ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 379 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND- LOUIS-MAURICE SÉGUIER, CONSUL FRANÇAIS À TRIESTE (1810–1813) Massimo SCANDOLA CESR – Université de Tours – 59, Rue Néricault Destouches, 37013 Tours, France e-mail: massimo.scandola@univ-tours.fr SYNTHÈSE Cet article analyse le contexte rédactionnel et les réseaux des consuls de Trieste (1810–1813) à l’époque napoléonienne, dans une perspective d’histoire culturelle, avec une attention particulière à la circulation de la pensée des Lumières, des savoirs français, italianisants et allemands et des pratiques documentaires à la fin de l’An- cien Régime. Armand-Louis-Maurice Séguier (1770–1831), qui était consul pendant l’Empire français (1810–1813), fut le rédacteur de trois mémoires rédigés entre mai et juillet 1810. Ces documents inédits étaient adressés à Nompère de Champigny, ministre des Affaires Étrangères, et ils sont conservés aux Archives Nationales de France. Ces sources sont importantes, car elles explicitent les réseaux intellectuels du consul, ses lectures et ses références culturelles. En effet, ces sources fragmen- taires peuvent aider à dresser la ‘bibliothèque de travail’ de Séguier. L’exploitation de ces sources reflète les caractéristiques des travaux du consul et elles expliquent la circulation des idées économiques des Lumières. Mots clés: Provinces Illyriennes, Trieste, Lumières, histoire de la lecture, études culturelles, transferts culturels UN’IPOTESI SULLA BIBLIOTECA DI LAVORO DI ARMAND-LOUIS- MAURICE SÉGUIER, CONSOLE FRANCESE A TRIESTE (1810–1813) SINTESI L’articolo analizza la rete di collegamenti del console di Trieste (1810–1813) all’epoca napoleonica e il contesto in cui furono redatti alcuni suoi lavori, e ciò in una prospettiva di storia culturale, con un’attenzione particolare per la circolazione del pensiero illuminista, del sapere francese, italiano e tedesco e delle pratiche docu- mentarie alla fine dellʼAntico Regime. Armand-Louis-Maurice Séguier (1770–1831), console durante l’Impero francese (1810–1813), fu il redattore di tre resoconti stilati tra maggio e giugno del 1810. Questi documenti inediti erano indirizzati a Nompère de Champigny, ministro degli Affari Esteri, e sono conservati negli Archivi nazionali Received: 2020-03-05 OI 10.19233/AH.2020.21 ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 380 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 francesi. Hanno rilevanza poiché esplicitano i legami intellettuali del console, le sue letture e le sue referenze culturali. In effetti, queste fonti frammentarie possono aiutare a delineare la “biblioteca di lavoro” di Séguier. L’uso che ne fece riflette il carattere dei suoi lavori e spiega come circolassero le idee economiche al tempo dei Lumi. Parole chiave: Province Illiriche, Trieste, Illuminismo, storia della lettura, studi cultura- li, transferts culturali INTRODUCTION1 Les Archives Nationales conservent dans le fonds du Ministère des Affaires Étran- gères des sources inédites concernant la ville de Trieste et le Littoral Adriatique entre XVIIIe et le XIXe siècle2. Dans la plupart des cas, ces sources ont été très peu exploitées, car ces mémoires ne sont pas liés les uns aux autres ; ils ont été rassemblés dans un seul fascicule quand le consul en poste à Trieste les a expédiés au ministère des Affaires Étrangères en 1810. S’agissant de rapports adressés aux cadres du ministère de l’Empire napoléonien, ces sources ont été rédigées dans une perspective administrative par les bureaux des consuls. Dans cette contribution, nous essayerons d’analyser le contexte de rédaction de ces sources et les réseaux des rédacteurs. Bien qu’elles soient fragmentaires et partielles, elles rassemblent les informations disponibles au sein de l’administration française concernant les régions du Littoral Adriatique au début du XIXe siècle (Do Paço, 1996; Faber, 1995; Trampus, 1990; Sapori, 2014). Ensuite, nous essayerons de comprendre comment les rédacteurs ont exploité leurs sources bibliographiques (ga- zettes, théâtres politiques, essais d’histoire) et documentaires (mémoires administratifs et militaires, projets d’étude). En particulier, nous nous attacherons à la correspondance administrative adressée à Jean Baptiste Nompère de Champigny, duc de Cadore et ministre de Napoléon, qui a été rédigée par le baron Armand-Louis-Maurice Séguier (1770–1831) en complément d’une longue série d’études concernant la ville de Trieste, dont le premier était la Description de l’étendue du Littoral de l’Impératrice sur la Mer Adriatique (1756)3. 1 Ce travail fait partie du projet bilatéral PHC Proteus 2020 code 44089QK et ARRS-MS-BI-FR/20-21- PROTEUS-009, avec le soutien de: Ministères de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). 2 Les dossiers sont conservés aux AN-AE/B/III 431. Autriche 1756–1812. Lettres et documents 1756–1812. Les feuilles des dossiers ne sont pas numérotées. 3 AN-AE/B/III 431. Mémoire concernant le commerce des possessions impériales sur l’Adriatique et les avantages que la France pourrait y trouver, 1756. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 381 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 LES DOSSIERS RÉDIGÉS PAR SÉGUIER Après son installation comme consul de France à Trieste (en mai 1810), Ar- mand-Louis Séguier a rédigé des rapports et il a compilé des études concernant la ville, la région de l’Istrie et les Provinces Illyriennes. Ces documents ont été envoyés au ministre, qui demandait à son consul des renseignements sur le com- merce dans l’Adriatique. Séguier arrive sur le Littoral après une longue carrière dans l’administration française. Jacques-Marie Quérard lui consacre un article dans son Dictionnaire bibliographique des savants (Quérard, 1838, 20–21). Issu d’une famille de la noblesse de robe, son père Armand-Louis, protégé de Louis XV et académicien, était magistrat et avocat au Parlement de Paris. Le jeune Séguier a commencé son cursus dans les institutions militaires de la France de la fin de l’An- cien Régime. Page de la petite écurie en 1779, lieutenant des dragons de Lorraine et officier dans l’armée contre-révolutionnaire, Séguier rentre en France en 1801 où il intègre le corps diplomatique et est nommé consul commercial en Inde. Pendant les guerres napoléoniennes, il est capturé par les Britanniques et il est libéré seu- lement après la paix d’Amiens. Enfin, en mai 1810, il devient le consul général de France dans les Provinces Illyriennes jusqu’à 1813. Les sources disponibles sur son consulat sont rares et fragmentaires, cependant elles permettent de reconstituer les premiers mois de son activité en tant que chargé des affaires commerciales. Lorsque Séguier devient consul général, Champigny écrit à Marmont, gou- verneur général des Provinces Illyriennes, en lui demandant une relation sur les commerces dans le Littoral4. De cette enquête, nous conservons la lettre envoyée par Marmont à la fin des travaux administratifs réalisés par Séguier, qui avait reçu l’ordre de mener l’enquête par le biais d’une communication de Marmont, datée du 17 juin 18105. À cette fin, en mai 1810, Séguier a rangé les documents conservés dans les bureaux du consulat. D’abord, il a dû créer des copies des mémoires rédigés par ses prédécesseurs ; ensuite, il a retravaillé ses relations à partir de la Description de l’étendue du Littoral de l’Impératrice sur la Mer Adriatique (1756). Ce texte, rédigé par un officier français resté anonyme, a été publié par K. Kecskeméti dans l’édition dédiée aux rapports diplomatiques sur la Hongrie au XVIIIe siècle (Kecskeméti, 1963). Récemment, Lajos Kövér en a attribué la rédac- tion au premier consul français à Trieste, le vicomte De La Vergne dont Anne Mézin, dans son ouvrage consacré aux consuls français à l’époque des Lumières, affirme qu’il n’a jamais « rejoint son poste » (Mézin, 1998, 384). Comme l’explique Lajos Kövér dans son essai, cette dépêche mérite qu’on y prête attention, car elle souligne l’importance acquise par le Littoral Adriatique en tant que voie privilégiée du com- merce de la France vers l’empire ottoman, la Hongrie et les régions méridionales de la monarchie des Habsbourg (Kövér, 2005, 108–119). Le texte dévoile une inter- 4 AN-AE/B/III 431. Lettre 24 mai 1810. 5 AN-AE/B /III 431. Lettre 17 juin 1810. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 382 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 Fig. 1: AN-AE/B/III - Archives Nationales de Paris (AN), série Affaires Étrangères (AE), classe B/III 431, ff. nn.: Description de l’étendue du Littoral de l’Impératrice sur la Mer Adriatique ou Mémoire concernant le commerce des possessions impériales sur l’Adriatique et les avantages que la France pourrait y trouver, 1756. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 383 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 prétation physiocratique de l’économie et des-perspectives de développement de la région. De plus, il semble qu’Armand Séguier reprenne cette même perspective à son compte en rédigeant ses dépêches. Dans ces écrits, il reviendra sur le commerce du tabac, du miel, de la cire, du bois, de la laine de chèvre, etc. Bien qu’il étudie ce texte, il convient de rappeler qu’Armand Séguier se dégage de l’attention portée à l’agriculture pour en critiquer durement deux aspects. D’une part, il souligne que la vision de la richesse basée sur les privilèges et les lettres patentes a atteint l’écono- mie de Trieste. D’autre part, il propose de remplacer cette vieille idée par le libre marché, ouvrant de nouveaux horizons productifs basés sur le commerce. Du mai 1810 jusqu’à juillet de la même année, Armand Séguier rédige trois dépêches: l’Idée sommaire sur la marine marchande, jointe à la lettre du 10 mai 1810 avec un second mémoire6, le Précis sur le commerce de transit de Trieste avec les pays au-delà de l’Autriche et des pays au-delà de l’Autriche avec Trieste7. Enfin, il écrit les Considérations générales sur les rapports de commerce entre les Provinces Illyriennes et les États héréditaires, jointes à la lettre de 10 juin 18108. LA GESTION DES INFORMATIONS SUR LE COMMERCE: «UNE MATIÈRE DIFFICILE» Dans la première dépêche du 8 mai 1810, Séguier remplit ses devoirs admi- nistratifs en complétant le dossier grâce aux documents importants hérités de ses prédécesseurs. L’étude de ses papiers semble attester qu’il était le seul diplomate chargé d’affaires à Trieste. Sans employés, ni instructeurs, il pouvait compter sur l’aide d’un seul secrétaire dont le nom ne nous est pas parvenu, lequel rédigeait les rapports officiels adressés au ministère, tandis que Séguier rédigeait seul sa corres- pondance. Comme à l’ordinaire, dans les bureaux de l’administration de l’État, le secrétaire copiait les documents, apposait des notes marginales, gérait et classait les papiers et les fascicules administratifs. Toutefois, c’était le consul qui devait se charger de la plupart des tâches administratives. Pour rendre compte de l’ancien intérêt commercial de la France envers la région, le consul charge son secrétaire de transcrire une copie de la Description de l’étendue du Littoral, il ajoute une copie de la Lettre particulière de l’Italie et du Nord rédigé par Monsieur Joanin, ambas- sadeur français à Vienne, le 8 juillet 1776. Ensuite, il ordonne à son secrétaire de transcrire les papiers relatifs aux échanges économiques à Trieste, tout en joignant « deux objections sur le Projet de la fourniture de bois à prendre dans la Croatie et Escalvonie »9. Le consul signe les documents copiés et il rédige des notes en marge, renseignant le ministre Champigny sur les officiers qui avaient expédié et reçu les papiers à l’époque. 6 AN-AE/B/III 431. Lettre 10 mai 1810. 7 AN-AE/B/III 431. Lettre 10 mai 1810. 8 AN-AE/B/III 431. Lettre 10 juin 1810. 9 AN-AE/B/III 431. Fourniture de bois de Croatie pour le port de Toulon, 1776. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 384 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 Après l’envoi des matériaux, nous apprenons par la dernière lettre disponible aux Archives, rédigée par Séguier le 30 juillet 1810, que Champigny a ordonné à son consul de continuer la recherche « sur les objets qui ont suivi de matière à mes lettres »10. Devant de nouvelles demandes de renseignements, Séguier écrit: Votre excellence devroit en conséquence d’avoir d’une manière précise et ample proprement qu’il seroit possible comment se joint le commerce, quelles routes étoient suivies pour le transport de marchandise tant pour l’exportation que pour les retours, où il se fesoit (sic) pour les négociants de Trieste, ou pour ceux de Vienne, ou pour ceux des pays où proviennent les marchandises, enfin quelles seroient dans l’état actuel des choses les marges praticables pour assurer aux Provinces Illyriennes la jouissance des avantages qu’elles trouvaient dans le commerce11. Dans presque toutes ses lettres, Séguier rappelle au ministre qu’il essaie de « ré- pondre en tant que mes possibles moyens me le permettent […] et j’ai l’honneur de vous adresser ci joint des considérations générales dans cette matière difficile »12. Dans la même lettre du 10 juin, le consul se plaint des derniers changements qui le contraignent à réécrire ses relations trop fréquemment ou à les mettre à jour avec de nouveaux rap- ports dans un délai très court. Il ajoute: Depuis ces séries de guerres, les routes du commerce ayant changé presque toutes les années, on en sauroit établir de bases sur des directions forcées, et qui se trou- vent en contradictions avec le cours présumé des choses13. Au regard des trois rapports, il convient de souligner que Séguier a étudié la géographie politique des régions (Istrie, Dalmatie, Croatie, Carniole et Carin- thie) ; il a approfondi sa connaissance de leur économie et de leur histoire grâce à des traités et des récits historiques du XVIIIe siècle et de son époque, qu’il gardait dans sa bibliothèque ou dans son bureau. Cependant, il n’avoue pas ses sources ; il se limite à affirmer que la plupart des informations lui sont arrivées par M. Speroni, capitaine de navire, et par M. Mouvet, capitaine de frégate, et par certaines « communications des correspondances locales »14. De plus, il raconte que en rentrant d’un voyage en Carinthie, il a rencontré des gens qui lui ont donné quelques notions de l’économie, des manufactures et des productions des Provinces Illyriennes. Ce paratexte en introduction est souvent une fiction, une sorte d’escamotage littéraire trouvé par le rédacteur afin de dissimuler ses 10 AN-AE/B/III 431. Lettre 30 juillet 1810. 11 AN-AE/B/III 431. Lettre 10 juin 1810. 12 AN-AE/B/III 431. Lettre 10 juin 1810. Lettre 21 juin 1810. 13 AN-AE/B/III 431. Lettre 10 juin 1810. 14 AN-AE/B/III 431. Lettre 10 mai 1810 ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 385 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 sources réelles. Nous avons identifié les mêmes stratégies littéraires à l’œuvre chez Raimond von Thurn-Hofer und Valsassina, qui deviendra le gouverneur de la Dalmatie et de la Croatie après le Congrès de Vienne, dans la Description de l’Istrie: un texte qu’il a lu à l’académie de Koper autour de 179515. En outre, il faut remarquer que les trois essais de Séguier sont très différents de l’écrit de Raimond von Thurn-Hofer und Valsassina, qui est consacré aux progrès de l’agriculture, aux techniques pour mieux cultiver les vignobles et améliorer la production d’huile en Istrie. En revanche, Séguier change de perspective, car son intérêt se focalise sur le commerce français dans les Provinces Illyriennes ; et il ne consacre que quelques lignes à l’agriculture de l’Istrie, à propos de laquelle il compile la liste des produits tirés de la Description du Littoral Adriatique rédigée par son prédécesseur. En outre, contrairement à Raimond von Thurn-Hofer und Valsassina, le Français était un écrivain connu. Dans la première décennie du siècle, après la fin de l’exil, il a écrit des romans et des pièces qui furent bien reçus par le public. Cependant, les pages de ses rapports sont illustrées de statis- tiques éclairées par des exemples tirés de l’observation quotidienne et de l’étude de la littérature disponible dans son bureau. Riches d’informations générales, sans ornements de style et sans élégance, celles-ci rendent compte des positions stratégiques du commerce des Provinces Illyriennes. C’est le bibliophile parisien, Louis Gabriel Michaud, qui rappelle au lecteur du XIXe siècle « qu’il [Séguier] avait cultivé les lettres avec succès et il a donné au théâtre de Vaudeville des petits ouvrages qui furent goûtés » (Michaud, 1811, 34). LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL ET LES SOURCES CONSULTÉES PAR LE CONSUL Parmi les trois rapports rédigés par le consul à Trieste, les plus intéressants sont sans doute l’Idée sommaire sur la marine marchande et le Précis sur le commerce de transit de Trieste avec les pays au-delà de l’Autriche et des pays au-delà de l’Autriche avec Trieste. Le troisième rapport, Considérations générales sur les rap- ports de commerce entre les Provinces Illyriennes et les États héréditaires, revient sur les sujets analysés dans les deux textes précédents. En outre, les rapports proposés par Séguier atteignirent si bien leur objectif, que Napoléon Ier décidera de le charger des études sur les voies du commerce du mer- cure en Carniole. Dans une lettre d’octobre 1810, Napoléon écrit au ministre des Affaires étrangers « Employez le sieur Séguier, mon consul à Trieste pour prendre connaissance de tout ce qui regarde les mines d’Idria, et chargez-le de suivre les intérêts de mon domaine extraordinaire » (Napoléon Ier, 1862, 244). Le premier mémoire esquisse les caractéristiques de la marine marchande et il est divisé en trois parties. La première, consacrée aux « Bâtiments », analyse 15 ASTs, Torre-Tasso 150, 1, 2, 3. R. von Thurn-Hofer und Valsassina. Agrum bene colentes non minoris factos, quam bello excellentes. 1795. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 386 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 Fig. 2: AN-AE/B/III - Archives Nationales de Paris (AN), série Affaires Étrangères (AE), classe B/III 431, ff. nn.: Observations sur le projet présenté par Metternich pour la Convention à conclure en exécution de l’article VII du Traité de Vienne de 1809, concernant le commerce de l’Empire à travers les Provinces Illyriennes, 1810. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 387 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 les changements stratégiques de la marine autrichienne placée sur le Littoral à l’époque de la paix de Campoformio (1797). Dans ce chapitre, Séguier utilise des données statistiques très pointues sur les navires amarrés dans le port de Trieste. Sa source vient de Réflexions politiques sur la ville de Trieste (1785), écrites par Antonio De Giuliani, dont il a retenu la description des commerces, de l’écono- mie de la ville et du port (De Giuliani, 1785, 41–46). De plus, Séguier résume une longue série des notices qu’il a tirées du Tableau statistique de la monarchie autrichienne (1809) du journaliste Damaze de Raymond (1770–1813). En outre, il faut remarquer que Damaze de Raymond et Séguier appartenaient aux mêmes réseaux diplomatiques et intellectuels. D’une part, le journaliste était le chargé d’affaires commerciales de France auprès du Sénat de la République de Raguse de 1802 à 1807. De l’autre, il partageait les mêmes passions que Séguier pour le théâtre et l’opéra ; ses œuvres étaient très à la mode et ses articles sulfureux publiés sur le Journal de l’Empire suscitaient toujours des critiques et attiraient la censure (Biographie universelle, 1837, 60). Dans ses études sur le commerce de la région, Séguier en tire ses chiffres sur les navires de grand cabotage, sur les vaisseaux et les brigantins du Tableau statistique: L’année 1783, 529 vaisseaux passèrent le Sund sous le pavillon autrichien, en 1803 il y en avait que dix-neuf. Les villes de Trieste, de Fiume et de l’Istrie sont les seules que prennent part au commerce maritime (Damaze de Raymond, 1809, 100). Au début, Séguier explique au ministre l’état de la marine autrichienne, en présentant un corps de 750 bâtiments, après le traité de Campoformio (1797). Ensuite, il renseigne son interlocuteur sur les pertes causées par les pirates barbaresques, dont les journaux avaient décrit les incursions tout au long du Littoral Adriatique en 1798–1799, de 1803 jusqu’à 180816. Le Tableau statistique représente une source fondamentale pour Séguier qui complète ses données prises de gazettes, notamment du Journal des débats et des décrets (1803). La seconde partie est intitulée « Matelots » ; elle propose une enquête ‘sociologique’ sur les activités productives de Trieste, notamment la marine marchande et plus géné- ralement celles pratiquées par les « gens de mer » de Trieste, de la Dalmatie, de Raguse et Cattaro17. La plus grande part de la population du Littoral « ne consiste qu’en gens de mer »18. L’officier évalue que la Dalmatie, y compris Trieste, a été censée fournir 4000 matelots, Raguse 5000 et Cattaro 4000. De plus, il remarque qu’une bonne partie des marins est embarquée dans des vaisseaux ragusains dans la Mer Noire, d’autres sont prisonniers à Malte et en Sicile dans des bâtiments anglais, d’autres encore servent « les corsaires maltais et d’autres ont fait le 16 Journal des débats, 13.05.1803, 5 ; 03.06.1803, 2 ; 07.06.1803, 2 ; 09.06.1803, 4 ; 13.06.1803, 4. 17 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. 18 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 388 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 métier de pirates »19. Bien qu’il reste toujours difficile de vérifier les chiffres avancés par Séguier, car ils s’écartent de certaines statistiques proposées par la littérature économique sur la monarchie autrichienne, ils restent un point de re- père important. De même, Séguier consulte constamment les dernières parutions sur les commerces dans les domaines héréditaires des Habsbourg, notamment le volume consacré à la Monarchie autrichienne du Manuel historique et statistique de l’Allemagne, écrit par Henri Maurice Grellmann (Grellmann, 1804), les tra- vaux de Joseph Charles Kindermann sur l’archiduché d’Autriche, en particulier le Calendrier national de la Styrie, publié à l’université de Graz (Kindermann, 1801). De cette bibliographie, il retient les perspectives libérales sur le commerce maritime, dont il se plaint à cause de la difficulté à réaliser un véritable espace de libre échange dans l’Europe en guerre. Ces lectures constituent les sources exploi- tées pour rédiger la troisième partie, intitulée « Commerce », laquelle se révèle être une étude exhaustive sur la population marchande de Trieste, la manufacture, la circulation des émigrés, notamment des « ouvriers français » de Marseille, de Lyon et du Languedoc20. Il disserte également de la possibilité d’implanter à Trieste des « fabricants du nord de la France et de la Suisse », des magasins des « Grecs » (les Serbes installés à Trieste) et des voies de circulation de l’Autriche21. Afin d’étayer ses recherches, Séguier propose des statistiques sur la démographie de la ville: en 1707 elle comptait 3000 habitants, en 1768 12000, en 1793 seule- ment 800022. Ce sont des chiffres tirés du Tableau statistique, d’autres concernant les marchandises proviennent de la Statistique de Transylvanie qui étudie les relations commerciales avec la Bucovine et la Bosnie (Ballmann, 1801). Après la cession de l’Istrie et la Dalmatie à la France (1805), Trieste reliait cette province frontalière « instable et turbulente, profondément malheureuse et mélancolique, aux religions, coutumes, lois et aspirations divergentes » de l’Empire ottoman (Šoja, 2014, 88) à la Péninsule Italienne et à la France. Avant de conclure son rapport, il affirme que « le rétablissement de l’ordre général en Europe doit faire rentrer le commerce de Trieste dans les canaux naturels »23. D’autre part, Séguier essaye de souligner l’importance stratégique de Trieste où il exerce son mandat ; pour cela il affirme que « Venise expirante acheva de rendre Trieste le point de communication entre l’Europe et l’Asie, et par conséquent le centre des opérations de ces deux parties du monde »24. Des renseignements ponctuels sur les importations de coton (31 mille balles de coton arrivées en 1798 à Trieste), d’huile (45 mille barils en arrivèrent sur le port dans la même année) mettent en évidence la revitalisation des commerces 19 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. 20 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. 21 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. 22 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. 23 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. 24 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 389 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 à Trieste de 1798 à 180625. Le consul manifeste sa volonté cachée, c’est-à- dire qu’il souligne les contradictions économiques de Trieste et des Province Illyriennes. Afin de demander de l’aide économique à la France, au début, il met en évidence l’arrivée dans les ports du Littoral de navires en provenance de la Suède, du Danemark et de la Russie, lesquels achètent à Trieste « les articles qui leurs conviennent: les miels, les savons, les draps, les lins, les toiles, le mercure »26. LE LECTEUR DES LUMIÈRES ET L’ESPOIR DU LIBRE-ÉCHANGE Le second rapport intitulé Précis sur le commerce de transit de Trieste avec les pays au-delà de l’Autriche et des pays au-delà de l’Autriche avec Trieste témoigne de la connaissance profonde que Séguier a des routes du commerce vers l’Allemagne, vers la Hongrie et l’Empire ottoman (Fertil, 2014; Gouin, 2014). À la fin de son premier rapport, Séguier défend l’idée d’une Europe en paix, qui permet la croissance économique des Provinces Illyriennes. D’ailleurs, il souligne l’importance stratégique de la politique commerciale autrichienne, notamment les lettres patentes pour le libre-échange, dont Vienne a investi Trieste, Venise, Zara, Fiume et Split. À ces deux villes, Fiume et Split, Séguier consacre les dernières lignes de son premier rapport. En particulier, il explique au ministre que c’est Split qui « était autrefois la principale échelle de la Dalmatie », la ville de raccord avec la Bosnie, qui était « l’antichambre de l’Empire ottoman » (Bouchard, 2019, 84). À Split arrivent les caravanes turques « chargées de peaux de lièvre, de poils de chameaux, de laine de chevreaux, de cotons et conduites par les Turcs eux-mêmes »27. C’est dans la partie finale du rapport consacré au commerce, lorsqu’il atteste « l’effet naturel » et concret d’un temps de paix, qu’il décrit les « conditions naturelles » du commerce à Trieste. Pour ce faire, Séguier montre sa maîtrise de la littérature économique des Lumières. C’est avec ce lexique choisi pour décrire les conditions idéales des échanges entre nations, qu’il rappelle au ministre les conséquences positives de l’équilibre politique. D’autre part, Séguier revient à ses lectures les plus anciennes, rappelant lexique et thématique des Réflexions de Turgot sur la formation naturelle des marchés et surtout de l’Esprit des lois de Montesquieu: L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l’une a intérêt d’acheter, l’autre à intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur les besoins mutuels (Montesquieu, 1979, 72)28. 25 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. 26 AN-AE/B/III 431. Idée sommaire sur la marine marchande. 27 AN-AE/B/III 431. Précis sur le commerce de transit de Trieste. 28 AN-AE/B/III 431. Précis sur le commerce de transit de Trieste. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 390 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 Séguier maîtrise les principes de l’économie politique qui complètent ses com- pétences approfondies en statistique, en lui permettant d’exhorter Champigny à diminuer les droits des douanes dans les Provinces Illyriennes. Cette stratégie qu’il a suggérée au ministre s’appuie sur une série d’exemples tirés de l’économie des transports, des droits payés par les voitures de l’Allemagne en voyage spécialement vers l’Autriche, les régions de la Hongrie, le Banat, la Bosnie et les Provinces Illyriennes. Séguier incite Champigny à trouver des solutions convenables aux négociants de Silésie, de Saxe. Il s’agit de diminuer les droits à la frontière des Provinces Il- lyriennes, ainsi les commerçants peuvent rejoindre l’Italie « sans quitter Trieste », pour trouver des droits de transit moins lourds à la frontière du Tyrol. En effet, il rappelle à son interlocuteur les choix commerciaux de l’Autriche: Le gouvernement autrichien qui vouloit favoriser Trieste et cherchant en même temps à encourager le transit par ses états se contentoit de très légers droits de transit pour tout ce qui venoit non seulement de Silesie et de Saxe, mais encore de diverses parties de Pologne et d’Allemagne, ainsi les marchandises de point, telle que les toiles les plus fines, les draps le plus fins, transitoient avec la seule charge d’un fleurin 40 kreutzer par quintal, monnaie de convention que l’on acquittoit au change de 200 florins en papier pour 100 florins d’Auguste; tous les États d’Autriche quoqu’à Trieste, entièrement jusqu’à l’Adige, tandis qu’actuellement depuis l’établissement de la nouvelle frontière Illyrienne, il faut compter en sous 1 florin et 40 kreutzer, tout en bonne mémoire pour le passage en Illyrie jusqu’à Trieste, ce qui triple la charge29. Dans ce mémoire, Séguier voudrait persuader le ministre de protéger « l’intérêt du négociant », car il faut que l’intérêt du négociant se trouve d’accord avec l’impulsion qu’on veut lui donner, que les droits se modèrent en raison de la multiplicité des pays que la marchandise doit parcourir, et comme chaque puissance veut profiter par le transit, que les droits soient moins forts où il y a plus des puissances copartageantes [...] étant qu’il étoit convenable aux intérêts du souverain, joint aux intérêts du commerce30. Dans ces enquêtes, Séguier partage sa pensée libérale avec le ministre dans un style simple et clair, et il paraphrase Turgot, sans l’avouer, lorsqu’il affirme qu’« en général, les hommes sont toujours éclairés par un intérêt prochain et évident » (Turgot, 1970, 87; Larrère, 1993, 168). C’est la théorie de « l’harmonie des inté- rêts » des particuliers, postulée par l’abbé de Morellet et ensuite formalisée par 29 AN-AE/B/III 431. Précis sur le commerce de transit de Trieste. 30 AN-AE/B/III 431. Précis sur le commerce de transit de Trieste. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 391 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 Turgot, qui conduit ses réflexions (Morellet, 1758; Larrère, 1993, 166–167). Selon ces principes de sociabilité, Séguier condamne la violence des campagnes mili- taires (Coyer, 1756, 68). Le consul établit un lien entre civilisation et richesse, en proposant un modèle positif de la société civile fondée sur le « doux commerce », qui augmente les échanges et favorise la circulation des marchands en multipliant les effets positifs de la paix (Larrère, 2014). La fin de la guerre, « le bien général », « la liberté du commerce » et l’équilibre de « l’intérêt du souverain » avec « l’intérêt du négociant » sont les mots-clefs d’un lexique économique hérité du XVIIIe siècle. De même, selon l’esprit des Lu- mières, ces paroles traduisent des résultats concrets à atteindre dans les Provinces Illyriennes. C’est sans doute l’usage qu’il fait de ces vocables qui témoignent de ses lectures et de son adhésion à la pensée des Lumières, dont il a absorbé les idées, le lexique et le style. La littérature technique, notamment les statistiques sur l’économie de la Hongrie, de l’Esclavonie et de l’Illyrie publiées par Frederic Guillaume von Taube, Jean Michael Ballmann et Jean Henri Thunmann, donne à Séguier les moyens de déchiffrer la réalité politique de son époque selon une perspective d’ouverture au commerce et à la circulation des marchandises et des gens (Taube, 1777; Ballmann, 1805; Thunmann, 1774). Lorsqu’il fait le point sur Trieste, il essaie toujours de mettre l’accent sur la population, les « fabri- cants », les « négociants », les « émigrés de la France, de l’Italie, de la Pologne, de l’Ukraine » et les « Grecs », les marchands orthodoxes de la Serbie qui ont implanté des petits magasins à Trieste31. Ces aspects ‘ethnographiques’ font leur apparition dans les rapports froids et secs du consul ; ces choix rédactionnels renvoyant sans doute aux relations scientifiques rédigées sous forme de récit, spécialement la Topographie de l’Esclavonie de Frederic Guillaume von Taube (Taube, 1777), les traités de botanique de Balthazar Haquet (Haquet, 1782, 1790– 1791) et les Voyages d’Albert Fortis, Christian Eggers et Küttner ne pouvaient pas manquer dans la bibliothèque du consul, ni dans son bureau de travail (Fortis, 1774; Eggers, 1802; Küttner, 1801). CONCLUSION L’exploitation de ces sources témoigne des différents canaux de circulation de la culture française, intégrés aux savoirs italianisants et allemands dans le Lit- toral Adriatique. D’une part, ces dépêches attestent sans doute de l’érudition de Séguier, de sa maîtrise de l’économie politique et des “savoirs techniques” des Lumières. En particulier, ces mémoires permettent de deviner les lectures du consul, sa bibliothèque de travail et son savoir administratif. À travers de tels outils herméneutiques, Séguier propose au lecteur contemporain des voies d’accès aux informations disponibles au sein des bureaux de l’Empire. D’autre part, ces mémoires témoignent de la difficulté de gérer et de transmettre ces informations 31 AN-AE/B/III 431. Précis sur le commerce de transit de Trieste. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 392 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 concernant une région et une ville stratégique pour le commerce de la France avec l’Empire ottoman et les Pays héréditaires des Habsbourg. Les efforts accomplis dans la recherche de l’information et son élaboration sur la base des données tirées de ces sources mettent en évidence les méthodes de travail d’un consul, et les voies d’exploitation administrative de la littérature technique, notamment les usuels en italien et en allemand, les guides, les manuels et les traités. De même, l’analyse critique de ces sources contribue à bâtir la “mémoire documentaire” d’un bureau de l’administration périphérique de l’Empire français (Bundy, 1987; Stauber, 2012). Dans ce cas, ce sont les signes graphiques laissés par les deux rédacteurs (le consul et son secrétaire) sur leurs papiers qui nous renseignent sur certaines pratiques administratives du bureau du consul. Spécia- lement, les annotations critiques du secrétaire, les classements des documents à copier et à envoyer au ministère, les listes des typologies de documents, les notes dans les marges des lettres et des mémoires, sont autant de traces des “bonnes pratiques” dans le fonctionnement du bureau (Beautier, 1968, 148–149; Brenneke, 1968, 318–342). Finalement, l’administration française apporte des nouveautés à la culture de gestion du document sur le Littoral, en perfectionnant des acquisitions documentaires et des pratiques qui se développeront au cours du XIXe siècle dans l’administration autrichienne (Brenneke, 1968, 326–339). ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 393 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 HIPOTEZA O DELOVNEM GRADIVU V KNJIŽNICI ARMAND-LOUIS- MAURICEA SÉGUIERA, FRANCOSKEGA KONZULA V TRSTU (1810–1813) Massimo SCANDOLA CESR – Université de Tours, 59 Rue Néricault Destouches, 37013 Tours, Francija e-mail: massimo.scandola@univ-tours.fr POVZETEK Članek obravnava spise, ki jih je uredil Armand-Louis-Maurice Séguier (1770–1813), francoski konzul, ki je deloval v Trstu v času francoske oblasti v Ilirskih provincah. Upravni spisi so bili raziskani z vidika in s posebno pozornostjo do zgodovine kulturnih tokov ter predvsem do vloge knjig in dokumentacije. Takšen pristop omogoča razumeva- nje prevzemanja političnih in ekonomskih ved ter “dobrih praks”. Te so se razvile tako v Franciji kot v regijah Habsburške monarhije. Podobno prakso so francoske upravne elite, zlasti konzuli in birokracija, prilagodili in prenesli v politično in diplomatsko dejavnost. Namen eseja je ugotoviti, kateri spisi in znanja so bili na voljo konzulu ter katere vire je uporabil, spoznamo pa jih skozi analizo neobjavljenih dosjejev. Séguier jih je sestavil in priložil administrativni korespondenci ter poslal ministrstvu za zunanje zadeve v Pariz. Iz študije lahko razberemo, da se med vrsticami diplomatskih in trgovskih odnosov, ki jih je zasnoval konzul, odraža kultura razsvetljenstva. V njegovih spisih je mogoče najti infor- macije z opisom Trsta in južne regije Habsburške monarhije, povzel pa jih je po gradivu o statistiki, politični ekonomiji in predvsem po bogati strokovni literaturi v nemškem, italijanskem in francoskem jeziku, ki je sestavljala konzulovo ‘delovno’ knjižnico. Ključne besede: Ilirske province, Trst, razsvetljenstvo, vloge knjig, kulturne študije, kulturni transferji ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 3 394 Massimo SCANDOLA: UNE HYPOTHÈSE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’ARMAND-LOUIS-MAURICE ..., 379–396 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE AN-AE/B/III – Archives Nationales de Paris (AN), série Affaires Étrangères (AE), classe B/III 431, ff. nn.: Description de l’étendue du Littoral de l’Impératrice sur la Mer Adriatique. 1756 ou Mémoire concernant le commerce des possessions impé- riales sur l’Adriatique et les avantages que la France pourrait y trouver. 1756 ; Four- niture de bois de Croatie pour le port de Toulon. 1776 ; Lettres du consul de France à Trieste, avec des rapports sur le commerce des Provinces Illyriennes. 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