Jan Radimsky. Les composés italiens actuels. Paris : Cellule de Recherche en Linguistique. 270 pp. ISBN : 978-2-9526027-0-9 Le travail de Jan Radimsky, qui s'est donné pour objectif d'étudier les tendances récentes de la composition en italien, s'inscrit bien dans la thématique du présent numéro consacré aux frontières externes et internes de la morphologie. Bien que la composition constitue un des modes « centraux » de formation de mots, elle n'a, en ce qui concerne les langues romanes, jamais joui du même intérêt que la dérivation. Les raisons en sont multiples et ne sauraient être imputables à une « productivité » peu élevée des procédés de composition : comme le montre d'ailleurs l'analyse de J. Radimsky, la disponibilité de la plupart des procédés de composition ne fait aucun doute et les composés néologiques recensés par les dictionnaires sont nombreux. Les raisons de ce relatif désintérêt résident plutôt dans l'hétérogénéité de ce mode de formation qu'il est difficile de décrire par une seule composante linguistique. Peut-on cerner les procédés de composition par des règles morphologiques ou bien relèvent-ils de la syntaxe ? Quelle y est la place de la composante lexicale et de la notion de « fige-ment » ? Les mots composés doivent-ils être considérés comme des unités construites, selon la définition qu'en a donnée Danielle Corbin, ou bien s'agit-il simplement d'unités lexicales complexes ? L'étude Les composés italiens actuels est une version revue et largement remaniée de la thèse de doctorat que l'auteur, actuellement enseignant-chercheur à l'Université de Bohême du Sud de Ceské Budëjovice (République tchèque), a soutenue à l'Université de Charles à Prague. Ajoutons encore que l'ouvrage a été publié par la Cellule de Recherche en Linguistique, une association scientifique, fondée par Amr Ibrahim (Université de Franche-Comté/Paris IV-Sorbonne) et Claire Martinot (Université Paris 5-René Descartes) et qui a pour objectif de promouvoir la recherche scientifique « fondamentale » en linguistique en organisant des colloques ou des journées d'études et en publiant des ouvrages spécialisés. L'étude proposée par J. Radimsky se base sur un corpus de 1390 néologismes, tirés du Grande dizionario italiano dell 'uso (Gradit) de Tullio de Mauro (version électronique de 1999, Torino, Utet). Ce corpus, assez représentatif et fiable, regroupe les composés italiens dont la première attestation date de la période entre 1980 et 1999. Il convient de préciser qu'à la différence de la tradition des dictionnaires français, en règle générale plus conservateurs, les dictionnaires italiens recensent un nombre relativement grand de néologismes. La première partie de l'ouvrage est consacrée à la définition des mots composés. L'auteur passe en revue la plupart des approches théoriques italiennes (Bologna,Tekavcic, Migliorini, Dardano, Scalise) et surtout françaises de la composition (Darmesteter, Guilbert, Corbin, G. Gross, Mathieu-Colas, Fradin). Cette « prépondérance » des linguistes français s'explique, d'une part, par la rareté des études théoriques détaillées pour l'italien et, d'autre part, par l'influence qu'ont exercée les études françaises de la question sur la morphologie italienne. De plus, l'approche de Jan Radimsky s'inscrit dans le cadre du structuralisme fonctionnel d'André Martinet qui n'a connu que peu d'écho dans la linguistique italienne. Au lieu de proposer une définition « en bonne et due forme » des composés et de la composition, ce qui s'avère impossible et soulèverait sans doute plus de problèmes que cela n'en résoudrait, l'auteur examine plusieurs types de critères : la soudure formelle des éléments (les degrés de l'identité phono-graphique du composé), les critères syntaxiques et morphosyntaxiques, les critères sémantiques et l'origine des éléments. Comme aucun des critères n'est ni nécessaire ni suffisant, J. Radimsky envisage la catégorie des composés comme une catégorie prototypique et propose une « grille » qui permettra, d'un côté, de distinguer les composés des dérivés et des syntagmes libres et, d'autre côté, de déterminer la prototypica-lité d'un composé ou d'un procédé de composition. Un composé prototypique devrait satisfaire aux critères suivants : soudure phono-graphique, distribution d'un lexème simple, non-actualisation des composants, autonomie des composants au moment de la fusion, blocage des transformations syntaxiques, absence de liaison syntaxique entre ses constituants, appartenance de sa structure à un modèle productif, signifié précis et unique, opacité sémantique. Une unité qui ne satisfera qu'à une partie des critères sera considérée comme un composé non prototypique. Si une unité ne répond à aucun des critères énuméré, elle est considérée comme un syntagme libre. Deux autres critères permettent de différencier un composé d'un dérivé : les constituants doivent appartenir aux parties du discours majeures et être dotés d'un sens référentiel. Après un panorama rapide du traitement réservé aux composés italiens actuels par la linguistique contemporaine (S. Scalise, L. Serianni, G. Crocco Galèas et W. U. Dressler), quelques estimations sur l'importance quantitative des composés dans le lexique italien et une présentation détaillée du corpus, l'auteur passe à l'analyse de deux types de composés prototypiques (composés indigènes et confixés) et différents types de composition non prototypique, appelée anomale. L'analyse des composés indigènes (it. composto nativo) actuels (chapitre V) permet de remettre en question un certain nombre d'observations antérieures. Si la composition est réputée être « essentiellement nominale » en italien, il est intéressant de voir une proportion non négligeable des adjectifs composés, plus de 15 %, auxquels on doit ajouter 17 % de composés connaissant à la fois un emploi adjectival et un emploi substantival. Selon S. Scalise un adjectif composé devrait avoir la structure interne (A+A), or, dans le corpus cette structure ne représente qu'un quart des adjectifs composés, la plupart comportant un élément verbal (V+N : allungaciglia, spezzatimpani, portacas-co, spruzzaprofumo ; V+X : paratutto, lavaindossa). Les résultats montrent que les catégories considérées, selon S. Scalise, comme improductives ou indisponibles en italien actuel ont toutefois formé presque 15 % de tous les composés indigènes du corpus : il s'agit notamment des structures : A+N (ambosessi, malagiustizia), N+A (posta-celere, sassorosso), P+N (dopobagno, fuoripista),V+X (salvatutto, tagliacuci). Il n'en est pas moins vrai que les modèles « centraux », à savoir V+N et N+N, restent les plus productifs aujourd'hui avec plus de 80 % des composés indigènes. Le chapitre VI propose une analyse fouillée des confixés, qui manifestent en italien actuel, comme d'ailleurs dans la plupart des autres langues romanes, une très grande productivité, supérieure, d'après les statistiques établies par J. Radimsky, à la productivité des composés indigènes. Le terme de « confixé », proposé par A. Martinet, remplace à juste titre le terme traditionnel de « composé savant » (it. composto dotto, composto scientifico). En effet, l'emploi de ces unités n'est plus limitées aux seuls registres « savants », de même que les composés indigènes ou populaires ne sont pas propres au seul registre commun : plus d'un quart des confixés du corpus dictionnairique ne portent aucune marque de spécialité, tandis que presqu'un tiers des composés indigènes, à l'en croire le gradit, relève de différents domaines de spécialité. De plus, une partie importante des confixes, comme nous le verrons quelques lignes plus loin, n'appartiennent pas au stock de formants d'origine gréco-latine. La majeure partie de ce chapitre est consacrée aux traits typologiques des confixes. L'auteur insiste sur deux oppositions : préfixoïdes / suffixoïdes, confixes classiques / confixes modernes. La première opposition, dont les termes connaissent des acceptions fluctuantes en morphologie, réfère à la position que le confixe occupe dans le mot composé. La deuxième opposition repose essentiellement sur des critères étymologi-co-chronologiques et non pas fonctionnels ou structurels. Les confixes classiques sont des éléments de forme savante ou ayant subies des altérations phonétiques mineures, venant « directement » du stock gréco-latin. Les confixes modernes ou les néoconfixes présentent une catégorie relativement hétérogène englobant, d'un côté, les éléments issus de l'abréviation d'un lexème italien (aviazione > avio- > aviosuperficie, avioci-sterna), ce qui génère parfois des homonymies (auto-1 > automobile / automobile > auto-2 > autoambulanza), et de l'autre, les éléments d'origine étrangère (laser-> laserchirurgia, laserfoto). Les néoconfixes, à la différence des confixes classiques, peuvent fonctionner comme des unités autonomes (meteo, avio, porno, audio etc.). Les néoconfixes correspondent donc pour l'essentiel aux formants qui sont souvent considérés comme relevant de la morphologie « périphérique » ou même extragrammaticale : c'est le cas notamment de W. U. Dressler ou B. Fradin (composition cachée, affixation sécrétive). L'intégration de ces éléments à la catégorie des confixes s'explique par l'objectif de l'étude qui est d'établir les tendances de l'évolution actuelle de la composition, prise au sens large, en italien. L'avant-dernier chapitre apporte l'analyse de formations extragrammaticales, dites « formations anomales », quantitativement peu importante (moins que 3 % du corpus), dont la plupart sont des mots-valises (it. porola-macedonia). Le dernier chapitre, comme son titre l'indique, traite de « quelques problèmes résiduels ». Un premier concerne l'interférence entre la confixation et la composition indigène. Bien que le critère de l'ordre interne des éléments, qui correspond à « déterminé-déterminant » pour les composés et à « déterminant-déterminé » pour les confi-xés, reste pleinement opératoire, le fait que certains confixes connaissent un emploi autonome peut soulever des difficultés à distinguer nettement la confixation de la composition. Il est intéressant que J. Radimsky a décidé d'aborder le problème des composés à trois ou même à quatre formants dans ce chapitre « annexe » et non pas comme un type de formation anomale. Après une analyse de quelques confixes (mon-, bi-, multi-), susceptibles d'opérer un changement de catégorie (N > Adj), l'auteur, en se basant sur l'analyse des néocon-fixés de l'italien actuel, remet en question la pertinence du principe générativiste selon lequel la tête peut être identifiée par sa position dans le composé. L'ouvrage de Jan Radimsky, dont l'intérêt dépasse la morphologie de l'italien, est une tentative, intéressante et réussie, de proposer un traitement unifié de la composition en italien. Pour élargir la « portée » et vérifier les tendances observées à une plus grande échelle, il serait intéressant, d'un côté, de transposer, en l'adaptant, l'approche méthodologique et le cadre théorique à l'analyse de la composition dans d'autres langues romanes et, d'autre côté, d'effectuer une analyse analogue de composés néologiques non attestés (occasionnalismes, hapax...). Gregor Perko Université de Ljubljana