Relation ^UsiEURS VOYA^ ^ faits &v rr " CRJE £**Vie ^Gajrje ^cedoine 1Jf£S5ALIE AU^^I sty^, CaiuS^11 CAR^l0l>f £TFRlüIy Prieurs obseruahon^J^^^r* > •*de itf'rur'Œnines d'or, ^raent>»%^ raüej1f *&**,aut des Bains,et cW & a A uej?1 s%* en ces Pqys. figures de quelques Ha^1^’ kr plus Considérable • 1 lytnglou du ■Sieur^Dr°'J'j^., , £52*2r-Xedian duCol^'J^rf^ s -‘Wesnhres de la Société J & Médecin Ordinaire dçfa , v 4 X^IESte'BllITANNiq? L.Cotri* -Jkit / .. - ■ /’ ïî ■. •;• • r:>] * ;;tî- • '•+ ' •' ■ ' .*• £*&• w -4* mt p* \' ^ t. ' V* n te x& P t» Jiji. 3 y Yov ,J vÏ'j . ' \ ' îv-H- C' i ,M • ’ *■ ■ H V AWbfrV\;A>^ ***•» •**' $r- < i .V TT v. rt A'4 ■ • . .. i %.. ',k ' ' - ' ■î ? * ■ ^-— - « vHjÇ- . M- ■ f. --«fc**-' - * ( . «•„. . : • - . : : HÉ • '■ H - >. 1 \ -, '4\U..V.V i * ' Vt V \’AY»'4 * " d»- , ;V } '! *v \. : ’î . i ««■. „-V-. ... ■ «* * •■* X V »' S 'tf*. RELATION DE PLUSIEURS VOYAGES, FAITS AVSTRICHE. STTRJE. CARINT1H1E. CARNIOLE. eÿ" frivli. HONGRIE. SERVIE. EN-t BVLG ARI E. MACEDOINE. THESJLIE. ENRICHIE de PLUSIEURS observations, Tant fur les Mines d’Or,d’Argent.de Cuivre.&deVif argent; que des Bains & EauxMineralIes, qui font dans ces Païs. EC IES F1GVRES DE ELO.VES HABITS, & des Places les plus confiderables. 'Traduit de l’Anglois du Sieur EDOUARD BROTN, Medccin du College de Londrejun des Membres de la Société Royalle, ôc Medecin ordinaire du Roy de la grande Bretagne. A paris; Chez GERVAIS CLOUZIER, au Palais; TurlesDegrez en montant pour aller à la feinte Chapelle, à l’Enfeigne du Voyageur. M. DC. LXXIV. Avrr vu rirrr.FGR nv nmr A r*** k. r r tt* l»r' " I V~~â& 4' é ? Æ\ F: ♦. • v-l.. V A w. i. < vv r 9. à' ?,1 A A „ / ■■»', c 0 o V- 0< ^ ' C A ? :fi ’ jj •V/ ■;a i Æ A CI A * «.i f ji. i v\ u O J D cl A.Y JI 3 O Hii rjn T yvifro Cl i .Ü Ci «V Jf AU LECTEUR A \\{:. \ '‘V/v. \ V*W S uVi \ * *\ t j ^ -J \ /. * V a 0 Ai ME le Siècle oh nom 'vivons ejl fort curieux, qu on ayme tant les bellesçho(&i,qu on tache tQwl&PPÏÙ de faire de nouvelles ^Découvertesde donner des Relations véritable de nos propret Pat*, au/fibien quedeceux qui font les plus éloignes : & comme il fe trouve plu/leurs perfonnes qm (ont portées de leur naturel a recevoir favorablement tout ce que leur prefente mlhmne qui ni s’emploie qu 4 découvrir quelque cho(ede nouveau dans les Âns, dans la Nature mJme* Jaj cru que je nedevoù pas faire de difficulté de donner au Public quelques Obfervations tque j’ay faites dans flufîeurs parties de ï Europe, On fut ï Année dernière affeZj content d'un petit Livre que je fis .imprimer en Angloù, qui traitoit de ï origine du Pais, des inclinations, du Gouvernement > delà Religion des Cofaques» f’y joignis un autre petit (Ttattte desTartaresde Vrecopie, ave cl Htjioire des Guerres des Cofaqms contre les Yolonnois, qui fut astfti-jtfJ hknrzç&ï ainfLdonvmi.cette année ce que.jaj/ uv aîtj au lecteur; marqué de plus confîderable dans la Hongrie, la Servie,là Bulgarie & la Macedoine. foje efperer que ceux qui ont de la Civilité', du S ç avoir, ou du mente, ne regarderont pas cet Ouvrage, comme une chofe tout-a-fait inutile. Comment aurois-je pu m'exempter de faire une T>efcription generale de la Hongrie, ayant vu, comme jayfait ,la plus grande partie des plus belles Vlaces de ce Vais, trouve des occaftons favorables , pour aller vifiter tout ce quilj a de plus beau de plus curieux, comme les iBains Je s Eaux minerales,Ç$ lesAdines: enfin obfervé plufieurs chofes, touchant les Mines d’or, d’argent, è*de cuivre,par le moyen de S/gwor G ianelli* principal Officier Comte de la Chambre des Mines f efpere qu on mexcuferafi je mefuis fort étendu fur cette matiere. Ouoj quecefoit une chofe difficile, quil y ait peu de Monde qui ayme à voyager, cependant la occafions en font naître le defir. C’efice qui m’eft arrivé à moy-mefme; car ayant trouvé à Vienne une occafion ajje&favorable, je m en allaj a la Cour du Grand Seigneur ; j’en trouvay encore une autre a Larijfe, & parcourus tout ce que leTurc p ofiede en Europe. Il j a fi peu[d’Anglois qui ayent efie en ce pais-là, que j’ay crû pouvoir enfaire un petit Trait té, que la nouveauté des chofes quil contiendroit,ne ferviroit paspeu à le faire bien recevoir \ mais je ne AU LECTEUR: veux point entreprendre icy parlerait pouvoir, de la grandeur de la politique des Turcs, par ce que plufieurs perfonnes en ont de'ja écrit avant moy. Ce qui me porta davantage à entreprendre mon voyage de Vienne a Veritfe ,fut l’envie que favois de connoifire la Nature de ce Vais 3 dans lequel on ne peut presque voir que des Montagnes & des Vallées; mais fçachant bien qu'il ri y avoirpa* tant de ch ofes à remarquer, en fuivant le grand chemin, je pris un Compas, Ç5* allay de Ville en Ville, pour examiner tout ce qu'il y avoit de curieux. Je revins pourtant parle grand chemin , ou y nemen éloignay que fort peu, afin que la diverfité des chofes me fit trouver mon Voyage pins agreable. Jeriay pas voulu mettre icy toutes les figures que favois préparées, quoy quelles fujjent fort propre s a reprefenterles Habits, les Voflures, les oJldontagnes, les Châteaux, les oTJdonafieres, les Sepulchres, les Fonteines, les çjMedailles que fay veues ,depeur degrofiir trop cet Ouvrage. S'il y a quelque chofe qui vousplaife, celam encouragera dans la fiuitte a vous donner des Relations de toutes les autres choses que fay veuès, à vous faire des Defcriptions de tout ce qu’il y a de plus beau dans les autres Vaïs. EJTTRA ICT DV V RIVILEGE T>V RQŸ> PA r. grâce & Privilege du Roy, donné à Paris le 19. jour d’O&obre, l’an de grâce mil fix cens foixante & treize, &de nôtre Regne le 31 Signé par le Roy en fon Confeil Bouchart, Il eft permis à G e r v a 1 s Clouzier, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & diftribuer un Livre, intitulé , Relation véritable de flttfieursVoyaqcs faits en H ongrie,;Servie ,Bulgarie & Macedoine Compofé en Anglois par EdoüardBr own , Medecin ordinaire du Roy de laGrande Bretagne,8c traduit enFrançois parM.LrV. durant le tempsdedix années, à compter dujour que ledit Livre fera achevé d’imprimer: fie deffenfes font faites à tous Imprimeurs, Libraires 6c autres, dJimpri«Yier ou faire imprimer, vencjre, diftribuer, ny extraire aucune chofe dudit Livre, fans lb confentement dudit Expofant , fur peine de confifcation des Exemplaires contrefaitsau prejudice des pre-fëntês , & de trois mil livres d’amende, dépens, dommages & interefts dudit Suppliant, 6c de ceux qui auront droit de luy, ainfi qu’il eft plus amplement, porté par l’Original. Regiflré Jur le "Livre de lu Communauté des "Libraires (êfr- Imprimeurs de Varis , fkivant Ï Arreft du Parlement du 8. Avril 1668. celuy duCon/eïlprivéduRoyduij. Février 166/. Signé D. ThieRŸ, Syndic. Achevé d’imprimer pour la premiere fois,Ie zo. Janvier 1674. DESCRIPTI ON DESCRIPTION GENERALE DELA HONGRIE E ne veux point repeter icy les avantages qu’a la Hongrie par-defïus tous les autres Pais de l’Eu. rope 3 à caufe de Tes Mines , de Tes Bains , & de Tes Eaux minera* les , parce que j’en ay déjà parlé dans mon Livre de l’Année derniere -, mais j’y en adjouteray feulement quelqu’autres qui ne font pas moins con-fiderables; & premièrement je diray qu’il y a non feulement beaucoup de Mines, &c. Mais que c’eft aulfi le Païs de l’Europe dans lequel il y ait de meilleures Rivieres , & qu’il n’y a point de Terre qui foit plus heureufe & plus abondante en Ruiflfeaux. Si on fe tourne du çofté de l’Orient, on y voie A i DESCRIPTION cette grande Riviere appelée Tibifcus, ou autrement le Teife, qui a fa fource dans le Païs de Mxromorus,au pied des montagnes Carpathienes , & qui après avoir reçu le éMarifcus ou éMarifà, auflibien que plufieurs autres Rivieres,va le jetter dans le Danube , entre Vcradine , Saint Pierre & Belgrade. On fait defcendre par le moyen de cetce Riviere , une grande quantité de pierres de Sel, qu’on apporte de plufieurs Mines qui font en Hongrie & Tranfilvanie, & qu’on fait monter fur le Danube, mefme jufqu’à Prefbourg. Mais on en feroit porter encore bien plus loin, fi cela n'eftoit pas deffendu , & fi cela n’empefchoit pas la vente du Sel d’Auftriche , Inr lequel l’Empereur leve un Droit aflfez confiderable, aufli bien que fur celuy qu’on fait defeendre fur le Danube, pour l’envoyer vendre dans la Servie & les Païs voifins. On voit du cofté de l’Occident la Riviere Arabo ou Rab , qui a fa fource dans la Styrie, & qui va fe rendre aufli dans le Danube. C’eft une Riviere fort eftimée, parce qu’elle reçoit le Lauffninle Pica, & Cunc& plufieurs autres Rivières •, mais elle elt encore devenue bien plus fameufe par la deffaite des Turcs , foubs la conduite d’Achmet, qui eftoic en ce temps - là Grand Vizir , par l’Armée Imperiale à Saint Godard proche de cette Riviere. On en parlait encore lorfque j’eftois à la Ville de Rab, & j’y trou-yay, plufieurs perfonnes qui me dirent qu’ils DE LA HONGRIE. s voyoient les corps des Hommes & des Chevaux, flotter encore dans cette Riviere. Il y a du çofté du Midy , une tres-belle Riviere appelée le Drave ou le Drau , qui tirant fa fource du Pais de Sal^burgland , qui eft une partie de l’ancien Noricum, & paffant par le milieu de la Carinthie & de la Hongrie , va enfin fe degorger dans le Danube, proche d'Erdoed, ou l'ancien Tcutoburgium, après s’eftre éloigné d’environ cent lieuës de fa fource. La Riviere de éMur s’y vient rendre, & je vous peuxafTeurer que la voyant bien éloignée de là & plus proche de fa lource , elle m’a paru très - grande : car j’ay efté obligé , pour pouvoir pafTer de l’autre collé , d’aller chercher un Pont aulïi loin que Villach ou Villaco; & entre Clagenjùrt & le Mont-Leubcl en Carinthie, je la paflfay encore une fois par le moyen de deux Ponts de bois, quifont comme un Ifle au milieu. On voit encore dececoftélà, la Riviere deSave ou de Sau , qui eft fort large , & qui ayant fa fource dans la Carinthie, fe jette dans le Danube à Belgrade, après avoir fait prés de cent lieuës, & s’eftre augmentée par le moyen de plufîeurs Rivieres aflez grandes qui s’y viennent rendre; elle paroift fort belle à Carnodunum ou Crain-bourgs qui eft une ville afTcz jolie , & afTez proche de fa fource ; mais comme elle s’augmente encore dans fon cours, elle fait quelques Ifles a£ fez belles, comme celle de Metubaris dansl’Oc- A ij 4 DESCRIPTION cidcnc de 1’ancien Simium , & celle de Stgeflica eu Sijfex , proche de Zagabria , dans laquelle il y avoit autrefois une ville tres-forte & tres celebre. C’eiloit là que les anciens Romains apportoient toutes leurs marchandas d' Aquileia , pour les envoyer enfuice à L'abach ou à Nauportus , pour les faire tranfporter à Sigefiica, & pour enfin les vendre dans ces Provinces, ou bien pour entretenir les Garnifons & les forces qu’ils y avoient. Il y a entre ces deux grandes Rivieres de Drau & de Sau, comme une petite Ifle fore belle & fort agieable , dans laquelle Solyman le magnifique fe retira jufqu a ce qu’il s’avança à Belgrade, avec prés de 400000. hommes pour prendre Vienne. Il ne s’eftoit mis en marche , que pour venir à bout de ce deflein , mais il n’ofa pas aller attaquer les Troupes deCharlequint, qui eftoit pour lors campé devant cette ville. Il y a aufli dans le Nord de la Hongrie quel.' ques Rivieres qui tirant leurs origines des mon-; tagnes de Carpathie, la divifent d’avec la Pologne» & entr’autres celle de Gran , qui va fe rendre dans le Danube , tout proche de Strigonium ou Gran ; & celle de \rag ou Vagus, qui va s’y décharger au dtfïus de Comara. Stuckius , qui eft un Témoin oculaire, écrit que cette Rivieren’eft pas moindre que le Po en Italie 5 pour moy je peux afleurer qu’à Freifiat, qui eît une place éloignée environ de dixfept lieués du lieu où elle fe jectc dans le Danube, elle eft fort large, & DE LA HONGRIE. 5 qu’il y a un fort beau Pont, dont la plus grande partie tomba à caufe de la glace l'année que j’ê-tois en ces quartiers-là. Beaucoup au deflus de cette Place , &: plus proche de fa fource , il y a encore un autre fort beau Pont à Trenfchin , qui ejft une très jolie Ville, qui donne le nom à tout ce Pais, & qui eft fort frequentée, à caufe de fes Bains chauds, de fes Eaux minerales , & de trente-deux fort belles fources. Le Danube, ou autrement le Donnau., pafTe par le milieu de la Hongrie, dans toutes les Provinces ; car depuis la ville d’UIme en Swabenland ou Sue aufïi-bien qu’à Vienne , & il ya toujours là un Arcenal pour s’en fervir dans l’occafion. Pour ce qui eft du Turc, il fe retire dans Strigonium, Bttde, Belgrade, &dans toutes les autres Places qu’il a au bas de la Riviere. Mahomet le Grand, fît venir au Siege de Bel.; grade deux cens tant grands que petits Vaiffaux fort bien équipez & accommodez , & les Habitants de Hongrie en firent décendre de leur côté une fi grande quantité de Bude qu’après un combat aflez fanglant, ils prirent vingt de leurs Vaif-feaux, & forcèrent les autres à chercher le rivage, & à fe retirer dans leur Camp, de forte que Mahomet fut obligé de commander d’y mettre le feu , pour empefeher que les ennemis ne s’en rendirent les maîtres. Les Chrétiens avoient une B rj 12 DESCRIPTION trcs-belle floce.au fiege de Bude, mais on reüÆit tres mal,fous la conduite duComte deRegenfdorf; car nous lifonsdans l’Hiftoire, que les Chrétiens avoient une Armée de vingt-quatre Fregades,de quatre-vingt petites Barques, & de centVaiffeaux pour porter tout ce qui eft neceflaire dans des occafîons comme celles là, fans compter tous les autres grands Navires. Vvolfgangus Hodder rendit un fort grand fervice à Ton maître, par le moyen dune Flotte comme celle-là, lorlque Solyman af-fiegeoit la Ville de Vienne -, car il fortit de Pref-bourg avec une Armée Navalle , & coula à fond tous les Vaifleaux aufïi bien que toutes les machines de Guerre qu’on avoit envoyées de Bude pour faciliter la prife de cette ville. S’il y a beaucoup de Rivieres dans ce Païs, il y a aufli quelques Lacs qui font affez grands, com: me celuy de Ba.la.ton ou Plat/ée , ou comme on lapelloit autrefois Volcex ; ce Lac eft d’une grande étendue & eft fitué entre Vefprinium & le Drau. Il y a meme fur le bord des Places affez fortes, qui ont fervi autrefois à arrefter la cruauté des Soldats de Solyman , qui renverfoient, bru. loient , & pilloienttout, depuis Bude jufqu’ace Lac. Puifqu’il eft à l’Orient de la Riviere de Ley ta, je ne feray point de difficulté de le joindre à la Mer de New/îdler, en difant que c’eft un Lac qui a fept milles d’Allemagne de long & trois del’ar-ge, & en adjoûtant qu’il porte ce nom à caufede Nesy/idelj qui n’eft qu’une petite Ville, où il n’y DE LA HONGRIE; 15 a qu'une rue & quelques maifons derriere, avec un petit Château bâti fur une Montagne, d’ou je vis facilement tout le Lac. Les Turcs, les Tar-tares, !kc. brûlèrent pendant les troubles de Bot/, cay , quatorze Vilages qui étoient bâtis aux environs de ce Lac , que les habitans de Hongrie apellent Tertett, ôc Pline Peijo , & qui eft au milieu du chemin de Vienne àSabarie, le lieu delà naiflfance de Saint Martin, il n’y a point de plus belle plaine que celle de Pampm dans le Paragué en Amérique , parce qu’elle a prés de fept cens lieuës de long ; mais cependant j’ay entendu dire au Capitaine Narborough ce fameux navigateur, que c’eft une terre tout a fait baffe depuis la Rivie-re de No.la P/ata jufqu’au détroit de Magellan. Il y a à la vérité de belles Plaines dans la Mofco-vie & dans la Pologne, mais comme la plupart font toutes couvertes d’arbres , cela empefc che qu’on n’en puiflfe bien découvrir la beauté, les plus belles que j’aye remarquées en Angleterre; font celles de Salisbury , de Lincolne, & de NeW-mrk&et-, mais ce ne font-là que de longues promenades, en comparaifon de celles de Hongrie, les Plaines d’Auftriche , c’eft à dire depuis Vienne jufqu’au mont Sïmmeren fur les frontières de Styrie, ont aufli beaucoup d’étendue j & quoy qu’il y ait un affez grand nombre de Montagnes &c de Bois dans le haut de la Hongrie , il y a cependant plufieurs fort belles Plaines dans les Provinces d’en bas -, car j’ay efté depuis Vienne jufqu’à Bel- ,+ description grade, fans pouvoir remarquer une feule Montagne dans tout ce Voyage, de prés de cent trenre-cinq lieues, & je m’imaginois quelquefois eftre fur la Mer, parce que je n’y voyois rien d’aLuifle ny d’élevé,& que tout ce que jepouvois découvrir , n eftoit qu’un fort petit Bois tout proche de Bacna, & de shilbergy audeladeDom. Mais fi nous voulons examiner de prés la grandeur de cette Campagne ,nous trouverons quelle s’étend encor plus de deux mil d’Allemagne plus loin qu’on ne penfe , c’eft à dire depuis la Montagne de Kdert-h erg ou Qetius vers l’Occident devienne , jufqu au delà de Belgrade & tout le long du Danube, jufqu’aux frontières devralackic, ce & tout à fait oppofée à Freiftadt. I I. le n’eft pas beaucoup éloignée de l’endroit, par où les Tartares paflerent dans la derniere guerre, lorsqu’ils détruisirent une grande partie de ce pays, 6c y firent une grande quantité d’efclaves, aullî bien que dans la ^Moravie. Ils commencèrent à la fortifier en l’an 1665. & cela écoit aflfez avancé lorsque j’y eftois en 1669. mais il n’ertoit pas encore tout à fait achevé. Le Comte de Souches qui en étoir pour lors Gouverneur m’y fit beaucoup de civilité, & me donna même un efcorte, pour m’accompagner dans le pays où on leve les contributions , c’elt à dire, vers SchemnitCremnit& les autres places où il y a des mines. Uyaeu plufieurs Empereurs Romains quiontefté dans ces quartiers là, qui y font nés, ou qui y font morts, & qui enfin s’y {ont fignalés par quelques belles adions. Car, fans parler de Trajan, de Caracalla, de Galien, de Conftantius, & de plufieurs autres j les Empereurs Aurelien , Probus, & Gratien, font nés à Sirmium-, & Claudius Gothicus y eft mort, ou bien proche de ces quartiers là. Jovien & Va- DE LÀ HONGRIE. 29 lentinien naquirent dans la Pannonie. Les légions de Mœjîe faliierent & éleurent pour leur Empereur Ingenuus Gouverneur de la Pannonie II ell arrivé la même choie dans ce pays là à Vetranio -, fk enfin on affembla du rems de Photinus Evelque de Sirmium un Concile général dans cette Ville. Comme les armées Romaines elloient fort fou-vent dans ce pays, il ne faut point s’étonner fi on void tant de fortes de Monnoyes de cuivre, d’or, de d’argent. J’en ay trouvé, & en ay même apporté un allez grand nombre de Petronell, ou l’ancien Carnuntum , qui tait une partie de la P annonie-, & à Sene ou Sema, qui eft une Villefituée fur le bord du Danube, il y en a une très grande quantité. On en void auf-fî aflez communément dans l’ancienne Ville de Bu-de ou Sicambria, dans l’ancienne place de Sirmiumj fituée dans le pays qu’on apelle à prefent Schremniaj & on en trouve aufli à éMur/â ou Ejfeck, & dans plu-fieurs autres places. J’étois logé à Belgrade chez un Marchand Arménien , qui me promit de me don-1 ner un grand nombre de Monnoyes Romaines à mon retour, & m’affeura déplus que cela ne luy (eroit pas difficile , & qu’il en crouveroit affez à Sirmium ôc à Samandria, & qu’enfin il en chercheroit par tout. O n croit que c’étoit affez proche delà que demeuroit Lyfimachus Roy de Macedoine & de Thrace dans un Chaiteau, ou un Palais proche de Dénia, où on a trouvé cette grande quantité de Médaillés d’or. C ’eft le fentimtnc de Monfieur Fumée,, & il en parle de^et-te manière dans fon Hiftoire des Guerres de Hongrie. P iij 3o DESCRIPTION Les payfans trouvèrent, il y a quelque tems, un grand threfor proche de la Ville de De-vu ou Devas, l'ous un vieux Charteau, ou pluftoft ious un ancien Palais tout a fait ruiné & abbatu. Comme il plut pendant un très long-tems, & que l’eau couloit a«j vec aflfcz d’impetuofité, on y découvrit encore une fort grande quantité de Médaillés d’or, fur leiquel-, les on voyoit d’un collé le Portrait de Lyfimachus, & del’aurre une victoire reprcfèntée-, & ellt’S pefoient toutes, deux outroisécus. Si-toft qu’il eull celTé de pleuvoir, que la tempeftefe fuft appaifée, & que le Soleil commença à paroiftre , les payians les virent reluire, &y accoururent aufli-toflavec beaucoup de joye. Apres en avoir pris tout ce qu'ils en purent trouver, ils appeurceurent encore un ferpent d’or, que le General Caftalde envoya enfuitte à Ferdinand avec une partie de ces anciennes Médailles. C’écoit autrefois la couftume que ceux qui mettoient leurs threfors dans la terre, y enfermaient auffi un ferpent, qu’on croit être le fimboje d’un veritable & fidele gardien. Apres que les payfans eurent emporté ce qu’ils voulurent, fans que perfonne lefçeuil, il en vint d’autres qui y trouvèrent encore plus de vingt-mil ducats i & on rapporte qu’ils euffent pû en prendre cent mil, s’ils euflent voulu. C’effcoit là qu’a-voit autrefois demeuré le Roy Lyfîmachus -, & on dit que Ferdinand eut plus de iooo. & Caftalde plus de 300. de toures ces pieces de monnoye qui étoienc demeurées là depuis le tems de cet ancien Roy. Entre toutes les autres antiquitez remarquables, on DE LA HONGRIE; si y trouva encore deux Médaillés d’or, fur l’une desquelles on voyoit le Nil , & fur l’autre Semiramis, dont on fit prefentà l’Empereur Charlequint. Il n’y avoit enfin perfonne dans cette Province quelque peu d’authorité, & de quelque confédération qu'il fuft, qui n’eufl: quelques-unes de ces Médailles : tant il y en avoir grand nombre ! Dans les Villes qui étoient autrefois fous la puif-fancedeRome, parouj’ay paffi, le Peuple vous au* roic apporté toutes les Monnoyes qu’ils avoient, fï vous leur eufTiez demandé, parce qu’ils les apellent la {Monnoye des Payons , & qu’à caufe de cela ils ne les eiliraent point. Les Arméniens &c les Juifs les a-maflent dans les païs de Servie & de Bojnie, pour les envoyer à Ragufe, & pour en faire porter enluitte la plus grande partie en Italie, il ne faut pas que j’ouu; blie à parler d’une certaine Monnoye de cuivre de l’Empereur Jule Philippe que j’ay trouvée aflez commune dans ces païs,& très rare dans quelques autres. Il y a d’un cofté la tefte de Philippe avec cette inferi. ption : JMP. C. M IVL. PHILIPPINS AVG & de l’autre, c’eft une femme au milieu d’un lion & d’un taureau, avec aulfi cette inlcription : P. M. S. COL. VlM. AN. 7. & voylà comme il faut entendre cela, Provinciœ Mœfi ôc elle n’eft pas faite à la vente de la maniéré que font les autres. Le jardin de l’Archevefque eft fort beau ; il y a de belles promenades -, on y voit de très belles grottes, la figure de Jeronimo, le Labyrinthe, des étangs, & enfin de fort bonnes fontaines. Il y a dans la Cathedrale le Corps de faint Jean Evefque d’Alexandrie. Les J.cfuites ont une partie de cette Eglifè; Les Lutheriens en ont aufli une afîez jolie ; & pour conclure , il y a encore la plus belle boutique d'A-potiquaire qui fe puifTe voir, toute remplie deraretez. La Ville de Rab ou laurinum eft fituéeen l’endroit ou les rivieres de Rab & Rabnit\ vont fe jetter dans le Danube. C’eft une très forte place-, elle eft fur les frontières, & peut refifter long-tems au Turc. 11 y a deux ponts, l’unducofté d'Auftriche, & l’autre du côté & AIba Regalis ou Stuiweijjenbourg. Il y a quatre Ba- A LARISS E.' 37 ftions, & quatre lieux élevez, d’où l’on peut tout voir. Le premier, c’eft le baftion , fur lequel eft baili le Chafteau, ou Palais du Gouverneur. Le fécond eft fur le bord de la riviere du Danube. Le troifiéme eft placé fur la iainte Montagne; & lorfque les Turcs le firent fauter par le moyen d’une mine , il fe trouva juftement un homme à cheval deffus, que la force de la poudre emporta dans le Danube, lans qu'il fe fift aucun mal; & fans que fon cheval en fuft bleffé en quelque façon que ce puft eftre. Le quatrième eft celuy du milieu , & regarde la terre du cofté de l’Orient. Le cinquième eft celuy qu’on appelle le nouveau Baftion. Le fixiéme, le Baftion Impérial. Et enfin le feptiéme , eft celuy de Hongrie fur le bord de la riviere de Rab. Ce fut en cet endroit que fut tué le Gouverneur Turc, lorfque les Chrétiens fur-prirent la Ville pendant la nuit. Il n’y a qu’une gran-] de plaine aux environs , & il n’y a rien qui femble luy pouvoir jamais faire de mal, fi ce n’eft une petite mon-’ tagne, qui en eft pourtant affez éloignée, & qu’on pourra faire fauter quand on voudra par le moyen d’une mine, fi toft que l’occafion s’en prefentera: Il y a encore au delà une petite Tour dans le milieu de la campagne , d’où l’on peut facilement décou-; vrir l’approche des ennemis. Sinan BafTa vint l’affie-ger fous le Regne de Sultan Amurath III. Il y per-; dit beaucoup de monde, & il eut douze mil hommes de tuez dans une (eule attaque -, mais à la fin elle fe rendit par la trahifon du Comte d’HardecK qui en étoit le Gouverneur, & qui fut pour ce fujet décole' E iij 58 VOYAGE DE VIENNE à Vienne. On la reprit peu d’années après de cette manière; le Comte de Swa,n%enbourgy & le Comte de Ta>lfi la furprirent pendant la nuit, & firent un grand carnage de tous les Turcs qu’ils y trouvèrent. J’ay veu une partie de la porte qu’on rompit parle moyen d’un pétard, qu’on garde encore dans l'Ègüfe Cathédrale, comme l’inltrumenc delà victoire. Pendant que les Turcs furent les maittres de cette Ville, ils firent faire une bafle-foiïe pour mettre les prifoniers Chrétiens ; on n’y voit point du tout, fi ce n’eft par le moyen d’une grille qui eft dans le marché. Mais il y a à preient preique toûjours des Turcs, qui y iont enfermez, qui demandent la charité à ceux qui paf-fent par là, & qui vendent quelques espèces de fouets qu’ils font dans leur mal-heureulè retraitte. Il faut que ceux qui auront envie de voir toutes for. tes de machines & d’inftrumens de guerre, aillent à Ral>ouKowtra, parce qu’ils n’en peuvent jamais voir davantage dans quelqu’ autre place que ce puif-fe eftre ; car on y voit premièrement un inftrumenr, qu’ils apellent une Etoille du matin y dont fe fervent les Sentinelles & les Soldats même dans un affault, pour fouftenir la brefche , & pour empefeher rentrée de la Ville. Ony montre des pots de terre, qu’on remplit de poudre & d’autres matériaux de cette forte, & qu’on jette enfuitte au milieu des ennemis. Il y a auüi des planches toutes couvertes de crochets de fer, qu’on met au dehors des ouvrages, & fur lesquelles on ne met que très peu de terre; & ainfi on blelfe dangereufement, on embaraffe extrêmement A LARISSE: 39 tous ceux qui veulent avancer. Onfe fert encore d‘un autre machine, qui s’apelle 'WcrfKugely qu’on remplit de toutes forces de matieres combuftibles , qui rejette à la main, qui s’attache, & qui enfin brûle tout ce qu’il peut rencontrer en Ton chemin. Il y a aufli une machine qu’on nomme un Cheval deFriie, 6c qu’on met dans le chemin pour empefeher la Cavalerie de palïer. Ils ont enfin plufieurs fortes de bal, les avec des chailnes, aufli bien qu’une infinité d’in-ffcrumens de cette maniéré. Le General Montecuculi eftoit Gouverneur de Raab, lorique je paffay par là l’année derniere pour vant trop incommodé du 0__________ iaoux, ou d’Envoyez ordinaires, qui venoient fort fouvent à Vienne de la part du Vizir de Bude, & qui ne s’en retournoient pas qu’on ne leur euft fait quelque pre-fentj leur a die qu’ils n’avançafTent point plus avant que Raab, à moins qu’il ne leureuft permis, & qu’ils y recevroient leurs dépefehes. Le Colonel Hoffkircher efloit pour lors Gouverneur de Komora iGomorai Cru-fnennm, ou Comaromum, qui eft une Ville fort grande & fort belle, fituée au bout de Tille de Schut du cofté de l’Orient ; elle regarde fur le Danube & le Waag, & eft très bien fortifiée , & très bien peuplée. On eftime la Tortoi/è comme une forte place ; & on l’a-; pelle ainfi à caufe quelle reflemble en quelque ma-? niereà une tortue. Sinan Bafla après avoir pris la Ville de Raab , alïïegea cette Ville avec foixante Vaif-, féaux & un très grand nombre de Turcs & T*^' ln’en revenir en mon > trou- '40 VOYAGE DE VIENNE res ; mais ce fut en vain , car lés Tartarcs y furent prefque tous tués. Je remarquay dans le Chafteau trois anciens Tom. beaux, qu’on y avoit autrefois apporté de Sene, ou Senia., qui eftoit une place fort ancienne , & aflez proche. Comme il y eut quelqu’un dans le Chafteau qui m’en vit écrire les inferiptions , on s'informa de ce que j’en voulois faire , & on m’obligea d’en laif-fer une copie-, & on me fit déplus promettre que fi après les avoir examinées, je trouvois qu’elles fuf* fent de confequence, je leur en donnaffe avis. Voy. là ces inferiptions-, fur l’une, MEMO KJÆ I V L 1Æ E. M E H 1 T Æ, QVÆ VJXITAN $£ VALER1 AMASCLERlA F I L 1 Æ P 11 S S I MÆ. Et fur le defïus, D. M. L’infcription de la fécondé eftoit ainfi, 'MVALVALERT ANI\ LEGIIII, FL, VlJflT ANXI,IIi JET M VA L VLPIOEQPVB' FIL, V1XIT AN VII1S IMC0NDIT1SVL PI A PARATI ANE MARITO ET VLPIA VALERIA F ILIA 1IREDESTS. i .. . V./ Et comme fur lautre, D. M. " * Et il y avoit fur le deffus ce qui fuit ITAAMïPIÉXfTXeiMCTATIATPOC Le troifié- le troifiemc tombeau étoit tout de même, mais il n’ avoir point d’infcription. Je n’ay pas pu m’exempter de mettre icy les deux autres, parce que je fçay fort bien qu’elles ne font pas dans ce gros Volume des inlcriptions de Gruter. On a depuis peu bien mieux fortifié Gomore, qu’elle n étoit auparavant v & on a enfermé une bien plus grade efpace de terre , par le moyen d une ligne qu’on a tirée depuis la rivierede\yaag jufqu’au Danube, &c enfin on y a déjà fait quatre nouveaux Baftions. Pour ce quieft de plufieurs autres places a fiez proche de celle-là, dont j‘ay déjà fait mencion, & que. je vis 1 année auparavant, je n’en parleray qu’en pafîant , & principalement de Ne^haujell, que les Habitans de Hongrie apellent Vhar, quieft fituéefurle bord de la riviere Neutra, afTez proche de Nitria, qui eft une très forte place, & une Ville Epifcopale, qui fut pri-le dans les dernieres guerres parle Comte de Souches.' NeWhaujcll ell une Ville ti es confiderable & très re-guliere, & il y a fix Rallions, quiluy donnent la figure d’une Etoile. Le grand Vizir s’en rendit le Maillre après fix attaques qui furent fouftenuës avec afTez de chaleur i & on peur dire que fi on l’a perdue, ce n’a cfté que par l’imprudence du Comte de Forchat^ qui en étoit le Gouverneur, &qui perdit temerairement la plus grande partie defesgens à la bataille de Bar-çham où on voit encore dans la campagne les os de ceux qui y ont efté tués. Le Baflfa de Turquie demeure dans le Palais ou elloit autrefois logé l Archevefquc de Fnftourgi & a fait de l’Egliîe une Mofquée. 4i VOYAGE DE VIENNE hç Baflfa de Turquie devint un peu trop familier avec le Gouverneur de lLoma.ro, qui étoit tout proche, le grand Seigneur en étant devenu jaloux, envoya un homme pour le décoller, & donna fbn Gouvernement à un autre. Cette place fait payer des contributions à la plus grande partie du pais qui eft entre la riviere de Waag & de Neutra, ; & entre la riviere de Neutra, & celle de Gfart : 6c partout ou nous logeâmes dans Ces quartiers là, leMaiftredu logis nous dit, qu’il é-toit obligé d’envoyer un eftat aux Turcs de tous ceux qui croient dans fa maifon ; àquoynous confentimes fort volontiers, parce que nous refolumesdenousen aller, avant même qu’il puft leur prefenter. Si le Vizir ne s’étoit pas amufé pendant un très long tems à aflieger NeWhaufella & s’il euft marché droit en Au-ftricne, avant que l’Empereur fe fuft préparé, pendant que les troupes auxiliaires étoient encore fort éloignées , & que tout le pais étoit dans une crainte perpetuelle, il euft fans doute laiflfé de très mau-vaifes marques de fa marche dans ces païs là. Mais lorfqu’il voulut quelque tems aprésUvancer dans l’Au-ftriche , en paflant par faint Godard , l’Empereur fe trouva en état de luy refifter,- & il fit marcher pour cet effet un fï grand nombre de troupes auxiliaires d’Allemands & de François , qu'il fut obligé de fe retirer après avoir perdu la plus grande partie de fes meilleurs foldats, & de demander la paix, par le moyen de laquelle tout ce païs a efté depuis ce tems. là en repos. il y a un village fur le bord du Danube, qu’on ap* A LARISSE. 43 pelle Sene , Sone, ou Senia, C'eft une place fort eftimée pour la diverfité des antiquitez & des cho-fes curieufes qui s’y voyeot. Pourmoy j’ay elle allez heureux pour trouver par le moyen du Byrç ou Juge de la place plufïeurs pieces de monnoyes, & quelques-unes même d’or, qu’ils apellent monnoye des Payens ou Romains, 8c qui font fore curieufes ; & j’en donnay quelques-unes à lllluftre Petrus Lambecius, qui les fit voir à l’Empereur. Comme cette place paye tribut aux Turcs, on ne l’a point tant ny examinée, ny recherchée ; ôc c’eft pourquoy on y a mieux gardé ce qu’il y avoit de plus curieux. De toutes les in-feriprions de Gruter, je n’en trouve qu’une ou deux de Senta. Le peuple afleure , mais c’eft fans fondement, qu’on apelloit autrefois cette place Apollonia,, En allant de Raab à Dotis on pafTe par S. Martinfoerg, qui eft une Ville afTez jolie, & une très forte place fituée fur le haut d’une montagne fore élevée, de laquelle on peut découvrir tout le païs aux environs. Dotis, Tata, ou Theodata n’eft éloignée que d’environ quatre lieues de Gomore s il y a unChafteau avec des foflez tout au tour , & on voit aufh afTez proche delà quelques Bains naturels. Elle a efté plu. fieurs fois pri£c & reprifè. Graff Zacki un des princiJ paux de Hongrie en eftoit Gouverneur lorfque j’y pafTay • & je vous avoiie que j’en ay receu toutes les civiluez pofîibles, & que je ne les oublieray jamais ; & c’eft la vérité que dans ce païs-là les compagnies tes plus honneftes font celles des foldatsj car ils loiienc & eftiment tout le monde. Ils fonc cous generale- r44 VOYAGE DE VIENNE ment généreux & braves gens ; & ils parient pref. que tous Latin , Flamand ou Italien. Ils aimoienc afTez ma compagnie, parce qu’auparavant que dalle']* ences païs-là, j’avois veulaplus grande partiede l’Europe, & qu’ils eltoient bien aile d’en apprendre ce que j’en fçavois. Pour revenir donc à noflre voyage; nous partifmes de Coynore dans un vailTeau oà il y avoit vingt - quatre Rameurs. C’eftoient d’un cofté des Habitans de Hongrie ; & de l’autre des Allemands. Ils faliierent la Fortereffe de deux petits coups de canon , qu’ils portoient fur leTillac, & nous palTames ainfi par Sene, Ne/mil, & Rod^an-, ôc nous arrivafmes à Motch, qui eit une des meilleures places qui foient fur les frontières. Nous attendifmes là un convoy des Turcs, & comme il arriva de bon matin , nous nous préparâmes aufli.toft à partir. Leurs Officiers allèrent: mettre pied à terre, & noftre Veida ou Vei^od, avec noftre Interprete, & les Principaux de la compagnie , marchant tous fort doucemenr, leur allèrent parler, & s’eftans approchas les uns des autres, ils s’entre-donnerent la main. Nous mifmes enfuit-te noftre vaifTeau entre les mains des Turcs, & ils l’au taclierent aux leur, & nous envoyèrent une perfon-ne pour le conduire : & tournant au tour de nous, ils nous faliierent d’un coup de canon, & fe mirent enfuitte à ramer pour defeendre au bas de la riviere du Dambe. Nous portions un Aigle reprefente'e fur nolire Pavillon -y & eux une e'pée à deux trenchancs, avec une étoile & une demie-lune. A LARISSE. ^5 Le convoy des Turcs nous mena jufqua Strigo, mum ou Cran, & nous quitta fur te bord du rivage.' Nous fumes enfuitte dans la Ville, & le Gouverneur ne s'informa point du tout de ce que jio\js venions faire, ny de ce que nous voulions, fait qu’il efperafl que nous luy ferions un prefent, ou qu’il y trouvai! ies interells particuliers. Mais il y eut un Aga, qui eftant venu de Ne^haufell avec quatre compagnies de Cavalerie , s’en alla dans le Chafteau, & demanda au Gouverneur ce qu’il avoit envie de faire, ôc s’il avoit fi peu de foin de fa tefte, qu’il vouluft bien a« gir avec nous comme il faifoit t il luy ajoufta qu’on ne nous avoit pas envoyés pour luy parler , ny à un Baffe , ny à un Vizir, mais que nous avions ordre d aller trouver l’Empereur, & que nous avions fans doute un prefent à luy faire. C’elt pourquoy on nous donna bien vifte la permiflion de nous en aller quand nous voudrions. Cette Ville , qu’on appelle Gran, Strigonium, ou Ofîrogon^eft. fituée fur le bord du rivage du codé du Midy, en l’endroit où la riviere de Cran fe vient jet-ter dansée Danube. Elle eft divifee en haute &c baffe Ville ; elles font toutes deux bien fortes , & ont de bonnes murailles. La baffe Ville commande le Danube ■> la montagne de faint Thomas eft auflï très bien fortifiée*) parce qu’eftant tout proche delà Ville , elle peut luy commander. ,11 y a dans cette Ville de très bons Bains qui font naturels, fans eftre trop chauds. Elle eftoic autrefois la Ville Metropo-*: litaine de Hongrie-, & ç’eft là que faint Eflienne leur 46 VOYAGE DE VIENNE premier Roy Clnre&ien eft né, & que le RoyEfHen-ne troifiefme ell mort. Il n’y a prefque point de place, qui aie fouftenu rant de grands fieges. Car Jean Roy de Hongrie l’afhegea, mais en vain, & il ne put point venir à bout de Ton entreprife. Solyman la prit, mais le Comte de Mansfelt la reprit pour l'Archiduc Ma.' thias. Elle fut encore une foisafliegée en vain, mais dans la fuitte du tems Sultan Achmet la prit par le moyen d’une lafchetê infame que firent les Ch retiens quila defendo ient, car après avoir tué le Gom-: tedeDampiere qui en e(toit le Gouverneur, ils rendirent la place à Alybeg qui eitoit le General de l’armée des Turcs. La Ville de üarchun cil jufternent à l’oppofite de Strigonium ; & il y a entre ces deux places un pont de batteaux. i Nous allafmes de Strigonium a Vkegrade, ou Fizze-grttdei il y a un Challeau dans cette place qui eft ba-lü fur un rocher fort clevé, & c’eftoit là qu’on gardait autrefois la Couronne de Hongrie. Le.CUafteau d’enbas à eité fort beau ^ mais il a bien -changé depuis ce tems-là. On y voit auili des marquris qui relient encore de la ruine d’un fort beau bafUmcnt de picrate ide taille. Les troupes de l’Archiduc Mathias reprirent cette place fous le Regne de Mahomet troi-fiéme , mais les Hcyducs firent la plus grande tra. hifon da monde’, & la remirent entre les mains des Turcs du tems de Sultan Achmet. Charles Roy de Naples, qu’on avoit aufli déclaré Roy de Hongrie, ayant cfte' blefTéà la tefte par Forchaiz, on le por- A LARISSE.1 47 ta dans le Chafteau, ôc fous pretextd de luy mettre une emplaftre à la tefle, on l'étrangla. Il y a de l’autre coftéde Viz^egrade la Ville de Ma. ro^j où on voit une fort belle Eglife. Et comme la place s’elt rendue volontairement aux Turcs, on n’y tourmente pas beaucoup les Chreftiens, mais on leur fait feulement payer un tribut de fort peu de confe-quence. Au defTous de cette Ville, le Danube fe di-vife , & fait une ifle affez grande , qu’on apelle 1 ’JfZe deJàïnt André; & en descendant encore un peu, nous paffafmes par Virovichit^, qui eftune place fort eftimée pour les belles vignes, & les bons raifins qu’on y trouve. Nous vifmes un ancien baftiment ne pierre renverfé, fur le bord de l’Ifle de faint André j & les Turcs nous dirent qu’il y avoit eu autrefois un pont de pierre. Nous allafmes enfuicte à Varia, ou il y avoit autrefois unEvefque, & où il y a à pré-fent deux Mofquées , & une Eglife pour les Chrétiens au dehors de la Ville. Nous laiflfafmes noftre convoy, & nous en prifmes encore un autre pouraU 1er à Bude, qui ell la ville Capitale , & qui eiloit autrefois la demeure ordinaire des Roy s de Hongrie; ou il y a un des Vizirs des Turcs , qui a fous luy plufieurs Baitas. C’eft une fort grande Ville, & très bienfituée^ elleeftdivifée en haute & bafle Ville-, & on y voit encore les reftes & les ruines de ces Palais magnifiques que les Roys de Hongrie avoient fait baftir, & entr’autres Mathias Corvinus, dans le Palais duquel demeure le Vizir. Cette Ville n a point à prefentl’éclat quelle a eu autrefois, cependant il VOY.AGE DE VIENNE yiaqaelquesMofquéesalfez jolies, &plufieàrsBàina fore magnifiques. J’en ay veu huit, & je me fuis même baigne dans quelques-uns. Le plus magnifique de tous elt celuy de Kdibèy^ queSolymana fort embelli,- car il y a douze grands pilliers qui foûtiennenc quatre Pyramides qui font aux quatre coins, & une très belle qui eft. au milieu. On y peut encore remarquer une haute montagne , qu’on appelle la montagne de laint Hierofme, fur laquelle il y a une petite forterefTe, d’où l’on découvre la Ville, auili bien que tout ce qui elt aux environs. Les Allemands apellent cette Ville Offert t & quelques uns croyenc qu elle a elle fondée par Buda frère d‘Attila, ce fameux Roy de Hongrie. Solymail la furprit adroitement; & il la trouva fort belle lorf-qu’il y fit fon entrée. Les Chreftiens l’ont alîiegée depuis , niais il n’y ont pas reiiflï, & ils n’ont pas pû venir à bouc de leur deiTein. Il y a afTez proche de là une autre place , qu’on croit eftre la Ville qu’on apelloitautjrefois Sicambria,^ & où les foldatsde sica-mbrie eftoient en quartier du tems des Romains. On a remarque dans cette place quelques antiquités, ôc an y a trouvé plufieurs inferiptions. De l’autre collé de Bude fur le’ bord du Danube du cofté de l’Orient, on voit la Ville de Pefih, qui cil quarrée & (Ituée dans une très belle plaine : elle paroift fort belle , lorfqu’on la regarde de Bude, à caulede fes murailles, &des toursde fes Mofquées. Elle donne le nom à tout le pais qui ell aux environs, & on le nomme à caufe de cela Comium Pejihienfis \ car A L A R I S S E: 49 car la Hongrie elt divifée en Comtés,au fïï bien que Angleterre. Encre cette place & Bude, il y a un tort beau pont de batteaux,qui a prefque un quart de lieue de long. La maniéré dont s’habillent les femmes de Turquie me paroiffoit extraordinaire : car elles ont des hauts-de-chaulfes qui leur viennent prefque jufque fur les pieds, avec une efpece de chemifepardeflus, & enfuitte une longue robe. Elles fe coiffent aufli d’une maniéré fort plaifante, elles fe couvrent tout le vifage excepté les yeux , ce qui les fait paroiftre comme des penitentes. Je trouvay cependant cela aflez bon, parceque cette forte d’habit ofte toutes les occafions d’orgueil ou de folie , quoyque pourtant cela ne plaile pas tant à tous les autres étrangers. Pendant que nous fufmes à Bude, nous allaîmes dans un des Convents desTurcs, où le Prieur ouSu-perieur , qu’on apelloit Julpapa , ou Pere de U Rofe , nous emmena avec quelques uns de fes Freres dans une Salle qui avoit toute l’apparence d’une Chapelle , où il nous y fit manger de bons melons, & de bon fruit, & nous leur fîmes prefent en partat de quelques pieces d’argent, qu’ils receurenc volontiers avec bien îles témoignages d’amitié. Le Julpapa avoit à fa ceinture une pierre blanche plus grande que la main qu’ils appellent GaUcîitcs, ou Pierre deU'icî-, & ils les efliment beaucoup, parce qu’ils croyent que Mahomet changea toute une riviere d’Arabie en cette forte de pierre. Nous écions logés chez unvieux Rufcien, ounous n’étions pas mal, parceque de fa maifon on pouvoic G 50 VOYAGE DE VIENNE voir fur Is Danube , le Pont , la ville de Pefth , & la plus grande partie de tout le païs qui eftoit aux environs. Il y eut plufieurs Turcs , & même quelques chiaoux qui nous vinrent voir, & nous les trai-tafmes fi bien, qu’ils en furent tout à fait fatisfairs. On foupçonnoit lemaillre de noftre logis de correspondre fecretement avec un Capucin dcPeJib, 8c on croyoit qu’il donnoic avis aux Miniftres d’Eftat qui eftoiéc à Gomore, Rab, & Vienne, de tout ce qui arrivoit, & de tout ce qu’on faifoit dans cette Ville. Il me pria de luy écrire une Lettre en Latin, & une autre en Italien; ce que je ne voulus pas luy refufer, parce qu’il n’y avoit rien que des affaires qui regardoient quelques prifonniers -, 8c quelques plaintes qu’il failoit, que les Marchands Arméniens alloient s’emparer & ruiner entièrement le commerce. Lorfque nous pafTafmes par le milieu de la Ville à cheval, le commun peuple (e mita murmurer, & à crier que cela n’eftoit pas bien, que l’on nous fouffiît aller à cheval, puifqu’ils marchoient à pied. Mais je n’ay jamais eu tant d’envie de rire, que lorfque je vis un tres-grand nombre de Turcs venir falüer Mon-feigneur Gabriel, Envoyé de l’Empereur, qui eftoit avec nous; car ils luy prenoient la main, & la met-toienc fur leurs fronts. Mais la bonne reception que nous fit Morti%an Ephendi, qui eftoit une perfonne de confideration , & qui eftoit venu quelque tems auparavant comme Envoyé extraordinaire à Vienne, me contenta encor bien davantage. Il nous fit entrer dans une fort belle & fort grande niaifon , & nous A LARISSE. 51 traitta fort bien. Il nous dit qu’il recherchoitnoftre compagnie non pas pour nous faire des banquets magnifiques, mais pour nous regaler, comme font des amys avec tous les témoignages d’affe<5lion &de •efjpedti afin quon puft juger par fes a&ions, que Mous avions converié enfemble comme des amys ; & que ce n’elloit pas^la premiere fois que nous avions beu & mangé enfemble. Il commanda qu’on m'apportait un elcabeau pour m’affeoir, parce que je n’é-tois pas accouftumé à m’afleoir à terre les jambes croifécs : il me demanda enfuirte fi je voulois apprendre le Turc , & fi je voulois aller voir le Portj comment je trouvois Budej & entr’ autres quellions, comment s’apclloit le Roy de Pologne ; & lorique je luy dis, Michel 'Wi/nowitsKi, il me fit une réponfe, qui me parut aflez particulière ; car il me dît, Michel, c’eft un beau nonijc’eftle nom du plus grand Saine qu’il y ait en Paradis \ &c après nous avoir ainfi bien traittés, il nous permit de nous retirer, en nous donnant mil témoignages d’amitié , & nous fouhaittant toutes fortes de bien. . Après eftre fortis de Bude, nous continuafmes nôtre voyage par terre-, & nous pallàfmes par la place, où les Roys de Hongrie faifoient autrefois battre la monnoye *, par Ham^abbi, PalanKa * par Er^in & enfin nous arrivafmes à Adom, & nous allafmes enfuit-te dans la Ville que les Turcs appellent Kune-rati, ou Anima liberata. Ce fut ^olyman le magnifique qui luy donna ce nom, parce que ce fut la première place où il fe retira, après qu’il fe vit obligé Gij 5-z VOYAGE DE VIENNE d'abandonner le fiege de Vienne, &de s’enfuir le plû-toft qu’il luy fut poflible, & parce qu’il fe crut dans cette Ville à couvert des pourfuittes des Troupes Imperiales ; mais Vulfi la prit eniuitte fur les Turcs. Nous fumes delà à rentole, ou rentolen, Pa.-Imylcl. On croit que c’eft cette Ville ou bien la Ville d’Adomj qu’on apelloit autrefois F otentiana y &oùles Habitans de Hongrie livrèrent aux Romains cette fan-glante bataille, lorfqu’ils vinrent s’emparer de ces pats fous la conduire de ^Macrinus & de Tetricus, dans laquelle ils furent entièrement défaits. Nous allafmes delà à Fodwar, qui eft à la veuë de Colocza, & qui eft fituée de l’autre cofté du Da. nube, fur le chemin de Teme/^rar, qui cftoit autrefois une Ville Archiepifcopale. La témérité de To~ morem qui en e-ftoit Evefque ne contribua pas peu à la perte de la Hongrie dans la bataille de Mohatç^. Nous pafïames enfuitte par Pax, ou Paxi, & avançâmes jufqu’à Solnct, qu’on apelloit autrefois Altinum ou Allïnium , où les Habitans de Hongrie ayant ra-mafle leurs forces, livrèrent une feconde bataille,dans laquelle ils gagnerent la vidtoire, & chafTerent Içs Romains, quoyque pourtant ils y perdirent auffide leur cofté plus de 40000. de leurs propres foldats. C’aefté autrefois une très belle Place,mais les Chrétiens l’ont brûlée. Les habitans de Hongrie & les Rafciens, qui font les deux Nations qui demeurent dans ces païs, ne s’accordent jamais bien enlemble, Hïais font toujours en difpute. Nous vinfmes enfuitte à leni rManKa , pu nous rA LARISSE? 53 paflatnes la riviere Sarvi^a , autrement appelée Vrpanus. C’ell une riviere fore jolie , qui ayans fa fource proche de Vefprimum , & pafTmt par Alba Regulis ou Stulweijfenbourg‘ ( qui écoit autrefois la ville pu on enterroit lesRoys de Hongrie, ) fait untrian. gle avec Bude &c Strigonium , & va enfuite fe jetter dans le Danube. Nous allâmes delà à Boto/ecK , 6c pafla.mes par Setz^ar, d’où nous continuâmes nôtre voyage pendant toute la nuit, avec une efeorte de Spahis, jufqu’a Set1^ qui eft une très grande ville, dans laquelle j’ay remarqué les ruines d’un vieux Cha(teau,& une palliflade en rond iur le haut d’une montagne. Nous fûmes enfuitte à éMoluc^ -, & auparavant que d’y arriver nous paflames pardefïus un petit Pont qui eft furie ruiflfeau qu’on appelle Carajfe. Il fe déborde facilement (i-tôt qu’il a fait un peu plus de pluye qu’à l’ordinaire j & ce fut proche delà que périt le mal heureux Loiiis Roy de Hongrie. U ne fut pas tué dans la bataille , mais (on cheval le fîc tomber dans un bourbier, dont il ne put fe retirer, & dans lequel il mourut après avoir long-tems com-batu vigoureufememenc avec «les groupes de Solyj man , de l’autre cofté de la ville. Nous eufmes la curiofité d’aller voir la Place, ou avoitpery malheuJ çeufement un fi grand Prince , pu setoit gaigné la vidoire , qui avoit décidé de la perte de la Cou-’ ronne de Hongre en favqpr des Turcs. Nous rencontrâmes aux çnvirpjis de Cftfe Place quelques deux pu trois cens personnes , Içs uns qui v 1 G iij ÇI VOYAGE DE VIENNE alloient vifiter quelque lieu de dévotion , & qui avoient des Ianiflaires avec eux pour les efcorter-, ôc les autres qui avoient refolu des’alîer établir dans quelqu’autres parties de la Hongrie, après en avoir receu la permiflion du Grand Seigneur. Et je trou-vay en plufieurs endroits un très grand nombre de bœufs qu’on menoir à Vienne pour la Compagnie Orientalle de cette Ville , qui en fait venir ce qui en eft neceifaire pour en fournir à cette Place ,auflî bien qu’à tous les pays qui lont aux environs, parce que le grand Seigneur leur permet de les faire paf. fer fans rien payer. Nous paflafmes delà à Barinowar Darda ou Drayt, de avanceafmes jufqu’à Effeis. ou OjJècK. On croit que c’eft cette ville qu’on appelloit anciennement Murjà, ou du moins elle n’en eft pas bien éloigne'e. La feituation en efl fort baffe , & il y a des arbres dans toutes les rues. Il y a fur un collé de la porte une partie d’une infeription Romaine que voicy, M. ÆLl^N, ffic. Et fur l’autre , c’eft la tefte d’une fil’e dans une pierre. Il y aufli un quadran affez jolly & affez extraordinaire qu’on a apporte' de Se-rinwar. On y voit encore la plus belle piece de canon que jaye jamais veu dans ces quartiers-là , & elle n'eft pas fur un aftuft comme les autres, mais fur de très grandes pièces de bois. Mais ce qu’il y a de plus confiderable en cette Place,c’eft ce beau Pont de bois qui eft en partie fur le Drau, & en partie fur la Vennes qui en eft tout proche. Il a cinq mil de long, & il y a deflfus des Tours qu’on a A LARISSE: ss bâties à chaque quart de mil. Le Comte Nicolas de Serin fît brûler ce qui écoit bâty fur le Drau, pendant les dernieres guerres, mais on en a rebâty depuis un autre. Tous ceux qui confiderent bien ce Pont & toutes les Tours de bois qu’on a bâties deflfus, & enfin la grande quantité de poutres qu’il a fallu pour foûtenir une fi grande machine que celle-là , ne fçauroient trop admirer , comment on a pu trouver aflfez de bois pour le bâtir ou pour le foûtenir. Mais j’en parleray dans un autre endroit, & je diray feulement que c’eft par là qu’il faut paf-fer pour venir de Servie, ou de tous les pays des Turcs pour entrer en Hongrie. Et fi on avoic bien deffendu ce pafTage, lorfque Solyman entra dans la Hongrie, il y adelapparence qu’il n’auroitpas fi fa-] cilement avancé jufqu’à Bitde. Ce fut pour empef-cher que le grand Vizir ne reçut du fecours des autres pays de Turquie, que Je Comte de Serin fie brûler la partie de ce Pont qu’on avoit bâtie fur le Drau ; & en s’en retournant il brûla encore Quinque Ecclefa ou la ville des Cinq Eglifes , qui eft ici-* tuée à l’Occident d’EjfecK. Nous allâmes delà à Valcouar , où il y a un fort beau Pont de bois fur la riviere Walpo ou WIpanus y qui eft fort abondante en poiffons,& ftr bord de laquelle du côté de l’Occident eft feituée la ville de Walpo, qui fut prife par les Turcs en l’année i4 j.; Nous pafTâmes eniuite par Sot-zin Palan*-* & Towar-, niCK ou Tabornicn, pour aller jufqua Metrovivg. C’eil une Ville alfez belle, & une Place aflez grande S6 VOYAGE DE VIENNE pour tenir une foire, & elle eft bâtie fur le bord d’un I^ac qui eft toùt proche. Les Simonovit^ qui ne font pas fort éloignez de l’ancien Sirmium , autrefois fi fameux dans l’hiftoire, qui eft a prefent fi peu efti-mé, & dont j’ay déjà fait mention auparavant, appellent ce pays Schremnia, , & ce qui eft proche du Drau Bojfcga. Ôn voit dans ce pays les habitans de plufîeurs villes, aufti bien qu’un très grand nombre de familles fe renfermer, & paffer toute leur vie dans des trous fous terre. J’avois autrefois leu quelque cho. fes des Troglodytes & des nations qui vivoient de cette maniéré aux environs d'Egypte-, mais je fus tout à fait furpris , de voir que les habicans de ce pays fifTent la même chofe. Il y a par- tout aux environs plufïeurs Puits 3 qui font affezbons pour leur fournir à tous autant d’eau qu’il leur en eft neceflaire : Ils en tirent autant que s’ils eftoient des Teinturiers, ou des BrafTeurs. Comme nous paflames par-là, il y eut quelques pauvres Chrétiens qui nous prièrent d’entrer dans leurs trous, comme fi nous avions efté des lapins -, ainfi pour contenter noftre curiofité , nous defeendîmes de cheval , & entrâmes dans leurs maikms, que nous trouvâmes bien plus belles que nous n’elperions. Il y avoit des chambres, avec des chemine'es de bois,& une fenêtre un peu au-deffus de la terre: &c tout ce que j’y vis m’y parut auffi propre que dans les autres pauvres maifons qu’on bâtit icy ; quoy que pourtant il n‘y ait rien que de très fimple, & À X A R I S S E.1 57 &que cela foit félon la maniéré ordinaire de cepaïs. Leur Langue approche aflez duSchlavon. Nous remontâmes après cela à cheval, ôcnous continuâmes noftre voyage entre la riviere du Danube & celle de Sau \ & nous arrivâmes à Zemlin, qui eft une ville bâtie fur le bord du Danube , doü nous pûmes forr facilement voir Belgrade. Ce fut dans le Châ,-teau de Zemlin , qu’Eftienne cet ufurpateur de la Couronne, fe retira & mourut. Nous allafmes en-fuite par eau à Belgrade , que les habitans de Hongrie appelle Belgrade , taurunum , Alba Grœca, 'W etf-Jcnbourg de Grèce, ou Nandor Alba. C’eft une ville .trcs grande, très forte, très peupl.ee , & où on fai.c un grand trafic ^ elle eft fcituée dans la Servie ou Mxjie Juperieure , en l’endroit où fe rencontrent les ‘rivières de Sau ôc de Danube. La premiere en. eft à l’Orient , & l’autre au Septentrion * le Danube eft fort large en cette place , & paroîc très rapide , de forte qu’il femble qu’il coupe en ileux. la riviere de S au y & on peut dire que fon •cours’faic le même effet eil cet endroit que fait le Rhune à Lyon en France, lorlcpie la Saône s’y vienc •jetter. . )L'p liagim noi paJ fi. - Les eatax Hu Danube [cmblent plus blanches & plus -troubles que ceux du Sau: &ceux du Sau plus noires ôc plus claires que celles du Danube. A l’entrée du Sau il y ai une lfte , qui eft toute couverte de bois, quoy qu’il n’y ait pas plus de trente-cinq ans quelle eftlüe-, depuis lequel tems ces deux rivières ont fait *ce qufi nous voyons paroître hors d.e l’eau. ii \ VOYAGE DE VIENNE En arrivant à Belgrade, je paflay par dedans le Château qui eft bâty fur l’eau, & enfuice par celuy qui eft au haut de la ville , & les trouvay tous deux très grands & très confiderables, pour le grand nombre de tours qu’on y a bâties. Les rues où eft le plus grand trafic, font couvertes de bois, aufti bien que dans plufieurs autres Places de commerce , & ainfi ils font à couvert du Soleil & de la pluye. Il 11 y a prefque que des boutiques, qui font même fore petites -, & on ne voit rien autre chofe qu’un banc, fur lequel eft alTis le Mc de la mailon qui vend les marchandifes à ceux qui luy en demandent, fans que perfonne pour cela entre dedans le logis. J’ay aufïi remarqué deux grandes Places bâties de pierres , & prefque de même nôtre Bourfe qui eft a Londres ; mais cependant elles êtoienc fi pleines de marchandifes , quon n’en pouvoit pas bien voir la beauté. Il y a encore deux autres grandes Places, qu’ils appellent Bezgflens, ou on yend les plus riches marchandifes. Elles font bâties en forme d'Eglife Cathedralle , & elles font par dedans com-’ me eft à Londre la vieille Bourfe. Le grand Vizir a fait bâtir un Palais fort magnifique en cette ville, a fait faire une Fontaine au milieu de la Cour , & a fait élever auiTi aflez proche delà une Mofque'e, avec une Fontaine à l'entrée : & c’eft là lapremiere Mofquée que j'aye pu voir par,dedans, llafaitaufîi bâtir un Metre/eck, comme ils appellent, ou un Collège, pour faire étudier les enfans. J’ay veu un de ces écoliers qui êtoic habillé de verd, & qui portoit un 'A LARISSE. 59 turban à quatre cornes, different des autres pour fe faire diftinguer. Quoy qu’il y ait proche de toutes les Villes des Tombeaux afTez magnifiques pour meriter d’eftre veus -, cependant je n’ay pas voulu en voir, parce que j’appris qu’il y en avoic à Relgra.de un très grand nombre , que la Ville eft très bien peuplée, & qu’il n’y a gueres qu’il y avoir encore de la pefle. Nous étions logés chez un Arménien , où nous étions fort bien, il nous mena voir plufieurs de les amis qui avoient bâty de très belles maifons, & entr’autres nous entrâmes dans une , où il y avoit une Fontaine , un fort beau Bain , & de très bonnes Eltuves y on nous y donna du Caffé de Shcrbet, & du meilleur vin du pa'fs. Ces Arméniens fe font difperfés de cette maniéré dans toutes les Villes de commerce. Ils ont une Eglife à Belgrade j & pour moy je trouve qu’ils agifTer.t plus franchement, & qu’ils font plus rai-fonnables que les luifs ou les Grecs, lors qu’on a quelque chofe à achepter. Tous les pais aux environs font grand commerce,' & entretiennent grande correfpondence en cette ville -car les Ragujtens y font trafic , & les marchands de la Compagnie Orientale de Vienne y ont un Commis. Il elt certain qu’il n’y a point en Europe de ville mieux feituée pour le trafic que Belgra.de : car elle elt bâtie en l'endroit ou le Sau vient fe jetter dans le Danube > & tout proche de la Place où la H il tSo VOYAGE DE VIENNE grande rivicre de Tibijctis s'y vient auffi rendre. Le Drau n’en eft pas fort éloigné î & la riviere de jMorava n’eft pas beaucoup plus bas. Le Danube va aulïï Te jet ter luy même dans la Mer: noire, ainlî la ville de Belgrade peut par ce moyen avoir fort fa-cillementcommerce dans les païs les plus éloignés. La Servie eft aufh un païs fort agr,eable & fort bon, dans lequel on ne voit que des pleines , des bois ou des montagnes. Elle pourroit bien fournir de bons métaux, auili bien que des hommes très forts & très courageux. On en pourroit bien aufli tirer des chevaux fort vigoureux , des vins très deli. cats , & de très bon Poitfon ; & enfin (I ce pays etoit entre les mains de Chrétiens , qui fuflent du tempérament de ceux qui font dans les parties Occidentales de l’Europe, on en feroit le plus beau païs du monde. Cette Place a été autrefois une des plus forces de la Hongrie. Amurath fécond l’afliegea, mais ce fut en vain. Mahomet le Grand fe mît une fois en marche pour aller s’en rendre Maiftre , mais il en fut vigoureufement repoufïe par la valeur d’Hunniades & des 'troupes Auxiliaires qu’avoic amafTé le Pere Capiftranus ; car Hanniades fortit de la Place, fe vintr camper hors de la ville , & fît enfuitte un grand carnage de toutes les troupes des Turcs. Mahomet? y fut même blelïe à la poi&rine , & y perdit toutes lès-machines de guerre, avec encore 100 VaifTeaux, qui furent defïaits par Le moyen d’une Flotte qui arriva die Bude. Mais Solyman l’a depuis furpiile, A LARISSE: ci & il y a de l’apparence qu'on ne la reprendra ja\ mais. Apres être fortis de Belgrade, nous prîmes le cheJ min de Servie ,&c nous paflfâmes deflus une très haute montagne , qu’on appelle Havillecu. t expofée a n Midy, ou nous vîmes encore les ruines d'un vieux Monaftcre ; & enfin nous arrivâmes à Hijfa'gicn proche du Danube. J’ay remarqué qu’on l’éioigne ordinairement dans les Cartes un peu trop de cette fameufe riviere. Nous commençâmes enluireànous retirer peu à peu, à quiter le rivage de cet illuftre Fleuve , qui même en cet endroit a déjà bien fait du chemin. 11 y a delà à Vlme en Schsfçrabenlandt, ou elle commence à être navigable près de 300. lieües ; mais quoy qu’il y en ait encore bien davanJ tage, fi on veut remonter jufqu’à fa premiere four-cc -, cependant elle fait encore bien du chemin, avant que de s’aller jetter dans la Mer noire. J’ay veu proche de Collar>ôc de Samandria, une ancienne ville où on avoit autrefois envoyé une Colonie Romaine, mais c’eft à prefent une Place qui n’elt gue-res eitimée. Nous allâmes à HaJJan Bajfa PalanKa, qui eft une Place éloignée de Belgrade d’environ quarante mil d’Angleterre -, & je crois quon luy a donné ce nom acaufe de Hajfan Bajfa , un des plus iiluftres Généraux des Turcs. Tout ce quil y a de beau à voir, n’eft qu’une très belle pierre & fore ancienne qui reprelente un Lyon qui déchire un Loup. Nous fûmes enfee » Bndhzya, on les femmes H iij 62 VO Y AG E DE VIENNE commencent à fe coiffer d’une maniéré , qui me parue un peu extraordinaire ^ car ils portent une cf-pece de dais fur leurs teftes , & mettent lur leurs fronts, toutes fortes de pieces de monnoyes, & autant qu’ils en peuvent trouver ou achepter des étrangers. Nous leur en laiflames quelques unes pour en embellir leurs teftes. l’ay veu quelques femmes des Grecs , coiffées très richement , & preique de cette maniéré , fi ce n’eft que leurs coiffures n’ê-toient pas fi hautes que les autres -, mais cependant elles avoient leur front tout a fait couvert de Ducats d’or & de Perles. Nous allâmes delà à Jagodm. C’eft une ville fort bien feituée &dans un très beau païs. Nous nous avançâmes enfuite encore un peu, & nous êtans tournés quelque tems après du cofté du Midy, je vis fur une montagne à main droite, le Tombeau d’un des fain&s des Turcs. Il avoic prefque 4 aulnes de long, & on avoit fait une pe. tite place quarrée tout proche delà , qu’on avoit même couverte. Nos Chinons s’y arrêtèrent quelque tems, & y fîienc leurs prieres ; après quoy nous continuâmes nôtre voyage en partant par le milieu de plufieurs grands bois fort dangereux pourles Loups, & les Voleurs ; & étant arrivés à Chijflick , nous nous repofâmes dans une grande Ferme aflez proche delà, qui appartenoit à un riche marchand de vin, de Belgrade. Nous ne fîmes point enfuite de difficulté de cheminer pendant la nuit, & de fuivre le chemin qui nous conduifoit droic fur le bord de cette fameufe rivicre de Morava ou vAofchitts, quieft w? 5 SM : Wf, ^V; -t.; ^ A LARISSE.’ 6} la principalle de ce païs. Elle tire fa fouree des montagnes , &: Te divife en deux branches , donc 1 une s’appelle Morava di Bulgaria, & l'autre éMorava di Servio,, & s’étant enfuite reünie , elle va fe jetter dans le Danube à Zenderin ou Singidunum, qui eil une ville jugement à l’oppofite du rivage de Rafiiej Nous paffâmes cette riviere en un endroit ou elle e'toit fort large , affez profonde , & même rapide; c’eft pourquoy nous avions tous aflfez de peur; & c’elt aufli ce qui fît que le Chiaoux fe mît à prier Dieu tout haut en Langue Turque , & que nos Couriers s’écrierent, Ora pro nobis. Apres que nous fûmes paflfés, ils parurent n’étre pas trop contens de moy, parce que je ne m’e'tois pas e'crie' comme les autres, & que cependant j’avois pafle le premier. Cela me fît fouvenir de la riviere de Var qui eft aflfez rapide, & qui fepare la Provence de l’Italie. le 1a paffay à cheval avec encore deux hommes avec moy, & je tafchay de faire toujours aller mon cheval en haut , de peur que la rapidité' ne le H(l tomber & ne l’emportaft. On apporte par le moyen de cette riviere de Mora,rvai toutes les marchandifes de Servie, & de la plus grande partie de la Bulgarie, dans le Danube, & enfuite on les envoye par tout où on veut. On fait aufli monter par le moyen de cette.même riviere , du Sel ou d’autres marchandifes de Hongrie , d’Autriche , & de tous les païs .circçmvoifins. Ce fut affez proche de cette riviere,’ que Hmniades fît ce grand carnage des Turcs,qu’a-vef iqooo. chevaux , il alla les attaquer à la faveur 6>4 VOYAGE DE VIENNE t3e>la Lune , qu’il en. tua 50000. -qu’il en prît 4000 prisonniers, & qu’enfin il s’en retourna vidorieux dans Ton Camp j mais Ge ne fut pas aufïi fans y perdre Vladislaus & George Defpot de Servie. Nous arrivâmes après tant de chemin à Halli l&hïf&y, ou QrushoucLt\ en Bulgarie. C’efè une Place fore eftimée , ou il y a une fort belle Eglife , & deux très belles Tours. Apres avoir enfuite marche encore tout le jour, & avoir paflé au travers de pl 11 -fieurs bois, & defTus pluficursmontagnes,nous entrâmes dans Procupie , que quelques-uns veulent nommer Villa, Procopia-,ja, que les Turcs appellent Vrchup. Nous y demeurâmes jufqu’au lendemain, '■6c nous logeâmes chez un marchand Ra.guften , ou o-n nous traita fort bien. Leur Preâre eroit de l’E-glife Romaine , & ainfi il parloit aflez bien Latin, ce qui n’eft guercs ordinaire dans ces quartiers-là-, •& m’ayant demandé quelque 'Livre Latin3 je luv en •donnay un, qui avoit pour titre ManudüciioadCœlum-y il le reçut volontiers , & rwe Et prêtent en recom--penfe d’un fort beau mouchoir & de quelqu’autres ‘petites raretës du pais. Ils avoient aufli un Médecin , qui ne fçavoic faire que les Comportions ]les plus (impies & iles plus ordinaires. Jl allait ‘tous les matins dans la Place du Marche >, &c prioit tous ceux qui avoient befoin de fon aiïi-^anee, de le venir .trouver. - 0 M J ; > Nous fûmes delà à Lejcoa ou Lcfîouia., où je ne pus rien voir de beau , qu’une grande Tour pafoifloit fort ancienne , mais ou il ny avoit v poino A LARISSE. 6/ point d’infcription. Nous employâmes la plus grande partie de nôtre temsàvoirune fort grande Foire, qu’on y tenoit en ce tems-là, dans une grande Place fermée , où il y avoit beaucoup de monde. Je crus qu’il êtoit à propos d’y achepter une plume pour la donner à nôtre Chiaoux^arcQ qu’il avoit perdu la fien-ne le jour d’auparavant, & que nous nous apperce-vions fort bien que cela luy étoit neceffairei car on nous portoic à caufe de cela plus de refpeft partout où nous paffions. Cette ville eft feituée lur le bord de cette fameufe riviere L'iperït%a., qu’on peut très bien appeller le Mxa.nd.re de Mç/fr,puilque dans Ton cours elle tourne aucour de tant de monragnes , qu’en moins de douze heures, nous fumes obliges de la pafler quatre-vingt-dix fois. Cela me fît fonger à la riviere de Taro en Italie , qu’il fallut que je pafTaflfe quarante fois, avant que je fuflfe arrive' à Fornovo. Nous traverfâmes le lendemain la montagne de Clitfura > qui fait une des parties du Mont Hœmus. Nous fûmes tous fort furpris à la première veiie de cette montagne ; car les Rochers & les Pierres y pa-roiflfent comme de l’argent. Le Soleil & la Lune la font fi bien reluire , qu’il n’y a perfonne qui ne s'imaginait, qu’elle eft toute couverte de Verre de ^Mojco'vie \ & pourmoyj’ay eu la curiofké d’en prendre , & d’en apporter en Angleterre avec moy.' Nous defeendîmes dans un chemin fort étroit &c tout couvert de pierres, aflez proche du Château de Kolombot^ , & nous avançâmes jufqua Vrania, qui eft fcicuée au fond de cette vallée. C’eft une très ' * I 66 VOYAGE DE VIENNE forte Place , & le Château qui la commande, en peut empefcher le pafTage. Toutes les montagnes qui font entre la Servie & la Macedoine, ne font quune partie du Mont Hœmm-, & on croit que ious differens noms, il s’ctend depuis la Mer Adriatique, ju(qu'au PontEuxin. On rapporte , que Philippe Roy de Macedoine , prit un loin tout particulier d’en faire fermer tous les pafla-ges, pour empefcher par ce moyen tous fes Voifïns de luy faire aucun mal. Apres qu’il fut venu à bout de fon delTein, il fe crut en feurete'j & il s’imagina qu’il n’avoic point d’ennemis qui pulfent luy venir faire infulte, à moins qu’ils ne defcendilTent du Ciel. 11 y a quelques perfonnes qui fè font perfuade'es, qu’on pouvoir du haut du Mont Hœmus 3v oir en même tems d’un côté le Pont Euxin, & de l’autre la Mer Adriatique. Le Roy Philippe voulut Iuy.me'me en faire l’experience -, mais nous ne trouvons pas qu’il ait fatisfait fa curiofite fur ce fujet. Car m’é-lant trouvé fur ces hautes montagnes , & un peu plus proche de la *5Mer Adriatique que de l’autre , je regarday tout autour de moy 5 mais je remarquay que les montagnes d'Albanie, empefehoient qu’on ne put voir plus loin. D Vrmici nous fûmes à Cornonava, qui efl une ville proche de laquelle on voit encore un des Mona-fteres des anciens Grecs fur un des côres de cette montagne ; & de la à Kaplanlish ou la ville de Tigres4 mais je n’ay jamais pu apprendre pourquoy on l'ap-pelloit ainfi j &c enfin delà à. Kaprulh } ou la ville A LARISSE. 67 Dupont^ ou on voit une fore grande riviere qu’on appelle Pfiniu , & fur laquelle on a bâty un fore beau Pont. Il arriva malheureufement une Incendie dans cette ville pendant que nous y étions, & il y en eut la plus grande partie de brûlée * car le feu s’augmenta extrêmement, avant meule que nous en puillions fortir. Nous rencontrâmes en cet endroit beaucoup de monde, qui venoient de Wallachie, Ôc qui s’en alloient porter au grand Seigneur,le Tribut qu’ils étoient obligés de iuy payer , ôc auquel ils joignoient volontairement un prefent d’Efpreviers, qu’ils prenoient la peine de luy aller donner eux-mêmes à Larijfe, où il étoit. Delà nous prîmes le chemin d’jflr&r , & enfuite de Vyrlïpe, après pourtant avoir pafle fur les hautes montagnes de Pjrlipe en Macedoïne, qui éclatent comme de l’acgent, aufli bien que celles de Qlijjufmy ou il y a du Verre de éMofeovic , & où il peut bien aulli y avoir de bons métaux. Les rochers qui font lur cette montagne, fontlesplus incommodes pour les voyageurs que j’aye jamais trouvés -, car il y a une très grande quantité de pierres , amaflfées les unes fur les autres, fans qu’il y ait du tout de terre autour. On voit aufli fur le haut d’une autre montagne , le Chalteau que fift baflir Marco Crollo^iitç., homme autrefois très fameux dans ces païs- Nous traverfâmes enfuite toute une plaine campagne , pour aller à Monafter ou Toly , qui eft une très grande ville, tics bien peuplée , & très bien 68 VOYAGE DE VIENNE fcituée. On vouloit que la Sultane qui étoit gr.ofTe à Larijfe, vint y accoucher. On y preparoit déjà dés ce tems-la, tout ce qui étoit neceffaire pour la recevoir j & j’apris quelque tems après , qu’elle y ctoit accouchée d’une fille, qui ne ne vefcut que peu de jours. Les Turcs ont tant d’eftime pour Alexandre le Grand, qu’ils fouhaitent palïionnémenc d’avoir un Prince qui foit né en Macedoine. Nousallâmes delàà Vilurma, & à Ecciffo Vcrbcni, ou il y a pluùeurs Sources fort belles & fort agreables. Avant que de defeendre d’une montagne, par où il faut palier pour entrer dans cette ville, nous vîmes devant nous le MontOlimpe1 fameux dans les Poetes , qui n’écoit éloigné que d’environ vingc-quacre lieiies ^ & en nous tournant à main gauche , nous pouvions aufli découvrir les Lacs de PetrisVy ôc d'Oflrova. Ils ont en ce païs-là une Tradition, qui leur apprend qu’il s’elt fait un de ces Lacs de cette maniéré. On tira tant de groffes pierres des montagnes voifines , que l’eau qui éioic renfermée fous terre, trouvant un paflfage pour s’écouler, fe répandit dans les Campagnes aux environs. Nous arrivâmes enfuite à Egribugiayoù nous nous éloignâmes encore une fois de la plaine campagne, pour contintier nôtre voyage par le milieu de plu-fieurs montagnes très rudes & très efearpées jufqua Sariggiole \ d’où après avoir paflé la riviere d’iniecora, nous vinfmes à Sarvit^a , & y demeurâmes quelque temps. C’eft une Place affez confiderable , Ôc .qui eft bâtie en partie fur une montagne , ôc en A LARISSE. «9 partie dans une plaine. La plufpart des Turcs, ont choifi pour leur demeure le bas de la Ville , & les Chrétiens le haut. On voit auffi aflez proche de là , un Château fur un Rocher très élevé, où nous fûmes par un chemin qu’on a fait par le milieu du Rocher, & qui eft comme une grande Porte. Il y a encore une petite riviere qui rend le paiïage bien plus difficile , &c qui rne fit fouvenir de Lachiuja , Place dans les Alpes, entre Venfone &c Pontc'vcL , où il y a un paflage , comme celuy-cy que les Vénitiens prennent la peine de fermer toutes les nuits. Nous voulûmes voir dans noftre voyage , la premiere Mofquce des Turcs, qui fut bâtie dans ces quartiers-làen l’endroit où ils le repoferent, après avoir pris ce Château, & s’étre rendus les maiftres de ce paflage de Sarvit^a, Nous paflames deflus une montagne de très belle terre rouge , 'dont on fait des pots & de la vaiflfelle, auffi bien qu’avec la terre de Portugal, & qu’on eftime beaucoup dans tous ces païs. Nous continuâmes enfuitenôtrechemin, &nous nedefeendîmes pas de cheval ; quoy qu’il falut pourtant pafTer defTus des rochers fort dangereux, & par des chemins très étroits, où nous ne prenions gueres de plaifir à regarder en bas, à voir d’un côté des precipices effroyables , ôc de l’autre un très crand nombre de chevaux morts. / » / qui écoient tombés & s’étoient tués. Nous apper- cûmesaufli toit le MontOlimpe, que nous eûmes toujours à la gauche , jufqu’à Alcjfone ou Alefjon. Ç'çik une affez belle Place , où il y a un Monaltere dç Iiij 70 VOYAGE DE VIENNE Grecs,& des Moines de l’ordre deS. Bafile.CeMonaJ fteren’ell pas bâry corne tous les autres que j’ay veus. Delà nous paffâmes encore une riviere , & eniuite nous entrâmes dans une plaine campagne, qui avoit environ cinq mil de long , ôc dans laquelle nous vîmes plufieurs Villes fort bien fcituées. Il fallut après cela monter fur une très haute montagne afïez proche du Mont OLmpe ; fur le fommec de laquelle il y avoit un vieil homme qui battoic d’un tambour , pour faire fçavoir à tous les voyageurs, qu’il n’y a là rien à craindre. Nousvifmesen décendant cette montagne , les plaines de Tbejjklie\ & quand nous fumes au bas,nous tournâmes à gau. che, paflames une riviere qui tire fa fource d’une montagne tout proche, & qui ne fe diviie poinc en plufieurs petits ruiffeaux, mais qui fait une très belle riviere. Delà nous prîmes le chemin pour aller à Tornonjo , &c delà à Larijfe, donc je feray une Relation toute parriculiere dans la fuite. En nous en revenant, nous ne jugeâmes pas à propos de prendre le même chemin , c’ell pourquoy nous nous en éloignâmes *, & quand nous fumes à Kttplmlih, nous tournafmes du côté de Scopia , qui eft une ville de grand trafic ^ &c la plus grande de toutes celles qui font dans ces quartiers-là. Scopia. ou Scupiy que les Turcs appellent V/copia, , elt fcituée dans le fond delà MœfteJiiperhure, ou bien plûtort, fur les frontières de M mais quoy qu’il n’y ait à prefent ny l’un ny l’autre,celan’empefche pas que ce ne foit une très bçlle ville, & quelle ne foie très bien peuplée. Il yafept cens Tanneurs dans cette Place -, ils tannent dans de grandes auges de pierre, font de très bon cuir , & l’envoyent enfuite vendre dans tous les pais Etrangers. Il y a quelques Sépulcres fort curieux, & plufieurs maifons très magnifiques , comme celle du Cadih, & celle qui appartient à l’Emir, quieftun des décendansde Mahomet, dont Le pere ctoit fort eftime dans ce pais. Il y a dans la Cour de cet Emir, la Fontaine la plus magnifique que j’aye jamais veüe. Il n’y a per-fonne qui ne la prit pour un Chameau , & il y a plufieurs Tours, du haut defquelles l’eau fort, & même en abondance. On ne marche dans les meilleures maifons que fur des tapis; & les toits font prefque tous divifés en triangles, quadran» gles, &c autres figures de cette maniéré, bien dorées & paintes de diverfes couleurs, fans pourtant qu’on voye aucune reprefsntation, ou aucun image d’animal ou de vegetable que ce puifTeeftre. Il y a aufli une très belle Plgce publique toute couverte de plomb -, & ôn y peut remarquer plufieurs fprt belles places, tant dehors que dedans la Ville, qui font toutes plantées d’arbres , & environnées de montagnes & de vallées, fort gayes & fort Agréables. . _ a* 7t VOYAGE DE VIENNE Il y aun très grand nombre de Mofquées ou d'Egli* fes pour les Turcs. La plus belle de toutes eft iur une montagne, & on y a balty un fort beau Portail qui eft foûtenu par quatre pilliers de marbre. On y a élevé tout proche uneTour debois,avecuneHorlo-ge & une Cloche, d’où je pus fort bien voir la Ville. Il y a même une Arche qui paroill fort ancienne, & une petite riviere qui pa(Te pardeflbus. On y voie auffi une grofTe pierre , qui a fait apparemment au« trefois ,une partie de quelque pilher, & fur laquelle il y a cette infeription, SlllAN• On peut encore aller voir quelque choie d’affez curieux à quelques milles de la ville. C’effc un Aqueduc de pierre fort joly, avec environ deux cens arches, qu’on a bâties, depuis une montagne jufqu’à l'autre , tout le long d’une vallée , dans laquelle on peut remarquer des antiquités fore eltimées , qui ne fervent pas peu à augmenter la réputation de cette Place. Lorfque Mahomet Premier s’en rendit le maiftne , il y mit «ne Colonie d’Afiatiques ; ce qui la rend plus attachée aux interdis des Turcs, que toutes les autres Villes. Il s’effc fait dans ce païs beaucoup de belles actions du tems des Romains ; car nous apprenons dans l'Hiftoire , & nous liions dans Trebellius Pollio, que Regillianus y gaigna tant de Victoires , & apporta tant de butin à Scupi, qu’il merita de triompher à fon retour. C’étoit auffi dans ces quartiers-là, qu’étoic Paracopolis Vlpunum. Le San?jacK de cette Place elt obligé d’obeïr au Beglerberg àzRumelie ou de Grcce. Je me fuis eftendu plus A LARISSE.’ • 73 plus qu’à 1‘ordinaire , pour faire la defcription de cette Ville -, parce que les Géographes n’en diienc que très peu de chofes, & que je n'en ay jamais pu tTouver un qui y ait efté. Nous allâmes delà à Catshanish , qui ’eft une For-terefle qui commande le paflage d’entre ces deux montagnes ; & nous nous avançâmes enfuite fi avant , que nous entrâmes infeniiblement dans les plaines de Cojfava en Bulgarie. Il y a quelques per-lonnes qui appellent cette Campagne , Campus Me-ruU. Qiioy qu’elle ne foit pas beaucoup plus grande que cette Plaine d’Angleterre , que nous appelions Lincolne heath, cependant il s’y eft fait de belles adlions. C’a efté en cette Place, que la plus grande Armée des Chrétiens qui fe foit jamais veiie en Europe, & quiétoit de cinquante mil homes ^commandée en chef par Lazare Defpot de Servie , livra la bataille aux troupes d’Amurah Premier, & perdit la vidloire. Lazare fut tué dans ce combat, & Michel Cobilouitz foldat Chrétien qu’on lailfa pour mort dans la Campagne, poignarda Amurah pendant qu’il alloitvoir les corps de ceux qui avoient efté tués. On a drefle dans cette Plaine à la memoire d’Amurah ,'un fore beau Monument qu’on voit encore aujourd’huy-, & on appelle la partie de cette Plaine , dans laquelle on l’a elevê , U Campagne du Sepulchre. C’a crté aufli dans ces Plaines, que s’eft donné cette fameufe bataille entre Hunniades & Mahomet, qui dura pendant trois jours entiers ; & ou Hunniades, qui combattoic avec des forces inégalés} fut à la fin entièrement deffaic. “ K 74 VOYAGE DE VIENNE LAR. Nous allâmes enfuite jufqu’à Preflim, qui eft une afTez bonne Ville, & où nous elperions qu’on nous traiteroit fort bien ; mais après avoir entré dans une très belle chambre, nous trouvâmes un homme an li<5t qui étoit malade de la Perte C’eft pourquoy nous longeâmes à nôtre leureté , & nous ne voulûmes pas y demeurer davantage > mais comme nous avions un guide, nous montâmes dés le même moment à cheval, & prîmes le chemin d'un pais qui n’eft gueres peuplé , mais qui eft fort abondant en toutes fortes de fruiu , & fort agreable à la veiie. Nous nous y rafraîchîmes très bien}& y mangeafmes de très bon fruit. Nous paffafmes par une Place qui étoit à main droite , & où uous trouvafmes un Bain chaud, qui eft dans un lieu bien bafty,& qui fert beaucoup aux voyageurs qui ont envie de le rafraîchir. Il n’eft pas fort éloigné de Bellacherqua ou Curjumné, où je remarquay un Convent , ôc une ancienne Egliie, avec deux fort belles Tours. Nous palfaf-mes enfuite fur la montagne de Ja/neba.t^} & nous vînmes à EjchellecK, qui eft une Place entre les deux ri-vieresde Morava, & proched’un Chafteau bafty fur une montagne, vis avis de laquelle il y a encore un autre fort beau Côvent, où on garde le corps de Lazprus, & celuy de Saint Romain- Apres avoir veu touc cela, nous nous remîmes en chemin ; mais il ne faut pas que j’oublie à dire quelque chofe de JLarijje. DE LA VILLE DE LARISSE. ET DE LA THESSALIE. A Ville de "Larijfe eft la principalle de toute la Thejfalie , & elt fcituée fur le bord de la riviere de Penée. Elle a du cofté du Septentrion , ce fameux Mont Olympe , & de celuy de Midy une plaine campagne. Elle eft à prefenc habitée par des Chrétiens , des Turcs , & des Juifs. Il y a de fort belles Places publiques, plu-fieurs Mofquées pour les Turcs, & quelques Egli-fes pour les Chrétiens. Elle eft fort agreablemenc fcituée , &. fur une terre un peu elevée. Le Palais du Grand Seigneur, ou du moins celuy où il demeu-roit pendant qu’il eftoit en cette Place, elt au haut de la ville , & voilà comme il elt bafty. Il y a de tous les quatre côiés de grandes feneftres , proche defquelles le Grand Seigneur mange ou fe divertit* félon que le vent eft ou agreable ou trop violent. C’eft une Ville Archiepifcopale , & qui a même plufieurs Evefchez qui en dependent. Le Reverend Pere Denjs} en étoit Archevefque pendant que j’y K ij 76 DESCRIPT. DE LARISSE* étois. L’Eglife de Saint Achillcuscn cft la Cathédrale; & j’y ay entendu le Service divin , en un'jour que l’Ar-chevefque y étoir. Je le vis afïis dans fa Chaire avec tous Tes habits pontificaux , &: fa CrolTe en main. Nous étions trois ou quatre étrangers, Sc fi toit qu’il nous vit entrer dans l’Eglife , il nous envoya une perfonne pour nous prc(enter de l’Encens, &: d’autres odeurs auffi douces que celle-là. Le Grand Seigneur tint (a Cour dans cette Ville pendant plufieurs années , à caufe de la guerre de Candie, & parce que ce païs eft fort bon pour la Chaffe, qu’il aime paffionnément. On difoit, lorf-que j’en partis, qu’il devoit aller à Negropontc-, mais il demeura encore quelques mois à Larijfe , jufqu’à ce qu’il alla à Salonichi, &c enfuite à Andnnoplç. Dans la chaleur de l’Efté, le Grand Seigneur fut palier deux mois (ur le Mont Olympe , qui elt afle-z proche delà , pour pouvoir en partie voir d’un côté la beauté de ces plaines campagnes , qui font touc aux environs , & de l’autre la Mer Ægée 3 & pour joüir aufli de la fraîcheur de l’air , & eftre éloigné de la chaleur des vallées. Cette fantaifie du Grand Seigneur , caufà la mort à plufieurs de fa fuite, car il arriva que comme il faifoit fore froid fur le fommet de cette montagne , tous ceux qui venoient le trouver ,& qui séchaufFoient extrêmement à monter , venant à fentir un air un peu trop frais, fi.toft qu’ils y étoient arrivés , ils tomboient malades & mauroient , &: c’étoit le plus fouvenc dans des endroits, où il n’y avoit pas même aflfez ET DE LA THESS ALIE. 77 de terre pour les enterrer. Le Sultan fut auflï un peu incommodé , mais cela ne luy dura que trois ou quatre jours. On y perdit même un très grand nombre de chevaux & de chameaux. Le Sultan, qui eft fort bon cavalier , tua un de Tes meilleurs chevaux ious luy!, en le faifant monter par force fur le Commet d’une montagne , qu’on appelle Pythagon ou Kijfagon, où il n’y eut prefque perfonne qui pût le fuivre. Il fut affez temeraire , pour vouloir fauter par bravoure , par-deflus une grande fofle qui étoit dans le rocher & donc il auroit ell:é impoffi-ble de le retirer, s’il y êtoit tombé. Quoy qu’on luy reprefencall le danger où il s’expofoic, cependant les principaux de fa fuite eurent bien de la peine a luy perfuader par leurs prieres & leur importunité , de ne point entreprendre une chofe fi inutille & fidan-gereufe. Il y en eut auffi plufieurs qui moururent pour avoir beu d’une fource , qui eftoit fur le haut de la montagne , & dont l’eau eftoit blanche. Ils fe plaignoient deux ou trois jours avant que de mourir, qu’ils fentoient leur ellomach fort chargé, & très froid. Les Grecs qui ont toujours fort aimé à loüer leur pays , difent beaucoup de chofes du Mont Olympe. Homere écrit que c’eft la demeure de Jupiter & des Dieux , & qu’il n’y a point de niies au-deffus. pour moy je trouve quelques parties des Alpes plus élevées ; & je peux aüeurer que j’ay veu des nuages au deftus, & qu’il n’y avoit point de neige en Septembre , au lieu qu’il y en a toujours fur le fonu Kiij ^8 DESCRIPT. DE LARISSE, met des Alpes, aufli bien que fur le haut des Pyrénées, des montagnes Carpathiennes , & de plufieurs autres montagnes de L'Europe. Mais le Mont 0/)'«^ en fut bien-tolt tout couvert, fi-toft qu’il commença à pleuvoir dans ce pais i & je fuppofe qu’on fçait bien que lors qu’il pleut dans les vallées, il neige fur les hautes montagnes. Il faut à la verite' que )' avoiie qu’on voit cette montagne de bien loin j car j’ay commencé à la voir d'Ecci/o Verbeni, Place dans la Mdcecloine , qui en eft éloignée d’environ vingt- quatre lieiies. Elle ne fait pas feulement une pointe comme on la décrit quelques fois , mais elle eft auffi affez longue , & ainfi elle rend l’Epi-thete d’Homere tres bonne , lors qu’il dit , Longum tremere ficit Olympum. Si on prend ce mot de en cet endroit, non feulement pour marquer la hauteur , mais aufli la longueur de cette montagne. L’étendue qu’elle a, principalement depuis l’Orient, jufqii’à l’Occident , faic que les habitans qui fontau pied de cette montagne, du côté du Septentrion & de celuy du Midy, font d’un temperament, <5c ont un air aufli different que s’ils vivoient dans des païs fort éloignés les uns des autres -, ce qui rend l’expreflion de Lucain très belle. ■ •» * * • Nec metuens imi borear habitator Olympi, Lucentem totis ignoran noftibus Arcton. PAldus Æmilius, Conful Romain, après avoir efté quelque cems aux environs de cette montagne, ET DE LA THESSALIE; 79 défît le Roy Verfèe , & fc rendit le Maiftie de la éMacedoinc. Lorlque le Roy Antiochus afliegea la ville de Larifje, Appius Claudius luy fie lever le fiege, par le moyen de plufieurs grands feus, qu’il fie faire lur une partie du Mont Olympe. Cela ne fut pas mal imagine ; car le Roy crut que toutes les forces des Romains venoient fondre lur luy , & ainfi il fe retira. Mais ce que fît le Conful éMartius fur cette montagne, eft bien plus à remarquer ^ & je ne vois rien de tout ce qui y eft arrivé depuis , qu’on puifTe comparer avec la nouveauté de cette a£tion. Ayant efté envoyé contre le Roy Philippe , le dernier de ce nom, il mena fes foldats fur le Mont Olympe, & les fît pafler par des chemins fi difficiles, que la plufpart de fes gens furent obligés de fe laifler glif-ler en bas le plus doucement qu’ils purent. Jl fïc defeendre fes Elephans les uns fous les autres, par le moyen d’une machine qu’il inventa, comme l’a plus amplement décrit Monfieur le Chevalier Rawlcigh. Si le Grand Seigneur a honoré long tems la ville de Larijfe delà prelenceî Philippe Roy de Macedoine, le dernier de ce nom , a fait auHi la même chofe; car nous trouvons qu’il paffa l’Ellé à LarijJe, l’an, née qu’Annibal prit la ville de Sagunthe en Efpa,gne. Les Hiftoires ne nous apprennent point (i Xerxes fut en cette Ville, pendmt que fon ArméepalTapar le milieu de la Thejjtilie , pour s’en aller dans les détroits des Thermopdcs. Il eft certain , que le Roy Philippe pere d’Alexandre le Grand, après avoir 8o DESCRIPT.DE LARISSE,' fait la. Paix avec les lllyriens & les Pannomens , refo- 1 un de tourner les Armes du côté de la Grece. C’eil pourquoy il choifit fa demeure dans la ville de La-rijfe, lur le bord de la riviere de Pence ; & s’établit fi bien par ce moyen en Thejfalie, que les habitans de ce païs ne luy (ervirent pas peu dans les guerres quii eut enfuite avec les Grecs. Cefar rapporte , qu’avant la bataille de Pharfale, Scipion étoit dans cette Ville avec une légion. C’elt la premiere place où Pompée fe retira , après qu’il eue efté défait. Voilà comme en parle Lucain. Vtdit prima, tua tcjlis Larijfa ruinât> Nobile y nec njïEtum f*tis caput. Il ne voulut point s’y arrefter , mais il vint fur îc bord de la riviere , & prit un petit Batteau , pour aller du côté de la Mer, où il trouva un grand Vaii.1 feau qui êtoit tout prelt à lever l’ancre , & qui le reçut volontiers. La riviere de Penée qui paflfe par LariJJetcLt la plus grande de toute la Thejfalie ^ & il y en a plufieurs autres qui s’y viennent rendre. Elle tire la fource du Mont Pindus , &c pafTant par le Golphe de Saloni, chi y qu’on appelle autrement Sinus Thermaicus , par cette fameufe vallée de Tempe y & par le milieu du Mont Olympe & du Mont OJfa,e\\e va fejetter dans la Mer. Xerxes voulut entrer par là, pendant cette guerre fi celcbrc qu’il eut contre les Grecs. Car Herodote rapporte, ET DE LA THESSALIE. si rapporte , que de Therme, à prefent Salomchi, il fie mettre à la voile pour venir à l’emboucheure de U riviere de Penée , pour voir s’il n’y avoit point de partage, & pour examiner fï on n’y en pourroitpoint faire, pour entrer en Thejfilie. Il trouva après s’être bien informé , que la riviere n’avoit point d’autre paflage, & qu’on ne pouvoit point la faire rourner d’un autre côté. C’efi: pourquoy il dit que les Thef-fdiens avoient fait fagemement de ne luy pas reïi-ilcr, & de faire leur paix avec luy , parce qu’il eut noyé toute la TheJJmlie , s’il eut bouche' la riviere de Pence. Je trouve que l’Epithete qu’Homere a donné à cette riviere eft fort jufte , car l’eau en eft fort claire , & on y peut voir ju(qu’au fond. Ce qui me fait dire que les Poètes ont eu quelque forte de raifon , lors qu’ils ont inventé la Fable d' Apollont 6c de Daphné fille de Pcnce, qui fut changée en Laurier ; c’eit qu i! y a encore à prefent :un très grand nombre de Lauriers fur le bord de cette riviere. Il y a un artez beau Pont de pierre , on y a fait neuf arches, & on a eu le foin de faire des trous & des partages entre chaque arche , afin que l’eau puirte s’écouler lors quelle eft: trop haute , & pour empefeher que le Pont ne tombe ,lorfque la rivière fe déborde. Pluheurs Turcs fe firent faire des Tentes fur le bord de la riviere , parce qu’il n’y avoit point de place dans la Ville > mais comme çlle* êtoiem de L u DESCRIPT. DE LARISSE, plusieurs couleurs, & très proche d’une Mofquce, cela croit affez agreable a voir. Ils avoient ii bien placé leur toile fur leurs tentes , qu’il s’en falloir prelqu’une aulne qu’elle ne touchai!: la terre, de forte que l’air y pouvoit facilement entrer. C’êtoit là où ils pafïoient ordinairement la plus grande partie du jour à boire du Sorbet, &c du Caffe. Le Port le plus eftimé & le plus proche de La* 'rifle, eft celuy de Volo ou autrement l’ancien ^aga/à, dans le Golphe à'Armiro,qu’on appelle auffi, Sinus Tagaficas ou Demetriacus. C’êtoit proche delà qu’ê-toit autrefois Argos Velafgicum, d’où les Argonautes firent voile, pour faire ce fameux voyage de Colchos. C’êtoit auffi dans ce Port, qu’arrivoient les nouvelles qu’on apportoit de Candie au Grand Seigneur, auffi bien que les Lettres qui luy venoient d' Afie ôcd'Jf-frique. Et ce fut enfin affez proche delà, iur le Promontoire de Sepias, que fe fit le plus grand naufrage, dont on ait jamais entendu parler -, car Xerxes perdit cinq cens Vaiffeaux , par une tempefie qui arriva d’un ventd’£y?. On ne voyoit pas facilement le Grand Seigneur en cette Ville , car il n’y étoit guercs , & il alloit fort fouvent à la Chafle, avec un très grand nombre de monde à (a fuitte} chacun habillé félon fa condition. Il alloit auffi quelquefois à la grande Mojquée, & je le vis lorfqu’il fortoit de fon Palais pour aller faire fes dévotions. Avant qu’il fortit , je vis pluüeurs de ceux de fa fuitte monte's fur des • ET DE LA THESSALIE. gj chevaux fore richement caparaffonnés , fe promener dans la Cour du Palais , pendant que le Grand Seigneur regardant par la feneltre de fa chambre , failoit le choix du cheval qui luy plaifoiç davantage. Si-toit qu’on le vit paroître , on fît de grandes acclamations, &c on n’entendit par tout que des-cris de joye. On avoit nettoyé les rües,&on avoic mis un Janiflaire à chaque coin, pour prendre garde qu’il n’y eût rien qui pût empelcher de paffer. Les Chiaoux êtoient à cheval & marchoient devant j 8c les grands Courtifans au nombre de vingt-quatre les lüivoient à pied. Il y avoit aux deux cotes de fon cheval, deux des principaux Jannilfaires, quiavoienc chacun un bouquet de plumes blanches au bouc d’un baron au devant de leurs bonnets. Ces plumes ctoienc fort larges 8c fore grandes, 8c avoient pre£ qu’une braffe de haut-, & comme ils les fontremiier en marchant , cela elt aflez elevé pour mettre fon vifage à couvert du Soleil , & pour luy fervir d’e-ventail. On menoit derrière luy plusieurs très beaux chevaux, & il y avoit un grand nombre d’hommes à fà fuite, qui portoienc des couffins & des oreillers dans la Mofquée. Je remarquay avant qu’il (ortie, plufieurs perfonnes plus leftes 8c plus propres que les autres, qui étoient à la porte du Palais , 8c le Chiaoux qui étoic avec moy me die , que c’êtoienc des perfonnes de lapremiere qualité àcTurquie. Le Grand Seigneur n’avoit point encore pour lors trente ans. Çelt un homms bien fait -, il a le col Lij *4 DESCRIPT. DE LARISSE, un peu court, & il frra plus gras que maigre. Sacom-plexion le fait paroître naturellement baiàné&gâré du Soleil, mais cela s’augmente tous les jours-, parce qu’il eft toujours en campagne, & même dans les pais les plus chauds. Il eft très fort,& très robufte, il fe porte prefque toujours bien, & il eft très bon Cavalier. Quoy qu'il regarde tout le monde d’une maniéré tout à fait fiére , & capable de faire peur, cependant il eft fort affable. Il parle & il reçoit fort bien tous ceux qui le viennent trouver. Il encourage même le peuple , à ne point faire de difficulté d’approcher de luy -, leur difant qu’il ne prend point de plaifir à entendre des cris qui font peur. C’eft pourquoy les habitans de cette Ville , gar-doient tout à fait le filence,(i-toft qu’ils le voyoïent paroiftre ou quelqu’un de fes Officiers. Le grand yi?ir emmena avec luy en Candie, plufieurs Chirurgiens Chreftiens; mais je n’ay point entendu parler d’aucun Medecin qui fe fût acquis bien de la réputation auprès du Grand Seigneur. Le Sultan aimoic fort un Preftre de Turquie, qu’il avoit trouvé par hazard en Thejfalie, & il en fïft fon Chapelain; mais on difoit à Larijfe lorfque j’y eftois, qu’il y avoir uni Preftre tres celebre , qui eftoit en chemin pour le venir trouver. En l’abfcence du premier Vizjr, c’eftoit le Chay~ machxn, ou celuy qui tenoit ta place du Vi^r, qui prenoit en cette Ville le foin de toutes les affaires de l’Eftat -, & c’eft pourquoy il eftoit logé dans la plus belle & la meilleure nvaifon de la Ville. Le ET DE LA THESSALIE. *s Reficient de l’Jfcmpereur avoic trois Interpretes, dont il fe fervoit dans toutes les occafïons, & par le moyen defquels nous eftions informés de tout ce qui arrivoit de nouveau -, car ils eftoient fort civils & fort honneftes , entendoient tres-bien toutes fortes de Langues. La Sultane eftoit auflî à Larijfe ,8>c\e Grand Seigneur l'aimoit beaucoup. Elle ell de Candie , aflez bafle, & un peu marquée de petite verolle. Elle eftoit groflfe pour lors, & elle devoit aller accoucher à Monafier , ville de JWacedoine , fort grande & fort agreable. C’eftoit une Place par où nous avions envie de pafler, & ainfi cela ne nous eftoit pas peu commode. On agrandit les chemins par où on devoit l’amener, & on en fift de fort larges fur les montagnes , aufli bien que de très beaux Ponts fur les rivieres * ce qui ne donna pas peu de peine aux habitans de ce pais , qui témoignèrent cependant qu’ils eftoient tous prefts à faire un Pont, par le moyen duquel ils pufTent eftre délivrez de tant de monde qui incommodoit leur pais. Si-toft que le Grand Seigneur commença à s’approcher , tous les Grecs abandonnèrent leurs maiions , de peur que le Sultan, ou quelqu’un de fa fuite ne leur fîf, fent du mal-, & ainfi ils laiflferent les Turcs les Mai-' très de leur bien, & s’enfuirent : mais le Grand Seigneur les fift rappeller. Le Fils du Grand Seigneur, qui n’avoit encore que {ix ans, eftoit aufli avec luy a Larijfe. Je fus voir avec O/man Cbiaoux , la maifoa du L iij 86 DESCRIPT. DE LARISSE, Chaynttichan, mais ce ne Fut que pour entendre fa Mufique, qu’on eftimoit la meilleure de toute la Turquie. J’y entendis à, la verite, la plus haute Mu-fique du monde , mais cependant elle n’eftoit pas tout à fait defagreable. Il y avoit dix perfonnes qui joüoient en même tems de divers lnftrumens, dans une grande Salle fore elevée &c toute ouverte -, ce qu'ils faifoient ordinairement à de certaines heures du jour. J’entendis auflï dans la Ville,quelquesChanfons en langue Turque , fur les a&ions de Sabbata, Levit qui eftoic Juif, & le plus grand Impofteur qui ait jamais eüé,& qui avoit même fait grand bruit dans le monde On avoit décrit dans cette Chanfon, cornent CuJJum Basha, fçeut fi bien venir à bout de luy, qu’il fe nft enluite Turc. Ce Caffum Basha eft une perton-ne qu’on honore fort panny les Turcs qu’on efti-me beaucoup , parce qu’il fçait fort bien la Médecine, qui eft un Art afTez rare & aflez inconnu par-my eux. Il eft à prefent Viyr d’Erz^um en Ajic -, il a êpoufé une des fœurs du Grand Seigneur, & il vie avec elle. Il eftoit autrefois Vkir de Bude , ainfi il eftoit fort connu de tous les Allemands. Je trouvay aulïi en cette Ville,un Livre François qui traitoit de ^Michel Cigala , encore un autre Impofteur qui avoit trompé l’Empereur, le Roy de France , & tous les autres Princes Chrejîiens. L'Interprete du Refident me dit, qu’il faifoit bien rire les Jures , de qu’il eftoit de Grece> &non pas de Wallachie. Je n’entendis point du tout parler de Padre Ottomanno, ET DE LA THESSALIE. 17 qu’on croit eftre le Frere du Grand. Seigneur ,qui eft à prefent Religieux de l’Ordre de Saint Dominique, ôc que j'avois veu à Turin. Il y avoit plufïeurs Compagnies de Soldats deJ dans, ôc aux environs de la Ville, avec plus de cinq mil Chameaux pour le fervicedu Grand Seigneur. Je prenois grand plaifïr à les voir, lors qu’on les hiifoit pafler devant mon logis pour les mener boire à la riviere, parce qu’ils nettoient pas tous de la même grandeur j que la bofle qu’ils ont fur le dos eftoit de diverfes couleurs, 8c qu’ils ne faifoient pas grand bruit en marchant. Nous avons un grand témoignage de la fertilité de ce païs. Car nous liions que Mardonius le General des Pcrfes, qui Commandoit en Chef la grande Armée de Xerxes , pafla fon quartier d’Hyver en Thejfalie. Quoy qu’il y eut pourlors biendumonde, v cependant on ne manquoit pas de provifîons, &c tout eftoit à bon marché. On pouvoit fort bien difner dans un Cabaret , & avoir du rofty & du boüilly ôc du Sorbet, pour fix fols -, & pour peu de chofe donner à manger à quelques Turcs & à quel-ques Chreftiens , qui l’aurôient accepté volontiers. Cette Ville eftoit extraordinairement peuplée, & quoy qu’il y euft en ce tems-là prefque de toutes les Nations du monde , cependant tout y eftoit en fore bon ordre , & on y voyoit tout fort paifible. Il y avoit un Officier qui marchoit avec un bafton à la main , accompagné d’environ vingt - quatre 88 DESCRIPT. DE LARISSE. perfonnes , avec lefquelles il alloit voir ce qui fe partait dans toutes les rües, & puniffoit tous ceux qui elfcoient yvres qui excitoient des querelles, caufoient du bruit, où faifoient quelque chofeque ce put ellre, qui choquait les bonnes mœurs. Lcrfque j’eltois en ce païs là , c’eft à dire en Septembre, mil {ix cens foixante. neuf, il y faifoit fort chaud , & il y avoit bien des fièvres. On en fut auffi cette année-la fort tourmenté dans la plus grande partie des pais de l’Europe; carlorfquejerevins en Angleterre , j’y trouvay piuficurs perfonnes qui languiflfoient d’une fièvre quarte , & qui l’avoient depuis environ ce tems-là. Ils faifoient pour lors leur vin, & ainfi nous pûmes facilement en goûter , pendant qu’il eftoit encore trouble & tout nouveau. Ceux d’entre les Turcs, qui font plusexats & plus Religieux que les autres , n.'auroient jamais voulu boire de vin raflis , mais ils ne (e foucioienc pas d’en prendre un peu , lors qu’il elloit encore trouble. Pendant tout l’Eflé, nous allions fort fouvent chez le Barbier qui faifoit fort bien fon devoir, nous ïafraichiffoit beaucoup , & accommodoit tout le monde félon la maniéré de fon païs. Les Grecs fe font rafer fur la telle , un endroit de îa grandeur d’un écu, & enfuiie ùls lailTent croiftrc leurs cheveux tout autour , de la largeur de deux doigts, plus ou moins ; & font après couper tout le refte de leurs cheveux. Les Croates fe font rafer les cheueux d un cofté-, & de ET DE LA THESS ALÏE. *9 & de l’autre ils ne les font ny rafer ny couper -, mais-les Iaiffent croiftre autant qu’ils peuvent. Les Habitans de Hongrie fe font rafer toute la tefte , & n’en laiffent qu’un peu audeflus du front. Les Polonois portent les cheveux fort courts , ils ne les font def-cendre que jufque fur la moitié de leurs frons, ôc ils ne couvrent que la moitié de leurs oreilles. Les Tuns fe font tout à fait rafer , fi ce n’eft qu’ils en gardent une boucle fur le haut de leurs telles. Les Franks ne font jamais couper leurs cheveux , mais bien au contraire ils les portent aufli longs que nous. Cependant ils les cachent quelquefois fous leur bonnet , pour pouvoir plyj6 facilement converfer avec les autres, & pour ne point choquer ceux avec qui ils vivenr. Les Preftres Grecs ne fe font ny rafer la tefte, ny couper leurs cheveux , mais ils les portent très longs, & ceux qui en ont le moins,fe rafraichifïenc bien mieux que les autres. Lors qu’on fe fait rafer on s’afTied fort bas, & le Barbier a l'avantage de pouvoir faire la barbe à un homme prefque tout d’un coup. Il met beaucoup de favon, & tient fon rafoir comme il feroit un coulteau , & ainfi cela fe fait en un moment» Il y a un baflin plein d'eau3 avec une figure de coq audefïus de leurs teftes, que le Barbier ouvre com. me il luy plaift, & fait ainfi tomber autant d’eau qu’il veut. Je vis dans une des boutiques de ces Barbiers* àLari^unTombeau de pierre de Jafpe fort grand, 8c fort ancien. C’eftun fort beau monument,mais on ne l’eftime gueres dans cette ville. Je remarqua/ qwe M 90 DESCRIPT. DE LARISSE, le Barbier avoir fait faire un trou fur la pierre de def-fus, y avoic mis de l’eau , & s’en fervoic au lieu de Cillerne. J’eltois un peu embarafle , & je ne fçavois comment changer les Ducats , les Dollars , & les autres pieces de monnoye que j’avois apportées ; mais je trouvay des Banquiers dans le Marché , qui ne s’y eftoient mis que pour cela, & qui ne demandoienc pas mieux que de les changer , & d’en donner des éMedincs, des Jfpres, & des pieces de cinq fols, qui font les monnoyes ordinaires de ce païs. Les riies où fe fait le plus grand trafic , font couvertes , aulïi bien que ^ans les autres Villes de Turquie. Les boutiques font fort petites, mais elles font bien pleines, & on y voit de toutes fortes de marchandifes. Le maiftre de la maifon effc aflis les jambes croilees , & vend ainfi fes marchandifes à tous ceux qui luy en demandent , qui deJ meurent ordinairement dans les riies , & qui n’entrent prefque jamais dans la boutique. Pource qui cft des autres marchandifes qu’on ne trouve point dans les boutiques, il y a toujours un homme à cheval qui va tout autour de la Ville, pour crier, & pour faire fçavoir à tout le monde , aans quel endroit, & à quel prix on les peut avoir, Quoy que j’aye trouvé les écuries de plufîcurs Princes Chreftiens fort belles , comme font celles par exemple du Louvre à Paris. Quoy que j’aye'veu celles du Vice-Roy de Ndple , celles du Duc de Saxe à Drefden, ôc celles du Comte de W & ils eftoient fi doux & fi aifez à gouverner, qu’il y avoit beaucoup de plaifir à les voir, l’y vis quelques chevaux de Tar» tarie, qui font fort eftimés, parce qu’ils refiftent ex-trément à la fatigue , & courent fort vîte -, mais ils ne paroifTent gueres beaux à la veiie , & il femble qu’ils ne font pas capables de grandes chofes. Lorf-que Cha Gagi Aga , Embaffadeur du C'ham de Tartariey en donna quelques uns à l’Empereur d’Allemagne, je crus au commencement que ce prefent eftoit indigne d’un Empereur. Il y a quelque^ marchands Grecs, qui apprennent XItalien , pour s’en fervir dans leur commerce -, ce qui fait que cette Langue ne fert pas peu à ceux qui voyagent dans ces païs y au lieu que le François & Le Latin y font tout à fait inutiles. Les Juifs y parlent ordinairement Ejpagnol, comme ils font en Mace\ doine, en Servie , & en Bulgarie \ mais ils parlent Flamand en Hongrie, M ij 9t DESCRIPT. DE LARISSA J’eftois en Thejfiilie, dans une faifon fore chaude Sc fort feiche. Qupy que quelques unes des plusgran. des rivieres fuflent tort baffes , & les petites tuut à fait feiebesi cependant j’en remarquay une ,quin’e(fc eloignée de Lari/Je que de lept milles du collé de Tomowo, qui couloit en abondance , qui fortoit de deffous une montagne, & qui ne lediviloit pas en plu-{icurs petits ruiffeaux, mai:, qui ne failoit qu’une fore belle rivxere. Cela n’empeichoit pas que tout le païs ne full fort incommodé de la chaleur & de la fei-chereffe; & cela me firt longer à l’cftat dans lequel clloit pour lors ce païs , bien different de celuy où il fut du tems de Deucalion Roy de Thejfulie : Car on écrit qu’il arriva un fort grand deluge dans ce païs; & il y a quelques Auteurs qui affeurent, qu’il dura tout un Hyver , & que cela ne vint que de ce que la riviere de Pence s ellant bouchée , fes eaux ne pouvoient point s’écouler dans la Mer. Il y a plu-fieurs autres rivieres qui viennent fe jetter dans celle de Penée, & ainfï il ne faut pas s’eftonner , fi un païs éomme celuy de Thejfdie, qui ne fait qu’une plaine campagne, toute plaine de montagne, fut bien-toft inondée. Il y a même quelques perfonnes qui veulent bien fe perfuader, que ce païseftoit au commencement tout couvert d’eau , mais qu’il arriva un tremblement de terre , qui fepara le Mont OJf*, du Mont Olympe, & qui ouvrit un paffàge à la rivière de Penée , par le moyen duquel , après avoir paffé par le milieu de la vallée de Tempe , elle va fe jetter dans la Mer. Je vis en Maccdome 3 dans une ET DE LA TPIESSALIE. h ville qu’on appelle Eccijfo Vcrbcni , &c qui eft placée entre Cowonava & Filurim , de très belles fontaines d’eaux mineralles , aulli bien que deux très grands Lacs , dont on dit que l’un s’elt fait par le raojen de quelques grofles pierres qu’on a tirées d’une montagne, d’où, il fortit tant d’eau,que cela inonda tout le pais aux environs, & qu’il s’y un Lac. Pendant que nous eftions encore dans la *Ma.cc. doive> le £hiaoux me dift , qu’il me feroit voir dans deux jours des Fr/inçois. Il parloit des payfàns de TheJJklie , qui portoient des bonnets qui eftoienc prelque de même que ces petits chapeaux, que lonportoitil n’y a encore gueres en France. Les TheJJaliens eftoient autrefois fort guerriers,& c’eft encore une Nation fort brave. J’ay veu des Turcs qui fe plaignoient d’eux , & qui difoienc que c’elloit un Peuple temeraire, & defefperé ; que fi on leur faifoit le moindre mal , ils trouvoient toujours aflez d’occaiïions pour s’en vanger, &c qu'il y avoit eu plufieurs Turcs qui y avoienc efté attrapés, ôc y avoient perdu la vie. Il s’eft donne' piufieurs batailles tres celebres dans la Thejfalie^&c il s’y en fuft donné une des plus grandes qui le puiflent jamais, fi les Grecs avoient accepté le défi de Mardonius General des Per/es, qui leur envoya dire de fortir de leurs Places , & qu’il leur livreroit la bataille dans la The(faite y où il y avoir des campagnes aflfez belles , & qui avoient affez d’eftendué , pour y pouvoir faire voir leur valeur* M iij 94 - DESCRI PT. DE LARISSE,' Les Thejfaliens fonr affez bien faits , ils ont pref. que tous les cheveux & les yeux noirs, & le viiage auffi frais & prefque de même que nos Anglois. Les Etrangers trouvent leurs femmes fort belles, & ils parlent louvent du beau teint des Grecs Les Macc-doniens , qui vivent dans un païs où il y a beaucoup de montagnes , font d’une complexion bien plus grofliere. Les Habitans de la Murée, ou autrement du Peloponcje, qui font encore plus vers le Midyt paroifTent prefque tout noirs. On les a toujours eftimés très bons Cavaliers ; & il y a dans ce païs de très bons chevaux. Ils ontaufii de grands Btiffalos, qu’on croit eltre les meilleurs de la Grece, après ceux de Santa. Maura, en Epire. Il y a de très grandes & de très belles Tortücs , qui font d’une couleur jaune & noire, & qu’on mange comme quelque choie de très bon. Mais les Turcs fe moquent des Chrefliens , de manger de ce Poiffon, lors qu’ils peuvent avoir de bon Mouton, des Poulets & des Perdrix. Il y a dans ce païs de très groffes Figues , très belles, & très delicates } & je n’ay jamais veu de (i gros Melons, ny de fi bons. Cela nous fervoit beaucoup pour nous rafraîchir, aufli bien que les Grenades , les Oranges, les Citrons, & les Vignes, qui font auffi baffes que celles de Montpellier, & qui ne lonc poinc fouftenues. Les branches en font fore grandes, les grapes très belles, & le raifin a le meilleur gouft du monde. Le vin de ce païs eft fort délicat,'niais il n’y en a gueres qui ne conferve toû. ET DE LA THESS ALIE. 95 jours le gouft d’une certaine boiflon qu’ils appellent Boracho. Ils plantent du Tabac , & ils l’eftiment meilleur que ccluy qu’on leur apporte des pais étrangers, parce qu’il eft plus fort & plus piquant. Les campagnes font toutes couvertes de Sejamumt & d’arbres de Çotton , qui demeurent toujours fort petits, ôc font cependant fort agreables à la veüe, Il y a dans ce pais des Amandes, & des Olives en abondance, & les Grecs aiment autant laifler venir les Olives en maturité, & les faire enfuite feicher , que de les manger encore toutes vertes, comme nous. Les Callebafles qu’on voie dans les hayes , avec leurs grandes fleurs jaunes, joint à la quantité prodi-gieufes d’épines, & à la verdure perpetuelle des cliefnes , rendent les chemins fort gays & fore plaifans. C’ell dans ce païs que croift l’arbre quon appelle Jlcx Coccifera, dont on fait la Confe&ion d'Al-chermes. C’eft.auffi fur les hautes montagnes qui font en ces quartiers-là , qu’on trouve les herbes qu’on nomme AJclepias & Hcüebore-, & dans les campagnes , toutes remplies de pierres , il croift des Plantes, qu’on appelle Corduus, Clobojus, Cyjlus, de Ja Lavande , de la Marjolaine , du Romarin , & toutes fortes d’autres Plantes de cette maniéré. Les Planes font mêmes fi beaux, & fi grands en Macedoinei qu’on fe peut metrre deflous à couvert du Soleil. C’eft pourquoy il ne faut pas s’eftonner , fi Hyppocrate trouva Democrite ailis fous un Plane, proche à’Abdera 96 DESCRIPT. DE LARISSF; cil Mtcedoine. J’en ay apporté quelques racines en Angleterre. Ils font fort fouvent des faufes avec de l’ail -, & il n’y a pas même jufqua leurs oignons qui font très extraordinaires. Ils ionr plus gros que deux ou trois des noftres, ils ont un bien meilleur goufl:, & l’odeur n’en eft point du tout defagreable. Quoy que je n’aimaflfe point les oignons auparavant , cependant je trouvay ceux.là très bons, & je fentis fort bien qu’ils forrifioient tout à faic mon eftômach. On en fert à la collation , & on ne faic point de difficulté d’en manger avec du pain , & même un aflfez grand nombre, le demanday à un Chiaoux, qui eftoit avec moy , &c qui avoit prefque efté dans tous les pays des Turcs , s’il avoit jamais trouvé d’aufli bons oignons que ceux de Thejjklte ; mais il me répondit que ceux d'Egypte elloient encore meilleurs, ce qui me fift: entendre pour la premiere fois l’expreflïon de lafàinte Ejcriture, & ce qui m’empefcha de m’ê-tonner davantage pourquoy les tjra'èhtes defiroient fi pafîîonnement de manger des oignons de ce pais. Ils ont un certain fruit qu’ils appellent Vatlcjan, ou MeUnztin, qui approche de la figure d’un Melon, & d’un Concombre , & dont ils font un fort bon plat, en oftant tout le milieu , c’eft à dire tous les pépins, & le remplifTant de bonnes herbes, comme de Marjolaine^ deThim. Il ny avoit pour lors que fort peu de Refidens des Princes eftrangers, à la Cour du Grand Seigneur. .Le ET DE LA THESSALIE: 97 Le Refident de l’Empereur d'Allemagne y eft oie, l’Am-bafladeur de Ragu/e, & celuy de Vaüachïe , qui ne font que les AmbafTadeurs des Princes voyfins. Il n’y en avoit point davatnage, parce que les Ambafla-deursqui ne viennent que pour demander la liberté du traffic demeurent, toujours à Conflontinople, & ne font point obligés de fuivre le Sultan. Le Refidenc de l’Empereur pria le Grand Seigneur de luy permettre de fe retirer dans quelque ville voyfîne, par-ceque Larijfe n’eftoit que trop peuplée. 11 luy accorda ce qu’il demandoit, & luy dit même de choifir telle ville & telle maifon qu’il voudroit; c’eftpour-quoy il jetta les yeux far Tornova, quij eft une ville dans la Thejfdie, fort grande & fort agreable, à l’Occident de celle de Lariae, qui n’en eft éloignée que de dix mille, & qui eft placée tout proche de plu-fieurs montagnes. La plus grande partie des habitans de cette ville font Ghreftiensy il y a trois IMoJ-quées, & dix-huit Eglijes pour les Grecs > dont voicy les principales: l’Eglife Cathedralle de Joint Jea.n y l’Eglifede Joint Demetrius, celle de Jàint Cojme&c de faint Damien, celle de la nativité de la Jointe Vierge, l’Eglife de Jiint 'Elie, où il y a auïïi tout proche un Monaftere fur le cofté d’une montagne, l’Eglife de fiint Amftaje, des douze Apoftres, de faint Nicolas, avec encore un autre Convent, & l’Eglife de faint Antoine, l’Hermité. Cét Evefché dépend de l’Arche-vefché de Larijfe. Ce qui me*furprit davantage fut de voir une fi grande quantité de Ghreftiens de l’H-glife grecque dans ces parties Orientales de l'Europe-, N 98 VOYAGE DE VIENNE A LAR. & je nie perfuaday facilement que puilqu’il y en a Un fi grand nombre dans tant de grands pays-, com. nie dans la Cjrcce, dans les lfl.es (grecques, dans les parties de la Dalmatfc&ide la Croatie, qui font fous la puifïance des Turcs, dans la Rafcie, Bojnie, Servie, Thrace, Sagore, Bulgarie, Sirfie> BeJJàrabie, pays des Cojfxques y Podohe , ^Moldavie & Vallachie\ & enfin dans tous ces vaftes pays de l’Empereur de Rujjîe; il faut qu’ils fafient une grande partie de la Chrétienté. Cela me fait fouvenir d’un paflage d’un des plus (çavans hommes de ce fiecle ; Jî nous ramaJJJons, «lit-il, enfèmble tous les pays Chrefiiensde ïEurope, qui font de la Communion de l’Eglife Grecque, & que nous les ‘volujfîons comparer a• ôc j’elpere qu il eft à prefenc dans fon propre pays. FAITES EN CE’VOYAGE. m >** Les Turcs qui connoiffent très.bien l’inclination des Captifs, lelon la diverfite de leur pays, remarquent & aflfeurent, qu’un RüJJïen eft fort bon pour ramer, qu’un Geogien eft fort bon Coutifan, & un Albanien elt très excelIentConfeiller.il y avoit une fois un Turc avec nous, qui voyant vn Captif de Géorgie fort affligé de l’eftat ou il elloit, l’encouragea, &luy -dit de ne fe point attrifter, & qu’il n’y avoir point de doute qu’il deviendroit un des grands hommes de Turquie. La premiere fois que je fus voir le Grand SetJ gnenr, OfmanChiaouxne fe haftoit point d’avancer, &lors que je Iuy en demanday la raifon, il me dit qu’il naimoit pas à eftre trop proche de luy.Comme il vint enlûite à parler de quelques Bajfast qui avoient efté eftranglés, je luy dis qu’à caufe de cela je le trouvois plus heureux que quelque Bajfa., que peut- eftre ; à quoy il me répondit que quand cela arrivoit, il faloit avoir patience, & que le Sultan pouvoit difpofer fouverainementde leurs vies. Dans vos petits Royaumes,dit-il, & dans vos petits eftats, avant que de faire mourir un homme, il faut l’accu-fer, le convaincre & le condamner; mais il eft im. poflîble de faire la même chofe dans noftre grand Empire, & fi le Grand Seigneur m’envoyoit prefente-ment demander ma tefte je luy donnerois volontiers, & je ne demanderois pas même pourquoy. Je me fouviens encore de fes propres paroles, que voila; il faut que nous ayons dans ce pays Patienta fin à per-der latefta, è pot patienta, patience julqu’à la perte ii2 OBSERVATIONS même de noftre telle , & patience encore apre's tout cela. Le grand nombre de Tombeaux & de Sépulcres que nous voyions par tout où nous payions, ôc principalement proche de Belgrade, nous faifoient fort fouvent fouvenir que nous fommes tous mortels. Mais quoy que les Turcs enterrent ordinairement proche des grands chemins, cependant leurs tombeaux ne font point magnifiques, & il n’y a quelquefois qu’une pierre fur la tefte, & une autre fur les pieds, il y en a cependant quelques uns qui y mettent des pierres, qui ont deux, trois ou quatre aulnes de long. Les uns font graver un Turban fur la pierre juftement audeflus de la tefte, &c les autres aiment mieux y faire mettre deux piliersaux deuxeoftés. Les autres les font d’une autre maniéré * ils font baftir le Sepulcre comme nous, &enfuite ils y font ajouter deux pilliers, un fur la tefte, &: l’autre fur les pieds. J’en vis de fort beaux à Scopia qui eftoient baftis de cette maniéré, & je remarquay même qu’il y en avoit deux qui n’en faifoient qu’un, Pour moy je crois que la meilleure maniéré d élever des Tombeaux dans ces pays là, eft, de faire baftir un petit Pavillon fouftenu par quatre pilliers. Au fortir de Jagodnx en Servie, nous avançâmes vers le Midy, &c je vis fur une montagne un des grands Tombeaux des Turcs, qui avoit environ quatre aulnes de long, & tout proche duquel on avoit fait baftir une place quarrée & couverte. Le Chiaoux médit que c’eftoit le Tombeau d’un de leurs Saints, & ainii il y fit fa prière* FAITES EN CE VOYAGE: ïïj priere^ & lors qu’il fe trouvoit dans d’autres places; il ne manquoit jamais à la faire tous les Jeudis &: Vendredis. Je remarquay que les femmes alloienc vifiter les Tombeaux, & faire leurs dévotions dans les endroits où eftoient enterrés leurs amis. Ce Saint de la race des Geans, qui eftoit enterré en cette place, eftoit aÆeurément un homme fore propre dans fon tems à bien manier le bafion d'Hercule , & à jetter la terreur dans l’efprit de tous les ennemis des Turcs. S’il-eftoit aulli long que fon Tombeau, il ne paroiffoit pas moins effroyable que tous ces Geans PatAgoniens, qu’on peint ordinairement fur les parties Meridionales de toutes les Cartes de l’Amérique > avec un Carquois rempli de grandes Flèches fur leurs épaules. Pour moy il faut que je vous avoüe , que je ne peux pas comprendre comment un homme peut*eftre fi grand. Mon-fieur qui eft fans doute un homme qui a beaucoup d’elprit , & qui a fait des Cartes très, belles & très exactes des Defîmts de ^Magellan, des Ifles qui font aux environs, &; de toute la cofte, qui s’eiïenddepuis la rivierede No-Uplcux, jufqu’à BaL divin, dans la mer Meridionalle, m’a dit & m’a affeuré qu’il avoitveu plufieurs Tombeaux dans ces parties de l'Amérique, qui avoient prefque quatre auines de long, & que ce qui le furprit davantage, fut, qu’il n’avoit jamais veu d'AmericAin, qui euft plus d’une aulne & demie de haut. C’eli pourquoy il fie ouvrir un de ces Tombeaux, ôc y trouva un homme & une femme placés de telle maniéré, que la P tî'4 . :OB SE UVAT ÏO N S tefte de la femme touchoit aux pieds de l’homme, ce qui pouvoir ainfï, fore bien faire un Tombeau auili long que leftoit ccluy-là. Mais pour revenir à noftre Voyage, & fortir de noftre digreflion , jediray, que nous avons quelquefois trouvé des Foires, que les Turcs tiennent ordinairement dans quelque grande place bien fermée &divifée en beaucoup de rues & de partages, félon la diverfité des Marchandifes qu’on y vend. Un homme peut fort bien s’y divertir & voir des choies qu’on ne peut point trouver dans nos pays. On ne manque jamais à y entendre de la Mufique, qui nous réjoiiit toujours un peu, quoy qu’elle loit très-méchante. La première, que nous vîmes fut à LefcoA ou Lejc AUX VILLES, OU SONT LES MINES, EN HONGRIE, ET DE LA A VIENNE. EStant à Komara., & ayant veu tout ce qu’il y avoit de pais Chreltiens de ce cofté-là, je voulus en même tems voir aufïï les Mines d'or, d’argent, &c de cuivre qui font en Hongrie. Mais comme je crûs qu’il n’elloit pas neceffaire de pafler encore une fois par Presbourg pour y aller-, je pris un chemin bien plus court, quoy que pourtant il y ait fort peu de perfonnes qui veüillent bien aller par là. Je nem’é-îoignay que fort peu du rivage de l’ifle de shuti juf-qu’à ce que je fufle arrivé en l’endroit où la riviere de Wddgva fe jetter dans le Danube. Nous pafTâmes dans une Ville tres-bien fortiffiée, qu’on a baftie depuis les dernieres guerres , & qu’on appelle Cjutta, ' Elle eft (ituée dans un lieu marefcageux entre une branche àuDanube, du Wang, & du S^atr^. Elle n’effc e'ioignee que d'un mille de nevhe^fell• &du haut de DE KO M ARA: Î25 l’Eglife àcCjUtta, nous pouvions très-bien voir cette Place, & en diftinguer même toutes les maifons. Nous y remarquâmes entre autres baftimens le Palais du Bdfjk qui appartenoic autrefois à l’Archevef-que de Prcsbourg. Nous vîmes auüi l’Eglife qui eft au milieu de la Ville, la Tour de la Mofquce & tous les autres baftiments de remarque. Ils font en ce païs leurs petits bafteaux d'une feule piece de bois, & cependant ils ofenc bien fe1 hazarder à paflTer d-e cette maniéré les plus grandes rivieres. Il y avoic dans cette Place cent trente hommes commandes par Muthias Fruhwurdt. Nous pafTâmes enfuite par Forchaipour alhr à Schclla, où on a bafty encore une autre Fortefle pour empefccher les Turcs de pafTer la riviere deWddg. C’eft parces quartiers là que les Tartares vinrent pendant la derniere guerre, qu’ils brûlerent & ruïnerent fi fort le païs, qu’ils en eft encore au jourd’huy toutdefolé. Il y a àundemy mille de cette Place un trou dans la terre d’où il fore du feu, aufli-bien qu’à Solfaterra proche de Nazies. Nous fûmes de la à Schinta, qui eftune place tres-forte,&qui n’a efté baftie,il a déjà long-tems que pour commander la riviere, & tout le païs aux environs. Il y aune Tour au milieu, avec quatre Battions, &plu-fieurs bonnes pièces de Canon. Je vis à l’entrée une grande cofte, avec un o$ de la cuifle, & une denr, <]ue je jugeay eftre d’un Eléphant, parce que j’en avois déjaveu le Squelette. Il y a aufli des os de cette maniéré pendus devant la porte de l Empereur à Luxembourg^ & on dit que ceux cy font les os d une QJij 1:6 VOYAGE grande Vierge des Payées-, & ceux-là d’un Géant, Nous fûmes de la à Lcopold. C’eft: une place tres-forte, très belle & tres-regulierement fortifiée de fix bons baftions. Le jeune Comte dc Souches y com-njandoit lors que j’y paflfay, & comme jeluy porray quelques Lettres qu’on m’avoit données pour luy, il me receut très.bien, & me fit mille honneftetés. Je pafTay enfuite la riviere, & vins à Frcifiiit. C’elt une fore belle Ville, mais les Turcs l’ont depuis peu brûlée. Le Comte de Forchat^y a un beau Chafteau & une grande maifon, dont je pris le plan pendant que j’eiiois en cette Ville. Les Luthériens y avoient une Ecole ou un Collège, mais il a elle ruiné aufli-bien que tous les autres baftimens de cette Ville. Ils y payent tribut aux Turcs, fçavoir, huit HungAri/che, qui font prefque autant que quatre fols de noftre monnoye, par tcltc , hommes , femmes , enfans , moutonsy boeufs , & même les chevaux. On éleve les en-fjns d’une manière un peu rude, & les femmes ne fe remarient que très rarement. Ils fe baignent fort fouvent y & aiment à fuer dans les Eftuves.& à avoir toûjoujtji leurs pieds dans dé l’eau chaude,. Il n’y a que douze Religieux <&$ns le Convenf des Capucins^ & les Catholiques Romains ont fort peu d’autres Preltyes dans ces quartiers, fi ce n’eft quelques Moines. ' v ■ il y a de Freijîut deux milles de: Hongrie jüfqu a Beinca Ccft dans cette campagne qu’on peut voir quinze Bains tout proche de la rivière dans une place ha Ville & après qu’il s’eft repofé on le laiffe écouler. Ils appellent l’or qui n'eft point encore purifié Slicb,&c ils croyent que le plus riche eft celuy qu’on pefe le premier. Ils travaillent jour & nuit, ôc les chandelles, donc ils fc fervent ne font que de bois de Sapins, ou de quelque autre bois fort aifé à brûler. Apres avoir fi bien lavé leur Slich > que de cent livres pefànt, il n’en refte pcut-eltre pas une demie once ou une once d’or tk d’argent, ils le prennent, y mêlent un peu de chaux & de SlacKen98c font fondre tout celaenfemble. Il y a toujours plus d’or que d’argent j c’eft à dire les deux tiers d’or & un tiers d’argent ; car il y a toujours un peu d’argent mélé avec l’or qu’on tire de la Mine de Chrmnit& le meilleur argent qu’on tire de la Mine de Schenmit rend toujours à proportion de l’argent, la huitième partie d’or. Après qu’ils l’ont fondu une fois, ils l’appellent DE KOMAR A.1 Ï5f du Lech. Ils le font enfuite brûler avec du charbon, pour le rendre plus leger, & pour lors, ils appellent cet or Rofti, Apres l’avoir donc ainfi purifié, ils y ajoutent du fabie autant qu’ils en jugent necefTaire, & le font fondre encore une fois, ils le-mettent enfuite dans la poele, & continiient comme s’ils failoienc fondre de l’argent. Ils purifient encore l'or de plufieurs autres maniérés, & je veux vous rapporter encore celle-cy, parce qu’ils ne s’y fervent point de plomb. Ils lavent fort fouvent leur métal, & le mettent en poudre dans des linges, & faifant enfuite couler de l’eau deflfus, & le remiiant continuellement, la terre aufli-bien que toutes les autres matieres les plus legeres s’en vont, pendant que tout ce qui efl plus pelant, & le métal, demeure toujours dans le linge, lis fontprefque la même chofe, lors qu’ils fe fervent de peaux de moutons, car ils les mettent tremper ou dans l’eau qui vient des Mines, ou dans de petits ruifTeaux qui ont leurs fources cachées dans des montagnes où il y a de l’or j de forte que pendant que l’eau & tout ce qu’il y a de plus leger pafTe au travers ou par deflfus, ce qu’il y a de plus folide ne peut point s’en aller j & ainfi on peut dire qu’il y a quelques perfonnes qui ont conquis la Toifon d’Or. Mais pour continiier la maniéré avec laquelle ils le purifient, par le moyen de quelques linges, je diray qu’ils lavent dans plufieurs cuves, les linges où l’or eft attaché, & après que l’eau s’efl 152 VOYAGE un peu raflife, on l’ofte de dedans cette cuve, on le lave & on le change fore fouvent de vaiffeaux & de linges , jufqu’à ce qu’à la fin on y aie un peu mélé de vif- argent, ils peltriflenc enfuite tout cela enfemble pendant une heure ou deux, ôc enfuite ils le lavent encore une fois dans un vaifTeau de terre, ôc après en avoir olté tout ce qui ne s’attache point au vif-argent, ils tirent l’or & le vif-argent enfemble, qui font attaché l’un à l’autre, ils en o lient enfuite autant de vif argent qu’ils peuvent en le prefTant premièrement dans un fort gros linge, & enfuite dans un, un peu plus fin. Apres tout cela ils mettent ce qui refte fur une ailiette percée, qu’ils placent fur une poêle bien profonde, qui eft: à terre, & mettent au fond de la poêle tout le vif argent. Enfuite ils couvrent bien cette poêle , & font du feu de charbon deffous, & fontainfi fortir tout ce qu’il y a encore de vif-argent mélé avec l’or-, & prenant enfin ce qui refte d'or, ils le jettent encore dans le feu,afin qu’il foit plus pur. Quelque tems après avoir veu tout ce qu’il y avoir de plus beau à Chremnitje m’en allay à Ne^/ol. Je paflay fur ces montagnes qui font à l’Orient de Chremnitç., & tout ce que j’y pus remarquer, fut une très grofle Pierre qui eftoit fur le bord du chemin. Ces montagnes fourniffent autant de bois qu’il en ell neceflaire pour travadler aux Mines d’or. Apres nous eftre encore un peu avancés, nous nous trouvâmes affez proche de Lïla,, qui eftun Village où on trouve du vif argent. Nous nous approchâmes enfuite infenfi- DE KO M A R A: i53 infenfiblement de la riviere de Crany fur le bord de laquelle eft fituée la Ville de Ne^r/ol. Il y a dans cette Ville un Pont pour pafTer la riviere, avec un tres-beau baftiment qu’on a fait pour arrefter le bois qu’on jette dans cette riviere, dix milles audeflusde la Ville dans le pais qui en eft tout couvert. C’eftpar ce moyen qu’on fait venir du bois à New/ol, fans qu’on ait beaucoup de peine, & fans qu’il en coufte beaucoup-, & on s’en-fertpour travailler aux Mines de cuivre qui font dans cette Ville. Ne^'fol eft une Ville afTez jollie, au bout de laquelle il y aune très belle Tour. Le Chafteau merite bien d’eftre veu, parce qu’il y a dedans uneEglife toute couverte de cuivre, dans laquelle il y a même plufieurs figures de bois & quelques Reliques. Comme ce font à prefent les Lutheriens, qui en font en pofleflion, ils ne les eftiment pas beaucoup, quoy que pourtant ils les gardent avec aflez de foin. Cela n’eft pas extraordinaire, & j’ay veu dans plufieurs Eglifes des Lutherïens en Allemagne, comme à À7«-remberg, & éMagdebourg, des Reliques qu’ils n’ont pas brifées ny mifes en piecesj mais ils les gardent comme des raretés ou quelque chofede curieux. Il y a dans cette Ville & aux environs, les plus belles Mines de cuivre qui foient en Hongrie -, mais comme le cuivre eft fort attaché à la terre qui eft dans la Mine, on a bien de la peine à l’en tirer. Apres l’en avoir pourtant tiré, ils le font brûler 8c fondre quatorze fois, auparavant qu’on s’en puifle fervir. 11 le font premièrement fondre avec une V 154- VOYAGE pierre qu’ils appellent Flujfftein, & avec un peu de fa propre écume & du Kist qui eft une for e de Pyrite. On le porte enfuite dans l’endroit où on le fait roftir, & on le met fur de grands monceaux de bois, fous lefquels on met le feu. On le fait brûler de cette maniéré fept ou huit diverfes fois, & en-fuite ils l’appellent Rofli-, &on le fait après cela fondre encore une fois dans la Fournaife, auparavant qu’il puifle fervir à quelque chofe. Ils font au(Ii fondre en cett Place du Kis> qu’on apporte de lefîna, & après qu’on l’a ainfi fondu, on s’en fert pour faire fondre l’argent. Ils trouvent à Mijmils, qui eft une Place afTcz proche de celle-cy, de l’argent avec le cuivre, 8c voila comme ils feparent ces deux métaux l’un de l’autre. Apres avoir faitfondre le cuivre, ils y mêlent du plomb, & enfuite ils prennent tout ce qui eft fondu dans des cuillers ou des plats de fer. Lorsqu’il eft froid, ils le mettent encore une fois au feu, & le laiffent ainfi fur des barres de fer, jufqu a ce que l’argent & le plomb fe fondent & paflent au travers. Apres qu’ils ont achevé de faire fondre le cuivre, ils le coupent en morceaux avec de grands marteaux qu’ils ont fait faire pour cela, & qui font fi pefans qu’il y faut chacun un Moulin pour pouvoir s’en fervir, & pour en faire des afïietes ou des plats, lis ont encore d’autres marteaux,qui font plats ou ronds, félon ce qu’ils veulent faire de leur cuivre. Le Gouverneur des Mines de Ne\ydl efloit fort obligeant, car outre qu’il nous permit de voir tout DE KO M ARA: 155 ce que'nous voulûmes, il m’envoya un prefent de vin &d’oifeaux, & écrivit même une Lettre à celuy qui commandoit dans la Mine de cuivre de Herrrt-grundt par laquelle il le prioit de me fairevoir toutce qu’il y avoic de curieux dans cette Mine. Herrn grundt, eft une petite Ville, fituée dans une Place affez élevée, quoy que ce foit pourtant entre deux montagnes, & eft baftie dans un endroit qui porte le même nom, & qui n’eft éloigné de Newfol que d’un mille de Hongrie. Tout le pais qui eft aux environs de cette Ville, eftoit déjà tout couvert de neige, tant elle eft élevée; mais nous n’en vîmes point dans les vallées, ny fur le chemin en venant de Nw/ol en cette Place. Je trouvay l’air fort perçant à l’entrée de la Mine, parce que nous eftions en habit de Mineurs. Voila comme cela eft fait^ c’eft un habit de toile avec de grandes chauffes de même, un petit bonnet rond comme la tefte d’un chapeau, avec un tablier de cuir par derriere, & deux pieces de cuir aux genoux, pour empefeher qu’on ne fe fa (Te du mal, en cas que par mal-heur on fe frappe contre les rochers ou qu’on tombe parterre. Quand nous fumes une fois dans la Mine nous eûmes affez chaud. J’entray dans cette Mine par un creux fous terre qu’ils appellent Tachftoln, & je demeuray plufieurs heures dans la Mine, pour aller voir tout ce qu’il y avoit de plus beau avoir. On n’y defeend que par des efchelles, les eaux ne les incommodent point parce que la Mine eft fi élevée fur la montagne, Y ij ij6 VOYAGE que l’eau s’ecoule facilement; mais ils font fort tourmente's de la poudre, qui leur encre dans la bouche, auffi-bien que d’un très grand nombre de vapeurs très dangereufes. La plus grande partis de cette Mine eft entoure'c de rochers, &: ainfi ils n’ont point befoin de bois pour la tenir toujours ouverte. Il n’en faut que dans quelques paflfages, qui font entre le rocher & la terre, & c’eft pourquoy ils y mettent d’un cofté des Sapins, &c de l’autre le rocher fiiffit pour la tenir ouverte. Les paflfages n’en fonc pas fi reguliers qu’à Chrmnït& il y a dans cette Mine de très-grands creux fous terres. En defeendant obliquement par un endroit par ou il falloir pafler, pour aller voir ce qu’il y avoir de plus remarquable dans la Mine, nous trouvâmes qu’il y eftoic tombe'de la terre, & que le paflage eftoit bouché, mais un de nos guides voulant pafler, & la terre eftant cependant encore toute prefte à tomber, il s’y fit un paflage, & s y creufa un chemin, quoy que la terre l’en empefchât,& qu’elle le couvrît entièrement. Il pafla pourtant, quoy qu’avec un peu de peine, & tomba au milieu des ouvriers avec beaucoup de terre qu’il entraîna avec luy; mais ils en chargèrent fi vifte toutes leurs civieres, & les garçons les rouloienc avec tant de vîtefle, qu’on vuida le paflage en un moment, & qu’il nous revint aufli-toft trouver dans la place où il nousavoit laifles. Les veines de cette Mine {ont fort belles, & il y en a plufieurs qu’on appelle avec raifon vena Cumt*. DE GOMARA'î i57 Utœ. Ce qu’ils en rirent eft fort riche- car de cent livres ils en trouvent vingt livres de cuivre, quelquefois trente, quarante, & même quelquefois foixante livres. La plus grande partie de ce métal eft attache'c au rocher.On a bien de la peine à l’en feparer,&même dans plufieurs endroits on trouve que le métal & le rocher ne font enfemble qu’une grofle pierre, avec feulement cette différence, qu'il y en a une partie, dont on tire du cuivre, & qu'on n’en tire point de l’autre. On les diftingue d'enfemble par la couleur, 8c on peut le remarquer facilement fïcoft qu’on le voit, carie cuivre eft prefque toujours jaune ou noir lorsqu’on le tire delà Mine: le jaune eft très bon, mais il y a quelque peu d’argent dans le noir. On trouve aufii dans cette Mine de plufieurs fortes de Vitriole blanc, verd, bleu, & d’un rouge cranfparcnt. 11 y a même une certaine terre verte qu’on appelle Berg grun, dont fe fervent ordinairement les Peintres, & des pierres d’une rres-belle couleur verte & bleue. Ce font ces pierres qui onc fait trouver les Ttircoijes, & c’eft pourquoy on les appelle meres des Turcoifcs. Il y a auflï dans cette Mine deux fources d’eau de Vitriole, qui ont la force de changer le fer en cuivre, & qu’on appelle l’une l’ancien & l'autre le nouveau Ziment. Ces fources font bien avant dans la Mine, & on y laifle ordinairement le fer pendant quatorze jours. Ces eaux apportent beaucoup de profit au MaiftredelaMine, parce que tout lemeichant fer, & celuy dont on ne peut plus fe fervir, fe change eu Y 158 v O Y A G E immoment endc très bon cuivre. On l’eftime même davantage que d’autre cuivre, parce qu’il n’eftpoinc fi dur, &c qu’on le fait fondre plus facilement. J’en ay fait fondre moy-même fans y mêler quoy que ce foit, & fans aucune difficulté; au lieu qu’il faut faire paffer le cuivre qu’on tire des Mines par un très, grand nombre de feux & de Fournailes, avant que de pouvoir le rendre bon à quelque chofe. Je pris une allez grande quantité de cette forte de cuivre dans le vieil Ziment, & j’y en trouvay une piece de la figure d’un cœur qu’on y avoic mis onze ou douze jours auparavant, & qui avoit toûjours gardé la même figure, quoy qu’elle eût eflé auparavant aufti bien de fer, quelle eft à prefent de cuivre. Il y a quelques perlonnes qui ne veulent pas appeller cela changement d’un métal en un autre, mais qui di. fent, que l’eau de ce Ziment eftant toute rempliede Vïtriolum veneris, & trouvant^un corps auffi preft à le recevoir que éMars, il détache Venus, quife gliffe auflî toft fi avant & fe communique d’une telle maniéré avec £Mars, qu elle ne fait que Dividere & Imperare , & qu’à la fin elle fubftituë Ion propre corps, & fait évanouir celuy de Mars, Dans ce changement qui fe fait dans ces fources de fer, en cuivre, il y a très fouvent plusieurs parties qui s’en feparent, & qui demeurent au fond de l'eau, mais on peut remarquer que ces parties perdent la qualité de fer & prennent celle de cuivre. J’ay tiré de cette fource un peu de cette poudre, &c l’ayant fait fondre, j’en ay fait de très- bon cuivre* de DE KOMAR A; forte qu’on peut dire, que fi le fer ne fe change poinr, on ne peur pas fçavoir ce qu’il devient. J’ay tâché depuis d’imiter par le moyen de l’Art, ce que la Nature fait fi curieufement dans la Mine; & je crois même y avoir reiiffi. Apres avoir veu les Places les plus remarquables de la Mine, je m’en retournay dans la maifon du Ver^dltcr de Herrngrundt, & je repris mes habits que j’avois laiffés dans l’eftuve. Il nous reçut & nous traita fort bien, & il me montra une Carte de cette Mine, dans laquelle nous avions pafle la plus grande partie du jour. Il m’y fit voir toutes les Places où nous avions efté, avec une efchelle, pour en mefurer toutes les longueurs, & toutes les diftances des differens paffages, & desdiverfes Places que nous y avions remarquées. Laveuëde cette Ville foufter-raine me parût fort agreable. Je ne peux pas avec raifon l’appeller, petite ., parce qu’il y a plus de bâ-timens que dans quelques unes que j’ay veües. Elle a beaucoup d’eftendue, & le nombre des habitans en elt très.grand. Ils y obiervent un ordre admirable ; leurs veilles font fort exadïes; leur repos n effc point troublé; ils aiment autant à travailler qu’à fe rafraifchir; & enfin ils fe repofent pendant huit heures dans le creux d’un rocher, après avoir employé autant de tems à travailler. Il me montra outre cette Carte plufieurs Minéraux très Curieux qu’il avoit tirés de cette Mine; &: il me fit même remarquer que lors que ce cuivre eft chaud, & qu’on le met dans de l’eau, il a la vertu, i6o VOYAGE de rendre l’eau aufTi chaude, que (i c’eftoient quelques uns de ces Bains naturels, qui lont proche de de ces montagnes. Comme je vins à parler de l’eau du Zïmeni, & à dire que le pouvoir cju’avoit cette fource fur le fer, eftoit une chofe admirable, il me donna plufieurs très belles pieces de cuivre, avec une chaîne, qu’il m’aflfeura avoir autrefois effcé de fer. ils font auffi de très belles tafTes de cette forte de cuivre, & nous bûmes dans une qui elfoit doree, &c au milieu de laquelle il y avoic une tres-belle piece d'argent ; avec cette infcription grave'e au dehors : Eifen WAre icht nup/er bin ich, Silber trag ich, goldt bedecKt mich. i. e. Nous fûmes de Herrn.gmndt à Stubn. C’eft une Ville qui nelt e'loignee que de trois milles de Hongrie de Newjol & de deux de Chremnit\ Il y a proche d’une petite riviere, plufieurs Bains chauds fort eftimés,& où il vient bien du monde : l’eau en eft fort claire, & fent le foulphre, & le fond en eft verd. Elle teint le bois qui eft defïus, en verd & en noir, mais elle ne change pas les métaux fitoft: que d’autres ; car j’y laifTay quelques pieces d argent pendant toute une nuit, & cependant, je ne les trouvay le lendemain que tres-legerement colorées. Les fources en font fous terres, & pafTent par des trous qui font au fond d es Bains. Ces Bains ne font ny plus ny moins chauds que celuy DE GOMARA. celuy du Roy d’Angleterre. Il y en a fept: Le pre^ mier, eft le Bain des Nobles, le fécond, des Gentilshommes, le troifiéme, des Païfans ,1e quatrième, des Païfannes, le cinquième, des Gueux, le fixiéme, de ceux qui font attaqués du mal qu’on appelle Lues, 'venereaiS>c enfin le lèptiéme, le Bain des Çypfies. Ces Bains l'ont dans une pleine campagne, entourés de tous coftés de montagnes, dont les plus proches font du collé de l’Orient-, c’eft fur le fommet de ces mêmes montagnes, qu’on trouve tant de riches métaux. Je me baignay dans un, mais j’y crouvay une fi bonne compagnie, que je fûs obligé d‘y de* meurer pendant un fi long-temps, que la chaleur du bain me fit mal. Pour moy je ne peux pas approuver la coutume qu’ils ont, de manger, de boire, & de dormir, pendant tout le teins qu’ils fe baignent. De Stdb n bad nous paflfâmes la riviere de Nitra, & après avoir laiffé à gauche qui eft une très- belle Ville, nous arrivâmes à Boinit^. Il y au/Ti cinq Bains naturels à Boinit\,, qui ne font ny trop froids ny trop chauds, & il y a bien du plaifir à s’y baigner. Le Corntejde Pttlfi Prince Palatin de Hongrie les a bien fait embellir, & les a tous fait couvrir. Le premier, eft celuy des Nobles, qui eft bafty tout de pierre, &dans lequel l’on defeend de tous les coftés par des marches de pierre. Les quatre autres font de bois, mais tres-jolliment baftis, & nous nous divertîmes beaucoup à voir des garçons & des filles fe plonger adroitement pour la moindre chofe que nous leur X Üi - VOYAGE jetcions. Il croift dans ces quartiers du Saffran en très grand nombre. Nous allâmes de Boinit^ à Weflonit^ qui n’en eft éloigné que de deux milles de Hongrie, &nous arrivâmes le lendemain à Trenfchin. Ils ne comptent de WeflonïtT^ à Trenfchin que quatre milles de Hongrie, mais il y en a affeurement davantage; car nous par-; tîmes devant lelever du Soleil, & nous n’y arrivâmes qu’à dix heures du foir. Trenfchin eft une fort belle Ville, fituée fur le bord de la riviere de Wangi (ur laquelle il y a un Pont de de bois. La place publique en eft fort belle; l’eglife des lefuittes fort jollie,& leChafteau très élevé. On peut le voir facilement de bien loin, &il appartient au Comte leUhafey. Il y a deux Bains chauds à un mille de la Ville, aufli-bien qu’un très, grand nombre de fources d’eaux Mineralles dans tout le pais aux environs. Je trouvay dans cette Ville le Comte de Rothal, quieftoit envoyé de l'Empereur pour traiter avec les Députés d'Ab&ffî Prince de Tranfyl^vanie, à Eperies, & j’engageay quelques Gentils hommes de fa fuite de s’informer des Mines de Sel de cette Place, & de tout ce qu’il y a de plus beau, ce qu’ils me promirent de faire, félon les inftruétions que je leur en donnay; & ils m’en ont rendu enfuite très-bon compte. Il y a à deux milles de la Ville dans la haute Hongrie, une Mine de Sel fort eftimée. Elle a cent quatre-vingts braffes de profondeur. Le^ Mineurs y defcendent, premièrement par des cordes ; & enfuite DE KOMARA: 163 il faut qu’ils fe fervent d’efchelles pour pouvoirallec jufqu’au fond. La Mine eft prefque tout à fait entourée de terre, & point du tout de rochers. Les veines de Sel font fort grofTes, &onen trouve des morceaux de cent mille livres pefant. Ils coupent ordinairement le Sel en quarrés qni ont deux pieds de long & un d’épois, & on eft obligé de le moudre entre deux pierres à Moulin pour pouvoir s’en fervir. La Mine eft froide & humide, & ainfi on a bien de la peine à reduire le Sel en poudre* l’eau en eft fi fallée, que lors qu’on la fait boüillir, il s’en fait un Sel à demy noir, qu’ils donnent dans ce païs à manger à leurs beftiaux. Les pierres de Sel qui fe trouvent dans cette Mine, ne font pas blanches, mais un peu grifes-, cependaut lors qu’on les rompe & qu’on les mec en poudre, elles font aulïi blanches, que fi elles eftoient rafinées. Tout le Sel qu’on tire de cette Mine n’eft pas de la même couleur, mais de plufieurs. Celuy qui eft groffierement mélé avec la terre, en retient quelque couleur-, & celuy même qui eft le plus pur, & qui reiTemble à du Chriftal, eft très fouvent de plufieurs couleurs. J’ay veu au milieu d’une pierre de Sel de Chriftal, un fort beau bleu j & j’en vis auffi chez le Comte de Kothal à Vienne, une tres-belle piece de jaune tranfparent. Il y en a même quelques morceaux, qui font û clairs & fî durs qu’ils y gravent diverfes figures, comme fi c’eftoit du Chriftal 164 VOYAGE même. On m’en a donné des morceaux de toutes ces fortes, & je les a y apportées avec moy en An- je ne mapperçois pas que je fuis un peu trop long, & qu’il faut finir ce difeours des Mines & des Minéraux. Il y a des gens qui croiront ce dik cours tout à fait inutile, mais je lay fait pour contenter ceux qui font les plus Curieux de piecesauffi rares que celles-là Ce qui m’a de plus excité à en faire une defeription aufli particulière qu’eft la mienne; C’ell: que premièrement ces lieux nous font afTez inconnus, Se qu’en parlant des Mines, j’ay aufli rap. porté ce qu’il y avoit de plus remarquable, & qu’il n’y a pas même d’Anglois que je fçache, qui en ait jamais écrit. Je continiiay enfuite mon Voyage le long de la riviere deW parce qu’on s’imagine que c’eft un excellent remede contre les maladiesdu foix,des fièvres ôc de la pefte-, & j’en ay trouvé même plufîeurs qui font fi opiniâtres & fïcredules, qu’ils croyent que quiconque en porte fur foy devient invulnérable pendant vingt- quatre heures. Apres nous eftre baignés dans les Bains, & avoir pris le plan de cette Ville, nous fortîmes de Baden\ &lapremiere place que nous trouvâmes fut Ne^fiad. Ceft une des principalles Villes d'Autriche ; il y a quatre portes-, on en voit trois de la place publique j l’Eglife de Iacob eft la principalle, parce qu’il y a audevant deux beaux clochers. ï Empereur a un Palais en cette Ville, qui eft bafty en quarré avec quatre Tours aux quatre coins, qu’on peut voir de fort loin, aulli bien que la plus grande partie de la Ville, parce qu’elle eft fituée dans une terre marê-cageufe, & dans une plaine campagne. Il y a tout autour des fofTés deux murailles, dont l’une eft très-baffe, & l’autre ne femble pas bien forte ; cependant ils me dirent que le Turc y eftant une fois venu, n’avoit jamais pû la prendre, mais qu’il avoic efté obligé de quitter fon encreprife, à condition Y j/o VOYAGE qu’ils pourroient emporter quelque chofe de la Ville, ce qu’on leur accorda volontiers; & ainfi ils prirent le Pronger ou le garçon de la Poile, &l’emporterenc à Conjîantinople. Ge fut en cette Place qu’on de'ca-pita les Comtes Pierre de Serin, & de Frangipani, comme les principaux autheurs de la révolté de Hongrie. Nous allâmes de la par le milieu des plaines campagnes jufqu’au mont Simeren, après avoir pafle par Ne^KircKel, où il y a une Chappelle, qu’on dit en ce païs, avoir èfté baftie par un Roy £ Angleterre. Je crois que c’eft le Roy Richard premier, qu’on garda prifonnier en Aufiriche , à Ton retour de h terre Sainte, & du rançon duquel on baftit les vieilles murailles de Vienne. Le mont SÏmeren fait une partie du monc Cettus, fur le fommec duquel il y a un gros monceau de pierre qui marque les bornes, & qui fepare l'Aufiriche de la Styrie. On a quelquefois tant de peine à monter cette montagne, à caufe qu’elle effc tres-efcarpée, & qu’il y a un grand nombre de rochers, qu’on eft le plus fouvent obligé de prendre vingt-quatre chevaux ou bœufs pour tirer un chariot ou un carrofTe. Nous fûmes enfuite \shomien, ou Shadtwien, qui eft une très,forte Place fituée entre des rochers,fur le paffage des montagnes. Les maifons qui font ballies iur les coftés des rochers font inacce/ïibles, mais le fommet des montagnes d’où on peut découvrir toute la campagne qui eft aux environs, peut fort bien fervir de fentinelles. Cette Ville eft DEVIENNE. i/i très forte; & quelques uns l’appellentClauflra Aufiria. Elle eft environnée de montagnes, & il y a une porte à chaque bouc de la Ville. Il y a aufTi un petit ruif-feau, qui defcendantde toutes ces montagnes vienc fe rendre dans la Ville par defTbus la muraille. Cela me fie fouvenir de la maniéré dont on dépeint ordinairement les murailles des Villes de la Chine, parce qu’on voit dans les Cartes comment les rivieres s’y viennent rendre pardeflbus les murailles. Je fus de la à Mehr^u/chlag; & enfuite à Keïmbourg. Nous payâmes après cela une petite riviere, qu’on appelle murtz., & nous vîmes un Chafteau qui appartient à la famille de Stubnberg, qu’on eftime une des plus anciennes qui foienc en Allemagne, & nous arrivâmes enfin à Prug. C’ell une place qnieftfituée furie bord de la riviere de éMur ou de Muer, qui eit une riviere fort large, mais qui n’eft point navigable, quoy que pourtant elle fe grodifle tant foit peu, après avoir paflfé par Graet^ &: RaKenbourg. La Ville de Prug ou dcMuripow, n’eit pas mal baftie, car elle regarde tout le pais, & il y a même une fort belle Place publique. J’ay veu auparavant encore une autre Ville de ce nom, fituée fur le bord de la riviere de Leyta, &qu’on appelle, pour la diftinguer de celle-cy, Prug fur la riviere de Leyta., Nous paflames en-luite par Luheim,&c nous vinmes à Knitelfeldt &c ltidcn~ bourg,, qui eft encore proche de la riviere de Mur ,• & nous fûmes le lendemain à HundtJmarK. & NewwarK, & enfuite à Frei/ach. Il y a quelques perfonnes qui veulent fe perfuader qu’on appelloit autrefois cette 172 VOYAGE Ville Virunum, & quelques autres afletïrent que c’eftoit Vaconum. Elle eft à la veuë d'Altenhofii, du Chafteau d'Jtrowit^ & du Chafteau de Tottenbrun, qui appartient à l’Archevefque de Salt^bourg. Nous fûmes enfuite à faint Vett ou Jainte Foy, qui eftoit autrefois la principalle Ville de la Çarinthie. Elle eft (îtuée en l’endroit où les deux rivieres de Clan & de \yunichJ fe rencontrent enlemble. Elle eft entourée de fort bonnes murailles -, il y a (îxEgli-fes, & une Place publique. On y voit aufli une tres-belle Fontaine avec un balïin de Marbre blanc tout d’une pierre, qui avoit fix de mes braflesde circonférence. On a apporté cette piece d’antiquité de Saal ou Zolfeldt y qui eft une Place aflez proche, dans laquelle on a trouvé plufieurs pieces d’anciquités Romaines fort belles & fort curieufes. Il y a à la veue de Vitopolts, ou de faint Vett, quatre montagnes très élevées, la montagne de Jaint Veit% celle de faint Vlrnk., celle de fxint Laurens, & enfin celle de Jainte Helene. Il y a fur le haut de chaqu’une de ces montagnes une Chappelle, & les habitans du païs y vont ordinairement en dévotion en Un certain jour de l’année-, & ils font ce voyage à pied, quoy que pourtant il faille faire pour cela plus de trente milles d'Angleterre. Nous demeurâmes quelque tems à faint Veit, & nous y vîmes uneTragedie Latine, qui fejoüa dans le Convent des Peres Capucins. C’eftoit dans le mois de May, pendant lequel les plus hautes montagnes eftoient toutes couvertes de neige, & les plus bafles Uil!JH)SII!t!lllirJ!n!<, laitiii: Si(ifl!l[inil|»ltlHIHWÀj , DE VIENNE. 173 aucontraire eftoient d’une verdure admirable, & toutes remplies de Sapins & d’une infinité d’autres arbres. On n’entendoit pour lors que des tonnerres horribles, & qp ne voyoic que des éclairs qui fai-foient peur, & fitoft qu’ils s’appercevoient que l’orage commencoit, ils fonnoient leurs cloches avec toute la force poflible. La plus grande partie des habitans de ce pais ont de grandes gorges, & j’en ay veu quelques-uns qui l’oncaufli groffe que leur telle. Il y en a un tres-grand nombre d’aveugles, de müets, & de fols. Il y a dans les faux bourgs delà Ville un Holpital pour tous ceux qui ont perdu, ou leur voix ou leur elprit, ou qui font en quelque maniéré tres-incommodés de leurs grandes gorges. Ils fe couvrent prefque tous la gorge, parce qu’autrement le froid feroit capable de leur faire mal. Les hommes & les femmes font égallemenc fujets à cette incommodité, & il n’y a que ceuxqui boivent beaucoup de vin & de biere qui en font plus exempts que les autres. 3’ay veu à la vérité dans ces quartiers-là de bien plus grandes gorges, que je n’en ay remarqué dans les parties de la Savoye, qui (ont du codé des Alpes. Saint Veit, dont cette Place porte le nom, eftoic un Chreftien fort zélé, qui prit beaucoup de peine, &qui s’employa entièrement à convertir ce pais, & qui fut perfecuté &martyrifé fous l'Empereur Diocle-tien. Il y a encore plusieurs autres Eglifes & plufieurs Villes, qui portent fon nom dans les autres parties de l'Europe, & le peuple croit que faint Veit Y iij 174 ' VOYAGE guérie de cette maladie qu’on appelle Cborea [unSii Vitu Nous fûmes de la à Saal ou Solmi ou les Romains, envoyèrent autrefois une Colonie, £ que Woljgan-gns La^ius, marque dans la Carte fous le nom de Colonia Soluenjis. Il y atout proche de cette Ville une campagne quon appelle Ager Soluenjîs ou Zolfeldt. C’eil une Place fort eftirnée pour les antiquités qu’on y trouve. Je vis dans cette campagne cette piece d’antiquité qu’on appelle la Chaire du Roy; elle eft toute de pierre, & il femble que ce font deux fauteüils qui font attachés enfemble dos à dos. il y a des inferiptions fur trois de ces pierres, mais elles font affeurémenc plus anciennes que la Chaire même. Lors qu’on reçoit un Duc de Carinthie, foie qu’il foit Roy, Prince, ou Empereur, foie que ce loit luy mefme, ou qu’il envoye quelqu’un en fa place, il faut qu’il Ce mette fur une partie de la Chaire, qui eft du cotlé de l’Orient, &c un pauvre Païfan fur l’autre partie du collé de l’Occident ; &c entr’autres ceremonies le Païfan fe leve, &prefente au Duc deux bœufs, l’un gras & l’autre maigre; le Duc eft obligé de prendre le maigre, Oc de refufer le gras; & de recevoir enfuite un petit foufflec du Païfan. Voila la maniéré dont 011 reçoit un Duc de Corinthie. L’Eglife de Saal eft fore ancienne, & a évité juf-qu’à prefent la furie des Nations Barbares. Je vis dans cette Eglife le tombeau de Modefttts Compagnon dz fiint Veit. C’eft un monument allez fimple, DE VIENNE. 175 & ils ont en cette Ville une tradition qui leur apprend, que ce tombeau s’eft approché de l’Autel d’une aulne plus prés qu’on ne l’avoit mis. Il y a fur les murailles de cette Eglife plufieurs belles antiquités Romaines en bas-relief, qu’on a tirées de Zolfcdt: Voila entr’autres chofes ce que j’y remarqua/. Un charriot avec deux chevaux; un charriot avec un homme dedans ; un loup qui mange d’un fruit qui eft tombé de quelque arbre-,& Hettor attaché au charriot d'Achille, de la même maniéré qu’on le traîna tout autour de la Ville de Troyes-, Quatre fore belles telles-, deux loups tenant chacun une tafle & une corne, dont il fort une vigne avec des feüilles & des grapesde raifins. C’eft tout ce qu’on peut voir fur le Portail. Il y a au dedans un Cupidon, qui tient des grapes de raifins en fa main ; Romulus & Remus, qui taitent une Louve ; deux figures fur le Crucifixe tout proche de faint Chriflophle, avec encore quel, ques autres qu’on a toutes apportées de Zoldfeldt. Je vis aufli dans cette Place plufieurs inferiptionsj & en voila une qui eftoit fur une pierre placée au midy de l’Eglife: HERCVLI. E. EPONÆ. AVG. PRO SALUTE. IMP. CÆS. M. AUR. ANTONINI PII. FELICIS INVICTI. On trouve auffi dans ces quartiers plufieurs pieces de monnoyes Romaines, de cuivre & d’argent; & 175 VOYAGE j’ay apporté avec moy une médaillé d’or des Troyens. Nous fûmes enfuice à CUgenfurt, qu’on appelloic autrefois Claudia.. C’eft à prefent la principalle Ville de la Cmnthie-y Elle eft baftie en quarré, & eft entourée d’une très-bonne muraille; le rempart en eft aflez fort, &c il y a un baftion à chaque coin, & un au milieu de chaque courtine. Les rues en font eftroites, mais par tout cgalles & regulieres autli-bien que les maifons. Il y a aufli une très belle Place publique tout au milieu delà Ville; mais fi cette Ville eft belle, les habiransen ont l’obligation aux Luthériens, qui l’ont embellie de cette maniéré, pendant qu’ils eftoient les Maiftres de tout ce païs. Il y a dans la Place publique une fort belle colomne de Marbre, & la ftatuë d’une fille defïus, aufli-bien que celle de l'Empereur-, mais, il y a audefTus de tout cela une tres-belle Fontaine au milieu, fur laquelle on voit un Dragon de pierre d’une grandeur prodi-gieufe, & Hercule avec Ton bafton. Le peuple croic que cette figure d'Hercule, eft celle d’un miferable Païlan qui tua ce Dragon qui eftoit dans ces quartiers. On a aufîi apporté cela de la campagne de Saalj dont j’ay déjà parlé. Il y a encore trois belles Fontaines à remarquer dans ce païs, les deux premières font celles de faint Veit èc de Clagenfan, & la derniere eft celle de Marbre blanc, qui eft à Sult^bourg. C’eft une ancienne coutume de la Carinthie, que fi on foupçonne un homme d’avoir volé quoy que ce Toit, on commence par le pendre, & qu’on luy faiTe DE VIENNE. 177 fafle fon procez trois jours après fa mort. Si on le trouve coupable du crime dont on l’a accufé,ils lailfent Ton corps pendu jufqu’à ce qu’il Toit tout à fait pourryj mais s’il çft innocent, ils prennent fon corps, l’enterrent publiquement, & prient Dieu pour fon ame. Il y avoit pour lors beaucoup de Soldats à Clagenjuvty ôc j’ayeû l’honneur de voir le Comte de Lefley principal Commandant, le Baron de la Hay, & Monfïeur Penflj, qui avoient chacun une compagnie dans la Ville. Je ne fçaurois allez recon-noiftre toutes les honnefletés, les faveurs & les civilités qu’ils me firent. Ils m’obligerent de manger à leur table pendant tout le tems que je fus en cette Ville, & le Comte de Lefley me mena une fois avec luy dans fa Barque, & nous paffâmes enfemble par un fort jolly deftroiâ: pour nous venir rendre dans le Lac de Clagenfurt% & pour nous en aller en-fuite nousdivertir dans une maifon dePlaifance,qu’on appelle lorette. Elle eft très-bien fitue'e, & on y a bafty une Chappelle à l’imitation de celle de Lorette en Italie. Comme je l’avois autrefois veue, j’eftois d’autant plus capable de confirmer &c d'affeurer, qu’on avoit parfaitement bien imité la maniéré, dont eft baftie Lorette en Italie. Le Comte de Lefley, eit parent de Monfïeur de JMontecucully ; & ainfi il voulut bien me donner des Lettres pour Vienne, aufli bien que pour d’autres endroits. L’honneur que j’avois de connoiftre l’illullre Comte de Nor-r^ichy Comte JMarefchal d'Angleterre, me fit encore bien mieux recevoir parmy eux % & je crouvay que 178 VOYAGE le nom de cette illuftre perfonne eftoit non feulement connu dans tout l’Empire; mais dans la Turquie même, & dans prêque tous les païs qui font Tous la domination du Cjrand Seigneur. Au (ortir de CUgenjurt, je continuay mon voyage du cofté du midy,& après avoir fait environ un mille & demy d'Allemagne, je paffay la riviere de Drau, que je trouvay déjà fort large, & fur laquelle il y a deux tres-beaux Ponts de bois, qui font côme unelOeau milieu. A pre's avoir marché encore une heure oudeuv, je commençay à entrer dans une Place qui eft entre des montagnes, qu’on appelle Hammer^ôc où on accommode le fer; & je continiiay enfuite mon voyage du cofté de mont luibel. Je trouvay quelque tems après un auffi grand defert de rochers qu’on puilfe jamais voir, & une grande cheute d’eau, qui a tellement mangé les rochers, qu’ils femblent à prefent artificiels. On y a fait un chemin tout entouré de murailles, qui eft fort incommode; parce qu’il faut tourner tantoft d’un cofté, tantoft d’un autre avec beaucoup de peine. Ils ont pourtant mieux reüfli, que je n’aurois creu à faire ce pafTage dans un endroit fi difficile. Nous montâmes de cette maniéré jufqu’à ce que nous fuflions arrivés fur le haut du mont L«iW, qui fait une partie des Alpes de la Carniole, quilalepare d’avec la Çarinthie, & qui eft une des plus confiderables montagnes que j’aye jamais veu. Après avoir monté aulïi haut que les rochers efearpés pouvoient nous le permettre, nous tournâmes à cofté, par un chemin qui nous mena DEVIENNE; U9 dans une caverne, & qui nous fît pafTer au travers d’une montagne. Cette caverne eft prêque fembla-ble à cette grotte jfi fameufe du mont Punfilippe proche de Naples. Il y a au milieu un ouvrage de bois, & on peut croire facilement que ce partage eft fore élevé, puifqu’il a cent cinquante-fïx aulnes de long, & quatre de large. Je trouvayla maniéré dont nous palTàmes au travers de cette montagne aflez furprenante ; parce que je n’en avois jamais rien leu ny jamais entendu parler auparavant. Je crûs au commencement que c’eftoit quelque ouvrage des anciens Romains, mais j’apris enfuite que cela eftoit bien plus nouveau, & qu’on ne pafloit point autrefois par là pour aller dans la Carniole, mais qu’on alloit par VilUch. La première veuë que j’eus de cette caverne, lors que j’en eftois encore bien loin , me fie conjedturer que c’eftoit la demeure ou laChappelle de quelque Hcr-mite; mais je ne pouvois pas m’imaginer comment il pouvoit y entrer, julqu’à ce qu’à la fin après avoir monté avec bien de la peine fur le haut de cette montagne en tournant tantoll d’un cofté, &c tantoft de l’autre, j’y patfay non feulement moy-même, mais au [fi j’y rencontray plufieurs autres perfonnes, qui venoient de la Carniole. Us ont fait ce chemin avec tant d’adrefle, que les Charriots mêmes y pafTent tous les jours. Nous eûmes un tres-mauvais tems pendant que nous montâmetjçette montagne, car il plut & il grefta fort long-tems, & il y avoit encore de la neige fur Zij !So VOYAGE le bord du chemin. Comme j’eftois bien haut élevé pendant cet orage, je vis fort bien les nues defeen-dre & remonter ; & il y en eût quelques-unes qui paflerent autravers de la caverne, comme (î elles fuflent venues de la Ccirmole, pour aller dans la Ca-rinthie, & ainfï elles faifoient un chemin tout contraire aunoftre, parce que nous allions de la Q&rin-tkiey dans la Carniole, ou de la Province de Karnten, dans celle de Craen. Ce paflage eft fort bien inventé, & il eft dans le pais d’un peuple induftrieux, & qui aime tant le travail, qu’il y a de l’apparence qu’ils en auront toujours foin. Ils prennent la peine d’en ofter la neige en Hyver, & ils font enforte qu’on y peut toujours pafTer. Si nous montâmes toûjours jufqu’à ce que nous fuflions encrés dans cette Grotte^ aufli nous falut-il toûjours defeendre, fitoft que nous en fûmes iortis. Nouspaffames en defeendant, premièrement par Jà,ïnte Anne, qui n’eft éloignée de cette caverne que de deux mille d'Angleterre \ nous fûmes de là à Newftattel, qui n’ell: qu’à un mille & demy d’Allemagne defiïnte Anne j & ainfî nous defeendîmes toûjours jufqu’à ce que nous arrivalïions à Crainbourg, qu’on croit avoir autrefois efté Carnodunum, qui elt une Ville aflez forte, & fituée fur le bord de la riviere de Sau. Nous fîmes enfuite quatre milles d'Allemagne davantage, & après avoir traverfé une très* belle pleine campagne, nous arrivâmes à Labuchou Ltibld-aw, la principale Ville de la Carniol^. La riviere de Labacb en pafle tout proche, ôçva enfuite fe jetter dans DEVIENNE. m le Sau. C’eft une fort jollie Ville, dans laquelle il y a un Chafteau bafty fur une montagne, d’où on peut découvrir deux grandes vallées, dont l’une eft du cofté du Septentrion, & l’autre du collé du Midy,&c d’où on peut voir auflï plufieurs montagnes & plu-' fieurs Chafteaux. On la négligé pourtant, & elle n’eft point eftimée, parce qu’il y a aflez proche de là une autre montagne qui la commande. Elle a foû.’ tenu autrefois un tres-long Siege; car pendant que l'Empereur Frédéric, fe faifoit Couronner ion frere Albert, fécondé par le Comte d'Olrick voulut fe fervir de roccafion,&a(licgea cette Place; mais ils y trouvèrent tant de refiftance, que l'Empereur eût le tems d’y faire venir une Armée, & d’en faire lever le Siege. Je trouvay heureufemenc à lubach Monfieur Tosh Ejcojjois, qui s’eftoit fait Apoticaire dans cette Ville. Il me fit beaucoup de civilités, me fit voir tout ce qu’il y avoit de beau dans toutes les Places aux environs, & me montra aufïi plufieurs chofes tres-curieufes,au(li.bienque tous les diversMineraux qu’on trouve dans ces quartiers. On croit que cette Place s’appelloit autrefois Nauportus. C'elt une Ville qui efi: devenue fameufe* parce que les Argonautes, y mirent pied à terre. Ces Argonautes font des perfonnes qui forcirent d'xrgos* Pclafgicum en Thejfa,lie , & qui mirent à la Voile pour aller àColchos, Ville fituée à l’Orient du Pont-Euxiq-mais lors qu'ils fe virent pourfuivis par les Vaifleaux du Roy de Colchos, qu’on avoit envoyés pour les prendre prifonniers, ils fe retirèrent dans ÏHclles- Z iij iS2 V O Y A] G E ponty & s’eftant enfuite tournés du collé du Nord, ils entrerent dans l’emboufcheure de l'Iftre ou du D celle de Colapis ou Culp, qui va fe jetter dans le Sau, aulli bien que celle de Vipao ou d’Ammis Frigidus, qui après avoir pafle par Goritia a le rendre dans la riviere de Ly(onfo. Il y en a encore plufieurs antres qu’il feroit trop long de nommer. C’eft pourquoy je n’en veux point parler, & je me contente de dire que je n’ay jamais pû apprendre, fi toutes ces rivieres A a iM VOYAGE tjroient leurs fource* Ils emportèrent pendant que j’eitois dans ce païs, c’eft à dire le douzième de Juin 1669. quarante lacs de vif-argent dans les païs Etrangers. Chaque faq pefoit trois cens quinze livres, qui vallent quarante mille ducas-, & quoy qu’on ait de la peine à porter ces fortes de marchandifes, parce qu’on eft obligé de,les mettre fur des chevaux, deux petits barils (ur chaque cheval, cependant on fcn envoye jufqu’à ChremnïtT^ en Hongrie, pour s’en (ervir dans cette Mine1 d or-, & on en porte auffi quelquefois en Suidet A a iij 190 VOYAGE aufli-bien que dans tous les pais les plus éloignes. Je vis dans le Chafteau trois mille facs de vif-argent purifié, & il y en avoic encore dans une autrfr maifon, autant qu’ils en avoient pu purifier pendant deux ans. La pluye leur eft fort incommode, parce qu’ils ne peuvent pas avoir autant de bois qu’il leur en faut pour travailler, mais comme les montagne» qui (ont tout aux environs font très élevées, il y neige furie haut bien plus fouvent qu’il n’y pleuft. On écrit fur un Regiftre le nom de tous les Eftran* gers, qui entrent ou qui viennent voir le Chafteau d’/dria, avec le pais d’où ils font nés. Le nombre en eft fort grand, mais il y a fort peu d’Anglois. 11 n’y a eu depuis quelques années , que Monfieur Ewelin 8s Monfieur Pope, avec toute leur compagnie qui y ont entré, ôc ont fait part au public de tout ce qu’ils ont veu de confiderable dans leurs voyages. Cette ville parok fort agfeable aux Eftrangers , parce qu’eftant une ville frontière,&ficuéc furies confins de plufïeurs Royaumes^ on y parle plufieurs Lan-; gués. Je remarquay que les Officiers & tout ce qu’il y a des gens un peu audeffus du commun, croyent que ce leur eft un grand honneur de parler Schlavon, Allemand, Latin, & Italien, & même François, quoy que cette Langue ne foit pas fîeftimée ny fi recherchée que toutes les autres. Au fortir d'Idria, nous païïaraes fur le mont Swart-%$nbergt ou la montagne noire, & après avoir defeen-du environ dix milles, & traverfe tout un païs plu* incommode que coûtes les montagnes deProvence^ DEVIENNE. i9i nous arrivâmes à Adosbini, & nous fumes delà à Gori-tia> qu’on appelloit autrefois Noreia. C’eft la princî-palle ville du païs de Goritiaj elle eft très-bien fi-tuée, & regarde fur une très belle plaine campagne, qui eft prêquedu cofté du midy. Le Gouverneur de ce païs eft logé dans leChafteau; & on luy a depuis peu accordé une compagnie de Gardes pourl’efcor-ter toujours, parce qu’il y a eu un Gentil homme du païs qui l’a voulu tuer. Audi onabanny du païs ce Gentil homme, & on a abbatu entièrement fa maifon. Lors que nous marchions pendant la nuit, il ve-noit quelquefois autour de nous un très-grand nombre de Luzernes, qui eft une efpece de mouches, qui eftant miles dans du papier rendent une lumière alTez obfcure. On voyoic aufli dans quelques Places de la campagne une quantité prodigieule de petits vers, qui avoient quelque forte d’efclat, &qui nous paroiüoient afTez beaux à voir. Les habitans de la Carniole parlent un SchlavoH çorrompu; mais ils ont dans ces quartiers encore une autre Langue qu’ils appellent Lingua fuüam ou firiulanay & ceux qui parlent bien Italien, peuvent l’entendre facilement. Voicy le commencement de l’Oraifon dominicale en cette Langue, Pari noftri cb\ tes in Cïil fie, fant'tficaat tuto nom, &c. 11 y a dans ce païs beaucoup de ce bois, dont on fait les violons & les autres inftrumens de Mufîque, & il en croift tant dans toute la Carniole, qu’i's en font des plats & des afliettes qu’on a à très - bon m .VOYAGE marché. J’en ay apporté decres-belles branches en, Angleterre. >:-• ‘ ; Apres avoir veu tout ce qu’il y avoit de plus curieux à Coritia, je pa(Tay la riviere de Sontius ou de qui tirant fa lource de quelque montagne a(Tcz proche de là, va fe jetter dans la mer Adriati. que. Ce fut proche de cette riviere qu'Od.oa.cer, qui avoit ufurpé le Royaume à'Italie, fut tué dans la Battaileque luy livra Theodoric Roy des Gw/w. Apres avoir enfuite traverié de très-belles prairies, j’arrivay à Palma Nova, qui elt une ville cres-forte& très bien fortifiée. L’Empereur eft le Maiftre de tout ce grand païs, qui s’eftend jufqu'à un mille de Villa-Nova. Il pofle-de plus de païs qu’on ne fe l’imagine; & comme j’en ay veu depuis peu la plus grande partie, j’en puis bien dire quelque chofe. Il eft le Souverain de toute l Auftriche, la Styrie, la Carintbie, & la Carmoh\ d’une partie de la Croatie, l'lftrie, & Friuli -, d’une partie de /’Al/ace, du Comté de Tirolt de ce grand païs de la Bohême, de la Moravie, Sc de la Silefie, de quelque partie de ta Lujatie, & de la plupart de la Hongrie. Il a tout ce qui dt entre Près bourg, Tocaay, & Zathmar\ ceft à dire plus de deux cens cinquantes nulles. Comme les habitans de ces païs font hardis & courageux, je ne puis pas m’empeC. cher de dire que l'Empereur efl un des plus grands &: un des plus puifTans Princes de l’Burope, & que la Chreflienté elt fort heureufe d’avoir un Monarque comme luy pour arrelter les A^nes vi&oneutès des Turcs. 1 Palma. DEVIENNE. 193 Palmo, Nova dans la Province de Friuli, eft la ville la mieux fortifiée que j’aye jamais veu. Il y a neuf Baftions, qui portent les noms de plufieurs ü-luftres Veniciens. Il y a deux Cavalliers fur chaque Courtine j le Rampart eft plus haut que la muraille; les Foiïes ont trente pas de largeur & douze de profondeur; on n’y laide point d’eau, afin que la ville en foit plus faine, maison pourroit bien coft les en remplir, fil’occafton s’en prefentoit, auïïi bien que ceux devienne, qui font toujours a fec, parce qu’autrement leurs grandes caves en (croient incommo-dées. Il y a trois Portes, l’une qu’on appelle Porta Maritimx, l'autre Porta de Cividal, & la troifiéme, Porta di Vdim. Ils faifoient pour lors une très-belle demye Lune audevant de chaque Porte, il y a au milieu de la ville un eftendard fur un triple Puits qui eft au milieu de la Place publique, &c un homme peuc fort bien voir de là toutes les trois Portes en même tems, &c fix rues qui traverfent tout à fait la ville. 11 y a dans la place publique le Portail de la grande Eglile,avec plufieurs très-belles Statues, <3c une tres-btlle Colomneen piramide très bien dorée; ce qui nefert pas peu à embellir cette Place. Il y a au milieu du Pont un Pont levis, qu’on a fait avec tant dadrefle qu’en cas que laSenrinellc commence à s’appercevoir de quelque ennemy, celuy qui eft dedans, peut liiy ieul lever Je Pont en touchant feulement du pied à une barre de fer qu’on a mife exprès pour cela. J’avois veu dans d’autres pais plufieurs très-belles inventions pour Bb J9 4 VOYAGE des Ponts-levis, & j’enavoismêmeveu plufieurs fur un même Pont, qui eftoient non feulement place'* les uns après les autres, mais quelquefois deux ou trois enfemble, le premier &c le dernier fervant lors qu’on veut lafcher le pied, & celuy du müiey pour le bagage & pour les chevaux. H y a quelques Ponts-levis qu’on ne leve point, mais en les tirant à cofté & ne les faifant que tourner, on ouvre le paflage à ceux qui veulent entrer. Ceux que j’ay jamais trouvé les plus beaux, font les Ponts-levisd'Amfierdatn, qui s’ouvrent par le milieu ^ de farte qu unvaitfeau, quoy. qu’à la voile peut pafTer, fans avoir befoin de l’allié fiance de qui que ce foit; car fi le Mail, & le devant duVaiifeau rencontrent le milieu du Pont, cela fuâîc affeurément pour l’ouvrir. - » t Les Vénitiens ont fait un Port à Palma-Nova, de forte qu’il peut à prefent entrer dans la Ville de très-bons Vaiffeaux, & même affez grands.pour apporter des provifions,& tout ce qui leroit neceffaire dans cette Place, fi l’oçcafion s’en prelentoit. On ellime cette Ville pour une de plus fortes Places de l'Europe. Les Venitiens l’onc premièrement fortifiée en l’année 1594. & c’ell une des principalles ForterefTes de leur Ellat &de toute L'Italie. C’eil par là que les Huns, & les Nations Barbares eritrerent dans l'Italie-, & que les Turcs mêmes ont fait des coudes dans ce païs, & fe font prefques avancés julqu’à Tre-wi/o. Après avoir veu plufieurs des plus fortes* Places de ï Europe y je voulus voir auili celle cy, parce qu-’ellc DE VIENNE. 195 cil:fort eftimr;e, parce qu’on dit qu'elle n’a efté baftie que par les confeils de gens très expérimentés dans la guerre, & parce qu’auffi les Vénitiens veulent persuader à tout le monde, que c’eft non feulement la plus forte Place de toute L'Europe, mais même de toute la terre. Je fouhaite qu’ils ne voyent jamais devant cette Ville une Armée toute entiere de Tumt & fur tout lors qu’ils ne font point en eitac d’y envoyer du fecours. Si l'Empereur, dans lçs païs duquel il faut que les Turcs palTent pour venir 4ttaqu,er cette Plaçe, & la Republique tiennent toujoim fermes, le Turc aura bien du mal à en approcher. Mais fi les Turcs pouvoient faire une paix avec les Vpfir le moyen de laquelle ils peuffent les engager à ne point alfifter par mer les autres Eltats de [Italie, ils n’auroienc pas befoin d’entreprendre ce Siège, ny d’entrer ,piar là dans l'Jtitliei mais comme toutes les Armées Navalles de ce pais ne font point capables dea*efifter à une Flotte des Turcs, fans le (ecoursdes Venitiem, on a aufli iujet de douter, fi on peut les çmpefcher de metice pied à terre dans ce païs par quelqu’autre endroit. f De PalmA-.NQva. ja tus à M(kvaaS.Vitpy Ç.’e^ufi Porc de mer qüi appartient aux Vemtiens, dan$,la;Pi<0vmce dcFmliy ôccette Ville porte ce nom, parce qu’on dit, que Jaint Vito, a efté enterré dans cette Place. Nous nous embarquâmes dans cette Ville, & continuant: enfuite noihe Voyage le long du rivage de Vrïuli>o u Patria, nous palmes par Portocli Tant-mentso\\ ôîamus ar ci vain es eniuite à Cahorle.. Il y a dans- Bb ij ipé VOYAGE cette Ifle uneËglife quieftdedie'eàlabien heureufe Vierge, qui eft ballie fur le bord de la mer, proche des vagues, & à laquelle cependant la mer n’a jamais fait de mal, parce que c’eft comme le nid de la MaiftrefTe des Halcyons, &une Place fort eftimée à caufe du grand nombre de peuple qui y vient faire les dévotions. Nons nous rafrailchîmes fur ce rivage^ & nous prîmes bien du plaifir pendant que nous eftions en mer, à voir prendre ces petits poifTons qui font enfermés dans des coquilles. Nous pafla-mes enfuire par Livendi, & par Porto di Piave, Sc eftant enfin arrives à Venife, nous entrâmes par le Porto du Caflclli, & après avoir paffé devant le Con-vent des Chartreux > nous mîmes pied à terre dans la place publique de Jaint Marc. Je trouvay toute cette Ville fort allarmée, & je remarquay qne tout le monde prenoit beaucoup de part à l’eftat où efl oit pour lors la ville dg Candie, qui fut prife quelque rems après. Dominico [antarini, qui en eft à prefent le Daceftoit fort embarraffe', & ne voyoit qu’à regret la perte de cette Place. Onavoit publié depuis peu le Voyage de Ghiron Francifco JMarchefe wiüa , General de l’Infanterie de Candie, avec un fidelle rapport de! tout ce qui s’eftoit palTé de plus remarquable pendant ce Siege, & il y avoit plufieurs perfonnes qui l’avoienr. Il y avoit en cette Ville un fecours de Troupes Auxiliaires tout preft à envoyer. Il faifoit en ce tems-là plus chaud qu’à l’ordinaire , & je vis quelques-uns de nos Capitaines Anglois qui me dirent, qu’ils DE VIENNE. 197 n’avoient pas eû (i chaud même fous\ti. Trûpiques. J’avois elle auparavant à Rome, à Naple^a. Florence, &dans routes les plus grandes Villes de ï Italie 3 ôc j’avois même demeuré quelque tems \Padoü,e. C’eft, pourquoy je ne demeuray que fort peu à Vertife; & apre's avoir reveu tout ce qu’il y avoit de plus beau & renouvelle la connoiffance de plufiçurs intimes amis que j’avois à radoüe & à Venifè, comme Moniteur Haies le Con/ùl, Moniteur Hobjon, Monfieur Cadined Medecin & plufieurs autres ; je difpofay toutes mes affaires pour m’en retourner \Viennepar le grand chemin. ; , . Je m'embarquay à Veni/e, &c allay mettre pied à terre, à Meflre, qui eft une ville aflez jollie,&c une des meilleures Places qui le trouvent fur le chemin poYir aller en Allemagne, par la Province de Tirol, ou plûtoft en Autriche, par la Province de Vrïuli. _ Je traverfay enfuite une tres-belle plaine, jufqu’à ce que j’arrivaffe à Trevijo ou Tarvifium, qui donne le nom à-tout le païs qui cft a.ux environs. la Marca Trevigiana eft une fort belle Ville, dans laquelle il y a de tnés belles maifons, aufïï,bien que des Eglifes, des Tours &des Fontaines fort jollies. La riviere de Sile ou Silo y pafle, & va enfuite fer/jètter dans la mer entre éMefîre ôc Murano. Il y a dans cette ville beaucoup de vin & de fruit, & c’eftoit la principalle villes des Lombards, pendant qu’ils eftoiènt dans ces quartiers là. Je fus de la à Couadina, & paflay la riviere de Viaf‘ ;* Je pâiïiiy' une nmere du pli*btôift. fuite pap Rejuta, p£>ur aller à la. bhiüfài C’eil- une Place qui n’eft éftinnc'c qu a^caufe du paflage des Alpes, Les Vénitiens y font- tôû-yaürs la garde, & il n’y a perfonne qui y pui(Te gaffer pendant la-nuic,- Nous allâmes de la à pt>mb(L ou ponte^fella, Cette Ville eft fituée fur le bord de la rivière Telia, & fepare jufte-ment les Terres d«s Vénitien* d’avtc celle de ïEmpereur. On ne peut pas; à-la veïité palîer plus vifte d’un pais dans un autre; qu’on fait dans cette Ville* caï d’un corté du Pont, Ge font les Italiens Sujets de l’£,ftatde Venife, qui- y demeurent, & de i’autre 1rs Allemands Sujets dc l'Empereur-, d Un collé leurs bafth mens, leurs façons de vivre, leurs mailons où il n’y a perionne, leurs grandes feneftres1, & enfin leurs dos de licft de fer, font bien voir qu’ils fonc Italiens, &.de l’autre collé aufli leurs Eftuves, leurs liéîls de plume les uns fur les autres, leurs-tables quarrdesy & leurs bafïins font juger à tout te momie qu ils lomi Allemands. Il n'y a pas même jufqu’au Pont qui eft raoicie Julien, & moitié Allemand, cap il y en a une partie qui cR ba-ftie de pierre,- & l’autre de grands arbres, comme font ordinairemencles Allemands, lors qu’ils baftifTenï des ponts. 1] y a en^re Vonfont, &z ponteba plu-fieurs' cheiues 'd’eaux • mais de t-ous les divers patfages des Àlpes, js n’en trouve point de meilleur ny de plus aifé que ccluy. là. 200 VOYAGE Je n’entendois parler dans ces places, que de plufieurs accidens extraordinaires caufés par la neige qui couvre ces montagnes en Hyver. Les habitans de ces Villes me rapportoient combien il yavoit de piques de haut de neige dans de certains endroits qu’ils me marquoient, ,6c me difoient que la terre elloit coûté ronde, lorsfq-ue-.ces rochers eiloiententièrement. couverts, ils ajoulloient que lors qu’on jettoit une plotte de neige du haut d’une montagne, elle s’augmenroit fi fort endefcendant qu’elle eitoïc capable de faire bien du mal dans la vallée; & que ü même le plus petit de tous les oiféaux venoit à gratter de Ton pied lur le haut de quelque montagne fort élevée, ce petit comencement s'augmen-teroit de telle maniéré en tombant, que cela pour-roit bien renverfer les mailons qui feraient au fond. .Nous pafTames enfuite par Tervis&i Tirl, pour aller à Villitco ou Villcicy qui elt une très belle Ville, ôç une des principalles de la Carinthie. Mais avant que d’entrer dans Villtch, je voulus aller voir quelques Bains naturels, qui ne font pas bien éloignés du chemin, & qui (ont au pied d’une montagne à un mille d'Angleterre de la Ville, & qui font même fort eftimés. li y a deux beaux Bains, à demy chauds, & qui ont un goull un peu aigre, mai* point defagrea-ble. Le fond n’en elt ny planché nv pavé, nuis touc y eft naturel. Il y a aufli dans un de aes Bains une fource qui elt chaude. Ils font fore grands, &il y a des degrés pour y defcendre, avec plufieurs petites maifons DE VIENNE. soi maifons de bois tout au tour pour la commodité de ceux qui s’y viennent baigner. Us font couverts, &c on s’y baigne avec fa chemife& Tes caleçons comme en Auflnche. Il y a affez proche de là, un Lac qu’on appelle OjfiacKer fee. On luyadonné ce nom à caufe d'OJJîacK qui eft une ville fituée fur le bord de ce Lac,qui eft af-feurément un des plus confiderables de la Carinthie, quoy qu’il y en ait,outre celuy-là, plufieurs autres aiTez grands, comme ceux qu’on appelle 1 z Lac-blanc, le Lac de MiUftater, de Werd, & de Forcbtcn. Il y a non feulement dans ce Lac beaucoup de poiflon, mais même il croift fur le bord des Noix d'OJfiackfr en tres-grande abondance. Le peuple en mange beaucoup, & il y a même des perfonnes dans ce païsqui en font du pain. Mais jetrouvay après avoir examine' ces Noix, que ce n’eftoit que la plus groflTe fe-mence du Tribulus aquaticus, ou d’une efpecede bled qui croift fur le bord de l’eau. Au fortir de Villacb, je fus voir le Lac de Werd, & continuant toujours mon Voyage à main droite, je marchay fur le bord de ce Lac pendant quelque tems , jufqu a ce qu’enfin j’arrivafTe à CUgcnfurt. J’allay enfuite àfaintVeit, où je rencontray Mon-fieur DomÜan, qui me dit, comme je l’avois mille fois fouhaitté, tout ce qu’il avoit veu de curieux dans les Mines de plomb de Bleyberg dans la haute Carinthie. Ils ont travaillé à cette Mine pendant onze cens ans, & les puits en font fort profonds. Il y en a un quia cent dix biaffcs de profondeur dans la terre, Ce *02 VOYAGE & les montagnes font fi hautes tout au tour, que fîtoft que la neige vient à fe fondre dans le Prin* temps, on en reçoit fort fouvent bien de l’incom* modite, parce quelle tombe & roule en fi gros morceaux, qu’il n’y a rien qui foit capable de luy refu fter; de forte qu’en l’année 1664. il en tomba avec tant de force, qu’il y eût feizemaifons qui en furent renverfées & emportées. Il me fit aufli prefent de plufieurs belles chofes qu’il avoit amaiTées dans ces pais, & entr’autres, il me donna une grande piece deCinnabre naturel, qu’il avoit trouvé dans la For-reft de Crevait ou de Cre, qui n’eil éloignée que de deux milles d'Allemagne de faint Frit, dans laSeigneu-rie d Ooftcfwit\, ou on en trouva, il y a quelque tems une tres-grande quantité. Il y a environ déjà trente ans que Herr 'vonflauda.chs chaffant dans cette Forrefl, &s'eftant aflis à caufe qu’il avoit foif pour boire à un petit ruiffeau, qui venoit du haut de la montagne, il s’apperceut que ce petit ruiffeau eftoit tout plein de Cinnabre\ mais comme on en a depuis ce tems-là pris tout ce qu’on a pu, il effc à prelent préque impofTible d’en trouver à moins qu’on ne veiiille prendre la peine d’y travailler & de creufer fous terre. De fciïnt Veit je continüay mon Voyage par Triefacht ou il y avoit autrefois une Mine d’or, & je pafoy enfuite par Ne^marcK, Hundtsma.rcKiPcltfilc<\,\{niteL feldty Luihmi Prug, Keimberg, Mehrzu/chUg, SchadH-ien, NewkircKel, Newjiadf, Sohnaw, trasKÎrcbel, Newdorff, & enfin j’arrivay à Vienne. DE VIENNE.1 203 Voila le chemin que je fis en revenant de Venife à Vienne. Il y a environ trois cens cinquante milles d Italie y & je n’ay jamais efté dans tous mes Voyages fi en repos que dans celuy-là; car ne trouvant point de bonne compagnie, je revins feul, & fur un feul cheval ; & quoy qu’il y ait fur ce chemin plusieurs fortes de Nations, ôc qu’on n’y parle pas moins que de quatrefortes de Langues, cependant je ne trou-vay perfonne qui me fut incommode, ny qui me demandait, d’où je venois, &. où j’allois. On me traica fort bien dans les Hoftelleries où je logeay, & à aflfez bon marché. La plus grande partie du peuple agit franchement; ils font prêque tous bons Soldats, un peu feditieux, mais cependant obeïffans & hardis, & l’Empereur en reçoit de très-grands fervices. J’ay préque toujours trouvé des Juifs dans les Voyages que j’ay fait en Allemagne; mais dansceluy-cy je n’enrencontray aucun, ou bien je ne pouvois pas les diftinguer. Quoy que plufieurs Villages fuf-fent pleins de Juifs en Auftriche, cependant on ne Jeur permettoit pas d’exercer leur Religion dans la Styrie, & on les avoit feverement bannis de la Ca-rinthiCy de forte que les Juifs qui vont de Vienne à Venife, font obligés de porter une Fraize au lieu de rabat dans les terres de l Empereur y & un chapeau rouçe dans celles des Vénitiens. Ce (eroit une chofe fuperfluëde parler de Vienney puifque plufieurs perfonnes en ont fort bien écrit-mais il fçroic bien plus à propos que je fïffe une Ce ij 7404 VOYAGE defcription de mon Voyage des Pays bas à V'reme;üc de Vienne par le chemin de la Moravie, delà Bohcme, de la ^Mi/nie, & de la Saxe jufqu’à Hambourg) car je parlerois en même tems de coûtes les Places, donc on a le moins écrit, & qui fonc les moins connues dans la Pannonie, la Daciey la Mœfieja Province de Noricum, & l'Illyriey donc j’ay déjà dit quelque choie dans cét ouvrage, lors que l’occafîon s’en eft pre-fentée. En traverfanc touce la Hongrie, & les Provinces Sujecces de l’Empereur, je ne pus pas m’empefcher de remarquer decercaineschofes qu’ils aflfeurenc, & donc je n'ay pas pu eftre certain. On croic ordinairemenc que Belgrade3 eft dans la Hongrie, &il y a quelques Autheurs, qui en parlent de cette maniéré-, mais (I on examine la choie avec rigueur, elle eft fituée dans la Servie ou la tMœfîeJït-perieure, au delà des bornes de la Hongrie. On dit que faint Hierôme eft né en Pannonie*, cela fe peut fouffrir j mais fi on afleure qu’il eftoic natif de Hongrie, en cherchanc l’origine de la chofe, on en peuc fore juftemenc doucer ; car il eft né à Stridon, qu’on croic eftre à prefenc Stredon ou Strejna, qui eft une Ville ficuée à l’Occidenc de la riviere de Mur, avant qu’elle s’aille jeccer dans le Drau, & on prend à prefenc cette Ville pour faire une partie de la Province de SteirmarcK. Voilà les propres paroles de Pline; Curfus Jàvi 150. mille pajfuum ; la riviere de Sau ne fait dans tout Ion cours que i;o. milles j mais fi on monte jufqua fa DE VIENNE. 10; fource, on trouverra qu’elle en fait davantage, & on en peut compter beaucoup plus d’une fois autant. Il femble que Strabon afleure que la riviere de Sau vafejetter dans le Drau-, car il dit, Vicinus nauporto fluvius cfl corcoras, qui merccs accipit, hic in Jauum influit, Jàuus in dra &c. dcle. 197. r. peut, puis. »?• Jf. No U La plate. JO, grand , gand. >4« 18. la Comté, le Comté. 108. 20. court, Cour, *7. ’ 4- de borç bled ,de très-bon bled 109. 11. réduit, réduits. it. il. furprint, ’ furprit. III. 18. que peut eflre, que ce pu (l eftre. tu Croaticns, Croates. II). 11. Ae U fUu, La plate. 1- tardé, demeuré. 114. 17. nous, dele. )C. I. >1* dele.’ , II?. M. paigner, peigner. J7. 30. Decolé, Décapité, II#. 18. cemmencetnent,cornmencement. 40. il. voyla ; \ voiev. IJf 6- fofflets, ibufflets. }0. I. fur, dele. ‘57* »• avoir , avoir if- 7- fi. aufli. 18. s’argent, l’argent. il- 7- pui/Iîons, puflions. ■ IfO. xo proche, 1 proches. 71* *}• aucun, aucune. 1ItJ- /?. opiaftre, opiniaftre. ^NAn6