■ ■" -V . V. - r g il * 'ê‘ i. . y ' v, ■'à a . y-' W' •' V'K ^ ' : ^ éêù;: ë É ,'W; ■•■ïf: •v« ■ ^ % V í ■ I ,fi-’ , -, ; ■■ >.ř , .. t # r i€ ■. *> ;• *. . ,Æw - î /''«% cv-.'- Í. ;. ^ ' $«•,• • . j* ■’ ' .4 ' f* - I m --'W-"J "t:« C ■ i . ■",v- ■ ' 1$: ■ ■?; ř?, :'% . ■’ ••M, '■ : ; V m ■ v' .'H, . ■■“ m* p • ...I ,. I,, . , ' ' ,VP 2, v\ f ■; .-vA^ îr ■ '.: , ’v # & ;'ë* a M, -î- ■m ,;Æ: ' %. m ?Æ ' . .iàüîW. • ■ ^ÏP ''Sv * , ÿiJ 'i- v ' . /«' -‘H, ‘■„iü;- ;■'? -K ■. Wg y m >J .. ,v;. 'S ř * \ 'W'- 'ÿ;:" " ' x ■ :.-*!i ■'A- -- ■ » •tey! . •. 1 | '• * . Æ'F^L: m*î 4 Sf ■■ /. :. '.yy- ■ ' ■ ■ : “i'™ ■ : * ■' . •A' rjffî ë *’ v* a i é- - à f a* ,4 ;&4i* ifcv; H! r- .. « . , ’ LA POÉSIE POPULAIRE ÉPIQUE EN YOUGOSLAVIE AU DÉBUT DU XX“ SIÈCLE Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays. Travaux publiés par l'Institut d’études slaves. — X. EN YOUGOSLAVIE AU DÉBUT DU XX* SIÈCLE PAU «. MATHIAS MlEgKO Professeur h l’Universilé Charles IV, à Prague PARIS LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION 5, QUAI MALAQUAZS (vi0) 4i>670 S^oosojfí I INTRODUCTION HISTORIQUE : LKS CHANTEURS ET LEURS POEMES ÉPIQUES X. On trouve mention de la poésie populaire des Slaves du Sud à partir du vne, puis à partir du xe siècle, et, des chants épiques en particulier, à partir du xiue siècle. Les documents de quelque étendue touchant ces chants épiques se font de plus en plus nombreux chez tous les Slaves du Sud à partir du xve siècle et, en 1568, ils sont imprimés pour la première fois dans La pêche (Ribdnje) de l’écrivain dalmate P. Hektorovic. De la première moitié du xviii® siècle, on a déjà d’amples recueils manuscrits ainsi que d’assez nombreuses imitations des chants épiques : parmi ces dernières se distingue le Joyeux devis du peuple slave (Razgovor ugodni na-roda slovinskoga) du moine franciscain croate André Kacir-Miošič, originaire des environs de Makarska en Dalmatie, poème qui date de 1756 et est devenu par la suite le livre croate le plus répandu. Kačié-Miošié a chanté des épisodes de l’histoire de tous les Slaves du Sud, et en particulier leurs luttes contre les Turcs, dans l’esprit delà véritable poésie épique populaire, et il a fait passer dans son ouvrage un nombre assez considérable de vrais chants populaires. C’est par la traduction latine de cet ouvrage que le monde a entendu parler pour la première fois des « bardes illyriens ». Leur gloire a eu toutefois pour prin- (') Texte amplifié et complété des conférences failos à la Sorbonne les -h 24 et 25 mai 1928, sur l’invitation de l’Institut d’études slaves. La première partie en a paru dans Le monda slave, Ve année, 11)28 n° 6, pp. •121-,‘151. cipal artisan un naturaliste italien, l’abbé Alberto Fortis qui, dans son Viaggo in Dalmazzia (1774), a consacré tout un chapitre à la musique et à la poésie des montagnards de Dalmatie, les « Morlaques », et a publié l’original et la traduction italienne de l’un des meilleurs chants épiques populaires, la Triste ballade de la noble épouse de Hassan-Aga. Par la traduction qu’en a faite Goethe, et qui a été imprimée pour la première fois dans les Volkslieder de Herder (1778), où se trouvaient également des traductions de Kacic, cette ballade est devenue partie intégrante de la littérature universelle ; elle a été également traduite cinq fois en français. Fortis avait comparé les chants épiques nationaux illyriens à Ossian ; la comparaison avec Homère fut faite à fond, dès la fin du xviii6 siècle, par mi médecin de Split (Spalato), nommé Bajamonti et par un poète — latin — de Raguse, Férié {Ad élarissi-mum virurn Julium Bajamontiúm Georgii Ferich Ragusini epištola, Raguse, 1799). C’est par ces sources, ainsi que par ses relations per-sonnelles avec les Serbes et les Croates, qu’un slaviste de Vienne, le Slovène Barthélemy Kopitar, fut informé de la grande richesse de leurs chants nationaux. Il chercha à les faire recueillir. La fin malheureuse de la première insurrection serbe, en 1813, amena à Vienne Vuk Stefa-novic Karadžič, descendant d’une famille d’Herzégovine, génial autodidacte paysan, dont Kopitar fit bientôt le réformateur de l’orthographe et de la langue écrite serbes, un excellent grammairien, un remarquable lexicographe et le célèbre collect’onneur des chants populaires, proverbes et contes serbes. A l’époque de l’enthousiasme romantique pour la poésie populaire et pour le génie national, la première édition des chants nationaux serbes (1814-1815) fut accueillie avec un grand enthousiasme, notamment par Jacob Grimm : la seconde édition (Leipzig, 1823-24, Vienne, 1833) provoqua chez les critiques scientifiques, surtout à nouveau chez Jacob Grimm, puis, à la suite de la traduction excellente et harmonieuse de Mlle Talvj, devenue ultérieurement Mme Robertson, chez Gœthe et les poètes, un véritable enthousiasme, qui gagna, grâce à d’autres traductions, l’Europe entière et même l’Amérique. Cela donna lieu en France à la fameuse mystifica-tion de Mérimée : La Guzla, ou choix de poésie illyriques recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la Croatie et VHerzégovine (Strasbourg, 1827). Gœthe se rendit compte que c’était un faux, et s’en divertit fort, mais l’Anglais Bowring, l’Allemand W. Gerhard et même le grand poète russe Pouchkine firent des traductions de ces prétendus chants populaires. Toutefois, les Français eurent aussi eu mains la traduction des vrais chants nationaux de Vuk Karadžič dans les Chants populaires des Servions recueillis par Wuk Stéphanovitch et traduits d'après Talvj, par Mme Élise Voiart (Paris, 1834, 2 volumes). La troisième édition, très augmentée, des chants populaires de Vuk, dite « édition de Vienne » (1841-1865), affermit leur gloire et devint la base d’une étude scientifique ainsi que de nouvelles traductions (dont la meilleure est celle de S. Kapper, en allemand d’abord, puis ensuite en tchèque). A la lin du siècle dernier a paru à Belgrade une nouvelle édition officielle, augmentée de nombreux chants épiques trouvés dans les papiers de Vuk et (pic celui-ci avait, de son vivant, laissas de côté pour des raisons diverses. Le recueil complet comporte aujourd'hui neuf forts volumes grand in-octavo, dont deux seulement, le premier et le cinquième, contiennent des chansons lyriques, tous les autres étant remplis de chants épiques, fait qui caractérise bien la grande richesse de la poésie épique populaire yougoslave. Du vivant même de Vuk Karadžič, et depuis sa mort, d’autres Serbes et Croates ont publié toute une série de recueils de chants populaires, qui suffiraient à remplir une bibliothèque. Il y a lieu de mentionner les recueils de chants du xvne et de la première moitié du xvme siècle provenant surtout du sud de la côte de l’Adriatique, de Miklosich et de B. Bogišic, membre de l’Institut, ainsi <> rezultalima popisa iiteljsh’a g. 1910, supplément à Die Ergebnissc der Volkezahlung in Bomiien und der Herzegowina, Sarajevo, 1912. (2) Voir la Zeitschri/l des Vercins für Volkskunde in Berlin, 1909, pp. 13-30, lu mois de jeûne des musulmans, dans un café, où, toutes les nuits, un chanteur catholique chantait des chansons aux musulmans. Surpris, je demandai comment la chose était possible. On me répondit : « Nous vivons dans la concorde : ondá bilo, sad se spominjalo (ce qui fut, on en évoque le souvenir maintenant). » A partir de ce moment, je ne m’étonnai plus de voir des chanteurs chrétiens chanter pour les beys et les pachas de Bosnie des semaines et des mois entiers. Dans le peuple également, les musulmans écoutent les chanteurs chrétiens, et les chrétiens les chanteurs musulmans. 11 peut arriver que les chants soient choisis ou adaptés, mais dans l’ensemble il n’en est pas besoin, parce que chaque junak (héros) est universellement honoré, à quelque confession qu’il appartienne. Sur les principaux résultats de ces voyages et sur la notation phonographique des chants de Bosnie et d’Herzégovine, j’ai fourni des comptes rendus préliminaires assez détaillés, dans les publications de l’Académie des sciences de Vienne (1). Je n’ai pu écrire une œuvre de quelque ampleur sur la poésie épique populaire, la guerre et la situation instable des pays yougoslaves m’ayant empêché, pendant longtemps, de reprendre mes voyages. Ce n’est qu’en 1924 que je séjournai dans l’ancien sandžak de Novi Pazar, qui avait été jusqu’en 1913 ( I) Bericht liber eine Bereimng von Nonkvcxlbosnien und der angrenzenden Gebiete von Kroatien und Dalmatien beliu/tt Erforschung der Volksepik der bosnischen Midiammedantr. Sitzungsbe-r. der Akademie der Wissenschajlen in lVieil. Philos.-hist. KL, 173 Bd., 3. Abh.,. Wien, 1913. In Kommission boi Alfred 11 fil der. — Bericht Uber eine Beise zum Studium der Volksepik in Bo -nien und llerzegowina im .lahre 1913. Ibidem, 17G Bd., 2. Abh., Wien, 1915. - Bericht Uber phonographische Au/nahrnen cpischer, meist mohammeda-ninciter Volk.slieder im nordwestlichen Bosnien im Sommer 19.12. Nr. XXX der Bericlde der Phonogramm-Archivs-Kommission der liais. Akademie der IVi.s-se.nschalten in Wien. Ans dem Anzeiger der Philos.-histor. Kl. der liais. Akademie der Wissenschalten vom 12 Àlarz [Jahrgang 1913, Nr. VIII); séparât abgednukl, Wien, 1913. Bericht Uber phonogruphische Aufnahmen cpischer \'olkslieder im millleren Bosnien und in der Ilerzegowina im Sommer 1913. Sitznngsberichle der liais. Akademie der Wissenschalten in Wien. Philos.-hist. KL, 179 Bd., 1. Abh. XXXVI). Mitleilung der Phonogramm-Archivs-Kommission, Wien, 1915. J’en a/donné un extrait avec des remarques du point de vue de l’histoire littéraire dans mon étude Nettes Uber südslavisehe Volksepik. Nette Jaltrbü-eher für dns klassische Altertum, XXU (B. G. Teubncr, Leipzig-Berlin, 1919, pp. 273-296'.) sous la domination turque, et lié historiquement et administrativement avec la Bosnie-Herzégovine jusqu’à l’occupation de ces provinces par l’Autriche-Hongrie. J’ai trouvé là une situation analogue à celle qui pouvait régner en Bosnie-Herzégovine avant l’occupation de 1878, et j’ai fait connaissance avec une vie patriarcale véritablement épique, extrêmement curieuse, mais fort dure (1). En 1927, je voulus voir le pays de la célèbre ballade sur l’épouse de Hassan aga ; je trouvai avec plaisir la poésie épique populaire encore vivante dans cette région croate voisine de la petite ville d’Imotski en Dalmatie (demeurée sous la domination turque jusqu’en 1717), mais ce fut en vain que je cherchai des nouvelles de Hassan aga et de Pintorovié bey : je crois toutefois que l’on pourrait, à l’aide de documents tirés des archives dalmates et bosniaques, faire au moins un relevé îles propriétés de leurs familles. En revanche, le conllit tragique de cette « ballade triste » s’expliqua pour moi. C’est parce qu’elle avait été élevée sévèrement- dans les mœurs musulmanes que l’épouse de Hassan aga ne pouvait pas, par pudeur, aller voir son mari malade, bien que celui-ci attendît sa visite, ayant déjà, lui, des idées plus humaines, plus occidentales, acquises au cours de séjours fréquents dans les villes de haute civilisation de la côte adriatique toute proche. Je suis allé voir aussi la patrie d’A. Kacié, mais là, la poésie épique populaire est déjà morte. Au cours de mes voyages, je n’ai pas cherché de nouveaux chants, et je n’en ai pas noté,sinon par fragments, ce qui est d’ailleurs une tâche malaisée et, au temps de la récolte et des autres travaux des champs, presque impossible. Mais je comparais volontiers, quand les chansons étaient imprimées, le texte écrit et le texte chanté ; un jour, jai étudié ainsi deux chants que le même chanteur avait dictés vingt ans auparavant à Zagreb et qui avaient subi d’importantes et instructives modifications. Le but essentiel de mes observations était de me pendre compte de la manière dont vit la poésie épique (1) Voir Prager Presse, 11 janvier et 25 janvier 1925, populaire, de voir qui sont, les chanteurs, pour qui, quand et comment ils chantent, s’il naît encore des chants populaires et pourquoi la poésie populaire disparaît et meurt. Beaucoup de mes observations confirment, complètent ou éclairent des faits déjà connus, mais j’en ai recueilli aussi un hon nombre d’entièrement nouveaux. Mes comptes rendus, parus pendant le cours des guerres balkaniques et de la grande guerre, n’ont pas été assez largement répandus, mais ils ont attiré l’attention des spécialistes de la poésie épique populaire. Engclbert Drerup a montré comment on pouvait utiliser mes observations pour des études comparatives dans son ouvrage intitulé Homerische Epik (/, Dus II orner problém in der Gegenwart). ★ ¥ ¥ Où la- poésie épique narrative vit-elle encore dans la bouche du peuple ? En Vojvodine, c’est-à-dire dans l’ancienne Hongrie méridionale, en Syrmie (Slavonie orientale), où elle accusait une certaine pauvreté du temps déjà de Vuk Karadžič, elle est morte complètement ; de même en Serbie, à l’exception de la zone montagneuse du sud-ouest (le Russe Hilferding n’y avait déjà plus rien trouvé en 1868-69). En Slavonie, où, vers la lin du xviii® siècle, les chants épiques étaient encore souvent chantés et imités, il n’y en a plus aujourd’hui, flans la Croatie du sud-ouest, d’où provenaient encore nombre de belles chansons de Vuk Karadžič, ils sont en train de disparaître. En revanche, ils se chantent encore assez fréquemment dans les régions montagneuses de la Dalmatie, qui ont été négligées par les gouvernements vénitien et autrichien, et ont gardé un caractère aussi patriarcal que certains autres pays des Balkans. Où la poésie épique nationale s’est conservée le mieux, c’est en Bosnie, et davantage encore en Herzégovine et au Monténégro, surtout à l’ancienne frontière de ces deux dernières provinces, où chrétiens et musulmans n’ont cessé d’être en luttes perpétuelles jusqu’à l’occupation de . la Bosnie-Herzégovine en 1878, et dans le sandžak de Novi Pazar situé entre le Monténégro et la Serbie avant les guerres balkaniques. Ce sont là en général des pays de plateaux, habités par la race des Alpes Dina-riques, forte, héroïque et en même temps de sentiments ralïinés, bien douée sous le rapport de l’imagination et de l'intelligence, ainsi que pour le sens de la langue et de la forme (1). Virk Karadžič appelait lës chants épiques chants «héroïques » (junačke), mais il fait également Figurer parmi eux les chants mythologiques, les légendes, les nouvelles et les ballades. Le peuple lui-même emploie le nom de chants « héroïques » (pjesrne junačke, o junacima, o junaštvu), ou « anciens » [starinske, comparer le russe stariny) pour désigner ceux qui célèbrent des héros, ou des personnages d’un caractère plus ou moins historique. Ces chants constituent la majeure partie de la poésie épique popul tire ; ils sont très goûtés et renommés. Le chant lui-même, qui est plutôt une espèce de récitation mêlée de musique, s’accompagne sur un instrument primitif, les gusle (en Herzégovine et au Monténégro s’est conservée la plupart du temps la forme ancienne gusii), espèce de violon, à cordes en crin de cheval, une le plus souvent, deux dans les régions du nord-ouest. Dans le nord-ouest de la Bosnie, les musulmans se servent exclusivement, et les chrétiens font également usage de la tambura ou tamburica, sorte de petite guitare ou de mandoline avec deux cordes métalliques, qui est également connue dans le nord de la Dalmatie et dans le district de Lika en Croatie, et que l’on employait autrefois en Slavonie. On a longtemps parlé, dans un esprit de romantisme, de peuple-chanteur ou de peuple aède (en allemand das singende Volk), et l’on croyait vraiment que c’était tout le peuple des campagnes qui chantait. On sait aujourd’hui que les représentants de la poésie épique populaire sont certains individus bien doués, répandus en plus ou moins grand nombre dans les campagnes et aussi dans les villes de civilisation patriarcale. Dans le peuple, on les appelle simplement les « chanteurs » (pjevač, piva), leur nom (1) .). Cvuié, Govori i, članci, II, pp. 80 et suiv. ; Bhanko LazàrevicS, l'ri jihoslovanské nejvyšsí hodnoty, p. G. li Itéra ire de guslar (joueur de gusle, ordinairement guslač ie les chefs de peloton et porte-étendards (barjaktar) ; chez Ded aga Cengic, Mis de Smail aga Cengic, dont la oiort a été chantée par le poète croate Ivan Mažuranié dans une épopée célèbre, il y avait, dans la seconde moi-llc du siècle dernier, un chanteur de ce genre, qui avait le grade de commandant. Ces restes de traditions musul-uianes nous permettraient de nous faire une idée de la inamère dont vivait la poésie épique orale dans les siècles passés, même si nous ignorions qu’elle ait été cultivée dans la noblesse serbe, bosniaque et croate. Il n’y a pas de doute pour moi que la poésie épique populaire actuelle provient, ainsi que la majeu e partie de l’art populaire en général (les costumes par exemple), des milieux sociaux chrétiens et musulmans les plus élevés, mais, au cours des siècles, elle a poursuivi son développement selon ses voies propres. Je dois encore m’élever contre un autre préjugé. L’Homère de la légende, que l’on représente aveugle, et quelques indications de Vuk Karadžič lui-même ont fait naître cette idée erronée que beaucoup de chanteurs, et justement les meilleurs, sont des aveugles. En réalité, dans les pays où la poésie épique nationale est encore florissante, les chanteurs aveugles sont extrêmement rares, et ces malheureux sont ordinairement devenus aveugles à un âge déjà avancé, la plupart du temps à la suite de la variole. Il n’y a que dans les régions où la poésie épique populaire est en voie de disparition ou est déjà morte que l’on voit des mendiants aveugles et estropiés demander au chant un moyen d’existence. J’ai été surpris de voir que les femmes musulmanes savent réciter îles chants épiques, mais non les chanter, et (pie parmi les femmes chrétiennes, il se trouve des chanteuses, à l’état toutefois de rares exceptions, sauf dans le nord de la Dalmatie. Les chanteurs commencent à apprendre à jouer des gusle et à recueillir la tradition épique dès leur tendre gnfance, sur les genoux d’un père ou d’un aïeul, ou d’autres parents, ou de familiers, puis dans le public, la plupart du temps entre dix et douze ans, mais toujours en général jeunes, « alors qu’ils ne pensent encore à rien », jusque vers l’âge d’environ vingt-cinq ans. 11 leur sufïît d’ordinaire d’entendre chanter un chant une seule fois, et, quand ils sont plus âgés, plusieurs fois ; à Gacko, le vieux Janko Ceramié, âgé de 68 ans, m’a assuré qu’il pouvait répéter le lendemain toute chanson entendue la veille au soir. Cependant, les chants de la poésie dite orale ou traditionnelle ne sont pas toujours transmis de bouche en bouche ; ils sont très souvent, et de plus en plus, pris dans des livres et des brochures, et cela même en Herzégovine, LES CHANTEURS ET LEURS POÈMES ÉPIQUES 13 terre classique du chant épique. On n’a nullement la certitude que les aveugles eux-mêmes aient recueilli leurs ehants de la bouche d’autres chanteurs, car on a pu les leur lire, ils peuvent les tenir d’un autre chanteur auquel un prêtre, un instituteur ou toute autre personne les aura appris. C’est chez les musulmans que la tradition orale s’est le mieux conservée, car ils sont d’esprit plus traditionnalistc et comptent davantage d’illettrés. Le chanteur qui apprend un chant qu’on lui lit doit se le lairç répéter plusieurs fois pour le savoir. Les chanteurs musulmans savent faire le compte de ceux qui leur ont appris leurs chants, et qui se trouvent la plupart du temps parmi leurs proches. Les chanteurs chrétiens apprennent partout où l’on chante, mais souvent aussi à la maison ou chez des proches. Lorsqu’ils entendent parler d’un bon chanteur, ils voyagent à sa suite pendant de nombreuses heures. Un certain nombre de chants sont colportés par les voyageurs ou par les rouliers et ouvriers qui se déplacent. On chante surtout pendant les longues nuits d’hiver autour du foyer et au cours des réunions (sijelo, silo) dans les maisons des paysans aisés, pendant les veillées, lors des fêtes rituelles et familiales, et, d’une manière générale, en toute occasion de joie, notamment aux noces, qui duraient naguère toute une semaine quand elles avaient lieu dans la maison des parents, et plus longtemps encore lorsque la fiancée était amenée de loin. C’est ainsi que le chanteur Janko Ceramié, de Gacko, neeompagna pendant 34 jours les invités des beys Lju-hošak, lorsque trois d’entre eux se marièrent à la fois. Oans certaines régions, la famille du fiancé et celle de l;i fiancée ont chacune leur chanteur, et ceux-ci rivalisent à qui chantera le mieux et le plus longtemps: c’est One honte si dans la maison de la fiancée un autre chanteur sort vainqueur du tournoi. On chante encore publiquement dans les cafés, principalement chez les musulmans, lors des zbori (assemblées ou fêtes patronales), lu‘ès des monastères et des églises, ainsi que dans les foires. On chantait aussi beaucoup au cours des rançonnées à cheval, surtout la nuit, mais dans ce cas sans Susle. Chez les musulmans du nord-ouest et du nord de la Bosnie, il y a des chanteurs qui, l’hiver, voyagent de pays en pays pendant des mois entiers ; dans le mois du Ramadan, certains villages et leurs cafés embauchent des chanteurs pour tout ou partie de la durée du Ramadan. Les pachas et les seigneurs féodaux appelaient pour le Ramadan et en d’autres circonstances des chanteurs pour les distraire eux-mêmes et leurs invités. Les femmes pouvaient, elles aussi, écouter les chanteurs, mais placées derrière un rideau, à moins que Je chanteur fût un de leurs parents, devant qui elles n’eussent pas besoin de se voiler. Les seigneurs recherchaient particulièrement les chanteurs lorsqu’ils venaient faire un séjour de quelque durée dans leurs domaines pour s’y reposer, y travailler ou lever les impôts. Naturellement, dans les villages chrétiens, ils faisaient venir le plus souvent des chanteurs également chrétiens. En un mot, la poésie épique nationale était et est, pour la noblesse', les bourgeois et les paysans, ce que sont pour nous les concerts, théâtres et autres divertissements. En Balmatie, un paysan m’a déclaré ceci : « Vous autres, à la ville, vous avez la musique, et nous les chants. » * Il n’est donc pas surprenant que ces chants soient extrêmement longs et durent plusieurs heures, une nuit entière et même, chez les musulmans, deux et trois nuits. Parmi les chants de Vuk Karadžié, il y en a un qui provoqua l’étonnement par sa longueur: Le mariage de Maxime Crnojevié (Zenidba Maksima Crnojevica), qui comptait 1225 vers de dix syllabes et remplissait dans le texte imprimé 42 pages de grand octavo, soit une longueur supérieure à celle de n’importe quel chant de Y Iliade ou de l’Odyssée. En 1891 a été imprimé Le mariage de Senjanin Tadija, d’un chanteur orthodoxe de Travnik, en Bosnie, chant qui. compte 3412 vers déca-syllabiquos. Les chants musulmans surtout sont particulièrement longs ; la Société Croate (Malica Hraatska), à Zagreb, possède dans ses archives 11 chants de 2 à 3.U0U vers, et 4 de 3 à 4.000 et plus ; cette longueur les a fait écarter par l’éditeur, et le plus long chant imprimé n’a que 1862 vers. Je fais observer tout d’abord que le chanteur peut à volonté raccourcir ou allonger les chants suivant sa personnalité artistique ; il y a par exemple des chanteurs «pii sont célèbres pour savoir dépeindre mieux que tout autre une jeune lilie ou une femme, un héros (junak), son cheval ou son armement, alors que d’autres ne se préoccupent nullement de cela. Le chanteur peut aussi modifier comme il l’entend les chants, suivant le temps dont il dispose, l’humeur dans laquelle il se trouve, les auditeurs devant lesquels il se produit, et la récompense qu’il a lieu d’espérer. Le public peut aussi d’ailleurs agir directement sur lui, et, lorsqu’un chant dure depuis trop longtemps, on lui cric : Goni, goni, (plus vite, plus vite !). Je cite en exemple un certain détenu de Lepo-glava, en Croatie, sous la dictée duquel on avait noté des chants de 2.500 et de 4.400 vers, alors que les mêmes chants, chez celui qui les lui avait appris, en Bosnie, n’avaient que 1.200 et 1.500 vers. On comprend .-. Les chanteurs retiennent ces chants si longs grâce aux répétitions épiques bien connues, utilisées par exemple pour les messages, et h divers clichés destinés à célébrer les beautés féminines, les héros, les costumes, les chevaux, les armes, les duels, etc. J’ai connu un chanteur musulman, déjà blasé par la civilisation, qui chantait ces lieux communs, mais qui narrait l’action proprement dite. Maints chanteurs récitent partie en chantant, partie en racontant. Il y en a qui racontent mieux qu’ils ne chantent, mais il y en a aussi qui ne savent pas du tout raconter. Le voïévode monténégrin Marko Miljanov, autodidacte, nous a conté toute l’histoire de sa tribu (iL’il)ii des Kuči) avec alternance de récit, pour les vieilles traditions, et de vers. La poésie et la prose peuvent donc parfaitement vivre côte à côte, ce qui n’est pas sans importance pour l’étude des conditions analogues dans la vieille littérature orale des autres peuples. Le chanteur, assis, commencé par préluder sur ses gusle ou sur sa tamburica (lorsqu’il s’accompagne sur la tamburica, il peyt aussi rester debout), puis vient un court prologue, où il parle de son art et assure qu’il va chanter un chant « véridique » sur « les anciens temps » ou sur « les anciens héros »(1). Souvent aussi, il y donne cours à ses sentiments patriotiques et adresse des salutations aux personnes présentes, en particulier à celles qui sont d’un rang social élevé. De la partie musicale du chant, je ne puis rien dire, n’étant pas spécialiste. Je ferai seulement observer que le chant est plutôt une récitation monotone, qui produit une impression non musicale, et qui est même incompréhensible pour les gens cultivés du pays, surtout quand ils ont perdu le contact avec le peuple (2). En tout cas, pour les admirateurs des beaux poèmes relatifs à la vieille histoire serbe, il vaut mieux ne pas les entendre chanter. Le Russe Rovinski], auteur d’un livre classique sur le Monténégro, raconte qu’un Français, admirateur de la poésie populaire serbe, étant allé entendre les chants à Ce tin je, ne put les écouter pendant longtemps et s’en alla. C’est pourquoi aussi les émigrés serbes, pendant la Grande Guerre, avaient tort de donner en spectacle le chaut des poèmes épiques avec accompagnement de gusle. En Amérique, les ouvriers serbes et croates chantent toutes portes closes, de peur des moqueries. (1) J’ai reproduit dans ma conférence un disque enregistrant le commen-oement de la chanson Le mariage de Banovié Mihajlo, racontant les péripéties du mariage d’un chrétien avec une Turque. (2) Le premier collectionneur des airs yougoslaves, Ruhač, a déclaré à propos du meilleur chanteur musulman, Mehmed Kolakovié, qui était «à Zagreb, que ses récital ions ne méritaient pas du tout le nom de « chant ». Il n’avait pas encore le sens de l’évolution historique. Lorsque, au début de l’année 1928, un très bon chanteur monténégrin, T.Vuéié, fut amené à Berlin, pour qu’on établisse des phonogrammes (h* quelques-uns do ses.chants, plusieurs connaisseurs de l'histoire de la musique déclarèrent qu’on chantait probablement à peu près ainsi en Allemagne vers les x-xii° siècles. Devant un publie qui n’entend pas la langue, on ne saurait chanter des poèmes, même courts, ou des extraits de poèmes plus longs qu’après une introduction préliminaire faisant connaître le caractère de la poésie épique nationale ; il y a lieu également d’en faire connaître auparavant le texte. L’essentiel, c’est le fond, avec sa forme poétique. La langue riche en tropes et figures, et infiniment plastique, résonne magnifiquement sur les lèvres des bons chanteurs. L’air finit aussi par plaire à qui comprend les paroles, quand on a longtemps écouté, surtout quand on voit le chanteur se prendre d’enthousiasme pour son héros et ses exploits, s’adapter à la marche de l’action, exprimer ses sentiments par sa mimique et devenir réellement dramatique. Il commence lentement, mais il accélère le rythme et peut arriver à une rapidité très grande ; il cesse alors de jouer de son instrument. Dans ces moments-là, même un sténographe parlementaire serait impuissant à le suivre. Il y a différentes espèces de chants ; en maints endroits, on distingue les chants destinés aux paysans de ceux qui sont destinés aux classes eultivées. D’une manière générale, le chant est plus sombre et plus indistinct dans le nord-ouest de la Bosnie, et beaucoup plus alerte et plus net en Herzégovine et au Monténégro. Il n’est pas jusqu’au jeu des gusle qui ne puisse présenter de l’intérêt • on ne peut croire quels beaux sons peuvent sortir d’un instrument aussi primitif. Ce sera toujours pour moi un souvenir impérissable que la musique que me lit entendre l’archimandrite Nieéphore Simonovié du monastère monténégrin de Kosijerevo. On peut s’étonner aussi du travail physique des chanteurs, qui chantent, d’après mes observations, de 13 à 28, soit en moyenne,de 16 à 20 vers de 10 syllabes à la minute durant des heures entières et même toute la nuit, souvent dans des locaux étroits et en présence d’un auditoire nombreux, de telle sorte qu’il leur arrive d’être complètement en nage. Ce qui m’a le plus frappé, c’est le magnifique débit des chanteurs. Se représente-t-on ce que c’est que de chanter de longs poèmes, sans erreur sur le fond, en vers poé- tiques irréprochables, avec la rapidité la plus grande ? Cela n’est possible qu’à des chanteurs qui n’apprennent pas par cœur, mot à mot, les poèmes, mais qui les recréent à nouveau chaque lois, en une brillante improvisation, ! grâce à leur science de la langue et de la poésie. Un bon chanteur peut faire <1 un poème médiocre un poème remarquable, et un mauvais chanteur gâter le meilleur poème. Ce n’est pas à tort que, souvent, Vuk Karadžié cherchait un chanteur de qualité pour se faire dicter tel chant qui ne lui avait pas plu. Les auditeurs apprécient, eux aussi, cet art du chanteur. Un bey m’exprima un jour son admiration en ces termes : « Moi, je ne saurais même pas faire une composition de trois mots. » En Herzégovine, on m’a parlé de paysans qui auraient donné le meilleur boeuf de leur étable pour savoir chanter un seul chant. Les chanteurs sont des artistes, le fait qu’ils se montrent extrêmement jaloux l’un de l’autre le prouve encore. Un jour, à Sarajevo, après avoir recueilli des phonogrammes de trois chanteurs, je donnai à tous trois la même récompense. L’un d’entre eux refusa de l’accepter. Je flairai aussitôt que je l’avais froissé de quelque manière. Les personnes présentes me prévinrent en effet qu’il se considérait comme un bien meilleur chanteur que les deux autres, ce qu’il me confirma lui-même le lendemain. En Herzégovine, un jeune homme de dix-neuf ans m’a dit : « Tous autant que nous sommes, ici, nous sommes ennemis les uns des autres. C’est un tourment pour moi quand j’en vois un autre qui en sait plus que moi. » El il expliqua, en me désignant : « Vous aussi, monsieur le professeur, vous voyagez pour en savoir plus long que les autres professeurs, et vous vous trouveriez beaucoup mieux chez vous. » 11 avait, ma foi, raison : ceci se passait dans un bourg où il n’y avait même pas d’auberge, si bien que j’avais dû y recourir à l’hospitalité de la gendarmerie. L’auditoire écoute le chanteur avec le maximum d’attention, d’intérêt et de sympathie pour le héros, et il est parfois extrêmement touché du poème tout entier ou de certains épisodes. Pendant les pauses, les auditeurs font diverses remarques, questionnent le chanteur et le critiquent, ce à quoi il ne manque pas de répliquer. Une fois, je reprochais au chanteur d’avoir donné au héros musulman favori, Hrnjica Mujo, quatre frères, au lieu de deux seulement qu’il a ailleurs; il me répartit sur un ton aigre : « C’est comme çà qu’on me l’a dit, je n’étais pas là quand ils sont nés. ï II y a un procédé de critique qui ne manque pas d’originalité : quand le chanteur s’absente pendant une pause, on graisse les cordes et l’archet de son instrument avec du suif, ce qui le met dans l’impossibilité de continuer. * ** On sait, par les recueils de chants populaires, qu’un très petit nombre seulement de ceux-ci célèbrent des événements antérieurs à la période turque. L’immense majorité des chants épiques serbo-croates traite des combats contre les Turcs, qui commencent en Macédoine, atteignent leur apogée avec le grand désastre de Kossovo, se transportent sur le Danube, en Hongrie méridionale, puis en Croatie, Dalmatie et Monténégro, conduisent à la libération de la Serbie, et qui, au début du xixe siècle, se livrent sans interruption aux confins du Monténégro, et aboutissent aux guerres balkaniques et à la Grande Guerre. Toutefois, les grandes batailles et leurs conséquences ne font le sujet que de peu de poèmes ; l’immense majorité sont consacrés aux faits et gestes de héros favoris, tels que le prince Marko du côté chrétien, et, du côté des musulmans de Bosnie, Gjergjelez Alija et Mustay hey de la Lika, ainsi qu’aux menus combats livrés à la frontière turco-chrétienne, surtout aux xvie et xvne siècles. Les chrétiens enfuis de Turquie (uskoci) pouvaient s’y distinguer, au service de l’empereur de Vienne, dans les environs de Senj (Zengg), sur le littoral de Croatie, ou à celui du doge de Venise, dans la plaines des Kotari aux environs de Zara ; mais il était très fréquent de les voir attaquer les Turcs de leur propre initiative, ainsi que le faisaient d’autres chefs de bandes (dans les poèmes, celles-ci comptent d’ordinaire 30 hommes) et divers haï-douques. De même, les musulmans se souciaient peu de la paix ofhcielle, ainsi qu’en témoignent leurs chants de Hongrie et du district de Lika en Croatie. C’est surtout cette sorte de guerrillas qui offrait des occasions d’héroïsme personnel, de duels, d’aventures, de conquête d’un riche butin et de belles femmes et jeunes filles, lesquelles souvent s’enfuyaient volontiers de chez les chrétiens chez les Turcs et vice versa, de mariages romanesques, d’attaques de noces, de libération des femmes et des héros prisonniers, de lointaines randonnées à cheval (obdulja), de divers jeux de chevalerie, de festins au cours desquels les Turcs boivent beaucoup de vin, etc. Du côté chrétien se distinguent divers héros : Ivo et Tadija Senjanin, llija Smiljanié, Stojan Jankovic ; du côté turc Mustay bey, bey de Lika, Hrnjica Mujo et Halil, dont la gloire se répandit depuis le nord-ouest de la Bosnie jusque dans le nord de l’Albanie. On remarque en outre que les musulmans, conservateurs, vivent davantage dans le passé, et qu’ils évoquent surtout les temps de leur domination en Hongrie et dans la Lika, en Croatie. Ils possèdent aussi toutefois des poèmes sur leurs luttes avec l’Autriche au xvine siècle, surl’ocdu-pation de la Bosnie-Herzégovine, et sur les escarmouches incessantes à la frontière monténégrine ; mais ces poèmes, sont peu connus ; ceux de l’époque la plus récente, notamment, n’ont pas même été recueillis, encore moins imprimés. Les catholiques de Bosnie et d’Herzégovine sont également assez conservateurs, et les poèmes qu’ils chantent le plus sont ceux de Kacié et des recueils récents (surtout de celui de Jukié). Des philologues se sont étonnés jadis de rencontrer tel ou tel des chants de Kaéié dans le peuple, mais j’ai fait en Herzégovine la connaissance de chanteurs catholiques qui savaient par cœur tout Kacié. Les chants de ce franciscain se sont répandus aussi parmi les orthodoxes, notamment au Monténégro, et ils ont même été rencontrés en Macédoine (Galicnik). J’ai été surpris que les orthodoxes de Bosnie et d’Herzégovine, pas plus que ceux du Monténégro, ne connaissent, dans la mesure où je m’y attendais, les magnifiques chants relatifs à la vieille histoire serbe. Comme je prenais des phonogrammes à Sarajevo, des intellectuels serbes présents demandèrent à un chanteur des environs s’il savait les poèmes sur le prince Lazare, Miloš Obilié et Vuk Brankovié. Il répondit : « Non, je suis illettré » (1). Ce n’est qu’en Herzégovine que le sens de ces paroles devint entièrement clair pour moi : on me chanta surtout des poèmes sur les combats modernes et récents de l’Herzégovine et du Monténégro avec les Turcs, et j’appris que ces poèmes provenaient la plupart de recueils imprimés. L’un d’eux, la Kosovska Osvěta [La Revanche de Kossovo), est particulièrement répandu. 11 est de Maxime Sobajic, et rapporte les combats des Herzé-goviniens, des Monténégrins, des Serbes et des Russes en 1875-1878. Mais ce sont aussi les guerres gréco-turque, russo-japonaise, italo-turque, balkaniques et la Grande Guerre, qui sont célébrées dans les poèmes de chanteurs connus et inconnus. Dans un poème datant de 1912, le sultan se sert déjà du téléphone : Telefonu cure doletio, « L’empereur courut prendre le téléphone, na telefon zove Enverbega (2). au téléphone il appelle Enver- bcy. » En un mot : les chanteurs veulent et doivent se montrer tout à fait modernes ; le public exige des chants relatifs aux événements actuels, quoiqu’ils n’atteignent pas en général la beauté des anciens chants et qu’ils ne soient souvent que de simples « relations », ainsi que le Russe P. Rovinskij a appelé les poèmes monténégrins modernes, ou bien des articles de journal, comme on pourrait le dire déjà de certains poèmes monténégrins du recueil de Vuk Karadžič. Ce qui surprend le plus, c’est que le poème épique d’Herzégovine et de Monténégro, provinces où il est le plus florissant, soit la plupart du temps d’origine littéraire. Dès la seconde moitié du siècle passé, des prêtres orthodoxes et catholiques, des instituteurs et d’autres lettrés récitaient et chantaient aux chanteurs et (1) Au début de 11)28, le chanteur T. Vučié, ayant été convié par moi à chanter au Séminaire de philologie slave, à l’rague, le poème Majka Jugo-\>i£a, réclama le texte do-Vuk Karadžič, qu’il étudia avec application avant de paraître en public. (2) Noté en Herzégovine, en 1913, au peuple des poèmes tirés des livres, et aujourd’hui les chanteurs savent fort souvent les lire tout seuls ; il en est même parmi eux quelques-uns qui n’ont appris à lire que pour ces poèmes épiques, répandus en d’innombrables reproductions imprimées, livres ou brochures, en caractères cyrilliques ou latins. J’ai consacré une bonne partie de mon ell'ort à déterminer s’il naissait encore des chants populaires et de quelle manière. J’ai recueilli 13 expressions pour désigner la création d’un poème, mais la plus courante en Herzégovine, le terme isknaditi, knaditi, est presque inconnu en littérature, et, dans le grand dictionnaire historique de l’Académie yougoslave, ce terme est traité ď « obscur ». J’ai souvent entendu dire aussi que les chanteurs savent « adosser » (nasloniti) un poème à un autre, qu’ils savent condenser plusieurs poèmes en un seul, et modifier, corriger, compléter les poèmes. Un chanteur a déclaré qu’un poème ne saurait être bon « si le guslar ne sait rien ajouter de son crû ». D’une manière générale, on peut dire (voir ce qui a été dit plus haut sur le débit des chants) qu’au moins tous les chanteurs de quelque valeur sont jusqu’à nos jours des improvisateurs. Aussi est-il superflu de débattre, comme l’ont fait les philologues classiques, la question de savoir si les aèdes préhomériques ont été suivis de rhapsodes ou simples récitateurs, puisque des aèdes, c’est-à-dire des chanteurs qui composent eux-mêmes des poèmes, se trouvent encore aujourd’hui parmi les rhapsodes. J’ai vu moi-même plusieurs de ces chanteurs-poètes, et j’ai des renseignements dignes de foi sur d’autres. 11 y a parmi eux des gens de toute condition sociale, capables de faire immédiatement un poème de tel fait de guerre ou de tout autre événement intéressant. Plusieurs simples chanteurs m’ont dit qu’ils pourraient raconter dans un poème ma rencontre avec eux, et j’ai reçu un poème de ce genre d’une chanteuse aveugle de Dal-matie. Un bey de Bosnie, âgé de 75 ans, s’attribuait cette aptitude. Les exploits des chefs, dans les petits combats, étaient souvent célébrés par les hommes de leur bande. C’est ainsi que, parmi les poèmes relatifs à la mort de Smail aga Cengié, il y en a un qui fut chanté par son barjaklar (porte-étendard), à cheval, au retour même du champ de bataille. Rares sont les chefs qui se sont chantés eux-mêmes. Le plus curieux d’entre eux, en ces dernières années, est Jusuf Mehonjié, du sandžak de Novi Pazar, qui a combattu contre la Serbie apres les guerres balkaniques,contre le Monténégro et les Autrichiens et même contre le nouveau royaume des Serbes,Croates et Slovènes, et a consigné ses campagnes en vers décasyllabes sur un carnet de route qui se trouve au ministère de l’Intérieur à Belgrade, l’auteur l’ayant perdu pendant sa fuite. D’autres gens encore, par exemple des bergers et des bergères, qui n’ont observé l’action que de loin ou même n’ont fait qu’en entendre parler, en font parfois un poème. Des chants de ce genre ont été composés en collaboration par plusieurs auteurs différents,dont les vers étaient adoptés,corrigés ou rejetés.C’est ce qui se pratiquait dans l’armée monténégrine,où,après les combats,des rapports étaient ainsi rédigés soigneusement, répandus en copies manuscrites parmi les chanteurs militaires, et finalement imprimés, litre cité et mis en scène dans un poème était, au Monténégro, la plus grande marque de distinction, comme dans les autres armées les médailles et les décorations. J’ai été très surpris d’entendre souvent dire que des combats de quelque importance ne pouvaient être célébrés que par des gens « qui ont étudié », et même beaucoup étudié, qui « ont fait leurs classes », poursuivi leurs études « pendant vingt ans », ou encore qui sont « comme vous », disait-on en me montrant. Effectivement, un chanteur populaire ordinaire ne serait pas capable de décrire dans son ensemble une bataille à laquelle ont participé plusieurs bataillons monténégrins. C’est aussi la raison pour laquelle on ne trouve pas, dans la poésie épique yougoslave, de description de grandes batailles, mais seulement celles d’épisodes et d’événements en relation avec les batailles, et rarement d’un événement tel que le siège d’une ville. On voit que le peuple lui-même se représente les poètes,auteurs de poèmes épiques, comme des individus bien doués et en même temps fort cultivés. C’est cependant la poésie épique d’Herzégovine qui a pour la plus grande part incité Jacob Grimm et les slavistes à croire à une sorte d’origine, de genèse mystique des chants épiques populaires, créés, disait-on, par un peuple entier, ce à quoi par exemple, a cru jusqu’à sa mort (1891) le grand philologue slave Miklosieh. Cependant le chant épique narratif peut aussi être subjectif, tout en étant composé par plusieurs auteurs. Aussi certains poèmes et certains recueils peuvent-ils déplaire et mécontenter. On a reproché au poème si répandu de Maxime Sobajié, Kosovska osvěta {La Revanche de Kossovo), d’être partial pour leš Monténégrins, et d’estimer trop peu les services rendus par les Herzégoviniens. Des tribunaux nationaux s’en sont occupés, et il a même été brûlé ! De pareils différends se sont élevés surtout au Monténégro, où chaque clan possède sa propre poésie épique. J’ai déjà dit que les poèmes épiques confinent à l’article de journal. J’en ai eu la confirmation par les chanteurs eux-mêmes. Comme je demandais à un révolutionnaire, qui a combattu contre la Turquie et l’Autriche, et a été, d’une manière générale, haï-douque dans les Balkans, pourquoi il ne chantait pas lui-même ses exploits, il me répondit : « Ce n’est pas la peine, c’est une chose dont se chargent maintenant les journalistes, gens savants. » Et, de même qu’on paie, dans la presse, pour y faire insérer des nouvelles personnelles, de même on peut, moyennant finances, figurer dans un chant populaire. A Nevesinje,le chanteur Alexis Ivanovic me raconta qu’après la bataille de Vuèji Do (1876) son oncle vit venir à lui deux « savants », (pii lui demandèrent deux pleta (environ deux francs) pour le décrire comme un f'unak (héros) qui fauchait les Turcs ; mais le pauvre ne put se payer cette gloire. Outre les faits de guerre, on célébrait aussi par des chants d’autres rencontres sanglantes, et tous les événements intéressants : noces, élections ; en Bosnie et eu Dalmatie, on distribue des proclamations en vers décasyllabiques ; de cette manière on célèbre les chefs politiques populaires, par exemple Étienne Radié ; l’année dernière, en Dalmatie, j’ai même vu le programme du parti populaire catholique ainsi exposé, en une brochure d’assez respectables dimensions. L’ancien gouvernement provincial de Bosnie-Herzégovine recevait des plaintes et dus appels en vins décasyllabiques. En un mot, lu vers, épique continue à vivre dans le peuple, ainsi que tout l'attirail de la poésie épique. C/usl, ainsi qu’un chanteur des environs de Gacko commençait un poème sur notre rencontre de la manière suivante : Pclctiše dva sokola siva « Sont accourus deux faucons », entendez les deux gendarmes que le sous-préfet du district avait envoyés le chercher pour me ramener. L’attention a été attirée récemment sur ces introductions et autres procédés héroïeo-épiques par G. Gesemanu (Stu-dien zur südslavischen Volksepik, pp. 65-96). Cette imitation peut aussi se transformer en parodie ; en Bosnie, un garçon de café me racontait qu’avec un de ses amis il avait composé dans le style des poèmes épiques un chant célébrant la noce d’un bey orgueilleux, lequel était en l’occurence un pauvi’c paysan. •* . * * Selon les assertions des chanteurs et la conviction du peuple, les chants épiques devraient être véridiques. Il n’en est pas ainsi même des plus récents, qui ne nous permettent que de connaître l’idée que le peuple s’est faite des divers événements racontés ; à plus forte raison n’en est-il pas ainsi pour les anciens. 11 y a eu une vive querelle parmi les historiens serbes entre les romantiques et les critiques,relativement à la vérité historique des chants nationaux. Il est prouvé, par exemple, que le dernier tsar de Serbie, Uros, a survécu à son assassin de plusieurs mois ; que Milos-Obilié n’était pas le gendre du prince Lazare, qu’il n’a donc pas pu y avoir de dispute (mtre les belles-sœurs ; et que le véritable gendre de Lazare, Vuk Brankovié, n’a pas été le traître, — le Ganelon, — indispensable en cet endroit du poème national. En général, tout le cycle de la bataille de Kossovo de 1389 est un mythe, mais un mythe magnifique. Tout poète, le poète épique populaire comme les autres, a le droit de manier son sujet comme il l’entend, et de modifier les faits et les personnages selon ses besoins. Néanmoins, LES CHANTEURS ET LEURS POEMES EPIQUES 29 le fond de nombreux poèmes, meme anciens, est historique, et les chants modernes sont plus ou moins proches de*la vérité historique. Ce qui est surtout remarquable, c’est leur vérité au point de vue de l’histoire de la civilisation, et, à ce point de vue, de nombreux chants épiques |»o-pulaiies méritent réhabilitation. On y voit se refléter parfaitement la vie féodale des seigneurs yougoslaves du moyen âge, que les musulmans de Bosnie et d’Herzégovine ont conservée jusque dans la seconde moitié du xixe siècle. On sait quelle opposition, allant jusqu’aux insurrections, les seigneurs féodaux de Bosnie ont faite aux réformes des sultans de Turquie eux-mêmes, jusqu’à ce que leur puissance eût été brisée (1850-1851) par Orner pacha, ancien sergent-major des cadets en Autriche, et d’origine serbe. Jusqu’à cette date, ces seigneurs se faisaient la. guerre entre eux, et ils entretenaient dans leurs troupes des chanteurs qui devaient célébrer leur gloire, distraire et enflammer leurs soldats. C’est d’une façon tout à fait fidèle que les chants épiques décrivent la vie telle qu’elle était sur les frontières turco-autrichiennes et vénitiennes jusqu’à la paix de Kar-lovci (1699), puis plus tard sur les mêmes frontières et sur les frontières monténégrines ainsi qu’à l’intérieur du pays dans l’ancienne Turquie. La poésie épique nationale meurt partout parce qu’elle n’est plus d’actualité. L’aristocratie féodale ne s’y intéresse plus, depuis que sa gloire militaire a été anéantie par Orner pacha et par l’occupation de la Bosnie-Herzégovine. Les chants sur les combats de frontières des xvie et xvnc siècles constituent aujourd’hui un parfait anachronisme. Un État moderne ne saurait prêter une oreille complaisante même à I héroïsme des haïdouques. Les petites escarmouches ne sont plus à l’ordre du jour, le handzar ou yatagan (coutelas) a cédé la place au fusil à répétition, à la mitrailleuse, armes peu épiques ; il n’est plus possible, à la guerre, de provoquer quelqu’un en combat singulier ; ce qui règne aujourd’hui, ce n’est plus l’héroïsme, mais, comme me disaient mes chanteurs, la « discipline » ; l’un d’eux a ajouté : « El la politique ». On ne saurait plus apprendre la stratégie et la tactique dans les chants populaires. La condition des chan- tours de profession est de plus en plus dure, et le peuple lui-tnême chante de moins en moins, par suite de la transformation complète de la situation économique. Un aga (grand propriétaire) du nord de la Bosnie me l’expliquait dans les termes suivants : « On chantait quand on n’avait rien à faire (od besposli,ce), mais à présent le « Souabe » (= l’Allemand, au sens péjoratif de Welche pour Français en Allemagne, mais en fait, tout homme qui a passé la Save et est porteur d’un chapeau ou d’un képi) exige que I on travaille. » Ayant demandé une autre fois à un catholique d’Herzégovine si c’était aussi le Souabe qui l’avait obligé de ne plus chanter, il me répondit : « Non, ce sont ma femme et mes enfants. » Les intellectuels chrétiens ont réagi contre les longues noces et autres amusements néfastes, qui étaient une des grandes occasions de chanter. Le peuple lui-même ne prend plus autant de plaisir aux'chants épiques parce qu’il perd la foi en leur vérité et en leur utilité, et la jeunesse préfère les chansons lyriques, les autres jeux et divertissements. Le chant choral et les sociétés musicales avec instruments populaires (tamburaši) contribuent également à faire disparaître les chants épiques. A Plevlje, dans le sandžak de Novi Pazar, j’ai été frappé, en 1924, de voir qu’une chorale de chanteurs serbes avait voulu me faire la surprise de ses chœurs dirigés par le pope (prêtre orthodoxe) du lieu, et que le public faisait fort peu attention au guslar convoqué à cause de moi ; il en allait tout autrement dans la salle de lecture musulmane, où un auditoire nombreux écoutait le chanteur avec attention et avec un vif intérêt. Mais le plus grand ennemi du chanteur, c’est l’instruction moderne. Les recueils ont fait perdre l’intérêt aux chants popu’aires (je n’ai gagné la confiance de nombreux chanteurs qu’en leur assurant que je ne prendrais pas note de leurs poèmes) : aujourd’hui n’importe quel enfant peut amuser la noblesse, les citadins et les populations rurales en leur faisant la lecture des chants populaires, ce qui se pratique déjà dans les cales. Les poèmes en eux-mêmes intéressent encore et les enfants emportent à l’école les gros recueils de la Société Croate [Matica Hrvatska) et autres, afin de les lire en cachette. Enfin, la poésie épique populaire a perdu, son principal appui, la résistance cinq fois séculaire contre les Turcs. La Turquie est aujourd’hui bien loin, et quant aux musulmans du pays, après une pénible expérience, ils se sont réconciliés avec la civilisation moderne. Ils se sont si bien adaptés à la situation que l’organisation musulmane yougoslave est aujourd’hui(1) un parti gouvernemental à Belgrade, qu’un musulman est ministre du commerce et de l’industrie et actuellement remplaçant du ministre des finances. Remarquons-le en passant, c’est là une preuve que la Yougoslavie ou le royaume des Serbes, Croates et Slovènes ne pratique pas la balkanisation, mais l’organisation, le progrès social, national et politique. La disparition même de la poésie épique nationale est le signe d’un grand progrès. On pourra bientôt crier : « La poésie épique yougoslave, populaire et orale, est morte, vive la poésie épique yougoslave ! » Elle continuera à vivre par ses magnifiques poèmes comme un élément important de la littérature et de la civilisation nationale, elle inspirera mieux encore, et avec plus de succès que jusqu’ici, les poètes épiques et dramatiques, et d’autres artistes, comme elle l’a fait pour le grand sculpteur Meštrovié, et elle alimentera l’opéra national, toutes choses qu’avait prévues le maître et l’ami de Vuk Karadzic, B. Kopitar, il y a un siècle. Néanmoins, la poésie épique nationale yougoslave restera toujours un objet d’études fécond pour les savants du pays et de l’étranger. Nous espérons que la science française, (‘Ile aussi, lui consacrera la même attention qu’à la langue, apportant à cette étude l’expérience de scs brillants travaux sur ses chansons de geste et sa poésie épique du Moyen-Age. (1) C’est-à-dire en mai 1928. . 4, F^LAINOHES II CHAINTEUKS ÉPIQUES UE LA CROATIE, DE LA U A LM ATI E, DE LA BOSNIE-HERZÉGOVINE ET DU MONTÉNÉGRO. Voici un choix de photographies de chanteurs de Croatie, de Dalmatie, de Bosnie-Herzégovine et du Monténégro, présentées suivant un ordre qui va du Nord au Sud (elles sont de moi, sauf les numéro 3, 5, 23. 31,37). 1. Mile Hodak de Drežnik, dans le Sud-Ouest de la Croatie, meunier, catholique croate ; a appris ses chants d’autres chanteurs (on verra ci-dessous son maître principal) — mais aussi dans les livres. 2. Ses gusle avaient deux cordes, et non une, comme à l’ordinaire. Les gusle de cette sorte sont répandues encore jusque dans la Dalmatie septentrionale et centrale, dans le Nord-Ouest de la Bosnie, et autrefois aussi en Vojvodina. 3. Son maître, Ilija Gašljevic, riche meunier, qui a dicté un gros recueil de chants populaires au curé catholique J. Vukelic, recueil conservé par la Société croate (Matica Hrvatskd), à Zagreb. Cette simple carte postale est très instructive : c’est précisément de cette manière qu’ont été enregistrés la plupart des chants populaires. On ne peut les noter quand ils sont chantés que si le chanteur va très lentement. Il est hors de doute que les poèmes chantés sont bien supérieurs aux poèmes dictés, mais Vuk Karadžič même avait des chanteurs qui savaient remarquablement dicter. 4. Voici, comme type des chanteurs musulmans très nombreux, et excellents, du Nord-Ouest de la Bosnie (Krajina), Beéir Islamovié de Spahiéi, près de Bihaé, qui avait, en 1909, quatre-vingts ans ; il est mort en 1911. On voit sur l’image une tarnbwa à deux cordes métalliques. I.a tambura de cette sorte est d’un usage général dans le Nord-Ouest de la Bosnie chez les musulmans, et aussi chez les chrétiens; elle se retrouve en Dalmatie (sauf au Sud) ; elle était également connue en Slavonie autrefois. Planche I 5. Le même chanteur, plus jeune d’une vingtaine d’années, lorsqu’il chantait à Zagreb pour la Société croate (Malica Hrvalsha), laquelle a fait imprimer un grand nombre de ses poèmes. Deux de ces chants imprimés ont été réenregistrés sous ma direction vingt ans après, ce qui a donné lieu à des résultats intéressants : on avait été prendre ce chanteur dans ses montagnes, en août, en pleins travaux des champs ; il chanta d’abord un premier poème d’un contenu extrêmement monotone, mais, s’étant entendu reprocher par moi d’avoir supprimé quelques passages poétiques assez étendus, il exécuta alors un second chant qu’il allongea dans des proportions exagérées. h. Le chanteur serbe orthodoxe Ardelic de Djeverske, dans la Dahnatie septentrionale. Il était amusant de voir plusieurs marchands et artisans assez jeunes chercher à me convaincre que la tamhura (ou tamburica) était quelque chose de tout à fait nouveau ; autrefois, disaient-ils, on ne connaissait que les gusle. Toutefois, le chanteur, âgé de 38 ans, objecta que son père déjà ne s’accompagnait que sur la tamburu. J’ai constaté la même chose également parmi les Serbes ch; Bukovica. J’ai rencontré là un fabricant de tamburè originaire de Křupa, village de la montagne, où se trouve un monastère orthodoxe serbe et cet homme, âgé de 6à ans, m’assura fermement que la tambura était connu chez eux depuis toujours. La jeunesse de Djeverske s’inquiétait de la gloire des « serbes » et souhaitait empêcher la diffusion de fausses nouvelles dans le monde par mon canal. Pareillement, des patriotes du même acabit n’aiment pas voir les Ifiisle à deux cordes. 7. Trois chanteurs de Benkovié, dans le nord de la Dahnatie : l’un porte le véritable costume local ; le second a un costume croate à demi citadin ; celui du milieu, un maçon, a des habits déjà plutôt européens. 8. Matija Slipica, c’est-à-dire Matija l’Aveugle, des environs de Zadar (Zarà), en Dalmatie, catholique, croate. Elle esl du petit nombre des aveugles que j’ai vus, et rentre dans la catégorie de ceux qui ne mendient [tas encore. Elle est devenue aveugle des suites d’une variole, à l'Age de 7 ans, et elle a entretenu un bon chanteur pendant une année entière, pour qu’il lui enseignât ses chants. C’est une personne imposante, si on la compare avec son Antigone, une femme faite, en vérité, pour chanter des poèmes de junak (héros) ; on dirait d’elle en serbo-croate : junačka baba pjeva junaëke pjesrne. Une femme est pourtant toujours femme : comme nous lui demandions son âge, elle nous fit une réponse où elle oubliait sept années (mais ce n’est pas excessif). A l’église, elle prie pour son peuple, pour ses bienfaiteurs et aussi za pticu u gori zelenoj « pour les oiseaux sur la montagne verte ». Planche II 9. Jure Juretié, catholique de Gromiljak, du centre de la Bosnie, qui a chanté des poèmes à un pacha turc pendant des mois entiers. 10. Hussein bey Krupié, véritable aristocrate des environs de Derventa dans la Bosnie centrale, avec son hodža (prêtre mahométan) et son meilleur serviteur (momak). 11. Le même bey, âgé de soixante-quinze ans, debout à côté du cadi de Derventa. Ce bey subventionnait généreusement les meilleurs chanteurs, dont aucun n’aurait voulu chanter dans un café. 11 aurait pu lui-même composer sur le champ un poème inspiré par notre rencontre. 12. Ivo Babié, en train de chanter (comme on peut le voir à sa bouche ouverte), au monastère catholique de Kraljevska Sutjeska, à l’est de la rivière Bosna, où les rois de Bosnie eurent leur résidence. 13. Voici le premier de quatre chanteurs musulmans, avec lesquels j’ai fait connaissance à Sarajevo, en 1913, dans le mois du Ramadan : Ahmed Imamovic, charpentier, originaire de Rjclemié, en Herzégovine, où il avait été l’élève de l'excellent chanteur Isak. Il avait fait don à son maître , pour salaire, d'un mouton, [mis avait raconté à son père que le mouton manquant avait été dévoré par un loup ; le père, ayant appris la vérité, l’avait battu. Ce chanteur refusa de recevoir la somme que je; lui donnais, la même exactement qu’à plusieurs autres, parce qu’il se considérait comme supérieur à ceux-ci. 14. Zulfo Kreho de Kalinovik, près de la frontière monténégrine. Ce beau type slave s’est conservé pur, en général, parmi les musulmans de Bosnie. Agé, d’après ses indications, d’environ 27 ans, originairement cultivateur, vivant à Sarajevo depuis sa 20e année. C’est là que, dans l’hiver 1912, l’écrivain et professeur dos. Milakovié, grand admirateur d<;s chants populaires, le vit à son grand effroi porteur de charbon, et il m’a raconté plusieurs fois depuis comment il s’était écrié à cette vue : « Où en est tombé le chant populaire » ! 15. Photographie du même chanteur prise pi néant qu'il chantait de nuit dans un café turc. 16. Rizvan Kadrovic, né à I rebinje en Herzégovine, de sa profession portefaix (ha'i al). Il avait été quelque temps gendarme sous le gouvernement austro-hongrois, et il avait appris à écrire au service. Dès qu’il se fut rendu compte de ce qui m’intéressait, il m’apporta le répertoire de ses chants, qui comptait 106 pièces. 17. Osman Cigiù, cordonnier de Pasarié près de Sarajevo. On voit nettement qu’il est d’origine tsigane. Son nom l’indique aussi : Cigié est le patronymique de ci go, et cigo est un hypoeoristique de ciganin. Ainsi qu’on ne l’ignore pas, les Tsiganes, dans les Balkans, sont musiciens, et il n’y a pas lieu de s’étonner d’en rencontrer parmi les chanteurs. Passons en Herzégovine, la terre classique des chants épiques. 18. Ibro Begié, musulman, menuisier à Konjic, avec ses deux (ils, âgés respectivement de douze et île neuf ans ; ce dernier, le plus jeune, sait déjà, paraît-il, tous les chants de son père. 19. Jovan Zurovac, du district de Nevesinje, orthodoxe, qui a chanté pour moi à Mostar. C’est un ancien haïdouque Comme je lui demandais pourquoi il n’avait rien composé lui-même sur ses propres exploits, il me répondit : « Ce n’est pas la peine ; c’est là chose dont se chargent maintenant les journalistes. » 20. Nicolas Bovan, meunier et cultivateur, orthodoxe, du village de Hodbina près de Mostar. Il s’est formé d’après les livres, mais aussi en écoutant d’autres chanteurs. Il est boiteux ; aussi ne chante-t-il pas de poèmes satiriques, et il n’aime guère non plus aller aux noces, parce qu’il ne pourrait déguerpir s il si; trouvait mêlé à quelque rixe. 21. Au nord de Mostar se trouve le monastère catho-ligue de Siroki Brijeg, aux environs duquel on raconte que « tout chante ». liicn qu’il fît un fort mauvais temps, sept chanteurs répondirent à l’invitation du supérieur du monastère et se présentèrent. S’d avait fait beau temps, il y en aurait eu certainement plus de vingt. L’après-midi et le soir, ces chanteurs organisèrent un véritable tournoi de chant. Il est curieux de constater que les franciscains du monastère construisaient eux-mêmes une grande église, dont le plan avait été élaboré par un franciscain, moine et architecte comme au Moyen-Age. Les moines disaient que les meilleurs ouvriers étaient les ehevriers d’alentour. Groupe de sept chanteurs. Ils sont tous catholiques, même ceux qui portent le fez, et se considèrent comme Croates d’après leur conscience nationale. 22. Trois chanteurs du même groupe. 23. Deux franciscains : à gauche un haut dignitaire ; à droite Ira (le frère) Grgo Martic, surnommé l’Homère croate, ce qui est excessif, bien qu’il ait été vraiment un bon imitateur tics chants populaires. 11 était originaire d’Hei'zégovine, mais a vécu la plupart du temps en Bosnie, au monastère de Kreševo, où l’on conserve la chambre qui était la sienne. Comme j’y cherchais la table du regard, on m’expliqua qu’il n’avait pas besoin de ce meuble, car il écrivait sur ses genoux, tout comme les héros de ses poèmes héroïques. Marlié est un personnage historique : en 1878, il fut en relations avec le comte Andrassy, et il lui envoya au congrès de Berlin, en qualité de curé catholique de Sarajevo, un télégramme sur lequel l’Autriche-Hongrie se fonda pour demander le droit d’occuper la Bosnie-Herzégovine. 24. A Nevesinje, où éclata l’insurrection de 1875, l’appel de l’administration du district rassembla à l’école une telle foule de chanteurs que j’en fus moi-même effrayé. J’en laissai repartir incontinent beaucoup sur leur demande, mais il en resta encore trois longs bancs remplis. <)n voit ici deux spécimens des groupes avec lesquels je travaillai un assez long temps. Le premier groupe comprend six chanteurs, parmi lesquels un seul musulman, à gauche. Planche VI 25. Le second groupe comprend sept chanteurs, dont plusieurs ont déjà figuré tout à l'heure. Il y avait parmi eux des gens fort cultivés ; celui qui se trouve au milieu du premier rang, notamment, m’est resté à la mémoire. 26. Gacko, à la frontière monténégrine, et les environs de cette localité possèdent les plus célèbres chanteurs orthodoxes et musulmans. On voit ici Janko Ceramic, commerçant ; il ne sait pas lire ; c’est un chanteur de 68 ans, qui serait à même de répéter dès le lendemain tout poème entendu la veille. Ce chanteur orthodoxe, une fois, a accompagné pendant 34 jours une noce de musulmans, celle des trois beys Ljubušak amenant simultanément leurs fiancées de Bihaé, Livno et Nevesinje. 27. Mico Sa vie, orthodoxe, cultivateur et marchand de bestiaux de Žanjevica, âgé de 59 ans ; a appris plusieurs poèmes de la bouche d’un cousin, chanteur-poète (voir n° 31). 28. Trois chanteurs musulmans des environs de Gacko, très connus : Mujo Selimotic, paysan, ne sait pas lire, chante des poèmes qui durent jusqu’à des quatre heures. Planche VU 29. llamid Brkovié, paysan, âgé de 45 ans, ne sait pas lire ; ne chante que des poèmes anciens sur les combats en Krajina (nord-ouest île la Bosnie), Lika (Croatie) et Ungjurovina (Hongrie). 30. Jašar Krvavac, de Gracanica, paysan âgé de 29 ans, ne sait pas lire ; a appris à chanter grâce à ses oncles, Begam et Rizvan Krvavac, chanteurs particulièrement réputés dans toute l’Herzégovine. Begam a eu aussi l’honneur de chanter à Cettigné devant le prince Nicolas de Monténégro. Tous les deux avaient servi chez Ded aga Cengié, fils de Smaïl aga Cengic rendu célèbre par le poème d’Ivan Maž uranie, — Begam en qualité de ba-rjaktar (« porte-étendard ») et Rizvan comme buljubaša (« commandant de compagnie »). D’autres chanteurs encore ont servi chez Ded aga ; ce dernier, grand amateur féodal de chants populaires, les écoutait tous les soirs en buvant son café, et ils lui étaient aussi nécessaires que le irljanje (« massage des pieds ») avant de dormir. 31. Le voïévode Bogdan Zimonjic, un des chefs de l’insurrection d’Herzégovine en 1875-1878. Il a chanté lui-même des poèmes relatifs à ses exploits, et il avait un chanteur, Joie Savic, qui le célébra comme un second Miloš Obilic, le héros bien connu de Kossovo. Savic m’a assuré qu’il était effectivement pareil à Obilic. De nombreux poèmes de Savic sur les combats de 1875 à 1878 se sont répandus dans la nation entière. 32. Sur cette image, au milieu, se trouve le lils de Bogdan Zimonjic, âgé de 70 ans, entouré lui-même de ses (ils, de chanteurs des environs et des héros de l’insurrection d’Herzégovine, par exemple celui qui est tout au bord à gauche. L’un d’eux m’a dit que, dans ces combats, ils auraient incendié chez les Turcs la terre même, si la terre eût pu brûler. 33. Hade Mišelic, de Miruše, district de Bileca, chanteur âge de 90 ans, devenu aveugle en sa quatre-vingtième année. Il était encore d’une grande activité intellectuelle ; il aimait raconter et racontait beaucoup. Il se vantait d’avoir conduit 42 fiancées, c’est-à-dire d’avoir été 42 fois chanteur à de grandes noces. Il a fourni des chants au collectionneur bien connu Vuk Vréevié, de qui Vuk Karadžič a pu en tenir plusieurs ; il y aurait lieu de faire des recherches sur ce point. Il en voulait encore beaucoup en 1913 à Vuk Vréevié de n’avoir jamais cité son nom, et il avait raison, car ses chants étaient, au moins jusqu’à un certain point, sa propriété littéraire. Bien loin à la ronde, il passait pour le meilleur chanteur des Serbes. 34. Dans le monastère orthodoxe de Dobriéevo, à l’ouest de Bileéa, à la frontière du Monténégro, j’ai fait la connaissance de l’archimandrite Nicéphore Simonovic (à gauche) du monastère monténégrin, tout proche, de Kosijerevo. Ce chanteur, qui a un passé très agité (il a été marmiton sur les navires et a voyagé ainsi jusqu’au Japon), jouait magnifiquement des gusle. 35. Trois chanteurs orthodoxes de Dobriéevo. 36. lin chanteur orthodoxe et un musulman à Lastva «“il Herzégovine, à la frontière (h* la Dalmatie et du Monténégro. Le musulman est originaire du département de Korijenici, très connu par les chants populaires. Lu assez grand nombre des chanteurs déjà présentés, ou «pu seront encore présentés, sont originaires du Monténégro, ou bien y ont passé au moins quelque temps. Je n’ai pas étudié moi-même le chant populaire au Monténégro, n’ayant jamais eu le temps de parcourir ce territoire important pour le chant épique populaire. J’ai donné aux Monténégrins, en 1925, dans leur revue Lovcenski Odjek, le conseil d’étudier eux-mêmes leur pays et de fonder des archives du chant épique populaire à Cettigné. 52 37. Voici un fort bon chanteur monténégrin, du clan des Drobnjaei, dont étaient originaires les aïeux de Vuk Karadžič : c’est Athanase Vučié. Au concours des chanteurs de Sarajevo, en 1925, il a obtenu le premier prix, et il a encore eu le second prix, l’an dernier, à Belgrade. Il a été emmené cette année à Berlin par le professeur Gesemann, en vue de l’enregistrement phonographique de quelques chants populaires pour la Staats-bibliothek. il a également donné quelques démonstrations de son art à Prague. I I I LA VIE ÉPIQUE DANS L’ANCIEN SANDŽAK DE NOVI PAZAR. ('.es photographies p.i ,es par moi et mon lils Vladimir en 1924 proviennent de la partie ouest de l’ancien san-džak de Novi Pazar entre le Monténégro et l’ancienne Serbie, où s’est conservée une certaine vie épique. Il ne faut pas oublier que cette région de l’ancien sandžak de Novi Pazar est restée plus de cinq cents ans sous la domination turque, c’est-à-dire jusqu’en 1913. Et, depuis lors même, ce pays n’a pour ainsi dire pas cessé d’être un champ de bataille. Ce sont là des conditions primitives qui ne sont pas communes à toutes les autres régions de la Yougoslavie. 38. La ville de Plevlje, où l’Autriche-Hongrie avait, avant 1908, le droit de tenir garnison. Vue prise du nord, le soir. Type de ville yougoslave des régions autrefois tu rques. 39. Plevlje. Vue prise du nord-est. Un régiment austro-hongrois composé de soldats de la riche région tchèque de Moravie, appelée Haná, était en garnison à Plevlje. Les soldats, dans leur orgueil de riches paysans, ont eu l’idée de composer avec des pierres une inscription sur une montagne au dernier plan. Inscription visible de très loin et rédigée en tchèque, fait curieux dans cette région : Drile se Hanáci ! (« Tenez bien, gars de Haná ! ») 40. Plevlje vu du sud-est. O) co 41. La čaršija, « le marché », où se concentrent affaires, boutiques et ateliers des artisans. On aperçoit la tour avec l’horloge et la principale mosquée. 42. Le premier chanteur avec qui j’ai fait connaissance était armé comme un haïdouque ou comitadji : il avait un fusil, un browning en guise de pistolet, des cartouches et, dans ses bottes, un poignard. Et c’était le sous-préfet (sreski poglavar), Martinovic, monténégrin d’origine, mais né en Serbie ; resté malgré cela fidèle aux traditions monténégrines. Il a chanté devant moi avec d’autres chanteurs. Je n’ai malheureusement pas sa photographie. Voici, par contre, six chanteurs et le maire du village devant l’église d’Iljino Brdo près de Plevlje. Nous avons organisé dans l’école une assemblée (sijelo) avec chant, nous avons mangé ce que les Musulmans d’Afrique appellent le méchoui, c’est-à-dire le mouton rôti dont on arrache des tranches avec les doigts, et bu la rakija (« eau-de-vie du pays »). 43. Le chanteur Stevo Stamenic, ferblantier à Plevlje, orthodoxe. 44 Un bey amaigri, Osman beg Cengic, chanteur. f’j 45. Osman beg Cengié au travail. 46. Sa maison. On pourrait se demander si chaque trouvère du Moyen-Age avait une maison aussi belle que celle-là. 47. Chez les bergers, dans la montagne : le chalet île Glibač ; au fond, Bunjetina. 48. Les bergers de Glibač, près de Plevlje, qui nous ont reçus. Planche XII 49. Une maison d’habitation neuve. Nous étions là pour la nuit 26 personnes, pour la plupart des chanteurs, qui soutenaient le tournoi avec monsieur le sous-préfet. A minuit parut un agent de la gendarmerie «pii déclara qu'ds étaient dix gendarmes. Nous étions bien gardés par une patrouille volante de gendarmes. Cette précaution était encore nécessaire parce que de l’autre côté de la rivière, le Lim, une bande musulmane se tenait cachée. 50. Bœufs traînant un chargement de foin, en été, sur un traîneau (1). 51. Troupeau de moutons devant l’enclos (tor). Tableau idyllique. Mais dans les temps anciens pouvait surgir une compagnie dé Turcs et enlever le troupeau et la bergère, « la svelte Monténégrine » (lanka Crnogorka). Cela n’allait pas d’ordinaire sans combat, et l’on faisait là-dessus un chant épique. 52. Mes compagnons à cheval, et tous, sauf mon (ils et moi, en armes, le matin, sur le départ. Ce groupe n’est pas au complet. (1) Mode de transport connu aussi en Sicile (1 rutogermanische Forachungen, XIX, p. 423). o m /i. La zadruga (« grande famille patriarcale ») des Cosovic. Le vieillard que voici est un prêtre de 88 ans, qui a servi jusqu’en 1923, c’est-à-dire jusqu’à sa quatre-vingt-septième année. Il y avait dans la maison trois lemmes jeunes et jolies, qui, selon l’usage, donnaient le baise-main à tous les hommes qui venaient, de fus le seul à refuser de me laisser faire ; c’est encore vraiment tout à fait patriarcal ! Le soir, comme nous étions à table, une table haute d’environ trente centimètres, devant laquelle on s’assied d’habitude par terre, — le gamin de quatorze ans, qui servait dans la maison, s’écria : il y a eu un coup de feu ! En un clin d’œil, le sous-préfet et les autres hommes eurent bondi par-dessus la table, et douze hommes armés de fusil coururent devant la maison, battirent les alentours, firent des signaux, mais tout demeura tranquille. Finalement, on apprit que c’était le voisin musulman qui avait battu sa femme et ses enfants, el c étaient leurs eiis perçants qui avaient provoqué l’alerte. Le dénouement me parut comique, mais je compris pourquoi les gens de cette région allaient en armes même aux travaux des champs. Il en était encore' ainsi, aux xvie et xvne siècles, aux frontières de la Croatie. 55. Bijelopolje, sur le Lim, autre ville du sandžak, chef-lieu de district. 56. Tour d’une église romane de la lin du xne siècle, transformée en minaret de mosquée sous la domination des Turcs. en iD m 57. Une mosquée en hois, à Bijelopolje. 58. Femmes en costumes locaux, monténégrins et européens. Elles voulaient sans plus tarder marier avec une Monténégrine mon iils, qui venait seulement de Unir ses humanités. 59. La maison de l’aga Kucevié. Maison turque typique, parmi les meilleures. Aujourd’hui caserne. 60. Le chanteur Vukovié, dans le jardin d’une auberge avec ses auditeurs. 61. Le même, avec son oncle, chanteur. 62. Toma Dragovic qu’on appelle « l’hôtelier » —,-avec son oncle, tous les deux chanteurs. L’hôtelier a été longtemps en Amérique, mais il n’y a pas appris beaucoup de choses : il n’a pour ses clients qu’une seule table de toilette, dans le vestibule. 63. Hassan Ferizovic, âgé de 76 ans. Il n’a pas voulu venir me trouver, en dépit des invitations du préfet, du capitaine de gendarmerie, etc. Il ne voulait pas non plus se laisser photographier. C’est nous qui sommes allés le trouver. Voici, à gauche, le préfet, et me voici à droite : vous voyez quel salut je lui fais (le photographe, mon lils, le prit à cet instant). 11 résuma son existence dans la phrase classique : « j’ai passé 50 ans à m’enfuir el je n’y ai pas réussi » ('r>0 godina sve bježao i ne utekao). Il avait grandi à Nikšié ; quand Nikšié devint monténégrin, il s’enfuit en Herzégovine ; après l'occupation de l’Herzé-govine par l'Autriche d rentra au Monténégro pour déménager de là en Albanie; Slave, il ne se plut pas dans ce dernier pays, et c’est ainsi qu il en repartit pour Bijelo-polje, «pii est tombé, lui aussi, sous le gouvernement du Monténégro el de la Yougoslavie. 64. I n autre chanteur musulman : Bilal. 65. ÎjO maire de la commune de Sutivan, chanteur. 66. Chanteurs de Sutivan, près de Bijelopolje ; parmi eux le maire de la commune. Sutivan est un nom très curieux, qui prouve, de même que l’église romane de Bijelopolje, jusqu’où les influences romanes, venant de l’Adriatique, ont pénétré en Vieille Serbie. Sut est le latin sanct, puis sont, d’où est sortie régulièrement la forme sont avec voyelle nasale,devenue ensuite «.Mais des instituteurs pourvus d’une demi-instruction, voyant dans sut une influence turque (turc .soit « eau »), avaient demandé au préfet de changer ce nom en Soeti Ivan. Je leur démontrai qu’il existait toute une série de noms semblables en Dalmatie, et j’espère avoir réussi à gagner le procès de ce nom important pour l’histoire de la civilisation. 67. Trois chanteurs à Sutivan. L’assemblée des chanteurs a eu lieu dans le jardin de la gendarmerie. Parmi les gendarmes présents se trouvait aussi un ancien lieutenant-colonel russe, mais ce dernier ne s’est pas laissé prendre en photographie. 68. A Berane, ma dernière halte, non loin déjà de la frontière d’Albanie, un chanteur, professeur de lycée : Pešic ; à gauche, le sous-préfet, en costume monténégrin ; à droite, le maire de la commune. Planche XVII 69. L’entrepreneur de constructions Scekic, à Berane, (roníme vous voyez, c’est une petite ville tout à fait (avilisée, qui a vers le soir son corso, comme les villes de la côte de l’Adriatique. Mais son meilleur hôtel, l’Impérial, ne m’a pas laisse un bon souvenir. On m’avait donné une chambre avec cinq lits, mais sans table ni chaises. De table de toilette, il n’y en avait qu’une seule, dans le vestibule. J’ai fait aussi connaissance avec les punaises, mais cette dernière rencontre n’a pas été sans profit philologique : j ’ai appris que l’insecte en question s’appelle kimak, où j’ai reconnu le latin cimicem, accusatif de cimex, m’administrant ainsi la preuve vécue que les Romains disaient Kikero et non Cicero. 70. Petit moulin à Zaton, avec murs en osier tressé. 71. Voici une maison à murs en vannerie, en construction. Le mur, en allemand, s’appelle Wand, de winden « tresser ». Mais quel est le lien sémantique entre le verbe et le nom ? Le comparatiste Meringer (1) se l’est expliqué précisément en voyant une maison tressée en Bosnie. Un passage de la traduction (vieil-anglaise), par le roi Alfred, des Augustini Soliloquia apporte une confirmation remarquable à cette étymologie. Alfred raconte que des hommes allaient dans la forêt chercher des verges pour « tresser des murs (2) ». Le russe plolnik « charpentier » rappelle également le temps où l’on tressait les maisons. L’est là une preuve de plus qu’il ne faut pas faire les étymologies à sa table de travail, dans son cabinet. 72. Han (à droite), auberge et café primitifs, mais où le voyageur boit du moins volontiers une tasse d’excellent moka. (!) « Ivtymologion zum geflochl.enen Ilaus » (Feslscltvifl jür U. llcinscl, Halle, 1898). (2) Kn traduction allemande :« und seine Wagen mit schonen Gerlen belaste, uni daraus manche schone Wand zu flechlen » (Indogermanischc Forschunuen, XVII, i>. 134). 71 72 73. Les fonctionnaires de la sons-préfecture de Š ihovi.’i entre Bijelopolje et Plevlje. 74. La gendarmerie de Šahovici : ce sont de beaux types. Ce sont les organes de l’ordre public, ennemis de la vue épique, et par conséquent aussi de la poésie épique populaire. Lxemple : deux mois avant mon arrivée, un Serbe avait tué un Turc. Le sous-préfet le lit jeter en prison, mais I inculpé n’arrivait pas à comprendre pourquoi il se voyait ainsi interdire de si' faire justice lui-même. Le sous-préfet a passé longtemps à lui expliquer i[ue maintenant c’était la loi (pii régnait, et (pie la loi était appliquée par les tribunaux. Létat d esprit de ces populations, qui ont vécu plus de 500 ans sous la domination turque, est bien illustré pur le fait suivant : le district avait reçu 700 charrues en fer au compte des réparations de l’Allemagne ; il ne se trouva qu’un seul paysan pour prendre une de ces charrues, encore la rapporta-t-il après. On ne doit pas labourer avec du fer : la terre en serait offensée (uvrije-djena). On ne doit pas non plus retirer les pierres des champs, car ce sont les os de la terre (mythologie contemporaine !) 7'». Chanteurs de Šahovici au premier rang, ceux qu’il a été possible de réunir en un temps très court. 76. La mairie de la commune de Pavinopolje, près de šahovici ; population mélangée : orthodoxe et musulmane. P LA NC H li XIX il. Chanteurs de Pavinopolje ; deux sont chrétiens. Au milieu le musulman Zulfo Asanbegovic, le plus gai de tous les chanteurs musulmans cíne j’aie jamais vus, quoiqu il ait une jambe dessechée. C’est avec une admirable vivacité qu il a chanté « le mariage du Moustique avec la Mouche » ; dans un autre poème, il a décrit magnifiquement une belle jeune lilie et son costume. Mon séjour parmi ces gens m a laissé le meilleur souvenir. I iois mo s plus tard, je lisais dans le journal qu’un pogrom de musulmans avait eu lieu en cet endroit et dans les environs, parce que,' disait-on, un fonctionnaire monténégrin avait été massacré par les Turcs. On peut se faire une idée de la gravité qu’on attribuait officiellement à l’incident, puisqu’on avait fait venir sur les lieux les troupes de Bijelopolje, de Plevlje et de Pcé. Mais mon (ils et moi, à Prague, nous nous dîmes qu’il n’en était certainement pas ainsi- Le fonctionnaire tué était celui dont notre hôtelier nous avait raconté qu il ne vivrait pas plus de quelques mois, parce qu’il avait fait périr deux frères à Kolašin au Monténégro, et que le père et le plus jeune frère avaient juré d’exercer sur lui les représailles du sang (krvna osvěta). Et le 1 \ novembre, un communiqué officiel de la présidence du Conseil de Belgrade annonçait qu il ne s agissait que de la vendetta encore habituelle malheureusement en ces régions, — ainsi que nous l’avions tout de suite pensé à Prague. /8. Chanteurs à Boljaniéi, dernier district avant la frontière de Bosnie. L’un d’eux m’expliqua que les temps des junáci (« héros ») étaient passés, parce qu’avec un lusil le plus faible pouvait tuer le plus fort, et qu’à la jilace de l’héroïsme régnaient aujourd’hui « la politique et la discipline )> fdciticis pctlitihci i chciplm&J j et un paysan présent ajouta : pourquoi la politique ne peut-elle faire aussi qu il n’y ait pas de guerre ? /{). Foret dans les monts Kováč avant d’arriver en Bosnie. C’est dans cette région que Hussein Boskovic résista longtemps à la Yougoslavie, à la tête d’une bande assez considérable. A l’endroit où, après un grand détour, se trouve un pont de bois, fut attaqué en 1921 un camion automobile qui se rendait de Plevlje a Čaj niée en Bosnie. Il périt dans la renconhc dix gendarmes, le chauffeur et un civil ; deux gendarmes seulement purent échapper et se rélugier dans le bois en contre-bas de la route. On voit à cheval le sous-préfet de Boljaniéi, Monténégrin, qui donne à ses gendarmes ''ordre de me représenter comment les bandits se cachaient derrière les arbres.En voici un qui passe la tete pour regarder. (80. Le sous-préfet allait en assez grande compagnie au pèlerinage do Čajnice, ainsi que de nombreuses personnes de Plevlje. Moi aussi je voulus aller voir ce fameux pèlerinage ou fête patronale de l’Assomption (15/28 août). L’image représente plusieurs de ces pèlerins, franchissant le col de Metaljka, à la frontière de Bosnie : un avocat de Plevlje, sa sœur, des institutrices. 00 81. Photographies de gens du pèlerinage devant l’église de („ajniče. A cheval le chanteur Pero Kalundžic, des environs au sud de Sarajevo. Je dois avouer que ce pèlerinage, où j’avais déjà voulu aller plusieurs lois avant 1924, parce que j’en avais beaucoup entendu parler, m’a fortement déçu. Le soir, auprès d’un feu, je n’ai entendu ([tu; deux ehanteurs-guslars ; on dansa la danse nationale du kolo, mais en somme, il n’y avait qu’une vie sans exubérance. La cause en était un peu dans le mauvais temps. Il avait commencé à pleuvoir pour la fête, ce (pii faisait rentrer les pèlerins chez eux en hâte ; somme toute, ce pèlerinage est en décadence. A mon avis, il avait une importance plutôt politique que religieuse. Les Serbes et les Bulgares ne sont pas aussij[religieux que les Russes ; ceux qui si' rencontraient là aux temps anciens étaient des Serbes du Monténégro, de Serbie, de Bosnie et de Turquie, qui s’entretenaient fies choses de ce monde qui les inlé-ressaient ; or, aujourd hui, d n’y a plus lieu de continuer. Parmi les chanteurs locaux, j’ai trouvé deux forgerons originaires des environs immédiats de Čajnice, l’un musulman de Bukovica, dans l’ancien sandžik de Navi Pazar, et l’autre chrétien. I ons deux se plaignaient de la dureté des temps : « jadis, ou travaillait moins, et on avait plus d’aisance, on pouvait être gai et chanter, mais aujourd hui tout va de mal en pis ». La chanteur chrétien ne chante plus que pour lui-même, « sans gusle ». Ni l’un ni I autre ne comprenaient rien aux grands changements économiques modernes ; ils ne se rendaient pas compte que 1 industrie faisait passer leur travail au second plan. 82. Jadis, les chants épiques se chantaient beaucoup aussi aux loires annuelles. On voit ici le vašar (« marché ») de Visegrad, au sud-est de la Bosnie, à la frontière serbe. 81 SOM MAIRE Pages I. Introduction historique. Les chanteurs et leurs poèmes épiques. . . 1 II. Types de chanteurs épiques de Croatie, de Dalmatie, de Bosnie- Herzégovine et du Monténégro (Planches I-IX).................. 34 111. La vie épique dans l’ancien sandžak de Novi Pazar (Planches X- XXI)............................................................ 52 Sommaire...................................................... 77 / Sainl-Amaml (Clicr) France* — ïmp. H. Bussiérk. — 4-10-1029 I k ACTES MAGIQUES RITES ET CROYANCES EN RUSSIE SUBCARPATHIQUE Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pa^s. Travaux publiés par l’Institut d'études slaves. — XI. ’ ACTES MAGIQUES RITES ET CROYANCES EN RUSSIE SUBCARPATHIQUE PAR PIERRE BOGATYREV » PARIS LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION 5, QUAI MALAQUAIS (VIe) 1929 ! A MONSIEUR GEORGES POLÍVKA, Projesseur à l'Université Charles de Prague, en hommage de reconnaissance et de respect. AVANT-PROPOS. L’étude que nous présentons au lecteur est le résu tat d’excursions ethnographiques entreprises par nous en Russie Subcarpa-thique, de 1923 à 1926, avec l’aide matérielle et morale de l’Académie tchèque des Sciences et des Arts, à qui nous adressons l’expression de notre reconnaissance. Le plan des divers chapitres a été déterminé par le nombre des matériaux recueillis et par leur caractère, du point de vue statique qui est celui auquel nous nous sommes placé. D’où une certaine disproportion dans la distribution des chapitres : nous avons notamment donné une grande place à l’analyse du calendrier populaire, principalement à deux fêtes : la veille de Noël {Svjatijj večír) et Pûques (Velïkden), auxquelles il nous a été permis d’assister ; au contraire, malgré l’abondance des matériaux dont nous disposions, nous ne nous sommes pas étendu aussi longuement sur un sujet aussi important que le mariage, parce qu’il nous donnait relativement peu pour l’étude statique du sujet. Parmi les sources principales, nous citons souvent, en indiquant les noms des localités et des correspondants, les papiers de Řehoř, conservés dans les archives de la Bibliothèque du Musée National à Prague. Une partie en a déjà été publiée dans les journaux et revues tchèques par ce folkloriste, qui d’ailleurs ne visait pas essentiellement un but scientifique. Nous avons surtout mis à contribution les manuscrits non encore édités de ses correspondants. Nous remercions la direction de la Bibliothèque du Musée National d’avoir bien voulu nous permettre de consulter ces documents importants. On trouvera généralement à la fin des chapitres une bibliographie que nous n’avons pas la prétention de croire complète, concernant les rites en usage chez d’autres peuples slaves. Nous espérons pouvoir, par la suite, étudier les problèmes nouveaux qui se sont présentés à nous, dans ce même ordre de préoccupations, depuis l’achèvement de ce travail. Nous ajouterons que les matériaux ethnographiques, aussi nombreux qu’in- téressants, qui concernent la Russie Subcarpathique,nécessiteraient la collaboration d’un grand nombre de travailleurs ; nous serions heureux si nous pouvions provoquer des recherches et des investigations détaillées, permettant de compléter ou de vérifier, peut-être même de corriger nos conclusions. Nous nous plaisons ici à signaler l’aimable concours que nous a prêté dans notre tâche la Section scolaire de la Russie Subcarpathique. MM. Eisenmann, professeur à la Sorbonne, et André Mazon, professeur au Collège de France, ont bien voulu s’intéresser à ce travail et le faire figurer dans la collection des Travaux de l’Institut d’études slaves : qu’ils trouvent ici l’expression de notre reconnaissance. Nous avons nommé en tête de cet ouvrage M. Georges Polívka, professeur à l’Université Charles IV : ce n’est là qu’un faible témoignage de notre gratitude pour ses précieux conseils. Qu’il nous soit permis encore de remercier M. Cannes, qui s’est chargé de la traduction, ainsi que MM. Anié-kov, Gavazzi, Durnovo, Zíbrt, Niederle, Paňkevié, A. Petrov, l’archidiacre Sabov, Jean Lacroix, Boris Unbegaun, Mme Vokoun. On rencontrera dans ce travail des mots et des phrases appartenant à la langue des paysans de la Russie Subcarpathique et s’écrivant dans l’alphabet latin. Nous nous sommes conformé, pour les transcriptions, au système indiqué par M. André Mazon dans la Revue des Eludes slaves (I, 1921, pp. 311-312). Nous avons dù cependant, pour les parlers subcarpathiques, créer des signes particuliers. Ainsi nous représentons i antérieur par i (chlip), i moyen par ï (robïtï) et i postérieur par y (chodáky, ryba), u semi-voyelle par w (tancuwnïk). On remarquera encore qu’en vertu de la diversité des dialectes ukrainiens, les mêmes mots sont écrits de plusieurs manières (par exemple polaznïk, polaznyk et polaznik), selon qu’ils ont été enregistrés par nous en Russie Subcarpathique, ou qu’ils sont cités d’après des sources ukrainiennes ou, enfin, que fauteur s’est servi de l’orthographe russe pour rendre les mots ukrainiens, comme fait le correspondant de Řehoř (voir les papiers de ce dernier), le prêtre Myškovskij. D’autre part, nous indiquons la mouillure des consonnes d, t, s, z, n, l, r, par la semi-voyelle / (comme dans kutja) ; l’accent aigu est l’indice de la mouillure des consonnes d, t, s, z, n, l, r, -f- / (comme dans Avdot’ja) et en fin de mot (ainsi VcllkdeA). Pour la transcription des noms de villages, nous suivons, à quelques exceptions près, l’orthographe donnée dans le livre de M. A. Petrov, Národopisná mapa Uher podle úředního lexikonu osad z roku 1773 (« Carte e. hnographique de la Hongrie, d’après la liste officielle des localités, de 1773 »), Prague, édition de l’Académie tchèque des Sciences et de; Arts, 1924. Pour les matériaux et explications reproduits dans notre travail, nous avons cru nécessaire d’indiquer, non seulement le nom de la localité, mais celui de la personne : nous avons voulu par là insister sur la personnalité du témoin. Nous espérons prochainement publier ces matériaux avec une brève notice sur les personnes. INTRODUCTION. LA MÉTHODE HISTORIQUE ET LA MÉTHODE STATIQUE. Une des tâches urgentes de l’ethnographie contemporaine est l’étude statique des rites, des actions magiques et des croyances populaires. Jusqu’à présent on a surtout étudié en sa perspective historique, dans les pays et chez les peuples, surtout européens, la branche de l’ethnographie qui a pour objet les contes, chants, proverbes, etc., ainsi que les croyances et les rites dont il est question dans ce travail. On s’est efforcé de connaître les rites, actions magiques et croyances dans la première période de leur existence, et non dans leur état actuel, « d’arriver jusqu’à la connaissance du noyau central, jusqu’au schème primitif du rite », comme Ta remarqué M. E. Anièkov(l). On a habituellement pris pour sujet d’étude, non pas les phénomènes et les faits vivants, mais le schème, ce qui correspond en linguistique à la racine reconstituée. Des erreurs inévitables se sont glissées dans cette recherche du sens primitif des rites et actions magiques. Nous appellerons l’attention sur une série de fautes de méihode commises, tant par l’école de mythologie comparée que par l’école ethnologique, dans la reconstruction du sens fondamental du rite, et qui auraient pu être évitées, si on avait accordé plus d’attention à l’étude statique. L’erreur de l’école ethnologique a été de supposer qu’on peut appliquer par analogie aux rites d’un peuple l’explication de rites identiques ou semblables constatés chez des peuples qui diffèrent par la race et par la civilisation. Mais, de même que toutes les conclusions par analogie, ces applications de l’école ethnologique ne résistent pas à la critique, lorsqu’elles sont examinées de plus près. Nous en trouvons la preuve dans (1) E. V. Aničkov, Vesennjaja obrjadovaja pësnja na zapadl i u Slavjan (« La chanson rituelle de printemps en Occident et chez les Slaves ») dans le Sborník otd. russk. jaz. i slov., LXIV, n° 2, p. 63. Rites et Croyances, i une série d’exemples probants indiqués par un sociologue français, M. Lévy-Bruhl (1). Nous relèverons encore, comme faute de méthode commise par l’école ethnologique, l’explication des rites des peuples de l’Europe en concordance avec ceux des peuples primitifs. Selon ceite école, le sens des rites chez les peuples de l’Europe aurait subi de profonds changements, tandis qu’il ne se serait altéré en aucune manière chez les peuples primitifs. Or cette affirmation est contraire à la réalité. L’opinion selon laquelle les peuples primitifs n’ont pas d’histoire, n’ont marqué ni « progrès » ni « régression », est depuis longtemps abandonnée. Il est hors de doute non seulement que chaque peuple primitif a subi, pendant la durée de son existence, diverses influences dans son interprétation des rites et actions magiques, mais encore qu’il les a de lui-même altérés dans un sens ou dans un autre. Il serait même étonnant qu’il eût pu conserver dans son intégrité le sens d’un rite depuis son apparition (2). A supposer même qu’autrefois deux peuples — l’un européen, l’autre primitif — se fussent servi d’une explication identique pour un rite analogue, on ne saurait maintenant juger, en se référant à l’explication donnée de ce rite par le peuple primitif, de son sens originel chez le peuple européen et considérer que celui-ci l’a emprunté au premier. En établissant ce sens à l’aide de l’explication courante chez le peuple auquel le rite a été emprunté, les chercheurs négligent généralement d’observer si l’époque où cette explication a été constatée est celle de l’emprunt du rite par un autre peuple. Si, en effet, ces époques sont très distantes, on conçoit naturellement que le rite ait pu, pendant l’intervalle, se modifier chez le peuple auquel il a été emprunté. Mais, même quand nous savons que les dates concordent, nous ne pouvons pas être assurés qu’il s’agisse de la même explication originelle, car le peuple qui emprunte le rite n’emprunte pas toujours l’explication, mais peut avoir la sienne, qu’il approprie à sa conception de l’univers (3). Dans le cas où les chercheurs expliquent l’analogie d’expli- (1) Les /onctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1910, p. 11-13. (2) Voir Sternberg, « Sovremennaja ethnologija. Novejšie uspechi, naučnye tečenija i metody » (« Ethnologie contemporaine, derniers résultats, courants scientifiques et méthodes »), Etnografi/a, 1926, n08 1-2, p. 31. L’auteur renvoie à un article de Boas, « The Methods of Ethnology », American Anthropologist, t. XXII, n» 4. (3) Voir, par exemple, les modifications du sens des mots empruntés dans « Les interférences sémantiques », par A. Meillet, Revue française de Prague, décembre 1925. cation de rites semblables chez deux peuples indo-européens par une origine commune du rite à l’époque préhistorique indo-européenne, nous devons, si nous transférons l’explication d’un rite, chez un peuple, au rite analogue chez un autre peuple, suivre les méthodes en usage dans l’étude des phénomènes linguistiques de l’indo-européen, et ne pas commettre, en tout cas, de fautes élémentaires inadmissibles dans ce dernier domaine. Ainsi, avant d’appliquer les explications d’un rite grec à un rite analogue russe, il faut vérifier d’abord si l’explication du rite grec est la même dans la préhistoire de la Grèce et ensuite, quand ceci est prouvé, si elle est également la même d’après les plus anciens témoignages préhistoriques germains et slaves ; ce n’est qu’alors que nous pouvons appliquer cette explication datant de la préhistoire indo-européenne à un rite russe, par exemple. Mais généralement on ne fait pas ce travail, on considère comme possible de rétablir la signification préhistorique indo-européenne du rite en se fondant sur un ou deux exemples empruntés à divers peuples employant une des langues indo-européennes, quoique dans beaucoup de cas la concordance des exemples s’explique par l’emprunt d’un peuple à un autre (1). Si l’on avait tenté de rétablir la signification des rites à l’époque préhistorique européenne en appliquant la méthode fondamentale de la linguistique historique indo-européenne, en phonétique et en morphologie, recherches, notons-le, beaucoup plus simples que l’étude du sens des mots séparés et, à plus forte raison, des rites, — on se serait convaincu que le travail est d’une extrême difficulté et n’aboutit dans les cas les plus favorables qu’à des résultats imprécis et approximatifs (2). Nous essaierons de démontrer plus loin qu’il est impossible, dans la plupart des cas, de remonter jusqu’à l’explication originelle non seulement à l’époque préhistorique indo-européenne, (1) Ainsi on jugeait d’ordinaire que les témoignages tirés de la mythologie de l’antiquité grecque et fournis par les anciens documents hindous étaient les plus propres à donner une idée de la mythologie préhistorique indo-européenne. Mais, comme le montrent les derniers travaux (voir notamment l’ouvrage de M. Dumézil sur le Le jexlin ďimmortalité) les mythologies grecque et hindoue, autant que nous pouvons les reconstituer d’après les textes qui subsistent, sont beaucoup plus éloignées de la mythologie indo-européenne que celle des peuples slaves contemporains. (2) Voir Meillet, « La religion indo-européenne », Linguistique historique et linguistique générale. Nous ne connaissons qu’un ouvrage, dans lequel la reconstitution du rite à l’époque préhistorique indo-européenne ait été faite avec pru dence et d’une manière scientifique : c’est Le festin ďimmortalité de M. Dumézil si quelques points de cet ouvrage appellent des réserves, on doit du moins reco naître la méthode rigoureuse dont l’auteur s’est servi. mais môme ii une époque plus rapprochée, en Russie méridionale, par exemple. Prenons comme exemple le rite pratiqué la veille de Noël, et qui consiste à entourer la table d’une chaîne (Svjatyj veâir). 1) La veille de Noël on met les pieds sur une chaîne, afin qu’ils soient aussi forts que le fer (Lozjanskoje). 2) Dans un autre village on m’a expliqué ainsi le même rite de la table entourée d’une chaîne : « Ainsi que les bêtes féroces ne touchent pas au fer, puissent-elles ne pas s’attaquer au bétail ! » (Prislop). 3) La maîtresse du logis entoure la table d’une chaîne, qu’elle ferme avec un cadenas, afin que toutes les langues soient fermées toute l’année. . (Jeserije). 4) A Noël beaucoup de ménagères entourent la table d’une chaîne disposée en forme de croix et la ferment avec un cadenas, pour que le diable s’en aille (Bon, à Hust). 5) Dès que le repas est prêt, le gazda (le maître de la maison) entoure les pieds de la table avec le lien d’une gerbe, — ou quelquefois avec une chaîne, — et dit : « De même que la table ne peut remuer, puisse le vent ne pas secouer les arbres fruitiers du jardin ! » (1). La veille de Noël, certains entourent la table d’une chaîne, qui sert de fermeture dans la maison. Si quelqu’un y commet un vol, il ne récoltera rien, il perdra tout (Prislop). A Mû'hnivci, la veille de Noël, on entoure d’une chaîne deux pieds de la table qui sert aux repas de fête. Voici l’explication : le diable, qui est attaché à la chaîne, la ronge et est sur le point de se délivrer. Mais aussitôt que, ce soir là, le hazda a apporté dans la maison, avant le repas, la chaîne dont il entoure la table, le diable se trouve à nouveau enchaîné et doit recommencer à ronger jusqu’à la prochaine veille de Noël (2). Nous avons ici un rite, enregistré en Galicie et en Russie Subcarpathique et expliqué de diverses manières. Or nous n’avons pas le droit de considérer l’une de ces explications comme primitive, et les autres comme récentes et secondaires. (1) Antin OnySčuk, Narodnyj kaljendar. Zvyčaji j viruvanja, pryvjazani do poodynokych dniv u roci (« Le calendrier populaire, coutumes et croyances liées à des jours déterminés dans l’année, enregistrées à Zelenici, district de Nadvirnjansk ») dans les Maleri/aly do ukrajinikoji etnoljogiji, X\, 1912, p. 17. (2) M. Zunuvé.KYj, Narodnjij kalendar, narodnji zvyčaji i povirky, pryoja-zani do dn/io o lyidny i do rokových évjat. Zapysani u MSancji, Staromiikoho povitu i po susjidnjich selach (« Le Calendrier populaire. Coutumes et croyances populaires ayant rapport aux jours, semaines et fêtes de l’année, enregistrées Nous laissons de côté les cas où les paysans n’ont pas donné d’explications, ou en ont donné de trop obscures. Nous rejetons également l’explication du quatrième exemple (la table entourée d’une chaîne disposée en forme de croix, qui chasse le diable de la maison), explication fondée sans aucun doute sur une croyance chrétienne : la croix qui chasse le démon, et nous passerons à l’examen des interprétations populaires, dégagées de tout rapport avec la religion chrétienne, et dont il est impossible, faute de documents, de fixer l’ordre chronologique. L’explication du premier exemple se ramène à une des lois magiques fondamentales : la loi de contact, c’est-à-dire que la qualité de l’objet touché (la chaîne de fer (1) dans notre exemple), affecte l’être humain mis en contact avec lui. D’un autre côté, nous rencontrons cette autre loi magique fondamentale : la loi de similitude ; c’est d’elle que s’inspire l’explication selon laquelle on lie la table en bois avec une chaîne pour que la force de cette table enchaînée se transmette aux arbres fruitiers et que le vent, comme il est dit dans la formule de conjuration, ne puisse les secouer (cinquième exemple) (Les explications données dans le deuxième et le troisième exemple sont conformes à à Mšanci, district de Stare Misto, et dans les villages voisins ») dans les Alaterijaly do ukrajiniko-ruikoji etnoljogiji, III, 1900, p. 55. On entoure la table d’une chaîne pour que les esprits malfaisants n’aient pas accès dans la maison. A. Kožmínová, « Vánoce na Podkarpatské Rusi » (La fête de Noël en Russie Subcartpathique »), Československá republika, 6/1, 1925. On entoure d’une chaîne les pieds de la table pour que les ouvriers mangent peu. Zubry<5kyj, Narodnij kalendar, p. 55. On entoure la table d’une chaîne pour être fort et bien portant. Le prêtre Myškovskij (Papiers de Řehoř). Comparer l’usage grand-russien : « A Noël on attache avec des cordes la table et les bancs, pour que les chevaux restent ensemble à paître et ne s’égarent pas dans la forêt (Province de Novgorod, n° 6, p. 858, n° 24, p. 869). D. K. Zelenin, Opisanie rukopise/ archiva Russkago geofrafičeskago oličestva (« Description des manuscrits des Archives de la Société de géographie de Russie»). (1) Nous connaissons quelques cas tirés des croyances ukrainiennes où le contact du fer transmet à l’homme la force de ce métal. « Avant le repas (la veille de Noël), on met le pied nu sur une faux pour ne pas avoir d’ulcères sur le corps, et on dit : « Que mon pied soit dur comme cette faux, que je sois préservé de toute maladie ! » (Onyščuk, Narodnyj kaljendar, p. 18). Chez les IIuculs, le paysan, en se couchant la veille de Noël, met jusqu’au 1er janvier une hache près de son lit ; le premier de l’an, lui-même, sa femme et ses enfants, aussitôt levés, posent leurs pieds sur cet outil, pour qu’ils aient la dureté du fer et qu’ils n’aient aucune maladie, p. 201. Le jour de Pâques « vers minuit, le gazda, sa femme et tous les autres dans la maison se placent successivement sur une hache pour avoir les pieds aussi forts que le fer » (Šuchevyí, llucul'iiyna (« Chez les IIuculs »), p. 234). cette dernière loi). Ni pour cette loi, ni pour celle de contact, nous ne pouvons indiquer l’ordre chronologique des explications. On voit donc combien il serait aventureux de s’appuyer sur l’analogie que les rites et leurs explications présentent chez deux peuples, puisque, dans le même peuple, un certain rite comporte plusieurs explications. Nous croyons que ces diverses interprétations d’un même peuple, doivent s’expliquer ainsi. Soit un rite quelconque, par exemple le rite de la table enchaînée : A. Il s’expliquera, comme tous les autres rites, en vertu de principes ou de lois, par exemple les lois magiques de Frazer : Le contact de l’objet pendant l’opération magique provoque le transfert des vertus de cet objet (loi de contact, a), ou bien l’accomplissement d’une certaine action sur un objet quelconque doit se répéter à l’avenir avec cet objet ou avec un autre (loi de similitude, h). D’où une combinaison possible : A. a ou A. b. A La veille de Noël on entoure la table d’une chaîne, et on pose les pieds sur celle-ci. A Dès que le repas est prêt, le hazda entoure les pieds de la table avec le lien d’une gerbe ou, parfois, avec une chaîne. a Afin que les pieds aient la force du fer. b Le hazda dit : « De même que cette table ne peut remuer, de même puisse le vent ne pas secouer les arbres fruitiers du jardin ! » Remarquons que, dans une des formes du rite, c’est un certain détail qui est important ; ainsi, dans le premier exemple, on met les pieds sur la chaîne de fer. Ailleurs, c’est un autre détail ; dans le cinquième exemple, c’est la table qu’on entoure d’une chaîne. Il faut en outre noter que, quelquefois, un changement insignifiant ou une addition au rite entraîne une explication entièrement différente. Ainsi, dans un des exemples analysés, il faut fermer avec un cadenas la chaîne qui entoure la table, et ce détail donne un sens nouveau au rite tout entier. « La maîtresse du logis entoure la table d’une chaîne qu’elle ferme avec un cadenas, afin que toutes les langues restent fermées pendant l’année » (Jeseňje). Ainsi c’est à un détail, apparemment peu important, Za/ermeiitre de la chaîne avec un cadenas, qu’il faut faire attention. A côté du rôle prépondérant qu’ont actuellement les lois magiques dans la plupart des explications et des rites, comme le montre l’exemple analysé, et comme nous le verrons ultérieurement en Russie Subcarpathique, nous aurons à enregistrer d’autres réponses, par exemple à propos du culte des morts (1), d’après lesquelles le rite est un moyen de préservation ou un sacrifice propitiatoire aux êtres surnaturels, aux forces de la nature, etc. Quant aux problèmes d’origine, ils restent insolubles, et, rien ne nous autorise à admettre que, par exemple, l’explication par le culte des ancêtres soit antérieure à l’explication magique, ou inversement (2). Les hypothèses sur l’origine première de telle ou telle religion primitive, la question de savoir si le culte de l’âme a précédé celui de la nature ou si la magic a existé avant l’animisme ont une base si fragile qu’il nous est impossible d’en adopter une quelconque. Souvent ceux qui essaient de reconstruire la signification primitive d’un rite négligent une règle fondamentale : c’est qu’il faut connaître d’abord le milieu réel où le rite a existé. Ils parlent de la signification du rite soit hors du temps et de l’espace, soit pour une époque dont ils ont la plupart du temps une très vague connaissance, par exemple l’époque indo-européenne. L’étude statique nous montrera quel rôle jouent dans l’explication du rite, non seulement la conception de l’univers et la civilisation du groupe, mais aussi la psychologie de l’individu qui fournit cette explication. 11 arrive parfois qu’en recherchant la signification et les formes primitives du rite, les savants prennent pour l’explication primitive celle-là même qu’ils considèrent comme la plus simple. (1) Nous ne connaissons pas d’explication du rite de la table entourée d’une chaîne de fer qui se rapporte au culte des morts, mais nous avons le témoignage suivant : « La veille de Noël on enfonce une faux sur un banc près de la planche où est la vaisselle, et l’on met sous la table le soc de la charrue, afin que les morts, qui craignent le fer, n’entrent pas dans la maison ». P. Kolessa, « Ljudovi viruvanja na Pidhirju » (« Croyances populaires ù Pidhirje »), Etnografiényj zbirnyk, V, 1898, p. 91. On peut supposer que, dans les localités où les rites du genre précédent visent à effrayer les morts, le rite de la table enchaînée pourrait être interprété de la même manière. (2) Cf. la remarque de J. Klawe dans : « Teorja animictyczna w ctnologji » (« Théorie de l’animisme dans l’ethnologie »), Lad, série II, t. II, pp. 13-25. Aucune de ces théories n’est définitive, car on n’a pu trouver ce qui était primitif : la représentation de l’âme ou le culte de la nature : on a constaté chez les peuples primitifs l’une et l’autre croyance. C’est contre cette méthode que s’est élevé M. Lévy-Bruhl. Quant au principe général sur lequel M. Frazer s’appuie, et qu’il formule expressément un peu plus loin : « dans l’évolution de la pensée comme dans celle de la matière le plus simple est le premier dans le temps », il provient, à n’en pas douter, du système de M. Spencer, mais il n’en est pas plus sûr pour cela. Je doute qu’on puisse le démontrer en ce qui concerne la matière. En ce qui touche « la pensée », ce que nous connaissons des faits tendrait plutôt à le contredire. M. Frazer semble confondre ici « simple » avec « indifférencié ». Mais nous savons que les langues parlées dans les sociétés les moins avancées que nous connaissons (Australiens, Abipones, habitants des îles Andaman, Fué-giens, etc.) présentent une extrême complexité. Elles sont beaucoup moins « simples », quoique beaucoup plus « primitives », que l’anglais (1). Indiquons encore qu’il est impossible de déclarer objectivement, dans l’étude des religions et des phénomènes qui les touchent étroitement, quel est le supérieur et quel est l’inférieur ; de même devons-nous renoncer à apprécier le degré de supériorité et d’infériorité de la civilisation de divers peuples (2). Dans l’étude des croyances et des rites en Europe, en particulier chez les peuples slaves, il serait grand temps de passer des hypothèses innombrables sur la signification primitive des rites, ou sur la religion primitive dans la période paléoslave, à l’étude expérimentale des faits que nous avons l’occasion d’observer tous les jours, et notamment d’une foule d’intéressants problèmes relatifs à l’état actuel des croyances populaires, des rites, des actions magiques, etc. Or cette étude n’a même pas encore été abordée (3). Nous avons déjà remarqué que les rites populaires, les actions magiques et leurs significations sont dans un mouvement incessant, se modifient, se mélangent, s’accroissent, etc., en fonction soit du milieu social, soit des caractères particuliers des individus. Les faits précis que nous avons analysés à l’aide de la méthode (1) Op. cil., pp. 11-12. (2) Voir Danzel, Magie und Geheimwissenscha/l in ihrer Bedeutung für Kullur und Kullurgexc.hichte, Stuttgart, 1924, p. 6-8. Voir aussi Lévy-Bruhl, op. cil., p. 11 : « Et la première règle d’une méthode prudente n’est-elle pas de ne jamais prendre pour démontré ce qui n’est que vraisemblable ? Tant d’expériences ont averti les savants que le vraisemblable est rarement le vrai ! La réserve est égale, sur ce point, chez les linguistes et chez les physiciens, dans les sciences dites morales comme dans les sciences naturelles. Le sociologue a-t-il moins de raison d’être défiant ? » (3) Voir Lévy-Bruhl, ibid., p. 11. statique en observant l’état actuel des rites nous permettront d’éclaircir davantage l’histoire de ceux-ci, et, dans tous les cas, ébranleront encore davantage les hypothèses non fondées sur une connaissance réelle. Nous devons cependant faire particulièrement remarquer que, si la méthode statique limite ses investigations à l’étude de l’état actuel des rites, croyances et actions magiques, elle fait entrer aussi dans son objet un moment déterminé de la vie de ces rites, et les examine dans leur évolution. Cette méthode devrait à proprement parler être appelée synchronique, mais nous conservons le terme plus usuel de statique (1). Rôle de l’individualité dans l’explication des rites. Nous avons vu que les participants expliquent les rites à l’aide de principes « généraux » du genre des lois établies par Frazer, qui servent tantôt pour un rite, tantôt pour un autre (2). Ainsi, dans le milieu où dominent les explications magiques, on expliquera d’après les lois magiques les actes n’ayant à l’origine rien de commun ni avec la magie ni avec les faits de caractère religieux : par exemple un homme habitué à tout ramener aux principes de la magie peut, en voyant qu’un malade atteint d’une forte fièvre prend un remède de couleur blanche, expliquer reflet de ce remède par la loi magique de contact : le malade prend un remède de couleur blanche pour que son visage rougi par la fièvre devienne aussi blanc que le remède. Selon cette théorie élastique, le même rite reçoit des interprétations différentes de divers individus, quoiqu’ils vivent dans le même milieu. Bien plus : un individu peut pratiquer le même rite, conformément à l’un ou à l’autre de ces principes, et la différence d’interprétation se trouve dans tel ou tel détail auquel il prête attention à un moment donné. On peut se représenter le schème suivant : Rites A, B, C, D, E..... Principes généraux des explications des rites a, b, c, d, e. (1) Voir F. de Saussure, Cours de linguistique générale (Paris, 1916) : « L’objet de la linguistique synchronique générale est d’établir les principes fondamentaux de tout système idio-synchronique, les facteurs constitutifs de tout état de langue » (p. 145). « En pratique, un état de langue n’est pas un point, mais un espace de temps plus ou moins long, pendant lequel la somme des modifications survenues est minime » (p. 145)... « la notion d’état de langue ne peut être qu’approximative » (p. 147). (2) Voir p. 12. Si nous avons vu que dans un cas le rite A s’explique par le principe a, cela ne veut pas dire que cette explication sera toujours en application de ce principe. Dans d’autres cas et dans d’autres lieux, et aussi dans le même milieu de croyances et de pratiques, nous pouvons rencontrer d’autres combinaisons : A-b, A-c, A-d, etc. On voit ainsi que l’accomplissement des rites populaires est lié à un enchaînement d’explications de toutes sortes, qui servent encore pour d’autres pratiques similaires. L’explication d’un rite est souvent conditionnée par les représentations religieuses et autres des individus ou du groupe social, et aussi par les explications des rites analogues. On est ainsi amené à reconnaître qu’il est impossible, dans la plupart des cas, de retrouver la signification primitive d’un rite chez un peuple, car les principes indiqués, par lesquels s’expliquent les rites, leur sont souvent antérieurs. Supposons que le rite de la table enchaînée ait été en pratique pour la première fois dans un village où, en même temps, les habitants usaient des explications qui se ramènent aux lois magiques de similitude et de contact ; on appliquera par suite à notre rite ces divers types d’explications apparus chez les habitants du village, soit qu’ils les aient empruntés, soit que l’un d’eux les ait inventés. Il a pu arriver aussi qu’un autre d’entre eux explique le rite d’après un principe différent. Comme le montrent les exemples précédents, l’explication de tel ou tel rite dépend donc du caractère de l’individu qui l’accomplit ou l’interprète. Mais le nombre des explications dans un milieu donné est limité : elles sont en rapport avec la conception qu’on se fait de l’univers, avec le milieu où les rites vivent, et, dans une certaine mesure, avec les diverses religions : chrétienne, musulmane, bouddhique, etc. Ce nombre apparaît comme un fait social. Un individu déterminé est libre dans le choix des explications, dans la mesure où celles-ci ont cours dans son milieu. Ainsi un individu vivant dans un milieu où l’on pratique la religion chrétienne, et où en même temps la plupart des rites sont d’inspiration magique, peut varier son explication, selon qu’il accorde plus d’importance à tel ou tel détail ; il pourra la ramener à la loi de contact ou à la loi de similitude, ou faire entrer ces rites dans la religion chrétienne, quand elle en comporte d’identiques. Enfin il peut faire une synthèse où entreront à la fois les éléments chrétiens et magiques. Mais nous ne pouvons trouver dans ce cas que par exception l’influence des représentations de l’univers dans le milieu donné, par exemple une explication totémique là où manque le système du totémisme. Les actions magiques et les rites sont toujours en vigueur. Une des preuves de la persistante vitalité des rites est indubitablement, comme nous l’avons vu, ce fait que les explications que les croyants en donnent sont actuellement soumises à diverses modifications. Il faut renoncer à penser que « ce n’est qu’autre-fois que les actions magiques et les rites » ont paru rationnels et ont été considérés comme nécessaires et devant inévitablement se produire (1). Les faits qui précèdent prouvent qu’il n’en est pas ainsi. Il est impossible de ne considérer les croyances populaires que comme d’anciennes « survivances », transmises par la tradition. Quiconque a eu l’occasion d’enregistrer des récits paysans de rencontres avec des forces malfaisantes, d’assister aux opérations magiques et aux conjurations que font les campagnards, ou de s’entretenir avec eux de leur efficacité et de leur utilité, ne pourra que, confirmer combien la foi en ces actes est toujours vivace chez la plupart. Nous ne sommes pas seulement en présence de traditions, mais nous voyons créer de nouveaux rites et de nouvelles opérations magiques. Alexandre Yeselovskij a écrit : « Le mot pereži-canje (survivance) est devenu usuel dans le langage de l’étude des civilisations, de l’histoire et de l’ethnographie. En réalité, il n’y a pas de survivances, parce que tout répond à quelque nécessité de la vie, à quelque nuance passagère de la pensée. Personne ne vit par contrainte. Les superstitions contemporaines sont dans le môme rapport avec les mythes païens ou les rites que les formules poétiques du passé et du présent : ce sont les cadres dans lesquels la pensée est habituée à se mouvoir et sans lesquels elle ne pourrait exister (2) ». Tous ceux qui s’occupent de recueillir et d’analyser les matériaux relatifs au folklore constatent que les croyances populaires ne sont pas des survivances, mais conservent une force agissante : nous nommerons notamment un de ces éminents spécialistes qui a montré l’importance considérable des croyances populaires en Bulgarie : le professeur Arnaudov (3). (1) Aničkov, op. cit., Ire partie, p. 38. (2) A. N. Veselovskij, Iz islorii epitela (« L’histoire de l’épithète »). Sobranie soíinenij, I, Saint-Pétersbourg, 1923, p. 94. (3) Les faits tirés de la médecine montrent jusqu’à l’évidence que la magie s’efforce actuellement d’appliquer tous les moyens rationnels pour guérir. Goethe a grandement raison d’écrire que « la superstition fait partie de l’essence de l’homme » (zum Wesen des Menschen). M. Arnaudov, « Kukeri i Rusalii », Sborník za narodili umolvorenija i narodo-pis, XXXIV, 1920 p. 237. Frazer affirme, de son côté, que les paysans, en France, en Allemagne, en Angleterre sont restés des sauvages et des païens jusqu’à nos jours, malgré le vernis de culture qui les recouvre. Quelques exemples empruntés à la vie de la Russie contemporaine montrent aussi que parmi les paysans russes, et d’autres nationalités établies en Russie, la religion populaire n’est pas moins puissante que la religion chrétienne. On a remarqué, par exemple, une renaissance du paganisme non seulement chez les Tchérémises des prairies, mais môme chez ceux du district de Krasnokokšajsk, quoiqu’ils aient reçu depuis longtemps le baptême et pratiquent la religion orthodoxe : cette renaissance se produit évidemment sous le signe de la révolution et du gouvernement soviétique. La religion orthodoxe et la sorcellerie — ces sœurs rivales, telles Regan et Goneril dans Shakespeare — forment un assemblage inattendu. Toute la Russie villageoise est divisée en paroisses de sorcellerie, qui ne le cèdent en rien aux paroisses ecclésiastiques. Dans chaque village dominent quatre personnages principaux : le prêtre, l’instituteur, le /eldšer, (1) et le sorcier. Les trois premiers manquent parfois, mais le sorcier, et surtout la sorcière, jouent toujours leur rôle. Cette dernière profession se rencontre à chaque pas. Autrefois la sorcellerie était interdite et n’était pratiquée que clandestinement ; maintenant elle s’exerce ouvertement. Le sorcier a ses heures de consultation ; les malades y viennent souvent en foule. Dans un village, par exemple, le sorcier en reçoit 4.000 par an, deux fois plus que le feldšer... Il lit l’avenir devant les miroirs, fait des passes magnétiques, évoque toutes sortes d’esprits que par une attention délicate il appelle « mes camarades » (2). La nouvelle sorcellerie adopte les innovations et suit le progrès. Elle met l’instruction à son service : les conjurations sont maintenant inscrites sur une feuille et reliées dans un registre. Nous possédons deux curieux recueils de ce genre, où des recettes très anciennes et fondées sur les vertus des herbes, des terrains et des métaux sont accompagnées de conjurations bizarres (3). (1 ) Sorte d’oflicier de santé. (2) Moi lovariiii. (3) Stanjj i novyj byt. Sborník pod red. prof. G. G. Tana-Bogoraza (« Usages anciens et nouveaux. Recueil publié sous la rédaction de G. Tan-Bogoraz »), Leningrad, 1924, pp. 16-17. « La conception de l’univers du paysan comprenait deux éléments, deux sortes de foi : le paganisme et le christianisme. D’un côté le génie de la forêt (USij), démon, le génie du foyer (domovoj), le sorcier, l’homme savant [znajuiiij islovik), qui nous aide à nous préserver de l’influence nuisible des esprits, et, d’un autre côté, l’église, les fêtes religieuses avec les guérisons miraculeuses, le prêtre enfin, bénissant l’izba neuve, le fiancé et la fiancée. Les croyances du Il faut remarquer que les croyances populaires et les rites se maintiennent fortement non seulement dans les villages, mais dans les villes. Des collaborateurs de la Revue des traditions populaires, Dauzat, Leclerc et d’autres, ont réuni des matériaux abondants sur les superstitions des Parisiens (1). Nous avons pu nous-môme obseiver à quel point les superstitions étaient répandues dans la classe ouvrière où se recrutent les auditeurs de l’Université ouvrière fondée à Moscou par les Soviets (2), et aussi parmi les artistes de Prague (3). Les croyances populaires et les rites sont donc, de toute évidence, actuellement vivants : il ne faut pas les considérer comme des documents d’âges depuis longtemps disparus, mais pénétrer en quelque sorte dans le laboratoire môme où ils vivent et se forment maintenant. En abordant l’étude statique des rites, pratiques magiques, et croyances populaires, il est nécessaire, avant tout, de disposer de tous les matériaux permettant de montrer avec précision et en détail quel sens ils ont pour les paysans, quelle explication ceux-ci en donnent. Malheureusement la théorie des croyances populaires contemporaines considérées comme « survivances » a eu une funeste ré- premier genre étaient plus fortement enracinées dans la conscience des paysans, les êtres surnaturels avaient une existence plus réelle à leurs yeux, leur étaient plus proches que les saints de l’église orthodoxe. Ces croyances opposées entraient donc souvent en conflit ». Les individus renoncent plus facilement h la religion chrétienne qu’aux croyances populaires. Un exemple frappant de leur attachement à celles-ci nous est donné par un paysan communiste : » Il était marié civilement, défendait à sa femme d’aller à l’église et ne voulait pas que l’enfant qui devait naître fût baptisé. Mais sa mère ne permet pas qu’on enlève les icônes, et il ne proteste pas ; il ne croit pas en Dieu, mais, si la vache reste toute la nuit dans la forêt ou ne donne pas assez de lait, il se souvient tout à coup d’une croyance populaire et se trouble : en revenant de travailler, sa mère a été près de la vache sans se laver ni faire le signe de la croix, et il ne manque pas de le lui reprocher. Il est alors encore plus ému : malheureux que je suis, dit-il ; est-ce que je vis comme il faut ? » (pp. 84-85). (1) Voir « Folk-Lore parisien » ou « Miettes de folklore parisien ». (2) Comparer ce qui se passe dans un quartier ouvrier do Leningrad (Poro-chovoe) à la fête de Sainte Prascovie, lorsqu’on exorcise en masse les femmes possédées [klikuii) avec toute la mise en scène du moyen-âge, comme nous en avons été témoin peu de temps avant la révolution. Pendant la révolution, la cérémonie n’attirait que peu de monde, mais en 1923 une foule énorme y assista de nouveau. Les possédées furent mises en croix sur le mur comme autrefois. Une sorcière accusée par une femme possédée devait même être précipitée du haut d’un pont, et .comme un prêtre intervenait pour la sauver, les assistants se mirent à le frapper (Staryj i novyj byt, p. 17). (3) Voir P. Bogatyrev et V. Ryba, « Les croyances dans le monde des artistes». Přítomnost, 1927, n° 10, où on trouvera aussi des exemples de croyances existant dans les diverses classes de la population urbaine. percussion sur les méthodes employées pour recueillir les matériaux dans ce domaine. On a enregistré les usages, les croyances, etc., mais on a négligé d’en rechercher les explications, de s’informer de la manière dont les paysans se les représentaient actuellement : on partait de ce principe que les explications données par le paysan d’aujourd’hui ne méritent aucun intérêt, comme postérieures à la signification originelle du rite, seule importante pour la science. Ce qui avait du prix, c’était d’amasser des documents : pour les explications, on s’en rapportait aux théoriciens. Mais les résultats tirés de ces documents sont insignifiants pour l’étude statique : celle-ci ne sera conduite avec succès que si on accorde son importance à l’interprétation actuelle donnée par les paysans. Nous avons déjà donné quelques exemples significatifs, et nous nous proposons dans le cours de ce travail d’en faire connaître un grand nombre se rapportant aux fêtes de l’année, au baptême, au mariage, aux funérailles, etc. Nous nous attacherons plus loin à montrer la régularité qui gouverne ces explications. Nous avons vu que les explications des rites dépendent de toute une série de causes et sont soumises à diverses modifications, qui retentissent sur la forme qu’ils présentent. Ainsi il y a d’anciennes opérations où les objets nécessaires et rituels se trouvent remplacés par d’autres, sans que le principe de l’opération soit modifié. Une femme, originaire de la Sibérie, m’a raconté quelle sorcellerie il fallait employer pour se faire aimer d’un homme : prendre sa photographie, monter au clocher à reculons, ensuite la fixer à l’intérieur de la cloche en face du battant, sonner quarante fois et fixer en môme temps sa pensée sur le retour de l’homme aimé. La descente du clocher doit se faire de la même manière. Cette femme m’a encore indiqué un autre acte de sorcellerie (prisuška) destiné au même résultat : enfouir dans la terre la photographie de la personne aimée. Pendant la grande guerre, les soldats gardaient, en qualité d’amulettes, non seu ement des cheveux, des anneaux, mais aussi les photographies de leurs mères, de leurs sœurs et de leurs femmes (1). La croyance que, par l’intermédiaire d’une partie de l’homme, ses cheveux, sa sueur, son image enfin, on peut agir sur lui-même est très ancienne ; il en est de même de la croyance selon laquelle les objets associés à un être aimé, mère, sœur, épouse, tels que (1) Albert Hellwig, Weltkrieg und Aberglauben. Erlebtes und Erlauschles, Leipzig, 1916. ses cheveux, son portrait symbolisé sous la forme d’une figurine doivent protège ' pendant la bataille, comme si c’était cet être lui-même. On voit aussi que de nos jours un nouvel objet, la photographie, remplace les anciens, la figurine représentant la personne aimée, ses cheveux, ses vêtements, etc. Notons encore l’apparition de la foi en une nouvelle amulette, rappelant cette ancienne croyance que la corde de pendu porte bonheur. Pendant la dernière guerre on croyait, en Russie, que le rouble-papier portant la signature du caissier de la trésorerie nommé Brut, qui s’était pendu, portait bonheur : c’est le fac-similé d’une signature qui remplace la corde dans cette croyance (1). Je citerai aussi une pratique divinatoire très répandue autrefois, et se rapportant à la fête de l’Épiphanie chez les Grands-Russes. On bandait avec un mouchoir les yeux d’une jeune fille, qui devait alors saisir quelque objet symbolisant ou un des traits du caractère de son futur mari, ou sa situation matérielle, ou son genre d’occupation. Actuellement, avec le développement de l’instruction, on voit se répandre dans plusieurs endroits un procédé divinatoire qui peut être rapproché du type de la loterie : sur des morceaux de papier on écrit le caractère d’un futur époux, sa situation matérielle, etc. On roule ensuite ces morceaux de papier et on les mêle. Les jeunes filles en prennent un et connaissent ainsi le sort qui les attend et le caractère de leur futur mari. Le principe est resté le même, car il n’existe aucune différence entre toucher, les yeux bandés, un objet quelconque et reconnaître son sort d’après celui-ci, ou tirer au hasard un morceau de papier contenant la révélation de l’avenir. On voit donc qu’il se crée rarement des croyances et des rites nouveaux : seuls, leur enveloppe et les objets dont on se sert se modifient avec le milieu . Le folkloriste bulgare, M. Arnaudov, est arrivé à peu près aux même conclusions en se fondant sur des documents indigènes (2). (1) Nous relevons de curieux détails dans la description de la pendaison en 1925 des individus condamnés après l’explosion de la cathédrale de Sofia. Lorsque le médecin eut constaté leur mort et qu’on eut détaché les cordes, on put observer une scène curieuse : « trois tziganes (qui remplissaient l’oflîce de bourreau) et quelques gardiens de la prison se disputèrent vivement les cordes. D’après une ancienne superstition un morceau de la corde de pendu est considéré comme un talisman et le peuple l’achète très cher. Rien de fâcheux n’arrivera jamais « à celui qui en est porteur » (N/oeo. Vsěkidnevnik za politika, stopansWo i kulturní iivot (« Slovo, journal politique quotidien, etc. »), Sofia, 27 mai 1925). (2) En constatant la permanence de la foi aux rites populaires, il montre, en même temps, qu’aujourd’hui les nouveaux rites ont peu d’originalité : ils sont entièrement empruntés ou seulement transformés. M. Arnaudov, « Kukeri i Rusalii », Sborník za národní umoWorenija i narodopis, XXXIV, p. 238. Ceux qui accomplissent tous les actes magiques et rites qui ont apparu de nos jours, ou, plutôt, qui sont d’anciennes pratiques modifiées et adaptées, ont conscience des principes qui expliquent la foi en leur efficacité. En introduisant ou en changeant dans les pratiques magiques, divinatoires, et dans les rites anciens quelque objet ou quelque détail, ils s’attachent à ne pas violer le principe fondamental. Tous ces faits corroborent notre thèse, à savoir que la plupart des croyances populaires, rites et actes magiques ne sont pas actuellement pour le peuple de simples survivances traditionnelles et machinales. Principes des actions magiques. Nous arrivons maintenant à la définition des principes des actions magiques auxquels les croyants ramènent leurs explications. Comme nous l’avons montré, les paysans de la Russie Subcar-pathique expliquent la plupart des rites comme des actions magiques, selon les lois que Frazer a établies en analysant les explications fournies par divers peuples. On sait que ce savant divise toute la magie sympathique en homéopathique, fondée sur la loi de similitude, et contagieuse, fondée sur la loi de contact (1). Subdivisons encore la magie homéopathique en deux parties : 1) A : Les objets sur lesquels doit se répéter réellement l’action imitée ne participent pas à l’accomplissement de l’opération magique : « La veille de Noël les paysannes imitent le gloussement des poules, pour que celles-ci pondent vite » (Smerekova). En imitant, la veille de Noël et de l’Epiphanie, les cris des oiseaux et des animaux domestiques, le paysan cherche la reproduction de ces cris pendant l’année dans sa basse-cour, par conséquent la possession des animaux qui les poussent. 2) B : L’action magique est accomplie par les personnes sur lesquelles doivent se réaliser les actions imitées. « Le jour de Pâques, après la bénédiction des gâteaux de Pâques, les paysans se mettent à courir en les emportant à la maison, car le premier arrivé occupera la première place au village ; il en sera de même pour la femme qui arrivera la première » (Sinevir'ska Poljana). L’opération magique se reproduira dans l’avenir avec toutes ses modifications. (1) Frazer, Le rameau d'or, pp. 15-43 de la traduction française (Paris 1923). Les actions magiques fondées sur la loi de contact sont indiquées à plusieurs reprises dans cette étude. Nous nous bornerons maintenant à cet exemple. « Le matin de Noël on se lave avec de l’eau fraîche où on a mis de l’argent, on s’essuie avec un mouchoir d’un rouge écarlate, pour être rouge toute l’année » (M. Holowka à Prislop). Mais, dans certains cas, les explications des paysans ne permettent qu’assez difficilement d’établir de quelles lois il s’agit. Quelquefois les deux types de magic, homéopathique et contagieuse, peuvent se rencontrer ensemble dans la même action magique : celle-ci est accomplie avec une partie de l’objet (pars pro toto) ou avec un objet étroitement associé. Ce qu’on accomplit avec la partie d’un objet se transmet à celui-ci dans sa totalité : la partie alïecte le tout en quelque sorte (loi de contact) ; en même temps, d’après la loi de similitude, l’action accomplie avec une partie de l’objet est répétée par l’objet tout entier. « Une femme faisait bouillir et tordait la chemise d’un homme pour que celui-ci eût le même sort ». Ce que la femme accomplissait avec ce vêtement devait se répéter avec son possesseur (1). Magie positive et magie négative. Frazer divise encore la magie en magie positive ou sorcellerie, et en magie négative ou tabou. De la première nous avons donné un assez grand nombre d’exemples. J’indiquerai maintenant un exemple de tabou. « Après que la vache a mis bas, on fait cuire et on mange le kurajstra (lait mélangé de sang) : il est défendu de souffler dessus ; si on le faisait, le lait n’aurait plus de crème ». Je reproduirai plus loin de nombreux cas de tabous auxquels sont soumis les paysans de la Russie Subcarpathique dans les moments les plus variés de leur vie. Rôle des figures de mots dans les actions magiques et les croyances populaires. Il est nécessaire de remarquer que les figures qu’on rencontre dans la langue poétique jouent un rôle important dans les actions magiques et les croyances populaires. Ainsi, dans l’exemple cité plus haut, Yhomonymie ou plutôt l’identité d’épithète sert de (1) Voir dans Frazer, pp. 39-40, une série d’exemples d’actions magiques complexes supposant à la fois les deux lois magiques. Rites et Croyance» 3 base à l’explication : le premier qui sera arrivé à la maison avec le gâteau pascal sera le premier dans le village, c’est-à-dire starosta (1) ; la première qui sera arrivée sera la première également (Sinevir'ska Poljana). Un grand nombre de croyances sont fondées en Russie Subcarpa-thique et dans d’autres contrées, sur les homonymes, ou, sur les mots de prononciation analogue. On frotte un orgelet [jačmenna glazu) avec un grain d’orge (jaâmennym zernom) qu’on jette ensuite dans un puits qui ne vous appartient pas (2). Le motif de la rose est particulièrement fréquent dans les conjurations allemandes etlettones contre l’érysipèle. Dans presque toutes ligure la cueillette des herbes, des fleurs, surtout des roses (3). Les mots de même son jouent un rôle important : quand on voit en rêve une montagne (gora), on aura du chagrin (gore). Les explications de nombreuses opérations magiques se ramènent à la réalisation d’une métaphore (4) : c’est le cas que nous avons enregistré plus haut du rite qui consiste à enchaîner la table la veille de Noël : « Pour que les méchantes langues soient attachées, pour que les calomniateurs se taisent, la veille de Noël on ferme avec un cadenas la chaîne qui entoure la table » (5). Voici un exemple d’une croyance nouvellement créée, et qui se ramène à un jeu de mots ou une métaphore. Une paysanne a raconté à notre correspondant d’Obojan : « Une fois les jeunes filles du village se livraient à des pratiques divinatoires ; elles entrèrent dans une bergerie, attachèrent les brebis avec leurs ceintures et regagné ent leurs maisons ; mais les jeunes gens vinrent détacher les brebis et firent entrer dans la bergerie des chiens (sobaki) qu’ils attachèrent avec leurs ceintures. Les jeunes filles revinrent à la bergerie le lendemain matin. Que virent-elles ? des chiens au lieu des brebis. Eh bien ! Savez-vous ce qui arriva ? dit en terminant la paysanne : toutes les jeunes filles se marièrent (1) Sorto de maire de village. (2) N. Poznanskm, Zagovory. Opyt izslèdovanija proischoldenija i razvitija zagovornych format (« Conjurations. Essai sur l’origine et le développement des formules de conjurations» ), dans les Zapiski istoriko-filologičeskago fakul’teta Petrogradskago universiteta, Petrograd, 1917. Nous trouvons dans cet ouvrage un exemple de cette croyance très répandue qu’il faut appliquer aux maladies le traitement homéopathique. Un clou chasse l’autre : klin klinom vyüibajut. (3) Poznanskij, op. cit., p. 185. (4) Pour la détermination de la réalisation poétique de la métaphore voir R. Jakobson, Novejëaja russkafa poezija. Nabrosok peroyj («La nouvelle poésie russe »), Prague, 1921, p. 15. (5) Nous analyserons plus loin ce que Poznanskij appelle épithète sympathique itérative. et menèrent « une vie de chien (sobaé'ju žizň) ». Ainsi l’expression métaphorique « sobaê'ja žizň » est associée aux chiens trouvés par les jeunes filles dans la bergerie » (1). Tous ces exemples, et ceux qui suivent montreront également que le paysan de la Russie Subcarpathique se représente clairement une étroite liaison entre des objets déterminés et d’autres objets, ainsi que la réaction d’un objet sur un autre : telle la liaison du maître avec l’objet qui lui appartient, d’une partie de l’objet avec le tout, enfin d’objets ayant des dénominations analogues ou identiques. Double réalité des objets. Voici un exemple qui montre cette liaison curieuse entre les objets. Au village de Krechov la croyance est répandue que la mère qui a perdu ses enfants ne peut pas manger avant la Saint-Jean des baies et des fruits : cerises, airelles, etc. L’explication de cette interdiction fut ainsi donnée par une femme qui avait perdu son enfant : « Les âmes des enfants morts reçoivent ce jour-là les fruits du ciel ; mais si la mère mangeait des fruits avant cette fête, ils ne recevraient pas leur part au ciel. Oh ! Dieu céleste, jamais je n’en mangerai; je ne veux pas que, le jour de cette fête, mon pauvre Jeannot qui est mort soit injustement traité dans l’autre monde » (2). Nous avons ici l’idée d’une participation immédiate entre les fruits terrestres et les fruits célestes. En mangeant les premiers, la mère prive ses enfants morts des seconds. D’après cette conception les objets ont une double réalité : terrestre et céleste ; l’une et l’autre sont dans un rapport immédiat. En affectant d’une manière quelconque un objet sur terre, on provoque une réaction de même nature sur cet objet dans un monde supra-terrestre. Il semble que dans beaucoup de cas on doive expliquer ainsi le rite consistant à mettre dans le cercueil du mort des aliments et (1) Maksimov, Neéistaja, ncvêdomaja i krestnaja sila {« Les forces malfaisantes inconnues et la force chrétienne »), p. 323. Bureau ethnographique objets qui lui ont appartenu, ainsi que l’usage de laisser sur sa tombe ou sur sa table des aliments. Cette nourriture terrestre correspond ici-bas aux mets célestes, qu’il recevra dans l’autre monde, comme les enfants reçoivent au ciel des fruits célestes. Il s’agit maintenant de savoir comment on doit expliquer dans les actions et les rites magiques la foi dans la liaison réciproque entre les choses et, les actions et l’influence d’une action magique sur l’avenir. Faire dériver la foi dans la puissance des actions et des rites magiques du sophisme post hoc ergo propter hoc ne serait possible que dans des cas isolés, assez rares (1). L’hypothèse de Frazer, selon laquelle les lois magiques résultent d’erreurs logiques, ne peut pas davantage nous satisfaire. Laissant de côté la question de savoir si ces lois sont à l’origine de la magie, nous voyons qu’elles ne peuvent pas expliquer actuellement la foi dans la vertu de celle-ci. Il est en effet évident que celui qui c oit à la vertu des opérations magiques, des lois de similitude et de contact, ne croit nullement pour cela que, dans la vie ordinaire « tout ce qui est semblable est identique » ou que « les choses qui ont une fois été en contact restent toujours en contact » (Frazer, p. 16). Par conséquent il existe deux manières de se représenter l’action de ces lois, d’une part dans la vie courante, d’autre part en magie. Le développement même des opérations magiques s’oppose à l’hypothèse de Frazer. Si, comme il l’affirme, les lois de contact et de similitude existaient ailleurs que dans l’exécution des rites, il ne serait pas nécessaire d’entourer les opérations magiques d’une foule de cérémonies, de les accomplir à des jours et heures déterminés, etc. (1) Voici un exemple montrant comment, assez récemment encore, une concordance fortuite a été la cause de la naissance d’une nouvelle croyance. « Un procès incroyable de sorcière, qui s’est plaidé devant le tribunal d’arrondissement de Benešov nad Ploučnicí, témoigne à quel point la plus stupide des croyances est encore répandue de nos jours dans quelques groupes d’un peuple cependant instruit. Un malfaiteur inconnu détruisit en 1908 les arbres fruitiers dans le jardin d’une propriétaire. Celle-ci pratiqua alors des sortilèges autour du jardin et annonça que celui qui y entrerait sans la prévenir se casserait la jambe. Or, une voisine, revenue dans l’endroit après une longue absence et ignorant le sortilège, entra un jour dans le jardin ; elle glissa et se cassa la jambe. Aussitôt les habitants de la commune connurent le fait et la prirent pour une dangereuse sorcière. Elle prit d’abord la chose en plaisantant, mais quand elle vit que des femmes commençaient à l’éviter, se signaient en la rencontrant et qu’on ne voulait rien lui acheter, ce qui lui causait un préjudice matériel, elle intenta un procès en diffamation contre les personnes qui l’accusaient de sorcellerie » (Národní Listy, du 30 juillet 1909 ; reproduit dans le Národopisný Věstník, 4e année, p. 29). Sans doute, dans le tabou, les lois magiques, surtout la loi de similitude, sont appliquées malgré l’absence de cérémonies fixées par avance, mais quelques circonstances telles que un jour déterminé, un état déterminé de l’homme, etc., souvent nécessaires pour que le tabou ait sa puissance, remplacent en partie ces cérémonies. En ce qui concerne l’attribution de la vertu des opérations magiques aux exécutants eux-mêmes, les dernières recherches entreprises chez les peuples primitifs montrent que ceux-ci expliquent dans la plupart des cas par une puissance surnaturelle le lien entre l’opération magique et le résultat provoqué (1). M. Lévy-Bruhl, qui considère d’une manière générale la pensée des primitifs comme entièrement différente de celle des peuples cultivés, s’est élevé contre la théorie des opérations magiques ramenées à des fautes de logique (2). Nous n’avons pas à résoudre le problème de la différence de nature entre la pensée des peuples primitifs et la nôtre ; mais nous partageons entièrement l’opinion de M. Lévy-Bruhl, qui soutient qu’on ne peut pas expliquer par une simple erreur logique la foi dans la puissance des actions magiques (3). Quant au lien existant entre l’action magique et le résultat de celle-ci, nous n’avons pu enregistrer aucune explication chez les paysans de la Russie Subcarpathique. S’ils indiquent très souvent l’existence de ce lien d’après les lois de similitude et de contact, ils n’en donnent pas la raison : cependant la croyance aux opérations magiques reste entière. Souvent l’inintelligibilité du rite accompli fortifie la foi dans sa vertu, son utilité. Dans toutes les religions parvenues à un certain degré de développement, il existe beaucoup de rites inexplicables pour les croyants ; et cependant les rites de ce genre produisent souvent sur eux une action plus forte que ceux dont ils comprennent bien la signification ; ainsi s’explique dans beaucoup de religions l’extension des rites secrets ; la masse des croyants n’y est pas initiée, mais ils croient néanmoins à leur efficacité. De même la liturgie, dans beaucoup de religions très développées, le bouddhisme, la religion musulmane, le judaïsme, le catholi- (1) Voir le livre de G. HnuŠEváKA, Z prymytyvnoji kul'tury. Rotvidky i dopo-vidi (« La culture primitive »), Kyjiv, 1924, pp. 75-194. (2) Lévy-Bruhl, op. cit., p. 73-74. (3) Le philosophe russe N. O. Losskij et d’autres savants ont soulevé des objections contre cette théorie du sociologue français. L’article do Losskij : « L’intelligence de l’homme primitif et de l’européen civilisé » a paru dans les Sovremennyja Zapiski («Les Annales contemporaines », XXVIII, 1926, pp. 276-298). cisme, l’orthodoxie, a été et est célébrée dans des langues inconnues ou peu connues de la masse. Non seulement cette ignorance ne fait pas obstacle à l’enthousiasme religieux des croyants, mais les offices ainsi entendus touchent plus profondément que s’ils étaient de langue commune (f ). Ajoutons que les dogmes et les rites de l’église sont souvent incompris. Comme je demandais à un paysan pourquoi l’eau bénite avait une telle vertu, il me fit cette réponse caractéristique : « Je ne suis pas assez instruit pour le savoir, mais il suffit qu’elle la possède » (M. Holowka à Prislop). Actions magiques motivées et non motivées. Il s’en faut de beaucoup que ceux qui exécutent les pratiques et rites magiques puissent expliquer d’une manière consciente d’après quels principes ceux-ci doivent produire les effets désirés ; est-ce par contact ou par similitude, s’agit-il de sacrifices propitiatoires aux ancêtres, ils n’en savent rien ; ils croient seulement qu’ils sont nécessaires pour obtenir quelque grâce ou se délivrer de ce qui est funeste, mais ils ignorent la raison du rapport qui existe entre les pratiques et leurs conséquences. Qu’on nous permette ici de nous écarter de notre sujet et d’essayer d’indiquer comment ont apparu historiquement les rites et les pratiques magiques accomplis dans les conditions que nous avons énoncées. Nous distinguerons : 1° Ceux qui, n’ayant pas été clairement motivés depuis leur apparition, sont, selon l’expression de M. Moszyfiski, mystiques par excellence. 2° Les actions ayant d’abord un but utile et rationnel, mais accomplies en même temps que les rites ayant un caractère magique, ou bien liées au culte des ancêtres, etc. ; c’est ensuite qu’elles ont été conçues distinctement comme possédant une vertu surnaturelle (2). 3° Les rites venus du dehors. Quand un rite a été emprunté, il l’a été avec sa signification, et sans qu’une nouvelle interpréta- it) Notons encore le nombre des mots de sens inconnu dans les formules de conjuration. (2) Nous citerons l’exemple parallèle de la transformation d’un acte présentant un caractère utile rationnel en acte chrétien sous l’influence de la religion chrétienne. Un prêtre nous a raconté qu’en dépit de toutes les observations, le sacristain continuait toujours h mettre dans le lustre de l’église un cierge qu’il s’obstinait à couper en deux, en soutenant que cela s’était toujours fait, et que ce serait un péché de mettre un cierge tout entier. tion lui ait été donnée, comme c’est le cas pour beaucoup de rites ecclésiastiques. 4° Les rites dont la vertu et l’influence étaient primitivement connus, et dont on a ignoré plus tard la signification principalement à cause des modifications qu’ils ont subies. 5° Les rites correspondant à une concordance fortuite entre deux faits, et résultant d’une erreur de logique. C’est ainsi, croyons-nous, qu’ont dû apparaître historiquement, de nos jours, la plupart des actions magiques et des rites inexpliqués. Il y a lieu de supposer que les rites dont on ne donne pas aujourd’hui une interprétation claire n’en ont jamais eue. On peut donc diviser ainsi les actions magiques : 1° Les actions magiques au cours desquelles l’officiant a conscience, d’après les lois magiques, du lien qui existe entre l’action et ce qu’elle est destinée à provoquer peuvent être appelées actions magiques magiquement motivées, ou plus simplememt actions magiques motivées (1). 2° Les actions magiques où l’on ne connaît pas les raisons pour lesquelles l’action doit produire un résultat souhaité, mais où on croit pourtant à l’apparition de ce résultat, peuvent être appelées actions magiques non motivées magiquement (2). Dans presque toute action magique motivée ce sont certains détails seulement qui sont motivés ; l’accomplissement des autres ne l’est pas. Ainsi, dans la pratique magique de la table enchaînée la veille de Noël, divers détails sont motivés dans plusieurs villages; dans l’un d’eux on explique que toucher la chaîne des pieds doit causer la vigueur des pieds ; mais on ne sait guère, ou même on ignore pourquoi on entoure la table d’une chaîne, quand on pourrait simplement toucher celle-ci ou un autre objet en fer posé sur la terre battue, comme cela se pratique dans d’autres cas cités par nous. Dans un autre village on motive l’acte même d’enchaîner la table, comme devant préserver du mauvais temps les arbres fruitiers, mais on ne peut dire pourquoi on emploie une chaîne en fer, plutôt que tout autre objet (on se souvient que dans un exemple on emploie le lien d’une gerbe). Il arrive que des détails particuliers, non motivés la plupart du temps, disparaissent de l’ensemble de l’action magique complète ou du rite. Cette disparition entraîne des modifications dans la (1) Nous appellerons actions totémiques motivées, actions animistes motivées, celles qui, étant motivées, sont aussi en relation avec le culte des ancêtres, la divinisation des forces de la nature, la représentation totémique, etc. (2) Comme nous l’avons montré plus haut, on rangera parmi les actions non motivées celles qui n’étaient pas seulement motivées magiquement autrefois. forme même de l’opération. Ce sont les détails particuliers motivés qui tendront naturellement à disparaître d’un ensemble motivé. Dans l’ensemble où les détails ne sont pas motivés, ils se maintiendront plus solidement. La disparition des détails particuliers dans les actions magiques et les rites doit être divisée en perte mécanique résultant de l’oubli et en perte volontaire. Dans le cas des opérations magiques non motivées, l’individu qui les pratique s’efforce de retenir tous les détails de l’ensemble, à cause de leur égale importance à son point de vue. Mais comme, d’un autre côté, il ne connaît pas clairement l’adaptation de ces détails au but, il peut, malgré ses efforts, oublier plus facilement les détails du rite non motivé que ceux du rite motivé. Il résulte de ce qui précède que la perte volontaire des détails des rites n’existe pas dans les rites non motivés et que la perte mécanique se produit au contraire très souvent. Dans le rite motivé les détails motivés disparaissent plus lentement, mais, en revanche, !a perte volontaire des détails est possible. Jeux et actions magiques rationnellement expliqués. Quelques rites, auxquels on attribue dans certaines localités la signification d’actions magiques, jouent ailleurs le rôle de jeux, ou sont considérés comme des actions utiles et rationnelles. Dans l’explication statique, nous ne devons sans doute pas oublier de considérer les jeux provenant d’anciens rites par rapport à leur fonction actuelle, c’est-à-dire de la même manière que nous considérons tous les autres jeux et divertissements. Il faut déterminer avec une grande prudence si le rite a perdu sa signification d’action magique, et s’est transformé en simple jeu, ou s’il a conservé sa fonction magique. Il serait dangereux également, en se fondant sur l’analyse d’un rite donnée par un des habitants d’un village quelconque, de l’étendre à tous les habitants de ce village, et de la région, à plus forte raison. Nous citerons le fait suivant dont nous avons été témoin dans la province d’Archangel’sk, district de Šenkursk. Dans une noce, le družka (garçon d’honneur) qui accompagnait le marié et son cortège frappa trois fois à la porte de la maison de la mariée, et, après chaque coup, un petit dialogue avait lieu entre le družka et le père de la mariée. Mais un des membres du cortège voulut terminer rapidement cette cérémonie, et pressa le père d’ouvrir la porte. Celui-ci l’admonesta alors sévèrement, en disant qu’on ne doit pas plaisanter dans des circonstances semblables. Ainsi, pour le jeune homme, contrairement au beau-père, ce rite était considéré comme un divertissement et n’avait en tout cas aucun caractère sérieux. On pourrait de même citer beaucoup d’autres cas où le rite est envisagé, dans le même village, comme un simple amusement par les uns, et comme une cérémonie sérieuse par les autres. Très souvent les rites et actes magiques à la vertu desquels on croyait autrefois, se sont ensuite transformés en actes rationnels, ont perdu tout sens magique, et jouent le rôle d’actes utiles. Les jeux, autrefois de signification magique, ne sont pas seulement exécutés par routine et à l’état de survivances, mais comme des divertissements. Quelques-uns sont liés au sentiment esthétique. L’action magique, transformée en jeu, a changé sa fonction, mais n’a pas perdu sa raison d’être. 11 faut remarquer que le rite primitivement motivé ne subit pas toujours la transformation en rite non motivé, en jeu, ou en pratique rationnellement explicable. Le contraire se produit : au commencement, l’action est conçue comme rationnellement utile ; ce n’est que plus tard qu’elle apparaît comme action magique non motivée ou motivée. Selon la conception des actions magiques et des rites par la majorité de la population d’une contrée ou d’un groupement, nous pouvons établir la division suivante : 1° Populations où dominent les actions motivées. 2° Populations où dominent les actions non motivées. 3° Populations où les anciens rites et actions magiques se sont transformés en jeux, ou sont expliqués rationnellement. Nous rangerons dans le premier groupe les populations de la Russie Subcarpathique, dans le second les classes de culture moyenne des villes russes : petits bourgeois, ouvriers, ainsi que certaines professions, les acteurs par exemple, chez lesquels pour diverses raisons, sont répandues les superstitions. Enfin au troisième groupe appartient la classe des intellectuels. Cette division comporte d’ailleurs des dérogations. Dans le premier groupe, par exemple, plusieurs rites sont considérés comme actions magiques et rites non motivés ou comme jeux. D’un autre côté, pour le troisième groupe, il existe aussi des actions magiques motivées. Il convient de distinguer ces groupes, non pas d’après la prédominance des actions magiques motivées, non motivées et rationnellement expliquées, mais d’après la tendance générale des explications. Dans un milieu à actions magiques motivées, cette tendance s’étend, non seulement au mode d’explication des actions magiques anciennes et nouvelles, mais aussi aux actions n’ayant jamais eu et n’ayant actuellement rien de commun avec la magie. Pour le premier groupe, nous voyons que, dans quelques cas, alors même qu’il s’agit d’un acte rationnellement utile, par exemple l’emploi d’un remède prescrit par le médecin, on s’efforce d’expliquer l’application même du traitement comme une action magique motivée. D’autre part, une action magique sera expliquée, dans le troisième groupe, comme une action utile rationnelle, ou comme un jeu. Dans le cas des actions magiques motivées, des modifications peuvent être apportées aux détails motivés ; il n’en est pas de même dans les actions magiques non motivées. En réalité, si celui qui accomplit un rite ou une action magique a conscience du but de Pacte, connaît la signification des parties et de l’ensemble, il peut librement substituer un détail à un autre sans violer le principe général du rite. Soit l’action magique motivée qui consiste, dans le rituel du mariage, à couvrir les époux de grains de blé ; elle est fondée sur la croyance que, conformément à la loi de contact, ils auront du blé toute leur vie. Par suite, si on veut que les époux aient de l’argent en abondance, on créera une variante de l’action magique en répandant sur eux de l’argent. Considérons aussi que l’action magique motivée peut facilement passer d’un cycle de rites à un autre (1). Il en est autrement pour les actions magiques non motivées. L’exécutant ne sait pas quel détail est ou n’est pas essentiel. Il croit seulement qu’ils ont tous une puissance surnaturelle. Il s’y conforme rigoureusement, par crainte de détruire, autrement, toute la vertu de l’action magique, ou de négliger quelque détail essentiel. Si le rite pratiqué aux noces est passé dans la classe des rites non motivés, l’exécutant craint, par exemple, de remplacer le blé par de l’avoine, et d’enlever ainsi toute la vertu du rite, en modifiant une partie essentielle de celui-ci. De même, l’exécutant ne prendra pas sur lui de faire passer l’action magique non motivée d’un cycle de rites dans un autre, car il ne sait pas le rôle véritable du moment de l’accomplissement du rite. Les actions magiques non motivées, transformées en jeux, et ayant ainsi perdu la signification mystérieuse qui faisait accom- (1) Voir notre article : « Les jeux dans les rites funèbres en Russie Subcar-pathique », Le Monde slave, 1926, n° 11, pp. 220-221. plir avec précision les rites non motivés, peuvent être modifiées au gré des joueurs, complétées, abrégées, etc. Comme on fait dans les jeux, des détails nouveaux analogues aux anciens, ou de nouvelles règles peuvent être inventés, quand le rite consistant à couvrir de grains de blé les époux se transforme en jeu, c’est l’action de jeter quelque chose qui est ici essentielle : on peut répandre également sur eux des fleurs, des bonbons, des confettis, etc. En outre ce jeu peut entraîner toute une série de jeux analogues. La même action magique dans la première période de son existence, c’est-à-dire quand elle est motivée, est donc vivante, possède la vertu de provoquer d’autres actions créées sur son modèle ; elle peut subir diverses modifications internes, être complétée, abrégée, ou allongée ; lorsqu’elle devient non motivée, elle devient immuable ; enfin, à la troisième période, quand elle s’est transformée en jeu, elle peut à nouveau se modifier. Nous avons examiné l’ordre des modifications des actions magiques le plus souvent rencontrées, mais, comme on l’a vu, cet ordre peut varier : l’action magique non motivée peut précéder l’action motivée. Dans ce cas, l’action magique est d’abord privée de la possibilité de variations indiquée plus haut ; elle l’acquiert ensuite. Actions magiques utilitaires, divinations et présages. Essayons de classer autrement les actions magiques. Nous pouvons les diviser, motivées et non motivées, en trois classes : 1° actions magiques à proprement parler, 2° pratiques divinatoires, 3° présages. Le caractère essentiel du premier groupe, par rapport au deuxième et au troisième, consiste en ce que l’auteur de l’action magique croit, qu’en l’accomplissant, il se soumet la nature ou un autre homme. Voici un exemple typique de ces actions magiques : « Une jeune fille chasse de la maison un enfant. Celui-ci frappe à la porte. Elle lui demande : Qui est là ? Il répond : Des marieurs. Il demande mille couronnes et une vache. Elle promet de les donner. Elle le laisse alors entrer. Quelqu’un viendra effectivement s’entremettre pour un mariage au cours de l’année » (Prislop). C’est la loi de similitude qui joue. Les pratiques divinatoires doivent être distinguées des actions purement magiques. Ce qui les caractérise, c’est que l’exécutant connaît l’avenir d’après les résultats de l’opération, mais sans pouvoir le modifier. « Le soir de Noël, il faut jeter les balayures de la chambre à travers le chemin, et irriter le chien de la maison pour le faire aboyer. La jeune fille de la maison écoute alors de quel côté viennent les aboiements qui répondent : c’est de là que le fiancé viendra aussi » (Ljuta). Dans ce cas, les actes accomplis permettent seulement de savoir de quel côté viendra le fiancé, mais sans pouvoir l’attirer, ou, comme dans l’action magique examinée, hâter le mariage. Enfin les présages sont caractérisés par leur totale spontanéité. On ne peut qu’observer ce qui se produit dans telle ou telle circonstance, et en tirer des indications sur l’avenir. Voici un exemple de présage : « Si un chien aboie le jour de l’an, il y aura un mariage » (Sinevir'ska Poljana). Pour conjurer un mauvais présage, en obtenir un bon, arranger les événements pour ainsi dire, on crée à dessein une situation de bon augure, et on transforme ainsi le présage en action magique. Il existe aussi un présage de ce genre : si on souhaite bonne chasse au chasseur, il reviendra bredouille, et inversement. Aussi exprime-t-on le souhait contraire à son vœu véritable : ni pera ni pucha, comme on dit en russe (1). Nous verrons plus loin que le même rite est accompli et conçu tantôt comme pratique magique, tantôt comme pratique divinatoire. Dans l’examen des rites populaires, nous pouvons observer comment une opération magique se transforme en divination, celle-ci en présage, et inversement. L’opération magique est donc de ce point de vue dans un incessant mouvement sous l’influence aussi bien du milieu que des individus (2). (1) Cette expression ni plume ni poil n’est pas en Russie qu’un souhait de bonne chasse, elle est courante dans la jeunesse des écoles, c’est ce qu’on dit à un étudiant qui se présente à un examen, au lieu de lui souhaiter le succès. (2) Nous avons rencontré en Russie Subcarpathique un exemple de la transformation d’un présage en opération magique dans le rite du polaznïk (hôte) : voir chap. i, p. 56. Comparer la transformation des présages en opérations magiques dans P. Bogatyrev et V. Ryba, « Croyances dans le monde des artistes », Přítomnost, n° 10, 1927. Sur les actions magiques, divinations et présages voir Potebnja, « Objas-nenija malorusskich i srodnych narodnych pësen » (« Explications des chansons populaires de la Petite-Russie et des peuples congénères. II. Chants de Noël »), Husskij filologiieskij vistnik, 1887, pp. 63-65 du tirage à part. Actions magiques accomplies a plusieurs, ou par un seul. Les actions magiques, les rites et les jeux comportent les variations suivantes : 1° Actions magiques avec participation de plusieurs personnages. — « La veille de Noël deux jeunes gens vont vers un prunier : l’un porte de la paille, l’autre une hache ; ce dernier la brandit en disant : je veux t’abattre ; le premier répond : ne m’abats pas, je vais donner des fruits » (Lozjanskoje) (1). Nous ne reproduirons pas des exemples de jeux dramatiques exécutés par plusieurs acteurs. On peut les trouver dans les jeux de printemps qui ont lieu en Russie Subcarpathique, le jour de Pâques devant l’église, dans le rituel du mariage, et, enfin, dans les jeux exécutés la nuit où l’on veille un mort, dans les jeux des lopatky, du svičinja (2), etc. 2° Actions magiques à un seul personnage. — Ces actions sont décrites plus loin dans l’examen des différentes sortes de rites. Les subdivisions précédentes ne se rapportent qu’aux pratiques magiques et divinatoires ; les présages en sont exclus, leur caractère essentiel étant la non-préméditation. Actions magiques, accompagnées ou non DE FORMULES VERBALES. On peut encore diviser en deux classes les actions magiques, d’après un autre caractère. Là encore, la subdivision ne s’applique pas aux présages, où manquent les actions et les formules magiques. Les actions magiques, accompagnées de formules verbales, sont généralement expliquées par celles-ci mômes. Par exemple la veille de Noël on jette du charbon dans les coins de la chambre, (1) Voir Čajkanovií, « Několiko primedbe uz srpski Hadnji dan i Hožié (« Quelques présages observés la veille et le jour de Noël »), Godiinjica Nikole čupióa, XXXIV, 1921, pp. 272-273. Il existe aussi des conjurations contre les maladies, que l’on fait à deux, et un grand nombre de conjurations et d’exorcismes prononcés par une seule personne, mais sous la forme d’un dialogue. Voir Poznanskij, Zagovonj, pp. 66-67, Nikol'skij, « Sledy magičeskoj literatury v knige psalmov » («Traces de littérature magique dans le livre des Psaumes »), Pracy Bclaruskaha dz/aržaunalui universylelu, n° 4-5, 1923, p. 3. (2) Pour la description de ces jeux, voir notre article dans Le Monde slave, 1926, n° 11. en disant : « Brr... Que les agneaux soient aussi noirs que ce charbon ! « (Prislop). En général ces formules sont symétriques, sous la forme positive ou négative : Que cela soit, ou que cela ne soit pas(l). Pour le premier cas, nous renvoyons à l’exemple précédent. En voici un du second : « La maîtresse du logis prend une cuillerée de froment, et la jette dans les quatre coins delà chambre, en disant : De môme que ce froment ne reste pas sur le mur, puisse aucune maladie n’atteindre nos brebis ou nos bestiaux (2). Si nous connaissons, à l’aide des formules elles-mêmes, le but et la signification des actions magiques qu’elles accompagnent, nous devons, quand il s’agit d’actions magiques non accompagnées de formules, interroger les exécutants. Il est intéressant de constater que les explications des paysans sont conformes à l’un ou à l’autre type. Nous prendrons pour exemple l’action magique de la table entourée d’une chaîne. « La veille de Noël on met les pieds sur une chaîne, pour qu’ils soient aussi forts que le fer » (Lozjanskoje). « On entoure la table d’une chaîne ». Explication : « Pour que les bêtes sauvages ne touchent pas plus au troupeau qu’elles ne touchent au fer ». Remarquons que, contrairement aux formules de conjuration contre les maladies, on rencontre plus souvent sous la forme « que cela soit », que « que cela ne soit pas », les formules de conjuration accompagnant les actions magiques, ainsi que les explications des actions magiques. La raison en est que, dans les actions magiques qui ont rapport au ménage et ont un but économique, on s’efforce d’acquérir quelque chose ; aussi emploie-t-on une formule positive ; au contraire, dans les conjurations contre les maléfices ou les maladies, comme on veut se délivrer de quelque chose, on emploie une formule négative. Beaucoup d’explications, données par les paysans, de diverses actions magiques, ne sont parfois que la paraphrase de formules-conjurations verbales non employées actuellement au cours des pratiques ; de même, ce qui est employé, dans un village, comme formule de conjuration, l’est, dans un autre, comme explication d’un rite. Dans beaucoup de cas, il est impossible de déterminer avec précision le stade primitif d’une action magique : rite avec conjuration, ou rite sans conjuration. (1) Pour la terminologie employée dans les conjurations, voir V. J. Mansikka, Ueber russische Zauber/ormcln mit Berücksichtigung der Blul-und Verrenltungs-segen. Akademische Abhandlung, Helsingfors, 1909, p. 85-103. (2) Onyščuk, Narodnyj kaljendar, p. 30. Pour nous, il n’est nullement démontré, malgré certains, que l’action soit originelle dans un rite, et la formule verbale surajoutée, car les documents nous font défaut pour que nous puissions généraliser quelques cas constatés. Diverses actions magiques qui sont maintenant avec formules, ont pu provenir de rites antérieurement sans formules ; la conjuration, de même, peut être le résultat de l’explication. Dans d’autres actions magiques, au contraire, les conjurations verbales peuvent être apparues en premier lieu, les rites s’y être joints ensuite, et, enfin, les actions magiques et les formules verbales peuvent être simultanées (1). Dualisme dans les croyances. Dans l’étude statique des rites populaires, nous aurons naturellement l’occasion de rencontrer souvent des rites chrétiens qui ont été autrefois et sont encore aujourd’hui étroitement liés aux premiers. Arrêtons-nous plus longuement sur cette question des doubles croyances, ce qu’on appelait dvoevèrie dans l’ancienne Russie. Il faut reconnaître que, dans la plupart des cas, les paysans ne voient pas, dans ce dualisme, deux systèmes de croyances opposées. En général, on a une croyance unique, synthèse d’actions magiques, de prières, de rites populaires et proprement religieux (2). Ainsi, dans la célébration du mariage, les paysans ne distinguent pas les pratiques magiques de la cérémonie de l’église : les époux, en posant deux doigts sur l’Évangile, au moment du serment de promesse (prïsjaha), s’efforcent à l’envi, quelquefois à plusieurs reprises, de les poser plus haut l’un que l’autre (le prêtre Bereznaj à Smerekova). Au moment le plus solennel de la cérémonie religieuse, les époux accomplissent donc des pratiques magiques populaires. Nous trouvons un exemple frappant de ce mélange dans la description du procédé employé pour voir à Pâques les sorcières. « Pendant les fêtes de la résurrection de Jésus-Christ, le moyen suivant permet de voir toutes les sorcières : on fait une petite herse avec du bois de tremble ; on la commence le premier vendredi du carême, et on la termine le vendredi saint ; elle est si petite qu’on peut la fourrer dans la poitrine. A la messe (1) Voir notre compte-rendu du livre de Poznanskij dans la revue Národopisný věstník českoslovanský, XVIII, pp. 192-193. (2) M. Arnaudov propose de remplacer le terme de dvoevérie par celui de syncrétisme religieux-magique. de minuit de Pâques, lorsque le prêtre élève la croix retirée du sépulcre, celui qui a la herse se pose sur elle, et regarde les assistants : si, parmi eux, il se trouve une femme ayant sur la tête un tamis pour le lait, et un seau pour le recueillir, c’est une sorcière » (1). Souvent, loin que les rites chrétiens et populaires soient en conflit, ils se renforcent mutuellement. Ainsi, les rites chrétiens accomplis pendant une fête lui donnent plus de solennité et confèrent par là une plus grande autorité aux rites populaires simultanément accomplis. On peut trouver un mélange encore plus intime : des rites populaires, n’ayant rien de commun avec la religion chrétienne, sont parfois pris pour des rites chrétiens. En même temps, il arrive que, dans un même village ou dans des villages voisins, on interprète un rite comme chrétien ou demi-chrétien, en rapport avec quelque événement religieux, et un autre rite comme une pratique magique populaire habituelle. D’un autre côté, les rites chrétiens sont expliqués d’après les rites populaires. Frazer reproduit un grand nombre d’exemples où la religion chrétienne se mélange avec la magie populaire, et où l’on a ainsi un curieux amalgame de l’une et de l’autre, comme dans le cas où on attribue aux prêtres le même pouvoir qu’aux sorciers, et ainsi de suite. « ...Dans de nombreux villages de Provence, le prêtre est encore censé posséder la faculté d’écarter les orages. Ce ne sont point tous les prêtres qui jouissent de cette réputation, et, dans certains villages, lorsqu’un changement de curé a lieu, les paroissiens sont impatients d’apprendre si le nouveau titulaire a le pouvoir (pouder) comme ils l’appellent. Au premier signe d’orage, ils le mettent à l’épreuve, en l’invitant à exorciser les nuages menaçants; si le résultat répond à l’attente, le nouveau pasteur est assuré de la sympathie et du respect de son troupeau. Dans certaines paroisses, où la réputation du vicaire était, à cet égard, supérieure à celle de son curé, les relations entre les deux étaient si tendues que l’évêque se vit obligé d’envoyer le curé dans une autre cure » (2). On peut voir quelque chose d’analogue en Russie Subcarpa-thique : un paysan m’a raconté que la paroisse de Voročova (comitat d Užhorod) fut desservie pendant un certain temps par un prêtre connu pour son zèle, et entretenant d’excellents rapports (1) Cehel'skyj (Papiers de ftehoř). (2) Frazer, op. cil., p. 50. avec les paysans ; mais, tant qu’il fut dans la paroisse, la grêle détruisit annuellement les récoltes, et, sitôt après son départ, les orages cessèrent, et les récoltes redevinrent bonnes. On voit qu’ici la nature est considérée comme étant sous la dépendance de l’homme ; seulement la croyance populaire, généralement attribuée aux sorciers et aux magiciens, est reportée sur le prêtre. Jordan Zachariev rapporte des faits intéressants' sur la manière dont les paysans bulgares concilient la religion et les rites chrétiens avec les croyances populaires traditionnelles (1). Il est vrai que nous sommes quelquefois en présence de cas où l’officiant a clairement conscience qu’il commet un péché, un sacrilège en accomplissant certains rites, ce qui ne l’empêche pas de le faire. Un double culte, qui se présente d’ailleurs assez rarement, est donc ici constaté. Dieu et le diable coexistent dans la conscience du croyant. De la signification des jours et des moments déterminés dans l’accomplissement des rites et des actions magiques ; RÔLE DE LA PERSONNALITÉ DE I.’eXÉCUTANT. Il y a un problème qui se présente souvent dans l’examen des diverses actions magiques et des rites : c’est la signification des circonstances de temps au cours de l’opération. Une grande partie de la puissance magique qui réside dans ces actions et ces rites est due à ce qu’on les accomplit tel ou tel jour déterminé, alors que les autres jours sont inefficaces ; de même certains objets, certaines plantes médicinales ont une vertu spéciale, mais dans le cas seulement où elles sont cueillies la nuit qui précède la fête de saint Jean Kupalo. Les jours qui donnent cette vertu magique sont généralement les « premiers » : le premier de l’an, le premier jour de la naissance, le premier jour du mariage, etc. Les rites accomplis le jour du mariage déterminent toute la vie à venir des époux. Les événements qui (1) Jordan Zachariev, « Kjustendilsko kraište » (« La région de Kustendil »), Sborník za národní umotvorenija i narodopis, XXXII, p. 143-144. Au point de vue religieux, le paysan de la région de Kustendil est plus païen que chrétien. Les sacrements ont pour lui un caractère purement païen. S’il fait brûler des cierges à l’église et communie, c’est par crainte de Dieu, qui est plutôt à ses yeux un être méchant : pour apaiser sa colère, il lui apporte des offrandes, immole des brebis, des agneaux, des vaches (kurban)... Les rites et usages remontant au paganisme ont plus d’importance pour lui que les rites et usages chrétiens. Rites et Croyances. ont lieu la veille de Noël et au nouvel an annoncent également ce qui aura lieu pendant toute l’année (1). Ces jours-là une action ordinaire acquiert parfois une vertu magique (2). Même des gens cultivés croient souvent encore que ce qui s’accomplit alors devra s’accomplir toute l’année. Le caractère que nous observons ici est surtout remarquable dans les tabous : ainsi on craint d’accomplir le jour de l’an une action provoquant un résultat à éviter, de peur qu’elle ne se répète toute l’année. Nous avons déjà fait remarquer que toute action magique doit être accompagnée d’une foule de pratiques. Elles ont un équivalent, pour le cas actuel dans l’importance donnée à tel jour ou à telle heure déterminés. Quand tombent les grandes fêtes de l’année, non seulement la puissance des actions magiques s’accroît, mais beaucoup d’objets de la maison, ou du dehors, acquièrent une vertu magique, comme l’eau de la rivière, par exemple, la veille de Noël. « Tous les paysans se lavent dans la rivière avant qu’il fasse jour. Ceux qui ont des maladies vénériennes, des ulcères, se laveront avant le lever du soleil, et ils guériront. Mais la même opération faite quand il fait jour ne donnera aucun résultat » (Prislop). Dans l’examen des actions magiques et des rites on peut établir que toute une série d’objets acquièrent une puissance magique après l’accomplissement d’actes qui se ramènent aux lois formelles de similitude et de contact, et grâce à ces actes. Mais certains objets sont efficaces indépendamment des actions magiques ; ce sont les plus usuels : la table, le pain, Tail, l’eau, le fer, etc. Les objets, liés autrefois au culte des morts et des êtres surnaturels et employés éventuellement pour les offrandes, acquièrent aussi cette puissance surnaturelle indépendante. Nous rencontrons par exemple cette idée que les qualités du miel se transmettent dans certains rites, selon la loi de contact, au sujet qui le consomme. Le starosta (3) dit, en présentant du miel (1) Freud explique par la crainte l’origine de l’importance du premier jour : « La disposition à la crainte se montre avec le plus de force dans tous les cas qui s’écartent d’une manière quelconque de ce qui est habituel, apportent quelque chose de nouveau, d’inattendu, d’incompréhensible, d’angoissant. Ainsi s’explique la cérémonie qu’on trouve dans les religions les plus rapprochées de nous et qui est liée à tout commencement soit d’une nouvelle période de temps, soit d’une nouvelle vie humaine, animale, végétale ». (S. F eud. Totem i tal/u. Psichologija pervobytnoj kul'tury i reliqii, dans la Psichologiieskaja i psichoanaliličeskaja bibliotéku pod red. pro/. I. D. Ermakova, IV, Moscou-Petrograd). (2) Voir chap. i, p. 37. (3) Sorte de chef des noces. aux mariés : « Puisse votre amour avoir la douceur du miel ! » Mais le miel qui reste après le repas de la veille de Noël est, dans un cas que nous avons enregistré, employé comme remède, sans motif connu. « Chacun doit avoir du miel, mais il ne doit pas être acheté, car il est alors falsifié. Chacun doit en manger la veille de Noël et en conserver toute l’année pour le bétail, au cas où, Dieu nous en préserve, une bête serait malade ; on en donne aussi à une vache sur le point de vêler » (Sincvir'ska Poljana). Le miel n’est pas ici l’instrument d’une action magique, il possède lui-même une puissance magique. D’ailleurs la puissance magique indépendante n’est pas toujours incluse dans l’objet parce qu’il sert à l’action magique motivée ; c’est plutôt l’inverse : d’abord l’objet est considéré comme possédant une puissance indépendante surnaturelle ; on s’efforce ensuite d’expliquer cette puissance, par exemple celle de transmettre ses qualités à un autre objet, selon une des lois de la magie. On emploie comme instrument magique, sans l’accompagner de pratiques spéciales, un objet possédant une vertu magique indépendante : l’ail, le sel, certaines herbes, etc. Quelquefois on ne prend les objets de ce genre que comme instruments auxiliaires, pour augmenter et hâter la puissance d’une action magique donnée. Une telle action devient plus efficace et plus sûre, lorsque les objets habituels sont remplacés par des objets ayant une puissance magique indépendante. Ce n’est pas seulement les objets qui ont une puissance magique, mais aussi les sorciérs, les diseurs de bonne aventure, etc. Quelquefois les paysans ne s’adressent à eux que pour donner plus de force aux pratiques magiques. Si un homme ordinaire peut produire un résultat souhaité, un sorcier en obtiendra un beaucoup plus important. Nous allons examiner les rites dans leur rapport avec les jours d’exécution. Nous déterminerons quelles sont les lois auxquelles sont soumises les interprétations de ces rites, les modifications que subissent les rites et les interprétations, ainsi que l’influence exercée sur la vertu du rite par les divers objets, doués d’une puissance magique spéciale, dont on se sert, et parle moment où on l’accomplit. Nous commencerons par l’examen des pratiques magiques et des rites pendant les fêtes de l’année. CHAPITRE PREMIER. LE CALENDRIER POPULAIRE. I. — La veille de noel (Svjatyj večír) et le joue de l’an. La veille de Noël. — Le jour qui précède la veille de Noël, les paysans observent si rigoureusement le jeûne fixé par l’église qu’ils ne prennent aucun aliment. Ils accomplissent tout un ensemble de rites et d’actions magiques la veille de Noël pendant et après la célébration de la fête. Le soir la table est aussi garnie que possible des aliments permis en temps de jeûne. Leur nombre a aussi une importance magique : sept (1), neuf (2), douze (3). La veille de Noël chacun doit avoir un pain de seigle et de froment, des choux, des haricots et de l’eau de vie. « Si ces aliments manquent, ils manqueront toute l’année » (le prêtre Baéinskij à Cernoholovje). Certains aliments sont obligatoires : les haricots par exemple, le froment, le miel, etc. Nous avons déjà remarqué qu’à certains jours et moments, chaque action, volontaire ou non, a une vertu magique ; la veille de Noël est un de ceux-là ; aussi, d’après la loi de similitude, on possédera toute l’année ce qui se trouvera alors sur la table ; tout ce qui manquera, au contraire, fera de même défaut. La plupart des actions magiques de la veille de Noël ont pour but d’augmenter les récoltes et la fécondité des animaux domestiques, de favoriser ainsi le bien-être du paysan pendant toute l’année.Les actions magiques étrangères à cet intérêt sont rela- (t) Lozjanskoje (2) Volovoje. (3) VySn. Bystryj tivement peu nombreuses. En premier lieu, il faut nommer celles qui doivent aider à la naissance des enfant (c’est la formule magique qu’on récite en lançant des poignées de fèves et de haricots), et un certain nombre d’autres pratiques accomplies par les jeunes filles et dont l’effet est de trouver un fiancé et de hâter le moment du mariage. Le kračun. — Examinons les actions et rites magiques qui ont lieu la veille et le jour de Noël, le premier de l’an et la veille. Il y a d’abord les rites reposant sur le kračun ou kerečun, krečun. Le kračun est le pain qui reste sur la table, dans chaque maison, pendant toute la durée des fêtes ; sa préparation elle-même est accompagnée de pratiques spéciales. On le cuit la veille de Noël ( Vo-lovoje). La hazdynja met des gants et une hunja (1) pour la cuisson du kračun (Nižn. Sinevir'). Dans un autre village, on m’a indiqué qu’il fallait se ganter, quand on le mettait au four avec la pelle. Pour posséder le bien-être matériel, il faut prendre le kračun avec la main nue ; la hazdynja doit mettre une hunja pendant qu’elle prépare le pain. Quand le fiancé et la fiancée vont se marier à l’église, ils doivent s’habiller pareillement » (F. Peèkan à Sinevir'). Ainsi le kračun est comme le symbole de la richesse de la famille ; par le contact de la main nue (le nu étant le symbole de la pauvreté), la transmission se fait, d’après la loi de contact, à la famille. De même la hazdynja met la hunja, afin que la famille s’enrichisse. Il faut remarquer que ce vêtement se met aussi à d’autres moments solennels. Ainsi le marié et la mariée le portent pendant toute la journée du mariage, quelque chaleur qu’il fasse : on croit sans doute qu’il apporte la richesse. Il m’a été permis d’observer, en Russie Subcarpathique, deux sortes ou types de kračun : leur délimitation géographique coïncide dans le comitat de Marmaroš avec les frontières dialectolo-giques et ethnographiques. J’ai observé le premier type à Prislop (où l’on parle le dialecte, dans lequel o est passé à i dans les nouvelles syllabes fermées). Là on entoure le kračun d’un lien de lin ou de chanvre, et on enfonce au milieu un épi d’avoine. L’image d’une croix est figurée sur la croûte supérieure ; au milieu de la croix est une petite cavité où on met des grains de froment « afin que le kerečun ne s’émiette pas (aby kerečun ne rospuksja) ». J’ai vu cependant dans (1) Sorte de veste en peau de mouton, avec la laine à l’extérieur. une autre maison de Prislop un pain sans cavité et avec des dessins quelconques sur la croûte de dessus. J’ai observé le second type de karačun à Volovoje et à Nižn. Si-nevir' (dans le dialecte local, l’ancien o y a donné ü dans les nouvelles syllabes fermées). Dans ces localités, on s’efforce de faire tenir, au milieu du kračun, des morceaux de tous les aliments dont on use dans la maison : « avoine, choux, froment, mais, en un mot tout ce que la terre produit » (Volovoje). On enfonce aussi un épi d’avoine au milieu de ce pain. Dans certains villages, il est indispensable d’ajouter de l’ail aux aliments des jours maigres qu’on fait cuire avec le kračun. Voici l’explication qui m’a été donnée de cet usage : « On met de l'ail, parce que les sorciers en ont peur, et comme il cuit au milieu du pain avec les fèves et les semences, on donne ce morceau en cas de maladie » (F. Pečkan à Sinevir'). L’ail, qui possède par lui-même une force magique, apparaît donc ainsi comme une des parties curatives du centre du kračun. Il faut cependant remarquer que celui -ci possède sa vertu curative même dans les villages où il ne contient pas d’ail. Dans certaines localités, on met aussi du miel dans le kračun : « La veille de Noël on fait cuire le kračun ; on met du miel dans un verre et le tout est mis dans la pâte qui cuit » (Ljuta). Le miel est servi le premier dans certains villages au repas de la veille de Noël. Il m’a été indiqué dans le village de Verchovina Bystra qu’il est nécessaire de mettre dans le keračun le nombre magique des aliments : « Il faut en mettre neuf, mais comme notre village est pauvre, on en met peu ». L’usage de mettre dans le kračun tous les aliments maigres de la maison, ou ces aliments en un certain nombre magique, s’explique vraisemblablement, dans quelques cas, de la même manière que l’usage de couvrir la table la veille de Noël de tous les plats des jours de jeûne. L’action d’orner le kračun avec un épi d’avoine a aussi une signification magique : Un jeune homme ou une jeune fille {legin' ou diwka), en âge de se marier, ornent le kračun, afin d’avoir une fiancée ou un fiancé aussi jolis qu’un bouquet de fleurs {fajnoho ženicha ou ženich fajnu nevistu jak koslcju). On met de l’avoine et des feuilles de pervenche dans la couronne de la fiancée » (F. Pečkan à N. Sinevir'). Ainsi ce rite est en relation non pas avec le bien-être du maître de la maison, mais avec le mariage des jeunes gens de la famille. Les qualités de l’épi d’avoine que touche le fiancé ou la fiancée doivent se transmettre, en vertu de la loi de contact, à l’un ou à l’autre. J’indiquerai encore une action magique qui a pour but d’exaucer à l’aide du kračun, un souhait : « On met un morceau de laine sous le kračun. Si le hazda veut avoir des brebis blanches, il met de la laine blanche, et s’il veut avoir des brebis noires, de la laine noire » (F. Pečkan à N. Sinevir'). La couleur des brebis sera, en vertu de la loi de similitude, la couleur employée dans l’action magique la veille de Noël ; de même, l’action de poser le morceau de laine sous le keračun fait partie du rite magique qui doit produire le résultat cherché selon la loi de contact : le kerečun est, en effet, un objet sacré doué d’une vertu magique. A Vyšnja Koločava on se livre à une très curieuse opération de divination au moyen du kračun : « Sous la nappe, à l’endroit exactement ou il est posé, on met du regain, puis on étend du papier sur la nappe et de la farine par-dessus. Le premier de l’an, on regarde ce papier enduit de farine. Si des traces ou des figures humaines y apparaissent, cela veut dire que des personnes viendront proposer un fiancé pour la fille de la maison. Si ce sont des images de bétail c’est qu’on en élévera pendant l’année » (Vyšnja Koločava). Le matin de la fête de Noël on fait encore servir le kračun à des pratiques divinatoires de ce genre : on le trempe dans l’eau, puis on le porte dans la maison et on le fait rouler sur la terre battue : s’il tombe sur la croûte de dessous, tout ira bien pendant l’année, mais s’il tombe sur la croûte de dessus, quelqu’un mourra (Volovoje, N. Sinevir', Užok) (1). On pratique encore la divination au moyen du kračun pour connaître le nombre de chars de foin et de blé qu’on rentrera : il sera égal à celui des tours que fera le pain en roulant sur la terre (Prislop). Le kračun, dans ce cas, symbolise pour ainsi dire les chars de céréales. D’après la loi de similitude, ce qui est fait avec le pain doit se répéter avec le blé en grains. Au village de Vyšnij Bystryj, pour être riche, on secoue le kerečun depuis la porte jusque sous la table. Dans ce cas, par conséquent, nous ne sommes pas en présence d’une pratique divinatoire, mais d’une action magique. On ne révèle pas l’avenir par (1) Anciennement, chez les Grands-Russes, on employait pour choisir l’emplacement de la maison à bâtir le procédé de divination suivant : « de la hauteur de la poitrine, on laissait tomber par terre trois pains. Si, après la chute, les trois pains reposaient sur la croûte de dessous, la place était bonne ; grâce à Dieu, il n’y avait rien à redouter pour la construction de l’izba ou d’un bâtiment quelconque ; si, au contraire, les pains reposaient sur la croûte de dessus, cela ne présageait rien de bon : il fallait abandonner cette place. Si deux pains seulement reposaient sur la croûte de dessous, en pouvait bâtir ; mais si un seul pain était ainsi placé, on devait chercher un autre emplacement » (N. Sumcov, Chléb v obrjadach i pěsnjach (« Le pain dans les rites et les chansons»), Char'-kov, 1885, p. 187). l’action de secouer le kračun, mais on le secoue pour obtenir la réalisation du résultat désiré : le bien-être de la famille (1). Toutes ces actions magiques et pratiques divinatoires, qui consistent à secouer le kračun, confirment notre thèse, à savoir que la même action magique a différentes explications, et que ces explications diffèrent en raison du détail essentiel qui motive l’action. Dans le procédé de divination par le kračun c’est tantôt au côté sur lequel il retombe qu’on fait attention, tantôt au nombre de tours. Selon d’autres interprétations, il faut que le kračun, roule de la porte à la table ; enfin, dans d’autres actions magiques, la pratique essentielle est le mouvement même du kračun symbolisant le jeu du bétail qui folâtre. Si nous examinons les explications populaires des actions magiques et des pratiques divinatoires relatives au roulement du kračun, nous ne voyons aucune raison de considérer les unes comme primordiales, et les autres comme secondaires. De plus on constate que, dans tel village, on considère le rite en question comme d’ordre magique, tandis que, dans tel autre, on y voit un procédé de divination. Les membres de la famille mangent le kračun aux fêtes de Noël et en donnent à manger au bétail un morceau contenant de l’avoine et d’autres aliments de jours maigres, « afin que les vaches s’accouplent avec les taureaux ». « La hazdynja met du kračun broyé avec du sel dans son tablier, et elle en donne à manger au bétail » (Volovoje). D’après un procédé plus compliqué, on se sert du milieu du kračun comme remède : « Si une vache, avant de vêler, a mal à la mamelle, — on appelle cette maladie merena —, voici comment on guérit la bête. On prend la partie supérieure du kračun, on la réduit en parcelles, puis on met dans un plat des charbons ardents qu’on porte à l’étable près de la vache ; on fait brûler au-dessus de ces charbons des morceaux de kračun, et on expose la mamelle à la fumée qui se dégage (i to sja kurït na vyrnnja). L’opérateur passe le doigt autour de la mamelle en disant : « Me- (1) On pratique en Galicie avec le pain, qui joue à peu près le même rôle que le kračun, mais ne porte pas ce nom, la même action magique qu’en Russie Subcarpathique avec le kračun. « A l’aube du premier de l’an, la maîtresse du logis se coifïe d’un bonnet d’homme, prend du pain et va chercher de l’eau ; tout en puisant de l’eau, elle dit: « liau du Jourdain, je te donne ce pain», et en même temps elle le remue trois fois dans l’eau, « et toi, donne-moi du vin [Vodyce-ardanyce, daju tobi chlib, a ty, kaie, daj myni vyno) ». Ensuite elle retourne chez elle en agitant le pain, et dit: «Que notre bétail et nos chevaux aient le même mouvement que ce pain 1 (aby tak brykala naèa chudoba y koni, jak ses' chlib nyni) » (A. OnySôuk, Narodnyj kaljendar, p. 26). Remarquons aussi qu’à Sinevir'slca Poljana on mouille à Noël non pas le kračun qui reste sur la table, mais le pain qui a un autre nom. reno, mereno, comment es-tu grande ? — Comme un grain de fève. — Deviens donc petite comme un grain de pavot et lisse comme les cheveux des garçons et des filles quand ils se sont peignés » (Mereno, mereno, jaka jes' velïka ? — J a (k) bohovo je zerno. — A tak by sja zmalïla, jak makovoje zerno, i tak by sja zldadïla, jak chlopci ta diwky izhlažujut holowký). En même temps il caresse trois fois les bouts de la mamelle (F. Peèkan à N. Sinevir'). Le kračun n’a pas seulement une vertu curative, mais peut, d’après une légende, détruire même le diable. Voici cette légende : « Il y avait une fois un mari ; sa femme était sur le point d’accoucher, et il ne le savait pas. Le diable lui demanda de lui donner ce qu’il allait avoir (il lui fit sans doute quelque don pour cette promesse). Le mari consentit. Le diable se présenta donc la veille de Noël, et l’enfant vint au monde ce soir-là. Mais dès que le diable eut apparu, le kraéun, encore dans le four, lui ordonna de détaler, et le diable détala. Voilà pourquoi on fait cuire le kraèun la veille de Noël » (Ljuta). Cette légende est fortement influencée par les contes (1), mais on y ajoute foi comme à un fait réel. Ablution dans Veau où on a jeté de l’argent. — Notons maintenant le rite de se laver, le jour de Noël et le premier de l’an, dans l’eau où on a jeté de l’argent. Cette action magique m’a été expliquée d’une manière assez compliquée à Verchovina Bystra. « On jette de bon matin dans l’eau quelques pièces de menue monnaie, le jour de Noël et le premier de l’an, et on se lave dans cette eau. On accomplit ce rite pour avoir autant d’argent que d’eau (stil’ko bylo hrošej, jak vody). Il y a donc, d’après la loi de contact, transfert de vertu de l’eau à l’argent, et de l’argent au baigneur. J’ai enregistré, dans d’autres villages, des explications plus simples. Avant de se laver le premier de l’an, « on jette de l’argent dans l’eau, pour en avoir pendant l’année « (Vyšnij Bystryj.) Les gens de Bohdan m’ont donné la même explication. On voit ainsi que ceux qui se sont lavés avec une telle eau auront de l’argent pendant l’année par son intermédiaire (2). Après ces ablutions on s’essuie dans certains villages avec une hunja ou avec un mouchoir rouge. A N. Bystryj on ne s’essuie pas, le premier de l’an, avec une serviette, mais avec une hunja. « On s’essuie avec celle-ci (1) Comparer, par exemple, le commencement du conte n° 117 : Car' medvěd' («Le tzar-ours ») dans le recueil d’ÀFANAsjEV, Narodnyja russkija skazki i legendy (# Contes et légendes populaires russes »), I, Berlin, 1922. (2) Dans les rites l’eau sert souvent de moyen de transmission des qualités de l’objet qui a été en contact avec elle. Par exemple, « certains lavent le gâteau de Pâques et se lavent ensuite avec cette eau pour être aussi estimés (velïéni) que le gâteau ». pour avoir des brebis (aby viwci cholilï bytï) ». (M. Bobonič à N. Bystryj). On s’essuie encore avec un mouchoir rouge « pour être rouge pendant l’année » (M. Holowka à Prislop). Conformément à la loi de contact, celui qui s’est essuyé avec une hunja aura des brebis, dont la laine sert à faire ce vêtement. L’explication du rite du mouchoir rouge, selon la même loi, est plus simple : la qualité de cet objet affecte la personne qui a accompli le rite. Le miel. — Une vertu curative est également attribuée au miel. La veille de Noël tout le monde mange du miel, mais il ne faut pas qu’il ait été acheté, «parce qu’un tel miel vous appartient injustement (kupujemyj mit ne je spravedlivýj mit) ». On en donne aussi aux animaux afin de les conserver toute l’année ; « et si, Dieu nous en préserve ! une vache tombe malade, ou si elle va mettre bas avant terme, on lui donne aussi du miel » (Sinevir'-ska Poljana.) Il est remarquable que le miel qu’on mange au repas de la veille de Noël paraît tenir son caractère sacré et acquérir une vertu spéciale du fait qu’il est servi à ce repas solennel, sans que d’ailleurs il soit facile de distinguer si cette vertu est due au repas lui-même ou à la fête. On sait, en effet, que les herbes cueillies le soir de la Saint-Jean Kupalo possèdent une vertu curative, ce qui n’est pas le cas pour celles qu’on cueille aux autres jours de l’année. Les rites relatifs a la gerbe. La veille de Noël, on met sur la table une gerbe en même temps que le kračun. Ce rite est très répandu en Russie Subcarpathique. Toutefois, les Huculs du village de Bohdan m’ont affirmé que le même rite existait effectivement autrefois, mais ne s’accomplissait plus maintenant. À Nižnij Bystryj on m’a indiqué, d’autre part, qu’on n’apportait pas de gerbe d’avoine, parce qu’on n’en semait pas. Chez les orthodoxes, le hazda ou ses enfants, en apportant la gerbe à la maison avant le dîner, disent bonsoir à tous les assistants qui répondent : « Dieu vous exauce (daj Bože dobryj večur » !). Chez les uniates on dit : « Jésus-Christ soit loué (slava Isusu Chris tu !) »à quoi les assistants répondent: «Dieu soit éternellement loué {slava naviky Bohu) ! » (1). (1) Sur la manière dont on reçoit le porteur de la gerbe, voir encore Zu-bkyc'kyj, Narodnij kalendar, pp. 55-56. Cette gerbe, ou bien ne porte pas en Russie Subcarpathique de dénomination spéciale, ou bien, s’appelle dido, diduch, comme la paille qu’on étend sur la terre battue de la maison, la veille de Noël. Nulle part ici elle n’est désignée sous les noms de koljidnyk (1), koljada (2), comme dans d’autres contrées où la population est ukrainienne. « Il est très vraisemblable, dit le professeur Hruševskyj, que ce did ou gerbe rituelle, apportée en procession à la maison, à la fin de la moisson {obžynočnyj snip), d’après Potebnja (3), servira à ensemencer de nouveau le champ ; elle est battue après les fêtes de Noël; mais le rapport entre cette gerbe et celle de la veille de Noël ne paraît pas positivement établi par les folkloristes » (4). Nous avons trouvé la confirmation de l’idée de Potebnja et de Hruševskyj dans les matériaux recueillis par Domanyc'kyj. « Au petit village de Japoloť, on apporte cette gerbe dans la maison, avant de commencer à moissonner le seigle >. (5). Nous n’avons pu trouver ailleurs aucun autre témoignage indiquant que la gerbe de Noël soit apportée dans la maison avant ou pendant la moisson ; rien n’autorise donc à supposer qu’il existe toujours un rapport entre une gerbe quelconque apportée à l’occasion de cette fête et la gerbe rituelle, d’autant plus que celle-ci n’est pas préparée dans certains villages de la Russie Subcarpathique. A une question précise que j’avais posée sur l’existence de ce rapport, il m’a été catégoriquement répondu par les tziganes de Prislop : « La veille de Noël, on prend n’importe quelle gerbe pour la mettre sur la table, et non celle qui a été battue la première après la moisson. On prend la plus belle, celle qui donnera le plus de grains [majfajnyj rjasnyj) ». Outre les diverses explications populaires de l’importance rituelle de la gerbe de la veille de Noël, je voudrais aussi suggérer la suivante : Comme tous les aliments d’origine végétale doivent être mis, ce soir-là, sur la table, pour que la famille puisse s’en nourrir toute l’année, il est naturel que l’avoine y soit aussi. Cette hypothèse est confirmée par l’explication indiquée en Galicie à un des correspondants de Řehoř : « Lorsque la ménagère a terminé tous les apprêts du repas, le maître du logis apporte une gerbe de seigle et une gerbe d’avoine : il met l’une près du seuil (1) A. Onyščuk, Narodnyj kaljendar, p. 16. (2) V. Domanyc'kyj, Narodnij kalendar, p. 82. (3) Objasnenija, pp. 167-168. (4) M. iliiuSevs'kyj, Istorija ukrajinikoji literatury («Histoire de la littérature ukrainienne »), Ire partie, pp. 150-151. (5) Y. Domanyc'kyj, op. cil., p. 82. de la maison et l’autre au coin de la table, sous les icônes (na pokutju). Ces gerbes sont le symbole de la richesse, et ceux qui les ont mises à l’endroit voulu disent : « Puissent le pain sacré (chlibeé sojatyj) et le bétail ne jamais manquer dans la maison »(1). La gerbe, en tant qu’objet sacré, transmet sans doute une grande force à l’action magique qui doit provoquer la fécondité des animaux. J’ai noté ces paroles dans un village : « Lorsque, la veille de Noël, on porte dans la maison une gerbe, on cache un enfant sous celle-ci : il beugle comme une vache, hennit comme un cheval, bêle comme un agneau, pour que ces animaux soient féconds ». L’imitation des cris d’animaux domestiques, comme action magique pour assurer la prospérité de l’élevage, a déjà été signalée. Il arrive ailleurs que le rite de la gerbe joue un rôle seulement esthétique:» La gerbe procure delà joie. Les seigneurs mettent sur la table un arbre de Noël (2), le paysan ruthène, une gerbe (Snip na toto-radosť. Pany kladut smerïâku, a rusïn snip) » (M. Holowka à Prislop.) On place généralement la gerbe sur la table, la veille de Noël. On l’enlève deux ou trois jours après, pour la poser à la place d’honneur, au coin de la chambre, et, dans beaucoup de villages, on la donne au bétail le premier jour de l’an. Les chants de Noël [Koljadky). —• La solennité et l’importance des pratiques populaires de la veille de Noël sont rehaussées par un grand nombre de pratiques proprement religieuses et semi-religieuses. Pendant et après le repas, on lit le psautier, on chante les koljadky ; dans beaucoup de villages ils sont tirés des livres, composés sur le modèle des prières chantées à l’église. Mais, à côté des koljadky de ce genre, on en chante d’autres, transmis par tradition orale r ils ont pour motifs principaux les souhaits de prospérité formés pour le père et la mère, leurs fils et leurs filles, ce qui les rapproche des actions magiques destinées à provoquer le bien-être du maître de la maison. D’autres koljadky se rapprochent des chansons de noces par leur symbolisme et leurs sujets : on souhaite le prochain et heureux mariage des fils et des filles de la famille. Ces koljadky complètent, en quelque sorte, les actions magiques qui doivent favoriser le mariage : dans l’une d’elles, par exemple, la jeune fille et son frère mettent en scène l’arrivée de ceux qui s’entremettent pour un (1) P. Čumák à Ozerjanka, district de Zarudzje, près de Zborov, 1893 (Papiers de Řehoř), (2) Smerïëka (pinus abies). mariage, afin que celui-ci se produise réellement (1). Certains détails se rapportent aux jeunes filles. « Lorsque les chanteurs arrivent, la jeune fille jette des noix au milieu de la chambre # (Vyš. Bystryj). « Lorsqu’ils exécutent les chants de Noël (koly koljada pryjde), la jeune fille va au grenier et jette des noix aux jeunes gens en âge de se marier (acte qui doit favoriser leur mariage) » (Volosjanka). Dans certains villages, les chanteurs portent avec eux une crèche (semblable à celle de Bethléem) (2). L’usage de porter la crèche n’est pas partout répandu en Russie Subcarpathique. Ainsi, il n’existe pas au village de Lipša, comme l’instituteur me l’a affirmé. Il est surtout observé près des grandes villes et dans les grands villages, ce qui incline à penser qu’il est récent et emprunté. Outre la crèche, les chanteurs portent, dans quelques villages, une étoile. Ajoutons qu’ils ne se bornent pas à cela, mais jouent eux-mômes des scènes : j’ai assisté à quelques-unes à Bodhan. Parmi les acteurs figuraient Hérode, des soldats, un « Juif », une chèvre, etc. Tous les rites revêtant un caractère chrétien, tels que la lecture du psautier, le chant des cantiques, etc., rehaussent la solennité de la veille de Noël et accroissent encore, comme je l’ai montré, la foi dans la puissance réelle d’actions magiques n’ayant rien de commun originellement avec les rites chrétiens, mais mêlées étroitement à eux : le paysan ne distingue pas, la plupart du temps, les deux éléments. Rite du cierge brûlé. — Le paysan carpathorusse croit que l’Église lui prescrit de faire brûler un cierge, la veille de Noël, pendant le repas, comme pendant l’office à l’église. Le cierge du repas est parent de l’autre ; de même que les cierges doivent brûler à l’église pour la fête de la Nativité de Jésus-Christ, il faut aussi en faire brûler un à la maison (M. Holowka à Prislop). On m’indiqua qu’on ne peut pas prier, lorsqu’une lampe brûle, et que les plus pauvres eux-mêmes doivent avoir un cierge (Sinevir'ska Poljana). On ne doit cependant pas considérer ce rite comme analogue à l’ancien usage existant, par exemple, chez les Juifs, d’employer un couteau de pierre pour la circoncision, ou, chez les Serbes, une pierre tranchante pour couper des étoffes à un enterrement (3). (t) Voir p. 27. (2j Celle que j’ai vue à Isa ofîrait cette particularité qu’elle rappelait les ombres chinoises. Généralement, la crèche représente une église ; la charpente est de planchettes en bois et les parois, en papier enduit de beurre : au milieu est un cercle avec des figurines en carton. Lorsque ce cercle est mis en mouvement, les ombres des figurines se déplacent derrière ces parois de la crèche. (3) Čajkanovií, « Několiko primedbe uz srpski Badnji dan i Božié », Godiš-njica Nilwle čupiča, XXXIV, 1921, p. 265. Comme on pourrait supposer, s’il en était ainsi, que le rite prescrive de brûler une torche résineuse, et non un cierge, j’indiquerai l’explication catégorique qui m’a été donnée : « La veille de Noël, il faut brûler un cierge et seulement un cierge ; il ne faut pas brûler du pétrole ni une torche résineuse » (Prislop). « Le cierge ne doit pas brûler toute la soirée, mais seulement pendant le repas ; après, cela n’a plus d’importance : ou un cierge ou une torche résineuse » (Verchovina Bystra). L'encens brûlé dans la maison et dans l'étable. — Ce rite populaire est également lié de façon étroite au rituel de l’église. La veille de Noël, « lorsque tous les mets sont sur la table, on prie Dieu et on encense la maison (pokurjat ladanom chyžii) » (N. Sinevir'). « On encense tout le bétail et on le conduit à l’eau » (Prislop). La fumigation du bétail et de l’intérieur de la maison peut n’avoir aucun rapport avec les rites de l’Église (1), mais l’emploi de l’encens fait donner au rite une origine ecclésiastique indubitable. La paille étendue dans la maison. — Le rite consistant à étendre, la veille de Noël, de la paille et du foin sur la table et sur la terre battue de la chambre est considéré par les paysans de la Russie Subcarpathique comme un rite chrétien. « On met de la paille sur la terre battue et sur le banc qui borde la chambre (popit zemli i na lavïcju). Nous le faisons en commémoration de la Nativité de Jésus : c’était alors ainsi (tak my zaljamilï sja, jak Christos rodiw sja takyj byw zvyčaj) » (Sinevir'ska Poljana) (2). J’ai déjà montré que les paysans de la Russie Subcarpathique confèrent un caractère sacré à toute une série d’objets qui se trouvent dans la maison, la veille de Noël et jouent un rôle magique (3). A côté de cette attribution, la paille est encore sacrée, parce qu’elle symbolise la couche de Jésus dans la crèche. « On apporte la paille dans la maison, et elle n’est emportée qu’après l’arrivée des chanteurs (koljada). On en met sous les agneaux, ainsi que dans le jardin, pour qu’il donne des fruits en abondance, la paille étant sacrée du fait que Jésus est né sur elle » (Verchovina Bystra.) (1) Comparer la fumigation du bétail dans la maladie appelée nierena « avec un morceau de kraëun, placé sur les charbons ». (2) Telle est l’explication qui m’a été donnée à Tur'je Rakovo, à Jesen'je, ainsi qu’en Galicie. « On mange les mots sur le foin placé sur la table, parce qu’ils représentent Jésus-Christ couché ainsi dans la crèche, à Bethléem » (André Kaéala, Papiers do ftehor).«On met sous la nappe et sous la table du foin, la corde qui sert à attacher les bœufs, le joug, etc., pour rappeler que Jésus naquit dans une étable au milieu du bétail » (A. Bolechovskij à Kolomyja, Papiers de ftehoř). (3) Ainsi le miel devient un remède. Au village de Horinčevo, « la veille de Noël, on met sous la nappe du regain qu’on donne ensuite au bétail », comme me l’a expliqué le gardien de l’église (1). Quelquefois, d’ailleurs, l’usage de mettre ce soir-là du regain sur la table a une autre signification : selon la loi de similitude on devra avoir toute l’année ce qu’on a la veille de Noël. De même, une paysanne m’a donné cette explication : « On met du regain sous la nappe, afin que la table ne reste pas nue [aby ne slojal holyj) et que tout marche bien dans le ménage (aby wSïtko gazdowslvo dobré bylo) » (Lozjanskoje). La table couverte de foin symbolise donc le bien-être, par opposition à la table nue, symbolisant la pauvreté. D’après la loi de similitude, ce bien-être devra exister dans la maison. Je citerai encore les rites liés à la paille qu’on étend sur la terre battue, la veille de Noël. « Cette paille étendue, le pûtre doit la remuer pour ne pas s’endormir, en été, près du bétail. Il travaillera toute l’année de la même façon qu’il travaille la veille de Noël. Il se roule aussi dans la paille. Si quelqu’un est malade la veille de Noël, c’est signe qu’il le sera toute l’année. Si on se dispute, on se disputera également toute l’année » (M. Holowka à Prislop). J’indiquerai un rite encore, qui se rapproche des gestes du pâtre. « Les garçons et les jeunes gens de la famille se roulent sur la paille qui couvre la terre battue de la chambre, pour pouvoir récolter des sacs d’avoine et de pommes de terre aussi grands qu’eux [aby míchy z viwsom, z ripow bylï velïky, jak onï) » (Prislop). Cela veut dire que les pommes de terre et l’avoine seront si abondants qu’il faudra les mettre dans de grands sacs ; la mise en scène symbolique de la veille de Noël aura sa réalisation. On fait brûler généralement, le second jour de la fête de Noël, la paille étendue, la veille de la fête, sur la terre battue. « On balaie la paille en l’entraînant du côté de la rivière ou de l’eau, et là on la brûle, en disant ce qu’on fait : dida paljat. Dido est aussi le nom de la gerbe ; on ne brûle pas celle-ci, on la donne au bétail ; la gerbe, comme le kerečun, reste sur la table jusqu’au premier de l’an » (Sinevir'ska Poljana). A Zelenycy (district de Nadvirnja), le feu de la paille brûlée a une vertu curative : « Le deuxième jour de Noël, le jour de la fête de saint Étienne, on balaie la maison et on fait brûler les (1) Il en est de même à Monastyrec et à Nižnij Sinevir'. Voir A. Onyšěuk op. cit., p. 22 et Janota, Lud i /ego zwyczaje, p. 46. balayures soit au milieu de la maison, soit dans l’antichambre ; on se chaufïe les mains avec ce feu en disant : Que mes mains soient bien portantes toute l’année {aby ruky cyrez calyj rik ny rozvyvaly sji, ny boljily) ! » (1). On trouve, en outre, une explication d’après laquelle la paille brûlée le matin du 26 décembre (2), l’est en souvenir de ce que la Vierge Marie, fuyant en Égypte, brûla aussi, pour en faire disparaître la trace, la paille de la crèche où Jésus-Christ avait été couché (3). « La combustion rituelle de la paille, le lendemain de Noël, chez les Bojky des Carpathes, remarque M. Zelenin, est connue sous le nom caractéristique de « sožženije dida ili diducha (4) ». L’auteur qui a recueilli cet usage suppose que c’est un moyen de préservation contre l’influence dangereuse du did ou didha, c’est-à-dire d’esprits correspondant entièrement au domovoj (génie du foyer) chez les Grands-Russes. Dans tous les cas, la dénomination de cet usage ne laisse aucun doute sur son rapport avec le culte de ce dernier » (5). Il n’entre pas dans notre sujet d’examiner quelle a été la signification primitive de ce rite. Nous remarquerons seulement que cette dénomination : did, diduch, etc., ne saurait indiquer qu’il s’agit ici du domovoj ou děd (6) ; nous rappellerons également que la gerbe est désignée sous le nom de baba (grand’mère). « Dans un coin on met le djid (gerbe d’avoine) et sous la table, une brassée de foin ou baba » (7). Quoi qu’il en soit, nous ne trouvons actuellement parmi les paysans aucune confirmation de l’explication, donnée par Zelenin comme possible, relative aux rites de la combustion de la paille répandue, la veille de Noël, sur les bancs et le sol. Dans quelques villages, on ne brûle ni cette paille, ni le regain étendu sur la table, mais on les conserve comme remèdes ou pour favoriser la croissance des arbres fruitiers. « On conserve la paille dans la maison jusqu’à la fête de la Koljada (8). On l’emporte en- (1) Onyščuk, op. cit., p. 22. (2) A proprement parler il y a deux fêtes : Saint-Etienne (voir p. 48) et celle do la Vierge. Ces fêtes sont encore désignées sous le nom populaire de Koljada. (3) Papiers de ňehoř, sans indication do la source. (4) Combustion du did ou diduch. (5) D. K. Zelenin, « Narodnyj obyíaj gróť pokojnikov » (« Le rite populaire consistant à réchauffer les morts »), Sborník char'kooskago isloriko-filologiies-kago obSiestoa, XVIII, 1909, p. 265. (6) Did, grand-père , comme on appelle quelquefois le domovoj. (7) Kolessa, op. cit. p. 91. (8) 27 décembre; voir plus haut, note 2. Rites et Croyances. 4 suite. On en fait une litière pour les agneaux et on en met dans la jardin, pour qu’il donne des fruits en abondance » (la paille sur laquelle Jésus-Christ est né étant sacrée). « Le regain reste sous la nappe jusqu’au nouvel an, puis on le donne au bétail comme remède » (Bohdan.) A Prislop, on ne brûle pas la paille, mais « on la balaie dans un endroit inaccessible aux personnes et au bétail ». « Ce rite n’est pas accompli dans la pensée qu’on pourrait fouler la paille, objet sacré, mais parce qu’on craint qu’elle ne soit nuisible ». Le second jour des fêtes de Noël, on met à une place où personne ne pourra aller la paille répandue sur la terre battue de la chambre, depuis la veille de la fête. On m’a donné l’explication suivante : « il est aussi défendu de se servir de cette paille que de toucher à l’eau avec laquelle on a lavé un mort [takyj zvyčaj, jak z mert-voho vodu ne moš [krať), parce que cela cause du tort. Les sorcières (bosurkani) ou le diable se promènent à la Noël et peuvent verser quelque chose (možut podoljatï daščo) dans la paille. Il peut arriver quelque malheur à l’homme (toj ëulovik može upaslï w bidu) qui touchera cette paille. Elle peut transmettre du mal. Voilà pourquoi on la jette dans une fosse dont on ne se sert pas (taka ščo ne chosnuje sja) » (Holowka à Prislop). Ces diverses explications ont ceci d’intéressant qu’elles montrent, encore une fois, le danger qu’il y a de juger par analogie, d’appliquer l’explication d’un rite donnée dans un village au même rite dans un autre village. Ainsi, dans certains villages, on attribue une vertu curative à la paille, puisqu’elle est le symbole de celle sur laquelle l’enfant Jésus a reposé et en tire son caractère sacré. Au contraire, selon l’explication des habitants de Prislop, la paille apparaît comme l’instrument d’un esprit malin, maléfique, et dont il faut, par conséquent, se débarrasser à cause de son influence néfaste. Le froment consacré la veille de Noël. — Le froment consacré est employé, la veille de Noël, pour se préserver contre l’esprit malin. « Le prêtre bénit, pendant le service religieux de la veille de Noël, le froment mis dans une assiette et déposé sur une table. Quand on retourne à la maison, il faut le mettre dans un petit trou creusé sur le seuil de la porte et l’y laisser (třeba totu pSenïcju u pori(h) zavertitï, ta zalïS'üï tam u jamci), ainsi que l’eau et le pain bénits (sjačenu vodu i doru) ; le maître de la maison accomplit ce rite pour éloigner le génie malfaisant et l’esprit malin [ta ne zajde ni putnïk, ni âort). On accomplit la môme cérémonie au seuil de toutes les maisons et de l’église, mais surtout dans des maisons neuves » (V. Holowka à Prislop). La même description nous fut confirmée dans une autre maison du village (les tziganes à Prislop). Voilà un exemple de l’emploi, dans les rites populaires, d’un objet béni par le prêtre. Il existe d’autres pratiques populaires, sans rapport avec les rites chrétiens, pour se délivrer, la veille de Noël, de l’esprit malin. On met autour de l’étable une faux et une boîte en bois contenant de l’argile détrempée dans l’eau (kalïnïca), dont on se sert pour enduire les murs des maisons. La sorcière n’ose pas alors s’approcher de cette maison pour venir, comme il arrive souvent, traire les vache avant la fête ; pour le faire, elle prend la terre sur laquelle une vache a laissé des traces (ona (hasurkanja) cidojme slídy ta derzit ich). Il faut, en outre, ficher un couteau dans un cercle tracé au charbon sur le linteau de la porte (le tzigane Slavita ajouta qu’une croix devait être aussi tracée dans ce rond , pour que la sorcière n’ose pas dépasser la limite de la cour et de la propriété, car, môme la veille de Noël, elle réussit à accomplir ses sortilèges (bo na Svjatyj večír im vede sja vorozüï) » (V. Ilolowka à Prislop). 11 faut ici remarquer que la veille de Noël, comme d’ailleurs pendant d’autres fêtes, jours où l'on accomplit spécialement beaucoup de pratiques magiques destinées au bien-être matériel des habitants de la maison, on redoute particulièrement l’esprit malin et les sorciers. Il est, en elfet, évident que, puisque, ce jour-là, les pratiques magiques à bon effet ont une vertu caractéristique, les maléfices des sorciers ont un pouvoir analogue. L’est la raison, pendant les grandes fêtes, de l’observation rigoureuse du tabou, dont la violation entraîne alors particulièrement quelque malheur. Pratiques magiques relatives à la table. — Il existe tout un ensemble de pratiques magiques et de rites de la veille de Noël, touchant la table. Nous avons examiné plus haut le rite qui consiste à la lier avec une chaîne et nous avons trouvé les explications les plus diverses à ce sujet. Nous avons également noté l’action de placer sur la table du regain, une gerbe et un kračun. Nous allons maintenant rencontrer d’autres rites ayant le même objet. « La veille de Noël, on met le collier ou le joug sous la table, afin qu’aucun malheur n’arrive au bétail (na marzinu dobre bylo) » (Bohdan). Šuchevyč a enregistré la même explication. « Le maître de la maison pose sur le regain étendu sous la table le joug des bœufs, ainsi que les harnais du cheval, afin qu’aucun malheur n’arrive en route aux bêtes et que personne ne leur jette un sort » (1). La table semble ainsi revêtir d’un caractère sacré le joug et les harnais, qui doivent à leur tour préserver les bêtes du malheur. Nous indiquerons encore un rite du même genre. « Après le repas, tous les assistants réunissent leurs cuillers ; le garçon qui fait paître le bétail se tient sous la table et lie toutes les cuillers ensemble ; elles doivent rester ainsi jusqu’au matin, afin que le troupeau ne se disperse pas pendant l’année (aby chudoba u jennu pasla) » (Verchovina Bystra). « Un jeune garçon lie les cuillers qui sont sur la table, avec une tige de paille de la gerbe, apportée la veille de Noël. De même que les cuillers sont liées ensemble, de même les bêtes du troupeau doivent paître toujours ensemble » (Prislop). Ainsi, d’après la loi de similitude, l’opération pratiquée sur les cuillers se répète sur le bétail. Nous avons là un exemple de pratique magique habituelle, qui n’acquiert sa vertu que parce qu’elle est accomplie sous la table. Le jet des feues. — « Le rite du jet des fèves, la veille de Noël, accompagné d’une formule de conjuration, est très répandu en Russie Subcarpathique. Les interprétations de la formule diffèrent de village à village et même dans la même localité. Ainsi, la formule, que j’ai enregistrée à Sinevir’ska Poljana, est conçue sur le type « que cela soit » : « Brr ! génisses, ainsi qu’agnelles ». Par cette formule, on souhaite d’avoir autant des unes que des autres. Dans un autre village (Lozjanskoje), la formule de la conjuration est : « Veaux, chèvres, marieurs, enfants ». Il y manque la première partie de la comparaison, le hazda ne voulant énumérer que ce qu’il désire avoir pendant l’année. Les formules de conjuration enregistrées à N. Sinevir' et Vyš. Bystryj se rapprochent de la dernière : « Brr ! Brr ! jouez, veaux, jouez, membres de la famille (Brr ! brr ! ihrajte sja teljatka i wsja čeljalka) » (N. Sinevir'). « Brr ! jouez, jeunes gens, jeunes filles, jouez, bœufs cornus, vaches au beau pis, chèvres, agnelles (Brr ! hrajte šja chlapci, diwky, hrajte sja voly rohatí, korovy diwkati, kozlici, jahnici) ». Toutes ces formules montrent avec évidence que la conjuration vise à une seule fin : augmenter la fécondité du bétail et préserver la santé du bétail et de la famille. Nous trouvons chez Suchevyè et Onysëuk l’explication suivante d’une pratique analogue : « Dès que tous sont assis, le gazda (2) remplit trois fois (1) Suchevyè, Hucul'iéyna, IV, p. 10. (2) Gazda ou hazda. une cuiller de froment qu’il lance contre la poutre maîtresse du plafond (stelyna) ; au premier coup, il crie trois fois : Prra ! ensuite il dit : « Agneaux et agnelles, sautez et bêlez, comme ce froment bondit de la terre à la stelyna. » Il lance encore une fois le froment, en disant : « Que les veaux mugissent et gambadent avec la même rapidité que le froment bondit vers la stelyna ! du même élan que ce froment bondit en l’air ! Qu’ils grandissent». La troisième fois il dit : « De même que les grains de ce froment s’élancent en l’air et ne se séparent pas sur la stelyna, que les abeilles volent ensemble en essaims et reviennent à leurs ruches ! (t tam deržyt sji kupy tak aby bžoly trymaly sji kupy taj tak aby vertaly do pasjiky) qu’elles essaiment à nouveau et se posent sur la terre, comme le froment retombe sur le sol ! (jyk sji virojy i aby sjidaly na zemlju, jyk pšenycja padet do zemlji) » (1). « Le gazda prend une cuiller de froment, la lance contre le plafond (stelja), ainsi que dans les quatre coins delà chambre en disant: « Agnelles, génisses et chèvres, soyez fortes pour sauter aussi joyeusement que ce froment ! (taki duži buly, aby sji tak by-ckaly, jak sje psenycji vésolo skáče !) » (2). On voit donc que toutes les formules reposant sur la comparaison sont du style « que cela soit » ; mais on en rencontre aussi du style « que cela ne soit pas ». La hazdynja prend une cuiller de froment et le lance dans les quatre coins de la chambre en disant : « Puisse aucun malheur n’arriver à nos brebis, à notre bétail, de même que les murs ne prennent pas ce froment ! [aby sji tak ny bralo njičo našych ooec, nji marky, jak sji psenycji skiny ne bére !) » (3). Tous les exemples précédents nous montrent des pratiques magiques typiques. Mais, en Galicie, on a constaté que le jet du froment dans les quatre coins de la chambre avait aussi la signification d’une divination. « Lorsqu’on met sur la table du froment cuit ou toute autre céréale cuite, le maître de la maison en prend une cuiller et en lance le contenu au plafond. Si beaucoup de grains y restent collés, c’est signe que les abeilles formeront beaucoup d’essaims » (4). Quelquefois le rite comprend à la fois et une opération magique et une divination. La veille de Noël, comme la veille de l’Épiphanie, le hazda, (1) Šuchevyč, op. cit., IV, p. 14. (2) Onyščuk, op. cit., p. 20. (3) Ibid., p. 20. (4) Čumák, Ozerjanka (Papiers de Řehoř). Comparer à propos des mêmes divinations Zubhyčkyj, Narodnij kalendar, p. 55. avant le repas, remplit une cuiller de froment cuit ou de toute autre céréale (kutja) et dit : Puissent les épis être pleins, pleins, les gerbes s’amonceler... Le gazda lance le froment contre le plafond, et les personnes présentes attrapent au vol les grains : elles auront autant d’essaims que de grains (Charževskyj à Sopov, Papiers de Řehoř). Il faut rapprocher du rite du jet des fèves et du blé, la veille de Noël, celui des « semailles » qu’accomplissent en Galicie les enfants, le premier de l’an. L'hôte (Polaznyk). — Il existe deux sortes de rites relatifs à la manière de recevoir un polaznyk ; considérons en premier lieu le cas où le polaznyk est un animal domestique. « La veille de Noël, à l’aube, on introduit une brebis dans la maison. Celui qui fait entrer la brebis salue en disant : « Dieu vous accorde une bonne journée ! ». On donne à la brebis, du pain, du regain qui est sur la table, puis on la chasse » (Prislop). Nous rencontrons le même rite en Galicie. « Le premier de l’an, de grand matin, on fait entrer dans la maison le polaznyk, c’est-à-dire la plus belle tête de bétail, la plus aimée ; on lui donne du repas de la veille et on se souhaite une bonne et heureuse année. On accomplit le même rite avec le polaznyk aux fêtes de la Présentation de la Vierge et de saint Dmitrij » à Dovhe (Rybnyk, Dovhe, Holovsko-Žubrycja, Majdan : Moroz, Papiers de Řehoř). Dans une autre localité le rite s’accomplit à peu près de la même manière. « Le premier de l’an, le hazda introduit lui-même le polaznyk dans la maison, au point du jour. L’homme qui, même pour une affaire de la plus grande urgence, visiterait son voisin avant l’arrivée du polaznyk, aurait lieu de le regretter : on le prendrait pour un ennemi de toute la maison, pour le polaznyk lui-même, venu pour jeter un sort au bétail. Sur le seuil de la porte le hazda dit aux personnes présentes, en faisant entrer le polaznyk : « Dieu vous accorde une bonne journée ! » Elles répondent : « Dieu nous accorde pendant toute l’année santé, bonheur, bonne chance pour le bétail ! » Ensuite la hazdynja offre au polaznyk ce qu’elle a fait cuire, et tous les membres de la famille le caressent, l’embrassent quelquefois, puis le hazda le reconduit à l’étable» (Řybnyk). On donne ce nom de polaznyk à une vache, un veau, un agneau, en général une bête à cornes, qui sont « polaznyk » depuis les fêtes de Noël jusqu’à l’Épiphanie ; après avoir entortillé les cornes de l’animal dans de la paille du diduch, on lui donne à manger le reste du souper ; on ne lave la vaisselle que quand le polaznyk a mangé » (1). Dans le second cas, le polaznyk est un être humain. Le jour de Noël ou, dans certains villages, pendant d’autres fêtes, celui qui entre le premier dans la maison est considéré comme polaznyk. Il apporte le bonheur ou le malheur. « On n’aime pas qu’une femme entre la première, le jour de Noël ; on préfère que ce soit un homme (čiilooika majdjače). Les femmes le savent et ne rendent pas visite ce jour-là : elles seraient mal reçues » (Prislop). « Si un homme entre le premier dans la maison à Noël, c’est un présage favorable ; si c’est une femme, c’est le contraire (calkom nedobře) ; si c’est un Juif, tout ira très bien » (Verchovina Bystra). La croyance est à peu près analogue à Pidhirje, à la fête delà Présentation de la Vierge. « Si un beau gars entre ce jour-là et qu’il ait en outre de l’argent, c’est un bon présage : tout le monde dans la maison sera bien portant et aura de l’argent toute l’année. Si, au contraire, c’est un homme vieux et décrépit qui entre, et surtout une vieille femme, ou si quelqu’un vient emprunter quelque chose, c’est un présage défavorable » (2). 11 va sans dire que les paysans font tout leur possible pour se garantir de la venue d’un polaznyk malfaisant et pour provoquer la visite de bon augure, de sorte que le présage se transforme artificiellement en pratique magique, soumise à la loi de similitude. Je reproduirai des exemples de cette transformation : « Le premier de l’an, on ne permet ni à une jeune femme, ni à une jeune fille, d’entrer les premières dans une maison. La première personne qui entre est le polaznyk ; si c’est un jeune homme, c’est un signe favorable ; si c’est une jeune fille, ou une femme, c’est le contraire [zlyj polaznyk). Le sexe féminin est considéré comme portant malheur (comme « vide »), surtout une jeune fille ; le sexe masculin, semble-t-il, au contraire, est « plein » (3). Il s’agit de pratiques des fêtes solennelles de l’hiver :1a Purification, la Fête des Trois Hiérarques, l’Annonciation, la fête de la Conception de sainte Anne, la saint Nicolas, et surtout la Présentation de la Vierge. A tous ces jours il est essentiel d’avoir la visite d’un bon polaznyk, qui doit arriver de grand matin ; on (1) Moroz (Papiers de ftehoř). (2) Franko, Ljudovi viruvanja na Pidhirju, dans VEtnografiênyj zbirnyk, V, P, 205. (3) La femme qui n’est pas enceinte est appelée vide, c’est-à-dire stérile, inutile. invite donc un homme, qui sera le premier hôte, car il ne faut pas que ce soit une jeune fille » (Strusov : Théodore Cehel'skyj, Papiers de Řehoř). Dans certains villages de la Russie Subcarpathique, ce sont les Juifs qui jouent le rôle de polaznyk. « Le jour de la fête de saint Basile, qui tombe le premier janvier, un Juif est parfois le polaznïk » (Prislop). On m’a encore raconté qu’à Noël et à Pâques, chez les Ru-thènes (1), un villageois ne doit pas entrer chez ses voisins, car on croit que, d’une manière générale, l’étranger à la famille porte malheur ces jours-là, un Juif excepté. « Selon un très ancien usage, un étranger à la famille ne doit pas entrer dans votre maison à Noël et à Pâques. Le ménage ira mal (chybït w gazdiwstvi), si un Ruthène non parent rend visite. Mais l’arrivée d’un Juif porte bonheur » (Prislop). « Le jour de Noël, on doit inviter un Juif à entrer de bonne heure dans chaque maison. Si une jeune fille entre, c’est un mauvais présage : rien ne prospérera, ni les brebis, ni le reste du bétail, ni les récoltes. On offre au Juif du froment, du seigle, tout ce qu’on a. On appelle le Juif polaznïk, parce que le représentant d’une autre religion est entré dans la maison » (Prislop). « Si un Juif entre dans une maison comme polaznïk, la croyance est répandue que Tannée sera bonne, car il n’est pas de notre religion. Lorsque les ennemis saisirent Jésus-Christ, saint Pierre coupa une oreille à Malchus. Alors Jésus la prit et, la déposant derrière lui, il bénit la religion judaïque ». « Un Juif vient à la Noël et dit : « Dieu vous protège (daj Bože) ! » On lui offre un verre d’eau-de-vie et rien d’autre, parce que le Juif ne mange pas ce qui est « immonde» (2). Mais on lui donne à emporter un litre de froment, ou de fèves, ou de pois, ou quelque autre produit. On me fait remarquer que les Juifs vont seulement chez ceux qui les invitent avant la veille de Noël. Si un Ruthène (rus'kyj) entre, au contraire, ce jour-là, dans une maison, on le reçoit mal, parce qu’il ne porte pas chance » (M. Ilolowka à Prislop). Ainsi l’invitation préalablement adressée à un Juif de venir dans une maison montre bien qu’on provoque le bon présage ; on voit la transformation consciemment voulue d’un présage en pratique magique. L’explication que le Juif porte chance, parce qu’il est d’une autre religion, ne découle pas clairement des documents recueillis. (1) Rusïny. (2) Trafnoje, c’est-à-dire ce qui n’a pas été préparé selon sa religion. L’indication que cette religion a été bénie par Jésus-Christ n’explique pas non plus ce rite. Quelquefois, l’usage d’employer le Juif en qualité de polaznyk est rapproché de la coutume juive d’envoyer pendant la fête de Purim un Ruthène à leurs connaissances avec un gâteau de miel (hamanok). « Un Juif remet sur une assiette un hamanok à un Ruthène, pour qu’il le porte ce jour-là à un autre Juif ; celui-ci le prend et donne une couronne au porteur, ainsi que trois ou quatre morceaux d’un hamanok, qu’il le charge de porter au premier envoyeur ». Faute de preuves suffisantes, je ne me prononcerai pas sur le rapport des deux usages ; je remarquerai seulement qu’il est indiqué par les paysans de Prislop. Il faut observer que, dans beaucoup de villages de la Russie Subcarpathique, les Juifs sont les habitants les plus riches, de sorte que le Juif convient parfaitement pour le rôle de bon polaznyk, celui-ci devant être riche. J’ai enregistré une explication analogue à propos de l’attribution à un Juif de cette fonction : « Le Juif est le plus approprié à ce rôle, parce qu’il s’adonne au commerce » (1). Nous avons vu que, pour se débarrasser d’un méchant polaznyk, les paysans en invitent par avance intentionnellement un bon et notamment un Juif. Ils transforment le présage en pratique magique. Dans certains villages, c’est un membre même de la famille qui remplit le rôle de polaznyk : il est évident qu’il ne saurait vouloir du mal aux siens ; de plus, les villageois redoutent de visiter leurs voisins, pour ne pas être soupçonnés de leur avoir porté malheur. Une semblable attribution est aussi dévolue aux enfants, comme le montre cet exemple recueilli en Galicie. « La veille de Noël, on met sur la table, avant le repas, un pain lié avec du lin, qu’on ne doit pas manger ; il est destiné au po-laznik pour le lendemain. (1) On rencontre aussi le Juif dans le rôle de bon polaznyk en Galicie. Le jour de la fête de saint André, « celui qui, le premier, entre dans la maison est appelé polaznik et regardé comme la cause de tout ce qui arrivera d’heureux ou de malheureux ; aussi l’invite-t-on pour qu’il porte bonheur. Si un Juif rend visite ce jour-là, on s’en félicite ; si c’est une femme, c’est un mauvais présage. Pour cette raison, on évite de se rendre visite » (J. Myškovskij, Papiers de Řehoř). Remarquons que, dans les croyances et présages de l’Ukraine, le Juif joue généralement un bon rôle. « Si un Juif vous dépasse, c’est un bon présage. Il en est de même si vous voyez en rêve un Juif » (Franko, op. cit , p. 2(.'0). En Russie Subcarpathique, si on voit en rêve un prêtre, c’est un diable ; si c’est un Juif, c’est un saint homme (Matériaux réunis par l’instituteur Balcer à Volosjanka). Du reste, il faut avoir en vue une autre explication : faire un bon rêve, ce n’est pas un bon signe, c’est le contraire, si on en fait un mauvais. Le jour de Noël, à l’aube, un des membres de la famille va chercher de l’eau à la rivière, et il en asperge l’étable ; puis il entre à la maison avec l’eau ; on l’appelle alors polaznik et il dit : « Que Dieu vous donne bonheur et santé pour la nouvelle année (pomahaj Boh na sčastje na zdorov'je na tôt novyj rôk) ! », puis il s’asseoit sur un banc. Le maître de maison lui donne un pain lié de lin ; celui qui le reçoit remercie en disant : « Que Dieu vous rende le polaznik {Bože zaplať za polaznik) ! » De cette manière, c’est le pain qui a maintenant reçu ce nom ; ce souhait est ainsi exprimé : « Puissiez-vous avoir quelque chose à donner pendant toute votre vie ! Puisse le pain ne pas s’en aller comme l’eau s’écoule dans le ruisseau ! » On jette ensuite de l’argent dans l’eau apportée par le polaznik ; tous s’y lavent, afin d’être sains comme le penjai : c’est ainsi qu’on appelle alors l’argent. Les voisins les plus proches ne se rendent pas visite le jour de Noël, car, si un malheur arrivait ensuite à la famille visitée, il serait imputé, selon la croyance générale, au visiteur. Les enfants peuvent seuls se voir ce jour-là dans les maisons. On les appelle aussi polazniki, et on les couche sur de la paille dont on fait un nid pour une poule et pour une oie. Ce jour-là encore, quelques paysans font entrer un bœuf dans la maison, pour être aussi sains et forts que cet animal » (I. Myškovskij, d’après les Papiers de Řehoř). Nous citerons encore ces documents intéressants sur le polaznyk en Galicie : « Les polaznyky commencent à s’adresser des souhaits de bonheur la nuit d’avant Noël et continuent le jour de la fête ». « Dieu vous donne du bonheur, de la santé pendant la nouvelle année ! » C’est la première visite seulement qui compte, surtout si elle est faite par quelque habitant du bas du village, ce qui est signe de bonheur. Après la première visite, si un homme jeune, vigoureux, vient vous voir, on interprète les présages. On fête le premier polaznyk, on lui donne de l’argent, du grain, on lui fait d’autres cadeaux ; il dit en s’en allant : « Merci pour le polaznyk » [Pro obyčaě i poverki lemkoo, Papiers de Řehoř). Quand le polaznyk vient du bas du village, c’est un présage heureux, à rapprocher de la croyance d’après laquelle, certains Jours, le chef de famille ne peut pas aller au bas du village; tout son ménage s’en irait à vau-l’eau (1). Presque toutes les explications des croyances relatives au polaznyk confirment incontestablement notre thèse sur l’importance magique de la date et du moment, dans les croyances (1) Voir chap. u, page 64. populaires. Dans le cas examiné c’est précisément le commencement de la fête, à l’aube, qui donne à la visite son caractère magique ; c’est le visiteur venu le premier dans une maison, le jour d’une des fêtes nommées, qui, par cela même, acquiert une force magique, porte bonheur ou malheur pour l’année tout entière. Nous avons enfin remarqué que, dans un village de la Russie Subcarpathique, la croyance a pris un caractère chrétien, s’est confondue avec le rituel de l’Église. « La veille de l’Épiphanie (Babin večur) le prêtre vient dans les maisons avec la croix : on l’appelle polaznïk » (d’après le gardien de l’église de Horin-éevo). Le jeûne de la veille du premier de l'an. — Comme la veille de Noël, un repas a lieu le soir qui précède le premier de l’an, mais, jusqu’à ce moment on observe le jeûne, quoique l’Église ne le prescrive pas. Nous sommes ici en présence d’un nouveau rite créé sur le modèle des pratiques de jeûne : ce rite est d’inspiration chrétienne. Remarquons, à ce propos, que les paysans de la Russie Subcarpathique observent fidèlement les jeûnes, ce qui est compréhensible si l’on réfléchit que c’est le côté rituel de la religion chrétienne qui se fixe le plus solidement. C’est ainsi que cette observance est considérée en Russie Subcarpathique comme un sujet d’orgueil national et orthodoxe. Au contraire, on s’exprime dédaigneusement à l’égard des catholiques et de leurs prêtres, qui n’observent pas si rigoureusement les jeûnes. Beaucoup de paysans, de leur côté, ne jeûnent pas seulement, comme le prescrit l’Église, les mercredis et vendredis, mais aussi les lundis. Divinations. — Outre les actions magiques accomplies en Russie Subcarpathique la veille de Noël et du premier de l’an, on pratique aussi généralement les divinations : nous avons déjà fait connaître celles qui sont relatives au kerečun et au jet des fèves. En voici maintenant une série d’autres. Les paysans de la Russie Subcarpathique commencent à la Saint André les divinations et actions magiques. Les jeunes filles veulent savoir quel sera leur futur mari. Voici en quoi consiste cette pratique divinatoire, à partir de la fête de saint André : elles barrent le chemin avec des fils placés entre deux pieux opposés des deux palissades. « Si un homme âgé s’y embarrasse, elles pleurent : elles auront un vieux mari ; un jeune homme au contraire, c’est signe qu’elles auront un jeune époux » (Sinevir'ska Poljana). Outre ces divinations, les jeunes filles pratiquent des opérations magiques destinées à attirer des fiancés. « La jeune fille fait sortir les cochons de l’étable, afin que ceux qui s’entremettent pour les mariages la suivent comme le font ces animaux. Cela se fait la veille de Noël » (Smerekova). Cette opération magique, comme l’action, que nous avons rencontrée plus haut (1), de faire représenter par les frères des jeunes filles l’arrivée des fiancés, n’est pas un présage de la future destinée des jeunes filles, mais doit rendre les événements conformes au souhait de l’individu. Les pratiques des deux genres, divinatoires et magiques, obéissent ici à la loi de similitude. On ne pratique pas seulement les divinations pour le mariage, mais aussi pour connaître la vie, la mort, la santé des membres de la famille, la chance qu’on aura avec le bétail (i na čeljať i na chudobu). « Le premier de l’an on prend autant de charbons qu’il y a de membres de la famille et de têtes de bétail pour connaître leur sort. Si les charbons mettent longtemps à se consumer (fajno dowho soitït), les hommes et les bêtes seront bien portants ; s’ils s’éteignent vite, c’est signe de maladie ou de mort » (Sinevir'ska Poljana). « Ensuite on prend dans le four autant de charbons qu’il y a d’hommes, de femmes et d’enfants dans la maison, et on les met sur le four. Celui dont le charbon s’éteindra le plus tôt mourra le premier » (Sinevir'ska Poljana). Là encore, d’après la loi de similitude, ce qui arrive au charbon reproduit le sort des gens et des animaux. Les présages. — A Noël, le temps sert à présager la fécondité des poules. « S’il neige ce jour-là, les poules pondront toute l’année : c’est certain » (V. Holowka à Prislop). Ce présage, et d’autres, procédés divinatoires, servent à prédire le bien-être du gazda et de sa famille pendant toute l’année. L’Épiphanie (Vononščí). De même que, la veille de Noël, on observe le jeûne, on prépare un repas maigre la veille de l’Épiphanie, appelé Babïn veéur (à Monastyrec, Niž. Sinevir', Vyšnij Bystryj), liabïn svjatyj veéur (à Užok), Babïnec (à Vyšnij Bystryj). Le kereèun seul manque à ce repas. La plupart des rites de la fête de l’Épiphanie sont étroitement liés aux rites chrétiens qui consacrent cette fête, et se rapportent principalement à la bénédiction solennelle des eaux. On boit de l’eau bénite, et on se lave avec elle. Dans ce double rite, sont mêlées l’idée chrétienne de la vertu curative de l’eau bé- (1) Voir p. 27. nite et la foi populaire en la vertu magique de l’eau en général. Nous décrirons la bénédiction de l’eau et le rite qui consiste à en boire la veille de l’Épiphanie. « En allant à l’église, on va puiser de l’eau avec des récipients qu’on pose à la suite les uns des autres. Le prêtre vient ensuite les bénir. Chacun emporte le sien, mais, avant de manger, il faut boire de l’eau, douée alors d’une grande vertu en disant : « Puissions-nous être aussi bien portants que cette eau (jaka sja voda zdorova, tahy by sme my zdorovi jak sesja voda) ! » On mange ensuite. Quand on va chercher de l’eau de bonne heure, il faut mettre une hunja ; le ménage ira bien alors toute l’année (ta tohdy vin gazda je na vis' rik) » (V. Ho-lowka à Prislop). L’observateur souvent cité, V. Holowka, qui m’a raconté la pratique qui se rapporte à la bénédiction de l’eau, explique la vertu de l’eau bénite par la doctrine qu’enseigne l’Église. « L’eau est sainte, parce que le prêtre la bénit : elle est ainsi saine (voda sjačena, bo na ni pop molït, to ona taka mucna) ». Dans quelques villages, le prêtre ne bénit pas seulement l’eau contenue dans divers récipients, mais aussi l’eau de la rivière, à l’issue de la messe, le jour de l’Epiphanie. Pendant la bénédiction des eaux de la rivière, à l’issue de la messe, le jour de l’Épiphanie « les femmes portent trois cierges joints ensemble (trici). La femme qui possède des abeilles les porte. Le prêtre prend les cierges, et, après que tous les assistants ont entonné le Velij jesi Ilospodi, il les éteint dans l’eau. Ainsi on fait l’offrande, comme à l’ordinaire, des produits récoltés » (Bohdan). « On abat une croix pendant la bénédiction des eaux de la rivière » (N. Sinevir', N. Bystryj). Dans certains villages, on se baigne dans l’eau le jour de l’Épiphanie ; on lui attribue une grande puissance : elle délivre de l’esprit malin. « La veille de Noël et le jour de l’Épiphanie, on se nettoie avec cette eau. Celui qui est possédé du démon enlève la crasse de son corps à l’Épiphanie (kotryj maje pohanoho ducha, tôt sja myje na Vodoršči uSïtkyj). Celui qui a des ulcères ne se lave pas » (les tziganes à Prislop). On craint de profaner l’eau de la rivière « après la bénédiction du jour de l’Épiphanie et de la fête des Machabées : on ne doit pas alors y laver le linge pendant une semaine » (Ljuta). Dans certains villages, le jour de l’Épiphanie, on apporte l’eau dans la maison en même temps que le kračun. « Le gazda porte d’une main le kračun et de l’autre un petit seau d’eau. Il les place sur la table, et doit avoir les mains gantées. Il ne convient pas, croit-on, de porter le kračun les mains nues ». Comme je demandais pourquoi, on me répondit simplement : « Ça ne convient pas, c’est ainsi depuis les temps anciens (a tak izzastara deržut : ne hünno i ne hünno) » (en donnant un exemple typique d’action magique non motivée). On notera encore le rite pratiqué à l’Epiphanie : il est en étroite liaison avec les rites de l’Église, et semble viser à ne pas laisser pénétrer le diable dans la maison ; il consiste à répandre sur l’entrée et les murs de la maison la fumée d’un cierge apporté de l’église, et à faire des croix sur les murs intérieurs et extérieurs. A Prislop, on m’a ainsi expliqué le rite d’orner l’intérieur de la maison avec des croix : « Tous font des croix à l’exception de ceux qui ont le diable chez eux, car ces derniers lui ont tout donné (bo onï peredalï gazdiwsU’o i vsitko), ménage et gens (i čeljať tota čertiwíka) » (Prislop, V. Holowka). III. — La Purification de la Vierge. La Purification de la Vierge est la grande fête qui succède à celle de l’Épiphanie. On prédit, d’après le temps qu’il fait ce jour-là, le temps qu’il fera tout l’été. « L’hiver se rencontre avec l’été. A la fête de la Purification, s’il neige avant midi, cela ne présage rien de mauvais, et, s’il fait beau après midi, on aura un bel été » (les tziganes à Prislop). Ou bien encore : « Si le temps est beau ce jour-là, s’il gèle, l’hiver se terminera bientôt ; si le temps est brumeux, s’il pleut, l’hiver durera encore longtemps » (Černoholovje). La nature de ces présages, ainsi que de la majeure partie des actions magiques et des présages, consiste encore dans la croyance que ce qui se produit à certains jours, ici de fêtes solennelles, devra se répéter durant une période de temps prolongée, une année en l’occurrence. IV. — Les Quarante Martyrs. Pour le jour de cette fête, on trouve le présage suivant : « S’il pleut, la pluie tombera sans interruption pendant quarante jours à partir de ce jour » (Černoholovje) . « S’il gèle, il gèlera quarante jours » (Bon'). Remarquons que les croyances populaires de toutes sortes sont souvent liées aux constructions verbales ; dans le cas actuel, la croyance est liée à ce que Poznanskij a appelé les épithètes sympathiques impératives (1). (1) Simpaličeskij skvoznoj epilet. Nous rendons skvoznoj, intraduisible en français, par le terme impératif. L’adjectif ski’ozrwj indique le mode d’emploi Nous indiquerons comme plausible cette explication du présage de la gelée pendant quarante jours : les gelées sont généralement fortes à cette époque, mais on ne peut les prédire avec certitude que s’il gèle à une certaine fête, ici celle des quarante martyrs. Quant au nombre des jours de gelée, il est amené, selon le mécanisme indiqué en note, par celui des martyrs : quarante. V. — L’Annonciation. Après la Purification, la première fête à présages est l’Annonciation. « On aura une heureuse année si la fête tombe le lundi ou le dimanche ; si elle tombe le vendredi, toute l’année sera mauvaise » (le prêtre Baéinskij à Cernoholovje). Nous avons souvent rencontré cette croyance populaire que le bon ou le mauvais temps qu’il fait à une fête influe sur le reste de l’année. On ne se borne pas, ce jour-là, à observer les présages, mais on prédit aussi le temps. « On met entre les pieux de la palissade un œuf, qu’il faut y laisser jusqu’au lendemain. S’il se rompt par suite de la gelée, l’été ne sera pas bon ; ce sera le contraire, s’il reste entier » (V. Holowka à Prislop). Nous indiquerons encore l’interdiction de sortir de la maison le jour de l’Annonciation. « Si le hazda quitte la maison, les abeilles s’en iront » (M. Bobonïè à N. Bystryj). La violation de ce tabou entraîne des conséquences encore plus fâcheuses que la perte des abeilles. « Le jour de l’Annonciation on ne doit pas aller chez le de l’épithète. Celle-ci se retrouve tout entière dans les formules de conjuration en s’accolant à tout substantif qui en fait partie. Le mot de « sympathique », comme nous le verrons, indique le caractère de l’épithète et son fondement psychologique, identique au fondement des procédés sympathiques de la médecine populaire et de la magie. Le choix du procédé sympathique, comme l’épithète, est ordinairement déterminé par une association quelconque avec le phénomène visé par la conjuration. Par exemple, un malade atteint de la jaunisse doit boire de l’eau d’une cruche dorée ou du jus de carottes pilées, à cause de la ressemblance entre la couleur jaune de l’or et la partie interne do la carotte. 11 en est de même dans les conjurations. L’épithète de « glacé » est employée dans la conjuration pour éloigner la froideur entre deux personnes et celle de « vide » dans la conjuration contre une enflure. Exemples : « Sous une montagne de pierre (kamenna) est sortie une jeune fille en pierre pour traire une vache en pierre avec une jatte en pierre. Au cas seulement où la vache en pierre donnera du lait, que la vache N... laisse couler du sang ». Voici maintenant une conjuration en allemand contre l’érysipèle : « Ich ging durch einen roten Wald, und in dem roten Wald, da war eine rote Kirche, und in der roten Kirche, da war ein roter Altar, und auf dem roten Altar da lag ein rotes Messer. Nimm das rote Messer und schneide rotes Brod » (Poznanzkij, Zagovory, pp. 89-90). voisin. On peut aller du bas du village en haut, mais non dans le sens contraire ; sinon, on perdra tout » (d’après la fille et la cuisinière du prêtre O. Baèinskij à Ljuta). Sans doute on craint que, selon la loi de similitude, ce que fait le hazda ne se reproduise pour ce qu’il possède (dans notre exemple les abeilles), dans l’autre cas, que les biens ne suivent la descente du propriétaire. La même interdiction est observée la veille de Noël. Tous les rites visent alors à augmenter le bien-être de la maison pour toute l’année. On accomplit ce jour-là ce qui devra se répéter pendant douze mois. Aussi, autant il est utile d’accomplir les actes devant avoir un bon résultat, autant il est dangereux de faire tout ce qui est nuisible, puisque cela doit se répéter toute l’année. La croyance au tabou, selon laquelle il est interdit de donner, à des jours déterminés, quelque objet se trouvant dans la maison, parce que tout ce qu’on possède s’en irait alors, est fondée sur la loi de similitude. « Le premier de l’an on ne doit rien prêter de ce qui est dans la maison afin que tout aille bien dans le ménage (bo by vynesly vêo za rih) » (Teodor Cehel’skyj à Strusov). « Le premier de l’an, jour où tombe la fête de saint Basile, on ne doit rien prêter, parce qu’on croit que le bonheur passerait de la chose prêtée à l’emprunteur, et qu’ainsi le prêteur n’aurait pas de chance pendant toute l’année » (I. Myškovskij, Papiers de Řehoř). « Ce jour-là il ne faut pas aller demander quoi que ce soit dans une maison étrangère, ni surtout faire un emprunt. Cela voudrait dire que le visiteur veut causer quelque mal au voisin. Aussi, non seulement on ne lui donnerait rien, mais même on le battrait, on lui ferait honte et on le chasserait » (Charževskyj à Sopov, Papiers de Řehoř). « Pour le même motif, personne ne prêtera rien le jour de l’Épiphanie, excepté des remèdes » (I. Myškovskij) (1). On croit aussi qu’il ne faut rien emporter de la maison le jour où la vache a vêlé. Je citerai ce fait personnel. Je passais la nuit dans une maison du village de Lozjanskoje, et justement la vache mit bas au matin. La veille j’avais acheté dans cette maison même quelques objets pour le musée ethnographique ; j’en avais également d’autres dont j’avais fait l’acquisition ailleurs. Lorsque, le matin, en prenant congé de mes hôtes, je voulus emporter ces objets, ils ne me le permirent pas, d’après la croyance mentionnée. Mais le lendemain la paysanne me les apporta dans un autre village. Cela s’explique ainsi : en emportant de la maison ce (1) Cf. O. Kolberg, Pokucie, III, p. 255. jour-là quelque objet, d’autres objets, selon la loi de similitude, pourront disparaître également ; ainsi, le veau qui vient de naître peut disparaître, c’est-à-dire crever. VI. Le DERNIER JOUR GRAS (PuŠČANJE). Parmi les rites relatifs au dernier jour gras, il faut relever les danses destinées à influer sur la croissance du chanvre. « Le dernier jour qui précède le carême (na Puščanje velïhoje) ont lieu des danses auxquelles prennent part de nombreux couples de danseurs, pour que le chanvre pousse dru (aby jim roslï hrubi kolopni) » (d’après M. Bobonïc et des jeunes gens à N. Bystryj) (1 ). Ce jour-là, on devine aussi le temps à venir : « Lorsque le temps est beau le dernier jour gras, il en sera de même le jour de Pâques » (les tziganes à Prislop). Il est important de savoir quel temps il fera à Pâques, non pas seulement parce que c’est une grande fête, mais parce qu’ainsi on voit le temps qu’il fera tout l’automne. « S’il fait beau à Pâques, l’automne sera beau » (V. Holowka à Prislop). En outre le temps qu’on aura ce jour-là annonce quel sera le prix du bétail. « S’il ne pleut pas, le bétail se vendra à bon marché. S’il pleut, il sera cher » (les tziganes à Prislop). VIL — La Semaine des Rameaux (Šutkajna nedilja). Le dimanche qui précède la fête de Pâques (šutkajna nedilja), le prêtre bénit à l’église les rameaux d’osier (ëutky). Dans certains villages, comme à V. Bystryj et Prislop, on les donne à manger aux bêtes, et on les jette dans le feu, si un orage éclate, en disant : « Que l’orage se dissipe dans le ciel, comme la fumée de ces rameaux ! (jak s seho dym roschodü, tak by sja na nebi toto rozošlo !) » (Prislop). Les paysans attribuent une puissance magique surnaturelle à ces rameaux bénits, — puissance qui leur vient, comme ils le croient apparemment, de l’église. Les croyances populaires se sont ainsi mélangées avec la religion. Dans la formule de conjuration qu’on prononce lorsque les rameaux se consument, la comparaison des nuages du ciel avec la fumée des branches rappelle le chant du cantique : Dieu ressus- (t) Sur les danses favorisant la fécondation, voir J. S. Iîystron, Zwyczaje iniiviarskie w Polsce (« Coutumes pendant la moisson en Pologne chapitre intitulé : « Taùczenie na urodzaj » (« Les danses pendant la moisson »), pp. 238, 246. Voir aussi Pospíšil, « Mečový zbrojný tanec na slovanské půdě» (« Danse avec des glaives chez les Slaves »), Národopisný Věstník, VI, p. 31. Rites et Croyances. & citera (Da voskresnet Bog), et principalement les paroles : « qu’ils (les ennemis) disparaissent comme la fumée (jako izčezaet dym da izčeznuť)». Il est difficile d’admettre que l’origine de la formule soit dans le cantique, car les formules analogues de conjuration et d’exorcisme, présentant des comparaisons, sont très répandues ; néanmoins la foi populaire en la puissance de la formule peut actuellement être soutenue et fortifiée par le cantique de l’église. J’ai encore enregistré, à Prislop, une autre signification du rite des rameaux brûlés : « Ils doivent détourner le tonnerre. Quand il tonne, on brise ces rameaux, on les met dans le four, afin que la fumée s’en dégage et que le diable ne se cache pas dans le tuyau ». Ainsi la fumée des rameaux bénits empêche le diable d’entrer dans la maison. VIII. — La Semaine Sainte. Les hommes et les femmes âgés ne mangent et ne boivent rien depuis le jeudi saint jusqu’au dimanche de Pâques. J’ai déjà attiré l’attention sur l’importance que les paysans de la Russie Subcarpathique accordent aux jeûnes (1). IX. — La fête de Pâques. Nous noterons, parmi les rites populaires de cette fête, la coutume de cuire le gâteau pascal (paska) les mains gantées (2), et de sauter en hauteur, pour qu’il augmente de volume. « Le jour de Pâques, si la ménagère met au four le gâteau pascal, elle saute en l’air en tenant la pelle, afin que le gâteau lève bien » (Smere-kova) (3). On voit ici qu’on imite, selon l’usage ordinaire de la magic, une opération déterminée, pour qu’elle se répète sur un objet inanimé, tel que le pain. Dans les autres rites propres au gâteau pascal la qualité de l’objet inanimé affecte l’homme et les animaux. « Quand le gazda est revenu de l’église, il doit aller à l’étable et toucher avec le gâteau pascal tous les bœufs et (1) Voir page 59. (2) Comparez le rite analogue dans la cuisson du kerečun et l’explication qui en est donnée. (3) « Lorsque les ménagères mettent la pâte au four, elles appuient la langue contre les dents comme pour appeler les animaux, afin qu’elle lève et qu’on ne lui jette pas le mauvais sort. La ménagère ne doit pas s’asseoir, lorsqu’elle a mis le pain au four, si elle veut qu’il lève. Une autre femme, qui est sotte, ne le sait pas, elle s’asseoit ; ensuite, elle dit, étonnée : « Je ne comprends pas ce que c’est ; j’ai pétri et mis au four comme il faut la farine, et cependant le pain est comme de la boue ». Kolessa, op. cil., p. 89. toutes les vaches qu’il possède, pour qu’ils engraissent. Que le bétail croisse, comme la pâte a bien levé (tisto roste hoři, tak by chudoba šla moc hoři) » (Holowka à Prislop) (1). De même que pour le kereéun, il y a un lien intime entre le gâteau pascal et la famille où il est préparé. On croit que, si le gâteau se fend, la mort visitera la famille cette année-là » (Bon') (2). Nous avons examiné les opérations magiques relatives au gâteau pascal et les présages s’y rapportant. Mais on s’en sert aussi dans les pratiques divinatoires. « Dans certaines localités, on fait cuire autant de petits gâteaux de Pâques qu’il y a de membres dans la famille ; et, d’après la façon dont le gâteau se comporte, on devine la durée de la vie de son possesseur. Si le gâteau lève bien} la vie sera longue. S’il reste plat, au contraire, la mort est prochaine » (3). Le gâteau doit être le plus grand possible et de la meilleure farine, de préférence de celle de froment. « Le jour de Pâques, chaque Ruthène doit avoir un gâteau pascal de farine de froment, quoiqu’il mange du maïs le reste de l’année » (d’après le fils de l’instituteur de Volovoje) (4). L’usage s’explique vraisemblablement par la croyance que, si, le jour de cette fête, on a quelque chose dans le ménage, on le possédera toute l’année, et inversement. On m’a ainsi expliqué dans un village pourquoi il est nécessaire que chaque gazda ait son propre gâteau de Pâques : « Lorsqu’il revient à la maison avec le gâteau bénit, il dit : de (1) Comparer cet usage : « Celui qui a une lilie en état de se marier lui applique le gâteau pascal sur la tête en disant : « Puisse-t-elle être estimée, comme le gâteau de froment (abys u ljudyj laka velyčna, juk paska pšenyčna) ». On met un enfant dans un sac, après en avoir eidevé le gâteau, en disant : « Puisse-t-il grandir aussi vite que le gâteau lève » Onyščuk, op. cit., p. 39. (2) D’après la manière dont le gâteau pascal est réussi, on prédit le bonheur, la bonne conduite et la santé des membres de la famille : s’il s’est fendu, il y aura des malades dans la maison dans le courant de l’année ; s’il s’est effrité, c’est signe de la mort imminente de la maîtresse de maison ou d’un membre de la famille (Čumák à Ozerjanka). On met le gâteau pascal dans le four sur une grande pelle spéciale afin que le gâteau lève et soit réussi. La plus grande joie sera pour la famille dont le gâteau a levé au point qu’il faille briser l’ouverture du four pour l’en retirer. S’il s’effrite dans le four, le maître ou la maîtresse de maison mourra dans l’année ; s’il se gonfle, la moisson sera bonne. Pour qu’il cuise bien, il faut le tenir au moins pendant trois heures dans un four fortement chauffé » (Ivan Myškovskij). « Si le gâteau se gonfle sur le bord, c’est un présage favorable ; s’il se gonfle au milieu, c’est signe de mort » (Usages et croyances chez les Lemky). Si le gâteau s’enfonce au milieu, la maîtresse de maison aura un profond cercueil ; si la pâte s’en va de côté, et qu’un cimetière se trouve dans cette direction, — cela signifie la mort de quelques membres de la famille. (3) Z Závorová od Makoveje (Papiers de Řehoř). (â) Cf. « On fait cuire un énorme gâteau pascal d’environ deux boisseaux de farine de froment ; la plus pauvre famille elle-même doit en avoir un semblable » (I. Myškovskij). même que je ne puis pas exister sans lui, de même la vache ne peut pas être sans veau » [Bohdan). Cette explication d’ailleurs ne peut être considérée comme unique. Le gâteau pascal sert à guérir les maladies. « On en coupe de petits morceaux avec un couteau et on les cache : cela soulage quand on est malade » (N. Sinevir'). On le donne également à manger au bétail comme remède. « Lorsqu’on apporte le gâteau à la maison, après la bénédiction à l’église, on en coupe de trois côtés trois morceaux qu’on donne au bétail » (Bohdan). « On orne en outre de diverses manières la croûte supérieure : les ornements principaux sont habituellement une croix et des oiseaux. On enlève cette croûte ornée d’une couronne de pâte, on la conserve jusqu’à la fin de la semaine de Pâques, et on la donne au bétail. Si les animaux sont malades, on les guérit généralement ainsi » (Jeseňje). Nous rappellerons qu’un morceau coupé au milieu du kereëun s’emploie aussi comme remède pour le bétail. La foi en la vertu curative du gâteau est fortifiée par le caractère sacré que lui a conféré la bénédiction selon le rituel chrétien. Le prêtre bénit aussi d’autres produits : les œufs, le lard, le fromage (1). La course vers la maison avec le gâteau pascal bénit. — Après la bénédiction des gâteaux de Pâques, j’ai observé dans un grand nombre de villages que les possesseurs des gâteaux rentraient chez eux à la hâte en les emportant. « On se met à courir avec le gâteau pascal bénit, parce que le premier à la course sera aussi le premier dans son village : birow (2). De même, la femme qui arrivera la première occupera aussi le premier rang » (Sinevir'ska Poljana et Monastyrec). « Chacun prend le gâteau pascal, et c’est à qui courra le plus vite pour ne pas se laisser dépasser » (Jesenje). On explique ainsi le même usage à Užok : « Le blé poussera aussi vite qu’on aura couru ». « On court afin d’être en avance avec le travail. Même si je ne me presse pas pour travailler, j’en viendrai vite à bout (si j’ai couru avec le gâteau pascal) » (V. Holowka à Prislop) (3). (1) J’ai remarqué qu’au village de Prislop on faisait bénir, en même temps que ces aliments, des colliers de verroterie (pačorky). Comme je demandais l’explication de cet usage, on me répondit : « Si le bétail tombe malade, il faut le frapper avec un collier de ce genre : alors il ira bien » (Palaha Slavita à Prislop). (2) Sorte de maire. (3) On rencontre le même rite en Galicie : « Le premier qui sera revenu de l’église à la maison, avec le gâteau pascal bénit, terminera avant tout le monde les travaux du printemps, et récoltera la moisson le premier »(I. MySkovskij). Cf. J. Birèak, « Okrug Bolechov » (« Le district de Bolechov »), Novyj Ga-ličanin, III (1891), n° 8, p. 97. « Aussitôt après la bénédiction du gâteau pascal on prononce ces mots : « Puissions-nous porter ainsi des champignons ! » et chacun s’efforce d’arriver le premier » (Tur'je Rakovo). Ainsi il y a concordance sur un point dans les explications données : ce que le gazda fait après la bénédiction des gâteaux de Pâques doit, d’après la loi de similitude, se répéter à l’avenir sous une forme modifiée. Mais la coutume peut s’interpréter autrement. Ainsi le fait que le gazda est arrivé le premier à la maison peut signifier qu’il deviendra le premier dans le village. Nous avons là l’influence d’une action homonyme sur une autre action homonyme. Dans certains cas, en courant, le gazda fait accélérer le'travail, germer vite le blé, etc. Ou encore, d’après une autre explication, ce qu’on fait avec le gâteau doit se répéter avec la récolte des champignons. J’ai enfin enregistré une explication à caractère rationaliste : « Ceux qui ont fait bénir le gâteau pascal se dépêchent de rentrer chez eux aussitôt après la bénédiction, parce qu’il faut aller loin et que les femmes et les enfants, qui ont faim, attendent leur retour » (1) (Bobonïé à N. Bystryj). Les œufs. — Toute une série de rites relatifs aux œufs peints et non peints existe en Russie Subcarpathique, à côté des coutumes se rattachant au gâteau pascal (2). (1) Même explication recueillie par d’autres folkloristes en Russie Subcarpathique. « Aussitôt après la bénédiction du dernier gâteau pascal, chaque assistant prend le sien et quitte l’église en courant pour rentrer chez lui. Parfois on renverse une corbeille d’œufs ; si le temps est humide, on enfonce dans le marais avec le gâteau. Mais il faut néanmoins courir, car le dernier arrivé mourra pendant l’année ». P. V. Dovhun, « Pascha davno » (« La célébration de Pâques dans les temps anciens »), Podkarpatská Rus, I (1923), n° 1, p. 24. On trouve cette description dans le livre de Kožmínová : Podkarpatská Rus. « A peine la cérémonie est-elle terminée que les gens prennent h la hâte les objets bénits et se précipitent littéralement hors de l’église, qui est généralement située au haut du village » (p. 75). Nous lisons encore dans un article de Král, « Velikonoční svěcení paschy u Huculů v Podkarpatské Rusi » (« Les gâteaux de Pâques chez les Huculs »), Český lid, XXV, fasc. 7, p. 277 : « Aussitôt que le prêtre a terminé une courte allocution après la bénédiction des gâteaux, tous les paysans se sauvent dans une course sauvage en évitant le cimetière et en cherchant à se dépasser. Celui qui restera le dernier mourra, croit-on, avant la lin de l’année ou aura quelque malheur. Le premier rentré à la maison aura au contraire un grand bonheur ». (2) Prenons le village de Lipša, au sud du comitat de Mannaroš. « On donne aux enfants, le jour de Pâques, des œufs coloriés. La marraine les prépare et les donne à ses filleuls. On peint les œufs avec de la cire et on les trempe dans de la couleur ; on se sert pour peindre d’un petit bâton de fer blanc. (D’après un instituteur) ; on n’emploie qu’une seule couleur. Préalablement on dessine avec de la cire une étoile ou de petites lignes courbes, puis on met la couleur. On emploie le même procédé dans les villages de la vallée de la Tur'ja (comitat ďUžhorod). Chez les Huculs les dessins sont tout à fait différents de ceux des autres localités de la Russie Subcarpathique et présentent des fleurs coloriées « Chez les Huculs les jeunes filles offrent des œufs peints aux jeunes gens. « Il n’y a des œufs peints que là où il y a des jeunes filles » (Bohdan). La môme coutume existe à V. Koločava. Dans cette localité, « les œufs sont coloriés par les jeunes filles en rouge, en vert, etc. » A Prislop les jeunes filles font ce travail, « mais pas dans toutes les maisons ». Dans ce village on donne des œufs coloriés et un gâteau aux mendiants. « On les peint en rouge : c’est la couleur dont on teint la laine qui pare les nattes des jeunes filles. On colorie les œufs pour reconnaître ceux qu’on donnera aux mendiants » (V. Holowka à Prislop) (1). En général il faut remarquer que l’usage des œufs coloriés est peu répandu dans la Verchovina (comitat de Marmaroš). Ainsi on nous expliqua à Prislop que « les instituteurs et les riches qui vivent dans l’abondance colorient les œufs à Pâques, mais que les autres, qui sont pauvres, ne veulent pas dépenser une couronne pour cela » (V. Holowka). Effectivement je n’en ai pas vu chez un seul paysan dans ce village, pendant la bénédiction des gâteaux de Pâques, des œufs et des autres produits. Les tziganes de Prislop m’affirmèrent qu’on les coloriait dans d’autres villages voisins (Toruň, N. Sinevir'), mais non à Koloèava, quoiqu’une jeune fille de cette dernière localité m’ait assuré le contraire. Une vieille femme, âgée de 80 ans, du village de N. Sinevir', m’a dit qu’on ne coloriait que les œufs donnés aux enfants. En tout cas, dans ces villages, on ne bénit pas les œufs coloriés. J’ai vu qu’au contraire on fait bénir les œufs dont tin a enlevé la coque. La vieille femme de N. Sinevir' précédemment nommée m’a ainsi expliqué cet usage : « On porte à l’église les œufs dont la coque a été enlevée, parce qu’autrement il faudrait jeter une coque bénie ». La coque des œufs qui ont touché le gâteau pascal possède une puissance magique spéciale. « Pour empêcher les vers de faire du mal, on met cette coque sur un bâton dans le jardin potager » (d’après M. Bobonïè et des jeunes gens de N. Bystryj). On la suspend aussi à la maîtresse poutre du plafond (gerenda), ou sur la perche à faire sécher le linge {hrjatka), que les enfants ne peuvent toucher. Ensuite, quand on commence à semer l’ail, (1) La coutume de peindre des œufs est à rapprocher des légendes relatives à la résurrection de Jésus-Christ. « Lorsque le Christ fut ressuscité, Marie-Madeleine se rendit chez Hérode. Elle no savait que lui dire .« Qu’y a-t-il de nouveau ? » demanda Hérode. Elle répondit : « Jésus-Christ est ressuscité, et elle lui offrit un œuf peint, en disant : j’ai peint cet œuf pour cet événement » (Le fabricien de Monastyrcc). Cf. les légendes recueillies par Šuchevyč (Hucuťščyna, IV, p,. 223-227) chez les Huculs relativement à la coutume de peindre les œufs à Pâques. on plante en terre deux bâtons, sur lesquels on place la coque (Palaha Slavita à Prislop). De cette manière « l’ail sera aussi gros qu’un œuf » (André Slavita à Prislop) (1). Nous sommes donc ici en présence d’une pratique magique habituelle. L’ail, d’après la loi de similitude, doit ressembler à la coque des œufs, et, comme celle-ci vient, non d’œufs ordinaires, mais de ceux que le gâteau pascal a touchés, elle possède une double puissance magique. Ce qui est important du reste, ce n’est pas seulement la coque des œufs bénits, comme le confirme l’explication donnée le même jour à M. Gavazzi par une paysanne dans une autre maison de Prislop. « Quand on sème de l’ail, dit-elle, on ne jette pas seulement en terre la coque des œufs que le gâteau pascal a touchés, mais celle de tous les œufs. On doit conserver la coque des premiers pour en jeter un morceau, quand le tonnerre gronde en été, et on la laisse suspendue à la gerenda depuis Pâques jusqu’aux Pâques suivantes ». Les feux allumés près de l'église, la veille de Pâques. — Dans plusieurs villages, nous avons noté la coutume d’allumer un bûcher près de l’église, avant la messe de minuit. A Sinevir’ska Poljana, « la veille de Pâques, on l’allume près du cimetière ; dans notre village il est près de l’église ». Dans un autre village, à Monas-tyrec, on m’expliqua la signification de cet usage comme un souvenir d’un événement rapporté par l’Evangile. « Lorsqu’on mit Jésus au tombeau, on le veilla, et les fidèles le veillent en attendant le moment de sa résurrection » (Le fabricien de Monas-tyrec). Dans un autre village on me donna cette explication : « Avant l’office de la nuit de Pâques, on allume un bûcher pour ne pas dormir » (le vieux gardien de l’église de Horinèevo). Dans un cas on ne m’a pas expliqué ce rite, mais souligné seulement son importance. « Avant la messe de minuit, à Pâques, les habitants du village doivent voler du bois et le brûler toute la nuit autour de l’église : cet usage doit être respecté (bo tak třeba, tak hüdno), car il existe depuis la fondation de l’église ». Comme je demandais pourquoi on devait voler le bois, on me répondit : « C’est qu’on ne le donnerait pas » (d’après une jeune fille de N. Ko-loèava). (t) Cf. livsTiioŇ, Zwyczaje iniwiarskic w Police (« Coutumes pendant 1® moisson en Pologne »), p. 281. « Lorsqu’on plante les choux dans les premières plates-bandes, on y met un grand pot couvert d’un chiffon blanc et d’une pierre, pour qu’ils poussent gros comme le pot, durs comme la pierre et blancs comme le chiffon ». II y a lieu ici non seulement de relever cette circonstance qu’il est nécessaire de voler le bois, mais encore le caractère rationaliste de l’explication de ce vol. Mais l’observance de cet usage en Russie Subcarpathique, en Galicie (cf. Wankl, Zabawy Wielko-nocne...), ainsi que chez les Roumains nous fait supposer que cette circonstance n’est pas due au hasard, mais a vraisemblablement une signification rituelle. Le rite des feux allumés le soir du samedi saint est lié dans quelques localités au culte des morts. « Dans la nuit du samedi saint au dimanche de Pâques, les âmes des morts se lèvent et vont prier à l’église : c’est pour cela qu’on brûle des feux au cimetière près de l’église (subitky pal/at) » (1). M. Zelenin suppose qu’il a existé autrefois en Russie un rite semblable consistant à allumer des feux avant matines le jeudi ou le samedi de la semaine sainte auquel la vingt-sixième question du quarante-et-unième chapitre du Stoglav, ferait allusion dans les termes suivants : « De bonne heure le jeudi saint on brûle de la paille et on appelle les morts ». Il note aussi un rite ukrainien pour réchauffer les morts, décrit par Dobrovol’skij dans l’article : « O dorogobužskich měščanach i ich šubrejskomi kubackom jazyké» (« Sur les bourgeois de Dorogobuz et leurs jargons »), Izvëstija otd. russk. jaz. i slov., 1897, livre II, p. 333. Le soir du dimanche de Quasimodo, ainsi que le lundi qui suit (Radonica), les habitants s’assemblent dans un champ, portent du bois pour « réchauffer les parents morts » (roditelej grèt'), jouent à la course, au chat et à la souris, à la corde. Si, « des collines de Dorogobuž, on regarde de l’autre côté du Dněpr, on peut voir une quantité de feux et on entend jusqu’à la nuit avancée les cris et les rires de la jeunesse qui s’amuse » (Zelenin, Narodnyj obyčaj “grčť pokoj-nikov", p. 268-270.) Si nous comparons l’opinion de M. Zelenin avec le témoignage recueilli à Strusov, nous pouvons hardiment expliquer l’usage d’allumer des feux comme faisant partie des rites en l’honneur des morts (2). Mais ces rites peuvent avoir encore une autre signi- (1) Cehei/skyj, Théodore (Papiers de ftehoř), O národní zvičdji i viruvanja v dekotri svjeta pisle ruskoho kalendarja (« Usages et croyances populaires observés à certaines fêtes du calendrier russe »), Strusov, 1892. (2) Voir une explication des feux la veille de la Pentecôte et, dans certains endroits, de la Saint-Jean là où sont enterrés ceux qui n’ont pas péri d’une mort naturelle (pendus, noyés, etc.). «Les passants y jettent des branches qui doivent y rester jusqu’à la veille de la Pentecôte : les enfants qui gardent les troupeaux viennent alors les brûler. Ces feux sont allumés pour que les âmes des pécheurs, plongées dans les ténèbres, soient éclairées cette nuit-là. Le premier qui allume un de ces feux reçoit l’absolution de ses péchés » (Franko, op. cit., p. 209.) fication. Pour notre part nous ne croyons pas qu’il soit possible d’accorder la priorité à l’une des explications. Dans tous les cas, actuellement, autant qu’il est permis de l’inférer des explications données en Russie Subcarpathique, le rite des feux de la veille de Pâques est indépendant du culte des morts. Les jeux à Pâques. — Les jeux auxquels on se livre près de l’église le jour de Pâques présentent un grand intérêt. Ces jeux-là n’ont, maintenant, en Russie Subcarpathique, aucun caractère magique ; ce ne sont que des divertissements. « On joue près de l’église à Pâques pour se divertir » (F. Peëkan à N. Sinevir'). Mais le fait que ces jeux sont accomplis à un jour et en un lieu déterminé (l’église, le cimetière,) incite à supposer qu’ils n’étaient pas autrefois de simples divertissements, mais des actes rituels : c’est le cas d’un des jeux les plus répandus en Russie Subcarpathique : oborih, oboruh, ou oborüh (au village de Monastyrec ce jeu s’appelle kopïcja). Il consiste à représenter une meule de foin. Il avait sans doute autrefois la signification d’un acte magique. Tout ce que nous avons pu noter, c’est que les jeunes gens qui jouent à Y oborih font le tour de l’église. Dans quelques endroits de la Galicie ce jeu a un caractère plus rituel. Quatre ou cinq jeunes gens se tenant en rond par les épaules représentent Y oboroh. Quatre ou cinq autres se bissent sur les épaules des premiers, en se tenant à leur tour par les épaules, et en chantant : « Christos voskres (Christ est ressuscité), Aliluia, Radost nam (Réjouissons-nous) ». lYoboroh chante aliluia en passant autour de l’église et en se rendant ensuite chez le curé et le fabricien. Pour pouvoir entrer par les portes, ceux qui sont en haut se baissent, et pour que Y oboroh ne se renverse pas, l’un des jeunes gens se met au milieu pour le soutenir. \Yoboroh entre ainsi dans la maison, et, après que les joueurs ont tourné plusieurs fois sur eux-mêmes, il se défait. Ce détail que, dans ce village, Yoboroh est accompagné de chants religieux et que la visite au prêtre et au fabricien est obligatoire, indique qu’il ne s’agit pas entièrement d’un divertissement, mais que le jeu comporte quelque chose de rituel. Il a pu avoir la signification d’un acte magique destiné à faire récolter vers l’automne une quantité de foin aussi grande que Yoboroh représenté le jour de Pâques par les jeunes gens (1). Nous ne présentons du reste cela que comme une hypothèse. A côté des jeux dont il est permis de supposer qu’ils étaient autre- (1) Dans quelques villages on donne à ce jeu le nom de turnja ou zeonïca. Si notre hypothèse, relative à la signification du jeu comme ancien acte magique, est juste, cette dénomination a pu naître après la transformation en jeu. fois des actes magiques, se sont introduits, en effet, dans le cycle des jeux de Pâques, d’autres jeux qui n’ont pas cette origine. J’indiquerai par exemple ceux du chemin de fer (zeleznïcja). « Les jeunes gens vont à la queue leu leu ; celui qui est en tête siffle ; c’est ce qu’on appelle zeleznïcja. Ceux qui ont fait le service militaire instruisent les petits » (Prislop) (1). D’après la communication d’un des correspondants de Řehoř, les paysans du village d’Ozerjanka en Galicie associent les jeux de Pâques au culte des morts. « Ce jour-là les morts se divertissent avec les vivants : ils sortent de leurs tombeaux pour regarder leurs jeux. Les gens se rassemblent sur les tombes de ceux qu’ils ont perdus : père, mère, enfants, personnes chères en général, pendant que tout autour la jeunesse s’amuse, chante les jahilky (2) et que les personnes âgées causent en mangeant les mets bénits (pryjmaul sja svjačenym). On croit que les morts prennent part aux conversations et aux repas, comme pendant leur vie » (3). Je n’ai pu recueillir en Russie Subcarpathique aucune indication analogue. Interdiction de dormir le jour de Pâques. — Arrêtons-nous à un curieux tabou, qui se rapporte au jour de Pâques. « Il ne faut pas dormir le matin du dimanche de Pâques, parce qu’autrement les épis tomberaient vers la terre. Mais les épis ne seront pas renversés, même par un orage, chez celui qui n’a pas dormi. Si on a dormi, au contraire, le vent couchera tout, dans les champs ». « On ne doit pas dormir, quand on est revenu de l’église » (Holowka à Prislop). « A Noël et à Pâques il ne faut pas dormir, de peur que le lin ne soit renversé (aby len ne upaw). L’homme peut toutefois le faire, mais non la femme » (Prislop). Ainsi, selon la loi de similitude, il est clair que l’acte accompli par le propriétaire ou sa femme, c’est-à-dire se coucher, se répétera avec ce qui est en contact immédiat avec eux : le blé avec le premier, le lin avec la seconde ; le blé ou le lin seront alors renversés. Un paysan de Prislop me dit encore : « Si le maître dort, le blé sera couché pendant l’année ; s’il ne dort pas, le blé restera debout. Dieu lui-même l’a dit, comme nous l’enseignent les livres saints (to u knïhach je) » (V. Holowka). Nous avons ici un exemple (1) Il faut remarquer que les jeux de Pâques sont absolument dénués de tout caractère érotique. Dans certains villages, à Vyšnja Koloëava par exemple, ils sont exclusivement exécutés ou par des jeunes gens, ou par des jeunes filles. Il en est de même dans d’autres villages pour certains jeux. Les jeux où figurent à la fois les jeunes gens et les jeunes filles ne se rencontrent que rarement : par exemple le jeu aux puces (blechy), au village de Bohdan. (2) Chansons rituelles de printemps, à cette seule occasion. (3) Čumák à Ozerjanka (Papiers de Řehoř). remarquable du mélange d’un usage populaire avec un article de foi. L’usage est considéré comme fixé par l’église : en se référant à Dieu et aux livres saints, on légitime chrétiennement le rite. L’aspersion du lundi de Pâques (Polevanyj ponedilok). — Les paysans s’aspergent les uns les autres, le lundi de Pâques, d’où la dénomination de ce jour (polévanýj ponedilok). « Les jeunes gens aspergent les jeunes filles et celles-ci les jeunes gens ». Dans quelques villages, les jeunes gens aspergent les jeunes filles le lundi, et celles-ci les jeunes gens le mardi. Mais, contrairement à la supposition émise par M. Aniékov (1), cette aspersion n’est pas seulement un divertissement de jour de fête, comme le montre l’usage de ce rite à Bohdan. « Le lundi de Pâques un jeune homme envoie une jeune fille chercher de l’eau, et dit : « Sois aussi gaie que le printemps, aussi rassasiée que l’automne, et aussi riche que la terre bénie ! (byste taka veselá, jak vesna, sýtna, jak osin, i majuča, jak zemlja svita !) ». En môme temps, la jeune fille donne au jeune homme un œuf peint, et l’invite à manger ». Nous avons ici une action magique avec formule verbale. Au village de Prislop on nous a ainsi expliqué le rite de l’aspersion. « Les gens se poussent dans l’eau pour avoir la santé de celle-ci (aby zdorovi bylï jak voda) ». Ainsi s’exprime la croyance qu’en touchant de l’eau, conformément à la loi de contact, la vertu de celle-ci nous est transmise. Une jeune fille de Vyšnja Koloôava, sans pouvoir donner une réponse précise sur la signification du rite, a dit qu’il était nécessaire de l’accomplir (2). Ce qui peut prouver qu’il n’est pas un simple divertissement, c’est qu’il s’agit d’un souvenir de l’histoire sainte. A Verchovina Bystra et à Vyšnij Bystryj, on m’a expliqué qu’on s’aspergeait le lundi et le mardi de la semaine de Pâques en souvenir de ce que les Juifs, après la résurrection de Jésus-Christ, auraient aspergé les croyants pour qu’ils ne publient pas cette nouvelle. Selon le diacre de Smerekova, lorsque le Christ fut ressuscité, les Juifs aspergèrent d’eau, pour la disperser, la foule des croyants rassemblés. (1) M. Aničkov suppose que cette aspersion n’a pas de signification, sérieuse mais n’est qu’un divertissement de jour de fête ; il indique, d’autre part, que le caractère sérieux est cependant encore conservé dans certains endroits à la conjuration visant à obtenir de la pluie par le moyen de l’aspersion ou du bain (Vesennjaja pésnja, II, p. 337). (2) Nous avons recueilli cette étrange explication du vieux gardien de l’église de Horinéevo. « Les seigneurs, le prêtre s’aspergeaient autrefois aussi le jour de Pâques, mais non les paysans ». Peut-être le prêtre était-il d’un autre village où le rite existait, tandis qu’à Ilorinôcvo on en avait perdu le souvenir ou on ne l’accomplissait pas. Ainsi le rite serait pratiqué en commémoration d’événements tirés de l’histoire sainte, — non de l’Écriture sainte dans le cas actuel, — et transmis par la tradition : les joueurs ici tiennent les rôles d’ennemis du Christ, tandis qu’habituellement on évite de toutes les manières possibles de figurer les ennemis du Christ, de l’Église et des saints. Nous en avons un éclatant exemple, comme nous le verrons plus loin, dans la défense d’imiter les bourreaux de saint Jean-Baptiste, le jour anniversaire de la décollation : ce jour-là il n’est pas permis de couper des objets ronds, d’employer un couteau, une hache, etc. Comment est-il possible d’interpréter ces contradictions chez un même peuple, et peut-être chez un même individu ? Dans un cas, les croyants imitent les actes des ennemis du Christ, des Juifs, le lundi de Pâques, tandis que dans un autre, au contraire, cette imitation est un grand péché. 11 est sans doute opportun de noter ici que l’aspersion par les Juifs de la foule des chrétiens n’a pas un caractère aussi tragique que la décollation de saint Jean-Baptiste. Ensuite, on peut supposer que l’usage obligatoire de l’aspersion le lundi de Pâques est encore en partie conforme à la tradition de l’époque où ce rite avait vraisemblablement une autre signification magique. Mais la contradiction signalée peut être ainsi résolue : dans l’interprétation de chaque rite, c’est un certain détail qui est essentiel, tandis que les autres sont laissés dans l’ombre ; ainsi, dans les actions magiques motivées, un ou quelques détails seulement le sont et non les autres. Dans le rite en question, le point capital est le symbole de la résurrection du Christ et de ce qu’à cause de cet événement les Juifs aspergeaient d’eau les fidèles : l’important, c’est donc l’imitation dé Pacte témoignant de la résurrection, et le secondaire, c’est que, dans cette imitation, une partie des acteurs doit représenter les ennemis du Christ. Au contraire, dans l’interdiction notée le jour de la commémoration de la décollation de saint Jean Baptiste, le centre de gravité est la décollation même. Insistons là-dessus du point de vue statique : les deux usages coexistent dans la conscience des paysans, comme en rapport avec des événements tirés de l’histoire sainte, quoique, historiquement, tous les deux soient de provenance entièrement différente et, à l’origine, n’aient rien de commun dans leur interprétation. On peut rapprocher, comme exemple de figuration des actes des ennemis d’un personnage révéré, la coutume en usage en Bohême pour l’anniversaire du martyre de Jean Hus : on allume des feux, et on porte en procession des lampions. Ici le point essentiel, dans la signification du rite, est le fait que le bûcher rappelle celui de Plus. Il ne viendra évidemment à l’idée de personne qu’en allumant des feux on incarne les bourreaux du martyr. Ces exemples permettent donc de conclure qu’au moins dans quelques villages de la Russie Subcarpathique l’aspersion du lundi de Pâques ne peut être considérée comme un simple divertissement. Mais ailleurs, en fait, ce rite a perdu sa signification magique et acquis le second caractère. Au village d’Ozerjanka, par exemple, en Galicie, comme le dit Čumák : « Le lundi de Pâques, appelé aussi oblyvanyj,\es jeunes gens aspergent les jeunes filles; celles qui veulent l’éviter doivent se racheter avec des œufs peints (krašanky) ». Par conséquent, dans ce cas, l’aspersion n’est plus un rite à heureuse influence, mais un simple jeu, puisqu’on donne des œufs peints pour n’y pas participer. X. — La Saint-Georges (Juru). A la Saint-Georges, comme à Pâques, l’usage de s’asperger d’eau mutuellement existe dans quelques villages, à Lipša, par exemple. Nous avons enregistré en outre le rite suivant : « Le jour de saint Georges, on arrache la mauvaise herbe qui fleurit à ce moment (jurewnïk), et on la donne aux vaches, pour qu’elles aient de bon (čitavoje) lait. Il y a une autre mauvaise herbe, qu’on appelle korownïk » (d’après une famille paysanne à Sinevir'-ska Poljana). « A la Saint-Georges on arrache la mauvaise herbe appelée korownïk, pour que les vaches aient du lait » (Palaha Slavita à Prislop). J’ai souvent remarqué que le jour où s’accomplit tel ou tel rite a une grande importance dans les croyances populaires. Des herbes, cueillies à un jour déterminé, ont la vertu spéciale de soulager les gens et les bêtes. Le même jour les sorciers et les sorcières ont un pouvoir particulier et exercent leurs maléfices. Aussi les paysans prennent-ils des mesures de précaution pour les çonjurer. « Les sorciers (vorošky) répandent du sel sur le chemin où passent les bestiaux qui reviennent des champs, afin d’enlever le lait aux vaches des autres paysans et d’augmenter ainsi celui de leurs propres vaches. Aussi ne ramène-t-on pas les bestiaux par le chemin » (Cevarha à Smerekova). Indiquons encore l’usage, dans quelques villages, pour la Saint-Georges, d’allumer des feux : c’est une des coutumes du printemps et d’avant Pâques. La mesure du lait (mira). — Le jour de la fête de saint Georges, et quelquefois avant, quelquefois après, les paysans mènent paître pour la première fois le menu bétail au sommet des montagnes et procèdent à la mesure du lait. La quantité de fromage correspondra à celle du lait qui aura été trait le jour de la mira. Toute cette cérémonie est entourée d’un grand nombre de rites. Nous relèverons la pratique magique de mettre de l’ortie dans la geleta (1), où l’on verse pour la première fois le lait des brebis. « On pratique cette sorcellerie pour que les brebis ne tombent pas malades ». Voici une autre explication fournie par un vieillard du même village : « On met de l’ortie dans la geleta, pour que le troupeau soit comme la plante, qu’on n’y touche pas (štoby chudobi tak ne vadilo, jak zalïvi) ». Ce qu’on fait avec la partie se reproduit sur le tout. Ainsi la vertu de l’ortie, par le contact avec le lait, se transmet à celui-ci et, par lui, aux brebis elles-mêmes. Rappelons ici la croyance à un rapport entre le lait et la vache. « Si le lait déborde quand on le fait bouillir, il faut y mettre du sel ; autrement la vache aura le pis malade et son lait se corrompra [moloko zlwrït) » (Ljuta). Autre pratique : « Après la traite des brebis, le plus vieux des pâtres prend une besace (tajstrînu) contenant du sel, et se met à courir en tournant ; il jette du sel aux brebis, qui le suivent toutes. Les autres pâtres l’aident à chasser les brebis pour qu’elles courent aussi en tournant. Elles poussent de profonds bêlements plaintifs, car elles regrettent les agneaux. Le pâtre tourne trois fois en courant, cependant qu’un autre tire trois coups de fusil, à chaque tour qu’il fait. Cette sorcellerie doit empêcher les brebis de se disperser dans les montagnes » (F. Pečkan à N. Sinevir'). L’explication que nous venons de reproduire nous a été donnée par un jeune homme qui savait lire et écrire ; nous en avons enregistré une autre d’après un vieillard du même village : « Dans la cérémonie de la mira, le pâtre jette du sel, et trois coups de fusil sont tirés pour effrayer les troupeaux et les faire paître ensemble ». Dans ce cas, le crainte serait la cause du rassemblement du troupeau et l’action du pâtre serait une action utilitaire, sans aucun mélange de magie (2). Le pâtre, pendant la mira, accomplit encore l’action magique suivante : « Lorsqu’on a réuni toutes les brebis ensemble, le plus intelligent des pâtres les fait tourner trois fois ; il prend une hache, (t) Sorte de vase bas en bois. (2) Sur la signification magique des coups de fusil voir Aknaudov : Kukeri i Rusalii, pp. 195-196, avec la bibliographie. du feu, un užotv (1), et tourne autour du troupeau : les bêtes sauvages n’auront pas envie d’y toucher » (M. Holowka à Prislop). Voici pourquoi, d’après le frère de ce dernier paysan, le pâtre prend ces trois objets : « De même que 1’užow sert à soutenir, de même les brebis resteront groupées autour du berger. On prend la hache pour être aussi tranchant (oslryj) qu’elle, et le feu, pour ne pas avoir peur, pour être gai ». C’est dire que les qualités des objets portés par le pâtre à ce moment se transmettront à lui-même. XI. — La Pentecôte (Svjata nedilja, Zeleni svjatky, Rusalii). Il ne subsiste plus, en Russie Subcarpathique, aucun rite populaire propre à la fête de la Pentecôte. On jonche seulement d’herbe le pavé de l’église et on décore celle-ci et les maisons de branchages. Ce jour-là, on cueille également des herbes médicinales. « Le prêtre va bénir la carïna (2) ; les gens mettent une jolie couronne sur la croix et décorent les maisons de branches de coudrier ou de hêtre » (Prislop). L’usage de décorer l’église de verdure et d’herbe a probablement incité à orner les maisons. Ainsi se sont développés les rites reposant sur la décoration avec de la verdure. Indiquons en même temps cette curieuse coutume relative au deuil : on ne doit pas orner de verdure une maison où quelqu’un est mort pendant l’année (Prislop). Enfin nous avons noté une autre pratique (Ljuta) : « Le vendredi des Rusalii, comme on redoute les maléfices des sorciers, on ferme l’étable avec un verrou en bois, afin qu’ils ne fassent pas perdre le lait aux vaches (ščop ne odbïralï moloko baserkani) ». XII. — La Saint-Jean-Baptiste (Ivandel). Comme pour la Pentecôte, on orne de verdure les maisons (V. Koloéava, Prislop). On cueille diverses herbes, qu’on fait sécher ensuite et qu’on emploie comme remèdes : il faut le faire ce jour-là. Beaucoup de ces herbes ont véritablement une vertu médicinale : d’autres peut-être ne sont considérées comme utiles (1) Espèce de collier de fermeture en bois qui sert à soutenir les deux battants d’une clôture en claire-voie. (2) Ce terme sert à désigner la terre labourée ou bien un enclos. que parce que les paysans leur attribuent, la vertu de transmettre leurs propriétés à l’homme qui en a besoin. Il faut d’ailleurs remarquer que ces vertus ne sont souvent que métaphoriques : « les jeunes filles cueillent le tancuwnïk, parce que cette herbe frissonne, danse, lorsque le vent souffle. La jeune fille dansera comme elle, et les jeunes gens l’inviteront à danser » (Prislop). Ainsi le nom de l’herbe, tancuwnïk, et la vertu qu’elle possède, d’après la loi de contact, passent à la jeune fille. Il en est de même avec la racine de la plante appelée devjatosïl (1), dont on arrache avec effort la racine, et qui semble posséder ainsi une grande force : d’où la croyance que, si on baigne un enfant nouveau-né dans l’eau où l’on a mis cette herbe, il recevra en partage la force de la plante. Le jour de la Saint-Jean-Baptiste, on ne cueille pas seulement les herbes utiles ; les sorciers, de leur côté, cueillent les plantes nuisibles dont ils se servent. « Les sorcières (čarivriici) font leurs maléfices contre les vaches et tout ce qui fait partie de la maison en général ; elles vont, toutes nues, chercher de mauvaises herbes, dont l’effet est de faire passer à leurs propres vaches le lait de celles des voisins » (M. Holowka à Prislop). Quelquefois, les herbes médicinales et magiques ne sont cueillies qu’à la Saint-Jean, mais employées d’autres jours. « Le jour de la Saint-Jean-Baptiste, les jeunes filles cueillent quelque herbe possédant une vertu surnaturelle ; elles la mettent dans l’eau la veille de Noël pour trouver un mari (aby sja vydalï) » (V. Koloèava). Les paysans de la Russie Subcarpathique considèrent la médecine et les médecins en général avec méfiance, et quelquefois même avec hostilité. Non seulement ils ne jugent pas nécessaire de s’adresser aux médecins, mais, dans quelques cas, ils s’opposent directement à leurs prescriptions. Dans un village, par exemple, ils se refusèrent à vacciner les enfants contre la diphtérie. Les Juifs se joignirent à eux, quoique ceux-ci d’ordinaire se fassent volontiers soigner par les médecins et suivent leurs ordonnances. Ce ne fut qu’après la guérison d’un enfant juif, après vaccination, que les autres paysans mirent plus d’empressement à permettre au médecin de vacciner leurs enfants. Une autre fois, la fièvre typhoïde sévissait en Verchovina (comitat d’Uzhorod). L’administration avait envoyé une automobile d’ambulance de la Croix-Rouge, qui transportait les malades dans des baraquements spéciaux. Mais le bruit se (1) Ononis hircina. Mais nous n’avons pu trouver le nom latin du tancuwnïk. répandit qu’au lieu de trouver la guérison, les malades voyaient leur mal empirer. Aussi la crainte des habitants était si grande qu’ils s’enfuyaient et cachaient leur maladie de toutes les manières, dès qu’ils apprenaient qu’on voulait les mettre à l’hôpital. Cette crainte était d’autant plus incompréhensible qu’il n’y avait presque pas alors de cas mortels et que, même d’après le sophisme post hoc ergo propter hoc, il était difficile de croire que l’hôpital causait la mort. De plus la famine sévissait alors dans cette contrée, et il semble que la perspective de recevoir une nourriture plus fortifiante à l’hôpital eût dû y attirer les malades. Mais la peur l’emportait sur tout le reste (1). En revanche, les paysans demandent des conseils médicaux au premier venu. Une femme me demanda à moi-même un remède contre des maux de tête qui la faisaient souffrir depuis longtemps. Comme je lui recommandais de s’adresser à un médecin, elle me répondit : « Oh ! oui, un médecin, pour le payer ! Mais un homme qui passe, comme vous, s’il voulait seulement me guérir, il pourrait ». La méfiance à l’égard de la médecine et une grande foi, au contraire, dans les moyens populaires, s’expliquent par la tendance générale à regarder comme surnaturels beaucoup de faits, en particulier les maladies, à accorder par conséquent une plus grande confiance à la guérison par les forces surnaturelles qu’à la médecine rationnelle. Une vieille femme me raconta d’un ton plaintif qu’ayant été malade, elle avait été trouver une sorcière ; celle-ci lui ordonna de se mettre la tête en bas, ce qui lui causa des douleurs intolérables. Celles-ci pouvaient d’ailleurs provenir naturellement aussi du mal qui avait empiré, et non du remède, mais ce qu’il convient de relever, c’est que, par peur des médecins, des opérations et de l’hôpital, les paysans préfèrent se mettre entre les mains des sorciers. Leurs remèdes consistent d’abord en conjurations accompagnées d’opérations magiques ; en second lieu, en herbes médicinales, guérissant parfois, et en pratiques populaires efficaces, sans aucun lien ni avec la magie ni même avec l’hypnotisme. Comme je l’ai déjà remarqué, les herbes doivent être habituellement cueillies à des jours déterminés, en particulier le jour de la Saint-Jean-Baptiste. Beaucoup de maladies sont attribuées au mauvais œil. M. IIo-lowka m’a raconté que son père était mort pour cette cause et qu’une sorcière ayant également jeté un sort à sa mère, celle-ci (1) On trouve un état semblable chez les peuples à demi civilisés. Rites et Croyances. 6 avait eu des vers au ventre. L’un d’eux la mordit au cœur et elle en mourut. D’autres maladies sont expliquées par le démon qui est entré dans le corps humain. Un des moyens de guérison magiques répandus en Russie Subcarpathique est le lavage du corps à l’eau. « Avant l’aube [w noci do nnja), la femme ou l’homme qui savent chasser le démon lavent de la tête aux pieds, au confluent de trois sources, le possédé ; l’eau doit être répandue sur son corps de haut en bas ». On dit en même temps au diable : « Nous te laissons ici ; prends celui qui viendra, et que les démons l’emportent ». Le possédé se trouve alors soulagé. « Au village de Novoselice, il y a un habitant qui est possédé du démon. Il souffre beaucoup à la nouvelle lune. Une force inconnue le soulève en l’air pendant cinq jours (po 5 dnij b'je nïm horï). On n’arrive pas à le laver, celui-là » (les tziganes à Prislop). Quelquefois cet exorcisme ne peut être exécuté qu’à un moment déterminé, par exemple la Veille de Noël, avant le lever du soleil (1). XIII. — La Décollation de saint Jean-Baptiste (Hlavosika). Le tabou interdisant de manger des légumes ronds le jour de cette fête est assez répandu en Russie Subcarpathique. Le vieux gardien de l’église de Horinéevo nous a dit que « c’était parce que l’Évangile dit qu’on a coupé la tête de saint Jean-Baptiste », et F. Pečkan de Sinevir' nous a donné cette explication : « On ne peut rien manger de rond, aucune tête de quoi que ce soit, parce qu’on a coupé celle de saint Jean-Baptiste (hlava usikla sja, hlava žadnaja ne užívaje sja) ». Il ressort avec évidence de ces exemples que ce tabou est expliqué par le récit de l’Évangile. D’après M. Moszyňski, outre la première interdiction, il est également défendu de couper quelque chose ce jour-là, et, en général, de travailler avec des instruments tranchants en fer, parce que cela rappellerait la décollation du saint (2). Nous n’avons pas eu personnellement l’occasion de noter en Russie Subcarpathique cette interdiction, qui existe dans beaucoup d’autres lieux. Mais, s’il est interdit de manger des légumes ronds, il l’est également de se servir d’un plat et d’une assiette ; on ne (1) Voir l’Introduction, pp. 33-35. (2) K. Moszyňski, « O žródlach magji i religji », Przeglqd filozoficzny, 1925, p. 5. Le même travail a paru en français sous ce titre : Origine de la magie et de la religion, Institut International d’Anthropologie, IIe session, Prague, 1926, pp. 2-3. peut manger que dans un pot. Cette défense s’explique par la crainte d’imiter les actions accomplies par les bourreaux de saint Jean-Baptiste. « Le jour de la Hlavosika, il est interdit de manger dans une soupière ; on peut se servir seulement d’un pot » (Ljuta). « Le jour de la Hlavosika on ne peut pas manger dans un plat, parce que c’est dans un plat qu’on mit la tête coupée de saint Jean » (F. Pečkan à N. Sinevir'). Il faut remarquer que, quelquefois, le tabou, portant sur les légumes ronds, n’est pas seulement expliqué par la ressemblance d’un légume rond et d’une tête humaine, mais repose, comme le montre l’explication enregistrée plus haut, sur une homonymie : « On ne peut pas manger une tête, parce qu’on a coupé la tête de saint Jean-Baptiste ». Au village de N. Bystryj, on m’a dit : « Il ne convient pas de manger une tête d’oignon ou d’ail, mais la pomme de terre est permise » (M. Bobonïë à N. Bystryj). Quoique celle-ci soit ronde, on peut en manger, parce qu’on ne la désigne pas sous le nom de tête. Ce tabou est ainsi motivé dans les papiers de Řehoř : « Le jour de Hlavosika, il ne convient pas de couper dans le jardin ni de hacher une tête de chou, car le sang en coulera ». Par une espèce de métaphore prise à la lettre, on passe du tabou « de même que ce fut un péché de couper la tête à saint Jean-Baptiste, de même c’est un péché de couper une tête de légume » à cette croyance : « si on coupe des légumes ronds, le sang en coulera, comme il a coulé de la tête de saint Jean-Baptiste » (1). Ce réalisme va encore s’accentuer dans les récits où est indiqué, comme un fait certain, que le sang coule des légumes qu’on coupe dans le jardin le jour de la Hlavosika. « Le jour de la décollation de saint Jean-Baptiste, il est interdit de manger des choux, des oignons, de l’ail, parce qu’ils ont une « tête » ; si on les coupe avec un couteau, le sang coulera : c’est le sang de saint Jean-Baptiste. Une paysanne coupa une fois, avec un couteau, ce jour-là, une tête de chou dans le jardin, pour faire la soupe (boršč), et voilà que, tout à coup, elle vit dans ses mains une tête d’enfant avec des yeux, une bouche, des cheveux, d’où le sang coulait avec abondance, la couvrant tout entière » (2). « Une autre paysanne, qui avait également coupé une tête de chou, vit aussitôt le sang en couler » (3). (1) Krechov (Papiers de Řehoř). (2) MoszyiSski reproduit cette explication motivée : si on coupe du pain U jour do cotte fête, la tête do saint Jean-Baptiste, qui s’était de nouveau réunie au corps, s’en détachera encore. (3) Cumak à Ozerjanka (Papiers de Řehoř). Terminant ici l’analyse du Calendrier populaire, nous allons maintenant passer à l’examen des rites et actions magiques relatifs au baptême, au mariage et aux funérailles. TRAVAUX A CONSULTER : I. — Svjatyj večír [Noël et Jour de l'An). Le jeûne la veille de Svjatyj večír. Dykariv, p. 147 ; Šuchevyfi, IV, p. 10 ; Cehel'skyj ; Maksimov, p. 315 ; Wasilewski, p. 104 ; Hruševákyj, p. 150. Nombre traditionnel des plats. Žatkovyč, Zamitky (7 ou 9), p. 10 ; Myikovskij (7) ; Federowski (7), p. 149 ; Wasilewski (5, 7, 9), p. 103 ; Sreznevskij (9), p. 56 ; Šuchevyí, IV (12), p. 12 ; Zubryékyj, Narodnij kalendar (12), p. 56 ; Onyščuk, Narodnij kalendar (12), p. 12 ; Birčak, Okrug Bolechov, p. 96. Mets servis au Svjatyj večír. OnySëuk, Narodnij kalendar, p. 16 ; Domanyčkyj, p. 82 ; Cehel'skyj ; Čumák ; Kolberg, pp. 14-16 ; Narod, 1890, n° 6 ; Federowski, p. 149 ; Zelenin, Opisanie, Volynskaja gub., n° 14, p. 3.045, Minskaja gub. n° 5, p. 685 ; Makarenko, p. 128 ; Polaezek, p. 47 ; Cieplik, p. 280 ; Wasilewski, p. 103 ; Karskij, p. 28 ; Schneeweis, pp. 54-67. Le kračun. Žatkovyč, Zamitky, p. 10 ; Tyndjuk ; Niederle, I, 1, pp. 248-249 ; Pamfde, p. 6. Cf. les rites analogues relatifs au pain qui n’est pas désigné sous le nom de kračun. Onyščuk, Narodnij kalendar, pp. 21, 26 ; Dykariv, p. 147 ; Zubryékyj, Narodnij kalendar, p. 37 ; Arnaudoff, p. 3 ; Schneeweis, pp. 30-45 ; Karskij, pp. 105-106. On jette de l’argent dans l’eau où on se lave à Noël et au nouvel an. Cf. Maksimov, pp. 389-390 [Velikij četverg) ; Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 26 ; Šuchevyč, IV, p. 201 (à Noël), p. 234 (à Pâques) ; Charževskyj. Le miel employé pour le repas au Svjatyj veëir. Kožminová, Podkarpatská Bus, p. 74 ; Čajkanovič, Nekolike primedbe, p. 263 ; Maksimov, p. 316 ; Zelenin, Opisanie: Grodncnskaja gub., n° 9, p. 456 ; Klinger, Obrzçdowoéi, pp. 69-70. Usage lié à la gerbe. Kožminová, Podkarpatská Rus, p. 74 ; Onyščuk, Narodnij kalendar, pp. 16-17 ; Domanyčkyj, p. 82 ; Franko, p. 204 ; Zubryékyj, Narodnij kalendar, p. 56 ; Kolessa, Ljudovi viruvanja, p. 92 ; Čubinskij, III, p. 263 ; Fedo-rowski, p. 148 ; Maksimov, p. 315 ; Zelenin, Opisanie, Minskaja gub., p. 685 ; Podol’skaja gub. (les Moldaves), n° 32, p. 1092 ; Sicmkowicz p. 155 ; Polaezek, p. 48 ; Wasilewski, p. 103 ; Karskij, pp. 98 et 106. Imitation magique des cris des animaux. Šuchevyč, IV, p. 10 ; Bojkovščina [Povět : Turki), p. 44 ; Zelenin, Opisanie, n° 76, p. 261. Imitation du gloussement des poules. Zubryékyj, Narodnij kalcndar, p. 54 ; Dykariv, p. 115 ; Franko, p. 204 ; Cehel'skyj ; Moroz ; Čubinskij, III, p. 263 ; Maksimov, p. 316 ; Arnaudolï, Feslbràuche, p. 17 ; Stoilov, Folklor, p. 31. Les enfants chantent les chants de Noël. Žatkovyč, Zamitky, p. 11 ; Onyáíuk, Narodnij kalcndar, p. 22 ; Domanyékyj, p. 82 ; Dykariv, p. 148 ; Čubinskij, III, p. 261 ; Nauka, 1890, pp. 218-219 ; Federowski, p. 151 ; Karskij, p. 99 ; Zelenin, Opisanie, Volynskaja gub., n° 6, p. 275 ; Voroneiskaja gub., n° 59, p. 379 ; Kaluiskaja gub., n° 26, p. 584 ; Polaczek, p. 48 ; Wasilewski, p. 104 ; Schneeweis, p. 144 ; Sobolev ; Maksimov, pp. 316-320 ; Arnaudolï, Feslbràuche, p. 14 ; Zavojko, pp. 134, 138-139 ; MakarenKo, pp. 129-135. Les grandes personnes chantent les chants de Noël. Žatkovyč, Zamitlcy, p. 11 ; Šuchevyč, IV, p. 17 ; Onyščuk, Narodnij kalendář, pp. 22-23 ; Domanyčkyj, p. 82 ; Dykariv, pp. 148 et 154 ; Zu-bryčkyj, Narodnij kalcndar, pp. 57-59 ; Maksimov, pp. 317-318 ; Makarenko, pp. 130, 133-135 ; Wasilewski, p. 104 ; Karskij, p. 99. Les koljadky. Ul’vanskij ; Ilnatjuk, Huculy, p. 47 ; Kasarda, p. 122 ; Čubinskij, III, p. 280 ; Aničkov, I, pp. 253-257 ; Niederle, II, 1, pp. 243-248 ; Cehel'skyj ; Zelenin, Opisanie : Niîegorodskaja gub., n° 130, p. 823 ; Novgorodskaja gub., n° 20, p. 865, n° 29, p. 875 ; Poltaoskaja gub., n° 6, p. 1.100 ; Zavojko, pp. 134-138 ; Karskij, pp. 99-100 et 107-130 ; Schneeweis, pp. 144-152 ; Zlbrt, Veselé chvíle, VII, pp. 8-18 ; Ilnatjuk, Koljadky. Les Sledrovki et les koljadki la veille du premier de l’an. Zelenin, Opisanie : Astrachanskaja gub., n° 88, p. 97 ; Volynskaja gub., n° 6, pp. 276, 278 ; n° 15, p. 306 ; Voroneiskaja gub., n° 62, p. 381 ; Mins-kaja gub., n° 8, p. 693 ; Podol'skaja gub., n° 32, p. 1.092 ; Pollavskaja gub., n° 6, p. 1.100 ; Vladimirskaja gub., n° 67, p. 186 ; Kazanskaja gub., n° 79, p. 529 ; Niîegorodskaja gub., n° 57, p. 739, n° 89, p. 779, n° 140, pp. 834-835 ; Penzenskaja gub., n° 13, p. 977 ; Rjazanskaja gub., n° 23, p. 1179 ; Saratovskaja gub., n° 58, p. 1.269 ; Markov, pp. 50-65 ; Zavojko, pp. 138, 144-146 ; Ušakov, p. 198 ; Karskij, pp. 107-130. La crèche représentant l’étable de Bethléem. Paákevič, Ve/lcjem ; Zelenin, Opisanie, Pskovskaja gub., n° 2, p. 1.127, n° 17, p. 1.141, n° 32, p. 1153 ; Procházka ; Zíbrt, Veselé chvíle, VII, pp. 18-34 ; Perete. On brûle un cierge au Svjatyj večír. Zubryékyj, Narodnij kalendar, p. 56 ; Čubinskij, III, p. 263 ; Schneeweis, pp. 67-71 ; Karskij, pp. 98, 107 ; Klinger, Obrzfdowoáí, pp. 34, 53. On encense la maison au Svjatyj večír. Arnaudolï, Feslbràuche, pp. 5, 18 ; Schneeweis, p. 127. Rite consistant à placer une herbe ou de la paille sur la table. Žatkovyč, Zamitky, p. 11 ; Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 16 ; Domanyč- kyj, p. 82 ; Čubinskij, III, p. 263 ; Zelenin, Opisanie, Grodnenskaja gub., n° 9, p. 456 ; Federowski, p. 148 ; Cieplik, p. 280 ; Sicmkowicz, p. 155; Sreznevskij, p. 56 ; Stoilov, p. 32 ; Karskij, pp. 98, 107. Cette herbe ou la paille reste sur la table depuis le Svjatyj večír jusqu’au nouvel an, puis on la donne au bétail. Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 22 ; Zubryckyj, [Narodnij kalendar, p. 56 ; Šuchevyč, III, p. 208 ; Čubinskij, III, pp. 263, 437 ; Zelenin, Opisanie, Novgorodskaja gub., n° 24, p. 868 ; Podol'skaja gub., n° 32, p. 1.092 ; Wasilewski, p. 103. On répand de la paille dans la maison. Kožmínová, Podkarpatská Rus, p. 74 ; Kasarda, p. 122 ; Maksimov, p. 315 ; Federowski, p. 148 ; Arnaudolï, Festbràuche, p. 3 ; Klinger, Ob-rzfdowoií, p. 44. On brûle la paille et les saletés. Arnaudolï, Festbràuche, p. 6 ; Čubinskij, III, p. 437 ; Birëak, Okrug Bole-chov, p. 91 ; Zelenin, Opisanie, Kurskaja gub., n° 15, p. 661 , n° 42, p. 676 ; Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 47. Usage de mettre sous la table un joug au Svjatyj večir. šuchevyč, IV, p. 10 ; Čubinskij, III, p. 263 ; cl. Arnaudoff, Festbràuche, p. 4. Usage de mettre ensemble des cuillers sous la table. Zubryékyj, Narodnij kalendar, p. 55 ; Bojkovščina [Povêt : Turki), p. 44. Le jet des fèves au Svjatyj večir. Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 20 ; Zubryékyj, Narodnij kalendar, p. 55 ; Cehel'skyj ; Šuchevyč, IV, p. 14 ; cf. Arnaudoff, Festbràuche, p. 14, 17-18 ; Zelenin, Opisanie, Volynskaja gub., n° 6, pp. 275-276 ; Minskaja gub., n° 5, p. 685 ; PodoVskaja gub., n° 32, p. 1.091 ; Makarenko, p. 47 ; Karskij, p. 106. Formules qui accompagnent le jet des fèves. Šuchevyč, IV, pp. 14, 68-69 ; Čubinskij, III, p. 263. Le polaznyk. Birčak, Okrug Bolechov, p. 96 ; Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 47 ; Arnaudoff, Festbràuche, p. 16 ; cf. Maksimov, p. 330 ; Franko, p. 207 ; Čajkanovié, Nekolike primedbe, IV, Polalenik, pp. 281-285 ; Čajkanovié, Studije, pp. 150-156, 178 ; Schnecweis, pp. 75-81, 170-172. L’arbre de Noël. Klinger, Obrzçdowoàd, pp. 45, 50-51. Les divinations avec le charbon. Zubryékyj, Narodnij kalendar, pp. 37-38 ; Šuchevyč, IV, p. 193 ; Arnaudolï, Festbràuche, p. 5. Diverses divinations. Čubinskij, III, p. 437 ; Bogatyrev, Vérovanija, pp. 71-75 ; Zavojko, pp. 113-118 ; Zelenin, Opisanie, Aslrachanskaja gub., n° 12, p. 57 ; Vologodskaja gub., n° 76, p. 261, n° 78, p. 265 ; Volynskaja gub., n° 18, p. 320 ; Kazans-kaja gub., n° 55, p. 518 ; Kaluiskaja gub., n° 29, p. 587 ; Minskaja gub., n° 5, p. 685, n° 8, p. 693 (Andrej Pervozvannyj) ; Mogilevskaja gub., n° 1, p. 700 ( Velikij četverg) ; Niicgorodskaja gub., n° 110, p. 806 ; Novgorodskaja gub., n° 20, p. 865 ; Permskaja gub., n° 24, p. 1.003 ; Pelrogradskaja gub., n° 23, p. 1.062 ; Sreznevskij, p. 56 ; Ušakov, p. 198 ; Makarenko, pp. 41-46 ; Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 46 ; Karskij pp. 98-99 ; Čajkanovió, Nekolike primedbe, p. 277. Les divinations le jour de la Saint-André. Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 46 ; Šuchevyč, IV, p. 270 ; Franko, p. 203. II. — L’Épiphanie (Vodoriči). Le jeûne avant l’Épiphanie. Žatkovyč, Zamitky, p. 4 ; Onyščuk, Narodnij kalcndar, p. 27 ; Šuchevyč, IV, p. 203 ; Domanyékyj, p. 63 ; Dykariv, p. 115 ; Čubinskij, III, p. 2 ; Cehel’skyj ; Maksimov, p. 344 ; Makarenko, p. 49 ; Bogatyrev, Vërovanija, p. 76. Les fidèles se lavent et se jettent dans l’eau. Žatkovyč, Zamitky, p. 4 ; Kasarda, p. 122 ; Šuchevyč, IV, p. 205 ; Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 28 ; Zubryékyj, Narodnij kalendar, p. 39 ; Zu-bryékyj; Narodnij kalendar, p. 39 ; Domanyčkyj, p. 62 ; ftehoř, Kalendd-fik, p. 355 ; Dykariv, p. 116 ; Čumák ; Cehel'skyj ; Čubinskij, III, p. 3 ; Arnaudov, Kukeri, p. 229 (bibliographie) ; Zelenin, Opisanic, Kazanskaja gub., n° 55, p. 518 ; Bjazanskaja gub., n° 3, p. 1.159 ; Bogatyrev, Vèro-vanija, p. 76 ; Ušakov, p. 198 ; Makarenko, p. 51. On pose des croix sur les murs, les portes et hors de la maison. Žatkovyč, Zamitky, p. 10 ; Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 27 ; Zubryékyj, Narodnij kalcndar, p. 39 ; Šuchevyč, IV, pp. 204-205 ; Dykariv, p. 116-117 ; Domanyékyj, p. 63 ; Čumák ; Zorja, 1888, p. 182 ; Čubinskij, III, p. 2 ; Bogatyrev, Vërovanija, p. 76 ; Zelenin, Opisanic, Astrachanskaja gub., n° 29, p. 70 ; Volynskaja gub., n° 6, pp. 275-276 ; Rjazanskaja gub., n° 3, pp. 1.159-1.191 ; Ušakov, p. 198 ; Makarenko, pp. 50-51. III. — L’Annonciation. Šuchevyč, IV, pp. 210, 214 ; Makarenko, pp. 63-64. IV. — Le joun des Quarante Martyrs. Bogatyrev, Vërovanija, p. 76 ; Makarenko, p. 63. V. — Les Rameaux. Onyščuk, Narodnij kalcndar, pp. 34-35 ; Domanyékyj, p. 65 ; Dykariv, p. 165 ; Šuchevyč, IV, p. 228 ; Čubinskij, III, p. 13 ; ftehoř, p. 359 ; Zibrt, Veselé chvíle, III, p. 79 ; Makarenko, p. 155 ; Karskij, p. 146. Interdiction de manger le vendredi et le samedi de la semaine de Pâques. Domanyékyj, p. 65 ; Dykariv, p. 168 ; Čubinskij, III, p. 22 ; ftehoř, Ka-lenddřík, p. 36 ; Cehel’skyj ; Franko, p. 206 ; Zelenin, Opisanie, Grodnen-skaja gub., n° 4, p. 439. VI. --- PÂQUES. Usage de frapper à la tête les gens et le bétail avec la paska. Zubryékyj, Narodnij kalendar, p. 44 ; Řehoř, Kalendářík, p. 360 ; Onyščukt Narodnij kalendar, p. 39 ; Šuchevyč, IV, p. 236 ; Zelenin, Opisanie, Mins-kaja gub, n° 8, p. 688 ; Skopiiiski, p. 326. Présages avec la paska qui ne demeure pas entière. Řehoř, Kalendářík, p. 361 ; Šuchevyč, IV, p. 231 ; Franko, p. 193 ; Bartoš, p. 130. La paska doit être volumineuse. Řehoř, Kalendářík, p. 360 ; Cehel'skyj ; Král, Velikonoční svícení, p. 276 ; Dovhun, pp. 23-24. La paska de farine de froment. Král, Velikonoční svěcení, p. 276 ; Řehoř, Kalendářík, p. 360. Ornements placés sur la paska. Žatkovyč, Zamilky, p. 6 ; Šuchevyč, IV, p. 230 ; Král, Velikonoční svěcení p. 276 ; Makarenko, p. 157. Mets qu’on fait bénir. Kožmínová, Podkarpatská Rus, p. 75 ; Žatkovyč, p. 6 ; Dovhun, p. 24 ; Kasarda, p. 122 ; Řehoř, Kalendářík, p. 360 ; Dykariv, p. 173 ; Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 48 ; Šuchevyč, IV, pp. 233-234 ; Čubinskij, III, p. 22; Domanyčkyj, p. 66 ; Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 38 ; Aničkov, I, p. 308 ; Zelenin, Čerty byla, p. 230 ; Zelenin, Opisanie, Poltavskaja gub., n° 23, p. 119 ; Bogatyrev, Vérovanija, p. 67 ; Federowski, p. 158 ; Polaczek, p. 51 ; Waigl, pp. 20-21 ; Kolberg, Przemyskie, pp. 33-34 ; Makarenko, p. 161. Usage de courir après la bénédiction de la paska. Kožminová, Podkarpatská Rus, p. 74 ; Žatkovyč, Zamilky, p. 7 ; Řehoř, Kalendářík, p. 361 ; Šuchevyč, IV, p. 236 ; Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 39 ; Birčak, Okrug Bolechov ; Král, Velikonoční svěcení, p. 276 ; Dovhun, p. 24. On teint les œufs. Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 36 ; Zubryc'kyj, Narodnij kalendar, p. 42 ; Domanyčkyj, p. 66 ; Dykariv, pp. 168-171 ; Šuchevyč, IV, pp. 216-227 ; Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 48 ; Krček, p. 186-230 ; Nikosiewicz, W sprawie písanek, p. 326 ; Mlýnek, pp. 176-180 ; Ščerhakivákyj, Osnovni elementy ; Bogatyrev, Vérovanija, p. 79 ; Zelenin, Opisanie, Vologodskaja gub., n° 15, p. 204 ; Poltavskaja gub., n° 9, p. 1103, n° 23 (Kraěanki), p. 119 ; Zíhrt, Veselé chvíle, III, p. 98-115 ; Sreznevskij, p. 56; Zelenin, Bibliografičeskij ukazatel', p. 300, n° 3605-3614 ; Makarenko, p. 157 ; Zelenin, Čerty byla, p. 230. Les jeunes fdles donnent des œufs teints aux jeunes gens. Žatkovyč, Zamitky, p. 7 ; Čubinskij, III, p. 24 ; Šuchevyč, IV, p. 262. On allume des feux autour de l’église le samedi saint. Rosocha, p. 73 ; Žatkovyč, p. 6 ; Domanyčkyj, p. 66 ; Čubinskij, III, p. 22 ; Zelenin, Opisanie, Grodnenskaja gub., n° 9, p. 456 ; Wankl ; cf. Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 48 ; Zelenin, Narodnyj obyčaj « grif pokojnikov ». Les jeux à Pâques. Rosocha, p. 75 ; Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 48 ; Wankl ; Wajgl ; pp. 90-91 ; Makarenko, p. 157. Les jeunes gens jouent seulement à Pâques. Šuchevyč, IV, p. 238 ; pour la ieleznïcja : Žatkovyč, Zamitky, p. 7 ; pour l’oborih : Šuchevyč, IV, p. 238 ; pour les jeux de cartes : Maksimov, p. 408 ; pour les « puces » : Žatkovyč, Zamitky, p. 7 ; Zavojko, pp. 149-150. Comparaison de ces jeux aux vesnjanky. Hnatjuk, Hajivky ; Sosenko. Interdiction de dormir le jour do Pâques. čubinskij, III, p. 22 ; Rosocha, p. 74. Klinger, Ohrzçdowo&é, pp. 52-63. Ablution du Velïkden. Kasarda, p. 122 ; Žatkovyč, Zamitky, p. 4 ; Šuchevyč, IV, p. 241 ; Řehoř Kalendářík, p. 361 ; Cehel'skyj ; Čubinskij, III, p. 24 ; Zelenin, Opisanie, Vladimirskaja gub., n° 22, p. 162 ; Novgorodskaja gub., n° 22 ,p. 867 ; Aničkov, I, pp. 210-245 ; Federowski, p. 158 ; Skopiôski, p. 326 ; Zapust-Popielec-Wielka noc, p. 86. Polaczek, p. 51 ; Wasilewski, p. 106 ; Rrückner, Zur Geschichtc des Aberglaubens. VII. — Pentecôte. Fête appelée Svjata nedilja. Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 46 ; Dykariv, p. 184. Fête appelée Zeleni svjata. Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 46 ; Domanyékyj, p. 71 ; Dykariv, p. 184 ; Zubryc'kyj, Narodnij kalendar, p. 46 ; Šuchevyč, IV, p. 250 ; Cehel'skyj ; Čubinskij, III, p. 186 ; Karskij, p. 168. Nom de la Zelena subota (la veille de la Pentecôte) : Zelenin, Opisanie, Volynskaja gub., n° 6, p. 277 ; Pol-tavskaja gub., n° 9, p. 1103. On orne les maisons de verdure. Žatkovyč, Zamitky, p. 8 ; Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 46 ; Doma-nyc'kyj, p. 71 ; Dykariv, p. 184 ; Zubryc'kyj, Narodnij kalendar, p. 46 ; Šuchevyč, IV, p. 250 ; Čubinskij, III, p. 186 ; Maksimovič, III, pp. 89-90 ; Zelenin, Opisanie, Aslrachanskaja gub., n° 23, p. 66 ; Volynskaja gub., n° 6, p. 277 ; Zavojko, p. 154 ; Makarenko, p. 171. VIII. — La Saint-Georges. Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 43 ; Šuchevyč, IV, p. 246 ; Zubryc'kyj, Narodnij kalendar, pp. 45-46 ; Šuchevyč, IV, p. 248 ; Franko, p. 210 ; Bèhun; Moroz ; Zelenin, Opisanie, Podol'skaja gub., n° 32 (les Moldaves), p. 1092. Les sorcières prennent le lait aux vaches des voisins à la fête de saint Georges. Zelenin, Opisanie, Podol'skaja gub., n° 32 (les Moldaves), p. 1092 ; Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 49 ; Aničkov, I, pp. 211, 263. Variantes à la mira. Žatkovyč, Zamitky, p. 8 ; Zubryčkyj, Hodivlja, pp. 2-21, ; Stoilov, p. 43. IX. — La Saint-Jean-Baptiste. Décoration des maisons à l’intérieur et à l’extérieur. Řehoř, Kalendářík, p. [365; Federowski, p. 165 ; Wasilewski, p. 106 ; / rocznik Kôlka naukowego larnopolskiego za r. 1892, p. 139 ; Arnaudoff, Festbràuche, p. 41. On cueille des herbes. Onyščuk, Narodnij kalendar, pp. 49-50 ; Dykariv, p. 125 ; Zubryc'kyj, Na-rodnij kalendar, p. 47 ; Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 50 ; Řehoř, Kalendářík, p. 366 ; Šuchevyč, IV, p. 258 ; Franko, p. 206 ; Federowski, p. 165 ; Bogatyrev, Virovanija, pp. 74, 77 ; Zelenin, Opisanie, Vitebskaja gub., n° 7, p. 139 ; Arnaudov, Studii, pp. 364-367 ; Ušakov, p. 199 ; Makarenko, pp. 85-87 ; Karskij, pp. 179, 187. Herbes médicinales. Zelenin, Opisanie, Arehangel'skaja gub., n° 54, p. 36 ; Hnatjuk, Huculy, n° 2, p. 50. On allume des leux. Čubinskij, III, pp. 194 et 196 ; Řehoř, Kalendářík, p. 365 ; Dykariv, pp. 125-127 ; Zelenin, Opisanie, Vitebskaja gub., n° 7, p. 139 ; Grodnenskaja, n° 7, p. 452-453 ; Minskaja, n° 4, p. 681 ; Poltavskaja, n° 9, p. 1.103 ; n° 21, p. 1.115 ; Sabolevskij, p. 130 ; Zelenin, « Narodnyj obyéaj grěť pokojnikov », Sborník Chařkovskago istoriko-filol. obêieslva, XVIII, 1909, pp. 256-271 ; Federowski, p. 160 ; Sreznevskij, f>. 56 ; Nicderle, II, 1, pp. 252-260 ; Arnaudoff, Feslbrâuche, p. 73 ; Magierowski, p. 424 ; Matusiak, pp. 1-20 et 87-97 ; B. J. K., p. 183 ; Swiçtek, Sobdtka, p. 256-258 ; Krček, Sobótka. La médecine populaire. Stoilov, p. 64 ; Kolbuszowski, pp. 157-160 ; Magierowski, pp. 155-156 ; Schaider ; Zlbrt, Lidové zábavy ; Vykoukal. X. — La Décollation de saint Jean-Baptiste. Interdiction de manger dos légumes ronds. Žatkovyč, Zamitky, p. 9 ; Onyščuk, Narodnij kalendar, p. 53 ; Domanyc'kyj, p. 78 ; Dykariv, p. 173 ; Zubryékyj, Narodnij kalendar, p. 48, ; Šuchevyč, p. 266 ; Řehoř, Kalendářík, p. 367 ; F’ranko, p. 205 ; Moszyhski, pp. 3-6. Interdiction de manger sur une assiette. Řehoř, Kalendářík, p. 367, Čubinskij, III, p. 254. Appendice. Hnatjuk,'7 Ukrajinika narodnja slovesnist, pp. 25-26 ; Hruševékyj, pp. 144-199 ; Fischer, Rusini, pp. 116-125 ; Zelenin, RussischeVolkskunde, pp. 362-383 ; Zelenin, “ Die russische (ostslavische) volkskundliche Forschung in den Jahren 1914-1926”, Zeitschrift für slav. Philologie, IV, pp. 425-427 ; Frankowski, Kalendarz “ obrzgdowy Indu polskicgo ; Van Gennep, Le Folklore, pp. 86-90 ; P. “ Zvyčaě ta povërja rôzdvjanë u Rusinôv na Pôdkarpatju ”, Podkarpatská Pué, VI, n° 1, pp. 20-24 ; n° 2, pp. 43-47 ; n° 3, pp. 65-67 ; Sosenko, Kul'turno-istoryina postal' staroukrajinikych svjal Uizdva i Sledroho Večera, L'viv, 198 ; Bystroň, Wymuszanie ; Kryczyňski ; Bogatyrev, Hod Boíi svatodušní ; Nikosiewicz, IV dzieň zaduszny ; Bogatyrev, Den sv. Jana Křtitele ; Bilous ; fiehoř, Lidová léčba ; Bogatyrev, Slaveni sv. Jiří ; Witwicki. CHAPITRE II. LA NAISSANCE ET LE BAPTÊME. La femme enceinte, avant la naissance de l’enfant, est soumise à un grand nombre de tabous dont la violation doit entraîner de fâcheuses conséquences pour l’être qui viendra au monde. Presque tous ces tabous sont conformes à la loi de similitude ou à la loi de contact ; le contact à redouter n’est pas seulement le contact immédiat de l’objet ; il y a autant de danger à passer par dessus ou à le regarder seulement. Je donnerai ces exemples de tabous qui pèsent sur les femmes enceintes : « Il est défendu de passer par dessus un crapaud (koropowka), parce que l’enfant ne marcherait pas pendant longtemps et s’assoirait sur les pattes de devant comme cet animal ». « Il est défendu de regarder un être difforme (paskunnoje) ou un ramoneur, parce que l’enfant naîtrait noir ». « 11 ne faut pas passer par dessus un timon de traîneau (rut), l’enfant aurait un grand penis (analogie de forme entre les deux objets) ». « Il ne faut pas regarder le feu, car, en cas de frayeur, l’enfant naîtra tout rouge ». Il s’agit dans les autres cas de contact réel : « Une femme enceinte ne doit battre ni un crapaud, ni un serpent, ni une souris ». « Elle ne doit pas frapper une souris ; autrement l’enfant en aura une sur les joues ». Il n’est pas clairement indiqué si l’influence s’exerce seulement par le contact de ces animaux, ou parce que la femme enceinte les tue. On trouve aussi cette croyance que l’image d’un objet volé par la mère apparaît sur le corps de l’enfant, comme châtiment de la violation du tabou qui interdit aux femmes enceintes de voler. Ici, la transmission magique de l’image de l’objet est en relation avec le châtiment d’un délit : « Il est défendu de voler ; autrement, l’image de l’objet volé existera sur le corps de l’enfant » (1). Le jour de la naissance est marqué chez plusieurs peuples par tout un ensemble de présages, divinations, actions magiques et rites. On croit que les actions magiques, accomplies ce jour-là sur le nouveau-né, déterminent d’avance sa destinée future. Cette croyance existe aussi en Russie Subcarpathique. Indiquons d’abord les pratiques en rapport avec le premier bain de l’enfant : « Aussitôt après la naissance de l’enfant, on le baigne pour qu’il soit robuste (mocnyj). On met dans le bain les racines du dev jato s'il qu’on ramasse à la Saint-Jean » (2). J’ai trouvé à Prislop un cérémonial plus compliqué du premier bain de l’enfant : « On baigne l’enfant dès qu’il est né. Pour qu’il soit robuste, on met dans l’eau du bain la racine du devjatosïl, ainsi qu’un morceau de pain, de l’argent (hroši sribernl) et de l’eau bénite du Jourdain ». On met le pain pour que l’enfant soit bon comme lui ; on met de l’argent pour qu’il y en ait dans la maison. On met en outre de l’eau chaude (3). Je ne sais quelle signification est donnée à l’eau du Jourdain. On considère apparemment ici la vertu curative que l’Église lui attribue habituellement. Dans une autre localité, habitée par les Huculs, le rite en question m’a été ainsi expliqué : « Dès que l’enfant est né, on le plonge dans l’eau froide, afin qu’il ne sue pas (juand il sera devenu grand » (4). Si, dans les exemples cités plus haut, la qualité des objets placés dans l’eau se transmettait d’après la loi de contact, dans le cas actuel c’est la qualité môme de l’eau froide. Le jour du baptême est un autre jour très important dans la vie de l’homme : toute sorte de rites y sont liés aujourd’hui. Il y a lieu de croire qu’à mesure que le christianisme s’établissait, les rites en pratique auparavant le jour de la naissance de l’enfant ont été reportés au jour du baptême. La vertu des (1) Les tziganes à Prislop. (2) Nous avons indiqué au chap. I, p. 80, d’où cette plante tenait sa vertu. (3) Prislop. (4) Bohdan. pratiques consacrées à ces deux événements subsiste pendant l’enfance ou la jeunesse, ou môme pendant toute la vie de l’homme. Les paysans de la Russie Subcarpathique attribuent au sacrement du baptême une grande importance. On sait que l’Église permet môme à la sage-femme de baptiser l’enfant, dans le cas où il paraît exposé au danger de mort, avant l’arrivée du prêtre: « La sage-femme peut baptiser l’enfant après qu’elle a versé de l’eau bénite. Si un enfant naît, elle peut le baptiser et lui donner un nom. Si ensuite l’enfant meurt, le prêtre l’enterrera. Si l’enfant est mort-né, elle peut seulement verser de l’eau bénite sur le ventre de la mère. Elle prononce ensuite ces mots : « Si tu es Adam, sois Ivan (Jean) ; si tu es Eve, sois Ewka » (ai jes' Adam, but' Ivan, aies' Jeva, but Ewka). Le prêtre peut alors enterrer l’enfant mort-né ». L’enfant qui meurt non baptisé, zmitča, est regardé comme un diable et cause de l’inquiétude à ses parents : « Le zmitča reste dans cet état pendant sept ans (zmitča do sim hodiw chodït čortom) ; pendant sept ans il demande en criant à sa mère et à son père : « Mère, donne-moi un nom (mamo, činí mni imnja) ». Des mesures spéciales sont prises pour se délivrer de l’enfant mort sans avoir reçu le baptême : « Si une femme met au monde un enfant mort-né et non baptisé, il est appelé zmitča et est considéré comme un diable. Il faut alors lui préparer une faux, un fléau, un rateau, un balai et toutes sortes d’objets, pour qu’il ait du travail. Ces objets sont faits avec du bois, des copeaux. Si on les met dans le cercueil, le zmitča ne reviendra pas chez sa mère » (1). Ces objets sont enfermés dans le cercueil, m’a-t-on encore expliqué, « pour que le zmitča ne revienne pas chez les vivants ». Ceux-ci s’en débarrassent à ce prix (2). Les exemples précédents permettent de se représenter ainsi la croyance des paysans de la Russie Subcarpathique : l’enfant mort sans baptême continue à mener une vie analogue à celle des hommes vivants, et a besoin des mêmes choses qu’eux. Il importe de remarquer ici, comme nous l’avons déjà fait, que les paysans vont plus loin que l’Église elle-même dans l’accomplissement des rites chrétiens : ainsi, dans le cas actuel, ils considèrent que l’enfant non baptisé se transforme en diable ; ils dépassent ainsi les enseignements de l’Église. De même que dans les autres rites chrétiens, ils font entrer (1) M. Holowka à Prislop. (2) Les tziganes à Prislop. dans la cérémonie du baptême des usages populaires, non prescrits par l’Église. Ainsi, « pour que l’enfant grandisse, ils prennent pour parrains et marraines des jeunes gens et des jeunes filles vierges (berut (za nanašku) dïtïnu molodoho a s sestroj, kotryj ne znaje z diwkami nič, a diwka s chlopcjamï nič, aby ros tôt dïtvak) » (1). Dans certains villages on donne à l’enfant plus de deux parrains et marraines ; leur nombre peut s’élever jusqu’à dix, au point que les prêtres doivent s’élever contre cet usage. Les gens de Sinevir'ska Poljana me déclarèrent : « Nous inviterions bien un grand nombre de parrains et de marraines, mais le prêtre ne le permet pas ». Ils offrent à leurs filleuls et filleules les cadeaux d’usage (krï£ma), ils sont invités par le père de l’enfant, et c’est tout. Après le baptême, le parrain et la marraine (nanašky) ne sont liés par aucune obligation envers le filleul et la filleule. On m’a dit à Prislop que le parrain et la marraine ne s’occupaient nullement de leurs filleuls et que cette indifférence était réciproque. Dans quelques villages, le seul témoignage d’intérêt de la marraine est de donner à la filleule des œufs peints à Pâques. Au retour de l’église, après le baptême, on accomplit à la maison plusieurs rites : nous en indiquerons quelques-uns à caractère magique. « On met l’enfant debout sur un tourteau (oščipok), afin que les gens de la maison l’aiment autant que le pain » (2). « On met l’enfant debout sur un tourteau, afin qu’il soit estimé comme le pain » (3). Ce rite s’observe aussi à Sinevir'ska Poljana. Ainsi, par le contact d’un objet, selon la loi de contact, les sentiments mêmes que cet objet inspire se reportent sur l’enfant. Le jour du baptême, on fait toucher par l’enfant non seulement le pain, mais la table : On^met l'enfant sur la table, afin que les gens l’estiment comme la table (4). Ici encore, c’est le même mécanisme magique de transfert. Dans beaucoup de villages, on place l’enfant près du seuil de la porte, quand on revient de l’église, et on le frappe « d’un petit balai pour qu’il ne pleure pas ». Ainsi, cette correction, en tant qu’elle est donnée un jour important de la vie de l’enfant, le (1) Les Tziganes à Prislop. (2) Vyšnij Bystryj. (3) Prislop. (4) Užok. jour du baptême, doit avoir sur lui une très grande influence. De même, « on met l’enfant du sexe masculin près de la porte, et la mère le touche avec le talon, afin qu’il ne pousse pas de cris en pleurant » (1). « On passe l’enfant par la fenêtre au retour de l’église, on le met près de la porte, sur la terre battue. La marraine le frappe légèrement du talon, pour qu’il ne pousse pas de cris en pleurant » (2). Il s’agit, encore, de la croyance à la vertu magique de certaines dates. Comme nous l’avons montré plus haut, il faut remarquer ici que divers objets jouent un rôle magique, notamment le seuil de la porte ; cet endroit est très dangereux pour les nouveaux membres de la famille, comme en témoignent plusieurs pratiques (voir celles qui se rapportent aux funérailles). J’ai enregistré l’usage suivant dans quelques villages des comitats de Marmaroš et d’Uzhorod : « Quand l’enfant, garçon ou fille, vient d’être baptisé, on le fait entrer par la fenêtre, et non par la porte, pour qu’il ait du bonheur (oby serenču mala (dïtïna) (3), ou pour qu’il soit digne d’estime (česna) ». « Quand des enfants sont morts dans une famille, on fait entrer l’enfant nouveau-né, après le baptême, par la fenêtre près de laquelle est une table, afin qu’il vive » (4). « L’enfant ne doit pas entrer par la porte, quand on l’apporte de l’église après le baptême ; autrement il serait méchant, il pousserait des cris en pleurant (řeve duze) » (5). Tous ces exemples montrent que faire passer l’enfant par la fenêtre lui porte bonheur : je n’ai pas pu recevoir d’explication plus précise de cette heureuse influence. Nous sommes sans doute en présence d’une action magique non motivée. L’action magique accomplie pour conjurer la mort de l’enfant est curieuse : « Si les enfants meurent les uns après les autres dans une famille, le père et la mère donnent l’enfant nouveau-né à un parent, à un voisin, ou à toute autre personne. La mère le passe par la fenêtre, et l’acheteur figuré lui donne de l’argent » (6). (1) Vyšnja Koloèava. (2) Vyšnij Bystryj. On explique encore d’une autre manière l’usage do frapper l’enfant sur la bouche : « Dès que la sage-femme a baigné l’enfant, au cas seulement où c’est un garçon, elle le prend et le met sur la terre battue, puis elle le frappe légèrement, afin qu’il grandisse, soit doux et bon envers la femme qu’il prendra » (Onyščuk, Z narodnjoho iylja Huculiv, p. 97). (3) Prislop. (4) Vyšnij Bystryj. (5) Vyšnja Koloèava. (6) Bohdan. J’ai enregistré, dans un autre village, une description plus détaillée : « Les parents qui ne peuvent conserver vivants leurs enfants vendent leur enfant nouveau-né, en le passant par la fenêtre à une personne étrangère, dont les enfants sont tous en vie. Celle-ci achète cet enfant : elle est dans la cour avec du pain ; elle prononce ces paroles : « Le père et la mère doivent rompre tout rapport avec l’enfant dans ce monde et dans l’autre (ne maje dila ni matï, ni otec ni na sim sviti, ni na tim) ». Alors l’acheteur reporte l’enfant dans la maison des vrais parents, et dit, en le plaçant sur la table : « Grandis, car tu es mon enfant» (rosti, bo ty mif). Se tournant ensuite vers ces derniers, elle dit : « Élevez-moi cet enfant ». L’enfant reçoit alors le nom de « vendu » (prodan). On doit l’appeler ainsi, et non par son nom de baptême ». Le tzigane André Slavita, qui m’a raconté cet usage, a un fils et une fille « vendus » (prodan), parce que ses autres enfants sont morts, mais il les appelle de leur nom de baptême (/a/c pop učiniw). Il est intéressant de relever, avant tout, dans ce rite, la croyance qu’en simulant la vente de l’enfant, et en renonçant formellement à celui-ci, les parents obligent la force qui a causé précédemment la mort de leurs autres enfants, à reconnaître que le nouveau-né appartient à d’autres parents. Cette force est la mort personnifiée, analogue aux maladies personnifiées, et on croit qu’on peut tromper cette mort, comme on trompe une personne (1), ou bien on croit, comme dans les actions magiques soumises à la loi de similitude, qu’il est seulement nécessaire d’accomplir une action symbolique quelconque pour obtenir l’action réelle et ses conséquences. Dans le cas donné, il est essentiel de faire semblant de renoncer à l’enfant, pour que la force qui cause la mort reste sans effet sur lui, puisqu’il fait partie d’une autre famille. Le pseudonyme joue également un grand rôle dans ce rite : en n’appelant pas l’enfant de son vrai nom, mais en lui disant « vendu », on le préserve ainsi de la force mauvaise qui le poursuit. L’enfant est exposé, les premiers jours de sa vie, au danger d’être remplacé : « Lorsque la mère sera sortie et aura laissé l’enfant dans le berceau, une povitrulja (2) viendra et le volera : (1) Noua trouvons d’intéressants exemples de la personnification du choléra dans l’article de Daniel Ščerbakivákyj : « Storinka z ukrajinákoji demonolo^iji. Viruvannja pro choleru » (« Démonologie ukrainienne, croyances relatives au choléra »), Naukovyj zbirnyk zarik 1924, de l’Académie des Sciences d’Ukraine, pp. 204-216 ; voir aussi V. Hnatjuk, Znadoby do ukrajinákoji demonoljogiji (« Matériaux pour la démonologie ukrainienne »), t. II, pp. 223-229. (2) Espèce de sorcière. Rite» et Croyance». 7 à la place elle en mettra un qui sera laid {nefajnoje), et encore tout petit à quinze ou vingt ans ; on appelle cet enfant substitué podmiňčja ». « A la nouvelle lune, quelqu’un prend ce podmiric/a, l’emporte et regarde la lune en disant : « Abraham, soyons parents, fraternisons, tu auras la fille, j’aurai le garçon. Prends ce qui est à toi et laisse-moi ce qui m’appartient » {Abrahame, svatajme sja, bratajme sja, tobi diwka, meni chlop-čiíče. Berït sobi svoje, a meni predaj mnoje). Puis il frappe avec le balai le podmiňčja, qui est couché sur les balayures » (1). Je relaterai encore le curieux rite suivant, relatif aux nouveau-nés : « Lorsqu’un enfant naît, on lui coupe une partie du cordon ombilical et on lui laisse l’autre ; ensuite celle-ci se détache et la mère la coud dans un petit sac qu’elle noue au cou de l’enfant ; lorsqu’il aura trois ans et pourra se mettre dans l’eau, il dénouera le sac, et alors toute espèce de travail lui réussira dans ce monde (i rozvjaie sobi mišok, i ta jemu usja robota rozvjaie sja u ruky) ; il saura travailler, forger, lire, sera habile dans tous les métiers, comme s’il avait été à l’école. Si ce petit sac n’était pas noué, puis dénoué, l’enfant serait bête comme un animal. Il devrait étudier à l’école {takyj hlupyj, jak mariïna, treba jomu uëïtï u školí) » (2). Dans ce même village, on m’expliqua que l’enfant devait dénouer, non pas le sac, mais le cordon ombilical. « Une mère prévoyante noue le cordon ombilical qui a été coupé à l’enfant, et le cache quelque part ; quand l’enfant sera déjà raisonnable, à cinq ou six ans, il devra le dénouer ; quelquefois il peut le faire à trois ans. Quand il sait dénouer le cordon ombilical, il peut réussir n’importe quel travail {jak rozvjaie tôt pup, totu wsjaku robotu {moze) rozvjazatï) » (3). J’ai recueilli dans un autre village le récit suivant : «On met le cordon ombilical quelque part dans la cour. A trois ans, la mère le donne à l’enfant, qui doit le dénouer ». La sœur de la jeune fille qui me raconta ce rite sut le dénouer elle-même, «et depuis elle a appris toute seule {sama s sebe) à lire, à écrire et à jouer du violon. Elle n’a jamais été à l’école. Elle regarde seulement comment font les autres et apprend aussitôt» (4). La foi dans la force magique du rite réside en partie dans ce qu’on prend à la lettre une métaphore intraduisible en français : « Dénouer » le travail {rozvjazalas' usja robota) au sens figuré, c’est- (1) Holowka à Prislop. (2) Ibid. (3) Andrij et Palaha Slavita, à Prislop, (à) Vyšnja Koločava. à-dire le réussir, y être habile, et “ dénouer ” le petit sac dans lequel est conservé le cordon ombilical, ou “ dénouer ”le cordon ombilical lui-même. Il faut remarquer que les paysans observent très sévèrement, entre autres rites relatifs à la naissance de l’enfant, celui qui oblige la femme à aller se faire bénir à l’église en relevant de couches, avant d’aller travailler dans les champs. On croit que si la femme n’accomplit pas cette obligation, « il grêlera » (Volovoje) ou que « la grêle détruira la récolte » (Ljuta). La croyance, répandue chez beaucoup de peuples, que la femme doit se purifier après l’accouchement, m’a été ainsi expliquée dans un village. « Si la femme, après ses couches, n’a pas été à l’église, elle ne doit pas aller travailler dans les champs, car elle est impure » (Peèkan à N. Sinevir'). Un prêtre uniate m’a raconté que les paysans veillent sévèrement à l’observance de ce rite, bien qu’il leur eût dit que l’église n’y attachait pas une grande importance. De l’exdmen des actions magiques motivées, accomplies lors de la naissance et du baptême, ainsi que des tabous qui pèsent sur la femme enceinte, il ressort que les uns comme les autres sont soumis à la loi de similitude ou à la loi de contact. Il est ensuite intéressant de remarquer que, sur les rites chrétiens relatifs au baptême sont venus se greiïer divers détails empruntés aux rites populaires : le parrain et la marraine vierges, l’usage de plusieurs parrains et marraines, et que d’autres croyances ont acquis une plus grande importance que l’église ne leur en accorde : l’enfant non baptisé devenu un démon, les relevailles (vyvutky). TRAVAUX A CONSULTER : « Tabous » prescrits aux femmes enceintes. Bystrort, Slowiatïshie obrzçdy, pp. 12-15. On jette des herbes dans le premier bain de l’enfant. Kuzelja, Dytyna, VIII, pp. 27-28 ; Bystrori, Slowiaňskie obrzçdy, pp. 107-108 ; Marianu, Nascerea, p. 83. Le premier bain dans l’eau froide après la naissance. Kuzelja, Dytyna, VIII, p. 27 ; Bystro*, Slowiaňskie obrzçdy, p. 102 ; Kožml-nová, Podkarpatská Rus, p. 75. Le zmitča. Ilnatjuk, Huculy, n° 2, p. 46 ; Bělář, p. 109. Nombre de parrains. Kuzelja, Dytyna, VIII, pp. 47-48, 195 ; Bystro*, Slowiaňskie obrzfdy, p. 90 ; Zelenin, Opisanie, Orlovskaja gub., n° 7, p. 959. Cadeaux apportés par les parrains. Kuzelja, Dytyna, VIII, p. 47 ; Zelenin, Opisanie, ArchangeVskaja gub., n° 48, p. 29 ; Bessarabxkaja gub., n° 8, p. 106 ; Vilebskaja gub., n° 7, p. 137 ; Volynskaja gub., n° 16, p. 311 ; Penzenskaja gub., n° 17, p. 281 ; Bělář, pp. 110-111. On met l’enfant sur un pain. Marianu, Nascerea, p. 52 ; cf. Bystroň, Sloíviaňskie obrzfdy, p. 98. On met l’enfant sur une table. Kuzelja, Dytyna, VIII, p. 53 ; Bystroň, Slowiaňskie obrzgdy, p. 99 ; Marianu, Nascerea, p. 52. On met l’enfant près du seuil. Onyščuk, Z narodnjoho iytja, p. 99; Čajkanovió, Studije, pp. 127-138,177 ; Bystroň, Slowiaňskie obrzgdy, pp. 27-28. On bat l’enfant nouveau-né. Onyščuk, Z narodnjoho iytja, p. 97 ; Bystroň, Slowiaňskie obrzgdy, pp. 104-105. On passe l’enfant par la fenêtre (après le baptême). Kuzelja, Dytyna, WW, p. 52 ; Onyščuk, Z narodnjoho p. 100 ; Zelenin, Opisanie, Vilenskaja gub., n° 6, p. 112 ; Penzenskaja gub., n° 2, p. 968 ; Bystroň, Slowiaňskie obrzgdy, pp. 133-134. On met l’enfant sur la laine d’un vêtement de dessous. Sumcov, O slaojanskich narodnych vozzrenijach, p. 82 ; Bystroň, Slowiaňskie obrzgdy, pp. 102-104 ; Zelenin, Opisanie, Astrachanskaja gub., n° 19, p. 60 ; n° 29, p. 69 ; Voroneiskaja gub., n° 54, p. 375 ; Penzenskaja gub., n° 25, p. 987 ; Rjazanskaja gub., n° 6, p. 1161 ; Smirnova, p. 256. Mise en scène de la vente d’un enfant. Kuzelja, Dytyna, VIII, pp. 60-61 ; Zelenin, Opisanie, n° 2, p. 268 ; Bystroň, Slowiaňskie obrzgdy, pp. 134-135. On donne à l’enfant un second nom différent de celui qu’il a reçu à l’église. Bystroň, Slowiaňskie obrzgdy, pp. 130-131. Le podmiňča. Ivanov, pp. 46-47 ; Bělář, p. 113. Rites relatifs au cordon ombilical. Kuzelja, Dytyna, VIII, p. 26 ; Bystroň, Slowiaňskie obrzçdy, pp. 60-61 ; Zelenin, Opisanie, Vologodskaja gub., n° 29, p. 216 ; Kaluiskaja gub., n° 20, p. 577, n° 36, p. 591 ; Kurskaja gub., n° 16, p. 663 ; Penzenskaja gub., n° 17, p. 979 ; Poltaoskaja gub., n° 3, p. 1097-1098, n° 9, p. 1101 ; Pskoo-skaja gub., n° 19, p. 1145 ; Zelenin, Russische Volkskunde, pp. 292-293 ; van Gennep, Les rites de passage, pp. 72-73 ; Frazer, Le rameau d'or, pp. 38-39 ; Meringer, Omphalos, Nabel, Nebel, et surtout la partie intitulée Die Nabelsschnur in Volksaberglauben, pp. 45-49. Los relevailles. Kuzelja, Dytyna, VIII, pp. 204-206 ; Charuzina, Programma, pp. 128-131 ; Bělář, p. 113 ; Bystroň, Slowiaňskie obrzgdy, pp. 66-75 ; Košir et Môdern-dorfer, p. 31. Appendice. Dcmjan, «Krestïny na okresnostï Vereékïch v zvyčajach i pěsnjach », Podkarpatská Rus', IV, n° 8, pp. 189-191 et n° 9, pp. 216-220 ; Donykiv, « llodyny i chrestyny na HucuPŠčyni », Materijaly do ukrajinikoji etnologiji, XVIII, 1918, pp. 86-122 ; Savčenko, « Rodyny, chrestyny, pochrestyny », Peroisne hromadjanstvo, I-II, 1926, pp. 76-82 ; Zelenin, Russische Volks-kunde, pp. 294-299 ; Biegeleisen, Matka i dziecko, Lwôw ; Fischer, Rusini, pp. 92-98. CHAPITRE III. LE MARIAGE. A propos des rites nuptiaux en Russie Subcarpathique, je ne m’arrêterai pas sur les problèmes d’origine. Je tâcherai, comme dans les autres parties de cet ouvrage, de donner une description statique, de montrer comment ils sont actuellement compris par les paysans de cette contrée. La célébration d’un mariage est le début de la vie d’une nouvelle cellule économique ; avec le mariage se forme une nouvelle famille. Il est naturel que tout un ensemble de rites soit destiné au bien-être matériel, et que nous trouvions habituellement au second plan les rites érotiques, qui doivent augmenter la fécondité et fortifier l’amour des nouveaux mariés. C’est le point de vue matériel en Russie Subcarpathique qui décide dans la plupart des cas du choix du fiancé et de la fiancée. Dans les demandes en mariage, la fixation de la dot est une des principales conditions d’acceptation ou de refus, et la question d’argent est traitée sans la moindre gêne. Voyons en premier lieu les rites et actions magiques destinés à assurer la fortune matérielle du jeune ménage. Longtemps avant le mariage, les fiançailles (zaručiny) ont lieu, dès que les deux parties se sont mises d’accord sur la dot. Le fiancé et la fiancée « se rendent chez le prêtre, et étendent sous leurs pieds une serviette et du chanvre filé (prjadevo), afin de ne pas avoir à coucher sur le plancher nu et d’être riches ( oby bylï bohati, aby na holom ne stojalï) »(Prislop). Ce rite, selon la loi de contact, doit éloigner d’eux la pauvreté symbolisée par la terre battue toute nue. Je relèverai encore un exemple de coexistence du rite populaire et de la cérémonie ecclésiastique. « Pendant la célébration du mariage, le garçon d’honneur (družba) est à côté des mariés ; il tient un tourteau (oščípok) sur leurs épaules, «afin qu’ils soient bons comme le pain et qu’ils ne deviennent pas pauvres (oby sfa ne zbytkovalï) ». De plus, selon la loi de contact, le pain doit rester dans la maison des mariés, une fois le mariage célébré. Considérons maintenant l’usage extrêmement répandu qui consiste à verser du grain sur les mariés. « Une vieille femme, leur parente à un degré quelconque, jette des poignées d’avoine autour d’elle (opsivat viwsom), et en répand aussi dans la poitrine et les manches des mariés, afin que leur grenier soit toujours plein (aby jim velo chlip, wSïtko). Le starosta répand trois fois de l’eau de rivière autour de lui, puis il en jette sur les mariés, afin qu’ils soient forts comme l’eau. La vieille femme est vêtue d’une bunda (1) et coiffée d’un bonnet d’homme » (Prislop). Dans ces rites, comme pour le tourteau tenu sur les épaules des mariés, ce n’est pas seulement, selon la loi de contact, la qualité de l’objet touché (du pain dans le cas donné), qui se transmet aux époux, mais c’est le pain lui-même qui reste ainsi dans la maison. L’aspersion de l’eau, en usage également dans quelques villages, à Prislop par exemple, fait participer les époux à la vertu de l’eau : « pour qu’ils soient forts comme l’eau ». Quelquefois le jet des grains de blé est complété par la divination : « Quand les mariés et les gens de la noce reviennent de l’église, on répand sur eux de l’avoine, et on en jette des poignées en l’air ; les gens de la noce tendent leurs chapeaux ; ceux qui reçoivent le plus de grains seront les plus riches » (Verchovina Bystra). Cet usage offre une entière analogie avec l’opération magique de la veille de Noël, consistant à jeter des fèves, des haricots, du blé, accompagnée de la formule de conjuration pour la fécondité du bétail, et jointe à des divinations : on attrape les grains de blé qui retombent, et on prédit l’avenir d’après le nombre de grains attrapés. Il faut remarquer que la plupart des divinations et opérations magiques de cette espèce en relation avec le mariage ont lieu la veille de Noël et aux autres fêtes du même cycle: la Saint-André, le jour même de Noël, le Nouvel an et l’Épiphanie. Au nombre des opérations magiques qui doivent donner aux mariés le bien-être, il faut ranger l’action de passer, avec les proches parents, sous le pain, et de le toucher : « Le marié et la mariée arrivent ; deux jeunes gens tiennent sur leurs têtes un gâteau [fajnyj /co/ač) préparé avec des œufs. Le marié et la mariée, le starosta, le garçon d’honneur (družba) sautent sous le gâteau pour le toucher. Alors une femme, qui est à leurs côtés, répand sur eux du blé, du seigle, de l’avoine et du houblon, afin qu’ils en aient en abondance » (by jim wšítko bylo) (Monastyrec). « Lorsque le marié et la mariée passent sous le tourteau (1) Vêtement de dessus. (oščípok), ils le touchent avec la tête, pour que leurs aiïaires aillent bien (aby dobre gazdovalï) » (Koloëava). « Lorsque le cortège nuptial arrive chez le marié, la mère de celui-ci est devant la maison; elle tient à la main une bouteille d’eau-de-vie et un plat d’avoine ; elle a mis une hunja et a les mains gantées. Les gens de la noce portent deux tourteaux venant de la mariée {2 oščiphy vüt molodoj). Deux jeunes gens, les plus grands de taille, prennent ces tourteaux, liés de chanvre et de lin (kotori zvjazani povismom), et les tiennent en l’air. Alors le marié et la mariée passent trois fois sous les tourteaux, et la mère leur verse de l’avoine dans les manches (a matï posýpaje jich tïm vüsom u ruha-vïcjach), et ensuite toute la noce passe aussi sous les tourteaux et saute (pütskalcyvaje), pour les toucher avec la tête. Après quoi, les invités rompent le lien de chanvre ou de lin (povismo), en disant qu’il est bon pour pêcher le poisson (pro to, što kaiut, ono dobroje z riim lovïlï rybu, z nim vede sja rybu lovïtï). Ceux qui tiennent les tourteaux en frappent ensuite légèrement la tête du marié et de la mariée ; de cette manière ceux-ci n’ont pas à sauter pour les toucher avec la tête » (N. Sinevir'). Comme je demandais dans une autre maison du village pourquoi les deux jeunes gens frappent les mariés avec les tourteaux, on me répondit : « Cela se fait, pour avoir beaucoup de blé {aby jim chlip vüw) » (N. Sinevir'). Grâce à ce rite, comme grâce au précédent, le pain que touchent les époux reste dans la maison. A propos de la croyance que le lien de chanvre ou de lin fait prendre beaucoup de poisson, je reproduirai cette explication : « De même que le mari aime sa femme, de même le poisson se prendra au lien des tourteaux [jak čolovik ljubït svoju zinku, to tak bude brat sja i ryba za povismo) ». Cela veut dire que l’attachement mutuel du marié et de la mariée se transmet à l’objet qu’ils touchent : ici le lien de chanvre ou de lin ; et celui-ci, par la vertu transmise, attire les poissons. Nous avons déjà remarqué les points communs de tout un ensemble de rites nuptiaux avec les rites de la veille de Noël. Voici encore une autre analogie. J’ai enregistré, dans deux villages, les paroles que prononce le starosta à la noce, — paroles qui reproduisent la conjuration que récite le hazda, quand il jette des fèves et des haricots contre le mur, la veille de Noël. « Brr, jouez, bœufs cornus, — vaches au beau pis, — brebis à la laine touffue, — garçons aux belles..., — iilles aux beaux... (1), dans chaque coin un enfant — sur le poêle — pas de place où se coucher {voliky (1) « Pueri formosi penibus, puellac formosae cunnis ». rohatí, horowky dijkati [veliký dijky), ovečky vownati, chlopčiky chujati a divoíky pizdjaú, vo kaidoj kuťini po dïtïni, a na péči nihde leči. Hrajte sja, veselíte sja » (V. Bystryj). J’ai noté également, en gros, les paroles prononcées par le starosta de Torun', et qui sont à peu près les mêmes que celles que j’ai entendues à Prislop ; dans cette dernière localité, le starosta accomplit, au mariage, la même opération magique que le hazda la veille de Noël : « Quand les mariés entrent ensemble dans la maison et s’assoient à table, le starosta a de l’avoine à la main, et en jette dans chaque coin» ; en même temps, il dit : « Jouez, agnelles, — jouez, génisses, — dans chaque coin un enfant, — garçons aux belles... — fdles aux beaux... — sur le poêle pas de place où se coucher [hrajte sja jahnïci, hrajte sja telïci, u kaidoj kutïni po dïtïni : chlopci chujati, diwky pizdjati. Na péči nihde lecï) ». Ces paroles doivent non seulement procurer la richesse, mais encore favoriser la fécondité des jeunes époux. Des actions magiques sont très souvent destinées à faire naître des enfants du sexe masculin. Ce désir est en partie d’ailleurs tout utilitaire, les garçons étant regardés comme préférables aux filles. Je reproduis une de ces actions magiques : « La jeune mariée passe par dessus la table, et s’assied près d’un jeune homme ; elle met alors sur ses genoux un enfant âgé de deux ans [here sobi na holina dvoročnoho chlopcja), et lui caresse les testicules [macit (sic !) za jajeja), pour qu’elle mette au monde des enfants du sexe masculin [zaloto, aby chlopci velï), elle lui donne en même temps un œuf ou une espèce de gâteau rond [kručenik), auquel est attribuée une signification rituelle » (Prislop). Le même rite m’a été ainsi décrit dans un autre village : « Lorsque les gens de la noce sont dans la maison du marié, un jeune garçon s’approche de la jeune mariée et s’assoit sur ses genoux, pour qu’elle ait des enfants du sexe masculin [štoby u nej rodïlï sja chlopci) ; il reçoit en récompense un kručenik » (N. Sinevir'). Ici nous avons une application de la loi de contact : la mariée acquiert la faculté de mettre au monde des garçons par le contact de l’enfant et de ses organes sexuels. Les actions magiques suivantes sont à peu près analogues à celles que nous venons d’indiquer. « Lorsque le cortège nuptial arrive dans la cour de la maison des mariés, la mère du marié, coiffée d’un grand bonnet d’homme, le conduit avec la mariée à la crèche, sur laquelle ils s’assoient ; ils prennent un bœuf châtré et une vache par les cornes, puis un cheval par la queue, pour posséder chez eux ces animaux » (Monastyrec). J’ai trouvé une autre action magique ayant en vue la naissance de garçons. A Tereblja, ce n’est pas la mère du marié qui répand des grains de blé, mais une des invitées (prïsivalha) : « Elle s’est affublée de vêtements grotesques d’homme, coiffée d’un bonnet d’homme à la forme extraordinaire (čudnu čapku) et garni d’une immense aile d’oie ; on lui prépare une pipe dont le tuyau est fait avec une tige de maïs (izrobl/at specijal'nu pïpu iz kukuruzjanoj byli), et on l’habille enfin d’une vielle hunja, toute déchirée, aux manches pendantes. Elle a les mains chargées d’une assiette pleine de grains de toutes sortes ; elle les jette, les sème dans la cour (brosajc, meče, prïsivaje), afin que les mariés aient du blé. Elle a un costume masculin et une pipe pour que les enfants à naître soient tous des garçons (u znak toho, sčoby molodym chlip rodïw s/a, a muzs’ka fokusna odijani/e i pïpa u znak toho, sčoby u molodoj tol'ko chlopci rôdïlï) » (Tereblja). Ce déguisement en homme doit, d’après la loi de similitude, provoquer la naissance d’enfants du sexe masculin. A côté des rites destinés à favoriser la conception des enfants, on rencontre aussi un rite destiné à l’empêcher. « Lorsque la fiancée va à l’église pour se marier, il faut prendre un verrou en bois (kolotku), puis le jeter dans le puits (ooodu, abo wstudnju) : l’épouse n’aura alors jamais d’enfants » (Ljuta). Outre les actions magiques, pour ne pas avoir d’enfants, les paysans de cette contrée emploient aussi, comme un médecin local me l’a indiqué, divers moyens barbares qui ont souvent les plus graves conséquences. J’ai noté, pour finir, d’après un curé de campagne, une action magique pour favoriser l’accouchement. « Lorsque le cortège nuptial quitte l’église après le mariage, la svaška (1) casse un œuf sur le seuil de l’église, afin que la délivrance de la jeune mariée soit aussi facile que la cassure de l’œuf » (Bereznaj à Smerekova). Cet usage s’explique de soi-même, l’œuf qui se casse étant le germe de la vie animale. Examinons maintenant la croyance curieuse d’après laquelle (1) Sœur mariée de l’épouse, ou, à défaut, sa parente la plus proche également mariée, qui remplit à la noce diverses fonctions. la fiancée, devenue épouse, possède provisoirement une force magique qui peut favoriser le mariage des autres jeunes filles : « Lorsque la cérémonie du mariage est terminée, la mariée se retourne et enlève aux jeunes filles qui lui font cortège (u družek) la couronne ou la coiffure dont elles se parent (parta) : la première jeune fille à qui cette couronne ou cette coiffure aura été enlevée se mariera avant les autres » (Smerekova). Le fiancé, devenu époux, et le garçon d’honneur (družka) ont la même force magique : « Lorsque le marié fait entrer dans sa maison la mariée, ils en franchissent tous les deux le seuil : alors l’amie de la mariée (družka), qui touchera la première le marié ou le garçon d’honneur, se mariera avant les autres » (d’après la fille du prêtre Baëinskij à Ljuta). Nous allons voir maintenant une action magique qui doit augmenter l’amour des fiancés ; elle consiste à les régaler de miel l’un et l’autre : « Le starosta offre du miel au fiancé et dit : Que votre amour ait la même douceur que celle du miel ! (tak by solotko ljubïlï jak mit solotkyj) ». Dans un autre village, me dit-on, l’offre du miel n’est accompagnée d’aucune formule de conjuration. Mais, comme je demandais le but de ce rite, on me répondit: «C’est pour que l’amour des fiancés ait la douceur du miel (jak mit solotkyj, tak by i onï solotki) » (Holowka à Prislop). Mais, qu’il s’agisse d’une formule de conjuration ou d’une simple explication, (1) dans les deux cas nous trouvons appliquée la loi de contact. Toute une série de rites sont destinés à faire obtenir à l’un des époux la supériorité sur l’autre : «Le marié et la mariée brisent, dans le cellier (u /fZitï), la hampe du drapeau de la noce (kurahow). Voici le sens de cette superstition : le premier des deux qui frappera l’autre avec ce manche brisé commandera dans le ménage » (F. Peêkan à N. Sinevir'). « Lorsque les mariés sortent de l’église, la mariée s’efforce de marcher sur le pied du marié, pour pouvoir commander dans le ménage » (Volo-voje). J’appellerai maintenant l’attention sur un usage particulier à quelques villages de la Russie Subcarpathique : il fait comprendre jusqu’à un certain point la signification des rites populaires (1) Voir l’explication plus détaillée à ce sujet, pp. 30-31. relatifs au mariage. Bien que les paysans soient très religieux et accomplissent fidèlement les prescriptions de l’Église, néanmoins des unions illégitimes existent dans quelques villages. En voici la raison : d’après la loi, seul le jeune homme qui a fait son service militaire peut contracter mariage sans autorisation spéciale. On élude ainsi cette obligation : les parents des deux jeunes gens se rendent chez le notaire (nota/), devant qui les parents de la fiancée signent un contrat, où on fixe la dot. Après la signature, la noce a lieu, accompagnée de tous les rites et usages populaires, mais sans la célébration à l’église. Lorsque le jeune homme atteint l’âge auquel il peut se marier sans autorisation spéciale, ceux qui avaient vécu jusqu’alors en dehors du mariage se marient à l’église ; ensuite, automatiquement, les enfants, naturels jusqu’alors, sont légitimés. Avant la célébration du mariage civil et du mariage religieux, le mari informe le notaire, après la naissance de chaque enfant, qu’il le reconnaît. Il semble bien que, dans ce cas, les rites populaires qui accompagnent le mariage célébré dans ces conditions sont considérés comme compensant, dans une certaine mesure, le mariage à l’église. Effectivement, on attribue à beaucoup de rites populaires nuptiaux la même signification qu’aux rites de l’église. Ainsi s’explique le mélange des uns et des autres, à tel point que souvent les paysans ne peuvent plus les distinguer. Nous avons reproduit plus haut plusieurs cas où les rites populaires coexistent avec les rites de l’église et, dans l’esprit des paysans, au moins, semblent en faire partie intégrante. D’un autre côté, nous apercevons dans l’ensemble des rites populaires une forte influence de l’église. Ainsi les allocutions du starosta abondent en expressions et phrases empruntées aux prières, ou marquées par l’influence de l’Écriture sainte. De même en est-il pour les chansons, aux noces de campagne. En Russie Subcarpathique, on rencontre très souvent, comme survivance, le rite de l’enlèvement de la fiancée. Ainsi les parents du fiancé et de la fiancée représentent un simulacre de combat pour la possession de la jeune fille : le combat se termine généralement par la victoire des partisans du fiancé. Ensuite les deux camps ont des joutes oratoires, pendant lesquelles le starosta de la fiancée démontre que les partisans du fiancé et le fiancé lui-même ont pénétré par la force dans la maison de la fille, etc... On peut supposer qu’une des raisons de la permanence de cet usage est la jalousie spéciale entre les deux familles, le désir de montrer que la fiancée jouit d’une grande estime dans sa maison et dans son village, et qu’on la voit s’éloigner avec un grand regret. C’est le même motif qui explique les chansons, dans lesquelles les amies et les parentes de la fiancée raillent et humilient, autant qu’elles peuvent, le starosta du fiancé et le fiancé lui-même : cet usage est encore observé maintenant. Les rites représentant l’achat par le marié du droit de s’asseoir à droite de la mariée, ainsi qu’un certain nombre d’autres, peuvent aussi s’expliquer par le désir de souligner le prix qu’on attache à la fiancée. D’ordinaire, c’est le frère de celle-ci qui vend ce droit : on veut ainsi montrer à quel point est précieuse aux parents la jeune fille dont ils doivent se séparer. Il est d’usage même, dans quelques villages, de payer réellement pour la fiancée une assez forte somme d’argent au père, ainsi qu’au village où elle a été élevée. En Russie Subcarpathique, on se contente actuellement de fixer une forte somme pour le droit en question ; en réalité on n’en paie qu’une petite. Dans quelques villages le nimyj (1) remplace le frère de la fiancée. « Lorsque, au retour de l’église, le cortège nuptial est arrivé à la maison du marié, celui-ci, le starosta et le garçon d’honneur (družba) font trois fois le tour de la table et se tiennent debout près de leurs places. Mais le nimyj occupe la place du marié ; il ne dit mot, mais fait signe seulement qu’il veut de l’argent, Comme on lui jette une couronne, il dit qu’il n’en a pas besoin. On l’oblige alors à boire de l’eau-de-vie : il indique à ce moment qu’il faut remplir d’argent l’assiette. Lorsque le marié y met cinquante ou cent couronnes, le nimyj se réjouit et se met à parler ; en même temps il remet cet argent à la mariée et permet au marié de s’asseoir à côté d’elle » (Monastyrec). Tous ces jeux ne symbolisent pas seulement le prix qu’on attache à la fiancée, mais servent aussi de divertissements. Là encore, nous n’envisageons pas l’histoire du développement des rites. Mais nous tâchons seulement d’expliquer comment ils peuvent être actuellement interprétés. L’enquête détaillée à laquelle nous nous sommes livré pour déterminer la signification donnée par les paysans de la Russie Subcarpathique à ces rites, de même que l’observation attentive de leur célébration, nous permettront de donner une théorie du rituel nuptial. Il est hors de doute qu’un grand nombre d’actions magiques de ce domaine sont passées actuellement ou bien dans la catégorie des actions magiques non motivées, ou bien dans celle des jeux et divertissements. Ces derniers, ainsi que les danses, occupent une place importante dans le rituel nuptial en Russie Subcarpathique, de même que chez beaucoup (1) Personnage qui joue le rôle du muet dans les noces. d’autres peuples. Il est donc naturel que beaucoup de rites nuptiaux se transforment plus rapidement en jeux et divertissements que les rites propres aux autres cérémonies. D’autre part, les rites, une fois transformés en jeux et divertissements, se maintiennent avec une grande fixité dans le cérémonial ; ils ne disparaissent pas entièrement et ne passent pas dans un autre cycle de jeux, comme cela pourrait arriver s’ils n’étaient pas intégrés à la série totale des actions et rites nuptiaux, qui ont encore conservé une signification magique. TRAVAUX A CONSULTER : On met une serviette sous les pieds des mariés. Žatkovyč, Zamitky, p. 15 ; Zelenin, Opisanie, Vilenskaja gub., n° 6, p. 113. On tient un pain sur les épaules des mariés. Žatkovyč, Zamitky, p. 13 ; Kožminová, Podkarpatská Rus, p. 62 ; Sumcov, Chleb, pp. 64-65, 127. Les oščipky au mariage. Žatkovyč, Zamitky, p. 18 ; Sumcov, Chléb, pp. 64-65, 127. On répand du houblon, des grains de céréales sur les mariés. Žatkovyč, Zamitky, p. 16 ; Mitrak, fasc. 3, p. 150 ; Kožminová, Podkarpatská Rus, pp. 56-57 ; Zelenin, Opisanie, Vilenskaja gub.,n° 6, p. 114 ; Vitebskaja gub., n° 6, p. 132, n° 7, p. 136 ; Vologodskaja gub., n° 15, p. 204 ; Voro-neiskaja gub., n° 5, p. 339 ; Ekaterinoslaoskaja gub., n° 4, p. 480 ; Ka-zanskaja gub., n° 71, p. 525 ; Kaluiskaja gub., n° 57, p. 602 ; Niiegorods-kaja gub., n° 52, p. 737, n° 100, p. 792, n° 120, p. 815, n° 124, p. 820 ; Novgorodskaja gub., n° 19, p. 864, n° 33, p. 882 ; Penzenskaja gub., n° 5-p. 970 ; Permskaja gub., n° 63, p. 1035 ; Podol'skaja gub., n° 31, p. 1077 ; Pollavskaja gub., n° 21, p. 1117 ; Pskovskaja gub., n° 6, p. 1131, n° 14, p. 1137 ; n° 15, p. 1138, n° 26, p. 1149, n° 31, p. 1152 ; Rjazanskaja gub., n° 24, p. 1181 ; Samarskaja gub., n° 22, p. 1204 (les Mordves). La mère met une hunja, en Russie Subcarpathique, ou, dans d’autres contrées, une pelisse à l’envers. Žatkovyč, Zamitky, p. 16 ; Mitrak, fasc. 3, p. 150 ; Zelenin, Opisanie, Vitebs, kaja gub., n° 6, p. 132 ; Vologodskaja gub., n° 15, p. 204 ; Volynskaja gub., n° 16, p. 314, n° 19, p. 328 ; Voroneiskaja gub., n° 20, p. 352, n° 55, p. 377 ; Grodnenskaja gub., n° 7, p. 450 ; Ekalerinoslavskaja gub., n° 4, p. 480 ; Kazanskaja gub., n° 71, p. 525 ; Minskaja gub., n° 8, p. 690 ; Permskaja gub., n° 63, p. 1035 ; Podol'skaja gub., n° 31, p. 1077 ; Samarskaja gub., n° 22, p. 1201. Les mariés enjambent la table. Žatkovyč, Zamitky, p. 17. La fiancée enjambe la table. Zelenin, Opisanie, Podol'skaja gub., n° 31, p. 1082. Un garçon s’assoit sur les genoux de la mariée. Mitrak, faso. 3, p. 155 ; Zelenin, Opisanie, Archangel'skaja gub., p. 57 ; Novgorodskaja gub., n° 19, p. 864. Moyens employés pour ne pas avoir d’enfants. Mitrak, faso. 4, p. 133 ; Kuzelja, Dytyna, pp. 95-118. Rôle du miel dans les rites du mariage. Zelenin, Opisanie, Volynskaja gub., n° 16, p. 314, n° 19, pp. 328-329 j Grod-nenskaja gub., n° 7, p. 451, n° 9, p. 458. La kurahow (drapeau). Žatkovyč, Zamitky, p. 14 ; Zelenin, Opisanie, Ekaterinoslavskaja gub., n° 4, p. 480. La mariée s’efforce de marcher sur le pied du marié. Žatkovyč, Zamitky, p. 15 ; Mitrak, fasc.. 3, p. 148 ; Birčak, p. 97. Dialogue entre le représentant du marié et le représentant de la mariée. Žatkovyč, Zamitky, p. 19 ; Zelenin, Opisanie, Vilenskaja gub., n° 7, p. 117 ; Permskaja gub., n° 63, p. 1034 ; PodoVskaja gub., n° 31, p. 1077. Mise en scène du rachat de la mariée par le nimyj ou par le frère de la mariée. Zelenin, Opisanie, Vladimirskaja gub., n° 37, p. 170 ; Voroneiskaja gub., n° 25, p. 357, n° 63, p. 383, n° 66, p. 386 ; Kazanskaja gub., n° 71, p. 525, n° 86, p. 541 ; Kurskaja gub., n° 40, p. 674 ; Niiegorodskaja gub., n° 52, pp. 736-737, n° 57, p. 739, n° 66, p. 746 ; Permskaja gub., n° 63, p. 1034 ; PodoVskaja gub., n° 31, p. 1077-1078. Appendice. Vovk, ,, Šljubnyj rytual ta obrjady na Ukrajini ” dans les Studiji z ukra-jinèkoji etnografiji ta antropologiji, Praha, pp. 215-337. Le même article a paru en français sous le titre : ,, Rites et usages nuptiaux en Ukraine ” dans L'Anthropologie, II, 1891 et III, 1892 ; Hnatjuk, Ukrajinika narodnja slooesnist, pp. 25-26 ; Hnatjuk, Ukrajiniki vesil'ni obrjady ; Fischer, Rusini, 1928, pp. 98-104 ; Cvjetko, « Symbolični řeči j obrjady v bolhar-ákomu vesilli v porivnjanni z ukrajinškymy », Etnografičnyj visnyk, VI, pp. 1-15 ; Zelenin, Russische Volkskunde, pp. 306-319 ; Zelenin, ,, Die russische (ostslavische) volkskundliche Forschung in den Jahr. 1914-1926 ”, Zeitschrift fur slav. Philologie, IV, pp. 413-420 ; Sokolovy, pp. 337-394 ; Materiály po svaďte i semejno-rodovomu strojů narodov S. S. S. R., 1926 ; Piprek, Slawische BrauUvcrbungs-und řlochzeitsgebrauche, Stuttgart, 1914 ; Niederle, I, f. 1, pp. 69-98 ; Biegeleisen, Wesele, 1928. CHAPITRE IV. LES FUNÉRAILLES. Dans les rites funéraires de la Russie Subcarpathique, nous observons des pratiques de deux sortes touchant le mort et les survivants. D’un côté, apparaît le souci du corps et de Tôme du défunt, et le désir de lui témoigner pour la dernière fois le maximum d’attentions. D’un autre côté, l’entourage du mort s’efforce de se protéger contre l’influence du cadavre, et contre le retour du mort à la maison, sous forme de fantôme. Le professeur D. K. Zelenin, dans son ouvrage capital, Essais sur la mythologie russe (lre partie) (1), et dans son article sur le culte païen, dans l’ancienne Russie, des morts dits založnye (2), pense que les Slaves orientaux distinguaient deux sortes de morts : les « ancêtres », protecteurs du foyer de leurs descendants, et les morts dits zaloinye, qui ont succombé à une mort non naturelle : les suicidés, par exemple ; les sorciers également sont des morts dangereux. Cette division, vraie en substance, n’est pas toujours confirmée par les témoignages populaires. Elle n’existe pas, en particulier, d’une manière manifeste en Russie Subcarpathique. Le pouvoir maléfique des morts n’est pas toujours attribué uniquement aux défunts de la seconde catégorie. Actuellement encore, les morts se comportent de deux façons. Ou bien on croit que le mort est bien disposé envers sa famille, et on espère qu’il continuera, comme pendant sa vie, à s’en préoccuper ; ou bien, au contraire, le mort, quel qu’il soit, est redouté. On craint que l’influence du mort ne s’appesantisse sur les survivants, qu’il ne fasse valoir ses prétentions sur ses anciens biens, qu’il ne cause enfin la mort des survivants. Il est naturel que les morts, connus pendant leur vie pour leur bonté, inspirent une moins (1) Ocerki russkoj mi/ologii, Vypusk /: UmerSie neestesti’ennoju smertju i ru-salki, Petrograd, 1916. (2) « Drevnerusskij jazyčeskij kul't « zaloinych » pokojnikov », Izvêslija Akademii nauk, 1917. grande crainte, et, inversement, qu’on redoute surtout les sorciers et sorcières. Ceux qui ont succombé à une mort non naturelle, les suicidés principalement, inspirent, par suite du caractère de leur mort, une plus grande crainte que les trépassés ordinaires. De plus, l’Église chrétienne regarde les suicidés comme de grands pécheurs, et les met en enfer. Autrefois, les suicidés étaient exposés à toutes sortes d’outrages et ne recevaient pas les honneurs funéraires habituels. « Autrefois, on enterrait le suicidé à l’endroit même où le suicide, avait été accompli, et non au cimetière ; il était interdit de sonner le glas pendant l’enterrement. Les passants jetaient des pierres sur la tombe du suicidé, ainsi que dans l’eau où il s’était noyé. Maintenant aussi on jette des pierres sur le lieu du suicide, mais on enterre le suicidé au cimetière. » Il était donc naturel de redouter de pareils morts la vengeance des outrages qu’on leur avait fait subir. Nous verrons plus loin que les morts dits zaloinye inspirent en Russie Subcarpathique une crainte plus grande que les morts ordinaires, mais qu’on y redoute aussi fortement ces derniers. Il y a d’abord les rites relatifs au bon état du corps et de l’âme du mort. Ses parents lui font la toilette mortuaire : ils le lavent, et lui mettent de beaux habits. Ils étendent des copeaux et du foin au fond du cercueil, afin que le corps ne heurte pas le bois ; la sensibilité du vivant est donc naturellement transférée au mort. « Ils pensent que les morts dorment mal sur un objet dur ». « Tout ça, c’est des bêtises (to je pustoje) », ajouta un paysan en me parlant de ce rite (M. Holowka à Prislop). On met souvent dans le cercueil les objets dont le mort s’est servi de son vivant, et, si c’est un enfant, un œuf au lieu d’un jouet. « Si un enfant meurt à l’âge d’un an, ou de deux à quatre ans, on place un œuf blanc dans son petit cercueil ; c’est la marraine qui l’y place. Si l’âme quitte le corps, elle prend l’œuf pour s’amuser » (M. Bo-bonïë à N. Bystryj). On met en outre dans le cercueil le bonnet ou le chapeau du mort. « On coiffe le mort d’un bonnet, ou d’un chapeau, dans le cercueil, afin qu’il ne soit pas tête nue dans l’autre monde, et on donne aux pauvres ses vêtements » (F. Peè-kan à Sinevir'). Dans un autre village (Prislop), on m’expliqua cet usage d’enfermer dans le cercueil le bonnet ou le chapeau du mort. « Si c’est un homme âgé, quelqu’un lui pose son bonnet (šapku) sur la tête ; un autre le lui pose sous l’épaule ; si c’est un jeune Rites et Croyances. 8 homme, on lui met toujours sur la tête un chapeau d’été (kalap). Le mort dit ainsi adieu aux survivants » (Prislop) (1). L’usage d’habiller le mort comme il s’habillait de son vivant, et d’enfermer dans le cercueil ses objets les plus usuels, ne signifie pas toujours qu’il continuera sa vie terrestre dans l’autre monde. Remarquons en effet que même celui qui ne croit pas à une existence après la mort (ce qui est très rare en Russie Subcar-pathique), observerait cependant le môme usage à l’égard d’un mort aimé. Les rapports habituels avec le vivant sont reportés mécaniquement au mort lui-même. Et lorsqu’on dépose des objets dans le cercueil avec la croyance qu’ils serviront au mort dans l’autre monde, nous ne sommes pas fondés à supposer que le mort en fera le même usage que sur terre. A vrai dire, le corps même et les objets enfermés avec lui ont, d’après la foi populaire, deux réalités : terrestre et supra-terrestre ; c’est la même chose que pour la croyance, indiquée plus haut, que, si la mère mange des baies avant une époque déterminée, ses enfants morts seront privés des baies du ciel (2). La coutume de jeter de l’argent dans la fosse, ou de le mettre dans le cercueil, existe en Russie Subcarpathique. Nous avons reproduit plus haut l’analyse de cette coutume d’après un sociologue français, M. Lévy-Rruhl : nous voyons qu’elle a différentes interprétations (3). Nous avons recueilli nous-mêmes diverses versions du même usage dans une contrée aussi peu étendue que la Russie Subcarpathique. L’instituteur Bon, qui y a habité plusieurs villages, nous a dit notamment que les parents mettent de l’argent dans (1) Comme pendant à l’usage de mettre dans le cercueil le bonnet ou le chapeau, le même paysan m’indiqua encore l’origine de la coutume qui consiste à frapper avec le cercueil contre le seuil de la porte. « Quand on emporte de la maison le cercueil, on frappe contre le seuil. Quand je m’en vais de la maison, je salue ; quand je m’en vais loin pour longtemps, j’embrasse fort (fajno vycjuluju sja) ceux qui restent ; mais lui, le mort, ne peut rien faire ; voilà pourquoi on trappe contre le seuil » (Holowka à Prislop). Nous trouvons à peu près la même explication en Bukovině. Dans presque toutes les parties de ce pays, on observe la coutume de frapper trois fois avec le cercueil contre la porte d’entrée, avant de la franchir. Dans quelques communes, à Mahala par exemple, on frappe ou, plutôt, on touche légèrement trois fois, avec le cercueil tous les seuils des maisons devant lesquelles on passe. Cet usage signifie que le mort salue la maison où il a vécu, salue tous ceux qui sont venus à ses obsèques, et leur fait ses adieux (Marianû, Inmorm tntarea, p. 264). Voici maintenant une explication rationaliste peu claire de cet usage, que j’ai recueillie dans un village de la Russie Subcarpathique (au village de Tichij, près ďUžok) : on frappe ces trois coups avec le cercueil pour que l’homme se réveille, s’il n’est pas mort tout à fait (Kožmínová, Podkarpatská Rus, p. 63). (2) Voir p. 19. (3) Lévy-Bruhl, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, pp. 11-13. la main du mort « pour que saint Pierre le passe sur son bac » (1) ou, selon une autre version : « On met de l’argent dans la fosse pour prix de la place au cimetière, afin que le mort repose en paix ». Anna Koman, à Černoholovje, comme je demandais pourquoi on met de l’argent dans la main du mort, me répondit : « Pour la rédemption de ses péchés. Quand les diables le prennent, il obtient ainsi sa rédemption ; cette coutume est très ancienne » (2). Dans tous ces exemples, l’argent mis dans le cercueil ou dans la fosse doit servir au mort dans l’autre monde et prouve le souci des parents à son égard. Mais j’ai relevé une autre explication d’après laquelle ce même argent doit rompre tout lien avec les vivants. « Si quelqu’un des parents ne veut pas revoir le mort dans ce monde, il le paie (en lui mettant de l’argent dans la main). Celui qui s’est ainsi racheté reconnaîtra sa femme dans l’autre monde, mais celle-ci ne le reconnaîtra pas, car elle aura les yeux troublés (zamaneni) » (M. Holowka à Prislop). « On se rachète aussi de cette manière, afin que le mari mort ne revienne pas tourmenter les survivants, sa veuve, en particulier. Autrement il reviendrait, la tourmenterait, et elle aurait peur de lui » (M. Holowka à Prislop). Je reproduirai enfin cette réponse : « On met dans le cercueil d’un vieillard dix kreutzers, et dans celui d’un jeune homme un kreutzer. Cela est nécessaire » (N. Koloèava). Le sens exact de ce rite ne put m’être expliqué, mais on souligna sa nécessité. Nous avons là un exemple de rite non motivé. Les paysans de la Russie Subcarpathique expliquent aussi actuellement, dans la plupart des cas, par la sollicitude envers le cadavre, l’usage, hiver comme été, de le transporter dans un traîneau attelé de bœufs ; car, disent-ils, si on usait d’une voiture à chevaux, le mort serait cahoté. « Le mode de transport le plus employé est le traîneau, parce que dans une voiture on cahote (1) Comparez un très intéressant témoignage de ce rite indique dans le livre de Fischer, Zwyczaje pogrzebowe (« Usages funéraires »). Notons particulièrement cette remarque : « La coutume de donner de l’argent au mort a apparu en Europe au xve siècle en relation avec la frappe de monnaies chrétiennes portant l’inscription « Tributum Pétri ». Saint Pierre joue ici le rôle de Charon » (p. 174). Sur cette coutume chez les Bulgares et les Serbes voir P. Čilev, « Sledi ot antiènitè vèrvanija za Charona u Balkanskitè narodi » (« Traces des croyances antiques sur Charon dans les Balkans »), Izvestija za Narodnija etnogra/ski muzej c Sofija, III, 1923, fasc. 3-4. (2) On met aussi souvent dans le cercueil les objets usuels du défunt : son couteau, son fouet, etc., ainsi qu’un peu d’argent pour le rachat de son âme (Kož-mínová, Podkarpatská Rus, p. 63). le mort » (F. Pečkan à N. Sinevir'). Cette explication, qui est la plus fréquente, montre pourquoi cet usage est surtout pratiqué dans les endroits montagneux. On s’y sert du traîneau en été, non seulement pour les enterrements, mais les paysans portent aussi de cette manière les cochons au marché, afin de leur éviter le cahotement dans des charrettes (1). C’est par la même raison qu’on explique la coutume de traîner les morts avec des bœufs : « on les traîne au cimetière avec des bœufs, parce qu’ils vont lentement et qu’il n’y a pas de cahots » (F. Peèkan à N. Sinevir'). Mais voici une autre explication : « Il ne convient pas d’employer les chevaux, mais seulement les bœufs, pour le transport des morts au cimetière. C’est la loi. On transporte les Juifs avec des chevaux, mais, pour les Ruthènes (Rusïny), il faut des bœufs. On ne transporte que les Juifs dans des charrettes. Mais le Ruthène ne peut pas aller ainsi au cimetière, parce que son corps serait cahoté et répandrait de la puanteur » (Prislop). En fait, le Juif est tout aussi cahoté, dans une charrette à chevaux. Il est donc évident que ce n’est pas seulement la crainte de cahoter le corps du mort qui joue ici un rôle, mais aussi la soumission, que rien ne motive, à un ancien usage. « Telle est la loi (tahyj zakon) », comme disent les habitants du pays. Il faut en outre remarquer qu’ils ont de la défiance envers les chevaux ainsi qu’à l’égard de beaucoup d’autres innovations. « Les Ruthènes n’aiment pas à tenir des chevaux ; dans la zone moyenne, on traverserait plus d’un village sans en trouver un seul. Ils disent que les gens vivent pauvrement dans les villages où il y a beaucoup de chevaux, car il n’y a que ceux qui n’ont pas le moyen d’acquérir des bœufs qui en achètent » (2). On m’a souvent indiqué aussi la supériorité des bœufs sur les chevaux : « Les bœufs sont meilleurs (majfajnoje) que les chevaux. Le bœuf vaut mieux que le cheval pour travailler» (Prislop). L’emploi des bœufs, de préférence, en particulier dans les funérailles, ne se recommande pas seulement par des raisons utilitaires ; des considérations à portée semi-religieuse interviennent. J’ai noté ce qu’un jeune paysan me dit à Prislop : « Ce n’est pas bien (skarenno) de transporter les morts au cimetière, avec des chevaux, comme les Juifs. Le cheval n’est pas une bête propre ; (1) Anuèin donne la même explication de cet usage qui a cours chez plusieurs peuples dans son article Sani, laďja i hoň, kak prinadleinosti pochoronnago obrjada (« Le traîneau, la barque et le cheval, en tant qu’accessoires des rites funéraires »), Moscou, 1890. (2) Žatkovyč, Zarnitky (« Remarques »), p. 32. le bœuf est le plus propre des animaux ». Dans la même localité la tzigane Pélagie Slavita me donna sur le même sujet plus de détails : « Le cheval n’a pas la même respiration (ne maje dychanije), il ne croit pas en Dieu. Voilà pourquoi on ne transporte pas le mort avec des chevaux, mais avec des bœufs, et qu’on n’emploie pas la voiture, mais le traîneau. On n’attelle pas commodément les bœufs à une voiture ; un tel attelage n’existe pas ». Il est intéressant de remarquer ici, avant tout, la tendance à expliquer d’une manière rationnelle l’usage du traîneau. « On ne peut pas atteler un bœuf à une voiture ». On voit ainsi que l’usage de porter au cimetière les morts avec des bœufs, qui s’explique par des raisons d’utilité pratique ou de caractère semi-religieux, a sa raison d’être dans la défiance, qui revêt souvent une nuance religieuse, envers les innovations en général, défiance fréquente en Russie Subcarpathique, où on est naturellement porté à donner une foule d’explications du danger des nouveautés (1). Nous voyons de même que plusieurs peuples cherchent à éloigner toute innovation dans les rites funéraires, et emploient souvent des objets depuis longtemps sortis de l’usage journalier (2). Je reproduirai encore l’explication donnée à Sinevir'ska Pol-jana de la même coutume de faire traîner les morts par les bœufs, et non par des chevaux : « Un enterrement avec des chevaux est fait avec pompe (poradnoje dilo), et le mort ne doit pas être mis en terre de cette manière ». L’enterrement avec des chevaux est ainsi considéré en Russie Subcarpathique comme un luxe, déplacé dans cette cérémonie (3). Voici une autre explication curieuse de la même interdiction : « On ne transporte pas les morts avec des juments, afin qu’elles ne deviennent pas stériles » (4). Ici on invoque la crainte que les juments ne soient rendues stériles par l’influence du mort, tandis que les bœufs, qui sont châtrés, ne courent naturellement pas ce danger. Parmi les rites signifiant la sollicitude envers le cadavre, il (1) On peut faire la même observation au sujet de la manière dont on apprécie la pomme de terre chez les Grands-Russes, là où on n’en mange pas. Les uns font valoir que c’est un aliment peu nutritif, les autres que c’est un péché de s’en nourrir. (2) Cf. Čajkanovié, Nekolike primedbe uz srpski Badnji dan i Boîii, p. 265. (3) Comparer l’interdiction observée à Saratov (Russie) de mettre le mort dans un cercueil en argent et en or. (4) Narodnye obyčai i obrjady nad Zbruem (« Usages et rites populaires dans les environs de Zbruj »), II® partie, Lvov, 1912, pp. 37-39. faut mentionner aussi la crainte qu’un chat ne se mette sous son corps : « On ne doit pas laisser un chat sous le corps du mort ; autrement il se corromprait à un tel point (izrobït sja paskunno tilo) qu’on ne pourrait le regarder. Le chat est impur (pohanyj). Il dévore les souris » (M. Holowka à Prislop). Les marques extérieures du deuil revêtent, en Russie Subcar-pathique, ce caractère particulier : les parents ne portent ni bonnet ni chapeau pendant le deuil. « Les parents doivent se conformer à cet usage pendant trois jours, tant que l’enterrement n’a pas eu lieu. En cas de décès, si je vais sans chapeau dans le haut du village, on sait qui est mort » (Holowka à Prislop). « Aller sans chapeau (bes kresani), c’est signe de deuil. Autrefois on ne sonnait pas à l’église, on allait sans chapeau ; les habitants du village savaient ainsi chez qui était le mort » (F. Peèkan à Niž. Sinevir'). Le deuil a ici une signification : il apparaît comme un moyen de faire part de la mort de quelqu’un. En plus de ces rites populaires, les parents du mort accomplissent aussi ponctuellement les devoirs religieux : ils font lire le psautier par un diacre, sonner trois fois le glas ; la plupart du temps, ils ne ménagent pas les dépenses : il faut que le prêtre et le diacre rendent au mort tous les honneurs (1). La famille offre un repas (komašni), après l’enterrement, aux personnes présentes : ce repas a lieu, habituellement, dans la maison du mort, mais aussi quelquefois, à Begendjat Pastel’, par exemple, autour de la tombe même. J’ai enregistré à N. Sinevir' la coutume curieuse de récompenser les hommes et les femmes qui couchent le mort dans le cercueil : si c’est un homme qui meurt, un homme le prend par la tête ; si c’est une femme, une autre femme accomplit le même devoir. L’homme reçoit un mouton, la femme une poule. Comme je demandais la raison de cet usage, il me fut répondu par un jeu de mots : « Celui qui tient la tête du mort (za holovu bere) ou delà morte reçoit une « tête » d’animal (/ndoim zîVm/m) » (2). Les services funèbres en l’honneur du mort, après l’enterrement, (1) Indiquons l’usage en Russie Subcarpathique de payer le prêtre, pour l’enterrement, en bétail, et non en argent : « Autrefois quand un homme riche mourait, les parents devaient donner au prêtre une vache, une génisse, ou cinq brebis ; il y en avait même qui lui donnaient une paire de bœufs » (Jeseňje). Cet usage s’explique sans doute par ce fait que, dans le pays, les échanges se font en nature, et non en argent. (2) Cette manière de payer celui qui prend la tête du mort, en lui donnant un animal domestique, incite à se demander si un semblable paiement ne s’explique pas comme une survivance du sacrifice d’animaux domestiques vivants, sont ainsi célébrés : les parents font dire une messe pour le défunt le quarantième jour ; en outre il y a des fêtes des morts « les samedis des morts (zadušni suboty) ». Dans plusieurs villages de la Russie Subcarpathique, le maître de maison (hazda), lit également, chez lui, une ou plusieurs fois par an, le psautier pour le repos de l’âme des trépassés. Cette lecture dure toute la nuit, et l’on invite les assistants à manger. Passons maintenant à l’examen des rites et des actions magiques, destinés à conjurer le pouvoir maléfique du mort. Autour de celui-ci, comme autour des malades contagieux, il y a une espèce de zone néfaste. Aussi les voisins doivent-ils chercher les moyens de se préserver. « Quand il y a un mort dans une maison, si le voisin fait couver une poule, il met sur les œufs un morceau de fer, pour préserver les poussins de la mort » (Volosjanka, d’après l’instituteur Balcer). Dans la demeure du mort, c’est surtout le blé que l’on cherche à préserver de la contagion. 11 existe pour cela diverses conjurations magiques : « Quand on emporte le mort de la maison, on doit remuer (ruSatï) le grain ; s’il ne bouge pas, c’est signe qu’il ne poussera pas quand on le sèmera (ne zijde nasinje). Il faut le manger, il n’est plus bon à autre chose (ïnio s toho ne valjušno) » (Holowka à Prislop). A Niž. Bystryj un paysan ajouta : « Quand quelqu’un meurt en hiver, il faut remuer le grain ; en été c’est inutile. — Si on ne remue pas le grain pendant les funérailles, le grain ne poussera pas comme il faut » (M. Bobonïé). Comme je demandais, à Prislop, pourquoi on remue le grain, quand on emporte le mort de la maison, on me répondit : « Pour qu’il pousse rapidement, quand on le sèmera, pour qu’il ne périsse pas {ne mertvilo), pour qu’il ne soit pas inerte comme du fer {ne byw mertvyj jak ielizo) ». Dans un autre village on m’expliqua ainsi la conjuration . qui étaient enterrés avec le mort. Comparer aussi ce rite « qui est vraisemblablement une survivance antique : on donne au fossoyeur une poule vivante par dessus la fosse. Ce rite se rencontre près du Pruth, en Bukovině et en Galicie » (Kuzelja). Il faut cependant remarquer que, selon M. Niederle, les os des animaux domestiques, trouvés dans les anciens tombeaux, sont probablement les restes de repas donnés en l’honneur du mort, et non les os d’animaux sacrifiés dans la tombe de leur propriétaire (op. cil., I, 1, p. 261). « Quand on emporte le mort de la maison, on remue le grain, afin qu’il ne meure pas, comme est mort le défunt » (Koločava). Tous ces témoignages concordent pour signifier que le mort contamine le blé par son propre décès, et qu’il est nécessaire d’appliquer des procédés magiques pour redonner à la plante la vie et la faculté de germer : celles-ci reparaissent, lorsqu’on remue et mélange le grain. A propos du même usage, je rapporterai la version d’un jeune homme de Prislop : « Il faut remuer trois fois le grain avant de coucher le mort dans le cercueil (derevišše), et le lancer en l’air (il fit en même temps trois fois ce geste). C’est pour qu’il ne meure pas, pour qu’il germe et croisse (oby sja roslo, oby sja rodilo) ». Nous retrouvons là une pratique magique souvent exécutée pour faire pousser le blé : jeter le grain en l’air (1). Nous indiquerons encore la conjuration qui sert à conserver le pain à la maison : « Quand on emporte le mort de la maison, tous les assistants prennent du pain, et regardent par la fenêtre vers la forêt, pour qu’il y ait toujours du pain (aby chlip u chyii ne percviw) » (N. Sinevir'). Ici, selon la loi de contact, le seul acte de toucher le pain avec la main doit le faire rester à la maison, comme les survivants eux-mêmes. On croit en effet à une relation étroite entre le grain et le maître de la maison. Celui-ci, une fois mort, emporterait la force vivifiante [spora) qui permet au grain de produire des épis : pareillement, les Slaves orientaux, principalement les Blancs-Russes, croient que les sorciers peuvent détruire cette force, rendre vides les épis (2). « Lorsqu’on emporte le mort de la maison, il faut remuer le grain, parce qu’il s’en va quelquefois avec lui. Autrement quand on sème le grain, la tige pousse, mais sans épi (stéblo je, a zerno ne je) » (M. Holowka à Prislop). On se représente parfois cette influence comme si le grain regrettait le mort. « Lorsqu’on enterre le maître ou la maîtresse (gazdynja), on remue et on mélange le grain pour qu’il ne s’effraie pas (ne puhalos'), et que le regret du maître (ne žalovalo sja) ne (1) Voir page 54. (2) Voir K. Moszyňski : O irddlach magji i religji (« Origine de la magic et de la religion »), pp. 6-8. l’empêche pas de pousser » (Smerekova). Dans le cas cité, il s’agit peut-être d’autre chose que d’une image. On personnifie le blé qui, à l’instar d’un être vivant, regrette son maître et cesse de pousser.L’action magique de remuer le blé sert à contre-balancer l’influence mortelle du défunt, à conserver, en vertu de la loi de similitude, au blé sa force vivifiante (spora). A côté de ces actions magiques antidestructives, et opposées à la contagion mortelle du mort, existe encore un tabou relatif à l’usage du pain. J’ai enregistré l’interdiction suivante : « On ne doit pas donner à manger par dessus le mort. Quand on mange à table, un morceau de pain ne doit pas tomber du côté du mort, autrement le pain et le grain mourraient » (M. Holowka à Prislop). Par un passage de la partie au tout, l’influence maligne du mort se transmet au pain et au grain, par l’intermédiaire d’un morceau de pain. Un autre tabou, l’interdiction faite au cortège funèbre de traverser un champ ensemencé, s’explique encore par la crainte du pouvoir dangereux du défunt. Le curé du village de Černoholovje, nommé Baèinskij, m’a raconté ceci : un jour qu’il accompagnait un mort au cimetière, le chemin étant très boueux, il s’écarta du cortège et passa par un champ. Il se trouva que la récolte fut mauvaise. Le propriétaire vint lui reprocher d’avoir causé la mauvaise récolte, en passant par son champ. L’influence du mort menace les vivants, ses parents en particulier. Aussi, pour la conjurer, prend-on des mesures. Ainsi, à Prislop : « Quand on emporte le mort de la maison, les parents regardent la forêt (dïvljat na chašču), afin de rester aussi sains qu’elle (aby bylï taki zdorovi jak chaščá) ». Dans le même village j’ai enregistré un rite plus compliqué, visant au même but : « Quand on a emporté le mort et balayé la maison, les membres de la famille (čeljať) se rangent derrière la table, et on les asperge trois fois de l’eau d’une cruche (is konvy) ; puis ils doivent regarder un arbre vert, (sijroje dercvo) et dire : De même que cet arbre est sain, nous, nous sommes sains (jakyj to derevo zdorovyj, taki j my zdorovi) ». A l’acte de regarder un arbre s’ajoutent les détails obligatoires de la famille derrière la table et de l’aspersion de l’eau. Il existe en Russie Subcarpathique, une quantité considérable de rites, dans lesquels l’eau et la table jouent ,un rôle bienfaisant, donnent la santé et la richesse. Ainsi les pratiques exécutées à la naissance et au baptême de l’enfant, la veille de Noël, à Pâques, et à d’autres fêtes. Le fait de regarder un arbre transmet, selon la loi de contact, à celui qui le regarde la qualité de l’objet regardé. Le contact ne s’opère ici, il est vrai, que par l’intermédiaire de la vue. L’influence mortelle du défunt peut aussi se transmettre par les ordures qui sont sur le plancher, alors que le corps est encore dans la maison. J’indiquerai l’usage suivant : « La femme qui nettoie la maison où est mort quelqu’un, reçoit un tourteau (oščipok) de maïs, d’avoine ou de seigle » (N. Sinevir', Y. Bys- tryj). Comme je demandais, dans la première localité, l’explication de cet usage, on me répondit : « Comme personne ne veut nettoyer la maison où est mort quelqu’un, on détourne le mauvais sort [prïvorozujut) ; pour que la femme qui se charge de ce travail ne meure pas, on lui donne, comme elle est pauvre, un oščipok » (F. Pečkan à N. Sinevir'). Le danger est principalement concentré sur le seuil de la maison, ce qui explique la crainte qu’on a de le franchir. Quand un veuf se remarie, sa seconde femme entre dans la maison, après la célébration du mariage, non par la porte, mais par la fenêtre (Comitat de Marmaroš). « Pareillement, lorsque les enfants meurent dans une famille et qu il naît un autre enfant, on le fait entrer (après le baptême), pour qu’il reste en vie, non par la porte, mais par la fenêtre près de laquelle est une table (krüz zastol'nyj vyzür) ». Si le seuil de la porte est considéré comme le point dangereux, la fenêtre au contraire protège contre l’influence nuisible du mort. On s’en sert pour se délivrer du regret du mort. « Le veuf ou la veuve d’une femme ou d’un homme morts jeunes prend avec la main la table ou le pain. Les parents lui font ouvrir la fenêtre : de cette manière, le mort et le survivant ne souffriront pas de la séparation [Stohy ne hanovalï druh za druhom) ». Il existe d’autres moyens d’empêcher le mort de se manifester à la vue du survivant ; en voici un : « Pour ne pas avoir à craindre son mari mort, la veuve crie trois fois son nom dans une espèce de tuyau qui fait partie du poêle [u ciwku) » (Bohdan). Mais la visite des morts-vampires est particulièrement dangereuse. On prend des mesures spéciales pour l’empêcher : « Si le mort est un sorcier, on jette des pavots à profusion sur le chemin, afin qu’il s’occupe à les ramasser (štoby tôt bosurkun maw robotu zbiratï, aby sja zajmal) » (F. Pefikan à N. Sinevir'). « Vampire ou sorcier : c’est la même chose (upïr, bosurkun, to jenno). On enferme dans le cercueil du vampire des copeaux, du papier, des morceaux de tremble (osïku), des clous ; ensuite on lui attache un pied avec de la ronce (ozinow), s’il était méchant pendant sa vie (kolï duze ljutyj byw). Près de la tombe on répand neuf fois des pavots qu’on choisit « aveugles » (slipyj) » (le tzigane André Slavita à Prislop). Quelquefois les paysans prennent des mesures plus radicales pour se débarrasser des visites des vampires. Le vieux curé du village de Ljuta, qui y est né, m’a raconté qu’il avait gardé le souvenir d’un fait qui s’était passé dans son enfance. On déterra le corps d’un paysan, qui passait pour vampire après sa mort : « on lui coupa la tête et on le tourna en bas dans le cercueil ». Pendant mon dernier voyage en Russie Subcarpathique, en compagnie de M. Gavazzi, je m’arrêtai pendant quelques jours au village de N. Bystryj. Des bruits y circulaient alors qu’une femme morte récemment revenait tourmenter les vivants, à commencer par son mari. Le fabricien (kurátor) de l’église affirma ensuite, comme cela me fut raconté, qu’elle était venue chez lui : « Elle l’avait pris par la bouche et voulait lui mordre le petit doigt (brala v rot ta chotila kus'üï mizeVnïk) ; il échappa à la morsure, mais alors elle le mordit au côté » (kusala za bük)( M. Bobonïè à N. Bystryj). Quelques paysans déclarèrent que c’était une basur-kanja (1), et qu’il fallait la déterrer et la couper en morceaux (porubatï). On rappela alors divers faits de sa vie, qui témoignaient qu’alors déjà elle possédait une force surnaturelle. Ainsi, une fois qu’elle était malade, la femme de ce même fabricien, étant venue la voir, l’entendit grincer des dents. Elle lui en demanda la cause. La sorcière répondit: «Ton mari bat mon cochon ». Revenue à la maison, la femme du fabricien lui demanda s’il avait battu un cochon. « Oui », répondit-il, « je l’ai battu, parce qu’il était venu manger nos pommes de terre ». On avait donc la preuve que la sorcière avait le don de double vue. Un jeune homme me raconta aussi que les villageois disaient que « de son vivant, on voyait deux petits hommes dans ses prunelles (u jew v očach bylo, kolï iïva byla, 2 čulooička) » (N. Bys- tryj). A propos de cette visite de la basurkanja, on se mit à raconter des histoires d’autrefois, quand on coupait en morceaux des (1) Sorcière. sorciers, ce qui faisait cesser les apparitions. Voici ce que me raconta un jeune homme à N. Bystryj. « On déterra une fois, il y a longtemps de cela, un sorcier : on le trouva couché sur le côté et tout ensanglanté. Les personnes présentes furent effrayées, puis elles lui coupèrent la tête et la placèrent entre les jambes. Le mort se mit à pousser des cris : « Pourquoi me torturer ? » (ci izzilï ste mnja ?). Quand on se mit à le couper en morceaux, on mit dans sa bouche des morceaux de tremble ». Il existe des signes d’après lesquels les paysans distinguent habituellement le mort ordinaire du mort particulièrement dangereux. Si le corps ne durcit pas, on met des pavots ou du charbon dans le cercueil, « pour que le mort compte les graines de la plante ou écrive avec du charbon : grâce à cette précaution, il ne sortira pas du cercueil ». D’ailleurs, ce ne sont pas seulement les vampires qui visitent les vivants. M. Holowka de Prislop m’a raconté ce fait, à propos de lui-même : « Ma mère me tourmentait. Un jour, après sa mort, je dormais non pas ici, dans la maison, mais hors de la maison, sur du foin (na oborozi). Et j’eus un rêve : je me battais avec quelqu’un, à coups de couteau. Je me réveillai en sursaut. J’avais la chemise si mouillée que j’aurais pu la tordre (taka na mni soročka byla mokra, bo moš skrutïtï) ». Comme je lui demandais pourquoi sa mère venait le tourmenter, il me répondit que, sans doute il avait dû l’offenser de son vivant. Mais les paysans de la Russie Subcarpathique ne considèrent pas comme nuisibles et indésirables toutes les visites des morts qui reviennent à leur ancienne demeure. Dans certains cas ils favorisent leur retour. « Si quelqu’un meurt, on ne doit pas blanchir la maison (ne moš mastïtï). L’âme doit la hanter une année. Si l’on fait ce travail, il faut laisser intacte une partie du plafond. L’âme erre au plafond, on doit lui laisser de la place (u povalu duša chodit, aby mala misto) » (M. Holowka à Prislop). Au village de Ljuta, « le jour de l’enterrement, on laisse de l’eau et une serviette sur la table ; une chandelle y brûle toute la nuit ; l’âme entre par la fenêtre et se lave ». J’ai pu également constater la croyance dans quelques villages que l’âme du mort a le même aspect que les êtres vivants : « Si quelqu’un meurt, et que, la première nuit, un des parents répande de la farine sur la table, le mort, qui revient dans sa demeure cette nuit-là, laisse sa trace sur cette farine: quelqu’un semble y avoir marché » (M. IIo-lowka à Prislop). L’instituteur de N. Bystryj, nommé Chalanskij, m’a raconté que sa femme, une institutrice, se trouvait une fois dans une maison mortuaire. La chambre était bondée de visiteurs ; il y faisait une chaleur étouffante. L’institutrice demanda aux paysans pourquoi ils n’ouvraient pas la fenêtre. Ils répondirent : « On ne peut pas, l’âme s’en irait ». Beaucoup de rites funéraires de la Russie Subcarpathique, et leurs explications, rappellent des pratiques analogues existant parmi les gens plus éclairés des villes, ou du moins qui nous sont très familières, tels que le souci du corps et de l’âme du mort, et même la crainte que celui-ci nous inspire. Mais ce qui nous est au contraire entièrement inconcevable et s’oppose totalement à la manière dont nous remplissons nos devoirs envers les morts, ce sont les jeux, ayant quelquefois un caractère obscène, et qui sont exécutés en présence du mort dans le svičinja et les lopatky (1). L’étude des cérémonies et rites magiques pratiqués dans les funérailles en Russie Subcarpathique nous montre que la plupart d’entre eux servent à écarter l’influence nuisible du mort et à lui enlever le pouvoir de revenir : ils se distinguent des actions exécutées à la naissance, au baptême, au mariage, aux fêtes, patronales, — opérations qui ont pour but de faire apparaître, selon la loi de contact, la qualité de quelque objet ou, selon la loi de similitude, la chose désirée ou le résultat recherché. Les actions magiques de préservation se distinguent du tabou de la manière suivante : le tabou interdit d’accomplir une certaine action, pour ne pas provoquer des résultats funestes ; dans l’autre cas, au contraire, il est recommandé de passer à l’attaque, pour ainsi dire, et d’accomplir une série d’actions qui viendront contrecarrer ce qu’on redoute. Les explications des paysans indiquent avec évidence que le cadavre, comme tout autre objet, possède à certains moments déterminés la faculté, selon la loi de contact, de transmettre à un autre objet une de ses propriétés les plus caractéristiques, en l’espèce, la mort même. Cependant, il résulte d’autres croyances, que le cadavre n’apparaît pas seulement comme un objet à qualités définies, qui peuvent se transmettre magiquement à un autre objet, mais qu’il est doué aussi des qualités de l’être vivant, qu’il peut manifester son initiative, entrer en relati ns avec des personnes vivantes, leur nuire parfois. Comme le croient de nombreux peuples, les morts acquièrent, dès qu’ils ont quitté (1) Voir Le Monde slave, 1926, n° 11, p. 9. la vie, une force surnaturelle : nous voyons ainsi que la croyance à la vie des morts dans l’autre monde se complète de celle qui leur attribue une force surnaturelle, ce qui nous fait passer au culte des morts. Les matériaux recueillis par nous en Russie Subcarpathique ne nous permettent pas d’affirmer l’existence de la croyance aux morts pourvus d’une force surnaturelle ; les morts-sorciers ne peuvent entrer ici en considération, car, déjà pendant leur vie, ils avaient une force surnaturelle ; mais, en tout cas, ces matériaux nous renseignent suffisamment sur la foi des Carpathorusses en une autre vie. TRAVAUX A CONSULTER : On sonne le glas. Fischer, Zwyczaje, § 41, pp. 145-149. On habille le mort. Žatkovyč, Zamithy, pp. 23-24 ; Kožminová, Podkarpatská Rus, p. 62 ; Zavojko, p. 93 ; Fischer, Zwyczaje, § 29, pp. 90-111. On met le chapeau ou le bonnet dans le cercueil. Zelenin, Opisanie, Volynskaja gub., n° 16, p. 311. Usage de mettre divers objets dans le cercueil. Abramov, p. 56 ; Bogatyrev, Vërovanija, p. 70 ; Kožminová, Podkarpatská Rus, p. 63; Niederlo, I, 1, pp. 242-244; Marianu, Inmormintarea, p. 2^0. On frappe le cercueil contre le seuil. Žatkovyč, Zamitky, p. 25 ; Kožminová, Podkarpatská Rus, p. 63 ; Kuzelja, Posyiinje, p. 197 ; Čumák ; Zelenin, Opisanie, Penzenskaja gub., n° 25, p. 987 ; Podol’skaja gub., n° 32, p. 1089 ; cf. Oloneckaja gub., n° 5, p. 202 ; Anučin, pp. 2-3, 8-13. Usage de mettre de la monnaie dans le cercueil. Kožminová, Podkarpatská Rus, p. 63 ; Kuzelja, Posyiinje, p. 197 ; Zelenin, Očerki, p. 293 ; Zelenin, Opisanie, Astrachanskaja gub., n° 38, p. 75 ; Volynskaja gub., n° 10, p. 311 ; Voroneiskaja gub., n° 23, p. 355 ; Vjats-kaja gub., n° 11, p. 400 ; Kaluiskaja gub., n° 27, p. 585, n° 28, p. 586, n° 49, p. 597 ; Penzenskaja gub., n° 1, p. 967 ; Saratovskaja gub., n° 48, p. 1253 ; Zavojko, p. 66 ; Fischer, Zwyczaje, § 47, pp. 179-183 ; čilev ; Marianu, Inmormînlarea, p. 246. Les funérailles en traîneau. Kožminová, Podkarpatská Rus, p. 63 ; Hnatjuk, Huculy, p. 47 ; Hnatjuk, Ukrajináka narodnja slooesnisť ; Zelenin, Elnografiíeskija roboty, p. 159 ; Bogdanov, pp. 115, 116 ; Zavojko, p. 95. Interdiction de transporter le mort au cimetière dans une voiture attelée de chevaux. Fischer, Zwyczaje, pp. 282-283 ; Zavojko, p. 95. Deuil. Fischer, Zwyczaje, pp. 307-315. Les plus proches parents vont tête nue. Žatkovyč, Zamitky, p. 24. Le repas en commémoration du mort. Kožmínová, Podkarpatská Rus, p. 63 ; Žatkovyč, Zamitky, p. 26 ; Zelenin Opisanie, Vitebskaja gub., n° 6, p. 133 ; Volynskaja gub., n° 12, p. 295 n°16, p. 312 ; Grodnenskaja gub.,n° 7, p. 452 ; Kazanskaja gub., n°71, p. 526; Kurskaja gub., n° 16, p. 663 ; Minskaja gub., n° 8, p. 692 ; Penzenskaja gub., n° 6, p. 275, n° 10, p. 972 (les Mordves), n° 15, p. 978 ; Poltavskaja gub., n° 9, p. 1103 ; Rjazanskaja gub., n° 24, p. 1180 (au carrefour) ; Sara-tovskaja gub., n° 23, p. 1227 ; Zavojko, pp. 96, 98 ; Fischer, Zwyczaje, pp. 375-393 ; Fischer, Swiçlo ; Niederle, I, 1, pp. 273-295, 298 ; Murko, Grab als Tisch. Interdiction de faire couver quand il y a un mort chez le voisin. Zelenin, Opisanie, Volynskaja gub., n° 12, p. 293. On mélange des grains. Comparer l’usage de faire passer par dessus le cercueil un paquet avec du pain et du sel et des grains... afin qu’il y en ait toujours dans la maison. Žatkovyč, Zamitky, p. 26. On répand dans la maison de l’avoine ou des grains, lorsqu’on a emporté le mort, afin qu’il ne les prenne pas avec lui. Zelenin, Opisanie, Vilenskaja gub., n° 7, p. 117 ; Fischer, Zwyczaje, pp. 252-253. Visites des morts aux survivants. Fischer, Zwyczaje, pp. 324-331 ; Wollman. Usages relatifs à la fenêtre. Žatkovyč, Zamitky, p. 19 ; Kuzelja, Dylyna, p. 52 ; Niederle, I, 1, p. 298 ; Marianu, Inmormlntarea, pp. 264-265. Usage de regarder le tuyau du poêle pendant l’enterrement. Zelenin, Opisanie, Kazanskaja gub., n° 87, p. 545 ; Niiegorodskaja gub., n° 8, p. 722, n° 123, p. 818; Kagarov, p. 78. Coutumes liées au pavot. Kuzelja, Ukrajinéki pochoronni zvylaji, p. 149 ; Zelenin, Opisanie, Volynskaja gub., n° 12, p. 294. On touche le mort avec un pieu. Zelenin, Očerki, p. 28 ; Čumák ; Niederle, I, 1, p. 298. Le mort laisse des traces (de sa visite). Zelenin, Opisanie, Volynskaja gub., n° 12, p. 293, Zavojko, p. 89* Les jeux près du cercueil. Bogatyrev, Les jeux dans les rites ; Hnatjuk, Huculy, p. 47 ; Demjan ; Zelenin, Očerki, pp. 101-102, ,104-105, 107-108 ; Zelenin, Opisanie, Vo-logodskaja gub., p. 198. Appendice. Zelenin, Russische Volkskunde, pp. 319-335 ; Zelenin, « Die russiehe (ost-slavische) volkskundliche Forschung in Jahren 1914-1926 », Zeilschrift fur slav. Philologie, IV, pp.420-421 ; Hnatjuk, Pochoronni zvyiaji ; Hnatjuk, Ukrajinéka narodnja slovesnist, p. 26 ; Kagarov, « O značenii nëko-toryeh russkich i ukrainskich narodnych obyèaev », Izvéstija otd. russk. jaz. i slov., XXIII, fasc. 2, pp. 77-78. CHAPITRE V LES APPARITIONS ET LES ÊTRES SURNATURELS La croyance aux apparitions, aux êtres surnaturels, ainsi qu’à la puissance des sorciers ou des cérémonies magiques est encore toute vivante chez les paysans russes des Carpathes. Aujourd’hui encore, on rencontre des paysans qui, non seulement vous disent que leurs parents ou connaissances ont aperçu tel ou tel être surnaturel, mais vous décrivent aussi comment eux-mêmes ont rencontré un opïr (vampire), un nučriik (esprit de la nuit), un bosurkun (sorcier) ou une bosurkanja (sorcière). Une étude attentive de ces récits nous permet d’en attribuer l’origine à des hallucinations ou à des phénomènes de ce genre. J’en donnerai pour exemples les apparitions surnaturelles qui se sont produites au cours de mes voyages d’études en Russie Subcarpathique. ★ ♦ * Dans l’église d’un village du comitat de Zemplin, les images du Christ et de la Vierge apparurent miraculeusement. Les pèlerins commencèrent à s’y rendre, même du comitat voisin d’Uzhorod, et y apportèrent de nombreuses offrandes. Ce miracle éveilla l’intérêt du clergé local. Un conseil d’enquête, composé de plusieurs évêques, déclara qu’il n’y avait pas eu de miracle, et que les pèlerins avaient été induits en erreur. Mais les pèlerins ne tinrent pas compte de ce jugement, et, rentrés dans leurs villages, continuèrent partout à parler du miracle. Sous l’impression de ces récits, ils se mirent à examiner les croix de leurs villages, et découvrirent d’autres images miraculeuses. A la longue, la pluie et le vent creusent, sur les croix de pierre, des figures imprécises. La rouille agit de môme sur les parties métalliques des croix de pierre ou de bois. Ces traits confus furent, Rites et Croyances. g eux aussi, considérés par les paysans comme des images miraculeuses. En ma présence, un paysan vit un jour ces images. Je passais en sa compagnie auprès d’une croix de pierre, dans le village de Husnoje (comitat d’Uihorod). Le paysan s’arrêta près de la croix, et me dit que, récemment, les images du Christ et de la Vierge y étaient apparues. Après avoir fait la remarque qu’on ne devait pas les désigner de la main, il ramassa sur la route une branche sèche pour m’indiquer des traits creusés dans la croix par la pluie et le vent. Ces traits ne ressemblaient guère aux images du Christ et de la Vierge, mais le paysan me déclara, d’un air convaincu, qu’il les voyait nettement. Dans le village de Černoholovje (comitat ďUžhorod), une foule de paysans, rassemblés près d’une croix voisine de l’église, y voyaient les images. De même, ceux de Ljuta se réunissaient le soir autour de la croix, et, des cierges à la main, chantaient des litanies. Le clergé local s’efforça d’expliquer qu’il n’y avait pas de miracle, mais il ne lui fut pas toujours possible de prendre ouvertement position. Les paysans pensent que, seules, les petites gens, « le paysan russe (ru&kyj čulovih) » (1), voient ces images ;«les « Messieurs » ne peuvent pas les voir (pany vïdi( to ne mohut) ». Et, si le prêtre avait pris nettement parti contre ce prétendu miracle, ils en auraient probablement conclu : « Le pope est un pécheur, aussi ne peut-il voir les images ». Il suffisait donc de quelques linéaments, rappelant à peine l’ébauche d’une figure humaine, pour que l’imagination de toute une foule complétât l’image et achevât de la dessiner. Très souvent, les récits d’apparitions miraculeuses se rapportent à des faits sans réalité (dans le cas présent, c’étaient des images confuses), mais que l’imagination transforme et développe dans des proportions extraordinaires. L’exemple précédent nous montre l’un des cas les plus rares d’autosuggestion collective. Un autre du même genre semble s’être présenté à Hust. J’ai recueilli divers récits de phénomènes extraordinaires qui se seraient produits aux alentours et à l’intérieur d’une maison de cette ville. Je n’ai pu arriver à savoir ce qui s’était passé en réalité, et me borne à reproduire quelques récits de chutes de pierres à Hust (2). (1) Ici le caractère de la nationalité se confond avec la situation sociale, ainsi ruékyj čulovih, « le Russe », veut dire « paysan russe ». (2) Hust est une ville de 12.000 habitants : 6.000 catholiques grecs et romains, 2.000 orthodoxes, 3.500 israélites. « Les pierres tombaient, là où est aujourd’hui l’église orthodoxe. Le propriétaire était orthodoxe. On l’avait mis en prison. Une fois, quelqu’un était assis chez lui, et voilà que la table se renverse. Ils sortent dans la cour. Des pierres y tombaient. C’était en 1914 à Hust, trois mois avant le début de la guerre. Michajil Palkanïé allait chez lui. Tout le jour, toutes les vingt ou trente minutes, une pierre tombait du ciel, et, de six heures à dix heures, les pierres tombèrent, toutes les trois minutes. Et la pierre tombait sur le toit sans blesser personne. Et c’était plein de gendarmes et de gens, dans les trois mille ! Tous les soirs, gendarmes, police, tout y était. On s’entassait, comme à la sortie de l’église. Et une pierre tomba au milieu d’eux. Et quand on toucha cette pierre, des étincelles jaillirent comme quand un schrapnell éclate, Et pas une pierre n’effleura même les gens. Le jour où la guerre éclata, on n’entendit plus rien, et les pierres cessèrent de tomber. Un homme allait en voiture, et dit que ce n’était pas vrai, et une pierre tomba juste dans sa voiture pour le convaincre. Dans la maison, il y avait un sac de pommes. Une pomme en tomba, et les enfants en demandèrent encore une. Les pommes se mirent à tomber jusqu’à ce que le sac soit vide. Une vieille femme (baba) passait. Elle appela celui qui lançait des pierres. Aussitôt toute sa manche fut couverte d’immondices. Elle dut rentrer, et elle n’a plus porté cette blouse ». Voilà la version donnée par Štifus. Et voici celle d’Ivan Incik, lui aussi de Hust. « C’est arrivé à Hust, en 1916. Le maître de la maison était en prison pour sa foi. Et voilà que, dans la semaine, les pierres se mirent à tomber sur la maison, sans que personne sût d’où. Elles tombaient souvent, six ou sept par minute. Elles tombaient aussi au milieu des gens, mais sans toucher personne. Les gendarmes cherchèrent, mais sans rien trouver. Quand quelqu’un entrait dans la chaumière, les objets se mettaient en mouvement. Quand le propriétaire de la maison sortit de prison, il regarda la maison. Il entra dans la cour sans se signer et dit : « Si Dieu veut me détruire, qu’il me tue... » Mais les pierres ne le tuèrent pas. Sans cesse, elles tombaient sur la maison, et il allait, priant Dieu. Nous sommes venus à trois chez lui. un ami, sa femme, et moi. Il prit son psautier et le lut avec attention. La chaise se tourna vers lui, et nous demandâmes : « Que celui qui fait cela réponde ». Mais rien ne répondit. Ensuite, nous sommes sortis tous trois. Nous avons parlé deux minutes dans la cuisine, et tout ce qui était dans la maison se rassembla en une seule place : banc, lit, chaises ; et ce qui était sur les étagères tomba par terre. Or la porte de la maison était fermée. Et jusque de la cuisine, la passoire à lait était venue. Cinquante à cent personnes sont allées voir cela. La petite fille de cet homme sur la maison de qui tombèrent les pierres vit à Hust. Sa mère est morte. Elle va chez sa fille et Tétoufl'e. Ils ont donné déjà bien de l’argent aux médecins. Elle fait tout pour se guérir, çà ne sert à rien. La mère, morte, veut que sa fille meure, elle aussi » (1). (1) Pour les chutes de pierre et les désordres dans les maisons, voir P. Boga-tyrev, « Vôrovanija velikorussov Senkurskago uèzda. Iz létnej exkursii 1916 goda » (« Croyances des Grands-Russes du district de Senkursk »), Etnograli-ieskoe obozrěnie, XXVIII, 1916, n° 3-4, p. 48. D’après les récits précédents, plusieurs personnes ont vu la même apparition surnaturelle, mais, en réalité, elles ont eu des hallucinations diiïérentes ; peut-être même, d’une manière générale, un seul sujet a eu l’hallucination ; plus tard seulement cette hallucination isolée a été décrite par celui qui l’a eue comme s’il s’agissait d’hallucinations collectives. Comme illustration du même phénomène, nous reproduirons le récit d’une femme : « Je venais de Volovoje ; m’étant attardée, je dus entrer chez un paysan, à Radawka, pour demander de passer la nuit avec mon enfant. Il nous donna l’hospitalité, nous olfrit à manger et plaisanta beaucoup avec moi. Il était marié, et avait trois enfants. Cependant toute la famille se préparait à dormir dehors. Je demandais alors pourquoi ils ne couchaient pas dans la chambre. Le paysan me répondit : « Ah, bonne femme de Dieu, nous avons une grande peur et de vilains rêves quand nous y couchons » (u nas, žena boža, velikyj strach a nedobryj son). Cependant ils n’allèrent pas dormir dehors. Le père se coucha avec son enfant, la mère avec ses deux autres enfants sur un banc près du poêle ; on me mit sur un autre banc avec mon enfant. La lumière éclatante de la lune éclairait la chambre. Il me sembla que le maître de maison se levait de son lit pour venir dormir avec moi. Je me mis à crier très fort pour que sa femme l’entendît : « Que voulez-vous ? Que voulez-vous ? » Le paysan ne répondit rien ; il se leva près de la table et me marcha si fort sur le pied que je me levai à mon tour. Alors un changement se produisit en lui ; il prit la figure de mon fds, celui que j’avais laissé à la maison. Aussitôt je me mis à crier : « Jean, où vas-tu ? » Je fus prise d’une grande frayeur, et priai Dieu. Sous la forme d’un enfant, je vis alors quelqu’un s’approcher de mon fils dormant près de moi : il lui serrait la main en disant : « Lève-toi et crie pour que tous se lèvent ; si tu ne cries pas, je te déchirerai en morceaux {pohrysu) ». Nous nous levâmes alors, mon enfant et moi, et priâmes Dieu. Au matin, mes hôtes me demandèrent si nous avions bien dormi. Je répondis que oui, puisque nous nous étions levés bien portants {dobré, koj srně dobré stali). Alors le paysan s’écria : « Nous, c’est le contraire, car nous avons peur dans la maison (u nas duze tjaškyj dobré, bo u nas u chyšy pudit). Elle n’a pas été construite à un bon endroit {ni na éïstom misti pobudovali sja) ». Il ajouta qu’ils allaient s’en aller ailleurs ». Pour bien comprendre cette hallucination à caractère érotique, il faut considérer que la femme qui m’a fait le récit était tzigane. Comme les prostituées, en Russie Subcarpathique, sont parfois des femmes tziganes, il est facile de comprendre que la nôtre, restée seule avec son enfant dans une cabane étrangère, peut craindre que le paysan, qui pendant le repas avait dit des plaisanteries inconvenantes, ne voulût lui faire violence. Une personne impressionnable pouvait avoir une hallucination de ce genre, dans un cas semblable. L’hallucination du fils de la tzigane, si d’ailleurs il en eut une, se produisit sans doute sous l’influence de la frayeur et du cri de sa mère couchée près de lui. Quoi qu’il en soit, la narratrice était convaincue d’avoir vu une apparition surnaturelle. Les cas où les faits extraordinaires ont eu plusieurs témoins sont assez rares. Par contre, ceux qui n’ont été perçus que d’une seule personne sont bien plus fréquents et peuvent être enregistrés en très grand nombre en Russie Subcarpathique. Voici un des plus caractéristiques : « C’était avant la guerre, je ne sais plus bien quelle année ; un jeune homme était resté tard à la « veillée ». 11 rentrait chez lui. Sa maison était au bout du village, près de la tololea (1). Non loin de sa maison, il y avait une puslynja, c’est-à-dire une chaumière vide, dans laquelle personne n’habite. C’était l’été, quand tout a fini de pousser, et, devant cette pustynja, il y avait du chanvre, des raves et des fèves. Et le jeune homme arriva donc près de la pustynja, et la lune brillait si bien qu’on voyait tout. Et voici qu’il aperçoit un grand loup, campé devant la pustynja, regardant par la fenêtre à l’intérieur. Il eut si peur qu’il se mit à crier. Et le loup le regarda, se retourna sans se presser, et traversa raves, fèves, et chanvre. Et il se fit si grand que le chanvre, qui était pourtant haut, n’atteignait même pas son ventre. Le jeune homme se mit à courir vers sa demeure ; il poussa encore un cri, et, de frayeur, s’abattit par terre. Son père sortit, le porta dans la maison et lui demanda ce qui était arrivé ; mais il ne put dire un mot, tant il avait eu peur. Ce n’est que le lendemain matin qu’il raconta ce qu’il avait vu, et jamais plus il ne rentra si tard la nuit. Et ceci est vraiment arrivé, c’est la sainte vérité. Ce jeune homme vit encore aujourd’hui, marié, avec des enfants ». « Son père, lui aussi, rentra une fois très tard du village ; il ne vit personne sur la route, mais, chemin faisant, quelque chose ne cessa pas de lui donner des crocs-en-jambe. A chaque pas qu’il faisait, il tombait en arrière. Il voulait aller plus loin, mais, au premier pas, il retombait. Et il n’était pas saoûl ; c’était un homme très sobre. Il ne pouvait pas appeler. Il aurait voulu crier, mais c’était impossible. Il ne pouvait pas ouvrir la bouche. C’est ainsi qu’en plus de deux heures, il ne fit pas plus de trente mètres. Il sentait bien que quelqu’un lui tenait les jambes, mais il ne pouvait rien voir. Alors, il se signa et fit une prière, sans résultat. Il se mit alors à penser : « Puisque je ne puis pas marcher, je vais avancer en me roulant par terre ». Sa chaumière n’était plus très éloignée. Il s’en (1) Parc des bestiaux au pâturage. rapprocha en roulant sur lui-même, mais non sans peine. 11 n’arrivait toujours pas à crier. Il parvint près de la porte, qu’il frappa de ses pieds. On sortit de la maison, et on le porta à l’intérieur. Il était fatigué et trempé comme si on l’avait sorti de l’eau. Quand on lui demanda ce qui lui était arrivé, il dit n’avoir vu personne, mais que quelque chose l’avait empêché de marcher. Il dut rester couché deux ou trois jours, et se sentit après aussi bien portant qu’auparavant. Aussi, dans ce coin du pays, on veille à ne pas sortir tard la nuit, car il est arrivé souvent que les gens soient ainsi tourmentés. En cet endroit il y a eu, au temps passé, une église et un cimetière » (t). Dans les récits précédents, les apparitions surnaturelles ne figurent pas un des êtres surnaturels des croyances populaires. Mais nous trouvons ces êtres dans d’autres récits que nous pouvons enregistrer. Par exemple, en voici quelques-uns, que j’ai recueillis sur les vampires (upïrl, ou opïrl). « Nous étions allés, à six, garder la toloka. Vers onze heures, nous entendîmes un ricanement du côté de la palissade, et nous vîmes passer un homme. C’était un vampire. Il se dirigea vers la toloka, et se mit à poursuivre les chevaux en hennissant comme un cheval. Nous fûmes deux à le voir, et les quatre autres ne le virent pas. Mais ceux-là l’aperçurent ensuite. Avant, ils nous avaient pris pour des imbéciles, et, après, quand ils l’eurent vu eux-mêmes, ils dirent que c’était bien vrai. Le vampire peut être un homme, un cheval ou un chien... Quand on pêche, on lui donne à manger du poisson. Ensuite, on prend une charretée de poissons. Mais on ne doit pas lui parler. Il cause une telle peur qu’on ne peut lui parler ». Un autre paysan me dit ceci du vampire : « Il vit au bord de l’eau. Il tourmente les gens quand il les trouve au bord de l’eau, et il les tue... ». 11 me raconta ensuite la rencontre de son beau-père avec un vampire. « Comme on lui volait de grandes pièces de bois (sažni), il était allé les garder avec son fusil. A peine arrivé, il vit un homme noir, debout au milieu des profondeurs de l’eau. Et, une autre fois, comme on préparait les radeaux (bokory), et que les gens ne dormaient pas encore, il vit marcher seul, un homme grand et noir. Arrivé au bord de l’eau, cet homme se fit encore plus grand. Et le vieux alla chercher un de ses compagnons pour lui montrer cet homme énorme. A leur arrivée, il se changea en lum » (2). J’ai noté aussi ce que ce paysan m’a dit d’une espèce particulière de vampire, le nučnlk (esprit de la nuit). « Quand il rencontre des gens au bord de l’eau, il les tue. Les gens (1) Ces deux récits ont été recueillis à Nižnij Sinevir'. (2) Débris d’arbre tordu, au bord de l’eau. prennent la fuite quand ils le voient. J’ai vu souvent comme il brille ! 11 brille. 11 va au bord de l’eau. 11 passe l’eau. Une fois, nous étions arrêtés, à trois, et voilà que vient une lumière, droit vers nous. Et le passeur eut peur de passer la nuit au bord de l’eau et s’enfuit chez lui. La lumière traverse par le câble du bac d’un bord de la rivière à l’autre. Une fois, le passeur a entendu sur la Tisa des coups, comme si on battait l’eau avec de grandes planches. Il pense que c’était le vampire des eaux (vodový/ opïr) » (Récit de Prokop, de Kriva) (1). Outre les récits de rencontres avec diverses espèces de vampires, nous en avons enregis tré un certain nombre sur les z/núdaía (2), ou enfants morts sans être baptisés. « Il y a environ quinze ans de cela. J’étais encore petit. J’avais dans les huit ans, mais je m’en souviens bien. Je m’amusais avec ma sœur, mon frère et d’autres enfants. C’était au coucher du soleil. Et nous, les petits, on jouait à je ne sais quoi près d’une écurie. Tout à coup, je regarde. Un petit garçon sort de dessous l’écurie. Il pouvait avoir en tout trente-cinq centimètres, et il commença à s’enfuir à belle allure loin de nous. Et nous avons commencé à courir après lui, comme font les enfants. Mais il ne fila pas loin. De l’écurie à la maison, il n’y avait pas loin, rien que neuf mètres. Et la pidloha (3), dans cette chaumière, était assez élevée. Et ce petit garçon courut se fourrer sous la maison, sous la pidloha sans avoir même à se courber. Il était nu-pieds, sans casquette, et n’avait sur lui qu’une toute petite chemise. Nous avons ensuite regardé sans rien voir, sous la chaumière, de sorte qu’aujourd’hui encore, je ne sais pas quelle espèce d’esprit c’était. Les femmes nous racontèrent que c’était une zmilča, c’est-à-dire un enfant qui n’a pas vécu, parce que la fille qui l’a eu Ta étouffé à sa naissance, et l’a caché pour que les gens ne sachent pas qu’elle a eu un enfant » (F. Peèkan à N. Sinevir') (4). (1) En ce qui concerne la dénomination A'opïr (vampire), ce mot, qui sert à désigner les morts qui reviennent voir les vivants et sucent leur sang, est appliqué en Russie Subcarpathique à d’autres être surnaturels, tout en conservant son premier sens. Sur les vampires voir : F. Wollman, «Vampyrické pověsti v oblasti středoevropské » (« Les récits sur les vampires dans les pays du centre de l’Europe »), Národopisný vistnik (eskoslovanský, XIX (1920), n° 1, pp. 1-16, n° 2, pp. 1-57, XV (1921), n° 1, pp. 1-58, XVI (1923), n° 1-2, pp. 80-96, n° 3-4, pp. 133-149, XVIII (1926), pp. 133-161 ; V. Hnatjuk, Znadoby do ukrajinékoji demonolfogiji (« Etudes de démonologic ukrainienne »), II, iasc. 2, dans le Etnografičnyj zbirnyk, XXIV (1912), pp. 64-84, 266 ; — sur l’ondin (vodovyj opïr) voir Hnatjuk, op. cit., II, fasc. 1, dans le Etnografičnyj zbirnyk, XXIII ; P. Boc atyre v, article čití, pp. 13-55 ; J. Polívka, « Du surnaturel dans les contes slovaques : les êtres surnaturels », Revue des études slaves, II (1922), fasc. 1-2, pp. 119-121 ; V. Tille, « Polívkovy studie ze srovnávací literatury » (o Les études de littérature comparée de Polívka »), Sborník prací věnovaných Prof. Dr J. Polívkovi k 60. narozeninám, Prague, 1918. (2) Voir chap. III. (3) Plancher reposant sur les fondations de la maison de telle sorte qu’un espace libre subsiste entre le sol et lui. (4) Cf. Hnatjuk, op. cit., t. II, fasc. 1, pp. 199-207. Tous les récits de ce type, concernant des faits et des êtres surnaturels, ont été depuis longtemps attribués à des hallucinations ou à des phénomènes du même ordre (1). De nombreux savants ont cru, en outre, pouvoir faire remonter à la ténébreuse antiquité paléoslave l’aspect extérieur et le caractère des divers représentants de la démonologie populaire, et non pas seulement les noms par lesquels on les désigne. Or, la plupart des récits de nos jours relatifs aux faits ou aux êtres surnaturels ne sont que la description de visions individuelles. On ne peut donc pas, en toute confiance, se représenter d’après eux l’image sous laquelle les êtres surnaturels apparaissaient aux anciens Slaves. Il nous est même impossible, a priori, de fixer l’image actuelle d’un être surnaturel d’après les récits de visions individuelles. Cependant, tous les récits de rencontres avec des personnages surnaturels, concordent, en général. Bien que confus, les traits caractéristiques de chacun des démons domovoj, lěšij, vodjanoj (2), nous y apparaissent. Comment expliquer cette concordance ? C’est que ce ne sont pas les individus qui inventent l’aspect de leurs apparitions ; certaines sont tirées de légendes ancestrales. De ce fait, elles ne se modifient pas rapidement ; au contraire, comme objets de culte, elles tendent à se fixer. Ainsi, d’une part, l’image d’un être surnaturel a tendance à rester immuable, dans la mesure où elle ne dépend pas de visions individuelles ; d’autre part, elle se modifie sans cesse sous l’influence de celles-ci. De plus, il ne faut pas oublier qu’en des circonstances identiques, les hallucinations peuvent coïncider, et qu’à l’instant môme de la vision, des récits précédemment entendus peuvent agir sur l’hallucination. La connaissance générale des mêmes histoires d’apparitions détermine cette concordance dans les narrations. Les psychologues ont montré que toute personne qui décrit un de ses propres rêves le modifie sous l’influence des rêves ou des phénomènes du même ordre dont elle a déjà entendu parler. De même, celle qui raconte comment tel ou tel esprit lui est apparu modifie inconsciemment sa vision au cours de son récit, sous l’influence des récits du même genre qu’elle a pu entendre auparavant. On croit toujours fermement, en Russie Subcarpathique, à (1) W. Wundt, Volkerpsychologie. Eine Untersuchung der Entwicklungs-geselze von Sprachc, Mythus und Silte. Band 4, Mythus uhd Religion, 1. Teil, 2e éd., Leipzig, 1910, pp. 464-466. (2) Génies du foyer, de la forêt, des eaux. l’existence de gens doués d’une force surnaturelle, sorciers (bo-surkun) et sorcières {bosurkanja). Voici le récit que me fit le paysan Prokop de la rencontre de son beau-père avec les bosurkani (sorcières). Je fis la lecture de ce récit au dit beau-père, qui ne rectifia que quelques points de détail et me confirma que tout cela était bien arrivé. « C’est la nuit qu’on voit les bosurkani. Mon vieux beau-père les a rencontrées. Comme il rentrait à pied, vers minuit, il entendit un bruit léger dans un plant de poiriers. Il regarda de ce côté et vit une juive, deux femmes russes, et un homme mort récemment, du nom de Volotyr, tous quatre de Krïva. [Le beau-père me déclara que Volotyr n’avait pas été vu par lui, mais par quelqu’un d’autre]. Il les vit et les reconnut, et eux aussi l’aperçurent. Il se coucha par terre, mais ils vinrent vers lui et voulurent le tuer. Il les supplia, pleura et promit de ne dire à personne qu’il les avait rencontrés. Il y avait là en tout douze sorcières [le vieux rectifia : cinq] dont quatre de Krïva. Ils allaient le tuer, quand une sorcière de Cerbïna (village voisin de Krïva) dit : « Laissons-le en paix ; s’il nous dénonce, nous l’anéantirons à sa table même ! » Il jura par Dieu qu’il ne le dirait à personne. Le lendemain, il rencontra dans une auberge (korčma) cette vieille de Cerbïna, et lui paya de l’eau-de-vie pour la récompenser de l’avoir sauvé. On la rencontrait souvent la nuit, avec une juive. Le beau-père n’était pas saoûl ; c’est un homme sobre ». Le même Prokop me raconta encore que « son beau-père et un autre paysan abattaient des arbres. Ils trouvèrent un hêtre autour duquel il y avait des feuilles mortes réduites en poussière. Les bosurkani y avaient joué ! » Prokop me définit ainsi le loup-garou (vowkun) : « Le vowkun est un homme qui peut se changer en loup et qui tue beaucoup de gens » (1). Dans le haut pays (verchovïna) de Marmaroš, on m’a indiqué, à Prislop, le moyen de reconnaître une bosurkanja. « Il faut avoir à la main un bâton, et, quand, devant soi, on voit un chien ou un chat, il faut le frapper une fois de la main gauche. Mais il ne faut pas le frapper plusieurs fois. Sitôt qu’on l’a frappé, il prend une figure humaine. « Frappe-moi encore une fois, mon chéri ! » supplicra-t-il. Mais il faut bien se garder de le faire. Et, le matin, on verra qui était la bosurkanja, car elle crèvera. On no peut pas dire d’elle, qui est aidée par l’Esprit du Mal, qu’elle meurt ; elle crève. Si on lui donnait un second coup, elle se précipiterait sur vous, changée en diable ». Quelquefois les sorciers et les sorcières se confondent dans l’esprit des paysans avec les représentants de la mythologie populaire, ou portent au moins le môme nom. L’histoire de l’aubergiste juif, qui a été auparavant un niônïk (esprit de la nuit), est caractéristique à ce point de vue. Il y figure comme un être mythique, dans le genre du vodjanoj, en Grande Russie. « C’était pendant un dîner de seigneurs ; le maître envoya un serviteur chercher de la bière et du vin. Un ničriik le rencontra ; le serviteur le reconnut, car il était du même village. Le niénïk se mit à l’étrangler. Alors le serviteur prit un couteau, et lui en donna des coups. Après cela, il alla chercher de l’eau-de-vie et de la bière, et rentra chez les seigneurs, tout ensanglanté. Ceux-ci lui demandèrent ce qui lui était arrivé. Il répondit : « Le niânïk a voulu m’étrangler, et moi, je lui ai donné des coups de couteau ». Les seigneurs ne veulent pas le croire, et, le lendemain, ils vont avec le serviteur, à la maison du juif. Sa femme répond qu’il n’est pas à la maison. Ils lui demandent où il est. Elle répond à nouveau qu’il n’est pas à la maison. Alors le serviteur, qui lui avait donné des coups de couteau, demanda : « Où est-il ? je lui dois de l’argent et voudrais le payer ». Elle dit alors : « Il est dans l’autre chambre, entrez ». Il entra et vit le niânïk, tout ensanglanté. Celui-ci lui dit : « Mon cher Michel, je te prie de ne raconter à personne ce qui est arrivé. Jamais je ne dirai rien de mauvais ni de toi ni de ta famille, et je te donne 50 pièces d’argent, à condition que tu ne racontes à personne ce qui s’est passé ». Et ce fut tout. Cela se passa il y a cinq ans à N. Sinevir'. C’est la pure vérité ». « On peut poser le sceau », ajouta le narrateur. L’étude des cérémonies et des rites magiques nous montre que leur persistance est souvent assurée par leur coïncidence avec des fêtes religieuses. Le peuple croit d’autant plus fermement à ses propres pratiques qu’elles accompagnent les cérémonies du culte. On peut dire la même chose de la foi aux êtres surnaturels. La croyance aux bosurkani, upyri, lěšie, etc., est renforcée du fait que l’Eglise, elle aussi, enseigne l’existence de l’Esprit du Mal, du Diable. Un paysan très pieux du gouvernement d’Archangel’sk, qui me raconta beaucoup de choses sur le lêâij, le domovoj, etc., conclut que tous ces êtres n’étaient que les diverses formes d’un unique «Esprit du Mal». Il mélangeait la conception chrétienne du diable avec les idées populaires du lěšij, du domovoj, du vodjanoj, etc. (1). Mais, par contre, comme l’Église considère ces croyances comme des restes de paganisme dangereux, le christianisme tend, dans une certaine mesure, à faire disparaître les superstitions populaires, en particulier la croyance aux personnages de la démono-logie populaire. Parfois enfin, l’influence de la religion se borne à modifier l’aspect extérieur des esprits mauvais. C’est encore cette influence qui nous permet d’expliquer le fait que la plupart des êtres surnaturels sont aujourd’hui considérés comme redoutables et nuisibles à l’homme, alors que de nombreux récits ne nous représentent pas ces êtres comme malfaisants. Mais, dès que l’on se met à les considérer du seul point de vue chrétien, il est naturel qu’ils n’apparaissent plus que comme des formes de l’Esprit du Mal, et qu’ils perdent ainsi leur caractère bienveillant. Dans certains récits d’apparitions, on voit nettement le rôle des croyances religieuses. Témoin celui-ci, que j’ai recueilli : « Voilà ce qui est arrivé à un jeune homme (lehiň). C’était l’été, à la fenaison, assez loin du village. Le soir, son père resta à dormir dans la chaumière, et lui alla s’étendre sur la paille du grenier. Un autre lehiň y prenait ses ébats avec une fille. Il s’allongea loin d’eux, et s’efforça de dormir. Il était alors près de onze heures. A peine somnolait-il, -—- il ne dormait pas encore bien — voilà qu’il sent la chose venir vers lui, s’approcher de lui, et il en saisit le pied par la main, pensant que c’était la fille, qui était couchée avec l’autre lehiň. Mais ce n’était pas elle ! La chose tomba sur lui, s’allongea sur lui de sorte qu’il ne put remuer ni les mains, ni les pieds. Et il ne savait pas ce que c’était. Il voulut crier et il ne put le faire. Il voulut se signer, prier, mais ne put bouger la main. Son esprit se mit à travailler, mais il ne pouvait pas se signer, car la chose se tenait si bien allongée sur lui qu’il ne pouvait remuer. Et sa peur fut telle qu’il se mit à hurler au point de réveiller, dans la chaumière, son père et sa tante. Et ils entendirent ce hurlement, ce cri. Et le lehiň, qui couchait près de lui avec une fille, et cette fille, se mirent à rire. Ils pensaient qu’il avait rêvé et l’appelèrent ; mais il ne pouvait se lever. Son père et sa tante arrivèrent do la chaumière pour le réveiller. Il ne dormait pas ; tout simplement il ne pouvait bouger, et ça lui passa quand son père et sa tante arrivèrent. Ils lui demandèrent ce qu’il avait, et de quoi il avait rêvé. Et il avait si peur que d’abord il ne put parler. Ensuite, il leur dit : « Je ne dormais pas, mais quelque chose s’est allongé sur moi de telle sorte que je n’ai pu remuer ni bras, ni jambes... ». Et il dit : « Je ne sais ce qui m’oppressait si fort ! » Bon ! Et tous lui dirent alors que ce n’était rien autre que le Diable, parce qu’il n’avait pas fait sa prière en se couchant. Et ensuite, il n’arriva plus rien. Maintenant, quand il se couche, il fait sa prière. Et cette même histoire est arrivée à d’autres bien souvent ». « Et à moi, voilà ce qui m’est arrivé aussi. J’avais à peu près douze ans. J’étais loin, aux champs, avec du bétail. Nous avions là une cabane. Le soir, après m’être couché, je fus longtemps à m’endormir. Personne n’était avec moi, j’étais seul. Je pensais à différentes choses. Et la nuit était déjà avancée. Tout à coup, à peine mes yeux étaient-ils fermés que je sens quelque chose qui s’étend sur moi. Et je ne dormais pas encore tout à fait, et je voulus remuer, me lever, mais je ne pus le faire, je n’en avais pas la force. Et je pensais : Qu’est-ce que c’est donc ?... Et je voulus prier Dieu. Et mon esprit travaillait, mais je ne pouvais faire le signe de la croix. Je ne pouvais bouger ; donc, je ne pouvais pas me signer. Bon, et je me mis à combiner quelque chose, une prière quelconque, et la chose me lâcha. Je me levai aussitôt et regardai autour de moi. Je ne vis rien. J’allumai ensuite la lampe, et je regardai partout dans la cabane, pour voir s’il y avait quelqu’un. Mais je ne vis rien, car la porte était restée telle que je l’avais fermée en me couchant. On me dit ensuite que cela m’était arrivé parce que je n’avais pas fait ma prière. Rien de pareil ne m’est plus advenu par la suite. J’avais entendu parler d’une pareille chose, mais je n’y croyais pas. Mais j’y ai cru quand la chose m’a serré, tant que je pouvais à peine respirer » (1). Outre l’influence du christianisme, celle des démonologies particulières des peuples voisins s’est faite aussi sentir. On sait que les Slaves occidentaux ont emprunté aux Allemands toute une série de noms de démons (2). Il est naturel que les modifications de noms aient entraîné des modifications de caractère. Je ferai remarquer, d’ailleurs, que le remplacement des vieilles dénominations par de nouvelles eut, entre autres causes, la tendance bien connue à l’euphémisme si répandue dans les diverses religions, quand il s’agit de désigner les dieux ou les démons. Donc, pour diverses raisons, le caractère des êtres surnaturels ne cesse de se modifier. Si nous pouvons très approximativement fixer l’image actuelle de tel ou tel être, il nous est tout à fait impossible d’en tirer ce que cette image était il y a un ou plusieurs siècles, à l’époque protoslave ou protorusse. La description des êtres surnaturels, sous leur aspect présent, est encore rendue plus difficile par le fait que les récits de rencontre avec eux subissent en général l’influence des contes et des légendes populaires. C’est dans ce cadre habituel que de tels récits sont construits ; il en résulte une modification du caractère des personnages qu’ils mettent en jeu. Les contes populaires sont des œuvres caractérisées avant tout par la structure extérieure de leur composition. On n’y trouve rien moins que des caractères. Toutes les tentatives faites pour esquisser, d’après ces contes, les figures de leurs personnages, sont restées vaines. (1) Récit fait par F. Peèkan de Nifnij Sinevir'. Voir Hnatjuk, op. cit., II, fasc. 1, pp. 398, 432-436, article cité, pp. 56-57. (2) Voir Aleksander Brííckneh, Mitologja slowiarïska (« Mythologie slave »), Cracovie, 1918, pp. 142-143. Dans son étude sur les contes slovaques, M. Polívka a bien montré quelles transformations y subissent les personnages, en donnant comme exemple la diversité du caractère de la Baba-Jaga dans les différents contes slovaques (1). Ces modifications sont bien naturelles. En dehors d’un effort de composition, chaque conte présente, tantôt d’une façon, tantôt de l’autre, le caractère de telle ou telle personne. Au cours du conte, il arrive bien souvent que le caractère du même personnage varie avec l’action. Si donc les contes fournissent le schéma des récits concernant les êtres surnaturels, il est évident que le caractère de ces êtres, et la narration même, seront sensiblement modifiés. Je donnerai comme exemple un conte qui m’a été présenté comme le récit d’un événement réel : « Il n’y a pas bien longtemps, nous avions un pope, nommé Kavardaň, qui avait dit la messe bien des années en notre église. Aussi, quand il mourut, on l’enterra près de l’église. Son gendre, Rudko, lui succéda. Un soir, en sortant du village, le sacristain aperçut une lumière dans l’église. Il alla le dire au pope. Il était presque onze heures ou minuit. Le pope vint écouter près de l’église, pour savoir qui y était. Il revint ensuite au presbytère, et dit au sacristain d’appeler quelques hommes. Après les avoir fait boire et manger, le pope leur dit : « Allons à l’église ». Quand ils furent arrivés, ils regardèrent par le trou de la serrure, et virent le vieux pope qui disait la messe. Alors, l’autre pope leur dit à tous de se taire tant que le mort n’aurait pas terminé la messe. Quand il eut fini, comme il donnait la bénédiction, le pope qui était dehors dit : « Amen ». Il ne laissa pas le mort dire : « Amen », car, en ce cas, tous ceux qui étaient dehors, paysans et pope, seraient morts. Aussitôt que le pope qui était devant l’église eut ainsi crié, le pope défunt disparut. Seul, un cierge continua à brûler. Mais le pope vivant était instruit, il savait ce qu’il fallait faire, et dit au sacristain : « Je vais regarder par le trou de la serrure, et tu compteras de 1 à 10 ». Quand le sacristain fut arrivé à 10, le cierge ne s’éteignit pas encore. « Maintenant, » dit le pope, « tu vas compter de 10 à 100. » Et le pope regarde toujours si le cierge s’éteint. Et le sacristain se remit à compter. Et quand il arriva à 100, le cierge était toujours allumé. « Bon », dit le pope, « maintenant, tu vas compter de 100 à 1000... » Alors, il se met à compter, 101, 102, 103 ; et à 300, le cierge s’éteignit tout seul. Et le pope lui dit de ne pas compter plus loin. Et il commença à expliquer : « Le défunt pope est resté débiteur de 300 messes qu’il n’a pas dites durant sa vie. Donc il faut maintenant qu’il vienne les dire. Bon, je les prends à mon compte, et il ne viendra plus jamais ». Et ainsi, le successeur du pope dit les 300 messes, et le mort n’est plus revenu dans l’église. Cela s’est passé chez nous, à Nižnij Sinevir* ! » Le paysan Andrij Nurzan, qui écoutait ce récit, le compléta comme suit : « C’était il y a trente-deux ans. Ce pope Kavardaň qui, mort, revenait dire la messe, c’est lui qui m’a baptisé. Le sacristain qui l’a vu, c’était mon père ». Comme je demandais si des témoins de cet événement vivaient encore, Andrij Nurzan répondit : « Pozamčuk le sait certainement ; il y était ! » et il ajouta : « Si le pope n’avait trouvé de quoi il s’agissait, l’autre aurait dû venir terminer ce qui lui restait de messes ». Une vieille de soixante-dix-huit ans, à qui je demandai si cet événement s’était bien passé dans le village, m’affirma qu’il en avait été vraiment ainsi. Ensuite, un autre paysan, connaissant bien l'Écriture orthodoxe, affirma avoir, lui aussi, entendu parler de cela ; il le considérait comme tout à fait vraisemblable, car les prêtres uniates ne remplissent pas leurs devoirs ; de ce fait, l’église n’était pas sainte, et des créatures de l’autre monde pouvaient s’y rendre. Il pensait que Kavardaň devait revenir de l’autre monde parce que le feu de l’enfer le contraignait à acquitter sa vieille dette. Il justifiait ainsi la croyance populaire par ce qu’il pensait des uniates, en sa qualité d’orthodoxe. Tel est donc le récit d’un fait qui, sans aucun doute, se serait produit à Nižnij Sinevir'. Mais, d’autre part, toute cette histoire est tellement surchargée de motifs tirés des contes qu’il est difficile de déterminer l’apparition d’où elle tire son origine (1). On peut supposer qu’une lumière fut aperçue dans l’église, que les gens se rassemblèrent pour l’observer, et que, peut-être, quelqu’un vit quelque chose par le trou de la serrure. Viennent ensuite toutes les additions possibles provenant de légendes jadis entendues. Nous avons signalé la grande influence exercée par les contes et les légendes sur les récits concernant les apparitions. Or, ces contes et ces légendes ne sont presque jamais article de foi. Les êtres surnaturels et fantastiques qui sont les principaux héros des contes grands-russes, tels que Kosèej-Bessmertnyj, Zmèj-Gorynyè, la Baba-Jaga, etc..., ne jouent aucun rôle dans la démonologie populaire du pays grand-russe. Par contre, les figures courantes de celle-ci, le Ušij, le vodjanoj, le domovoj, ne sont introduites que rarement dans les contes. Tous les récits de leurs apparitions sont privés de ces caractères des contes que sont l’exorde, l’épilogue, les épithètes invariables. Quand ils se rencontrent dans les contes, ils ne font qu’y remplacer (1) Voir J. Bolte und G. Polívka, Anmerkungen zu den KHM. der Brader Grimm, III Band, 1918, n° 208. d’anciens personnages légendaires ; cette substitution, d’ailleurs, se borne au nom du personnage, dont le caractère primitif n’est généralement pas modifié. Ces considérations générales s’appliquent aux contes de la Russie Subcarpathique. L’une de leurs principales figures, le šarkaň (1), ne trouve aucune place dans les croyances populaires. Par contre, les êtres surnaturels auxquels on croit toujours dans les Carpathes russes, tels que Yupïr, le nuânïk, le vowkun, le zmitča, n’apparaissent que très rarement dans les contes. Seuls, le koldun, (2) et la koldun'ja (3) font exception, en pays grand-russe, où nous les rencontrons aussi bien dans les contes que dans les croyances populaires. Mais, dans les contes, cette désignation s’applique à plus d’un personnage surnaturel, par exemple, à la Baba-Jaga. Il en est de même, et dans une plus large mesure, pour le bosurkun et la bosurkanja des contes et croyances populaires de la Russie Subcarpathique. Par sa forme, par sa composition conventionnelle, par ses motifs traditionnels et ses divers ornements de narration, le conte donne l’impression d’une œuvre purement artistique. Il en résulte que les êtres surnaturels y apparaissent comme des créations poétiques. Pour le paysan, ces figures fantastiques et artificielles sont très nettement distinctes des êtres surnaturels à l’existence desquels il croit. D’autre part, le domaine du conte est très limité, dans ses motifs comme dans sa forme. Comme tout genre traditionnel, le conte ne se laisse que très difficilement pénétrer par des éléments nouveaux. Quelle est l’origine des personnages surnaturels des contes ? Sont-ils le fait d’une création artistique, ou s’agit-il d’êtres auxquels ont cru des générations antérieures ou d’autres peuples ? Il est très difficile d’en décider aujourd’hui. En tout cas, il n’y a pas de raison d’expliquer, comme certains savants, tous les motifs fantastiques des contes par des survivances (survivais) de certains cultes. Nous ne devons pas oublier que l’aspect des personnages des récits populaires rappelle souvent les êtres surnaturels qui sont demeurés un objet de culte. Le Ušij, tantôt plus haut que la forêt, tantôt plus petit qu’un brin d’herbe, nous apparaît tel que ces personnages fabuleux. Mais, si l’un d’eux fait penser à telle figure de la démonologie populaire, il n’en résulte pas né- (1) Espèce de dragon.^ (2) Sorcier. (3) Sorcière. cessairement qu’il ait été lui-môme l’objet d’un culte, avant de faire partie de ces récits. La ressemblance n’est pas un argument suffisant. L’origine des personnages des contes peut différer de celle des êtres surnaturels delà démonologie populaire. Ils ont pu être purement et simplement inventés, comme des personnages de romans. Les récits d’événements surnaturels qui ont subi l’influence des contes et des légendes sont donc à la fois des créations poétiques et l’expression de croyances sincères. Le narrateur croit à son histoire, mais s’efforce en même temps de lui donner une forme littéraire. Nous rencontrons, dans le folklore, toute une série d’œuvres de ce type. On doit y rattacher les formules de conjuration, qui sont composées suivant des lois artistiques déterminées, et qui, dans leurs divers éléments, se rapprochent sensiblement du conte et de la chanson épique ou plutôt lyrique. Destinées à agir par suggestion, elles y parviennent par une forme qui correspond en même temps à une tendance esthétique. Signalons aussi, dans ce même ordre, l’intérêt de la légende, récemment répandue en Russie, de la mise au monde d’un diable par la femme d’un communiste, légende qui se présentait comme le récit d’un événement réel, mais qui, par certaines variantes révélait l’influence des contes (1). L’ethnographe russe V. J. Smirnov a pu enregistrer trois variantes de cette légende à Kostroma (2). La légende, accrue de motifs courants, se répandit dans tout le pays russe et parvint jusqu’en Ukraine. Je signale, en passant, que toutes les légendes, anecdotes et histoires relatives aux événements actuels et aux personnages populaires contemporains ne tardent pas à s’accroître de tous les lieux communs, ainsi qu’on l’a vu en Russie pour les légendes nées de la guerre et de la révolution. ★ * * Tout ce qui précède nous montre la fragilité de la trame sur laquelle on veut reconstituer la démonologie d’époques lointaines. Ce que nous savons des êtres surnaturels de la démonologie moderne, nous le devons à des visions individuelles. L’image de ces êtres, le récit de leurs apparitions sont marqués de l’in- (1) Voir à propos de cette légende M. Prišvin, « Golubinaja kniga », Krasna/a noo', n° 2 (12), mars 1924, pp. 233-236. Voir aussi Dmytruk, op. ciť., pp. 50-61. (2) Voir Trudy Koxlromskogo naučnogo obščeslva (« Travaux de la société scientifique de Kostroma »), III. fluence du christianisme. Le récit lui-même subit en outre l’influence esthétique des contes et légendes. Avec une telle documentation, il est évidemment bien difficile de reconstituer l’antique mythologie slave ou indo-européenne. Par contre, cette documentation vivante nous rend possible une étude synchronique, statique de la croyance aux êtres surnaturels. Cette étude statique nous conduit à toute une série de problèmes, qui n’ont guère attiré jusqu’ici l’attention des savants. D’abord, quel est le rôle de la vision individuelle dans la représentation des êtres et des faits surnaturels, et, inversement, quel est le rôle dans la vision individuelle des représentations des êtres et des faits surnaturels, qui sont stylisés dans les croyances de la population locale, et constituent un élément de conscience collective ? Ensuite, quelle est la réaction mutuelle, particulièrement de nos jours, des conceptions de l’Église et des croyances populaires relatives aux êtres ou faits surnaturels ? Dans quels cas l’Église détruit-elle la croyance populaire aux êtres surnaturels, dans quels cas la renforce-t-elle ? Enfin, quelle est l’influence des œuvres poétiques, populaires ou non, sur le caractère des êtres surnaturels et les récits qui les concernent ? Rites et Croyances. 10 CONCLUSION. La méthode statique que nous avons appliquée à l’examen des pratiques rituelles des paysans de la Russie Subcarpathique, à l’occasion des fêtes de l’année, ou des cérémonies du baptême, du mariage, des funérailles, nous a permis de constater que la foi à la puissance de la magie est très vivace parmi eux. Des réponses enregistrées, touchant la signification des actions magiques et des rites, il découle que ceux-ci s’expliquent d’après les lois établies par Frazer : la loi de contact et la loi de similitude. Il ne faudrait cependant pas croire que la plupart des rites et des pratiques magiques soient explicitement rapportés à la magie : c’est le contraire qui paraît pouvoir être affirmé. Mais, quand les paysans commencent à motiver leurs pratiques, c’est, de préférence, magiquement. Dans beaucoup de cas, les paysans ont donné les explications magiques de leur propre mouvement, et sans y être invités ; dans d’autres cas, nos interrogations sur la portée des rites et actions magiques ont été toujours brèves, de manière à ne rien suggérer : pourquoi les exécutent-ils ? Pourquoi emploient-ils telle ou telle pratique ? Néanmoins ces brèves questions, re-connaissons-le, éveillaient leur réflexion, et leur faisaient examiner des problèmes, qui, d’eux-mêmes, ne se seraient sans doute pas posés à leur esprit. Il n’est donc pas impossible que, dans certains cas, les explications aient été directement amenées par nos questions. Mais ces réponses, suggérées ou sollicitées, concordaient avec celles qu’ils faisaient spontanément. Les deux espèces de témoignages s’accordent pour prouver que les explications actuelles des rites, lorsqu’il y en a, s’inspirent toutes de la même tendance générale, qui est celle des lois magiques. Nous nous sommes beaucoup moins occupé, dans notre travail, des croyances et des représentations des paysans, non liées à la magie, principalement parce qu’elles sont moins répandues et ne tiennent que peu de place dans leur esprit. Cependant, il nous a été possible, à propos des croyances et des rites relatifs aux funérailles, en Russie Subcarpathique, d’établir toute une série de croyances relatives à la vie du défunt, dans l’autre monde ; nous avons vu que celle-ci rappelle, à un certain degré, la vie terrestre : l’âme du mort a besoin des objets dont il faisait usage de son vivant. Il revient parmi les survivants ; quelquefois même, son âme se matérialise : on croit, par exemple, qu’il laisse des traces de sa visite. Nous n’avons pas trouvé, en Russie Subcarpathique, pour d’autres rites que ceux qui concernent les funérailles, d’explications à rattacher au culte des morts ; cependant, dans une contrée limitrophe, la Galicie, on en a relevé un certain nombre, même pour des rites non liés immédiatement aux funérailles. Dans le chapitre sur les êtres surnaturels, nous avons montré, à l’aide de nombreux exemples, à quel point est vivace la foi du paysan de la Russie Subcarpathique dans les apparitions et les êtres surnaturels, et l’importance des hallucinations dans ce genre de croyances. Examinons enfin d’une manière plus détaillée le rôle des animaux dans les croyances populaires, et leur importance dans les actions magiques et les rites. Dans beaucoup de cas, ils ne sont que des instruments dans l’exécution des pratiques magiques. Dans un grand nombre de celles-ci, la qualité d’un animal se transmet par son contact. Mais, naturellement, cette transmission ne peut, à aucun degré, permettre de conclure à l’existence d’une force surnaturelle quelconque chez tel ou tel animal, pas plus que d’une force surnaturelle attribuée à un objet inanimé, dont la qualité affecte un homme ou un animal. L’un et l’autre ne sont que des instruments dans l’action magique. Il convient ici de citer cette croyance populaire : « Si un homme, ayant mangé, aperçoit, pour la première fois, et au printemps, un poulet, il lui prendra sa force, mais s’il est à jeun, c’est le poulet qui la lui prendra ». Cet exemple montre clairement que l’oiseau ne peut prendre sa force à l’homme qu’à un moment déterminé, et sous certaines conditions, mais on ne pense pas à attribuer une force surnaturelle au poulet, puisque, dans le premier cas, c’est l’homme qui a l’avantage. Il existe plusieurs présages, tirés de la venue de certains animaux ou de certaines actions de ceux-ci. Là encore, dans un grand nombre de cas, les animaux ne sont que les instruments d’une force quelconque, et les présages ne dépendent pas de la volonté ou de quelque qualité surnaturelle particulière à ces animaux. Les présages sont quelquefois en rapport, non pas tant avec les animaux eux-mêmes qu’avec l’époque de l’année, et d’autres faits coïncidant avec la rencontre des animaux. « Voir à jeun, au printemps, la première hirondelle, c’est signe de joie pour toute l’année ; c’est le contraire, si on voit une poule ». Selon le lieu, d’ailleurs, la vue d’un même animal peut annoncer le bien ou le mal. « Si on entend un coucou du côté de l’orient, c’est un bon présage ; mais si c’est du côté de l’occident, le présage est défavorable ». Dans beaucoup de cas cependant, un élément important des pratiques magiques, divinatoires, et des présages, est le fait qu’y participent certains animaux, oiseaux, auxquels est attribuée une force surnaturelle spéciale ; de même certains objets inanimés augmentent l’efficacité de l’action. Indiquons maintenant certaines croyances relatives aux animaux sacrés, qu’il est interdit de tuer. « Il n’est pas permis de tuer une hirondelle, car Dieu le défend (lastowku ne moë ub'üï. Ne hüdno, bo Boh prihazaw, ce ne hinno kyvatï). Il n’est pas permis non plus de la prendre dans la main » (M. Bobonïé à N. Bystryj). « Dieu ne permet pas de tuer un coucou ou d’y toucher (tak ne hinno i fertig, bo Boh prïkazaw, jeji ne hinno kyvatï). De génération en génération, les parents recommandent aux enfants de ne pas toucher à cet oiseau » (M. Bobonïé à N. Bystryj). On peut, il est vrai, rencontrer des explications rationalistes de la défense de tuer une hirondelle, par exemple la crainte de la vengeance de l’oiseau. « Il n’est pas permis de jeter le nid d’une hirondelle, autrement elle brûlerait la maison ; elle prendrait du feu n’importe où ». Par opposition aux animaux sacrés, on croit qu’il y a des animaux impurs. « Le chat n’est pas propre, car il mange les souris. Il y a des chats qui vont à la frontière (de la Russie Subcarpathique et de la Galicie), et qui portent des sorcières sur leur dos, comme les chevaux. Celles-ci leur mettent quelque signe sur une oreille [ucho poštjumpljujut), quelquefois sur les deux ». Rappelons encore ce que nous avons vu à propos des funérailles. Si un chat reste sous le corps du mort, le cadavre sera corrompu (1). Mais le chat ne jouit pas de cette mauvaise réputation chez (1) Cf. Klingeh, Životnoe v antičnom i sovremennom suevérii (« L’animal dans les superstitions antiques et modernes »), p. 273. tous les peuples. Nous nous souvenons d’avoir entendu dire en Russie, dans notre enfance, que le chat, contrairement au chien, était un animal pur. On dit qu’on laisse entrer un chat à l’église, qu’il va même sur l’autel. Si les paysans de Russie Subcarpathique attribuent à quelques animaux des propriétés spéciales manquant aux hommes, au coucou, par exemple, le don de prévoir l’avenir, et s’ils les mettent ainsi, en quelque sorte, au-dessus des hommes, cependant ces derniers, aujourd’hui, sont considérés comme les êtres supérieurs. « Les animaux n’ont pas d’âme (dušu), ils ne possèdent que la raison [rozum) » (M. Robonïé, à Bystryj). Il faut en même temps remarquer que, souvent, les facultés extraordinaires attribuées aux animaux ne sont pas différentes de celles des hommes, le langage, par exemple. « Nous avons entendu dire que, la veille de Noël, le bétail, s’il est mal nourri, insulte le maître de la maison » (d’après des jeunes gens à Bystryj). « Tous les animaux parlent la veille de Noël. Le bétail insulte, ce jour-là, le gazda qui ne lui donne pas beaucoup à manger. Mais on n’entend pas comment il l’insulte [to nemoš čutí, liš tak je u prïpïsu) » (les tziganes à Prislop). Voici encore ce que raconte M. Holowka à Prislop : « J’ai entendu dire que, la veille de Noël, il fallait faire bien manger le bétail et lui frotter le museau avec du miel. Cette nuit-là, il ne faut pas dormir à l’étable, mais seulement rester assis près de la crèche, si l’on veut entendre ce que les animaux se disent entre eux : « Tu vas bien ». — « Oui, je vais bien ». — « Moi aussi », répond le premier ». Le bétail a de l’intelligence, car il peut apprendre comme l’homme, mais je ne sais pas pourquoi la parole lui a été donnée comme à celui-ci (za ščo ji dáno hovořili) ». Nous devons remarquer maintenant qu’il n’existe pas, au moins à notre connaissance, de traces de totémisme dans les croyances populaires relatives aux animaux, en Russie Subcarpathique. Par contre, dans une foule de récits, on trouve cette idée que quelques animaux descendent d’êtres humains. « L’ours a une âme. Il tire son origine de l’homme, à proprement parler du meunier. Un meunier avait pris une trop grande mouture, alors on le saisit et il se changea en ours » (1). « L’abeille aussi a une âme comme l’homme. Elle descend de (1) Cf. Klinger, op. cit., pp. 277-278. lui. C’est un péché aussi irrémissible (hrich nespasennyj) de tuer l’hirondelle que l’homme » (les tziganes à Prislop). L’origine de ces croyances s’explique peut-être en partie par la tendance à expliquer rationnellement le tabou interdisant de tuer divers animaux, en partie aussi simplement par la ressemblance corporelle ou autre, qui peut exister entre l’homme et l’animal (1). Contrairement à l’opinion de certains (2), nous croyons que rien n’autorise à considérer comme une survivance du totémisme les légendes sur l’origine des animaux et des hommes. Outre les croyances se rapportant aux animaux et aux oiseaux, il en existe encore, en Russie Subcarpathique, à propos de monstres fabuleux. Nous avons entendu plusieurs fois parler du serpent appelé poloz. « La terre brûle là où est passé le poloz ; il détruit les forêts. Le poloz siffle » (les tziganes à Prislop). Etudions maintenant le rôle magique des phénomènes atmosphériques. Nous avons vu que l’accomplissement des rites à un jour déterminé augmente leur efficacité, et même que certains n’en acquièrent qu’à cette condition. Il en est de même pour les rites liés aux phénomènes atmosphériques. « Par exemple, quand le premier coup de tonnerre éclate, il faut mettre un caillou entre les dents et parler. Si la pierre devenait malade, les dents me feraient mal aussi ». C’est à ceci apparemment que se rapporte la croyance au « ciel qui s’ouvre ». « Quand le ciel s’ouvre (il s’ouvre pendant la nuit), une grande lumière se produit, comme si une route s’éclairait dans le ciel tout entier. Alors l’homme peut demander ou le royaume du ciel ou la richesse [carstvo nebesnoje, abo bohatstvo, abo na sim sviti byw gazdow, abo na tim). S’il les demande tous les deux, il n’est pas exaucé, car il commet un grand péché ». « Quand s’est ouvert le ciel ? » demandâmes-nous. Réponse : « C’était en 1914. 11 s’ouvre un peu, très peu, tous les ans à celui qui peut le voir, c’est-à-dire à celui qui sert Dieu avec justice et le prie souvent. Celui-là, Dieu le protège ». Diverses pratiques doivent modifier le temps. On se souvient de l’opération magique destinée à éloigner l’orage, à l’aide des (1) On nous a raconté que le mulot, pouch (avrikola) descendait de l’homme: « Le pouch ressemble à la souris, mais il est plus grand ; il a des mains comme l’homme ». (2) Voir Klawf., Totemizm a pierwotne zjawiska religijne tv Polsce (« Le totémisme et les premières manifestations religieuses en Pologne »), 1920. rameaux bénits, le jour de la fête des Rameaux. Un paysan nous expliqua ainsi l’éclipse de soleil : « Si le soleil disparaît, il faut remplir un tonneau d’eau, et regarder dedans. Alors on vient en aide au soleil : le dragon (šarkaň) ne peut pas le manger. Quand la guerre a commencé, le šarkaň a mangé le soleil, et celui-ci était peu visible. Il a repris sa course ordinaire deux heures après, et a réchauffé la terre de nouveau : le šarkaň n’a pas vaincu » (1). Nous nous bornerons à ces quelques indications sur les rites et actions populaires où interviennent les croyances relatives aux animaux et aux phénomènes atmosphériques. Dans le cours de notre étude, nous avons eu, à maintes reprises, l’occasion de souligner la forte répercussion des croyances chrétiennes sur les croyances populaires, dans l’esprit des paysans, et de montrer qu’au lieu de les détruire, elles les fortifient. Ce qui, selon nous, doit être étudié sans retard, c’est le conglomérat chrétien-magique, car il est impossible de fixer une démarcation entre les représentations populaires et les croyances chrétiennes. Si les paysans s’efforcent d’expliquer un grand nombre de rites populaires d’accord avec la religion, beaucoup de rites chrétiens, de même, sont interprétés selon les croyances populaires. L’emploi de la méthode statique, l’étude statique des rites populaires présentent, il faut en convenir, de grandes difficultés. Tandis que la linguistique statique fondée sur une analyse directe, étudie la langue même que parle l’investigateur, l’ethnographe, qui n’étudie pas les croyances et les rites de son propre milieu, ne peut pas procéder aussi facilement. Un grave inconvénient provient de ce que nous devons employer, en ethnographie, d’une manière très limitée et très prudente, la méthode d’observation, par suite de la grande différence entre la mentalité de l’investigateur et celle du sujet observé. Dans le cas donné, il nous est indifférent, soit de nous ranger aux théories de M. Lévy-Bruhl sur la mentalité de l’homme primitif par rapport à celle de l’Européen cultivé, soit de croire avec M. Losskij que la conception que l’homme primitif se fait de l’univers concorde sous beaucoup de rapports avec les conceptions des plus grands philosophes de l’Occident ; mais ce qui (1) Dans une autre maison on nous a dit qu’on regarde dans l’eau, ou dans un verre fumé, pendant une éclipse de soleil, parce qu’on ne peut pas le regarder en face. Un paysan fit cette remarque : « Les sots seuls ajoutent foi au conte populaire d’après lequel le šarkaň est le soleil. Aucun šarkaň ne pourrait y habiter, il serait brûlé. C’est la lune qui cause l’éclipse de soleil ». importe, c’est de constater que les deux auteurs admettent que l’homme primitif et l’Européen se séparent dans leur vision des faits de la vie courante. Par suite, si nous confondons notre explication d’un phénomène avec celle qu’en donne l’homme primitif, nous risquons de faire une erreur grossière. Sans doute, les explications données par les paysans de l’Europe des rites et des croyances populaires, comportent un nombre sensiblement plus grand de points de contact avec la pensée de l’homme instruit. Mais, là encore, la différence est grande, comme, par exemple, entre les croyances du paysan de la Russie Subcar-pathique relatives aux présages, et les superstitions de l’acteur tchèque. Il reste donc une seule issue : étudier la manière dont raisonnent les paysans, classer et analyser les explications qu’ils donnent des pratiques magiques et des rites, dont on a à donner la théorie. Comme il est impossible d’appliquer en ethnologie la méthode introspective, un grand nombre de nuances nous échappent dans ces explications. Nous sommes plus à l’aise dans l’énoncé des observations selon la méthode statique, que dans la recherche des lois, où de grandes difficultés se rencontrent. Néanmoins nous espérons avoir pu dans le cours de cette étude établir un certain nombre de points de repère. La lacune que nous indiquons retardera évidemment la connaissance de ces lois, puisque nous ne pouvons pas contrôler les explications des rites accomplis par les paysans par celles que nous leur donnerions nous-mêmes. Néanmoins nous croyons que la lumière se fera peu à peu, et qu’il nous sera possible de nous représenter, jusqu’à un certain point, non seulement les croyances des paysans, recueillies par l’ethnographie, et le sens qu’ils leur donnent, mais aussi les réactions des divers rites et de leurs interprétations. Nous pouvons enfin établir, jusqu’à un certain point, les lois suivant lesquelles les rites se modifient, et les significations qu’ils revêtent. Est-ce à dire que l’importance primordiale qu’a pour nous la méthode statique, en sociologie, nous fasse négliger toute étude de développement historique ? Nullement, car les deux méthodes ont leur raison d’être. Nous avons voulu seulement attirer l’attention sur les erreurs des auteurs qui expliquent avec trop de précipitation le sens des rites à des époques éloignées de nous, en remarquant que cette recherche est extrêmement difficile, quelquefois même impossible. Il est plus facile, actuellement, de rétablir à l’aide de données historiques et archéologiques non pas le sens du rite, mais le rite lui-même et ses formes. L’étude statique de la religion populaire et des faits qui s’y rattachent étroitement peut, nous semble-t-il, être aussi d’une grande utilité pour l’histoire du rite et de sa signification ; car, par cette méthode, nous pouvons employer un grand nombre de témoignages, approfondir notre étude, puisqu’il nous est donné dans ces conditions d’examiner jusque dans leurs plus subtiles nuances, les changements qui ont lieu actuellement tant dans les rites eux-mêmes que dans leurs interprétations. Pour élaborer des méthodes plus précises, trouver les lois et les principes, d’après lesquels le rite se modifie, il est indispensable de commencer par la méthode statique. INDEX BIBLIOGRAPHIQUE. Abbamov (Iv.). — « Pišča pokojnikaBi u sovremennych malorussov », Zïvaja starina, XVI, 1907, fasc. 3, p. 29. Afanašjev (A. N.). — Narodnyja russkija skazki i legendy, I-II, Berlin, 1922. Aničkov (E. V.). — Vesennjaja obrjadovaja pěsnja na zapadě i u slavjan, I-II, Sborník otd. russk. jaz. i slov., LXXIV, n° 2, et LXXV1II, n° 5. Anučin (D. N.). — Sani, lad'ja i kon', kak prinadlelnosti pochoronnago obrjada. Archeologo-etnografiéeskij etjud, Moscou, 1896. Arnaudov (M.). — « Kukeri i Rusalii », Sborník za národní umotvoreni/a i na-rodopis), XXXIV, 1920, p. 244. Arnaudoff (M.). — Die bulgarischen Festbràuche, dans la Bulgarische Biblio-thek, herausgegeben von Prof. DT Gustav Weigand, n° 4, Leipzig, 1917. B. J. K. z Gniezna, « Sobótki w micácie Walczu w XVII wieku (Materyaly his-toryczne) », Lud, XI, p. 183. Bartoš, Moravský lid. Sebrané rozpravy z oboru moravské lidovédy, v Telči, 1892. Běgun, instituteur à Tyškovci, 1893 (Pozůstalost Řehoře). Běz-aď (František). — « Zvyky a pověry při narození dítka v okoli Trnavy », Národopisný věstník česko slovanský, XIX, 1926, n° 2, pp. 109-113. Bilous (T.). — Narodnyj prazdnyk Kupala, L'vov, 1861. Birčak (I.). -— « Narodnii zabobony », Rodimyj listok, III, 1881, n° 10. — « Okrug Bolechov », Novyj Galičanin, III, 1891, n° 8. Bogatyrev (P. G.). — « Věrovanija velikorussov Šenkurskago uězda (iz lětnej ekskursii 1916 g.) », Etnografičeskoe obozrěnie, XXVIII, 1916, n° 3-4, pp. 42-80. — « Les apparitions et les êtres surnaturels dans les croyances populaires de la Russie Subcarpathique », Le Monde slave, III, 1926, n° 7, p. 33-54. — « Les jeux dans les rites funèbres en Russie Subcarpathique », Le Monde slave, III, 1926, n° 11, pp. 196-224. — « Hod Boží svatodušní (Svatá neděle) v Podkarpatské Rusi », Český lid, XXIV, n° 8, pp. 307-308. — « Den sv. Jana Křtitele (Ivandel) v Podkarpatské Rusi», český lid, XXIV, n° 9, pp. 342-343. — « Slavení sv. Jiří na Podkarpatské Rusi », Český lid, XXV, n° 7, pp. 275-276. — Compte-rendu du livre de Poznanskij, Zagovory, Národopisný věstník českoslovanský, XVIII, 1926, pp. 191-194, — et Ryba « Herecké pověry », Přítomnost, IV, 1927, pp. 153-155. Bogdanov (V. V.). — « Drevnie i sovremennye obrjady pogrebenija životných v Rossii », Elnogra/ičeskoe obozrěnie, XXVIII, 1916, n° 3-4, pp. 86-122. Bojkovščina (Povět Turki), Novyj Galičanin, 1891, n° 4. Bolte (Johannes) und Polívka (Georg). — Anmerkungen zu den Kinder-u. Hausmarchen der Brader Grimm, I Band, 1913 ; II Band, 1915 ; III Band, 1918. Brückner (A.). — « Zur Geschichte des Aberglaubens in Polen », Archiv fur slav. Philologie, V, 1881, pp. 687-688. — Mitologja slowiaňska, w Krakowie, 1918. Bystroň (Jan Stanislaw). — Slowiaňskie obrzçdy rodzinne. Obrzçdy zwiqzane s narodzeniem dziecka, Kraków, 1916. — Zçvyczaje iniwiarskie w Polsce, Kraków, 1916. — « Wymuszanie urodzaju na drzewach owocowych », Lud, XVIII, 1912. Cf.iiei.'skyj (Théodore). — Narodni zvyčaji i viruvanja v dekotri svjata pislja ruskoho kaljendara, Strusiv, 1892 (Pozůstalost Řehoře). Cieplik (Jósef).— « Bože narodzenie w Babce i w okolicy (w powiecie myé-lenickim »), Lud, X, pp. 280-298. Čajkanovič (V.). — « Nekolike primedbe uz srpski Badnji dan i Božió », Godiš-njica Nikole Čupiía, XXXIV, 1921, pp. 258-288. — Studije iz religije i jolklora, dans le Srpski elnourafski zbornik, XXXI, 1924. Český Lid. Sborník pro studium lidu československého v Čechách, na Moravě, ve Slezsku, na Slovensku a v Podkarpatské Rusi. Redaktor : Dr Čenék Zíbrt, Praha. Čilev (P.). — « Sledi ot antičnité věrovanija za Charona u balkanskitě narodí», Izvestija na Narodnija etnogra/ski muzej v Sofija, III, 1923, pp. 105-115. Čumák (Petro), — Ozerjanka (pov. Zarudzjo) kolo Zborova, 1893 (Pozůstalost Řehoře). Čubinskij (P. P.). — Trudy etnografičesko-statističeskoj ekspedicii v zapadno-russkij kraj, snarjaíennoj Imperatorskirn russkim geograjičeskim obščestvom (jugo-zapadnyj otděl : materiály i izslědovanija), t. I-VII, 1872-1878. Danzel (T.). — Magie und Geheirmvissenscha/t in ihrer Bedeutung fiXr Kultur und Kullurgcschichte, Stuttgart, 1924. Demjan (Luka). — « Pochoronné obrjady i virovanja », Podkarpatská Rué, lil, n° 5, pp. 108-112, n° 7-8, pp. 170-175, n° 10, pp. 224-225 ; IV, n° 1, pp. 15-16, n° 2, pp. 43-44, n° 4, pp. 86-88, n° 5, pp. 121-123, n° 7, pp. 170-172. Dmytruk (N.). — « Pro čudesa na Ukrajini roku 1923-ho », Elnografičnyj vis-nyk, I, 1925, pp. 50-61. Dobrovoi/skij. — « Neéistaja sila v narodnych věrovanijach (po dannym Smolenskoj gub.) », Živaja slarina, XVII, 1908, fasc. 1. — « O Dorogobužskich měščanach i ich šubrejskom ili kubrackom jazykó », Izvěstija otd. russk. jaz. i slov., 1897, fasc. 2, p. 333. Domanyčkyj (V.). — « Narodnjij kaljendar u Rovenákim povitji Volynškoji gubernjiji », dans les Malerijaly do ukrajinékoji etnoljogiji, XV, 1912. Dovhun (V.). — « Pascha dávno », Podkarpatská Ruš, I, 1923, n° 1, pp. 23-24. Dumézil (Georges). — Le festin ďimmortalité, étude de mythologie comparée indo-européenne dans les Annales du Musée Guimel, Bibliothèque d’études, t. XXXIV, Paris, 1924. Dykariv (M.). — « Narodnyj kalendar Valujákoho povitu (Borysivákoji vo-losty) u Voronjižčynji » dans les Malerijaly do ukrajinéko-ruékoji etnoljogiji, VI, 1905, pp. 114-204. Etnografičeskoe obozrënie. Izdanie Etnografičeskago otdéla Imperatorskago ob-ščestva ljubitelej estestvoznanija, antropologii i etnogra/ii, soslojaščago pri Moskovskom universiteté, Moscou. Elnografičnyj visnyk. Za holovnym redaguvannjam akad. Andrija Lobody ta Viktora Petrova. Ukrajinška akademija nauk, etnografična komisija, Kyjiv. Elnografičnyj zbirnyk. Výdaje etnografična komisija Naukovoho tovarystva im. ševčenka, L'viv. Etnografija. Pod rcdakciej V. D. Vilenskogo-Sibirjakova, prof. D. A. Zolola-reva, akad. S. F. Ol'denburga, prof. B. M. Sokolova u prof. L. Ja. Sternberga. Otvelstvcnnyj redaktor akad. S. OVdenburg. Olv. sekret, prof. B. M. Sokolov, Moscou, Leningrad. Federowski. — Lud okolic Zarek, Siewierza i Pilicy, jego zvyczaje, sposób iycia, obrzçdy, etc., I-II, Warszawa, 1888. Fischer (Adam). — « Swiçto umarlych », Rozprawy i wiadomošci z Museum im. Dzieduszyckich, VII-VIII, 1921-22, pp. 60-132. — Ztvyczaje pogrzebowe ludu polskiego, Lwów, 1921. Franko (Ivan). — « Ljudovi viruvanja na Pidhirju », dans le Etnografičnyj zbirnyk, V, 1898, pp. 160-218. Frazer (James George). — Le rameau d’or. Edition abrégée. Nouvelle traduction par Lady Frazer, Paris. Freud (Sigmund). — Tabu devslvennosti. Oierki po psichologii seksualnosti. Perevod d-ra M. V. Wulfa s predisloviem prof. Iv. Dm. Ermakova, dans la Psichologiíeskaja i psichoanaliličeskaja bibliotéka pod redakciej prof. I. D. Ermakova, lase. 8, pp. 167-183. Van Gennep. — Le folklore, Paris, 1924. — Les rites de passage, Paris, 1909. Hellwio (Albert). — Weltkrieg und Aberglaube. Erlebtes und Erlauschtes, Leipzig, 1916. Hnatjuk (V.). — « Huculy », Podkarpatská Ruá, I, 1923, n° 1, pp. 19-23 j n° 2, pp. 43-50 ; n° 3, pp. 79-85, n° 4, pp. 110-114. — Pochoronni zvyčaji i obrjady, dans le Etnografičnyj zbirnyk, XXXI-XXXII, 1912. — Ukrajiniki vesil'ni obrjady i zvyčaji, dans les Materijaly do uhrajinškoji etnoljogiji, XIX-XX, 1919, pp. 1-193. — Znadoby do ukrajinèkoji demonoljogiji, II, lase. 1-2, dans le Etnografičnyj zbirnyk, XXXIII-XXX1V, 1912. ___ Ukrajinika narodnja slovesnisť (v spraví zapysiv ukrajinékoho etnografičnoho malerijalu), Vienne, 1917. — Koljadky i ččedrivky, I-II, dans le Etnografičnyj zbirnyk, XXXV-XXXVI, 1914. — Hajivky, dans les Materijaly do ukrajinèkoji etnoljogiji, XII, 1909. — Znadoby do halyčko-ruškoji demonoljogiji, dans le Etnografičnyj zbirnyk, XV, 1904. Hruševška (K.). — Z prymityvnoji kul'tury, Kiev, 1924. Hruševškyj (M.). — Istorija ukrajinèkoji literatury, I, Kiev-Lvov, 1923. Ivanov (P.). — “ Narodnyje razskazy o domových i t. d. Kupjanskago u. », Sborník char'kovskago istoriko-filologičcskago obččestva, 1893, pp. 46-47. Izvěslija na Narodnija elnografski muzej v Sojija. Bulletin du Musée National d’ethnographie de Sofia. Izvčstija obščestva archeologii istorii i ethnograjii pri Imperatorskom kazanskom universitetě. Jakobson (R.). — Novejšaja russkaja poezija. Nabrosok pervyj, Prague, 1921. Karskij (E. F.). — Bělorusy, III : Očerki slovesnosti bčlorusskago plemeni. 1, Narodnaja poezija, Moscou, 1916. Kasarda (I.). — » Korotkij opis sela Užka, Užgorodskoě župy, Veliko-bere-žanskogo okruga », Podkarpatská Rué, I, n° 4, pp. 119-123. Klawe (J.). — Ťotemizm i pierwotne zjawiska religijne w Polsce. Studjum porów-nawcze, 1920. ___ « Teorja animistyezna w etnologji », Lud, serja II, tom II, 1923, pp. 13-25. Klinger (Witold). — Obrzçdowoèé ludowa Boiego Narodzenia, jej poczqlek i znaezenie pierwotne, Poznaň, 1926. ___ Životnoe v antičnom i sovremennom suevčrii. Kolberg (Oskar). — Przemyskie, Kraków, 1891. ___ Pokucie. Obraz etnografiezny, t. I-IV, Kraków. Kolbuszowski (E.). — « Matcryaly do medycyny i wierzeň ludových wedlug opowiadaň Demka Žemely w Zaborzu w pow. rawskim », Lud, II, pp. 157-163. Kolessa (F.). — « Ljudovi viruvanja na Pidhirju», dans le Etnografičnyj zbirnyk, V, 1898. Košíř (P.) et Môderndorfer (V.). — Ljudska medicína med koročkimi Slovenci, dans la Národopisná knjiinica zgodovinskega druèlva v Mariboru, zv. 1, Maribor, 1926. KožmínoVíÍ (Amalie). — « Vánoce na Podkarpatské Rusi. Kterak lid oslavuje narození Christoskovo », Československá Republika, 6/1, 1925. — Podkarpatská Rus. Práce a ïivot lidu po stránce kulturní, hospodářské a národopisné, 1922. Král (Jiří). — «Velikonoční svěcení paschy u Huculů v Podkarpatské Rusi», Český lid, XXV, n° 7, pp. 276-277. —• Geografická bibliografie Podkarpatské Rusi, dans les Travaux géographiques tchèques édités par M. le prof. D1 V. Švambera (Institut géographique de l’université Charles h Prague), n° 11, 1923. —■ Geografická bibliographie Podkarpatské Rusi za rok 1923-1926, dans les Travaux géographiques tchèques, n° 13, 1928. Krček (Franciszek). —• « Pisanki w Galicyi. Zestawienie materyalu, zebranego w r. 1897. Staraniem Towarzystwa ludoznawczego », Lud, IV, pp. 186-231. — « Sobotka w Galicyi », Lud, IV, pp. 308-324. Kryczyjàski (Bronislaw). -—•« Spiewy hailkowe z Podhorzec (Powiat zioczowski) », Lud, VI, 1900, pp. 161-172. Kuzelja (Zenon). — « Posyžinje i zabavy pry mercy v ukrajinékim pocho-ronnim obrjadi », Zapysky Naukovoho lovarystva irn. Sevienka, CXXI, 1914, pp. 173-224, CXXII, 1915, pp. 103-166. — Ukrajiniki pochoronni zvyčaji j obrjady v etnografiinij Ifiteraturi (Ohljad sludij i bibljografija) dans le Etnografiinyj zbirnyk, XXXI-XXXII, 1912. — Dytyna v zwyčajach i viruvannjach ukrajinékoho národu. Materijaly z poludnévoji KyjivšSyny, zibrav Mr. H., obrobyv Z. Kuzelja, dans les Materijaly do ukrajinško-ruÁkoji etnoljogiji, VIII-IX, 1906-1907. Lepku (D.). — « Domašne žité ljudu », Zorja, 1887, n° 8. — « Pochoronnî zvyěaě i obrjady u našoho národu », Zorja, 1883, n° 1. Lévy-Bruhl (L.). —- Les fondions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1920. Losskij (N. O.). — « Intelekt pervobytnago ëelovëka i prosvěšěennago evro-pejca », Sovremennyja zapiski, XXVIII, 1926. Lud. Organ Polskiego Towarzystwa Etnologicznego, wydawany przez Polskie Towarzystwa Ludoznawcze we Lwowie. Organe de la Société Polonaise d'Ethnologie. Lwów-Warszawa-Kraków-Poznaň-Wilno. Máchal (J.). — Nákres slovanského bájesloví, 1891. Magierowski (L.). — « Lelci užywane przez lud polski we wsi Wesolcj w pow. Brzozowskim », Lud, II, pp. 155-156. — « Sobotka », Lud, VIII, 1902, pp. 424. Makarenko (A.). — Sibirskij narodnyj kalendar' v etnografičeskom ot nořeni i. V o stočná j a Sibiř'. Enisejskaja gubernija, dans les Zapiski Irnperatorskago russkago geografičeskago obščestva po olděleni/u etnografii, XXXVl, 1913. Maksimov (S. V.j. —■ Neíislaja, nevědomaja i krestnaja sila. Elnografiíeskoe bjuro knfazfa V. N. Teniševa, Saint-Pétersbourg, 1903. Maksimovič (M.). — « Dni i měsjacy ukrainskago seljanina », Russkaja beseda, 1856, I et III. Mansikka (V. J.).— Ueber russische Zauberformeln mil Beriicksichligungen der Blut und Verrenkungssegen. Akademische Abhandlung, Helsingfors, 1909. Marianu (S. FL). — Inmormîntarea la Români. Studiů etnograficû. Bucuresci, 1892. — Nascerea la Români, Bucuresci, 1892. Markov (A.). — « Čto takoe ovseů ? », Etnografičeskoe obozrěnie, XVI, 1904, n° 4, pp. 50-65. Materijaly do ukraijnško-ruékoji etnoljogiji. Matusiak (Szymon). — « Sobotka », Lud, XIII, 1907, pp. 1-20, 87-97. Mátyás (K.). — « Zapust-Popielec-Wielka Noc. Kilka zwyczajów ludu w Tar-nobrzeskiem », Lud, I, pp. 46-52, 79-89. Meillet (A.). — Linguistique historique et linguistique générale, Paris, 1921. — « Les interférences sémantiques », Revue française de Prague, décembre 1925. Meringer (Rudolf). —« Omphalos, Nabel, Nebel », Wiirter und Sachen, V, 1913, pp. 43-91. Minch (A. P.). — Narodnye obyčai, obrjady, izvëstija i predrazsudki Saratovskoj gub., 1861-1888, dans les Zapiski Imperatorskago russkago geografičeskago obšče.stva, XIX, řase. 2, 1889. Mitrak. — « Svadebnyj obrjad v Ugorskoj Rusi », Živaja starina, 1891, fasc. 3, pp. 137-157, fasc. IV, pp. 131-138. Mlýnek (Ludwik). — « Pisanki wielkanocne z zachodnei Galicyi », Lud, VII, 1901, pp. 176-180. Moroz (H.), à Rybnyk, 1892 [Pozůstalost Řehoře). Moszyňski (Kazimierz). — « O žródlach magji i religji », Przeglqd filozofiezny, 1925, pp. 1-13. — Origine de la magie et de la religion. Institut International ďAnthropologie, IIe session, 14-21 septembre 1924, Prague, 1926. Morko (M.). — « Das Grab als Tisch », Wor 1er und Sachen, II, 1910, pp. 79-160. Myškovskij (J.), à Peregrimka, 1892 [Pozůstalost Řehoře). Národopisní) věstník českoslovanský. Niederle (Lubor). — Život starých slovanů. Základy kulturních staroíitnosti slovanských, I, f. 1, II, fasc. 1. Slovanské starožitnosti. Oddíl kulturní, v Praze, 1916. Nikol'skij. — « Sledy magičeskoj literatury v knige Psalmov », Trudy Bclo-russkogo gosudarstvennogo universiteta, n° 4-5, 1923. Nikosiewicz (Kajetan). — « W dzieú zaduszny », Lud, IV, pp. 327. — « W sprawie písanek i Wielkiej nocy », Lud, IV, p. 326. Onyščuk (A.). — Narodnyj kaljendar. Zvyčaji i viruvanja pryvjazani do poody-nokych dnjiv u rocji, zapysav u 1907-10 r. v Zelenycy, Nadvirnjanékoho povitu, dans les Materijaly do ukrajinikoji etnoljogiji, XV, 1912, pp. 1-60. ■—• « Z narodnjoho žytja Huculiv » dans les Materijaly do ukrajinikoji etnoljogiji, XV, pp. 90-113. Pahaščanin. — « Pahost. Uspaminy z njadaňnaj minuiíščyny », /črí/iud, III, 1925, n° 10 (2), pp. 86-91. Pamfile (Tudor). — Craciunul. Sârbàtorile la Romani. Studiu etnografie, dans Din vieata poporului román. Culegeri si studii, Bucureÿti, 1914. Paňkevič (I.). — « Veflejem » jak rózdvjana ihra i « Vertep », Podkarpatská Rui, II, n° 2, pp. 29-30. Peretc (V.). — KukoVnyj teatr na Rusi. Istoriěeskij očerk. Saint-Pétersbourg, 1895. Podkarpatská Ruš. časopiš. Polaczek (Stanislaw). — Wieš Rudawa. Lud, jego zwyczaje, obyezaje, obrzçdy, piosnki, powiastki i zagadki, dans la Bibljoteka « Wisly », IX, Warszawa, 1892. Polívka. —- Voir Bolte. Polívka (Jiří). — « Du surnaturel dans les contes slovaques », Revue des études slaves, II, 1922, pp. 104-124, 256-271. Pospíšil (František). — « Mečový (zbrojný) tanec na slovanské půdě », Národopisný věstník českoslovanský, VI, 1911. Potebnja (A.). — « Objasnenija malorusskich i srodnych narodnych pěsen », R. F. V., 1887. Poznanskij (N.). — Zagovory. Opyl izslědovanija proischoídenija i razvitija zagovornych formul, dans les Zapiski istoriko-filologičeskago jakul'teta Petro-gradskago universiteta, 1917. Phišvin (M.). — « Golubinaja kniga », Krasnaja nov’, n° 2 (2), mars 1924. Procházka (Karel). — O Betlemech. Kulturně-historická studie se zvláštním zřetelem k zemím koruny sv.-Václavské a uherskému Slovensku, v Praze, 1908. Řehoř (Frant.). —- « Lidová léčba u haličských Malorusů », Časopis Musea království českého, XLV, 1891, pp. 281-298, 489-504. — « Kalendářik z národního života Lemkův. Příspěvek k rusínskému náro- í dopisu haličských Karpat », Časopis Musea království českého, LXXI. 1897, r pp. 353-375. _ Revue des traditions populaires. Recueil mensuel de mythologie, littérature orale, ethnographie traditionnelle et art populaire. Rosocha (S.). — « Velikodnyj obrjad i zvyčaě u Dragovë (Ž. Marin.) », Blagověstnik. Duchovna gazeta, VI, 1926, n° 5, pp. 73-75. Rozprawy i wiadomoéci z Muzeum im. Dzieduszyckich. Akta Musaei Dziedu-szyckiani. Saussure (Ferdinand de). — Cours de linguistique générale, Paris, 1922. Savčenko (I.). — « Mirosozercanie našich prostoljudinov-malorossov », Živaja starina, XV, 1906, pp. 105-108. Sborník za národní unutlvorenija i narodopis. Schaider (Józeí). — « Z krajů Huculôw. Medycyna ludowa », Lud, VI, 1900, pp. 157-160. Schneeweis (E.). —Die Weihnachlsbrduché der Serbokroaten. Ergiinzungsband XV zur Wiener Zeitschrift fur Volkskunde, 1925. Siemkowicz (Wladyslaw). — « Bože narodzenie w Radlowie », Litd, X, pp. 155-167. Skopiňski (Wilhelm). — « Do zwyczajôw wielkanocnych », Lud, IV, p. 326. Slovo. Vsěkidnevnik za politika, stopanstvo i kulturen život, IV, n° 895 (24 mai 1925). Smirnova (M.). — « Rodil'nye i krestil'nye obrjady kresťjan sela Golicyna, Kur-ganskoj volosti, Serdobskago uězda, Saratovskoj gub. », Etnografičeskoe obozrěnie, XXIII, 1911, n° 1-2, pp. 252-256. Sobolev. — « Dětskiia igry i pěsni », Trudy Vladimirskoj učenoj archivnoi komissii, XVI, 1914. Sobolevskij (A.). — « K istorii narodnych prazdnikov v Velikoj Rusi », Živaja starina, I, 1890, p. 130. Sokolovy (B. et J.). — Skazki i pěsni Bělozerskago kraja, Saint-Pétersbourg, 1915. Sosenko (K.). — Pro mistyku hajilok. Studija z ukrajinékoji glybyny, L'viv, 1922. Sreznevskij. — « Serbo-lužickij narodnyj kalendar'. Iz bumag I. I. Srez-nevskago », Živaja starina, II, 1890, p. 57. Srpski etnografski zbornik. Izdaje Srpska kraljevska akademija, Belgrade. Starýj i novyj byt. Sborník pod red. proj. G. G. Tana-Bogoraza, Leningrad, 1924. Sternberg (L. J.). ■— « Sovremcnnaja etnologija. Novejšie uspechi, naučnye tečenija i metody », Etnograjija, 1926 n° 1-2. Stoilov (A. P.). — « Folklor », Izvestija na Narodnija etrwgrafski muzej v Sofija, V. 1925, pp. 16-66. Sumcov (N. O.). — « O slavjanskich narodnych vozzrčnijach na novoroždennago rebenka », Ž. M. JV. P., 1880, n° 11. — Chleb v obrjadach i pěsnjach, Char'kov, 1885. Swiçtek (J.). — Lud nadrabski (od Gdowa po Bochnie). Obraz etnograficzny. Kraków, 1893. — « Sobotka », Lud, V, 1899, pp. 256-258. Ščerbakivškyj (D.). — « Storinka z ukrajinškoji demonolohiji. Viruvannja pro choljcru », Naukovýj zbirnyk za rik 1924, pp. 204-216. Ščf.rbakivškyj (V.). — Osnovni elementy ornamentaciji ukrajinských pysanok ta jichnje pochodžennja. Studija, Prague, 1925. Šuciievyč (Vol.). — HucuVSčyna, I-IV, dans les Materijaly do ukrajinéko-ruškoji etnoljogiji, II, IV, V, VII. Tille (V.). — « Polívkovy studie ze srovnávací literatury », Sborník prací věnovaných Prof. DT J. Polívkovi k šedesátým narozeninám (Národopisný věstník českoslovanský, XIII, 1918, n° 2-3, pp. 1-216). Tyndjuk (M. P.). — « Iz oblasti Tuchoťšřiny », Novyj Galiěanin, 1891, n° 3, pp. 32-33. Udziela (M.). — Medycyna i przesqdy lecznicze ludu polskiego dans la Bibljoteka « Wisly », VIII, Warszawa, 1891. UlVaňskij (V.). — « Starinně koljadki v, Pódkarpatskoě Rusi » Podkarpatská Rué, I, n° 1, pp. 8-16; n° 2, pp. 50-61 ; n° 3, pp. 85-93 ; n° 4, pp. 123-127. Ušakov (D.). — « Materiály po narodnym věrovanijam velikorussov », Etno-grafiěeskoe obozrěnie, VIII (1896), n° 2-3, pp. 146-204. Veselovskij (Alexandre N.). — « Iz istorii epiteta », Ž. M. N. P., 1895, n° 12, pp. 179-199 et Poetika, Sobranie sočinenij, I, Saint-Pétersbourg, 1913, pp. 58-85. Vykoukal. — « Jakých léků a léôiv poskytuje našemu lidu říše živočišná », časopis Musea království českého, LXXI, 1897, pp. 65-74, 132-139. Waigl (Lop). — Rys miasta Kolomyji, pp. 90-91. Wankl (Anna). — Zabawy Wielkonocne ladu ruskiego we wsi Gorczycach kolo Sienčawy tv powietu przcmyskim, dans le Zbiór wiadomoici do anlropologji krajowej, 1889. Wasilewski (Zygmunt). — Jagodne (wieá w powiecie lukowskim, gminie Dqbir). Zarys etnograficzny, Warszawa, 1889. Witwicki (X. Sofron). —« Huculy. Wypçdzanie bydla na poloniny », Pamiçim/.' Towarzystwa Tatrzaňskiego, I, 1876, pp. 78-79. Woerter und Sachen — Kulturhistorische Zeitschrift fur Sprach-und Sach-forschung ; herausgebeben von R. Meringer, W. Meyer-Lübke, J. J. Mikkola, R. Much, M. Můrko. Wollmann (F.). — « Vampyrické pověsti v oblasti středoevropské », Národopisný věstník českoslovanský, XIV, 1920, n° 1, pp. 1-16 ; XIV, 1920, n° 2, pp. 1-57 ; XV, 1921, n° 1, pp. 1-58 ; XVI, 1923, n°* 1-2, pp. 80-96 ; XVI, 1923, n° 3-4, pp. 133-149 ; XVIII, pp. 133-161. Wundt (Wilhelm).— Viilkerpsychologie, eine Untersuchung der Enlwicklungs-geselze von Sprache, Mythus und Sitte. Vierter Iland, Mythus und Religion. Zweite neubearbeitete Auflage. Erster Teil, Leipzig, 1910. Zachariev (Jordan). —- « Kjustendilsko kraište », Sborník za národní umotvo-renija i narodopis, XXXII, 1918, p. 653. Zapiski Imperalorskago russkago geografičeskago oběčeslva po olděleniju etnografii. Zapysky Naukovoho tovary štva imeny Ševčenka. Mitteilungen der šcvčenko-Ge-sellschaft der Wissenschajten in Lemberg. Zavojko. — « Věrovanija, obrjady i obyčai vclikorussov Vladimirskoj gub. », Etnografičeskoe obozrěnie, XXVI, 1914, nos 3-4, pp. 81-178. Zbiór wiadomošci do antropologii krajowej, Kraków. Zelenin (D. K.). —Bibliografičeskij ukazatel' russkoj etnografičeskoj literatury 0 vněšnern bytě narodov Rossii, 1700-1910, Saint-Pétersbourg, 1913. — Opisanie rukopisej uěenago archiva Imperalorskago russkago geografiěes-kago oběčeslva, I-III, Petrograd, 1914-1916. — « Drevnerusskij jazyčeskij kul't « založnych » pokojnikov », Izvěslija Akademii nauk, 1917. — Očerki russkoj mijologii, I, Petrograd, 1916. — « Etnografičoskija raboty vospitannikov Petrogradskago učiteFskago insti-tuta », Etno grafičeskoe obozrěnie, XXVIII, 1916, n08 3-4, pp. 156-160. — « Čerty byta Useů-Ivanovskich starověrov », Izvěslija oběčeslva archeologii, istorii i etnografii pri Imperalorskom kazanskom universitetě, 1905, pp. 201-258. — Russische (Ostslavische) Volkskunde, dans le Grundriss der slavischcn Philologie und Kulturgeschichte herausgegeben von K. Trautmann und M. Vas-mer, Berlin und Leipzig, 1927. Zíbrt (Č.). — Veselé chvíle lidu českého. Sv. III, Smrt nesem se vsi... Pomlázka se čepejří, 1910 ; sv. VI, 1910 ; sv. VII, Hoj, ty ětědrý večeře, 1910. — « Lidové zábavy, obyčeje a pověry na den sv. Jana Křtitele », Časopis Musea království českého, 1891, p. 252. Zubryčkyj (M.). — Narodnjij kalendar, narodnji zvyčaji i povirky, pryvjazani do dnjiv v tyidny i do rokoin/ch ivjat. Zapysani u Měancji, Staromiékoho povitu 1 po susjidnjich selach, dans les Materijaly do ukrajiniko-ruěkoji etnoljogiji III, 1910. — « Hodivlja, kupno i prodaž oveč u Mšancy, Starosambirákoho povitu », dans les Materijaly do ukrajiněko-ruěkoji etnoljogiji, VI, 1905, pp. 1-40. Rites et Croyance». il Žatkovyč (J.). — a Zamitky etnografični z Uhorákoji Rusy », Etnografiinyj zbirnyk, II, 1895, pp. 38. Živaja starina. Osnovaná V. 1. Lamanskim. Periodiâeskoe izdanie otdélenija etnografii Imperatorskago russkago gcografičeskago obšóestva. TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS...................................................... ix-xi INTRODUCTION : La méthode historique et la méthode statique.. 1-35 CHAPITRE I. — Le calendrier populaire............. 37-91 I. La veille de Noël et le Jour de l’An.... 37-60 II. L’Épiphanie.............................. 60-62 III. La Purification de la Vierge..... 62 IV. Les Quarante Martyrs............. 62-63 V. L’Annonciation.................... 63-65 VI. Le dernier jour gras............. 65 VII. La Semaine des Rameaux................... 65-66 VIII. La Semaine Sainte................ 66 IX. La fête de Pâques........................ 66-77 X. La Saint-Georges......................... 77-79 XI. La Pentecôte..................... 79 XII. La Saint-Jean-Baptiste................... 79-82 XIII. La Décollation de saint Jean-Baptiste.... 82-84 CHAPITRE II. — La naissance et le baptême............... 92-101 CHAPITRE III. — Le mariage.............................. 102-111 CHAPITRE IV. — Les funérailles................................ 112-128 CHAPITRE V. — Les apparitions et les êtres surnaturels 129-145 CONCLUSION...................................................... 146-153 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE........................................... 155-162 TABLE DES MATIÈRES........................................ 163 narodna IN UNIVERZITETXA KNJIŽNICa Saint-Araand (Cher). — Imprimerie R. Rdssíbrb. — 25-11-1929. lpi . ■>" -‘ï • ■. .ř m 'A' ■' , ■ -jf* - ■■*' W ■ : v' " ' /*....... ':V. ,. f. , , t ,T„ .. ... . PM, : , V*- :v'm-- ' %'fi^ , . j., W-:> % . t ■ ;. ' v. ť ( w ... • Jk ^ : 'gC ? ^ : ’V: "■ . ' 1 ^ % '■'/ ' ;.: §h .4? ■ ^ :î ’ .ř^?’ "Hv i;! |àÿ .. .» * $P / :r:- ■ * .rt. .«, ...., • ■■ ’ 4 ■ . ,: ■ ■M ■ 'i'iii'. ' ;>■: ., . ,v_ '?'■ ‘ w ï <.• J ' s:..''- ' L; . v . ; *:'SE:v' W ■ J >Ç - JÎSSiÿ , >v :, ' ■ . j,'**1':;*. ; :f--ï „ * feîl . ■« -Jï- ■Mi. 4? •vif- ! ■ ai- W#S. ’ 'i ‘ 4 # ' ; ■ • ■ ', '•>■-' r.r ''•■•" . . v ‘: • : 'm- :w