/ / / l f l\ I * « F. ZWITTER LES ORIGINES DE LILLVRISME POLITIQUE ET LA GREATION DES PROVINGES ILLYRIENNES Articles parus dans Le Monde Slave, (avril, mai et juin 1933) sous le titre Illyrisme et sentiment jougoslave. M. CM. XXXIII '1 i i ■ ' . • • f : * . 1 F. ZWITTER 3 ^ 1 .» Jj.f/iSdl- LES ORIGINES DE L’ILLYRISME POLITIQUE ET LA CRČATION DE8 PROVINGES ILLYRIENNES M. CM. XXXIII p -. J- * C ' ■\r~* \ f T 51124 Dans un article sur La grande IUyrie et le mouvement illy- rien, paru en 1847, M. Desprez fait mention aussi de Tlllvrie napoleonienne, reconnait 1’importance de la domination frangaise pour le developpement de la langue nationale chez les Slaves du Sud, et ajoute quelques observations critiqu.es sur les esperances que cette politique fran£aise avait fait naitre chez les Illyriens : « Quelques savans s’4taient grandement rejouis d’avoir trouve un maitre si g6nereux, et l’un d’eux avait meme publie, en tete d’une grammaire editee a Laybach en 1811, une ode toute pindarique, dans laquelle 1’empereur des Franfais est considere comme le regenerateur futur de la grande nation ittyrienne. On se plaisait a croire qu’apres avoir foudroye 1’Autriche et degage entierement rillyrie du joug des Allemands il allait frapper quelque grand coup sur 1’empire ottoman pour lui enlever l’autre partie de l’Illyrie et la reunir a la premiere. C’etait, a vrai dire, elargir beaucoup les plans de Napoleon, et rillyrie d’alors eiit ete elle-meme peu preparde a saisir la fortune qui se serait ainsi offerte : le sommeil dans lequel est elle tombee en 1815 le prouve assez. Toujours est-il que la fondation des provinces illyriennes a exercč sur les bords de l’Adriatique une influence bienfaisante et qu’elle a porte les populations a rentrer en elles-memes. Aujourd’hui encore, c’est pour elles comme un reve heureux qu’elles s’efforcent a poetiser, et bon voudrait en vain leur persuader que l'Illyrie de 1’avenir n’a pas existe dans la pensde de Napoleon » (1). La question de 1 ’importance nationale de la creation des Provinces illyriennes est done discutee au moins depuis l’epoque du mouvement « illyrien », c’est-a-dire depuis cent ans, sinon meme depuis l’epoque napoleonienne. L’opinion des historiens serieux reste assez proche de celle de M. Des¬ prez ; apres eux, les Fran9ais ont favorise partout la langue nationale, et ils citent YIllyrie ressuscitee de Vodnik comme un tžmoignage du mouvement national suscite par cette poli¬ ti) Revue des Dem Mondes, 15 marš 1847, p. 1017. 4 LE MONDE SLAVE tique franfaise. Ils reconnaissent aussi 1’importance qu'a pu avoir pour la formation d’un sentiment national moderne la nouvelle organisation du pays, fondee sur 1’egalite devant la lei et la suppression des privileges. Mais les historiens you- goslaves serieux rejettent eux-memes 1’idee d’une « Yougos- lavie de Napoleon », de son pretendu dessein de creer un Etat national. D’ail]eurs, quelques autres ecrivains ont beaucoup exagere la « these nationale ». Au vrai, il n’a ete fait de recher- ches satisfaisantes que sur la question de la langue et de 1’admi- nistration. Les autres aspects de la question nationale en Illyrie ont ete tres peu etudies. Sur la creation de rillyrie, on ne possede que les indications de M. Prijatelj dans son etude sur la Langue slovene sous Napoleon. II n’admet pas que la creation de rillyrie ait eu des motifs nationaux, mais il cons- tate qu’en octobre 1809, cependant,' quand l’annexion des provinces maritimes autrichiennes et leur reunion en un corps politique sous le nom de Provinces illyriennes a dej a ete deci- dee, les Fran9ais et meme 1’Empereur ont temoigne un vif interet a leurs nouveaux sujets slaves (1). Le probleme doit etre pose dans le cadre general des ques- tions qui se presentent a ce sujet a Phistorien. C’est le seul moyen d’en approcher la so] ut ion. I. L’lLLYRISME AVANT LA REVOLUTION FRAN9AISE L’illyrisme est la premiere forme sous laquelle apparait dans 1’histoire l’idee yougoslave ; mais il n’est pas la seule forme du sentiment national dans les pays yougoslaves. Pour en comprendre le caractere et Pimportance historique, il faut d’abord discerner la nature des divers sentiments nationaux qui existaient parmi les Yougoslaves vers le milieu du xvm e siecle. Chez les Yougoslaves comme ailleurs, la nationalite est une question de cori]i{ince, de volonte. Mais les facteurs qui ont determine la conscience nationale ne sont pas partout les memes^Le""sentiment nationalja pour appuis les traditions (1) Slovenščina pod Napoleonom (La langue slovene sous Napoleon), Veda I, Gorice, 1911. l’illyrisme avant la revolution fran^aise 5 historiques serbes, surtout celles de l’Etat serbe du Moyen- Age et 1’Eglise serbe. Les Serbes de Turquie ont joui d’une autonomie religieuse au moins pendant l’epoque du patriar- cat de Peč (1557-1766). Ceux qui, apres la reconquete par 1'Autriche des pavs qui vont jusqu’au Danube et jusqu’a la Save « immigrent » de Turquie dans ces contrees, se rassem- blent autour du nouveau patriarcat de Sremski Karlovci, et refoivent de 1’Autriche des privileges qui comportent eux aussi 1’autonomie religieuse. La nation serbe est done alors surtout une unite religieuse ; son role politique n’en est pas moins important. Les Serbes de Turquie, nettement hostiles a la domination turque, attendent de l’Autriche ou de la Russie )eur affranchissement ; ils sont un faeteur important dans tous les desseins des puissances chretiennes contre la Turquie. Ceux de Hongrie, qui se sentent menaces dans leur orthodoxie, et dont les sympathies vont par suite vers la Russie, voudraient voir 1’autonomie religieuse tres restreinte dont ils jouissent s’elargir et meme etre remplacee par une autonomie politique dont ils fondent la revendication sur les privileges que l’Autriche leur a accordes lors de leur immi- gration en 1690, mais qu’elle a ensuite violes. Done il existe bien deja un sentiment national serbe, mais il est fort diffe- rent du sentiment national moderne : d’abord parce que la question de la langue et toutes les questions connexes n’y jouent pas de role ; ensuite parce que si la tradition d’Etat du Moyen-Age ne s’est jamais perdue parmi les Serbes, ils n’ont pas de programme et de plan d’action orientes vers la creation d’un nouvel Etat serbe. Le sentiment national serbe est un sentiment national religieux (1). Les Croates ont eu, pendant quelques siecles du Moyen- Age, un Etat national independant, qui est entre ensuite, a partir de 1102, dans 1'unite politique des pays de la 'Cou- ronne de Saint-Epenne et, en 1526, avec la Hongrie, dans celle des Etats de la maison d’Autriche. Si diminuče ter- ritorialement qu’ait ete la Croatie du Moyen-Age par la con- (1) E. Haumant, La formation de la Yougoslavie, pp. 102, 154 et suiv., 165-166. 6 LE MONDE SLAVE quete turque, 1 ’occupation de la Dalmatie par Venise et 1 ’organisation des Confins militaires sous' la dependance immediate de Vienne, il subsiste toujours un territoire sur lequel le pouvoir n’est pas tout entier aux mains de la bureau- cratie de Vienne et des organes politiques communs a tous les pays de la Couronne de Saint-£tienne, mais oii les institu- tions de l’autonomie provinciale ont conserve certains droits. Le sentiment national croate est ainsi celui des classes sociales qui sont representees a la Diete provinciale et qui defendent leurs privileges contre les aspirations de la bureaucratie cen- tralisatrice de Vienne, qui gardent la tradition historique croate et esperent voir un jour tout le territoire de 1’ancienne Croatie represente a leur Diete. II a moins encore que le senti¬ ment national serbe le souci de la langue nationale — la langue officielle de la Diete est le latin —, et il veut seulement defendre les privileges du pays, mais non pas creer un Etat independant. C’est un sentiment national feodal. Les Slovenes sont en situation particulierement difficile. Us vivent en Styrie, en Carinthie, en Carniole, dans le comte de Gorice, a Trieste, provinces des pays hereditaires de la maison d’Autriche, qui font partie de 1 ’Empire germanique. La noblesse de ce pays est allemande et se sent de « nation » styrienne, carinthienne, carniolienne... et, par elles, de la grande nation allemande. Cependant, la Reforme a cree la langue litteraire slo vene et, avec elle, un nouveau sentiment national a base de langue populaire, de conscience « carnio¬ lienne » (le mot depassant ici les frontieres de la Carniole et prenant le sens de slovene) et par consequent slave. Ce n’est d’ailleurs encore que le sentiment de quelques erudits qui s’interessent a la langue du peuple. Le developpement du sentiment national slovene commence vraiment avec la grammaire de Pohlin (1768) (1). (1) P. Kidrič, Razvojna Unija slovenskega preporoda v prvih razdobjih (La ligne du developpement de la renaissance nationale slovene pendant la premiere periode), Razprave, V-VI, Ljubljana, 1930 ; Dobrovsky in slovenski preporod (Dobrovskji et la renaissance nationale slovene), Razprave, Hist. sekc. I, Lju¬ bljana, 1930 ; Zgodovina slovenskega slovstva (Histoire de la litterature slovene), Ljubljana, 1929. l’illyrisme avant la revolution fran^aise 7 Voila done parmi les Yougoslaves le premier sentiment national particulier a base linguistique. Mais il a dej a existe avant lui un sentiment national de meme base, qni est slave, ou panslave. Aux yenx du Moyen-Age, tous les Slaves parlent la meme langue ; de la est ne chez quelques chroniqueurs, voyageurs et autres gens lettres ce sentiment national slave. Pendant les premiers siecles de l’epoque moderne, les temoi- gnages en deviennent de plus en plus nombreux, surtout a Raguse, en Dalmatie et en Croatie ; il est represerite par une pleiade de poetes ragusains et, au xvm e siecle, surtout par le Ragusain Mauro Orbini, auteur de la premiere histoire generale des Slaves, Il regno degli Slavi, et par le plus grand panslaviste d’avant le xix e siecle, le Croate Georges Križanič. Mais il ne faut pas s’en 'exagerer 1’importance ; il n’est guere qu’affaire d’erudits, et n’a aucune importance politique (i). Au Moyen-Age, il n’existe parmi les Yougoslaves de litte- rature slave que dans les pays oii le slave est la langue de 1’Rglise ; et, meme dans ces pays, c’est le slavon d'Eglise, et non pas la langue vivante, qui est a la base de la langue litte- raire. Aussi 1’homme du Moyen-Age ne pouvait-il pas se faire une idee exacte des diff erences qui separaient les langues slaves; il ne voyait que leur parente. La Renaissance, la Reforme et la Contre-Reforme changent cet etat de choses. A cote de 1’idee d’une identite de langue de tous les Slaves, qui subsiste toujours, s’en forment d’autres plus precises. En Slovenie, la Reforme a fait naitre la langue litteraire slovene et le senti¬ ment national slovene. Mais en Dalmatie les grands mouve- ments historiques qui viennent d’etre rappeles ont cree 1’idee illyrienne. Les opinions sur 1’histoire de l’illyrisme ont beaucoup change depuis vingt ans. Celle qui regnait autrefois a fait obstacle a la juste comprehension du probleme national dans rillyrie fran^aise. __ Elle voulait que le Serbe Vuk Karadžič eut, au commencement du xix e siecle, introduit chez les Ser- bes, et le Croate Ljudevit Gaj quelques annees plus tard chez (i) Vcir p. e. J. PervomL Slavjane, ikh vzaimnija otnošenija i svjazi (Les Slaves, leurs rapporls mutuels), II, Varsovie, 1888. LE MONDE SLAVE les Croates, comme langue litteraire le dialecte herzegovi- nien. Us seraient ainsi les vrais createurs de la langue litteraire serbo-croate. Gaj serait aussi le fondateur de l’illyrisme, c’est- a-dire du mouvement qui voulait introduire la nouvelle langue litteraire aussi chez les Slovenes et les Bulgares, fondre tous ces peuples dans une unite culturelle et les unir — si possible — dans une unite politique. II aurait choisi pour cette nou¬ velle nation le nom d’Illyriens, parce qu’il considerait les Illyriens de l’antiquite comme des Slaves et les ancetres des Illyriens modernes (i). L/histoire de l’illyrisme commencerait ainsi avec Gaj, c’est-a-dire aux environs de 1830, et n’aurait done rien a faire avec l’Illyrie fran^aise. Mais les recherches nouvelles, surtout celles de M. Murko, ont montre que l’illyrisme existait avant Gaj. Si 1 ’importance du mouvement illyrien apres 1830 ne peut etre niee, il n’est cependant que la deuxieme phase de Levolution historique de 1’idee illvrienne, et il a ete prepare pendant plusieurs sie- cles par un autre mouvement dont il a emprunte le nom, la langue et les idees (2). * * * L’illyrisme apparait pour la premiere fois dans 1 ’histoire pendant la Renaissance, et il trouve quelques points d’appui dans le Moyen-Age. La chronique russe dite de Nestor, qui est du xn e siecle, se pose la question de la patrie primitive des Slaves en partant du texte de la Bible sur la tour de Babel, et trouve cette patrie au Midi, dans l’Illyrie. Les pretres catholiques dalmates du rite slave, toujours suspects d’heresie aux yeux de leurs confreres « latins », forgent au xm e siecle (1) P. Kuuakovski, Illirizm ( L’ illyrismc) , Varsovie, 1894. D. 'Šurmin, Hrvatski preporod (La renaissance nationale croate), I, Zagreb, 1903. Kula- kovski mentionne l’existence du nom d’illyrien avant le xix e siecle. (2) M. Murko, Nauka o jeziku i književnosti Hrvata i Srba (La Science de la langue et de la litterature des Croates et des Serbes), Srpski književni glasnik, XXVII, Belgrade, 1911. — O predhodnicima ilirizma (Les predecesseurs de l’illyrisme), Nova Evropa, II, Zagreb, 1921. — Die Bedeutung der Reforma- tion und Gegenreformation fiir das geistige Leben der Sudslawen, Prague et Heidelberg, 1927. L’lLLYRISME AVANT LA REVOLUTION FRANfAISE 9 la legende qui attribue 1’invention de leur alphabet glagoli- tique a saint Jerome. Mais ce grand saint illvrien a vecu au iv e siecle ; et la legende n’aurait done pas de sens si les Sla ves n’habitaient rillyrie que depuis le debut du Moyen-Age ; aussi faut-il que la population preromaine de l’Illyrie ait ete slave. La celebre charte d’Alexandre le Grand pour les Slaves est aussi un faux du xm e siecle. Depuis le x e , on peut consta- ter en Dalmatie la tendance de faire remonter la christiani- sation du pays aux apotres. Pour satisfaire le desir qu’avaient les Serbes du milieu du xiv e siecle — epoque de 1 ’apogee de leur Etat — de posseder des ancetres celebres, le tradueteur slave des annales byzantines de Zonaras les fait remonter aux Daces de l'antiquite (i). Les ecrivains du Moyen-Age aiment en general a donner aux pays et aux peuples de leur epoque des noms classiques. Le mot « illyrien » apparait ainsi chez Camblak — vers 1400 — dans le sens de « slave » (2). II a sa plače aussi dans la langue de 1’Eglise romaine du Moyen-Age (3). Mais la vraie histoire de l’illyrisme commence au xv e siecle. L’essor des Sciences historiques et philologiques, 1 ’amour de l’antiquite classique, la formation d’une litterature et d’un sentiment national sur la base de la langue nationale ont donne aux mots d’ « Illyrie » et d’ « illyrien » plusieurs sens nouveaux qui ont tous une grande importance pour l'epoque napoleonienne. En voici d’abord le sens « classique ». Si aujourd’hui on traite souvent 1’histoire des peuples et des provinces de l’anti- quite dans. le cadre de 1’histoire des nations modernes, l’epo- que de la Renaissance et les siecles suivants, au contraire, ont vu souvent traiter 1’histoire et la geographie medievales et modernes dans le cadre d’une province de l’antiquite classique. Dans le premier torne du grand ouvrage Illyricum samim (1751- (1) V. KaČanovskLj, Iz srbsko-slovjenskega prievoda bizantinskega Ijeto - piša Joanna Zonare (Extraits de la traduction slavo-serbe des annales byzan- tines de Joannes Zonaras), Starine Jugoslavenske akademije XIV, Zagreb, 1882, pp. 125 sqq. (2) Glasnik srpskog učenog društva, XI, Belgrade, 1859, p. 65. , (3) Voir pour 1'ensemble de rette question L. NlEDERi,®,rZa/* 10 LE MONDE SLAVE 1819), Farlatti polemique contre 1 ’opinion qui voit dans la population preromaine de rillyrie des Slaves ; le titre de l’ouvrage s’explique done par le classicisme et n’a aucun sens national (x). Un autre grand ouvrage du xvm e siecle, Illy- ricum vetus et novum, sive historia regnorum Dalmatice, Croa- tice, Slavonice, Bosnice, Service atque Bidgarice, extrait de Du Cange par Szaszky (1746), s’occupe bien de 1 ’histoire des peuples slaves, mais contient une refutation des theories autochtonistes (2). Pour d’autres ecrivains, rillyrie et les Illyriens ne sont pas seulement une province et un peuple de l’antiquite. Le recit de la chronique de Nestor, la tradition de saint Jerome comme inventeur de 1 ’alphabet glagolitique et la charte d’Alexandre le Grand occupent, depuis la fin du xv e siecle, quelques histo- riens dalmates, dont les opinions trouvent leur expression la plus nette dans II regno degli Slavi de Mauro Orbini (1601). Leur sentiment national naif, depourvu de tout sens critique et entierement tourne vers le passe, les a amenes a considerer l’Illyrie comme la patrie primitive de tous les Slaves, 011 au moins a proclamer Slaves les anciens Illyriens et les autres populations preromaines de la peninsule des Balkans. Orbini a suscite ensuite toute une litterature, et surtout les etymo- logies de Dolci, (De illyricce linguce vetustate et amftlitudine, 1754). Si la valeur scientifique n’en est pas grande, elle a contribue a donner aux mots « Illyrie, ill/rien », un sens natio¬ nal et a -creer ainsi un sentiment national nouveau (3). La determination du sens national de ces termes exigerait toute une etude. Bornons-nous a distinguer deux sens differents. Tantot «illyrien » est surement synonyme de « slave » ; tantot — ce sens, beaucoup plus important, apparait des la fin du xv e siecle — les IUyriens ne sont que l’une des familles slaves. Les acceptions varient suivant les ecrivains, mais le terme (1) Illyrici sacri, tomus primus, Venise, 1751, pp. 79-80, et 119-120. (2) Illyricum vetus et novum, p. 29. (3) PERVOI.F, o.c. II, pp. 198-201, 218-244, 2< B et suiv. N. Radojčič, Ideja našeg narodnog jedinstva u svpskoj(istoriogrofiji (Videe de notre unite nationale dans Vhistoriographie serbe et croate) , Njiva I, Ljubljana, 1921, p. 226 et suiv. E. HaumanT, La formation de la Y ougoslavie, pp. 129-134. Kupakovskij, o,c., pp. 148 yt suiv. •'<5.4 .i -.(S, .**.-*.»)' q 3 / • V' \ -\ '■ .■>9»?*, V ’■ i.- < ' -k 1 ' . > » v L’lLLYRISME AVANT LA REVOLUTION FRANfAISE II s’entend toujours largement et ne se limite jamais a un seul pays, Dalmatie, Bosnie, Croatie. L'etendue de la Dalmatie et de l’Illyrie romaine joue la souvent un role important. Pour Orbini (1601), les Illyriens sont les Croates, les Serbes et les Bul- gares. Jurij Križanič, en 1654, y compte aussi les Slovenes (1)3 Le developpement de la langue litteraire serbo-croate a ete d’une tres grande importance pour rillyrisme. Cette langue apparait pour la premiere fois dans les divers dialectes au xvi e siecle, sous l’influence de la Renaissance et de la Reforme. Mais son vrai createur est, d’apres M. Murko, le jesuite Bar- thelemy Kašič (1575-1650), qui emploie pour la premiere fois le dialecte štokavien dont Karadžič et Gaj feront au xix e siecle la langue litteraire commune des Serbes et des Croates. La langue nouvelle est appelee slave, dalmate, croate, serbe, mais le plus souvent «illyrienne ». Cest en ce sens qu’Appen- dini, en 1808, nomme la langue de la Bosnie et de la Dalma¬ tie — ■ sorte de Toscane de la langue serbo-croate — 1 ’«illyrien proprement dit », tandis que les Slovenes, qui ont leur propre langue litteraire, et les Croates (de la Croatie), qui n’ont pas encore accepte le dialecte štokavien, n’appartiennent a la langue illyrienne que dans un sens plus large (2). En dehors meme de ses sens « classique » et « slave », le mot « illyrien » en a done plusieurs. Au plus etroit — 1 ’ « illyrien proprement dit » d’Appendini — , il designe le serbo-croate ou au moins le dialecte qui est devenu plus tard la langue litte¬ raire de tous les Serbes et de tous les Croates. Au plus large, il signifie l’une parmi « les quatre familles slaves » de Gaj, et est a 1 ’origine de la conception actuelle d’une famille des Slaves meridionaux, y compris le bulgare. Mais rillyrisme est beau- coup plus important encore du point de vue de la politique, car il est a l'origine de l’idee yougoslave du xix e et du xx e siecles (3). (1) J. CrnČič, Imenu Slovienin i Ilir u našem gostinjcu u Rimu poslije 1453 godine (Les noms slave et illyrien dans notre hdpital d Rome apres 1453), Rad Jugoslavenske akademije 79, Zagreb, 1886, pp. 50 et suiv. Starine Jugo- slavenske akademije, 18, Zagreb, 1886, p. 154. (2) P. M. AppENDini, Grammatice della lingua Illirica, Raguse, 1808, Preface. (3) Voir sur cette question M. Murko, Die Bedeulung..., pp. 94 et suiv. 12 LE MONDE SLAVE Comme tous les autres sentiments nationaux a base lin- guistique, le sentiment illyrien est 1’affaire seulement d’histo- riens, de grammairiens et d’autres^crivains. L’interet de ces erudits est tourne vers le passe, at ils sont d’ailleurs tres loin d’une recherche purement objective : les Goths, les Van- dales, les Scythes, les Celtes et quelques autres peuples de l’antiquite sont pour eux des Slaves, ils tiennent souvent le slave pour la langue primitive de tous les « japhetites ». Ils n’oublient jamais de rappeler avec orgueil 1’immense etendue du monde slave. Leurs theories seront au xix e siecle d’une tres grande importance politique. Mais, a 1 ’origine, on chercherait en .vain chez eux un programme politique. Ces archeologues ne s’occupent pas de la vie politique et de 1 ’avenir. A peine Jurij Križanič fait-il exception, avec son panslavisme politique dont les motifs n’etaient pas purement nationaux, ou les Dalmates du xvm e siecle avec certaines sympathies pour la Russie, dont ils attendent une victoire definitive sur les Turcs. Reves sans aucune importance politique. D’ailleurs, l’illyrisme n’existe avant le xvni e siecle que chez les Croates de la Dalmatie et de la Croatie. Les historiens qui representent la tradition historique croat<^n’en ont pris que 1’autochtonisme (x), et aux Serbes et aux Slovenes il reste longtemps etranger. Ses premieres traces apparaissent chez les Serbes apres la traduc- tion en russe de 1’ouvrage d’Orbini (1722), et il ne prend d’ac- tualite parmi eux que vers la fin du siecle (Obradovič, Rajič) (2). Au sens classique et au sens national du terme « illyrien » s’ajoute au commencement du xvm e siecle un sens admi- nistratif. Du fait de leur autonomie religieuse et de leurs privileges, les Serbes de Hongrie forment un corftus seftaratum, un facteur politique important. La langue administrative les nomme d’abord communitas Rascianorum, natio rasciana, mais depuis le debut du xvm e siecle toujours natio illyrica. ( 1 ) J’emploie le mot « autochtonisme » pour designer 1'opinion de tous ceux qui considerent la population preromaine de l’Illyrie comme slave, meme s’ils cherchent la patrie primitive des Slav.es au Nord. (2) P. Popovič, Jugoslovanska književnost (La litterature yougoslave), Cambridge, 1919, p. 81. N. Radojčič, o.c., pp. 229 et suiv. E- HaumanT, o.c., p. 167 suiv. l’illyrisme avant la revolution fran^aise 13 Pour 1’administration autrichienne du xvm e siecle et de la premiere moitie du xix e siecle, « illyrien » signifie toujours « serbe » ( 1 ). L’illyrisme est done anterieur a la Revolution frangaise. De meme les sentiments nationaux slave, serbe, croate et slovene existent avant elle. Les langues litteraires serbo-croate et slovene sont une creation du xvi e siecle. A tous ces egards, le xix e siecle n’a rien invente^La langue de la vie intellectuelle et publique chez les Serbes, si elle n’est pas la langue du peu- ple, est du moins une langue slave. Chez les catholiques, on n’ecrit dans la langue nationale que pour les besoins du peu- ple. II n’existe une vraie litterature qu’a Raguse et en Dal- matie, mais, meme dans ces pays, le latin et 1’italien gardent une plače preponderante. La langue de la vie intellectuelle, de la haute societe, de la.vie publique est partout une langue etrangere : 1’allemand, l’italien, .le latin. Les erudits qui par- lent tant du vaste domaine de la langue « slave » et procla- ment Slaves tant de peuples de l’antiquite, sont loin de vou- loir introduire la langue nationale dans toutes les branches de la vie intellectuelle et publique. L’idee d’un « esprit national » ou meme d’une culture nationale leur reste naturellement tout a fait etrangere. Leur sentiment national est tourne vers le passe, et non vers 1’avenir. Parmi tous ces sentiments nationaux, les seuls a avoir une importance politique sont le sentiment national religieux serbe et le sentiment national feodal croate. Ils jouissent de privi- leges, et leur existence est done reconnue par 1’Dtat d’ancien regime. Si les Serbes sont un peu suspects a cause de leurs sympathies pour la Russie et gardent la tradition de leur inde- pendance du Moyen-Age, ces deux sentiments nationaux ne peuvent etre qu’agreables a 1’Autriche pour sa politique exte- rieure : le desir des Serbes d’affranchir leurs compatriotes du joug ture et les esperances de la noblesse croate de voir un jour reconstitu6e 1’ancienne Croatie, dont une grande partie (1) K. CZOBRNIG, Ethnographie der oesterreichischen Monarchie, III, Vienne, 1857, pp. 126 et suiv., Beilagen, pp. 64 et suiv. Le mot c illyrien » se trouve dans le meme sens dans le titre des patriarclies serbes. 14 LE MONDE SLAVE se trouve sous la domination turque et venitienne, sont exac- tement dans la ligne de l’expansion autrichienne. En politiqne »e- xtoHonro , il est vrai, 1’autonomie religieuse serbe et 1’autono- mie provinciale croate sont un obstacle aux tendances catho- liques et centralisatrices de la cour de Vienne ; mais elles sont fort loin de tout programme d’independance et de revolution. An contraire, les sentiments nationaux fondes sur la langue — et parmi eux rillyrisme — n’onft aucune importance politique, meme le slavisme de la Dalmatie, qui est sans doute d’eux tous le plus important, et qui ne differe pas dir sentiment natio- nal italien ou allemand de la meme epoque. La langue n’est pas encore consideree par l’litat comme un probleme politique, et le sentiment national a un caractere tout a fait passif. * * * Sur les origines du sentiment national moderne, deux grandes theories ont cours. La premiere fait naitre ce sentiment de 1’ideologie de la Revolution frangaise. L’au- tre veut que, 1’esprit du xvm e siecle et de la Revolution etant purement jflationaliste, individualiste et cosmopolite, et n’ayant aucun sens de 1’irrationnel, de l’empirique, du social, de l’historique et du national, ce soit la reaction contre l’ideologie revolutionnaire du debut du xix e siecle qui ait decouvert de nouveau ces valeurs et cree ainsi le sentiment national moderne. N’est-ce pas meconnaitre le caractere du xvui e siecle en general, et particulierement dans la question nationale ? Dans la civilisation europeenne d’avant ce siecle, la question de l’ « esprit des nations », de leur « ame », ne se pose pas encore comme probleme philosophique au monde europeen. Le xvm e siecle meme marque l’apogee du fran^ais comme seconde langue universelle de 1’Europe, et le carte- sianisme n’est pas propre a favoriser le developpement de 1’interet pour les diversites nationales. Mais la reaction contre cet esprit est im produit du xvm e siecle meme. Elle appa- rait d’abord dans les deux pavs qui supportent avec une impatience particuliere 1’hegemonie de 1'esprit franfais, en L’lLLYRISME AVANT LA REVOLUTION FRANgAISE 15 Italie et en Allemagne. Les origines du Risorgimento remon- tent au xvm e siecle, et son premier theoricien a ete Giambat- tista Vico (1668-1744), le grand adversaire de Descartes. Vico oppose 'a la methode mathematique de son adversaire 1’auto- nomie de Thistoire, de la philologie et de la litterature, cree une philosophie de 1’histoire, de la langue et de la societe, et devient par son italianita 1’initiateur d’un mouvement qui veut substituer a 1’esprit cosmopolite du siecle un esprit issu de 1’histoire et du caractere national (1). De meme Tactivite des grands esprits allemands du xvm e siecle qui ont cree 1’individualite culturelle allemande est en partie une reaction nationale consciente contre 1’influence de l’esprit fran$ais. La langue, 1’histoire, les .diversites nationales trouvent dans Her- der leur grand philosophe. Le mouvement national allemand est devenu d’une tres grande importance pour les petites nations de 1’Europe cen¬ trale et orientale. Chez les Serbes, ces nouvelles idees se sont affirmees des le xvm e siecle ; pour Dosithee Obradovič, la nation est une unite de langue et de caractere, et non plus une unite religieuse. Ce nouveau sentiment national a base lin- guistique a pose devant les Serbes la question de leurs rap- ports avec les Croates, qui parlent la meme langue (2). Chez ceux-ci le sentiment national linguistique est ne surtout sous 1’influence de l’exemple des Hongrois qui, en 1790, apres 1’echec des tentatives de germanisation de Joseph II, ont substitue le hongrois au latin comme langue officielle. Ils cherchent a introduire aussi leur langue en Croatie. Les Croa¬ tes defendent d’abord le latin, mais deja ils envisagent la possibilite d’introduire dans la vie publique la langue du peuple. La question suscite un vif interet ; elle met en conflit deux sentiments nationaux feodaux, le croate et le hongrois ; dans le cadre des institutions de 1’ancien regime, elle est deja un probleme politique. Ce mouvement est parti- culierement important pour les Slovenes, chez qui tout le (1) B. Croce, La filosofa di Giambattisia Vico, Bari, 1911. G. BoURGlN, Laformation de V unite italienne, Pariš, 1929, pp. 8-9. ( 2 ) Voir les ouvrages cites plus haut: P. Popovič, N. Radojčič et E. Hau- MANT. i6 LE MONDE SLAVE sentiment national se fonde sur la langue. Leur renaissance nationale, qui a commence avec la grammaire de Pohlin (1768), cornpte parmi ses champions des partisans de la philosophie du xvm e siecle, des jansenistes et des moines. Elle est ante- rieure a la Revolution, et rien n’indique qu’elle ait subi l’in- fluence des idees de Rousseau (1). Le sentiment national moderne existe done des le xvm e siecle (2). Le romantisme dri xix e siecle en est 1 ’apogee, et non pas le debut. Peut-etre ce sentiment est-il une forme de 1’individualisme moderne, mais les historiens de la litte- rature — c’est eux surtout qui se sont occupes de 1’histoire du sentiment national chez les Yougoslaves ■— refusent avec raison de l’expliquer par la Revolution franpaise. II y a cependant une grande difference entre le xvm e siecle et Pepo- que suivante. Pour le xvm e siecle, le sentiment national est affaire de civilisation et non pas affaire politique ; au xix e au contraire, le sentiment national des savants et des poetes devient une force poJitique enorme, surtout dans 1 ’Europe centrale et orientale, ou les nations modernes ne se sont pas formees dans le cadre des Rtats deja existants. Pour devenir ainsi un faeteur politique, le sentiment national culturel a du se lier a un autre element : Pidee de la souverainete natio¬ nale proclamee par la Revolution frangaise. II. La Revolution et le nationalisme illyrien La Revolution n’a jamais ete un mouvement cosmopolite, si Pon entend par la Pidee de ne reconnaitre que 1 ’individu et Phumanite, de nier l’existence des nations. Anacharsis Cloots, avec son projet de reunir tout le genre humain en un seul Rtat centralise, est sans grande importance. Au contraire, la Revolution a meme cree la premiere nation moderne, orga- nisee en partant d’en bas et soudee par la volonte de tous ses membres ; le sens nouveau du mot « patriote » et la fete du 14 (1) Voir plus haut: P. Kidrič, etc. (2) Sur la question de ses origiaes, voir E. Pournol, Les nations romanti- ques, Pariš, 1931. LA REVOLUTION ET LE N ATI O N ALISME ILLYRIEN 17 juillet 1790 ont une valeur symbolique. Lfidee de la liberte individuelle, appliquee aux nations, devient le principe du droit des peuples a disposer d’eux-memes. La Constituante se reclame de ce principe en 1790, lors de l’annexion d’Avignon et des possessions alsaciennes sur la base de la declaration de leurs habitants ; elle en reconnait le benefi.ce aux autres en declarant la paix au monde et en renon9ant au droit de faire des conquetes. Les esperances de la Revolution vont meme plus loin : a une revolution generale, aboutissant a une fedžration des nations libres sur la base d’une declaration du droit des gens (1). Ces esperances se trouvent bientot dementies par les eve- nements. La Revolution rencontre partout des partisans, mais la revolution generale ne vient pas et la France est obligee de defendre seule sa liberte contre 1 ’Europe. Avec la chute de Robespierre se termine 1 ’apogee de 1 ’idealisme revolutionnaire. En meme temps, le pays doit confier son sort a 1’armee, qui devient un facteur politique toujours plus important. L’idee nationale et le gout des conquetes 1’emportent sur le cosmopolitisme, 1’idee de la raison d’£tat sur le principe du libre consentement des peuples. II en est ainsi dej a pour l’epoque du Directoire, et beaucoup plus encore apres le 18 Brumaire (2). En depit des declarations de Napoleon a Sainte-Helene (3), sa politique d’hegemonie (4) a toujours ete une politique franfaise. Cependant les • idees revolutionnaires ne sont pas mortes ; elles menent une vie propre, independante de la poli- tique imperiale, elles font naitre l’idee nationale moderne dans les autres pays europeens. . (1) A. SorEI,, VEurope et la Revolution fran(aise, t.I , Pariš, 1885. — H. HatjsER, Le pHncipe des nationalites, Pariš, 1916. — A. Atjlard, La Societd des Nations et la Revolution frangaise, (V er s la Societd des Nations, Pariš, 1919, pp. 63 et suiv.). — A. Aueard, Le patriotisme frangais de la Renaissance d la Revolution, Pariš, 1921. •— G. LeeebvrE, dans Peuples et civilisations, XIII, Pariš, 1930, pp.’*84 et suiv. (2) G. LEEEBVRE, l. c. p. 269. (3) Ph. Gonnard, Les origines de la Idgende napoldonienne, Pariš, 1906. (4) Voir, par exemple, sur 1 ’Italie, A. Pingaud, Bonaparte, president de la Republique italienne, Pariš, 1914, I, pp. 421 et suiv., et E. TareE, Le blocus Continental et le royaume d'Italie, Pariš, 1928, pp. 12 et suiv. i8 LE MONDE SLAVE Si, en France, le peuple s’est constitue en nation dans le cadre d’un Etat deja existant, le principe de formation des .nations modernes de 1 ’Europe centrale et orientale a ete tout a fait different. Elles sont filles de 1 ’ideologie revolu- tionnaire ; le sentiment national passif de l’epoque avant 1789 n’aurait pas eu la force formidable de creer et .de detruire au xix e et au xx e siecles tant d’Etats. Mais tous les partisans de la Revolution n’etaient pas des « nationaux ». Le plus grand nombre s’interessait seulement aux idees generales de la Revolution et non a la question nationale, voulant realiser les idees de la Revolution dans le cadre des Etats existants. Chez quelques-uns seulement des « revolutionnaires » l’idee de liberte se lie a celle de nationalite et fait naitre l’idee d’un Etat national. II est facile de le prouver pour 1 ’Italie et 1 ’Allemagne. La Revolution y trouve partout des partisans nombreux a cause de ses doctrines politiqueš, sociales, philosophiques, religieuses; le mouvement du xvm e siecle lui a prepare la voie. L’aspect national ne joue au debut aucun role de quelque importance. Bientot cependant, l’idee nationale italienne, qui a.existe sous une forme passive depuis l’epoque de Petrarque, devient un programme politique. En 1796, avant le commencement de sa campagne d’Italie, Bonaparte a recu un memoire de Buona- rotti et Cerisi qui propose 1 ’etablissement d’une Republique italienne unitaire (1). C’est encore loin d’etre 1 ’opinion politi- que meme de tous les Italiens revolutionnaires. La creation de la Republique venitienne, de la Republique romaine, de la Republique parthenopeenne montrent la tendance a realiser les idees revolutionnaires dans le cadre des Etats deja exis- tants. Quand, en 1796, Tadministration generale de la Lom- bardie met au concours ce sujet : « Quel est, de tous les gou- vernements libres, le mieux approprie au bonheur de 1’Italie ?» elle suscite les premieres discussions entre les unitaristes et les federalistes. Mais il y a deja un parti qui veut la reunion de 1’Italie et son emancipation intellectuelle et politique de (1) R. GuVoT, Le Directoive et la paix de 1 'Eumpe, Pariš, 1912, p. 165. LA REVOLUTION ET LE NATIONALISME ILLYRIEN ig 1 ’etranger, y compris la France ; il a trouve son ideologue dans Vincenzo Cuoco, qui a applique la pensee de Vico a la poli- tique (1). En Allemagne, le mouvement revolutionnaire a au debut un caractere encore beaucoup plus cosmopolite. Les grands representants du nationalisme culturel de la seconde raoitie du xvm e siecle restent etrangers a la politique. Apres 1789, cependant, ce nationalisme culturel devient une ideo- logie politique, comme le montre M. Fr. Meinecke dans son Weltburgertum und Nationalstaat. Apres la « trahison des clercs », dont Fichte sera toujours cite comme le principal representant, le mouvement revolutionnaire a profondement change : a 1’idee de la liberte se lie apres lena la nouvelle idee nationale hostile a la France, et qui tend a 1 ’unification de 1 ’Allemagne. En 1796, Bonaparte et le Directoire ont decide de favoriser le mouvement italien, et ouvert ainsi une epoque nouvelle de 1 ’histoire d’Italie. Mais ils n’entendent pas donner a LItalie 1’independance ou 1’unite ; ce serait contraire au principe de 1 ’hegemonie frangaise. Pour 1 ’Allemagne, Napoleon declare en 1810 qu’il a voulu rassembler autour de la Hollande plu- sieurs pays allemands pour former k un noyau de peuples qui eut depayse 1’esprit allemand, ce qui est le premier but de ma politique » (2). Y a-t-il eu, dans les pays yougoslaves, des partisans de la Revolution fran9aise ? —-Si oui, y avait-il parmi eux des nationalistes, et ont-ils connu les idees revolutionnaires aussi sous leur aspect national ? — Et qucl a ete le role de ces pays et de, leurs habitants dans les desseins de la politique franfaise ? * * * Le mouvement revolutionnaire de la fin du xvm e siecle hors de la France n’est pas encore un mouvement des masses. II a ses partisans" dans la boqrgeoisie instruite, parmi les (1) G. BOURGIN, La formation de 1’unite italienne, 1929, pp. .22 et suiv. — P. Hazard, La Revolution frangaise et les lettres italiennes, Pariš, 1910, (2) Voir surtout L. Pingaud, l. c., pp. 241-263. 20 LE MONDE SLAVE fonctionnaires et les intellectuels, et meme dans la noblesse et le clerge. Cest dans cette classe qu’il faut pour les pays antrichiens et venitiens — en Turquie elle n’existe pas — chercher les premiers partisans de la revolution parmi les Yougoslaves. Dans les possessions de la maison d’Autriche, les reformes de Joseph II ont prepare da voie aux idees revolutionnaires. Malgre toute la difference d’esprit entre Joseph I er et la Revo¬ lution, la reaction soudaine dechainee apres 1790 a ete de nature a amener quelques-uns de ses partisans dans la voie revolutionnaire. Cest ainsi que la Revolution rencontre des sympathies dans plusieurs des pays habites par les Slove- nes, en Styrie, en Carinthie, en Carniole (1). Parmi eux se trouvent aussi quelques « nationaux » slovenes, tels le franc- mafon Linhart, qui a ecrit la premiere histoire des Slovenes, et son ami 1 ’abbe Kuralt, qui, suspect d’abord a cause de sgs idees revolutionnaires et plus tard a cause de son enthousiasme pour Napoleon, subit, pour ses opinions politiques et religieu- ses, trente annees d’internement, jusqu’asa morten 1845 (2). En Croatie, la conspiration hongroise de Mjartinovics a eu ses partisans, et une chanson de propagande en croate nous est conservee. L’attitude qu’eut a son egard l’eveque de Zagreb, Vrhovac, qui etait au centre de tout 1 ’effort fait en faveur de la langue nationale, reste un peu equivoque ; le comte Janko Draškovič, le futur chef du mouvement illyrien, deploie en 1795 une grande activite comme franc-ma9on (3). On ne trouve pas cependant chez les Slovenes et en Croatie nulle part trače d'un programme illvrien ou d’un autre programme natio- nal sur la base de 1’ideologie revolutionnaire ; le nationalisme conserve toujours son caractere culturel et — en Croatie — feodal. (1) Voir les ouvrages cites de KidriL Pour la Carinthie, le recit de H. Her¬ mann, Handbuch der Geschichte Kčirnthens, III, 1, pp. 109 et suiv. (Klagen- furt, 1857), et l’extrait d'une lettre du 3 avril 1797 au ministre des afiaires etrangžres, AN, AF, III, 71 (288). (2) M. Remeš, Abbe Martin Kuralt, Zbornik Matice Slovenske XIV, Lju¬ bljana, 1912. (3) V. DEŽEEič, Maksimilijan Vrhovac, Zagreb, 1904, pp. 68 et suiv. —- S. Domanovszkv, Jožef nddor iratai, 1792-1804 (Les papiers de Varchiduc palatin Joseph), Budapest, 1925, p. 98. j LA REVOLUTION ET LE NATIONALISME ILLYRIEN 21 V jr\ Dalmatie, le mouvement revolutionnaire est beaucoup plus important ; il prend une certaine actualite en 1797. Le premier article secret des preliminaires de Leoben (18 avril 1797) cedait a 1 ’Autriclie la Dalmatie et 1 ’Istrie venitienne. Cette stipulation ne fut rendne publique et definitive qu’a Oampo-Formio (17 octobre 1797). Pendant ce temps, Venise est devenue en mai 1797 nne Republique democratique. Les Dalmates, qui ne connaissent pas encore les stipulations /secretes de Leoben, sont obliges de fixer leur attitude a l’egard ;du nouveau gouvernement venitien. Le parti democratique prepare dans toutes les villes principales la proclamation de la Republique democratique ; le parti conservateur propose de reconnaitre la souverainete de la maison d’Autriche sur la base des droits historiques de la Couronne de Saint-fitienne (parti hongrois) ; il est organise par les Franciscains, sous la conduite d'Andrija Dorotič, qui vient d’Italie et redige un manifeste contre les jacobins et les athees. Ce manifeste a pour effet 1’assassinat par la foule du consul frangais a Šibenik, Zulatti, et de plusieurs agents du gouvernement democratique a Trogir et a Spljft. Les conservateurs s’emparent du pouvoir et le representant du gouvernement democrate, Garagnin, natif de Trogir, qui vient de Venise, est empeche meme de debarquer. L’occupation de la Dalmatie par les troupes autri- chiennes au commencement de juillet met fin a cet etat d’anarchie (1). La petite Republique de Raguse a aussi son parti democra- tique. D’apres le recit d’un medecin ragusain de 1799, le gouvernement oligarchique a des ennemis nombreux ; pour des raisons ideologiques, les negociants qui ont fait leur for- tune en France pendant la guerre, et quelques familles nobles riches « qui se livrent entre elles a l’essor de quelques idees genereuses », mais qui redoutgnt les nobles pauvres qui sont ignorants ; pour des raisons sociales, les citadins (la classe (1) T. ERBER, Storia della Dalmazia dal 1797 al 1814, Zadar (Žara) 1886- 1890, 1, pp. 30-50.,—• P. Pisani, La Dalmatie de 1797 d 1814, Pariš, 1893, pp. 23-32. 22 LE MONDE SLAVE sociale qui ne jouit pas des memes.droits que,les nobles) et les «ilotes de la Republique » (i). Cas faits ne sont pas sans importance pour la periode poste- rieure. Quand la Dalmatie devient franerhaupt gervisse Hofinungen regten, die voh dem unbedeutenden Ragusa aus in Erfiillung gehen sollten. « Bekanntlich steht Ragusa unter tiirkischem Schutze, den es mit einem leichten Tribute bezahlt, ist aber iibrigens dertinziige illyrische Freistaat in der Welt. Aus einigen Vorfallen im letzten Kriege liesse sich entnehmen, dass den Franzosen die Idee nicht fremd war, diesen Freistaat zu einem Vereinigungspunkte fiir alle demokratisch gesinnten Illyrier und Griechen zu machen, in der Absicht von hier aus die drei grossten Monarchien zugleich zu unterminieren. Ein Plan, dem der Friede von Čampo Formio und die gliicklichen Waffen der Russen in Italien nicht zur Reifededeihen liessen ! » Kurzer Bericht von der Beschaffenheit der zerstreuten zahlreichen illyrischen Nation... Francfort et Leipzig 1802. Preface p. XV. (2) M. KoSTlč, Prve pojave francuske kulture u srpskom društvu (Les pre- mieres traces de la culture franfaise dans la societe serbe), Glasnik istoriskog društva u Novom Sadu, II, 1929, z8 LE MONDE SLAVE Mais la paix de Sistovo retablit le statu quo. D’autre part, rechec du systeme centralisateur de Joseph II et la restau- ration de la Constitution hongroise rendent necessaire la fixation a nouveau du statut politique des Serbes de Hongrie. Le congres serbe de Timisoara, en 1790, ne demande pas seu- lement la confirmation de 1’autonomie religieuse et de l’ega- lite de droits avec les catholiques et leur Lglise ; les Serbes voudraient obtenir aussi 1’autonomie politique avec un terri- toire propre, et a Vienne, aupres de la cour, une chancellerie particuliere, independante de la chancellerie aulique hon¬ groise, pour gerer leurs affaires. Ils pouvaient appuyer ces demandes sur quelques stipulations des privileges de Leopold I er qui n’avaient jamais ete realisees, sur l’existence d’une Illyrische Hofdeputation entre 1746 et 1777, et aussi sur les promesses du representant de Vienne au congres. La nouvelle Illyrische Hofkanzlei, cependant, n’exista qu’un an (1791- 1792), et la demande d’une autonomie politique avec un territoire propre n’eut aucun succes (1). Les promesses de Vienne n’etaient pas sinceres ; la cour voulait seulement avoir un moyen de pression sur les Hongrois, de qui elle craignait une revolution (2). Les Serbes, replaces sous 1 ’auto- rite des comitats hongrois et de la chancellerie aulique hon¬ groise, furent livres a leur vengeance. Ce congres de Timisoara avait compte une minorite, com- posee surtout de nobles serbes, qui voulait eviter le confiit avčc les Hongrois et etait contraire a l’idee de 1 ’autonomie politique et du territoire particulier. Le discours de Sava Teke- lija, sorr representant, est extremement signiiicatif a cet egard ; il reproche a ses adversaires la haine de la noblesse, l'anglo- manie et la francomanie, les idees de liber.te et d’egalite. (1) Akta sabora naroda srpskog u Temišvaru godine 1790 -te držanog i carska rješenja (Les actes du congres de la nation serbe d Timisoara en 1790 et les decisions imperiales ), Zemun. 1861. — D. Ruvarac, Diarijum srpskog temiŠvarskog sabom od 1790 (Le journal du congres serbe de Timisoara en 1790J, Sremski Karlovci, 1914. — D. VukiČEVič, Narodni kongresi ovostra- nih Srba (Les congres nationaux des Serbes hongrois ), Letopis Matice Srpske, 1862, 1863, Novi Sad. (2) E. Maeyusz, Sdndor Lipot foherceg nador iratai 1790-1795 (Lespapiers de Varchiduc palatin Alexandre Leopold), Budapest, 1926, pp. 236-237. LA REVOLUTION ET LE NATIONALISME ILLYRIEN 29 Pour obtenir un territoire ou le pouvoir se trouverait essen- tiellement entre les mains d’une administration provinciale serbe autonome, suivant l'exemple de la monarchie consti- tutionnelle anglaise ou frangaise, il leur faudrait, dit-il, avec raison, combattre non seulement les Hongrois, mais aussi la politique absolutiste et centralisatrice de Vienne. Ils devraient faire une revolution contre le roi d’apres l’exemple des Franfais, ce qui est une idee criminelle (1). Ces conse- quences que prevoyait Sava Tekelija, quelques Serbes les avaient tirees apres la deception qu’ils avaient eprouvee de la part de la politique autrichienne. D’apres 1 ’auteur de la preface anonyme au memoire de Bartenstein, les idees de liberte etaient tres repandues parmi les troupes serbes de l’armee de Belgique (2). Au dire de Martinovics, quel- ques eveques serbes etaient democrates. Parmi les membres de la conspiration democratique grecque de Rhigas de Veles- tino se trouve un Serbe, Filip Petrovič, de Vienne, qui a ecrit meme a Sieyes ; il est en correspondance avec un autre Serbe, Pavao Petrovič, de Leipzig (3). En 1801, viennent de Pariš, deux representants des democrates grecs dont 1 ’un, Nedeljko Popovič, est sans doute un Serbe (4). Il se peut que tous ces Serbes aient simplement pris part au mouvement grec et 11’aient pas eu un programme national propre. Mais un rap- port anonyme a la police de Vienne, du 9 decembre 1796, indique que plusieurs pretres grecs et serbes sont en relations avec les democrates italiens et grecs ; il ne faut pas s’etonner que les troupes illyriennes (= serbes) et croates n’accomplis- sent pas leur devoir (5). Mais voici surtout un memoire de 1794, conserve aux archives du Quai d’Orsay, qui montre tres bien les relations entre les idees revolutionnaires et l’idee natio- nale chez les Serbes. (1) D. Vukičevič, o.c., 1862, 1 , pp. 94-129. (2) Kurzer Bericht..., p. XXV. (3) D. PanTEMČ, Pogibija Rige od Fere (La fin de Rhigas de Velestino), Brastvo XXV, Belgrade, 1.931, pp. 143 et suiv. Le compte-rendu de V. ČoeO- vid, dans Priloži XII, Belgrade, 1932, pp. 143-144. (4) Iv. Paveovič, Ispisi iz francuskih arhiva (Extraits des archives fran- faises) Spomenik Srpske Kraljevske Akademije 2 Belgrade, 1890, pp. 123 et suiv. (5) D. PanTEI,IČ, o.c., p. 138. 30 LE MONDE SLAVE L’auteur anonyme — lui-meme un Serbe qui vit a Vienne — parle au nom des Serbes de la Hongrie (« nation illyrienne » dans la terminologie de 1’administration autrichienne). Le memoire, d’un fort mauvais franfais (i), est ecrit sous l’im- pression immediate des evenements qui ont suivi la mort de Joseph II. II demontre, sur les exemples du regne de Leopold I er et de Leopold II, que la maison d’Autriche s’est toujours servie des Serbes seulement comme d’un moyen de pression sur les Hongrois quand elle craignait une revolution de la part de ceux-ci ; ensuite elle les livrait a la vengeance de ces memes Hongrois, de leur administration sauvage qui veut se dedom- mager sur les Serbes de tout ce qu’elle doit ceder au trone. Les Serbes n’esperent plus rien ni de 1’Autriche ni de la Hon¬ grie. Idauteur proteste contre 1’oppression magyare au nom des idees de la Revolution : « Les hommes ne sont pas nes pour etre si indignement traites par d’autres hommes. » Les Hon¬ grois ont eloigne d’eux « tout ce qui aurait pu leur donner 1’idee de destination et du droit d’humanite, de la fin de la vie sociale et du contrat inviolable qui en est la base. » Les Serbes ont proteste au congres de Timisoara « au nom de la nation et de toute 1’humanite ». La justice ne s’exerce pas selon les lois sacrees de l’homme, le droit des Serbes de nommer eux- memes leurs baillis dans les villages est meme un « droit inne ». Les paysans et les soldats serbes ont a payer les impbts et a servir dans l’armee ; toutes les charges civiles et militaires, cependant, restent reservees aux Allemands et aux Hongrois. Les Serbes sont prives de leur droit naturel. « Dans son deses- poir, cette nation guerriere n’attend que le secours des Fran- 5 ais pour s’affranchir par une insurrection de son esclavage et pour retablir un gouvernement conforme a ses mceurs et cou- tumes, ou les Serbes pourraient etre diriges par les enfants de leur patrie. » ( 2 ) II y a dans ce memoire des inexactitudes et des exagera- tions : les Serbes de Hongrie ne sont pas quatre millions, mais, (1) Quelques fautes d’orthographe doivent etre mises d’ailleurs sans doute a la cliarge du copiste. (2) A. E. Memoires et documents, Autrlche 8, f. 167-168. Voir le texte du Memoire en annexe. LA REVOLUTION ET LE NATIONALISME ILLYRIEN 31 meme avec les Roumains, qui sont souvent comptes dans la « nation illyrienne » (voir le mot Transylvanie dans le memoire) seulement 2.900.000, en 1786 (1). Les premiers privileges leur ont ete accordes a cause de la guerre contre les Turcs et seule¬ ment confirmes lors de 1 ’insurrection hongroise. Le recit du congres de Timisoara prete a quelques reproches. Mais, dans 1’ensemble, le memoire donne un tableau assez exact de la situation des Serbes en Hongrie, et 1 ’on voit tres nettement comment le programme d’un Etat independant serbe est ne sous 1’influence de 1’ideologie revolutionnaire. Les espoirs des Serbes pouvaient-ils entrer dans les vues de la politique exterieure de la France ? Jusqu’a 1797 la politique orientale de la Revolution a vise a gagner 1 ’amitie de la Porte. Les revolutionnaires considerent d’ailleurs la Grece comme la patrie de la liberte, et le Grec Stamaty, qui se trouve depuis 1792 au Service de la diplomatie frantpaise, fait tout son possi- ble pour tirer de cette opinion profit pour sa nation. Pendant sa lutte pour l’existence, cependant, Ja jeune Republique se voit forcee d’abandonner les principes revolutionnaires et de suivre les traditions diplomatiques de la Monarchie. Les agents fran£ais en Turquie soulignent la difference entre les Grecs anciens et ceux d’aujourd’hui, peuple demi-sauvage, entre les mains de la Russie, Ja pire ennemie de la France. Us ne trouvent pas assez de mots de reprobation pour Je « vain amour des marbres de la Grece » (2). Si les Grecs qui peuvent tirer profit de leur tradition historique et qui ont une classe de commer^ants riches et instruits dans tous les principaux Ftats de l’Europe, ne peuvent pas s’assurer les sympathies de la France, les autres nations chretiennes de la Turquie sont naturellement encore bien moins en etat de le faire. Restent les Serbes d’Autriche. Ils n’entrent pas comme facteur propre dans les calculs de la politique frangaise. Le memoire de 1794 n’a pas fait grande impression a Pariš. On ne trouve dans les archives parisiennes de cette epoque que (1) Kurzer Berichl..., p. 1X4 de la traduction serbe de A. Šandič, Vientie, 1886. (2) Aubert-Dubayet, A. I?.. Con. pol. Turquie 193, f. 251. 32 LE MONDE SLAVE deux projets d’une action directe contre le coeur de 1 ’Autriche. Le premier est cehii d’un soulevement de la Hongrie. Cette idee qui est dans la ligne traditionnelle de la politique fran- gaise, apparait sous une forme nouvelle dans la conspiration democratique de Martinovics ; meme apres sa mort, en 1795, les Frangais envisagent toujours la possibilite d'une revolution en Hongrie. L’autre envisage une invasion de l’Autriche par la Dalmatie et la Bosnie, avec l’aide des Bosniaques musul- mans. La Bosnie est a cette epoque a peu preš independante de Constantinople, et les Bosniaques sont mecontents des stipulations de la paix de Sistovo; ils voudraient recommen- cer la guerre contre 1 ’Autriche. Ils entrent en rapport avec les Franfais qui suivent leur mouvement avec beaucoup d’atten- tion; c’est le but principal du sejour de Marc Bruere a Travnik (Bosnie) entre 1793 et 1797 (1). Mais on ne songe pas a une alliance avec les Serbes : 1 ’enthousiasme de leurs democrates et leur haine contre 1 ’Autriche et la Hongrie n’ont pas pris une forme assez concrete. En 1797, 1 ’attitude de la France envers la Turquie change. D’apres 1 ’opinion generale de cette epoque, la chute de l'Em- pire ottoman est imminente. La France a voulu jusqu’alors la retarder tant que possible ; maintenant elle est en čtat d’envisager une autre possibilite, celle de prendre part au par- tage de la Turquie. Aux raisons politiques s’ajoute le desir de reconquerir 1 ’ancienne preponderance economique : le Com¬ merce des Fran PP- 42-46. (2) Voir sur ce projet: A. Sorel, o.c., VII, pp. 39-40, 48. — L. Vojnovič, o.c., I, pp. 126-129, II, p. 4. Mettemich a eu aussi un projet analogue.; cf. J. Nagy, Diplomatsko značenje francuskog doba u hrvatskoj povijesti (La signification diploniatique de l'epoque franfaise dans Vhistoire croate), Savre- menik XIX, Zagreb, 1926, pp. 115-116. 42 'LE MONDE SLAVE et de marš 1808 : il veut pour lui la Bosnie, 1 ’Albanie, la Grece, la Macedoine, la Roumelie meridionale avec Galli- poli ; quant a la Serbie, il la donne a 1 ’Autriche, mais non pas a la Russie, qui n’obtient que la Bulgarie septentrio- nale (1). Cest done le principe mediterraneen : donner a 1 ’Empire tous les pays autour de la Mediterranee, et en meme temps eloigner, autant que possible, la Russie de cette mer (2). Pendant quelques mois, la realisation de ces projets parait n’etre plus tres eloignee : Marmont a re?u l’ordre de fournir des renseignements sur les pays que Napoleon veut conquerir et d'entretenir de bons rapports avec les Montenegrins (3). Les nouveaux projets frangais ne sont pas restes long- ternps secrets. Les rapports de David, consul de France a :■ ■ f -f, p Travnik dans l’epoque d’apres Tilsit, parlent beaucoup de la haine des Bosniaques musulmans contre la France et de leur crainte d’un envahissement du pays par 1’armee de Marmont. Le bruit d’une prochaine occupation de la partie occidentale de la Turquie d’Europe par les Fran^ais est aussi tres repandu en Italie, si l’on en croit les rapports du consul general de France a Venise, Bessieres. Quant a la nouvelle organisation du pays apres la conquete, on parle d'un royaume de Grbce et aussi d’un royaume de l’Adria- tique, qui serait forme de lTtalie et des pays de la cote orientale de l'Adriatique. Le bruit d’un « royaume de Dal- rnatie » a ete repandu aussi a Pariš (4), Cette idee d’un (1) Gavrilovič, o.c., pp. 283, 307-308. Pavlovič, o.c., pp. 27-30. (2) Voir sur le principe mediterraneen dans la politique imperiale surtout L'Europe et la Revolution frangaise d’A. SoRELetles ouvrages d’E. DriaulT.’, La quesiion d’Orient, 8 e edition, Pariš, 1920 ; Napoleon en Italie, Pariš, 1906 ; La politique orientale de Napoleon, Pariš, 1904. (3) Correspondance de Napoleon / er , XVI, pp. 11-12, n° 13112 ; p. 224, n° 13386 ; p. 376, n° 13543. — Memoires de Marmont, Pariš, 1857, III, PP- 5 °> 58 et suiv., 106 et suiv., 160. (4) Gavrilovič, o.c., pp. 231-232, 249-250. V. Jelavič, Iz prepiske fran- cuskog generalnog konzulata u Travniku u godinama 1807-1814 (Extraits de la correspondance du consulat general frarifais d Travnik dans les annees 1807- 1814), Glasnik zemaljskog muzeja XVI, Sarajevo, 1904, pp. 279-280. DriaulT, La politique orientale, p. 225. N. K. Šn/DER, Posolstvo grafa P. A. Tolstago v Pariže v 1807 i 1808 g. (La mission du comte P. A. Tolstoj d Pariš en 1807 et 1808J Sbornik Imperatorskago Russkago istoričeskago obščestva 89, Saint- Petersbourg, 1893, p. 317. LA DOMINATION FRANCAISE 43 « royaume de l’Adriatique » n’etait pas un produit de pure imagination d’outre-Danube ; un rapport de Champagny a Napoleon, du 22 fevrier 1808, prevoit pour les pays con- quis deux possibilites : en faire un Rtat a part, ou les ratta- cher a 1’Italie ; done ou un Rtat de la seule cote orientale de l’Adriatique, ou un Rtat qui en comprendrait les deux cotes (1). 11 va de sol que Napoleon ne songeait guere a affranchir ou a rendre independants les peuples des pays qu’il voulait conquerir. Si la nouvelle situation politique a fait naitre plusieurs projets interessants, ils sont loin d’etre le pro- gramrne de la politique officielle fran^aise. Un memoire de Rainhard, de novembre 1807, parle de la Bosnie, de la Serbie, de la Bulgarie, de la Valachie et de la Moldavie comme habitees par la meme nation. II existe dej a en Serbie un * mouvement vers 1’independance, et ces pays pourraient for- mer une « confederation du Danube » (2). Un memoire du Grec Codrikas propose en 1806 de substituer au systeme actuel une federation, sous la suzerainete grecque et sous le proteetorat franqais, de six Rtats, trois chretiens (Serbie, Grece, Ues Ioniennes) et trois musulmans (Roumelie, Alba- nie, Bosnie) (3). De la meme situation politique est nee la premiere idee d’un Rtat illyrien. 11 s’agit d’un memoire de 1808, qui se trouve a 1’Archivio di Stato de Milan, et dont 1’auteur, Stratico, etait resident de Dalmatie aupres du gouvernement du royaume d’Ita- lie (4). La Dalmatie actuelle, dit Stratico, n’offre que des avantages precaires au royaume d’Italie et ne peut pas etre defendue dans le cas d’une guerre contre l’Autriche ou la Turquie. Ayant ensuite parle de l’histoire de la Dalmatie et de ses limites naturelles, il conclut qu’il faudrait annexer tous les pays voisins, autrichiens et tures, qui ont fait partie (1) Gavrilovič, o.c'.", p. 287. (2) Gavrilovič, o.c., p. 261. (3) E- Driault, La politique ovientale, pp. 378-381. (4) Voir le texte de ce mžmoire en annexe. — M. Gellio Cassi en a fait une large analy.se dans son article sur Les populations juliennes-illyriennes pendant la domination frangaise, 44 LE MONDE SLAVE de rillyrie au temps d’Auguste, les reunir a la Dalmatie actuelle et creer ainsi un corps politique qui comprendrait tout le territoire situe entre Rasa (Arsa) en Istrie a l’Ouest, la Save au Nord, la Drina et Skodra a l’Est et l’Adriatique au Sud. Apres avoir calcule 1’etendue et la population de cet Ltat, qui serait capable de se defendre lui-meme et qui formerait une barriere contre les invasions orien- tales, il ajoute : « Les Dalmates, comme les Croates et les Bosniaques, sentent beaucoup rillyrisme, c’est-a-dire un esprit d’unite nationale qui les lie entre eux... Quels profits un sage gouvernement pourrait tirer de ce ressort poli- tique I » (i). Ce memoire est significatif a plusieurs egards. II est con- temporain des projets d’expansion frangaise sur 'a cote orientale de l’Adriatique et des bruits relatifs a un royaume de l’Adriatique. Dans cette situation, Stratico veut defendre les interets de la Dalmatie surtout du point de vue mili- taire ; 1’allusion aux « invasions orientales » possibles vise probablement la Russie. Le royaume de l’Adriatique devient pour Stratico l’Illyrie de l’antiquite ; ce classicisme dans la politique, qui nous semble aujourd’hui un peu etrange, n’a rien d’extraordinaire dans la Dalmatie du debut du xix e siecle. Pour les Dalmates instruits de cette epoque, la vraie Dalmatie est toujours la Dalmatie ro- maine ( 2 ). Le motif national semble subordonne au classi¬ cisme, et probablement Stratico ne songe pas a la creation d’un Pitat national. Neanmoins, dans 1’histoire de l’illy- risme, qui, en Dalmatie et en Croatie, compte deja plusieurs siecles, c’est la premiere fois qu’il est considere comme un « ressort politique ». L’exemple des idees nationales ita- lienne et serbe joue sans doute ici un role ; il est possible que 1’idee ne provienne pas de Stratico, et qu’elle ait existe dans le cercle des slavisants « jacobins », peut-etre meme depuis la Revolution. L’influence de l’idee nationale serbe, (1) Revue des etudes napoleoniennes , 1930, II, pp. 198-199. Cet article a paru d’abord dans la Rassegna storica del Risovgimento. (2) Voir par exemple, G. I,. Garagnin, Riflessioni economico-politiche sopra la Dalmazia, Zadar (Žara) 1806, p. 25. LA DOMINATION FRANgAISE 45 que les «jacobins » connaissent sans doute depuis longtemps (Marc Bruere), et de l’idee de 1’lStat slavo-serbe est vraisem- blable. Le memoire semble d’ailleurs n’etre pas arrive jus- qu’a Pariš et n’avoir joue aucun role dans les decisions de l’annee suivante. Mais il demontre que 1’idee de la resurrec- tion de Pancienne Illyrie et celle de rillyrisme politique existait en Dalmatie des avant 1809. Les projets franpais ne visaient pas seulement la Turquie, mais aussi 1’Autriche. A cet egard, la prehistoire des Pro- vinces illyriennes commence a la paix de Presbourg, ou meme au celebre memoire du 17 octobre 1805, ou Talley- rand proposait de creer un Rtat venitien, auquel serait donnee Trieste ; 1'Autriche recevrait la Valachie et la Mol- davie, pour barrer a la Russie la voie de Constantinople, la pousser vers 1’Inde et provoquer ainsi un conflit entre les trois principaux concurrents de la France, 1'Autriche, la Russie et 1’Angleterre (1). Mais la paix de Presbourg ne ceda au royaume d’Italie que la Terre terme, 1’Istrie et la Dalmatie naguere venitienne, et laissa a 1’Autriche deux bande? de territoire entre ces pays. Une convention speciale, conclue a Vienne le 16 avril 1806, donna a la France, pour ses Communications avec 1’Istrie et la Dalmatie, une route militaire a travers les pays autrichiens ; son droit etait d’ailleurs tres limite, et elle s’obligeait a se servir autant que possible de la voie de mer (2). Mais, des 1806, le terri¬ toire autrichien est signale dans un memoire de Verninac comme extremement genant pour les operations militaires frangaises en Dalmatie (3). Vers la fin de la meme annee, un rapport du consul de France a Venise indique que Trieste s’est emparže du commerce de Venise, que les Communica¬ tions avec 1’Istrie et la Dalmatie sont tres genees, et que (1) P. BerTrand, Lettres inedites de Talleyrand d Napoleon, 1800-1809, Pariš, 1899, p. 156-174 ; Rcvue historique 39, 1889, pp. 64-75. Sur la prehis¬ toire des Provinces illyriennes de 1805 a 1809, voir aussi J. Nagy, o.c., et M. PivEC-STELE, Motivi ustanovitve Napoleonove Ilirije (Les motifs de la creation de l’Illyrie napoleonienne), Jadranske študije, Zagreb 1930 ; La vie economique des Provinces illyriennes, Pariš, 1930,‘pp. 10-13, (2) DE CEERCQ, Recueil des traites, II, pp. 162-164. (3) Pavkovič, o.c., p. 11 ; Gavrieovič, o.c., p. 98, 46 LE MONDE SLAVE le bruit court deja de 1’occupation de Trieste par les Fran- pais ; elle serait, dit-il, infiniment avantageuse aux interets de 1’Empereur, et, si telle est son intention, il suggere de choisir un motif pour la justifier (i). Idannee suivante, apres Tilsit, Napoleon est deja convaincu qu’il lui faut Trieste ; Metternich s’empresse de conclure le traite de Fontainebleau du io octobre 1807, bien qu’il com- porte quelques echanges de territoires desavantageux pour 1’Autriche, parce qu’il apprend par une indisdretion de l’am- bassadeur italien qu’on va lui demander Trieste (2). Dans la periode des negociations sur le partage de la Turquie, la France envisage de nouveau la question de la liaison par terre entre 1’Italie et la Dalmatie; 1’Autriche pourrait avoir sa part, mais en meme temps on parle a Saint-Petersbourg, en marš 1808, de l’annexion de la Croatie. Un memoire de Champagny a Napoleon, du 22 fevrier 1808, donne plus de details; ilfaut demander tout le territoire au Sud de la Vipava et de la Kulpa ; la ville de Trieste peut rester autrichienne, et une route commerciale a travers le territoire fran^ais la reliera a 1’Autriche (3). Au meme moment aussi, Napoleon confie a 1’ambassadeur de Russie son intention de faire occuper incessamment Trieste par ses troupes (4). II porte encore plusieurs fois son attention sur Trieste en 1808 et dans les premiers mois de 1809. Le blocus Continental y a suscite la haine contre la France et rendu la situation du consul de France particulierement difficile ; des incidents graves se sont produits, qui ont ete le sujet d’une conversation entre Napoleon et Metternich. Le commerce de denrees coloniales de Trieste est mentionne dans plusieurs lettres de 1808 et, en fin, les rapports commerciaux de cette ville avec les Anglais et son opinion hostile a la France ont vivement irrite Napoleon ; ils eXpliquent la contribution de guerre de 50 millions de francs dont elle est frappee en 1809, et la (1) Gavrilovič, o.c., pp. 249-250. (2) Metternich, Aus nachgelassenen Papieren II, Vienne, 18S0, pp. 128- 129. L. LECESTRE, Lettres inedites de Napoleon / or , p. 106. (3) Gavrieovič, o.c., pp. 283, 307-308. (4) Šieder, o.c., 89, pp. 416-418. LA DOMINATION FEAN^AISE 47 politique de 1 ’Empereur qui veut favoriser Rjeka (Fiume) contre Trieste (i). Le commerce frangais du Levant ne joue plus dans ces relations aucun role. L’epoque de sa prosperite est finie avec la Revolution ; un rapport de David, de 1807, expose que le commerce avec la Turquie, a l’exception du Com¬ merce local entre la Dalmatie et la Bosnie, a cesse a cause de la guerre maritime (2). Le 4 janvier 1809, cependant, David envoie au ministre des affaires etrangeres des ren- seignements qui lui ont ete .demandes sur le commerce des cotons de la Turquie : depuis 1 ’insurrection serbe, ce commerce suit la route de la Bosnie et, a cause de la guerre maritime, il evite la Dalmatie et passe en Autriche; les prix a Trieste sont si bas qu’il a donne dej a le premier certificat d’origine pour faire passer du coton par Lltalie en France. L’idee de diriger le coton d’Orient, par la Bosnie, Trieste et ITtalie, vers la France, qui devait jouer un si grand role pen- dant lTllyrie fran^aise, est done une invention du commerce meme, et n’a ete qu’adoptee par la politique imperiale (3). L’idee de lTllyrie, c’est-a-dire de l’annexion des pro- vinces maritimes autrichiennes a la France, date done dlavant la guerre de 1809. Tous les motifs qui ont joue un role dans les negociations de 1809 apparaissent dej a dans les documents franfais de l’epoque anterieure : d’abord la necessitč d’une liaison par terre entre ITtalie, ITstrie et la Dalmatie ; ensuite, le desir d'etre limitrophe de 1 ’Empire ottoman pour le cas d’une defense, d’un envahissement ou d’un partage de cet Etat ; la necessite d’une application striete du blocus Continental sur la cote autricienne, sur- tout a Trieste ; le desir de trouver une voie de terre pour le commerce frangais du Levant, a peu preš disparu depuis la Revolution, et de lui rendre son ancienne importance. (1) MBMBRNICH, o.e., II, pp. 201. Correspondance XVII, p. 238, n° 13998 ; pp. 380-381, n° 14128 ; p. 422, n° 14177 ; XVIII, pp, 234-235, 11 0 14688 ; p. 327, n° 14797 - LecbsTRR, o.c., I, p. 310 ; II, p. 17. (2) Gavrilovič, o.c., pp. 244-245. (3) Ib., pp. 382-283. Svir l’epoque des Provinces illyriennes, voir M. PivEC- Stei,B, La vie economique des Provinces illyriermes. 4 8 LE MONDE SLAVE Sous la forme definitive sous laquelle elle sera realisee, 1'idee de rillyrie n’apparait cependant qu’apres 1’armistice de Znaim. Elle ne reste pas un secret de la diplomatie fran- qaise : les brnits sur 1’occupation de Trieste par les Franpais courent des 1806, et 1’Autriche ne peut 1’ignorer. Au debut de la guerre, elle interprete dans son manifeste une decla- ration faite au Senat fran£ais comme indiquant que la France veut s’emparer de toutes les cotes de l’Adriatique. En meme temps, le ministere franpais fait imprimer le con- tenu d’une conversation du 2 marš 1809 entre Champagny et Metternich, ou Champagny fait a 1’Autriche le reproche d’avoir repandu par des lettres et par la presse la nouvelle qu’on lui a demande Trieste, Rjeka et la Croatie (1). Cette nouvelle etait surement fausse, pareille demande n’a pas ete faite, et c’est 1’Autriche qui s’est decidee la premiere a faire la guerre en 1809. De toutes les guerres de Napoleon, celle-ci est peut-etre celle qu’il a le moins voulue. Mais le projet frangais existait et on n’attendait qu'une situation politique plus favorable pour le realiser ; 1’Autriche en con- naissait l’existence, et le desir de tirer profit des difficultes que Napoleon rencontrait en Espagne pour 1’empecher d’avance de le realiser a' joue sans doute un role dans sa decision de faire la guerre. De la population des pays qu’on a 1’intention de conquerir, les desseins de la politique imperiale ne tiennent aucun compte. A Pariš on ne connait pas encore 1’idče qu’a Stra- tico d’employer l’illyrisme comme facteur politique. * * * Une fois conclu 1’armistice de Znaim (12 juillet 1809), la question des conditions de la paix devient actuelle. Une note de Champagny du 24 juillet indique qu’on peut prendre comme base des negociations le principe uti ftossidetis, ou un systeme d’echanges sur la base de ce principe (2). (1) Prijatelj, o.c., p. 34. Correspondance XVIII, p. 357, n° 14843. (2) Correspondance XIX, p. 331, n° 15584. LA DOMINATION FRANgAISE 49 Comme, a ce moment, le tiers environ de la population des possessions de la maison d’Autriche se trouvait dans les pays occupes par les Frangais, 1’application du principe uti possidetis ou un čchange quelconque sur cette base eut signifie la fin de 1 'Empire des Habsbourg. Napoleon main- tint cette position pendant la premiere periode des nego- ciations d’Altenburg, qui commencerent le 18 aout. Elle etait d’ailleurs toute provisoire; 1 ’Empereur voulait gagner du temps pour etablir ses conditions definitives et pour connaitre celles de la Russie, surtout quant a la nouvelle frontiere en Galicie. Cependant, dans une lettre du 22 aout a Champagny, il dit : « II s'agit de ceder un lot de quatre ou cinq millions d’habitants. Le Salzburg, la Basse-Autriche jusqu’a l’Enns, Villach, la Carniole, 1 ’Esclavonie jusqu’a la Bosnie et la Save ne peuvent etre un sujet de diffieultes ; quelle est 1 ’opinion de vos negociateurs la-dessus? » (i). Voila done indique le trače de la frontiere d’Italie tel qu’il sera realise. II a ete predse d’une fagon definitive par un memoire qui a passe a peu preš inapergu des historiens — Albert Vandal seul le mentionne d’une fagon sommaire (2) — et qui vaut d’etre examine de preš (3). Anonyme, sans titre et sans date, ce document a ete redige, sans nul doute, entre la signature de 1’armistice (12 juillet) et la lettre a Champagny du 22 aout. L’intro- duction en revele le caractere : « La paix peut etre faite avec 1 ’Autriche de plusieurs manieres. J’ai 1 ’honneur de remettre sous les yeux de Sa Majeste les propres idees qu’Elle a congues a cet egard. » Cest done la presentation dans le detail des projets que Napoleon n'a congus que dans leurs grandes lignes. II y a en somme deux projets de l’Em- pereur : d’apres le premier, 1 ’Autriche cederait toute la Galicie et Salzbourg ; d’apres le second projet, la France et ses allies acquerraient la Galicie occidentale, Llnnviertel, Salzbourg, la Carniole, le comte de Gorice, Trieste et une (1) Ib. XIX, p. 453, n° 15700. (2) A. Vandai,, Napoleon et Alexandre / er , II, Pariš, 1893, pp. 119-120. (3) Copies An, AF, IV 1675, plaq. 5 11 (meilleure) et A.F. Corr. pol. Au- triche 384, f. 371-373- 5o LE MONDE SLAVE partie de la Croatie. L’auteur propose d’y joindre la Haute- Carinthie qui, sans cela, serait, apres la cession de la Car- niole, une sorte d’enclave entre Salzbourg, le Tyrol et la Carniole. Quant a la Croatie, il propose comme limite la Save. La cession de Salzbourg et de la Haute-Carinthie fait la frontiere occidentale de 1’Autriche aussi courte et droite que possible, rend la France et ses allies maitres des hauteurs, des defiles, leur donne des positions militaires telles que Villach et Trbiž (Tarvis) ; il n’y a plus de points de contact entre 1’Autriche et le Tyrol. L’annexion de la Carniole et d’une partie de la Croatie cree une libre commu- nication entre 1’Italie, 1’Istrie et la Dalmatie, qui ne sont plus separees Lune de 1’autre. « Sa Majeste estime que cela pourrait lui valoir une economie de dix millions que depense actuellement 1’armee de Dalmatie La Croatie ouvre une entree facile dans la Bosnie. Les mineš dTdria et le port de Fiume deviennent frangais. Une nouvelle barriere s’etend entre 1’Autriche et 1’Italie ; 1’Autriche n’a plus aucun point de contact avec LAngleterre ; elle est ouverte de partout, tres exposee a Lagression, et dans une position plus difficile pour attaquer. » Quant aux details de la frontiere, les mon- tagnes du Nord de la Carniole sont une limite naturelle dej a connue. Au lieu de la Save, on pourrait prendre la Drave — mais c’est une riviere moins considerable — ou les montagnes entre elles, ou il serait cependant difficile de determiner une «limite que rien n’indique. » La Slavonie et la Croatie au Nord de la Save sont trop eloignees de 1’Italie et de la Dalmatie et n’ont pas une grande impor- tance ; la possession de la Carniole et de la Croatie jusqu’a la Save suffit a assurer tous les avantages cherches, et en meme temps, dans ces limites, les demandes formulees paraissent plus moderees. En discutant sur les frontieres de la nouvelle Illyrie, on a souvent invoque, contre la these « nationale », 1’argument que les regions allemandes de la Haute-Carinthie ont fait partie de lTllyrie, tandis que les Slovenes de la Basse-Styrie et les Croates du Nord de la Save en etaient exclus. Notre LA DOM1NATION FRAN. Reste une derniere question : Napoleon et les autres Fran^ais que nous rencontrons dans 1’affaire ont-ils connu la nationalite des pays qu’ils allaient acquerir par le traite de Vienne, et s’y sont-ils interesses ? M. Prijatelj, qui a porte son attention sur cepoint (2), tire de la Cdrrespondtmce la conclusion que le motif national n’est pour rien dans la creation de rillyrie. Mais en octobre, quand le sort des nouvelles acquisitions frangaises est decide, on voit, par la correspondance de Kopitar, que les Fran$ais s’inte- ressent a la nationalite de leurs nouveaux sujets. Le biblio- thecaire de 1 ’Universite de Vienne, Otto, fait pour deux Fran- gais des extraits de la grammaire slovene de Kopitar, parue en 1808. Ensuite, il re?oit l’ordre de fournir a. une Excellence des renseignements sur les Slaves, et il a prie Kopitar d'assister a la conversation ; « le depart de l’Excellence nous a tires d’affaire ». Enfin, Kopitar lui-meme, par rintermediaire d’Otto, entre, apres le 18 octobre, en rapports avec Marcel Serres, inspecteur des Sciences et des arts, et lui fournit les renseignements d’apres lesquels Serres a ecrit en 1814 son memoire Des Esclavons et de leur lan ga ge, annexe de son livre Voyage en Autriche (3). Napoleon est peut-etre lui-meme l’ini- tiateur de cette curiosite pour les Slaves. « Il semble », ecrit (1) N. Radojči6 dans Glasnik istoriskog društva u Novom Sadu, V, 1932, p. 121. (2) Slovenščina pod Napoleonom (La langue slovene sous Napoleon) Veda X, Gorice, 1911, pp. 125 et suiv., 223 et suiv. (3) M. Prijatelj croit que l’Excellence dont parlcnt Kopitar et Serres sout une seule et mane persomie. Cela me parait douteux, car Serres n’avait pas droit au titre d’33xcellence. LA DOMINATION FRAN£AISE 55 Kopitar le 18 octobre,«que celui qui est na poli on (i) s’occupe des Slovenes. On dit qu’il a interroge ceux de sa suite sur la souche de cette infinite de langues slaves ; cette nation im- mense pourrait une fois devorer la sienne. Ceux-ci, cependant, en savaient encore moins que lui. Informez-vous en done, a-t-il decide, et les sečretaires, savans, etc., sont alles prendre des renseignements. » Vient 1 ’indication au sujet d’Otto, et plus loin : « ’Na pole’ cependant, qui etait assis dans sa voiture, a fait deteler, appeler le Carniolien qui est proprietaire de Ribnica, et a confere avec lui tard dans la nuit ; on dit qu’il a ete question aussi des Slovenes. » Ce « Carniolien » est le comte Jean-Philippe Cobenzl (1741-1810), 1 ’ancien homrae d’£tat autrichien, en retraite depuis 1805 et que Napoleon connaissait depuis Campo-Formio. Quant a 1 ’ajournement du depart de Schonbrunn, Napoleon dit le 15 octobre, dans deux lettres, qu’il partira de Vienne la nuit prochaine ; A. Sorel et A. Fournier af&rment done qu’il est parti pendant la nuit du 15 au 16 octobre. M. Prijatelj montre au contraire qu’il y a dans la Correspondance quatre lettres datees de Schonbrunn du 16 octobre, et qu’il est parti, d’apres 1 ’officielle Wiener Zeitung, le 16 octobre a deux heures de l’apres-midi (2). Enfin, en 18x0, Kopitar apprit que Cobenzl, (qui etait dans les der- niers mois de sa vie), etudiait alors sa grammaire. Tout cela rend tres vraisemblable ce que dit Kopitar du depart. ajourne de Napoleon, de la conference avec Cobenzl, et qu’elle avait porte aussi sur les Slaves de l’Illyrie. M. Prijatelj, et apres lui quelques autres historiens, croient meme que c’est a Cobenzl que Napoleon aurait du l’idee du nom de « Provinces illy- riennes » (3). Enfin, la Minerva d’Archenholtz contient, dans le numero de decembre 1809, un article sur L’Illyrie de Vanti- quite et de Vavenir, ou 1 ’auteur parle d’abord de l’epoque romaine et ensuite de l’Illyrie de Napoleon qu’il considere (1) Kopitar, qui ecrit dans un style enigmatique a cause de la censure, semble faire iei allusioa a une etymologie populaire slave du mot Napoleon (Na poli on = sur le champ de bataille, lui) qui, d'apres un rapport aux AN,. AF IV 1677, plaq. 2 V , provient d’un paysan tcheque. (2) D’apres le Monileur du 26 octobre, il est parti le 16 octobre a midi. (3) Prijatelj, o.c., pp. 595-596. F. Šišič, Hrvatska povijest (Vhistoire croate), III, Zagreb, 1913, p. 94- J- Nagy, o.c., p. 110. 56 LE MONDE SLAVE comme le noyau d’un £tat qui s’etendra vers le Sud-Est. II parle de la nationalite slave de la majorite de la population de Hllyrie, et dit qu’elle ressemble a cet egard a la Bosnie et a la Serbie (i). Toutes ces indications prennent leur valeur si on les rapproche de la politique frantjaise de faveur a la langue nationale dans les Provinces illyriennes. Mais est-il question de la nationalite des habitants des Provinces illyriennes dans les documents de 1809 qui se trouvent dans les archives pari- siennes ? Le memoire de Marmont du 3 octobre n’est pas le seul document destine a renseigner Napoleon et la France sur leurs nouvelles acquisitions. Le sejour a Vienne a ete mis a profit pour recueillir la-dessus des renseignements prečiš. Les archives de la Guerre contiennent un Memoire geographique et statis- tique sur 1 ’Esclavonie... aout 1809 (2), sous le titre duquel une autre main a ajoute : « Attribue au S r Pellenc. » Cette hypo- these est confirmee par 1’ecriture du memoire, qui est sans doute celle du fameux agent secret, et par quelques indica¬ tions personnelles. Ainsi cette note : « On m’avoit promis des notes sur 1 ’Esclavonie, mais on a siju que je quittois 1 ’Autriche et ces notes m’ont ete refusees. » (Or Pellenc, ancien secretaire de Mirabeau et confident de la famille royale franjaise, qui avait vecu ensuite comme emigre a Londres et a Vienne, fut raye de la liste des emigres par le decret du 28 juillet 1809 ; il entra alors comme agent secret au Service de Napoleon, pour qui son concours devint d’autant plus precieux que, comme ancien secretaire de Thugut et conseiller aulique autrichien, il connaissait tres bien les affaires d’Autriche ; sa lettre d’adieu a Metternich, du 26 aout 1808, dit qu’il n’est plus, au Service de l’Autriche depuis le i er aout). Ou encore 1’indication qu’il a pris « les materiaux de ce memoire... a la hate a la bibliotheque imperiale dans des ouvrages alle- mands que mon fils m’a traduits », et s’excuse de n’avoir pu fournir un travail complet et sur dans tous les details. Or (1) Prijatelj, o.c., pp. 40-42. Minerva, 1809, IV, pp. 498 et suiv. (2) Archives historiques de la Guerre, reconnaissances, Autriche-Hongrie, 1594 - LA DOMINATION FRANgAISE 57 nous savons que Pellenc avait un fils, Gabriel-Charles-Joachim ne en 1790 (it). Le memoire donne d’abord une description geographique de la Sla- vonie et le chiffre de la population. Puis il est question de la langue : « La langue principale, et presque la seule, de l’Esclavonie est l’illy- rienne, la metne que l’on parle en Croatie, en Bosnie, en Serbie et en Dalmatie. » Les habitants sont divises en anciens et nouveaux. « Les anciens habitants sont des Illyriens venus de 1 ’Albanie, de la Dalmatie, de la Croatie et de la Servie. Le langage et les moeurs de ces provinces sont les memes, et tout indique queleurs habitants ne formoient autre- fois qu’un seul peuple. En 1690, la population de 1 ’Esclavonie s’est renouvellee en partie par des Tllyriens venus de la Turquie. » Les nou- veaux habitants sont les « Valaques» , les Allemands, les Egyptiens (Tsiganes) et les Clementins (Albanais) ; ils ne forment, d’apres Taube, qu’un dixieme de la population. Dans les autres chapitres, 1’auteur s’occupe de 1’organisation de la partie civile et militaire du pays, de religion grecque et latine, de l’6tat peu čleve des moeurs et de la civi- lisation, de la vie economique, des revenus publics et de la topographie. Le mot«illyrien » apparait dans ce memoire pour la premiere fois pour designer une unite de langue et de nation ; il s’ap- plique aux Serbes et aux Croates. Pellenc indique ses sources pour ce travail « sur un pays qui jusqu’a present m’etoit tota- lement inconnu » : Piller et Mitterbacher qui ne touchent qu’a la botanique, Taube qui est tres detaille, mais a paru en 1777, Hassel et les cours de statistique a 1 'Universite de Vienne. « Je me suis principalement attache a rectifier Taube d’apres la statistique de Hassel. » Dans 1 ’ouvrage de Hassel, Pellenc pouvait trouver quelques pages sur les Slaves et sur leurs diffe- rentes familles, entre autres Serbes, Vindes (= Slovenes), Croates, Morlaques (= Slaves de Dalmatie), et des notions assez etranges sur les langues slaves, mais rien sur la langue et la nation illyriennes ( 4 ). Taube, au contraire, donnait la division entre les anciens et les nouveaux habitants de la Slavonie, et aussi toutes les indications de Pellenc sur le domaine de la langue et de la nation illyriennes. Pour ce haut fonctionnaire autrichien, les Illyriens sont les Croates et les Serbes (et meme une partie de la Bulgarie) ; il enumere parmi (1) Je dois tous les renseignements sur Jean-Joachim Pellenc (1751-1833) a M me Pivec-Stele, bibliothecaire a la Bibliotheque d’Ltat de Ljubljana, qui prepare une etude sur lui. (2) G. HASSEL, Statistischer Abriss des Oesierreichischen Kaisertums... Niirnberg u. Leipzig, 1807, pp. 63-66, 75. 58 LE MONDE SLAVE leurs savants le Croate Kerčelič, le Serbe Orfelin et le Ragu- sain Boškovič. La langue illyrienne est meme lajpiere de toutes les autres langues slavbs, y compris le slo vene (« vindique »). Cependant les Slaves de ces pays ne sont pas autochtones ; 1’ancienne langue illvrienne n’est pas slave et s’est conservee dans 1 ’albanais. Le vaste ouvrage de Taube est aussi la source de la plupart des autres affirmations du memoire de Pellenc (i). Parmi toutes les pieces diplomatiques de 1809, la plus inte- ressante est peut-etrele memoire anonyme Sur les negociations du30 septembre (2). Le passage qui pari e des «troupes feodales des frontieres dont. j’ai parle dans une note sur 1 ’Esclavonie », permet d’en etablir 1 ’auteur ; car il est question dans le Me¬ moire sur 1 ’Esclavonie de 1 ’organisation des Contins, et nous sommes de nouveau en presence de Pellenc, ce qui pourrait etre demontre aussi par le style et 1’ecriture. II propose d’abord deux moyens de nuire a 1 ’Autriche sans cessions terri- toriales : preparer la banqueroute du papier-monnaie et empecher la suppression de la Constitution de la Hongrie, son « amalgame », favoriser chez les Hongrois le desir de deve- nir independants. Cette derniere idee est dans la ligne tradi- tionnelle de la politique fran9aise, et Napoleon a essaye de s’en servir encore en 1809. La premiere etait restee jusqu’ici inconnue ; Pellenc prevoit et peut-etre meme prepare la ban- queroute autrichienne de 1811 (3). Suivent les observations sur les cessions territoriales. A 1 ’Ouest, il suffit de « demanteler 1 ’Autriche », de la laisser sans frontieres naturelles et exposee a toute invasion. Les cessions au Sud sont beaucoup plus importantes. j. « En portant les limites de ce c6te jusqu’a la Sawe, on auroit les deux tiers de la Croatie, et 30 mille hommes de ces troupes fšodales des frontieres dont j’aiparle dans une note sur 1 ’Esclavonie; •— laDalmatie ne seroit plus isolče; — • on formeroit un premier noyau de reunion (1) P. W. v. Taube, Historische und geographische Beschreibung des Konigreiches Slavonien und des Herzogthumes Svrmien... I-III, Leipzig, 1777- 1778 ; I, p. 59-62 ; II, pp. 16-17, 50 ; III, pp. 125 et passim. (2) Arehives des Affaires etrangžres, corr. pol. Autriche 384, f. 366-370. (3) A. Becker, Napoleon und Ungarn 1809, Jakresbericht iiber das Staats- gymnasium im VIII. Bez. Wiens, Vienne, 1899. — J. Kraft, Die Finanz- reform des Grafen Wallis und der Staatsbankerott von 1811. Oraz-Vienne- Leipzig, 1927. LA D0M1NATI0N FRAN£AISE 59 pour la grande famille >illyrienne ; — on acquerroit sur les Turcs une influence decisive ; — on auroit une position formidable contre la Russie elle-meme. Enftn, et c’est ici le point le plus important, on se donneroit une foule de rapports avec la Hongrie, qui serviroient a prendre peu a peu sur ce pays la meme influence que Catherine seconde squt se piAparer avec tant de succes en Pologne, et qui finit par chan- ger en conquete la domination qu’clle exerqoit sur ce royaume. Ces jallons suffisent pour indiquer la route politkjue qui seroit la suite d’un tel plan. Un simple sentier, apres quelques annees, deviendra un grand chemin. « II importeroit peu, selon moi, qu’en prenant plus de ce cote il fallut prendre moins d’un autre. En effet, s’il ne s’agissoit que de tenir quelques promesses faites a la Baviere, on a dans la mam de quoi faire en Allemagne des concessions importantes dont on n’a point encore dispose. On pourroit. de meme diminuer un peu les sacrifices autri- chiens en Pologne puisqu’on auroit de la marge sur le territoire prus- sien pour agrandir autant qu'on le voudroit le duche de Warsovie. — Contiguite, force reelle, influence politique, on ne trouveroit ces trois avantages que dans la possession de la Croatie. L’avenir d’ailleurs semble indiquer qu’il y aura un jour un royaume de l'Adriatique. Il s’agit par consequent d’en preparer d’avance le territoire. » On voit quelle etait, aux yeux de Pellenc, 1 ’importance de l’Illyrie pour les relations avec la Turquie, la Russie, la Hon¬ grie. L’idee d’un royaume de l’Adriatique n’est pas son inven- tion ; elle apparait deja en 1807, et s’explique par la politique orientale de Napoleon, et non par une tendance nationale quel- conque. Ce qui est vraiment nouveau dans ce memoire, c’est l’idee de former « un premier noyau de reunion pour la grande famille illyrienne ». Nous connaissons le sens du mot«illyrien » chez Pellenc ; c’est celui ou 1 ’ « illyrisme » de la Dalmatie, de la Croatie et de la Slavonie Pemploie depuis quelques siecles, et qui a ete adopte aussi par Taube en 1777. Mais c’est au debut du xix e siecle seulement — chez Stratico comme chez Pellenc — que l’illyrisme culturel entre dans la politique. Sans nul doute, Pellenc entend seulement qu’il faut se servir de l’illyrisme pour les projets orientaux de Napoleon ; il se soucie peu de la creation d’un Htat illvrien independant ; il n’en a pas moins le merite d’avoir le premier decouvert aux dirigeants de la politique fran5aise le cote national de la ques- tion de rillyrie. Un autre memoire anonyme presente Quelques idees sur les nouvelles acquisitions slaves, faites par le royaume d’Italie. Pour 6o LE MONDE SLAVE son auteur, la grande majorite des Slaves sont des orthodoxes fanatiques, et tous les Slaves des panslavistes qu’il voudrait voir reunis autour de Saint-Petersbourg. Ils haissent la France, et le danger russe peut devenir tres grand par l’intermediaire de la Serbie. Pour gagner leurs sympathies, il propose de les faire gouverner par des fonctionnaires polonais ; les Polonais sont Slaves et en meme temps amis de la France. Document curieu'x, qui n’a pas eu de grandes consequences (i). Les archives parisiennes permettent de confirmer deux des theses que M. Prijatelj avait presentees en s'autorisant seule- ment des sources imprimees et de la correspondance de Kopi¬ tar : i° le motit national n’est pour rien dans l’annexion du littoral autrichien et dans la creation des Provinces illyriennes, 2° en octobre 1809, les Frangais s’interessent aussi a la nationalite des Illyriens. Sa troisieme these est que si, chez Napoleon, le mot« illyrien » n’est pas un pur classicisme, s’il en connaissait aussi le sens national, il le doit aux renseignements que lui a fournis le comte Cobenzl ; le nom d’ « illyrien » n’apparait dans la Corresfondance que le 16 octobre, le lende- main de 1 ’entretien de Napoleon avec Cobenzl. Or les archives de Marmont k Chatillon-sur-Seine conservent un memoire que Napoleon a demande a Cobenzl, et qui est en tout cas ante- rieur a la paix de Vienne. On y trouve d’abord le question- naire de Napoleon, qui est tres significatif pour son opinion sur l’Illyrie. La population, les produits, les importations et les exportations, les chevaux du pays, la quantite de troupes qu’il pourrait nourrir, la question de F « amalgame » de ces troupes avec les regiments croates, voila les questions qui interessent 1 ’Empereur. Le but militaire de la creation des Provinces illyriennes apparait ici plus nettement encore que dans le memoire de Marmont. Les reponses de Cobenzl ne fournissent guere de renseignements. A la premiere question : « Quelle est la population ? » il repond en s’excusant de n'en pas connaitre le chiffre, parce qu’il y a longtemps qu’il ne s’occupe plus de questions interieures. Il donne quelques indi- (1) Pavlovič, o.c., pp. 3.3-34. Gavrilovič, o.c., pp. 487-488. LA DOMINATION FRAN?AISE 6l cations sur le caractere des Carnioliens, mais ne dit rien de la nationalite des provinces cedees. II ignore quelle sera l’orga- nisation future du pays, et le nom d’ « illyrien » n’apparait pas dans son memoire (i). Mais la seule existence de eelui-ci augmente 1’autorite du recit que fait Kopitar de la conference de Napoleon avec Cobenzl: 1’Empereur a voulu, apres celle-ci, demander encore a Cobenzl quelques renseignements ; mais Cobenzl n’a pas eu l’idee du nom des Provinces illyriennes. Elle est en tout cas anterieure au memoire de Marmont du 3 octobre ; des le 30 septembre, Pellenc envisage l’illyrisme comme un facteur politique ; Napoleon meme emploie le mot deux fois des le 14 octobre, done avant son entretien avec Cobenzl : dans le decret de creation des Provinces illyriennes et dans la lettre au vice-roi d’Italie qui lui en annonce 1’orga- nisation (2). Cobenzl, issu d’une famille noble carniolienne, ^tait ne a Ljubljana et resta jusqu’a sa mort proprietaire a Ribnica, en plein pays slovene. Son memoire ne mentionne meme pas la langue des pays cedes, et montre ainsi qu’il est loin de la considerer comme un facteur politique. Si, plus tard, pendant les derniers mois de sa vie, il a etudie la grammaire de Kopitar, c’est sous 1’impression de l’interet ,de Napoleon pour les Slaves. La difference entre lui et Pellenc, qui n’a pas encore 6te en Illyrie, est celle de deux hommes d’Etat dont l’un represente 1’Ancien Regime et dont l’autre a vecu la Revolution. En 1840, le Serbe Sava Tekelija s’attribue le merite d’avoir propose a Napoleon la creation de rillyrie. II parle d’un me¬ moire qu’il a ecrit pour 1’Empereur et qu’il a donne a Cham- pagny. Son recit est tres trouble, sa chronologie tres vague, le memoire n’existe pas dans les archives parisiennes ; Tekelija s’est vante (3). j (1) BibUotheque inunicipale de Chatillon-sur-Seine, archives Marmont, j, .... .Itlyrie, carton 2. .. s (2) Correspondance, XIX, n° 15945, pp. 675-677. Bulletin des Idis, 4 e serie, XI, p. 159. (3) Avtobiografija Save Tekelije (Vautobiographie de Sava Tekelija), Letopis Matice Srpske, 120, Novi Sad., 1879, pp. 23-25, 36-37, 94. Les pas- sages concernant i’IHyrie dans Fr. Ilešič, Ljubljanski Zvon, XXIII, Ljubl¬ jana, 1903, pp. 563-565- 62 LZ MONDE SLAVE L’idee de FIllyrie peut-elle etre attribuee soit a Meriage, soit a Vučinič ? L’adjudant-commandant Meriage a ete, entre 1807 et 1809, en mission a Vidin, en Turquie, connait bien la situation, et se trouve pendant les negociations de 1809 a Vienne (1). Rado Vučinič est le delegue serbe envoye en 1809 par Karageorge a Napoleon pour lui offrir le protectorat de \a. Serbie. II est porteur d’une lettre de Karageorge a Napoleon, ecrite en serbe, munie d'une traduction en latin, et datee de Belgrade, 28 aout 1809, et en outre d’une Resolution ■prise \par le fieuple servien, ecrite en serbe, de la meme date. II passe par Bucarest, 011 le consul frangais, Ledoulx, fait tra- duire la lettre et la resolution en fran?ais, donne a Vučinič comme compagnon de voyage un jeune de langue, Tancoigne, et 1 ’envoie a Vienne avec une lettre pour le ministre des affaires etrangeres, datee du 21 septembre (2). La date de 1 ’arrivee a Vie nne de Vučinič et de Tancoigne, qui ont prisjpar la Gali- i cie, la Silesie et la Moravie, n’est pas connue ; mais on peut la determiner approximativement. Napoleon a appris la nOu- velle de l’arrivee du delegue serbe et de l’offre dont il est por¬ teur etant encore a Vienne, et a prescrit au ministre des affaires etrangeres d’exprimer aux Serbes son estime, mais de ne leur donner aucune assurance positive. Champagny execute cet or dre dans des lettres a Ledoulx et a Karageorge et dans des instructions a Meriage, en disant qu’il a re. 708. LA DOMINATION FRANfAISE 67 preš la cour d'appel de Ljubljana, Desclaux (1). L’idee d’une Illyrie slave, celebre dans l’antiquite, asservie et humiliee depuis la conquete romaine, et desormais rappelee par Napo¬ leon a une vie nouvelle, est done anterieure a Vllliria oshivlena de Vodnik ; Vodnik, qui est encore en 1808, dans la Geschichte des Herzogthums Krain, loin de 1 ’autochtonisme, ne lui donne que la forme sous laquelle la posterite la connaitra. Pour la Croatie, le colonel Leclerc constate en fevrier 1810 que les habitants de la rive droite et de la rive gauche « sont unis par les liens du sang, par la meme langue, la meme reli- gion, les memes moeurs et les besoins reciproques. » Le traite de paix cependant a donne la rive droite aux Franfais et laisse la rive gauche a 1 ’Autriche. Les pays voisins, qui autrefois faisaient aussi partie de Plllvrie, suivent avec attention les actions du nouveau gouvernement et il s’agit de gagner leurs sympathies (2). Quant aux Serbes, Karageorge, dans sa seconde lettre a Napoleon, du 22 janvier 1810, parle de « l’Illyrie ressuscitee dans laquelle vivent nos freres » (3). En general, cependant, les Serbes entendent le mot « illyrien » au sens de Padminis- tration autrichienne comme signifiant « serbe », et ils ont done interprete de meme .le nom des Provinces illyriennes. La crea- tion de ces Provinces semble avoir fait sur eux une tres grande impression. Elle est consideree comme une promesse pour 1 ’avenir. Un rapport de Meriage parle des esperances qu’elle a fait naitre chez eux (4). Mais c’est surtout Rado Vučinič, venu a Pariš en 1810 pour y rester jusqu’en 1813, qui souvent mentionne dans ses memoires rillyrie et les espe¬ rances que ce nom a suscitees chez les Serbes et les autres .Slaves chretiens de la Turquie. II entend en general par «illy- rien », « serbe » (5). (1) K&vntnerische Zeitschrifi, I, 1818, pp. 53-55. Telegraphe offtciel, 19 fe¬ vrier 1812. (2) Archives historiques clc la Guerre, reconnaissances 1586, Autriche- Ilongrie. (3) Gavrilovi6, o. c., p. 509. I. Pavkovič, Srpska pisma u francuskim arhivamafciog društva, 51, Belgrade, 1882, p. 136. ( (4) Gavrilovič, o.c., p. 508. (5) Ibid., pp. 550, 565, 651, 7^6-753. BopfE, o.c., pp. 65-6G, 77. {(Lt? v 68 LE MONDE SLAVE Kopitar, on l’a vu, a du donner son interpretation du terme dans sa reponse au questionnaire des Francais en octobre 1809. D’apres lui, il est employe avec deux significations, parfois dans un sens slave general, parfois pour designer une seule langue slave qui .correspond a peu preš a la langue serbo- croate d’aujourd’hui. Lepremier de ces deux emploislui deplait, parce que les anciens Illyriens n’etaient pas Slaves; il voudrait. qu’on dit « slave » et, pour le second cas, « serbe » ou « sla- veno-serbe ». Quant a la langue slovene, elle est differente de la langue illvrienne ou slaveno-serbe. — En Illyrie, lors de 1 ’introduction de la langue nationale dans les ecoles, les Slo- venes sont obliges de preciser de nouveau leur point de vue. Vodnik, dans un memoire, fait aussi la distinction entre le slovene et le serbe ; mais pour lui, tous deux ensemble forment l’illyrien, qui est une branche des langues slaves ; il ne faut favoriser ni l’un ni l’autre ; il leur faut donner a tous deux la liberte de se developper et laisser a 1’avenir de fairele reste (1). Cette attitude des Slovenes est facile a expliquer : ils veulent conserver leur langue litteraire, qui existe depuis le xvi e siecle, et n’admettent pas 1’introduction de la langue illyrienne de la Dalmatie dans les ecoles et dans 1 ’administration. Le fran- cophile Vodnik montre la plus de žele que 1 ’austrophile Kopi¬ tar. Leurs opinions ont ete confirmees par le developpement de la langue litteraire et de la science philologique du xix e siecle ; elles ressemblent a celles qui ont ete exprimees en 1808 par le Ragusain Appendini. Les tendances austrophiles, catho- liques, ou meme une pretendue balkanophobie de Kopitar n’ont done rien a faire ici (2). * * * La question nationale ne tient pas encore la premiere plače dans 1 ’opinion publique. A cote des circonstances momen- tanees qui preoccupent surtout les Illyriens — le blocus con- (1) Prijateij, o.c., pp. 229-230, 321-323. ' (2) On trouve cette opinion chez J. P. JovANOtac, Napoleon i Jugosloveni (Napoleon et les Yougoslaves), Novi Sad s.d. et chez B. HAUMANT, La for- mation de la Yougoslavie, pp. 255-257. ‘‘ LA DOMINATION FR AN Al SE 69 tinental, le Commerce du Levant, la crise monetaire, les cqn- tributions —•,. une autre grande question agite davantage les esprits. L’occupation francaise marque malgre tout un intermede dans l’epoque de la reaction d’entre 1790 et 1848 ; elle met aux prises les partisans et les adversaires de FAncien Regime. L’essor que prennent, pendant la periode francaise, les loges ma9onniques, qui ont ete interdites en Autriche, est tres significatif (1). Les Juifs qui ont deux colonies assez fortes en Illyrie, Raguse et Trieste, sont partisans des Frangais ; c’est pendant la domination francaise qu'apres trois siecles le pre¬ mier Juif s’etablit a Ljubljana (2). Parmi les partisans des Fran5ais on trouve aussi les riches commergants et les indus- triels — pen nombreux — qui peuvent profiter de la liberte economique ; au contraire, la petite bourgeoisie, surtout les artisans, sont mecontents de la suppression des corporations de metiers (3). La noblesse et le clerge, s’ils ne sont pas nette- ment hostiles aux Fran9ais, comme par exemple le franciscain Dorotič, qui a organise en 1809 la revolte en Dalmatie, prefe- reraient 1 ’Autriche. Les reformes religieuses frangaises (sup¬ pression des fetes, des confreries, des couvents, mariage civil) sont contraires au principe quieta non movere, observe depuis 1790 ; les Fran9ais ont aboli les privileges, etabli 1’egalite devant la loi et, si la seigneurie demeure, la question de sa suppression est toujours ouverte. (Lest surtout sur ces pro- blemes que se forme 1 ’opinion publique (4). Ne nous eton- nons pas de trouver des partisans comme des adversaires des (1) F. Kidrič, Francosko-il{rska loža prijateljev kralja rimskega in Napo¬ leona v Ljubljani (La loge franco-ittyrienne des antis du Roi de Rome et de Napoleon d Ljubljana), Slovan XIX, Ljubljana, 1915 J Framasonske lože hrvaških zemelj Napoleonove Ilirije v poročilih dunajskega policijskega arhiva. Rad 206. Zagreb, 1915. (2) L. Vojnovič, Pad Dubrovnika (La chute de Raguse), II, Zagreb, 1908, pp. 114 et suiv., 418. F. ZwiTXER, Nov seznani frankofilov v Napoleonovi Iliriji (Une nouvelle liste des francophiles dans l'Illyrie napoleonienne), Glasnik muzejskega društva za Slovenijo, XII, Ljubljana, 1932, pp. 48-50. (3) R. LopaŠiČ, Karlbvac, Zagreb, 1879, p. 84. I. Tkadac, Uspomene iz mladosti u Hrvatskoj (Souvenirs de jeunesse en Croatie) , .Belgrade, 1925, I, p. 27. J. Map, Zgodovina slovenskega naroda, Najnovejša doba (Histoire de la nation slovene, epoque contemporaine), Celje, 1928, p. 115.. (4) B. VoŠnjak, Ustava in uprava Ilirskih dežel (Constitution et adminis- tralion des Provinces illyriennes), Ljubljana, 1910. M. PlVEC-STEPE, o.c., p. 316 et suiv. J. Map, o.c., passim. 70 LE MONDE SLAVE Frangais dans toutes les nationalites de rillyrie. II y en a meme parmi les Slaves nationaux. La majorite des Serbes est hostile a la France, entre Presbourg et Tilsit, au temps de la guerre entre les Frangais et les Russes en Dalmatie, surtout en 1807, lorsque la France combat la Russie en alliance avec les Turcs. Plus tard, les rapports entre les Frangais et les Serbes se sont beaucoup ameliores (1). Quant aux Croates, leur idee nationale est representee par la noblesse, qui se sent menacee dans ses privileges, et en meme temps blessee a cause du partage de la Croatie. Le gouvernement frangais n’y a d’autres partisans que les adversaires du systeme feodal (2). Au contraire, le «parti croate » de la noblesse lui est nettement hostile. Meme parmi les Slovenes, tous les « nationaux » ne sont pas francophiles. A cote du francophile Vodnik, on trouve 1 ’austrophile Kopitar (3). Le paradoxe n’est pas aussi grand qu’on pourrait le croire. Le sentiment national slovene de cette epoque, comme l’illyrisme dalmate et tous les sentiments nationaux a base linguistique, s’occupe surtout de la langue, de la litterature, de 1 ’histoire. Ce n'est pas encore un mouve- ment politique. Tous les « nationaux » reconnaissent ce que les Frangais font pour la langue nationale ; mais ils n’en sont pas necessairement francophiles. En Illyrie, d’ailleurs, un grand changement s’est produit : l’idee d’un Ktat national existe deja. La resurrection de lTllyrie n’a pas d’autre sens. Elle est la premiere forme de l’illyrisme politique. Mais les individus qui le comprennent sont encore peu nombreux, et eux-memes n’en p^pvent pas saisir toute la portee Elle a trouve dans Vod: son poete, mais elle n’a trouve aucun ideologue. Ce n’e; ue tres vaguement le debut d’un senti¬ ment national pohtique. Contre l’idee que Napoleon aurait voulu creer un Ltat national, on cite avec raison 1 ’entretien avec Metternich, de (1) Voir sur cette question surtout P. Pisani, La Dalmatie de 1797 a 1815, Pariš, 1893, passim. (2) Tkai,ac, o.c., I, pp. 26 et suiv. Lopašič, o.c. pp., 87 et passim. (3) F. Kidrič, Slovenačha književnost (Litterature slovene) dans Narodna enciklopedija srpsko-hrvatsho-slovenažka (Encyclopedie nationale serbo-croato- slovine), IV, p. 174. LA DOMINATION FRANfAISE 7 * 1810, ou il donne a 1’Autriche.le conseil d’occuper Belgrade et ou il lui promet la Serbie lors du partage de FEmpire otto- man (1). L’ « illyrisme .de Napoleon » a ete recemment l’objet d’une etude de M. Gellio Cassi, historien frioulain, ou l’on trouve a cote de quelques indications importantes beaucoup d’inexactitudes (2). L'auteur rejette avec raison 1’idee d’une « Yougoslavie de Napoleon », comme l’ont fait les historiens yougoslaves serieux (3), mais il a tort de reprocher a M. Voj¬ novič d’adopter la these « nationale » et d’en citer comme preuve un passage sur le mouvement de Gaj, qui est poste- rieur a l’epoque napoleonienne (Gaj est ne en 1809) ; il aurait mieux choisi 1'objet de sa polemique en la dirigeant contre son propre article sur Napoleon, VAutriche et les nationalites qui, ecrit a Palerme en 1918, parle de 1’intention de Napoleon de creer une Yougoslavie (4). Les Provinces illyriennes sont pour Napoleon une unite administrative, non une unite nationale ; il y a introduit, les lois franfaises, mais g’a ete la consequence de leur creation, et non pas son but comme le ero it M. Cassi. De meme, le pretendu dessein de Napoleon de fondre par Fintro- duction des lois franfaises tous les Illyriens en une nation « dalmate », n’est prouve par rien. M. Cassi voit dans les Ita- liens des amis et dans les Slaves des ennemis de la France ; mais le point de vue national n’est pas encore decisif, et Pon trouve des amis et des ennemis des Franfais dans. toutes les nationalites; parmi les adversaires de la France, n’y a-t-il pas le Triestain Domenico Rossetti, nationaliste italien du point de vue culturel, conservateur en politique ? (5) Les administrateurs franfais ont favoiise la langue natio- (1) Aus Metternichs nachgelassenen Papieren, Vienne, 1880, I, p. m ; II, pp. 369, 37 8 -379, 3 8 :;-3 8 4- (2) G. Cassi, Les populalions juliennes-ittyriennes pendant la domination napoleonienne (1806-1814), L Villyrisme dans la conception de Napoleon, (Revue des eiudes napoleoniennes, oetobre 1930). Voir notamment les pages 196, 200, 203, 204, 210, 211. L’auteur ne connait ni la date de la creation des .Provinees illyriennež'ni leur nombre (pp. 193, 206). (3) B. Vošnjak, o.c., p. 108. I. Prijatelj, o.c., p. 125. J. Mal, o.c., p. 68. M. Pivec-Stelk, o.c., pp. 12-13. (4) Revue des etudes napoleoniennes, XV, Pariš, 1919, p. 37. (5) D. RoSSETTi, Meditazione storico-analitica sulle franchigie della citta e porto-franco di Triesle, Venise, 1815, B. Bendssi, L'Isytia nei šuofjnillenni [tn, I otu-i- di storia, Trieste, 1924, pp. 430, 436, 462 et suiv. 72 LE MONDE SLAVE nale et l’illyrisme. II semble, d’ailleurs, que ce principe ne joue pas un grand role dans les desseins de leur politique, et qu’une grande partie d’entre eux ne 1’aient pas connu ou compris. Chez Charles Nodier, redacteur du Telegrafthe officiel en 1813, on trouve un interet tres vif pour la langue, 1’histoire, la litterature, les contes et les moeurs des Illyriens, mais jamais il ne laisse soupgonner 1’intention du gouvernement frangais de favoriser cette langue, de 1’introduire dans les ecoles, ou meme l’idee de la resurrection de l’Illyrie. II parle meme du depart des Frangais comme d’un affranchissement pour les Illyriens (1). Son interet pour les Illyriens n’a rien de poli- tique, et ne ressemble pas a celui de Pellenc ou de Vodnik. Pellenc a ete en 1811 en mission secrete en Illyrie. Dans ses rapports, il analyse d’abord 1’importance militaire, commer- ciale et maritime des Provinces illyriennes dans les relations avec 1 ’Autriche, la Turquie et la Russie, puis il ajoute : k Voila des avantages incalculables. Il en est un autre encore qui ne peut echapper au coup d'ceil de la politique. Nous avons deja conquis en Illyrie la langue des Russes. » Il faut d’abord, continue-t-il, preciser le but qu'on veut atteindre : est-ce de former un seul peuple, ou de chercher pour chaque province une source propre de prosperite, de considerer l'Illyrie comme un Rtat dependant ou comme le noyau d’un Rtat futur ? A Ljubljana courent des bruits d’expansion en Hongrie ou en Turquie. Les Provinces offrent le spectacle d’une hetero- geneite extreme, ce qui en rend tres difficile 1’administration. Rlles ne se ressem^^nt en rien « et, quoique la langue illy- rienne leur soit coi une, elle a tant de diversite dans ses dia- lectes que ce moy neme de reunion ne peut remplir ce but que d’une maniere bien imparfaite. Le Carniolien Rest pas compris du Dalmate. Celui-ci et le Croate ont de la peine a s’entendre. » D’ou la conclusion : « On a a propager la vraie langue illyrienne qui seule peut former le commun langage (1) Ch. Nodier, Souvenirs de la Revolution et de VEmpire, 7 e ed., Pariš, 1861, II, p. 309. Voir sur Nodier et l’Illyrie R. Maixner, Charles Nodier i Ilirija (Charles Nodier et l’lllyrie), Rad 229, Zagreb, 1924. Une nouvelle edition des articles de Nodier au Telegraphe officiel est en train de paraitte a Ljubljana. LA DOMINATION FRANgAISE 73 de ces divers pays » (i). Pellenc s’interesse done toujours a la question de la langue, qu’il considere du point de vue poli- tique. Mais les esprits vifs et les penseurs originaux qui se rendaient compte du caractere de cette question si nouvelle devaient etre peu nombreux en Illyrie ; pour la masse des administrateurs, c’etait une question de routine et ils ne voyaient point la de probleme. Les mesures prises en Illyrie en matiere de langue sont dues probablement a 1’initiative de Marmont. Mais on chercherait en vain dans ses ecrits une explication sur ce point. Dans ses memoires, il se borne a mentionner l’existence en Illyrie de plusieurs peuples, parmi eux des Slaves et des Ulyriens, et de plusieurs langues, dont la langue illyrienne ( 2 ). * * * Aux motifs immediats de l’annexion des Provinces que nous avons dej a indiques, les historiens en ajoutent un aurre : elles devaient servir a la realisation du grand dessein de Napo¬ leon, but lointain de toute sa politique, la conquete de Cons- tantinople et 1’etablissement du Grand Empire, qui serait une restauration de 1’Empire romain ( 3 ). Cette idee apparait dej a chez les contemporains : « ... II est surtout essentiel », ecrit Pellenc dans son memoire sur rillyrie, « de remarquer qu’on peut considerer tout a la fois rillyrie ou comme destinee a faire partie de 1’Empire franfois ou comme devant servir au plan du grand empire, deux points de vue dont chacun exigeroit des institutions particuličres. Pour ce pri est des rapports avec le grand empire, les Provinces illyriennes forment visi- blement un point central dans la chaine des territoires, comme dans la chaine des pensees qui doivent, si je ne me trompe, en lier les differentes parties. » Vodnik exprime en termes plus simples la meme idee lorsque son Illyrie dit : « Je m’appuie (1) AN, AF IV 1713, n° 25-28. (2) . Mčmoires de Marmont, III, pp. g6 342, 374. (3) A. SorEP, o.c., VII, pp. 46i-f2|!& E. Driatji,t, Napoleon en Italie, pp. 653-654, 669-670. M. Driault mentionne aussi les rapports de Pellenc. 74 LE MONDE SLAVE d’une main sur la Gaule et je donne l’autre aux Grecs. » On a commence a parler d’un royaume de l’Adriatique apres Tilsit, et les bruits a ce sujet n’ont cesse que vers la fin de la domi- nation franqaise en Illyrie. Des rares textes qui permettent une hypothese sur les motifs de 1’attitude des Franfais envers les Slaves de l’Illyrie, leur langue et leur nationalite — memoires de Stratico, de Pellenc, de Champagny, memoire anonyme sur les acquisitions slaves, indications de Kopitar, article de la Minerva de Hambourg, peut-etre la proclamation du colonel Mengin aux Bo'cquais, qui sont redevenus Illyriens et ne doivent plus avoir de rap- ports avec les Montenegrins, ou le discours du procureur gene¬ ral Desclaux lors de 1’installation de la cour d’appel a Ljubljana sur l’Illyrie qui a ete partagee et humiliee et qui a reconquis maintenant son ancienne gloire —, deux faits se degagent. D’abord, la question de la langue n’est pas pour tous les Fran- 5 ais une question purement technique. La langue et le senti¬ ment national des Slaves sont designes expressement comme affaires politiques. Ensuite, tous les principaux memoires que nous possedons sur la question mentionnent aussi les possibilites d’expansion franqaise en Turquie et l’ascen- dant de la Russie sur les peuples slaves. II faut done voir dans les mesures prises par les Franqais un moyen de contre- carrer 1’influence russe, de prendre de 1’ascendant non seule- ment sur les Slaves de l’Illyrie, mais aussi sur ceux de la Turquie, et de preparer ainsi 1’envahissement de la Turquie par les Franqais. mesures apparaissent ainsi comme un detail de la politiq orientale de la France. La France n’est ^ ; le premier Etat qui. a fait de ces pays le point de depart d’une expansion vers 1’Est. L’Autriche l’a depuis longtemps precedee dans cette voie. Elle a su tirer profit de la haine des chretiens contre les musulmans, du desir des Serbes de s’affranchir du joug ture et de 1’espoir qu’a la noblesse croate de reconquerir le territoire de 1’ancienne Croa- tie. Mais le centre de l’Illyrie franqaise se trouve en Dalmatie et en Slovenie. Dans ces pays, la nationalite se fonde sur la langue. L’Autriche n’a considere ni la langue ni la nationalite LA LOMINATION FRANfAISE 75 comme un moyen'd’ex|>ansion vers l’Est ou, en general, coinme un probleme politique. La question de la langue — de la langue seulement — ne joue un role politique qu’en Croatie depuis Joseph II : les Croates s’opposent aux tentatives des Hongrois d’introduire chez eux le magyar comme langue ofii- cielle, defendent leur latin et commencent a envisager un peu 1’introduction de la langue du peuple dans la vie publique. Les Franpais, eux, ont considere partout la question de la langue comme une question politique ; ils ont donne aux « nationaux » de la Dalmatie et de la Slovenie 1 ’idee de l’intro- duire dans toute la vie publique, et meme 1’idee d’un Etat national. C’est le debut tres vague d’un illyrisme politique — chez les Frangais et plus encore chez les Illyriens : —, mais c’en est bien le debut. Les Fran5ais qui envisagent pour la premiere fois le probleme national de rillyrie sont sans doute loin de vouloir creer un Etat national. Ils ne veulent que favoriser la politique orientale de la France. Mais le moyen qu’ils emploient n’aurait pas ete possible pour un homme d’Etat de 1 ’Ancien Regime, qui ne verrait dans les Illyriens que les sujets. Le dessein de favoriser la «langue illyrienne » et l'illy- risme ne pouvait naitre que chez un homme d’Etat qui savait qu’il y avait quelque chose de change dans le monde, que la volonte des peuples et le principe des nationalites commen- $aient a y jouer un role, et qui voulait proliter de ce change- ment. A cet egard et dans ce sens, la politique franqaise en Illyrie est issue de la Revolution. L’exemple de la France ne reste pas sans effet sur les autres puissances. Des 1810, le bruit court ž Vienne que rillyrie redeviendra autrichienne et qu’elle conservera la meme orga- nisation que sous les Framjais. En 1816, en effet, un royaume d’Illyrie est cree. II ne correspond pas au territoire des Pro- vinces illyriennes. Lors des discussions sur sa creation, on a envisage la necessitž d’empecher 1 ’influence de la Russie (i). En general cependant, 1 ’Autriche a introduit de nouveau 1’allemand comme langue administrative, et elle est loin de (i) J. PorEC, Kraljestvo Ilirija (Le royaume d‘Illyrie), I, Ljubljana, 1925, pp. 81-S2, 109. 76 LE MONDE SLAVE vouloir favoriser n’importe quel sentiment national politique. La langue slovene n'a obtenu qu’apres 1848 les droits dont elle avait joui sous les Fran^ais (1). La Russie qui, dans un projet d’invasion en Illyrie, de 1812, envisageait aussi l’aide de la population slave, soutient au congres de Vienne les efforts des Ragusains pour reconquerir leur independance ou au moins pour former un £tat illyrien avec les Bouches de Kotor et le Montenegro (2). Bien plus grande est 1’importance de cette politique pour l’Illyrie elle-meme. Chez les Serbes, le programme national et le mouvement national moderne sont anterieurs aux Provinces illyriennes. Mais chez les Croates et les Slovenes, rillyrie res- suscitee represente la premiere forme de l’idee nationale poli- tique moderne. Ce n’est encore qu’une idee, on ne peut pas parler d’un mouvement. Plus tard, lorsque l’idee nationale devient un mouvement politique, elle/ se trouve profonde- ment modiliee : chez les Croates, dans le programme deDraš- kovič et de Gaj, on voit se lier a l’illyrisme la tradition histo- rique croate, ce qui n’eut pas ete possible dans l’Illyrie napo¬ leonienne ; chez les Slovenes se forme le programme de la Slovenie unie. Ces deux programmes sont nes sous 1'influence de l’idee de l’epoque napoleonienne. La Revolution marque une epoque nouvelle dans 1’histoire de l’idee nationale en Europe. Elle lui donne la forme active et revolutionnaire sous laquelle nous la connaissons aujour- d’hui. Chez les Yougoslaves, les Serbes ont ete les premiers a, comprendre la 1 rle dans le sens de la nationalite. Pour l’illyrisme cependar . et dans une certaine mesure pour l’idee nationale chez les Croates et les Slovenes en general, rillyrie napoleonienne marque le debut — tres vague d'ailleurs — d’une epoque nouvelle. Le motif national a pu n’etre pour rien dans la creation des Provinces illyriennes et dans les des- seins de Napoleon, jouer un tres faible role dans 1’opinion (1) Prijatelj, o.c., pp. 599-600. (2) L. Vojnovič, o.c., II, p. 153. A. Sorgo. Ovigine et chute de la Repu- blique de Raguse (Revue du Nord, 1838, III, js. 376). N. K. ŠildER, Imperator Aleksandvr Pervij (L'empereur Alexandre / er ), III, Saint-Petersbourg, 1897, pp. 27-28, 365-366. LA DOMINATION FRANCAISE 77 generale des Franqais et des Illyriens. II reste que, jusqu'a 1809, le slovene et le serbo-croate n’ont nulle part une plače considerable dans 1’enseignement et dans la vie publique, ce qui est aux yeux des bureaucrates autrichiens l’ordre naturel des choses plutot que 1’effet d’une politique consciente, et que les Fran^ais ont change cet ordre naturel des choses et eveille dans le sentiment national des Slaves le desir de voir la langue nationale prendre sa plače dans la vie publique et mcme l’idee de posseder un Etat national. Le sentiment national des Illyriens, jusqu’alors passif, entre pour la premiere fois dans la politique, tres vaguement et comme un episode, mais un episode qui n’est pas sans importance pour 1’avenir, et les Franfais de 1 ’Empire qui, les premiers, ont reflechi sur la question de la langue et de l’illyrisme comme sur une ques- tion politique, suivent a cet egard, sans en avoir eux-memes conscience, la tradition de la Revolution. ANNEXE I Memoire b’un serbe de Vienne SUR LA SITUATION DES SERBES DE LA HoNGRIE (i) 4 fructidov an 2 (2). Reflection aproximatives d’un eitoyen illyrien resident a Vienne en Autriche, qui desireroit eclairer ses compatriotes, qui n’attend que 1’instant d’etre seconde par de bons republicains frangais, et les moyens de surtee pour ses jours. II existe une nation nombreuse sous le joug de la tiranie consentree, en Esclavonie, Illyrie, Bannatte et Transilvanie, composant au moins quatre millions d’hommes aguerri, et en etat de porter les. armes’ Des 1 ’instant qu’ils ont dtd vincus par la maison d’Autriche, le pre¬ mier soin de cette cour a l’egard de eette nation a 6 te de s’en servir pour resister au contre-poids des Hongrois. Cette verite a eclate sous Leopold premier, et Joseph premier. Lorsque les Hongrois se sont rdvoltes contre le joug tiranique de la maison d’Autriche, les Illyriens se laisserent seduire par les promesses, privileges sans bornes, qui čtoient contre les loix du pays. D’apres ces promesses ils ont pris les armes contre les Hongrois ennemis de la maison d’Autriche, les ont forcdes a la soumission du trdne. Apres que Leopo-< emier eut affermi son trone par la bravoure de cette nation, il 1 > cruaute de violer toutes promesses, en con- fiant l’administra.tic -i Illyriens aux Hongrois par un contact poli- tique entre les Autrichiens et les Hongrois, a.rincu (3) des Ulyriens, qui etoient obscure (4) et inorants des droits de leur pays ; par conse- quent ils dtoient toujours la victime de leur bonne foi. Cette politique ruineuse pour les Illyriens a 6td observe de Leopold (1) Ce memoire se trouve aux archives des Affaires etrangeres, Memoires et documents, Autriche, 8, fol. 167-168, et a ete copie d’abord par M mo M. Pivec Stele. Pour fadliter la recherche de 1 ’auteur, le memoire est reproduit ici avec toutes les fautes ; la ponctuation et les initiales seules ont ete ckangees. (2) La date (21 aout 1794) d’une autre ecriture. (3) A 1 'insu. (4) Obscurs. MEMOIRE D’UN SERBE DE VIENNE 79 deux qui, etant expose de renoncer a la succession hereditaire de Hongrie, fit repandre un manifeste flatteur par lequel il engageoit les Illyriens de se liguer contre les Hongrois, en leur promettant jus- que a une chancelerie particuliere. C’estoit le moyen que Leopold deux c’est servi pour soumettre les Hongrois ; apres avoir obtenu d’eux ce qu’il desiroit, son fils Francois deux reignant a reforme (i) cette chan- celerie. Framjois deux, ayant traite de gree a gree avec les Hongrois, a embandonne aux petits tirans de la Hongrie quatre millions d’Illy- riens tous en etat de porter les armes ; et ils ont a l'dgard de ses der- niers une fafon d’administration la plus sauvage, et la plus despotique. Ils ne se contentent de rendre ses eclaves miserables par toutes sortes d’opresions et pirateries qu’ils exercent envers eux, (2) et veulent aussi les reduire au point de ne plus appercevoir la profondeur de leur misere ; ils n’avoient en cela d’autre vue que de leurs oter jusqu’a la faculte de penser, qui est que les hommes ne sont pas crees pour etre si indignement traites par d’autres hommes. ■ Pour atteindre a ce but ils ont eloignše d’eux tout ce qu’auroit pu leur donner l'idee de destination et du droit d’humanite, de la fin de la vie sociale et du contract inviolable qui en est la base. Voici l'extrait des querelles presentes a 1 ’Empereur par un deputd au nom de la nation et de toute 1’humanitže au (3) tems du congree sous le commencement du reigne de Leopold deux. Les sujets se pleignent que la justice ne s’exerce pas selon les loix sacree de l’homme, mais au contraire elle s’exerce selon le pouvoir sans bornes des comitats, qu’ils soutiennent eux-memes les voleurs pour partager avec eux le bien d’autrui. La raison en est ce que les Hongrois se sont emparde de l’autorite de dominer sur les Illyriens, nation difierente de mceurs, costume, et de fajon de penser ; que les Hongrois, et que n’ayant point d’esperance d’agrandir leur droits du cdte du trone, cherchent a .se dedomager de leurs soumissions a la cour d’Autriche par des pretentions sur les droits et privilege des Illy- riens, qu’il leur ont et6 promises par 1 ’Emperei, contre les Hongrois ; que leur droits sont d’autant plus opprimees qu’ils sont forcees de chercher la justice chez leurs oppresseurs qui tirent impitoyablement la pleine vengeance de la fidelitde des Illyriens pour le trone contre les Hongrois. Le pouvoir (4) de punir s’exerce sur les innocents, car le despotisme de Hongrois va si loing. que les sujets sont privees jusque aux droits (1) L’auteur veut dire que Francois II a supprime la chancellerie illyrienne mais il ue trouve pas l’expression fran9aise juste. (2) Raye : « en voulant leur faire apercevoir cependant. » (3) Raye : « temp. » (4) Raye : « s’exerce. » 8o LE MONDE SLAVE innee de nommer dans les vilages (i) leur baillis : ils les forcent de reconnoitre celui qui est capable de trahir sa nation pour complaire aux tyrans. Cest ainsi que les crimes, sous la protection des superieurs, est a l’abri, de la punition et la vertu est punie ; en sorte que les sujets livrees entre les mains de ses oppresseurs impitoyable sont pret a secouer le joug contre leur tyrans. Les payissants illyriens payent les impots et les frais communs, mais ils ne sont pas en droit de prdtendre a aucune aisance ni tranquillitee qui devroit etre la base de la soci6te civil. Les pretres professeur sont entretenu par des frais particuliers de cette nation ; du reste ils ne sont point employees dans les magis- trats civils (2). Outre cela il ni a dans ce pays aucuns artissans de sorte quc les production de ce pays enrichie d’autre pays čtranger. Surtout les vices du gouvernement ont ete au jour dans ce congree. Savoir : que les fitats ne sont pas bien separes l’un de l’autre ; que la difference ne provient pas de la nature des societčs civil ; que les Illy- riens n’en jouyssent pas ; qu’il y a une grande inegalitee, car on enleve les Hongrois et les Allements a une grandeur disproportionnee aux d&pends des Ulyriens ; que ces deux nations seul sont revetus de honneurs et des charges publiques ; que dans la guerre les Illyriens ne sont qufe l’instrument par lequel les Hongrois et les Allemands obtien- nent la gloire et la ržcompense des victoires remportčes sur les ennemis ; qu’ils sont privee de leur droit naturel, qu’ils sont perdus sans resource, que leur triste situation est au point de sevir contre les oppresseurs impitoyable de leur superieurs (3), qu’il n’ont aucune esperance de se delivrer de leur esclavages a moins que de reformer le sisteme encien et d’etablir un gouvernement convenable a leur čtat, moeurs, costu- me (4), par lequel il soit capable d’etre diriges par les enfants de leur patrie. ( 5 ) J°ly fils rue po te St. Honore no 16. Maison du citoyen Serve marchand de virt #ntre le terflantier et le parfumeur. (1) Raye : « de nommer .» (2) Magistratures. (3) Les oppresseurs impitoyables, leurs superieurs. (4) Coutumes. (5) Tout ce qui suit est d’une autre žcriture. Raye : « Joly demeure čare porte St. Honore. » ANNEXE II Un memoire sur la creation d’un Etat illyrien Giambattista Stratico, resident de la Dalmatie aupres du gouvernement du Royaume d’Italie , propose la creation d’un Etat illyrien. Entre le juillet 1807 et Vavril 1809 (1). Memoria di Giambattista Stratico, Cavaliere della Corona Ferrea e Residente della Dalmazia presso il Governo del Regno d’Italia, sull’ importanza di concentrare i paesi componenti L'Antico Illirio. I meravigliosi progressi delTumano sapere nel Secolo decimottavo, il vortice impetuoso di rapide rivoluzioni, le sorprendenti gesta di un Eroe guerriero, e Legislatore, di cui non vi fu, ne vi šara uguale nella Storia hanno cangiato nel corso di pochi lustri la faccia di tutta 1' Europa Quel mostruoso equilibrio politico, che i Trattati pretesero di fondare sulla debolezza di molti, e sulla prepotenza di pochi, crolld- ali’ aspetto di un uomo straordinario che sembla guidato da una mano divina per fissare i nuovi e piu felici destini delle nazioni. La forza di potenti si e piegata sotto la mano di quest’ uomo ammi- rabile, ed intorno a lui le deboli vittime delTantico sistema si affol- larono a cercar protezione. Tutto cio, che Napoleone ha agito, ed agispo, tutto e conforme allo spirito di quel grand piano, che sembra Egli aver concepito. Io non (r) Milan, Archivio di Stato, Archivio Aldini, cart. 38-41, n-330. Je remer- cie M. Georges Bourgin, conservateur aux Archives nationales et charge de conferences a 1'lScole des Hautes Etudes, de 111’avoir procure la copie de ce document. O11 y voit tres nettement comment Tidee d’une Ulyrie nouvelle s’est formee sous T influence des idees revolutionnaires et de la situation poli- tique apres Tilsitt. La partie historique nous montre 1’antochtonisme de Stratico : la nation illyrienne a ete celžbre pendant l'antiquite, a eu quelques Etats nationaux de faible importance pendant le Moyen-Age, et elle espere maintenant, partagee depuis le xv e sižcle entre ses puissants voisins, ®tre affranchie et reunie par les Frangais. I,e projet illyrien du Dalniate Stratico s’explique par son classicisme et son sentiment national. Mais il le soutient aussi par des raisons militaires, politiques et economiques. 82 LE MONDE SLAVE osero pretendere d’internarmi nei suoi vasti pensamenti, ne ardirb di presagire quello che il suo genio ha immaginato al beneficio della Societa. Cio pero, ch’ Egli ha operato fin ora mi da diritto a credere, che uno dei benefici, che il suo Regno prepara alla presente, ed alle future gene- razioni sia quello di abrogare per sempre il tristo sistema di sagrificare gli Uomini al capriccio de’ Principi. I suoi apparati marziali, le sue guerre, le sue innumerevoli strepitose vittorie, i Trattati politici ch’Egli ha segnati, altro scopo, ne altro effetto aver possono, che d’im- pedire il ritorno di quello stato di guerra perpetua, che Hobbes avea filosoficamente immaginato nella societa originaria, ma che 1’ingorda, e mai satolla Politica de’ Governi avea fatalmente stabilito frale Nazioni. Alle vittorie, ai Trattati, alle disposizioni del Governo di Napoleone si aggiunsero per autenticare questa verita quelle saggie Leggi, ch’ Egli ha promulgate nella Francia, ed Italia, e difiuse negli Stati alleati, e nelle conquiste. La dilatazione e 1’osservanza di queste Leggi portano la felice conseguenza di spargere i šemi piu liberali di fraternita, di cos- turne, d’amor patrio, d’ordine, e di tolleranza, che sono appunto i nuovi vincoli, che legano la societa, e la politica negli Stati di Napo¬ leone, ed in quelli ancora de* suoi alleati. Sembra certo evidentemente, che il nuovo ordine di cose abbia acquistata una consistenza immutabile segnatamente dopo il Trat- tato di Tilsit ; dappoichfe fiaccata la Russia, non restano piu grandi obbietti a superarsi nel continente Europeo. Molte parti di questo continente restano pero a regolarsi; e quando si volga per un istante lo sguardo sul bel paese, che governa attual- mente la Porta in Europa, la sensibilita di ogni uomo e commossa ali’ aspetto barbaro, che presenta quella vasta estenzione di terreno, in cui la natura ha versati con prodigalita i suoi doni, ed in cui le funeste invasioni dei conquistatori Romani, delle orde Scitiche, e dei Musul- mani han portato i a v vili :ento, la barbaria, e la ferocia. L’occhio de’ PolitIn veduto di lontano lo stato di prossima disso- luzione, che minac la napero Turco. Le viste ambiziose del Gabi- netto Rttsso hanntp da lungo tempo tentato di accelerare la precipitosa caduta di questo Colosso, ridotto incapace di opponere una resis- tenza, e costretto perfino a patteggiare co’ suoi ribelli. Senza 1’appog- gio della Francia gli stati della Porta Ottomana in Europa sarebbero a quest’ora ingoiati dai lor vicini. lo ne posso, ne ardisco immaginarmi quali coli’ andar del tempo possano essere in questo proposito i finali politici risultati delle confe- renze di Tilsit, e deli’ amicizia stretta fra i due piu grandi Sovrani deli’ Europa. Ma debellata da congiunti Principi 1’orgogliosa tiranna de’ Mari, che ha fatto sgorgare a torrenti il sangue del continente per mante- UN MEMOIRE SUR LA' CREATION D’UN ETAT ILLYRIEN 83 nersi sicuri i diritti esclusivi e crudeli del suo commercio, sembra che altri felici risultati ancora debba produrre il Trattato di Tilsit a prov- vido riparo delle istituzioni delTOccidente, ed a vantaggio di quella parte d’Europa, che giace tuttavia disorganizzata e nell’ abbandono. Se 1’Impero Ottomano continua ad essere diviso dalle civili discor- die, e se per dir meglio la pace, che sta facendosi, fra il medesimo, e la Russia sotto la mediazione della Francia non lo guarisce dali’ interne sue piaghe, e non lo richiama ali ordine, ed a massime piii liberali di Governo, forza e ch’ Egli crolli sotto il peso delle sue sciagure, e che gli stati Turchi d’Europa divengano la legittima, e necessaria preda dei Principi contermini che hanno un interesse politico alla tranquillita di que’ paesi, che hanno la ragione di Stato, che lor comanda di chiu- dere agli avidi Inglesi 1’ingresso del Mar Nero, ed il commercio del Levante a cui appassionatamente aspirano. In qucsto caso anche 1’Imperatore Napoleone come Signore della Dalmazia, deli’ Albania e Levante Veneto, e nel dovere di garantire la sicurezza del Continente Europeo da questo lato importante. Ecco la circostanza in cui la riunione delle Provincie che constituivano 1’antico Illirio sembra che possa essere opportuna. Ma supposto anche il caso in cui 1’Impero Turco conciliasse con la pace della Russia i suoi interessi a segno di potersi garantire dali’ imminente dissoluzione, che lo minaccia nell’ interno, e probabile che questa pace non gli possa essere accordata dalla Russia che con qual- che sagrificio importante di provincie. Questo indebolimento della forza Turca in Europa, ed il conseguente ingrandimento della Russia rendono sempre piii malsicuri nell’ incertezza de successivi avveni- menti i possessi della Dalmazia, ed Albania, cosi isolati come sono, a meno, che senza alcun profitto, ed anzi con grave dispendio, ed inco- modo non si volesse mantenere una grossa armata a presidio di quello stretto paese, che si puo chiamare piuttosto u.ie costa di mare, che una provincia continentale. Anche in tale suppositione sembra necessario ali’ Occidente un’ antemurale dal lato deli’ Adriatico, e questo anb- murale non puo essere costituito che dalla riunione delle Provincie componenti 1’antico formi- dabile Illirio. In ogni caso pero il possesso della Dalmazia, Albania Veneta c Ragusi non offre che precari vantaggi al Regno d’Italia, quando restino fra questo e i paesi Ulirico-Veneti, la Croazia, ed il Littorale Austriaco soggetti alla.. dominazione di un altro Principe rimasto ancora potente per generosita del vincitore Napoleone. Vediamo per un mometo quali erano le divisioni, ed i confini deli’ antico Illirio. Senza internarmi nelle discussioni geografiche, e storiche, che die- dero motivo a inolte particolari questioni sull estenzione, confini, e 8 4 LE MONDE SLAVE divisione di questa interessante regione, io mi limitero ad ennunziare le piu ricevute opinioni in questo proposito (i). L’antico Regno, o Provincia Illirica, prima che i Romani con inces- santi guerre, e con incredibili spargimento di sangue unamo ne faces- sero la conquista, aveva in Oriente per confine i Monti Cerauni, o Acrocerauni, ora conosciuti sotto il nome di Monti della Chimera, ed abitati dalla nota popolazione de’ Cimariotti. Questa Catena di Monti posta fra 1 ’Albania, e l’Epiro, che stende l’alte sue vette lino al Mare separa le acque dette deli’ Adriatico dal Mare propjamente detto Jonio (2). Ali’ Occidente la Liburnia, al Settentrione le Pannonie, al mezzo giorno il mare costituivano gli altri confini deli Illirio. Emana da cio, che i popoli della Liburnia, e della Giapidia non orano originariamente compresi nel primitivo Illirio, il quale doveva avere dalla parte d’Occidente per suo confine il fiume Tizio ora Kerka che nasce ne’ Monti della Promina vicino a Knin, che sbocca in Mare a Scardona, e che fu sempre anche ne posteriori tempi il confine natu- rale divisorio della Liburnia dalla Dalmazia propriamente detta. Certo che al tempo della Romana Repubblica dopo le sanguinose guerre di que’ conquistatori non solo furono annesse la Liburnia, e le due Giapidie ali’ Ulirico, ma 1 ’ Istria ancora sicche il confine occidentale Illirico era constituito dai popoli Čarni. Mentre il confine occidentale deli’ Illirio fu cosi dilatato, il confine orientale ha dovuto subire una ben importante restrizione. Prima le convinzioni nate fra 1 ’ingrato Demetrio Fario, ed i conquistatori Romani, indi le guerre, e le pači succedute fra i Macedoni, ed i Romani, staccarono dali’ unione Illirica gli Antintani, i Taulauzii, i Partini (3), e gli aggiunsero alla Dominazione Macedonica. I Monti Ceraunii non furono piu il conjtii . tentale dell'Illiria, ma solo lo fu bensi da quel tempo ilcorsodel fiu ■ Prilone (4), che sbocca nel picciol Golfo di Drino. Quando Augus +i 1 le redini della corrotta Repubblica, e stabili 1 ’Impero Romam.j - ti deli’Illirio, o dalla diversita delle circos- tanze erano in part :. igrati, o furono da Lui modificati. Il fiume Arsia (5) fu il con! 1 a cci>tentale deli’ Illirio, ed in conseguenza 1 ’Istria e la Giapidia prima non fecero piu parte dello stesso. Il Drilone, ed il Monte Scodro (6) furono assolutamente fissati per limiti deli’ Illirio (1) L’auteur a adopte sur l’Illyrie de l’antiquite 1 'opinion de Joannes Lucius. De regno Dalmatin et Croatice libn sex, ed. Schtvandtner, Scrip- iores rerum Hungaricarum III, Vienne 1748, p. 1-61. (2) Il s’agit des montagnes peu considerables qui se termiuent dans le cap Glossa (ou Linguetta) au sud de Valona en Albanie. (3) Tribus qui habitaient l’Albanie d’aujourd’hui. (4) Drim, fleuve au nord de l’Albanie. (5) Raša (Arsia), fleuve de 1 ’Istrie. (6) Sar planina (Mons Scardus de l’antiquite). UN MEMOIRE SUR LA CREATJON D’UN ETAT ILLYRIEN 85 Orientale, e nel Settentrione il corso del fiume Sava, fino ad im tal punto segrego la Pannonia dali’ Illirio. In qnesti limiti continuo ad essere compreso 1’Illirio fino al Regno di Diolcesano, il quale avendo diviso 1’Impero in quattro gran parti, riuni ali' Illirio un certo numero di Provincie, che non avevano avuto alcun precedente rapporto d’unione col medesimo. L'Illirio fu a quell’ epoca diviso in orientale ed occidentale, ed ebbe per confini generali 1’Adriatico, il Mediterraneo, TArcipelago, il Mar Nero, i Monti Carpazi, ed il Danubio. Dalle sorgenti del Danubio sino all’Isola di Creta, dali' Isola di Creta sino ali' Ellesponto, dali’ Elles- ponto alle Noriche Provincie, ed ali’ intera destra dell’Adriatico, tutto fu Illirio. Questa eiiorme sua dilatazione non fu cbe un nome giacche 1’unione Illirica, o i popoli veramente Dalmati non furono, e non debbono intendersi, che quelli precisamente, che abitavano le contrade comprese fra il Drilone, la Sava, l’Arsia, e l’Adriatico. Questi popoli conservarono sempre il loro carattere e nelle loro fortune, e nelle loro moltiplicate sciagure. Questi furono quegli arditi, e vigorosi guerrieri che fecero vacillare il trono di Augusto, che furono oppressi, e mai avviliti, e che conservarono fino alle invasioni barbare del medio evo la riputazione di bravi Soldati, e d’uomini leali e spiri- tosi. Le ribelioni, le guerre sostenute, le tirannie de’ Generali, e degli Imperatori Romani rovinarono da cima a fondo le Arti, l’Agricoltura, le rissorse del paese, ch’ era uno de piri floridi del mondo conosciuto. I Dalmati cominciavano gia ad abbrutirsi sotto il peso della miseria, e deli oppressione, quando le guerre de’ Settentrionali, che discesero nelle loro contrade, e la loro commescolazione cogli abitanti diedero 1’ultimo crollo ali’ esistenza politica e morale di una vasta regione, che doveva per la sua geografica posizione, per la sua ubertosita, per la forza, e carattere de' suoi abitanti avere un diverso e piu fortunato destino. Egli e ben vero, che la Servia, la Rascia, la Possina, e la Dalmazia propriamente detta contarono dopo le incursipru barbariche de parti- colari Dinnasti e Re. Ma questi Governi ps. do-monarchici, sortiti dalle barbarie de’ bassi tempi, trovarono dis r ersa la nazione, avvi- lito il suo carattere, oscurate le sue virtfi, desolate le sue campagne. D’altronde questi Governi senza forza, e senza energia erano sempre sottoposti alle guerre distruttrici coi loro vicini, e co’ loro stessi Vas- salli, che innalzavano ben spesso lo stendardo della rivolta nella spe- ranza di usurpare un faeile Trono debellando Principi deboli e senza carattere. Anche questi Governi particolari, che in altri tempi avrebbero potuto rianimare 16 spirito pubblico de’ popoli Illirici contribuirono con la loro debolezza a degradare lo stato di una delle piu brillanti Nazioni del Mondo. 86 LE MONDE SLAVE I Re Ungheri del XIII e XIV Secolo delbera Cristiana profittarono della situazione infelice de’ loro vicini, ed hanno potuto dominare in paesi Illirici. Intanto la Repubblica di Venezia cresceva in potere, ed in politica influenza, e covava in lei 1’ambiziosa vista di dilatare i suoi possedi- menti. D'altronde il commercio, che fu la culla della sua grandezza le impovena la necessita d’incrementare la sua potenza con l’acquisto di spiagge e Citta marittime. I concjuistatori Musulmani nello stesso tempo guadagnavano Pro- vincie coi loro trionfi, e strappavano alla Corona d’Ungheria i suoi possessi nell’ Illiria. Fu nel Secolo XV che il bel paese contenuto fra il Drilone, lo Scodro, la Sava, l’Arsia, e 1’Adriatico venne lacerato, e diviso fra tre Governi, che han saputo profittare deli’ interne discordie per impossessarsene. Le guerre successive fra i Re Ungarici, la Repubblica Veneta, e la potenza Ottomana portarono qualche diversitk nei reciproci possessi delle Provincie Illiriche. Le pači di Carlovitz e di Passarovitz fissarono pero fatalmente sulla fine del Secolo XVlt e sull’ incominciare del Secolo XVIII le basi solide dello smembramento Illirico. L’antica Giapidia seconda, ora conosciuta sotto il nome di Littorale Ungarico, ed il bel tratto di paese situato fra la Sava e i Monti della Dalmazia conosciuto sotto il nome di Croazia Austriaca, toccarono in sorte ai Re Ungari della famiglia d'Austria. Le Isole ed il Litorale Liburnico, e Dalmatico dai Monti al Mare, e la parte deli' Albania conosciuta sotto il nome di Bocche di Cattaro, appartennero alla Repub¬ blica di Venezia, Dalle foci del Drilone sino ai confini della Croazia Aus¬ triaca, e degli Stati Veneti, tutto il paese deli’ Albania Turca al di qua del Drilone, une parta della moderna Servia, la Bossina, Erzegovina, e parte della Croazia c id 1 ro nel potere de’ Musulmanni. Questa divisio) i \ trtico Illirio fu dal comenciamento del Secolo XVIII fino ali s i 1 • . ■ sempre rispettata. In quell’ anno la Časa d’Austria dietro i! *ti to di Čampo Formio raffermato da quello di Luneville div e Irona anche della Dalmazia, ed Albania Veneta. Ma fort i /f„m ate col successivo Trattato di Presburgo queste Provincie f s rappate di mano al Governo, che le reggeva, e condotte ali’ ubbidienza del piri grande, e del piu benefico dei Monar- chi, che le domina tutto giorno. Mi sia ora concesso di dipingere brevemente lo stato delle dilaniate Provincie Illiriche sotto i Governi Austriaco, Turco, e Veneto. II Littorale Ungarico, che costituiva 1’antica Giapidia seconda, e la Croazia cosi detta Austriaca furono da molti secoli, e sono oggidi paesi infelicissimi. Essi dipendono dali durissimo Governo Ungarico in cui domina il sistema feudale. I popoli Croati possono veramente dirsi schiavi della gleba. Governati come le bestie, 1’avvilimento, la miseria, UN MEMOIRE SUR LA CREATION D’UN ETAT ILLYRIEN 87 e la pili cupa malinconia sono le caratteristiche che li distinguono attualmente. La natura li fe spiritosi, e diede loro un' atletica figura, e del coraggio. Le Leggi Ungariche, e la tirannide dei pochi feudatari li resero quasi stupidi. Nondimeno la Časa d’Austria ha voluto consi- derare sernpre la sua Croazia come una pepiniera di soldati. Le continue sue guerre, le sue disfatte contribuirono segnatamente negli ultimi tempi a dar l’ultimo crollo a quel paese, che veramente e spopolato in paragone della sua vasta superficie. II clima e buono ; la terra sarebbe fertile, ma mancano le braccia lavoratrici, non ascendendo la popolazione del Littorale Austriaco, e della Croazia insieme uniti che a poco piti di 300 mila anime. II Governo Ungarico avendo bisogno di dare uno slogo ai ricchi prodotti delle sue terre, ha fabbricato delle grandi strade in Croazia col mezzo delle quali trasporta le sue merci fino ali’ Adriatico. Ecco perche le Citta, e i porti di Fiume, e Segna sono divenuti da qualche anno importanti. La parte di Croazia, la Bossina, 1’Erzegovina, e la porzione di Alba- nia Turca al di qua del Drilone sono paesi vasti e ricchissimi in natura, ma governati dalle Leggi, e dalle massime del Governo Mussulmano non prosperano certamente come prosperar potrebbero. Si pub cal- colare che la loro complessiva popolazione ascendeva ad oltre un milione di abitanti, una sesta parte de’ quali di rito latino, tre di rito greco, e due che seguono la religione Mussulmana. In generale si pub considerare, che anche questo paese sia spopolato in confronto della sua vasta estensione. I popoli pero che lo abitano sebben soggetti al Governo dispotico dei Bascia pur nondimeno conservano un carat- tere fiero, bellicoso e non sono avviliti, come i Croati Austriaci. Gemono sotto la sferza deli’ arbitrio, ma coltivano le terre, nego- ziano abbondantemente in bestiami, in lane, in fromenti, in ferro e catrame. Sono comodi, ma senza profittare delle riechezze, senza conos- cere gli agi, che le rendono preziose. Non v’e fra paesi, che si considerano annessi alla parte deli’ lllirio governata dal Turco, che il solo territorio di Ragusa, il quale essendosi da lunghi Secoli governato in separata Rep bblica sotto la prote- zione del Gran Signore, ha potuto schermirsi chade disgrazie degli altri Ulirici paesi, e procurarsi un destino piu felice col mezzo della sua marina mercantile. Questo destino di Ragusa va a divenir piu bril- lante or che occupata la sua Citta e Territorio dalle Armi Francesi avra egli la bella sorte di essere diretto con le saggie, e subblimi prov- videnze con cui viene governata la Dalmazia Italica. Questa Dalmazia toccata in sorte con le Bocche di Cattaro alla Veneta Repubblica non fu meno infelice delle altre Provincie llliriche. Staccata per ogni rapporto da quel continente a cui la natura stessa 1’aveva alligata, essa toccb fatalmente in sorte ad un Principe debole, e geloso che sagrifico per lunghi secoli la di lei prosperita al timore di LE MONDE SLAVE perderla. Si : i Veneziani hanno temuto i Turchi, han temuto la vicina Časa d’Austria, han temuto il brio, ed i naturali talenti dei loro Sud- diti Dalmatini, ed hanno voluto percio mantenere in uno stato di perpetua ignoranza, e di perpetuo abbandono questo- possesso stac- cato da un lungo braccio di mare dalle altre loro provincie. Niun istituto di pubblica istruzione, niun favore ali' Agricoltura, ed alle Arti utili, niuna severita a reprimere il delitto, e le vigorose passioni, tolleranza assoluta dello spirito di querela, e di vendetta, frequenti leve di truppe, dispersione artificiosa ed infinita di possessi, privilegi utili ad un paese, ma nocivi agli altri, Legislazione varia, ed imperfetta, eceo le masšime con cui la Repubblica de’ Veneziani si diresse per governar la Dalmazia e 1 'Albama. Allorche nell’ anno 1797 la Repubblica di Venezia venne assorbita dal vortice de’ politici avve- nimenti, e che la Dalmazia e 1 'Albania passarono sotto il potere degli Austriaci, que’ sudditi hanno sperato di migliorare condizione, ma fu vana la loro speranza. In otto anni di possesso un Governo rutinario ha dirette le cose di que’paesi, lasciandole quali erano sotto il Principe Veneto, e non facendo che delle innovazioni moralmente peggiorative nella forma estrinseca de’ Magistrati, e nella accumulazione mostruosa di piu poteri sopra un Magistrato solo. Tale era lo stato della Dalmazia, e deli’ Albania, quando la pace di Presburgo fortunatamente le tolse alla dominazione Austriaca per unirle al Regno dTtalia. Le piu saggie e liberali innovazioni, i regola- menti organici piu adatti, un sistema salutare di pubblica morale furono i primi doni del Governo attuale in Dalmazia. Questa piccola, ma importante porzione dell’Antico Illirio cesso di essere infelice nel momento stesso, in cui comincio ad ubbidire a Napoleone. Ma questa p: deli' Illirio šara la sola avventurosa ? Ecco un pro¬ blema politico, < . 1 ardirei di sciogliere, che coi voti del mio cuore, che sono in qu< v tt appoggiati dalla ragione di Stato. Io ritengo pt: indubitabile, che il possesso nudo e semplice della Dalmazia, dbania Veneta, e del territorio di Ragusi šara sempre un posse - Sv jsissimo al Regno dTtalia perche la necessaria difiesa di questa, ionuth; , e vasta regione esige costantemente la pre- s enza di poderos: r mata, pronta a coprirla da ogni estera invasione. La vicina Časa d’Austria, che ha per tanti secoli desiderato la domina¬ zione di questi paesi, e che li abbandono con dolore negli ultimi tempi, e pronta ne’ tempi futuri in ogni caso di rottura col Regno dTtalia ad invaderli, se non sono vigorosamente difesi. Se il Governo Turco riac- quista, o per mezzo di una rivoluzione o per qualche altra politica com- binazione, 1’antica sua forza morale, e ritorna in guerra con le potenze Cristiane, il Litorale Dalmatico e la prima sua vittima, se non v’e una energica, e parata difesa. Se la Russia dietro alla pace, che sta per farsi col Turco, dilata i suoi possessi, e indebolisce vieppiii la crollante UN MEMOIRE SUIi LA CREATION d’uN ETAT ILLYRIEN 89 Mezzaluna, quando non deve temere ne’ tempi avvenire il Litorale Dalmatico di quelle invasioni. settentrionali, che purtroppo lo strazia- rono ne’ secoli della declinazione degli Imperi d’Oriente e d’Occidente ? In fine ogni riguardo di politica esige, che agli attuali possessi Dalmati o si unisca un paese continentale che abbia une naturale barriera ne’ monti, ne’ fiumi, e de’ fermi baluardi nelle fortezže terrestri e marit- time, e sopratutto nel carattere nazionale, e nella marzialita degli abitanti, ovveramente che il possessore della Dalmazia, Albania e Ragusi mantenga costantemente in quei paesi ima numerosa ben agguerrita, e ben provveduta armata, senz’ altro poter calcolare, che 1’utilita, che offre quel possesso alla navigazione deli’ Adriatico supe- riore, ed alla Veneta marina. Quest’ ultimo, supposto non regge in un momento, in cui si vede a chiare note, che Toggetto piu caro di Napoleone e di assicurare una consistenza perpetua alle istituzioni, che il suo sommo genio ha create, e crea. Bisogna dunque credere (o si permette almeno il mio patriot- tismo di sperarlo), che mediante nuove, stipulazioni e trattati il con- tinente Dalmata debba estendere piu oltre i suoi confini, e cio tanto piu quanto che anche supponendo, che si tenesse nella Dalmazia ed Albania une grossa ben provveduta armata, sarebbe sempre affatto precario in istato di guerra il possesso di quclle provincie nel caso che la guerra fosse terrestre e marittima per la difficolta di trasportarvi i soccorsi necessari. Dovendosi dunque per oggetto di necessaria politica previdenza aggrandire il continente Dalmata, e chiaro, che bisogna tanto dilatario, quanto possa in calcolo di ragione bastare alla propria difesa in caso di minacciata irruzione. Il paese situato fra 1’Adriatico, il Dri Ione, lo Scodro, la Sava, e 1’Arsia, che costituiva 1’ Tllirio conosciiito al tempo d’Augusto, e quel paese che offre agli occhi di ogni ben avvedut.. politico tutti quei requisiti, che si richiedono per stabilire una regioi 2 capace di difendersi in ogni caso anche da s6 medesima. Basta consultare le storie per persuadersi, le nissuna conquista costo piu agl’ invincibili Romani di quella den Ulirio, che impiega- rono sette campagne per debellarlo, e che vi fu un momento, in cui gl’ Illiri fecero tremare il primo impero del mondo. Il lungo confine deli’ Adriatico, che dali’ Arsia al Drilone presenta un litordle di 350 miglia guarnito di alcune citta forti fra le quali Žara, Sebenico, Ragusa, Cattaro, ecc,. e barricato dalla natura d’immensa quantita di grandi e piccole isole, e reso abbastanza forte dalla natura, e lo si puo rendere maggiormente con l’arte per preservare il^paese dalle incursioni marittime. Il confine orientale del Drilone presenta un fiume rispettabile, che ne’ diversi suoi rami offre una barriera di facile difesa su di ^ui si pos- 90 LE MONDE SLAVE sono ben agevolmente dali’ arte erigere dei forti. Lo Scadro da cui sbocca il Drilone stabilisce in seguito il confine di una vasta catena di gole montuose, facili a difendersi e difficili a superarsi (i). Il corso della Sava dal punto di Ratzcha (2) fino a Lubiana stabilisce al settentrione un formidabile riparo fornito anche di varie importanti fortezze. Dalla parte d’Occidente l’Arsia fino al seno Flanatico (3) e veramente un debole confine considerato come un limite della natura, ma oltrec- che potrebbe con 1’ arte fortificarsi, mi giova considerare, che 1’ oggetto mio e di provare 1’importanza della concentrazione delle provincie Illiriche per opporre una difesa alle possibili invasioni orientali. Se dunque 1’Illirio dev’ essere 1 ’antemurale deli’ Occidente, poco importa che il confine occidentale non sia piu forte non potendosi presumere nemici che arrivino per questo lato. La totalita della popolazione, che abita il paese compreso fra questi limiti ascende ancora in calcolo di approssimazione a quasi due milioni di abitanti, e la sua estensione a circa 12.000 miglia Italiane quadrate. Diretto questo paese con buone provvidenze la popolazione potrebbe in un secolo raddoppiarsi, e incrementare sempre maggiormente. Cio pero che costituirebbe la vera forza di questo antemorale deli' Occidente, e la Nazionalita ossia il carattere degli abitanti. Dotati dalla natura di forza fisica, d’atletica figura, di brio, e di talenti, essi non sono degenerati a segno di non essere ben presto suscettibili d’imi- tare nella marzialita i loro maggiori. Bene educarli, bene dirigerli, ecco cio che il Governo deve fare per sortire il suo intento. I Dalmati, e cosi pure i Croati e Bosniaci sentono sommamente 1 ’Illirismo, ossia uno spirito di unita Nazionale, che li lega fra loro. Quanti profitti non potrebbe trarre un saggio Governo da questa.molla politica ? D’altronde il ; di queste provincie offre nel suo seno tutti quei fisici vantaggi he lossono servire non solo alla loro completa marittima, e ten ti Ufesa, ma ben anche alla loro prosperita. I terreni sono ge . ■ hnente fertili, e Dio volesse, che vi fossero tante braccia lav ■. :t >, :he potessero coltivarli ! Biada, vino, frutta, olio, legumi, tutto . Ga. elicemente nelle diverse parti di questo paese. Evvi nella Dalmtizia qualche ricca miniera di peče dura, inserviente agli usi degli arsenali, e degli squeri. Vi sono in Bossina ricche miniere (1) D’apres 1 ’opinion du debut du xix e siecle, qui n’a encore que des con- naissances tržs peu etendues sur la geographie de la peninsule des Balkans, il y a entre la Serbie et la Bosnie une cliame des montagues qui s’etend entre la Šar-planina (Monte Scodro) et la Save ; voir N. Radojčič, Geografsko znanje o Sr/ji početkom 19. vekat. (La connaissance giographique de la Serbie au debut du xix e siecle), Belgrade, rg27, p. 36 et les cartes a la fin du livre. (2) Rača*au confluent de la Drina et de la Save, (3) Quarnero, UN MEMOIRE SUR LA CREATION D’UN ETAT ILLYRIEN gl di ferro, e deve esservi qualche miniera d’oro non conosciuta dai Turchi. Parlando dalla Dalmazia, Plinio la denomina Aurifera, tanto per dinotare la sua lloridezza, quanto perche era noto a quel gran natura¬ lista, che v’ erano delle miniere d'oro in quel paese da cui i Romani trassero grandi profitti. Ora si pretende con qualche fondamento che queste miniere d’oro esistano nella Bossina sconosciute ai Turchi. Vi sono boschi per la marina, e per gli altri usi della vita. I boschi de stortami, nelle Isole Dalmatiche servono mirabilmente alla costru- zione de’ bastimenti mercantili, e da guerra. I boschi ancor vergini in natura, che trovansi nella Licca Austriaca e sul confine della Bos¬ sina, e della Dalmazia possono dare immensa quantita di legname da costruzione, e da fuoco, che si trasporta per il fiume Kerka alle rive del mare. I fiumi navigabili, laghi, prati, colline, spiagge abbellis- cono, e rendono vario ed interessante lTllirio. Infine senza estendermi a parlare di cio che esiste nel complesso di queste Provincie componenti l’antico Ulirio diro, che sotto un buon Governo possono dare incalco- labili risultati di sicurezza e di prosperita commerciale ali’ Occidente deli’ Europa a cui fossero unite coi vincoli del reciproco interesse deli’ amicizia e dei trattati. Sara forse un abberrazione del mio spirito esaltato dali’ amore, che porto alla Patria, ed al Sovrano, questa mia memoria, ma a me sem- bra, che sia necessario alla consistenza perpetua delle grandi istitu- zioni fatte da Napoleone nell’ Occidente Europeo di fare un preciso calcolo sull’ importanza della riunione di queste Provincie per costi- tuire anche nei secoli futuri il piii potente antemurale contro qualunque meteora politica deli' Oriente. La gran mente di quell’ Eroe, che ci governa, avra dato riflesso anche a questo ; ma se per avventura il mio pensžsui fosse un sogno, šara sempre un sogno di un buon Citta- dino, e di un buon Suddito. Io pero non vorro mai credere, che si possa chiamar sogno un progetto possibile, tendente ai bene comune, e fato nel Secolo di Napoleone. DIJON — IMP. DAKANTIERJi 4 *