n r tv de Cartes > de Planches, de Portraits ,& de Vues de Pays, dejjlnés pendant l'Expédition t par M. HOI)G ES. A PARIS. A HOTEL DE THOU, RUE DES POITEVINS. M. D C C. L XX VI I I. -AVEC APPROBATION ET PRIVILÉGE DU ROI TABLE DES CHAPITRES Contenus dans ce Volume. LlVRE IL Depuis notre départ des IJles de la Société , jufqu'à notre retour dans ces IJles 9 & notre départ pour la feconde fois. Page i Chap. ï. Traverfée d'Ulietéa aux IJles des Amis. Découverte de PlJIe d'Hervey, & Récit des inàdens furvenus à Middelburg. Ibicf. Chap. IL Arrivée des Vaijfeaux à Amjlerdam. Def cription d'une efpèce de Temple, Incidens furvenus durant notre Relâche fur cette IJle. z 4 CHAP. III. Defcription des IJles d9Amjlerdam & de Middelburg. Productions, Culture , Maifons 5 Pirogues , Navigation , Manufactures, Armes 3 Coutumes , Gouvernement, Religion & Langage des Ha-bitans, 6 j a iij vj TABLE CHAP. IV. PtiJJage d'AmJlerdatn au Détroit de la Reine Charlotte ; Entrevue \ avec les Zélandois ; Réparation des deux Vaijfeaux, PaSe ^ 2 CHAP. V. Relâche dans le Détroit de la Reine Charlotte ; Détailfur Jes Habitans Antropopliages ; divers incidens. Départ du Détroit, Tentatives pour rallier VAventure, Defcription de la Côte, 100 ■ Chap, VI. Départ de la Nouvelle-Zélande. Route du Vaijfeau dans la recherche d'un Continent. Récit des différens objlacles qu'a oppofé la glace. Méthodes fuivies pour reconnoître la mer Pacifique Aujlrale, 139 Chap* VIL Suite du Pajfage de la Nouvelle-Zélande à Vljle de Raque ; Relâche & Incidens à Vljle de Raque. Expédition pour découvrir l'intérieur du Pays, Defcription de quelques-unes des Statues Gigantefques, les plus furprenantes qu'on y trouve, 180 Chap. VIII. Defcription de PIfle de Taque , de fes Productions, de fa Jituation, de fes Habitans} de leurs Mœurs & de leurs Ufages. Conjectures fur leur Gouvernement y leur Religion, & fur d'autres fujets, Def DES CHAPITRES. vij cription plus particulière des Statues Gigantefjues. Page z i 9 Chap. IX. Pajfage de Vljle de Pâque aux IJles des Marquifes. Evenemens furvenus tandis que le Vaijfeau mouilloit dans la Baie de la Madre de Dios ,& delà Refolution fur Vif e S ainte-Chrifiine. 2 3 J Chap. X. Départ des Marquifes. Situation y étendue y forme & afpecl dés différentes If es. Dejcription des Habitans, de leurs Coutumes y Habillemens , Habitations y Alimens y Armes & Pirogues. Recherches Jur leur Bonheur & leur Population. Chap. XL Description de plufieurs If es découvertes dans la Traverféc des Marquifes à Taïti. Defcription d'une Revue navale. 275 Chap. XII. Vif te que nous font O-Too, Towha, & plufeurs autres Chejs. Vol commis par un de s Naturels; effets de ce vol 3 & Obfervations générales fur cette matière. 308 Chap. XIII. Préparatifs pour quitter VIfe> Seconde Revue navale, Différens autres Incidens. Defcription de Vif e & de fes forces navales, Nombre de fes Habitans. 348 viij TABLE DES CHAPITRES. Chap. XIV. Arrivée du Vaijfeau à Vljle d'Huakeine. Récit d'une Expédition faite dans VIfe. Plufieurs incidens furvenus pendant notre Relâche.^ Page 373 Chap. XV. Arrivée à Uliétéa, Reception qu'on nous fit. Divers incidens furvenus pendant notre relâche. On nous apprend que deux Vaijfeaux ont été à Hua-heine. Préparatifs pour quitter Uliétea'y regret des In* fulaires à cette occafion. Caractère d'Oédiaee, Qbfer-vations gehe'rales Jitr ces if es, 395 VOYAGE VOYAGE AU POLE AUSTRAL ET AUTOUR DU MONDE- LIVRE SECOND. Depuis notre départ des Ides de la Société, jufqu a notre retour dans ces liles, & notre départ pour la feconde fois. CHAPITRE PREMIER. Pas sage d'Uliétéa aux IJles des Amis. Découverte de Vljle d'Hervey, & Récit des incidens furvenus à Middelburg. En quittant Uliétéa, je portai le Cap à l'Oueii un "'-peu au Sud, comme je lai dit, afin de fortir de la route Septembre! Tome IL A • ■ Zi, 11, — ; des premiers Navigateurs, & d'entrer dans le parallele des Septembre * *^es ^e Middelburg & d'Amfterdam ; car je me propofois de marcher à l'Oueil jufqu a ces liles, & d'y toucher, û je le trouvois convenable, avant de me rendre à la Nouvelle-Zélande. En général, je mis en panne toutes les nuits de peur de palier quelques terres fans les voir. Pendant une partie du 2.1 ô£ du 11, le vent fouffla du N. O. accompagné de tonnere, d éclairs 8¿ de pluie : une grolle houle du Sud Sud - Eft & du Sud , dura pluiîeurs jours ; preuve qu'il n'y avoit point de terre autour de nous dans cette dire&ion. « Après un mois de féjour à O-Taïti, nous ne reí-» fentions plus aucun effet de notre premiere campagne, » qui avoit été iî pénibie. Nous étions tous forts, bien * portans & pleins de courage, & il n'y avoit pas un » ieul feorbutique fur les deux vaiiïèaux. Les cochons, » les volailles, les chiens, les bananes & les autres fruits » que nous emportions, nous promettoient la fanté pour * un long tems. Le manque de place occailonna cependant » la mort de quelques cochons , ô£ nous perdîmes plu-» ileurs vieils chiens, qui refuferent de prendre de la nourri riture. Nous fumes bientôt obligés de tuer tous les ani-» maux malades & de les faler : nous confervâmes ainfi leur » viande, plus faine & plus fucculente que celle que nous » avions apporté d'Angleterre, & qui croit alors il péne-» trée de fel, que fi on effayott de l'adoucir dans l'eau, on » en tir oit tous les fucs. -» (Edidée , le jeune Infulaire que nous avions pris fur notre » bord, fut très-attaqué du mal de mer, dès que nous fumes ,.„.., ! !■■ « au large : cependant, comme nous regardions le pic élevé A^^J* y* de Bolabola, il eut allez de force pour nous dire ; je » fuis né fur cette lile, & je fuis proche parent d'O-poonéey » le grand Roi qui a conquis O - Taha & Uliétéa. Il nous »» avertit en même tcms, que fon véritable nométoit Ma- » hincy mais qu'il lavoit changé pour celui d'(Edidée,avec » un Chef d'Éiméo ; ufage commun dans toutes ces liles , *> ainiî qu'on l'a remarqué ailleurs. O-poonée étoit alors, » iuivant ce qu'il nous apprit, à Mowruà, lile que nous » pafsâmes l'après-midi : elle eft compoféeTd'une feule mon- » tagne de forme conique, qui s'élève en pointe aiguë i S¿ , » d'après le rapport des Habitans d'Uliétéa, fes productions » font les mêmes que celles des autres liles de cegrouppe. » Notre jeune Ami ne recouvra fon appétit que le » lendemain: il mangea un morceau d'un dauphin qui » pefoit vingt-huit livres, &C qui avoit été pris par un des » matelots. On lui propofa de le lui apprêter tout-de-fuite, 5i mais il nous aifura qu'il étoit beaucoup meilleur cru : on » lui donna un vafe rempli d'eau de mer, dans lequel il » trempa la chair, comme dans une fauce ¿ il mangea avec y> un grand plaiiir : en place de pain, il mordoit alter- » nativement dans une balle de Maheï, ou de pâte »> de fruit à pain. » Avant de s'aiTcoir,pour prendre ion repas, il eut foin (a) M. Foríter donne à cette lile Je nom de Raiètéa; mais on conferve celui d'Uliétéa, pour ne pas jetter de la confufion dans les Cartes. A % » de féparer deux petits morceaux de poiiTon & de Maker, Septembre!' 30 ^11 ^ °^r*c * ^atua »ou à *a Divinité, prononçant en même m tems quelques mots, que nous jugeâmes être une courte « prière. Il fit la même cérémonie deux jours après, quand » il mangea du goulu de mer cru : ce qui prouve que fes » compatriotes ont des principes de Religion.» if; Le ¿3, à dix heures du matin, on vit terre du haut des mâts, & à midi on l'apperçut de deifus le pont, qui s eten-doit du S. » S. O. au S. O. - S. : nous mîmes le Cap de ce côté, avec un vent de S. E., & nous la trouvâmes compofée de trois ou quatre petits Iilots , réunis par des brifans, comme la plupart des liles bailes. Ils ont une forme triangulaire, & environ iïx lieues de circuit. Ils font couverts de bois, parmi lefquels on remarque pluiieurs cocotiers. « A l'aide de nos lunettes, nous obfcrvâmes que la » côte étoit fablonneufc, mais revêtue çà & là de verdure, *> & probablement de lianes, communes à ces climats, 3> Ç convolvulus Brajìlìcnfls ). ■>■> Rien n'annonçoit des Habitans, & j'ai lieu de croire qu'il n'y en a point. La poiition de cette lue, qui gît par i 9e1 i 8' de latit. Sud, & 15 8'1 54/ de longitude Oueft, ne diffère pas beaucoup de celle que M. Dalrymple aifigne à la Dezana. Mais, comme il n'eft pas aiféde reconnoître fi c'eft la même., je lai nommée lile tïHcrveyy en l'honneur du Capitaine Hervey , un des Lords de l'Amirauté, & maintenant Comte de Briftol. L'atterrage ( fi toutefois il eft praticable ), m'auroit fait perdre un tems précieux : nous reprîmes donc notre route -à rOucil, &, le 2,5 , nous recommençâmes à mander du bif- Ann* 177 }' cuit de mer ; les fruits, qui nous en avoicnt tenu lieu, étoient confommcs , mais il nous reiloit encore du porc frais, & chaque homme en avoit par jour autant qu'il lui en talloit. En marchant à l'Oueft, nous vîmes de tems à autre, des frégates, des oiiéaux du tropique , & un petit oifeau de mer, qu'on ne rencontre gueres que près des côtes : il nous fit conjecturer que nous avions paifé dans le voiimage de quelque grande terre. A mefure que nous avancions àl'Oueit, la déclinaifon de l'aimant diminua peu-à-peu ; de forte que le 19 , par zid 16' de latitude Sud, & 17011 40' de longi- 2-9. tude Oueft , elle fut de iod 45 ' Eft. Le premier Octobre , à deux heures P. M., nous vîmes 1 Ociobre. rifle de Middelburg qui nous reftoit au O. S. O. A iix heures, elle s'étendoit du S. O. J O. au N. O., àia diftance de quatre lieues_i nous appercevions ui même tems une autre terre dans le N. N. O. Le vent étoit au S. S. E. ,. & je marchai au plus près au Sud , afin de doubler l'extrémité méridionale de Hue avant le matin ; mais, à huit heures, nous découvrîmes une petite Me, qui gît par ion travers , & ne fa-chant point fi elle étoit jointe au récif, dont nous nei connoif-iions pas l'étendue, je réfolus de paifer la nuit à l'endroit où nous étions. Le lendemain, à la pointe du jour, nous arri-vâmes fur le côté S. O. de Middelburg.5 &, marchant entre ce côté & la petite lile dont je viens de parler , nous trou< vâmes un canal net ô£ large de deux milles. Après avoir rangé les bords S, O. de l'Iflc la plus grande 3, g jufqu aux deux tiers de fa longueur, & à la diftanee d'en-^No¿obre.3" v'ronundemi-mille de la côte, fansappercevoir ni mouillage ni débarquement, nous cinglâmes du côté d'Amfter-dam que nous avions en vue. A peine eûmes-nous orienté les voiles, que les côtes de Middelburg préfenterent un autre afpecT: : elles parurent offrir un mouillage 8¿ un lieu propre à atterrer 7 alors je ferrai le vent, Se je courus fur Hue. « Nous appercevions des plaines au pied des colai unes Se des plantations de jeunes bananiers , dont les » feuilles , d'un verd éclatant, contraftoient avec les teintes 55 diverfes des différens arbrilTeaux Si la couleur brune des » cocotiers, qui iêmbloit être l'effet de l'hiver. Le jour ne » faifant que poindre, la lumiere étoit il foible, que nous *> vîmes pluiieurs feux briller entre les bois ; Se peu-à-peu m nous diftinguâmes les Infulaires qui marchoient le long 5î de la côte. Les collines baiTes òc moina élevées au-deiTus » du niveau de la mer , que l'líle de Wight, étoient ornés » de petits grouppes d'arbres , répandus ça & là, à quelque » diftanee ; Se l'efpace intermédiaire paroiifoit couvert » d'herbages, comme la plupart des cantons de l'Angle-» terre. Bientôt les habitans lancèrent leurs pirogues à » la mer, Si ramèrent de notre côté. Un Indien arri-» va à bord , Se nous préfenta une racine de poivrier » enivrant des liles de la mer du Sud -, Se,, après avoir tou-» ché nos nez avec cette i acinc w en ligne d'amitié , il s'aiîk » fur le pont, fans proférer un fcul mot. Le Capitaine lui » offrit un clou , Se à l'inftant il le tint élevé au-deifus de » fa tête , en prononçant fagafeiai ; mot que nous » prîmes pour un terme de remerciement. Il étoit nud jufqu'à — „ ja ceinture , & de la ceinture une pièce d étoffe fem- oâob » blable à celles de Taïti , mais enduite d'une couleur » brune , & d'une forte colle, qui la rendoit roide & propre » à réíiíler à la pluie , lui pendoit jufqu'aux genoux ; il étoit » d'une taille moyenne & d'un teint châtain, allez pareil » à celui des Taïtiens ordinaires (a), 3c fes traits avoienc » de la douceur &c de la régularité. Il portoitfa barbe cou-» pée ou rafée, fes cheveux noirs de frifés en petites bou-39 cles, & brûlés à la pointe. On diilinguoit fur chacun de » fes bras des taches circulaires, à peu-près de la grofleur » d'un écu, compofées de pluiieurs cercles concentriques » de points tatoués, à la maniere des Taïtiens, mais qui » nétoient pas noirs. On remarquoit encore d'autres piquures » noires fur fon corps. Un petit cylindre étoit fufpendu à y> chacun des trous de fon oreille j & fa main gauche manti quoit du petit doigt. Il garda le illence pendant un tems » coniìdctable j maïs d autres Iníulaires, qui arrivèrent après » lui, furent plus communicatifs , 6¿ ayant accompli la » cérémonie de toucher les nez, ils parlèrent un langage 3> inintelligible pour nous. » De nouvelles pirogues , montées chacune par deux ou trois hommes, s'avancèrent auiïi hardiment vers nous, (a) ce Comme les Iníulaires, dont je parlerai dan-s la fuite, feront » fouvenc comparés aux habitans de Taïti, Sz des liles de la Société, » il eft à propos d'obferver que les Naturels de Taïti & des Iflcs de h a» Société, étant parfaitement femblables dans la plupart des rapports > » les ufages communs feront indifféremment appelles ufages Taïtiens, ou » ufages des liles de la Société- » S & quelques-uns des Indiens entrèrent fur notre bord fins o&obre*' héiker. Cette marque de confiance me donna une bonne opinion des Infulaires, &: me détermina à relâcher parmi eux, il cela étoit poifiblc. Je fis des bordées, &: je trouvai enfin un bon mouillage par vingt-cinq braifes, fond de gravier, à trois encablures de la côte. La terre la plus élevée fur flile nous reftoit au S. E. ^ E., la pointe feptentrionale au N. E. I E., & la pointe Oueft au S.^S.O. \ O. Lille d'Amfterdam s ctendok du N. \ N. O. { O. au Ñ. O. \ O. Dès qu'on eut jette l'ancre, nous fûmes entourés par un grand nombre de pirogues remplies d'Indiens, qui nous apportèrent des éroffes, des outils, Sec. qu'ils échangèrent contre des clous, Sic. « Ils faifoient beaucoup de bruit, m chacun montroitee qu'il avoit à vendre, en criant, pour » attirer des acheteurs. Leur langage n'eft pas défagréable ; » mais ils prononçoîent fur une efpèce de ton chantant tout » ce qu'ils difoient. » Plufieurs vinrent fur le pont ; ô£ un entr'autres, queje reconnus pour un Chef, à l'autorité qu'il fembloit avoir fur les autres, & je lui donnai en préfent , une hache, des clous de fiche , & d'autres chofes qui lui cauferent une grande joie. Je gagnai ainfi l'amitié dece Chef, qui fc nommoit Tioony. « Il admiroit beaucoup nos étoffes 8¿ nos toiles » Angloifes j il donnoit enfuite la préférence à nos outils » de fer. Son maintien étoit très-libre & très déterminé ; » car il entra dans la grand-chambre & par-tout où nous » jugeâmes à propos de le conduire. » Je m'embarquai bientôt fur deux chaloupes> avec plufieurs plufieurs perfonnes de nos équipages, & accompagné de g.......- Tioony, qui nous conduifit dans une petite crique, formée Aq^0^c73* par les rochers, directement en traversdesvaiíTeaux,o¿ou le débarquement étoit fort aifé,& les bateaux à l'abri de la houle. Une foule immenfe d'Indiens pouffèrent des acclamations à notre arrivée fur la côte. Il n'y en avoit pas un feul qui n'eût un bâton, ou quelque arme à la main i ligne indubitable de leurs difpoiitions pacifiques. Ils fe ferroient de û près autour de nos bâtimens, en offrant d'échanger des étoffes de leur pays, des nattes, &ev contre des clous,qu'il fallut un peu de tems, avant de trouver de la place pour notre débarquement. Ils fembloient plus empreñes à donner qu'à recevoir : car ceux qui ne pouvoient pas s'approcher aflez, nous jettoient, pardeiîus les têtes des autres , des balles entières d'étoffes , & ils fe retiroientTans rien demander ou rien attendre. « Un grand nombre d'hommes & de femmes, paras faitement nuds , nageoient à côté de nous en élevant » d'une main des anneaux d écaille de tortue, des hameçons » de nacre de perle , &:c. qu'ils vouloient vendre. » Enfin le Chef les fit ouvrir adroite & à gauche ,&il y eut aifez de place pour que nous defcendiiììons à terre. « Ils » nous portèrent hors de nos chaloupes áir leur dos. » Le Chef nous mena enfuite à fon habitation, agréablement fituée à environ trois cens verges delà mer, au fond d'une belle prairie, 8¿ à l'ombre de quelques shaddecks. On voyoitau front la mer & les vaiifeaux à l'ancre j derrière & de chaque côté , on appercevoit de .jolies plantations, oui Tome IL B I O 'V'-'Ò i A G E —i_LUMM.Bg. iujnonçoicnt la fertilité & l'abondance. « Il y avoit, dans "^Q&ohr^* 55 un coin .de la maifon,une cloifon mobile douer, toute » drelfée j &, par les figues des Habitans, nous jugeâmes » quelle fé^atok-tes lieux où ils couchent. Le-plancher croît couvert de nattes fur lefqueîles nous nous afsîmes, & les 'Piatiirei;; -s'ailèy ani aufii en-dehors, nous environnèrent d'un ceide. Ori avoit apporte nos cornemufes, & j'ordonnai d'en jeuer. Lé Chef, de Fon côté, commanda à trois jeunes femmes déchanter, ce qu'elles-firent de bonne grâceS comme je leur mtaï à chacune un prefetti, toutes les autres fê mirent dans finitane à les itmî?eT. Leur chant étoit mnfical & harmonieux , & il n'a voit rien de faux ni de déiagréabîc j «il » étoit plus favant que celui des Taïtiens. Les Chanteufes » báttoicrit la mefurc, en glifîant le fécond doigt fur le » pouce, tandis que les trois autres doigts reftoient élevés. » L'un de nos Officiers eut la bonté de noter un des airs » qu'il entendit fur cette lile : » La muíique eff en mineur. Elles varioient les quatre a» notes, fans jamais aller plus bas qu'A ou plus haut qu'E. » Durant ce concert, un vent léger embauma Fair d'un paria fum délicieux. Nous ne découvrîmes pas d'abord d'où » cela provenoit i mais, appercevant enfin des arbres touf-» fus derrière la maifbn , nous reconnûmes qu'étant de » lcfpcce des orangers & couverts de fleurs blanches, ils » répandoient cette bonne odeur. Bientôt on nous offrit des » fruits de ces arbres. du Capitaine C o o k. ï i Après avoir relié affis quelque-tems, nous demandâmes à être menés dans une des plantations voifines, où le Chef Ann. 1773, avoit une autre maiion. On nous y donna à manger des o£tobie* bananes & des noix de cocos, & on nous offrit à boire une liqueur, extraite devant nous du jus d'Eava. On nous préfenta d'abord des morceaux de racine à mâcher * mais, comme nous priâmes qu'on nous difpcnsât de prendre part â cette opération, d'autres la firent pour nous. Quand ils eurent aifez mâché de racines, ils les mirent dans un grand vafe de bois, ô£ enfiate ils y verferent de l'eau, de la maniere qu'on a déjà expliquée 5 dès que la liqueur exprimée fut potable, ils plièrent des feuilles vertes, & fabriquèrent ainiî des coupes, qui tenoient près d'une demi-pinte ; & chacun de nous en reçut une entièrement pleine. Je fus le feul qui en goûtai ; la façon dont on venoit de la préparer, avoit éteint la foif de nos MM. Le bowle cependant fut bientôt vidé., & les hommes & les femmes ne manquèrent pas d'y puiier. Je remarquai qu'ils ne fe iervoient pas deux fois de la même coupe y & deux perfonnes ne burent jamais dans la même. Cette maison étoit fituée à un coin de la plantation , que nous examinâmes attentivement, & il y avoit au-devant une efpèce de cour où nous nous afsîmes. Des arbres fruitiers répandoient leurs branchages tout autour, &c formoient un ombrage charmant. «Les Naturels venoient de nous accueillir au » rivage avec la plus grande amitié, & un peuple qui auroit » connu nos bonnes intentions, ne nous auroit pas reçu B % » d'une façon plus cordiale. Ces aimables Infulaircs n'a- A*ok b775' 73 vo^ent iama^s vu d'Européens, & une tradition très-im- » parfaite pouvoit feule leur rappeller le Voyage de Taf- » man. Toute leur conduite annonçoit un caractère franc » & généreux , fans baife défiance : les femmes, de leur » côté, ne nous firent pas moins de carenes, & elles nous » témoignèrent, par leurs regards & leur fourire, que nous » étions bien venus. M. Hodges a repréfenté cette entrevue » mémorable dans un defluì élégant , & dont on trouve t> ici la gravure. La candeur avec laquelle je loue les ou- » vrages de cet habile Artille , quand je les trouve reffem- » blans, m'oblige à dire que ce morceau, dans lequel on » ne peut allez admirer 1 exécution de M. Sherwin,*ne *> donne pas une idée jufle des Infulaires de Middel- » burg ou d'Amfterdam. On a critiqué avec raifon les plan* » ches qui ornent la Relation du premier Voyage du » Capitaine Cook, parce qu'elles offrent aux yeux les » formes agréables des figures & des draperies antiques, » & non pas les Indiens qu*on veut connoître. Je » crains auffi que M. Hodges n'ait perdu les efquiffes & » les deflîns, qu'il avoit tracés d'après nature dans le cours » de l'expédition. Les Amateurs trouveront, dans cette » gravure , les contours Se les traits grecs qui n'ont jamais » exiile dans la mer du Sud : ils admireront des robes flot- « tantes, qui enveloppent avec grâce toute la tête & le » corps, fur une lue où les femmes couvrent rarement * leurs épaules & leur fein. Enfin il y a un vieillard qui » porte une longue barbe blanche, quoique tous les Habi- 1 tans deMiddelburg la rafent avec des coquilles de moule. *> Tandis epe le Capitaine parcourut les environs de » la maiibn du Chef, je fis, avec quelques-uns de nos MM. »3 une promenade aifez avant dans la campagne, &: voici » ce que je remarquai. Une haie de rofeaux diagonale-» ment entrelacés, &: d'une jolie forme, environnoient les » deux côtés de la prairie. Deux portes compofées de plu-» lieurs planches, & pendues à des gonds, offroient des » entrées dans la plantation. Nous nous féparâmes afin » d'examiner ce beau pays, &: à chaque pas nous eûmes lieu » d'être enchantés de nos découvertes. Les portes étoient 33 difpofées de maniere qu'elles fe fermoient d'elles-mêmes: » les enclos étoient couverts de ronces & fur-tout de lianes, 33 qui avoient des fleurs d'un bleu de ciel. Nous apperce-» v ions par-tout des jardins &C des habitations dans des boas cages &c nous cueillîmes beaucoup de plantes, que nous » n'avions jamais vues iîir les liles de la Société. Les Infulaires » fembloient plus actifs ô£ plus induilrieux que ceux de » Taïti j &:, au-lieu de nous fuivre en foule, ils nous laif-» foient paifer feuls, à moins que nous ne les priailions » de nous accompagner. Nous pouvions marcher nos 33 poches ouvertes, à moins qu'il n'y eût des clous ; car * ils les eftiment tant, qu'ils réfiftoient difficilement à la 33 tentation» 33 Nous traversâmes ainfi plus de dix plantations ou 3* jardins féparés par des enclos, & communiquant les uns » avec les autres, par les portes dont je viens de parler. A » l'extrémité des jardins, nous trouvions communément » une maifon , dont les propriétaires étoient abfcns. » Leur attention à féparer le terrain, fuppofe un plus =""i » grand degré de civilifation que nous ne l'imaginions. tDûobr** * ^eurs arts> ^eurs nianufa&ures, & leur muñque font plus » perfectionnés que fur les liles de la Société : mais les Taï- » tiens femblent avoir plus d'étoffes, plus d'opulence & ai plus de luxe, des habitations plus ípacicuíes 82 plus com- 33 modes. S'ils ne jouiilent pas des dons de la Nature avec » autant de profuiion que les Taïtiens, ils en jouiUènt peut- » être avec plus d'égalité. » Les vieillards & les jeunes gens, les hommes 2¿ les » femmes, nous prodiguoient les plus tendres carrelles : ils »3 nous embraftoieUt, ils baifoient nos mains avec l'effuiion 33 fa plus cordiale , ils les mettoient fur leur fein , en »3 jettant fur nous des regards d'affection qui nous atten-»3 driifoient. 33 Leur corps eft très-bien proportionné, & le contour » de leurs membres fort agréable : ils font cependant plus 3> mufculeux que les Taïtiens, peut-être parce qu'ils font » plusd'ufage de leurs forces, dans les travaux dci'agricul. a» ture & des arts. Leurs traits, qui ont de la douceur & de la » grâce, diifercnt de ceux des Taïtiens, en ce qu'ils font » plus oblongs qu'arrondis : leur nez cil: auiïï plus aquilin, & » leur lèvre moins groffe. En général, la hauteur des femmes » eft moindre de quelques pouces que celle des hommes ; » mais elles ne font pas auih petites que les femmes du peu-» pic à Taïti, & aux Ifles de la Société. De la tête à la cein-*> ture, leur corps pourrait fervir de modèle aux Ardites, » & leurs bras &: leurs mains ont toute la délicateife de » celle desTaïtiennes j mais elles ont, comme elles, des jambes » &; des nieds trop gros. Nous n'étions pas frappés de cette ^rrmn^st l r o il ^ Ann. 1775.. » différence de teint & de groiîeur, qui nous indiquoient octobre, * » fur-le-champ à Taïti les perfonnes d'un rang élevé. Le *> Chef, qui nous vint voir à bord, avoit le mêmehabille- » ment que le peuple, rien d'ailleurs ne le diítinguoit¿ & » nous ne reconnûmes fa fupériorité, que par l'obéiifancc » avec laquelle on accompliifoit fies ordres. 33 Leur peau étoit piquée & noircie, comme celle des » aunes Infulaircs de ces mers \ mais ce qui nous étonna, » ils tatouent les parties les plus délicates du corps : cette » opération doit être fort pénible & même fort dangereufe » fur le gland. -Et pifta pandit fpe&acu'a cauda. Horat. t> Parmi les hommes, qui n'étoient pas entièrement nuds, » les uns avoient un morceau d'étoffe autour des reins, & » d'autres portoient un vêtement qui rcflcmbloit à-peu-près 33 à celui des femmes* c eft-à-dire, une longue pièce d'étoffe, 3î peinte en échiquier, &c. comme nos étoffes à fleur. Plu- » fieurs fe couvroient, en place d'étoffe, de nattes extrê- 33 mement bien travaillées. Un coquillage de nacre de perle, 3» attaché à un collier, pendoit fou vent fur la poitrine des 3» hommes : les femmes avoient aufîî des colliers de plu- » fieurs rangs de petits coquillages, entremêlés de graines, *> ou de dents de poiiTonrles oreilles de la plupart étoient 33 pereces chacune de deux trous remplis de cylindres, peints » & verniifës en rouge, ou de différentes couleurs, mais par » compartimens réguliers. » Ils se servoient de peignes extrêmement propres &: » extrêmement ornés, compofés de petites dents plattcs * y> d'environ cinq pouces de long, d'un bois jaune, pareil » au bouis, & jointes enfemble avec beaucoup d élégance, » par un tiflii de fibres de noix de cocos, de couleur natu-» relie, ou teintes en noir. » Les petits bancs, qui leur fervent de couiîîns, étoient n auiîl plus communs qu'à Taïti : j'y remarquai une grande » quantité de vafês plats, dans lefquels ils mettent leurs ali-» mens, & de fpatules avec lefquelles ils fouettent la pâte » du fruit à pain. Ils étoient faits de bois de Majfue ( Caín fuarina e qui f ti folia'), à qui on a donné ce nom, parce » qu'il fournit des armes à tous les Infulaires de la mer du »» Sud. » Ils possèdent des maffues de toutes fortes de façons, »> ô£ la plupart fi pefantes, que nous ne pouvions pas les » foulever d'une main : la forme la plus commune, cil la » quadrangulaire ; elles préfciiccm aloLs un rhomboïde à » l'extrémité , &c elles s arrondirent enfuite du côté du man-3> che. Plufieurs étoient plattes, pointues, ou reifembloient » à une fpatule : d'autres avoient de longs manches, &c. &c. »> La plupart offraient diftérens modèles de cifelure & de » fculpture ; ouvrages d'un long travail, & d'une patience » incroyable. Les compartimens divers étoient remarqua-» bles par une régularité qui nous furprenoit, & la fur-» face des maffues unies auiîi polie, que fi elles avoient » été faites en Europe, avec les meilleurs outils. Leurs » lances étoient de même bois &c travaillées auífi foigneuíe-* ment. La conftruction des arcs& des traits eft particulière. »] L'arc du Capitaine Cook. 17 L'arc long de CiX pieds, & à-peu-près de l'épaiffeur du » petit doigt, forme une légère courbe quand il eft reía- ^¿obrc! » ché : la partie convexe eft cannelée d'un iillon pro- » fond, dans laquelle la corde fe place , & qui eft quel- » quefois aifez large pour contenir le trait fait de bambou, » long de fîx pieds &c de bois dur à la pointe. Quand ils » veulent bander l'arc, au-lieu de le tirer, de maniere à *> augmenter fa courbure naturelle , ils le tirent en fens » contraire, de façon qu'il devient parfaitement droit, & » qu'il forme enfuite la courbe de l'autre côté. Ainii, la corde » n'a jamais befoin d'être tendue : le trait acquérant une » force fufflfante, par le changement de la pofition natu- » relie de l'arc , le recul n'eft jamais aifez violent pour faire ■» mal au bras. Nos Matelots, ne connoiilànt point la nature » de ces arcs, en briferent plufieurs, parce qu'ils vouloient » les tirer comme les autres. » L'immense quantité d'armes que'nous apperçûmes, » répond très-mal au caractère pacifique qu'annonçoit leur » conduite à notre égard, & même que montrait leur em-» preffement à nous les vendre. Il eft probable qu'ils ont » des querelles entr'eux, ou qu'ils font la guerre aux liles n voifines j mais leur converfation, ou leur figue, ne nous » ont rien appris qui puiffe jetter du jour fur cette ma-» tiere. « Ils nous vendirent tout ce que nous voulûmes, pour » de petits clous, & même pour des grains de verre\ mais » relativement à la raffade , leur goût diffère de celui des » Taïtiens, car les derniers choififfenc toujours celle qui Tome IL C » eft tranfparente, tandis que le peuple d'Ea-oowhe, ne » prenoit que des grains noirs ou opaques, avec des rayures *> rouges, bleues & blanches. r> Nous rencontrâmes plufieurs perfonnes couvertes » de lèpre, de la plus mauvaife efpèce : un grand ulcere » cancéreux , parfaitement livide en dedans, & d'un jaune » brillant tout autour des bords, rongeoit le dos & les p épaules d'un de ces Indiens. Nous apperçûmes auiîî une » femme, dont le vifage,à de mi-rongé, étoit très-dégoû- » tant : il n'y avoit plus qu'un trou à la place de fon nez : » fes joues très - enflées, verfoient continuellement du pus, » & ics yeux chaiïïcux & tombant en pourriture, fembloient *> prêts à fortir de fa tête. Je ne me fouviens pas d'avoir » rien vu d'auiïi horrible : ces malades cependant paroif- r> foient peu affligés de leur état, ils faifoient des échanges » avec autant d'activité que les autres, &¿ ils ne craignoient n point de nous offrir des pro vi lions en vente. » a midi , nous retournâmes dîner à bord avec le Chef II s'affit à table, mais il ne mangea rien ; ce qui étoit d'autant plus extraordinaire, que nous avions du porc frais rôti. Après dîné, nous allâmes une feconde fois à terre, &fious fûmes encore reçus par une foule d'Indiens. M. Forfter, M. Sparr-man, &c. & quelques-uns de nos Officiers & Volontaires fe promenèrent dans l'intérieur du pays. « Sur ces entrefaites , je reftai à bord pour arranger * les productions d'Hiftoire Naturelle , que nous avions » recueillies dans la matinée : & voici le récit que mon Pere * me donna de fa nouvelle cxcurfîon. » Les Naturels pouffèrent des cris de joie à notre »■ ■ ..........■■ 1 . „ f r . K . er Ann. i77: » débarquement, comme le matin, & la foule etoit auiu ottobre.' » nombreufe. On fit beaucoup d'échanges ; mais les proli virions étoient rares, & nous ne trouvions point de shad-*> decks , parce que la faifbn netoit pas affez avancée. » M. Hodges & moi, fui vis d'un domeflique & de deux » Infiilaires, qui voulurent bien nous fervir de guides, » en cas de befoin , nous montâmes la coltine, afin d'exa-» miner de nouveau l'intérieur du pays. Nous traversasi mes de riches plantations ou jardins , enfermés, comme » on l'a dit ci-deifus, par des haies de bambou, ou des » haies vives de la belle fleur de corail ( Erythrina Co-» rallodendron ) : nous atteignîmes enfuitc un petit fentier » entre deux enclos , & nous vîmes des ignames & des » bananes plantés des deux côtés, avec autant d'ordre & » de régularité que nous en mettons dans nos jardins. Ce » fentier débouchoit au milieu d'une belle plaine d'une » grande étendue, & couverte de riches pâturages : il y » avoit à l'autre extrémité une promenade délicieufe, d'en-» viron un mille de long, formée de quatre rangs de co-» cotiers, qui aboutiiîbient à un nouveau fentier entre » des plantations fort régulières, environnées de shad-33 decks, &c. Ce fentier conduifoit, par une vallée cultivée, » à un endroit où plufieurs chemins fe croifoient. Nous » découvrîmes là une jolie prairie , revêtue d'un verd » gazon très-fin, & entouré de toutes parts de grands arbres » touffus. Une maifon fans habitans occupoit un des côtés ; » les propriétaires étoient probablement fur le rivage. « M. Hodges s'aifit pour deffiner ce payfage charmant : » nous refpirions un air délicieux, & embaumé de parfums C i .....Bfl .... y» exquis ; la brife de mer jouoit avec nos cheveux & 'oitobre*' * n0S v^temens •> & nous rafraîchiiToit i une foule d'oi-» féaux gazouilloient de tous côtés, & les colombes » amoureufes produifoient au fond du bocage des gémiffe-» mens harmonieux. Les racines de l'arbre, qui nous cou-» vroit, étoient remarquables : elles s'élevoient de la tige » à près de huit pieds au-deffus du terrain > fes coífes » avoient d'ailleurs plus d'une verge de long , 8¿ deux » ou trois pouces de large. Ce lieu fertile & folitaire nous » donna l'idée des bofquets enchantés fur lefquels les » Romanciers répandent routes les beautés imaginables. Il » ne feroit pas poiîible de trouver en effet un coin de terre * plus favorable à la retraite, s'il y avoit une fontaine limpide » ou un ruiffeauj mais malheureufement l'eau eft la feule n chofe qui manque à cette lile agréable. Je découvris à «> notre gauche une promenade couverte, qui menoit à une » autre prairie, au fond de laquelle nous apperçûmes une » petite montagne & deux huttes pardeiîus. Des bambous *> plantés en terre à la diltance d'un pied l'un de l'autre, » environnoient la colline, ài on voyoit, fur le devant, plu-33 fieurs cafuarinas. Les Naturels, qui nous accompagnèrent, » ne vouloient point en approcher : après nous être avancés * feuls, nous regardâmes, avec beaucoup de peine , dans » les huttes, parce que l'extrémité du toit n'étoit pas à » plus d'une palme du terrain. L'une renfermoit un cadavre » qu'on y avoit dépofé depuis peu; mais l'autre étoit vide. =3 Ainfi, le cafuarina ou le bois de maffue (Toà) annonce * les cimetières à Middclburg, comme aux liles de la » Société. Sa couleur gris-brun, fes branches longues de » touifues, dont les feuilles clair-femées fe penchent trifte- du Capitaine Cook. 21 ment vers la terre, conviennent à ces lieux mélancoliques, autant que le cyprès. Il eli donc probable que les mêmes ÁN¿¿Jb7¿5' » idées, qui ont confacré le dernier arbre fur la tombe des » morts dans une partie du monde, engagent les Habitans » de ces régions à employer les premiers au même ufage. » La colline où fe trouvoient les huttes, étoit formée de pe-» tirs morceaux de rocher de corail femblable au gravier, » accumulés fans aucun ordre. » Marchant un peu plus loin, nous vîmes des plantara tions aufîi agréablemenr difpofées, 6¿ des maifons de la 3> même efpèce. Nos deux Indiens nous firent entrer dans » une, où ils nous prièrent de nous aifeoir, & ils nous pro-» curèrent des noix de cocos extrêmement rafraîchiifantes. » Dans toute notre promenade, nous ne rencontrâmes » que quelques Infulaires, qui paiîcrent près de nous, fans » trop nous regarder. L'cxplofion & l'effet de nos fufils, » n'excitèrent ni leur admiration ni leur crainte. Us ne ■» montroient, â notre égard , aucun autre icntiment que •» celui de la bienveillance & de la courtoifie. Les femmes, » réfervées en général, repouffoient avec dégoût les entre- » prifcs indécentes des Matelots : quelques-unes cependant » fe montrèrent plus libres, & nous appelèrent à elles par *> des geftes très-lafcifs. On nous conduisit , le Capitaine Furneaux & moi, à la maifon du Chef, où on nous offrit des fruits & des légumes qui avoient été cuits à letuvée. Comme nous venions de dîner, nous ne mangeâmes pas beaucoup, mais (Edidée & Omaï l'Indien, qui étoit à bord de l'Aventure, firent honneur au feitin. Nous témoignâmes enfuite le defir de voir l'intérieur 22 V O f A G E ==^= des terres. Tioony y confentit de bon cœur, & il nous mena oàobre.3* ^ans phafieurs plantations bien difpofées, & renfermées par des haies de rofeaux conftruites fort proprement. Nous les trouvâmes en bon ordre &c agréablement diverfifiées, par des arbres fruitiers, des racines, &c. Le Chef eut grand foin de nous faire connoître que la plupart lui appartenoient. Des cochons & de très-groffes volailles, les feuls animaux domeftiques que nous vîmes, couroient près de quelques-unes des maifons, & dans les fentiers qui féparoient les plantations , mais ils ne fembloient pas difpofés à nous en vendre. Aucun d'eux ne nous offrit en échange des fruits ou des racines, ce qui m'infpira la réfolution de quitter cette lile, & de relâcher à celle d'Amfterdam. Le soir ramena tout le monde à bord : chacun étoit enchanté du pays , & de l'accueil de fes habitans , qui fembloient fe difputer l'un &c l'autre pour faire ce qu'ils pen-foient devoir nous caufer plus de plaifir. Nos vaifièaux furent remplis toute la journée d'Indiens , qui conclurent des échanges avec ceux de nous qui demeurèrent à bord ; & il y eut dans ces marchés tout l'ordre poifible. Je fus fâché que la faifon ne me permît pas de refler plus long-temps 3. parmi eux. Le lendemain, dès le grand matin, tandis que les vaifïeaux mettoient fous voile, j'allai à terre avec le Capitaine Furneaux & M. Forfter, afin de prendre congé du Chef. Il vint à notre rencontre iur le rivage : il vouloir nous conduire à fa maifon *, mais nous le priâmes de s'en difpenfer. Nous nous afsîmes fur l'herbe, & nous y pafîâmes environ une demi-heure , au milieu d'une foule confidé-rable d'infulaires. Après avoir préfenté au Chef un riche don, & entr autres chofes différentes graines de jardin , je s tâchai de lui faire comprendre que nous nous en allions-, ^^775* ce qui ne parut pas du tout l'émouvoir. Il monta dans notre chaloupe, accompagné de deux ou trois de fes fujets, afin de nous ramener au vaiffeau; mais, voyant la'RcfoIu- tion fous voile, il appella une de fes pirogues, & il retourna à terre. Tandis qu'il fut fur notre bord , il continua à échanger des hameçons contre des clous, & il s'appropria lui feul tout le commerce; mais quand il étoit à terre, je ne l'ai jamais vu faire le moindre échange. «Nous ne pûmes guères converfer que par fîgnes » avec les Naturels ; nous rauemblâmes cependant un cer-» tain nombre de mots, &: guidé par les principes de la » Grammaire univerfelle .& des Dialectes, je m'apperçus » bientôt que leur langue a une grande affinité avec celle » de Taïti, & des liles de la Société. O-maï & Manine, » ( ou (Edidée) les deux Indiens d'Uliétéa & de Bolabola, qui » s'étoient embarqués avec nous* déclarèrent d'abord que ■> ce langage étoit abfolumcnt nouveau & inintelligible pour ■> eux; cependant, quand je leur expliquai 13 reiîcmblance » de plufieurs mots, ils fai firent à i'inftant les modifications » particulières de ce Dialecte, & ils cauferent avec les * Infulaires beaucoup mieux que nous 'rte'l'aurions pu faire, o après un long féjour dans i'Iile. Cette contrée fes char-» moit beaucoup; mais ils remarquèrent bientôt fes incon-» véniens, & ils nous avertirent qu'il y avoit peu de fruit t> à pain, de cochons & de volailles, & point de chiens D'un » autre côté, ils aimoient la grande abondance qu'on y trouve » de canes de fucre, & de ce poivre enivrant, dont on a » parlé plus haut. » CHAPITRE IL Arrivée des Vaijfeaux a Amflerdam. Defcription dune efpèce de Temple. Incidens furvenus durant notre Relâche fur cette Ifle. Dès que je fus à bord, je mis le Cap fur rifle d'Amfter- Ann. 1773. c|arrL Les Infulaircs étoient fi peu effrayés de nous , que O&obre. . v r \ . x " trois Pirogues vinrent a notre rencontre julqu au milieu du chemin entre les deux liles. Ils firent inutilement tous leurs efforts pour monter fur la Réfolution ; mais nous ne diminuâmes pas de voiles; 8¿ la corde que nous leur jettâmea ayant brifê, ils tentèrent de monter fur l'Aventure. Leur entreprife cependant n'eut pas un meilleur fuccès ; nous rangeâmes la côte S.O. d'Amlterdam à un demi-mille du rivage, fur lequel brifoit une houle très-groffe. Nous examinâmes ,à laide de nos lunettes,l'afpect de fille , dont chaque partie fembloit couverte de plantations. La plus haute élévation au-deiïus du niveau de la mer, ne fembloit pas être de plus de fix ou fept verges perpendiculaires. Nous apper-eûmes quatre Naturels, courant le long de la greve, & déployant de petits pavillons blancs, que nous prîmes pour des fymboles de paix, & nous leur répondîmes en hiifant le drapeau de S. Georges. Trois Infulaires de Middelburg, qu'on avoit laiffé, je ne fais comment à bord, nous quittèrent alors, èc allèrent à la nage fur la côte : ils ne favoient pas pas que je voulois m'arrêter à cette lile, &: ils n avoient ■■■■ point envie, comme on peut le croire, de s'embarquer avec J^3' nous. Dès que nous eûmes découvert la côte Occidentale, plufieurs pirogues, montées chacune par trois hommes, vinrent à notre rencontre. Les Indiens s'avancèrent hardiment fous les flancs des vaiifeaux ; ils nous préfenterent quelques racines d'Eava, Ô£ montèrent enfuite à bord fans autre cérémonie : ils nous invitoient, par tous les lignes d'amitié qu'ils purent imaginer, d'aller dans leur lile, & ils nous indiquoient un mouillage, du moins à ce que nous comprîmes. Après avoir couru un petit nombre de bords, nous mouillâmes, dans la rade Van-Diemen, par dix-huit braifes d'eau, à un peu plus d'une encablure des brifans qui bordent la côte. Nous plaçâmes au large une feconde ancre &: un cable , pour empêcher les bâtimens de toucher fur les rochers dans un coup de vent, ou par la dérive du calme. Cette dernière ancre fut jettée fur un fond de quarante - fept braifes , tant étoit efearpée la plage qui nous fervoit de mouillage. Une foule d'Indiens rcmpliifoient alors nos bâtimens : les uns étoient venus en pirogues -> d'autres accouraient à la nage ; mais, ainû que ceux de fille de Middelburg , ils apportèrent des étoffes, des nattes, des outils, des armes &: des ornemens, que nos Matelots achetèrent avec leurs propres habits. Comme l'équipage devoit reifentir bientôt les fuites de ce trafic, afin de l'arrêter & de nous procurer les rafraîchiffemens néceifaires, je défendis d'acheter aucune curiofité. Tome II. D sbshhe» Cet ordre produifit un bon effet *, car les Naturels, ^OàoblJ.' voyant que nous ne voulions abiblument que des comefti-bles, nous apportèrent des bananes & des noix de cocos en abondance, des volailles & des cochons, & ils les échangèrent contre de petits clous & des étoffes d'Europe : ils doTinoient un cochon ou une volaille pour les plus mau-vaifes guenilles, « J'achetai plufieurs jolis perroquets, des pigeons & so des tourterelles très-bien apprivoifées. (Edidée achetoit, s» de fon côté, avec beaucoup d'empreifement, des plumes » rouges, qui, à ce qu'il nous aiììira, auraient une valeur » extraordinaire à Taïti & aux liles de la Société : elles » étoient communément attachées à leurs tabliers de » danfe, ou à des diadèmes de feuilles de bananes. 11 nous » montra , avec un air d'ex taie tout-à-fait admirable, que $ la plus petite de ces plumes , large de deux ou trois » doigts, fufüroit pour payer le plus gros cochon de fon » lile. » Apres avoir pris ces arrangemens, & nommé des fur-veillans afin de prévenir les difputes, je defeendis à terre > accompagné du Capitaine Furneaux y de M. Foritcr & de plufieurs des Officiers, & d'un Chef Indien, nommé Auago (a), qui setoit attaché à moi dès le premier moment de fon arrivée à bord , avant que nous fuirions mouillés. Je ne fais point comment il découvrit que j'étois le («) M. Foifcer l'appelle Attahai & il donne à (ïïdidée le nom ds MédzcJü. du Capitaine Cuor, 27 Commandant; mais il eft fur qu'il ne fut pas long-temps fur le pont,avant de me cboiiir parmi tous nos Meilleurs ANoaokc? pour me faire un préfent d étoffes, & d'autres chofes qu'il avoit avec lui, & comme un plus grand témoignage d'amitié, nous changeâmes mutuellement de noms; coutume qui s'obferve à Taïti & aux liles de la Société. Heureufc* ment on nous indiqua un mouillage devant une crique étroite , en dedans des rochers qui bordent la côte. Mon ami Attago nous conduiiit à cette crique , &: nous y débarquâmes à pied fec fur la greve, en préfêncc d'une foule nombreuie d'Indiens, qui nous reçurent d'une maniere auíli amicale qu a Middelburg. Immédiatement après, tous nos Meilleurs, accompagnés de quelques Naturels, pénétrèrent dans l'intérieur du pays rmais la plupart des Indiens refterent avec le Capitaine Furneaux & moi. Nous nous amufâmes â leur diftribuer des préfens, & fur-tout â ceux que me défignoit Attago. Ces derniers ne formoienr pas un grand nombre , & je reconnus, dans la fuite, qu'ils étoient d'un rang fupérieur au fien. Il paroiffoit cependant alors le perfonnage principal, & on lui obéiffoit. Quand nous eûmes refté un peu de temps fur la greve, nous nous plaignîmes de la chaleur, &: Attago nous conduiiit à l'inf-tant à l'ombre d'un arbre. Après nous avoir fait aiîeoîr, il ordonna aux Infulaires de former un cercle autour de nous# Ils obéirent fur-le-champ, &: ils n'entreprirent jamais de fe précipiter fur nous comme les Taïtiens. Nous distribuâmes encore ici des préfens, & nous témoignâmes le defir d'examiner l'intérieur des terres. Le Chef comprenant ce que nous voulions, nous mena le D L --- long d'un fentier, qui débouchoit dans une prairie ouverte', Octobre 3 " **'un ^es côtés de laquelle on voyoit une efpècede Temple , conftruit fur une montagne élevée par les hommes, à environ icîze ou dix-huit pieds au-defîiis du niveau ordinaire. Sa forme eft oblongue , & elle eft entourée d'une muraille. Un parapet de pierre, d'environ trois pieds de hauteur : de cette muraille, la montagne, qui s'élève iníeníiblement, eft couverte d'un verd gazon; au fbmmet fe trouve le Temple, de la même forme que la montagne , d'environ vingt pieds de longueur , & quatorze ou feize de large. Avant d'arriver au haut, chacun s'affit fur le gazon, à environ cinquante ou foixante verges du front du Temple. Trois vieillards, qui en fortirentenfuite, vinrent fe placer entre nous & l'entrée ; & ils commencèrent une harangue, que je pris pour une prière, car ils l'adreilbient directement du côté du Temple. Cette prière dura environ dix minutes : enfuite les Prêtres, ( je jugeai que ces Indiens l'étoicnt) s'alîîrent parmi nous, & nous leur offrîmes en préfent ce qnenous avions. Leur ayant fait figne que nous délirions de voir le dedans de la Maifon^ de-Dieu , mon ami Attago fe leva fur-le-champ ; il nous y conduiiit fans la moindre répugnance, ôdlnous donna pleine liberté d'en obferver toutes les parties. Nous trouvâmes au front deux efcaliers de pierre , qui conduifent au fommet de la muraille : la montée au Temple eft douce, & il y a tout autour un chemin de beau fable.. Ce Temple eft conftruit, à tous égards, de la même maniere que leurs habitations ; c'eft-à-dire, avec des poteaux &: des folives, & couvert de feuilles de palmier. Les bords defeendent à environ trois pieds de terre, Òc cet efpaee Pi ZI AITA - TOO - CA , C IMET I Filli DAN S LI S LE D A M S TE 111) A M . cil rempli par de groiTes nattes ferrées , faites de feuilles de ■ ■ , palmier, & qui rellemblent à une muraille. Un beau gravier Ann. 1773, couvroit le plancher , excepté dans le milieu, où l'on voyoit ^0^0, un quarré oblong de cailloux bleus, élevés d'environ fix pouces plus haut que le plancher. Deux images groifière-ment fculptées en bois, & chacune d'environ deux pieds de longueur, occupoient les deux coins. Comme je ne vou-lois offenfer ni eux, ni leurs Dieux, je n'ofai pas les toucher 5 mais je demandai à Attago ( en m'expliquant le mieux qu'il me fut poilible ), fi c'étoient des Eatuas ou Dieux, J'ignore s'il me comprit ; mais, à Imitant, il les mania & les retourna auifi groifièrement que s'il avoit touché un morceau de bois, ce qui me convainquit, qu'elles ne repré-fentoient pas la Divinité. J ctois curieux de connoître iî on enterroitles morts, &: je fis à Attago plufieurs queitions là-deifus ; mais je ne fuis point sûr qu'il m'entendit ; pour moi, je ne compris pas aifez fes réponfes pour en être fatisfait. Je dois* dire au Lecteur , qu'en abordant à cette îfle , nous ne favions pas un mot de la Langue des Naturels. Mon jeuneTaïtien & l'Indien à bord de l'Aventure, étoient auifi embarraifés que nous : mais je m'étendrai davantage fur cette matière, lorfque l'occaiion s'en préfentera. Avant de quitter le Temple , nous crûmes devoir enrichir l'autel d'une offrande: & nouslaifsâmes, fur les cailloux bleus, des médailles, des clous & plufieurs autres chofes, que mon ami Attago prit à Imitant & mit dans fa poche. Quelques-unes des pierres de la muraille qui enfermoient cette montagne , avoient neuf ou dix pieds fur quarre de longueur ' & environ fix pouces d epaiûeur. Il eft difficile de conce 3o Voyage voir comment ils ont pu tailler dépareilles pierres dans les AOciobre.3' rochersdc corail. Cette montagne fe trouvoit au milieu d'une efpèce de bofquct, ouvert feulement du côté qui faifoit face au grand chemin, & au champ de gazon fur lequel le peuple étoit aiïls. Cinq chemins, dont trois fembloient être publics , aboutiiToient à la prairie. Plufieurs efpèces d'arbres, com-pofoient les bofquets : on y remarquoit entr'autres l'Etoa ( comme on le nomme à Taïti ), dont on fait les maíTues¿ & un palmier bas, très-commun dans les parties feptentrio-nales de la Nouvelle-Hollande. Après avoir examiné ce Temple , qu'ils nomment A-fia-tou-ca dans leur langue, nous demandâmes à nous en revenir -, mais au-lieude nous conduire au bord de la mer, ainii que nous nous y attendions, ils prirent un chemin qui menoit au milieu de la campagne. Ce chemin, d'environ feize pieds de Luge, fi¿ uuiïl Um «gafau boulingrin , paroi£> foit public. Plufieurs autres routes, venant de diiférens côtés, aboutiiToient à celle-ci, & elles étoient renfermés, de chaque côté, par des haies proprement faites de rofeaux , & à l'abri du îoleil brûlant, par des arbres fruitiers. Je me crus tranfporté dans les plaines les plus fertiles de l'Europe. Il n'y avoit pas un pouce de terrain en friche. Les chemins n'occupoient de place que ce qu'il en falloir ; les haies ne prenoient pas quatre pouces chacune , & même ce terrain n'étoit point entièrement perdu ,car on y voyoit encore des arbres ou des plantes utiles. Un pareil fpe&acle fe retrouvoit par-tout. La fcène étoit par-tout également agréable. La L^ -Nature, aidée d'un peu d'art, ne fe montre dans aucun paj¿c pays avec plus de fplendeuf que fur cette lile. Ces promenades délicieufes, étoient remplies d'un grand nombre d'Indiens, Les uns alloient, chargés de fruits, à nos vaiifeaux , & d'autres en revenoient. Ils ne manquoient pas de nous céder le pas, en tournant à droite ou à gauche, en s'aifeyant ou fo tenant debout, le dos appuyé contre les haies, jufqu à ce que nous euiîlons paifé. Dans plufieurs fcntiers de traverfe, ou à la réunion des chemins, il y avoit ordinairement des Afiatoucas comme celui que j'ai décrit, avec cette différence que les montagnes étoient paliffadces tout autour , au-lieu d'être renfermées par une muraille de pierre. Enfin , au bout de plufieurs milles, nous arrivâmes à un qui écoit plus grand ■que les autres, près duquel étoit fìtuée une vaile maifon appartenante à un vieil Chef, qui nous accompagnoit. On nous fit arrêter à cette habitation, &: on nous offrit des fruits, èie. A peine fûmes-nous aiïîs, que le plus vieil des Prêtres commença une harangue ou prière qu'il adreffoit à \yAfiato uca & à moi alternativement. Quand il fe tour n oit de mon côté , il faifoit unepaufe à chaque fentence, jufqu a ce que ,, par un mouvement de tête , je lui donnaife un figne d'approbation. Je ne compris pas un icul mot de fon discours : quelquefois ce vieillard fembloit ne favoir que dire, ou peut-être fa mémoire lui manquoit ; car, dans ces occa-fions, iî étoit foufflé par un autre Prêtre afîis près de lui. Le peuple fe taifoit durant ces prières j mais il n'y prêtois pas une grande attention. Nous reliâmes peu de tems â cette gg dernière place. Nos guides nous reconduiiîrent à notre cha-ottobre! ' " l°uPe> & not*s emmenâmes Attago dîner au vaiiTeau. Dès que nous fumes à bord, un vieillard amena fa pirogue aux côtés de la Réfolution ; & j'appris d'Attago que c'étoit un Chef ou un homme d'un rang très-diftingué. En confé-: quence, je le fis monter fur le pont j je lui offris ce qu'il eftimoit le plus ( c'étoit le feul moyen d'en faire mon ami )> & je raifis à table à côté de moi. Nous reconnûmes alors toute fa dignité, car Attago ne voulut ni s'af-iêoir, ni manger devant lui ; mais il alla à l'autre extrémité de la table ¿ &, fans être apperçu du vieux Chef, qui étoit prefqu'aveugle, il s'y ailit, & mangea le dos tourné. Après que le vieillard eut mangé un morceau de poiilon &c bu deux verres de vin, il retourna à terre, & Attago s'appercevant qu'il étoit hors du vaiiîéau , revint prendre fa place à table, acheva fon dîner, Ô£ but deux verres de vin» Enfui te nous allâmes tous à terre, où nous trouvâmes le vieil Chef, qui me préfenta un cochon *, & lui & quelques autres firent avec noue une promenade dans l'intérieur du pays. Avant de partir, j'allai par haîard avec Attago, à la place du débarquement, & je trouvai M. Wales dans une fituation trifte, mais qui pourtant faifoit rire. Les chaloupes, qui nous avoient mifes à terre, ne pouvant s'approcher du rivage, parce qu'il n'y avoit pas aifez d'eau, il ôta fes fouliers &t fes bas, pour paffer à gué, &, dès qu'il fut fur la greve, il fe diipofa à les remettre ¿ mais, au même initant, un Indien, qui étoit près de lui, les lui arracha & fe jetta au milieu de la foule. Il lui étoit impoilible de. du Capitaine C o o k, 33 'de pourfuivre le j voleur à pieds nuds fur les rochers ''■-■a— aigus de corail, qui compofent la côte. Le bateau, qui fa- ^¿o¿e-V voit mis à terre , revinr au vaiífeau, .& fes camarades le biffèrent feul. Attago , qui découvrit bientôt le voleur, lui fie rendre les fouliers & les bas. Dans notre excuriion, au milieu de l'intérieur du pays, nous repafsâmes devant le premier Afiatouca, dont j'ai déjà parlé , & nous nous afsîmes de nouveau à l'entrée j mais on ne fit point de prières, quoique le vieil Prêtre fut avec nous. Nous y reliâmes très-peu de temps. Le Chef, penfant probablement que nous avions befoin d'eau à bord, nous conduifit à une plantation voifine, &r nous montra un étang d'eau douce, quoique nous n'eulîions pas propofé la moindre queftion fur cette matière. Je crois que c'eif le même endroit appelle par Taiman le Lavoir du Roi & de fes Nobles. De-la , on nous fit defeendre fur la côte de la baie Maria ^ ou au côté N. E. de l'i fie, 6: on nous montra, dans une remife , une grande double pirogue, qui n'avoitpas encore été lancée à l'eau. Le vieil Chef ne manqua point de nous dire qu'elle lui appartenoit. La nuit approchant, nous prîmes congé de lui, nous retournâmes â bord, & Attago nous recoiiduifit jufqu au rivage. Plusieurs des Officiers, qui allèrent à la chafîe de leur côté, furent tous très-bien traités des Naturels du pays. Nous achetâmes aufli beaucoup de bananes, de noix de cocos, d'ignames, de cochons & de volailles, que nous payâmes avec des clous & des pièces d'étoffe. Chaque Tome IL E 34 Voy a g e ! —; vaiífeau avoit à terre une chaloupe occupée de ce corn-ottobri*" nierce j & , dès quelles étoient pleines (ce qui arrivoit dans très-peu de tems), elles reconduifoient leurs charges à bord» De cette maniere nous obtînmes, à meilleur marché &¿ avec moins de peine, des fruits &: d'autres rafraîchiflemens de ceux qui n'avoient pas de pirogues pour nous les amener aux; yaiifeaux. « Apres avoir paiTé quelque tems fur la greve avec les » Naturels, nous montâmes dans une forêt deferte , corn-» pofée dé; grands arbres entremêlés d'arbriffeaux. Ce bois m quoiqu'étroit en plufieurs endroits, car il n avoit pas plus a* de cent verges de large, fe prolongeoit le long de la côte » de la rade de Van-Dicmen, avec plus ou moins d'où-»■ vertute. Toute l'Iile étoit parfaitement de niveau. Nous » traverfâmes un terrain en friche , large d'environ cinq «o cens verges, 6¿ joint au bois : une partie iembloit » être couverte d'ignames, mais le rcite plein d'herbages, » avoit, au milieu, un petit marécage, où nous vîmes un » grand nombre de poules fultanes ; nous parvînmes en-» fiiite à un fentier, large d'environ fix pieds, entre deux t> haies de bambou qui enfèrmoient, de chaque côté , des » plantations étendues. Plufieurs Naturels, qui fe rendoient *> au rivage , chargés de provifions, paflerent près de nous, & inclinèrent poliment leur têtes en fighe d'amitié : ils » prononçoient ordinairement un monofylîable, qui fem -» bloit correfpondre au mot Taïtien, tayo. Les enclos, les » plantations, &:les maifons étoient exactement les mêmes » qu a Middelburg : le peuple a eu grand foin de répandu dre, autour de fes habitations, des arbres ododférans » Le mûrier , avec 1 ccorce duquel on fait 1 étoffe- , & *> l'arbre à pain, étoient plus rares qu'aux Mes de la Société', 5 »> la pomme y eft entièrement inconnue , mais le shaddeck » très-abondant. Le printcms, qui ranimoit toute la Nature, » ornoit les plantes de fleurs & infpirant aux oifeaux des » chaulons joyeufês, contribuoit, fans doute, à rendre tous » les objets agréables à nos yeux. Mais l'induftrie & ielé-» ganec, que déploient les Iníulaires dans leur culture, » ainfî que la propreté & la régularité de tous leurs ou-» vrages , excicoient notre admiration , en même-tems »> qu'elles nous donnoient lieu de fuppofer qu'ils jouiflent » d'un grand degré de bonheur. « L'un des sentiers, entre les enclos, nous conduiiit » à un petit bocage charmant par ion irrégularité. Lit » imntenfe camarina furpaífoit, par fa hauteur, tous les » autres arbres, &: fes branches étoient chargées d'animaux » noirs, que nous prîmes de loin pour des corneilles, mais » que nous reconnûmes pour des chauves-fouris quand nous. » en fûmes plus près. Leurs griffes crochues s attachoient si aux rameaux, & quelquefois elles fe trouvoient fufpcn-» dues la tête en bas. Je tirai un coup de fuñí , & j'en tuai » fix ou huit, & j'en bleffai plufieurs autres qui réitèrent » collées fur l'arbre. Elles étoient de l'eipèce appcllée conisi munément le Wampyre (a), èc elles avoient de trois 3i à quatre pieds d'envergure. Une troupe nombreufe fut 33 effrayée de l'explofion , & s'enfuit pofamment de l'arbre {a) LaRougette de M. de Buffon, Wampyrus de M. de Linnée&dc Tennant. E z 1 "'■ "S » en pouiîant un cri aigre, mais la plus grande partie garda Ottobre.5* " *a m^me poiïtion , & ne la quitta probablement que » pour chercher des alimcns pendant la nuit. De nouvelles » arrivoicnt par intervalles, au milieu des autres, des canso tons les plus éloignes. Comme elles vivent fut-tout de ¡*¡ fruits, il eít vraiiemblable quelles font beaucoup de dépré-n dations dans les vergers des Infulaires : plufieurs Indiens « étoient à côté de moi lorfquc je les tirai, & ils paruri rent très-charmés de la mort de leurs ennemis. L'un » deux avoit pris quelques-unes de ces chauves-fouris en « vie, à l'aide d'une cage d'ofier très-ingénieufement ima-» ginée : l'entrée étoit pareille à celle d'un verveux -, les » animaux pouvoient aifément y entrer , mais non pas en » fortir. Us nous affûtèrent que les chauves-fouris font très* 33 mordantes, & en effet elles ont de larges dents. » NOUS avions DEJA remarqué à Taïti , 3ux îfleS de » la Société , & même à Middelburg, que par-tout 011 » l'on trouve un camarina, il y a un cimetière aux envi- w rons. A la vue de cet arbre vénérable , & charge d'oifeaux «0 de mauvais préfage, je conjecturai que nous allions en 33 rencontrer un , ou un temple , & l'événement montra » que je ne m'étois pas trompé. Nous arrivâmes au milieu y> d'une plaine verdoyante , enfermée de tous côtés par des y* arbres & des arbriilèaux touffus, & fur-tout par des ca- » fuarinas, des pandanges, & des palmiers-fagou, fauvages. » Une allée de barringtonias en fieurs , aufîi gros que les » chênes les plus élevés, formoit un des bords. Par Finte- » rieur .& la dimenfion, ce temple ou cimetière , étoit pa- » reil à celui qu'on a décrit plus haut. Un Naturel, qui y » entra avec nous , nous dit qu'un de fes compatriotes y s> étoit enterré \ &, nous indiquant l'endroit où fon petit » doigt avoit jadis été coupé, il nous dit clairement qu a » la mort de leurs Maduas ou parens ( a ), ils mutilent » leurs mains. Ces cimetières font toujours placés délicieu-» fement fur de vertes prairies, & entourés des plus beaux » bocages. Celui que nous vîmes, a été delfine par M. Hod* *> ges , & on en trouve une gravure très-cxacfe dans ce » Voyage. » Prolongeant enfuite notre promenade à travers » les plantations, nous rencontrâmes très-peu d'habitans, » car ils s'étoient prefque tous rendus à la place du marché. » Ceux que nous vîmes paflerent près de nous, ou continuc-» rent leur travail lâns fe déranger. La curiofité , la dé1-•» fiance , ni la jaloufie ne les excitèrent point à nous » arrêter j au contraire, ils nous parlèrent avec le ton de » l'amitié. La plupart des maiions, que nous examinâmes, » étoient vides , mais toutes nattées, & fituées parmi des » arbriffeaux odorans. Quelquefois une petite haie , dans » laquelle il y avoit une porte femblable à celle de Mid-33 delburg, les féparoit des plantations. Une marche de trois => milles nous mena à la cote orientale d'Amiterdam , où le 33 rivage forme un angle profond appelle, par Taiman > » Baye Maria. La pente du terrain, diminue impercepti-» blemcnt jufquesfur la greve íablonneufcj mais,en allant 3* du côté de la pointe feptentrionale , il sY-leve perpendi-» culairement , S¿ en quelques endroits il eff. excavé &: {a) Peut-être dia mort de tous les Parens en ligne montante. ! » fufpendu en l'air. C'eft par-tout du corail, preuve qu'il Ann. 177}. , j i r , 1 1 Ottobre. » y a eu de grands cnangemens iur notre glooc , car ce » rocher ne peut fe former que fous l'eau. Je ne déciderai » point s'il a été mis à nud par une diminution iniênfible » de l'Océan , ou par une révolution violente qu'a iubi » notre globe. On peut cependant ailùrer qu'en fuppofant » une diminution graduelle de lamer, telle qu'on prétend » l'avoir obfervée en Suède (a) , -lemeriion de cette lile » doit être iî moderne, qu'on a lieu de s'étonner qu'elle 3> ibit couverte de terreau , d'herbages & de bois, remplie » d'habitans, & parée avec tant d'ordre. Je recueillis des » coquillages au pied du rocher efearpé, 5c je marchai dans » l'eau jufqu'aux genoux, fur un récif, à caule de la marée » montante. Comme l'eau fe jetoit fur moi avec vivacité, » je cherchai un endroit pour monter au fommet du 31 rocher -, &, après en avoir trouvé un,! avec peine , je y> rentrai dans les plantations , ou je vis les mauvaiies 33 herbes que les Naturels avoient déraciné foigneufement 93 & mis en tas pour les faire fécher. 33 Nous nous égarâmes eufuite dans notre route , &, sì après de longs détours, nous trouvâmes M. Cook & »3 M. Furneaux, & un grand nombre de Naturels du pays, aífis fur une belle prairie près de l'A-fia-tou-ca (b), dont » M. Cook a parlé. Us converfoient avec un vieillard aux » yeux chaiîîeux, qui avoit beaucoup de crédit fur le re île 33 du peuple , & qui étoit fuivi' d'un nombreux cortège *—--- ■ - (a) Voycîf les Mémoires de l'Académie des" Sciences de Suède- (b) M. Forfter les appelle Fayetooco. . if » par-tout où il alloit. On nous parla de la harangue qu'il . ' o j ' ' • »j . f. Ann. 177 » avoit prononcée, ce des cérémonies qu'il avoit faites, &: ottobre. sa je conjecturai que c'étoit un Prêtre. Autant que nous 33 avons pu découvrir les idées tëligiettfës des Iniulaires, ils 33 ne paroiiTent point idolâtres j ils ne Îêmblent pas non plus 33 avoir une vénération particulière pour quelques oifeaux? »■ comme les Taïtiens ; mais adorer un Etre fuprême qui 33 eft inviiible. On ignore ce qui peut les avoir porté, ainfi 33 que les habitans de Taïti & des liles de la Société , à A réunir dans un même lieu leurs cimetières & leurs » temples. La croyance religieufe d'un peuple eft la der-» niere chofe qu'apprennent des étrangers, qui n'ont ordito nairement que des connoiiTances imparfaites de la langue 33 du pays. D'ailleurs le langage des Pontifes diffère cornai- munément du Dialecte ordinaire j & ainii la religion eft 33 voilée de myfteres, fur-tout lorfque les Prêtres veulent » profiter de la crédulité du genre-humain. 33 Nous nous séparâmes enfuitc des Capitaines par une n nouvelle excuriion ; arrives fur les cotes de la mer, nous » achetâmes une grande cuirailè ou bouclier plat, d'un 33 os blanc & poli comme de l'ivoire, d'environ dix-huit d» pouces de diamètre, qui fembloit avoir appartenu â un »3 animal de la Tribu des Cétacés. On me donna un nouvel » inftrumcnt de mufique, compofé de huit ou dix petits *3 rofeaux ( on en parlera plus bas ) ; ils en jouoient en le 33 gliiïànt en arrière & en avant le long des lèvres. Ordi- » nairement il ne produiibit pas plus de quatre ou cinq » notes différentes, & depuis je n'en ai pas trouvé un feu! a* qui renfermât toute une octave. Nous y attachâmes 40 Voyage y ..... ■■■■ » cependant quelque prix , à caufc de la rciïemblance ^uào%i*' 73 aVCC ^ ^"nx ou ^Lltc ^c ^an ^es Grecs civilifés. Les » femmes d'Amftcrdam, comme celles de Middelburg , » chantoient allez bien, & bactoient la mefure fort exac- » tement en faifant claquer leurs doigts. Je remarquai que r> leurs inftrumens de muiiquc font ornés de petites figures, « de bois brûlé : leurs vafes 8¿ leurs autres meubles, étoient » aulli décorés de la même maniere. » Nous n'arrivâmes à. bord qu'au coucher du folcii : m les vaiifeaux étoient entourés de pirogues , & les Nato turéis nageoient tout autour en faifant grand bruit. Une » quantité coniidérablc de femmes , jouoient dans l'eau » comme des animaux amphibies : on les perfilada aiiément v de monter à bord toutes nues i & elles ne montrèrent •» pas une plus grande chafteté que les proftituées de Taïti » & des liles de la Société : les Matelots profitèrent de » ces difpoiitions, & renouvelèrent à nos yeux les Scènes » des Temples de Chypre. Ces habitantes d'Amfterdam fe » vendoient fans honte pour une chcmiie, un petit mor-» ceau d'étoffe, ou quelques grains de verre. Leur lubricité » cependant n'étoitpoint générale, &c nous avons lieu de » croire qu'il n'y eut pas une feule femme mariée qui fe » rendît coupable d'infidélité. Si nous avions connu la dif-» tinétion des rangs comme à Taïti, il eft probable que » nous n'aurions obfervé des proifituées que dans la der-» niere claffe du peuple. Mais on ne conçoit pas que tant » de Nations permettent aux femmes qui ne font pas ma-» riées de fe livrer indifféremment aux dciirs d'une mul-» titude d'amans. Les opinions fur le fexe en particulier, » ont » ont été très-variées dans tous les âges & dans tous les *> pays. En quelques parties de l'Inde , les hommes d'un rang AQâob^* » diftingué croiroient s'avilir s'ils époufoient une vierge. Les » Turcs, les Arabes, les Tartares & les RuiTes, attachent » une grande importance à la virginité des femmes, tandis » que les habitans de la côte de Malabar l'offrent à leur » idole (a). « Aucune de ces femmes n'ofa refter à bord, après le » coucher du folcii j elles retournèrent à terre, ainfi que » la plupart des hommes, paifer la nuit à l'ombre d'un » bois qui bordoit la côte. Ils allumèrent beaucoup de » feux , &£ on les entendit caufèr la plus grande partie * de la foirce \ il paroît que leur empreilèment à faire des » échanges avec nous, ne leur permit pas de retourner à » leurs habitations, qui étoient probablement fituées dans » la partie la plus éloignée de rifle. Nos marchandiiës *> étoient très-précieufes à leurs yeux, ils donnoient volon-« tiers une volaille , ou un monceau de banane & de noix a» de cocos , pour un clou qu'ils enfonçoient dans leur 3> oreille , ou qu'ils portoient fufpendu à leur col. Leurs » volailles font d'un goût excellent: en général, le plu-» mage eft très-luifant, avec un melange agréable de rouge (a) On peut voir, dans rEfprit des Ufages & des Coutumes des différens Peuples , Liv. X, de la Continence & de la Chaftete ; & L, ITt des Femmes , de plus grandes fingularités & de plus grandes bizarreries. Tome IL F g^"""""^ „ si de jaune. Nos Matelots en achetèrent quelques-unes Sìobre?* M a^n ^e jouir du barbare plaiíir de les faire combattre. * Depuis notre départ d'Huaheine, ils s étoient amufé, » chaque jour, à tourmenter ces pauvres oifeaux, à leur » couper les ailes, & à les exciter l'un contre l'autre. Ils » rcuiîirent ii bien que quelques poules d'Huaheine, corn-*> battirent avec autant de fureur que les coqs d'Anglc-» terres mais celles d'Amfterdam furent moins compiai-» íántes & moins furieufes. » Le 5 , d'aifez grand matin, mon Ami m'amena un cochon & des fruits : je lui donnai, en retour , une hache, un drap 8£ quelques aunes d étoffe rouge. « Attago étoit vêtu de nattes : il en avoit abattu une fur r, fes épaules, à caufe de la fraîcheur du matin. Il ne fur » pas poifible de fixer fon attention fur quelque chofe, & » il fut difficile de l'engager à fe tenir aiïîs , pendant que x M. Hodges faifoit fon portrait. On a inféré, dans ce » Voyage, une très-bonne gravure de M. Sherwin , qui ex- » prime le maintien de ce Chef, & fon caractère doux *,il » eft repréfenté dans un moment d'action de grâces, c'eit- a> à-dire, mettant fur fa tête un clou qu'il avoit reçu en 3» préfent. » Attago , ayant vu par hafard un chien de Taïti courir » fur le pont, ne put pas cacher fa joie *, il pofá fes mains » fur fa poitrine, Ôc iè tournant vers le Capitaine, il répéta * le mot Goorrée (a) près de vingt fois. Nous fumes fort ===== » étonnés qu'il connût le nom d'un animal qui n'exifte pas ao^0[je7î » dans fon pays -, nous lui donnâmes un chien & une » chienne , avec lefquels il alla à terre , tranfporté de » plaifir. Puifque le nom des chiens eft familier à un peuple » qui n'en a point, cette connoiffance leur vient, par » tradition, de leurs Ancêtres , qui fe font retirés des » autres liles &C du Continent, ou bien quelqu'accident en » a détruit la race fur leur lile, ou enfin ils ont un corn- » merce avec d'autres pays où ces animaux exiftent. » La pinnasse fut envoyée à terre pour faire des échanges comme à l'ordinaire , mais elle revint bientôt. L'Officier m'apprit que les Naturels , vouîoient prendre tout ce qui étoit dans la pinnaffë , & que d'ailleurs ils étoient très-incommodes. La veille, ils volèrent un grapin , au moment où le bateau étoit à l'ancre, 8¿ ils l'emportèrent fans être découverts. Je jugeai alors qu'il étoit néceiïaire d'avoir une garde à terre , pour défendre les chaloupes, & ceux de nos gens qui s'y trouveroient ; 5¿ j'y envoyai les foldats de marine fous le Lieutenant Edgcumbe. Bientôt après ,j'y allai moi-même avec mon ami Attago , le Capitaine Furneaux &: plufieurs de nos Melîieurs. En débarquant, le vieil Chef m'offrit un cochon ; nous fîmes enfui te , le Capitaine Furneaux & moi, une promenade dans l'intérieur du pays, & M. Hodges nous accompagna, afin de defîiner les points ( a) Oorée à Taïti fignifie un chien, qui, à la Nouvelle-Zélande > sJap-pelle Goore'e. F i ss=~í**t! de vue & tout ce que nous rencontrerions de plus intç- . î/75 reíTant, Nous retournâmes enfuite dînera bord, accomodo bre. pagné de mon Ami & de deux autres Chefs : i'undeux avoit envoyé, quelques heures auparavant, un cochon fur l'Aven-venture, pour le Capitaine Furneaux ,ians demander aucun retour. Ce fut le feul exemple d'une libéralité de cette e£ poce. Áttago eut foin de me rappeller celui que le vieil Roi me denna le matin , & je le lui payai alors avec une chemiie & du drap rouge que je liai enfemble,. pour qu':4 les portât ainlì â terre j mais cet arrangement ne lui plut pas, & il voulut les mettre fur lui, & il alla enfuite fur le pont fe montrer à tous fes compatriotes. Le matin ,,il avoir fait la même chofe du drap qu'il avoit reçu de moi. Le foir,. je redeicendis à terre , où je trouvai le vieil Roi qui s'appropria tout ce que nous avions offert à mon arni & aux autres Naturels. « Je restai à bord toute la journée, afin cfarranger la » collection de plantes &d'oifeaux, que nous avions faite » dans notre premiere excuriîon : elle étoit allez coniidéra- » ble j vu la petite étendue de Fifre, Une foule de pirogues i» remplit, comme à l'ordinaire, l'es environs des vaiiîeaux,, » tandis qu'un grand nombre d'Infulaîres, fans doute pas » allez riches pour avoir un canot, fe rendirent près de nous » à la nage. Les petites pirogues ordinaires avoient le fond » aigu, chacune de leur extrémité ( en forme de pointe ) »> étoit couverte dun pont, parce que leur forme étroite> » expofe fouvent ces parties à une entière fubmeriion. » Parmi cette fouie dlnfulaires, qui environnoient nos; î> u Capitaine Cook. 4^ •» bâtimens, j'en remarquai plufieurs dont les cheveux, » couverts de poudre blanche, fembloient avoir été brûlés » aux extrémités. En l'examinant, je trouvai que cette pou-* die étoit fimplement de la chaux , faite de coquillages ou » de corail, qui cortodoic ou brûloir les cheveux. Le goût » pour la poudre \ en démefuré fur cette ïfle. Nous obfer-» vâmes un homme qui fe fervoit de poudre bleue, & plu-» fieurs perfonnes des deux fexes, qui port oient une pou-aï drc couleur d'orange. Saint Jérôme, prêchant contre les » vanités de fon ficelé, reproche très-férieufement aux Da-» mes Romaines, de luivre une pareille coutume. (Ne irru-» fet crines & anûcipet Jibi ignés gehennœ ). Ainfi, par » une reilemblance admirable de folie, les modes des preso miers habitans de l'Europe, fe trouvent chez nos Antî-» podes, & nos infipides Petits-Maîtres, qui ne mettent de » la gloire qua inventer de nouvelles extravagances, paras tagent ce miférablc honneur avec les iauvages habitans » d'une lile de la mer du Sud ( a ). s» Mon Pere ne revint de fon excurfion que le foir^il » fit un chemin confidérable vers l'extrémité méridionale » de l'Ifle. A midi, une forte pluie l'obligea de fe retirer dans « une plantation, & de chercher un abri fous le toit d'une » cabane. Le propriétaire l'invita à s'aifeoir fur des nattes » propres qui couvroient le plancher, & il alla lui chercher » des rafraîchiifemens. Quelques momens après, il rapporta [a) Voyez de plus grands détails fur cette matière dans TEfprit des Ufages & des Coutumes des differens Peuples. I. VIIIde la Beauté & de la Parure. 46 Voyage » pluiîeurs noix de cocos ; Se, ayant ouvert un four fous ^o&obre7^ * terre' ^ en c*ra ^es bananes & ^es poilfons enveloppes « dans des feuilles, &; parfaitement cuits. Leur maniere 3> d'apprêter les alimens eft donc exactement la même » qu'à Taïti, Se les Naturels ne font pas moins portés à des » actes d'hofpitalité Se de bienveillance : s'ils ne nous en ont « pas fouvent donné des marques, c'eft parce que nous » trouvions communément la campagne deferte, Se les ha-» bitans qui s'acheminoient vers notre marché. L'hofpita-» lier Infialane obtint en récompenfe des clous Se des grains » de verre, qu'il eut foin de mettre en cérémonie fur fa n tête. Ce bon Indien porta avec attention des piques Se » des maffues que mon Pere avoit acheté fur fon chemin, » Se il ne le quitta que fur le rivage. » Ceux qui veilloient au commerce réuflirent fi bien aujourd'hui , qu'ils procurèrent aux deux vaiiîeaux beaucoup 4% de rafraîchifîèmens} &, le lendemain, je me déterminai à permettre à chacun d'acheter les curiofités, meubles, productions du pays, Sec. qui leur conviendroienr. Je fus bientôt étonné de l'empreiïement avec lequel les Matelots cher-choient à acquérir tout ce qu'ils voyoient. Les Naturels du pays, qui s'en apperçurent, fe moquèrent d'eux, Se leur offrirent à échanger des morceaux de bois Se des pierres. Un jeune homme malin mit des excrémens humains au bout d'un bâton, Se il les préienta à tous ceux qu'il ren-controit. Sur ces entrefaites , un homme entra dans la chambre du Maître par l'écoutillon extérieur, Se il enleva quelques \ livres & d'autres choies. On le découvrit au moment où sb=rrr s r « j 11 -i Ann. 1773. il regagnoit la pirogue j & une de nos chaloupes, qui le oftobre. pourfuivit , l'obligea de fe jetter à l'eau. Les Matelots firent plufieurs tentatives pour le faifir \ mais il plongeoic toujours fous la chaloupe ; il ne fut plus poifible de gouverner, parce qu'il détacha le gouvernail, & ainfi il vint à bout de s'échapper. Les Infulaires commirent, à la place de débarquement, d'autres vols très-hardis: l'un d'eux prit finie canot la jaquette d'un Matelot , & l'emporta malgré les foins de nos gens. Il fallut le ponrfuivre & lui tirer delius, & même il ne s'en feroit pas deifaifi, fi fon débarquement n'avoit été intercepté par ceux de nos travailleurs qui étoient à terre. Les autres Indiens, qui formoient un grand nombre, ne firent aucune attention à tout ce qui fe pa/Ibit, & ils ne furent point alarmés quand on tira fur leurs Compa* triotes. « On ne peut s'empêcher de remarquer que toutes ces » expéditions de découverte, coûtent toujours du fang. » Il étoit difficile à ces bons Infulaires de réfifter à la ten-» tation de dérober quelques-uns de nos tréfors, &c au » premier moment où on s'en apperçut, on ne tira pas * moins de fept coups de fufil, fans l'ordre du Capitaine à » la vérité, mais en fa préfènee. » Comme on pourfuivoit inutilement le malheureux qui » avoit volé les livres dans la chambre du Maître, un des » Matelots eut la cruauté de le faifir fous les côtes avec le » crochet de la chaloupe, & de l'amener ainfi à notre bord. » Mais l'Indien guetta un moment favorable j &, malgré — * le &ag qu'il perdoit, il fauta de nouveau dans la mer,1 oaobre.î" * réfugia fur quelques pirogues qui vinrent du ri- » vage à fon fecours. On obfervera que cette atrocité ne » nous fit pas perdre l'attachement & la confiance des » autres Infulaires. » Mon ami Attago vint me voir le lendemain au matin; comme à l'ordinaire -, il m'amena un cochon, & m'aida à en acheter plufieurs. J'allai enfuite à terre ; je fis une vifite au vieil Roi, Se je reftai avec lui jufqu a midi : je retournai enfuite dîner à bord avec Attago , qui ne me quitta S. point. Comme je me propofois d'appareiller le lendemain , je deftînai un préfent au vieil Roi, & je le portai fur la côte le foir. En débarquant, les Officiers qui étoient à terre me dirent, qu'un homme d'un rang plus élevé que rous ceux que nous avions vus, m'avoit demandé. M. Pickerfgill m'apprit qu'il l'avoit rencontré dans l'intérieur du pays, Se je reconnus que c'étoit un perfonnage d'importance par le refpeët extraordinaire que le peuple avoit pour lui. Les uns, en l'approchant, fe profternoient le vifage contre terre, Se mettoient leurs têtes entre leurs pieds, Se aucun n ofoit paffer devant lui fans fa petmiffion. M. Pickerfgill, Se un autre de nos Meilleurs, le prirent par le bras, Se le con-duifirent à la place du débarquement. « On nous apprit qu'il s'appelloit Ko-haghee-too-fallan-» go ( a). Je ne puis pas dire fi c'étoit fon nom ou fon titre i (a) Ko eft l'article dans ces liles & à la Nouvelle-Zélande i & il répond à ro. ou l'E. de Taïti. » mais » mais ils convinrent tous qu'il étoit Areeghée ( a ) ou Roi. » D'autre fois, en parlant de ce Chef, ils le nommoient AN¿¿ob7J* » Latoo-Nipooroo, & nous en conclûmes que Latoo figni-» fie un titre, parce que Schouten & le Maire reconnurent, » en qu'il avoit cette lignification aux liles de Cocos, » des Traîtres & de Horn, iituées dans ces environs feule-» ment à quelques degrés au Nord ( b ) ; ce qui confirme » cette opinion , c'eil que les Vocabulaires, que ces Navios gateurs intelligens nous ont laiifés, ont beaucoup de rap-9» port avec la langue qu'on parle à l'Ifle d'Amiterdam, & » qu'il y a une conformité parfaite dans le caractère &: les » ufages de ces différens Infulaires. » Je le trouvai ailis avec une gravité iî impide &: il forubre, que, malgré ce qu'on m'en avoir dit, je le pris pour un idiot, que le peuple adoroit d'après quelques idées fu-perftitieufes. Je le faluai & je lui parlai ; mais il ne me répondit point, & il ne fit pas même attention à moi y &c je n'apperçus pas la moindre altération dans les traits de fa phy-iionomie. J'allois le quitter lorfqu'un Naturel, jeune 6c intelligent, entreprit de me détromper, & s'expliqua de maniere à ne me laiiîèr aucun doute que c'étoit le Roi ou le principal peribnnage de l'Ifle. Je lui offris en préfênt ce que je deflinois au vieil Chef, unechemiiê, une hache, un morceau d'étoffe rouge, un miroir, quelques clous, des médailles & des verroteries. Il les reçut, ou plutôt il fouffrit ( a) Le même mot, dans le Dialecte de Taïti, fe prononce Aree, (b) Voyez la Collection hiftorique des Voyages & des Découvertes faites dans la mer du Sud, par M. Dalrymple. Tome IL Q P qu'on les mît fur fa perfonne 8c autour de lui, fans rien per-Noàobrç.3' ^LC ^e ^ gtavité, fans dire un mot, ou fans tourner la tête ni à droite ni à gauche : il fut tout le tems immobile comme une ftatue : je le laiifai dans la même pofition quand je retournai à bord, & il fe retira bientôt après. a peine fus-je arrivé au vaiifeau, qu'on vint me dire que le Chef avoit envoyé au rivage une quantité de proviiions. Une chaloupe alla les prendre fur la côte j elles confiiloient en vingt paniers de bananes grillées, en ignames & fruits à pain, & un cochon rôti d'environ vingt livres. M. Edgcumbe & fon parti alloient fe rembarquer, quand on les apporta au bord de l'eau , & les Infulaires dirent que c'étoit un préfent de ÏAreeké (a) , c'eft-à-dire, du Roi de l'Iilc , zVAreeké du vaif-feau. Je fus alors convaincu de la dignité de ce Chef imbecille. « Parmi les Infulaires, qui l'environnoient, nous recon-» nûmes le Prêtre qui avoit conduit les Capitaines à l'Afia-» touca, le lendemain de notre arrivée: il buvoit une quan-» tité prodigieufç d'eau de poivre, qu'on lui fervoit dans de » petites coupes quarrées de feuilles de bananes pliées d'une » maniere curieufe; il nous préfcnta poliment de ce dèli-» cieux breuvage, &,par civilité, nous en goûtâmes. Son » iniipidité 8c fon âcreté, nous donnèrent des envies de vo-» mir. Le faint homme en prenoit chaque foir de il grandes » dofes, qu'il s'enivroit. Il ne faut pas s'étonner, fi la mé-» moire lui manquoit quand il récitoit des prières, s'il étoit (<0 Appelle Awa à Taïti, & Kava à Tonga-Tabboo à l'I lie de Horn. \ » maigre, 'fi fa peau étoit écaillée, & enfin s'il avoit le vi- irippop * fage ridé & des yeux rouges, comme on l'a dit plus haut. ^¿¿¿¡1f ' *> Il paroiifoit jouir de beaucoup d'autorité fur le peuple, » & il étoit toujours fuivi d'un certain nombre de domefti-» ques, chargés de remplir fes coupes. Il gardoit les dons *> qu'il recevoit de nous, au-licu qu Attago & plufieurs autres » Chefs donnoient à leurs Supérieurs tout ce que nous leur » offrions. » Ce Prêtre étoit accompagné de ia fille, à laquelle » nous fîmes tous des préfens. Elle avoit des traits extrême-» ment réguliers, & elle étoit plus blanche que la plupart ** des femmes de flfle, qui fembloient lui montrer des » égards. Quand on fe nourrit des meilleurs fruits de la con-» trée, ô£ qu'on paiïe fa vie loin des ardeurs du folcii, dans » l'indolence &: les plaifirs, il eft naturel d'avoir un teint » plus clair, & un vifage plus délicat. Ne peut-on pas en » conclure que le luxe commence à s'établir ici fous le voile » de la religion ? » L'obéissance & la foumiifion de ce peuple pour fes » Chefs, montrent bien que le gouvernement^ fans être » tout-à-fait defpotique, eft loin d'être populaire, &c cette » efpèce de conftitution politique femble d'ailleurs faciliter la naiflance du luxe. Cette obicrvation paroît auiîi appli-» cable à la plupart des Mes, dans la partie occidentale de » la mer pacifique, puifque les deferiptions de Schoutcn , » de le Maire &: de Tafman, correfpondent,en tous les » points principaux, avec nos remarques. » La réception amicale qu'on a fait prcfque conftam- G L . » ment aux étrangers, fur toutes les Ifles dépendantes de ce Ann. i77 » grouppe, nous ont engagés à donner aux découvertes de » Schouten Se ■ de Taf man le nom àTftts des Amis, Les » chaloupes de Schoüten furent attaquées, il eft vrai, aux » liles des Cocos, des Traîtres, de l'Efpcrance &dc Hornj » mais ces attaques fuient peu coniidérables, quoique févé-» rement punies par le Navigateur Holiandois, qui, après » le premier trouble à l'Ine de Horn , y paila cependant » neuf jours en parfaite intelligence avec les Naturels du y> pays. Tafman, vingt-fept ans après, découvrit plufieurs » Ifles à 6a au Sud de celles qu avoit vifité Schouten , Se il y » fut reçu avec toute forte de démonftration de paix Se de » bienveillance. Je ne fais pas fi cefi: parce que les Naturels » d'Amfterdam Se de Rotterdam, avoient appris des Infusi laires des Cocos, de l'Efpérance Se de Horn, la force fu-» périeure des étrangers Se leurs ravages, ou fi c'étoit une n fuite de leur caractère pacifique : je ferois porté à adopter » la premiere opinion. Les Ifles vues par le Capitaine Wallis » en 1767, Se qu'il a nommées Ifles de Bofcawen Se de Kep-» pel, font probablement les Ifles des Cocos Se des Traili tres : mais fon équipage ne fit d'autre mal aux Naturels, » que de les effrayer par l'explofion d'un feul coup de » fuiil. M. de Bougainville vit quelques-unes des ifles les » plus Nord-Eft de ce grouppe, Se en général il y reconnut » le même caractère. Il leur donna le nom ¿iArchipel des y> Navigateurs, avec allez de raifon, puifque plufieurs » vaiifeaux les avoient rencontré. Depuis le Voyage de » Tafman, aucun autre Européen n etoit abordé à l'Ifle d'Amfterdam. Durant un efpace décent trente ans, ces » peuples n'ont donc pas changé de mœurs, d'habillemens, » de maniere de vivre, de caractère, &c. &c. Si nous avions i> fu leur langue, nous aurions, fans doute, eu des preuves A^0]J™' » poficives qu'ils confervent, par tradition, le fouvenir des » premiers Européens qui les viiiterent : mais ils avoient » encore des clous, que leur apporta, fans doute, Taf-» man. Nous en achetâmes un très-petit, &■ prefque » confirmé par la rouille : on le voit maintenant au Mu-» fieum à Londres, fur un manche de bois ; il leur fervoit » probablement de gouge ou de vrille. Nous achetâmes » aufïï de petits pots de terre, parfaitement noirs, cou-» verts de fuie en dehors, & je penfai que c'étoient des » monumens du Voyage de Tafman -, mais, dans la fuite, » j'eus lieu de croire que les Infulaires les fabriquent » eux - mêmes. » Nous pouvons affurer, comme Schouten, Tafman & » M. de Bougainville, que les Naturels commettent des » vols avec beaucoup de dextérité. Tafman & le Capitaine » Wallis, ont auifi remarqué l'ufage de fe couper le petit » doigt y &, fuivant les relations circonftanciées de Schouten * & de le Maire, les Naturels de l'Ifle de Horn, avoient » autant de foumiilion pour leur Roi, que ceux de Tonga-» Tabboo. Comme ils venoient d'éprouver la force fupé-» rieure des étrangers, ils furent refpectueux, jufqu a labaf-» ícíle, envers les Hollandois : le Roi fe proflernoit lui-» même devant un Munitionnaire, & les Chefs plaçoient » leur col fous fes pieds (a). Ces témoignages exceififs de (a) Voyez la Colleciion hiflorique de M. Dalrymple, *> vénération, iêmblent annoncer de la baíTeíTe & de la ^odobre75' * lâcheté, mais nous ne leur avons reconnu aucun de ces » vices. Leur conduite, à notre égard, avoit ordinairement » cette liberté & cette hardieiîè, qu infpire la droiture des » intentions. » Ici cependant, ainfi que dans toutes les autres focié-» tés humaines, il y a des exceptions au caractère générai, »» & nous avons eu lieu de déplorer les vices de quelques » individus. Ayant quitté la greve, où le Latoo attiroit fat-» tention de nos Meilleurs, nous entrâmes dans le bois, le n Docteur Sparrman & moi, afin de faire des découvertes » d'Hiitoire Naturelle. Je tirai un oifeau,& fexploiïon amena » près de nous, trois Naturels du pays, avec lcfquels nous » converfâmes autant que le permit notre connoiifànce futi perficielle de leur langue. Bientôt après, le Docteur Sparr-» man fouilla un buiifon pour y chercher une bayonette » qui étoit tombée du bout de fon fuíil. Un des Infulaires, » entraîné par une tentationirréfiitible, faifk mes armes, 8c n fe battit avec moi, en s'efforçant de les arracher. J'appcllai » le Docteur, & les deux autres Naturels s'enfuirent, ne » voulant pas être complices de cette attaque. Pendant le »> combat,nos pieds s'embarraiferent dans un arbriffeau, & « nous tombâmes tous deux s mais l'In fui aire, voyant qu'il » ne gagnoit rien , & craignant peut-être l'arrivée de mon » camarade, fe leva avant moi, & profitant de cette occa-» fion, il prit la fuite. Mon Ami me joignit fur-le-champ, « &: nous convînmes que s'il y avoit de la perfidie &: de la » méchanceté dans la conduite du voleur \ d'un autre côte , » notre icparation avoit été imprudente. » Après avoir marché encore quelque tems, fans aucun ■ ■ ■ ■ » autre événement fâcheux, nous retournâmes au marché Ann- v r , Octobre. » fur la greve, ou nous trouvâmes prefque tous ceux de » nos compagnons que nous y avions laiifés. La plupart » étoient aifis en grouppes , compofés de perfonnes de » différens âges, Se qui fembloient être autant de familles » féparées. Ils parloient tous enfemble , fans doute , de » l'arrivée de nos vaiifeaux -, & plufieurs des femmes amu-» foient les autres, en chantant ou en jouant à la balle. « Une jeune fille , qui avoit des traits d'une regulan-» té particulière, des yeux étincelans de feu, le corps » bien proportionné, &, ce qui eil le plus remarquable, » de longs cheveux noirs &c bouclés tombant avec grâce. » fur fes épaules, jouoit avec cinq gourdes , delagroffcur » d une petite pomme , parfaitement rondes ; elle les jetoit »> fans celle en fair l'une après l'autre 3 & elle y mit tant » de dextérité, que, pendant un quart d'heure , elle ne » manqua pas une feule fois de> les reiîâifîr. Les muflió demies chantèrent fur le même ton que nous avions déjà » entendu â Middelburg : chaque voix formoït une har-» monie agréable, & elles fe réuniifoient quelquefois en » choeur. » Quoique je n aie jamais vu les Naturels de ces liles » danfer, il paroît qu'ils connoiffent cet amufement , » d'après les geftes qu ils firent, en nous vendant des tabliers » ornés d'étoiles de cœur de noix de cocos, de coquillages » & de plumes rouges. Ces geffes mêmes donnent lieu de x pènfer que leurs danles font dramatiques & publiques, » comme celles des Ifles- de la Société dont on a parlé plus ^6 Voyage S » haut. Ce que difent Schouten & le Maire ( a ), des danies A*o£tobïi^ M ^c ^e ^orn > con^rmc auifi cette fuppofition. » En général , il paroît que les coutumes & la langue » de ces Infulaires, ont beaucoup d'affinité avec celles des » Taïtiens : il ne feroit donc pas fingulier de trouver » de la reiîemblance, même dans leurs amufemens. Toutes » les différences qu'on remarque entre les deux Tribus, qui » originairement doivent être forties de la même fouche , » proviennent de la nature &r de la pofition différente de n ces Ifles. Celles de la Société font remplies de bois, 6c » les fommets de leurs montagnes couverts de forêts iné- » puifables. Aux Ifles des Amis, le bois eft beaucoup plus y> rare \ le terrain (du moins de celles que nous avons vu), » eft prefque tout en plantations. Il s'enfuit naturellement » que les maifons font élevées & d'une immenfe étendue » dans le premier grouppe d'Ifles, mais beaucoup plus pe- » tites & moins commodes dans le fécond. Dans l'un , les » pirogues font en grande quantité , je pourrois prefque n dire innombrables, 6c la plupart très-vaftes , &C, dans » 1 autre, il y en a très-peu, &c elles font beaucoup plus » petites. Les montagnes des Ifles de la Société , attirent » continuellement les vapeurs de l'athmofphère, & plu- » fleurs ruiffeaux defeendent des rochers dans la plaine, » où ils ferpentent doucement jufqu a la mer. Les habitans, » qui profitent de ce don de la Nature, boivent une eau » falubre, èc fe baignent fi fouvent, qu'aucune tache (a) Voyez h Colb&ion de Dalrymple. » ne peut m ne peut adhérer long-tems à leur peau : un peuple au - ! ..... » contraire qui ne jouit point de cet avantage, & qui eft ."J^jtobt* » obligé de fe contenter d'une eau de pluie , putride ou n {lagnante dans des citernes fales, eft obligé de recourir à » d'autres expédiens pour conferver un certain degré de » propreté, & prévenir différentes maladies. Ils coupent » donc leurs cheveux , ils raient ou taillent leur barbe, ce » qui leur donne une figure plus femblable à celle des » Taïtiens qu'ils ne l'auroienr d'ailleurs. Ces précautions ne » font pas même fuffifantes, car ils n'ont aucun fluide à » boire \ & leurs corps font trcs-fujets à la lèpre, qu'excite » peut-être encore davantage l'ufage de feau de la racine »» de poivre, ou de Y Ava : de-là proviennent aufîi cette » brûlure ou ces véfïçatoires fur les os des joues que nous » avons obfervé fi généralement parmi les membres de » cette Tiibu,qu'à peine un feul individu en étoit exempt: » cette étrange opération doit être un remède contre » quelques maladies. Le fol des Ifles de la Société , dans » les plaines & les vallées, eft riche, &: les ruiffeaux qui » l'arrofent, y entretiennent un degré d'humidité conve-» nable. Il y croît donc toute forte de végétaux , & la » culture exige peu de foins. Cette profufion eft devenue » la fource de ce grand luxe, qu'on ne remarque pas à » Tonga-Tabboo. Là, le rocher de corail eft couvert feule-» ment d'une couche légère de terreau qui a peine à nourrir » un petit nombre d'arbres, &c à moins qu'une bonne pluie x> ne pénétre & ne fertilife la terre, l'arbre à pain, le plus r» utile de tous , ne produit point de fruits, parce que *> rifle manque d'eau : les Naturels travaillent donc plus » que les Taïtiens, & voilà pourquoi leurs plantations Tome IL H ^gggg » font iì régulières , &: leurs propriétés divifées avec tant oàobïç?' * d'exactitude i c'eit pour cela auifi qu'ils attachent plus » de prix à leurs provifions qu'à leurs outils, initrumens, » habits, ornemens & armes , qui leur coûtent cependant » plus de tems & d'application. Ils fentent, avec raifon , » que les alimens font leurs principales richeifes, &: qu'ils » ne fuppléeroient pas ai iena eut à cette perte. Si on re-» marque que leurs corps font plus grêles & leurs mufcles » plus forts que ceux des Taïtiens, c'eit une fuite de l'ufage » plus grand qu'ils font de leurs membres. Ils deviennent » induftrieux par la force de l'habitude ; &, lo'ríque l'agri-» culture ne les occupe pas, ils emploient leurs heure res de loifir à fabriquer cette multitude d'outils & d'in-» itrumens , qui annoncent tant de patience & de fast gacité. Ce tour d'efprit pénétrant a conduit leurs Arts » à plus de perfection que ceux des Taïtiens. Inienfible-» ment ils imaginent de nouvelles inventions \ ils ont intro-» duit l'activité même dans leurs amufemens , & ils les 3? animent par l'enjouement. » Leur caractère content ne s'altère point fous une » conftitution politique, qui ne paroît pas très-favorable à » la liberté, mais on n'eit point obligé d'aller chercher fi loin » un pareil phénomène , puisqu'une des Nations les moins » libres de l'Europe , paflè pour la plus joyeufe & la plus » gaie de l'Univers, il faut cependant convenir que le Roi » de Tonga-Tabboo, ne femble pas exiger d'eux rien qui » les prive des premiers befoins de la Nature , ou qui puiiïe îj les rendre miférables. » Quoiqu'il en soit, il paroît iïir que leur GouveN nement politique & religieux, autant que nous pouvons juger de fa reflemblance avec celui des Taïtiens, provient ^¿¿jc, d'une origine commune, peut-être de la mere-patrie où ces Colonies ont pris naiifance. Ces idées primitives ont amené enfuite des coutumes & des opinions différentes, fuivant les caprices des peuples, ou fuivant les circonf-tances où ils fe font trouvés. L'affinité, dans leurs langages, eft une preuve encore plus décifive. La plus grande partie de ce qui eft néceiîàire à la vie , les membres du corps, en un mot, les idées les plus limpies & les plus univerfelles, s'expriment, aux Ifles de la Société & aux Ifles des Amis, par les mêmes mots. On ne retrouve pas dans le dialecte de Tonga-Tabboo , l'harmonie fonore de celui de Taïti, parce que les habitans de la premiere lile ont adopté les F, les K & les S, de forte que leur langue eft plus remplie de confonnes. Cette dureté eft compenfée par le fréquent ufage des liquides L, M , N, & des voyelles e & I, &: par une efpèce de ton chantant qu'ils confervent, même dans les converfations ordinaires. » Tandis que les vaiffeaux démaroient, j'allai à terre dès le grand matin du 7 , avec le Capitaine Furneaux & M. Forfter, afin de reconnoître, par nos libéralités , le préfent que le Roi m'avoit fait la veille. En débarquant, nous trouvâmes Attago à qui je demandai d'abord des nouvelles du Monarque j après nous avoir répondu , il entreprit de nous fervi r de guide i mais je ne fais pas s'il fe méprit fur l'homme que nous cherchions, ou s'il ignoroit où il H z étoit. Il cít lur qu'il nous fît prendre une mauvaife route : iobrc3' ^ ^UC nous eumes miirché quelques pas, il s'arrêta i &, après une petite converiation entre lui & un autre Naturel, nous revînmes: le Roi, accompagné de ia fuite, parut bientôt. Dès qu'Attago le vit approcher, il s'aiïit fous un arbre, en nous priant d'imiter fon exemple. Le Roi s'affit auiTi fur un coteau, à environ douze ou quinze verges de nous , & nous nous regardâmes les uns les autres pendant quelques minutes. J'attendois qu'Attago nous menât auprès du Prince j mais, comme il ne fe levoit pas, nous allâmes faluer le Monarque , le Capitaine Furneaux & moi , & nous nous plaçâmes près de lui. Je lui offris une chemife blanche , ( que je mis fur ion dos ) quelques verges d'étoffe rouge , une bouilloire d'airain, une feie, deux grands clous, trois miroirs, une douzaine de médailles , & des cordons de grains de verre. Sa phyfionomie & fon maintien annom çoient toujours de la ftupidité : il ne fembloit pas voir ou agréer ce que nous faifions : íes bras étoient immobiles èc pendus à fes côtés-, il ne les éleva pas même lorfque nous lui paflames la chemife. Je lui dis par mots &; par lignes que nous allions quitter l'Ifle; il ne daigna point me répondre fur ce fujet, non plus que fur aucun autre. Je reflai toujours près de lui afin d'obferver fes actions. Il entra bientôt en converfation avec Attago & une vieille femme, que je jugeai être fa mere. Je ne compris rien du tout à cet entretien ; mais je remarquai qu'il rioit, en dépit de fa gravité factice ; je l'appelle factice, parce que je n'en ai jamais vu de pareille : il ne pouvoit pas fuivre en cela ion caractère, ( à moins qu'il ne fût idiot ) car ces Infulaires, ainfi que ceux que nous avions viiités depuis peu, ont beaucoup de légèreté; & d'ailleurs il étoit jeune. Enfin il fe leva & fé retira accompagné de fa mere & de deux ou trois autres perfonnes. Attago nous conduifît à un autre cercle, où étoient aflis le vieil Chef & plufieurs refpectables vieillards des deux fexes; &, entr'autres, le Prêtre qui accompagnoit communément le Chef. Nous nous apperçiimes que ce Révérend Pere marchoit très bien dans la matinée i mais que le foir, deux hommes étoient obligés de le remener chez lui. Nous en conclûmes que le jus de la racine de poivre, produifoit fur lui le même effet que le vin & les autres liqueurs fortes fur les Européens , qui en boivent trop. Il eft vrai que ces vieillards ne s'affeient jamais fins préparer un vafe de cette liqueur, qui fe fait de la même maniere qu'à Uliétéa. Nous devons croire pourtant que c'étoit pour nous régaler, quoiqu'ils en buiîent communément îa plus grande partie , & fou vent le tout. Nous n'étions guères en état d'accompagner de préfens nos adieux à ce Chef -, nous avions tout donné à l'autre. Cependanr, après avoir fouillé íbigncuíé-ment nos poches & le fac de nos tréfors, qu'on portoitavec moi par-tout où j'allois \ lui 6¿ fes amis n'eurent pas lieu de fe plaindre de nos libéralités. Ce vieillard , bien différent des autres, avoit un air de dignité qui infpimrt le rcfpcclr. Il écoit grave, fans être ftupide i il dilbit une chofe badine j il parloir de fujets indifférens, S¿ il tachoit de nous comprendre, & de fe foire comprendre à nous. Durant cette vifite, le vieil Prêtre répéta une courte prière ou harangue, dont je n'entendis pas le fens. ll'iùi amvQit fSuvenc de fe 6z Voyage mettre tout-à-coup à prier ; mais les aífiílans n'y faifoicnt Ao¡iobre3* Pas ^a mo^re attention. « Nous remarquâmes , dans la foule , un feuî homme, » qui, ayant laifle croître fes cheveux , les porroit roulés » en p'ufieurs queues, cui pend oient autour de fes oreilles : » nous n'avons vu que cet lnfulaire , ôr une jeune fille , qui aa ne fe fuffent pas conformés à la coutume generale de fe » couper les cheveux. » Après avoir palle ainfi près de deux heures, nous retournâmes à bord, accompagne d'Attago & deux ou trois autres Amis, qui prirent part à notre déjeuné: je les renvoyai enfuite chargés de préfens. Attago me prefîà beaucoup de retournera cette lile , ô£ d'y porter des étoffes, des haches, des clous, cVc. &c. \ il me dit qu'on m'y donnerait en abondance des cochons, des volailles, des fruits &: des racines. Il me pria en particulier , plus d'une fois, de lui rapporter un habit complet pareil au mien : j'avois mon uniforme. Ce bon lnfulaire me fut très - utile en plufieurs occafions •> durant notre courte relâche , il vint conftamment au vaiffèau tous les matins , immédiatement après le lever du foleil , & il ne nous quirtoit que le foir. Il étoit toujours prêt, foit à bord, foit à terre , à me rendre tous les lervices qui dé-pendoient de lui. 11 m'en coûtoit peu pour récompenfer fa fidélité. « Nous cherchâmes envain de l'eau douce dans l'Ifle. » Le Maître , qui avoit été envoyé à l'Eft reconnoître » la baie Maria & les liles baffes qui abritent ce havre , » trouva la poiition de ces Mes, telle qu'elle eft marquée » dans les Cartes de Tafman, Navigateur très-exact -, &, fur « l'une de ces Ifles où il débarqua, il vit un nombre éton- » nant de ferpents d'eau tachetés , à queues plates, qui » ne font point de mal, & que le fyftême de Linnée diftin- » gue fous le nom de Colubri Laticaudati. » Nos recherches d'Hiftoirc Naturelle , ne furent pas « infructueufes à Amfterdam ; cette petite lile nous pro-» cura plufieurs nouvelles plantes , & entr'autres une *> nouvelle efpèce d'écorcede Jéfuite, ou Cincfiona , amere, » qui feroit peut - être auffi efficace que celle du Pérou ; » plufieurs oifeaux inconnus auparavant : nous en achetais mes quelques-uns en vie, & fur-tout des parrots & des » pigeons : les Naturels paroiifent être de fort habiles oife-» leurs. Mais nous n'avons pas reconnu que les pigeons, » dont plufieurs étoient portés fur des bâtons crochus, » fuifent des marques de diftinclion, quoique Schouten » le penfe ainfi de flile de Horn , où règne le même » ufage (a). » En levant le cable de l'ancre de terre, il rompit au milieu de fa longueur ; il avoit été rongé par les rochers. Cet accident nous en fit perdre une moitié, ainfi que l'ancre , qui étoit par quarante brafles fans aucune bouée. Le fécond (a) Voyez h Colle&ion fciftoîique de M. Palrymple. = cable foufîrit auifi des rochers, d'où, l'on peut juger de ce mouillage. Nous appareillâmes à dix heures ; mais,comme nos ponts étoient chargés de fruits, &c. nous boulinâmes au-deifous de la terre, jufqu a ce qu'ils fuiîènt débarraiîés. Je me procurai à cette lile environ cent cinquante petits cochons , deux fois autant de volailles, des ignames & autant de bananes & de noix de cocos, que nous eûmes d'emplacement. Si notre féjour avoit été plus long , fans doute j'en aurois acheté davantage : ce qui montre la fertilité de riile dont je vais faire une defcription particulière , ainii que de Middelburg qui en eíl voiilnc. CHAPITRE III. ( CHAPITRE I I lé Defcription des Ifles d'Amfterdam & de Middelburg. Productions, Culture, Maifons} Pirogues, Navigation , Manufactures , Armes P Coutumes > Gouvernement , Religion & Langage des Habitans. Tasman découvrit le premier ces Ifles en 1642-3 , &C il sb 1 —ü les appella Amfterdam 6e Middelburg: mais les Naturels ^q^^75' du pays donnent à la premiere le nom de Ton-ga-ta-boo ^ Se à la feconde celui d'Ea-oo-wée. Elles font iituées par n4 2,^' & it'1 3' de latitude S.j Se , d'après des obíervations faites fur les lieux, entre 174a 4o7 6c 175e1 15' de longitude Oueft. Middelburg ou Eaoowée , la plus méridionale, a environ dix lieues de tour, 6c elle eft allez haute pour qu'on la voie à douze lieues. La plus grande partie des bords de cette Ifle eft couverte de plantations, 6c fur-tout aux côtés S. O. Se N. O. L'intérieur eft peu cultivé , quoique très-propre à l'être. Ces campagnes, en friche, accroiflènt cependant la beauté du pays \ car on y voit un mélange agréable 4c cocotiers Se d'autres arbres, des prairies revêtues d'une herbe épaiife; ça Se là des plantations Se des chemins qui Torne II* I conduifent à chaque partie de l'Ifle, dans un fl joli défordre ¿ que l'œil aime à fe repoibr fur ces points de vue. Le mouillage , que j'ai nommé la Rade Angloïfe ; parce que la Rcfolution & l'Aventure ont été les premiers vaiifeaux qui y aient été, gît au côté N. O., par % id zq 30" de latit. Sud, Le relèvement que je pris, pendant que nous étions à l'ancre, eft plus que fuiEfant , joint à la Carte , pour la trouver. La rive eft d'un fable groflìer \ elle s'étend à deux milles de la terre, & la fonde y rapporte de vingt-un à quarante braflés d'eau. La petite crique, qu'on voit devant,; offre un débarque nient convenable pour les bateaux, en tous les tems de la marée , qui, dans cette lile, ainfi que dans les autres, s'élève à quatre ou cinq pieds, & qui eft haute aux pleines 6£ nouvelles Lunes , à environ fept heures. Tongatabu a la forme d'un triangle ifocèle , dont les plus longs côtés font de iept lieues 8¿ les plus courts de quatre. Elle gît à-peu-près dans la direction de TE. S. E. & dirO. N. O. : elle eft prefque par-tout d'une hauteur égale, un peu baile, & elle n a pas plus de foixante à quatre-vingt pieds au-deifus du niveau de lamer. Un récif de rochers de corail, qui s'étend hors de la côte , à environ cent braftes plus ou moins, la met, ainfi qu'Eaowée, à l'abri de la mer. La force des vagues fe brife fur ce rocher , avant qu'elles atteignent la terre. Telle eft , en quelque forte, la poiition de toutes les liles du Tropique, que je connois dans cette mer : c'eft ainfi que la Nature les a fouftraites aux ufurpations des flots, quoique la plupart ne foient que des points en comparaifon du valle Océan. La rade Van*Diemen? où nous mouillâmes, eft au-deflbus de la pointe N. O, entre la pointe la plus feptentrionalc & la plus occidentale. — - ' * — En-dehors de cette rade gît un récif de rochers, qui court ^¿obre!" N. O. - O. fur lequel la mer brife continuellement. Le banc ne s'étend pas à plus de trois encablures de la côte ; & au-delà , la profondeur de l'eau eli incommenfurable. La perte dune ancre & les avaries que fouffrirent nos cables, prouvent aifez que le fond neft pas des meilleurs. Au coté oriental de la pointe Nord de i'Ifle,( ainfi que M. Gilbert, qui l'a examiné, me l'a appris ) , il y a un havre ferré d'un mille ou davantage d'étendue, par fept, huit & dix brafles d'eau, fond de fable propre. Le canal, par où nous entrâmes & par où nous fortunes, eft très-près de la pointe, & ne donne que trois braifes d'eau ; mais on croit que plus loin , au N. E., on en trouve un plus profond, que nous n'eûmes pas le tems de reconnoître. Pour examiner en détail ces différentes parties, il auroit fallu perdre un tems précieux, parce qu'on voit un grand nombre de petits Iilots fie de récifs de rochers le long, du côté N. e. de l'Ifle, & qui femblent s'étendre au N. E, au-delà de la portée de la vue. L'Ifle d'Amfterdam & de Tongatabu , eft toute remplie de plantations :1aNature y étale fes plus riches tréfors j telles que les arbres à pain , les cocotiers, les plantains, les bananiers, les shaddecks, les ignames, S¿ quelques autres racines, la canne à fuere & un fruit fcmblable au brugnon, que les Infulaires nomment Figheha, & les Taïtiens Ahuya% En un mot, on y compte la plupart des productions des Ifles de la Société, Se plufieurs particulières à ces deux-ci. J'ai probablement accru la quantité de leurs végétaux , en y laiifant toutes les graines de nos jardins, des femences de I 1 , , i i. légumes, &c. Le fruit à pain n'y étoit pas de faifon ; non lnn; 1773- plus que fur les autres liles ; ce n'éroit pai d'ailleurs fetems °v U 1C* des racines & des shaddecfcs. Nous ne nous procurâmes de ces derniers qu'à Middelburg. Les productions &: la culture de Middelburg font les mêmes qu'à Amfterdam, avec cette différence, qu'une partie feulement de la premiere eft cultivée, & que la feconde l'cft en entier. Les fentiers & les chemins néceifaires aux Voyageurs, font coupés d'une maniere fi judicieufe, qu'il y a une communication libre & aifée d'une partie de l'Ifle à l'autre. On ne voit ni bourgs ni villages : la plupart des maifons font bâties dans les plantations, fans autre ordre que celui qui eft preferitpar la convenance. Les édifices font faits avec dextérité, mais fur le même plan que ceux des autres Ifles, & compofés de femblables matériaux : il y a feulement une petite différence dans la difpofition de la charpente. Le plancher eft un peu élevé & couvert de nattes épaiffes &: fortes : d'autres nattes de la même efpèce , les ferment du côté du vent, &c le refte eft ouvert. On voit communément devant la plupart de ces habitations, un terrain entouré d'arbres ou de buiffons en fleur, qui parfument l'air qu'on y rcfpire. Des vafes de bois, des coquilles de noix de cocos, des couffins de bois, de la forme des efeabeaux à quatre pieds y voilà tous les meubles de leur ménage. Le vêtement qu'ils portent, & une natte leur fervent de lit. Nousachetâmes deux ou trois vafes de terre , les feuls que nous ayions ap-perçus parmi eux : l'un reflembloit à une bombe, & il étoit percé de deux trous oppofés l'un à l'autre : le fécond & le troifieme à nos pots de terre ; ils contiennent cinq à fix pintes, & ils ont été au feu. Je crois qu'on les a fabriqués dans queiqu'aurre lile ; car nous n en avons remarqué que SQt¿P' ceux-là : je ne puis pas mppofcr qu'ils viennent de Tafman-, des vaifléaux 11 fragiles auroient dû fe caifer depuis cette époque» Les cochons & les volailles font les fenls animaux do-meftiques que nous ayions obfervés. Les cochons font de l'eipèce de ceux des autres Mes de cette mer ; mais les volailles font beaucoup meilleures, de la grofleur des plus belles que nous ayions en Europe , & leur chair eft au moins aufll bonne. Nous n'avons trouvé aucun chien, & je crois que ce quadrupède leur eft inconnu j car ils defiroient avec ardeur ceux qui étoient fur nos bords. Je donnai à mon ami Attago un mâle &¿ une femelle ; l'un venoit de la Nou-velle-Zélande & l'autre d'Uliétéa. Ils appellent les chiens Korées ou Goorées > comme à la Nouvelle-Zélande ; ce qui prouve qu'ils ne leur font pas abibFument inconnus. Je penfe qu'il n'y a point de rats dans ces Ifles ; 8c, excepté de petits lézards, aucun autre quadrupède iauvage n'a frappé nos regards. Voici les oifeaux de terre : des pigeons, des tourterelles, des parrots, des perroquets, des chouettes, des foulques au plumage bleu , différens petits oifeaux , & de grolfès chauves-fouris en abondance. Nous connoiflbns peu les productions de la mer j il eft raiionnable de fuppofer qu'elle offre les mêmes poiflons qu'aux autres Ifles.Les inftrumens de pêche y font aufli les mêmes ; c'eft-à-dire , des hameçons de nacre de perle, des pointes à deux ou trois fourches, & des réfeaux dont les mailles, d'un fil très-fin, font faits exactement comme les nôtres, Mais rien ne démontre mieux =—......... '--i leur induftrie que leurs pirogues, qui, pour la propreté & ^Oclobre5' ^ ^U trava^ > farpailént tout ce que j'ai jamais vu. Elles font compofées de différentes pièces jointes enfemble par un bandage, d'une maniere fi adroite, qu'il eft difficile , en-dehors, d'appercevoir les jointures. Toutes les attaches font en-dedans : elles paiîènt. dans des coches ou derrière des boffes, préparées pour cela iiir les bords & aux extrémités des planches qui forment le bâtiment, « Les Taïtiens fe contentent de faire des trous dans a> chaque planche , à travers lefquels ils paifent leur cordage ; » mais de cette maniere leurs pirogues font toujours des voies » d'eau. Celles des Infulaires d*Amfterdam n'ont pas le même » inconvénient. Il y a, à chaque extrémité, le long du pont, » ou de la planche étroite fept ou huit boíles, qui fcmblent » imiter les petites nageoires (pínnula fpuria ), qui fe trou-» vent fur le corps des bonites & des maquereaux -, &: je » penfe que les Naturels ont pris ces poiflbns agiles pour » modèles de leurs canots. » Il y en a de deux efpèces -, des doubles Se des {impies : on concevra mieux la conftruction & les dimenfions de chacune dans le plan que je joins ici. Les fimples ont vingt à trente pieds de long, & environ vingt ou vingt-deux pouces de large au milieu : l'arriére fe termine en pointe , & l'avant reflembleàun coin. Une efpèce de pont occupe, à chaque extrémité , environ un tiers de toute la longueur, &c le milieu eft ouvert. Sur quelques-unes, le milieu du pont eft orné d'une rangée de coquilles blanches, que fou tiennent de petites chevilles, pratiquées fur la pièce qui les porte. Ces fimples pirogues ont toutes des balanciers i/ Dimensions J.ünaiteur.................$.n /St, Larafiir....... Creux: iw/ieainpri. Je Peni io lU¿ /ndicci iuta Pircjue.i. i Av:/a í.uttre estPc jopi. Lj p¿> ¡M/lai Jpttí /'ointes à lïimtu'eta larri ere fhrr&sh trro. mie tim ûif Cerwag&f de Cârcoùenf. Renvois aux Coupes a Coupe dû II Fwoçue aree iv- Ppo/iuUcs souAvia/ii' k Peni à l'avitn¿et à ia/ne?e Vi ìj&s Fieees de traverse. du Font C A e JPmt^> ■ 1) Cenipe de ta Tuvaue ¿i son mtt/e/c E Formes ds ptamlrav du Mai A -vi c •S ? 5 5 ^ s ^ V |> 11 ¿ * S -S § * ^ . * nía v c K^ ís ^ <^ PL 2-2; /ic'/iarrf Tyirvse elles marchent quelquefois à la voile 5 mais communément .....gg avec des pagayes, dont la pale eft courte, mais plus large A¿^'0¿Je73 dans la partie du milieu. Les deux bâtimens , qui compo-fent la double pirogue , ont chacun environ foixante ou foixante-dix pieds de long, & quatre ou cinq de large au centre. Chaque extrémité fe termine prefque en pointe, de forte que leur conftruction diffère peu de celle dune fimplc pirogue: ces fimples pirogues ont au milieu, autour de la partie ouverte, une élévation en forme de lofange , faite de planches, jointes exactement l'une à l'autre , & bien attachées au corps du bâtiment ; & c'eft fur la partie de ces bâtimens, que font affermis de gros baux de traverfes, qui tiennent les deux fimples pirogues parallèles l'une à l'autre & éloignées de fix ou fept pieds. Ces baux & d'autres, foutenus par des épontilles, fixés au corps de la pirogue, fupportent une plate-for me de planches. Toutes les parties , de la double pirogue , font auifi fortes & auifi légères que la nature de l'ouvrage peut le permettre ; & elles plongent dans l'eau jufqu'à cette plate-forme, fans danger de le remplir. Il n'y a aucune circonftance qui puilfe les faire couler à fond, tant qu elles tiennent enfcmble. Auíli ce ne font pas feulement des bâtimens de charge , mais ils font propres aux navigations éloignées. Ils ont un mât qui s'élève fur la plate-forme, &: qu'on peut aifément drefler ou abattre ; ôcune voile latine ou triangulaire, orientée à une longue vergue, qui eft un peu pliée ou crochue. La voile eft de natte : les cordages dont ils fe fervent, fc placent exactement comme les nôtres, & quelques-uns ont quatre ou €Ínq pouces d'épaiffeur. Sur la plate-forme eft un petit hangar d ou hutte , qui met l'équipage à l'abri du foleil & de la JZ V O Y A G E pluie, & qui fert à d'autres ufages. Ils portent auifi un foyer A<>áobre* ' m°k^e » c'eit-à-dire, un auge quarré de bois rempli de pierres. On entre au fond de la cale delà pirogue de deffus la plateforme, par une forte d'écoutille découverte, dans laquelle fe tiennent quelques hommes pour vider l'eau. Je penfe que ces bâtimens fe manœuvrent de l'avant aux deux extrémités , & que, pour changer de bord, il faut feulement trélucher la voile à l'autre bout j mais je n'en fuis pas sûr, car je n'en ai vu aucune fans voile ; &c celles que j'ai apperçues avec le mât & la voile à une extrémité, étoient à, une diftanee confiderablc.de nous. Leurs outils font de pierre, d'os, de coquillages, comme fur les autres liles : & lorfqu'on voit les ouvrages qui iortent de leurs mains, l'induftrie & la patience de l'Ouvrier frappent d'admiration: quoiqu'ils connoiiî'ent peu l'utilité du fer, ils préfèrent cependant les clous, aux grains de verre 6c à d'autres bagatelles ; quelques-uns, mais en très-petit nombre, donnoient un cochon pour un grand clou , ou pour une hache. Les vieils habits, les chemifes, les morceaux de draps d'Europe, bons ou mauvais, avoient plus de prix à leurs yeux, que les meilleurs des inftrumens tranchans que nous pouvions leur offrir ; de forte que nous leur avons laifle peu de haches, excepté celles qu'ils ont reçu en préfent. Mais, en joignant les clous échangés par les Officiers & les équipages des deux vaiffeaux contre les curiofités du pays, à ceux qui nous ont fervi à payer les rafraîcliiffemens, ils doivent en avoir plus de 500 liv. Nous n'avons trouvé, parmi eux, d'autre morceau de fer, qu'un clou dont ils ont fait une jsetite alêne. Les Hommes Les Hommes Se les femmes font de la même taille que '-les Européens : leur teint eft d'une légère couleur du cuivre, Aloáobrc.5' Se il eft plus égal que parmi les habitans de Taïti, Se des Ifles delà Société. Quelques-uns de nos Meilleurs prétendoient que la race des Infulaires de Middelburg & d'Amfterdam, eft beaucoup plus belle qua Taïti: plufieurs fou renoient le con-, traire, & j'étois de ce demie ravis : quoi qu'il en foit, leur taille eft bien prife ; ils ont des traits réguliers, ils font vifs, gais Se animés : je n'ai rencontré nulle part des femmes fi joyeufes: elles venoient babiller à nos côtés fans la moindre invitation : dès que l'un de nous fembloit les écouter, elles ne s'em-barraiìòient pas, fi on comprenoit ce qu'elles difoient. En général, elles paroiffoient avoir de la modeftie 3 quoiqu'un grand nombre fuiîcnt très-libres ; Se ,comme il y avoit encore des vénériens à bord, je pris toutes les précautions poffibles, » pour que l'Ifle ne nous reprocha pas de lui avoir porté le mal de Naples. Les Naturels ont montré, dans toutes les occafions, une forte propenfion au vol: Se ils font prefque auifi habiles filoux que les Taïtiens. Leurs cheveux font communément noirs, Se fur-tout ceux des femmes. Nous en avons vu de différentes couleurs fur la même tête, car ils y mettent une poudre qui les teint en blanc, en rouo;e Se en bleu. Les deux fexes les portent courts, (je n'ai obfervé que deux exceptions à cet ufage) & la plupart les relèvent avec un peigne. Ceux des petits garçons fontordinairemeiitcoupés très-près : on leur lai He feulement une fimple touffe au fommet de la tête, Se de chaque côté de l'oreille. Les hommes coupent ou rafent leur barbe très-près : cette opération fe fait avec deux coquilles, Tome IL K 74 Voyage Ils ont de bonnes dents jufqu a un âge avancé. La coutume ok bit*"' ^C tatouer ou ^c ^e pic]ucr ^a peau, efl univerfelle : les hommes font tatoués depuis le milieu de la cuiife jufqu'au dcilùs des hanches : les femmes ne le font que fut les bras & les doigts, de même très-légerement. Le vêtement des deux fexes eit une pièce d'étoffe ou de natte, enveloppée autour de la ceinture, & qui pend au-deifous du genou. De la ceinture en haut, les hommes Se les femmes font communément nuds, & il paroît qu'ils oignent cette partie du corps tous les matins. Mon ami Attago ne manquoit jamais de le faire j mais je ne puis pas dire il c'étoit par égard pour moi, ou afin de fe conformer à l'ufage. Je crois qu'en cela il obfervoit la coutume, car j'en « ai remarqué d'autres qui s'oignoient comme lui. Les ornemens communs aux deux fexes font des amulettes, des colliers & des bracelets d'os, de coquillages, de nacre de perle, d'écaillé de tortue, Sec. Les femmes mettent d'ailleurs à leurs doigts des anneaux très-bien faits d'écaillé , Se à leurs oreilles des rouleaux de la même matière, Se de la groifeur d'une petite plume : quoiqu'elles aient toutes les oreilles percées, en général elles ont peu dependans. Elles fe parent auifi quelquefois d'un tablier fait des fibres extérieures de la coque de la noix de cocos, Se parfemé d'un certain nombre de petits morceaux d'étoffe joints cnfemble de maniere qu'ils forment des étoiles, des demi-lunes, des quarrés, Sec. Il eft en outre garni de coquillages, Si couvert de plumes rouges, Se en tout il produit un effet agréable. Ils fabriquent la même étoffe, Se de la même matière Pl. z5 Ûrviâmens , Ustensiles eù jármes des Isles ?es ,/mis. qu a Taïti, quoiqu'ils n'en aient pas autant d'efpèces dirle- ...........s.....» rentes, Se qu'elle ne foit pas ii fine; mais leur méthode de Ann* î77** la vernir eft plus durable, Se elle réfifte quelque tems à la pluie ; avantage que n'a pas celle de Taïti. Ils la teignent en noir, brun, pourpre, jaune Se rouge, Se ils tirent leurs couleurs des végétaux. Ils font différentes nattes, les unes d'une très-belle texture, dont ils fe vêtiffent communément; d'autres plus groifieres Se plus épaiifes fur lefquelles ils fe couchent, Se qu'ils emploient à la voilure de leur pirogue , Sec. Au nombre de leurs meubles utiles, il faut compter les paniers, les uns de la même matière que leurs nattes, Se d'autres de fibres entrelacées de noix de cocos. Ils s'ufent peu Se ils font très - beaux, ordinairement de di verles couleurs , Se embellis de coquillages ou d'oiîemens. Leurs ouvrages montrent qu'ils ont du goût pour le deffin, Se qu'ils exécutent tout ce qu'ils entreprennent. Je ne sais pas comment ces peuples s'amufentdans leurs heures de loifir, car nous avons vu peu de divcrtillè-mens fur ces Ifles. Les femmes nous égayoient fouvent par des chanfons aifez agréables : elles battoient la mefure en faifant claquer leurs doigts, comme on l'a déjà dit. D'après différentes obfervations particulières, nous conclûmes que leur voix Se leur mufique font très - harmonieufes, Se que leurs notes occupent beaucoup d'étendue. Je n'ai remarque que deux inftrumens de Mufique, une grande flûte de bambous , qu'ils jouent avec le nez comme à Taïti, mais à quatre trous, tandis que celle des Taïtiens n'en a que deux, & une autre compofée de dix ou onze petits rofeaux de longueur K 2. — ■ "" - inégale, joints aux côtés l'un de l'autre, comme la flûte dori-OóiobrZ5' ^uc ^es Anciens : l'extrémité ouverte de tous ces rofeaux, dans laquelle ils fouinent avec la bouche eft à égale hauteur , ou fur la même ligne. Ils ont aulir des tambours, qu'on peut comparer juftcment à un tronc dr'arbre creux : celui que j'ai examiné avoit cinq pieds fix pouces de long, & trente pouces de circonférence : d'une extrémité à l'autre, il y avoit en dehors une fente large d'environ trois pouces, au moyen de laquelle on avoit creufé l'intérieur. Ils battent fur le. côté de ce tronc, avec deux baguettes, ô£ ils produifent un bruit fourd, qui n'çft pas même auifi mu-ficai que celui d'un tonneau vuide. La méthode ordinaire de fe faluer, eft de toucher ou de frotter avec fon nez, celui de la perfonne qu'on aborde, comme à la Nouvelle-Zélande. Ils déploient un pavillon blanc, en figne de paix à l'égard des étrangers : mais les Infulaires,qui vinrent les premiers à bord, apportèrent quelques plantes de poivre; & , avanr de monter, ils les envoyèrent dans le vaiilèau, témoignage de bienveillance encore plus folcmnel. Leur franchile, lorfqu'ils montèrent fur 1103 bords & nous reçurent à terre , me fût penfer que des alarmes étrangères ou dómeftiques, ne troublent pas fouvent la paix dont ils jouiifent ; ils ont cependant des armes formidables, des maiïucs & des piques de bois dur, des arcs & des traits. La forme de leurs maffues, de trois à cinq pieds de long, varie ainii qu'on les repréfente dans la figure. Leurs arcs & leurs rraits font aiîez mauvais : les premiers font très-minces, & les féconds d'un foible rofeau, garnis de bois dur àia pointe. Quelques-unes de leurs piques ont plufieurs = barbes, & elles doivent être fort dangereufes quand elles A portent coup.. Ils observent un fingulier ufage-, ils mettent fur leur tête tout ce que vous leur donnez ; nous peniâmes que cefi une maniere de remercier. On les exerce à cette politeffedès Yen~ fance ; car,. lorfque nous offrions quelque chofe aux petits en-fans, la mere eie voit la main de l'enfant au-defîùs de fa tête. Ils lui voient même cette coutume dans leurs échanges avec nous 5 ils portoient toujours à leur tête ce que nous leur vendions, comme fi nous le leur avions accordé pour rien; quelquefois ils examinaient nos marchan di fes, &; ils les ren-doient, fi elles ne leur convenoienr pas; mais, quand ils les portoient à leur tête, le marché étoit irrévocablement conclu. Très-fouvent les femmes me prenoient la main ,1a bai» foient, & 1 elevoient au-defius de leur tête. Il s'enfuit de-là que cette habitude, qu'ils appellent fagafatée^ a dirférens objets fuivant les circonft anees, mais que c eft toujours une marque de politene. Il faut remarquer que le ftupide Chef ou Roi, dont j'ai parlé, n'eut jamais pour moi cette civilité, malgré les pré-fens que je lui fis. Voici une autre coutume plus finguliere : nous avons reconnu que la plus grande partie des hommes &¿ des femmes, manquent d'un petit doigt & fouvent des deux (a) : cette (a) Cette Coutume- n'eft pas particulière aux Habitans des Lies des Amis. Voyei les Recherches Philoibphiques fur les Américains; Tome IL -& rjBfprit des UÍages & des Coutumes des différens Peuples, I. s, -■-..........- mutilation eft commune à tous les rangs, à tous les âges èc otìohrc.*" ^ tous ^es ^exes : e^e na Pas ueu non Pms à un certain rems de la vie, car j'ai vu des jeunes & des vieux, &c. à qui on venoit de la faire, & excepté quelques très-petits enfants, j'ai trouvé très peu d'infulaires qui eufïent les mains entières. Elle eft plus univerfellc, cependant parmi les vieillards que parmi les jeunes gens, du moins chacun de nos MM. fit cette remarque. Mais M. Wales rencontra un jour un homme très-âgé, à qui il ne manquoit aucun 'de fes doigts. « Comme on avoit déjà coupé le petit doigt aux enfans » que nous voyions courir nuds , nous demandâmes à » connoître la caufe de cette mutilation; nos recherches »> furent d'abord inutiles -, mais nous apprîmes enfuite » qu'elle fe fait à la mort de leurs parens & de leurs Amis, » ainfi que chez les Hottentots, les Guáranos du Paraguay, » & les Californiens. ■» Ils se brûlent & fe font en outre des incifions près de l'os de la joue : les uns avoient encore une croûte, ou du pus fur la plaie; &, chez d'autres, on appercevoit des cicatrices , & une peau brûlée. « Nous n'avons jamais pu con-n noître comment $c pourquoi ils fe brûlent ainfi; mais » nous fuppofâmes que c'eft un remède , comme le Moxa » des Japonois contre différentes maladies, ^ Je n'ai remarqué parmi eux, ni malades, ni boiteux, ni cftropiés: ils paroiffoient tous fains, forts & vigoureux; preuve de la bonté du climat qu'ils habitent. J'ai souvent parlé d'un Roi, ce qui fuppofe que le gouvernement eft adminiftré par une feule perfonne, quoique. fe nen fois pas abfolument fur. On nous indiqua l'homme " qui pailoic pour le ieul maitre, oc nous n avions aucune o&obre. raifon d'en douter. Cette circonftancc, jointe à plufieurs autres, donne lieu de croire que le gouvernement rciîèmble beaucoup à celui de Taïti ; c'eft-à-dire, qu'il y a un Roi ou Chef fuprême, appelle Areekc ,qu'il a fous lui des Chefs, ou Gouverneurs,qui fontpeut-etre les feulspropriétaires de certains diftricts, & pour lefquels le peuple montre beaucoup d'obéiilànce. J'ai remarqué un troiiïeme rang de Chefs, qui jouiifent d'une aifez grande autorité fur le peuple : mon ami Attago étoit de cette claífe. Je penie que toutes les terres à Tongatabu appartiennent en propriété à des particuliers, & qu'il y a, comme à Taïti, une claífe de Serviteurs ou d'Efclavcs qui n'en ont point. Il feroit dérai-fonnable de fuppofer que tout eft en commun dans un pays auifi cultivé que celui-ci. L'intérêt étant le principal reifort-de l'induifrie, peu d'hommes fe donneroient la peine de cultiver &: de planter, s'ils nes'attendoient pas à recueillir le fruit de leur travail. J'ai vu fouvent des troupes de fix, huit ou dix Infulaires, apporter au marché des fruits, &c. à vendre: un homme ou une femme veilloit à cette vente ; il ne le faifoit aucun échange que de fon confentement, ¿¿ tout ce que nous donnions en paiement, paifoit à cette perfonne ; preuve que le tout lui appartenoit, & que les autres étoient feulement iês fervitelirs. Quoique la Nature ait été prodigue de fes richcíles envers ces Ifles, on peut dire cependant que les Habitans gagnent leur pain à la fucur de leur front. Le degré de perfection, où ils ont porté la culture, doit leur avoir coûté d'immenfes travaux; ils en font bien récompenfés aujourd'hui, par les riches -i...1.1,, ; productions que la nation femble partager. Perfonne nernan< A octobre ?' ^lie ^e cc ^1" n^cc^rc aux premiers befoins de la vie. La joie de le contentement fe peignent fur chaque vifage. L aiiance & la liberté font en effet répandues dans toutes les elaflès du peuple j les befoins qu'ils éprouvent, ils peuvent les fatisfaire, & ils vivent fous un climat où il n'y a ni froid, ni chaleur extrêmes. Si la Nature leur a refufé quelque choie, cefi l'eau douce: comme elle eft renfermée dans les entrailles de la terre, ils font obligés de creufer beaucoup pour en avoir. Nous n'avons apperçu qu'un puits à Amiter-dam , &¿ pas un feul rnifleau courant. A Middelburg, nous n'avons vu d'eau que dans les vafes des Infulaires : mais comme elle étoit douce & fraîche, iïircmcnt ils l'avoient puiféc fur l'Ifle, & fans doute proche de l'endroit qu'ils ha->bitoient. Nous connaissons fi peuleur Religion, que j'ofe à peine •en faire mention. Les bâtimens appelles A-fiatoucas, y ont certainement quelque rapport. Plufieurs de nos MM. pen-fêtent que ce font Amplement des,cimetières. Je puis aiîlirer, par expérience , que ce font des lieux où des Infulaires, revêtus d'une fonction fpéciale , prononcent des harangues étudiées que je pris pour des prières, ainfi qu'on l'a déjà dit. Je fois porté à croire que ce font tout-à-la-fois des temples & des cimetières., comme à Taïti , ou comme en Europe. Mais je ne juge pas que les ftatues groflieres que nous y vîmes, foient des idoles -, d'autant plus que M. Wales m'informa que les Infulaires l'engagèrent à tirer un coup de fufú fur l'une d'elles qu'ils établirent au milieu d'un champ. Une circonstance du Capitaine Cook. Si Une circonstance nous fît connoître que, pour un objet ou pour un autre, les Naturels fe rendent fouvent à AQ^0brc7* ces A-fiatoucas : quoique le grand efpace, qui eft devant ces édifices, fût couvert d'un verd gazon, l'herbe y étoit très-courte. 11 ne paroifibit pas qu'on l'eût coupée; mais il me fembla qu'en s'y aiTeyant ou qu'en la foulant, on l'avoit empêché de croître. Il ne seroit pas raisonnable de fuppofer que, dans un intervalle de quatre ou cinq jours, nous ayons acquis des connoiifances bien exacres de leur Police civile & religieufe, fur-tout fi l'on veut faire attention que nous entendions très-peu leur langage : les deux Infulaires, qui étoient fur notre vaiifeau , ne purent d'abord rien entendre ; mais, en devenant avec eux plus familiers, ils trouvèrent que leur langue eft, à-très-peu de chofe près, la même que celle des Taïti Se des Mes de la Société. Les dialectes ne ibnt pas plus différens que ceux des Provinces feptentrionales Se méridionales de l'Angleterre , comme on le voit par le Vocabulaire. Tome IL \ -:=:^^^^===r^----ggfc CHAPITRE IV. Paffage £ Amfterdam au Détroit de la Reine Charlotte ; Entrevue avec les Injulaires ; fépa-ration des deux Vaifjeaux. r~ Au moment où nous allions appareiller, nous eûmes la Ann. 177 3» . /1 Oótobre. vifîte d'une pirogue montee par quatre hommes, qui ame- noient avec eux un des tambours dont nous avons fait mention, £¡¿ fur lequel un des Indiens battoir continuellement, dans le deifein, fans doute , de nous charmer par cette mufique. J'achetai le tambour pour une pièce d étoffe 6¿ un clou 5 & je faifis cette occafion d'envoyer à mon ami Attago du froment, des poix & des fèves , que j'avois oublié de lui remettre avec les autres femences dont je lui avois fait préfent. Dès que nous eûmes congédié cette pirogue, nous cincin mes au Sud avec un bon vent frais du S. E. - E. Mon O 4 intention étoit de marcher directement vers la Nouvelle-Zélande , & de renouvellcr , dans le détroit de la Reine Charlotte , notre provifîon d'eau 6¿ de bois, pour tenter enfuite de nouvelles découvertes au Sud & à l'Eit. H. L'après-midi du 8 , nous eûmes connoiffance de l'Ifle de Pilftart elle nous reftoit dans le S. O ~ O {■ O à la di£ tance de fept ou huit lieues. Cette lile , déjà découverte par Tafman , fituée par zzd z6f de latitude Sud , & I47d 59' de longitude Oueil, gît dans la direction du Sud r?—J-UJ^ 5id Oueft, & à trente-deux lieues de diftanee de Middel- Aoa0bic. Imrg. Elle eft plus remarquable par fa hauteur que par fon circuit ; car elle renferme deux montagnes d'une grande élévation, 6c qui fembleféparcr une vallée profonde. « Ce nom de Pylftart lui a été donné à caufe des oifeaux » qu'y virent les Navigateurs Hoilandois, & qui, fuivant » toute apparence , étoient des oifeaux du tropique : » Pyîftacrt lignifie littéralement flêche-en-queue : cet oifeau » a effectivement deux longues plumes à la queue , &; » c'eft de-là que lui vient fon nom françois de paille- » en-queue (a). » Après quelques heures de calme, le vent reparut au S. O. & nous portâmes au S. E. toutes voiles dehors -, mais, le i o , le vent ayant tourné du Sud au S. E. & à l'E. S. E. i 0. nous reprîmes notre route au S. S. E. « Nous dîmes adieu aux Ifles du tropique , & nous » fîmes route une feconde fois vers la Nouvelle-Zélande. » Quatre mois setoient écoules depuis notre départ de » cette lile ; & ,dans cet intervalle, nous avions traverfé la » mer du Sud par des latitudes moyennes, au milieu de » l'hiver : nous avions examiné un efpace de plus de » 40 degrés de longitude entre les tropiques , &: rafraîchi » les équipages à Taïti, aux Ifles de la Société , &i aux » Ifles des Amis pendant trente un jours. La faifon de ( a ) Voyez la Collection de M. Daîrymple î Vol. II. ces Oifeaux y font appelles Canards jauvages, L 1 s *> continuer nos découvertes dans les hautes latitudes méri- cStótoev** " ^lonílies s'avançoit, & les rochers fauvages de la Nouvelle- » Zélande, dévoient nous prêter une feconde fois un afyle f » auiîi long-temps qu'il le faudroit , pour préparer nos » voilures &: nos agrêts à affronter les tempêtes & les » rigueurs des climats glacés. x) Dès que nous eûmes quitté la zone-torride , des » troupes d'oifeaux de mer fui virent les vaiifeaux, & vol-tx. * tigercnt furies flors autour de nous. Le 12, nous apper-» eûmes une albatroife : ces oifeaux, qui n'oient jamais » palier le tropique, rodent delà jufqu'au cercle polaire. 16. to Quelques Matelots trouvèrent, le 16 , dans le » puits de la pompe, un chien qu'ils apportèrent fur le pont. Cet animal , acheté à l'Hic d'Huaheine comme » plufieurs autres de la même efpèce, avoit opiniâtrement » refufé de prendre de la nourriture ; &, fuivant toute * apparence,il avoit vécu dans ce trou, fans aliment, pen-» dant trente-neuf ou quarante jours. Ce 11 'étoit plus qu'un » fquelette, fes jambes étoient refferrées, & il jetoit du » fang par l'anus : il avoit, fans doute , fouffert des tour-» mens affreux. La nuit, plufieurs Médufes pafièrent près » du vaiffeau , nous les reconnûmes à leur lueur phofpho-» rique. Elles étoient fi lumineufcs, que le fond de la mer » fembloit contenir des étoiles plus brillantes que le fir-*» marnent.» si. Le z r , à cinq heures du marin , nous eûmes vue de Îîl Nouvelle-Zélande, qui s'étendoit du N. O. { N. au O. S, O. A midi, le Cap Table nous reftoit à l'Oueft, à la diftanee - de huit ou dix lieues. Je fouhaitois ardemment avoir quelque AQ^0bre7. communication avec les habitans de cette partie de Mie, auifi loin au Nord qu'il me feroit poifible, c'eft-à-dire, dans les environs des baies de Pauvreté & de Tologa , où je crois qu'ils font plus civilifés qu'autour du détroit de la Reine Charlotte. Je voulois leur donner des cochons, des poules, des graines, des racines, &c. dont je m'érois pourvu. Le vent, paifant au Nord & au N. O. me permit d'attaquer la cerre, un peu au Nord de Port-Land -, & nous approchâmes la côte d'aulîi près que le permettoit notre sûreté. u Les côtes font blanches 0¿ efearpées du côté de la » mer , &c nous découvrions les huttes & les fortcreifes des » Naturels, femblables aux nids des aigles, placés fur le » fommet des rochers. » Nous apperçumes les habitans fur le rivage ; mais ils n'entreprirent point de nager vers nous. Sur cela, nous arrivâmes fous Port-Land, où nous reliâmes en panne quelques tems , pour que les Indiens puilent fe rendre à notre bord, &¿ pour attendre l'Aventure. On découvroit fur Port-Land beaucoup d'Infulaircs, mais ils ne paroiifoient pas vouloir nous accofter ; il eft vrai qu'alors l'impétuolitc du vent les auroit feul empêché de le tenter. Auifi-tôt donc que nous eûmes rallié l'Aventure , nous fîmes voiles pour le Cap Kinappers, que nous doublâmes à cinq heures du -matin, & nous continuâmes de côtoyer le rivage jufqu à neuf heures : n'étant plus qu a trois lieues de Black-Héad , quelques pirogues fe détachèrent du rivage f je fis mettre ggai '"- à la cape afin de leur laiflèr le loifir d'arriver au vaifieau-, ^o^tobre73' ma's ^c ^oniia^ *e ngna^ * l'Aventure de pourfuivre , n» voulant perdre que très-peu de momens. La premiere pirogue, qui nous aborda , n'avoit à fon bord que des pêcheurs, qui nous vendirent du poiifon pour des pièces d'étoffe &: des clous. La feconde étoit montée par deux Indiens, que leur vêtement & leur démarche me firent prendre pour des Chefs. Nous les engageâmes à monter fur le ponr, en leur préfentant des clous & d'autres articles. Ils recherchent les clous avec un empreflèment, qui montre afïez qu'on ne peut rien leur offrir de plus précieux. Je donnai à celui de ces deux hommes, qui me parut le plus diftingué , les cochons, les poules, les femenecs &c les racines. Je crois qu'il n'imaginoit pas d'abord que je vouluffe les lui laiffer, car il y fit peu d'attention , jufqu'au moment qu'il ne douta plus que ce ne fut pour lui. Ce qui efl aifez fingulier, un pareil don ne le jeta pas dans le même raviiTement, qu'un grand clou que je lui offris. Néanmoins je remarquai, qu'en s'éloignant, il confîdéroit avec plaifir les cochons & les poules qu'il venoit de recevoir. Il rangeoit ces animaux les uns à côté des autres, &: il veilloit à ce qu'on ne lui en enlevât pas. Il me promit de n'en tuer aucun ; &: s'il tient fa parole, & qu'il en ait quelques foins , l'Ifle entière pourra bientôt s'en trouver peuplée ; car je lui laiffai deux truies, deux verrats, quatre poules & deux coqs. Les femenecs étoient de celles qui auraient pour eux le plus d'utilité , du froment, des fèves & des haricots de France , des pois, des choux , de groffes raves, des oignons, des carottes , des panais , des ignames , &c. Ces Infulaires n'avoient pas oublié l'Endéavour,c¡Lr les premieres paroles '■......-----* qu'il prononcèrent furent, Mataouno te pow pow (nous ""SS^Se?" avons peur des canons ). Comme ils ne poiivoient point ignorer ce qui étoit arrivé au Cap Kidnappërs dans mori premier Voyage , ils connòiiTòient, par expérience, les effets terribles de ces pièces meurtrières. « L'un de ces deux indiens étoit dune grande taille & » d'un moyen-âge : il avoit un vêtement élégant de lin de » la Nouvelle-Zélande , & d'une forme nouvelle pour » nous : fes cheveux , arrangés fuivant la dernière mode °> du pays, étoient attachés au haut de la tête, huilés Se » garnis de plumes blanches. Il pottoit, à chaque oreille,un » morceau de peau d'albatroífe , converte dfe fon duvet » blanc, Sè fon vifage étoit tatoué en lignes courbes & » fpirales. M. Hodges fit fon portrait, & il y en a une » gravure dans ce Voyage. » Ayant observé que le Capitarne Cook droit les clous » qu'il lui donñoit de l'un des trous du cabellan , où fon à ■ Secrétaire les avoit mis, il tourna en entier le cabellan, K il examina chacun des trous, comme pour voir s'il J n'y en avoit plus-, ce qui prouve le prix qu'ils attachent » -aux outils de fer dépuis le premier voyage de VEndéavóùr; *' car', lors de certe premiere expédition , les ¿élandois » vouloient à peine les recevoir. » Notre Insulaire de Bolabola , (Edidee, qui ne r» comprit pas d'abord la langue des Zélandois comme » Tupia., apprenant de nous'qïie ce! peuple na point de -■ » noix de cocos ni d'ignames, alla en chercher pour les tobre7.5" " °^*nr au Chef i mais, quand nous laifurâmes que le » climat n 'étoit pas favorable à la culture des palmiers, il ne » lui prcfenta que les ignames i Se il lui fit ientir en même » tems, par une harangue, tout le prix des cochons, des » volailles, des femences, Sec. qu'il recevoit de nous. Après » que notre Compagnon de voyage eut bien parlé, le w Zélandois, par reconnoiifance, nous laiffa fa hache de » bataille toute neuve : la tête bien fculptée étoit ornée de » plumes rouges de parrot, Se de poils blancs de chien. » Les deux Indiens, avant de partir, nous donnèrent le » fpectacle d'un heiva, ou d'une daniê guerriere : ils frap-» perent du pied: ils brandirent leurs courtes maifues, » leurs piques , Sec. ils firent des conto riions de vifage » effrayantes , ils tirèrent la langue, Se beuglèrent d'une » maniere épouvantable. » Nous forçâmes de voiles au Sud, le vent s étant fait O. S. O. L'après-midi, il fraîchit confidérablement, Se fouffla par grains très-violens. Dans un de ces grains, nous perdîmes notre petit mât de perroquet, qui portoit la voile un peu trop longue. La crainte d'écarter la terre, me fit 'z* faire toute la diligence poiîiblc. Le 11, à fcpt heures du matin, nous revirâmes de bord, Se côtoyâmes le rivage. Le Cap Turn-Again nous reiloit alors vers le N. O. ^ N, à fix ou fept lieues. VAventure fe trouvant fort loin fous le vent , nous fuppofâmes qu'elle n'avoit pas obfervé le lignai, Se qu'en continuant fa marche, elle s'étoit fé paree de nous. Durant la nuit, que nous paifâmes à la cape , le vene vent s'accrut au point de nous réduire à nos deux bailes voiles y il tourna auiïl du S. O. au S. S. O. Se fut accom- Aoâ0br7.5' pagné d'une pluie iï forte, qu'elle inonda toutes les chambres. Le 23, à neuf heures du matin, le ciel s'éclaircit, & le ij, vent devint allez maniable pour porter nos huniers, tous les ris pris. A fept heures , nous avions amené le Cap Turn-Again j Se alors je revirai de bord, Se je marchai au large. A midi , le même Cap nous reftoit un peu au Nord, à fix ou fept milles de diftanee. La latitude obfervée fut de 41a 30' Sud. Bientôt après le vent mollit, Se il y eut prefque calme -, Se, dans l'efpérance qu'il feroit fuivi d une brife plus favorable, on hifîa un autre petit mât de perroquet, on gréa les vergues du grand &: du petit perroquet , Se on largua tous les ris des huniers. L'événement ne répondit pas à nos vœux. Le vent cependant devint un peu plus favorable, c'eff-à-dire, qu'il paila à l'O, ~ N. O. ce qui nous permit de porter au Sud, avec toutes nos voiles, le long du rivage i mais bientôt la violence s'accrut au point de nous obliger à ferler les voiles que nous venions de tendre, Se à gouverner fous nos voiles bailes Se nos huniers tous les ris pris, Si ce fut ainfi que nous paifâmes la nuit. Au point du jour, le lendemain, le vent devenu maniable, -¿^ nous fumes de nouveau tentés de larguer les ris & de gréer-nos vergues de perroquer, Se ce fut encore un travail perdu -, car, vers les neuf heures, nous fumes de rechef réduits à nos bailes voiles. Bientôt après, l'Aventure nous joignit ; Se , à midi, le Cap Pallifer nous reftoit à FOucft , à neuf ou dix lieues. Ce Cap eft la pointe feptentrionale d'Eaheinomauwée. Nous continuâmes de cingler au Sud Tome IL M jufqu a minuit, que le vent mollit & paila au S. E.. Se \ Ann 1775. tro¡s hellres après, il y eut calme. Nous larguâmes alors Octobre. . , • r • les ris, comptant que le premier vent nous feroit lu rement plus favorable. Nous nous trompions. Le vent parut ne s'être repofé un moment, que pour devenir plus furieux Se nous affaillir avec plus d'impétuofité. A cinq heures du 25, matin, le 25 , il fouffla de la partie du N. O. &; nous gouvernâmes fur le Cap Pallifer , qui nous reftok alors au N. N. O. à huit ou neuf lieues de diftanee ; mais fe renforçant de plus en plus, nous prîmes les ris l'un après l'autre, jufqu a ce que ,fouiïlant avec une violence incroyable, nous fômes enfin forcés de ferrer toutes nos voiles, Se d'aller à mâts Se à cordes. La mer groiïîifoit à mefure que le vent devenoit plus orageux ; de forte qu'il falloit nous foutenir contre un vent en tourmente , Se des vagues qui s elevoient comme des montagnes. Après avoir été ainfi battu de la tempête pendant deux jours, nous arrivions à la vue du port ; mais un ouragan terrible nous chaffa au large. Ce dernier grain fut fuivi de deux circonftances favorables, qui nous donnèrent quelque confolationj c'eft que nous pouvions très-bien nous foutenir au large, Se que nous ne crai* gnions pas de tomber fous le vent de la côte. La tempête dura tout le jour ians interruption.. « Quoique nous fuirions au-deifous d'une côte élevée » Se remplie de montagnes, cependant les vagues s'éle-» voient très-haut, Se elles fe prolongeoient à une grande » diftanee : la violence des raffales les difperioit en va^ ?» peurs qui obícurciífoient, de toute part, la furface de la » meri S¿, comme le Soleil brilloit dans un ciel fans nuage, ~-r—^ » l'écume blanche éblouiffoit nos yeux. Nous roulions cà & Ann„ V75, • i n 1 * Octobre* « là à la merci des flots \ nous embarquions fouvent de » groiTes lames, qui tomboient fur les ponts avec une vitelle » prodigieufe, &: détruifoient tout ce qu'elles rencontroient. *> Les entorfes continuelles qu'elfuyoit le bâtiment, relâ-» choient les cordages ai les manœuvres, 8¿ dérangeoient r> d'ailleurs rout ce qui étoit dans le vaiileau , de maniero » que les yeux n'appercevoient qu'une fcéne générale de » bouleverfement & de confufion. Dans un de ces énormes » roulis, la caiife d'armes pofée fur le gaillard d'arrière , » fut arrachée de fa place i &, fans le grillage de plat-bord, « elle feroit tombée à la mer fous le vent. L'un des Vo-» lontaires, M. Hood, qui iê trouva devant elle, échap-» pa, par hafard, en fe baiifant, lorfqu'il la vit fe détacher, n & il ne reçut aucune contufion, parce qu'il eut l'adreffe » de fe placer dans l'angle que fit la caiife avec le grillage; y> Le déibrdre des élémens n'écarta pas de nous les oifeaux. » De tems en tems , un fauchet noir voltigeoit fur la » furface agitée de la mer, & rompoit la force des lames, » en s'expofant à leurs acfions. L'afped de l'Océan étoit » alors fuperbe &c terrible : tantôt au fommct d'une grolle » vague, nous contemplions une vaile étendue, íiüonnée » par un nombre infini de profonds canaux : d'autres fois la » vague fe brifoit fubitement fous nous , & nous plongeoit » dans une vallée profonde i tandis qu'une nouvelle mon-» tagne s'élevoit à nos côtés, &: de fa tête écumeufe & chanto celante , menaçoit de nous engloutir. La nuit amena de s> nouvelles horreurs,fur-tout pour ceux qui n étoient pas » accoutumés à la mer dès leur enfance. On ôta les vitres M 2 —nu,.uà. m „ de la chambre du Capitaine, ôc on mit des volets en h NN;, ! !7 3 ' * placc » P°ut prévenir rembarquement des vagues lorfqu'on » revireroit le vaiifeau. Cette opération troubla, dans la reí » traite, un icorpion caché au fond d'une crevaife : il etoit » probablement entré à bord, avec les fruits que nous avions » pris fur les Mes. Notre ami GEdidée nous aifura qu il ne » faifoit point de mal, mais fa figure feule infpiroit la a ainfi te ( a ). L'eau rempliifoit les lits de tous les poftes , de » d'ailleurs le rugiifement épouvantable des vagues, le crasi quement des couples 8¿ le roulis nous privoient du re* 33 pos. Ce qui achevoit de détruire la tranquillité, nous » entendions les voix des Matelots plus fortes que les vents » ou que la mer en fureur, vomiffant des imprécations » arfreufes. Il eít impoilible d'imaginer quels jurcmens bi-s» zarres inventoit leur emportement. Accoutumés aux dan-» gers dès le bas-âge , l'image de la mort narrêtoit point » leurs blafphêmes. Je ne connois rien de comparable à &VhM tìbie énergie de leurs imprécations, ii ce n'eft celle » d'Ernulphe dans Trifiam Skandy. » Le soir, nous fîmes une bordée en arrière, pour rallier l'Aventure , que nous nappercevions plus fous le vent j &, après avoir couru jufqu a la hauteur , où nous fuppoiions qu'elle devoit être, nous revirâmes de bord, fans, en avoir connoifiance : les lames, qui s ele voient très -haut 5 obfcurciiîoient toujours l'horifon, en fe brifant, & nous me voyions pas à un mille autour de nous, A minuit, le vent {a) voyez U Collégien de M» Hwciw.orth, diminua, &, Imitant d'après, nous fûmes en calme : le vent ayant enfuite reparu dans le S. Q., nous re virâmes de bord, An*'1V3 -i . rr o i , Octobre. & fous nos voiles bailes & nos miniers, tous les ris pris, nous gouvernâmes vers la terre, dont la tempête nous avoir écar# tes. Le vent, qui ne tarda pas à fraîchir, fe fixa au Sud ; mais l'Aventure fe trouvoit en arrière à quelque diftanee: je louvoyai pour l'attendre jufqu a huit heures, quêtant ralliée 3 nous fîmes voile enfemble au N. \ N. O. ~ O. pour le de^, troit. « Les Pi.-nt a de.s, les fauchets noirs, & d'autres pe^ » terels, nous environnoienr en grofles troupes, & nous » parlâmes près dune albatrolfe aifife & endormie fur » l'eau. La tempête précédente l'avoit ' peut - être fatw » guée. » A midi, nous obfervâmes 41e* 2,4' de latitude Sud, efti-mant que le Cap Pallifer nous reftoit au Nord, à la diftanee de dix - fept lieues. Notre vent favorable ne fut pas d'un© durée fuffifante: il diminua par degrés dans l'après-midi, jufqu au calme. Il fut fui vi d'une briiè aife2. fraîche qui s?éleva du Nord, fur les dix heures, & nous portâmes | FOucft, A trois heures du matin , comme nous nous trouvions à la hauteur du Cap Campbell, qui eft au côté occidental du détroir, nous revirâmes de bord & gouvernâmes fur le Cap Pallifer, avec nos baffes voiles & nos huniers,, tous les. ris pris, par un beau tems & un vent très-frais du N. O..  midi? nous changeâmes de bordée, & gouvernâmes Ç4 V O Y A G É ■ " • S. O., le Cap Pallifer nous reliant à FOueft, à quatre ou oiftobre.'* c*n(3 ^eues de diftanee. L'après-midi, le ventfe renforça de maniere à nous réduire à nos bailes voiles ; & nous continuâmes de porter au S. O. jufqu'à minuit, que nous revirâmes , & nous prîmes tous les ris des huniers. ¡ Le i8, à huit heures du matin , nous revirâmes de bord, & reportâmes au S. O. jufqu'à midi , que nous fûmes obligés de mettre à la cape fous la mifaine. Dans ce moment, la haute terre, au-deiîus du Cap Campbeil nous reftoit à l'Oueft à dix ou douze lieues. L'Aventure Îê trouvoit à quatre à cinq milles fous le vent à nous. L'après-midi, le vent commençant à devenir moins impétueux, nous déployâmes la grande voile, prîmes tous les ris du grand hunier, & fîmes route au Nord, le venr ayant pailê à l'O. N. O., & à l'O. | N. O, grand frais, accompagné de violentes raffales. Le matin du 29, le vent devint plus maniable & paifa au S. O. joli frais. Nous nous hâtâmes d'en profiter, &: fîmes route avec toutes nos voiles pour amener le Cap Pallifer, qui, à midi, nous reftoit à l'O. 4 N. O. \ N., à la diftanee d'environ iix lieues. « L'Officier de quart avoit apperçu le » marin plufieurs trombes. » Le vent fe maintint entre le S. O. & le Sud, jufqu a cinq heures du foir, qu'il y eut calme. Nous étions alors éloignés d'environ trois lieues du Cap. A fept heures, une jolie brife fe leva du N. N. E. , telle que nous la délirions j nous croyions déjà pouvoir , marquer, pour le lendemain, l'heure de notre entrée dans le détroit y mais, à neuf heures , le vent , qui repalfa au N- O., fon ancien rumb , fouiEa grand frais ; &, de conferve du Capi tai iste C o o k. 9^ avec l'Aventure ,nous gouvernâmes au S. O., fous nos bailes voiles & nos huniers, les ris pris. L'Aventure fe maintint dans nos eaux jufqu'à minuit,qu'elle fe trouvoit à deux ou trois milles en arrière : bientôt aprqs, ellp. difparut-, &, au retour du jour, nous no la découvrîmes point. Nous fuppo-fâmes qu'elle avoit reviré de bord , & porté au N. E., manœuvre qui nous la fit perdre de vue.. Nous continuâmes de faire route à l'Queft , par un vent de N. N. E., qui fraîchit au point de nous forcer de mettre à la cape fous nos deux balfes voiles, après nous avoir déchiré le grand hunier, qui étoit tout neuf A midi, k Cap Campbell nous reftoit à l'O. | N. O., à la diftanee de fept ou huit lieues. Vers les trois heures de l'après-midi, le vent devint maniable Si fe fit plus Nord j de forte que nous parvînmes à rallier la terre fous les montagnes de neige, à quatre ou cinq lieues au veut desLorgneurs ( Lookerson) où il paroiilbir y avoir une grande baie. Je regrettois le départ de l'Aventure j car, fi elle eût été avec nous nous aurions abandonné le deiîein d'aller dans le détroit, pour y faire du bois Si de l'eau y Si nous euiîions cherché plus au S. un mouillage propre à nous en fournir , le vent étant alors favorable pour ranger la côte. Mais notre féparation m'obli geoit à gagner le détroit, lieu du rendez-vous, Comme nous approchions la terre , nous vîmes de la fumée en plufieurs endroits le long du rivage j figue certain que la côte étoit habitée. Les fondes rapportèrent de qua-rante-feptà vingt-cinq braffesi quarante-fept à la diftanee de trois milles du rivage, Si vingt-cinqlorfque nous en fûmes — ! à un mille, où nous revirâmes de bord, portant ìe Cap à ^O&obre^" ' ^us nos baffes vo^es > & 110S huniers les ris pris, que la violence des vents nous obligea bientôt de ferler. Nous continuâmes de marcher à f Eft toute la nuit, dans l'eipé-rence de découvrir l'Aventure avec le jour. 11; Comme nous ne l'appercevionspoint, nous revirâmes de bord, & mîmes à la cape fous notre miiaine, & le foc de derrière -, le vent foufflant par grains violents & continuels y mais nous1 ne demeurâmes pas long-tems dans cette fitua-tion : le vent devint plus maniable ; &, comme il nous permit de porter nos deux balles voiles, nous gouvernâmes â rOucft. A midi, les montagnes [de neige nous reftoient O. ~ N. O., à douze ou quatorze lieues. Vers les fix heures du foir, le vent calma \ mais fon repos ne fut que momentané i car, l'inftant d'après, il recommença à fouifler avec une nouvelle furie , Se nous obligea de capayer fous la voile d etai d'artimon. Nous reftames dans cet état jufqu'à minuit que la tourmente diminua peu-à-peu ; 6V:, deux heures après, il y eut calme. i Novembre. Le premier de Novembre , à quatre heures du matin ; le calme fut fuivi d'une brife du Sud , qui, bientôt après, fe renforça, S fut accompagné de brumes Se de pluies , qui nous firent croire que les vents du N. O. nous avoient enfin abandonnés j car il faut obferver que, tant qu'ils régnèrent, le ciel fut prefque toujours fans nuage. Nous ne manquâmes pas de profiter d'un vent fi favorable & de déployer toutes nos voiles, fivifant route pour rallier le Cap Campbell j qui à midi, nous reftoit au N. à trois ou quatre lieues. a deux deux heures nous doublâmes ce Cap, & entrâmes dans le détroit, un vent frais en pouppe. Nous croyions être furs novembre." d arriver au port le lendemain au matin. Nos efpérances furent encore une fois trompées. A huit heures, comme nous étions en travers de la baie fombre, notre bon vent fut remplacé par un vent du Nord, qui céda bientôt la place à ce vent fi redoutable du N. O., qui ne tarda pas à fouífler avec fon impétuoíité ordinaire. Je paifai la nuit à louvoyer ; mais toutes mes bordées furent défa-vantageufes \ Si le jufant nous fit perdre ce que nous avions gagné avec le îlot. Le lendemain, j'allai accofter le ri- t. vage de d'Eaheinomauwée. Au lever du folcii, l'horizon étant extraordinairement clair, nous cherchions à découvrir l'Aventure j n'en ayant point connoiiïance , nous jugeâmes qu'elle étoit entrée dans le détroit. En approchant du rivage dont on a parlé, nous découvrîmes, fur la côte orientale du Cap Téérawhite, un nouveau palTage, que je n'avois pas remarqué en 1770. Fatigué de lutter contre les vents forcés du N. O. , je réfolus de gagner ce paiîage, s'il étoit praticable, ou de jeter l'ancre , dans la baie qui fe trouve à l'entrée. Le flot étant en notre laveur, après avoir couru un bord au large, nous fîmes voile dans la baie, le long du rivage occidental, ayant de trente-cinq à quarante braiîes d'eau, d'un fond par-tout propre à l'ancrage. A une heure, nous amenâmes l'entrée du paflàge , au moment que le jufant commençoit à reverfer \ le vent étant auifi contre .nous, il fallut laiifèr tomber l'ancre par douze brafîes d'eau, fond de fable fin. Le plus oriental des rochers noirs, qui font fous la rive gauche de l'entrée du paifage, nous reftoit au N. - N. E. à la diftanee de quatre ou cinq lieues, Tome IL N ■ « Les environs de cette baie font des montagnes noi- Ann. 1775- a „ ,, „ , ,, , r > -v Novembre. M ratres & pelees, d une grande élévation, preiqu cnticrc- » ment deftituées de bois & d'arbriilèaux , & qui s'avan- » cent en longues pointes dans la mer. La baie elle-même, a> fembloit s étendre fort avant entre les montagnes ; ô£ fa » direction nous laiifoit en doute ii la terre , fur laquelle gît y> le Cap Tierrawittée, n'eit pas une lile féparée dEaheino- » mauwée. Ce miférable pays étoit cependant habité. » A peine fûmes-nous à l'ancre, que nous vîmes arriver trois pirogues, dont deux s'étoient détachées d'un côté du rivage, & une de l'autre. Il ne fallut pas faire aux Indiens de vives inftances, pour en attirer trois ou quatre à bord. Les clous furent de tout ce qu'on pût leur préfenter, ce qui leur fit le plus de plaifir. J'offris à l'un d'eux, deux coqs & deux poules -> mais il les reçut avec une indifférence qui me fit croire qu'il n'en prendroit pas beaucoup de foin. « 1rs portoient des vêtemens très-fales 6¿ très-mauvais, » auxquels ils donnoient le nom de Boghée 3 Boghée. » La fumée qu'ils refpirent continuellement dans leurs petites » cabanes, & un amas d'ordures, qu'ils n'avoient peut-être » jamais lavé depuis leur naiifance , cache entièrement » la couleur de leur teint & répand fur leur vifage un » jaune noir. La faiibn de l'hiver, qui alloit finir , les avoit » probablement forcé à manger des poifTons pourris, ce » qui, joint à l'huile ranee , dont ils rempliffent leurs che- » veux , les rendoit dune puanteur fi infupportable , que » nous les fendons & qu'ils nous dégoûtoient de très-loin, » Au premier moment où ils n auront rien pour fatis-» faire leur appétit, ils tueront fûrement les volailles qu'on ^'JJ¿¡' » leur a laiflees. Si on peut efpérer d'introduire des ani-» maux domeftiques à la Nouvelle-Zélande, il faut les dé-» pofer dans les baies peuplées au Nord, où les Habitans, » qui paroiifent plus civilifés, cultivent déjà différentes ra~ » cines pour leur fubiiitance. » Deux heures après que nous filmes mouillés, le vent ayant pafïé au N. E., nous levâmes les ancres, qui n'étoient pas encore aux boffoirs, avant qu'il fe rangeât au Sud. Nous fortîmes de la baie, à l'aide de ce vent, & nous fîmes route dans le détroit, fous autant de voiles, qu'il fut poifible d'en porter, avec l'avantage ou plutôt le défavantage d'un vent toujours croiilànt, & déjà trop fort. Nous entrâmes dans le détroit à l'approche de la nuit. Après y avoir couru deux bordées, la plupart de nos voiles furent mifes en pièces , & nous laiffâmes tomber l'ancre par iéize braiîes d'eau , entre les roches noires &: la rive du N. O. Le lendemain matin,le vent mollit, & fut fuivi d'un ¿t calme de quelques heures. La brife ayant enfuite foufflé du N. O. nous fîmes voile dans fanfe du vaiifeau, d'où nous étions partis le 7 Juin, près de cinq mois auparavant ; nous n'y trouvâmes point l'Aventure , comme nous l'avions efpéré. N chapitre V. Relâche dans le Détroit de la Reine Charlotte; Détail fur Jes Habitans Antropophages ; divers incidens. Départ du Détroit. Tentatives pour rallier VAventure. Defcription de la Cote. a Notre premiere occupation , après avoir amarré, fut Novembre." ^e dégréer toutes nos voiles -, il n'y en avoit pas une feule qui n'eût befoin d'être réparée. Notre voilure & nos manœuvres avoient extrêmement fouifert, avant de gagner le détroit. Aussi-tôt que nous eûmes mouillé, nous reçûmes la vifite des Habitans, parmi lefqucls j'en reconnus plufieurs que j'avois vus en 1770, & particulièrement un vieillard nommé Goubiah. « Chacun, de fon côté, renouvelîa les connoiifances qu'il » avoit faites pendant la premiere relâche : nous les appela » lames par leurs noms,,ce qui leur caufa une grande joie: » fans doute qu'ils crurent que nous nous intéreifions à » eux, puifque nous les portions dans notre penfée. Le tems » étoit beau & l'air chaud pour la faifon \ mais ces Indiens » étoient tous couverts de ces manteaux déguenillés, dont * ilsfe vêtiifént pendant l'hiver.Nous leur fîmes plufieurs » queftions fur la fanté de ceux de leurs compatriotes que » nous ne voyions pas, & que nous connoiifions. » L'après-midi, on defcendit fur le rivage les futailles vides, afin de les raccommoder , les nettoyer & les remplir \ & j'ordonnai qu'on dreffât les tentes pour les Voiliers, les Tonneliers, S¿ les autres Travailleurs qui dévoient fe tenir à terre. Le lendemain, on commença à calfater les côtés & les ponts du vaiifeau, à examiner les agrêts, & à réparer les voiles, & en même-tcms on coupoit du bois de chauffage, & on établi/Toit la forge, pour réparer les ferrures. On jeta auiîi la leine, fans prendre de poilfonj mais les Naturels y fuppléerent, en nous en apportant une grande quantité, qu'ils échangèrent contre des pièces d'étoffe d'O -Taïti, ê£c. « Teiratu, le Chef qui avoit prononcé une longue ha-» rangue , le 4 Juin, étoit au nombre des Naturels qui vinai rent nous voir. Il portoit alors de vieux habits, ou, pour » parler le langage des gens polis, il étoit en déshabillé \ il » n'avoit plus ces nattes brodées en peau de chien \ & fes » cheveux rattachés négligemment, au-lieu d'être peignés, » étoient couverts d'une huile puante. En un mot, d'Ora-a» teur, de Chef d'une troupe de guerriers, il étoit devenu » un limpie pêcheur. Nous eûmes peine à le reconnoîtte » fous ce déguifèment : à la fin cependant on lui rendit y> quelques honneurs, on le mena dans la grand - chambre, » 6c on lui donna des clous. Nos outils de fer & nos étoffes » de Taïti, lui parurent fi précieufes, ainfi qu'à ceux qui » l'accompagnoient, qu'ils réfolurent de s'établir près de » nous,afin de profiter les premiers des avantages que leur Li—: » ofFroit notre commerce, & peut-être de nous voler tout Sembré5: n ce fues, & il fut fort furpris d'y trouver un grand nombre » de diiférens oifeaux, dont le chant étoit agréable & le » plumage très-joli. Une quantité prodigieufe d'autres oi-» féaux fuçoient les fleurs & quelquefois arrachoient la tige » des radis & des turneps dans un de nos jardins. Nous en » ruâmes plufieurs, & (Edidée, qui, de fa vie, n'avoit manié » des armes à feu, en tua aufli un au premier coup. Les feus » des peuples, qui ne font pas très - policés, font infiniment t> meilleurs que les nôtres , affoiblis par mille accidens. » Nous fumes fur-tout bien convaincus de cette vérité à » Taïti : les Naturels nous montroient très-fouvent de petits » oifeaux dans l'épaifleur des arbres, ou des canards au » fond des rofeaux, 6¿ aucun de nous ne pouvoit les apper-» cevoir. *> Le tems,qui étoit chaud & agréable, facilita nos re-* cherches Zoologiques, de maniere que le foir nous rap-» portâmes beaucoup doifeaux à bord. » *Ì Le 5 , j'ordonnai qu'on ouvrît les tonneaux,qui conte- noient la majeure partie de notre pain, & nous eûmes le chagrin d'en trouver beaucoup de gâté. Pour réparer cette perte, autant qu'il dépendoit de nous, tous les tonneaux furent défoncés, & à mefure qu'on trioit ce bifcuit, le Ton- - ......'— nelier mit au four celui qui étoit endommagé, afín de le 1?* 773 , _ . , y i- i , Novembre, iaire revenir. Le matin, les Indiens enlevèrent d une tente un iac d'habits, appartenant à un Matelot. Dès que j'en fus informé, j'allai les trouver dans l'anfe voifme, je leur demandai les. habits, & ils ne firent prefque aucune difficulté de les rendre. Cette affaire s'étant bien terminée, & voyant que nous étions avec des filoux, je ne fus point fâché de cet accident, qui apprenoit aux gens de l'équipage à fe tenir fur leur garde. Nous vîmes , parmi ces Habitans, la plus jeune des deux truies, que le Capitaine Furneaux avoit lailTées à l'anfe des Cannibales, dans notre dernier féjour. Elle boîtoit d'un pied de derrière \ du refte elle étoit en bon état, & très-privée. Si nous comprîmes bien ces Infulaires, le verrat & l'autre truie navoient point été tués, & on les gardoit dans un endroit féparé. « En les tenant ainfi à l'écart, & peut-être en fe les parsa tageant comme des dépouilles, ces Barbares empêchent » la propagation de l'cfpèce. Trop occupés de leurs befoins » journaliers, ils négligent les moyens qui pourraient feuls » leur procurer une fubfiftance ailurée, & ils s'oppofent à » toutes les tentatives qu'on veut faire pour les civilûer. *> Ils nou s dirent auifi que les deux chèvres que nous avions dépofées au haut du détroit, avoient été tuées par Goubiah r qu'ils traitèrent de vieux coquin. Ainfi, tous nos efforts pour peupler cette terre d'animaux utiles, étoient rendus infiuc- - tueux par ceux mêmes, qui dévoient en retirer tout l'avan-Novembre!" taSe* Nous allâmes examiner nos plantations , ¿V comme ils avoient abandonné aux foins de la Nature , les femences qu'ils avoient reçu de nous, nous les retrouvâmes dans un état floriifant, à 1 exception des patates : la plupart des patates ' avoient été déterrées, celies qui étoient reliées croifioient -, mais il eft probable qu'elles ne parviendront pas à maturité. « Il paroît que l'hiver eft fort doux dans cette partie » de la Nouvelle-Zélande, puifqu'il ne gela pas allez pour » faire périr des plantes, qui meurent chez nous au mois » de Janvier & de Février. Les radis & les navets étoient » déjà en graines, les choux & les carottes, les oignons &c » le perfil, en abondance & en bon ordre : les poix & les » fèves étoient entièrement perdus, & ils paroifîbient avoir » été détruits par les rats. Les plantes indigènes du pays » n étoient pas fi avancées. Les arbres & les arbriflèaux » commençoient feulement à reverdir. Mais le lin, dont les » Naturels préparent leurs cordages, ctoit en fleur, ainfi » que quelques autres cfpèces qui pouffent de bonne-heure. » Après avoir cueilli du céleri & du cochléaria, Se tué des » oifeaux, nous retournâmes à bord. Je travaillai fur-le-» champ à décrire Si deifiner tout ce qui étoit nouveau a? pour nous, Se en particulier le lin, ( phormïum tenax ) s> qui mérite d'être universellement connu. On en a fait une gravure qui orne ce Voyage. » Le lendemain, je me rendis à l'anfe qu'habitoient les Infulaires , pour y jeter la feine. Je pris avec moi un verrat, une jeune jeune truie, deux coqs & deux poules, que nous avions .......» 1 1 ■ » ; apportés des Ifles. Je les donnai aux Zélandois, dans la par- A*N' I7J3« - r~ ,< j • S t * -r V, r . .Novembre, íuaíion quils en prendroient loin, puifqmls confervoient, depuis iix mois, la truie du Capitaine Furneaux; car je dois íúppofer qu'ils la prirent auflitôt après notre départ. Nous ne fumes pas plus heureux avec lafeine, que la premiere fois \ mais nous achetâmes des Naturels une aifez grande quantité depoiflbn. En faifant ce marché, je remarquai que les Indiens avoient beaucoup d'inclination à fouiller dans mes poches, & qu ils retiraient d'une main le poifîbn qu'ils venoient de nous donner de l'autre. Un des Chefs entreprit de réprimer ce fcandale, & ■> avec des yeux où fe peignoit la colere, il fît icmblant de vouloir écarter le peuple. Je louai fa conduite ; Ô£, en même-tems, je l'obfervai fi bien, que je le fur-pris tirant un mouchoir de ma poche. Je le lui laiffai mettre dans fon fein,fans paraître m'en appercevoir. Je lui dis en-fuite ce que j'avois perdu. Il feignit d'ignorer le vol 8¿ de montrer fon innocence y & lorfque je redemandois le mouchoir , il le rendit en riant, &c en jouant fi bien fon perfonnage, qu'il me fut impoffible de me fâcher contre lui, de forte que nous reliâmes amis, & qu'il m'accompagna à bord pour y dîner. Vers ce même-tems, nous eûmes la viiite de plufieurs Infulaires d'un autre diftricT: : ils arrivèrent fur quatre pirogues , chargées de poiffons & d'autres articles qu'ils échangèrent pour des pièces d'étoffe, 8¿c. Ces nouveaux Infulaires prirent leurs quartiers dans une anfe de notre voiiinage : le lendemain, de très - bonne heure, ils décampèrent avec fîx de nos petites pièces à l'eau, & ils furent fuivis de tous ceux que nous avions trouvés ici à notre arrivée. La retraite précipitée de ces derniers, fut, fans doute, occaiionnée par Tome IL O ■ le'vol que leurs compatriotes venoient de commettre. Ils Novembre." ia^erent derrière eux quelques-uns de leurs chiens , & le verrat que je leur avois donné le jour précédent, & que je fis reconduire à bord. Nos futailles furent la moindre perte que nous caufa la retraite de ces Habitans j nous perdions davantage dans le poíífon qu'ils nous fourniiîbient en abolit dance, & à très peu de frais.. « Ils avoient probablement enlevé les futailles pour » les cercles de fer: en nous fourni fiant du poiiîbn encore o» un jour, ils auroîent reçu en fer travaillé pour leur ufage, » trois ou quatre fois la valeur de celui qu'ils prirent; mais » on a déjà obfervé qu'ils ne font pas de réflexions, & qu'ils » -aiment mieux un clou, que icfpérance, même afiiiréey » d'en avoir quatre. » 9, Le 9 , le tems étoit beau , 8c le vent ibuffloît du N. E. : nous comptions voir bientôt arriver l'Aventure j mais les vents d'Oueft, qui reprirent l'après-midi, nous ôterent cette efpcrance. [ro, Le jour suivant, les Habitans que nous regrettions, revinrent, & ils nous donnèrent une quantité confidérable de poifions pour deux haches. « Le ciel étoit alore auifi inconftant & aufli orageux * que celui qui nous avoit tenu fi long-tems à l'entrée du » havre. Il fe paflbit à peine un jour fans raffaies, qui » defeendoient avec impétuofité des montagnes, & {ans de * groifes ondées de pluie qui retardoient tous nos travaux* 3» L'air croit communément froid Qc dur. La végétation ü * faifoit peu de progrès, &r on ne trouvoit des oifeaux que » dans les vallées, à l'abri des coups de vent du Sud. Cette » efpèce de tems régne, fuivant toute apparence, pendant » l'hiver,& fort avant dans l'été, avec un plus grand degré » de froid ou de chaleur. Les Ifles très-éîoignées d'uncon-» tinent, ou du moins qui ne font pas iituées près d'un con-» tinent froid, femblent en général avoir une température » uniforme \ ce qui provient peut-être de ce que la mer qui » les environne, eit partout la même. On voit par les Jour-» neaux Métérologiques, tenus au Port Egmont'fur les ifles » Falkland (a), que le plus grand froid & le plus grand *> chaud qu'on y a obfervé, pendant une année, n'excèdent » pas 30e1 de l'échelle de Fahrenheit. Ce port gît par 5 1* » 2/ de latitude, 6c l'anie du vaifleau dans le Détroit de la » Reine Charlotte, par 41t! 5 '. Cette différence confidérable » de poiition rend le climat de la Nouvelle-Zélande infini-» ment plus doux que celui desfiles Falkland.; mais il ne peut a? pas affecter fhypothèfe générale, fur la température de *> toutes les Ifles j &£ l'élévation immenfe des montagnes de » la Nouvelle-Zélande, dont quelques-unes font toujours couvertes de neige, contribuent, fans doute, à refroidir » l'air, de maniere que le climat eit fembîable à celui des 59 Ifle: Falkland, qui ne font pas fi hautes. » L'inclémence de la faifon n'empêchoit pas les Naturels (a) «Voyez le Journal des Vents, du Tems & des degrés de Chaleur y> & du Froid, mefurés par le thermomètre à l'Ifle Falkland , du mois y> de Février 1766 à celui de Janvier 1767, inférés dans la Collection des a» Voyages dans la mer Atlantique du Sud, par M. Dalrymple. O 2. . n de voguer dans ce fpacieux détroit. Towahangua,( dont Ann. i77î« » on a parlé ailleurs) notre ami, vint nous voir avec toute Novembre. ^ ^ famille pendant ce mauvais tems. Il monta fur le-champ » à bord, ainfi que fon fils, le petit Khoàa, &: fa fille Ko-oj parrée. On les introduifit chez le Capitaine, qui leur fit » plufieurs préfens, & qui revêtit l'enfant d'une de fes pro-» près chemifes. Cet enfant fut fi tranfporté de joie, que *> nos carreífes ne purent pas le retenir dans la chambre : * fa vanité voulut absolument Te montrer à fes compatrio-35 tes fur le pont, & il ne ceifa pas de nous importu-» ner, jufqu'à ce que nous l'eûmes laiifé forcir ; mais il eifuya » un malheur. Un vieil bouc, qui rodoit près de lui, & ■» effrayoit tous les nouveaux Zélandois , s'offenfa de la » figure grotefque du pauvre Khoàa, qui fe perdoit dans » les amples plis de fa chemife, &: il lui marcha deifus & y> le foula aux pieds avec beaucoup de complaifance. Il » fembloit prendre plaifir à lui donner de légers coups de » corne , & à l'étendre , tout de fon long , pour bien ialir » fi chemife. Les efforts inutiles de l'enfant pour fe relc-» ver, 6¿ fes cris , provoquèrent tellement le bouc, qu'il » alloit recommencer, fi les Matelots n'étoient accourus. « Sa chemiic étoit alors noire, & fon vifage & fes mains » couverts de boue. Dans cet état piteux, il regagna la » chambre du Capitaine. Il avoit l'air très-afiligé , les yeux » remplis de larmes, & il paroiflbit guéri de ia vanité. Il » raconta fes malheurs, en pleurant, à fon pere j mais loin » d'exciter fa pitié, le Sauvage, qui fe mit en colere, le battit » pour le punir. Nous nettoyâmes ia chemife, & nous » lui lavâmes tout le cotps ; ce qui n etoit peut-être pas * arrivé depuis fa naiiTance. Son pere cependant, craignant * un pareil malheur, roula foigneufement la chemife, & » ôtant fon propre habit, il en fit un paquet dans lequel il » plaça tous les préfens que lui & fon fils avoient reçus. » Le beau tems, de retour le iz, nous mit dans le cas d'achever le triage 8c la cuiffon du bifeuit , il y en eut deux mille deux cens quatre-vingt-douze livres de perdu , & trois mille autres livres, que notre fituation feule pouvoit nous faire manger. « Nous partîmes , dès le matin , leDoófeurSparrman ; » mon Pere & moi, pour l'anfe de l'Indien, que nous trou- » vâmes inhabitée. Un fermer fait par les Naturels, nous » conduifit à travers les forêts, allez avant fur les flancs » d'une montagne eicarpée, qui fépare cette anfe de celle » des Cormorans (a). Les Zélandois fembloient avoir pra- » tiqué ce chemin à caufe des fougères, qui croilfent en » abondance vers le fommet de la montagne , & dont les » racines leur fervent d'alimens. La partie la moins incli- » née du fentier, éroir taillée en efcaliers, pavés de lates ¡» ou d'ardoifes, mais au-delà les lianes retardèrent confidé- » rablement notre marche. La forêt finit à mi-chemin, & » le refte de l'efpace eft couverr de différens arbrifleaux » & de fougères, quoiqu'à le voir du vaiflèau il paroiflè nud » & ftcrile. Nous rencontrâmes, au fommet, des plantes qui » pouflent dans les vallées & aux bords de la mer, à la baie m Dusky y ce qui provient de la différence du climat, qui » eft beaucoup plus rigoureux à cette extrémité méridionale (a) Voyez la Carte du Détroit de Cook, dans la Co.îleciion d'Hawk-fworth. !__BB5 » de la Nouvelle-Zélande. Jufqu'au fommet, c'eft par-touf novembre" * la même argille talqueufe, commune fur-toute l'Ille, ou » une pierre de talc , qui tombe en morceaux & fe diffout » en lames quand elle eft expofée au folcii de à l'air. Sa » couleur eft blanche , grisâtre , de un peu teinte d'un fale r. jaune rouge, peut-être à caufe des particules de fer » qu'elle contient. Le côté Sud de la montagne eft revêtu « de forêts prefque jufqu a la cime. La vue dc-là eft étendue » de fort agréable : on apperçoit à plein la baie orientale de » le Cap Terawitte , au-delà du détroit. Les montagnes » couvertes de neige , au Sud, s'élèvent très-haut, de la perfpecfive de ce côté, a quelque chofe defauvage & du » défordre du cahos. Voulant lailîer un petit monument de » notre expédition, nous fîmes du feu, & nous redefeen-» dîmes par le lenticr que nous avions fuivi en montant. » Le lendemain au matin, nous allâmes à Long-ííland, où » nous découvrîmes un certain nombre de plantes de d'oi-» féaux nouveaux pour nous. Les bois à l'Eft reten ti ífoient » du bruit des petcrels cachés dans des trous fous terre , » qui coaifoient comme des grenouilles, ou qui crioient » comme des poules ; de nous jugeâmes qu'ils étoient de » l'efpèce plongeante dont j'ai parlé ailleurs. Il femble que » tous les peterels ont coutume de faire leur nid dans des » trous fotiterrains ; car nous en avons vu de l'efpèce bleue, » ou argcnts placés de la même maniere à la baie Dusky. » i jt Le 13 , nous eûmes un tems'fort agréable. Les Naturels nous apportèrent de très-bonne heure, une proviiion de poiifons , dont l'échange fe fit comme à l'ordinaire. Mais leur principale branche de commerce étoit le talc verd, ou la. pierre qu'ils nomment poenammoo , & qui rìeft pas d'une grande valeur ; cependant elle étoit ii fort recherchée par ^^J^l¿' nos gens, qu'il n'y avoit rien qu'ils ne donnaifenc pour en avoir quelque morceau. « Les matelots renouvelloient leurs premieres amours » avec les Zélandoifes. L'une de celles qui prodiguoient » leurs charmes, avoit des traits allez réguliers, oí quelque » choie de doux & de tendre dans les yeux. Ses parens l'o£ froient chaque jour en mariage, à un des contre-maîtres, »> chéri dune maniere fpéciale de cette Nation, parce qu'il » traitoit le peuple avec intérêt & affection, ce qui ne man-» que pas d'exciter l'attachement même des peuples fiu-» vages. Toghéerée , car c'eft ainii que s'appelloit cette fille, » fut au/îi fidèle à fon mari, que fi c'eût été un Zélandois, » & elle repouiloit impitoyablement les follicitations des jo autres matelots, en difant qu'elle étoit mariée ( arra tane ), » Quelque goût que l'Anglois eût pour fa femme Zélan-p doife, il ne tenta jamais de l'amener à bord, prévoyant » qu'il feroit malhonnête de nous rapporter la vermine » qui rempliifoit fes habits & fes cheveux. Il alloit donc la 3> voir à terre, & feulement pendant le jour ; il la réga-» loit de biieuit pourri , que nous avions jette comme » inutile j mais qu elle aimoit beaucoup. (Kdidée, notre pî lnfulaire de Bolabola étoit fi accoutumé, dans fa paso trie, à fe livrer à tous les mouvemeiis de la Nature, s> qu'il n'héfita pas à fatisfaire fes deiïrs à la Nouvelle Zé-» lande, quoiqu'il vit très-bien que les femmes n'y valoient m pas celles de fon pays. La force de l'initincV tiiomphok 9 de fa délicateife. Eh ¡ faut-il s'en étonner , puifque des ■"......■■"—■'!■ » Européens civilifés lui en donnoient l'exemple ? Sa con- ^Novcmbre' w duke envcrs ^es Zélandois mérite des éloges. Il découvrit >» bientôt que leur exiftence actuelle eft fort miférable , » en comparaifon de celle des Infulaires des Ifles du Tro? » pique, & il témoigna fouvent de la pitié, en faifant l'é-» numération de tout ce qui leur manquoit. Il diftribua des » racines d'ignames à ceux qui vinrent au vaiifeau au Cap n Noir-, ÒC il accompagna toujours le Capitaine, quand il » alloit planter ou femer un terrain dans ce havre. Il n'en-» tendoit pas allez bien leur langage, comme Tupia, pour » converfer aifément avec eux ; mais il le comprit dans =» peu , mieux qu'aucun de nous, à caufe de la grande » affinité qui eft entre ce dialecte & le fien. Notre féjour » aux Ifles du Tropique, avoit cependant rendu plus intelli-» gible pour nous le dialecte de la Nouvelle-Zélande, &c » nous voyions clairement qu'il reifemble beaucoup à celui ss des Ifles des Amis que nous venions de quitter. On peut » conjecturer de-là d'où un pays, fitué aufli loin au Sud » que la Nouvelle-Zélande , a pu tirer fon origine. si Le 14, nous nous rendîmes, le Capitaine, mon Pere » & moi, à l'Obfervatoire à terre, avec les télefcopes , 33 pour obferver l'émerfion d'un des fatellites de Jupiter. « D'après un grand nombre d'obfervations faites à dirférens 3o tems, par notre favant & infatigable Aftronome M. Wales, » la longitude du détroit de la Reine Charlotte eft de 174* 3> 15' Eft du méridien de Gréeiawich. 35 15. Le 15 , la matinée étant très-belle, nous allâmes defeen- dre à la baie de l'Eft, & nous montâmes fur les montagnes, qui í 4i qui commandent la partie orientale du détroit, pour tâcher i de découvrir l'Aventure. Nous fîmes, en pure perte , une A^e^e5/ courfe fatiguante ; car , parvenus au fommet , l'horizon oriental fc trouva tellement embrumé, que la vue ne se- tendoit pas à plus de deux milles. M. Forfter, qui étoit avec nous, profita de cette promenade, pour joindre quelques nouvelles plantes à fa Collection. Je commençai dès-lors à défefpérer de revoir l'Aventure ; de il m etoit imponible de concevoir ce qu'étoit devenu ce vaiffeau. Jufqu a préfent, j'imaginois qu'il avoit gagné quelque port du détroit, quand le vent fouilla du N. O., le jour (jiie nous mouillâmes dans l'anfe, de que nous y fîmes de feau. Cette conjecture pa- ïoiifoit d'abord raifonnable -, mais il n'étoit pas naturel de penfer qu'elle pût être douze jours dans notre voifinage , fans qu'on la vît ou qu'on entendît fes fignaux. La montagne , que nous venions de monter, eft la même où, en 1770, je pris une feconde vue du détroit ,6c où nous élevâmes une tour de pierres, que les Naturels avoient renverfée; ce fut, fans doute, parce qu'ils crurent y trouver quelque choie de caché. En defeendant, nous rencontrâmes un grand nombre d'Habitans autour de notre bateau. Après quelques échanges, après leur avoir fait des préfens, nous nous rembarquâmes pour retourner à bord ; fur notre route, nous vifitâmes d'autres Infulaires, qui le montrèrent honnêtes & affables. « Les Naturels nous avoient vendu des filets, que » nous eifayâmes l'après-midi, de avec lefquels nous prîmes » allez de poiffons. Us font faits de feuilles fendues, féchées Tome IL p . ■ " - » & battues, du lin dont on a parlé il fouvent : il n'y a ï!kif«^Sî" 31 auciine plante dont la tranfplantation promette tant » d'avantages à l'Europe. Le chanvre ce le lin qu'en tirent » les Zélandois, avec leurs inftrumens groillers, eft très-*> fort, doux, luifant & blanc, & celui qui a été préparé t> en Angleterre, après notre retour, a preique égalé le » luftre de la foie. Il croit fur toute efpèce de fol ; &, comme » il eft toujours de faifon, on peut le couper jufqu'à la raía cine chaque année, & il n'exige prefque aucun foin de » culture. » Les Indiens, que nous regardions comme nos Amis, 17» s'occupèrent toute la journée du 17, à pêcher dans notre voi-imagej&, dès qu'ils avoient pris du poiilon, ils nous l'appor-toienti de forte que nous en eûmes plus qu'il n'en falloir pour notre conlbmmation. « Nous employâmes la matinée a» à abattre de très-grands arbres , dont nous voulions raf-» fembler les fleurs, mais tous nos efforts furent inutiles f » â peine avions-nous coupé un de ces arbres, qu'il reftoit *> fufpcndu à mille liferons ou lianes, qui l'embarraiibient y> tellement du pied jufqu au fommet, qu'il n'étoit pas polli-» ble de l'en dégager. 11. n Le 11, au matin, deux pirogues, montées par des » femmes, vinrent de la côte : elles témoignèrent beaucoup » de frayeur fur le fort de leurs maris, qui, à ce qu'elles » nous dirent, étoient allé combattre. D'après la direction » qu'elles fembloient indiquer, nous conclûmes que leurs » ennemis habitoient quelque pofte dans la baie de l'A- n mirauté, » Nous ne fongions qu'à nous préparer a pu Capitaine Cook. 115 remettre en mer, ne pouvant nous réfoudre à attendre l'Aventure, au-delà du tems marqué pour notre réunion. Ann- llJ*' 1 Novembre. Les vents,qui régnèrent entre le Sud & FOueft,furent violens & accompagnés de pluies jufqu au tz , que le tems il. parut enfin fe rétablir, & nous promettre un ciel plus fe-rein, 8e des jours plus agréables. Le matin, nous reçûmes la viiite de quatre ou cinq pirogues pleines d'Indiens, qui nous étoient peu connus. Ils avoient avec eux divers articles curieux, qu'ils échangèrent pour des étoffes de Taïti, &c. Les échanges furent en. notre faveur, jufqu'à l'arrivée d'un vieillard, que nous avions déjà vu, àc dont les avis diminuèrent, en un inftant, les profits de notre commerce , de plus de mille pour cent. Apres le départ de ces Infulaires, je pris deux verrats & deux truies, avec deux coqs &: deux poules, que je débarquai au fond de la baie de l'Oueft, &: je les fis porter un peu avant dans le bois, où je les abandonnai avec aifez de nourriture pour une douzaine de jours. En cela, mon objet étoit de les renir au milieu de la forêt, & de les empêcher de defeendre, pour chercher leur nourriture fur le rivage, où ils auroient pu être découverts par les Naturels ; cependant ils fréquentent peu cette partie de la contrée, car on n'y voit aucune efpèce d'habitation. Nous laiifâmes encore des coqs &c des poules dans le bois de l'anfe du va i fléau. Mais ces volailles tomberont infailliblement entre les mains des Infulaires, dont la vie vagabonde ne leur permettra pas de les élever, quand même ils voudroient s'en donner la peine. Nous n'avions point vu la truie que nous leur donnâmes-, mais P z : ■ — ils nous a/îùrerent qu'elle vi voit encore, aulli-bien que le Novembre. verrat & Ia truie qu us avoienr reçus du Capitaine r urneaux. Ainfi, on peut efpérer que cette tentative fera plus heureufc que les autres. Ilferoit malheureux fi, avec toutes les précautions que j'ai prifcs, je ne parvenois point à peupler la contrée de ces utiles animaux. On nous dit auili que les deux chèvres étoient encore vivantes, &: qu elles couroient dans les bois ; mais j'ai bien de la peine à le croire. Je les aurois remplacées par deux autres, qui nous reftoient, fi' nous n'avions pas eu le malheur de perdre le bélier, auili-tôt après notre arrivée ici : je n'ai pu comprendre par quel accidenti car j'avois fait conduire ces deux bctes dans une tente., eii elles paroiifoient profpérer; mais bientôt le bélier fut attaqué d'une maladie, qui approchoit de la rage. Nous ne favions pas ii cetre maladie provenoit de ce qu'il avoit mangé j nous crûmes qu'elle étoit plutôt occafionnée par la pi-quuredes orties,qui croiifent en abondance dans les environs du débarquement} & en conféquence nous ne lui donnâmes pas les foins que nous aurions pu lui donner.. Une nuit, que cet animal étoit couché près de la fentinelle, iL fut faifi d'un de ces accès, & courut tète baillée fe précipiter dans la mer i mais il revint bientôt, & parut plus tranquille. Quelques jours enfuite , dans un autre accès, il fe mit à courir le long de la plage, & fut fuivi de la chèvre, qui revint feule v car pour le bélier, on ne le revit plus. Toutes nos recherches, pour le trouver dans le bois, furent en> pure perte. Nous conjecturâmes que, s'étant précipité une feconde fois dans la mer, il s'y étoit noyé. Il eût été inutile de laiifer la chèvre feule, uayant point de mâle; elle avoit mis bas quelques jours avant notre arrivée dans le détroit; mais fes chevreaux étoient morts. Le lecteur peut ■" ! voir, par ces détails, que j'ai fait tout ce qui étoit en mon ^^embre ' pouvoir pour peupler cette contrée de moutons & de chèvres. « En retournant au vaiffeau, nous rencontrâmes fepr » ou huit pirogues qui arrivoient du Nord, & qui, fans » faire aucune attention à nous, allèrent directement à » l'anfe de l'Indien, tandis que les autres vinrent à bord, » avec une grande quantité de vêtemens & d'armes de » toute efpèce, qu'ils nous vendirent. Dans cette feconde » relâche, nous ne les avions jamais vus avec de iî beaux » vêtemens. Leurs cheveux étoient attachés au haut de la » tête, & leurs joues peintes en rouge. Nous ne doutâmes » plus alors qu'ils ne fuflènt allés combattre, ainfi que les » femmes nous l'avoient dit la veille, car ils fe parent dans » ces occafions, le mieux qu'il leur eft poffible. Je crains » bien que notre préfence n'ait ranimé de malheureux diffé-» rends entre les Tribus. Les Officiers de notre équipage, » peu fatisfaits d'acheter les haches de pierre, les pattoo-x> pattoos, les haches de bataille, les étoffes, les pierres ver-a> tes, les hameçons, &c. qu'on nous apportoit, en dcmaiv » doient fans celle davantage, & nous leur montrions des » pièces d'étoffes fi précieufes pour eux, que fûrement » elles excitoient leurs defirs. Il eft vraifemblable que, dès » que ces fantaifies s'emparent de l'cfprit des Zélandois, ils » penfent que le moyen le plus court de les iatisfaire, eft: % d'aller dépouiller leurs voifins éc ces richcfîes îecher* m chées par les étrangers. La grande quantité d'armes , dornemens & d'étoffes qu'ils étalèrent alors, fembloit » prouver qu'ils ven oient d'exécuter l'infâme defTeindont je » parle, & finement ils n'en étoient pas venus à bout fans » verfcr du fang. * Le soir, à mon retour à bord, je trouvai nos bons amis les indiens, qui nous avoient apporté une quantité confidé-rabie de poiffons. Quelques Officiers,qui les vifiterentdans leurs maifons, y virent des os humains, de fpécialement des os de cuiile, dent la chair avoit été ôtée tout récemment» Ce fait, èc quelques autres circonftances nous firent croire que les Infulaires, que nous prenions le matin pour des étrangers, étoient de la même Tribu , & qu'ils nous avoient vendu les dépouilles de leurs ennemis. Le vaisseau fe trouvant en état de remettre en mer, &: de foutenir les hautes latitudes méridionales, j'ordonnai d'abattre les tentes, &¿ de tout rapporter à bord. Le Maître d'équipage étant allé dans le bois avec des Travailleurs pour faire des balais, on trouva ,dans une cafe, tout ce que les Indiens avoient reçu de nous, & plufieurs de leurs meubles. Il eft probable que l'un d'eux veilloit fur ce dépôt; car, dès qu'on l'eut découvert, les Indiens parurent, & emportèrent tout; mais, voyant qu'il manquoit quelque chofe, ils aceuferent nos gens de les avoir volés; &, le foir, ils me portèrent leurs plaintes, montrant celui qu'ils dénonçoient comme coupable : on punit cet homme en leur préfence, 6¿ ils"s'en retournèrent fatisfaits, quoiqu'ils n'euffent rien recouvré de ce qu'ils venoientde perdre. Je ne fis que d'inutiles perquifitions pour favoir ce qu'étoient deve- nues les choies qu'on leur avoir dérobées: il étoit cependant — 1 i m certain que le délit avoit été commis par quelqu'un du déta- AVNN' ^75' "Z.. ■ ' ., , : . a 1 Novembre, chement ê ce n était pas 1 homme même, que montrèrent les Infulaires: j'ai toujours penfé devoir punir les moindres crimes que les gens de l'équipage ofoient fe permettre contre ces peuples fauvages. S'ils nous voloient avec impunité ,ce ne-toit pas une raifon fumTante, pour ufer de repréfailles à leur égard; puifque nous voyions qu'ils ne peuvent eux-mêmes juihner leur conduite : ils fe trouvèrent léfés, & demandèrent légalement julfice. La meilleure méthode, félon moi, de vivre en bonne intelligence avec eux, cefi de leur montrer d'abord l'ufage des armes à feu, pour les convaincre de la fupériorité qu'elles donnent, & d'être enfuite toujours fur fes gardes. Alors le deiir de leur propre fureté les empêche de vous troubler, ou de fe concerter pour former un plan d'attaque; & d'ailleurs, de l'honnêteté, un traitement doux &ihumain à leur égard,leur feront fentir qu'il n'eft pas de leur inrérêt d'agir hoftilement. Toute la journée du i 5, il y eut des vents légers du 2,3, Nord,entremêlés de calmes, & nous ne pûmes pas remettre en mer, comme nous nous l'étions propofé. « On apperçut « le matin à notre aiguade, des Naturels qui mangeoient » des racines bouillies ou cuites avec des pierres chaudes; » & M. Witehoufc , le premier Contre-maître, en apporta » à bord quelques-unes , qui avoient un goût un peu meil~ » leur que celui du Turnep. Mon pere retourna à terre » avec lui, &, pour des bagatelles, il obtint plufieurs de ces *> racines; mais il eut peine d'engager deux Naturels àl'ac-» compagner dans les bois, afin de trouver lefpcce de plance JL-. '". » à laquelle elles appartenoient. M. Wirehoufe &: mon Pere • '773' » firent un chemin confidérable, iâns aucune efpèce d'ar-» mes, fe fiant à l'honnêteté de leurs guides, qui indique-» rent une eipèce de fougère appellée Mamaghoo, en i> difant voilà la plante qui donne la racine comcftible : ils « firent remarquer, en même-tems, la différence qu'il y a » entre cette fougère &: une autre qu'ils nomment PongaXjx » premiere efl remplie d'une pulpe tendre ou d'une moelle a» qui, loriqu elle eft coupée, diftillc un fuc rougeâtre d'une ?3 nature gélatineufê, prefque reiïèmblant au fagou : ce qui » eft d'autant moins fingulicr, que l'arbre, qui donne le fisi gou, eft une efpèce de fougère. La racine nourrilfante du » Mamaghoo, ne doit cependant pas être confondu avec » une mauvaiiê racine de fougère, acroflicum furcatum. » Linn. que mangent les pauvres Zélandois. Cette dernière sj a des branches infipides,qui, après avoir été grillées quel-i> que-tems fur le feu, font battues ou brifées fur une pierre n avec un morceau de bois reifemblant beaucoup au mar-» teau, qui fert à Taïti à fabriquer les étoffes, excepté qu'au » lieu d'être quarre, il eft rond & point iilloné. On fucc sì enfuite le peu de jus qu'il y a, 8c on jette le refte. Le si Mamaghoo au contraire eft très - bon à manger : feule-» ment il n'y en a pas pour toute l'année. En revenant des » bois, ils furent témoins d'un fût qui prouve la férocité de mœurs de cette Nation fâuvage. Un petit garçon, d'en-» viron fix ou fept ans, demanda un morceau de pinguin « grillé , que fa mere tenoit à la main ; comme elle ne le » lui accorda pas tout-de-fuite, il prit une grolle pierre » qu'il lui jetta à la tête. La femme fe mit en colere, & » courut pour le châtier ; mais, dès qu'elLe lui eut donne tu \c premier bu Capitaine Cook. ih » íe premier coup, fon mari s'avança, la battit impitoya- ——— » blcmcnt, la renverfa à terre, & la foula aux pieds, parce ^v"¿t¡«.' » qu'elle avoit voulu punir un enfant dénaturé. Ceux de » nos gens, qui rempliiïbicnt les futailles, dirent à mon » Pere, qu'ils voyoient fouvent de pareils exemples de » cruauté, Si fur-tout des fils qui frappoient leur mere, » tandis que les peres la guettoient , pour la battre eux- » mêmes, fi elle entreprenoit de fe défendre ou de châ- »> tier fon enfant. Le fexe le plus foible eft maltraité chez » routes les Nations fauvages, Si on n'y connoît d'autre » loi que celle du plus fort. Les femmes font des ferviteurs » ou des elclaves qui font tous les travaux, Si fût lefquels » fe déploie toute la févérité du mari. Il femble que les » Zélandois portent cette tyrannie à l'excès : on apprend » aux garçons, dès leur bas-âge , à méprifer leurs mères. » M. Cook, M. Wales & mon Pere, allèrent , l'après-*> midi, à Motuaro , afin d'y examiner nos plantations , & » d'y cueillir des légumes pour les vaifleaux. » Sur ces entrefaites , quelques Officiers dépendirent au rivage pour s'amufer avec les Habitans. Ils virent, au milieu de la plage, la tête & les entrailles d'un jeune homme, rué depuis peu y &le cœur enfilé à un bâton fourchu, arbore à l'avant d'une de leurs grandes pirogues. Un Officier acheta cette tête , qu'il apporta à bord, où un morceau de la chair fut grillé Si mangé par un Indien, en préfence de tous les Officiers Se de la plus grande partie de l'équipage. Jetois alors à terre , Si je fus informé de cette circonftance à mon retour à bord ; j'y trouvai uue foule d'infulaites, Si la têtç Tome IL Q ..... SB mutilée ( car il y manquoit la mâchoire inférieure ) fur le ^ovembreV col*ronnement. Le crâne avoit été rompu du côté gauche, précifément au-deifous de la tempe •> & les relies du vifage annonçoient un jeune homme de moins de vingt ans. La vue de cette tête fanglante, & les détails de 1 affrcuic ¿cene qui venoit de fe paifer, me frappèrent d'horreur, & me remplirent d'indignation contre ces Cannibales. Mais, confidérant que c'étoit un mal fans remède, la curiofité l'emporta fur la colere ; &, voulant être le témoin d'un fait , que tant de gens révoquent en doute, j'ordonnai qu'on fît griller un morceau de cette chair, & qu'on le portât fur le gaillard d'arrière. Ce mets déteftable ne leur fut pas plutôt oifert, qu'un des Antropophages le mangea avec une avidité furprenante. A cet odieux fpedacle , quelques perfoniies de l'équipage fe trouvèrent mal. (Edidée , qui étoit venu avec moi a bord, en fut tellement affecte, qu'il devint immobile , & parut métamorphofé en une ffatue de l'horreur. Son agitation fe peignit dans tous fes traits d'une maniere impollible à décrire. Revenu de cet état, il fondit en larmes , &: continua de pleurer & de faire de vifs reproches aux indiens, en les traitant d'hommes méprilables, 6¿ leur difant qu'il n'étoit ni ne feroit jamais leur ami. Il ne fouffrit pas même qu'ils le touchalîènt. Il tint le même langage à celui qui avoit coupé le morceau de chair, & ne voulut point accepter le couteau qui avoit fervi à cette opération. Telle fut l'indignation d'CEdidée contre cette abominable coutume. Il me eut impossible de découvrir la caufe d v Capitaine Cook. 123 qui les avoit portés à cette expédition j tout ce que je «il , ■'■!- favois de certain, c'eil qu'ils étoient allés à la baie de l'Ami- A™' 1773' y 1 \ vr\ a. y Novembre, rauté , la feconde ouverture a 1 Ouelt ; & que là,ils s étoient battus contre leurs ennemis, dont plufieurs reflètent fur la place. Ils me difoient en avoir tué cinquante, ce qui n'eft guère probable , puifqu eux-mêmes ne formulent pas un corps plus nombreux. Je crois avoir compris clairement que le jeune homme tomba mort dans le combat, & qu'ils ne favoient pas fait prifonnier, pour le ruer de retour chez eux. Je n'ai point appris qu'ils en euflènt amené d'autres ; ce qui rend moins vraiiemblable encore qu'ils en euftent tué un fi grand nombre. Nous pouvions croire aulîi qu'ils n'étoient pas revenus fans perte ; car nous vîmes une jeune femme le faire des cicatrices, félon la coutume du pays, quand ils perdent un ami ou un parent. •c Comme les plus petits détails, fur ce fait, font inté-sv reifans, j'ajouterai que M. Pickerfgill acheta la tête, pour » un clou , & qu'elle eft dépofée maintenant à Londres, » dans le Cabinet de M. John-Hunter , Membre de la » Société Royale. Les Zélandois qui vinrent à bord, tandis » que tout l'équipage examinoit cette tête, témoignèrent » un grand defir de l'avoir , & ils nous firent remarquer 5 » par des lignes très-ciairs, qu'elle étoit délicieufe : nous ne » jugeâmes pas à propos de la leur accorder j mais nous » confentîmes à leur couper un petit morceau de la joue : » ils furent fort fatisfaits; ils ne voulurent cependant pas le » manger crud, &: ils nous prièrent de le cuire : on le grilla, » & ils le mangèrent en préfence de tout le monde, » comme on l'a déjà dit. Q * t . ■■ "'" ■ » La seconde expérience , dont le Capitaine voulut Novembre^ M ^tre témoin ,produifit des effets bien différens fur les fpec- » tateurs ; les uns, en dépit de l'horreur que nous infpire » l'éducation contre la chair humaine, ne femblcrent pas » fort éloignés de partager ce mets , & ils eiîàycrent de » faire de l'efprit, en comparant les batailles des Zélandois à des chaffes. D'autres, fi furieux qu'ils defîroicnt qu'on » maiîacrâr tous ces Cannibales étoient prêts à devenir » de déteflables afîàffins, pour punir le crime imaginaire » d'un peuple qu'ils n'avoient aucun droit de condamner : » plufieurs vomirent , comme s'ils avoient pris de l'éme- » tique : le refte déploroit la brutalité de la nature humaine. *» (Edidée ne put pas iouffrk long-temps la vue de cette » fcêne , il fe retira dans la grand - chambre , &C là, il le •> livra à tout l'accablement, & à tout le défordre de fi » douleur. J'allai l'y voir , & je le trouvai entièrement » baigné de larmes -, il me parla beaucoup de l'affliction » des parens infortunés de la victime qu'il avoit vu * manger. Cette épreuve nous donna la meilleure opinion » de fon cœur.Son trouble dura plufieurs heures &,dans » la fuite, il ne nous a jamais entretenu, fur cette matière, p fans émotion. » Que les habitans de la Nouvelle-Zélande , foient an-tropophages, c eft un fait qu'il n'eft plus permis de révoquer en doute. J'avois cité, dans mon premier Voyage, des détails aifez démonftratifs de cette coutume ; mais j'ai appris depuis qu'ils ont été décrédités par plufieurs perfonnes, qui , fans doute, n'ont jamais férieufement réfléchi fur fetat naturel de l'homme fauvage, ou même de Tuonarne un peu cfvilifé. Les nouveaux Zélandois ne font plus dans la pre-----........Sg miere barbarie. Leur conduite, envers nous, étoit courageufc A*N> 17,7 5* 6 Novembre, & honnête ; us montroient de 1 empreliement a nous obliger dans toutes les occafions. Il y a -, parmi eux , des Arcs qui fappofent beaucoup de jugement ài une patience infatigable j & ils ont généralement moins de penchant pour le vol, que les autres Infulaires de la mer Pacifique. Je crois que ceux d'une même Tribu , ainii que les Tribus qui font en paix , fe comportent honnêtement entr'eux r & vivent en bonne intelligence. La coutume de manger leurs ennemis tués dans un combat, ( car je fuis perfuadé qu'ils n'en mangent point d'autres ) eft indubitablement de toute antiquité j & chacun fait que ce n'eft pas une choie aifée, de faire renoncer une Nation à fes anciens ufages , quelque atroces, &: quelque fauvages qu'ils puiflent être ; particulièrement fi cette Nation n a aucun commerce avec d'autres peuples. Ce neft qu'en fe communiquant, que la plus grande partie du genre-humain s'eft civiîifé ; & les habitans de la Nouvelle-Zélande font privés de ces avantages par leur poiition. Le commerce des étrangers adouciroit leurs mœurs, & poliroit leur eiprit farouche : ou même, s'ils étoient réunis fous une forme £xe de Gouvernement, ils auroient moins d'ennemis, & conféquemment cet ufage , moins pratiqué, pourroit, avec le tems,fe perdre dans l'oubli. Ils ont maintenant peu d'idées de cette premiere maxime de la Loi naturelle, traite les autres comme tu voudrois l'être toi-même y ils les traitent , comme ils s'attendent à en être traités. Si j'ai bonne mémoire , un des argumens qu'ils firent le plus valoir à Tupia, qui fouvenr leur adreffoit de fangians reproches fur cette horrible c outume, fut qu'il n'y a pas de mal à tuer & à gjsás...........111 manger un homme, qui en feroit autant lui-même y car, Novembre ' ^^nc"^s > ma^ Peut-il y avoir à manger des ennemis que nous avons tués dans une bataille ? Nos ennemis ne feroient-ils pas la même choie de nous ? Je les ai fouvent vu prêter une extrême attention aux difcours de Tupia j mais je n'ai jamais obfervé qu'ils fuflènt fatisfaits de fes argumens , ni que toute fa rhétorique en perfuadâtun feut de l'injultice de cet ufage, & quand (Edidée Se quelques autres en montrèrent de l'horreur, ils rioient de leur iîmplicité. Entre différenres raifons alléguées fur l'origine de cette effroyable coutume, on a cité le défaut de nourriture animale i mais je ne fais pas fi on peut déduire cette raifon des faits & des circonifances, rapportés par les Voyageurs. Sur tous les endroits où j'ai abordé, la pêche eft fi abondante, que les Infulaires prennent toujours une quantité de poiilons, plus que fufhTante pour leur confommation 8¿ pour la nôtre. Us élèvent beaucoup de chiens, & l'on voit grand nombre d'oifeaux fauvages, qu'ils favent tuer très-adroitement. On ne peut donc alléguer ni la fum , ni le befoin d'aucune efpèce d'alimens, pour une des cauies de leur antropophagie. Mais quelle qu'en foit la raifon , il eft évident, je penfe , qu'ils ont beaucoup de goût pour la chair humaine. « Comme nous avons vu de nos propres yeux des » Zélandois manger de la chair humaine, il faut efpérer » que déformais on ne le révoquera plus en doute. Au-lieu » denier des faits évidens, il vaudrait mieux chercher à en » découvrir la caufe. Les opinions des Auteurs fur l'origine » del'Antropophagie, font infiniment variées, & le favant ». M.Pa\y les a raftèmblécs dernièrement dans fes Recherches » philofopkiques fur les Américains , vol. I. Le défaut » d'alimens eft le premier qu'il allègue ; M. Cook vient de ^çm>|f ' le combattre , & j'ajouterai en outre, qu'on ne cite aucun « pays de Cannibales , où la Nature ne produife pas aiTez » de fubfiftance pour fes habitans. L'Ifle Septentrionale de *> la Nouvelle-Zélande , fur une côte de près de quatre » cens lieues, contient à peine cent mille Infulaires, fuivant » les calculs les plus probables. Ce nombre eft peu confi-» dérable pour une fi grande étendue de pays, même en » fuppofant que les établiifemens ne paflènt pas la côte de » la mer: & H faut bien que la terre y produife aifez d'ali-» mens, puifqu ils en vendent aux étrangers qui y abordent.. » Il eft vrai qu'avant la naiffance des Arts, avant finven-» tion des filets, &c la culture des patates , les moyens de » fe nourrir étoient plus difficiles j mais alors le nombre » des habitans étoit aufïï infiniment moindre. Je conviens » cependant que les befoins du corps portent fouvent les » hommes à des actions extraordinaires , car en 1772, , » pendant une famine qui défola toute l'Allemagne, on » prit, fur les terres du Baron Boineburg en HeiTe,un Berger » que la faim avoit obligé de tuer & de dévorer un petit » garçon , & qui enfuite mangea de la chair humaine pen-» dant plufieurs mois. Il avoua qu'il trouvoit délicieule » la chair des petits enfans ; & les Zélandois , comme on » l'a remarqué, font du même avis. Une vieille femme » de la Province de Matogroffo , au Bréfil , déclara au » Gouverneur Portugais (a) qu'elle avoit mangé plufieurs ( a ) M. de Pinto 3 maintenant ArnbaiTadeur de Portugal à la Ceux-ci-Angleterre* 1 " » fois de la chair humaine, qu'elle faimoit beaucoup , s¿ ^orembre " M ^toit charmée d'en manger encore , fur-tout il » c'étoit un quartier de petit garçon \ mais, d'après de pareils sa faits, il eft abfurde de fuppofer que des Nations entières ¡» tuent des hommes, pour avoir le plaiik de s'en régaler » parce que ce goût eft abfolumcnt incompatible avec » l'exiftence de la Société. Des caufes légères ont toujours » produit les evénemens les plus remarquables dans le » monde, & les plus petites querelles ont jeté, entre les » peuples, des germes de haine & de reffentiment qui ne » finirent point. La vengeance eft la plus- forte des paf » fions chez les Barbares, moins fournis que les peuples » civilifés au joug de la raifon , & elle leur infpire un degré » de fureur , capable de tous les excès. Les peuples, qui »> les premiers ont dévoré le corps de leurs ennemis , fem-» blent avoir voulu en anéantir jufqu'aux reftesj trouvant » peu-à-peu cette viande faine & agréable, il ne fuit pas » s'étonner que cette pratique foit devenue un ufage toutes * les fois qu'ils tuoient des ennemis : puiiquc l'action de » manger de la chair humaine , quoique l'éducation puiffe » nous infpirer un goût contraire, eft certainement indif-« ferente en elle-même. Elle n'eft dangereufe que parce « qu'elle endurcit lame , & détruit les liens de la So-« ciété civile 3 voilà pourquoi cette coutume s'anéantit ' ?> dès que la civiiifation a fait quelques progrès. Si nous p fommes trop polis pour être Cannibales, il nous paroît » moins cruel & moins dénaturé d'entrer en campagne, » de nous maflacrer par milliers , fans autre motif que >? l'ambition d'un Prince, ou le caprice de fa maîtreiîè ? a* La répugnance que nous éprouvons à manger un » homme » homme mort , n'eft-elle point l'effet d'un préjugé , -, ■ » puifque nous ne fentons point de remords à le priver de novembre.' » la vie? N'a-t-on pas vu des peuples civilifés commettre, » parmi des Cannibales, des actions plus atroces que celle * de manger de la chair humaine ? Un nouveau Zélandois » qui tue & mange fon ennemi, eft moins abominable qu'un » Efpagnol qui, pour fon amufement, arrache un enfant » du fein de fa mere, & le jette , de fang froid, à terre * pour en nourrir fes chiens (a). » Neque hic lupis mos nec fuit leonibus. *> Nunquam nifi in difpar feris. HorAT. » On a déjà remarqué que les Zélandois ne mangent » point leurs ennemis, à moins qu'ils ne les tuent dans des » batailles; ils n'égorgent jamais leurs parens pour le nourrir » de leur chair y ils ne les mangent pas s'ils meurent d'une » mort naturelle •> ils ne leur donnent pas des mets fuccu- » lens pour les mieux engraiflèr ;& cependant on a allure » tous ces faits, avec plus ou moins de vérité, des fauvages » de l'Amérique ; il eft donc probable que cette coutume * s'anéantira par la fuite des tems , & l'introduction des » animaux domeftiques d'Europe, hâtera peut-être cette » époque, car une plus grande opulence les rendra plus » fociables. La Religion ne femble pas être un obftacle à cet » ufage cruel : autant que nous en pouvons juger, leurs » iiiperftitions n'ont rien d'extraordinaire , & les facrifices (a) L'Evêque Las-Cafas dit qu'il a vu des Soldats Efpagnols corn-sacttre, en Amérique, ce crime atroce. Tome IL R - ■ ■'......" humains, offerts aux Dieux, n'ont continué , après la Novembre.' * civilifation, que chez les Nations très-fuperftitieufes.. » Tupia , le feul qui put faire une converfation fuivie » avec les Zélandois , découvrit bientôt qu'ils reconnoif-» fent un Etre fuprème ; ils croient auifi à quelques Divi-re nités inférieures \ leur fyftême de Polythéifme répond à » celui des Taïtiens : il doit être de très-ancienne date, & » tirer fon origine de leurs Ancêtres communs. Nous n'a* » vons pas obfervé, à la Nouvelle-Zélande, une feule cé-=» rémonie, qui parût avoir le moindre rapport à la Religion, » & je n'ai remarqué que deux chofes, qui femblent en avoir » un éloigné. La premiere cil le nom dUAtuée, ( l'oifeau de la î> divinité qu'ils donnent quelquefois à une efpèce de Bou-» vreuil y (a) Certhia cincinnata ) on croiroit que ce nom *> fuppofe la même vénération qu'on a pour les Hérons » & les Martins-Pêcheurs à Taïti, &c aux Ifles de la Société ; » mais je ne puis pas dire, qu'ils nous aient témoigné le » moindre défit de coniêrver la vie de cet oifeau plutôt » que des autres. La feconde chofe c'efl l'amulette de pierre 93 verte qu'ils portent fur la poitrine, &: qui eit fufpendue » à un collier \ elle en de la grofîèur de deux écus 3 5j & fculptée de maniere qu'elle reiîèmbie à une figure » humaine. Ils rappellent Etée-Ghée, ce qui,fans doute, » équivaut à lEtée Taïtien (b): à Taïti & fur les Ifles ( a ) Nos Matelots l'appelloient le Po¿"3 & fon nom ordinaire à la Nouvelle-Zélande , eft Kogo. ih) Qu'on devroit prononcer E~Tce-ù* d u Capitaine Cook. 131 » voifincSjEtée lignifie une image de bois repréfentant une S » figure humaine, érigée fîir un bâton dans les cimetie- *j » res en mémoire des morts, mais pour laquelle on n'a a aucun rcfpecì: particulier. Il paroit qu'on fait ufage du * Téeehée de la Nouvelle-Zélande dans la même vue ; » mais il n'cit pas plus révéré, car quoiqu'ils ne vouluffent » point la vendre pour des grains de verre y cependant ils » ne manquoient pas, dans le détroit de la Reine Char-» lotte, de nous la céder pour une demi-verge de drap » large ou de iêrge rouge. En outre , ils parent fouvent » leur col de plufieurs rangées de dents humaines, que nous » prîmes pour des trophées de leur valeur, puifque c'étoient » les dents des ennemis qu'ils avoient tués. Nous n'avons » apperçu , parmi eux, ni Prêtres , ni Jongleurs d'aucune » efpèce, ce qui explique pourquoi ils font fi peu fuper-» ftitieux. Lorfqu'une fociété a acquis les aifances de la vie, » cefi alors qu'il y a des individus allez adroits pour raffiner » fur les idées de Religion, afin de jouir de quelques avan-» tages particuliers, & les Zélandois ne font pas encore » dans ce cas. » Je dois obferver qu' dance du poiilbn frais, & qu'ils nous en vendoient, cha- » que jour , aifez pour notre confommation : c'eft plutôt » parce que leur goût étoit différent du nôtre , & parce » que ce pain avoit le mérite d'être nouveau pour eux, qui » font accoutumés à le nourrir de poiiTon. On fait que les » alimens pourris ne déplaifent point aux peuples fauvages (a). » Ils eurent foin de chercher auífi , dans l'emplacement de » nos tentes, des clous ,de vieilles guenilles, &c. {a) Voye* l'EÎprit des Ufages des différais Peuples¡ t. T. des Alîmenv & des Repas. bu Capitaine Cook. 133 Le 15, de très-bonne heure, nous levâmes l'ancre mais ■ ■■ » la brife étoit fifoible en-dehors de l'anfe, qu'elle ne nous A*N* '^5' i** uiii^ <~ » ^ Novembre... conduit qu'entre Motuara & 1 Iile-Longue, où nous fumes obligé de laiflèr tomber l'ancre: «Une chaloupe fut envoyée » dans nos jardins, pour y cueillir des choux > & mon Pere » profita de l'occafion pour faire fes dernières recherches » fur la côte , &il eut le bonheur de trouver quelquesplan-» tes que nous ne connoifïions pas encore. » Bientôt la brife foufflant du Nord, nous appareillâmes une feconde fois, fortîmes du détroit, & fîmes route pour amener le Cap Téearawhitte. Pendant notre féjour dans le détroit, les Indiens nous approvisionnèrent abondamment de poifîon, ôc à très-bon prix. Outre les végétaux, que nous fourniffoient nos jardins, nous trouvions encore par-tout une grande quantité de creffon & de céleri, qu'onpréparoit, chaque jour, pour tous les gens de l'équipage , que, durant les trois mois précé-dens, ce mets avoit maintenus en fante : nous n'avions alors perfonne fur les quadres. Je crois devoir obferver, pour les Navigateurs qui fréquenteront ces parages , qu'il nous reftoit encore un peu du porc falé à Uliétéa, & qui étoit très-bon. Cette fâlaifon fe fit de la maniere fuivante. Durant la fraîcheur du foir, on tuoit les cochons, on les dépouilloit, on les coupoit par morceaux , qu'on défoiîbit , & on en faloit la chair , tandis qu'elle étoit encore chaude. Le lendemain, on lui donnoit une féconde couche de fêl, & on la mettoit dans des tonneaux, avec une quantité fuffifante d'une forte faumure. Il faut avoir foin que la viande foit bien recouverte parla faumure, autrement elle ne tarderoit pas à fe gâter. !— ■ '.'■!■'— Le matin , avant de faire voile, j'écrivis un billet, où je novembre." marcluai ^e tems de notre dernière arrivée dans le détroit, le jour de notre départ, la route que je me propofois de tenir, & quelques autres inftructions que je jugeai néceifaires, pour le Capitaine Furneaux , en cas qu'il vînt relâcher ici & je mis ce papier dans une bouteille que j'enterrai au pied d'un arbre , au milieu du jardin qui eft au fond de l'anfe, de maniere qu'il pût être trouvé par cet Officier, ou par quelqu'autre Européen. Néanmoins je ne pouvois gueres efpérer qu'il tombât entre les mains de la pcrfonne pour qui je l'écrivois ; il étoit difficile de croire que l'Aventure fût dans quelque port de la Nouvelle-Zélande, fans que, dans cet intervalle, nous n'en euilions eu des nouvelles. Mais je ne pus me réfoudre à quitter la côte , avant de faire de nouvelles recherches pour découvrir ce bâtiment. Ce fut dans cette vue que je cinglai vers le Cap Teerawhitte, & qu'en-iîiite je contournai la côte de pointe en pointe, jufqu'au Cap Pallifer , tirant des coups de canon de demi-heure en demi-heure ; mais tous nos foins furent infructueux. A huit heures, nous mîmes en panne pour palier la nuit , le Cap Pallifer nous refiant au S. E. ~ E. à trois lieues, & dans cette pofîtion nous avions cinquante brafîes d'eau, J'eus alors une occafion de faire les remarques fui-vantes, fur la partie de la côte qui eft entre les Caps Teerawhitte & Pallifer. La baie, fur le côté occidental du dernier Cap ne paroît point courir û avant dans les terres, au Nord , que je favois d'abord penfé j l'erreur venoit de ce que la terre du fond de la baie eft extrêmement baffe. Cette baie cependant a pour le moins cinq lieues de profondeur , pu Capitaine C o o k. i 3 ç & autant de largeur à fon entrée. Quoiqu'elle paroiife expo- ■ fée aux vents du Sud & du S. O. , il eft probable qu'il y a ambici au fond des endroits à l'abri même de ces vents. La baie ou entrée, fur le côté oriental du Cap Teerawhitte , devant lequel nous mouillâmes , gît au Nord, un peu à l'Oueft , & femble à l'abri de tous les vents. Le Cap du milieu, ou la pointe qui fépare ces deux baies, s'élève à une hauteur considérable, fur-tout dans la partie du derrière j car, près de lamer, il y aune bordure de baile terre , en travers de laquelle on trouve quelques rochers pointus y mais ils font il près du rivage , qu'ils ne font point du tout dangereux. La navigation , de ce côté du détroit, eft beaucoup plus sûre que l'autre , parce que les marées y font bien moins fortes. Le Cap Teerawhitte & le Cap Pallifer y giflent dans la direction du N. 69a O., & S. 6$d E., à dix lieues l'un de l'autre. Celui qui fépare les deux baies , dont on a parlé ci-deiîus, eft au-dedans, ou au Nord de cette direction. Toute la terre, près de la côte, entre ces Caps & aux environs, eft extrêmement Iterile, vraifcmblablemcnt parce qu'elle eft fi expofée aux vents froids du Sud. Du Cap Teerawhitte aux deux Frères, iitués en travers du Cap Koamaroo, la route eft prefque N. O. l- N. & la diftanee de feize milles. Entre le Cap Teerawhitte & l'Hic d'entrée , il y a, au Nord, une lile allez près de la côte. Je jugeai que c'eft une lile , quand je la vis lors de mon premier voyage;, mais, comme je n'en étois pas sur , je laiifai ce point indécis dans une carte du détroit ; &c voilà pourquoi j'en parle maintenant , ainfi que des baies mentionnées ci-dellùs. .sí Le fond de cette baie , paroît très-convenable pour i $6 Voyage ssssssss » un ctablifïcment Européen. Il y a une grande étendue de N^ktfbre. n terie » ^11'^ ^ero^c de cultiver & de défendre. On y » trouve une quantité prodigieufe de bois ; &, fuivant tout© » apparence , il y a une riviere coníldérable. Enfin le pays » ne femble pas très-peuplé ; de lôrte qu'il feroit peu dan-» gereux d'avoir des querelles avec les Naturels, ce qui eft » fur-tout à redouter dans les divers cantons de la Nou~ *» velle-Zélande. Le lin ( Phormium tenax ), dont les Na~ » turéis font leurs vêtemens, leurs nattes, leurs cordages, » leurs filets, eft luifant, élaftique, & fort de maniere qu'il » pourroit devenir un article de commerce aux Indes, où » l'on manque de cordages & de cannevas. Dans les fiécles » futurs, lorfque les Puiiîânces de l'Europe auront perdu » leurs Colonies d'Amérique, on penfera peut-être à faire » de nouveaux établiifemens dans des régions plus éloignées ; » 8¿ fi jamais il eft poftîble aux Européens d'avoir aifez d'hu-». manité pour traiter en frères les Infulaires de la mer du » Sud, nous aurons des Colonies qui ne feront pas fouillées » par le fang des Nations innocentes, » z6. Le z 6, à la pointe du jour, je fis voile autour du Cap Pallifer , en tirant des coups de canon , comme à l'ordinaire, à mefure que j'avançois le long de la côte. Je marchai ainfi jufqu'à trois ou quatre lieues, au N. du Cap. Le vent fautant alors au N. E., je portai fur le Cap Campbell de l'autre côté du détroit. Bientôt après, voyant de la fumée s'élever au N.E., à quelque diftanee dans l'intérieur des terres, je ferrai le vent, & continuai à aller au plus près jufqu'à fix heures du foir. La fumée avoit difparu, & nous ne vîmes aucun autre figne d'Habitans. Tout du Capîtaïne Cook. 137 Tout le monde penfoit que l'Aventure ne pouvoit être ni échouée fur la côte, ni dans aucun des havres. Je novembre.* ne la cherchai plus, & je ne penfai plus à la revoir pendant le refle du Voyage , car je n'avois fixé aucun rendez-vous , après la Nouvelle-Zélande. Cette féparation cependant ne me découragea point, &: j'étois réfolu d'employer la faifbn fuivante à reconnoître pleinement les parties auftrales^de la rner Pacifique. Quoiqu'a notre départ de la côte, il n'y eut point d'ef-poir de revoir nos Compagnons de voyage, j'eus la fatis-faction de trouver qu'aucun homme de mon équipage n'étoit affligé, &: perfonne ne croyoit que nos dangerss'accroî-troient, parce que nous ferions iêuls. En général, l'équipage cingla avec autant de courage, du côté du Pôle Auftral, que ii une flotte eût marché de conferve avec nous. * Nous allions commencer cette nouvelle campagna » en auíli bonne fanté , fuivant les apparences, que lors de » notre départ d'Angleterre , mais peut-être que les fatili gues ôc les travaux continuels > que nous venions d'efîuyer, •» avoient réellement affoiblis nos corps. Outre les dangers » & les difficultés inféparables de cette navigation, nous » n'avions plus à bord d'animaux vivans , comme en quit-» tant le Cap de Bonne-Efpérance ; & le peu de provifions a> choifies qu'on fêrvoît aux Officiers, commençoient à 0 nous manquer, & nous n'étions pas mieux nourris que les fimples matelots. L'efpoir de rencontrer de nouvelles terres s etoit évanoui. Jufqu'aux fujets ordinaires de con-verfation, tout étoit épuifé. Cette campagne au Sud ne Tome IL S » prometfoft rien de nouveau à l'imagination ; &r elle ne le ^Novembre * * préfentoit à notre efprit qu'environnée d'horreurs &: de » périls. Nous venions de jouir de quelques beaux jours entre » les Tropiques ; les produirions des ïfles avoient couvert » nos tables de mets exquis, & le fpe&acle de différentes » Nations nous avoit procuré du plaiûr ; mais ce moment » agréable alloit être remplacé par un long période de » brumes, de gelées, de jeunes, & fur-tout par une en- » nuyeufe monotonie. L'Abbé Chappe, dans fon Voyage „ « àia Californie, obferve que la feule variété a des charmes » pourle Voyageur qui pafic d'un pays à un autre ; & la Phi- » lofophic exalte tellement fon imagination, que, fuivant » lui, la vie qu'on mene en mer , n'eft ennuyeufe & uni- » forme que pour ceux qui ne font pas accoutumés a re- » garder autour d'eux , & qui voient la Nature avec indif » férence. Si l'Abbé Chappe avoit eu le bonheur de faire » un Voyage au Cercle Antarctique, fans ces milliers de » volailles graifes, qui entretenoient fa bonne humeur , » durant fa petite traverfée de Cadix à la V era-Crux , il si n auroit peut-être pas parlé ainfi. » Je quittai les côtes de la Nouvelle-Zélande avec s> des idées très-différentes de ce Voyageur ; mais jetois a» animé par l'efpoir d'achever le tour du Monde, près du. » Pôle Aullral, dans une Latitude élevée, ^ du Capitaine Cook. 139 ^^^^^^^^^ ; > chapitre vl 'Départ de la Nouvelle-Zélande. Route du Vaif feaudans la recherche d'un Continent. Récit des différens objlacles qu'a oppofé la glace. Méthodes Jiiivies pour reconnoître la mer Pacifique Aujlrale. Le z6 , à huit heures du foir , je pris mon point de départ du Cap Pallifer, &: je gouvernai au Sud un peu à l'Eft, t^0yj7¿* avec un vent favorable du N. O. Se du S. O. Nous voyions chaque jour des paífés-pierres, des veaux marins, des poules du Port-Egmont, des albatrofTes, des pintades, Se d'autres peterels; &, le z Décembre, par 48e113' de latitude Sud, ¿Décembre; Se 179* 16 de longitude Oueft, nous apperçûmes plufieurs penguins au bec rouge, qui demeurèrent autour de nous le lendemain. Le 5, par 50a 17 de latitude Sud, Sz 179* 40' de ^ longitude Eft, la déclinaifon de l'aimant fut de i8(i 2.$' Eft. Le lendemain,à huit heures & demie du fbir, nous ^ étions aux Antipodes de nos Amis de Londres, Se par conféquent à la plus grande diftanee poffiblc d'eux. « Le souvenir de nos familles Se de la douceur S x 1 > ..... » de nos fociétés, arracha un foupir à ceux dont le cœur décembre!' w ^enCoit les tendres liens de l'arTedion filiale ou paternelle. » Nous fommes les premiers Européens, & peut-être nous » fommes les feuls qui foyons parvenus à ce point. On dit * communément en Angleterre, que fir François Drake a » pafféfous l'arche du milieu du pont de Londres. Mais » c'eil une erreur , car il fit route le long de la côte d'A-» mérique ; cetce fauiïèté s'eft probablement répandue, » parce qu'il a palíelespcrioeci, ou le t8o° degré de Ion-so gitude dans le même cercle de latitude Septentrionale » fur la côte de la Californie. » g. Le 8, par 55* 3 9 de latitude, 8c ijSA 5 3' de longitude Oueft, nous cefsâmes de voir les penguins & les veaux marins, & nous en conclûmes qu'ils s'étoient retirés vers les Parties méridionales de la Nouvelle-Zélande : nous avions alors un vent fort du N. O. & une grolle houle du S. O» Nous atteignîmes cette houle, dès que la pointe Sud de la Nouvelle-Zélande fut dans cette direction ; mais , comme nous n'avions point eu de vent de ce rumb les fix jours pré-cedens, &: qu'au contraire, il avoit foufné de l'Eft-, du Nord & du N. O. j'en conclus qu'il ne peut pas y avoir de terreau Midi, fous le méridien de la Nouvelle-Zélande, à moins qu'elle ne foit très-loin au Sud. Les deux jours fuivans, le ciel fut orageux avec de la pluie neigeufe & de la neige i les vents fouffloient entre le Nord & le Sud-Oueft. jô; «Le 10, à midi, nous étions par 59a de latitude Sud, » fans avoir rencontré de glaces, quoique l'année pre- * cèdente nous en euifions trouvé, le 10 Décembre, entre » le 50 & le 5 ie degré de latitude. Il eft difficile de rendre ' * » raifon de cette différence j peut être l'hiver qui précéda Ann- ÎJ7$. 1 ;«"■,* Décembre. » notre premiere campagne, avoit accumule plus de glace, • que 1 année fuivante, ce qui eft d'autant plus probable i que nous apprîmes au Cap, que l'hiver y fut plus froid » qu'à l'ordinaire. Une rempête violente brifa peut-être » la glace du pôle, & la chaffa au Nord jufqu'à l'en-» droit où elle frappa nos regards: peut-être aufti que » cet effet fut produit par ces deux caufes, &par plufieurs » autres. » L'orage fe calma le 11:, & le ciel seclairciffant,nous re- tî^ connûmes que nous étions par 6td 15' de latitude Sud, & 173e1 41' de longitude Oueft. Ce beau tems fut de peu de durée : le foir, le vent devint fort du S. O. & foufrla par raffales accompagnées de groffes ondées de neige, de grêle & de pluie neigeufe. Le mercure, dans le thermomètre, romba à 3 z,d, par conféquent le tems très-froid fembloit in- , diquer que la glace n'étoit pas éloignée- Le lendemain, au matin, à quatre heures, par 6ili 10' n, de latitude Sud, & \ J%A de longitude Oueft, nous vîmes la premiere lile de glace, \ iâ \' plus au Sud, que nous ne l'avions trouvée l'année auparavant, après notre départ du Cap de Bonne-Efpérance. Nous apperçûmes en meme-tems un peterel antarctique, quelques albatroifes grifes, des pintades S¿ des peterels bleus. Le vent tourna du S, O. par le N. O. au N. N. E. Le plus fou vent il fut frais ik accompagné de neige, & dune brume épaifTej en conféquence, je gouvernai au S. JE. & à l'E,, en tenant toujours le vent fur la. „ i "."r perpendiculaire du vaiifeau, afin de pouvoir retourner à-décembre'* Peu:pL"ès la'même route, lì nous étions arrêtés pat des obftacfès. Nous avions, depuis quelques jours, une grolle mer dn N. O. & du S. O., de façon que, probablement, il n'y a point de terre proche entre ces deux points, 'Jitâ-issw and zm-*ow<.ovy¿rar¿ wfj .::r:-' - ¡ «Le i 3, le therrrromètre fe tint à 3 rd, 6c nous cinglâ-» mes à l'Eft, avec une brife fraîche, quoiqu'il tombât une » quantité prodigieufe de neige, qui remplilibit tellement » l'athmofphère, que nous ne voyions pas à dix verges devant » nous. (Edidée avoit déjà témoigné faiurprife, en obfervant n les jours précédens de petites ondées de neige Se de grêle: » ce phénomène eft abfolument inconnu dans fon pays. Ces » pierres planches, qui fe fondoient dans fes mains, étoient » miraculeufcs pour lui, 5c quoique nous eífayaílions de » lui expliquer, que le froid contribuoit à leur formation, ™ je crois que fes idées, fur cette matière, n'étoîcnt pas fort » claires. Les flocons de neige,qui ne celTerent de tomber » ce jour, le furprirent plus que tout ce qu'il ayoit vu juf-» qu'alors : après avoir coniidéré long-tems fes qualités fin-» guliercs, il nous dit qu'il l'appelleroit de la pluie blanche % » quand ilferoit de retour dans fon lile, lln'apperçut pas les » premieres glaces, parce que nous les dépallames de trop » bonne heure dans la matinée\ mais,deux jours après, à » environ 6■> baguettes, dont il faifoit foigneufement un paquet, ce » qui lui tenoit lieu de journal. A chaque lile qu'il avoit • vu & vifité, après fon départ des Ifles de la Société, il » avoit ajouté une petite baguette, de forte que fa collée-» tion montoit alors à neuf ou dix, dont il fe rappelloit » très-bien les noms, 8c la terre-blanche, ou whennua-téa-» tea étoit la dernière. 11 demandoit fouvent à combien » d'ausres pays nous aborderions en allant en Angleterre j » 8c, d'après quelques noms que nous lui dîmes, il forma » un paquet fépare , qu'il étudioit chaque jour avec autant » de foin que le premier. L'ennui de cette partie de notre » Voyage, le rendoit probablement fi emprelîe d'en connoî-.» tre la fin, 6c les provilïons falées, &la froideur du climat, » contribuèrent à le dégoûter. Son amufement ordinaire » étoit de détacher les plumes rouges des tabliers de danfe, • quïl avoit acheté à Tonga>Tabboo, & d'en faire un pa-» nache de huit ou dix. Il paifoit le refte de fon tems àfe » promener fur le pont, à parler avec les Officiers & les » Bas-Officiers, 8c à fe chauffer dans la chambre du Capi-» raine. Nous profitâmes de l'occafion pour nous inftruire » davantage de fa langue : nous corrigeâmes peu-à-peu le » Vocabulaire que nous avions fait aux Ifles de la Société ai 8c nous acquîmes ainfi, fur fon pays & fur les Ifles voîfi-» nés, des connohtances, qui nous portèrent à y faire - I BB » diverfes recherches durant notre feconde relâche. » Ann. 1775« í^Décembr. Nous rencontrâmes plufieurs grandes Ifles le 14, & à midi des glaces flottantes, à travers lefquelles je m'ouvris un paffage, par 64a 55' de latitude Sud, 8c i6$d 20' de longitude Oueft. Nous voyions des albatroífes grifes, des pete-rels bleus, des pintades 8c des hirondelles de mer. En avançant au S. E. ~ E. avec un vent frais de l'Oueft, le nombre des Ifles de glace s'accroiffoit prodigieufement autour de nous. Depuis midi, jufqu a huit heures du foir, nous n'en vîmes que deux i mais, avant quatre heures du matin du ï 5, 15, nous en avions dépaffé dix-fept, outre beaucoup de glaces flottantes, au milieu defquelles nous avions navigué. A fix heures, je fus obligé de marcher au N. E. afin d'éviter une immenfe plaine au S. 8c au S. E. Les glaces, dans la plupart des endroits, y étoient empilées : en d'autres, on voyoit des coupures dans la plaine, 8c au-delà une mer nette. Je crus qu'il feroit dangereux de la traverfer, parce que le vent ne nous auroit pas permis de retourner par le chemin où nous aurions pafléj d'ailleurs, comme il étoit fort èc le tems extrêmement brumeux par intervalles, je fus contraint de fortir promptement de ces glaces flottantes, qui font encore plus périlleufcs que les grandes Ifles, Cette glace n'étoit point telle qu'on en trouve ordinairement dans les baies ou rivières, Se près de la côte, mais pareille à celle qui fe détache des Ifles, 8c qu'on peut appeller proprement les parois des groffes pièces, ou les fragmens qui tombent quand les grandes Ifles commencent à s'écarter de l'endroit où elles fe forment. Nous ne portâmes pas lon^-tems au N, e. avant d'être infermi* r>u Capitaine Cook, 14«; enfermés : nous fûmes obligés de revirer & de faire force de voiles au S. O., ayant au Sud une plaine, ou des glaces n¿¿^¿ flottantes, S¿ au Nord plufieurs Ifles d'une groifeur énorme. Après avoir marché deux heures fur ce bord, le vent tournant heureufement à l'Oueft, nous revirâmes pour forcer de voiles au Nord, & nous for times bientôt des glaces flottantes, mais non pas fans recevoir des coups très - violens, des morceaux les plus gros, qu'avec tous nos foins nous ne pouvions pas éviter. En fortant d'un danger, nous rentrions dans un autre : le tems étoit brumeux, & plufieurs grandes Ifles embarralfoient notre route, de forte que nous avions à faire loff tout, pour en éviter une, &£ arriver tout plat., pour en éviter une autre. Nous fumes fur le point de nous brifer fur une de celles-ci, &c fi cela étoit arrivé, le vaifleau & tous les hommes de l'équipage, fins aucune exception, auroient péris. Ces obûacles, joints au peu de,probabilité de trouver terre plus loin au Sud, & à l'imporlibiiité de la reconnoîrrc à caufe de la glace, iuppofant qu'on en découvrît une, me déterminèrent à remettre le cap au Nord. Lorfque nous revirâmes la dernière fois, nous étions par i 59d zo' de longitude Oueft, & fût de latitude Sud. Nous vîmes plufieurs penguins fur les Ifles de glace, & quelques peterels antarctiques dans l'air, « Malgré les périls continuels auxquels nous étions » expofés , l'équipage étoit moins inquiet que je ne l'au-» rois cruj &, comme dans une baraille, le fpe&aclc de la » mort devient familier & fouvenr indifférent, ainfi nous » nous trouvions,chaque jour, en danger de périr, & nous » étions tranquilles, comme fi les flots, les vents & les Tome IL T 1111 » rochers de glace n avoient pas pu nous faire de mal, 4*?- I7i75 ' 39 Ces glaces étoient de toute forte de forme, comme celles Décembre. & m ,,//,, * que nous avions vu l'ete précèdent, Se nous apperce- » vions un grand nombre de pyramides, d'obélifques, Si » de clochers d'Eglife, dont la hauteur n'étoit pas fort úv » férieure à celle que nous avions obfervée parmi les pre- » mieres liles de glace en 1772 -, beaucoup d'autres au ftî » leur refiembloient ,î en ce qu'elles étoient très-étendues 5 » Se parfaitement unies «au fommet. » La quantité d'oi se au x , que nous avions rencontré P jufqu'ici dans.notre paffage, auroit perfuadé d'autres Na-od vigateurs, que nous étions proche de terre j mais nous ne » formions là-deifus aucune efpérance. • si '. $/.i£Ì^o;g;&qÌL^$ >fxh.-inm rî\' ú gai >S » Le tems,extremementhumide Se d'un froid défagréable, » fut funefte aux colombes Se aux pigeons, que plufieurs de » nos gens avoient acheté fur les Ifles de la Société, Se fur celles *> des Amis, ainfi qu'aux oifeaux chantans que nous avions »> eu tant de peine à prendre en vie à la Nouvelle-Zélande. » J'avois, à mon départ de ce pays, cinq colombes, mais » elles moururent l'une après l'autre, avant le 16 de Décem-» bre, parce qu'elles étoient plus expofées au froid dans nos » chambres, que dans les polies des Matelots. Le thermo-*> mètre ne s'y tenoit jamais qua 5 degrés plus haut, qu'en » plein air fur le pont. » Nous continuâmes à marcher au Nord avec un vent irais de f Oueft, accompagné de fortes ondées de neige % jufqu'à huit heures du foir: le vent diminua alors, le ciel commença à s'éclaircir ; Se, à iix heures du matin du 16, il y ■ eut calme. Quatre heures après, il fut fuivi dune brife du f^pJ^i N. E. avec laquelle nous forçâmes de voiles au S. E ayant une brume épaiife , des ondées de neige, Se tous nosagrêts couverts de glace. Le foit,on eifaya d'en prendre quelques morceaux, mais il fallur abandonner lentreprife : la met étoit trop grolle, Se les malles ii larges, que la chaloupe couroit des dangers à en approcher. Le lendemain, au matin, r7, on réuifit mieux, car à - » midi, on en remplit plufieurs bateaux : je fis voile alors à l'Eft, avec une petite brife du Nord, accompagnée déneige Se de pluie neigeufe, qui, en tombant, fe geloit fur les agrêts. Nous étions par 64a 41 de latitude Sud, Se 155e' 44' de longitude Oueft. La glace, que nous prîmes, n'étoit pas des meilleures j formée principalement de neige glacée, elle étoit poreufe, Se elle avoit abforbé beaucoup d'eau falée : cette faumurefedilîîpoit, après avoir été quelquc-tems fur le pont, Se on en tiroit une eau douce. Nous continuâmes à forcer de voiles à l'Eft, avec un vent du Nord d'un froid perçant, une brume cpaifîe, de la neige, Se de la pluie neigeufe, qui décoroit de glaçons nos agrèts. Nous rencontrions , à chaque heure, quelques-unes des grandes Ifles de glace, qui rendent la navigation Ci dangereufe dans ces latitudes élevées. a fept heures du foir, nous en trouvâmes un nouveau grouppe ; nous manquâmes de nous briier fur une d'elles, Se nous eûmes peine à ibrtir du milieu des autres. Je retournai à fOueft jufqu'à dix heures, mais la brume fe diifipa , Se je repris ma route à l'Eft. Le lendemain, à x$a midi, nous étions par 64a 49' de latitude S. s Se 149e1 19' T % ------m JBB de longitude O. Bientôt notre longitude, d'après la diftanee décembre * obíem'e du & de la lune, fut de 149a 19' O.; fuivant la montre de M. Kendal de 148e1 5 6', & fuivant mon effime cíe 148a 3' : latitude 64e1 48' Sud. Le tems clair, & le vent qui tourna au N. O., m'infpi-rerent le deiir de gouverner au Sud ; j'y portai en effet le 10. cap jufqu'à fept heures du matin du zo, que lèvent paflànt au N. E. & le ciel fe couvrant de nuages, je cinglai au S. E. L'après-midi,le vent fut fort,accompagné de brume épaifle, de neige, de pluie neigeufe & de pluie, c'eft-à-dire,du plus mauvais tems poifible. Nos agrêts étoient fi chargés de glace, que nous avions afTez à faire d'abattre nos huniers> pour doubler les ris. a fept heures du foir, pat 147e1 0 de longitude, je paifai une feconde fois le cercle antarctique ou polaire, &je continuai de marcher au S. E. jufqu'à fix 11. heures du lendemain matin : étant alors par 6yd 5' de latitude S. nous rencontrâmes tout-à-coup un grouppe de très-grofïès Ifles de glace, & une grande quantité de morceaux flottane-, &, comme la brume étoit extrêmement épaule ^ nous eûmes toutes les peines du monde à en fortir : je portai enfuite au N. O. jufqu'à midi : la brume étant un peu diflipéc, je remis le Cap au S; E. Les Ifles de glace que nous rencontrâmes le matin, étoient très-hautes & très-efearpées, & formoient à leurs fommets divers pics, au-lieu que la plupart de celles que nous avions apperçu auparavant , étoient plates au haut & moins élevées : plufieurs de celles-ci avoient cependant deux ou trois cens pieds d'élévation , &: deux ou trois milles de circuit, avec des côtés-perpendiculaires, qui infpiroient la frayeur quand on les N bu Capitaine Cook. 149 regardoit. De tous les oifeaux qui nous avoient accompagné, zzzzszzr. il ne reftoit que les albatrofles grifes, mais nous reçûmes la viiite d'un petit nombre de peterels antarctiques. Le il, nous gouvernâmes E. S. E. avec un vent frais du u. Nord, qui fouffloit par raffales : le perroquet d artimon fut enlevé, mis en pièces, Se rendu à jamais inutile. À fix heures du matin , le vent tournant vers l'Oueft, je marchai Eft-Nord, étant par 67a 31' de latitude, ( la plus haute où nous fufïions encore parvenus) & 142e* 54' de longitude Oueft. Nous continuâmes notre route à FE. \ N. E. jufqu a midi du i 3 : par 67a 11' de latitude, & 1 3 8d de longitude, je gouvernai S. E. : nous voyons alors vingt - trois Ifles de glaces de de/fus le pont, Se deux fois autant du haut des mâts, & cependant notre horizon ne s'étendoit pas à plus de deux ou trois milles. A quatre heures de l'après-midi, par 6yA 2,0' de latitude, &: 137e1 1 2/ de longitude, nous rencontrâmes une quantité iî prodigieufe de glaces en plaines, ou de glaces flottantes, qu'elles couvraient la mer dans toute l'étendue du Sud à l'Eft, & elles étoient li épaiíTes Se íi ferrées, qu'elles obftruoient entièrement notre paflage. Le vent étant aifez modéré & la mer tranquille, je mis à la cape au bord intérieur de la glace, Se je détachai deux chaloupes afin d'en ramafler quelques morceaux. Sur ces entrefaites, on en faifit de larges pièces aux cotés du bâtiment, Se on les prit à bord avec nos palans à croc : l'enlèvement de la glace fut il pénible, à caufe du froid, que les bateaux réitèrent jufqu à huit heures pour faire deux voyages 5 je portai enfuite k Vüueft fous les huniers Se les baffes voiles, tous les ris pris s 1 avec un vent fort du Nord, accompagné de neige & de décembre5' P^ll,"c ne¡geufe, qui, fe gelant fur les agréts en tombant, ren-doit les cordages auiîi durs que du fil d'archal, & les voiles comme des planches de bois ou des plateaux de métal. Les rouets étoient d'ailleurs il fortement gelés dans les poulies, qu'il falloit faire les derniers efforts pour abattre ou pour hifîèr un hunier > & le froid fi vif, qu'à peine pouvoit-on 4e fupporter : des glaces couvraient, en quelque forte, toute la mer : il y avoit des coups de vent & une brume épaiifc. Dans une pofition fi défavorable , il étoit naturel de penfer à retourner au Nord, puifqu'il n'y avoit point de probabilité de trouver une terre dans ces parages, & qu'il ne paroifîbit pas pofïible de s'avancer plus loin au Sud. J'aurois eu rott de m'avancer à l'Eft dans cette latitude, non-feulement à caufe de la glace , mais parce que j'aurois laiffé au Nord, fans le reconnoître, un efpace de mer de 14 degrés de latitude, où il pouvoit y avoir une grande terre. Tandis qu'on ramaffoit de la glace, nous prîmes deux peterels antarctiques, &c, en les examinant, nous perfiftâmes à les croire de la Tribu des peterels. Ils font, à-peu-près, de la grandeur d'un gros pigeon; les plumes de la tête, du dos , & une partie du côté fupérieur des aîles, font d'un brun léger j le ventre & le deffous des aîles blancs ; les plumes de la queue, blanches aulli, mais brunes à la pointe : nous prîmes en méme-tems un nouveau peterel plus petit que le premier, mais, comme les autres, d'un plumage gris fombre. Je remarquai que ces oifeaux avoient plus de plumes que ceux que nous avions vus : tant la Nature a pris foin de i les vêtir fuivant le climat qu'ils habitent. Nous apperçûmes auiïï des albatroifes, couleur de chocolat : nous n'avons C C trouvé que parmi les glaces ces oifeaux ainfi que les peterels , dont on a parlé plus haut -, d où on peut conjecturer avec raifon, qu'il y a une rerre au Sud. Nous découvrîmes un gros veau marin , qui joua autour de nous pendant quelques minutes. Un de nos Matelots, qui avoit été au Groenland, l'appella cheval de mer; mais tous nos Meilleurs, qui le virent , le prirent pour ce que j'ai dit. Depuis que nous avions rencontré des glaces, le thermomètre fe tenoit de 3 3 à 3 4d à midi. « Plusieurs personnes étoient alors affligées de rhu- » matifmes violens,de maux de tête \ d'autres avoient les » glandes enflées, & des fièvres de catharre , qu'on attri- » buoit à l'ufage de la glace. Mon Pere , qui fe plaignoit » d'un rhume , depuis quelques jours, fut obligé de garder » le lit : fa maladie fembloit provenir de l'humidité de fa « chambre, dans laquelle tout pourriflbit : le froid y fut fi » feniible ce jour, que le thermomètre ne s'y tint qu'à deux *> degrés &c demi plus haut que fur le pont. » Le 14, le vent diminua , tournant au N. O. & le ciel 14, s'éclaircit par 6jd de latitude, & 1 38d 15' de longitude. Comme nous avancions au N. E. avec un bon vent du N- O. les Ifles de glace fe multiplioient tellement autour de nous, qu'à midi nous étions environnés de près de cent, & en outre d'une immenfe quantité de petits morceaux. M'ap-percevant quii y alloit avoir calme, jeconduifisle vaiflfeau -■i 1 ! —1 dans un parage, auifi net qu il me fut poflîbîe : la Réfolution décembre " cePcndaut dériva avec la glace ; & , profitant de chaque léger fouffle de vent, on l'empêcha de tomber fur quelques-unes de ces Ifles flottantes. Nous pallames ainfi le foir de Noel, à-peu-près de la même maniere que l'année précédente. Heureufement il n'y avoit point de nuit, & le tems étoit clair j car, avec la brume des derniers jours, il auroit fallu un. miracle, pour coniêrver le vaifleau. « Le Capitaine , fuivant la coutume, invita les Offi- w ciers & les Maîtres à dîner , 6c l'un des Lieutenans régala » les Bas-Officiers. On donna aux Matelots une double » portion de poudding , & ils burent l'eau-de-vie de leur , » ration , qu'ils avoient épargné quelques mois d'avance » pour le jour de Noël : ils eurent grand foin de s'enivrer. » La vue d'une quantité innombrable d'ifles de glaces, au » milieu defquelles nous dérivions à la merci du courant, » au danger de faire naufrage à chaque moment contre une » de ces mafîès, ne les empêcha pas de iê livrer à leurs * amufemens favoris. Tant qu'il leur relia de l'eau-de-vie, » ils firent Noel en bons Chrétiens, La longue habitude » de la mer leur infpire du mépris pour les périls; & la fa-■» tigue & l'inclémence du ciel, durciiïant leurs muleles, * & leurs nerfs, rendent infenfible leur cfprit. On coti-» çoit aifément que des hommes, qui ne s'occupent pas » même de leur sûreté, s'intéreflent peu au bien-être des » autres, Aflùjettis à des ordres flriefs, ils exercent une » autorité tyrannique fur ceux que la fortune met en leur » pouvoir ; Se, accoutumés à faire face à l'ennemis ils ne « refpirent que la guerre. Par la force de l'habitude , le » meurtre *> meurtre eft tellement devenu une paflîon de leur ame , -- *> que, pendant notre Voyage, je les ai vu montrer , plu- ^^êalrtî" » fieurs fois, un horrible empreifement de tirer fur les In- ■> dîens, pour le plus léger prétexte. En général, la vie » qu'ils mènent les prive des confoiations domeftiques, & » de groiliers befoins remplacent, chez eux, des affections » délicates. Quoique membres d'une fociété civilifée, on » peut les regarder, en quelque forte, comme un corps » d'hommes barbares, paflionnés , vindicatifs j mais d'ail- » leurs braves, finceres, & vrais les uns envers les autres. *> Tant que nous teftâmes fous la Zone Torride, nous s> eûmes à peine une nuit : &¿ je trouve, dans le Journal de » mon Pere , plufieurs articles écrits , quelques minutes » avant minuit, à la lueur du foleil. Cet aftre étoit fi peu » de tems au-delTous de l'horizon , qu'un crépufcule très-» fort ne ceffa pas de nous éclairer. Ce phénomène frappa » d'étonnemenr (Edidée , qui vouloit à peine en croire fes » fens. Nous fîmes envain des efforts pour le lui expliquer : i> & il nous affura que fes Compatriotes le traiteroient de » menteur, quand il leur parlerait de la pluie pétrifiée, & » du jour perpétuel. Les premiers Vénitiens, qui reconnu-» rent l'extrémité ieptcntrionalc du continent de l'Europe, ne » furent pas moinsfurpris de ce que le foleil ne quittoit point « l'horizon, & ils racontent qu'ils ne pouvoient diftinguer » le jour de la nuit, que par Finftinct d'un oifeau de mer, y3> qui alloit fe jucher fur la côte pendant quatre heures (a)\ [a) Pietro Quirino fit voile en Avril 143ï , & fit naufrage à l'Ifle de ttoeft ou de Ruften, fur la côte de Norwége, fous le Cercle - Polaire * *n Janvier h32-. Voyez Naviga{ioni, &c. àcRamuJio, 1774. Vol. II, Tome IL V ■■— » comme nous étions probablement fort éloignés de terre, Ann. 1775' n ccttQ indication nous manqua, & nous avons fouvent décembre. ^ 1 ' » obfcrve un grand nombre doiieaux voltiger autour » de nous , pendant toute la nuit, & en particulier do od groíTes troupes de différentes efpèces , jufqu a quatre » heures. » £ 6. Le i 6 , au matin , toute la mer étoit couverte de glaces :. dans l'étendue d'un horizon de quatre ou cinq milles, nous vîmes plus de deux cens grandes Ifles, outre une quantité innombrable de petits morceaux* « Cette scene reflèmbloit aux débris d'un monde fra-» caffé : au milieu de ce bouleverfement, on entendoit, de » toutes parts, les imprécations & les juremens des Matelots » qui nctoient pas encore fortis de leur ivrefle. » Notre latitude, àmidi, étoit de 66d 15^notre longitude i^Azi/. Nous trouvâmes, par obfervation, que le vailfeau avoit dérivé environ vingt milles au N. E. ou à l'E. N. E. au-lieu qu'à en juger par les Ifles de glace , il fembloit qu'il n'avoit point eu de dérive, ou du moins qu'il en avoit eu peu : d"où nous conclûmes que la glace dérivoit à-peu-près dans la même direction, & avec la même vîtefTe. Une brife, qui s'éleva du O. S. O. à quatre heures, nous mit en état de gouverner au Nord, route par où il étoit plus probable que nous lortirions des dangers qui nous entouraient. Je marchai au Nord avec une bonne brife de l'Ouerc; accompagné d'un tems clair y jufqu'à quatre heures dp lendemain, au matin, 17 : rencontrant alors des glaces flot- "' S tantes, je mis à la cape, & on en prit aiTez à bord pour rem- ípj¡¡¿¡¡&* plir nos futailles vides. Je fis enfuite voile au N. O. avec une bonne brife du N. E. & un tems de gelée clair. Notre latitude étoit de 6$â 5 3' S. & la longitude de 13 zA 42/ O. > il n'y avoit pas la moitié autant de glaces qu'auparavant. * Mon Pere & douze autres perfonnes, furent attaquées * de nouveau de rhumatifmes, & obligés de garder le lit. Le » feorbut ne fe montroit pas encore fous un afpecr. effrayant; » mais tous ceux qui en avoient de légers fympromes , » (jetois du nombre) burent, deux fois par jour, du moût » de bière frais, entièrement chaud ,& s'abftinrent, autant » qu'il leur fut poiïible , de viandes falées. La langueur * générale , le vifage pâle de prefque tout le monde , lenito bloient nous menacer de fuites plus funefees. Le Capitaine ■> Cook étoit très - maigre : il avoit une conftïpation cou-» tinuelle, 6¿ il perdit l'appétit. » Le 18 , à quatre heures du matin, le vent ayant tourné plus à l'E. & au S. E., devint frais & tut fuivi d'ondées de neige. Notre route fut Nord jufqu'à midi du lendemain. Etant alors par 6zA 14 de latitude, & 134e1 39' de longitude, je gouvernai N. O. ^ N. Quelques heures après, le ciel s eclaircit, & le vent diminua & tourna plus au Sud. Le 30 , nous eumes un petit veut de TOueft , un tems fombre & nébuleux, avec de la neige & de la pluie neigeufe par intervalles : nous vîmes plufieurs baleines jouer autour du bâtiment, mais très-peu d oifeaux, des Ifles de glace en abondance, & une houle du 0. N. O. V 1 z$. ! Le yï] un petit ventfouffla de l'Oueft , & un tems beam jiDécemb.' & clair, nous fournit l'occafion d'aërer les voiles de rechange , de nettoyer & de fumer les entreponts. A midi, notre latitude étoit de 5 9d 4.0' S. & notre longitude 135a 1i' O. L'obfêrvation de ce jour donna lieu de conjecturer que nous avions un courant Sud ; en effet, il eût été difficile d'expliquer pourquoi des maffes fi énormes de glace venoient du Sud. L'après-midi, il y eut un calme de quelques heures fuivi d'une brife de l'Eft, qui nous mit en état de reprendre notre route au N. O. { N. P — ■ Le premier de Janvier , le vent ne refta pas long-tems à 1 janvier4' Wïft 5 mais tournant par le Sud à l'Oueft, il fut frais , &c fuivi d'ondées de neige. Le foir, par 5 8d 39' de latitude Sud , nous dépaffâmes deux Ifles de glace, & nous n'en revîmes enfuite que lorfque nous portâmes de nouveau au Sud. &¿ Le % , à cinq heures du matin , il y eut calme : nous étions à 58e* z' de latitude, Se 1 37e1 ii' de longitude. Une brife de l'Eft fuccéda au calme , ôc je gouvernai N. O. | O: Je portai ainfi le Cap , parce que je voulois reconnoître un plus grand efpace de mer, entre le point où j etois, &-notre route au Sud, 3» Le 3, àmidi, par 5^ 46' de latitude, & 139a 45' de longitude, le tems devinr beau, & le vent tourna au S. O. Nous apperçûmes de petits plongeurs ( comme nous les appellions ) de la clafîc des peterels, que nous jugeâmes être de ceux qu'on voit ordinairement près de terre, fur-tout dans les baies & fur la côte de la Nouvelle-Zélande. I Je ne fais que penfer de ces oifeaux. S'il y en avoit eu A^'ny\^' davantage, je ferois porté à croire, que nous n'étions pas alors très-éloignés de terre : car je n'en avois jamais vu à une auifi grande diftance des côtes. Ceux-ci avoient probablement été amenés fi loin, par quelques bancs de poiiTon : en effet, il devoit y avoir de ces bancs autour de nous, puifque nous étions environnés d'un grand nombre de peterels bleus , d'albatroifes & d'autres oifeaux , qu'on voit communément dans le grand Océan ; tous , ou prefque tous, nous quittèrent avant la nuit : nous vîmes auifi deux ou trois morceaux de goémon , mais il étoit vieil & gâté. a huit heures du soiR , par 56d de latitude S., & i4od 31' de longitude O., le vent fe fixant dans l'Oueft, m'obligea de gouverner Nord-Eft , & m'empêcha de recon-noître un efpace à l'Oueft de près de 4od de longitude, &c de 10 de latitude. Si le vent avoit été favorable, je projet-tois de courir 15 ou 20 degrés de longitude, plus à l'Oueft, dans le parallèle où nous étions, & de retourner enfuite à l'Eft, par le cinquantième parallèle. Cette route auroit tellement coupé l'efpace mentionné ci-deffus , qu'il nauroit plus refté de doute fur la fuppofition d'une terre dans ces parages : nous avons peu de raifons de penfer qu'il y en a une. Nous fommes portés plutôt à croire le contraire *, car nous avons eu une grolle houle creufe, pendant plufieurs jours, du O. & du N. O., quoique le vent ait foufflé d'une direction oppofée la plus grande partie de ce tems \ preuve qu'entre ces deux, rumbs nous n'étions couverts par aucune terre. M 8 Voyage Plusieurs personnes de 1 équipage avoient encore une Ann. 1774« fièvre légère, effet des rhumes. Heureufcment les remèdes les plus fimples la diffipoient, il ne falloit pour cela que quelques jours. Nous n'avions pas plus d'un ou deux hommes à-la-fois fur la lifte des malades. $t Nous marchames au N. E. \ N., jufqu'au 6 à midi. Nous étions alors par 52a de latitude S. & 13 }d 32' de longitude Oucii , & à environ deux cens lieues de notre route à Taïti, dans lequel efpace , tout examiné, il n'eftpas probable qu'il y ait une terre étendue j il eft moins vraifcmblable encore qu'il y en ait une à l'Oueft, puifque nous avions eu S£ que nous avions encore de ce rumb de grandes lames monftrueufes : en conféquence, je gouvernai N. E. avec un vent frais du O. S. O. j. Le 7, à huit heures du matin, par 51a 49' de latitude Sud, nous obfervâmes plufieurs diftances du Soleil & de la Lune, qui donnèrent la longitude fuivantc: Par MM. Wales, 1 3 31 Z4' o Gilbert, 133e* 10 Clerke, 133e1 o Smith, i3 3d 37' 15" Moi, i33d 37' Moyen, 133e1 11' 43 Suivant la montre .13 3* 44' Oueft. Mon eftime , 13 $d 39' Déclinaifon de l'Aimant, 6A 2' Eft. Thermomètre, 5 od Le lendemain, au marin, nous fîmes de nouvelles ob-fervations, &en tenant compte de la route du vaiifcau , les *fâ£fat réfultats furent conformes aux obfervations précédentes. Je dois remarquer que notre longitude ne pourra jamais être fautive, tant que nous aurons un auifi bon guide que la montre de M. Kendal. A midi, je gouvernai E. N. E. ~ E., par 49d 7' de latit. S. &■ 131a %' de longitude Oueft Le 9 , par 48e* 17' de latitude S. & 12,7a io' de longitude Oueft, je mis le Cap à l'Eft, avec un bon vent frais de l'Oueft, accompagné d'un tems clair &c agréable & d'une groife houle , qui venoit de la même direction que le vent. * L'équipage commençoitàfupporter ces climats froids, » avec d'autant plus de peine, qu'il n'y avoit pas d'efpoir » de retourner en Angleterre cette année, D'abord les vifa-x> ges parurent annoncer du découragement ; mais peu-à-» peu les matelots fe refignerent à leur fort. Il faut avouer » cependant que nous étions tous affligés de ne pas favoir m où on vouloir nous conduire : & en effet le Capitaine ne* » dit à qui que ce foit qu'elle étoit notre deftination. » Le matin du 10 , comme nous avions peu de vent, on 30¿ mit une chaloupe en mer, & plufieurs Officiers allèrent tuer des oifeaux : ils rapportèrent des peterels & d'autres qu'on voit ordinairement à toutes les diftances poffibles de terre. Nous n appercevions rien d'ailleurs qui put nous donner la moindre efpérance d'en trouver aucune , & le lendemain à midi, par 45a 51/ de. latitude S. & izid n' de< tu Ann. 1774- Jtzt longitude Oueft, & à un peu plus de deux cens lieues de k route queje fui vis en allant à O-Taïti, en 1769, je changeai de route, & je gouvernai S. E. avec un vent frais du S. O.J O. Le foir, quand notre latitude étoit de 48'' 22/ S. &r notre longitude de 11 id 29' Oueft , nous trouvâmes la déclinaifon de l'aimant de id 3 4' E. : nous n'en avons jamais eu de moindre en-dehors du tropique. Le foir du lendemain , elle flit de 4d 30' Eft : & notre latitude 50a 5' S. & 119 { de longitude Oueft. 13. Je marchai plus au Sud, jufqu au foir du 13 ,. que notre latitude fut de 5 3e1 o' S., Ô£ notre longitude r 18d 3' Oueft. Le vent fouillant alors avec force du N. O., avec une brume épaiffe & de la pluie , ce qui rendoit dangereufe une navigation au large, j'allai au plus près au S. O., & je continuai cette route jufqu a midi du lendemain. 14. «Le matin, une vague énorme frappa le vaifîeau & inonda » les ponts. L'eau de la mer retomboit pardeifus nos têtes » &c éteignoit nos lumières j de forte que nous croyions quel-» quefois être engloutis & tomber dans l'abîme. Tout étoit » à flot dans la chambre de mon Pere, &c fon lit abiblument » rempli d'eau. Son rhumatifme le tourmentoit depuis plus » de quinze jours, avec tant de violence, qu'il ne pou voit » fe fervir de fes jambes, & íes peines redoublèrent ce matin. » Notre fîtuation étoit alors fort trifte , même pour ceux » qui avoient conferve leur fanté , &: infupportabîe pour les •» malades, à qui leurs membres perclus cauibient desdou-» leurs exceffives. L'afpcct de l'Océan étoit épouvantable ; * & on eût dit qu'il fe mettoit en colere de ce que de » préfomptueux » préfomptueux mortels ofoient marcher fur fon fein. Tout » portoit l'empreinte de la trifteífe , & un filence alarmant » régnoit autour de nous. Ceux mêmes qui étoient accou-n tumés à la mer, depuis leur enfance, avoient du dégoût » pour les nourritures falces : l'approche de l'heure du dîné » nous faifoit de la peine ; 8c, dès que l'odeur des alimens » atteignoit nos organes , il nous étoit impoUlble d'en » manger. » Ce Voyage ne peut être comparé à aucun autre, pour » la multitude des fatigues & des maux que nous avons t> effuyés. Les Navigateurs, qui ont parcouru la mer du Sud » avant nous, naviguoient en-dedans du tropique, ou du » moins fous la zone-tempérée. Ils jouiffoient prefque tou-» jours d'un ciel doux & ferein ; &ils marchoient à la vue » des terres qui leur fourniilbient des rafraîchi/femens. De » pareilles campagnes font des parties de plaiiirs, à côté » des nôtres. Les objets nouveaux & attrayans ibulagent y» l'efprit, égayent la converiâtion 8c raniment le corps : n mais les mêmes points de vue frappoient fans ccife nos » regards ; la glace, la brume, les tempêtes & la furface » ridée de la mer, formoient une fcène lugubre, que n e-» gayoient jamais les rayons du foleil : enfin le climat étoit » froid, & nous mangions des alimens dételfables. En » un mot, il ícmbloit que tout notre être fe defléchoit, 8c » nous devenions indirrerens à tout ce qui anime la vie en » d'autres tems. Nous facrifiions notre fante, nos ientimens, » nos jouiifances, à la gloire de naviguer dans des parages » inconnus jufqu'alors. C'étoit en effet, comme dit Juvenal : Proter vitam, vivendi perdere caufas. Tome IL X »»—■"■—"" m » La situation des matelots étoit aufii affligeante que AlJanvier.4* * cc^e ^csQ$ffe$ %Paruneautre eaufê. Leur bifeuk, qu'on si avoit trié à la Nouvelle-Zélande, cuit de nouveau, » & enfuite encaiifé, étoit auifi gâté qu'auparavant £ ce » qui provenoit de ce que, dans le triage, on en conferva de *> mauvais, & de ce que les tonneaux n'avoient été ni allez 3j fumines, ni aifez féchés. Ils ne recevoient tous d'ailleurs » que les deux tiers de leur rarion ordinaire j, mais une r> fi petite quantité de bifeuit, étant à peine fiiffifantc » quand il eft bon , étoit bien loin de l'être alors, qu'il y t> en avoit la moitié de pourri. Ils ne fe plaignoicnt point : » ce jour cependant le premier aide du Maître vint dire » avec amertume , au Capitaine, que ni lui, ni fes carnali rades n avoient de quoi fe raílafier y & il lui montra, en « même-tems des reftes pourris & puans de fon pain. » Ses remontrances eurent de l'effet, & tout l'équipage ■» reçut une ration ordinaire. M. Cook fembloit recouvrer » fes forces y mais ceux qui étoient attaqués de rhiimatifmes, » fc trouvoient aufîi indifpofés que jamais. » ^ Le i4>nous étions par 56* 4' de latitude S. S¿ ni.* 1' de longitude Cueft. Le vent ayant tourné au Nord,& la brume continuant, je cinglai à l'Eft, fous les bailes voiles & les huniers, tous les. ris pris. Mais nous ne pûmes pas long-tems porter ces voiles ycar, avant huir heures du foir, le vent, qui devint une tempête , nous obligea de mettre PU s. en panne, fous le perroquet d'artimon ,. jufqu'au matin du 16 y le vent ayant alors beaucoup diminué & paffé à l'Oueft , on hiffa les baffes voiles, & les huniers, tous les ris pris., & je marchai au Sud. Bientôt le ciel s'éclaircitj le foit ^ notre latitude fut de $6* 48' S., de notre longitude 119e1 8' , Oueft. An,n- I774' Janvier. Nous continuâmes à marcher au Sud , inclinant à l'Eft, jufqu'au 18 , que nous portâmes au S. O., avec un vent de 1Í?; S. E., étant par 6iA 9' delatit. S. & 1 i6d 7' de longitude Oueft. a dix heures du fcir, il y eut un calme, qui dura jufqu'à deux heures du lendemain au matin : une brife fe 19.1 leva du «lord , devint bientôt un vent frais, &: fe fixa au N. E. jen profitai pour gouverner Sud , jufqu'à midi du 10, par loi 6zA 34' de latit. S., & 116a 14' de longit. Oueft j il y eut un nouveau calme. Dans cette pofition , nous avions en vue deux Mes de glace, dont l'une fembloit auili large que la plus grande de celles que nous avions rencontrées jufqu'ici : elle n'avoit pas moins de deux cens pieds de hauteur, 6¿ elle fe terminoit par un pic refîèmblant à la coupole de l'Eglife de S. Paul. Comme une groffe houle venoit de l'Oueft, il n'étoit pas probable qu'il y eût une terre, entre nous & le méridien , de r33d ^, point de longitude où nous étions, fous cette latitude,quand nous cinglâmes au Nord. Durant toute cetçe route, nous n'avions rien vu qui pût nous porter à croire que nous étions dans les environs d'une terre. A la vérité, nous avions apperçu fbuvent du goefmon j mais je fuis sûr que ce n'eft pas un figne allure de la proximité de terre, puifqu'on rencontre du goefmon fur toutes les parties de l'Océan. Après un calme de quelques heures, nous eûmes un vent de S. E., mais il fut très-incertain & accompagné de groffes ondées de neige : enfin il fe fixa au S. J S. E. , & nou-s X 1 \ 164 Voyage forçâmes de voiles à l'Eft. Le vent fut frais, avec un froid Ann. 1774- perçant, de la neige & de la pluie neigeufe. Janvier 22, i 4. Le il, par 6zA c' de latir. S. & 11 zA z 4' de longitude O.,. nous vîmes une lile de glace , un peterei antarctique, plufieurs peterels bleus, &: quelques autres oifeaux connus y mais rien ne nous donnoit l'efpoir de trouver terre. & i. Le z 3 , à midi, notre latit. fut 6zA z z S., & notre longit. 11 od 14 . L'après-midi, nous dépaiîâmes uneîfle de glace. Le vent, qui étoit frais, continua à tourner à l'Oueft y & le lendemain au matin, à huit heures, comme il foufïloit du Nord de l'Oueft , je gouvernai S. ~ S. O. & S. S. O. Nous étions alors par 6iá zo de latit. S., & 1 o8d 7' de long. Oueft, &c nous avions une grolle houle du S. O. Je fuivis la même 2rfm route-, jufqu'à midi du lendemain 25 , queje gouvernai droit au Sud : notre latitude éto:t à ce moment de 6jA 24' S., & notre longitude de 109e1 31'Oueft. Lèvent venoit du Nord y le tems étoit doux & afïèz agréable, & nous napper-cevions pas un feui morceau de glace} ce qui nous parut un peu extraordinaire -, car, un mois auparavant & à environ deux cens lieues à l'Eft, nous fîimcs, en quelque forte, enfermés par de grandes lues de glace , dans cette même latitude. Nous vîmes une pintade pétetele, des peterels bleus, & un petit nombre d albatroifes brunes. Le foir , fous le même méridien, & par 6jA 44' de latit. S., la déclinaifon de 'l'ai-mant fut de 19a 27' Eft y mais le lendemain, au matin, pat 66A zo' de latit. S. &c la même longitude qu'on a .énoncé plus haut, elle fut feulement de 1 8d 20' Eft : le moyen, entre ces deux termes, approche probablement davantage delà vérité* bu Capitaine Cook. ï6$ Nous avions alors neuf petites Ifles en vue ; &, bientôt après, .'1 "l'T1____i nous entrâmes, pour la troifieme fois, dans le Cercle Polaire Antn* !77 ^ a /íi j . ... Janvier. Antarctique, par lof 31 de longitude. A midi, voyant quelque chofe qui rcifemblok à une terre au S. E., on orienta les voiles à Imitant, & je portai deffus. Bientôt après, nous ne découvrîmes plus rien jmais je fuivis la même route jufqu'à huit heures du lendemain, que nous fûmes bien allures 27. que c'étoit un brouillard ou de la brume : je remis le Cap au Sud , avec une jolie brife du N. E., accompagnée d'une brume épaiife de neige 6c de pluie neigeufe. Les Isles de glace devinrent alors plus fréquentes qu'auparavant, & par ¿9^8' de latit. S., &: io8d 12'de lonmt. O., nous rencontrâmes un banc de glaces flottantes. Comme nous commencions à avoir befoin d'eau, on mit deux chaloupes en mer, & on en prit des morceaux , qui donnèrent environ dix tonneaux d'eau douce. Les matelots, qui tra.-vaillerent à cette opération, eurent froid i mais ils étoient accoutumés à ces fatigues. Je fis de petites bordées fur le pavage où nous étions -, car une brume épaiffe nous empê-choit de voir à deux cens verges autour de nous *, &, comme nous ne connoifîions pas l'étendue des glaces flottantes, je n'ofai pas gouverner au Sud , avant que le tems fût clair. Nous paffâmes ainfi la nuit, ou plutôt cette partie des vingt-quatre heures qui répondoit à la nuit ; car il n'y avoit d'autre obfcurité que celle qu'occaiîonnort les brouillards. « A minuit, le thermomètre n étoit qu'à 3 4a j &,le len- 28, » demain nous jouîmes du foleil le plus doux que nous cufia fions eu dans la zonc-torride. Mon Pere alla , pour la 66 v O Y A G s » premiere fois fur le pont, après avoir été retenu un mois Ann. 1774- „ au \[L Janvier. » Nous espérions avancer au Sud , auilî loin que les Na-» vigateurs étoient allés vers le Pôle Boréal. On verra que » nous fûmes bientôt détrompés. » , A quatre heures du matin du 29 , la brume fe diitîpa, & le jour devenant clair & ferein, je gouvernai de nouveau au Sud, avec un joli vent du N. E. & du N. N. E. La dé-clinaifon de l'aimant étoit de u'1 41' E. , par 69a 45' de latit. S. 8¿ io8d 5' de longit. Oueft j & l'après-midi, à la même longitude, & par 7o'1 2 3' de latit. S., elle fur de 24e* 8.1' Eft. Bientôt le ciel s'embruma, Se l'air devint très-froid. Je continuai ma route au Sud, de nous laiiîames derrière nous un morceau de goefmon, couvert de bernacles , qu'une albatroife brune mangeoit. A dix heures, nous déparâmes une lile de glace, qui n'avoit pas moins de trois ou quatre milles de circonférence. On en voyoit plufieurs autres à l'avant. Le tems devenant brumeux, je ferrai le vent au Nord i mais, en moins de deux heures, le ciel s'éclaircit & je remis le Cap au Sud. 30. Le 3 o , à quatre heures du matin , nous obfervâmes que les nuages au-deifus de l'horizon au Sud, étoient d'une blancheur de neige, extraordinairement brillante. Nous favions que cela annonçoit une plaine de glace : bientôt on la découvrit du haut des mâtsj &, à huit heures, nous étions près de fes bords : elle s'étendoit à l'Eft & à l'Oueft, fort au-delà de la portée de notre vuei&, la moitié de l'horizon étoit éclairée par les rayons de lumiere qu'elle réfléchiffoit . ; jufqu a une hauteur confidérable. Je comptai diftindement Aj^YJe7J4 en-dedans de la plaine, quatre-vingt dix fept collines de glace, outre celles qui étoient fur les bords, la plupart très-larges , & reiîémblant à une chaîne de montagnes s'élevant les unes fur les autres, & fe perdant dans les nuages. Le bord extérieur & feptentrional de cette immenfe plaine, étoit compofé de glaces flottantes ou brifées, empilées bc ferrées les unes contre les autres, de maniere qu'aucun corps ne pouvoir y pénétrer; cette bordure avoit environ un mille de large: parderriere, la glacefolide ne formoir plus qu'une feule malle très-compacte. Excepté les collines, elle étoit un peu baffe & plate -, mais fa hauteur fembloit s'augmenter en allant vers le Sud -, &i, de ce côté, on n'enappercevoit pas l'extrémité. On n'a jamais vu, je penfe, des montagnes comme celles-ci, dans les mers du Groenland , du moins je ne l'ai lu nulle part, & je ne lai point oui dire, de forte qu'on ne doit pas établir une comparaifon entre les glaces du Nord Se celles de ces parages. II faut convenir que ces montagnes prodigieufes ajoutent un fi grand poids aux plaines qui les renferment, qu'il eft bien différent de naviguer fur cette m6r glacée ou fur celle du Groenland. Je ne dirai pas qu'il fût par-tout impofïible d'avancer plus loin au Sud j mais la tentative auroit été dangereufê & téméraire y &, dans ma pofition, aucun Navigateur, je crois, n'y auroit penfé. a la vérité, c'étoit mon opinion, ainfi que celle de la plupart des Officiers, que cette glace ¿étendoit jufqu au Pôle, ou que peut-être elle touchoit à quelque terre l à laquelle elle eft fixée dès les tems les plus anciens -, qu'au jsa.....I Sud de ce parallele, fe forment d'abord toutes les glaces que tv. 1774' nous trouvions çà & là au Nord ; quelles en font enfuite dé-znviev. J i, • , tachées par des coups de vent, ou par d autres caufes, & jetées au Nord par les courans, que dans les latitudes élevées, nous avons toujours reconnu porter vers cette direction. oJ > .tettiti ~is>l*mb -imaVisg éï yl e3)TttflR z$\ mi': bientôt fraîchit , fe fixa au O. S. O., & fut fuivi de neige Qc de pluie neigeufe. Je formai alors la réfolutîon de marcher au Nord, èc de paifer l'hiver fuivant en-dedans du tropique , fï je ne découvris point de terre, avant d'y arriver. J etois bien perfuadé qu'il n'y a point de continent dans cette mer, à moins qu'il ne foit fi loin au Sud , que les glaces le rendent inacceflible, & fi j'en trouvois un dans l'Océan Atlantique Auftral, îl étoit nécefîàire d'employer tout l'été à le reconnoître. D'un autre côté, enne fuppofant point de terre, dans l'Océan Atlantique Auftral, nous pouvions arriver au Cap en Avril, & finir ainfi l'expédition, du moins relativement à ce continent , premier objet du Voyage. Mais en quittant, à cette époque, la mer Pacifique du Sud, avec un bon vaiiïèau , envoyé expreffément pour faire des découvertes , & un équipage en fanté , des provifions 8c des munitions de toute efpèce, j'aurois manqué de confiance, 8c on auroit pu mac» eufer de peu de jugement, puifque je luppofois par-là que la mer Pacifique du Sud a été li bien reconnu, qu'il n'y a plus rien à découvrir. Je ne penfois pas ainfi ; quoique j'eufîe prouvé qu'il ne peut y avoir de continent que fort loin au Sud, il reftoit encore de la place pour de très-grandes Ifles dans des parages , qui n'avoient pas été entièrement examinés. Plufieurs de celles qu'on y a trouvées jadis, n'étoient d'ailleurs qu'imparfaitement reconnues, & leurs polirions mal déterminées. Je croyois en outre qu'une campagne plus longue au milieu de cette mer , avanceroit les progrès de "^1' la Navigation , de la Géographie, & peut-être de l'Hiftoire Naturelle, &c. J'avois pluiieurs fois communiqué mes idées fur cette matière au Capitaine Furneaux ; mais, comme l'exécution de ces projets dépendoit de notre Navigation au Sud, qui pouvoit durer plus ou moins, fuivant les circonf-tances, pour ne pas courir le rifque de manquer au premier objet de l'expédition, je ne pris point de parti. Puisqu'il ne m'étoit encore rien arrivé, qui empêchât de remplir ces vues, je me propofois d'abord de rechercher la terre, qu'on dit avoir été découverte par Juan Fernandez, il y a environ un fiécle, dans le 3 8e parallele; û je ne laretrouvoîs pas, de chercher l'Iile de Pâque ou la terre de Davis, dont on connoît íi peu la poiition, que les tentatives faites dernièrement pour la trouver, n'ont pasréuiïi. Jeprojettois enfuite d'entrer dans le Tropique , & de m'avancer à rOueft, en relâchant fur les Mes que je rencontrerois, jufqu'à notre arrivée à O-Taïti, où il falloit m'arrêter pour apprendre des nouvelles de l'Aventure. Je penfois auifi à porter à l'Oueft jufqu'à la terre Au fi raie du S. E f prit , découverte par Quiros ,& que M. de Bougainville appelle les grandes Cy-clades. Quiros dit que cette terre eft coniidérable, ou qu'elle gît dans le voiiinagc de quelque terre étendue j comme M. de Bougain vi lie n'a ni confirmé, ni réfuté ce dernier poinr, je crus qu'il valoir la peine d'être éclairci. De cette terre, mon deifein étoit de gouverner au Sud & de retourner à l'Eft, entre le cinquante ou le foixantieme parallèle ; me propofant, s'il étoit poifible, de gagner le travers du Cap de Horn, au mois de Novembre fuivant, tems où nous y % aurions devant nous la meilleure partie de l'été, pour recon-noître la portion Auftrale de l'Océan Atlantique. Quelque grande que fût cette entreprife , fon exécution me fembloit poiîible ; &:, quand je la communiquai aux Officiers, j'eus la iatisfadion de voir qu'ils l'adoptèrent avec joie. Je ne ren-drois pas juif ice à ces Meilleurs, fi je ne déclarois pas ici qu'ils ont toujours montré beaucoup d'emprelfement à exécuter toutes les mefures que je jugeoîs convenables de prendre. Il eft à peine befoin de dire , que les matelots, de leur coté, donnèrent des preuves d'obéiiîance & d'activité ; &, en cette occafion, ils furent íi loin de deiirer la fin du Voyage , qu'ils fe réjouirent de le voir prolongé d'un an & d'arriver bientôt dans un climat plus doux. Je gouvernai alors au Nord, inclinant à l'Eft; &, le foir, nous fumes furpris par une furieufe tempête du O. S. O., accompagnée de neige & de pluie neigeufe. Elle s'éleva il fubitement, qu'avant que nous puiîionsplier les voiles,deux vieux huniers, que nous avions envergues, furent mis en pièces , & le refte de la voilure fort endommagé. Le coup de vent dura, fans la moindre interruption, jufqu au lendemain matin qu'il commença à diminuer , mais il fouflla cependant très-frais jufqu'à midi du u, qu'il y eut calme. Nous étions ,par 50e114' de latit. S. & 9^ 18' de longitude Oueft. « Le thermomètre avoit regagné le quarante-» huitième degré. » Comme plufieurs oifeaux voltigeoient autour du bâtiment, je profitai du calme pour mettre une chaloupe en mer, & les chaileurs en tuerentquelques-uns, que nous mangeâmes le lendemain. L'un étoitde l'efpèce dont on a fi fouvent parlé dans ce Journal, fous le nom de poule du Port-Egmont, de l'efpèce du goefland , à peu-près de lagrolîeurd'un corbeau, d'un plumage brun-foncé , excepté au-delTous de chaque aile, où il a des plumes blanches. Les autres oifeaux étoient des albatroiles ou des fauchets. Nous eûmes une brife du N. O., après un calme de quelques heures, & nous forçâmes de voile au S. O. pendant vingt-quatre heures ; &, durant cette route , nous vîmes un morceau de bois, un paquet de goémon Se un peterel plongeur. Le vent ayant tourné plus à l'Oueif , je revirai, &: je forçai de voiles au Nord, jufqu'à midi du 14; tems où nous étions par 49a 32/ de latit. S. & 95e1 11' de longit. Oueft. Nous eûmes des calmes & des brifes légères, qui fe fuccéderent fune à l'autre, jufqu'au lendemain. Le 15 , le vent fraîchit au O. N. O., & fut accompagné d'une brume épailfe, & d'une bruine les trois jours fuivans. Durant cet intervalle, nous forçâmes de voiles au Nord , inclinant à l'Eft, & je ttaverfai la ligne de route que j'avois fuivi en allant à Taïti, en 1769. Je projettai de me tenir un peu plus à l'Oueft ; mais les vents forts qui fourrlerent de ce-rumb ,m'en empêchèrent. « Un grand nombre de perfonnes étoient toujours atta-» quées de violens rhumatifnies,qui les pri voient de l'uíáge de » leurs membres, mais le fang des malaies ctoitfifoible,qu'ils » avoient peu de fièvre. Quoique fuîage de la four-krout eut » empeché le icorbut de paroi, e pendant le froid; ce-* pendant, comme elle eft compoiée de choux, elle n'étoit .-! » pas aíTez nourrifîante pour que nous puiillons nous paiîêr A février74' * ^C kifcuit & bœuf falé ' mais le premier étant pourri, » Se l'autre prefque confumé par le fel, cette nourriture » ne rendoit pas au corps fa force & fa vigueur. Mon * Pere, qui avoit éprouvé des douleurs extrêmes durant m la plus grande partie de notre campagne au Sud-Eft, eut h des maux de dents, les joues enflées, des maux de golier, » & un mal-aife par tout le corps, jufqu'au milieu de » Février, qu'il parut fur le pont avec une maigreur *» effrayante. Le chaud, qui lui étoit falutaire, fut funeite » au Capitaine Cook : fa maladie bilieufe fembloit avoir »• difparu, mais il manquoit toujours d'appétit : le retour » au Nord lui procura une obftruction dangereufe, qu'il » voulut cacher à tout l'équipage : en s efforçant de man-» ger comme les autres, il accrut le mal, au lieu de le m guérir. La douleur augmenta tellement, qu'il fut con-» traint de garder le lit, & de recourir à une médecine • qui, au-lieu de produire l'effet qu'on en efpéroit, caufa » un vomiflement très - fort, il eut bientôt un hoquet » alarmant, qui dura plus de vingt-quatre heures, & qui » nous fit dcfefpérer de fa vie. On eflàya tous les remèdes, » & tous les remèdes étoient inutiles. Il paila une femaine » entière dans le danger le plus imminent. Notre domef-» tique tomba malade en même-tems que le Capitaine, » & nous manquâmes de le perdre. Mais, depuis cette » époque , il devint fi foible, qu'il ne put nous être » d'aucun fervice , pendant' notre route entre les Tro-» piques. » Le i 8, le vent tourna au S. O. & fouffla très-frais, mais accompagné d'un tems clair, qui nous donna occafion de = déterminer notre longitude par plufieurs obfervations de p¿¿ff ' lune que firenr Meilleurs Wales, Clarke, Gilbert Se Smith. Le réfultat moyen fur de 94e1 19' 30" Oueft : la montre de M. Kendal indiquoit en même-tems 94e1 46' Oueft, & notre latitude étoit de 43a 53' Sud. Le vent ne fe tint pas long-tems au S. O. avant de retourner à l'Oueft, Si au Oueft-Nord-Oueft. Comme nous avancions au Nord, le changement de l'air nous affecta d'une maniere plus feniible. Le 20, à midi, nous étions par 39a 58' de latitude S. Se 94* 37'do longitude O. Le ciel étoit clair Se agréable, Se je puis dire que ce fut le feul jour d'été que nous ayions eu depuis notre départ de la Nouvelle-Zélande. Le mercure dans le thermomètre s'éleva à 66\ Nous continuâmes à gouverner au Nord, parce que le vent reftoit dans l'ancien rumbj Se , le lendemain , à 21, midi, nous étions à 37e' 54' de latitude Sud; c'eft-à-dire, dans le parallèle où l'on place l'Hic découverte par Juan Fernandez. Rien cependant nannonçoit une terre dans notre voifinage. Le lendemain , à midi, notre latitude fut 3 6A 1 o' S., Se ¿2,, notre longitude 94a 5 s' Oueft. Bientôt après, le vent tourna au S. S. E., Sz me mit en état de gouverner O. S. O. Je crus qu'en fuivant cette direction, je trouverois plus probablement la terre que je cherchois, Se cependant je n'avois aucune efpé-rance de réuífir ¿car une large houle creufe venoit du même rumb. Je fui vis cependant cette route Jufqu'flU 25, que le vent ayant palle de nouveau à l'Oueft, j'abandonnai mes recherches, & je portai au Nord, afin d'atteindre la bel tude de l'ide de Pâque : nous étions alors par 37a 5.?/, & loi1' 10' Oueft de longitude. «La iîtuation danerereuie » ou le trouvoit le Capitaine, fut peut-être la raifon pour » laquelle nous n'avançâmes pas plus loin au Sud.» Jetois bien assuré que la terre découverte par Juan Fernandez, íi jamais elle a exifté, ne peut être qu'une petite lile : car il y a peu dcfpacc pour une grande terre, ainfi qu'on le voit clairement par les routes du Capitaine Wallis, de M. de Bougainville, de l'Endéavour,. & celle de la Réfolution. Si l'on veut lire des détails fur la découverte dont il eft ici qu eft ion, on les trouve dans la Collection des Voyages à la mer du Sud par M. Dairymplc. Cet Ecrivain place la terre fous le méridien de 90% où je crois qu'elle ne peut pas être, puifque M. de Bougainville fem-blc avoir reconnu les parages fous ce méridien, & nous avions alors examiné la mer depuis le 94e* jufqu'au ioid. Il n'eft pas probable qu'elle gifle à l'Eft de 90a ; parce que, dans ce cas, ellç auroit été apperçue par les vaiiîéaux qui vont des parties Nord, aux parties méridionales de l'Amérique. M. Pingré, dans un petit Traité furie Paflàge de Vénus, publié en 1768 , donne des détails fur une terre qu'on dit avoir éré découverte par les Efpagnols, en 1714, à 38a de laritude, & à 550 lieues de la côte du Chili i ceft-à-dirc, â 110 ou 11 Ia de longitude Oueft, & à un ou deux degrés de la route de l'Endéavour, de forte qu'il eft difficile que ce foit là fa pofirion. En un mot, elle ne peut être être qu'aux environs du 106 ou ro8d du méridien Oueft, tssêssbb5ë & alors ce n eft qu'une petite lile, ainfi que je l'ai déià Ann; \11Jft , r ' Février, obierve. Comme ma colique bilieufe me retenoit toujours au lit, M. Cooper, le premier Officier fous moi, avoit la conduite du vaiifeau , & je fus fort fatisfait de fa petite ad-miniftration. Les fymptomes les plus dangereux de ma maladie, ne iê diftiperent qu'après bien des foins. M. Patten, Chirurgien de la Réfolution, me donna des preuves d'un habile Médecin, & d'une garde compatiífante, & je recon-noîtrois mal fes foins envers moi, ii je ne lui témoignois pas ma reconnoifïànce dune maniere publique. Quand je commençai à guérir, un chien appartenant à M. Forfter qui l'aimoit beaucoup, fut la victime de mon eftomac délicat. Il n'y avoit aucune autre viande fraîche à bord, & j'eus du goût pour cette chair, ainfi que pour le bouillon qu'on en fit, lorfque je ne pouvois fupporter aucune autre nourriture : ce mets, qui auroit rendu la plupart des Européens malades, me donna de la force &c avança ma con-valefcence; tant il eft vrai que la néceflité ne connoîc point de loi. « Les soins extremes de M. Patten manquèrent de •» le faire mourir. Comme il pafîà plufieurs nuits fans prenci dre de repos, & qu'il quittoit à peine le lit du Capi-» taine, afin de dormir une heure pendant le jour, nous « tremblâmes pour fa vie, de laquelle dépendoit, en quel-m que forte, celle de prefque toutes les perfonnes de 1 equi-» page. U eut une maladie de bile, qui fut dangereufe à Tome il. 2 » caule de la foiblelTe de fon eftomac, & il eft très-proba- Jtévrfcl*1 39 °Iue ^ nous n'av^ons Pas rencontré terre prompte-» ment, il auroit été la victime de l'exactitude &: de la n confiance avec laquelle il remplit fes devoirs de Chi-• rurgien. » %tt Le 28, par 33e* 7' de latitude S., & ioid 33' de lon- gitude O., nous commençâmes à voir des poilîons volans, des oifeaux d'œufs &¿ des nodies, qui, à ce qu'on dit, ne Vont pas à plus de 60 ou 80 lieues de terre , mais on n'eft pas allure de cela. Perforine ne fait à quelle diftanee s'écartent des côtes les oifeaux de mer ; pour moi, je ne crois point qu'il y en ait un fcul fur lequel on puiiïe compter, pour annoncer , avec certitude, le voiiïnage de terre. Par 30e1 30' de latitude S., & ioid 45' de longitude O., nous commençâmes à voir des frégates: par 29a 44' de latitude, & rood 45' de longitude Oueft, nous eûmes calme près de deux jours, &, pendant cet intervalle, la chaleur fut infupportablc j mais, ce qu'il faut remarquer , il y eut une très-grolTe houle du S. O. * Le scorbut faifoit de grands progrès, & fen eus une » forte atteinte. Des taches livides, des gencives gâtées, » l'enflure de mes jambes, jointes à des douleurs violen-» tes, maffbiblirent extrêmement dans l'efpace de peu » de jours; & mon eftomac étant dérangé, je ne pus pas » prendre aifez de moût pour diifiper le mal. Beaucoup » d'autres perfonnes, qui fe traînoient péniblement fur les » ponts, étoient dans le même cas. » Depuis trois jours le ciel étoit clair & ferein, & la .... ¿ chaleur de l'air rendoit le tems agréable ; mais nous étions J*.' L7/5' » impatiens d'arriver à un endroit ou l'on pût trouver des » rafraîchiiîemens. » Le 6 de Mars, le calme fur fuivi d'un vent d'Eft, avec * & 8 Mart, lequel je gouvernai N. O. jufqu'à midi du 8, lorfque par 27d 4¡ de laritude S., & 103^ 58' de longitude O., je mis le Cap à l'O. Je rencontrois chaque jour un grand nombre d'oiieaux, tels que des frégates, des oifeaux du Tropique, & des oifeaux d'œuf, des nodies, des fauchets, &rc. Nous paffâmes à côté de plufieurs morceaux d'éponge, & d'une petite feuille féche, reflcmblant à une baie. Bientôt après un icrpcnt de mer, pareil, à tous égards, à celui que nous avions vus auparavant aux Ifles du Tropique, frappa nos regards. Nous apperçûmes aufïï quantité de poiffons ; mais nous étions de fi mauvais pécheurs, que nous prîmes feulement quatre albacorcs , qui furent très-agréables à l'équipage , & fur - tout à moi , qui fortois de maladie, 9 La moindre pefoit 23 livres; nous n'avions pas mangé ?» 4e poiffon frais depuis cent jours. » Voyage CHAPITRE VIL *5Wre ¿¿¿ Paffage de la Nouvelle-Zélande à VIJlc de Pâque ; Relâche & Incidens à Vlflé de Pâque. Expédition pour découvrir l intérieur du Pays. Defcription de quelques-unes des Statues Gigantefques > les plus Jurprenantes qu'on y trouve. !=:i=î!:î!= Le n, à huit heures du matin, on vit du haut des mâts NN. I774. íi Mars, une terre dans l'Oueft i Se à midi, on obferva de deifus le pont qu elle s etendoit du O. \ N» au O. \ S. O. à la diftanee d'environ douze lieues. « Il est difficile de décrire la joie que refïêntît Féqûi-» page. Nous avions pailé trois mois bc demi fans voir » terre , Se les tempêtes, les dangers , les changemens de s» climat, la mauvaife nourriture , Se les fatigues de toute » eipèce, avoient aifoibli tout le monde. Chacun reprenoit » fon courage & iâ gaieté : nous croyions être parvenus à * la fin de nos maux , Se, d'après la defcription du Navi-» gateur Hollandois, nous comptions trouver des volailles ^ * Se des fruits en abondance. » Je ne doutai point que ce ne fut la terre de Davis ou IsLE de Paques . Xa<á///¿/e 2°7„ o5„ 3ó. car fon afpett du point où nous étions, — correfpondoit parfaitement à ce qu'en dit Wafer : je An Van!** m'attendois à découvrir l'Ifle baife fabloneufe que rencontra Davis, ce qui auroit confirmé mon opinioni mais je fus trompé. A fept heures du foir, l'Ifle nous reftoit du N. 6iA O. au N. 87e* O. à au moins cinq lieues:dans cette poiition, une ligne de cent quarante braifes ne rapporta point de fond. Nous paifâmes la nuit ayant alterna* tivement des foiifRes de vent & des calmes. « L'Isle étoit alors d'un afpeót, noir & un peu déia-» gréable. Nous nous amufâmes à prendre des goulus de » mer , dont plufieurs nageoient autour du vaifTeau, & fè » jetoient avidement fur l'hameçon, qui étoit amotcc n de porc ou de bœuf ialé. » Le lendemain , à dix heures du matin, il s'éleva une * brife du O. S. O. & je forçai de voiles fur la terre j à laide de nos lunettes, nous découvrîmes des habitans & quelques-unes de ces ftatues coloifales, dont parlent les Auteuis du Voyage de Roggewin (a). « A mesure que nous avancions, la terre fembloit peu » fertile: il y avoit peu de verdure, & on y voyoit à peine » quelques buiíTons \ mais , dans notre iîtuation , le rocher 9» le plus iterile étoit un charmant fpcctacle. Ce qui attiroit 9 davantage nos regards, c'étoient les ftatues que l'équipage (a) Voyez la Collection des Voyages de Dalrymple. Vol. JI, 5=-£ » de Roggewin prit pour des idoles (a) j mais nous »774-» conjecturâmes, des - lors , que ce font des monumens •> érigés en l'honneur des morts,tels que les Taïtiens & les » autres Infulaires de la mer du Sud en érigent près de » leurs cimetières, & qu'ils appellent E-tée.v a quatre heures , p. M. nous étions à une demi-lieue au S. S. E. & N. N. O. de la pointe N. E. de fille j & en fondant on trouva trente-cinq braffes, fond de fable brun. Je revirai, & je tâchai d'entrer dans une ouverture qui iembloit une baie, fur la côte occidentale de la pointe ou du côté S. E. ; mais la nuit nous furprit, avant d'en venir à bout, & je louvoyai fous la terre jufqu'au lendemain , ayant des fondes de foixante-quinze à cent dix braifes , même fond que ci-deifus, « Nous vîmes une plus grande quantité de feux aux » environs des colonnes dont on vient de parler \ les Hol-» landois , qui en obferverent aufîi , les prirent pour des »? facrifices aux idoles ; mais il eft plus probable que les » Naturels les avoient allumés , afin d'y apprêter leurs » alimens. » Nous passâmes la foirée à remarquer l'exactitude avec *> laquelle notre vaiffeau trouvoit la longitude. Nous étions » arrivés directement à cette lile, quoique plufieurs autres » Navigateurs, tels que Byron , Carteret , Waliis , sc (*) Voyez la Collection 4es Voyages de la mer du Sud, par M. Daî* rymple. n v Capitaine Cook. 183 • Bougainville I'euifent manqué, après avoir pris leur point = » de départ d'une lile auifi peu éloignée que celle de Juan An » Fernandez : il paroît que le Capitaine Carteret s'égara » uniquement à caufe d'une latitude fautive dans les Tables » Géographiques qu'il confulta. Nous admirions la confio truction ingénieufe de nos deux montres marines (a). » Malheureufement celle de M. Arnold s'arrêta immediati tement, après avoir quitté la Nouvelle-Zélande, au mois » de Juin 1773 j mais celle de M. Kendall eft allé parfai-m tement jufqu'à notre retour en Angleterre. Il femble ceti pendant que, dans une longue route, il faut plus compter » fur les obfervations des diftances de la lune au foleil & » aux étoiles, iî elles font faites avec de bons inftrumens, » que fur les gardes - tems. La méthode de déduire la » longitude, d'après les diftances du foleil & de la lune, ou » de la lune &: des étoiles , une des découvertes les plus » précieufes qu'ait fait la navigation, doit immortalifer fes » premiers Inventeurs. Tobias Mayer, Profelîcur Allemand •a à Gottingen , fut le premier qui entreprit la tâche labo-99 rieufe de calculer des Tables pour cela j & le Parlement » d'Angleterre a accordé une récompenfe à fes héritiers. » Depuis fa mort , de nouveaux calculs ont rendu fa » méthode il facile, que la longitude en mer ne fera peut-» être jamais déterminée avec plus de préciiion par aucun » autre moyen. *> La latitude de fille de Pâque correfpond, à une fe minute ou deux près, avec celle qui eft marquée dans (a) Voyez ce qu'en dit le Capitaine Cook dans Tlntroduciion générale. ■--- » le Journal manufcrit de Roggewin (¿z), tí iâ longitude Mars.74* ■ nerc fautive que d'un degré. La latitude que lui donnent » les Efpagnols, eft auiîi exa&e j mais ils fe trompent fur la » longitude d'environ trente lieues. » i Le 13 , à huit heures du matin, le vent, qui avoit été variable la plus grande partie de la nuit, fe fixa au S. E. 8c fouffla par raffales accompagnées de pluie ; mais bientôt le tems redevint beau. Comme le vent donnoit alors directement fur la côte S. E. qui ne met pas autant à l'abri que je le crus au premier coup-d'œil, je reiblus de chercher un mouillage fur les côtés Oueft 8c N. O. de l'Ifle. Dans cette vue, j'arrivai vent arrière autour de la pointe méridionale, en travers de laquelle il y a deux petits illots \ l'un plus près de la pointe élevée 8c fe terminant en pic, 8c l'autre bas 8c plat. Après avoir doublé la pointe 8c être parvenus devant une greve fablonneufe , nous trouvâmes les fondes de trente à quarante braifes, fond de fable, à environ un mille de la côte. «e Nous ne cessions de regarder le rivage compofé de s roches brifées, dont l'afped caverneux 8c la couleur noire » & ferrugineuiê, annonçoit des veftiges d'un feu fouter-» rain. Nous obfervâmes fur-tout deux rochers : la forme » de l'un étoit iinguliere, il reifembloit à une colonne ou » obélifque énorme, 8c tous les deux étoient remplis d'une ( £ ) Voyez les Vies des Gouverneurs de Batavias elle y eft marquée à i7 degrés 4 minutes Sud de latitude, & ¿ une ligne de pêche, qui pendoit à l'un des côtés du bâti-» ment, une perire pièce d'étoffe, delà mêmeécorce que n celle des Taïtiens Se peinte en jaune. D'après quelques » paroles qu'ils proférèrent, nous conclûmes que leur langue jj eft un dialecte du Taïtien , qui eft ainfi répandu jufqu'aux » deux extrémités de la mer du Sud i tout, d'ailleurs en » eux, confirmoit cette opinion, Se annonçoit que les deux » peuples ont une origine commune. Ils.étoient d'une ftature » moyenne, mais un peu mince ; leurs traits reifembloient 9 à ceux des Taïtiensmais ils étoient moins agréables ¿ » l'un d'eux avoit une barbe d'environ un demi-pouce > » l'autre ne paroiffoit pas âgé de plus de dix-fept ans. Ils * étoient tatoués comme les Naturels des Ifles de la Société, » des Ifles des Amis Se de la Nouvelle-Zélande \ mais des » piquures couvroient tout leur corps parfaitement nud. Ce » qui nous frappa le plus, fut la grofîeur de leurs oreilles , »■ dont le bas,fí alongé qu'il appuyoîc prefque fur lepaule, 35 étoit percé d'un très grand trou , où l'on mettoit aifé-» ment quatre ou cinq doigts. Leur pirogue à balancier » compofée de différentes petites pièces, qui n'avoient pas » plus de quatre ou cinq pouces de large, & deux ou trois » pieds de long, étoit d'environ dix ou douze pieds de Ion » gueuf: chaque homme tenoit une pagaie , dont la pale » étoit aufli de plufieurs pièces. Tous ces faits font d'accord (a) Voyez la Colleftion de M. Dalrymple 3 Tome 11 ou l'Hiiloire I expédition des trois VaüTeaux y Tome J, á la Haye,, i75-t- » avec ce que dit le Voyage de Roggewin, imprimé à —5—-» Dort, en 1728 (a) ; il nous parut d'ailleurs que l'Ifle man- ***¿¿ » que de bois, quoiqu'on allure le contraire dans la Re-» lation du Sergent-Major, dont on a déjà fait mention (h). » Je continuai à ranger la côte, & je découvris la pointe feptentrionale de l'Iilc, fans appercevoir un meilleur mouillage que celui que nous avions dépafle. Je revirai donc, afin de retourner au premier endroit. Sur ces entrefaites , j'envoyai le Maître dans une cha* loupe, pour fonder le rivage. Il revint à cinq heures du foir § &, bientôt après,on jeta l'ancre, par trente-iix braifes devant la greve fablonneuíe, dont on a parlé plus haut. Comme le Maître s'avançoit vers la côte, avec une chaloupe , un des Naturels, qui s'approcha de lui à la nage, demanda in-ftamment d'être amené au vaifleau, où il paila deux nuits & un jour. La premiere chofe qu'il fit, après avoir monte à bord, fut de mefurer la longueur de notre bâtiment , depuis le couronnement jufqu'à l'arriére, & nous remarquâmes que, pour compter les braifes, il exprimoit les nombres par les mêmes termes que les Taïtiens : fon langage étoit d'ailleurs inintelligible pour nous. « Dès que les Infulaires obferverent notre chaloupe en » mer , ils fe raiïemblerent fur la côte, près de l'endroit » où nos gens iembîoient vouloir aborder. Au milieu d'une » foule d'hommes, nous en vîmes de revêtus d'une brillante f a ) Voyez là Collection de M. Dalrymple. {b) Mà% Vol. II. ouHiiloirej &c. Vol. L Âa z B » étoffe jaune, ou plutôt couleur d'orange, & nous les ïïars » prîmes pour des Chefs. Nos yeux débrouilloient auili l'af- » peci: des maifons, qui fembloient très-baffes Se longues, » plus élevées dans le milieu , & fe terminant en pointe » vers les deux extrémités. Elles avoient la forme d'une •o pirogue dont la quille ou le fond eft tourné en haut. On » appercevoit une petite porte, il baile qu'il faut le bailfer » pour y entrer. y> L'Indien , que le Maître amena à bord,avoit environ » cinq pieds huit pouces i Se beaucoup de poils fur la poi-» trine Se fur tout le corps. Son vifage étoit brun; fa » barbe forte, mais courte, & noire comme les cheveux v> de fa tête, courts auiîi. Le tatouage de fes jambes offroit » des compartimens d'un goût que je n'ai remarqué nulle w part. Tout fon vêtement confiftoit en un ceinturon, 35 pendoit un réfeau trop clair pour rien cacher à la vue. » d'où Un os plat, à peu-près de la forme dune langue, Se d'environ cinq pouces de long , placé fur fa poitrine b tels noit à un collier. Il nous dit que c'étoit un os de marfouin, » ( Eevée Tokarra ) Se il employa précifément les mêmes pò mots qu'auroit employé un Taïtien; afin de fe faire » mieux entendre, il lui donna aufli le nom à'Eevée-» Eeka, Se nous reconnûmes que cela fignifioit l'os d'un » poiffon ( a ). » M. Gilbert nous raconta que dès que l'Indien fe tut afïis (a) Eeya à Taïti, & Eeké à la Nouvelle - Zélande, Si aux lile* des Amis, lignifient un poiiïon. » dans la chaloupe, il fe plaignit du froid, & qu'il fit des genes » très-intelligibles i on lui donna une jaquette; on mit un » chapeau fur fa tête, & ceft dans cet équipage qu'il parut » fur le pont. Nous lui offrîmes des clous, des médailles, » des cordons de grains de verre, qu'il nous pria de lui » attacher autour du front. Il montra d'abord de la crainte » & de la défiance, & il demanda fi nous le tuerions comme » un ennemi ( Mané-Toa )? mais quand nous l'eûmes » allure qu'on le traiteroit fort amicalement, il fe crut en » fureté, & au-lieu de témoigner de l'inquiétude, il ne » parla que de danfer ( héeva). Nous eûmes peine à le de-33 vincr au premier moment ; mais, après lui avoir fait nom-» mer les différentes parties du corps, nous reconnûmes » bientôt que fon langage approchoit de celui des ïfles de » la Société. Lorfque nous prononcions un mot quii n'en-» tendoit pas, il le répétoit plufieurs fois, avec des regards » qui exprimoient fortement fon ignorance. a l'approche » de la nuit, il dit qu'il vouloit aller dormir, & il feplai-» gnit encore du froid. Mon pere lui donna une étoffe de » Taïti, de l'efpèce la plus épailfe j il s'en couvrit, en difant » qu'il la trouvoit aifez chaude. Gn le mena enfuite à la » chambre du Maîrre ; il s'y coucha fur une table , 8¿ » dormit tranquillement toute la nuit. » (Edidée , qui avoit déjà montré de l'impatience d'al-» 1er à terre, fut très-charmé de trouver que les Habitans » de cette lile , parloient prefque fâ langue ; il entre-0» prit plufieurs fois de converfêr avec l'ìnfulaire qui étoit » à bord; mais il fut interrompu par les queftions que » d'autres perfonnes du vaifTeau propofoient à notre hôte. ■—..... - » Un grand nombre de colonnes noires i rangées le ^Mar/7^* " ^onS c^e ^ c^te » irappoient nos yeux de toutes parts ; sì plufieurs étoient élevées fut des plates - formes, nous y « diftinguions déjà quelque choie de reffcmblant à une » tete, & à des épaules humaines vers la partie fupérieure ; n mais le bas paroilfoit une roche groilîere fi¿ informe. 33 Souvent nous en comptions deux, quatre &: cinq dans ï> un même grouppe. Nous découvrîmes peu de plan-33 rations vers l'extrémité Nord-Eil. La terre y eil beau-33 coup plus efearpée que dans le milieu, &c nous obler-» ^vions qu'il n'y avoit pas, fur toute l'Hic, un arbre qui 3» furpafsât la hauteur de dix pieds. 33 On remarquera qu'ils ont auifi l'ufage de fe tatouer; s» qu'ils fabriquent également des étoffes avec une écorce 3î d'arbre -, que la forme & le travail de leurs maifues, &: 33 la maniere d'apprêter leurs alimens , font les mêmes. 33 D'ailleurs le dialecte de l'Ille de Pâque, eft pareil, à *> beaucoup d'égards , à celui de la Nouvelle-Zélande , fur* » tout dans la dureté de la prononciation & l'emploi des »> gutturales, & il a auiîi quelque chofe de celui de Taïti. 33 Le Gouvernement Monarchique confirme encore l'aÌTÌ- r, nité qui eft entre les Habitans de l'Ille de Pâque & les 33 Infulaires des Tropiques : feulement l'étendue de préroga- 53 rive des Chefs varie, fuivant le degré de fertilité des » ifles, & l'opulence &c le luxe du peuple. » Ayant mouillé trop près du bord de la greve , une brife fraîche, qui foufrla de terre vers les trois heures du 14. lendemain matin , nous chaffa au large ; &z, après qu'on eut relevé 1 ancre, je fis voile de nouveau pour regagner la côte. HK8S5 Tandis que le vaiifeau exécutoit ces manœuvres, j'allai à AnjJ¿¿ terre , accompagné de quelques-uns de nos Meilleurs, afin de èorinoître ce que Hile pourroit nous fournir. Nous débarquâmes fur un rivage fablonneux , ou étoient affemblés cent ou cent cinquante Naturels, qui montroient tant d'envie de nous voir, que plufieurs fe jetterent à la nage, & vinrent à la rencontre de nos chaloupes. Je leur diilribuai da-bord des bagatelles > &, par ligne, je leur demandai enfuite à manger. a Imitant, ils nous offrirent des patates , des plantains ou des cannes à fucre ; & ils les échangèrent contre des clous, des miroirs 6¿ des morceaux d étoffe. Ils nous' prouvèrent bientôt qu'ils font d'habiles voleurs; & qu'ils trompent dans leurs échanges. Nous avions peine à garder nos chapeaux fur nos têtes : fur-tout il n'étoit prefque pas poffible de conferver quelque chofe dans nos poches, pas même ce que nous avions acheté ; car ils guettoient tous les momens de prendre ce que nous pof-fédions ; de forte qu'après nous avoir vendu deux ou trois fois les mêmes fruits ouïes mêmes outils, leur adreile venoit encore à bout de les remporter à terre. En partant d'Angleterre , on m'apprit qu'un vaiileau Efpagnol avoit vifité cette lile en 1769. Ce que nous voyions, nous en foumiiïbit des preuves : l'un d'eux avoit un chapeau bordé & trouflé à l'Européenne ; un autre pectoit un habit de Grégo, & un troificme un mouchoir de foie rouge. Ils fembloient aufli connoître lufage des fufiis , & paroiifoient beaucoup redouter ces armes. Roggewin qui > ' ■ iì nous en croyons les Rédacteurs de Ton Voyage, leur en ANMaw.74' ^C *"cnt*r Íes terribles effets, leur infpira fans doute cette frayeur. Près de la place de débarquement, on trouve aufîi quelques-unes de ces fameufes ftatues, fur lefquelles je reviendrai dans un autre endroit. Le pays paroifloit iterile &: fans bois : il y a cependant plufieurs plantations de patates, de plantains & de cannes à fuere j nous apperçfunes aufïi des volailles, & nous trouvâmes un puits d'eau faumâtre. Comme nous manquions de ces deux articles, &£ que les Naturels montroient de la difpoiition à nous obliger, je réfolus de relâcher ici un jour ou deux. De retour à bord, je jettai l'ancre en conféquence, par rrente-deux braifes , fond de beau fable brun , à environ un mille de la côte la plus proche , la pointe Sud d'une petite baie , au fond de laquelle eft la greve fablonneufc, dont j'ai fait mention , nous reftant à l'E. S. E., â un mille & demi de diftanee. Les deux Mots de roche, quigiffent entravers delà pointe méridionale de l'Ifle , étoient cachés derrière une pointe au Nord. Ils nous reftoient S.| O. à quatre milles 6c nous avions l'autre extrémité de rifle auN. 2 5a E., à environ fix milles : la greve eft la meilleure marque à laquelle on puiflè recon-noître ce mouillage , parce que c'eft la feule cju'il y ait fur ce côté de l'Iile. « Quoique mes jambes fuiîènt très - enflées, & que je » pufîe à peine marcher, je defeendis à rerre avec le Ca-» pitaine, mon Pere, le Docteur Sparrman, &c. Des Na-» turéis prefque tout nuds, nous reçurent fur le rivage î 33 plufieurs * plufieurs avoient un ceinturon , d'où pendoit par- =^-ü—— *> devant un morceau d étoffe de fix ou huit pouces de ANm31¡J74* » long, ou un rezeau. Un très-petit nombre portoient un 3» manteau qui defcendoit jufqu'au genou : l'étoffe reffem- « bloit à celle de Taïti par la texture , & ils favoient » piquée pour la rendre plus durable. La plupart de » ces manteaux étoient peints en jaune, avec de la ra- » cine de terre - mérite. Nous n'apperçûmes que peu » d'armes parmi eux, quelques-uns cependant avoient des » lances ou des piques, armées à la pointe d'un morceau »> triangulaire, d'une lave noirâtre & tranfparente^{pumex * vitreas. Linn.) qu'on appelle communément agate d'If » lande. L'un d'eux tenoit une maifue de combat, dun » morceau épais de bois d'environ trois pieds de long , » fculptéc à une extrémité, ôc d'autres avoient de courtes » maffues, exactement pareilles aux Patoo-Patoos de la Noi> » velie-Zélande. En général, on reconnoiffoit à leur figure * toute la ftérilité du pays : leur taille étoit inférieure â celle 33 des Jrlabitans des Ifles de la Société &c des Ifles des Amis, » & je ne vis pas un feul homme d'une haute ftature. Leur » corps étoit plus maigre, ôc leur vifage plus mince que » celui d'aucun autre peuple de la mer du Sud. Leur défaut « de vêtemens, & leur emprellement à obtenir nos maria chandifes, fans rien offrir en rerour, fembloient être des » preuves iiifEfantes de pauvreté. Chaque partie de leur r> corps, & le vifage en particulier, étoient fingulièrement » tatoués ; les femmes, dont le nombre ne furpaffoit pas » neuf ou dix, avoient aufli fur le vifage des piquures qu'on » eût pris pour des mouches tels qu'en mettent nos Dames, ?» Peu fatisfaits de leur teint bruu clair, elles s'étoient peintes Tome IL B b : a toute la iàce avec une craie rougeâtre, fur laquelle elles " » appliquent, en outre , l'orange brillant de la racine de » terre-mérite, ou des rayures élégantes de blanc de così quilles. Leurs vêtemens paroiifoïent peu amples, com-» parés à ceux des Taïriennes. Les traits des deux fexes » étoient minces, mais point fauvages, quoique le foleil, » auquel les expofe leur pays iterile, ait reflferréleur front, » & retiré, vers les yeux , les mufcles du vifage. Leur nez, » fans être trop large, eft un peu plat entre les yeux j leurs m lèvres font fortes, quoiqu'elles n'aient pas Icpaiiîeur de » celles des nègres-, leurs cheveux noirs & bouclés, mais î> ils n'ont jamais plus de trois pouces de longueur ; si leurs yeux d'un brun foncé & petits j le blanc s'y » apperçoit moins que chez les autres Peuples des s* mers du Sud. J'ai déjà parlé de la longueur de leurs » oreilles , qu'ils alongent , en mettant dans le trou » des feuilles roulées de canne à fuere qui font très-» élaftiques. 3î L'action trop forte du folcii fur leur tête , les a 3j contraint d'imaginer différens moyens de s'en garantir. j> La plupart des hommes portent un cercle d'environ deux 33 pouces d epaiífcur, trèfle avec de l'herbe d'un bord à 33 l'autre , & couvert d'une grande quantité de ces longues »? plumes noires, qui décorent le col des frégates : d'autres « ont d'énormes chapeaux de plumes de goiland brun, » prefqu'auih* larges que les vaftes perruques des Jurifcon- » fuites Européens ; & pluiïeurs enfin , un fimplc cerceau » de bois , entouré de plumes blanches de mouettes qui fe » balancent dans l'air. Les femmes mettent un grand & » large chapeau d'une natte très-propre, qui forme une M ' i I » pointe en avant, un flûte le long du fommet, & deux ^^tor*^* »> gros lobes derrière chaque côté. M. Hodges a peint une » femme avec ce chapeau , & un homme qui a la tête « couverte d'une autre maniere. Il y en a deux gravures * dans ce Voyage, & elles expriment au naturel, la figure » des Infulaires de l'Ifle de Pâque. Nous ne vîmes, parmi » eux, d'autres ornemens que des morceaux d'os en forme a» de langue, dont j'ai déjà dit un mot,&: des colliers ou » des pendans d'oreille de coquillage. * Après avoir paffé quelque tems fur la greve, parmi » les Naturels du pays, nous pénétrâmes dans l'intérieur » des terres. Toute la campagne étoit couverte de ro- 33 chers Se de pierres de différentes grandeurs, qui, par 33 leur couleur noirâtre & leur afpect poreux, fembloient » avoir été expofés à un grand feu. Deux ou trois efpèces * d'herbes ridées croiñoient au milieu de ces pierres, ce » qui donnoit un air de vie à ce pays inanimé d'ailleurs. *3 A environ quinze verges de la place du débarquement, » nous vîmes une muraille perpendiculaire de pierres de » taille quarrées , d'environ un pied & demi, ou deux ^ pieds de long, Si d'un pied de large : fa plus grande » hauteur étoit '-d'environ fept à huit pieds ; mais iníeníi-» blement elle diminuoit en pente des deux côtés, & toute » la longueur étoit d'environ vingt verges. Ce qu'il y a de » remarquable, ces pierres étoient jointes d'après les régies » les plus précifes de l'art, & elles s'emboîtoient de ma-» nière à fe tenir long-tems. Le grain cependant n'eft pas » très-dur ; c'eft une lave pierreufe , noirâtre , brune „ Bb i ig6 Voy age j » caverneufe & callante. Le terrain s eleve tellement du bord ; '774« * de la mer , vers le centre de l'Ifle, qu'une feconde mur lars. ' ; . „ . , » raille parallele à la premiere, dont elle n'étoit éloignée » que de douze verges, n avoit pas plus de deux ou trois » pieds de hauteur. Du terreau Se des herbages renv » pliflbient toutTeipace entre les-deux murailles. Cinquante » verges plus loin, au Sud,, nous trouvâmes un autre n canton élevé, dont la furface étoit pavée de pierres » quarrées, femblables à celles qui formoienr les muraillesj » Se au milieu une colonne d'une feule pierre, repréfentoit » une ligure humaine à mi-corps, d'environ deux pieds de » haut, Si de plus de cinq de large. La groffiereté du travail » de cette figure, annonce l'enfance des Arts. Sur uno » tête mal deffinée, on apperçoit, à peine, les yeux, le » nez Si. la bouche : les oreilles excelîivement longues, fui- * vantla coutume du pays, font moins mal exécutées que. « ie refte. Le. col eft petit S¿. court, S¿ on ne diftingue prefc » que pas les épaules & les bras. Il y a au fommet de la tête » un énorme cylindre de pierre, de plus de cinq pieds de » diamètre Se de hauteur, placé tout droit. Ce chapiteau * qui approche de celui que des Divinités Egyptiennes, » portoient autrefois fur leurs têtes, eft d'une pierre diffé-» rente du refte de la colonne , Sz plus rougeâtre. La tête a» Se ce qui eft au-defliis, fait la moitié de toute la figure. » Nous n'avons pas remarqué que les Naturels rendent 33 aucun culte à ces colonnes j ils paroiifent cependant » avoir pour elles de la vénération ; car ils témoignoient. » du mécontentement lorfque nous marchions fur l'efpaca » pavée, ou fur les piedeftaux, ou que nous en examinions- * les pierres. bu Capitaine Cook. 197 » Un petit nombre de Naturels nous accompagnèrent i ; „ 1 g » plus loin en dedans du pays ; près de quelques buif- Ann¿¡¿s774, » fons, où nous efpérions rrouver de nouvelles plantes. » Notre chemin fut très-rude fur des tas de pierres de » volcan , qui rouloient fous nos piedsÒC contre lefquelles » nous nous blelïions à chaque pas, Les Infulaires,. aecou- « tumés à ces embarras , fautoient agilement d'une pierre » à l'autre, fans la moindre difficulté. Nous apperçûmes *> de gros rats, qui couroient devant nous, & qui paroif- » fent être communs fur toutes les Ifles de la mer du.Sud. » Les arbriffeaux qui attirèrent notre attention., fuient » une très-petite plantation de .mûrier à papier, dont la tige » a de deux à quatre pieds de hauteur , &: dont ils font ici » leurs étoffes, ainfi qu'à Taïti. Cet arbufte eft planté en » allées, parmi de très-gros rochers, où les pluies ont amaffé » un peu de terreau. Nous découvrîmes aux environs des » grouppes & H ibi feus populneus ,Linn. répandus auiïi aux ■> Ifles de la Société , où les Infulaires l'emploient dans leur » teinture jaune r & des Mi mofa , le. feul arbriifeau qui » fouraiffe des maffues & des pattoo-pattoos, & du bois » aifez gros pour raccommoder leurs pirogues* » A mesure que nous avancions, la furface du pays » devenoit plus ftérile & plus hérillée de roches, jetées^ » çà 6¿ là-, dans le défordre du cahos. Il paroît que le petit » nombre d'habitans qui nous reçurent an débarquement,^ 33 formoient le gros de la Nation i car. nous n'en rencon-» trames pas d'antres dans notre, promenade : nous ilapso perçûmes même que dix ou douze cabanes ,, quoique-P notre vue embrafsât une grande partie de l'I Île : l'une des; xj^ç .:¡ o ò V b Y Á G L 1 ' j» plus 'jolies étoit fituée iir un mondram , à environ un Ann. 1774- „ demi-mille de la mer, & nous y montâmes. Sa conftruc-33 tion annoiiçok lao^uvrcté & la mifere de les propriétaires. 33 Des pierres d'environ un pied de longueur , de niveau 33 avec la furiare-du terrain S¿ formant deux lignes courbes, 33 lui fer voient de fondement ; une ¿ifbmcc de lix pieds au 33 milieu, & feulement d'un pied aux extrémités, féparoit 33 les débit lignes courbes. Dans chacune de ces pierres de » fondement, je remarquai un ou deux trous, remplis -par «"tin piètVT'Lés pieux du milieu avoient iix pieds de haut, »" mais les autres diminnoient pai- degrés jufqu a deux pieds. 33 Les pieux convergeant tous au fommet, étoient attachés 33 par des cordages, à des baux de traveriê, qui les te-» noient enfemble. Une efpèce de couverture de petits 33 bâtons, revêtus d'une natte propre & de feuilles de ss cannes de fuere, portoit fur chacune des rangées de pieux, » '& formoit un farte ou angle très-aigu au fommet i lur un 33 des côtés, il y avoit un trou d'environ dix-huit pouces » ou de deux pieds de haut, d'où fortoit un long tuyau, 33 par où l'eaiï fê dechargeoit. Je me traînai â1 quatre, pour 33 entrer dans cette ouverture : l'intérieur de la cafe étoit 33 abfolument vide, & je n'y vis pas même de l'herbe fur « laquelle on pût fé coucher. Je ne pus me tenir droit dans » aucune' partie, excepté au point précis du milieu: touc 3) étoit fombre & trille. Les Naturels nous dirent que k 33 nuit ils occupent ces cafes : ils doivent y être entaf-33 fés les uns fur les autres , puifqu'il y a íi peu de • ces habitations *, à moins que le bas - peuple ne cou-che en plein air , & ne lahTe ces miférables huttes à » leurs Chefs. » Outre les cabanes, nous obfervâmes plufieurs amas de » pierre,formant-de petits mondrains , dont l'un des côtés » abfolument perpendiculaire, a un trou qui va fous terre. » L'cfpace en-dedans doit être très-petit, &'cependant il » cil probable que ces cavités fervent dafyle au peuple* j> pendant la nuit. Peut-être qu'elles communiquent avec des * cavernes naturelles, telles qu'on en trouve parmi les cou-» rants de lave , des pays de volcan. De pareilles cavernes, » très-communes en Mande, font très-fàrneuies pour avoir 3) tenu lieu de maifons aux anciens habitans de la contrée. » M. Ferber , le premier Hiilorien Mincralogique du » Véfuve,a remarqué un femblable creux fouterrain, dans 33 une des laves modernes de cetre montagne. Nous aurions 33 été bien-aife de déterminer íi notre conjecture avoit qucl-»3 que fondement ; mais les Naturels ne voulurent jamais 93 nous permettre d'y entrer. »3 La cadane que j'examinai, étoit entourée d'une plantais non de cannes à fuere & de bananiers, en fort bon état, vu 33 la qualité pierreufe du terrain. Les bananiers croiifoient tous 33 dans des trous d'un pied de profondeur, faits, à ce que » nous fupposâmes, pour recueillir la pluie, & la conferver » plus long-tems autour de la plante. Sur ce mauvais ter-3> rain, les cannes à fuere jettent cependant des tiges de 33 neuf ou dix pieds, qui renferment un jus très-doux. Un 33 feul lnfulaire , que nous trouvâmes le matin , nous offrit n de ce jus, quand nous lui demandâmes quelque chofe » à boire. Nous en conclûmes qu'il n'y a point d'eau fur s» leur lile \ mais, revenant à la place de débarquement, » nous rencontrâmes le Capitaine Cook, que les Naturels 5 « avoient conduit très-près de lamer à une pointe taillée » dans le rocher èc rempli d'ordures : l'eau y étoit dégoû-» tante ;•& cependant les indiens en burent avec beau-» coup d'avidité. M. Cook , fnìóit des échanges avec les '» Naturels, dont le nombre étoit diminué de la moitié ; les » autres étoient probablement allés dîner : nous remarqua-» mes de nouveau que la quantité des femmes n'étoit pas » du tout proportionnée à celle des hommes. Le matin, il » n'y en avoit pas plus de douze ou quinze, & alors il n'en s> reftoit que iîx ou fept. Elles n étoient ni réiêrvées , ni » chaftes -, 8£ ,pour un petit morceau d'étoffe, les matelots » aífouvilíbient leur pafîion. Leurs traits avoient allez de « douceur i mais leurs grands chapeaux pointus leur don*. y> noient l'air des proftituées de profeiîîon. » Nous fumes de retour à bord avant midi : le vaiñeau m étoit à l'ancre , quoique nous l'cuiìions laiífé fous voile. 33 Les fruits & les racines que nous rapportions, furent à y l'inftant diftribués aux malades, ainfi que des volailles ¿ toutes cuites, qui, ayant été apprêtées, comme fur les 53 autres Ifles de la mer du Sud, avoient la même faveur. » Les patates d'un jaune d'or, aufll douces que des carottes, » (ce qui fit qu'elles ne nous plurent pas à tous égale-33 ment, ) étoient très-nourriifantes & très-anti-feorbutiques, » La féchereffe du fol paroît concentrer les fucs de ces *> fruits , ainfi que de .tous les autres végétaux de cette » lile. Ceux qui aimoient les bananes, trouvèrent les leurs » excellentes ; & leurs cannes étoient plus fucrées que celles » de Taïti. v L'après-midi, L'après-midi , on remplit des pièces d'eau, Se nous ouvrîmes un petit commerce avec les Naturels du pays. Quelques-uns de nos Meilleurs firent auiîî uneexcuriîon dans l'intérieur de l'Ifle, pour voir ce qu'elle produifoit ; Se ils revinrent le foir , après avoir été volés. « L'un des Naturels , qui fe trouvèrent à la place de » débarquement, fembloit avoir de l'autorité fur les autres, » &: il confentit de bon cœur à nous accompagner. Il » n'étoit pas auilî timide que le refte de fes compatriotes y » Se il fe promenoir hardiment avec nous, tandis que les s» autres paroiifoient alarmés du moindre de nos mouve-» mens. Cette frayeur cependant ne les empêchoit pas de » fouiller nos poches , Se de voler tout ce qu'ils pouvoient. » Nous n'étions pas à terre depuis plus d'une demi-heure , » lorfqu'un d'eux, fe griffant parderriere (Edidée, lui arra-x, cha de deffus la tête un chapeau noir, Si s'enfuit très-vîte, » à travers des pierres raboteufes, où il étoit impoiîible » de le fuivre. (Edidée fut íi étonné, qu'il parut en perdre » la parole ; Se, quand il vint fe plaindre , le voleur étoit » déjà fort loin. M. Hodges, ailis fur une petite émir » nence , deiïinoit une vue, Se un autre Naturel lui enleva » fon chapeau de la même maniere. M. Wales étoit à fes » côtés, tenant un fuiïl ; mais il réfléchit, avec raifon, qu'une » faute auilî légère ne méritoit pas la mort. » En nous promenant le long de la côte de la mer » nous découvrîmes la même efpèce de céleri qui abonde a» fur les grèves de la Nouvelle-Zélande, Se deux autres » petites plantes communes à cette contrée. Je ne puis pas Tome lì. Ce 20 2 v O Y A G E ^j.1"" 'H't-, » dire fi ces plantes font indigènes fur l'Ifle , ou fi? N AUr/74" w c^es ont ^ produites par des iemences qu'ont tranf-» porté le courant de la mer ou les oifeaux. Nous trouva-» mes auilî une plantation d'ignames, ( dio/corea alata» i* Linn. ) Les traits, les coutumes 8c la langue du peuple de » fille de Pâques, ayant beaucoup d'affinité avec ce qu'on » obferve aux Ifles de la mer du Sud, nous efpérions y as voir les animaux domeftiques de Taïti , 6¿ de la Nouvelle-» Zélande \ mais, après les recherches les plus foigneufes, je » n'y ai remarqué que des volailles ordinaires, très-petites 8c ?> d'un plumage peu fourni ; deux ou trois noddies, íi appri-33 voifés, qu'ils fe plaçoient fur les épaules des Naturels, » frappèrent auifi nos regards ; mais on ne peur pas en coiv » dure qu'ils aient un grand nombre de ces oifeaux. » Au coucher du Soleil , nous quittâmes laiguadc ; » pour marcher vers l'anfe où nous attendoit la chaloupe. m Comme nous paillons fur le terrain où étoit la colonne dont » on a parlé, quelques Naturels, qui nous accompagnoient » encore, nous firent figne de deicendre 8c de marcher dans • l'herbe, le long dupié défiai \ mais, voyant que nous ne nous » embarraillons pas de leurs geftes, ils ne firent aucune autre » tentative pour s'oppofer à nous. Nous propofâmes diverfes » queftions fur la nature de ces pierres, à ceux qui paroif-3» foient les plus intelligens \ 8c, autant que nous comprîmes » leurs réponfes, il nous parut que ce font des monu-» mens érigés à la mémoire de leurs Aréekées ou de leurs » Rois. Je penfai que les environs du piédeftal, pouvoient •» bien être un cimetière, & en les examinant» j'y trouvai m des os humains , qui confirmèrent mes conjeefures. La n longueur des os humains, montroit qu'ils avoient appar- ""l1.1. » tenu à des perfonnes d'une moyenne ftature ; & un os de la Ann- 171 ^ » cuiile, que je mefurai, répondoit à celui d'un homme de « cinq pieds neuf pouces. A l'Oueft de l'anfe , il y avoit trois » colonnes, placées en ligne fur une plate-forme ou piédeftal •» très-large & très-élevé. Les Naturels donnoient à cette » rangée le nom èiHangaroa, & à la colonne feule, celui » ÜQbéena. Dix ou douze Indiens étoient allis à peu de » diftanee de la dernière, autour d'un petit feu dans lequel » ils grilloient des patates. Ils nous offrirent une partie de » leurs foupers. Cette hofpitalité nous furprit dans un pays » fi pauvre, & nous penfâmes aux Peuples civilifés qui, »> en pareil cas, n'ont prefque plus de commifération pour » les befoins de leurs femblables. Nous retournâmes alors à » bord , avec une petite quantité de patates, & environ fix » ou fept plantes communes, que nous avions raffemblées. » L'air de la côte fit un très-grand bien aux feorburiques. » J'étois parti le matin avec des jambes exceilivement en* » fiées : à mon retour , l'enflure avoit diminué, & ma dou- » leur s etoit difîipée. Je ne pouvois attribuer cette guérifon » fubite qu a l'exercice que javois pris, & peut-être à ces » émanations falutaires, qui, dit-on, fuffifentfeuls, pour » rendre la fanté à ceux qui ont contracté le feorbut en » mer. » Le lendemain , dès le grand matin , j'envoyai les Lieu- r ^ tenans Pickerfgill &c Edgcumbe, avec un détachement de foldats, & plufieurs de nos Meilleurs , pour reconnokre la contrée. Leur parti étoit compofé de vingt-fept perfonnes. Comme j'étois encore en convalefcence, je manquois de Ce z' 2o4 Voyage force pour y alleu moi-même, Se je fus obligé de relier à Ann.^1774-' la place de débarquement parmi les Naturels. Us me vendirent des patates, qu'ils recueilloient dans une plantation voifine. Mais ce trafic, très-avantageux pour nous, fut bientôt arrêté, par l'arrivée du Propriétaire (du moins je fup-pofai que cet homme letoit ) delà plantation , qui en chailà tous les compatriotes. Je conclus, qu'on l'avoit volé , Se que le vol entr'eux eft défendu. Ils pratiquoient d'ailleurs envers nous toutes les fraudes imaginables, Se ordinairement avec fuccès. a peine avions-nous découvert une de leurs frippon-neries qu'ils en inventoient une autre. a fept heures du foir, le détachement, que j'avois envoyé dans la campagne , revint après avoir parcouru la plus grande partie de l'Ille. Nos Messieurs partirent du rivage à neuf heures du matin : un fentier les conduifit au côté S. E. de l'Ifle, Sí ils furent fuivis d'une foule nombreufe des Naturels , qui fe précipitoient vers eux avec beaucoup d'empreflement. Bientôt un homme d'un moyen âge , tatoué depuis les pieds juf qu'a la tête , Se ayant un vifage peint d'une forte de piment blanc , parut avec une pique à la main, fe promena à côté deux , Se fit figne à les compatriotes de fe tenir éloignés Se de ne pas incommoder les étrangers. Il arbora enfuite un morceau d étoffe blanche fur fa pique , Se fe plaçant à leur tête, il les conduisît lui-même, en agitant ce pavillon de paix. Durant la plus grande partie de la route, le terrain fembloit iterile : c'étoit une argile noire , couverte par tout de pierres : il y avoit cependant de vaftes champs de patates, Se des allées de plantains i mais ils ne virent point de fruit fur aucun des arbres. Vers la partie la plus élevée de l'extrémité méridionale de i'Iile, le fol ( une belle terre rouge) —■ paroiffoit beaucoup meilleur j f herbe y étoit plus longue, An^Js7,74' Se il n'y avoit pas de pierres comme dans les autres carV tons j mais on n'appercevoit ni plantations, ni cabanes. Sur le côté Est, près de la mer,ils rencontrèrent trois plates-formes , ou plutôt les ruines de trois plates-formes de maçonnerie. Il y avoit eu, fur chacune d'elles, quatre grandes ftatues j trois étoient tombées, la chute en avoit brifé ou mutilé deux ; de forte qu'il n'en reftoit plus qu'une debout , Se, une feconde couchée , mais entière. M. Wales mefura celle-ci, Se il la trouva de quinze pieds de longueur, Se de iix pieds de large au-deifus des épaules. Chaque ftatuc portoit fur fa tête une groffe pierre cylindrique , dunecou-leur rouge, parfaitement ronde : l'uncrde ces pierres, qui n'étoit pas la plus grande, avoit cinquante-deux pouces d'élévation, Se foixante-fix de diamètre. La partie iupéricurc de quelques cylindres étoit enlevée ; mais plufieurs étoient entiers. De cet endroit ils fuivirent la direction de la côte au N. E. : l'homme, qui leur fervoit de guide , marchoit toujours le premier, agitant fon pavillon. Ils trouvèrent le pays très-ftérile, Tcfpace d'environ trois milles -y Se, en quelques endroits, manquant de terreau , de maniere qu'il n'offroit qu'un rocher nud, qui fembloit être une m au vai le efpèce de mine de fer. Au-delà ils parvinrent à la partie la plus fertile de l'Ille: ce canton étoit entre-mêlé de plantations de patates, de cannes à fuere Se de plantains, moins hériifé de pierres, que ceux qu'ils venoient de palier, mais fans eau : ~™....... 'jg les Naturels leur en apportèrent cependant à deux ou trots Ann. 1774' reprifes, différentes ; &, comme ils avoient foif, ils la burent, Mars* . ' * quoiqu'elle fût fa.umâtre ôc puante. I|s pafferent auifi devant des huttes, dont les propriétaires vinrent à leur rencontre , & leur offrirent des patates grillées & des cannes à fuere y &, fe mettant à la tête du premier de nos Anglois, qui marchoieiit de file, pour profiter du fentier, ils leur en don* lièrent à chacun une. Ils obicrverent la même méthode dans la diitriburion de l'eau. Ils curent foin que les plus altérés n'en buifent pas trop , de peur qu'il n'en reliât point pour les derniers. Tandis que ces généreux Infulaires s'effor-çoient d'appaifer la f iim Si la foif des Etrangers, d'autres tâchoient d'enlever tout ce qu'ils avoient reçu en préfent. Pour prévenjr dess fuites plus funelles ,.nos Meilleurs furent obligés de tirer uUjfuiifChargé à petit, plomb, fur l'un d'eux qui eut l'audace d'arracher un denosfacs. Leplomb l'atteignit au dos, il abandonna .alors le fie, fit quelques pas en s'en-fuyant', & enfuite tomba : mais Ufe releva bientôt & marcha. Nous n'avons pas fu s'il étoit dangereuicment bielle, ni ce qu'il devint. Comme ce malheur occalionna du délai, & raiïèmbla les Naturels , l'homme qui jufqu'alors avoit conduit la bande, ô£ un ou deux autres, coururent vers nos MM. y mais au-licu de s'arrêter quand ils en furent près, ils fe mirent à courir autour de la bande, en répétant quelques mots 4'une maniere amicale. Les Anglois ayant continué leur marche, le vieil guide arbora fon pavillon, &ç dirigea la troupe comme auparavant, & aucun Naturel n'entreprit de commettre de vol. Ils observèrent,en paiïànt,un grand nombre d'indiens raiTcmblés fur une-colline, tenant des piques a la main ; mais SI " ' qui fe-difperferent à l'appel d'e'leur compatriote, excepté A>MarI7+* cinq ou fix , i un defquels fembloit être un Indien d'importance. C'étoit im homme róbu ite & bien fait1, dune phyiio-nomie ouverte : il avoit le vifage peint, le corps tatoué > il portoit un hahou ou vêtement meilleur que celui des autres, & un grand chapeau' de longues plumes noires-, il aborda nos MM. &■, pour les faluer, il étendit fes bras avec les deux mains fermées, il les éleva au-deiîus de la tête, iî les ouvrit enfuite le plus qu'il lui fut pofîîble, & les laiflà retomber peu-à-peu fur fes côtés. Le porte-étendard donna fon pavillon blanc à cet homme , qui paroiffoit être le Chef de Tifie ; celui-ci le remit à un autre, qui le porta devant eux le relie du jour. « Avant l'arrivée de cet homme , les Naturels nous » . avoient averti de l'approche de leur Hé-rée, ou Ha- » reekee>o\i Roi. Comme les Naturels, en nous faifant » des préfens, avoient prononcé le mot Héco (a), ce qui » lignifie ami mous allâmes lui offrir des dons, M. Pickerf- » gill & moi, en prononçanr Héeo. Nous demandâmes fon » nom , &: on nous dit qu'il s'appelloit Ko-Toheetaï 3 nous » voulions favoir s'il étoit Chef feulement d'un canton ou » de tout le pays, &t fur cela il étendit fon bras, comme » pour embraffer Fille entière, &c dire Waihu. Afin de 31 lui montrer que nous le comprenions, nous mîmes nos » mains fur la poitrine % nous l'appellâmes par fon nom , » & nous ajoutâmes le titre de Roi de Waihu, ce qui lui (a) Hoa aux liles de la Société eft Woa à celle des Amis» Sggg* » fic beaucoup de plaifir. Alors il fe mit à caufer pendant Swf^ ™ Jüllg~tems avec &s Compatriotes, On ne remarqua pas » qu'aucun des Infulaires eût pour lui des égards ou du *> refpecr : dans une contrée íi pauvre, le Chef ne peut guè-» res s'approprier des honneurs, fans empiéter fur les droits » naturels de íes camarades, & fans s'expofer à des dangers. » Il parut mécontent de ce que nous délirions continuer » notre marche, Ôc il nous pria de retourner fur nos pas, » en nous promettant de nous accompagner ; mais, voyant » que nous étions déterminés à aller plus avant, il finit les r» fupplications, & il nous luivit. » Vers l'extrémité orientale de fille, nos MM. renconnnrent un puits, dont l'eau étoit fale, mais parfaitement douce, parce qu'il fe trouvoit fort au-deffus du niveau de la mer. Les Naturels ne vont jamais y boire fans fe laver enfuite -, & fùffent-ilscènt, le premier faute directement au milieu du creux , boit & fe lave lui-même , fans la moindre cérémonie j un autre prend enfuite fa place, & fait la même chofe. Ils remarquèrent que cette partie de l'Ille étoit remplie des ftatues gigantefques dont on a parlé fi ibuvent j quelques-unes placées en grouppes fur des plates-formes de maçonnerie, d'autres feules, enfoncées en terre , &: à peu de profondeur : en général, ces dernières font beaucoup plus groifes que les autres. L'une d'elles qui étoit tombée , avoit près de vingt-fept pieds de long , &C plus de huit pieds au-delllis de la poitrine ou des épaules, & cependant elle paroiflbit bien moindre qu'une qu'ils virent debout : fou ombre , un peu après deux heures, fuffifoit pour mettre à l'abri du Capitaine Cook. 209 l'abri des rayons du foleil, toute la troupe, compofée de près de trente perfonnes. « Les Insulaires leur donnoient le nom général *> de Hanga tebow \ ils appliquent le terme d'Hanga » à chaque rangée : ils appelloient les ftatues en particulier » Ko-(a) tomoaï, Ko-tomoéerée, Ko-hbo-oo , Morahiena, » Oomarhcva t Wecnaboo J Wetnapc. » Nous nous arrêtâmes pour laiffer à M. Hodges le m tems de deiîiner quelques uns de ces monumens : la » gravure, qui accompagne ce Voyage, eil très-exacte. n Nous profitâmes auíli de l'occaiion pour dîner, » Nos Messieurs montèrent enfuite fur une colline, doyr ils découvrirent toutes les côtes Eft & Nord de l'iile, où ils n'apperçurent ni baie ni crique, propre au débarquement d'une chaloupe, ni rien qui annonçât de l'eau douce. Celle qu'on leur offrit, étoit réellement falée , & cependant ce Peuple en boit beaucoup , tant la néceifité & la coutume ont de force. Ils furent obligés de retourner au puits dont on a parlé j & , après y avoir étanché leur foif, ils dirigèrent leur marche vers le vaiileau, parce.qu'il étoit quatre heures. «Nous traversâmes le faîte des collines qui fê pro-» longent au milieu de l'Ifle, par des chemins plus mauvais (a ) Ko eft l'article comme à la Nouvelle-Zélande, & aux Ifles des Amis. Tome IL D d ?í= » & plus fatigans que jamais : le pays jonche de cen-^Mai7/^' w ^ICS vo^camclues> étoit en friche tout autour de nous , 55 quoique plufieurs vertiges atteftaifent une ancienne cul-« ture. Je reconnus alors combien la longue durée de mon » rhumatifme m'avoit afFoibli. Tous mes membres étoient » crifpés, Se je pouvois à peine achever le refte de la roure, » quoiqu'en pareilles occafions, avant ma maladie, je fuife » infatigable. Les Naturels, voyant que nous prenions un » fentier difficile, nous quittèrent tous, excepté un homme « Se fon petit garçon. Comme nos Officiers Se leur fuite ¡o alloient trop loin , Se qu'ils faifoient un détour pour * arriver au vaiileau , je me féparai d'eux, Se avec le Doc-» teur Sparrman , un Matelot, & deux Naturels, je pris y» la route la plus courte. L'Infulaire, me voyant, très-foible, » m'offrit fa main, & mettant une dextérité étonnante dans » fa marche fur les cailloux qui bordoient le chemin, il me » fou tint pendant un efpace confidérable. Le petit garçon » alloit devant, Se écartoit les pierres qui obftruoient le » le paifige. Après nous être repofé plufieurs fois , nous » atteignîmes enfin le fommet de la colline, d'où nous » vîmes la mer à l'Oueft, Se le vaiileau à l'ancre. La colline » étoit couverte d'un arbriiTeau de l'efpèce des mimofa, qui » y croît jufqu'à la hauteur de huit ou neuf pieds : quelques-7ì unes des tiges, penchées vers la racine , avoient à-peu-» près l'épaiflcur de la cuiffe. Je trouvai encore un nouveau » puits, dont l'eau avoir un goût de pourriture, & l'odeur » de ïkepar fulphuris : nous en bûmes cependant malgré *> fa mauvaife qualité. Le foleil fe coucha bientôt, après » notre départ de ce puits : nous marchâmes plus de deux * heures abfolument dans les ténèbres -, Se, durant cet *> intervalle, mon Indien me fut très-utile; mais, comme = » i'avois trois milles d'avance, j'attendis M. Pickerfsill & A » fa troupe , & j'arrivai, avec lui, fain & fauf au bord de n la mer, après avoir fait au moins vingt-cinq milles par » des chemins déteftables, où il n'y avoit pas un feul arbre » qui pût nous mettre à l'abri du foleil. Je donnai à mes » bons Conducteurs, rout ce que j'avois d'étoffes de Taïti, » & d'ouvrages de fer. « Je dois ajouter que la campagne étoit hériffce parsi tout de pierres irrégulières, caverneufes, fpongieufes, *> brunes, noires & rougeâtres, monumens inconteftables » d'un volcan. En général, lorfqu'il n'y avoit pas beaucoup » de pierres dans les fentiers, ils étoient fi étroits, que, sì pour avancer, il falloir tourner les pieds en dedans :les » Naturels leur donnent aifément cette pofition. Cette » maniere de marcher étoit très-fatigante pour nous ; 8¿ *> nous nous bleflions ou nous tombions à chaque pas. Des » deux côtés le terrain étoit revêtu d'une herbe de la Jamaïque ( pafpalum) , qui croilfoit en touffes, &c fi » gliiïante, que nous ne pouvions pas nous y foutenir. s> Ailleurs on trouvoit un tuf ferrugineux, des plaines » d'un fcul rocher bien réuni , ou de lave noire fondue, » qui fembloit contenir du fer, fans terreau, ni herbe , ni » aucune plante. »Nous remarquâmes quelques armes, & en particu-« lier des bâtons minces armés, à la pointe, d une lave noire & vitrée, ££ enveloppée avec foin dans un petit Dd 2 ggggj 111 - « morceau d'étoffe. Je ne vîs qu'un homme qui eût une Ann. 1774. » hache de bataille, refTemblante à celle des. Zélandois, » mais beaucoup plus courte : une tete etoit fculptce de » chaque côté, & un petit morceau de verre noir, dont on » a déjà parlé plus haut, repi*éicntoit les yeux. » Dans un petit creux, fur la partie la plus élevée de rifle , M. Pickerfgill rencontra des cylindres pareils à ceux qui couronnent les têtes des ftatues. Ceux-ci fembloient plus larges qu'aucun des autres ; mais il étoit trop tard pour s'arrêter à les mefurer. M. Wales, qui m'a communiqué ces détails, penfe qu'il y a une carriere d'où on a originairement tiré ces pierres, & qu'il n'a pas été très-difficile de les rouler en bas de la colline, après qu'elles ont été taillées Cette conjecture me paroît fort raifonnable, ô£ je crois que cela eft arrivé ainfi. Sur le penchant de la montagne, vers l'Oueft , ifs découvrirent un autre puits l'eau , fortement minéralifée y avoit, à la furfàce , une écume verte très-épaiffe , &¿ ella exhaloit une puanteur infupportable. Nos Meilleurs furent contraints d'en boire ; mais bientôt ils en furent malades. On ne vit que deux ou trois arbrifïèaux dans toute cette "excurfîon, ainfi que dans celle de la veille. La feuille & la graine de l'un deux ( appellées par les Naturels Torromédo) reffembloient beaucoup à la feuille 6i à la graine de la vefee ordinaire ; mais la coffe, par fa groffeur & fa forme, ap-prochoifr plus de celle du ramarin. La graine a un goût amer défagréable y ôc les Naturels, voyant nos Meilleurs, en manger, leur firent figne de la cracher ; ils y iuppofcnt, ■ yraifemblablement, quelque qualité pernicieufe ; le bois, Njjfars? d'une couleur rougeâtre, eil allez dur & allez pelant, mais très-tortu , petit, court, ce il ne furpalTe pas fix ou fept pieds de hauteur. Au coin S. O. de l'Ille, on découvrit un autre petit arbrilïèau , dont le bois eft blanc & caftant, & reiTemble d'ailleurs, par la feuille, au frêne : on apperçut en outre, en plufieurs endroits, la plante dont les Taïtiens font leurs étoffes; mais elle étoit foiblc &: d'une mauvaife venue, & elle avoit tout au plus deux pieds & demi d'élévation. Ils ne rencontrèrent point d'animal d'aucune efpèce; feulement quelques oifeaux frappèrent leurs regards : à moins que les vaiffeaux ne foient dans la plus grande dé-trèfle, rien ne doit les porter à relâcher fur cette lile. * On a oublié de dire que nous fûmes reçus au dé-» barquement par deux cens Naturels afïemblés, parmi lef-*> quels je ne comptai que quatorze à quinze femmes , g¿ «j très - peu d'enfans. Comme ces femmes prodiguoient » leurs faveurs, je conjecturai que celles qui étoient ma-» riées & qui étoient fages, avoient été forcées par les 59 hommes de fe tenir à leurs habitations dans les parties ta éloignées de l'Ifle. On n'a peut-être jamais vu, dans aucune » contrée , des Courtifannes aufli lubriques : les Matelots *> renoncèrent à toute pudeur, & ils ne rougirent pas d© n fe livrer à la débauche, fans chercher à la couvrir autre-« ment que par l'ombre des ftatues gigantefques. P Nous nous détachâmes de la troupe, M, Patten, î# = » Lieutenant ClerJce & moi, pour faire de petites prome-• « nades féparées, & nous fouffrîmes beaucoup de la chaleur » du foleil. Nous avions pris nos fufils, dans l'cfpérance de *> tiret des oifeaux ; mais nous fûmes trompés. Nous trouai vâmes , dans un champ cultivé , une efpèce de folanum m nïgrum, qu'on emploie à Taïti & aux Ifles de la Société, » comme vulnéraire, & qu'on cultive peut-être ici pour cela. L'herbe , qui pouffe communément au milieu des •» pierres dans les terrains en friche, avoit été foigneuiement » arrachée & étendue fur route la plantation , ainfi qu'on » y étend la marne , peut-être pour préierver X^folanna des » rayons brûlans du foleil; ce qui femble prouver que les » Naturels n'ignorent pas entièrement l'économie rurale. » Passant près de quelques arbriifeaux qui fermoient sa l'entrée de deux huttes, nous crûmes entendre des voix » de femmes ; mais3 prêtant urie oreille attentive, nous » n'entendîmes plus rien. Nous traversâmes diiférens » champs qui n'avoient aucune efpèce d'enclos, quoiqu'en » difent les Rédacteurs du Voyage de Roggcwin , qui s» paroiffent avoir confulté leur imagination, plutôt que la » vérité. » La chaleur nous épuifa, dans un tems où il » nous reftoit encore bien du chemin à faire, avant d'ar-» river au bord de la mer. Nous rencontrâmes, par bonheur, n un Naturel qui recueilloit des patates dans un champ. » Nous lui dîmes que nous avions une grande foif ; » quoiqu'il fût vieux, il fe mit à courir à une vafte plan-S tation de cannes de fuere, & il nous en apporta fur fon 5j dos une charge des meilleures & des plus remplies de " » jus. Après l'avoir récompense de fes bons offices, nous 1 » nous mîmes à fucer ce jus, qui étoit extrêmement ra-» fraîchillànt. ai Arrivés à la place du débarquement, où le Capi-o> taine Cook faifoit divers échanges, nous vîmes des Na-ai turéis qui le trompoient, en lui vendant des paniers » remplis, en apparence, de bananes , tandis qu'au fond 33 il y avoit des pierres. Après les noix de cocos, auxquelles 33 ils donnoient la préférence , ils aimoient beaucoup les » étoffes de Taïti & d'Europe, qu'ils eltimoient fuivant » la grandeur des pièces ; ils mettoient un prix intérieur 33 aux ouvrages de fer. Quand le marché étoit honnêtement as conclu, la plupart s'enfuyoient avec l'étoffe , la noix de » cocos, ou le clou qu'ils venoient d'acquérir , comme »> s'ils enflent eu peur d'un dédit de notre part. Témoins 33 des baffes friponneries qu'ils exerçoient, nous déplorions s» leur fort. Quoique la rareté des étoffes force plufieurs 33 d'entr'eux à aller nuds, ils échangeoient le peu qu'ils 33 en avoient, contre celles de Taïti, &: cependant nous » ne pouvions pas leur en donner une auilî grande quan-33 cité. Le defïr d'avoir de ces étoffes, les porta à vendre dif 33 férentes choies dont probablement ils ne fe feraient pas 33 défaits autement, & entr'autres des chapeaux, des colliers, 33 des pendans d'oreilles ôc de petites figures humaines cle bois » de dix-huit pouces ou de deux pieds de long, étroites, & *» d'un travail beaucoup plus net & beaucoup plus propre que » celui des ftatues. Les unes repréfentoient des hommes, & *> les autres des femmes j les traits n'avoient rien d'agréable. : » Sz fenfemble de k figure étoit trop large ; cependant on * » y appercevoit le goût de la fculpture. Le bois en eft bien » poli, d'un grain ferme, & d'un brun fombre, ainfi que » celui du cafuarina ; mais, comme nous n'avions pas encore » vu cet arbre fur rifle, j'attendis avec empreifément le » retour de nos autres Meilleurs, comptant que peut-être » leurs découvertes nous donneraient des lumières là-delfus. » (Edidée étoit-enchanté de ces petites figures, mieux tra-» vaillées que les Etées de fon pays, Sz il en acheta plu-» fieurs, qui, à ce qu'il nous dit, feraient d'un grand prix » à Taïti : pendant qu'il faifoit fa Collection, il en trouva » une qui repréfentoit la main d'une femme, fculptée en » bois jaune Si à-peu-près de grandeur naturelle. Les on-*> gles s etendoient au moins à trois quarts de pouce au-delà x de l'extrémité des doigts, qui étoient dans la politlón j> qu'ils leur donnent à Taïti, quand ils danfent. Le bois eft » d'une efpèce odorante, Sz comme les Taïtiens , ils en » recueillent les petits coupeaux pour parfumer leur huile. =» Nous n'avions pas rencontré cet arbre, ni oblêrvé l'ufage » de porter de longs ongles fur cette Me, Sz nous ne conce-» vions pas d'où venoient ces morceaux de fculpture afîèz » bien faits. (Edidée a dans la fuite donné cette main à mon *> Pere, qui l'a dépofée au Mufauîm à Londres: notre In-» dien raflembioit aufti des chapeaux à plumes, fur-tout » de ceux qui avoient des plumes de frégates, parce que » ces oifeaux rares à Taïti, y font fort eftimés à caufe de » leurs couleurs Sz luiiântes. » Nous fumes témoins de la maniere dont le propriétaire du champ chaffa les voleurs qui fouillèrent fes pommes de » terre,1 du Capitaine Còok. 217 n terre, dont on a parlé plus haut ; les Naturels des Ifles de la » Société nous dirent fouvent qu'ils infligent des peines » capitales aux voleurs ; mais nous n'en avons pas vu » d'exemple. A lìfle de Pâque, nous n'avons jamais remar-» qué que le délit fût puni d'aucune maniere. » Nous trouvâmes a bord plufieurs Infulaires, qui » étoient venus à la nage, quoique le vaiileau fût à trois *» quarts de mille de la côte. Ils témoignèrent l'admiration n la plus extraordinaire pour tout ce qu'ils voyoient : cha-» cun d'eux melura avec les bras tendus la longueur du bâti-» ment de l'avant à l'arriére : des maifcs íi énormes de bois « étonnoient d'autant plus ce peuple, que fes pirogues font & faites de petits morceaux. Il y avoit, parmi eux, une » femme qui étoit aufli venue à la nage, & qui trafiqua de » fes charmes avec une grande impudence. Elle s'a-» dreifa d'abord à plufieurs des Bas-Officiers, & enfuite aux « Matelots : elle égala réellement les fameux exploits de » Meflaline (a). Enfin un de fes compatriotes l'emmena » dans une de fes pirogues, & pour prix de fa lafeiveté, » elle emporta quelques guenilles & quelques morceaux » d'étoffé de Taïti. Une autre des femmes de flflc, qui • s'étoit rendue au vaiffeau la veille , n'avoit pas été moins » liberane. L'ardeur inlatiable de leurs defirs & le fuccès » de leurs agaceries, au milieu d'un équipage malade, nous » furprenoient également. (a) Voyez Pline, Hiftoire Naturelle ; L. X> ch. ; Tacite, ann. L.XL Juven. Sut. VI, v. .- Laûata vins, nec dùm fatiata recefïït. Tome IL E o » Je fis une autre promenade à terre après dîné, & je mar» » retai quelque-tems avec une famille qui fouilloit des pa-» tates : j'allai dans une hutte, très - petite, & on me » fit aifeoir: il y avoit fix ou fept perfonnes, dont une » femme & deux petits garçons. On m'offrit des cannes de * fuere, & je préfentai à mes hôtes des étoffes de Taïti, dont, » à finit ant, ils enveloppèrent leur tête, ils ne témoignèrent » pas autant de curiofîté que les Naturels des,Ifles de la » Société, & ils retournèrent bientôt à leur premiere oc-r> cupation. Ils me donnèrent plufieurs de leurs chapeaux » à panache, pour des morceaux d'étoffe de la largeur » d'un mouchoir. 33 Les Rédacteurs du Voyage de Roggewin, femblent » dire que les Holiandois tirèrent fort librement fur les » Infulaires, qui ne les offenfoient point; &, qu'après en »3 avoir tué un nombre confidérable, ils répandirent la tersa reur dans l'âme des autres. Notre arrivée ranima peut-» être cette frayeur, tranfmife d'âge en âge ; ce qui les » rendoit fi timides &c fi bienveillans à notre égard ; mais , r, indépendamment de cette confidération, il y a, dans leur a> caractère, une douceur, une commifération &c une bonté » naturelle , & , par eonféquent, de l'hofpitalité pour tous » les Etrangers qui abordent fur leur miférable Ifie. » du Capitaine Cook, 21g «&g=^g===--—---?*» CHAPITRE VIII. Defcription de l'Ifle de Pâque y de fes Productions y de fa fituation, de Jes Habitans, de leurs Mœurs, & de leurs Ufages. Conjectures fur leur Gouvernaient 7 leur Religion y & fur d'autres fujets. Defcription plus particulière des Statues Gigantefques. Je vais parler plus en détail de cette Ifle , qui eft fûrement ! celle où relâcha l'Amiral Roggewin, en Avril 1711, quoi- ^^J/74"* que les defcriptions de fon Voyage ne foient plus d'accord avec l'état actuel du pays : c'eft peut-être auili celle que vit le Capitaine Davis en 1686 \ car, quand on fapperçoit de l'Eft» elle répond parfaitement à ce qu'en dit Wafer, ainíi que je l'ai déjà obfervé \ íi ce ne feft point, la terre qu'il découvrit ne peut pas être iituée loin de la côte d'Amérique, puifque cette latitude a été bien reconnue depuis le 80e jufqu'au 100e méridien. Le Capitaine Carteret la plaçoit beaucoup plus loin j mais fa route femble avoir été un peu trop au Sud. Si j'avois trouvé de l'eau douce , je me propofois de palier quelques jours à chercher fille Baffe-Sablonneufe, que rencontra Davis, ce qui auroit terminé la queftion : mais, comme il me reftoit un long chemin à faire, avant d'être fur de remplir les futailles, & comme d'ailleurs j'avois Ee 1 ss befoin de rafraìchifìèmens, je n'exécutai pas cette entre-prife. Le plus petit délai pouvoit entraîner des conféquences fâcheufes pour l'équipage : les Matelots étoient déjà a£ feclés plus ou moins, du feorbut. * Aucune Nation ne doit prétendre à l'honneur de la découverte de cette lile : car il n'y a pas de contrée qui foit d'une moindre reifource aux Marins. Il n'y a point de mouillage fur ; point de bois à brûler, & point d'eau douce dont on puillè remplir fes futailles. La Nature a répandu íes faveurs avec bien de la réferve, fur ce coin de terre. Puifque rien n'y croît qu'à force de travail, on ne peut pas fuppofer que les Infulaires faifent des plantations au-delà de ce qui leur eft néceifairc, & leur population étant peu conlidérable, ils font incapables de fournir aux befoins des Navigateurs. Elle produit des patates douces, des ignames, des racines de tata-oreddy, des plantains & des cannes de fuere : ces fruits font aiîez bons & fur-tout les patates, les meilleures que j'aie jamais mangé ; ils ont auifi des citrouilles, mais en fi petit nombre, que rien n'étoit dans leur opinion fi précieux que la coque d'une noix de cocos. On voit, parmi eux, des volailles apprivoifées, telles que des coqs & des poules, petits, mais d'une bonne laveur ; des rats qu'ils fem-blent manger j car j'ai rencontré un homme qui en tenoio des morts à fa main-, il ne voulut pas me les donner, & me fit entendre qu'il fe propofoit de s'en nourrir : à peine trouve-t-on quelques oifeaux de terre, & ceux de mer font en petit nombre j j'y ai compté des frégates, des oifeaux du tropique bu Capitaine Cook. i il des oifeaux d'oeuf, des nodies, des hirondelles, &c. La côte ne paroît point abonder en poiifon, du moins nous n'en avons pas prismi feulà l'hameçon ni à la ligne, & nous en avons apperçu bien peu parmi les Naturels. L'Jsle de Paque ou la Terre de Davis, gît par ij* 5' 50'i de latitude S. & 109a 4¿' 2.0" de longitude Oueft. Sa circonférence eft d'environ 10 ou 12 lieues ; elica une furfice montueufe &c pierreufe, & une côte ferme. Les collines font û élevées qu'on les voit à 15 ou 1 6 lieues : en travers de l'extrémité méridionale, il y a deux lilots de roche giflant près du rivage: les pointes Nord & Eft de rifle s élèvent directement de la mer à une hauteur coniîdérablc : entre ces deux pointes, fur la partie S. E. la côte forme une baie ouverte , dans laquelle, je crois, que les Hollandois mouillèrent. Je jetai l'ancre, comme on l'a déjà dit , à l'Oueft de l'Ille, trois milles au Nord de la pointe méridionale j la greve fablonneufe reliant E. S. E. Cette rade eft très^bonne avec les vents d'Eft; mais dangereufe avec ceux de i'Oueit, ainfi que l'autre, fur la côte S. E. doit être périlleufe par les vents d'Eft. D'après ces inconvéniens, ainiî que beaucoup d'autres,; un Navigateur ne touchera jamais fur cette Me, à moins qu'il n'y foit contraint, ou qu'il ne iè détourne pas de la route. Alors la relâche feroit avantageufe , caries Inililaires vendront avec emprelfement & à bon marché les rafraî-chiifemens qu'ils auront. Le petit nombre de ceux que nous achetâmes, nous iututile j mais, dansces parages, les vaiflTeaux doivent y avoir befoin d'eau , & on n'y en trouve point. Il SSS fut impo/Iîblc de confommer celle que nous y prîmes, tant elle étoit falée ; elle avoit filtré à travers une greve picr-reufe, dans un puits de pierre. Les Naturels ont conftruit ce puits pour cela, un peu au Sud de la greve fablonneufe, dont on a fut mention fi fouvent > ôc Peau y entre par le flux & le reflux, avec la marée. Nous en avons vu plufieurs boire de l'eau de la mer, « L'îsle eli fi iterile, qu'on n'y trouve pas plus de vingt » efpèces différentes de plantes , & la plus grande partie » ne croîtroit pas fans culture (a). L'cfpace qu'occupent » les plantations cil peu confidérable, en comparaifon de » celui qui refte en friche. Enfin le fol eft pierreux & par-» tout brûlé par le foleil. « Quand on confîdere la mifere de ces Infulaires, on eft » étonné qu'ils vendent des provifions, dont la culture a 33 dû leur coûter beaucoup de peine & de travail. La mau- » vaife qualité du fol, la privation d'animaux domeftiques, 3» de bateaux & d'uftcnfiles propres à la pêche , rendent »j leur fubfiftance très-dirficilc Sç très-précaire. Mais le défit 3î de pofféder les joujous, &lcs curiofités que nous appor- 33 tions parmi eux , donnant à leurs defirs une force irre - 3> fiftible les empêchoient de réfléchir fur les befoins pref- » s» fans, que bientôt ils éprouveroient. 33 Les Habitans de cette ïfle ne femblent pas être plus (a) Les Efpagnols mettent les courges blanches au nombre des produirons végétales de cette lile 5 mais nous n'en avons remarqué aucune. Voyez la Lettre judiçieiue de M. Dalrymple au Do&eur HawkiVorth. Pl. HOMME DE LISLE DE PAQUES. de fix ou fept cens. Ils n'ont que peu de femmes parmi" eux , ■ * " n n 177 4* ou bien ils ne leur permirent point, durant notre relâche, Mars, de fe montrer. Nous n'avons cependant remarqué aucun indice de jaloufie chez les hommes, ou de crainte de paraître en public chez les femmes. On s'étendra davantage plus bas fur cette matière. A juger du teint, des traits Se de la langue des Infulaires, ils femblent avoir tant d'affinité avec les Habitans des Ifles plus occidentales, que chacun leur attribuera une origine commune. Il eft extraordinaire que la même Nation fe foit répandue fur toutes les Ifles, dans ce vafte Océan , depuis la Nouvelle-Zélande , jufqu'à l'Ifle de Pâques ; c'eñS à-dire, fur prefqu'un quart de la circonférence du globe. La plupart de ces Infulaires ne fe connoiflent que par de vieilles traditions, & le laps du tems, a rendu ces Nations, en quelque forte, étrangères j chacune a adopté des coutumes , des manieres particulières , Sec. Un Obfervateur intelligent y apperçoit cependant encore de la reffem-blance. En général, le peuple de cette Ifle eft d'une race foible.-Je n'ai pas vu un homme de fix pieds (a)jSz ces Infulaires font bien loin d'être des géants, comme l'allure un des Auteurs du Voyage de Roggewin. Ils font vifs Se actifs, d une phy-fionomie aifez heureufe, &: d'un maintien qui n'eft pas dé-fagréable : ils ont de l'amitié Se de rhofpitalité pour les ( a ) On fe fouviendra que le pied Anglois eft moins long que le pied de France. ........ Etrangers ; mais ils font auiiî portés au vol que les Habitans Ann. 1774. jes ¡{jes ¿e ia Société. Mars. Les hommes font couverts, depuis les pieds jufqu a la tête ; de figures, toutes à-peu-près pareilles : ils leur donnent feulement une direction différente , fuivant les caprices de leur imagination. Les femmes font peu tatouées : elles fe peignent de rouge &: de blanc, ainfi que les hommes. La premiere couleur le tire du Tamaris > mais je ne fais pas de quoi eft compofée la feconde. Ils se vêtissent d'une pièce d'étoffe piquée , longue de fix pieds fur quatre ou d'une natte : une feconde pièce enveloppée autour de leurs reins, & une troifieme fur leurs épaules, forment un habillement complet. Mais la plupart des hommes font, en quelque forte, nuds : ils ne portent qu'un tablier entre leurs jambes : chacune des extrémités de ce ce tablier s'attache à une corde ou ceinturon, qui eft fur leurs reins. Leur étoffe eft faite de lccorce d'une plante , comme celle des liles de la Société ; mais, parce qu'ils en ont peu , nous trouvâmes un grand débit de celles de Taïti , de même de toute forte de draps ou de toile. En général, leurs cheveux font noirs : les femmes les portent longs, & quelquefois relevés au fommet de la tête j les hommes les coupent , ainfi que leurs barbes. « Çeft ?» par propreté comme les Habitans de Tonga-Tabboo j » mais heureufement ils paroifïent moins fujets à la lèpre. » Ils ornent leur front d'un bandeau rond garni de plumes ; &c ils fe couvrent d'un bonnet de paille, femblable à ceux qu'on Èttaro, JìttCSC" FEMME 1)E 1 ' I SEE DE PAQUES 71 \ qu'on voie en Ecoiïe. Je crois que les hommes fur-tout — mettent le bandeau, & les femmes le bonnet. Les deux fexes An^a^74' ont de très-grands trous, ou plutôt des fentes dans leurs oreilles, fouvent de près de trois pouces de longueur : ils en replient quelquefois la partie inférieure dans cette fente i& alors on diroit qu'une partie de l'oreille eft coupée. Les principaux pendans font du duvet blanc, des plumes 8£ des anneaux compofés d'une fubftance élaftique roulée comme le relfort d'une montre : ils en rempliiîènt l'intérieur du trou. Je jugeai que c'étoit pour donner plus d'étendue à la fente. Excepté des amulettes d'olïèmens ou de coquillages, je ne me fouviens pas de leur avoir vu d'autres parures. Quelques pacifiques , quelques bons que femblent être ces Infulaires, ils ne manquent pas d'armes oftenfives, telles que des maifues de bois courtes & des piques : ces piques font des bâtons tortus d'environ fix pieds de long, armés â une extrémité d'un morceau de caillou. Ils ont auifi une arme de bois, pareille au pattoo-patoo de la Nouvelle-Zélande. » Mais ils font en trop petit nombre, & trop pauvres pour » être continuellement en guerre. 11 n eft pas probable non • plus qu'ils aient des querelles avec les Ifles voifines, puif-•> qu'on n'en connoît aucune aifez proche pour cela, & les » Habitans de celle de Pâque , ne nous ont rien dit fur « cette matière. » Ils habitent de très-miférables cabanes baifes, compo-fées de bâtons, plantés en terre, à fix ou huit pieds de diftanee les uns des autres, recourbés en haut, réunis au Tome IL Ff zzò Voyage ■ fommet, & formant une efpèce d'arche gothique. Les plus ¿ais774 *°n^S *~C P^lcenr au m*neu > & les Pms courts de chaque côte & à moins de diftanee. Le bâtim ent eft ainiî plus élevé, & plus large au milieu & plus bas & plus étroit vers chaque extré* mité. A ces bâtons, ils en attachent d'autres horizontalement , & le tout eft couvert de feuilles de cannes de fuere. La porte , qui eft au milieu d'un des côtés, a la forme d'un porche , & elle eft fi baile & fi étroite , qu'un homme peut à peine y entrer en fe traînant fur fes mains. La plus grande cafe que j'ai vue , avoit foixante pieds de long, huit ou neuf de haut au milieu , & trois ou quatre à chaque bout. 11 y a des efpèces de maifons voûtées en pierre, S¿ conftruites en partie fous terre ; mais je n'ai jamais été dans une de celles-là. Je n'ai vu aucun ufteniile de ménage, fi ce n'eft un petit nombre de citrouilles. Ils préféroient les coques de noix de cocos à tout ce que nous pouvions leur donner. Ils apprêtent leurs alimens de la même maniere qu'à Taïti ; c'eft-à-dire, avec des pierres chaudes , dans un four ou creux lait en terre. Ils échauffent les pierres avec de f herbe ou des têtes de cannes à fuere & de plantains. Ils grillent, fous des feux de paille, d'herbe féche, &c. les bananes. Nous avons compté fouvent dix ou douze feux dans un même endroit : c'étoit communément le matin & le foir. * Nous n'a*vons remarqué aucun nmuiement parmi » eux, &: pas un feul infiniment de muiique. Ils doivent » cependant fe livrer à quelque plailir de ce genre, puif-» qu'un lnfulaire, nommé Maroo-wahai, qui coucha fur » notre bord, parla beaucoup de danfer , dès que nous r r\ ditCapîtaitste Cook. ny • eûmes calme íes craintes fur les dangers qu'il croyoit i 1 1 ; » courir. » Ann- t774. Mars. Je n'ai apperçu que trois ou quatre pirogues dans toure rifle : elles étoient rrès-mauvaifes & confiantes de plufieurs morceaux de bois, joints enfemble par un petit cordage. Elles ont environ dix-huit ou vingt pieds de long. L'avant & l'arrière font fculptés ou un peu élevés \ elles font très-étroites , &C elles ont des balanciers ; elles ne paroiifent pas capables de porter plus de quatre perfonnes, & ainfi elles ne font point propres aux navigations éloignées. Quelques petits & quelques mauvais que foient ces bâtimens, je ne fais d'où provient le bois dont on les a fait: car il y avoit, en particulier, une planche de fix ou huit pieds de long , de quatorze de large à une extrémité, & de huit à l'autre \ & nous n'avons pas trouvé un ièul arbre , qui puilfe donner une planche de la moitié de cette grolleur. En erfet, il n'y avoit pas, dans toute la pirogue, une feconde pièce de la moitié de cette groffeur. Ils peuvent s'être procuré ce gros bois de deux manieres : ou les Efpagnols l'y ont laiifé , ou les flots l'ont apporté fur la côte de l'Ille d'une terre éloignée : peut-être auifi qu'il y a aux environs une Me d'où ils l'ont tiré. a la vérité, nous n'avons vu aucun figne de terre ; & les Naturels du pays ne nous ont donné aucun éclaircifïement fur cette matière, quoique nous ayions employé pour cela toute forte d'expédiens. Nous ne réufsîmes pas mieux en faifant des recherches fur le véritable nom de l'Ille ; car, en comparant nos notes, nous en trouvâmes trois différens> favoir , Ff i E5S55S?siS Tamareki, Whyhu & Téapy. Sans prétendre dire lequel Ali MarZ74* ^es cro*s eft le Stable » OLl même fi l'un d'eux eft le nom propre, j'obferverai feulement, qu'dEdidée, qui entendoit mieux que nous le langage du pays , quoiqu'il le comprît très-imparfaitement, nous dit avoir appris des infulaires que lTflc s'appclloit Téapy. Il paroît, par la relation du Voyage de Roggewin, que leurs pirogues ne font pas meilleures aujourd'hui que de fon tems: le défaut de matériaux, & non pas de génie, femble être la raifon pourquoi ils n'ont pas lait de progrès dans cet Art. Nous avons remarqué des morceaux de fculpture bien dcfîinés, & bien exécutés. Leurs plantations , difpofées agréablement en ligne droite, ne font enfermées par aucune haie : en effet, puifquils n'ont pas d'arbriiîeaux , ils ne pourroient les entourer que de pierres. Je ne doute toint que toutes ces plantations ne foient des propriétés particulières i 8¿ qu'il n'y ait , comme à O-Taïti, des Chefs ( qu'ils appellent Aréekés ) auxquels ces plantations appartiennent j mais je ne connois, en aucune maniere, le pouvoir ni l'autorité de ces Chefs, non plus que le Gouvernement de l'Ifle. Je suis aussi ignorant fur leur Religion. Je crois que les ftatues gigantefques, dont on a fi fouvent parlé , ne paiîcnt pas pour des idoles dans l'ciprit des Infulaires actuels, quoique cela ait pu être lors de la relâche de Roggewin: du Éfa WÊgmm ■■m i ri. 2 8 1 ....... 1 ' ' ..........■........•",| " ' * MONUMENS DANS L'ISTE DE PÂQUES. Jiènard Jkr/w bu Capitaine Cook. 229 moins jen ai rienapperçu qui porte à le penfer. Au contraire, 1 — je fuppofe que ce font des cimetières , deftinés à certaines ^^Man^* claifes Se à certaines familles. Quelques-uns de nos Mef* fleurs ont vu, ainfi que moi, un fquelette humain qu'on venoit de couvrir de pierres dans une de ces plates-formes. Ces plates-formes, en maçonnerie, ont quelquefois trente ou quarante pieds de long, douze ou feize de large, & de trois à douze d'élévation \\z dimenfion dépend en partie de la nature du terrain, car elles font ordinairement fitnées au bord de la greve qui fait face à la mer 5 dé forte que cette façade peut être de dix ou douze pieds, ou davantage de hauteur, tandis que la hauteur des autres côtés, peut n'être pas de plus de trois ou quatre. Elles font conftruites, du moins à l'extérieur , de pierres taillées fort larges, Se la main d'œuvre n'eft pas inférieure à celle du plus bel ouvrage da • maçonnerie que nous ayions en Angleterre j ils n'emploient aucune efpèce de ciment •> cependant les joints font très-ferrés, Se les pierres emmortaifés les unes dans les autres d'une maniere très-adroite. Les côtés ne font pas perpendiculaires -, ils inclinent un peu vers l'intérieur, comme les parapets, Sec. qu'on élevé en Europe : mais leurs foins,leurs peines Si leur fagacké, iront pas pu préferver ces monumens curieux des ravages du tems, qui dévore tout. Les statues , ou du moins la plupart , occupent ces plates-formes qui leur fervent de bafè : elles font, autant que nous avons pu en juger,tTpeu-près à mi-corps, S¿ le bas fe termine par un troiic. L'exécution en eft grof fière , mais pas mauvaife. Les traits du vifage, Se en particulier le nez Se le menton, ne font point mal formés : mais ( —— les oreilles ont une longueur difproportionnée ; Se, quant 774* au corps, on a peine à y trouver de la reiTemblance avec celui d'un homme. Je n'ai examiné que deux ou trois de ces ftatues, près de la place du débarquement : elles font d'une pierre grife, la même, en apparence, que celle des plates-formes. Mais quelques-uns de nos Meilleurs qui traverferent l'Ille, Se qui en obferverent beaucoup d'autres, penfoient que la pierre diffère de toutes celles qu'ils ont vu dans le pays, Si elle leur parut factice. Nous avons peine à concevoir comment ces Infulaires, qui ne connoiilènt en aucune maniere les puif-fances de la mécanique , ont pu élever des maffes fi étonnantes , Se enfuite placer, au-deifus, les grofîes pierres cylindriques , dont on a fait mention plus haut. La feule méthode que j'imagine, eft d'élever peu-à-peu l'extrémité fupérieure , en la foutenant avec des pierres , à mefure qu'elle fe hauiîe, Se en bâtiifant tout autour , jufqu'à ce qu'elle foit toute dreffée : ils feroient ainfi une forte de colline ou d'écharraudage, fut lequel ils rouleraient le cylindre pour le placer fur la tête de la ftatue, Se en ôter enfuite les pierres. Mais fi la pierre eft artificielle , les ftatues peuvent avoir été mife en place , dans leur pofition actuelle, Se le cylindre pofé enfuite, en conftruifant tout autour une colline, comme on vient de le dire. De quelque maniere qu'on les ait élevées, il a fallu un tems immenfej ce qui montre affez l'induftrie Se la perfévérance des Infulaires , au fiécle où on les a élevées ; car les habitans acf uels n'y ont certainement eu aucune part, puifqu'ils ne réparent pas même les fondemens de celles qui tombent en ruines. Ils leur donnent des noms difFérens, tels que Gotomoara, S Marapatc, Kanaro 3 Goway-Toogoo , Matta-Matta , 1 ecc. tee. qu'ils font précéder du mot Moi, & auxquels ils ajoutent quelquefois celui êiAréekée. Le dernier iîgnifîe Chef, & le premier, lieu où l'on enterre, lieu où l'on dort, ( du moins à ce que nous avons compris. ) « Ces monumens singuliers , érant au-defïùs des forces » actuelles de la Nation , font vraifemblablement des reftes » d'un tems plus fortuné. Sept cens Infulaires , privés » d'outils, d'habitations & de vêtemens, tout occupés du * foin de trouver des alimens &c de pourvoir à leurs preti miers befoins, n'ont pas pu conftruire des plates-formes, » qui demanderaient des iiécles de travail. En effet, nous m n'avons pas remarqué, dans nos excurfîons, un feul in£ *> trument qui foit du moindre ufage dans la maçonnerie » ou la fculpture. Je n'y ai jamais vu de carrières récem- * ment exploitées, ni aucune ébauche de ffatue qui pût » paiîèr pour l'ouvrage du tems préfent. Il eft donc très-» probable que jadis ce Peuple étoit plus nombreux, plus » riche & plus heureux, qu'alors il avoit du loifir pour » flatter la vanité de fes Princes, en perpétuant leurs noms » par des monumens durables. Les reftes des plantations, » qu'on trouve fur le fommet des collines , donnent un » nouveau poids à cette conjecture. On ne peut pas déter-» minet par quels accidens divers une Nation fi floriilinte, » a pu décheoir de retomber à l'état d'indigence où on la » trouve aujourd'hui. Mais il eft aifé d'imaginer plufieurs » caufes capables de produire cet effet ; & la dévaluation » caufée par un volcan > fufHroit feule pour railémbler Ssa » toutes les miiêrcs fur des Infulaires reiferrés dans un fi ^74* » petit efpace: cette lile, qui peut-être produiiit jadis un » volcan , puifque tous les minéraux font purement volca-» niques, a, fuivant toute apparence, été bouieverféc par » le feu. Les arbres, les plantes, tous les animaux domef-t» tiques, & même une grande partie de la Nation, peuvent » avoir péri dans une de ces épouvantables con vuliions de la » Nature ; & la faim & la mifcre auront pourfuivi ceux qui » échappèrent au feu. «Toutes les femmes que nous avons vues dans les difieren-» res parties del'Ifle, ne montent pas à trente, quoique nous » l'ayions traverfée prefque d un bouta l'autre, & iln'eft point » du tout probable qu'elles fe íuífent retirées dans quelques » lieux cachés. Si réellement il n'y a pas plus de trente ou » quarante femmes pour iix ou fept cens hommes , la » Nation doit s'éteindre en très-peu de tems, à moins que a> nos principes de phyfique fur la pluralité des maris, ne » foient erronés. La plupart de ces femmes ne nous ont * pas donne lieu de eroke quelles ne fréquentent qu'un » feul époux : au contraire , elles fembloient auilî débau-53 chées que Meífaline 6¿ Cléopâtre. Mais cette difpro-» portion eft un phénomène fi fingulier, qu'on a peine à *> la croire, & je ne ferois pas éloigné de penfer que réelle-» ment les deux fexes font en nombre égal. Quoiquoíper-» fonne de notre équipage n'ait obfervé de vallées, ou » de retraites où les femmes aient pu fe fouftraire à nos rejo gards pendant notre féjour, le Lecteur fe rappellera cepen-» dant les cavernes dont il a été queftion plus haut, èzàont » les Naturels nous refuferent l'entrée. Les cavernes dlflande fon » font allez vaftes pour contenir plufieurs milliers dhabi- aseas » tans , & il eft probable que, dans une Ifle également A^'^. » volcanique, telle que celle de Pâque, de pareilles ca- » vernes pourroient fervir d'afyle à un grand nombre de » Naturels. Nous ne favons pas pourquoi les habitans de » l'Ifle de Pâque font plus jaloux de leurs femmes que les 3> Taïtiens. Leurs craintes, à notre égard , n'étoient pas » mal fondées, car la conduite des Matelots eft infoiente » & immodefte, par-tout où ils jouifient de quelque fu- 1» périorité fur les Peuples fauvages. » Je dois dire que nous avons apperçu très-peu d'enfans, » & fi ce peuple jugeoit à propos defouftraire fes femmes à » nos yeux, il n'y avoir aucune raifon de cacher les enfuis. » Cette matière refte ainfi dans l'obfcurité , àc fi réellement » le nombre des femmes n'eft pas confidérable, il doit avoir » été diminué par quelque accident extraordinaire que les » Naturels feuls peuvent révéler. Notre ignorance de la * langue nous a privé de beaucoup d eclairciflcmens. » Outre les nombreux monumens d'antiquité, qu'on ne trouve que près de la côte de la mer, il y a plufieurs petits tas de pierres empilées en diftérens endroits le long du rivage. Deux ou trois des pierres fupérieuresde chaque pile, étoient généralement blanches ; peut-être qu'elles le font toujours ainfi quand le tas eft complet. Sûrement ces tas ont quelque objet : il eft probable qu'ils indiquent les endroits où des morts ont été entetrés, & qu'ils tiennent lieu des grandes ftatues. Tome IL G g =5 Les outils de ce Peuple font très-mauvais , Se comme JJT ceux de tous les autres Infulaires de cette mer, compofés de pierres, d'os Se de coquillages, Sec. ils attachent peu de prix au fer &c aux ouvrages de ce métal ; ce qui eft extraordinaire , car ils en connoiifent lufage; mais on peut dire que c'eft parce qu'ils n'en ont pas un grand befoin. « Enfin , en iuppofant que les volcans ont bouleverfé » depuis peu cette Ifle, fes habitans doivent plus exci-» ter de pitié qu'aucun autre pays moins civiliie, puifque > » connoiflànt les commodités, les aifances Se le luxe de la '» vie, le fouvenir de ces biens doit leur en rendre la perte » plus feniîble. (Edidée déploroit fou vent leur lîtuation, Se il » fembloit prendre plus de part à leurs maux qu a ceux des » Zélandois. Il ajouta un autre bâton au paquet qui corn-» pofoit fon Journal , Si il grava dans fa mémoire cette » obfervation fur l'Ifle de Pâque, Tata Mattai, Whçnnua^ » Eeno ; le Peuple y eft bon, mais l'Ifle eft très-pauvre ; r> au-lieu qu'à la Nouvelle-Zélande il faifoit plus de re-» proches aux habitant qu'au pays. Ses fentimens étoient » toujours humains , Se fes idées toujours juftes : rien n'avoir » corrompu la bonté de fon cœur, Se la droiture de Ion * entendement. » CHAPITRE IX. Paffage de rifle de Pâque aux Ifles des Marquifes. Evénemens furvenus tandis que le Vaijfeau mouilloit dans la Baie dé la Madre de Diojs} & de la Réfolution fur l'Ifle Sainte-Ç^ri/line. En quittant l'Ifle de Pâque, je gouvernai N. O. ~ N. A - :' &: N. N. O. avec un bon vent d'Eft : nous vîmes la côte Mais, jufqu'à la diftanee de quinze lieues. Je projettois He toucher aux Marquifes, íi je ne rencontrais aucune terre, avant d'y arriver. A peine fûmes-nous en mer , que je fus attaqué d'une feconde maladie bilieufe , un peu moins violente que la premiere. Je crois que je m'étois trop fatigué à Hile de Pâque. « Tous ceux qui avoient fait de longues couriês à travers » l'Ifle, avoient le vifage brûlé par le foleil, Se ils éprou-» voient des douleurs extrêmes à mefure que la peau fe » levoit. Le féjour à terre Se le peu de végétaux que nous d venions d'y prendre, avoient rétabli la fante des feorbuti-5> quesj mais plufieurs retombèrent bientôt, Se fe plaignirent » de conftipations Se de maladies bilieufes, qui font mor-» telles dans les climats chauds. Notre Chirurgien fut » obligé de garder le lit } Se, ce qu'il y eut de plus malheu-* reux, les mala4es ne pouvoient pas manger les patates Gg 2 i e » que nous avions embarquées à l'Iile de Pâque, parce "jtasl^ 30 qu'elles étoient trop venteufes pour leurs eftomacs foi-b I es. Les calmes fur-tout nuiiirent beaucoup aux malades » mais on les voyoit fe ranimer à mefure que le vent deve-*> noit frais. Nous appercevions, chaque jour, des oifeaux du * Tropique & des fauchets, & nous épouvantâmes plufieurs » bancs de poiifons volans qui s'élancèrent hors de l'eau. » zz. Le zi , par i voyions, de toute part, des Habitans courir en contcm-» plant notre vahTeau. »? Parvenus devant le port que nous cherchions, j eiTayaî d'y entrer ; mais comme le vent étoit debout, & qu'il ibuf-floit par raffales violentes de cette haute terre, l'un des grains nous faiiit au moment de la manœuvre, caila un de nos mâts j &, avant d'avoir viré, nous manquâmes d'être brifés contre les rochers, fous le vent ; ce qui m'obligea de porter au large &: de forcer de voiles au-deifus du vent : je remis enfuite le cap vers la côte, & fans entreprendre de tourner, je mouillai à l'entrée de la baie par trente-quatre braifes d'eau, fond de beau fable. A l'inltant, trente ou quarante Naturels du pays s'approchèrent de nous fur dix ou douze pirogues ; mais il fallut beaucoup d'adreifé pour les engager à venir aux côtés du bâtiment. Enfin une hache & des clous de fiche déterminèrent les Infulaires d'un des canots à s'avancer près des bouteilles : tous les autres imitèrent enfuite cet exemple ; &, ayant échangé des fruits à pain & du poiifon contre de petits clous, 6cc, ils fe retirèrent à terre 3 après le coucher du foleil. Nous obfcrvâmes des amas de pierres à l'avant des pirogues, & chaque homme avoit une fronde entortillée autour de fa main. « Quelques-unes de leurs pirogues étoient doubles & * portoient quinze hommes; d'autres au contraire, plus » petites, en contenoient de trois à fept. Avant de monter » fur notre bord, ils nous offrirent des plantes de poivre, » (fans doute des fymboîes de paix ) comme aux liles de » la Société Oc aux Ifles des Amis: pour achever leur »? cérémonie, » cérémonie, nous ne manquâmes pas de les attacher aux -.....--" » hauts bans. ^Mrii?4" » Ces Insulaires étoient bien faits, d'une jolie figure, » d'un teint jaunâtre ou tanné, & des piquures répandues » fur tout leur corps,les rendoient prefque noirs. On par-» lera plus bas de leur vêtement, leur parure & leurs piro-; » terre. Sur le côté méridional s eleve un pic efearpé de inac-n ccilible. Toute la partie Nord eft une colline noire & » brûlée, qui forme une efpèce de voûte le long de la côte, » & qui eft revêtue au fommet de cafuarinas; mais, au fond *> du havre , fè trouve une chaîne très-haute , plate à la » cime, & reffemblant à la montagne de la Table, au Cap » de Bonne-Efpérance. Dans la partie la plus élevée de fes n bords, nous remarquâmes des rangées de pieux ou de » paliffades, bien joints, comme des fortifications : c'eft » peut-être ce que les Efpagnols ont appelle des retran-Tomc IL H h 24- Voyage chemens; en cfîet, ils reffemblent beaucoup aux hippas Ann. 1774* j t\ j • Avril. n ^es Zélandois. » Des le grand matin du 8, les Infulaires nous firent une feconde vifite, en plus grand nombre que la veille: ils nous vendirent du fruit à pain, des plantains & un petit cochon pour des clous, des haches , &c. mais ils vouloient fou-vent garder nos marchandées, fans rien donner en retour : je fus obligé de tirer un coup de fuiîl pardeifus la tête de l'un d'eux, qui nous avoit déjà trompé plufieurs fois: ils fe comportèrent enfuite avec plus d'honnêteté, & bientôt après quelques-uns montèrent à bord. Nous nous préparions alors à touer le vaiileau plus loin dans la baie, &jal-lai fur une chaloupe chercher un endroit convenable pour amarrer. Comme il y avoit trop de Naturels à bord, je dis aux Officiers : « Vous devez bien les guetter, fans cette precau-» tion, ils commettront des vols. » A peine fus-je dans la chaloupe, qu'on me dit qu'ils avoient pris un des chandeliers de fer du paffe-avant, & qu'ils l'emportoient en fuyant; j'ordonnai de faire feu fur la pirogue jufqu'à ce queje pus l'atteindre avec la chaloupe ; mais je défendis de tuer. Les Naturels firent trop de bruit pour que je fuffe entendu, &¿ le malheureux voleur fut tué au troifîeme coup. Deux autres* qui l'accompagnoient,fe jetèrent à l'eau; mais ils rentrèrent fur leur bord au moment où je m'en approchai. Ils avoient précipité le chandelier dans la mer. Un Indien, d'un âge mûr, vidoit le fang & l'eau, en poufîànt de grands éclats de rire. L'autre , un jeune-homme d'environ quatorze ou quinze ans, jetoit fur le mort un regard trifle & abattu: nous eûmes par la fuite lieu de croire que c'étoit fon fils.. « Ils traînèrent la pirogue fur la côte à travers la houle, » & portèrent le mort dans les bois. Bientôt nous enten- ¿vr^7** a dîmes le fon des tambours, ô£ nous vîmes un nombre » confidérable d'Habitans aifemblés fur la greve, & armés » de piques & de maifues : ils fembloient nous faire beau-» coup de menaces. On ne peut s'empêcher de regretter » la mort de ce malheureux Indien, tué íi légèrement. On » accufe de cruauté, èc avec raifon, les premiers Conqué-» rans de TAmérique, parce qu'ils traitoient les Peuples de » ce continent comme des animaux, qu'il eft permis de » tuer pour fon amufement ; & combien d'Infulaires de la » mer du Sud ont péri par les armes des Européens dans *> le dix-huiticme iiécle! (Edidée fondit en larmes quand il. » vit un homme aiïaiîiner un autre homme pour une pa-as reille bagatelle : fa commilération doit faire rougir ces » Marins civilifés, qui patient fi fouvent d'humanité , fans » que leurs cœurs foient plus compatilfans. » Ce malheureux accident mit en fuite les Naturels. Je les lui vis dans la baie, & je perfuadai à ceux d'une pirogue de fe ranger aux côtés de ma chaloupe. Je leur donnai des clous &: d'autres chofes ; ce qui difiipa un peu leurs craintes. Après avoir examiné la baie de trouvé de l'eau douce, ( c'eft-à-dire ce dont nous avions le plus befoin) je retournai à bord, 6¿ on alla placer f ancre de toue avec trois haufficres, afin de remorquer le vaiifeau &: virer à pic fiir l'ancre d'a£ fourche. Il femble que les Indiens, connoiflant alors l'effet de nos armes à feu, ne dévoient pas nous engager à leur tirer deffus une feconde fois ; mais, dès que la chaloupe eut placé l'ancre, deux hommes, fur une pirogue, fe détachèrent Hh i «^sfss de la còte y fáiíírent la corde de la bouée , S¿ entreprï-Awn. f/74' rene de la traîner à terre, fans lavoir à quoi elle tenoit. De peur qu'après avoir découvert leur mepriie,ils n'enlevanent la bouée, on leur tira un coup de fuiil. La balle n'alla point jufqu'à eux, & ils n'y firent pas la moindre attention ; mais une feconde ayant palie pardelfus leur tête, ils abandonnèrent la bouée & s'enfuirent vers le rivage. Pendant notre relâche,nous n'eûmes pas occaiion de tirer un autre coup de fufîl : ce dernier les frappa peut-ètte plus que la mort de leur compatriote parce qu'il leur montra que leloigncment ne les mettoit pas en iureté ; c'eit du moins ce que nous imaginâmes,en les voyant dans la fuite fort effrayés à la vue de nos armes. Quelques vols qu'ils commiifent, je réfolus de ne plus les punir, parce que notre fejour, parmi eux , ne devoit pas être de longue durée. Le trouble & l'embarras qu'ils nous cau-ferent nous retardèrent il long-tems, qu'avant que nous fufîions prêts à lever l'ancre, le vent s'accrut & íouffla par raffales du dehors de la baie, de forte qu'il fallut amarrer plus fortement. Les Naturels fe hafarderent bientôt àrevenir près de nous. Il y avok, fur la premiere pirogue qui s'avança, un homme qui fembloit au-deffus du commun. Il s'appro-choit lentement avec un cochon fur fon épaule, & il pro-nonçoit quelques mots que nous n'entendions pas. Dès qu'il fut aux côtés de la Résolution, je lui fis préfent d'une hache & de plufieurs autres chofes : en retour ,il me donna fon cochon, & je le déterminai enfin à entrer dans le cou-roir, où il relia peu de tems. Cet Indien fut íi bien reçu,que ceux des autres pirogues imitèrent fon exemple, & les échanges fe rétablirenr à Imitant, Sur ces entrefaites , j'allai à terre avec un détachement j pour voir ce qu'on pouvoir y faire : les Naturels nous accueillirent d'une maniere très-amicale,&, comme s'il ne-toit rien arrivé, ils nous vendirent des fruits de petits cochons -, &, après avoir chargé la chaloupe d'eau, je retour-nai à bord. te Je débarquai au ili avec le Docteur Sparrman, (Edili dée & mon Pére, fous les rochers en forme de voûte. » Nous fûmes reçus par plus de cent infulaires, armés de » piques & de maifues, dont ils n'eiiàyerent pas de faire le » moindre ufage, nous les priâmes de s'aifcoir, ce ils y con-» fentirent fur-le-champ. Leur prodiguant enfuite toutes les » marques polîibles d'attachement 8¿ de bienveillance, » nous eifayâmes de juftifier ce qui étoit arrivé ; nous leur » dîmes que nous n'avions mis- à mort un de leurs compaso triotes, que parce qu'il venoit de nous voler ; que nous » délirions vivre en bonne intelligence avec eux ; que » nous voulions ieulcment faire de feau , du bois , 6rc., & » que nous leur donnerions des clous, des haches, &c. s» Nos raifonnemens fpecieux les féduiiirent : ils fembloient » perfuadés que le mort avoit mérité d'être tué , & ils » nous menèrent le long de la greve à un ruiffeau, où l'on » conduiiit enfuite les futailles. » Nous n'apperçvmes aucune femme dans la foule : » elles s'étoient probablement retirées au fond des monta-aï gnes à la premiere alarme \ mais quelques hommes, qui » paroiffoient être les conducteurs, étoient mieux armés » & plus parés que les autres, qui n'avoient pour vêtemens :----L'"~ " qu'un petit morceau d'étoffe autour des reins. Les piquures, Avn']7/^* * couvroient prefque entièrement le corps de ceux » d'un moyen âge, empêchoient d'appercevoir l'élégance » de leurs formes ; mais, parmi les jeunes gens qui n'étoient » pas encore tatoués, on diftinguoit aifément leur beauté » iï frappante qu'elle excitoit notre admiration. Nous met-» tions la plupart à côté des modèles fameux de l'anti-» quité ; Qualis aut nireus fuit, aut aquosâ Raptus ab ida. Horat. » Le teint de ces jeunes Infulaires, n'étoit pas au/îi brun que *ï celui des gens du peuple des Ifles delà Société j mais les » hommes paroiifoient infiniment plus noirs, ainiî qu'on ai l'a déjà remarqué. Ces piquures étoient difpofées avec la 3j plus grande régularité ; & les marques d'une jambe, d'un » bras & d'une joue, &c. correfpondoient exactement avec » celles de l'autre. Elles ne repréfentoient ni un animal, ni » une plante ', mais elles conliitoienc en taches , en fpirales, n barres, échiquiers & lignes, qui offroient un afpect très-bi-» garré. Leur phyfionomie agréable & ouverte , annonçoit « de la vivacité : ils avoient des yeux grands & noirs, des » cheveux noirs, bouclés & forts, fî on en excepte un petit » nombre, qui les avoient couleur de fable. En général, » leur barbe étoit peu fournie, à caufe des cicatrices laiifées » par le tatouage. S'ils ne portoient point d'habits, en resi vanche irs étoient chargés d'ornemens. Une efpèce de » diadème, dont on fait la defcription plus bas , ou bien p un cercle de plumes de frégates, ou une frange d® » cordons de bourre de cocos, décoroit leur tête. L'oreille ~ ~ » étoit cachée par deux morceaux applatis de bois, d'une ^AyrL » forme ovale & d'environ trois pouces de long, & peints » en blanc avec de la chaux. Une efpèce de haufle-col » de petits morceaux de bois léger, pareils au liège , 6c *> joints enfemble avec de la gomme en forme circulaire, » pendait fur le col , ou plutôt furia poitrine des Chefs » des fèves écarlates ( abrus precatorius. Linn. ) formoient » auiîî fur cet hauife-col, un grand nombre de cordons » de deux ou trois pouces de longueur. Ceux qui ne jouif-» foient pas de cette noble parure , portoient du moins un ai cordon, auquel étoit attaché un coquillage, poli & resi préfentant une large dent. On voyoit encore autour de » leur ceinture, de leurs bras, de leurs genoux , &c des » chevilles de leurs pieds, des touffes de cheveux. Ils vei> » doient pour peu de chofe leurs autres ornemens, excepté » ces derniers, auxquels ils mettoient un grand prix, quoi-» qu'ils fuifent remplis de vermine. Il eft probable qu'ils » coniérvent ces touffes de cheveux , en mémoire de leurs » parens morts j ou bien ce font des dépouilles de leurs » ennemis, qu'ils gardent comme des trophées de leurs vie-» toires. Un gros clou , ou quelque chofe qui frappoit for-» tement leurs yeux, l'emportoit ordinairement fur la ré-» pugnance qu'ils montraient à nous céder ces précieufes » bagatelles. » Après avoir fait ces obfervations fur les Indiens, qui » nous environnoient, nous quittâmes le rivage, pour pé* » nétrer dans les bois , à quelque diftanee du Capitaine » Cook : je raffemblai des plantes, dont nous avions déjà » vues la plupart aux Mes de la Société. Comme nous ne NAvrk H voulions pas avancer beaucoup dans l'intérieur de l'Ille ; » le premier jour, nos recherches ne s'étendirent pas au-» delà de la terre baffe qui borde la greve , & qui eft entiè-» rement inhabitée, nous trouvâmes cependant, parmi les » arbres, des compartimens quarrés, enfermés par de grofîcs » pierres, & dune figure régulière. Nous apprîmes enfuite » que c étoient des fondemens de maifons. On peut con-» jeéhircr de-là que la mauvaife qualité du terrain a fait » abandonner ces places , ou qu'ils ne les occupent qu'en » certaines faifons. Tout ce canton étoit deftitué de pianse tarions, & couvert de grands bois, dont plufieurs paroiflènt » bons pour la charpente. Les Naturels n effayerent point » de nous arrêter, & nous dirigeâmes notre promenade »1 du côté qui nous plut. Une petite colline, revêtue d'une » longue herbe , qui montoit jufqu'à notre ceinture, fe ** projette en avant 8¿ fépare cette greve d'une autre qui » eft au Sud. Sur le côté feptentrional de cette colline, il y » a, à l'endroit qu'indiquent les Navigateurs Efpagnols, une » belle fource d'eau limpide, qui fort du rocher, forme » enfuite un petit baílin, £¿ coule de-là dans la mer : près » de cette fource, un ruiifeau defeend des hautes collines j » un fécond, plus coniidérable que le premier, fe préci-» pire au milieu de la greve ( c'eft-là que nous remplîmes 55 nos futailles ) ; &c on en rencontre un troiiiemc du côté » du Nord. Cette lile eft bien arrofée , ce qui eft fort utile * aux végétaux, ainil qu'aux Habitans. Nous retournâmes » bientôt à la place du marché , emportant la collection *> que nous avions faite, & nous causâmes avec les Naturels, » qui témoignoient fi peu de défiance, qu'ils changeoient » leurs » leurs armes contre nos outils de fer. Ces armes étoient ~— : » toutes de bois de maifue , ou de camarina (a)\ noUS N Avn'f 4 » n'achetâmes que de fimples piques , d'environ huit » ou dix pieds de long, ou des malfues, qui avoient corn- » nume ment un gros nœud à une extrémité. » Dfcs qu'on eut dîné, je renvoyai les bateaux à l'aiguade, fous la protection d'une Garde : à leur débarquement, les Infulaires s'enfuirent tous, excepté un homme qui fembloit fort effrayé: un ou deux autres revinrent enfuite, & on n'en vit pas un plus grand nombre après midi. Nous ne pouvions concevoir la raifon de cette frayeur fubite. « Je reílai fur la Réfolution, mais mon Pere accompagna » M. Cook, & il remonta une petite colline, jufqu'à une » mauvaife cabane \ n'y trouvant point d'habitans, il mit » des clous fur des fruits à pain, qu'il vit près de la hutte, * & il redefcendit au rivage, avec quelques plantes. » Il remarqua enfuite que le tems, qui avoit été très-» chaud à terre, étoir beaucoup plus froid à bord, où de * groffes bouffées de vents, accompagnées quelquefois de » petites pluies, fouffloient des montagnes. » Le 9 , dès le grand matin , les chaloupes allèrent faire 9, de l'eau, comme à l'ordinaire j & nos gens n apperçu-rent les Naturels, qu'au moment de leur retour. Après (a) te Les Taïtiens lui donnent le nom de Toa, qui lignifie Guerre » parce qu'il fournit des inftrumens de mort. » Tome II» I i .....■.....! déjeuner, je débarquai avant la Garde , & les Naturels ie NN. 1774- ' : v i . i r , if • A- Avril. précipitèrent, autour de moi, en grande roule. Mais, des que la Garde eût defeendu à terre, j'eus toutes les peines du monde à les empêcher de s'enfuir : enfin leurs craintes fedifïï-perent, de ils nous vendirent des fruits &c des cochons. Je penfe qu'ils avoient pris la fuite la veille, parce qu'ils ne me voyoient pas à la tête du détachement ; de ,fans ma préfence, ils fe feroient également retirés aujourd'hui. Vers midi ,. un Chef, fuivi de beaucoup de monde, iè rendit ala place de notre débarquement. Je lui offris toutes les bagatelles que j'avois y de, de fon côté, il me donna quelques-uns des ornemens dont il étoit paré. Ces échanges finis, il parut quii régnoit de la bonne intelligence entre nous: ayant acheté allez de fruits pour en charger deux char loupes, nous retournâmes dîner à bord , fans que le Chef voulût nous accompagner. « Avant de partir plufieurs pirogues étoient arrivées » au vailfeau de la Dominica, tandis que d'autres de l'Ille » de Sainre-Chrifline remontoient le Détroit. Les Indiens, s* qui étoient fur les premieres, paroiffoient de la même » Nation que ceux que nous connoilîions déjà, de ils nous «t vendirent les mêmes fruits. » Le Chef dont on vient de parler, portoit un manteau » decorce de mûrier, pareille à l'étoffe de Taïti, de il avoiî » le diadème, le haufie-col, les pendans d'oreilles, de les » touffes de cheveux. On nous fit entendre que c'étoit le W Roi de toute l'Ifle, quoiqu'on ne lui témoignât pas beau- » coiipderefpcdJlnousaverdtquilsappelioit//o^(^)^--- » Si qu'il écoit He-ka-aï, titre qui correfpond fans doute AN Avril7** » à l'Arée de Taïti, Si à l'Aréeké des liles des Amis. Il » paroiiToit intelligent Si d'un bon caractère : ila figure » étoit d'ailleurs très - exprciîive : M. Hodges l'a peint » avec vérité, Sz on en trouve la Gravure dans ce Voyage. » Nous lui demandâmes le nom de fon Ifle Se de celles des » environs, Sz il nous répondit, que Sainte - Chriftine fe » nomme Waitahoo^hi Dominica, Heevaroa, Sz Saint- •> Pedro Onateyo. (Edidée, qui aimoit paiîionnément ce » peuple, parce qu'il reifembloit, par les m cours, le langage » Si la figure, à fes compatriotes, converibit fans cciîe avec » les Naturels, Sz il en achetoit un grand nombre d'or- » nemens. Il leur apprit diiférens ufages de fon pays , Si •> entr'autres, la méthode d'allumer du feu, en frottant » l'un contre l'autre des morceaux de bois fecs de XRibif- » eus Tiliaceus : ils prêtèrent une oreille attentive à fes » inftru¿tions. Les Infulaires eftimoient fort les plumes de » Tonga-Tabboo, ou de l'Ifle d'Amfterdam, Sz ils les ache- » terent volontiers au prix de leurs paftires de tête, ou » de tous leurs ornemens. Nous ne vîmes qu'une feule » femme àcce aflife dans un cercle au milieu de iês conv » patriotes : elle étoit revêtue d'une pièce d'étoffe d ccorce, » comme les femmes des Ifles de la Société : à ia figure, » on l'auroit prife pour une Taïtienne. (a) ce Ce mot lignifie une Tortue clans la langue de Taïti; & ü » ceux des animaux, comme les Habitans de l'Amérique Septentrionale, 3» Le mot 0-too, nom du Roi de Taïti ¿ iìgnifìe auffi Héron. lì 2, - 1 ■ s? Nous fîmes environ un mille Si demi fur le bord \vú\7^' 35 meridional du ruiiTcau : après avoir traverfé un canton, » d'où nous découvrîmes en plein le Havre, nous entrâmes » dans un bois épais, compofé principalement de Raitas » ou de noyers de Taïti Inocarpus (a), d'une grolfeur Si » d'une hauteur conûdérables, & de beaux arbres à pain : y* on trouve ces deux cfpèces dans les plaines de Taïti, où w la chaleur eft moins violente que fur ces Ifles. Nous arri-» vâmes enfin à une des habitations des Naturels : c'étoit » une miférable cabane, en compâraifon des maifons éle-» vées des Ifles de la Société, placée fur une plate-forme » élevée de pierres, qui n étoient pas même aiîez unies Si y> allez égales, pour qu'on pût s'y afTcoir lans fe brifer le » corps,quoiqu'elles fufîènt revêtues de nattes. Les Naturels » avoient érigé fur cette bafe des canes de bambous, ferrées » très-près les unes des autres, d'environ cinq ou fix pieds » d'élévation, Si pardeffus lefquelles le toit formoit un faîte » au fommet, compofé de petits bâtons couverts de feuilles » d'arbre à pain Si de rattas. Toute la hutte avoit environ » cinq pieds defbng, &c huit ou dix de large : lufage où » ils font de foutenir leurs habitations par des fondemens » de pierres, femble fuppofer que le pays eft fujet en certai-» nés faifons de l'année, à de fortes pluies Si à des inondations. » Nous y trouvâmes de grands auges de bois remplis de » morceaux de fruits à pain, mêlés avec de l'eau. Trois Inai diens, qui parurent près de la hutte, allèrent nous cher-» cher de l'eau à un ruiffeau qui couloit à environ cent { « ) Voyez Foriìer , Nova Genera Plantarum, sí verses delà. Les ayant remercié de leur bonté par des tf , !1■: •*' o ja v i Ann. 1774.. « préfens, nous nous rendîmes a la greve, Se nous re- Avl¡lt » tournâmes enfuite à bord. Pour rejoindre notre chaloupe, v nous courûmes le plus grand rifque de périr en chavi- » rant : la houle, qui brifoitcontre les rochers, nous cou- » vrit entièrement d'eau. (Edidée, qui étoit refté à terre , » nous voyant en danger, fe jeta à la mer, Se fe rendit » près de nous à la nage, afin de ne pas nous expofer à un » nouveau péril, quand nous voudrions aller le répandre.» L'après-midi, j'envoyai à terre les détachemens chargés de faire de l'eau Sz des échanges : la plupart des Naturels s'étoient retirés dans l'intérieur du pays. J allai à l'anfe méridionale de la baie , où je me procurai cinq cochons Sz enfuite dans une maifon, qui, à ce qu'on nous dit, étoit à l'homme que nous avions tué. Ce devoit être un perfon-nage confidérable, puifqu'il y avoit dans la cabane Se dans les environs , fix cochons appartenant alors à fon fils, qui s'enfuit à notre approche. Je defirois beaucoup de le voir, de lui faire un préfent, Sz par mes careffes de le convaincre que nous avions tué fon Pere, fans mauvais delfein contre la Nation. Il eût été inutile de laiffer quelque chofe dans l'habitation, parce que les autres l'auroient enlevé, d'autant plus fûrement que je n'aurois pas pu leur expliquer à qui jedefìinois ce don. Ils obfervoient rarement une honnêteté rigoureufe en pareille occafion, Se je venois d'en voir un exemple frappant.Un homme, qui montoit une pirogue, m'offrit un petit cochon pour un clou de fix pouces : je donnai ce clou à un Indien qui manœuvroit la pirogue, & qui le, gardant pour lui - même, en préfenta un bien plus petit au maître du cochon : ils commencèrent à fè di£ Avril. ptftcrj & j'attendis la fin de cette querelle i mais l'Indien, qui tenoit le grand clou, fembloit décidé à le garder, & je les quittai fans favoir comment fe termina leur affaire. Le foir, nous retournâmes à bord avec des rafraîchillemens, nous avions allez bien employé notre journée, «Le Docteur Sparrman paila avec moi l'après-dînée » à bord, à décrire & deiîîner les plantes que nous avions ai ralfemblécs le matin. Mais mon Pere accompagna le Capias taine à la greve méridionale, & il trouva,près de la mer, tí plufieurs habitations , fans voir de femmes. C'étoit le » rivage où les Infulaires portèrent le corps de l'homme » tue : on vient de dire qu'ils arrivèrent à une cabane qui » appartenoit au défunt : M. Cook demanda s'il n'avoit » ni femmes, ni fils, ni fœurs, ni parens, &: on lui dit a> qu'elles pleuraient le mort au fommet de la montagne; ?» d'où l'on peut foupçonner que les paliilàdes ou enclos qu'on » voit le long du fommet des rochers, font les cimetières » des habitans. Le Capitaine fit des échanges en cet en-j> droit, &, quoiqu'il fût entouré des parens de l'Infulaire » tué, on n'apperçut parmi eux, ni animofité, ni reifen-» tinrent. » Le r o, dès le grand matin, les Infulaires vinrent en ptro* gues des cantons éloignés, & ils nous vendirent des cochons: de forte que nous en avions alors allez pour en fervir à tout l'équipage. En général, ils étoient fi petits, que nous en confommions quarante ou cinquante dans un repas. Le détachement achetoit toujours à terre beaucoup de fruits Après dîné, je fis une petite expédition fur ma chaloupe, au Sud, le long de la côte, accompagné de quelques-uns de nos Meilleurs : on nous vendit dix-huit cochons en dif-férens ^endroits où je touchai-, & je crois que nous en aurions pu obtenir un plus grand nombre. Partout où je mis à terre, les Naturels furent très - obligeans à notre égard, & ils nous apportèrent avec cmpreifement ce que nous defirions. «Je descendis fur la côte avecIeDocfeur Sparrman : &, » en paifant par notre marché, nous reconnûmes que le prix » de nos outils de fer étoit diminué d'au moins deux cens » pour cent depuis notre mouillage dans le havre. Les petits » clous, que les Infulaires avoient d'abord reçu avec cm-ai prelfement, ne paifoient plus, &c ils n'eftimoient pas » beaucoup les grands. Ils ne faifoient aucun cas des grains » de verrez ilspréféroient.les rubans, les étolfes,& d'autres » bagatelles. Nous achetâmes de gros cochons pour des » pièces d'étoffe de mûrier, couvertes de plumes rouges, » que nous avions apportées de rifle d'Amfterdam ou de •» Tonga-Tabboo. » Le tems étoit extrêmement chaud, êc les Naturels fe » donnoient de l'air avec de grands éventails y ils nous en » vendirent plufieurs formés d'une eipèce d'écorce ou s» d'herbe groiliere, très-bien treifée, &: fou vent blanchie de » chaux i d'autres avoient de larges feuilles empiumées qui » leur tenoient lieu de parafol,. ôc , en les examinant, je trou-» vai qu'elles appartenaient au Corypha umbracidífera, a» efpèce de palmier. Une des planches, qui orne ce Voyage, Voyage ■■sas 50 rcpréfentc ces éventails &c les ornemens de tête de ce » Malgré la chaleur extrême, nous réfolûmes <^ gravir » la montagne , eipérant que nous ferions récompenfés » de nos peines par de nouvelles découvertes. J'avois fur-*> tout envie d'examiner les paliilàdes qui font au fommet, » & fur lefquelles chacun formoit différentes conjectures. m M. Patten & deux autres de nos MM. nous accompagne-n rent. Après avoir traverfé le joli ruiffeau, où les Matelots » rcmpliffoient les futailles, nous prîmes au côté feptentrio-» nal un fentier, par où le plus grand nombre des Infu-» laires, qui s'étoient rendus près de nous, étoient arrivés » de l'intérieur du pays. La montée ne fut pas d'abord très-s> fatigante : nous atteignîmes le haut de plufieurs collines » doucement inclinées, prefque de niveau au fommet, » & contenant des plantations fpacieufes de bananiers, » dans un ordre admirable. Ces cantons cultivés fe dé-» couvraient tout-à-coup à nos regards, parce que nous » marchions à travers un bois d'arbres fruitiers ferré & n touffu , & qui nous procurait un ombrage rafraîchif-» fant, tout-à-fait agréable. Nous rencontrions çà & » là un cocotier folitairc, qui, loin d'élever avec herré fa * tête majeífueuíe, fe trouvoit abaiífé 8c caché par des » arbres d'une efpèce inférieure. En général, le palmier » aime un terrain bas, & ne croît pas bien fur les monta-»> gnes j de voilà pourquoi il abonde fur des bancs de corail, » qui offrent à peine affez' de fol pour y prendre racine, » Quelques Naturels nous fuivoient, & plufieurs, qui » alloient à notre marché, pafîerent près de nous. » a mesure du Capitaine Cook, 2^7 » A mesure que nous montions, nous laifl¡ons derrière » nous un grand nombre de maifons, toutes conftruites fur ^iyJr^ »î une bafe élevée de pierres, d'après le plan qu'on a déjà » décrit. Les unes paroiifoient très-neuves & très-propres » en-dedans, mais je ne pus pas y diftinguer ces lits dont » font mention les Efpagnols, qui, fans doute, veulent » parler feulement des différentes nattes répandues fur le ■» plancher. » Le terrain devenoit à chaque pas plus efearpé & plus « hériiïe de roches. Le ruiffeau couloit fouvent dans un n ravin profond, au bord duquel notre fentier étoit un peu » dangereux j il nous fallut traverfer l'eau plufieurs fois. Nous a» remarquâmes toujours une plus grande quantité d'habita-» tions en approchant du fommet. Nous prîmes du repos en » différais endroits, & par-tout des fruits & de l'eau nous » furent offerts parles Naturels, qui reflèmblent trop aux » Taïtiens, pour ne pas avoir, comme eux, de i'hofpita-» lité. Nous n'en apperçûmes pas un fcul* de difforme ou » de mal fait \ ils étoient tous forts, grands & extrêmement » agiles. Leur politimi contribue à leur activité, & l'exer-*> cice qu'ils font obligés de prendre , conferve probable-" » ment l'élégance de leurs formes. A environ trois milles du ■» rivage, nous apperçûmes une jeune femme, qui fortoit » d'une maifon fituce devant nous, & qui montoit en hâte »? la colline. Elle étoit vêtue d'une étoffe de mûrier, qui w defeendoit jufqu'à fes genoux : fes traits nous parurent » agréables; mais nous n'en jugeâmes que de loin, car elle » eut foin de fe tenir à trente verges de nous. Les Natu-» rels nous firent alors des figues pour retourner fur nos Tome IL Kk s » pas-, & ils témoignèrent du mécontentement de ce que " » nous continuions notre route. Comme nous voulions, le » Docteur Sparrman & moi, conferver les plantes que nous » avions raifcmblées, nous revînmes effectivement en » arrière, tandis que M. Patten & les autres allèrent euro virón deux milles plus loin, fans rien découvrir de nou-» veau. La chaleur du jour , notre mauvaife fanté & la n fatigue de la route, nous avoient épuifé : d'ailleurs rien =» n'annonçoit que nous ferions bientôt au fommet j on ne » l'appercevoit qu a plus de trois milles de diftanee, auro delà d'un efpace infiniment plus efearpé que celui que » nous venions de parcourir. » Tous les Cantons, que nous vîmes, font couverts d'un » riche terreau, parfemés de belles plantations & de bocages » de différens arbres fruitiers. Les rochers au-deffous, qui fe » montrent principalement près des bords du ruifîéau, ou » fur les côtés rompus du fentier, contiennent des pro-» ductions volcaniques ou diverfes laves, dont quelques-» unes font remplies de coquillages blancs & verdâtres. Par » leurs minéraux, ces Ifles refîemblent donc auiîi à celles » de la Société, qui paroilîènt avoir des montagnes brû-» lantes autour des cabanes \ nous remarquâmes beaucoup » de cochons, de groffes volailles, & de tems en tems des » rats. Les arbres font d'ailleurs pleins de petits oifeaux » de l'efpèce de ceux de Taïti, mais moins nombreux ÒC •» moins variés. Enfin les Marquifes ne différent des Ifles « de la Société, qu'en ce qu'elles n'ont pas les jolies plaines » qui environnent celles-ci, ou le récif de corail qui forme » leurs excellais havres. » Nous nous hâtâmes de gagner le bord de la mer, » avant le départ des chaloupes : le vaifieau, à notre arrivée, » étoit environné de Naturels de différentes parties du pays : w l'alarme, que le meurtre de l'Indien avoit répandu parmi » eux, le premier jour, étoit alors oubliée, & ils vinrent » près de nous en très-grand nombre j ils converferent fami-» lièrement, & ils témoignèrent une extrême joie de tout » ce qu'ils voyoient. Ils fe fouvenoient iî peu du meurtre, » que plufieurs nous volèrent , auiïi ibuvent que foc-» caiïon s'en préfenta^ mais,quand on les furprenoit, ils » ne manquoient jamais de rendre pailiblement ce qu'ils » venoient de prendre. Ils danferent beaucoup fur les ponts » pour l'amufement des Matelots, & la reflemblance de vf leurs danfes , avec celles des Taïtiens, nous frappa. Il » paroît que leur mufique eft auifi la même : ils ont des tam-» bouts pareils, &c (Edidée en acheta un. » Je restai l'après-midi à bord, &£ je misen ordre les » collections que nous avions faites. Le foir, M. Cook ,quel-» ques Officiers, M. Hodges, le Docteur Sparrman & mon » Pere, revinrent au vaiileau, après avoir vifité deux anfes » au Sud du havre où nous mouillions. Ils les trouvèrent » très-ouvertes & expofées à la mer, & ils coururent de » grands rifques en métrant à terre &: en fe rembarquant, » à caufe de la houle prodigieufe qui brifoit fur le rivage. » Ils achetèrent des cochons èc d'autres rafraîchiiîèmens. » Les Naturels leur parurent moins réfervés qu'aux envi-» rons de notre mouillage : ils rencontrèrent -un nombre t» coniidérable de femmes, avec lefquelles les Matelots de » la chaloupe eurent bientôt fait connoiffance, & plufieurs Kk % ... » d'entr'elles furent auiïi complaifantes que les Indiennes • 1/74« „ ¿cs ijQcs ¿e ia Société & des Amis. de la Nouvelle-Vvril. » Zélande & de l'Ifle de Pâque. Elles croient d'une nature » inférieure à celle des hommes, mais bien proportionnées, » & les traits de quelques-unes approchoicnt du contour » agréable desTaïtiennes d'un rang diitingué. En général? w leur teint ne dilferoit pas de celui des gens du Peuple des » Mes de la Société: il y en avoit de plus blanches que les » autres , on ne remarqua fur leur corps aucune piqu'ure,' » quioque les hommes foient accoutumés à fe défigurer par » le tatouage. Une des plus belles fe laiiia peindre par *> M. Hodges, &on en donne ici une gravure exacte d'après » fon delfín. Toutes portoient des étoffes de mûrierj mais » ces étoffes n'étoient ni auifi variées, ni en auifi grand » nombre qu'à Taïti :au-lieu de s'envelopper d'une foule de » pièces, comme les chefs voluptueux de cette lile, elles » n'avoient qu'un feui ahow ou manteau qui defcendoit des » épaules aux genoux, » Après avoir palle quelque tems à terre, nos Meilleurs » revinrent à leur chaloupe. Le Capitaine donna plufieurs » cou os à un des Matelots, qui venoit de manquer à fon » devoir. Je ne rapporteroispoint cette circonfiance minu-ss rieufe, fi les Naturels n'avoient pas fait une obfervation » forte intéreifante. Dès qu'ils s'en appei curent,ils fe montre-» rent l'un à l'autre M. Cook, & ils s'écrièrent tape a-hai » te tina t il bat fon frere. Ils voy oient très-bien l'autorité » du Commandant fur l'équipage i mais ils nous regar-» doient tous comme frères. Je penfe qu'ils tranfpofoient, » parmi nous, les idées de fubordination qui régnent chez k> eux j ils fe regardent probablement comme une famille 5=S^= » dont faîne eft Chef ou Roi. N'étant pas encore par- ÀN"^ ro venus à ce degré de civilifation dont jouiflent les Taïtiens, » ils ne connoiffent gueres les différences de rang, & » leur conftitution politique n'a pas acquis une forme inoro narchique déterminée. La nature de leur pays, qui de-» mande plus de travail & de culture qu'aux lues de la » Société,eft la principale caufe de cette différence, car, ro puifqu'ils ne fe procurent pas fi aifément leur fubliftance, » la population & le luxe doivent être moindres, & le * Peuple garde fon égalité. Effectivement ils ne montrèrent « ni refpecc, ni égards particuliers pour leur Roi Honoo s *> qui vint nous voir lé fécond jour, après notre arrivée. « Toute fa prééminence fembloit confifter dans fon hábil-» lement,plus complet que celui de fes Indiens, qui, par » choix ou par indolence, vont nuds dans ce climat du » Tropique, où l'on n'a pas befoin de vêtemens. » Le lendemain , au matin, j'allai au même endroit où nous i * * avions été le foir de la veille, mais, fans pouvoir me procurer des cochons, comme je l'efpérois : je ne vins pas à bout de deviner ce qu'ils demandoient en place, des clous qu'ils meprifoient alors, de forte que je fus obligé de revenir avec trois ou quatre petits cochons, qui coûtèrent plus qu'une douzaine n'avoit coûté la veille. En arrivant à bord, j'appris que le même changement y étoit arrivé, ainii qu'à la place de débarquement fur la côte : en voici la raifon. Plufieurs de nos Melïieurs ayant defeendu la veille, cédèrent en échange différais articles que les Infulaires n'avoient pas encore vu, ce qui leur cauferent plus de plaifir que les ... clous &c les inftrumens de fer les plus utiles; mais ce qui vrii77^ acfieva de ruiner notre marché, c'eit que l'un d'eux donna pour un cochon une grande quantité de plumes rouges qu'il avoit prifes à Amfterdam. Perfonne, parmi nous, ne favoit que ces plumes eu/lent une telle valeur, nous perdîmes ainii l'efpoir d'acheter beaucoup de rafraíchiñemens de ce Peuple : cela arrivera toujours, lorfqu'en pareille oc-caiion on permettra à chacun de faire des échanges pour ce qui lui plaira. « Nos acquisitions en Hiiloire Naturelle étoient peu » nom breufes, parce que ces liles reífemblcnt trop à Taïti, » & que d'ailleurs nous y étions depuis trop peu de tems. y> Nous n'avons pas formé une connoiiîànee bien intime » avec les Naturels, qui font dignes de l'étude des Voyageurs î> Philofophes. Je regrettois en particulier de partir , si fans examiner ces enclos qui font au fommet des » montagnes, 6¿ qui, je crois, ont quelque rapport avec « leur religion. Les Efpagnols font mention d'un Oracle (a), ai qui, d'après leur defcription, iemble être un cimetière de a» l'eipèce de ceux des Ifles de la Société. 33 Comme cette Ifle ne devoit pas nous fournir ce dont nous avions befoin, & ce que nous pouvions efpérer de trouver à celles de la Société, $c que d'ailleurs elle n croit pas commode pour y faire du bois & de l'eau, èc donner au vaiileau le radoub néceifaire, je réfolus d'appareiller, & de chercher une relâche plus avantageufe. Nous étions ( a) Voyez la Colle&ion de M. Dalrymple. Vol. I. depuis dix-neuf femaines en mer, & nous avions vécu, tout ce tems, de provifions falées : cependant nous avions à peine un feul homme bien malade, & peu fe plaignoient de légères incommodités. Les anti-fcorbutiques & les foins extrêmes du Chirurgien, contribuèrent fans doute à notre fante. « Les fruits & les viandes fraîches, que nous prîmes » aux Marquifes, doivent être regardés comme le premier » reifaurant que nous euiîîons eu dans cette longue campi pagne. Le peu de patates de l'Ifle de Pâque avoient » arrêté le progrès rapide des différentes maladies répandues » abord, fans pouvoir les empêcher de reparoître à l'ap-» proche de la zone torride, dont la chaleur violente mettoit » en fermentation notre fang putride & flagnant. Je crois » réellement que c'eit à M. Patten, notre Chirurgien, que » l'Angleterre doit la vie de ceux qui firent la dangereufe » expédition dont on écrit l'Hiftoire. M. Cook, de fon » côté, ne négligea rien de tout ce qui pouvoit aifurer le » bien-être de l'équipage & le fuccès duVoyage. Quoiqu'il eût » reconnu le danger de s'expofer au foleil brûlant de l'Ifle » de Pâque, il avoit mis une aélivité fingulierepour acheter » des provifions, & veiller fur ce qui fe paffoit à terre, & » fa fanté ne s'en trouvoic pas mieux. Les efforts, que j'avois » faits en graviiTant la montagne, nuifirent aulîi à la mienne, » & me procurèrent une maladie de bile dangereufe. » 1 '"Igr.......B=Mgy* chapitre x. Départies Marquifes. Situation, étendue> forme & afpecl des différentes Ifles. Defcription des Habitans, de leurs Coutumes, Habillemens/ Habitations y Alimens, Armes, & Pirogues, Recherches fur leur Bonheur ,& leur Population, as 1 1 On leva l'ancre à trois heures après-midi, & je portai fur iTaviìi7^' *a -^ommica 3 a^n de reconnpître le côté occidental de cette lile j mais comme le foleil étoit couché, avant que j'y arrivaife, la nuit fe paifa à louvoyer entre les deux terres. Le 12,. lendemain, au matin, nous vîmes à découvert la pointe S. O., d'où la côte court N. E. ; il n'étoit pas probable que nous trouvafiions un bon mouillage de ce côté, parce qu'il eft expofé aux vents d'Eit : nous n avions que peu de vent alors, & il étoit variable, Se accompagné d'ondées de pluie. Enfin nous atteignîmes une brife de l'E. N. E., avec laquelle nous cinglâmes au Sud. A cinq heures, P. M. la baie de la Réfolution nous reftoit E. N. \ E., à la diftanee de cinq lieues, & l'Ifle de la Madclène au S. E., â environ neuf lieues. Cefi la feule vue que j'ai priie de cette Ifle. Delà je mis le cap au S. S. O. \ O. pour O-Taïti, dans le deffein de rencontrer quelques-unes des Ifles que découvrirent les premiers Navigateurs, Se fur-tout les Hoflandois, mais dont les pofitions ne ione pas bien déterminées. Il est a propos Il est a propos de revenir aux Marquifes, reconnues * ' -pour la premiere fois, comme je lai déjà obfervé, par ' NJvrfl. 1 Efpagnol Mindana, qui leur a donné le nom général & le nom particulier qu'elles portent. Ce qu'on en dit dans la Collection des Voyages à la mer du Sud, de M. Dalrymple, n eft défectueux que fur la polition. C'eft la principale raifon qui m'a engagé à y toucher -, il eft d'autant plus utile de bien déterminer ce point, qu'il fixera, en grande partie, les gif-femens de autres Ifles de Mindana. Les Marquises font au nombre de cinq-, la Magdalena; Saint-Pédro , la Dominica , Sainte-Chriftine, & l'Ifle de Hood:celle-ci, la plus fcptentrionale, gît par 9d 16' de latit. S., & N. i 3d 0.,à cinq lieues & demie de la pointe Eft de la Dominica, qui eft la plus grande de toutes les Ifles, & qui s'étend à l'Eft &c à l'Oueft l'efpace de fix lieues. Elle a une largeur inégale, & environ quinze ou icize lieues de tour j elle eft remplie de collines efcarpées, qui s'élèvent en chaînes directement hors de la mer : ces chaînes font fépa-rées par des vallées profondes, revêtues de bois , ainfi que les côtés de quelques-unes des collines : fon afped eft iterile, mais elle eft habitée. Sa latitude eft 9a 44' 30" S. Saint-Pédro, qui a environ trois lieues de tour, &qui eft allez haut, gît au Sud, à quatre lieues & demie de l'extrémité orientale de la Dominica : nous ne favons pas s'il eft deferí. La Nature n'y a pas répandu fes largeífes avec trop de profufion. Sainte-Chriftine gît fous le même parallèle, trois ou quatre lieues plus à l'Oueft. Cette Ifle, qui court Nord & Sud, a neuf milles de long dans cette direction, & environ fept lieues de circonférence. Une chaîne étroite de Tome IL Ll Avi collines, d une élévation eonfldérable ,fe prolonge dans toute W*'ri)774" ^a J°ngueur de l'Ifle» D'autres chaînes fortent de. la mer & fe joignent à celle-ci, dont elles égalent la hauteur. Des vallées reflerrées 6c profondes, fertiles, ornées d'arbies fruitiers , &c. & arrofées par de jolis ruiffeaux d'une eau excellente , coupent ces montagnes. Nous n'avons vu que de loin la Magdalena: fa politlón doit être à-peu-près iod 15' de latitude &c 13 8d 50' de longitude. Ces Ifles occupent l'efpace d'un degré en latitude, & à-peu-près un demi-degré en longitude, favoir du 13 8d 47' au 139e1 13' Oueft, longitude de l'extrémité occidentale de la Dominica* Le port de Madre de Dios, que j'ai nommé Port de la Réfolution , gît près du milieu du côté Oueft de Sainte-Chriftine , & fous la terre la plus élevée de l'Ifle, par ç>d 55' 30" de latitude , & 139e* 8' 40" de longitude Oueft , ôc au N. 15 ' O. de l'extrémité occidentale de la Dominica. La pointe Sud de la baie eft un rocher efearpé d'une hauteur confidérable, dont le fommet fe termine en une colline à pic, où vous appercevez un fentier qui conduit, parle haut de la chaîne étroite, deffus la cime des collines. La pointe Nord n'eft pas 11 élevée, & la pente eft plus înfen-fible : ces deux pointes font à un mille l'une de l'autre dans la direction du N. J N. E. & S. i S. O. La baie, qui a près de trois quarts de mille de profondeur , & de trente-quatre à douze braffes d'eau, fond de fable propre , renferme deux anies fablonneufes, féparées l'une de l'autre par une pointe de rocher. Il y a dans chacune un ruiifeau d une eau très-bonne. L'anfe fcptentrionale eft la plus commode pour faire du bois & de l'eau. On y trouve la petite cafeade, doux Pl. ó O VUE DE EA BAYE DE LA RE SOLUTION DANS l/lSEE DES MARQUISES parle Quiros, Pilote de Mindana -y mais le village eft au r fi fond de la feconde anfe. Ce côté de l'Eft offre plufieurs autres A* %*a74* anfes ou baies, & on peut le tromper, en prenant quelques-unes au Nord pour celle-ci \ c'eft pourquoi le giifement de l'extrémité Oueft de la Dominica, eft la meilleure dircdion qu'on puiife donner. Les arbres , les plantes & les autres productions de ces ifles, du moins autant que nous les connoiiîbns, font à-peu-près les mêmes qu'à Taïti & aux Ifles de la Société. On peut s'y procurer des cochons, des volailles, des plantains, des ignames, quelques racines, & une petite quantité de fruits à pain & de noix de cocos. Nous achetâmes d'abord ces différens articles avec des clous. Les prains de verre, les miroirs & les bagatelles pareilles, iî recherchées aux Ifles de la Société , n'ont aucun prix ici , & même les clous perdirent beaucoup de leur valeur , cemme on l'a déjà remarqué. En général,les habitans des Marquifes font la plus belle race des habitans de cette mer. Ils paroiflent furpaifer toutes les autres Nations par la régularité de leur taille, àc de leurs traits. Cependant la reifemblance de leur langage à celui que parlent les Naturels de Taïti & des Ifles de la Société, prouvent qu'ils ont une même origine. GEdidée converfoit aifez bien avec eux ; mais, quoique je fulle un peu la langue de Taïti, je ne venois pas à bout de me faire entendre. « J'obfervcrai qu'ils ne pouvoient pas prononcer R, « Les hommes font tatoués de !a tête aux pieds : il, Ll 1 »-r—— portent différentes figures 5 arrangées fuivant les caprices Avril ^e ^eur imagination, plutôt que fuivant la coutume. Ces piquures leur donnent un regard fombre i mais les femmes ( qui en ont peu ), les jeunes gens, & les jeunes enfans ( qui n'en ont point du tout ), ont le teint auifi blanc que celui de quelques Européens. La taille des hommes eft ordinairement de cinq pieds dix pouces à fix pieds \ mais je n'en ai vu aucun d auifi gras & auifi fort que les Earécs de Taïti : d'un autre côté, je n'en ai point apperçu de maigres. Leurs dents font moins bonnes, & leurs yeux moins vifs & moins animés que Ceux des habitans des autres Nations. La couleur de leurs cheveux varie comme parmi nous : cependant je n'en ai point trouvé de rouge. Quelques-uns les portent longs j mais en général ils les ont courts, & ils laiiîènt feulement, de chaque côté de la tête, deux touffes relevées par un nœud. Ils diipofent, de différentes manières, leur barbe, qui eft communément longue. Les uns la partagent & l'attachent en deux touffes au-deiTous du menton, d'autres la treffent., ceux-ci la laiifent flotter, & ceux-là la coupent à une certaine hauteur. Leur vêtement, le même qu'à Taïti , eft compofé également d'écorce d'arbres -, mais ils n'ont pas une auifi grande quantité d'étoiles, & elles ne font pas auifi bonnes. La plupart des hommes feraient entièrement nuds fans le Morra (comme on l'appelle à Taïti); c'eft-à-dire, fans une bande de toile qui paffe autour de la ceinture , & tombe entre les jambes. Ce fimple vêtement fuffit au climat > 8& fatisfait la modeftie. Les femmes font vêtues dune pièce d'étoffe , qui enveloppe leurs reins en forme de jupon.,. P1.5L / dcfcend au-deilbus du milieu de la jambe j & un manteau ^--— flottane couvre leurs épaules. Leur principale parure de tête ^^.¿i77*" & leur premier ornement, eft une forte de large diadème artiftement fait des fibres de la goufle d'une noix de cocos ; il préiente au devant une coquille de nacre de perle arrondie: & pardeflfus cette premiere, une feconde plus petite, d'une très-belle écaille de tortue, trouée de diíférentes manieres curieufes : au centre de cette feconde , il y a un troiiieme morceau rond de nacre de perle, à-peu-près delà grandeur d'un demi-écu §c enfin un quatrième morceau d'écaillé de tortue, peint & de la grandeur d'un fcheling. Cet ornement pare ordinairement leur front-, mais quelques-uns le portent auifi de chaque côté j alors il eft fait de plus petites pièces : tous ces diadèmes ibnt embellis de plumes de la queue des coqs ou des oifeaux du Tropique , qui fe tiennent debout, de façon qu'elles forment un joli panaché. Ils mettent autour de leur col, un collier de bois léger , dont le côté íupérieur &C antérieur eft couvert de petits poix rouges qui y font collés avec de la gonuue : ils garniiïent auifi leurs jambes de touffes de cheveux d'hommes attachés à un cordon: fouvent au-lieu de cheveux, ils emploient des plumes courtes ; mais on apperçoit rarement fur la même perfonne tous les ornemens dont on vient de parler. Le Chef, qui vint nous faire vifite, eft le feui que j'aie vu avec tout cet attirail ; leurs ornemens ordinaires font des colliers, des amulettes de coquillage, &c. : je n'ai remarqué aucun pendant d'oreille, quoiqu'ils euiîent tous les oreilles percées. Leurs habitations font placées dans les vallées, fui =s= les côtés des collines, & près de leurs plantations : elles 7?4' font conftruites de la même maniere qu a Taïti ; mais elles font beaucoup moins bonnes , & feulement couvertes de feuilles d'arbre à pain. La plupart font bâties fur un pavé de pierres, quarré ou oblong, élevé un peu au-deiliis du niveau du terrain. Il y a auilî de femblables pavés près de [leurs maifons, & ils vont s'y aífeoir &: s'y récréer. « Je n'ai trouvé nulle part de fruits à pain auilî gros & » auifi délicieux que les leurs ; nous en achetâmes plufieurs » parfaitement mûrs, qui étoient tendres comme des flans, » mais un peu trop fueres. Excepté la pomme Spondias% » ils mangent les mêmes fruits & les mêmes racines qu'à » Taïti j ils fe nourriiîent fur-tout de végétaux, quoiqu'ils » aient des cochons & des volailles, &: qu'ils prennent » quantité de poiiîons en certains tems ; ils ne boivent que » de l'eau, car les noix de Cocos font rares, du moins dans » les cantons que nous avons parcourus. Je crois cependant » que, puifqu'ils ont la racine de poivre, & qu'ils s'en » fervent comme d'un figne de paix, ainfi que les autres « Infulaires, ils en tirent auifi un breuvage enivrant. » Ce Peuple eft moins propre dans fes repas que les Taïtiens -, leur cuifine eft fale d'ailleurs : ils apprêtent le cochon & les volailles dans un four de pierres chaudes , comme aux Iiles de la Société ; mais ils grillent fur le feu les fruits & les racines ; &, après en avoir ôté 1 ecorec ou la peau, ils les mettent avec de l'eau dans une huche, où j'ai vu les hommes & les cochons manger tous à-la-fois. Je les ai trouvé un jour délayant des fruits & des racines au fond d'un vafe chargé d'ordures, au moment où les cochons venoient de le quitter, fans le laver, fans même laver leurs mains, qui n'étoient pas moins fales;&, lorfque je leur témoignai que cela me cauioit du dégoût, ils fe moquèrent de moi. Je ne fais fi jamais il n'y a plus de propreté parmi eux. Les actions de quelques individus ne fuffîfent pas pour dire que toute une Nation fuit une coutume générale. « Voici cependant un article fur lequel ils font plus » propres que les Taïciens : aux Ifles de la Société , les » excrémens qui rempliifent les chemins, bleflent, tous les » matins, le nez & les yeux ; mais les habitans des Marquifes » font accoutumés, comme les chats ,à les cacher dans » les entrailles de la terre. Les Taïtiens comptent fur le » fecours des rats, qui mangent avidement ces ordures j » ils font convaincus que leur ufage eft le plus propre du » monde, car Tupia reprocha aux Européens leur préten-» due délicatefle, quand il vit dans chaque maifon de Ba-» tavia un petit édifice dettine à Cloacine. » J'ignore £ les hommes & les femmes font dans l'ufage de manger féparément \ je n'ai fait aucune remarque fur cela, & en tou£ j'ai vu peu de femmes. Ils semblent avoir des afyîes ou des fortereflès au fommet des plus hautes collines i mais nous ne les avons apper-çues qu'avec nos lunettes j parce que ne connoiiîant pas les difpofitions des Naturels, qui ( je crois ) font humaines 6c ¿72 Voyage -/ ■< pacifiques , je n'ai permis à perfonne de féquipage d'y l W4* aller. ' . Leurs massues & leurs piques reffcmblent à celles de Taïti ; elles font un peu mieux faites : ils ont auífi des frondes, avec lefquels ils jettent fort loin des pierres j mais ils n'ont pas une extrême adreiîe pour toucher le but. JLeurs pirogues font de bois, & de lecorce d'un arbre mol, qui croît près de la mer en grande abondance, & qui eft très-propre à cet ufage : elles ont de 16 à zo pieds de long, & environ 15 pouces de large j deux bouts folides forment l'avant &: l'arriére -, l'arriére s eleve ou fe courbe un peu , mais dans une direction irréguliere , & finit en pointe y l'avant fe' projette horizontalement, & offre une reffemblance groffiere d'un vifage humain fculptc ; elles fe manœuvrent avec des pagayes, &: plufieurs ont une forte de voile latine de natte. Nous n'avons remarqué dans lille d'autres quadrupèdes que les cochons ; & les coqs & les poules font les feuls animaux apprivoifes ; cependant les bois paroiifent remplis de petits oifeaux d'un très-joli plumage , & qui chantent bien. La crainte d'alarmer les Naturels nous a, empêché d'en tuer autant que nous aurions pu le faire, « Le nombre des habitans des Marquifes ne peut pas * être fort confidérable, car ces liles font très-petites. Waií •* tahoo, ou Sainte-Chriftine a environ 8 lieues de tour ; O-Heeva-Roa r> u Capitaine Cook. ¿73 * O-Heeva-Roa (a), ou Dominica, 15 j Onateyo, ou « 5. Fédro, 3 i &: Magdalena,que nous vîmes feulement Ai » de loin, 5, fuivant ce que difent les Elpagnols. La Do- » minica, la plus grande des Marquifes, eft iî efearpée & » íí hériifée de roches dans la plupart des cantons, que, » proportionnellement à fon étendue, elle ne peut pas avoir » autant d'habitans que Sainte-Chriftine. Les terrains propres » à la culture, font très-peuplés fur ces ifles j mais, comme * elles font toutes remplies de montagnes & de landes » ftériles ,il eft douteux que ce grouppe de terre contienne ™ 50 mille ames. » Les" Espagnols qui les découvrirent, y trouvèrent un » Peuple doux 8¿ paiílble } ils eurent cependant un petit » différend à Magdalena, probablement à caufe de quelque » mal-entendu, ou.du caractère violent &: impétueux de » ces Navigateurs. On a déjà parlé de faccueil qu'ils nous » firent, & de leur rapport avec les Taïtiens. Les Habitans » des Marquifes ne peuvent pas goûter les avantages que » procurent à ceux des Ifles de la Société, les fertiles plat-» nés qui bordent leurs côtes. Après avoir cultivé le terrain » nécelfaire à leur fubfiftance, il ne refte plus d'efpacc » pour ces plantations étendues de mûrier, qui frappent » par-tout les yeux à Taïti ;&c, lors même qu'ils auroient » de l'emplacement, ils ne pourraient pas y employer le » tems qu'exige cette branche de culture. On ne remarque {a) Il eft à remarquer que ce nom fe trouve dans la Lifte des Ifles que Tupia communiqua à l'Equipage de l'Endéavour. Les Infulaires des Marquifes , qui ne peuvent prononcer R, difent toujours O-he'eva-oa, Tome IL Mm =-» point aux Marquifes l'opulence & le luxe, la profuiîorë * H Ayrih7^* *■ d'alimcns, la quantité & la variété detoífcs dont jouiifènt 93 les Taïtiens; mais les Infulaires y ont le néceifaire : ils » font tous égaux, adifs, bien portans, ÔC rien ne peut les » priver de ce qui fait leur bonheur. Les Taïtiens ont plus *> d'aifance; ils font peut-être plus habiles dans les Arts, » & ils mènent une vie plus raffinée ; mais ils ont perdu » leur égalité primitive , une partie vit des travaux de » l'autre, Se des maladies les puniífent déjà de leurs excès. »¡ Scilicct improba Crefcunt divi eia: tamen , Curta: nefeio quid femper abeít v¿U Hqra74 du Capitaine Cook. 27-5 _^^^=-4-=Ès» chapitre xi. Defcription de plufieurs Ifles découvertes dans la. ¡Traverfée des Marquifes à Taïti. Defcription d'une Revue navale. a vec un bon vent d'Est , je gouvernai S. O. — S. O. = i O. & O. I S. O. « Pour plus de sûreté , nous mettions An » en panne chaque nuit, car nous étions très-proches de » l'Archipel des Ifles baflès, qui a toujours paffé pour fort » dangereux. Les Navigateurs Hollandais en particulier en » donnent une idée défavorable ; Schouten l'appelle la » mauvaife mer, & Roggewin le labyrinthe: le dernier per-» dit un de fes vaiífeaux, la galere africaine, fur une de ces » Ifles, qu'il appelle Ifle pernicieufe : cet accident, arrivé » de mémoire d'homme, efl connu aux Ifles de la Société, » & on en peut conclure que l'Ifle pernicieufe n eft pas fort » éloignée de, ce grouppe. », Le i 7, à i o heures du matin ¡ on vit une terre reftant au O. ~ N., que nous reconnûmes enfuite pour être une ceinture de petites Ifles bailes, réunies par un récif de corail. Je rangeai la côte N. O. à la diftanee d'un mille, jufqu'aux trois quarts de fa longueur, qui eft de près de quatre lieues : nous arrivâmes enfuite à une crique ou goulet, qui fembloit ouvrir une communication dans le lac iitué au milieu de l'Ifle. Comme je voulois acquérir quelques connoiifances fur les M m % v O Y A G E ^ productions de ces Ifles, à moitié fubmergées, nous mîmes. Mîil * *a caPe ' & j'envoyai le Maître fonder : en dehors, il ne trouva point de fond.. « Nous voyions le terrain couvert d'efpace en efpace » de cocotiers d'un afpect agréable; des arbres & dès arbrif-33 féaux en cachoient quelquefois les tiges, mais leur belle » tete s elevoit toujours au-deiîus des autres. Les intervalles, » entre ces cantons verdoyans, étoient íi bas que les flors de *> la mer fe précipitoient pardeifus, & atteignoient l'intérieur » de la lagune : la tranquillité de l'eau, reiferrée par fon banc » de rochers, & fa couleur de lait dans les endroits peu pro-ai fonds, contraftoient avec la furface bouclée des vagues » couleur de Béryl de l'Océan. » Les rochers nous parurent teints, en plufieurs en- » droits, d'un bel écarlatte, comme les trouva le Commo- »3 dore Byron; des pirogues qui naviguoient fur le lac, des » tourbillons de fumée qui fortoient du milieu des grouppes » d'arbres, Si des hommes armés de longues piques & de » maffues, qui couraient le long du rivage, aehevoient dè n varier notre perfpective. Nous remarquions auifi des y> femmes qui fe retirèrent à l'extrémité la plus éloignée d'un y> banc, portant des paquets fur leur dos; preuve qu'elles ■ n'auguroient pas favorablement de notre apparition fur la » côte. Ces Infulaires ayant eu le malheur de vouloir » s'oppofer aux chaloupes de M. Byron, perdirent quclquesr » uns de leurs Compatriotes, & furent chaifés de leur har * bitation, pendant tout un jour, par l'équipage du Dauphin, » qui mangea à diferétion leurs noix de cocos ; &• il ne faut » pas s'étonner s'ils faifoient déjà des préparatifs pour mettre 5 » leurs petites richeffes en sûreté contre l'invafion d'une race An a^774*' » d'étrangers qu'ils regardoient comme leurs ennemis. » Quelques-uns fe rallemblerent fur le rivage. Le Maître me dit à ion retour,qu'on ne pouvoit pas entrer dans le lac par la crique, large de 5 o braifes à l'entrée, & profonde de 3 o > que le fond étoit de roche par-tout, pi que des bancs de corail entouroient les bords. Nous n'étions pas obligés de conduire le vaiiîéau à cet endroit : comme les Naturels nous avoient annoncé des difpoiitions amicales, en venant paifiblement fur notre chaloupe, ou en prenant tout ce qu'on leur donnoit, j'envoyai deux bateaux bien armés à terre, fous le commandement du Lieutenant Cooper, afin d'obtenir une entrevue, 8c de donner à M. Forffer une occa-fion de faire des recherches d'Hiftoire Naturelle. Je vis nos Meilleurs débarquer fans la moindre oppofition de la part des Infulaires, qui étoient fur le rivage: bientôt après, j'ap-perçus 40 ou 50 hommes tous armés, qui s avançoient pour joindre leurs Compatriotes, & nous nous tînmes très-proches de la côte, afin de pouvoir foutenir nos bateaux, en cas d'attaque : heureufement il n'y eut aucune hoililité, les bateaux revinrent, & M. Cooper me dit qua fon débarquement, un petit nombre de Naturels étoit venu à ia rencontre fur la greve, 6c qu'une groiîe troupe fe rangea à la filiere du bois, avec une pique à leur main : ils reçurent très-froidement nos préfens, ce qui prouve quenotte débarquement leur caufoit peu de plaifir. A l'arrivée de leur renfort, il jugea à propos de fe rembarquer, d'autant plus que le jour croit déjà-fort avancé, Ô£ j'avois donné ordre d'employer 1 1 tous les moyens poiîibles pour éviter une efcarmouchcV Avril 4* QUiUla* nos Matelots rentrèrent fur leurs bateaux, quelques Infui aires vouloient les pouiîér au large, &c d'autres les retenir ; mais enfin ils les laiiîerent partir tranquillement. Le Lieutenant rapporta cinq cochons, qui paroi (Voient abonder dans l'Ifle i il ne vit de fruits que des noix de cocos, & il en acheta deux douzaines. L'un des Matelots eut un chien pour un feul plantain, ce qui nous fit croire qu'ils manquent de bananes. Cette Isee , que les Naturels appellent Tíookéa,.fut découverte & reconnue par le Commodore Byron : fa forme eft un peu ovale; elle a environ dix lieues de tour, &c elle gît dans la direction de l'E. S. E. & du O. N. O. par i4d 27' 30" de latitude S. & 144e1 56' de longitude Oueft. Les habitans 8£ peut - ette ceux de toutes les Ifles baffes, font d'une couleur beaucoup plus brune, que ceux des Ifles plus élevées, & leur caractère fcmble plus farouche; Cette différence provient peut-être de leur poiitîon. La Nature n'y ayant pas répandu fes faveurs avec autant de pro-fufion, que fur les autres, les hommes y recourent fur-tout à la mer pour leur fubfiftance : ils font par conféquent plus expofés au foleil & aux rigueurs du tems, & ils deviennent ainfi plus noirs , plus forts, & plus robuftes ; car certainement ils ont une origine commune. Nos gens n'obférve-rent que des hommes vigoureux, bien faits, &qui avoient fur leur corps la figure d'un poiifon ; emblème de ce qui occupe leur loifir. fk J* .voulus être de cette expédition; quoique du Capïtaike Cook. 279 » maladie de bile me tourmentât toujours beaucoup. Les » Infulaires n avoient d'autre vêtement, qu'un très-petit » morceau d'étoffe autour des reins. Leurs femmes ne » s'approchèrent pas de nous ;mais celles que nous vîmes de » loin, étoient du même teint que les hommes; elles porsi toient un morceau d'étoffe un peu plus large, en forme » de tablier. Les cheveux & la barbe des hommes étoient » ordinairement noirs & bouclés, &i coupés quelquefois : » je remarquai des cheveux extrêmement jaunes â la pointe. » Dès que nous eûmes débarqué , ils nous embraflerent &: * touchèrent nos nez, fuivant la coutume de k Nouvelle-» Zélande. (Edidée, qui nous accompagnoit, acheta phi-» fieurs chiens pour de petits clous, & d'autres pour des » bananes mûres, qui venoient des Marquifes,. Ce fruit » étoit fort eflîmé par les Habitans de l'Ifle - Balìe, qui » le reconnurent fur-le-champ. Il paroît donc qu'ils ont » des liaifons avec les Hautes-Ifles, puifque les bananes ne » croifîènt jamais fur leurs bancs de corail déchaufTés. » Les chiens n'y ibnr pas d'une race différente de ceux » des Ifles de la Société ; mais- ils. ont un joli poil long , de » couleur blanche. (Edidée étoit fort emprellè d'en acheter, » parce que, dans fon pays, on fait mage de ce poil pour » orner lescuiraffes des Guerriers. Nous entreprîmes daller directement dans le bocage, au-deillis duquel étoient » fituées les habitations des Guerriers} mais les Naturels » s'y oppoièrcnr, & nous longeâmes la pointe, recueillant » diverfes plantes, & en particulier du cochléaria , qui » étoit commun, & qui fembloit tres - íalubre. Les Infu-» laires nous apprirent qu'ils briient cette plante, qu'ils Itf. » mêlent avec des coiffons à coquilles, & qu'ils la jetteac • » dans la met, iorfqu'ils apperçoivent un banc de poiiîons. Avril?74* * Cette amorce enivre les poiiîons pour quelque tems, Se » alors ils viennent fur la furface de l'eau, où on les prend » aiícment. Ils donnent à cette plante utile le nom à'Ë- *> now. On y trouve auifi une grande quantité de pourpier, » reifemblant au pourpier ordinaire, Se que les Naturels •» appellent E-toorée. Cette plante croît aux Mes de la » Société, Se fert de nourriture au Peuple. Plufieurs arbres » de cette lile fe rencontrent aux Ifles de la Société, Se » j'y ai remarqué des plantes que nous ne connoiifions pas © encore. » Le sol eft extrêmement maigre ; des bancs de corail; » très-peu élevés au-deiTus de la furfàce de l'eau, fervent » de fondement : ils font revêtus d'un fable groifier blanc, n mêlé de débris de corail Se de coquillages, Se d'une couche » très-mince de terreau, » En faisant le tour de la pointe, nous arrivâmes der-» riere les habitations , Se nous découvrîmes une autre » pointe, qui fe projetoit dans la lagune , Se formoit » une efpèce de baie, dont la côte eft entièrement garnie » d'arbrifieaux S¿ de bocages. L'eau eft très - baife entre les » deux pointes : nous apperçûmes un grand corps de Natu-» relsqui y paíferent lamer, & qui traînoient leurs piques » après eux. Gagnant à Imitant les buiftbns, nous vînmes » à côté de quelques huttes, dont les Habitans étoient t> fur la greve : nous n'appereûmes que des chiens, dans » l'intérieur de ces huttes très-petites, baifes Se couvertes * d'une efpèce de claire-voie de brauches de palmier. Les p remifes » remués de leurs pirogues font compofées exactement des —""""!" -~ » mêmes matériaux, mais un peu plus larges: j'y trouvai des A N Avril 4' => pirogues très-courtes, mais fortes & épointées aux deux » bouts, avec une quille aiguë. En arrivant à la greve, nous » nous mêlâmes parmi les Naturels, qui furent fort étonnés » de nous voir fortir de leur village. *> Sur ces entrefaites , (Edidée nous aidoit â caufer w avec les Infulaires t qui nous dirent qu'ils ont un Chef, ou » un Aréekée. En tout, leur langue approche beaucoup du » dialecte de Taïti, excepté que leur prononciation eft plus » grolïïcre & plus gutturale. « Les hommes du renfort dont on a parlé plus haut, étoient » armés de longues mailues, ou de pieux arrondis & courts, » & de piques longues de quatorze ou de neuf pieds, gar-» nies de queues dentelées de raies. Nous nous hâtâmes » alors de nous rembarquer; 8¿, entre les divers mouve-» mens, d'hoftilité, d'attaque &c de rule que nous remarsi quâmes, ils parurent contens de notre départ: quelques-» uns jetèrent, près de nous, de petites pierres dans l'eau , » & tous fembloient fiers de nous avoir épouvantés. Ils » parlèrent beaucoup, & très-haut, après que nous fûmes » en mer ; & enfin ils s'aifirent le long de la greve, à l'ombre » des arbres. Dès que nous fûmes à bord, le Capitaine fît » tirer pardeffus leurs têtes, &, dans la mer, devant eux, » quatre ou cinq coups de canon, pour leur montrer quelle » étoit notre puifîànce. Les derniers boulets fur-tout, les » effrayèrent tellement, qu'ils quittèrent tous cette pointe Tome IL Nn ——1 » avec la plus grande précipitation. Ils ne nous vendirent pas l?.là*' » plus de trente noix de cocos èc de cinq chiens. » M. Byron rencontra, fur cette Ifle , des puits, qui » contenoient peu d'eau douce, mais qui cependant fuffifoient: » à la confommation des Infulaires. Ce Navigateur décou-» vrit auifi, dans les bocages, des cimetières de pierre, qui m relfemblent tout-à-fait aux maraïs des Taïtiens ; ils iuf- pendoient également, aux branches d'arbres des envi-» rons, des offrandes animales ou végétales. Cette circonf-» tance, la figure, les mœurs & la langue du Peuple, m donnent d'ailleurs lieu de croire qu'ils ont beaucoup de » rapport avec les Habitans plus fortunés des Ifles montueu-» fes du voiiînagc. » Les vastes lagunes, qui font en-dedans de ces Ifles w circulaires, font probablement des réfervoirs abondans » de poilfons, qui leur fourniffent une fubfiftancc aiîurée. « La partie fablonncufe des bancs, eft un lieu où les tor-» tues peuvent commodément dépofer leurs ceufs ; &¿ il » paroît, par les débris que trouva l'équipage du Dauphin, » qu'ils favent prendre ces gros poilîbns, dont la chair doit a? être un régal pour eux. Le peu de plantes qui croiftènt « autour eft très utile, & leur facilite des moyens de pêcher : *> quelques arbres font fi gros, que de leurs troncs on peut ■-<> faire des pirogues, &, avec leurs branches, des armes Si =» des outils. Le cocotier, la principale richelîè de plufieurs » Nations du Globe, eft auilî pour eux d'une utilité infinie. » Les noix qu'il, porte donnent, quand elles font vertes. * dune pinte à une quarte de liqueur limpide, d'une dou- s » ccur agréable & d'une faveur particulière : cette boilfon 5 An %¡¿7*' » fraîche, eft excellente pour éteindre la foif dans un climat « chaud. Quand la noix a pris de l'accroilTement, la moelle, x¡ qui reifemblc d'abord à de la crème, fe forme; elle de-» vient enfuite ferme & huileufe comme une amande, & » elle eft très-nourrilîantc: on en exprime fouvent l'huile, => dont ils fe peignent les cheveux & tout le corps. La coque » dure fournit aux Naturels des coupes, & la bourre filan-» drcuië qui l'enveloppe,des cordages fort élaftiques, qui ne » s'ufent guères par le frottement ; &, en outre , diftérens » meubles & outils : les longues feuilles ou branches à pana-n ches, qui s'élancent du fommet de la tige, couvrent leurs * maifons, &: en les treifant on en fabrique des paniers: » lccorce intérieure donne une efpèce de vêtement qui « fufrit dans ce climat j &, lorfquc la tige ne poulfe plus de » rejetions, on l'emploie encore à la conftruétion des huttes, « ou à la mâture d'une pirogue. Cutre les poilfons & les » végétaux, ils ont aulïî des chiens qui font icTryophages, & » que les Habitans des Ifles de la Société trouvent bons à m manger. Ainfi, fur ces miférables bancs de rochers, la » Nature produit ce qui eft néceilaire à la fubfiftance d'une » race entière d'hommes. On fait que le corail eft l'ouvrage » d'un ver, qui agrandit fon habitation à mefure que la » grolfcur de fon corps augmente. Ce petit animal, qui a paroît il infenfible qu'on le diftingue à peine d'une plante, » conftruit un édifice de roches, depuis un point du fond de » la mer, que l'art humain ne peut pas mefurer, jufqu'à la » lu r face des flots, & il prépare une bafe aifurée à la réfi-» dence de l'homme, Nn: ■ "» Le nombre de ces Ifles bailes eíl très-grand, & on eft NNÂvri3.7 " kien éloigné de les connoître toutes; il y en a dans toute » l'étendue de la mer Pacifique, entre les Tropiques. Elles » font fur-tout très-communes l'cfpacc de dix ou quinze » degrés à l'Eft des liles de la Société. Quiros, Schouten, » Roggewin , Byron, Wallis, Carteret, M. de Bougainvilie » & Cook font tous tombés fur de nouvelles dans leur » route ; &, ce qui eft plus remarquable, ils les ont vu habi- » tées à deux cens quarante lieues à l'Eft de Taïti. A chaque » nouvelle route,les vaiifèaux rencontreront probablement » d'autres Ifles de cette efpèce, & fur-tout entre le feizieme » & dix-feptieme degré de latitude Sud : aucun Navigateur » n'ayant encore reconnu ce parallèle du côté des liles de » la Société. Il feroit digne des Phiiofophes de rechercher » pourquoi ces Ifles font fi nombreufes & forment un fi *> grand Archipel au vent de celles de la Société, tandis » qu'elles font difperfées au loin les unes des autres, au- » delà de ce grouppe d'Ifles montueufes. Il eft vrai qu'il y a » un autre Archipel de bancs de corail à l'Oueft; ( je veux » parler des Ifles des Amis) mais celles-ci font très-diffé- » rentes de paroiiTent beaucoup plus vieilles ; elles occupent » plus d'efpace, 8¿ elles renferment allez de fol pour que ¡» les productions végétales des hautes terres puiifcnt y » croître. « 18. Le 18 , à la pointe du jour, après avoir palle la nuit à faire de petites bordées, j'arrivai fur une autre Ifle, que nous voyions à l'Oueft: à huit heures, nous rangeâmes la bande S. E. à un mille de la côte. Nous la trouvâmes pareille en tout à celle que nous venions de quitter. « Elle préfence des bou- » quets nombreux d'arbriffeaux & d'arbres, & elle eft ornée ~~—lu—». » de beaucoup de palmiers. » Elle sctcnd N. E. Si S. O. ^¿J¿7* lefpace de près de quatre lieues, Si elle a de trois à cinq milles de large. Elle gît S. O. \ O. à la diftanee de deux lieues de l'extrémité occidentale de Tiookéa; Si le milieu eft par 14a 37' de latit. Sud Si 145a 10' de longit. Oueft, Ces liles doivent être les mêmes auxquelles le Commodore Byron a donné le nom d'Iflcs de George. Leurpofition en longitude, déterminée par des obfervations de lune, faites près de la côte, corrigée en outre par la différence de longitude, me-furée avec la montre marine jufqu'à Taïti, eft de 3 a 54' plus à l'Eft que ne le dit le Commodore. Je penfe que cette correction peut s'appliquer à toutes les Ifles qu'il a découvertes. Apres avoir dépaffé ces Ifles, je mis le cap S. S. 0.;0.& S. 0.1 S., avec un bon vent d'Eft ; différens foies, Si fur-tout une met tranquille, nous annonçoient terre, &¿, le 19 ) r ^ à fept heures du matin, on en vit une à l'Oueft : j'arrivai delfus, Si atteignis l'extrémité Sud - Eft à neuf heures. C'étoit une autre de ces Ifles fubmergées, ou à moitié inondées, fi commune?dans cette partie de l'Océan ; c'eft-à-dire, une ceinture de petites liles, jointes cnfemblepar un récif de rocher de corail. En général, l'Océan eft par-tout incom-menfurable en-dehors de la bordure : tout l'intérieur eft couvert d'eau, & on m'a dit qu'il y a beaucoup de poiffons Se de tortues dont fe nourriilènt les Naturels. Ceux qui habitent les parties bailes, donnent quelquefois des tortues aux Habitans des parties hautes, pour des étoffes, Sec. Ces golfes feroient d'exccllens havres, iî les bâtimens —■ pouvoicrit y aborder. Si on en croit les Habitans des autres jW liles, on peut entrer dans quelques-uns. Les Européens n'ont pas fait, iur cela, des recherches aífez exactes; le peu d'efpé-rance d'y trouver de l'eau douce, a communément découragé toutes leurs tentatives. J'en ai vu un grand nombre, mais je n'y ai pas apperçu une feule palle, «Une foule d'Insulaires couroient le long du rivage ■ tenant des piques à la main. La lagune du milieu paroif-» foit trés-fpacieufe, & plufieurs pirogues y marchaient à la » voile. Il me paroît que les cantons les plus élevés & les j? plus fertiles fur les rochers de corail, font ordinairement » fous le vent, à l'abri de la violence de la houle. Mais il y » a rarement dans cette mer des tempêtes allez fortes pour m que l'habitation de ces Ifles foit dangereufe; &, lorfque » le tems cil beau, il doit être agréable de naviguer iiir x » les vagues tranquilles de la lagune , tandis qu'en dehors » l'Océan eft agité d'une maniere dólagr cable. » Cette Isle gît par 1jd tJS! de latitude , & 146a zo de longitude : elle a huit lieues de long dans la direction du N. N. E. & du S. S. O. fa largeur eft d'environ trois lieues. En approchant de l'extrémité méridionale , on découvrit, du haut des mâts, une autre lile balle au S. E. à environ quatre ou cinq lieues ; mais, comme elle écoit au-delfus du vent, je ne pus pas l'atteindre. Bientôt après une troifieme parut au S. O. S. je gouvernai deifus ; &, à deux heures après midi, j ctois en travers de l'extrémité E. fituée par 15a 47' de latitude S. & r 46a 3 o' de longitude Oueft. Elle s'étend O. N. O. & E. S, E. ; fa longueur eft de fept lieues. dans cette direction; mais ^clle n'en a pas plus de deux de g,"" ? largeur. Elle rciTcmblc à tous égards aux autres. Seulement An^v¿/74, il y aun peu moins d'iflots, & la terre, fur le récif, qui enferme le lac , eft un peu moins ferme. En rangeant la côte Nord à la diftanee d'un demi-mille, nous vîmes des Infulaires , des huttes, des pirogues & des efpèces d echafauds, confia uits, à ce qu'il nous parut, pour faire fecher du poiiTon. Les Naturels paroiifoient de la même race qu'àTiookéa, & ils étoient armés de longues piques comme eux. En ferrant l'extrémité C). nous découvrîmes une quatrième lile au N. N. E. Elle fembloit baife comme les autres, & elle gît à l'Oueft de la premiere Ule , à la diftanee de lîx lieues. J'ai donné à ces quatre Ifles le nom de Pallifer, en honneur de mon digne ami Sir Hugues Pallifer, Contrôleur de la Marine. « Je crois que la plus fcptentrionale eft l'Ille pernicieufe » fur laquelle Roggewin perdit la galere XAfricaine : le » gouvernail de chaloupe que M. Byron (a) trouva fur » Tiookéa, qui eft à peu de diftanee de ces Ifles, femble » confirmer mon opinion. j> Ne voulant pas marcher plus loin dans l'obfcurité, je pallai la nuit à faire de petites bordées fous les huniers, &c le 10 , à la pointe du jour , nous doublâmes l'extrémité iy# Oueft de la troificme Ifle, & nous atteignîmes tout-de-fuirc une grolle houle qui venoit du Sud , ligne certain que nous étions hors de ces Ifles balles j & , comme nous ne voyons plus de terre , je mis le cap S. O. - S. pour Taïti, profitant d'un («) Voyez la Collection d'HawkiVorth, Vol. L -. vent fort de l'Eft , accompagné d'ondées de pluie. Malgré vril77^' l'°pinïon c^c M. Forftcr,on ne peut pas déterminer avec quelque degré de certitude, fi le grouppe d'Ines, que nous venions de depaifer, fait partie de celles qu'ont découvert les Navigateurs Hollandois : car ils ne nous en ont pas tranfmis la poiition avec allez d'exactitude. Il eft cependant néceiîaire d'obferver que la partie de l'Océan, qui s'étend du 2,0e, au 14e ou 1zd de latitude , eft il remplie de ces Ifles-Balîès, qu'un Navigateur ne peut pas prendre trop de précautions dans fa marche. « Il n'est pas possible de décrire la joie que relfentit » l'équipage, voyant qu'on portoit le cap fur Taïti. Aifurés » de la bienveillance des Infulaires, nous regardions cette * lue, comme une feconde patrie. Nos malades comptoient » rétablir leur fanté, en fe promenant ou fe repofant à » l'ombre de les bocages frais, Se en partageant les mets n délicieux des Naturels. Ceux qui étoient bien portans, « eipéroient y acquérir une nouvelle vigueur , Se faire une « provifion de forces capables d'affronter les périls Se les » fatigues qui nous attendoient. Le Capitaine étoit fur d'y » trouver aifez de rafraîchillemens pour achever heureufe-» ment fon expédition : l'Aftronome deliroit beaucoup d'éta-n blir fon obfervatoire à terre, afin de remettre en marche » le garde-tems qui s'étoit arrêté, après notre départ de la » Nouvelle-Zélande : nous n'étions pas' moins emprefîés d'y » aborder, afin de compléter notre collection de Bota-» nique, que notre court féjour, pendant le premier hiver, » avoit rendu très-imparfaite. » (Edidée » (Edidée étoit peut-être plus empreñe que nous tous de —*........... » voir Taïti, où il n avoit jamais été, quoique plufieurs de *tm\*>J7*' » fes paren» Se de fes amis y fiffcnt leur réfidence. Comme » les Naturels des Ifles de la Société, la regardent comme » la plus riche Se la plus puilfante ; comme nous lui avions » dit fôuvent la même chofe , (a curiofité étoit encore plus » vive : d'ailleurs, ayant raiìemblé un grand nombre de » curiolités, il comptoit qu'elles le rendroient un perfiniri nage important parmi fes Compatriotes , Se il avoit acquis n tant de nouvelles idées, Se vilité des pays lì lointains Se il » inconnus, qu'il efpéroit attirer les regards Se l'attention » du fien. Il étoit ravi de penfer que chacun le careifcroit, 5» qu'il vivroit dans l'intimité avec nous en préfence des » Indiens ; qu'il leur apprendroit nos ufiges Se nos manieres, *> Se pardeifus tout qu'il s'amuferoit avec nos armes à feu. » Sans doute, il fouhaitoit auifi de rendre fervicc à fes Com-«> pagnons de Voyage , qu'il aimoit d'un attachement fin-*> cere , Se dont il étoit généralement citimé. » Nous découvrîmes la haute terre de Taïti le i r j Se, à midi, nous nous trouvions à environ treize lieues à l'Eft de la Pointe-Vénus , fur laquelle je gouvernai : étant à-peu-pres par fon travers , au coucher du foleil, nous diminuâmes de voiles Se louvoyâmes toute la nuit, qui fut tarTaleufe Se accompagnée de pluie. « Chacun contemploit la Métropole des Ifles du Tro-*» pique ; Se, quoique je fullc très-malade, je me traînai fur » le pont, pout jouir de la vue de cette terre, où j'elpérois » trouver la fin de mes maux. Je m'éveillai dès le grand Tome 11. Oo ¿9° Voyage = » matin, & je fus auifi furpris de ce charmant coup-d'œil, ÏL " ^ ÇCuC ^ ^ Prcm*ere ^ols °iue je 1 examinois. L'lile » étoit infiniment plus belle alors que huit moi» auparavant. » Les forets , fur les montagnes , revêtues d un nouveau » feuillage , fembloient étaler avec complaifance la variété » de leurs couleurs : j'appercevois des cantons agréables fur » les collines inférieures , parées d'une robe de verdure. » Mais les plaines fur-tout brilloient par lcclat de leurs » couleurs : les teintes les plus vives embelliiloienr ces fer-* tiles bocages ; en un mot y rout rappelloit à noue elprit » l'iïle enchantée de Caiypfo. Ille terrarum mihi prêter omnes, Angulus rider. Horat. » L'imagination & les yeux revoloient fans ceffe vers » ce délicieux payfagc \ Si ce qui accroilfoit nos plaifirs, en a» longeant la côte, nous découvrîmes des lieux que nous » avions déjà parcourus. » Quand les Infulaires nous apperçurent , ils mirent m leurs pirogues en mer Si nous apportèrent des préfens de » fruit. Parmi les premiers, qui vinrent à bord, il y avoit » deux jeunes gens d'un certain rang, que nous fîmes entrer » dans la chambre du Capitaine, où on leur préfenta (Edidée. » La polirefic de la Nation vouloit qu'ils lui offriiTent en » dons des vêtemens : & à l'inilant ils ôterenr les leurs , a» qui étoient d'une étoffe fine , Si ils les mirent fur fes » épaules. Pour les remercier, il leur montra tous fes tréfors, » & il leur donna quelques plumes rouges auxquels ili » attachoient un grand prix. » Le lendemain, au matin, à iìx heures , je mouillai dans " ' ' la baie de Matavai par fept braifes. Dès que les Naturels en i^'j^uÎ furent informés, plulieurs vinrent nous témoigner leur joie de nous revoir. Comme je relâchois dans cette place , principalement afin de donner à M. Wales, une occafion de connoître l'erreur de la montre par la longitude obfcrvée, Se de déterminer de nouveau la marche des gardes-tems ; la première çhofe qu'on fit, fut de débarquer fes inílrumens & de dieíler une tente pour la réception des foldats & de tous ceux qu'il faudroit envoyer à terre. Nous n'avions perfonne de dange-reufement malade ; les rafraîchilîemens pris aux Marquifes » avoient écarté le feorbut. . « Tandis que le Capitaine , le Docteur Sparrman & » mon Pere allèrent à terre, la maladie me retint à bord j » je m'amufai à faire des échanges par les fenêtres de ma » chambre : des Naturels me vendirent bientôt des fruits, » des mullets & des bonites, qu'ils apportoient en vie dans » une efpèce d'auge, placée entre les deux corps d'une » double pirogue , & garnie, aux deux extrémités, d'un » ouvrage d ofier , par où l'eau entroit. Je me procurai des » poiifons curieux ; mais nos Meilleurs ne rapportèrent rien » de nouveau de leur excurfion. Ils avoient trouvé tout le » pays plus brillant qu a notre départ ; une verdure écla-» tante , des arbres chargés de fruits , des ruilfeaux qui * rouloient leurs ondes à plein lit, & un grand nombre de » nouvelles maifons confiantes. (Edidée, qui les accom-» pagna à terre, ne revint pas le foir ; il avoit rencontre Oo z 1^1 v o y a g e - » plufieurs de fes parens, &: en particulier une feeur nom- Avril. ' w m€C Teïàa, une des plus jolies femmes de l'Ifle , mariée » à un homme grand 8c bien fait, appelle Noona, perfon- »3 nage d'un certain rang 8c natif d'Uliétéa. Sa maifon, très- » vaile, étoit iituée près de nos tentes, feulement à environ » cent verges au-delà de la riviere. (Edidée avoit quitté fes » vêtemens Européens avant d'aller à terre, 8c mis ceux que » fes Amis lui avoient donné. Il changea de coitumeavec n un degré d'empreflement 8c de plaifir, qui montroit la » prédilection pour les ufages 8c les moeurs de fon pays. Il 33 ne faut pas s'étonner qu'un Naturel des Ifles de la Société » préfère la vie heureufe , les alimens iains, & les habits 33 limpies de fes Compatriotes, à l'agitation perpétuelle , » aux mets dégoûtans, 8c à la parure gênante & bizarre » d'une troupe de Navigateurs Européens, puifqu'on voit » les Eskimaux retourner joyeufement dans leur affreux 33 pays, fe nourrir de la peau 8c de l'huile ranee de baleine , as après avoir mangé à Londres des viandes fubftantielîcs, » 8c joui de la pompe des vêtemens, 8c de la magnificence ■» de cette grande Capitale, ■» (Ëdidiïe fut traité ainfi qu'il l'cfpéroit ; tous les Taïtiens » qui le virent le regardoient comme un prodige : ils lui » offrirent les mets les plus exquis , plufieurs vêtemens »> complets, 8c les nymphes de la contrée lui prodiguèrent » leurs faveurs. Il aimoit le plaifir comme tous les enfuis de 3. la Nature : privé de femmes pendant long-tcms, 8c ayant » pris peut-être du goût pour la débauche , en fréquentant » les Matelots, il ne manqua pas d'en profiter , 8c il ne » revint plus guères à bord. Ce qui lui donnoit le plus de » goût pour refter à terre, c'cft qu'il pouvoir aifément y fatis- ■■ . ! » faire tous fes defirs. D'ailleurs le vaiileau, fous un climat An avn{74* m chaud, eif un afyle peu commode pendant la nuit. Il y î> auroit été enfermé dans une chambre étroite &z puante , » au-lieu que fur la côte il refpiroit un air pur , embaume » de parfums agréables, & rafraîchi par un vent de côte, w exactement pareil au zéphir, dont parlent tant les Poetes. » Enfin l'heureux (Edidée goûta des jouiilanccs dont nous » fommes incapables de fentir le charme. *> Dès le premier foir , les Matelots appellercnt des » femmes à bord, & les excès de débauches qui s'y paf-» feront, font incroyables. J'ai déjà remarqué que les Taï-» tiennes qui fe proliitucnt, font toutes dune claífe co:n- * mime, ou même de la dernière : j'ajouterai que c'étoient * les mêmes qui avoient fi fouvent vendu leur pudeur, lors » de la première relâche. Il eft donc clair que ces filles de » débauche forme une claile parmi leurs Compatriotes, & r> que l'impudiciré eft loin d'être univerfclle , comme on » l'a afliiré, & comme on fa cru. O-maï dira peut-être, dans » fa patrie, qu'il ne connoît pas la chafteté en Angleterre, » parce qu'il n'a point trouvé de cruelles fur les trottoirs » du Strand. » ;rorn.'fioq rrjltad aóJ.sorudliü'jb ria uocimo? zr.q on worJ virSï « Le 23 , le tems fut pluvieux. Nos bons Amis , les Nam- %h tels, nous fournirent aÉfòz de fruits &c de poiifons, pour eu fervir aux deux équipages. « Le Docteur Sparrman & mon Pere avoiept été à terre » tout le jour, & ils revinrent après le coucher du folcii. » Iisayoient pénétré jufqu'au ditirict d'O-Pane, à travers : » la colline One-Trée. Ils y rencontrèrent la mere de Too-' » tahah , & Happai, le pere du Roi, & ils firent de petits » préfens à l'un & à l'autre. Un Naturel leur rendit plufieurs a» bons offices ; il fe précipita à la nage , & il alla chercher » au fond d'un étang des canards fauvages qu'ils vcnoicnt » de tuer : ils marchèrent enfuite jufqu'à fia demeure, placée » à au moins dix milles à l'Oueft de la Pointe-Vénus. Il » prépara pour eux des fruits ; il fit une efpèce d'excellent n pudding en mêlant enfemble de la moelle de noix de » cocos & de la racine d'eddy émiettée : il cueilloit, fur les » arbres des environs de fa hutte, des noix de cocos qu'il y> offroit à fes hôtes au moment où il les détachoit du pal-» mier. Après dîné, il leur préfenta un vêtement d'une » étoffe fine, parfumée, & il les accompagna au vaiileau » en apportant des fruits \ il coucha à bord, &C s'en alla le » lendemain , enchanté des couteaux, des clous & des 3> grains de verre qu'on lui donna. Le Docreur Sparrman 33 de mon Pere virent, près de la maifon du Roi, deux » chèvres que le Capitaine Furneaux lui avoit lailfé. » Je me hasardai à aller à nos tentes le matin; mais, » après avoir fait environ trente pas, je fus obligé de m'af 33 fêoit pout ne pas tomber en défaillance.Les belles pommes, *» que les Naturels mettoient en vente, paroiffoient fi bonnes, » que je tranfgreifai l'ordre pofitif du Médecin; &, dès que » j'en eus mangé une, je retournai à bord. Tandis que je » fus à terre, nos gens n'achetèrent pas moins de cinquante »3 groffes bonites pour des clous de fiche & des couteaux, »> & aifez de fruits pour en fervir de fortes portions à tout *» l'équipage. A mon retour, je vis dans les fers un Taïnen, 9* qui étoit déjà venu à bout de voler des clous. Plufieurs » de fes Compatriotes , d'un rang diifingué , intercédèrent » en fa faveur , ÔC offrirent des bonites pour obtenir fa » liberté. On y confentit ; mais on les avertit que déformais » les voleurs feraient punis impitoyablement. » Les femmes, qui avoient paffékpremiere nuit à bord , » revinrent ce foir, accompagnées de plufieurs autres, de forte » que chaque Matelot eut la fienne. La nuit fut très-belle » &Ia lune charmante\ &, comme nous célébrions la Fête » de S. George, Patron de la Grande-Bretagne, ils mêlèrent » les plaifirs de Vénus aux orgies de ces anniverfaires. » Le z4, le Roi O-Too & plufieurs autres Chefs , fuivis d'un nombreux cortège , nous rendirent vifite , & nous apportèrent en préfent dix ou douze gros cochons, outre des fruits : nous les accueillîmes le mieux qu'il nous fut poiTïble. Je fus averti de l'arrivée du Prince , & fon em-preffement me parut de bon augure. Sachant combien il étoit de mon intérêt de gagner fon amitié , j'allai à fa rencontre près de nos rentes, & je le conduits fur ma chaloupe, ainfi que fes Amis, à bord ,où ils réitèrent à dîner. Ils partirent enfuite chargés de prélens , & très-contens de notre réception. « Le Roi étoit accompagné de fa fœur Towraï & de »■ fon frere, & il ne montroit plus cette défiance qu'il avoit » lors de notre premiere relâche. Il demanda fur-tout des » plumes de perroquet rouge, qu'il appelloitcwû. Les petits e préfens de ce plumage précieux qu'CEdidée fit à fes Amis, = ■ 35 donnèrent fans douce occaiion aux demandes du Prince: Avril, w cherchant à Imitant tout ce que nous avions raifemblé aux » Ules des Amis, nous en trouvâmes une quantité coniidé- » rabie, que nous ne jugeâmes pas à propos de montrer tout =» à-la-fois. J'ai déjà dit plus haut que quelques-unes de ces » plumes croient collées fur une piece d'étoffe, très-près les » unes des autres, &: que plufieurs étoient répandues fur des » étoiles eifelées de trognon de noix de cocos : nos hôtes en » rcçurcntfepc ou huit de la premiere efpèce, & une ou deux » étoiles, & ils s en allèrent fort fatisfaits. Ils mettent un prix » ineftimiblc à ces plumes rouges, dont les Guerriers ornent » leurs vêtemens, & dont ilsfe fervent, peut-être, dans les » grandes folemnités. » 15. Le lendemain, nous eûmes beaucoup de tonnerre, d'éclairs & de pluie, ce qui n'empêcha pas le Roi de me faire une feconde vifitc, &dc m'apporter une grande quantité de rafraîchilîèmens pour avoir de nouvelles plumes rouges de parrot. Les principaux perfonnages des deux fexes s'efforcèrent de gagner nos bonnes grâces, en nous amenant des cochons, des fruits, &c tout ce que produifoit l'Ifle, afin d'obtenir auifi de ces plumes. Il fut heureux pour nous d'en avoir beaucoup, car notre fonds de marchandifes étoit alors fort épuifé : de forte que, fans elles, il m'eût été difficile d'appro-vilionncr le vaiifeau des rafraîchilîèmens néeeflàircs. « Notre ami PoTATow,fafemmcdumoment,Whainee-» ow &Polatehera, fa premiere femme, vinrenr auilî nous » voir : ils étoient attirés par l'éclat de nos plumes rouges, ». & ils ne négligèrent rien afin d'en avoir; ils donnèrent » les » les plus gros cochons pou; de petits morceaux d étoffe -■■ - » garnis de ces plumes. AN Anü.74' » Le tonnerre du matin avoit été très-violent, & pour » plus de sûreté, on plaça une chaîne de cuivre au haut du » grand mât : à Imitant où un des Matelots venoit de 1 oter * du milieu des hautbans, Se de jeter l'extrémité au-delà » le platbord, un éclair terrible s'élança pardeñus le vaiileau¡ » Se nous vîmes la flamme s'écouler le long de la chaîne; il » fut fuivi d'un coup de tonnerre épouvantable, qui ébranla » tout le bâtiment, au grand étonnement des Européens Se » des Taïtiens qui étoient à bord. Cette explofion ne nous » caufa pas le moindre dommage, ce qui prouve l'utilité de » la chaîne électrique , ii bien démontrée d'ailleurs, tandis » que l'Endéavour étoit à Batavia (a). » J ETOis décidé à ne relâcher fur cette Ifle que jufqu a ce que M. Wales eût fait robiervation dont j'ai parlé ; je croyois que nous n'y aurions pas plus de fuccès que l'année précédente ; mais la maniere dont on nous recevoir, Se les excurfions que nous fîmes dans les plaines de Matavai Se de d'O-parrée, me convainquirent de mon erreur : nous trouvâmes qu'on venoit de conftruire, Se qu'on confi:ruifoit encore dans ces deux places une grande quantité de groilès pirogues &demaifons de toute efpèce ; que le même Peuple, qui, huit mois auparavant, n'avoir pas d'afyle pour s'y mettre à l'abri,vivoit alors dans des habitations ipacieuies; plufieurs (a) Voyez U Collection d'HawklVorch ; Tome IV, de la Tradu&ion Prançoife. Tome II. Pp gros cochons rodoient autour des cafes, 6¿ on appercevoif iN Avril.' ailleurs la profpérité d'un état naiiTant. ce Nous avions déjà » tant décochons, qu'il fallut taire une érable à terre, & » l'on fe fouvient qu'en 1773, c'étoit une faveur, lorfque le » Roi ou le Chef vouloit bien nous en céder un feul. » D'après ces favorables circonitànces , je jugeai que ]& ne gagnerois pas à me retirer fur une autre Ifle; je réfolus d'y faire un plus long fejour, & d'ordonner qu'on commençât le radoub du vaiffeau, &c. En conféquence, on porta à terre les futailles vides & les voiles pour les réparer ; on calfata le bâtiment, on raccommoda les agrêts : les hautes lati*; tudes méridionales avoient rendu indifpenfables tous ces travaux, *&. Le matin du 2?j j'allai à O-parrée avec quelques-uns de nos Officiers, & MM. Forfter, pour faire à O-too une vi-fite en forme. En approchant, nous obfervâmes un mouvez ment de quantité de grandes pirogues-, mais nous tumc3 furpris, à notre arrivée, d'en voir plus de 300 rangées en ordre, le long dp la côte, toutes complètement équipées & armées, & fur le rivage un nombre confidérable de Guerriers»' Un armement fi inattendu rafiemblé autour de' nous, dans l'efpacc d'une nuit, excita différentes conjectures : nous débarquâmes cependant au milieu de la flotte : nous fumes reçus par une foule immenfe de Naturels; la.plupart avoit des armes;, mais les autres n'en avoient pas; le cri des der-i niers étoit Tiyo no O-Too, & celui des premiers ~T"iyo no To-wka.Cc Chef, à ce que nous apprîmes par la fuite, .etoit Amiral, ou Commandant de la flotte & des troupes. Au r moment où je mis à terre, un autre Chef, nommé Tee, oncle - I " du Roi, de un de fes Miniftres, vint à ma rencontre. Je lui ¿Vr¿ demandai des nouvelles d'Otoo : Towha vint bientôt me recevoir avec beaucoup de courtoiiie -, il me prit par une main, & Tee par l'autre ,& fans favoir où je defirois aller; ils me traînèrent ainfi à travers le Peuple, qui fe Spara en deux haies, 8¿ qui, de toutes parts, pouiToit vers moi les acclamations d'amitié Tzyo no Tootee. Une partie vouloit me conduire à O too, de l'autre vouloit que je rcítaíle près de Towha. Arrivé à la place d'audience, on étendit une natte fur laquelle on me fit affeoir : Tee me quitta enfuite, de il alla chercher le Roi. Towha m'engageoit à ne pas m'affeoir & à le fuivre; .mais, comme je ne connoiifois pas ce Chef, je n y confentis point. Tee revint bientôt, & iouhaitant me conduire vers le Prince , il prit ma main pour cela. Towha s'y oppofa; de forte que les deux Taïtiens me tirant chacun à eux, me fatiguèrent beaucoup, Se je fus obligé de dire à Tee de permettre à l'Amiral de me mener vers fâ flotte,' Dès que nous fumes devant le bâtiment Amiral, nous trouvâmes deux haies d'hommes armés, delfines, à ce que je penfai, à écarter les fpectateurs, de à m'ouvrir un pailàge ; mais, comme j'étois réfolu à ne pas y aller, je donnai pour exeufe l'eau qui fe trouvoit entre les Pirogues de moi. À Imitant un homme fe jeta à mes pieds, &: m'offrit de me porter. Je déclarai alors pofitivement que cela ne me piai-, foit point. Towha me quitta,' fans que je ville quel chemin il prit ; tout le monde refufa de me le dire. « Ce Towha s'en alla très-froidement, de il paroît qu'il * étoit fâché : il avoit beaucoup d'autorité \ car , au Pp 2 ■ » moment où il s'approcha de nous, les Gens du Peuple Avril * s'écrièrent : Voici Towha, & ils lui firent place avec un » degré de refpeti; qui nous étonna. » En jetant les yeux autour de moi, j'apperçus Tee, qui, je crois, ne m'avoit jamais perdu de vue; je lui demandai des nouvelles du Roi, & il m apprit qu'il étoit allé dans lele pays Mataou, & il me confeilla de me retirer fur ma chaloupe. Nous fiiivîmes fon Confeil, dès que nous fûmes raf-fcmblés,car M. Edgcumbe étoit feul à mes côtés; les autres fe trou voient poulies & confondus dans la foule, comme nous l'avions été. En entrant fur notre chaloupe, nous profitâmes du moment pour examiner cette grande flotte. Les bâtimens de guerre confiftoient en 160 grofïès doubles pirogues de 40 à 5 o pieds de long, bien équipées, bien approviflonnées, & bien armées ; mais je ne fuis pas sûr qu'elles eu fient leur complément de Guerriers 52 de Rameurs, ou plutôt je ne le crois pas. Les Chefs & tous ceux qui occupoient les plates-formes * de combats étoient revêtus de leurs habits militaires; c'eft-à-dire, d'une grande quantité d étoffes ,de turbans, de cuiraffes &: decafques. La longueur de quelques-uns de ces cafques em-barraifoit beaucoup ceux qui les portoient : tout leur équipage fembloit mal imaginé pour un jour de baraillc, & plus propre à la repréfenrarion qu'au fervice. Quoi qu'il en foir, il donnoit sûrement de la grandeur à ce fpe&acle, & les Guerriers ne manquoient pas de fe montrer fous le point de vue le plus avantageux. ,« Le vêtement de ces Guerriers, dont on a déjà dit un » mot, étoit très-bigarré; il confiftoit en trois grandes pièces » à étoffe,trouées au milieu, &pofées les unes au-deffusdes » autres; celle du delîbus & la plus large, croit blanche ; la *> feconde rouge, & la fupéricure & la plus courte brune; » leurs boucliers ou cuiraffes étoient douer , couverts de » plumes & de dents de goulu. Nous vîmes quelques cafqucs » dune grandeur énorme, car ils avoient près de cinq pieds de » haut ; c étoient de longs bonnets doiier cylindriques; la par-» tie de l'avant étoit cachée par un demi-cercle plus ferré, $¿ » qui devenoit plus large au fommet, &il fc détachoit en-» fuite du cylindre de maniere à former une courbe : ce » fronteau, de la longueur de quatre pieds, étoit revêtu paras tout de plumes luifantes, bleues & vertes d'une efpèce de » pigeon, 8¿ d'une jolie bordure de plumes blanches; un » nombre prodigieux de longues plumes de queue des oifeaux » du Tropique divergeoient de fes bords en rayons ; ce qui » reflembloit à l'Auréole dont les Peintres ornent commu-» nément les têtes des Anges & des Saints. Il falloit un grand » turban d'étoffe, pour y placer cette parure incommode; » mais, comme les Guerriers veulent feulement éblouir les » fpe&atcurs, en la mettant, & qu'elle n'en peut-être d'au-» cune utilité, ils l'ôterent bientôt, ôç ils lapoferent furia » plate-forme. Les principaux Commandansfe dilfinguoient » d'ailleurs par de longues queues rondes , compofées de * plumes vertes & jaunes, qui pendoient fur leur dos , ôc » qui rappelloient à notre efprit les Bâchas Turcs; Towha » l'Amiral en portoit cinq, à l'extrémité defquelies flottoient » des cordons de bourre de cocos, entre-mêiés de plumes » rouges ; il n'avoir point de cafque, mais un turban, a» qui fieoit fort bien à fon vifage ; il paroiffoit âgé de 3<=>2 Voyage "" * <>o ansj mais il êtoît extrêmementvigoureux,grand, & * Avriï.7^' * d'une physionomie noble & prévenante. * Des pavillons , des banderoles, &c. décoroient les pirogues j de forte qu'elles formoicnt un ípeótaclc majeltueux ,l que nous ne nous attendions pas à voir dans ces mers. Des maiïucs, des piques &: des pierres compofoient leurs inftru-mens de guerre. Les bâtimens étoient rangés près les uns des autres, la proue tournée vers la côte ; le vaiileau Amiral occupoit le centre : entre les bâtimens de guerre, il y avoit 170 doubles pirogues plus petites, qui toutes portoient un pavillon peu fpacieux, & un mât & une voile , ce dont man-, quoienr les pirogues de guerre. Nous les jugeâmes deftinées aux tranfports, à l'avitaillemcnt, &c., car ils ne laiifent, dans les bâtimens de guerre, aucune efpèce de provifions. Je comptai qu'il n'y avoit pas moins de 7760 hommes fur ces 530 bâtimens : ce nombre paroît d'autant plus incroyable,1 qu'on nous dit qu'elles appartenoient feulement aux diftri&s d'Attahourou & d'Ahopatéa.Dansce calcul, je fuppoie que chaque pirogue de guerre contenoit 40 hommes, Guerriers; ou Rameurs, &: que chacune des petites étoit montée par huit. Quelques-uns de nos MM. évaluèrent à un nombre fupéricur la quantité de monde qu'il y avoit fur les pirogues de guerre; il eit sûr que la plupart fembloit avoir befoin de plus de pagayeurs que je n'en mets; mais je crois qu'elles n'avoient pas leur compier. Tupia m'apprit, dans mon premier voyage, que toute fille ne levoit que 6 ou 7 mille hommes: puifque deux difiricts fourniflbient ce nombre de foldats, fes calculs doivent avoir été ceux des anciens teins; pubien il n'y comprenoit que les Tatatous, c'eft-à-dire ? les nu Capitaine Cook. 303 Guerriers, ou les hommes adonnés aux armes dès leur en- g ■ 1 fance,& non pas les Rameurs, ni ceux qui étoient nécef- Aniavì,ìI74% faires à la manœuvre des autres pirogues: je crois qu'il parloit de la milice fur pied, & non pas de toutes*les forces que Hile peut mettre en campagne au befoin. Cette matière fera difeutée plus au long dans un autre endroit. •« Le spectacle de cette flotte agrandiifoit encoreles idée* » de puiifance ôc de richefles que nous avions de cette Ifle, » èc tout l'équipage étoit dans letonnement: en penfant y> aux o utils que poifédent ces Peuples, nous admirions la » patience & le travail qu'il leur a fallu pour abattre des » arbres énormes, couper & polir les planches, & enfin » porter ces lourds bâtimens à un fi haut degré de perfection.-» C'eil avec une hache de pierre, un cifeau, un morceau de » corail & une peau de raie, qu'ils avoient produit ces » ouvrages. ±> Les deux bâtimens ; qui compofent les pirogues dou-» bles, étoient joints enfemble, par quinze ou dix-huit baux s> de traverfe, qui fe projetent quelquefois fort au-delà des » deux bordages, & qui ont de douze à vingt-quatre pieds de » longueur, Se environ trois pieds & demi de large : quand » ils font il longs, ils font une plate-forme de cinquante,1 » foixante ou foixante-dix pieds de longueur. Lavant & » l'arriére font élevés de plufieurs pieds hors de l'eau, » fur-tout la poupe qui a de longs becs de différentes for-w mes, & de près de vingr pieds de haut. Une étoffe blan-j> che étoit communément placée entre les deux becs de s? chaque double pirogue ; ce qui tenoit lieu de paviHon, &- -- » le vent l'enfle comme une voile. D'autres portoient une ^AvriJ7^' » étoffe bariolée de rayures rouges, qui, à ce que nous » apprîmes dans la fuite, fert à reconnoître les divifions * des divers Commandans. A l'avant,on voyoit une grande » colonne fculptéc, au fommet de laquelle étoit la tête » d'un homme » fouvent peinte en rouge avec de l'ocre. » Des panaches de plumes noires, auxquelles pendoient a> d'autres banderoles de plumes, couvroient ordinaire* 33 ment ces colonnes. Le premier Voyage de Cook donne » la coupe ôc les dimenfions de ces pirogues. » La plate-forme de combat eft érigée vers l'avant de » la pirogue, de appuyée fur des colonnes de quatre à fix m pieds de haut, ornées de fculpture : elle s'étend au-delà » de toute la largeur du bâtiment, & a de vingt à vingt- » quatre pieds de long & environ huit ou dix de large. Les » rameurs font aflis dans la pirogue, ou au-deifous de la 33 plate-forme de combat, entre les baux de traverfe & les » épars longitudinaux ; de forte que par-tout où ces bois « fe croifent, il y a place pour un homme dans l'clpace » intermédiaire. Celles de dix-huit baux &c de trois épars » de chaque coté , outre un épars longitudinal entre les 3» deux pirogues, n'ont par conféquent pas moins de cent » quarante-quatre rameurs, & huit hommes pour les » gouverner, dont quatre font placés à l'avant &: quatre à » l'arriére. La plus grande partie de ces pirogues, ne con* 3* tenoit pas alors tant de rameurs. > » Nous prîmes une chaloupe, & longeant l'arriére des » pirogues, jufqu a l'extrémité delà file, nous remarquâmes » dans s» dans chaque bâtiment, de gros tas de piques & de Ion- ' » Sues malfucs, ou de haches de bataille, drcflées contre la « plate-forme : chaque guerrier tenoit d'ailleurs, à la main, » une pique ou une mallue : il y avoit auifi des amas de grolfes » pierres, les feules armes miffives que nous apperçûmes. »> Nous observâmes , fur quelques-unes des petites * pirogues, des feuilles de bananes ; & les Naturels nous *> apprirent que c'étoit là où on dépofoit les morts : ils don-» noient à ces bâtimens le nom E-vaa no t'Eatua 3 piro-v> gues de la Divinité. -Le nombre infini d'Indiens, ainiï » raffemblés, nous frappoit du moins autant que iafpecr » brillant de cette marine.»». Après avoir bien examiné cette flotte, je defirois beau* coup de revoir l'Amiral, afin d'aller, avec lui, à bord des pirogues de guerre. Nous demandâmes envain de fes nouvelles. Je mis à terre pour m'informer où il étoit; mais il y avoit tant de bruit & tant de foule, que perfonne ne fit attention à ce que je difois. Enfin Tee arriva, ôc me chuchu ta à l'oreille qu'O-Too étoit parti pour Matavai; il me con-feilla de retourner &: de me rembarquer pour defêendrc dans un autre endroit. Je fuivis fon confeil, qui excita dans notre efpuit différentes conjectures. Nous en conclûmes que Towha étoit un Chef puilfant ôc mécontent, qui fe difpofoit à faire la guerre à fon Souverain; car nous n'ima^ ginions pas qu'O-Too pût avoir d'autre raifon de quitter O-Parrée , comme il le fit. A peine fiimes-nous hors d'O-Parréc, que toute la flotte fe mit en mouvement du côté de l'Oueft, d'où clic venoit. Tçmc IL Qcj 3 o6 Voyage En arrivant à Matavai, nos Amis nous dirent quelle faifoit partie d un armement dettine contre Eimco, dont le Chef avoit fecoué le joug de Taïti, & setoit rendu indépendant. On nous apprit encore qu'O-Too n'étoit pas à Matavai , & même qu'il n'y étoit point venu ; de forte que nous ne concevions pas les raifons de fa fuite d'O-Parrée. Ceci nous engagea à y retourner une feconde fois l'après-midi r nous l'y retrouvâmes alors, & nous fûmes qu'il avoit évité de me voir, le matin, parce que quelques-uns de fes Sujets ayant volé plufieurs de mes vêtemens qu'on lavoit à terre, il craignoit que je n'en exigeaffe la reffitution. lime demanda, à diverfes reprifes, fije n'étois pas fâché ; &:, quand je raffinai que non, &c que les voleurs pouvoient garder mes effets,il parut fâtisfait. Towha prit l'alarme,en partie, pour le même fujet. Il penfa que le mécontentement m cm-pechoit d'aller à bord de fon bâtiment, & que je n'aimois pas voir dans mon voifinage tant de forces, dont je ne connoifÎbis pas la deflination. Ainfi,une méprife m'ôta l'oc-cafion d'examiner, avec plus de foin, une partie des forces navales de cette Ifle, & de m'inlfruire davantage de leurs manœuvres. Une pareille circonftance ne fepréfenteraplus y car la flotte étoit commandée par un Chef brave, intelligent &'éclairé, qui auroit répondu à toutes mes queftions; &, comme nous aurions eu les objets fous les yeux, nous nous ferions fûrement entendus les uns les autres. Malheu-reufement (Edidée ne nous accompagnoit pas ce matin ; 6¿ Tee, le leul homme fur qui nous pouvions compter, ne fervoit qu à nous embarraffer davantage. n O-Tqq eut foin de nous conduire à ics habitations,.! du Capitaiw e Cook, 30^7 » travers une campagne, qui reiîembloit à un jardin; des ■ ~ » arbres fruitiers charges de feuillages, les fleurs odoriféran- An*- ^74' » tes des arbuftes & les nappes limpides des ruifleaux, forai moient devant nos yeux un fpectacle mouvant de la plus » grande beauté. Toutes les maifons étoient propres & bien » tenues ; quelques-unes entourées de rofeaux, & d'autres y> ouvertes, comme celles du Peuple. Nous jouîmes plu-» fieurs heures de la compagnie du Prince, de fes parens, » & des principaux perfonnages de fa fuite, qui tous nous » témoignèrent beaucoup d'attachement. La convcriation, » (ans être fort fuivie, fut très-animée; & les femmes, en » particulier, rirent & babillèrent avec une extrême gaieté. » Je remarquai qu'elles s'amufoient fouvent à jouer fur des » mots, ôc leurs traits d'efprit &: leurs faillies, ¿c bonne » humeur, nous divertirent quelquefois. Nous partagions » cordialement le bonheur qui femble naturel à cette Ifle » fortunée, & nous ne peníames à nous rembarquer qu'après » le coucher du. foleil. Le contentement ôc le calme des » Naturels, leur maniere de vivre íimple, Jes déüces du » payfage, l'agrément du climat, l'abondance, la falubrité & » le goût exquis de leurs fruits, tout jetoit nos cœurs dans » le ravilfement.» Nous nous fîmes, O-Too &z moi, des préfens mutuels; &, après avoir pris congé, nous retournâmes à bord. Qq 1 ■ chapitre xii. yijìte que nous jontO- Too, Towha, & plufieurs autres Chefs. Vol commis par un des Naturels; effets de ce vol x & Obférvations ge'nerales fur, cette matière. !~ï ïvE matin du 17, Towha m'envoya deux gros cochons 7H' Se des fruits, par deux de fes domeftiques, à qui il avoit donné ordre de ne rien recevoiren effet, je leur offris des préfens qu'ils ne voulurent point accepter. Bientôt j'allai à O-Parrée, où je trouvai ce Chef Sz le Roi ; &, après avoir refte peu de tems à terre, je les ramenai dîner abord, ainfi que Tarevatoo, frerc cadet du Roi, Si Tee : à l'approche du vaiileau, l'Amiral, qui n'en avoit jamais vu, témoigna une extrême iurprife. On le conduifit dans l'intérieur du bâtiment, oeil en examina toutes les parties avec une grande attention. O-Too faifoit les honneurs, & lui expliquoit touî; car alors il connoiffoit bien la itructiire de la Réfolution: Towha ayant dîné, mit un cochon dans les entreponts, & fe retira,fans que je fuiîe rien: il ne me laiiia pas le tems do le remercier, par des libéralités, de ce préfent, ni de celui qu'ilmavoit fait le matin ; le Roi & fa fuite partirent auifi bientôt. O-Too montroit du rcfpeef. pour ce Chef : il défi-roit que je lui en témoigna fie démon coté; Sz cependant il en avoit conçu de la jaloufic, je ne fais pourquoi. Il nous > avoua franchement, la veille, que Towha n'étoit pas fon ^"~J"~! ami. Ces deux Chefs me follicitercnt, à bord, de les aider :* Aví¿" contre Tiarrabou -, quoique la paix régnât alors entre les deux Royaumes, & on me dit que leurs forces réunies alloient marcher contre Eiméo. Je ne fais pas s'ils me firent cette propoli-tion dans la vue de rompre avec leurs voiiins & leurs alliés, en cas que je promilîc du fecours, ou feulement pour fonder mes difpofitions ; probablement ils auraient embraifé volontiers une occaiion qui les mît en état de conquérir ce Royaume, & de le réunir au leur, comme il l'étoit autrefois. Quoi qu'il en foit, je n'entendis plus parler de ce projet,, & je ne dis rien qui pût les y encourager. « Je fus frappé de l'extrême attention que portofc m Towha fur routes les parties du bâtiment : il admirait la » force & la groiïèur des couples, des mâts & des co-> » dages, & il trouva nos manœuvres 8¿ nos machines il » fupérieurcs à celles de fon pays , qu'il nous demanda plu-» fieurs chorcs, & fur-tout des cables & des ancres. Il étoit 33 alors vêtu comme le refte du Peuple , & nud jufqu'à la 33 ceinture, à caufe de la préfenec du Roi:j'eus peine à le *j reconnoître ; il avoit beaucoup d'enbonpoint &z un ventre 33 énorme, que les longs plis de fes robes militaires cachoient 33 la veille. Ses cheveux étoient gris-argent, & fa phyfio-» nomic la meilleure & la plus prévenante que j'aie jamais » vue fur ces Ifles. 11 matigea de bon cœur, ainfi qu'Otoo , » ce qu'on lui fervit. Le Roi, qui fe mettoit fort à fon aife, 3> ne fe gênoit pas plus que chez lui, & il prenoit plaifir à * inftruirc Towha de nos manieres. 11 lui apprit à fe fervir •* du couteau ô£ de la fourchette, à manger du fel avec Âa 3io Voyage "■" » viande & à boire du vin. Il badinoit fur la couleur rouge Avril77V M ^U V'n ' &aU momenC 0U & a^°*C ^V4CÍ i il difoit que 3> c'étoit du iang. Towha ayant goûté d'une de nos liqueurs 3» compofée deau-de-vic & dcau , voulut goûter de ieau- » de-vie feule , & l'appella E vai no Breiannée, de l'eau de » la Bretagne, & il en but un verre fans faire de grimaces. » Il fut très-joyeux, ainfi que Sa Majefté , & ils montrèrent, » l'un & l'autre , beaucoup de goût pour notre maniere de »* vivre & d'apprêter les alimens. » 2,g. Le lendemain, Wahéatua , Roi de Tiarrabou , nous envoya un cochon ; il demandoiten retour quelques plumes rouges que je renais, avec d'autres chofes, à ion Député, Je ne fprtis pas du vaiifeau ce jour *, mais MM. Forfter , le Do&eur Sparrman, 6¿c. partirent pour les montagnes où ils fe propofoient de paifer la nuit. « Dans la foule de pirogues, qui ne cefloient de nous « entourer , il y avoit toujours des Chefs de dilli icis, qui » nous apportoient des cochons , & ce qu'ils avoient de 33 plus précieux , pour les échanger contre des plumes 33 rouges auxquelles ils mettpient un prix extravagant. Ces » plumes produisirent une grande révolution dans les liai-» Ions des femmes'avec nos Matelots; ceux qui avoient eu 33 foin de faire provifion de cette marchandife précieuiê 33 aux Ifles des Amis, recevoient les careffes des Taïtiennes » & choififlbicnt , parmi elles , celles qui leur plaifoient ?> davantage. Le fait fuivant prouvera quelles tentations 93 irréùibbles ces plumes excitoient dans lame des Tax-i3 tiens, J'ai dit ailleurs que les femmes des Chefs ne » pcrmettoient aucune liberté aux Européens, & que fi, ...... .„,.. . » avant le mariage, les filles accordoient leurs faveurs, les An Avril.7"1'* » époufes ne fouilloient point la couche nuptiale : ce- » pendant un Chef vint offrir fa femme à M. Cook, & la - Taïtienne, fuivant l'ordre de fon mari, elfaya de féduire » le Capitaine , & pour cela elle expofa fes charmes avec » beaucoup d'impudence. Je fus iàché que cette propofition » vînt de la part de Potatow, dont le caractère étoit d'ail- » leurs lans tache \ mais, après nous avoir montré tant de » grandeur , il defeendit à cet excès de baffeife. Sa conduite » nous infpira une indignation que nous ne pûmes pas nous » empêcher de lui témoigner, & nous lui fîmes de fanglans » reproches fur fa foiblcile. Hcurcufcmcnt les Matelots » avoient vendu aux Marquifes une quantité confidérabie » de ces plumes rouges, avant de favoir le prix qu'elles » auraient ici. Si toutes ces richeffes avoient été apportées » à Taïti, il eft probable que la valeur des provifions fe » feroit tellement accrue, que nous aurions obtenu moins » de rafraîchilîèmens que lors de notre premiere relâche, » Une feule plume formoit un préfent d'une extrême valeur p & fort fuperieur à un grain de verre & à un clou ; & * le plus petit morceau d'étoffe, revêtu de ces plumes, » produifoit la folle joie que refleurirait un Européen qui », trouverait le diamant du Grand-Mogol. Potatow nous * apporta fon cafque monftrueux de cinq, pieds de haut, » & il l'échangea contre des plumes \ d'autres fuivirent fon » exemple , & chaque Matelot acheta des boucliers fans » nombre. Ce qui eft plus étonnant, ils nous offrirent ces » habits finguliers, dont on parle dans le premier Voyage » de Cook , qu'ils refuferent abfolumcnt d'échanger en t £$fth\ • ¡y. j » 1769. Ces vêtemens, compofés de produirions les plus ANAvril774' * rares ^C 1 ^C & ^C k mer 1 environne, & travaillés 3> avec un foin & une adrclTe extrêmes , doivent être, » parmi eux , d'un prix confidérable. Nous n'en achetâmes » pas moins de dix, qu'on a rapportés en Angleterre. Le n Capitaine Cook en a donne un au Mufcum : &: mon Pere » a eu l'honneur d'en préienter, à f Univerfité d'Oxford , » un fécond , qui eft dépofé aujourd'hui au Muileum Ash-» moléen. Cet ajuftement remarquable coniîfte en une piatili che légère d'une forme demi-ronde d'environ deux pieds » de long, & de quatre ou cinq pouces de large : la planche » eft garnie de cinq coquilles de nacre de perle choiiies, si attachées à des cordons de bourre de cocos,paifées dans »3 les bords des coquilles, & dans pluileurs trous dont le » bois eft percé ; une autre coquille de la même efpèce , oí mais plus grande , feftonée de plumes de pigeon, grisai bleu, eft placée à chaque extrémité de cette planche, si dont le bord concave eft tourné en haut. Au milieu de » la partie concave , il y a deux coquilles qui forment » enfemble un cercle d'environ iix pouces de diamètre , &C 33 au fommet de ces coquilles, il y â un très-grand morceau » de nacre de perle oblong, s'élargillànt un peu vers i'ex-3j trèmiti fupericure, & de neuf ou dix pouces de hauteur. 53 De longues plumes blanches de la queue des oifeaux du as Tropique, forment autour un centre rayonnant. Du bord 33 convexe de la planche, pend un tifili de petits morceaux » de nacre de perle, qui, par l'étendue Si la forme, ref-33 femble à un tablier : on y compte dix ou quinze rangs 33 de pièces d'environ un pouce &: demi de long, S¿ un dixième de pouce de large j chacune eft trouée aux deux » extrémités » extrémités, afin de pouvoir fe pofer fur d'autres rangs----- i * Les rangées font parfaitement droites & parallèles j les ANA'vr-1774" => fupérieurcs coupées Si extrêmement courtes , à caufe du » demi-cercle de la planche. Les inférieures font aufîi cornai munément plus étroites, Si aux extrémités de chacune » eft fufpcndu un cordon, orné de coquillages, & qucl-» quefois de grains de verre d'Europe. Du haut de la planche « flotte un gland ou une queue ronde de plumes vertes Se » jaunes, fur chaque côté du tablier , ce qui eft la partie la » plus brillante du vêtement. Toute cette parure tient à » une groffe corde attachée autour de la tête du pleureur. 3i L'ajuftemcnt tombe perpendiculairement devant lui \ le » tablier cache fa poitrine Si fon eftomac j la planche couvre » fon col Si fes épaules , &; les deux premières coquilles » mafquent fon vifage. Une de ces coquilles eft percée d'un » petit trou , à travers lequel celui qui les porte , regarde » pour fe conduire. La coquille fupérieure Si les longues » plumes dont elle eft entourée, s'étendent à.au moins deux » pieds au-delà de la hauteur naturelle de l'homme. » Le reste de l'habit n'eft pas moins remarquable. Le » pleureur met d'abord le vêtement ordinaire du pays , « c'eft-à-dire , une natte ou une pièce d'étoffe trouée au » milieu : il place deifus une feconde pièce de la même 33 efpèce , mais dont la partie de devant , qui retombe » prefque jufqu'aux pieds, eft garnie de boutons de coques » de noix de cocos. Une corde d'étoffe brune Si blanche , » attache ce vêtement autour de la ceinture : un large 35 manteau de refeau,entouré de grandes plumes bleuâtres, » couvre tout le dos , Si un turban d'étoffes brunes SL Tome II. R r != » jaunes, retenues par de petites cordes brunes & blanches, 74* 5> eft placé fur la tête. Un ample chaperon de rayures 33 d'étoffes parallèles , & alternativement brunes, jaunes &c 33 blanches, defeend du turban fur le col & les épaules , » afin qu'on ne voie de la figure humaine que le moins » poilible. 3a Ordinairement le plus proche parent du mort, porte 33 cet habillement bizarre i il tient dans fa main deux grandes » coquilles pcrliercs, avec lefquelles il produit un fon con- »3 tinuel, & dans l'autre un bâton armé de dents de goulu 33 dont il blefïe tous les Naturels qui s'approchent, par 33 hafard de lui (a). Je ne fais pas quelle a été l'origine de 33 cette finguliere coutume , mais il me femble quelle eli 33 deftinée à infpirer de l'horreur j & l'ajuítement fan- » taftique qu'on vient de décrire , ayant cette forme 33 effrayante & extraordinaire que les nourrices attribuent » aux efprits & aux fantômes, je fuis tenté de croire qu'il » y a quelque fupcrftition cachée fous ce rit funéraire. » Peut-être imaginent-ils que l'âme du mort exige un » tribut d'affliction & de latmes, & c'eft pour cela qu'ils ap- 33 pliquent des coups de dents de goulu. Quoi qu'il en foit, 33 les Naturels ne nous ont donné aucune lumiere fur ce » fujet. Ils nous parloient fort en détail de la cérémonie 53 & du vêtement ; mais il n'a pas été poifible de nous » faire entendre , quand nous demandions la caufe de » cer 'ufâge. (Edidée découvrit feulement qu'à la mort 33 d'un homme , c'eft une femme qui accomplit le rit (a) voyez le premier Voyage de Cook. d u Capitaine Cook. 31*5 » funéraire ; mais que c'eft un homme, à la mort d'une-------~*- r Ann. 1774. w femmc- * Avril. » En Angleterre , les habits de deuil de Taïti ont » excité tant de curioiité, qu'un Matelot en a vendu un » guiñees. Les Taïtiens, à cet égard, ne le cèdent, en » rien, aux Nations civilifées. Après que (Edidée eut ra-» conté tout ce qu'il favoit des pays qu'il avoit vus, les 3> Chefs nous demandoient, fans celle , des curioiités de » Tonga-Tabbo,Waïhoo, & Waïtahoo (a), plutôt que » des marchandifes d'Angleterre. Les ajuftemens de tête » en plumes des deux dernières Ules, & les paniers, les » maffues & les étoffes peintes de la premiere, leur plai-*> foient extrêmement j ils acquéraient, avec empreflement, » les nattes de Tonga-Tabbo, quoiqu'en général elles « fulTent pareilles à celles qu'ils fabriquent. Nos Matelots 33 profitèrent de cette fantaifie pour les tromper ; ils leur ven-33 doient, fous le nom d'Amfterdam, des nattes achetées » aux liles de la Société. Ainfi, il y a une reflcmblance uni-33 verfelle dans les goûts des hommes de tous les pays. 33 Ce rapport nous parut encore plus frappant, en les »3 voyant écouter avidement les hiftoires d'(Edidée, leur 33 compatriote. Ils le iuivoient toujours en foule ; les vieil-» lards lui témoignoient beaucoup d'eftime, & les princi-33 paux perfonnages de l'Ifle, fans en excepter la famille 33 Royale, rccherchaient fa compagnie. Outre le plaiiir de (a) De l'Ilh d'AmilcrUam , de Tille de Tique & de Sainte-Chritlinc Rr z •■■ » l'entendre, ils obtenoicnt de lui des préfens fort riches : il AVriL n Pauf°it fon tems íi agréablement à terre, où il trou voit, à » chaque pas, de nouveaux Amis, qu'il venoit rarement à 33 bord, à moins que ce ne fût pour y chercher quelques-aï uns de fes tréfors, ou pour montrer le bâtiment à fes 33 connoilïànces, & les préfenter au Capitaine Cook & à 3> fes compagnons de voyage. Ce qu'il racontoir cependant 33 paroiilbit quelquefois trop merveilleux, pour être cru, & » alors les Taïtiens nous demandoient s'il difoit la vé-33 rite. La pluie changée en pierre , les rochers blancs 8¿ 33 les montagnes iolidcs que nous convertillions en eau » douce, & le jour perpétuel du cercle antarctique, leur 33 fembloient fur-tout íi inconcevables, que nous eûmes « peine à le leur perfuader. Ils crurent plus aifément ce « qu'on leur raconta des Cannibales de la Nouvellc-Zé-35 lande, quoique cet ufage les remplit d'horreur. 33 (Edidée , pendant l'excuriion que fit mon Pere aux 33 collines, amena, fur la Réfolution , une troupe de Natu-35 rels,pour leur montrer la tête du Zélandois que M. Pic-» kerfgill confervoit dans de l'efprit-dc-vin. Après qu'on la m leur eut fait voir, de nouvelles foules accoururent bientôt. 33 afin de jouir d'un íi étrange ipecfaclc. Je fus préfent 33 toutes les fois qu'on l'expofa devant eux j. &, ce qui m e-33 tonna, ils ont, dans leur langue, le terme de Te Taè*-Aï, 33 mangeurs d'hommes , qu'ils prononcèrent tous dès le » premier abord. En propofant des queftions fur cette cir-33 conftance extraordinaire, parmi les Chefs & les Infulaires a» les plus intelligens, ils me dirent qu'ils favent par tradi-* tion, que très-anciennement il y avoit fur leurs liles des » mangeurs d'hommes d'une taille très-robufte, & qui eau-........- r 1 1 j 1 f . Ann. 17; » ferent de grands ravages dans la contrée ; mais que cette Avril. » race abominable étoit éteinte depuis long-rems. O-Mai, » avec qui j'ai caule, fur ce fujet, en Angleterre, m'a dit » depuis la même chofe, & en termes encore plus forts. » Faut-il en conclure qu'une troupe de Cannibales defeen-» dirent jadis dans cette Ifle, ou n'efl-il pas évident plutôt, » que les Taïtiens furent autrefois antropophages, avant « d'arriver à ce degré de civilisation qu'ont amené par la » fuite l'excellence de leur pays & de leur climat, & la prosa fuíion de végétaux & de nourritures animales dont ils » jouilfent ? Plus on examine l'Hiftoirc des différentes Na-» tions, & plus cet ufage femble univerfcl. On voit encore » à Taïti des reftes d'antropophagie. Le Capitaine Cook y » remarqua, en 1769 (ü), quinze mâchoires récentes, fuf-» pendues à une maifon.» Le 29, des le grand matin , O-Too, Towha & plufieurs i^v grands, nous apportèrent, à bord, des provifions & quelques-unes des curiofités les plus prccicufcs de Hile. De mon côte, je leur fis des dons qui leur cauferent beaucoup de plaifir : je profitai auili de l'occafion, pour m'acquitter envers Towha des civilités que j'avois reçu de lui. La nuit auparavant, un des Naturels entreprenant de voler une futaille à l'Aiguade, fut pris en flagrant délit, envoyé à bord, & mis aux fers, & O-Too & les autres Chefe [a) Voyez ie premier Voyage de Cook, 3 18 V O Y A G E ssa le virent dans cette fituation. Apres que je leur eus expofé J4' fon crime, O-Too demanda fa liberté -y je la refuiai, en diiant que, puifque je punilfois les hommes de mon équipage , quand ils commettoient la moindre offenfe envers fes fujets, il étoit jufte auifi de châtier ce Taïtien, & que j'avois réfolu de me charger moi-même de ce foin, parce que je favois qu'autrement fon crime refteroit impuni. En confequence, j'ordonnai qu'on conduisît le voleur à terre dans les tentes, & ie fuivant avec O-Too, Towha, &:c. je fis mettre la Garde fous les armes, &: attacher l'Indien à un poteau. O-Too, fa fœur, & plufieurs Naturels demandèrent fa grâce avec inf-tance; Towha, fans proférer un fcul mot, étoit fort attentif à tout ce qui palfoit. J'adrcflai alors des plaintes au Roi fur la conduire de cet homme, & fur celle de fon Peuple en général j je lui dis que nous ne leur prenions rien fans les payer j &, énumérant les différons articles que nous leur donnions en échange de leurs provifions, animaux, outils, étoffes, &:c. j'infiflai particulièrement fur ce qu'ils avoient tort de nous voler , puifque nous étions leurs A mis i j'ajoutai que le châtiment de cet homme feroit un moyen de fauver la vie à quelques-uns de fes Compatriotes, en les détournant de commettre de pareils crimes, pour lefqucls ils feroient tués, tôt ou tard, à coups de fufil. Mes argumens, qu'il comprit, je crois, très-bien , parurent le perfuader, & il me fupplia feulement que l'homme ne fòt pas matteérou ( mis à mort ). Je commandai a la foule, qui étoit allez nombreufe, de fe tenir à une diftanee convenable, & \ en préfence de l'afîcmbléc, le voleur reçut 24 coups de fouet i il les fupporta avec beaucoup de fermeté. Les Naturels, effrayés, s'enfuirent; mais Towha courant après eux, les rappclia & les harangua plus d'une demi-heure. Son difcours étoit compofé de petites fentences s dont je n'entendis que quelques-unes ; mais, à ce que j'appris, • il récapitula une partie de ce que je venois de dire à O-Too ; il cxpoia les avantages divers que nous leur avions procuré, ôc condamnant leur conduite paifée, il leur recommanda d'en avoir une différente à l'avenir. La grâce de fes geftes & l'attention de fes Auditeurs lui donnèrent, dans notre efprit, le rang de grand Orateur. O - Too ne dit pas un mot. Dès que Towha eut fini fa harangue, j'ordonnai aux foldats de marine de faire l'exercice, &: de tirer des volées à balle*, & , comme ils étoient très-prompts dans leurs manœuvres, il eli plus aifé de concevoir que de décrire l'ètonncment des Infulaires , fuu-tout de ceux qui n'avoient rien vu de femblable auparavant. Les Chefs prirent enfuite congé, & fe retirèrent avec leur cortège , plus effrayés peut-être que charmés de ce quils avoient vu. « Towha revint l'après-midi avec fa femme , qui étoit « très-âgée, & qui fembloit avoir un auifi bon carattere que » fon mari : ils montoient une grande double pirogue, garnie 3> d'un pavillon fur l'arriére, & conduite par huit Pagayeurs, ils » nous invitèrent, M. Hodges &moi, à entrer dans leur » bâtiment, & nous les accompagnâmes à O-parrée. Pendant » la route, Towha nous fit différentes queftions, & en par-» ticulier fur la nature & la conftitution de notre patrie. Il » croyoit que M. Banks étoit au moins frère du Roi, & le * Capitaine Cook Grand-Amiral; il fut fort étonné,.. & il » nous écouta avec une extreme attention, quand nous lui ANAvriU/+" " aPPr*mes fl11'^ ic trompoit; mais,dès que nous lui dîmes * que nous n'avions ni noix de cocos, ni arbres à pain, il parut s» avoir allez mauvaife opinion de notre pays, malgré les » avantages que nous lui cxpofïons d'ail leurs. En débarquant, » il ordonna de fervirun repas de poillbns & de fruits mous » avions quitté la table pour partir-, mais, ne voulant pas le » blelfer , nous nous afsîmes & nous mangeâmes des mets » exceliensj nous comparions cet heureux pays au Paradis » de Mahomet, où l'appétit n'en: jamais raifafié. J'ai oublié »> de dire que voulant tout de fuite manger avec nos mains j * Towha nous arrêta, & nous pria d'attendre : & bientôt un » homme de fa fuite apporta un grand couteau de cuilîne » & des bacons de bambou, qui dévoient nous tenir lieu de » fourchettes. Towha découpa les mets, & il nous donna à » chacun un bambou , en difant qu'il mangeroit à la ma-» niere angloife ; au-lieu de porter fon fruit à pain â la bouche » en gros morceaux, il le coupoit en petites parcelles, &il » en prenoit une après chaque bouchée de poilîons, pour « montrer que,depuis le tems qu'il avoit dîné avec nous, il ai n'avoit pas oublié nos ufages. La femme dîna à part, quand n nous eûmes fini, fuivant la coutume invariable du pays; « après nous être promenés, &, après avoir caufé avec eux » jufqu'au coucher du foleil, nous nous embarquâmes » fur leur pirogue, pour aller au diftrid appelle Ata-3) hooroo, dont une partie appartenoit à Towha. Ils nous » firent de tendres adieux, &; promirent de revenir au vaif-33 feau en peu de jours. Nous louâmes une double pirogue 33 pour un clou, & nous lûmes de retour à bord avant la p nuit. J'y trouvai le Docteur Sparrman & mon Pere qui 93 arrivoient » arrivoient des montagnes ; Hoona, le petit Taïtieh, plein s1.1'11 *> de vivacité & d'intelligence, dont jai parlé ailleurs, avoit AyriZ » été leur conducteur. Ils parvinrent, le foir, à une hutte, » fur la feconde chaîne, après avoir traverfé des vallées prore fondes, & gravi fur deux collines efcarpées, que la pluie » avoit rendu très-gliifantes : ils y rencontrèrent un homme » avec fa femme & trois enfans -, l'homme agrandilîbit fa » cabane,en y pofant de nouvelles branches d'arbres; mais » il quitta fon ouvrage pour leur préparer à fouper. Ils allu-*» merent du feu, & veillèrent & dormirent chacun à leur » tour : nous apperçûmes le feu du vaiifeau, & ils enten-» dirent , à minuit,le fon de la cloche d'équipage, quoi-» qu'ils fuffent à plus d'une lieue. La nuit fut belle & fraîche; n mais leur hôte généreux, qui s'appelloit Tahéa, tourmenté » par un rhume violent, ne cella de toullcr. a la pointe du » jour, ils fe mirent en marche vers le fommet des mon-» tagnes, & Tahéa les précédoit, portant des noix de cocos : » les difficultés s'accrurent à mefure qu'ils montoient ; les » fentiers rafoient les bords étroits des collines, dont les » côtés étoient prefque perpendiculaires, ce qui étoit plus » dangereux ; les pluies de la veille avoient rendu les che- * mins fort glilfans : à une hauteur fort confidérable, ils * trouvèrent ,] fur l'efcarpement des flancs, des arbriifeaux » & des bois épais, & , voulant cueillir des plantes, ils tornir berent fur des précipices vraiment épouvantables ; plus *» loin, toute la chaîne étoit couverte d'une foret, où ils *» raûemblèrent un grand nombre de plantes qu'ils n'avoient » jamais vues dans les vallées au-deifous. Ils furent alfaillis * d'une grolle.pluie, dès qu'ils eurent pallé la chaîne-, & Tome II Ss - SES ! - » Tahéa leur dit, au milieu d'un canton très-dangéreux ; toïtt * ^U^ nC Pouvo*t Pas a^er P^us ^°-n* ^e D°éleur Sparrman * & mon Pere réfolurent cependant de laiíTer parderriere » leurs facs de planres &r de provifions ; & ; armés d'un lêul ■> fufil, ils s'avancèrent jufqu'au fommet de la rnonragne,' » qu'ils atteignirent une demi-heure après. A ce moment, » les nuages fe diiliperent, S¿ ils découvrirent Huaheine, » Tethuroa 8¿ Tabbuamauoo. On peut juger par-là quelle eft » la hauteur des montagnes de Taïti, puifqu'Huaheine en eft n éloignée de 40 lieues. Le coup-d'oeil de la plaine fertile » qui étoit fous leurs pieds, & de la vallée de Matavaï, où t» la riviere fait d'innombrables détours, étoit ravilfant ; mais » des nuages épais les empêchèrent de rien diftinguer fur le » côté méridional de l'Ille r bientôt l'autre partie fut cachée » auifi, & enveloppée d'un brouillard qui mouiiloit jufqu'à ® la peau. En defeendant, mon Pere eut le malheur de *> tomber iiir des roches, & il ié meurtrit tellement la jambe, *> que la douleur manqua de le jeter dans levanouinement} » quand il entreprit defe remettre en mouvement,ils'ap-» perçut qu'il s'étoit fait une rupture, pour laquelle il porte x, maintenant un bandage. Tahéa l'aida à defeendre, & ils ga-» gnerent bord vers quatre heures de l'après-midi.Les collines » fupéricures font compofées d'une efpèce d'argile très-» dure & très-compacf e. La végétation, à la cime des mon-» tagne, eft abondante, & les forêts recèlent des plantes ■» inconnues. Le Docteur Sparrman chercha le bois odorant • dont les Naturels parfument leur huile : Tahéa leur montra » plufieurs cfpèces qui en tiennent quelquefois lieu; mais il » ne put pas, ou il ne voulut point leur indiquer cclle-la. » O-Maï rna dit qu'on ne compte pas, à Taïti, moins de ÉËÈËÊÊÊim » quatorze plantes avec lefquelles on parfume ; ce qui prouve An^vi;I1774" a> combien ce Peuple aime les odeurs. « Le nombre des proftituées étoit fort augmenté fut notre * bord, depuis que nous avions montré les plumes rouges ; » &, cette nuit, plufieurs rodèrent autour des ponts, cher-» chant des amoureux. Lepore frais les attiroit auiîi;car, » privées chez elles de ce mets exquis, elles tâchoient d'en » obtenit de nous, ôc quand elles en venoient à bout, elles » en confommoient une quantité incroyable ; la digeftion n les expofoit enfuite à de grands embarras, & elles trou-» bloient fouvent les Matelots, qui vouloient dormir, après » les fatigues de la journée: dans certaines occafions pref » fuites, elles defïroient être accompagnées de leurs amans; » mais, comme ceux-ci n'y confentoient pas toujours, les » entre-ponts fe rempliffoient d'ordures. Tous les foirs, ces -» femmes fe divifoient en différentes troupes, qui danfoient » fur les gaillards d'arrière &c d'avant, 8c furie grand pont ; » leur gaieté étoit tumultueufe, & approchoit quelquefois de » l'extravagance ; d'autres fois, l'originaliré 8c la bizarrerie » de leurs idées nous amufoient. Un de nos feorbutiques, à qui » les nourritures végétales avoient rendu un peu de forces, ■» excité par l'exemple de fês camarades, fit fa cour à une » Taïtienne, la mena vers le foir dans fon polle, &: alluma » une chandelle. L'Indienne regarda fon amant en face ^ &*, » s'appercevant qu'il avoit perdu un œil, elle le prît pat » la main, & le conduifit fur le pont auprès d'une fille qui « avoit éprouvé le même accident, & elle lui dit : Celle-ci » vous convient 3 mais pour moi, je n'aurai pas de privau-» tés avec un borgne, » Ss & Le lendemain , au matin, j'eus occaiion de voir les équipages de dix pirogues de guerre exécuter une partie de leurs manœuvres. Le. trentième jour du mois, elles étoiem parties de la côte, avant que j'en fuflè informé, de forte que je n'aififtai qu'à leur débarquement. Les Indiens avoient tout leur équippement de combat; les Guerriers portoient leurs armes & leurs vêtemens militaires, &c. J'obfervai qu'au moment où la pirogue touchoit à terre, les Rameurs fau-toient dehors, & qu'à l'aide de ceux qui fe trouvoient fur la côte, ils traînoient le bâtiment à un endroit convenable, & qu'enfuite chacun s'en alloit avec fa pagaye. Tout cela fe fait avec tant Je promptitude que, cinq minutes après leur débarquement, il ne femble pas qu'il ie foit rien pallé de pareil. Je penfai que ces bâtimens avoient peu de Pagayeurs; je n'en comptai que trente dans les plus grands, & feize ou dix-huit dans les autres. Les Guerriers, piacés fur la plate-forme, excitaient les Ram eurs à redoubler d'elforts.Quelques jeunes Gens, aflïs dans la fculpture de l'arriére, au-delfus de ceux qui gou-vernoient, tenoient à la main des baguettes blanches : je ne lais pas pourquoi ils occupoient cette place, à moins qu'étant au-deifus de tous les autres, ce ne fût pour faire fentinelle , examiner & avertir de ce qui frapperoit leurs regards. Tare-vatoo, le frère du Roi, me dit le premier que ces pirogues étoient en mer; &, fâchant que M. Hodges traçoit des deiïins de ce qu'il appercevoit de curieux, il me chargea tout-de-fuite de l'envoyer chercher. Comme M. Hogdes étoit. def-cendu à terre avec moiyon l'eut bientôt trouvé, & il eut occaiion de raffembler des deflins particuliers pour fon grand tableau de la flotte d'O-Parréc, quien donnera une idée plu$ nette & plus jufte que la defcription que j'en pourrois fairç. J'áíiiílai audéshabillcment des Guerriers, & je fus furpris de la quantité Se de la pefanteur des étoffes qu'ils avoient fur An ¿ J-J,74' eux; je neconcevois pas comment ils pouvoient íiipportcr ce fardeau dans une bataille. Une pièce d'une longueur immenfe enveloppoit leur tête en forme de turban ou de chapeau : . peut-être qu'elle tient lieu de cafque, Se qu'elle pare les coups ; plufieurs l'avoient garnie de branches féches de petits ar-briifeaux couvertes de plumes blanches. Différens Chefs m'envoyèrent ou m'apportèrent une i Mai. grande quantité de provifions, le premier de Mai. « Mon Pere , remis de la fatigué de la dernière courfe » & de la moirtriffure qu'il s'étoit faite, alla à terre, Se » trouva O-Rettée, le Chef d'O-Hiddéa, difhicl: & havre • » où mouilla M. de Bougainville. Ce Chef demanda au Capi-» taine Cook fi ,à fon retour en Angleterre, il verroit M. de » Bougainville, qu'il appelloit Potavirrée; & , ayant eu une » réponfe négative , il propoia la même qucflion à mon '•» Pere, qui lui dit que cela étoit pofîîble, quoiqu'il ne vécût » pas dans le même Royaume. Alors répliqua O-Rettée, » dites-lui que je fuis fon Ami, & que je defire de le revoir » à Taïti, & afin que vous vous fouvenie^ de ma commijjïon, » je vous enverrai un cochon dès que je ferai che\ moi. Il fe » mit enfuite à raconter que fon ami, M. de Bougainville, *> avoit deux vaiifeaux, Se, fur l'un d'eux, une femme laide : « il revint fouvent à cette circonllance ; car il lui paroiffoit tí extraordinaire qu'une femme feule s'embarquât dans une ; » pareille expédition. Il parla au/fi de l'arrivée d'un vaiffeau ' » Efpagnol, que nous avions déjà appris durant notre J » premiere relâche ; mais il nous affura que lui Se fes » Compatriotes ne fentoicnt pas beaucoup d'arTeclion pour 74; n ces Etrangers. O-Rettée avoit des cheveux blancs; » mais il étoit bien portant &c vigoureux, comme tous » les vieillards de Taïti femblent l'être. Sa phyiionomie » annonçoit un caractère vif, gai & généreux. Il nous dit » qu'il avoit aífiíté à plufieurs batailles, & il nous montra les » cicatrices de différentes bleffures, &, en particulier, un » coup de pierre, qui avoit laiffé fur fa tempe une trace pro-33 fonde. Il combattoit à côté de Tootahah, le jour où ce » brave Guerrier fut tué, » Le i, les domeftiques de Towha vinrent me faire un préfent d'un cochon, & ils m'amenèrent unepirogue chargée de fruits & de racines. Je reçus auifi un femblable préfent d'O-Too, par les mains de Tarevatoo, qui reftaàdîncr avec nous: j'allai enfuite à O-Parrée rendre vifite à O-Too, 8¿ je retournai à bord le foir. « Le Docteur Sparrman remonta, avec moi, la vallée »3 de Matavaï, que les Naturels appellent TooaOoroo. Ce a» fut la premiere excurfion un peu longue que j'entrepris » depuis ma maladie ; je fus enchanté du beau fpectacle 7» qu'offroit la campagne, ranimée par la faifon pluvieufe, » & je fus étonné des améliorations que j appercevois dans » tout le diffriét. Par-tout de nouvelles plantations, fort » étendues, èc en bon ordre, frappoient nos regards. Je » trouvois de nouvelles habitations conflruites, &, en plu-» fieurs endroits, les Naturels travailioicnt à de nouvelles » pirogues. Durant notre premiere relâche, la guerre, entre » les deuxPéninfulcSp avoit été fatale à ce canton; mais bu Capitaine Cook. 327 * alors on n en appercevoic plus de traces : toute la contrée - -— * annonçoic l'abondance ; des troupeaux de cochons ro~ NIMai?74' » doienr autour de chaque cabane ; aucun Naturel n 'ef- » iàyoit, comme autrefois, de les fouílraire à nos yeux. Je » remarquéis, avec joie, un changement dans la conduite » des Infulaires: ils ne nous importunèrent pas une fois, en » nous demandant des grains de verre & des clous*, &au-» lieu de fe faire preflèr pour nous vendre des provifions, » ils tâchaient, à l'envi, de l'emporter f un fur l'autre, par » des acles de bienveillance & d'hofpitalité. Nous ne paf-s> lions devant aucune hutte, fans qu'on nous invitât d'en-» trer & d'y prendre des rafraîchilîèmens, & nous n'accep-» tâmes jamais leur invitation fans être touchés de leur *> politeilè naïve. A dix heures, nous atteignîmes l'habita-» tion de l'Indien généreux, qui nous avoit il bien régalé, « lors de norre premier féjour dans l'Ille, quand nous re-» venions des collines très-fatigués (a). Il nous donna des » noix de cocos, & nous promîmes de dîner avec lui à notre » retour de la vallée. Il n'y avoit point de maifons au-delà » delà iienne,parce que les montagnes, des deux côtés, » s'approchoient de très-près, & étoient exceifivement efear-» pées. Environ un mille plus loin, la colline, fur le côté » oriental, offroit une coupe perpendiculaire de quaranre » verges de hauteur, dont le de/fus formant une inclinai/on, » étoit revêtu d'arbriffeaux jufqu'à une élévation coniidé-» rabie. Une belle cafeade tomboit, de cette partie feflonée, » dans la riviere, & animoit la fcène, qui d'ailleurs étoit » trille, fauvage,maispittorefque. En avançant davantage. (à) Voyez la fin du premier Volume. 5 » nous obfervâmes que plufieurs angles de ce rocher per-^ 3> pendiculaire, fe projetoient en faillies ; &, après avoir » marché dans l'eau, pour arriver au pied, nous le rrou-» vâmes compofé de colonnes réelles d'un bafalte, noir & » compacte, dont les Naturels font des outils:ces colonnes » étoient debout, parallèles & jointes l'une à l'autre; leur » diamètre ne fembloit pas excéder quinze ou feize pouces, »> & on n'y remarquoit qu'un ou deux angles, qui fuf-» iênt iaillans. Comme tous les Naturaliftes fuppofent » que le bafalte eft une production de volcan, c'eft une » nouvelle preuve que Taïti a éprouvé beaucoup de boule-» verfemens par l'action des feux fouterrains, où la Nature » travaille en grand aux opérations de chymie les plus » étonnantes. Au-delà de ces colonnes, les montagnes ref-» ferrent plus ou moins la vallée dans l'efpacc de deux a> ou trois milles: ayant déjà été obligé de traverfer la riviere » près de cinquante fois, il nous fut difficile d'aller plus loin ; * nous arrivâmes enfin au même endroit où M. Banks fut » obligé de terminer fon excuriîon (a); nous fûmes égale-» ment contraints de nous arrêter, Szy fatigués de grimper ™ continuellement fur des rochers & un terrain hérille de »> pierres, nous retournâmes fur nos pas. Chemin faifant, je » cueillis quelques plantes, que nous n'avions pas encore m vues; &, après une promenade de deux heures, nous » gagnâmes la demeure de notre généreux Ami. Ayant » mangé de bon cœur les végétaux qu'il nous fervit, pour le » récompenfer, nous lui donnâmes des plumes rouges,qui lui (a) Voyez la Collection d'HawkiVorth; Tome II. pag. 430, de la Traduction Françoife. cauferent » caùfèrent un grand plaifir, &c des outils de fer, qui lui ggg"....... » feront encore utiles, quand il aura perdu ou détruit les Ann. 1774. » plumes. Sa fille, que nous avions vue dans notre premiere » viíite, étoit alors mariée à un Taïticn d'un canton éloi- *> gué : nos préfens lavoient rendu une riche héritière. Le » coucher du Soleil nous ramena à bord ; nous avions exa- » miné, à loifir, la plaine de Matavaï, Se joui de cette belle « fcène,fur laquelle une foirée délicieufe répandoit encore sj de nouveaux charmes. » En examinant , le 3, f état de nos provifions de mer, on 5. trouva le bifeuit gâté : le triage que nous en avions fait, Se l'expoiition à l'air, n'avoient pas eu l'effet que nous en attendions ; il fallut porter à terre tout ce qui en reftoit, l'aérer Se le nettoyer de nouveau : on en jeta une grande quantité d'abfolument pourrie. La moififfure de ce bifeuit nous étonna; car il étoit dans de bons tonneaux, & il occupoit 1 endroit le plus fec de la cale; nous jugeâmes qu'elle pro venoit de la glace que nous avions prife fi fouvent à bord, en marchant au Sud, ce qui rendoit la cale humide Se froide ; Se enfin de la chaleur qui avoit fuivie, quand nous étions au Nord. Quel-qu'en fût lacaufe, la perte, pour nous, étoit la même; elle nous réduiiit à une petite ration, Si même à manger du mauvais pain, ce Je recommandai à M. Hogdes de vifiter la cafeade que v> j'avois trouvée dans la vallée, Se il partit, des le matin, avec » plufieurs de nos Meilleurs, pour la deffiner, ainfi que les » colonnes de Bafalte, qui font au-defïous. Tome Ih gs » Nous mangeâmes d'un grand albécore {Scomber Thin* j "j'y à , Mai. " tius y Linn. ), ce qui nous enflamma à tous le viiâge, 8¿ » nous procura un violent mal de tête. La dyiîénterie attaqua » quelques perfonnes, & un domeftique, qui en avoit plus n mangé que les autres,eut des vomiflemens & des évacua-» tions affreux. Il eft probable que ce poiffon fut pris avec » quelque plante enivrante ; ce qui donna peut-être à fa » chair une qualité nuifible. » Nous apprîmes qu'CEdidée venoit d epoufer la fille de » Toperrée, Chef de Matavaï : l'un des Volontaires nous » dit qu'il avoit alïifté à ce mariage, & qu'il avoit vu faire » un grand nombre de cérémonies; mais quand on le pria » de nous les raconter en détail, il répondit que, quoiqu'elles » fuffent très-curieufes, il ne pouvoir s'en rappeller aucune, » &que d'ailleurs, s'il s'en fouvenoit, il ne fauroit pas coin-» ment s'exprimer. De cette maniere, nous perdîmes Tocca-» fion de faire des découvertes intércfîantcs fur les ufages de » ces Infulaires : c'eft dommage qu'un Obfervateur intelligent » n'ait pas été témoin de ce mariage. (Edidée amena fon » époufeà bord; elle étoit très-jeune, d'une petite taille ,&C ?» fa beauté n'avoitrien de remarquable; mais très-verfée dans » l'art de demander des préfens; elle alloir fur chaque par-» tie du vaiileau , raifemblant une grande quantité de grains so de verre, de clous, dechemifes Se de plumes rouges, que » chacun s'empreffoit de lui donner, parce que nous aimions » rous fon mari. (Edidée nous apprit qu'il defiroit beaucoup » de s'établir à Taïti, parce que fes Amis lui offraient des a> terres, une maifon, & des propriérés de toute efpèce; il » étoit aggrégé à la famille d'un Arée, eftimé par le Roi d i/ Capitaine Cook. 331 » lui-même, & refpe&é de tous les Infulaires, & même un » de fes Amis lui avoit donné un Domeftique, ou Toutow, » qui ne le quittoit jamais, qui exécutoit ponctuellement 7» fes ordres, & qui enfin, par fa foumiífion & fon obéiifance, » reilembloit à un efclave. » Quoiqu'CEdidée eût renoncé au projer de venir en » Angleterre, Hoono, ce jeune-homme intelligent, dont » on a parlé plufieurs fois, fouhaitoit de vifiter cette » contrée, & il pria inftamment mon Pere, ainfi que plu-» fieurs autres de nos Meffieurs, de le prendre à bord. Mon » Pere ayant propofé de fe charger de tous les frais, le Ca-« pitaine Cook y confentit fur-le-champ, & on annonça au » jeune Taïticn qu'il devoit s'attendre à ne jamais revoir fa » patrie,parce que, peut-être, on n'enverroit pas un autre » vaiffeau à Taïti, Hoono étoit trop empreifé de partir pour » que cette difficulté l'arrêtât ; il facrifia l'efpoir de retour-aï ner dans fon pays au plaifir de connoître le nôtre; mais, » le foir , M. Cook déclara qu'il ne vouloit point le recevoir » fur fon vailîèau, & le jeune-homme fut obligé de refter à » Taïri. Comme nous nous propofions de lui apprendre l'art » du Charpentier & du Serrurier, il feroit retourné dans fon » Ifle avec des connoiffances au moins auifi utiles qu'O-Maï, =» qui, après un féjour de deux ans en Angleterre, fera en » état d'amufêr fes Compatriotes avec la mufique d'une » orgue portative, ou avec des marionnettes. » Nous employâmes les jours fuivans à vifiter les plaines » de Matavaï & la vallée étendue d'Ahonnoo, qui eft une » des plus fertiles, & en même tems des plus pittorefques » de toute l'Ifle. » Tt z 332 Voyage — Le 4 y il ne nous arriva rien qui foit digne d être rap~ TmL774'Porté- 5, Le Roi &: plufieurs grands perfonnages nous firent une vifite, le 5, & nous apportèrent, comme à l'ordinaire, des cochons éV, des fruits. L'après-midi, MM. Forfter Sz le Docteur Sparrman partirent pour les montagnes, Sz ils revinrent  le lendemai'i au. foir, ayant fait dans leur route quelques nouvelles découvertes. et Nous passâmes une feconde nuit dans la cabane âa *> Tahéa -, mais nous ne crûmes pas qu'il fût néceifaire de » veiller chacun à notre tour. Notre hôte fut très-gai, Sz il » voulut abfolument que nous l'appellaflions Medita ( pere) ¿ » Sz fa femme O-pattea (a) ( mere ), » Nous nous mîmes à gravir la montagne dès le grand' m matin, mais nous n'allâmes pas jufqu'au fommet;nous. y> rafîèmblâmes dans la forer un grand nombre de nouvelles » plantes, Sz je tuai une mouette. Comme nous partîmes » avant le lever du foleil, Tahéa Sz fon frère, qui nous ac-» compagnoient, prirent des hirondelles de mer, qui dorso moient fur les buiffons, le long du chemin : ils nous » dirent que plufieurs oifeaux aquatiques venoient fe repofer » fur les montagnes, après avoir voltigé tout le jour fur la » mer pour chercher de la nourriture, Sz que l'oifeau du (a) Vattta eft proprement une expreflion enfantine, qui équivaut à notre Mamma, Mammari; les Taïtiens l'emploient dans le même fens que nous employons celle-ci. » Tropique, en particulier, s'y cachoit. Les longues plumes . » de la queue qu'il dépofe toutes les années, fe trouvent N|J¿77-^ » communément à terre, & les Naturels les recherchent » avec empreifement. Nous vîmes les nuages s'avancer parsi deífus le fommet, & defeendre vers nous : afin de tenir * nos plantes leches, nous nous rendîmes en hâte au vailfeau, » où nous trouvâmes toute la Famille Royale , & dans la » foule Neehouraï, fœur aînéed'O-too, mariée à Tarree-a> Derre, fils d'Animo (a) T'arrec-Watow , frerc du Roi , » refta parmi nous, après que tous les autres furent partis , & » paffa la nuit à bord. Pour l'amufer, on tira des feux d'ar^ » tifice du haut des mâts, ce qui lui caufa un extrême » plaifir. A fouper, il nous fit rénumération de tous fes parens, » & il nous raconta l'hiitoire de Taïti. O-Mai m'a confirmé, » en Angleterre, tous les détails qu'il me donna*, il nous 1» apprit qu'Ammo, Happai' & Tootahah étoient trois frères, » & qu'Ammo, comme le plu3 vieil, avoir la fouveraineté » de tout Taïti. ïl époufa O-poréa ( Obéréa ,) Princeiïè du » fang royal, &: il en eut T'arrce-Derre, qui fut appelle, dès » le moment de fa naiifance, Aree-Rahaï, ou Roi de Taïti. » Sous le règne d'Ammo, le Capitaine Wallis vifita rifle, & » trouva Obéréa revêtue de l'autorité fouveraine, environ » un an après fon départ, une guerre relative entre O Ammo » & fon vaflTal Wahéatua y Roi de la plus petite Péninfule. m Wahéatua débarqua à Paparra, où Animo réfidoic; » après avoir mis en déroute fes forces , & maifacré une 3> grande partie de fes foldats, il brûla les plantations & les (a) Voyez la Collection de M. Hatfkfworthi Tom. II, pag, 40y de la Traduction Fsançoife, = « cabanes, & emmena tous les cochons & toutes les volailles 774- i> qu'il put trouver. Ammo & Obéréa, avec toute leur fuite, » dont O-Maï m'a dit qu'il faifoit partie, s'enfuirent dans les n montagnes,au mois de Décembre 1768. Le Conquérant »> confcntit enfin à la paix, à condition qu Ammo fe dépouil-» leroit du gouvernement, de que le droit de fuccefîion fe-» roit ôté à fon fils, & donné à O-Too , fils aîné de fon frère n Happai. La convention fê termina de part & d'autre, &c »> Tootohah, frère cadet d'Ammo, fut nommé Régent. n Cette révolution reifemble beaucoup à celles qui arrivent » fou vent dans les Royaumes despotiques de l'Aile : il eft » rare que le Conquéranr ofe gouverner le pays qu'il a fub~ » jugué : ordinairement il le pille, & il y nomme un autre » Souverain qu'il choifit dans la famille regnante. » Obéréa avoit de fréquentes querelles avec fon mari, & » elle le battoit fouvent. Ils fe féparerent \ le mari prit pour » maîtreffe une jeune femme très-belle, & Obéréa, de fon 33 côté, prodigua fes faveurs à Obadée & à d'autres amans. » Les infidélités d'Ammo femblent avoir été le fondement » de ces difputes : ces brouillerics, qui ne font pas auifi corn- » munes à Taïti qu'en Angleterre, arrivent cependant quel- » quefois, fur-tout fi la femme commence à perdre fes » charmes, & exige toujours les mêmes foins. Voici un fécond 3> fait dont nous fûmes témoins. Polatehera, jadis femme »3 de Potarow, mais qui en étoit alors féparée, avoit pris en r» fa place un jeune mari ou amant, dès qu'elle avoit vu fon 33 premier époux s'artacher à une autre Taïtienne. Le jeune 33 homme aimoit une fille de fon âge, &: ils fe donnoient » des rendez-vous fur notre vaiifeau} &, comme ils ne » cachoicnt pas bien leurs amours, on les découvrit. La fiere ■■■ k » PolateheraJesfurprit un matin,donna à fa rivale plufieurs AN^a|774' » coups fur la tête, & fit à l'amant coupable une févere 33 réprimande. » Le Capitaine Cook trouva, en 1767,1e gouvernement » de Taïti dans les mains de Tootahah : ce Prince, devenu 33 fort riche, par les preferís qu'il avoit reçu des Anglois, » après le départ de l'Endéavour, perfuada aux Chefs de 33 O-Taïti-Nue ou de la grande Péninfule de marcher contre 3> Wahéatua , qui avoit fait un fi grand outrage à fa famille. 33 Ils équipèrent une flotte, & fe rendirent à Tiarrabou, où » Wahéatua fe prépara à les recevoir j mais comme c'étoit 33 un vieillard (.) qui defiroit finir fes jours en paix , il alfura s> Tootahah par Dépurés qu'il étoit fou ami, qu'il lui reflcroit » toujours attaché, Se il le conjura de retourner dans fou » pays, fans attaquer ceux qui l'aimoient. Tootahah, dont 33 ces carcflès ne changèrent point la réfolution , donna » ordre de livrer bataille : la perte fut à-peu-près égale des » deux côtés, & Tootahah fe retira, afin d'attaquer l'enne-» mi par terre. Happai* Se toute fa famille, défapprouvant *> cette entreprife, refterent à O-parrée; mais Tootahah em-*> mena O-Too, Se fe mit en route entre les deux Pénin-»3 fuies ; Wahéatua vint à fi rencontre; il y eut un com-» bat fanglant ; Tootahah y périt, & Ton armée fut di£ » perféc. Quelques Taïtiens nous dirent qu'il fut fait pri-» fonnier, Se mis à mort enfuite i mais d'autres, Se fur-tout » O-Maï nous affinèrent qu'on le maffacra dans le fort de (*) Voyez la Relation du premier Voyage. 5552 » la mêlée. O-Too fe retira en hâte au fond des montaones 774- » avec un petit nombre d'amis choifïs, & Wahéatua, fuivi » de fes forces viótorieufes, marcha íur-le-champ à Matavaï » & à O-parrée. A fon arrivée, Happai s'enfuit ; mais Wa- 5î héatua lui fit dire qu'il n'avoir aucun différend avec lui ni » avec fa famille , & qu'il avoit toujours fouhaité la paix. » O-Too, après avoir traverfé des chemins difficiles & des « précipices, arriva bientôt du fommet des montagnes ; »> joignit fon Pere &¿ tous ceux qui l'accompagnoienr. Une » paix générale fut conclue : O-Too prit les rênes du gou- » vernement, &: les améliorations que nous remarquions » depuis huit mois, femblent prouver qu'il travaille avec » intelligence au bien-être de íes fujets. » Te-Arée-Watow nous apprit en outre que fon Pero1 » avoit huit enfuis ; i.° Tcdua Neehouraï , âgée d'environ j» trente ans, & mariée à Tarree Deeree, fils d'Ammo ; » i.° Tedua Towraï, âgée de vingr-fept ans, qui n'étoit pas « encore mariée, & qui fembloit avoir une auilî grande auto-» rite parmi les femmes , que le Roi fon frère en avoit fur 33 toute l'Ifle ; 3.° O-Too, Arée Rahai ,011 Roi de Taïti, qui » a environ vingt-fix ans : Wahéatua efl obligé de découvrir 33 fes épaules en fa préfence, comme devant fon légitime 33 Seigneur; 4° Tedua-Tehamaï, morte jeune; 5.0 T'earée ïd Watow , qui fembloit âgé d'environ feize ans; il nous dit » qu'il portoit un autre nom, que j'ai oublié ; d'où je conclus » que celui que je viens d'énoncer étoit fon titre; 6.° Tuai buaiteraï, appelle auiîi Mayorro, âgé de dix ou onze » ans; 7.0 Errérétuapetite fille de iêpt ans; & 8.° Te-?» paow, petit garçon de quatre ou cinq ans : un corps fain, » fins * fans être corpulent, Sz une tête touffue, paroiffoient ca-*> ra£térifer toute la famille, en général, leurs traits étoient » agréables, mais leur teint un peu brun , fi on en excepte » celui de Neehouraï Si d'O-Too : ils étoient fort chéris » de la Nation, qui, en tout, aime paffionnément íes » Chefs, leur conduite eft en effet il affable Sz fi amicale, » quelle infpire une bienveillance univerfelle. Tedua-» Towraï accompagnoit ordinairement le Roi fon frère, » quand il venoit nous voir à bord, Sz elle ne croyoit pas » s'abaifTer, en vendant aux Matelots des fruits & diffé-» rentes curiofités pour des plumes rouges. Se trouvant un » jour dans la Grand'Chambre avec O-Too, le Capitaine » Cook Sz mon Pere, elle regardoit des tas d'outils de fer » Sz d'autres marchandifes \ M. Cook ayant été appelle fur n le pont, elle chuchuta quelque chofe à fou frère, qui, à 3» l'inftant, s'efforça de détourner l'attention de mon Pere, » en lui propofant diverfes queftions. Mon Pere , qui s'ap-» perçut de fes deíleins, fît femblant de ne pas regarder » autour de lui, Sz la Princefle croyant ne pas être vue, » cacha deux grands clous dans les plis de fon vêtement. * Quand M. Cook revint, mon Pere l'avertit de ce petit * ftratagême , mais ils jugèrent qu'il valoit mieux n'en rien *> dire que l'ébruiter. On remarquera que routes les fois » quelle avoit témoigne du goût pour quelques-unes de » nos richeifes, on ne les lui avoit jamais refuiees, au » contraire , nous lui en donnions plus qu'elle n'en de-y> mandoit. Il çft donc extraordinaire quelle ait eu la » tentation de voler une choie qu'elle pouvoit acquérir s honnêtement. Plufieurs des femmes, qui étoient à bord , » furent accuiées de conduire dans fon lit des Towtows, Tome II, V v 338 Voyage ± » ou des hommes d'un rang inférieur, fans que fon frère ¿ai77** w en ^ r*en* ^ans 1111 PaYs ou ^'on m^ librement les mou-» vemens de la Nature, on ne peut pas attendre de la ré-» ferve de ceux à qui leur rang permet encore plus qu'aux »> autres de faire toutes leurs volontés. Les paillons font » les mêmes par-tout : le même inftinct. domine l'Efeiave » & le Prince , & produit toujours le même efîet dans tous * les pays. » 7. En allant à terre,* le matin du 7, je trouvai O-Too dans nos tentes, & je lui demandai la pennîifion de couper du bois de chaufrage. Comme il ne me comprenoit pas trop bien, je le pris par la main , & je le menai près du rivage, au pied d'un arbre , & là, je lui expliquai plus clairement ee que je defirois : il y confentit ; je lui promis en même tems que je ne couperois aucun arbre fruitier. Il fut charmé de cette attention , & il la publia tout haut, à différentes reprifes, aux Taïtiens qui étoient autour de nous. L'après-midi , il vint fur notre bord, avec toute la Famille Royale » c'elt-à-dire, fon pere, fon frère & fes trois feeurs : ce fut proprement la vifite de cérémonie de fon pere. Il m offrit en préfent un habit complet de deuil ; curiofité que nous efti-mions beaucoup : je lui donnai, en retour, ce qu'il delira y & fes defirs ne fe bornèrent pas à peu de chofe: & après avoir diffribué des plumes rouges à toute la compagnie, je les remenai à terre dans ma chaloupe. O-Too fut fi enchanté de notre accueil, qu'il me dit, en partant, que je pouvois couper autant d'arbres, & de l'efpèce qu'il me plairoit. !» Pendant la nuit du 7 au 8 > une des Sentinelles > à terre, du Capitai neCo ok, 339 fît une faute qui troubla notre bonne intelligence. Elle s en- ~~ - ■- - ' dormit ou elle quitta fon porte, & l'un des Naturels profita de l'occafion pour lui enlever fon fufil. Tee, qu'O-Too avoit envoyé à bord pour cela, vint m'en donner les premieres nouvelles; il me prioit de me rendre près de lui, parce qu'il Mataoued. Nom ne favions pas allez leur langue pour entendre tout ce que racontoit Tee ; mais nous jugeâmes tous qu'il étoit arrivé quelque chofe qui alarmoit le Roi. Afin d'être mieux informé, j'allai moi-même à terre avec Tee & Tarevaroo j qui avoit couché fur notre bord. En débarquant, le Sergent, qui commandoit le détachement, m'apprit tout ce qui setoit pallé: je trouvai les Naturels très-eifrayés, &: la plupart en fuite. Tarevatoo s'échappa aulll de mes côtes, &c bientôt il ne relia ,-prcs de moi, que Tee. Je me mis eii marche avec lui pour chercher O-Too,&z ,en avançant, je tâchai de calmer les craintes du Peuple, mais en même-tems j mfiftai fur la reddition du fufil. Après avoir fait quelque chemin dans l'intérieur du pays, demandant à chacun où étoit O-Too, Tee s'arrêta tout-à-coup, & me confcilla de revenir fur mes pas, en rhe difant qu'O-Too s'étoit réfugié au milieu des montagnes, qu'il iroit le trouver feul, & qu'il lui diroit que jetois toujours fon ami: diffé-rens Taïtiens m'avoient demandé, plus de cinquante fois, fi véritablement jetois fâché contre leur Roi, fi j'avois de la colere, &c. Tee promit , en outre , d'employer tous fes efforts pour rapporter le fufil. Je fus convaincu alors qu'il feroit inutile de m'avancer davantage ; quoique je fufïè feul, & fans armes, le Prince étoit fi effrayé, qu'il n'ofoit pas me voir : je profitai de l'avis de Tee, & je retournai à bord. J'envoyai enfuite (Edidée auprès d'O-Too, pour lui Vv 1 : * ■ perfuader que fes craintes manquoient de fondement; que NÍMa¿774* ie ne demandois rien autre que le fufil, & qu'il lui étoit facile de me l'accorder. Après le départ d'ÛEdidéc, nous obfêrvâmes fix grandes pirogues qui s'approchoienr, du côté de la pointe Vénus. Quelques Matelots, que j'avois chargé d'épier la conduite des Habitans des environs, m'apprirent qu'elles étoient chargées de bagage, de fruits, de cochons, &c. Comme il y avoit lieu de foupçonner de vol quelques-uns de ceux qui montoient ces bârimens, je réfolus de les intercepter; &:, m'embarquant pour cela fur une des chaloupes, j'ordonnai à une feconde de me fuivre. L'une des pirogues, qui étoit un peu en avant des autres, vint droit au vaiiTcau; je m'approchai d'elle, & j'y trouvai deux ou trois femmes que je connoilïbis. Elles me dirent qu'elles portoient à bord de la Réfolution quelque chofe pour moi ; &, en leur demandant des nouvelles d'O-Too, elles m'aiTurcrent qu'il étoit alors dans nos tentes. Charmé de certe réponfe, je donnai contre-ordre de ne pas faifir les pirogues, penfant que peut-être elles venoient à bord, ainfi que celle-ci que je laifïài à peu de verges du vaiileau, & je me fis conduire à terre, afin de parler à O-Too;mais, à mon débarquement, j'appris qu'il n'y avoit pas été, & qu'on ne favoit pas ce qu'il étoit devenu. En regardant derrière moi, j'apperçus toutes les pirogues qui s'enfuyoient en hâte ; celle que j'avois laifle aux côtés de la Réfolution, s'enfuyoit aufïi fans être allé à bord. Fâché d'avoir été ainfi trompé, • je réfolus de les pourfuivre, & en paiîant près du vaiileau, je donnai ordre de détacher une autre chaloupe. Nous prîmes cinq de ces fix; • pirogues ; mais la rufe réunit à la premiete, car elle s'échappa. ■ De retour à bord avec nos prifes, on me dit que les Indiens, Ann*m!J74' qui m'avoient dupé, fe tinrent à un des côtés du vaiileau fans faire aucun effort pour y aborder; qu'ils laifferent leur pirogue derrière comme s ils avoient voulu fe ranger fous l'arriére, ou de l'autre côté, & que, tout-à-coup,ils s'enfuirent à force de rames. Ainfi la pirogue, qui ne portoit que des femmes, devoit nous amufer par des menfonges, tandis que les autres, chargées de bagage, de cochons &: de fruits, comme on l'a dit, éviteroient de tomber entre nos mains. Sur une des pirogues que nous prîmes, il y avoit un Chef, ami de M. Forifer, qui jufques-là s'étant donné le titre d'Earée, fe piquoit fi quelqu'un avoit des doutes fur fa dignité, Se trois femmes, fon épouíe 8¿ fa fille, &la mere de Toutaha. Je réfolus de retenir ces Taïtiennes en captivité,ainfi que les pirogues, & de dépêcher le Chef à O-Too, penfant qu'il auroit aifez de crédit fur lui pour en obtenir le fufil, & fur-tout puifque nous avions des moyens de nous veager. Cependant il étoit très-peu difpofé à faire cette ambaffade, il me donna différentes exeufes ; il dit qu'il étoit d'un rang trop bas pour une commiflion fi honorable ; il ajouta qu'il n'étoit point E arec , mais Manahouna , &: que par conféquent je pourrois envoyer un Député plus convenable , qu'un Earée devoit être chargé d aller parler à un E aree, & comme il n'y avoit point & Earée qu'O-too & moi, je ferois mieux de m'y rendre moi-même. Tous fes argu-mens auroienr éré inuriles, fi Tee & (Edidée, arrivés alors à bord, n'avoient pas donné un nouveau tour à l'affaire, en 5=!= déclarant que le voleur du fufil écoit de Tiarrabou, & qu'il /74-* éroit rentré dans ce Royaume ; de maniere qu'O-Too ne pouvoir plus l'y faiik. Je dourai de la vériré de leur récit, jufqu a ce que , m'engageant à envoyer une chaloupe à Wahéatua, Roi de Tiarrabou, ils s'offrirent à faire la dépuration &¿ à rapporter le fuiil. Je leur demandai pourquoi ils ne fe chargeoient pas de la commiifion fans une chaloupe i ils dirent qu'autrement on ne rendroit pas l'arme à feu. Quoique l'hiitoire qu'ils racontoient ne me fatisfît pas entièrement, elle paroîifoit cependant probable; & je jugeai qu'il valoir mieux oublier cette affaire, que de venger, fur une Nation, un crime dont aucun de fes membres n'étoit coupable. Je relâchai donc deux pirogues ; les trois autres appartenoient à Maritata, Chef de Tiarrabou, qui fa voit vu à nos tentes quelques jours auparavant , & puifquon me proteftoit qu'un de fes Sujets avoit volé le fufil, je voulais les retenir; mais comme Tee & (Edidée m'affurerent de l'innocence de Maritata &c de fes gens, je m'en deífaiíis encore; je chargeai Tee de dire à O-Too que je ne ferois plus de recherches fur ie íuíil,perfuadc que lès Sujets ne le re-tenoient pas : je le crus perdu pour jamais. Mais, fur la brune, trois hommes, qui avoient pourfuivi le voleur, le rapportèrent aux tentes, avec quelques autres chofes qu'on nous avoit volé fans que nous le fulfions. J'ignore s'ils fe donnèrent cette peine d'eux-mêmes, ou fi ce fut par ordre d'O-Too. Je les récompenfai, £¿ je celiai toutes mes pourfuites iûr cet objet. Ces trois hommes, S¿ quelques autres qui fe trouvèrent préfens, me jurèrent qu'un des Sujets de Maritata avoit commis le vol, Se alors je fus fâché d'avoir relâché ii-rôt = fes pirogues. Je crois, qu'en cela,Tee Se (Edidée me trom- A pcrent volontairement. Quand on eut rapporré le fufil, &c. rous les Spectateurs Se tous les Infulaires , qui vinrent nous voir enfuite, prétendirent qu'ils avoient eu quelque part à cette reilitution, Se ils demandèrent une récompenfe ; mais perfonne ne joua fi bien fon rôle que Nuno, homme d'un certain âge , Se que je connoiliois depuis 1769. Il s'approcha de nous avec un air farouche , & la fureur peinte fur le vifage ; il tenoit à fa main une grolle malfue ; il s'eferimoit autour de lui, pour montrer comment il avoit feul tué le voleur ; Se cependant nous favions tous qu'il n'étoit pas forti de fa maifon. Ainsi finit cette journée rumulrueufe ; & , le lendemain, des le grand marin , Tee , fidèle Ambafiadeur d'O-Too , revint à bord, m'avertit qu'O-Too étoit allé à Oparrée, Sz qu'il defiroit que je lui envoyafîè quelqu'un (je compris qu'il vouloit un Naturel), pour l'aifurcr que jetois toujours fon Tayo. Je lui demandai pourquoi il ne s'étoit pas acquitté lui-même de cette co m mi filon, puifque je l'en avois chargé. II me fit des excuiès -, mais je crois que réellement il n'avoit pas vu le Roi. En un mot, je crus devoir y aller moi-même, car tandis que le tems fe paiîoit en meiïàges, nous reliions fans fruits; les échanges étoient interrompus, Se les Infulaires n'apportoient rien au marché. Je partis accompagné de quelques Officiers Se de Tee ; je m'avançai ju£ qu'auprès d'Oparrée, où, après avoir attendu une heure Se envoyé plufieurs meifages, le Prince parut enfin. Aifis, sssasK comme à l'ordinaire, à l'ombre des arbres *, Se les premières ¿¿774" iâlutations finies, il me pria de parou (c'eft à-dire de parler.) Je commençai par lui dire, qu'il s'étoit alarmé fans raifon, puifque je m'érois déclaré fon Ami, Se que je n ecois point fâché contre lui ni fes ííijets, mais contre les habitans de Tiarrabou, auteurs du vol. Il me demanda alors, pourquoi j'avois rire delTus les pirogues, Se je répondis que cela s'étoit fait par hafard : j'ajourai que ces bâtimens apparrenoient à Marirata, l'un des Chefs de Tiarrabou, qu'un de fes fujets avoir volé le fufil Se occaiionné tout ce trouble, Se que fi je reprenois ces pirogues, je les mettrois en pièces, Se toutes les autres de ce Royaume. Cette déclararion lui plut, ainfi que je l'efpérois, parce qu'il avoit une averfion naturelle pour fes voifins. Tous les Spectateurs confirmèrent ce que j'avançai , Se firent peut-être plus d'impreffion que moi. Ainfi fe rétablit la ttanquillité : O-Too me promit que le lendemain, on nous fourniroit des fruits, Sec. comme à l'ordinaire. Nous retournâmes , avec lui, à fa réfidence d'Oparrée, & là, nous examinâmes quelques-uns de fes chantiers ( car ils méritoient bien d'êrre ainfi appelles ) Se de grandes pirogues ; les unes construites depuis peu, Se d'autres qu'on achevoit ; il y en avoit deux plus grandes, que je n'en aie jamais vues dans cette mer. Je me mis enfuite en route pour le vaiffeau, toujours accompagné de Tee ; Se, après qu'il eut dîné , il alla informer le vieil Happi, pere du Roi, que tout étoit raccommodé. Ce vieil Chef occupoit alors les environs de Matavai, Se qui fuivit nous fit croire qu'il n'étoit pas content car, Je môme foir,, il envoya chercher, fur notre bord, tous les m^t4< Taïtiens, qui n'étoient pas en petit nombre , Se il plaça des fcntincllcs en différens endroits de la cote, pour empêcher les Infulaires de s'embarquer. Le lendemain, on ne nous apportoit point de provifions; [i o; Se j'en demandai la caufe : on me dit que Happi étoit Ma* taoued, affligé de ce contre-tems. Je ne voulus pas ufer d'aucunes repréfailles ; je luppoiai que Tee ne l'avoit pas vu, ou que les ordres d'O-Too n'éroient pas encore parvenus àMaravai. Quelques fruits qu'on nous envoya d'O-parrée, Sz que nous apporrerenr nos Amis, fervirent àia confommation de ce jour &: du lendemain , Sz nous donnèrent des efpé-ranecs pour l'avenir. O-Too fe rendit à nos tentes l'après-midi , Se il amena, avec lui /beaucoup de provifions. j'allai fy trouver, & je lui reprochai de ne pas permettre aux Infulaires de notre voifinage de nous vendre des fruits. J'infiifai pour qu'il donnât à f infiant des ordres fur cela, Se il y confentit , ou il en avoir déjà donné auparavant ; car, bientôt après , on nous en apporta plus que nous ne pûmes en placer fur les vaiffeaux. On ne doit pas s'étonner de cette abondance, puifque le peuple fe tenoit rour prêt : quand on en accorda la permifîion, chacun s'emprefla de nous en vendre, Se je crois que la prohibition leur parut auilî dure qu'à nous. ì * O-Too defirant de voir l'explosion des gros canons du vaiffeau, j'en fis tirer douze du côté de la mer. Comme ce fpeclacle étoit abfolument nouveau pour lui, il lui caufa Tome IL Xx \ ■ autant de peine que de plaiiîr. Le foir, nous l'amuÎames avec " des feux d'artifices, qui le réjouirent beaucoup. Ainsi finirent tous nos différends, fur lefquelsje vais faire quelques remarques. J'ai déjà obfervé que les Infulaires guet-toient fans cefîe les occafions de nous voler. Les Chefs les en-courageoicnt, ou ils manquoient d'autorité pour les en empêcher. Mais il eft plus probable qu'ils connivoient à ces vols, puifqu'ils aidoient toujours le coupable à fe cacher. Les vols audacieux qu'ils commettoient étoient d'autant plus extraordinaires, qu'ils couroient fouvent rifque d'être tufillés, Se fi ce qu'on nous cléroboit étoit de quelque valeur, ils favoient bien qu'on les obligeroit à le rendre. Dans ce dernier cas, le bruit s'en répandoit comme le vent fur tout le voiimagc Ils jugeoient, d'après nos démarches, du prix de ce qu'ils avoient dérobé ; fi c'étoit une bagatelle , ou une chofe pareille à celles que nous leur donnions ordinairement, nous y faifions peu ou point attention; mais quand la chofe volée étoit importante , tout le monde prenoit l'alarme Se s'en-fuyoit en hâte avec fes richeflès. Le Chef alors étoit Ma-taoued , il ordonnoit de ne nous plus fournir de provifions,. de il fc retiroit dans un canton éloigné. Tout cela fe faifoit fi fubitement, que leur fuite nous donnoit la premiere nouvelle d'un vol. Soit qu'on les obligeât ou qu'on ne les obligeât pas à une reftitution, il falloir fe réconcilier avec le Chef, avant qu'il fût permis aux fujets de nous rien vendre. Ils favoient très-bien que, fans leur confente-ment, nous ne pouvions rien acheter, Se ils ne manquoient jamais d'obferver ftrictement cette régie, fans confiderei: que toutes leurs pirogues de guerre, d'où dépend la force de la Nation, leurs habitations., & même ces fruits qu'ils refu- ^ fixent d'échanger, étoient en notre pouvoir. Il eft difficile de ^¿j7* deviner leur conduite, fi nous avions ufé de toutes nos forces. J'ai retenu, pendant un certain tems, quelques unes de leurs pirogues, mais je n'ai jamais attenté à leur propriété. Parmi les expédions divers qu'on me propofoit, j'ai toujours choifi celui qui paroilîbit le plus équitable & le plus modéré. Un petit préfent au Chef réuiliffoit à merveille , & mettoit fouvcnt nos affaires fur un meilleur pied qu'auparavant, quoiqu'ils fu fient les agreffcurs, je n'en dcvenois pas plus féverermon équipage ne manqua jamais ou prefque jamais aux régies que je crus devoir lui impofer. ivf y prenant d'une autre maniere, je me ferois à la fin nui à moi-même-, &r, par la deftruetion de leurs richcffes, je ne pou vois cfpérer que la vainc gloire de les obliger à faire les premieres ouvertures d'accommodement, & qui fait fi mes violences auroient produit cet effet? La bonté de leur caractère , & la bienveillance de leur cœur, un traitement doux de notre part, & la crainte de nos armes à feu, nous rendoient prompte-ment leur amitié. Si j'avois celle de me comporter avec humanité à leur égard , j'aurois aigri leur caractère, & un ufage trop fréquent de nos armes à feu, auroit excité leur vengeance , & leur auroit peut-être appris que ces armes ne font pas fi terribles qu'ils l'imaginoient. Ils ientoient très-bien la fupériorité de leurs nombres, 6c perforine ne connoît Ja force d'une multitude en fureur. Xx 1 chapitre xiii. Préparatifs pour quitter l'IJIe. Seconde Revue navale. Differens autres Incidens. Defcription de Vlfle & de f s forces navales. Nombre de Jes Habitans. ¿~—- kE matin, du n , on nous apporta, de toute part, une i i Mai. grande quantité de fruits-: Towha, l'Amiral, nous en envoya' comme à l'ordinaire par fes domeítiques, en leur défendant de rien accepter en retour y il me fit prier auifr d'aller le voir à Attahourou, parce qu'étant malade , il ne pouvoit venir à bord. Ne pouvant pas alors entreprendre ce voyage, je lui renvoyai fes domeítiques & (Edidée chargés de préfens. Comme les réparations les plus effentielles du vaiileau étoient finies, je rélblus de quitter Taïti dans peu de jours, &, en conféquence , on embarqua tout ce que nous avions à terre, afin que les Naturels viifent que nous, étions fur le point de partir. í ¡t» Le iz, la vieille Obéréa, qui paffoît pour la Reine de l'Ille pendant la relâche du Dauphin en 1767, Se que je n'avois pas vu depuis 1769, fe rendit près de nous, &elle nous apporta des cochons fi¿ des fruits, « Elle nous dît qu'elle vcnokpour avoir des plumes îi rouges : elle fembloit âgée de quarante ou cinquante ans; ' , . 1 r 1 ♦ 1 . r Ann. 1774,. » elle étoit grande, forre & pleine d embonpoinr, & fes Ma¡. s traits i qui paroifioient avoir été plus agréables, étoient » devenus un peu mâles. Sa phylionomie confervoit quel- » que chofe de fon ancienne élévation \ & elle avoit de la *> liberté & de la nobleffe dans fon maintien : elle ne reità y> pas long-tems à bord, probablement parce qu'elle fen> » toit qu'elle ne jouoit plus à nos yeux un aufli grand rôle » qu'en 1769, ou lors du Voyage du CapitaineWallis. Après » avoir demande des nouvelles de fes Amis de l'Endéavour, » elle retourna à terre fur la pirogue. O-Ammo vint » aufli fur notre bord, mais il excita encore moins d'atten- » tion qu'Obéréai &, comme on le connoiffoit peu,on ne » lui permit pas même d'entrer dans la chambre du Capi- j> taine : il eut peine à vendre fes cochons, parce que hous en » avions tant à bord, qu'il ne nous reffoit plus de place. » O-Too arriva, bientôt après, avec une nombreufe luire & beaucoup de provifions. Je mis une grande libéralité dans mes préfens, penfant que je voyois peut-être, pour la dernière fois, ces bonnes gens, qui avoient fi généreufement pourvu à nos befoins : le foir, on les amufa avec des feux d'artifice. «Ils nous regakdoient comme un Peuple fort extraor-» dinairc, qui avoir les feux & les étoiles à fa difpofîtion » ils donnoient à nos feux d'artifice le nom d'Heiva Bre-» tannéela fête Angloife. *: Le 15', les vents &ufKcrent de i'Eiïy &le tems fut beau. i'3« Cependant l'appareillage n'étoit pas prêt, parce qu'O-Too Mai77"1* m'avoitfàit promectre de le revoir encore une fois, Se je lui deitinois un dernier préfent. dEdidéc n'étoit pas encore revenu d'Attahourou ; différens bruits couroient fur fon compte j les uns difoient qu'il étoit retourné à Matavaï; d'autres qu'il ne reviendroit pas \ Se plufieurs vouloienr qu'il fur à O-Parrée. Afin de connoître la vérité, j'allai, le foir, à O-Parréc, & je l'y trouvai, ainfi que Towha, qui, malgré fa maladie , ayant réfolu, de m'embraifer , avant mon départ, étoit en marche pour fe rendre au vaiileau. Une enflure lui interdifoit entièrement l'ufage d'un pied Se d'une jambe. Comme le jour étoit fort avancé, nous fumes obligé d'abréger notre vifite ; Se , après avoir parlé à O-Too, je ■retournai, avec Œdidee, à bord. Ce jeune - homme defiroit véritablement de relier fur cette Ifle j car on l'avoir perfuade, ainfi que plufieurs autres, que nous ne reviendrions pas. Je l'avertis qu'il étoit le maître de demeurer ou de nous quitter àUliétéa,ou de nous fui vre en Angleterre, Se je lui avouai que, s'il choififlôit le dernier parti, il ne rentreroit probablement jamais dans fon pays-, que, dans ce cas, je prendroisfoin de lui, Se que je lui tien-drois lieu de Pere. Il jeta fes bras autour de mon col Se pleura beaucoup, en difant que plufieurs de fes Compatriotes l'engageoient à demeurer à Taïri. Je lui confeillai d'aller à terre, de conférer avec fes Amis, & de venirme retrouver le lendemain. Il étoit très-aimé fur le vaiffeau; de forte que chacun l'cngageoit à s'embarquer pour la Grande Bretagne: on lui expofoit toutes les belles chofes qu'il y verroit, Se les richeffes immenfes dont il reviendroit chargé. Mais je jugeai à propos de le détromper, parce que fon deiîr de partir étoit " fondé fur l'efpérance du retour, & je ne voyois aucune occa- ^Mai,774' fion de le ramener dans fa patrie, à moins qu'on envoyât un vaiffeau uniquement pour cela, & nous ne pouvions pas fefpérer. Il me parur très-injufte de prendre, à mon bord, un Habirant de ces Ifles, fous des conditions que je ne ferois pas le maître de remplir. D'ailleurs cet Indien nous étoit alors abfolument inutile : plufieurs jeunes gens s'offrirenr d'eux-mêmes à venir, à refter & à mourir à Pretane , ( nom qu'ils donnoient à notre pays, comme on l'a déjà dit. ) O-Too me preifa beaucoup d'en emmener un ou deux, quiacheteroient pour lui des plumes rouges à Amfterdam : il me protefta que s'ils ne revoyoient plus fon Ifle,il ne me voudroit point de mal. Quelques-uns de nos MM. fouhaitoient aufli en prendre pour domeítiques. Mais je réiiftai à toutes lesfollici-tations de cette efpèce, parce que je favois, par expérience, qu'ils ne nous feroienr d'aucune utilité pendant le Voyage, & mes vues ne s'étendoient pas plus loin. Ce qui me détermina, c'eft que je me croyois obligé de veiller à leur bien-être pour le refte de leur vie,ôr, en effet, jecontracfois des obligations à leur égard , puifqu'on ne pouvoit pas les tirer de leur patrie fans mon confentement. Le lendemain , au matin, Œdidée fe rendit abord, & 14^ m'apprit qu'il fe décidoit à refter dans rifle 5 mais M. Forftet le détermina à nous accompagner à Uliétéa. « Il présenta au Capitaine Cook plufieurs Infulaires de » Bolabola, dont l'un étoit fon frerc. Ils demandoient à être » tranfportés aux Ifles de la Société, & M, Cook y confentie: » de bon cœur, 3 marque de difliuction, & il nous montra plufieurs pièces » de l'étoffe la plus fine qu'elle lui avoit donnée. Obéréa, » malgré fa vieillcfTc, confervoit donc-encore des defirs » très-vifs. » Bientôt après,Towha, Poatatou, Oamo, Happi,Obéréa; $c quelques autres de nos Amis, nous apportèrent des fruits, Sec. Pour monter Towha fur le vaiileau, a on laiffa » tomber oui fauteuil, foutenu par des cordes, Se nous le ?> tirâmes en haut ; ce qui lui fit un grand plaiíir, Se ce » qui étonna beaucoup fes Compatriotes. » On l'affit enfuite fur une chaife,au milieu du gaillard: fa femme étoit avec lui. Parmi divers préfens que je fis à ce Chef, il y avoit un pavillon Anglois,qui l'enchanta d'autant plus, que je lui en appris r.uiagc. « Nous parlâmes de l'expédition projetée contre » Eiméo, Se Towha continua de nous aifuret qu'elle auroit n lieu immédiatement après notre départ. Malgré la mala-» die, il étoit déterminé à commander la flotte en perfonne : » il nous dit que fa vie étoit peu importante, puifqu'il ne » pouvoit pas être long-tems urile à fon pays; quoique très-» infirme,il étoit fort gai ; tous íes fentimens annonçoient le » véritable héroïfme: il prit congé de nous avec une ten* » dreffe Se une cordialité extrêmes. « Des que nous eûmes renvoyé nos Amis, nous apperçûmes un grand Pi .3$ FLOTTE D O TAHITI ASSEMBLEE A O PAREE ■ 99999994 25360407 ^9999999999 du Capitaine C o o K. 3S un grand nombre de pirogues de guerre, doublant la pointe P d'O-Parréc. Voulant les examiner de plus près, je me rendis ^JJ7*' en hâte, fur la côte, avec quelques-uns de nos Meilleurs: j'arrivai avant que les pirogues euiîent débarqué, &: j'eus occaiion de voir de quelle maniere elles approchent du "rivage : quand elles Te trouvèrent devant l'endroit, où elles projetoient d'atterrer, elles fe formèrent en divilions, com-poiées de trois ou quatre bâtimens, ( peut-être qu'il y en avoit un peu plus dans chaque divilion, ) qui fe fuivoient de près, 8¿ enfuite chaque divilion, l'une après l'autre, pagaya, de toutes fes forces, vers le rivage : la manœuvre s'exécuta dune maniere íi adroite, qu'elles formèrent, le long de la greve, une ligne qui n'a voit pas un pouce d'inflexion. Les Rameurs étoient excités par leurs Chefs , placés fur les plates-formes, & dirigés par un homme qui tenoit une baguette à la main, & qui occupoit l'avant de la pirogue du milieu. Ce Conducteur annonçoit aux Rameurs, par des paroles & par des gclfcs, quand ils dévoient pagayer tous à-la-fois j quand l'un des côtés devoit s'arrêter, &c. Les pagayes de gouvernail ne fuflifoient pas pour la marche. La promptitude de rous leurs mouvemens prouvoir leur habileté dans la manœuvre. Après que M. Hodges eut defliné la flotte, celle qu'elle étoit le long de la côte, nous mîmes à terre, & nous allâmes à bord de pluiieurs de ces pirogues , afin de les mieux contempler. La flotte, compofée de quarante voiles, & équippée de la même maniere que celle dont on a parlé plus haut, appartenoit au petit diittict de Tettaha, & elle venoit à O-Parrée paflèr, comme la premiere, la revue du Roi. Elle étoit fuivie de quelques petites doubles pirogues , qu'ils appelaient marais 3 ài qui avoient, à l'avant, une Tome IL Y y 3 «5 4 ' Voyage efpèce de double couchette couverte de feuilles vertes,chacune Mai. ftffiiante pour contenir un homme. Us nous dirent que celila où l'on dépofe les morts : je fuppofe qu'ils vouloient parler des Chefs, car autrement ils devroient perdre peu de monde dans les combats. O-Too, qui étoit préfent, eut la bonté d'ordonner, à ma prière, à quelques-unes des troupes, de faire leur exercice. Deux détachemens commencèrent d'abord avec des maffues j mais ce combat finit tout de fuite: de forte que je n'eus pas le tems de faire des obfervations. Us livrèrent enfuite un combat fingulier, & ils montrèrent avec beaucoup de preftefîe les différentes manieres de fe battre ; ils paroient fort adroitement les coups que leurs adverfaires effayoient de leur porter. Us étoient armés de maffues & de piques, qu'ils lançoient comme des darts. Us faifoient un faut en l'air, pour éviter les coups de mafîues qu'ils tâchoient de s'appliquer fur les jambes, de afin d'éviter ceux qui menaçoient leur tète, ils fe couchoient un peu & fautoient de côté: ainfi, le coup portoit à terre. Us paroient les coups de pique ou de dart, à l'aide d'une pique qu'ils tenoient droit devant eux, qu'ils inclinoient enfuite plus ou moins , fliivant la partie du corps qu'attaquoit leur antagonifte; en remuant un peu la main à droite ou à gauche ,ils échappoient facilement, 8¿ d'une maniere ailée, à routes les bottes. Il me fembla que, lorfqu'un combattant avoit paré les coups de l'autre, il ne profitoit pas de l'avantage qui s'offroit à lui. Par exemple, après avoir paré un dart, il fe renoit toujours fur la défenfive, & il laiffoit fon antagonifte en prendre un autre : il ne profitoit pas du tems pour le tranfpercer. Ces champions ne portoient aucun vêtement fuperflu. Les Spectateurs leur enlevèrent une ou Pl. 55 n l l nn.nnnnnnnn_gg n_nnnnnnnnn M o o Ü ; Q o Q 9 i o o o El o n Renvois aux díífcrenfes Coimes G Pcusr¿ucn¿f Caupes du/CarjM' d&Zt'JPíroau& Il TÏûUb - firme a l'inviai de faPirogue? joour ies CÀe/s des Guerriers , I ¥ teces oui portent ta Piale - /orme , IN o U LT }esszñ f Pian et Càzipe de la Briiannia , &zmrta£ Ouerre a O-Takiii . On en voit cfettce dans le Pian, l'ù ieds 3 pouces. Ces dettec Piroc/ues so ne tifi urces a lavant rt h l'arriére.avec dùr larrots i/ite? líenteles m □ œ □ □ u u m □ et u UN H □ Dm" intervalle entre les deuee lords est de j+ Cordaçer de Coeoàeio w D imenflons , Langueur. • ■ •.........■ ■ Z08wiû? farceur.. .........4 f Profondeur au l?ïadre toupie 6. o C, /f. ,S. Arrière de la. Pirogue P Pièces oui portent /a Piale - /ernie Q flancs des ra/ncurs . f—T-r----\-\-----i-rh—"7 i-----ri Hc/i.i/d J>ire.c deux pièces d'étoffes dont ils étoient couverts, & ils nous les donnèrent. Dès que le combat eut fini, la flotte partit, ANNMai.7** fans iùivre aucun ordre. Chaque bâtiment s'emprefîà de gagner le large le premier, &: nous allâmes accompagner O-Too à un de fes chantiers, où on conflruifoit deux grandes pahies y chacune avoit cent huit pieds de long. On étoit prêt à les lancer, Se on vouloit en faire une double pirogue. Le Roi me demanda un grapin & une cordej j'y ajoutai un pavillon Anglois, (dont il connoifloit très-bien l'ufage, ) & je le priai de donner au pahie le nom de Britannici. Il y cou-fentit, & elle reçut effectivement ce nom. « L'homme qui commandoit la manœuvre avec une ba-» guette à la main , peut être comparé au KeAsuçwç des » navires des anciens Grecs, Ô£ cette flotte de Taïti nous « rappella fouvent les forces navales qu'employoit cette » Nation dans les premiers tems de fon Hiftoire. Les Grecs ■» étoient fans doute mieux armés, parce qu'ils fe 1er voient » les métaux \ mais on voit, par les écrits d'Homère , qu'ils » combattoient fans ordre, & que leurs armes étoient aufli » fimples que celles de Taïti. Les efforts réunis de la Grece » contre Troye, ne furent guères plus confidérablcs que » l'armement d'O-Too contre l'Ifle d'Eiméo , & il y a » apparence que les mille Carinae íi célébrées, n étoient » guères plus formidables qu'une flotte de grandes pirogues, » qui exigent de cinquante à cent vingt hommes pour les » manœuvrer. La navigation des Grecs ne furpaflbit pas » celle des Taïtiens d'aujourd'hui par fon étendue, car elle » fe bornoit à de courtes traverfées d'une Ifle à l'autre \ & » comme les étoiles , pendant la nuit , dirigeoient les Y y z : » Navigateurs, dans l'Archipel, elles guident au/fi les Infialai • * » ics de la Mer Pacifique. Les Grecs avoient de la bravoure , » & les bleíTures nómbrenles des Chefs de Taïti, font des » preuves de leur courage & de leur intrépidité. Il paroît » que, dans les batailles ,leur imagination s'exalte jufqu'à la » phrénéfie, &: que leur bravoure eft toujours en accès. » D'après les combats d'Homère, il eft évident que l'hé- 3> roïfmc, qui produifoit les exploits que raconte le Poete » Grec, étoit exactement de la même nature. Qu'il nous » foit permis de prolonger encore un peu cette compa- » raifon. On nous peint les Héros d'Homère, comme des » hommes d'une groifeur & d'une force plus que naturelles. î> Les Chefs de Taïti , comparés au bas-peuple , font fi » fupcricurs, par leur ftature &: l'élégance de leurs formes, « qu'ils paroilfent être d'une race différente (a). Leurs efto- » macs, d'une dimcniion prodigieule , exigent une quan- » tité extraordinaire d'alimens. On remarque que les Héros » du iîége de Troye, & les Chefs de Taïti font fameux, » par la quantité d'alimens qu'ils confomment, ÔC il paroît » que les Grecs n'aimoient pas moins le porc que les » Taïtiens d'aujourd'hui. On obferve la même (implicite » de mœurs dans les deux Nations, & leur caractère eft » également hofpitalier, affectueux & humain. Il y a même » de la reifemblance dans leur conftitution politique. Les » Chefs des diftricts de Taïti, font des Princes puilians qui » n'ont pas plus de refpect pour O-Too, que les Grecs n'en (a) Cette différence de taille a engagé M. de Bougainville à direqu'i' . y a réellement deux races différentes. Vayt\ fon Voyage autour du. Monde- du Capitaine Cook. 3^7 avoient pour Agamemnon, & on parle fi peu du bas-peuple = dans l'Iliade , qu'on a lieu de fuppofer qu'il étoit d'auifi • VtaL « peu d'importance que les Towtows de la Mer du Sud. » Enfin je penfe que la rcifemblan.ee pourroit être pouííée 3î plus loin j mais je n'ai voulu que l'indiquer fans abufer de » la patience des Lecteurs. Ce que j'ai dit, prouve aiTcz que » les hommes, parvenus au même degré de civilifation, » fe reflemblent les uns les autres plus que nous ne le y> croyons , même aux deux extrémités du monde. Je fe- » rois fâché d'avoir fait ces courtes obfervations, fi elles » engageoient un Ecrivain fyftématique à trouver une ori- » gine commune aux Grecs & aux Habitans de la Mer du » Sud. La manié de rapprocher les Egyptiens & les Chi- » nois , par exemple, a excité tant de dilputes dans ces » derniers tems, que les vrais Savans défirent qu'elle ne » devienne pas une maladie contagieufe. *> Towha me donna un cochon &c une tortue qui pefoit environ ibixante livres. Il fit mettre l'un & l'autre , en fecret, dans notre chaloupe, parce que ce don déplai-ioît à quelques-uns de fes Grands, qui par-là étoient privés d'un régal. 11 m'offrit aufli un gros goulu, qu'on tenoit prifonnier dans une crique j ( on lui avoit coupé quelques-unes de fes nageoires , pour qu'il ne put pas s'échapper ) mais le porc & le bon poiffon, que nous venions de manger fur cette Ifle , nous infpiroit du dédain pour un poiffon fî groffier. Le Roi de fon premier Miniflre, Tee, vinrent dîner avec nous à bord , & ils nous firent enfuite des adieux très-touchans. Le Prince neceifapasde me folliciter de retourner encore à Taïti j &, avant de fortir du vaiileau, il prit un jeune-homme par la main , & il me le préfenta, en me priant Mai!74' ^e *e mener à Amfterdam , où il l'envoyoit chercher des plumes rouges. Je lui dis que, fâchant qu'il ne reviendroit point, il m etoit impofîible de l'embarquer -, mais que fi jamais quelque vaiileau abordoit de la Grande-Bretagne à Taïti, je lui enverrois ou je lui apporterois des plumes rouges en abondance. Cette promeiTe parut le fatisfaire j le jeune-homme avoit grande envie de partir, & fi je n'avois pas réfoiu de n'emmener aucun lnfulaire ( outre (Edidée s'il vouloit s'en venir), & fi je n'avois pas refufé , la veille, à M. Forfter la permifîion de prendre un petit domeftique, j'y aurois conienti. O-Too demeura dans fa pirogue aux côtés du vailfeau, jufqu'à ce que nous fûmes fous voiles. Alors il pagaya vers la côte, & il fut falué de trois coups de canons, « O-Too propofi à mon Pere & à M. Hodges de refter à » Taïti, de il lui promit très-férieufement de les faire Arée » ou Chefs des riches cantons d'Oparrée 8¿ de Matavaï ; je » ne fais fi cette invitation avoit des motifs d'intérêt, ou fi 35 elle provenoit uniquement de la bonté de fon cœur. » Nous quittâmes cet aimable Prince avec l'émotion ÒC » la trifteffe naturelle en pareilles occafions. » Un des aides du Canonier fut fi enchanté de la beauté de l'Ifle & du caractère de fes habitans, qu'il forma le projet d'y refter. Sachant bien qu'il ne pouvoit pas l'exécuter tant que nousferions dans la baie , dès que nous en fûmes dehors, & qu'on eut rentré les chaloupes, & déployé les voiles, il fejettaàl'eau : il étoit bon nageur j mais on le découvrit bientôt : un bateau le pourfuivit fur la chaloupe & le reprit. r=5^'5r? On obferva à mi-chemin, entre la Réfolution & le rivage , ^1^*" une pirogue qui fembloit nous fuivre j mais qui étoit deftinée à le prendre à bord i dès que les Taïtiens, qui la montaient apperçurent notre bateau, ils le tinrent éloignés \ notre déferteur avoit concerté fon plan avec eux, & O-Too qui en fut inftruit, l'avoit encouragé. «Ils espéroient, avec raifon , qu'un Européen leur » procureroit de grands avantages. » En considérant la polition de ce fuyard, il ne parut pas li coupable -, & le délit qu'il avoit de refter à Taïti me iembla moins extraordinaire. Il étoit Irlandois de naiifance , & il avoit fervi dans la Marine Hollandoife. Je le pris à Batavia au retour de mon premier Voyage, & il ne m'avoit pas quitté depuis. Je ne lui connoilfois ni Parens ni Amis, & rien ne fengageoit à habiter un coin du monde plutôt qu'un autre. Toutes les Nations lui étoient indifférentes i èc où pouvoit-il goûter plus de bonheur que fur une de ces Ifles ? Là , fous le plus beau climat de la terre, il alloit jouir des befoins & des ailances de la vie, & achever des jours dans la tranquillité & l'abondance. Je crois que je lui aurois accordé mon confentement s'il me l'avoit demandé , avant l'appareillage. a La résolution de ce Déferteur étoit fortraifonnablej * quand il auroit eu des liaifons de parenté ou d'amitié en « Angleterre, il ne pouvoit pas efpérer d'y être auilî heureux 3 6o Voyage -t « que l'eÎl le dernier des Taïtiens. A fon retour dans la NMai'774* " Grande Bretagne, au-lieu de fe rcpofer après une navi-« gation ii longue & iï pénible, il jugea avec raifon qu'on » le conduirait fur un autre vaiileau, où il auroit à eiîùyer » les mêmes fatigues & les nié mes veilles. En fuppofant » qu'on lui permît de fe repofòr quelques jours, il s'at-» tendoit à être fiûfi au milieu de fes plaiíirs, &c à être « traîné de force à la défenfe de fon pays, avec la peripcc-» tive d'être tué à la fleur de fon âge, ou de refter cftropié ; » s'il échappoit à ces malheurs, il devoit toujours gagner fa n fubiiftance à la futur de fon fronr, malédiction qu'on ne 3> relient pas à Taïti. Les travaux du bas-peuple, chez nous, *» font continuels 6¿ fouvent cxceffîfs : avant de manger du » pain , il faut labourer la terre, recueillir, battre & moudre »» le grain, il faut cultiver cent fois plus de productions que » n'en coniomme chaque individu, car on eft obligé de » nourrir les animaux dont le fecours eft abfblumcnt nécef-» faire dans le labourage, pour acquérir la liberté de fernet » la terre j d'acheter des vêtemens, indifpenfables dans un »> climat rigoureux \ d'avoir des outils, Sec. que d'ailleurs on n feroit aifément de fes propres mains, fi l'agriculture feule »> n'abibrboit pas toute l'attention. Le Commerçant, le Ma-» nufacturier & l'Artifte doivent tous travailler avec une » égale aiîîduité, afin de fournir des marchandifes au Feras mier qui leur donne du pain. Combien la vie molle des a> Taïtiens eft différente de celle-là ! Deux ou trois arbres to à pain, qui croiffent prefque fans culture, & qui fubfîftent t> plus qu'un homme, fourniifent à.chaque Particulier une » nourriture fraîche or abondante les trois quarts de l'année: » ils en font « ils en font fermenter, & ils en confervent pour les trois ! » autres mois; les plantes qui, à Taïti, demandent le plus » de foins, comme les choux & les racines d'Eddo t en » exigent beaucoup moins que nos choux & que les her-» bages de nos jardins. On plante un arbre à pain , en »> détachant une de fes branches, qu'on fiche en terre ; » la banane , dont la riche grappe femble un poids trop » pelant pour une tige herbacée, fe reproduit du pied de » la racine ; le palmier royal, qui eil tout-à-la-fois l'orne-. » ment de la plaine & d'une extrême utilité aux Habitans; » la pomme d'or, dont nous avons éprouvé les effets falu-» taires, & beaucoup d'autres fruits y viennent en fi grande » abondance, & avec fi peu de peine, que je pourrois les » appcller fponrancs. La fabrique des étoffes eil un pafïe-» tems agréable, de la conltrucl'ion des cabanes 6# des pu » rogues, ainfi que la manufacture des outils & des armes, » font des occupations amulantes, parce que les ouvriers s) jouillént feiiîs du fruit de leurs travaux ; ils paiîcnt donc i, la plupart de leurs jours dans un cercle de jouiilànces a variées, au milieu d'un pays où la Nature a répandu des » payiages charmans, où la température de l'air eil chaude, « mais rafraîchie fans cefîc par une brife de mer, & où le » Ciel eft prefque toujours fercin : ce climat & fes produc-» tions exquifes contribuent à la force & à ïcïcgance de » leurs formes : ils font tous bien proportionnés ; & quelques-» uns auroient fervi de modèle à Phidias ou à Praxitèle; » leurs traits ont de la douceur, & leur vifage ne porte » point l'empreinte des pallions; leurs grands yeux, leurs » fourcils arqués, & leurs fronts élevés, donnent de la no-» bleffe à leur tête, qu'ornent d'ailleurs une barbe fournie Tome IL Zz - » Ôc de beaux cheveux (a); les femmes, compagnes de leur » félicité, font très-intéreifantes, comme on la dit tant de » fois. On trouve dans la vie de ces Infulaires l'uniformité » du bonheur : ils fe lèvent avec le foleil, & ils vont fe laver » à la riviere ou à la fontaine ; ils paffent le matin à travailler » ou à le promener, jufqu a ce que la chaleur augmente: » ils fe retirent alors dans leurs habitations, où ils fe repofent » à l'ombre d'un arbre : là, ils s'amuient à liffer leurs che-» veux, ou à les parfumer d'huile odorante, ou ils jouent » de la flûte & chantent, ou enfin ils écoutent le ramage » des oifeaux. a midi, ils dîneur; après leur repas, ils » reprennent leurs amufemens domeftiques , & l'on re-» marque , durant cet intervalle , une affection mutuelle » répandue dans tous les cœurs. Nous avons fouvent joui » de ce fpcctacle d'innocence & de bonheur; les faillies » gaies fans malice, les contes fimples, la danie joyeufe, & » un fouper frugal amènent le foir : on fe lave une feconde *> fois à la riviere, &c on finit ainfi la journée fans inquié-» tude & fans peine. » Il faut convenir que ces avantages, attrayans pour » les ames très-honnêtes, le font bien davantage pour ceux n qui n'ont rien de plus à cœur que les jouiiîànces char-» nelles j &, quand on ne] fuppoferoit pas des vues bien • élevées au Matelot dont on a fait mention, il ne faut pas « s'étonner qu'une vie fi douce l'ait féduit. Peut - être (a) Les autres Navigateurs ont dit que ics¿Taïtiens arrachent les poils de la levre fupérieure , de la poitrine, & des aiiïtlles : mais cette coutume n'elt pas générale ; les Chefs3 en particulier, & leiloi lui-incme> couiervent leurs moullaches. ✓ » qu'accoutumé à Taccivi té, à l'agitation des paillons j peut- 1 » être qu'habitué à porter fes penfées fur le paífé & l'avenir ; * peut-être que connoifïànt une quantité innombrable d'ob-» jets ignorés des Taïtiens, il auroit été bientôt fatigué » d'une tranquillité monotone, convenable feulement à un » Philofophe qui s'eft dégoûté du monde, ou à un Peuple » dont les penfées font fimples &c bornées, car les idées de » bonheur font infiniment variées dans les différentes Naso tions & dans les individus, fuivant les mœurs & les prin-» cipes de chacun, & fuivant le degré de civilifation où on 73 fe trouve. » Qfes qu'on eut ramené le Matelot fur le vaiffeau, je le fis mettre aux fers pour quinze jours, &r je gouvernai pour Huaheine, afin d'y voir nos Amis \ mais, avant de quitter Taïti, il eft à propos de parler de l'état actuel de cette Ifle, d'autant plus qu'elle avoit beaucoup changé depuis huit mois. J'ai déjà indiqué les améliorations qui nous avoient frappé dans les plaines de Matavaï òc d'O-parrée ; nous en obfervâmes également fur tous les autres cantons. Nous ne concevions pas comment, dans un efpace de huit mois, ils avoient pu conftruire tant de grandes pirogues Se demaifons. Les outils de fer qu'ils avoient tiré de nous & des autres Nations qui ont relâché dernièrement à cette Ifle, contribuent fans doute à ce progrès, & ils ne manquent pas d'ouvriers, ainfi qu'on le verra bientôt. Le nombre des cochons excitoit notre étonnement: lors de notre premiere relâche ¡ ils n'étoient probablement pas Zz z ' auíTi rares que nous l'imaginâmes; mais parce qu'ils ne vou-' loient pas nous en vendre, ils les avoient fouitrait à nos regards. Quoi qu'il en foit, nous en prîmes, cette fois, autant que nous en pûmes confommer, Ô£ même nous en embarquâmes quelques-uns. Pendant le fé jour que je fis à Taïti, l'année précédente, j'avois une opinion afïèz défavorable des talens d'O-Too. Les progrès queje remarquai dans l'ííle, depuis cette époque, me convainquirent de mon erreur, & c'eft sûrement un homme de mérite. Il eft vrai qu'il eft entouré de Confeils judicieux , qui, je crois, ont une grande part au gouvernement, au fond, je ne fais pas jufqu'où s'étend fon pouvoir, comme Roi, ni quelle autorité il a fur les Chefs. Tout paroiifoic d'ailleurs avoir concouru à l'état florilfant de l'Ille. Sans doute il y a des divisons parmi les Grands de cet Etat, ainli que dans la plupart des autres pays : autrement, pourquoi le Roi nous difoit-il que Towha l'Amiral, & Potato w, deux principaux Chefs, n croient pas fes Amis? Nous le crûmes jaloux de lapuiflanceconfidérable dont ils jouiffoient; car, dans toutes les occajîons, il fembloit rechercher leurs bonnes grâces. Nous avons lieu de penfer qu'ils venoient de lever le plus grand nombre de bâtimens & d'hommes que pouvoit fournir fille, pour marcher contre Eiméo, & qu'ils alloient commander tous les deux cette expédition , qui, à ce qu'on nous dit, devoit commencer cinq jours après notre départ. Wahéatua, Roi de Tiarrabou, avoit promis d'envoyer une flotte qui fe joindrait à celle d'O-Too, afin de l'aider à réduire à l'obéifîànce le Chef d'Eiméo. Il femble me fou -venir qu'on nous apprit qu'un jeune Prince étoit un des Commandais. On imagine qu'une lile auilî petite qu'Eiméo, usine pouvant braver les forces réunies de ces deux Royaumes, Anîj entreprit de terminer la querelle par une négociation i mais on ne nous a rien dit de pareil, au contraire, on ne parloit que de combattre Towha me proteila plus d'une lois qu'il y mourroit, ce qui prouve l'idée qu'il fe formoit de cette guerre. (Edidée m'ailura que la bataille fe donnerait en mer, & dans ce cas, l'ennemi avoit une Hotte à-peu-près égale à celle qui alloit l'attaquer i ce qui ne me paroît pas probable. 11 y avoit d'autant plus d'apparence que les imî;Iaircs d'Eiméo réitéraient à terre fur la défeniive, qu'ils fuivirent ce plan cinq ou lîx ans auparavant, quand ils lurent afiàiilis par les Habitans de Tiarrabou, qu'ils repouifcrent. Cinq Officiers-Généraux diiigcoient cette expédition, & O-Too étoit du nombre : s'il nous les ont nommés fuivant le rano-qu'ils occupoient, O-Too ne remplilfoit que la troilieme place dans le commandement. Cela eft allez vraifcmblable, puifqu'étant jeune , il ne pouvoir pas avoir allez d'expérience pour commander en Chef dans une campagne qui exigeoit beaucoup d'habileté & de favoir. J'avoue que j'aurais volontiers refté cinq jours de plus a Taïti, fi j'avois été fur que l'expédition auroit lieu i mais nous jugeâmes qu'ils áeSrmmt notre départ, & qu'ils ne vouloient pas commencer leur campagne tant que nous ferions parmi eux. On nous avoit dit, pendant tout notre féjour, qu'on ne fe battrait que dans dix lunes; & ce ne fut que la veille de notre appareillage, qu'O-Too & Towha convinrent qu'ils alioient livrer bataille, cinq jours après que nous aurions mis à la voile j comme 11 cet efpace de tems eût été nécefTaire pour achever leurs préparatifs. En effet, nous occupions une partie de leur tems & de leur attention. Je remarquéis que , depuis plufieurs purs, O-Too & les autres Chefs ne follicitoient plus nos fecours : ayant été beaucoup importuné là-deflus, je leur avois promis que fi leur flotte partoit au moment de notre appareillage, je marche-rois, avec eux, contre Eiméoj mais ils ne me parlèrent pas depuis fur cet objet. En examinant cette affaire, ils avoient probablement conclu qu'ils feraient bien plus en ñireté fans moi ; ils favoient que je donnerais la victoire à qui je voudrais, & que peut-être je ne ferais que dépouiller les vainqueurs Se les vaincus. Quelques fuffent leurs raifons, ilsfbu-haitoient d'être débarrafïes de nous, avant de rien entre-prendre. Ainfi, nous fûmes privés de voir 1 equippement de toute la flotte i nous aurions peut-être été témoins d'un combat de mer ; ce qui nous auroit inftruit de leurs mar nceuvres. Je n'ai jamais pu découvrir combien de vaiffeaux com-poferoient cette expédition : je n'en ai vu que deux cens dix, outre de petites pirogues deitinées à fervir de bâtimens de tranfport, &c. & outre la flotte de Tiarrabou, fur la force de laquelle on ne nous a rien dit. Je n'ai pas pu favoir non plus le nombre d'hommes néceííaires pour équippercette flotte: -quand je le demandois, les Infulaires répondoient, warou , ■warou 3 warou, Te Tata, c'eit-à-dirc, beaucoup 3 beaucoup 3 beaucoup d'hommes , comme fi cette quantité eûtfurpaffc toutes les évaluations de leur arithmétique. En comptant quarante hommes pour chaque piroque de guerre, & quatre pour chacune des autres, fiippofition qui paroît modérée, Je nombre fera de neuf mille. On eft étonne de la force de 'j^f^ cette armée, levée feulement dans quatre diftrids ; & même Mai, celui de Matavaï ne fourniifoit pas le quart de fa flotte. On vient de dire que ce calcul ne comprend point celle de Tiarrabou-, & peut-être aufli que d'autres diftrids armoient alors de leur côté de nouvelles pirogues. Je crois cependant que toute l'Ille ne faifoit pas des préparatifs en cette occaiion ; car nous n'en avons remarqué aucun à O-Parrée. D'après ce que nous avons vu , & d'après ce que nous avons appris, je penfe que le Chef, ouïes Chefs de chaque canton, avoient la fur-intendance de l'équippement de la flotte de leur diftricl:} mais, lequippement formé , toutes les pirogues pailoient en revue devant le Roi de qui elles relèvent en dernier lieu : de cette maniere, il connoît l'état de toutes fes forces, avan¿ qu'elles entrent en campagne. On a déjà observé que cent foixante pirogues de guerre appartenoient à Attahourou & à Ahopata, quarante à Tet-taha, ¿V dix à Matavaï, qui n'y envoyoit pas le quart de íes forces. En admettant que chaque diftriér de l'Ifle ( il y en a quarante - trois ) arme le même nombre de pirogues que Tettaha, on trouvera que toute lTflc peut équipper mille fept cens vingt pirogues de guerre, & foixante-huit mille hommes , à quarante hommes pour chaque bâtiment .(¿z). (a) te M. Foriter fait un autre calcul i il dit, fi chacun des quarante-w> trois diftricìs arme vingt pirogues de guerre, à trente-cinq hommes n chacune, il n'y auroit pas, dans route la flotte, moins de trente » mille hommes, fans compter les bateaux de fuite; & , il ces Gucr-mriers formoient le quart de la population, Tille doit contenir au » moins cent vingt mille Habitaus. « M. Forfter ajoute: « Qu'il a » reconnu , dans la fuite, que ce calcul n'étoit pas aifez conlidcrahlc. x> Et, comme les Guerriers tic peuvent pas prendre plus d'un tiers de la population des deux fexes, y compris les cnfms , toute Tifie contient au moins deux cens quarante mille Habitans , nombre qui me parut incroyable au premier moment; mais quand je réfléchis à ces eflàins de Taïtiens, qui frappoient nos regards par - tout où nous allions , je fus convaincu que cette évaluation n'clt pas trop grande. Rien ne prouve mieux la fertilité & la richelfe de ce pays, qui n'a pas quarante lieues de tour. L'Isle ne formoit jadis qu'un Royaume : j'ignore depuis quand elle eil diviiée en deux États. Les Rois de Tiarrabou font une branche de la famille de ceux de O-Poureonu: les deux Princes font aujourd'hui proches parens j &: je crois que le premier dépend, en quelque forte, du fécond. O-Too eft appelle Earée de Hic de toute YlñcySc on nous a dit que Wahéatua, -Roi de Tiarrabou, ie découvrait devant lui, ainfi que le dernier de fes Sujets. Cet hommage eil dû à O-Too comme Earée de Hit de l'Ifle, à Tarevatou fon frère, & à fa feeur cadette \ à l'un, comme héritier \ Se à "autre, comme héritier apparent : fafecur aînée, étant mariée, n'a pas droit à cette vénération. Les Eowâs &c les IVhannos paroilfoient quelquefois couverts devant le Roi j mais nous n'avons jamais pu favoir íi c'étoit par politeffc , ou s'ils y font obliges, en verni de leur place: ces homme?, les principaux perfonnages qui entourent le Roi de toujours cette lile charmante , lorfqu'un autre fpecfaele ^*1^77^ » attira nos regards fur les ponts. C'étoit une des plus belles » femmes de l'Ifle, qui avoit réfolu devenir avec nous à » Uliétéa,fa patrie. Ses parens, qu'elle avoit quitté quelques » années auparavant pour s'enfuir avec fon Amant, vi voient » encore , & fa tendreife filiale la portoit à les revoir. Elle ** ne craignoit point leur colère, au contraire , elle s'arten- » doit à en être bien reçue j en effet, ces infulaires par- » donnent aifément les fautes de jeunefle. Comme O-Too » avoit défendu , expreifément, à aucune de fes fujettes de » nous fuivre, elle s etoit cachée à bord durant la dernière » vilite de ce Prince -, mais,fc voyant alors en pleine mer, » elle ne craignit point de fc montrer. Le frère d'CEdidée ; » fon domcfîique &c deux autres Naturels de Bolabola » nous accompagnèrent auifi : ils fe iîoient à des étrangers. » qui avoient ramené il fidèlement un de leurs Compa- » triotes, & qui s'efforçoient de leur donner toutes fortes •» de marques d'amitié : leur compagnie anima notre con- £ yerfation & abrégea en quelque forte notre paifage à 374 V o y a E » Huaheine. La Taïtienne portoit l'habit complet d'un de mÌ?74* * nos Officiers » & e^e étoit lì charmée de fon nouveau » vêtement, qu'elle defcendit à terre ainfi vêtue, dès qu'on » eut abordé. Elle dîna avec les Officiers fans le moindre » fçrupule, & elle rit, des préjugés de fes Compatriotes, » avec toute la grâce des femmes du monde. Si fon édu-» cation avoit été foignée , elle auroit brillé par fon efprit, » même en Europe , puifque fon extrême vivacité , jointe » à des manieres très polies, la rendoit déjà fupportable. ¿5. » Nous marchames toute la nuit, & le 15, au matin, »> nous découvrîmes Huaheine. » À une heure , après midi, je mouillai à l'entrée fepten-trionale du havre d'O-Wharre : les chaloupes mifes en mer , remorquèrent le vaiileau dans un lieu convenable; c¿ on amarra avec une ancre de pofte, & une ancre de toue , à moins d'une encablure de la côte. Durant les manœuvres , plufieurs Naturels vinrent nous faire une vilite : le vieil Chef Orée, qui étoit à leur tête, m'oifrit un cochon & d'autres préiêns, avec les cérémonies accoutumées. « Ces Indiens nous demandèrent oes haches ; mais » parce qu'il nous en reftoit peu, nous les gardâmes pour » les grandes occafions. Le foir,il y eut un calmeparfàir, a» & nous fumes enchantés de voir & d'entendre les Infu- »> laires, affis dans leurs maifons, le long de la côte autour n de leurs flambeaux ? qui ibnt des noix huileufes, enfilés » à un mince bâton. » là. Le lendemain, ils commencèrent à nous apporter des fruits. Je tendis la viiite d'Orée, & je lui fis mes préfens. Je lui = donnai entr'autres chofes des plumes rouges. Il en prit deux ou trois dans fa main droite, & les mettant enfuite entre l'index Ô£ le pouce , il dit une prière , à laquelle il me parut que les Speétateurs faifoient peu d'attention. On dé-pola bientôt après deux cochons dans ma chaloupe, & Orée & plufieurs de fes Amis vinrent dîner à bord avec nous. Après dîné, il m'expofâ quels préfens feroient plus agréables à lui de à fes amis -, & il mit les haches de les clous au premier rang. En conféquence, je lui accordai ce qu'il demandoit : il voulut abfolument diftribuer mes dons aux autres, & il s'en acquitta à la fatisfaction de tout le monde. Un jeune homme d'environ dix ou douze ans, ion fils, ou fon petit-fils , fembloit être le perfonnage le plus confide-rable, & il eut la plus grande part à fes libéralités. Quand cette diítribution fut finie, ils retournèrent tous à terre. « Poréo le jeune , Taïtien, qui s'étoit embarqué avec * nous huit mois auparavant, de qui s'étoit retiré à Uliétéa, * vint à bord dès le grand matin : il nous avoua qu'il étoic » relié parderriere , malgré lui , lors de notre départ j » qu'aimant une jolie fille , elle lui avoit donné un rendez- vous, où il alla après avoir remis la poire à poudre du *• Capitaine j qu'arrivé à l'endroit que lui fixoit fa belle » maîtrclfc, il fut attaqué par le pere de la fille de par » d'autres hommes, quile dépouillèrent de fes vêtemens » Européens, le battirent de le tinrent enfermé , jufqu'à ce * que nous fûmes fous voile ; qu'il profita enfuite d'une ~t 55 occaiion pour paiTer à Huaheine , où t'hoípitalité de fes ¿¿J 15 Amis avoit pourvu à fa iubiîftance , & qu'enfin il n'étoit » point dans la mifere. On peut conclure de cette hiftoire » que les Habitans de ces liles ne permettent pas toujours » à leurs enfuis de fuivre leurs propres inclinations ; mais » quelques foient là-deilùs leurs principes, le Pere de fin- » dienne n'étoit point autorifé à prendre à Poréo fes habits.. # » Nous descendîmes, à terre, le plutôt qu'il nous fut » poííible, & nous parvînmes aux lagunes que la mer forme s» au Nord du havre: elles étoient environnées domarais, » remplis d'un grand nombre de plantes des Indes orien-» talcs, 6c une vafe vjfqueufe qu'à fon apparence &¿ à fon » odeur fœtide , nous jugeâmes être de la même nature » que Y heparfulphuns , en compofoit les bords. Il y avoit aux environs des troupes coniidérablcs de canards; mais 33 Í1 étoit difficile den approcher, parce que nous enfoncions » dans la vafe , dès que nous voulions y pofer le pied. La » perlpcctive de cette pièce d'eau cil cependant très-agréable '& très-pittorefque-, mais les émanations puantes paifent » probablement pour mal-faines ,éar nous vîmes peu de caro bancs autour de la bordure : du côté de lamer , ces lagunes si font enfermées par un banc de corail étroit, couvert de » fòle, un peu élevé , le long duquel nous trouvâmes 33 beaucoup de cocotiers : les marais vont delà en pente, » jufqu'à l'eau qui croupit. L'un des Naturels nous offrit » des noix de cocos, alors très-rares fur l'Ille. En revenant, ■» notre domeftique, qui portoit un iac de plantes & un » fécond iac d'outils de fer, fut attaqué & terraffé pat É du corail, des coquillages & des hérifïbns que les Natu-» rels raffemblerent pour nous fur la côte de la mer. DifTé-» rens Chefs, qui vinrenr revoir leurs anciennes connoilfan-» ces, nous offrirent des cochons & des boucliers de guerre, » 8c ils eurent foin de ne pas s'en deilàifir, avant d'avoir vu » l'ami auquel ils deitinoient ces préiêns, Bbb z 5. » Nous gravîmes aiiiil fur une colline, plantée par-tout » d'arbres à pain, de poivriers 8c de mûriers, d'ignames 8c » d'Eddoes. Les mûriers ou les arbres d'étoffe étoient cul-» tivés avec une attention particulière ; l'intervalle entre » chaque pied étoit proprement farcie ; de vieilles coquilles, =» 8c du vieil corail brifé fervoient de marne, & un fillon ou » canal profond entouroit la terre afin de la tenir à fec. Ils n avoient brûlé en plufieurs endroits des fougères 8c des » arbriifeaux, pour y former de nouvelles plantations, Prefque 33 au haut de la colline, nous trouvâmes une maifon, où, une » vieille femme 8c fâ fille, nous accueillirent avec bufatasi lité : nous leur donnâmes des grains de verre, des clous » 8c quelques plumes rouges : elles acceptèrent les plumes » uniquement comme des curiofités, car elles n'y met-» toient aucun prix. Les autres Infulaires d'Huaheine n'y » en attachoient pas davantage. Ils demandèrent des hais ches en échange de leurs cochons, 8c de petits outils de » fer pour d'autres provifions ; 8c, comme nous avions aftez » de porc, leurs proportions nous parurent défavantageu-» fes, quoiqu'elles fuffent les mêmes que lors de notre prejo miere relâche. Les plumes rouges n'ayant point ici de » valeur intrinféque, c'eft une nouvelle preuve de l'opu-» lence 8c du luxe des Taïtiens, qui les achètent avec tant » d empreflement. Cette différence provient de l'extrême » fertilité de Taïti comparée à celle d'Huaheine, où la » plaine qui fert de ceinture aux collines, eft fi étroite èc » fi peu confidérable, que les Naturels font obligés de » cultiver les collines.. v Nous retrouvâmes au Heiva y de la veille, les Iníu- » laires qui avoient volé íi adroitement les deux facs des BS » Officiers : ils avouèrent leur faute, & promirent, il on An » leur pardonnoit, d'apporter en équivalent des boucliers » de guerre. On confentit à cette prière, 8c effectivement » le lendemain ils tinrent leur parole. » a chaque moment ils cífayoient de nous voler : on » en furprit un qui tâchoit de dérober une poire à poudre, » 8c on lui donna quelques coups pour le corriger. Les vê-» temens Européens de la Taïtienne que nous avions ame-» née, tentèrent aufli les Naturels ; plufieurs l'aflàillirent » dans une màifon au moment où elle y penfoit le moins, » & fe mirent à la déshabiller; heureufement quelques-uns » de nos Meilleurs allèrent à fon fecours 8c difperfcrent » les brigands : cet accident l'effraya fi tort, que depuis elle » ne for ti t plus feule du vaiileau. » La matinée du 15) fut pluvieûie, 8c Faprès.-dînée belle. « Nous fîmes une promenade vers la longue pallè »3 où le Docteur Sparrman avoit été volé huit mois aupa-» ravant. Il plut tellement, qu'il fallut nous réfugier dans » une petite hutte. Nous y trouvâmes une famille aimable, « qui nous offrit du fruit à pain frais 8¿ du poiiîbn. Une t> vieille femme, d'un rang un peu di flingue, s'étoit réfu-» giée auifi fous le même toit avec un homme de fa fuite, » qui menoit un cochon. Nous partîmes enfemble, lorfque » la pluie eut ceifé ; & la bonne femme, après nous avoir » pré fente fon cochon, nous invita à fa maifon, fituée à une 3 $2 V O Y À G E — » diftanee confidérable. Nous traverfâmes la colline, de def-NIMaL 7+ ** rendîmes fur les bords de la mer de l'autre côté de lTile. » Le chemin fut très-gliilànt, mais je recueillis des plantes » nouvelles. Le ciel devint parfaitement beau, avant notre » arrivée dans la plaine. Nous vîmes une baie de un banc » étendu de corail, de un petit Iilot qu'habitoient des troupi pes nombreufes de canards fauvages, de corlieux Se de » becaffines : à la follicitation de notre bonne vieille, les » Naturels nous préfenterent des rafraîchiifemens ; ayant » chaifé quelque tems, nous repafsâmes la colline dans une » autre direction, & au-delà dune belle vallée bien peu-» plée, Se couverte de toute forte de plantations, nous attei-» grumes enfin l'habitation de la femme, qui étoit fiir le »> rivage. Nous y trouvâmes un vieillard, fon mari, & » beaucoup d'enfans, dont quelques-uns étoient d'un âge a» mûr. Elle nous régala de volailles, de fruit à pain, de noix » de cocos, Se elle nous renvoya enfuite fur fa pirogue au » vaiileau, dont nous étions éloignés d'environ cinq milles » par mer : la diftanee auroit été au moins deux fois plus » grande, en faifant le chemin par terre. Cette bonne In-. » dienne mit, dans les fervices quelle nous rendit, un em-» preilement, que je n'avois jamais remarqué, quoique, fur » toutes les Ifles de la mer du Sud, on nous eût donné des * preuves fans nombre d'attachement de d'hofpitalité. » j_0î Le io dès le grand matin, trois Officiers partirent pour la chaffe, un peu contre mon gré, parce que je favois que les Naturels guettant toutes les occafions de voler ceux qui fe détachoient en petites troupes, devenoient chaque jour plus audacieux. A trois heures de l'après-midi, on m'avertit que nos chaffeurs venoient d'être faiiîs & dépouilles de tout ce qu'ils poilédoient. Je me rendis, fur-le-champ, à terre avec M. Forftcr, & l'équipage d'une chaloupe, & je m'emparai d'une grande maifon, de ce qu elle contenoit, 6c j'arrêtai deux Chefs qui s'y trouvoient: mais, comme je ne voulois pas répandre l'alarme dans les environs, je fis tout cela fi paifiblement, que les Infulaires favoient à peine que nous étions defeendus. Je reftai autour de l'habitation, jufqu'à ce que j'appris que les Officiers étoient revenus fains 6c faufs, & qu'on leur avoit tout rendu : je quittai alors la maifon, & j'y remis ce que nous en avions enlevé. Les Officiers eux-mêmes me racontèrent enfuite à bord toute l'affaire. De petites infultes de leur part, excitèrent les Taïtiens à faifir leurs fufils, ce qui amena une violente querelle-, quelques Chefs s'en mêlèrent, ôterent les Officiers du milieu de la foule, 6c leur firent reftituer ce qu'on leur avoit pris. « Il faut dire que le fécond Lieutenant avoua que les » Anglois avoient été les agreilèurs j l'un d'eux ayant tué » deux pigeons, voulut qu'un Naturel allât les chercher » dans l'eau : l'Indien qui avoit fou vent eu cette compi ai-, » fance, refufa cette fois de faire le fervice d'un chien : un » des Officiers le battit alors, jufqu'à ce qu'il obéit \ 6c le m pauvre lnfulaire fe traîna dans la vale, avec beaucoup » d'agilité. Quand il eut ramane les canards qui étoient à » une diftanee confidérable de la côte; il s'enfuit à la nage, *> & les emporta à l'autre bord de la lagune : il fentoit bien » que ces oifeaux pou voient à peine payer fa peine. Comme » ceci piqua nos gens, l'un d eux charga fon fufil à balle j » il tira, 6c manqua heureufement l'Indien. Il fe prépa- » roic à tirer un fécond coup, lorfque la foule qui l'en- « touroit, voyant qu'on le jouoit avec autant d'infolence » de la vie d'un Naturel, tomba fur lui & faiiit cette arme » terrible dont les farouches étrangers abufoient íi cruelle* * ment. L'Anglois appella fes camarades à fon fecours, & » quoique l'un d'eux lâchât fon fuiìl, chargé à plomb, dans » les cuiiîes d'un lnfulaire, les Indiens furieux, les frappèrent n impitoyablement. Le dome ni que d'(Edidée, jeune horn-» me robuile d'une très - petite taille, accompagnoit nos » Meilleurs, & il fe battit courageufement en leur faveur, » mais il fut terraffé par le nombre. » Ceci arriva à un endroit où l'on nous avoit dit auparavant, que des Taïtiens s'étoient réunis pour former une troupe de voleurs, dans le deiîein de détroulTer tous ceux qui y palferoient. Il paroît que le Chef ne put ni prévenir ni arrêter ces outrages multipliés. Je ne le vis pas ce foir, mais j'appris d'GEdidée qu'il vint fur le rivage un moment après mon rembarquement pour le vaiíTeau, & qu'il étoit il affligé de ce qui venoit de fe palier, qu'il en verfa des larmes. « Je ne dois pas oublier que nous débarquâmes dans ■> une maifon, qui fembloit'être une hôtellerie ou caravanas ferai delfine aux voyageurs : il y avoit des perfonnes de » différentes familles, avec iefqueiles nous converfâmes * d'abord p aifiblement -, mais, à la nouvelle de l'accident » arrivé à nos Officiers, la plupart s'enfuirent, & ceux qui n réitèrent, donnèrent des marques de crainte, & retour-as nerent à bord^ nous vîmes les Naturels abandonner le ■» pays des environs. * Le 21, Le 11, dès la pointe du jour, nous apperçûmes plus de -foixante pirogues fous voiles,qui fortoient du Havre, & qui ^¡'¿L 4' marchoient vers Uliétéa. En demandant la deftination de cette flotte, on nous dit qu'elle étoit montée par des Ea-réoys(a),£¿ qu'ils alloient faire une vifite à leurs confrères des Ifles voiiïnes. On peut prefque les comparer aux Francs-Maçons j on nous affura qu'ils fé fecourent les uns les autres quand ils font dans le befoin ; ils femblent pratiquer des ufages, qu'ils ne veulent point, ou qu'ils ne peuvent pas expliquer. (Edidée nous apprit qu'il en étoit j Tupia en étoit aufli, & ni l'un ni l'autre n'ont confenti à me donner une idée nette de ces établiflemens. (Edidée nie qu'on mette à mort les enfuis qu'ils ont de leurs maîtreffes, ainfi que Tupia & plufieurs Taïtiens nous Favoient protefté. J'ai eu différentes converfations avec Omaï fur cette matière, & il m'a confirmé tout ce qu'on raconte dans mon premier Voyage. (Edidée couchoit ordinairement à terre, &: il vint me faire un meflage de la part d'Orée, qui defiroit que je dé-barquafle, fuivi de vingt-deux hommes, pour aller châtier, avec lui, treize voleurs. Afin de fe fouvenir du nombre des Soldats que demandoit le Chef, le Député apporta vingt-deux morceaux de feuilles : c'eft leur méthode de calculer. Dès que j'eus reçu cette députation extraordinaire, je me rendis auprès du Chef} je le priai de m'expliquer plus clairement fon intention ; & tout ce que j'en appris, fut que ces voleurs formant une troupe de bandits, réunis (a) Des Membres de ces Sociétés de débauche, où toutes les femmes & tous les hommes font en commun, Tome IL Cce ■ __en corps, fe propofoient de nous faifir & de nous détrou fier ^^Í¿V Par"C0lît ou ^s nous trouveroient, & qu'ils avoient pris les armes pour cela : il m'invitoit à les punir. Je l'avertis que li je me mettois en marche, ils s'enfuiroient dans les montagnes : il m'apprit alors qu'ils étoient réfolus à nous attaquer, & il me confellla de les détruire eux & leurs mai-fons y mais il me pria d'épargner leurs voiíins & les habitations des environs, ainfi que les pirogues & le Whchnoa. Comme s'il avoit voulu s'aiÎiircr d'avance de ma bonne volonté en faveur des innocens, il me préfenta un cochon, offrande de paix de la part du Whennoa} il étoit fi petit, qu'on ne pouvoit guères le préfenter que dans une cérémonie de cette efpèce. Ce Chef intelligent voyoit bien, (ce que les autres Taïtiens n'imaginoient peut-être pas) que tout le voiiïnage dépendoit de nousj &, pour arrêter nos forces, il recourut à un expédient, qui doit être iacrc parmi eux. En retournant à bord, je peniai à £\ propofition, qui me parut fort étonnante. Je me décidai cependant de m'y rendre, de peur que mon refus n'encourageât ces brigands à commettre de plus grands acìcs de violence j &, comme le bruit de leurs vols devoit bientôt fe répandre à Uliétéa, où je me propofois de relâcher, mon indulgence auroit pu engager les Infulaires à nous traiter de la même maniere, ou plus mal encore. « Le Lecteur aura foin de remarquer que ces Indiens » avoient fort à fe plaindre de linjnftice de nos Gens, & » qu'ils étoient armés par le rciîentiment òc la colere. » Je débacquai avec 48 hommes, y compris les Officiers, MM. Forffer, le Docteur Sparrman & M. Hodges. Le Chef, fuivi de peu de monde, nous joignit bientôt, & nous mat- : châmes, en bon ordre, à la recherche des bandits. Durant la route, le cortège s'accrut à chaque pas. « Orée demanda bientôt à refter derrière *, mais » M. Cook l'engagea, ainii que quelques autres, à nous fui-» vre & il ordonna à la foule de ne pas marcher plus avant, » fous prétexte qu'au moment du combat, nous ne pour-» rions plus diftinguer nos Amis de nos Ennemis. » (Edidée, qui étoit avec nous, commença à s'alarmer, obfervant que plufieurs des Infulaires qui nous accompa-gnoient, faifoient partie de la troupe que nous allions attaquer, de il nous avertit qu'ils nous conduiibient fûrement à un endroit où leurs camarades nous tomberoient deffus avec avantage. Je ne lais pas íi fes craintes avoient quelque fondement j mais ce fut le feul en qui nous enflions confiance, &nous réglâmes nos mouvemens d'après íes avis. Quelques milles au-delà, nous apprîmes que les bandits, que nous pourfuivions, s étoient enfuis dans les montagnes; je déclarai alors à Orée que je ne m'avancerois pas plus loin j car il nous falloit traverfer une vallée profonde, bordée, de chaque côté , de rochers eicarpés, où un petit nombre d'hommes , avec des pierres , pou voient coupet notre retraite, s'ils avoient les projets qu'GEdidée periiftoit toujours à leur prêter. Pleinement réfolus de revenir fur mes pas, nous fîmes volte-face, ài nous apperçûmes, en divers endroits, des Infulaires qui nous avoient fuivi, defeendant des flancs des collines, & tenant, dans leurs mains, des armes qu'ils quittèrent à l'inftant, & qu'ils cachèrent fous Ccc 2, des buiifons, quand ils fe virent découverts. Ceci fembloit prouver qu'(Edidée avoit eu raifon de nous donner íes con-feils j mais íi le Peuple avoit de mauvaifes intentions contre nous, je ne puis croire que le Chef les partageât. Pendant notre retraite, nous nous arrêtâmes à un endroit convenable pour nous rafraîchir. Je demandai aux Taïtiens des noix de cocos, & ils nous en donnèrent fur-le champ. Je penfe qu'ils dciiroient fort que nous quittançons la côte ; car ils étoient fûrement effrayés, quoique nous n'euilions rien foit qui fût capable de leur caufer la moindre alarme. Deux Chefs nous apportèrent chacun un cochon, un chien, & de petits plantains, fymboles ordinaires de paix, & ils me les préfenterent un à un, en obfervant les cérémonies accoutumées. Un autre m'offrit un cochon, &: il voulut le transporter lui-même au vaiileau. Nous continuâmes enfuite notre route, jufqu'à la place de débarquement, où on tira plufieurs volées, pour convaincre les Naturels que nous pouvions former un feu continuel. Nous montâmes alors les chaloupes, & le Chef, nous fuivant de près, amena une grande quantité de fruits fur le vaiileau, où il refta à dîner. En fortant de table, les Infulaires nous envoyèrent de nouveaux fruits & deux cochons j de forte que cette petite excurfîon nous procura plus de rafraîchilîèmens que nous n'en avions obtenu avec nos préfens. Ils furent certainement épouvantés, à la vue d'un détachement fi fort,qui pénétrait l'intérieur de leur pays, 6c la puiffancedes armes à feu, fembia les frapper plus que jamais: je crois qu'auparavant ils avoient une idée aifez foible ou aifez méprifable des armes à feu en général ; car ils n'avoient vu tirer que des oifeaux par ceux de nos Gens qui fe promenoient dans leurs champs, & qui, n étant pas bons tireurs, perdoient communément ■..........■ deux coups fur trois j les funis d'ailleurs faifoient fouvent AnN^^774* long feu, Se on les chargeoit lentement. Ayant bien remarqué tout cela, ils en avoient conclu que les armes à feu ne font pas iî terribles qu'on vouloit le leur faire croire. * Ainsi finit notre expédition guerriere, au grand con-n tentement de quelques-uns d'entre nous, qui aimoient » trop les Indiens pour délirer leur mort. D'autres, accou-» tumés aux fcènes horribles de la guerre Se du carnage, » montraient un déteitable empreifemcnt d'éprouver leur » adreilè, en tirant fur des hommes, plutôt que fur des » oifeaux. Nous no vîmes que peu de Naturels, autour du » vaiffeau, l'après-midi. » Quand les Chefs prirent congé, le foir, ils promirent de nous envoyer beaucoup de provifions : le lendemain, ■ nous reçûmes effectivement des fruits ; mais les cochons étoient ce qui nous manquoient le plus, &: on nous en apporta peu. « Un Chef, nommé Morurua, avoit choifi mon Pete » comme fon Ami, de où je fis, à lui, à fa femme & à fa » fille, des préfens, en retour de ceux qu'il apporta; mais » mes dons lui parurent fi préférables aux liens, qu'il en fut » enchanté , & fes yeux me témoignèrent fa gratitude avec * une éloquence particulière. » J'allai à terre l'après-midi, & je trouvai Oree qui ! s'aflcyoit pour commencer fon dîne. Je ne fais pas pourquoi il prenoit fon repas fi tard. Pluiieurs perfonnes fe mirent à mâcher de la racine de poivre (a) : elles en exprimèrent environ une pinte de jus, que le Chef but d'abord fans aucun mélange: on m'en offrit une coupe, mais je la refufai; car la maniere dont on venoit de le préparer, m'avoit donné du dégoût. (Edidée ne fut pas fi délicat, & il accepta ce dont je ne voulus point. Le Chef lava enfuite fia bouche avec du lait de cocos, & il mangea beaucoup de repe, de plantains & de mahée -, & il finit fon repas par avaler trois pintes de popo'ie; fubffance compofée de fruits à pain, de plantains, de mahée, &c. battus enfemble &c délayés avec de feau, jufqu'à la confiitance d'un flan. Ceci fe paflbit au-dehors de fa maifon, en plein air ; car alors on jouoit une pièce dans l'intérieur, ainfi qu'on en jouoit prefque tous les jours aux environs-, mais ces fpecta-cles étoient fi mauvais, que je n'y allois pas. Je remarquai qu'après qu'ils eurent extrait le jus de la racine du poivre mâchée, un des domeftiques du Chef recueillit & emporta foigneufement les fibres: Je lui demandai ce qu'il en vouloit faire, ài il me répondit qu'il alloit y mettre de l'eau, àc en exprimer un nouveau jus : ils en tirent ainfi ce qu'on peut appelîcr une petite piquette. «■ Nous laissâmes les trois Amis d'CEdidée fur cette » Ifle; mais nous prîmes, à bord,un autre lnfulaire qu'Orée (a) On a donné , dans cette Traduction, le nom de Racine de Poivre à la PJanre que l'original appelle Peppere-Root. » envoyoir en deputation à 0-Poonée,Roide Bolabola. Cet ^---— » Ambalfadcur paroi-ifoit très-flupide. Nous ne pûmes pas » cependant pénétrer le iecret de û\ m iiîi on, qui d'au leurs » nous intércifoit peu. » Le 13, le vent fouilla de l'Eft, comme il avoit toujours 15. ioufîié depuis notre départ de Taïti. Le lendemain, dès le 14, grand matin, nous démarrâmes^,à iix heures, nous mîmes en mer. Le bon vieil Chef lut le dernier lnfulaire qui quitta le vaiileau. En partant, je lui dis que nous ne nous reverrions plus; il fe mit à pleurer, & il me répondit: « Lai(fc\ *> venir ici vos enfans, ô nous ¿es traiterons bien. » Orée eft d'un excellent caractère; mais la plupart de fes Sujets, qui ne le valent point, fcmblcnt abufer de fon grand âge. Terrederi , fon petit-fils & fon héritier, eft encore très-jeune. La maniere douce avec laquelle j'ai toujours traité le Peuple de cette Ific , & l'imprudence de nos Meilleurs, qui erroient dans la campagne, periuades que leurs armes à feu les rendoient invincibles, excitèrent les Infulaires à commettre des violences, que jamais les Taïtiens n'avoient ofc entreprendre. Durant notre relâche, je me procurai du fruit à pain, des noix de cocos, Ôtc. plus que nous ne pouvions en con-fommer ; mais pas aifez de cochons pour en fervir chaque jour à l'équipage : quoique ces animaux ne paruifcnt point rares dans l'Ifle, il faut cependant convenir que la quantité que nous en prîmes, pendant la relâche précédente, doit les avoir beaucoup diminué, &c avoir répandu dans l'Ifle un 392 y O Y AG E grand fonds de nos marchandifes. D'ailleurs nous avions alors peu d'outils, de meubles, d'effets, &c. à leur donner en échange s le petit nombre de plumes rouges qui nous reftoient, étoient de peu de valeur, comparées au prix que nous les vendions à Taïti. Je fus obligé de faire fabriquer, aux Forgerons, différentes cfpèces d'outils de fer, de clous, &c. afin d erre en état de me pourvoir de rafraîchi fïèmens aux autres Ifles, & de maintenir mon influence & mon crédit parmi les Naturels. CHAPITRE XV. 33 u Capitaine Cook. 393 CHAPITRE XV. Arrivée à Uliétéa. Réception quon nous fit. Divers incidens fiuyenus pendant notre relâche. On nous apprend que deux Vaijjeaux ont été à Huaheine. Préparatifs pour quitter Uliétéa ; regret des Infulaires à cette occafion. Caractère d'Œdidée. Obfervations générales fur ces Ifles. Dès que nous eûmes débouqué le havre, je fis voile &: ___! je portai fur l'extrémité meridionale d'Uliétéa. Comme il y ^NN¿¿774" eut peu de vent l'après-midi, le foleil fe coucha avant que j'atteigniffe l'extrémité Oueft de fille , où nous pafsâmcs la nuit: un léger vent variable dura jufqu'à dix heures du lendemain , au matin , lorfque l'alifé d'Eft prévalut , 0¿ je 14, me hafatdai à remonter le havre , après avoir détaché une chaloupe qui chercha un mouillage à l'entrée. Quand nous eûmes fut un petit nombre de bordées, nous arrivâmes devant le canal , & le vaiileau pénétra à toutes voiles le plus qu'il fut poilibîe. On jeta enfuite l'ancre, & on plia les voiles : c'eft la maniere d'entrer dans la plupart des havres qui font fous le vent de ces Ides, car les chenaux, en général, font trop étroits pour y manœuvrer. Nous étions mouillés alors entre les deux pointes du récif, qui forme l'entrée : chacune étoit éloignée de nous feulement de deux tiers Tome U. Ddd d'encablure, & la mer brifoit dciTus à une fi grande hau-74- teur & avec tant de violence, qu'elle auroit paru terrible à des Navigateurs moins accoutumés à ces parages. Les chaloupes ayant porté en mer les ancres 6c les machines de toue, le vaiileau fut remorqué, 6c nous jetâmes l'ancre la nuk. Pendant ce travail, le Chef Oréo , mon vieil ami , SZ plufieurs autres vinrent nous voir : ils ne manquèrent pas de nous apporter des préfens. Le lendemain, le vaifTeau fut remorqué de nouveau , Se amarré dans un mouillage convenable, qui commandoit toutes les côtes qui nous entouroient. Sur ces entrefaites , j'allai à terre , avec les Officiers , rendre une vifite au Chef, Se lui offrir les préfens accoutumés. En entrant dans fa maifon, nous fûmes reçus par quatre ou cinq vieilles femmes, qui pleuroient & fe lamentoient, Se qui, en même tems, fe decoupoient la tête avec des initrumens de dents de goulu; le fang inondoit leurs vilages 6c leurs épaules : ce qu'il y eut de plus fâcheux, il fallut elluyer les embrafiè-mens de ces vieilles furies, dont la face nous couvrit de fang. Cette cérémonie (car c'en étoit une) finie, elles fortirent, fe lavèrent, 6c revinrent bientôt auifi joyeules que le reilc de leurs Compatriotes. « Oréo parut enchanté de notre » retour. La préfenec d'd£didéc 6c de l'Ambafîadeur » que nous amenions, affermit fans doute la bonne opi-» nion qu'il avoit de nous , 6c infpira de la confiance » à tout fon Peuple. © Après avoir reiré là peu de tems, le Chef 6c les Amis, mirent un cochon 6c des fruits dans ma chaloupe , 6c ils vinrent dîner à bord avec nous. du Capitaine Cook. ? o < «. L'après-midi , nous nous promenâmes le long de la *> crique, où étoit le vaiiièau, autant que le permit, la pluie. Anhm^774' » La côte étoit bordée d'une quantité innombrable de »v pirogues, &i chaque maifon ou cabane fourmillait d'Ha-» bitans qui fe préparoient à faire de bons dînes fur des » tas de provifions accumulées par-tout. On a déjà dit » qu'il y a une Société particulière ( appellée Arréoy ), » d'hommes & de femmes, qui fe railèmblent de tems-» en-tems, & voyagent fur toutes les liles, en fe livrant » aux plaiiirs 6c à la débauche. Durant notre relâche à » Huaheine, nous avions vu foixanre-dix pirogues mon-» tées par plus de fept cens Arréoys, qui partirent un matin » pour Uliétéa : nous apprîmes ici qu'ils palfcrent quelques » jours au côté oriental de cette ifle, &: qu'ils étoient arrivés » fiir la côte Oueft, feulement un jour ou deux avant nous, « nous remarquâmes que c'étoient tous des perfonnages de p quelque importance, & de la race des Chefs. Le Ta-» touage des uns olfroit de larges figures, & (Edidée nous m aiîiira que c'étoient les premiers de l'Ordre , (k que plus ils » étoient couverts de piquures, & plus leur rang étoit élevé. » En général, ils étoient tous robuftes & bien faits, & tous » Guerriers de profeilion. (Edidée avoit beaucoup de ref-» pe£t pour cette Société , & il nous déclara qu'il en étoit. m Ceux qui la compofeut ibnt unis par les liens d'une amitié » réciproque, & ils exercent entr'eux l'hofpitalite dans toute » fon étendue : dès qu'un Arréoy en va voir un autre, » quoiqu'il ne le connoilfe pas, il eil sûr qu'on pourvoira » à fes befoins, & qu'on lui donnera ce qu'il voudra de-» mander : on le préfente aux Membres de l'Ordre, qui fe » difputent à qui le comblera de plus de careiîès & de Ddd z » préfens i c'eft pour cela qu (Edidée jouit de tant de piafe » à Taïti. Les premiers Infulaires qui le virent à bord , » étoient Arréoys,& à lmftant ils lui offrirent leurs habits , » parce qu'il n'avoit que des vetemens Européens. Il paroît »' qu'une ou plufieurs perfonnes de chaque petite famille » de Chef entrent dans cette Communauté , dont la Loi » invariable & fondamentale eft qu'aucun des Membres ne » peut avoir d'enfuis. D'après le témoignage des Naturels » les plus éclairés, nous avons lieu de croire que, dans fon m inftitution primitive , on exigeoit un célibat perpétuel ; » mais, comme cette Loi blcñc trop les mouvernens de la » Nature, qui font d'une vivacité extraordinaire dans ce » climat, ils y manquèrent bientôt: ils confervent cepci> » dant l'efprit de cette abftinence, en fuffoquant tous les » enfans qui naiffent parmi eux.. y> Les Arréoys jouiffent de différens priviféges 8¿ on a » pour eux une grande vénération aux Ifles de la Société » & à Taïti j ils font très-fiers de ne point avoir d'enfuis. » Quand on dit, à Tupia, que le Roi d'Angleterre a une » nombreufe famille , il avoua qu'il fc croyait plus grand que » ce Prince, parce qu'il étoit Arréoy (a). Chez la plupart » des autres Peuples, le nom de Pere eft honorable, & il » imprime le refpecij mais un Arréoy Taïtien le prend » pour un terme de mépris & de reproche. » Dans les grandes affemblées que tiennent les Arréoysv » & dans les voyages qu'ils font, ils fe nourrifTent des végé- (*) Je tiens cette Anecdote du Capitaine Cook- \ » taux les plus exquis-, ils mangent beaucoup de porc, de s » viande de chien, de poiiîons & de volailles, que les » Towtows, ou la cîailc inférieure du Peuple leur fourniiïent » libéralement. On leur prépare auifi une boiffon de racine » de poivre dont ils font une confommation étonnante. Les » plailirs iênfucls les accompagnent par-tout où ils vont ; » ils ont de la mufique & des danfes, qu'on dit être trcs-laf- » cives, fur-tout la nuit, quand ils ne font vus deperfonne. » L'îsle étant fortie depuis Iong-tems de fa barbarie pre-3> miere, une Société fi injuríenle au relie de la Nation ne » s'y feroit point perpétuée jufqu'à préfent, íi elle noffroit =» pas des avantages confidérables. Deux raifons femblcnt » favorifer fexiftence des Arréoys, & ces deux raifons » tiennent l'une à l'autre ; la premiere, la nécelfité d'entre-» tenir un corps de Guerriers pour défendre la contrée » contre l'invaiion & les déprédations de l'Ennemi : tous les Arréoys font en effet foldats; mais comme l'amour » pouvoit les énerver , ou les alfujettit peut-être d'abord à » un célibat qu'enfuite ils ont trouvé trop difficile; enfin, » par cet établiifement, on a lieu de croire qu'ils veulent » empêcher la multiplication de la race des Chefs. Un » Taïtien intelligent, Légiilatcur de fon pays, a pu prévoir *> que le Peuple gemiroir à la longue fous le joug de ces » petits tyrans, fi on leslailîbit pulluler en liberté. Le moyen » le plus court, d'aller au-devant de ce mal étoit d'obliger uns » partie des Chefs à garder le célibat i mais, afin de vaincre leur » répugnance & les aifujettir à un fi grand facrifice, il falloir » leur offrir quelque compenfation : c'eft peut-être de-là que » vient la haute eftime de toute la Nation pour l'Ordre d& 3o8 Voyage j j » r Arréoy : peut-cere expliquera-t-on auifi par-là lauto-» rite & la gourmandife des Membres, car les Guerriers » jouiíTent de pareils avantages dans toutes les Nations, » avant qu'ils deviennent de vils mercenaires de la tyrannie, w Dès que les Arréoys enfreignant leurs premieres Loix, »» admirent les femmes parmi eux, il eft aifé de concevoir » qu'ils perdirent peu-à-peu i'efprit de chafteté qui animoit » leur Corps. Sûrement ce font aujourd'hui les Infulaires » les plus voluptueux \ quoique je n aie pas eu occaiion de » remarquer ce raffinement de débauche qu'on leur a resi proche. On a dit que chaque femme eft commune à tous »> les hommes; mais, en faifant des queftions fur cette » matière, il nous a paru que cette aceufation a peu de » fondement (a). » Quelques Arréoys font mariés à une femme, de la » maniere qu (Edidée avoit époufé la fille de Toparrée [b)\ » mais d'autres ont une makreífe paifagere : la plupart con- »1 noiiîènt fans doute les proftituées, communes fur toutes » les Ifles. La diilôlution eft beaucoup plus univcrfelle dans » chaque pays policé de l'Europe, & je ne crois pas qu'on s> puiiîc en conclure qu'il y exifte une fociété d'hommes (a) On ne peut s'empêcher de remarquer ici, que M, t'orfter aceufe nn peu légèrement d'iuexadlitude , la Relation du premier Voyzg,e i cari puifqu'il convient que les Etrangers mêlent de la débauche à leurs aííembiées s qu'ils font mourir les en fans qui naiilent parmi eux, Jferoit-il donc étonnant que chacune de leurs femmes fût commune à tous 'les hommes ? (b) Voyez ce qu1 on en a dit plus haut. r>u Capitaine Cook. 39g » & de femmes auifi débauchées qu'on le fuppofc les !----:--=+ k 1 i \ Ann. 1774.. » Arréoys (a). m¿^ » Quand on confîdere le caractère doux, généreux Se » tendre des Taïtiens, on ne conçoit pas comment ils » peuvent maiîàcrer leurs enfuis ; on eft révolté de la barbarie » farouche du Pere, Se fur-tout de la dureté impitoyable » de la Mere, qui étouffe la voix & l'inftinct de la Nature ; » mais la coutume éteint tous les fentimens & tous les » remords. Dès qu'on m'eut allure que les Arréoys pra- » tiquent cet ufage cruel, je reprochai à notre Ami (Edidée » de fe vanter d'être d'un fi détcftable Corps ■> j'employai » fur cela tous les argument poilibles \ je le convainquis enfin, » ¿V il me promit de ne pas tuer fes enfans, Se de quitter » la Société, dès qu'il obtiendroit le titre glorieux de Pere. » Il nous protefta que les Arréoys ont très-rarement des » enfans. Comme ils choififlent vraifemblablemcnt leurs » femmes Se leurs maîtreilcs parmi les proftituées, & comme » d'ailleurs ils portent la volupté à un point extrême, ils *» n'ont pas beaucoup à craindre d'engendrer. Les réponies » d'Omaï, que j'ai coníulté fur ce fujet, après mon retour « en Angleterre,m'ont fait encore plus de plaifir, car elles » diminuent la noirceur de ce crime, Se lavent le gros de » la Nation du reproche qu'on pourroit lui faire d y prendre m part*, il m'a confirmé que les Loixh-nmuabîcs des Arréoys, » ordonnent de mettre à mort les enfans; que la préémi- («2) On peut répondre à ce rationnement que les paillons faáices des Peuples civilifes, soppofent à cette commun uité des femmes don: on a cependant vu des exemples , même dans les grande* Nations. SH » ncnce &r les avantages d'un Arréoy font fi précieux, qu'il » leur iâcrifte la pitié , que la mere ne confent jamais a » cet horrible aliarlinat •> mais que fon mari & les autres « Membres la perfuadent de fe dellàilir de l'enfant, &C que, » lorfquc les prières ne fufhfent pas , on emploie la force » il ajoutoit en outre que ce meurtre fe commet tou- « jours en fecret, de maniere que perforine du Peuple, ni « même dcsTowtows & des domeítiques de la maifon ne s» le voient i que fi quelqu'un en étoit témoin, les Meur- » triers feroient tués (a)t » Les Arréoys s'établirent dans notre voifinage \ ils paf-» ferent plufieurs jours dans les fêtes & dans la joie, 8c nous » invitèrent fouvent à être de leurs feffins. £ » Le 16, après avoir erré dans le pays jufquau coucher » du foleil, nous retournâmes au vaiileau au moment où » (Edidée, la femme, & les autres Paflàgers Indiens venoient » de le quitter. Nous reçûmes la vilite d'un grand nombre » de Naturels, & entr'autres de pluiieurs femmes, qui re£ w terCnt parmi les Matelots. Les Habitantes d'Huaheine » avoient été peu complaifmtes pour eux, ils furent obligés » de fe contenter de quelques étrangères qui étoient en (a) « Je dois remarquer qu'il y a prefqu'autant de dépravation dans *> nos contrées policées. Des miférables affichent publiquement, à ?:>Londres, leurs talens, & offrent leurs feryiees pour procurer l'avor-w tement. (Voyez, fur cela, un Avertillemcnt dans un Papier public > jo Mcming pojî N.° 13i¿, du Mercredi 1 í Janvier 1777. ) On leur permet V de trafiquer impunément de la deftrucUon des enfans qui font dans I9 «ventre de leur mere? ? r» viiitG » vîikc fur cetre lile, & ils fe livrèrent ici au plaiiir avec le ■"" ■' j (V Ann> 177 ^ » plus grand emprelicment. » ^\u. M. Forster, dans fes excurfions de botanique, trouva fhofpitalité dans toutes les cabanes , & il vit un cimetière de chiens que les Naturels appclloient Marat no te oore (a)--> mais je crois que ce n'eit pas parmi eux une coutume genérale , puifque peu de chiens y meurent de mort naturelle : communément ils les tuent & ils les mangent , ou ils les offrent à leurs Dieux ; c'étoit probablement un Maral ou Autel, où on avoit mis une offrande de cette cipèce, où peut-être, quelque lnfulaire avoit, par fantaific, enterré fon chien favori de cette maniere. Quoi qu'il en foit, je ne puis croire que ce foit un ufage univerfeU &, quant à moi, je n'avois jamais rien vu jufqu'alors, ni rien entendu dire de pareil. Le 27, dès le grand matin, Orco, fa femme, fon fils, fa %% fille, S¡¿ plufieurs de fes Amis nous firent une vifïte , 6¿ ils nous apportèrent une aifez grande quantité de toutes fortes de rafraîchiffemens : c'étoient, pour ainfi dire, les premiers que nous euifions obtenu. Ils réitèrent à dîner. « Boba, Vice-Roi de l'Ifie d'O-Taha, & Teìna, la belle » Danfeufe dont M. Hodges avoit eu tant de peine à faire » le portrait (b), étoit auifi avec Oréo. Boba étoit un jeune (a.) On a donné quelquefoisdans cette Traduction, le nom de Moral 3 à ces Temples ou Cimetières ; mais M. Foriler les appelle toujours Mardi 3 & m. Cook, lui-même, les nomme de tems- en, tems Marat. (í) Et dont on trouve une Gravure dans ce Voyage. Tome IL Eee ====== « homme grand & bien fait, natif de Bolabola, & parent Mai!74' w ^C O-Pooncc, R°i de cctte Ifle, & Conquérant d'Ulié-» téa & de Taha. (Edidée nous a dit fouvent qu'il eft heri-» tier préfomptif d'O-Poonée, dont il doit épouier la feule d fille, âgée de douze ans, 6¿ qu'on allure être fort belle. » Boba étoit Arréoy, & il entretcnoit, comme maîtreife, la » charmante Teina, qui étoit alors enceinte. Nous nous sí entretînmes avec elle fur l'ufage de tuer les enfans des » Arréoys > notre petit dialogue fe fît dans les termes tes plus » fimples , parce que nous ne connoiiîions pas allez leur » langue pour exprimer des idées abftraites. Toute notre » réthorique fut ainfi bientôt épuifée, & elle produifit peu *> d'effet j feulement Terna Mai" nous dit que notre Eatua » (notre Dieu)) en Angleterre, feroit peut-être fâché de » la conduite des Arréoys ; mais que le leur n'en étoit » pas mécontent. Elle ajouta que fe nous voulions venir « de notre patrie chercher fon enfant, elle le conferveroit » peut-être en vie, pourvu toutefois que nous lui appor-*> taffwns une hache, une chemife & des plumes rouges. » Elle rit tellement, en nous adreffant cette réponfe, que » nous ne crûmes pas qu'elle parlât férieufement. Nous » aurions eifayé envain de continuer la converfation, cat as toutes fortes d'objets différens détournoient fon attention -, » elle avoit déjà eu beaucoup de peine à nous écouter il » long-tems. » Après-midi, nous les accompagnâmes à terre, où on joua pour nous une pièce appellée Mididii Harramy , ce qui lignifie l'Enfant vient. Le dénouement fut l'accouchement d'une femme en travail : ils firent paroître tout-à-coup flit la fcène un gros enfant, haut d'environ fix pieds, qui 5 courut autour du théâtre, traînant après lui un grand torchon ' de paille, fuipendu par une corde à fon nombril. a L'homme , qui joua le rôle de la femme, fit tous les geftes » que les Grecs alloient admirer dans les bofquets de Vénus » Ariadne, près d'Amathie, où on obfervoit la même céré-» monie, le fécond jour du mois Gorpioeus, en mémoire » d'Ariadne, qui mourut en couches (a ) j ainfi, l'imagination » folle des hommes a inventé, dans tous les pays, les cou-» tûmes les plus extravagantes. » Il est impossible d'exprimer les éclats de rire des «y Naturels, lorfqu ils virent le nouveau-né courant fur la » fcène, & pourfuivi par des Danfeufes qui eifayoient de » l'attraper. » Les femmes contemplèrent, fins rougir, toute la pièce, » qui n'étoit point du tout indécente pour elles, & elles » ne furent pas obligées, comme nos Dames d'Europe, de » regarder à travers leurs éventails. » Au commencement , à la fin &c dans les entractes, il « y eut des danfes & des pantomimes. Poyadua , fille » d'Oréo , déploya Ion agilité ordinaire, 6c nous l'applau-» dîmes de bon cœur; des hommes jouèrent aufli des » farces, dans les chanfons defquelles nous reconnûmes le » nom du Capitaine Cook, de plufieurs perfonnes de l'équi- —i-■— (a) Voyez Plutarque, Vie de Théfée. Ee'e i 404 Voyage ^:r==™ ¿ pagC j g¿ ¡1 nous paruc q^iji ¿.ro5t queftjon d'un yol commis Mai. 55 par un de leurs Compatriotes. Une autre farce repréfenta » l'invaiion des Infulaires de Boîabola , &: pour cela ils fb 3i battirent les uns les autres à coups de courroie ou de *> fouets qui produiibicnt un bruit retentiilànt. » J'eus occasion de voir une feconde fois la pièce de l'Enfant vient, & je remarquai qu'au moment où ils reçurent l'homme qui repréfentoit l'enfant, ils comprimèrent 2¿ ap-platirent fon nez ; j'en conclus qu'ils compriment ainil celui des enfans, à Imitant où ils naiffent, & voilà peut-être pourquoi ils ont tous, en général, le nez plat. Cet endroit de la pièce nous fît quelque plaifîr par fa nouveauté, & la maniere grotefque dont il fut joué. Comme nous rîmes beaucoup , il eft probable qu'ils la jouèrent fi fouvent dans la fuite, pour nous mieuxamuferj mais cette comédie,ainfi que les autres , ne pouvoient nous diftraire qu'une fois, .d'autant plus que faute de connoître leur langue, nous entendions peu les paroles. g Le 2.8 fe paffa à-peu-près de la même maniere que la veille, c'eft-à-dite, que je régalai nos Amis, qui, à leur tour 3 tâchèrent de nous divertir. « Oréo , qui dîna à bord, but une bouteille de vin fins » paroître ivre. Il fut très-facétieux, comme à l'ordinaire. Il » parla fur-tout des pays que nous avions vifités dernière-: » ment, & dont (Edidée, fon Compatriote, lui avoit fait la » defcription. Après qu'on lui eut réfolu différentes quef-» tions qu'il propofa, il dit que, quoique nous euftions vu » bien des pays, il nous citeroit une Ifle que nous ne con- ' » noiilìons pas encore. Elle ne gît, ajouta-t-il, qu'à quel- ' ¿j¿ » que s jours de chemin ; elle efl habitée par des Géans » monflrueux , aujji hauts que le grand mat 3 & aujjigros » à la ceinture que la tête du cabeftan. Ces Peuples font » bons y mais quand ils fe fâchent contre quelqu'un > ils le y> prennent & le jettent dans la mer > comme fi c*étoit une » petite pierre. Si vous arrive-^ près de leurs côtes avec » votre vaijjeau 3 ils fe rendront peut-être à gué à côté du » bâtiment^ & ils l'emporteronty fur leur dos 3 a terre. Il » mit dans fon difeours plufieurs autres circonftanccs badi-» nés i &, pour donner plus de poids à ce qu'il avançoit, » il finit, en nous difanr que l'Ifle s'appclloit Mirro, Mirro z » nous jugeâmes que toute fon hifloire (a) étoit une ironie, » contre cette partie de notre relation , qu'il ne croyoit n point, & dont il ne pouvoit pas fe former une idée. Nous » admirâmes l'imagination & la gaieté d'efprit qui brilloit dans » ce conte, & nous crûmes, avec M. de Bougainville, que » l'abondance du pays, qui procure aux Infulaires du conio tentement de du plailîr (b), leur donne en méme-tems ce » talent & ce caractère. » Longeant la côte, au Sud, nous rencontrâmes un » pays très-fertile 8c des Habitans hofpitaliers. Nous parti:» vînmes à un grand bâtiment de pierre, appelle Mardi no » Parua, cimetière du Parua. Ce monument avoit foixaiite (a) Cette Hifloire étoit peut-être fondée fur une de leur* x>pinicii9 mythologiques dont on parlera plus bas. (b) Voyez Je Voyage Amour du Monde, de M. de Bougainville. 3> verges de long & cinq de large : les murailles étoient jfyjP » formées de grandes pierres, &: d'environ fix ou huit pieds » de haut. Je montai pardeiîus, & je trouvai l'intérieur cou- » vert de petites pierres de corail. » De-la , nous fîmes plufieurs milles jufqu a une baie s' ipacieufe, où trois petites liles giíTent en-dedans du récif. » Le pays, autour de cette baie, étoit marécageux & rempli » de canards. Après avoir palfé quelque rems à en tirer, » nous nous embarquâmes fur deux perites pirogues, » & nous defcendîmcs iains & faufs fur un des Illots. Il » y avoit quelques cocotiers & quelques arbriifeaux, mais » point d'arbres fruitiers : nous ne vîmes qu'une feule hutte s» de Pêcheur, qui'renfermoir des filets & d'autres meubles » néceflàires à la pèche. Nous retournâmes bientôt fur îa » côte de la Grande-Terre, fans avoir trouvé de coquil-» lages, quoique lefpoir d'en recueillir nous eût engagé à » paifer l'eau. » 2,9. Le lendemain, nous reconnûmes qu'on avoit volé des gouvernails, des grapins & des crocs dans nos chaloupes, placées près de la bouée, à environ foixante oufoixantc-dix verges du vaiífeau. Dèsque j'appris cette nouvelle, j'allai en informer le Chef; mais il connoiilôit le vol, par qui, & où il avoit été commis, 8¿, fur-le-champ, il vint dans ma chaloupe, à la pourfuîte des Larrons. Après avoir marché allez loin, le long de la côte, vers l'extrémité méridionale del'lile, il nous fit débarquer aux environs de quelques maifons, où on nous rapporta bientôt tout ce qui avoit été pr's, excepté le gouvernail de fer de la pinnafie, qu'on me dit être un peu plus avant dans l'intérieur du pays. Je té moi- ■'■ gnai le deilr d'aller le chercher ; mais Oréo ne s'en íbucia N MaZ pas, &: il fe fauva adroitement, lans être apperçu, parder-riere des arbres. Je lavois que,fans lui, je ne pourrois rien faire. Le Peuple commença à s'alarmer, quand il me vit pourfuivre mon chemin y & j'en conclus que les Spectateurs n'étoient pas les maîtres de me rendre le gouvernail. J'envoyai donc un Député au Chef, pour le prier de revenir. Il revint en effet i nous nous afsîmes alors, & on nous fervit quelques alimens : il croyoit peut-être que, comme je n'avois pas déjeuné, jetois de mauvaife humeur, parce que j'avois faim. On m'apporta eniiiite deux cochons, qu'on me pria d'accepter: je les reçus, & les craintes des Naturels fe diiïïperent. Je crus taire un bon marcilo d'acejucrir ces deuy evrellens cochon?,! pour une chofe qu'il n'étoit plus en mon pouvoir de recouvrer. La paix ainfi terminée, nous retournâmes à bord, & Oréo, &; fon fils, dînèrent avec nous. Nous allâmes, après-midi, à terre, 8¿ on joua une pièce pour ceux d'entre nous qui voulurent perdre leur tems à y aififter. Outre ces comédies, que le Chef faifoit repréfenter feuvent, il y avoit, dans le voifinage, une troupe d'Acteurs ambulans, qui tenoient fpectacie chaque jour; mais toutes les pièces étoient fi ref-femblantes, que nous en fumes bientôt fatigués, d'autant plus que nous ne pouvions y rien appercevoir d'intére flànt. On y parloit beaucoup de nous, de notre vaiileau & de notre pays ; mais je ne fais pas comment. Il paroît que c'étoit un compliment qu'on nous adreffoit, & ils retran-choient probablement cette partie de la pièce quand nous n'y étions pas. Je me rendois au théâtre d'Oréo, ordinairement vers la fin de la pièce, & j'allai deux fois à l'autre „ pour donner quelque chofe aux Acteurs. Il n'y avoit d'Actrice, au théâtre d'Oréo, que fa fille, jolie brune, à qui, dans ces ocçaiions, fes nombreux Adorateurs fiifoient beaucoup d offrandes. Je crois que c'étoit une des principales rajfons qui engageoit fon Pere à nous divertir fi fouvent avec ces fpecfacles. «. Tandis que le Capitaine Cook fit des démar-3i ches pour recouvrer ce qu'on nous avoit volé, je def-» ccndis à terre d'un autre côté, &c je vis un héeva ou 53 danfe qu'exécutèrent deux petites filles : leur vêtement » n'étoit pas auifi brillant que celui de Poyadua, & elles » danferent beaucoup plus mal qu'elle. Le tamow, ou les » cheveux trèfles qui ornoient leurs têtes, n étoient point » difpofés en forme de turban, mais formoient plufieurs » longues touffes, qui produifoient un joli effet, & qui ref-» fembloient, en quelque forte, à la coëflfure élevée de nos » femmes, •? Je trouvai enfuite Poyadua qui danfoit; &, comme * fi elle avoit voulu furpaffer toutes les autres adrices, elle »> étoit mieux parée qu'à l'ordinaire, ôz elle portoit plufieurs » de nos bagatelles d'Europe. Son agilité furprenante, le » mouvement gracieux de fes bras & l'agitation rapide de » fes doigts, excitoient l'admiration de fes Compatriotes, & » il faut convenir qu'elle méritoit tous les éloges que lui *> donnoient les Spectateurs. Les Naturels étoient fur-tout » enchantés des contorfions extraordinaires de fa bouche, » qui nous fembloient horribles, & qui fut la feule choie ¿ que nous critiquâmes, g Tout du Capitaine Cook. 409 Tout , clans ces environs, refpiroit la joie ; & l'af- » femblée des Arréoys , occaiionna , fans doute , des » Spectacles plus fréquens : leur préfence égayoit la con-» trée, & chacun goûtoit alors des plaiiirs tumultueux. Ils » ôtoient fouvent leurs vêtemens; ils paifoient leur tems » dans une oiiiveté voluptueufe;iis parfumoient leurs che-» veux d'huiles odorantes ; ils chantoient & jouoient de la » flûte ; ils ne quittoient un divertiifement que pour fe livrer » à un autre ; ils reifembloient iî bien à ce Peuple fortuné » qu'Ulyfle trouva en Phéacie, que ces vers d'Homère leur » conviennent parfaitement: » La Parure , la Danfe & les Chants, occupent tous nos •** m omenc- » Nous pailons le jour en Fèces > & la nuit à faire l'Amour. » Notre Ami (Edidée étoit peut-être le feul des Noble* » qui ne partageoit point la joie & les divertiffemens de » íes Compatriotes. Il ne recevoit pas les marques diftin-» guées de faveur qu'on lui avoit prodiguées à Taïti ; car il » paroît que, même fur les Ifles de la mer du Sud, un » homme n'eft jamais moins eftimé que dans ion pays. Tous « fes parens, qui ne fbrmoient pas un petit nombre, atten-» doient de lui des préfens, comme une obligation de fa f» part ; à Taïti, au contraire, fa libéralité lui faifoit des Amis, * ôc lui procuroit beaucoup d'avantages. Tant qu'il reità à » ce généreux Indien quelques-unes des richefles qu'il avoit » raflèmblées, au péril de fa vie, pendant notre dange-» reufe & trifte campagne, on ne cella point de lui en » demander; &, quoiqu'il donnât de bon cœur tout ce Tome IL Fff 4IO Voyage m tí qu'il avoit, fes connoiiïances l'accufoient d'avarice. Il fut ^NNJviaZ 4* w ^entot déduit à venir, à bord, nous fupplier de lui accorai der de nouveaux tréfors ; car il n'avoir plus que quelques » plumes rouges, & d'autres curiolïtés , qu'il defhnoit à » O-Poonée, fon parent, Roi de Bolabola. » Ainsi méconnu, il deilroit de retourner à Taïti, & » il nous dir qu'il vouloit s'y établir dès qu'il auroit vu » Poonée, & le refte de fa famille qui habitoit Bolabola. Il n nous auroit même fuivi avec joie en Angleterre, íi nous »3 lui avions donné la moindre efpérance de revenir dans a> la mer du Sud \ mais le Capitaine Cook lui déclarant qu'on » n'y renverrait jamais de vaiifeau, il aima mieux être privé » du plaiiîr de voir la Grande-Bretagne, que de quitter les » lieux charmans où il eil né. Quand on réfléchit itir ce » qu'eft devenu O-Maï, fon Compatriote, on a lieu de » penfer que cette réfolution a été avantageufe à fon cœur » & à fa morale. Il ne connoît point la fplendeur d'une des » plus belles contrées de l'Europe \ mais il n'a point d'idée » de ces vices abominables qui déshonorent nos brillantes n Capitales. » Le 30, dès le grand matin, je partis avec les deux chaloupes, accompagné des deux MM. Forlter, d'(Edidée,du Chef,fi femme, fon fils bç fa fille, pour une habiration, iituée à l'extrémité feptentrionale de l'Ifle, & quXEdidéc difoit être à lui. « II nous avoit tant parlé de fes poifeiîîons, » que quelques-uns des Officiers patoiflbient en douter, » & il fut bien aife de prendre une occaiion de fe jufti->» fier. » Il avoit promis de me donner des cochons & des fruits en abondance ; mais, en y arrivant, nous trouvâmes a! ---s que le pauvre (Edidée n'y jouifloit d'aucune autorité, ANNMaP+* quelque droit qu'il pût avoir au Whennoa, que poffédoit alors fou frère, qui, bienrôt après notre débarquement, me préfenta deux cochons, avec les cérémonies ordinaires; Je lui offris, en retour, un très-beau préfent, & (Edidée lui donna aufli quelque chofe. Cette cérémonie finie, je fis tuer & apprêter un des cochons, & j'affiliai moi-même à toute l'opération que je vais décrire. Trois hommes étranglèrent d'abord l'animal : après l'avoir placé fur fon dos, deux poferent fur fon gofier un bâton allez gros, & ils en prefferent, de toutes leurs forces, les deux extrémités. Le rroilieme, renane fes jambes de derrière, lui remplit le fondement-d'herbes, pour empêcher l'air, à ce que j'imaginai, d'entrer ou de fortir. Ils le tinrent, dans cette pofition, environ dix minutes, avant qu'il fût entièrement mort. Sur ces entrefaites, quelques Infulaires échauffèrent le four,qui étoit tout près ; ils mirent le cochon fur le brafier, &ils lui brûlèrent ou flambèrent le poil, Se il en fortit prefqu'auffi net que s'il avoit été échaudé. Comme il étoit dépouillé de fon poil d'un côté, on appliqua l'autre au feu. Cette opération finie, on le porta cependant au bord de la mer, où il fut raclé avec des pierres de fable & du fable ; ce qui acheva de nettoyer la peau. Quand ils eurent bien enlevé le fable & la bouc , on rapporta le cochon au premier endroit, & on le pofa fur des feuilles vertes très-propres, afin de l'ouvrir. On fendit d'abord la peau du ventre; on détacha la graine, ou le lard, entre la peau & la chair, qu'on mit fur une grande feuille verte ; on ouvrit Fff i ï enfuite le ventre, & on ora les entrailles, qu'on emporta " dans un panier: je ne fais pas ce qu'on en fit j mais je fuis fût qu'elles ne furent pas jetées : on remplit auffi une large feuille du iang. Le cochon fut lavé avec de l'eau douce , en-dedans & en-dehors, & on mit dans fon ventre des pierres chaudes & des feuilles vertes. Le four fe trouva alors fuffi-famment chaud ; on en ôta le feu, & quelques-unes des pierres rouges; ils firent, avec les autres pierres, une efpèce de pavé au fond du creux ou du four; &, après l'avoir couvert de feuilles, ils y placèrent le cochon fur fon ventre. Le lard &c la graille ayant été lavés dans l'eau, on les mit dans un vafe, fabriqué, à Imitant, de 1 ecorce verte d'un plantain, avec deux ou trois pierres chaudes, & on les plaça fur un des deux côtés du cochon. Le iang, renfermé dans une feuille, fut encore mis dans le four, & on le couvrit d'une pierre chaude, ainfi que le fruit à pain 8¿ les plantains : ils dépoferent pardeflus, des pierres, du fable qu'ils ramaiferent dans les environs, & ils achevèrent l'opération, en couvrant bien le tout de terre. Tandis que le cochon cuifoit, on garnit de feuilles vertes le plancher d'une grande remife de pirogues. « Pendant ces entrefaites , je montai , avec le Doc-» teur Sparrman & mon Pere, fur les collines voifines, & * nous ne trouvâmes rien de nouveau, quoique nous nous » fuifions éloignés d'au moins fept ou huit milles du vaif-» feau. » Après deux heures & dix minutes, on ouvrit le four, & ©n en ôta tout ce qui y étoit. Ceux des Naturels qui dînèrent avec nous, s'affirent les uns à côté des autres à un bout cte 1 íi-table ; on plaça le cochon devant nous, & devant eux la 2 graille & le fang, qu'ils mangèrent principalement ; ils 3 dirent qu'ils étoient mamity , très-bons. «Une foule de Towtows qui nous entouroientjetoient « des regards avides fur ce mets ; mais on ne leur en donna m point ; on en offrit quelques morceaux à la femme d'Oréo » & à fa fille , qui les enveloppèrent foigncufement pour » s'en régaler quand elles feroient feules. Quoique ce co-» chou eût été apprêté en entier & découpé par les hom-» mes, cela n'empêcha pas les femmes d'en accepter des » portions. D'autres fois cependant elles ne mangent que ce » qui a été apprêté par de petits garçons qu'on entretient « pour cela (a)\ ou du moins, elles ne mangent pas des » mets apprêtés pour les hommes. » D'autres peuples ne mangent pas avec les femmes : » plufieurs de Nations Nègres, & même les Naturels du pays » de Labrador, fuivent le même ufage. Dans les Tribus des » Africains & des Eskimaux, l'extrême mépris des hommes * pour le fexe en eft la caule;mais, comme les Taïtienncs » font traitées amicalement & avec eftime, cette coutume » doit avoir une autre origine , & peut-être que des obfer-» vations exactes la découvriront dans la fuite (b). (a) Voye2 la Relation du premier Vojage de Cook. ( & ) On peut voir dans l'Ouvrage,intitulé : l'Efpritdes Ufages des dif* ferens Peuples, L. I, une conjecture fur l'origine de cet ufage, qui n'eft pas préfenté très - exactement par M. Forfter : les Taïtiens n'ont pas feulement de la répugnance á manger avec les femmes, les hommes fe fuient aufli pour prendre leurs repas. » m. Cook avoir apporté quelques bouteilles d'eau-de-*1A¿ w v*e j en & mêlant avec de i eau, j'en fis la liqueur qu'aiment » tant les Marins Anglois, &c qu'ils appellent grog. Les » Arréoys , & d'autres Chefs, la trouvèrent forte & » prcfqu'auffi bonne que celle qu'ils tirent de la racine du » poivre , &: ils en burent beaucoup : ils burent enfuite des » coups d'eau-dc vie pure ; elle leur parut fi excellente, » & ils y revinrent il fouvent, qu'ils furent bientôt obligés » de fe coucher pour dormir. » Le cochon, qui fit notre dîné, pefoit environ trente livres : quelques parties des environs des côtes me femble-rent un peu trop cuites, mais celles qui étoient plus charnues fe trouvèrent parfaites ; & la peau , qu'on peut à peine avaler quand le porc a été apprêté à notre maniere , avoit un goût & une faveur fupérieure , à tout ce que j'aie jamais mangé en ce genre. J'ajouterai que, durant ces différentes opérations, ils montrèrent une propreté admirable. J'ai été trcs-détaillé fur ce iujet, parce que je ne me fouvicias pas qu'aucun de nous ait vu auparavant tous les préparatifs de leur cuifine , &c ils ne font pas décrits avec exactitude, dans la relation de mon premier Voyage. Tandis qu'on préparoit le dîné, j'examinai le Whcnnoa d'CEdidée. Il y avoit peu de terrain , mais il étoit dans un canton agréable, & les maifons bien arrangées, formoient un très-joli village , ce qu'on voit rarement fur ces Ifles. Après dîné , nous partîmes pour le vaifTeau , avec l'autre cochon, &; quelques plantains : nous avions efpéré de nous procurer beaucoup de rafraîchifîcmcns, mais nous firmes bien trompes. En retournant au vaiileau, nous mîmes à terre au coin d une maifon, où nous apperçûmes quatre figures de bois, de deux pieds de long, rangées fur une cabléete : elles avoient une ¡jiece d étoffe autour des reins, & fur leurs têtes une efpèce de turban, garni de longues plumes de coq. Un Naturel a qui occupok la cabane,nous dit que c'étoient Eatua. note Toutou > les Dieux des Serviteurs ou des E [claves. Cette ailèrtion ne fuffit peut-être pas pour conclure qu'ils les adorent, & qu'on ne permet point aux ferviteurs & aux efcîavcs d'avoir les mêmes Dieux que les hommes d'un rang plus élevé. Je n'ai jamais oui dire que Tupia fît une pareille diftinétion , ni même que fes Compatriotes rendiffent un mite à quelque chofe dç vifible. D'ailleurs ce font les premieres Divinités de bols que nous ayuus rencontrées fur quelqu'une de ces Mes; & même nous jugeâmes que c'étoient des Dieux , uniquement fur la parole d'un lnfulaire, peut-être fuperftitieux, & que peut-être nous n'avons pas compris. Il faut convenir que les habitans de cette Ifle, font, en général, plus fuper-ftitieux qu'à Taïti. Dans la premiere vifìte que je fis au Chef, il me pria de ne permettre à per-fonne de mon équipage de tuer des hérons, ni des pie-verds, oifeaux aufli facres chez eux, que les rouges-gorges, les hirondelles, &c. le font parmi les vieilles femmes en Angleterre : Tupia, qui étoit Prêtre &: qui connoiffoit bien leur religion, leurs coutumes, & leurs traditions ,ne montrât pourtant aucun égard pour eux. Je fais cette remarque, parce que plufieurs de nos Officiers penfoient que ces oifeaux étoient des Eatuas ou Dieux. A la vérité, nous adoptâmes cette opinion en 1769 , & nous en aurions adopté d'autres plus abfurdes, fi Tupia ne nous avoit pas - détrompé. Nous n'avons pas retrouvé un homme d'autant de ¡¿i pénétration & de connoiffances que lui, & par conféquent nous n'avons pu ajouter que des idées mperítitieuíes à ce qu'il nous a dit de la Religion de ces contrées. Nous arrivâmes , à cinq heures, à bord y comme le » jour étoit très-chaud nous retournâmes à terre, pour nous » baigner dans une belle fontaine, qui nous avoit fervi » íouvent au même ufa^e. Des arbres odorans courboient » leurs branchages fur fes ondes fraîches & limpides, qui fe »> trouvoient ainfi à l'abri du foleil. Ce bain nous fut très-» falutaire : les Naturels ne manquoient jamais de s'y rendre, * le matin & le foir, pour s'y laver également. Ces Ifles font » pleines de charmans réduits de l'efpèce de celui-ci : ils » embelliffent la contrée & contribuent, fans doute, à la » fanté des habitans. » Les Insulaires , fâchant que nous mettrions bientôt à la 3 i ; voile , nous apportèrent, le 3 1, plus de fruits qu'à l'ordinaire. Parmi ceux qui vinrent à bord, il y avoit un jeune-homme de fix pieds quatre pouces & & fa feeur plus jeune que lui, avoit cinq pieds dix pouces \. Nous achetâmes beaucoup de cochons &: de fruits, « Nous fîmes , de notre côté, différentes excuriîons fur 1» les collines, où nous recueillîmes des planres, que nous y> ne connoillions pas encore. Ces collines rcfîembloienr » exactement à celles de Taïti, mais elles étoient un peu y> plus baffes. Nous trouvâmes une vallée très pittorefque » environnée d'une forêt d'arbres & d'arbuiles, & arrofee 3î par » par un joli miflèau, qui tomboit en plu fieurs cafcadcsfur-----sa » des rockers brifés & fur des précipices. » MaY7 Le i , dans l'après-midi, on nous die que, trois jours aupa- z juin, ravant , deux vaifiéaux étoient arrivés à Huaheine ; que l'an étoit commandé par M. Banks, & l'autre par le Capitaine Furneaux. L'homme qui annonça cette nouvelle , ajouta qu'il s'étoit enivré à bord de l'un des bâtimens, & il décrivit fi bien la perfonne de M. Banks, & celle du Capitaine Furneaux, que je n'eus pas le moindre doute fur ce qu'il aiîuroit, &i je penlai à envoyer ce même foir une chaloupe avec des ordres pour le Capitaine Furneaux, Iorfqu'ua Naturel, ami de M. Forftcr, qui vint nous voir, nia toute cette hifloire , 6C protetta que c'étuit T$ru- wurre, un men-fonge. Celui qui nous avoit informé de la prétendue arrivée de ces vailfeaux venoit de partir, de forte que je ne pus pas les confronter, oí les Spectateurs ne favoient rien fur cela que par oui-dire ; je différai le départ de la chaloupe jufqu a ce que je fuifie mieux informé. Le foir, nous tirâmes des feux d'artifices, pour amufer les Infulaires, fur une des petites líles fituées à l'entrée du havre. J'avois résolu d'appareiller le lendemain; mais le bruit, 3. Vrai ou taux , de l'arrivée de ces deux bâtimens, me fit changer de dellèin. Le Chef avoit promis d'amener à bord le Naturel qui en parla le premier; mais on ne put pas le trouver, & peut-être qu'il le cacha. Le matin, les opinions des Inlulaires étoient partagées là-defîus ; mais, l'après-midi, ils convinrent tous que c'étoit une fauíTetc. M. Clarke avoit été, dans la partie la plus éloignée de l'Ifle , faire de Tome II. G g g 4i 8 Voyage i nouvelles recherches, il revint fans rien apprendre de fácil? Ann. 1774 faiíunt. En un moc , cette nouvelle me parut trop mal fondée pour dépécher une chaloupe , ou pour différer mon départ plus long-tems. « En repassant au Cap de Bonnc-Efpérance , nous ap-» prîmes que le Capitaine Furneaux étoit parti d'Hua-» hcine , long-tems avant le tems où on fuppofoit qu'il » avoit relâché fur cette Ifle. M. Banks n'avoir pas quitté » l'Europe. On nous a dit depuis que M. Saint-Denys, Najo viçateur Francois, eft allé dans la Mer du Sud avec deux » vailîéaux au milieu de 1774 , époque dont il eft ici » quelli on. * Les Naturels , voyant que notre départ ne feroit plus » différé, nous vendirent leurs fruits â bon marché. Comme » notre provifion de haches 6c de couteaux étoit épuifée » depuis long-tems, notre Armurier travailla à en faire de » nouveaux, d'une forme très-inauvaife, &: de très-peu de » valeur, fur-tout les couteaux, qui étoient de morceaux * de cercle de fer. Les Naturels en furent fatisfaits, 6c ils » ne favoient pas diftinguer à l'œil les bons des mauvais, » Parmi les Naturels des Mes de la Société, il y a un petit » nombre d'hommes inltmits des traditions nationales, 6c » des idées de Mythologie 6c d'Aftronomie répandues dans » le pays. (Edidée, tandis que nous étions en mer, nous *> avoit fouvent parlé d'eux, comme des plus favans de fes * Compatriotes, 6c il les nommoit Tata-.o- Raro, terme » qu'on peut rendre par celui de maître. Après beaucoup s» de recherches, nous trouvâmes dans îe diftrict d'Harna-» meno un Chef nommé Tootavaï, qui poitoit ce titre: » nous regrettâmes de ne l'avoir pas connu plutôt ; mais » mon Pere réfolut d'employer le tems qui lui reftoit, à » faire des recherches fur un fujet auifi intéreilànt que *> l'Hiftoire des Opinions Religicufes. =» Tootavaï fut charmé de trouver une occaiion de » déployer fes connoiiîances : il étoit flatté de notre atten-» tion à l'écouter , & il parla fur le même objet avec plus » de patience & plus long - tems, que nous ne l'attendions *> d'un Habitant de ces ifles, dominé par la vivacité & la » légèreté de fon caractère. La religion de ces Infulaires » paroît tonner un lyltcmo de poiyLlici/mc /ìngulier. Quelli ques peuples abforbés par le foin de pourvoir â leur fub-» liftance, ne s'élèvent pas jufqu'à la Divinité; mais il y en » a peu : ceux de Taïti & des Ifles de la Société croient » l'exiftence d'un Etre Suprême, créateur de toutes chofes. » Ces nations ont fait des recherches plus ou moins pro-» fondes fur les qualités de cet efprit univerfel & incomprésa henfible, & elles ont adopté des abfurdités en fe perdane » là-delfus dans des réflexions inutiles. Les petits efprits que » furchargeoit la vafte conception d'une perfection iuprême, n personnifièrent bientôt les difFcrens attributs de la Divi-» nité. Les Dieux ô£ les Déefles devinrent innombrables, » & une erreur en enfanta mille autres. L'homme, dans le » cours de l'éducation, apprit de fon pere l'exiftence d'un »■ Dieu, & l'inftinct nourrit en lui cette idée. La population » s'accrut, les diftinctions de rang s'établirent, & on vit ». naître de nouvelles paillons. Dans chaque fociété des » individus profitant du penchant du peuple à adorer, s'ef- » forcèrent de captiver le jugement de la multitude, 8>C » défigurant les qualités du Tout-Puifiant, éteignirent Faf- » fection du genre - humain à l'égard de fon bienfai&eur, » & lui firent craindre fa colere. Il paroît que ceci eft » arrivé aux liles de la Société comme ailleurs : les Habitans » révèrent des Divinités de toute efpèce, & ce qu'il y a de w plus lingulier, chaque lile a une Théogonie féparéc. Le » lecteur doit comparer ce que nous allons dire avec les » obfervations fur cette matière, inférées dans le premier » Voyage du Capitaine Cook. (a) » Tootavaï commença à nous apprendre que fur chaque » Ifle de ce grouppe, ils donnent un nom diíférent au Dieu » Supreme, Créateur de la terre & du ciel ; &, voulant s'ex-» primer plus clairement, il ajouta que fur chaque Ifle, on 3> croit des Divinités différentes, parmi lefquelles il y en a » une reconnue de toutes, qui tient le premier rang. Ainfi, à » Taïti & Eiméo, l'Etre Suprême, c'eft O -Rooahottoo j à » Huaheine, c'eft Tanè ; à U liétéa, O-Roo ; à O-Taha, Orra -, » à Bolabola, Taootoo, à Mowrua, O-Too ; & à Tabbooa, » Mannoo ( Tifie de Sir Charles Saunders ) Taroa. » Treize Divinités préfident fur la mer dont elles ont » le gouvernement : lavoir , i.° Oorohaddoo. 2.* Tama-» Ooee. 3.° Ta-Apée. 4.0 O-Tooareconoo. 5.0 Tanàea. * 6.° Tahoumeonna. 7.0 Ota-Mauwe. 8.° Cwhaï. 9.° O-y> Wharta. io.° Tahooa. n.° Te-Ootya. n.° O-Mahoo- (a) Tom. Iljpag. 51? i de la Traducile n £rar?çoiie. si roo. 13.0 O-Whàddoo. Une Divinité différente de celle-si là, Oo-Marrào, palle cependant pour avoir créé la mer. » Il en eft de même du foleil, créé par O-Mauwée, Dieu » puiffant, qui produit les trcmblemens de terre. La Divi-» nité qui réiide dans cet aftre, & qui le gouverne, fe nom-» me Tootoomo-Hororirrée : ils lui donnent une très-belle » forme, Se des cheveux qui lui defeendent jufqu'aux pieds. » Ils aifurent que les morts vont partager fon habitation, » Se que là ils mangent continuellement du fruit à pain Se » du porc, qui n'ont pas befoin d'être préparés au feu. Ils » croient que chaque homme a au - dedans de lui un être » fépare appelle Tee, qui agit d'après l'impreliion des fens » Se qui de fes conceptions forme des penfées. (a) Cet être, 33 qui rellcmble à l'âme, exifte après la mort, ce il habite les n images de bois placées autour des cimetières, auxquelles as ils donnent le même nom de Tee. Ainu*, la croyance 3> d'une vie à venir, Se l'union de l'efprit Se de la matière, » font répandues jufquc fur les liles les plus éloignées. Nous 33- n'avons pas pu découvrir s'ils admettent des récompenics 33 ou des chàtimcns dans l'autre monde ; mais il eft probable * que ces idées ne font point étrangères à une nation dont 33 la civililation eft auifi avancée que celle de Taïti. 93 La lune, fuivant eux, a été créée par une Divinité a», femelle, nommée O-Hécnna, qui gouverne aulTi cette » planète , Se qui réfide dans les taches ou les brouillards »3 noirs. Les femmes chantent un couplet qui femble être (a) Les Naturels donnent aux penfées le nom de Parou no te Oboo, «e qui lignifie littéralement;, paroles dans le ventre. ■U—j-Lììi'1111 : un acte d'adoration à cette Divinité ; cet ufagc provient ANJuin774 33 peut-être de ce qu'elles penfent qu'elle a de l'influence n fur les infirmités périodiques de leur fexe. Te - Oowa no te Malama > Te-Oowa te heenàrro. Le Brouillard en dedans de lar Ce Brouillard j'aime ! 3> On a lieu de iuppofer que, pour les Taïtiens, laDéefle » de la Lune n'eft pas la charte Diane des Anciens, mais plu-» tôt l'Aftarté des Phéniciens. Les étoiles ont été créées par » une Déeflè appellée Tettoo-Matarou, & les vents font *> gouvernés par le Dieu Orréc-Orrée. » Outre ces grandes Divinités, ils ont un nombre con-» iîdérable de Dieux inférieurs, dont quelques-uns paifent » pour être médians, & pour tuer les hommes pendant y* leur fommeil. Le Tahowa-Rohaï ou le Grand-Prêtre de » l'Ifle, les adore publiquement dans les principaux Mo-» raïs. On adreife aux Dieux bienfailans des prières qu'on » ne prononce pas à haute voix : nous ne remarquions ces » prières qu'au mouvemenr des lèvres des Indiens. Le Prê-99 ere leve les yeux au Ciel, 8c l'Eatua ou Dieu eft fuppofé » defeendre èc converfer avec lui, fans être apperçu du » peuple, & fans être entendu de qui que ce foit excepte » du Prêtre, qui, comme on voit, a foin de voiler la Reli-» gion de myfteres. » On offre aux Dieux des cochons & des volailles rô-*> ties, & toute forte de commcftiblcsj mais on ne rend pas » d'autre culte aux Divinités inférieures, & fur - tout aux ■ » efprits malfaifans. On croit que quelques-uns habitent » une certaine lile deferte nommée Mannua, où on les voit » fous la figure d'hommes grands & forts, qui ont des yeux » farouches, & qui dévorent ceux qui approchent de leur » côte. Ceci fait peut-être allufion à l'antropophagie, qui » fcmble avoir exifté jadis fur ces Ifles, comme je l'ai obfervé » ailleurs. » Il y a des plantes confacrées particulièrement aux » Divinités. On trouve fouvent près des Moraïs ou des » Temples le camarina, le palmier & le bananier, ainfi =» qu'une efpèce de crataeva} forte de poivre, Xhihifcus » popuLneus3 la dracaena icrminalìò , cele x&d&fkj¿émn, » qui tous paífent pour des lignes de paix de d'amitié. Des » oifeaux, tels que le héron, le martin-pêcheur, & le coucou » font aufli confacrés à la Divinité ; mais j'ai déjà obierve » que tous les infulaires n'ont pas une égale vénération poiu-» eux} & il faut remarquer que différentes Ifles donnent » en cela la préférence à différens oifeaux. » Les Prêtres confervent leurs places pendant leur vie, ■ Se leur dignité efe héréditaire. Le Grand Pontife de cha- »> que Ifle eli toujours un Arec ,qui jouit du premier rang, » après celui du Roi. On les confulte dans la plupart des « occalions importantes : on leur donne ce qu'il y a de mcil- » leur dans la contrée, car ils ont trouvé le moyen de fe » rendre néceflaircs. Il y a aufli, fur chaque diftriét, un » ou deux Docteurs, ou Tata-O-Rerro, comme Tootavaï, » qui lavent la Théogonie & la Coimogonie, & qui, à de m ;..... ,_!« » certains tems, inftruifcnt le peuple: les Indiens conici - n- 1774- » vent ainii les connoiiTances qu'ils ont dans la Céographic Juin. 1 }D L » & Aftronomie, & fur la diviiïon du tems. Ils nomment 5> quatorze mois lunaires dans l'ordre iliivant. Le premier, » O - pororó - Moòa ; le fécond, O-pororo-Moorée ; le troi- » fíeme, Moorehàh, le quatrième, Oohée- Eiya \ le cin- » quieme, O-WhirreAmina ; le fíxieme, Taowa, le feptic- » me, 0\vhirre-Errc-Erre \ le huitième, O-Tearréc j le neu- » vieme Ote-Taï; le dixième, Wàrchoo\ le onzième, Wà- » hou ; le douzième, Pipirrée, le treizième E-Oonoonoo \ » le quatorzième, Oomannoo. Les trois premiers mois col- » lectivemcnt s'appellent Oorroo , ou la faiion du fruit à » pain ; mais nous ne favons pas encore par quel arrange- p ment ils font de ces mois un cycle, ou une année com- » plctc. Il paroît que quelques - uns., fur-tout le fécond & le » fepticme, font intercalaires; car leurs noms reflemblent à » ceux du premier & du cinquième, & ils les infèrent dans » les différentes années. Chacune des lunes eft compofee de » 19 jours. Pendant les deux derniers, ils difent que la lune » eft morte, parce qu'on ne la voit pas^il eft donc clair, » qu'ils commencent à compter de la premiere apparition » de la Planète, de non du tems réel de la conjonction. Le » vingt-cinquième jour de la treizième lune E-Oonoonoo, » répondoit à notre troifîcme de Juin, jour où on nous » apprit ces différons détails. » Le nom de Tahowa, que les Taïtiens donnent aux » Prêtres, ne leur eft pas particulier ; ils le donnent auifi » aux perfonnes qui connoiffent la propriété du petit nom-p bre de plantes, qu'ils emploient comme les remèdes de » différentes du C aMtaiSE Cook. 42^ » 'différentes maladies. La quantité de leurs remèdes n'eft — M, .. , 1 . /T.vr 1 • Ann. 1774. » pas confidérable, & leur médecine eft tres-iimple; mais Juin, » ils n'ont pas beaucoup de maladies, & elles ne font point » compliquées. » Le 4, dès le 'grand matin , j'ordonnai de tout apprêter 4v pour l'appareillage. Oréo , le Chef, & toute fa famille vinrent à bord nous dire adieu pour la dernière fois, ils étoient accompagnes d'Oo-oo-rou Y Earée de Hi & de Boba Y Earée d'O-Taha, & de plufieurs de leurs Amis. Ils nous apportèrent tous des préfens \ mais Oo-oo-rou en fit un beaucoup plus confidérable que les autres, parce que c'étoit fa premiere & fa dernière viiite. Je leur donnai tout ce qui me reftoit de marchandifes de de meubles. L'holpitalité avec laquelle ce peuple m'avoit accueilli, me rendoitcherc toute la Nation, & ils méritoient bien d'obtenir de moi tout ce qu'il étoit en mon pouvoir de leur accorder. Je leur propofai des queftions fur les vai/îeaux qu'on difoit être venus à Huaheine ; & , fuis exception , ils nièrent tous le fait. Pendant qu'ils réitèrent à bord, ils ne cefferent pas de me conjurer de retourner les voir. Le Chef, fa femme &: iâ fille, & fur-tout les deux femmes, pleurèrent prefque fans relâche. Je ne fais pas fi leur chagrin étoit réel ou fimuié : peut-être y avoit il quelque chofe de factice , mais je le crus réel. Enfin, quand il fallut lever l'ancre, ils prirent congé de nous d'une maniere très-affe&ueufe & très-tendre. La dernière prière d'Oréo fut encore pour m'engager à retourner : quand il vit que je ne voulois pas le lui promettre , il demanda le nom de mon Mar ai, du lieu où l'on m'enterre-roit, Je ne balançai pas un moment à lui répondre Stcpney^ Tome IL H h h : nom de la Paroiffe que j'habite à Londres. Il me fupplia de le répéter plufieurs fois, jufqu'à ce qu'il le pût prononcer} alors cent bouches à-la-fois s'écrièrent Stepney marni no Toote , Stepney le tombeau de Cook. M. Foriler m'apprit enfuite qu'un homme , à terre , lui avoit demandé la même chofe, mais il fit une réponfe différente & plus convenable, en difant qu'un Marin ne favoitpas où il feroit enterré. Toutes les grandes familles de ces Iiles ont coutume d'avoir des cimetières particuliers, qui paifent, avec leurs biens, à leurs héritiers. Le Marai d'O-Parée à Taïti, pendant le règne de Tootoha, étoit appelle Marai no Tootaha; mais on le nomme aujourd'hui Marai no O-Too, comme on fa déjà remarqué. Quelle plus grande preuve d'amitie ces Infulaires pouvoient-ils nous donner, que de vouloir fe fouvenir de nous, lors même que nous ne ferions plus? Nous leur avions répété fouvent que nous les voyions pour la dernière fois : ils voulurent favoir dans quel endroit nos cendres iroient le joindre à celles de nos Ancêtres. Comme je ne pouvois ni promettre , ni eipérer, qu'on enverroit de nouveaux vaiûeaux fur ces Ifles, (Edidée, notre fidèle Compagnon , fe décida à refter dans fa patrie ; mais il nous quitta avec des regrets qui montroient bien fon eftimc pour nous ; & rien ne put l'y déterminer que la crainte de ne jamais revoir fon pays. Quand le Chef me preflbit avec tant d'inftance de revenir, je lui fis quelquefois des réponfes qui lui laiffoient un peu d'efpérance. (Edidée, à Imitant, me droit de côté, de il fe fùfoit répéter ce que je venois de dire, « lorfqu'il fallut nous féparcr, il courut de chambre en » chambre pour embrafïèr rout le monde.» • • ri 37; O-HEDIDEB, Jeune homme de Balábala Enfin je ne puis pas décrire les angoiifes qui remplirent fame de ce jeune-homme quand il s'en alla : il regardoit le vailfeau , il fondit en larmes, & il fe coucha de défefpoir au fond de la pirogue. «En sortant des récifs, nous ie vîmes encore quii » étendoit fes bras vers nous. » Il vérjfioit bien la maxime, qu'on n'eft jamais pro^ phètedans fa patrie. A Taïti, on avoit des égards pour lui, 8c on lui donnoit tout ce qu'il deiiroit ; mais il n'cxcitoit pas ici la moindre attention. Il avoit de l'intelligence &: du fens, Se, comme la plupart de fes Compatriotes , il étoit d'un caractère docile , doux èc humain i mais il étoit fort ignorant fur la religion, le gouvernement, les mœurs, les ufages &: les traditions de fon pays, Se par conféquent il ne nous auroit rien appris d'effentiel, s'il s'étoit embarqué avec nous. D'ailleurs il auroit plus fervi qu'Omaï à donner une idée juife de la figure Se du caractère de ces Infulaires. Au moment où il fortit du vaifleau, il me demanda tatou parou , quelque chofe qu'il pût montrer aux Commandans des autres bâtimens qui, dans la fuite, relâcheroient fur fon lile \ j'y con-fentis, Se je lui accordai un certificat du tems qu'il avoit été avec nous, Se je le recommandai à ceux qui toucheront ici après nous. Nos Amis nous quittèrent à onze heures, au moment où nous levâmes l'ancre pour mettre en mer j mais (Edidée ne s'en alla que quand nous fumes hors du havre. Il s'arrêta afin de tirer quelques coups de canon ; comme c'étoit l'an- Hhh 2 niverfaire de la naiiTance de Sa Majefté, on tira le falut de j in774 ^pw^nce à notre départ. En abordant fur ces Ifles, la premiere fois , j'avois envie de vifiter la fameufe Bolabola de Tupia ; mais, comme j'avois pris à bord aifez de rafraichiifemens de toute efpèce , & que la route que je projetois cxigcoit tout mon tems, je renonçai à ce deiïcin, & je marchai à l'Oueft, faifant nos derniers adieux à ces Ifles fortunées j où la Nature a, d une main prodigue, répandu fes faveurs. « Malgré leurs imperfections, ces peuples font peut-être plus innocens &c plus vertueux , que. les Nations plus rafi-» nées & plus inftruites. Sans citer l'exemple d'CEdidée, nous » avons obfervé fouvent des actions réciproques de bienfai-» fance, ce qui prouve qu'ils pratiquent beaucoup les vertus » fociales. J'ai vu un feul fruit à pain , ou quelques noix de » cocos, partagés entre un grand nombre de perfonnes, de » maniere que chacun en avoit un petit morceau } je les ai » vu fe donner mutuellement leurs habits & fe rendre des » fervices, avec le même empreffement qu'ils mettoient à » nous obliger. Afin d'empêcher la houle de mouiller nos » pieds, lorfqirïl falloit entrer data* nos chaloupes ou en » fortir, ils ciokiii'préts à nous porter fur leur dos ; ils fe » chargeoient des curiofités que nous achetions, Si ils reso fufoient rarement d'aller chercher, dans l'eau, les oifeaux » que nous tuyons. Si la pluie nous furprenoit dans nos » excurlions, ou que la chaleur du foleil ou la fatigue de la » route nous accablaffent, ils nous offroient leurs habita- » tions pouf nous y repoíer, & ils nous offroicnt leurs meil- * m leures provifions : ces hôtes généreux fe tenoient même » un peu loin de nous, Se ne touchoient jamais à aucun mets, » avant d'en être priés -, Se, fur ces entrefaites , quelques » perfonnes de la famille , s'occupoicnt à nous donner de l'air » avec une feuille, ou avec la branche d'un arbre. Avant de » quitter la maifon , ils nous adoptoient communément » fuivant nos différens âges , en qualité de peres , de frères » ou de fils. Ils nous croyoient tous parens. Les Chefs de » toutes les Ifles de la Société , defccndent de la même » famille : ils regardoient comme parens tous les Officiers » de l'équipage, Se ceux qui mangeoient eniêmble ; ils fup-» poibicnc que le Capitaine Cook Se mon Pere étoient » frères, uniquement par cette raifon ; ils font mauvais phy-» fionomiftes. En général, leur hofpitalité, à notre égard, étoit z> abfolument déíintéreíféc, Se, comme ils font généreux » fans s'en appercevoir, nous eûmes une très-bonne opinion » de leur conduite entr'eux. » Imitant la libéralité de la Nature, ils fourniffent de bon cœur, & fans épargne , aux befoins des Navigateurs.Durant les fix femaines que nous y paffâmes, nous eûmes, dans la plus grande abandance , du porc frais, & tous les fruits qui étoient de faifon , outre du poiiTon à Taïti & des volailles finies autres Ifles. Nous donnâmes en retour des haches, des clous, descifeaux, des goujes, des étoffes, des plumes rouges ,des grains de rallàde ,des couteaux , des miroirs, Sec. qui y auront toujours du prix. Je ne dois pas oublier les chemifes, article eflèntiel quand on a des préfens à faire , 43 o Voyage fur-tout pour ceux qui veulent fréquenter le beau fexc ; car alors une chemife tient lieu ici dune pièce d'or en Angleterre : les femmes de Taïti , après avoir dépouillé leurs Amans de leurs chemifes, trouvèrent une méthode de fe procurer leurs habits. Elles avoient coutume rd'aller à terre chaque matin, & de revenir à bord le foir, ordinairement couvertes de guenilles : elles fe fervoient de ce prérexre pour demander, avec importuniti, à leurs Amans de meilleurs habits : quand l'Amant ne pouvoit plus lui donner les liens, il falloir qu'il les revêtît d'une étoffe du pays : ces honnêtes Courtifannes portoient, à terre, ces vêtemens ; elles revenoient encore en guenilles, & il falloit les habiller de nouveau. Ainfi, le meme. vCtciuent paflbit peut-être dans vingt mains différentes, & il étoit vendu, acheté & donné vingt fois. Avant de terminer la defcription de ces Ifles, il eft néceffairc de dire tout ce que je fais fur le Gouvernement d'Uliétéa & d'O-Taha, Oréo, dont on a parlé fi fouvent, eft natif de Bolabola j mais il pofféde des W'kennoas ou des terres à Uliétéa, qu'il a gagné, je penfe, par la conquête , ainfi que plufieurs de fes Compatriotes. Il réfide, fur cette dernière Ifle, comme Lieutenant. d'Upoony, qui femblo jouir de l'autorité Royale & de la fuprême Magiftrature. Oo-oo-Rou, qui eft Earée par droit héréditaire, ne femble plus pofféder que le titre, & fon propre Whennoa ou diftrief, dans lequel, je crois, il eft Souverain. J'ai toujours vu Oréo lui montrer le refped dû à fon rang j & il étoit charmé quand il s'appercevoit que je le diftinguois des autres. dû Capitaine Cook. 431 O-Taha, autant que j'ai pu le découvrir, eft gouvernée " de la même maniere. Boba S¿Ota font les deux Chefs. Je ' n'ai point vu le dernier. Boba eft jeune, robufte & bien fait j & l'on m'a dit qu'après la mort d'Opoony, Monarque actuel, il doit époufer fa fille, & que ce mariage lui donnera l'autorité Royale i de façon qu'il femble qu'une femme, qui peut être revêtue de la dignité Royale, ne peut cependant pas exercer le pouvoir fouverain. Je crois que la conquête de ces Ifles n'a procuré à O-Poony d'autres avantages qu'un moyen de récompenfer fes Nobles, qui, en eifet,fe font emparés de la meilleure partie des terres. Il ne paroît pas qu'il ait exigé aucune des marchandifes, outils, &c. que nous avons laiifés en fi grand nombre. (Edidée m'a fait, plufieurs fois, rémunération de toutes les haches, des clous, que poiféde O-Poony, &à peine en a-t-il autant qu'il en avoit, lorfque je le vis en 1769. Quelque vieil que foit ce fameux lnfulaire, il ne pafîè point fes derniers jours dans l'indolence. Quand nous arrivâmes ici, pour la premiere fois, il étoit à Maurana: bientôt après, il retourna à Bolabola ; òc fon nous dit, cette dernière fois, qu'il étoit allé à Tubi. Je finirai ce Volume par quelques obfei varions fur la montre marine que m'a communiqué M. Wales. À notre arrivée dans la baie de Matavaï à Taïti, la longitude, indiquée par la montre, fut de iA 8' 58" \ trop loin àl'Ouefti e'eft-à-dire que, depuis notre départ du détroit de la Reine Charlotte, elle avoit gagné 8' 34" \ fur fa marche ordi- 432 Voyage, Sec. nairej dans feipace d'environ cinq mois, ou un peu plus*, &, durant ce tems, elle avoit paifé par les extrêmes du froid &i par les extrêmes de la chaleur. On jugea que la moitié de cette erreur avoit eu lieu, après notre départ de Tifie de Pâque ; & ai nu* elle alla beaucoup mieux dans les climats froids, que dans les climats chauds» ^FJN du fe.c.MiJ Livra & Tome IL