L’HOMME TOME SECOND* D E D E SES FACULTES I NTELLECTUELLES ’ E T D E SON EDUCATION, OuvragePoftliumede M. HELVETIUS.’ Hontcux de m r ignorer , Dans mon etre , dans moi , je cherche d penetrer . Voltaire Difc. 6. de la nature de 1’H.omme* ' li few* K N JLTCEAL JB1BLIDTHEK ipliez 1A Societe Typographiqui, M. D C C, L XX III, i- D E L’HOMME, D E SES FACULTES INTELLECTUELLES , E T D E SON EDUCATION. SECTION y. Des erreurs & contradictions de ceux done les principes differens des miens, rap- portent a l’inegale perfetion des Sens, l’inegale fuperiorite des Efprits. IVll * Rouffeau & moi fommes fur cette quef* tion dune opinion contraire, Mon objet enre- Tomt II, A 2 Be l’ H o m m E, futant quelques-unes de fes idees, n’eft point la critique de l'Emile. Cet ouvrage eft a la fois digne de fon auteur & de 1’eftime publique (a). Mais trop ftaele imitateur de Platon , peut-etre M. Roulfeau a-t-il fouvent facrifie l’exacHtude a 1’eloquence ; eft-il tombe dans des contra¬ dictions que fans doute it eut evite , ft plus fe- vere obiervateur de fes propres idees, il les eut plus attentivement comparees entr’eiles. Ce que je me propofe dans l’examen des prin» cipales affertions de 1’Auteur , c’eft de montrer que prefque toutes fes erreurs font des confe- quences ncceffaires de ce principe trop ldgdre- jfnent aamis. Savoir y „ Que l’inegalite des efprits eft 1’efFet de la ,, perfeftion plus on moins grande des organes „ des fens ; ( b ) & que nos vertus comrne nos „ talens font dgalement dependans de la diver- „ fite de nos temperamens (a) La fureur avec laquelle les Moines & les Pretres ont rerfecute M. Rouffeau , eft un temoignage non fuf- pefl de l.vbonte de fon ouvrage. On ne pourfuit point ]es auteurs mediocres. (bj II ne s’agit dans cette queftlon que de cette petite difference d’organifation , que la nature met entre des jiepmies daues de tons leurs fens, son Education. Chap. L $ S5fc=3tefe=5fc»» CHAPITRE I. Contradictions del' Auteur de V Emile fur les caufes de I’inegalite des Efprits. T JL miere fimplieite , d’cu leur viendroit des vices ,, dont ils n’ont pas vu d’exemple, des paffions „ qu’ils n’ont nuiie occafion de fentir, des pre- ,, juges que rien ne leur infpire. Les defauts „ dont nous accufons la nature ne font pas fon ,, ouvrage , mais le notre. Un propos vicieux ,, eft dans la bouche d’un enfant, une herbe dtrangere dont le vent apporte la graine „. Dans la premiere de ces citations, M. Rouffeau eroit que c’eft a l’organiiation que nous devons nos vices , nos paffions & par confequent nos cara&eres. Dans la feconde au contraire, il croit, ( & je le crois comme lui ) qu’on nait fans vices, parce qu’on nait fans idees : mais par la meme raifon , on nait auffi fans vertu. Si le vice eft etranger a la nature de l’homme , la vertu lui doit etre pa- reillement etrangere. L’un &: 1’autre ne font & ne peuvent etre que des acquilitions. * x. C’eft pourquoi l’on eft cenfe ne pouvoir pecher qu’a fept ans , parce qu’avant cet ige , on n’a encore aucune idee precife du jufte & de l’injufte , ni aucune connoilfance de fes devoirs envers les homines. 3e. Proposition. M. Rouffeau dit Page 6 % , Tome 3 de l’Emile, „ Que le fentiment de la juftice eft inne dans le „ coeur de Phcmme “; il repete pag. 107 da meme vol.: „ qu’il eft au fond des ames un p principe inne de vertu & de juftice sou Education. Chap . I . 5 4e. Proposition. I! dit Pag. 11, Tom. 3 , de l’Emile. „ La voix ,, interieure de la vertu ne fe fait point entendre „ au pauvre * 1 . qui ne fonge qu’a fe ncurrir “. II ajoute P. 161 , T. 4, ibid. „ Le peuple a peu „ d’idees de ce qui eft beau & honnete „ , &; condutP. ira,T. 3, ibid. „ qu’avant Page de „ raifon l’homme fait le bien & le mal fans le „ connoitre „. On voit que fi dans la troifieme de ces propo- fitions , M. Rouffeau croit Pidee de la vertu in- nee , il la croit acquife dans la quatrieme , & ii a raifon. Ce n’eft qu’une parfaite Legiflation qui donneroit a tous les hommes une idee parfaite de la vertu, & qui les necefiiteroit a l’honnetete. Tous feroient juftes, ft le Ciel eut des le ber- ceau grave dans tous les cceurs les vrais princi- pes de la Legiflation , il ne Pa point fait. Le Ciel a done voulu que les hommes duffent a leur meditation l’excellence deleurs Loix ; qua- la connoiffance de ces Loix fut une acquifition , & le produit du genie perfections; par le terns; & 1 ’experience. En eftef, dirois-je a M. Rouffeau, s’iletoit un fentimentinnedejuftice& de vertu, ce fentiment comme celui de la douleur & du plaifir phyfique, feroit comrnun a tous les hom¬ mes , au pauvre comme au riche, au peuple comme au Grand ; & l’homme diftingueroit % tout age le bien du mal. * 3. Mais M. Rouffeau dit p. 109, T. 3, de i’Emilec ,, fans un principe inne de vertu, verroit-on # l’homme jufte & le Citoyen honnete concottg A3 '€ D E t’HoMME^ ,, rir a fofi prejudice au bien publ c „ ? Per forme, rdpondrsi-je , n’a jamais concouru a fon preju¬ dice au bien public. Le heros Citoyen qui rifque la vie pour fe couronner de gloire, pour meriter l’eftime publique & pour affranchir fa patrie de la fervitude, cede au fentiment qui lui eft le plus agreable. Pourquoi ne trouveroit-il pas fon bcn- heur dans l’exercice de la verm, dans 1’acquifi- tion de 1’eftime publique & des plaifirs attaches I cette ellime ? Par quelle raifon enfin n’expofe- roit-il pas fa vie pour la Patrie, lorfque le ir.a- telot & le foldat , Pun fur mer & Pautre a la Iranchee, l’expofent tcus les jours pour un ecu ? L’homme honnete qui femble concourir a fon prejudice au bien public, n’obeitdonc qu’au fen¬ timent d’un interet noble. Pourquoi M. Roufteau nieroit-il ici que l’interet eft le moteur unique & univerfel des hcmmes ? il en convient en mille endroits de fes ouvrages. Il dit Pag. 73 , T. 3 , de I’Emile. „ Unhomme a beau faire fem- „ blant de preferer men interet au fien propre , ,, de quelque demonftration qu’il colore ce men- „ fonge, je fuis trks-fur qu’il en fait un P. 137, T. 1 , ibid. „ Je veux quand mon Eleve „ s’engageavec moi, qu’il ait toujours tin inte- „ ret prlfent & fenfible a remplir fon engage- ,, ment, & que ft jamais il y manque , ce men- „ fonge attire fur lui des maux qu’il voie fortiy „ de 1’ordre des chofes „. Dans cette citation ;fi M. Roufteau fe croit d’autant plus ail'urd de la promefte de fon Eleve, que cet Eleve a plus d’interet a la garder , pour¬ quoi dire T, 1 } P. 130, de l’Emiie ? n celui qu* son Education. Chap. 7. f )5 ne tient que par Ton profit & fon interet a fa „ parole, n’eft guere plus lie que s’il n’avoit rien „ promis Cet homme fans doute ne fera pas lie par fa parole, mais par fon interet. Or ce lien en vaut bien un autre , & M. Roufleau n’en doute point, puifqu’il veut que ce foit Vintent qui lie ie Difciple a fa promejfe. L’on en ell & 1’on enfera toujours a’autant plus exaS: & ftdele oblervateur de fa parole qu’on aura plus d’interet a la tenir. Quiconque alors y manque , eR en¬ core plus fou que maHionnete. J’avoue qu’il ell: rare de trouver des contra- didions fi palpables dans les principes du meme ouvrage. La feule maniere d’expliquer ce phono- mene moral, c’ejft de convenir que M. Roufleau s’ell moins occupe dans fen Emile de la verite de ce qu’il dit, que de la maniere de l’eiprimer. Le refuitat de ces contradid ons e’efe que les idees de la jullice & de la vertu font reellement acquifes. CflAPITRE II. De VEfprit & du Talent. '\£ U’est-ce dans 1 ’homme que l’efprit? L’af- femblage de fes idees. A quelle forte d’efprit donne-t-on le nom de talent ? A l’efprit con¬ centre dans un feul genre, c’eir-a-dire , a un grand affemblage d’idees de la meme efpece. Or s’il n’elf paint d’idees innees , (& M. A 4 8 D e l’Homme, RoufTeau en convient dans plufieurs endroirs de fes ouvrages ) l’efprit & le talent font done en nous des acquifitions, & l’un & l’autre, comme je I’ai deja dit, ont done pour principes gene- rateurs: I La fenfibilite phyfique. Sans elle nous ne recevrions point de fenfations : e’eft etre idolatre , e’eft divinifer l’ouvrage des. hommes. Ils ont fait des con¬ ventions. La morale n’eft que Ie recueil de ces conven¬ tions. Le veritable objet de cette Science eft la felicite du plus grand nombre. Salus populi fuprenia lex . ejlo. Si la morale des peuples produit ft fouvent 1’effet contraire r e’eft que le Puiftant en dirige tons les pr eceptes a fon avarrtage particulier, c’eft qu’il fe repete to u jours Salus gubernantium fuprema lex ejlo. C’eft qu’enfin la morales de la plupart des Nations n’eft plus raaintenant que le re¬ cueil des moyens employes & des preceptes di&es par Ie Puiftant, pour affermirfon autorite & pouvoir etre im«- punemenf injufte. Mais peut-on refpe&er de tels prsceptes ? Oui, lorf- qu’ils font confacres par des Edits, par des Loix abfurdes & fur-tout par la crainte du Puiftant. C’eft alors qu’ils acquierent une autorite legale, ft Ie Puiftant continue de. J’etre. Alors fiends plus diftxcile que d« ra-ppsjler la Science son Education. Chap. III. xj Sc fur quel fait en fonder 1’exiftence ?Sur ce qu’il eft des homines bons ? Mais il en eft aufli d’en- vieux & de menteurs , omnis homo mcndax. Dira-t-on en confequence que ces hommes onr en eux un fens inmoral d’envie ou un fens men- titif. Rien de plus abfurde que cette phiiofophie theologique de Schaftesbury, & cependant la plupart des Anglois en font amateurs comme les Francois l’etoient jadis de leur mufique. Il n’en eft pas dem£me des autres Nations. Aucun Stran¬ ger ne peut comprendre l’une & ecouter 1’autre, C’eft une taie fur les yeux des Anglois. Il fault la leur lever pour qu’ils voient. Selon leurs philofophes, l’homme indifferent, I’homme affis dans fon fauteuil defire le bien des autres; nr is en tant qu’indifferent, I’homme ne defire & ne peut meme rien deiirer. L’etat de defir & d’indiffdrence eft contradidoire. Peut- etre meme cet etat de parfaite indifference eft-il impoflible. Ce que l’experience m’apprend, c’eft que 1’homme ne nait ni bon ni mediant: c’eft que fon bonheur n’eft pas neceflairement atta- de la morale a fon veritable objet. Audi ne trouve f-ora de Legiflation fage & de morale pure que dans ies pays ou comme en Angleterre, le Peuple a part a I’AdminiP tration, ou ia Naiion eft le Souverain, ou les Loix enfiir toujours etablies en faveur du Puifl'ant, fe trouvent ne- ceffurement conformes a l’iuteret du plus grand nombre. D’apres cette idee fommaire de ia Science de la mo¬ rale , il eft Evident qu’elle eft comme les autres , le pro- duit de 1’experience , de la meditation & non celui d’un fens moral ; qn’elle pent comme les autres Sciences de jour en jour fe perfe&ionner , & que rien n’autorife I’homme a fuppofer en lui un fixieme fens «OTt il fgres,* impoflible de Cg former des ide'es nettefj D e i’ H o at m E, chi au malheur d’autrui; c’eft qu’au contraire dans toute faine education , l’idee de ma propre feiicite fera toujours plus ou moins etroitement liee dans ma memoirs a cells de mss concitoyens: c’efr que le delir de Tune produira en moi le defir de 1’autre. D’ou il refulte que l’amour du prochain n’eft dans chaque Individu qu’un effst de 1’amour de lui- meme. Audi les plus bruyans proneursde ia bonte originelle ( qui d’ailleurs n'expliqu$ rien qu’Qn ne puiffe ex® pliquer fans elie* 'sow Education. Chap. 111. if maux de fes femblables. Je puis me former line idee de mes cinq fens , & des organes qui les conftituent; mais j’avoue que je n’ai pas plus d’idde d’un fens moral, que d’un elephant &c d’un chateau moral. Se fervira-t-on encore long-terns de ces mots vuides de fens, qui ne prefentant aucune idee ciaire dcdiftindte * 7 . devroient etre a jamais re- legues dans les ecoles theologiques (a). Entend- on par ce mot de fens moral, le fentiment de compalfion eprouve a. la vue d’un malheureux ? Mais pour compatir aux maux d’un homme , ii faut d’abord favcir qu’il fouffre,& pourceteffer avoir fenti la douleur. Une compalfion fur parole en fuppofe encore la connoiffance, d’ailleurs quels font les maux auxqueis en general on fe montre le plus fenfible ? Ce font ceux qu’on a foulferts le plus impatiemment, & dant le fou- venir en confequence eft le plus habituellement prefentanotre memoire.La compaffionn’eftdonc point en nous un fentiment inne. Qu’eprouvai-je ala prefenced’un malheureux? Une emotion forte. Qui la produit ? Le fouvenir des douleurs auxquelles l’homme eft fujet & aux- quelles je fuis moi-meme expofe. 11 8. Une telle idee me trouble, m’importune , & tant que cet infortune e-ft en ma prefence, je fuis triftement affccte. L’ai-je fecouru , ne le vois-je plus ? le ? (a) Le fens moral me paroit un de ces Etres metaphor- fiques 011 moraux qu’on ne devroit jamais citer dans un Uvre de philofophie. On les a quelquefois introduits dans la Comedie Italienne, encore en refroidifToient-Us I’aCtion* On les fupporte a peine dans les Prologues* 1 6 D E r’ H O M M E, calme renait infenfiblement dans moname,parce qu’en proportion de fon eloignement lefouvenir des maux que me rappelloit fa prefence , s’efl infenfiblement efface. Quand je m’attendrilfois fur lui, c’etoit done fur moi-meme que je m’at- tendriffois. Quels font en effeties maux auxquels je compatis le plus ? Ce font, comme jel’ai deja dit, non feulernent ceux que j’ai fends , mais ceux que je puis fentir encore : ces maux plus prefens a ma memoire me frappent le plus for- tement. Mon attendriffement pour les douleurs d’un infortune eft toujours proportionne a la crainte que j’ai d'etre affligedes memes douleurs. Je voudrois , s’il etoitpoffible, en aneantir en lui jufqu’augerme: je m’afFranchirois enmemetems de la crainte d’en eprouver de pareilles. L’amour des autres ne fera jamais dans l’homme qu’un effet de 1’amour de lui-meme, + 9. & par confd- quent de fa fenfibiiite phylkoe. En vain Mr. Rouffeau repete-t-il fansceift que to us leskom- mes font ions & tous les premiers mouvemens de la nature droits. La neceffite des Loix eft la preuve du contraire. Que fuppole cette neceffite? Que ce font les divers interets de l’homme qui le rendent mechant ou bon,& que le feul moyen de former des Citoyens vertueux, e’eft de lier l’interet particulier a l’interet public. Au refle quel homme moins perfuadeque M. Rouffeau de la bonte originelle des caracteres. II ditP. 179 , T. 1 , del’Emile. „ Tout homme „ qai ne connolt point la douleur , ne connoit, w ni 1’attendriflement de l’humanite, ni la dou- n ceur de la coioauferation; fon coeur u’eft emu son Education. Chap. III. 17 de rien; il n’eft point fociable: c’efl un monflre „ avec fes femblables II ajoute P. 220 , T. 2, ibid. „ Rien felon moi, de plus beau & de plus „ vrai que cette maxime , on ne plaint jamais „ dans autrui queles maux dont on ne feroitpas „ foi-mime exempt ; & c’eft pourquoi, ajoute- ,, t-il, le Prince eft fans pitiepour fes fujets , le „ riche eft dur avec le pauvre, & le Noble avec ,, le roturier D’apres ces maximes comment fcutenir la bonte originelle de l’homme & pretendre que tons les curacleres font bons? La preuve que Fhumanite n’eft dans l’homme que l’eifet du fouvenir des maux qu’il connoit ou par lui-m&me , * 10. ou par les autres , c’efl que de tous les moyens de le rendre humain & compatiflant, le plus efficace eft de l’habituer des fa plus tendre jeunelfe a s’identifier avec les malheureux & a fe voir en eux. Quelques-uns ont en confluence traite la compalfion de foi- bleffe. Qu’on lui donne tel nom qu’on voudra , cette foibleffe fera toujours a mes yeux la pre¬ miere des vertus; *11. parce qu’elle contribuera toujours le plus au bonheur de fhumanite. J’ai prouve que la compafllon n ’eft ni un fens moral , ni un fentiment inne , mais un pur efiet de famour de foi. Que s’enfuit-il ? Que c’efl: ce meme amour diverfement modifie , felon 1’edu¬ cation diffe'rente qu’on recoit, les circonftances & les pofitions ou le hazard nous place, qui nous rend humain ou dur ; que les hommes ne naif- fent point compatiffans, mais, que tous peuvent ledevenir, & le feront lorfque les Loix, la fount} 18 D e if H o m m e, du Gouvernement & 1 ’education les rendront teis. O! vous a qui le Ciel confie la puiffance Le- gifiative, qae vorre adminiftration foit douce , que vos Loix f dent fages; & vous aurez pour fuiets des homines humans, valiens & ver- tueux ! Mais fi vous alterez, ou ces Loix, ou cette fageadminiUnman, ces vertueux Citoyens mourront fans pofterite, & vous n’aurez pres de vous que des medians , parce que vos Loix les auront rendus tels. L’homme indifferent au inal par fa nature, ne s’y livre pas fans motifs. L’homme heureux eft human; e’eft le Lion repu. Malheur au Prince qui fe fie a la bonte origi- nelle des cara&eres. * 12. M. Roulfeau la fup- pofe : [’experience la dement. Qui la confulte , apprend que l’enfant noie des mouches, * 13. bat fon chien , etouffe fan moineau, & que ne fans hum.mite I’enfant a tous les vices de l’homme. Le Puiffsnt eft fouvent injufte ; l’enfant ro- bufte l’eft de m&me. TSi’eft-il pas ccurenu par la prefence du Maitre ; a i’exemple du Puiftant, il s’approprie par la force le bonbon ou le bijou de fon camarade ; il fait pour une poupee, pour un hochet ce que 1’age murfait pour un titreou un Sceptre. La maniere uniforme d’agir de ces deux ages a fait dire a M. de la Mothe. C’eji que deja Venfant eji homme, Et que I’homme efi encore enfant. C’eft fans raifen qu’on foutient la bonte ori- son Education. Chap. IV. if ginelle des carafteres. J’ajouterai meme quedans l’homme , la bonte & l’humanite ne peuvent etre 1’ouvrage de lanature, mais uniquement celui de l’education. CHAPITRE IV. L’homme de la Nature doit etre cruel. 'V^Ue nous prelentele fpe&acle de la Nature? une multitude d’etres.deftines a s’entre-devorer. L’homme en particulier, difent les Anatcmifles, a la dent de 1’animal carnacier. I! doit done etre vorace & par confequent cruel & fanguinaire. D’ailleurs la chair eil pour lui l’aliment le plus fain,le plus conforme a fon organifation. Sa con- fervation , comme celle de prefque toutes les eft peces d’animaux, eft attachee a la deftruedon des autres. Les hommes rdpandus par la Nature dans de vaftes fordts, font d’abord chafieurs. Plus rapproches les uns des autres & forces de trouver letir nourriture dans un plus petit eft pqce, le befein les fait Pafleurs. Plus multiplies encore, ils deviennent enfin Cultivateurs. Or dans toutes ces diverfes pofitions , 1’hotnme eft le deftrufteur ne des animaux, foit pour fe re~ paitre de leur chair , foit pour defendre centre eux le betail, les fruits, grains & legumes ne- ceftaires a fa fubfiftance. L’homme de la Nature eft fon boucher, fc& 20 D E V H O M M E, cuifinier. Ses mains font totijours fouillees de fang. Habitue au meurtre,ildoit etre fourd au cri de la pitie. Si le cerf aux abois m’emeut: fi fes farmes font couler les miennes ; ce fpeclacle fi touchant par fa nouveaute, eft agreable au fau- vage que l’habitude y endurcit. La mdlcdie la plus agreable a l’lnquifiteur font les hurlements deladouleur. II rit pres du bu- cher ou l’heretique expire. Cet Inquifiteur, aftaffin autorife par la loi, conferve meme au fein des villes la ferccite de l’homme de la Na¬ ture ; c’eft un hornme de fang. Plus on fe rap- proche de cet etat,plus on s’accoutume au meur- tre, meins il coiite. Pcurquoi le dernier bouclier eft-il au defaut du boureau, force de remplir fes fonftions ? C’eft que fa profeftlon le rend imp!- toyable. Celui qu’une bonne education n’accou- tume.pas a voir dans les maux d’autrui, ceux auxquels il eft lui-meme expofe, fera toujours dur & fouvent fanguinaire. Le peuple l’eft; il n’a pasl’efprit d’etrehumain. C’eft, dit-on,.la cu- riofne qui l’entraine a Tyburn, ou a la Greve , oui, la premierefois; s’il y retourne,il eft cruel. II pleure aux executions, il eft emu ; mais Fhom- me du monde pleure a la tragedie, & la repre- fentation lui en eft agreable. Qui foutient la bonte originelle des hommes , veutles tromper. Faut-ilqu’en humanite, comme en Religion,ily ait tant d’hypocrites &fipeu de vertueux ? Prendra-t-on pour bonte naturelle dans l’homme les dgardsqu’unecrainterefpeftive infpire a deux Etres a-peu-pres egaux en forces? L’homme police lui-meme n’eft - il plus retenu son Education. Chap, IV 2.1 par cette crainre ; il devient cruel & barbare. Qu’on fe rappelle le tableau d’un champ de bataille au moment qui luit la vi&oire ; lorfque la plaine elt encore jonchee des morts & des mourans ; lorfquel’avarice &.la cupidite portent leurs regards avides fur les vetemens fanglans des viftimes encore palpitantes du bien public ; lorfque fans pitie pour des malheureux dont elles redoublent les fouffrances, elles s’en rappro- chent & les depouillent. Les larmes, le vifage effrayant de l’angoifle, le cri aigu de la douleur, rien ne les touche ; aveugles aux pleurs de ces infortunes, elles font fourdes a leurs gemiiiemens. Tel eft l’homme aux champs de la Vi&oire. Eft - il plus humain lur les trouts d’Orient * 14. d’ou il commande aux Loix ? Quel ufage y fait-il de fa puiffance ! S’occupe-t-il de la felicitd des Peuples ? Soulage-t-il leurs befoins ? Allegue-t-il le poids de leurs fers ? L’Orient ell—il libre & decharge du joug infupportable du Defpotifme? Chaque jour au contraire ce joug s’appefantit. C’eft lur la crainte qu’il inlpire, c’eft fur les bar- baries exercees fur des efclaves tremblans, que le Defpote mefure fa gloire & fa grandeur. Cha- que jour eft marque parl’invention d’un fuppiice nouveau & plus cruel. Qui plaint les peuples en fa prefence eft fon ennemi,& qui donne a ce fu- jet, des confeils a fon Maitre , lave, ditlePoete Saadi, fes mains dans fon propre fang. Indifferent au malheur des Roma ins, Arcade uniquement occupd de la poule qu’il nourrit, eft force par les barbares d’abandonner Rome; ii Hi. De l’ Homme, fe retire a Ravennes , y eft pourfuivi par l’en- nemi ■ une feule arme'e lui refte.il la leur oppofe. Rile eft atraquee , battue ; on lui en apprend la defaite. En proie, lui dit-on, a l’avarice , & a la cruaute du Vainqueur Rome eft pillee , les Ci- toyens fuient nus ; ils n’ontle terns de rien em> porter. Arcade impatient interrompt le recit : a- t-on, dit-il, fauve ma poule? Tel eft rhomme ceint de la couronne du Def- potifme ou des lauriers dela Vi&oire. * i 5 . Af- franchi de la crainte de Loix ou des reprefailles, fesdnjuftices n’ont d’autres mefures que celles de fa puiffance. Que devient done cette bonte ori- ginelle que tantot M. Rouffeau fuppofe dans Phomme & que tantot il lui refufe. Qu’cn ne m’accufe pas de nier 1’exiftence des fcemmes bons. II en eft de tendres , de compa- tilfans aux maux de leurs femblables; mass 1 ’hu- rrianite eft en eux l’eiret de 1 ’educaticn & non de !a Nature. N£s parmi les Iroquois, ces memes hommes en eufient adoptelescoutumesbarbares&cruel- les. Si M. Rouffeau eft encore fur ce point con- tradiftoire a 'ui meme, e’eft que fes principes font en confradiftion avec fes propres experien¬ ces; e’eft qu’il ecrit tantor d’apres les uns, tan- tdt d’apres les autres. Gubliera-t-il done tcujours que, nes fans idees, Ians car»» Deux hommes, dit-il, du meme etat ne re^oivent- ils pas a-peu-pres les merries inftru&ions, & neanmoins quelle difference n’apper^oit-on pas enfre leurs ef- *1 prits?Pour expliquer cette difference, fuppofera-t-on, ajoute-t-il , P. 114. T. cle 1 ’Heloi’fe , que certains sj objets ont agi fur Pun &c non pas fur Pautre ? Que de petites circonflances les ont frappes diverfement fans « qu’i.ls s’en foient apper^us } Tous les raifonnemens ne 5* font que des fubtilites. Mais, repondrai-je a M. Rouf- >1 feau, affurer que le cara&ere brutal ou flatteur d’uri domediqne fuffit ponrgater toute une education; qu’ua eclat de rire indiferet ( P. 216. T. 1 de l’Emile ) peut re¬ tarder de fix rnois une education, c’tft convenir que ces meraes petites circonflances pour lefquelles vous afteclez B a n8- D E l’ H o m m e , trouver des domefiiques tels cue l’exige ce plan. cPinfini&ic-n ? Au reile ce qui paroit impoiRble a l’education particuliere , l’elt-il a l’Jaucation pu- blique ? Je vais l’exammer. rant de mepris , font quelqnefois de la plus grande impor¬ tance , & que l’education par.confequcnt v.e peut preci- feir.ent etre la memo pour deux hb'mmes. Or commentfe peut-il, apres avoir ii authentiquement reconnu l’influen- ce ties plus petires cauies furl’education, que M. Rouf- feau compare ( P. 113 & IJ4. T. 5. de l’Heloife) les raifo.inemens fairs a ce fujet a ceux des Aftrolognes ? » Pour expliquer, dit-il, comment les homtnes, qui fern- >1 blent nes fous le meme afpqfl: du Ciel, eprouvent des >1 fortunes tres-differentes, ces Aftrologues nient que les »hommes foient nes precifement au meme inftant i>. Mais , repliquera-rt-on a Ivi. P.ouffeau, ce n’eft point dans cette negation que confide l’erreur des Aftrologues. Dire que les aitres dans un inftant, quelqtie petit qu’il foit, parcoureiit un efpace plus 011 moins grand propor- tiounemeirt a la viteife plus on moins grande avec la- quolle ils fe meuvent, c’eft line verite mnthematique. Affurer que faute d’une pendule after jufte, 011 d’une obfervation affez exafte , deux hornir.es qu’on croit nes dans le meme inftant, n’ont cependant pas vu le jour dans le moment, ou les aftres etoient prdcifement dans la meroe pofition les uns a 1’egard ties autres, c’eft fouvent un doute affez bien fondd. Mais croire fans aucune preuve que les aftres influent fur le fort Sole caraftere des hommes, c’eft ur.e fottife t gc c’eft celle ties Aftrologues. * Son Education. Chip. VI. 19 .- M. ---V *---- 4 , C H A P IT R E VI. De Vkeureux ufhge quon peut faire dans Veducation puMique de quelquo idee de M. RouJJeau. J3A n s l’education particuliere on n’a pas le choix du Maitre. L’excellent eft rare , ii doit etre cher, & pen de parciculiers font afiez riches pour le bien payer. II n’en eft pas de mime dans une education publique. Le Gouvernement atta- che-t-il de gros revenus aux maifons d'initruc- tion; paye-t-illiberalement leslnftimteurs; leur nurque-t-il une certaine confideration ; rend-il ennn leur place honorable ( a ) ? il les rend genfo- ralement defirables. Le Gouvernement alors a le choix fur un ft grand nonibre d’hommes dclaires, qu’il en trouve toujaurs de propres a remplir les places qu’il leur deftine. En tous les genres e’eft la difette des recornpenfes qui produit celle des talens. {a) Quefaut-il, dit M.-RoufTeau, pouf qti’un enfant apprenne ? Qu’il ait interet d’apprendre. QuefauN.il pour qu’iin Maitre perfe&ionne famethode d’enfeigner ? Qu’il ait pareillement inte'ret de la perfefrionrier. Mais pour s’occuper cl’un travail li.penible , il faut qu’il efpere une recompenfe considerable. Or pea de peres-font aiiez riches pour realifer fori efpoir 8c payer noblement fes fetvices. Le Prince feul en honorant les places d’lnftitu- teurs, en y attachant des appointemens honnetes , .petit a la fois infpirer aux gens de merite le defir de les men- ter & de les cbtenir. jo D E i’ H o Jf jt e, Mais dans le plan d’education propofe par M, RoufTeau, quel doit etre le premier fain des Mat¬ ties ? L’education des domeftiques deftines a fer- vir lesenfans. Ces domeftiques sieves, alors les Maitres, d’apr^sleur propre experience & celle de leurs prdddcefTeurs, peuvent s’attacher a per- fcSipnner Jes mdthodes de rinfimcUon, Ces Maitres fcmt-ils charges cPfnfpirer a leurs Difciples les gouts, les idees, les paffions les plus eonfbrmesa i’interetgeneral ills font en prefence de i’Eleve forces de porter fur leurs demarches, leur conduit e & leurs difccurs, une attention im- pofilble a foutenir long-terns. C’eft tout le plus, s’ils peuvent quatre ou cinq heures par jcur fup- porter une telle contrainte. Auffi n’eft-ce que dans les CollegesoulesMaitresferelaientfuccef- fivement qu’on peutfaireufage decertaines vues &decertainesideesrepandues dans I’Emile&l’He- loife. Le pofilble dans unemaifon publique d’infL truclion, ceflede 1’etre dans la maifon paternelle. A quel £tge commencer l’education des En- fahs ? Si 1’on en croit M. Rouffeau P. 116 , T. <, de 1’Hdldife , ils font jufqit’a dix cu douqe arts fans jugement. Jufqu’acetage route education eft done inutile. L’experience, ileft vrai, eft fur ce p tint en contradiction avec cet Auteur. Eife ncus apprend que I’EHfant difeerne au moins confufd- ment au moment merne qu’il fent, qu’il juge avant douze ans des diftances , des grandeurs, de fa durete , de la moleffe des corps ; de ce qui l’a- mufe ou 1’ennuie ; de ce qui eft bon ou mauvais au goftr, qu’enfin il fait avant douze ans une grandepartie de la langue ufueile & ccnnoit dej a son Education. Chap. VI. ji les mots propres a exprimer fes ideas. D’ou je conclus que i’in tent ion de Ja Nature n’eft pas comme le dit l’Auteur d’Emile, que le corps fe fortifie avant que l’efprit s’exerce , mais que l’ef- prit s’exerce a mefure que le corps fe fortifie. M. Rcufi'eau fur cepoint neparoitpas bien allure de Iaverite de fes raifonnemens. Aulfi avoue-t-il -. P. 2.59, T. 1 del’Emile. ,,Qu’il eft fouvent en „ contradiction aveclui-meme; mais, ajoute-t-il, „ cctte contradidion n’eft que dans les mots ,,. J’ai deja fait voir qu’elle eft dans les chofes ; & 1 ’Auteur m’en fournit une nouvelle preuve dans le meme endroit de fon Ouvrage. „ Si jeregarde, j, dit-il, les Enfans comme incapables de raifon- „ nement (a) , c’eft qu’on les fait raifonner fur ce „ qu’ils ne comprennent pas „. Mais il en eft a cet egard de 1’homme fait comme de l’enfant. L’un & 1 ’autre rai&nnent mal far ce qu’ils n’en- tendent pas. L’on peut meme affurer que ft i’en- fant eft aulii capable de 1’etude des langues que l'homme fait, il eft auffi fufceptible d’attention , & peut egalement appercevoir les reffetnbbnces & les differences, les convenances & les difcan- venances qu’ont entr’enxles objets divers, &par canfequent raifonner dgalement jufre. Quelles font d’ailleurs les experiences far lef- que’Ies fe fonde M. Rouffeau pour affurer P. ac>3. T. 1. de i’Emiie, »que ft Ton pouvoit ame- ( a) n La pretendue incapacite des jeunes gens pour le >'raifonnement, dit a ce fuiet S. Real, eft nlutot line ” condefcendance pour le Maitre , que pour le Difciple. Les Maitres ne facbant pas les faire raifonner ont ua » in terde les en dire incapables n. B 4 » ner un El eve fain & robufte a i’iige de io » ou 1 1 ans fans qu’il put diflinguer fa main )j droite de la gauche , & fans favoir ce que » c’eft qu’un Livre, les yeux de fen entende- » ment s’cuvriroient tout-a-coup aux Iecons v) de la raifon » . Je ne eoncois pas, je 1’avoue, pourquoi 1’en¬ fant en verroit mieux , s’ii n’cuvroit, qu’a io ou io. ans les yeux de fon entendement. Tout ce que ie fais , c’eft que l’attention d’un Enfant livre jufqu’a ia ans a ia diffipation ell: tres-diffi- eile a fixer ; c’eft cue le Savant lui-meme dif- trait trop long-tems de fes etudes ne s’y remet pas fans peine. 11 en eft de 1’efprit ccmme du corps , i’on ne rend fun attentif, &' l’autre fou- ple que par un exercice conrinuel. L’attention ne devient facile que par 1’habitude. Mais on a vu des hommes triempher dans un Sge mur des obftacles qu’une longue inapplica- ticn met a I’acquifition des talens. Un defir exceffif de la gloire peut fans doute operer ce predige. Mais quel conccurs , quelle reunion rare de circonflauces pour aliumer un tel defir. Doit-on compter fur ce conccurs & tour attendre d’un miracle ? Le parti le plus fur eft d’habituer de bonne heure les Lnfans a la fatigue de 1’attentioii. Cette habitude eft l’avan- tage le plus rdel qu’on retire maintenant des meilleures etudes. Mais que faire pour rendre les Enfans attentifs ? Qu’iis aient interet a l’etre. C’eft pour cet elfet qu’on a quelquefois reccurs au chatiment. * 1 6 . La crainte engendre 1’at— tention , & ft 1’on a d’ailleurs perfeSionnd les son Education. Chap. VI. 33 methodes de rinftruftion, cette attention eft peu penible. Mais ces methodes font-elles faciles a perfec- tionr.er ? Que dans une Science abftraite telle, par exemnle , que la Morale, on faffe remonter un Enfant des idees particulieres aux generates ; qu’on attache des ideas nettes Sc pre'cifes aux di- versmots qui compoient la langue de cette Scien¬ ce , I’etude en deviendra facile. Par quelle rai- fon , obfervateur exaft de I’efprit humain , r.e difpoferoit-on pas les etudes de manitre que 1’experience fut i’unique ou du moins le premier des Maitres , & que dans chaque Science le Dil- ciple s’elev&t toujours des limples fenfations aux idees les plus compofees ? Cette methode une fois adoptee , les progres de l’Eleve feroient plus rapides, fa Science plus aiiuree, l’etude poui lui moins penible , lui deviendroit moins odieufe , & i’dducation enfin pouroit plus fur lui. Repeter que Venfance & la. jeunejf’e font fans jugement , c’eft le propos des vieillards de la Comedie. La jeunefle reftechit moins que la vieilleffe, parce qu’elle fent plus, psrce que tous les objets nouveau:; pour elie, lui font une impreftlon plus forte. Mais fi la force de fes fen¬ fations la diftrait de la meditation , leur vivaci- te grave plus profondement dans fon fouvenir les objets qu’un inter£t quelconque doit lui faire unjour comparer ehtr’eux. 34 .# D E 1/ II O M sr S , CHAPITRE VII. Des prctendus avantages de Vdge mur fur I’adokfcence. j JL/hombee fait plus que l’adolefcent • il a plus de fairs dans fa memoire : mais a-t-il plus de capacite d’; pprendre , plus de force d’attention plus d’aptitude a raifonner ? Non : c’eft au for- tir de i’enfance , c’efl: dans 1’age des defirs & des paffions que les idles , fi je l’ofe dire, peuffenr le plus vigoureufement. II en eft du Printems da la vie, comma du Printems de 1’annee. La fevs alors monte avec force dans les arbres, fe re'pand dans leurs branches, fe parage dans leurs ra~ Bieaux, fe pcrte a leurs extremites, les ombra- ge da feuilles, les pare de fleurs & en ncue les fruits. C’eft dans la jeuneffe de Fhamme que ie nouent pareillement en Ini les penfees fablimes qui dcivent un jour le rendre cilibre. Dans 1’Ete de fa vie fes ide'es fe murilTent. pans cetfe fsifon Fborame les compare , les unit entr’elies, en ccmpofe un grand enf&mble. II paffe dans eg travail, de la jeuneffe a 1’age mur , & le public qui r&olte alors le fruit de fes yra.vs.ux, regarde les dons de fon Printems comme un prefent de fon Automne (a). L’hom- ( a) Bans la premiere jeuneffe , e’eff au defir de la gloi- re , quelquefois a 1’amour des femmes, qn’on doitie go fit gout Vetude j & dans un age plus syance, c.e. a’efi son Education. Chap. VII. 35 trie eft-il jeune ? Celt alcrs qu’en total il eft le plusparfait, * IJ. qu’il porte en lui plus d’ef- prit, de vie & qu’il en repand davantage fur ce qui l’entoure. Confiderons les Empires oit l’ame du Prince Revenue celie de fa Nation , lui communique le mouvement & la vie; oil femblable a la fon- taiue d’Alcinoiis, dont les eaux j'aiiliftoicnt dans 1’enceinte du Palais & fe diftribuoient enftiite par cent canaux dans la capitale. L’efprit du Sou- verain eft par le canal des Grands pareillement transmis aux Sujets. Qu’arrive-t-il ? C’eft qu’en ces Empires cii tout emane du Monarque, le moment de fa jeunefie eft communfment celui oii la Nation eft la plus fiorhTtnte. Si la fortune a 1’exemple des coquettes femble fuir les cheveux gris , c’eft qu’aiors l’aclivitd des pallions aban- donne le Prince * 18. & que i’aftivite eft la mere des fucces. A mefure que la vieillefie approche, 1’homme tnoins attache a la Terre , eft moins fait pour la gouverner. II fent chaque jour decroitre cn lui le fentiment de fon exiftence. Le principe defon mouvement s’exhale. L’ame du Monar¬ que s’engourdit, & fon engourdiffement fe com- muniquant a fes Sujets, ils perdent leur audace, leur energie, & Ton redemande envain a la vieilleffe de Louis XIV, les Luriers qui couron- noient fa jeunefle. Vcut-on fa voir ce que [’education peut fur l’enfance ; ouvrons le Tome 5. de l’Helo'ife & qu'a la force de l’habitude qu’en doit Is continuite de i'i mime eovtt, B 6 3 6 D E t’ H O M M E y rappcrtons-nqus-en a Julie ou a M. Rouffeaului- m&ne. 11 y dit {a ) , » que les Enfans de Julie » dent 1 ’alne (J) a fix ans , Went deja paffa- » blement ; qu’ils font deja dociles ( c) ; qu’ils 33 font accoutumes au refus(d); que Julie a 55 detruit en eux la caufe de la criaillerie ( e ) , 5 ) qu’elle a ecarte de leur ame ; le menfonge , !a >5 vanite , la colere & I’envie (/’) >5. Que Julie ou M. Rouffeau regardem , s’ils le veulent , ces inftruclions comme fimpiement pre'paratoires , le nom ne fait rien a la chofe. Toujcurs eft-il vrai qu’a fix ans , il eft peu d’e- ducation plus avancee. Quels progres plus eton- nans encore M. RcuffeauP. iai. T.a. d’Emile , ne fait-il pas faire a fon Eleve. » Par le moyen , 35 dit-il, cle mon education, quelles gramdes 35 idees je vois s’arranger dans la cere d’Emile 1 55 Quelle nettete de judiciaire! Quelle jufleffe >5 de raifon ! Homme fuperieur , s’il ne peut )3 clever les autres a fa meiiire , il fait s’abaiifer 33 a la leur. Les vrais princines du jufte , les 33 vrais modeles du beau , tous les rapports mo- 33 rar.x des litres, toutes les idees de l’ordre fe » gravent dans fon entendement 33. Si tel eft 1 ’Ernile de M. Roulfeau , perfonne ne lui conteftera la qualke d’homnie fuperieur. dependant cet Eleve T. z. P. 30a., 33 n’avoit 33 recu de la Nature que de medicares difpofi- » tions a l’efprit ». Sa fuperic-rite , comme le foutient M. Rouf- (a) P. 159. ( b ) P. 148. (a) P. 131. 0 ) P. 13;. & 136, (/) ?• son Education. Chap . VII . 37 feau , n’eft done pas en nous 1’efFet de la perfec¬ tion plus ou moins grande de nos organes , mais de notre education. Qu’on ne s’etonne point des cor.tradidions de ce celebre Ecrivain. Ses obfervations font prefque toujours juftes, & fes principes prefque toujours faux & communs. De-la fes erreurs. Peu fcrupuleux examinateur des opinions gene- ralement recues , le nombre de ceux qui les adoptent, lui en impede. Et quel Philofcphe porte toujours fur fes opinions 1’cftl fevere de Fexamen ? La plupart des hommes fe rcpeeer.t : ce font des Voyageurs qui les uns d’apres les autres donnent la tntme defeription des Pays qu’ils ont rap’dement parcourus, ou ratine qu’ils n’ont jamais vus. Dans les anciennes Salles de fpeciacle, i! y avoir , dit-on . beaucoup d’echos artihciels pla¬ ces de di/lance en diftar.ee & peu d’aefeurs fur la feene. Or fur le Theatre du monde, le nombre de ceux qui penfent par eux-memes eft p.ireil- lemer.t tres-p'etit & le nombre des echos tres- grand. L’on eft par-tout etourdi du bruit de ces echos. Js n’appiiquerai pas cette comparaifon a M. Rouifeau: mais j’obferverai que s’ii n’eft pas de genie dans la compofition duquel il n’entre fouVent beaucoup de oui-dire , e’eft Fun de ces oui-dire , qui fans doute a fait croire a M. Rcuf- feau, » qu’avant 10 ou la ans, les Enfans etoient entiefement incapables & de raifonne- » ment & d’inftruMon». 38 #= D E l' H O It M *■ > ■Csg^g^>-==?"—# CHAPITRE VIII. Des elogcs donncspar M. Roujfeau a I’l- gnorance. f' swElui qui par fois regarde la diverfite des efprits & des carafteres conime 1’effet de la di¬ verfite des temperamens ( a ) , & qui perfuade que l’education ne fubflitue que de pctites quali- . tes aux grandcs donnees par la Nature , croit en confequence l’education nuifible, * iq. doit auifi par fois fe faire l’apologilie de 1’ignorance. Audi, dit M. RoufTeau P. 163. T. 5. de l’He- lcife , » Ce n’eft point des Livres que !es En- n fans doivent tirer leurs connoifTances; les » connoiffances, ajoute-t-il, ne s’y trouvent pas. jMais fans Livres les Sciences & les Arts euflent- i!s jamais atteint an certain degre de perfection ? Fourquoi n’apprendroit-on pasla Geometric dans les Euclides & les Clairauts ; la Medecine dans les Hipocrates & les Boerhaves ; la Guerre dans les Cefars, les Feuquieres & les Montecucullis ; le Droit civil dans les Domats ; enfin la Politi- (a) Si les carafteres etoient 1 ’efTet tie l’organifation, it y anroit en tout Pays tin certain nombre ti’hcmrnes tie caraftere, Pourquoi n’en voit-on communement que dans les Pays libres ? C’eft, dit-on, que ces pays font ies feuls 011 les carafteres paiffont fe developper. Mais le Moral pouroit-il s’oppofer au developpement (Pune caufe phyfique ? Efi-jl quelque maxi.ne morale qui faffe fondcs une loupe, son'Educatiost. Chap . VIII : V ) que & la Morale dans des Hifloriens tels que las Tacites , les Humes , les Polybes, les Ma- chiavel ? Pourquoi ncn content de meprifer les Lettres , M. RculFeau fembie-t-il infinuer que l’homme vertueux c!e fa nature , doit fes vices a fes connoifiances ? » Peu m’importe , dit Julie P. I 5 8. & T. ). ib. n que mon fils foit » favant: il me fuffit qu’il foit fage & bon ». Mais les Sciences rendent-elles le Citoyen vi- cieux ? L’ignorant eft-il le meilleur + ao. & le plus fage des hommes ? Si I’efpece de probite neceffaire pour metre pas pendu exige peu de lumieres , en eft—il ainfi d’une probite fine & delicate : Quelle ccnnoif- fance des devoirs patriotiques , cette probite ne fuppoie-t-e'!e pas ? Parmi les flupides , jai vu des hcmmes bons , maisen petit ncmbre. J’ai vu beaucoup d’hukres & peu qui renferment des perles. On n’a point obferve que les Penples les plus ignorans faffent toujcurs les plus heureux , les plus deux & les plus vertueux. * ai. Au nord de 1’Atnerique , une guerre inhu- maine arme perpetuellement les ignorans Sau— vages les uns centre les autres. Ces Sauvages erne's dans lenrs combats, font plus cruels en¬ core dans leurs triemphes. Quel traitement attendent leurs prifonniers ? La mort dans des lupptices abominables. La paix le calumet en main a-t-elle fufpendu la fureur de deux Pea- pies fauvages; quelles violences 11 ’exercent-ils pas fouvent dans leurs propres Peuplades ? Com- Lien de fois a-t-on vu ie rneutre , la cruautd j la aa. y 40 D e i.’ H o M M E, perfidie encouragee par Pimpunite , * marcher le front leve ? Par quelle rsifon en efFet Fhorrme ftupide des bcis , feroit il plus vertueux que l’homme eclai- re des villes ? Par-tout les hommes naiffent avec Jes memes befoins & le memo defir de les fatis- fjire. Ils font les merriesau berceau, Sa s’lls dif¬ ferent errtr’eux, c’efl iorfqu'i Is enrrent plus avaut dans la carriere de la vie. Les befoins , qira-t-on , d’un Peuple fauvage fe reauifent aux feuls befoins phyfiques. Ils font en petit ncmbre. Ceux d’une Nation policee au ccntraire font immenfes. Peu d’hommes y font eypofds aux rigueurs de la faim ; mais que de gouts & de defirs n’ont-ils pas a fatisfaire ? Et dans cette multiplicite de gouts , que de gertnes de qusrelles, de difcuffions & de vices ! Cui: mais auffi que de Loix & de police pour les re- primer. Au refle les grands crimes ne font pas tou- jcurs 1’efTet de la multitude de nos defirs. Ce ne font pas les paffions multipliees , mais les paf- .fions fortes qui font fecondes en forfaits. Plus j’ai da defirs & de gouts , moins ils font ardens. Ce font des terrens d’autant moins gonfles & dar.gereux dans ieur cours , qu’ils fe partagent en plus de rameaux. Une paffion forte eft une pafficn foJitaire qui concentre tous nos defirs en un feul point. Telles font fouvent en nous les paffions produites par des befoins pliyliques. Deux Nations fans Arts & fans Agriculture font-elles quelquefois expofees au tourment de la faim 1 Dans cette faim quelque principe son Education. Chap. VIII. 41 d’aftivite. Point de Lac poiflonneux, point de Poret giboyeufe , qui ne devienne entr’elles un germe de difcuffion & de guerre. Le poiffon & Je gifcier ceffe-t-il d’etre abondant ? Chacune de¬ fend le lac ou les boi squ’elle s’apprcprie,comme le La'ooureur P entree du champ pret a moif- fonner. La faiin fe renouvelle plufieurs fois le j our & par cette raifondevient dans le Sauvage un prin- cipe plus a&if que ne l’eft chez un Peuple pclicd la variete de fes gouts & de fes defirs. Or l’acti- vite dans le Sauvage eft toujours cruelle ; parce qu’elle n’eft pas contenue par la Loi. Auffi pro- portionnement au nombre de fes habitans, fe commet-il au nord de PAme'rique , plus de cruautd & de crimes que dans 1’Europe entiere. Sur quoi done fonder 1 ’opinion de la vertu & du bonheur des Sauvages ? Le depeuplement des contrees SeptentriOnales fi fouvent ravagees par la famine , prouveroit-il que les Samo'iedes foient plus heureux que les Hollandois ? T)epuis I’invention des armes a feu & le progres de Part militaire, * 2,3. quel etat que celui de I’EsLiniau ! A quoi doit-i! fan exis¬ tence ? A la pitie des Nations Europeennes. Qu’il s’eleve quelque demeie entr’elles & !ui le Peuple fauvage eft detruit. Eft-ce un Peuple heureux que celui dont Pexiftence eft auffi incer- taine ? Quand le Huron ou Pfroquois fercit auffi ignorant que M. Rcufieau le defire , ;e ne Pen croirois pas plus fortune. C’eft a fes lutnieres,c’eft a la figeffe de fa Lcgiflation qu’un Peuple doit fes 41 D E l’ H O M M £, verms , fa profperke , fa population & fa puff- £ nee. Dans quel moment les Ruffes devinrent- i!s recioutables a l’Euiope ? Lorfque le Czar les euc force de s’eclairer. * 14 . M. Rouffeau T. 3. P. 30 de "Emile; » veut abfclument que les » Arts , les Sciences , la Philofophie & les Habi- » fades qu’elle engendre, changent bientot l'Eu- n rope en defert., * 2.5. &qu’enfin les conncif- » fances corrompent les mceurs ». Mais fur quoi fonde-t-il cette opinion. Pour foutenir de bonne foi ce paradoxe , ilfaut n’avoir jamais por¬ ta fes regards fur les Empires deConftantinopie, d’Ifpahan , de Deli , de Mequines , enfin fur aucun de ces Pays ou l'ignorance efl: egalement encenfee & dans les Mofquees & dans les Palais. Que voit-on fur le trone Ottoman ? Un Sou- verain dont le vafte Empire n’eft qu’une vafte Lande , dont routes les richeffes & tous les Su- jets raffemhles pour ainfi dire , dans une Capi¬ tal e immenfe , ne prefentent qu’un vain fimu- lacre de puiffance & qui maintenant fans force pour refifter a l’attaque d’un feul des Princes Chretiens , echoueroit devant le rocher de Mai- the, & ne jouera peut-etre plus de role en Europe. Quel fpeftacle offre la Perfe ? Des habitans dpars dans des vaftes regions infeftees de brigands & vingt Tyrans qui le fer en main, fe difputent des Villes en cendres & des champs rava¬ ges- Qu’appercoit-on dans Flnde , dans ce clim3t le plus favorife de la Nature ? Des Peuples pa- son Education. Chap. VIII. 43 refieux , avilis par Tefclavage & qui fans amour du bien public, fans Elevation d’ame, fans dis¬ cipline , fans courage, vegetent feus Ie plus beau Ciel du monde ; * 16. des peuples enfin dont route la puiffance ne foutient pas i’effort d'une poignee d’Europeens. Tel eft dans une grande partie de I’Orientl’erat des Peuples fou- mis a cette ignorance fi vantee. M. Roulfeau croit-il reellement que les Em-- pires que je viens de citer , foient plus people's que la France , l’Aiiemagne, ITtalie , la Hollande &c. Croit-il les Peuples ignorans de ces contre'es plus ■vertueux & plus fortunes que la Nation eelniree & litre de 1’Angleterre ? Non fans doute. II ne petit ignorer des fairs connus du petit- maitre le plus fuperficiel & de la caillette la plus diffipee. Quel inte'ret determine done M. Rouf* feau a prendre fi hautement parti pour l'igno* ranee ? CHAPITRE IX. Quels motifs ontpu engager M. Roujfeati a fefaire I’Apologifle d&U ignorance, t4_^’EST a M. RouiTeau a nous eciairer fur ce point. » 11 n’eft point, dit-il P. 3. T. 30 de l’E- » mile, de Philofophe qui venant a connoitre le » vrai & le faux , ne preferat le menfonge qu’il J» a trouve a la verite decouvqrte par un autre* 44 Re i’ H o m m e , » Quel eft, ajoute-il , le Philofcphe qui pour » f t gloire ne tromperoit pas volontiers le genre » liumain « ? M. Rouffeau feroit il ce Philofophe ? * a 7 . Je ne me per mots pas de le penfer. Au refte s’il crovoit qu’un menfonge ingeriieux pfit a j nnais immorralifer le nom de fen Inventeur , il le rromperoit (a). Le vrai feul a des fucces du¬ rables. Les huriers done l’erreur quelquefois fe couronne n’ont qu’une verdure ephemere. Qu’une sme vile , un efprit trop foible pour atteindre au vrai, avance feiemmentun menfen- - ge ; il obeit a foil inftinfl : msis qu’un Philofo¬ phe puiffe fe faire l’Apotre d’une erreur qu’il ne ’ prend pas peur la veritd ( b ) meme ; j’en doute & men garant eft irrecufable ; e’eft le defir que rout Auteur a de l'eftime publique & de la gloire. M. Rouffeau la cherche fans doute, mais e’eft en qualit 1 d’Crateur, non de Philofophe. Auffi de tons !es hommes celebres eft—il le feul qui fe ‘ft.it eteve contre la Science. * aS.La meprife-t- il en lui 1 Manqueroit-il d'orgueil ? Non ; mais cet crgueil fut aveugle un moment. Sans doute qu’enfe faifant 1’Apologifle de 1’Ignorance, il s’eft dit a lui-mtme. (a) Pen excepte ceperidant les menfonges Religieux* (/>) L'homme je le i’ais , n’aime point la verite pour la verite meme.. II rapporte tout a fon bonheur. Mais s’il le place dans 1’acqaifition d’une eftfme publique 8c durable, il eft evident, puifqiie cette efpece d’efiime eft attach ee a la decouverte de la verite , qu’il eft par la na¬ ture meme de fa paftion force de n’aimer & de ne recher- chcr que le vrai. Un nom celebre qu’on doit a I’erreur , eft un preftige de gloire qui fe detruit aux premiers Xayons de la raifon & de fa 'i elite. son Education. Chap. IX. j,j , “ Les hommes en general font psreffeux, par ,, confeoueot ennemisdetoute etudequiles fores J, Cl 1 aueiltlon. yy “ Les hommes font veins, par confequent en- ,, nemis de tout efprit fuperieur. „ “ Les hommes mediocres enfin ont une haine „ fecrette pour les Savans & pour les Sciences. ,, Que j’en perfuade I’inutifti • je flatterai lava- , nice du fiupide : je me rendrai cber aux igno- „ rails ; je ferai leur Maitre, eux mes Difciples , , & man nom confacrepar leurseloges,renipiira l’Univers. Le Moine lui-meme fe dechrera pour moi. * 2.9. L’homrne ignorant & credule „ eftl’hommedu Moine.Laftupiditepubliquefait fa grandeur. D’aiileurs quel moment plus favo- „ rable a mon projet? En France tout cencourt a deprifer les talents. Si j’enprofite mesouvrage* , deviennent celebres. „ Mais cette celebrite doit-elle etre durable ? L’Auteur de 1 ’Emile a- t -il pu fe le promettre ? Ignore-t-ilquit s’opere une revolution fourde& perpstuelie dansl’efprk & le caradere des peu- ples, & qu’a la longue 1’ignorance fe decredke elle-meme. Or quel fupplice pour cet Auteur, s’il entre- voit deja ie mepris futur ou tomberont fes Pane- gyriques de 1 ’ignorance. * 30. Quel moyen fur cet objet de faire long-temps illufion a l’Europe? L’experience apprend a fes Peuples quele Genie, les lumieres fe les connoiffances font les vrds fourcesde leur puiffance, de leur profperite, de leurs vertus. Que leur foibleffe & le malheur eft >u contraire toujours I’erfet d’un vice dans Is 4? D E I’H 0 M M i; Gouvernemsnt,par confequent de quelque igno ranee dans le Legiflateur. Les homines ne crci- ront done jamais les Sciences & les lumieres vrai- ment nuifibles. Mais dins le meme Siecle, Ton a vu quelque- fois les Arts & les Sciences fe perfeflionner & lesmtEursfe corrompre. J’en conviens, & js fLis avec quelle adreffe 1’ignorance toujeurs envieufe profits de ce fait pour imputer aux Sciences, une corruption de mocurs entieremeiit dependante d’une autre caufe. CHAPITRE X. Des caufes de la decadence dun Empire. T ^’Introduction & la perfection des Art* & des Sciences dans un Empire n’en occafion- nent pas la decadence. Mais les memes caufes quiy acceierent le progres des Sciences, y pro- duifent quelquefois les effets les plusfuneftes. II eft des Nations ou par un fingulier enchai- nement de circonftances, le germe produftif des Arts & des Sciences ne fe developpe qu’au mo¬ ment meme ou les mceurs fe corrompent. Un certain nombre d’hommes fe raffemblent pour former une Societe. Ces hemmes fondent une nouvelle Ville. Leursvoifins la voient s’e- iever d’un mil jaloux. Les habitants de cette yille forces d’etre a la fois Laboureurs & Soldats son Education. Chap. X. 47 fe fervent tour-a-tour de la beche & de l’epee. Qaelles font dans ce Pays la Science & la vertu de neceflite ? La Science miiitaire & la Valeur. Elies y font les feules honcrees. Toute autre Science, toute autre Vertu y eft inconrue. Tel fut l’etat de RomenailTante, lorfque foible,brf- qu’environnee de Peubles belliqueux , elle ne foutenoit qu’a peine leurs efforts. S a gloire , fa puiffance s’etendirent par toute la Terre. Mais Rome acquit l’un & l’autre avec lenteur. II luifallut desfieclesde triomphespour s’affervir fes voifins. Or ces voifins affervis , ft les guerres civiles durent par la forme de fon Gouvernement, fucceder aux guerres ttrange- res , comment imaginer que des citoyens enga¬ ges alors dans des partis differenrs en qualite de Chefs ou de Soidats, que des Citoyens fans celfe agites de crainte cu d’efperances vives, pulfent jouir du ioifir & de la tranquilite qu’exige l’dtude des Sciences. En tout Pays cu ces evenements s'enchainent Sc fe fuccedent, le feul inftant favorable aux Lcttreseft malheureufement celui ou les guerres civiles, les troubles, les factions s’eteignent; oil la liberte expirante fuccombe comme du terns d’Augufte fous les efforts du Defpotifme. (a). Or cette epcqae precede de pcu cellede la decadence d’un Empire. Cependant les Arts & les Scien¬ ces y fleuriffent. 11 eft deux caufes de cet effet. (<2)I1 en fut de meme en France , lorfque le Cardinal les Grands & fe les fut affervis. Ce fut alors que les Arts 6c les Sciences j #eurjrent. 48 D e l’H o m m e , La premiere eft la force des Paffions. Dans les premiers momens de 1’efclavage, les efprirs en¬ core vivifies par le Icuvenir de leur liberte per¬ due , font dans une agitation affez femblable a celle des eaux apres la tcurmente. Le Citoyen brcle encore du defir ce s’illuftrer, mais fa pc- fition a change. I! ne peut elever fon bufle a cote de celui des Timoleons, des Pelopidas & des Bruai-s. Ce n’efl plus a titre de deftructeur desTyrans, de vengeurs de ia Liberte que fon nom peut parvenir a la pofierite. Sa flame ne pent etre placee qu’entre celle des Homeres, des Epicures, des Archimedes &c. II le fent, & s’il n’eH plus qu’une forte de glcire a laquelle il puiffe pretendre ; fi les lauriers des Mufes font les feuls dent il puiffe fe couronner , c’efl dans l’arene des Arts & des Sciences qu’ildefcend pour les difputer, & c’efr alors qu’il s’eleve des hom¬ ines illuftres en tous les genres. La feconde de ces caufes eft Finteret qu’ont alors les Souverains d encourager les progres de ces memes Sciences. Au moment ou le Defpo- tilrne s’etablit, que defire le Monarque ? D’inf- pirer i’amour des Arts & des Sciences a fes fu- jets. Que craint-il ? Qu’ilsne portent les yeux fur leurs fers • qu ils ne rougiffent de leur fer- vitude, & ne tournent encore leurs regards vers la liberte.. Il veut done leur cacher leur aviliffe- ment; il veut cccuper leur efprit. II leur prefente a cet effet de nouveaux cbjets de gloire. Hypo¬ crite amateur des Sciences, il marque d’autant plus de confideraticn a l’homme de genie qu’il a plus befoin de fes dioges. Les son Education. Chap. X. 49 Les moEurs d’une Nation ne changent point au moment meme de l’etabliffement duDefpotil- me, L’efprit des Citoyens eft libre quelque terns apres que leurs maims font liees. Dans ces pre¬ miers inftans les hommes celebres confervenc encore quelque credit furuneNation.Le Defpote le comble done de faveurs pour qu’ils le com- blent de louanges, & les grands talens fe font trop fouvent pretes a cet echange ; ils ont trop fouvent ete Panegyriftes de l ufurpation & de la tyrannie. Quels motifs les y determinent ? Quelquefois la baffeffe & fouvent la reconnoiflance. ( a ). II en faut convenir: toute grande revolution dans un Empire en impofe a l’imagination, & fuppofe dans celuiqui l’opere quelque grande qualite, ou du moinsquelque vice brillant que 1'etonnement ou la reconnoiflance peut metamorphofer en vertu. * 31. Telleau moment de 1 ’etablilTemcnt du Delpo- tifme, la caufe produ&rice des grands talents dans les Sciences & les Arts. Ce premier moment paffe, ft ce meme Pays devient fterile en hom¬ mes de cette efpece, * 31. e’eft que le Defpote plus allure fur ton trone, n’aplus d’interet de le proteger. Auffi dans les Etats le regne des Arts & des Sciences ne s’dtend guere au dela d'un fie- ele ou deux. L’Aloes eft chez tous les Peuples (a) Les gens de Lettres ont a fe reprocher d’avoirloue clans Ie Cardinal de Richelieu le plus mauvais des Ci¬ toyens , le fauteur du Defpotifme, I'homme qui feconda les femences des tnaux a&uels de I’Empire Franijois ; 1’homme enfin qui doit etre egalement l’horreur & da jPrince 8c de la Nation, Tome II, Ci 5<3' D E l’ H o m m e, 1’emfalemc de la production des Sciences. 11 em- ploie centans a forriher fesracines; ii fe prepare cent ans a pouffer & tige; le fiecle .ecoule, il s’e- leve, s’epanouit en fleurs & meurt. Si dans cheque Empire les Sciences pareille- ment ne pouffent, fi je 1’ofe dire, qutin jet Sc difparoiffent enfuite ; e’eft quelescaufes propres a produire des homines de genie, ne s’y deve- loppent communement qu’unefois. C’eft au plus haut Periode de.fa grandeur qirune Nationpowe ordinairement les fruits de la Science & des Arcs. Trois cu quatre generations d’honimes illuftres fe fcnt-elles ecoulees ? Les Peoples dans cet in¬ tervals ont change de mreurs • ils fe font fa- connes a la fervitude ; leurameaperdufonener- gie ; nulie paffion forte ne la met en adion : Le Defpote n’excite plus le Citoyen it la pourfuke d’aucune efpcce degloire. Ce rfefl plus le talent qu’il honore , e'eft la baneffe : & le Genie, s’il en efl: encore en ce Paysjvit & meurt inconnu a fa propre Patrie. C/eA i’Oranger qui fleurit, par- fume Fair & meurt dans un deiert. Le Delpotifme qui s’etablit, laiffe tout dire pourvu qu’on le laiffe faire. Mais le Defpotifme afFermi defend de prrler, de penfer & d’ecrire. Alors les efprits tombent dins l’apathie ; tousles Citoyens devenus efclaves maudilFent le feinqui les a all-sites, & dans un pared Empire, tout nou¬ veau ne ell un malheyr de plus. Le Genie enchaine y frame pefammeftf fes fers; il ne vole plus, ilrampe. Les Sciences font negligees ; Fignorance efr en honneur * 33 . & tout homme de fenS declare ennemi- de 1’Etat. sow Education. Chap. X. si- Dans un Roycmme d’aveugles , quel Citoyen feroitle pluscdieux ? Le clairvoyant. Si les aveu- gles le faififlbient,‘il feroit mis enpieces. Or dans LEmpire qe 1’ignorance, le meme fort attend le Citoyen eclaire'. La prelie en eft d’autant plus genee que les vuesduMiniftere font plus courtes,. Sous leregne d’un Frederic ou d’un Antonin, en ofe tout dire , tour penfer, tout dcrire & Fon fe tait fcus les aurres regnes. L’elpritdu Prince s’aruionce toujours par I’eP- time & la confideration qu’il marque aux ta- lens (a). La faveur qu’illeur accordeloindenuire it l’Etat, le fert. Les Arts & les Sciences font la gloire d’une Nation ; ils ajoutent a fen bonheur. .C’eft done au feui Defpotifine intereSe d ’aberd a les prote- ger, & non aux Sciences mshnes qu’il faut attri- buer la decadence des Empires. Le SouverairV d’une Nation puilfante a-t-il ceint la oouronne du Pouvoir arbitraire ? Cette Nation s’arfoiblitde jour en jour. Lapompe d’une Cour Orientale pout fans doute en impofer au vulgaire: il petit croire la farce e'e LEmpire egale a la magnificence de fes Palais. Le Sage en juge autrement. C’eft fur ce:te. meme magnificence qu’il en mefurela foiblefte.il ne voir dans le luxe impofaftt au milieu duquel eft altis le Defpote que la fuperbe, ft riche & la funebre de-> (a) De trois chofes, difoit Mathias, Roi d’Hongrie s " & ver~ tueux. Or pourquoi ces divers recueils d’obferva- tions en enerveroient-ils le courage ? Ce fut la Science de la difcipline qui foumit 1’Univers aux Remains. Ce fut done en qual te de Savans qu’ils dompterent les I'J'arions. Auffi lorfquepour s’atta- cher la Milice & s’en affurer la proteilion, la Tyrannic eut ete contrainte d’adoucir la feverite de la difcipline militaire; lorfqu’enfin la Science- en Fut prefqu’entierenient perdue, ce fut alors que vaincus a leur tour,les Vainqueurs du Monde fubirent enqualite d’ignorans lejougdes Peuples du Nord. On forgeoita Sparte des cafques,des cuiraffes, C3 J4 B i l’ H o m m e , des epees bien trempees. Cet Art en fuppofe one infinite d’autres (u) > & les Spartiates n’en etoient pasmoins vaillans. Cefar,CaiTms & Brutus etoient dloquens , favans&braves. L’on exercoit a la fois en Grece & fon efprit &fon corps. La molefifeeft fille de la richeffe & non des Sciences. Lcrf- qu'rlomere Verfifioit FiHicde, il avoir pour con- tempDrains les graveurs du bouclier d’Achille. Les Arts avoient done alors atteint en Grece un certain degre de perfeftim, & cependant For. s’y exercoit encore aux combats du Cefte & de la Butte. F.n France ce ne font point les Sciences qui •rendent la plupart des Officiers incapatles’des fatigues de hguerre, mass la mclefie de leur edu¬ cation. Qu’on refufe du fervice a quiconque ne {a) Les Arts de luxe , dit-on , enervent les courages* IVlais qui leur ferme Fentree d’un Etat ? Eft-ce 1’ignoran¬ ee ? Non : c’eft la pauvrete ou le partage a-peu-pres egal des’richeftes nationales. A Sparte quel Citoyen eut ache- *e ime boite emaillee ? Le trefor public n’eiit pas Aiffi teour la payer. Nul Bijoutier ne fe fut done point etabii a Eacedemone : il y fut mort de faim. Ce id eft point FOu- vrier de luxe quivient corrompre les moeurs d’un Peuple ; mais la corruption de moeurs de ce Peuple, qui appelle a lui FOuvrier du luxe. En tout genre de commerce, e’eft la demande que precede Foftre. D’ailleurs fi le luxe, comme je l’ai deja dit, eft FefFet tlu partage trop illegal des richefles nationales, il eft evi¬ dent que les Sciences n’a-yant auettne part; a cet inegal partage, ne peuvent etre regardees comme la caufe du luxe. Les Savans font peu riches. C’eft chez Fhomme d’af- faire & non chez eux que la magnificence delate. Si les Arts de luxe ont quelquefois fleuri dans une Nation an rneme inftant que les Lett res , c’eft que Fepoque ou les Sciences y ont ete cultivees, eft quelquefois celle ou les richeftes s’y trQuvent accumuices dans im petit nombxe do luains, son Education. Chap . XI. f", prut faire certaines marches, foulever certains poids & fupporter certaines fatigues, le defir d’cBtenir des emplois militaires, arrachera !es Francois a la -molefie: ils voudront etre homnies: leurs mcrurs & leur education changeront. X’ig- norance prcduit Pimpcrfe&icm des Leix; &Ieur imperfection les vices des Peuples. Les lumieres produifent Pellet contraire. Audi n’a-t-on jamais -compte parmi les corrupteurs des mceurs ce Li- curgue, ce Sage qui parcourut tant de Contrees pour puifer dansles entretiens des Philofophes , les connoiffar.ces qu’exigeoit 1’heureufe rdforme dc-3 Loix de fen Pays. Mais, dira-t-on ,ee fut dansl’acquifition mime de ces connoifiances qu’il puifa fen mepris pour elles. Et qui croira jamais qu’un Legiflateur qui fe donna tant de peines pour rafferribier les Ou- vrages d’Jiamere, & quifit clever la ftatue du Eire dans la place publique-, ait jeellement me- prifi les Sciences ! LesSpartiates ainfi que les Athfniens, furent les Peuples les plus eckires & les plus iliuftres dela Grece. Quel role y jauerent les ignorans Th^bains jufqu’au moment qu’Epa- minondas les eut arraches a leur fiupidite. J’ai montre dans cette Seflion les erreurs & les conrracifiiors de ceux dont les principes dif¬ ferent des miens. J’ai orouveque tout Panegyrifte de l’ignoran- ce, eft du mains a fan infeu, l’ennemi du bien public. Que e’eft dans le ccc-ur de l’homme qu’il faut etud leu la Science de la morale. Que tout Peuple ignorant, fi d’ailleurs il eft ji ? Be i/ H © m m e, riche & police, eft tcujours un Peuple fans mceurs. II faut maintenant detailler les malheurs ou Pignorance plonge les Nations ; on en fentira plus fortement Pimportance d’une bonne educa¬ tion ;j’infpireraiplusde defirde la perfeftionner, & j’interefierai d’ayance mes Concitoyens aus ideesque je dois leur propofera cefujet, J>*JL *k xmy* a 4 * I .IVilR.Rouffea'uL.4.T.a. de fon Emile, apres avoir ait un mat del’origine des Paffions, ajoute. » Sur ce principe il eft aife de voir comment 011 » peut diriger au bien ou aa mal routes ies Paf- » lions des Enfans & des Hommes ». Mais s’i! efl » poffiblede dirigerau bienou au mal les Paffions des enfans, il eft done poffible de changer leur caraclere. a. »La voix interieure de la vertu , dit M. » Rcuffeau, ne fe fait point entendre aux Pau- » vres ». Cet Auteur range apparemment les In- credules dans la claife desPauvres, lorlqu’il ajoute "P.2,07, T. 3. de 1’Emile. » Un Incredule fouhaite » que tout 1’Univers foit dans la mifere pour >5 s’epargner la moindre peine & fe procurer le » moindre plaifir ». M. Roufleau eft incredule & je nel’accufe pas d’un pareilfouhait. M. de Vol¬ taire n’eft pas bigot, & e’eft cependant lui qui prit en main la defenfede l'innocente famille de Galas, qui leur cuvrit fa bourfe, qui facrifia en Pollicitations un terns pour lui toujours ft pre- cieux, & qui protegea feu! la Veuve & les Or- phelins opprimeslorfquel’Eglife & les Magiftrats les abandonment. M. Rouffeau n’auroit-ilvoulu dire autre chafe, ftnon que PIncredule s’aime de preference auxautres. Ce fentiment eft commun au Devot comme a 1’Incredule. Point de Saint qui voulut etre damni pour fon voiftn. Quand Saint C j 58 D e l’ H o M M E, Paul a fouhaite d’etre anatheme pour fes freres ne s’eft-il point exagere la nobleife de ce fenti- ment, & ne lui falloit—il pas quinze jours dereii- dence en Enter pour s’ailurer de fa verity? 3. » Tant que la feniibilite defhomme,(Emile » L. 4. T. a.) refte born'e a fon individu , il n’y » a rien de moral dans fes a£Hons. Ce n’cft que » quand elie commence a s’erendre hors de lui, » qu’il prend d’abord ces fentimens& enfuiteces » notions du bien & du mol, qui le conftituent » yeiitabiement hoftune ». Ce texte prouve 1 ’in- genuite avec laquelle M. Roufieau fe refute Iui- meme. 4. Juger, dit M. Rouffeau,n’eft pas fentir. La preuve de fon opinion , » c’eil qu’il eft en nous » une faculce ou force qui nous fait comparer les » objets. Or, dit-il, cette force ne pent etreTelfet » de la fenlibilite phyfique ». Si M. RcuiTeau eut plus approfmdi cette queftion , il eut reconnu que cette force ri’etoit autre cbofe que 1’interet meme que nous avons de comparer les objets en- tr’eux, & que cet intiret prend fa fource dans le fentiment de l’amour de foi, effet immediat de la fcnjibilite phyjique. 5. L’imagination des Peupies du Nord n’eft pas moins vive que celle des Peupies du Midi. Com- pare-t-on les Poefies d’Oflizn a celles d’Momere ; lit-on lesPuemes de Milton, de Fingal, les Poe- fies Erfes, See., on n’apgqrcoit pas moins de force dans les tableaux des i’oetes du Nord que dans , ceux des Paetes du Midi. Audi le fublime Tra- dufteur des PoeScsd’Offian, apr£s avoir demon- tre dans une exceilente Dilfertation, que les gran-_ son Education; Notes . des & miles beautes de la Poeiie appardennent a tous les Peuples , obferve a ce fujet que les com- politions de cette efpece ne fuppofent qu’un cer¬ tain degre de police'dans une Nation. Ce n’eft point, ajoute-t-il, Ie climat, mais !es mccars du fiecle qui donnent un cara&ere fort & fublime a la Poeixe. Celle d’Oi'fian en eft la preuve. 6 . Si Fhoiiime eft quelquefois rndehant, c’efl: lorfqu’il a interet de 1’etre; c’eft lorfque les Loix qui par la crainte de la punition & l’efpoir de la recomoenfe devroientle porter a la vertu, le por¬ tent au contraire au vice. Tel eft L’homme dans les Pays'defpodques, c’eft-a-dire, dans ceux de la flatterie , de la baffefle , de la bigotterie , de 1’elpionnage, de la pareffe, de 1’hypocrifte, du menfonge , de la train fon , &c. 7. Ce 11’eft point le fentiment du beau moral qui fait travaiiler 1’Ouvrier , mais la prornefle de 24 fols pour boire. Qu’un homme foit infirme , qu’1’1 doive la prolongation de fa vie aux fains aftl- dns de fes domeftiques , que doit-ii faire pour s’affiirer la-condrmite de ces raemes foins ? Faut- il qu’il predie le be u moral? Non, mais qu’il leur declare que n’etant point fur fon teftament, ii recompenfera leur zele de fon vivant en leur comptant chaque annee de fa vie telle gratifica¬ tion honnete & graduelle. Qu’il tienne parole ,'il fera fcien fer?i, & l’eut ere mil, s’ii n’en efit ap- pe’le qu’a leur lens du beau moral. Point d’objets iur lefquels on ne put donner oe pareilles recettes, qui, drees du prinoipe de finterei perfonnel, feroient tout auu'emeute'H- •caces que des recettes extraites ? ou deia Zvleta- C 6 So D E l’H o m m e, phyfique-theologique , ou de la Metaphyfique alatnbiquee du Schafteiburyfme. 8. On ecrafe fans pitie une Mouche, une Araignee, un Infede , & Ton ne voit pas fans peine egorgerunBoeuf. Pourquoi? C’efl que dans un grand animal I’effufion du fang , les convul- fions de la foufirance, rappellent a la memoire un fentiment de do uleur que n’y rappelle point l’ecrafement d’un Infede. 9. Deux Nations ont-elles interet de s’unir ? Elies font entr’elles un traite de bonte & d’huma- nite reciproque. Que 1’une des deux Nations ne trouve plus d’avantage a ce traite ; elle le rompt: voila l’Homme. L’interet determine fa haine ou fon amour. L’humanite n’efi point elTenrielle a fa nature. Qu’entend-on en eiFet par ce mot eifen- riel ? Ce Ians quoi une chofe n’exille pas. Or en ce fens la lenfibiiite phyfique eft la feule qualite elfentielle a la namre de l’homme. 10. On fremit au fpedacle de I’afla/Tin qu’on roue. Pourquoi ? C’elt que fon fupplice rappelle a notre fouvenir la mort 8 c la douleur a laquelle la nature nous a condamnes. Mais pourquoi les Eoureaux & les Chirurgiens fonr-iis impitoya- bles ? C’efl: qu’habitues ou de torturer un coupa- ble, ou d’operer fur un malade , fins eprouver eux-memes de douleur,ils deviennentini'enfibles a fes cris. N’apercoit-on plus dans lesfouffrances d’aurrui, celles auxquelles on ed foi-memefujet? on devient dur. 11. Le befoin d’etre plaint dans fes malheurs , aide dans fes entreprifes; le befoin de fortune, de «onverfation ? de plaifirs, 8 c c,, produit dans coits son Education. Notes. 6 t le fentiment de famine, Eile n’eft done pas tou~ jours fondee fur la vertu : auffi les Meehans font-' ils comme les bons fufceptibles d’amitie & non d’humanite. Les Bons feuls eprouvent ce fenti¬ ment de companion & de tendreife eclairee , qui, reuniifant fhomme a I’homme , le rend l’ami de tous fes Concitoyens. Ce fentiment n’eft eprouve que du Vertueux. II. Que d’Arrets & d’Edits cruels prouvent centre la pretendee bonte naturelle de l’hommc! 13. On voit des Enfans enduirede cirechaude des Hannetons ,des Cerfs volans , les habiller era Soldats,& prolongerainfi leur tnort pendant deux ou trois mois. En vain dira-t-on, que ces Enfans ne refleehiffent point aux douleurs qu’eprpuvent ces Infedles. Si le fentiment de la compafilon leur etoit auffi natural que celui de la crainte, il les avertiroit des foufFrances de I’Infefte , comme la crainte les avertit du danger a la rencontre d’ura Animal furieux. 14. Le Defpotifme de la Chine eft, dit-on, fort modere. L’abondance de fes recokes en eft la preuve. En Chine comme par-tout ailleurs, ora fait que pour feconder h terre, il ne fuffit pas de Lire de bons Livres d’agriculture ; qu’il faut en¬ core quenulleLoi ne s’oppofe a la bonne culture. Auffi les impots a la Chine, dit a ce fujet M.Poi- vre, ne font partes fur les terres mediocres qu’au. trentieme du produit. Les Chinois jouiiTent done prefqu’en entier de la propriete de leurs biens. Leur Gouvernement a cet egard eft done bon. Mais jouit-on pareillement a la Chine de la pro¬ priete de fa performs ? L’iiabituelie & pradigieufe D E t’ H O M M E , diftribufion qui s’y fait de coups de bamboux prouve le contraire. C’eft l’Arbitraire des puni- tions qui fins doureyaviiit lesames & fait de prefque tout Cliinois un Ndgociant fripon , ua Soldat poltron , ua Citoyen fans honneur. 15. M. de Montefquieu compare le Defpctif- me Oyien :al a 1 ’Arbre abattu par le Sauvage pour en cueillir lesfruits. Un fimpie fait rnpportc-dans le Journal intitule,Etat politique de i’Angleterre, doniera peut-etre da Deipotifme une idee en¬ core plus efFrayante. Les Anglois , dit le Journalise , inveftis dans le Fort Guillaume par les troupes du Suba ou Yice-roi de Eengale , font frits priibnniers. En- ferxnes dans le c.xhot noir de Coilicotta, iis y font au nombre de 140 entaflcs dans une efpace de dix-huit pieds qusrrds. Ces m.ilheureux dans un des Clirriatsie plus chaud de 1 ’Univers, & dans la faifon la plus chaude de ceClimat, ne reccivent d’air que pir une fenetre en pr.rde bouchee par la largeur ; des batreaux. A peine y fhnt-ils entres qu’ils font trempds de fueur & dev ores de foif. Us dtouffent , pouifent des cris aftreux, demandent qu’on les tranfporce dansuneplus grande prifon. On eft fourd it ferns of intes. Us veulent mettre cn niouvement Fair qui les envirc nne ; sis fe fer¬ vent a cet eifet de lours chapeaux • refTenrce Im- puiflante. iis tombent en defaiihuice &meurent. Ce qui furvit, boit la fueur, redensande tie Fair , veut qu’on les portage en deucachets. Iis s’adrgf fenta ceteffet au Jemman-daar Ah des Gardes de la prifon. Le eccur du garde sVuvve alapkie e: a I’avarice. Il confent pour une groife foname d’aver- son Education. li ' otes . 63 tir le Suba deleur dtat. A fan rerour les Anglois vivans crient du milieu des cadaVres qu'on leur rende Fair, qu’on ouvre le cachot. » Malheu- » reux, dit le garde, achevez de mourir ,le Suba >1 repofe. Quel Efclave oferoit Interrompre fon » fommeil ». Tel eft le Defpotifme. 16 .M. Roiiffeau ne veut pas qu’on cbltie les Enfans. Mais felon lui-meme, pour que les En~ fans foientattentifs, il faut qu’ils aient i nteret de 1’etre. N’ont-ilspoint encore atteint 1’age de 1’e- mulation ? II ri’eft alors que deux moyens d’exci- ter en eux cet interet. L’tin eft l’efpoir d’un bon- lr'n ou d’un joujou (I’amufemetit & la gourman- dife font les feules paffions de l’Enfance.) L’autre eft la crainte du chatiment. Le premier mcyen fuSt-il ? il merife la preference. Ne fulBt-il pas ? C’eft au chatiment qu’ii ftut avoir recours. La crainte eft toujoursefiicacement employee.L’En- fsnt craint encore plus la douleur qu’ii n’aime un bonbon. Le chatiment eft—il fevere ? F.ft-il jufte- ment inPig€? On eft raretnent oblige d’y revenir. Mais c’eft repandre furl’aube dela vie les images du chagrin. Non : ce chagrin eft auffi court que la punitiori. L’inftant d’apres 1’Efcfant cl,add faute, joueavecfeS Camafades, & s’il fe fjuvient du fouet, c’eft dans ces momenscalmes & confacres a F etude, ou ce fouvenir foutient fon application, Qu’on perfe&ionne d’ailleurs les methodes eft- ccre trap impsrfaites d’enfeigner; qu’on les fim- plifie ; l’dtude devenue plus facile , l’EIeve fera. lhoins expofe au chatiment. L’Enfant apprendra l’ltalien ou l’AUemand avec la rheme facilite que fa propre langue, ft toujours eiitours d’italiens 64 D E i'Ho hmeJ ou d’Allemands, il ne peut demander qu’en cis langues les chofes qui lui font agt cables.- 17. Avec 1’age on gagne en connoiffances, en experience : imis l’on perd en aftivite & en fermete. Or dans Padminiftration des affaires ci- viles Sc militaires, lefquelies de ces qualites font les plus neceiTaires ? Les dernieres. C’eft toujours trop tard, dit a ce ftzjet Macbiavel, qu’on eleve les hommes aux Places importances. Prefque routes les grandes adions des Sidcles prefens Sc paffes , ont ere executees avant Hige de 30 ans. Les Annibals,les Alexandres&c.enlontlapreuve. L’homme qui doit fe rendreilluftre , dit Philippe de Commines, l’eft toujours de bonneheure. Ce n’eft point dans le moment qu’affoibli par Page, qu’alors infenfible aux charmes de la louange & indifferent a la confideration compagne de la gloire, qu’on fait des efforts pour la meriter. 18. Dans les grands Romans , c’eft toujours avant leur manage que les Heros combattentles Monftres, les Geans& les Enchanteurs. Un fen- timent fur & fourd avertit le Romancierque les defirs de fon Heros une fois fatisfaits, il n’a plus en lui de principe d’adion. Audi tousies Auteurs de ce genre nous afliirent qu’apres les noces du Prince & de la Princeffe, tous deux vecurent heureux, mais en paix. 19. L’inftrucfion toujours utile nous fait ce que nous femmes. Les Savants font nos Inftku- teurs, notre mepris pour les Livres eft done tou- jcurs un mepris de roauvaife foi. Sans Livres nous ferions encore ce que font les Sauvages. Pourquoi la femme du Serail n’a - t - eTle pas son Education. Notes. 6% 1 ’efprit des Femmes de Paris ? C’eft qu’il en eft des idees ccmme des langues. On parle celle de ceux qui nous entourent. L’Efclave de l’Orient ne foupconne pas ia fierte du caradere Romain. II n’a point lu Tite-Live : il n’a d’idees , ni de la Liberte , ni d’un Gouvernement republicain. Tout eft en nous acquifition & education. 2.0. La connoiflance & Ia mefiance des hom¬ ines , font, dit-on, infdparables. L’homme n’eft done pas auffi bon que le pretend Julie. 21. Moins onade lumieres , plus on devient perfonnel. J’entends une petite Maitreffepouifer les hauts cris : quelle en eft la caufe ? Eft-ce le mauvais choix d’un general ou l’enregiftrement d’un Edit onereux au Peuple ? Non: c’eft la mort de fon Chat ou de fon Oifeau. Plus on eft igno¬ rant , moins' on apperccit de rapport entre le bonheur National & le fien. 22. Chez certains Sauvages 1 ’ivreffe attire le refpect. Qui fe dit ivre eft declare Prophete ; & comme ceux des Juifs , il peut impunement af- fafliner. 23. Un peuple eft-il heureux?Pour con'inuer de Ferre que faut - il ? Que les Nations voilines ne puiflent l.’aftervir. Pour cet effet, ce Peuple doit etre exerce aux armes ; il doit etre biengou- verne,avoir d’habiles Generaux,d’excellens Ami- raux, de fages Adminiftrateurs de fes finances ; enfin une excellente Legillation. Ce n’eft done jamais de bonne foi qu’on fe fait l’Apologifte de l’ignorance. M. Roufteau fent bien que c’eft a rimbecillite commune a tous les Sultans qu’il 66- D E t’ H O M M E , fiut rapporterprefque tousles malheurs du Bef- potifme. 24. Quelques Offi.ciers adoptent en France 1’opinion de M. RoufTeau ; ils veuIentdesSoldats automates. Cependant jamais Turenne ni Conde nefe font plaints du trop d’efpritdes leurs. Des Soldats Grecs & Romains Citoyens au retour de la Campagne etoient neceiTairement plus inf- truits,plus'dclairds qua les Soldats denos jours,& les Armees Grecqties &'Romaintes v.aloient bien les mitres. Les foies que les Generaux acluels preanent pour etoutrer les lumieres des Suhai- ternes , rfannonceroient-ils pas lacrainte qu’ils out d’avoir des Cenfeurs trop eclainfs de leur manoeuvre ? Scipion & Cefar avoient moins de defiance. ay. Be toutes les parties de I’Afle, la plusfa- vante eft la Chine e’eft auffi la mieux culti- vee& la plus habifde. Quelques' Erudits veulent que Fignorante & barbare Europe ait etejadis plus peupfee qu’elle ne fell: aujourd’lrui. Ma re- ponfe a leurs nombreufes citations, e’eft que dix arpensen fromsnt nounffent plus d’hommes que centarpensen bruyeres,pStures &c,c’eftquerEu- rope droit autrefois couverte d’imrnenfes ferets, & que les 'Germains fe nourriflbient du produit de leurs befliaux. Ceikr & Tscite I’aflurent, & leur temcignage decide la queflion. Un peuple pafteur ne petit etre nombreux. L’Europe civili¬ ze eft done neceflkirement plus peuplee que ns 1’etoit 1’Europe barbare & fauvage. S’en rappor- ter la-deffiif a des Hiftoriens fduvent meateurs son Education. Notes . 67 f>u maI-inftrmts,lofqu’on a en main des preuves evidences ds leur menfonge, c’eft folie. Unpays fans Agriculture ne peut fans un miracle nourrir un grand nombre d’habitans. Or les miracles font plus rarea que lesmenfonges. 16. Les Indians n’ont nulle force de caraflere. Ils n’cnt que l’efprit de commerce. 11 eft vrai qu’en ce genre la Nature a tout fait pour eux. C’eft elle qui couvre leur fol de ces denrees prd- cieufes que i’Europey vient acheter. Leslndieris en confequence font riches &pareffeux. Ils ai- ment l’argent, &: n’ont pas le courage de le dc- fendre. Leur ignorance dans l’art militaire &dans la Science du Guvernement les rendra long-terns vds & mifprif.blcs. 2.7. 11 n’eft point de Propofition foit morale, foit politique, que M. Roufteau n’adopte & n b rejette tour-a-tour. Tant de contradictions ont fait quelquefois fufpedter fa bonne foi. 11 allure par example T. 3. p. 13a. dans une note de 1’E- mile, “ que c’eft au Chriftianifme que les Gou- „ vernemens modernes doivent leur plusfolide „ autorite&leurs revolutions moins frequenter; „ que fe Chriftianifme arendu les Princes meins „ fanguinairesq que c’eft une verite prouvee par „ ie fait. „ II dir ContratSocialChap. 8, “qu’au moins le Paga» „ niftne n’allumoit point deguerresde Religion ; „ que Jefus en etablilfant un Royaume Ipiritue’l „ fur la Terre fepara le Syfteme theologique da „ fyfteme politique; que 1’Etat alors cell a d’etre ,, un ; qu’en y vit naicre des vifions inteftinea } , qui n’ ont Jamais ceue d’agiter lePeupleCbr-s-. ^8 D E L’ H O M M E , „ tien ; que le pretendu Royaume de l’autre „ Monde eft devenu fous un Chef vifible leplus „ violent Defpotifme dans celui-ci ; que de la ,, double Puiflance fpirituelle & temporelle a „ refulte un conflit de jurifdi&ionquirend toute „ bonne Politique impoffible dans les Etats „ Papiftes ; qu’on n’y fait jamais auquelduPre- „ tre ou du Maitre on doit obeir ; que la Loi „ Chretienne eft nuif ble a la forte Conftitution „ del’£tat;queleChriftianifmeeftfievidemment „ mauvais , que c’eft perdre le terns que de s’a- „ mufer a le demontrer. „ Or en deux Cuvragesdonnes prefqu’en meme terns au Public, comment imaginer que le mS- me homme puiffe etre ft contraire a lui-meme & qu’il foutienne de bonne foi deux prcpofi- fitions auffi contradicloires. aS.Confequemment alahaine de M. Rouffeau pour les Sciences, j’ai vu des Pretres fe flatter de fa prochaine converfion. Pourquoi, difoient-ils, defefperer de fon falut? 11 protege l’ignorance, il hait les Philofophes : il ne peut fouffrirunbon Railonneur. Si Jean-Jacque etoit faint que feroit-il de plus 9 2.9. Tcus les Devots font ennemis de la Science. Sous Louis XIV ils donnoient lenom dejanfenif- tes aux Savants qu’ils vouloient perdre. Ils y ont depuis fubftitue lenom d’Encyclopddiftes.J Cette expreflion n’a maintenant en France aucun fens determine. C’eft un mot pretendu injurieux dont les Sots fe fervent pour diffamer quiconqueaplus d’efprit qu’eux. 30. Le Defpotifme, ce cruel fleaudei'humanitd son Education. Notes . 69 eft le plus fouvent une produ&ion de la ftupidite Nationale. Tout Peupie commence paretre libre. A quelle caufe attribuer la perte de fa liberty ? A fou ignorance , a fa folle confiance en des Ambi- tieux. L’Ambitieux & le Peupie , c’eft la Fille & le Lion de la Fable. A-t-elle perfuade a cet Ani¬ mal de fe iaiffer couper les griffes, &; lirner les dents ? elle le iivre aux Matins. 31. Les Gens de Lettres font hommes comme les Courtifans: ils ont done fouvent flattelePuif- fant injufte. Cependant il eft entr’eux une diffe¬ rence remarquable. Les Gens deLettres ayant tou- joursete proteges par lesPrinces’de quelque meri- te, ils n’ont pu qu’en exagerer les vertus. Ils ont trop loud Augufte. Mais les Courtifans ont leue Neron & Caracalla. 32. Lemeriteneconduit-ilplusauxhcnneurs? Il eft meprife,& pour comparer lespetites chofes aux grandes, il eneft d’un Empire comme d’un College. Les prix & les premieres places font-ils pour les Favoris du Regent ? plus d’emulation parmi les Sieves. Les etudes tombent.Or, cequi fe fait en petit dans les Ecoles, s’opere en grand dans les Empires ' & lorfque lafaveur feule y difpofe des places, la Nation alors eft fans ener- gie, les grands hommes en difparciffent. 33. En Orient les meilleurs titres a la grande fortune font la bafleffe & l’ignorance. Une Place impertante vient-elle a vaquer Le Defpote paffe dansl’antichambre : n’ai-jepas, dit-il, quelque Valet dont je puifle faire un Vifir ? Tous les Eft- claves fe prefentent. Le plus vil obtient la Place. Faut-il enfuite s’etonner ft les actions du Vifir '-' 4 j pondent a la maniere dont ileft choifi? 70 De l’Homme, 34. Les Romans ni les Francois n’avcient en¬ core rien perdudeleur courageau terns d’Augufte & de Louis XIV. 3 y. M. B.ouffeau crop fouvent Panegyrise de l’ignorance, die en je ne fais quel endroit de fes Ouvrages. “ La Nature a voulu preferver les ,, homines de la Science , & la peine qu’iis trou- „ vent a s’inftruire, n ’eft pas le moindre de fes ,, bienfaits. „ Mais Iui repend un nomme M. Gautier, ne pourroit-on pas dire egalement: 111 Peoples, fachez que la -Nature ne vent pas que „ vous vous nourriffiez des grains de la terre. La „ peine qu’elleattachea fa culture veus annonce ,, qu’il faut la Differ en friche. „ Cette renonfe n'ell pas du gout de M. Rcuffeau & dans une Lettre ecrite a M. Grimm. “ Ce M. Gautier,dit- „ if, n’a-pas fonge qu’avec peu de travail on eft „ fttrdefaire.du pain,&.qu’avec beeucc-upd’etude „ ii eft douteux qu’on parviennea faire un hom- „ meraifortnable.,, Je ne fuis pas amontcurtrcp content de la renonfe deM. Rouffeau. Kft-il pre- mierement bien vrai que dans une life inconnue Ton parvienne fifacilement a faireou pain? Avant de faire cuirc le grain, il faudroit Iefemer;avant .de femeril faudroit deffecher les marecages shot- we ies forets, detacher la terre, 6; ce d.iriche- iuent ne fe feroit pas fans peine. Dans les Contrdes memo oil la terre eft la mieux cultivee , que de feins fa culture n’exige-t-elle pas du Laboureur ? C’eft le travail de toute fon annee. Mais ne falliit-il que I’ouvrir pour la fe- conder • fon cuverture funpofe I’inventi-on du fee, dc lacharrue, cells des forges, psr conRuiienc sow Education. Notes. jt one infinite de ccnnoifiances dans les mines,dans l’art de confiruire des fourneaux, dans les Me- chaniques, dans l’Hydraulique, enfijidanspref- que tcutes les Sciences done M. Rcmffeau veut prefen : er Vhomme. On ne parvient done pas a faire du pain fans quelque peine &quelquein- duflrie. “ Un hqmme raifonnable, (fit M.Rouffeau,eft „ encore plus difficile a faire: avec benucoup d’e'- ,, tudes, on n’eftpas toujeurs fur d’y parvenir. „ Mais eft-on toujeurs; fur d’une bonne recolte ? Le penible labour de l’Automne allure - t - il i’a- bondante moiffon de l’Ete? Au refte qu’il foit difi ficile ou non de former un homme raifonnable ; le fait eft qu’il ne le devient que parl’inftruSion. Qu’eft-cequ’un homme raifonnable? Celui dont les jugemens font en general toujeurs juftes. Or pour bien juger des progfes d’une maladie, de 1’exceljence d’une piece de Theatre S: de la beaute d’une Statue, que faut-il avoir preliminairement etudie ? Les Sciences & les Arts de la Medecine, de la Poefie & de la Sculpture. M.Rouffeau n’en- tend-il par ce mot raifonnable , que 1’homme d’une conduite fage ? Mais une telle conduite fuppofe quelquefois une connciffance profonde du ceeur humain ■ & cette connoiffancc en vaut bien une autre. L’Auteur de I’Emile decrie l’inf- trudlion, e’eft , dira-t-il, qu’il a vu quelquefois l’homme eclairefe conduire mal. Cela fe peut.Les delirs d’un tel homme font fouvent contraires a fes lumieres. Il peut agir mal & voir bien. Ce- pendant cet homme, ( & M. Rondeau n’en peut difeonvenir) n’a du moins enlui qu’une caufe de D E l’ H O M M E , mauvaife conduite: ce font ces pafftons criminel- !es, L’ignorance au contraire en a deux. L’une , font ces manes paffions, 1’autre eft 1’ignorance de ce que 1’homme doit a l’homme , c’eft-a-dire, de fes devoirs envers laSocie'te ; ces devoirs font plus etendus qu’on ne penfe. L’inftrudlion eft done toujours utile. SECTION son Education, Cheep . 1 . 73 SECTION VI. Des maux produits par l’ignorance; que l’ignorance n’eft point deftrudtive de la molle/ie ; qu’elle n’a/Fure point la fide- lite des Sujets ; qu’elle juge fans examen les queftions les plus importantes. Celle du Luxe citee en exemples. Des Mal- heurs ou ces jugemens peuvent quelque- fois precipiter une Nation. Du mepris & de la haine qu’on doit aux Protec- teurs de l’ignorance. CHAPITRE I. De V ignorance & de la mollejfe des Peuples. V JL ’Ignorance n’arrache point les Peuple* ala molleffe. Elle les y plonge, les degraded: les avilit. Les Nations les plus ilupides ne font pas les plus recommandables pour leur magna- nimite, leur courage & la feverite de leur* tnoeurs. Les Portugais & les Remains modernes font ignorans: ils n’en font pas mains puliilani- ines, voluptueux & moux. II en ell ainfi de 1 % dome IL, D 74 13 E L’ II O M M E , plupart des Peuples de l’Orient. En general dans tout Pays ou le Defpotifme & la Supeitftition en- gdndrent S’igncrance, 1’ignorance a Ton tour y enrante la malleffe & i’oifivete. Le Gouvernement defend-il de penfer ? je me livre a la pareffe. L’inhabitude de reflechir , roe rend l’application penible & l’attention fati- guante. *- i. Quels charmes pour moi auroit alors 1’etude ? Indifferent a toute efpece de con- rioiffances , aucune ne m’interefte alfez pour m’en occuper, & ce n’eft plus que dans des fen- fations agreables que je puis chercher mon bon- lieur. Qui ne penfe pas veut fentir & fentir deli- cseufement. On veut meme cro'itre , fi je Pole dire, enfenfations a mefure qu’on diminue en penfe'es. Mais peut-on etre a chaque inftant affe&e de fenfations voluptueufes ? Non: c’eft de Icin en loin qu’on en eprouve de relies. L’intervaile qui fepare chacune de ces fenfa¬ tions eft chez 1’ignorant & le defceuvre rempli par l’ennui. Pour en abreger la duree, il fe pro- voque au plaifir, s’epuife & fe blafe. Entre tous les Peuples quels font les plus generaiement li- vres a la debauche ? les Peuples efclaves Sc fu- perftirieux, II n’eft point de Nation plus corrompue que la Venitienne, ( a ) & fa corruption, dit M. Burck,, eft 1’eifet de 1’ignorance qu’entrerient a Venifele Defpotifme Ariftccratique. » NulCi- (a) Voyez Traite du Sublime de M. Burck. Je le tra- duis & ne pretends point juger d’un Peuplequeje ne cormois que fur des relations , son Education. Chap . I . 7 % n toyen n’ofe y penfer. Y faire ufage de fit -j> raifon efb un crime, & c’eft le plus puni. Or , y> qui n’ofe penfer veut du moins fentir & doit 3 ) par ennui fe livrer a la molleffe. Qi i fuppor- i) teroit le jcug d’un Defpotifme Ariftocratique , » fi ce n’eft un Peuple ignorant & voluptueux ? » Le Gouvernement le fait, & le Gouverne- n ment encourage fes Sujets a la debauche. 11 >3 leur ofrre a la fois des fers & des plaifirs ; ils » acceptent les uns pour les autres, & dans » leurs ames avilies , l’amour des voluptes l’em- r> porte toujours fur celui de la liberte. LeVeni- » tien n’eft: qu’un pcurceau, qui nourri par le r> Maitre & pour fon ufage , eft garde dans » une Stable oul’on le lailfefe vautrerdans li J 3 fange & la boue. 33 A Venife, Grand, Petit, Homme, Fem- 33 me, Clerge, Lai'c, tout eft e'galement pionge 33 dans la moUelfe. Les Nobles toujours en 33 crainte du Peuple & toujours redoutables les 33 uns aux autres , s’aviliifent, s’enervent eux- 33 mSmes par politique & fe corrompent par les >3 memes moyens qu’ils corrompent leurs Sujets. 33 Ils veulent que les plaifirs &les voluptes en- 33 gourdiffent en eux le fentiment d’horreur , 3 ) qu’exciteroit dans un efprir eleve & fier le 3 ) Tribunal d’Inquifition de I’Etat 33 . Ce que M. Burck dit ici des Venitiens eft: applicable aux Romains modernes, & genera- leraent a tous les Peuples ignorans & polices. Si le Catholicifme, difent les Reformes, enerve les ames & ruine a la longue TEmpire ou il s’e- tabiit, c’eft qu’il y propage l’ignorance &: l’oifi.-. Dl D B l’ H o m m e , vete, & que l’oifivete eft Mere de tous les vices polinques Sc moraux. L’amour du plaifir feroit-il done un vice ? Non. La Nature porte l’hcmme a fa recherche , & tout homme obeit a cette impulfion de ia Na¬ ture. Mais le plaifir eft le delaffement duCitoyen inftruit , aftif & induftrieux, & e’eft l’unique occupation de Foifif & du ftupide. Le Spartiate , comme Is Perfe etoit fenfible a I’amour ; mais l’amour different en chacun d’eux , fftfoit de 1’un un Peuple vertueux & de l’autre un Peu- ple effemine. Le Ciel a fait les Femmes difperi- fatrices de nos plaifirs les plusvifs. Mais le Ciel a-t-il voulu qu’uniquement occupes d’elles , les homines a l’exemple des hides Bergers de l’Af- tree, n’euffent d’autre eniploi que celui d’A- xnans ? Ce n’eft point dans les petits foins d’une paffion langoureufe , mais dans l’aftivite de fon efprit, dans l’acquifition des connoiflances, dans fes travaux & fon induftrie que 1’homme peut trouver un remede a l’ennui. L’Amour eft tou- jours un peche Theologique & devient un peche Moral, lorfqu’on en flit fa principale occupa¬ tion. Alors il enerve l’efprit & degrade Fame. Qu’a l’exemple des Grecs & des Romains les Nations faffent de 1’Amour un Dieu (a) : mais qu’elles ne s’en rendent point les Efclaves. (a) L’Amour eft dans l’homme un Principepuiffant d’ac- tivite. II a fouvent change Ia face des Empires. L Amour & la jaloufie ouvrirent aux Maures les portes de l’isfpa- gne Sc y detruifirent la Dvnaftie des Ommiades. Son in¬ fluence fur le monde moral enhardit fans doute les Poetes a lui donner fur la phyfique line Puiffance qu’ii n’a pas, Hefwde en fit l’Architefte de t’Umvers, son Education. Chap . 7 . 77 L’HercuIe qui combat Acheloiis & lui enleve Dsjanire eft fils de Jupiter. Mais l’Herculc qui file aux pieds d’Omphale n’eft qu’un Sybarite. Tout Peuple aciir & eclaire eft le premier de ces Hercules ; il aime le plailir , le conquiert & ne s’en excede point; ii penfe fouvent; jouit quet- quefois. Qqant au Peuple efciave & fuperftitieux, il penfe peu , s’ennuie beauccup , vcudroit tou- jours jouir , s’excite & s’enerve. Le feul anti¬ dote a fon ennui feroit le travail , l’induftrie & les lumieres. Mais, dit a ce Sujet Sidney, les lumieres d’un Peuple font toujours proportion- nees a fa liberte , camrne fon bonheur & fa puif- fance toujours proportionnes a fes lumieres. Auffi l’Angfois plus libre eft communernent plus eclaire que le Francois ( a ) ; le Francois que l’Efpagnol, l’Efpagnol que le Portugais, !e Por- tugais que le Maure. L’Angleterre en cor.fe- quence eft relativement a fon etendue plus puif- fante que la France (_ b) , la France que l’Ef- ( a ) La France , clit-on , a clans ces derniers terns produit plus d’hommes illudres que l’Angleterre. Soit; il n’eft pas moins vrai que le Corps de la Nation Fran^oife s’abrutifc de jour en jour. Le Francois n’a , ni le raerae interet, ni les merries moyens de s’eclairer que l’Anglois. La France eft a&uellement peu redontable. Le Citoyen fans emula¬ tion y croupit dans la pareiTe. Lemerite fanseonftderatioiv eft le mepris des Grands. Les hommes aftuellement ce* lebres mourront fans pofterite. [b) Pour prouver Pavantage du Moral fur le Phyfique, le Ciel , difent les Anglois , avoulu que la Grande Bre¬ tagne proprement dite, n’eut que le quart d’etendue de I’Efpagne, que le tiers de la France , & que moins peuplee peut-etre que ce dernier Royaume , elle lui commando.^ par la fuperiorite de fon Gouvernement, d 3 j8 D e l’ H o m m t, pagne , l’Efpagne que le Portugal, & le Portu¬ gal que Maroc. Plus les Peuples font eclaires, plus ils font vertueux , puiflans &c heureux. C’eft a l’ignorance feule qu’il faut im- pu'er les effets contraires. II n’eft qu’un cas ou 1’ignorance puilfe ttre defirable; c’eft lorfque tout eft delefpere dans un Etat & qu’a travers 3es maux prefens , on appercoit encore de plus grands maux a venir. Aiors la ftupidite eft un bien (a). La Science & la prevoyance eft un mal. C’eft aiors que fermantles yeux a la lu- mier.e , on voudroit fe caclier des maux fans re- mede. La'pofition du Citoyen eft femblable a celle du Marchand naufrage ; l’inftant pour lui 3e plus cruel n’eft pas celui ou porte fur les debris du Vaifteau, la nuit couvre la furface des mers, ou 1’amour de la vie & l’efperance lui font dans 1’obfcurite entrevoir une terre pro- chaine. Le moment terrible eft le lever de l’Au- rore, lorfque repliant les voiles de la nuit, elle eloigne la terre de fes yeux & lui decouvre a la fois 1’immenfite des mers & de fes malheurs r c’eft aiors que l’efperance portee avec lui fur les debris du Vaifteau fuit & cede fa place au defef- poir. Mais eft-il quelque Royaume en Europe cu les malheurs des Citoyens foient fans remede ? Qu’on y detruife 1’ignorance & Ton y aura [ay Dans tes Empires d’Orient, le plus funefte & le plus dangereux don du Ciel, dit un Voyageur celebre > leroit une ame noble, un efprit eleve. Les gens vertueux raifonnables fupportent impatiemir.ent le joug du Def- potifme. Or cette impatience eft un crime dont le Sultaa lespuniroit. Peu d’Orientaux font expofes a. ce clanger. son Education. Chap. T. 7i dctruit tous les germes du mal moral. L’ignorance plonge non-feulement les Peu- ples dans la molleffe, mais eceint en eux juf- qu’au fentiment de rhumanite. Les plus ignorans font les plus barbares. Lequel fe montra dans la derniere guerre le plus inhuman des Peuples ! L’ignorant Pormgais. 11 coupon le nez & les oreilles des prifonniers fairs liir les Efpagnols. Pourquoi les Anglois & les Francois fe mon- trerent-ils plus genereux, c’eft qu’ils etcient rosins ftupides. Nul Citoyende la Grande Bretagne qui nefoit plus cu moins inftruit. * * 5 , ou dans les plaifirs , ou dans les commodites da¬ ta vie. Or toutes les fuperfiukes dont jouit eelui auquelelles font accord&s, le mettenr dans ua £tat de Luxe par rapport au plus grand nombre de fes Concitoyens. II eft done evident que les efprits ne pouvant etre arraches a une ftagnatkna puifibk Ih Sociste , que gaiFefpoir des i&lajsj $4 D E L’ H O M M T y penfes, c’eft-dire, des fuperfhiites , la neceflitl du Luxe eft demontrde, & qu’en. ce fens le Luxe eft utile. Mais , dira-t-on, ce n’eft point centre cette efpece de Luxe ou de fuperfluitts, recompenfa des grands Talens, que s’elevent les Moraliftes ; c’eft contre ce Luxe deftruifteur qui produit l’in— temperance & fur tour cette avidite de richelfes corruptrice des mceurs d’une Nation & prefage de fa mine. J’ai fouvent pretd Poreilie aux difcours des Moraliftes : je me fuis fouvent rappelle leurs Panegyriques vagues dela tempdrance, & leurs declamations encore plus vagues contre les richef- fes ; & jufqu’a prefent nul d'entr’eux examina- teur profond des accufarions port des contre Ie Luxe,& des calamites qu’on lui impute, n'a felon moi reduit la queftionau point de fimplicite qui doit en donrier la folution. Ces Moraliftes prennent-ifs le Luxe de la Prance pour exemple ? Je confens d’en examiner avec eux les avantages & les ddfavantages. Mais avant d’aller plus loin , eft-il bien vrai, comma ifs le repetent fans cede i e 1 / H o m m k, imperieufement aux Puiffans, mais non au re fie- de la Nation. Les Ouragans bouleverfent la furface des mers; mais leurs profondeurs font toujours calmes & tranquilles. Telle eft la Gaffe infe'rieure des Citoyens de prtfque tous lesPays. La corruption parvient lenten:ent jufqu’aux Cul- tivateurs qui feuls compofent la plus grande par- tie de route Nation. L’on n’entend & Ton ne peut done entendre par Nation avilie, que celie cu la partie Gouver- nante, e’eft-a-dire les Puiffans , font ennemis de la partie Gouvernee ou dumoinsindifferensafon bonheur (a). Or cette difference n’eft pas reflet du Luxe, mais de la caulequi leproduit, e’eft-a- dire, de 1’exceflif pouvoir des Grands , & du me- pris qu’en confluence ils concoivent pour leurs Concitoyens. Dans la ruche de la Societe humaine, il faut (u) Ce mot Corruption ie moturs ne fignifie que la di¬ vision de l’intdret public 8c particulier. Quel eft Ie mo¬ ment de cette divifion } Celui oil toutes les richeffes & le pouvoirde l’Etat fe raffemblent dans les mains du petit inombre. Nul lien alors entre les differentes Claires de Ci- to>'ens. Le Grand tout entier a 1’on interet perfonnel, in¬ different a l’interet public, facrifiera 1’Etat a fes paffions parriculieres. Faudra-t-il, pour perdre un ennemi, faire manquer une ndgociation , nr.e operation de finance , de¬ clarer une guerre injufle, perdre une bataiile ; il fern tout, il accordera tout an caprice, a la faveur & rien ats merite. Le cotirage 8c l’intelligence du Soldat 8c du bas Officier, reileront fans recompenfes. Qu’en arrivera-t-il? Que le Magiftrat ceffera d’etre integre 8c le Soldat ceu- rageux ; que I’indifference fuccddera dans leur a roe a I’a— -unour de la Luftice 8c de la Patrie, 8c qu’une telle Nation, revenue le mepris des autres, tombera dans l-’aviliffemeot. Or cet avilifl’ement ne fera pas l’effet de fon Luxe, mais de eettetrop ine'galerepartition dupeuvok fie iii tidlsat, fe csfttls Luxe mine eft u» efkjp. son Education. Chap. V. 8? pour y entretenir l’ordre & la juftice, pour eft ecarterle vice & la corruption que tous les Indi- vidus egalement occupes , foient forces de con- courirdgalement aubien ge'neral, & que les tra- vaux foient egalement partages entr’eux. En eft—il que leurs richeffes & leur uaiffance difpenfent de tout fervice ? La divilion & le mal- heur eil dans la ruche : IesOififs y ineurent d’exx- nui; ils font envies, fans etre enviables , parce qu’ils ne font pas heureux. Leur oiiivete cepen- dant fatiguante pour eux-memes, eft defirucHve du bonheur general. Ils ddvorent par ennui le mi el que les autres Mouches apportent, & lesTravail- leufes meurent de faim pour des Oififs qui n’en font pas plus fortune's. Pourerafclir fclidement le bonheur &la vertu d’une Nation , il faut la fender fur une depen- dance reciproque entre tous les Ordres des Cito- yens. Eft-il des Grands qui revetus d’un Pouvoir fans bornes , n’ont du meins pour le moment rien a craindre ou a efperer de la haine ou de ILmour de leurs inferieurs ? Alcrs route dependence mu- tuelle entre les Grands & les Petits eft rompue; & fous un meme nom ces deux Ordres de Cito- yens compofent deux Nations rivales. Alors le Grand fe permet tout: il facrifie fans remerds a fes caprices , a fes fantaifies, le bonheur de tout un Peuple. Si la corruption des Puiflans ne fe manifefie jamais d’avantage que dans les fiecies du grand Luxe , e’eft que ces fiecies font ceux ou les ri- chefies fe trouvent rafiemble'es dans un petit fo DE l’Homme, nombre de mains, ou les Grands font plus puif- fans, par confequent plus corrompus. Pour connoitre la fource de leur corruption, Forigine de leur pouvoir, de leurs richeffes & de cette divifion d’interets des Citoyens qui fous le meme nom forment deux Nations ennemies , il faut remonter a la formation des premieres So- cietes. CHAPITRE VI. De la formation des Peuplades. f\ Uelques families ont pafTe dansunelie. Je veux que le fol en foit bon , mais inculte & difert. Quel ell au moment du debarquement le premier foin de ces f mi! les ? Celui de conftruire des Huttes & de demcher l’etendue de terrain neceflaire a leur fubtiftance. Dans ce premier moment quelles font les ri- cheffes de File ? Les recodes Si. ie travail qui les produit. Cette lie con; ient-ellq plus de terres a cultiver que de Cultivateurs, quels font les vrais Opulens? ceux done les bras font les plus forts & les plus aftifs. Les intents de cette Sociere naifTante feront d’abord peu compiiqu£s, &peu de Loix en con¬ fluence lui fuffiront. C’ell a la defenfe du vol & du meurtre que prefque routes fe reduiront, De telles Loix feront toujours juftes, parce qu’elles son Education. Chap. VI. fi feront faites du confentement de tons; parce qu’une Loi generaiement adoptee dans un Etat naiiTant, eft toujours conforme a 1’interet du plus grand nombre & par confequent toujours fage & bienfaifante. Je fuppofe que cette Socidte elife un Chef, ce ne fera qu’un Chef de guerre, feus les ordres du- quel elie combattra les Pirates & les nouvelles Colonies qui voudront s’etablir dans fon lie. Ce Chef, comme tout autre Colon, ne fera polfef- feur que dela terre qu’ilaura defrichee. L’unique faveur qu’on pourra lui faire , c’eft de lui laiffer le choix du terrain. Ilfera d’ailleurs fanspouvoir. Mais les Chefs fucceffeurs du premier, refte- ront-ils long-tems dans cet etat d’impuiffance ? Par quel moyen en fortiront-ils, & parviendront* ils enfin au Pouvoir arbitraire ? L’objet de la plupart d’entr’eux fera de fe fou- mettre Pile qu’ils habitent, Mais leurs efforts fe¬ ront vains rant que laNation fera pen nombreufe. LeDefpatifme s’etabiitdifficilement dansvmPays qui nouvellement habitd, eft encore peu peupld. Dans routes les Monarchies les progres du Pou¬ voir font lents. Le terns employd par les S’ouve- rains de 1’Europe pour s’aflervir leurs grands; Vaflaux en eft la preuve. Le Prince qui de trop bonne heure attenreroit a la proprietc? des biens, de la vie & de la liberte des puiffans Proprietai- res, & voudroit accabler le Peuple d’impots , fe perdroit lui-meme. Grand & Petit, tout ferevol- teroit contr© lui. Le Monarque n’auroit ni ar¬ gent pour lever une Armee,ni Armeepour cqna- battre fes Sujets. JZ D E l’ H o m m e, Le moment cii la puiffance du Prince cu da Chef s’accroit , eft celui ou la Nation eft devenue riche & nombreufe, ou chaque Citoyen ceffe d’etre Soldat ( a ) , oil pour repuifer l’ennemi le Peuple confent de foudoyer des Troupes & deles tenir toujours fur pied. Si le Chef s’en conferve le commandement dans la pai.x & dans la guerre, fon credit infenfiblement augmentejil en profite pour groffir 1’Armee. Eft-e!le aftez forte ? Alors le Chef ambitieux leve le mafque, opprime les Peuples , aneantit route propridte, pille la Na¬ tion; parcequ’en general l’homme s’approprie tout ce qu’il peut ravir ; parce que le vol ne petit etre contenu que par des Loix feveres, & que les Loix font impuiifantes contre le Chef &. fon Armee. C’eft ainfi qu’un premier impot fournit fou- vent a l’UTurpateur les moyens d’en lever de nouveaux, jufqu’a ce qu’enfn arms d’unePuif- fance irreiiftihle, il puiffe commea Conftanrino- ple, engloutir dans fa Ccur & fon Armee routes les richeffes Nationales. Alors indigent & foible, un Peuple eft attaque d’une maladie incurable. Nulle Loi ne garantit alors aux Citoyens la pro¬ priety de leur vie, de leurs bsens & de leur li¬ berty. Fante de cetre garantie, tons rentrent en 4tat de guerre & route Socieie eft diffoute. CesCitoyens vivent-ils encore dans les memes Cites ? ce n’eft plus dans une union , mais dans (a) I! n’eft peut-etre qu’un moyen c!e fouftraire nn Em¬ pire au defpotifme de 1’Armde , c’eft que fes Habitans tpient comme a Sparte, Citoyens & Soldats- SON Education. Chap. VI. 95 line fervitucie c immune. 11 ne faut alors qu’une pcignee d’hommes libres pour renverfer les Em¬ pires en apparence fi formidables. Qu’on b.itte trois ou quatre fois l’Armee avec Jaquelle l’Ufurpateur tient la Nation aux fers , paint de resource pour lui dans 1’amour & la valeur de fesPeuples. Lui & fa Milicefont craints & ha'is. Le Bourgeois de Conftantinople ne voit dans les JaniiTaires, que les complices du Sultan & les Brigands a l’aide defquels il pille & ravage PEmpire. Le Vainqueur a-t-il affranchi les Peu- ples de la crainte de l’Armee ? ils favorifent fes entreprifes & ne voient en lui qu’un Vengeur. Les Romiins font cent ansla guerre aux Volf- ques ; ils en emploient cinq cens a la conquetede l’ltalie j ils paroiftent en Alie : die leur eft afier- vie. La Puillance d’Antiochus & de Tigrane s’a- neantit a leur afpedl, comme celle de Darius a l’alped d’Alexandre. Le Defpotifme eft la vieilleffe & la derniere maladie d’un Empire. Cette maladie n’attaque point fa jeunelfe. L’exiftencedu Defpotifme fup- pofe ordinairement celle d’un People deja riche & nombreux. Mais fe peut-il que la grandeur, la richelfe «& 1 ’extreme population d’un Etat ait quelquefois des fuites auffi funeftes ? Pour s’en eclaircir, confiderons dans un Royaume les effets de fextreme richefte & de la grande multiplication des Citoyens. Peut-etre decouvrira-t-on dans cette multiplication le pre¬ mier germe du Defpotifme. 94 D 33 I.’ II O M M I, CHAPITRE VII. De hi multiplication des homines dans un Etat & de Jes ejfeis. IT* jL/Ans Me d’abord inculte ou f’al place un petit riombre de families; que ces famillesfe mul- tiplient; qu’infehfiblcment Pile fe trouve pour- vue & du nombre de Laboureurs neceffaires a fa culture, & du nombre d’Artifhns neceffaires aux befoins d’un People agriculteur ; la reunion de ces families formers bientot one Nation nom- breufe. Que cette Nation continue a fe multiplier; qu’il nai/fedans Plleplus d’hommes quen’enpeut occuper la culture des terres & les Arts que fup- pofe cette culture;quefaire de ce furplusd’Habi- tans ? Plus ils croitront en nombre, plus l’Etat croitra en charges , & dela la neceffite , ou d’une guerre qui confomme ce furplus d’Habitans, ou d’une Loi qui tolere , comme a la Chine, l’expo- iition des Enfans. * io. 1'out homme fans propriete Sc fans emploi dans une Societd , n’a que trois partis a prendre, ou de s’expatrier, & d’aller chercher fortune ail— leurs , ou de voler pour fubvenira fa fubfiftance, oud’inveliter enfin quelquecommodite ou parure nouvelle en echange de laquelle fes Con*itoyens fourniffent a fes befoins. Je n’examinerai point ce que devient le Voleur ou la Banni volontaire. Ils font hors de cette Socidte. Mon unique objet son Education. Chap. VII. 9? ell de confiderer ce qui doit arriver al’Inventeur d’une commodite ou d’un luxe nouveau. S’il de- couvre le fecret de peindre la toile & que cette invention foit du gout de peu d’Habitans ; peu d’entr’eux echangeront leurs denrees cor.tre fa toile. * 11. Mais ft le gout de ces toiles devient general & qu’en ce genre on lui faffe beaucoup de demandes , que fera-t-il pour y fatisfaire ? II s’aflociera un plus ou moins grand nombre de ces hommes que j’appelle fuperflus ; il levera une Manufacture , l’etablira dans un lieu agreable, commode & communement fur les bords d’un fieuve dont les bras s’etendant au loin dans le Pays, y faciliteront le tranfport de fes marchan- difes. Or je veux que la multiplication continuee des Habitans, donne encore lieu a l’invention de quelqu’autre commodite, de quelqu’autre objet de luxe, &qu’il s’eleve encore une nouvelleMa- nufafhire. L’Entrepreneur pourl’avantagede fon commerce aura interet de la placer fur les bords du meme fieuve. II la b&tira done pres de la pre¬ miere. Plufieurs de ces Manufaftures formeront un Bourg ; puis une Ville conftderable. Cette Ville renfermera bientot les Citoyens les plus opulens, parce que les profits du commerce font toujours immenfes, lorfque les Negocians peu nombreux ont encore peu de concurrens. Les richelfesde cette ville y attireront les plai— firs. Pour en jouir & les partager , les riches Proprietaires quitteront leur Campagne, paffe- ront quelques mois dans cette Ville, y conftrui- ront des Hotels. La Ville de jour en jour s’agran- {'em comme le Particular qu’il participe a la joie & a la trifteffe de tout ce qui l’environne. Son interet c’eft que fes gens , c’eft-a-dire, fes Cour- tifans foient contens. Or leur foif pour For eft infatiable. S’ils font a cet egard fans pudeur, comment leur refufer fans ceffe ce qu’ils lui de¬ mandant toujcurs ? Voudra-t-il conftamment mecontenter fes familiers & s’expofer au cha¬ grin communicatif de tout ce qui l’entoure? Peu d’hommes ontce courage. II vuidera done perpe- tuellement la bourfe de fes Peuples dans celle de fes Courtifans ; & e’eft entre fes Favoris qu’il partagera prefque toutes les richeffes de l’Etat. Ce partage fait, quelles homes mettre a leur Luxe ? Plus il eft grand, & plus dans la fttuatipn ou fe trouve alors un Empire, ce Luxe eft utile, Le mal n’eft que dans fa caufe produfirice, e’eft^ a-dire, dans le partage trop inegal des richeffes Nationales & dans la puiffance exceffive du Prince, qui peu inftruit de fes devoirs & pro¬ digue par foibleffe , fe crcit genereux , lorfqu’il eft inyufte. * ii. Mais le cri de la mifere ne peut-il i’avertir do fa meprife ? Le Trone ou s’affied un Sultan eft inacceffible aux plaintes de fes Sujets : elles ne parviennent point jufqu’a lui. D’aiileurs que lui importe leur feiicite, fi leur mecontentement n’a nulle influence immediate fur fon bonheur aftuel! Le Luxe, comme je le prouve, eft dans la piupart des Pays , l’effet rapide & neceffaire du Defpotifme. C’eft done centre le Defpotifme que doiyent s’eleyer les ennemis du Luxe. * 13. E 5 lo 6 D E r’ H o m m e , pour fuppnmer an effet, il faut en detruire la canfe. S’li eft un moyen d’operer en ce genre quelque changement heureux , c’eft par un changement infenfsfale dans les Loix & l’admi- niftrition. * 14. II faudroit pour le bonheur meme du Prince & de fa pofterite que ces Moralifles au eres fixaffent en fait d’impots les liraites immuables que le Souverain ne doit jamais reculer. Du moment ou la Loi comme un obllacle infurmon- table , s’oppofera a la prodigalite du Monarque , les Courtifans mettront des bornes a leurs defirs Ik a- leurs demandes ; ils n’exigeront point ce {jars ne pourront obtenir, Le Prince, dira-t-on, en fera moins heu¬ reux. II aura fans doute pres de lui moins de Courtifans & de Courtifans moins bas; mais leur b dle le B’eftpeut-Stre pas fi necelfaire qu’on le croit a fa felieite. Les Favoris d’un Roi font-ils libres & vertueux ? Le Souverain s’accoutume infenfsblement a leur vertu. II ne s’en trouve pas plus mil, & fes Petioles s’en trouvent beau- ccuo. mieux. Le Pouvoir arbitraire ne fait done que hire* le partage inegai des richefles Nationales^ son Education. Chap. X. 107 CHAPITRE X. Caitfes de la trop grande inegalite des fortunes des Citoyer.s. H 3 A NS les Pays Jibres & gcuvernes par des Loix Pages , nul homme fans doute n’a le peu- voir d’appauvrir fa Nation pour enrichir quel- ques particuliers. Dans ces memes Pays cepen- cant tous les Citoyens ne jcuiiTent pas de la rneme fortune. La reunion des richeffes s’y fait rnoins lentement ■ mais enfin eile s’y fait. II faut bien que le plus induftrieux gagne plus, quele plus menage epargne davantage, & qu’avec des richeffes dejaacquifes, il en acquiere de nouvelles. D’ailleurs il eft des Rentiers qui recueillent de grandes fucceffions. Il eft des Ne- gocians qui mettant de gros fonds far leurs vaif feaux , font de gros gains ; parce qu’en toute efpece de commerce, e’eft 1’Argent qui attire i’Argent. Son inegale diftribution eftdanc une fuite neceffaire de fon introduction dans ua Etat. * If. XoS D x V H o m m t ’ CHAPITRE XI. Des moyens de s’ oppofcr a la reunion trop rapi.de des richejfes en pm de mains. I L eft milie moyens d’operer cet effet. Qui pourroit empecher un Peuple de fe declarer Rentier de tons les Nationaux ; & lors da de- ces d’un particulier tres-riche de repartir entre plufieurs les biens trop confiderables d’un feul ? Par quelle raifon a Feremple des Lucquois un Peuple ne proportionneroi:-il pas tellement les Impots a la richefle de chaque Citoyen, qa’au de-la de la poffeSTion d’un certain nombre d’arpens, l’lmpot mis fur ces arpens excedat le prix de leur fermage ? Dans ce Pays il ne fe fe- roitcertainement pas de grandes acquifitions. On peut imaginer cent Loix de cette efpece. II eft done milie moyens de s’oppofer a la trop prompte reunion des richelfes dans un certain nombre de mains, & de fufpendre les progres trop rapides du Luxe. Mais peut-on dans un Pays ou VArgent a cours, fe promettre de maintenir toujours un jufte equilihre entre les fortunes des Citoyens ? Peut-on empecher qu’a la longue les Richelfes r.e s’^ diftribuent d’une maniere tres-inegale , & qu’enfin le Luxe ne s’y introduife & ne s’y accroiffe ? Ce projet eft impoftible, Le Rich® son Education. Chap. XI. 109 fournidu neceffaire mettra toujours le fuperflu de fon Argent a l’achatdes fuperfluit'es. * 1 6 . Des Loix fomptuaires , dira-t-on , reprimeroient en lui ce defir. J’en conviens. Mais alors le Riche n’ayant plus le libre ufage de fon Argent, 1’Ar¬ gent lui en paroitroit moins delirable il feroit moins d’efforts pour en acquerir. Or dans tous Pays ou 1’Argent a cours, peut-etre l’amour de l’Argent, cofnme je leprouverai ci-apres, eft-il un principe de vie & d’adlivite dont la deftruc- tion entralne celle de l’Etat. Le refultat de ce Chapitre , c’eft que l’Argent une fois introduit & toujours inegalement par- tage entre les Citoyens, y doit a la longue necef- fairement amener le gout des fuperfluites. La queftion du Luxs-fe red uit done mainte- nant a favoir fi I’inrrodudion de l’Argent dans un Etat y eft: utile ou nuifible. Dans la pofition aftuelle de 1’Europe, tout examen a ce fujet paroit fuperflu. Quelque chofe qu’on put dire , on n’engageroit point les Fran¬ cois ,les Anglois & les Hollandois ajetterleur Or a la mer. Cependant la queftion eft par elle- meme ft curieufe, que le Lecleur confiderera fans doute avec quelque plaiftr , 1’etat different de deux Nations chez lefquelles 1’Argent a, ou n’a pas cours, I TO D E t’ H O M M E , CHAPITRE XII. Du Pays oil l 1 Argent n a point cours. T jL’ Argent eft-il fans valeur dans un Pays ? Quel moyen d’y fairele commerce? Par echange. Mais les echanges font incommodes. Auffi s’y fai:-il peu de ventes, pen d’achats & point d’ou- vrages de Luxe. Les Habitans de ce Pays peu- vent etre fsinement nourris, bien vetus & non connoitre ce qu’en France on appelle ie Luxe. Mais un Peuple fansArgent&fansLuxen’au- roit-ilpas a certains egards queiques avantages fur un Peuple opulent ? Oui fans doute : & ces avantages font teis qu’en un Pays oil Ton ignore- roit le prix de I’Argent, peut-etrenepourroit-on Ty introduce fans crime. . Un Peuple fans Argent, s’il eft eclaire , eft communement un Peuple fans Tyrans (u). Le Pquvoir arbitraire s’etabiit difKciiement dans un Royaume fans canaux, fans commerce & fans grands chemins. Le Prince qui ievefeslmpots en nature , c’eft-a-dire, en denrees, peut r srement foudoyer & raffemfcler le nombre d’hommes ne- ceffaires pour mettre une Nation aux fers. ft) On pourroit dire auffi fans ennemis. Qui fe propo- fera d’attaquer un Pays oil 1'on ne peut gagner que ties coups. On fait d’ailleurs qu’un Peuple , tel que les face- ^eiasnienspar exemple, efi invincible, s’il eft nombreuxa sot? Education. Chap. XII. in Un Prince d’Orient fe fat difEcilcment aflis & foutenu fur le Trone de Sparte cu de Rome naif- fante. Or fi le Defpotifme eft le plus cruel fldau des Nations & la fource la plus feconde deleursmal- heurs , la non-introdu&ion del’Argent qui com- munement les defend de la Tyrannie , peut dene etre regardee comme un fcien. Mais joui/foit-cn a Sparte de certaines com- medires de la vie ? 0 Riches & Puiflans ! qui Ri¬ tes cette quefrion , ignorez-veus queles Pays de Luxe font ceux oil les Peuples font les plus mi- ferables! Uniquetnent cccupes de fatisfaire vos fantai- f>es , vous prenez-vous pour la Nation entiere 1 Etes-vous feuls dans la Nature ? Y vivez-vous fans freres ? O ! homines fans pudeur , fans hu- manite & fins vertu, qui concentrez en vous feuls routes vos affections , & vous crcez fans cede de nouveaux befoins , facnez que Sparte etoit fans Luxe , fans commodity & que Sparte etoit heuteufe ! Seroit-ce en efFet la fomptuofite des ameublemens & les recherchesde la mplieife qui conftituercient la felicite humaine 1 IS y au- roit trop peu d’Heurcux. Placera-t-on le bonheur dans !a delicateffe cle la table ? Mais la differente online des Nations prouve que la bonne chere n’eft que la chere accoutume'e. Si des mets bien apprefes irritent mon appetit & me donnent quciques fenfations agreables, ils tne donnent auffi des pefanteurs , des maladies - & tout campenfe ie tempdrant ell au bout de fan. du moins aulfi heureux que le Gourmand, Qui-~ 112 D E l’ H o m m e , conque a faim & peut fatisfaire ce be,foin , eft content (a). Un homme eft-il bien nouri, bien vetu ? Le furplus de fon bonheur depend de la maniere plus ou moins agreable dont il remplit, comme je le prouverai bientot, Vintervalle qui fepare un befoin Jatisfait d’un befoin. renaifimt. , Or ii cet egard rien ne manquoit au bonheur du Lacedemonien ■ & malgrd J’apparente aullerite de les moeurs , de tous les Grecs , dit Xenophon, c’etoit le plus heureux. Le Spartiate avoit-il fa- tisfait a fes befoins ? Il defcendoit dans l’Arene, & c’eft-la qu’en prefence des Vieillards & des plusbelles Femmes , il pouvoit chaque jour de- ployer dans des jeux & des exercices publics , route la force, 1’agilite, la foupleffe de fon corps, & montrer dans la vivacice de fes reparties toute la jufteffe & la preciilonde fon efprit. Or de toutesles occupations propresa remplir Vintervalle d’un befoin fatisfait au befoin re- naijfant, aucunes qui foient plus agreables. Le Lacedemonien fans commerce & fans argent dtoit done a peu-pres anils heureux qu’un Peuple peut i’etre. J’alfurerai done d’apres l’experience & Xenophon , qu’on peut bannir 1’argent d’un Etat & y conferver le bonheur. A quelle caufe d’ailleurs rapporter la felicitepubiique, fi ce n’eft a la vertu des Particuliers ? Les Contrees en ge¬ neral les plus fortunees font done celles ou les Citoyens font les plus vertueux. Or feroit-ce (a) Le Payfan a-t-il du Lard Sc des Choux dans fon pot? Il ne defire ni la Gelinote des Alpes, ni la Carpe dn Rhin, ni l’Hombre du Lac de Geneve. Aucuns de cesmetsne Jui manquent ni it moi non plus. son Education. Chap. XII. 113 dans Tes Pays oil l’argent a cours que lesCitoyens feroient tels ? CHAPITRE XIII. Qiitls font dans les Pays ou 1' argent net point cours, les Principcs produclifs de la Vertu. IC^Ans tout Gouvernement le Principe !e plus fecona en Vertu eft I’exactitude a punir & a recompenfer les actions utiles cu nuifibles a la Societe, Mais en quels Pays ces actions font-elles le plus exa&ement honorees & punies ? Dans ceux ou la glcire, l’eftime genAale & les avantages attaches a cette e/time , font les feules recotn- penfes connues. Dans ces Pays la Nation eft l’u- nique & juileDifpenfatrice des recompenfes. La confideration generate , ce don de la reconnoif- fance publique, n’y peut etre accordee qu’aux idees & aux adions utiles a la Nation , & tout Citoyen en confequence s’y trouve neceffite a la Vertu. En eft-il ainfi dans unPaysoul’argenta cours? Non : le Public n’y peut etre le feul PofleiTeur des richeffes, ni par confequent l’unique Diftri- buteur des rdcompenfes. Quiconque a del’argent peut endonner , & le donne commundment a la perfonne qui lui procure 1c plus de pluifir. Or ti4 D e j.'H o m M S, certe perfonne n’eft pas toujourslaplus honnete* En eiret fi 1’homnie veut toujours obrenir avec le plus ds furete &; le moins de peine poffible l’objet * 17 . de fes de!;rs, & qu’il fbit plus facile de fe rendre agreable aux Puiffans que recom- mandible au Public , c’eft done auPuiffant qu’en general on veut plaire. Or fi I’interer du Puiffant eft fouvent contraire a 1’interet National, les plus grandes recompenfesferont done en certains Pays fouvent decernees aux adiens qui perfon- nsllement utiles aux Grands, font nuifibles au Public & par confequent criminelles.Voilapour- quoi les richeffes y font ft fouvent accumulees fur des hommes accufes debaffelles , d'intrigues, d’efpionnage, &c. pourquoi les recompenfes ps- cuniaires prefque toujours accordees au vice, * 1 8. y produifent tant de vicieux , & pourquoi l’argent a toujours ete regarde ccmmeunefource de corruption. Je conviens done qu’a la tete d’une nouvelle Colonie, fi j’allois fonder un nouvel Empire , & que je puffe a man choix enfiammer mes Colons de la paffion de la gloire ou de l’argent, c’efr celle de la gloire que je devrois leur infpirer. C’eft en faifant de 1’eftimepublique & des avantages atta¬ ches a cette eftime , le Principe d’adivice de ces nouveaux Citoyens, que je les neceftlterois a la vkrtu. Dans un Pays ou l’argent n’a point de cours , riendepiusfacileque d’entretenir 1’ordre & l’har- monie, d’eneourager les talens & les verms, & d’en bannir les vices. On entrevoit meme en ce Pays la poffibilite d’une Legiftadon inalterable, - Son Education. Chap. XIII. ir$ ee qui fuppofe'e bonne, conferveroit toujours les Citoyens dans le meme etat de bonheur. Cette p jffibiiite difparoit dans les Pays ou l’argent a cours. Peut-etre le Problems d’une Legiflation par- flute &: durable y devient-il trop compliqud pour pouvoiretreencorerefolu.Ce quejefais, e’eft que 1’amour de 1’argent y e'tcuffant tout efprit, toute vertu Patriotique, y doit a la longue en¬ gender tous les vices done il eft trop fouvent la recompenfe. Mais convenir que dans 1’etabliffement d’une nouvelle Colonie, on doit s’oppofer a i’introduc- tion de 1’argent, e’efe convenir avec les Mora¬ lities aufteres du danger du Luxe. Non, c’efl: avouer {implement que la caufe du Luxe, e’eft-a- dire , que le partage trop indgal des richelTes eft unmal. * 19. C’en eft un en effet, & le Luxe efl a certains egards le remede a ce mal. Au moment de la formation d’une Societe l’onpeutfans doute fe propofer d’en bannir 1’argent. Mais peut-on comparer l’etat d’une telle Societe a celui on fe trouvent maintenant k plupart des Nations de l’Europe ? Seroit-ce dans des contre'es a moitie foumifes au Defpotifme , ou 1’argent eut toujours cours , ou les richelTes font de'ja raffembiees en un petit nombre de mains, qu’un efprit fenfeformeroit un pareil projet ? Suppofons le projet execute : fuppofons Tufage & fintrodu&ion de 1’argent defendu dans un Pays. Qu’en refulteroit-il ? Je vais l’examiner. i t 6 D e l’ H o m m e, *.--===—ssSS^3^==—===# CHAPITRE XIV. Des Pays ou l'argent a cours. f' Ies Peuples riches , s’ll eft beaucoup de vicieux , c’eft qu’il eft beaucoup de recompenfes pour le vice.S’ils’y faitcommunement un grand commerce, c’eft que 1’argent y faciliteles echan- ges. Si le Luxe s’y montre dans toute fa pomps, c’eft que la tres-inegale repartition des richeffes produit le Luxe le plus apparent, & qu’alors pour le bannir d’un Etat, ilfaudroit, comme je l’ai defa prouvd, en bannir 1’argent. Or nul Prince ne peut concevoir untel deffein; & fup- pofe qu’il !e concur, nulls Nation dans i’etat adhiel de 1’Europe qui fe pretit a fes deftrs. Je veux cependant qu’humble difciple d’un Mora- lifte auftere, un Monarque forme ce projet & l’execute. Que s’enfuivroit-il ? La depopulation prefqu’entiere de l’Etat. Qu’en France, par exemple, on defende comme a Sparte l’introduc- tion de 1’ax-gent & Pufage de rout meuble non fait avec la Hache ou la Serpe. Alors le Macon, l’Architede, le Sculpteur, le Serrurier de Luxe, le Charron , le Verni/Teur , le Perruquier , l’E- benifte , la Fileufe , l’Ouvrier en Toile, enLaine fine , en Dentelles, Soiries, &c. (a) , abandon- fa) Mais dans cette fuppofidon ces Ouvriers dit-cn , reprendrcientles travaux de la Campagne & t'e feroient son Education. Chap. XIV. 117 neront la France & chercheront un Pays qui les nourifle. Le nombre de ces Exile's volontaires montera peut-etre en ce Royaume au quart de fes Habitans. Or fi le nombre des Laboureurs Sc des Artifans groffiers que fuppofe la Culture, fe proportionne toujours au nombre des Conlcm- mateurs , l’exil des Ouvriers deLuxe entrainera done a fa fuite celui de beaucoup d’Agriculteurs. Les homines cpulens fuyant avec leurs richefTes chez 1’Etranger , feront fuivis dans leur exi! d’un certain nombre de leurs Concitoyens & d’un grand nombre de Domeftiques. La France alors fera deferte. Quels leront fes Habitans ? Quel- ques Laboureurs dont le nombre depuis l’inven- tion de la charrue fera bien moins confiderable qu’il Petit ete lots de la culture a la Beche. Or danscet etat de depopulation &d’indigence, que deviendroit ce Royaume ? Pcrteroit-il la guerre chez fes Voifins ? Non : il feroit fans argent. * 2.0. La foutiendroit-il fur fon Territoire 1 Non : il feroit fans hommes. D’ailleurs la France n’etant pas comme la Suiffe defendue par des Montagnes inacceffibles , comment imaginer qu’un Royaume depeuple, ouvert de toute part, attaquable enFlandre & en Allemagne, put re- poulfer le choc d’une Nation nombreufe ? Il fau- droit pour y relifter que les Francois par leur courage & leur difeipline euffent fur leurs Voi- Cbarretiers ,'Bucherons &c. IJs n’en feroient rien. D’ail¬ leurs ou trouver de remploi dans un Pays deja feurni a peu-pres du nombre de Charretiers & de Bucherons ne- ^eiiaires pour labourer les plair.es 8c couper le bois ? Il8 D E I’ H O M M E fins le meme avantage que lesGrecsavcient jadis fur les Peries, ou que les Francois confervent encore aujourd’hui furies Indiens.Or r.ulle Na¬ tion Europeenne n’a cette fuperiorite fur les autres. La France devaflee & fans argent fercit done expofee au danger prefque certain d’une invafion. Eft-il un Prince qui voulut a ce prix bannir les richeffes & le Luxe de fon Etat ? 4 = =4 CHAPITRE XV. "Du moment oil les richejfesfe retirent d’dies-mimes d'un Empire . SlL n’efr point de Pays ou les richeffes fe fixent & puiffent k jamais fefixer. Semblables auxMers qui tour-a-tour inondent & decouvrent diffe- rentes plages , les richeffes apres avoir porte l’a- bondance tte. le Luxe chez certaines Nations, s’en retirent pour fe repandre dans d’autres Contrees, *2.1. Elies s’accumulerent jadis aTyr & a Sydon, pafferentenfuite a Carthage , puis a Rome. Liles fdjournent maintenant en Angleterre, S ’y arre- teront-elles ? Je l’ignore. Ce que je fais ; c’efl qu’un Peuple enrichi par fon commerce & fon induflrie , appauvrit fes Vcifins & les met a la longue hors d’etat d’acheter fes marchandifes. C’eft que dans une Nation riche l’argent &lea sow Education. Chap. XV. 119 papiers reprefentatifs de 1’argent, fe multipliant peu-a-peu, les denrtes & la main d’isuvre {a) encheriffent. C’eft que toutes (f>) chofes d’ailleurs egales , la Nation opulente ne pouvant fournir fes den~ rdes & marchandifes au prix d’une Nation pau- vre , 1’argent de la premiere doit infenfiblement paffer aux mains de la feconde , qui devenue opulentea fon tour, fe ruine de lamemernaniere. * HI. Telle eft peut-etre la principale caufe du flux & du reflux des richeffes dans les Empires. Or les richeffes en fe retirant d’un Pays ou elles ont fejourne , y depofent prefque toujours la fange de la balfeffe & du Defpotifme. Une Nation riche qui s’appauvrir oaffe rapidement du depe- riffeinent a fa deftrii&ion entiere L’unique ref- fource qui lui refte, feroit de reprendre des moeurs males, les feules eonvenables a fa pau-> vretd. * 2,3, Mais riende plus rare que cePheno- mene moral. L’Hiftoire ne. nous en oflfe point d’exemple. Une Nation tombe-t-eile de la richef- fe dans findigence ? Cette Nation n’attend plus qu’un Vainqueur & des fers. 11 faudroit pour l.’arracher a ce malheur qu’en elle 1’amour de la gloire put remplacer celui de 1’argent. Or des Peupies anciennement polices & commercans (a) La main-d’oeiivre devenue tres-chere chez une Na«* tion riche', cette Nation tire plhs de I’Etranger qu’elle ne lui porte. Elle doit done s’appauvrir en plus ou moins de terns. (b) On fait quelle augmentation fubite apporta dans le prix des denrees le tranfport de 1’Or Americain en tope* 120 D E l’ H o m m e, font peu fufceptibles de ce premier amour , & toute Loi quirefroidiroit eneuxle defir des richef- fes , nateroit leur ruine. Dans le Corps politique comme dans le Corps de l’homme , il faut une ame, un efprit qtti le vivifie &c le metre en adion. Quelle fera-t- eile ? CHAPITRE XVI. Des divers principes d’aclivite des Nations. Y? ,!i Armi les hommes en eft-il fans deftrs ? Prefqu’aucun. Leurs defirs font-ils les memes ? II en eft deux qui leur font communs. Le premier eft celui da Bonheur. Le fecond celui de la Puiffance neceftaire pour fe le procurer. Ai-je un gout ? Je veux pouvoir le fatisfaire. Le defir du Pouvoir , comme je Pai deja prouve eft done necelfairement commun a tous. Par quel moyen acquiert-on du Pouvoir fur ces Con- citoyens ? Par la crainte dont on les frappe, ou par l’amour qu’on leur infpire , e’eft-a-dire , par les biens & les maux qu’on leur peut fair? : & dela la confideration concue pour le fort, ou mechant ou vertueux. Mais dans un pays libre oil l’argent n’a point cours , quel avantage cette confideration pro- cure-t-elle au Heros qui, par exehiple, con- trifcue son Education. Chap. XVL lit. tribue le plus au gain d’une bataille ? Elle lui donne le choix fur les ddpouilles ennemies : elle lui affignepour recompenfe la plus belle Efclave, le meilleur Cheval, le plus riche Tapis , le plus beau Char , la plus Armure. * 24. Dans une Nation libre , la confideration & l’eftime publi— que (a) eft un Pouvoir, & le defir de cette efti- me y devient en confluence un Principe puif~ fant d’adivite. Mais ce Principe mateur eft-il ceiui d’un People foumis au Defpotifme, d’un Peuple 011 l’argent a cours , ou le Public eft fans Puiftance ; 011 fon eftime n’eft reprefentative d’aucune efpece de plaifir & de Pouvoir ? Non : dans un tel Pays , les deux fejils objets du defir des Citoyens font, l’un la faveur du Defpote, Sc l’autre de grandes richeftes, a la poffefiian des- quelles chacan peutafpirer. Leur fource, dira-ton , eft fouvent infefte. L’amour de l’argent eft deftruciif de l’amour de la Patrie , des Talens & de la Vertu. *25. Je le fais : maiscommentimaginer qu’on puiffemepri- fer 1’argent qui foulagera l’homme dans fes be~ foins , qui le fouftraira a des peines & lui procu¬ re ra des plaifirs. II eft des Pays ou l’amour de I’argent devient le principe de Faftivite Natio¬ nal , ou cet amour par confequent eft falutaire. Le plus vicieux des Gouvernemens eft un Gou- vernement fans Principe moteur. * 26. Un Peuple fans objet de defirs , eft fans aftion. I! eft le mepris defes Voifins. Or leur eftime importe plus qu’on ne penfe a fa profperite. * 27. (a) Cette eftime eft reellement un Pouvoir quela Anciens defignoient par le met nutoritas. Tonic II, F iaa D E L’ H O M M E , Eli tout Empire ou l’argent a cours, cii le me- rite ne conduit ni aux honneurs , ni au pouvoir; que Ie Magiftrat fe garde bien d’affbiblir ou d’e- teindre dans les Citoyens le defir de l’Argent 8c c!u Luxe. 11 etoufFercit en eux tout Principe de mouvernent & d’aftion. *£ \V CHAPITRE XVII. De Vargent cohjidere commt Principe . d'cclivitL Tf Ij'Aegeet 8c les Papiers reprefentatifs de 1 Argent facilitent les emprunts. Tous les Gou- vernemens abufent de cette facilite. Par.tout les emprunts fe font multiplies ; les interets fe font groffis. 11 a fallu pour les payer accumuler im- potsfur impots. Leur fardeau accablemainrenant !cs Empires les plus puiffans de l’Europe, & cc jnal cependant n’eft pas la plus grand qu’ait prc- duit le defir & de 1’Argent 8c des Papiers repre¬ fentatifs de cet Argent. L’amour des ricbeiFes nes’erend point atoutes les Claffes des Citoyens fans infpirer ala partie Gouvernante le defir du vol 8c des vexations. * 28 Des tars la ccnftruclion d’un Port, un Arme- ment , une Compagnie de commerce , une Guerre entreprife, dit -011 pour 1’honneur de Lt Nation ; enfin tout pretexte.de la piller eft svi- son Education, Chap. 'XVII tij dement faifi. Alcrs tous les vices enfans de la cupidite , s’intrcduifant a la- fbis dans un Em¬ pire , en infeftent fucceffivement tous ies Membres & Je precipitent enfin a fa ruine T i<) Quel fpecifique a ce mal ? Aucun. Le fang qui porte la nutrition dans tous les tnembres de 1’Enfant, & qui fuccefliyement en developpe toutes les parties , eft un Principe de defh'iuSion. La circulation du fang offifie a la longue les vaifleaux : elle en aneantit les rei- forts, & devient un gertne de mcrt. Cependant qui la fufpendroit en feroit fur le champ puni. La flagnation d’un inftant feroit fume de la perte de la vie.'11 : eh'eft de meme de 1’Argent. Le defife-t-en vivenient ? Ce defir vivifle une Nation , eveille fcif indufsrie , anime fen com¬ merce yaccroitfes riclieffes & : fa -puiffance ; Sc la flagnation fi je I’ofe dire , de ce deiir , feroit tnortelle a certains Etats. Mais les-•riclieffes en abandonnant les Em¬ pires ovrelles fe‘ font d’abbrd’ accurmilees , n’en oceafidnnent-eites pas la ruine, &-tot ou tard raffemttees dans un petit nombre de mains, ne d&achent-elles pas 1’intdrer patriculier de 1’inte- ret public ? Gui fans tidiite; Mais dans la forme actuel des Gouvernemens, peuf-etre ccrtial eft- iT inevitable Pcht-etre eff-ce a cette Epcque qu’uii'Empife s’aff'ihliffant de ‘jour eh jour , tembe iiaiis un aiEiifementprdfiurfeur d 5 urie en- tidfe deftrSiSir.n : peut-Sfrb^eff-ce ainfi qiie doit germed, crpitre, s’ef e\ er &rhourir la Plante raorilenorrsrffe Empire. F % via D e l’ H o m m e T CH A PITRE XVIII. Que ce rieftpoint dans k Luxe, mais dans fa Caufe produclrict, qu on doit chan¬ ger k Principe deftrucleur des grands Empires. UE condure dc l’examen rapide dela ques¬ tion que je traite ? Que prefque routes les accu- fations internees centre le Luxe font fans fonde- ilient ; que de deux elpeces de Luxe citees au Chap. 5. i! en eft un qui toujours FefFet de la trop grande multiplication des hommes & de la forme Delpotiquede leurs Gouvernemens, fup- pofe une tres-inegale repartition des richeffes Rationales ; qu’une telle repartition eft fans doute un grand mal, mais qu’une fois etablie, le Luxe devient, iinon un remede efficace , du meins un palliatifa ce mal. * 0.9. C’eft la ma¬ gnificence des Grands qui reporte journellement 1 ’argent & la vie dans la Gaffe inferieure des Citoyens. L’emportementavec lequella plupart des Mo- raliftes s’elevent contre le Luxe , eft l’effet de leur ignorance. Que cet emportement trouve place dans un Sermon : U11 Sermon n’exige au- oine precifion dans les idees. Ces Ouvrages ap~ plaudis d’un Vieillard ? craintif Sc benevol, font son Education. Chap. -XVIII trop vagues, trap enthoufiaftes & trop ridicu¬ les pour obtenir l’ellime d’un Auditoire eclaire. Ce que le bon fens examine , l’ignorance du Predicateur le decide. Son efpritleger & confiant ne fut jamais dourer. Malheur au Prince qui prc- teroit l’oreille a fes declamations, & qui fans des changemens preambles dans la forme du Gouver- riement,tenteroit de bannir tout Luxe d’une Na- tion,dont i’ameur de l’argent eftleprinciped’ac- civite.Ilaureitbien-tot depeuple fon Pays,enerve i’induftrie de fes Sujets , & jette les efprits daiis une langueur fatale a fa Puilfance. Je fuis content, ft l’on regarde ces idees pre¬ mieres & peut-etre encore fuperflitielles qu’oc- cafionne la queftion du Luxe, comme un exem- ple des points de vue divers fous Iefquels on doit ccnfide'rer tout probleme important & compli- quedela Morale . + 30. Si 1’on fenttoute influence que doit avoir fur le bonheur public la folu- tion plus ou moins exadte de pareils Prob'emes, & la fcrupuleufe attention qu’on doit par confe- quent porter a leur examen. Qui fe declare protefteur de i'ignorance, fe declare done 1’ennemi de l’Etat, & fans le favoir commet le crime de leze humanite. Chez tous les Peuples il e/i une dependance reciproque entre la perfeflion de la Legifiation & les progres de l’efprit humain. Plus les Ci- toyens feront eclaires , plus les Leix feront pgr~ faites. Or e’eft de leur feule bonte, comme je vais le prouver, que depend la felicite publique. Il6 B E l’H 0 M M E, , j.—-— NOT E S. i,La haine d’up Peuple ijjnorjnt poat Papplic*- tion , s’etend jufqu’a fes arnafernens. Aime-t-il le jour ? IJ ne joue que les jeux de hazards. Ai- me-t-il Ies Opera ? C’eft pour ainfi dire, des Pee- mes fans parole qu’il demande. Peu lui impcrte que fon efpric foit occupd : il I'uffic que fes oreil- les foient frappees defons agreables. Entre tpqs ]es pi :ifits ceux- qu’il prtfere font ceux qui ne fuppcfentni efprit, ni connoiffance. i. En Angloterre jy urquoi les Grands forit-ils en general plus eckires qu’en tout autre Pays ? Cell qu’ils ont inter^t- de l’£tre. En Portugal au contrairfej p.cufguoi fent-ilsfi fouvent ignorans & ftupides? C’eftque nulim-eret ne les ncceftite as’infttuire. - La Science des premiers eft celle del’homme & du Gouvernement, Celle des Secondes, eft la Science du Lever, du Coucher & des Voyages du Prince. Mais les Anglcis ont-ils porte dans la Morale & la Politique les lumieresqu’ondevoit atrendre ,d’im Peuple auffi iibre' ? J’en doute. Enivrds de Jeurgloire, les Angiois ne foupconnent point de de'faut dans leur poyvernementadhiel. Peyt-etre JesEcrivains Francois ont-ils eu fur cet objet des vues plus profondes & plus etendues. II eft deux caufes de cet e/Fet. La premiere eft l’Etat de la France. Le mat- son Education. Notes. t heur n’eft - il pas encore excefllf en un Pays ; n’a-t-il pas entierement abattu les efprits? II les eclaire & devient dans l'homrne un principe d’aclivite. Souffre-t-on ? On veut s’arracher a la douleur, & ce defir eft inventif. Lafeconde eft peut-etre le peu de liberte dont jouiffent en France les Ecrivains. L’homme en place fait-il une injuftice, une be'vue, il faut la relpefter. La plainre eft en ce Royaume le crime le plus puni. Y veut-on ecrire fur les marieres d’adminiftration ? Il faut pour cet efret remonter en Morale & en Politique, jufqu’a ces principe? fimples & gdneraux dont le developpement in- dique d’une maniere eloignte , la route que le Gonvernement doit tenir pour faire le bien, Les Ecrivains Francois ont prefente en ce genre les idees les plusgrandes & les plus etendues. l!s fe font par cette raifon rendus plus univerfellement utiles q ue l es Ecrivains Anglois. Ces derniers n’ayant pas les nftmes motifs pour s’elever a des prirxipes gyneraux & premiers, font de bons Ouvrages , mais prefqu’uniquement applicables a la fonne particuliere de leur Gouvernement, aux circonftances prefentes & enfin a Falfaire du j our. 3. Il n’eft point a Londres d’Ouvrisr, de Por- teur de chaife qui ne life les Gazettes , qui ne foupconne la venalite de fes Reprefentans & ne croie en confequence devoir s’mftruire de fes droits en qualite de Citoyen. Aufii nul Membre du Parlerr.ent n’oferoit y propofer une Lei di- reSemsnt contraire a la liberte Nationale. S’il le faifoit, ce Membre cite par le parti de l’op- F 4 tag D e l’ H o m m e, pofition & les Papiers publics rievant le Peuple, ieroit expofe a fa vengeance. Le Corps du Parle- ment efl done contenuparla Nation. Nul bras maintenant affez fort pour enchamer un pareil Peuple. Son afterviflement eft done eloigne. Eft- il impoflible ? Je ne I’afTurerai point, peut-etre fes immenfes rkheffes prefagent - elles dej'a cet evenement futur. 4. Le dernier Roi de Danemarc doutoit fans contredit de la legitimite du pouvoirDelpotique, lorfqu’il permit a des Ecrivains celebres de dif- cuter a cet egard fes droits , fes pretentions, & d’examiner les limites que l’interet public devoit mettrea fa Puiffance. Quel magnanimite dans un Souverain ! Son Autorite en fut - elle affciblie ? Non ; & cette noble conduite qui le rendit clier a fon Peuple doit a jamais le rendre refpedable a I’humanite 5. Dans les Siecles heroiques ; dans ceux des Hercules, desThefees, des Fingals, c’dtoit par le den d’un riche Carqucis, d’une Lpde l ien trempee , ou d’une belle F.fclave qu’on rccom- penfoit les vertus des Cuerriers. Du terns de Manlius Capitolinus c’etcit un aggrandiftant de deux acres les Demaines d’un Eeros que la Pa- trie s’acquittcit envers lui. La dixme d’une Pa~ roifle aujourd’hui cedde au plus vil Moine efit done jadis ete la recompenfe d’un Scevola on d’un Horace Codes. Si e’eft en argent qu’on paie aujourd’bui tous les fervices rendus a la Patrie , e’eft que l’argent eft reprefentatif de ces anciens dons. L’amour des fuperfluites fut en tout terns e moteur de l’homme, Mais quelle maaiered’ad- sow Education. Notes . 12.9 mtniftrer les dans de la reconn'oiffance publique & quelle efpece de fuperfluites faur il preferer pour en tv ire la recompenfe des talens & de la verru ? sjeft un Probleme m oral egalement di- gne de 1’attention du Miniftre & du Plnbfophe. 6. De grandes richeffes font - elles repartics entre un grand nombre de Cito)’.ens ? Chacun d’eux vit dans un ecat d’aifance & de Luxe par rapport auxCitoyens d’une autre Nation, &: n’a cependsnt que peu d’argent a mettre encequ’on appel'e magnificence. Chez un tel Peuoie leLuxe eft, ft j’ofe le dire, National, mais peu apparent. Au contraire dans un Pays oil tout l’argent eft raflf mbie dans un petit nombre de mains , cha¬ cun des -Riches a beaucoup a mettre en fomp- tuofite. Un tel Luxe fuppofe un partage rres - inegil des richeffes de 1’Etat &: ce partage eft fans dome une calamite publique. En eft—il ainfide ce Luxe National qui fuppofe tous les Citovens dans un certain etat d’ailance & par confequent un par¬ tage a - peu-pres egal de ces memes richeffes ?' Non : Ce Luxe loin d’etre un roalheur eft ua bien public. Le Luxe par confequent n’eft point: en lui-meme un m l. 7. On pent an nfmbre & fur-tout a fefpece de Manufactures d’un Pays jnger de la'maniere dont les richeffes y font reparties. Tons lesCi— toyens y font-i!s aifes 2 Tous veulenr etre biers vetus. Il s ? y etablit en confequetrce un grand; nombre de Manufa&ures ni trop fines ni trog> groflieresi. 150 D e .l’ Homme," Lesefto-fres ea font lo;ides, durables-& bien frappees,p.rce que les Citoyens font pourvus de l’argent necelFaire pour fe vltir, mais non pour changer fouvent d’habirs. V argent d’un Royaume eft - il au contraire raffemble dins-tin petit nombre de mains? La plupart des Citoyens flangui/fent dans la mifere. Or 1’indigent ne: s’habilie point & pluueurs des manufactures dont nous v.enons de parler, tom- bent. Que fubftitue-t - on a ces etab'iiTemens ? Quelques manufactures d’etoffes riches, brillan- tes Sc peu durables ; pirce que I’npulence hon- teufe rt’ufer un habit, veut en changer fouvent. C’eii ainfi que tout fe-tient dans uti Gcuverne- ■ment, 8. Lorfquepe voio, difoitun.grand Roi, deli- cateffe & profufion fur la table du Riclie, dit Grand & da Princep'eibtipconne difettefur celle du Feuple. Or j’aime a favoir mes Sujeta bien nour is,bien vetius.'Je ne tolere la pauvrete qu’a la tete de mes Regimens. La pauvrete eft brave, ■aftive, inteliigents, psrce quelle eft avide des richeites, parse qu’e’le pourfnit 1’Or .i traversles dangers, .parce que l’botnme eft plus hard! pour conquerir que p: ur conferver, Sc le voleur plus courageux que le Marchand. Ce dernier eft plus opulent, il appreScie mieu-S la vraie valeur des richelies : le voleur s’en exagere toujours le prix. : <>. L’Angleterre a pen d‘.'-endue & route 1’Eu¬ rope la relpeCte. ’ (juel’e preuve plus aifurde de la fagaffe de fdn adminiftrafion , dfc l’alfance, du courage des Peoples, enfinde ce boiiheur Natio* son Education. Notes. 131 nalque les Legiflateurs & les Philofophcs fe pro- pofcnt de procurer aux hommes, les premiers par lesLoix, les feconds par leursEcrits. 10. La depeofc& la confommation d’hommes cccafionnee par le Commerce, la Navigation & l’extrcice de certains Arts eft, dit-on, tres-confi- aetable. Tant mieux : il faut pour la tranquillity d’un Pays tres-peup'e , cu que la depenfe en ce genre foit, ft je I’ofe dire, egale a la recette, on ' que l’Etat prenne, comme en Smile, le parti de confcmmer dans des guerres etrangeres le fur- plus de fesHabitans. 11 . On a dit du Luxe qu’il augmentoit l’in- duftrie du Laboureur : Ton a dit vrai. Le Labou- reur veut- i! Lire beaucoup d’echanges, il eit oblige pour cet effet d’ameliorer fon champ & d’augmenter fa recolce. 12 . De la fomrne des Impots mis fur IesPeti- ples, une partie eft deftinee a l’entretien & k I’amufement particular du Souverain; maisl’au- tre doit etre en entier appliquee aux befoins de l’Etat. Sile Prince eft Proprietaire de la premiere partie, il n’eft qu’Adminiftrateur de la feconde. 11 peut etre liberal de Fune, il doit-etre econcme de 1’autre. Le Trefor public eft un depot entreies mains duSouverain. Le Courrifan avide donne,jelefajs, le nom de generofite a- la diffipation de ce depot: mais *ePrince qui le viols, cc-mmet une injuftice & un vol rdel. Le devoir d’un Monarque eft d'e¬ tre avare du bien de les S'ujets. « Je me croirois » indigne duTrone, difoit mi grand Prince 3 p ft dfpofkdre de la recette des Impots , j’ca F 6 xja D e l’ H o m m e , » diftrayois une feule penfion pour enrichir un » Favori ou un deLteur. » L’emploi legitime de teute taxe levee pour fubvenir aux befoins de l’Etat , eft le paiement des Troupes pour repcuffer la guerre au dehors, &le p dement de la Magiftrature pour entrete- nir la paix & l’crdre au dedans. Tibere Iui-meme repetcir fouvent a fes Favo- ris : « Je me garderai bien de toucher au Trefor » public. Si je l’epuifois en folks dtpenfes , il » faudroit le remplir, & pour cet effet avoir » recours a des moyens injuftes, le trone enfe- » roit ebranle. » 13. A quel ftgne reconnoit-on le Luxe vrai- ment nuilible ? A l’efpece de marchandife etalde fur les boutiques. Plus ces marchandifes font riches, moin il y a de proportion dans 1 for¬ tune des Citoyens. Or cette grande proportion toujours un malen elle-meme, devient encore un plusgrand mal pour la multiplicity des gouts qu’elle engendre. Ces gouts contraries, onveut les fatisfaire. Il f.ut a cet effet d'immenfes tre- fors. Point de bornes alors au delir des richeffes, Pden qu’on ne faffe pour les sequent. Vertu , Honneur, Patrie, tout eft facrihe a l’amour de I’argenr.. Dans les Pays aucontraire cu Ter. fe contente du neceffaire, 1’on eft heureux & l’on peut etre vertueux. Le Luxe excefllf aui prefque par-tout accom- pagne !e Defpotiftrte, fuppofe une Nation deja parte gee en oppreffeurs & en opprimes, en vo— kurs.de en yoles, Aiais ft les voleurs ferment, la SON EDUCATION. Notes. IJ2 plus petit nombre , pourquoi ne fuccombent-ils pas feus les efforts des plus grinds ? A quoi doi- vent-i!s leur falut ? A l’impoffibilitd ou fe tr ju- vent les voles de fe dormer le mot & de fe raf- fembler le meme jour. D’ailleurs roppreifeur avec l’argent d'ja pille peut toujours foudoyer une Armee pour combattre les epprimes &c les vaincre en detail. Audi le pillage d’une Nation foumife au Def- potifme continue-t-il jufqu’a ce qu’enhn le de- peuplemenr, la mifere des Peuples ait egalement foumis 8 c levcleur & le vole mijoug d’un Voifin puilfant. Une Nation n’eft plus en cet F.tat com- pofee que d’indigens fans courage , & de bri¬ gands fans juftice. Elle eft avilie & fans vertu. II n’en eft pas ainfi dans un Pays ou les ri- eheffes font a-peu-pres egalement reparties entre les Citoyens, ou tous font aifes p. r rapport aux Citoyens des autres Nations. Dans ce Pays nul homme aflez riche pour fe foumettre fes compa- triotes. Chacun contenu par fon Voifin eft plus occupe de conferver que d’envahir. Le defir de la confervation y devient done le vccu general & dominant de la plus grande & de la plus riche partie delaNation. Or e’eft, & ce delir, &l’etat d’aifancedes Citoyens , & le refpecl de la pro- prietd'd’aucrui quichez tous les Peuples, feconde les germes de la vertu,de la juftice,&du bonheur. C’eft done a la caufe produclrice d’un certain Luxe qu’il faut rapporter prefque toutes les ca¬ lamity qu’on iui impute. 14. Les Courtifans , dit-on , fe modelent fur le Prince, Meprife -1 - ii le Luxe & la molleileL 1^4 D e i’H o ?,r m e , I.’un & l’autre difpsrajfient : cui; pour le mo¬ ment. Mais pour opcier un changement du¬ rable d ins les mceurs d’un Peuple, ce riefl p is aflez de t’exemple ou de l’crdre du Souverain. Cet ordre ne transforme pas un Peuple de Sy¬ barites en un Peuple robufte , laborieux & var¬ iant. Ceil l’ceuvre des Loix. Qu’elles impotent tous les jours le Citoyen a quelques heures d'un t-ravsil pinible , qu’eilcs I’abilgent de s’expofer tous les jours it quelque pent danger , dies lc rendront a la longue robufte & brave ; pares qne la force & le courage , difent le Roi de Pruffe Sc Vegece, s’acquierent par l’liabitudedu travail & du danger. I 5 . Dans un Pays litre , la reunion des ri- chefies Nationales en un certain notnbre de mains fe fair lentement : e'eft 1’oeuvre des Sie- des , ms is a mefure qu’elie fe f it, le Gouver- nement tend au Pouvoir arbitraire , par conie- quent a fa diff Union. L’Etat cle Rapubiique eft l’age viril d’un Em¬ pire pie Defpotifnae en eft la vieilleiie. L’Empire eft-il vieux '{ Raremenc il rajeunit. Les Riches ont-ils foudoye une partie de la Nation 1 Avec cette pa.rcie ils niumettent l’autre au Defpotifnae Ariftocratique on Menarchique. Propofe-t-on quelques Loix nouvelles d'ns cet Empire ? Tou- tes font en fitveur des Riches & des Grands; £t:~ cune en f iveur du Peuple. L’efprirdeLegift. ti< n fe e rrompt & fa corruption annonce la chute de 1 ’Etar. i b. Rien a ce fujet de plus contradifioire cue les opinions des Moralities. Convicnnent-ils de la neceflitu &. cle 1 ’utilite du commerce en cei- son Education. Notes. 13 tains Pays ! IIs veulent en mime terns y intro- duire une aufterite de maurs incompatible avec l’efprit commercant. En France le Mcralifte qui le matin recom- mande les riches Manufactures aux foir.s du Gouvernement, declame le fcir centre le Luxe , les Spectacles & les mceurs de la Capitale. Mais quel eft fobjet du Gouvernement, lorfqu’il perfeftbnne fes ManufeSures , lorf- qu’il etend fen Commerce ? C’eft d’attirer chez lui 1’argent de fes Voilins. Or qui doute que les mceurs , les amufemens de la Capitale, ne con- courent a cet effet ? Que les Spectacles , les A&rices, les Dcpenfes qu’elles font & font faire aux Etrangers, ne foient une des parties les plus lucratives du commerce de Paris ? Quel eft done, 6 Moralities, l’cbjetde vos declamations contradisftoires ? 17. Qu’on ne s’etonne point de Fextrlmc amour des hommespourl’argent. UnPhencmene vraiment furprenant feroit leur indifference pour les richeffes, 11 faut en tous Pays ou 1’ar- gent a cours, ou les richeffes font i’echange de tous les plaifirs, que les richeffes y foient atiffi vivement peurfuivies que les plaifirs memps dont elles font representatives. II faut la naif- fance d’un Lycurgue & la prohibition de Fargent pour eteindre chez un Peuple 1’amaur des ri¬ cheffes. Or quel cqneours ftngulier de circonf- tances peur former & ce Legiflateur & le Peu¬ ple propre a recevoir fes Loix ! 18. Du moment ou les Honneurs ne font phis le prix des actions honnetes. les tuaurs fe cot™ 13 6 D E £’ H O M M t, rompent. Lors de l’arrivde du Due de Milan i Florence, le mepris , dit Machiavel, etcit le partage des vertus& des talens. Les Plorentins Ians efprit & fans courage etcient entidrement degeneres. S’ils cherchcient a fe furpaffer les uns les autres , e’etoit en magnificence d’ha- birs , en vivacites , & d’exprefiions & de repar¬ ties. Le plus S'atyrique ercit chez eux repute Ie plus Spirituel. Y auroit-i! maintenant dans P£u- rope quelque Nation dont le tourd’efprit re/iem- bia.t a celui des Floreritins de ce tema-la. 19 . Ce n’eft point dans la maii'e plus ou moins grande des richeffes Nationales, mais de leur plusou moins inegale repartition que depend lebonheur ou le malheur des peuples. Suppol’ons qu’on aneantiffe la m.'itie des richelies d’une Nation , fi 1’autre moitie eft a-peu-pres eg. le- ment repartie entre tous les Citoyens , I’Etat fera prefqu’egalement heureux & puiiianr. De tous les commerces le plus avantageux a chaque Nation eft celui dont les profits le par- tagent en un plus grand nembre de mains. Plus on ccmpte dans un Etat d’bcmmes fibres , inde- pendans & jcuiffans d’une fortune mediocre, plus l’Etat eft fort. Audi tout Prince fage , n’a- t-il jamais accable fes Sujets d’impors , ne les a-t-il jamais piive de leur aifance , & n’a-t-il en- fin jamais gene leur liberte, ou par trop d’efpio- nage , ou par des Loix trop ft veres &_ trop in¬ commodes de Police. Un Monarque qui ne refpeete ni 1’aifanee ,.nr la literte de fes Sujets voit leur ame fierrie lan— guir dans finer tie. Or cette maladie des Efprits eft d’autant plus facheufe qu’elle e.(t commune- son Education. Notes. xyf ment deja incurable alors qu’elle eft appercue. ao. A-t-on defendu l’introdudion de Pargent dans une Nation ? 11 faut ou que cette Nation adopte les Loix de Sparte ou qu’elle refte expo- fee a l’invafion de les Voifins. Quel moyen a la longue de leur reftfter ft pouvant etre tou- jours attaquee, elle ne peut les attaquer ’ Dans tout Etat, il faut pour repoufter la guerre maintenant li difpendieufe , ou de gran¬ ges richelfes, ou la pauvrete , le courage & fa Difcipline des Spartiates. Or qui fournit de grandes richelfes au Gou- vernement ? De grolfes taxes levees fur le fu- perflu & non fur les befoins des Citoyens, Que fuppofent de grolfes taxes ? De grandes con- fommations. Si PAnglois vivoit comme l’Efpa- gnoldepain, d’eau & d’oignons, l’Angleterre bientot appauvrie & dans l’impofllbilite de fou- doyer des Flottes & des Armees, celferoit d’e¬ tre refpectee. Sa Puilfance aujourd’hui fondee fur d’immenfes re venus & de gros impots , fe- roit encore detruite , ft ces impots , comme je 1’ai deja dit, fe levoient fur les befoins & non fur l’aifance des Habitans. Le crime le plus habituel des Gouvernemens de 1’Europe eft leur avidite a s’appropier tout l’argent du Peuple. Leur foif eft infatiable. Que s’enfuit-il? Que les Sujets degoutes de l’aifance par l’impolfibilite de fe le procurer font fans emulation & fans honte de leur pauvretd. De ce moment la confommation diminue, les terres reftent en friche, les Peuples croupilfent dans D e l’ H o m m e, la pareffe & Findigence, parce que l’amour des richefles a pour bafe : I Q . La poffibilite d’en acquerir. a°. L’affurance de les conferver. 3°. Le droit d’en faire ufage. 2 . 1 . Suppofons que la grande Bretagne atta» que l’Inde,lj depouille de fes trefors & les tranf- portea Londres , les Anglois eront alors Poflef- ieurs d’immenfes richeffes. Qu’en feront-ils ? Ils epuiferont d’abord 1’Anglererre de tout ce qui peut contribuer a leurs plaifirs ; ils tireront enfuite de l’Etranger les Vins exquis , les Hui- les, les Cafes, enfin tout ce qui peut flatter leur gout; & toutes les Nations entreront en partage des trefors Indiens. Je doute que des Loix fomp- tuaires puiflent s’oppofer a cette difperfion de leurs richefles. Ces Loix toujcurs ficiles a elu- der donnent d’ailieurs trap d’atteinte au droit de propriete , le premier & le plus facie des droits. Mais quel moyen de fixer les richeffes dans un Empire 1 Je n’en connois ancun. Le flux &. re¬ flux de l’argent font dans le Moral 1’efFet de eaufes aufii conftantes, auffi neceffaires & auffi puiffantes que le font dans le Phyfique Ie flux Sc reflux des mers. 24. Rien de plus facile a tracer que les divers degres par lefqjiels une Nation paffe de la pau- vrete a la richeiie , de la richeffe a l’inegal par¬ tage de cette richeiie, de cet illegal partage au Defpotifme & du Defpotifme a fa ruine, Un hommepauvre s’applique-t-il au Commerce, s’a- donne-t-i! a 1’Agriculrure, fait-il fortune? 11 a son Education. Notes. 139 des Imitateurs. Ces Irnitateurs fe font-ils enri- chis ? Leur nombre fe multiplie , & la Nation entiere fe trouve infenfiblement animee de l’ef- piit de travail & de gain. Alors fon induftrie s’e'veille, fon commerce s’etend ; eile crcit ch 2 - que jour en richeffes& en puiffance. Mais ft fa richeffe &fa puiffance fe re'uniffent infenfible¬ ment dans un petit nombre de mains, alors ie gout du Luxe 3c des fuperfluites s’emparera des Grands ; parce que fi Ton en excepte quelques avares, 1’on n’acquiert que pour depenfer. L’s- mour des fuperfluites irritera dans ces Grands la foif de l’Or & le defir da Pouvoir; ils voudront commander en Defpotes a leurs Concitoyens. Ils tenteront tout a cet elTet j & c’eft alors qu’a la fuite des richelTes , le Pouvoir arbitraire s’in- troduifant peu-a-peu chez un Peuple , en ccr- rompra les mceurs & l’avilira. Lurfqu’une Nation commercante atteint le neriode de fa grandeur, 1c mime defir du gain qui fit d’abord la force & fa puiffance , devient ainfi la caufe de fa mine. Le Principe de vie qui fe developpant dans un Chene majeffueux, e'leve fa tige , etend fes branches, groffit fon tronc & le fait re'gner fur les firsts, eft le Principe de fon deperiffement. Mais en fuipendmt dans les Peoples le deve- loppement trop rapide du delir de l’Or, ne pourroit-on prolcnger la duree des Empires ? L’on n’y parviendroit, repondrai-’e , qu’en af- foiblilfant dans les Citoyens l’amcur des richef- fes. Or qui peut affurer qu’alors les Citoyens ne tombaffent point dans cette par die Efpagncle } T 40 D E l’ H o m m e , la plus incurable des maladies Politiques, 13. Les vertus de la pauvrete , font dans une Nation l’audace , la fierte, la bonne foi , la ccnf- tance, enfin une forte de ferocite noble. Elies font chez des Peuples nouveaux 1 'efFet de l’ef- pece d’egalite qui regne d’abord entre tous les Citoyens. Mais ces vertus fejournent-elles long- terns dans un Empire ? Non : elles y vieilliffent rarement, & la feule multiplication des Habi- tans fuffit fouvent pour les en bannir. 14. Point de taftns & de vertus que ne cree dans un Peuple l’efpoir des Honneurs decernes par l'eftime & la reconnoiffance publique. Rien que n’entreprend le defir de les meriter & de les obtenir. Les Honneurs font une monnoie qui hauffe & bailie felon le plus ou le moins de juft tice avec laquelle on la diftribue. L’interet pu¬ blic exigeroit qu’on lui confervat la meme va- leur & qu’on la aifpenfat avec autant d’equite que d’economie. Tout Peuple fage doit payer en Honneurs les fervices qu’on lui rend. Veut-il les acquitter en argent ? II epuife bientot fon tre- for , & dans l’impuiffance alors de recompenfer le talent & la vertu, l’un & l’autre eft etouffe dans fon germe. 2.5. L’argent eft—il devenu l’unique Principe d’adlivite dans une Nation? C’eft un mal. Je n’y connois plus de remede. Les re'compenfes en na¬ ture feroient fans doute plus favorables a la pro- dudion des hommes vertueux. Mais pour les propofer que de changemens a faire dans les Gouvernemens de la plupart des Etats de l’Eu- rope! son Education. Notes. 141 16, A quelle caufe attribuer l’extreme Puif- fance de FAngleterre? Au mouvement, au jeu de routes les paffions contraires. Le Parti de l’Op- poiirioti excite par l’ambition , la vengeance ou 1 ’amour de la Patrie, y protege le Peuple contre la Tyrannic. Le Parti de la Cour anime du defir des places , de la faveur ou de l’argent, y fou- rient le Miniftere contre les attaques quelque- fois injukes de l’Oppofition. L’avarice & la cupidite toujours inquietes des Commercans^y reveillent a chaque infiant l’in- dullrie de l’Artifan. Les richeffes de prefque tout l’Uni vers font par cette induftrie tranfportees en Angleterre. Maisdansune Nation aulli riche, aulli puilfante, comment fe flatter que les divers partis fe conferveront toujours dans cet equiii- bre de force qui maintenant alfure fon repos & fa grandeur ? Peut-etre cet equilibre eft—il tres- difficile a maintenir. On a pu faire jufqu’a pre- fent aux Anglois l’application de cette Epitaphe du Due de Devonshire, fidele fujet des bo ns Rois, ennemi redoutable des Tyrans. Pourra- t-on toujours la leur faire ? Heureufe la Nation de qui M. de Gourville a pu dire; SonRoi, lorft qu’il eft Vhomme de fon Peuple , eft le plus grand Roi du Monde ; veut-il etre plus ? II n’eft rien. Ce mot repete par M.Temple a Charles II, irrita d’abord l’orgueil du Prince : mais revenu a lui-meme, il ferra la main a M. Temple & dit: Gourville a raifon ; je veux etre Vhomme de .mon Peuple. 2.7. C’eftl’efprit de juiverie d’un Metropole qui fouyent porte le feu de la revoke dans fe? 142. D E L’ H O M M K, Colonies. En traite-t-e!ie les Colons enNegres? Ce traitement les irrite. S’ilsfbtit nombreux,ils lui refiftent & s’en feparent enfin comme le fruit mar fe detache de fa branche. Pour s’affurer 1’amour & la foumiffion de fes Colonies , une Nation doit etre jufte. Elle doit fouvent fe rappeller qu’elle ne tranfporte dans des Terres etrangeresqu’unfuperfludeCitoyens qui lui eut ere a charge ■ qu’elle n’eftpar confe- quent en droit d’exiger d’eux , que des fecocrs en terns de guerre & la fig nature d’un Traits federatif auquel fe foumettront touj ours les Co¬ lonies , lorfque la Metropole ne voudra pas s’ap- proprier tout le profit de leurs travaux, 2.8. Dans tout Pays ou 1’argent a cours, il faut qu’a la longue la maniere inegale dont t’ar- gent s'yrepartit, yengendre la pauvrete gene- rale. Or cette efpece de.pauvrete efi: merede la depopulation. L’indigence feigns peu fes en- fans , lesnourrit mal, en elevepeu. J’en ritersi pour preuve, & les .Sauvages du Nerd de PAm-f- rique & les Efclaves des Colonies. Le travail exceffif exige des Negrefies enceintes; ,le pen de foin qu’oTt ypren'd d’elles: erifin le Befpo- tifme du Maitre, tout concourt a leur fteriiite.' En Amdrique fi les Jefuites etoient les feufs: chez qui la reproduction des Negres fut a pen pres egale a la confommation, c’efl due Matrres; plus echires, sis fatiguoienr & maltraitoiensr ni oins leurs Efclaves. Un Prince traite-t-il.msl fes.Suiets ? Les acca- fele-t-il d’Impots ? II depeuple foil Pays, en- gourdit Fa&ivite des Habitans; pares queTe’x-' son Education. A t oA\?. 145 treme mifere produit neceffairement le deccura- gement, & Is decouragement la pareffe. 2,9. Une trop inegale repartition des richefTes Nationales precede & produit toujours !e gout du Luxe. Un particulier a-t-il plus d’argent qu’il n’en faut pour fubvenir a fes belbins ? II fe livre a l’amcur des fuperfluites. L’ennemi du Luxe dcit done chercher dans la caufe meme du par- tage trop inegal des richelles & dans la deftruc- tion du Defpotifme , le remede aux maux dont il accufe le Luxe &que reellement le Luxe, feu- lage. Toute efpece de fuperfluites a fa caufe produtdrice. Le Luxe des chevaux preferable a celui des bijoux & particulier aux Anglois , eft enpartie 1 ’eiFet du long fejour qu’ils font dans kurs Cam- pagnes. Si tous les liabitent, e’eft qu’ils y font, pour ainfi-bire, neceffites par la ccnftitution de leur Etat. C’eft la forme des Gouvernemens qui dirige ct’une maniere invifible jufqu’aux gouts des Par- ticuliers. C’eft toujours aleurs Loix que les Peu- pies doivent leurs moeurs & leurs habitudes. 30. On ne peut trep fcrupuleufement exa¬ miner toute queftion importante de Morale & de Politique. C’eft, li je I’ofe dire, au fond de 1 ’examen que fe trouve la Science & la Verite, E’Or fe ram.afTe au fond des Areufets. 144 I) E L’ H O M M E y SECTION VII. Les vertus & le bonheur d’un Peuple font 1’effet, non de la faintete de fa Religion, mais de la fagefie de les Loix. CHAPITRE I. Du peu d'influence des Religions fur les vertus & la felicite des Peuples. JO'E S hommes plus pieux qu’eclaires ont ima¬ gine que les vertus des Nations, leur humanite & la douceur de leurs moeurs dependoit de la purete de leur Cuke. Les Hypocrites interefies a propager cette opinion l’ont publiee fans la croire. Le commun des hommes l’a crue fans examiner. Cette erreur une fois annoncee a prefque par- tout ete recue comme une verite con/hmte. Cependant l’experience & l’Hiftoire nous ap- prennent que la profperite des Peuples , depen¬ dent , non de la purere de leur Culte, mais de 1’excellence de leur Legiflation. Qu’importe en efFet leur croyance ! Celle des Juifs etoit pure, & les Juifs etoient la lie des Nations son Education. Chap. I. 14$ Nations. On ne !es compara jamais ni aux Egyp¬ tians , ni aux anciens Perfes. Ce fut fous Conftantin que la Religion chre- tienne devint la Religion dominance. Ellene ren- d ra cependant point les Romains a leurs premie¬ res vertus. On ne vit point alors de De'cius fe devouer pour la Patrie & de Fabricius prefe- rer fept acres de terres aux riclieftes de FEm¬ pire. En quel moment Conftantinople devint il 1 c cloaque de tons les vices ? Au moment meme de l’etabliffement de la Religion chretienne. Son culte ne changea point les mceursdesSouverains. Leur piete ne les rendit pas meilleurs. Les Rois les plus chretiens ne furer.t pas les plus grands des Rois. Peu d’entr’eux montrerent fur le Tro- ne les vertus des Tites, des Trajans, des Anto¬ nins. Quel Prince devot leur fut compa¬ rable ! Ce que je Yds des Monarques, je le dis des Nations. Le pieux Portugais ft ignorant & ft credule, n’eft ni plus vertueux , ni plus hu- main , que le Peuple moins credule & plus tole'- rant des Anglois. L’intolerance Religieufe eft file de l’ambition Sacerdotale & de la ftupide credulite Elle n’ame- liorera jamais les hommes. Avoir recours a la Superftition, a la Credulite & au Fanatifmepour leur infpirer la bienfaifan.ee, e’eft jetter de l’huile fur le feu pour l’eteindte. Pour adoucir la ferocite humaine & rendre les hommes plus fociables entr’eux il faut d’abordles rendre indifferens a la diverftte des Cultes. Les T*me II, & 14^ D E t’ H O M M E , Efpagnols moins fuperftitieux euftent ete moins barbares envers les America ins. Rapportonsnous-en auRoi Jacques. Ce prince dtoit bigot & connoiffeur en ce genre. II ne croyoit point a l’humanite des Pretres. « 11 eft » tres-difficile,difoit-il,d’etre a la fois bon The'o- » logien & bonSujet ». En tout Pays beaucoup de gens de la bonne dcdrine & pen de vertueux. Pourquoi ? Celt que la Religion n’elr pas vertu. Toute croyance & meme tout principe fpeculatif n’a pour 1’ordi^ rsaire aucune influence fur la conduite * i. Sc la probite des hommes (u). Le Dogme de la fatalite eft le Dogme prefque general de I’Grient: c’etoit celui de Stotciens. Ce qu’on appelle liberte ou puiflance de dJlibe- rer , n’eft difoient-ils , dans I’homme, qu’un fentiment de crainte ou d’efperance fuccellive- ment eprouvd, lorfqu’il s’agit de prendre un parti du choix duqnel depend fon bonfceur ou fan malheur. La deliberation eft done toujours en nous Feffet neceffaire de notre haine pour la douleur & de notre amour pour le plailir. * a, Qu’on confulte a ce fujet les Theologiens. Un tel Dogme , diront-ils , eft deftruftif de toute vertu. Cependant les Stotciens n’eroient pas moins vertueux que les Philofophes des autres Seftes : cependant les Princes Turcs ne font pas moins fideles a leurs Traites que les PrinceslCa- tholiques : cependant le Fatalifte Perfan n’eft (a) En montrant 1 ’inutiiite de la predication Papiile, tin Auteur cslebre a tres-bien prouve l'iijutilite de cette Rer son Education. Chap. I. 147 T>as moins hcnnete dans fon commerce que le Chretien Francois ou Portugais. La purete des moeurs eft done independante de la puretd des Dogmes. La Religion Pai'enne quint a fa partie Morale^ etoit fondee comme tout autre fur ce qu’on ap- pelle la Loi naturelle. Quant a fa partie Theolo- gique ou Mythologique, die n’etoit pas tres-edi- fiante. On ne lit point l’Hiftoire de Jupiter , de fes amours fur-tout du traitement fait a fon Pere Saturne, fans convenir qu’en fait de vertus les Dieux ne prechoient point d’exemple. Ce- pendant la Grece& 1 ’ancienneRome abondoient en Heros, en Citoyens vertueux. Et maintenant la Grece moderns & la nouvelle Rome n’engen- drent comme le Brezil & le Mexique , que des hoinmes vils, parefleux, fens talens, fans vertus & fans induflrie. Or depuis l’dtablifTement du Chriffianifme dans les Monarchies de l’Europe, ft les Souve- rains n’ont ete ni plus vaillans, ni plus eclaires ; fi les peuples n’ont ete ni plus inftruits ; ni plus liumains, fi ie nombre des Patrsotesne s’eft nulle part multiplid.quel bien font done les Religions ? Sous quel prdrexte le Magiferat tourmenteroit-il 1 ’incredule ? * 3. Egorgeroit-il l’Heretique ? * 4, Pourquoi mettre tant d’iniportance a la croyance. de certaines revelations toujoursconteftees, fou- vent fi conteftables , lorfqu’on en met fi peu a la moralite des a&ions humlines ? Que nous apprend l’Hiftoire des Religions ? Qu’elles ont par-tout allurae les flambeaux de I’intolerance, jonche les plair.es de Cadavres, Ga 148 D I l* H O M M E’j abreuvd les Campagnes de Sang, embrafe les Vilies , devafte les Empires ; mais qu’elles n’ont jamais rendu les hommes meilleurs. Leur bonte eftfoeuvre des Loix. * 5. Ce font les Chauffees qui contiennent les tor- rens ; c’eft la Digue du fupplice & du mepris qui contient le Vice. C’eftauMagiftrat d’elever cette Digue. Si les Sciences de h Morale, de la Politique & de la legislation ne font qu’une feule & meine Science , quels devroient etre les vrais Docieurs de la Morale ? Les Pretres ? Non •. mais les Ma- giftrats. La Religion determine notre croyance, & les Loix nos mssurs & nos-verms. Quel figne diftingue le Chretien du Juif,du Guebre , du Mufulman ? Ell - ce une e'quite , un courage , une hurnanite , une bienfaifance particuliere a fun & non connue des autres ? On les reconnoit a leurs diverfes profeffions de Foi, Qu’on ne confonde done jamais l’homme honnete avec 1’Orthodoxe. * 6. ' En chaque Pays , 1’Orthodoxe eft celui qui croit tel ou tel Dogme , & dans tout l’Univers , le Vertueux eft celui qui fait telle ou telle a&ion humaine & conforme a 1’interet general. Or fi ce font les Loix * 7. qui determinant nos a clions , ce font elles qui font les bans Citoyens. * 8. _ Ce n’eft done point a lafaintete du Culte qu’on doit rapporter & les vertus & la purete des mceurs d’un Peuple. Pouffe-t-on plus loin cet examen ? On voit que l’efprit Religieux eft en¬ titlement deltruftif de 1’efprit Legiflatif, sew Education. Chap. II. 149 CHAPITRE II. De Vefprit Religieux, deftniclif dc I'efprit Legijlatif. TT JL/ Obeissance aux Loix eft le fondement de toute Legiflation. L’cbeiffance au Pretre eft le fondement de prefque toute Religion. Si l’interet du Pretre pouvoit fe confondre avec l’interet National, les Religions devien- droient les Confirmatriees de toute Loi fage & humaine. Cette fuppofition eft inadmiftible. L’in¬ teret du Corps Ecc'eftaftique fut par-tout ifole Sc diitind de ,1’interet public. Le Gouvernemenc Sacerdotal a depuis celui des Juifs jufqu’a celui du Pape, toujours avili la Nation chez laquelle il s’eft etabli. Par-tout le Clerge voulut etre indd- pendar.t du Magiftrat & dans prefque toutes les Nations , il y eut en consequence deux autorites fupremes & deftruftives i’une de Vautre. Un Corps oilif eft ambitieux : il veut etre ri¬ che & puiliant & ne peut le devenir qu’en de- pouillant les Magiftrats de leur autorite (a) Sc les Peuples de leurs biens. (a) Lors de la definition projettee des Parlemens en France , quelle joie indecente les Pretres de Paris ne fi- rent-ils point eclater ! Que les Magifirats de toutes les Nations reconnoiffent a cette joie la haine de l’autorite .Spirituelle pour la Temporelle. Si le Sacerdoce paroit quelquefois la refpefter. dans les Rois , e’efi lorCqu’ils lui font fioumis & que par eux il commande aux Loix. G 3 l|o D E I.’ H o m M I, Les Pretres pour fe les approprier fenderent h Religion fur une Revelation & s’en declarerent les Interpretes. Eft-on i’Interprete d’une Loi ? On la change a fon gre. On en devient a la longue 1’Auteur. Du moment ou les Pretres fe chargent d’annoncer les volontds du Ciel, & ne font plus des hommes; ce font des Divinites. C’eft en eux , ce n’eft point en Dieu que l’on crcit. 11s peuvent en fonnom ordonner la violation de route Loi contraire a leurs interets , & la def- truclion de route autorite rebeile a leurs de- cilions. L’efprit Religieux parcette raifon fat tcujcurs incompatible avec 1’efprit Legiflatif (a) & le Pretre toujours l’ennemi du Magiftrat. Le pre¬ mier inftitua des Loix Cancniques, le fecond les Loix Politiques. L’elprit de domination & de menfonge preiida a la confeiftion des premieres: elles furent funeftes a l’Univers. L’efprit de juftice & de verite preiida plus cu moms a la confection des fecondes ; elles furent en confe- quence plus ou moins avantageufes aux Na¬ tions. Si la juftice & la verite font foeurs , ll n’eft de Loix reellement utiles que les Loix fondees fur une connoiffance profonde de la Nature & des (a) L’intdr-et du Pretre change-t-il ? Ses Principes Re- Sgieux changent. Combien de fois les interpretes de la revelation, ont-ils metamorphofe la vertu en crime & le crime en vertu ? lls ont beatifie l’affaffin d’un Roi. Quelle confiance pent done infpirer la Morale variable desTheo- logiens ? La vraie Morale puife (es Principes dans la rai- fen , dans l’amour du bien public ; & de tels Principes font toujours les memes. son Education. Chap . II . iji Vrais interns de l’homme. Toute Loi qui pour bafe a le menfonge * 9. ou quelque fauffe reve¬ lation eft toujcurs nuifible. Ce n’eft point fur un rel fondement que l’homme edaires edifiera les Prindpes de l’equite. Si le Turc permet de tirer de fon Koran les Prindpes du jufte & de l’injufte, & ne fouffre pas qu’on les tire du Veddam, c’eft: que fans prejuge's a I’dgard de ce dernier Livre , il craindrcit de donneralajuftice & a la vertu un fondement ruineux. II ne veut pas en confirmer les prdceptes par de faulfes revelations. * 10. Le malquefont les Religions eft reel & lebien imaginaire. De quelle utilite en effet peuvent-elles etre ? Leurs Preceptes font cu contraires, ou confer- mes a la Loi naturelle, c’eft-a-dire, a celle que la raifon perfeclionnee dicle aux Societes pour leur plus grand bonheur. Dans le premier cas il faut rejetter les Pre¬ ceptes de cette Religion comme contraires au bien public. Dans le fecond il faut les admettre.Mais alors que fert une Religion qui n’enfeigne rien que 1’efprit & le bon fens n’enfeigne fans die ? Du moms, dira-t-on, les Pre'ceptes de la raifjn confacres par une revelation en pardffent plus re/pedables. Oui, dans un premier moment de ferveur. Alors des maximes crues vrdes parce qu’on les croit revelees, agiflent plus for- tement fur les imaginations. Mais cet Enthou- fialme eft bientot diftipd. De tous les Preceptes ceux dont la verite eft: ddmontxee-fcnt les feuis qui commandent conf- G 4 ip2 De t’ Hokme, tamment aux Efprits. Une revelation par cela meme qu’elle eft incertaine & conteftee, loin de fortifier la demonftration d'un Principe mo¬ ral. doit a la longue en obfcurcir 1’evidence/ 11 . L’erreur & la verite font deux Etres hetero¬ genes. Ils ne s’allient jamais enfemble. Tous les homines d’ailleurs ne font pas mus par la Reli¬ gion : tous n’ont pas la Foi, mais tous font ani- mes du defir du bonheur & le failiront par-tout oil la Loi le leur pre'fentera. Des Principes refpedles, parce qu’ils font re- veles,* in. font toujours les moins fixes. Jour- nellement interprets par le Pretre, ilsfont auffi variables que fes ir.terets, & prefque toujours en contradidhon avec i’interet general. Toute Nation , par exemple, defire que le Prince foit efclaird. Le Sacerdoce defire au contraire que le Prince foit abruti. Que d’art a cet effet n’em- ploient-ils pas ? Point d’Anecdote quipeigne mieuxl’elprit du Clerge que ce fait fi fouvent cite par les Re'- formes. 11 s’agiffoit dans un grand Royaume de favoir quels feroient les Livres dont on permettroit la fedhire au jeune Prince. On affemble le Confeil a ce fujet. Le Confefleijr du jeune Prince y pre- fide. On propofe d’abord les Decades de Tite Live commentees par Machiavel, l’Efprit des Loix , Montague, Voltaire , &c. Ces Ouvrages fuccef- fivement rejettes , le Confefleur Jdfuite fe leve ..enfin & dit: j’ai vu l’autre jour far la table du Prince le Catechifine & le Cuifimer Francois : point de lecture pour lui moins dangereufe. sou Education. Chap. II.- 153 La Puiffance du Prfitre com me celle duOcur- tifan eft toujours attachee a ['ignorance & a la ftupiditedu Monarque'. Audi rien qu’ilsnefaffent pour le rendre fot, inacceifible a fes Sujets , Sc le degoftter des foins de 1 ’Admimftration. Du terns du Czar Pierre, Sevach Mullein , Sophi de Perfe, perfuade par les Vilirs , par les Pretres & par fa parelle cue fa digniie ne lui permertoit pas de s’occuper des affaires publi- ques, s’en decharge fur fes Favoris, Peu d’annees apres ce Sophi eft: detrone. CH A PITRE III. Quelle efpece de Religion feroit utile . itjE Principe le plus fecond en catamites publi- ques '* 13. eft l’ignorance. C’eft de la perfedion des Loix * 14. que dependent les verms des Ci- toyens; & des progres de la raifon humaine que depend la perfedion de ces memes Loix. Pour etre honnete, * 1 5. il faut etreeclairs. Pourquoi done 1 ’Arbre de la Science eft-i! encore FArbre defeadu par le Defpotifme & le Sacerdoce ? Tome Religion qui dans les hommes honore la pauvrete d’efprit, eft une Religion dangereufe. La pieufe ftupidite des Papiftes ne les rend pas tueilleurs, Quelle Armte devafte ie moins les G s 1 D E I,’ H O M M E , Cont ries qu’t'le rraverfe ? Eft-ce l’Artnee de¬ vote , 1 Armee des Croifes ? Non ; maisl’Armee la mien x difciplinee. Or fi la difcipline , fi la crainte du General reprime la licence des Troupes & contient dans le devoir des Soldats jeunes , ardens & journe!- lement accoutumes a braver la mort dans les combats , que ne peut la crainte des Loix fur les timides Habitans des Villes ? Ce ne font point les Anathemes de la Reli¬ gion ; c’efl: I’Epde de la juftice qui dans les Cites defarme i’affailin , c’eft le bourreau qui retient le bras du meurtrier. La crainte du fupplice peut tout dans les Camps. * j 6 . Elie peut tout auffi dans les Vilies. Eile rend dans les uns 1’Armee obeiilante & brave ; & dans les autres les Cito- yens juftes & vertueux, 11 n’en eft pas ainfi des Religions. LePapifme commande la temperance; cependant quelles font les annces ou Ton voit le moins d’ivrognes ? Sant-ce celles ou 1’on de- bite le plus de Sermons > Non: mis celles ou 1’on recueille le mains de vin. Le Catholicifme defendit en tous les terns le Vol, la Rapine , le Viol, le Meurtre, ike. , & d ns tous les Siecles les plus devots, dans le neuvieme, le dixieme & le onzieme , PJEurope n’etoir peuplce quede bri¬ gands. Quelle caufe de tant de vi lences & de taut d’injuftices ? La trop foible Digue que les Loix oppofoient dors au>: forfeits. Une amende plus ou moins confiderable etoit le feul cha'iment des grands crimes. On paycit tant p: ur le meur¬ tre d’un Chevalier, d’ua Baron , d’un Comte 3 son Education. Chap. III. d’un Legal, enfin jufqu’a l’affaffinat d’un Prince, tout e'toit tarife (a). Le Duet fut long-tertis a la mode en Europe & fur-tout en France. La Religion les defendoit & l’on fe battoit tous les jours (b). Le Luxe a depuis amolli les mceurs Francoifes. La peine de mort eft pot tee contre les Dueliftes. Ils font du tnoins prefque tous forces de s’expatrier. II n’eft plus de duel. Qui fait maintenant la furete de Paris ? La devotion de fes Habitans ? Non : mais I’exafli- tude Sc la vigilance de fa Police. *17. Les Pari- fiens du fiecle palle etoient plus devots & plus voleurs. Les vertus font done l’ceuvredes Loix (c) ; & non de la Religion. Je citerai pour preuve le peu d’influence de notre croyance fur norre conduite. (a) Voyez M. Hume vol. 1. de fon Hiftoire d’Angle- terre. (£) Tout crime non pun! par la Lo! ell un crime jour- nellemcnt commis. Quelle plus forte preuve de l’inutilitd des Religions ! (c) On donne me fete publique : eft-elle mal-ordon- nde ? II s’y fait beaucoup de vols. Eft-elle bien ordonnee ? II ne s’y en commet aucon. Dans ces deux cas ce font les memes hommes que la bonne ou mauvaife Police rend ihonnetes ou fripons; G* i$6 •Jvj !'» *sv— D E L* H O M M E, ss°?==!i?==$°yi =# CHAPITRE IV. I)e la Religion Papijle. IPLus de confequence dans les Efprits rendroit la Religion Papifte plus nuiflble aux Etars. Dans cetre Religion ft le Celibar palTe pour J’etat le plus parfait & le plus agreable au Ciel (a), point de Croyant, s’il eft confequent, qui ne dut vivre dansle Celibat. Dans cette Religion , s’il eft beaucoup d’Ap- pelles & peu d’Elus, toute Mere tendre doit tuer fes Enfans nouveaux Baprifes pour les faire jouir plutot & plus furement du Bonheur eternel. Dans cette Religion, quelle eft,difent lesPre- dicateurs, la mort a craindre ? La mort impre- vue. Quelle eft la defirable? Celle a laquelleon eft prepare. Ou trouver cette mort ? Sur 1 echafaud. Mats elle fuppofe le crime : ft taut done le com- mettre ( b). (a) C’eft a I’imperfeflion , c’eft a I’inconfequence des hommes que le Monde doit fa duree. Une forte d’incredu- lite fourde s’oppofe fouvent aux funeftes effets des Prin- cipes Religieux,. II cr, eft des Loix Eccle'fiaftiques comme des reglemens du Commerce. S’ils font mal-faits , c’eft a i’indocilite des Negocians cjne l'Etat doit fa richeffe ; lour ©beiffance en eut ete la mine. (’>) Un pareil fait arriva il y a 4 oil 5 ans en Prufte. Au fortir d’lin Sermon fur le danger d’une mort imprevue, un Soldat tue une fille. Malheureux , lui dit-on, qui t’a fait commettre ce crime ? Le defir du Paradis, repond-il. Ce meurtre me conduit a la prifon , de la prifon a l’echafaud, 4e l’ecliafaud au Ciel. Le R»i i&ftruit au fait, iit defenfe son Education. Chap. IV 157 DanscetteReligion, quel ufage faire de fon argent ? Le donner aux Moines pour tirer par leurs prieres & leurs mefies les ames du Purga- toire. Qu’un malheureux foit enchaine fur un bu- cher , qu’on foit pret a l’allumer , quel homme humain ne donnercit pas fa bourfe pour l’en d 6- livrer ? Quel homme ne s’y fentiroit pas force par le fentiment dune pitie involontaire ? Doit- on moins a dgs ames dellinees a etre brulees pen¬ dant plufieurs fiecles ! Un vrai Catholique doit done fe reprocher toute efpece de depenfe en Luxe & en fuperllui- tes. II doit vivre de pain , de fruits, de legumes. Mai's l’Eveque lui-m£me (a)fait bonne chere, boir d’excellens yins, fiiit vernir fes carroffes. La plu- partdes Papifres font broder des habits & depen- Lent plus en Chiens, Chevaux , Equipages qu’en Melles. C’eflqu’ils font inconfequens a leur cro- yance. Dans la fuppofition du Purgatoire , qui donnel'aumone au Pauvre fait un tnauvais ufage de fes riclieffes. Ce n’efl: point aux Vivans qu’on la doit • e’eft aux Mort§; e’eft a ces derniers que 1’argenf eirleplus necelTaire. Jadis plus fenfible aux maux des TrepalTes, aux Miniftres de precher a 1’avenir de tels Sermons , ic meme d’accompagner les criminels an fupplice. faj L’indifference acluelle des Eveques pour les ames du Purgatoire fait foupponner , qu’ils ne font pas eux- memes bien convaincus de 1’exiftence d’unlieu qu’ils n’ont jamais vu. On eft fe plus etonne qu’un homme y refte plus ou moins ls*ng-tems , felon qu’il a plus on moins de pieces de douze fols pour faire dire des Meffes, & que 1-argent foit encore plus utile dans 1’autre Monde que dans celui-ci. ij8 De i’Homme, 1’on faifoit plus de Legs aux Eccle/iaftiques. Oft ne mouroit point fans leur abandonner une par- tie de fes biens. L’on ne faifoit, i! eft vrai, ce facrifice qu’au moment ou 1’on n’avoit pius, nide fante pour jouir des plaifirs, ni de tete pour fe d^fendredes infinuations Monacales. Le Mcine d’ailleurs etoir redoute, & peut-etre donnoit-on plus a la crainte du Moine, qu’a 1’amourdes ames. Sans cetre crainte la croyance du Purgaroire n’eut pas autant enrichi l’Eglife. La conduitedes Hom¬ ines , des Peuples , eft done rarement confe- quente a leur croyance & memealeurs Principes fpeculatifs. Ces Principes font prefque toujours fteriles. Que j’erablifTe Popinion la plus abfurde, celle dont on peut tirer les confluences Ies plus abo- minafcles ; ft je ne change rien aux Loix, je n’ai rien change aux mceurs d’une Nation. Ce n’eft point une faulfe maxime de Morale qui me ren- dra mdchant (a) , mais l’interet que j’aurai de l’&tre. Je deviendrai pervers files Loix detachent mon interet de l’interet public; fi je ne puis trou- ver mon bonheur que dans le malheur d’autrui (3), & que par la forme du Gouvernement le (a) En Morale , dit Machiavel, quelqu’opinion abfur de qu’on avance , on ne nuit point a la Societe , fi 1’on ne foutient point cette opinion par la force. En tons genres de Sciences, e’eft par Pepuifement des erreurs, qu’on parvient jufqu’aux fources de la verite. En Morale la chofe reellement utile efHa recherche du vrai. La chofe reelle- tnent miifible eft fa non-recherche. Qui preche l’ignoran- ce eft nn fripon qui vent faire des dupes. ( b ) L’iiomme eft 1’ennemi, l’aflaffin de prefque tous les animau:. Pourquoi ? C’eft que fa fubliftanee eft attache® s leur dsftruclicR, son Education. Chap. IV. 159 crime foit recoropenfe , la vertu delaiffee Sc le vice eleve aux premieres places. L’interet eft la femence produclricc du vice Sc de la vertu. Ce n’eft point l’opinion erroneed'u* Ecrivain qui peut accrokre le nombre des voleurs dans un Empire. La Dofirine des JeTuites favori- foit le larcin: cette Do thine fut condamnee par les Magiftrats ; ils le devoient par decence: mais ils n’avoient point remarque qu’elie eut multi¬ ple le nombre des filcux. Pcurquoi ? C’eft que cetteDoChine n’avcit point changd les Loix;c’efl que la Police etcit auffi vigilante ; c’eft qu’on in- fligeoit les memes peines aux coupables, & que fauf le hazard d’une famine, d’une reforme ou d’un evenement pareil, les memes Leix doivenr en tout terns dormer apeu pres le meme nombre de brigands. Je fuppofe qu’on veulut multiplier les voleurs, que faudroit-il Lire ? Augmenter les Impots & les befains des Peu- ples ; Obiiger tout Marchand de voyager avec une bourfe d’er; Mettre moins de Mardchauffee fur les routes ; Abolir enfin les peines centre le vol ; Alors on verroit bientet 1’impunite multiplier le crime. Ce n’eft done ni de la verite d’une revelation, ni de la purete d’un Culte, mais uniquemenr de 1’abfurdite ou de ia fageffe des Loix que depen¬ dent les vices cu let vertus des Citoyens (a). La (a) Platon avoit fans doute entrevu cette verite , forf- ^u’il difoit; n le moment ou les Villes & leurs Citoyefl* D E l’ H o m m e , Religion vraiment utile eft celle qui force les homines a s’inftruire. Quels font les Gouverne- ntens les plus parfaits ? Ceux dont les Sujets font les plus eciaires. De tous les exemples le plus propre a demontrer cette verite, c’eft le Gouver- nement des Jefuites. C’eft en ce genre le chef- d'oeuvre de l’efprit humain. Examinons leurs conftitutions: nous en connohrons mieux quel eft fur les hommes lepouvcir de la Legiflation. Du Gouvernement des Jefuites. T JE ne confidere ici la ConfHtution des Jefuites que relativement a leurs vues ambitieufes. Les ji feront delivres de lelirs maux, eft celui oil la Philofo- 51 pliie & la Puiflance , reunies dans le meme nomine , 11 rendront la vertu victorieufe du vice n. M. Rouftfeau n’eft pas de cetavis. Aurefte qu’il vante tant qu’ilvoudra, la fincerite & la verite d’un Peuple fauvage & barbare, je lie Pen croirai pas fur fa parole. Le fait, die M. Hume, vol. i.de l’Hift. d’Angleterre , c’eft que les Anglo-Saxons , eomme tous les Peuples ignorans & brigands, affichoient le parjure, la fauffete avec line impudence inconnue aux Peuples civilifes. C’eft la raifon perfebfionnee par l'experieuce qui feule pent demontrer aux Peuples l’interet qu’ils out d'etre juftes . humains & fideies a leurs projnelfes. La fuperfti- ticn acet dgard ne produit point les eiTets de la raifon. Nos devots Ancetres juroient leurs Traites fur la Croix les Reliqoes, &c (e parjuroient. Les Peuples ne garan- tiffent plus aujourd’hui leurs Traites par de .pareils. fer- mens. Us dedaiguent ces inefficaces fdretes. '# C H A P I T R E V. son Education. Chap. V. \6t Jefuites voulurent credit, pouvoir, confideration & l’obtinrent dans les Cours Catholiques. Quels moyens employerent-ils a ceteffet ? La terreur & la fedu&ion. Qui les rendit redoutables aux Princes? L’union de leur volonte a celle de leur General. La force d’une pareille union , n’efl peut-etre pas encore affez connue. L’Antiquite n’offre point de modele du Gou- vernementdes Je'fuites. Suppofons qu’on eutde- mande' aux Anciens la folution de ce iTobleme politique ; Savoir , » Comment du fond d’un Monaftere un t> homme peut en regir une infinite d’au- » tres repandus dans des Chmats divers » & fbumis a des Loix 8c a des fouverains » difrerens. Comment a des diftances fou- n vent immenfes, cet homme peut con- » ferver affez d’empire fur fes Sujets pour » les faire afongre mouvoir , agir, penfer » & conformer toujours leurs demarches » aux vues ambitieufes de 1’Ordre «. Avant l’inftitution des Ordres Monaftiques , ce Probleme eut paru une folie. On eut mis fa folution au rang des Chimeres Plator.iciennes. Cette Chimere cependant s’efl rdalifee. A l’egard des moyens par lefquels le General s’affurel’obenFance de fes Religieux,ces moyens font connus ; je ne m’arretetai pas a les de¬ tainer. Alois comment ;.vec ii peu de Sujets, infpire-* l6i D t z’ Homme, t-il fouventtant de crainte aux Souverains ? C’e/1 un Chef-d’ceuvre de Politique. Pour operer ce prodige , il falloitquela Conf* titution des Jefuites raffemblat tout ce que Ie Gouvernement Monarchique & Republicain ont d’avantageux. D’une part 7 promptitude Sc fecret dans 1’exe¬ cution : Del’autre, amour vif Sc habituel de la Gran¬ deur de 1 ’Ordre. Les Jefuites pour cet effet devoient avoir un Defpote a leur tete, mais un Defpote eclaire Sc par confequent electif. * 18 . L ’Eleciion de ce Chef fuppofoit, Chcix fur un certain nombre de Sujets ; Terns Sc moyens d’etudier l'Eiprit,lesMoeurs , les Caraeleres, Sc les Inclinations de ces Su¬ jets. Pour cet effet il falloit que nourris dans les Maifons des Jefuites , leurs Eleves puffent etre examines par les plus atnbitieux Sc les plus eclai- rss des Superieurs. Que 1’Election faite le nouveau General etroi- tement lie a 1’interet dela Societe, n’en put avoir d’autres. Qu’il fut par confequent comme tout Jefuite , founds aux principals regies de l’Ordre. Qu’il fit les memes voeux j Fut comme eux inhabile a fe marier ; Fut comme eux, renonce a toute Dignke, a tout Lien de parente , d’amour & d’amitie. Que tout entier aux Jefuites, i! ne tint fa pro- pre coniideration que de la Grandeur de l’Ordre : son Education. Chap. V. qu’il n’eiit par confluent q autre defir que d’en accroitre le pouvoir; Que J’obeiffance de fes Sujets lui en fournit les moyens. Qu’enfin pour etre le plus utile pofTible a fa Societe , le General put felivrer tout entier a fon genie , & que fes conceptions hardies ne puffent etre reprimees par aucunecrainte. A cet effet on fixa fa residence pres d’un prttre Roi. On voulut qu’attache a ce Souverain par le lien d’un interet commun , a certains egards , le General partageant en fecret l’autorite du Pon- tife , vecut dans fa Cour, & put deia braver la vengeance des Rois. C’efl-la qu’en e/Fet au fond de fa cellule,com¬ ma l’Araignee au centre de fa toile, il etend fes fils dans toute FEurcpe &qu’il eft par ces memes fils averti de tout ce qui fe paffe. Inftruit par la confefllon des Vices , des Ta¬ lons , des Verms, des Foibleifes des Princes , des Grands & des Magiftrats , il fait par queile intrigue on peut favorifer l’ambition des uns, s’oppofer a ceile des autres, flatter ceux-ci, ga- gner ou effrayerceux-la. Pendant qu’il mddite fur ces grands obj'ets, on voit a fes cotes l’ambition Monacale qui tenant devant lui le Li vre fecret & redoute, oii font inf- critesles bonnes ou mauvaifes qualites des Prin¬ ces , leurs difpofitions favorables ou contraires a la Societe , marque d’un trait de fang le nr;m des Rois qui devoues a la vengeance de l'Crdre, doi< 1 64 D 1 i,’ Homme, vent etre rayes du nombre des Vi vans. Sifrappes de terreur les Princes foibles crurent au com- mandement du General , n’avoir que le choix entre la mort & 1’obeilTance fervile , leur crainte ne fut pas entierement panique. Le Gouverne- ment des Jefuites la juftifioit a un certain point. Un homme commande-t-il une Socidte, dont les Membres font entre fes mains ce que le baton eft dans celle du Vieillard ; parle-t-il par leur bouche ; frappe-t-il par leurs bras ? Depofitaire d’immenfes richeffes , peut-il a fon gre les tranf- porter par-tout oil le requiertl’avantage de l’Or- dre ? Auffi Defpote que le vieuxde'laMontagne, a-t-il des Sujets auffi foumis ? Les vcit-on a fon commandement fe precipiterdans les grands dan¬ gers, exdcuter les entreprifes les plus hardies? (a) Un tel homme fans doute ell a redouter. Les Jefuites le fe ntirent & fiers de la terreur qu’infpiroit leur Chef, ils ne fongerentqu’as’af- furer de cet homme redoute. Ils voulurent a cet effet que fi par parefie cu quelques auttes inte- rets , le General trahiffcit ceux de !a Socite , il en fut le mepris & craignit d’en etre la viftime. Or qu’on nomme un Gouvernementoul’interet, & du Chef & de fes Membres ait ete fi recipro- que & fi etroitement uni. Qu’on ne s’eronne done point qu’avec des moyens en apparence ft foibles , la Sccie'te ait en fi peu de terns atteint un fi haut degre de Puifance. (a) Si les Jefuites oat dansmille occnfior.s fait preuve d’autant d’intrepidite que les AbilTins > e’eft que chez ces Relig'.eux comme chez ces redoutables Africains, le Ciel eft la recompenfe du devouement aux ordres du Chef. sou Education. Chap. V. 16? Son Pouvoirfut 1’efFet de la forme de fon Gou- vernemenr. Quelque hardis que fuflent les Prindpes de fa Morale , ces Prindpes adoptes par les Papes etoient a peu-pres ceux de l’Eglife Catholique. Si dans les mains des Seculiers , cette dangereufe Morale eut des effets peu fimeftes, je n’en luis point furpris, Ce n’eft point la Ledhire d’un I'u- fembaum , ou d’un la Croix qui cree les Regici¬ des ; c’eft dans "ignorance & la folirude des Clci- tres que s’engendrent ces monfires , & c'eft dela qu’ils s’elancent fur le Prince. En vain le Moine en les armant du poignard , veut cacher la main qui le leur fournit, Rien de plus reconnoifl'able que les crimes commis par 1’amDition Sacerdo- tale. Que pour les prevenir , l’ami des Souverains & 1’ennemi du Fanatifme fache a quels fignes certains on peut diftinguer les diverfes caufes des grands attentats. CH A PITRE VI. Des diverfes caufes des grands attentats . C^Es caufes font I’amour de la Gloire, 1’Ambi- tion & le Fanatifme. Quelque puiffanres que foient ces palfions, leur force neanmoins n’egale point ordinairement dans I’homme 1’amourdefa conlervation & de fa feiicite • il lie brave point r66 D E f H O M M K, le danger & la douleur : il ne tenre point d’en- treprife perilieufe, fl l’avantage attache au fucces n’efr en quelque proportion avec le danger au- quel il s’expofe. C’efl: un fait prouve par 1’expe- rience de tout les terns. CHAPITRE VII. Des attentats comrnis par Vamour de la Gloire ou.de la Patrie. s ir JL>Orsqui pour arracher eux & leur Patrie aux fers de Pefclavage, les Dions, les Peiopidas, les Aratus & les Timoleons meditoient lenteurtre du Tyran , quelles etoient leurs craintes & leurs efperances? Ilsn’avoient point a redouterlahon- te & le fupplice d’un Ravaillac. La fortune les abandonnoit-elle dans leurs entreprifes ? Ces Hercss toujours foutenus d’un Parti puiffant pou- voient toujours fe flatter de mourir les armes a la main. Le fort leur etoit-il favorable ? Ils deve- noient 1’Idole & 1’Amour de leurs Concitoyens. La recompenfe etoit done au moins en propor¬ tion avec le danger auquel ils s’expofoient. Lorfque Brutus fuivit Cdfar au Sdnat, il fe dit fans doute a lui-meme ; le nom de Brutus , ce nom deja confacre par i’expulfion des Tarquins , m’ordonne le meurtre du Bi&ateur & m’en fait un devoir. Si le fucces me favorife , je detruis un Gouvernement tyrannique, je delarme le DeP» son Education. Chap. VII. 167 potifme pret a fa ire couler le plus pur fang de Rome, jelafauvedeladeftruftion &j’endeviens le nouveau Fondateur. Si je fuccombe dans mon entreprife,je peris dema propre maineu decelle de 1’ennemi. La recompenfe eft done egale au danger. Le vertueux Rrutus du tems de la Ligue fe fut¬ il tenu ce difeours ? Eftt-il porte la main fur fan S'ouverain ? Non : euel avantage pour la France & quel gloire pour lui , ft vil inftrument de (’ambition Papale , il eftt ete l’affaflin de fon Maitre ? Dans un Gouvernement Monarchique , il n’eft que deux motifs qui puiftent determiner un Sujet au Regicide ; l’un uneCouronneTerreftre; l’autre une Couronne Ceiefte. L’Ambition & le Fanatisme produjfent feuls de tels crimes. 4 — argj- --— CHAPITRE VIII. Des attentats commis par V Ambition. T JL/ES attentats de Pambitnn font toujours com¬ mis par un Homme puilfant. Il faut pour les projetter que le crime confommd , l’Ambitieux puiffe au meme inftant en recueillir le fruit, & que le crime manque & decouvert, il refte encore affez puiflant pour intimider le Prince, ou du moins fe menager le tems de fafuite. Telle dtoit fous l’Empire Grec la pofition de D e l’ H o m m e , fes Generaux qui fuivis de leurs Armees mar- choienta LEmpereur, le frappoientdans le corn- bad, ou I’egorgeoient fur le Trane. Telle eft encore a Conftantinople celle oJi fe trouve l’Aga ou le Prince Ottoman, lorfqu’a la tete des Janiffaires , il force le Serail, arrete 8c tue le Sultan qui fouvent n’affure fon Trone 8c fa vie que par le meurtre de fes Proches. La condition du Regicide declare prefquetou- jours quelle efpece de paffion l’anime, de l’Am- bition ou du Fanatifme Religieux. CHAPITRE IX. Des attentats commis par le Fanatifme. ¥ JLiE Regicide ambitieux ne fe trouve que dans la Clafle des Grands : le Regicide fanatique fe trouve dans toutes & le plus fouvent meme dans la plus baffe, parce que tout homme peut egale- xnent pretendre au Trone & aux recompenfes Celeftes. II eft encore d’autreslignes auxquelson diftingue ces deux efpeces de Regicides. Rien de plus different que leur conduite dans de pareils attentats. Le premier perd-il l’efpoir d’echapper ? Eft-il au moment d’etre pris? Il s’empoifonne ou fe tue fur faviftime. Le fecond n’attente point a fa vie ; fa Religion le lui defen i : elle feule peut retenir le bras d’un homme affez intrepide pour com- mettre son Education. Chap. X. i6<) mettre un tel forfeit: elle feule peut lui Lire preferer une mort affreufe fubie fur un echa- faud , a la mort douce qu'il fe feroit donnee lui- meme. Le Fanatique eft un inftrument de vengeance que le Moine febrique & emploie , lorfque fon interct le lui ordonne. C H A P I T R E X. Du moment oil Vinteret des Jefuites leur commande un grand attentat. T jia E credit des Jefuites bsi/Te-t-il ? Attend-t-i! d’un Gouvernement nouveau plus de faveur que du Gouvernement adtuel ? La bonce du Prince regnant, le Pouvoir du Parti devot a la Cour les aiiure-t-il de l’impumte ? lis concoivent alors leur detestable projet. Ils preparent les Citoyens a de grands evenements-, ils dveillent en eux des Paffions /iniitres , ils eftraient les imaginations, ou comme autrefois par la predidion de la fin prochainedu Monde, ou par 1’annonce du ren- verfement total de la Religion. Au moment cu ces idees mifes en fermentation echauflent les Efprits & deviennent le fujet general des con- verfations ; les Jeiuites cherchent le ftrcene que doit armerleur ambition. Les Scelerats de cette elpece fontrares. 11 faut p mr de teis attentats des tunes compofees de fentimens violens& control-. Teme //» Ii £7® D S L* H O M M E, res ; des ames a la foi's fufceptibles du dernier degre de fcelerateffie, de devotion, de credulitd & de remords. Il faut deshcmmesa lafois hardis & prudens , impetueux & difcrets; & ies carac- teres de cette efpece font le produit des Paffions Ies plus mornes & les plus feveres. Mais a quoi reconnoitre les ames inflammables auFanatifme? Quel moy en de deco uvrir ces femences de Paffions qui fortes , contraires & propres a former ces Edgicides , font toujours invisibles avant d’etre miles en adtion? Le Tribunal de la Confeffioneft le Microfcope ou ces germes fe decouvrent. Dans ce Tribunal * 19. ou 1 ’homme fe trouve a nud , le droit d’interroger permetau Moinede fouiller tons les replis d’une ame. Le General infrruit par lui des Mceurs , des Paffions & des Difpoficions d’une infinite de Pe- nitens, a le choix fur un trop grand nombre pour n’y pas trouver l’inftrument de fa ven¬ geance. Son choix fixe & le Fanatique trouve, il s’agit d’allumer fon zele. L’Enthoufiafme -eft une ma- ladie contagieufe qui fe communique, dit Milord Shaftefbury, par le gefte, le regard, le fen de la voix See. Le General le fait: il commr.nde & le Fanatiqae attire dans une Maifon de Jefuites , s’y trouve au milieu d’Enthoufnftes. C’ef-la que s’animant lui - memo du fentiment de ceux qui I’entourent, on lui fai t accroire qu’il penfe ce qu’on lui fuggere, & que Lmiliarife avec l’idee du Crime qu’il doit corcmettre, on le rend inac- ceffible aux remords. Le remord d’ua infant fuffit pour defarmer son Education. Chap. X. 171 fe bras de l’aflaflm. II n’eft point d’homme quel- que me'chant, quelqu’audacieux qu’il foit, qui foutienne fans effrei 1’idee d’un fi grand attentat & des tourmens qui le (invent. Le feul moyen delui en derober l’hcrreur ; c’eft d’exaiter tene¬ ment en lui le Fan. tifme, quel’idee de fon crime loin de s’affocier dans fa Memoire a Fidee de fon fupplice luir ppelie uniquement ceiledes plaifirs Celefres, recompenfe de fon forf.it. De tous les Oidres Religieux , celui des Jd- fuites eft a la fois le plus puilflnt, le plus bclairb & le plus enth.ufiafle. Nul par confequent qui puiffe cperer auffi f .rtement fur (imagination, d'un Fanatique , & nu! qui puiife avec mcinsde danger attenter a la vie des Princes. L’xveugle foumiffion des Jefuites aux ordres de leurGdne- ral les affure tous les uns des autres. Sans de¬ fiance a cet eg;rd , ils donnent un libre elfor a leurs penfees. Rarement charges de commettre le crime qu ils encauragent jufqu’a fon execution,la crainte du fupplice ne peut refraidir leur zele. Chaque Jdfuite Stay6 de tour le crddit & de la puiffance de VOrdre , fent qu’a 1’abri de toure recherche juiqu’a la confommation de i’attentar, nul avant cet inflrntn’ofera fe porter accuftreur duMem- bre d’une Societb redoutable par fes richefles „ par lfe grand nombre d’efpions qu’elle faudoie s de Grands qu’dle dirige , de Bourgeois qu’elle protege & qu’elle s’ ttache par le lien indiffolu- ble de la crainte & de 1’efperance. Le Jefuite fait de plus que le crime confomme, fien de plus difficile que d’en convaincre fa So- H a 172- D B 1* H O M M E , ciere .; que prodiguant l’or & les menaces & fe fuppofant toujours calomniee , elle pourra tou¬ jours repandre fur les plus noirs forfaits , cette obfcurite favorable aux Jefuites qui veulent bien 6tre foupconnes d’un grand crime , parce qu ils en deviennent plus redautables; m: is qui ne veu¬ lent pas en etre convaincus, parce qu’ils feroient trop odieux. Quel moyenen effet de les en convaincre? Le General fait le nom de tous ceux qui trempent dans un grand complot; il peut au premierfoup- con les difperfer dans des Couvens inconnus & Etrangers : il peut fous un faux nom les y en- tretenir a l’abri d’une pourfuite ordinaire. Be- vient-elle vive ? Le General eft toujours fur de la rendre vaine , foit en enfermant F-accufe au fond du Goitre, foiten lefacrifiant a l’interer de 1’Ordre. Avec tant dereifources & d’impunites, doit-on s’etonner que la Societe ait tant ofe , & qu’encourages par les eloges de l’Ordre, fes Membres aient fouYent execute les entreprifes les plus hardies. On appercoit done dans la forme meme du Gouvernement des Jefuiteslacaufedelacrainte, du refpefl: qu’ils infpirent, & la raifonenfinpour laquelle depuis leur etabliffemenr, i! n’eft point de guerre Religieufe, de revolutions, d’affaffinats de Princes ala Chine, en Ethiopie, en Hollande, en France, en Angleterre, en Portugal, a Ge¬ neve &c. auxquels les Jefuites n’aient eu plus on tnoins depart. L’ambition du General & des afllftans eft l’a- fne 4e cette Societe. Nulle qui plus jaloufe del* son Education. Chap . X . 173 domination , ait employe plus de moyens pour fe PafTurer. Le Clerge feculier eft fans douteam- bitieux ; mais anime de la meme Paffion, il n’a pas les memes moyens de la fatisfaire. II fat plus rarement Rdgicide. Le Jefuite eft dans la dependance immediate d’un Superieur.* 2 .o. II n’en eft pas de meme du Pretre Sec uiier. Ce Pretre repandu dans le Mon¬ de , diftrait par fes affaires & fes plaifirs, rfeft: point en entier a une feule idee. Son Fanatifme n’eft point fans ceffe exalte par la prefence d’au- tres Fanatiques. Moins puiffant d’ailleurs qu’un Corps Religieux, coupable, il feroit puni. II eft done moins entreprenant & moins redoutabl® que le Rdgulier. Le vrai crime des Jefuites ne fut pas la per- vernte (a) de leur Morale , mais leurs Conftitu- tions, leurs Richeffes , leurPrmvoir, leur Ambi¬ tion & 1’Incotnpatibilite de leurs interets avec celui de toute N ation. Quelque parfake qu’ait ete la Legiflation de ces Religieux , quelqu’Empire qu’elle dftt leur donner fur les Peupfes, cependant, dira-t-on , ces Jefuites ft redoutes , font aujourd’hui bannis de France, de Portugal, d’Efpagne : oui ; par ce qu’on s’eft encore oppofe a terns a leurs vaftes projets.. Dans toute Conftitution Monaftique, il eft un vice radical.; e’eft le defaut de Puiffance reelle. Celle des Moines eft fondee fur la folie& la ftu- pidite des hommes. Or il faut qu’a la longue Fef- (a) De fimx Principes de Morale ne font dangereux lorfcju’iis font I.oi. 174 D e l’H o- m m s, prit humain s’dcl ;ire ou du moins qu’il change de fjlie. Les Jdluites qui l’avoient prevu vou- Ijient eft- confdquence rdunir dans leurs mains la PuiiLnce Temporelle &Spirituelle.Ils vouloient effrayer par leurs Annies les Princes qu’ils n’in- ti raider, ient point parle poignard , oule poifon. Us avoient a cer effet deja jettd dans le Paraguai & la Californio les fondemensde nouveaux Em¬ pires. Que le fommeil du Magiflrat eiit ete plus long , cent ans plus tard , peut-ltre dtoit-il im- poffible de s’oppofer a leurs deffeins. L’uniondu PouvoirSpirituel &Temporel les eut rendustrop redout; bles : ils euflent a jamais retenu les Ca- tholiques dans Pa veuglement& leurs Princes dans Humiliation. Pien neprouve mieux le degre d’autorirdauquel les Jefukes etoient deja parve¬ nus que la conduite tenue en France pour les en chaffer (a). Pourquoi le Mcgiftrat s’dleva-t-il fi vivement centre leurs Livres? * 2,1. ll appercevoit fans doute la frivolite d’une telle Accufation. Mais il fentoit auffi que cette Accufation etoit la feule qui put les perdredansl’efprit desPeuples. Toute autre eat ete impuiffante. Suppofons en effet que dansl’arretde Jeur baa- (a) Lorfqu’effrayeY des Remontrances o'e leurs Par'e- mens. on voit les Rois fe confier atix Jefuites, comment ne fe pas rappeller la fable du Souriceau ? Quel animal bruyant, je viensde rencontrer, dit-il a fa Mere, e’eft , dit-il, un Coq. Je fuis tranfi de peur ; je n’aurois pu vous rejoindre , ft je n’etifi'e ete raffurd par la prefence d’tm Animal bien doux. II me paroit ami de notre efpece. Son nom e£l un Chat. Q ! Mon fils, e’eft de ce dernier dent-it faut te gatder. son Education. Chap-. X. 17J riiffcment Ie Magiftrat n'eut fait ufage que dcs leuis motifs du bien Public. » Toute Societd nombreufe, eut-il dit, eft- x> ambitieufe & ne s’occupe que de fon intctet » particulier. Nefe confond-il pas avec l’interefi *> Public ? Cette Societe eft dangereufe. » Quant a celle des Jefuites , eut-il ajoutd, il » eft Evident que fuumife par fa Ccnftitution a » un Defpcte It ranger , elle r,e peut avoir d’in- » ttiit conforme a celui du Public (a). » L’extrdmesftendue du commerce des Jefuites » ne peut-il pas etre deftruftif du commerce Na- » tional ? Des rieheffes immenfes gagnees ( b ) tfdans le Negoce & tranfportdes au gre du Gd- » neral, a la Chine, en Efpagne, en Allemagne, » en Itaiie, &c. ne peuvent qu’appauvrir une » Nation ». Une Socidtd enfin devenue celebre par des at¬ tentats fans nombre, une Societe ccmpofee d’hommes fcbres & qui pour multiplier fes par- tifans, offre protection , credit, rieheffes a fes amis , perfecution , infortune & mort a fesenne- (.-.■) Les Magiffrats peuvent fans aoute appHquer a\ix J£- fuites ce mot de Hobbes aux Pretres Papiffes. » Vous » etes , lent difoit-il, une confederation de Fripons ara- » bitieux. Jaioux de dominer fur lesPeupIes, volts tachez a force de myfferesSSt de non fens d’eteindre en eux les » lumieres de la raifon & de PEvangile. » Croire a la verite du Pretre, dit a ce fujet le Poets » Lee, e’eft fe fier aux fouris du Grand , aux larmes de la “ Courtifanne, aux fermens du March,md , & a la trif— »> teffe ce l’Heritier •>. (f)» Les rieheffes des Jefuites font immenfes; ils ne fe¬ ll ment, ni ne labourent, & cependant, ditShackefpear, “ ce font eux 1 Ils faventmeme preffurer ]ufqu’au fuc de la pauvret£>?» H 4 iy6 D E L ? H O M M E , mis, eft a coup f&r une Societd dont les projets devoieht etre auffi vafl.es que deflarudifs du bon- hcur. gdndral. Quelque raifonmbles qu’eulfent ete ees mo¬ tifs, ils euffent fait peu d’impreflions , & 1’Ordre puiflant & prottgd des Jdfuites n’eut jamais etd facrihd a la raifon & au bien Public. CHAPITRE XI. Le Janfcnifme fettl pouvoit detruire les ' Jefuites. m Our combattre les Jefuites avec avautage , que fallcit-il ? Oppofer Paffiona Paflion , Se&e a Sefie, Fanatifme a Fanatifme. 11 falloit armer- contr’eux le Janfenifte. Or le Janfenifle infenfible par devotion * 11 . ou par ftupidite au malheur de fes femblables ne fe fut point eleve contre lea Jefuites , s’il n’eut appercuen eux que les enne- mis du bien Public. Les Magiftrars ie fentirent & crurent que pour l’animer centre ces Reli- gieux, il falloit etonner fon imagination & dans un Livre tel que celui des A fictions, faire fans ceffe retentir a fes oreilles les mots d’Impudkite, de Peche Philofophique , de Magie , d’AftroIo- gie , d’Idolatrie , &c. On a reproche ces Affertions aux Magiftrats. Ils ont, a-t-on dit, avili & degrade leur carac~ tere & leur dignite en fe prefentant au Public.. son Editcattow. Chip. XI. 177 fous la forme de Controverfiftes. * 2.3. Ni les. Princes , ni les Magiftrats ne doivent fans doute pasfairele vil metier d’Ergotiftes & de Thdolo- giens. Les difputes de 1 ’Ecole font incompatibles svec les grandes vues de l’Adminiftration. Ces difputes retreciiTent les Efprits. * 24. Si l’ony met trop d’importance, elles devien- nent le prefage des plus grands malheurs. Elies annoncerent la St. Barthelemi.. Le Siecle d’or d’une Nation n’eft pas celui des controverfes. Cependantfi lors de 1 ’afFairedes Jefuites, les Ma¬ giftrats n’avoient en France que peu de credit &. d’autorite; ft la pofttion des Parlemens-par rap¬ port aux Jefuites dtoit telle qu’ilsne puflent ope- rer le bien Public que fous des prdtextes & par des motifs differens deceux qui les deto minoienr reeliement, pourquoi n’en euffent-ils pas fair ufage , & n’euiTent-ils pas profite du mepris oil tomboient les Livres & la Morale des Jefuites ,, pour deiivrer la France de Moines devenus ft re- doutables par leurpouvoir, leurs intrigues, leurs: richelles , leur ambition * a. 5. & fur-tout par les moyens que lem* Conftitution leur fourniflok pour s’aftervir lesElprits? Le vrai crime des Jdfuires fut 1 ’excelfeiice de; leur Gouvernement. Son excellence fut pair-tout dsftru&ive du bonheur Publics ILfaut en convenir; les Jefuites. ont etdun des: plus cruels fleaux des Nations: mats fanseuxfont rfeftt jamais parfaitement connu ce que peut fur les hommes-un Corps de Loix dirigdes au merae but., Que fe propofierent res Jefuites t Cat puiffanse H J, jjS D E l’ H O M M e & la richeffe de l’Ordre. Or nulle Legiflation avec fi peu de moyens ne remplitmieux ce grand objet. Si l’on ne trouve chez auciln Peuple d’exemple d’unGoavernement aufti parfait, e’eft: que pour l’dtabiir , il faut avoir comme un Ro¬ mulus un nouvel Empire a fonder. On eft rare- ment dans certe pofition; & dans toute autre peur-etre eft-il impoftible de donner une excel- lenteLegiflation. CHAPITRE XII. Ex amen de cette verite. V X N homme etablit-il quelques Loix nouvelks dans un Empire,ou e’eft en qualite de Magiftrat eommis par le Peuple pour corriger l’ancienne Legiflation, ou e’eft en qualite de Vainqueur , e’eft-a-dire , a titre de conquetes. Telles ont ete les diverfes pofitions oil fe font trouves, Solon d’une part, Alexandre ou Tamerlan de l’autre. Dans la premiere de ces pofitions, le Magif¬ trat , comme s’en plaignott Solon, eft force de fe conformer aux rnoeurs & aux gofits de ceux qui l’emploient. ils ne lui demandent point une excellente Ldgiflation ; elle feroit trop difeor- dante avec leurs moeurs. Ils defirent fimplement la corretlion de quelques abas introduits dans le Gouvernement a£hie!. Le Magiftrat en confe¬ rence ne pent donnes d’eflbr a fon geftie, l| son Education. Chap. XII. 17$ n’embraffe point tin grand plan & ne fe propofe point l’etabliiiement d’unGouvernement parfait. Dans la feconde de ces pofitions , que fe pro¬ pofe d’abord le Conquerant ? D’affermir fon au¬ torite fur des 'Nations appauvries, devaftees par la guerre & encore irritees de leur defaite. S’il leur impofe quelques unes des Loix de fon Pays, c’eft en adoptant une partie des leurs. Peu lui impartent les malheurs refultans d’un melange de Loix fouvent contradiftoires entr’elles. Ce n’eft point au moment de la conqu&e que le Vainqueur conceit le vafte projet d’une par- faite Legiflation. PoiTeffeur encore incerrain d’une Cousonne nouvelle , l’unique chofe qu’il exige alcrs de fes nouveaux Sujets, c’eff leur foumiffion. Et dans quel terns s’occupe-t-on de leur felicite? II n’efl point de Mufe a laquelle on 11’ait erige un Temple ; point de Science qu’on n’ait culti- vde dans quelqu’ Academie; point d’Academie oil l’on n’ait propofe quelque prix pour la folution de certains Problemes d’Optique, d’Agriculture, d’Aftronomie , de Mechaniques , &c. Par quelle fatalite les Sciences de la Morale & de la Politi¬ que , fans contredit les plus importantes de rou¬ tes & cefles qui contribuent le plus a la felicite Rationale, font-elles encore fans Ecoles publi- ques ? Quelle preuve plus frappante de f ir,difference des h jmiaes pour le bonheur de leurs fembla- bles ? * i(,, Pourquoi les Puiflans n’ont-i!s point encore H 6 iSo D s l'H o b m e, inftitud d’Academies Morales & Politiquea 1 Craindroient-ils qu’elles ne refaluftent enfin le Prcbleme d’une excellente Legiflation, & n’afiu- raffent a jamais le bonheur des Citoyens ? Ils le craindr&ient fans doute , s’ifs foupconnoient que le bonheur public exigent le facrifice de la moin- dre partie de leur autorite. 11 n’eft qu’un interet- qui fe taife devant finterh National, c’eft celui du foible. Le Prince communement ne voit que lui dans la Nature. QuiFinterefteroit a la felicite de fes Sujets? S’ii les aimoitles enchaineroit-ii? Eft-ce du Char de. la Victoire & du Trone du Defpotifme qu’il peut leur donr.er des Loix uti¬ les 1 Enivre de fes fucces , qu’itnporte au Con- querant la felicite de fes Efclaves ? Quant au Magiftrat charge par une Republi- que dela retorme de fesLoix, il a communement trop d’interets divers a manager, trop d’opinions nifferentes a cor.ci'ier pour pouvoir en ce genre .rien faire de grand&defimple. C’eftuniquement au Fondateur d’une Colonie qui commande a des homrnes encore fans prejuges & fans habitudes qu’il appartient de rdfoudre le Prahleme d’une excellente Legifiatioh, Rien dans cette pofition. n’arrdte la marche de fon.genie r ne s’oppofe a. I’etabliiferoent des Loix les, plus fages. Leur per feftion n’a d’autres bqrnes que les boraes mimes- de fon Efprit. Mais quant, a Fubjer qu’elles fe. gropofent pourquci.lesLcixMcnafliquesfont-ellesles meins, ijnparfaites ? C’eft que le Fondateurd’un Grdre Religieiixeft dans la pogdon-du Fondateui d’une son Education. Ckap^XII. 18 s Cokmie. C’eft qu’un Ignace en tracant dans le Silence & la Retraitele plan de fa Regie, n’a point encore a menager les gouts & les opinions defes Sujets future. Sa Regie faite , fon Ordre approu- ve , il eft entoure de Novices d’autant plus fou- mis a cette. R.eglequ’ils 1’ont volontairement.em- braffee & qu’ils ont par confequent approuve les moyens par lefquels iis font contraints a J’obfer- ver. Faut-ii done s’e'tonner , fi dans leur genre ? de telles Legiflations font plus parfaitesque celles d’aucune Nations. De toutes les Etudes celle des diverfes Conft titutions Ivlonaftiques eft peut-etre une des plus; curieufes & des plusinftruclives pour des Magift trats, des Philofophes & generalement pour tous les liommes d'Etat. Ce font des experiences err petit qui re'velant les caufes feerettes de la feiici- tc , de la grandeur & de la puiftance des different Ordres Religieux , prouvent , comme je mefuis. propofe de le montrer , que ce n’eft ni de la Re¬ ligion , ni de ce qu’on appelle la Morale a peu- pres la meme chez tous les Peuples 3 c tous les Moines, mais de la Ldgiflation feule que depen¬ dent les vices, les vertus, la puiifance & la feii- citd des Nations. Les Loix font fame des Empires, les inftru-- mens du bonheur Public; Ces inftrumens enco¬ re groffiers peuvent etre de jour en jour perfec— tionnes. A quel degre peuvent-ils 1’etre ; & juft- qu’ou 1’excellence de la Legiflation peut elle por¬ ter le bonheur des Citoyens (a) ? Il faut pour E»tre I55 Ordres Religieux 1 ceu* dent jgo, D e l’ Homme, refoucfre cette quefUon, favcir d’abord en quo/ coiififte le bonheur de l’individu. le Gouvernement approcfce le plus <3e la forme Eepubli- caine & dont les Sujets font les plus li'bres & plus heu- reux , font en general ceux dont les Moeurs font’les meil- leures & la Morale la moins erronee. Tels font les Doc¬ trinaires & les Oratoriens. son Education. 'Notes. 1^5 NOTES. I. np A ous les Francois fe vantent d’etre des amis tendres. Lorfque le Livre de l’Efprit parut, iis crierent beaucoup centre le Chapitre de Pamitie On eut cru Paris peuple d’Oreftes & de Pylades. C ’eft cependant dans cette Nation que la Loi Militaire oblige un Soldat de fufiller fon Compa- gnon & fon ami Deferteur. L’etabliflement d’une pareilleLoi ne prouve pas de lapart duGouver- nement un grand refpecl pour 1’amitie; & l’o- beiffance a cette Loi une grande tendrelfe pour fes amis. a. Quiconque, difoient lesStoi'ciens , fe vou- droit du mal, & fans motif fe jetteroit dans le feu, dans l’eau ou par la fenetre, palferoit pour fou & le feroit en elfet, parce qu’en fon dtat natu- rel l’bomme cherche le plaifir & fuit la douleur ; parce qu’en toutes fes actions , il eft neceffaire- ment determine par le defir d’un bonheur appa¬ rent ou reel. L’homme n’eft done pas libre. S a volonte eft done auffi neceffairement Pellet de fes idees , par confequent de fes fenfations, que la douleur eft Peffet d’un coup. D’ailleurs, ajou- toient les Stoi'ciens, eft-il un feul inftant ou la liberte de l’homme puiffe etre rapportee aux dlf- ferentes operations de foname ? Si par exemple, la meme chofe ne pent a a meme inftant etie & ifetre pas } il p’eft done pas poftible 5 r 184 D E l’H o m m e Qu’au moment ou l’Ame agit, elle agiffe autrement f, Qu’an moment oil elle choifit, elle choififfe autrement;, Qu’au moment oil elle delibere, elle delibere autrement,. Qu’au moment oil elle veut, elle vemlle autrement. Or ft c’eft ma volonte telle qu’elle eft qui me fait deiibe'rer; fi c’eftnu deliberation telle qu’die eft qui me fait choifir ; ft c’eft mon choix telqu’il eft qui me fait agir ; ft lorfque j’ai delibere , il n'etoit pas poftible ( vu l’amour que je me porte) que je ne voulufie pas deiiberer , il eft evident, que la liberte n’exifte ni dans la volcntd aftuelle ni dans la deliberation aduelle, ni dans le choix afluel, ni dans l’adiron aflueile & qu’ennn la liberte ne fe rapparte a nulle des operations de fame. Il faudroit pour cet effet qu’une meme chofe , ccmme je l’ai d£ja dit, put au meme inftant etre & n’etre pas. Or , ajqutoient les Sto'iciens, voici la queftion que nous faifons aux Philofophes. » L’ame eft-elle fibre, ft quand elle veut, quand » elle delibere, quand elle choifit, quand elle agit, elle n’eft pas libre « ?. 3. II n’eft prefque point de Saint qui n’ait une fois dans fa vie lave fes mains dims le fang humain & fait fupplicier fon homme. L’tveque qui der— nierement follicitafi vivement la mart d’un jeune homme d’Abbeville, etoit un Saint. 11 voulut que: cet adolefcent expiat dans des. tcurmens affreux le crime d’avoir clianie quelques couplers licen-- tieux- 4. Si. nous njiiftacrons les Hdtetiquesdifent son Education. Notes. 185 les Devots, c’cil par pitie. Nous ne voulons que leur faire fentir l’aiguillon de la charite. Nous efpdrons par la crainte de la mort & des bour- reaux les arracher a l’Enfer. Mais depuis quand la charite a-t-elle un aiguillon ? Depuis quand egorge-t-elle 1 D’ailleurs fi les vices ne damnent pas nuins que les erreurs , pourquoi les Devots ne maffacrent-ils pas les Irommes vicieux deleur Sects ? y. C’effla faim, c’eft le befoin qui rend les Citoyens induftrieux, & ce font des loix fages qui les rendent bons. Si les anciens Romains, die Machiavel, donnerent en tout genre des exem- ples de vertu ; ft 1’honnetete chez eux fut com¬ mune , fi dans l’efpace de plufieurs Siecles, on eat compte a peine fix ou fept de comdamne's a l’amende, a I’exil, a la mort,a quoi durent-ils & leurs vertus & leurs fucces ? AlafsgeffedeleursLoix, aux premieres diffenfions qui s’elevant entre les Blebeiens & les Patriciens , etablirent cet equi- libre de puiffance , que des diffenfions tcujours renaiffatttes maintinrent kmg-tems entre ces deux Corps. Si les Romains, ajoute cet illuftre Ecrivain , differerent en tout des Venitiens ‘ fi les premiers ne furent ni humbles dans le malheur , ni pre- fomptueux dans la profperite', la diverfe con- duite & le caraftere different de ces deux Peuples fut 1’efFet de la difference de leur difeipline. 6. M. Helvddus fut parquelques Theologiens traite d'impie & le Pere Bertier de Saint. Ce- pendant le premier n’a fait, ni voulu faire mal a perfonne, Sc le fecond difoit publiquement que 1$6 D E I.’ H O M M E , s’il eat etd Roi, il cut noyd le President de Mon- tefquieu dans fon fang. L’un d’eux eft l’honnete hcmme & l’autre le Chretien. 7 . Des Leix juftes font routes puiffanres fur les homines. Elies commandent aleurs valontes, les rendent honnetes,hum:.ins & fortunes. C’eft a 4 ou 5 Loix decetre efpece que les Anglois d i- vent leur bonheur&l’alfurancedeleur propriete & de leur lifcerte. La premiere de ces Loix eft celle qui remet a la Chambre des Communes le pauvoir de fixer les fubfides. La feconde eft 1’Acle de 1 'Habeas Corpus. La troilieme font les jugemens rendus par Ju- res. La quafrieme la Liberte de la preffe. La ci-nquieme la maniere de lever les Impots. Mais ces Impots ne font-ils pas mJnrenant onereux a la Nation? S’ils le font, ils ne four- niffent pas du mains au Prince de moyens d’op- primer lest ndi vidus. 8 . Ce n’eft point a la Religion, ce n’eft point a cette Loi naturelle innee & gravde, dit-on , dans toutes les arnesqueleshommesdoivent leurs vertus fociales. Cette Loi naturelle ft vanree n’eft comme les amres Loix que le produit de l’expe- rience, de la reflexion Sc de 1’efprit. Si la Na¬ ture imprimoit dans les cceurs des idees nettes de la vertu; ft ces idees n’dtoient point une acquifi- tion , les hommes euflent-ils jadis immole des vifti mes humsi nes a des Dieux qu’ils di fbient bons? Les Carthaginois pour fe rendreSaturr.e propice , son Education. Notes . 187 euftent-ils facrifie leurs enfans fur ces Autels ? L’Efpagnol croiroit-il la Divinke avide du fang Heretique ou Juif ? Des Peuples entiers fe flatte- rcient-ils d’obtenir l’amour du Ciel, foit par le fupplice de l’homme qua ne penfe pas ccmme leurs Pretres , loit par le meurtre d’une Vierge offerte en expiation de leurs forfaits ? Je veux queles Principes de la Li naturelle foient innes : les hcmmes fentiroient done que les chatimens doivent comme les crimes erre per- fonnels , que la cruaute & l’injuftice ne peuvent etreles'Pretrelfes des Dieux. Or ft des idtesaufil claires, auffi fimples de l’equite ne font paint- encore adoptees detoutes les Nations , ce n’eft done point a la Religion , ce n’eft done point a la Loi naturelle, mais a l’infiruftion que l’hotn- me doit la connciftance de la juftice & de la vertu. 9 . La vertu eft ft precieufe & fa pratique ft fide a l’avantage Nationale, que fi la vertu n’e- toit qu’une erreur, il lui faudroit fans doute facri- fier jufqu’a la verite. Mais pourquoi ce facrifice, & pourquoi le menfonge feroit-il Pere de la Ver¬ tu ? Par-tout ou l’interet Pariculier fe confond avec 1’interet Public, la vertu devient dans drc- que Individu l’effer neceflaire de l’amour defoi & de 1 ’inteiAt perfonnel. Tous les vices d’une Nation ferapportenttou- jours a quelques vices de fa Legiflation. Pcurquoi fi peu d’hommes honn£res ? C’eft que 1’informne pourfuit prefque par-tout la prebite. Qu’au con¬ tra ire les honneurs & la consideration en foient les Conipagnes, tons les homines feroat veitueux. 188 De i* Homme, Mais il eft des crimesfecrets auxquels la Religion feule peut s’oppofer. Le vol d’un Depot confid en eft un exemple. Mais [’experience prouve-t- elle que ce Depot foit plus furement confid au Pretrequ’a Ninon de l’Enclos ? Sous le nom de Legs pieux que de vol cemmis ! Que de fuceef- fions enlevees a des Heritiers legitimes ? Telle eft la fource infeifte des richeffes immenfes de 1’Egiife. Voila fes vols. Ou font fes reffitutions ? Si le Moine, dit-on , ne rend rien, il fait rendre. A quelle fomme par an evaluer ces reflimtions dans un grand Royaume ? A cent mille ecus ? Soit qu’on compare cette fomme a celle qu’exige l’entretien de tant de Couvens : e’eft alors qu’on pourra juger leur utilitd. Que diroit-on d’un Fi¬ nancier qui peur affurer la recette d’un million en depenferoit vingt en frais de regie ? On le traiteroit d’imbdcilie. Le Public ell cet imbeeille Iorfqu’il entretient tant de Pretres. Leurs inftru&ions a trop haut prix font d’ail- leurs inutiles a des Peuples aifes, aftifs , induf- trieux , & dont la liberte eleve le caradtere. Chez de tels Peuples, il fe commet peu de cri¬ mes fecrets. Devroit-on encore ignorer que e’eft a 1’union de l’interet Public&Particulier,queles'Citoyens doivent leurs vertus Patriotiques ? Les fondera-t- on toujours fur des erreurs & des Revelations qui depuis fi long-tems fervent de pretexte aux plus grands forfaits ? io. Si tous les homines font Efclaves nds de fa fuperftition , pourquoi, dira-t-on, ne pas pro- liter d« leur foiblefle pour les rendre keureux & son Education. Notes . 189 leur faire honorer les Loix ? Eft - ce le fuperfti- tieux qui le refpefte ? C’eft au contraire lui qui les viole. La fuperftition eft une fource empoi- fonnee d’ou font fortis tous les malheurs & les calamices de la terre. Ne peut-on latarir ? Onle peut fans doute , & les peuples ne, font pas auflt neceffairement fuperftitieux qu’on le penfe. 11s font ce que le Gouvernement les fair. Sous nn Prince detrompe , ils ne tardent point a l’etre. Le Monarque a la longue eft plus fort que les Dieux. AufTi le premier foin du Pretre eft de s’empaxer dc l’efprit des Souverains. Point de viles flatteriesauxquelleskcet effet il ne s’abaiffe. Faut-illes declarer de droit divin ? il les declarera tels , il s’avouera lui-meme leur efclave ; mais fbus la condition tacite qu’ils feront reellement les leurs. Les Princes ceffent-ils de l’etre ? Le Clerge change de ton & ft les circonftances lui font favcrables, ils leur annoncent que ft dans Saul, Samueldepofa l’Oint du Seigneur, Samuel ne put rien autrefois que le Pape ne puifle au- jourd’hui. 11 . C’eft toujours a fa raifon que 1’homme honnete obeira de preference a la revelation. Il eft, dira-t-il, plus certain que Dieu eft: 1’Auteur de la raifon liumaine, e’eft-a-dire, de la faculte que 1’homme a de difeerner le vrai du faux, qu’il n’eft certain que ce meme Dieu foit l’Auteur d’un tel Livre. Ileft plus criminel auxyeux duSage de nierfa propreraifon que de nier quelque revelation que ce fbit. iz.LeSyfteme Religieux rctnpttouteproper* SJO D E L’ H O M M E ,' tion entre les recompenfes decernees aux actions des hotnmes, & Futihte dont ces adtions font au Public. Par quelle r«ifon en effet le Soldit eft-il moins refpeftre queleMoine? Pourquoi donne-t- onau Religieuxqui fait voeu de pauvrere 11 oil i J rnille Livres de rentes, pour ec outer une foispar an les pechds ou les fotifes d’un Grand, lorf- qu’on refufe 600 Livres a 1 ’Officier bleffe fur la breche ? 13. Prefque tcute Religion defend aux hom- mes I’ufage de leur raifon, les rend a la fois hru- tes , malheureux & cruels. Cette verite eft affez plaifamment rnife en aftion dans une Piece An- gl ;ife intitulee la Heine du bon fens. Les Favoris de la Reine font dans cette Piece la Juri fprudenct feus le nam de Law, la Medecine fovs le nom de Thifick; un Pretre du Soleil fous lenom de Fire¬ brand cu Boutefeu. Ces Favoris las d’un Gcuvernement contraire a leurs interets confpirent, appellent 1’ignorance a leur fecours. Elle debarque dans l’lfle du bon. fens ala tete d’une troupe' de Bateleurs , de Me- netriers, de Singes &c.; elle eft fume d’un gros d’ftaliens & de Francois. La Reine du bon fens marche a fa rencontre. Firebrand i’arrete; 6 Reine, lui dir—il, tan Trone eft ebranle . les Dieux s’ar- inent canrre toi; leur colere eft Peffet funefte de ta protection accordee aux Incredules. C’eft par ma bouche que !e Soleil te parle ; tremble ; re- mets-mei cet Impie, que jelelivre aux flammes; ou le Ciel confommera fur toi fa vengeance. Je fuis Pretre ; je fuis infallible ; je commande, obdis , ft tu ne crains qtte je maudifte le jour de son Education. Notes. 141 ta nai fiance ccmme un jour fatal a la Religion. "La Reine fans ecouter fait fanner la charge ; elle eft abandonndede fon Armee : elle fe retire dans un bois. Firebrand l’y fuit & l’y pognarde. Mon interet & ma Religion, demand'nent, dit-il, cette grande vi&ime; mais m’en declarerai-je FaffalTm ? Non : 1’intdret qui m’ordonna ce par¬ ricide , veut cue jele taife: je pieureia i en public mon ennemie, jecelebrerai fes vertus. ildit: on entend un bruit de guerre. L’igncrance paroit, fait enlever le corps du bon fens , le depute dans un tombeau. Une voix en fort 6 c prononce ces mots Prcphetiques : « Que l’ombre du bon fens » erre a jam. is fur la terre; que fes gemiflemens » foient l’eternel effroi de 1’Armee de l’ignor n- » ce ; que cette ombre foit uniquement vifible y> aux gens edaires, & qu’ils foient en confe- y> quence toujours traites de vifionnaires.» 14. Les Loix font les fanaux dont la lumiere dclaire lePeuple dans le chemin de la vertu. Que faut-il pour rendreles Loix refpe&ables? Qu’elles tendent evidemment au bien Public , & foient long-tems examinees avant d’etre pr mulguees. Les Loix des douze tables furent ches les Remains un an entier expofees a la cenfure publique. C’efl pa>- une telle conduite que des Magiftrats prouvent le deiir fincere qu’ils ont d’etablir de bonnes Loix. ToutTribunal qui fur larequifition d’un hom- me en place enrdgiftrercit facilement une peine de mort conrreles Citoyens, rendroit ta Legifla- lion odieufe & la Magiftrature meprifible. 1 y. Quatre chofes difent les Juifs doivent de-; 1512. D £ l’ H o m m e, trilire le Monde, l’une defquelles eft un homme Religieux & fou. 1 6. Tout hcmme craint la douleur & la mcrt. Le Soldat meme obeit a cette crainre; elle le dis¬ cipline. Qui ne redouteroit rien, ne feroit rien contre fa volonte. C’eft en qiialite de Poltronnes que les Troupes font braves. Or, ait a ce fujet un grand Prince, fi le bourreau peut tout fur les Armees, il peut tout furies Villes. 17. Si la Police neceffaire pour reprimer le crime eft trop couteufe , elle eft a charge aux Citoyens : elle devient une calamite publique. Si la Police eft trop inquifitive, elle corrompt les rnoeurs, elle etend l’efprit d’efpionnage; elle de¬ vient une calamite publique. Il ne faut pas que la Police ferve la vengeance du fort centre le foi¬ ble & qu’elle emprifonne le Citoyen fans faire juridiquement fon proces. Elle doit de plus fe furveiller fans ceffe elle - meme. Sans la plus ex¬ treme vigilance, fes commis devenus des malfai- teurs autorifes, font d’autant plus dangereux, que leurs crimes nombreux & caches reftent in- connus comme impunis. 18.Il n’eft pas d’un Delpore Jeftiite comme d’un Tyran Oriental qui fuivi d’une Troupe de Bandits a laquelle il donne le nom d’Armee, pille & ravage fon Empire. Le Jefuite Defpote fournis lui-meme aux Regies de fon Ordre , anime du meme efprit, ne tire fa confideration que de la puiffance de fes Sujets. Son Defpotifme ne peut done leur dtre nuilible. 15. Sil’on cite peu de Regicides parroi le Re¬ formes , son Education. Notes. 193 formas , c’eft qu’ils ne s’agenouillent point do vant le Pretre, qu’iis fe confeffent a Dieu& non a I’liomme. II n’en eft pas de rneme desCatholi- ques. Prefque tons fe confefTent Sz communient avant leurs attentats. 2.0. L’obeiffance du Moine -envers fon Supe- rieur rendra toujours ce dernier redoutable. Or- donne - t - ii le meurtre ? Le meurtre s’execute. Quel Religieux peut refifter a fes commandemens? Que de moyens dans le Superieur pour fe faire obeir 1 Pour les connoltre, parcourons la Regie des Capucins. Clemens Papa 4, ubi fupra Cap: 6 . (j: 24 dit: « Un Frere n’a droit de fe confefier qu'aunau- n tre Frere, fi ce n’eft dans le casd’une neceffite » abfolue.» II dit ubi fupra Cap. 6 . §: 8. « Si » dans la prifon un Frere accable du poids defes » fers, demande a fe confelfer a un Religieux » de l’Ordre,il n’obtiendra fa demande que dans » le cas ou le Gardien jugera a propos de lui ac- » corder cette confolation & cette grace. Le Re¬ x' ligieux ne pourra communier a Paques que par » la permiffion du Superieur & toujours dans » i’infirmerie ou quelqu’autre lieu fecret.» II ajoute ubi fupra Cap: 6 . $s: 10. « Pour les » grands crimes les Frere's feront brfiles vifs. » Pour les autres crimes ils feront depoutlies , » misnus, feront attaches & dechires impitoya- » blement par trois reprifes a la voionte du Pere » Miniftre. L’on ne leur donnera qu’avec me- » fure un pain d’afflidion & une eau de dou- » leur. » » Pour les crimes atroces, le Pere Miniftre Tome II. 1 1 94 Be l\ H o m m e , » pourra inventer tel genre de rourment qu’il » voudra.» 11 dit ubi ftipraCap; 6 . (}: a. a Si le fer, lefeu, » lesfouets, la foif, la prifon, le refits desSa- » cremens ne font pas fulfifans pour punir un Frere , ou lui faire avouer le crime dont il eft » accufe, le P,ere Miniftre pourra inventer tel 33 genre de fupplice qu’il voudra, fans lui nom- a mer les delateurs & les ternoins, a moins que » ce ne fut un Religieux de grande importance, a Car il feroit indecent de mettre a. la queftion 33 ( hors le cas d’un crime bnorme ) un Pere qui » auroit d’ailleurs bien merite deFOrdre. Il ajoute enfin ubi fupra Cap. 6 : 3. 33 Le » Frere qui aura recours au Tribunal feculier tel >3 que celui de 1 ’Ev^que , fera puni a la volonte .» du General ou du Provincial, & le Fie re qui 33 confeffcra foil pdche,ou en aura ete convaincu, >3 fera execute par forme de provifion, nonobf- 33 rantl’appel, fauf a faire droit danslafuite, li » 1 ’appel eft: fonde.33. Une telle regie dpnnee,il n’eft point deMoine dont le Pape, l’Eglife & le General ne puiffe faire un Rbgicide. Point de Superieurs auxquels Je Prince dut confdrer une femblable puiflance fur fes inferieurs. Par quel aveuglement expo- fe-t-il ainfi 1 ’innocence aux plus cruels fupplices ©c lui-meme a tant de dangers ? <11. Panni les Ouvrages des Jefustes, ilen eft- fans doute beaucoup plus de ridicules que de ha- aardes. Le P. Garalfe, par exemple, d&lamant centreCain, dit P. 130. L. 1. de fa Doftrine Gu- rieufe, » Que Cain, commp le remarquent les son Education. Notes . 19? » Hebreux, etcit un homme ae.peu de fens &le » premier Athe'e ; que ce Cain ne pouvoit ccm- » prendre ce que luidifoit Adam fon Pere,favoir » qu’i! etcit un Dieu Saint, Juge de nos aftions. » Ne pouvant le comprendre, Cain s’imagina » que c’etoit des comes de Vieilles, & que fon. » Pere avoit perdu le fens cotnmun, lorfqu’il lui » racontoit fa fortie du Paradis terrellre & ce qui » lui etoit arrive. Dela Cain fe laifie einporter A » tuer fon frere & a repondre a Dieu, coir.me » s’il eut parle a un Faquin.» Ce meme PereL. 1 P. 97. raconte qu’a l’ar- rivee de Calvin , dans le Poitou , lorfqufe pref- que toute la NobleiTe en embraffoit les erreurs , un Gentilhcmme retint partie de cette Ncbleffe a la foi Gatholique en difant; « je prcmets d’e- » tablir une Religion meilleure que,cede de Cai- » vin , ft je trouve une douzaine de belitres qui » ne craignent pas de fe faire bruler pour la de- » fenfe de mes reveries.» Fontenelle fut perfe- cute pour avoir repete dans fes Oracles ce que le Pere Garaffe fit dire au Gentilhomme Poitevin. Tant il eftvrai qu'il n’y a qu’heur &maiheuren ce Monde. 22. Jufqu’aux Pedans Janfeniftes, tous con- viennent qu’en France Peducation aduelie ne peut former desCitoyens & des Patriotes. Pour- quoi dohc toujours occupes de leur grace verfa- tile ou fuffifante, ces Jsnfdnifles 11’ont-ilsencore propofe aucun plan d'education publique. Que irindifference dans les Devots pour le bien ge¬ neral! 23. Co Livre des Affections, difoient lesPar- lz ID E L’H O M M E, tifans des Jefuites , digne d’un Theologien Hi- bernois ne i’eft point d’un Parlement. Les Jefui¬ tes, ajoutoient-ils, n’ont done pas etejugespar des Magiftrats , mais par des Procureurs Janfe- niftes. Ce que je fais, e’eft qu’on doit en parde a ce Livre la diffolution de cette Societe. Tant il eft vrai que les plus heureufes reformes s’ope- rent quelqu efois par les moyens les plus ridi¬ cules. 24. En prefque tous les pays, qui veut obte- nir une charge, doit etre de la Religion duPeu- ple. La Chine , dit-on , eft prefque le feul Em ¬ pire oii 1 ’on ait reconnu l’abus de cetufage. Pour etre Hiftorien jufte & vdridique, s’il faut, difent les Chi nois,etre indifferent a toute Religion; pour regir equitablement les hommes, pour 6rre Ma- giftrat integre, Mandarin fans prevention , il faut done n’etre pardllement d’aucuneSefte. 25. Pons de Thiard de Biffy Eveque de Cha¬ lons fur Saone (le feul qui dans les Etats de Blois de 1 5 5 8 fut refte lidele a Henri III.') adreffe une Lettre au Parlement ds Dijon. Dans cette Let- tre en date de 15 90, ce Prelat deplored’abord ie malheur de fa triftePatrie ; il decrit les horreur? de la Ligue & fes crimes abominable*; il allure enfin que Dieu dans fa colere veut abymer ce beau Royaume que des impofleurs au mafque de fer ontebranle de routes parts. Puis s’adreffantau Parlement, e’eft ainfi qu’il l’exhorte a chaffer les Jdfuites. » Ces Apotres de Mahomet ont, dit-il, Tim¬ s’) pietedeprecher que la guerre eft la voiedeDieu. ■» Que ces Sedufteurs diaboliques, ces Amateurs son Education. Notes. 19 7 r> prefomptueux de la fauffefageffe, cesZelateurs >3 hypocrites , ces Murailles reblanchies , ces » Ecoles, Auteurs de tempetes civiles, ces In- 33 cendiaires des Efprits, ces Boute-feux des Se- 33 ditions , ces Emiffaires de l’Efpagne, ces Ef- 33 pions dangereux & habiies dansl’art de dreffer » des embuches, foient done a jamais bannis de » France.» Portant enfuite la parole au Jefnite Charles & a les Confreres. « Vousvoyez, dit-il, tons ces » forfaits execrables qui font gemir les Gens de 33 bien', & vous n’y oppofez pas lc moindre figne r> d’improbation : vousfaites plus; vous y applau- » difiez, vous promettez aux plus grands crimes >3 les recompenfes celeftes. Vous excitez a les » commettre, & vous placez dans le Ciel d’infa- 35 mes brigands que vous lavez dans la rofee de )3 votre mifericorde. 33 33 Le Roi tres - Chretien vient d’etre aflaffine 33 par 1’attentat horrible de vos femblables , & 33 vous Viramolez encore apres fa mort. Vous le 33 aevouez aux flammes eternelles & vous ofez 33 precher qu’on doit lui refufer le fecours des » prieres. 33 16. O ! Mortels qui vous dites bons & qui Fe¬ tes en effet fi peu, ne rougirez-vous jamais de votre indifference pour la reforme & la perfection de vcsLoix! Vos Magiitrats ne favent - 1I3 vous rtgir & vous contenir que par la crainte des Cup- pi ices les plus abominables ? Infenfibles aux cris & aux gemiffemens des condamnes, n’eflaieront-ils jamais de reprimer le crime par des moyens plus doux ? II eft temps qu’ils confiatcn: leur humanite li 198 D 1 L’ H 0 M M 3 E, park recherchedeces moyens. Qu’ils compofent done des Ouvrages fur ce fujet, Qu’ils craignent qu’on n’impute a k parefle de leur elprit le meur- tre de rant d’infortunes, & qu’ils propofent enfin des prix pour la folution du Probleme fi dignede 1’equitd compitiffante des Souver ains! O ! Mortels, votxe pretendue Eonte n’eft qu’Hypocrifie! Elk eil dans vos paroles & noil dans vos actions. sow Education. Chap. I. io a SECTION VIII. De ce qui conftitue le bonheur des Indivi- dus ; de Ja bafe, fur laquelle on doit edifier Ja fe'licite Nationafe , neceilaire- nient compofee de toutes ies felicites particulieres. CHAPITRE I. Tons les hommes dans Vetat de Soci&ti peuvent-ils etre egalement heureux. INI ULLE Societe ou tous les Citoyens puiffent etre egaux en richeffes & en puiffance. * i. En eft-il ou tous puiffent etre egaux en bonheur ? C’e/l ce que j’examine. Des L'oix fages pourroient fans dc-ute operer le prodige dune felicite univerfelle. Tous les Citoyens ont-ilsquelque propriete ? Tous font- ils dans un certain etat d’aifance, & peuvent-ils par un travail de fept ou huit heures fubvenir sbondamtnent a leurs befoins & a ceux de leur famille? Ils font aufii heureux qu’ils peuvent I’etre. I 4 200 D E X.’ H O M M i, Pour Je prouver , fachons en quoi ccnfifte le bonheur du Particulier. Cette connoiflance pre- Jiminaire eft la feule bafe fur laquelle on puiffe edifier la felicite Nationale. Une Nation eft le compofe de tons fes Cito- yens; & le bonheur Public le compofe de tous lea bonheurs Particulars. Or qu’eft-ce qui conf- titue le bonheur de 1’Individu ? Peut-etre 1'igno- re-t-en encore & ne s’eft-on point affez occupe d’nne queftion qui peut cependant jetter les f )Ius grandes lumieres fur les diverfes parties de ’Adminiftration. Qu’on interroge la plupart des hommes. Pour etre egalement heureux , dircnt-ils , il fjudroit que tous fuffent egalement riches & puiffans. Rien de plus faux que cette affertion. En effet ft la vie n’eft que le compofd d’une infi¬ nite d’inftans divers, tous les hommes feroient egalement heureux , fi tcus pouvoient remplir ces inftans d’une maniere egalement agreable. Le peut-on dans les differentes conditions ? Eft-il poffible d’y eolorier de la meme nuance de feli¬ cite tous les momens de la vie bumaine ? Pour rdfoudre cette queftion, fachons dans quelles occupations differentes fe confomment neceffai- sement les diverfes parties de la journee. son Education. Chap. I. aoi 04 Be l’ H o u m e ] Pour etre fceureux, l’opulent oifif eft force d'af- tendre que la Nature renouvelle en lui quelque befoin. C’efb done l’ennui du defeeuvrement qui rem- plit en lui l’intervalle qui fepare un befoin re- naiffant d’un befoin fatisfait. Dans l’Artifan e’eft le travail, qui, lui procu- rant les moyens de pourvoir a des befoins , a des amufemens qu’il n’obtient qu’a ce prix , le lui rend agreable. Pour le riche oifif il eft mille momens d’en¬ nui pendant lefquels l’Artifan & l’Ouvrier gou- tent les plaifirs toujours renaiffans de la pre- voyance. Le travail, lorfqu’il eft modere , eft en gene¬ ral le plus heureux emploi que 1’on puiiTe faire du terns ou l’on ne fatisfait aucun befoin, ou Tonne jouit d’aucun des plaifirs des fens, fans contredit les plus vifs & les moins durables de tons. Que de fentimens agreables ignores de celui qu’aucun befoin ne neceffite a penfer 1 Mes im- menfes richeffes m’aflurent-elles tous les plaifirs quele pauvre defire & qu’il acquiert avec rant de peine ? Je me plonge dans 1’oifivete. J’at- tends, comme je Tai deja dit, avec impatience que la Nature reveille en moi quelque defir nouveau. J’attends ; je fuis ennuye & malheu- reux. Il n’en eft pas ainfi de l’homme occupe. L’idee de travail & defargent dont on Is pave , s’eft-eile affociee dans fa memoire a Tidee de bonlieur • l’occupation en devient un. Chaque son Education. Chap. IT. 2.0? coup de hacherappelle au fouvenir du Charpen- tier les plaifirs que doit lui procurer le paiement de fa journee. En general tou^e occupation neceffaire rem- plit de la maniere la plus agreable l’intervalle qui fepare un befoin fatisfait d’un befoin renaii- fant, c’eft-a-dire, les dix ou douze heures de la journee ou Ton envie le plus 1’oifivete du riche, oil 1’on le croit fi fuperieurement heureux. La joieavec laqueile des Ie matin le Labou- reur attele fa charrue , & le Receveur ouvre fa cailfe & fon Livre de compte en eft la preuve. L’occupation eft un plaiiir de tous les inftans, mais ignore du Grand & du riche oifif. La me- fiire de notre opulence, quoi qu’en dife le preju- ge, n’eft done pas la mefure de notre feiicite. Au/Ii dans toutes les conditions, ou , commeje 1’ai deja dit, 1’on peut par un travail modere fub- venira tous fes befoins, les hommes au-deffbs del’indigence , mains expofes a l’ennui que les riches oififs, font a peu-pres aufti heureux quilts peuventl’etre. Les hommes fans etre egaux en richeffes , & »n dignites , peuvent done l’etre en bonheur, Mais pouquoi les Empires ne font-ils peuples que d’infortunes. a 06 De l’ Homme, CHAPITRE III. Des caufes du malheur deprefque toutesles Nations . T Jt„;E malheur prefque univerfel des hommes & des Peuples depend de l’imperfedlion de Jeurs Loix & du partage rop inegal des richeffes. II n’eft dans la plupart des Royaumes que deux Gaffes de Citoyens ; Tune qui manque du necef- faire, l’autre qui regorge de fuperflus. La premiere ne peur pourvoir a fes befoins cue par un travail exceffif. Ce travail eft-uri mal pbyfiquepour tous: deil unfupphce pourquel- ques-uns. La feconde Claffe vit dans I’abondance , msis auffidans les angoiffes de l’ennui (tz). Or l’en- nui eft un mal prefqu’auffi redoutable que l’in- digence. La plupart des Empires ne doivent done etre peuples que d’infortunes. Que faire pour y rap- (a) A combien de maux , outre ceux de I’ennui, les ri~ cues ne fon t-iis pas fujets ? Que d’inquietudes & c!e foins pour accroitre & conferver line grande fortune ? Qu’eft- ce qu’iin Riche ? C’eft I’Intendant d’une grande Maifon ebargede nourrir &d’habi!Ier les valets qui iedeshabiilent. Si fes Domeftiques ont du pain allure pout leur vieii- lefle & s’ils n’ont point partage avec leur Maitre 1’ennui de fon cefoeuvrement, iis ont ete mille foisplus heureux. Le bonheur d’un opulent eft line machine compliance i laquelle il y a toujours a refaire. Pour lire csnftainwflt heureux , il faut l’etre a peu de frais. sow Education. Chap. III. ao7 peller le bonheur ? Diminuer la richeffe des uns; augmenter celle des aufres ; mettre le Pauvre en un tel etat d’aifance qu’i! puiffe par un travail de fept ou huit heures abondamment fubvenir a fes befoins & a ceux de fa famille. Celt alors qu’il devient a peu pres aufii heureux qu’il lepemetre. II goute alors, quant aux plaifirs phyfiques , tous ceux de 3’opu'ent. L’appetir d u Pauvre eft de 3a nature de 1’appetit du Riche, & pour me fervir du Proverbe ufite , Le B.iche tie dine pas ieuxfois. Je fais qu’il eft des plaifirs couteuxhors de la pcrtee dela Ample aifance : mais 1’on pent tcujours les rernplacer par d’autres & retnplir d’une maniere egaiementagreablel’intervalle qui fepare un befoin iarisfait d’un befoin renaiffanr , c’eft-a-dire, un repas d’un autre repas, une pre¬ miere d’une feconde jouiftance. Dans tout iage Gouvernement, 1’oti peut jouir d’une egale fell* cite , & dans les momens ou 1’on fatisfait fes be¬ foins , & dans ceux qui feparent un befoin fatis¬ fait d’un. befoin renaiiTant. Or ft la vie n’efi qus 1’addition de ces deux fortes d’inftans , 1’homine aile , ccmme je m’etcis propofe de le prouver , peut done egaler en bonheur les plus riches & les plus puiifans. . Mais eft-ilpcfiible que de bonnes Loix miifent tous les Citoyens dans cet etat d’aifance requis pour le bonheur? C’eft a ce fait que fe reduit xnaintenant cette importante queftion, CHAPITRE IV. Qiiil eft poftible dc dormer plus d' aiftanct aux Citoyens. JO ANS 1’Etat aftuel de la plupart des Nations, que le Gouvernement frappe de la trop grande difprcporticn des fortunes , veui'le y remettre plus d’egalite , il aura fans doute mille obftacles a furmonter. Un femblable projet concu avec fa- geffe ne doit & ne peut s’executer que par des ehangemens continus & infenfibies; mais ces changemens font poffibies. Queles Loix affignent quelqueproprietea tous les Citoyens, ell es arracheront le pauvre a l’hor- reur de l’indigence & le riche au malheur de l’en- nui. Elies rendront l’un & l’autre plus heureux. . Mais cesLoix etablies s’imagine-t-on que fans etre egalement riches ou puiffans (a) , les hont- (c) Ai-je contrafte un grand nombre de befoins ? En Vain 1’on voudroit me perfuader que peu de fortune fuffit a ma felicite. Si l’on a des mon enfance uni dans ma me- moire I ’idee de richeffe a celle du bonheur , quel mo yen de les feparer dans un age avance } Ignoreroit-on encore ee que pent fur nous PafTociation de certsines idees ? Que par la forme du Gouvernement, j’aie tout a crain- dre des Grands, je refpe£terai mechaniquement la gran¬ deur jiifque dans le Seigneur etranger qui ne peut rien fur moi. Que j’aie affocie dans mon fouvenir Pidee de vertu a celle de bonheur, je la cultiverai iors meme que cette vertu fera l’objet de la perfection. Je faisbien qu’a la longue ces deux idees fe defuniront, mais ce fera Pceu- yre du terns & m£me d’un long-tems, II faudra pour cet son Education. Chap. IV. loy mes fe croiroient egalement heureux ? Rien de plus difficile a Ieur perfuader dans l’cducation affuelle. Pourquoi ? C’efl: que dans leur enfance on affocie dans leur memoire l’idee de richefle a cede de bonheur ; c’eft qu’en prefque tous !es Pays cette idee doit fe graver d’autant plus pro- fondement dans ieur fouvenir, qu’ils n’y pour- voient comtnune'ment que par un travail exceflif aieurs beloins preffans & journaliers. En feroit-il ainfi dans un Pays gouverne par d’excelientes Loix? Si le Sauvage a pour for & les dignites leme- pris le plus dedaigneux , l’idee de 1’extreme ri- cheffe n’efl done pas neceffairement liee a celle de i’extreme bonheur. On peut done s’en former des idees di/Hndies & differences ; on peut done prouver aux homines que dans la fuite des inf- tans qui compofent ieur vie, tous feroient egaie- ment heureux, fi par laformedu Gouvernement iis pouvoienta quelqu’aifance joindre la propfiete de leurs biens, de leur vie & de leur liberte. C’eft le d^faut de bonnes Loix qui par-tout allu- me le defir d'immenfes richeffes, effet que des experiences repetees m’aient centfois prou- ve que lavertune procure reellement aucun des a vanta¬ ges que j’en attendois. C’eft dans la meditation profonde de ce fait qu’on trouvera la folution d’une infinite de Pro¬ genies moraux infolubles fans la connoiffance de cette affociaton de nos idees. 410 D E t’ H 0 M M E , CHAPITRE V. 3 E n’examine point dans ce Chapitre ft fe defir de Tor eft le Principe d’adlivite de la plupart des Nations , & ft dans les Gouvernemens afiuels , cette paflion n’eft point un mil neceffaire. Je ne la confidere que relativement a fon influence fur le bonheur des particuliers. Ce que j’obferve a ce fujet, c’eft qu’il eft des Pays oil le deiir d’immenfes richeftes devient raifonnable. Ce font ceux oil les taxes font arbi¬ trages & par confdquent les pofTeffions incertai- nes, oii ies renverfemens des fortunes font fre- quens; ou comme en Grient le Prince peut im- punement s’emparer des proprietesde fes Sujets. Dans ce pays , fi l’on defire les trdfors d’Am- bouleafent, c’eft quetoujoursexpofea les perdre, on efpere au moins tirer des de'bris d’une grande fortune de quei fubfifter foi & fa famille. Par-tout oil la Loi fans force ne peut proteger le foible contrele puiftant, on peut regarder 1’opulence comme un moyen defe fouftraire aux injuftices, aux vexations du fort, au mepris ennn cornpa- gnon de la foibleffe. On ddflre done une. grande fortune comme une protefixice & un bouclier contre les opprefleurs. Mais dans un Gouvernement oil Ton fercit affure de la propriete de fes fciens, de fa vie Sc son Education. Chip. V. ail de fa liberte , ou !e Peuple vivroit dans une cer- taine aifance , le feul homme qui put raifonna- blement delirer d’immenfes richelfes, feroit le riche oifif; lui-feul, s’il en etoit dans un tel Pays, pourroit les croire neceffaires a fon bonheur ; parce que fes befoins font en fantaifies (a), Sc que les fantaifies n’ont point de homes. Vouloir les fatisfaire, c’eft vouloir remplir le tonneau des Danaides. Par-tout ou les Citoyens n’ont point de part auGouvernement, oil toute emulation eft etein- te , quiconque eft au deffus du befoin , eft fans motif pour etudier & s’inftruire ; fon ame eft vuide d’idees; il eft abforbe dans l’ennui; il vou- droit y echapper: il ne le peut. Sans reffource au dedans de Iui-meme, c’eft du dehors qu’il attend fa felicitd. Trop parefleux pour after au devant du plaifir , il voudrcit que le piaiftr vint au devant de lui. Or le plaifir fe fait fouvent attendre , & le Riche par cette raifon eft fouvent & neceftkire- ment infortune. Ma feiicite depend-elle d’autrui ? Suis-je paftlf dans mes amufemens? Ne puis-je m’arracher moi-meme a l’ennui ? Quel moyen de m’y foufi- traire ? C’eft peud’unetablefplendide,il mefaut encore des Chevaux , des Chiens, des Equipa- ; (a)U eft des Pays ou le falte & les fantaifies font non- feulement le befoin des Grands , mais encore celui du Financier. Rien de plus ridicule que ce qu’il appelle chez lui Luxe de decence. Encore n’eft-ce pas ce Luxe qui le mine. Qu’on ouvre fes Livres de compte , Ton voit que les depenfes de fa maifon ne font pas les plus confidera- bles ; que les plus grandes font en fantaifies , bijoux &c. & que ces befoins en ce genre font illimites, cornsne fca amour pour les richeffes. Hi D E L’ H O M M E , ges, des Concerts , des Muficiens, des Peintres, des Spe&acles pompeux. Point de trefor qui puiife fournir a ma depenfe. Peu de fortune fufnt au bonheur de l’hcmme cccupe. * 2 . La plus grande ne fuffit pas au bon¬ heur d’un Defceuvre. II faut ruiner cent Villages pour amufer un Oifif. Les plus grands Princes n’ont point aiTez de richeffes & de benefices pour fatisfaire 1’avidite d’une Femme, d’un Courtifan oud’unPrelat. Ce n’efr point au Pauvre, c’eft au Riche oifif que fe fait le plus vivement fentir le befoind’immenfes richeffes. Auffi que de Nations ruinees & furchargeesd’Impots.Que deCitoyens p rives du neceffaire, uniquement pour fubvenir aux depenfes de quelques Ennuyes ! La richeffe a-t-elle engourdi dans un homme h facuke de penfer ? 11 s’abandonne a la parefle ; il Lent a la fois de la douleur a fe mouvoir & de 1’ennui a n’etre point mil. II voudroit itre remue fans fe donnerla peine de fe remuer. Or que de richeffes pour fe procurer ce mouvement etranger 1 O Indigens, vous n’etes pas fans doute les feuls mifdrables ! Pour adoucir vos maux confi- tierez cet Opulent Oifif qui pafiif dans prefque tous fes amufemens, ne peut s’arracher a 1’ennui que par des fenfations trop vives pour itre fre- quentes. Si 1’on me foupconnoit d’exagerer ici le mal- heur du Riche oifif, que Ton examine en detail ce que la plupart des Grands & des Riches font pour 1’eviter , Ron fera convaincu que cette ma- ladie eft du moins au/Ii commune que cruelle. son Education. Chap. VI. arj ■tfereaw-.—A, CHAPITRE VI. De Vennui. f JL/Ennui elf une maladie de Fame. Quel en efl le principe ? L’abfence de fenfations alFei! vives pour nous occuper (a). Une mediocre fortune nous neceffite-t-elieau travail ? En a-t-on contrafte l’habitude ? Pour- fuit-on la Gloire dans la carriers des Arts & des Sciences ? On n’eft point expofe a 1’ennui. 11 n’attaque communement que le Riche oifif. #===-====e^3S®SS—!=# CHAPITRE VII. Des moyens inventes par les Oifif,]• pour Je fbujlraire a V ennui. JAN France, par exemple, mille devoirs de Sociste inconnus aux autres Nationsyont ere 'in¬ ventus par 1’ennui. Une Femme fe marie; el le (a) Des fenfations foibles ne nous arracbent point a I’ennui. Dans ce nombre je place les fenfations habituelles. Je m’eveille a 1’aube du jour ; je fuis frappe par les rayons reflechis de tons les objets qui m’environnent ; je le (bis par le chant du Coq , par le murmure des eaux , par le belement des Troupeaux, & je m’ennuie. Pourquoi?C’e& que des fenfations trop habituelles fie font plus fur tnoa d’impr^/Iions fortes. s.i4 D E l’ H O M M E accouche. Un Oifif l’apgrend : il s’impofe a tant de vifites; va tous les jours a la porte de l’Accou- chee, parie au SuilFe; remonte dans fon Carroffe & va s’ennuyer ailleurs. Be plus ce meme Oifif fe condamne chaaue jour a tant de Billets, a tant de Lettres de com- plimens ecrites avec degout & lues de meme. L’Oifif voudroit eprouver a chaque inflant des fenfations fortes. Files-feules peuvent Farracher a l’ennui. A leur defaut, il faifit cedes qui fe trouvent afaporte'e. Je fuis feul; j’allumedu feu. Le feu fait compagnie. C’.eft pour eprouver fans ceffede nouvellesfenfationsque le Turc&lePer- fan machent perpetuellement, l’un fon Opium, 1’autre fon Betel. Le.Sauvage s’ennuie-t-il ? Il s’aflied pres d’un Ruiffeau & fixe les yeux fur le courant. En France, le Riche pour la meme raifon fe loge cherernent fur le Quai des Theatins. Il voitpaffer les Bateaux ; il eprouve de tems-en-tems quel- ques fenfations. C’eft un Tribut de trois ou qua- tre mille livres que VOifif paie tous les ans a 1’ennui & ddnt 1’horrime occupe efit pufaire pre- fent a l’indigence. Or fi le? Grands les Riches font fi frequemment & fi fortement attaques de la malac'ie de I’ennui, nu! doute qu’elle n’ait une grande influence fur les moeursRationales, son Education. Chav. VIII. n? CHAPITRE VIII. De Tinfluence de Vennui fur les mceurs des Nations. dtJ/ A NS un Gouvernement ou les Riches & les Grands n’ont point de part au maniement des affaires publiques ; ou ccmme en Portugal la fu- perftition leur defend de penfer , que pent faire le Riche oifif? L’amour. Les foins qu’exige une Maitreffe y peuventfeuls remplir d’une maniere vive 1’intervalle qui fepare un befoin fatisfait dun befoin renaiffant. Mais pour qu’une Mai- tre/Te devdenne une occupation, que faut-il?Que 1’amour foit entoure de perils, que la jalouile vi¬ gilante s’oppofant fans ceffe aux defirs de I’A- mant, cet Amant foit fans ceffe occupe des mo- yens de la furprendre (a). L’amour & la jaloufie font done en Portugal (a) les feuls remedes a l’ennui. Or quelleinfluen- (a) Ce que la jaloufie opere a cet egard en Portugal, la Lei I’operoit a Sparte. Licurgue avoit vonlu que le Marx fepare de fa Femme ne le vlt qu’en fecret, dans des lieux & des bois ecartes. II fentoit que la dilticulte de fe reu- eontrer augmenteroit leur amour, reflerreroit le lien con¬ jugal Sc tiendroit les deux Epoux dans une aflivite qui les arracheroit.a 1’ennui. (<0 Point de jaloufie plus emportee, plus cruelle S' en meme terns plus lafeive que celle des femmes de l’Orient, Je citeraia ce fujet la trade Aion d’un Poete Perfan. Une Sultane fait depouiller devant elie le jeune Efclave qu’elle aime 8c qu’elle croit infidele. II eft etendu a fes pieds : elle fe precipite fur lui. 'L l 6 D E l’ H O M M E J ce de tels remedes ne doivent-ils pas avoir fur les mreurs Nationales ? Celt a l’ennui qu’on doit pareillement en Italie l’invention des Sigilbees. L’ennui fans doute eut autrefois part a i’inlti- tution de la Chevalerie. Les anciens & preux Chevaliers ne cultivoient niles Arts,ni les Scien¬ ces. La mode ne lour permettoit pas de s’inftruire, ni leur nai/fancc de commercer. Que pouvoit done faire un Chevalier ? L’amour. Mais au mo¬ ment qu’ii dedaroit fa paflion a fa Mairre/Te, fi cette MaxtreiTe eut corarae dans les mceurs ac- tuclles recu fa main & couronne fa tendreffe, ils fe fuffent mtries, eufifent fait des Enfans & puis e’eft tout. Or un enfant eft bientot fait. L’Epoux >» C’eft malgre toi, Iui dit-elle, que je join’s encore de ta beaute, mais en fin j’en jouis. Deja tes yeux font « moujlles des larmes du piaifir j ta bouche eft entre-ou- « verte; tu te meurs. Eft-ce pour la derniere fois que je si te ferre fur mon fein. L’exces de 1 ’ivrefte efface de mon 5 » fouvenir ton infidelite. Je fuis toute fenfation. Toutes 5 >1 les faculteS de mon ame m’abandonnent 8 c s’abforbent s» clans ie piaifir : je fuisle piaifir meme. » Mais quelle idee fuccede a ce reve delicieux } Quoi tu ferois carefle par ma Rivale ! Non : ce Corps ne paf- fera du moins que defigure- dans fes bras. Qui me re- 55 tient ? Tu es mi & fans defenfe. Tes beautes me defar- « meroient-elles ? Je rougts de la volupte avec laquelle 55 je confidere encore la rondeur de ce Corps .Mais 35 ma fureur fe rallume. Ce n’eft plus I’amour ni le piaifir 55 qui m’anime. La vengeance & la jaloufie vont te dechi- ?? rer de verges. La crainte t’eloignera de ma Rivale 8 c te s* ramenera pres de moi. 3 > Ta poffeffion a ce prix n’eft fans doute flatteufe , ni S 3 pour la vanite , ni pour le fentiment ; n’importe elle le ?» lera pour mes fens. 35 Ma rivale mourra loin de toi 8 c je mourrai clans tes » bras, & son Education. Chap. VIII. 2.17 & l’Epoufe fe fulTent ennuyes une partie de leur vie. Pour conferver leurs defirs dans toute leur ac¬ tivity, pour occuper leur jeunefle & en ecarter l’ennui, le Chevalier & fa Maitrefle durent done par une convention tacite& inviolable s’engager l’un d’attaquer, l’autre de refifter tant de terns. L’amour par ce moyen devenoit une occupation, C’en etoit reellement une pour le Chevalier. Toujours en adlion pres de fa bien-aimee, il falloit pour la conquerir que 1’Amant fe montrat paflionne dans fes propos , vaillant dans les com¬ bats , qu’il fe prefentat dans les Tournois, y pa- rut bien monte, galamment arme, & y rnaniat la lance avec adreffe & force. Le Chevalier paffoit fa jeunefle dans ces exercices , tuoit le terns dans ces occupations; i! fe marioit enfin, & la bene¬ diction nuptiale donnee, le Romancier n’enpar- loit plus. Peut-Stre dans leur vieiileffe les preux Che¬ valiers d’autrefois , etoient-ils comme quelques- uns de nos vieux Guerriers d’aujourd’hui, en¬ nuyes , ennuyeux , bavards & fuperftitieux. Pour etre heureux faut-il que nos defirs foient remplis auffi-tot que concus ? Non: le plaifir veut qu’on le pourfuive quelque terns. Puis-je a. man lever jouir d’une jolie Femtne, que faire le refte de la journee? Touty prendrala couleur de l’ennui. Ne dois-je la voir que le foir. Le flam¬ beau de l’efpoir&duplaifircolorerad’une nuance de rofe tous les inflans de ma journee. Un jeune homme demande unSerail. S’ii l’obtient, bientot Tome. II, K dpuife par le plaifir , il vdgetera dans le defau- vrement de l’ennui. Connois, lui dirois-je, toute l’abfurdite de ta demande. Vcis ces Grands, ces Princes, ces Hommes extremement riches, its poftedent tout ce que tu envies ■ quels Mortels font plus en- nuyes ! S’ils jouiflent de tout avec indifference , c’eft qu’ils jouiflent fans befoin. Quel plaifir different eprouvent dans lesforets deux hommes , dont fun chafle pour s’amufer & 1’autre pour nourir lui & fa famille ? Ce dernier arrive-t-il a fa Cabane chargede Gibier ? Sa fem¬ me & fes enfans ont couru au-devant de lui. La joie eft fur leur vifage; il jouit de toute cellequ’il leur procure. Le befoin eft le principe, & de l’adivite & du bonheur des hommes. Pour erre heureux, il f.mt des defirs, les fatisfaire avec quelque peine : mais la peine donnee, etre fur d’en jouir. CHAPITRE IX. TJe Vacqutjition plus ou tnoins difficile des plaifers felon le Gouvernement ou Ion vit & le Poflequ’on y occupe. J'h prends encore le plaifir des femmes pour exemple. En Angleterre Famour n’y eft point une son Education. Chap. IX. 2.19 occupation ; c’effun plaifir.Un Grand, un Riche occupe dans la Chambre haute cu baffe des affai¬ res publiques , ou chez lui de fen commerce , traite legerement i’amour. Ses Lettres ou fes En¬ vois expedies , il monte chez une jolie file jouir & non feupirer. Quel role joueroit a Londres un Sigilbee ? A peu-pres le mime qu’il eCit joue a Sparte cu dans 1’ancienne Rome. Qu’en France meme un Miniflre ait des fem¬ mes; on le trouve bon. Mais qu’il perde fon terns aupres d’elles; on s’en moque On veut fcien qu'il jouiffe , non qu’il foupire. Fes Dames font done priees de fe prefer avec eg?rd a la trifle fi'uation du Miniflre & d’etre pour lui m.jins diffeiles. Peut-etre n’a-t-on rien a leur reprccher fur ce point. Elies font affez Parriotes pour luiep rgner jufqu’a l’ennui de la declaration & fentent que c’efl toujours fur le degrd du defiru vrement d’un Amant, qu’elles doivent mefurer leur rdiiflance. CHAPITRE X. Qiulle Mahrcjfc convient a VOiff. \-t N faitmaintenant peu de cas de I’amour Pla- tonique : on lui prefere l’amour Phyfique ■ Sc ceiui-ci n’eftpas reellement le moins vif. Le Cerf efl-il enflamme dc ce dernier amour ? De timide, il devient brave. Fe Chien fidele quitre fon Mat- tee & court apres la Fice en chafeur. En- eft-il K a. 220 D E l’ H O M M E, fepare. ? II- ne mange point: tout fon corps frif- fonne, il pouffe de longs hurlemens, L’amour Platonique fait-il plus ? Non: je m’en tiens done a l’amour Phyfique. C’eff pour ce dernier que M. de Buffon fe declare, & je penfe comme lui, que de tous les amours , e’eft le plus agreable, ex- cepte cependant pour les Defoeuvres. Urle Coquette eft pour ces derniers une Mai- treffe delicieufe. Entre-t-elle dsns une Affemblee vetue de cette maniere galante qui permet a tous d’efpdrer ce qu’elle n’accordera qu’a tres-peu ? L’Oifif s’eveiile ; fa jaloufie s’irrite ; il eft arrache a 1’ennui (a). Il faut done des Coquettes aux Oi- fifs & de jolies Fillesaux Occupes. La chaffe des Femmes comme celleduGibier, doit etre differente felon le terns qu’on veut y inettre. N’y peut-on donner qu’une heure ou deux ? On va au tire. Ne fait-on que faire de fon terns ? Veut-on prolonger fon mouvement ? Il faut des Chiens courans & forcer le Gibier. La Femme adroite fe fait long-terns courir par le Dtfa-uvre. Au Canada le Roman du Sauvage eft court. Il n’a pas le terns de faire l’amour. 11 faut qu’i! peche & qu’il chaffe. 11 offre done l’allumette a fa Mai- treffe ; fa-T-elle feuflde ? II eft heureux. Si 1’on avoir a ptindre les amours de Marius& de Cdfar, lorfqu’ils avoient en tete Silia & Pompee, ou le (a) La plus forte paftion de la Coquette, eft d’etre ado* ree. Que faire aceteffet ? Toujours irriter les defirs des .hommes & ne les fatisfaire prefque jamais. Unt Femme ., dit le Proverbe , eft une table bien fervU qu f on voit dftn. 01 different ay ant ou apres U repus* son Education. Chap. X. air Roman ne feroit pas vraifemblable, ou , corarae celui du Sauvage , il feroit tr&s-court. II faudroit que Cefar y repetat, je fuis venu , j’ai vu , j’ai vaincu. Si l’on decrivoit au contraire les amours cham- petres des Bergers oififs, il faudroit leur doriner des Maitreffes delicates, cruelles & fur-tout fort pudibondes. Sans de telles Mattress Celadon periroit d’ennui, CHAPITRE XL De la variete des Romans & de tamour dans l’Homme oifif ou occupc. JO'Ans tous les Siecies les Femmes nefe.laif fent pas prendre aux memes appas , & de-la tant de tableaux diffarens de l’amour. Le fujet eft ce- pendant toujours le meme; c’eft l’union d’un homme a une femme. Le Roman eft fini lorfque le Romancier les a couches dans le meme Jit. Si ces fortes d’Ouvrages different entr’eux, ce n’eft que dans la variete des moyens employes par leHeros pour faire agreer a fa Maitreffe ceue phrafe un peu fauvage j moi vouioir coucher avec toi (a). (a) Les Hcros d’une Comedie ou d’une Tragedie fo»t- 1 5 anioureux ? Ont-ils une MaitreiTe ? Tous deux lui font la menie demande Sc ne different que dans la maniere da l’exprimer. K 3 01 % D e l’ Homme, Le ton des Romans change felon le Siecle , le Gouvernement, ou le Romancier ecrit & le de- Era d’ iftvetd de fon Hdros. Chez une Nation csccupde on met pen d’importance a l’amcur. Il .eft inconftant, aufli peu durable que la Rofe. Tant que l’Atmnt en eft aux petits loins, aux premieres faveurs; c’eft la Rofe en bouton, Aux premiers plaifirs le bouton s’ouvre & decouvre la Rofe n.iftante. Den uveaux plaifirs Fepanouif- fent enfidrement. A-t-elle atteint toutefabeaute? La Rofe fe fie rit, fes feuilles fe ddtachent, elie rireurt pour refleurir l’arinde fuivante, &l’amour pcur.ren ltre avec une Maitreffenouvelle. Chez uri Peuple oifif, Tamour devient une affaire , il eft plus conftant. Que nepeuvent fur les mceurs l’ennui &l’c-i- fivetd. Parmi les Gens du monde, dit la Roche- foucault, s’il n’eft point de tpariages delicieux , c’eft qu’en France la Femme riche ne fair a quoi paffer fon terns. L’enr.ui la pcurfuit. EHe veut s’y fouftraire ; elle prend un Amant •, fait des dettes. Le Marifefache, il n’eft point ecoutd. Les deuxEpoux s’aigriffent & fe deteftent, parce qu’ils font oififs , ennuyds & malheureux. * 3. Il en eft autrement de la femme du Laboureur. Dans cet etat les dpoux s’aiment, parce qu’ils .font occupes , qu’ils fe font mutuellement utiles; parce que la femme veille fur la Baffe-Cour, •ailaite fes enfans, tandis quele mari laboure. L’oifivete fouvent mere des vices , l’eft tou- jours de l’ennui: & c’eft jufque dans k Religion ♦u’on cherche un remede a cet ennui. son Education. Chap. XII. 2.2.3 #===CsS^S^sS===# CHA PITRE XII. De /a Religion & de fes Ceremonies con.fi- derees comme remede a l'ennui A Indes ou la terre fans culture fournit abondammenta ux befoins d’unPeuple parefieux , qui pourroit, ditun Savant Anglois, l’arracher a l’ennui, Imon la Religion & fes devoirs multi¬ plies 1 Auffi la purete de fame y eft-elle atta- 'c \lee a tant derits & de Pratiques fuperftitieufes qu’il n’efi point d'Indien queiqu’attentif qu’il foit fur lui-meme qui ne commette chaque inf- tant des fautes dont Ies Dieux ne manquent point d’etre irrites , jufqu’a ce que les Pretres enrichis des offrandes du Pecheur , foient appaifes & fa- tisfaits. La vie d’unlndien n’eft enconfequence qu’une purification, une ablution & une penitence per- petuelle. En Europe nos femmes atteignent-elles urs certain dge? Quittent-elles le Rouge,les Amans, les Spectacles ? Elies tombent dans un ennui in- fuportable. Que faire pour s’y fouftraire ? Sub- tuer de nouvelles occupations aux anciennes, fe faire Devotes , fe creer des devoirs pieux. Aller tous les jours a la Meffe, a Vepres, au Sermon, en vifite chez un Direcleur, s’impofer des mace- rations, On aime mieux encore ie macerer que K 4 ai4 D e l’ H o m m e , s’ennuyer. Mais a quel Ige cette metamorphafe s’opere-t-elle ? Commuridment a quarante-cinq ou cinquante ans. C’elt pour lea femmes le terns de l’apparition du Diable. Les prejuges alors le re- prefentent vivement a leur memoire. 11 en ell des prejuges comme des fleurs delis: l’empreinte en elt quelque terns invifible mais le Diredteur &le boureau la font a leur gre repa- roitre. Or fi l’on cherche jufque dans une devo¬ tion puerile le moyen d’echapper a Fennui , il faut done que cette maladie foit bien commune & bien cruelle. Quel remede y apporter 1 Au- cun qui foit efficace. On n’ufe en ce genre que de palliatifs : les plus puiffans font les Arts d’a- gremens ; & c’elt en faveur des Ennuyes que fans dome on les perfedtionna. On a dit du hafard qu’il ell le Pere commun de toutes les decouvertes. Or li les befoins phy- fiques peuvent apres le hazard etreregardes com¬ me les Inventeurs des Arts utiles , le befoin d’a- mufement doit apres ce meme hafard etrepareil- lement regarde comme l’lnventeur des Arts d’a- gremens. Leur objet elt d’exciter en nous des fenfations qui nous arrachent a l’ennui. Or plus ces fenfa¬ tions font a la fois fortes & diltindtes , plus elles font efficaces. L’objet des Arts elt d’e'mouvoir , & les divet- fes Regies de la Pcetique ou de l’Eloquence, ne font que les divers moyens d’operer cet effet. Emouvoir elt le principe, &. les preceptes de la Rhetorique en font le developpement ou les confequences. Cell parce que les Rhetcursn’orx son Education. Chap. XII. i.z$ pas egalement fenti route l’etendue de cette idee que jeme cermets d’en indiquer la fecondite. Mon fujet m’autorife a cet examen, C’ell par la connoiffance des remedes employes contre l’ennui, qu’on peut de plus en plus s’eclairer fur fa nature. CHAPITRE XIII. Des Arts d'agremens & de ee qa’en ce genre on appelle le Beau. jL<’O bjet des Arts, commeje 1’ai de/a dir, ell de plaire & par confe'quent d’exciter en nous des fenfations qui fans etre douloureufes , foient vives & fortes. Un Ouvrage produit-i! fur nous cet effet ? On y applaudit {a). (a) Dans le genre agr^able , plus une fenfation ell vive %c plus Pobjet qui la produit en nous eft reputebeau.Dans I9 genre defagreable au contraire , plus une fenfation eft forte , plus Pobjet qui la produit pareillement en nous eft repute laid ou affreux. Juge-t-on d’apres fes fenfations > c’eft-a-dire,d’apres foi?Les jugemens font toujours juftesv. Juge-t-on d’apres ces prejuges, c’eft-a-dire y d’apres les autres ? Les jugemens font toujours faux & ce font les plus communs. J’ouvre un Livre mo cl erne. Son imprefficm fur moi eft plus agreable que celle ci’un Ouvrage ancien. Je ne lis me- me le dernier qu’avec degout: n’importe : c’eft PAncier* que je louerai de preference. Pourquoi? c’eft que les horn- snes & leurs generations font les echos les uns des autres 5 c’eft qu’on eftime fur parole jufqu’a POuvrage qui nous enuuie. L’envie d’ailleurs defend d’adruirer un Ccnternporaia > K 5 tz 6 Be l’H o m m e,' Le Beau eft ce qui nous frappe vivement. Et par le mot de connoijfance du Beau , Ton en- tend celle des moyens d’exciter en nous des fen- fations d’autant plus agreables qu’elles font plus neuves & plus diftin&es. C’eft aux moyens d’operer cet effet que fe re- duifent toutes les diverfes regies de la Pcetique 6c de l’Eloquence. Si V on veut du neuf dans l’Ouvrage d’un Ar- tifte , c’eft que le neuf produit une fenfation de furprife , une commotion vive. Si l’on veut qu’il penfe d’apres lui; ft l’on meprife 1’Auteur qui fait des Livres apres des Livres ; c’eft que de tels Ouvrages ne rappellent a ma memoire que des sades trop connues pour faire fur nous des im- preffions fortes. Qui nous fait exiger du Romancier &duTra- gique des cara&eres finguliers & des fituations neuves ? Le defir d’etre emu. II faur de relies fi- luations &: de telles caracteres pour exciter en nous des fenfanans vives. L’habitude d’une impreftion en emouffe la vi- vacite. Je vois froidement ce que j’aitoujours vu & le meme Beau cede a la longue de l’etre pour moi. J’ai tant confidere ce Soleil, cette Mer, ce Payfage , cette belle Femme que pour reveiller <3e nouveau man attention & man admiration pour ces objets , il faut que ce Soleil peigne les Cieux de couleurs plus vives qu’a l’brdinaire , 5t l’envie prononce prefque ton)ours tons nos jugetnens. Pour humiligr Jes Yivsns qug d’floges prgdiguft »BS, Mgrts l ’ Son intrcATiosr. Chap. XII. 2.2.7 que cette Merfoir bouleverfee par lesOuragans, que ce Payfage foit eclaire d’un coup de lumiere fmgulier, & que ia fceaute elle meme fe prefente a moi fous une forme nouvelle. La duree de la meme fenfaticn rrous y rend il la longue infenfible, & dela cette inconftance & cet amour de la nouveaute commun a tous les hommes , parce que tous veuient etre vivemenc & fortement emus (a). Si tous Jes objets aftecient fortement la Jeunefte, c’eft que tous font neufs pour elle. En fait d’Ou- vrages fi la Jeuneffe a le gout moins fur que Page mur , c’eft que cet age eft moins fenfible & que la furete du gout fuppofe peut-etre une certaine difficuSte d’etre emu. On veut l’etre. Ce n’eft pas aftez quele plan d’un Ouvrage foit neuf: on defire, s’il eft poftible, que tous les details ic foient pareillement. Le Lefteur voudroit que chaque vers , chaque ligne, chaque mot excitat en lui une fenfation. Aulli Boileau dit a ce fujet dans une de fes Epitres, ft mes vers plaifent, ce n’eft pas que tous foient egalement corrects } elegans, hermonieux ; Mais mon vers him on mal, dit toujours quelque chofe. En eftet les vers de ce Polite prdfentent pref- que toujours une idde ou une image & par con- («) L’Ouvrage le plus meprife n’eft point i'Ouvrage plein de defauts, mais I’Ouvrage vuide de beautes , it tombe des mains du Le&eur ; patfe qu’il n’excite point pa lui de lenfsnp lirps^ 42 8 D E l’ H O M M Z’ fequent excitent prefque toujours en nous one fenfation. Plus elle eft vive, plus le vers eft beau ( a ). II devient fublime lorfqu’il fait fur nous la plus forte impreflion poffible. C’eft -done a fa force plus ou moins grande , qu’on diftingue le Beau du Sublime. CHAPITRE XIV. Du Sublime T JLjE feul moyen de fe former une idee du mot fublime, c’eft de fe rappeller les morceaux cites comme tels par les Longins , les Defpreaux & la plupartdesRheteurs. Ce qu’ii y a de common dansl’impreflion qu’ex- citent en nous ces morceaux divers, eft ce qui conftiruele Sublime. Pour en mieux connoitre la nature , je diftin- guerai deux fortes de Sublime , l’un d’image 3 l’autre de fentiment. Du Sublime des images. Aquelle efpecede fenfationdonne-t-on lenona de fublime l (a) Plus on eft fortement remue, pins on eft heureivc, lorfque demotion cepenaantn’eft point douloureufe.Mais. dans quel etat dprouve-t-on le pit s de ces efpeces de fen- fations ? Peut-etre clans I’etat d’homme de Lettres ou d’Artifte. Peut-etre eft-ce dans Atteliers des Arts qu’ilfaut cbercher les heureux, son Education, Chap. XIV. aij A la plus forte, lorfqu’elle n’eft pas, comma je l’ai deja dit, portee jufqu’au terme de la dou- leur. Quel fentiment produit en nous cette fenfa- tion ? Celui de la crainte : la crainte eft fille de h dculeur ; elle nous en rappelle l’idee. Pourquoi cette ide'e fait-elle fur nous la plus forte impreffion ? C’eft que l’exces de la douleur excite en nous un fentiment plus vif que l’exces du plaifir : c’eft qu’il n’en eft point dont la viva- cite foit. comparable a celle des douletirs eprou- vees dans le fupplice d’un Ravaillac ou d’un Da¬ mien. De toutes les pafiions la crainte eft la plus forte. Aulfi le Sublime eft-ii toujours I’effet du fentiment d’ une terreur commence'e. Mais les faits font-ils d’accord avec cette opi¬ nion ? Pour s’en afturer examinons entre les di¬ vers objets de la Nature , quels font ceux dont la vue nous paroit fublime. Ce font les profondeurs des Cieux , 1’immen- ftte des Mers , les eruptions des Volcans , &c. D’ou nait l’impreflion vivequ’excitenten nous ces grands objets ? Des grandes forces qu’ils annoncent dans la Nature & de la comparaifcn in- volontaire que nous faifons de ces forces avec notre foiblefTe. A cette vue Ton fe fent faifi d’un certain refped qui liippofe toujours en nous le fentiment dune crainte & d’une terreur coin- mencee. Par quelle raifon en effet donnai-je le nom de fublime au tableau oil Jules Remain peintle com¬ bat des Geans & le refufai-je a celui ou l’Albane SLjO D E l’ H O M M E, peint les jeux des Amours ? Seroit-il plus facile de peindre une Grace qu’un Geant & de colorier le tableau de la toilette de Venus , que celui du champ de bataille des Titans ? Non : mais lorfque l’Albane me tranfporte a la toilette de la Ddelfe , rien n’y reveille le fentiment du refpedt & de la terreur. Je n’y vois que deux objets gracieux & donne en confluence le norm d’agreable a l’impreffion qu’ils font fur moi. Au contraire lorfque Jules Romain me tranf¬ porte aux lieux ob les fils de la terre entaffent Offa fur Pelion frappd de la grandeur de ce fpec- tacle , je compare malgre moi ma force a celle de ces Geans. Convaincus alors de ma foiblei'fe, j’e- prouve une efpece de terreur fecrette, & je donne le nom de fublime a I'imprdfion de crain- te que fait fur moi ce tableau. Dans la Tragsdie des Eumenides p r quel art Efchile & fon decorateur hrent-ils une ii vive impreflion fur les Grecs ? En leur prefentant un fpeftacle &. des decorations eftrayantes Cette impreffion fut peut-etre horrible pour quelques uns , parce qu’elle fut portee jufqu’au terme de ladouleur. Mais cette meme impreflion adcucie cut ete gdneralement reconnue pour fublime. En image le Sublime fuppofe done toujours le fentiment d’une terreur commencee (a) , & ne (a) Quelles font les efpeces de contes dont fhomme > la femme & 1’enfant font les plus avides } Ceux de vo- leurs & de revensns. Ces corifes efFraient ; ils produifent en eux le fentiment d’une terreur commencee & ce fenti-. peat eft celui jjui ftiit kx VkwgxQiUqn k plu$ yiy% son Education. Chap. XIV. 2<31 peut ttrc le produit d’un autre fentiment (a). Lorfque Dieu dit que la lumiereJo it, la lu¬ miere fut ; cette image eft fublime. Quel tableau que celui de l’Univers tout-a-coup tire du neant par lalumiere! Maisunetelle image devroit-elle infpirer la crainte ? Oui; parce qu’elle s’affocie neceffairement dans notre memoire a l’idee de l’Etre Createur d’un tel prodige, & qu’alors faift malgre foi d’un relpeft craintif pour F Auteur de la lumiere, on eprouve le fentiment d’une ter- reur commence'e. Tous leskommesfont-ils egaiement frappes de cette grande image ? Non : parce que tous ne fe la reprefentent pas auffi vivement. Si c’eft du connu qu’on s’eleve a l’irjconnu , pour conce- voir toure la grandeur de cette image, qu’or* fe rappelle cede d’une nuit profonde , lorfque les orages amonceles en redoublent l’obfcurite , lorfque la foudre allumee par les vents dechirent le flanc des images & qu’a la lueur rdpdtee Sc fugitive des eclairs, on voit les Mers , les Plot- tes, les Plaines, les Forets , les Montagnes, les Payfages & FUnivers entier a chaque inftant difparoltre & fe reproduire. S’il n’eft point d’homme auquel ce fpeftacie n’en impofe, quelle impreftion n’eut done point epreuve celui qui n’ayant point encore d’idees de la lumiere, Feftt vu pour la premiere fois donner la forme & les couleurs a FUnivers ! (b } (a) En general fi les Salvages font plus d’offrantles an Dieu mechant qu’au Dieu Ion , c’eft que l’liomme crain* encore plus la douleur qu’il n’aime le plaifir. (l) Queens belie Epouvantent les Dieux de fermens ejfroya- bles ; t> Pres d’un taureau mourant qu'ils viennent d’egorger, » Tous la main dans le fang , jurent de Je venger » Ils en jurent la pair, le Dieu Mars & Bellone. Un tel ferment annonce de la part de ces Chefs une vengeance defefperee. Mais ft cette vengeance ne doit point tomber fur le Spe&a- teur, d’ou nait fa craint ef De l’affociation de certaines idees. Celle de la terreur s’affocie toujours dans I* 13 6 D E L ! H O M M E, memoire a l’idee de force & de puiffance. EHe s’y unit comme l’idee de l’effet a 1’idee de la caufe. Suis-je favori d’un Roi ou d’une Fee ? Ma tendre , ma refpe&ueufe amide eft toujours me- lde de quelque crainte, & dans le bien qu’ils me font, j’appercois toujours le mal qu’ils peuvent me fake. Au refte ft le fentimentdela douleur, comme je 1’ai deja dit, eft le plus vif, & ft c’eft a I’itn- preflion la plus vive , lorfqu’elle n’eft pas trop penible, qu’on donne le nom de fublime, il faut, comme 1’experience le prouve , que la fenfation du Sublime, renferme toujours celle d’une terreur commencee. C’eft ce qui differencie de la maniere la plus nette le Sublime du Beau. Du Sublime des ide'es Speculaiives. Eft - il quelques idees Philofophiques aux- quelies les Rheteurs donnent le nom de /i/i/i- mes 1 Aucune. Pourquoi? C’eft qu’en ce genre les idees les plus generales & les plus fecondes lie font fenties que du petit nombre de ceux qui peuvent en appercevoir rapidement toutes les confequences. De telles penfees peuvent fans doute reveil- ler en eux un grand nombre de fenfations, ebranler une longue chaine d’idees qui faifies auffi-tot que prefentees , excitent en eux des impreffions vives, mais non de l’efpece de celles auxquelles on donne !e nom de fullimes. son Education. Chap. XIV. 2.37 S’il n’eft point d’axiomes geometriques citds comme fublimespar les Rheteurs, c’eft qu’on ne pent donner ce nom a des ide'es auxquelles les ignorans& par confequent la plus part des hom ¬ ines font fufceptibles. II eft done evident: I Q . Que le Beau eft ce qui fait fur la plupart des hommes une impreflion forte. a 0 . Que le fublime eft ce qui fait famous une impreflion encore plus forte limprelfion toujours melee d’un certain fentiment derefped oude ter- reur ccmmencee. 3 0 . Que la beaute d’un Ouvrage a pour me- fure rimpreflion plus ou mains vive qu’il fait fur eux. 4 0 . Que toutes les regies de la Poetique pro- pofe'es par les Rheteurs ne font que les moyens divers d’exciter dans les hommes des fenfations agreables ou fortes. --- CHAPITRE XV. De la variete & fimpUcite requife dans torn les Ouvrages & fur-tout dans les Ou - vrages d'agrimens. JPOurquoi defire-t-on tant de varie'te's dans les Ouvrages d’agremens ? C’eft, dir la Mothe, que 2.38 De l’ Homme; » L’ennui naquit un jour de I’uniformite. Des fenfttions monotones ceflent bien - tot de faire fur nousune impreflion vive & agrdable. il n’eft point de beaux objets dent a la longue la contemplation ne nous laffe. Le Soleil eft beau ; & cependant la petite-fille de l’Oracle s’ecrie, j’as tantvu le Soleil. Une jolie Femme eft pour un jeune Amant un objet encore plus beau que le Soleil. Que d’Amans a la longue s’ecrient pared- Iement,/’ai tantvu ma Maitrejfe\ (a). La haine de 1 ’ennui, le befoin des fenfations agreables , nous en fait fans cefle fouhaiter de nouvelles. Si Ton defire en confluence , &z va- riete dans les details, & fimplicite dansfon plan, e’eft que les idees en font plus nettes , plus dif- timftes & d’autant plus propres a faire fur nous une impreflion vive. Les idees difficilement failles ne font jamais vivement fenties. Un tableau eft-il trop charge de figures? Le pland’un Ouvrage eft-il trop com- pliqud ? II n’excite en nous qu’une impreflion, ft je l’ofe dire, emouflee & foible (’>)■ Telle eft la ( a ) II eft fans doute agreable, difoit le Prefident Hay- aault, de trouver fa Maitreffe au rendez-vous; mais lorf- ^u’elle n*eft point nouvelle , il eft bien plus agreable en¬ core de s’y rendre & de ne l’y point trouver. (a) Le plan d’Heraclius parut d’abord trop complique aux gens du Monde ; il exigeoit trop d’attention de !eur part. Boileau fait allufton a cette Tragedie dans fes Vers «e fon Art Poetique. Je me ris d y un Auteur qui lent a s'exprimer , n De ,ce qu’il veut d’abord ne fait pas m’informer > son Education. Chap. XV. 2,3? fenfation eprouveeala vue de ces Temples Gothi- ques que 1’Architecle a furcharges de fculpture. L’ceil diftrait & fatigue par le grand nombre des ornemens ne s’y fixe point fans recevoir une im- prellion penible. Trop de fenfations a la fois font confufion : leur multiplicite detruit leur effet. A grandeur egale I’edifice le plusfrappant eft cel ui dont mon ceil faifit facilement I’enfemb'e & dont chaque partie fait fur moi l’impreffion la plus nette & la plus diliincle. L’Architeciure noble, fimple & majeftueufe des Grecs fera par cette raifon tou* jcur preferee a l’Architeclurelegere , confufe & mal proportionnee des Goths. Applique-t-on ..uxOuvrages d’efprit cequej'e dis de I’Architeflure, on fent que pour faire un grand effet, il faut pareillement qu’ils fe deve- loppent clairemenr,qu’ils prefentent toujoursdes idees nettes & diftinftes. Auffi la Loi de coutu- mite dans les idees, les images & les fentimens a-t-elle toujours ete expreffement recommande© par les Rheteurs. » Et qui debrouillant mal une penible intrigue 51 D’un divertijfement me fait une fatigue , » J’aimerois mieux cncor qu’il declinat fon nom> si &c. * * « i^o D s l’Homme, dm" ;rr-‘ . r-TLi i >> CHAPITRE XVI. De la Loi de coutumitL ADee, image, fentiment; il faut dans un Livre Tome II, 244 D I L’ H O M M E J CHAPITRE XVII. De la clarte du Jlyle, ! A ... iV-T-ou des idees claires & vraies ? Ce n’eft point aflez. II faut pour les commu.niquer aux autres pouvoir encore les exprimer nettement. Les mots font les fignes reprefentatifs de nos idees. Elies font obfcures, lorfque les fignes le font , c’eft-a-dire , lorfque la fignification des mots n’a pas ete tres-exa&ement determinee. En general tout ce qu’on appelle tours & expreft fions heureufes , ne font que les tours & les ex- preffions les plus propresa rendrenettementnos penfdes, C’eft done a la clarte que fe reduifent prefque toutes les regies du Ryle. Pourquoi le louche de FexprefEon elf-il en tout Ecrit repute le premier des vices ? C’eli que le louche du mot s’etend fur i’idee, l’obfcurcit & s’oppofe a l’impreffion vive qu’elle feroit. Pourquoi veut-on qu’un Auteur foitvarie dans fon ftyle & le tour de fes phrafes ? C’efl queries tours monotones engourdilfent i’attention ,-Veft que l’attention une fois engourdie, les idees &. les images s’offfent moins nettement a notre ef-> prit & ne font plus fur nous qu’une impreffion foible. Pourquoi exige-t-on precifion dans le ftyle ? C’eft que l’expreffion la plus courte, lorfqu’elle eft propre eft toujours la phis claire ; c’eft qu’on son Education. Chap. XVII. 145 peut tcsujours appliquer au ftyle ces Vers de Defpreaux. » Tout ce qu’on dit de trop eft fade & rehu- tant: » L’efpritrajfaftie le rejettc a I'inftant. Pourquoi defire-t-on purete & correftion dans tout Ouvrage ? C’eft que 1’un 8c l’autre y por¬ tent la clarte. Pourquoi lit - on enfin avec tant de plaifir les Ecrivains qui rendent leurs idees par des images brillantes ? C’eft que leurs idees en deviennent plus frappantes , plus diftincies , plus claires & plus propres enfin a Eire fur nous une impreffion vive. C’eft done a la feule clarte que fe rappor- tent routes les regies du ftyle. Maisles hommes attachent-ils lamemeideeau mot fiyle ? On peut prendre ce mot en deux fens differens. Ou Von regarde uniquement le ftyle cotnrne une maniere plus ou moins heureufe d’exprimer fes idees, & c’eft fous ce point de vue que je le confidere. Ou Ton donne a ce mot une fignification plus dtendue & Ton confond enfemble & l’idee 8c 1’exprefiion de I’idee. C’eft en ce dernier fens que M. Beccaria dans une differtation pleine d’elprit & de fagacite, dit que pour bien ecrire, ii faut meublerfa memoire d’une infinite d’idees acceftoires au fujet qu’on traite. En ce fens l’art d’ecrire. eft l’art d’eveiller La 444 D e l’ H o m m i j ' dans Ie Lefteur un grand nombre de fenfations & Pon ne manque de ftyle que parce qu’on man¬ que d’idees. Par quelle raifon en effet Ie meme homme ecrit-il bien en un genre & mal dans un autre ? Get homme n’ignore ni les tours heureux, ni la propriete des rnots de fa Iangue. A quoi done at- tribuer lafoibleffe de fon Ryle ? A la difette de fes idees, Mais qu’eft-ce quele Public entendcommune- ment par Ouvrage bien ecrit ? Un Ouvrage for- tement penfe. Le Public n’en juge que I’effet to¬ tal ; & ce jugement eft jufte, lorfqu’on ne fe pro- pofe point, camme je le fais id, de diftinguer les idees de la maniere de les exprimer. Les vrais juges de cette maniere font les Ecrivains Natic- naux; & ce font eux anffi qui font la reputation du Poe re, dont le principal merite eft Pelegance de la di&ion. La reputation du Philofophe quelquefois plus etendue, eft plus independante du jugement d’une feule Nation. La verite &la profondeur des idees eft le premier merite de l’Ouvrage philofophiquq, & tous les Peuples en font juges, Que le Philofophe en confequence n’imagine cependant pas pouvoir impunement negliger ie coloris du ftyle. Point d’ecrits que la beaute de 1’exprefiion n’embelliffe. Pour plaire au Lecleur, il faut toujours exci¬ ter en lui des impreftions vives. La neceffite de 1’emouvoir, foit par la forcede Pexpreffionotides idees , a toujours ete recommandee par les Rhe- ^eqrs §c les Ecrivains de tous les Siecles, Les dtf- son Education. Chap. XVII. 2.4? ^rentes regies de la Poetique, comme je l’aidejl dit, ne font que les divers moyens d’operer cet effet. Un Auteur eft-il foible de chofes ? Ne peut-il fixer mon attention par la grandeur de fes images ou de fes penfees ? Que fon ftyle foit rapide , precis & chatie : 1’elegance continue eft quelque- 1 fois un cache-fottife (a). II faut qu’un Ecrivain pauvre d’idees foit riche en mots & fubftirue Is brillant de I’exprefiion a l’exceiience des penfees. C’eft une recette dontdes hommes de genie ont eux-metnes quelquefois fait ufage. Je pourrois citer en example certains morceaux des Guvra- ges de M. Rouffeau, oil l’on ne trouve qu’un areas de principes & d’idees contradiftoires. II inflruir pea; mais fon colons toujours vif, amufe & plait. L’art d’ecrire confide dans 1’art d’exciter des fenfations. Auffi le President de Montefquieu Jui-meme a-t-il quelquefois enleve l’admiration , etonne lcs efprits par des idees encore plus bril- lantes que vrales. Si leur fauffete reconnue , fes ide'es n’ont plus fait la meme impreffion , c’eft que dans le genre a’inftru&ion , Icfeul beau eft a la longue le vrai. Le vrai feul obtient une eftime durable. Au de'faut d’idees un bizarre accouplement de mots peut encore faire illufion au Lefleur & pro¬ duce en lui une fenfittion vive. Ces expreffions fortes ( a), obfcures & lingu¬ la) 11 eft peut-etre auffi rare de trouver tin bon Eeri- vain dans ^un homme mediocre, qu’ttn mauvais dans un iiomme d’efprit. ( a ) Une idee fauffe exige une expreffion obfeure. L’er- D E l’ H o m m e lieres fuppl^ent dans une premiere leilure au ruide des penfees. Un mot bizarre, une expref- fion f'urannee excite unefurprife,&toutefurprife une impreffion plus ou moins forte. Les Epitres du Poete Rouffeau en font la preuve. En tout genre & fur-tout dans le genre d’agre- trrent, la becute d’un Ouvrage a pour mefure la fenfation qu’il fait fur nous. Plus cette fenfation nette & diflinfle, plus elle eft vive. Toute Foetique n’eil que le commentaire de ce principe fimple & le developpement de cette regie primi¬ tive. Si les Rheteurs repetent encore les uns d'aprcs les autres que la perfection des ouvrages de l'art depend de leur exafle reffemblance avec ceux de la Nature, its fe troropent. L’experience prouve que la beaute' de ces fortes d’euvrages confifte moins dans une imitation exadle, que dans un® imitation perfectionne'e de cette meme Nature. reurclairement expofee eftbientotreconnue pourerreur. Ofer exprimer nettement fes idees, e’eft etre fur de leur verite. En aueun genre les Charlatans n’ecrivent claire- ment. Point de Scholaftique qui puiffe dire comme Boilean: » Ma penfee au grand jour toujours s'offre & I’expofc. son £ducation. Chap. XVIII. 2.47 ----^ CHAPITRE XVIII. De limitation perfeclionnee de la Nature. UIT IV E-t-on les Arts? On fait qu’il en eft dont Jes Ouvrages font fans modeles & dont la perfection par confequent eft independante de leur reftemblance avec aucun des objets connus.- I.e Palais d’un Monarque n’eft pas modele fur le Palais de l’Univers ; ni les accords de notre MuG- que fur celle des corps celeftes. Leur fon du mains n’a ju/qu a prelent frappe aucune oreille. Les feuls ouvrages de Part dont la perfection fuppofe une imitation exacts de la Nature, font le portrait d’un homme , d’un animal, d’un fruit, d’une plante , &c. En prefque tout autre genre c’eft dans une imitation embellie de cette meme Nature que confifte la perfeclion de ces ouvrages. Racine, Corneille ou Voltaire, mettent-ils un He'ros en Scene ? Us lui font dire de la maniere la plus courte, ia plus elegante & la plus harmo- nieufe, prdcifement ce qu’il doit dire. Nul He'ros cependant n’a tenu de tels difcours. 11 eft impof- fiole que Mahomet, Zopire, Pompee,Sertorius, &c. quelqu’efprit qu’on leur fuppofe aient: i°. Toujours parle en Vers. 2 °. Qu’ils fe foient toujours fervisdans leurs entretiens des exprduons les plus ccurtes & les plus' precifes. L 4 24!) De 3 °. Qu’ilsaient fur le champ proncnce lcs dif- eours que deux autres grands hommes te!s que Corneille & Voltaire ont ete quelquefois quinze jours ou un mois a compofer. En quoi les grands Poetes imitent-ils done la Nature ? En faifant toujours parler leurs perfon- riages ccnformement a la palfion dont ilsles ani- ment (a). A rout autre egard iis embelliffent la Nature & font bien. Mais comment l’emfcellir ? Toutes nos idees nous viennent par nos fens ; on ne ccmpofe que d’apres ce qu’on voit. Comment imaginer auel- que chofe horslaNature? 8c fuppefe qu’on 1’ima- ginat, quel moyen d’en tranSmettre Fidee aux autres ? Audi, repondrai-je , ce qu’en deferip- tion , par exemple, on entend par une compofi- tion nouvelle, n’efb proprement qu’un nouvel aiTemblage d’objets d^ja conn us. Ce nouveialTem- blage fuffit pour etdnner l’imagination & pour exciter des impreffions d’autant plus vives qu’el- les font plus neuves. De quei les Peintres & les Sculpteurs compo- fent-ils leur Sphinx ? Des ailes de l’Aigle, du corps du Lion & de la t£te de la Femme. Dequoi fut compofde la Venus d’Appelle ? Des beautc* (a) All Theatre !e Heros doit toujours parler confor- mement a fon caraftere & a fa pofition. Le Poete a cet regard ne pent etre trop exact imitateur de la Nature. Mais il doit l’embellir en raffemblant dans une converfation fou- vent d’une demi-heure tous les traits de cara&ere epars dans toute la vie de fon Keros. Pour peindre fon Avare , peut-etre Moliere mit-il a contribution tous Jes avares de fon Siecle , comme nos Phidias, tons nos hommes forts , pour modeler leur K) r ' eule. son Education. Chap. XVIII. 2.49 dparfes fur le corps des dix plus belles filles de la Grece. C’efl ainii qu’en l’embelliffant, Appelle imira la Nature. A fon exemple & d’apres cette methode les Peintres & les Poetes ont depuis creufe les antres des Gorgones, modele les Ty- phons , les Ar.thees , edifie les Palais des Fees 8c des Deeffes,& decore enfin de toutes les richeffes du gdnie les lieux divers 6c fortunes de leur ha¬ bitation. Je fuppofe qu’un Poete ait a decrire les jardins de l’amour. Jamais le fifflement mortel & glacial de Boree ne s’y fait entendre; c’efl le Zephir qui furdesailes de rofes le parcourtpourenepanouir les fleurs & fe charger de leurs odeurs. Le Ciel en ce fejour eft toujours pur & ferein. Jamais forage ne l’obfcurcit. Jamais de fange dans les champs, d’infe&es dans les airs & de viperes dans les bois, Les montagnes y font couronnees d’o- rangers Sc de grenadiers en fleurs, les plaines couvertes d’epis ondoyans , les vallons toujours coupes de mille ruilTeaux ou traverfes par un fleuve majeftueux dont les vapeurs pompees par le Soleil & recues dans le recipient des Cieux, ne s’y condenfent jamais alTez pour retomber en pluie fur la terre. La Poe/Iefait-elle dans ce jardin jaillir des fon- taines d’ambroifie, groflir des pommes d’or ? Y a-t-elle alignedes bofquets? Conduit-elle l’A- mour & Pfyche fous leurs ombrages ? Y font-ils nus , amoureux 6c dans les bras du plaifir? Jamais par fa piquure une abeille importune ne les dif- trait deleur ivreffe C’efl ainfi que la Foefie em- bellit la Nature, & que de la decompofition des LX 150 De f’H omme; cbjers dcjh connus, elle recompofe des Etres 8c des tableaux dont la nouveaute excite la furprife & produit fouvent en nous les impreffions les plus vives & les plus fortes. Mais quelle eft la Fee dont le pouvoir nous permet de metamorphofer , de recompofer ainft les objets & de creer , pour ainft dire , dans l’U- nivers & dans 1’iionime, & des Etres &des fen- fations neuves ? Cette Fee eft le pouvoir d’abf- traire. CHAPITRE XIX. Du pouvoir d'abjlraire. Xl eftpeu de mots abftraits dans les langues fauvages & beaucoup dans celles des Peuples po¬ lices. Ces derniersintereffesaFexamen d’une in¬ finite d’objets, fentent a chaque inftantle befoin de fe communiquer nettement & rapidement leurs idees ; c’eft a cet effet qu’ils inventent tant de mots abftraits : l’etude des Sciences les y ne- ceflite. Deux hommes, par exemple, ont a confiderer une qualitd commune a deux corps : ces deux corpspeuvent fe comparerfelon leur maffe, leur grandeur , leur denfite, leur forme, enfin leurs couleurs diverfes. Que feront ces deux hommes? Ils voudront d’abord determiner Fobjet de leur examen. Ces deux corps font-ils blancs ? Si c’eft son Education. Chap. XIX. ajr uniquement leur couleur qu’ils comparent; ils invemeront !e mot blancheur : ils fixeront par ce mot toute leur attention fur cette qualite com¬ mune a ces deux corps&endeviendrontd’autant meilleurs juges de la differente nuance de leur blancheur. Si les Arts & la Philofophie ont par ce motif da creer en chaque ianguc une infinitd de mots abllraits ; faut-il s’e'tonner qu’a leur exemple, la Pae'fie ait fait au/Ii fes abftraftions; qu’elle ait per- fcnnifie & deifie les Etres imaginaires de la force, de la jullice , de la vertu , de la fievre, de la vic- toire , qui ne font reellement que l’homme con- fidere en tant que fort, jufie, vertueux, malade, vidlorieux , &c.; & qu’elle ait enfin dans toute-s les Religions peuple l’Olympe d’abilracHons. Un Poere fe fait—il i’Architeifte des demeures celelles ? Se charge-t-ildeconftruire le Palais de Plutus ? Il applique la couleur&la denfite de l’or aux montagnes au centre defquelles il place l’edi- fice qui fe trouve alors environne de montagnes d’or. Ge metne Poete applique-t-il a la groifeur de la pierre de taille la couleur du rubis ou du diamant ? Cette abliracHon lui fournir tous les materiaux neceffaires a la conftruftion du Palais de Plutus ou des murs criftailins des Cieux. Sans le pouvoir d’abfiraire, Milton n’eut point raf- femble dans les jardins d’Eden ou des Fees tant de points de vue pittorefque, tant desgrottes de- licieufes, tant d’arbres, tant de fleurs, enfin tant debeautes partageespar la Nature entre mille climats divers. C’eft le pouyoir d’abftraire qui dins les Contes M aja D e l’ H o m m e, & les Romans cree cesPigme'es, ces Genies , ces Enchanteurs , ces Princes Lutins , enfin ce For- lunatus dont l’invifibilite n’elt que l’abflra&ion des quslites apparentes des Corps. C’eft au pouvoir d’elaguer , fi je l’ofe dire, d’un objet tout ce qu’il a de defe&ueux {a) & de creer des roles fans epines que 1’homme encore doit prefque toutes fes peines & fes plaifirs fac- tices. Par quelle raifon en efFet attend-on toujours dekpoffelfion d’un objet plus de plaifir que cette poffeflion ne vous en procure ? Pourquoi tant de dechet entre le plaifir efpere & le plaifir fenti ? C’eft que dans le fait on prend le terns & le plaifir comme il vient, & que dans l’efperance on jouit, de ce meme plaifir fansle melange les peines qui prefque toujours 1’accompagnent. Le bonheur parfait & tel qu’on le defire ne fe rencontre que dans les palais de l’efperance & de 1’imagination. Celt-la que la Poefie nous peint comme eternels, ces rapides momens d’ivreffe que l’amour feme de loin en loin dans la carriere de nos jours. Celt-la qu’on croit toujours jouir de cette force , de cette chaleur de fentimens eprouvce une fois ou deux dans la vie, & due fans doute a la nouveaute des fenfations qu’exci- tent en nous les premiers objets de notre ten- dreffe. Ceft-la qu’enfin s’exag-'rant la vivacite (a) Qu! prefenteroit far la fcene une aftien tragique telle qu’elle s’eft reellement paffe'e, courroit grand rifqne d’ennuyer les CpeBateurs. Que doit done faire !e Poete ? abftraire de cette aftion tout ce qui ne peut faire une impreflion vive di forte. son Education. Chap. XIX. 273 d’un philir rarement goute & fouvent defire , on fe furfait !e fconheur de 1’opulent. Que le hazard ouvre a la pauvrete le fallon de la richefTe , lorfqu’eclaire de cent bougies ce fal¬ lon retentit des Ions d’une Mufique vive ; alors frappe del’eclat des dorures & del’harmonie des inftrumens , que le Riche.eR heureux , s’ecrie l’lndigent! Sa fell cite i’emporte autant fur la miennequela magnificence de ce fallon 1’emporte fur la pauvrete de ma chaumiere. Cependantil fe trompe, & dupe de 1’imprelTion vivequ’il recoit, il ne fait point qu’elle ell en p.irtie l’effet de la nouveaute desfenfations qu’il eprouve,que l’ha- bitude de ces fenfations emouffant leur vivacite, lui rendroit ce fallon & ce concert infipides, & qu’enhn ces plaifirs des riches font achetds par millefoucis & mille inquietudes. L’lndigent a par des ablfradions ecarte des richefles tous les foins & les ennuis qui les fui- vent (a). Sans le pouvoir d’abftraire , nos conceptions n’atteindroient point au dela des jouilfances. Or dans le fein meme des delices , ft l’on eprouve encore des dears & des regrets, c’efl:, comme je 1’ai dija dit, un eifet de la differencequi fe trouve entre le plai/ir imagined le plaifir fend. C’eft le pouvoir de decompofer, de recompo- fer les objets & d’en creer de nouveaux, qu’on (a) Le pouvoir d’abftruire d’une condition differente de la fienne les maux qu’on n’y a point eprouves, rend toll- jours l’homme envieux de la condition d’autrui. Que faire pour ctouffer en lui une envie li contraire a fon bonheur? Le defabufer & lui apprendre que l’homme au-deffus dfi befoin eft a peu-pres aufli heuieux qu’jl petit I’eSte. 2,54 D E t’ H O M M E j peutregarder non-feulemant comme la fource d’une infinite de peines & de plaifirs fadtices, mais encore comme l’unique moyen , & d’em- bellir la Nature en 1’imitant & de perfedtionner les arts d’agremens. Je ne m’etendrai pas davantage fur la beaute de leurs ouvrages. J’ai montre que le principal objet eft de nous fouilraire a 1 ’ennui; que cet objet eft d’autant mieux rempli qu’ils excitent en nous desfenfations plus vives, plus diffindtes, & qu’enfin c’eft toujours fur la force plus ou moins grande de ces fenfations que fe mefure le degre de perfection & de beaute de ces ouvrages. Qu’on hcnore , qu’on cultive done les beaux Arts ; ils font la gloire de 1’efprit humain ’ 5 , & Iji fource d’une infinite d’imprefiions delicieufes. Mais qu’on ne croie pas le riche oifif fi fupe'rieu- rement heureuxpar la jo uififance de leurs chefs- d’ceuvres. On a vu dans les premiers Chapitres de cette Section que fans etre egaux en richeffes & en puilfance , tous les hommes etoient egalement heureux , du moins dans les dix ou douze heures de la journee employees a la fatisfadtion de leurs divers befoins phyfiques. Quant aux dix ou douze autres heures , e’eft- a-dire, a celles qui feparent un befoin fatisfait d’un befoin renaiffant, j’ai prouve qu’elles font remplies de la maniere la plus agreable, lorf- qu’elles fontconfacreesa Facquifition desmoyens de pourvoir abondamment a nos befoins & a nos amufemens. Quepuis-je pour confirmer la verite de qette opinion \ finon m’orreter encore un mo- son Education. Chap. XIX. aj? ment a confiderer lefquels font les plus furement heureux, ou de ces opulens oififs fi fatigues de n’avoir rien a faire , ou de ces hommes que la mediocrite de leur fortune neceffite a un travail journalier qui les occupe fans les fatiguer. CHAPITRE XX. De Vimprejfton des arts d’agremens fur Vopulent oifif. N Riche eft-il par fes emplois neceffite a un travail que l’habitude lui rend agreable ? Un Ri¬ che s’eft-il fait des occupations ? II peut comme l’homme d’une fortune mediocre facilemenc echapper a l'ennui. Mais ou trouver des riches de cette efpece ? Quelquefois en Angleterre ou l’argent ouvre la carriere del’ambition.Par-tout ailleurs la richeffe compagne de l’oifivete eft paffive dans prefque tous fes amufemens. Elleles attend desobietsen- vironnans ■ &peucle ces objets excitent en elle des fenfations vives. De telles fenfationsne peu- vent d’ailleurs , ni fe fucceder rapidement, ni le renouveller chaque inftant. La vie del’oififs’e- coule done dans une infipide langueur. En vain le Riche a raflemble pres de lui les arts d’agremens : ces arts ne peuvent lui procu¬ rer fans celfe des impreffions nouvelles, ni le fouftraise Long-terns a fon ennui. Sa curioftte eft D E l’ H O M M E , ft-tot emouflee, l’oifif eftli peu fenfible,les chefs- d’oeuvres des Arts font fur lui des impreffions fi peu durables , qu’il faudroit pour l’amufer lui en prefenter fans cefle de nouveaux. Or tous les Artiftes d’un Empire ne pourroient a. cet egard fubvenir a fes befoins. II ne faut qu’un moment pour admirer : ilfaut un fiecle pour faire des cho es admirables. Que deriches oififs fans eprouver de fenfations agrea- bles , paffent journellement fous ce magnifque Portail du vieux Louvre que l’etranger contem- ple avec etonnement ! Pour fentir la difficult^ d’amufer un Riche oi- fif , il faut obferver qu’il n’eft pour l’hommeque deux etats ; l’un oil il eft paffif, 1’autre ou il eft actif. CHAPITRE XXI. De VetcU aclif & pajjif de Vhomme. JL/Ans le premier de ces etats I’homme peut fans ennui fupporter aftez long-tems la meme fenfation. Il ne le peut dans le fecond. Je puis pendant fix heures fuire de la mufique & ne puis fans dego&t ailifter trois heures a un concert. Rien de plus difficile a amufer que la paffive oifivete. Tout la degoute. C’eft ce degout uni- verfel qui la rend juge ft fdvere des fceautes des Arts & qui lui fait exiger tant de perfection dans sow education. Chap. XXI. aj7 leurs Ouvrages. Plus fenfible & moins ennuyee, elle feroit moins difficile. Quelles imprefiions vives les arts d’agremens exciteroient-ils dans i’oifif! Si les Arts nous charment, c’eft en retracant, en embelliffant a nos yeux l’image des plaifirs deja eprouves; c’efl en rallumant le defir de les gouter encore. Or quel defir reveillent-elles dans unhomme, qui, riche alTez pour acheter tous les plaifirs, en ell toujours raflafie ? En vain la Danfe , la Peinture , les Arts enfin les plus voluptueux & les plus fpecialement con- facres a l’amcur , en rappellent l’ivreffe & les tranfports , quelle impreffion feront-ils fur celui qui fatigue de jouiffunce ell blafe fur ce plaifir ? Si le Piche court les bals & les fpeflacles, c’elt pour changer d’ennui & par ce ehangement en adoucir le mal-aife. Tel ell en general le fort des Princes. Tel fut celui du fameux Bonnier. A peine avoit-il forme un fouhait que la Fee de la richeffe venoit le remplir. Bonnier etoit ennuye de femmes , de concerts , de fpeflacles : malheureux qu’il etoit, il n’avoit rien a defirer. Moins riche il eut eu des defirs. Le defir ell le mouvement de 1’ame; privde de defirs, elle ell llagnante. 11 faut defirer pour agir,& agir pour etre heureux. Bonnier mourut d’ennui au miiieu des delices. On ne jouit vivement qu’en efpennce. Le bonheur refute moins dans la pofielfion que dans l’acquifition des objets de nos defirs. Four etre heureux, il faut qu’il manque tou-> aj8 D e l’ H o m m e, jours quelque chofeanotre felicite. Ce n’eft point apres avoir acquis vingt millions , msis en les ac- querant qu’on eft vraiment fortune. Ce n’eft point apres avoir profpere , c’eft en prolpe'rant qu’on eft heureux. L’ame alors toujours en ac¬ tion, toujours agreablement remuee, ne connoit point 1'ennui. D’ou nait Ja paftion effrenee des Grands pour la chafle ? De ce que paftifs dans prefque tous leurs autres amufemens, par confequent toujours ennuyes , c’eft a la chaffe feule qu’ils font force- ment aftifs. On l’eft au jeu. Audi le joueur en eft« il d’autant moins acceflible a 1’ennui (a). Cependant, ou le jeu eft gros , ou il eft petit. Dansle premier cas il eftinquietant & queique- fois funefte : dans le fecond il eft prefque ton- jours inftpide. Cette riche & pa (live oifivete ftenvieede tous, & qui dans une excellente forme de gouverne- ment ne fe montreroit peut-etre pas fans honte, n’eft done pas aufti heureufe qu’on l’imagine ; elle eft fouvent expofee a 1’ennui. (d) Le jeu n’eft pas toujours employe comme remede a I’ennui. Le petit jeu , le jeu de commerce eft quelquefois un cache-fottife. L’on joue fouvent dans 1’efpoir de n’etre pas reconnu pour ee qu’on eft. son Education. Chap. XXII. 2^5? CHAPITRE XXII. Ccjl aux riches que fe faith plus vivernent fentirle befoin des richejfes. € Cj I l’opulent oihf ne fe croit jamais affez riche, c’efl que les richefles qu’il pcffede ne fuflifent point encore a fan bonheur. A-t-il des Muficiens a fes gages ? Leurs concerts ne rempliffent point le vuide de fon ame. II iui faut de plus des Ar- chite&es, un vafte Palais, une cage immenfe pour renfermer un trifle oifeau. 11 delire en ou¬ tre des equipages de ciialle, des bals, des fetes, See. L’ennui efl un gouflre fans fond que ne peuvent combler les richefles d’un Empire & peut-etre celles de PUnivers entier. Le travail feul le remplit. Peu de fortune fufiit a la felicite- d’un Citoyen laborieux. Sa vie uniforme & Am¬ ple s’ecoule fansorage. Ce n’eft point fur la tom- be de Crefus (a) , mais fur celle de Baucis qu’on grava cette epitaphe. (<7) Si I a felicite etoit toujours compagne du pouvoif * quel homme eut ete plus heureux que le Calife Abdoul- rahman ! Cependant telle fut 1 ’infcription qu’il fit graver fur fa tombe.» Honneiirs, richefTes, puiffance. fouverai- ne ; j’ai joui de tous. .Eftime & craint des Princes mes » contemporains, ils ont envie mon bonheur ; ils ont ete 99 jaloux de ma gloire ils ont recherche moil amitie. J’ai 99 dans le cours de ma vie exa&ement marque tous I.es jours ou j’ai goute un plaifir pur & veritable , & dans 99 un regne de /o annees, je n’en ai eompte que qua* » torze i.6o D E l’ H o m m e , » Sa mortfutle foird’un beau jour. De grands trefors font 1’apparencedubonheur & non fa realite. 11 eft plus de vraie joie dans la maifon de l’aifance que dans celle de l’opulence , & l’on foupe plus gaiement au cabaret que chez le Preftdent Hainaut, Qui s’occupe fefouftrait a I’ennui. Auflil’ou- vrier dans fa boutique, le Marchand a fon comp- toir eft fouvent plus heureux que fon Monarque. Une fortune mediocre nous necelfstea un travail journalier. Si ce’travail n’eft point exceffif, fx l’habitude en eft contradee , il nous devient des- lors agreable(u). Tout homme qui par cette ef- pece de travail peut pourvoir a fes befoins phy¬ siques & a celui de fes amufemens , eft a-peu- pres auffi heureux qu’il le peut etre ( b). Mais doit-on compter l’amufement parmi les befoins ? jftfaut a Fhomme comme a 1’enfant des momens de recreation ou de changement d’occupations. Avec quel plaifir 1’ouvrier & l’avocat quittent- ils, fun fon attelier , Sc l’autre fon cabinet pour la Comedie ! S’ils font plus fenfibles a ce fpedta- (<7) On ignore encore ce que pent fur nous I’habitude, On eft, dit-on , bien nouri, bien couchea laBaftile & I’on y menrt de chagrin. Pourquoi ? c’eft qu’on y eft prive de ia liberte, c’eft-a-dire , qu’on n’y vaque point a fes occu¬ pations ordinaires. {») La condition de I’ouvrier qtii par un travail modere ppurvoit a fes befoins & a ceux de fa famille , eft de tou- tes les conditions peut-etre la plus heureufe. Le befoin qui neceftite fon efprit a I’application , fon corps a l’e- xercice , eft un prefervatif contre l’ennui & les maladies. Or l’ennui & les maladies font des mauxj la joie & lafante des liens. son Education. Chap. XXII. cle que Fhomme du monds, c’eft que les fenfa- tions qu’ils y eprouvent moins emouffees par J’habitude , font pour eux plus ncuvelles. A-t-on d’aiileurs contra£le Fhabitude d’un cer¬ tain travail de corps & d’efprit ? ce befoin fatis- fait, l’on devient feniible aux amufemens memes otx l’on eft paffif. Si ces amufemens font infipides aux riches oififs, c’eft qu’il fait du plaifir fon affaire & non fon delaflement. Le travail auquel jadis Fhomme fut, dit-on , condamrie , ne fut point une punition celefte , mais un fcienfait de la Nature. Travail fuppofe defir. Eft-on fans de¬ fir ? On vegete fans principes d’afiivite. Le corps & Fame reftent , fi je l’ofe dire , dans la meme attitude (a). L’occupation eft le bonheur de Fhomme (h). Mais pour s’occuper & fe mou- voir, que faut-ii ? Un motif. Quel eft le plus ptiiffant & le plus general ? La faim. C’eft elle qui dans les campagnes commande le labour aa (ct^Une des principales caufes de Pignorance Sc de l*i- nertie des Africains eft la fertilite de eette partie du mon- de: elle fournit prefque fans culture a tous les befoins* L’Africain n’a done point interet de penfer. Auffi penfe- t-il pen. On en pent dire autant du Caraibe. S’il eft moins induftrieux que les Sauvages du Nord de l’Amerique, c’eft que pour fe nourir, ce dernier a befoin de plus d’induf- trie. (6) Pour le bonheur de Phomme il faut que le plaifir foitle prix du travail a mais d’un travail modere. Si la Na¬ ture eut d’elle-meme pourvu a tous fes befoins , elle lui eut fait le plus funefte des dons. Les hommes euffent crou- pi dans la langueur ; la riche oifivete eut ete fans ref- fource contre I’ennui. Quel palliatif a ce mal ? Aucun. Que tous les Citoyens foient fans befoins, ils feront ega*» lement opulens. Ou le Riehe oifif trouveroit-il aiors Jiommes qui l’amufent, 2 62 De l’ Homme, Cultivateur, & qui dans les forets commande la peche & la chaffe au Sauvage. Un befoin d’une autre efpece anime l’artifte & l’homme de Lettres. C’eft le befoin de la gloire , de l’eftime publique & des plaifirs dont elle eft reprefentative. Tout befoin, tout defir neceftite au travail. En a-t-on de bonne lieu re contrz&e l’habitude ? II eftagreable. Faute de cette habitude, la parefte le rend odieux , & c’eft a regret qu’on feme , qu’on cultive & qu’on penfe. CHAPITRE XXIII. De la puijfance de la parejfe. ¥ JLiEs Peuples ont-ilsa choifir entre la profef- fiondevoleur ou de cultivateurl c’eft la premiere qu’ils embraffent. Les hommes en general font pareffeux : ils prefereront prefque toujours les fatigues, la mort & les dangers au travail de la culture. Mes exemplesfont lagrande Nation des Makis, partie des Tartares & des Arabes, to us les Habitans du Taurus, duCaucafe, & des hau- tes Montagnes de l’Afie. Mais, dira-t-on, quel que foit l’amour des hommes pour l’oifivete , s’il eft des peuples va- leurs & redoutes conraie plus aguerris & plus cc-urageux , n’eft-il pas aufll des Nations culti- vatrices? Oui, parce que l’exiftence des peuples son Education. Chap. XXIII. 163 Voleurs fuppofe celle des peuplesriches & vola¬ tiles. Les premiers font peunombreux, parce qu’il faut beaucoup de moutons pour nourir peu de loups, parce que des peuples voleurs habitent des Alontagnes fteriles & inacceflibles, & ne peuvent que dans de femblablas retraites refifter a la puiffance d’une Nation nombreufe & culti- vatrice. Or s’il eft vrai qu’en general les hom- mes foient pirates & voleurs, routes Jesfois que la pofition phylique de leur Pays Ieur permet de 1’etre impunement, i’amour du v 0 l leur eft done naturel: fur quoi cet amour eft-i! fonde ? fur la parelfe , e’eft-a-dire, fur l’envie d’obtenir avec le moins de peine poflible i’objet de leurs defirs. L’oifivete eft dans les hommes la caufe fourde des plus grands effets. C’eft'faute de motifs affez puiflans pour s’airacher a la parefte que la piu- part des Satrapes aufti voleurs & plus oififs que les Malais, font encore plus ennuyes & plus malheureux, CHAPITRE XXIV. Unefortune mediocre ajfure le bonheur du Citoyen. S I Phabitude. rend le travail facile ; fi Pon fait toujours fans peine ce que l’on reftit tous les jours ; fi tout moyen d’acquerir un plaifir, doit etre compt^ parmi les plaifirs , une fortune me- 2^4 D E L* H O M M I , diocre en neceffitant l’homms au travail affure d’autant plus fa felicite , que !e travail remplit toujours de la maniere la plus agreable l’efpace de terns qui fepare un befoin fatisfait d’un befoin renaiffant; & par confequent les douze & feules heures de la journee ou l’on fuppofe le plus d’i- negalite dans Ie bonheur des hcmmes. Un Gouvernement accorde-t-il a fes Sujets la propriere de leurs biens , de leur vie & de leur liberte ? S’oppofe-t-il a la trap inegale reparti¬ tion des richeffes Nationales? Conferve-t-il enfin tous les Citayens dans un certain etat d’ai- fance ? ll leur a fourni a tous les mayens d’etre a peu pres auffi heureux qu’ils le peuvent etre. Sans etre egaux en richefTes, en dignites, les Individus peuvent done l’etre en bonheur. Mais quelque demontree que foit cette verite, eff-il un moyen de la perfuader aux hommes ? Et com¬ ment les empecher d’aflbcier perpetuellement dans leur memoire l’idee de bonheur a 1’ide'e de richelfes. ^=s=s====s^^^m=s==s!sss=^: CHAPITRE XXV. De l’ajfociation des idles de bonheur & de richejfes dans notre memoire. 17 JCi N tout Pays ou Ton n’efl allure de la pro¬ priety, ni de fes biens, ni de fa vie , ni de fa liberte , les idees de bonheur & de richeffes doi- veni son Education. Chap. XXV 16', vent fouvent fe confondre. Ony abefoindepro- tedteurs , & richefie fait protection. Dans tout autre,on petit s’en former desidees diftinctes. Si des Fakirs a l’aide d’un Catechifms religieux perfuadent aux hommes les abfurdites les plus groflteres, par quelle raifon a l’aide d’un Catechifme moral ne leur per/uaderoit-on pas qu’ils font heureux, lorfque pour l’etre, il neleur manque que de fe croire tels (a) ? Cette croyance fait partie de notre feiicite. Qui fe croit infortuns le devient. Mais peut-on s’aveugler fur ce point important? Quels font done les plus grands en- nemis de notre bonheur ? l’ignorance & l’envie. L’envie louable dans la premiere jeuneffe tant qu’elle porte le nom d’emulation , devient une paffion funefie, lorfque dans l’age avance elle a repris celui d’envie. Qui l’engendre ? L’ppinion faufie & exageree qu’on fe forme du bonheur de certaines condi¬ tions. Quel moyen de detruire cette opinion ? C’eft d’eclairer les hommes. Celt a la copnoif- (a) Deux caufes habituelles du malheur des hommes,' d’une part , Ignorance du pen qu’il faut pour itre heureux, del’autre, Befoins imaginaires £■ defirs fans homes. Ua Negociant e(l-il riche ? II vent erre le plus riche de fa riile. Un homme eft-il Roi ? II veut etre le plus puiffant des Rois. Ne faudroit-il pas fe rappe!ler.quelquefois avec Montague , qu'ajjis fait fur le Trone, foit fur un efcaheau, on n’efi jamais ajjis que fur fon cul; que Ii le pouvoir 8c les richeffes font des moyens de fe rendre heureux , il ne faut pas confondre les moyens avec la chofe meme , xju’il ne faut pas aclieter par trop de feins , de travaux & dangers ce qu’on peut avoir a meilleur compte ; & qu’en- fin dans la recherche du bonheur , on ne doit point quo Jslier que c’efl: le bonheur qu’on cherche. Tome. IL M 2 .66 D E L’ II O M M E , fance du vrai qu’il eft referve de Iesrendre meil- leurs : elle feule peut dtcuffer cette guerre in- teftinequi fourdement & eternellement allumee entre les Gitoyens de profeffions & de talensdif- ferens , divife prefque tous les membres des So- cietes policies. L’ignorance & 1’envie en les abreuvant du fiel d’unefiaine injufte & reciproque leur a trop long-tems cache celle d’une verite importante. C’eft que peu de fortune , comrae je l’ai prouve, fuffit a leur felicite (a). Qu’on ne regarde point cet axiome commeun lieu commun de chaire ou de college. Plus on 1’approfondira , plus on en fentira la verite. Si la meditation decet axiome peut perfiiader de leur bonheur une infinite de gens auxquels pouretreheureux, ii ne manque que de fe croire tels, cette ve'rite n’eft done point une de ces rnaximes fpeculativesinapplicables ala pratique. ( a) Des hotnmes qui de Vetat d’opulence paffent a celut *e la mediocrite , font fans doute malheuteux. lls ont dans leur premier etat contraftedes gofttsqu’iis ne peu vent fatis- faire dans le fecond. Auffi ne parlai-je ici que des hommes aui nes fans fortune n’ont point d’habitudes a vaincre. Peu de richeffes fuffit au bonheur de ces derniers ; du oioins dans les Pays ou l’opulence n’eft point un titre a ffe&kng publique. son Education. Chap. XXVI. 167 CHAPITRE XXVI. De Vutilite eloignee de mes principes , Si le premier j’ai prouve la poflibilite d’une egsle repartition de bonheur entreles Citoyens, & geometriquement demontre cette importante verite, je fuis heureux; je puis me regarder comrae le bienfaiteur des hommes & me dire : Tout ce que les Moraliftes ont publie fur l’e- galite des conditions; tout ce que les Romanciers onr debite du taliftnan d’Orofmane, n’etoit que 1’appercevar.ee encore cbfcure de ce que j’ai prouve. Si Ton me reprochoit d’avoir trop 1-ong-tems infifte fur cette queftion, je repondrois que la felicite publique fe compofant de toutes les feti- cites particulieres , pour favoir ce qui conftitue le bonheur de tous , il falloit favoir ce qui confti¬ tue le bonheur de chacun , & montrer que s’i! n’eft point de Gouvernement oil tous les hom¬ ines puiflent etre egalement puiflans & riches , il n’en eft aucun ou ils ne puilfent etre egale¬ ment heureux; qu’enfin il eft telle Legiflation oil (fauf des malheurs particuliers ) ils n’y auroient d’autres infortunes que des foux. Mais une egale reparti tion de bonh eur entre les Citoyens fuppofe une moins inegale repartition des richeffes Nationales, Or dans quelGouverne- M z i68 D e l’ H o m m e ment de FEurope etablir maintenant cette repar¬ tition ? L’on n’en appercoit point fans doute la poffibilite prochaine. Cependant l’alteration qui fe fait journellement dans la conftitution ds tous lesEmpires, prouve qu’au moins cette poffibilite n’eft point une chimere Platonicienne. Dans un terns plus cm moins long , s’il faut, difent Ies Sages, que tomes les poffibilites fe rea- Jifent, pourquoi defefperer du bon heur ftitur de rhumanite ? Qui peut aifurer que lesverites ci- delfus etablies lui foient toujours inutiles. II eft rare , mais necelfaire dans untems donne qu’il naiffe un Pen , un Manco-Capac pour don- ner des Loix a des Societes naiffantes. Or fup- pofe ( ce qui peut-etre eft plus rare encore ) que jaloux d’une gloire nouvelle, un telhomme vou- f fit fous le time d’ami des hommes, confacrer fon noma la pofterite, Sc qu’en confequence plus occupe de la compolltion de fes Loix 8c du bon- heur des Peuples , que de raccroiflement de fa puiffance, cet homme voulut faire des heureux & non des efdaves; nuldoute comme je le prou- verai Seftion IX. qu’il n’appercut dans les prin- cipes que je viens d’etablir, le germe d’une Le- giflation neuve & plus confcrme au bonfceur ds fhumanite. # son Education. Notes . 1 6 j ==== : S : ^^^2j=======# NOTES. i.Foiut de calomnie donten FranceleClergs . n’ait noirci les Philofopbes, 11 les accufcit de ns reconnoitre aucune fuperiorite de rang, de naif- lance & ds dignite. 11 croyoit par ce moyefl irri— ter le FaiiTant contre eux. Cette accufation eroit heureufement trop vague & trop ridicule. Ea efFet fous quel point de vue un Philofophe s’ega- leroit-il au grand Seigneur? Ou ce feroit en qua- lite de Chretien, parcequ’a ce titretcus les hem- mes font freres , ou ce feroit en qualite de Sujet d’un Delpote , parce que tout Sujet n’eft deyant Jui qu’un efclave, & que tcus les efeyves font effentieilementde meme condition. Dries Pliilo- fophes ne font Apotres ni du Papifme , ni du DefpGtifme , & d’ailleurs il ne doit point y avoir erf France de Defpote. Mais les titresdont on y decore les Grands Seigneurs font-ils autre chofe que les joujeux d’une yanite puerile. Ont-ils ne- ce/Iaireinent part au maniement des affaires pur bliques ? Ont-ils une puifiance reelle? Ils ne font point grands en ce fens ; mais ils ont des noms qu’on refpecle & qu’on doit refpecler. a. L’hommeoccupes’ennuiepeu & defirepeu. Souhaite-t-on d’iromenfes richelfes ? c’efl: com- me moyen , ou ci’eviter l’ennui, ou de feprocu- rer des plailirs. Qui n’a point de befoin eft indif¬ ferent aux richelfes. Il en eft de I’amour de l’ar- gent comme del’amcur du luxe. Qu’un jeune M 3 2,70 D E l’ H o m m e , homme foir avide de femmes ; s’ii regarde le luxe dans les ameublemens , les fetes & les equipages comme un moyen de les feduire , il eft paflionne pour le luxe. Vieillit-il ? Devient-il infenfible aux plaifirs de l’amour ? II dedore fon carofte, y attelle de vieux cbevaux & degalonne fes habits. Cet homme aimoit le luxe comme moyen de fe procurer certains plaifirs. T devient-il indifftf— lent ? II eft fans amour pour le luxe. 3 .Le manage dans cenaines conditions ne pre- feme fouvent que le tableau de deux infertunds unis enfemble pour faire reciproquement kur xnalheur. Le mariage a deux objets; Tun !a confervation de 1’efpece; l’autre le bonheur & le plaifir des deux fexes. La recherche des plai firs ell permife : pour- quoi s’en priveroit-on , lcrfque ces plaifirs n© nuifent point a la Socidte. Mais !e mariage tel qu’il eft inftitud dans les Pays Catholiques ne convient point dgakment a toutes les profeflions. A quoi rapporter Funifor- mite de fon itvftitution ? A la convenance, re- pondrai-je , qui fe trouve entre cette forme de mariage, & i’dtat primitif des habitans de l’Eu* rope, e’eft-a-dire, i’dtat de laboureur. Dans cette profeflion l’homme&la femmeont un objet com- mun de defir; c’eftl’amelioration des terresqu’ils cultivent. Cette amelioration refultedu concours de leurs travaux. Dans leur fermeles deux epoux toujours occupes, toujours utiles Fur) a l’autre , fupportentfansdegout & fans inconvenient Pin— diffolubilite de leur union. II n’en eft pas de me- son Education. Notts. 2.71 me dans les autres profeffions. Le Clerge ne fe marie point. Pourquoi ? C’efl que dans la forme a&uelle du mariage l’Eglife a cru qu’une femme, un menage & les foins qu’il entraine detourne- roient le Pretre de fes foaelions.En detourne-t-il moins le Magiftrat, 1’hotnme de Lettres, l'liom- me en place ? & les foncHons de ces derniers ne font-elles pas tout autremen t f'rieufes & impcr- tantes que celles da Pretre. Les Peuples de 1’Eu- rqpe croient-ils cette forme de mariage mieux aftbrtie ala profeflion des armes? Lapreuve du contraire, c’eft curls l’interdifent a prefque tous leurs foldats. Or que fuppofe cette interdiftion ; fmon qu’inftruites par 1’experience, les Nations ont enfin reconnu qu’une femme corrompt les mcEurs duguerrier, eteinten lui l’amour patrio- tique & le rend a la longue efFe'mine, parelfeux & rimide. Quelremede a cemal? En Pruffe un foldat du premier bataillon trouve-t-il une fille jolie ? II couche avec elle, & l’union des deux epoux dure' autant que leur amour & leur convenance. Ont- ils des enfans ? S’ils ne peuvent les nourrir, le Roi s’en charge, les eleve dans une maifonfon- dee a cet effet. II j forme une pepiniere de jeu- nes foldats. Or qu’on donne a ce Prince la dilpc- fition d’une plus grande quantite de fonds eccle- fiaftiques, il executera en grand ce qu’il ne pent faire qu’en petit, & fes foldats amans & peres jouiront des plaifirs de I’amour fans que leurs mceurs foient amollies Sc qu’ils aient rien perdu de leur courage. Dans le mariage, difoit Fontenelle, la Lot IJl D E l’ H o m m e, d’une union indiffoluble eft une Loi barbare & crueiie. En France lepeudebonsme'nagesprouve en ce genre la neceffite d’une reforme. II eft des Nations ou l’amant & la maitrefte ne s’epcufent qu’apres trcis ans d’habitaticn. Us eftaient pendant ce tems la fympathie de leurs cara&eres. Ne fe conviennent-ils pas ? ils fe fe- parent & la Me pafle en d’aurres mains. Ces mariages Africains font les plus propres a alTurer le bonheur des conjcints. Mais qni pourvoiroit alors a la fubfiftance des enfans ? Les memes Loix qui I’affurent dans les pays ou le di¬ vorce eft permis. Que les males reftent aux peres & les filles a la mere : qu’on affigne dans les con- trats de mariage telle fommepcur feducaticn des enfans venus avant le divorce : Que le revenu des dixmes & des hopitaux/bit applique a l’entre- tien de ceux don t les parens font fans bien & fans induftrie; l’inconvenient du divorce fer a nul, & le bonheur des epoux afiiire. Mais, dira- t-cn , que de mariages diffous par une Lei ft fa¬ vorable a l’inconftance humaine! 1’experience p-rouve le contraire. Au refte je veux que les defirs ambulatoires & variables de l’homme & de la femme leur ft/fent quelquefois changer-Fobjet de leur ten- dreffe. Pourquoi les priver des plaifirs du chan- gement, ft d’ailleurs leur inconftance par des Loix fages , n’eft point nuifible a la Socittd ? En France les femmes font trop maitrefles; en Orient trop efclaves: leur fexe y eft facrifie au notre. Pourquoi ce facrifice ? Deux epoux ceffent-ils: soft EXV17C At ION. Motes. 173 tie s’aimer , commcncent-ils a fe hair ? Pourquoi les condamncr a vivre enfemble ? D’ailleurs s’il eft vrai qtie ie defir du change- ment foit aufii conforme qu’cn le dit a la nature humaine , on pourroit done propofer la poffibi- lite du changement comme le prix du merite : on pourroit donceilayer derendreparce moyen, lesguerriers plus braves, les Magiftrats plus juf- tes, les artifans plus induflrieux & les gens de geiiie plus ftudieux. Quelle efpece de plaifir ne devientpoint entre les mains d’un Legiflateur habile, un inftrumenc dela felicite publique ? 4. Peu de Pcetes tragiques connoiffent l’hom- me : peu d’entr’eux ont affez etudie les diverfes paffions pourleur faire toujours parler leur pro- pre langue.Chacuned’ellescependanta lafienne. S’agit-il de de'tourner un homme d’une adlion dangereufe & imprudente ? L’humanite fe char- ge-t-elle de lui donner un confeil a ce fujet ? Elle menage fa vanite , lui montre la verite, mais fous les exprefiions les meins offenfantes. Ells adoucit enfin par le ton tk le gefte ce que cette verite ade trap amer. La durete la dit cruement. La malignite la dit de la maniere la plus hu- miliante. L’orgueil commande itnperieufement : il eft fourd a toute representation. II veut qu’on lui obdiife fans examen. La raifen difeute avec cet homme la fagelTe de Ion aclion , eccute fa re'ponfe & la foumet au ju- gement de l’intereffe, M $ 274 B £ l f H 0 II Jt F, L’ami plein de tendreife pour fon ami le con- tredit a regret. Ne le perfuade-t-il pas ? 11 a re- cours aux larmes & a la priere, le conjure par le lien tiers qui unit fon bonheur au lien de ne. point s’expofer au danger de cette adion. L’amour prend un autre ton, & pour combat- tre la refolution de fon amant, la maitreffe n’al- legue d’autre motif que fa volontd & fon amour. L’amant refifte-t-il ? Eile s’abaiife enfin a raifon- ner. Mais la raifon n’eft jamais que la derniere reffource de l’amour. On peut done a la differente maniere de don- tier le meme confeil, diftinguer l’efpece de ca- radere ou de pallion qui le dide. Mais la four- berie a-t-el!e une langue particuliere ? Non : auffile fourbeemprunte-t-i! tantotcelle del’ami- tie , & fe reconnoit-il a la difference qu’on re- marque entre le fe ntiment dont il fe dit affedefe celui qu’il doit avoir. Etudie-t-on la langue des paffions & des caraderes diff&ens , on trouve louvent les Tragiquesen defaut. II en eft peu qui faifant parler telle paffion, n’emprunte quelque- fois le langage d’une autre. Je ne parlerai point des Poetes tragiques fans citer a ce fujet Milord Shaftelburi. Lui feu! me pa-roxr avoir eu la veri¬ table idee de la Tragedie. » L’objet de la Come- » die eft , dit-il, la corredion des mceurs des. » particuliers ; celui de la Tragedie doit etre pa- » reillementla corredion des mceuTS des Minif- » tres & des Souverains. Pourquoi, ajoute-t-il } » ne pas intituler des Tragedies du nom des » Roi tyran , de Monarque , ou foible , ou fu ^ r> perjlitieux, ou fuperbe , ou flatte 1 C’ell Tuni— SON EDtrCAfXO'jr, Notes, 2 7 j » que tnoyen de rendre lesTragedies encore plus » utiles.» 5. L’homme inftruitpar les decouvertes de fes peres a recu Pheritage deleurs penfees : c’eft un depot qu’il eft charge de tranfmettre a fes def- cendans augmente de quelques-unes de fes pro- pres idees. Que d’hommes a cet egard meurent banqueroutiers. ♦ ■# 17 6 D e l’ H o m m e. SECTION IX. De la poffifailite d’indiquer un bon plan de Legiflation. Des obftacles que l’ignorance met a fa publication. Du ridicule qu’elle jette fur toute idee nouvelle & toute etude approfondie de la Morale &: de la Politique. De l’incon/lance qu’elle fuppofe dans l’ef- prithumain : inconEance incompatible avec laduree de bonnes toix. Du danger imaginaite auquel, (fi l’on en croit l’ignorance) la revelation d’une idee neuve & furtout des vrais princi- pes des Loix , doit expofer les Empires,. De la trop funefte indifference des hornmes pour l’examen des veiites morales oa politiques. Du nom de vraies ou de faufles donne aux memes opinions, felon l interet momen- tane qu’on a deles croire telles ou teller. son Education. Chap. I. $-77 . . .. | ^ ---„ -L-V CHAPITRE I. De la difficult^ de tracer un bon plan d& Legislation. Pen dlhommes celebres one ecrit fur la Morale &laLegiflatk>n. Quelleeft lacaufedeleurfilence? Seroit-ce la grandeur , 1’importance du fujet, le grand nombre d’iddes , enlin l’etendue d’efprit neceffaire pour le bien traiter ? Non. Leur filen- ce eft l’effet de Findifference du Public pour ces fortes d’Ouvrages. En ce genre un excellent ecrit regarde tout au plus comme le reve d’un homme de bien , de~ vient le germe de mille dilcuffions , la fourcc de mille difputes que l’ignorance des uns & la mauvaife foi des autres rendent interminables. Quel mepris n’affiche-t-on pas pour un Ouvrage dont l’utilite eloignee eft toujours traitde de chi- mere Platonicienne! Dans tout pays police & de'ja fonmis a certai- nes Loix , ti certaines moeurs, a certains pre'ju- ges , un bon plan deLegiflation prefque toujours incompatible avec une infinite d’interets perfbn- nels, d’abus etablis & de plans deja adoptes , paroitra done toujours ridicule. En demontrat- on l’exceilence, elle feroit long-tems contef- zee. Cependant fi jaloux d’eclairer fes Nations fur t’objec important de leur bonheur , un ho mine 278 D E I.’ H O M M E , d’un caraftere eleve & nerveux vouloit affronter eeridicule, meferait-il perrnis de l’avertirquele Public fe prdteavec peine a l’examen d’une quef- tion compliqude,& que s’ll eftnnmoyen de fixer fon attention fur le probleme d’une excellente Legislation , c’efl de le Amplifier & de le reduire- a deux proportions. L’objec de la premiere feroit la deccuvertedes Loix propres a rendre les hommes les plus heu- reux pofiibles , a leur procurer par conCequent tous les amufemens &les plaifirs compatibles avec le bien public. L’objet de la feconde feroit la dccouvertc des moyens par lefquelson peut faire infenfiblemenr paffer un peuple de l’etat demalheurqu’ileprou- ve a l’etat de bonheur dont il peut jouir. Pour refoudre la premiere de ces proportions il faudroit prendre exemple fur les Geometres. Leur propofe-t-on un probleme complique de mechamque 1 quefont-ils? ilsle fimplihent; ils calculent la viteffe des corps en mouvement fans egard a leur denfite , a la refi fiance des flui- des environnans, au frottement des autres corps &c. Il faudroit done pour refoudre la premiere par- tie du probleme d’une excellente Legiflation , n’avoir pareillement dgard, ni a la refiflance des- prejuges , ni au frottement des interets ccntrai- res , &. perfonnels , ni aux maturs , ni aux Loix,, ni aux ufages ddja etablis. Il faudroit fe regarder comrae le fondateur d’unOrdrereligieux qui die-- tant fa regie monaflique, n’a point egard aux ha¬ bitudes j aux prejuges de fes Sujetsfuturs. son Education. Chap . I . z?f Il n’en feroit pas ainfi de la feconde partie de ' ee metne probleme. Ce n’eft pas d’apres fes feu- les conceptions , mais d’apres la connoiffance des Loix & des mceurs a&uelles d’un Peuple , qu’on pent determiner les moyens de changer peu-a- peu ces memes mceurs, ces memes Loix & par des degres infenfibles de faire paffer un Peuple de fa Legiflation adluelle a la meilleure poffible.. Une difference elfenrielle & remarquable en- rre ces deux propofitions, c’eft que la premiere une fois refclue , fa folution , ( fauf quelques differences occafionnees par la pofition particu- liere d’un pays, eft gdnerale & la meme pour tous les Peuples. Au contraire la folution de la feconde doit etre differente felon la formedifferentede chaquee'tat,. On fent que les gouvernemens Tore , Suifle , Efpagnol ou Portugais doivent neceffairement fe trouver a des diftances plus ou moins inegales d’une parfaite Legiflation. S’il ne faut que du genie pour refoudrela pre¬ miere de ces propofitions , pour refoudre la fe¬ conde il faut au genie joindre la connoiffance des mceurs & des principales Loix du Peuple done on veut infenfiblement changer la Legiflation. En general pour bien traiter une pareille quef- tion , il eft neceffaire d’avoir du moins fommai- rement etudie les coutumes & les prejuges des; Peuples de tous les fiecles & de tous les pays, Ou ne perfuade les hommes que par des fairs on ne les inftruit que par des exemples. Celui qui fe refufe au meilleur raifonnement, fe rend au fait fouventle plus equivoque.. lSo D E L* H O M M E, Mais ces fa its acquis, quelles feroient les que£ tions dent Fexamen pourroit donner la folutiert du probltme de la meilleure Legislation ? Je ci~ terai celles qui fe prefencent les premieres a men efprit. CHAPITRE II. Des premieres quejlions a fe faire, lorf- qu on vent donner de bonnes Loix. N peut fe demander I Quel modf a raffemble les hemmes en Co- ciere : fi la crainte des bites feroces , la neceffite de les ecarter des habitations, de les ruer pour alfurerfa vie& fa fubfiftance ; ou fi quelqu'autre motif de cette efpece ne dut point former les premieres peuplades, 2,°. Si les hommes une fois reunis & fuccefi- vement devenus chaifeurs , pafleurs & cultiva- teurs ne furent pas forces de faire entr’eux des conventions & de fe donner des Loix. 3 0 . Si ces Loix pouvoient avoird’autre fonde~ raent que ie defir common d’aflurer la propriety de leurs biens , de leur vie & de leur liberta , expoft'e dans l’etat de non-fociete comme dans ctlui du Defpotifme a la violence du plus fort. 4°. Si le pouvoirarbitraire feus Iequeltm Ci- toyen relie expofe aux infultes de la force & dr son Education. Chap. II. z8x la violence, oil Ton lui ravit jufqu’au droit de la defenfe naturelle , peut etre regarde' comme une forme de gouvernement. 5“. Si le Defpotifme en s’etablifiant dans un Empire , n’y rompt pas tous les liens de I’union fociale. Si les memes motifs , ft les memesbe- foins qui reunirent d’abord les hommes, ne leur commandeiitpointalorsladi/Tolution d’unefociete cu, comme en Turquie, l’on n’a la propriete ni de fes biens , ni de fa vie , ni de la liberie'; ou les Citoyens enfin toujours en etat de guerre les uns contre les autres, ne reconnoiffent d’autres drois que la force & l’adrefle. 6 °. Si les proprietes peuvent etre longtems refpe&des fans entretenir comme en Angleterre un certain e'quilibre de puilfance entre les difte- rentes clafles des Citoyens. 7°. S’il eft un moyen de maintenir la duree de cet equilibre , & ft fon entretien n’eft pas ab- folument neceffaire pour s’oppofer efficacement aux efforts continuels des Grands pour s’emparer des proprietes des petits. 8p. Si les mayens propofes a ce fujet par M, Hume, dans fon petit, mais excellent traite d’une Republique parfaite, font fuffifans pour operer cet effet. 9°. Si [’introduction de 1 ’argent dans fa Repu¬ blique (a) n’y produiroit point a la longue cette inegale repartition de richeflesquifournit auPui (a) L'or comipteur des moeurs des Nations, eft uns Fee qui fouvent y metamorphofe !es honnetes gens en fripons. Lycurgue qui le favoit bien, chaflkcette Fee d© Lacedemone, aSl D E L’ H O M M E, fant les fers dont il enchaine fes Concitoyens. io°. Si l’indigent a reellement une Patrie; fi la non-propriete doit quelque chcfe au pays ou elle ne poffede lien ; ft 1 ’extreme pauvrete tou- jours aux gages des riches & des Puiffans n’en doit pas fouvent favorifer 1 ’ambition ; ft l’indi¬ gent enfrn n’a pas trop de befoins pour avoir des vertus. 11 °. Si par la fubdivifion des propridtes , les I.oix ne pourroient pas unir l’interet du grand nombre des habitans a 1 ’intdret de la Patrie. iio. Si d’apres l’exemple des Lacedcmoniens dont le territoire partage en trente neuf mille lots etoit diftribue aux trent-neuf mille families qui formoient la Nation , on ne pourroit pas en fuppofant a la trop grande multiplication des Ci- toyens, ffigner a chaquefamille un terrain plus ou moins etendu, mais toujours proportionne au nombre de ceux qui la compofent (a). 1 3°. Si la diftribution moins inegale des ter res & des richeffes ( b ) , n’arracheroit point une infinite d’hommes au malheur reel qu’occafionne (1* ne voient dans leurs Sujets qu’nn vil bdtail. S’ils le nourif- fent, e’eft qu’ii eft de ieur interet de le multiplier. Tous les Gouvernemens parlent de population. Mais quel Em. pirefaut-il peupler ? Celui dont les Sujets font heureux. I.es multiplier dans un mauvais Gouvernement, e’eft for. mer le barbare projet d’y multiplier les miferabies ; e’eft fournir a la tyrannie de nouveaux inftrumens pour s’affer- vir de notivelles Nations & les rendre pareillement infer- Unices ; e’eft etendre les malheurs de l’humanite. 2 84 D E l’ H O M M E , 17 0 . Si dans un Goavernement fage on doit lailfer fubfiller deux autorites inde'pendantes & fupremes , telles font la temporelle & la fpiri- tuelle. 18°. Si Pon doit limiter la grandeur des villes. 19 9 . Si leur extreme etendue permet de veil- ler a l’honnitete des mceurs : fi dans les grandes Villes on peut faire ufage du fupplice fi faluraire de lahonte & de l’infamie , (a) & fi dans one vide conune Paris ou Ccnflantinople, un Ci- toyen en changeant de nom & de quartier ne peut pas toujours echapper a ce fupplice. 20°. Si par une Ligue federative plus parfaite que celle des Grecs , un certain nombre de pe- tites Republiques ne fe mettroient pas a Pabri, & de Pinvalion de Pennemi, & de la tyrannic d’un Citoyen ambitieux. 2i Q . Si dans !a fuppofition ou Pon par'agek en trente Provinces ou Republiques, un pays grand ccmme la France ; ou l’on affignat a cha- cun de ces Etats un territcire a peu-pres egal ; ou ce territoire fut circcnfcrit & fixe' par des borr.es immuables , ou fa poffefficn enfin fut garantie par les vingt-ne.uf autres Republiques t il eft a prefumer qu’une de ces Republiques put affervTr les autres , c’efl-a-dire , qu’un feul homme fe batrit avec avantage centre vingt- neuf. 2a 0 . Si dans la fuppofition 011 toutes ces Re- (a) Da ns un Gouvernement fage le fupplice de lahonfe *affiroit feul pour contenir le Citoyen dans fon devoix son Education. Chap. II. 28$ publiques feroient gouverndcs par les memes Loix : 011 chacun de ces petits Etats charge de fa police interieure & de l’eledion de fes Magif- trats, repondroit a un Cornell fuperieur ; ou ce Confeil liiperieur compofe de quatre Deputes de chaque R.epublique & principalement occupe des affaires de la Guerre & de la Politique , fe- roit cependant charge de veiller a ce que cha- cune de ces Republiques ne reformat ou ne changeat fa Legiflation que du confentement de routes; oil d’aiileurs l’objet des Loix feroit d’e- lever les ames , d’exalcer les courages & d’entre- tenir une difcipline exade dans les Armees : fi dans ur.e telle fuppofition le Corps entier de ces Republiques ne feroit pas toujours alfez puiffant pour s’oppofer e/ficacement aux projets ambi- tieux de leurs voifins & de leurs conci- toyens ( a ) 23 Si dans l’hypothefe ou la Legiflation de ces Republiques en rendit les Citoyens ies plus heureux poffibles , & ieur procurk tous les plai— firs compatibles avec le bien public ; fi ces me¬ mes Republiques ne feroient pas alors morale- ment affurees d’une felicite inalterable. 24°. Si le plan d’une bonne Legiflation ne doit pas renfermer celui d’une excdlente educa¬ tion ; fi Ton peut donner une telle education (b) En general Pinjuflice de I’homme n’a d'autre mefu* re que celle de fapuiffance. Le chef-d’oeuvre de la Legis¬ lation confifte done a bonier tellement le pouvoir de cha* que Citoyen qw’il ne puiffe jamais impunement attenter a la vie , aux biens , &c a la liberte d’un autre. Or ce pro- bleme n’a jufqu’a prefent ete nulie part mieux refolg ^u’en Angleterre, n8 6 n E l’ H o m m e, aux Citoyens fans leur prefenter desidees nertcs de la Morale & fins rapporter les preceptes au principe unique de l’amour du bien general : ft rappellant a cet eftet aux hommes les motifs qui les ont reunis en fociete , on ne pourroit pas leur prouver qu’il eft prefque toujours de leur interet bien entendu de facrificr un avantage per- fonne! Sc momentane a Favantage National, Sc de meriter par ce ficrifice le titre honorable de vertueux. 2-5°. Si l’on peut fonder la Morale fur d’aLi¬ tres principes que fur celui de l’utilite publique : ft les injuftices memes du Defpotifme toujours commifes au nom du bien public , ne prouvent pas que ce principe eft reellement Funique de la Morale (a) ; fil’on peut y fubftituer Futilite particuliere de fa familie & de fa parente ( b ). i6 a . Si dans la ftippofition oh' Fon confacre- roit cet axiome : » Qu'on doit plus a fa parents qu’d fa Vatrit ». Un pere dans le deftein de fe conferver a fa {a ) Lorfque le Moine enjoint d’aimerDieu par deftlis toute chofe ; ce raoine s’identifiant toujours avec Ton Eglife & fon Dieu , ne dit rien autre chofe finon gu’il faut aimer & refpe&er Ini &7on Eglife de preference a tout. Celtii-Ia feu! eft done vraiment ami de fa Nation qui re- pete d’apres les Philofophes , que tout amour doit ceder a celui de la juftice & qu’il faut tout facrifter au bien pu¬ blic. (b) L’amour de la patrie n’eft-il plus regarde par un homme comme le premier principe de la Morale , cet homme peut etre bon pere , bon mari, bon fils, mais il fera toujours mauvais citoyen. Que de crimes 1’amour des parens n’a-t-il pas fait commettre l sos Education. Chap. II. 287 familie , ne pourrcit pas abandonner fon pofie au moment du combat : fi ce pere charge de la chile publique ne pourrcit pas la piller pour en diftribuer l’argent a fes enfans & depouiller ainfi ce qu’il doit aimer le motets pour en revetir ce qu’il doit aimer le plus. 2.7 0 . Si du moment ou le falut public n’eft plus la fupreme Loi & la premiere obligation du Citoyen (a) ; il fubfifte encore une fcience du bien & du mal; s’il eft enfin une morale , lcrl- que 1’utilite publique n’eft plus la mefure de la punition , ou de la recompenfe, de i’eftime ou du mepris dus aux aftions des Citoyens. a8 u . Si Ton peut fe flatter de trouver des Citoyens vertueux dans un pays cu les hon- neurs, 1’eftime & les richeftes feroient devenus par la forme du Gouvernement les re'compenfes du crime; ou le vice enfin feroit heureux & reft pede. 2.9 0 . Si les hommes fe rappellant alors que le defir du bonheur eft le feul motif de leur reu¬ nion , ils ne font pas en droit de s’abandonner (a) Eft-on infenfible aux maux publics qu’occafionne une mauvaife adminiftration ? Eft-on foiblement affefte du. deshonneur de fa Nation ? ne partage-t-on pas avec elie la honte de fes de'faites , ou de fon efclavage ? on eft un Ci- toyen lache & vil. Pour etre vertueux , ii faut etre mal- heureux de Tinfortune de fes concitoyens. Si dans l’O- rient il etoitun homme dont l’ame fut vraiment honnete & elevee, il pafferoit fa vie dans les larmes; il auroit pour la plupart des Vifirs la me.-ne horreur qu’on eut jadis en France pour Bullion qui, dans le moment ou Louis XHf. s’attendriffoit furlamifere de fes Sujets,lui fit cette re- ponfe atroce : » Sachez que vos Peuples font encore alTes P Jieureux de n’etre pas reduifs a brouter l’herbe ». 0,88 D e l’ H o m m e , an vice, par-tout ou ie vice procure honneur , richeffe &; felicite. 30'“’. Si dans ia fuppofition , ou les Loix, comme le prouve la constitution des Jefaites, puiffent tout fur les hommes , ii feroit poflible qu’un Peuple entraine su vice par la forme de fon gouvernement put s’en arracher fans faire quelque changement dansces mcmes Leix. 31“. S’ii luffit pour qu’une Legiflation feit -bonne qu’elle allure la propriete des biens, de ia vie tk de la liberte des Citovens, qu’e'le met¬ re moins d’inegalite dans les ric-hefies Nationa- Jes , &lesCitoyens plus a portee de fubvenir par un travail modere ( a ) a leurs befoins & a ceux de leur famille : s’il ne faut pas encore que cette Legiflation exalte dans les hommes le fen- timent de l’emulation ; que 1’etat propofeacet eSe: de grandes recompenfes aux grands talens & aux grandes vertus ; fi ces recompenfes qui confiflent toujours dans le don de quelques fu- perfluites & qui furent jadis le principe de tant (a) Regarder la neceflite du travail comme line fuite du peche originel & comme une puriition de Dieu , e’eft one abfurditel Cette neceffitd au contraire eft line faveur da del. Q ue la nourriture de l’homme fo it ie prix de Ton travail , e’eft un fait. Or pour expliquer un fait 11 fimple , qu’eft-il befoin de recourir a des caufesfurnaturelles & de prefenter toujours I’homme comme une enigme ? S’il pa- rut tel autrefois, il faut convenir qu’on a depuis fi genera- life le principe de l’inte'ret', fi bien prouve que cet inte- ret eft le principe de toutes nos penfdes & de toutes nos actions , que le mot de I’enigme eft enfin devine, & que pour expliquer I’homme, il n’eft plus necefteire , comme le pretend Pafcal, de recourir au peche originel,- d’adions ■&on Education. Chap. II. 289 (Tactions (a) fortes &magnanimes , ne pour- roient point encore produire le meme efFet; & 11 des rccompenfes decernees par le public ( de quelque nature dViileurs qu’elles foient) peu- ver.t etre regardees comme un Luxe de plaifir propre a corrompre les moeurs. — g === *3j^^oj; !_l_L l J. 1 - '"‘ I; CHAPITRE III. Du luxe, de plaifir. JP Oint de jour que Ton ne parle de la cor - niption des mceurs Nationals. Quo doit-on en- , tendre par ce mot ? n Le detacfcement de 1 ’interet particulier de Tinterec general ». Pourquoi l’argent ce principe d’aciivite d’un Peuple riche, devient-il ft fouvent un principe de corruption? C’eft que le public, comme je l’ai deja dit, n’en eft pas le feul diftributeur , (tf)Lesprineipes denosa&ions fonten general la crainte Sc refpoir d’une peine & d’un plaifir prochain. Les hom¬ ines prefque toujours indifferens aux maux eloigr.es, ne font rien pour s’y fouftraiie. Qui n’eft pas malheureiix fe croit dans Con etat naturel. II imagine pouvoir toujours s’y conferver. L’utilite d’une Loi prefervatrice du.mal- heur a venir eft done rarement fentie. Combien de fois les Peuples ne fe fpnt-ils pas pretes a Pextinftion de cer¬ tains privileges qui feuls les garantilfoient de l’efclavage ? La liberte comme la fante eft un bien dont communement Ton ne Cent le prix qu’apres 1’avoir perdu. Les Peuples en general trop peu occupes de la confervation de leur li« berte ont par leur incurie trop fouvent fourni a la tyrant xtie les moyens de les aflervir. To m e. IL N 2,90 D E V H O M M E , c’eft que l’argent en confequence eft fouvent la recompenfedu vice. II n’ea eft pas ainfi des re- compenfes aont le public eft i’unique difpenfa- teur. Toujours un don de la reconnoiffance Na¬ tionals, elles fuppofent toujours un bienfait, un fervice rendu a ia Panic, par confequent line action vertueufe. Un te! don de quelque efpece qu’il foit, reSerrera done toujours le noeud de Pinteret per&nnel & general. Qu’une belle Efclave, une Concubine de- vienne chez un Peuple le prix, ou des talens , ou de la vertu , ou de la valeur : les moeurs de ce peuple n’en feront pas plus corrompus. C’eft dans les fiecles herdiques que les Cretois impc- foient aux Atheniens ce tribut de dix belles filles dont Thefte les afFranchit : c’eft dans les fiecles de leurs triomplies Sc de leur gloire que les Ara- bes Sc les Turcs exigeoient de pareils tributs des peuples qu’ils avoient vaincus. Lit-on ces Pcemes , ces Romans Celtiques , hiftoires toujours vraies des moeurs d’un Peuple encore feroce ? On y voit les Celtes s’armer comme les Grecs pour la conquete de la heaute , & l’amour loin de les amollir , leur faire exe- cuter les entreprifes les plus hardies. Tout plaifir quel qu’il foit, s’il eft propofi comme prix des grands talens ou des grandes vertus , peut exciter l’etnulation des Citoyens & meme devenir un principe d’adlivite & de bon- heur National. Mais il fait pour cet eiret que tous les Citoyens y puiffenr egalement preten- dre, & qu’dquitablement difpenfes , ces plaifirs foient toujours la recompenfe de quiconque son Education. Chap. III. 2.5)1 xncntre , ou plus de talens dans le Cabinet, cu plus de valeur dans les Armees, cu plus de ver¬ ms dans les Cites. Suppofons qu’on ordonne des fetes magnifi- ques & que pour rechauifer l’emulation des Citoyens, l’on n’y admette d’autres fpeftateurs que des homines deja diflingues par leur genie, leurs talens , ou leurs addons; rien qui ne faffe entreprendre le defir d’y trouver place. Ce defir fera d’autmt plus vif que la beaute de ces memes fetes fera neceffairement exageree, & par la va- nite de ceux qui y fercnt admis , & par 1’igno- rance de ceux qui s’en trouveront exclus. Mais, dira-t-ori , que d’hcmmes malheureuv par cette exclufion ! Meins qu’on ne croit. Si tons envient une recompenfe qui s’cbtient pet 1’intrigue & le credit, e’eft que tous font en droit d’y pretendre, mais peu de gens defirent celle qui s’acquiert par de grands travaux & de grands dangers. Loin d’envier le laurier d’Achille ou d'Ho- mere, le poltron & le pareffeux le dedaigne ( a ). Leur vanite confolatrice ne leur laiffe voir dans les homines d’un grand talent ou d’une grande valeur que des foux dont la paie, comme celle des plombiers & des fappeurs, doit frre haute; par- ce qu’ils s’expofent a de grands dangers & a de grands travaux. IS eft julte & fage , diront le potoon & le pareffeux de payer magninque- (a) Rien en general de moins envie des gens dumonds que les talens d’un Voltaire ou d’un Turenne : le peu d’efforts qu’on fait pour en acquerir, eft la preuve du pete de cas qu’on en fait, N 2 dyi D E I’ H O M M E, ment de tels hommes ; il feroit feu de les imiter. L’envie commune a tous n’ell un tourment reel que pour ceux qui courent la meme car- riere , & fi l’envie eft un trial pour eux, e’eft un mai neceffaire. Mats je veux , dira-t-on , que d’apres une connoiiTance profonde du cteur & de l’efprit hum a in, I’on parvint a refoudre le probleme d’une excellente Legislation, qu’on eveillat dans tous Ies Citoyens & I’indultrie & ces princi- pes d’adivite qui les portent au grand, qu’on les rendit enfin les plus heureux poffibles. Une ft parfaite Legislation ne feroit encore qu’un palais bati far le fable, & l’inconftance naturellea l’homme detruiroit bientdt cet edifice eleve par le genie, i’humanite & la vertu. CHAPITRE IV. Des vraies caujes des changemens arrives dans les Loix des Peuples. np it ANT de changemens arrives dsns les diffe- rentes formes de gouvernemens doivent-ils erre regardes comme i’effet de l’inconftancede l’hom- tne ? Ce que je fais , e’eft qu’en fait de coutu- mes , de Loix & de prejuges, e’eft de l’opinia- trete & non de Finconftance de 1’efprit humain dont on peut fe plaindre. Que de terns pour defabufer quelquefois un son Education. Chap. IV. Peuple d’une Religion Ruffe & deftruclive du bonhenr National! Que de terns pour abclir une Loi foil vent abfurde &c contraire au bien public! Pour opdrer de pareils changernens , ce n’eft pas afiez d’etre Roi; il faut fetre un Roi couri- geux , inftruit & fecouru encore par des cir- confnnces favorables. L’eternitd, pour ainfi dire, des Leix, des coutumes , des ufages de la Chine, depofe cen¬ tre la pretendue legerete des Nations. Suppofons l’homme aufli rtelieraent inconf- tant qu’on le dit ; ce feroit dans le cours de fa vie que fe manifefteroit fon inconftance, Par quelle raifon en efFet, des Loix relpedees de l’aieul, du fils, du petit-fils, des Loix a F'e- preuve pendant fix generations de la pretendue ifgercre de l’homme, y deviendroient-elles tout-' a-coup fujettes ? Qu’on dtabliffe des Loix confortnes a Finteret general ? Elies pourront etre detrui-.es par la force , la fedition, ou un concours fingulier de circonftances , & jamais par ririamftance de l’efprit humain {a). (a) L’oeuvre des Loix, dira-t-on , devroit etre durable. 1 Or pourquoi ces Sarrafins jadrs echauffe's de ces paffions fortes qui fouvent elevent l’homme au deffus de lui-me- me , ne font-ilsplus aujourd’huiceqii’ils etoientautrefois? C’eft que leur courage & leur genie ne fut point une fuite de leur Legiflation , de I’union de Finteret particulier a Finteret public, ni par confequent l’effet de la fage diftri- bution des peines Ik des recompenfes temporelles. Leurs vertus n’avoient point de fondement auffi folide. Elies etoient le produit d’un enthonfiafme momentane & Reli- gieux qui dut difparoitre avec le concours fingulier de circonftances qui l’avoit fait naitre. N 3 £c?4 D E X,’ H O M M S, Je fais que des Loix bonnes en apparence , mais nuifibles en efret font tot ou tard afcclies. Pcurquoi ? Cefb que dans urf teins dcnne,il faut qu’il naiffe un homme eclairs qui frappd de l’incompatibilite de ces Loix avec le bcnheur general, tranfmette fa deccuverte aux bons ef- prits de fon fiecle. Cette deccuverte qui par la lenteur avec la- quelle la verite fe propage, ne fe communique que de proche en proche, n’efl generslement reconnue vraie que des generations fuivantes. Or fi les anciennes Loix font alors afcolies 5 cette abolition n’eft point un effet de l’inconf- tance des hommes , mais de la juftelfe de leur efprit. Certaines Loix fcnt-elles enfin reconnues mauvaifes & infuffifantes ? N’y tient-on plus que par une vieilie habitude ? Le moindre pre- texte fuffit pour les detruire & le moindre eve- nement le procure. En eft-il ainfi des Loix vrai- ment utiles? Non : ainfi point de fociete eton- due & policee oil Ton ait abroge cedes qui pu¬ rs i (lent le vol, le meurtre dec. Mais cette Legiflation fi admiree de Lycur- gue, cette Legislation tiree en partie de celle de Minos (a) n’eut c.ue cinq cu fix cens ans (a) Pea de gens croient avec Xenophon au bonheur de Sparte. Quelle trifle occupation , difent-ils, que des exer- cices militaires; que le perpetuel exercice des armest Sparte , ajoutent-iis, n’etoit qu’un Convent. Tout s’y re- gloit par Je coup de la cloche. Mais , repondrai-je , le coup de la recreation ne plait-il pas a I’ecolier ? £11 - ce la cloche qui rend le Moine malheureux ? Lorlqu’on eftbien nouri, bien vetu s a l’abri de I’emtui.j touts occu- Son Education. Chap . IV . 2.9$ de duree (12). J’en conviens, & peut-etre n’en pourroit - el!e avoir davantage. Quelqu’excel- lentes cue fufient ies Loix de Lycurgue , quel¬ que genie, quelque vertu patriotique & quel- que courage quelies inlpiraffent aux Spar- tktes ( b) , il etoit impoffible dans la pofitien c.u fe trouvoit Lace'demone , que cette Legisla¬ tion fe confer vat plus long-tems fans alte¬ ration. Les Spartiates trop peu nombreux pour re¬ fill er ,a la Perfe eufient ete tot ou tard enfe- pation eft egalement bonne, 8c les plus perilleufes ne font pas les moins agreables. L’Hiftoire lies Goths, des Huns , 8cc. depofe en faveur de cette verite. Un Ambaftadeur Remain entre dans le camp d’Attila ; il y entend le Barde celebrer les hauts faits du vainqueur. 11 y voit les jeunes gens ranges autour du Peete, en ad¬ mirer les vers , treflaillir de joie au recit de leurs ex¬ ploits , tandis que les vieillards s’arrachant le vilage , s’e- crioient en fondant en larmes, quel it at eft le noire ! Pri - yes des forces necejfaires pour combattre , il n 3 eft done plus de bonheur pour nous l La felicite habite done les arenes de la guerre comme les afyles de la palx. Pourquoi regarder les Lacedemo- niens comme infortunes } Eft-il quelque befoin qu’ils ne fatisfiflent ? ils etoient, dit-on , mal-nourris. La preuve du contraire, e’eft qu’ils etoient forts & roburtes. Si d’ailleurs leurs journe'es fe pafloient dans des exercices qui les oc- cupoient fans trop les fatiguer, les Spartiates etoient a- peu-pres aulfi heureux qu’on le peut-etre Scbeaucoup plus que des payfans haves 8c debiles* £c que des riches oififs 6c ennuyes. (d) Les inftitutions de Lycurgne infenliblement alterees ne furent neanmoins entierement detruites que par la for¬ ce. Rome ne crut point avoir foumis les Spartiates qu'elle n’eut aboli chez eux un refte d’inftitution qui les rendoit encore redoutables aux Alaitres du monde. (b) Les Lacedemoniens ont dans tons les fiecfes 8c le s Liftoires, ete celebres par leurs vertus. On leur a nean~ jnoins reproche fouventleur durete envers leurs enclaves* N 4 a y6 D e l’ H o m me, velis fous la maffe de fes Armces, fi la Greet fi feccnde alcrs en grands hommes n’eut reuni fes forces pour repouffer 1’ennemi commun. Qu’arriva-t-il alcrs ? C’eft qu’Athenes & Sparte fe trouverent a la- cete de la ligue federative des Grecs. A peine ces deux Reputliques eurent par des efforts egaux de conduke •& de courage , triemphe de la Perfe , cgie I’adminiffrarion de FUnivers fe partagea entr’elles, & cette admi¬ ration dut devenir & devint le germe de leur difeorde & de leur ialoufie. Cette jaloulie n’eut produit qu’une noble emulation entre ces deux Peuples, s’ils euifent 6t£ gcuvernds par les memes Leix; 1; les limites de leur territoire euffenc eti fixees par des bornes immuables ; Ces Republicans fi orgiieilleux de leur liherte & Ti fters de leur co-urage , traitoient en eftet leurs Ilotes avec an- tant de cruautd que les Nations de l’Europe traitent au- jourd’hui leurs Negres. Les Spartiates en confequence oat paru vertueux ou vicieux felon le point de vue d’ou •Ton les a conftderes. La vertu conftfte-t-elle dans 1’amour de la Patrie & de fes concitoyens ? Les Spartiates ontpeut-etre ete les Peu¬ ples les plus vertueux. La vertu confifte-t-elle dsns 1’amour univerfel des hommes ? Ces memes Spartiates ont ete vicieux. Que faire pour les juger avec equite ? Examiner, fi jufqu’au moment que tous les Peuples , felon le defir de l’Abbe de St. Pierre , ne compofent plus qu’une grande 8c meme nation , il eft poflibl'e que 1’amour patriotique ne foit- pas diftin&if de I’amour univerfel: Si lebonheur d’tin Peuple n’eft pas jufqu’a prefent atta¬ che au malheur de l’autre ; ft Ton peut perfe&ionner, par exemple , 1’induftrie d’une Nation fans nuire au commerce des Nations voifines , fans expofer leurs manufa&uriers a mourir - de faim. Or qu’importe , lorfqu’on detruit lei kQtnmes. que ce foit par le fer ou pat la faim l son Education. Chap. IV i.97 s’ils n’eufient pa les reculer fans armer contre eux toutes les autres Republiques , & qu’enfin ils n’euflent connu d’autres richefies que cette monnoie de fer dont Lycurgue avoit permis l.’ufage. La confederation des Grecs n’etoit pas fon- dee fur une bafe anfli folide. Chaque Republique avoit faconffiturion particulisre. Les Atheniens e'toient a la fois guerriers & negocians. Les rich e/1 es gagnees dans le commerce leur four- nifloient les moyens de_ porter la guerre au de¬ hors.. Ils avoient a cet egard. un grand avantage fur les Lacedemomens.. Ces derniers orgueilleux & pauvres, voyoient avec chagrin dans quelles bornes e'troites leur indigence contenoit leur ambition. Le deiir de commander, de/ir fi puiffant fur deux Republi— ques rivales &guerrieres, rendit cette pauvrete infupportable aux Spartiates. Ils fe degoute- rent done infenfiblement des Loix de Lycurgue & contra&erent des alliances avec les Puiflances. de l’Afie. La guerre du Peloponefe s’etant afors allu- mee , ils fentirent plus vivement le befoin d’ar- gent. La Perfe en o/rrit : les Lacedemoniens Faccepterent. Alors la pauvrete, clef de 1 ’edi- fice des Loix de Lycurgue, fe detacha de la voute & fa chute entraina cede de. PEtat. Albrs. les. Loix & les mceurs changerent, & ce change— ment comme les maux qui s’enfuivirent, r.e fu~ rent point l’effet de I’inconftance de Fe/prithu— rna in ?{a) mais de la differente forraedes gou- Cen’eltjointI’ihcwnlfance des Nations, c.’eff.fene Ss / vernemens des Grecs , de [’imperfection des- principes de leur confederation , & de la liberte qu’iis conferverent toujours de fe faire recipro— quement la guerre. Dela cette fuite d’evenemens qui les entrai— nerent enfm a une ruine commune. Une ligue federative doit etre fondee fur des principes plus folides. Qu’on parage en trente Republiques un pays grand comme la France & le Paraguai. (a) Si ces Republiques- gouvernees par les memes Loix font liguees entr’elles contre les ennemis du dehors ft les born'es de leur territoire font invariablement determinees, qu’elles s’en foient refpeclivement ignorance qui renverfe fi. Convent ['edifice des meilleures lloix. C’ell elle qui rend un people docile aux confeils des ambitieux. Qu’on decouvre a ce people les vrais pripcipes de la Morale qu’on Jui demontre 1’excellence de fes Loix , & le bonheur refultant de leur obfervation ; ces Loix deviendront facrees pour lui, il les relpedlera & par amour pour fa felieite, & par l’opiniatre attachement qu’en general les homm.es ont pour les anciens ufages. Point d’innovations propofees par les ambitieux, qu’iis use colorent du vain pretexts du bien public. Un people jnftruit, toujours en garde contre de telles innovations , les rejette toujours. Chez lui l’interet du petit ntjmbre des forts ell contenu per l’interet du grand nombre des foibles. L’ambition des premiers ell done enchainee 8c le people toujours le plus puillant, lorfqu’il ell eciaire, refte toujours fidele a la Legiflation qui le rend heureux. (a) Le Paraguai ell un Pays immenfe. Du terns des Je- fuites, ce Pays, ft l’on en croit certaines relations , par- tage en 30 cantons, etoit gouverne par les memes Loix. & les memes Magiilrats ,.c’elt-a-dire , par les memes Re- figieux, Or fi ces 30 cantons ne formoient cependant qu’011 taeroe Empire dont les forces pouvoient a 1'ordre: des Jefuites fe reunir contre l’ennemi commun, & li re¬ silience d’un fair en de'montre la poffibilite, lafuppofition ilsnjarejl Empire n’ell done gas abfur.de. son Education. Chap. IV. 4,99 garanti la poffefflon, & fe foient reciprcque- ment allure leur liberte : je dis que ft elles ont d’ailleurs adopte les Loix & les maeurs des Spar¬ tistes , leurs forces re'unies & la garantie mu- tuelle de leur liberte, les mettra egalement a 1’abri & de 1’invafion des mangers, Sc de la tyrannie de leurs compatriotes. Or fuppofons cette Legiflation la plus propre a rendre les Citoyens lieureux, quel moyen d’en eternifer la duree ? Le plus fur c’eli d’or- d onner aux maitres dans leurs inftruftions , aux magiftrats dans des di cours publics , d’en de- montrer l’excellence (a). Cette excellence conf- tatee une Legifiation deviendroit a l’epreuve de la legerete de Fefprit humain, Les homines («) 11 efl neceffaire , dit Machiave!, de rappelter de- terns en terns les goimmemens a leurs pvinclpes conni” tutifs. Qui pres d’eux eft charge de cet emploi ?Xe mal=» heur. Ce fut Tambition ci’un Appius ; ce furentles batailles de Cannes, 6c de Trafimene qui rapellerent les Remains a l’amour de la Patrie. Les peuples n’ont fur cet objet que Tinfortune pour ma'itre. 11s en pourroientchoinr unmoins dur. Pour rinftru£rion meme cles MagiiLrats, pourquoi ne liroiNon pas publiquement chaque annee Phiftoire de cha~ que Loi Sc des motifs de fon etabliffement ? n’indiqueroit- on pas aux Citoyens celles d’entre ces Loix auxquelles ils font principalement redevables de la propriete de leijcr vie, de leurs biens & de leur liberte } Les Peuples aiment leur bonheur. Its reprendrofent a cette lefture 1’efprit de leurs Ancetres 6c reconnoitroienf fouvent dans les Loix les moins importantes en apparen— ce, celles qui les mettent al’abri de Tefclavage,. de l’indi— gence & du Defpotifirje. Quelie que foit la pretendue legerete de rcfpriihurrmin?, qu’on fafle clairement appercevoir aux Nations une depend idance recigroque entre le bonheur & la confervation-ds? Iteiits Loix *. on ell fur d’enchainer leur inconitance*. ' No. JOO D £ I’ H O M M £ , ( fuffent-ils auffi inconftans qu’on le die) ne per;- vent abroger des Leix etablies qu’ils ne fe reu~ niffent dans leurs volontes. Or cette reunion fuppofe un interet commun de les detruire, & par confequent une grande abfurdite dans les: Loix. Dins tout autre cas 1’inftance meme des hommes, en les divifant d’opinion, s’oppofe a 1’un inimire de leurs deliberations Sc par confe¬ quent affure. la duree des. memes Loix. 01 Souverains, rendez vos Sujets heureux 1 veillez a ce qu’on leur infpire des l’enfance- I’amour du bien public : prouvez-leur labonte de vos Loix par Fhiftoire de tous les terns & la; mifere de tous les Peuples demontrez - leur, ( car la Morale eft fufceptible de demonftration ) que votre adminiftration eft la meilleure pof- lible, Sc vous aurez a jamais enchaine leur in- eonftanc.e pretendue. Si le gouvernement Chinois quelqu’impar— fait qu’il foit, fubfifte. encore & fubfifte le. meme, qui detruiroit celui ou les hommes fe— foieni les plus heureux poffible. Ce n’eftquela. conquete, > u les malheurs des Peuples qui. changent la forme des gouvernemens. Toute fage Legiflation qui lie Finteref parti- eu'rifir a l’interet public, & fonde la vertu fur Pavantage de chaque individu, eft indeftruitible; Mats cette Legiflation eft-elle poffible ? Pourquoi non ? L’h .riibn de nos ideas s’etend de jour en jour , & ft la Legiflation comme les autres faien¬ ces pattieipe auxprogre's de 1’efprit humain,. jousquoi defefperer. du. bonheur futui de. Lhu^z SOU EDUCATION. Chap. V. JOt manite ? Pourquoi les Nations s’eclairant de fiecle en fiecle ne parvienaroient-elles pas un jour a; route !a plenitude du bonheur dont dies font fufi* eeptibles ? Ce ne feroit pas fans peine que je me de'tacherois de cet efpoir. La felicite des hommes eft pent une ame fen- fible le fpedacie le plus agreable. A coniiderer dans la perfpedive de l’avenir, e’eft 1’oeuvre d’une Legislation parf: ite. Mais fi quelqu’efprit fiardi ofoit en donner le plan , que de pre'juges , dira-t-on, il auroit a combattre & a ddtruire l Que de verites dangereufes a reveler! 4 = -it CHAPITRE V. La revelation de la verite n r ejl funejl $; qua cclid qid la dit. f\ V^U’e S t - c e en Morale qu’une verite non-* velle ? L n nouveau moyen d accroitre oil d'ajjii- rer le bonkeur des Feuples. Que refulte-t-ii de cette definition iQue.la verite ne peut etre nui-> fible.. Un Auteur fait-il en ce genre une decouvertej Quels font done fes ennemis ? i°. Ceux qu’il contredit. * I, 1°. Les envieux- de fa reputation. 3°. Ceux dont les interecs font contraires a Linteret public.. Qu’unMimftre multiplie le nombre des Me.- 302 V £ L’ H g m m e r recbamTees, il a pour ennemis ies voleurs de grands chemins. Que ces voleurs foient puiffans,. Is Miniftre fera perfecute. II en eft de mm= CHAPITRE VIII. De la lenteur avec laquelle la verite fe propage. w JLa A marche de la verite eft Iente ; 1’experience Je prouve. Quand le Parlement de Paris revoqua-t-il la peine demort portee contre quiconque enfeignoit une autre Philofophie que celle d’Ariftote 1 Cinquante ans apres que cette Philofophie etoit oublide. Quand la faculte de Medecine admit-elle la doctrine de la circulation du fang ? Cinquante ans apres la decouverte d’Harvei. Quand cette memo faculte reconnut-eile la falu- brite des pommes de terre ? Apres cent ans d'ex¬ perience & lorfque le Parlement eut caffe l’arret qui defendoit la vente de ce legume (a). (a) Le Parlement rendit de mime, arret contre Verne- tique 6c contre BrilTot medecin du feizieme fiecie. Cz son Educ ation. Chap. VIII. 31 I Quand les Meclecins conviendront - ils des avantages de 1’inoculation ? Dans vingt ans ou environ. Cent faits de cette efpece prouvent la Ienteur des progres de la verite : fes progres cependant font ce qu’ils doivent etre. U ne verite en qualite de nouvelle, choque tou- jours quelqu’af’ge ou quelqu’opinion generaie- ment etablie : elle a d’abord pen de fectateurs : elle eft traire'e de paradoxe (a ), citee comme une erreur & rejectee fans etre entendue. Les hom¬ ines en general apprbuvent ou condamnent au hazard, & la verite meme eft par la plupart d’en- tr’eux recue comme 1’erreur, fans examen & par prejuge. De quelle maniere une opinion nouvelle par- vient-eile done a la connoilfance de tous ? Les bons e/prits en ont-ils appercu la verite? Ils la publient & cette verite promulguee par eux Sc medecin pretendoit centre la pratique ordinaire , faigner clans le cas de pleurefie du cote ou le malade fouffroit le plus. Cette pratique nouvelle fut par les vieux medf cins denoncee au Parlement. 11 la declara impie , fitdefenfe de faigner dorenavant du cote de la pleurefie. L’affaire por- tee enfuite devant Charles V , ce Prince alloit rendre le meme jugement, fi dans cet infant Charles III. due de Savoje ne fut mort d’une pleurefie apres avoir ete Cdgne a Pancienne maniere. Eft-ce a cles Magifirats a pretendre comme les Theologiens ]uger les Livres 6c les Sciences qu’ils n’entendent point ? Que leur en revient-il ? du ri¬ dicule. (a) Paroii-il un excellent ouvrage de Philofophie ? Le premier jugement qu’en porte I’envie , c’efl: que les prin- cipes en font faux & dangereux le fecond que les idees en font communes. Malheur a POuvrage dont on dit d’a- hord trop de bien. Le filence de Pen vie & de lafottife ea annonce la mediocrite. 3 If! D E L’ H O M M E, Revenue de jour en jour plus commune, fink enfin par etre generalemeat adoptee, mats c’eft long-terns apr£s fa decouverte, fur-tout lorfque cette verite eft morale. Si Ton fe prete ft difficilement a la demonftra- tion de ces dernieres verites, c’eft qu’elles exi¬ gent quelquefois le facrifice , non-feulement de nos pre'ju ges, mais encore de nos interets per- fonneis. Peu d’hcmmes font capables de ce dou¬ ble facrifice. D’ailleurs une vdrite de cette efpece decouverte par un de nos concitoyens peut fe ripandre rapidement & peut le combler d’hon- neurs. Notre envie qui s’enirrite doit done s’em- preller dei’etouffer. C’eft i’etranger qui eclaire xnaintenant ies Livres moraux frits & proferits en France. Pour juger ces Livres, il faut dcs homines dunes a la ibis, & du degre de lumiere & du degre de deiintereilement neceftaire pour diflinguer le vrai du faux. Or par-tout les hom- mes eclaires font rares , & les defintereiTes plus rares encore, ne fe rencontrent que chez l’etran- ger. Les verites morales ne s’etendent que par des ondulaticns tres-lentes. Ueneft,fije l’ofe dire, de la chute de ces verites fur la terre, com- me de celles d’une pierre au milieu d’un lac : les eaux feparees en point du conta<3: forment un cercle bientot enferme dans un plus grand , qui kii-meme euvironne de cercles plus fpacieux s’aggrandiffant de moment en moment, vont enfin fe brifer fur la rive. C’eft de cercles en cer¬ cles qu’une verite morale s’etendant aux dirFeren- tes cla/Fes des Citoyens , parvient enfin a la con- noiffance de tous ceux qui n’ont point interet de la rejetter. Pout; son Education. Chap. VIII. 313 Pour erablir cette verite il fuffit que le FuilTant Tie s’oppofe point a fa promulgation, tk c’eft en ceci que la verite differe de l’erreur. C’eUpar la violence que cette derniere fe pro¬ page : c’eft la force en main qu’on a prouve prel- que toutes les Religions & c’eft ce qui les a ren- dues les fleaux du monde moral. - ■ La verite fans la force s’e'rablit Ianr, dome |en-i tement, mais elle s’e'rablir fans troubles. Les fettles Nations oii la verite' penetre avec peine font les-Nations ignorantes. L’imbecillite ell moins docile qu’on nel’imagine. Que l'on propofe chez un peuple ignorant une Loiutile , * 6. mais nouvelle ; cette Loi re- jetteefans examen, peift meme exciter une feci- tion * 7. chez ce Peuple quifhipide parce qu’ilell e/clave, ell d’autanr plus irritable que le Defpo~ tifmel’a plus fouvent irrire'. Quo Pon propofe au contraire cette meme Loi chez un peuple eclaire, ou la prefie ell libre, out l’utilite de cette Loi eft deja pveffentie &: fa pro¬ mulgation deftree, elle fera recue avec recon- noilfance par la partie inftruite de la Nation, & cette partie contiendra Pautre. Il refulte de ce Chapitre que la verite par la lenteur mdmeavec laquelle fa decouverre fe pro¬ page , nepeutprcduirede trouble danslesEtats. Mais n’eft-il pas des formes de gouvernement oat la connoiffance du vrai puiffe itre dangereufe ? Tome II. O 4 - CHAPITRE IX, Des Gouvernemens. S' «3l route vdrite morale n’efl qu’un moyen d'ac- croitre ou d’ajfurer le bonheur du plus grand nomire , & Ji I'objet de tout gouvernement eft la. fllidtlpublique , point de verite morale donth publication ne foit defirable *. 8 . Toute diver- iite d’opinions a ce fujet tient a la fignificatiort incertaine du mot gouvernement. Qu’eft-ce qu’un gouvernement ? I’ajfemblage, de Loix ou de con* vent ions faites entre les Citoyens d’une mime Nation. Or ces Loix & conventions font , on contrfires cu conformed a l’interet general. II n’eft done que deux formes de gouvernement , l’une bonne , l’autre mauvaife : e’eft a ces deux efpcces que je les reduis toutes. Or dans ralTem- blage des conventions qui les conflitue , dire qu’on ne peuS changer les Loix nuifibles a la Na¬ tion , quede telles Loix font facrees , qu’elles ne peuvent £tre legitimement rdforme'es, e’efi dire qu’on ne peut changer le regime conrraire a fa fame, qu’affliged’uneplaie,c’elluncrimedelane- toyer, qu’ilfeut lalaiffer tomberengangrene *. 9 , Au refte fi tout gouvernement de quelque nature qu’il loir, ne peut fe ptopofer d’autre ob- jet que le bonheur du plus grand nombre des Citoyens, tout ce qui tend ales rendre heureux, nepeutetre conrraire a fa conftitution *, 10, son Education'. Chap . IX . jrj Celui-la feul doit s’oppofera toute reforme utile a l’Etat , qui fonde fa grandeur furl’aviliffement de fes compatriotes , fur le milheur de fes fern- blables & qui veut ufurper fur eux un pouvoir arbitrake. Quant au Citoyen honnete , a l’hom- me ami de la verite & de fa Patrie , il ne pent avoir d’interet contrairea l’interet National. Eft-' on heureux du bonheur de FEmpire & glorieux de fa gloire ? on defire en fecret la correction de tous les a bus. On fait qu’on n’aneantit point une fcience lorfqu’on la perfe&ionne, & qn’on ne ddtruit point un gouvernement lorfqu’on le re¬ forme. Suppofons qu’en Portugal Fon refpe-Sat da- vantage la propriete des biens , de la vie & de la liberte des Sujets ■ le gouvernement en feroit-il' mains manarchique ? Suppofons qu’en ce pays I’on fupprimat I’inquiution Seles Letres decachet , qu’on Iimitat l’exceffive autorite de certaines places, auroit-on change la forme du gouverne- ment 1 Non : I’on en auroit feulement corrige les abus. Quel Momrque vertueux ne fe prete« roit point a cette reforme 1 Comparera-t-on les Rois de FEurope a ces ftupides Sultans de l’Afie, a ces Vampires qui fuccentlefangde leurs- Sujets & qus toute contradiction revoke. Soupconttec fonprinced’adopter les principes d’un Defpotifne Oriental, e’eft lui faire Finjure la plus atroce. Un Souverain eclaire ne regards jamais le pou¬ voir arbitraire , foit d’un feul tel qu’il exifte en Turquie, foit de plufieurs tel qu’il exifte en Po- logne, comme la conftitution reelle d’un Etat. Honorer de ce titre un Delpotifme cruel , e’eft 0 % frf Be l’ H o rt si e J donner le nom de gouvernement a une con¬ federation de voleurs *. u. qui fous la ban- niere d’un feul ou de plufieurs, ravagent les Pro¬ vinces qu’ils habitent. Tout acte d’un pouvoir arbitral re eft injufte. Un pouvoir acquis & conferve par la force * 11 . eft: un pouvoir que la force a droit de repouffer.Une Nation , quelque nom que porte fonennemipeut toujours le combattre & le derruire. Au refte fi l’objet des fciences de la Morale & de la Politique fe reduit a la recherche des moyens de rendre les hommesheureux ,il n’eft done point en ce genre de verites dont la connoiffance puiffs itre dangereufe. Mais le bonheur des Peuples fait-il celui des Scuverains. CHAPITRE X. 'Dans aucune forme de gouvernement le bonheur du Prince n’eft attache au malheur des Peuples. T JLiE pouvoir arbitraire dont quelques Monarques paroiffent fi jaloux , n’eft qu’un luxe de puiffance qui fansrienajouter a leur felicite fait le malheur de leurs Sujets. Le bonheur du Prince eft inde- jfteridant de fen Defpotifme. C’eft fouvent par corop’aiiance pour fes favoris, c’eft pour le plaifir son E duc ation. Chap. X . 317 & la commodite de cinq ou fix perfonnes qu’un Souverain met fes Peuples en efclavage & fa tete fous le poignard de la conjuration. Le Portugal nousapprend lesjdangers auxquels dans ce fiecle meme les Rois font encore expofes, Le pouvoirarbitraire, cette calamite des Nations n’afiure done ni la felieite , ni la vie des Monar- ques. Leur bonheur n’eft done pas eftentielle- ment lie au nulhenr de ieurs Sujets. Pourquo'j raire aux Princes cette verite & leur laiffer igno- rer que la Monarchic moderee eft la Monarchie la plus defirable; *13. que le Souverain n’eft: grand que de la grandeur de fes peuples , n’eft fort que de leur force, riche que de leurs richef- fes; que fon interet bien entendu eft effentielle- ment uni au leur, & qu’enfin fon devoir eft da les rendre heu reux ? » Le fort des armes, dit un Indien a Tamer* » lan, nous foumet a toi. Es-tu marchand ? vends » nous. Es-tu bpucher ? cue nous. Es-tu Ma¬ st narquel 'rends nous lieureux «. If ft—il un Souverain qui puiffefans horreur en¬ tendre fans cefle murmurer autour de lui ce mot ce'iebre d’un Arabe. Cet homme accabie fbus le faix de I’impot J ne peut fubfifter lui & fa famille : il porte fes plaintes au Calife: le Calife s’en irrite ; 1 ’Arabe eft condamnea mort. En marchantau fupplice, il rencontre en chemin un (Meier de la bouche ; pour qui ces viandes , demande le condatnne 1 pour les chiens du Calife , repond 1 ’Offtcier. Que la condition des chiens d’un Defpote, s’ecii© 1 ’Arabe, eft preferable d wile de fon Sujet ! Pi gi8 D E x’ H o M m %, Quel prince eclaire foutient un tel reproche & veuten ufurpant un pcuvoir arhitraire fur fes Peuples fe condamner a ne vivre qu’avec des en¬ claves ? L’hcmme en prefence de fon Defpote eft fans opinion & fans caraftere. Thomas Kouli-Kan foupe avec un favori. On luifert un nouveau legume. Rien de meilleur & ft de plus fain que ce mers, dit Je Courtifan. » Le repas fait Kouli-Kan fe fent incomrnodd ; » il ne dort pas. Rien , dit-il, a fon lever , de ft plus deteftable & de plus mal-fain que ce le¬ ft gume. Pjen de plus mal-fain, dit le Courtifan. » Mais tu ne le penfois pas hier, reprend le » Prince : qui te force a changer d’avis ! mon » refpedt & ma crainte; je puis, replique le fa- » vori, impunementmedire de ce mets ; jefuis » l’efclave de ta Hauteife & non l’efclave de ce » legume a. Le Defpote eft la Gorgone •. il pdtrifie dans l’homme jufqu’a la penfee (a). Comme la Cor¬ fu) Quel Prince meme parmi les Chretiens a I’exem- ple du Calife Hakkam , permettroit aux Cadis de reveler fes injuftices ! » Une pauvre femme poffede a Jehra une petite piece » de terre contigue aux jardins ri’Hakkamjce Prince veut >* aggrandir fon Palais; il fait propofer a cette femme de it Iui ceder fon terrain. Elle le refufe & veut conferver » l'heritage de fes Peres. L’lntendant des jardins s’em- st pare du terrain qu'elle ne veut pas vendre. It La femme eploree va a Cordoue imptorer la juftice. si Ibu-Bechir en eft le Cadi. Le texte de la Loi eft formel tt en faveur de la femme. Tvlais que peuvent les Loix con¬ it tre celui qui fe croit au-deftus d’elles ? Cependant Ibu- »t Bechir ne defefpere point de fa caufe. 11 monte fur fon » aneports avec Iui un fas d’ujiq grandeur enorme , fs son Education. Chap. JC. 31$ gone, il eft l’eflroi du monde. Sonfort eft-ildon* fi defirable ? LeDefpotifme eft un joug egaiement onereux a celui qui !e parte,a ceiuiqui 1’impofe. Que l’Armee abandonne le Defpote , le plus vil des efclaves devient fon egal , le frappe & lui dk: » Ta force itoit ton droit j ta foiblcJJ'e eji ton crime ». Mais fi dans 1’erreur a cet egard , un Prince attache fon bor.heur a l’acquifition du pouvoir arbitraire , & qu’un Ecrit publiant les intentions du Prince dclaire les Peuples fur le malheur qui les menace, cet Ecrit ne. fuffit-il par pour exciter le trouble & le foulevement ? Non : l’on a par- tout decrit les fuites funeftes du Defpotifme. E’-hiftcire Romaine, l’Ecriture Sainte elle-mime en font en cent endroits le tableau le plus eif'rayant, Sc cette Iechire n’excita jamais dere- prefente dans cet etat devant Hakkam aflis alors dans le pavilion conftruit fur le terrain de cette femme. » L’arrivee du Cadi, le fac qu’il a fur l’epaule , eton- » nent le Prince. Ibu-Bechir feproflernei demande a Hak- kam la permitfion de remplir fon fac de la terre fur la- n quelle il fe trouve. Le Califey confent. Le fac plein, le Cadi fupplie le Prince de 1 ’aider a charger ce fac fur v fon a he. Cette clemande etonne Hakkam. Ce fac eft troplonrd, repond-il. Prince, reprend alors Ibu-Be- h chir avec une nobiehardiefTe , fi ce fac que vous trou- » vez fi pefant, ne contient encore qu’une petite partie 5 > de la terre injuftc-ment e'nlevee a une de vos Snjettes , » comment porterez-vous au joifr du jugement dernier cette meme terre que vous avez ravie en entier. Hak- kam loin de punir le Cadi recommit genereufement fa 9> faute, rend a la femme le terrain dontril s’eft empare # avec tous les batim^ns qu’il y avoit fait conftruire. 04 jao D E L’ H O M M Ej rotation. Ce font les maux afcuels , multiplies & durables du Defpotifme , qui douent quelquefois tin Peuple de courage neceffaire pour s’arracher a ce joug. Celt toujours la cruaute des Sultans qui provoque ia fedition. Tousles Trdnes de PO- ri-ent font fouilles dulang deleur Maitre. Qui le Verfa ? La main des efclaves. La fimple publication del a veriten’occafionne point c!e commotionsvives. D’ailleursl’avantage tie la paix depend du prix dont on Pachere. La guerre eft fans doute un mal ; mais pour Pe'vi- rer , faut-il que fans combattre , les Citoyens fe laiftent ravir leurs biens , leur vie & leur li- feerte ? Un prince ennemi vient les armes a la main reduire un Peuple a l’efclavage: Ce Peuple prefentera-t-il fa tete au joug de la fervitude ? Oui le propofe eft un lUche. Quelque now que porte le ra'vifleur de ma liberte , je dois la'de- lendre contre lui. Point d’Etat qui ne foit fufceptible de reforms feu-vent auffi neceffaire que defagreable a certai- nes gens. L’adminiftration s’abftiendra-t-elle de fes faire ? Faut il dans l’efpoir d’une fauffe tran- cuillite qu’elle fafte aux Grandslefacrifice dubien public , & fous le vain pretexte de confervei Ia paix qu’elle abandonne PEmpire aux voleurs qui lepillent? II eft comme j.e l’ai deja dit, des maux ne'cef- faires. Point de guerifon fans douleur. Si l’on fouftre dans le traitement, c’eft moinsduremede que dela maladie. Une conduite timide, des menagemens bas ent ete fouvent plus fatals aux focietts que la fe- son Education. Chap . X . jxi dition meme. On peut fans offenfer un Prince vertueux fixer Ies bornes de fon autorite ; lui reprdfenter que la Loi qui declare le bien public la premiere des Loix, eft une Loi facree, invio¬ lable , que lui-meme doit refpe&er ; que routes Ies autres Loix ne font que les divers moyens d’affurer 1’execution de la premiere, & qu’enfin toujours malheureux du malheur des Sujets , il eft une dependance rdciproque entre la felicite des Peuples & celle du Souverain. D’oii je con- clus : Que la chofe vraiment nuifible pour lui, lui eft le menfcnge qui lui cache la maladie de l’E- tat ; Que la chofe vraiment avantageufe pour lui J eft la verite qui 1’eclaire fur le traitement & le remede. La revelation de la verite eft done utile ; mats l’homme , dira-t-on , la doit-il aux autres* hommes ? lorfqu’il eft ft dangereux pour lui do laleut reveler. CHAPITRE XL Qii’on doit la verite aux homines', ' Sl,e confultois fur ce ftijet & St. AnguP. tin & St. Ambroife, je dirois avec le pre-t mier. 9 La verite devient-ellc un fujet de fcandalof P* 1^14 D £ t 1 H O M M E 5 5dees heureufes qu’eut produit cette liberte. Or qui .peut apprecier cette perte? Cequ’onpeut dire a ce fujet , c’eft que le peuple libre, le peuple qui penfe , commande toujours au peu¬ ple qui ne penfe pas ( a ). Le Prince doit done aux Nations la verite comme utile, & la liberte de la preffe comme xnoyen de Iadecouvrir. Par-tout ou cette liberte eft interdite , I’ignorance comme une nuit pro- fonde s’etend fur tous les efprits. Alors en cher- chant la verite, fes amateurs craignent de la de- eouvrin Ils fentent qu’une fois decouverte, il faudra , ou la taire , ou !a deguifer lachement ou s’expofer a la perfecutkm. Tout hommelaredou- le. S’il eft toujours de l’interet public de con not ire la vdrite, il n’eft pas toujours del’inter&t par- iiculier de la dire. 57 ia plupart des Gouvernemens exhortent en¬ core le Citoyen a fa recherche j mais prefque sous le puniffent defa decouverte. Or peu d’hom- snes bravent a la longue la haine du Puiffant par pur ajnour de Fhumanke & de la verite. En con¬ sequence peu de Maitres qui la revelent a leurs; 32 lev es. Aufli 1’ inf iruiliondonnee mai nt enan t dans, les Colleges & les feminairesfe reduit-ellea laigc- . turedequelq.uesLegendes,aIafciencedequelques fpphifmes propres a favorifer la- fuperftition, a lendre les efprits faux & les cceurs inhumains, {a) Qu’apprend a l'etranger Fa S&enie de parler &;d’e-' erire librement ? Que le goiivernement qui.fait cette de- fenfe eft injufte & mauvais. L’Angleterre generalement legardee comme le meiUeur, eft cellli eiiie fitevea it Stt egard eft le plus libra. son Education. Chap. XII. 32.^ II faut aux hommes une autre education ; il efl terns qu’adefrivoles inflruclions, on enfubftitue de plus folides ; qu’on enfeigne aux Citoyens ce qu’ils doivent a eux, a leur prochain, a leur pa- trie ; qu’on leur faffe fentir le ridicule des depu¬ tes religieufes , ( a ) l’interet qu’ils ont de perfec- tionner la morale & par consequent s’affurer la liberte de penfer & d’ecrire. Mais que d’opinions bizarres n’engendreroit point cette liberte ? Qu’importe. Ces opinions detruites par la raifon auffi-t6t que produites n’altereroient pas la paix des Etats. Point de pretextes fpecieux dont l’hypocrifie & la tyrannie n’aient colore le defir d’impofer filence aux hommes eclaires ; Sc dans ces vains pre'textes nul Citoyen vertueux n’appercut de motif legitime, pour la taire. La revelation de la verite ne peut etre odieule qu’a ces impofleurs qui trop fouvent ecoutes des Princes, leur prefentent le Peuple eclaire eomme faftieux Sc le Peuple abruti comme do¬ cile. Qu’apprend a ce fujet 1’experience? Que toute Nation inllruite eftfourde aux vaines declamations du fanatifine & que 1'injufiice la re'volte. C’eft lorlqu’on me depouille de la propriete demes biens , de ma vie Sc de ma liberte que ■ -y' C.- ■ ' ’ ' ‘ pe.' . - ' - y. v) T / f . \ . {a) S’agit-il de Religion ? Par quelle raifon en difendre Pexamen? Eft-elle vraie? Elle peutfupporter la preuve difference , eft fterile en grands talens com-*, me en grandes vertus (a). Prenons les habitans de l’inde pour exemple-. Quels homines compa- {a) Les vertus fluent les iieux d’ou la vdrite eft bannie. Elks n’babvtent p,int les Empires ouTefclavage dbnne le jioro defeleu dejujlice^ux tyrans les. plus injuSes & les jpt,ii cruels, oil. la terreur prononce les panegyriques. Quelles idees tie mallleareux Cournfans peuvent-ils ie former de la vertu dans des pay s oi lesff rince* ies flwS «reiats* fonUsspltis.lfiusiv son Education. Chap, XIII. 317 res aux habitans aciifs & induftrieux des bords de la Seine, du Rhin, ou de ia Tamife! L’Indien plonge dans l’ignoranee , indifferent a la verite , malheureux au dedans, foible au de¬ hors , eft efclave d’un Defpote egalement inca¬ pable de le conduire au bonheur durant la paix, a l’ennemi durant la guerre (a). Quelle difference de I 'hide aftuelle, a cette Inde jadis ft renommee &quicitee comma Icber- ceau des Arts & das Sciences, etoit peupleed’hom- mes avides de gloire & de verites. Le mepris concu pour cette Nation declare le mepris au- quel doit s’attendre tout peuple qui croupiracam- me l’Indien, dans la parelle & l’indiiterence pour la gloire. Quiconque regarde 1’ignorance cornme favora¬ ble au gouvernemen t, & 1’erreur comme utile, en meconnoir les productions, II n’a point con- fuke 1’hiftoire. 11 ignore qu ? une erreur utile pour le moment, ne devicnt que trop fouvent le germe des plus grandes catamites. Un nuageblanc s’eft il eleve au-deffus des Montagnes ; c’eft le voyageur experiment^ qui feul y decouv re l’annonce de l’ouragan: il fe Mte (a) taguerre s’al!ume-t-elle en Orient ? Le Sophi re¬ tire dans fon fernil or don no a fes efckves d’aller fe fairs tuer pour iui fur Ia frontiere. Il ne daigne pas meme les j conduire. Se peut-il, (lit a ce fujet Machiavel, qu’un Monatque abandonne afes'f.voris , la plus noble de fes fonftions , cetle de General. Ignore-t-U qn’intereffes i prolonger leur comma.ulomen , ils le font auffi a prolqn- ger la guerre. Or quelle perte d'horcmes & dVrgent n’oc- cafionne pas fa durde ! A quels refers (Pallle.irs e s’ex- pofe point la Nation vidforieufe qui iaifle eehapner le moment d’accabler fgn ennemi. ‘}ClS D e l’ HommeJ vers la couchee.il fait que s’abbaifT'ant du fom- met des monts , ce nuage etendu fur la plaine , voilera bientot de la nuit affreufe des tempetes , ce ciel pur & ferein qui luit encore fur fa tete. L’erreur eft ce nuage blanc ou peu d’hommes appercoivent les malheurs dont il eft 1’annonce. Ces malheurs caches au ftupide font prevus du Sage, il fait qu’une feule erreur peut abrutir un Peuple, peut ebfcurcir tout 1’horifon de fes idees; qu’une imparfaite idee de la divinite a fouvcnt ■opere cet effet. L’erreur dangereufe en elle-meme l’eft fur- tout par fes productions. Une erreur eft feconde en erreurs. Tout homme compare plus ou moins fes ■idees entr’elles. Kn adopte-t-il une fauffe ? de cette ideeuniea d’autres, il en refulte des ideas nouvelles & nece/Iairement fauftes qui fe com- binant de nouveau avec toutes celles dont il a charge fa memoire , donnent a toutes une plus ou moins forte teinte de fauffete. Les erreurs theologiques en font un exemple. 11 n’en faut qu’une pour infecler toute la mafle des idees d’un homme, pour produire une infi¬ nite d’opinions bizarres, monftrueufes & tou- jours innattendues , parce qu’avant 1’accouche- rnent on ne predit pas la nailfance des monftres, L’Erreur eft de milLe efpeces. La veritd au contraire eft une & fimple: fa marche eft tou- jours uniforme & confe'quente. Un bon efprit fait d’avance la route qu’elle doit parcourir (.?). £&) Les principes d’tai Miniate use feis cckw.; son Education. Chap. XIII, 319 II n’en eft pas ainfi de l’erreur. Toujours inconfe- quente & toujours irreguliere dans fa courfe , on la perd chaque inftant de vue •• fes apparitions font toujours imprevues ; on n’en peut done pre- venir les eflfets. Pour en etoufFer les femences ( a ) le Legifla* teur ne peut trop exciter les homines a la rech.er« che de la verite. Tout vice, difent les Philofophes, eft une erreur de 1 ’efprit. Les crimes & les prejuges font freres : les verites & les vertus font foeurs. Mais quelles font les matrices deia verite ? la contra¬ diction & la difpute. La liberte de penfer porte les fruits dela verite : cetteliberte eleve Fame, engendre des penfees fublimes; la crainte au contraire 1 ’affaifte & ne preduit que des idees fcaftes. Quelqu’utile que foit la verite, fuppofons ce- pendant qu’entraine a fa ruine par le vice de fon gouvernement, un peuple ne peut l’eviter que par un grand changement dans fes Loix , fes moeurs & fes habitudes , faut-il que le Legifla- teur le tente ? doit—il faire le malheur de fes contemporains pour meriter l’eftime de la pofte- on pent dans prefque toutes les pofitions predire quelle feta fa conduite. Celle d’un foteft ir.devinable. C’eft une vifite, un bon mot, une impatience qui le determine & dela ce proverbe , que Dieu fiul divine les fits. {a) Pour detruire l’erreur faut-il la forcer au Hence ? JMon: que faire done ? la laiffer dire. L’erreur obfeure par elle-meme eft rejettee de tout bon efprit. Le terns ne l’a-t-il point accreditee ; n’eft-elle point favorifee du gou¬ vernement ? el!e ne foutient point le regard de l’examen„ La raifon donne a la Wngvv; le tfB pat-t§ut oil 1’en k dk iibrement. D E X 5 H O M M S , rite ? La verite ennn qui confeilleroit d’affurer la felicitd des generations futures par le malheur de la prefente doit-elle etre ecout^e ? .. CHAPITRE XIV. Que le bonkeur de la generation future riejl jamais attache au malheur de la gene¬ ration prefente. Four montrer l’abfurdite de cette fuppofi- tion; examinons de quoi fe compofe ce qu’on appelie la generation prd/ente. i D’un grand nombre d’enfans qui n’ont point encore contracts d’habitudes. a Q . D’adolefcens qui peuvent facilement en changer. 3 °. D’hommes faits & dont plufieurs ont deja preffenti & approurd les re'fcrmes pro¬ poses. 4°. De vieillards pour qui tout changement d’opinions & d’habitudes ell reellement infup- portable. Que refulte-t-il de cette enumeration ? qu’une fage reforme dans les moeurs , les Loix & le gou- vernement peut deplaire au vieillard, al’homme foible & d’habitude, mais qu’utile aux genera¬ tions futures, cette reforme l’eft encore au plus grand nombre de ceux qui compofent la ge'nera-* son Education. Chap. XIV. 33 T tion prefente ; que par confequent elle n’eft ja¬ mais contraire a l’interet aduel & general d’une Nation. Au refte tout le rnonde fait que dans les Em¬ pires l’eternite des abus n’eft point l’effet de notre companion pour les vieillards, mais de l’interet mal-entendu du Puiflanr. Ce dernier egalement indifferent au bonlieur de la genera¬ tion prefente (a)ou future, veut qu’on le facri- fie a fes moindres f.mtaifies ; il veut; il eft obei, Quelqu’eleve cependant que foit un homme', e’eft a la Nation 8c non a lui qu’on doit le pre¬ mier refpecL Dieu, dit-on , eft mort pour le falut de tous. 11 nefaut done pas immoler le bon- lieur de tous aux fantailies d’un feul. On doit a l’interet general le facriiice de tous les interets perfonnels. Mais, dira-t-on , ces facrifices font quelquefois cruels : oui: s’ils font executes par des gens inhumains ou ftupides. Le bien public ordonne-t-il le mal d’un Individu? toute com¬ paffion eft due a fa mifere. Point de moyen de 1’adoucir qu’on ne doive employer. C’eft alore que la juftice & l’humanite du Prince doivent etre inventives. Tous les infortunes ont droit a fes bienfaits: il doit flatter leurs peines. Mal¬ heur a 1’homroe dur & barbare qui refuferoit au Citoyen jufqu’a la confolation de fe plaindre. (tf) Un fage gouvernement prepare toujours dans le bonheurde la generation prefente celui de la generation future. On a dit de la Vieillefle & de la Jeunefle, » que « l*une prevoyoit trop Sc l’autre troppeu, qu’aujour- 9 > d'hui eft la maitreffe du jeune , 8c demain celle du vieil- >> lard C’eft a la maniere des yiellards que doiveat fe coiiduire les Etats* 532 D E t’ H O M M E , La plainte commune a tout ce qm fouffire, a tout ce qui refpire, eft toujours legitime. Je ne veux pas que l’infortune eploree retarde la nurche du Prince vers lebien public. Mais je veux qu’en paffant, il effuye les Prmes de la douleur , & que feniible a la pine l’amour feul de la Patriel’emporteen lui fur l’amour du par¬ ticular. Un tel Prince toujours ami des malheureux & toujours occupe de la felicite de fes Sujets , ne regardera jamais la revelation de la verite com- me dangereufe. Que conclure de ce que j’ai dit au fujet de cette queftion 1 Que la decouverte du vrai toujours utile au public , ne fut jamais funefte qu’a fon auteur. Que la revelation de la verite n’altere point la paix des Etats; qu’on en a pour garant la lenteur meme de fes progres. Qu’en toute efpece de gouvernement il eft important dela connoitre. Qu’iln’eft proprement que deux fortes de gou¬ vernement , l’un bon, l’autre mauvais. Qu’en aucun d’eux le bonheur du Prince n’eft lie aumalheur des Sujets. Que ft la verite eft utile, on la doit aux hommes. Que tout gouvernement en confequence doit faciliter les moyens de la decouvrir. Que le plus fiir de tous eft: la liberte de la prelfe. Qne les Sciences doivent Ieur perfeftion a *ette fiberte. sou Education. Chap. XIV. 333 Que 1’indifFerence pour la verite eft une fource d’erreurs & l’erreur une fource de calamity pu- bliques. Qu’aucun ami de la verite ne propofa de facri- fier la felicite de la generation prefente, a la felicitd de la generation a venir. Qu’une telle hypothefe eft impofiible. Qu’enfin c’eft de la feule revelation de la ve¬ rite qu’on peut attendee le bonheur futur de l’humanite. La confequence de ces diverfes propofitions, c’eft que perfonne n’ayant le droit de faire le trial public, nul ria droit de s’oppofer a la publi¬ cation de la verite & fur-tout des premiers prin- cipes de la Morale. Un homme a titre de fort a-t-il ufurpe ce pouvoir fur une Nation ? de ce moment meme la Nation croupit dans [’ignorance de fes veri- tables interets. Les feules Loix adoptees font les Loix favorables a l’avarice, & a 1a. tyrannie des Grands. La caufe publiquereftefans defenfeurs. Telle eft: dans la plupart desRoyaumes 1’etat ac- tuel des Peuples. Cet etat eft d’autant plus aitreux qu’il faut des fiecles pour les en arracher. Qu’au rede ies interefles aux malheurs pu¬ blics ne redoutent encore aucune revolution prochaine. Ce n’eft point fous les coups de la verite , c’eft: fous les coups da Puiffanr quefuc- combera l’erreur. Le moment de fa deftruftion eft celui oit le Prince confondra fon interet avec 1’interet public. Jufque-la c’eft: en vain qu’on prefentera le vrai aux hommes.I! en fera toujours mdconnu. N’eft-on guide dans fa conduite & $34 D e i.’ Homme, fa croyance que par l’interet du moment, com¬ ment a fa lueur incertaine & variable diftinguer le menfonge de la verite. # U! . g — ■ # CHAPITRE XV. Que les mimes opinions paroijfent vraies ou faujfes, felon l interet qiiona deles croire telles ou f&lles. HP Jl O U S les hommes conviennent de 1 verite des propofitions gdometriques : feroit-ce parce qu’elles font demontrees ?Non : ni3is parce qu’in- difterens a leurfauftetd ou aleur verite, les hom¬ mes n’ont nul interest de prendre lefaux pour le vrai. I.eur fuppofe-t-on cet intdret ? alors les propofitions les plus evidemment demontrees leur paroitront probletmtiques. Jeme prouverois au befoin que le contenu eft plus grand que le contenant: c’eft un fait dont quelques Religions fourniftent des exemples. Ou’un Theologien catholique fe propofe de prouver qu’il eft des batons fans deux bouts, rien pour lui de plus facile. 11 diftinguera d’abord deux fortes de b&tons , les uns fpirituels, les autres materiels. 11 diflerrera obfcurement fur la nature des batons fpirirueis : i! en conclura que 1’exiftence de ces batons eft un myftere au deftus & non contraire a la raifon ; alors cette propoft- son Education. Chap. XIV 33$ don evidente (a) » qu’il n’efi: point de baton fans » deux bouts », deviendra problematique. Il en eft de mtme , die a ce fujet tin Anglois , des verites les plus claires de la Morale. La plus dvidente » e’eft qu’en fait de crimes, la punition doit etre perfonnelle , & que je ne dois pas etre » pendu pour le vol commis par mon voifin ». Ceper.dant que de Theologiens foutiennent encore que Diet! punit dans les hommes aduels le peche de leur premier Pere (0). (a) Chacun parle ^’evidence & puifque l’occafion s’eia prefente je tacherai d’attacher une idee nette a ce mot. Evidence vient du mot latin videre , voir. Une toife eft plus grande qu’un pied; je le vois. Tout fait dont je puis ainfi conflater l’exiftence par mes fens eft done evident pourmoi. Mais Peft-il egalement pour cenx qui ne font pas a portee de s’en affurer par le meme tdmoignage ? Non : .d’ou je conclus qu’une propofition generalement evidente n ’eft autre chofe qu’iin fait dont tous les hom¬ mes peuvent egalement & a chaque infiant verifier 1'exis¬ tence. Que deux corps 8r deux corps faftent quatre corpse cette propofttion eft evidente pour tous les hommes 9 parce que tous peuvent a chaque inftant en conftater la verite : mais qu’il y ait dans les ecuries du Roi de Siam tin Elephant haut de 24 pieds ; ce fait evident pour tous ceux qui PaurOient vu , ne le feroit ni pour moi , ni pour ceux qui ne l'auroient pas mefure. Cette proposition ne peut done etre cite'e ni comme evidente, hi meme comme vraifemblable. II eft en efFet plus raifonnable de penfer que dix temoins de ce-fait , ou fe font trompes, 011Pont exagere, 011 qu’enfin ils ont menti, qu’il n'eft raifonnable de croire a l’exiftence d’nn eldphant d’une hauteur dou-< hie de celle des autres. (b) Pourquoi, difoit un Miftionnaire a un Lettre ChF« jaois, n’admettez-vous qu’un deftin avengle ? C’eft rdpon- dit-il, que nous ne penfons pas qu’un Etre intelligent piiiffe etre injufte & puifte punir dans un nouveau ne * le crime commis il y a 6000 ans par Adam fon Pere. Vofre piete ftupide fait de Dieu un Etre intelligent & injufte lla ■potre plu$ eclairee en fait un aveugle deftin. $3 6 D E l’ H o m m eJ . Pour cacher l’abfurdite de ce raifonnement^ ils ajoutent que la juftice d’en hautn’eft pascelle de l’homme. Mais fi la juftice du Ciel eft la vraie, * 14. & que cette juftice ne foit pas celle de la terre , l’homme vit done dans l’ignorance de la juftice. 11 nefait done jamais fi l’aftion qu’il croit equitable n’eft point injufte, fi le vol & l’affaffi- nat ne font point des vertus. * 1 j. Que devien- nent alors les principes de ia Loi natureile & de la Morale ? Comment s’afturer de leur juftefle & diftinguer 1’honnete homme du fcele'rat. CHAPITRE XVI. L’interet fait efimer en foi jufqiia la cruaute qu on detefte dans les autres. *T Jl Outes les Nations de l’Europe confiderent avec horreur ces Pretres de Carthage dont labar- barie enfermoit des enfans vivans dans la ftatue brulante de Saturne ou de Moloch. Point d’Ef- pagnol cependantqui nerefpeftela meme cruaute en lui & dans fes Inquifiteurs. A quelle caufe at- tribuer cette contr diction ? a la veneration que 1 ’Efpagnol concoit des l’enfance pour les Moines. II faudroit pour le defaire de ce refpect d’habi- tude qu’il penfat, qu’il confultat fa raifon, qu’il s’expofat a la f is a la fatigue de 1’attention & a la haine de ce meme Moine. L’Efpagnol eft done force par le double interet de la crainte & de la pareffe so"N Education. Chap. XVI. 337 parcffe de revtrcr dans le Dominican la barbar’e qu’il detefte dans le Pretre du Mexique. On me dira fans doute que la difference des cukes change I’effence des chofes, & que la cruaute abomina¬ ble dans une Religion eft refpeftabiedansl’autre. Je ne repondrai point a cette abfurdite: j’ob- ferverai feulement que le meme interet qui, par exemple, me fait aimer & refpefter dans unpayslacruaute que je hais& meprifedans les autres, doit a d’aurres egards fafciner encore les yeux de ma raifon , qu’il doit fouvent m’exagerer le rndpris dft a certains vices. L’avarice en eft un exemple. L’avare fe con- tente-t-il de ne rien donner & d’epargner le ften; ne fe porte-t-il d’ailleurs a aucune injufti- ce ? De tous les vicieux , c’eft peut-etre celui qui nuit le moins a la fociete. Le mal qu’il fait n’eft proprement que l’omiffion du bien qu’il pourroit faire. De tous les vices , ft l’avarice eft le plus gene- ralement detefte , c’eft l’effet d’une avidite com¬ mune a prefque tous les hommes: c’eft: qu’on hait celui dont on ne peut rien attendre. Ce font les avares avides qui dccrient les avares fordides. Tome II, 338 D E L’ H O M M E , CHAPITRE XVII. I'interetfait honorer It crime. r% ... '^^Ueique notjon miparfaite que les hommes aient de la verru , il en eft peu qui refpeftent le vcl, l’aftaffinat, Pempoifonnement, le parricide; & cependant l’Eglife entiere honora toujour s ces crimes dansfes Prote&eurs. Je citerai pour exetri¬ ple , Conftantin & Clovis. Le premier malgre ia foi des fermens fait affaf- finer Licinius fan beau-frere; mafiacrerLicinius for. neveu a Page de douze ans; rr.ettre a mort fon fils Crifpus illuftre parfes vi&oires ; egorger fon beau-pereMaximien a Marfcille: il fait enfin etcuffer fa femme Faufta dans un bain. L’authen- , ticite de ces crimes force les Pa'fens d’exclure cet Ptnpereur de leurs fetes & de leurs initiations ; *& les vertueux Chretiens le recoivent dans leur Bglife. Quant au farouche Clovis, il affomme avec tune maffe d’armes Regnacaire & Richemer deux tfreres & tous deux fes parens. Mais il eft liberal envers l’Eglife, & Savaron prcuve dans un Livre la faintete de Clovis. L’Eglife, il eft vrai, ne fan&ifia ni lui, ni Conftantin, mais elie honora du moins en eux deux hommes fouilles des plus grands crimes. Quiconque etend le domaine de l’Eglife eft ton jours innocent a fes yeux. Pepin en eft la son Education. Chap. XVII. 339 preuve. Le Pape a fapriere paffed’Italie en Fran¬ ce. Arrive dans ce Royaume , il oint Pepin & couronne en iui miUfurpateur qui tenoit fon Rci legitime enferme dans le Couvent de St. Martin & le fils de fon maitre dans le Couvent de Fon- tenelle en Normandie. Mats ce couronnement, dira-t-on, fut le crime du Pape & non celui de 1’Eglife. Le ftlence des Pre'lats fut I’approbation fecrette de la con- duke du Pontife. Sans ce confentement tacite le Pape dans une affemblee des Principaux de la Nation , n’eut ofe legitimer l’ufurpation de Pe¬ pin. lln’eCit point fous peine d’excommunication defendu de prendre un Roi dune autre race. Mais tous les Prdlats ont-ils honore de bonne foi ces Pepins, ces Clovis, ces Conftantins? Que!ques-uns fans doute rougiffcient iaterieure- ment de ces cdieufes beatifications ; mais la plu- part n’appercevoierit point le crime dans le cri- mine! qui les enrichiffcit. Que ne peut fur nous le preftige de l’interet. CHAPITRE XVIII. L’inierei fait des Saints. IT Je prends Charlemagne pour exemple. C’etoic un grand homtne. II etoitdoue de grandcs vert us; mais d’aucune de cedes qui font des Lints. Ses mains etoient degoutantes du fang des Saxons P ^ 34° D E I.’H O M T.I E j injuflement egorges. Il avoir depouille fes na— veu-x de leiir patrimoine. II avoir epcufe 'quatre femmes ; il etoit accufe d’incefte. Sa conduite n’etoit pas celle d’un faint: mais il avoit accru le domaine de 1’Eglife, & 1’Eglife en a fait un faint. Elie en ufa de meme avec Hermenigiide fils du Roi Vifigot l Eurigilde. Co jeune Prince ligue avec un Prince Sc eve contre fon propre Pere ,lui livre batailie, la perd , eft pris pres de Cordoue , tuspar un officier de l’Eurigilde. Mais il croyoit a la confubftantialite & 1’Eglife le fanclifie. Miile fcelerats ont eu la meme bonne fortune. S. Grille Eveque d’Alexandrie eft l’affaffin de la belle & fublime Hypatie : il eft pareillement ca- nonife. Fhilippe de Commines rapporte a ce fujet qu’entre a Pavie dans le Convent des Carmes on lui montra le corps du Comte d’Yvertu, de ce Comte qui parvenu a la principaute de Milan- par le meurtre de Bernabo fononcle, rut le pre¬ mier qui porta le litre de Due, Eh quoi! dit Com- min.es auMoine quH’acccmpagnoit, vous avez canonife un tel monftre! il nous faut des bienfai- teurs , repliqua le Carme : or pour les multiplier, nous femmes dans l’ufage de leur accorder les bonneurs dela faintete. C’eft par nous que les fots & les fripons deviennent faints, & par eux que nous devenons riches. Que de fucceffions volees par les Moines! mais iis voloient pour 1’Eglife & 1’Eglife en a fait des faints. L’hiftoire du Papifme n’eft qu’un recueil im- menfe de faitspareils. Ouvre-t-on fes Legendes? son Education. Chap , XVIII. 34s on y lit les noms de mille fcdlerats canonifcs; & 1’on y cherche en vain &le nom d’un Alfred ie Grand qui lit long-tems le bonheur de 1’Angle- terre, & celai d’un Henri IV. qui vcubil feire celui de la France, & enfm le nom de ces hcm- mes de genie; qui par lours decouvertes dans les Arts & les Sciences oat a la fois honors leur liecle & leur pays. L'Egiife toujours ayide V richefles di/pola toujours des dignices du Paradis en raveur de ceux qui lui donHoient de grands bieu 5 fur fa terre. L’interet peuplale Ciel. Quelle borne met- tre a fa puiflance ? Si Dieu , comme cn le di;, a tout fait pour lui, omnia propter fanetipfum ope - ratus eft Damians , i’homme cree a fon image & resemblance & (ait de mime. C ’eft tonjuurs d’apies fon intdrer qu’il juge (a). Eli-i! fo 11 vent malheureux? C’eft qu’ii n’ei'l pas affez dclairei LaPareiTe, un avantage momentane & lur-tcur une foumifllon honteufe aux opinions recubs , font autant d’dcueils femes fur la route de nctre bonheur, (a) Notre c royance, felon quelqiies Philofoplies , eft l’nde'pendante de notre interdt. Ces Philofophes out tort oil raifon felon 1’idee qu’ils attachent au mot croire. S’ils entendent par ce mot avoir line idde nette de la ehofe erne . & comme les Geometres , pouvoir s’en demontrer la verite , ii eft certain qu’aucnne errenr n’efl erne , qu’au- cune ne foutient le regard de Pexamen, qu’on lie s’en forme point d’idee claire & qu’en ce fens ii eft pen de crcyans. Mais ft l’on prend ce mot cans 1’acception com¬ mune ; ft Ton entend par le mot de croyant , 1’adorateuc du bceuf Apis , l’hotnme qui fans avoir desiddes nettes de ce qu’il croit, croit par imitation ; qui , ft Ton veut , croit. entire & qui ioiuiendroitla vdrite de. fa croyance au pc- 242 D e l’ Homme, Pcur les dviter ii fautpenfer; & l’on n’e» prend pas la peine: 1’on aime mieux croire qu’examiner. Ccmbien de fois notre creduiice ne nous a-t-elle pas aveugles fur nos vrais intc- rets! L’ hem me a iti ddtini un animal raifonna- ble, je !e dinnis un animal credule {a). Que ne lui f,if-on pasaccroire ? Un hypocrite fe dmne-t-il pour vertueux ? 11 eft ripnte tel. Ileft en confequence plus bonc- re que 1’homme honnete. Le Clerge fe dit-il fans ambition ? 11 eft re~ connu pour tel au moment merne cu il fe de¬ clare le premier corps de 1’Etat ( b ). ril de fa vie : en ce fens il eft beaucoup de croyans. L’E- gttfe Gatholique vante con inuellement fes martyrs : je ue fais pourquo'. Toufe Religion a Jes fienr, Quipre- » fend avoir line revelation , doit rrrourir pour foutenir n Ton dire : e’eft I’unique preuve qu’il pniue dormer de n ce qu’il avance -- Il rfen eft pas de meme en Phi- lofophie. Ses proportions doiver.t etre appuydes fur des faits 8c ties raifonnemens. Qu’un Philofopne meure out 3>on pour en foutenir la verite , pen importe. Sa mort ne §>rouveroit rien finon qu’il eft opiniatrement attache a fon. opinion , 8c non qu’elle foit vraie. Au refte la croyance des fanatiques toujoursfondee fur le vain, mais puif&nt interet des recompenses celeftes, en impofe tonjours an vulgaire ; 8c e’eft a ces fanatiques cju’il faut rapporter 1’etabliiTement de prefque toutes les opinions generates. (a) Les moeurs 8c les a&ions des animaux prouvent cpi’ils ccmparent, portent desjugemens. 11s font a cet egard plus ou moins raifonriabtes, plus ou moins reflem- brans a Phomrne ; mais quel rapport entre leur credulite 8c 3a f fienne } Ancun. C’e'ft principalement en etendtie de -credulite qu’ils different 8c e’eft peut-etre ce qui diftingue leplus fpecialement I’homme de I’anirrial. (i b ) Si les Apotres ne fe font jamais donnes pour le pre¬ mier corps de l’Etat; s’ils n’ont jamais pretendu marcher a cote de$ Cefars 8c ctes Proconfuls; il faut que le Clergd. son Education. Chap. XVIII. 343 Les Evequcs & les Cardinaux fe difent-ils humbles ? Ils en font crus fur leur parole en fe faifant donner les tirres de Monfeigneur , d’Emi- nence & de Grandeur ; alors me me que les der- niers veulent marcher de pair avec les Rois, ( Cardinales Regibus aquiparantur. Le Moine fe dir—il pauvre ? On le repute in¬ digent , lors merne qu’il envahit h plus grande partie des Domaines dim Etat; & ce Moine en coufequence eft aumone par une infinite de dupes. Aurefte qu’on nes’etonne point de l’imbdcil- lite humaine. Les hommes en general mal-eie- ves doivent etre ce qn’ils font. Leur extreme credulite leur laifte rarement Fexercice libre de leur raifon : ils portent en coufequence de faux jugemens & font malheureux. Qu’y faire ? ou I’on eft indiftcrenf a la chafe qu’on juge- (a') ait une forte opinion de la ftupidite humaine pour fe dire humble avec des pretentions ti faftuerifes. (aj Une opinion rn’eH-eile indifferente ? C’ePi a la ba¬ lance de ma raifon que pen pefe les avantages. Mais que Cette opinion, excite en moi haine , amour ou crainte ; ce n’eil plus la raifon. Ce font mes paffions qui jagent de fa ve'rite oil de fa fauffete. Or plus mes paffions font vives , moins la raifon a de part a mon jngement. Pour triompher du pre'juge le plus groffier, ce n’elt point affez d’ealentir 1’abfurdite. Mefuis-je demontre le matin la non-exiftence des fpec- tres ? Si le foir je me trouve feul, on dans une chambre > ou dans un bois, les fantomes & les fpeftres perceront de nouveau la tetre ou mon planclier; la frayeur me faifira. Les raifonnemens les plus folides ne pourront rien centre ma peur. Pour etouffer en moi la crainte des revenans, il ne luffit pas de m’en etre prouve la non-exiftence ; il faut de plus que le raifonnement par Iequel j’ai detruit ce pre- juge fe prefente aufti habituellement & aufti rapidement a ma memoire que le preiuge lui-ir.eme. Or e’eff Tceuvre P 4 y 244 D e if H o m m e & des-lors on eft fans attention & fans efprit pour la bien juger: ou l’on eft vivement affe&e de cette meme chofe; & c’eft alors l’intdret du moment qui prefque toujours prononce nos ju- gemens. Une decifion jufte fiippofe indifference pour la chofe qu’on juge ( a ) & defir vif dela bien ju¬ ger. Or dsnsl’Erat achiel des focietes, peu d’hom- mes eprouvent ce double fentiment de defir & d’indifference & fe trouvent dans 1’heiireiife po- fition qui le produit. Trop ferviiement attache a l’intdret du mo¬ ment , i’on y facrifie prefque toujours l’interet a venir; & f’on juge contre 1 evidence meme. Peut-etre M. de la Riviere a-t-il trop attendu de cette evidence. C’eit fur fon pouvoir qu’il fande le bonheur futur des Nations & ce foil- demerit n’elt pas atiffi folide qu’ii lepenfe. du terns & quelquefois d’un tres-long-tems. Jufqu’a ce terns je tremble la nuit au feul nom de fpeftre & de for- cier. C’eft un fait prouve par Inexperience. ( a ) Pourqnoi l’Etranger eft-i! meilleur juge des beautes d’un nouvel Ouvrage que Les Nationaux ? Celt que [’in¬ difference difte Ie jugement du premier, & qu’au moins dans le premier moment l’envie & le prejuge diftent ce- lui des feconds. Ce n’elt pas que parmi ces derniers , il ne s’entrouve qui inettent del’brgueil a bien juger , m. is i/s fobt en trop petit nombre pour que leur jugement ait d’a-. pori aucune influence fur celui'du public. Son Education. Chav. XIX. 34 j CHAPITRE XIX. L'interitpcrfuade anx Grands qu ils font d’une efpece differente des autres homm.es. A . , Dmet-oh nn premier homme ? Tons font dela mfme maifon, d’une famille egalptnent ancic-nne: tous par confequent font nobles. Qui refuferoit le titre de Gentilhomme a celuj qui par des extraits leves fur les regiflres des cir- concifions&desbaptemes, prouveroit une del- cendance en Hgne direde depuis abrabam juf~ qu’a lui t Ce n’eft done que fa confervation ctr la perte de ces extraits qui diftingue le noble du roturier. Mats le Grand fe croit-il r£e!lement d’une race fuperieur.e a celle du bourgeois, & le Souverain. d’une efpece differente decelie du Due, du Comte- &c. ? Pourquoi non? J’ai vu des Bonunes pas pins {orders que moi fe dire & fe croire foreiers> jufque fur I’echafaud. Mille procedures juflifienc ce fait. 11 ep eft qui fe croient nes heureux & qui s’indignent, lorfque la fortune fes abandtmne un moment. Cefentiment diroit M. Hume, eft en. eux fefTet.dufueces-oonftaHt de leurspremie¬ res enf reprises : d'apr?s ce fucces, iis-cnt du pren¬ dre ;leur bonbeur plait un eifet-, &. feurdtoile ? 5 D fi l/H O ?,T 5? E , pour la caufe de cct effet (a ). Si telie ell Phumj- nite, fauf-il s’eronner que des Grands gates par les hommages journaliers rendus a leurs richelfes & a leurs dignites, fe croient d’une race parcicu- liere ( b). dependant ils reconnoiflent Adam pourle pere cominun des homines: oui j mais fans en etre en- tierement convaincus. Leurs gefles, leurs difcours , leurs regards, tout dement en euxcetaveu, & tous font per- fuades qu’eux & le Prince ont fur le peuple & le bourgeois le droit du fermier fur fes beftiaux, Je ne fais point ici la fatyre des Grands ( c ) , mais celle de Phomme. Le bourgeois rend a fon ;valet tout le mepris que le PuilTant a pour lui. Qu’au rede on ne foit point furpris de trouver fhotnme fujet a tant d’ij'a'icn (d). Ce quife- roit vraiment furprenant, c’e/l qu’il fe refusat aux erreurs qni flattent fa vanite. (e'jDeux fatts, dit M. Hume > arrivent ils toujours en¬ semble? L’on iuppofe line dependance neceffaire entr’eux,. JL’on donne a l’un le noni de caufe ; a 1’autre celui d’effet. (4) L’anciennete de leur Maifon eft fur-tout there a ceux <[ui ne peuvent etre fils de leur me'rite. (cl Si tous les liommes font les defcendans d’Adam , a’enmit-il qti’en.cette qualite tous aoivent etre egalement wonfideres? Non ; ii eft dans toute fociete' des fuperieurs <[u’ori doit refpeiler. Mais. eft-ce aux grandes places ou a la haute naiffance qu’on doit fen eremier-refped ?Je con- clurois en faveur des grandes places. Elies fuppofentdu snoins quelque merite. Or ce que le public a vraiment in - teret d’honorer, c’eftle me'rite. (d) Le prejtige ccminande-t-il ? I.a raifon fe fait. Li? prcjugi fait,‘an certains pays refpeiler 1’officier de.qualite, meptifer 1’officier de fortune £t preferer par confequent la naiftance au merite. Nut dcute tju’un Etat parvenu 4 «t degrq ds CQUUftiqn n? (pit pres if fa ruins. s o k E d u c A T I o N , Chap . XX. 547 II croit & croira toujours ce qu’il aura interet de croire. S’d s’attache quelquefcsis ala recherche du vrai; s’ii s’occupe de fa decouverte, c’eir qu'il imagine par fois qu’il eft de fon interet aeia connoitre. CHAPITRE XX, L’interet fait honorcr h vice dans un prolecleur. T T \j N homme attend-i! fa fortune & fa confide- ration d’un Grand fans merite ? II devient fon pa¬ negyrise. L’horome j’ufqu’alors honntte ceifede 1’etre : il change de mceurs & pour aim! dire, d’etat. II defeend de la condition de citoyen lib-re & celle d’efclave. Son interet fe fepare en cet inftant del’interet public. Uniquement occupe de fon maltre & dela fortune de ce protefteur, tout moyen de 1’accroltre , lui paroit legitime. Ce mai- tre cammet-il des injuftices, opprime-t-il fes concitoyens , s’en plaignent-i!s ? IIs ont tort. Les Pretres de Jupiter nefaifoient-ils pasado- rer en lui le parricide qui les faifoit vivre ? Qu eft-ce que le protege exige du protefleur ? puilfance & non merite. Qu’eft-ce qu’a fon tour le protefteur exige du protege? baSelfe, devour¬ ment & non vertu. C’eft en qualite de devoue que le protege eft feieve cux premiers poftes. S’il ell des iaftaas on P 6 34'S 0 * x' H O 51 SI E , le merite feul y monte, c’eft dans les terns ora- geux ou la neceflire les y sppelle. Si dans les guerres civiles tous les emplois im- pcrtans font ccnfies aux talens, c’eft que le puif- fant de cheque parti fortement interefte a la def- trufticn du parti centraire , eft force de facrifier a fa furetd, & fon envie & fes autres pafiions. Cet interet preflant i’eclaire alors fur le merite de ceux qu’il emplcie : maisie danger paife • la paix & La tranquillity retablie, ce meme Puiftant indiffe¬ rent au vice cu a la vertu, aux talens cu a la fist* life, ne les diftingue plus. Le mdrite tembe dansl’aviliflement, la verite dans le mepris. Que peut-elle alors en faveur de t’humanite! C HA P IT R E XXL Vinteret du PuiJTant commandeplus im- ptrieufement que la virile aux opi¬ nions generates*. ¥ JLi r ON vante fans ceffelapniflan ce de La verite & cependant cette puilfance tant vantde eft fteri- Ie, fi 1’interet du Prince ne la fdconde. Que de ve- rites encore er.terrees dans les Ouvrages des Gordons, de Syducis , desMachiavel, n’enfe- ront retirees que par la volonte efficace d’un Sou- ver-io eclaire & vertueux ! ce Prince, dit-on, saiuatQt ou. tard. Soit!. Jufqii’a. ce moment qu’oa son Education.. Chap- XXL 24 $ regarde, fi l-’on veut, ces verites, comme des- pierres d’attente & des materiaux prepares. Tcu— jours eft-il certain q,ue ces materiaux ne. feronr employes par le Puilfant cue dans les pofitions & les circonitances ou les interets de fa gloire le for- ceront d’enfaire ufage. L’opinion, dit-on , eft la Reine du monde. II eft des inftans cii fans dome l’opinion generals ccmmande aux Souverains eux-memes. Mais qu’eft-ce que cefait a de commun avec le pouvoir dela verite ?. Prouve-t-il que l’opinion generale en foit la production ? Non: l’experience nous demontre au contraire que prefque tcutes les quefd.ons de la Morale. & de la Politique font ii- folues par le Fort & non par le Raifonnable ; Sc que 151’opinion regie le monde, e’eft a la longue le Fuiffant qui regit 1’bpinion. Quiconque diftribueles honneurs,Ies richefTes &l'eschatimens, s’attache toujoursungrandncm* bre d’lromrnes. Cette diftribution bib aflervit les efprits , luidonne l’empire furies ames.Tel eft le moy en par lequel les Sultans legitiment leurs pre¬ tentions les plus abfurdes ,.acccutument leurs Su~ jets a.s’bonorer du dire d’efclaves,a mtprifer ce- lui d’h jrames fibres. Quelles font les opinions les plus generale- ment repandues ? Ce font fans contredit les opi¬ nions religieufe.s. C'r ce n’'eft ni la raifon,. nils veritd , mais la violence qiii lesetablit* 1 6 . Ma¬ homet veut persuader fon Koran , ils’arme, i! flatte, ll eflriie-les imaginations. Les Peuples font par la crainte &. 1’efpdrance interefids a re- ceyokfa Loij Si lesyiiions du Prophete deyieaf 5 jo D e l’ Homme, nent bientot l’opinion de la moitie de 1’Univers, Mais les progres de la verite ne font-ils pas plus rapides queceux de l’erreur ? Oui: lorfque IV.ne Sc "autre font egalernent promulguees par la puif- fance. La verite par elle-raeme eft claire; elle fai- fit tout bon efprit. L’erreur aucontrairetoujours obfeure , toujours retiree dans le nuage de l’in- comprehenfible, y devientlemepris du bens fens.. Mais que peut le bon fens fans la force ? C’eft la violence , la fourberie, le hazard qui plus que la raifon & la verite onttoujours preilce a la forma¬ tion des opinions generales. CHAPITEE XXII. Un intcret fecret cacha toujours aux Par¬ le mens la conformite de la morale des Jcjhites & du Papifme. T JLi E S Parlemens.ont a la fo» condamne la mo¬ rale des Jefuites & refpefte' celle du Papifme (a )* Cependant la conformite de ces deux morales eft: fenfible. La protection accosdee auxJefuites, & par le pape & par la plupart des Eveques Catho- liques, * 17. rend cette conformite frappsnte. On faitquel’Eglifepapifte approuva toujoursdans ( a ) La ve'role phvfique, difoit un grand Politique, a fait de grands ravages chez les Nations Europeennes : mais la verole morale (le Papifme } y §v\ a fait encore de plu# grands, so?r Education. Chap. XXII. 351 les Guvrages de ces Religieux des maximes auffil favorables aux pretentions de Rome, quedefavo- rabies a cedes de tout gouvernement: cue le Clerge a cet egard fut leur complice. La morale des Jefiiices eft neanmoins la feule condamnee. LesParlemensfetaifent fur celledel’Eglife.Pcur- quoi ? C’eft qu’ils craignent de fe compromettre avec un coupable .trap pui/Ta;*t. Ils lentent confufcment que leur credit n’eft pointproportionne a cetteentreprife; qu’a peineil a fuffi pour contre-balancercelui des Jeluites. Leur interet en confequence les avertit de ne pas tenter davantage & leur ordonne d’honorer le crime dans le coupable qu’ils ne peuvent punir. CHAPITRE XXIII. L’interet fait nier journellement ccttema- xime: ne fais pas a autrui ce que ra ne voudrois pas qu’on te fit. T jj_j ]7 Pretre Catholique perfe'cute par le Cahd- rdfte ou le Mufulman, denonce la perfecutiun comme une infraiftion a la Loi naturelle t ce me- me Pretre eft-il perfecuteur ? La perfecution lui paroit legitime; c’eft en lui 1’effet d’un faint zele & de fen amour pour le proehain. Ainfi h mime action devient injufte ou legitime, felon que ce Pretre eft ou bourreau, ou patient, Lit-on FKiftoire des differentes feftes reiigiett*' 3$S B E 1/ H o m m e , fes & chreticnnes ? Tant qu’elles font foibfcs r dies veulent qu’on n’emploie dans les difputes- theologiques d’autires arnies que cedes du raifon- nement * 18. & de la perfuafion. Ces fefles deviennent-elles puiffantes? De perfccutees, ccmme je l’ai deja dit, elles devien- nent perfecutrices. Calvin bruleServer: le Jefuite pourluit le Janfe'nike; 8 z le Janfe'nifte voudroic. faille bruler le Deiile. Dans quel labyrinthe d’er- reurs & de contradidions l’inreret ne nous ega- re-t-il pas ! 1! cbfcurcit en nous jufqu’a. l’evi- dence. Que nous prdfente en efFet le theatre de ce monde ? rien que les jeux divers & perpetuels. de cet irte'r^t '*'19. Plus on medite ce principe , plus on y decouvre d’etendue & de fecondite,. C ’eR une carriere inepuilable d’ide'es lines & grandes.. C H A P I T R E XXIV. L’lnteret derobe a lei connoijfance du Pre- tre honnete hornme, les mcuix pro dints par le Papifme, 7 JLjEs eontrdes les plus religieufes font les plus incultes.. C’e/l dans les Domaines eccleiiafliques que fe manifefte la plusgrande depopulation. Ces- c rmtr des font done les plus mal-gouvernees, Dans son Education. Chap. XXIV. 353 les cantons Catholiques de la Suifle rcgnent fa di- fette & la ftupidite. Dans les cantons Proteftans 1’abondance & Tinduftrie. Le Papifme eft done ' deftnnfteur des Empires. 11 eft fur-tout fatal aux Nations qui puilTantes par leur commerce , ont intcret d’ameliorer leurs colonies (u ), d’encourager l’indufirie & de per- feftionner les Arts. Maischez les divers peuples, qui rend I’idole papale ft refpecftable ? Lacoutume. Qui chez ces memes peuples , defend de pen- fer ? La parefTe: elley commandeauxhommes d'e * tous les etats. C’eft par parefTe quo le Prince y voit tout avec les yeux d’autrui, & par parefTe qu on certain cas Jfes Nations & les Miniftres chargenr le Pape de penfer pour eux. Qu’en arrive-t-jl ? cue le Pcn- tife en profieppur etendre fen autrrite & con¬ firmer fonpouvoir. Les Princes peuvent-ils le li¬ miter? Ouis’ils le veulent fortement. Sans une telle volonte qu’on n’imagine prqu’une Eglife intolerante rompe elle-m£me les fers dont ell'e enchaine les peuples. L’intolerance eft une mine toujours chargee fous le trone 8c que le mecontentement eccldfiaf- tique eft toujours prdt d’allumer. Qui peut dven- ter cette mine ? la philofbphie & la vertu. Auffi l’Eglife a-t-elle toujours decrie les lumieres de Tune & Thumanite de Tautre ^ a-t-elle toujours peint la philofophie- 8c la vertu fous des traits.dif- (a) Les colonies naiffanfes fe peuplent par la toleran¬ ce , & pour cet effet il fauty rappeller la Religion aux Frincipes fur l'e%els Jefus l’a fondee,. 3 D F. L’ H O M M E , formes ( a ). L’objet du Clerge fut de lesdecredi- ter, & fes moyens furentles calomnies. Les hom¬ ines en general aiment mieux croire qu’exami- ner; & le Ciergd en confluence vit toujours dans la pareffe de penfer , le plusferme appui de la puiffance papale. Quelle autre caufe eu pu faf- ciner les yeux des Magiftrats Francois fur ledan- ger du Pjpifme, Si dans Paffaire des Jefuites ils montrerent pour leur Prince la tendreffe la plus inquiete \ s’ils prdvirent alor. l’exces auquel le fanatifme pouvoit fe porter , ils n’appercurent cependant point que de toutes les Religions , la Papifte eft la plus propre a l’allumer. L’amour des Magiftrats pour le Prince n’eft pas douteux : mais ii eft douteux que cer amour ait ere en eux a ffez eclaire. Leurs yeux fe font long-terns fermes a la lumiere. S’tls s’ouvrent un jour, ils appercevront que la tolerance feule peut affurer la vie des Monarques qu'ils cheriffent. Ils ont vulefanatifmefrapperunPrince, qui prouve chaque jourfonhumanitd par les bontes de detail dont il comble ceux qui l’approchent. Je fuis etranger : je ne connois pas ce Prince. II eft, dit-on , aime. Tel eft cependant dans le cceur du devot Francois l’effet de la fuperftition , ( a ) Si la haine qui s’exhale en accufations vagues prou¬ ve I’innocence de Pace life , rien n'honore plus les Philo- fophes que la haine du Sacerdoce. Jamais le Clerge ne cita de faits contr’eux. II ne les accufa point de raifaflinat de Henri IV , de la fedition de Madrid, de la confpiration de St. Domingue. Ce fut un Moine &. non un Philofophe qui l’annee derniere y encoujageoit les Noirs a maiTacref les Blancs.. son Education. Chap. XXV. 3?? ^ue l’amour du Moine l’emporte encore fur l’amour du Roi. Ne peut-on fur un objet fi important reveiller l’attention des Magiftrats & les eclairer fur les dangers auxquels l’intoldrant Papifme expofera toujours les Souverains, CHAPITRE XXV. Toute Religion intolerante eft ejjentidle- ment Regicide, JPr e s Q v E toute Religion eft intolerance, & dans toute Religion de cette elpece, l’intolerance fou ink un pretexte au meurrre & a la perfecu- tion. Le Trone meme n’offre point d’abri centre la cruaute du Sacerdoce, L’intolertnce admife, le Pretre peut egalement pourfuivre Pennemi de Dieu fur le Trone ( a ) & dins la ch. umiere. (a) Si Pen en croit le Jefuite Santarel le Pape a droit de punir les Rois. ( Audi dans un Traite de 1 ’herefie , du. fehifme , de Papoftafie & du pouvoir papal , Traite imprw me a Rome avec permifhon des fuperieurs chez l’heritier Bar the Jem/ Lanory en 1626. (ce jefifte dit) » Si le Pa- »* pe a fur les Princes une puiflance directive, il a aufTi fur » eux une puifiance corre&iv'e. Le Souverain Pontife » peut done punir ies'Prfnces heretkfi-es par des peines temporelles : il peut non feulement les excommunier % » mais encore les depouiller de leurs Royaumes , & ah- » foudre fears Sujets du ferment de fidelite : il pent don- n ner des curateurs aux Princes incapables de gouverner : >* il le peut fans Concile ; parce que le tribunal du Pape >» 8 c celui dc Jefus-Chrift eft un feul & meme tribunal* » Lc Pape j aioute-t>il, dans un autre, endroit de cet Oiv 55 & D E L’ H O M M E , L’intolerance eft mere du Regicide. Celt fur fon intolerance que l’Eglife fondal’edifice de fa grandeur. Tons fes membres concoururent a cette conftru&ion. Tons crurent qu’ils feroieht d’autant plus refpeftabies & d’autant plus heu- reux * ao. que le Corps auquel ils appartien- droient feroir plus puiffant. Les Pretres en tcus les liecles ne s’occuperenr done quedel’accroifle- ment du pouvoir * 2 . 1 . eccleiiaftique. Partout le Genre fut ambitieux & dut i’etre. Mais l’ambition d’un Corps f.dt-elle nece/Tai- rement le mal public ? Oui ; fi ce Corps ne petit la fatisfaire que par des actions contraires au fcien general. I! importoit peu qu’en Grece, les Lycurgues , les Leonidas , les Timoleons ; qu’a Rome les Brutus, les Emiles , les Regulus , fu/Fent ambitieux. Cette paffion ne pouvoit fe manifefler en eux que par des fervices rendus a la Patrie. II n’en eft pas de meme du Clerge : il veut une autorite fupreme. 11 ne peut s’en re- vetir cju’en en depouillant les legitimes poffef- feurs. Il doit done faire une guerre perpdtuelle & feurde a la piiiffance temporelle, avifir a cet effet l’autorite des Princes & des Magiftrats, de- chainer l’intolerance ; par elle ebranler les Tr6~ nes, par elle abrutir les citoyens (a) , les ren- !> vrage , peut depoferles Rois, on parce qu’ils font in- capables de gouverner, oil parce qu’ils font trop foi- » bles defenfeurs de l’Eglife. II pant done pour les caufeS- »i fufdites & pour la correflion & l’exemple des Rois pu- » nir ele mort les negligens ». (a) L’ignorance des peuples eft fouvent funefte atix Princes. Chez un people ftupide tout Souvetain manditde. fon,Clerge paffe pour juftement maudit. Ce n’eft done. pas. sou Education. Chap. XXVI. 357 dre a la fois pauvres ( a ) , parelTeux & ftupi- des. 'Tous les degres par lefquels le Clerge mon¬ te au pouvoir fupreme font done autant de mal- heurs publics. C’eft le Papifme qui doit un jour detruire en France les Leix & les Parlemens: deftruclion toujours l’annonce de la corruption des mcrurs nationales & delaruine d’un Empire. Envain nieroit-on l’ambition da Clerge. L’e- tude de fhomme la demontre a qui s’en occupe , & 1’etude de l’hiftoire a ceux qui lifent celle de l’F.glife. Du moment qu’elle fe fut donne un chef* temporel, ce chef fepropofa 1’humiliatiori des Rois : il veulut a fon gre difpofer de leur vie & de leur couronne. Tel fut fon projet. Pour l’executer, il fallut que les Princes eux- mernes concouruflent a leur avililTement, que le Fretre s’infinuat dans leur confiance , fe fit leur confeil ; s’afTociat a leur autorite : il y reuflit. Ce n’etoit point tout encore ; il falloit infenfi- blement accrediter 1’opinion de la preeminence de 1'autorite fpirituelle fur la temporelle. A cet fans caufe que l’Eglife a fait tie la pauvretc d’e/prit , line des'premieres vertus chretiennes. Dans les Ouvrages de M. Roulfeau quels font les morceaux les plus I ones des De'vots ? Ceux oil il fe fait le pane'gyrifte de i’ignorance. (a) Pourquoi dans fes institutions l’Eglife ne confulte- t-elie jamais le bien public ? Pourquoi celebrer les fetes 8c les aimanches dans la faifon quelquefois pluvieufe des moiffons ? L’Eglile ignore-t-elle que deux on trois jours de travail fuffilent quelquefois pour engranger un tiers, tin quart de la recolte 8c diminuer d’autant la difette & la famine ? le Clerge le fait: mais qu’importe au fylleme de fon ambition le bien ou le mal public 1 Rien de comrtum eutre l'interet ecclefiaftique 5c 1’intetet national. 3)8 D E L’ H O M M E , effet les Papes accumulerent Jes honneurs eccie- fiaftiques fur quiconque a l’exemple des Bellar- mins , foumettoit les Souverains aux Pontifes, & fur ce paint declaroit le doute une herefie. Cette opinion une ftisetendue & adoptee, f’Eglife pu; lancer des anathemes, precher des Croifades contre les Mor.arques rebelles a fes ordres ( a ) , fouffler par-tout la difccrde ; elle put au nom d’un Dieu de paix maffacrer une partie de 1’Uni vers (ib). Ce qu’elle put faire, elle le fit. Bientot fon pouvoir egala celui des anciens Pretres Celtes qui fous le nom de Drui- des command dent aux Bretons , aux Gaulcis , aux Scandinaves, en excommunicient les Prin¬ ces & les immoloient a leur caprice & a leur in- teret. Mais pour difpofer de la vie des Rois, il faut s’erre foumis l’efpric des Peuples. Par quel art 1’Egiife y parvint-elle 1 (a) La bulte in ccznci Domini annonce a cct egard rou¬ tes les pretentions de PEgufe , St i’acceptation de cette imlle , toute la fottife de certains peuples. (i b ) Dans un ouvrage fur l’intolerance M. de Malveaux dit, que la Religion papifte comme la nuifnlmane ne-peut fe foutenir que par le meurtre 5t les fupplices. Quelle horreur cette proportion n’infpire-t-elle pas pour le Pa- son Education. Chap. XXV 7 . 359 CHAPITRE XXVI. Des moyens employes par I’Eglife pour s ajfervir les Nations. E S moyens font fimples. Pour etre inde¬ pendant du Prince, il fallcit que le Clerge tint ion pouvoir de Dieu; il le dit & l’on le crut. Pour etre obei de preference aux Rois , il falloit qu’on le regardlt comme infpire par la divinite : il le dit & l’on le crut. Pour fe foumettre la raifon humaine, il fal¬ loit que Dieu parlat par fa bouche; il le dit & Von le crut. Done, a/outoit-il , en me declarant infal¬ lible , je le fuis. Done en me declarant vengeur de la divini¬ te , je le deviens. Or dans cet augufte emploi, mot ennemi eft celui du Tres-Haut, celui qu’une Eglife infail- lible declare heretique. Que cet beretique foit Prince ou non , quel que foit le titre du coupable, l’Eglife a le droit de l’emprifonner, de le torturer (a), de le bruler. Qu’eft-ce qu’un Roi devant i’Eternel ? Tous les hemmes a fes yeux font egaux & font tels aux yeux de f Jig life. (a) Si les Pretres en general font fi cruels , e’eft qua jadis facriScateurs ou bouchers, ils retiennent encore 1’efc grit de leur premier etat. 3&0 D £ t* H O M M s , Or d’apres ccs principes, & lorfqa’en verm de fon infaillibilite l’Eglife fe fur attribue le droit de perfecuter, & eneutfait ufige , alors redoutable a tousles ciroyens , tous durent s’hu- milier devant elie, tous durent tornber aux pieds du Pretre. Tout homme enfin ( quel que fdt fon rang) devenu jufliciable du Clerge , dut reconnoitre en iui une puiffance fuperieure a celie des Monarques & des Magiftrats. Tel fut le moyen par lequel le Pretre , & fe foumit les Peuples & fit trembler les Rois. Aulfi par-tout ou l’Eglife eieva le tribunal de Hnquiiition , fon Trane fut au-deffus de celui des Souverains. Mais dans les pays ou l’Eglife ne put s’ar- mer de la puiffance inquifitive, comment fa rtife triompha-t-elle de celle du Prince ? En Jui perfuadant com me a Vienne ou en France , qu’il regne par la Religion; que fes Miniftres, fi fouvent deftructeurs des Rois, en font les appuis, & qu’enfin 1’Autel eft le fcrutien du Trone. Mais on fait qu’a la Chine , aux Indes & dans tout l’Orient, les Trones s’afFermiffent fur leur propre maffe. On fait qu’en Occident, ce fu- rent les Pr^tres qui les renverferent; que la Religion plus fouvent que l’ambition des Grands, crea des Regicides; que dans l’etat aftuel de 1’Europe , ce n’efi: que du fanatique que les Mo¬ narques ont a fe defendre. Ces Monarques dou- teroient-ils encore de l’audace d’un Corps qui les a fi fouvent declares fes jufticiables. Cette orgueilleufe pretention eCtt a la longue fans son Education. Chap. XXVII 36$ fans doute eclaire les Princes, fi l’Eglife lelon les terns & les circonftances n’eft fur ce paint fucceffivement para changer d’opinion. 4 = = 4 * CHAPITRE XXVII. Dcs tews ou fEglife Catholique tnijfe repofer fes pretentions. T jLf Esprit d’un fiecle eft-il peu favorable aux entreprifes du Sacerdoce ? Les lumieres philo- fophiques ont-el!es perce dans tous les ordres de citoyens ? Le militaire plus inftruit, eft—il plus attache au Prince qu’au Clerge ? Le So rive¬ rain lui-mdme plus eclaire s’e/t-il rendu plus ref- peetable a I’Eglife iLElle ddpouille fa fe'rocite, modere fon zeleelie avoue hautement l’in'de- pendance du Prince. Mais cet aveu eft-il fin- cere? Eft-il l’effet de la neceffite,de la pru¬ dence ou de la perfuafion reelle du Clerge ? La preuve qu’en fe taifant I’Eglife n’abandonne pas fes preventions, c’eft qu’elle enfeigne toujours a Rome la meme dcdbrine. Le Clerge affecle fans doute le plus grand refpedl pour la Royaute. II veut qu’onl’honore j.ufque dans les tyrans. * 2.2. Mais fes maximes a ce fujet prouvent meins fon attachement pour les Souverains , que fon in¬ difference , & fonmepris pour le bonheur des. hommes & des Nations. Qu’importe a l’Eglife la tyrannic des nvvu- Tome II. jfo T> E if H O M M £, vais Rois , pourvu qu’elle partage leur pouvoir ! Lcrfque l’Ange des tenebres emportale fils de riiomme fur la Montagne, il lui ait: tu vois did tous les Royaumes de la terre: adore-moi, je denials le maitre. L’Eglile dit pareillement au Prince , fois mon efclave , fois l’executeur de mes barbaries , adore-moi , infpire aux Pau- ples la crairrte du Prerre, qu’ils croupiffent dans 1'ignorance & la Ilupidite; a ce prix je te donne un Empire iilimite fur tes Sujets : tu peux etre tyran. Quel traite monftrueux entre le Sacerdoce & le Defpotifme! L’Eglife enfeigne , dit-on, a refpefter les Princes &lesMagiftrats. Mais les honore-t-elle, lorfqu’elle les nomme en Efpagne les bourreaux de fon Inquifirion , en France fes geoliers, (a) &z quelle leur ordonne I’emprifonnement dequi- conque ne penfe pas comme elle ? C’efl avilir les Princes que de les charger de pareils emplois : c’eft hair les peuples que de leur commander de fe foumettre aux tyrans les plus inhumains, L’Eglife d’ailleurs leur en don- ne-t-elle l’exemple, s’humilie-t-elle devant les Princqs qu’elle nomme heretiques ? Ennemi fourd de la puiffance temporelle, le Sacerdoce. felon les terns &lecaractere des Rois , les menage , ou les infulte. Du moment ou le Souverain cede d’etre fon efclave, l’anatheme ell fufpendu fur fa tete. Le Souverain ell-il foi- (a )"Dins fes pays Cathofiques on s’inforjr.e foigneufe- merit ft tel payfnn eft Calvinifte, s’il va les Dimanches & la Mefffr, & uulkijient s’il a du lard dans fon pot. son Education. Chap . XXVII . 363 ble ? I’anatheme eft lancd : il eft le joust de foil Clerge. Le Prince eft—ii eclairs & ferme ? fon Clerge le refpede. Le Pape fe refufe aux demindes de Valdemar Roi de Dannemarck , ce Roi luifait cette repon- fe. ( a ) x> De Dieu je tiens la vie , des Danois le n Royaume , de mes Peres mes richeffes , ds tes » Predecefteurs la foi que je te remets par les » prefer, tes, h m ne m’odroies tna demands cc. Tel eftle Protocole de tout Prince eclaire avec la Cour de Rome. Qu’on la brave, on n’a point a la redouter, Les Pretres par la molleffe de leur education font pufillanimes. Ils ont la barbe de l’homme & le caradere de la femme. Imperieux avec qui les craint, ils font laches avec qui leur refifte. Hen¬ ri VIII en eft la preuve. Un attentat concu,mais manque,eftfous untel Roilefignal de la deftrudion entiere des Pretres. Ils le favent, & la terreur retient alors leur bras. Sur qui le levent-ils ? fur des Princes, ou crairv- tifs , ou bans. Qu’Henri IV eut moins menage le Sacerdoce, il n’en eftt point ete la viftime. Qui redoute le Clerge le rend redoutable. Mais ft la puifiance eft fondee fur l’opinion, lorfque 1’opinion s’aftbiblit, fa puiffancen’eft-elle pas di- rninude? Elle refte entiere, repondrai-je, tant qu’elle n’eft point aneantie. Pour reprendre fon crddit, il fuffit qu’un Pretre gagne la confiance du Prince : cette confiance gagnee, il eloignera (a) Vitam hah anus a Deo, Regnum ah incolis, divitias A parentibus, fiicTn a tuis predecefforibus, quam, Ji nobit nan fares, remittimus per prefentes. 364 D E L* H O M M E , du Monarque les hommes eclaires. Ces hommes font contre le Sacerdoce les foutiens invifibies duTrone & de la Magiftrature. Une fois bannis d’un Empire , les Peuples diriges par les Pretres retcmbent dans leur ancienne ftupidite, & les Princes dans leur ancien efclavage. Eeut-etre l’efprit des Nations eft-il mainte- nant pen favorable au Clerge. Mais un Corps immortei ne doit jamais defefperer de fon credit. Tant qu’ilfubfifte, il n’a rien perdu. Pour recou- vrer fa premiere puillance , 'll ne fait qu’epier Loccafion, la faifir& marcher conftamment a foa but. Le refle eft Poeuvre du terns. Qui jouitcomme le Clerge d’immenfes richef- fes peut l’attendre paticmment, Nepeut-il plus prticher de Croifades contre les Souverains & les combattre a force ouverte ? il lui refte enccre la reflburce du fanatique contre tout Prince aftez timide pour n’ofer etablir la Loi de la tole¬ rance (a). (a) Par-tout oil l’on tolere plufieurs Religions & p\u- fieurs feftes, elles s’habituent infenfiblement l’une a i'au- tre. Leur zele perd tousles jours de fon acrete. Il eft pea, de fanatiques oii la tolerance pleniere eft etablie. son Education. Chap. XXVJII. 3 €% CHAPITRE XXVIII. Du terns oil UEglife fait revivre fes pri- tentions. U’uN Prince foible & fiiperffitiedx occupe Je Trane d’un grand Empire : qu’en cet Empire 1’Eglife ait eleve le tribunal de PInquifition: tqu’enrichie des depouilles des herdtiques & deve- nue de jour en jour plus riche & plus puiflante , elle ait par des fupplices horribles & multiplies, effraye les efprits , e'teint le jour de la fcience , ramene les tenebres de la ilupidite , 1’Eglife y commandera en Peine, elle y fera revivre fes prdtentions, le regne da Monarqae fera le liecle de la grandeur facerdotale , & fi les memes cau- fes produifent neceffairement les memes effets , les peuples efclaves de l’Eglife, reconnoitront en elle une puiffance fuperieure a celle du Sou- veraini Alorsle Prince humilie deprive dufecours de fes Peuples ne fera devant fon Clergd qu’un Citoyen ifole, expofe aumeme mepris , auxind- mes indignites & au meme chUdment que le der¬ nier de fes Sujets. Que cette conduite foit crirni- nelle ou non : la fiiperffition la juftifie. L’in- faillibilite avouee d’un Corps , legitime tous les forfaits, 3 66 D £ i/ H O M M CHAPITRE XXIX. Des pretentions de FEglifc prouvees par le fait. XjEs Gouvernemens d’Allemagne & de France ont fouflrait leurs S’ujets aux buchers de I’lnqui- fition, Mais de quel droit, dira 1’Eglife , ces Gouvernemens mirent-ils des bornes a ma puif- fanee ? Fut-ce de mon aveu qu’ils enbannirent mes inuuifiteurs ? ne les ai-je pas fans celfe rap- pelles dans ces Empires ? (a) Le Clerge d’Efpa- gne & de Portugal ne regarde-r-il pas l’lnquifi- rion ccmme falutaire ? Les Prduts de France & d ’Allemagne ont-ils cite ce tribunal ccmme impie &funede?Sefont-ils fepares dela communion de ces Pretres prdtenduscruels (&), parce qu’ils font fcrCiler leurs femblables ] Eft-il enfin un pays Ca- tholique ou du moins par leur filence, les Ev£- ques n’aient approuvd l’inquifition ? Or qu’eft-ce que 1’Eglife ? L’affemblee des Ecclefiafliques. L’Eglife fe ddclare-t-elle le vengeur de Dieu ? Ce droit de le venger efl celui de perfdcuter ( puMique, Q5 370 © e l’H o m m e, ble? Elle eft done fans ambition, Les temoignages les plus authentiques de fa propre hiftoire ne . peuvent depofer centre elle. Enfinpour lui prou- ver des crimes, les demonltraticns les plus claires font infuinfantes. ' L'Europe nie maintenant l’infaillibilite de 1 ’E- glife, mais elle n’endoutoit point lorfquele Cler- ge tranlportoit aux Efpagnols la couronne de Montezume , qu’il armoit l’Occident contre i’O- rient, qu’il ordonneit a fes Saints de pr^cher des Croifades & difpofoit enfin a fon gre des Couron- nes de I’Afie. Ce que 1’Eglife put en Afie , ellele peut en Europe. Quels font d’ailleurs les droits reclames par le Clerge ? ceux dont ont joui les Pretres de tomes les Religions. Lors du Paganifme les dons les plus magniA- ques n’etoient-ilspasportes en Suede au fameux Temple d’Upfal ? Les plus riches offrandes dit M. Mallet, n’y etoient-elles point dans les terns de catamites publiques ou particulieres , prodi- guees aux Druides ? Or du moment oule Pretre catholiqueeut fuccede aux richelfes & au peuvoir de ces Druides , ils eut, comme eux, part a torn tes les revolutions de la Suede. Que de feditions excitees par les Archeveques d’Upfal. Que de changemens fairs par eux dans la forme du gou- vernement! Le Trone alorsn’etoit point un abri contre la puiifance de ces redoutables Prelats. Demandoient - ils le fang des Princes ? le Peuple fe hacoit de le repandre. Tels furent en Suede ies droits de 1’Eglife. En AUemagne } elle veulut que les Empereurs son Education. Chap . XXX . 371 pieds & tetes nus viniTent devant le Pape recon¬ noitre en. eKe la mesne autcrite. E11 France eile ordonna que les Hois depouil- lesdeleurshabits par les minifees de la Religion , feroient attaches aux auteis , y feroient frappes de verges &qu’iis expireroient dans cefupplice les crimes dont I’Eglife les declaroit coupables. En Portugal on a vu Flnquifition deterrer le cadavre du Roi Don Juan IV (a) pour l’abfoudre dune excommunication qu’il n’avoit pas encou- rue. Lors des differens de I’aul V avec la Republi- que de Venife , l’Eglife anathematifa le Savant dont la plume vengeoit la Republique ; elle fit plus , elle affaffina Fra- Paolo, & nul ne lui en conteila le droit (£); 1 ’Europe fut l’aclion & gar- da un (Acnee refpeclueux. Lorfque Rome frappa pareillement de Fana- theme le Seigneur de Milan (c) ; lorfquelle le ddclara heretique & publia des Croifades contre les Malateftes , les Ordolaphees &c les Manfrd- dys (d) les PuiiTances de l’Europe fe turent & (a) Le crime de ce Don Juan fut fa ddfenfe faite aux Inquifiteurs de s’approprier les biens de leurs vifiimes. Cette defenfe n’etoit pas meme contraire a la nouvelle bulle , qu’a I’infqu du Prince les Dominicains avoient ob- tenue du Pape. (ft) Fra-Paolo frappe d’un coup de poignard en difant fa Meffe, tombe & prononce ces mots celebres: agnofeo Hylton Romanum. (c) Lefeul crime dont le Pape accufoit Vifcontr, e’e- toit en qualite de Vaffal de l’Empire d’avoir pris avec trop de zelele parti de l’Empereur Louis de Baviere. Ce zele fut declare hdretique. (d) Le crime de MaUtefte > fut d’avoir furpris Rimini, Q 6 372. D E I’ H O M M E, lear filehce fut la reconnoiffance tacire du droit sujourd’hui reclame par l'Eglife , droit exerce par elle en tons les terns & fonde fur la bafe ine- branlabie de fon infaillibilite. Or que repondre a cette foule d’exemples & de raifonnemens fur lefauels le Clerge appuie fes pretentions? L’eglife une fois reconnueinfaillible & la feule interprete des Ecritures, * 2, y. tout droit pretendu par elle eft un droit acquis. Nulle decillon qui ne fcit vraie : en dcuter eft une im- piete. Declare-t-elle unRoi heretique ? ce Roi le devient. Le condamne-t-elle au fupplice? ilfaut l’y trainer. Quelque barbare , quelqu’intolerant que foit un Corps, le reconnoit-on pour infsillible , on perd le droit de le juger. Soupcbnner alors fa juftice , c’eft nier la confequence immediate & claire d’un principe admis. Je ne m’erendrai pas da vantage fur ce fujet & me contenterai a’ bier- ver , que s’il eft vrai, comme j’ai dit d-deffus , que tout homme ou du meins tout corps foit am- bitieux ; Que "ambition foit en lui vertu ou vice felon les moyens divers par lefcjutels if fa fatisfait • Que ceux employes par l’Eglife foient tou- feurs deflruclifs du bonheur des Nations ; Celni des Ordolaphees & des Manfredys fut de s’etre em» pare de Faenza fur I aq lie He le Pape s’etoit cree des pretentions. Tous les Papes etoient alors ufurpateurs & tons leurs ennemis declares heretiques. Ces Papes cepen- dant fe confe'ffoientr & ire reftitnoient point. Leurs fuccefteurs out depuis jorii fans fcrupule de ces bier.s mal acquis. Cette iouHTanee pent paroitre un myf.. tere d’tniquite : j’a'ime rriieux croire que c’eft. un niyueyo is tkeplogie. son Education. Chap. XXX. 373 Que fa grandeur fondee fur l’intolerance doive appauvrir les Peuples , avilir les Magiftrats, expofer la vie des fouverains , & qu’enfin jamais Finteret du Sacerdoce ne puiffefe confondreavec l’interet public t On doit conclure de ces faits divers que la Religion, ( non cette Religion douce & tolerante etablie par Jefus-Chrifi, ) mais cefle du Pretre , cel/e au nom de laquelle il fe de'clare vengeur de la divirdte , & pretend au droit de bruler & de perfecuter les hommes , eft une Religion de difcorde (a) & de fang , une Religion regicide , & fur laquelle un Clerge ambitieux pourra tcu- jours etablir les droits horribles dont il a fi fou- vent fsitufage. Mais que peuvent contrel’ambidon del’Eglife lui refufer cornme cerraines ie&es c hretien- nes : I La qualite d’infaillible ; 1°. Le droit exclufif d’interpreter les Ecri- tures; 3 0 . Le titre de vengeur de la divinite. (a) Si la Religion eft qtielquefois le pretexte des trou¬ bles & des gnerres civiles , la vraie caufe . c’eft, dit-on , 1’ambition be i’avarice des Chefs. Mais fans le fecoitrs d’u- ne Religion intolerante leur ambition n’armeroit point cent male bras. 374 #^= D E L’ H O M M I. , CHAPITRE XXXI. Des moyens d’enchainer Vambition cccUJiajiiquc. T JLaAissE-T-ON a Dieu Ie foin de fa propre vengeance , lui remet-on la punition des here- tiques ; la terre ne s’arroge-t-elle plus le droit de juger les offenfes faites auCiel:* 16. leprecepte de la tolerance devient-il enfin un precepte de [’education publique ; alors fans pretexte pour perfe'cuter les homines, foulever les Peuples , envahir la puiffance temporelie ; l’ambition du Pretre s’eteint. Alors depouille de fa ferocite , il ne muudit plus fes Souverains, n’arme plus les Ravaillacs , & n’ouvre plusle Cielaux regicides. Si la foi eft un don du Ciel, l’homme fans foi eft a plaindre non a punir. L’exces de l’inhumanite c’ell de perfecuter un infortune. Par quelle fata- lite fe le permet-cn , lorfqu’il s’agit de Reli¬ gion ! La tolerance admife le Paradis n’eft plus la recompenfe de i’alTaffin Sc le prix des grands at- tats. Au refte que le Prince foit barbare ou bon , qu’il foit Bufiris ou Trajan, il a toujours interet d’erablir la toldrance. Ce n’eft qua fon efclave que l’Eglife permet d’etre tyran. Or Bufiris ne vent point etre efclave. Quant aux Princes vertueux & jaloux du bon- feeurdefesSujets, quel doit etre fon premier SON ^DUCATIOTJ, Chap. XXXI. 37$ foin ? Celui d’affoiblir le pouvoir eccleiiaftique. C’eft foil Clerge qui s’cppcfera toujours le plus fortementa 1’executionde fesprojets bienfaifans. La puiffance fpirituelle eft toujours l’ennemi ou- verte ou cachee (a) de la temporelle. L’Eglife eft un tigre. Eft-il enchaine par la Loi de la tole¬ rance ? II eft doux. Sa chaine fe rompt-elle ? 11 reprend fa premiere fureur. Parce qu’a fait autrefois 1’Eglife , Ies Princes peuvent juger de ce qu’elle feroit encore fi l’on lui rendoit fon premier pouvoir. Le paffe doit les eclairer fur l’avenir. Le Magiftratquifeflatteroit defaireconccurir les Puiffancesfpirituelles&temporelles au mime objet, c’eft-a-dire , au bien public , fe trompe- roit: leurs interets font trop difterens. II en eft de ces deux puilTances quelquefois reunies pour devorer le meme peuple, com me de deux Na¬ tions voifmes & jaloufes , qui iiguees contre une troifieme , l’attaquent&i fe battent au partage de fes depouilles. Nul Empire ne peut etre fagement gouverne par deux pouvoirsfupremes & independans. C’eft d'un feul, ou partage entre plufieurs, ou reuni entre les mains du Monarque, que route Loi doit emaner. [a) Le Souverain accorde-t-if faveur & confideratiors aux bigots ? 11 fonrnit des armes a fes ennemis : ceux du dehors font les Princes voilins; ceux du dedans font les Theologiens. Doit-il accroitre leur puiffance! La multiplicity des Religions dans un Empire afferent le Trone. Des feftes ne peuvent etre contenues que par e’autres feftes. Dans le Moral comtne dans le Phyfique » c’efl l’equilibre des forces oppofees qui produit le repes 4 376 D E l’ H o m m e, La tolerance foumet le Pretre au Prince , l’in- tolerance foumet le Prince au P litre. Elle an¬ no nee deux puifl'ances rivales dans un Empire. Peut-etre les Anciens dans le partage qu’ils firent de l’Univers entre Oromaze & Ariman & dans le recit de Ieurs eternels combats , ne defi- gncient-ils que la guerre eternelle du Sacerdoce & de la Magiftrature. Le Regne d’Oromaze etoit celui de la iumiere & de la vertu : tel doit etre le regne des Loix. Le Regne d’Ariman etoit celui des tenebres & du crime : tel doit etre celui du Pretre & de la fuperftition. Quels font les difciples d’Oromaze ? ces phi— lofophes aujourd’hui fi perfecutes en France par I’intrigue des Moines & des Miniftres d’Ariman. Quel crime leur reproebe-t-on ? aucun. Ils ont autant qu’il eft en eux eclairs les Nations; ils les ont 1 ou fir a ires aujoug flerri/lant dels fuperf- tition , & e’eft peut-etre a leurs ecrits que les Princes & les Magiftrats doivent en partie la confervation de leur autorite. L’ignorance des Peuples , mere d’une devo¬ tion ftupide , * 27. eft un poifon qui fublime par les Chymiftes de la Religion , repand autour du Trone les exhalaifons mortelles de la fuperf- tition. La fcience des Philofophes au contraire eft ce feu pur & facre qui loin des Roisecarte les vapeurspeftilentielles du fanarifme. LePrincec,ui foumet lui &fcn Feuplea l’Em- pire du Sacerdoce, elcigne de lui fes fujets ver- tueux. 11 regne, mais fur des fuperftitieux , fur des Peuples dont Fame eft degradee; enfin Ru¬ les efclaves du Pretre. Ces efclaves font des bom- son Education. Chap. XXXI. 377 mes morts pour la Patrie. 11 s ne la fervent ni par leurs talens , ni par leur courage. Un pays d’lnquifition n’eft pas la patrie d’uncitoyen* 2.8. honnete. Malheur aux Nations 011 le Moine pourfuit impunement quiconque meprife fes legendes & ne croit , ni aux forciers , ni au nain jaune ; ou le Moine traine au fupplice Phomrne vertueux quifaitle bien, ne nuit aperfonne & dit ia vtrite. Sous le regne du fanatifme , les plus persecutes, dit M. Hume, Vie de Marie d’Anglererre , font les plus honnetes & les plus fpirituels. Du mo¬ ment oil la bigotterie prend en main les renes d’un Empire , elie en bannit les vertus & les talens : alors les efprits tombent dans un affailfe- ment, le feul peut-etre qui foit incurable. Quelque critique que foit la iituarion d’un Peuple , un feul grand homrr.e fuffit' quelquefois pour changer la lace des affaires. La guerre s’al- lume entre la France & V Angleterre la France a a’abord l’avantage. M. Pitt eft eleve au Minif- tere ; la Nation Ahgloife reprend fes efprits & les Oificiers de mer leur intrepidite. Le iupplice d’un Amiral opere ce changement. Le Miniftre communique I’aftivite de fon genie aux Chefs de fes entreprifes. La cupidite du foldat & du mate- lot reveillee par Pappas du gain & du pillage re¬ chauffe leur courage: &rien de moinsfemblable a lui memequei’Angloisducommencement Scde la fin de la guerre. M. Pitt, dira-t-on, commandoit a des ham- mes fibres. II eft fans doute facile de fcuftler 1’ef- prit de vie fur un tel Peuple. Dans tout autre 57 S D e l’ Homme, pays quel ufage faire du relTort puiffant de l’a- mour patriotique?Qu’cn Orient un citoyen iden- tifie fon interet avec 1’interet public; qu’ami defe Nation , il en partage la gloire, la honte Sc les infortunes , un tel homme peut - il fe promet- tre , fi fa patriefuccombe fousle faixdu malheur, de n’en jamais nommer les auteurs ?S’il ’es nom- me, il eft perdu. Il faut done en certains gouver- nemens qu’un bon citoyen, ou foit puni comme tel, ou ceffe de l’etre. L’eft-on en France ? je l’ignore. Ce que je fais, e’eft que le feul Minif- tre qui dans cette guerre cut pu donner quelqu’e- nergie ala Nation etoit M. le Due de Choifeut. Sa naiffance , fon courage, l’elevation de fon ca- raftere , la vivseite de fes conceptions eut fans dome ranime les Francois, s’ils euflent ete rani- mables. Maisla bigotrerie comxnandoitalors trop imperieufement aux Grands. * IQ. Telle etoit fur eux fa puiTancc qu’au moment merne ou la France battue de routes parts , fe voyoit enlever fes colonies , on ne s’occupoit a Paris que del’af¬ faire des Jefuites(^). L’on ne s’intriguoit que pous eux. («) Lors de l’affaire des Jeftiites, fi 1'on apprenoit a Pa¬ ris la perte d’une bataille , a peine s’en occupoit-on un jour. Le lendemain on parloit de l’expulfion des benis Peres. Ces Peres pour detourr.er le public de l’examen de leurs Conftitutions , ne ceffoient de crier contre ies Eneyclopediftes. IIs aftribuoient au progres de la Philofophie les mauvais fucces des campagnes. C'eft elle, difoient-ils, qui gate 1’efprit des foldats & des Ge'- neraux Leurs devotes en etoient convaincues. Mille oies couleur de rofe repe'toient la meme phraCe; & e’etoit ce- pendant le People tres-Philofophe des Anglois, & Ie Roi encore plus Philofophe de Pruffe, qui battoient les Gs- son Education. Chap. XXXI. 379 Tel etoit 1’efprit qui regnoit a Conftantinople, lorfque Mahomet fecond en faifoit le fiege. La Cour y tenoit des Conciles dans le terns meme que le Sultan en prenoit les fauxbcurgs. La bigotterie retrecit l’efprit du citoyen : la tolerance l’dtend. Elle-feule peut depouiller le Francois de fa devoteferocire. Quelquefuperffitieufe, quelque fanaticue que foit une Nation , fbn caradere fera toujours fuf- ceptible des diverfes formes que lui donneront fes Loix , fon gouvernement, & furtout 1’edu- cation publique. L’inftru&ion peut tout; & fi j’ai dans les iedions precedentes li fcrupuleufe- mcnt detailld lesmaux produitspar une ignorance jjerrmx Franpois que perfonne n’accufoit de philofophie. D’autre part les amateurs de Pancienne -Muf (/re foute- ftoient que les infortunes de la France etoient 1’effet du gout pris pour les Bouffons & la Mufique Italienne, Cette Mufique, felon eux, avoit entierement corrompu les moeurs. J’etois alors a Paris. On r.’imagine pas ccmbien de pareils propos tenus parce que les Francois appellent levir bonne cornpagnie , les rendoient ridicules aux etrangers. Le bon fens etoit chez prefque toutes les grandes Da¬ mes , traite d’impiete. Elies ne parloier.t que duR.P. Ber- thier ; ne mefuroient le merite d’un homme que par l’e- paifleur de fon Miffel. Dans toute oraifon funebre, l’on n’y parloit jamais que de la ddvotion du decec'c Sc fon Panegyrique fe re'duifoit a ceci. C'cfi que le Grand tant loue, etoit un imbecjlle que les Moines avoient toujours mene par le neu Point de mandement ou de fennon dont la fin ne fut ai- guifee par un trait de fatyre contre les Philofophes & les Encyclopddiftes. Les Predicateurs vers la fin de leurs dif- cours s’avanqoient fur le bord de Ieur chaire , coitme ies Caftrats fur le bord du theatre, les tins pour faire leur dpigramme , & les autres Ieur point d’orgue. En cas d’ou- bli de la part des Predicateurs, on leur eut demands 1’epi- gramme, comae aux Arlequins la capriole. 380 D E X’H O M M E, dont tant de gens fe declarentaujourd’hui lespro- tefteurs, c’etoit pour faire mieux fentir toute l’importance de [’education. Quels moyens de laperfetHonner ? Peut etre eft-il des fiedes ou content d’efquif- fer un grand plan , on ne doit pas fe flatter qu’il s’execute. C’etl par 1 ’examen de cette queftion que je terminerai cet Ouvrage. son Education. Notes. 381 NOTES. I. La contradi&ionrdvoltel’ignorant. Sil’hom- me eclaire lafupporte, c’eft qu’examinateur fcru- puleux de lui-meme, il s’elt fouvent furpris en erreur. L’ignorant ne Lent point le befoin de 1’inl- trudion. 11 cro it tout favoir. Qui ne s’examine point, fe croit infaiilible, & c’eft cequefecroient ia plupart des hommes & fur-tout le petit maitre Francois. Jel’ai toujours vu s’etonner defon peu de liiccescliez l’Etranger. Devroit-i! ignorer que pour fe faire entendre dans les echelles du Le¬ vant , s’il faut parler la langue Franque , il faut pour le faire entendre de 1’Etranger parler la lan¬ gue du bon fens, & qu’un pent maitre y paroitra toujours ridicule, tantqu’aulangagedelaraifon, il lublutuera le jargon a la mode en fon pays 1 . Les verites generates eclairent le Public fans offenfer .perfennellement l’homme en place, pourquoi done n’excite-t-il point les Ecrivains a ia recherche deces fortes deverites? C’eft qu’elles contredilent queiquefois fes projets. 3 . Ce n’eR point en theologie la nouveaute d’une opinion qui revolte , mais la violence em¬ ployee pour la faire recevoir. Cette violence a dans les empires queiquefois preduif des commo¬ tions vives. line arae noble & elevee foutient impatiemment le joug aviiiffaot du Pretre^ & le perfecute fevenge toujours duperlecureur.L’honv jue, djt Macluayel, a droit de tout peafer, de D E L* H O M M E , tout dire, de tout ecrire, mais non a’itnpofer fes opinions. Quele theologien me perfuade ou meconvainque, & qu’il ne pretende point forcer ma croyance. 4. La feule Religion intolerable eft une Reli¬ gion intolerante. Une telle Religion etant deve- nue la plus puiftante dans un Empire, y allume- roit les flambeaux de la guerre & le plongeroit dans des troubles & des calamites fans nombre. 5. Les Pretres font-i!s indifterens aux difputes theologiqueslLescrgueilieuxDofteursapress’etre dit bien des injures, s’ennuient d’e'crire fans etre lus. Le mepris public leur impofe filence. 6 . Un Legiflateur prudent fait toujours pro- pofer par quelqu’Ecrivain celebre les Loix nou- velles qu’il veut etablir. Ces Loix font-elles fous Je nom de cet auteur quelque terns expofees a la critique publique 1 Si l’on les juge bonnes & qu’onles reconnoilfe pour telles ; on les recoit fans murmurer. 7. Un Miniftre fait-il une Loi ? unPhilofo- plie decouvre-t-il uneverite ? jufqu’a ce quel’uti- lite de cette Loi & de certe verite foit avouee , tous deux font en butte a l’envie & a la fottife. Leur fort cependant eft tres-different: le Minif¬ tre arme de la puiflance n’eft expofe qu’a des rail¬ leries : mais le Philofophe fans pouvoir , l’eft a des perfections. 8. On entend vanter tousles jours l’excellence de certains etabliffemense'trangers, mais ceseta- bliffemens, ajoute-t-on, ne font pas compati¬ bles avec telleforme de gouvernement. Si ce fait eft vrai dans queiques cas particuliers, il eft faux 5*01? £ducation. Notes. 383 dans la plupart. La procedure criminelle Angloife eft - elle la plus propre a prcteger 1’innocence ? Pourquci les Francois, les Allemands ikies Ita- liens ne l’adoptent-ils pas ? 9. Les Princes changent journellement les Loix du commerce. Celles qui reglent la percep¬ tion des droits & des impots. Ils peuvent done changer egalement toute Loi contraire au bien public. Trajan croit-il legouvernement Republi- cain preferable au Monarchique? ilcfffe de chan¬ ger la forme du gouvernement: il ofi're la liberte aux Romains & la leur auroit renduesilseufient voulu l’accepter.Une telle aftion merite fans doute de grands eloges. Elle a frappe TUnivers d’ad- miration. Mais ell-elle auffi furnaturelie qu’on 3 ’imagine ? Ne fent-on pas qu’en fcrifant les fers des Romains Trajankonfervoit la plus grande au- torire fur un Peuple affranchi par fa ge'nerofite ; qu’ileut alors tenu de 1’amour & deiareconnoif* Lance prefque tout le pouvoir qu : il devoit a la force de fes Armees. Or quoi de plus flatteurque le premier de ces pouvoirs ! Peu de Princes ont imite Trajan. Peu d’hommes ont fait a 1 ’interet general le facrifice apparent de leur autorite par- ticuliere: j’en conviens. Mais leurexceffif amour du Defpotifme eft quelquefois eneuxmoins Feffec d’un defaut de vertu que d un defaut delumiere. 10. Il n’eft qu’une chafe vraiment contraire a toute efpece de conflitution, c’efl le malheur des Peuples. Leur commande-t-on ? On n’a pas droit de leur nuire. U11 Prince contrafte-t-il feiemment un traite ddlavantageux a fa Nation ? il excede fon pouvoir: il fe rendcoupable envers elle. 3 $4 D e l’ H o m m e , Un Monarque n’eft jamais qu’au droit de fes ancetres. Or toute fouveraineri legitime prend fon origine dans l’eleftion & le choix fibre du peuple. II eft done evident que le Magiftrat fu- preme quelque nom qu’on lui donne, n’eft que le premier commis de fa Nation. Or nul commis n’a droit de contrafter au defavantage de fes com- mettans. La fociete meme peut toujeursreclamer contre fes prepres engagemens s’ils lui font trop ondreux. Que deux Peuples concluent entr’eux unTrai- te ; ils n’ont comme les particuliers d’autre objet en vue que leur bonheur & leur avantage reci- proque. Cette reciprocity davantages n’exifte- t-elle plus? de ce moment le traite eft nul; l’un des deux peut le rompre. Ledoit-il ? Non : s’il n’en refulte pour lui qu’un dommage peu confi- derable. II eft alors plus avr.nt.igeux pour lui de fupporter ce petit dommage que d’etre regarde comme trop leger infrafteur de fes engagemens. Or dans les motifs memes qui font alors obferver fon traite , on appercoit le droit qu’a toute Na¬ tion de l’arinuller , s’il devient entierement def- truftif de fon bonheur. II. Dans les pays defpotiques, ft le militaire eft interieurement ha'i & meprifd, e’eft que le Peuple ne vest dans ies Beys & les Pachas que fes geoliers & fes bourreaux. Si dans les Repu- bliques Grecques & Romaines, le foldat au con- traire etoit airrse &refpefte, e’eft qu’armd contre I’ennemi commun, il n’eftt point marche contre fes compatriotes. Il, Suffit-il qu’un sultan conunande en verm d’une son Education. Noths. 38$ id'une Loi pour rendre fon autoritd legitime ? Non : un ufurpateur par une Loi exprefte peut fe declarer Souverain, dira-t-on ao ans aprks que fon ufurpation eft Idgitime. Une telle opinion eft abfurde. Nulle fociete lars de fon etabliftement n’a remis ni pu remettre aux mains d’un homme le pouvoir de difpofer a fon gre des biens , de la vie & de la libertd des citoyens. Toute autorite arbitraire eft une ufurpation contre laquelle un Peuple peut toujours revenir. Lorfque les Romains vouloientenerver le cou¬ rage d’un Peuple, eteindre fes lumieres, avilir fon ame, le retenir dans lafervitude, que fai- foient-ils? ils lui donnoient unDefpote. Cleft par _ce moyen qu’il s’aflervirent les Spartiates & les Bretons. Or tcute conftitution imaginee pour corrompre les moEursd’un peuple^ toute forme degouvernement que le vainqueur impofea cet effet au vaincu, ne peut jamaif etre citee comme jufte & legale. Eft-ce un gouyernement que celui ou tout fe reduit a plaire, a obeir au Sultan , ou Ton rencontre.ca & la quelque habi¬ tant & pas un citoyen. Tout peuple gemiftant fous le joug du pouvoir arbitraire a droit de le fecouer. Les Loix facrees font les Loix confbrmes a 1 merer public. Toute Loi contraire n’eft pas une Loi,c’eft un abus legal. 13. Un Defpote n’a pas recu de la Nature ks forces neceffaires pour feumettre lui feul une Na¬ tion. II nel’aflervit qu’a I’aide de fes Janiflaires, de fes Soldats & tie fon Armde. Deplait-il a cette Armee? Serevolte-t-elle? alors privede fon fou~ lien , il eft fans force. Le feeptre echappede fes Tome IL R 5 86 D E l* H O M M E ; mains; il eft condamne par fes eomplices. On ne Je juge point, on le tue. il en eftautrementd’un Prince qui regne fous 1’autorite desMagiftrats & desLoix. Suppofonsqu’ilcommetteun crime pu- niifable par ces memes Loix , il eft du moins en- tendu dans fes defenfes, & la Ienteur de la proce¬ dure lui laifte toujours le terns de prevenir font jugement en reparant fes injuftices. Le Prince fur le trone d’une Monarchic modd- ree eft toujours plus fermement affis que fur ce- lui du Defpotifme. 14. Lajuftice du Ciel fut toujours un myftere. L’Eglife penfoit autrefois que dans les duels ou les batailles Dieu fe rangeoit toujours du cote de 1’offenfe. L’experience a dementi l’Eglife. L’on fait que dans les combats particuliers le Ciel eft toujours du cord du plus fort & du plus a droit y & dans les combats gencraux, du cote des xneil- leures troupes & du plus habile Genera. 15 . Pern de Philofophes ont nie l’exiftence d’un Dieu phyfique. » Il eft une caufe de ce qui r> eft, & cette csule eft inconnue”. Or qu’on lui donne le nom deDieucutcutautre: qu’importe? Les difputes a ce fujet ne font que des difputes de mots. Il n’en eft pas ainfi du Dieu moral. L’op- pofition qui s’eft toujours trouveeentre la juftice de la terre 8c celle du Ciel en a fouvent fait nier resilience. D’ailleurs , a-t-on dit, qu'eft-ce que la Morale ? Le recueil des conventions que les befoins reciproques des hcmmes les ont neceifttd de contradler entr’eux. Or comment faire un Dieu de (’oeuvre des hommes ? 16. La preuve de notre peu defoi eft le me- son Education. Notes. 387 pris connu pcur quiccnque change de Religion. Rien funs dt utede plus louable que d’abandonner une erreur pour embrafier la verite. D’oii nait done notre mepris pour les nouveaux converts ? De la convidlion obfeure ou Ton eft que routes les Religions font egalement fauffes deque quicon- que en change, s’y determine par un interetfor- dide & par confdquent meprifable. 17. Si la Morale des /Suites eut ete 1 ’cruvre d’an Laic, die cut ete condamnee auditor qu'im- primee. II n’eft point de perfecutions que n’eiit eprouvees fon Auteur. Sans les Parlemens cette Morale neanmoins etcit en France la feule gencialemcnt enfeignee. Les Eveques 1 ’approuvoient. La Sorbonne crai- gnoit les Jefuites. Cette crainte rendoit leurs principes reipedhbles. En caspareil, ce n’eft pas la chofe, e'eft I’Auteur que Je Clerge juge, il eut toujoursdeuxpoids & deux mefures St.Tho¬ mas en eft un exemple. Machiavel duns fon Prin¬ ce n’avanca jamais les propofitions que ce Saint enfeigne dans fon Commentaire fur la cinquieme des politiques Texte 11. Voyez fes propres mots. » Ad Salvationem tyrannidis, excellentes im- x> potentil, vel diviriis interficere; quia tales » per petentium quam habent, poffunt infurgere y> contra tyrannum. Iterum e'/pecit interficere ,, Sapientes. Tales enim per fapientiam eorum , „ poifunt invenire vias ad expellendam tyranni- ,, dem. Nec fcholas, nec ailas congregationes ,, per quas contitigit vacate circa fapientiam per- » mittendum eft. Sapientes enim ad magna in- clinantur } & idea magnanimi funt dc tales R 3 , 13 E t’ H O M M E „ facile infurgunt. Ad falvandam tyrannidem „ oportet quod tyrannus procurer ut fubditi lm- „ ponant fibi invicem crimina , & turbent fe ip. „ fos , ut amicus amicum, & populus contra di- „ vites , & divites inter fe diffentiant. Sic enim ,, minus poterunt infurgere propter eorum di- „ vifionem. Oportet etiam fubditos facere pau- ,, peres; lie enim minuspoterunt infurgere con- t , tra tyrannum. Procreanda funt vecligalia, hoc „ eft, exaftiones mult® magnte ; ftc enim citb „ poterent depauperari fubditi. Tyrannus debet ,, procurare bella inter fubditos vel etiam extra- „ neos, ita ut non poftint vacare ad aliquid trac- „ tandum contra tyrannum. Regnum falvatur ,, per amicos. Tyrannus autem ad falvandam ty- „ rannidem non debet confidere amicis”. Texte II., il a/out-a. „ Expedit tyrannus ad falvandam tyrannidem „ quod non appareat fubditis fatvus, feu crude- „ lis. Nam ft appareat fasvus, reddit fe odiofum. „ Ex hoc autem facilius infurgunt in eum, fed ,, debet reddere reverendum propter excellent „ tiam alicujusboniexcellentis.Reverentia enim „ debetur bono excellenti; & ft non habeat bo- „ num illud excellens, debet fimulare fe habere „ illud. Tyrannus debet fe reddere talem ut vi- „ deatur fubditis ipfum excellere in aliquo bono „ excellenti in quo ipfi deficiunt, ex quo eum „ reverentur. Si non habeat virtutes, fecundum „ veritatem facjat ut opinentur habere eas ”. Voici la tradudlion de ce paflage par Naude. ,, Pour tnaintenir la tyrannie, il faut faire mourir les plus puiftans & les plus riches , Son Education. Notes. 385? j, parce que de rels gens fe peuvent foulever ,, contre Ie tyra n par le rrtoyen de l’autoritdqu’ifs „ ont. II eft auffi neceffaire de fe defaire dcs ,, grands efprits & des homines faVans, parce „ qu’ils peuvent trouver par leur fcienc^Jes „ moyens de ruiner la tyrannie. 11 fte faut pas ,, meme qu’il y ait des ecoles, ni autres congre'- j, gations par le rhoyeri defquelles on puifie ap- „ prendre les fciences; car les favans.ont de 1’in- „ clination pour les chofes grandes, & font par ,, confequent courageux & magnanirrtes, & de „ tels hommes fe foulevent facilement contre „ les tyrans. Pour maintenir la tyrannie, ilfaut » que les tyrans falfent en forte que leurs Sujets » s’accufent les uns les autres & fe troublent » eux-memes; que 1’afni perfe'cute I’ami, &qu’il » yak de la dilfenfion entre le rheme peuple 8c » les riches, & de la difcorde entre les opulens; » car en le faifant ils auront moins de moyens » de fe foulever a caufe de leurs divifions. II faut x> aufii rendre pauvres les Sujets , afin qu’il leu» » foit d’autant plus difficile de fe foulever contre » Ie tyran. Il faut etablir des fubfides, c’eft-a- » dire, de grandes exactions & en grand nom- » bre ; car c’efi lemoyen de rendre bientot pau- » vres les Sujets. Le tyran doit aufii fufciter des *> guerres parmi fes Sujets & meme parmi les » etrangers, afin qu’ils ne puiflent negocier au- » cune chofe contre lui. Les Royaumes fe main- » tiennent par le moyen des amis, maisun tyran » ne fe doit fier a perforine pour fe conferver en x> la tyrannie. » Il ne faut pas qu’un tyran pour fe rcaintenJ, *3 59® D e eTI o m m e, n dans la tyrannie parciffe a fes Sujets etre cruel: » car s’ll lenr paroi't tel, il fe rendodieux : ce qui » les peut Lire plus facilement foulever contre » lui; mais i! djit fe rendre venerable par l’ex- » cellence de quelqu’eminente vertu : car on » doit toute forte de refpeft a la vertu ; & s’il » n’a pas cette qualite excellente, il doit faire » femblant qu’il la po/lede. Le tyran fe doit ren- » dre tel qu’il femble a fes Sujets qu’il poffede » quelqu’eminente vertu qui leur manque & pour » laqueile ils lui portent refpeft. S’il n’a point de » vertus , qu’il faffe en forte qu’ils croient qu’il » en ait. ” Telles font fur cefujet les ideesde St. Thomas. Qu’il ait regarde la tyrannie ccmmeuneimpiete, ou non; jeremarquerai avec Naude que voila des pre'ceptes bien etranges dans la bouche d’un Saint. J’oblerverai de plus queMachhvel dans fon Prin¬ ce, n’eft que le commentateur de St. Thomas. Or en prefentant les memes idees, ft l’un de ces Ecrivains eft fanftine, ft fes Ouvrages approuves font mis dans les mains de tout le monde , & ft l’autre au contraire eft excommunie & fon Livre condamne, il eft evident que l’Eglife a deux poids & deux mefures, & que fon inte'ret feul difie fes jugemens. 18. Les Moines difputent encore, ils ne rai- fonnent plus. Combat-on leurs opinions ? Leur fait-on des obje&ions ? N’ypeuvent-ilsrepondre? Ils affurent qu’elles font depuis long-terns refo- Iues , & dans ce cas cette reponfe eft reellement la plus adroite. Les Peuples, il eft vrai, main- son Education. Notes. 351 tenant plus eclaire's favent que le Livre defendu eft le Livre dont les maximes font en general les plus conformes a l’interet public. 19. Si l’efpoir de la recompenfe peut feul ex¬ citer l’homme a la recherche de la verite, 1’indif- fdrence pour elle fuppofe une grande difpropor.- tion entre les recompenfes a trochees a fadecou- verte & les peines qu’exige fa recherche. Pour- quoi la verite dectuverfe, un auteur eft-i! fi fou- vent en but a laperfecution ? C’eft que Fenvieux & le media nt ont interet de le perfecuter. Pour- quoi le public prend-il d’abord parti contre le Philofophe? C’efl que le public eft ignotant, & que feduit d’abord par les cris des fanatiques , il s’enivre de leur fureur. Mais il en eft du public comme de Philippe de Macedoine ; on peut tou- jours appeller du public ivre au public a jeun. Pourquoi Iespuifians font-ils rarement ufagedes verites de'couvertes par le Philofophe ? C’eft qu’ils s’interelfent rarement au bien public. Mais fup¬ pofe qu’ils s’en occupaffent, qu’ils protdgealfent la verite , qu’arrive-t-il ? Qu’elle fe prcpagetoit avec une rapidite incroyable. 11 n’en eft pas ainfi de l’erreur. Eft-elle favorifee du Puiffant ? Elle eft gendralement, mais non univerfellement adoptee. Il refte toujours a la vdrite des par ifans fecrets. Ce font, pour ainfi dire , autant de con¬ jures toujours prets dans l’occafion a fe declarer pour elle. Un mot du Souverain fuftit pour de¬ mure une erreur. Quant a la verite fon germe eft indeftructible. Il eft fans doute fterile, ft le Puiffant ne le feconde: mais il fubfifte & fi ce R 4 39" Be l’ Homme ; germe doit fon ddveloppementau pouvcir, il doit fon exiftence a la philofophie. 2.0. Parmi les Eceldfiaftiques, il eft fans doute des hommes honndes, heureux &fans ambition ; mais ceux-la ne font point appelles augouverne- ment de ce Corps puiffant. Le Clerge toujours re'gi. par des intriguansfera. toujours ambirieux. 21. L’Eglife toujours occupee de fa grandeur xeduifit toutes les vertus chrdtiennes al’ab/tinen- ce, a rhumilite, a l’aveugle foumiftion. Elle ne prechajamaisl’amourdelaPatrie, ni del’humanite. 22. Si l’Eglife defendit quelquefois aux Laics !e menrtre du Prince, elle fe le permit toujours. Son hiftoire le prouve. II eft vrai, difent les Iheologiens queles Papes ont de'pofd les Souve- rains , preche contr’eux des Croi fades bearifie des Cldments ; mais ces Ldgereces font des fautes du Pontife .& non de l’Eglife. Quant au filence coupable garde a ce fujet par IesEveques, il fut, ajoutent-ils, l’effet de leur politeffe pour le St. Siege &: non d’une approbation donnee a fa con- duite. Mais doivent-ils fe taire fur de pareils cri¬ mes , & s’elevc-r avec tant de fureur contre l’in— terpretation pretendue finguliere que Luther & Calvin donnoient a certains paffages des Ecritu- res l Eft-il permis de pourfuivre l’erreur, lorf- qu’on tolere les plus grands forfaits ? Tout hom- me fenfe apercoit dans la conduite perpetuelle- ment equivoque de l’Eglife , qu'elle n’eut reelle- ment qu’un but r ce fut de pouvoir felon fes inte- rets divers tour-a-tour approuver ou defapprou-* ver les memes adioas. son Education. Notes. 393 Eoint de preuve plus evidente de fon ambition que le projet concu par les Jefuites d’affocier a leur Ordre les Grands, les Princes & jufqu’aux Souverains. Par cette affociation dans laquelle tant de grands dtoient deja entres; les Rois devenus Sujets des Jeluites & de leur General, n’etoient plus quelesvilsexe'cuteurs de leursperfecutions. Sans lesParlemens, qui fait fi ce projet fi har- diment concu n’cut pas reulTi! 23. L’Inquifition n’eft pas recue en France, Cependant, diral'Eglife, l’on y emprifonne a ma Pollicitation le Janfenifte , le Calvinifte Sc le Deifte. On y reconnoit done tacitement le droit que j’ai de perfecuter. Or ce droit que le Prince me donne fur fes Sujets, je n’attends que l’occa- fon pour le reclamer fur lui-meme Sc fur les Magifrrats. 24. L’Eglife fe dit epoufe deDieu & je ne fais paurquei. L’Eglife eft une affemblee de fideles. Ces fideles font barbus ou non barbus , chaufles ou dechauiTes, capuchonnes ou decapuchonnes. Or qu’une telle allemble'e foit 1’epoufe de la di- vinite, e’eft une pretention trop folle & trop ridicule. Si le mot Eglife eut ete mafcuiin, com- merit eut-on confcmme ce mariage ? 25. L’Eglife de France refufe m.iintenant an Pape le droit de difpofer des Courcnnes, Mais le refus de cette Eglife eft-il fine ere? Eft—il i’efFet de fa convtclion ? C’eft a fa conduite pa/Tee a nous en inftruire. Quel refpeft le Clerge peut-il avoir pour une Lei humaine, lui qui croit en qualite d’interprece de la Loi divine, pouvoirla changer Sc la modifier a fon gre ? Quieonque D £ l’ H o to .M 1 1 sell cree le droit d’interpreter une Loi, finit tou- jours par la faire. L’Eglife en confequence s’eii fait Dieu. Audi rien de moins reflemblant que la Religion de Jelus & la Religion actuelle des Papiftes. Quelle furprife pour les Apotres, fi rendus au monde, ils lifoient un catechifme qu’ils n’ont point fait; s’ilsapprenoient que n’agueres l’Eglife interdifoit aux Laics la leciure meme des Ecritu- res fous le vain pretexte qu’elles etoient fcanda- leufes pour les foibles ! Je cirerai a ce fujet un fait fmgulier : c’eft un afle du Parlement d’Angleterre rendu en 1414. Par cet A&e , il ell defendu fous peine de mort de lire l’Ecriture en langue vulgaire , c’eft-a- dire, dans une langue qu’on entende. Et quoi! difent les Rtformes, Dieu r a Re ruble dans un Li~ vre les devoirs qu’il impale a 1’lioinme, & ce Dieu fi fage , fi eel;,ire y auroit fi obfeurement explique fes volontes qu’on ne pourroit le lire fans interprete ? Quoi l’etre puiilant qui a cree Ehomme n’auroit pcs connu la pertee de fon ef- prit ? O Pretres quelles idees avez vous done de la fageffe & de l’intelligence divine ? Le jeune homme d’Abbeville pourfuivi pour de pretendus blafphemes en a-t-il jamais pro¬ nonce d’auffi horribles ? Cependant on le mit a mort, & l’on vous refpefte. Tant il eft vrai qu’il n’y a qu’heur & malheur fur la terre , & qu’en ce monde il 11’eft d’homme jufte que le Puiffant. 16. Les gcuvernemens font juges des actions & non des opinions. Que j’avance une erreur groffiere, j’en fuis puni par le ridicule & le me-; son Education. 'Notes. 39$ pris. Mais qu’en confequence d’uneopinion erro- nee , j’attente a la lifcertede mes femblables, c’eft alors que je deviens criminel. Que devot adorateur de Venus je bride le Temple de Serapis, le M3giftrat doit me punir , non comme herdtique s mais comme perturbateur du repos public , comme un homme injufte Sc qui libre dans 1’exercice de fon culre, veut pri- ver fes ccncitoyens de la liberte dont il j ouit. 27. L’expulfion des Jefuites fuppofoit en Ef- pagne &en Portugal des Miniftresd’un carafiefe ferme Sc hardi. En France les lumieres deja re- pandues dans la Nation faciliroient cetre cxpul- fion. Si le Pape s’en fut plaint trop amdrement , fes plaintes euftent paru deplacees. Dans une Lettre ecrite au fujet de b condam- narion du Mandement de M. de Soiffons par la congregation du Sr. Office, un verrueux Cardi¬ nal remontre au St. Pere, » qu’il eft certaines >3 pretentions que la Cour de Rome devroit en- 33 fevelir dans un fdence & un oubli eternel , 3 > fur-tout, ajoute-t-il, dans ces terns malheu- »3 reux & deplorables ou les incredules & les im- >3 pies font fufpecler la fidelite des Miniftres de »la Religion 33. Or que ftgnifient dans la langue ecclefiaftique ces mots d’incredules Sc d’impies ? Les oppofans a la puiffance du Clerge. C’eft done aux incre- dules que les Rois doivent leur furetd, les Peu- ples leur tranquillite, les Parlerhens leur exis¬ tence , & l’ambition facerdotale fa referve. Ces pretendus impies doivent etre d’autant plus chers a la Nation Francoife, qu’elle n’a rien a en re- R 6 396 d e i’h o m m e; douter. Les Philofophes ne forment point de Corps. Ils font fans credit. I! eft d’ailleurs im~ poffible qu’en qualite de fimples citoyens , leur interet ne foit pas toujours lie' a l’interet public , parconfsquentacelui d’ungouvernement ecJaire. a8. Dans les Pays catholiques, quel moyen de former. des citoyens vertueux ? l’inftrucUon de la jeunefte y eft confide aux Pretres. Or l’in¬ teret du Pretre eft prefque toujours contraire a celui de l’Etat. Jamais le Pretre n’adoptera ce principe fondamental de tour.es les verrus, favok » que la juftice de nos adions depend de leur >•> conformite avec l’interet general ». Un tel principe huit a fes vues ambitieufes. D’ailleurs fi la Morale , comine les autres faiences ne fe perfefrionne que par le terns Sc L’expe'rience , il eft evident qu’une Religion quj pretend en qualire de rev t lee , avoir inftruit I'iiomme de tous fes devoirs , s’oppofe d’autant plus efficacement a la perfedion de cette meme faience-, qu’elle ne laifle plus rien a faire au genie & a l’expsrience. 2.9. Dans le moment ou la France faifoit la guerre aux Anglois , les Parlemens !a faifoient aux* Je’fuites & la Cour devote prenqit partipour. les derniers. En confequence tout y etoit rempli d’intrigues eccleiiaftiques. On feferoit cru. volon- tsers a la fin.du regne de Louis XIV. L’on com— proit alors a Verfailles peu d’jionnetes gens & teaucoup de bigots. L’on me demandera fans doute. pourquoi je? regards la bigoterie comme fi funefte aux Etatsp 1 'Efpagne, dira-t-on j.iubfnle, & l’Efpagne nfa son Education. Notes. 5^97 point encore fecoue le joug de Plnquifition, j’en conviens. Mais cet Empire eft foible; il n’infpire point de jaloufie ' il ne fait ni conquete, ni commerce^ L’Efpagne eft ifolee dans un eoin de FEurope. Elle ne peut dans fa pofition a&uelle attaquer ni etre attaquee. Il n’en eft pas de meme de tout autre Etar. La France, par exemple, eft enviee & redoutee : elle eft ouverte de toutes parts: fon commerce Ibutient fa puillance, & fon genie foutient fon commerce. Il n’eft qu’un moyen d’y entretenir Vinduftrie, c’eft d’y etablir un gou- vernement doux, oil l’efprit conferve fon reffort & le citoyen fa liberte de penfer. Que les tene- bres de labigoterie s’etendent encore enFrance, fon induftriedimimiera &fa puiftance s’affoiblira journeUemenr. Une Nation fuperftitieufe comme une Nation foumife au pouvoir arbitraire, eft bientot fans moeursjfans efprit, & par confequent fans force. Rome , Conftantinople & Lifbonne en font la preuve. Si tous les habitans s’y livrent a la inol- Jefte, a la volupte, qu’on ne s’en etonne point % c’eft uniquement de fes fens dont on fait ufage, lorfqu’il n’eft plus permis d’en faire de fon efprit* ’eoS De l’Homme, SECTION X. De la puifiance de 1’inftrucHon : des moyens de la perfe&ionner : des" obf- tacles qni s’oppofent aux progres de cette fcience. De la facilite avec laquelle , ces obftacles leves, Ton traceroit le plan d’une excel¬ lence education. CH A PITRE I. L’education peut tout. La plus forte preuve de la puiffance de l’edu- cation eft le rappott conftamment obferve entre la diverfite des inftru&ions & leurs produits ou refultats differens. Le Sauvage eft infatigable a la chafle : il eft plus leger a la courfe que l’hom- me police (a) parce que le Sauvage y eft plus exerce'. L’homme police eft plus inftruit: il a plus d’idees que le Sauvage, parcequ’il recoitun plus grand nombre de fenfations differentes, & qu’il (a) La fagacit6 des Sauvages pour reconnoitre la trace d*un homme a travers les forets , eft incroyable. Ils diftin- guenta cette trace quelle eft, Sc fa Nation , & fa confor¬ mation particuliere. A quoi done rapporter a cet egard ia son Education. Chap. I. 399 eft par fa pofition plus intereffe a les comparer entr’elles. L’agilite fuperieure de l’un , les connoiffances multipliers de l’autre,font doncl’effet de la diffe¬ rence de leur education. Si les hommes communement francs, loyals, induftrieux & humains fous un gouvernement libre , font bas , menteurs, vils , fans genie & fans courage fous un gouvernement defpotique, cetre difference dans leur caradlere eft l’effet de la differente education recue dans l’un ou l’autre deces gouvernemens. Paife-t-on de diverfes conftitutions des Etats aux differentes conditions des hommes 7 Se de- mande-t-on la caufe du peu de juftefi'e d’efprit des Theologiens ? On voit qu’en general s’ils ont l’efprit faux, c’eft que leur education les rend tels: c’eft qu’ils font a cet egard plus foigneufe- ment eleves que les autres hommes ; c’eft qu’ac- coutumes des leur jeunelfe a fe contenter du jar¬ gon de l’Ecole, a prendre des mots pour des chofes, il leur devient impoffible de diftinguer le menfonge de la verite & le fophifme de la dd- monftration. Pourquoi les Miniftres des autels font-ils les plus redoutes des hommes? Pourquoi, dit Iepro- verbe Efpagnol, » faut-il fe garer du devant de » la femme, du derriere de la mule, de la tetedu » taureau, & d’un Moine de tous les cote's » ? Les proverbes prefque tous fondes fur 1’expe- fuperiorite des Sauvages fur 1 ’homme police' ? A la multi¬ tude de leurs experiences. L’efprit en tous les genres eft fils de i’obfetvation. *40(5 De l’Homme“ rience font prefque toujours vrais. A quoi done? attribuer la mechancete du Moine ? a ion edu¬ cation. Le Sphinx, difoient les Egyptiens, eft l’Em- bleme du Pretre : le vifage du Pretre eft doux t modefte, infinuant; & le Sphinx a celui d’une fille; les ailes du Sphinx le declarent habitant des Cieux : fes griffes annoncent la puiftance que la fuperftition lui donne fur la rerre. Sa queue de ferpent eft le figne de fa fouplefte : comme le Sphinx , le Pretre propofe des enigmes , & pre- dpite dans les cachots quiconque ne les inter- prete point a fon gre. Le Moine en effet accou- tume des fa premiere jeunefl'e a l’hypocrifie dans fa conduite & fes opinions, eft d’autant plus dangereux qu’il a plus d’habitude de la diffimu- lation. Si le Religieux eft le plus arrogant des fils die la terre, e’eft qu’il eft perpetuellement enor- gueilli par l’hommage d’un grand nombre de fuperftitieux. Si l’Eveque eft le plus barbare des hommes , e’eft qu’il n’ell point comme la plupart expo/e au befoin & au danger ; e’eft: qu’une education molle & effeminee a rapetifte fon caradere; e’eft qu’il eft deloyal & poltron, & qu’il n’eft rien, ditMontagne, de plus cruel que lafoiblejfe &; la coiiardife. Le Militaire eft dans fa jeunefie communi- ment ignorant & libertin. Pourquci ? e’eft que rien ne le neceffite as’inftruire. Dans fa veilleife, il eft fouvent fot & fanatique , pourquoi? e’eft que l’age du libeninage pafie } fon ignorance; doit le rendre fuperftitieux. SON EDUCATION. Chap. 1 . 401 11 eft peu de grands talens parmi les gens du Tnonde, & c’eft l’effet de leur Education, celle de leur enfance eft trop negligee. On ne grave alors dans leur memoire que des iddes faufles & pudnles. Pour y en fubftituer enfuite de juftea & de grandes, il faudroit en effacer les pre¬ mieres. Or c’eft toujours l’ceuvre d’un long tems & l’on eft vieux avant d’etre homme. Dans prefque routes les profeftions la vie in£> trudive eft tres-courte. Le feul moyen de l’al— longer , c’eft de former de bonne heure le juge- ment de l’homme. Qu’on ne charge fa mdmoire que xfidees claires & nettes, fon adolefcence fera plus eclairde que ne l’eft maintenant fa vieil- lefte. L’education nous fait ce que nous lommes. Si des l’age de fix on fept ans le Savoyard eft deja dconome, adif, laborieux & fidele , c’eft qu’il eft pauvre, c’eft qu’il a faim, c’eft qu’il vit, comme je l’ai deja dit, avec des compatriotes doues des qualites qu’on exige de lui; c’eft qu’en- fin il a pour inftituteur l’exemple & le befoin, deux maxrres imperieux auxquels tout obeit (a). La conduite uniforme des Savoyards tient a la reftemblance de leur pofition, par confequent a 1’uniformite deleur education. Il en eft de rndrne de celle des Princes. Pourquoi leur reproche- t-on a-peu-pr£s la meme education ? c’eft que (a) A-t-on des I’enfance contra&e l’habitude du travail, cfe l’economie, de la fidelife ? L’on s’arrache difficilement a cette premiere habitude. L’on n’en triomphe meme que par un long commerce avec des fripons 011 par des paf- fions extremement fgrtes. Or lespaffipas de cette efpese feat rares. 401 D e l’ Homme, fans interet de s’eclairer , il leur fuffit de vouloir pour fubvenir a leurs befoins, a Ieurs fantaifies. Or qui peut fans talens & fans travail fatisfaire les uns Sc les autres, eft fans principe de lu- mieres Sc d’a&ivite. L’efprit Sc les talens ne font jamais dans les hommes que le produit de leurs defirs , Sc de leur pofition (a) particuliere. La fcience de I’education (a) C’eft au malheur , c’eft a la durete de leur educa¬ tion que l’Europe doit fes Henri IV, fes Elizabeth , fe$ Princes Henris, fes Princes de Brunswich, er.fin fes Fre¬ derics. Cell au berceau de I’infortune que s’ailaitent les Grands Princes. Leurs lumieres font communement pro- portionnees au danger de leur pofition. Si I’ufurpateur a prefque toujours de grands talens , c’eft que fa pofition I’y necefiite. II n’en eft pas de merr.e de fes defcendans. Nes fur le Trone. s’ils font prefque toujours fans gdnie , s’ils penfent peu, c’eft qti’ils ont pen d’interet de penfer. >L’amour du Sultan pour le ponvoir arbitraire eft en lu* I’effet de fa parefte: il vent fe fouftraire al’eiude des Loix; il defire d’echapper v la fatigue de 1’attention, & ce defir n’agit pas moins fur \z Vifir que fur le Souverain. On ignore {’influence de ia parefs hurr*a\ne fur les divers gou- vernemens. Peut-etre fuis-je le premier qui fe foit app'er- de la conftante proportion qui fe trouve entre les lu- mieres des citoyens, Ia force de leurs pa{fions,la forme de leurs gouvernemens & par conf^quent Tinteret qu’iis ont de s’eclairer. L’homme de la Nature oil le Sauvage uniquement occu- pe de pourvoir a fes befoins phyfiques , eft moins eclaire que l’homme police. Mais parmi ces Salvages , les plus fpirituels font ceux qui fatisfont le plus difficilement ces memes befoins. En Afrique quels font les Peuples les plus ftupides? Les liabitans de ces forets de palmiers dont le trone, les feuil- les & les fruits fourniftent fans culture a tous les befoins del’homme. Le bonheur lui-meme peut quelquefois en* gourdir 1’efprit d’une Nation. L’Angleterre produit main- tenant peu d’exceilens Ouvrages moreaux & politiques. Sa difette a cet egadd eft peut-etre l’effet de la felicite pu« Clique. Peut-etre les ecrivains celebres n# doivent-ils e§ son Education. Chap. I. 405 fe reduit peut-^tre a placer les hommes dansune pofition qui les force a l’acquifition des talens & des verrus defirees en eux. Les Souverains a cet egard ne font pas tou- jours les mieux places. Les grands Rois font des phenomenes extraordinaires dans la Nature. Ces phenomenes long-tems efp&es n’apparoiffent que rarement. C’eft tou/ours du Prince fucceffeur qu’on attend la re'fbrme des abus : il doit operer des miracles. Ce Prince monte fur leTrone. Rien ne change, & l’adminiftration refte la merae. Par quelle raifon en effet un Monarque fouvent plus mal-eleve que fes Ancetres , feroit-il plus ^claird ? En tous les terns les mSmes caufes produiront toujours les memes effets. jjgsae--ja9tk— _+^ i nnTj^ g— CHAPITRE I I.j De l'education des Princes. » %Jn Roi ne fur le Trone en eft rarement digne, dit un Poete Francois. » En general les Princes doivent leur genie a l’aufterit£ de leur Education, aux dangers dont fut entoure leur enfance , aux malheurs qu’enfin ils ont eprouves. certains pays le trifte avantage d’etre eclaires qu’au degre de malheur 8c de calamitefouslequelgdmiiTent leursCom- patriotes. La fouffrance portee a un certain point, e'claire. Por« tee plus loin, elle abrutit. La France fera-t-elle long-tems eelairee i 404 D e x’ HommE, L’education la plus dure eft plus faine pour ceux qui doivent un jour commander aux autres. C’eft dans les terns de troubles & de difcorde- que les Souverains recoivent cette efpece d’edu- cation. En tout autre terns, on ne leur donne qu’une inftru&ion d’etiquette aulfi imuvaife & prefqu’au/Ii difficile a changer que la forme du gouvernement dont elfe eft i’efFet (a). Qu’attendre d’une telle inftrttftion ? Quelle eft en Turquie l’education de 1’heritier du Tro- ne ? Le jeune Prince retire dans un quartier du ferail a pour compagnie & pour amufement une femnle Sc un metier de tapifferie : s’il fort de fa retraite , c'eft pour venir fous bonne garde faire chaque femaine vifite au Sultan. Sa vifite faite, il eft par la garde reconduit a fon appartement. II y retrouve la meme femme & Je mtme me'tier de tapiiTerie. Or quelle idee acquerir dans cette retraite de la fcience du gouvernement ? Ce Prince monte-t-il fur le Trone. Le premier objec qu’on lui prefente, c’eft la carte de fon vafte empire : ce qu’on lui recommande c’eft d’etre 1’amour de fes Sujets & la terreur de fes enne- mis. Que faire pour etre l’un & 1’autre ? II l’igno- re. L’inhabitude de Papplication Pen rend inca¬ pable : la fcience du gouvernement lui devient odieufe; il s’en degoute : il s’enferme dans fon harem, y change de femmes &: de vifirs, fait (a) Dans tout Empire defpotique ou les moeurs font corrompues , c’eft-a-dire, ou 1’interet particulier s’eft de- tache de l’interet public, la mauvaife educatron du Prin¬ ce eft l’effet neceflaire de la mauvaife forme de ce gou* ^ernement.Twti’QriyJrt Le preuve. sou Education. Chap. II. 405 empaler lesuns, donner labaftonade auxautres, & croit gouverner. Les Princes font des hommes & ne peuvent en cette qualite porter d’autres fruits que ceux de leur inftru&ion. En Turquie, & Sultan, & Sujet, nul ne penfe. II en eft de meme dans les diverfes Cours de I'Europe, a mefure que l’education des Princes s’y rapproche de l’educarion orientale. Le refultat de ce Chapitre c’eft que les vices & les vertus des hommes font toujours 1’efFet & de leur diverfe pofition & de la difference deleur inftruftion. Ce principe admis fuppofons qu’on voulut refoudrepour chaque condition leproblemed’une excellente education , que faire ? Determiner i e . quels font les talens ou les vertus eflentielles-a 1’homme de telle ou telle profeffion. Indiquer z u , les moyens de le forcer a l’acqui- fition + I, de ces talens & de ces vertus. L’homme en general ne reflechit que les idees de ceux qut l’environnent • & les feules vertus qu’on foit fur de lui faire acquerir, font les ver¬ tus de neceffire. Perfuade' de cette verite, que je veuille infpirer a mon fils les qualitds fociales, je lui do nnerai des camarades a-peu-pres de fa force & de fon fige : je leur abandonnerai a cet egard le foin de leur mutuelle education , & ne les ferai infpeifter par le Maitre que pour mode- rer la rigueur de leurs corrections. D’apres ce pland’education, jefuis furfimon filsfaitle beau, I’impertinent, le fat, le dddaigneux, qu’il ne le fgra pas long-tetns. 4o£ D e l’ H o m m e , Un enfant ne foutient point a la longue le mepris , l’infulte & les railleries de fes camara- des. II n’eft point de defaut focial que ne corrige un pareil traitement. Pour en affurer encore plus le fucces, il faut que prefque toujours abfent de la maifon paternelle , l’enfant ne vienne point dans les vacances & les jours de conge, repuifer de nouveau dans la converfation &: la conduite des gensdu monde les vices qu’ont decruit en lui fes condifciples. En general la meilleure education eft celle ou 1’enfant plus eloigne de fes parens , mele moins d’idees incoherentes a celles qui doivent l’occu- per * 2 . dans le cours de fes etudes. C’eft la raifon pour laquelle 1’education publique l’emportera toujours fur la domeftique. Trop de gens neanmoins font fur cet objet d’un avis different pour ne pas expoferles motifs de mon opinion. ^—s====s&SSSb&sss== ^ CHAPITRE III. Avantages de V'education publique fur lei domefique. T JLaE premier de ces avantages eft la foluhrit* du lieu oil la jennejji peut recevoir fes inf truclions. Dans 1’education domeftique, l’enfant ha- bite la maifon paternelle } & cette maifon dans son Education. Chap. II . 40^ fes grandes Yilles eft fouvent petite & mal- faine. Dans l’e'ducation publique au contraire, cette maifon edifice a la Campagne peut etre fcien aeree. Son vafte emplacement permet a la Jeu- nelle tous les exercices propres a fortifier fon corps &: fa fante. Le fecund avantage eft la rigidite de la regie. La regie n’eft jam.iis auffi exaftement obfer- ve'e dans la maifon paternelle que dans une mai- fon d'inftruchon publique. Tout dans un college eft foumis a I’heure. L’horloge y commande aux Maitres , aux domeftiques; elle y fixe la duree des repas , des etudes & des recreations ; l’hor- loge y maintient l’ordre. Sans ordre point d’e- tudes fuivies : l’ordre allonge les jours : le de- fbrdre les racourcit. Letroifieme avantage, eft lemulation qu’elle infpire. Les principaux moteurs de la premiere jcu¬ re lie font la crainte & l’emulation. L’emulation eft produite par la comparai- fon qu’on fait de foi avec un grand nombre d’autres. De tous les moyens d’exciter l’amour des ta¬ lents & des verms , ce dernier eft le plus fur. Or l’enfant n’eft point dans la maifon paternelle a portee de faire cette ccmparaifon & fon inf- truftion en eft d’autar.t moins bonne. Le quatrieme avantage eft Vintelligence des Injlituteurs. Parmi les homtnes, par confequent parmi les peres, il en eft de ftupides & d’dclaires, Les 3{.oS t X ■£’ H O M M premiers ne favent quelle inftruftion donner a leur fils. Les feconds Ie favent : mais ils igno- xent la maniere dont ils doivent leur prdfenter leurs idees pour leur en faciliter la conception. C’eft une connoiffance pratique qui bientot ac- quife dans les colleges, foit par fa .propre expe¬ rience , foit par une experience traditionelle, manque fouvent aux peres les plus inftruits. Xe cinquieme avantage de l’education publi- que eft fa fcrmete. L’inftru&ion domeftique eft rarement mire & courageufe. Les parents uniquement occupes de la confervation phyfique de l’enfant, crai- gnent de le chagriner, ils cedent a toutes fes fantaifies & donnent a cette lache complaifance le titre d’un amour paternel {a). Tels font les divers motifs qui feront ton- jours preferer I’inftrudion publique a 1’jnftruc- tion particuliere. La premiere eft la feule dont on puilTe attendre des patriotes. Eile feule peut lier fortement dans la memoire des citoyensl’i- (a) Point tie mere qui ne pretende aimer eperduement fen ms. Mais par ce mot aimer , fi Ton entend s’occuper ■du bonheur de ce fils & par consequent de Ton inifru&ion, prefqu’aucune qu’on ne. puifie accufer d’indifference. Quelle mere en effet veiile a ^education de fes enfans , lit fur cet objet les bonnes chofes, &fe met feulement en etat de les entendre ? En feroit-il ainfi s’il s’agiftbit d’ua proces important ? non. Point-de femme aiors qui ne con- fillte , -qui ne vifite fon avocat, qui ne life fes fa&ums, Celle qui neferoit ni l’un,mi I’autre, feroit cenfee inaif- ferente a la perte de cep races. Le degre,d’intecet mis a telle ou telle chofe doit tou'jours fe mefurer fur le degre de peine prife pour s’en inftruire. Or qu’on applique ce tte regie aux foins gene'ralement donnes a reducatiou des^eiv fans, rien de plus rare que l’amour raaterueL son Education. Chap. II. 40 j dee du bonheur perfonnel a celle du bonheur national. Je ne m’etendrai pas davantage fur ce fujet. J’ai fait fentir route la puiffance de l’edu- cation. J’ai pronve qu’a cet egard les effets font tou- jours proportionne's aux caufes. J’ai montre combien I’education publique eft preferable a ia domeftique. Ce feroit Je moment de detailler les obftacles prefqu’infurmontables qui dans la plupart des gouvernements s’oppofe a l’avancement de cetre fcience , & la facilite avec laquelle , ces obftacles leves, on pourroit perfeftionner l’education. Mais avant de donner ces details, il faut, je penfe, faire connoitre au Lefteur quelles font les diverfes parries de 1’inftrudlion fur lefquelles le Legiftateur do it porter/a principa/e attention. Jediftinguerai a cet effet deux fortes d’education ■ j’une phyfique , 1’autre morale. CHAPITRE IV. Idee generate fur Veducation phyfique. de cette efpece d’education eft de oanare l’homme plus fort , plus robufte, plus fain , par confequent plus heureux , plus gene- ralement utile a fa Patrie, c’eft-a-dire, plus pro- 7T Tome II. S 410 D s l’ H o m m i , pre aux divers emplois auxquels pent l’appeller 1’interet national. Convaincus de l’importance de l’education phyfique,les Grecs honoroientlaGymnaftique; + 3. elle faifoit partie de l’inftruetionde leur jeu- nelfe. Us employoient dans leur medecine non feulement comme un remede prefervatif, mais encore comme un fpdcihque pour fortifier tel ou rel membre afraibli par une maladie ou un ac¬ cident. Peut-etre defireroit-on que je prefentafle ici le tableau des jeux & des exercices des anciens Grecs. Mais que dire a ce fujet, qu’on ne trcuve dans les Memoires de l’Academie des Infcrip- tions , ou Ton decrit jufqu’a la inaniere dont les nourrices Lacedemoniennes elevoient les Spar- tiates & commencoient leur education. La fciencedela Gymnaflique etoit-clle portee chez les Grecs au dernier dsgre de perfection ? Je l’ignore. Ce ne feroit meme qu’apres le reta- bliffement de ces exercices qu’un Chirugien ha¬ bile & qu’un Medecin eclcire par une experience journaliere, pourroient determiner de quel de- gre de perfection cette fcience eft encore fuf- ceptible. Ce que j’obferverai a ce fujet, c’efl que fi feducation phyfique eft negligee chezj prefque tous les Peuples Europeens, ce n’eft pas que les gouvernements s’oppofent direfiement a la per¬ fection de cette partie de l’education ; mais ces exercices paffes de mode, n’y font plus encou¬ rages. Point de Loi qui dans les Colleges defence son Education. Chap. IV. 411' la conftrucHon d’une Arene ou les Eleves d’un certain age pourroient s’exercer a la luttc , a la courfe, au faut, apprendroient a voltiger , na- ger, jerter le cefte , foulever des poids &c. Or dans cette Arene conftruite a rimitation de celle des Grecs, qu’on decerne des prix aux vain- queurs, nul doute que ces prix ne rallument bientot dans la Jcunefle legout nature! qu’elle a pour de tels jeux. Mais peut-on a la fois exer- cer le corps & I’efprit des jeunes gens ? l’our- quoi non ? Qu’on fuppritne dans les colleges ces conges pendant lefquels l’enfant va chez fes pa¬ rents s’ennuyer ou fe diftraire de fes etudes , & qu’on allonge fes recreations journalieres, cet enfant pourra chaque jour confacrer fept ou huit heures a des dtudes ferieufes, quatre ou cinq a des exercices plus ou moins violens. II pourra a la fois fortifier fon corps & fon elprit. Le plan d’une telle education n’eft pas un chef- d’cEuvre d’invention. II nes’agit pour l’executer que de reveiller fur cet objet 1’attention des pa¬ rents. Une bonne Loi produiroit cet effet (a). (a) II faut une education male a la Jeunefle.Mais feroit* ce dans un fiecle de luxe , dans un ftecle ou l’on s’enivre de voluptes, ou la partie goiivernante ell effemin^e > qu’on en pent propoferle plan. La mollefte avilit line Nation. Mais qu’importe a la plupart des Grands Faviliftement de leur Nation ? leur feule crainte eft d’expoferun fils chdri au danger ci’un coup ou d’un rhume. II eft des peres dont la tendreffe eclairee- Sc vertueufe defire peut-etre des enfans fains robuftes , vigoureux & rendus tels par des exercices violens. Mais ft ces exercic s font paftes de mode , quel pere bravera le ridicule d’une innovation , & ce ridicule brave , quel moyen de reftfter aux cris, aux plaintes importunes d’une mere foible 6c puftllaniijie } a quelque prix que ce foit 412 D E l’ H o m m e, C’en eft aflez fur la partie phyfique de 1’educa- cation. Je paile a la morale : c’eft fans conrredit la moins connue. CHAP'ITRE V. Dans quel moment & quelle pofition I'hom- me ejl fufceptible d'une education mo¬ rale. jti/N qualite d’animal 1’homme eprouve des be- foins phyfiques & differents. Ces divers befoins font autaiit de genies mtelaires crees par la Na¬ ture pour conferver fon corps, pour eclsirer fon efprit. C’tir du chaud , du ixoid , de la foif, de la faim qu’il apprend a comber l’axc , a decocher la fleche , a tendre le filet, a fe couvrir de peaux, a conftruire des luttes &c. Tant que les indivi- dus epars dans les forets continuent de les habi- ter , il n’eft point pour eux d’education morale. Les vertus de fhomme police font I’amour de la on veut la paix de la maifon. Pour changer a cet egard les znoeurs d’im Peuple, il faut que le Legiflateur par une honte & une infamie falutaire, punifle dans les parens l’education trop molle des enfans ; qu’il n’accorde , com- me je l’ai deja dit, d’emplois militaires qu’a ceux dont la force de corps &: de. temperament aura ete eprouvee. Les peres alors feront intereffes a former des enfans forts & robuftes. Mais ce ived q.ue d’une telle Loi qu’on peut attendre quelques heureux changemens dans le phjc- iique de 1’ediicatiQn* SOU E DUCA TION. Chap. V. 413 juftice & de la Patrie : cclle de l’homme fauvage font la force & Padrefle. Sesbefoins font fes feufs inftituteurs , ce font les feuls cpnfervateurs de l’efpece, & cette confervation femble etre le feu! vau de la Nature. Lcrfque les hommes multiplies font reunis en fcciete ; lorfque la difette des vivres les force de cultiver la terre, ils font entr’eux des con¬ ventions, & 1’etudede ces conventions, donne milTance a la fcience de P education. Son objct eft d’infpirer aux hommes Pamour des Loix & des vertus fociales. Plus Peducation eft parfaite , plus les peuples font heureux. Sur quoi j’obfer- verai que les progr^s de cette fcience, comme ceux de la Legiflation , font toujours propor¬ tion nds au-x progresde la raifon humaineperfec- tionntfe par j’experience ; experience qui fup- pofe tou/ours la reunion des hommes en foeie'te. Alors on peut les confiderer fous deux afpects. 1°. Comme citoyens. i Q . Comme citoyens de telle ou telle prc- feftion. En ces deux qualites , ils recoivent deux fortes d’inftrudHons. La plus perfe&ionnee eft- la derniere. J’aurai peu de cbofe a dire a ce fu- ]et, & c’eft la raifon pour laquelle j’en ferai le premier objet de man examen. 4 T 4 Be l’ H o m H x, * 3 * CHAPITRE VI. De Veducation relative aux diverges pro- fejjions. esire-t-on cfinftruire un jeune hom - me dans tel art ou telle fciences ? les merries moyens d’inftruflron fe prefentent a tous les efprits. Je veux faite de mon fils un Tartini (a). Je luifais apprendrela Mufique. je taclie de l’y xendrc fenfible : je place des la premiere jeu- neffe fa main fur le manche du violon. Vcila ce tjti’on fait, & c’efl a peu pres ce qu’on peut faire. Les progres plns cu meins rapides de 1’enfant dependent enfuite de l’habilete du Maitre, de fa methode meilleure ou moins bonne d’enfeigner, enfin du gofit plus oumoinsvifque l’Eleve prend pour fon inftrument. Qu’un Danfeur de qorde deftine fes fils a fon metier : fi des leur plus tendre enfance, il exer- ce la foupleffe de leur corps, il leur a donne la meilleure education poffible. S’agit-il d’un art plus difficile ? veut-on for¬ mer un Peintre 1 du moment qu’ii pout tenir le crayon , on.le lui met a la main : on le fait d’a- bord deffiner d’apres les eftampes les plus correc- tes, puis d’apres la bode , enfin d’apres les plus (a) Celebte y'iolon d’ltalia. sonEducation. Chap . VI . 415 beaux modeles. On charge de plus fa memoire des grandes & fublimes images repandues dan> les Poemes des Virgiles, des Homeres, des Mil- tons, &c. L’on met fous fes yeux les tableaux des Raphaels, des Guides , des Correges. On lui en fait remarquer les beautes diverfes. II etudie fucceflivement dans ces tableaux la magie du del- fin , de la compofition , du coloris &c. L’on ex¬ cite enfin fon Emulation par lerecitdes honneurs rendus aux Peintres celebres. C’eft tout ce qu’une excellence education peut v en faveur d’un jeune Peintre. C’efl au defix plus ou moins vif de s’illuftrer qu’il doit enfuite fes progres. Or le hafard indue beaucoup fur la for¬ ce de ce defir. Une louange donnee au moment que i -Sieve c rayonne un.trait hardi, fuffit quel- quefois pour dveiller en lui 1’amour de la gloire, & ie douer de cette opuuatrete d’attention qui prcduit les grands taleus. Mais. dira-t-on , point d’homme qui ne foit fenfible au plaifir p'nyfique , tous peuvent done aimer la gloire , du moins dans les pays oil cette gloire eft reprefentative de quelque plaifir reel: j’enconviens. Mais la force plusou moins grande de cecte palfion eft toujours dependante de cer- raines circonftances de certaines pofitions, enfin de ce mcme hafard qui prefide , comme je l’ai prouve Section II. a routes nos decquvertes. Le hafard a done toujours part a la formation des hommes illuftres. Ce que peut une exccllente education , c’eft de multiplier lc nombre des gens de genie dans une Nation ; e’eft d’inoculer, fi je 1’ofe dire, le S 4 41 6 D E L’ H O M M E, bon fens au refte des citoyens. Voila ce qu’elle peut & c’eft: affez. Cette inoculation en V3ut bien une autre. Le refultat de ce que je viens de dire, c'eft que la partie de l’inftru&ion fpecialement appli¬ cable aux etats & profeffions difKrentes, ell: en general affez bonne; c’eft que pour la porter a la perfeftion , il ne s’agit d’une part que de fnnpli- fierles mdthodes d’enfeigner, (& c’eft 1’affaire des Maitres ) & de l’autre d’augmenter le reffort de l’emulation ( & c’eft l’affaire du Gouverne- roent ). Quant a la partie morale de l’education, c’eft; fans contredit la partie la plus importante & la plus negligee. Point d’ecoles publiques ou on enfeigne la fcience de la morale. Q’apprend-on au college depuis la troifieme jufqu’en Rhecorique ? a faire des vers Latins.. Quel terns y confacre-t-on a l’etude de ce qu’on appelle l’Ethique ou la Morale! a peine un mois. Faut il s’etonner enfuite fi l’on rencontre fi peu d’homme vertueux ft peu inftruits de leurs devoirs envers la fcciete ? (a). Au refte je fuppofeque dans une maifon d’inf* tniclion publique , on fe propofe de donner aux eleves un cours de Morale, que faut-il a cet elfet ? que les maximesde cette fcience toujours fixes & ddterminees fe rapportent a un principe' fimple & duquel on puiffe , comme en Geome- fa) Pourquoi en donnant une nouv.elle forme au goiw vernement civil de M. Locke , ne pas expliquer aux jeu-s nes gens ce livre, ou font con.tenues une parti? des boas, |>rin<;ipes de la Morale^. son Education. Chap. VI. 417 trie deduire uneinfinite de principes fecondaires: os ce principe n’eil point encore connu. La Mo¬ rale n’eft done point encore urie fcience : car en- fin Ton n’honorera pas de ce nom un ramas de preceptes incoherans & contradiftoires (a) en- tr’eux. Or fi la Morale n’eft point une fcience, quel moyen de l’enfeigner ! Veut-on que j’en aie enfin de'couvert Ie prin¬ cipe fondamental ? on doit fentir que l'interet du Pretre s’oppofera toujours a fa publication & qu’en tout pays l’onpourratoujcursd;re;» Point » de Pretres ou point de vraie morale «, En Italie,en Portugal,ce n’eftnideReligion^ ni defuperftition dont on manque. (a) La Sorbonne , comme LEgliTe fe pretend infallible & immnable; a quoi reconnoit-on Ton immutabilite ? a fa conftance a contredire toute ide'e nouveile. D’aiJIeiirs toujours contraires a elle-meme en toutes fes decifions * cette Sorbonne prote'gea d’abord Arfflote contre Defeat— tes , excommunia les Cartdfiens : enfeigna depuis ieur fyftems , donna a ce meme Defcartes i’autorite d’un Pere de l’Eglife , enfin adopta fes erreurs pour combattre les vdrites les mieux prouvees. Or a quelle caufe attribuer tant d inconfiance dans les opinions de la Sorbonne baTon ignorance des vrais principes de toutes fcience. Rien ne fieroit plus curieux qtdun Recueit de fes contradifiions dar.s les condamnations fucceffivement portdes contre la rhefe de I’Abbe de Prades les Ouvrages des Rsufieans. & des Marmontels a &c. s 5 D E 1’ H O M M S , 418 CHAPITRE VII. Dc Veducation morale de I’homme. Hx eft peu cle bon patriotes, peu de citoyens toujoursequitables : pourquoi ? e’eft qu’on n’eieve point les homines pour etre juftes ; e’eft que la morale , actuelle , ccmme je viens de le dire , n’eft au’un tiflii d’erreurs & de contradictions groflieres : e’eft que pour etre jufte, il faut etre Claire & qu’on obfcurcit dans l’enfant jufqu’aux notions les plus claires de la Loi naturelle. Mais peut-on donner a la premiere jeunefte des ide'es nettes de la juftice ? ceque je his, e’eft qu’a 1’aide d’un catechiftne religieux, ft 1’on gra¬ ve dans la memoire d’un enfant, les preceptes de la croyance fouvent la plus ridicule, l’onpeut a l’aide d’uncathechifme moral y graver par con- l'equent les preceptes & les principes d’une equi- te dont l’expfrience journaliere lui prouveroit a la fois l’utilite & la verite. Du moment ou l’on diftingue le plaifir de la douleur ; du moment ou Ton a recu & fait du mal Fon a deja quelque notion de la juftice. Pour s’en former les idees les plus claires & les plus precifes, quefaire ? fedemander. Qu’eft-ce que l’homrne ? R. Un animal, dir-on , raifonnable , mais e l’ Homme, les defauis d’une Legifiation : il fait fi la digue op- pofee par lesLoix aux paflions contraires au bien public , eft affez forte pour en foutenir l’effort : ft la Loi punit & recompenfe dans cette jufte proportion qui doit ndcefliter les homines a la vertu. II n’appercoit enfin dans cet axiome tant vante de la Morale acluelle » Ne fais pas a autrui, ce quetu nevcudrois pas qui tefutfait ». qu’une maxime fecondaire, domeftique , & tou- jours infuffifante pour eclairer les citoyens fur ee qu’ils doivent a leur Patrie. II fubftitue bien- tot a cet axiome celui qui declare » I.c biertpublic , la fuptime Loi ». Axiome qui renfermant d’une maniere plus ge¬ nerate & plus nette tout ce que le premier a d’utile, eft applicable a toutes les pofitions diffe- rentes ou peut fe trouver un citoyen, & con- vient e'galement au Bourgeois, au Juge , au Miniftre , &c. C’eft , fi je l’ofedire, de la hau¬ teur d’un tel principe , que defeendant jufqu’aux conventions locales qui forment le dreit coutu- mier de chaque peuple, chacun s’inftruiroit plus particulierement de l’efpece de fes engagemens, de la fageffe ou de la fohe des ufages , des Loix, des coutumes de fon pays, &pourroit en porter un jugement d’autant plus fain , qu’il auroit plus habitueilement prefent a l’efprit les grands prin- son Education. Chap. VII. 419 cipes a la balance defquels on pefe la fagefle &c l’equite meme des Loix. On peut done donner a la JeunefTe des ide'es nettes & faines de la Morale : a 1 ’aide d’un cate- chifme de probite, on peut done porter cette partie de l’education au plus haut degre de per¬ fection. Mais que d’cbftacles a furmonter ! CHAPITRE VIII. Intcret da Pretre, premier objlacle & la perfection de Veducation morale de Vhomme. ■jr JLu’l nter et da Cle rge comme celui de tous les Corps, change felon les iieux , les terns & jes circonftances. Toute morale dont les principes font fixes , ne fera done jamais adoptee du Sacer- doce. II en veut une dont les preceptes cbfcurs , contrr.dictcires & par coniequent variables , fe pretent a routes les pofitions diverfes dans lef- quelles i! peut fe trouver. II faut au Pretre une morale arbitraire (a) qui (a) Point de proportions dvidentes que les Theolngierw ne rendent problematiques. On les a vu felon les terns & les circonftnnces , tantot foutenir que e’eft au Prince , tan- tot que e’eft a la Loi qu’il faut obeir. Cependant ni la rat¬ ion , ni l’interet meme dti Monarque ne laiftent de doute liir cet objet. Suiverla Loi, dit Louis XIII, malgre ies ordres contraires que 1’importunity peut quelquefois arra.' cher au Souverain. 430 D E L’ H O M M E , luipermette delegitimeraujourd’hui faction qu'il declarera dem.tin abominable. Malheur aux Nations qui lui connent I’cduca- tion de leurs citoyens ! il ne leur donnera que de fauffes idees de la juftice : & mieux vaudroir ne leur en donner aucune. Quiconque eft fans pre- juges eft d’autant plus pres de la vraie connoif- fance, & d’autant plus fufceptible de bonnes inftruftions. Mais oh trouver de telles inftruc- tions ? dans l’hiftoire de l’liomme, dans celle des Nations , de leurs Lcix,& des motifs qui les ont fait etablir. Orce n’eft pas dans de pareilles four- ces que le Clerge permet de puifer les principes de la juftice. Son in: er£t le lui defend. Il fent qu’eclaires par cette etude, les Peuples mefu- reroient Peftime ou le mepris dCi aux diverfes actions fur l’echelle de l’utilite generate. Et quel refpeci alors auroienr-ils pour les Bonzes , les Bramines & leur pretendue faintete ? que faitau public leurs macerations, leur haire , leur aveu- gle obeifl'ance ? toutes ces vertus monacales ne contribuent en rien au bonheur national. 11 n’en eft pas de menve des vertus d'uti citoyen , c’eft- a-dire , de la generofiti , de la verite , de la juf¬ tice, de la fidelite a l’amitie , a fa parole, aux en- gagemens pris avec la fociete dans laquelle on vit De telles vertus font vraiment utiles. AulTi nulle relTemblance entre un Saint (a) & un ci¬ toyen vertueux. La Lei eft cenfee la volonte refleehie du Prince. Ses ovdres ne font reputes que la volonte de fes Miuiftres & ■de fes favoris. { ximes, & qu’il s’abandonnera a tous les vices qu« favorile la forme du gouvernement & les mceurs de fes compatriotes. Qu’au ccntraire les preceptes donnes a fon enfance, lui foient rappelles dans fon adolefcence & qu’a fon entree dans le monde un jeune hom- me y voie les maximes de fes Maitres honorees de l’approbation publique; plein de refped pouf ices maximes elles deviendront la regie de fa eoaduitej il fera vertueux. ton E-ducatiow. Chap. IX. 435 Mais dans un Empire tel que celui de la Tur- iquie , que l’ori ne fe flatte point de former de pareils hommes. Toujours en crainte , toujours expofe a la violence, eft-ce dans cet etat d’in- quietude qu’un citoyen peut aimer la vertu & la Pjtrie ? fon fouhait c’eft de pouvoir repouffer la force par la force. Veut-il afturer fon bonheur ? peu lui importe d’etre jufte, il lui fuffit d’etre fort. Or dans un gouvernement arbitraire, quel eft le fort ? celui qui plait aux Oefpotes & aux: Sous-delpotes. Leur faveur eft une puiftance. Pour l’obtenir , rien ne coute. L’acquiert-on par la baffeffe,le menfonge & l’injuftice? On eftbas, menreur & injufte. L’homme franc & loyal, deplace dans un tel gouvernement, y feroit em¬ pale avant la fin de l’annee.S’il n’eft point d’hom- me qui ne redoute la douleur & la mor:, tout fceldrar peut toujours en cepays j uftifier la con* dune la plus infame. • Des befoins mutuels , dira-t-il, ont force les hommes a fe reunir en fociete. S’ils ont fonde des villes ; c’eft qu’ils ont trouve plus d’avan- tage a fe ralfembler qu’a s’ifoler. Le defir da Lonheur a done ece le feul principe de leur union. Or ce meme motif, ajoutera-t-il, doit forcer de fe livrer au vice, lorfque par la forme da'gouvernement les riche lies, les lion- neurs & la felicite en font les recompenfes. Qu’elqu’infenfible qu’on foit a 1’amour des richeffes & des grandeurs, il faut dans tout pays ou la Loi impuiflante ne peur elncace¬ ment proteger le foible contre le fort, oik i'on ne yoit que des opprefleurs & des op- 43<£ D e l* H o m m s i primes , des bourreaux & des pendus, que l’o* recherche les richefles & les places, ft non comme un moyen de faire des injuftices, au jqoins comme un moyen de fe fouftraire a I’oppreUion. Mais il eft des gouvernemens arbitraires o& Ton prodigue encore des eloges a la modera¬ tion des fages & des Heros anciens, oil Ton vante leur defintereffement, I’eliv ation & la magnanimity de leur ame. Soit: mais ces vertus y font paffees de mode, la louange des hommes magnammes eft dans la bouche de tous & dans le ca-ur d’aucun. Perfonne n’eft dans fa conduite la dupe de pareils eloges. J’ai vu des admirateurs des temps heroi'ques vouloir rappeller dans leurs pays les inftitu- tions des Anciens : veins efforts. La forme des gouvernemens & des Religions s’y oppofe. II eft des ftecles ou toute reforme dans l’inftruc- tion publique doit etre precedde de quelque reforme dans l’adminiftration & le culte. A quoi fe reduifent dans un gouvernement defpotique les confeils d'un pere a fon fils , a cette phrafe effrayante. « Mon fils, fois bas , » rampant, fans vertus, fans vices, fans talens , » fans caraetere. Sois ce que la Cour veut que tu » fois, & chaque inftant de la vie fouviens-toi » que tu es efclave.» Ce n’eft point en un tel pays a des infti- tuteurs courageufement vertueux qu’un pere jonfiera 1’e'ducation de fes enfans. II ne tar- deroit pas a s’en repentir. Je veux qu’un La- fed^pojw§a gut du terns de Xerxes ete nomine r soN Education. Chap . IX. 43? Inftituteur d’un Seigneur Perfan. Que fut-il arrivd ? qu’eleve dans les principes du Patrio- tifme &d’une frugalite auftere, lejeune homme odieux a fes compatriores, efrt par fa probitd male & courageufe , mis des obftacles a fa fortune. O Grec , trop durement vertueux , fe fur alors eerie le pere , qu’as-tu fait de mon fils ! tu l’as perdu. Je defirois en lui cette mediocrite d’efprit, ces vertus molles & fie— xibles auxquelles on donne en Perfe les npms de fagefte, d’efprit, de conduite, d’ufage du monde &c. Ce font de beaux noms, diras-tu, fous lefquels la Perfe deguile les vices accre¬ dits dans fon gouvernement. Soit. Je voulois le bonheur & la fortune de mon fils : fon indigence , ou fa richelTe ; fa vie ou fa mort depend du Prince : tu le fais : il falloit done en hire un Courtifan adroit; & tu n’en as fait qu’un Heros &: un homme vertueux. Tel eCit ete le difeours du pere. Qu’y re- pondre ? quelle plus grande folie euffent ajoutiS les prudens du pays , que de donner l’education honnete & magnanime a l’homme defiinepar la forme du gouvernement a n’etre qu’un Co-ur- tifan vil & un fceldrat obfeur. Que fervoit de lui infpirer 1’amour de la vertu ? eft - ce au milieu de la corruption qu'il pouvoit la con¬ fer ver ? II s’enfuit done qu’en tout gouvernement defpotique, & qu’en tout pays ou la vertu eft odieufe au Puiflant, il eft egalement inutile & fou de pretendre a la formation de citoyens ionnetes. T 3- 438 E> i l’ K o m m i ^ CHAPITRE X. Toute reforme importante dans la partie morale de V education , en fuppofc unt. dans les Loix & la Jorme du gouver- nement. )P ivOFOSE-T-ON dans un gouvernement vi- titux un bon plan d’education ; fe flatte-t-on de l’y fa ire recevcir ? l’on fe trompe. L’au- reur d’un tel plan eft trop borne dans fes vues pour pouvoir en rien attendre de grand. Les precepres de cette Education nouvelle font-ils en contradiction avec les mceurs Sc le gouver- jicment? ils font toujours reputes mauvais. Eh quel moment feroient-ils adoptes 1 lorfqu’un Peuple eprouvede grands malheurs, degrandes calamites, Sc qu’un concours he.ureux & fm- gulier de circonftances , fait fentir au Prince la neceffite d’une reforme. Tant qu’elle n’eft point fentie, on peut, ft l’on veut, me'diter les principes d’une bonne Education. Leur de- couverte doit preceder leur etabliflement. D’ail- leurs plus l’on s’occupe d’une fcience, plus on y appercoit de verites nouvelles, plus on en ftmplifie les principes, Mais qu’on n’efpere pas les f..ire adopter. Quelques hommes illuftres ont jette de gran¬ ts iuinieres fur ce fujet, Sc l’education eil son Education. Chap. 'X. 43$ toujours la meme. Pourquci ? c’eft qu’il fuffit d’etre eclaire pour concevoir un bon plan d’inf- truflion, & qu’il faut etre puiffknt pour l’eta- blir. Qu’cm ne s’dtonne done pas fi dans ce genre les meilleurs Ouvrages n’ont point encore opere de changetnent fenfible.Mais ces Ouvrages doivent-ils en confequence etre regardes comme inutiles ? non : ils ont reellentent avanee la fc ience de Pe'ducation. Un Mechanician invents tine machine nouvelle ; en a-t-il calcule les effets & prouve l’utilite ? la fcience eft per- fe&ionnee. La machine n’eft point faite : elle n’eft encore d’aucun avantage au public, mais elle eft decouverte. II ne s’agit que de trouver le riche qui la fafle conftruire , & tot ou tard ce riche fe trouve. Qu’une idee fi ffatteufe encourage les Phi- Jofophes a I’erude de ia fcience de ('education. S’il eft une recherche digne d’un citoyen ver- tueux, e’eft celle des veritds dont la connoifiance' peut etre un jour fi utile a l’hurnamte. -Quel efpoir confolant dans les travaux que celui du bonheur de la pofterite ! Les decouvertes des- Philofophes font en ce genre autant de germes qui dCpofes dans les bons efprits n’attenden't qu’un evenement qui les feconde, & tot off tard cet evenement arrive. L’univers moral eft aux yeux du ftupide- d:ns un etat conftant de repos & d’immobi- lite. 11 croit que tout a ete, eft, & fera com me il eft. Dans le pafte & l’avenir, il ne voit jamais que le prdfent. Il n’en eft pas ainfi de I’iiomme e'claire, Le monde moral lui prefente-* T % •440 b E L* H O M M E , le fpethcle toujours varie d’une revolution per- pJmclle. L’Univers toujours en movement lui paroit force de fe reproduire fans ceffe fous des formes nouvelles , jufqu’a l’epuifement total de toutes les combinaifons , jufqu’a ce que tout ce qui peut etre, ait dte & que l’imaginable ait exifle. Le Fhilofophe apperccit done dans un plus ou meins grand lointain le moment ou la puilfance adoptera le plan d’inffrndlion prefcnci par la fagelle. Qu’exci'.d par cet efpoir le Phi- lofophe s’cccupe d’avance a fapper les prdjuges qui s’oppofent a 1’execution de ce plan. Veut-on elever un magnifique monument ? il faut avant d’en jetter les fondemens, faire choix de la place, abattre les mafures qui la cou- vrent, en enlever les decombres. Tel eft l'Ou- vrage de la Fhilofophie. Qu’on ne l’accufe plus de rien edifier (a). C’eft elle qui maintenant fubftitue une morale claire, faine & puifee dans les befoins meme de l’homme, a cette morale ( a ) On a efit long-tems des Philofophes qii’ils ddtrui- foient tout, qu’ils n’eaifioient rien : on ne leur fera plus ce reproche. Au refle ces Herculesmodernes n’euffent-ils etoufte qne des erreurs monftrueufes , ils eullent en¬ core bien meritd de 1’humanite. L’accufation portee contr’eux a cet egard eft 1'effet du befoin qu'en general les honzmes ont de croire , foit des verites , foit des menfon- ges. C’eft dans la premiere jeunefle qu’on leur fait con- trafler ce befoin qui devient enfuite en eux une faculte toujours avide de pature. Un Philofophe brife-t-il une erreur ; on eft toujours prCt a lui dire ; par quelle autre la remplacerez-vous ? il me femble entendre un malade detnander a fon medecin : M. lorlque vous m’aurez gueri de ma fievre > quelle autre insommodite y fubftituerez; ypusi Son Edu c at ion. Chap. X. 441 obfcure, monacale & fanatique, fleau de I’Uni- vers prefent & pafle. C’eft en eftet aux Phi- lofophes qu’on doit cet unique & premier axiom® de la Morale. a Qiie le bonheur public foit la fupremc Loi. » Peu de gouvernemens fans doute fe condui* fent par cette maxime : mais en imputer la faute aux Philofophes , c’eft leur faire un crime de leur impuifiance. L’Architecle a-t-il donne le plan , le devis & la coupe du Palais ? il a rempli fa tache : c’efl a l’Etat d’acheter le ter¬ rain & de fournir les fonds neceffaires a fa conllrutSion. Je fais qu’on la differe bng-tems , qu’on etaie long-tems les vieux Palais avant d’en elever un nouveau. Jufques-la les plans font inutiles : its re (tent dans le porte-feuilfe ; mais on les y trouve. L’Architecte de l’ddifice moral, c’efl: le Phi- lofophe. Le plan eft fait. Mais la plupart des Religions & des gouvernemens s’oppofent a Ion execution. Qu’on leve ces obftacles qu’une ftupidite religieufe ou tyrannique met au pro- gres de la morale, c’eft alors qu’on pourra fe flatter de porter la fcience de l’dducation au degre de perfection dont elle eft fufceptible. Sans entrer dans le plan detailld d’une bonne Education, j’ai du meins indique en ce genre l^s grandes maffes a reformer. J’ai montre la ddpendance rf-ciproquc qui fe trouve entre la T 5 D e I* H o m m e;. partie morale de ! ’education & la forme d’ftK- rente des Gouvernemens. J’ai prouve enfin que la reforme de l’un ne peut s’operer que par la reforme de l’autre. Cette ve'rite clairement demontree , l’on ne tentera plus I’impoffible. Affure' que l’excellence de l’education eft dependame de l’excellence des Loix, l’on n’entreprendra plus de concilier les inconciliables. Si j’ai marque l’endroit de la mine ou il faut fouiller , plus eclaires a ce fujet dans leur recherche, les Savans a venir ne s’e- gareront plus dans des fpe'culations vaines, & je leur aurai epargne la fatigue d’un travail inu¬ tile. °S- CHAPITRE XI. De, rinflruclion apres qu’on auroit live les objiacles qui s’oppofcnt a fesprogres. °$Lm Es honneurs & les recompenfes font-ils en un pays toujours decernes au merite ? l’interet particulier y eft-il toujours lie al’interet public , 1’education morale eft n&eftairement excellente & les citoyens ne'ceftairement vertueux. L’homrhe , ( & 1’experience le prouve, ) eft de fa nature imitateur & fmge. Yit-il au milieu de citoyens honnetes ? il le deyient lorfaue les son Education. Chap, XL 443’ preceptes des maitres ne font point contredits par les moeurs nationales ; iorfque les maximes & les exemples concourent egalement a allnmer dans un homme le defir des talens & des vertus; Iorfque nos concitoyens ont le vice cn horreur & l’ignorance en mepris, on n’efl ni fot, ni me- chant. L’idee demerite s’affocie dansnotrc ms- moire a 1’idde du bonheur ; & l’amour de notre felicite'nous neceflite a l’amour de la vertu. Que je voie les honneurs accumules fur ceux que fe font rendus miles a la Patrie ; que je ne * rencontre par-tout que des citoyens fenfes & n’entende que des difcours honnetes , j’appren- drai, fi je 1’ofe dire , la vertu , comme on ap« - prend fa propre langue fans s’en appercevoir. En tout pays fi Ton en excepte le fort, le- m&hant eft ce'ui que les Loix Sc I’inftrudlion rendent tel. * 8, 3 ’ai montre quel’excellence de l’education mo¬ rale depend de l’excellence du gouvernement. J’en puis dire autant de 1’education phyfique.' Dans toute fage conflitution l’on fe propofe de former non-feulement des citoyens vertueux, mais encore des citoyens forts & robufles. De tels hommes font, Sc plus heureux, & plus pro- - pres aux divers emplois auxquels Finteret de la Pipublique les appelle. Tout gouvernement eclaire retablira done les exercices de la Gym- naftique,. Quant a cette derniere partie de (’education 1 qui confiftea creer des hommes illuflres dans fess Arts & les Sciences, il eft evident que fa perfec¬ tion depend encore de-la fageffe-du Legiflateur.• 444 D * *■’ Homme; A-t-il affranchi les Inftituteursdurefpefl fuperf- tieux conferve pour lesanciens ufages; laiffe-t-il un libre eflbr a leur genie; les force-t-il par 1’ef- poir des reccmpenfes de perfectionner, & les mfthodes d’mftru&bn * 9. & le reffort de l’emu- lation ? il eft impoftible qu’encourages par cet el- poir , des Maitres inftruits & dans 1 'habitude de manier l’efprit de leurs Eleves , ne parviennent bientot a donner a ^erte partie deji la plus avan- cee de l mftruction, tout le degre de perfection dont elle eft fufceptible. La bonne ou mauvaife education eft: prefqu’en entier l’oeuvre des Loix. Mais , dira-t-on , que de lumieres pour les faire bonnes ! moins qu’on ne penfe. II fuffit pour cet effet que le Miniftere ait intdret & defir de les faire telles. Suppofons d’ailleurs qu’il manque de connoiftances, tous les citoyens tfckirds & vertueux viendront a fon fecours. Les bonnes Loix feroient faites, & les obftaclesqui s’oppofent aux progres deVinftrue- tion feront leves. Mais ce qui fans dcute eft facile dans des Ib- cietes foibles, naiftantes & dont les iaterets font encore peu compliquds , eft—il poffible dans des focietes riches, puiifantes, & nombreufes? com¬ ment y contenir l’amour illimite des hommes pour le pouvoir ? comment y prevenir les pro¬ jets des ambitieux ligue pour s’affervir leurs com- patriotes ? comment enfi-n s’oppofer toujours ef- ficacement a l’elevation de ce pouvoir coloffal Sc defpotique qui fonde fur le m^pris des talens Sc de la vertu, fait languir les Peuples dans finer- tie, la crainte &.la snifere? $ ON EDUCATION. Chap. XL 44$ Dans de trop vaftes Empires, il n’eft peut- £tre qu’un moyen de refoudre d’une maniere du* rable le double probleme d’une excellente Legifla- tion & d’une parfaite education. C’eft , comme je 1’ai deja dit, de fubdivifer ces memes Empires en un certain nombre de Republiques federati- ves que leur petitelfe derende de 1’ambition de leurs concitoyens, & leur confederation de l’am- bition des peuples voifins. Je nem’etendrai pas divantage fur cette quef- tion. Ce que je me fuis propofe dans cette Sec¬ tion , c’eft de donner des idees nettes & fimples de 1’education phyfiqud & morale 3 de determi¬ ner les diverfes inftruclions qu’on doit a l’hom- me, au citoyen &au citoyende telle profeffion ; de defigner les reformes a faire dans les gouver- nemens ; d’indiquer les obftacles qui s’oppofent maintenant aux progres de la fcience de 1 a mo¬ rale & de montrer enfin que ces obftacles leves, l’on auroit prefqu’en entier refolu le probleme .d’une excellente education. Je finirai ce Chaprre par cette obfervation, c’eft que pour jetter plus de lumieres fur un fujet ft important, il falloit connoitre l’homme. Determiner l’etendue des facultes de fon efprit. Montrer les reflbrts qui ie meuvent, La maniere dont ces refforts font mis en aftion, Et faire enfin entrevoir au Legiflateur denou» veaux moyens de perfeftionner le grand oeuvre des Loix. Ai-je fur ces objets divers rcve'e aux hcmmes guelques verites ncuves & utiles 3, j’ai rempli ma 441 D E L 1 H O M M F ,■ tache ; j’ai droit a leur eftime & a leur connoif- fance. Entre une infinite de queflions traitees dans' cet Ouvrage, une des plus importantes etoit de favoir fi le genie, les verms & les talens auxquels les Nations doivent leur grandeur & leur felici- te, etoient un effet de la difference des nourri- tures, des temperamens , & enfin des organes des cinq fens fur lefquels 1’excellence des Loix & de l’adminiflration n’a nulle influence, ou fi ce me- me genie, ces memes vertus & ces memes talens etoient l’effet de l’education, fur laquelle les Loix & la forme du gouvernement peuvent tout. Si j’ai prouve la ve'rite de cette derniere afTer- - tion , il faut convenir que le bonheur des Na¬ tions eft entre leurs mains, qu’il eft'entisrement dependant de i’interet plus ou inoins vif qu’elles- mettront a perfe&ionnerlafcience del’education.. Pour foulager la memoire du Lefteur , je ter-- minerai cet Ouvrage par la recapitulation des di¬ vers principes fur lefquels j’ai fonde mon opi¬ nion, Le Lefteur en pourra mieux apprecier Ja probability son education. Chap . XII . 443 385 RECAPITULATION , A a'lPRES avoir dans l’expofition de cet Ouvrage dit un mot de fon importance , de l’lgnorance oil Von eftdesvrais principes de l’education: en- fin de la fecherefle de ce fujet & de la difficulte de le traiter, j’examine, ~ ■. ■ SECTION I. » Si l’education neceffairement differente dfc 3 ». divers' hommes , n’eft pas la caufe de cette » iiiegalite des efprits jufqu’a prefent attribute » a 1’inegale perfection des organes Je me demande a cet effet a quel age com-* mence ^education de I’homme & quels font fes Inftituteurs. Je vois que I’homme eft difciple dc tous les •objets qui l’environnent, de routes les portions ou le hazard le place, enfin de tous les accidefts 'qui lui arrivent. Que ces objets, ces pofitions & ces accidens iiefont exactement les memes pour perfonne, Si qu’ainG, nul ne recoit les memes instructions,, 34$ D E t'HtIMME, Que dans la fuppofition impoflible ou les hom¬ ines euffent les memes objets fous ies yeux , ces objets ne les frapp ant point dans le moment pre¬ cis ou leur ame fe trouve dans la ratme iitua- tion , ces objets en confequence n’exciteroient point en eux les memes id^es, & qu’ainfi la pre- tendue uniformity d’inftru&ion recue , foit dans les colleges , foit dans la maifon paternelle, eft: une de ces fuppofitions dont i’impoflibilire eft prouvee, & par le fait, & par l’influence qu’un hazard independant des Maitres a & aura tou- jours fur l’education del’enfance &del‘adolef- eence. D’apres ces donnees, je confidere l'extreme etendue du pouvoir du hazard; j’examine. Si les hommes illuftres ne lui doivent pas fou- vent leur gout pour tel ou tel genre d’etude 8c par confequent leurs talens & leur fuccss en ce meme genre. Si l’on pent perfeclionner la fcience de V edu¬ cation fans relferrer les bornes de l’empire du hazard. Si les contradiftions aduelles appercues entre tous les prdceptes deleducation, n’etendeut pas l’empire de ces memes hazards. Si ces contradictions dont je donne quelques exemples , ne doivent point etre regardees com- me un effet de l’oppofitkm qui fe trouve entre le fyfteme religieux & le fyfteme du bonheur public. Si l’on pourroit rendre les Religions moins deftru£tives de la felicitd nationale & les fonder fur des principes plus confoimes a l’interet ge¬ neral. sou Education. Recapitulation. 454; Quels font ces principes. S’il eft pofTible qu’un Prince eclairC les eta- blifTe. Si parmi les fauffes Religions , il en eft quel- ques-unes dont le culte ait etc meins contraire au bonheur des focietds & par confequent a la perfection de la fcience de l’education. Si d’apres ces divers examens &r dans la fup- pofition ou tous les hommes auroient une egale aptitude a l’elprit, la feuledifferencedeleur edu¬ cation ne devroit pas en produire une dans leurs iddes & leurs talens. D’ou il fuit que l’inegalite aCtuelle des efprits ne peut etre regardee dans les hommes communement bien organifds, comme une preuve demonftrative de leur inegale apti¬ tude a en avoir, J’examine. S E C T I O N. I I. » Si tous les hommes communement bien oi>- » ganifes, n’auroient pas une egale aptitude I » l’efprit ”, Je conviens d’abord que toutes nos ideesnous viennent par les fens ; qu’en confequence on a du regarder l’efprit comme un pur effet, ou de la fineffe plus ou moins grande des cinq fens, ou d’une caufe occulte ou non determinee a laquelle on a vaguement donne le aom d’organifation. '4?0 De l’HostmiJ Que pour prouver la fauffete de cette opinion il faut recourir a 1’experience, fe faire une idee nette du mot efprit, le diftinguer de l’ame j & eette diftinction faite , obferver : Sur quel ob'jet 1’efprit agit: Comment il agit: routes fes operations ne fe reduiroient pas a l’obfervation des reffembiances & des differen¬ ces, des convenances Sc desdifconvehances que Ies objets divers ont entr’eux & avec nous, SC ft par confequent tous les jugemens portes fur Ies objets phyfiques ne feroient pas de pures feiifatibns. S’il n’en feroit pasdememe des jugemenspor- tes fur les idees auxquelles on donne les noms d’abffraites, de collectives See. Si .dans tous les cas juger & comparer (eroic autre chofe que voir alternadvemcnt , e'eff-a- ■dire, fentir. Si l’on peut eprouver l’impreflion des objets T fans cependant les comparer entr’eux. Si leur comparaifon ne fuppofe pointy d’in- teret de les comparer. Si cet interet ne feroit pas la caufe unique Sc ignoree de toutes nos idees, nos actions , nos peines , nos plaifirs, enfin de notre fa- .eiabilite. Sur quoi j’obferve que cet interet prend en. derniere analyfe, fa fcurce dans la fenftbilite phyfique : que cette lenfibilite par confequent eft le feul principe des idees & des actions humaines. Qu’il n’eft point de motif raifonnable pour rejetter cette opinion. SON Education. Recapitulation. 451 Que cette opinion une foi demontree & re- «onnue pour vraie , on doit neceffairement re- garder l’inegalite des efprits , comme l’effet: Ou de 1’inegale etendue de la memoire; Ou de la plus ou moins grande perfection des cinq fens Que dans le fait, ce n’eft ni la grande me¬ moire , ni l’extreme fine/Te des fens qui pro- duit & doit produire le grand efprit. Qu’a I’dgard de la fineffe des fens, les hom¬ ines communement bien organifes ne different que dans la nuance de leurs fenfations. Que cette legere difference ne change point- le rapport de leurs fenfations entr’elles ; que cette difference par confequent n’a nulle in¬ fluence fur leur efprit, qui n’elf & ne peut etre , que la connoilfance des vrais rapports des objets; cntr’eux. Caufe de la difference des opinions des hom¬ ines. Que cette difference eft I’eifet de la figntfica-' tion incextaine & vague de certains mots • v tels font ceux De bon, D’interet, Et de vertu. Que les mots precifement definis &Ieur de¬ finition confignee dans un Diftionnaire, toutes les propofttions de Morale, Politique , & Me- taphyfique deviennent aufft fufceptibles de de- monftracfions que les verites ge'ome'triques. Que du moment ou 1’on attachera les memes, tddes aux mimes mots>, tous les efprits adopt;,- 449 O i l’ Hommi, ront les memes principes, en tireront les tne- mes confluences. Qu’il eft impoftible, puifque les objets fe pre- fentent a tous dans les mimes rapports, qu’en comparantces objetsentr’eux, leshommes ( foit dans le monde phyfique, ccmme le prouve la Geometrie, foit dans le monde intelleftuel, eomme le prouve la Mdtaphyfique ) ne parvien- nent aux memes rdfultats. Que la verita de cette propofition fe prou¬ ve , & par la reffemblance des contes des fees, des contes philofophiques , des contes religieux de tous les pays , & par l’uniformitd des impof- tures par-tout employees par les Miniftres des faulfes Religions , pour accroitre & conferver leur autorite fur les Peuples, De tous ces faits il rdfulte que la fineffe plus ou moins grande des fens ne changemt en lien la proportion dans laquelle les objets nous frap- pent, tous les hommes communement bien or- ganifes ont une egale aptitude a l’efprit. Pour multiplier les preuves de cette impor- tante vdritd, je la demontre encore dans I* meme Seftion par un autre enchainement de propofuions. Je fais voir que les plus fublimes idees une fois fimplifides font de l’aveu de tous les Philofophes rddu&ibles a cette propofition claire le blanc eft blanc ; le noir ejl noir. Que toute verite de cette efpece eftalapor- tee de tous les efprits ; qu’il n’en eft done aucune quelque grande & generate qu’elle foit qui net- tement prefentee & degagee de I’obfcurite des mots, ne puifle etre egalement faifie de tous les sate Education. Recapitulation. 453 hommes commune'ment bien organifes. Or pou- voir egalement atteindre aux plus hautes vWri¬ tes , c’eft avoir une dgale aptitude a l’efprit. Telle eft la conclulion de la feconde Seftion. ■■ SECTION III. Son objet eft la recherche des caules aux- quelles on peut attribuer l’inegalitd des ef- prits. Ces caufes fe reduifent a deux. L’une eft le defir inegal que les hommes ont de s’eclairer. L’aurre ia diverfite des pofitions ori le hafard les place : diverfite de laquelle refulte celle de leur inftruftion 8c de leurs iddes. Pour faire fentir que c’eft a ces deux caufes feules qu’on doit rapporter , & la difference, & l’inegalite des efprits , je prouve que la plupart de nos dd- couvertes font des dons du hafard. Que les memes dons ne font pas accordds a tous. Que neanmoins ce partage n’eft pas ft inegal qu’on l’imagine. Qu’a cet egard c’eft moins le hafard qui nous manque, que nous , fi je l’ofe dire, qui manquons au hafard. Qu’a la vdrite tous les hommes commune- jment bien organifes ont egalement d’efprit et\ £54 1> E X* H 0 M M eJ puiflancc, mais que cette puiflance eft morre en eux, lorfqu’elle n’eft point mife en aftion par une pafiion telle que l’amour de l’eftime, de la gloire, Sec. Que les hommes ne doivent qu a de teller paflions 1’attention propre a feconder les idees que le hafard leur offre. Que fans paflions leur efprit peut, ft Ton veut, etre regarde comme une machine par- faite ; mais dont le mouvement eft fufpendu jufqu’a ce que les paflions le lui rendent. D’ou je conclus quel’inegalite des efprits eft dans les hommes le produit, & du hazard Se de l’inegale vivacite de leurs pafftons.Mais detel- les paflions feroient-elles en eux 1’efFet de la force de leur temperament ? e’eft ce que j’examine dans la Section fuivante. SECTION IV, Sy de'montre : Que les hommes communement bien or- rganifes font fufceptibles du meme degre de paflion. Que leur force inegale eft toujours en eux I’effet de la difference des pofttions ou le ha¬ fard les place. Que le caradlere original de chaqtie homme £ comme I’obferye Pafcal) n’eft que le produit ■sou Edit cat ion. Recapitulation. 45 5 1 de fes premieres habitudes; que l’homme naic fans idees , fans paflions , & fans autres befoinS que ceux de la faim & de la fcif, par con- fequcnt fans caraftere : qu’il en change fouvent fans changer d’organifation ; que ces change- ments independants de la fineffe plus ou moins grande de fes fens , s’cperent d’apres des chan- gements furvenus dans fa pofition & fes idees. Que la diverfite des carafteres depend uni- quement de la maniere difterente dont fe mo- difie dans les hommes le fentiment ,de 1’amour d’eux-memes. Que ce fentiment, effet neceffaire de la fen- Cbilite phyfique, eft commun a tous , qu’il pro- duit dans tous l’amour du pouvoir. Que ce defir y engendre l’envie , Tumour des richefles , de la gloire , de la confideration , de la juftice, de la vertu , de l’intolerance, enfin toutes les paflions fadtices dont les noms divers ne defignent que les diverfes applications' de I’amour du pouvoir. Cette verite prouvee, je montre dans une courte genealogie d: s paflions, que ft l’amour du pouvoir n’eft qu’un pur effet de la fenfibilite phyftque , & ft tous les hommes commurjement bien organifes font fenfibles, to,us par cc-nfe- quent font fufceptibles de l’efpece de paffion propre a rnettre en aftiqn l’egale aptitude qu’ils ont a l'efprit. Mais ces paflions peuvent - elles 1 s’allumef aufli vivement dans tous ? ce qu’ori peut aft furer c’eft que l’amour de la gloire peut s’e- Xalter dans l’homme au meme degre de force 45 6 Be t’ Homme, que le fentiment de l’amour de !ui-meme ; c’efl gue la force de ce fentiment eft dans tousles hommes plus que fuffifant pour Ies douer du degre d’attention qu’exige la decouverte des plus hautes verites ; c’eft que l’efprit humain en con¬ fluence eft fufceptible de perfe£libilite,&qu’en- fin dans les hommes communement bieu orga- nifes l’inegalird des talents ne peut-etre qu’un pur effet de la difference de leur education , dans laquelle difference je comprends celle des pofitions ou le hafard les place. - -^ 4*' SECTION V. Ce que je m’y propofe , c’eft de montrer les erreurs &: les contradictions de ceux qui fur cette queftion adoptent des principes dif- ferents des miens, & qui rapportent a l’ine- gale perfeftion des organes des fens, l’inegale fuperiorite des efprits. Nul n’a fur cette matiere mieux ecrit que M. Rouffeau; je le cite done en exemple : je fais voir que toujours contraire a lui-meme , il re¬ garde tantot l’efprit & le caraftere, comme 1’effet de la diverfitd des temperamens , & tan- tot adopte l’opinion contraire, Que de fes contradictions a ce fujet il refulte; Que la vertu , l’humanite, l’efprit & les ta¬ lents font des acquifttions. son Education. R icapVhilation. 4*7 Que la bonte n’eft point le partage de 1’horr,- me au berceau. Que les befoins phyfiques font cn lui dcs fentences de cruaute. Que l’humanitd par confcquent eft: toujcurs le produit, ou de la crainte , cu de l’£ducation. Que M. Rouffeau d’npres fes premieres con¬ tradictions tombe fans cede dans de nouvelfes ; qu’il croit tour-a-tour l’t'ducation utile Sc inutile. De l’heureux ufage qu'on peut faire dans Vinftruclion publique de quelques idees de M. Rouffeau. Que a aprics cet auteur il ne faut pas croire 1’enfance Sc la premiere jeuneffe fans jugement Des pretendus avantages de f age mur fur 1’adolefcence; qu’ils font nuls. Des elogcs djnn's p r M. Rculfer.u h I’igno- rance ; des molds qui font determine a s’en faiie l'apologifte. Que les lumieres n'ont jamais contribue a la corruption des mceurs ; que M. Roufieau.ltu- mime ne ie croit pas. Des caufes- de la decadence des Empires: qu’enrre ces caufes Ton ne peut citer la per¬ fection des Arts & des Sciences. Et que leur culture retarde la ruine dun Empire defpotique. 'iTifW jams IL # SECTION VI. Ty confidere les divers maux produits pa» I’ignorance. J’y prouve que I’ignorance n’eft point def- trudive de la mollefle. Qu’elle n’affure point la fiddlitd des Sujets. Qu’elle juge fans examen les queflions les plus imports ntes. J’y cite celle du luxe en exemple. Je prouve qu’on ne peut refoudre cette quefttion fans comparer une infinite d’objets entr’eux. Sans attacher d’a bcsrd des iddes nettes au mot Luxe, fans examiner enfuite ; Si le luxe ne feroit pas utile 8c ndeeflaire ■ s’il fuppofe toujours intemperance dans une nation. De la caufe du luxe : fi le luxe ne feroit pas lui -meme l’effet des calamities publiques dont on l’accufe d’etre l’auteur. Si pour connoitre la vraie caufe du luxe, il ne faut pas remonter a la formation des focietes, y fuivre les effets de la grande multiplication des hommes. Obferver fi cette multiplication ne produit point entr’eux divifion d’intertt, & cette divi¬ sion une repartition trop indgale des richeffes na* tyo nalcs. son Education. Kecapimlation. 459 Des effets produits , & par le partage trop inegal de l’argent & par fon intrcdudion dans un Empire. Des biens & des maux qu’elle y occafionne, Des caufes de la trop grande indgalite jdes fortunes. Des moyens de s’oppofer a la reunion trop •rapide des richeffes dans les merries mains. Des Pays oil 1’argent n’a point de cours. Quels font en ces Pays les principes produo tifs de la vertu. Des Pays ou 1’argent a cours. Que l’argent y devient l”objet commun du defir des hommes , & le prrncipe produftif de leurs actions & de leurs verms. Du moment oil femblables aux mers , les ri¬ ch efles abandonnent certaines contrees. De Fetat oil fe trouve alors une Nation. Du ftupide engourdifiement qui y remplace la perte des richeifes. Des divers principes d’aftivitd des Nations. De l’argent confiaere comme un de ces prin- <3pes. Des maux qu’occafionne l’amour de l’argent. Si dansl’etat a&uel del’Europe, le Magiilrat eclaird doit defirer !e trop prompt affbibliffement d’un tel principe d’aclivite. Que ce n’ell point dans le luxe, mais dans fa caufe productrice qu’on doit chercher le prin¬ cipe produdeur des Empires. Si l’on peut porter trop d’attention a I’exatnen 4es queftions de cette efpece. Si danstelles queitions les jugemensprecipites V a 4ob " D E L ■ H O M M E , de l’ignorance , n’entrainent pas fouvent une Nation aux plus grands malheuri. Si confe'quemment a ce que je viens de dire, l’on ne doit point haine & mepris aux protec- teurs de 1’ignorance & generalement a tcus ceux qui s’oppofant aux progres de l’efprit bu¬ rn ain , nuifent ala perfection de lo Legiflation , par confequent au bonheur public, uniquement dependant de la bonce des Loix. 4 - ; /SECTION VII. •Que. c’elt I’excellence des Loix Sz non, com- me quelques-uns le pretender.t, la p'uretd dix iculte religieux qui peut afliirer le bonheur & la tranquillite desPeuples. . ■ Ehi peu d’influence des Religions fur lea ver tus & la felicite des. Nations. De l’efprit religieux deftru&if de l’efprit le.- giflatif. ’ Qu'une Religion vfaiment utile , Lorceroit les Citoyens a s’edairer. Que les hontmes n’agiifent point eonfequem- ment a leur croyaace:, mais a lour ayantage perfonnel. . Que plus da confluence d; ns Ieurs clprits, /rendroit la Religion paprfte plus miihble. Qu’en general les prineipes fpecuktifs cnt peu d’influence liar la cenduite des hommes ; son Education. Recapitulation, qu’ils n’obe'iffent qu’aux Loix de leur pays 6c a. leur intercr. Que rien ne prouve mieux le prodigieux pouvoir de la Legiflation , que le Gouvernement des Jefuites. Qu’il a fourni a ees Religieux les moyens dd faire trembler les Hois , tc d’exercer les plus grands attentats. • > Des grands attentars. Que ces attentats peuvent etre egalement infpires par les paflions de la gloire, de l’ambi- tion & dufanatilme. Du moyen de diflinguer l’efpece de paflion qui les-comtnande. Du moment ou l’interet des Je'fuites lenr or- donne de grands forfaits. Quelle Sedte en France pcuvoit s’oppofer a leurs entrepriles. Que le Janfenifme feu! pouvoit ditruire les Jefuites'. Que fans les Jefuites , op n’eut jamais connu tcut le pouvcir de-la Legiflation. Que pour la porter a fa perfection , il fauf : , ou comme un Saint Benoit, avoir un Grdre re- lieux • cu , comme un Romulus & un Pen , avoir un Empire ou une Colonie a fonder. Qu’en toute autre petition , le genie Legiflatif contraint par les rriaurs & les prejuges deja eta- fclis , ne peut prendre un certain efler , ni die¬ ter des Loix parfaites, dont l'etabfiffement pro- cureroit aux Nations le plus grand bonheur poflible. Que peur reicudre le p'roblefne de la felicite - * v 3 462 D E I 1 H O M M i; pub’ique, il faudroit prdliminairement connoitre ce qui conftitue effentiellement Ie bonheur de l’homme. ~- SECTION VIII. En quoi confifte le bonheur de l’individu & par confequent la felicite nationale neceffaire- ment qompofee de toutes les felicites particu- lieres. Que pour refoudre ce probleme politique , il faut examiner fi dans toute efpece de conditions, les hommes peuvent etrc egatement lieureux ; c’eft-a~dire , remplir d : une maniere egalamenc agreable tous les inftans de leur journee. De l’emploi du temps. Que cet emploi eft a peu pres le meme dans toutes les profeffions. Que ft les Empires ne font peuples que d’in- fortunes , c’eft l’effet de Fimperfedlion des Loix & du partage trop inegal des richeffes. Qu’onpeut donnerplus d’aifanceaux Citoyens; que cette aifance modereroit en eux le defir trcp exceffif des richeffes. Des divers motifs qui maintenanr juftifient ces defirs. Qn’entre ces motifs , un des plus puiffans eft Ja crainte de l’ennui. Son Education. Recapitulation. 463 Que la malndie de l’ennui eft plus commune Sc plus cruelle qu’on nel’imagine. De l’influence de l’ennui fur les mceurs des Peuples & la forme de leurs Gouvernemens. De la Religion & de fes Ceremonies, confi- derees comme remede a l’ennui. Que le feul remede a ce mal font des fenfa- tions vives & diftindles. Dela notre amourpour l’Eloquence , la Podfie & tous ccs arts d’agremens , dont l’objet eft d’exciter de ces fortes de fenfations. Preuve ddtaillde de cette verite. Des arts d’agremens ; de leur imprefiion fur 1 ’opulent oifif; qu’ils ne peuvent l’arracher H fon ennui. Que les plus riches font en general les plus ennuyds , parce qu'ils font plus paftifs dans preft que tous leurs phifirs. Que les plailirs palftfs font en gendral les plus eourts & les plus couteux. Qu’en confequence , c’eft aux riches que fe fait le plus vivement fentir le befoin des ri¬ ch effes. Qu’il voudroit toujours dtre mu’, fans fe don- ner la peine de fe remuer. Qu’il eft fans motif pour s’arracher a une oifi- vete a laquelle une fortune mddiocre fouftrair ndceffairement ld 5 autres hommes. De l’affociation des iddes de bonheur & de richefle dans notre memoire; que cette a/focia- tion eft un effet de l’education. Qu’une education difference produiroit l’effet contrairq. y a 464 J 5 e l’ H o m m e , Qu’alors , fans etre egalement riches & puif- Xans, les Ciroyens feroient & pourroient meme fe croire Egalement heureux. De i’utilite dbignee de ces principes. Qu’une fois convenu de cette verite , on ne doit plus regarder le m_lheur comme inherent a k nature meme des Socid.es, mais comme un accident occafionne par l’imperfe&ion de leur Ldgiflation. SECTION IX. De la poflibilite d’indiquer un bon plan de Legifiation. Des ob/fa des que 1’igncrance met a fa publi¬ cation. Du ridicule qu’elle jette far toute idee nou- yelle &c toute etude appoofondie de la Morale & de la Politique. De la hains de l’ignorant pour toute reforme. De la difficult^ de faire de bonnes Loix. ■ Des premieres queftions a fe faire a ce fujet. Des recompenfes , de quel^u’elpece qu’ellcs foient, fut-ce un luxe de plaifir , ne corrom- pront jamais les moeurs. Du luxe de plaifir. Que tout plaifir de'cerne par la reconnoiffance publique, fait cherir la .verm , fait refpedler les Loix, dont Iq renYqj~ SON ECUC ation. .Kecafkuliticn. 4 6$ foment, com me quelques-uns le pretendent, n’eii jamais l’efiet de l’inconftance de l’efprit liu- ruain. 0 u. . Des vraies caufes des changemens arrives dans les Loix des Peuplcs. Que ccs changemens prennent leur fource dans l’impcrfefiion de ces mimes Loix, dans la negligence dts adininiftrations, qui ne lit vent ni conter.ir i’ambiticn des Nations veifmes par l.i terreur des armes , ni celle de fours Conci- toyens par la- fageli'e des Regiemens, & qui d’ailleurs eleves d^ns des prejugds nuifibles, fa- vorifent lignorance des vtrites, dent la revela¬ tion aftiirercit !a.felicite publique. Que la revelation de la vtrite n’efi jamais fu- neue qu’a ce'ui qui la dir. Que fa cdnhnflfahce utile aux Nations, n’en troubla jamais k paix. Qu’une des plus fortes preuves de cette after- tion eft la lenteur avec laquclle la vtrite fe pre¬ sage. Des Gcuvernemens. Que dans auctin le bunlieur du Prince n r efl cctnme on le croit, attache aux maibeurs des Peuplcs. Qu’on doit la vtrite auxhommes. Que l’obligation de la dire , fuppofe Ie litre ufage des moyens de la decouvrir. Que prive de cctte libers e , les Nations croupiflent dans i’ignorafice. Des miux.quc' prsdnit l’indiSSrance pour tx ■*elite, .a , . 465 D e l’H o hki sj Que le Legiflateur , comme quelques-uns le pretendent , n’eft jamais force de facrifier le bonheut de la generation prefente a la genera* tion future. Qu’une telle fuppofition eft abfnrde. Qu’on doit d’autant plus exciter les homines a la recherche de la verite, qu’en general plus jndifferens pour elle, iJs jugent une opinion, vraie ou faufle , felon 1’interet qu’ils ont de la croire telle , ou telle. Que cet interet leur feroit nier au befoin la verite des demonftrations geometriques. Qu’il leur fait eftimer en eux la cruaute qu’ils deteftent dans les autres. Qu’il leur fait refpe&er le crime. Qu’il fait les Saints. Qu’il prouve aux Grands la fuperiorite de leur elpece fur celle des autres hcmmes. Qu’il fait honorer le vice dans un Protefleur. Que i’interet du Puiffant commande plus imperieufement que la verite aux opinions ge->- nerales. Qu’un interet fecret cacha toujours aux Par- lemens la conformite de la Morale des Jefuites & du Papifme. Que finteret fait nier journellement cette raaxime. » Ne fais pas a au'rui ce que tu ne » voudrois pas qu’on te fit. » Qu’il derobe a la connoilfance du Pretre hon- nete homme , & les maux produits par le Ca- tholicifme, & les projets dune Sefte intole- rante parce qu’elle eft ambirieufe, 8c regicide parce quelle eft intolerance. son Education. Recapitulation. 467 Dex moyens employes par l’Eglife pour s’af- fervir ies Nations. Du temps ou l’Eglife Catholique laiffe repofer fes pretentions. Du moment ou elle les fait revivre. Des pretentions de l’Eglife, prouvees par It Droit. De ces memes preventions prouvees par le fait. Des moyens d’enchainer l’ambition eccleftaf* tique. Que le toldrantifme feul peut la contenir ; peut en eclairant les efprits affurer le bonheur & la traaquillite des Peoples, dont le caradlere eft fufceptible de toutes les formes que lui don- nent les Loix , le Gouvernement & fur-tout l’e- ducationpubiique. .1 SECTION X. De la puiffance de 1’education: des moyens de la perfeftionner : des obftacles qui s’oppofenc aux progres de cette fcience. Delafacilie avec laquelle , ces obftacles le- vis , l’on traceroit le plan d’une excellente edu¬ cation. De l’e'ducation. Quelle peut tout, 468 D e i’H o rs eJ Que les Princes font comme les particuliers’ e produit de leur inftruftion. Qu’on ne peut attendre de grands Princes que d’un grand changement dans leur Edu¬ cation. . Des principaux avantages de l’inftruclion pu- blique fur la domeftique. Idee generate fur l’education phyfique de Ihcmme. ■ Dans quel moment & quelle pofition Fhom- me eft fufceptible d’une education morale. De l’education relative aux diverfes profef- frons. . ■ Di't’idl:cation morale de l’homme. De£ obftacles qui s’oppofent a la perfeftion de eette parde de I’education. Interet du Pretre, premier ob ftacle. Imperfeflion de la plupartdes gcuvernemens s . fecund obftacle. Que toute reforme importante dans la partie morale de l’cducation en fuppofe une dans les Loix & la forme du gouvernement. Que ceite* reforme faite, & les obftacles qui s’oppofent aux progres de 1’inftrudHon une fois- lev6., le probleme de la meilleure education pof- fible eft relblu. Ce que je me propofe dans les quatre Cha— pitres fuivans, c’eft de prouver l’analogie de mes opinions avec celles de Locke. De faire fentir toute 1 ’importance & l’Etendue du princspe de la fenfibilite phyfique. De repondre au reproche de matexialiftne & d'impiEte* SON £ DUCATION. Chap. I. De monrrer toute l’abfurdite de telles accufa- tions , & I’impoffibilitd pour tout moralifte eclai- re , d'echapper a cet egard aux cenfures ecde- fiaftiques. 1 1- CHAPITRE I. De l' analogic de rnes opinions avec celles de Locke. 7T JL/E sprit n’eft que l’affembkge de nos idees. Nos idees, dit Locke , nous viennent par les fens, & de ce principe , comme des miens , l’on peuc conclure que I’efprit n’eft en nous qu’u- ne acquifition. Le regarder comme un pur don de la Nature,, comme 1’efFet d’une organil'ation linguliere, fans pouvoir nommer l’organe qui le produit, c’eft rappeller en Philofcpbie les qualites occultes c’eft croire fans preuve , c’eft un jugement ha¬ zards. L’experience & l’hiftoire nous apprennent egalement que l’efprit eft inddpendant de la plus cu mains grande fineife des fens; que les hom¬ ines de conftirution differente, font fufcepti- bles des memes paftions & des memes iddes. Les principes de Locke loin de c. ntredire cette opinion la confirment; ils prouvent que i’educarion-nous fait ce que nous fortunes: que 70 D E L* H 0 M M E ; les hommes ont entr’eux d’autant plus de reftem* blance que leurs inftruflions font plus les me- mes ■ qu’en confluence l’Allemand reflemble plus au Francois qu’a l’Afiatique , & plus a 1 ’AI- lemand qu’au Francois ; qu’enfin fi l’efprit des hommes eft tres-different, c’eft que l’education n’eft la meme pour aucun. Tels font les faits d’apres lefquels j’ai compofe cet Ouvrage. Je le prefente avec d’autant plus de confiance au public, que l’analogie de me* principes avec ceux de Locke m'affure de leur verite. Si je voulois me manager la protection des Theologiens, j’ajouterois que ces memes princi¬ pes font les plus conformes aux idees qu’un Chretien doit fe former de la juftice de Dieu. En effet fi 1’elprit, le caradtere & les paffions des hommes dependoient de Fine gale perfection de leurs organes , & que chaque individu fut une machine difterente , comment la juftice du Ciel, ou meme celle de la terre exigeroit-elle les m£mes effets de machines dilfemblables ? Dieu peut-il donner a tous la meme Loi fans leur ac- corder a tous le. memes moyens de la prati- quer ? Si la probite fine & delicate eft de precepte, & fi cette efpece de probite fuppofe fouvent de grandes lumieres, il faut done que tous les hommes ccmmunement bien organifes foient doues par la Divinite d’une £gale aptitude a l’ef- prit. Qu’on n’imagine cependant pas que je veuille foutenir par des argumens theologiques la ve- Son Education. Chap . I . 471 rite de mes principes. Je ne denonce point aux fanatiques ceux dont les opinions fur cet objet font diffdrentes des miennes. Les combattre avec d’autres at mes que celles du raifonnement, c’eft blefter par derriere l’ennemi qu’on n’ofe regarder en face. L’experience & la raifon font les feuls juges de mes principes. La vdrite en fftt-elle demon¬ tree, je n’en condurois pas que ces principes du/Tent etre immediatement & univerfellement adoptes. C’eft toujours avec lenteur que la ve- r'ltd fe propage. Le Hongrois croit aux Vampires long-terns apr£s qu’on lui en a demontre la non- exiftence. L’anciennete d’une erreur la rend long-tems refpeftable. Je ne me flatte done pas de voir les hommes ordinaires abandonner pour mes opinions celles dans lefquelles ils ont ete sie¬ ve's Sc nourris. Que de gens interieurement convaincus de la fauffete d’un principe, le foutiennent parce qu’il eft generalement cru, parce qu’ils ne veulent point lutter centre 1’opinion publique ! il eftpeu d’amateurs finceres de la verite , peu de gens qui s’occupent vivement de fa recherche & la fai- fuTenr, Iorfqu’on la leur prefente. Pour ofer s’en declarer 1’apotre , il faut avoir concentre tout fon bonheur dans fa poffelfion. D’ailleurs a quels hommes eft—il referve de fentir d’abord la verite d’une opinion nouvelle? au petit nombre de jeunes gens qui n’ayanta leur entree dins le monde aucune idee arretee > choififfent la plus raifonnable. C’eft pour eux & la pofterite que le Philofophe ecrit. Le Phi^ 472 DEx,’ H o Rt me, lofophe fcul appercoit dins la perfpeciive de l’a- venir lc moment ou 1 opinion vraie , mais fin- guliere 8c peu connue , doit devenir l’opinion generate &: commune. Qui ne fait pas jouir d’a- vance des eloges de la pofterire & defire impa- tiemment la gloire du moment , doit s’abftenir de la recherche de la veriteielle ne s’offrira point a fes yeux. % * -fr CHAPITRE II. De XImportance & de Vitmdue du prin- cipc de la fenfibilile phyfique. U’fst-c.e qu'une fcience ? tin enchawemsat de propolitions qui toutes fe rapportent a un. principe general 8c premier. La morale eft-elie une fcience ? oui; li dans la fenhbilite phyfique j’ai decouvert le principe unique dont tous ies preceptes de la morale foient des confequences necelf :ires. Une preuve evidence de la vdrite de ce piincipe , c’eft qu’il explieue toutes les ma- nieres d'etre des homines, qu'il de voile les cau- fes de leur efprit, de leur fottife , de leur haine, de leur amour, de Jeurs erreurs & de tears con¬ tradictions. Ce principe doit etre d’autant plus facilement & univerfeitement adopte que i’exif- tence de la ferfiibihte phyfique eft un fait avoue de tous , que Fidde en eft claire, la notion dif- tinfte, l’expreflionneue,, & qu’eaiinnulle erreur son Education. Chap. II. 473 ae peut fe m£Ier a la fimplicite d’un tel axiome. La fenfibilite phyfique femble etredonneeaux hommes corame tin ange tutelaire charge de vei'ler fans celfe aleur confervation. Qu’ilsfoient lieureux ; voila peut-etre le feul voeu de la Na¬ ture & le feul vrai principe de la Morale. Les Loix fcnt-elles bonnes ? l’interet particulier ne fera jamais deftruclif de l’interet general. Chacun s’occupera de fa felicite ; chacun fera fortune 8 c jufte ; p :rce que chacun fentira que fon bonheur depend de celui de fon voifin. ■ Dans les focietes nombreufes ou les Loix font encore imparfaites, fi le fee le rat, le fanatique & le tyran l’oublient, que la mort frappe le fcelerat, le fanatique 8 c le tyran 8 c tout ennemi du bien public. Douleur & plaifrfont les liens par lefquels on peut toujouts unir Vinteret perfonncl a I’interet national. L’une & 1’autre prennent leur fource dans la fenfibilite phyfique. Les fciences de la - morale & de la Legiflation ne peuvent done etre que les dedu&ions de ce principe fimple. Je puis meme ajouter que fon developpemeut s’etend jufqu’aux diverfes regies des arts d’agremens dont l’objet, ccmme je 1’ai deja dit, eft d’exciter en nous des fenfations.Pluseliesfont vives, *10, plus l’cuvcage qui les produit parch beau & fu- blime. La fenfibilite phyfique eft l’homme lui-meme 8 c le principe de tout ce qu’il eft. Aufli fes con- noiffances n’atteignent-elles jamais au de-la de fes fens. Tout ce qui ne leur eft pas founds eft; inacceflxble a fon efprit,. 474 D * L* H O M M E J Les fcholaftiques cependant pretendent fans cefecours, percer dans les Royaumes intellec¬ tuals. Mais ces orgueilleux Syftphes roulent une pierre qui retombe fans ceffe fur eux. Quel eft leproduit de leurs vaines declamations & de leurs eternel'es difputes ? qu’appercoit-on dans leurs immenfes volumes ? un deluge de mots etendu fur un defert d’idees. A quoi fe rcduit la fcience de 1’homme ? a deux fortes de connoiflances. L’une eft celle des rapports que les objets ont avec lui. L’autre eft celle des rapports des objets en« tr’eux. Or qu’eft-ce que ces deux fortes de connoif¬ fances , finon deux developpemens divers de la fenftbilite phyfique (a) ? Mes concitoyens pourront d'apres cct O u- vrage voir mieux & plus loin que moi. Je leur ai montre le principe duquel ils peuvent de- duire les Loix propres a faire leur bonheur. Si fa nouveaute les etonne, & s’ils doutent de fa verite, qu’ils elfaient de lui en fubftitner un dont l’exiftence foit aufti univerfellement recon- nue, dont its aient une idee aufti claire, dont ils puiftent tirer un aufti grand nombre de confe- quences. S’il n’en eft point de rel, qu’ils regar- dent done la fenftbilite phyfique comme la feule (a) Si l’on regarde le principe de la fenlrbilitd phyfique comme deilruftif de la doftrine enfeignde fur 1’ame, 1’on fe trompe. Si je ftiis fenfible , e’eft que i’ai line ame , un principe de vie & de fentiment, auquel on pent toajours bonnet le nom qu’on veut. son Education. Chap. II. 47$ pierre de touche a laquelle on eprouvera defor- mais la verite ou la fauiTete de chaque propofi- tion nouvelle de Morale & de Politique. Toute proportion fera reputee faufle, lorfqu’on nc pourra la deduire de cet axicme. L’erreur eft la feule matiere heterogene a la verite. Au refte je ne fuis point Legiflareur & j’occupepeude place dans cet Uni vers. Ce que je pouvois en faveur de mes concitoyens, c’etoit de configner dans un Ouvrage, 1’unique principe de leurs connoift fances. Je n’ai fans doute rien avance dans ce Livre de contraire a la vraie Religion. Mais j’ai foutenu la necefiite de la tolerance. J’ai fait fen 1 - tir les dangers auxquels la trop grande puiiTance du Pretre expofe egalement, & les Princes & les Nations. J’ai montre la barriere qu’on peut op- pofer a fon ambition : je fuis done a fes yeux un ini pie. Le ferai-je a ceux du Public ? CH A PITRE III. Des accufations de materialifme & d’im~ pietc & de leur abfur due. t r JL. ’On peut a Paris & a Lilbonne redouter la haine theologique. Mais il eft des pays ou cette haine eft impuiflante , oh le reproche d’impiete n’eft plus de mode, ou toute accufation de cette efpece deyenue ridicule eft regardee comnie 1’ex- 476 D e e’ Homme, predion vague de la fureur &de la ftupidite mo¬ nacal e. D’ailleurs quelle impidte me reprocher ? je n’ai dans aucun endroit de cet Ouvrage nie la Trinite , la divinite de Jefus , l’immortalitd de 1’ame , la reiurreSion desmorts, ni meme aucun article du credo papijie : je n’ai done point atta- que la religion. Mais les Jefuites ont accufe les Jjnfdni/les de ntaterialifme. 11s pourront done auffi m’en accu- fer. Soit. Je me contenterai de leur repondre qu’ils n’ont point d’ide'es complettes de la m2- tiere ; qu’ils ne connoifl’ent que des corps ; que le mot de materialifte eft aufTi obfeur pour eux que pour moi; que nous fommes a cer Igud ega- lement ignorans ,mais qu’ils font plusfanatiques. Tout Livre confequent ell en horreur aux Theologiens. » La raifon a leurs yeux n'eji jamais catholique ». Ennemis nes de tout Ouvrage raifonnable , peut-etre anathematiferont-ils celui-ci. Cepen- dant je n’y dis d’eux quele malabfolumentindif- penfable. J’aurois pu m’^crier avec St. Jerome cue 1 ’Egiife eft la proflltuee de Baby lone. Je ne j’ai point fait. Lorfque j’ai pris parti contre les Pretres, e’eft en faveur des Peoples Si des Sou- verains. Lorfque j’ai plaide la caufe de la tole¬ rance ; e’efi pour leur epargner de nouveaux forfaits. son Education. Chap . III . 477 Mais , diront-ils , qu on etabliffe la tolerance, que l'Egiifemodele faconduite iurcelle de Jeius, fous quel pretexte pourra-t-elle emprifonner les cicoyens , les bruler , all'aftiner les Princes , See. L’Eglife moins redoutee , feroit alors rmins ref- -pectec. Or que lui importe l’exemple de Jefus. Ce qu’elle defire, c’efi: d'etre puiffante. La -preuve , C’eft 1’approbition donnee par elle a la mo¬ rale des Je'iuites. C’eft le titre de Vice-Dieu accords par elle a fon chef. C’eft enfin la croyance de fon infaillibilitd de- venue de foi en Italie , malgre cet a&e formel de l’Ecriture , tout hommeeji menteur. Sans unmotif d’ambition le Pretre e&t-il affir¬ ms! que le Pape tient !e milieu entre 1’homme & JUieu, nee Dais, nec homo , quia neuter eft,fe'd inter utrumque. Sans un pareil motif le Pape cut¬ il fouffert qu’on le transit de Demi-Dicu ? Eut-il permis qu’Etienne Patracene ecrivit qu’en lui Pape relide tout pouvoir fur les puiflances du Ciel & de la terre ? In Papa eft ornnis poteflas , fupra omnes poteftates tam call quani terra. Bo¬ niface Vlfl, dans une aflemblee tenue a Rome a l’occifion du Jubild, eut-il dit, je fuis Empe- reur , j’ai tout pouvoir dans le Ciel & fur la terre. Ego film, Pontifex & Imperator, terre fire ac ce~ lefteirnperium habeo. Ce Pape eut-il appreuve la phrafedu droit canoh ou il eft appelle, Do- minus Devs nofter. Le Seigneur notre Dieu. Nicolas fef&t-il glcrifie d’avoir etd n'omme Dieu par Conftantin , canon ,fatis evidenter dift. <)6, ■478 D E l’H o m m e ", Les Th^ologiens {a) euffent-ils declare dans d’autres canons , » que le Pape eft autant au- » delfus de VEmpereur que for pur eft au-delfus » du plomb vil : que les Empereurs recoivent » leur autorite du Pape, comme la Lune recoit » fa lumiere du Soleil, que les Empereurs par » confequent ne feront jamais que Junes ». Les Pretres enfin pour juftifier leur intole'- rance, eulfent-ils de la Divinite fait un tyran injufte, vengeur & colere? euftent-ils accumuld fur Dieu tous les vices des hommes ( b ) ? Si tout moyen d’acqudrir du pouvoir paroit le¬ gitime au Sacerdoce, tout obftacle mis a l’ac- croilfement de fon pouvoir Iui paroit une impie- te. Je fuis done impie a fes yeux. Or tel eft en certains pays la puiftance du Pretre fur les Prin¬ ces , qu’il peut a fon gre les irriter contre les Ecri vains memes qui defendenc les droits de leur (d) Un desDo&eurscanoniques plus hatdi encore adit. Papa eftfuprd me , extra me y Papa, eft omnis & fupri. cmnia , Papa eft dominus dominantium , Papa poteft mu- tare quadrata rotundis. C’eft-a-dire , le Pape eftdans moi, horsdemoi, le Pape eft tout, au-deftlis de tout. II eft: Seigneur des Seigneurs & d’un quarre il peut faire un cer- cle. Quelle propofition plus impie> ft de 1’aveu m£me des Theologiens la Divinite ne peut faire un baton fans deux bouts ! ( b) Pen de Nations , difent les voyageurs , bonorent ]e Diable fous fon vrai nom : mais beaucoup l’honorent fous celui de Dieu. Un Peuple adore-t-il un Etre dont les Loix font incomprehenfibies : cet Etre exige-t-il la croyance de I’incroyable ? commande-t-il I’jmpraticable > punit-il une foiblefte par des tourmens eternels } damne- t-il enfin 1’homme vertueux pour n’avoir pas fait 1’imp.ofli- bie ? II eft evident que fous le nom de Dieu , e’eft le Dia¬ ble qu’un tel peuple adore. Voyez le Livre on falje Re* Ugion , d’ou j , ai tird ce paflage. son Education. Chap. III. 479 couronne. Que de devotes d’ailleurs ne peut-il pas ameuter contre un Auteur ! J’ai lu le conte des oies couleur de rofe de Crebillon, & dans le monde j’ai toujcurs vu ce troupeau aimable & ddvot, dirige par un moine ilupide , crafleux & mechant. Les oies penfent toujours d’apr^s lui. Elies voient l’impi&e par- tout ou il veutlaleur montrer. Au refle ce reproche n’eft pas le feul qu’on me fera. L’efclave & le courtifan m’accuferont d’avoir mal parld du pouvoir arbitraire. Je l’ai peint fans doute fous fes veritables couleurs, mais par amour pour les Peuples & pour les Princes eux-memes. Tout Scuverain, commele prouve 1’hiftoire, eft, ou dans la dependance de l’armee , s’il porte le fceptre du pouvoir arbi¬ traire ( a ) , cu dans la dipendance de la Loi, s’il commande da ns une Monarchic moderee. Or de ces deux dependances , quelle eft la plus defira- (a) On peut diftinguer deux fortes de defpotifme, L’un eft puiffance, L’autre eft pratique. Cette diftinftion neuve eft feconde en confequenee.’ Un Prince eft defpote en puiffance , lorfqu’il a par le nombre de fes troupes, par 1’aviliifement des efprits & des ames acquis le pouvoir neceffaire pour difpofer a fo» gre des biens, de la vie, & deia liberte de fes Sujets. Tant que le Prince n’ufe point de ce pouvoir , tant que les Peuples n’en fouffrent point,ils croient leur gouverne- ment bon ; ils reftent tranquilles. Mais lorfqu’apres avoir acquis le pouvoir de noire , le Prince mot ce pouvoir en pratique & qu’il depouille les citoyens de toutes leurs proprietes ; alors ils s’irritentjils voudroient fecouer le joug qui les opprime : il eft trop tard. C’etoit dans le gerrne de cette puiffance illimit.ee K u ’d falloit etouffer les maux qu’ilj e'prouvenj. 480 D E t’ H 0 M M E , fcle pour un Prince ? quelle eft celle ou fa per- fonne eft la mains expofee ? la derniere. Les Loix gouvernent un Peuple libre. Les delations, la force, & l’atrocite gouver- nent les peuples efclaves. Et chez eux l’intrigue domeftique & !e caprice de l’armee, decident fou- vent de la vie du Monarque. Je ne m’etendrri pas davantage fur cefujet. En matiere politique, unvnot fuftit poureclai- rer les homines. 11 n’en eft pas de meme eri ma¬ tiere religieufe. Lc jour de la raifon pafle rare- ment jufqu’aux devots (n). Puiftent-ils defor- muis plus inftruits reconnoitre enfin qu’il ri’eft point d’ouvrage a l’abri d’une accufation d’im- piete. (a) Aboulola le plus fameux des Poefes Arabes n’avoit inuUe opinion deslumieres des devots. Void la traduflion o- mine , benedices. Ce dont j’avertis le Clergd de France en par- ticulier,; c’eft que fa fureur immodcree Sc ridi¬ cule contre les Lettres, lerend fufpeft &odieux a L’Europe. Un homme fait un Livre: ce Livre ell plein de veritesoua’erreurs. Dans ie premier cas, pourquoi fous le notn de cet auteur, perfe- cuter la verite elie-meme ? dans le fecond cas, pourquoi punir dans un Ecrivain des erreurs a coup fur involontaires. Quiconque n’eft ni gage, ni homme de parti, ne fe propofe que la gloire pour recompenfe de fes travaux. Or la gloire ell toujours attachee a la verite. Qu’en la cherchant, je tombe dans 1'erreur: l’oubli ou s’enfevelit mon nom & mon Ouvrage, eft mon fupplice, & le feul que je merjte. Veut-on que la mort fait h punition d’un rai- fonnement hazarde ou faux ; quel Ecrivain eft: allure de fa vie & qui lui jettera la premiere pierre ? que fe propofent les Pretres en deman¬ dant le fupplice d’un auteur? pcurfuivent-i!s une erreur avec le fer & le feu ? ils 1’accreditent. Pourfuivent-ils une verite avec le meme achar- nement ? ils la propagent plus rapidement. Que prouve jufqu’ici la conduite du Clerge papifte ? rien ; linon qu’il perfecute & perfecutera tou¬ jours la verite. Plus de moderation fans doute lui lieroit mieux. Elle eft ddcenre en tous les terns Sc neceftaire dans un fiede oil la cruaute irate les efprits Sc ne les foumet pas. Virtus non Urrita monjlris, son Education. Notes. 485 NOTES. I. A quoi fe reduit la fcience de 1 ’e'ducation ? I celle des moyens de necefiiter les hommes a l’ac- quifition des vcrtus & des talens qu’on defire en eux. Eft-il quelque chofe d’impoilible a 1’educa¬ tion ? non. Un enfant de la Ville craint-il les fpe&res? Veut-on en detruire en lui cette crainte ? qu’on 1’abandonne dam un bois dont il connoiffe les routes, qu’on l’y fuive fans qu’il s’en appercoive, qu’on le laifle revenir a la Maifon: des la troifie- me ou quatrieme promenade, i! ne verra plus de lpe&res dans les bois ; il aura par J’habitude & la neceffite acquis tout le courage que 1’un &l’au- tre infpire aux jeunes payfans. 1. Suppofons que les parens s’intereflafTent aufli vivement qu’ils le pretendent a l’educarion de Ieurs enfans, ils en auroient plusde foin. Qui prendroient-ils pour nourrices ? des femmes qui deja defabufees par des gensinftruits de leurscon- tes & deleur maximesridicules,fauroienten ou¬ tre corriger les defauts de la plus tendre enfance. Les parens auroient attention a ce que les garcons foignes jufqu’a fix ans par les femmes, palfaffent de leurs mains dans des maifons d’inftruction pu- publique, ou loin de la diffipation du monde, ils refteroient jufqu’a 17 ou 18 ans , c’eft-a-dire, jufqu’au moment que prefentds dans le monde, ils y recevroient 1’education de I'homme; educa- 4 86 De l’ Homme,. tion fans contredit la plus importance, mais en¬ ticement dependante des focietes qu’on cultivs, des portions ou l’on fe trouve, enfin de la forme des gouvernemens fous lefquels on vit. 3. Si les exercices violens fortifient non- feulement le corps, mais encore le tempera¬ ment , c’eft pent - etre qu’ifs retardent dans 1’homme le befoin trop premature de certains plaifirs. Ce ne font point les reproches d’une mere ni les fermons d’un Cure, mais la fatigue qui feule attiedit les delirs fougueux de l’ado- lefcence. Plus un jeune homme tranfpire & depen fe d’efprits animaux dans des exercices de corps & d’efprit, moins fon imagination s’e'chauffe , meins il fent le befoin d’aimer. Peut-etre 1’amour excelTif des femmes eft-il en Afie l’effet de I’oifivete des corps & des efprits. Ce qu’il y a de fur, c’eft qu’au Canada le Sativage jcurnetiement epuife par les fati¬ gues de la chaffe & de la peche, eft en general peu fenfible a ce plaifir. L’amour ft tardif des anciens Germains pour les femmes etoit fans doute 1’efFet de la meme caufe. M. Rondeau p. 144. 1. 3. de 1’Emile , vante beaucoup la continence de ces Peuples : il la regarde comme k caufe de leur valeur. Je fais avec M. Rouf- feau le plus grand cas de la continence : mais je ne conviens point avec lui qti’elle foit mere du courage. La fable & I’hiftoire nous apprennent que. les_H ercules, les Xhefees', les Achilles, les Ale-* yoN Education. Notes. 48? xandres , les Mahomets , les Henris IV, fes Marechaux de Saxe &c. etoient braves & peu eontinens. Farmi les Moines il en eft de tres- chaftes & peu de braves. Lcrfqu’a l’occafion de l’amour des femmes &: de I’amour focratigue, le fage Plutarque exa¬ mine lequel de ces deux amours excite ie plus les hommes aux grandes adieus , & qu’il cite a ce fujet les anciens Heros, il eft certain qu’il n’eft pas de I’opinion de M.'Roufteau. D’aprcs Plutarque & 1’hiftoire, cn peut done affurer que le courage n’eft pas neceftairement le produit dela chaftete Au refte je n’en conferve pas moms de ref- pcdl pour cette vertu dont les divers peuples ont ainfi que de la pudeur des idees tres-dif- fdrentes. Rien de plus impudique aux yeux de la Mufulmane voilee que le vifage deccuverc de la devote Allemande, Italienne ou Fran- coife. 4. Il fut, dit-on, des peuples dont les biens etoient en commun. Quelques-uns vantent beau- coup cette communautede biens. Point de peu¬ ples heureux, difent-ils , que les peuples fans propriete. Ils citent en exemple les Scythes, les Tarmres , les Spartiates. Quant aux Scythes & aux Tartares, ils con- ferverent toujours la propriete de leursbefiiaux. Or e’eft dans cette propriete’ que conftftoit toute leur richefFe. A l’egard des Spartiates, on fait qu’ils avoient des efdaves, que chaque famille poffedoit l’une des 39 mille portions de terre qui compofoient le territoire de Lace.- X 4 4§g D e t’ Homme; difmonc ou de la Laconie. Les Spartiates avoient done des proprietes. Quelque vertueux qu’ils fuffent, 1’hiftoire neanmoins nous apprend qu’a l’exemple des autres hommes, les Lacedemoniens vouloient fecueitlir fans femer , & qu’ils chargeoient en confluence les Ilotes de la culture de leurs terres. Ces Ilotes etoient les Negres de la Re- publique. Us en mettoient le fol en valeur. Dela le befoin d’efclaves & peut-etre la necelTite de la guerre. On voit done par la forme meme du gou- vernement de Lacddeinone que la partie libre de fes habitans ne pouvoit etre heureufe qu’aux depens de l’autre &: que la pretendue com- munaute de biens des Spartiates ne pouvoit, camme quelques-uns le fuppofent eperer che 2 eax le miracle d’une felicite univerfelle. Sous le gcuvernement des Jefuites les ha¬ bitans du Paraguai cultivoient les terres en commun & de leurs propres mains. En etoient- ils plus heureux ? J’en doute. L’indifference avec laquelle ils apprirent la deftrufHon des Jefuites juitilie ce doute. Ces peuples fans propriete etoient fans dnergie & fans emulation. Mais I’efpoir de la gloire & de la confideration ne pouvoit-il pas vivifier leurs ames ? non : la gloire & la confideration font une monnoie, un moyen d’acquerir des plaifirs reels. Or de quel plaifir en ce pays avantager Tun de pre¬ ference aux autres ? Qui confidere l’efpecc & le petit nombre des focietes ou cette communaute de biens eut son Education. Notes. 489 lieu , foupconne toujours que des obftacles fe- crets s’oppofent a la formation comme aubonheur de pareilles focietes. Pour porter un jugement fain fur cette queftion, il faudroit 1’avoir pro- fondement mediae; avoir examine fi l’exiftence d’une telle focidte dtoit egalement poffible dans toutes les pofitions Sc pour cet efTet I’avoir con- fideree: i°. Dans unelle. 1 . Dans un pays coupe dans de vaftes de- ferts , defendu par d’immenfes fore's & dont la conquete foit par cette raifon dgalement indirre'- rente & difficile. 3 0 . Dans les contrees oules habitans errans comme les Tartares avec leurs troupeaux, peu- vent toujours echapper a la pourfuite de Ten- nemi. 4 0 . Dans un pays couvert de Villcs, envi- ronnd de Nations puillantes; & voir enfin fi dans cette derniere pofition, ( fans contredit la plus commune) cette fociete pourroit confer- ver le degre d’emulation, d’efprit & de courage neceftaire pour relifter a des peuples proprietai- res , favans & dclaires. Je ne m’etendrai pas d’avantage fur cette queftion dont la verite ou la fauffete importe d’autant moins a mon fujet que par-tout oil la communautedesbiensn’a pas lieu, la propridtd doit etre facree. 5. Le droit de teller eft nuifible ou utile a la focidte? c’eft un problSme non encore refolu. Le droit de tefter, difent les uns, eft un droit de 490 D e l’ H o m m e , propriety dont on ne peutlegitimement depouii- Jer ie citoyen. Tout homme, difent les autres, a fans doute de fon vivant le droit de difpofer a fon gre de fa propriCte:mais lui mort il ceffe d’etre prcprieraire. Le mort n’eft plus rien. Le droit de transferer fon bien a tel ou tel ne lui peut avoir ete confere que par la Loi. Or fuppofons que ce droit occa- fionnat une infinite de proces & de difcuffions , & que tout compenfe il fut plus a charge qu’utile a la fociete , qui peut contefter a cette fociete le droit de changer une Loi qui lui devient nuifible. 6. La volonte de I’homme eft amlulatoire , difent les Loix , & les Loix ordonnent 1’indifTb— iubiiite du mariage : quelle contradiction ! que s’enfuit-il, le malheur d’une infinite d’dpoux. Or le malheur engendre entr’eux la haine, & la haine fouvent les crimes les plus atroces. Mais qui donna heual’indi/folubilitddu mariage la pro- feffion de laboureurqu’exercerentd’abordles pre¬ miers hommes. Dans cet etat le befoin reciproque & jour- nalier que les epoux ont l’un de l’autre , allege !e joug du mariage. Tandis que le mari defriclie la terre, laboure le champ , la femme nourrit la volaille, abreuve les beftiaux, tond les brebis , foigne le menage & la baifeeour , prepare le di¬ ner du mari, des enfans & des domeftiques. Les conjoints occupes du meme cbjet, c’eft-a-dire , de l’amdlioration de leurs terres , fe voient pen, font a l’abri de l’ennui, par confequent du de- gour. Qu’on ne s'dtonne d ncpoint fi le mari Si la femme toujours en aCiian & toujours neceJIaires son Education. Notes. 491 Pun a l’autre , cheriffent meme quelquefois Tin- diffoluhilite de !eur hymen. S’il n’en eft pas meme dans les profeffions du Sarcerdoce , des Armes & de la Magiftrature , c’eft qu’en ces diverfes profeftions les epoux fe font moins neceftaires l’un a lautre. En eiFet de quelle utilite la femme peut elle etre a fon mari dans les functions de Muphti, de Vifir ,deCadi &c! La femme alors n’eft pour lui qu’une prcpriete de Iuxe&depftiftr. Telles font les caufes qui chez les diffdreris peuples , ont modifie dune infinite de manieres Turnon des deux fexes. II eft des pays ou Ton a plufieurs femmes & plufieurs concubi¬ nes ; d’autres ou Ton s’epoufe apres deux ou trois ans de jouiflance & d’epreuves. J1 eft enftn des contrees ou lesfemmes font en ccmmun ; oul’u- nion des deux epoux ne s’etend pas au deia de la duree de leur amour. Or fuppofons quedansl’e- tabJifiement d’une nouvelle forme de manage , uri Legiflateur affranchi de la tyrannie des pre- juges & de la coutume, nefe propofat quele bien public & le plus grand bonheur des epoux pour objet, quo non content de permettrele divorce il cherchat & decouvrit le moyen de rendre Tu- nion conjugate la plus ddlicieufe pofiibte;ce moyen. trouve , la forme des mariages deviendrcit inva¬ riable , parce que nul n’a le droit de fubftituer de meins bonnes a de meilleures Loix, de di- minuer lafomme de la fe'licite natiomle, & meme de s’oppofer aux pl'aifirs des individus, lorfque ces plaifirs ne font pas contraires an bonheur du. jalus grand nombre. Mai-s comment n’a-t-on pas encore refolu ce- 49 a 15 e l ! H o m m e, probleme important ? c’eft qu’obftindment atta~ chees a leurs ufages, les Nations ne les changent point qu’elles n’y foient forcees par une abfolue neceffite. Or quelque mauvaife que foit la forme actuelie des manages, il arrive cependant que fi les focietes en confluence fubffftent moins heu- reufement, cependant elles fubfiftent & la pareffe des Legiflateurs s’en contente. 7* Le befoin des vertus focialespeut etre fen- ti de l’enfance meme. Veut-on graver profonde- ment dans fa memoire les principes de la juftice ? je voudrois que dans un tribunal cree a cet effet dans chaque college , les enfans jugeaffent eux- memes leurs differens ■ que les fentences de pe¬ tit tribunal portees par appel devant les Maitres y fuffent confirmdes ou rectifiees felon qu’elle3 feroient juftes ou injufies ; que dans ces memes colleges 1’on apoffar des hommes pour faire aux eleves de ces efpeces d’injures & d’offenfes dont l’injuffice difficile a orouver, contraignit & &le plaignant de renechir fur fa caufe pour la bien pk ider ; & le tribunal d’enfans de reflechir fur cette meme caufe pcur la bien juger. Les eleves forces par ce moyen de porter ha- bituellement leurs regards fur les preceptes de la juftice, enacquerroientbientotdesideesnettes. C’eft par une methode a-peu-pres pareille que M. Rouffeau donne a fon Emile les premieres notions de la proprie'td. Rien de plus ingen.ieux que cette mdthode, cependant on la neglige. M. Rouffeau n’eut-ilfait que cette feuledecouverte , je le compterois parmi les bienfaiteurs de l’hu- manite & lui erigerois volentiers la ftatue qu’il demande. so>: Education. Notes. 493 L’on ne s’attache point alfez a former le juge- ment des enfans. A-t-on charge leur mdmoire d’une infinite de perits fairs ; I’on eft content. Que s’enfuit-i! ? que l’liomtne eft un prodige de babil dans fon enfance & de non-fens dans l’age mur. Pour former le jugement d’un dleve, que faut il? le faire d’. bord raifonner fur ce qui l’interelfe perfonnellement. Son eforit s’eft-il etendu ? il faut le lui faire appliquera de plus grands objets. Expofer pourcet effct a fes yeux le tableau des Loix & des ufages des diiferens peuples ; l’etablir juge de la fagell’e, de la folie de ces ufages, de ces loix , & lui en faire enfin pefer la perfedion ou l’imperfedion ala balance du plus grand bon- heur & du plus grand interet de la Republique. C’eft en meditant le principe de l’utilite nationale que 1’enfant acquerroit des iddes faines & gene- rales de la morale. Son efpric d’ailleurs exerce fur ces grands objets en feroit plus propre a toute ef~ pece d’etude. Plus l’application nous devient facile, plus les forces de notreefprit fe font accrues. Qn ne peut de trop bonneheureaccoutumer 1’enfant ala fati¬ gue del’attention, & pour lui en faire contrader l’habitude , il faut, quoi qu’en dife M. Routfeau , employer quelquefois le reflort de la crainte. Ce font les Mairres juftes & feveres qui formenten general les meilleurs eleves. L’enfant comme l’homme n’eft mu que par l’efpoir du plaifir &la crainte de la douleur. L’enfant n’eft-il point en¬ core fenfible au plaifir , n’eft-il point fufceptible de l’amour de la gloire ; eft-il fans emulation ? c’eft la crainte du chatiment qui feul peut fixer 4'94 D e l’ H o m m i , fon attention. La crainte eft dans l’educ3tion pu* blique une reffource a Inquelle les Maitres font indifpenfablement obliges de recotirir, mais qu’ils doivent menageravec prudence. 8. Dans tout gouvernetnent ou jenepuis £tre heureuxque parlemalheurdesautres, je deviens mechant. Nul remeds a ce mat qu’une reforme dans le gouverrrement. Mais quel moyen de fai- re confentir les peuples a cette reforme & de leur faire reconnoitre le vice de Ieurs Loix ? que fairepour rendrela vue a des aveugles ? je fais qu’on peut inftruire les hommes par des livres ; mais la plupart lie lifent point. On peut encore les eelairer par des predications : mais les puif- fans defendent de precher contre des vires dont ils imaginent que I’exiftence leur eft avantageu- le. La difficult^ d’inftruire les peuples de leurs veritables imerets s’oppofant a route fage refor¬ ms dans les gouvernemens, y doit done eternifer ler erreurs. 9. Suppofons que l’etude de lalangue Latine fut aufli utile que peut-etre elle 1’eftpeu, & qu’on voulfit dans lemoindre terns poflible en graver tous les mots dans la memoire d’un enfant, que faireil’entourerd’hommes qui ne parlent que La¬ tin. Si le Voyageur jettepar la tempete fur une lie dont il ignore la langue, ne tarde pas a la par- ler , e’eft qu’il a le befoin & la neceflite pour Maitres. Or qu’on mette l’enfant le plus pres poflible de cette pofition ; il faura plus de Latin en deux ans , qu’il n’en apprendroit en dix dans . les colleges. 10. Dans la Poelie pourquoi le beau defend* son Education. Notes. 495 ment & celui des images frappe-t-il plus gene- ralement que le beaudes idees? c’eft que leshom- mes font fenfibles avant d’etre fpirituels ; c’eft qu’ils recoivent des fenfations avant de les com¬ parer entr’elles. F I N.