions aucun bâtiment différent des autres ; tout reffembloit au village abintfien , que nous avions vu peu auparavant. Cependant on nous conduilit à une habitation dans laquelle il y avoit un fourneau ; nous jugeâmes alors que toutes les huttes-pouvoient être des fonderies , ôc qu'il feroit inutile ici d'en bâtir à grands haïs , comme l'on fait en Europe. Le foyer qui fert de cuifine , 6c" qui eft un trou fait dans la terre, eft 140 Voyage une partie du fourneau. Un chapiteau d'environ un pied de hauteur , de la largeur du foyer, c'eft-à-dire, d'un demi-pied de diamètre , ôc qui diminue de forre qu'il n'a vers le haut qu'un pouce ôc demi, fait avec le foyer tout l'appareil métallurgique. 11 y a au-devant un trou que l'on bouche durant la rufioti, ôc par le coté un autre trou par lequel palïent deux fou filets. Deux hommes fer. vent ce fourneau : l'un ftratifie alternativement le charbon ôc le minerai j celui-ci doit être pulvérifé, il remplit le fourneau de ces deux matières, tandis que fon compagnon fait aller les deux fouf-flets. Dès que le charbon eft un peu con-fommé, il en remet, ainfi que du minerai , ôc continue de la forte jufqu'à ce qu'il ait mis environ trois livres de minerai : ils ne peuvent en fondre davantage. Le fondeur fouffle encore quelque temps , enfuite ôtant avec des pinces la pierre qui bouche le trou de devant, il cherche le métal parmi les cendres dont le foyer efl: rempli , ôc le frappant avec un morceau de bois, il fait tomber les charbons qui s'y étoient attachés. De trois livres de minerai, ils retirent ordinairement deux livres de fer , qui paroît encore alfés grofîier, mais cepenj i n Sibérie. 141 dant fort bon. Tandis que l'on fondoit devant nous, nous envoyâmes chercher le kamm du village : il vint avec fon tambour magique , qui relTembloit à un crible , 6c étoit garni d'une peau à l'un des deux bouts ; l'autre bout étoit traversé par un morceau de bois mince au milieu , plus gros de chaque coté, creufé en forme de verre , pour augmenter le fon , enfin mince 6c triangulaire aux extrémités. Ce morceau de bois eft tra-verfé par une verge de fer , mais non pas à la partie mince du milieu , qui fert de poignée : d'un côté de cette verge , pendent cinq morceaux de fer, percés j quatre de l'autre côté : il n'y a qu'une baguette faite d'un morceau de peau de lièvre , coufu 6c rembourré. Le kamm s'étant fait donner fon tambour 6c fa baguette , commença fes fortiléges : il parloir fouvent en fti langue , gromme-loit quelquefois comme un ours, cou-roit çà 6c la comme un furieux, 6V fem-bloit enfuite revenir à lui : il faifoir des contorfions ôc des grimaces effroyables , tournoit , fermoir les yeux comme s'il tomboit en foibleffe. Lorfqu'il eut joué cette farce pendant un quart d'heure, un autre prit le tambour , 6c le fortilége fut fini. Nous lui demandâmes ce que. i4i Voyage tout cela lignihoit, ôc il nous répondi* ciue lorfqu'il vouloir tirer du diable la connoilfance de l'avenir , il l'actaquoic de cette façon , ôc qu'il l'avoit fait pour: nous fatisfaire , mais que cette fois le diable avoit été fourd. Nous apprîmes que ces gens couroient à leur kamm y lorfqu'ils avoient perdu quelque chofe 9 qu'ils étoient malades , qu'ils vouloienc connoitre l'avenir ou favoir des nouvelles d'un ami abfent. Le kamm leur fait croire qu'il fair tout cela , qu'il appelle le diable, qu'il apparoît toujours de nuit fous la forme d'ours, ôc l'inftruir de ce qu'il demande. Il en eft quelquefois , dit-on , traité cruellement, lors même qu'il ne l'appelle pas, fur - tout pendant fon fommeil ; fes concitoyens difoient qu'il fe levoit fouvenz tout à coup la nuit, ôc crioit de toutes fes forces : ils préterrdoient prouver par là fon intimité avec le diable. Nous demandâmes à ce kamm pour quelle raifon ils ne s'adrelfoient pas à Dieu , qui donne tous les biens : il nous dit que c'étoit pour cela même , Ôc parce qu'ils étoient perfuadés qu'il veut le bien de tous les hommes , mais qu'ils avoient bien fujet d'honorer le diable , qui ne leur veut cjue du mal j qu'ils fivoient que Dieu* en Sibérie. 14$ a aufti la connoifiance de' l'avenir , mais qu'ils ignoraient les moyens de l'engager, à la leur communiquer. Ces Tatares font au diable certaines offrandes 1 ils braffenr en fon honneur de grands ton» neaux de biete , Ôc la jettent en l'air ôc contre les murs. Us craignent, lorfqu'ils meurent , qu'il ne faififfe leur ame , ôc pour l'en empêcher , le kamm bat fon tambour magique & C?che de le détourner par des cajoleries jils ne favenrpas plus que la plupart des hommes ni ce que devient ni ce qu'ciï leur ame } mais ils ne veulent pas que le diable s'en empare. Ils enterrent ou brûlent leurs morts ou les expofent fur un arbre ; ils font de la plus groftiere ignorance ôc dans la plus grande mifere : leur état prouve évidemment que notre bonheur eft proportionné à nos lumières. Ces Tatares font leurs inftrumens de labourage avec le fer dont j'ai parlé : c'eft: un outil dont le fer eft en demi-cercle , tranchant par le bout ôc faifanc avec le manche un angle droit: ils travaillent la terre avec cet outil comme avec le boyau, ôc la remuent à quelques pouces de profondeur : leur bled fe moud entre deux pierres , qu'un homme frotte Tune fur l'autre, '144 Voyage C'eft auprès de la Kondoma, à dûç lieues au-deftus de l'embouchure du ruilTeau de Mandabach , qu'ils vont chercher la mine qu'ils fondent . pour la tirer, ils fe fervent de l'inftru. ment avec lequel ils travaillent la terre , ou d'un autre fait comme une hache , excepté que le fer eft plus long, moins large Ôc fort tranchant \ ils n'emploient alors le premier que pour enlever le gafon qui couvre la mine. Leur habillement ne diffère en rien de celui des Tatares thcléïtifches, fi ce n'eft que ceux qui font veufs, portent de même que les filles une marque de leur liberté j ils ont les cheveux attachés en touffe ou chou detriere la tête , comme les Chinois ou les Kalmouckes tributaires. Un de leurs alimens les plus ordinaires eft l'oignon du martagon fau-vage ; * ils le font cuire dans l'eau ou fous la cendre : j'en goûtai qu'on avoic cuits de cette dernière façon ; je leur rrouvai goût de farine, ou plutôt aucun goût. JM. Muller voulut avoir le tambour * Lilium foliis vcrticillatîs , floribus rc-flcxis, corollis rcvolutis. Cmcl, Sibir. i, p 44. Linnt Spec, pl. j ,pt 303, roagiquq en Sibérie. 14ç tnagique de ces Tarares j le kamm fem-bla rorc affligé de cette proportion , 8c voyant que nous réfutions toutes fes objections , il dit à fes compatriotes que fi Ton emportoit fon tambour ils feroient tous perdus, eux 8c leur kamm. Pour les convaincre de la faulfeté de cette prophétie , nous fîmes emporter le tambour 8c nous reliâmes parmi eux j mais le rufé kamm qui vouloit fans doute en impofer à fon peuple , avoit gardé un fietit morceau de la baguette de peau de ievre 8c une couple des petits morceaux de fer qui étoient dans le tambour. Nous vîmes encore à Koufnetsk deux kamms du voilinage j l'un d'eux étoit alfés mal adroit , l'autre étoit un des plus fameux j il avoit un tambour rrès-grand 8c peint de plufieurs couleurs. Un de nos compagnons de voyage qui n'a-voit plus ni père ni mere , lui dit qu'il avoit lailfé l'un 8c l'autre à Péterbourg en bonne faute , mais qu'il avoit fait la nuit précédente un reve effrayant qui lui faifoit craindre qu'ils ne fuflent morts , 8c qu'il defiroit de favoir ce qui en étoit : aufii-tôt le kamm joua de fon tambour , cria > mugit, fit cent contor-y\jns : environ uu quart d'heure après Tome I. G 146 Voyage il répondit d'un air grave & affiné qràj ceux au fujet dcfquels on l'interrogeoit étoient en bonne fanté. Quelqu'un luj demanda encore où étoit une bagua qu'il avoit perdue à Tobolsk, ôc qui l'avoit prife j notre forcier ayant marmotté quelques mots, prir un petit paquet de quarante-neuf morceaux de bois femblables à des allumettes. Il demanda le nom de celui à qui appartenoit la bague j on le fatisfit : enfuite il tira de (on paquet cinq perits bois qu'il mit \ parr , joua avec les autres en les jettant ci ôc là ÔC reprenant tantôt l'un , tantôt l'autre , il dit peu de temps après , qu'il s'étonnoit que la bague ne fut pas rendue , que la perfonne qui l'avoit la rendroit avec plaifir , mais qu'elle en avoit honte. Il relfoit encore à dire lî cette perfonne étoit homme ou femme, ôc (i elle rendroit bientôt la bague : le kamm recommença donc à jouer de fes allumettes, ôc dit que c'étoit un homme qui avoit pris cette bague, mais qu'il la rendroit bientôt : le fujet de cette queftion étoit inventé comme celui de la première. Nous demandâmes à* cet homme ce que fignifioient les cris qu'il faifoit lorfqu'il jouoitde fon tambour : il nous dit qu'il appelloit tous les * n Sibérie. T47 diables. Le kamm que nous vîmes avant celui-ci nous dit qu'il avoit vu le diable fous la forme d'une étincelle : ce dernier nous le dépeignit comme une ombre qui lui étoit apparue le foir à quelque ciftance. CHAPITRE XXV. Koufnctsk. LA ville de Koufnctsk eft dans le canton qu'habitoient autrefois les Tatares kirifiens : ce peuple s'eft retiré peu à peu vers les Kalmouckes à mefure qu'on s'eft approché de lui du côté des Rulfes. Il y a plus de cent ans que cette ville fut bâtie \ on y envoya des colonies de Tomsk, de Verkhotourie de de Véîiki-Novogrod. Les Tatares qui occu-poient cet endroit, fondoL-nt ce fer comme les Barfaïakes de pourvoyoient a leur fubfiftance, foir par ce rravail, foit par celui de forger le même métal : c'eft de là qu'eft tiré le nom que l'on a donné à cette ville \ les anciens habitans du pays étoient forgerons , de le mot ruffe koufncts lignifie forgeron. Cette ville eft fur la rive droite & G ij 14$ Voyage orientale de la Tom , & vis-à-vis l'embouchure de la Kondoma : elle eft d'en, yiron cinq cents maifons. Les habitans font très parefïeux, Quoique la Tom foit poiffonneufe , on voit rarement du poilîon dans cette ville j on n'y connoit pas le jardinage ; les fculs alimens qui s'y vendent font de la viande 8c du pain : les Koufnéfiens ne fement que le bled néceftaire pour faire le pain dont ils ont befoin , 8c c'eft là leur feul travail. Ils ne labourent que les montagnes, difant qu'il y fait moins froid que dans les vallées : on neconnoît point ici le gibier. Lorfque l'on bâtit Koufnctsk , il y avoit aux environs beaucoup de zibelines, d'écureuils, de martres, d'élans, de chevreuils ; mais ces animaux font allés chercher un autre défert ; c'eft au moins ce qu'on nous a. dit, peut-être par politique. La plupart des villes de Sibérie font un affés grand commerce, mais çelle-çi n'en fait aucun. On n'y vend que des chevaux 8c du; tabac de Tcherkafîie ou Cirçaflie. Il n'y paffe depuis long remps aucune caravane J on ne peut donc y vendre que les denrées qui fe çonfomment dans }à pays, Ë N S i R r. R i E. 14^ CHAPITRE XXVI. Départ de Kousnetsk. Tatares toidïber-liens y kijlimicns , &c. Rocher de J'ifanoi. NOus quittâmes bientôt Koufnetsk , Ôc le Froid nous obligea de nous arrêter à Mamichéva : ce hameau elt habité par un payfan rufte 6c huit ou dix Tatares toulibertiens. A notre arrivée toutes les femmes ôc les filles tatares s'enfuirent comme â l'approche d'une troupe ennemie. Nous trouvâmes plus loin un village de Tatares kiftimiens de toulibertiens ; quelques-uns vinrent au-devant de nous , ôc je remarquai une fiancée qui portoit deux trèfles de chaque côré de la tête : les femmes de ces Tatares n'en portent qu'une de chaque côté, mais les filles non fiancées en ont jufqu'à vingt, quand elles ont affés de cheveux. A l'entrée du village je vis un fanc-tuaire, qui, de même que ceux des Théléitiens, confiftoit en quatre perches plantées en terre : c'eft aufti à l'entrée de ce faint lieu que ces Tatares font leurs dévouons, mais les cordes qu'ils y met- G iij i < o Voyage tenr, ne font pas perpendiculaires ; i{f les placent obliquement à l'égard de cette entrée en ligne d'un plus grand refp:ct : Je n'y vis point de cheval 6c ils prétendirent qu'ils n'en offroient pas, mais on ne peut pas fe fier à cette affer-rion. A l'une des perches du devant étoit fufpendue une peau d'écureuil : ils me direnr qu'ils Cn offroient à leur Dieu toutes les années. Je leur demandai 011 étoit ce dieu 6c leur réponfe fut qu'il habitoit dans le voifin.ige de celui des Ru (les , qu'ils étoient forr bien en-iemble 6c fe vifi'oient fouvent : ils ajoutèrent qu'ils n'offroient au diable que de la bière , !k feulement dans certains cas ou leut kamm le leur preferi-voit. Je leur demandai pourquoi ils ne mettoient pas plutôt leur confiance en Dieu : à la vérité me dirent-ils , nous avons des raifons de croire que Dieu peut nous aider en toutes chofe s , mais nous autres créatures qui fommes fur la terre, comment nous adre(fer à lui qui habite jufques dans le ciel, au lieu que le diable demeurant fous terre , il nous eft bien plus aifé de recourir à lui. Leur kamm fait fes momeries comme tous ceux que j'ai vus : la baguette de fon tambour efl d'une peau de zibeline j le en Sibérie. I Jt Dois qui traverfe le tambour à l'intérieui* avoit à une de fes extrémités un bois rond eV un peu convexe , au milieu duquel étoient deux boutons ronds de laiton qui donnoient à ce bois l'apparence d'un viiage : il y avoit aulli entre les fers de ce tambour quelques rubans que je n'a-vois pas vus dans les autres. Je confeillai à ces bonnes gens de croire que Dieu eft préfent fur la terre comme dans le ciel, de ne pas faire comparaifon de fa puif-fance à celle du diable , ôc continuant «ion voyage j'arrivai à Poriveu-porog ou la chute horrible. On m'en avoit fait une peinture fi effrayante , que fi je n'a-vois été certain de me mettre en furete en débarquant, je ne ferois pas allé au-delà : on fe munit de toutes les cordes qui étoient dans le fort voifin, on commanda tous les payfans de ce fort ôc des environs, on difoit qu'il falloir nécef-fairementdefcendre les bateaux avec des cordages fi l'on ne vouloit pas les voir engloutis. Arrivé près de la chute je mis pied à terre ôc je la confinerai : j'a-vois peine à croire que cette chûi t dangereufe j on voyoit à peine que i eaii tomboit , mais elle faifoit grand bruit, parce qu'il y avoit en cet endroit beaucoup de pierres très grofïes : je la fis fon- Giv -ci Voyage der dans tonte fon étendue , Se quand f| fus aifuré qu'il n'y avoit rien à craindre, je ris defeendre nos bateaux l'un après l'autre le long de la rive droite de ht Tom ,fans aucun autte fecours que celui de nos bateliers ordinaires Se fans le moindre danger. Plus loin elt le village de Borodma , habité par des Rulfes Se des Tatares iet-chinskiens. Il y a environ quarante ans que le patriarche ruffe qui réfide à Kouf-netsk , baptifa tous cesTarares. Plus zélés que les Kaltirackes pour leur nouvelle religion , ils vont aflïdument à l'églife ruffe, portent des croix , ont dans leurs maifons des images de faints , Se font devant ces images le figne de la croix de la manière ordinaire. Je vins enfuire au rocher de Pifanoï** la rivière en baigne le pied Se le laide à droite : quelques figures fculptées dans ce rocher lui ont fait donner ce nom y ainli qu'au village fi tué furie fommet. Il eft d'une atdoife calcaire de couleur verte, rraverfé ça Se là par une ardoife encore plus calcaire Se mêlée de quarts : j'eftimai qu'il étoit haut d'environ dix îoïCqs. L'endroit où font les figures eft un peu faillant Se expofé au midi -, il eft à environ deux toiles du pied du rocher» » u Sibérie. i 5 \ Le chemin par où l'on y parvient eft alfés difficile , mais il y a devant les ligures une faillie de plus de lix pieds , de forte qu'on les voit à l'aile : ce font plufieurs animaux du pays, comme cerfs, chevreuils, clans tk quelques hommes avec un poiftbn ; les hommes reftemblent beaucoup mix figures chi-noifes. * Ici le rocher eft partage en deux parties par le litd'ardoife mêlée de quarts , duquel j'ai parlé : les figures de la partie inférieure font entièrement différentes de celles de la partie fupé-rieure, mais celles-ci font mieux conservées , parce qu'on ne peut les voir qu'en faifant conftruire un échaffau-daçe ou en fe faifant defeendre avec des cotdes du haut du rocher : ces deux parties prifes enfemble ont environ trois toi-fes de hauteur. U y a fur la gauche un autre endroit moins faillant tk haut d'une toife où l'on voit aufti des figures : enfin tout cer emplacement a fept toifes de largeur. Entte les deux parties dont j'ai parlé , a un angle du rocher mais toujours vers le midi, il y a un troifieme plan fculp- * C'eft peut être un des monurnens qut Ict finnois ont laides dans ce pays. Gv ï54 Voyage tc , où l'on ne peut aller que par nnë fente qui eft entre les lits d'ardoife. La difficulté du chemin fait que peu de gens le vont voir 6c qu'il elt bien confervé t on y voit des animaux attachés enfem-b!e 6c conduits par un homme. Il eft avantageux aujourd'hui pour ceux qui examinent ces figures , que Tardoife foit Jaune au-dehors 6c verte au-dedans , car la couleur du trait des figures étant différente de celle du fond, ce trait eft beaucoup plus diftinct. Je vis enfuite quelques Tatares qu'on; prétend être Théléitiens , mais qu'on ne peut regarder comme tels, fi l'on ert juge par leur religion \ ils fe croient if. fus des Kalmouckes 6c n'ont point de kamm : ils adorent un feul Dieu , & quand ils le prient, ils fe tournent vers l'orient ou vers l'occident. Ils ne font, difcnr-ils, aucun cas du diable, mais ils me paroiffenr trop artificieux pour parler fincerement de leur religion , ainfi je n affine pas ce que je viens de dire* à cet égard. ïn Sibérie. 155 CHAPITRE XXVII. Ville de Tomsfc Jfbn commerce ; vices des Tomskiens. Fonderies. L'Etabliûemeoc de la ville de Tomsk a commence par celui d'un fort fous le règne du czarféodor Ivanovits, environ vingt années avant la fondation de Kousnetsk. Plufieurs peuples de cette contrée ayant été conquis ou s'éranc fournis volontairement, le fort elt devenu citadelle, ôc la citadelle s'eft changée en une ville, qui maintenant eft compofée de plus de deux mille maifons. Elle étoit autrefois , comme Tobolsk , une des capitales de la Sibérie j mais il y a long-temps qu'on l'a com-prife dans la ptovince de lénifei, 6c elle eft maintenant dans celle de Tobolsk. Elle eft limée fur la Tomm , traverfée par le ruilfeau d'Ouchaïka ce défendue par un fort. On y voit plufieurs églifes, deux couvens dont l'un d'homme ce l'autre de hlles, 6c une grande maifon marchande de figure quarrée 6c toute en bois, qui contient quarante-cinq bou- 1^6 V o y a 6 1 tiques ; on y trouve des marchandiied étrangères , tk fur-tout des meubles vernis de Chine que l'on vend à un prix médiocre qui pafte peu celui de Péterbourg : on y vend en pelleteries touc ce qu'on peut délirer. S'il y a dans la Sibérie une ville avan-tageufement fituée pour le commerce, c'eft la ville de Tomsk ; on y vient de Tobolsk en été, fort commodément par l'Irtifch, l'Ob & laTomm ; il faut paifer par cette ville en venant de Iénifeisk & des autres endroirs de Sibérie, fitués à l'orient tk au nord ; il y palfe tous les ans une ou deux caravanes de Kalmouckes tk toutes celles de Chine pour la Ruflïe ou de Ru (lie pour la Chine : le commerce y eft donc fort grand 6c prefque général, quoiqu'il y ait une compagnie particulière de commerce qui a fes directeurs; ainftle gouvernement de Tobolsk eft des plus lucratifs. La plupart des habitans de cette ville font, comme prefque tous les Sibériens , renégats ou anciens croyans j il y en a trois qui depuis l'ordre de fe couper la barbe, payent tous les ans trois cents trente-trois livres à la chancellerie pour avoir permilïïon de la porter : il feroit avantageux à un état que plufieurs ci- i m S i b e r r e. M/ royens aimaflerit alfés leur barbe pour la conferver à ce prix. Je peux dire de la parefTe énorme qui règne dans Tomsk ce que j'ai dit de celle de Rousnetsk } elle eft fans doute un effet du bas prix des vivres ce de l'amour crapuleux du vin tk des femmes : quand un tomskien a de l'argent , il en porte la moitié aux filles publiques, il s'enivre avec les trois quarts de l'autre moitié ck fe nourrit comme il peut du refte. Il y a peu de maifons de cette ville où l'on ne trouve au moins une perfonne affligée du mal de Naples , tk je con-nois des familles enticres qui en font infectées. Cette ville eft fujette aux épidémies y il y en eut une-l'été dernier ( 1733) parmi le bétail, qui ne lailfa en vie que dix vaches &z le tiers des chevaux , mais perfonne ne tenta d'y remédier > & le prétexte de cette inaction fut que leurs pères n'avoient rien fait dans un cas femblable. Les fouris font comme une plaie de cette ville oifive ; je n'en ai vu nulle part en auffi grand nombre : elles n'y multiplient aufti prodigieufement, que parce qu'on n'y a point de chats : il eft vrai qi\'on peut recourir aux poifons ik aux 158 Voyage^ fouricieres, mais tout ce qu'on doit art travail, n'eft pas du goût des Tomf-kiens. Nous allâmes voir une fonderie qui eft au bourg de Bogorodskoïe, à quelque diftance de Tomsk : il y a dans l'cglife de ce bourg une fimcule image de la Vierge , furnommée d'Odéirria : on la porte tous les ans à Tomsk en procellïon folemnelle , comme celle d'Abalar à Tobolsk, 6c le voivode accompagné des principaux habitans va la recevoir à pied. Quand elle a fuffi(animent honoré Se fimetifié la ville par fi prefence , on la rapporte en fon eglile. Cette Vierge 6c celle d'Abalat n'ont pas pris polfellion de la même manière. L'endroit où eft maintenant le bourg de Bogorodskoïe éroit aurrelois habité par des Tatares, Se ces gens entendoient fouvent un fon qui leur fembloit être celui d'une cloche. Quelques habitans de Tomsk à qui ces Tatares confièrent la merveille , y réfléchirent mûrement, 6c comme ils n'y concevoient rien , ils crû-renr y entrevoir je ne fais quoi de religieux : ils dépêchèrent aufti tôt à Tobolsk • pour y faire peindre une image de la mere de Dieu. Tandis qu'on chargeoit les fourneaux en Sibérie. 1557 delà fonderie , nous allâmes voir pêchei dans l'Ob qui étoit alors glacé : cette flèche fe pratique ainfi. On fût dans a glace plufieurs trous grands comme le nier t on l'y jette & on Patfermit avec de longues perches : lorfqu'on veut le retirer , il faut ôter avec des pelles ce des perches la glace que l'eau amené au acieux ôc s'enfonce en montant avec une pente alfés roidê ; il a environ cinquante pas de longueur : lej côtés étoient Couverts de galaftites qui reflembloient à des chartipignOns de pierre , 6c le roc «toit calcaire. Nous étions éclairé» par des flambeaux ; cette lumière faifoit un très bel efret fur la I N S I B E H T E. ï?5 glace qui couvrent tout le delfus du fou-rerrein tk relfembloit à du falpêtre cryf-tallifé elle jettoit un feu pareil à celui des pierres précieufes : il y avoit aux deux côtes d'efpace en efpace des glaçons tres-purs tk fort allonges. Nous allâmes au troilieme fouterrein par un chemin affés difficile tk qu'on regardoit même comme impraticable. Le roc dans lequel eft percée cette caverne eft calcaire, 8c l'on y voit çà 8c là des concrétions pierreufes fous la forme de champignons : nous n'y trouvâmes qu'un morceau de filet pourri & une dent de mufe mâle. Nous vîmes enfuite le rocher peint qui eft fur la rive droite de la rivière \ il n'a pas plus de fept toifes de haut : on voit qu'il a été taillé du côté où font les figures. Il étoit enduit d'une efpece de plâtre qui eft tombé en partie ; les figures ont été peintes fut le plâtre, 8c (i la couleur rouge qu'on y a employée n'eft pas de l'ocre brûlé , elle en approche beaucoup^ Elles repréfencent des hommes & des animaux , 8c il y en a fur-tour une rrès bien coniervée , «ut repréfenro un homme achevai. Ledef-fein de ces figures eft comme le def-iein de celles que jai vaes entre Kouf- iij to<" Voyage netsk & Tomsk , Ôc tel qu'on doit lap, tendre de payfans groilîets. Il y a près de Krafnoïark quelques oulous ou villages tatares. Un de ces villages nomme Mongar elt compofé de fîx ou fept iourtes ou huttes pareilles à celles des Tatares de Koufnetsk : elles font faites de pieux plantés en terre y joints par des craverfes tk couverts d'é-corces de bouleau : celles des plus riches font couvertes de peaux de chevreuil. Elles ont deux ouvertures , dont l'util pour la fumée , l'autre qui eft vers l'o, rient fert d'entrée , tk eft ordinairement couverte d'une peau de chevreuil. Nous entrâmes dans plufieurs huttes, & nous vîmes dans chacune un feu fait au milieu , autour duquel étoient l'homme, la femme, les enfans tk les chiens de chalfe : elles étoient pleines de fumée, tk nous n'aurions pu y refter fans étouffer, mais ces gens y font habitués. Ils ne fe chauffent en hiver qu'au feu qu'ils font dans ces huttes , cependant les plus riches en ont confiaiir quelques-unes oi\ ils peuvent placer des poêles : celles-ci font leurs appartemens d'hiver , 6c ceux d'été font les huttes ordinaires. On voulut dans chacune nous faire manger, # cnjiouspréfenta du cheval, du boçqfi tH Sibérie.' * 97 de l'agneau. Toute efpece d'aliment convient à ces Tatares ; leur boilfon ordinaire cil l'eau ou le petit lait de ca-valle : ils cultivent aulîi la terre , &c mangent des fruits &c des légumes, mais fur-tout d'une plante commune dans ce pays ou plutôt de fa racine , qui étant com-pofée de plufieurs petits oignons'ronds a fait donner à la plante un nom ruife qui fignifie noix de terre. * Ils mangent aufiï des oignons du mattagon ordinaiie ainfi que d'une autre efpece , rouge de cinabre , & d'une troifieme efpece de lis. Toutes les nations étrangères des environs de Krafnoïark font ufa?e des mêmes alimens. Ces Tatares n ont point de culte, néanmoins ils croient qu'il y a un Dieu , &c comme ils commercent beaucoup avec les Rulfes, ils portent de temps en temps des cierges aux églifes rulfes , pour rémoigner la confiance qu'ils ont au Dieu de cette nation ; cependant ils vont en fecret confulrer leur kamm ce paroïlfent fort éloignés d'em- * Te m- glandes. Dodon. pmipt. jo. I.arliy-rus Arvcritis repens tu&erofus. B. p. 344. La-thyius pedui.ciilis multifloris, cyrihis diphyl- Jis, foliolis ovaUbaSjinteinodnsnudis. iL-n ù 15, p. 731» iiij 19& Voyage braifer le chriftianifme : ils objectent*! ceux qui leur en parlent que leur* pères ont très bien vécu fans la religion chrétienne , que cette religion eft trop févere & trop ininutieufe , qu'elle défend Ja chah* de cheval Ôc ordonne de manger les jours de jeûne des chofes qu'ils ne cormofiTcmt pas. De plus , la vie civile «les Rulfos , la feule qu'ils connoiffenr après la leur, lent paraît fort malheu-Xenfe : la loi mule d'imprécation qui leur eft la plus ordinaire eft celle-ci : puiue-tu vivre à la Rafle ! II y a dans le diftricT: de Krasnoïark d'autres nations étrangères qui font les Arinrftens, les Kotovtfains & les Ka-mttchhitflins. LesÀrintftens étoient au-rrero's un peuple confidérable , mais il u "i refte aujourd'hui que dix perfonnes, qui faveur à peine leur ancienne langue. Les Kotovtfains habitent vers Aba-k;m'.k ôc Kansk, les Kamatschintfains fur la Mana ÔC vers la fource de la Kànn. Les divertiffemens commencèrent avec les jours gras I Krafnoïark ôc aux environs. Tour ce qui étoit d'âge à boire s'enivroit : les hommes fe prome-noienr à cheval dans les rues, les femmes à pied , Ôc pendant toute la nuit on t: n Sibérie. ï95? entendoit desefpeces de hurlemens. Plus la fin du carnaval appiochoit, plus ces plaifirs étoient animés : j'allai avec le voivode à un des villages voiinis y nos rraî-neaux étoient entourés de plus de fcjif cavaliers armés de carquois , d'arcs de flèches, qui s'exerçaient à tirer- Us tiroient d'abord une fische , enfui*? le«f* chevaux allant à toute Çpiiffr, îfe croient à cette première flech* & la Uifoi que des enfans de Ladaica qui éroienc venus y jouer > s'étoient égarés ÔC perdus, ou ne s'étoient retrouvés que huit ou quinze jours après , eV que pour écarter les lichis on avoir planté cette croix £ l'endroit que l'on regardoit comme le moins sûr : il eft vrai que ce bois eft fort épais & qu'il eft aifé de s'y perdre , ainiî l'on feroit bien d'y planrer beaucoup de croix pour guider ceux qui pourraient s'y égarer. On trouve plus loin le fort de Kanskoi» tk quelques Tatares qui font pauvres ■. cependant il y en a qui ont deux femmes. Ni les hommes ni les femmes ne portent de cliemifes , excepte ceux qui ont reçu le baptême j mais qui font en petit nombre. Ils ne fe lavent jamais, tk lorfqu'oi? le leur reproche , ils difent que leurs ancêtres ont vécu de même. Loi fqu'ils veulent dormir on fainéanter dans leurs huttes j ils fe métreur auteur du feu qui eft: au centre de la hurre , accouplés de forte que les jambes de l'un font paftees entre les jambes de l'autre & vont jufqu'entre fes bras : lorfque l'un fe tourne 3 l'autre ïn Sibérie. 10$ t'ait de même pour ne pas changer leur difpofition , tk ce tour le fait auili régulièrement que s'il étoit commandé. Les Tatares iont ufage au lieu de pain , d'oignons de martagon ou d'autres efpeces de lis ce ne labourent point encore. Leur occupation principale eft la challe des 2ibelines : ils ont une infinité de manières de les prendre. Quand cet animal vi-vemenr pourfuivi ne fait plus où fe réfugier , il monte fur un grand arbre; des qu'il a pris ce parti, les Tatares mettent le feu à l'arbre : pour éviter la fumée & le feu , la zibeline faute à terre , & y trouve un filet. L'adrefte avec laquelle ces Tatares prennent les zibelines , fait que Kamkox eft l'endroit ou l'on en fait le plus grand commerce , & que les marchands qui vont à la Chine féjournent ordinairement dans ce fort. Avant d'arriver au fort d'Oudinskoi*, on traverfe plufieurs bois de fapins, de cèdres , de bouleaux , de melefes tk de peupliers : on garde dans ce fort le tribut de pelleterie* qu'on fait payer aux Tatares. Il y a aux envieons beaucoup de Boi*-jetés que les Rufi^s nc4nmentBr;ltski: Î>arrBi eux presque tous les fouîmes ont es cheveux coupés fur le haut de la tête ? l vj 4o4 V o v a g t & d'ailleurs portent l'habir ruffe. Le principal ornement des femmes eft. leur chevelure : elles en font deux trèfles qu'elleslailfentpendre par-devant furies épaules, & y mêlent fouvent du crin* pour en augmenter la longueur ôc la groifeur j vers l'extrémité des trelfes , i[ y a des cilindres affés larges où font paf-fés les cheveux. Elles portent un bandeau fait ordinairement dans le pays ôc qu'elles nouent derrière la tête; à ce bandeau eft attaché un large collier d'anneaux de 1er qui palfe fous le menton , ôc elles en portent un autre de même matière qu'elles ferrent davantage. Leur* vêtemens font une robe fourrée ôc une efpece de fur tout fans manches, fair de cuir peint ôc dekitaïca, qu'elles mettent par delfus la robe. Les filles font de leurs cheveux plus de deux trelfes, comme chez les Tatares : elles peuvent en faire vingt, fi elles en ont en alfés grande quantité. On nous en amena une qui étoit d'une des principales familles du paysj elle avoit par derrière cinq rubans qui pendoient d'un cuir attaché aux épaules , ôc à l'extrémité de chaque ruban une petite clochette r elle porroit une large ceinture , ornée de plufieurs anneaux de laiton &c de coquillages de por*> en Sibérie. *a5 celaine couverts de plaques de fer. Lorfque l'on donne à un homme une de ces filles du premier rang, il faut qu'elles quittent la ceinture ôc les clochettes ? mais il n'eft pas néceftaire ici de vendre une fille à un homme pour qu'il lui foin permis de partager ion lit , car la fille dont je parle étoit enceinte un Bourete accorde la fille comme les Tatares, pour une certaine fomme d'argent ou une certaine quantité de bétail , &z ne la lailfe emmener que lorfque l'acheteur l'a payée. Nous fîmes venir trois chamannes ou forciers qu'on nomme bœ en langue borete. Nous n'avions vu aucun cha-manne de Sibérie dans un habillement aufti effroyable ; c'eft une robe de cuir parfemée de ferrailles 6c de griffes d'aigle ôc de hibou : ces ferrailles rendent l'habit extrêmement pefaut ôc font un bruit affreux : le bonnet s'élève en pointe comme ceux de nos gtenadiers ôc eft couvert de griffes d'aigle ôc de hibou. Ces trois terribles chamannes vinrent nous trouver de nuit, parce que, di-foient-ils > le jour eft contraire aux for-cellenes : ils choifirent pour leur théâtre la cour où nous étions , & y firenc un feu. Un d'eux prit fon tambour qui lot V O Y A G I eft fait à peu près comme ceux que j*aï décrits, mais un peu plus grand. La baguette relfemble à une vergette > à laquelle au lieu de crins on a collé une peau d'écureuil : leurs cérémonies magi-ques , pareille* à celles que nous avions vues, eurent le même fuccès. Nous demandâmes , par exemple, fi un homme qui habitoit à Mofcou étoit encore en vie : le forcier après quelques contor-lions , répondit que le diable ne pouvoit pas faire tant de chemin , car le diable eft toujours cenfé les inftruire de ce qu'on demande : ils fe tordoient le vifage 6c le corps , crioient comme des forcenés ôc /iraient à grolfes goûtes fous le poids de leurs habits. Leurs compatriotes les payent pour cet exercice , mais ils furent obligés de le faire gratis en notre pré-fcnce , ôc pour les punir un peu de ce frauduleux trafic , nous les fîmes recommencer plufieurs fois : celui qui s'étoit exeufé fl.r le trop grand éloignement de Mofcou confulra le diable encore une fois touchant la même demande, ôc après quelques contoiions , demanda fi 1 h mime en queftion avoit les cheveux gris : nous lui dîmes qu'il les avoit tels y il fauta ôc tambourina quelque temps encore, puis nous affura que notre hon> im Sibérie. 207 tne croit mort, & il l'étoit en effet depuis environ cinquante ans. Nous allâmes voir au fort Oudinskoï les pelleteries données en tribut ; c'é-toient des peaux d ours ,de loup , de renard , d'écureuil tk de zibeline : il y avoit des peaux de zibeline d'une grande beauté , ainfi que quelques peaux de renard. Deux de ces dernières croient prefque entièrement noires r, l'une avoit feulement le bas du dos un peu gris , tk l'autre d'un blanc jaunârre : celle-ci n'é-toit pas tout-à fait noire fur le dos ; elle avoit feulement une raie noire qui se-tendoit depuis le devant jufqu'au tiers du dos. Les côtés étoient d'un blanc jaunâtre comme le bas du dos ; fentre-deux des raies cv du bas du dos étoit noir mêlé de poils gris; l'une tk l'autre avoient le ventre pareil au dos. Le renard tout noir avoit au haut du poitrail une tache blanche , grande comme un écu : l'autse étoit prefque tout gris vers la gorge ôc fans tache blanche; ils avoient tous deux les pattes ôc la queue noire, ÔC l'extrémiré de la queue d'un blanc de neige. Un treificme avoit une raie noire au milieu du ventre , de la gorge A: de la partie latérale intérieure des pitres , fc rtfte étoit rouge de renard, 'io8 Voyage aufli bien que les côtés tk le haut de h queue , mais la partie fupérieure 6c mi, toyenne étoit noire. CHAPITRE XXXIV. Huttes de Bouretes. Fort Balachanskoi* Damajquinage des Bouretes. LEs huttes des Bouretes font hexagones , tk les murs faits de perches placées horifonralement l'une fur l'autre jufqu'à la hauteur d'environ trois pieds • d'autres perches pofées obliquement tk réunies au fommet compofent le toit, à la pointe duquel on ménage une ilfue pour la fumée : les entre-deux de ces perches font remplis de terre. A chaque côté de l'entrée, laquelle elt vers l'orient, il y a un bouleau tk une corde qui rraverfe d'un arbre à l'autre, à laquelle font attachés plufieurs rubans tk quelques peaux d'hermine & de belette. C'eft devant ces deux arbres que chaque bou-rete s'incline deux ou rrois fois le matin tk le foir, en fe mettant deux doigts fur le front y à la manière orientale. Ces huttes font foutenues en dedans par quatre piliers, entre lefquels elt le foyer t en Sibérie. 209 nous y trouvâmes trois veaux Se une femme habillée comme celles de cette nation , excepté qu'elle avoit à chaque oreille deux pendeloques l'une fur l'autre : celles que nous avions vues juf-qu'alors n'en avoient qu'une feule. Le fort de Balachanskoï eft un des plus confidérables que nous euflions vus : il efl: finie fur l'Àngare. Il y a hors de ce fort environ foixante maifons qui font habitées par des flouchivies Se des négo-cians y elles font prefque toutes alfés bien bâties , ont de grandes fenêtres Se des chambres bien éclairées : la plupart des habitans de ce fort font riches. Le voyage d'Irkoutsk que l'on fait en été par eau , attirant ici beaucoup de marchands , on a bâti près de la rivière une maifon à laquelle on a joinr quelques bouriques ; mais on ne les ouvre qu'en été , lorfque les marchands qui patient, veulent y dépofer des marchandifes. Les environs de ce fort font habités par des Bouretes bergers. Les bœufs de ce canton font fort renommés : j'en ai vû quelques-uns qui ne le cèdent point aux boeufs circafliens. Contre l'ufage général des nations de Sibérie , les Bouretes de ce canton exercent un ait, Se no Voyage plufieurs y font fort habiles ; ils d.irhaf-quinenr le fer avec l'argent ôc J etain j on en fait des ornemens de harnois de cheval, de ceinturons , de couteaux de chaffe 6c de ceintures : on en fait auflï beaucoup de cuillères. Nous voulûmes voir quelques bouretes travailler en notre préfence , 6c nous leur propofâmes d'écrire en traits d'argent fur une plaque , le nom de fa ma-jefte impériale ; ils l'enrreprircnt 6c forgèrent un fer dont nous leur avions donné le modèle Us le firent rougir une féconde fois, le laifferent refroidir, firent enfuite les tailles néce lia ires avec un cjfeau aigu, tenant toujours le fer de plus en plus loin , ôc frappant fur le ci-feau fans celle avec un marteau. Cette opération fut répétée trois fois en donnant aux tailles a chaque fois une direction différente ; ainfi elles fe croifoient. Afin qu'elles fulfent égales , ils regar-doient fouvent leur ouvrage ; cette in-cifion étant faite, ils damafquinerent Ôc fureftt bientôt prêts à tracer les lettres. Ils prirent du fil d'argent fott mince ôc de deux grolfeurs, avec de l'argent battu très mince , ôc commencèrent X travailler, mais inutilement ; ils n'é-toient pas alfés exercés dans le deflein ïn Sibérie. Ut pour imirer les caractères qu'on leur avoit écrits : nous les fîmes donc tracer fur la plaque même ôc ce fecours les fit reunir. Ils poferent un fil d'argent à l'extrémité d'un des traits, l'y enfoncèrent en le battant, fuivirent ainfi tout le trait, coupèrent le fil, couvrirent chaque trait de mcme l'un après l'autre ôc affermirent tous ces fils en les battant de nouveau. Lorfqu'ils veulent couvrir d'argent une plaque entière, ou feulement quelque partie , ils taillent de l'argent battu de la forme de la plaque ou de la partie qu'ils veulent couvrir ôc l'incruftenr de la mcme manière. Il n'emploient poux ce travail qu'un marteau plat aux deux bouts, mais dont l'un eft fort uni ôc l'autre entaillé 6c rude : lorfqu'ils enrail-Ient le fer , ils ne frappent d'aucun des bouts , mais du milieu du marteau. Ils incruftent l'argent avec le bout rude , pouffent avec l'uni ôc filent l'argent eux-mè-nie en le faifant palfer par un trou qui a le diamètre qu'ils veulent donner au fil 7 ils battent aufti l'argent , ôc on voit bien qu il n eft point patte entre les cilin-dres. Leurs creufets font de fer; ils ne connoiflent point les creufets de rerre. 212 V o v a g e Nous continuâmes norre route îe long de l'Angare, dont les bords font aifés fertiles, mais coupés çà ck là pa* des crevalfes, & nous arrivâmes bientôt à Nicolskaïa-faftava j c'eft un endroit où les droits fe payent : on y reçoit ceux des marchandifes qui viennent de Chi-ne y il feroit difficile de les faire pafter par un autre chemin. Ces marchandifes étant toujours en grande quantité, l'em> ploi de receveur enrichit dans l'efpace d'un an celui qui l'exerce. Le gouverneur nomme à cet emploi, ôc le met communément a l'enchère : le prix ordinaire eft de deux mille livres. Nous nous remîmes en route ôc traversâmes le lac Baikal. Les habitans de ce pays veulent que ce foit une mer ; ils prétendentque le lac regarde comme une injure d'être ainfi nommé, ôc fe vange immanquablement de celui qui lui fait un pared affront : ils croient même qu'il a quelque chofe de divin , & l'appellent depuis très Ion g-temps la fainte mer. Lorfqu'on n'adopte pas leur croyance à cet égard , ils font l'hiftoire d'un certain allemand, qui fe trouvant, il y a environ quinze ans,pendant l'été fur cette mer fainte, eut l'audace de la nommer lac y aufti-tôt fon vaifleau battu des Hors, 1 H S I Ii F. R T !." 115 fut en grand danger ; il Pappella la fainte mer , à l'inftant les fljts fe calmèrent tk il prit terre heureufement. Nous nous amusâmes a montrer a nos voituriers que lorfqu'il fait beau temps, on peut impunément appellcr ce lac un lac. Ce qu'on y peut rencontrer 'de plus dangereux en hiver, ce font les fente-s de la glace : lotfque nous en trouvions, nousfaifions examiner par où nous pourrions palfer fans péril, tk nous fîmes ce trajet avec fulkte, mais non pas fans avoir lafte la patience de nos voituriers qui nous fouhaitoient tous les maux pof-hbles. Le lac Baik.il s'étend en longtieul de l'orient à l'occident ; on n'en a point encore marqué fur nos cartes les limites orientales, peut-être parce que perfonne n'eft allé jufqu'à ces limites : cependant on l'eftime en général long de cent vingt-cinq lieues : la largeur du nord au midi eft en droiture au moins de quatre lieues cv au plus de fept. Il eft entouré d'une chaîne de hautes montagnes , où il reftoit peu de neige quand nous y paiTâmes. Il commence à geler vers Noël & à dégeler vers le mois do mai. Depuis ce temps jufqu'en feptem-|bre il y péri; rarement des bateaux ; 214 V o y a g t mais vers ce mois il s'éieve de grands vents, qui deviennenr de plus en p|Us violents, & vers la fin de l'année il eft dangereux d'y naviguer. Plus loin eft le forr Kabanskoï dont les environs paroiiïent peu abondants en vivres; quoique les habitans foient ou laboureurs ou bergers, ils ne donnent leurs denrées qu'à un très Jiaut prix : ils voulurenr nous vendre un coq foixante-fix fols huit deniers , ôc nous ne pûmes les engager pour quoi que ce foit à nous céder un veau. On nous repréfenta que lorfqu on ôte le veau à la vache elle ne fe laide plus traire, 6c on nous tint le même langage dans toute la Sibérie , mais ce n'eft qu'un prétexte , car ils fa-vent tromper la vache lorfque fon veau meurt ou lui eft ôté : ils en empaillent la, Î>eau de elle fe lailfe traire lorfqu'on la ui montre. Cependant pour les engager à nous vendre un veau , nous leur offrîmes inutilement de leur en rendre la peau. Les chevaux de ce canton font extrêmement foibles ; ils avoient à peine fait fix heures de route qu'ils ne pouvoient prefque plus marcher. Nous trouvâmes ici des Bouretes bergers qui font riches. Plufieurs d'entre en Sibérie. i i 5 tux ont mille moutons 6c un grand nombre de bœufs 6c de chevaux : leurs moutons ont de larges queues comme ceux de Kalmouckie. Ces Bouretes montent indifféremment fur des chevaux, des bœufs ou des vaches, tk ont la mal- ropreté commune aux nations de Si- cne. CHAPITRÉ* XXXV. Çahuttts Bratskalncs. Taïcha. NOus apprîmes qu'aux environs de Sélenghinsk il y avoit un taicha ou prince de la religion mongalienne , ou Ki., 0 - F , , , • l JJalai Jamaienne , qui avoit ete lui-me- me prêtre mongalien tk qui ayant quitté la prêtrife pour fe marier, avoit actuellement avec lui un prêtre de fa croyance. Dans l'efpérance de connoître par leut moyen la religion mongali en-ne , M. Muller 6c moi nous allâmes les trouver , 6c nous partîmes avec deux interprètes, l'un ruffe , l'autre mongalien. Nous vîmes fur la route deux huttes bratskaines, tk nous nous y arrêtâmes pour en von les curiofités. La plus gran- Voyage^ de éroit habitée par le maître avec femme & le refte de fa famille , l'autre fervoit à fes valets. Toutes deux étoient rondes éc avoient deux ouvettures, l'une pour l'entrée , l'autre par où la fumée fortoitj elles étoient couvertes d'une efpece d'étoffe blanche que les Bratskains font eux-mêmes : cette étoffe étoit entre des lattes clouées en croix les unes fur les autres, qui, vues par dedans, lorfijif elles étoient jointes enfemble, relfembloient alfés à un treillage. Toure la hurte éroit compofée de treillages de cette efpece placés les uns comte les autres. Quand on veut tranfporter la hutte, on décloue les lattes, on donne à toutes la même fituation, 6c chaque treillage difpofé ainli, tient fort peu de place j on ôte l'étoffe , on met enfemble les lattes, & on charge le tout fur des chevaux ou des bœufs. Ces Bouretes n'ont à porter que leur hutte &c deux petits coffres ; leurs principaux biens font des chevaux , des bœufs , des moutons Se des chèvres. Ils ne reftent qu'un ou deux mois dans le même lieu : quand leurs troupeaux en ont confommé tout le fourage, ils vont en chercher ailleurs. Nous entrâmes dans la principale de i n Sibérie. 117 ces huttes, 6c nous y trouvâmes un Bou-rete avec fa femme ce deux de fes parentes , un petit enfant, un agneau de trois jours , trois veaux &c un chien : tels font les objets des plus tendres foins 6c de l'amour d'un Bourere. La femme n'avoit rien de particulier quant à fes habits y une des tilles portoit un collier de quelques rangs de coraux jaunes, 6c fur fes épaules rlortoient plufieurs trelfes auxquelles étoient attachées çà 6c la, en travers , des rangs de coraux forr courts. 11 y avoit à droite auprès de l'enttee un fac d'étoffe quatre , 6c fur le fac une peau d'iltis, fur le côté de laquelle étoit attachée une efpece d'idole appellée on-kone, de la longueur d'environ trois pouces, 6c tailléedans du laiton battu fort mince : le fac contenoit beaucoup d'autres onkones , dont la plupart étoient d'une étoffe chinoife faite de foie 6c de fil de métal nommée folommka. Il y avoit fur ce folommka quelques têtes deflinées avec une couleur brune 6c auxquelles on avoit mis de petites boules de plomb pour imiter les yeux : quelques-unes étoient feules, on en voyoit auflî trois ou quatre enfemble, 6c d'autres qui avoient un corps 6c les pieds joints enfemble par des bandes. Sur la plupart de Tome L K lt8 Voyage ces figurés i! y avoit un onkone de In itou mince , pareil à celui que j'ai décrit. Près de ces huttes étoit une efpece de paie , fait de poutres pofées les unes fur tes autres , ouvert par deifus & deftiné à renfermer les agneaux de plus d'un mois ; on ne les garde plus dans la hutte dès qu'ils ont cet âge. Le bétail cou, roit autour de ces huttes , tk nous y vîmes un enfant monté fur un bœuf qu'il conduifoit avec une bride palféedans les narines de l'animal : dans cette hutte le beau fexe s'amufoit à coudre tk à fumer du tabac , tk faifoit ufage de crins au lieu de fil avec lequel il coût ordinairement le kitaïca. Nous trouvâmes enfuite un petit lac dont les bords étoient couverrs de ci-gnes , d'oies , de tourpans tk de bc-cafiïnes. Je ne peux exprimer la fuisfa-, clion que nous caufa la vue de ces oi-feaux : leur chant infpiré par la nature avoit autant d'agrément que l'imitation qu'on voudroit en faire fur 'des inifru-mens, feroit choquante 6c défagréable. Les fons d'un rourpan reffemblent beaucoup à ceux d'un hautbois , 6c dans ce concert d'oifeaux ifs faifoient à peu près l'office de la baffe. Cet oifeau eft une efpece de canard j fon plumage ely en Sibérie. 11? rouge de renard , excepté la queue les ailes qui ont beaucoup de noir. Enfin nous parvînmes à un défert où le prince , accompagné de fon ghélune ou prêtre tk de deux de fes parens vint au-devant de nous : il étoit précédé par trois hommes atmés d'arcs tk de flèches j celui du milieu portoit un drapeau rouge, dont le comte Sava Ragoufinski envoyé de fa majelté impériale en Sibérie fit préfent à ce prince. Il y avoit de chaque côté un foleil avec cette inscription en catacteres rulfes 3 nikomou ne oujlou-pàiec, ( il ne cède à aucun ) : on lifoit au-defîous, vivatfemper augufhis Tetcr phto-fit VferoQiiskoï imper ator 1727 Godou , (vive toujours l'augulte Pierre II, empereur des Rulfes en 172.7) , dano rodou Zongotskomou , (donné à la famille de Zongolsk ). Nous defceudîmes de nos voitures, montâmes â cheval & acconi-agnâmes le prince & fa fuite à fa utte d'été qui étoit à quelque diftance dans un endroit bas du défert. 11 nous conduilît à celle du ghélune qui etoith plus voifine : t utes ces huttes font conltruite de la m".me manière, mais c Ile-ci étoit alfés prbp t le planch r ''toit cou er- de tapis d Turquie, fur lèfquels nous nousafsîuie Kij no Voyage un angle de la hutte il y avoit plr.fiL.urs petits coffres pôles les uns fur les autres ; celui d'en bas avançoit un peu, ôc au milieu de la partie faillante croit une lampe allumée , de chaque côté de cette lampe une taffe à thé remplie de thébrats-kain préparé , trois autres fur la droite ce deux fur la gauche ; ces deux dernières étoient pleines d'eau pure : toutes ces talfes étoient d'argenr ôc dorées en dedans. Il y avoit au delfus de la lampe dans un autre périt coffre un boni kanne de métal jaune, lequel, excepté la tête ôc le teton droit que l'on avoit laide découvert , étoit enveloppé d'une étoffe de foie. Il nous fut permis doter cette étoffe ôc de voir tout le bourkanne : le haut de la tête eft couvert d'un bonnet fait de fil de fer j le reron droit eft tres-r^nïlé ; les pieds font l'un fur l'autre à la manière bratskaine : la main droite eft couchée fur la cuiffe gauche; il a d; ns le fein un petit vafe rempli qui eft de la même fonte que toute l'idole. A côté de ce coffre ôc contre le mur de la hutte il y avoit un morceau de iblomiankad'environ dix-huit pouces de haut fur douze de large , ôc couvert d'environ quinze faints alfés bien peinrs, mais le dieu qu'ils regardent comme le principal étoit au deffus des autres. in S i It e r i f, 221 Nous eûmes avec le ghélune , un alfés long entretien concernant fa religion , ôe s'il ne nous a pas induit en erreur , ( car étant d'un des plus bas rangs du clergé mongalien, il pouvoir n'être inf-Bfuitqu'imparfaitement), c'eft une bran^ che corrompue de l'ancienne religion catholique. Ce prêtre nous dit que 1 idole don: je viens déparier, reprclentoit le fils du vrai Dieu qui eft venu dans le monde pour inftruire les hommes, 6e eft enfuite remonté au ciel. Il ajouta que le vafe rempli qu'elle avoit dans le lein, fignifioit que le fils de Dieu ayant dû pendant fon féjour en ce monde, fa nourriture à la bonté des hommes , il avoit promis une pleine abondance à tous ceux qui lui rempliroient toujours fon vafe. H nous dit encore que ce fils de Dieu avoit une mere qui étoit d'un ^rand fecours dans routes les ndverfités, a ceux qui portoient fur eux fon image, 6e fur-tout aux voyageurs : il nous fit voir une de ces images qui paroifloir être de terre figillée. Pour indiquer le cas qu on en devoit faire , elle étoit couverte de feuilles d'or , enveloppée de coton ôc enfermée dans un étui de cuivre : il fit préfent à M. Muller d'une de ces images de la mere de Dieu, après qu'on l'eut allure qu'on ne vouloit pas c-rî abufjr. Enfin il nous dit que le fiis de Dieu a un pere tk un grand'pere, tk que ce dernier eft le plus confidcrable. D'ailleurs , ils ne reconnoilfent aucun autre Dieu , mais il y a félon eux un lama cm fage régent qui gouverne fous ces dieux. Le premier jour de chaque mois eft un jour de fete , tk celui où nous étions en éroit un ; c'eft pourquoi la lampe étoir allumée , imis l'ollïce étoit fini, parce qu'on le dit toujours le matin : il y a enfuite de cinq en cinq jours des heures de prières , excepté le 30 , qui eft le dernier jour du mois. Pour appeller à l'office , le prêtre ordonne aux fervans de l'églife déjouer d'un infiniment qui ref-femble à un hautbois. La patrie depuis l'embouchure jiifqueî au tuyau eft de laiton ; le refte eft de bois tk a les trous nêçeflaires : l'embouchure eft aufti de laiton , mais on ne fait réfonner cet inf-trument, que Iprfqu'on met dans l'embouchure un petit tuyau mince d'une efpece de rofeau ou de jonc . Le prêtre fe fert quelquefois pendant l'office d'une petite cloche qu'il tient de la main gauche : pendant qu'il la fait fonner, il tient de la droite un manche de laiton t fait comme ce|ui par le- en Sibérie. î-ï-î quel il tient la cloche ; il prend ce manche avec trois doigts qui font le pouce, l'index 6c l'annulaire j les deux autres doigts reftenr levés, parce que le fils de Dieu lorfqu'il vivoit fur la terre ôc qu'il v inltruifoit 6c bénilfoit les hommes , avoit toujours les doigts arrangés de certe manière : on fe fert quelquefois d'un tambour alfés femblable aux tambours magiques des nations idolâtres de ce pays/ Les prêtres ont des efpeces de pillules qu'ils donnent aux malades a l'heure de la mort, & que l'interprète niongalien comparoît à nos hoiries : ils ont auili une efpece d'encens dont ils mettent dans cette occafion de petits morceaux fur les charbons. Lorfque les * dévots mongaiiens vovagen:, ils portent fur eux de ces pillules 6c de cet encens, 6c comme ils croient que ce font deschofes facrées, ils les renferment dans une petite boete d'argent. Les prêtres ont des habits dilférens de ceux du peuple ; leur bonnet eft tout-â-fait plat par le haut ôc fans toufie : ils n'ont point aufii les cheveux raffemblés en chou comme la plupart des Mongaiiens. Enfin ils portent autour du cou une guirlande de rofes , que les gens de qualité peuvent aulli porter, mais c'eft fur-tout un des orne- K iv 224 Voyage mens des moines 6c des rcligieufes , car la religion mongalienne a , comme la catholique , des célibataires qui ne mangent point de viande ôc qui difent plus de prières que les autres : elle a aufîi dans fon clergé des rangs différens. Le 1 .ilai-lama eft dans cette religion , ce que le pape eft dans la carholique ; il a le gouvernemenr fpiritueî 6c temporel. Sous lui eft un vicaire qu'on nomme koutoakhta , Ôc que nous pourrions ap-pcller fous-pape. Les Mongaiiens ontap-pris de leurs ancêtres par tradition , que leur lama eft immortel, mais on entend dire en fecret que les Tangoutes qui confervent dans fa pureté la fagelïe orientale, élèvent des enfans qu'ils tâchent de rendre par une bonne éducation capables de remplir dignement le rang de lama. Après la mort du lama régnant, celui des difciples des Tangoutes qu'ils regardent comme le plus habile , dit que l'aine du lama défunt eft naifee dans lui, 6c aufti-rôt il eft reconnu ; mais lorfqu'il y en a d'autres qui prétendent la même place, il s'élève de grandes dilfentions : il arrive quelquefois qu'aucun des concurrens n'eft lama , parce qu'on leur donne un fcul koutoukta, qui par fes promelTes 6c fou e n Sibérie. 2*5 éloquence acquiert peu à peu le droit d'immortalité, ôc dès qu'il voir qu'on lui eft fournis , perfuade à^ceux de fonéghfe de ne reconnoître aucun des lamas. Notre ghélune nous dit que les Mongaiiens ne regardoient point les Bouretes comme de vrais croyans , mais comme des gens livrés au démon , ôc qui ne demandent rien à Dieu j car, difoit-il, quoique les Tonçoutes aient aufti des for-ciers, c eft parmi eux une choie tout-a-fait diftinétede la religion , ôc dont un vrai croyanrne fait aucun cas. En effet, les Bouretes font de vrais païens : leur langue étant mongalicnne, les prêtres mongaiiens peuvent les inftruire aifc-ment de leur religion , en convertir quelques-uns , & en faire à leur avis de vrais, croyans. Le ghélune ôc le taïcha nous traitèrent très civilem nt 5 il y avoit fur le feu, un grand chaudron de fer qui contenoit environ cinquante livres d'eau, du beurre , du laitô .l'une efpece de thé-nommé fatourane en langue bratskaine. Ce mélange qu'ils faifoient pour nous légaler avoit la couleur de chocolat : ils en remplirent les rafles de bois Ôc cous en préfenter nt, mais il ne nous tenta nullement ôc nous leur demandâmes la permiluon d'en faire à notre Kv n6 y o y a 6 t manière. Nous allâmes à la hutte a\i takha tk nous y fîmes norre thé; nous y étions à peine arrivés qu'il vou* lue nous faire boire de petite eau de-vie qu'il avoit fait venit d'un village ru(fe voifm, car ils ne tirent qu'en été leur eau-de-vie de cavalle, 6c ils la confiom-ment fur le champ. Comme nous n'étions point amateurs de cette boitTon , ce fut alfés pour nous d'être fpeclateurs j ils la boivent dans de grands verres, parce qu'elle eft foible. Nous dinâmes avec le prince , tk ayant pris enfuite con^é de fon akeffe, nous revînmes a Sclenghinsk. Depuis Saint-Péterbourg-jufqu'à cette ville nous avions fait environ deux mille cinq cents lieues- —BBBB—fe CHAPITRE XXXVL Frontières de la Chine* LOrfque la Tchikoï cefïa de charrier des glaces, nous partîmes pour le s frontières de la Chine. ^ Kiœkta fépare au midi la Ru Aie d'avec la Chine : cettolimite fut fixée en 1727, dans un traité fait par le comte Ra^ouûnski. Autrefois ces deux em£ ires E H S I If H,l 7. étoient féparés pat la rivière de Boura , qui eft environ à deux lieues plus loin vers le fud j cette borne plus naturelle étoit de beaucoup plus avantageufe aux Rulfes : les autres tracées arbkrairern 1 dans un défert montagneux ne font indiquées que par des pierres > & cestpierres nommées m aïakes étant quelquefois placées l'une à l'égard de l'autre d'une manière équivoque , il a fallu les numéroter : de plus on a placé le village lut la limite même au milieu d'un défert fténle , ou l'on peut à peine nourrir c'e abreuver les chevaux. Ceux qui connoiflènt le pays penfent qu'on devoit établir ce village fur la Boura dont les rives font fertiles, ôe les Chinois qui avoient toujours regardé cette rivière comme les bornes d'e leur empire n'y aureient fait nulle opposition. Cette firuation rend tout extrêmement cher j un coq fe vend 5 liv. 6 fols, un agneau S livres : enfin ce changement de limites a privé les Ruf-fes d'un grand avantage. Ils ont cherché long-temps 6c imitilemenr dans routes les contrées méridionales une bonne mine de fer , 6c on trouve fur la Boura des montagnes remplies d'une mine extrêmement riche qui donne le meilleur fer, nuis les Rulfes n'en peuvent tirer K vj xiS Voyage fans rifquer d'être pris 6c punis comme tranfgrelfeurs des limites. Ce fut en 1727, qu'on établit ici deux vdlages, l'un ruife 6c l'autre chinois j ils font à cent vingt toifes l'un de l'autre. Entre les deux , mais plus près du village chinois , il y a deux colonnes de bois d'environ trois pieds de hauteur : fur celle du côté de Rufîie on lit ces mots • Roffiskoï Kraïtorgovol Jlabody , ( village de commerce des frontières rulfes Sur celle qui eft du côté de Chine environ à une roife de l'autre on voit une infcription en caractères manfuréens 6c chinois, qui fignifie lieu des limites changées. Sur la montagne qui fépare les deux villages , il y a des gardes qui empêchent de part 6c d'autre qu'on ne franchiffe les limites. Le village ru fie eft un quarré long dont le grand côté a cent cinquante toifes 6c le petit côté cent quarante-cinq : i{ a un rempart de bois à lix baftions 6c un folfé. Il y a une porte du côté du nord , une autre porte du côté du fud 6c trois, petites du côté de l'occident. vers le ruif-feau de Kicclcta fur lequel font les deux villages. Lorfqu'on conftruifit ce fort, on-bâtit du côté du fud & de celui de le- en Sibérie. tz? rient des cafernes en bois qui formant à peu près un angle droit, viennent aboutir aux autres côtés du fort : chaque rang de ces cafernes a environ quatre-vingt-dix toifes de longueur. Il y en a en tout trente-deux qu'on a bâties à la hâte ôc fort mai j cependant les marchands ruf-fes fe font vus réduits pendant longtemps à ces mauvais logemens , mais èn 1733 Ie gouverneur. Chouloubov fit bâtir le long des côtés du fort au nord ôcà l'occidenrde nouvelles cafernes : il n'y en a que quinze > mais elles font beaucoup plus commodes que les anciennes. Il fit bâtir aufli dans la mcme année prefqu'au milieu des anciennes cafernes, une maifon marchande longue de quarante-trois toifes 6c large de quarante-huit. Il n'y a de plus dans le forr, qu'un magaun de vivres 6c un cellier de bière 6c cf eau-de-vie : on voit au-def-fus du fort,, du côté de Rulîie , deux bains publics , au dclfus une bralferie 6c un cabaret établi fur la Kiœkta. Le village chinois eft long d'environ cent quarante toifes 6c large de cent trente-cinq j il eft entouré d'un fimple rempart ou retranchement de bois , 5c a trois portes du côté du nord , trois au fud, deux vers le Kiœkta, 6c une petite 23ô Vovagê porre du côté de l'orient.^ Il y a trois rues parallèles au long côté, alignées fur les portes ôc traverfées par une autre rue qui eft au milieu du fort : les maifons [ont alignées, baffes & faites de terre ôc de bois. Chaque maifon a fon. retranchement particulier ôc deux chambres , dont l'une fert pour dépofer les marchandifes, l'autre pour loger: celle-ci eft fort petite ôc prefque remplie par un banc large ôc bas qui ne lailfe fur la longueur qu'un cfpace étroir. Au refte, tout y paroît propre : on n'y voit aucun poêle, mais au dehors ôc derrière la chambre il y a trois' ou quatre compani-méns dans lefquels on mer du bois, ôc d'où partent des tuyaux qui paffent fous le banc en fe courbant plufieurs fois ; ces tuyaux échauffent la chambre , ôc le banc fert de lit, de fiége ôc de table : il y a toujours du feu dansces chambres, afin qu'on puilfe allumer fa pipe quand on le délire. Les Chinois font très bien le charbon ; il n'y a jamais parmi le leur de bois qui puifle fumer , ôc il fe confume lentement , parce qu'il eft de bois de bouleau. Us ont ordinairement clans, leurs chambres une idole peinte ou fcuïptee , mais tantôt d'une forme ôc tantôt d'une autre. 11 n'y a dans ce vit lage aucun remple : cette remarque peut faire former des conjectures aHes vrai-femblables concernant la religion de* habitans. il n'ont dans toute l'année qu'un jour de fête , c'eft le premier jour de leur année , c'eft-à-dire , le i février qu'ils nomment le mois blanc. jour même ils ôtent de defïus leurs portes , J uifcription de l'année qui vient de finir , pour y mettre celle de l'année qui commence j ils dreifenr devant leurs* maifons de longues perches, y attachent des lanternes où ils entretiennent des lumières pendant route la nuit, Ôc fonc devant leurs maifons des. illumina tiens de toute efpece : d'ailleurs ils s'amu-fent pendant tout le mois, tk un de leurs divertiffemens elt l'ivrelle. Leurj yeux ordinaires fonr des jeux«de cartes tk celui des échecs j ils s'y livrent quelquefois de telle forte , que plus d'un marchand s'y ruine. Ce que j'ai vu de plus rare ôc de plus curieux dans leur village , ce font leurs charettes • elles ont un cilieu mobile Se qui tjutne avec la roue , pour tous rais y deux bois qui fe cooifent 6c qui entrent dans l'eilieu : elles Lnt de bois de chêne* Les marvjhan.ls rufiès ont des draps, ZjZ Voyage des toiles, des cuirs connus dans nos. pays fous le nom de cuir de Rouille, des uftenfiles d'érain 6c des pelleteries de toute efpece , quoiqu'elles foient de contrebande. Les Chinois apportent des damas de quatre qualités, des étoffes nommées canfa 6c arias, du baiberek ou chagrin; du rantïâ de trois qualités, c'eft une efpece d'étoffe mince j des crêpes , des gafes , des folomianka ou petites étoffes de foie fur laquelle font colés des fils d'or, 6c dont les prêtres 6c les comédiens font ufage. Leur principale étoffe de coton eft le kitaïka • il y en a de deux efpeces, un que l'on paffe à la preffe , 6c l'autre que l'on n'y met pas -, il y a deux qualités du premier. Ils ont aufti du daba , qui eft une efpece de coton blanc, de l'ouroubok ou fine roile de Chine , & du velours. Il faut encore mettre au nombre de leurs principales marc an lifes le ha ou tabac de Chine , la porcelaine, le thé, le fucre en pou Ire, le •fuc.e candi, le gingembre confit, i'éco'ce d'orange nreffée. Leurs petites marchandifes confident en pipes , e fleurs de papier 6c de fantfa , montées fur lu fil de n étal, fleurs de foie collées .fur du pi; ier , iguiltes à coudra de toute efpece à trou rond „ poupées de * M Sibérie. M 3 foie tk de porcelaine , peignes de bois, clinquailleries de route efpece pour les Bratskains & les Tongoufes , tenzoing , remède de Chine , bibles, chiiioilès peintes fur foie tk couvertes d'ivoire, rafoirs , perles , ceintures de foie , eau-de-vie , farine de froment , couteaux avec fourchettes, évenrails, balances, poivre, habits chinois, bouikanes, pagodes. Le prix de ces marchandifes n'eft pas toujours le même ; il étoit alors plus bas qu'il n'avoit jamais été, parce qu'il y avoir dans cet endroit beaucoup de mar-chan 1s chinois tk peu de rulfes : il feroit naturel d'en conclure que les marchandifes riifles y étoient tort dures, mais les Chinois qui font fins , en font bailler le prix. Us favent que les mar-chan !s rulfes font obligés de partir dans une certaine (aifon • ils attendent qu'elle Vienne tk ont les marchandifes r'ffes au prix qu'il leur plaît. Tous les Chinois qui viennent à Kiœkta font des ef-peces de payfans qui ne connoilfent que leur commerce. Us ont un commandant qui leur eft envoyé de Pékin tk changé tous les deux ans y il juge les différens que les Chinois ont entre eux ou avec leslluftes, & fe conct-rte ij4 V o y a g h dans ce dernier cas avec le commiffure mire. Peu de temps avant notre départ, nn marchand rafle qui avoit la fièvre tierce , prit de l'arfenic à fi grande dofe , qu'il mourut prefque à imitant, mais fans convulfions. Je demandai fi on employoit fouvent ce remède pour guérir la fièvre , 5c on me dit que cétoit le remède ordinaire , en ajourant que cet homme fe feroitfans doute guéri s'il en put moins pris. Au refte , cet accident parut titre fort peu de choie j on ne le regardai nullement comme une mort violente , & on enterra cet homme à l'ordinaire : c'eft ainfi qu'on a égard aux ordres du gouvernement j dans les lieux voifins du maître on les exécute , plun loin les commandans n'y prennent pas garde. L'intention du gouvernement eft qu'un régiment entier foir en gar-nifon au fort de Sréielki, tk veille à la fureté des frontières, mais lorfque nous y partîmes , il n'y avoit qu'environ deux cents cinquante hommes ; tout le refte avoit des congés. Le colonel de ce régiment n'avoit ni lieutenant - colonel ni major : les officiers â fes ordres étoient quatre capitaines, dont deux reftoient avec lui, le troifieme commandoit à en Sibérie- IÇQ Troïtskaïa , le quatrième a Tfourou-kaï-tou : il avoit aulli deux lieutcnans ôc quelques enfeignes qui fe compor-toient prefque toujours le plus mal qu'il eft poftible , & n'avoient en fait de guerre aucune expérience. t—■ g CHAPITRE XXXVII. Sclinohinsk. LA ville de Sélinghinsk eft fîruée fur U rive droite ôc orientale de la Sé-lenga : ce fut en i C66 , que félon l'u-fage du pays on fit au lieu où elle eft une fimplc redoute. Environ vingt ans après on y conftruifir un fort qui fubhfte encore , ôc qui fut l'origine de cette ville : elle occupe environ demi - lieue le long de la rivière , ôc n'a que cent cinquante Ôc une maifons. LaSclcngue a près de la ville environ deux cents toifes de largeur, ôc on y voit quelques îles. Les vaifleaux pou-voient y mouiller il y a huit ans ,mais les eaux s'étant jettées fur la rive oc-» cidentale , ont, maintenant vers l'orient peu de profondeur. Les environs font montagneux ôc ftériles} on a peine à y 1$6 V o y a g h faire des jardins 6c à trouver des paru-Mges pour les chevaux. On n'a pour employer à cet ufage qu'une île qui eft au-delfus de la ville , mais cette île étant fujette aux inondations , les eaux emportent fouvent l'efpérance des habitans 6v leurs provihons de l'année. A quatre lieues au deffous on trouve un. tenein propre à cultiver , c'elf-à due : qui produit fans foin ce fans engrais , car on ne fait en Sibérie ce que c'eft que fumer ou mêler les ter es j on y vit plu-rôt dans la mi fera , en difant que ce qu'on obtient par le travail ne vient pas de Dieu. Il eft rare en ce pays que le créancier donne quittance ou tende l'engagement de l'emprunteur qui acquitte fa dette , 6c il arrive alfés fouvent que ce créancier ayant befoin d'arg nt veut fe faire payer une leconde fois. Si l'emprunteur répond qu'il s'eft acquirré , l'affaire eft portée au voivode, qui décide en pareil cas de différentes manières. Il y a peu de temps qu'un payât! bargouiînien en tua un autre qui s'étoit déjà fiiir payer deux fois de l'argent qu'il lui avoit prêté , 6c qui le redemart-doit une troifiéme fois. Laflaflïn di-foit qu'il appréhendent de payer fouvent cette dette ,s'il laiifoit l'autre plus long- en Sibérie. 157 temps en vie. En général, quand un Sibérien peut gagner quelque chofe pan rufe & par artifice , il préfère cette voie à celle du travail. Le genre de vie des Sélenghinskains, favori fe leur parelle. Tous les alimens leur conviennent, ils prennent du thé comme les Bratskains , 6c fe nourrilfent ainfi plus facilement que s'ils étoient affujettis à certains alimens , comme le font le refte des Ruftès. La Sélenga n'eft pas poifonneufe : on y prend , mais en petite quantité, de grondins, des tché-baki , qui font une efpece de carpe, des taïméni ou truites faumonnées, & ure autre efpece de truite nommée lennki. Le poilfpn le plus commun eft l'omouli, efp xe de poifton blanc , qui vers la fin d'août monte en grande quantité du lac Baikal , & dont les habitans de cette ville font provifion pour toute l'année. Pendant notre féjour à Sélençhinsk , nous fumes fouvent obligés de prendre le thé finis lair : on y eft trop fainéant, ponr aller en éré fourrager les belles campagnes qui font au - deftous de la ville , 6c ramaftlr la nourriture de quelques beftiaux : on aime mieux laificr le peu qu'on en a , errer aux environs l'hiver ôc l'été. Il y a dans la ville quelques l;8 Voyage boutiques , où L'on ne trouve prefque B&n* , ... Nous eûmes à Séienghinsk un vent de nord violent, prefque continuel, 6c quelquefois de la pluie , ce que les habitans regardbient comme un phénomène , parce qu'il n'y pleut prefque jamais avant le mois d'août. CHAPITRE XXXVI1L Tàifcha. Nertchink. AU-delà de Sélenghinsk , il y a beaucoup de déferts. A environ cinquante lieues de cette ville, nous pafsames près de l'habitation d'un taïfcha ou prince du pays , 6c nous lui fîmes favoir notre arrivée. Il vinr au-devant de nous à cheval, avec un cortège de quelques bouretes armés d'arcs 6c de flèches, defeendit de cheval pour nous faluer, remonta enfuite, 6c nous con-duifit à fon habitation , qui étoit de cinq ou fîx huttes. Nous en reconnûmes l'architecture : elles étoient entourées de perches, auxquelles on avoit fufpendu des agneaux dépouillés 6c vuidés. Le prince avoit deux femmes, que nous t. n S i n t. n i t.. 259 Vîmes dans fa hutte; Nous y remarquâmes auflï un grand nombre d'ornemen*, qui fervent à -parer les idoles Si. un lama qui vient quelquefois vifitet le prince. La plupart avoient environ un pied & demi de longueur, cv un demi-pied de large. Ils étoient faits de pièces de velours ce de drap de différentes formes , fur lefquelles il y avoir des couronnes , des croix , des franges cv dés houpes. Nous trouvâmes aulli dans une enveloppe de plufieurs linges, des pur-Tés à fufil , de petits morceaux de fan-guine , cv de pierre noire qu'on appelle en ce canton pierre de tonnerre , avec de petites pillules de cire rouge : on nous dit que tout cela fervoit à guérir les malades. Enfin, nous appeau-mes dans un coin de la hutte un fiu: de voélocke ou gros drap de poil de chameau : il étoit plein de dieux faits du même drap , «Se découpés très grolliere-ment. Lorfqu'on veut avoir un dieu de cette efpece , on prend un morceau de voélocke , on en découpe le haur en rond, peur faire la tète, on taille le refte en diminuant , on en coupe une lanière depuis le bas ju(qu'au milieu , pour faire les jambes, & le dieu eft t air. "pus vîmes aulli deux bouikanes ou î4<3 Voyage dieux qui étoient d'argent : un commif-faire des limites les avoit achetés des Chinois pour la grand'mere du taifcha | qui étoit une forciere célèbre y les Biats-kains la prioient comme une décife : c'étoit une femme âgée de quatre-vingts ans , qui relfembloit en effer à ce qu'on nomme une vieille forciere. Nous ne pûmes l'engager d faire en notre pré-fence ni fortileges ni guérifons : elle nous dit que depuis que le gouverneur du pays, à qui elle avoir prédit qu'il au-roit la tête tranchée , l'avoir fait enfermer dans une tour, elle n'avoit plus les forces nécellaires à l'exercice de fon art. Nous traversâmes plufieurs déferts ou nous elTuyâmes quelque chaleur,* 6c nous arrivâmes au fort léravinskoï, finie fur le lac Iéravnia : ce lac a environ deux lieues tant en long qu'en large , ôc il elt fort poiffonneux , mais les habitans du village qui vivent à la brars-kaine , ôc qui peuvent avoir de la viande fans travail, ne fe donnent pas la peine de taire des canots ôc des filets : ils ne font ni pêcheurs ni laboureurs , * Juin 1735. m aij en Sibérie. 14* mais feulement bergers, ôc leurs troupeaux les nourrilfenr. Plus loin font les deux lacs de Chak-cha Ôc d'Araklei, près defquels il y a un couvent ôc un village. On y trouve beaucoup de perches, de brèmes ôc de brochets, ainfi que dans trois autres, qui font à quelque diftance. Ces cinq lacs fe communiquoient autrefois par de petits canaux , ôc comme le lac d'Ir-ghinskoï communiquent aulîiau Chilok* on pouvoir venir par eau de Sélenghinslc dans ce canton ; mais plufieurs années de féchereffe ont caufé une grande di-fette, ôc delféché tous ces canaux de communication. Les environs de ces lacs font fertiles, mais incultes. Les habitans s'en exeufent, en difant que dans les dernières années de fécherelfe le bled n'y a pas réufii. On trouve aux bords du lac de Chakcha beaucoup de mines de fer très riches. Il y a environ vingt ans qu'un forgeron s'y établit : ion commerce lui réufiilïoit très bien ; mais depuis qu'il a imaginé de fe dire enfor-cele, d'avoir une vifion de deux mar-tirs, qui furent fouettés par ordre du czar > mais qui n'en moururent pas comme on le prétend , ôc de faire bâtir des chapelles Ôc des églifes, il n'eft plus utile tomel. L 14* Voyage au public. ïl y a aux environs de ces lacs" des oifeaux nommes baclans ; ce font des cormorans : * on dir qu'ils vont en automne au lac Baical, y paffent roue l'hiver, Se reviennent au printemps. Les habitans de ce canton croient que lorfque les baklans font leur nid fur le haut d'un arbre , il devient fec : en effet, nous avons vu que tous les arbres où il y avoit des nids de ces oifeaux étoient delfcchés, mais il fe peut qu'ils ne les falfent que fur des arbres déjà fecs. Nous pafsâmes enfuire une montagne nommée Iablonnoï Krébet, où plulieurs rivières ont leur fource : elle eft entte l'Amoure Se la Lena, & tout le pays qui eft au-delà eft nommé Dautie. Nous defeendîmes la rivière dTngoda , dont le lit eft couvert de pierres, Se nous y trouvâmes une grande quantité d'écre-vilfes. Nos bateliers furent très furpris de nous voir manger de ces animaux qui leur faifoient beaucoup de frayeur. Nous vîmes fur la rive gauche de la Chilka, environ cinquante tombeaux des an- * Corvus lacujlris aquaùcus. Gcfncr, Met* gus magr.us niger. Nouti. Culo. Schwcnfkf. phalacrocorax var, Çorvus aouatlcus. Manift, Charlct, Albin. en Sibérie. 14? ciens habitans de ce pays , qui étoient entourés de grottes pierres nommées maii-kes. Quelques voyageurs ont dit que la navigation de la Nertchka eft: pénible ôc dangereufe : quant à nous, nous n'y trouvâmes ni incommodités ni périls. Les deux rives de l'ingoda 6e de là Chilka font fort montagneufes, 6e cou-Vertes de bois de melefes. Les montagnes s éloignant quelquefois de la rive , laiffent entr'elles Ôe la rivière de belles vallées, qui feroient très propres au labourage. Ces deux rivières étoient autrefois plus confidétables. Il y a fur la Chilka beaucoup de villages, mais les voyageurs n'y trouvent guère que de vieilles femmes , lourdes 6e aveugles , depuis que quelques palfans ont pillé ces villages, Ôc maltraité ceux qui vou-loient détendre leurs biens : des que les habitans entendent parler de voyageurs , ils cachent tout ce qu'ils ont, ôc prennent la fuite. Les auteurs de ces violences font ordinairement des foldats ou des officiers des troupes de Sibérie. La ville de Nertchinsk eft: fur la rive gauche de la Nertcha , elle étoit plus florillante', lorfque les caravanes de Chine y paffoient , mais depuis environ trente ans qu'elles ont ordre de prendra Lij 144 v" o v A g ë un antre chemin , les habitans devenue oififs fe font plonges dans les vices les plus honteux, 6e cette ville dépérit. Si le feu confume une maifon , on ne la rebâtit pas : s'il y en a qui menacent ruine, on ne prend pas la peine de les érayer. Il y a peu de familles qui ne foient infectées de maladies vénériennes, Ôc comme on n'y a point de chiturgien , on y voit des perfoimes dans un état lî miférable qu'ils relfemblent à desfqué-lettes vivans. Le voivode s'inquiète tort peu de ces défordres publics : uniquement occupé de fon intérêt particulier , il ne penfe qu'à engager les habitans i lui faire des préfens. Quoiqu'il ait par exemple un grand nombre d'excellen* chevaux , il fort toujours à pied ou fur un cheval qui peut à peine le porter, afin que quelque imbécillc rouché de voir fon voivode fi mal monté , lui falfe préfent d'un cheval. Il voyagea l'an palfé dans tout fon gouvernement, 6c revint avec mille moutons, cent chevaux & quatre-vingts chameaux dont il s'étoit, fait gratifier : un voleur lui donna un chameau qu'il avoit dérobé , il le fit chef d'un village, & ce fut inutilement que je maître du chameau vint le reclamer. £)n nous dit que lorfque cette ville n'a,-. in Sibérie. 14$ Volt que des chefs envoyés par la chancellerie d'Irkoutsk , les vols 6c les vexations n'y étoient pas fi odieux , parce que ces chefs n'avoient pas, comme les voivodes mofcovites, des protecteurs jufqu'à Mofcou. La ville de Nertschink a quelquefois éprouvé les fuites ameres de fa parelfe & de fes défordres : depuis 1717 jufqu'en 1715 > Ie feigle v„a coûté deux fous la livre , 6c en 17 $ 2. fix fous. Les habitans ne voulant pas pren-d. en Sibérie. 249 figUTS alternatives de froid Se de chaud , j'arrivai par un chemin montagneux, couvert de fleurs, Se de beaux bouleaux , aux fonderies d'Argoune. Elles font à trois lieues & demie de la rivière de même nom, fur le ruillea.u de Toufatchi qui eft forme par une fource peu éloignée. La chancellerie de Nertchink fut informée en 1 677 par un envoyé kalmoucke qu'il y avoit une mine dans c? canton. On fit à ce fujet beaucoup de recherches dans les années fuivantes, Se on trouva que le rapport du K.ilmoucke étoit véritable : cependant la fonderie ne fut établie qu'en 1704 par trois grecs qui entreprirent d'exploiter la mine. On fuivit les fouilles des anciens habitans du pays , Se dans une montagne qui eft à environ cent cinquante toifes à l'occident de la fonderie , on trouva un gros filon , traverfé par un rameau de mine brillante fort riche, que les anciens mineurs avoient laifte fublifter exprès , afin qu'il foutint les tetres : ils avoient peut-être beaucoup tiré de ce filon, car dans tout le canton l'on ne voit aucune autre fouille , Se cependant on y trouve une grande quantité de déchets. On coupa ce rameau en deux, Se les terres qu'ilfoutenou s'ef- Lv 1j0 V O Y A g E fondrerent : on efpéroit fans doute trouver plus bas des rameaux plus riches , mais on en fut empêché par la chute des terres. Après beaucoup de recherches on a rrouvé des filons ailes riches pour dédommager des frais de l'exploitation. Les grecs établirent leur fonderie 6e: traitèrent la mine à leur manière. Leurs fourneaux de fufion étoient bas , leur angar à grillage, fans toit, leursfoufi-flers de cuir ôe mis en mouvement par des hommes , 6e quoique leur travail fut très-imparfait, ils fondoient quelquefois par année jufqu'à iix cents livres d'argent. N'ayant jamais vu travailler en grand, ils procédoient à peu près comme un fondeur de Sibérie à l'égard du fer. Ce fut en 1716 qu'un prifonnier fuédois envoyé pour vifiter les mines de cuivre du Gafimoure entreprit celles d'Argoune : il crut qu'il en feroit de cette mine comme de celles de Suéde 6e d'Allemagne qui font plus riches à une plus grande profondeur, mais fes recherches à cet égard furent inutiles. Il compara le procédé des grecs avec celui d'Allemagne , Ôe ce dernier lui parut mériter la préférence. Un commilfaire. envoyé des mines d'Ouktous imagina d'étanç,onner les terres, ôc réuilit ainli en Sibérie. iJî à faire travailler de nouveau à l'endroit où les terres s'étoient effondrées : lorfque je m'y trouvai, on en tiroit une efpece d'argille molle qui ne tenoit pas beaucoup d'argent. On avoir lieu d'ef-pérer qu'on trouveroit encore de riches liions : le directeur des mines de Ca-therinebourg ordonna de conftruire fur l'Ichaga , à neuf lieues de la fonderie ôc Frès du confluent de cette rivière avec Argoune , une machine pour élever les eaux nécelfaires au jeu des foufïlets. Tandis qu'on y travailloit, un mineur allemand qui fut envoyé pour reconnoî-tre l'état de lamine , en jugea coir me on a coutume de le faire en Allemagne : il décida qu'on ne devoir plus efpeier dç trouver de nouveau minerai, qu'il falloit fondre celui qu'on avoir, ôc abandonner la mine. En effet les travaux furent fufpendus ôc on ne fondit plus que quelques matières aux fourneaux d'affinage des anciens. Il y en avoit dans ce canton plus de mille j ils étoient remplis de terre , ôc quelques pouties de bouleau qu'on avoit employée^ à des puits, n'avoient plus que l'écone extérieure : ces circonftances réunies prou-venr la grande ancienneté de ces fourneaux, ôc leur grand nombre prouve L vj 25* Voyage aufti que ceux qui les ont conftruits' faifoient peu de cas du plomb. Le directeur des mines ordonna en 1733 de reprendre les travaux de cette fonderie, mais on le fit fans règle tk fans ordre ■ l'aqueduc qu'on avoit commencé fut emporté par les eaux , la plupart des gal-Ieries s'effondrèrent, les autres fervoient de celliers aux mineurs j ils y mettoient leurs provifions , pour les garantir du grand froid qu'on éprouve ici, mcme en été. Les mines qu'on y travaille aujourd'hui (173 5), font auprès des anciens travaux tk on ne peut pas les appei-ler de véritables mines. On a fait depuis peu de nouvelles fouilles qui donnent plus d'efpérance j on y a trouvé l'efpece d'argille qui eft dans ce pays la meilleure mine d'argent. En général la difpoiltion naturelle des mines de ce canton elt fort avantageufe : elles font près de la furface de la terre , s'enfoncent rarement & font très fouvent par nids : on en trouve quelquefois dans les vallées , mais celles des montagnes font préférables, parce qu'on y craint moins l'eau : la recherche en eft très facile î il fuffit de fouiller à un ou deux pieds de profondeur , tk il n'eft pas rare de trouver des fiions épais d'une roife. en Sibérie. 25*" J'exhortai les ouvriers à ne pas abandonner ces mines, & je les alïlirai qu'ils en tireroient toujours quelque gain. En effet, en 1741 6e 4Z on y a trouvé de nouvelles veines , ôc fur-tout une mine remarquable qui elt une ochre tenant plomb : on la méprifa quelque temps comme une terre jaune inutile, mais on y trouva des noyaux de la même terre, un peu plus rouges, plus fermes ôc plus pefans, qui parurent mériter qu'on en fit l'ellai. En effet, ils renoient du plomb, de l'argent, de l'or, un peu de fer ôc d'antimoine ; on eflaya aulfi la terre jaunâtre , ôc on y trouva les mêmes métaux en moindre quantité : cette mé-prife a fait donner à la mine le nom de douteufe. Le plomb qu'elle contient eft fott rébelle j quoiqu'il ait été grillé , il ne dépatt point à la coupelle , fi l'on n'y ajoute du plomb pur ou de la litarge d'argent: fi on l'y met fans cette addition , il y forme un gros bord ôc fait éclater la coupelle. On a trouvé aufti dans la même mine un quarts blanc jaunâtre qui contient de l'antimoine cv des grains d'or. En général cette mine eft allés riche ën or pouf qu'on en faite le déparr j une livre d'argent fin contient deux ducats & demi d'or fin , liant & de le* Voyage belle couleur. On a auflî dans ce canton: une alfés grande quantité de mine de plomb blanche j quelques mineurs Saxons en ont trouvé un filon,très riche auprès des anciennes mines d'ildikoune j il eft mêlé de pyrites qui tiennent quatre onces d'argent fur environ cinquante livres de plomb : au commencement de l'année 1741 , on s'y étoit enfoncé de plus de fix toifes. On a fouillé aulli les anciennes mines d'ildikoune négligées long-temps, maison n'y a trouvé que des morceaux ronds de belle mine blanche que les eaux y ont fans doute entraînés ; ils contiennent fix onces d'argent fur ioixante-quatorze livres de'plomb. Cette mine eft aufti difficile à l'elfai que l'o-chre dont j'ai fait mention , 5c l'argent contient aufti par livre un ducat d'or ( ou environ foixante-fix grains. ) Les mineurs Saxons qu'on y a envoyés ont conftruit de nouveaux fourneaux, & augmenté confidérablement le produit de ces mines. Près de la rivière de Tourga qui fe jette dans l'Onon, il y a environ foi-xanre lacs voifins les uns des autres. Plus loin eft une petite rivière ou plutôt un torrent nommé Argoune , dont les eaux ; quand elles font gelées, ont h en Sibérie. î$Ç couleur du thé : elles font un peu acides &.très bonnes à boire. Il y a dans ce canton une efpece d'arbre nommé par les habitans bouleau noir : les feuilles relfemblent beaucoup à celles de l'yeufe tant parles veines que par la couleur, niais elles font moins crénelées : l'é-corce relfemble à celle du fapin , & cer arbre devient aufli grand que le bouleau commun : en effet c'eft une efpece de bouleau qui fe trouve aufti en d'autres pays. On voit dans le même canton une efpece d'arbre qui lui eft particulière : elle croît parmi les cerifiers fauvages &C leur relfemble , mais fes feuilles font plus longues , d'un verd plus fombre & ont les veines prefque aulli grofles que la feuille de cirronier. Cet atbre porte des baies 7 le bois en eft rougeârre v Se les habitans du pays le nomment arbre rouge ou fintal : ils en fonr des manches de couteau ,'parce qu'il eft fort dur. * On trouve encore ici un arbriffeau , qui vu de loin relfemble aux jeunes bouleaux , * C'eft le Rhamnus fpïnls ttrminalïbus fio» ribus quadrifîdis dioîcis. Linn. S. i , p. j$>£. Rhamnus cathanicus. B P, 478. Cornus foliis turi angujlionbus. Amm. i, C. ». z7ï , p, ivC} tab, 33. 2 5eut décider fi ceux qui ne meurent pas font moins malheureux. Le peuple eft détruit peu à peu j ceux que ce mal cruel n'a point encore confumés , font incapables de travail, tk réduits à mourir de mifere dans un pays fertile tk fain : leur unique relïource eft le commerce avec les Chinois. La maladie nommée volofte eft commune aux Rulfes & aux Tongoufes : elle fe déclare par un abcès dont la matière relfemble à des cheveux. Ceux qui en jugent le plus fainement difenr qu'il y a dans les eaux de ce canton une efpece de vers qui relfemblent parfaitement à des cheveux , mais ils s'imaginent que ces animaux font formés en eftet de cheveux coupés tk jettes dans ces eaux. Ces Vers, difent-ils, s'attachent aux hommes qui fe baignent, pénètrent 6c fe glifient par deftous la peau , jufqu'à ce qu'ayant blefté plufieurs parties, il s'y forme une tumeut qui devient abcès, tk il faut en faire fortir tous ces vers qui s'y font multipliés. Pour cet effet on le baftïne matin tk foir avec une leftive chaude dans laquelle on met un peu d'argentine : le préjugé du pays eft que lorfque les vers ou cheveux fortent de l'abfcès , le malade doit éviter avec foin de les voir, car alors les remèdes î 5 S V O Y A g t feroient fans effet. Quand l'abcès nô caufe plus aucune douleur, la guérifon eft parfaite \ mais il devient chancreux , fi l'on diffère les remèdes. Ces vers fe meuvent dans l'eau avec une grande vi-telfe : leur corps peut fe refferrer tk s'étendre beaucoup rils refïèmblent en effet à dés cheveux, mais lorfqu'on les examine avec attention, on voit que ce font des vers compofés d'une infinité d'anneaux qu'on ne peut diftinguer qu a l'aide d'un bon microfeope : la têre paroît pointue tk plus mince que le refte du corps , la queue un peu plus grolfe, tk le corps eft comme un gros cheveu. Les f)lus grands ont huit ou dix pouces de ongueur , les plus petits cinq : ils font d'un blanc jaunâtre , ont le long du dos une raie brune, tk les côtés noirâtres : leur bouche m'a paru femblable à celle de la fangfue. Le climat d'Argoune eft extrêmement froid : on y trouve plufieurs endroits où la terre ne dégelé pas à plus de trois pieds de profondeur. L'air des celliers pratiqués dans les mines d'argent dont j'ai parlé eft fi froid , que lorfqu'on en ouvre la porte, on héfite pour aller plus avant ; la glace qui s'y forme en hiver n'y fond point en été , tu Sibérie. i)9 cependant le 17 juillet 1735 , ^ mcr"' kilomètre y étoit un peu au deffus de la congélation. Le diftriét d'Argoune eft fujet à deux tremblemens de terre périodiques, dont l'un fe fait fentir au printemps, l'autre au commencement de l'hiver. On dit qu'ils font généraux 6c fort doux , que celui d'hiver dure jufque vers le mois de novembre , qu'alors le terrein s'e-leve d'environ un demi-pied , & QJ> au printemps il s'abailfe peu à peu. Cette circonftance me paroît difficile à concevoir , & je ne crois pas qu'il fut rai-fonnable d'en tirer des inductions, avant qu'on ait fait à cet égard des obferva-tions plus certaines. Il y a quelques années qu'une caravane ruffe qui alloit à la Chine fentit un tremblement de terre aux environs de la ville chinoife de Naun , 6c vit une alfés grande quantité d'eau, lancée de terre avec force fous la forme de pouffiere. Il croît ici abondamment une efpece de blé farafin fauvage , qui diffère du commun en ce qu'il eft moins gros ôc n'eft prefque pas anguleux * : on trouve * Fagopyrum fruflu afpcro. Amin. L. C» p. 141 , p foly^onum folïh cordato-pi-. gittatis , coule tnermi creQo > /minibus jùb-dtntaiis, L. S. ît, p. 364., 16o V O y a G b aulîi la mime efpece auprès de Krafnoïark : elle y a été apportée de Kal-mouckie. CHAPITRE XL. Bains chauds. Montagne de jafpe. Sor* c ers & forciere. Eaux vitriole es. Bornes* SUr la rivière d'Onon , près du ruif-feau de Kire , il y aune four ce d'eaux chaudes , dont les Tongoufes font ufage dans leurs maladies, foit intérieures foit extérieures ; ils y mènent leur lama qui leur enfeigne comment il faut les boire & s'y baigner : on y a un bain particulier pour chaque fexe. Au-delà des mines d'Argoune on trouve Xiachma-gora ou montagne de jafpe : elle eft en effet d'un beau jafpe verd qui eft fort mêlé avec d'autres pierres; on en trouve difficilement des morceaux du poids de trois livres qui {bient purs Se fins fentes : il eft vrai qu'on en peut tirer de quarante à quatre-vingt livtes , mais api ès quelques jours ils fe fendent en tout fens. On a effavé inutilement d'en tirer des blo:s alfés en Sibérie. i6t gros pour faire des colonnes tk des tables. Nous vîmes à Verchnaïa-borfa troB forciers tk une forciere. Des ferrailles rondes, crochues, dentelées, des robes de cuir, des courroies, des ferrures chi-noifes faifoientà l'ordinaire leur habillement infernal. La thamane , qui en effet avoit l'air d'une forciere , difoît qu'elle n'étoit pas une chimane ton-goufe, mais mongolienne. Ses habits n'étoient pas femblables en tout à ceux deschamans; elle leur abandonnoit les cornes, tk n'avoit orné fa robe que de plaques de laiton unies d'un côté , ce portant fut l'autre des caractères chinois, rels qu'on en trouve quelquefois dans les anciens tombeaux : par derrière pendoient de longs rubans, 6e une grolfe ferrure chinoife couverte de rouille. Les fotciets n'avoient point de tambour , mais la forciere en avoit un qui n'étoit qu'une peau tendue fur un cercle de bois ; un petit bâton recourbé , garni à l'une de fes extrémités d'une peau d'écureuil éroit la baguette. Les chamans 6e la chamane avoient au lieu de bonnet une efpece de bride ; ils fautèrent 6e crièrent, tk nous débitèrent leurs pnenfonges accoutumés. On nous ayoïc l£i y 0 T A é t f annonce que l'un d'eux âgé de plus fe cinquante ans fe palferoit une .flèche à travers du corps tk l'en retireroit fan-glante , mais lorfqu'il fallut en venir à l'effet, il nous dit devant un gtand nombre de Tongoufes que jufqu'alors il les avoit dupés , que la flèche n'avoit jamais paffé qu'au travers de fa robe , ÔC qu'il n'étoit pas refponfable de la (implicite de fes compatriotes auxquels on pouvoit tout faire accroire. Lorque je fais ce tour, ajouta-t-il, j'enfonce la flèche en un coté de ma robe, tk retire le ventre autant que je peux ; la flèche paffe près du corps 6c perce l'autre côte de la robe , où d'une main je tiens du fang dans une veffie y j'en fais couler un peu en tirant la flèche , 6c mes ftupides Tongoufes croient que c'eft le mien. Il fembloit fi bien difpofé à nous découvrir fes tours, que nous effiiyâmes de l'engager à reconnoître publiquement que fes fortileges croient de pures fourberies, tk que lui 6e fes confrères, loin d'opérer par le moyen du diable , n'en avoienr aucune idée y mais fon métier de fourbe lui étoit trop avantageux , pour qu'il voulut confefferla vérité : il nous fourint constamment qu'il avoit à fes ordres un crand nombre de diables. On exerce eii en Sibérie. ir7$ cette contrée une autre efpece de for-cellerie qui n'eft. pas moins cél bre. En égorgeant un agneau d'une manière particulière on guérit un malade , mais il faut que le diable ait exprelfément ordonné d'égorger cet agneau. Deux hommes le tiennent, l'un par les pieds de devant, l'autre par ceux de derrière : le chaman lui ayant fait à la poitrine vers le côré gauche avec un grand couteau une incifion d'environ deux pouces, met la main dans la bleflure , l'enfonce jufqu'à la poitrine 6c lui arrache le cœur j enfuite ils l'écorchenr ôc le mangent avec les parens du malade ; ils laif-ient à la peau la tête ôe les pieds, Ôe la mettent fur un poteau comme une offrande que le diable exige. Si le chaman veut manger un cheval , il dit que le diable l'ordonne , 6e le malade livre avec joie , même le meilleur cheval qu'il ait. Il y a dans ce canton des eaux dont les animaux ne veulent pas boire, ôe les hommes qui en avalenr vomiflent aufti-tot : c'eft une fource d'environ une toife de firge : elle forme un ruilfeau qui fe perd après trois quarts de lieue , ôc contient une grande quantité de vitriol ûjarrial. Plus loin on trouve Zouroin i!?4 Voyage khaïtou > village limitrophe entre h Chine & la Rulfie. Les foldats y habitent dans de miférables huttes, faites d'oliers entrelalfés : le foyer eft au milieu ôe le Commet eft percé pour le paftage de la fumée. Ils habitent pendant l'hiver les villages des bords de l'Argoune , tk reviennent au prinremps : ils-ont alors oc-caiion de faire un gain coniîdétablc.. Les Chinois qui viennent vihter les bornes , apportent beaucoup de marchan* difes qu'ils échangent pour des pelleteries tk autres marchandifes rulfes, tk les pelleteries ne coûtent prefque rien aux foldats j ils ont l'adrelfe de les tirer desTongcufes à un très bas prix. Ces foldats commercent toujours , ôe quelques-uns ont plus de cent foixante livres d'argenr. Le bois qu'on brûle dans ce village y eft apporré de plus de dix lieues , ôe le terrein en eft fi bas que le moindre débordement de l'Argoune le couvre. Si l'on vouloit punir comme dans l'ancienne Rome , par l'interdiction du feu ôe de l'eau , il faudroit envoyer à Kia-kta ceux à qui on refuferoit l'eau , ôe à Zouroukhaïtou ceux qu'on voudroit priver du feu. CHAPITRE en Si d e r i h. a6"5 CHAPITRE XLI. Diflillation des Tongoufes. Bornes de L r empire ruffe, Mongoliens. Lacs files. Mœurs des Tongoufes. LEs Tongoufes diftillent leur eau- dévie d'une manière un peu différente de celle des Tarares y le vailîeau ou l'a-lembic dans lequel ils mettent le laie aigri eft un chaudron de fer peu profond ; le chapiteau eft de bois ou d'é-corce de bouleau, tk de forme cylindrique : le réfrigèrent eft un plat de fer qu'on met fur le cylindre , tk pour fermer exactement les jointures de ces vaiffeaux on fe fert de gros drap au lieu de lut. La fuite de l'opération n'a rien de particulier} ce qui refte dans le chaudron , ils le verfent dans un fac de drap, le [aillent égouter, le font fécher, &z mangent cette efpece de fromage. Ils rirent des eaux-de-vie , du lait de vache comme de celui de cavalle , tk elles font d'égale force : nous en avons vu diftilîer du lait de vache , qui étoit alfés fpiri-tueufe pour s'enflammer. La borne de Chine & de Ruffie 1* Tome L } ' 166 Voyage plus reculée elt auprès du mont Abagaï-cou \ on y voit de petits grais fur un coteau en monceaux de deux ou trois toifes de hauteur. Leur alignement eft du midi au nord , & l'un marque la borne ruife, l'autre la borne chinoife : on avoit attaché fur celle-ci à quelques bâtons des morceaux de drap fur lefquels il y avoit des caractères indiens de tongou-tes. Tous les ans les pieux Mongoliens y viennent accompagnés de quelques lamas, pour y faire une dévote cérémonie ; lorfqu'elle eft finie, les lamas di-ftribuent au peuple ces pièces de drap qu'il attache à des bâtons de plante fur la borne. Cette formule de prière y eft fouvent répétée, Seigneur, aye\ pitié de moi. Les environs du lieu où la rivière de Kaïlar, après avoir traverfé quelques lacs, prend le nom d'Argoune, font remplis de petits lacs, qui durant les pluies abondantes n'en forment plus qu'un feul, de dont les eaux n'ont aucun mouvement. Après avoir examiné les embouchures du Kaïlar nous revînmes à l'Argoune j il nous falloir fuivre certe rivière pour ne pas manquer d'eau , de nous fûmes obligés de porter une provifion de pois,. !n S ï B s Kit. tSf epuis Sélenghinsk jufqu'ici , c'eft-à-dire , dans un efpace d'environ quatre cents lieues , nous avions rraverfé beaucoup de délerts \ ceux où nous étions pour lors font pleins de chevreuils qui ont les cornes du bouquetin 6c qui les confervent. A mefure que ces cornes' croi fient, la pomme d'Adam groilit, de forte que ceux qui font âgés paroilfenc avoir à la gorge une grolfe tumeur. Ces animaux font très vîtes, ainfi que le faiga de l'Irtich. MclTerschmid a prétendu qu'ils ont horreur de l'eau , mais tous les Tongoufes m'ont allure que lorfque ces animaux font pourfuivis dans le défert, où ils courent par troupeaux , ils traverfent fouvent la rivière , ôc un habitant de Sélenghinsk m'a dit qu'un chevreuil de cette efpece qu'il avoit ap-privoifé fuivit à la nage un de fes do-meltiques qui paffoit dans une île de la Sélenga. On traverfe un défert fec ôc falc , avant que d'arriver à Sagan-nor : ce nom fignifie lac blanc, ôe c'eft en effet un lac qui paroît de loin blanc comme la neige j il eft peu conlidérable , mais rempli d'un fel pareil au fel admirable de Glau-ber. Le défert qu'on trouve enfuite eft: pierreux 6e couvert d'un beau quart* i£S Voyage blanc. Nous étions alors au commence* ment d'août ; nous elfuyâmes une Grande chaleur que toutes nos provi-irons furent gâtées. Près du petit ruiffeau de Borfe il y a un lac falé fameux dans ce canton ; il a trois quarts de lieue de circuir, 6e paroît tout blanc. Le fel s'y précipite comme â lamichéva , de forte qu'il n'a befoin d'aucune préparation , avant que d'être employé. On en trouve moins au fond qu'à la furface , où il nage fous la forme de pellicule : il elt d'un bon ufage 6c a toutes les propriétés du fel ordinaire. On trouve d peu de diftance un autre lac moins coniîdéra-ble, donr les eaux font fort falées , mais il ne s'y forme point de fel. Notre fous-chirurgien vit ici un météore : c'éroit un globe de feu qui avoit fon mouvement d'orient en occident, 6c laiffoit après lui une longue traînée de feu : après un quart d'heure il difparut. Il y a dans les déferts voilins un grand nombre d'ànes fauvages : on les y rrouve fur-tout dans les temps de fécherefle 5 alors la diferte d'eau leur fait quitter la Mongolie , qui eft leur pays ordinaire : ils ont la taille 6c la forme d'un cheval, font bai-clair, ont de longues oreilles 6c Ja queue pareille à celle de la yache. ils ï n Sibérie". 1(jO font extrêmement vites : c'eft cet animal crue Meirerfchmid a nommé mulets féconds. Nous vîmes fur les bords de l'Onon Un ancien lama que tout le peuple ton-goufe révéroit, non plus comme un faint prêtre , mais comme un grand médecin : il avoitdépofé depuis long-temps le facerdoce, éroit marié & buvoit du brandevin , deuxchofes qui ne font per-mifes à aucun lama. 11 étoit de la religion indienne , 6c regardoir comme un péché mortel de manger d'un bœuf ou d'un poiftbn qui eut la queue rouge. Il fit préfent à M. Muller d'un manufcrit indien ôe de quelques figures de dieux , peintes fur du drap. Tout fon art médicinal confiftoit dans la brûlure 6e l'application des ventoufes : lorfque l'opération ne réuflilfoit pas, il la répétoit dix ou vingt fois à toutes les parties du corps , jufqu'à ce que le malade guérit ou mourut. Ses inftrumens étoient une ven-toufe de cuivre qui pouvoit contenir feize onces, ôe une lancette pareille a celle des maréchaux : fon opération par la brûlure étoit un martyre. Après avoir appliqué les ventoufes , il placoic à l'endroit du corps qu'il jugeoit le plus convenable, un petit rouleau mince Se M îij 270 V o y a g e court fait d'aigrettes d'armoife; i! pa|_ lumoit à l'extrémité fupérieure ôc Ie Jaiflbit brider jufqu'à ce qu'il fut e« cendres. Son remède contre h gale ôc routes forres d'éruptions de la peau fe préparoir comme il fuit. Il fondoit du plomb dans une cuiller de fer avec poids égal de mercure , y répandant poids égal de foufre pulvérifé , jufqu'à ce que la malfe entière fut réduite en cendres : pour en faire ufage il les humectoit avec du thé , ôc en oignoit les parties mala* des. On le regardoit aulli comme un habile oculifte, ôc tous les aveugles du pays avoient en lui la plus grande confiance : fes remèdes étoient des poudre» répandues ou fourïïées dans l'œil, ôc Quelquefois des opérations chirurgiques. Une de fes poudres étoit d'un brun, rouge , fiiite de cuivre en lames ôc do foufre calcinés : l'autre étoit compofée de deux parties d'argent ôc d'une de bronze, fondues ce réduites en cendres dans une cuiller de fer. Après avoir humecté la première avec du thé , il en couloir quelques goutres dans l'œil malade , mais parce que l'autre étoit blanche , il y mèJoit du lait de femme. Ce médecin regardoit le cuivre calciné cOTOfe vins un moyen très efficace de fajre en Sibérie. 271 îortir la pente vérole ; c'étoit à fon avis une panacée : on pouvoir l'employer dans toutes les maladies intérieures > Se elle emportoit les humeurs peccantes, foit par les voies accoutumées , foit par d'autres voies incoinpréhenfibles. La feule opération chirurgique qui lui fut connue, étoit celle de la taie : fes inftru-mens étoient un petit ctochet, une-aiguille droite 6e une lancette de maré-chal. C'étoit lui qui faifoit fes inftru-mens ainli que fes remèdes : il étoit médecin , chirurgien , apothicaire tk forgeron. Environ à dix lieues au midi des fources de l'Onon , il y a des fouilles faites par les anciens habitans de ce canton , Ôe par les Rulfes ; l'on y trouve des mines de cuivre vertes tk bleues qui font extrêmement riches , mais il eft fort difficile de les exploiter. Outre que les filons ne s'enfoncent point, on ne trouve aux environs, ni eau j ni bois , ni village , ni habitans induftrieux pour employer les produits d'une fonderie. Les Tongoufes qui font le peuple le plus nombreux de cette contrée n'abandon-netoient pas l'ufage des uftenfiles de fer dont ils fe fervent depuis tant de fiecles , tk le trânfpôrt du cuivre dans les cantons plus habités ce les plusvoifins feroit trop, Miv l-ji Voyage difpendieux. Autour de cette mine il y en a quelques autres qu'on a tenté d'exploiter , mais je ne crois pas qu'on en retire un grand avantage. Il y a quelques familles ou tribus tongoufes qui portent des bonnets de peau de la tête du chevreuil, auxquels ils iaif-fent les cornes, & cet ufage les dilfin-gue de quelques autres tribus. Les Ruf-fes qui les fournirent ayant remarqué que les uns fe feivoient de chevaux, les autres de rênes ce quelques-uns de chiens , prétendirent les ditlinguer par la dénomination de Tongoufes chevaux , Tongoufes-rènes 6e Tongoufes-chiens : mais ceux qui avoient des renés les ayant tous perdus, font devenus Tongoufes-chevaux , 6e cette divifion ne peut plu* fubiïfter. Les Tongoufes ont le vifage conformé à peu près comme les Kalmouckes , cependant ils l'ont un peu moins large : il m'a femblé qu'en général leur taille étoit peu élevée. Leurî cheveux font noirs , 6c la plupart les portent trelfes comme les Chinois , mais quelques - uns ne fuivent point cet ufage : j'en ai vu un qui les cou-poit tous, 6e ne laiffoit fur le devant de la tête qu'une couple de touffes. Il eft lare de voir un Tongoufe qui ait de la: en Sibérie. 275 barbe ; dès qu'elle parole , ils l'arracheur ôe répètent l'opération jufqu'à ce qu'ils n'en aient plus. Leur habit elt une (ïm-pie peau que les plus riches couvrent de drap ou d'une étoffe de foie : ils portent de plus un bonnet, des culottes Ôc des bottes : le poil de cette peau touche immédiatement leur corps. Lorfque l'air eft chaud, & qu'ils font dans leu: habitation , les hommes Ôc les femmes n'onc que leurs culortes , ôc quelqu'autre chofe encore dont ils entourenr le bas du corps. Lorfqu'ils dormeur à l'entour du feu, foit dans leurs huttes, fou à la campagne, il ne fe couvrent avec lent peau que du côté oppofé au feu, Ôc fe tournent fi adroitement , qu'ils y préfen-tent toujouts le coté nud. Le bonnet eft ordinairement de couleur rouge ôc orné de peau : ils ont tous une ceinture de travail bratskain , à laquelle ils attachent lap ierre à feu , le fachet de tabac ôc la-pipe. Les ornemens des femmes font les anneaux d'oreille ordinaires ôc les coraux. Tous les alimens leur conviennent j oignons de martagon ôc d'autres efpeces de lis , racines de biftorte , lait, fromage , bœuf , cheval, mouton , loup , cerf, renard , ours, marmote , ils mangent tout avec un plaifir égal. Us tuent M Y 2-74 \t o y a g e rarement les animaux privés, ôe ne man* gent que ceux qui meurent naturellement. Le pain eft pour eux un mets délicieux , ils en demandent aux voyageurs,. ôe le donnent fouvent à leurs enfans» Leur boidbn elt le thé fait avec du lait, du beurre , du petit lait, Se en été de l'eau-de-vie de lait. Ils ont de grands troupeaux de bceufs , de chevaux , de moutons ôe de chèvres. Il y a des Tongoufes qui ont environ cinq cents chevaux , de les plus riches ont aulli des chameaux. Ils retirent annuellement du bétail qu'ils vendent alfés d'argent pour payer le tribut ôe s'habiller eux Ôe leur famille : ils ne vendent volontiers ni les veaux blancs ,ni les moutons qui ont la; tête noire. Leur unique occupatiou eft la chaife; ils y vont dès qu'ils n'ont plus rien à manger, & ne penfent à renou-velier leurs provisions. que lorfque le gibier eft consommé. Ils pourfuivenr les marmotes jufques dans leurs trous, font un feu à Tenace ôe l'entourent de forte que toure la fumée puiiîe y entrer ; fi l'animal fort, il elt tué ; fi la fumée l'é-toufte , on le tire avec une perche. Ce peuple étant errant, porte fes meubles ôe même fes huttes fur des chevaux: d*u:i endroit dans l'autre > il chaife aulli 1 k S I B e r I t. 17$ achevai. Sa religion eft cdle qui étoit commune autrefois à tous les peuples de Sibérie : il elt donc permis aux Tongoufes de prendre autant de femmes qu'ils veulent, mais il eft rare qu'ils en aient plus de deux , Se il faut qu'ils les achètent, comme je l'ai dit des Tatares. Leurs dieux ou chévikis font de bois ou de cuivre : ils ont le vifage diftorme , Se ceux de cuivre font renfermés dans des étuis de cuir, de forte qu'on ne voit le métal que du côté du vifage. Pour fe rendre propices leurs chévikis, ou pour leur témoigner leur reconnoiftance , quand la chaife a été heureufe , ils leur mettent fur la bouche un peu de crème ou de graille. Le foleil eft aulîi l'objet de leur vénération , mais les chamans font leur recours dans les circonft.mces les plus importantes & les plus difficiles. Quand ils font malades , ils confultent le lama mongolien , Se ce bon piètre SUiifïant l'occafion de fiire de nouveaux convertis , réulfit alfés fouvent. Les maladies des yeux font fréquentes parmi les Tongoufes : la rougeole y eft commune Se dangereUè- Ils font fort unis entre eux j Se fe plaignent rarement les uns des autres par-devant les magiftrats tuiles j tous leurs petits différens fe ter- Mvj Îj6 V o y a g e minent entre eux feuls. Us font divîles en familles ou tribus, defquelles un certain nombre eft fubordonné à un faif-fan, qui a fous lui un choùlinga , 6c un certain nombre de fai flans a pour chef un taïcha. Tous ces officiers font tongoufes : le gouvernement ruife les choifit ôe les paie pour veiller à l'exécution de fes commandemens, ôc maintenir leur nation dans l'ordre ôe l'obéilfance : ils peuvent décider les petits débats, mais il ne leur eft pas permis d'infliger de grandes peines. Ce peuple paroît content du gouvernement rufle. On n'entend pointparler de Tongoufes qui aient paflc-dans la Mongolie, ôe l'on fait que les. Mongoliens pafferoient volontiers fous la domination ruffe, fi l'on vouloit les. recevoir. Nous trouvâmes les Tongoufes fort officieux dans toutes les occa-fions, ôe nous ne fûmes jamais obligés, envers aucun d'eux à la moindre violence. Sibérie; CHAPITRE XLII. Superfluions des Bratskairu. Tombeaux, apparition. NOus eûmes durant le mois d'août de frcquens orages & de grands tonnerres. Les Bratskains qui nous amenèrent des chevaux au ruiueau de Pope-rechma, nous dirent que le diable étoit l'auteur du tonnerre , ôe que les animaux qui en étoient frappés , éroient les victimes qu'ils s'immoloit. Afin de lui complaire & de mériter fesfaveurs, ils élèvent un échaffaud à l'endroit où l'animal a ete tué, ôe le placent fur cet échaffaud comme une offrande qui lui efl agréable. Avant que d'arriver à Chibétou-chadda . nous vîmes un grand nombre d'anciens tombeaux y entourés de pierres dont les plus grandes étoient du côté de l'orient. Nous fîmes ouvrir celui qui avoit le plus d'apparence j on y trouva d'abord des os de cheval , en-fuite fous un lit de pierres très grolfes un fquélette humain auquel il manquoit beaucoup d'os, Ôe fur-tout la tête entie-iq : le haut de ces deux fquéletees étoit tj% Voyage tourne vers l'orient. Dans quelques au, très on ne trouva que des os d'homme , Ôc pas un feul os de la tête. Je reviens aux Bratskains : s'il ne parïoient pas mongolien, on les pren-droit pour des Tongoufes. Ils nous firent part d'un grand malheur qu'ils ve-noient d'éprouver j la vieille forciere, grand'mere de leur prince , éroit paraly-tique «Se ne pouvoit plus fauter : c'étoit pour eux une pette confidérabîe , car elle découvrait les voleurs , elle faifoit retrouver les troupeaux perdus, elle n'a-voit pas feulement commerceavecle tyran des enfers, mais auiîi avec l'être in* fini. Un jour il lui révéla qu'il devoir defeendie fur la terre , 6V l'informa de la montagne où il vouloir fe repofer y elle en avertit fes concitoyens, les inftruifit du jour fixé : ce grand jour étanr venu , ils fe raffemblent avant l'aurore , ôc elle , marchant à leur rêre leur tient les dif-cours les plus capables d'entretenir leur piété. Lorfque les premiers rayons do-rerenr le ïbmmet de la montagne , elle dit que l'infirant approchoit, qu'elle fen-toic rimpreifion divine, que ceux qui vouloient voir fe tinlfenr près d'elle : cependant le foleil s'élevant de plus en plus, il partoit du fommet de la monta- £ne des efpeces d'éclairs inconnus juf-qu alors aux Bratskains y ils tombèrent le vifage contre terre , & la viedle poulfant des cris de joie, & recevant en préfent des zibelines , des pièces de drop ce de foie revint à fa hutte , au milieu des vœux,des acclamations, des bénédictions de fon peuple. Ceci arriva quelques jours après qu'elle eut reçu l'idole de métal dont j'ai déjà pailé. Celui qui la lui avoit donnée , apprit à quelques Bratskains qu'elle l'avoit portée la iniit fur la montagne, & que les éclairs qu'ils avoient vus, n'étoient que les rayons dn foleil , réfléchi par ce métal poli. La connoilfince de cette fourberie détruiht dans l'efprir de quelques-uns lcciéditde la forciere , mais ne diminua ni la confiance ni la vénération du grand nombre. Lus Bratskains nous entretenant de ces merveilles nous conduifirent à Ou-dinsk. Cette ville eft fituée fur la rivière d'Ouda qui vient de l'orient, ôc eft large d'environ trente toifes. les habitons font des dvoriœnins ou nobles, des diéri-boïares , ou officiers fubalrernes du gouvernement , des Cofaques, des marchands , des officiers de caravane, des carimmi-iéfachnie ou Bratskains tribu- 2S0 Voyage taires maries à des femmes rudes, ôc par conféquent chrétiens. Le gouverneur eft un prikachetchik fubordonné au voivode de Sélenghinsk. Les environs font très-agréables y on y voit de belles campagnes , des bois , des pacages gras, ar-roiés par une rivière navigable, qui porte jufqu'aux frontières méridionales ôc orienrales de la Chine. Les maifons commodes qu'on trouve à Oudinsk font un monument de l'aifance de fes anciens habitans, mais cette ville eft moins flo-riffante , depuis qu'on a établi Kiœkta, ôc que les caravanes de Chine palfent à Sélenghinsk. Le tetroir eft favorable aux légumes , les vivres y font en grande quantité y la pêche du mois d'août eft Ci abondante qu'on peut vendre beaucoup de poiftbn ôc s'en pourvoir pour toute l'année. Cette efpece de poiftbn qui pafte alors a Oudinsk eft appellée omoule : c'eft un Î>oiffon blanc * qui n'a de commun avec e hareng que l'éclat de fes écailles y il relfemble plutôt à la merluche, mais il eft plus petit : fi taille ordinaire eft: (d'un pied, cependant on en trouve dans * Corego.ius ariedi. en Sibérie. itï l'Icnifei & le Tchivir koui , golphe du lac Baical , qui font longs de deux pieds tk plus. Il y en a aulli dans le lac Sor qui s'ctend au fud-oueft, tk communique par deux canaux au lac Baical ; celui-ci en efl: rempli, tk c'eft de là qu'ils partent pour remonter les rivières de Sélenga, de Tchikoï Se de Tchida , d'Angare , de Bargoufin , le golphe de Tchivirkoui tk le ruifteau de même nom. Ceux qui par-tenr de la mer glaciale fuivent l'Iénifei jufqu'à Mangaféa, & la Petchora jusqu'au fort Pôuftoferskoï tk mcme au-deftus. Il y a des habirans du fort Bargoufin qui vont en pêcher au golphe de Tchivirîvoui : ils n'y en trouvent qu'en Odobre , tk c'eft pour eux un avantage 'y on n'eft point alors obligé de les faler; il fuffit de les lailfer geler tk on peut les rranfporrer fans autre prépararion ; on les vend plus frais , à plus bas prix tk Î>lus promptement. Ce poiilon remonte es rivières jufqu'à ce qu'il trouve la glace; alors il retourne à la mer. Il a fes temps de repos tk s'arrête toujours dans lescourans les plus foibles. Il eft arrivé deux fois que les omoules font reftés auprès de Bolchaïa-faimka , de forte que les habirans de Sélenghinsk tk d'Oudinsk furent obliges d'alltr les y îRi Voyage prendre. Ils font ordinairement en Ci grande quantité qu'on en prend an moins quatre mille par chaque coup de filet. L'air eft très-pur à Oudinsk , ôe les maladies y font rares. L'incommodité qu'on y éprouve le plus ordinairement eft une efpece de panaris que l'on con-noît auiTï à Sélenghinsk ôe pour lequel on y emploie un onguent fait d'une once de graille de porc , une once de réfine , de verdetôe de vitriol de Chypre , de chacun deux dragmes. CHAPITRE XLIII. Changement de la Sélenga. Lac Baical. Tempête. Irkoutik & fes environs. LA Sélenga paffoit il y a dix ans a Bolchaïa - faimka , mais à préfent elle en eft fort éloignée. Cette riviei-e le jette par trois embouchures dans le lac Baical : le rivage méridional de ce lac eft fabîonneux ; celui du nord eft couvert de greffes pierres, ôe l'on n'y peut ancrer que dans quatre endroirs, mais on n'y en trouve aucun où l'on puiife être entièrement à l'abri de la tempête. Les deux en S i r f. r i t.. zS $" rives font montagneufes 6c ont de grands rochers dont plufieurs font taillés à pic. On y voit de grands bois de fapins ôe de mêle fes mêlas de quelques bouleaux : celles du midi font couvertes de neige pendant prefque tout l'été. On ne s'eft point encore apperçu qu'il y ait des rochers dans le lac même ; il ne s'y eft brifé de bârimens qu'au rivage , ainli aucun homme n'y a péri, & fi l'on y avoir des bârimens plus confidérables , on n'y feroit peut-être jamais naufrage. Ce lac eft ordinairement glacé vers Noël, tk dégelé au commencement de mai : il eft rare qu'on y navigue dans les quarto derniers mois de l'année qui font prefque toujours orageux. Nous y arrivâmes le ir; feprembte ( 1735 ) : le froid étoit déjà ii violent, que nous étions obligés de tefter couchés tout le jour. Un vent impétueux nous empêcha pendant quelques jours de mettre à la voile , malgré les vœux que nos matelots lai-loient à la fainte mer ; l'un lui promet-toit du pain , l'autre des copekes , tk ces vœux furent accomplis , dès que la voile fut déployée. Ces aéfces de pieté ne nous rendirent favorables ni Neptune ni les aquilons : il s'éleva un vent violent accompagné d'une grande pluie» 284 V o y a g ï Nous fumes repoulfés à une lieue & demie en arrière , ôe ce fut avec peine que nous atteignîmes une efpece de havre. L équipage des bàtimens qui s'y réfugient, plante fur le rivage une croix de bois, fut laquelle les principaux matelots ou pallagers écrivent leur nom , avec le temps de leur arrivée , la durée de leur féjour, 6c les principales circon-ltances qui les ont obligés d'y relâcher. Nous arrivâmes à celui-ci par une nuit très noire. Peu de remps après le cable d'une des ancres que nous avions jet-tées, calïa , notre féconde ancre perdit fond , ôe le bâtiment fut en grand danger d'être repoulfé dans le lac. M. Muller Se moi nous prîmes terre avec le canot , ôc tandis que notte équipage tra-vailloit à rapprocher du bord le bâtiment , nous nous fîmes une hutte le mieux qu'il nous fut polfible. Nous fîmes faire du feu ôc nous couchâmes fur les pierres donr le rivage eft pavé : le lendemain la tempête duroit encore , mais nos bâtimens étoient au rivage , ôc notre ancre avoir été repêchée. Vers le foir le vent s'appaifi 6c le ciel devint ferein : nous partîmes auftî-rôt 6c parvînmes en peu de temps à l'embouchure de l'An-gare. Le courant y eft rapide, le pafta- «H S I B E R t E. 2ï?5 ge étroit , rempli de rochers tk dangereux fans un bon pilote. Nous remontâmes cette rivière dont le cours eft partout rapide, tk nous arrivâmes à Iakoutsk. Cette ville fut établie vers 1661 : c'eft après Tobolsk 6c Tomsk une des plus conlidérables tk des plus grandes de la Sibérie. Elle eft lituée dans une belle plaine fur la rive oiienrale de l'An-gare, tk entourée, comme les autres villes de ce pays, de palilfades difpofées en quarré, de folfés tk de chevaux de frife , excepté du coté de la rivière : en dedans de ce retranchement on a construit quatorze petites redoutes. La citadelle eft fur le bord de l'Angare , les remparts font de bois, tk elle a quatre-vingt-dix toifes de longueur fur foixante-dix de largeur. Il y a dans la ville neuf cents trente-neuf maifons bien bâties en bois, 6c plufieurs édifices publics. Les lrkoutskains font marchands, flouchivies , dvoriœnins , ou diéti - boïares : leur genre de vie eft femblable à celui de prefque tous les Sibériens ; ils aimant à l'excès l'oiiiveté , le vin tk les femmes. L'autorité du commandant de cette jrille s'étend fur toute la province j les iS6 Voyage voivodes de Sélenghinsk , Nertchinsk ; U'imsk 6e Iakoutsk , ôe les commandans d'Okhotsk ôc de Kamtchatka lui fonc fubordonnés. Ses revenus font beaucoup plus confidérables que ceux du gouverneur de Tobolsk aux ordres duquel il eft : je crois qu'on peut eftimer fes émo-lumcns annuels à plus de cent quatre-vingt mille livres. Irkoursk a aulli un évêque , qui jufqu'à préfent a fait fa rélidence en un couvent fitué fur l'Angare à une lieue de la ville, mais on dit que dans Tété de 17 3 6 on lui bâtira dans la ville même un palais cpifcopal. C'eft de lui que relèvent tous les établiftemens fpiri-tueîs ôe tous les eccléfiaftiques de la province. Les principales rues font munies de chevaux de frife , ôe on y fait pendant la nuit des rondes 6c des patrouilles ; mais ni cette police , ni les ordres donnés dans tout l'empire ruife , n'empêchent point que la plupart des cabarets ne foient remplis toutes les nuits. Les environs de la ville font agréables , 6c quoiqu'ils foient montagneux , il y a de bons pâturages fut la rive occidentale de la rivière. On n'y cultive aucun bled : hs grains qu'on y confomme font ap- EN Sibérie. 1^7 portés Jes plaines voilines de l'Angare, du rerritoire d llimsk ôe des villages de l'Irkout ôe du Konda. Le gibier y cil alfés abondant ; il conlifte en élans, cerfs , fangliers, chevreuils , coqs de btuyere , perdrix , francolins. La rivière a peu de poillon, mais ourreque le lac Baical en fournir, en abondance , on apporte tant d'omoules de la ville d'Où-dinsk tk des bourgs tk villages de la Sélenga, que le peuple peut s'en nourrira bas prix. Depuis que les Chinois achètent moins de bétail, le prix de la viande a bailfé de plus de moitié; l'hiver dernier la livre de bœuf coutoit quatre fous;.cette année ( 1735) elle coûte un peu plus d'un fou fix deniers. Les marchandifes étrangères n'y courent pas beaucoup plus cher qu'à Mofcou , Péterbourg tk Kiœkta ; le commerce de Chine en eft la caufe. Il n'y a point de ville ruffe de laquelle il ne vienne ici quelques marchands avec des draps fins , des velours étrangers , des fucres , des épiceries ^ ils arrivenrau commencement tk dans le cours de l'hiver ytk commercent avec les Chinois pendant cette faifon. Dès que les glaces commencent» fondre , ils font obligés de partir 6c d'a-rnaffer uns certaine ibmme en monnoie i88 Voyage du pays pour payer les droits ôe leurs bateliers : alors ils donnent fouvent les marchandifes qui leur reffent pour un prix plus bas que celui de Mofcou ou de Péterbourg : cependant il y en a qui porrent ces marchandifes à lrkoutsk , tk ceux qui prennent ce parti font un long voyage. Us parrentau printemps pour fe rendre à la foire de Makariev qui le tient en été. Là ils échangent leurs marchand difes pour celles qui ont le plus de cours à la foire d'Irbit, où ils arrivent pendant l'été. Ici leurs vues fe dirigent vers le commerce de Chine, & lorfqu'ils n'ont pu tout débiter , ils portent ce qui leur relie à Tobolsk. Us en partent au printemps pour voyager dans toute la Sibérie , reviennent en automne 6c au commencement de l'hiver, vont enfuite d Kiœkta , puis au printemps à lrkoutsk & à cent cinquante lieues au-delà , retournent en traîneau à Kiœkta, reviennent à lrkoutsk , font en automne a Tobolsk , paffent pendant l'hiver tk l'été fuivant aux foires d'Irbit tk de Makariev , tk reviennent dans leur ville après quatre ans tk demi d'abfence. Avec un peu de bonheur tk d'intelligence , ils peuvent gagner dans ce voyage trois cents pour cent. en Sibérie. iS & les menacer d'une mort violente. Lorfqu'ils ont eu ces terribles rêves , ils fe rendent au tombeau ou le Chamane eft enterré avec tout fon appareil de forcier, & tâchent del'appaiier par le facrifice d'un animal qu'un chamane encore vivant doit avoir preferit. On mange cette victime ainli que les autres, ôc le fquélette eft placé fur le rombeau. Les Bratskains enterrent fouvent avec un mort le meilleur de fes chevaux , mais ce n'elt toutefois qu'après avoir mangé le cheval, 6c cet honneur n'appartient qu'aux bratskains riches. Ils occu-poient autrefois les environs du fort Iendinnskoï, qui ne fut même établi qu'afinde les obliger plus facilement a payer le tribut, mais ils les ont abandonnés, & la plupart des Tongoufes qui Niv lç)6 Voyage erroient dans ce canton, étant morts; ce fort n'eft d'aucune utilité. Avant que le voivode Pachkov entrât dans le pays des Bratskains , il en. voya (i)cent cinq Slouchivies fous la conduite du finboïardDounaïev.IIs can-ronnerent auprès de la grande chute d'eau nommée padoun, Se Dounaiev remonta avec cinquante hommes l'An-gare 6c l'Oka , jufqu'au petit ruifteau qui eft à demie - lieu au-deftus de l'endroit où l'Oka fe partage en deux bras, ôe qui porte encore aujourd'hui le nom de Dounaïeva. Il fut attaqué par les Bouretes, ôe accablé par le nombre il périt avec toute fa troupe. Les autres Slouchivies ayant appris fi défaite-, allèrent au bras fuperieur de l'Oka, Se y bâtirent un fort à demi-lieue audef-fus de l'embouchure de cette rivière. Les Bratskains promirent de payer le tribut, s'ils le vouloient recevoir dans une grande île qui étoit voiline. Les Slouchivies s'y rendirent, ôe furent reçus d'une manière qui ne leur annonceur que paix ôe plailîr : l'eau-de-vie de lait fur-tout leur fut prodi- (l) En ttfffi in S i b e r i !, 297 guée , mais la demande du tribut fut pour les Bratskains un lignai d'attaque. La plupart des Slouchivies furent égorgés , ceux qui fuyoient furent tués dans le petit bras de l'Oka qu'ils palîoienc a la nage , 6c qui depuis ce temps, nommé le bras fanglant. Trois années après cette action, Pachkov entra dans leur pays , fit conftruire plufieurs forts, fe comporta avec plus de prudence que n'avoient fait fes prédécef-feursjôe parvint à foumettre toute la nation. Le fort Bratskoï eft un de ceux quands ils fe font égares ; le mufe ou le chevreuil attiré par ce cri vient pics du chalfeur , 6c celui-ci le perce d'une flèche. Ils placent auflï dans les vallées les plus étroites un arc qui fe débande ôe lance une flèche, des qu'on touche à certains crins qui tirent auili-tôt Une languette d'arrêt. Nous vîmes dans Ouft-ilga que le vice de l'ivrognerie ne domine pas moins dans les villages que dans les villes. On apporte ici du fort d'Ilghinsk la provifion d'eau-de-vie ; depuis le le moment où elle arrive, jufqu'à ce qu'elle foit confommée , le cabaret du village eft toujours rempli. Il en eft de même , lorfque le cabaretier bralfe de la bière j quelques heures après qu'elle eft faire , on commence à la boire. Lorfque les payfans battent leurs bleds, ils régalent avec de la bière ceux qui les aident, ôe leut en font boire au-tant qu'ils peuvent. O iij 5 13 V o y a g i Le trente avril & le quarte mai (i7jé) , la Lena & l'IJga dégelèrent ; c'eft alors que la navigation de ces deux rivières eft le plus facile, parce que les pluies ôc les neiges fondues augmentenr le volume ôc la rapidité des eaux : alots un grand nombre de radeaux chargés de farine defcendeitt à Iakoutsk par la Léna. Les habitans de ce canton font trop pireffeux pour conftruire des bateaux j un radeau ne leur coûte aucun frais ôc prefque aucune peine ; ils font au milieu de grands bois dont ils peuvent difpofer. La farine qu'ils tranfportent n'eft point en facs : on la met dans une hutte de planches qui eft au milieu du radeau. Il arrive quelquefois que les habitans de Iakoutsk n'ont pas befoin de toute la farine qui leur eft porrée ; alors le gouvernement acheté le refte. Ils trouvent donc en ce commerce un gain afturé, & comme celui qu'ils font en peaux d'écureuil eft alfés conlidérable , ils ont peu de chofe à délirer. Leurs femmes font vêtues de foie, ôc ils peuvent s'enivrer toute l'année de bière ôc d'eau-de-vie. Ils amarrent leurs radeaux avec une efpece de cable plus gros que le bras, fait de branchages! ïw Sibérie. 319 entrelacés , 6e l'on n'a point d'exemple qu' un de ces cables fe .foit rom- On a tenté inutilement d'exploiter une mine de cuivre trouvée près du village de Chamanor , ôe une autre mine prétendue d'argent qui eft aux environs de Tchoudinor vers l'embouchure de l'Orlenga. Un fous-direéteur des mines me dit qu'en faifant travailler à celle dont je viens de parler , il avoit trouvé des pierres d'une forme particulière , mais fi fortement attachées au rocher, qu'il n'avoit pu les enlever. Je voulus les aller voir, dans l'efpcrance que ce pouvoient être des pierres figurées, mais ce n'étoic nt que des pétoncles blanches au-dehors, fé-lénitiques au dedans, un peu plus grof-fes qu'une noifette, répandues dans une pierre calcaire extrêmement dure. Les pierres figurées font très rares en Sibérie. Wirs a dit, il eft vrai, qu'on trouvoit des glofTbpetres aux enviions de la Toure 6c de la Tafta , mais je n'y en ai pas entendu parler. J'ai vu feulement une grolfe corne d'Ammon qui appartenoit au colonel cofaque de Iénifeisk : il me dit qu'un de fes Cofaques l'avoic trouvée fur une ns&rrtaané Oiv 'jio Voyage aux environs de l'Iénifei , ôc Iuiavoit aftut'é qu'elle avoit la vertu de faciliter l'accouchement ; il falloir boire de l'eau-de-vie dans laquellecettecoquilteavoit trempé une couple d'heures. Elle avoit feulement quelques fpires , dont l'extérieur étoit fort gros ôc applati fur le dos ; plufieurs endroits étoient couleur d'or & elle étoit changée en un fable tenant or. Nous attendîmes quelque temps à Ouft-kout les voitutiers nécelîaires pOUf continuer notre voyage : on charge ordinairement les priflilnies ou exiles, de ces corvées Ôc de plufieurs autres travaux, tels que ceux des mines Ôc fortifications. Pics des fontaines falées voilines'de cet endtoit, le kali croît abondamment. Le fel qu'on retire de ces fontaines, eft: porté fur des radeaux au fort Tchetchiriskoï , ce appartient au gouvernement : le payfan qui en a affermé le rranfport, a loin de ne le couvrir dans ce trajet que d'écorce de bouleau , afin que la pluie l'humecte ôc en augmente le poids. Depuis Ouft-ilga jufqu'à l'hôtellerie polovinnoïe , nous vîmes plufieurs parties de la foret qui brûloient : les habitans de la Léna y mettent le feu a en Sibérie. 31Ï 'four avoir plus d'endroits donc ils puif-fent faire des prairies. Aux environs de cette rivière il y a peu de terreins qui ne foient pas couverts d'arbres, très-peu qui foient propres à la culture } il faut donc en chercher , en découvrir en bridant les bois, ôe femer des herbages pour nourrir le bétail dont le nombre augmente. Le terroir eft fi ingrat que les payfans font obligés de le fumer , ce qui eft en Sibérie une chofe extraordinaire tk contraire à la nature du climat. Il y avoit autrefois une foire au fort Kirenskoï. Les habitans des environs qui étoient chafteurs, tk quelquefois les Tongoufes, s'y raifernbloient tous les ans pour commercer fur-tout en zibelines Elles y étoient alors en fi grande quantité , que l'impôt mis fur cette marchandife rendoit une fomme con-fidérable, tk fi l'on juge des Kirens-kains de ce remps par ceux d'aujourd'hui , on ne doutera point qu'ils n'aient vendu autant de zibelines en fraude , qu'en payant l'impôt. Dans les premiers temps il n'y avoit guères que les Tongoufes qui s'adonnaffent à cette chaife , mais ils le faifoient modérément tk ne diminuoicnt pas le nombre deszibelines' Ov 312 Voyage les Rulfes ayant vu combien ce commerce étoit avantageux les ont pour ainli dire exterminées , foit aux environs de la Léna, foit dans les di-flriéts d'Ilimsk , d'Irkoursk , de Sélenghinsk Se de Nertschinsk. Les Tongoufes de tous ces cantons ne payent-plus le tribut qu'en argent ou en peaux d'écureuil, d'ours , de rené Se de loutre y ils donnoient autrefois des peaux de zibeline , Se fe font plaint très fouvent qu'on détruifoit dans leur pays cette efpece d'animal. Le gouvernement en a défendu la chaife aux Rulfes , mais ce remède a eu peu d'effer : on prend toujours des zibelines, Se plus on craint le châtiment, plus on fe cache. On furprend quelquefois des contre-venans, mais les feuls commandans y gagnent. La chalTe des zibelines fe fait ordinairement par une fociété de dix ou douze hommes qui partagent entr'eux celles qu'ils prennenr. Avanr de parrir, ils fonr vœu de donner à l'cglife une certaine part de leur prife. Un d'eux eft choifi pour pérédovehik ou chef de la fociété ; tous les autres doivent le refpecler 6c ne s'écarter en aucun point de fes ordres : il a droit de repriman- E *N S I B F. K i i:. 525 derou de bâtonnet", ôe l'on nomme inftruction ces deux châtimens. Outre l'inltruéfion , le délinquant elt prive de toutes les zibelines qu'il a prifes ; il ne mange point avec les autres, fait tout ce qu'ils lui commandent, chauffe tk nettoie le poele,conpe le bois, ce remplit toutes les charges du ménage , jufqu'à ce qu'il ait obtenu fa gtace , qu'il demande à fes compagnons , à tous les repas. Des qu'une zibeline eft prife , on la met à parc fins l'examiner jfi quelqu'un en difoic du bien ou du mal , fut-il à Mofcou, la chaife feroic manquée. On s'étonne , difoit un vieux chalfeur, que l'efpeœ foit devenue rare:, eh ! c'eft qu'on a envoyé à Mofcou des zibelines vivantes. Dès qu'elles y font arrivées, chacun s'eft exrafié , chacun s'eft approché pour les voir, les examiner comme un animal des plus rares , les zibelines n'aiment point cela. 11 y a encoret difoit-il , une autre raifonde la diminution de l'efpece : le monde eft bien plus méchant qu'autrefois ; il arrive fouvent qu'un chalfeur ne donne pas au péré-dovehik une zibeline qu'il a prife, mais la ^ards pour lui feuij les zibelines n'aiment point cela. Ovi 324 Voyage Les environs du fort Kirenskoï font très fertiles , quoique la hauteur du pôle y foit de cinquante-fept degrés quarante - fept minutes : les plantes y ont une force & une grandeur extraordinaires. Les elturgeons que Ton y prend font les plus renommes de la Sibérie pour la délicatefle ôc la finelle de goût. Dans ce canton les hommes ôc même les animaux font fujets aux goitres , ôc ces tumeurs y deviennent très conlîdérables-, cependant on n'y voit point de montagnes, les troupeaux font toujours en plaine, les femmes n'y font occupées que des foins de leur ménage , ainli l'action de monter ne peut pas être ici la caufe de cette incommodité. Un homme «zoîtreux me raconta qu'ayant paflc une année dans les environs delà rivière d'Anga , fon goitre qui étoit alors à fon plus haut point de perfection , diminua confidé-rablement, mais revint à la première groffeur quelque temps après fon retour dans le canton de la Kirenga. On y croit généralement que le goitre fe tranfmet du pere aux enfans, ôc l'on y voit fouvent en effet des enfans affligés de ce mal; cependant l'opinion contraire eft foutenue par quel- en Sibérie. t]ues-uns, 6c fur-tout les garçons goitreux. Au-delà du fort Tchetchinskoï, on trouve peu de villages ôc de vivres t cet inconvénient engagea plufieurs de nos Slouchivies tk filnies ou exilés a déferrer dès la Kirenga. Il el> ordonné de pendre les déferteurs de cette efpece, tk nous vîmes fur la Léna plufieurs potences, qu'on avoit élevées pour eux , mais elles n'avoient pas encore ftrvi. Lorfqu'après quelque temps ces déferteurs vont trouver le Prika* chetchik avec un préfent en main , ifs font toujours renvoyés abfous. Il faut donc , pour les conferver, les veiller de près, ôe pour les contenir dans leur devoir , employer la plus grande févé-nté : ni l'honnêteté, ni la douceur, ni la bonté n'ont fur eux aucun pouvoir. On trouva dans le fac d'un de nos fuyards un petit fachet plein de terre, ôc j'appris que les Sibériens qui paffent de leur pays dans un autre, y emportent un peu de la terre de leur Î>atrie \ ils en mettent dans leur verre , orfqu'ils veulent boire , & s'imaginent que cette précaution les préferve de toute maladie , mais fur-tout d'un extrême de fil de revenir dans leur pays.. 3*6 Voyage Ce préjugé* n'appartient point exclufive-ment aux Sibériens ', il y a long-temps qu'il règne en Rliftie. Près l'itchora eft une montagne de laquelle il fort des eaux falées\ Cette rivière eft très finueufe une épaifte forêt de pins, fapins , melefes, cèdres & peupliers couvre fes deux rives. La principale fontaine eft environ à une toife de la rivière ] elle ne contient que trois dragmes de fel par livre d'eau. On l'a entourée , 6e on en a tiré un canal qui fe rend à la faline. Quoiqu'il» y ait peu de fel dans ces fources, elles donnent à l'itchora un gout ftlé que cette rivière conferve jufqu'à fon embouchure. Ceux qui demeurent à la faline, ont de l'eau douce à demi-lieue ; cependant ils ne boivent que do l'eau faléè1, 6e n'en font point incommodés. Ivanoucîîkova eft le dernier village du diftrict de Tchérchouich, ôe par-conféquent du gouvernement d'Ilimsk. Ici les environs de la Léna commencent à prendre un afpect fuivage ; on n'y voit' que montagnes efearpées ce couvertes de bois. A trois lieues au delà , nous vimes fur la rive droite , un rocher très élevé, fur la gauche une en Sibérie. 32.7 grande plaine ; l'un 6e l'autre étoienr couverts d'arbres renverfés, couches du midi au nord 6c formant une ligne droite. Quelques payfans qui vont à la chaife des écureuils , l'ont fuivie pendant un jour entier , fans en trouver la fin. On dit que tout ce canton a été-couvert d'une épaiffe forer, mais qu'en 1753 le dix-neuf juillet, une tempête épouvantable la renverfa. CHAPITRE X LVH. Tongoufes. Leurs fermens. Fontaines falées. Carrières de talc. PE u loin du village de Chalaghine , ou Koureskaïe, nous vîmes au bord de la Léna plufieurs Tongoufes , les uns dans leurs canots , tk les autres fur des renés, Nous envoyâmes vers eux, pour les prier de venir à nous, mais ils s'enfuirenr dans la forer. Nous en apperçumes bientôt une féconde troupe fur la rive gauche de la rivière : il y en avoit enviton quarante, tant hommes que femmes 6c enfans. Ils avoient tous fur le dos un petit pot de terre rempli de branchages qui brùloient, ^iS Voyage ôe dont la fumée écarte les mouches. Ils prirent aulfi la fuite lorfque nous voulûmes aller à eux , & de toure la troupe il ne refta qu'un chien, vingt renés ôc quatre femmes. Un couple de Tongoufes fe montra fur la hauteur , mais avec les arcs rendus ôc les couteaux rires : dès que l'on alla vers eux , ils fe retiterent plus haut dans la montagne, difant qu'ils n'avoient rien à nous donner , ôc qu'ils auroient honte de nous aborder fans nous fiire des préfens. Nous leur fîmes répondre que notre deifein n'étoit pas de recevoir d'eux , mais de leur donner j cette pro-melTe ne les tenta pas : ils nous prirent fans doute pour des flouchivies , qui pillent ces malheureux dès que I'occa-lion s'en préfente. Les femmes étoient noires ôc malpropres , mais alfés honnêtes : elles auroient voulu nous parler , mais elles ne (avoient point allés le ruife, ôc nos flouchivies qui entendoient le rongoufe, pourfuivoient les hommes. Leurs habits étoient de cuir ôc confif-toient en un corfer , dont le bas étoit orné d'anneaux de fer ce d'étain attachés à des cordons , des bas qui leUr couvroient la jnmbe & la cmffe, de une efpece de culotte qui n'acteignoit EN S I S BTL M. 3 2.5> gucres qu'au genou ôe couvroit à peiné les reins. Les jeunes femmes portent ces culottes un peu plus longues furtout par en haut y les vieilles en qui l'habitude a détruit la pudeur j les portent fort courtes. Elles fument ainli que les hommes, ce font ufige de tabac chinois : chacune de celles-ci avoit à fa culotte un petit fac de cuir dans lequel étoient le tabac, le briquet 6e la pipe. Une d'elles étoit accouchée la nuit précédente y on avoit mis l'enfant dans une écorce de bouleau , placée dans un petit berceau de même matière. Nous invitâmes ces femmes à venir fur notre bateau , 6e nous ne pûmes les y engager qu'en leur promettant du tabac, de la farine 6e du pain. Le contentement qu'elles éprouvèrent en recevant ces petits préfens, nous caufa le plus grand plaifir. On leur enveloppa le tabac dans du papier y quant au pain 6e à la farine, elles ôterent leurs bas ôc y mirent l'un 6c l'autte. Nous les renvoyâmes enfuite ôc leur recommandâmes de dire à leurs maris que nous avions de pareils préfens à leur faire : nous attendîmes quelque temps > mais il n'en vint aucun. Les bords de la Nij-naïa Tongotiska font le pays natal de Voyage de ces Tongoufes. Depuis le commencement de l'hiver jufqu'au printempsiis vont à la chaife des zibelines le long d'une des rivières qui tombent dans la Lena: celles dont ils ont fait choix,ils la dépendent jufqu'à fon embouchure , pour remonter enfuite la Léna, ôc y chaffet aux élans durant tout l'été. Ils font cette chaife de deux manières, l'une en contraignant la bête d'entrer dans les rivières ôe l'y pourfuivant avec des canots qui vont plus vire qu'elle ne peut nager, l'autre en les chalfant avec des chiens , lorfqu'il y a beaucoup de neige ; alors ces animaux ne peuvent pas courir vire. Lorfque l'automne revient , les Tongoufes retournent à la Tongouska , où ils demeurent jufqu'au temps dechalftr aux zibelines. Ce qu'lf-brand Ides a écrit des fermens de ce peuple elt inconnu parmi eux. Le plus ordinaire eft: exprimé par le mot olimni, qui fignifie prendre Dieu à témoin , mais il y a des Tongoufes qui ne s'y fient pas , ôc c'eft peut - être le fouvenir de leurs vains fermens qu} leur lait croire que celui-ci n'eft jamais certain. 11 y en a un autre qu'ils regardent comme plus facré : on fait un feu, on égorge un chien , ôe on en re- en Sibérie. 3 31' cueille le fane : le corps eft mis fur le bois dont le feu eft conftruit, mais à l'endroit où il ne brûle pas : cependant l'accufé pafte par-deffus le feu, 6e boit une couple de gorgées du fang de la victime; le refte eft jette dans le feu, ôe le chien placé fur un échafaud dref-fé en plein air auprès de la hutte. Alors l'accufé dit , « de mcme que le fang » du chien brûle dans ce feu, je lou-» haite que celui que j'ai bu, brûle » dans mon corps, 6c de même que » le chien mis fur 1Jéchafaud fera con-« fumé , je veux être confumé en » même temps, fi je fuis coupable. >» Il y a parmi les Tongoufes quelque différence dans la manière de tuer le chien, & au lieu de le placer fur un échafaud, quelques-uns le brûlent. Nous paftames peu après devant un petit ruiflfeau qui coule avec un grand bruit entre des rochers 6c des pierres, 6c fe précipite dans la Léna par la rive droite ; on le nomme Solianka : l'eau en eft très falée , 6c fans odeur, mais le terrein qu'il arrofe a l'odeur foetide des ceufs pourris. Le fel qu'on en retire eft blanc, piquant, 6c paroît contenir beaucoup d'acide; c'eft la feule chofe en quoi il diffère du fel ordinai- 5/î v o v a g » re , de mcme que celui de l'ItchoM; A trois lieues au-delfous du ruille-au d'Outesnaïa , il fort d'une montagne efcarpée qui eft fur la gauche à pende diftar.ce,cie la rivière , quatre fontaines falées qui fe jettent dansla Lena. Les environs ont l'odeur d'une eau crou-piffânte, mais l'eau elle-même n'en a aucune , tk contient en petite quantité un fel pareil à celui de l'itchora tk du Solianka. Le village de Vitimsk eft un des plus anciens établiffemcns rulfes faits fur la Léna. Il y a quarante ans qu'il étoit célèbre par une mine de très beau talc, mais aujourd'hui elle eft épuifée. Cette année (173-5) quelques payfans ont fait de nouvelles recherches , & les uns las de travailler inutilement fe font retirés, mais les autres ayant eu plus de conftance ont trouvé un très beau filon. Il y a deux mines très riches dans les environs de la Vitim, ôe des rui(féaux qui s'y jettent. Cette rivier* eft bordée par de hautes montagnes ; un Promichlénie qui n'alloit point à petits pas, marcha depuis le matin ju£ qu'au foir pour atteindre le fommetde celle qui eft auprès du ruilfeau nommé Pécrova. Nous vîmes ici nos batelier* e M S i u e r i r. 535 prendre du poiffon à la fourche ; c'eft une fourche de fer, attachée à une perche dont l'extrémité a aullî trois pointes : ils y mettent leur appât, <6e lorfque le poilfon vient, ils le frappent avec la fourche. 11 y en a de grandes Se de petites pour les différentes ef-peces de poilfon, de même que des perches longues ou courtes félon la profondeur des rivières, Se le plus fou-venr cette pêche fe fait de nuit. On prétend que le poiffon vient alors près du rivage , on y va dans un canot , tenant en main la fourche de fer : on eft éclairé par du bois qui brille fur un gril mis au-devant du canot, Se au défaut du gril, par une écorce de bouleau enflammée, qui répand dans l'eau alfés de lumière, pour qu'on y voie diftincte-ment le poilfon qu'on veut frapper. Cette manière de pêcher eft furtout avan-tageufe dans les petites rivières pleines de cailloux , qui font ordinairement fi claires qu'on en voit le fond. Les Pro-chlénies en font ufage , ainfi que les voyageurs qui defeendent la Léna ; mais comme on prend au filet plus de poiffon qu'à la fourche , celle-ci n'eft employée que par ceux des habitans du pays, qui ne peuvent pas avoir dçs fr. Voyage lers, ou qui ne veulent pas en portée1 dans leurs voyages. Cette efpece de p£. che n'eft point particulière aux envi, rons de la Léna ; elle elt connue au-delà, du lac Baikal ôe même en Rulfie. Avant d'arriver au Kolotovka, nous vîmes du côté de ce ruilfeau un grand emplacement d'où il fortoit beaucoup de fumée; notre guide nous dit que c'étaient des Slioudniki, ou des payfans qui cherchent le lliouda , c'elt-à-dire létale, (i) Les montagnes étant couvertes de moulfes ôc d'arbres, on ne peut l'y appercevoir que lorfqu«'on a brûlé cette moufle ôe les racines : alors on voit briller le talc au foleil, ôe on en a beaucoup trouvé de cette manière. En approchant du ruilfeau nous vîmes un grand bateau couvert, amarré au rivage , les promichlénies, leur hutte ôe deux chiens. Ce fut pour nous un bonheur d'y être arrivés un jour de fête ; on ne les y trouve point les autres jours ; le pays étant défert, perfonne ne peut enfeigner où ils font, & il y a peu de mines de talc, qui (i) Clacics Mari*. en Sibérie. 3 $ J durent alfés long-temps pour que le chemin en foit trayé. Nous vîmes hors de la hutte un four de pierres féches dans lequel les Promichlénies cuifent leur pain. Quelque longs que foient leurs voyages, ils ne portent jamais de pain dur ; ils en cuifent de temps en remps, 6c fe procurent ainfi, outre l'avantage d'en avoir de frais, celui de faire du quouas. Le chef de ces promichlénies nous conduilit aux mines voilines ; on y voyoit une efpece de fouille laite dans un rocher élevé environ de cinq toifes au-deflus du ruilfeau. Il y avoit trois femaines que ce travail étoit commencé , 6c les ouvriers ne dé-tachoient la mine qu'avec le marteau ÔC le feu ; ils ne favoient ce que c'étoit que la pétarder. La gangue eft partie quarts jaunâtre ôe partie flux gris; le talc y eft répandu fans ordre : il ne s'y montre point en forme de veines , mais on en trouve çà ôe là des feuilles épaif-fes de trois ou quatre pouces, qui ont en quatre depuis un pied jufqu'à deux pieds ôe demi ; quelques-unes font pures, d'autres parlemces de veines. Il eft rare que l'on fouille à plus d'une toife, peut-être parce que l'air contribue a la formation du talc , ou bien que la 35£ Voyage gangue devient fi dure à une plus grafii de profondeur, que les mineurs ne peu-venr plus la détacher avec le peu d'où, tils dont ils font munis. Dès l'année 1680 on avoit fait des recherches au fujet de ces mines, 6V il paroîr qu'on s'y adonnoit alors avec plus d'ardeur qu'on ne le fait aujourd'hui. On lir dans les archives de Iakoutsk que plufieurs cofiques en avoient trouvé vers les rivières d'Aldan,de Tchouïa,deTcha-ra, les ruiffeaux de Kolfova, de Longov-fca , de Slioudinka , entre ceux deNce-chère tk de Bédikta qui fe jettent dans la Iéïou , cec. Cette rivière, qui va de l'occident à l'orient, tombe dans la Tchara, 6e celle-ci , qui coule du fud-oueft au nord-eft ,fe jette dans l'Olek-ma. Le talc le plus eftimé eft celui qui elt clair comme de l'eau pure \ on le prife beaucoup plus que le verdâtre , 6c parmi le premier on recherche le plus grand Les feuilles qui ont deux pieds 6c demi en quarré font extrêmement rares £ celles d'un pied 6c demi à deux pieds font déjà d'un grand prix, on les paye quelquefois jufqu'à treize francs la livre. L'efpece la plus commune eft le tehetvernaïa t c'eft-à-dire celle qui eft en Sibérie. 337 d'un demi pied quarréj on le vend environ trente-trois fous la livre : tout ce qui elt au-deflous fp nomme chitouclu , parce qu'on eft oblige de le coudre pour en faire ufage , & fe vend environ fept fous la livre. Lorfqu'on veut employer le talc,on le fend avec un couteau mince à deux tranchons; après l'y avoir enfoncé , il fuffit de l'agiter un peu pour féparer les couches : ou lui raille lé-pailfeur néceflaire pour qu'il ait quelque folidité. Dans toute la Sibérie , Se même dans les villages Se petites villes de Ruflie, on en fait des vitres & des verres de lanterne , mais on l'emploie fur-tout aux fenêtres des vaîïïèaùx .parce qu'ayant l'éclat du verre , il n'en a pas la fragilité j l'ébranlement des canons de grand calibre n'y eau fe aucun dommage. La poulliere , la grailfe , la fumée lui ôtent fa tranfparcnce , Se l'on ne peut les en détacher que difficilement, Tonte L 358 Voyage CHAPITRE XLV1II. Rivière de Vitime. Moijjon. Tradition hiflorique des lakoutcs. Fontaines filées. Montagne de fel, PLus on remonte la Vitime , plus on voit s'élever les montagnes qui bordent Tes rives : la plupart font couvertes de forets épaiftes. Sa fource eft: fort éloignée ; c'eft la même que celle de la Bargouline : vers le milieu de fon cours elle a une grande chute qui n'eft pas navigable. Nous arrivâmes le dixième août ( 1736) au village de Virimsk : c'étoit le temps de la moiïîon j les foins croient ferrés , la plupart des bleds , coupés , ôc l'on efpéroit que ceux qui ne î'étoient point, feroient murs dans une femaine : cependant la latitude de ce village eft de cinquante - neuf degrés vingt-huit minutes, ôc l'on nous die que dans les bonnes années le temps de la moifton n'étoit Jamais plus tardif. On avoit eu cet été quelques nuits froides ôc des jours très chauds. EN S I B E R I E. Nédoftriélov eft le nom d'un hameau & d'un vieillard qui 1 habite : il eft âge de cent huit ans, fe porte très bien Se n'a aucune infirmité. Au-delà de Vitimsk les environs de la Léna ont un afpeét moins lauvage; les bois font moins épais, les montagnes moins hautes Se Aans quelques endroits fort éloignées de la rive , les bords font peu éïevés Se deviennent fa-blonneux. Nous trouvâmes ici deux Sibériens qui réuniftoient en leur perfonne la dignité de prince Se de chamane. Plus loin font les monrsGoufelnie, ou Ogliong-raia en langue iakoute : ce font deux montagnes triangulaires n tuées l'une près de l'autre 6e fur le bord de la Léna; leur bafe eft environ de demi-lieue. Elles font de différentes couches de marne rouge Se ve d-b!eu.ure , dif-pofées alternativement & pre'que horizontales, cependant un peu mcl'nées de part & d'autre le long de la rivière. Elles font traverfées par des raies verres qui ne font aurre chofe que la marneverd-blcuârrequi étant plus molle que la rouge a été délayée 6: entraînée par les eaux de pluie. Ces montagnes font tort célèbres dans l'hiftoire ancien- 340 • Voyage ne des Iakoutes. Selon leur tradition ils habitaient autrefois les contrées fu_ périeures de la Léna, mais ils furent tel, iement ptelfés par leurs voiiins les Bout, retes, que la plupart abandonnant leur pays dépendirent la Léna , avec trou~ peaux , femmes tk enfans. Ceux qui réitèrent, ayanr voulu repouller leurs ennemis , furent fi vivement attaqués qu'abandonnant tous leurs biens tk prenant les premiers foliveaux qu'ils rencontrèrent , ils fe jettetent dans la Léna , tk dépendirent cette rivière jufqu'au pays où leurs compatriotes s'étaient établis. Quoiqu'ils furent réduits alors à la plus grande mifere , la plupart , foit par leur travail, foit par des mariages avantageux , devinrent aulfi riches que les autres : & comme les Iakoutes ont l'humeur guerrière , les plus opulens opprimèrent les pauvres , les dépouillèrent du peu qu'ils avoient tk les firent efclaves. Lorfqu'il n'y eut plus parmi eux d'hommes foi-bles qu'il pulfent piller , ils attaquèrent leurs voifins les Tongoufes pato-iniens dont les richelfes tentaient leur avidité , les chafferent du canton où lakoustk eft aujourd'hui , 6c qui palfe pour avoir été la patrie des premiers. ïn Sibérie. 34t Iakoutes • dans cette guerre un gtoS parti de Tongoufes fut défait auprès des monts Goufelnies. Depuis ce temps les Tongoufes patomiens & les Iakoutes de la Léna fe font une guerre continuelle : ceux-ci prétendent que le territoire de Patoma leur appartient1 comme aux Tongoufes , 6c qu'ils ont droit d'y clialfer , mais il arrive fouvent que ces derniers les en enaflent. Ils font beaucoup plus habiles à tirer de lare, de forte qu'un Tongoufe fait fuir dix Iakoutes. Sur la rive droite du ruilf.au de Kap-tindei qui fe jerte dans le Vilor.i, il y a plufieurs fontaines filées qui forcent de terre environ à cent trente toifes du ruilfeau, dans un endroit bas. Ion?- i ■ il de cent vingt toifes 6c large de trente : elles contiennent une grande quantité de fel blanc comme la neige , dilfous dans l'eau, de forte qu'on la croiroit mêlée avec du fable très fin. Ce fel fe dépofe autour 6c au - delfus des fontaines en morceaux qui femblcnt être des pierres très blanches formées du fable le plus fin. Les canaux de la four-ce ne s'engorgeant pas, l'eau apporte fans celfe de nouveau fel , qui fe joignant à celui dont les fontaines font P iij 34* Voyage couvertes, s'élève quelquefois jufqu",[ quatre pieds au-détins de la furface de l'eau , ôc le nombre de ces monceaux peut taire connaître celui des fontaines. A environ fept lieues vers i'orient fur la même rive du Kaptindei, & alfés loin de fon origine, on voit une montagne de fel haute de rrenre toifes _, longue de cent vingt , lîtuée de l'orient àl'oc-cident, compofée jufqu'aux deux tiers de fa hauteur de gros cryftaux cubiques très durs, tranfparens , joints enfemble, dans lefqin Is on n'apperçoit pas le moindre mélange de terre ou d'autre matière. La partie fupérieure eft d'une argile rouge qui contient un talc blanc rranfparent, de la plus grande beauté. Du côté du ruilfeau la montagne eft fort efearpée , de l'autre elle tientà la nailfance d'une chaîne de montagne qui fe dirige au nord, tk paroît être riche en fel j elle eft couverte d'une argile rouge qui contient la même efpece de talc , & il y croît du kali dans la plupart des endroits où les eaux coulent au printemps. Le fel de cette mon-r.igne eft le même que celui des fontaines dont j'ai parlé , tk je crois qu2 ni l'art ni la nature ne peuvent en faire qui foie meilleur. Les habitans des en Sibérie. 34) environs le nomment le fel rouge , parce que celui qu'ils prennenr nu pied de la montagne , & qui s'eft détaillé du fommctj eft couvert d'argile rouge. Ils n'en détachent eux-mêmes que très peu du pied de la montagne , éc difent qu'il corrompt la viande auquel on le mêle, mais je foupçonne qu'ils tiennent ce langage , ahn que le gouvernement ne l«ut défende pas de s'en fervir. Quant à celui des fontaines falées, on n'en fait ufage qu'en fecret ; le fel d'Ouftkout eft le feul qu'on vende publiquement fur route la Léna. Cependant la chancellerie de Iakoutsk s'eft fait apporter il y a deux ans de celui de ces fontaines, ôe cette année (1736) un Iakoutain s'eft engagé à transporter ce fel à la caiffe impériale pour dix copekes le poud ou quatre deniers la livre. Dans ce même canton il y a un lac au fond duquel il fe dépofe du fel en cryftaux cubiques. Il eft fur la rive feptentrionale du ruilfeau de Ta-bihinda ou Tabiflîngda , peu loin de fa fource 6c à trois jours de marche de fon embouchure dans la rivière de Ton-go. Cette rivière fe jette dans la Viloui environ à trente-cinq lieues au-deftous de Tabiuingja, Piv 344 V o y a c e CHAPITRE X L I X. Sacrifices & ftes Iakoutes. Tort Olec minskoi. iayfans kujjes. Froid. T Es Iakoutes admettent deux êtres 1 j fuprêmes , l'un roue bon , l'autre tout méchant, dont chacun elt compo-fé» de plufieurs autres : il n'y a pas un diable feui , mais plufieurs , qui ont des femmes ôc des enfans. Une de ces familles de diables nuit aux troupeaux, l'autre aux hommes faits, une troifieme aux enfans. Les unes habitent dans les nues, les autres fous terre. Il y a de même des dieux de différente efpece : les uns prennent foin des troupeaux y les autres préfident à la chatte, quelques-uns veillent fur les hommes, mais leur demeure eft dans l'air, 6e très élevée. Plus un chamane ou aïou-ne elt vieux , plus il fait de noms de dieux 6c de diables : ces noms font inconnus du Iakoute vulgaire, 6c même tous les aïounes ne connoilfent pas les mêmes dieux 6c les mêmes diables : il v en a quelques-uns qui étant plus kn S i b i m i. 545 familiers font connus plus générale-ment, mais chaque aïoune en a beaucoup qui ne font attachés qua lui feui. Ces mots extraordinaires qu'ils prononcent en faifant leurs contorfions , ôc dont ils évitent avec foin de faire con-noître la lignification, font les noms des efprits tant bons que méchans. Lorfqu'un aïoune par exemple veut découvrir un voleur , il appelle rous les diables chacun par leur nom. Ils aiment beaucoup leurs commodités , fi l'on en croit les aïounes , ôc ne viennent pas toujours vers eux , mais ceux-ci vont les trouver dans leurs demeures : ceux qui habitent dans les nuages, ont des poêles comme les Rulfes , ôc les diables terreftres ont des huttes de Iakoutes. Prefque tous les Sibériens croient que lorfqu'un homme eft malade , le diable lui a enlevé l'ame, ôc que lorfqu'elle n'eft pas rendue promp-tement, le corps meurt. Mais, difent les aïounes , quand le loup a dérobé une brebis , il ne fe montre point au berger j il en eft de même d'un diable qui a pris une ame : dans ce cas un chamane les appelle tous inutilement. Alors il a recours aux dieux qui protègent les hommes , ôc leur demande le nom du diable 346 V o y a g i voleur : dès qu'il le fait, il va le trouver & tâche de l'engager à rendre cette mal-heureufe ame. Pour cet effet il prend des queues d'animaux , des peaux d'hermine , d'iltis , d'écureuil, tk les attache à un long fil. S'il ptéfume que le voleur ne fe contentera pas de ces ba-gatelles , tk qu'il pourroit bien exiger un cheval , il en figure un avec de l'écorce de bouleau , le met devanr la hutte, prend les peaux attachées au fil cjmme s'il vouloit les montrer au diable , fuite , crie autour du malade , tk le prelfe fréquemment. S'il meurt, il faut que le diable fe contente de ce qu'il a pris , mais s'il recouvre la faille j on immole le cheval promis. Les Iakoutes font tous les ans des vœux pour eux-mêmes : les objets de ces vœux font de nombreux troupeaux , des chaffes heureufes , ou quelque autre bonheur dont un Iakoute peut avoir l'idée , tkles aïounes engagent les dieux à exaucer ces vœux. Chaque famille rademble vers la fin de juin tout le lait de cavalle dont les poulains peuvent fe palier j on le met en fermentation comme celui qu'on veut difliller, on invite le chamane, toure la famille prend fes habits de fête, mais on pare fur- en Sibérie. $47 tout un enfant de douze à quinze ans avec toute la pompe iakoute. Le chamane vêtu de fes habits ordinaires ôc non de fit robe de cuir dont il fe revêt quand il veut appeller les diables, fepl ace au milieu de la hutte le vifage vêts l'orient, tenant de la main gauche un pot de lait de cavalle fermenté , de l'autre une cuillier de bois : toute la famille, tant hommes que femmes ôc enfans , eft aftife autour de la hutte , 6c l'enfant pompeufement paré eft, le genou droit en terre, devant le chamane. Celui ci s'inclinant plufieurs fois appelle tous les dieux l'un après l'autre, 6c en prononçant chaque nom prend une cuillerée de lait qu'il jette en l'air ; cela s'appelle repaître les dieux, Ôc c'eft par ce régal que l'on peut fe concilier leur bienveillance : afin qu'ils foient fatisfaits , on leur jette du lait par trois fois. Le chamane s'étani encore incliné , 6c ayant marmoté quelques mots fort de la hutte , la famille le fuit ôc s'afteoit autour de lui. Alors il boit avec toute l'apparence" d'une grande dévotion quelques coups du lait refté dans le pot, le préfente à l'enfant qui le reçoit à genoux en s'inclina nt, boit aufti deuxïois dans cette P vj 34$ Voyage pofture, tk le préfente à genoux &: e« s'inclinant, à chacun des membres de la famille , qui le reçoit aftîs. Lorfque tous ont bujejeune homme préfente le pot de nouveau tk de la même maniere,en commençant par le plus confidérable de l'af-fembîée, qui eft le chamane, tk qui cette fois boit aftis comme les autres. Tout le. Jait préparé doit être bu , & cette liqueur ayant quelque force , la fête fe termine ordinairement par une ivrelfe générale. La divinarion par l'infpection de la main eft en ufage parmi les Iakoutes , mais elle n'eft exercée que par les cha-manes qui paftent pour les plus habiles & les plus considérables de la nation. Près du fort OIccminskoï la Léna eft remplie d'îles, dont la plupart font habitées par des Iakoutes,îes autres font des pâturages. Ce fort eft fur la rive gauche de la rivière ; c'eft un des plus anciens de Sibérie : il fut établi lorfqu'on exigea des peuples de cette contrée qu'ils payatfeut le tribut, tk on lui donna' le nom de la rivière d'Olecma, qui tombé à quatre lieues au - deftbus , par la rive droite de la Léna. Vers l'an 16g0 plufieurs habitans de ce canton paue- en Sibérie. 349 rent dans la Daurie , pour y chercher le long de l'Amoure de meilleures terres. Le gouvernement ruife ne jugeant pas a propos de biffer abandonner les environs de la Léna j fit en 1661 placer une garde à l'embouchure de 10-lecma , où ceux qui auroient voulu fe retirer en Daurie, dévoient néceffai-rement palfer j mais la ceflion de ce pays aux Chinois a fait ceifer cette dé-fer tion. Le terrein qui eft entre Vitimsk ôc Olecminsk pourroir nourrir un grand nombre d habitans. On y trouve plus de terres labourables que dans les contrées fupérieures ; tous les bleds y croiifent très bien. Les premiers payfans qui font venus s'y établir , ont un peu cultivé les terres , mais l'amour de la fainéantife ôc de l'ivrognerie s'eft: emparé de leurs defccndans. Quelque pauvre que foit un payfan , il travaille peu , mais il tient à fes gages un ouvrier de nation iakoute , paye pour lui le tribut, ôc lui donne fa fubfiftan-ce qui n'eft pas beaucoup plus chère que la nourriture d'un chien. Lorfqu'il a recueilli fes grains , il en vend la plus grande partie qu'on employé ordinairement à faire du brandevin , 35© Voyage porte au cabaret l'argent qu'il en rctl. re , ce garde à peine pour lui le grain néceflaire pour la consommation de l'bi-ver : il ne craint point d'en manquer-le genre de vie des Iakoutes ne lui elt pas tellement étranger qu'il ne puif-ie le prendre pour quelque temps. Au printemps , il eft rare qu'il ait allés de grain pour enfemencer : il elt obligé d'attendre celui qu'on apporte des contrées fupérieures j il ne faut donc pas être étonné qu'il ne mCuïlfe pas parfaitement ici,où on le feme plus tard que dans les cantons plus méridionaux. Durant l'hiver les payfans prennent des écureuils de la manière accoutumée, & vont quelquefois à la chaife du renard ; mais ceile des zibelines eft pour eux beaucoup trop pénible. Ils confomment au cabaret tout le produit de leur chaife j un feui payfan y dépenfa , tandis que j'étois en ce pays, trente - trois livres dans un feui jour. Les Iakoutes qui font riches fuiventl'exemple desRuftes; s'ils ne s'enivrent pas , c'eft qu'ils n'ont pas de brandevin : ils font adonnés à la fai-néantife , que tous les peuples de Sibérie , excepté les Tongoufes, regardent comme le bonheur fuprème. Il eft difficile d'y trouver un Ruife qui entende ïn Sibérie. 351 oicn fa langue naturelle , mais ils pai-Jent tous facilement la langue iakmite. Usobfervent rarement les joui s de jeune. Plufieurs habitent fous des huttes para i les Iakoutes, & le genre de vie de ce peuple leur eft devenu naturel. Ce qu'ils délirent le plus, ce font des boeufs, chs vaches ôc des chevaux; quelques-uns ont des cochons ôc des poules, mais il eft fort rare qu'ils aient des moutons. Les concombres leur font inconnus j il y en a peu qui fementdes raves,des navets des choux, des carottes, ôc ils en prennent peu de foin. Le lieu le plus abondant en iburis dans les environs de la Léna eft le diftrict d'Olecminsk j on n'y trouve pas un feui chat, ôc le peu de grains qu'on y moilfonne ôc qu'on veut garder, eft plus utile aux fouris qu'aux hommes. Quant aux rats , les Iakoutes , qui les prennenr pour les manger, les ont prelque entièrement détruits. Les Slouchivies du fort Olecminsk , font loir a leur aife, parce qu'ils prennent aux Iakoutes tout ce qui leur convient. Lorfqu'ils ramalfent le tribut, ils renouvellent leurs provisions, ôc le pri-kachetchik fe diftingue parmi eux comme l'aigle parmi les oifeaux de proie. 352- Voyage Vers la fin d'août ( 17 3 cT , ) le froid commençoit à fe faire fentir ; on voyoit rarement le foleil, & les tempêtes fe fuivoient de près. Au commencement de feptembre les arbres fe dépouillèrent , toutes les herbes fe ilétrirent, il tomba de la neige cv du verglas j le froid augmenta peu à peu jufqu'au degré où il eft: ordinairemenr en Allemagne à la fin de l'automne ; l'eau geloit pendant la nuit dans tous les vales. CHAPITRE L. RuiJJcau fiilc. Montagnes en forme de colonnes. Mine de jer , &c. AU-dessous de l'embouchure de l'Olecma il y a un ruiffeau falé nommé Solianka dont la fource eft environ à huit lieues fur la rive gauche. Les eaux de ce ruilfeau n'ont ni à la fource ni dans leur cours aucune odeur particulière, & différent par là de celle des ruilleaux faiés qui tombent dans la Léna. On trouve un peu plus loin fur Ie en Sibérie. ^5 rjord de cette rivière un endroit célèbre > parce qu'on y voir des montagnes qui ont la forme de colonnes : il y en a de pareilles en d'autres endroits, mais celles-ci font les plus grandes. Elles font compofées de piulieufs morceaux dont quelques- uns font arrondis comme des mis de colonnes , quelques autres équarris , d'aurres ref-femblans à des pans de mur , tous prefque perpendiculaires 6c formant une hauteur de dix à quinze toifes. Ces montagnes qui occupent environ fept ou huit lieues de long, ôe perdent peu à peu leur hauteur, préfentent l'apparence des ruines dune grande ville , 6c les arbres qui croilTent entr'elles , augmentent la beauté du fpectacle. Elles font compofées de grais,demarbre rouge veiné , de pierres de plufieurs couleurs y 6c dans les intervalles qui font enrre ces colonnes on trouve de bonne mine de fer : on en tire aulli dans une montagne qui eft tout près du commencement de la colonnade. Je n'en avois point encore vu qui fut aulli facile à travailler que celle-ci. Toute la pointe de la montagne eft d'une riche mine de foie brifée en plufieurs morceaux, qui font parmi une mine de 354 Voyage Fer jaune - rerreufe, & quelquef0{s rouge : on en trouve des morceaux qui pefent de douze à feize cents livres, mais ils font extrêmement rares j les plus communs , font de trois à quatre livres. Ainfi la mine eft naturellement détachée, fans mélange de pierres , 6c l'on peut la tirer avec la pelle feule i huit ou dix ouvriers en tirenr dans un feui jour depuis feize jufqu'à vingt mille livres. On fa jette dans une caif-fe de bois qui peut en contenir cette quantité : lorfqu'elle eft pleine , on la couvre de bois 6c on y met le feu j c'eft ainfi que fe fait le grillage. On en remplit enfuite des facs de cuit que des hommes portent fur leurs épaules au bas de la montagne j ils peuvent faire chaque jour huit à dix voyages. On ne travaille à cette mine que durant l'été : dans les autres faifons la terre eft gelée : le S fcptembre 1736 elle l'étoit déjà d'un pied. Nous paiTâmes enfuite devant Tit-ari ou file des Melefes , qui eft remplie de Iakoutes , 6c nous trouvâmes un peu plus bas le ruilfeau de Botama , près duquel on a fouillé la première mine de fer pour l'ufage des voyageurs de Kamtchatka : quoiqu'elle fort plus près de en Si i f n t £i Iakoutsk , qu'elle tienne autant oie métal que celle dont je viens de parler, ôC qu'on pur U fondre fur les lieux même, on l'abandonna l'an pam?, parce qu'il n'y en avoir pas une quantité ccnfnié-rabîe ôe qu'il falloir la tranfporter par tene. Depuis la colonnade on ne trouve plus de montagne, excepté le rocher deChan-alaisk , le terrein elt fablonneux , les onis de la Léna font couverts de cail* » loux gris , les bois deviennent moins épais, les fautes au fli communs que dans les contrées fupérieures, mais on en voir peu de U grande efpece. Les terres labourables font fréquentes, & les lakoutcs peuvent mettre leurs befHairx en pâture pendant tout l'hiver comme le fan foient leurs pères , lorfqu'ils occupoient encore les cantons qui font au-dc-ffus. Les troupeaux s'y engrailluir peu , mais y meurent rarement de faim , fur-tout lorfque la neige elt peu aboi dante 6e peu durable : car, tant que la neige couvre la terre, ils font obligés de chercher leur nourriture où ils peuvent la trouver; les Iakoutes font trop fai-néans pour faire provifîon de foin. Le 19 feprembre ( 17$6 ) la Léna COmmençoit à charrier : la quantité des $5 il en découloit du fang J & il y avoit dans la velfie , outre les urines , beaucoup d'excrémens ôe de fang caillé. Le rein droit étoit couvett de vifcolîtés , ôe prefque enrierement attaché par derrière , la trachée-artere enflammée , le cœur tk la veine cave remplis de fang épais noirâtre , l'elto-mac entièrement fain. La caferne étoit voifine de la mer : on y fouflroit continuellement un froid exceilif j quelque quantité de bois qu'on ( i ) Recueil des voyages au nord ; r. x , p. i3o. in Sibérie. 36*5 mat dans les poêles, on ne pouvoir, pas les échauffer , 6e l'on n'y fentoic quelque chaleur que lorfqu'on étoit devant l'ouverture : Lalfenius eut toujours dans fa chambre , outre fon poêle,un gtand chaudron rempli de braife , ôe ne put fe réchauffer. Le terrein de la caféine fut toujours humide , les murs étoient comme couverts de glace. On étoit quelquefois contraint d'y laiffer les corps morts quatre, cinq , &: même fix jours , parce qu'il y a dans ce climat des tempêtes épouvantables , qui auroient enfeveli fous la neige ceux qui fe feroient rifqués à fortir : l'odeur de ces cadavres, l'inquiétude & la crainte qu'ils pouvoienr caufer aux malades ont peut-être abrégé la vie de plufieurs. Chaque homme de l'équipage avoit par mois trente livres de farine, cinq de gruau 6c une de fel : on dit que le lieutenant n'avoit fait les parts aulli petites , qu'afin de ne pas manquer de vivres à l'avenir. L'équipage murmura contre cette prévoyance , 6c s'imagina que cette épargne étoit la caufe de la maladie. Dès que Lalfenius fut mort, les portions furent augmentées, mais le mal ne diminua point. Le brandi $66 Voyage vin fut toujours diftribué félon les loix de mer : quanr à la boilfon ôe à l'cau nécelfaire pour cuire les alimens ôc faire les médecines, on fit ufage de neige fondue. Il eft furprenant que huit hommes aient pu fupporter certe rude épreuve : ils avoient même air, même habitation , mêmes alimens que ceux qui moururent , mais comme ils étoient les feuls qui fuftent en fanté, ils travailloient continuellement pour foigner les malades ou pour eux-mêmes : il n'y eut que l'aumonier qui fe conferva fain ôc fauf fans le moindre travail. Il attribuoit fa fanté à la précaution qu'il avoit eue de faire conftruire dans la chambre une cheminée , Ôc regardoit comme perni-cieufes ÔC comme la principale caufe des rapides progrès du fcorbut, les vapeurs qui forroient du bois humide dont la caferne étoit faite, ôc de la terre dont on avoit bâti les poêles. On l'en avoit prévenu â Chigani, ôc on lui avoit fait fentir qu'une cheminée réu-mflbit deux avantages , celui de renou-veller l'air ôc celui de conduire au-de-hors les vapeurs nuifibles.Les huit hommes qui eurent le bonheur de fupporter cette rude épreuve , eurent conftam-ment une conftipation dont l'effet du- * T4 S ï E R ï t. Toit depuis trois jufqu'à huit jouis. Quand le foleil reparut, ôe que l'on put s'appercevoir de l'accroiftement des jours, ils fentirent quelques attaques de fcorbut, mais elles furent beaucoup moins violentes que celles de leurs camarades j comme ils attribuoientà leurs veilles 6c à leur travail, la confervarion de leur fanté , ils réfolurent de ne dormir que durant quatre heures, ôc de ne jamais refter dans, l'inaction tout le refte du jour. On éveilloit avec de l'eau froide ceux qui auroient voulu dormir au-delà du temps réglé. Ces^técautions ne purent garantir le fous-pilote de l'enflure des pieds. Il commença dans le mois de mars, de même que fes camarades , à boire une décoétion de Commîtes de pin, & d'après le confeil d'un loukaghiri qui vint les voir dans la ca-ierne, il ne mangea pendant quatorze jours que du poilton gelé crud ; ce traitement lui réulîit, 6e il fut guéri prefque en même temps que les autres. Ils attri-buoient au foleil une partie de leur reta-bhlfement, 6e difoientqu'ils avoient été d'autant plus fenfibles à fa chaleur, qu'ils «voient éprouvé un froid excellif. L'au-monier étoit fi bien rétabli dès le mois d'avril, qu'il alla fur la glace avec des Qiv •j^S Voyage patins jufqu'au promontoire de Bikovsk qui éroit à vingt-cinq lieues , revint à la caferne , & fit quinze jours après , le même voyage. Dans l'été de 1736,11 fut ordonné par l'amiral au lieutenant Dmitri Lap-riev de continuer le voyage de Lalfenius, & on lui donna pour pilote le lieutenanr Plautin , habile marin. Ils dépendirent la Léna , fe rendirent tantôt dans de petits canotsA tantôt à pied au ruilfeau de Kara , mais ils ne purent mettre en mer que le quinzième août parce qif'iB furent obligés de venir firendre des vivres à l'embouchure de a Léna. Ils avoient lu dans les relations des navigateurs venus dans ces mers, que pour trouver un palfage qui menât à la mer d'orient, il falloir plutôt prendre le large que ranger les côtes y ils prirent ce parti, foit pour abtéger la route , foit pour éviter les glaces qui font ordinairement auprès du rivage. L'événement répondit à leurs efpérances ; ils coururenr nord-eft: pendant vingt-quatre heures avec le vent i le plus favorable. Ils fe croyoient près de leur but, lorfqu'ils virenr devant eux une mer glacée ; les chaloupes envoyées pour la reconnoître s'affure- in Sibérie. 369 rent qu'elle n'avoit d'ilfue ni vers l'eft ni vers le nord , ce des gens qui avoient quelque connoilfance de ce pays témoignèrent par écrit que depuis long-temps cette mer étoit toujours glacée. S'il eulfent voulu attendre que par hafard elle dégelât, l'endroit où ils étoient , auroit pu geler pour long-temps. Il fut donc unanimement réfolu de revenir à la Léna : on y arriva fans accident le vingt-trois août, on la remonta jufqu'au ruilfeau de Khotichtak , tk l'on y trouva tant de glaces qu'il la 11 ut y palfer l'hiver. Vers le mois de novembre on relfentit quelques attaques de fcorbut : il y avoit aux enviions une grande quantité de petits cèdres nommés llanets le lieutenant con- jectura d'après la relfemblance qu'ils ont avec les pins tk les fapins , qu'ils pourroient être utiles contre le fcorbut j il en lit faire des décodions qui réuf-firent très bien , tk délivrèrent fes sens ( 1 ) Pinits folils quinit , cono ercflo . nu~ cleo eduli, Haller. Hclv. ijo. tumila con'is miooribus. Gmel. Flor. Sibir. 17^,1. 39. Finies failli aulnh lœyibus. Linn. Sp. p. \ , p. 1000. a7o Voyage en peu de temps de leurs incommodités. L'autre flotte partie de Iakoutsk dans la mcme année 1735 defcendit la Léna , pour aller par le nord-oueft à l'embouchure de l'Iénifei ; elle étoit commandée par un lieutenant nommé Prontchi-chetchev. Il palîa. le 30 juillet devant le ruifleau d'Agous-aïegos nommé dans les nouvelles cartes Agis-jégo : auprès de ce ruilfeau ôe au milieu de la Léna eft une île de roc nommée Stolb ou la Colonne j elle eft à foixante-douze degrés fix minutes de latitude fcptentrionale. Un peu plus bas , la rivière fe partage en quatre bras, dont chacun a fon nom & fe jette dans la mer glaciale par une embouchure particulière. Le commandant les fit fonder, ôe palfa par le bras le plus oriental, qui eft celui de Bi-kovsk : il trouva la latitude feptentrio-nale de l'embouchure de ce bras , de foixante ôeonzedegrés quarante minutes. 11 courut deux cents milles d'Italie nord «Se oueft , le long des îles répandues entre les embouchures de la Léna, ôe vir Toujours beaucoup de glaces au nord ôe \ l'eft. Les montagnes de glace étoient hautes de huit à dix toifes : il navigua entre elles, Ôe n'y trouva que des palfa- in Sibérie. 371 ges de cinquante à cent toifes. Enfuite il fe dirigea entre fud & oueft pendant cent milles d'Italie , 6c atteignit l'embouchure de rOlenek, où ayant fait prendre la hauteur du foleil, il ttouva la latitude de foixante - douze degrés trente minutes. Cependant le froid commençait à fe faire vivement fen-tir j tous'les cables étoient glacés, le bâtiment avoit tellement fouffert qu'il y entroit deux pouces d'eau par heure , ôe quand il auroit voulu aller plus à l'oued , il n'avoit point de gens qui connulfent ces parages j ainli l'avis général fut d'entrer dans l'O-lenek, ôe il fut fuivi le premier feprembre. Environ à huit lieues de l'embouchure ils trouvèrent douzepro-michlénies rulfes qui s'étoient établis fur cette rivière avec femmes ôe enfans, & s'y étoient bâti des maifons : ils conflruiiirent encore une couple de poêles ce habitèrent avec ces promichlé-nies. Dans l'été de 1736, le lieutenant-commandant reçut ordre de l'amiral de fortir de l'Olenek ôe de continuer fon voyage. Le fcorbut ne tarda pas à l'attaquer vivemenr ainfi que fa femme qui avoit youIu le fuivre5mais ce mai Qvj 37* V o t a g e ne put diminuer ni fon courage ni £t vigilance. Ils arrivèrent le 2 3 août à l'embouchure de l'Anabata qui eft à foixante 6c onze degrés une minute , 6c de-là fe dirigèrent vers la Katanga : ils n'y étoient pas encore , lorfqu'ils furent tout à coup entourés de tant de glaces qu'ils eurent beaucoup de peine a s'en délivrer. La glace s crendoit depuis la Katanga fort loin dans la mer ; ils furent donc obligés d'enrrer dans cette rivière , dont l'embouchure eft a foixanre & quatorze degrés neuf minutes. Il y avoit quelques huttes vuides fur la rive occidentale : elles appartenoient à des habitans du pays qui demeu-roient alors a trente-cinq lieues plus haut, 6c venoient quelquefois à ces huttes. Le lieutenant remit en mer 6c courut le long des côtes, prefque toujours nord , jufqu'à la Tamoure ou Taïmoure. Cette contrée eft fort fté-rile : on n'y voir pas un feui arbre , pas même de bois flotté , 6c la rivière eft ii peu profonde qu'elle doit être tout glace en hiver. 11 continua de fuivre la côte depuis la Taïmoure jufqties vers la Pia/ida , 6c il y trouva entre le rivage 6c plufieurs grandes îles qui le bordent, des glaces immobiles, qui en Sibérie. fuivant fa conjecture, y étoient depuis l'hiver précédenr. 11 fallut donc tirer à la mer, afin de tourner les îles au nord. Ce projet fembla réullir. La mer étoic alfés unie, cependantdes détroits étoient pleins de glaces. Ils parvinrent à la dernière île , tk fe trouvèrent à foixante-dix-fept degrés vingt-cinq minutes de latitude feptentrionale ; mais ici toute efpérance s'évanouit. Le froid avoit beaucoup augmenté ; entre la dernière île tk le rivage , & depuis cette île vers le nord la mer étoit couverte d'une glace immobile. Us tentèrent cependant de courir au nord, tk ils avoient déjà fait fix milles d'Italie, lorfqu'ils furent enveloppés par une brume épailfe qui leur ôtoit la vue de ce qui les entou-roit. Lorfqu elle fut dillipée , ils ne virent autour d'eux que glacesj celles qui étoient du côté de la pleine mer étoient mobiles , mais en fi grande quantité , qu'un canot n'auroir pas pu trouver place entreelles.Dans ces fâcheufes circon (tances le lieurenant dont laanaladie augmen-toit dejour en jour, ailémbla fon eonfeil, & le retour fut réfolu. Vers laTaïmoure il fut furpris par un calme entouré de glaces, tk la mer commençoit à crCler mais après vingt-quatre heures, le 374 Voyage vent ayant écarté les glaces flottantes, & celles de la mer ayant difparu, U parvint non fans danger, à l'embouchure de l'Olenek, & ce brave officier qui avoit fait tout ce qu'on pou-voit attendre d'un homme plein d'habileté, de zele cV d'intelligence , vit finir en même temps fon voyage 6c fa vie : il fut fuivi de près par fa ver-tueufe veuve, qui mourut encore moins de maladie que de douleur. Malgré ces tentatives inutiles , le gouvernement n'abandonna point encore l'efpoir d'atteindre au but qu'il fe propofoit. Le lieutenant Laptiev reçut un ordre de fe rendre en Sibérie, de defcendre la Léna , d'aller par mer aufli loin qu'il feroir poflible, & de continuer le voyage à pied le long de la côte , afin d'en avoir au moins une connoiflance plus exacte. Laptiev ayant mis en mer le 29 juillet 1730, palfa le 15 août devant une langue de terre qui s'avance affés loin dans la mer, & qu'il prit pour le Sviatoï-noss : on donnoit autrefois ce nom à un autre promontoire qui eft: à peu de diftanee au-delà de l'Indighirka. 11 navigua entre les glaces jufqu'aux quatre embouchures de l'bîd ighirka , dont il trouva la la- en S i b e r. i i. $75 tirude de foixanre-douze degcés deux minutes. Les eaux de la rivière étoient ii balfes, qu'il ne put pas y entrer j il tut obligé de refter en mer ôe de voguer entre les glaces, mais le premier Septembre la mer gela. Peu de temps après, il s'éleva une tempête qui dégagea le bâtiment , ôe le pouffa en mer parmi les glaces flottantes. Il MJI-vint enfuite un calme , Ôc la mer gela tellement qu'on put aller du bâtiment au rivage fur la glace, ôc y tranfporrer les bagages : il étoit à une lieue ôc demie de terre. Laptiev y laifla une garde qu'il fit relever de temps en temps, ôc s'établit à terre avec tout fon équipage. Ils ne manquèrent point de vivres, car il n'y a point de rivière auffi fep-rentrionale , dont les bords foient plus habités , ôc la mer leur fourniffoit d'abondantes provifions j ils trouvoient entre les glaces, en grande quantité , des chiens de mer, des ours blancs , ôc des veaux marins. Depuis le Sviatoï-noss de Laptiev, jufqu'à l'Indighirka, la mer eft baffe ôc le pays plar, ôc depuis ce même promontoire jufqu'à la Kolima il n'y a point de rivière af-fés profonde à fon embouchure pour recevoir un bâtiment un peu grand. 57^ Voyage Les voyages entrepris enfuite pour le même objet n'eurent pas un fuccès plus heureux. Cependant il elt contra-té par des mémoires trouvés dans les archives de Iakoutsk, que vers la fin du dernier fiecle, des marins peu habiles Se peu expérimentés alloient prefque tous les ans dans les dotchennikes ordinaires de l'embouchure de la Léna à la Kolyma. Dans cette navigation on a toujours fuivi la cote le long d'un canal étroit trouvé entre les glaces. On y trouve aulli que plufieurs bârimens fe font perdus dans ce voyage , Se ce font peut-êtte ces triftes exemples qui l'ont fait abandonner. On a quelques tt aces qu'un petit canot parti de la Kolyma ayant doublé le Tchoukctchoï, eft venu à Kamtchatka. Enfin des relations nouvelles Se authentiques ont appris que la côte méridionale court au nord, que les eaux y deviennent de plus en plus balfes : il fe peut donc qu'autrefois elles fuflent différentes de ce qu'elles font aujourd'hui , que la mer ait abandonné des langues de terre qu'elle couvroit alors, Se que des dotchennikes qui tirent moins d'eau que les bâtimens faits pour la mer aient pu paner où»ceux ci n'ont pu trouver de chemin. b n Sibérie. 377; CHAPITRE LU. Hiver de Iakoutsk. Marmottes. Alimens ordinaires des RuJJes & des Iakoutes 9 &c* APrés des voyages fi longs ôc fi pénibles je reviens hiverner à Iakoutsk. Vers le 2 S de feptembre il y faifoit à peine jour à neuf heures ; dès qu'il tomboit de la neige , on ne pouvoit fe paftc-r de lumière, ôc vers deux heures ôc demie de l'après-midi, lorfque le ciel étoit pur , on revoyoit les étoiles. La plupart des habitans vont repofer , dès que la nuit commence , comme s'ils n'étoient qu'à cinquante degrés de latitude , ôc dorment toute la nuit : ils ont à peine dîné qu'ils reviennent à leur lit, ôc lorfque le jour eft fombre , il arrive fouvent qu'ils ne s'éveillent pas. L'exemple du lieutenant Lalfenius nous avoit appris la 'malignité du fcorbut de Sibérie , ôc combien le trop dormir y eft dangereux : nous prîmes donc la réfolution de ne con-facrer au repos, qu'une partie de la \ 3 7S Voyage nuit, ôe d'employer l'autre à l'étude : nous éprouvâmes tous qu'il eft impof-iible de travailler fans interruption durant une nuit aufti longue j le travail lafte , la feule lumière lafte , il nous fallut chercher du fecours dans la fociété de nos amis. Je commençai mes obfervations d'hif-toire naturelle par l'examen d'une efpece de marmotte nommée en ruife ic-vrachka : on trouve ce joli animal en grande quantité dans la campagne, ainfi que dans les celliers ôc dans les greniers des deux efpeces. 11 y a dans ce canton autant de greniers fous terre qu'il y en a qui font au-delfus , cat ni l'humidité , ni la moifilfure , ni les infectes ne peuvent nuire aux grains fous une terre gelée à deux pieds de profondeur. Les marmottes de la campagne fe tiennent dans les fouterreins qu'elles fe creufent, Ôc qui ont une entrée ôc une fortie particulière : leur gîte eft au milieu du fouterrein , ôc elles y dorment durant tout l'hiver ; mais celles qui vivent de grain Ôc de légumes chercheur leur proie en hiver ainfi qu'en été. Elles ont la tcte allés ronde , le mu-feau tout-à-fait plat. L'oreille n'a point de cartilage , ôc l'on ne peut découvrir en Sibérie. 379 le conduit auditif qu'en écartant les poils qui le couvrent. La longueur du corps, en y comprenant la tête , fait à peine un pied j la queue eft: garnie de longs poils, large comme la main , prefque entièrement ronde auprès du corps, enfuite applatie & épailfe d'un demi-pouce, plus mince tk arrondie vers l'extrémité, les deux côtés en pente depuis le milieu comme une épée à deux tranchans , vers le haut noirâtre mêlé d'un peu de jaune , vers le bas rouge de renard, toute noire au* extrémités. Le corps eft, de même que celui de la fouris , allés gros, par-dcftiis gris mêlé de jaune, par-deftbus jaunâtre : ces couleurs tirent par endroits fur le rouge de renard. Les pattes font jaunâtres à l'intérieur ÔC à l'extérieur, courtes , plus longues derrière que devanr : celles de devant ont quatre orteils ^ celles de derrière , cinq, ôc chaque orteil eft garni d'un ongle noir, de grandeur médiocre, un peu courbe. Lorfqu'on met en colère ces pe-rits animaux , ils mordent avec force tk jettent le cri ordinaire aux marmottes : ils fe dreftent auflî fur les pieds de derrière , lorfqu'on leur donne à mander, ôc portent les alimens à leur gueule avec ceux de devant. Ils sac- 3$o Voyagé couplent au commencement d'avril , font au commencement de mai cinq ou fix petits , mettent bas dans leur gîte qui eft: alors couvert d'herbages, tk y allaitent aufti : enfin la nature a fait de cette efpece d'animal une marmotte en petit. On trouve ça tk là dans la Sibérie des marmottes ordinaires , qui différent cependant félon les cantons en grolfeur & en couleur. J'étois le 8 novembre chez M. Muller , lorfque nous entendîmes appeller au feu , tk l'on vint bientôt m'annon-cer que ma maifon brûloir. Nous y accourûmes , mais déjà tout fecours étoit inutile ; la maifon étoit en flammes , tk l'on ne pouvoit feulement pas en approcher. A cette vue je fus frappé comme delà foudre ; je perdois mes obfervations , mes plantes , mes delfeins, tk tous Us moyens de réparer cette perte , mes livres , mes inf-' ttumens ; il ne me reftoit en argent tk en habits que ce que j'avois fur moi. On ne put éteindre le feu j toute la maifon brûla depuis le roît jufqu'aux fondemens. Quoiqu'on jettât continuellement de la neige fur les cendres j on ne put y fouiller que le troifieme jour : on y trouva réduit en lingot in Sibérie. 3S1 plus de la moitié de mon argent ÔC de celui de M. Muller que je gardois, avec quelques livres qu'une bonne reliure avoit ailes garantis pour qu'ils fervilfent encore : je perdis tous les autres , mais celui dont la perte m'affligea le plus, fut les inftitutions de Tour-nefort. L'hiver fut extrêmement doux , cependant on relïenroit quelquefois un froid très vif, ôc il eft tel ordinairement à Iakoutsk dans cette faifon. Il y fut fi excefti,fily quelques années.qu'un Voivode obligé d'aller de fa maifon à la chancelleriequi n'en étoit éloignée qu'en, viron de quatre-vingts pas, quoiqu'il eut le corps couvert d'une ample fourrure , 6c la tète cachée dans une capote de peau , eut les pieds , les mains ôc le nez gelés, de forte qu'il eut beaucoup de peine à fe rétablir. Les membres qui viennent de geler n'ont aucun fen-timent, 6c font plus blancs que le refte de la peau. On les frotte ordinairement avec de la neige pour les guérir , ôc dès qu'ils commencent à devenir fen-iîbles on fubftitue de l'eau chaude à la neige : s'il y a peu de temps qu'ils foient gelés, le remède le plus prompt eft de les frotter avec une étoffe de itl Voyage laine , mais s'il y a long-temps , il faur mettre la partie gelée premièrement dans la neige, enfuite dans l'eau chaude, & l'y laitier pendant quelque temps , après lequel on en vient au frottement. Les Iakoutes emploient un autre remède que quelques rulfes ont pris d'eux : ils enduifent le membre malade avec delà boufe ou de largille, quelquefois avec ces deux matières mêlées enfemble , ôc difent que l'une &c l'autre y rappellent le fenriment. Us le regardent aulli comme un remède pré-fervatif, ôc lorfqu'ils ont à faire un voyage un peu long par un grand froid, ils s'enduifent les parties du corps les plus expofées, ôc prétendent que ce baume diminue du moins les effets du froid. Parmi plufieurs récits fabuleux , Strahlenberg a cependant rapporté une chofe vraie, lorfqu'il a dit que les Iakoutes avoient des mortiers de boufe gelée, où ils piloient des poilfons fé~ chés , des racines, des baies & même du poivre Ôc du fel. Vers la fin de février une femme iakoute accoucha d'un monftre , ôc fes compattiotes en parloient comme d'un événement qui préfageoit de grands malheurs à la race humaine : ils croient en Sibérie. 385 que tout monftre eft un diable ne pour la perte des hommes. Dès que la mere l'eut vu , elle dit à une vieille femme qui l'avoit aidée , de le mettre dans un vafe d'écorce de bouleau, & de le fufpendre à un arbre, afin qu'il ne put pas s'enfoncer dans la terre , & tourmenter enfuite les hommes. Le pere étant de retour à la hutte apprit cette effrayante nouvelle : aufli-tôt, fans demander à voir le monftre, tk pour détourner entièrement tous les maux qu'il devoir faire, il le prit à l'arbre où il éroit fufpendu Se le brûla. Il arriva aufti, quelque temps après , qu'une cavalle lit un poulain difforme ; elle mourut avant d'avoir mis bas, & les Iakoutes fe préparoient à manger la cavalle 8c fur-tout le poulain , qui eft pour eux un friand morceau ; ils ouvrirent promptement le corps, tk furent rrès furpris d'y voir un monftre. Comme ils croient que tout monf-tte eft diable , ils fe gardèrent d'y toucher , Se la mere ayant porté le diable en fes flancs, fut aufti regardée comme maudite tk non mangeable. Le peuple de Iakoutsk boit beaucoup d'eau-de-vie de grain très foible ; on dit qu'elle l'eft quelquefois au point 3$4 Voyage qu'on y voie nager de petits poiiTons : cette eau-de-vie eft apportée d'Iikoutsk par la Léna , ôc durant une aufti longue navigation , il n'eft pas extraor-dînaire que les bateliers aient foif; alors ils tirent un peu d'eau-de-vie, qu'ils remplacent avec de l'eau de la rivière. Lorfque la foif revient fouvent , les tonneaux fe vuident d'eau-de-vie , ÔC fe remplilfenrprefque entièrement d'eau de la Léna, avec laquelle il y entre par fois de petits poiffbns, qui fe trouvent dans leur élément. Rien au refte n'eft plus favorable au beau fexe de Iakoutsk : il eft de la bienféance qu'une femme ruffe qui reçoit la vifite d'une perfonne de fon fexe, lui préfente quelque chofe à boire; c'eft ordinairement un petit verre de brandevin qui peut tenir une chopine. Cetre politelfe eft répétée plus d'une fois, un refus feroit incivil, ôc i! le brandevin avoit quelque force , le beau fexe pourroir pnr civilité devenir très indécent. Cependant quelques Jakoutfains ont de l'eau-de-vie rectifiée , qu'ils adouciifent avec du fucre ou du miel, ôc aromarifenr avec des herbes, des racines ôc des épiceries. L'eau-de-vie en général eft nécelfaire aux habitans de cette contrée, foit à. caufe en Sibérie. 385 caufe de la froideur du climat, ou des alimens glacés qu'ils mangent en grande quantité. Les principaux font les poilions gelés, parmi lefquels le karius ( i ) palfe pour un mets exquis : les plus ordinaires font des baies de toute efpece, comme des grofeilles rouges & noires ( 2 ) , des baies d'airelle ( 3 ), de canneberge ( 4 ), des mûres de haie ( 5 ). On mange ces fruits (1) Salmulus. (1) Ribes inerme, racemis glubris pendulis ,* fioribus pLiniuJculis. Lin. Sp. 1 , p. 100. Ribes vidgarc , acidum , rubrum. B. H. p. 97. Ribes inerme, racemis pilofis , fioribus ob-longis. Lin. Sp. ? , p. 101. Ribes nigrum vulgê diiïum , folio olente. j. B. ( 3 ) yaccinium racemis terminalibus, nu-* tantibus yfoliis obovatis , révoltais , integer-rimis jubtus pundatis. Lin. Sp. 10 , p. 3f». fuis idaa t/emper virens , fruflu rubro. J. B. (4) Vaccinlum foliis intcgcrrimis, révolu-tis y ovatis } ctulibus repcncibus , filiformi-bus , nud'ts. Lin. Sp. 11 , p. 351. Oxicoccus , /e« vaccinia palujlris. Tournef. Initie. ( tk celui dans lequel la cuillier a été , eft regardé comme faint. 11 ne faut pas qu'il foit porté dehors , tk tous ceux qui veulent en mériter les ialuraires effets , doivent le boire dans la hutte. On en remplit les deux verres ; le forcier les prend delà main de deux hommes qui les ont tenus jufqu'alors , 6c les lui préfente à genoux 'y il prononce quelques mots que l'on dit être une prière , en même temps tous les Iakoutes font leurs vœux : enfuite les deux hommes, toujours à genoux , reprennent leurs verres , Ôc fes préfentent à l'aflemblée. Lorfque tout le lait eft bu, en S i B b K i e. 40} (e chaman prononce encore quelques mots, qui font , à ce qu'on dit, un acte de remercimenc, à la fin duquel il s'incline; cependant les Iakoutes l'ont à genoux, le viiage tourne vêts le nord-eft, s'inclinent comme le chaman, ôc finilTent la prière en jettant rrois tois leur cri de joie. Enfin toure l'aifemblée fort de la hutte , 6c saflied en cercle fous quelques bouleaux , entre lefquels il y a des va-fes de cuir remplis de lait : un jeune homme vêtu de beaux habits de fête s'agenouille devant le chamane, lui pré-fente le premier verre , ôc le fécond à l'afliftanr : ces deux-ci font aflis au même rang que les autres , mais comme ce font les perfonnages les plus confidérables, ils font tournés vers le nord-eft vis-à-vis un bouleau planté au milieu du cercle. Le jeune homme préfente enfuite du lait en des rafles d ecorce de bouleau , commençant par les plus anciens ou feigneurs, ôc ne mettant qu'un genou en terre. Durant cette diftriburion, le forcier & fon afliftant ne cèdent pas de prononcer des paroles fur le lait contenu dans des vafes de cuir, ou le béniflenc comme difent les Iakoutes. 404 Vota g e Lorfque les feigneurs ont bu, la prince approche du chaman , ôc reçoit de lui à penoux un verre de lait accompagne des vœux les plus étendus pour la nrofpérité. Tous les autres Iakoutes s agenouillent devant le forcier ou les feigneurs, ôc reçoivent quelques verres de lait avec des fouhaits. En-viron cent Iakoutes qui ne pouvoienc pas être alTis au grand cercle , en firent plufieurs petits à l'entour, ôc reçurent leurs portions avec les mêmes cérémonies. Au milieu de certe joie , on n'oublia pas le beau fexe : les femmes ôc les filles formèrent un cercle auprès de la hurte royale, & la première femme du prince leur préfenta du lait, mais il n'étoit ni confacré ni béni,comme file beau fexe n'en étoit pas digne. Tandis qu'on buvoit/ainfi, les hommes s'a-mufoient ; on en voyoit lutter , fauter, courir à un but : ces exercices étant vio-lens , quelques-uns ôtoient jufqu'à leurs culottes : les femmes ôc les filles dan-foi en t. La fête finir lorfqu'on manqua de lait, ôc prefque tous les Iakoutes étoient pafiablement ivres : on dit qu'elle du-roit autrefois trois, quatre ôc même cinq jours, parce qu'ils avoient plus en Sibérie. 405 de chevaux, 8e par conféquent plus de lait. Strahlenbergraconte qu'ils remettent nuds, afin de s'en remplir davantage le ventre, mais le récit eft fans fondement, puifqu'ils n'offrent à cette fête ni bœufs ni chevaux. Nous vîmes , quelques jours après ,' le facrifice d'un veau j le chamane qui le fit n'étoit pas des meilleurs : la plupart difoient qu'il offroit cet animal a fes dieux , mais il prétendoit qu'il l'of-froit au diable, il fit tenir la victime par quatre lakoures, lui fit une inci-cillon à la poitrine , rompir la grolTe artère , recueillir un peu de fang , Se en traça fur un tronc de pin trois vifiges informes, tels que les enfans en font fur les murs, un ovale alongé , deux ronds pour les yeux , un trait en long pour le nés , & un en travers pour la bouche. Ils écorcherent le veau , mirent la peau fur un échafaud foute-nu par quatre piliers hauts de fix pieds. Enfuite les uns coupèrent la viande 8e btiferent les os, les autres prelferent l'eftomac &e les inteftins j ils en mirent line partie dans un chaudron qui étoit fur le feu. Quand la viande fut cuite à moitié, le forcier alla vers ces trois figures, s'inclina devant elles & mar- 406 V O Y A G t mota quelques mots. On tira la viande du chaudron , tk on en remit de nouvelle : tout fut mangé dans une heure par dix Iakoutes. Le repas étant fini, le chaman termina le facrifice en faifant quelques révérences devant fes figures. Quelques jours auparavant, j'avois trouvé aux environs de la ville un Iakoute qui tenoit une petite baguette , & l'agitoit çà & là : la chaleur étoit confidérable,(i)il éroit encore loin de fa hutte, & vouloit fe procurer un vent frais. Pour cer effer, on prend une pierre qu'on a trouvée par hafard dans un animal, on l'entoure avec des crins, & on l'attache à une baguette qu'on agite en l'air, tk qu'on tourne autour de foi en difant, « Je renie père & mere, ,y tk defire voir ta force. » Alors on met la baguette en travers fur une branche d'arbre , 5c il s'élève un vent frais qui rend la chaleur plus iuppor-table. Iakoutsk eft dans une plaine fur la rive gauche de la Léna, qui fe jette dans la mer glaciale à deux cents milles ( i ) Juin 1737. en S i b £ r te. 407 d'Allemagne de cette ville. Elle a cinq ou fix cents maifons bâties en bois , qui font peu apparentes Ôc peu commodes. On y voit quelques bârimens publics, un fott , des églifes , un magafm â poudre , une chancellerie. La Léna près de Iakoutsk a environ trois lieues de largeur ; on y prend en abondance d'excellenr poilfon , ôc prefque toutes les efpeces ordinaires en Sibérie. Witfrn a dir ( 1 ) que le bié-laïa ribitfa du Volga eft le même poiffon que le nelma des Iakoutes , Ôc il y a plufieurs Rulfes qui font dans cette opinion , mais on les diftingue ici ; le bé-laïa ribitfa a la rête plus longue , plus pointue, le corps plus long ôc beaucoup plus blanc que le nelma; ce poiftbn n'eft pas commun , ôc a beaucoup de faveur. On trouve dans la Léna toute la famille des efturgeons : ceux qu'on nomme fterledes ôc kofteris font difficiles à diftinguer , foit entr'eux , foit de l'ef-turgeon proprement dit. Aucun Sibérien n'a pu m'indiquer dans ces poif-fons des marques fpéeifiques bien dif- ( i ) S. OJl, und, nord tatarcy, 2, «d. S, yîj. xoS Voyage tindces : on dit que l'efturgeon eft le plus uni, le plus doux au toucher • qu'il a aufti la tête moins pointue , 6c que les fterledes font plus unis 6c plus lavoureux que les kofteris. J'ai trouvé qu'en effet ces différences étoient vraies, mais elles ne fuffifenc pas pour faire de ces poiftbns différentes efpeces : de plus j'ai remarqué que l'efturgeon 6c le kofte-ti ont le corps plus anguleux, & que le ftcrlede l'a moins charnu. Quelques-uns préfèrent un jeune efturgeon au fterlede , mais le kofteri paffe généralement pour le moins bon. Les perches que les lakoures nomment tasbas, c'eft-à-dire , têtes de pierre , font dans cette rivière en aftcs grand nombre, 6c on en trouve beaucoup qui ont jufqu'à deux pieds de longueur. Les Iakoutes donnent fouvent différens noms au même poiftbn félon fes différens â^esj ils nomment un groffe anguille lié-lulfar, une moyenne, fengan , une très-petite , baldighnaï ; unee grolTe truire, mindimen , une moyenne, bilbalik, une petite, biléiak. Ce n'eft pas feulement la Léna qui fournit Iakoutsk de poiftbn : il y a aux environs de cette ville plufieurs petits lacs qui en font remplis. On y pêche en Sibérie/ 409' pêche fur-tout en hiver avec des filets de crin à grandes mailles , qui ont depuis deux pieds jufqu a deux toifes Se plus de largeur, ôc font longs de dix à quarante toifes. Dans prefque toute la Sibérie on fait ufage de cordes de crin , lorfqu'on a befoin qu'elles foient fortes. On attache le filet à une de ces cordes , tk la corde à une perche ; on fait dans la glace, tout autour du lac, des ouverrures qui ne font éloignées l'une de l'autre , que de la longueur de la perche j on la paffe par-dcflous la glace d'une ouverture à l'aurre, Se l'on tend ainfi le filer, de forte qu'il entoure le lac : les extrémités en font attachées à deux bâtons geiés dans la glace. Enfuite les pêcheurs vont fur la glace au milieu du lac, Se y font beaucoup de bruit, afin de chalfer les poif-fons vers le filet qui les environne. J'ai vu prendre de cette manière dans une feule pêche plufieurs cuves de petits poiflbns , tk le coup de filet ne fut pas des plus heureux. J'ai déjà parlé des oifeaux d'eau qui viennent au printemps fur la Léna , Se fe retirent en automne : ce paflageelt avantageux aux lakoutfains ; ils en font provifion Se les gardent dans leurs cel- Tome J. S 4IO VOYAGE tiers où ils ne fe corrompent pas même en été. La plupart des habitans de Iakoutsk font dvoriœnins , diéti-boi'a-res, ou cofaques. Ils ont des appointe-mens, ôc par le moyen des préfens qu'ils reçoivent des Iakoutes, ils fa-vent fe concilier la bienveillance ÔC la protection des voivodes ôc des autres officiers de la chancellerie : ils ont de plus des troupeaux de bœufs ôc de chevaux qui font la principale partie de leur fubfiftànce. Les artifans de cette ville y gagnent alfés pour s'y loutenir. Enfin il y a des hommes qui n'ayant ni métier ni emploi , forment t'ks compagnies en automne pour aller à la challe des zibelines, ôc gagnent fouvent en une feule fois , de quoi vivre deux années. Ils étoient tous autrefois plus à leur aife , ôc vivoient dans une plus grande liberté , parce qu'ils n'é-toient ni gênés dans leur commerce , ni chargés d'autant de corvées qu'ils le font aujourd'hui, ni forcés de payer fouvent ôc chèrement l'exemption du moindre travail que le voivode exi-geoit d'eux. Ils fe plaignent aujourd'hui d'être accablés de corvées , obligés de faire des préfens à d'autres qu'à leur voivode j fujets à perdre beaucoup de * e n Sibérie. 411 beftiaux à caufe des neiges abondances qui tombent fouvent en hiver. Malgré ces fàcheufes circonftances leur état n'eft pas malheureux. Prefque tous les hivers font très froids, mais la ville ch. entourée de bois de fapins tk de melefes,qui s'étendent à cent milles - d'Allemagne jnfques vers Sitkar. Dans ce dernier endroit il n'y a que des mêle fes , tk de-là jufqu'à la mer glaciale qui n'en eft éloignée qu'environ de cinquante milles, on ne voit que buiftons tk qu'oliers fort bas. Le climat de Iakoutsk ne convient nullement au bled : on a cependant vu l'orge y croître tk mûrir , mais comme elle y a mal réuftï plufieurs fois, il y a long-temps que la culture en eft abandonnée. Quant aux autres ef-peces de bled , on n'y en a jamais vu venir à maturité : ce canton eft non-feulement trop feptentrional, mais encore trop oriental. La terre y eft noire , gralfe , tk produit des bouleaux j telles font en Sibérie les marques du meilleur terroir, mais quelles qu'en foient les qualités , il ne peut produire fans une chaleur furfifanre , tk quelquefois vers la fin de juin, il eft gelé à trois pieds, 6c plus de profondeur,. 4T2 Voyage Strahlembcrg prétend que la caufe de ce froid prefque perpétuel eft: le voifinage de la nouvelle Zemble , ôc de fes montagnes de glace , mais , outre qu'il y a des glaces non-feulement à la nouvelle Zemble, mais fur routes les côtes feptenrrionàjes de Sibérie , le feigle ôc même le froment viennent tics bien en plufieurs cantons plus voifins que Iakoutsk de la nouvelle Zemble. Quoiqu'aux environs de cette ville il y ait des montagnes , on y trouve peu ou point de fources , peut-être parce que la terre eft gelée. En 1685 on voulut creufer un puits, ôc l'on trouva la terre gelée au mois de juillet jufqu'à treize toifes de profondeur : plus on approche du ncrd , ôc plus ce défaut de fources augmente. J'étois curieux de voir le volcan que Strahlemberg a placé près de Iakoutsk, à la fource de la Vilgoui, Ôc qu'il a mis dans fa carte fur la hauteur de Chi-gan qu'il appelle Skyganga , entre la Léna ôc l'Oleneck qu'il nomme Ole-nets. Je demandai le chemin de la Vil-goai, qui devoit être peu éloignée : cm me dit qu'il y avoit en effet une rivière nommée viloui qui fe jette dans la Léna, à plus de cent lieues au-def- in Sibérie. 415 tous de la ville. Elle eft fort connue des Iakoutes : plufieurs l'ont fuivie depuis la fource jufqu'à l'embouchure , & ceux que nous avions envoyés à quelques fontaines filées dont j'ai parlé, l'avoient remontée prefque toute entière : aucun n'avoit connoiffance du volcan de Strahlembcrg. J'interrogeai des Iakoutes qui avoient habité quelque temps fur la hauteur de Chigan , &connoifïoient les bords de l'Oleneck : je n'en rirai pas plus de lumières. En* viron deux ans après , je trouvai à Iénifeisk tk Mangaféa des gens qui avoient demeuré fur la Katanga , tk en connoilfoient tous les environs. A plus de vingt-cinq lieues au-delfous de la Simo-vie kreftovskoïe , deux lieues au-deffus de Nova-réka, qui tombe dans la Katanga, environ un quart de lieue au-delfous de la Simovie ponomareve , la rive orientale de cette rivière eft élevée de quinze toifes au - delfus du niveau de l'eau fur une étendue de plus de deux lieues. Le lit inférieur paroîr n'être que de fable; le fuivant qui eft de charbon de terre a dans quelques endroits trois ou quatre toifes d'epailTeuT : au-deffus eft: une couche de fable , recouverte par un lit de terre. On voit quel- S iij 414 Voyage que fumée fortir ça ôc là du haut de certcrive, ôc lorfqu'on eft plus près on appsrçoir aufti du feu , tel que celui qui fore d'un charbon. On peut s'en approcher fans péril : quoique ce bord élevé foit couvert de neige pendant l'hiver , on diftingue facilement celle qui eft; au-deffus des endroits qui brûlent j elle n'y a jamais plus d'une ligne d'épaiifeur ôc relfemble à du verglas. On trouvoit autrefois au botd de ces endroits un beau fel ammoniac blanc , 6c une matière rougeâtre , de laquelle on tiroit le même fel : les orfèvres ôc les potiers d'étain d'iénifeisk ôc de Man-gaféa le préferoient au fel ammoniac étranger. Les endroits qui le produi-foient, font brûlés en entier , ôc quoiqu'il y en ait qui brûlent encore , à me-fure qu'ils fe confirment , ils tombent ôc s'affaiffent avec la terre qui les couvre : cet effet n'ayant pas eu lieu autrefois, il eft vraifemblable que la matière em-brafée s'étendoit jufqu'à la furface , ÔC n'éroit recouverte par aucune terre. Voilà peut-être le volcan de Strahlembcrg, qu'il faut placer au nombre de c^ux de l'A -achava , dont j'ai parlé ci-deiîïis. On n'a jamais fenri fur la Katanga aucun tremblement de terre : E N S I B £ R i E. 415 ,'amais on n'y a vu ni éruption ni vo-miflement de flammes ec de pierres calcinées ; ainfi ces feux fouterreins ne font que des charbons de terre cm-brafés : les lits de cette matière font très communs dans ces contrées fepten-trionales. Depuis l'Iénifei jufqu'à la Léna , le rivage de la mer en eft pour ainfi dire compofé, & les couches font allés cpaifles pour être baignées par les Hors. CHAPITRE LV. Route de Iakoutsk à Okotsk. Aurore boréale. peur aller par terre 6: pâf eau de Iakoutsk à Okotsk. Lorfqu'on y va par terre , on fuit le ruifleau de Tatta enviro i pendant quarante &c trois lieues. On fe rend par les rivières d'An-ga , d'Aldàn ,