COEXISTENCE DES POINTES A BASE FENDUE ET NON FENDUE DANS L’AURIGNACIEN DE LA QUINA GERMAINE HENRI-MARTIN Centre nationale de la recherche scientifique, Paris La station aurignacienne de La Quina (Henri-Martin LL 1951, 1936; Henri-Martin G. 1961) est située en Charente sur la rive gauche du Voul- tron, aujourd’hui mince ruisseau, qui par l'intermédiaire d’un réseau d’af­ fluents, envoie ses eaux à la Dordogne. Elle s’allonge au pied d’un abrupt dans un pays calcaire de petites collines. Le grand gisement moustérien se trouve en amont, à environ 150 mètres. Aux temps préhistoriques, une vaste série d’abris, maintenant effondrés, ont servi de refuge, mais nulle part les couches aurignaciennes ne se présentent en relation stratigraphique avec le Moustérien. Elles surmontent par endroits un niveau de Châtelperron, lequel repose sur de puissants dépôts d’argile et de sable fluviatile qui enrobent une industrie fruste apparentée au Tayacien et antérieure au Moustérien. Ailleurs l’horizon inférieur de l’Aurignacien (couche 3) est compris entre deux effondrements de biocaille qui l’isolent d’une part du niveau de Châtelperron et de l’autre d’un horizon aurignacien plus évolué (fig. 1). C’est dans cette partie de la couche enserrée entre deux masses d’éboulis, à l’abri de toute contamination qu’ont été prélevés charbons et os brûlés qui ont permis d’en fixer l’âge par le C 14 (Henri-Martin G. 1958). Les dates obtenues au Laboratoire de Groningue — GRO — 1493: 31.170 BP + 550 et GRO — 1489: 30.760 BP + 490 — sont les plus hautes connues à ce jour pour l’Aurignacien du Sud-Ouest français, dans la gamine des dates de de Vries. Récemment, dans le même laboratoire, un nouveau pro­ cédé de décontamination a été expérimenté, qui conduira sans doute à vieil­ lir les datations précédentes. Il est donc important d’examiner les caractères essentiels de ce stade initial de l’Aurignacien. Le silex, provenant de sources variées, a servi de matière première et le quartz n’a été qu’exceptionnellement employé. Le fond de l’outillage consiste en lames de grande taille qui dépassent souvent 15 cm — l’une atteint 24 cm — et portent la belle retouche plate de l’époque, très souvent périphérique. El­ les peuvent offrir une échancrure marginale, quelquefois deux, mais les lames étranglées ne sont pas très fréquentes. Dans la catégorie des grattoirs, ceux sur bout de lame, façonnés par longues retouches plus ou moins conver- gentes, dominent. On note une petite quantité de grattoirs carénés et à museau. Le burin, à l’exception de quelques burins d'axe, est extrêmement rare. Le burin busqué n’a pas encore fait son apparition. Il existe des pointes fortes, définies par des retouches lamellaires étroites et quelques perçoirs. Le nombre d’outils doubles est assez élevé. Les couteaux à dos, si fréquents dans le niveau de Châtelperron qui précède l’Aurignacien, ont totalement disparu. Cet ensemble lithique de l’Aurignacien de base de La LA QUINA Y.Z C oupe p e r p e n d ic u la ir e p a r ra p p o rt à ia fa la is e Fig. 1 . La Quina; Y— Z. Coupe. Couche 3: Aurignacien à pointes à base fendue. Couche 4: Industrie de Châtelperron. — Couche 5 et 6: Industries prémoustériennes SI. t. La Quina; prerez Y—Z. Plast 3: aurignacien s konicami s precepljeno bazo. Plast 4: industrija Châtelperron. — Plast 5 in 6: pramoustérienske industrije Quina est en tout point comparable à celui d’un grand nombre de gisements de l’Ouest de la France. Nous citerons en particulier l’horizon de l’Abri des Vachons, station charentaise voisine (Bouyssonie et de Sonneville-Bordes 1956; Coiffard 1938), les niveaux inférieurs de l’Abri Blanchard (Didon 1911) et de l’Abri Castanet (Peyrony 1935) et la couche F de la Ferrasie (Peyrony 1954). Ce dernier gisement avec ses quatre niveaux d’Aurignacien reconnus par D. Peyrony, reposant sur un horizon inférieur à lamelles Du­ four et surmonté par un Périgordien à pointes de la Font-Robert, a servi, du fait de cette succession bien étagée, depuis près de trente ans, à la clas­ sification des industries aurignaeiennes sur une vaste aire géographique. a m Fig. 2. La Quina — station aurignacienne. N°s 1—2 pointes à base fendue. — No s 4—5: pointes à base non fendue Sl. 2. La Quina — aurignaška postaja. Št. 1— 3: konice s precepljeno bazo. — Št. 4—5: konice z nerazcepljeno bazo L ’industrie osseuse est bien représentée dans la couche aurignacienne de base de La Quina. Des bâtons de commandement, des poinçons, des lissoirs, des ciseaux et autres objets obtenus par raclage et polissage sont bien conservés, mais l’élément le plus intéressant, en raison de l’importance qu’on lui a accordé dans la systématique et de sa dispersion européenne, est sans contredit la pointe à base fendue ou pointe d’Aurignac (fig. 2, nos. 1 à 3). Elle est façonnée en bois de Renne. L’os n’a pas été employé et l’ivoire, d’ailleurs extrêmement rare, demeure d’un usage exceptionnel. La matière première conditionne l’aspect des deux faces. Sur les plus grandes pièces, une face présente une structure homogène, l’autre aplanie par raclage offre dans sa partie axiale l’aispect spongieux du tissu diploïque, qualifié de «biscuité» par le Dr. H. Henri-Martin (1930). Les plus petites, prises dans la région compacte des bois, ont deux faces semblables. Les dimensions de ces pointes ne sont pas fixes. A côté de modèles dépassant 20 cm on rencontre des sagaies fines de gabarit réduit. Leur forme est également très variable. Bien qu’elles soient généralement losangiques ou sublosangiques, quelques exemplaires sont allongés en fuseau et d’autres ont une région basilaire épatée. Leur section n’est pas constante. Dans les plus larges elle est le plus souvent aplatie, légèrement elliptique et quelquefois concavo-convexe. Leur caractéristique est la fente qui clive la base et donne naissance à deux lèvres dont l’écartement est plus ou moins accentué. Les languettes, rebuts de fabrication de la fente, sont absentes à La Quina et il n’est pas certain qu ici le clivage ait été produit par arrachement. Dans La Quina aurigna­ cienne fouillée à ce jour, une soixantaine de sagaies à base fendue ont été recueillies. Jusqu’ici, l’industrie de base aurignacienne de La Quina présente une analogie frappante avec celles de très nombreux gisements à pointes d’Auri­ gnac de l’Ouest de la France. Ajoutons que la rubéfaction très marquée de la couche, avec ses zones charbonneuses, son magma d’os et de silex sans orientation privilégiée, d’où émergent des foyers circulaires construits (fig. 3 n°s 1, 2), la présence de dents percées, de coquillages également per­ forés, de fossiles arrachés à la craie et traités comme objets de parure, de pierres à anneaux et cupules, sont autant de traits qui confirment cette ressemblance. Mais à La Quina, on retrouve au même niveau et dans le voisinage im­ médiat des sagaies à base fendue, de très rares pointes à base non fendue.1 (J. Coiffard — (1938) avait, le premier, fait la même constatation dans le gisement proche des Vachons.) L’une d’elles, en bois de renne (fig. 2 n° 5) de forme sublosangique, offre un méplat à droite et un autre à gauche dans sa partie inférieure. De ce fait, la section aplatie tend par endroits à être presque subquadrangulaire. La face inférieure a un aspect biscuité. Quant à la base elle a été aménagée de façon fruste. L ’autre, (fig. 2 n° 4) également en bois de renne, de forme élancée, à peine galbée, offre une base arrondie. 1 La pointe à base non fendue est généralement définie comme pointe losan- gique, or, par les descriptions qui précèdent on voit que les sagaies à base fendue ont souvent une forme losangique et une section aplatie. D’autre part la pointe à base non fendue n’est pas toujours losangique. La définition du fossile directeur de l’Aurignacien II du Sud-Ouest français est donc caractérisé d’une façon défec­ tueuse qui prête à confusion. Fig. 3. La Quina — station aurignacienne. Nos 1—2: foyers Sl. 3. La Quina — aurignaška postaja. Št. 1 —2: ognjišča grossièrement tailladée par coups remontants. La section tend vers un profil concavo-convexe et le méplat de gauche occupe presque tout le côté de la pièce. Ces méplats, qu’on observe fréquemment sur les pointes à base fen­ due, n avaient pas échappé à l'excellent observateur qu’était L. Didon (1911) et ce trait devait lui servir à établir deux catégories principales. On pourrait objecter que ces pièces ne sont que des pointes d’Aurignac en cours de fabrication, mais le façonnage de la base oblige à écarter cette hypothèse. L’idée que ces sagaies ne seraient que des pointes à base fendue réutilisées vient aussi à l’esprit, mais les pièces offriraient alors un raccour­ cissement anormal de la partie inférieure, ce qui n’est pas le cas. On est donc bien forcé d’admettre que les deux types ont coexisté à la même épo­ que dans le gisement. La classification extrêmement fine de la Ferrasie ne semble pas par conséquent applicable à La Quina. Elle a peut-être d’ail­ leurs été forcée dans des cadres trop rigides. Un examen des collections de la Ferrasie montre en effet que les deux formes coexistaient dans la couche F, mais comme à La Quina, les pointes à base fendue étaient en écrasante majorité. Ce fait a été signalé dès 1956 par J. Bouyssonie et D. de Son- neville-Bordes (1956). Rappelons que dans le gisement des Rois (Mouton et Joffroy 1958) situé à 15 km à vol d’oiseau de La Quina, un type de pointe élancée, à base rectiligne non fendue, a été recueilli en abondance. Ces sagaies rappellent celles de la couche S. II de la Salle Saint-Martin d’Isturitz qui surmonte l’horizon des pointes à base fendue. (Saint-Périer, 1952.) Le facièes d Aurignacien des Rois s’intercalerait, d’après les auteurs, entre les horizons des pointes à base fendue et ceux des sagaies losangiques non fendues. Les variations de la sagaie osseuse dans les vieux niveaux de l’Auri- gnacien occidental semblent donc infiniment plus subtiles qu’on ne l’avait cru au prime abord. Ces deux types de pointes se retrouvent jusqu’en Europe Orientale, associées à des industries d’allure aurignacienne, et en particulier en You­ goslavie dans les grottes de haute altitude de la région alpine du Nord- ouest. La pointe de Lautsch, variété orientale de la pointe à base non fendue, existe parfois en grande abondance, comme dans la caverne de Potočka (S. Brodar 1938) où une seule pointe à base fendue l’accompagnait. Ce der­ nier type est rare, et sauf à Mokriška, n’a pas été recueilli en position isolée (M. Brodar 1961). M. Brodar estime que l’existence de cette pointe a dû être de courte durée. Il faut regagner la Hongrie et la grotte d'Istalloskô, dans les montagnes du Bukk. pour retrouver un horizon à pointes à base fendue nombreuses (Yértes 1955; Delporte 1957) assimilé par Vértes à un Auri­ gnacien I. La matière première employée explique peut-être en partie l’abandon rapide de la sagaie à base fendue. En effet, la majorité des pointes de l’Eu­ rope Centrale sont en os. Or, le bois de Renne qui a servi dans l’ouest fran­ çais à leur fabrication est beaucoup plus élastique et assurait une plus grande solidité aux lèvres. Dans les grottes de haute altitude de l’Europe Centrale, l’Ours repré­ sente la presque totalité des débris osseux recueillis, tandis que la couche de l’Aurignacien inférieur de La Quina est à Renne dominant. Enfin, les cavernes de montagne n’ont pu être fréquentées que sous un climat tempéré, et les recherches en cours tendent à montrer que le vieil Aurignacien fran­ çais ne s’est sans doute pas écoulé pendant une période aussi froide qu’on l’avait supposé au début sur la foi de quelques rares restes arctiques. Malgré tout, l’hypothèse d’un cheminement de la pointe d’Aurignac- d’Est en Ouest (Delporte 1958) n’est pas suffisamment étayée (Garrod 1953), et il faudra de nombreuses dates absolues données par le radiocarbone, et beaucoup d’analyses quahtatives d’industries, avant qu’on puisse retrouver les foyers d’origine de ce vieil Aurignacien et ses voies de pénétration. References Bouyssonie J. et Sonneville-Bordes D. de, 1956. L’abri n° 2 des Variions, gisement aurignacien et périgordien, commune de Voulgézac (Charente). Congrès Pré­ historique de France, XVe session, Poitiers-Angoulême, 15—22 juillet 1956. p. p. 271—309. Brodar M. 1961, Die hochalpine Aurignac-Station Mokriška jama (1550 m) Fest­ schrift für Lothar Žotz / Steinzeitfragen der Alten und Neuen Welt. p. p. 99 à 115. Brodar S. 1938, Das Paläolithikum in Jugoslawien, Quartär 1, p. p. 140—172. Coiffard J. 1938, L’Aurignacien en Charente. Bull. Soc. Arch, et Hist, de la Cha­ rente. 1937, p ,. p. 113'—128. Delporte H. 1957, Les fouilles d’Istallosko et les problèmes du Leptolithique hon­ grois. Bull. Soc. Prelusi Française, 54, p. p. 273—9. Delporte H. 1958, Notes de Géographie Préhistorique; I. — Les pointes d’Aurignac. Annales publiées par la Faculté des Lettres de Toulouse. 7, p. p. 11—29. Didon L. 1911, L’abri Blanchard des Roches (commune de Sergeac) gisement auri­ gnacien moyen. Bull. Soc. Hist, et Arch, du Périgord, p. p. 5— 45. Garrod D. 1953, The relations between South-West Asia and Europe in the later palaeolithic age. Cahiers d’Histoire Mondiale, 1, p. p. 15— 37. Henri-Martin G. 1961. Datation par le C 14 de l’Aurignacien de La Quina, Cha­ rente. Bericht über den V. Internationalen Kongress für Vor- und Frühge­ schichte, Hamburg 1958, p. p. 383—384. Henri-Martin H. 1931, La Station aurignacienne de La Quina. Bull. Soc. Arch, et hist, de la Charente, 1930, T. XX, Mémoires, p. 1 à 84. 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POVZETEK Koeksistenca koščenih konic s precepljeno in neprecepljeno bazo v aurignacienu La Quina V aurignaški postaji La Quina vsebuje najstarejši horizont koščene konice s precepljeno bazo in precej manjše število koščenih konic z neprecepljeno bazo. Zadnje so sorodne mladečkim konicam Srednje Evrope. Z metodo C1 4 je bila do­ ločena starost tega horizonta na okoli 31.000 let. Kameno industrijo je mogoče primerjati z drugimi najdišči starega aurignaciena zahodne Francije. Razdelitev aurignaciena v La Ferrasie na štiri nivoje, kakor jo je postavil Peyrony, se zdi ! preveč toga. Oba tipa koščenih konic imamo tudi v Srednji in Vzhodni Evropi, na severozahodu Jugoslavije v jamah velike nadmorske višine. Vendar je v tem pre­ delu konica s precepljeno bazo zelo redka v primerjavi z mladečko.