CLASSIQUES GARNIER CYRANO DE BERGERAC (EUVRES DIVERSES LETTRES SATIRIgVES, AMOUREUSES, itc. LES ENTRETIENS POINTUS LE P ED ANT JOUE, comždie LA MORT D’AGRIPPINE, tragidie NOUVELLE EDITION PAR Frederic LACHfiVRE © LIBRAIRIE GARNIER FRJ&RES 6, RUE DES SAINTS-PŽRES, 6 PARIŠ CYRANO DE BERGERAC OEUVRES DIVERSES DU m£me auteur A LA MEME LIBRAIRIE L’Autre monde ou les Etats et Empires de la Lune et du Soleil. Nouvelle edition revue et completee sur le manuscrit 4558 de la Bibliotheque nationale, avec une notice bio-bibliogra- phique par Frederic Lachevre. i vol. in-16. CYRANO DE BERGERAC OEUVRES DIVERSES LETTRES SATIRIQUES, AMOUREUSES, etc. LES ENTRETIENS POINTUS - LE PfiDANT JOUE, comčdie LA MORT D’AGRIPPINE, tragčdie NOUVELLE EDITION REVUE SUR LES EDITIONS ORIGINALES ET AUGMENTEE, POUR LA PREMIERE FOIS, DES ADDITIONS ET VARIANTES IMPORTANTES DU MANUSCRIT 4557 DE LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE PAR • FREDERIC LACHEVRE PARIŠ LIBRAIRIE GARNIER FRERES 6, RUE DES SAINTS-PŽRES, 6 b/14 £2.5" 511625 AVANT-PROPOS Voici la seconde partie.de 1’oeuvre de Cyrano de Ber- gerac, celle exclusivement litteraire, elle ne modifie pas la physionomie de 1’utopiste de L'Autre Monde telle que la montre les deux manuscrits de la Bibliotheque nationale 4557 et 4558 (Nouv. acq. fr.). On y trouvera. reproduits sur les textes des editions originales : I. — Cinquante-quatre Leitres diverses, satiriques et amoureuses des 58* que renferment les CEuvres diverses de 1654 publiees par Cyrano lui-meme, les Nouvelles CEuvres . (posthumes) 1662, et le Ms. 4557 de la Bibl. nat. (1651). Sur ces cinquante-quatre Lettres, une est inedite et trente-six** se retrouvent dans ledit Ms. sur lesquelles dix-huit presentent des additions et des variantes importantes autres que de style (le texte en st donne en caractbres italiques). H. — Le Pedant joue, comedie, des CEuvres diverses, 1654, avec additions et variantes du Ms. 4557 de la Bibl. nat. III. — La Mort d’ Agrippine, tragedie en cinq actes et en vers. IV. — Les Entretiens pointus, des Nouvelles CEuvres, 1662. * Y compris la Lettre conire les frondeurs des CEuvres diverses,, 1634, qui est une mazarinade et 1’epitre dedicatoire au chancelier Seguier du Ms. 4557, ** A ces 37 lettres, il faut ajouter pour avoir les 41 du Ms. 4557, 1'epitre a Seguier, une des CEuvres diverses, 1654, et deux des Nouvelles ceuvres, 1662, insignifiantes qui sont čgalement dans le Ms. de la Bibl. nat. II AVANT-PROPOS Notre edition, bien que formee des memes ouvrages que celle de Paul Lacroix*, est done tout autre. Cette derniere, particulierement soignee par cet erudit, etait remarquable a l’epoque ou elle a paru. Nombre d’erreurs qu‘il a commises ne peuvent lui etre reprochees, aussi nous nous sommes garde de les signaler. On ne saurait trop hautement reconnaitre ce que Fon doit a ceux qui vous ont precede. Le merite est mince de profiter de recherches mieux dirigees o'u de documents que le hasard seul a fait decouvrir. On connait aujourd’hui Tessentiel de la vie de Cyrano. Paul Lacroix a inspire Edmond Rostand dont le chef- d’oeuvre assure une vie immortelle a 1’escrimeur sensible et chevaleresque au detriment de 1’ecrivain, aux preten- tions philosophiques et scientifiques, dont 1’oeuvre čtait si en avance sur son siecle qu’aucun libraire ne 1’aurait acceptee de son vivant telle qu’il Favait ecrite. Nous avons la pleine conscience que notre mise au point est un peu tardive pour qu’elle puisse lui profiter entiere- ment, mais encore etait-ce un devoir de la tenter! * Sauf le Traite de Physique que nous navons pas reproduit et qui est, en realitč, de Jacques Rohault, mais, par contre, elle est augmentee d’une maza- rinadc en prose, a la suite de L'Autre Monde. Epitre dedicatoire au duc d’Arpajon des CEuvres diverses, 1654. Monseigneur, ce livre ne contient presque qu'un ramas confus des premiers caprices, ou, pour mieux dire, des premibres folies de ma jeunesse; j avoue mirne que j'ai quelque konte de 1'avouer dans un dge plus avance ; et cependant, Monseigneur, jene laisse pas devous le dedier avec tous ses defauts, et de vous supplier de trouver bon quil -vole le monde sous votre glorieuse protection Que dire^-vous, Monseigneur, d'un procede si etrange? Vous croire^ peut-etre que c est manquer de respect pour vous, que de vous offrir une chose que je meprise moi-meme, et de mettre votre Nom Mustre d la tete d'un ouvrage, ou jai bien de la rčpugnance de voir le mien ? J'espere neanmoins, Monseigneur, que mon respect et mon \dle vous seront trop connus pour attribuer la liberte que je prends a une cause qui me seroit si desavantageuse. II y a preš d'un an que je me donnai d Vous ; et depuis cet beureux moment, tenant pour perdu tout le temps de ma vie que j'ai passč ailleurs qu d votre Service, et ne me con- tentantpas de vous avoir devoue tout ce qui men reste, J 'ai tachd de reparer cette perte, en vous en consacrant encore les commencements ; et parce que le passe ne se peut rappeler pour vous etre ofjerl, vous presenter au moins tout ce qui m'en demeure, et faire en sorte, par ce moyen, que, n'aijant pas eu Vhonneur d'etre d Vous toute ma vie, toute ma vie ne laisse pas en quelquefafon d'avoir 2 CEUVRES P E C VRANO DE BERGERAC ete pour Vous. D' ailleurs, Monseigneur, vous save^ que de toutes les offrandes qui se presentoient d Dieti dans 1'ancienne Loi, il n en avoit point de si agreables que celles qui se faisoient des premiers fr uit s, quoiqu ils ne soient point ordinairement les meilleurs ; et, s'il est permis d'ajouter une chose profane en suite dune si sainte, vous riignore^ pas non plus que les Atheniens ne pensoient pas pouvoir faire de present -plus agreable d Apollon quen envoyant leur premiere chevelure d son temple de Delphes, et lui presentant ces premieres pro- ductions de leur cerveau. C’est ce qui me fait esperer. Monseigneur, que vous ne refusere^ pas Voffrande que je vous fais de cet ouvrage, et que vous ne trouvere^ pas mauvais que je me dise, aussi bien au commencement de ces Lettres qu au commencement de Z’Agrippine, Monsei¬ gneur, votre trds humble, tres obeissant et trds obli ge Serviteur, de Cvrano Bergerac. LES LETTRES DE CYRANO DE BERGERAC Les Lettres de Cyrano de Bergerac sont la partie la plus discutee de son oeuvre ; il y a paye son tribut a la mode qui regnait aux environs de 1650 et qui avait cesse de plaire a la veille de sa mort, au moment ou il publiait ses CEuvres diverses. Il les a divisees lui-meme en Lettres diverses, sati- riques et amoureuses. Les Lettres diverses, la plupart descriptives, sont sou- vent gdtees par des pointes auxquelles Cyrano se com- plaisait. Rappelons que la pointe est un jen de mots consistant a equivoquer sur leurs multiples sens. Ce passe-temps de la Societe precieuse, regie par 1’Hotel de Rambouillet, n’a eu qu’une vogue ephemere et il en est le plus notable representant. Mais, a part cette concession ou plutot cette adhesion au mauvais golit du jour, la partie descriptive est neuve en quelque sorte : Cyrano est sobre, presque sec, et s’il s’efforce de peindre d'apres nature, quand ses contemporains ne peignent que de chic ou d’aprčs l’antique, c'est toujours par petites touches qu’il procede, fichant ca et Id ses expressions comme on pique des fleurs sur un tapis de mousse’. Introduction. aux Lettres d' amonr de Cyrano de Bergerac pat MM. G. Capon K. Vves Plessis, igo5. 4 CEUVK.ES DE CVRANO DE BERGERAC Quelques lettres d’un tout autre genre sont d’un tres grand prix : celles Pour les Sorciers et Contr? les Sorciers lui font le plus grand honneur tant pour la forme que pour le fond, etc. Dans les Lettres satiriqu.es, Cyrano est plus a l'aise ; elles repondaient mieux a son temperament denue de toute sensibilite. Sa verveestcorrosive et inepuisable sur- tout quand il s’attaque a ceux qu’il considfere comme ses ennemis — on devrait plutot les appelerses victimes —■: le comedien Montfleury, 1’empereur du Burlesque : Dassoucy, le Malade de la Reine : Scarron, etc. Sa haine contre lesjesuites est inexplicable car ils ne paraissent pas s’etre occupes de lui, ni de son vivant, ni apres sa mort; peut-etre a-t-il eu la prescience que c’etait la une attitude qui lui assurerait la sympathie de la posterite ? Les Lettres amoureuses sont les plus faibles; simples exercices de rhetorique, elles n’ont aucun contact avec la realite. En resume, Lappreciation de M. M. G. Capon et Yves Plessis au sujet des « Lettres » nous parait pleinement justifiee : Bergerac aurait le premier ouvert la veine que devaient exploiter longtemps apres lui tant de nos ecrivains modernes. Mort jeuneil ne pouvait qu’etre incompris des classiques de son temps qui le regardaient un peu comme un fou, a cause de ses allures exterieures de bravo litteraire. Ce n’etait qu’un amant de la douce nature, ne dans la peau d’un refractaire. LETTRES DIVERSES CoNTRE L’HIVER* Monsieur, c’est a ce coup que l’Hiver a noue Paiguil- lette a la Terre ; il a rendu la matiere impuissante, et l’esprit metne, ponr etre incorporel, n’est pas en surete contre sa tyrannie ; mon ame a tellement recule sur elle-meme, qu’en quelqu’endroit aujourd’hui que je me touche, il s’en faut plus de quatre doigts que je n’atteigne oujesuis; je me tate sans me sentir, et le fer auroit ouvert cent portes a ma vie, auparavant de frapper a celle dela douleur : enfin nous voila presque paralytiques, et cependant pour creuser sur nous une plaie dans une blessure, Dieu n’a cree qu’un baume a notre mal, encore le Medecin qui le porte ne sauroit arriver chez nous qu’apres avoir deloge de six maisons Ce paresseux est le Soleil, vous voyez comme il marche a petites journees; il se met en chemin a huit heures, prend gite a quatre. Je crois qu’a mon exemple il trouve qu’il fait trop froid pour se lever si matin ; mais Dieu veuille que ce soitseu- lement la paresse qui le retienne, et non pasle depit; car il me semble que depuis plusieurs mois il nous regarde de travers. Pour moi, je n’en puis deviner la cause, si ce n’est qu’ayant vu la terre endurcie par la gelee, il n’ose * CEuvres diverses de M. de Cyrano de Bergerac, 1654. Lettre I. A M. Le Bret, avocat au Conseil. — Ms. f. g5, variantes nombreuses de style sans interet. 6 CEUVRES DE CVKANO DE BERGERAC plus monter si haut de peur de blesser ses rayons en les precipitant. Ainsi nous ne sommes pas preš de nous venger des outrages que la saison nous fait; il ne sert quasi rien au feu de s’echauffer contre elle, sa rage n’aboutit (apres avoir bien pelille) qu’a le contraindre a se devorer soi-meme plus vite. Nous avons beau prendre le bouclier, 1'Hiver est une mort de six mois repandue sur tout un c6te de cette boule, que nous ne saurions eviter; c’est une courte vieillesse des choses animees ; c'est un etre qui n’a point d’action, et qui cependant (tout braves que nous soyons') ne nous approche jamais sans nous faire trembler : notre corps poreux, delicat, etendu, se ramasse, s’endurcit, et s’empresse a fermer ses avenues, a barricader un million d’invisibles portes, a les couvrir de petites montagnes ; il se meut, s’agite, se debat, et ditpour excuse en rougissant, que ces fremisse- ments sont des sorties, qu’il fait a dessein de repousser 1’ennemi qui gagne ses dehors. Enfin ce n’est pas merveille que nous subissions le destin de tous les vivants; mais le barbare ne s’est pas contente d’avoir dte la langue a nos oiseaux, d’avoir deshabille nos arbres, d’avoir coupe les cheveux a Ceres, et d’avoir mis notre grand’mere toute nue ; afin que nous ne puissions nous sauver par eau dans un climat plus doux, il les a j toutesj renfermees sous des murailles de diamant, et de peur meme que les rivieres n’excitassent par leur mouvement quelque chaleur qui nous put soulager, il les a clouees contre leur lit. Maisil/ait encore bien pis; car pour nous effrayer, par l’image meme des prodiges qu’il invente a notre destruction, il nous fait prendre la glace pour une lumiere endurcie, un jour petrifie, un solide neant, ou quelque monstre epouvantable dont le corps n’est qu’un oeil. La Seine au commencement, effrayee des larmes du ciel, s’en troubla, et apprehendant LETTRES DIVERSES 7 une suite funeste a la fortune de ses habitants, elle s’est raidie contre le poids qui 1’entraine, s’est suspendue et s’estliee elle-meme pour s’arreter ( 2 ), afin d’etre toujours presente aux besoins que nouspourrions avoir d’elle. Les hommes epouvantes a leur tour des prodiges de cette effroyable saison, en tirent des presages proportionnes a leur crainte ; s’ilneige, ils s’imaginentque c’est peut-etre au Firmament le chemin de lait( 3 ) qui se dissout; que cette perte fait de rage ecumer le Ciel, et que la terre, tremblant pour ses enfants, en blanchit de frayeur. Ils se figurent encore que 1’univers est une tarte que 1’Hiver, ce grand monstre, sucre pour 1’avaler ; que peut-etre la neige est 1’ecume des plantes qui meurent enragees, et que lesvents qui soufflent tant de froid, sont les derniers soupirs de la Nature agonisante. Moi-meme qui n’explique guere les choses qu’en ma faveur, et qui, dans une autre I saison, me serois persuade que la neige est le lait vegetatif . que les Astres font teter aux plantes, ou les miettes qui ; | tombent apres Graces de la table des Dieux, me lais- sant emporter au torrent de l'exemple, s’il grele, je i m’ecrie : « Quels maux nous sont reserves, puisque le ; I ciel innocent est reduit a pisser la gravelle ? » Si je veux : | definir ces ventsglaces, tellementsolidesqu’ilsrenversent , des tours, et tellement delies qu’on ne les voit point, je , ne saurois soupfonner ce que c’est, sinon une brouine de - j diables echappes, qui s’etant morfondus sous terre, 1 courent ici pour s’echauffer. Tout ce qui me represente ; l’Hiver me faitpeur; |e ne saurois supporter un miroir a s cause de sa glace; je fuis les pelits Medecins, parce qu’on i les nomme des Medecins de neige^), et je puis convaincre i le froid de quantite de meurtres, sur ce que dans toutes j les maisons de Pariš on rencontre fort peu de gelee , qu’on n’y trouve un malade auprfes. En verite, Monsieur, t ) e ne pense pas que la Saint-Jean me guerisse entiere- 8 CEUVR.ES DE CVRANO DE BERGERAC merit des maux de Noel, quand je songe qu’il me faudra voir encore, aux fenetres, de grandes vitres qui neseront autre chose que des tapisseries de glapons endurcis au feu. Oui, cet impitoyable m’a mis en si mauvaise humeur, que le hale du mois d’aout ne me purgera peut-etre pas du flegme de janvier; la moindre chaleur me fera dire que 1’Hiver est le frisson de la Nature, et que l’Ete en est la fievre ; car jugez si je me plains a tort, et si les morfondus, malgre 1’humeur liberale de cette saison qui leur donne autant de perles que de roupies, ne me prendront pas pour un Hercule qui poursuit ce monstre leur ennemi ? Quellesrigueurs n’exerce-t-il point en tous lieux? Lasous le robinet d'une fontaine, le gele porteur d’eau contraint son cceur, en soufflant, de rendre a ses mains la vie qu’il leur a derobee 1 La contre le pave le soulier du marcheur fait plus de bruit qu’a 1’ordinaire, parce qu'il a des cloches aux pieds ! La 1’Ecolier fripon, une pelote de neige entre les doigts, attend au passage son compagnon, pourlui noyer le visage dans un morceau de riviere ; enfin, de quelque cote que je me tourne, la gelee est si grande, que tout se prend jusques aux man- teaux. A dix heures du soir, le filou morfondu sous un auvent grelotte, et se console lorsqu’il regarde le premier passant comme un tailleur qui lui apporte son habit. Lorsqu’il prendra fantaisie a 1’Hiver, ce vieil endurci, d’aller a confesse, voila, Monsieur, l’examen de sa cons- cience a un peche preš, car c’est un cas reserve dont il n’aura jamais 1’absolution. Vous-meme jugez s’il est pardonnable, il me vient d’engourdir les doigts, afin de vous persuader que je suis un froid Ami, puisque je tremble quand il est question de me dire, Monsieur, votre Serviteur, LETTRES DIVERSES 9 PoUR LE PRINTEMPS* Monsieur, ne pleurez plus, le beau temps est revenu, le Soleil s’est reconcilie avec les hommes, et sa chaleur a fait trouver des jambes a l’Hiver, tout engourdi qu’il fut; il ne lui a prete de mouvement que ce qu’il en fal- loit pour fuir, et cependant ces longues nuits qui sem- bloient ne faire qu'un pas en une heure (a cause que pour etre dans 1'obscurite, elles n’osoient courira tatons) sont aussi loin de nous que la premiere qui fit dormir Adam ; l’air naguere si condense par la gelee que les oiseaux n’y trouvoient point de plače, semble n’etre aujourd’hui qu’un grand espace imaginaire ou ces musi- ciens, a peine soutenus de notre pensee, paroissent au Ciel de petits mondes balances par leur propre centre ; le serein n’enrhumoit pas au pays d’ou ils viennent, car ils font ici beau bruit : o Dieux, quel tintamarre ! Sans doute ils sont en proces pour le partage des terres dont 1’H.iver par sa mort les a faits heritiers ; ce vieux jaloux, non content d’avoir boucle presque tous les animaux, avoitgele jusqu’auxrivieres, afinqu’elles ne produisissent pas meme des images. II avoit malicieusement tourne vers eux la glace de ses miroirs qui coulent du cote du vif-argent, et y seroient encore, si le Printemps a son retour ne les eut renverses. Aujourd'hui le betail s’y regarde nager en courant; la linotte et le pinson s’y reproduisent sans perdre leur unite, s’y ressuscitent sans mourir, et s'ebahissent qu’un nid si froid leur fasse eclore en un moment des petits aussi grands qu’eux-memes. Enfin nous tenons la Terre en bonne humeur, nous * 1654. Lettre II. Au meme (Le Brgt), p. 10. — Ms. f. io3, variantes insignir fiantes. 10 CEUVRES DE CYRANO DE BERGEKAC navons dorenavant qu’a bien choyer ses bonnes graces. A la verite, depitee de s’etre vue au pillage de cet Au- tomne, elle s'etoit tellement endurcie contre nous avec les forces que lui preta l’Hiver, que si le Ciel n’eiit pleure deux mois sur son sein, elle ne se fut jamais attendrie ; mais, Dieu merci, elle ne se souvient plus de nos larcins, toute son attention n’est aujourd hui qu’a mediter quelque fruit nouveau; elle se couvre d'herbe molle, afin d’etre plus douce a nos pieds; elle n envoie rien sur nos tables qui ne regorge de son lait ; si elle nous offre des chenilles, c’esten guise de vers a soie sauvages ; et les hannetons sont de petits oiseaux qui montrent qu’elle a eu soin d’inventer jusqu’a des jouets pour nos enfants; elle s etonne elle-meme de sa richesse, elle s’imagine a peine etre la Mere de tout ce qu’elle produit. et grosse de quinze jours, elle avorte de mille sortes d’insectes, parce que ne pouvant toute seule goutertantde plaisirs, elle ebauche des enfants a la hate, pour avoir a qui faire du bien. Ne semble-t-il pas, en attachant aux branches de nos forets des feuilles si touffues, que pour nous faire rire elle se soit egavee a porter un pre sur un arbre ? Mais parce qu’elle sait que les contentements excessifs sont prejudiciables, elle force en cette saison les feves de fleurir pour moderer notre joie, par la crainte de devenir fous ( s ) ; c’estle seul mauvais presage qu’elle n’ait point chasse de dessus l’Hemisphčre. Partout on voit la Nature accoucher, et ses enfants, a mesure qu’ils naissent, jouer dans leur berceau ; considerez le Zephyr qui n'ose quasi respirer qu’en tremblant, comme il agite les bles et les caresse. Ne diriez-vous pas que l’herbe est le poil de la Terre, et que ce vent est le peigne qui a soin de le demeler? Je pense meme que le Soleil fait 1'amour a cette saison, car jai remarque qu’en quelque lieu qu’elle se retire, il s’en approche toujours. Ces insolents Aquilons lettr.es diverses II qui nous bravoient en 1'absence de ce Dieu de tranquil- lite (surpris de sa venue) s'unissent a ses rayons pour obtenir la paix par leurs caresses, et les plus coupables se cachent dans les atomes et se tiennent cois sans bouger, de peur d'en etre reconnus ; tout ce qui ne peut nuire par sa vie est en pleine liberte. II n’est pas jusqu’a notre ame qui ne se repande plus loin que sa prison, afin de montrer qu’elle n’en est pas contenue. Je pense que la Nature est aux noces, on ne voit que danses, que con- certs, que festins, et qui voudroit chercher dispute. n’auroit pas le contentement d'en trouver, sinon de celles qui pour la beaute surviennent entre les fleurs. La. possible, au sortir du combat, un oeillet tout sanglant tombe de lassitude ; la un bouton de rose enfle du mau- vais succes de son Antagoniste, s"epanouit de joie ; la le lis, ce Colosse entre les fleurs, ce geant de lait caille. glorieux de voir sesimages triompher au Louvre( 6 ), s’eleve sur ses compagnes, les regarde du haut en bas, et fait devant soi prosterner la violette, qui, jalouse et fachee de ne pas monter aussi haut, redouble ses odeurs, afin d’obtenir de notre nez la preference que nos yeux lui refusent; la le gazon de thym s’agenouille humblement devant la tulipe, a cause qu’elle porte un calice ; La (qui l' elit jamais cru) le pauvre Monsieur de Rangou.se (''•) plante comme un oignon, mais un peu plus mal včtu, sterile en decrivant la sterilite, s' arrache les ongles, et petille de ce qu entre un million de marguerites et de pensees, il n en trouve pas une qui se veuille laisser cueillir', la, d’un autre cote, laTerre depitee que les arbres portent si haut et si loin d'elle les bouquets dont elle les a couronnes, refuse de leur envoyer des fruits, qu’ils ne lui aient redonne ses fleurs. Cependant je ne trouve pas pour ces disputes que le Printemps en soit moins agreable ; Mathieu Gareau saute detout son cceur au brouet de sa tante ( s ) ; le 12 ceuvk.es de cvrano de bergerac plus mauvais gar^on du village jure, par sa ti, qu’il fera cette anneegrand peur au pagegai( 6 ); le vigneron, appuye sur son echalas. rit dans sa barbe a mesure qu’il voit pleurer sa vigne. Enfin l’exemple de la Nature me per- suade si bien le plaisir, que toute sujetion etant doulou- reuse, je suis presque a regret, Monsieur, votre Serviteur. Pour lete* Monsieur, que ne diriez-vous point du Soleil s’il vous avoit roti vous-meme, puisque vous vous plaignez de lui, lorsqu’il hate 1’assaisonnement de vos viandes? De toute la terre il n’a fait qu’une grande marmite ; il a dešsous attise 1’Enfer pour la faire bouillir ; il a dispose les vents tout autour comme deš souffletš afin de 1’empecher de s’eteindre, et lorsqu’il rallume le feu de votre cuisine, vous vous en formalisez ; il echauffe les eaux, il les dis- tille, il les rectifie de peurqueleur crudite ne vous nuise, et vous lui chantez pouille pendant meme qu’il boit a votre sante I Pour moi, je ne sais pas en quelle posture dorenavant se pourra mettre ce pauvre Dieu, pour žtre a notre gre. Il envoie a notre lever les oiseaux nous donner la musique ; il echauffe nos bains, et ne nous y invite point qu’il n’en ait esšaye le peril en s’y plongeant le premier. Que pouvoit-il ajouter a tant d’honneur, sinon de manger a notre table? Mais jugez ce qu*il demande quand il n’est jamais plus proche de nos mai- sons qu’a midi. Plaignez-vous, Monsieur, apfčš cela, qu’il dessbche 1’humeur des rivieres. Helas! sans cette attrac,- tion, que serions-nous devenus ? les fleuves, les lacs, les fontaines, ont suče toute Peau qui rendcit la terre * 1654- Au meme (Le Bret), lettre III, p. i5. — Ms. f. 99, variantes sans interet. LETTK.ES D1VERSES 13 feconde, et l’on se fache qu’au hasard d’en faire gagner l’hydropisie a la moyenne region, il prenne la charge de la repuiser, et de promener par le Ciel les nues, ces grands arrousoirs, dontil eteint la soif de nos campagnes alterees, encore dans une saison ou il est si fort epris de notre beaute, qu'il nous veut voir tout nus. J’ai bien de la peine a m’imaginer, s’il n’attiroit a soi beaucoup d’eau poitr y mouiller et rafraichir ses rayons, comme il nous baiseroit sans nous bruler ; mais quoi qu’on dise, nous en avons toujours de reste ; car au temps metne que la Canicule par son ardeur ne nous en laisse precisement que pour la necessite, n’a-t-il pas soin de faire enrager les chiens de peur qu’ils n’en boivent? Vous fulminez encore contre lui, sur ce qu’il derobe (dites-vous) jusques a nos ombres : il nous les ote (je 1’avoue) et il n’a garde de les laisser auprčs de nous, voyant qu’a toute heure elles se divertissent a nous effrayer; voyez comme il monte au plus haut de notre horizon pour les mettre a nos pieds, et pour les recogner sous terre d’ou elles sont parties. Quelque haine cependant qu il leur porte quelque proche de leur fin qu’elles se trouvent, il leur donne la vie quand nous nous mettons entre deux; c'est pourquoi ces filles de la nuit courent tout a 1’entour de nous pour se tenir acouvert des armes du Soleil, sachant bien qu’il aimera mieux s’abstenir de la victoire, que de se resoudre a les tuer au travers de nos corps. Ce n’est pas que durant toute l anneeil ne soit pour nous tout en feu ; et il le montre assez, n’en reposant ni nuit ni jour. Mais en Ete toutefois sa passion devient bien autre: il brule, il court, il semble devaler de son cercle ; et se voulant jeter a notre cou, il en tombe si prbs, que pour legerequesoitl’Essenced’un Dieu, la moitie des hommes degoutte de sueur en le portant. Nous ne laissons pas toutefois de nous affliger auand il nous quitte ; les nuits 14 CEUVRES DE CYRANO DE BERGERAC memes sympathisant a sa complexion, deviennent claires et chaudes, a cause qu'a son depart il a laisse sur 1’Ho- rizon une partie de son equipage, comme ayant a y revenir bientot. Le mois de Mai veritablement germe les fruits, les noue et les grossit; mais il leur laisse une aprete mortelle qui nous etrangleroit, si celui de Juin n’y passoit du sucre. Possible m’objectera-t-on que par ses chaleurs excessives, il met les herbes en cendres, et qu’ensuite il fait couler dessus des orages de pluie ; mais pensez-vous qu’il n‘aitgrand tort (nous voyant tout salis du hale) de nous mettre a la lessive? Et je veux qu’il fut brulant jusqu'a nous consumer, ce seroit au moins une marque de notre paix avec Dieu, puisqu’autrefois chez son peuple il ne faisoit descendre le feu du Ciel que sur les Victimes purifiees. Encore s’il nous vouloit bruler, il n’enverroit pas la rosee pour nous rafraichir, cette belle rosee qui nous fait croire par ses infinies gouttes de lumiere, quele flambeaudu monde est en poudre dedans nos preš; qu'un million de petits Cieux sont tombes sur la terre. ou que c'est Farne de 1’Univers qui ne sachant quel honneur rendre a son Pere, sort au-devant de lui, et le va recevoir jusque sur la pointe des herbes. Les vil- lageois s imaginent tantot que ce sont des poux d’argent tombes au matin de la tete du Soleil qui se peigne ; tantdt la sueur de l’air corrompue par le chaud, ou des vers lui- sants se sont mis; tantot la salive des Astres qui leur tombe de la bouche endormant; mais enfin, quoi que ce puisse etre, il n importe : fut-ce les larmes de FAu- rore, elle s’afflige de trop bonne grace pour ne nous en pas rejouir ; et puis c'est le temps ou la Nature nous met a metne ses tresors. Le Soleil en personne assiste aux couches de Ceres, et chaque epi de ble paroit une bou- langerie de petits pains de lait qu’il a pris la peine de cuire. Que si quelques-uns se plaignent que sa trop LETTRES DIVERSES 15 longue demeure avec nous jaunit les feuilles apres les fruits, qu’ils sachent que ce Monarque des etoiles en use ainsi pour composer de notre climat le jardin des Hesperides, en attachant aux arbres des feuilles d’or aussi bien que des fruits. Toutefois il a beau tenir la campagne, il a beau dans son Zodiaque s’echauffer avec le Lion, il n'aura pas demeure vingl-quatre heures chez la Vierge qu’il lui fera les doux yeux ; il deviendra tous les jours plus froid, et enfin, que]que nom de pucelle qu’il laisse a la pauvre fille, il sortira de son lit tellement enerve, que six mois a peinele gueriront de cette impuis- sance. Oh 1 que j'ai cependant peur de voir croitre l Ete. parce que j’ai peur dele voir diminuer; c’est lui qui debarrasse l’eau, le bois, le metal, l’herbe, la pierre, et prises : il apaise leurs froideurs, il demele leurs antipa- thies, il moyenne entre eux un echange de prisonniers, il reconduit paisiblement chacun chez soi ; et pour vous montrer qu’il separe les natures les plus jointes, c’est que n’etant vous et moi qu’une meme chose, je ne laisse pas aujourd’hui de me considerer sdparement de vous, pour eviter l’impertinence qu’il y auroit de me mander a moi- meme : Je suis, Monsieur, votre Serviteur. CoNTRE t’AuTOMNE* Monsieur, il me semble que j’aurois maintenant bien du plaisir a jurer contre 1'Automne, si je ne craignois de facher le tonnerre, lui qui non content de nous tuer, n est passatisfait s il n’assemble trois bourreaux diffdrents dans une mort, et s’il ne nous massacre tout d la fois par 1654. Au meme (Le Bret) Lettre IV, p. 21. — Ms. f. 107; les variantes sont tres importantes mais le texte de 1’ipipriijie est meilleur que celui du Ms, 16 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC les yeux, par les oreilles, et par le toucher, cest-a-dire par 1'eclair, le tonnerre et le carreau. L’eclair s’allume pour eteindre notre vue a force de lumifere et, precipi- tint nos paupieres sur nos prunelles, il nous fait passer de deux petites nuits de la largeur d’un double( ,G ) dans une autre aussi grande que 1'Univers. L’air en s’agitant enflamme ses apostumes; en quelque part od nous tour- nions la vue, un nuage sanglant semble avoir deplie, entre nous et le jour, une tenture de gris brun doublee de taffetas cramoisi; le foudre engendre dans la nue, creve le ventre de sa mere, et la nue grosse en travail s’en delivre avec tant de bruit, que les roches les plus sauvages s’ouvrent aux cris de cet accouchement. II ne sera pourtant pas dit que cette orgueilleuse saison me parle si haut, et que je n’ose lui repondre : cette inso- lente, aux crimes de laquelle il ne manquoit plus que de faire imputer a son Createur les vices de la Nature, fait au vulgaire nonimer ce tintamarre les instrumens de la justice de Dieti; et (idmire^ un peti, je vous prie, le bel or dr e de cette justice. Un miserable meurt, on 1'enter re; ce cadavre pourri dans son linceul, s'exhale a travers le ga^on de sa fosse, il monte et va se loger dans une nue oit, s'etant endurci par le choc, il crčvera peut-dtre au pied d'un autel sur la tete de son fils qui prioit pour son dme. Mais quand il seroit vrai qu'une chose si frele fut le bras droit du Tout-Puissant, il ne s’ensuit pas pour cela que la saison du tonnerre, c’est-a-dire la saison des- tinee a chatier les coupables, soit plus agreable que les autres, ou bien ilfaut conclure que letemps le plus doux de la vie d’un criminel, est celui de son execution. Je crois qu'en suite de ce funeste meteore nous pouvons passer au vin, puisque c’est un tonnerre liquide, un courroux potable, etun trepasqui fait mourir lesivrognes de sante. Il est cause, le furieux, quelques abstinens que । 1 < 1 1 < 1 c < c t c c LETTRES DIVERSES 17 nous soyons, que la definition qu’Aristote a donnee pour 1’homme, d'animal raisonnable, soit fausse au moins pour ceux qui en boivent trop ; mais ne vous semble-t-il pas qu’on peut dire du cabaret, que c’est un lieu ou l‘on vend la folie par bouteilles, et je doute meme s’il n’est point alle jusque dans les Cieux faire sentir ses fumees au Soleil, voyant comme il se couche tous les jours de si bonne heure. La Terre en but tant au siecle de Copernic, qu' elle s en mit a pirouetter el si maintenant elle se meut ( J1 ), je pense que ce sont des SS que l’ivro- gnerie lui fait faire. Pour moi, je porte tant de haine a ce poison, qu’encore que l'eau-de-vie soit un venin beaucoup plus furieux, je ne laisse pas de lui pardonner. a cause que ce m’est un temoignage qu’elle lui a fait rendre 1’esprit. Nous voila done en ce temps condamnes a mourir de soif, puisque notre breuvage est empoisonne; voyons si notre manger que 1’Automne nous etend sur la terre, comme sur une table, est moins dangereux que sa boisson. Helas! pour un seul fruit qu’Adam mangea, cent mille personnes moururent qui n’etoient pas encore et s'il en elit entame un second, il eut infailliblement chasse la terre d trente lieues de la; 1’arbre meme est foreč par la Nature de commencer le supplice de ses enfants criminels, il les jette contre terre, la tete en bas, le vent les secoue, et le Soleil les precipite. Apres cela, Monsieur, ne trouvez pas mauvais que je desapprouve qu'on die : « Voila du fruit en bon etat. » Comment y pourroit-il etre, lui qui s’est pendu soi-meme ? Aussi a considerer comme les cailloux y vont a l’offrande, n est- ce pas une occasion de douter de leur innocence, puis- qu’ils sont lapides a chaque bout de champ?Ne voyez- v ous pas meme que les arbres, en produisant les fruits, °nt soin de les envelopper de feuilles pour les /asfier, comme s’ils n’avoient pas assez d’effronterie pour montrer l8 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC a nu leurs parties honteuses? Mais admirez encore com- ment cet horrible saison traite les arbres en leur disant adieu : elle les charge de vers, d’araignees et de che- nilles, et tout chauves qu’elle les a rendus, elle ne' laisse pas encore de leur mettre de la vermine a la tete. Nommez-vous cela des presents d’une bonne mere a ses enfants? et merite-t-elle que nous la remerciions apres nousavoir d te presque tous les aliments [utiles]?Mais son depit passe encore plus outre ; car elle tache d’empoi- sonner ceux qui ne sont pas morts de faim, et je n’avance rien que je ne prouve. N’est-il pas vrai que ne nousrestant plus rien de pur entre tant de choses dont 1’usage nous est necessaire. sinonFair, la maratre l’a suffoque de con- tagion ? Ne voyez-vous pas comme elle traine la peste, cette maladie sans queue qui tient la mort pendue a la sienne en toutes les villes de ce Royaume? comme elle renverse toute Feconomie de 1’Univers et de la societč des hommes, jusqu’a couvrir de pourpre des miserables sur un fumier ( 12 ); et jugez si le feu dont elle s’allume contre nous est ardent, quand il suffit d’un charbon sur un homme pour le consumer. Voila, Monsieur, les tresors et Futilite de cette ado- rable saison, par qui vous pensiez avoir trouve le secret de la corne d’abondance. En verite, ne merite-t-elle pas bien mieux des satires que des eloges, et ne devrions- nous pas meme detester les autres a cause qu’elles sont en sa compagnie, et qu’elles la suivent toujoursetb precedent? Pour moi, je ne doute point qu’un joui cette enragee ne pervertisse toutes ses compagnes ; et en effet, nous observons qu’elles ont deja toutes a sol exemple leur fa^on particulibre d’estropier, et que pouf les maux dont elle nous accable, 1’Hiver nous contraint de reclamer saint Jean ; le Printemps. saint Mathurin: 1’lite, saint Hubert, et 1’Automne, saint Roch, puisgiit LETTRES DIVERSES 19 :om- isant che- aisse tete. 1 ses ipres > son ipoi- ance stant nous con- este. a la elle neti ibles ume 1 sui ado- icret 5 pas ons- sont et la jouf s; et son DOUf -aint rin; squt 1’uh cause le mal caduc, Vautre la folie, 1'autre la rage, 1'a.utrela peste* *. Pour moi, je ne sais qui me tient que je ne me procure la mort de depit que j’ai de ne pouvoir vivre que dessous leur regne, mais principalement de ce que la maudite Automne me passe tous les ans sur la tete pour me faire enrager : il semble qu'elle tache d’embarrasser ses soeurs dans ses crimes ; car enfin, Mon- sieur, grosse de foudre comme nous la voyons, n’induit- elle pas a croire que toutes ensemble elles composent un monstre qui aboie par les pieds; que, pour elle, elle est une harpie affameequi mord de la glace pendant que sa queue est au feu; qui se sauve d’un embrasement par un deluge, et qui, vieille a quatre-vingts jours, est si passionnee damour pour Ihiver, a cause qu’il nous tue, qu’elle expire en le baisant( 13 j. Mais ce qui me semble encore plus etrange est, que je me sois abstenu de lui reprocher son plus grand crime, je veux dire le sang dont elle souille depuis tant d’annees la face de toute l’Europe( 14 ), car je le devois faire pour la punir de ce qu’ayant prodigue des fruits a tout le monde, elle ne m en a pas donne un qui puisse vousdire apres ma mort, je suis, Monsieur, votre Serviteur. Description de l’Aqueduc ou la Fontaine d'Arcueil** Messieurs, miracle, miracle ! je suis au fond de l’eau et je n’ai pas de quoi boire; j’ai un fleuve sur la tete, et je n’ai point perdu pied ; et enfin je me trouve en un pays ou les fontaines volent, et ou lesrivieres sont si delicates qu’elles passent par-dessus des ponts de peur de se Ce texte en italique se lit dans les editions posthumes. * 1654. Lettre VI, p. 32. — Ms. f. 142. Cette lettre est le second texte de Cyrano, la lettre V de 1654, p. 28 donne la premiere version. 20 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC mouiller. Ce Mest point hyperbole, car a considerer les grands portiques sur lesquels celle-ci va comme en j triomphe, il semble qu’elle se soit montee sur des echasses pour voir de plus loin, et pour remarquer dans Pariš les lieux od elle est necessaire ; ce sont comme des । arcs avec lesquels elle decoche un million de fleches d’argent liquide contre la soif. Tout d l’heure elle etoit j assise a cul nu contre terre ; mais la voila maintenant । qui se promčne dans des galeries; elle porte sa tete a sa l egal des montagnes; et croyez toutefois qu'elle n'est n , pas de moins belle taille, pour etre voutee. Je ne sais pas si nos bourgeois prennent cette arche pour l arche । d alliance, je sais seulement que, sans elle, ils seroient sa dti vieux Testamenti 16 ) ; elle enchčrit en leur faveur au- dessus des forces de la Nature, elle fait pour eux e| 1'impossible, jusqu’a courir deux lieues durant avec des jambes mortes qu’elle ne peut remuer. On diroit a la p voir jaillir en haut comme elle fait, qu'aprbs avoir long- g£ temps pousse contre le globe de la Terre qui pesoit sur elle, s’en trouvant tout a coup dechargče, elle ne se p r puisse plus retenir, et continue en l’air malgre soi la g secousse qu’elle s’etoit donnee. Mais d’ou vient qu’a p Rungis, pour un peu de sable qu’elle a dans les reins. v elle n’urine que goutte a goutte ; et que dans Arcueil ou j elle est alteinte de la pierre, elle pisse par-dessus des p montagnes? Encore ce ne sont la que de ses coups j d’essai, elle fait bien d’.autres miracles : elle se glisse v eternellement hors de sa peau, sans jamais achever d’en p sortir ; qu'elle faitplus que le Roi quand il guerit d P aris n des malades en les touchant, car elle guerit tous les jours a d’un seul regard plus de quatre cent mille alteres ; elle I p se niorfond a force de courir ; elle s’enterre toute vive I q dans un tombeau pour vivre plus longtemps. N’est-ce I c point que sa beaute Toblige a se cacher du Soleil de peur s LETTRES DIVERSES 21 d'etre enlevee? ou que pour s‘etre entendue cajoler au village, elle devienne si glorieuse qu’elle ne veuille plus marcher si on ne la porte ? Je sais bien que dans ce long bocal de pierre (ou ne sauroit metne entrer un filet de lumiere) on ne peut pas dire qu'elle soit eventee; et je sais bien pourtant qu'elle n’est pas sage de passer par- dessus des portes ouvertes. Cependant peut-etre que je la blame a tort, car je parle de ce mole d'architecture, sanssavoir encore au vrai ce que Cest; c’est possible une nue petrifiee ; un grand os dont la moelle chemine; un Arc-en-Ciel solide qui puise de l eau dans Arcueil pour la verser en cette Ville ; un pdte de poisson qui a trop de sauce ; une naiade au lit qui a le cours de ventre ; un apothicaire de 1’Universite qui lui donne des clysteres; enfin la mere nourrice de toute une ville dont les robi- nets sont les mamelles qu’elle lui presente a teter. Puis done qu’une si longue prison la rend meconnois- sable, allons un peu plus loin la voir au sortir du ventre de sa mere. O Dieux ! qu’elle est gentille, qu’elle a l'air frais et la face unie ! Je 1’entends qui gazouille avec le gravier, et qui semble par ses begaiements vouloir etudier la langue du pays. Considerez-la de preš, ne la voyez- vous pas qui se couche tout de son long dans cette coupe de marbre ? Elle repose, et ne laisse pas de s’enfler sous 1 egout de sa source, comme si elle tachoit de sucer en dormant le tetin de sa nourrice; au reste, vous ne trou- veriez pas aupres d’elle le moindre poisson. car la pauvre petite est encore trop jeune pour avoir des enfants. Ce n’est pas toutefois manque de connoissance, elle a re?u avec le jour une lumibre naturelle du bien et du mal, et pour vous le montrer, Cest qu’on ne 1’approche jamais qu elle ne fasse voir a 1’oeil la laideur ou la beaute de celui qui la consulte. A son iige pourtant, a cause que s es traits sont encore informes, on a de la peine a dis- 22 CEUVRES DE CVKANO DE BERGERAC cerner si ce n’est point un jour de quatre pieds en carre, ou bien un oeil de la terre qui pleure : maisnon, je me trompe, elle est trop vive pour ressembler a des choses mortes; c’estsans doute la reine des fontainesde ce pays, et son humeur rovale se remarque en ce que par une liberalite tout extraordinaire, elle ne repoit visite de personne qu’elle ne lui donne son portrait; en recom- pense elle a repu du Ciel le don de faire des miracles : ce n’est pas une chose que j’avance pour aider a son panegyrique, approchez-vous du bord, et vous verrez qu’a l’exemple de cette fontaine sacree qui deifiait ceux qui s'y baignoient ( 16 ;, elle fait des corps sans matiere, les plonge dans 1'eau sans les mouiller. et nous montre chez soi des hommes qui vivent sans aucun usage de respira- tion. Encore ne sont-ce la que des coups qu’elle fait en dormant; a peine a-t-elle repose autant de temps qu’il en faut pour mesurer quatre enjambees, qu’elle part de son hotellerie, et ne s’arrete point qu'elle n’ait repu de Pariš un favorable regard. Sa premiere visite c’est a Luxembourg( 17 ) : sitot qu’elle est arrivee, elle se jette en terre et va tomber aux pieds de Son Altesse Royale ( 1S ), a qui, par son murmure, elle semble demander en langage de ruisseau les maisons ou il lui plaitqu’elle s’aille loger. Elle est venue avec tant de bate qu’elle en est encore toute en eau, et pour n'avoir pas eu le loisir sur les che- mins de mettre pied a terre, elle est contrainte jusque dans le Palais d’Orleans d aller au bassin en presence de tout le monde. Cependant elle a beau gronder a nos robinets et verser des torrents de larmes pour nous exciter a compassion de sa peine, l’ingratitude en ce temps est si prodigieuse, que les alteres lui font la moue; quantite de coquins lui donnent les seaux. et tout le monde est ravi de la voir pisser sous elle ; l’un ditqu’elle est bien mal apprise de venir avec tant de hate se loger LETTRES DIVERSES 23 parmi des bourgeois pour leur pisser dans la bouche; l’autre, que c’est en vain qu’elle marche avec tant de pompe pour ne faire a Pariš que de l'eau toute claire ; ceux-ci, disent que son impudence est bien grande d’allonger le cou de si loin a dessein de nous cracher au nez ; ceux-la, qu’elle est bien malade de ne pouvoir tenir st>n eau ; enfin il n’est pas jusqu’a ceux qui font semblant de la baiser qui ne lui montrent les dents. Pour moi, je m’en lave les mains, car j’ai devant les yeux trop d’exemples de la punition des ivrognes qui la meprisent. l.a Nature meme, qui est la mere de cette belle fille, a, ce semble, eu si peur que quelque chose ne manquat aux pompes de sa reception, qu’elle a donne a tous les hommes un palais pour la recevoir, mais cette belle n’abuse point des honneurs qu’on lui fait; aussi je n ai garde de croire que, par uh sacrilege horrible, elle soit venue dans l' U niversite donner le flux de bouche d Saint- Michel, d Saint-Cosme, d Saint-Benoit, d Saint-Severin ; au contraire, je crois avec certitude que se sentant d l'ex- tremite si proche de sa fin, elle vient eile-meme aux Eglises demander ses sacremens. Voila tout ce que je puis dire a la louange de ce bel Aqueduc et de son hotesse ma bonne amie. Qa done, qui veut de l’eau? En voulez- vous, Messieurs? Je vous la garantis de fontaine sur la vie ; et puis vous savez que suis votre Serviteur. Sur l’ombre des arbres dans l’eau’ Monsieur, le ventre couche sur le gazon d’une riviere, et le dos etendu sous les branches d’un saule qui se mire dedans, je vois renouveler aux arbres 1’histoire de Nar- 1654. Lettre VII, p. 39. — Ms. Des Miracles de riviere, f. 173; variantes insignifiantes. 24 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC cisse : cent peupliers precipitent dans l’onde cent autres peupliers, et ces aquatiques ontete tellement epouvantes de leur chute, qu’ils tremblent encore tous les joursdu vent qui ne les touche pas. Je m’imagine que la nuit ayant noirci toutes choses, le Soleilles plonge dans l’eau pour les laver. Mais que dirai-je de ce miroir fluide, de ce petit monde renverse, qui plače les chenes au-dessous de la mousse, et le Ciel plus bas que les chenes? Ne sont-ce point de ces Vierges de jadis metamorphosees en arbres, qui desesperees de sentir encore violer leur pudeur par les baisers d’Apollon ( 19 j, se precipitent dans ce fleuve la tete en bas? Ou n’est-ce point qu’Apollon lui-meme, offense qu’elles aient ose proteger contre lui la fraicheur, les ait ainsi pendues par les pieds? Aujourd’hui le poisson se premene dans les bois, et des forets entieres sont au milieu des eaux sans se mouiller; un vieil orme, entre autres, vous feroit rire, qui s’est quasi couche jusque dessus 1'autre bord, afin que son image prenant la metne posture, ilfitde son corps et de son portraitun hamepon pour Ja peche. L’onde n est pas ingrate de la visite que ces saules lui rendent; elle a perce 1 Univers a jour, de peur que la vase de son lit ne souillat leurs rameaus, et non contente d’avoir forme du cristalavec de la bourbe, elle a voute des Cieux et des Astres par dessous, afin qu’on ne put dire que ceux qui 1’etoient venus voir eussent perdu le jour qu’ils avoient quitte pour elle. Maintenant nous pouvons baisser les yeux au Ciel, et par elle le jour se peut vanter que tout foible qu’il est a quatre heures du matin, il a pourtant la force de preci- piter le Ciel dans des abimes. Mais admirez 1’empire que la basse region de lame exerce sur la haute ; apres avoir decouvert que tout ce miracle n’est qu'une imposture des sens, je ne puis encore empecher ma vue de prendre au moins ce Firmament imaginaire pour un grand lac sur LETTRES DIVERSES 25 qui la terre flotte. Le rossignol qui du haut d’une branche se regarde dedans, croit etre tombe dans la riviere : il est au sommet d’un chene et toutefois il a peur de se noyer; mais lorsqu’aprfes s’etre affermi de 1'ceil et des pieds, il a dissipe sa frayeur, son portrait ne lui paraissant plus qu’un rival a combattre, il gazouille, il eclate, ils’egosille, et cet autre rossignol, sans rompre le silence, s’egosille en apparence comme lui, et trompe Lame avec tant de charmes qu’on se figure qu’il ne chante que pour se faire ouir de nos yeux; je pense metne qu’ilgazouille du geste, et ne pousse aucun son dans 1’oreille afin de repondre en metne temps a son ennemi, et pour n’enfreindre pas les lois du pays qu’il habite, dont le peuple est muet; la perche, la dorade, et la truite qui le voient, ne saventsi Lest un poisson vetu de plumes, ou si Lest un oiseau depouille de son corps; elles s’amassent autour de lui. le considerent comme un monstre; et le brochet (ce tyran des rivieres) jaloux de rencontrer un etranger sur son trdne, le cherche en le trouvant, le touche et ne le peut sentir, courtapres lui au milieu de lui-meme, ets’etonne de 1’avoir tant de fois traverse sans le blesser. Moi-meme j’en demeure tellement consterne que je suis contraint de quitter ce tableau. Je vous prie de suspendre sa con- damnation, puisqu’il est malaise de juger d’une ombre; car quand mes enthousiasmes auroient la reputation detre fort eclaires, il n’est pas impossible que la lumiere de celui ci soit petite, ayant ete prise a 1’ombre; et puis, quelle autre chose pourrois-je ajouter a la description de cette image enluminee, sinon que Lest un rien visible, un cameleon spirituel, une nuit que la nuit fait mourir, un proces des yeux et de la raison, une privation de clarte que la clarte met au jour : enfin que Lest un esclave Qui ne manque non plus a la matiere qu’a la fin de mes lettres, votre Serviteur, etc. 26 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC Description d’un Cypres’ Monsieur, j’avois envie de vous envoyer la descrip¬ tion d’un Cypres, mais je ne l'ai qu’ebauchče, a cause qu’il est si pointu que 1'esprit meme ne sauroit s'y asseoir; sa couleur et sa figure me font souvenir d’un lezard renverse, qui pique le Ciel en mordant la terre. Si entre les arbres il y a, comme entre les hommes, diffe- renče de metiers, a voir celui-ci charge d'alenes au lieu de feuilles, je crois qu il est le cordonnier des arbres. Je n’ose quasi pas meme approcher mon imagination de ses aiguilles, de peur de me piquer de trop ecrire; de vingt mille lances il n’en fait qu’une sans les unir; on diroit d’une fleche que 1’Univers revolte darde contre le Ciel, ou d'un grand clou dont la Nature attache 1’empire des vivants a celui des morts. Cel obelisque, cet arbre dragon, dont la queue est a la tete, me semble une pyra- mide bien plus commode que celle de Mausoleej 20 ); car au lieu qu’on portoit les trepasses dans celle-la, on porte celle-ci a 1’enterrement des trepasses. Mais je profane 1’aventure du jeune Cyparisse ( 2I ), les amours d’Apollon, de lui faire jouer des personnages indignes de lui dans le monument; ce pauvre metamorphose se sou- vient encore du Soleil, il crčve sa sepulture et s’aiguise en montant afin de percer le Ciel pour se joindre plus tot a son ami; il y seroit deja sans la terre, sa mbre, qui le retient par le pied. Phoebus en fait, en recompense, un de ses vegetaux a qui toutes les saisons portent res- pect. Les chaleursde l ete n'osent Lincommoder comme etant le mignon de leur maitre; les gelees de l’hiver 1’apprehendent comme la chose du monde la plus * 1654. Lettre VII, p. 43. — Ms. f. 207, LETTRES DIVERSES 27 funeste; de sorte que sans couronner le front des Amants ni des Vainqueurs. il n’est non plus oblige que le laurier ou le myrte de se decoiffer quand 1’annee luj dit adieu; les Anciensmemes qui connoissoient cet arbre pour le sibge de la Parque, le trainoient aux funerailles, afin d’intimider la mort par la crainte de perdre ses meubles. Voila ce que je vous puis mander du tronc et des bras de cet arbre : je voudrois bien achever par le sommet, afin de finir par une pointe; mais je suis si malheureux, que je ne trouverois pas de l’eau dans la mer. Je suis dessus une pointe. et je ne la puis voir a cause possible qu’elle m’a creve les yeux. Considerez, je vous prie, comme pour echapper a ma pensee, elle s’aneantit en se formant, elle diminue a force de croitre, et je dirois que c’est une riviere fixe qui coule dans l’air, si elle ne s’etrecissoit a mesure qu’elle chemine, et s’il n’etoit plus probable de penser que c’est une pique allumee dont la flamme est verte. Ainsi je force leCyprfes, cet arbre fatal qui ne se plait qu’a l’ombre des tombeaux, de representer du feu. car c’est bien la raison qu’il soit au moins une fois de bon presage, et que. par lui, je me souvienne tous les jours quand je le verrai qu’il a ete cause. en me fournissant matiered’une Lettre, que j’ai eu 1’honneur de me dire, pour finir, Monsieur, votre Servi- teur. Description d’une tempete* Monsieur, quoique je sois ici couche fort mollement, je n’y suis pas fort a mon aise; plus on me berce moins je dors. Tout autour de nous les cotes gčmissent du choc de la tourmente : la mer blanchit de courroux; le vent *|i654. Lettre IX, p. 46. — Ms. f. i65, variantes peu importantes. 28 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC siffle contre nos cables; l’eau seringue du sel sur notre tillac, et cependant 1’ancre et les voiles sont levees. Dej a les Litanies des passagers se melent aux blasphemes des matelots; nos voeux sont entrecoupes de hoquets, ambassadeurs tres certains d’un degobilis tres penible. Bon Dieu! nous sommes attaques de toute la Nature : il n’est pas jusqu’a notre coeur qui ne se soulfeve contre nous : la mer vomit sur nous et nous vomissons sur elle. Une seule vague quelquefois nous enveloppe si genera- lement, que qui nous contempleroit du rivage prendroit notre Vaisseau pour une maison de verre ou nous sommes enchasses; l’eau semble expres se bossuer pour nous faire un tableau du cimetiere; et quand je prete un peu d’attention, je m’imagine discerner (comme s’il partoit de dessous 1’Ocean) parnii les effroyables mugissements deTonde, quelques versets de 1’Oftice des Morts. Encore l’eau n’est pas notre seule partie : le Ciel a si peur que nous echappions qu'il assemble contre nous un bataillon de mšteores; il ne laisse pas un atome de 1'air qui ne soit occupe d’un boulet de grele ; les cometes servent de torches a celebrer nos funerailles; tout 1’horizon n’est plus qu'un grand morceau de fer rouge; les tonnerres tenaillent 1’ouie par l’aigre imagination d’une piece de camelot qu’on dechire; et l’on diroit a voir la nue, san- glante et grosse comme elle est, qu’elle va ebouler sur nous, non la foudre, mais le mont Etna tout entier. O Dieu ! sommes-nous tant de choses, pour avoir excite de la jalousie entre les elements, a qui nous perdra le premier. Cest done a dessein que l’eau va, jusqu’aux mains de Jupiter, eteindre la flamme des eelairs, pour arracher au feu 1’honneur de nous avoir briiles; mais. non contente de cela, nous faisant engloutir aux abimes qu’elle creuse dansson sein, comme elle voit notre vais¬ seau tout proche de se casser contre un ecueil, elle se LETTRES DIVERSES 29 jette vivement dessous et nous releve de peur que cet autre element ne participe a la gloire qu’elle pretend toute seule; ainsi nous avons le creve-coeur de voir dis- puter a nos ennemis 1’honneur d’une defaite oii nos vies seront les depouilles; elle prend bien quelquefois la hardiesse, 1’insolente, de souiller avec son ecume l’azur du Firmament, et de nous porter si haut entre les Astres que Jason peut penser que c’est le NavireAr^o qui com- mence un second voyage : puis, dardes que nous sommes jusqu’au šablon de son lit, nous rejaillissons a la lumiere d’un tour de main si prompt, qu’il n’y en a pas un de nous qui ne croie quand notre nef est remontee, qu’elle a passe a travers la masse du monde sur la mer de Tantre cdte. Helas! ou sommes-nous? Ldmpudence de 1’orage ne pardonne pas meme au nid des alcyons : les baleines sont etouffees dans leur propre element; la mer essaye a nous faire un couvre-chef de notre chaloupe. II n’y a que le Soleil qui ne se mele point de cet assassinat; la Nature l a bande d’un torchon de grosses nučes, de peur qu’il ne le vit; ou bien c’est que ne voulant pas participer a cette lachete, et ne la pouvant empecher, il est au bord de ces rivieres volantes, qui s'en lave les mains. O! vous toutefois a qui j’ecris, sachez qu’en menoyant je bois ma faute; car je serois encore a Pariš plein de sante, si, quand vous me commandates de suivre toujoursle plancher des vacbes, j’eusse ete, Monsieur, votre občissant Servi- teur. Pour une Dame Rousse* Madame, je sais bien que nous vivons dans un pays ou les sentiments du vulgaire sont sj deraisonnables, que la * 1654. P. 5o. — Ms. f. 15iv, variantes sans Interet au debut. 30 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC couleur rousse, dont les plus belles chevelures sont honorees, nerepoitque beaucoup de mepris; mais je sais bien aussi que ces stupides qui ne sont animes que de 1’ecume des ames raisonnables ne sauroient juger comme il faut des choses excellentes, a cause de la distance qui se trouve entre la bassesse de leur esprit, et la sublimite des ouvrages dont ils portent jugement sansles connoitre; mais quelle que soit 1’opinion malsaine de ce monstre a cent tetes, permettez que je parle de vos divins cheveux comme un homme d’esprit. Lumineux degorgement de 1’essence du plus beau des etres visibles, intelligente reflexion du fen radical de la Nature, image du Soleil la mieux travaillee, je ne suis point si brutal de meconnaitre pour ma reine, la fille de celui que mes peres ont connu pour leur Dieu. Athenes pleura sa couronne tombee sous les temples abattus d’Apollon; Rome cessa de com- mander a la terre,quand elle refusa de Lencens a la lumiere; et Byzance est entree en possession de mettre aux fers le genre humain, aussitdt qu'elle a pris pour ses armes celles de la soeur du Soleil ( 2Ž ). Tant qu’a cet esprit universel le Perše fit hommage du rayon qu’il tenoit de lui, quatre mille ans n’ont pu vieillir la jeunesse de sa Monarchie; mais sur le point de voir briser ses simulacres, il se sauva dans Pekin desoutrages de Babylone. II semble maintenant echauffer a regret d’autres terres que celles des Chinois. Et j’apprehende qu'il ne se fixe dessus leur hemisphere s’il peut un jour, sans venir a nous, leur donner les quatre saisons. La Erance toutefois, Madame, a des mainsen votre visage qui ne sont pas moins fortes que les mains de Josue pour l’enchafner; vos triomphes ainsi que les victoires de ce heros sont trop illustres pour etre caches de la nuit; il manquera plutot de promesse a 1’homme qu’il ne se tienne toujours en lieu, d’ou il puisse contempler a son aise Louvrage de ses ouvrages LETTRES DIVERSES 31 le plus parfait. Voyez comme par son amour l’ete dernier il.echauffa les signes( 23 ) d’une ardeur si longue et si vehe- mente, qu’il en pensa bruler la moitie de ses maisons; et sans consulter 1’almanach, nous navons pu jamais dis- tinguer 1’Hiver de 1’Automne pour sa benignite, a cause qu’impatient de vous revoir, il n’a pu se resoudre a con- tinuer son voyage jusqu’au tropique. Ne pensez point que ce discours soit une hyperbole. Si jadis la beaute de Cly- mene( 8 ‘) l’a fait descendre du Ciel, la beaute de M... est assez considerable pour le faire un peu detourner de son chemin : Fegalite de vos ages, la conformite de vos corps, la ressemblance peut-etre de vos humeurs, peuvent bien rallumer en lui ce beau feu. Mais si vous etes fille du Soleil. adorable Alexie, j’ai tort de dire que votre pere soit amoureux de vous; il vous aime verita- blement, et la passion dont il s’inquiete pour vous, est celle qui lui fit soupirer le malheur de son Phaeton et de ses soeurs, non pas celle qui lui fit repandre des larmes a la mort de sa Daphne. Cette ardeur dont il briile pour vous, est 1’ardeur dont il brula jadis tout le monde, non pas celle dont il fut lui-meme brule. Il vous regarde tous les jours avec les frissons et les tendresses que lui donne la memoire du desastre de son fils aine : il ne voit sur la terre que vous ou il se reconnoisse. S’il vous con- sid&re marcher : « Voila, dit-il, la genereuse insolence dont je marchois contre le serpent Python! » S’il vous entend debiter sur des matieres delicates : « Cest ainsi que je parle, dit-il, sur le Parnasse avec mes sosurs. » Enfin ce pauvre pfere ne sait en quelle fa^on exprimer la joie que lui cause Pimagination de vousavoir engendree. 11 est jeune comme vous, vous etes belle comme lui; son temperament et le votre sont tout de feu; il donne la vie et la mort aux hommes et vos yeux comme les siens font la meme chose; comme lui vous avez les cheveux roux.,. 3 32 CEUVRES DE CYRANO DE BERGERAC J'en etois la de ma lettre, adorable M..., lorsqu’un cen- seur a contre-sens m’arracha la plume et me dit que c’etait mal se prendre au panegyrique de louer une jeuiie personne de beaute, parce qu’elle etoit rousse. Moi ne pouvant punir cet orgueilleux plus sensiblement que par le silence, je pris une autre plume et continuai ainsi : Une belle tete sous une perruque rousse n’est autre chose que le Soleil au milieu de ses rayons, ou le Soleil lui-meme n’est autre chose qu’un grarid ceil sous la per ruque d'une rousse; cependant tout le monde en medit a cause que peu de monde a la gloire de 1’etre; et cent femtnes a peine en fournissent une. parce qu’etant envoyees du Ciel pour commander, il est besoin qu'il y ait plus de sujets que de Seigneurs. Ne voyons-nous pas que toutes choses en la Nature, sont plus ou moins nobles selon qu'elles sont plus ou moins rousses? Entre les elements celui qui contient le plus d’essence et le moins de matiere c'est le feu. a cause de sa rousse couleur : l’or a repu de la beaute de sa teinture la gloire de regner sur les metaux; et de tous les astres le Soleil n’est le plus considerable que parce qu’il est le plus roux. Les cometes chevelues qu'on voit voltiger au Ciel a la mort des grands homnies, ne sont-ce pas les rousses moustaches des Dieux qu’ils s’arrachent de regret? Castor et Pollux, ces petits feux qui font predire aux matelots la fin de la tempete, peuvent-ils etre autre chose que les cheveux roux de Junon qu’elle envoie a Neptune en signe d’amour? Enfin sansle desir qu’eurent les hommes de pos- seder la loison d’une brebis rousse ( 35 J, la gloire detrente demi-Dieux seroit au berceau des choses qui ne sont pas nees; et (un navire ( 36 j n’etant encore qu’un etre de raison) Americ( ž7 j ne nousauroit pas conte que la Terre a quatre parties. Apollon, Venus et 1’Amour, les plus belles divi- nites du Pantheon sont rousses en cramoisi; et Jupiter 1 s ■1 s r :s !S e ?- e is 1) ■e i- sr LETTRES DIVERSES 33 n’est brun que par accident a cause de la fumee de son foudre qui l’a noirci. Mais si les exemples de la mytho- logie ne satisfont pas les aheurtes( 28 ), qu’ils confrontent rhistoire. Samson qui tenoit toute sa force pendue a ses cheveux, n’avgit-il pas repu 1’energie de son miraculeux etre dans le roux coloris de sa perruque? Les destins n’avoient-ils pas attache la cpnservation de 1'empire d’Athenes a un seul cheveu rouge de Nisus? Et Dieu n'eut-il pas envoye aux Ethiopiens la lumiere de la foi, s’il eiit trouve parmi eux seulement un rousseau? On ne douteroit point de l’eminente dignite de ces personnes-la, si l’on consideroit que tpus les hommes qui n’ont point ete faits d’hpmmes, et pour 1’ouvrage de qui Dieu lui- meme a choisi et petri la matiere, ont toujours ete rous- seaux. Adam qui. cree par la main de Dieu meme, devoit etre le plus accompli des hommes, fut rousseau, JesuŠ- Christ fut rousseau ; Judas meme eut Vhonneur d'etre 1'instrument de notre salut et de faiser le Messie en le trahissant, a cause qu il etoit, rousseau; et Dieu ne le reprouva que fdche de v o ir qu'un homme qui n'etoit que son estafierfut cependant plus rousseau que lu,i, et toute philosophie bien correcte doit apprendre que la Nature qui tend au plus parfait essaye toujours en formant un homme de former un rousseau, de meme qu’elle aspire a faire de l’or en faisant du mercure; car quoi qu’elle ren- contre rarement, un Archer n’est pas estime maladroit, qui, lachant trente fleches, en adresse cinq ousixau but; comme le temperament le mieux balance est celui qui faitle milieu du flegme, et de la melancolie, il faut etre bien heureux pour frapper justement un point indivi- sible : au depa sont les blonds, au dela sont les noirs, c'est- a-dire les volages et les opiniatres : entre deux est le milieu, ou la sagesse (en faveur des rousseaux) a loge la v ertu; aussi leur chairest bien plus delicate, le sang plus 34 CEUVK.ES DE CVRANO DE BERGERAC subtil, les esprits plus epures, etl’intellectpar consequent plus acheve a cause du melange parfait des quatre qualites; c’est la raison qui fait que les rousseaux blanchissent plus tard que les noirs, comme si la Nature se fachoit de detruire ce qu’elle a pris plaisir a faire. En verite je ne vois jamais de perruque blonde, que je ne me souvienne d’une touffe de filasse mal habillee ni de noire queje neme figure un faisceau de cordes d’epinettes enrouillees; mais je veux que les femmes blondes quand elles sont jeunes soient agreables : ne semble-t-il pas sitot que leurs joues commencent a cotonner, que leur chair se divise par filaments pour leur faire une barbe. Je ne parle point des barbes noires, car on sait bien que si le diable en porte elle ne peut etre que fort brune. Puis done que nous avons tous a devenir esclaves de la beaute, ne vaut-il pas bien mieux que nous perdions notre franchise dessous des chaines d’or que sous des cordes de chanvre ou des entraves de fer? Pour moi, tout ce que je souhaite, 6 ma belle M..., est qu’a force de promener ma liberte dedans ces petits labyrinthes d’or, qui vous servent de cheveux, je l’y perde bientot; et tout ce que je souhaite, c’est de ne la jamais recouvrer quand je 1’aurois perdue. Voudriez- vous bien me promettre que ma vie ne sera point plus longue que ma servitude? Je le souhaite au moins riosant pas vous en conjurer, car en quelle qualite vous ferois-je cette priere? Je ne suis point votre ami, la fortune ne m’ayant pas encorepresente 1’occa.sion de le meriter. Je ne suis point votre serviteur n’ ayant pas encore de vous la permission de me le dire, cependant, je serai done, votre je ne sais quoi? LETTRES D1VERSES 35 D’une Maison de campagne* Monsieur, J’ai trouve le paradis d’Eden, j’ai trouve Page d’or, j’ai trouve la jeunesse perpetuelle, enfin j'ai trouve la Nature au maillot. On rit ici de tout son cceur; nous sommes grands-cousins le Porcher du village et moi, et toute la paroisse m’assure que j’ai la mine avec un peu de travail de bien chanter un jour au lutrin. O Dieux! un Philosophe comme vous peut-il preferer au repos d’une si agreable retraite, la vanite, les chagrins et lesembarras de la Cour? Ha! Monsieur, si vous saviez qu’un gentilhomme champetre est un prince inconnu qui n’entend parler du roi qu’une tbis lannee, et ne le connait que par quelque vieux cousinage; et si de la Cour oti vous etes, vous aviez des yeux assez bons pour apercevoir jusqu'ici ce groš garjon qui garde vos co- dindes, le ventre couche sur l’herbe, ronfler paisiblement un somme de dix heures tout d’une piece, se guerir d’une fievre ardente en devorant un quartier de lard jaune dont il fait une doublure d son estomac, vous troquerie{ sans doute votre manteau ddiermine d son casaquin. Nous sommes, lui et moi, aussi grands-mattres l'un que l' autre; quand je lui donne des soufjlets, il me rend des najardes ; encore suis-je souvent contraint de demander la paix, car le coquin est plus puissant que moi et mes horions nepaient point ses taloches. Je me tiens pourtant le moins que je peux en proie d ses mignardises. Le beau temps et mon humeur m entratnent d la solitude : aussi certes il faut que ce lieu soit un chef-d'ceuvre miraculeux de 1654. Lettre XI, p. 5q — Ms. Le Campagnard, f. 167; variantes impor- tantes mais de style, la partie descriptive se retrouve un peu diminuee dans les Etats et Emfilres de la Lune, p. 20- CEUVRES de čvrano de bergerac quelque melancolique. On rencontre a la porte de la maison une etoile de cinq avenues, tous les chenes qui la composent font admirer avec extase lenorme hauteur de leurs cimes en elevant les yeux de la racine jusqu’au faite, puis les precipitant du sommet jusqu’aux pieds, ori doute si la terre les porte, ou si eux-memes ne portent point la terre pendue a leurs racines; vous diriez que leur front orgueilleux plie comme par force sous la pesanteur des globes celestes, dont ils ne soutiennent la charge qu’en gemissant. Leurs bras etendus vers le Ciel, semblent en 1'embrassant demander aux etoiles la beni¬ gni te toute pure de leurs influences, et les recevoir aupa- ravant qu’elles aient rien perdu de leur innocence au lit des elements. La, de tous cotes les fleurs, sans avoir eu d’autre Jardinier que la Nature, respirent une haleine sauvage qui reveille et satisfait 1’odorat; la simplicite d’une rose sur 1’eglantier, et Lazur eclatant d’une violette sous desronces ne laissant point de liberte pourle choix, font jugerqu’elles sont toutes deux plus belles Lune que 1'autre. La le printemps compose toutes les saisons; la ne germe point de plante veneneuse que sa naissance aussitot ne trahisse sa conservation; la les ruisseaux racontent leurs voyages aux cailloux; la mille petites voix emplumees font retentir la foret au bruit de leurs chansons, et la tremoussante assemblee de ces gorges melodieuses est si generale, qu’il Semble que chaque feuille dans les bois ait pris la figure et la langue du rossignol; tantot vous leur voyez chatouiller un concert, tantot trainer et faire languir leur musique, tantot passionner une elegie par des soupirs entrecoupes, et puis amollir 1’eclat de leurs sons pour exciter plus ten- drement la pitie; tantot aussi ressusciter leur harmonie et parmi lesroulades, les fugues, lescrochets etles eclats, rendre Lame et la voix tout ensemble. Echo riierhe y LETTRES DIVERŠES Š7 prend tant de plaisir qu’elle semble ne repeter leurs airs que pour les apprendre, et les ruisseaux jaloux de leur musique grondent en fuyant, irrites de ne les pouvoir egaler. A cote du chateau se decouvrent deux prome- noirs, dont le gazon vert et continu forme une emeraude a perte de vue; le melange confus deš couleurs que le printemps attache a cent petites fleurs, egale les nuances rune de 1’autre, et leur teint est si pur qu’on juge bien qu’elles ne courent ainsi apres elles-memes que pour echapper aux amoureux baisers des vents qui les caressent. On prendroit maintenant cette prairie pour une mer fort calme, mais aux mdindres zephyrs qui se prešentent pour y folatrer, ce n’est plus qu’un superbe ocean coupe de vagues et de flots, dont le visage brgueilleusement renfrogne, menace d’engloutir ces petits temeraires; mais parce que cette mer n’offre point de rivage, l’ceil, čomme epouvante d’avoir couru si loin sans decouvrir le bord, y envoie vivement la penšee, et la pensee dou- tant ehcore que ce terme qui firiit ses regards ne soit celui du monde, veut quasi se persuader que des lieux si charmants auront force le Ciel de še joiiidre a la Terre. Ali milieu d’un tapis si vaste et si parfait court, a bouillonš d’argent, une foritaine rustique qui voit les bords de son lit emailles de jasminš, d’orangers et de myrtes ; et ces petites fleurs qui se pressent tout alen- tour font croire qu’elles disputent a qui se mirera la premiere. A considerer sa face jeune et polie comme elle est, qui ne montre pas la moindre ride, il est bien aise de juger qu’elle est encore dans le sein de sa mere, et les grands cercles dont elle se lie, et s’entortille en revenant tant de fois sur soi-meme, temoignent que c’est a regret qu’elle se sent obligee de sortir de sa maison natale; mais j’admire sur toutes choses sa pudeur quand je vois que comme si elle etoit honteuse de se voir 38 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC caresser si proche de sa mere, ellerepousse avecmurmure les mains audacieuses qui la touchent. Le vovageur qui s’y vient rafraichir, courbant sa tete dessous l’onde, s’etonne qu’il soit grand jour sur son horizon, pendant qu’il voit le Soleil aux Antipodes, et ne se penche jamais sur le bord qu’il n’ait peur de tomber au firmament. Je me laisserois choir avec cette fontaine au ventre de 1’etang qui la devore, mais il est si vaste et si profond, que je doute si mon imagination sen pourroit sauver a la nage. J’omettrai les autres particularites de votre petit Fontainebleau puisqu’autrefois elles vous ont charme comme moi et que vous les connoissez encore mieux; mais sachez cependant que je vous y montrerai quelque chose qui sera nouveau, meme aux inventions de votre peintre. Resolvez-vous done une bonne fois a vous depetrer des embarras de Pariš; votre concierge vous aime tant qu’il jure de ne point tuer son grand cochon que vous ne soyez de retour; il se promet bien de vous faire depouiller cette gravite dont vous morguez les gens avec vos illustres emplois. Hier au soir il nous disoit a table, apres avoir un peu trinque que si, vous lui parliez par tu, il vous repondroit par toi\ et n’en doutez point puisqu’il eut la bardiesse de me soutenir que j’etois un sot de ce que moi qui ne suis point a vos gages. je me disois, Monsieur, votre obeissant Serviteur. PoUR LES SORCIERS* Monsieur, 11 m'est arrive une si etrange aventure depuis que je n’ai eu 1’honneur de vous voir, que pour y ajouter foi, il en faut avoir beaucoup plus que ce personnage qui, par la force de la sienne, transporta des montagnes. * i65/|.. Lettre XII, p. 66. LETTRES DIVERSES 39 Afin done de commencer mon histoire, vous saurez qu hier lasse sur mon lit de 1’attention que j’avois pretee a ce sot livre que vous m'aviez autrefois tant vante, je sortis a la promenade pour dissiper les sombres et ridi- cules imaginations dont le noir galimatias de sa Science m’avoit rempli; et comme je nrfefforfois a deprendre ma pensee de la memoire de ces contes obscurs, nfetant enfonce dans votre petit bois, apres un quart d’heure, ce me semble de chemin, j’aper;us un manche de balai qui se vint mettre entre mes jambes, et a califourchon, bon gre mal gre que j’en eusse, et je me sentis envoler par le vague de l’air. Or sans me souvenir de la route de mon enlevement, je me trouvai sur mes pieds au milieu d’un desert ou ne se rencontroit aucun sentier; je repassai cent fois sur mes brisees; mais cette solitude m’etoit un nouveau monde. Je resolus de penetrer plus loin; mais sans apercevoir •aucun obstacle, j’avois beau pousser contre l’air, mes efforts ne me faisoient ren- contrer partout que 1’impossibilite de passer outre. A la fin fort harasse, je tombai sur mes genoux; et ce qui metonna davantage ce fut d’avoir passe en un moment de midi a minuit. Je voyois les etoiles luire au ciel avec un feu bleuettant; la lune etoit en son plein, mais beau- coup plus pale qu’i 1’ordinaire : elle eelipsa trois fois, et trois fois devala de son cercle; les vents etoient para- lytiques; les fontaines etoient muettes; les oiseaux avoient oublie leur ramage; les poissons se croyoient enchassesdansdu verre;touslesanimauxn’avoientdemou- vetnent que ce qu’il leuren falloit pour trembler ;l’horreur Jun silence effroyable, qui regnoit partout. et partout la Nature sembloit etre en suspens de quelque grande aventure. Je melois ma frayeur a celle dont la face de l’horizon paraissoit agitee, quand, au clair dela lune, je vis sortir du fond d’une caverne un grand et venerable 40 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC Vieillard vetu de blanc, le visage basane, les sourcils touffus et releves, l’oeil effravant, la barbe renversee par-dessus les epaules; il avoit sur la tete un chapeau de verveine et sur le dos une ceinture tissue de fougere de mai, faite en tresses. A lendroit du coeur, etoit attachee sur sa robe une chauve-souris a demi morte, et autour du col un carcan charge de sept differentes pierres pre- cieuses dont chacune portoit le caractere de planete qui la dominoit. Ainsi mysterieusement habille, portant a la main gauche un vase fait en triangle plein de rosee. et de la droite une houssine de sureau en seve, dont l’un des bouts etant ferre d’un melange de tous les metaux, 1’autre servoit de manche a un petit encensoir : il baisa le pied de sa grotte; puis apress’etre dechausse, et arrache en grommelant certains mots du creux de sa poitrine. il aborda le couvert d’un vieux chene, a reculons, a quatre pas duquel il creusa trois cernes (-’) l’un dans 1’autre etlaterre, obeissant aux ordres duNecromancien. prenoit elle-meme en fremissaht les figures qu'il vouloit y tracer. Il y grava les noms des intelligences, tant du siecle que del’annee, de la saison, du mois, de la semaine. du jour et de 1’heure; de nieme ceux de ieurs rois, avec leurs chiffres differents, chacun en sa plače propre, et les encensa tous chacun avec leurs ceremohies particulieres. Ceci acheve il posa son vase au milieu des cercles, le decouvrit, mit le bout pointu de sa baguette entre ses dents, se coucha la face tournee verš 1’Orieht, et puis il s'endormit. Environ au milieu de son sommeil, j’aperpus tomber dans le vase cinq graines de fodgere. Il les prit toutes quand il fut eveille, en mit deUx dans ses oreilles, une dans ša bouche, 1’autre qu’il replongea dans leau, et la cinquieme il la jeta hors des čercles. Mais a peine celle-la fiit-elle partie de sa tnain, que je le vis envirohne de plus d’un millioh d’animaux de mauvaise augure, LETTRES DIVERŠES 41 tant d’insectes que de parfaits. II toucha de sa baguette uh chat-huant, un renard et une taupe, qui aussitot entrerent dans les cernes, en jetant un formidable eri. Avec un couteau d’airain, il leur fendit 1’estorriac; puis leur ayant arrache le cceur, et ehveloppe chacun danš trois feuilles de laurier, il les avala. II separa le foie, qu'il epreignitdans un vaisseau de figure hexagone. Cela fini, il recommenpa les suffumigations; il mela la rosee et le sahg dans un bassin, y trempa un gant de paretiemin vierge, qu il mit a sa main droite, et apres quatre ou cinq hurlements horribles, il ferma les yeux et commenpa les invocations. Il ne remuoit prešque point les levres; j’entenddis neanmoins dans sa gorge un brouissement, comme de plusieurs voix entremelees. Il fut eleve de terre a la hauteur d’une palme, et de fois a autre, il attachoit fort attentivementla vue sur l’ongle indice de sa main gauche. 11 avoit le visag;e enflamme, et se tourmentoit fort. En suite de plusieurs contorsions epouvantables, il čhut en gemissaiit sur ses genoux ; mais aussitot qu’il eut articule trois paroles d’une certaine oraišon, devenu plus fort qu’un honime, il soutint sans vaciller les monstrueuses secousses d’un vent epouvantable qui souffloit contre lui, tantot par bouffeeš, tantot par tourbillonš; Če vent sembloit tacher a le faire sortir deš cernes. Apres ce, signe, les trois rohdš tournerent souš lui. Cet autre fut suivi d’une grele rouge comme du sarig, et celui-ci fit encore plače a un quatrieme, beaucoup plus effroyable. C’etoit un torrerit de feu, qui brouissoit eh tourhatit et se divisoit par globeš, dont chacun Še ffenddit en eclats avec un grand coup de tonnerre. 11 fut le derhier, car une belle lumiere, blahche et claire, dissipa ces tristes meteores. Tout au milieu, parut un jeune homme, la jambe droite sur un riigle, l’autre sur un lynx, qui donna au Magicien trois fioles pleines 42 CEUVRES DE CVR.ANO DE BERGERAC de je ne sais quelle liqueur. Le Magicien lui presenta trois cheveux. Lun pris an-devant de sa tete, les deux autres aux tempes ; il fut frappe sur 1’epaule d’un petit baton que tenoit le Fantome, et puis tout disparut. Ce fut alors que les etoiles, blemies a la venue du Soleil, s'unirent a la couleur des cieux. Je m’allois remettre en chemin pour trouver mon village, mais sur ces entre- faites, le sorcier m’ayant envisage, s’approcha du lieu ou j’etois. Encore qu’il cheminat a pas lents, il fut plus tot a moi que je ne 1’aperfus bouger. 11 etendit sous ma main une main si froide que la mienne en demeura fort long- temps engourdie. 11 n’ouvrit ni la bouche ni les yeux, et dans ce profond silence, il me conduisit a travers des masures, sous les eftroyables ruines d’un vieux chateau deshabite, ou les siecles depuis mille ans travailloient a mettre les chambres dans les caves. Aussitot que nous fumes entres : « Vante-toi, me dit- il (en se tournant vers moi) d’avoir contemple face a face le sorcier Agrippa( 30 ), et dont lame (par metempsycose) est celle qui jadis animoit le savant Zoroastre, prince des Bactriens. Depuis preš d’un siecle que je disparus d’entre les hommes, je me conserve ici par le moyen de l’or potable dans une sante qu’aucune maladie n’a jamais interrompue. De vingt ans en vingt ans j’avale une prise decette medecine universelle qui me rajeunit, restituant a mon corps ce qu’il a perdu de ses forces. Si tu as con- sidere trois fioles que m’a presentees le Roi des Demons ignes, la premiere en est pleine; la seconde, de poudre de projection, et la troisieme, d’huile de tale. Au reste tu m’es bien oblige, puisque, entre tous les mortels, je t’ai choisi pour assister a des mystbres que je ne celebre qu’une fois en vingt ans. C est par mes charmes que sont envoyees quand il me plait, les sterilites ou les abon- dances. Je suscite les guerres, en les allumant entre les LETTRES DlVERSES 43 genies qui gouvernent les Rois. J’enseigne aux bergers la Patendtre du loup ( B1 ). J’apprends aux Devins la fa> Thesee demandoit a loger avec des Tisserands, se promettant de leur apprendre a conduire le til. Persee, le brave d’Andromede, se trouvoit egalement bien avec tous les Instituteurs d’Ordres( 7i ), parce qu’ils ont tous, comme lui, defendu les femmes. Neron pour la plače duquel il avoit ete tant debattu, choisit enfin de lui-meme Tappartement d’Erostrate, ce fameux insense, qui brula leTemple de Diane : « Car je suis, dit cet Empereur en marchant, personne qui aime autant que lui a me chauffer de groš bois. » Juvenal, Perše, Horace, Martial, et presque tous les Epigramma- tistes et Satiriques, furent envoyes au manege, avec les Ecuyersd’Academie, pour ce que les unset les autres ont reputation d’avoir su bien piquer ( 75 ). On mit pareillement avec ces Poetes force Espingliers, Aiguilletiers, Fourbis- seurs et autres, dont la besogne ainsi que les ouvrages ne valent rien sans pointes. Le Duc de Clarence, qui se nova LETTRES DIVERSES 69 volontairement dans un tonneau de malvoisie ( 76 ), alloit cherchant Diogene, sur 1’esperance d’avoir pour gite la moitie de son tonneau; mais comme il ne se rencontra pas, et qu’on aper$ut le grand Socrate qui n’etoit pas encore attele : « Voici justement votre fait, lui dit-on, car vous et ce Philosophe, etes tous deux morts de trop boire. » Socrate lit une profonde reverence a ses Juges, et leur montra du doigt le vieil Heraclite, qui attendoit un Collegue ; on donna ordre aux Heros de Romans de 1’emmener avec eux : « Cest un personnage, leur dit le fourrier qui les aparia, dont vous aurez toute sorte de contentement, il a un coeur de chair. Vous ne lui racon- terez point vos aventures, comme c’est entre vous une chose inevitable, sans lui tirer des larmes, caril n’est pas moinsque vous tendre a pleurer. » Eurydice prit la main d’Achille : « Marchons, lui dit-elle, marchons 1 Aussi bien, ne nous sauroit-on mieux assortir, puisque nous avons tous deux lame au talon(”). » Je vis placei’ Curtius, ce fameux Romain, qui se precipita dans un gouffre pour sauver Rome, avec un certain brutal, qui s’etoit fait tuer en protegeant une fernme debauchee. Je m etonnai fort de voir assortir des personnes si dissem- blables; mais on me repondit qu’ils etoient tous deux morts pour la Chose publique. Ensuite, on associa Icare avec Promethee, pour avoir ete l’un etPautre tropapresa voler. Echo fut logee avec nos Auteurs modernes, d’autant qu’ils ne disent, comme elle, que ce que les autres ont dit; le Triumvirat de Rome avec celui d'Enfer, c’est-a-dire Antoine, Auguste, et Lepide, avec Radamante, Eaque et Minos, sur ce qu’on representa que ceux-la, de meme que ceux-ci, avoient ete juges de mort. On pensa mettre Flamel, qui se vantoit d’avoir la pierre( 78 ), avec les defunts de cette maladie; mais il s’en offensa, criant que la sienne etait la Pierre Philosophale, et qu’il y avoit 7o ceuvr.es de cvrano de bergerac line difference presque infinie entre les vertus de ces deuxsortesde Pierres : « Car les graveleux, continua-t-il, ne sont tourmentes de la leur qu’apres qu’elle estformee, au contraire de nous qui n’en sommes travailles que durant sa conception, outre que nous ne nous faisons jamais tailler de la notre. » Ses raisons ouies, on l’envoya trouver Josue, parce que quelques-uns se vanterent davoir aussi bien que lui fixe le Soleil( 7!l ). Ouantite d’autres Chimistes suivoient celui-ci avec grand respect, et recueilloient, comme des oracles, des sottises qu’il leurdebitoit,danslesquelles cespauvresfouss’imaginoient etre enveloppe le secret du grand CEuvre. On les mit, partie, les uns avec les Charbonniers, comme des gens de fourneau ; les autres, avec ceux qui ont donne des soufflets aux Princes^ 80 ). On mit Hecube avec Gerbere, pour augmenter le nombre des Portiers infernaux. Elle aboya fort contre les Marechaux des logis, a cause de cet affront; maisenfm on la satisfit,luiremontrant qu’elleetoit un monstre a trois tetes aussi bien que 1’autre, puisque comme chienne elle en avoit une, comme femme deux, et qu’un et deux font trois. Je me souviens qu’on en mit quelques-uns a part, entre lesquels fut Midas, pource qu’il est le seul au monde qui se soit plaint d avoir ete trop riche. Phocion fut de meme separe des autres, s’etant trouve le seul qui jamais ait donne de 1’argent pour mourir; et Pygmalion pareillement ne fut associe de personne, a cause qu’il n’y a jamais en que lui qui ait epouse une femme muette. Apres cette distribution, par laquelle chacun fut mis dans sa chacuniere, les images de mon Songe. n’etant plus si distinctes, ne me laisserent apercevoir que des peintures generales; par exemple, je vis le corps entier des Filous s’associer avec les Chasseurs d’aujourd’hui. pour ce qu’ils tirent en volantj 81 ); nos Auteurs de Romans avec Esculape, pour ce qu’ils font LETTRES DIVERSES 71 en un moment des cures miraculeuses; les Bourreaux avec les Medecins, a cause qu’ils sont payes pour tuer. Unegrande troupe de Tireurs d’armes demandoient aussi d’etre loges avec Messieurs de la Faculte, parce que 1’art d’escrime leur donne, aussi bien qu'a eux, laconnoissance de la tierce et de la quarte; mais on les mit avec les Cordonniers : d’autant que la perfection du metier con- siste a bien faire une botte. Parmi le vacarme confus d'une quantite de mecontents, je distinguai la voix de Bouteville( 82 ) qui fulminoit de ce que tout le monde refusoit sa compagnie; mais sa colere ne lui servit de rien : personne ne l’osoit accoster, de peur de prendre querelle. Cet homme portoit la solitude avec lui; et je vis 1’heure qu’il alloit etre reduit a se faire Ermite, s’il ne se fut enfin accommode avec les Grammairiens Grecs, qui ont invente le dueli 83 ). Un operateur, qui distribuoit les remedes, augmentoit la presse, a cause du grand nombre de sots dont il etoit environne ; plusieurs le consultoient, et j’aper£us, entre autres, la femme d'Orphee qui demandoit un cataplasme pour la deman- geaison des yeux. Priam vint aussi lui demander de 1’onguent pour la brulure, mais 1’Operateur n’en eut pas assez, car la Ville de ce pauvre Prince etait toute brulee( 8t ). Je vis la quantite d’Avocats condamnes au feu, afin qu’ils vissent clair a certaines affaires trop obscures. Quant aux Sages, ilsfurent mis avec les Archi- tectes, comme gens qui doivent user, en toutes choses, de rbgle et de compas. II ne fut jamais possible de separer les Furies des Epiciers, tant elles avoientpeurde manquer de flatnbeaux. Je fus bien etonne de rencontrer Tibere, lequel, en attendant qu’on le plapat, se reposoit couche sur descailloux. Je lui demandai s’il ne reposeroit pas mieux sur un lit : « Eh ! je craindrois, me repliqua-t- 11, que la chaleur de la plume ne me causat quelque 72 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC chose de pire que la pierre ( 85 ). » Sur ces entrefaites, Agrippine, la mere de Neron, le conjura de la venger de ce que Seneque avoit publie qu’elle avoit eu quatre enfants depuis son mariage; elle paraissoit furieuse et toute hors de soi, mais Neron 1’apaisa par ces paroles : « Madame, il ne fant croire d’un medisant que la moitie de ce qu’il dit. » Les Parques se contenterent de demeu- rer avec les pauvres Villageoises qui nourrissent leurs maris de leurs quenouilles, quandon leur eut apprit que> aussi bien qu’elles, ces Paysannes avoient file la vie des hommes. II vint la certains Batteurs en Grange, et parce qu’ils manquoient de fleaux, on leur fit prendre Atlila pour s’en servir, a faute d'autres( 86 ). Les Effrontes s’asso- cierent des Gardeurs de lions, afin d’apprendre d’eux a ne point changer de couleur. J’en aurois encore bien vu d’autres, si onze heures qui sonnerent a ma montre, ne m’eussent eveille et rappele, dans ma memoire, qu'a toute heure de jour et de nuit je suis et serai, jusqu’au dernier somme, Monsieur, votre tres affectionne Servi- teur. Thesee a Hercule* Comme c’estde 1’autre Monde que je vous dcris, 6 mon cher Hercule! ne vous etonnez-vous point qu’au-dela du fleuve d’Oubli je me souvienne encore de notre amitie, et que j’en conserve le souvenir en des lieux ou vient faire naufrage la memoire des hommes? Ha! je prevois que non. Vous savez trop que cette communaute, dont 1’estime 1’un de 1’autre avoit 114 nos žmes, n’est point un nceud que la Mortpuisse debarrasser; et les Enfers metne inaccessibles oti je suis retenu, ne sont pas assez loin * i654. Lettre XXI, p. 224. -- Cette lettre est une allčgorie dont nous n’avons pu dčcouvrir le §ens, LETTRES DIVERSES 73 pour empecher que mes soupirs aillent jusques a vous. Je saisqu’on vous a vu fremir, et trembler de courroux contre le Tyran de la nuit dont je souffre le rigoureux empire, et que le grand Hercule, apres avoir ecorne des Taureaux, dechire des Lions, etrangle des Geants, et porte sur ses epaules la machine du Monde qu’Atlas n’avoit pu soutenir, il n’est pas homme a craindre les abois d’un Chien qui veille a la porte de ma prison : c’est un Monstre qui n’a que trois tetes, et l’Hydre qu’il sut dompter en avoit sept, dont chacune renaissoit en sept autres. Done, 6 vous triomphant proteeteur du Ciel! venez achever sur vos ennemis la derniere vietoire; venez en ces cavernes obscures ravir a la Mort meme le privilege de 1’immortalite ; et enfin resolvez-vous une fois de satisfaire au suspens, oii la terreur de votre bras tient toute la nature. Vous avez assez fait voler votre nom sur les montagnes de la Terre et les etoiles du Firmament : songez a ceux qui, au centre du Monde, languissent accables du poids de la Terre, pour avoir conibattu sous vos enseignes. Vous imagineriez-vous bien l’etat auquel estreduit 1’infortune Thesee : aujourd’hui que ses plainres font retenir ses malheurs jusqu’aux climats que le Soleil eelaire, il est au quartier le plus triste et le plus funeste des Champs-Elysees, assis sur la souche d’un cypres eclate du tonnerre, incertain s’il vous doit envoyerunerequete ou son epitaphe. L’oreille assiegee et la vue offensee du croassement des corbeaux et du eri continu d’un nuage d’orfraies, la tete appuyee sur le marbre noir d’un monu- ment, au milieu d’un cimetiere epouvantable qu’envi- ronnent des rivieres de sang, ouflottent des corps morts, et dont la course pesante n’est excitee que par le son lugubre des sanglots, qu’expirent les ames qui la traver- sent; voila, d Heros invincible! le fatal emploi qui nioissonne les annees que je devrois passer plus glorieu- 74 CEUVK.ES DE CVRANO DE BERGERAC sement a votre service. Mais encore, afin qu'aucune cir- constance facheuse ne manque a im douleur, je suis tourmentenon seulement par le malmeme, mais encore par son eternelle vue. Je vous dirai que 1'autre jour (excusez-moisi je parle de cette fa i < s s e e ■,r r, it ■e IX 81 iie s’etudient qu’a persečuter la conscience de nos Heros, et nos Heros a sauver les Dieux de la tndquerie des Savants. Admirez tin peu cependant la malicieuse injus- tiče du Ciel. Ce Phenix des batailles etoit alle fouetter le Lion d’lbere, pour avoir autrefois trčpigne sur nos fleurs ( 92 ), a la tete de quatre mille Gentilshommes; faire, en depit des hyperboles Castillanes, confesser a toute 1’Europe qu’il valit mieux mener des lions armes que de porter des armes lionnees ( 9 '- ! ). Lorsque le Demon d’Es- pagne, au garant des premices qu’il nous donne, que si cet autre Dčmon continuoit, il feroit vomir au Roi de Castille tout ce qu’il avoit mal avale chez nous, il 1’alloit bientot reduire a se faire Moine ou gentilhomme Verrier : il vint se meler furieusement, comme les Sorciers font a la foudte, a la balle homicide qui le ftappa. Cest en vain, petit Demon, que tu pretends echapper a la domination du grand Pan ( 94 ); il est d’un etage ou ta tete fait son marchepied, et d’une race qui tant de fois a fait rougir sur nos frontieres les basanes Rodomonts, que le sang a force de leur monter souvent au visage, leiir a tout faii noircir le teint. Deja par le bras du Fils et la tete du Pere, le Portugal est echoue, le Rousšillon englouti, la Catalogne arrachee, la Navarre recousse, la Galice machonnee, 1’Aragon egratignč, les Indes disparues, la Flandre a 1’agonie ; enfin la gangrene des armes Fran- foises a tant ronge leur ecusson, qu’il ne leur restera bientot que l’ecu, j’entends la Castille seule, si ce n’est que ce genereux Capitaine leur laisse encoie la Grenade, pour subvenir aux maux de coeur ( 98 ), que leur doit vrai- semblablement engendrer line si longue maladie. Par- donnez-moi, Monsieur, si je me suis si fort eloigne des legitimes mesures d’une lettre ; je louais cet Invincible : °n a de la peine a se lever quand on est couchd dessus des fleurs; et dailleurs, je pleurojs sa mort, Il est malajse 82 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC de se plaindre quand on a tout perdu. En verite ce desastre a si bien desordonne l’harmonie de mon tempe¬ ra ment. que je meurs aujourd’hui de ce qui me faisoit vivre hier. Je vais tomber malade, si l’on ne me donne du poison. Oni, Monsieur, si vous ne m’envoyez tout a l’heure assurer que le voyage de ce vaillant Homme en Tantre Monde est aussi faux que celui de Mahomet en Paradis. je m’en vais profaner un temple, trahir mon ami, violer ma soeur, etrangler mon pfere ; et meme, ce qui ne tombera jamais en aucune pensee, je m’en vais n’ etre plus, Monsieur, votre affectionne Serviteur. Pour Soucidas* CONTRB UN PARTISAN QUI AVOIT REFUSE DE LUI PRETEK DE L’ARGBNT Monsieur, Vous me le deviez, 1’argent que je vous demandois ; car ne pensez pas qu’a moins de quarante pistoles j’eusse voulu salir ma reputation, en prostituant ma compagnie a vos promenades ; et que je me fusse tant de fois donne la peine de protester, contre ma conscience, que vous etiez le plus honnete homme du monde. Enfin je n’eusse pas risque sans cela, comme j’ai fait, les avives ou le farcin ( ?6 ), Je vois bien maintenant que le symptome de toutes les fievres n’est pas semblable, puisque devant ni apres celle de saint-Mathurin ( 97 ), on ne baille pas. Mais ce que je trouve de plus pernicieux en vos emotions, c’est que pour un homme qui n’est pas fort en garde, vous etes un peu trop bilieux. Si le jour que je repus votre lettre je n’eusse pris de la rhubarbe, possible aurois- je fait ma plume d’un baton ; mais la Rčpublique est trop * 1662, p. 1QMs. f. 176. Soucidas (anagramme de Dassoucy). LETTRES DIVERSES 83 t t » 1 S e t is s- p interessee a votre conservation ; car on ne sauroit vous entamer sans repandre le sang du Peuple, dont vous etes plein. Observez toutefois dorenavant un procede moins furieux. Je me figurois jadis (parce que votre pere et vous, aviez fait degenerer la chaude-pisse de nos bourses en gonorrhee) que chaque coffre de votre maison fut une apostume d’or ; mais je connois aujourd’hui que de vos pieces la plus pesante est votre tete. Volez done mieux desormais, si vous me croyez ; car si vous ne prenezFessor un peu plus haut, vous courez hasard d’etre arrete a quatre pieds de terre ; et a votre physionomie je connois que la filasse est plus antipathique a votre tem¬ perament que 1’arsenic. Si done vous avez peur d’etre leger, evitez au moins de vous faire peser en Greve ( 98 ). Cest 1’avisseul que peutdonnera vosmaux de tete, Votre Medecin. Sur le blocus d’une Ville* Monsieur, Le blocus de notre Ville est si etroit, que le passage n’y est ouvert qu’aux Gardes seulement: le menu peuple qui vit encore, quoiqu’on l’ait deja mange depuis longtemps, n’a plus lieu de faire entendre ses plaintes, puisqu’on a mis entre deux 1’Allemagne et la Pologne. Nous sommes la proie de ces Nations barbares ; et sans doute on les emploie, afin que nous otant le moyen de nous faire entendre, nous ne puissions emouvoir leur compassion. Nous n’avons pas toutefois lieu de nous plaindre, puisque nous sommes en un autre Ciel, car on ny boit ni on n’y mange ; on veut que nous emportions le Paradis par famine ; et de peur que nous ne prenions nieme quelque nourriture par les oreilles, on nous defend * 1662, p. 52. S'agit-il du slege de Mouzon en i63g ou Cyrano se trouvait bloquc et fut blesse? 84 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC jusqu’aux paroles grasses, Les malavises qu’ils sont, ne prevoyant pas qu’en nous demeurant dans le corps, elles nous pourroient faire vivre 1 Oh 1 qu’il est facheux de jeuner chose sans doute que vous n’avez jamais connue, puisque vousetessi gras, Lc Carem§ est un rude supplice, et particulierement lorsqu’il cesse d’etre volontaire, car vous savez que le siege de notre Ville en est un que l’on ne peut rompre. Nous n’avons plus rien de gras, et, si nous etions en Automne, je vous pourrois bien dire ce qu’on disoit de c$t Empereur : « II n’y a pas meme une mouche, » LETTRES SATIRIQUES CONTRE UN PoLTRON* Monsieur, Je sais que vous etes trop sage pour con- seiller jamais un duel; c'est pourquoi je vous demande votre avis sur celui que j’ai resolu de faire; car enfin (comme vous savez) 1'honneur šali ne se lave qu’avec du sang. Hier je fus appele « sot», et Pon s'emancipa de me donner un soufflet en ma presence. II est vrai que ce fut en une compagnie fort honorable. Certains stupides, en matiere de demeles, disent qu’il faut que je perisse ou que je me venge. Vous, Monsieur, dites-moi. vous mon plus cher ami, et que j’estime trop sage pour m’exciter a aucune action cruelle, ne suis-je pas assez maltraite de la langue et de la main de ce poltron, sans irriter encore son epee?Carquoique jesoismarri d’etre appele«sot». je serois bien plus fache qu’on me reprochat d’etre defunt. Si fetois enferme dans un sepulcre, il pourroit, a son aise et en siirete, mal parler de mon courage. Ne ferois-je done pas mieux de demeurer au monde, afin d’etre tou- jours present pour le chatier, quand sa temerite m'en donnera sujet? Infailliblement, ceux qui me conseillent la tragedie, ne jugent pas que si j'en fuis la catastrophe, H se moquera de ma valeur : si je le tue, on croira que je l'ai chasse du monde, parce que je n'osois y demeurer 1654. Lettre I, p. III. — Ms. f. 179, variantes peu importantes. 86 CEUVR.ES DE CVRANO DE BERGERAC tant qu’il y seroit; si je lui ote la rapiere, on dira que j’apprehendois qu'il demeurat arine; si nous demeurons egaux, a quoi bon se mettre au hasard du plus grand de tous les malheurs, qui est la mort, pour ne rien decider? Et puis, quand j’aurois lettre du Dieu Mars, de sortir de ce combat a tnon honneur, il pourroit au moins se vanter de m’avoir contraint a commettre uneinsigne folie. Non, non, je ne degaine point; c’est craindre son ennemi, de vouloir par le moyen de la mort, ou 1’eloigner de soi, ou s’eloigner de lui. Pour moi, je n'apprehende pas qu’il soit ou je serai. II tient a gloire de n’avoir jamais redoute les Parques; s’il veut que je le croie, qu’il se tue! J'irai con- sulter tous les Sages pendant soixante ou quatre-vingts ans, pour savoir s’il a bien fait; et si Fon me repond que oni, alors je tacherai d’en vivre encore autant pour faire le reste de mes jours penitence de ma poltronnerie. Vous trouverez peut-etre ce procede fort etrange dans un homme de coeur comme moi? Mais, Monsieur, a parler franc, je trouve que la vie est une si bonne chose, que j’aime mieux me tenir a ma carte, que de me mettre au hasard, en les brouillant, d’en avoir une pire. Ce Mon¬ sieur le Matamore veut peut-etre mourir bientot, afin d’en etre quitte de bonne heure; mais moi qui suis plus genereux, je tache de vivre plus longtemps, au risque d’etre longtemps en etat de pouvoir mourir. Pense-t’il se rendre fort recommandable, pour temoigner qu’il s’ennuie de ne pas retourner a la nuit, sa premiere maison? Est-ce qu’il a peur du Soleil? Helas! le pauvre buffle, s’il savoit quelle vilaine chose Cest que d’etre trepasse, rien ne le presseroit. Un homme ne fait rien d'illustre, qui devant trente ans met sa vie en danger, parce qu’il expose ce qu’il ne connoit pas; mais lorsqu’il la hasarde depuis cet age-la, je soutiens qu’il est enrage de la risquer, l’ayant connue. Quant a moi, je LETTRES SATIRIQUES 87 trouve le jour tres beau, et je n’aime point a dormir sous terre, a cause qu’on n’y voit goutte. Qu’il ne s enfle point pourtant de ce refns, car je veux bien qu’il sache que je sais une botte a tuer metne un Geant charme, et qu’a cause de cela je ne veux point me battre, de peur qu’on ne 1’apprenne. Il y a cent autres raisons encore qui me font abhorrer le duel. Moi, j’irois sur le pre, et la, fauche parmi l’herbe, m’embarquer possible pour Tantre Monde. Helas! mes creanciers n’attendent que cela pour nTaccuser de banqueroute. Mais penseroit-il meme mavoir mis a jube("), quand il nTauroit ote la vie? Au contraire, j'en deviendrois plus terrible, et je suis assure qu’il ne pourroit me regarder quinze jours apres, sans que je lui fisse peur. S’il aspire toutefois a la gloire de m’avoir egorge, pourvu que je me porte bien, je lui per- mets de se vanter partout d’etre mon bourreau; aussi bien quand il nTauroit tue, la gloire ne seroit pas grande ; une poignee de cigue en feroit bien autant. Il va s’ima- giner peut-etre que la Nature m’a fort mal-traite en me refusant du courage; mais qu’il apprenne que la Nature ne sauroit nous jouer un plus vilain trait, que de se servir contre nous de celui du Sort; que la moindre puce en vie vaut mieux que le grand Alexandre decede; et qu’enfin je me sens indigne d’obliger des torches benites a pleurer sur mes armoiries. J’aime veritablement qu'on me flatte de toutes les qualites d’un bel esprit, hormis de celle d'heureuse memoire qui m’est insupportable, et pour cause. Une autre raison me defend encore les batailles : J’ai compose mon Epitaphe, dont la pointe est fort bonne, pourvu que je vive cent ans; et j’en ruinerois la rencontre heureuse, si je me hasardois de mourir plus jeune. Ajoutez a cela que j'abhorre sur toutes choses les maladies, et qu’il n’y a rien de plus nuisible que la mort a la sante. Ne vaut-il done pas mieux s encourager a 88 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC devenir poltron, que de se rendre la cause de tant de desastres? Ainsi forts de notre faiblesse, on ne nous verra jamais ni palir ni trembler que d'apprehension d’avoir trop de coeur. Et toi, 6 salutaire poltronnerie 1 je te voue un autel, et je promets de te servir avec un culte si devot, que pour commencer des aujourd’hui, je dedie cette Epitre au Lache le plus confirme de tes enfants, de peur que quelque Brave, a qui je l’eusse envoyee, ne se fut imagine que j’etois homme a le servir pour ces quatre mechants mots qu’on est oblige d’ecrire a la fin de toutes les lettres : Je suis, Monsieur, votre Serviteur. Contre un Mediš ant* Monsieur, Je sais bien qu’une a me basse comme la votre ne sauroit naturellement s’empecher de medire; aussi n’est-ce pas une abstinence oii je vous veuille condam- ner. La seule courtoisie que je veux de vous, c’est de me dechirer si doucement, que je puisse faire semblant de ne le pas sentir. Vous pouvez connoitre par la qu’on m’envoie la « Gazette » du Pays Latin. Remerciez Dieu de ce qu’il m’a donne une ame assez raisonnable, pour ne croire pas tout le monde de toutes choses, a cause que tout le monde peut dire toutes choses; autrement j’aurois applique a vos maux de rate un plus solide et plus puis- sant antidote que le discours. Ce n’est pas que j’aie jamais attendu des actions fort humaines d’une personne qui sortoit de 1’Humanite; maisje ne pouvois croire que votre cervelle eut si generalement echoue contre les bancs de la Rhetorique, que vous eussiez porte en Phi- * 1654. Lettre II, p. 117. — Ms. f. 11 iv, cette lettre a ete presque entierement refaite par Cyrano, mais l’imprime donne le meilleur texte. On ignore le nom de ce medisant. LETTRES satiriques 89 losophie un homme sans tete. On auroit, a la verite, trouve fort etrange que, dans un corps si vaste, votre petit esprit ne se fut pas perdu; aussi ne l’a-t-il pas fait longue, et j’ai oui dire qu'il y a de bonnes annees que vous ne sauriez plus abandonner la vie, que votre trepas, accompagne de miracle, ne vous fasse canoniser. Oui, prenez conge du Soleil, quand il vous plaira; vous etes assure d’une ligne dans nos litanies, quand le Consistoire apprendra que vous serez mort sans avoir rendu 1’esprit. Mais consolez-vous toutefois, vous nen durerez pas njoins pour cela; les cerfs et les corbeaux, dont 1’esprit est taille a la mesure du votre, vivent quatre cents ans; et si le manque de genie est la cause de leur duree, vous derez etre celui qui fera 1’epitaphe du Genre humain. C est sans doute en consequence de ce brutal instinct de votre nature, que vous choisissez l’or et les pierres pre- cieuses pour repandre dessus votre venin. Souffrez done, encore que vous pretendiez vous soustraire de 1’empire que Dieu a donne aux hommes sur les betes, que je vous commande de vomir sur quelque chose de plus šale que mon nom, et de vous ressouvenir (car je crois que les animaux comme vous ont quelque reminiscence) que le Createur n’a donne a ceux de votre espbce une langue que pour avaler, et non pas pour parler. Souvenez-vous- en done, c’est le meilleur conseil que vous puissiez prendre; car, quoique votre foiblesse fasse pitie, celle des poux et des puces qui nous importunent ne nous oblige pas a leur pardonner. Enfin, cessez de mordre, simulaere de l envie; car, quoique je sois peu sensible a l’injure, je suis severe a la punir; rien n’empecheroit la vertu d’un ellebore, qu'on appelle en franpois tricotj 10 - 0 ), duquel, pour vous montrer que je suis Philosophe (ce que vous ne croyez pas), je vous chatierois avecsi peu d'animosite. que le chapeau dans une rnain, et dans l’autre un baton, 90 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC je vous dirois en vous brisant les os : Je suis, Monsieur, votre tres humble. A Mademoiselle...’ Mademoiselle, Si tout le monde etoit oblige comme moi, pour faciliter la lecture de ses lettres, d'envoyer de 1’argent, les Balzac n’auroient jamais ecrit, et les aveugles sauroient lire. Mais quoi ? si les miennes ne sont eclai- rees par la reflexion de l’or de quelques louis, vous n’y voyez que du noir de grimoire; et, quand meme je les aurois prises dans Polexa.ndre^^, je suis assure d’avoir pour vous ecrit en Hebreu. Ouvrir la bouche et mouvoir les levres en toutes les fapons necessaires a l expression de notre langue, ne vous fait entendre que de l’Arabe. Pour vous parler Fran^ois, il faut ouvrir la main. Ainsi ma bourse devient chez moi le seul organe, par lequel je vous puis eclaircir les difficultes de la Bible, et vous rendre les Centuries de Nostradamus aussi faciles que le « Pater ». Enfin, Mademoiselle, c’est de vous seule que Fon peut dire avec verite : « Point d’argent, point de Suisse ». Je me console toutefois aisement de votre humeur, parce que tant que vous ne changerez point, je suis assure d’etre en puissance, avec la croix de quelques pistoles, de chasser de votre corps plus facilement qu’avec l’eau benite et l’exorcisme, le Demon d’avarice; mais j’ai tort de vous reprocher une si grande bassesse : ce sont au contraire des motifs de vertu qui vous font agir de la sorte, car si vous tombez plus souvent sous la Croix que les malfaiteurs de Judee, c’est parce que vous croyez pieusement que les justes ne vous sauroient rien * 1654. Lettrelll, p. 121. —Ms. Contre une femme interessee, f. 148.— Dans les editions posthumes : Contre une demoiselle avare. Les variantes du Ms. sont nombreuses et importantes, mais simplement de style. LETTRES SATIRIQUES 91 demander injustement. et que l’or, ce symbole de la purete, ne vous sauroit etre donne qu’avec des intentions tres pures. Je pense meme, comme vous etes, aussi bien que bonne chretienne, encore meilleure Franpoise, que vous vous abaissez devant tous ceux qui vous presentent les images de nos rois( 102 ) ; et que meme, comme vous etes d’une probite exemplaire, qui ne veut faire tort a personne, vous etes tellement scrupuleuse a la distribu- tion de vos faveurs, que vous appuyez davantage sur les baisers de dix pistoles, que sur ceux de neuf. Cette eco- nomie ne me deplait pas, car je suis assure, tenant ma bourse dans une main, de tenir votre coeur dans Tantre. Tout ce qui me fache, c’est de ce que cette chfere image, que vous juriez autrefois avoir imprimee fort avant dans votre cceur, vous la mettez hors de chez vous par les epaules, sitot qu’elle y a demeure trois jours sans payer son gite. Pour moi, je pense que vous avez oublie la definition de 1’homme, car toutes vos actionsme prouvent que vous ne me prenez que pour un animal donnant; cependant je croyois etre par Topinion d’Aristote un animal raisonnable; mais je vois bien qu’il me faut resoudre a cesser d’etre ce que je suis, du moment que je cesse de fouiller a ma poche. Corrigez, je vous prie, c ette humeur qui convient fort mal a votre jeunesse et a cette generosite dont vous vous faites toute blanche; car il vous est honteux d’etre a mes gages. moi qui suis, Mademoiselle, Votre Serviteur. Autre * Monsieur, Par Taffection que je vous ai portče dont vous etiez indigne, je vous ai fait meriter d’etre mon 1654. Lettre IV, p, 125, — Dans les editions_ posthumes : Contre un ingrat 92 ceuvk.es de cvrano de bekgerac ennemi. Si les Philistins autrefois n’eussent laisse leurs viessousle bras de Samson, nous ne saurions pas aujour- d’hui que laterre eiit porte des Philistins. Ils doiventleur vie a leur mort, et s’ils eussent vecu dix ans plustard, ils fussent morts trente sifecles plus tot. Ainsi vous mois- sonnez malgre moi cette gloire de votre Uchete, de m’avoir contraint de vous en punir. On me dira, je le sais bien, que pour avoir detruit uii Pygmee, je n’attacherai pas a mon sort la matiere d’une illustre epitaphe. Mais a regarder sans interet le revers du paradoxe, ce Marius qui fit en trois combats un cimetiere a trois nations, ne fut pas cense poltron, lorsqu’il frappoit les grenouilles du marais ou il s’etoit jete; et Socrate ne cessa pas d’etre le premier homme de l’Univers, quand il eut čcrase les poux qui le mordoient dans son cachot. Non, non, petit Nain, ne pensez pas etre quelque autre chose; essayez de vous humilier en votre neant etcroyez comme un article de Foi, que si vous etes encore aussi petit qu’au jour de votre naissance, le Ciel l’a permis ainsi pour empecher un petit mal de devenir grand. Enfin, vous n'etes pas homme; et que diable etes-vous done ? Vous etes peut- etre une momie que quelque farfadet aura volee a 1'Ecole de Medecine, pour en effrayer le monde; encore cela n’est-il pas trop eloigne du vraisemblable, puisque si les yeux sont les miroirs de lame, votre ame est quelque chose de bien laid. Cependant vous vous vantez de mon amitie I O Ciel! punisseur des heresies, chatiez celle-ci du tonnerre ! Je vous ai done aime? Je vous ai done porte mon coeur en offrande ? Done vous m’esti- mez sot, au point d’avoir par charite donne mon ame au Diable. Mais ce n’est pas de moi seul que vous avez medit; les plus chatouillants eloges qui partent de vous sont des satires, et Dieu ne vous eut point echappe, si vous 1’eussiez connu. Tout ce qui respire, interesse a la perte LETTRES SAT1R1QUES 93 des monstres, auroit deja tente mes bonnes graces par votre mort, mais il la neglige comme un coup sur, sachant que vous aviez, en moi seul, Votre Partie, votre Juge, et votre Bourreau. CONTRE SoUCIDAS* Monsieur le V ieda^e He ! par la mort, je trouve que vous etes bien imprudent de demeurer en vie, apres m’avoir offense Vous qui ne tenez lieu de rien au monde, ou qui n’etes au plus qu’un clou aux fesses de la Nature; vous qui tornberez si bas, sije cesse de vous soutenir, qu'une puce en lechant la terre ne vous distin- giiera pas du pave ; vous enfin, si šale et si bougre, qu’on doute (en vousvoyant) si votre mere n’a point accouche de vous par le derriere! Encore, si vous m’eussiez envoye demander permission de vivfe, je vous eusse permis peut-etre de pleurer en mourant. Mais sans vous enquetersi je trouve bon que vous viviez encore demain, ou que vous mouriez des aujourd’hui, vous avez 1’impu- dence de boire et de manger, comme si vous n’etiez pas mort! Ha! je vous proteste de renverser sur vous un si long aneantissement, qu’il ne sera pas vrai de dire que vous ayez jamais vecu. Vous esperez sans doute m’atten- drir par la dedicace de quelque ennuyeux Burlesque? Point, point, je suis inexorable; je veux que vous mouriez tout presentement; puis, selon que ma belle humeur me rendra misericordieux, je vous ressusciterai pour lire ma Lettre. J’avois neanmoins guasi resolu d'attendre l'offrande de vos plaisants vers, sachant par vous que tout ce qui dtoit sot ne faisoit pas rire. Toutejois * 1654. Lettre V, p. 128. — Ms. Satire contre Soncidas (Dassoucy), f. i5y. — Variantes nombreuses et importantes. Cette lettre doit 6tre du debut de 165o. 94 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC j'ai songe depuis que pour faire quelque chose de bien ridicule, vous n’aviez qu’a parler serieusement, cest pourqiioi je nai pas voulu risquer le choc. Ave^-vous, en effet, jamais rien acheve de tolerable que votre poeme burlesque? Cependant ni les vers ni la conduite ne vous oni guere fa.it bruler de chandelle, et selon m a pensee, vous devie^ Tintituler « Le Jugement de Pariš et de Blan- din, ( 103 ) ». car si vous Tave^ transcrit, vous save^ bien qui l'a compose. J' entendois l'autre jour le libraire se plaindre de ce qu'il n avoit pas de debit, mais il se con- sola quand je liti dis que Soucidas etoit un juge incor- ruptible, de qui on ne sauroit acheter le jugement, ce it est point de lui seul que j’ai appris que vousrimassiez : je m’en doutois deja bien, parce que c'eut ete un grand miracle, si les vers ne s’etoient pas mis dans un homme si corrompu( 104 ). Votre haleineseule suffit a faire croire que vous etes d’intelligence avec la mort, pour ne respirer que la peste; et les muscadins( 105 ) ne sauroient empecher que vous ne soyez, par tout le monde, en fort mauvaise odeur. Je ne m’irrite point contre cette putre- faction, c’est un crime de vos peres ladres : votre chair tneme n'est autre chose que de la terre crevassee par le Soleil, et tellement fumee, que si tout ce qu’on y a seme avait pris racine, vous auriez maintenant sur les epaules un grand bois de haute futaie. Aprčs cela, je ne m’etonne plus de ce que vous prouvez qu’on ne vous a point encore connu. II s'en faut, en effet, plus de quatre pieds de crotte, qu’on ne vous puisse voir. Vous etes enseveli sous le fumier avec tant de grace, que s’il ne vous manquoit un pot casse pour vous gratter, vous seriez un Job accompli. Ma foi! vous donnez un beau dementia ces Philosophes qui se moquentde la Creation. S’il s’en trouve encore, je souhaite qu’ils vous ren- contrent; car je suis assure qu’apres votre vue ils croiront LETTRES SATIRIQUES 95 aisement que 1’homme peut avoir ete fait de boue. Ils vous precheront, et se serviront de vous-meme, pour vous retirer de ce malheureux atheisme ou vous crou- pissez. Vous savez que je ne parle point par cceur, et que je ne suispasle seul qui vous a entendu prierDieu, qu’il vous fit la grace de ne point croire en lui? Comment! petit Impie, Dieu n’oseroit avoir laisse fermer une porte, quandvous fuyez le baton, qu’il ne soit par vous aneanti; et vous ne commencez a le recroire que pour avoir contre qui jurer, quand vos des escamotes repondent mal a votre avarice? J’avoue que votre sort n’est pas de ceux qui puissent patiemment porter la perte, car vous etes gueux comme un Diogene, et a peine le Chaos entier suffiroit-il a vous rassasier : c’est ce qui vous a oblige d’affronter tant de monde. II n’y a plus moyen que vous trouviez pour marcher en cette Ville une rue non creanciere, a moins que le Roi fasse batir un Pariš en l’air. L’autre jour, au Conseil de guerre, on donna avis a Monsieur le Prince* de vous mettre dans un mortier, pour vous faire sauter comme une bombe dans les villes de Flandres **, pour contraindre, en moins de trois jours, par la faim, les Habitants de se rendre. Je pense en verite que ce stratagbme-la reussiroit, puisque votre nez, qui n’a pas l’usage de raison, ce pauvre nez, le reposoir et le paradis des chiquenaudes, semble ne s’etre retrousse que pour s’eloigner de votre bouche affamee. Vos dents? Mais bons Dieux ! ou m'embarrasse je! elles sont plus a craindre que vos bras; leur chancre et leur longueur * Le Ms. de la Bibliotheque nationale qui est de i65i porte Monsieur le Prince alors que 1’imprime de i654 donne M de Turenne. Cyrano a substitue c e dernier nom a celui de Conde, tout simplement parce qu’il avait change de Čamp, frondeur en 1649, il etait devenu mazariniste en i652. ** C’est la raison que nous venons de prodnire qui fait que l’imprime de 1634 porte Sainie-Menehould (reprise par Turenne sur les espagnols le 2 7 novembre 1653) au lieu de : les villes de Flandres dans le Ms. 7 gf) CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC nfepouvantent. Aussi bien quelqu'un me reprocheroit que c’est trop berner un homme, qui dit m’estimer beau coup. Done, 6 plaisant petit singe! 6 marionnette incarnee ! cela seroit-il possible? Ma foy, je pense que : si je suis votre coeur, cest d cause que vous n'en ave^ point; de mirne que Chapelle est votre memoire, Blandin votre imagination, et Tristan (L H ermite^votre jugement. Mais je ne bldme point cette Industrie car puisque la Nature et la Fortune ne voziš ont file qu une trame de gueux, il etoit bien raisonnable que chacun se coiisat pour subvenir d votre necessite. Vous vous plaindre^ possible que je vous traite d la rigueur de vous faire perdre l'esprit. Helasl bon Dieu, comment vous octroyer ce qite vous rieutes jamais. Demandez pour voir ce que vous etes a tout le monde, et vous verrez si tout le monde ne dit pas que vous n’avez rien d’homme que la ressem- blance d’un magot. Ce n’est pas pourtant, quoique je vous compare a ce petit homme a quatre pattes, que je pense que vous raisonniez aussi bien qu’un singe! Non, non, messer Gambade : car quand je vous contemple si decharne, je mhmagine que vos nerfs sont assez secs et assez prepares pour exciter, en vous remuant, ce bruit que vous appelez parole; c’est infailliblement ce qui est cause que vous jasez et fretillez sans intervalle. Mais puisque parler y a, apprenez-moi de grace si vous parlez a force de remuer, ou si vous remuez a force de parler? Ce qui fait soupponner que tout le tintamarre que vous faites ne vient pas de votre langue, c’est qu’une langue seule ne sauroit dire le quart de ce que vous dites, et que la plupart de vos discours sont tellement eloignes de laraison, qu’on voitbien que vous parlez par un endroit qui n’est pas fort presdu cerveau. Enfin, mon petit gentil Godenot( 106 ), il est si vrai que vous etes toute langue, que s’il n’y avoit point dumpiete d’adapter les choses LETTRES SATIRIQUES 97 saintes aux profanes, je croirois que saint Jean prophe- tisoit de vous, quand il ecrivit que la parole s’etoit faite chair. Et en effet, s’il me falloit ecrire antant que vous parlez, j’aurois besoin de devenir plume ; mais puisque cela ne se peut, vous me permettrez de vous dire adieu. Adieu done, mon camarade, sans compliment; aussi bien, seriez-vous trop mal obei, si j’etois votre Serviteur. A M. de V. Monsieur, Tant de caresses de la Fortune que j’ai perdues, en perdant votre amitie, me persuadent enfin de me repentir d’avoir si fort contribue a sa perte; et si je suis en disgrace, je confesse que je la merite, pour ne m’etre pas conserve plus soigneusement et 1’estime et la vue d’une personne qui fait passer les moindres, dont il est visite, sous le titre de « Comtes » et de « Marquis ». Certes, Monsieur, vous vous faites le pbre de force grands Seigneurs qui ne croyoient pas Tetre, et je commence a ni’apercevoir que j’ai tort d’avoir neglige ainsi ma fortune, car j’aurois possible gagne a ce jeu la une Prim cipaute, Quelques-uns blament cette humeur prodigue; niaisils ne savent pas que ce qui vous engage a ces magni- ficences, est le passionne desir qui vous emporte pour la multiplication de la Noblesse, et c’est pour cela que ne pouvant mettre au jour des gehtilshomm.es selonla chair, vous en voulez du moins produire spirituellement. Les Auteurs romanesques quevous connoissez, donnent bien des empires a tel qui souvent n’avoit pas possede deux arpents de terre; mais votre talent est si egal au leur, 1654. Dettre VI, p. 134. — Ms. Lettre satyrique contre le sieur Du Tage, f - 162V. Cette lettre, au point de vue du style, a ete si completement refaite Par Cyrano qu’il est impossible d’en donner les variantes d'ailleurs sans grand interet. 98 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC qu’il vous met en droit d'user des memes privileges. On saitassez que tous ces grands Auteurs ne parlent pas mieux que vous, puisque vous parlez tout comme eux, et qu'a chaque moment vous vomissez et « Cassandre » et « Polexandre* » si crus, qu’on pense voir dans votre bouche le papier dessous les paroles. Les Critiques mur- murent que le grand bruit dont vous eclatez n’est pas la marque d’un grand esprit; que les vaisseaux vides en excitent plus que ceux qui sont pleins, et que peut-etre, a cause du concave de votre cerveau rempli de rien, votre bouche, a l'exemple des cavernes, fait un echo mal distinct de tous les sons qui la frappent; mais quoi 1 il se faut consoler; celui-la est encore a naitre, qui a su le moyen d’empecher 1'envie de mordre la vertu; car je veux meme, comme ils le disent, que vous ne fussiez pas un grand genie, vous etes toutefois un grand homme. Comment! vous etes capable, par votre ombre seule, de noircir un jeu de paume tout entier; personne n’entend parler de votre taille, qu’il ne croie qu'on fasse Lhistoire d'un cbdre ou d un sapin; et d'autres qui vous con- noissent un peu plus particulierement. prouvant que vous n’avez riend’homme que le son de la voix, assurent qu’ils ont appris par tradition que vous etes un chene transplante de la foret de Dodone ( 107 ). Ce n‘est pas de mon avis qu’ils portent ce jugement; au contraire, je leur ai dit cent fois qu’il n’y avoit point d'apparence que vous fussiez un chene, puisque les plus senses tombent d’accord que vous n etes qu’une buche. Pour moi, qui pense vous connoitre de plus longue main, je leur sou- tiens qu’il est tout a fait eloigne du vraisemblable d’ima- giner que vous soyez un arbre, car encore que cette * Dans le Ms. il y a Cleofifrire et Cassandre, titres de deux romans de La Calprenede en 10 et 12 vol., Polexandre est de Marin Le Roy de Gomberville. LETTRES SATIR1QUES 99 partie superieure de votre tout (qu’a cause du lieu de sa situation on appelle votre tete) ne fasseaucune fonction raisonnable, ni meme sensitive, je ne me persuade pas pourtant qu’elle soit de bois, tnais je m’imagine qu’elle a ete privee de l'usage des sens, a cause qu’une ame humaine n etant pas assez grande pour animer de bout en bout un si vaste colosse, la Nature s"est trouvee con- trainte de laisser en friche la region d'en haut. Et, en effet, y a-t-il au monde quelqu’un qui ne sache que quand elle logea, ce qu’en d'autres on nomme «1’esprit, » dans votre corps demesure, elle eut beau le tireret 1’allonger, elle ne put jamais le faire arriver jusqu'a votre cervelle? Vos membres memes sont si prodigieux, qu’a les considerer on croit que „vous avez deux geants pendus au bas du ventre, a la plače de vos cuisses; et vous avez la bouche si large que je crains quelquefois que votre tete ne tombe dedans En verite, s'il etoit de la foi de croire que vous fussiez homme, j’aurois un grand motif a soupfonner qu’il a done fallu mettre dans votre corps, pour lui donner la vie, lame universelle du monde. 11 faut, en effet, que vous soyez quelque chose de bien ample, puisque toute la Communaute des Fripiersest occupee a vous vetir, ou bien que ces gens-la qui cherchent le debit, ne pouvant amener toutes les rues de Pariš a la Halle, aient charge sur vous leurs guenilles, afin de promener la Halle par tout Pariš. Au reste, ce reproche ne vous doit point offenser; au contraire il vous est avantageux, il fait connoitre que vous etes une personne publique, puisque le public vous habille a ses depens, et puis assez d'autres choses vous rendent considerable. Je dis meme, sans mettre en ligne de compte, que comme de 1’epaisseur de la vase du Nil, en suite de son debordement, les Egyptiens jugent de leur abondance, on peut supputer par 1’epaisseur de votre 100 CEUVRES DE CYRANO DE BERGERAC embonpoint, le nombre des embrassements illegitimes qui se sont faits en votre Faubourg. Et enfin, a propos d’arbre a qui je vous comparois tantot, on dit que vous en etes un si fertile, qu'il n’y a point de jour que vous ne pro- duisiez ; mais je sais bien que ces sortes d’injures passent fort loin de vous, et que vos calomniateurs n’eussent ose vous soutenir en face tant d’injures, du temps que la troi- sieme peinture des Cartes( 103 ) etoit votre portrait : vous trainiez alors une brette qui vous auroit venge de ces calomniateurs; ils ne vous eussent pas accuse, comme aujourd’hui, d’effronterie en un etat de condition ou vous changiez si souvent de couleur. Voila, Monsieur, les peaux d'anes ( X09 ) a peu preš, dont ils persecutent votre deplorable renommee. J’en ferois 1’apologie un peu plus longue, mais la fin du papier m’oblige de finir. Permettez done que je prenne conge de vous, sans les ceremonies accou- tumees, parce que ces Messieurs qui vous meprisent fort, et dont je fais beaucoup d’estime, penseroient que je suis le valet du valet des tambourineux ( 110 j si j'avois mis au bas de cette lettre, que je suis, Monsieur, votre Serviteur. CONSOLATION PO UR UN DE SES AMIS Sur l'Eternite de son Beau-Pere* Monsieur, un bourreau (bien mieux que moi) vous consoleroit de la vie de ce personnage; mais tout au pis laissez faire a la Faculte, elle a des bras dont personne ne pare les coups. Vous me repondrez sans doute qu’il a * 1654. Lettre VI (pour VII), p. 140. — Ms. A M. Chapelle pour le consolcr sur 1’čternite de son beau-pere, f. I2O V . — Claude-Emmanuel Luillier, dit Cha¬ pelle, ne s’estpas marie, et comme il etait enfant naturel, il ne pouvait avoir de beau-pere. S’il s'agissaitdu mari de sa mere (Marie Chanut, soeur de l’ambassa- deur de France en Suede) Cyrano viserait Hector Musnier, sieur de Saint-Lau‘ rens, conseiller et secretaire du roi et de ses finances en 1643. LETTRES SATIRIQUES 101 passe deja plus de dix fois le temps de mourir, que la Parque ne s’est pas souvenue de lui, et que maintenant qu’elle a tant marche depuis, elle sera hon+euse et paresseuse de revenir le prendre si loin 1 Songe^ pour votre allčgement que les medecins d' auj ourd' hui sont pen- sionnaires des fossoyeurs et qu’d la fin de leurs ordon- nances on ytrouve toujours itn «libera»( lir ); mais entout cas, si la vie est d l’epreuve des recipes, mette^ en usage pour vous guerir les remedes du Ciel, puisqu'une messe du Saint-Esprit est fort souveraine d la ftevre de saint- Mathurinlp 1 ’-). Je pense que pour le iuer une messe de la Passion ne seroit pas mauvaise. Enfn parlez, criez, toussez, faites en sorte qu’il se depite contre le jour, n’est-il pas temps aussi bien qu'il fasse plače a d’autres? Comment Mathusalem, Arthephius ( i13 ) et la Sibvlle Cumee ( 1U ) auprbs de lui, n’ont fait que semblant de vivre. II naquit auparavant que la Mort fut faite, et la Mort, a cause de cela, n’oseroit tirer sur lui parce qu’elle craint de tuer son pere ; et puis meme quand cette con- sideration ne Tempecheroit pas, elle le voit si foible de vieillesse qu'en le tuant, elle seroit contrainde dele porier parce qu'il n’auroit pas la force de marcher jusqu’en Tantre Monde. Et je pense qu’une autre raison encore le fait demeurer debout, c'est que la Mort, qui ne lui voit faire aucune action de vie, le prenant plutot pour une statue que pour un vivant, pense qu’il est du devoir ou du Temps, ou de la Fortune, de le faire tomber. Encore ri a-t-il garde, le poltron, de tomber sous sa faux: il ne va jamais sur le pre. Apres cela, Monsieur, je nfetonne fort que vous disiez qu’etant preš de fermer le cercle de ses jours; et arrivant au premier point dont il est parti, il redevienne enfant. Ha 1 vous vous moquez, et pour moi je ne saurois pas meme m’imaginer qu’il 1’ait jamais ete. Quoi I lui, petit garjon? Non, non, il ne 102 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC le fut jamais ou Moise s'est trompe, au calcul qu’il a fait de la creation du Monde. S'il est permis toutefois de nommerainsi toutce qui peut a peine faire lesfonctions d’un enfant, je vous donne les mains. Je dis bien plus, meme je proteste que si le genre humain perissoit d lui preš, il seroit faux de dire qu’il restdt encore un homme, car il fant en effet qu’il soit plus ignorant qu’une plante meme, de ne savoir pas mourir, chose que tout ce qui a vie sait faire sans precepteur. Oh '. que n’a-t-il ete connu d’Aristote : Il eut bien empeche ce dogmatique pedant de definir 1’homme animal raisonnable. Ceux de la secte d’Epicure qui demontrent que les betes usent de la raison, en doivent excepter celle-la, encore s’il etoit bien vrai qu’il fut bete ; mais helas! dans l'ordre des etres animes, il est un peu plus qu’un artichaut, et un peu moins qu’une huitre a 1’ecaille ; de sorte que j’aurois cru, si ce n’etoit que vous le soupponnez de ladrerie ( lls ), qu il est ce qu’on appelle la plante sensitive. Avouez done que vous avez tort de vous ennuyer de sa vie. Il n'a pas encore vecu, il n’a que dormi; attendez au moins qu’il ait acheve un somme. Etes-vous assure qu’on ne lui ait pas dit que le Sommeil et la Mort sont jumeaux? 11 n' ose peut-etre (ayant bonne conscience) apres avoir joui du frere, avoir aflaire d la satir. N'inferez pas cependant, en suite de cela, que je veuille prouver, par cette enfilade, que le personnage dontil est question soit un sot homme. Point du tout ; il n’est rien moins qu’homme ; car, outre qu’il nous ressemble par le Bapteme, c'est un privilege dont jouissent aussi bien quelui lescloches de sa Paroisse. Je parlerois de cette vie jusqu'a la mort, pour soulager votre ennui ; mais le sommeil commence de causer a ma main de si grandes foiblesses qu’au lieu de vous consoler je vous ferois moi-meme pitie. C'est pourquoi je vois bien qu'ihne fautici finirma legende. Dej d mes yeux ferment LETTRES SATIR1QUES 103 boutique, mon menton vient baiser ma poitrine, Morphee a loge ime trompetie dans mon ne{ qui sonne la retraite, ma tete tombe sur le chevet et, par ma foi, je ne sais plus ce que j’ecris. Adieu, bonsoir, Monsieur, votre Serviteur. CONTRE UN PILLEUR DE PENSEES* Monsieur, Puisque notre ami butine nos pensees, c’est une marque qu’il nous estime : il ne les piendroit pas, s’il ne les croyoit bonnes, et nous avons grand tort de nous estomaquer de ce que n’ayant point d’enfants, il adopte les notres. Pour moi, ce qui m’offense en mon particulier (car vous savez que j’ai un esprit vengeur de torts et fort enclin a la justice distributive), c’est de voir qu’il attribue a son ingrate imagination les bons Services que lui rend sa memoire, et qu’il se dise le pere de mille hautes conceptions, dont il n’a ete au plus que la Sage- Femme. Allons, Monsieur, apres cela nous vanter d’ecrire mieux que lui, lorsqu’il ecrit tout comme nous, et tour- nons en ridicule qu’a son age il ait encore un Ecrivain chez lui, puisqu’il ne nous fait point, en cela, d’autre mal que de rendre nos ceuvres plus lisibles. Nous devrions au contraire recevoir avec respect tant de sages avertis- sements moraux, dont il tache de reprimer les emporte- ments de notre jeunesse. Oui, certes, nous devrions y ajouter plus de foi, et n’en douter non plus que de 1’Evan- gile ; car tout le monde sait que ce ne sont pas des choses qu’il ait inventees. A la verite d’avoir un ami de la sorte, c’est entretenir une Imprimerie a bon marche. Pour moi 1654. Lettre VII (pour VIII), p. 144. — Ms. f. ia3 v . Contre LaMothe, bri- gand de pensees. Variantes de style. Comme dans 1’imprime, cette lettre est signee Beaulieu, P. Lacroix a cru qu'il s'agissait de Desroziers-Beaulieu, auteur d’une comedie Le Galimaihias. On voit qu’il n’en est rien. Quant a ce La Mothe, serait-ce La Mothe Le Vayer le fils. son ami? Il 1'accuserait de plagiat comme il en a accusc Chapelle et Dassoucy. 104 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC je m'imagine, en depit de tous ses grands manuscrits, que si quelque jour apres sa mort, on inventorie le cabinet de ses livres, c’est-a-dire de ceux qui sont sortis de son genie, tous ces ouvrages ensemble otant ce qui n’estpas de lui, composeront une bibliotheque de papier blanc. II ne laisse pas de vouloir s'attribuer les depouillcs des morts et de croire inventer ce dont il se souvient; mais de cette fa$on il prouve mal la noble extraction de ses pensees, de n’en tirer l’antiquite que d’un homme qui vit encore ; mais il veut par la conclure a la Metem- psycose, et montrer que quand il se serviroit des imagi- nations de Socrate, il ne les voleroit point, ayant ete jadis ce meme Socrate qui les imagina. Et puis n'a-t’il pas assez de memoire pour etreriche de ce bien-la seul ? Comment? Il l’a si grande, qu'il se souvient de ce qu’on a dit trente siecles auparavant qu’il fut au monde Q.uant a moi qui suis un peu moins souffrant que les morts, obtenez de lui qu’il me permette de dater mes pensees, afin que ma posterite ne soit point douteuse. Il y eut jadis une Deesse Echo : celui-ci sans doute en doit etre le Dieu ; car de meme qu’elle, il ne dit jamais que ce que les autres ont dit, et le repete si mot a mot, que transcri- vant l’autre jour une de mes lettres (il appeloit cela « composer 1 ») il eut toutesles peines du monde a s'em- pecher de mettre : « Votre Serviteur », Beaulieu, parce qu’il y avoit au bas, Votre Serviteur, De Bergerac. Sur le meme sujet* Monsieur, apres avoir echauffe contre nous cet homme qui n’est que flegme, n’apprehendons-nous point qu un * 1654. Lettre VII (pour IX), p. 147. — Ms. f. 125. Contre Chapelle, brigand de pensees. Cette lettre est beaucoup plus importante dans ['iniprime et les variantes de style sont nombreuses. LETTRES SATIRIQUES 105 de ces jours on nous accuse d’avoir briile la riviere ? Cet esprit aquatique murmure'continuellement comme les fontaines, sans que l’on puisse entendre ce qu’il dit. Ha I Monsieur, que cet homme me fait prevoir a la fin des siecles une etrange aventure, et c’est que s’il ne meurt qu’au bout de sa memoire, les trompettes de la Resur- rection n’auront pas de silence. Cette seule faculte dans lui ne laisse point de plače aux autres, et il est un si grand persecuteur du sens commun, qu’il me fait soup^onner que le Jugement universel n’a ete promis que pour en faire avoir aux personnes comme lui, qui n’en ont point eu de particulier. Et a vousparler ingenument, quiconque le fera sortir du monde aura grand tort, puisqu’il l’en fera sortir sans raison ; mais cependant il parle autant que tous les livres, et tous les livres semblent n’avoir parle que pour lui. Il n’ouvre jamaisla bouche que nous n’y trouvions un larcin, et il est si accoutume a mettre au jour son pillage, que meme quand il ne dit mot, c’est pour derober cela aux muets. Nous sommes pourtant de faux braves, et nous partageons avec injustice les avan- tages du combat, notre esprit ayant trois facultes de 1’opposer au sien, qui n’en a qu’une; c’est pourquoi, s’il a dans la tete beaucoup de vide, on lui doit par- donner, puisqu'il n’a pas ete possible a la Nature de la remplir avec le tiers d’une ame raisonnable. En recom- pense il ne la laisse pas dormir; il la tient sans cesse occupee a depouiller [quelqu’un] ; et ces grands Philo- sophes, qui croyoient s’etre mis par la pauvrete qu’ils professoient, a couvert d'impots et de contributions, lui doivent par jour chacun, jusqu’au plus miserable, une rente de dix pensees, et ce Maltotier de conceptions n’en laisse pas echapper un, qu’il ne taxe aux aises( 116 ), selon letendue de son revenu. Ils ont beau se cacher dans 1’obscurite, il les sait bien trouver, et les fait bien parler Io6 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC francois. Encore ont-ils souvent le regret de voir confis- quer leurs oeuvres tout entieres, quand ils n’ont pas le moyen de payer leur taxe ; mais il continue ces brigan- dages en surete, car il sait que la Grece et 1'Italie relevant dautres Princes que du ndtre, il ne sera pas recherche en France des larcins qu'il aura faits chez eux. Je crois meme qu’il pense, a cause que les Paiens sont nos ennemis, ne pouvoir rien butiner sur eux qui ne soit pris de bonne guerre. Voila, Monsieur, ce qui est cause que nous voyons chaque page de ses epitres etre le cime- tiere des vivants et des morts. Ne doutez point, apres cela, que si au jour de la consommation des siecles, chacun reprend ce qui lui appartient, le partage de ses ecrits sera la derniere querelle des hommes. Apres avoir ete dans nos conversations cinq ou six jours a 1'affiit aux pensees, plus chargees de pointes qu’un porc-epic, il les va ficher dansses epigrammeset dansses sonnets comme des aiguilles dans un peloton. Cependant il se vante qu'il n’y a rien dans ses ecrits, qui ne lui appartienne aussi justement que le papier et l'encre qu’il a payes; que les vingt-quatre lettres de 1’Alphabet sont a lui comme a nons, et la disposition par consequent; et qu’Aristote etant mort, il peut bien s’emparer de ses livres, puisque ses terres, qui sont des immeubles, ne sont pas aujourd’hui sans maitres; mais apres tout cela. quelquefois quand on lui trouve le manteau sur les epaules, il 1'adopte pour sien, et proteste de n’avoir jamais loge dans sa memoire que ses propres imagina tions. Pour cela il se peut faire : ses ecrits etant 1’hopital ou il retire les miennes. Si maintenant vous me demandez la definition de cet homme, je vous repondrai que c est un echo qui s'est fait panser de la courte haleine ( 117 ); et qui auroit ete muet, si je n’avois jamais parle. Pour moi. je suis un miserable pe-re, qui pleure la perte de mes LETTRES SATIRIQUES 107 enfants. 11 est vrai que de ses richesses il en use fort genereusement, car elles sont plus a moi qu’a lui. Et il est encore vrai que si l’on y mettoit le feu, en y jetant de l’eau, je ne sauverois que mon bien. Cest pourquoi je me retracte de tout ce que je lui ai reproche! De quelle faute, en effet, puis-je accuserun innocent qui n a rien fait, ou qui (quoi qu’il ait fait) ne l’a fait enfin qu’apres moi! Je ne 1’accuse done plus, nous sommes trop bons amis, et j’ai toujours ete si joint a lui, qu'on ne peut pas dire qu’il ait jamais travaillea quelque chose ou je n’aie ete attentif. Ses ouvrages etoient mes seules pensees, et quand je m’occupois a imaginer, je songeois a ce qu’il devoit ecrire. Tenez done, je vous supplie, pour assure que tout ce que je semble avoir reproche ci-dessus a sa mendicite, est seulement pour le prier qu’il epargne ses ridicules comparaisons de nos peres; car ce n’est pas le moyen de devenir, comme il 1’espere, ecrivain sans comparaison, puisque c’est une marque d’avoir bien de la pente au larcin de derober jusqu’a des guenilles, et de n'avoir pour toute finesse de bien dire que des << comme », des «de metne » ou des « tout ainsi». Comment! la foudre n’est pas assez loin de ses mains dans la moyenne region de l’air, ni les torrents de la Thrace assez rapides, pour empecher qu’il ne les detourne jusqu’en ce Royaume, pour les marier par force a ses comparaisons? Je ne vois pas le motif de ce mauvais butin, si ce n’est que ce flegmatique, de peur de laisser croupir ses aquatiques pensees. essaye d’en former des torrents, craignant qu’elles ne se corrompent, ou qu’il veuille echauffer ses froides rencontres avec le feu des eelairs et des tonnerres. Maispuisque enfin, pour tout ce que je lui saurois dire. il ne vainera pas les tyranniques malignites de sa planete; et puisque cette inclination de filou le gourmande avec tant d’empire, qu’il glane au 108 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC moins sur les bons auteurs ; je lui pardonnerois, mais il n' exprime que les sentiments des sots. Toutefois quand j'y songe, je ne m' etonne plus ; c' e st V ordinaire de La Chapelle de -ne tir er de Vesprit que des sim ples et pour vous montrer qu’il affecte de derober les gueux et de les depouiller des pieds jusqu’a la tete, c’est ce que je vous ferai voir dans toutes ses lettres le commencement et la fin des miennes : Je suis, Monsieur, Votre Serviteur. Contre un Gros Homme* Enfin, groš homme, je vous ai vu! Mes prunelles ont acheve sur vous de grands voyages ; et le jour que vous eboulates corporellement jusqu’a moi, j’eus le temps de parcourir votre hemisphere, ou pour parler plus verita- blement d’en decouvrir quelques cantons. Mais comme je ne suis pas tout seul les yeux de tout le monde, per- mettez que je donne votre portrait a la posterite, qui un jour sera bien aise de savoir commentvous etiez fait. On saura done, en premier lieu, quela Nature qui vous ficha une tete sur la poitrine, ne voulut pas expressement y mettre de col, afin de le derober aux malignites de votre horoscope ; que votre ame est si grosse, qu’elle serviroit bien de corps a une personne un peu deliee ; que vousavez ce qu’aux hommes on appelle la face si fort au-dessous des epaules, et ce qu’on appelle les epaules si fort au- dessus de la face, que vous semblez un saint-Denis por- tant son chef entre ses mains. Encore je ne dis que la moitie de ce que je vois, car si je descends mes regards jusqu’a votre bedaine, je m’imagine voir aux Limbes * 1654. Lettre X (pour IX). p. i53- — Ms. f. 167- Contre le groš Montfleury, inauvais auteur et comčdien. Variantes de style, c’est Zacharie Jacob, le pere de Antoine Jacob qui est ne en 1640. LETTRES SAT1RIQUES 109 tous les Fideles dans le sein d’Abraham, sainte-Ursule qui porte les onze mille Vierges enveloppees dans son manteau, on le Cheval de Troie farci de quarante mille hommes. Mais je me trompe, vous etes quelque chose de plus groš, ma raison trouve bien plus d’apparence a croire que vous etes une loupe aux entrailles de la Nature, qui rend la terre jumelle. He ! quoi, vous n’ouvrez jamais la bouche qu’on ne se souvienne de. la fable de Phaeton, oii le globe de la Terre parle ( 11S ), oui le globe de la Terre. Et si la Terre est un animal, vous voyant aussi rond et aussi large qu’elle, je soutiens que vous etes son male, et qu’elle a depuis peu accouche de l’Amerique, dont vous 1’aviez engrossee. He! bien, qu ? en dites-vous? le portrait est-il ressemblant, pour n’y avoir donne qu’une touche ? Par la description de votre sphere de chair, dont tous les membres sont si ronds, que chacun fait un cercle, et par Farrondissement universel de votre epaisse masse, n’ai-je pas appris a nos Neveux que vous netiez point fourbe, puisque vous marcbez rondement? Pouvois-je mieux convaincre de mensonge ceux qui vous menacent de pauvrete, qu’en leur faisant voir a 1’oeil que vous roulerez toujours t Et enfin etoit-il possible d’enseigner plus intelligiblement que vous etes un miracle, puisque votre gras embonpoint vous fait prendre, par vos spectateurs, pour une longe de veau qui se pramene sur ses lardons? Je me doute bien que vous m’objecterez qu’une boule, qu’un globe, ni qu’un mor- ceau de chair, ne font pas des ouvrages de thedtre et que le grand Asdrubal* est sorti de vos mains. Mais, entre vous et moi, vous en connoissezFenclouure; il n’ya per- sonne en France, qui ne sache que cette tragedie est la * La Mori d'Asdrubal, tragedie du sieur de Monifleurj, comedien de la trou/e royale. Pariš, Toussaint Quinet, 1647. I IO CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC Corneille d'Esope : quelle a etč construite d'un impot par vous etabli sur tous les poetes de ce temps, que vous 1’avez sue par cceur, auparavant que de l’avoir imaginee, qu etant tiree de toutes les autres*, on la peut appeler la « Pieces des pieces», et que vous seriez non seulement un globe, une boule et un morceau de chair, mais encore un miroir qui' prend tout ce qu’on lui montre, n’etoit que vous representez trop mal la dette. Sus done, con- fessez, je n’en parlerai point ; au contraire, pour vous excuser, je dirai a tout le monde que votre Reine deCar- tliage doit etre un corps compose de toutes les natures ; parce qu'etant d’Afrique, c'est de la que viennent les monstres. Et j’ajouterai meme que cette piece parut si belle aux nobles de cette R6publique, qu’a l’exemple des aeteurs qui la jouoient tout le monde la jouoit. Quelques ignorants peut-etre concluront, a cause de la sterilite de pensees qu’on y trouve, que vous ne pensiez a rien quand vous la fites, mais tous les habiles savent qu'afin d’eviter 1’obscurite, vous y avez mis les bonnes choses fort claires ; et quand meme ils auroient prouve que depuis l’ortie jusqu’au sapin, c’est-a-dire depuis le Tasse jusqu’a Corneille, tous les Poetes ont accouche de votre enfant, ils ne pourroient rien inferer, sinon qu’une ame ordinaire n’etantpas assez grande pour vivifier votre masse de bout en bout, vous futes anime de celle du monde, et qu’aujourd hui Cest ce qui est cause que vous imaginez par le cerveau de tous leshommes. Mais encore, * Cette accusation de plagiat, Cyrano l’a encore appuyee fortement dans i654 (apres la Corneille d’Esope) « que vous l’avez sue par cceur auparavant que del’avoir inventee (etant tiree de l'A minie 110 (du Tasse , du Pastor fido'™', de Guarini. du Cavalier Marin 121 , et de cent autres ». Cyrano a eu raison sans le savoir. La Mori d' Asdrtibal est bien un plagiat, mais ce plagiat, il l’a ignore. Cette tragedie ne serait autre, d’apres Weiss, que 1’adaptation en vers d’une autre tragedie. Le Sac de Carthage, Pariš, 1642, de Jean Puget de La Serre, qui n’a rien a faire avec 1'Amintedu Tasse, etc. LETTRES SATIRIQUES 11 I ces stupides sont bien eloignes d'avouer que vous ima- ginez : ils soutiennent metne qu'il n’est pas possible que vous puissiez parler. ou que si vous parlez, c’est cotnme jadis 1 antre de la Sibylle qui parloit sans le savoir. Mais encore que les fumees qui sortent de votre bouche, je voulois dire de votre bondon, soient aussi capables d'enivrer que celles qui s'exhaloient de cette grotte, je n’y vois rien daussi prophetique; c est pourquoi j’estime que vous n'etes au plus que la caverne des sept Dor- mants, qui ronflent par votre bouche. Mais, bons Dieux !. qu'est-ce que je vois? Montfleury encore plus enfle qu’a Tordinaire ! Esl-ce done le courroux qui vous sert de seringue ? Deja vos jambes et votre tete se sont tellement unies par leur extension a la circonference de votre globe, que vous n’etes plus qu’un ballon ; c'est pourquoi je vous prie de ne point approcher de mes pointes, de peur que je vous creve. Vous vous figurez peut-etre que je me rhoque ? Par ma foi, vous avez devine, et le miracle n’est pas grand qu’une boule ait frappe au but. Je vous puis metne assurer, que si les coups de baton s’envoyaient par ecrit, vous liriez ma lettre des epaules ; et ne vous etonnez pas de mon procede, car la vaste etendue de votre rondeur me fait croire si fermement que vous etes une terre, que de bon coeur je planterois du bois sur vous, pour voir comme il s’y porteroit. Pensez-vous done, qu'a cause qu’un homme ne vous sauroit battre tout entier en vingt-quatre heures, et qu’il ne sauroit en un jour echiner qu’une de vos omoplates, que je me veuille reposer de votre mort sur le Bourreau? Non, non, je serai moi metne votre Parque, et j e vous eusse des l autre- fois ecrase sur votre theatre, si je n’eusse apprehende d aller contre les regles. qui defendent d’ensanglanter la sečne. Ajoute^ d cela que je ne suis pas encore delivre d’un mal de rate, pour la guerison duquel les Medecins 8 I 12 CEUVRES DE CYRANO DE BERGERAC m’ont ordonne encore quatre on cinq prises de vos imper- tinences ; mais sitot que j’aurai fait banqueroute aux divertissements, et que je serai las de rire, tenez par tout assure que je vous enverrai defendre de vous compter entre les choses qui vivent. Adieu, c’est faitJ’eusse bien fini ma lettre a 1’ordinaire, mais vous n’eussiez pas cru pour cela que je fusse votre tres humble, tres obeissant, et tres affectionne : c’est pourquoi, Montfleury, Serviteur a la paillasse. CONTRE ScARRON* Monsieur, Vous me demandez quel jugement je fais de ce Renard, a qui semblent trop vertes les mures ou il ne peut atteindre ? je pense que comme on arrive a la connoissance d’une cause parses effets, qu’ainsi pour con- noitre la force ou la foiblesse de 1’esprit de ce personnage, Il ne faut que jeter la vue sur ses productions. Mais je parle fort mal de dire ses « productions » : il n’a jamais su que detruire, temoin le Dieu des Poetes de Rome, qu’il fait encore aujourd’hui radoter ( lž2 ). Je vous avouerai done, au sujet sur lequel vous desirez avoir mon senti¬ ment, que je n’ai jamais vu de ridicule plus serieux, ni de serieux plus ridicule que le sien. Le peuple 1’approuve : apres cela concluez. Ce n’est pas toutefois que je n’estime son jugement, d’avoir choisi pour ecrire un style moqueur, puisque ecrire, comme il fait, Cest se moquer du monde. Ses partisans ont beau eri er pour elever sa gloire, qu’il travaille d’une fapon ou il n’a personne pour guide, je leur confesse ; mais qu’ils mettent la main sur leur conscience. En verite, n’est-il pas plus aise de faire * 1654. Lettre X (pour XI),- p. 160, dans les editions posterieures : Contre Ronscar. — Ms, f. 191. Contre Scarron, poete burlesgue. — Cyrano a refait completement cette lettre au point de vue du style. LETTRES SAT1RIQUES I13 1’Eneide de Virgile, comme Scarron, que de faire 1’Eneide de Scarron, comme Virgile ? Pour moi, je m’imagine, quand il se mele de profaner le saint art d Apollon, entendre une Grenouille fachee coasser au pied du Par- nasse. Vous me reprocherez peut-etre que je traite un pen mal cet Auteur, de le reduire a 1’insecte ; mais ne l’ayant jamais vu, puisque vous m’obligez a faire son tableau, je ne saurois pour le peindre, agir d’autre fapon que de suivre l idee que j’en ai repne de tous ses amis. II n’y en a pas un qui ne tombe d’accord, que sans mourir, il a cesse d’etre homme, et n’est plus que fapon. Mais en effet, a quoi le reconnoitrions-nous ? 11 marche a rebours du sens commun, et il en est venua ce pointde bestialite, que de bannir les pointes et les pensees de la composition des ouvrages. Quand par malheur en lisant, il tombe sur quelqu’une, on diroit, a voir 1’horreur dont il est surpris, qu’il est tombe des yeux sur un basilic, ouqu’il a marche sur un aspic. Si la terre n’avoit jamais connu d’autres pointes que celles des chardons, la Nature Pa forme de sorte qu’il ne les auroit pas trouvees mauvaises ; car entre vous et moi, lorsqu’il fait semblant de sen tir qu’une pointe le pique, je ne puis m’empecher de croire que c’est afin de nous persuaderqu’il n’est pas ladre ; mais ladre ounon, jele lairrois en patience, s il n'erigeoitpoint des trophees alastupidite, en l’appuyantdeson exemple. Commentl ce bon Seigneur veut qu’on n’ecrive que ce qu’on a lu, comme si nous ne parlions aujourd’hui Franpois qu’a cause que jadis on a parle Latin, et comme si l’on etoit raisonnable que quand on est moule. Nous sommes done beaucoup obliges a la Nature,, de ne 1’avoir pas fait naitre le premier homme; car indubitablement il n’auroit jamais parle, s’ilavoit entendu braire auparavant. Il est vrai que pour faire entendre ses pensees, il emploie une espece d’idiome, qui force tout le monde a s'etonner comme les 114 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC vingt-quatre lettres de 1’alphabet se peuvent assembler en tant de facons sans rien dire. Apres cela, vous me demanderez le jugement que je fais de cet homme, qui, sans rien dire, parle sans cesse ? Helas Monsieur, aucun, sinon qu’il fant que sa verole soit bien enracinee, de n’en etre pas encore gueri depuis plus de quinze* ans qu’il a le flux de bouche. Mais a propos de sa verole, on croit, comme un miracle de ce saint homme, qu’il n’a de 1'esprit que depuis qu’il en est malade ; que, sans ce que la mala- die a trouble 1’economie de son temperament, il etoit taille pour etre un grand sot, et que rien n’est capable d'eftacer 1’encre dont il a barbouille son nom sur le front de la Memoire ( iž3 ), puisque le mercure et 1’archet ( 12 ‘) n'en ont pu venir a bout. Les railleurs ajoutent a cela qu il ne vit qu ? a force de mourir, parce que cette drogue de Naples qui lui a coiite bonne, et qui l’a fait monter au nombre des Auteurs, il la revend tous les jours a Quinet ( 125 ). Mais quoi qu’ils disent, il ne mourra jamais de faim, car pourvu que rien ne manque a sa chaire ( r2e ), je suis fort assure qu’il roulera jusqu’a la mort. S’il avoit mis ses Poemes autant a couvert de la fureur de 1’oubli, 115 ne seroient pas en danger, comme ilssont, d’etre bien- tdt inhumes en papier bleu ( i27 ). Aussi n’y a-t-il guere d'apparence que ce pot-pourri de Peaux d Anes et de Contes de ma Mere l’Oie, fasse vivre Scarron autant de siecles que 1’Hisfoire d’Enee a fait durer Virgile. Il me semble, au contraire, qu’il feroit mieux d’obtenir un arret de la Cour. qui portat commandement aux Haran geres de parler toujours un meme jargon, de peur qu’in- troduisant de nouveaux rebus, a la plače des vieux, on ne doute avant quatre mois en quelle Langue il aura * Le Ms porte huit ans et 1’imprime quinze ans, ce qui reporterait la maladie de Scarron a ibq3 ou i63q. — La date exacte doit etre [63q. lettr.es satiriques 115 ecrit. Mais helasen ce terrestre sejour, qui peut repondre de son eternite dans la memoire des hommes, quand elle depend de la vicissitude de leurs proverbes ? Je vous assure que cette pensee m’a fait juger plusieurs fois que leschevaux qui trainent le char de sa Renommee, auroient besoin qu’il se servit de pointes pour la faire avancer ; autrement elle porte la mine, si elle marche aussi lente- ment que lui, de ne pas faire un long voyage. Comment! les Grecs ont demeure moins de temps au Siege de Troie, qu’il ne sen est passe depuis qu’il est sur le sien. A le voir sans bras et sans jambes, on le prendroit (si sa langue etoit immobile) pour un Terme plante au parvis du temple de la Mort! 11 fait bien de parler, on ne pourroit pas croire sans cela qu'il fut en vie ; et je me trompe fort, si tout le monde ne disoit de lui, apres 1’avoir oui tant crier sous 1’archet, que c’est un bon violon. Ne vous imaginez pas, Monsieur, que je le bourre ainsi pour m’escrimer de l'equivoque, violon ou autre. A curieuse- ment considerer le squelette de cette momie, je vous puis assurer que si jamais il prenoit envie a la Parque de danser une sarabande, elle prendroit a chaque main une couple de Scarrons, au lieu de Castagnettes, ou tout au moins elle se passeroit leurs langues entre ses doigts pour s’en servir, comme on se sert des cliquettes de ladre ( lž8 ). Ma foi! puisque nous en sommes arrives jusque- la, il vaut autant achever son portrait. Je me figure done (car il faut bien se figurer les animaux que Fon ne montre pas pour de Fargent) que, si ses pensees se forment au moule de sa tete, il doit avoir la tete fort plate ; que ses yeux sont des plus grands, si la Nature les lui a fendus de la longueur du coup de hache qui lui a fele le cerveau. On ajoute a sa deseription, qu’il y a plus de dix ans que la Parque lui a tordu le cou sans le pouvoir etrangler et gue personne aujourd hui ne le regarde, courbe comme il 116 CEUVRES DE CVRANO LE BERGERAC est, qu'il ne croie qu il sepenche petit a petit pour tomber doucement en l' A utr e Monde ; et ces jours passes trn de ses amis m’assura, qu’apres avoir contemple ses bras tor- dus et petrifies sur les hanches, il avoit pris son corps pour un gibet, ou le Diable avoit pendu une ame, et se persuada metne qu'il pouvoit etre arrive que le Ciel, ani- maiit ce cadavre infect et pourri, avoit voulu pour le punir des crimes qu’il n’avoit pas commis encore, jeter par avance son ame a la voirie. Au reste, Monsieur, vous l’exhorterez de ma part, s’il vous plait, de ne se point emporter pour toutes ces galanteries, par lesquelles je tache de derober sa pensee aux cruelles douleurs qui le tourmentent. Ce n’est point a dessein d’augmenter son affliction. Mais quoi ! il n’est pas facile de contraindre en son cceur toutes les verites qui le pressent; et puis pour avoir peint le tableau de son visage mal bati, n’est-il pas manifeste a chacun que depuis le temps que les Mede- cins sont occupes a curer sa carcasse, ce doit etre un homme bien vide? Outre cela, que sait-on si Dieu ne le punit point de la haine qu’il porte a ceux qui savent bien penser, quand nous voyons sa maladie devenueincurable, pour avoir differe trop longtemps de se mettre entre-les mains d'une personne qui sut bien panser*? Je me per- suade que c’est aussi en consequence de cela, que ce Ger¬ bere enrage vomit son venin sur tout le monde ; car j’ai appris que quelqu’un lui depliant un Sonnet qu'il disoit (n’en etant pas bien informe) etre de moi, il tourna sur lui des yeux qui 1’obligerent de le replier sans le lire ; mais son caprice ne m’etonne guere, car comment eut-il pu voir cet ouvrage de bon ceil, lui qui ne sauroit metne regarder le Ciel que de travers ; lui qui, persecute de trois fleaux, ne reste sur la terre que pour etre aux hommes * Voir la variante du Ms. que nous reproduisons a la fin de cette lettre. LETTRES SATIRIQUES I17 un spectacle continuel de la vengeance de Dieu ; lui dont la calomnie et la rage ont ose repandre leur ecume sur la pourpre d’un Prince de 1'Eglise ( )29 ), et tache d’en faire rejaillir la honte sur la face d'un Heros qui conduit heu- reusement, sous les auspicesde Louis, le premier Etat de la Chretiente. Enfin tout ce qui estnoble, auguste, grand et sacre, irrite a tel point ce monstre, que, semblable au coq d’Inde aussi bien en sa difformite qu’en son cour- roux, il ne peut supporter la vue d’un chapeau d ecarlate, sans entrer en fureur, quoique sous ce chapeau la France glorieuse repose a couvert de ses ennemis l Vous jugez done bien a present que son mepris m’importe comme rien, et que pauroit ete un petit miracle si mon Sonnet qui passe pour assez doux, n’avoit pas semble fade a un homme poivre. Mais je m’aperpois que je vous traite un peu trop familierement, de vous entretenir d’un sujet si bas. Au reste, j e vous conseille de vous passer de 1’aimable comedie que vous vous donneriez, en lui montrant ma lettre, ou bien faites-vous instruire de la langue qu’en- tendoit Esope pour lui expliquer le Francois. Voila une partie de ce que j’avois a mander ; 1’autre consiste a signer le « Je suis », en le faisant tomber mal a propos, parce qu’il est tellement ennemi des pensees, que si quelque jour cette lettre venoit entre ses mains, il pre- cheroit partout que je 1’aurois mal conclue, apres qu’il auroit trouve que je n’aurois pas mis a la fin, sans y penser : Je suis, Monsieur, votre Serviteur. La fin de cette lettre (sauf les dernibres lignes) est dif- ferente dans le manuserit. Celui-ci, anterieur a 1’evolution mazariniste de Cyrano, ne contient pas 1’eloge du Cardi¬ nal, mais apporte la premiere version de la cause de son animosite envers Scarron, la voici : (apres... qui su t bien panser) <;< ...Je me figure qu.e c’est 118 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC aussi pour cela qu'il me hait avec si peti de raison : car on a remarque qu'il ne se donna pas le loisir de lire une page de mes oeuvres, qu’il conclut qu'elles puaient le portefeuille. Mais comment les eut-il regardees de bon ceil, lui qui ne sauroit meme regarder le Ciel que de tra- vers. Ajoute^ d cela qu'etant poivre comme il est, il riavoit garde qu il ne me trouvdt fade, etpour vousparler franche- rnent, je crois qzte c etoit une nourriture trop forte pour son estomac indioeste. Ce n est pas que je ne fusse bien aise quelque jour de m'abaisser jusqu’d lui, mais j' aurois pezir, si le pied me manquoit, de tomber de trop haut ou quil fallut me servir du langage d'Esope pour lui expli- quer le franqois. Apotheose d’un Ecclesiastique bouffon * Messire Jean, je m’etonne fort que sur la Chaire de verite vous dressie^ un Theatre de Charlatan, et que vous fassiez reciter des fables de Peau d’Ane a Jesus- Christ, dont vous jouez le personnage en ce monde. A voir les passe-passe dont vous tabarinez cette Eglise, les epanouissements de rate qui vous font tressaillir, les contesgras que vous degobillez, nous sommes contraints — quelle abomination — de nous ramentevoir les ceremonies qu’on faisoit d Priape, de qui le Pretre etoit le Maquereau. Vous devriez traiter notre Dieu avec plus de respect, quand vous ne lui seriez oblige que des soupes renforcees qu’il octroie a votre cuisine. Ha ! Messire Jean, faites au moins semblant de croire, pour nous en faire accroire ! Permette^ que nous puissions * Ms. f. i3i — 1654. Lettre XI, p. 170 A Messire Jean. Cyrano a refait cette lettre pour 1’attenuer, aussi donnuns-nous par exception le texte du Ms. ; celui qui se retrouve dans l’imprime de 1664 est ici en italique. LETTRES SATIRIQUES 119 nous enjoler et nous crever les yeux pour ne pas voir que vous etes un impie, ou, puisque vous voulez ribon ribaine debiter notre foi comme une farce, serve^-vous au lieu de cloches de tambourins de Biscaye, mettes^ gam- bader une guenon sur vos epaules ; puis pout achever la momerie en toutes ses mesures, passe^ la main dans votre chemise, vous y trouvere^ Godenot dans sa gibeciere. On ne s’estomaquera point contre vous, puisqu’on ne se choque point de voir des bateleurs. La vous pourrez calculer les vertus de votre mithridate ( 1S0 ), vous debiterez des chapelets de baume, des savonnettes pour la gale, des pommades odoriferantes, et meme si vous avez le talent de suspendre par un bon mot de gueule 1’action visible des nigauds sur leur pochette, comme deux jours avant qu’etre eleve au Ciel faisoit encore le pauvre defunt, je vous donne parole de la part des Narquois de deux habits bien venants par annee; vous pourrez aussi tres prudem- ment paire provision d'onguent pour la brulure, car les Sorciers de ce pays jurent avoir lu dans votre cedule que le terme (en) expirea Noči. Cependant vous protestez qu’il n’y eiit jamais de veritables possessions Si est-ce qu'a voir les contorsions doni vous agite^ les pendants de votre galne corporelle, personne ici ne doute que vous n’ayez le Diable au corps ■ mais je vois bien ce que c’est, vous tachez de ne point croire ce que vous apprehendez, et voulez vousguerir du mal d'Enfer par zine forte ima- gination, mais par ma foi, soyez damne I soyez sauve I II ne m’importe : Tous coups valent, pourvu que dans les couvents ou vous batelez vous n’accrochie^ que des vieilles [ou des sterilesf parce quela venue del’Antechrist nous fait peur. Vousriez, messire Jean, de m’entendre ainsi raisonner, vous chez qui l’Apocalypse et la Mytho- logie sont en meme rang. L'Enfer est un petit conte pour faire peur aux hommes, ainsi qu’on menace les enfants 120 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC du charbonnier. J'avoue que pour la manutention des Etats, il y a beaucoup de choses vraies qu'il faut que le Peuple ignore, beaucoup de fausses que necessairement il faut qu'il croie, mais notre religion n’est pas etablie sur cette maxime : une conjoncture encore quasi mira- culeuse en vous, c’est que vous etes ensemble impie et superstitieux, composant des filets de votre vie une toile d’atheisme et de sortilege, cela marque bien que vous mourrez en dansant les sonnettes, si 1’Ellebore ou saint- Mathurin ne vous guerissent. Mon Dieu, quel plaisir me chatouille, quand je considere a pleins yeux la symetrie de votre humaine remembrance : vos cheveux plus droits que votre conscience, un front coupe de sillons (c est-d- dire taille sur le modele des campagnes de Beauce), ou le temps »iar^jzelage aussi justement que les beures au cadran de la Samaritaine; vosyeux, a l’ombre de vos sourcils touffus, qui ressemblent d deux precipices au bord d'un bois, ou a deux pruneaux noirs bouillants tout seuls dans deux marmites separees. lis sont tellement enfonces, qu d vivre encore un mois, vous nous regardcre^ par derriere. Quelques-uns pensent a les voir habilles de rouge que ce sont deux cometes, ou j’y trouve de l’appa- rence, puisque plus haut dans vos sourcils il se decouvre des Etoiles fixes, que les medisants appellent morpions et poux; votre visageest harnache d'un nez, dont l'infec- tion punaise est cause que vous avez toujours vecu en fort mauvaise odeur; vos joues sont de maroquin de Levant; les plus delies poils de vos moustaches fournissent charitablement de bar bes aux goupillons de votre Eglise. Je passerois plus avant, mais j’ai peur d’etre englouti par cette exhalaison de bouquin que respire votre chemise, et je serois marri que cet air empeste me sufloquat aupa- ravant qu’on put savoir que celui qui composa cette Apotheose est de B. LETTRES SATIRIQUES 121 Contre un Jesuite assassin et mediš ant* * Pere criminel. Assurement vous me preniez pour un Roi quand vous prechiez vos Disciples de m’assassiner, mais ce n’est pas de toute farine que se font les Chatels et les Ravaillacs; on a purge vos Colleges de ce mauvais sangs et le souvenir de la Pyramide( 131 ) empeche que le massacre ne passe de votre bouche dans les mains de ceux qui vous ecoutent. Vous ne laissez pas cependant, du faite de votre Tribune (pedagogue et bourreau de huit cents ecoliers) de leur precher ma mort comme une croisade, mais des enfants sont trop tendres pour etre exhortesau poignard. Vous cajoleriez plus aisement la conscience d’un brutal deja fait au meurtre, comme celui qui ne manqua mon sort que d’une journee. II etoit homme d’execution celui-la, vous lui aviez tres bien prouve qu’un assassinat etoit la seule voie de se reconcilier avec Dieu; il vous avoit tres bien cru, et si une pištole dont vous futes chiche, au lieu des indulgences et des medailles dont vous le chargeates, eutseconde son courage, 1’embuscade prolongee de vingt-quatre heures rougissoit le pave de mon sang. et puis vous etes de la Compagnie de Jesus! O 1 Dieu, Jesus avoit-il en sa Com- pagnie des personnes qui conseillassent 1’homicide? Non. vous n’en etes point, ou bien vous etes de celles qu’il eut en croix, avec deux mejirtriers. Si vous jugez ma mort * Inedite, Ms. f. i3y. Cette lettre, premiere version de la suivante (contre un Pedant) egalement dans le Ms. est un produit de 1’imagination de Cyrano, les Jesuites n’ayant eu d'occasions ni de motifs pour le persecuter. Elle vise (e Pere Hereau ou Herault (que Cyrano deguise sous le nom de Nicolas B***) poursuivj en 1644, a la requete de 1’Universite de Pariš, pour les maximes dangereuses qu il professait, dans son cours de theologie. telles que « l’assassinat des par- ticuliers sous un vain pretexte d’honneur, etc. ». La lettre de Cyrano doit dater de cette epoque. 122 CEUVRES DE CYRANO DE BERGERAC une ceuvre meritoire, que n’y employez-vous votre main ; si elle ne l’est pas, pourquoi la conseillez-vous ? Dieti souffrit autrefois que les Juifs 1’appellassent fourbe, seducteur, magicien, et qu’ils ruinassent l’opinion de sa divinite par un infame supplice ; et M’ Nicolas B..., plus passionne que Jesus-Christ pour le salut des hommes, plus entendu a 1’etablissement du Christianisme que Dieu, veut me perdre ! dut-il lui en couter son ame. Je dis son ame, car pour sa vie, il ne la voudroit pas jouer contre la Monarchie du Monde. II conseille et concerte ma ruine, mais ce sont des morceaux qu’il taille pour d’autres. Le poltron qu’il est seroit bien aise de contem- pler surement de la rive un naufrage en haute mer, cependantje suis devotie au pistolet par un Moine, un Moine qui devroit (si l’idee d’un pistolet avoit pris plače en son imagination) se faire exorciser. Barbare maitre d’ecole, quel sujet avez-vous de me tant vouloir de mal ? Vous feuilletez possible tous les crimes dont vous etes capable, et sur cela vous concluez que je suis Athee ; mais Pere ecervele, me croyez-vous si stupide de me figurer que le Monde soit ne comme un champignon, que les Astres aient pris feu et se soient arranges par hasard, qu’une matiere morte, de telle on telle fa^on disposee, ait pu faire raisonner un homme, sentir une bete, vegeter un arbre; pensez-vous que je ne reconnoisse pas la Providence de Dieu, quand je vous regarde sous un chapeau dont le sacre circuit vous met a couvert de la foudre, quand je vous regarde dans une Compagnie dont la sainte reputation purge la votre, enfin, quand je vous regarde si foible et si mechant. Non, non, le veri- table sujet de la haine que vous me portez, c’estl’envie, et la ridicule imagination que vous avez eue de vous rendre recommandable en me choquant. Comme ce fut la meme quinte qui conduisit a 1'hopital 1’esprit et LETTRES SATIRIQUES 123 le corps du Pere Garasse( 13a ), pardonnez-moi done, je vous supplie, car je ne savois pas que de venir au monde avec de 1’esprit etoit vous offenser, ni, comme vous savez, je n’etois point au ventre de la jument qui vous confut pour disposer a 1’humanite des organes et la complexion qui concouroient a vous faire cheval. J’ai tort, a la verite, de donner a votre naissance une cause si basse ; je crois que votre origine est a tous tres remar- quable, vous autres dont les gestes ont pour monumens les monumens de nos Rois : ce n’est pas que j’impute au dereglement de tout un corps la corruption d’un membre, car on sait bienqueside ce corps vous composez quelque chose, vous en etes les parties honteuses, que votre ame est noire a cause.qu’elle portele deiiil du trepas de votre conscience, et que votre habit garde la metne couleur pour servir de petite oie a votre ame. O! Dieux, faut-il qu’un chetif hypocondre comme voussoit la condamna- tion de toute la Societe, que vous fassiez eelipser mille Soleils en votre Compagnie par la seule interposition de votre epaisse reverence, et que Saint-Ignace, depuis un siecle qu’il est au Ciel, boite encore en vous tous les jours. Cependant vous vous imaginez etre habile et savant par dessus tous ceux de votre Ordre. Helas! mon grand Arni, si vous etes le plus grand homme des Jesuites, vous ne devez cette grandeur qu’a celle de vos membres, et vous etes le plus grand personnage de votre couvent comme Saint-Christophe est le plus grand Saint de Notre-Dame. A la verite, vous etes plus grand qu’eux en fourbes, en lachetes, en' trahisons, et par vous Dieu s’est trouve, depuis Judas, plus d’une fois entre les mains d’un traitre, mais je ne crains point vos conspirations, tandis que nous aurons une Regente sous qui les Regents comme vous sont grimaux. Ce n’est pas que vous ne meritiez (quandla Fortune etlajustice seront bien ensemble) que 124 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC de trois ou quatre mille anes qui etablent a votre College, on vous declare le principal. Oiii, certes, vous le meritez, car je ne sache personne a qui le fouet appartienne justement comme a vous; vous le savez manier de si bonne grace, que vous achetez 1’affection des Peres par le supplice de leurs enfants : vous pendez les coeurs a vos verges et vous vous introduisez dans leur esprit par la porte de derriere; ce n’est pas que je n’en sache tel qui voudroit pour dix pistoles vous avoir ecor- che; mais si vous me croyez, vous le prendrez au mot pour 1’attraper, car dix pistoles sont plus que ne sauroit valoir la peau d’une bete a corne. Je ne suis pas votre Serviteur. CoNTRE UN PEDANT* P ere indigne, je m’etonne qu’une buche comme vous, qui semblez avec votre habit, n’etre devenu qu’un grand charbon( 133 ) n’ait encore pu rougir du feu dont vous brulez. Pensez au moins, quand le Diable vous revoite contre moi, que le salpetre riest pas cher, que ma main est asse{ proche de ma tete, et que jusqu’a present votre foiblesse et ma generosite vous ont garanti. Quoique tout votre compose soit quelque chose de fort meprisable, je m’en delivrerai s’il me semble incommode; ne me con- traignez done pas a me souvenir que vous etes au monde. Et si vous voulez vivre plus d’un jour, rappelez souvent en votre memoire, que je vous ai defendu de ne me plus faire la matiere de vos catechismes prives. Mon nom remplit mal une periode, et 1’epaisseur de votre Refe¬ rence carree la pourroit mieux fermer. Vous faites le * 1654. Lettre XI (pour XII), p. 175. — Ms. f. 200. Au Regent de la Rheto- rique des Jčsuites. Cette lettre est beaucoup plus importante dans 1’imprime que dans le Ms. Nombreuses variantes de style. LETTRES SATIRIQUES 125 Cesar, quand du faite de votre tribune, pedagogue et bourreau de cent Ecoliers, vous regardez gemir sous un sceptre de bois votre petite Republique. Mais prenez garde qu’un tyran n’excite un Brutus; car quoique vous soyez 1’espace de quatre heures sur la tete des Empe- reurs( 1M ), vous en etes vingt sous les pieds de la populace et votre domination n’est point si fortement etablie, qu’un coup de cloche ne la detruise deux fois par jour. On dit que partout vous vous vantez d’exposer et votre conscience et votre salut; je crois cela de votre piete; mais de risquer votre vie a cette intention, je sais que vous etes trop lache et que vous ne la voudriez pas jouer contre la Monarchie du Monde. Vous conseillez et con- certez ma ruine, mais ce sont des morceaux que vous taillez pour d’autres. Vous seriez fort aise de contempler surement de larive un naufrage en haute mer; et cepen- dant je suis devoue au pistolet par un Pedant bigot, un Pedant «in sacris » qui devroit pour l’exemple, si l image d un pistolet avoit pris plače en sa pensee, se faire expr- ciser. Barbare Maitre d’ecole! quel sujet vous ai-je donne de me tant vouloir de mal? Vous feuilletez peut-etre tous les crimes dont vous etes capable, et pour lors il vous souvient de m’accuser de limpiete que vous reproche votre memoire; mais sachez que jeconnois une chose que vous ne connoissez point, que cette chose est Dieu, et que l’un des plus forts arguments, apres ceux de la Foi, qui m’ont convaincu de sa veritable existence, Cest d’avoir considere que sans une premiere etsouve- raine Bonte qui regne dans 1’Univers, foible et mechant comme vous etes, vous n’auriez pas vecu si longtemps impuni. Au reste, j aiappris que quelques petits ouvrages un peu plus eleves que les votres, ont cause a votre timide courage tous les emportements dont vous avez fulmine contre moi. Mais, Monsieur, en verite, je suis I2& (EUVR.ES de cvrano de bergerac en querelle avec ma pensee, de ce qu'elle a rendu ma satire plus piquante que la votre, quoique la votre soit le fruit de la sueur des plus beaux genies de lAntiquite. Vous devez vous en prendre a la Nature, et non pas a moi qui n'en puis mais; car pouvois-je deviner que d avoir de 1’esprit etoit vous offenser? Vous savez, de plus, que je netois pas au ven tre de la j umen t qui vous confut, pour disposer a I humanite les organes et la complexion qui concouroient a vous faire cheval. Je ne pretends point toutefois que les verites que je vous preche rejaillissent sur le corps de l Universite (cette glorieuse mere des Sciences) de laquelle si vous composez quelques membres, vous n’en etes que les parties honteuses, Y a-t-il rien dans vous qui ne soit tres difforme? Votre ame meme est noire, a cause qu’elle porte le deuil du trepasde votre conscience, et votre habit garde la meme couleur pour servir de petite oie( 1S5 ) a votre ame. A la verite, je confesse qu’un chetif hypocondre, comme vous, ne peut obscurcir 1’esprit des gens doctes de votre profession, et qu’encore qu un ridicule orgueil vous per- suade que vous etes habile par-dessus les autres Regents de 1 Universite, je vous proteste, mon cher ami, que si vous etes le plus grand homme en 1'Academie des Muses, vous ne devez cette grandeur qua celle de vos membres, et que vous etes le plus grand personnage de votre College, par le meme titre que saint-Christophe est le plus grand saint de Notre-Dame( 1S8 ). Ce n est pas que quand la Fortune et la Justice seront bien ensemble. vous ne meritiez fort detre le principal de quatre cents anes qu’on instruit a votre College; oni, certes, vous le meritez, etje nesache aucun Maitre deshautes ceuvres, a qui le fouet sied bien comme a vous, ni personne a qui il appartienne plus justement. Ausside ce grand nombre, j’en sais tel qui pour dix pistoles voudroit vous avoir LETTRES SATIR1QUES 127 ecorche; mais si vous m en croyez, vous le prendrez au mot, car dix pistoles sont plus que ne sauroit valoir la peau d une bete a cornes. De tout cela et de toutes les autres choses que je vous mandai Tantre jour, vous devez conclure, 6 petit Docteur, que les Destins vcus ordon- nent, par une lettre, que vous vous contentiez de faire echouer Tesprit de la jeunesse de Pariš contre les bancs de votre Classe, sans vouloir regenter celui qui ne reconnait Tempire ni du Monet( 13T ), ni du Thesau- rusfp®). Cependant vous me heurtez a corne emoulue, vous recite^ au premier venu vos jeunes friponneries sous mon nom ; mais sache^ qu’elles sont asse% criminelles pour etre oblige de les confesser autrement que par pro- cureur. Ceux qui veulent vous excuser en rejettent la cause sur la Nature, qui vous a fait naitre d'un Pays oii la betise est le premier patrimoine, et d’une Race dont les sept peches mortelsont compose Thistoire. Veritable- ment apres cela, j’ai tort de me facher que vous m'impo- sie% les imaginations impieset debordees de votre maison, puisque vous etes en age de donner votre bien, et que vous paroissiez quelquefois si transporte de joie en suppu- tantles debordes du siecle, que vous y oubliiez jusqu a votre nom. Personne ne m’a dit ni ceci, ni cela, ni vos bons tours avec D..., mais vous ebahisse^-vous queje les sache? Vous qui beuglez si hautdans votre trdne, que vous vous faites entendre d Orient jusqu'en Occident, et puis, j' attendois du repos apres la mort, aujourd'hui qudm homme qui n'est plus au monde vient meme troubler la paix des vivants. Je vous conseille toutefois, maitre Picard, de changer desormais de texte a vos harangues, carje nevera plus ni vous voir, ni vous entendre, ni vous ecrire, et la raison de cela estque Dieu, qui possible est au terme de me pardonner mes fautes, ne me pardon- neroit pas celle d’avoir eu affaire a une bete. 9 128 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC CoNTRE LE CaREME* Monsieur, Vous avez beau canoniser le Careme, c’est une fete queje ne suis pas en devotion dechomer. Je me le represente comme une large ouverture dans le corps de l’annee, par ou la mort s’introduit, ou comme un Cannibale qui ne vit que de chair humaine, pendant que nous ne vivons que de racines, Le cruel a si peur de manquer a nous detruire, qu’ayant su que nous devons perir par le feu des le premier jour de son regne, il met tout le monde en cendre; et pour exterminer par un Deluge les restes d’un embrasement, il fait ensuite deborder la maree jusque dans nos villes. Ce Ture qui racontoit au Grand Seigneur que tous les Franpois deve- noient fous a certain jour de l’annee, et qu'un peu de certaine poudre appliquee sur le front les faisoit rentrer dans leur bon sens, n’etoit pas de mon opinion; carje soutiens qu‘ils ne sont jamais plus sagesque cette journee. Et si Fon m’objecte leurs mascaradeš, je repondš qu’ils se deguisent, afin que le Careme qui les cherche ne les puisse trouver : en effet, il ne les attrape jamais que le lendemain au lit, lorsqu’ils sont demasques. Les Saints, qui pour avoir Tesprit de Dieu sont plus prudents que nous, se deguisent aussi; mais ils ne se demasquent que le jour de Paques, quand rennemi( i39 j s’en est alle. Ce n’est pas quele barbare ait pitie de nous; il se retire seu- lement, parce qu’alors nous sommes si changes, que lui- tneme ne nous reconnoissant plus, il croit nous avoir pris pour d’autres. VouS voyez que dčj^ nos bras se dechar- nent, nos joues tombent, nos mentons s’aiguisent, nos * 1654. Lettro XIII, p. 182. —- Ms, f. 202, pas do correction do style, — La »rereredi dos Cendresj premier jour de cardme, LETTRES satir.iques 129 yeux se creusent; Montfleury ( 14 °) le ventru que vous connoissez commence a voir ses genoux; la nature humaine est effroyable; bref, jusque dans les Eglisesnos Saints feroient peur, s’ils ne se cachoient. Et puis, doutez qu’il soit rechappe des Martyrs de la roue, de la fournaise et de 1’huile bouillante, lorsque dans six semaines nous verrons tant de gens se bien porter, apres avoir essuye la furie de quarante-six bourreaux( 141 )? Leur presence seule est terrible. Aussi je me figure Careme-Prenant ( 14a ), ce grand jour des metamorphoses, un riche Aine qui se creve. pendant que quarante-six Cadets meurentde faim. Ce n’est pas que la Loi du jeune ne soit un stratageme bien invente pour exterminer tous les fous d’une Repu- blique ; mais je trouve que VEglise a tort de tuer tant de veaux en une saison, ou elle ne permet pas qu’on en mange. Vousme repondre^ que saint-P ierre fut contraint d'etablir les jours maigreSparce qu etantpecheur, il rieut pas debile son poisson s'il n’elit defendu la viande. Mais vous ne m’empechere^ pas de croire, si jamciis un boucher devient Pape, que pour avoir le debil de sa viande, il ne defende le poisson : Ce sera pour lors qu’il ne soufflera plus en Mars, du cote de Rome, tant de vents de maree si malins, qu’ils nous empechent de manger a demi. He! quoi, Monsieur, il n’y a pas un chretien dont le ventre ne soit une mare a grenouilles, ou un jardin potager? Je pense que sur le cadavre d’un homme trepasse en Careme, on voit germer des betteTaves, des chervis, des navets et descarottes; maisencore il semble a ouir nos Predica- teurs, que nous ne devrions pas meme etre de chair en ce temps! Comment' il ne suffit pasa ce maigre impi- toyable de nous ruiner le corps, s’il ne s’efforce de corrompre notre ame! Il a tellement perverti les bonnes moeurs, qu’aujourd ? hui nous communiquons aux femmes nos tentations de la chair, sans qu’elles s'en ofiensent. Ne i3° CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC sont-ce pas la des crimes, pour lesquels on le devroit chasser d’un Etat bien police? Mais ce n’est pas d’aujour- d’hui qu'ilgouverne avec tant d’insolence, puisque Notre- Seigneur mourut sous le premier an de son regne, il peut bien 1' avoir fait mourir de faim. La machine entiere du monde pensa s’en evanouir, et le Soleil qui n’etoit pas accoutume a ces longues dietes, tomba le meme jour en defaillance, et ne seroit jamais revenu de sa foiblesse, si l’on n’eut promptement cesse le Careme. O trois fois et quatre fois heureux čelni qui meurt un mardi gras! II est quasi le seul qui se puisse vanter d'avoir vecu une annee sans Careme. Oni, Monsieur, si j’etois assure d’abjurer Lheresie tous les Samedis Saints, je me ferois huguenot tous les Mercredis des Cendres. Ma foi 1 les harangeres doivent bien demander a Dieu que jamais le Pape ne soit mon prisonnier de guerre; car encore que je sois assez bon Catholique, je ne le mettrois point en liberte qu'il netit restitue pour sa ran7z/z'»z>( 2 ° 2 ). Jetez-moi promptement vos bras Achillains sur ce Microcosme errone de chimeres abstractives, et liez-le aussi fort que Promethee sur le Caucase. CHARLOT Vous avez beau faire, je n’irai point. GRANGER Gardez-bien qu’il n’echappe, il feroit un Haricot de nos scientifiques substances. CEUVRES DE CYRANO DE BERGERAC 190 CHARLOT Mais, moti Pere, encore dites-moi pour quel sujet vous me traitez ainsi ? Ne tient-il qu’a faire le voyage de Venise pour vous contenter? J’y suis tout pret. GRANGER Osez-vous attenter au tableau vivant de ma docte Machine, Goujats de Ciceron ! Songez a vous ; « Iratus est Rex, Reginaque, non sine causa( 2o:j ) ». Apprenez que j’en dis moins que je n'en pense, et que « Supprimit Orator quse rusticus edit inepte( 2u4 j. » CHARLOT Oui, mon Pere, je vous promets de vous obeir en toutes choses ; mais pour aller a Venise, il n’y faut pas penser. GRANGER Comment, Frelon de College, Roiiille de mon Pain, Gangrene de ma substance, cet obsede n’a pas encore les fers aux pieds? Vite, qu’on lui donne plus d’en- traves que Xerces n’en mit a 1’Ocean quand il le voulut faire Esclave. CHARLOT Ah I mon Pere, ne me liez point, je suis tout pret a par tir. GRANGER Ha 1 je le savois bien que mon fils etoit trop bien morigene pour donner chez lui passage a la frenesie. Va, mon Dauphin, mon Infant, mon Prince de Galles, tu seras quelque jour la benediction de mes vieux ans. Excuse un esprit prevenu de faux rapports ; je te pro¬ mets en recompense d’allumer pour toi mon amour au centuple dčs que tu seras la. LE PEDANT JOUE, COMEDIE IQI CHARLOT Ou la, mon Pere? GRANGER A Venise, mon fils. CHARLOT A Venise, moi? Plutot la mort. GRANGER Au fou, au fou! Ne voyez-vous pas comme il m’a jete de 1’ecume en parlant? Voyez ses yeux toutren- verses dans sa tete. Ha ! mon Dieu, faut-il que j’aie un enfant fou ! Vite, qu’on me 1’empoigne ! CHARLOT Mais encore, apprenez-moi pourquoi on m’attache. UN CUISTRE Parce que vous ne voulez pas aller a Venise. CHARLOT Moi, je n’y veux pas aller? On vous le fait accroire, Helas! mon Pere, tant s’en faut, toute ma vie j’ai sou- haite avec passion de voir 1’Italie et ces belles Contrees qu’on appelle le Jardin du Monde. GRANGER Done, mon fils, tu n’as plus besoin d’Ellebore. Done, ta tete reste encore aussi saine que celle d’un chou cabus apresla gelee. Viens m’embrasser, viens mon Toutou, et va-t-en aussitot chercher quelque chose de gentil et a bon marche. qui soit rare hors de Pariš, pour en faire un present a ton Oncle; car je te vais tout a cette heure, retenir une plače au Coche de Lyon. 192 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC SCENE Vlil CHARLOT, seul. Que de facheusesconjoncturesou je me trouve embar- rasse 1 Apres toute ma feinte, il faut encore ou aban- donner ma Maitresse, c’est-a-dire mourir, ou me resoudre a vetir un pourpoint de pierre, cela s’appelle Saint- Victor ou Saint-Martin( 205 ). SCENE IX COBBINELI, CHARLOT CORBINELI Si vous voulez me croire, votre voyage ne sera pas long. CHARLOT Ha' mon pauvre Corbineli, te voila. Sais-tu done bien les malheurs oti mon Pere m’engage ? CORBINELI II m’en vient d'apostropher tout le « Tu autem( 206 ) ». II vous envoye a Venise ; vous devez partir demain. Mais pourvu que vous m’ecoutiez, je pense que si le bon homme, pour tracer le plan de cette ville, attend votre retour, il peut dbs maintenant s'en fier a la Carte. II vous commmande d acheter ici quelque bagatelle a bon marche qui soit rare a Venise, pour en faire un present a votre Oncle : c’est un couteau qu’il vient d'emoudre pour s’egorger. Suivez-moi seulement. LE PEDANT JOUE. COMEDIE 193 ACTE II SCENE PREMIERE CHASTEAUFORT, seul. [II s’interroge et repond lui-meme.J Vous VOUS etes battu ? Et done? Vous avez eu avantage sur votre ennemi? Fort bien. Vous 1’avez desarme? Facilement. Et blesse?Hon. Dangereusement, s’entend? A travers le corps. Vous vous eloignerez? II le faut. Sans dire adieu au Roi. Ha, a, a. Mais cet autre, mordiable, de quelle mort le ferons- nous tomber ? De 1’etrangler comme Hercule fit Antee, je ne suis pas Bourreau. Lui ferai-je avaler toute la mer? Le monument d’Aristote est trop illustre pour un ignorant. S’il etoit Maquereau, je le ferois mourir en eau douce. Dans la flamme, il n’auroit pas le temps de bien goiiter la mort. Commanderai-je a la Terre de l’engloutir tout vif? Non, car comme ces petits gentillatres sont accoutumes de manger leurs terres, celui-ci pourroit bien manger celle qui le couvriroit. De le dechirer par morceaux, ma colere ne seroit pas contente s’il restoit de ce malheureux un atome apres sa mort. O 1 Dieux, je suis reduit a n’oser pas seulement lui defendre de vivre, parce que je ne sais comment le faire mourir! SCŠNE II GAREAU, CHASTEAUFORT GAREAU’ Vartigue, vela de ces mangeux de jjpetis enfans; la Cyranoj a fabrigue de toUteš pieces le patoiš de Gareati, Le Ms, de ki 194 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC vegue ( 207 ) de la Courtille, belle montre et peu de rap- port. CHASTEAUFORT Ou vas-tu, bon homme ? GAREAU Tout devant moi. CHASTEAUFORT Mais je te demande ou va le chemin que tu suis ? GAREAU line va pas, il ne bouge. CHASTEAUFORT Pauvre rustre, ce n’est pas cela que je veux savoir : je te demande si tu as encore bien du chemin a faire aujourd’hui. GAREAU Nanain da, je le trouverai tout fait. CHASTEAUFORT Tu parois, Dieu me damne, bien gaillard pour n’avoir pas dine. GAREAU Dix nez ? Qu’en ferai-je de dix? II ne m'en faut qu’un. CHASTEAUFORT Quel Docteur! II en sait antant que son Cure. GAREAU Aussi fis-je C 2 * 18 ). N’est-il pas bian cure qui n’a rien au ventre? He, la, ris Jean, on te frit des oeufs. Testigue, est-ce a cause qu’ous estes Monsieu, qu’ous faites tant de Bibliotheque nationale donne un langage tout different de celui de l’imprime de i654, la prononciation de nombre des mots n’est pas tout a fait la meme. Nous avons naturellement maintenu pour Gareau le texte de 1654 publie par Cyrano lui-meme. Le pedant joue, comedie 195 menes( 209 )? Dame, qui tare a, guare a( 210 ). Tenez, navons point veu malva ? Bonjou done, Monsieus’tules. He qu’est-ce done? Je pense done qu’ous me prendrais pour queuque inorant? He si tu es riche, disne deux fois. Aga quien, qui m’a ange de ce galouriau ( 211 )?... Bonefi sfesmon ! Vela un homme bien vide ; vela un angein de belle deguesne ; vela un biau vaissiau ( 2t2 ) s’il avoit deux saicles ( 21s ) sur le cul. Par la morguoi, si j’avouas une sarpe et un baton, je feroiias un Gentizome tout auqueu. Cest de la noblesse a Maquieu Furon., va te couche, tu souperas demain. Est-ce done, pela- mor ( 21t ), qu’ous avez un engein de far ( 215 ) au cote qu’ous fetes 1’Olbrius et le Vespasian ? Vartigue, ce n’est pas encore come-p. Dame acoutez, je vous dorois ( 216 ) bian de la gaule par sous l’huis ; mais par la morguoy ne me jotiez pas des Trogedies, car je vous feroiias du bezot ( 217 ’). Jarnigue,je ne sispasun gniais( 2i8 J J’ai ete sans repruche Marguillier, j’ai ete Beguiau ( 2I9 ), j’ai ete Por¬ to frande, j’ai ete Chasse-Chien, j’ai ete Guieu et Guiebe ( 22 °), je ne s^ai pus qui je sis. iMai arde de tout ca brerrr, j’en dis du Mirliro, parmets que j’aie de Stic. CHASTEAUFORT Malheureux Excommunie. Voila bien du haut stile. GAREAU Monsieu de Marsilly m’appelet bian son bastar. II ne s’en est pas falli 1’espoisseur d’un tornas ( 22 ‘) qu’il ne fait apprenti Conseille! « Vien pa, ce me fit-il une fois, groš fils de Putain, car j’equions tout comme deux freres; je veux, ce fit-il, que tu venais, ce fit-il, autour de moi, ce fit-il, dans la Turquise( 222 ), ce me fit-il. — O ! ce l’y fis-je, cela vous plait a dire. — Non-est, ce me fit- il. —■ O! si est, ce l’y fis-je. — O ! ce me fis-je a part moi : Ecoute, Jean, ne faut point faire le bougre, faut 196 CEUVRES DE CTRANO DE BERGERAC sauter. » Dame je ne fesi point de defigurance davantage, je me bouti avec li cahin caha, tout a la maxite fran- foase. Mais quand on gn’y est, on gn’y est. Bonne-fy pourtant, je paraissi un sot basquie ( 223 ), un sot basquie je paraissi car Martin-Binet... Et y a propos. Denis le Balafre, son onque, ce grand ecne ( 22t ), s’en venit Tantre jourla remontee lantarner environ moi. Ah Ima foi, ma foi, je pense que Guieu-marci, je vous l’y ramenis le pus biau chinfregniau ( 225 ) sus le moustafa qu’ouly l’y en demeuri les badigoines ecarbouillees tout avaux Thyvar. Que Guiebe aussi 1 Tous les jours que Guieu feset, ce bagnoquier-la me ravaudet comme un Satan. C’etet sa sceur qui epousit le grand Tiphoine. Acoutez, ol ( 226 ) n’a que faire de faire tant de Tenhasee ( ?27 ), ol n'a goute ne brin de biau. Parmafi, comme dit Tautre, ce n’est pas grand chance; la Reyne de Nior, malhureuse en biaute. Pour son homme,, quand oul est des-habille, c’est un biau cor-nu. Mais regardez un petit, ce n’etet encore qu’une varmene ( 228 ) et si ( 229 ). ol feset dej a tant la devargondee, pour autant qu’ol savet luire dans les Ses- siaumes ( 23 °), qu’on n’en savet chevir. Ol se carret comme un pou dans eune rogne. Dame aussi ol avet la voix, reverence parle, aussi finement claire qu’eune iau( 2S1 ) de roche. Leu diset que Monsieur le Cure avet bian trampe souvent son Goupillon dans son Benaiquie ( 2:!2 ), mais arde sont des mediseux, les faut laisser dire ; et pis quand oul auret ribaude un tantinet, c’est a ly a faire, et a nous a nous taire, pis qu’il donne bian la pollution ( 2S3 ) aux autres il ne Toublie pas pour ly. Monsieu le Vicaire itou etet d’une humeur bian domicile et bian turquoise ; mais arde... CHASTEAUFORT Eh ! de grace, Villageois, acheve-nous tes aventures du voyage de Monsieur de Marsilly. LE PEDANT JOUE, COMEDIE 197 GAREAU Ho, ho ! ous n’etes pas le roi Minos, ous etes le roi Priant. O done je voyagisme sur 1’Orient et vers la Mardi Terre Annee. CHASTEAUFORT Tu veux dire au contraire, vers 1’Orient sur la Medi- terranee. GAREAU H e bian, je me reprens, un var se reprent bien. Mais guian si vous pansiais que je devisiesme entendre tous ces tintamares-la, comme vous autres Latiniseurs, Dame, nanain. Et vous, comme guiebe, deharnachez- vous votre Philophie ? J’arrivisme itou aux Deux Trois de Gilles le bastard ( 234 ), dans la Traiisvilanie, en Bethlian de Galilene, en Harico ( 23s ), et pis au pais... au pais... au pais... du Beurre. CHASTEAUFORT Que Diable veux-tu dire, au pais du Beurre 1 GAREAU Oiiy, au pais du Beurre. Tant quia que c’est un pais qui est mou comme beurre et ou les gens sont durs comme piare. Ha! c’estla graisse ( 236 ) ; he bian, les gens n’y sont-ils pas bian durs, pis que ce sont des Grets ? Et pis apres cela, je nous eh allismes, reverence parle, en un pais si loin,si loin ; je pense que mon Maitre appelet cela le pais des Bassins ( ž37 ), ou le monde est noir comme des Antrechrists. Arde, je croy fixiblementque je n’eus- siesme pasencore chemine deux glieties, que j’eussiesmes trove le Paradis et 1’Enfar. Mais tenez, tout ce qui me semblit de pus biau a voir, c’est cespetits sarrasins d’Ita- lise ; cette petite grene d’andotiille n’est pas plus grande que savequoy, et s’ils spavont deja parler Italian. Dame 198 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC je ne fesismes la gueres d’ordure, Je nous bandimes nos quaisses tout au bout du monde dans la Turquise, moi et mon Maitre. Parmafi, pourtant je disis biantdt a mon Maitre qu’oul s’en revenit. « He quement, quelle vila- nie? Tous ces Turs-la sont tretous huguenots comme des chiens ». Oni se garmantet par escousse de leur bailler des exultations a la Turquoise. CHASTEAUFORT II fant dire des exhortations a la Turque. GAREAU O bian, tant quia qu'il les sarmonet comme il falet. CHASTEAUFORT Ton Maitre savoit done ITdiome Ture ? GAREAU He vrament oiiy oni sgavet; tous ces Gerosmes la ( 2:)S ) les avet-il pas vusdansle Latin ?Son fiere itou etet bien savant, mais oni n etet pas encore si savant. car n’eu marmuset qu'oul n'avet appris le Latin qu’en Frangois. C’etet un bon Nicolas, qui s'en allet tout devant ly, hurlu. brelu. n’en eut pas dit qu’oul y touchet, et stam- pandant oul marmonettoujoursdansune bateleede Livres. Je ne me sauras tenir de rire, quand je me ramenteu des noms si biscornus, et si, par le sanguoi, tout ga etet vrai, car oul etet moule. Dauquns s’intiloient, s’in- tuloient : oiiay? ce n'est pas encore comme ga : s’inluti- loient, j’y sis časi : s’intilutoient, j’y sis časi : s’intilu- toient, sin, sin, sin. Tanquia que je m’entens bian. CHASTEAUFORT Tu veux dire s’intituloient. GAREAU Otti, oiii, sin, sin, hela qui se fesoient comme vous LE PED ANT JOUE, COMEDIE 199 dites. Vela tout comme il le defrinchet. Je ne sais pu ou j’en sis, vousme 1’avez fait pardre. CHASTEAUFORT Tu parlois du nom de ces Livres. GAREAU Ces livres done, pis que Livres y a. Oiiay? Ha ! je sais bian, oul y aveldes Madrigales, des Amas de Gaule, des Cadets de Tirelire, des Clistaires traginques et des Aisnez de Vigile. CHASTEAUFORT II faut dire, mon grand ami, des Madrigaux, des AmadisdeGaule, des Decades de Tite-Live, des Histoires tragiqn.es, des Eneides de Virgile. Mais poursuis. GAREAU O! par le sangue, va-t-en chercher tes poursuiveux. Aga qu’il est raisonnabe aujourd'hi, il a mange de la soupe a neuf heures He si je ne veux pas dire comme pa, moi? Tant quia qu’a la parfin je nous en revinsmes. Il apportit de ce pais-la tant de guiamansj 239 ) rouges, des Hemoroides vartes ( 2 ''°) et une grande espee qui attein- dret d’ici a demain. Cest a tous ces farremens que ces mangeux de petis enfans se batont en detiil ( 24i ). Il apportit itou de petis engingorniaux remplis de nais- sance ( ž42 ) a celle fin de conserver, ce feset-il, 1’humeur ridicule, a celle fin, se feset-il, de vivre aussi longtemps que Maquieu šale ( 24S ). Tenez, n’avons-nous point veu Nique-dotiille ( 244 ), qui ne spauret rire sans montrer les dants ? CHASTEAUFORT Je ne ris pas de la vertu de tes essences. GAREAU O gnian, sachez que les naissances ont de marveil- 200 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC leuses propretes ( ž4 “) [II lefrappej. Cest un certain oigne- ment dont les Ancians s’oignient quand ils estient morts, dont ils vivient si longuement. Mais morgue, il me viant de souvenir que vous vouliais tantot que je vous diši le nom de ces Livres. Et je ne veux pas moi; et vous etes un sot dres la ; et testigue, ous etes un ino- rant la-dedans. Car ventregue, si vous etes un bon diseux, morgue, tapons-nous done la gueule comme il faut. Dame il ne faut point tant de beurre pour faire un cartron ( ž46 y Et quien et vela pour toi. CHASTEAUFORT Ce coup ne m’offence point, au contraire, il publie mon courage invincible a souffrir. Toutefois, afin que tu ne te rendes pas indigne de pardon par une seconde faute, encore que ce soit ma coutume de donner plutot un coup d’epee qu’une parole, je veux bien te dire qui je suis. J’ai fait en ma vie septante mille combats, et n’ai jamais porte botte qui n’ait, tue sans confession. Ce n’est point que j’aie jamais ferraille le fleuret, je suis adroit la Grace a Dieu; et partant la Science que j’ai des armes, je ne l’ai jamais apprise que l’epee a la main. Mais que cet avertissement ne t’eflraye point; je suis tout cceur et il n’y a point, par consequent, de plače sur mon corps ou tu puisses adresser tes coups sans me tuer. Sus done, mais gardons la vue, ne portons point de meme temps, ne poussons point de preš, ne tirons point de seconde : mais vite, vite, je n’aime pas tant de discours. Mardieu, depuis le temps je me serois mis en garde, j’aurois gagne la mesure, je 1’aurois rompiie, j’aurois surpris le fort, j’aurois pris le temps, j’aurois coupe sous le bras, j’au- rois marque tous les battements, j’aurois tire la flancon- nade, j’aurois porte le coup de dessous, je me serois allonge de tierce sur les armes, j'aurois quarte du pied LE PEDANT J0UE, COMEDIE 201 gauche, j’aurois marque feinte a la pointe et dedans et dehors, j’aurois estramaponne, ebranle, empiete, engage, volte, porte, pare, riposte, quarte, passe, desarme( 247 ) et tue trente hommes. GAREAU Vramant, vramant, vela bian la Musicle de S. Inno- cent, la pu.sgran.de pique du monde. Quel embrocheux de Limas [Ule frappe encore.] Et quien, quien, vela encore pour fagacer. CHASTEAUFORT [Gareau le frappe.] Je ne sais, Dieu me damne, ce que m'a fait ce maraud, je ne saurois me facher contre lui. [11 le frappe encore.] Foi de Cavalier, cette gentillesse me charme. Voila le faquin du plus grand coeur que je vis jamais. [11 est frappe derechef]. II faut necessairement, ou que ce belitre soit mon Fils, ou qu’il soit Demoniaque. D’egorger mon Fils a mon escient, je n’ai garde ; de tuer un possede j'aurois tort, puisqu'il n’est pas coupable des fautes que le Diable lui fait faire. Mais, 6 Demon, qui fais agir le corps de ce pauvre idiot, sache pour te con- fondre, que de tous les Diables, je suis le Diable qui fit estocade avec Saint-Michel. Toutefois, d pauvre Paisan, sache que je porte a mon cote la Mere nourrice des fos- soyeurs ; que de la tete dudernier Sophi je fis un pommeau a mon epee ; que du vent de mon chapeau je submerge une Armee navale, et que qui veut savoir le nombre des hommes que j’ai tues n’a qu’a poser un 9, et tous les grains de sable de la mer ensuite qui serviront de Zeros. Quoi que tu fasses, ayant proteste que je gagnerois cela sur moi-meme [11 est encore battu] de me laisser battre une fois en ma vie, il ne sera pas dit qu’un maraud comme toi me fasse changer de resolution. [Gareau se retire en un coin du theatre et le Capitan demeure seul]. Quelque faquin de 202 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC coeur bas et ravale auroit voulu mesurer son epee avec ce vilain; mais moi qui suis Gentilhomme, et Gen- tilhomme d’extraction. je m'en suis fort bien su garder. II ne s’en est cependant quasi rien fallu que je ne l’aie perce de mille coups, tant les noires vapeurs de la bile offusquent quelquefois la clarte des plus beaux Genies. En effet j’allois tout massacrer. Je jure done aujourd’hui par cette main, cette main dispensatrice des Couronnes et des Houlettes, de ne plus dorenavant recevoir per- sonneau combat, qu’il n’ait lu devant moi sur le pre ses Lettres de Noblesse ; et pour uneplusgrande prevoyance, je m’en vais faire promptement avertir Messieurs les Marechaux ( 2i8 j qu’ils m’envoient des Gardes pour m’empecher de me battre; car je sens ma colere qui croit, mon coeur qui s’enfle. mon sang qui s'allume, et les doigts qui me demangent de faire un homicide. Vite, vite, des Gardes, car je ne reponds plus de moi( 2i9 ). Et vous autres, Messieurs, qui m'ecoutez, allez men querir tout a 1’heure, ou par moi tantot vous n’aurez point d’autre lumiere a vous en retourner que celle des eelairs de mon sabre, quand il vous tombera sur la tete. [Gareaurevenant le frappe encore et le Capitan s’en vaj. Et la rai- son est que je vais, si je n’ai un Garde souffler d’ici le Soleil dans les Cieux comme une chandelle. Je te mas- sacrerois, mais tu as du coeur et j’ai besoin de soldats. SCENE III GRANGER, GAREAU, JIANON, FLEURY MANON Quel demeledonc, mon pauvre Jean, avois-tu avec ce Capitaine ? LE PEDANT JOGE, COMEDIE 203 GAREAU Aga, on me venet ravode de sa Philophie. Arde tenez, c’est tout fin dret comme ce grand Cocsigrue de Monsieu du Meny, vousspavez bian? qui avetces grands penaches quand je demeuroischezMademoirellede Carnay. Dame, Pelamor, qu’oul etet brave comme le tems, qu’oul luiset dans le moule, qu’oul jargonet par escousse des Asnes a Batiste, des Peres-Paticiers ( 25 °) ; il velet que je l’y fisiesmes tretous 1’obenigna. Pelamor itou, a ce que suchequient les mediseux, qu’avec Mademoirelle notre Metraisse, il boutet cety-cy dans cety-la (ce n’est pas ce nonobstant, comme dit Tantre, pour ce chore-la, car, arde, bonne renommee vaut mieux que ceinture doree). Mais par la morguoy sphesmon, c’etet un bel oisau pour torner quatre broches; et pis etou Ten marmuset qu’oul etet un tantet tarabuste de Tentendement. Bonnefy, la barbe ly etet venue devant eune bonne Ville et lui etet venue devant Sens. Ce Jean qui de tout ce mele, il y a deja eune bonne escousse da, s’en venit me ramener avos les eschegnes eune houssene de dix ans. Vartigue, je n’etes pas Gentizome pour me battre en deiiil, mais... O don c’etet Mademoirelle, notre Metraisse, qui m’avet loile et stampandant ilvoulet, ce dit-il, me faire, cedit-il, enfiler la porte. « O, ce me fit-il, je te ferai bien enfiler la porte, ce fit-il. » Guian, cette parole-la me prenit au ceeur. « O par la morguoy, ce l’y fis-je, vous ne me ferais point enfiler la porte, et pis, au fons, ce l’y fis-je, c’est Mademoirelle qui m’a loile : si Mademoirelle veut que je Tenfile, je Tenfilerai bian, mais non pas pour vous. » GRANGER Or pa, notre Gendre, mettons toutes querelles sous le pied, et donnons leur d’un oubli a travers les hypo- 204 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC condres. Si l’Hymenee porte un flambeau, ce n’est pas celui de la Discorde. (1 doit allumer nos coeurs, non pas notre fiel : Cest le sujet qui nous assemble tous. Voila ma fille qui voudroit deja qu’on dit d’elle et de vous « Sub, super, in, subter, času junguntur utroque, in vario sensu ( 251 ) ». MANON Mon Pere, je ne suis pascapable de former dessouhaits, mais de seconder les votres. Conduisez ma main dans celle que vous avez choisie, et vous verrez votre fille d’un visage egal, ou descendre ou monter. GRANGER Rien done ne nous empeche plus de conclure cet accord aussi-tot que nous saurons les natures de votre bien. FLEURY La-donc, ne perdons point de temps. GRANGER Vos facultes consistent-elles en rentes, en maisons, ou en meubles? GAREAU Dame ouy, j’ai tres bian de tout pa, par le moyan d’un heritage. GRANGER Qu’on donne promptement un siege a Monsieur; Manon, saluez votre mari. Cette succession est-elle grande ? GAREAU Elle est de vint mille frans. GRANGER Vite, Paquier, qu'on mette le couverti LE PEDANT JOU-E, COMEDIE 205 GAREAU [lise met dans une chaise.] La la, VOUS moquez-VOUS ? Rabusez votre bonet; entre nous autres, il ne fant point tant de fresmes ny de simonies ( 252 ). He ! qu’es-ce done? Notre-dinse, n’en diret que je ne nous connoissiens plus. Quoi ous avez boute en obliviance de quand ous esquiais au Chaquiau ? Parguene alez, ous n’esquiais qu’un petit Navet en ce tems-la, ous etes a cette heure-ci eune Citrouille bian grosse. Vrament laissez faire, je pense que Guieu marci, j’avons bian sarmone de vous, feu notre mainagere et moi. Si vous etet venu des cornes toutes les fois que les oreillesvous ont corne (ce que j’en dis, pourtant, ce n’est pas que j’en parle, ce crois-je bian qu’ous en avez assez sans nous). Tanquia que, 6 ! done, pour revenir a notre conte, jernigoy, j’equiesmes tous deux de mechantes petites varmenes. J’alliesmes vreder avaux ces bois. Et y a propos, ce biau marle qui sublet ( 25S ) si finement haut, he bian, regardez, ce n’etet que le Clocu Fili DaviOus esquiais un vrai Jui d’Avignon en ce temps-la : Ous esquiais trejours a pandiller entour ces cloches, et y a sauter comme un Maron. O bian, mais ce n’est pas le tout que des choux, il faut de la graisse. GRANGER Avez-vous ici les Contrats acquisitoires de ces heri- tages-la ? GAREAU Nanain vrament, et si Pon ne me les veuLpas donner; mais je me doute bian de ce qu’oul y a. Testigue, je m’amuse bian a des papiers, moi. He ! arde, tous ces brinborions de Contrats, ce n’est que de l’ecriture qui n’est pas vraie, car ol n’est pas moulee. Ho bian, acoutez !a, c’est eune petite sussion ( 264 j qui est vrament bian 206 ceuvb.es de cvrano de bergerac grande da, de Nicolas Girard; he la, le pčre de ce petit Louis Girard qui etet si semillant, ne vous spauriais vous recorder? Cest ly qui s’alit neger ( 256 ) a la grand Mare. O bian son pere est mort, et si je l’avons conduit en tare, s’il a pili a Guieu, sans repruche, comme dit l’autre. Ce pauvre Guiebe etet alle denicher des ples sur l’Orme de la comere Massee. Dame, comme oul etet au Copiau ( M6 ). le vela, bredi breda, qui commence a griller tout avaux ( 2S7 ) les branches et cheit une grande escousse, pouf, a la renvarse. Guieu benit la Chresquiante ! je crois que le cceur l’y escarbouillit dans le ventre, car oul ne sonit jamais mot, ne groiiillit, sinon qu’oul grimonit ( 258 ) en trepassant : « Guiebe set de la Pie et des Piaux. » O done ly il etet mon Compere et sa femme ma Comere. Or ma Comčre, pis que Comfere y a, auparavant que d’avoir epouse mon Compere, avetepouseen preumieres nopces le Cousain de la bru de Piare Olivier, qui touchet de bian preš a Jean Henault, de par le Gendre du Biau- frere de son Onque. Or cely-cy, retenez bian, avet eu des enfans de Jaquelaine Brunet qui mourirent sans enfans. Mais il se trouve que le Neveu de Denis Gauchet avet tout baille a sa femme par Contrat de mariage, a celle fin de frustriser ( 2S9 ) les heriquers de Thomas Planpon qui devient y rentrer, pis que sa Mfere-Grand n'avet rian laisse aux Mineurs de Denis Vanel Pesne. Or done, il se trouve que je somes parens en queuque magniere de la Veufve de Denis Vanel le jeune, et par consequent ne devons je pas avoir la sussion de Nicolas Girard ?* 4 GRANGER Mon ami, je fais ouvrir a ma conception plus d’yeux * On. nous a assure, disent les freres Parfait {Histoire du Theatre frangais^ t. VIII, p. g) qu’un habile avocat s’etait, a ses heures de loisir, donne la peine d’examiner le droit de ce paysan et avait reconnu effectivement qu’il avait raison et que la succession devait lui appartenir. LE PEDANT JOUE, COMEDIE 207 que n’en eut jamais le gardien de la Vache lo ( ž60 ), et je ne vois goutte en votre affaire. GAREAU O Monsieu, je m’en vas vous 1’eclaircir aussi finement claire que la voix des enfans de chceur de notre village. Acoutez done : II fant que vous sachiais que la Veufve de Denis Vanel le jeune, dont je sommes parens en queuque magnibre, etet fille du second lit de Georges Marquiau, le Biau-frere de la Soeur du Neveu de Piare Brunet, dont 1 avons tantot fait mention. Or, il est bian a clair que si je Cousain de la Bru de Piare Olivier, qui touchet de bian preš a Jean Henault de par le Gendre du Biau-frere de son Onque, etet Peredes Enfans de Jaquelaine Brunet, trepasses sans enfans, et qu’apres tout ce tintamare-la on n’avet rian laisse aux Mineurs de Denis Vanel le jeune, j’y devons rentrer, n’est-ce pas? GRANGER Paquier, repliez la nappe, Monsieur n’a pas loisir de s’arreter. Ma foi, beau Sire, depuis le jour que Cupidon segregea* la Lumičre du Cahos, il ne s’est point yu sous le Soleil un demele semblable. Dedale et son Laby- rinthe en ont bien dansle dos. Je vous remerciecependant de 1’honneur qu’il vous plaisoit nous faire. Vous pouvez promener votre Charrue ailleurs quesurle cliamp virginal du ventre de ma Fille. MANON Les Valets de la Fete vous remercieront. FLEURV Vous avez bon courage, mais les jambes vous faillent. GAREAU Ma foi voire; aussi bian n’en velay-je pus. J’aime bian * Ms. ; sopara. H 208 ceuvres de ctrano de bergerac mieux eune bonne grosse Mainagere qui vous travaille de ses dix doigts, que non pas de ces Madames de Pariš qui se fesont courtiser des Courtisans. Vous verrais ces Galouriaux, tant que le jour est long, leur dire : « Mon coeur, Mamour », Parcy, Parla ; je le veux bian, le veux- tu bian ? Et pis c’est a se sabouler, a se patiner, a plaquer leurs mains au commencement sur les joues, pis sur le cou, pis sur les tripes, pis sur le brinchet, pis encore pus bas, et ainsi le vit se glisse. Stanpendant, moi qui ne veux pas qu’on me fasse des Trogedies, si j’avouas treuve queuque Ribaut licher le morviau a ma femme, comme cet affront-la frape bian au coeur, peut-etre que dans le desespoir je m’emporterouas a jeter son chapiau par les fenetres ou a luy faire les cornes comme me moque de H, pis ce seret du scandale ; Tigue, queuque gniais.* GRANGER O esperances futiles du concept des humains I J’avois ete jusqu'a V augir ar d choisir un Gendre en qui la Nature ayant tise de parcimonie, je pensois que la For¬ tune eut ete prodigue, mais je trouve que si la mine de son visage est hien plate, celle de son coffre est encore plus ecachee. De meme les Chats, tu ne flattes que pour egratigner, Fortune malicieuse 1 SCENE IV** CORBINELI, GRANGER, PAQL’IER CORBINELI Elle n’est pas seulement malicieuse, elle est en- * 11 y a un trait semblable dans le livre VIII de Francion (V. Fournel). ** Voici la fameuse scene que Moli ere aurait empruntee, souvent litterale ment a Cyrano, pour laplacer dans les Fourberies de Scapin (acte II, scene XI) representees seize ans apres la premiere edition du Pedant joue, en 1671. LE PEDANT JO UK, COMEDIE 209 ragee*. Helas! tout est perdu, votre Fils est mort. GRANGER Mon Fils est mort! Es-tu hors du sens ? CORBINELI Non, je parle serieusement : Votre Fils a la verite n’est pas mort, mais il est entre les mains des Turcs. GRANGER Entre les mains des Turcs? Soutiens-moi, je suis mort. CORBINELI A peine etions-nous entres en bateau pour passer de la porte de Nesle( 261 ) au Quai de FEcole.... GRANGER Et qu’allois-tu faire a FEcole, Baudet? CORBINELI Mon Maitre s’etant souvenu du commandement que vous lui avez fait d’acheter quelque bagatelle qui fut rare a Venise, et de peu de valeur a Pariš, pour en regaler son Oncle, s’etoit imagine qu'une douzaine de Cotrets n etant pas chers, et ne s’en trouvant point, par toute 1’Europe de mignons comme en cette Ville, il devoit en porter la. C’est pourquoi nous passions vers FEcole pour en acheter; mais a peine avons-nous eloigne la cote, que le Page de notre Navil'e a decouvert au Sud-Ouest une galere turque qui tdchoit d coups de rames de derober le vent dessus nous et le fit parce que nous etions mauvais voiliers- Aprčs done qu’elle a eu double le cap des bons hommes, qu'elle a eu jete fond et demeure quelque temps sur le fer d l'abri des dunes du cours, elle a leve 1'anere * Corbineli repond a l’interpellation que Granger vient d’adresser a la For¬ tune. 210 CEUVR.ES DE C VRANO DE BERGER AC et fait cana! droit d nous, de proue en poupe. Ce qui nous a fait choir en defaut. c' e st qu ils oni arbore de chre- tiente, nous ont salue d amis et cinglans d'un quart de boutine, nous ont gagne le flanc, nous ont accroche et la soldatesque sautee sur notre tillac, ils nous ont fait esclaves, puis se sont elargis en mer*. GRANGER H e! de par le Cornet retors de Triton Dieu Marin, qui jamais otiit parler que la Mer fut a Saint-Cloud? qu'il y eut la des Galeres, des Pirates, ni des Ecueils ? CORBINELI Cest en cela que la chose est plus merveilleuse. Et quoi que l’on ne les aie point vus en France que la, que sait-on s’ils ne sont point venus de Constantinople jus- ques ici entre deux Eaux? PAQUIER En effet, Monsieur, les Topinambours qui demeurent quatre on cinq cent lieues au dela du monde, vinrent bien autrefois a Pariš, et Tantre jour encore les Polonois eurent bien l’impudence d’enlever la Princesse Marie, en plein jour, a THotel de Nevers, sans que personne osat branler **. CORBINELI Mais ils ne se sont pas contentes de ceci, ils ont voulu poignarder votre Fils... PAQUIER Quoi! sans confession ? * Dans 1’edition originale de 1634, ce long passage du Ms. ost red uit a une ligne : « que nous avons ete pris par une galere turque ». ** Ce passage precise la date de la composition du Pedant jotie: le mariage de Marie de Gonzagues, duchesse de Mantoue, avec Vladislas IV, roi de Pologne, eutlieu en 1645, a Pariš, par arnbassadeur. LE PEDANT JOUE, COMEDIE 211 CORBINELI S’il ne se rachetoit par de 1’argent. GRANGER Ah! les miserables ! c’etoit pour incuter ( 262 ) la peur dans cette jeune poitrine. PAQUIER En effet, les Turcs n’ont garde de toucher 1’argent des Chretiens, a cause qu’il a une Croix ( 26S ). CORBINELI Mon Maitre ne m’a jamais pu dire autre chose, sinon : « Va-t-en trouver mon Pere, et lui dis... » Ses larmes aussitot, suffoquant sa parole, m’ont bien mieux expli- que qu’il n’eutsu faire, les tendresses qu’il a pour vous... GRANGER Que Diable aller faire aussi dans la galere d’un Ture? D’un Ture ! « Perge »( 26i ). CORBINELI Ces Ecumeurs impitoyables ne me vouloient pas accorder la liberte de vous venir trouver, si je ne me fusse jete aux genoux du plus apparent d’entr’eux. « He ! Monsieur le Ture, lui ai-je dit, permettez-moi d’aller avertir son Pere qui vous envoiera tout a 1’heure sa ran- pon. » GRANGER Tu ne devois pas parler de ranpon, ils se seront moques de toi. CORBINELI Au contraire. A ce mot, il a un peu rasserene sa face. « Va, m’a-t-il dit; mais si tu n’es ici de retour dans un moment, j’irai prendre ton Maitre dans son College, et vous etranglerai tous trois aux antennes de notre Navire. >> 212 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC J’avois si peur cTentendre encore quelque chose de plus facheux, ou que le Diable ne me vint emporter etant en la compagnie de ces excommunies, que je me suis promptement jete dans un Esquif pour vous avertir des funestes particularites de cette rencontre. GRANGER Que Diable aller faire dans la Galčre d’un Ture? PAQUIER Qui n’a peut-etre pas ete a confesse depuis dix ans. GRANGER Mais penses-tu qu’il soit bien resolu d aller a Venise? CORBINELI II ne respire autre chose. GRANGER Le mal n’estdonc pas sans remede. Paquier, donne-moi le receptable des Instruments de 1’Immortalite « Scripto- rium scilicet » ( 2M ). CORBINELI Qu’en desirez-vous faire ? GRANGER Ecrire une Lettre a ces Turcs. CORBINELI Touchant quoi ? GRANGER Qu’ils me renvoient mon fils, parce que j’en ai affaire apres diner. Qu’au reste ils doivent excuser la jeunesse qui est sujette a beaucoup de fautes; et que s’il lui arrive une autrefois de se laisser prendre, je leur promets, foi de Docteur, de ne leur en plus obtondre ( 266 ) la faculte auditive. LE PEDANT JOUE, COMEDIE 213 CORBINELI lis se moqueront, par ma foi, de vous. GRANGER Va-t-en done leur dire de ma part. Que je suis pret de leur repondre par-devant Notaire : Que le premier des leurs qui me tombera entre les mains, je le leur ren- voierai pour rien... (Ha! que Diable, que Diable, aller faire en cette Galere ?)... On dis leur qu’autrement je vais men plaindre a la Justice. Si-tot qu’ils 1’auront remis en liberte, ne vous amusez ni l’un ni 1’autre, car j’ai affaire de vous. CORBINELI Tout cela s’appelle dormir les yeux ouverts. GRANGER Mon Dieu, faut-il etre ruine a 1’age ou je suis? Va-t-en avec Paquier, prends le reste du Teston ( 267 ) que je lui donnai pour la depense il n’y a que huit jours... (Aller sans dessein dans une Galere !)... Prends tout le reliquat de cette piece... (Ha ! malheureuse geniture, tu me coute plus d’or que tu n’es pesant!)... Paye la ranjon et ce qui restera, emploie-le en ceuvres pies... (Dans la Galere d’un Ture!)... Bien, va-t-en!... (Mais miserable, dis-moi, que Diable allois-tu faire dans cette Galere?)... Va prendre dans mes armoires ce pourpoint decoupe que quitta feu mon Pere 1’annee du grand Hiver( 268 ). CORBINELI A quoi bon ces fariboles ! Vous n’y etes pas. II faut tout au moins cent pistoles pour sa ran>( 269 ) ne songe pas que ces Turcs me devoreront. PAQUIER Vous etes a Tabri de ce cote-la, car les Mahometans ne mangent point de pore. LE PEDANT JOUE, COMEDIE 215 SCENE VI GRANGER, CORBINELI, PAQUIER GRANGER [Granger revient lui donner une bourse, et s’en retourne en meme temps]. Tiens, va-t-en, emporte tout mon bien. SCENE VII CORBINELI, CHARLOT CORBINELI [Frappant a la porte de La Tremblaye.] Monjoye Saint- Denis ( 270 ); Ville gagnče, « Accede » ( 271 ) Granger le jetrne « accede ». O le plus heureux des hommesO le plus cheri des Dieux! Tenez, prenez, parlez a cette bourse, et lui demandez ce que je vaux. CHARLOT Allons vite, allons inhumer cet argent, mort pour mon Pere, au coffre de Mademoiselle Genevote : Ce sera de bon coeur et sans pleurer, que je rendrai les derniers devoirs a ce pauvre trepasse ; et cependant admirons la medisance du peuple qui juroit que mon Pere, bien loin de consentir au mariage de Mademoiselle Genevote et de moi, pretendoit lui-meme a 1’epouser, et voici que pour decouvrir l’imposture des calomniateurs, il envoie de 1’argent pour faire les frais de nos ceremonies. 2l6 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC SCENE VIII GRANGER, PAQUIER GRANGER Fortune, ne me regarderas-tu jamais qu'en rechignant? Jamais ne riras-tu pour moi? PAQUIER Ne savez-vous pas qu’elle est une roue, Damoiselle Fortune ? Elle seroit bien ladre d’avoir envie de rire. Mais, Monsieur, assurement que vous etes ensorcele. GRANGER As-tu quelquefois entendu fretiller sur la minuit dans ta chambre quelque chose de noir? PAQUIER Vraiment, vraiment, tantot j’entens trainer des chaines a Fentour de mon lit; tantot je sens coucher entre mes draps une grande masse lourde et froide comme du marbre; tantot j’apperfois a notre Atre une Vieille toute ridee se graisser, puis, a califourchon sur un balai, s’en- voler par la cheminee. Enfin je pense que notre College est 1’Icon, le Prototipe, et le Pere-grand du Chateau de Bicetre ( 272 ). GRANGER 11 seroit done a propos, ce me semble, de prendre garde a moi. Quelque Incube pourroit bien venir habiter avec ma fille, et faire pis encore, butinant les reliques de mon chetif et malheureux « Gaza » ( 27s ). Ma foi, pour- tant, Diables Folets, si vous attendez cela pour diner, LE PEDANT JOUE, COMEDIE 21; vous n'avez qu’a dire Graces : Je m’en vais faire prendre a toutes mes Chambres chacune un clystere d'eau benite. Ils pourroient bien toutefois me voler d’un cote, quand je les conjurerois de Tantre. N’importe,/’z'm frangais aux xvi° et xvii e siecles). 266 CEUVRES de cvrano de bergerac pourtant, pour penitence, de nous exhiber le spectacle de quelque intrigue, de quelque Comedie. J'avois mis en jen mon Paranymphe des Muses, mais M. de La Trem- blaye n’a pas trouve bon que rien se passat sur ces matieres sans prendre ton avis. CORBINELI En effet, votre declamation n’eut pas etd bonne, parce qu’elle est trop bonne. Ces doctes antiquites ne sont pas proportionnees a 1’esprit de ceux qui composent les membres de cette compagnie. J’en sais une Italienne, dont le demelement estfort agreable : Amenez seulement ici Monsieur de La Tremblayc, votre Fils et les autres, afinqueje distribue lesrdles sur le champ. GRANGER « Extemplo » je les vais congreger. SCENE IV GENEVOTE, CORBINELI GENEVOTE La corde a manque, Corbineli. CORBINELI Mais j’avois plus d’uiie fleche, mais avoue^ avec moi qu on devroit peindre Amour plutot en habit de Berger que de Boi, puisque ceux qu'il protege sont moins hommes qu'ils ne sont betes; considere^ comme vos yeux ont donne si avant dans la visiere de notre bon Seigneur qu'ils ont blesse jusques d sa cervelle. Je m en vais l'engager dans un Labyrinthe ou de plusgrands Docteurs que lui demeu- reroient a « quia* ». * Cette replique de Genevote et celle de Corbineli finissent la scene IV dans LE PEDANT JOUE, COMEDIE 267 SCENE V* * GRANGER, PAQUIER, GENEVOTE, CORBINELI GRANGER Au feu 1 au feu ! GENEVOTE Ou est-ce ? Ou est-ce? GRANGER Dans la plushaute region de Fair, selon Fopinion des Peripateticiens. He bien, ne suis-je pas habile a la riposte? N’ai-je pas gueri le mal aussi-tot que je l ai en fait? Ma langue est une Vipere qui porte le venin et la theriaque tout ensemble, c’est la pique d’Achille qui seule peut guerir les blessures qu’elle a faites: et, bien loin de res- sembler aux Bourreaux de la Faculte de Medecine, qui d’une egratignure font uae grande plaie, d’une grande plaie je fais moins qu'une egratignure. CORBINELI Nous perdons autant de temps que si nous ne devions pas aujourd’hui faire la Comedie. Je m’en vais instruire ces gens-ci de ce qu ils auront a dire : cependant garde^ bien la porte de che^ vous, je te donnerois bien des pre- ceptes, Paquier, mais tu n’aurois pas le temps d'apprendre tant de choses par coeur. Je prendrai soin, me tenant derriere toi, de te souffler ce que tu auras a dire. Vous Monsieur, vous paroitrez durant toute la piece, et quoi le Ms. Dans i654, la replique de Corbineli est reduile a ceci : « Oui, mais j’en avois plus d’une, je vais engager notre bon Seigneur dans un Labyrinthe... * Cette scene V est la quatrieme dans le Ms. ; cette difference, apparente seulement, d’une scene, en faveur de 1’iinprime de 1654, se maintiendra jusqu'a la fin du V e acte. 268 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC que d’abord votre personnage semble serieux, il n’y en a pas un si bouffon. GRANGER Qu’est-ce ci? Vous m’engagez a soutenir des roles dans vos Batelages, et vous ne m’en racontez pas seule- ment le sujet! CORBINELI Je vous en cache la conduite parce que si je vous l’expliquois a cette heure, vous auriez bien le plaisir maintenant de voir un beau demelement, mais non pas celui d'etre surpris. En verite, je vous jure que lors que vous verrez tantot la peripetie d’un intrigue si bien demele, vous confesserez vous-meme que nous aurions ete des idiots, si nous vous 1’avions decouvert. Je veux toutefois vous en ebaucher un raccourci. Doncques ce que je desire vous representer est une veritable histoire, et vous le connoitrez quand la Scene se fermera. Nous la posons a Constantinople, quoi qu’elle se passe autre part. Vous verrez un homme du tiers Etat, riche de deux enfans, et de force quarts d’ecus : Le Fils restoit a pour- voir; il s’affectionne d’une Damoiselle de qualite fort proche parente de son beau-frere ; il aime, il est aime, mais son pere s’oppose a 1’achevement mutuel de leurs desseins. Il entre en desespoir, sa Maitresse de meme. Enfin les voila prets, en se tuant, de clore cette Pičce par une catastrophe. Mais ce Bere, dont le naturel est bon, n’a pas la cruaute de souffrir a ses yeux une si tra- gique aventure ; il prete son consentement aux volontes du Ciel et fait les ceremonies du mariage, dont 1’union secrete de cesdeux cceurs avoit deja commence le Sacre- ment. GRANGER Tu viens de rasseoir mon ame dans la chaire pačili que LE PEDANT JOUE. COMEDIE 269 d’ou 1’avoient culbutee mille apprehensions cornues. Va paisiblement conferer avec tesActeurs; je te declare Plenipotentiaire de ce Traite comique. Toi, Paquier, je te fais le Portier effroyable de 1’introite de mes Lares( 339 ). Aie cure de les propugner ( 34 °) de 1’introi'te du Fanfaron, du Bourgeois et du Page, qui, sachant qu’on fait ici des jeux( 341 ), ne manqueront pas d’y transporter leursignares personnes. Je te mets la des monstres en tete qu’il te fant combattre diversement.Tu verras diverses sortes de visa- ges, Les uns faborderont froidement, et, si tu les refuses, aussi-tot glaive en l air, et forceront ta porte avec brutalite. Le moins de resistance que tu feras, c’est le meil- leur. Ilfenconviendra voir d’autres,la barbe faite en garde de poignard, aux moustaches rubantees, au crin poudre, au manteau galonne, qui, tout echauffes, se presenteront a toi. Si tu t’opposes a leur torrent, il te traiteront de fat, se formaliseront que tu ne les connois pas. Des qu’ils t’auront arraisonne de la Sorte, juge qu'ils ont trop bonne mine pour etre bien mechans; avale toutes leurs injures. Mais si la main entreprendjd’officier pour la langue, sou- viens-toi de la regle « Mobile pro Fixo( 342 ) », cest un baume aussi souverain contre les Rodomonts qtie Veau benite contre les Diables. D’autres, pour s’introduire, demanderont a parler a quelque Acteur pour affaire d’importance et qui ne se peut remettre; d’autres auront quelques hardes a leur porter. A tous ceux-la « Nescio vos ». D’autres, comme les Pages, environnes chacun d'un Clerc, d’un Ecolier, d’un Courtaut( 313 ) et d’une Putain, viendront pour etre admis : Recois-les. Ce n’est pas que cette race de Pygmeespuisse de soi rien effectuer de terrible ; mais elle iroit conglober un torrent de canailles armees qui deborderoit sur toi, comme un essaim de guepes sur une poire molle « Vale, mi čare ». 2/0 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC SCENE VI PAQUIER, S3U 1 O ma foi! Cest un etrange metier que celui de Portier I II lui faut autantde tetes qu’a celui des Enfers, pour ne point flechir; antant d’yeux qu’a Argus, pour bien veiller; antant de bouches qu’a la Renommee, pour parler a tout le monde; antant de mains qu’a Briaree, pour se defendre de tantde gens; autant damesqu’a l’Hydre, pour reparer tant de vies qu’on lui dte ; et autant de pieds qu'a un Cloporte, pour fuir tant de coups. SCENE Vil PAQUIER, CHASTEAUFORT PAQUIER Voici mon coup d’essai. Courage, j’en vais faire un chef-d’oeuvre. CHASTEAUFORT Bourgeois, ho! Hola, ho! Bourgeois. Vous autres malheureux, ne representez-vous pas aujourd’hui ceans quelques coyonneries et jolivetes? PAQUIER « Salva pace », Monsieur, mon Maitre n’appelle pas cela comme cela, CHASTEAUFORT Quelque Momerie, quelque Fadaise ? Vite, vite, ouvre- moi. PAQUIER Je pense qu’il ne vous faut pas ouvrir, car vous avez LE PEDANT JOUE, COMEDIE 27 I la barbe faite en garde de poignard; vous ne ni'avez pas aborde froidement; vous n’avez pas degaine, ni vous n’etes pas Page. CHASTEAUFORT Ah! vertubleu, poltron, depeche-toi; je ne suis ici que par curiosite. PAQUIER Vous ne faites point du tout comme ilfaut. CHASTEAUFORT Morbleu ! mon Camarade, de grace, laisse-moi passer PAQUIER He! vous faites encore pis; vraiment, il ne faut pas prier. CHASTEAUFORT Savez-vous ce qu’il y a, petit godelureau?... Je veux etre fricasse comme Judas, si je me soucie ni de vous, ni de votre College; car, aprčstout, j’ai encore une centaine de Maisons, Chateaux sentend, dont la moindre... Mais je ne suis point discoureur. Ouvre-moi vite, si tu ne me veux obliger de croire qu’il n’entre ceans que des coquins, puis qu’on m’en refuse 1’abord. Cap-de-Biou, et que penses-tu que je sois ? un nigaud ? Mardi, j’entens le jargon et le galimatias. II est vrai que j’ai sur moi une mauvaise cape, mais, en recompense, je porte a mon cote une bonne tueuse, qui fera venir sur le pre le plus resolu de la Troupe. PAQUIER Vous raisonnez la tout comme ceux qui ne doivent point entrer. CHASTEAUFORT De grace, pauvre homme, que j'aille du moins dire a ton Maitre que je suis ici, et qu’il me rende un mien gou- jat ( 3i4 ) qui s’est enfui sans conge. 18 2/2 ceuvk.es de cvrano de bergerac PAQUIER « II en viendra d’autres qui desireront parler a quelque Acteur pour affaire d’importance et qui ne sc peut remettre. » Je ne sais plus comme il faut dire a ceux-la. Ha Monsieur, a propos, vous ne devez pas entrer. chasteaufort Ventre ! je vous dis encore que je ne suis ici que par promenade. Penses-tu done, veillaque, qu’un gentil— homme de ma qualite aille loger quelque part que son bagage nc passe devant? PAQUIER « Domine, Domine, accede celeriter. » Vous ne m’avez point dit ce qu’il falloit repondre a ceux qui parlent de bagage '. SCENE Vlil GAREAU, PAQUIER, CHASTEAUFORT GAREAU O parguene sfesmon, vela bian debute. Et pense vous don que ce set un parsenage comme les autres, a batons rompus? Dame nanain. Cest eun homme qui sait peu et prou. Comment, oul dit d or, et s’oul n’a pas le bec jaune. Cest le Garpon de cet homme qui en sait tant. Arde, vela le Maitre tout crache, vela tout fin dret son armanbrance. CHASTEAUFORT J’aurois deja fait un crible du ventre de ce coquin et jete sa carcasse aux corbeaux, mais j’ai la crainte de * 1604 : Promenade au lieu. de bagage, la partie en italigue de a repligue ci-dessus de Chasteaufort ayant e te supprimee par Cyrano dans 1’imprime. LE PEDANT JOUE, COMEDIE 273 faillir contre les regles de la Comedie, si j’ensanglantois la Scene. GAREAU Vertigue, qu’ous etes considerant, ous avez mange de la soupe a neuf heures( 345 ). CHASTEAUFORT J’enrage de servir ainsi de borne dans une rue. GAREAU O ma foi, ous etes bian delicat en harbes, ous n’aimez ni la rue ni la patience ( 846 ), SCENE IX GRANGER, GAREAU, CHASTEAUFORT, PAQUIER GRANGER Quel climat sont alles habiter nos Rosciens ? E’Anti¬ pode ou notre Zenith ? Je vous decoche le bonjour, Chevalier du grand Revers; et vous, 1’Homme a l’heri- tage, salut et dilection ! GAREAU Parguene, je sis venu nonobstant pour vous ddfrincher ma sussion encore une petite escousse. Excusez Eimpor. tunance-da ; car Cest la mainagere de mon Onque qui ne feset que huyer environ moi que je veniš. Que velez-vous que je vous dise ? ol feset la guieblesse. « H e 1 vramant, »ce feset-elle a part soi, MonsieuCGranger, pis qu’il set tout, Cest a ly a savoir pa. Va-t-en, va, Jean, te dorra un consille la-dessus. » Dame, j’y sis venu. GRANGER O I mon cher ami, par Apollon claire-face qui commu- 274 OiUVRES DE CVRANO DE BERGERAC nique sa lumiere aux choses les plus obscures, ne nous veiiille rejeter dedans le creux manoir de cette spelonque genealogique. GAREAU Parguene, Monsieu, sacoutez done eun tantet, et vous orez, si je 'ne vous la boute pas aussi a clair qu’un cribe. GRANGER Ma parole est aussi tenable qu’un decret du Destin. GAREAU lil lui presente une fressure de veau pendue au bout d'un batonj. O bian, comme dit Pilatre, « quod serisi, quod serisi », n’importe, n’importe, ce nianmoins, tanquia, qu’odon comme dit Tantre, vela eune petite douceur que notre Mere-grand vous envoie. GRANGER Va, cher ami, je ne suis pas Jurisconsulte mercenaire. GAREAU La, la, prenez trejours ; vaut mieux un tian, que deux tu 1’auras. GRANGER Je te dis encore un coup que je te remercie. GAREAU Prenez, vous dis-je, vous ne savez pas qui vous prendra. GRANGER Eh fi I champetre. Heterogene, prens-tu mesvetemens pour la marmite de ta maison ? GAREAU Ho, ho, tredinse, il ne sera pas dit que j’usions d’obliviance ; cor que je siomes petits, je ne sommes pas vilains. LE PEDANT JOUE, COMEDIE 2 75 GRANGER Veux-tu done me diffamer « a capite ad calcem »? GAREAU Bonnefy, vous le prendrais. Je sais bien, comme dit Tantre, que je ne sis pas digne d’etre capabe ; mais stam- pandant oni n’y a rian qui ressembe si bien a eun chat qu’eune chate. Bonnefy, vous le prendrais da, car on me huiret; et pis, vous en garderiais de la rancoeur encontre moi. GRANGER O venerable confrere de Pan, des Faunes, des Sylvains, des Satyres et des Driades, cesse enfin par un exces de bonne volonte, de diffamer mes ornemens, et je te permets, par remuneration, de rester spectateur d'une invention theatrale, la plus hilarieuse du monde. CHASTEAUFORT J'y entre aussi, et pour recompense, je te permets, en cas d’alarme, de te mettre a couvert sous le bouclier impenetrable de mon terrible nom. GRANGER J’en suis d’accord, car que sauroit refuser un mari le j our de ses noces ? PAQUIER a Chasteaufort Mais, Monsieur, je voudrois bien savoir qui vous etes, vous qui vouliez entrer. CHASTEAUFORT Je suis le Fils du Tonnerre ; le Frere aine de la Foudre ; le Cousin de 1’Eclair ; 1’Oncle du Tintamarre ; le Neveu de Caron; le Gendre des Furies; le Mari de la Parque; le Ruffien de la Mort; le Pere, TAncetre er le Bisaieul des Eclaircissemens. 276 CEUVRES DE CVRANO DE BERGERAC PAQUIER Voyez si j’avois tort de lui refuser 1’entree. Comment un si grand Homme pourroit-il passer par une si petite porte ? Monsieur, on vous souffre, a condition que vous laisserez vos parens a la porte, car avec le Bruit, le Ton- nerre et le Tintamarre, on ne pourroit rien entendre. CHASTEAUFORT Garde-toi bien une autre fois de te meprendre. D’abord que quelqu’un viendra s’offrir, demande-lui son nom, car s’il s’appelle la Pierre, la Montagne, la Tour, la Roche, la Butte, Fortchasteau, Chasteaufort ou de quelqu’autre titre inebranlable, tu peux t’assurer que c’est moi. PAQUIER Vous portez plusieurs noms, pour ce que vous avez plusieurs Peres [Us entrent]. SCENE X* CORBINELI, GRANGER, CHASTEAUFORT, PAQUIER GAREAU, LA TREMBLAYE, GRANGER le jetrne MANON, GENEVOTE CORBINELI a Granger Toutes choses sont pretes. Faites seulement apporter un siege, et vous y colloquez car vous avez a paroitre pendant toute la Pibce. II n est pas besoin que vous sor- tie% d’ici, mais souvene^-vous bien de parter quand je vous soufflerai. * Cette scene parait a la fois avoir inspire a Moliere le passage du Ma.la.de ima.gina.ire ou Angeligue et Cleante se chantent leur amour devant Argan, sous pretexte de repeter une le Dalila, 67. Danaides (les). 75. Daphne, 3i, 369. Darius, 65, 66. D’Arpajon (le duc), 293, 295*, 297. Dassoucy (Ch. Coypeau) x*, 82, 93*, io3, 373. David, 52. Dedale, 67. Dčmocrite, 176, 257, Desmarets de Saint-Sorlin, 169. Despauteres, 184, 25l, 375, 376*, 377, 378, 379*. Desroziers-Beaulieu, io3. Deucalion, 176, 228. Diane, 175, J71. Didon, 65, 371*. Diogene, 69, g5. Dioscoride, 64. Drusus, 242. Du Soucy (Fran^ois), voir Gerzan. Du Tage, 07. D uval, 168*. E Eaque, 69. Echo, 69, 104. Edouard IV (roi d’Angleterre), 372. Elie (le prophete), 229. Elien, 64. Enee, 371. Eole, 187. Epaminondas, 164, l65, 174. Epicure, 102. Erostrate, 68. Esculape, 70. Esope, 65, 110*. Estienne (Robert), 374. Eurydice, 69, 71, 372. F Faguet (Emile), n. Fiorilli (Tiberio), dit Scaramouche, 52, 371. Flamel (Nicolas), 69, 372. Fournel (Victor), 168, 208, 276, 280, 287. Frangois I er , 141. G Galilee, 369. Galonge, 298. Ganymede, 229. Garassus (le Pere Fran^ois), 123, 374, Gargamelle, 3?2. Gassendi, 170. Gassion (le marechal de'', O4, 374. Gaston d’Orleans, 22, 36o. Gaufridi ou Gofridi, 52, 370. Germanicus, 296, 302, 3o5, etc. Gerzan (de), 56, 37 I. Gomberville (Marin Le Roy de\ 90, 98, 373, 374,375. Gonzague (Marie-Louise de), reine de Pologne, 167*, 210*, 286. Grandier (Urbain), 371. Grangier (Jean), 168*, 220. Gregoire XIII, pape, 237. Griveau (Ch.), sieur de Luroy, i32, i33, Guarini, 110, 373. Gueret (Gabriel), 170, 293, 379. H Hecate, 67. Hector, 174, 372. Hecube, 70. Heliogabale, 56, 59, Henri III, 377. Henri IV, 370, 374. Heraclite, 69, 176, 233. Herault (Fran^ois) ou Hereau, 121. Hercule, 72, 73, 178, 193. Hesiode, 235. Hyacinthe, 372. I Ignace de Loyola, 37?. Ixion, 75. J Jason, 66, 370. Jesus-Christ, 33*, 52*, 56, 118, 121, 122. Job, 94, 369. Jocaste, 68. Jonas, prophete, 375. Josue, 3o, 70. Judas, 32, 176, 271 . Junon, 32. Jupiter, 66, 173, 178, 254, 373. Juvenal, 68. L La Calprenede, 98. La Chapelle, voir Chapelle. INDEX ALPHABETIQUE 383 Lacroix (Paul), n*, 79, io3, 168*, 369, 38o. La Geneste, 371. La Mothe, io3- La Mothe Le Vayer fils (l'abbe), io3, 167*, 169. La (Serre Jean Puget de), 110. Le Bret (Henry), 5, 9, etc. Le Coq, i3i. L’Enfant, peintre, 166. 375, Lepide, 69, Le Roy (Marin) voir Gomberville. Le Tasse, no*, 373. Lignieres, ix. x*. Livet (Ch.), 168*. Lope de Vega, 167. . Louis XIII, II7, 377, 378. Lucain, 65. Lulle (Raymond), 64, 371. Lycurgue, 228. M Mahomet, 82. Mandols (Madeleine de), 371. Mansuy (Abel), 265. Marie (princesse), voir Gonzaguc. Marini, 110, 373. Marolles (Michel de), 167. Mars, 175. Martial, 68. Mathusalem, 101, 377. Mausole, 26, 36g. Mazarin (Cardinal), 117*, 374- Medee, 371. Medicis (Marie de), 371. Menelas, 258. Mercure, 175, 187. Mezetin, voir S. Fiorilli. Midas, 70, 255. Minerve, 67. Minos, 69, 197. Moliere, 169, 170*, 171*, 180, 208, 227, 276, 287. Momus, 66, 225. Monet (Philibert), 127. 374. Montfleury (Zacharie-Jacob , dit), x, 108, 109, lil, 112, 129. Montfleury (Antoine-Jacob fils, dit), 108. Montmaur (Pierre de), 167. Monval, 294. Morphee, 176. Mounet-Sully, 294. Musnier (Hector), 100. N Nabuchodonosor, 66. Narcisse, 23. Neptune, 32, 259. Neron, 65, 66, 68, 72, 372. Nisus, 63. Noe, 141. Nostradamus, 90, 188. Numa, roi, 66. O Orphee, 65, 240, 372, 379. Gvide, 65, 369, 371, 373. P Pan (le Grand), 373. Parfait (les freres), 206. Pariš, 94, 372. Patrocle, 66, 372. Pelias, 371*. Perše, 68. Persee, 68, 258. Phaeton, 3i, 370, 373. Pharamond, 228. Pharaon, 25q. Philogias, i65. Phocion, 70, 165 . Phoebus, 26, 67, 175. Picard (Mathurin), cure, J71. Pison, 3o2, 3o3, 3o4, 328. Platon, 47, 164. Plessis (Yves), 5. Pline, 64. Pluton, 189, 234. Pollux, 32. Pompee, 174, 265. Pont-Courlay (M"’° de), 133*. Poppee, 67, 372. Porcie, 68. Priam, 71. 197, 228. Priape, 118. Promethee, 69, 189, 228. Proserpine, 258. Publius (Cornelius), 264. Pythagore, 64, 228, 371*- Pygmalion, 70. Pyrrhus, 174. Q Quevedo, 62, 371. Quinet (Toussaint), libr., 114, 374. R Racine, 280. Radamante, 69. Rangouze (de), II, 369. Ravaillac, 121. o Renaudot (Theophraste), l34, 374- Romulus, 174, 228. Rostand (Edmond), n. Roy (Emile), 167*. 25 384 IN1)EX ALPHABETIQUE S Saint-Benoit, 23. Saint-Christophe, 123, 126, 374. Saint-Come, 23. Saint-Denis (M 11 ® de), l52. Saint-Denis, 108, i53. Saint-Fran^ois Xavier, 145, 3y5. Saint-Hubert, 18. Saint-Jean, 18. Saint-Mathurin, 10, l34, 3y3*, 3y5. Saint-Michel, 23. Saint-Pierre, 129, 374. Saint-Roch, 38. Saint-Severin, 23. Sainte-Ursule, 109. Salomon, 229. Samson, 33, 68, 92, 174. Samuel (le prophete), 52. Saturne, 67, 175, 254- Saul, 52. Scaramouche, voir Fiorilli. Scarron (Paul), 11 2*, II3*, 114*, 169, 374*. Scudery (Georges de), 373. Semiramis, 68. Senegue, 72. Sercy(Ch. de), libr., 2g3, 298, Simarande, 164. Socrate, 47, 69*, 92, 104*, 164*, i65*. Sorel (Ch.), 167, 169. Sylla, 174. T Tacite, 264. Tallemant des Reaux, 371, 38o. Tantale, 75. Thesee, 68, 72, 73. Thetis, 67. Thiers (J.-B.), 370. Theodose, 258. Tibere, 71, 2q5, 296, 3o2, 372. Timandre, 164. Timon, 66. Tiresias, 59. Tite-Live, 199. Titie, 75. Tristan L’Hermite le poete, 96, 294. Triton, 25g. Turenne (marechal de), 79, 95*. V V... (de), 97. Vallee (Geoffroy), 370. Venus, 32, 175. Vespasien, ig5. Vespuce, voir Americ. Virgile, 65, n3, 114, 199, 371*. Vitu (Auguste), 294. Vulcain, 67, 175, 234. W Weiss (Ch.), 116. Wladislas IV, 167, 2io, 286. X Xerces, 190. Z Zeuxis, 64. Zoroastre, 42. TABLE GENERALE DES MATIERES Avant-Propos Epitre dedicatoire au duc dArpajon des CEuvres diverses, 1654. 1 LETTRES Notice . 3 Lettres diverses . 5 Contre 1’Hiver, p. 5. — Pour le Printemps, 9.- Pour l’Ete, 12. — Contre 1’Automne, i5. — Description de l’Aqueduc ou la Fontaine d’Ar- cueil, 19. — Sur l’ombre des arbres dans l’eau, 23. — Description d’un Cypres, 26. — Description d’une Tempete, 27. — Pour une Dame rousse, 29. — D’une maison de campagne, 35. — Pour les Sorciers, 38. — Contre les SQrciers, 45. — A Monsieur de Gerzan, sur son Triomphe des Dantes, 56. — Le Duelliste, 60. — Sur un recouvrement de sante, 61. — D’un Songe, 62. — Thesee a Hercule, 72. — Sur une Enigme que 1’auteur envoyoit a M r de***, 76.— Sur le faux bruit qui courut de la mort d’un grand guerrier (le prince de Conde), 79. — Pour Soucidas (Das- soucy) contre un partisan qui avait refuse de lui preter de 1’argent, 82. — Sur le blocus d’une ville, 83. Lettres satiriques . 85 Contre un Poltron, p. 86. — Contre un Medisant, 88. — A Mademoi- selle, 90. — Contre un Ingrat, 91. — Contre Soucidas (Dassoucy), q3. — A. M. de V. (Contre M. Du Tage), 97. — Consolation a un ami (Cha- pelle) sur 1’eternite de son beau-pere, 100. — Contre un Pilleur de pen- sees (La MotheZi Vayer fils ?), io3. — Sur le meme sujet, 104. — Contre un groš homme (Z. J. Montfleury), 108. — Contre Scarron, 112. — A messire Jean (contre un ecclesiastique bouffon) , 118. — Contre un Jesuite assassin et medisant (Inedite, le Pere Herault ou Hereau), 121. 386 TABLE GENERALE DES MATIERES — Contre un Pedant (le Regent de la Rhetorique, des Jesuites), 124. — Contre le Careme, 128. — A M. Le Coq pour MU®***, i3i. —A un Comte de bas-aloy (Charles Griveau, comte de Luroy), i32. — A un Liseur de Romans, 134. — Contre les Medecins, i35. — Contre un faux-brave. 140. Lettres amoureuses . 143 A Madame ***, 143, 145, 146, 147. — Effets amoureux d’une absence. 149. — Sur des Bracelets de cheveux, i5o. — A M 110 de Saint-Denis, i52. —A Madame ***, i53, l55, i56. — Rogretsd’un eloignement, 107. — A Madame ***, i58. — Reproche a une cruelle, 160. Entretiens pointus .163 LE PEDANT JOUE, comedie Notice .167 La date de sa composition, 167; A-t-il ete represente? 168; Le Pedant joue et Moliere, 170; le Manuscrit de la Bibl. nat., 171. Le Pedant Joue. 173 LA MORT DAGRIPPINE, tragedie Notice . 293 Epitre dedicatoire au duc dArpajon.295 La Mort d’ Agrippine. 299 Notes . 369 Index alphabetique des noms de personnes .381 1846. — EVREUX, IMPRIMERIE HERISSEY. (FRANCE) — 7-33 hrrodnr in uniuerzitetnr knjižnica