Francoska čitanka za 5. in 6. razred srednjih šol (Vadnice "V. del) Sestavil Rudolf J11 žnie profesor na klasični gimnaziji v Ljubljani Odobrilo ministrstvo prosvete v Beogradu z odlokom dne 19. junija 1935. SN br. 15.682 Ljubljana 1935 Založila Jugoslovanska knjigarna 136227 - Vse pravice pridržane. p ,rl m Natisnila Jugoslovanska tiskarna v Ljubljani (Karel čeč) I. Récits ayant rapport à l'histoire Bernardin de Saint-Pierre 1. Les Gaulois Les Gaules sont peuplées d'un grand nombre de petites nations, gouvernées par des nobles, mais soumises toutes au pouvoir des druides, qui les réunissent sous une même religion. Les druides ont persuadé à ces nations qu'elles descendaient de Pluton, dieu des Enfers. C'est pourquoi les Gaulois comptent par nuits, et non point par jours, contre la coutume de tous les peuples. Ils adorent plusieurs dieux. Les druides honorent ces divinités avec des cérémonies lugubres, des chants lamentables, et des sacrifices humains. Ce culte affreux leur donne tant de pouvoir sur les esprits effrayés des Gaulois qu'ils président à tous leurs conseils et décident de toutes les affaires. Si quelqu'un s'oppose à leurs jugements, ils le privent de la communion de leurs mystères; et dès ce moment, il est abandonné de tout le monde. Quant aux nobles, ils ont droit de vie et de mort sur leurs vassaux. Les plus riches donnent des festins aux plus pauvres de leur classe, qui les accompagnent à la guerre et font vœu de mourir avec eux. Ils sont très braves. Ils ne décident leurs différends que par les armes. Ces deux classes de citoyens, dont l'une emploie la ruse et l'autre la force pour se faire craindre, se balancent entre elles ; mais elles se réunissent pour tyranniser les peuples. Il semble que cette nation n'est faite que pour ses prêtres et pour ses grands. Suzanne Normand 2. L'arrivée de Vercingétorix à Lutèce Ce jour-là, l'animation était grande dans le bourg de Lutèce. D'un commun accord, tous les habitants avaient renoncé à leur travail accoutumé, et chacun ne songeait qu'à se parer pour recevoir le chef des Arvernes, et à orner les maisons. On avait suspendu aux huttes rondes des trophées de chasse, entourés de verdure, et des têtes sanglantes de sangliers ou de loups reposaient ainsi dans un décor de feuilles sur la façade des cabanes. A l'intérieur de celles-ci, vive était l'agitation, et les mères aux nombreux enfants n'avaient pas assez de deux mains pour peigner, laver, habiller leur petit monde. Tous se hâtèrent dans la direction de la rive gauche. Les Parises étaient là en grand nombre. Parés de leurs plus riches atours, ils se promenaient en faisant de grands gestes. Peu à peu, la foule grossissait devant le port, où devait tout à l'heure débarquer le chef attendu. Et tout à coup un cri monta vers le ciel bleu: — Le voilà, le voilà ! A dire vrai, ce n'était pas encore ça. Mais on pouvait apercevoir, au loin, sur le ruban argenté de la Seine, une ligne noire qui s'épaississait lentement. Les bateaux, partis à la rencontre du chef des Arvernes, revenaient. Sur les rives de la Seine, on voyait les silhouettes claires des gens que la grande nouvelle avait fait accourir des campagnes environnantes. La flottille approchait. On distinguait nettement les rameurs, puis le moment vint qu'on avait tant attendu, et des clameurs de bienvenue firent vibrer l'air printanier. Ce ne fut qu'un cri, immense, poussé par des centaines de poitrines. — Bienvenu soit Vercingétorix ! — Vive Vercingétorix ! — Gloire à Vercingétorix ! Le cri se propageait jusqu'aux rangs les plus lointains de la foule, il s'amplifiait, sonore, et se multipliait. Vercingétorix mit le pied à terre. Nul n'était plus beau que ce jeune chef couvert de gloire à vingt ans, et dont la renommée portait aux quatre coins des Gaules la réputation de vaillance. Il était grand, avec des cheveux blonds, qui, rejetés en arrière, dépassaient les bords de son casque brillant. Un vêtement blanc couvrait ses épaules. Et toute sa personne exhalait la noblesse et la droiture. Après s'être à peu près écrasés au moment du débarquement, les Parises, à présent, s'écartaient avec respect devant le chef des Arvernes. Alors, pour qu'il pût parler au peuple en le dominant, on lui amena un grand cheval. Le buste droit, la tête fièrement dressée, Vercingétorix parlait. Sa voix sonore avait fait taire les murmures dans les rangs des Parises et on écoutait dans le silence ses paroles. Il parla des difficultés auxquelles il avait eu à faire face et du souci que lui causait la menace romaine. Et quand il prononça le nom de César, un grondement parcourut la masse des Parises. — Tu le vaincras, criaient-ils. Et ils n'en doutaient pas, à voir la magnifique prestance du jeune guerrier et ses yeux où brillait la vaillance. Chateaubriand T . f. 3. Les guerriers irancs Parés de la dépouille des ours, des urochs et des sangliers, les Francs se montraient de loin comme un troupeau de bêtes féroces. Une tunique courte et serrée laissait voir toute la hauteur de leur taille, et ne leur cachait pas le genou. Les yeux de ces barbares ont la couleur d'une mer orageuse; leur chevelure blonde, teinte d'une liqueur rouge, est semblable à du sang et à du feu. La plupart ne laissent croître leur barbe qu'au-dessus de la bouche, afin de donner à leurs lèvres plus de ressemblance avec le mufle des dogues et des loups. Les uns chargent leur main droite d'une longue framée, et leur main gauche d'un bouclier qu'ils tournent comme une roue rapide; d'autres, au lieu de ces boucliers, tiennent une espèce de javelot, nommé angon, mais tous ont à la ceinture la redoutable francisque, espèce de hache à deux tranchants, dont le manche est couvert d'un dur acier: arme funeste que le Franc jette en poussant un cri de mort, et qui manque rarement de frapper le but qu'un œil intrépide a marqué. Différents auteurs 4, Lharlemagne Charlemagne ou Charles le Grand était un empereur qui régnait sur les Francs il y a plus de mille ans. Son règne dura de 768 à 814. Il fut rempli par de grandes guerres et de grands travaux d'organisation, qui valurent à Charlemagne la double gloire du conquérant et du législateur. Il vainquit les Saxons, les Bavarois et les Avares. Il entreprit une expédition contre les Arabes qui avaient conquis l'Espagne, et rangea sous sa domination un assez vaste territoire correspondant en partie à la Catalogne actuelle. C'est dans une campagne qu'il fit au sud des Pyrénées que périt le fameux Roland. La légende s'est emparée de ce nom. Elle a fait de Roland un héros dont la force et le courage étaient extraordinaires. En T an 800, le roi des Francs se rendit à Rome et, le jour de Noël, reçut des mains du pape Léon III la couronne d'empereur d'Occident. Charlemagne ne fut pas seulement un grand conquérant. Il sut donner une organisation remarquable au vaste empire qu'il avait fondé. Son autorité s'étendait sur la Gaule tout entière, de la mer du Nord à la Méditerranée, du Rhin aux Pyrénées. Il était encore maître d'une grande partie de la Germanie (Allemagne), d'une partie de l'Italie et d'une partie de l'Espagne. Ses sujets ne savaient que manier les armes et marcher bravement au combat; mais ils étaient très ignorants. Afin de donner à son peuple le goût de l'étude, l'empereur fit venir des savants de l'étranger et prit pour conseillers les P rancs les plus instruits qu'il pût trouver. Il fonda dans les évêchés, dans les monastères et jusque dans son palais, des écoles où tous les enfants, pauvres et riches, étaient admis. Il surveillait lui -même les travaux des élèves, s'intéressait à leur progrès, et adressait des paroles sévères aux jeunes nobles qui ne faisaient pas preuve d'une application suffisante. On raconte qu'un jour il alla interroger lui-même les écoliers qu'il faisait instruire dans son palais. Il se trouva que les enfants des pauvres avaient bien travaillé, tandis que les riches avaient fait les paresseux. Il promit aux bons travailleurs des évêchés et des abbayes, puis, se tournant vers les paresseux, il leur dit: « Je fais peu de cas de votre fortune, et si vous ne travaillez pas mieux, vous n'aurez jamais rien de moi. » Alfred de Vigny _ T 5. Le cor Tranquille cependant, Charlemagne et ses preux Descendaient la montagne et se parlaient entre eux. A l'horizon déjà, par leurs eaux signalées, De Luz et d'Argelès se montraient les vallées. 5 L'armée applaudissait. Le luth du troubadour S'accordait pour chanter les saules de l'Adour; Le vin français coulait dans la coupe étrangère; Le soldat, en riant, parlait à la bergère. Roland gardait les monts; tous passaient sans effroi. 10 Assis nonchalamment sur un noir palefroi Qui marchait revêtu de housses violettes, Turpin disait, tenant les saintes amulettes: « Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu; « Suspendez votre marche, il ne faut tenter Dieu. 15 « Par Monsieur saint Denis! certes ce sont des âmes « Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes. « Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor. » Ici l'on entendait le son lointain du cor. — L'empereur étonné, se jetant en arrière, 20 Suspend du destrier la marche aventurière. « Entendez-vous? » dit-il. — « Oui, ce sont des pasteurs Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs, Répondit l'archevêque, ou la voix étouffée Du nain vert Obéron, qui parle avec sa fée. » — 25 Et l'empereur poursuit; mais son front soucieux Est plus sombre et plus noir que l'orage des cieux. Il craint la trahison, et tandis qu'il y songe, Le cor éclate et meurt, renaît et se prolonge. « Malheur! c'est mon neveu! malheur! car si Roland 50 « Appelle à son secours, ce doit être en mourant. « Arrière, chevaliers, repassons la montagne ! « Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l'Espagne! » Chanson de Roland 6. La mort de Roland Roland sent bien que la mort le presse; Il se lève et, tant qu'il peut, s'évertue: Las! son visage n'a plus de couleurs. Alors, il prend, toute nue, son épée Durendal: 5 Devant lui est une roche brune; Par grande douleur et colère, il y assène dix forts coups; L'acier de Durendal grince: point ne se rompt, point ne s'ébrèclie. « Ah! sainte Marie, venez à mon aide, » dit le Comte. « O ma bonne Durendal, quel malheur! 10 « J'ai tant conquis de vastes royaumes « Que tient aujourd'hui Charles à la barbe chenue! « Ne vous ait pas qui fuie devant un autre! « Tant que je vivrai, vous ne me serez pas enlevée: « Car vous avez été longtemps au poing d'un bon vassal, 15 « Tel qu'il n'y en aura jamais en France, la terre libre. » Roland sent que la mort l'entreprend Et qu'elle lui descend de la tête sur le cœur. Il court se jeter sous un pin: Sur l'herbe verte il se couche face contre terre; 20 II met sous lui son olifant et son épée, Et se tourne la tête contre les païens. Et pourquoi le fait-il? Ah! c'est qu'il veut Faire dire à Charlemagne et à toute l'armée des Francs, Le noble comte, qu'il est mort en conquérant. 25 II est là, gisant sous un pin. le comte Roland; Il a voulu se tourner du côté de l'Espagne. Il se prit alors à se souvenir de plusieurs choses: De tous les pays qu il a conquis, Et de douce France, et des gens de sa famille, 50 Et de Charlemagne, son seigneur, qui l'a nourri; Et des Français qui lui étaient si dévoués. Il ne peut s'empêcher d'en pleurer et de soupirer. Mais il ne veut pas se mettre lui-même en oubli, Et, de nouveau, réclame le pardon de Dieu: 35 « O notre vrai Père, » dit-il, « qui jamais ne mentis, « Qui ressuscitas saint Lazare d'entre les morts « Et défendis Daniel contre les lions, « Sauve, sauve mon âme et défends-la contre les périls, « A cause des péchés que j'ai faits en ma vie. » 40 II a tendu à Dieu le gant de sa main droite; Saint Gabriel l'a reçu. Alors sa tête s'est inclinée sur son bras, Et il est allé, mains jointes, à sa fin. Dieu lui envoie un de ses anges chérubins, 45 Saint Raphaël et saint Michel du Péril. Saint Gabriel est venu avec eux. Ils emportent l'âme du Comte au paradis. Chanson de gesie 7. Huon de Bordeaux La forêt enchantée Ils traversèrent plusieurs contrées sauvages, mais ils n'avaient pas cheminé quinze jours que les vivres vinrent à leur manquer. Un jour, nos Français rencontrèrent au milieu d'une vaste forêt un homme à longue barbe blanche: « Prud'homme, lui cria Huon, Dieu qui répandit son sang pour les pécheurs ait votre corps et votre âme en sa garde! » A l'ouïe de ces paroles, l'homme parut comme fou. Il accourut, se jeta aux pieds de Huon et, lui prenant la jambe, la baisa plus de vingt fois. « Sire, dit-il, Dieu qui naquit de la Vierge à Bethléem vous sauve et vous garde! Voici plus de trente ans que j'habite ce bois et que je n'ai vu aucun homme qui crût en Dieu, car il n'y a dans ce pays que des païens. D'où êtes-vous, Sire, et où allez-vous? » Alors Huon mit pied à terre et conta toute son histoire à l'ermite. Il apprit à son tour que l'ermite se nommait Jérôme. Jeune encore, il s'en fut en pèlerinage au Saint-Sépulcre; fait prisonnier par les Sarrasins, il demeura longtemps dans leurs cachots. Il réussit enfin à s'évader et se réfugia dans la forêt. C'est là qu'il vivait depuis trente ans, se nourrissant de racines et de fruits sauvages. « Sire Jérôme, dit Huon, puisque vous connaissez ce pays, vous saurez sans doute où se trouve Babylone; je suis fort en peine, car je ne sais de quel côté me diriger. — Soyez sans crainte, répondit Jérôme, je vous y conduirai moi-même; j'y ai été maintes fois. Deux routes me sont familières: la première mène à Babylone en quinze jours, mais elle est fort périlleuse; l'autre demande un an, mais elle est sûre et l'on y rencontre nombre de bonnes hôtelleries.—Par ma foi! s'écria Huon, je ne suis point assez fou pour perdre une année à un voyage que je puis faire en quinze jours! — Sire, vous aurez à traverser une forêt de plus de quarante lieues; elle est sombre et redoutable, et le nain Obéron s'y tient souvent. Il n'est haut que de trois pieds, mais il est plus beau que le soleil en été. Il est roi de féerie et celui qui lui adresse la parole une fois demeure à jamais en son pouvoir. Vous n'aurez pas fait douze lieues dans la forêt enchantée que vous le verrez surgir devant vous; il vous parlera de telle façon que vous n'aurez de lui aucune défiance. Si vous ne lui répondez point, il se vengera: une tempête horrible fondra sur vous, le vent brisera de gros arbres, la pluie tombera en ruisseaux. Vous vous trouverez bientôt au bord d'une rivière assez large et profonde pour porter les plus grands navires et vous ne saurez comment faire pour la passer. Toutefois ce fleuve n'existe pas en réalité. Mais refusez obstinément de prononcer la moindre parole: vous risqueriez de ne jamais sortir de la forêt d'Obéron. » Iluon fit donner à Jérôme un de ses chevaux et les Français se mirent en route; ils étaient quatorze maintenant. Un jour, comme ils cheminaient lentement dans la forêt enchantée, Huon arrêta soudain son cheval et se laissa glisser sur la mousse. « Je ne puis plus chevaucher, dit-il, j'ai si grand'faim que le cœur me faut. Reposons-nous ici dans cette clairière. » Tous mirent donc pied à terre. Huon se prit à pleurer: « Quel pays ! dit-il en gémissant. Ni pain, ni blé !. .. Voilà bien trois jours que je n'ai rien mangé. — Vous ne savez pas jeûner! dit Jérôme: nourrissez-vous de racines et de baies. — Sire, je n'y suis pas accoutumé et je n'y puis goûter. » Soudain, ils virent s'avancer sous les arbres un petit homme, beau comme le soleil d'été et magnifiquement vêtu de soie brodée d'or. En sa main il tenait un arc; un cor d'ivoire tout incrusté d'or était suspendu à son cou. Le petit homme se mit à corner doucement, et nos Français de commencer à danser et à chanter! « Que nous est-il arrivé? s'écrie Huon, je ne sens plus ni faim, ni fatigue! — C'est le nain Obéron, murmure Jérôme. Pour Dieu! ne prononcez pas une parole. — Vous qui passez par mon bois, dit Obéron, je vous salue et je vous conjure par le Dieu de majesté de me saluer à votre tour. » Pour toute réponse, les Français sautent en selle et prennent la fuite. Plein de fureur, Obéron frappe du doigt son olifant, et la tempête annoncée par Jérôme surprend les voyageurs. Ils continuent à fuir. Tout à coup, ils se voient arrêtés par un fleuve puissant. A peine sont-ils entrés dans l'eau, que la rivière disparaît. Alors surgit devant eux une grande ville fortifiée. « Cette cité n'existe pas, dit Jérôme, chevauchez toujours! » Après avoir galopé encore l'espace de cinq lieues, les Français se croient en sûreté. « Dieu nous a protégés, dit Huon, ralentissant son allure, il nous a fait la grâce d'échapper à ce démon. » A peine a-t-il prononcé ces mots, que le petit homme saute et gambade devant lui. « Dieu! fait le chevalier, le voici! — Vassal, dit Obéron, je ne suis point un démon, mais un homme. Encore une fois je te conjure de me répondre. — Fuyons! » crie Jérôme. Mais le petit nain porte son cor à ses lèvres et en tire un son argentin. Aussitôt les chevaliers français s'arrêtent et se mettent à danser et à chanter. Obéron frappe trois coups sur son cor d'ivoire, en s'écriant: « A moi! mes hommes. » On voit accourir de tous côtés des hommes armés; il y en a bien quatre cents, montés sur de superbes chevaux. « Noble sire, disent-ils, nous voici, que nous voulez-vous ? — Voici ce que je requiers de vous, seigneurs: quatorze chevaliers traversent ma forêt; je les ai salués au nom du Christ, mais ils ne daignent point me répondre; poursuivez-les et les tuez! — Ayez pitié d'eux, sire, implorent les chevaliers; essayez encore une foisde leur parler ; s'ils ne répondent point, nous les tuerons. -— Je le ferai pour l'amour de vous, répond Obéron. Cependant, durant ce colloque, nos Français ont pris de l'avance. « Sire, Jérôme, s'écrie soudain Huon, je regrette d'avoir suivi votre conseil. Ce nain a le plus noble visage que j'aie jamais contemplé, j'aimerais à causer avec lui. » Huon se lie d'amitié avec Obéron Les chevaliers français chevauchent toujours dans la forêt profonde ; tout à coup, Huon aperçoit devant lui le petit roi de féerie. « Sire, lui dit le nain, avez-vous réfléchi? Encore une fois, je vous somme de me saluer. Sire Huon, je sais que vous avez tué Chariot, le fils du puissant Charlemagne, et que vous vous rendez auprès de l'émir Gaudisse. Jamais sans mon secours vous ne parviendrez à vous acquitter de votre message. — Sire, dit Huon, soyez le bien trouvé. — Huon, beau frère, sois le bienvenu dans ma forêt. Je sais qu'il y a plus de trois jours que tu n'as mangé; que veux-tu manger? — Je n'en ai cure, sire, pourvu que je dîne! » Alors ils aperçoivent devant eux un vaste palais à plusieurs étages. Ils y montent et s'assoient aux tables qu'ils trouvent toutes prêtes. Puis ils dînent de grand appétit. Après le dîner, Huon dit à Obéron: « S'il vous agrée, sire, nous prendrons congé de vous et nous continuerons notre chemin. — Avant de vous laisser aller, Huon, je veux vous faire un présent. » Tenant sa coupe des deux mains, Obéron s'approche de Huon: « Sire, dit-il, ce hanap est-il vide? —Il est vide, dit Huon. — Vous allez me le voir remplir par le grand pouvoir que Dieu m'a donné. » Alors le nain passe trois lois sa main autour du vase, puis il fait au-dessus le signe de la croix et aussitôt la coupe s'emplit de vin. « Tel est le pouvoir magique de ce hanap, dit-il à Huon. qu'il fournirait assez de vin pour tous les vivants, à condition toutefois qu'il soit en possession d'un homme de bien, car nul n'y peut boire s'il n'est pur de tout péché mortel. Si vous y pouvez boire, il est à vous. — Sire, je me suis confessé au pape, toutefois, je crains de n'être point assez pur pour boire à cette coupe. » Huon prend le hanap, qui reste plein, et il boit à longs traits. Obéron, tout joyeux, le baise et lui donne la coupe précieuse: « Huon, dit-il, si tu prends soin de garder ta loyauté, je te viendrai toujours en aide, mais pour peu que tu dises un mensonge, je te retirerai mon amitié. Je veux te donner encore mon petit olifant. Tu ne saurais te rendre en pays si lointain que je ne t'entende quand tu corneras pour m'appeler, et j'accourrai aussitôt avec cent mille hommes armés. Mais garde-toi de sonner sans besoin. — Sire, je m'en garderai. — Dieu te sauve et bénisse, Huon, dit le nain en versant des larmes, tu emportes mon cœur avec toi. » Différents auteurs 8. La Féodalité Autrefois la terre de France n'était pas possédée, comme aujourd'hui, par les habitants des campagnes; les nobles ou seigneurs en étaient propriétaires. C'était le temps de Féodalité. Les ducs et les comtes étaient vassaux du roi, leur suzerain. Le vassal devait suivre à la guerre son suzerain. Les ducs et les comtes avaient aussi des vassaux. Tout seigneur se regardait dans son domaine comme un roi. Son château fort le rendait très redoutable. Il était difficile de le prendre. Il était bâti ordinairement sur une hauteur et permettait de surveiller les alentours. Les murs, très épais, n'avaient que de toutes petites fenêtres. Le donjon, tour élevée, se dressait au milieu de la cour. A chaque coin se trouvait une tour élevée où se tenait jour et nuit un homme qui faisait le guet. Ce château était entouré d'un large fossé parfois plein d'eau, qu'on traversait sur un pont de bois appelé « pont-levis » parce que chaque nuit on le relevait contre la porte d'entrée. La vie dans le château féodal était monotone, elle avait pourtant son charme, surtout lorsque quelque troubadour ou quelque trouvère venait frapper à la porte du manoir et payait son hospitalité par quelques chants ou quelques récits de chevalerie. Le noble passait son temps à chasser, à pêcher, à donner de grandes fêtes appelées « tournois », et trop souvent aussi, à faire la guerre aux seigneurs voisins. Les paysans souffraient beaucoup de ces guerres entre les seigneurs. Les moissons étaient souvent détruites et les chaumières brûlées. Pourtant c'étaient les paysans qui nourrissaient le seigneur. Ils lui donnaient une partie de leur récolte, ils lui devaient la corvée. Ils portaient le blé au moulin du seigneur et le raisin à son pressoir, ils faisaient cuire le pain au four du seigneur, et il fallait payer pour tout cela. François Guizot 9. La réception d'un chevalier Le jeune homme, l'écuyer qui aspirait au titre de chevalier était d'abord dépouillé de ses vêtements et mis au bain, sym- bole de purification. Au sortir du bain, on le revêtait d'une tunique blanche, symbole de pureté; d'une robe rouge, symbole du sang qu'il était tenu de répandre pour le service de la foi; d'une saie ou justaucorps noir, symbole de la mort qui l'attendait, ainsi que tous les hommes. Ainsi purifié et vêtu, le récipiendaire observait pendant vingt-quatre heures un jeûne rigoureux. Le soir venu, il entrait dans l'église et y passait la nuit en prières, quelquefois seul, quelquefois avec un prêtre et des parrains qui priaient avec lui. Le lendemain, son premier acte était la confession; après la confession, le prêtre lui donnait la communion; après la communion, il assistait à une messe du Saint Esprit, et ordinairement à un sermon sur les devoirs des chevaliers. Le sermon fini, le récipiendaire s'avançait vers l'autel, l'épée de chevalier suspendue à son cou: le prêtre la détachait, la bénissait et la lui remettait au cou. Le récipiendaire allait alors s'agenouiller devant le seigneur qui devait l'armer chevalier: « A quel dessein, lui demandait le seigneur, désirez-vous entrer dans l'ordre? Si c'est pour être riche, pour vous reposer et être honoré sans faire l'honneur à la chevalerie, vous en êtes indigne. » Et sur la réponse du jeune homme qui promettait de se bien acquitter des devoirs de chevalier, le seigneur lui accordait sa demande. Alors s'approchaient des chevaliers pour revêtir le récipiendaire de tout son nouvel équipement; on lui mettait: les éperons, le haubert ou la cotte de mailles, la cuirasse, les brassards et les gantelets; enfin, on lui ceignait l'épée. Le seigneur se levait, allait à lui, et lui donnait l'accolade, trois coups du plat de son épée sur l'épaule ou sur la nuque, en disant: « Au nom de Dieu, de Saint Michel et de Saint Georges, je te fais chevalier. » Michaud 10. Départ pour la première croisade • Depuis le Tibre jusqu'à l'Océan, et depuis le Rhin jusqu'au delà des Pyrénées, on ne rencontrait que des troupes d'hommes revêtus de la croix, jurant d'exterminer les Sarrasins et d'avance célébrant leurs conquêtes; de toutes parts retentissait le cri de guerre des croisés : Dieu le veut ! Dieu le veut ! Les pères conduisaient leurs enfants et leur faisaient jurer de vaincre ou de mourir pour Jésus-Christ. Les guerriers s'arrachaient des bras de leurs épouses et de leurs familles et promettaient de revenir victorieux. Les femmes, les vieillards, dont la faiblesse restait sans appui, accompagnaient leurs fils ou leurs époux dans la ville la plus voisine et, ne pouvant se séparer des objets de leurs affections, prenaient le parti de les suivre jusqu'à Jérusalem. Ceux qui restaient en Europe enviaient le sort des croisés et ne pouvaient retenir leurs larmes : ceux qui allaient chercher leur mort en Asie étaient pleins d'espérance et de joie. Parmi les pèlerins partis de la côte de la mer, on remarquait une foule d'hommes qui avaient quitté les îles de l'Océan. Leurs vêtements et leurs armes, qu'on n'avait jamais vus, excitaient la curiosité et la surprise. Ils parlaient une langue qu'on n'entendait point et, pour montrer qu'ils étaient chrétiens, ils élevaient leurs deux doigts l'un sur l'autre en forme de la croix. Entraînés par leur exemple et par l'esprit d'enthousiasme répandu partout, des familles, des villages entiers partaient pour la Palestine; ils emportaient leurs provisions, leurs ustensiles, leurs meubles. Les plus pauvres marchaient sans prévoyance et ne pouvaient croire que celui qui nourrit les petits oiseaux laissât périr de misère les pèlerins revêtus de sa croix. Leur ignorance ajoutait à leur illusion et prêtait à tout ce qu'ils voyaient un air d'enchantement et de prodige ; ils croyaient sans cesse toucher au terme de leur voyage. Les enfants des villageois, lorsqu'une ville ou un château se présentait à leurs yeux, demandaient si c'était là Jérusalem. Beaucoup de grands seigneurs, qui avaient passé leur vie dans leurs donjons rustiques, n'en savaient guère plus que leurs vassaux; ils conduisaient avec eux leurs équipages de pêche et de chasse et marchaient précédés d'une émeute, ayant leurs faucons sur le poing. Voltaire H. Saint Louis Louis IX paraissait un prince destiné à réformer l'Europe, si elle avait pu l'être; à rendre la France triomphante et policée, et à être en tout le modèle des hommes. Sa piété, qui était celle d'un anachorète, ne lui ôta aucune vertu de roi. Une sage économie ne déroba rien à sa libéralité. Il sut accorder une politique profonde avec une justice exacte; et peut-être est-il le seul souverain qui mérite cette louange: prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats sans être emporté, compatissant comme s'il n'avait jamais été que malheureux. Il n'est pas donné à l'homme de porter plus loin la vertu. Son domaine, déjà fort grand, s'était accru de plusieurs terres qu'il avait achetées. Les rois de France avaient alors pour revenus leurs biens propres, et non ceux des peuples. Leur grandeur dépendait d'une économie bien entendue, comme celle d'un seigneur particulier. Cette administration l'avait mis en état de lever de fortes armées contre le roi d'Angleterre Henri III et contre des vassaux de France unis avec l'Angleterre. Henri III moins riche, moins obéi de ses Anglais, n'eut ni d'aussi bonnes troupes, ni d'aussi tôt prêtes. Louis le battit deux fois et surtout à la journée de Taillebourg en Poitou. Le roi anglais s'enfuit devant lui. Cette guerre fut suivie d'une paix utile (1241). Les vassaux de France, rentrés dans leurs devoirs, n'en sortirent plus. Le roi n'oublia pas même d'obliger l'Anglais à payer cinq mille livres sterling pour les frais de la campagne. Quand on songe qu'il n'avait pas vingt-quatre ans lorsqu'il se conduisit ainsi, on voit ce qu'il eût fait s'il fût demeuré dans sa patrie. Angot, Cagne 12. Du Guesclin Le petit Bertrand Du Guesclin était un enfant terrible. Laid, maussade, emporté, désobéissant, il passait son temps à courir les rues du village, se battant avec ses camarades et rentrant souvent à la maison les habits déchirés et le visage couvert de sang. Quand il fut devenu grand, Du Guesclin conserva son amour des combats. Il devint d'abord un bon chevalier, puis, un général habile. Comme il vivait justement au temps de la guerre de Cent ans, il combattait les Anglais avec tant de courage qu'il parvint à les chasser de presque toute la France. Du Guesclin n'était pas moins humain qu'il était brave. [1 dit un jour à ses soldats: « En quelque pays que nous fas- sions la guerre, rappelez-vous que les gens d'église, les femmes, les enfants et le pauvre peuple ne sont point nos ennemis. » * 13. La rançon de Du Guesclin Le chevalier Bertrand Du Guesclin était prisonnier des Anglais, à Bordeaux. Le Prince Noir le fit venir auprès de lui. — Messire Bertrand, lui dit-il, on prétend que vous ne tenez plus au séjour dans notre beau pays d'Aquitaine? — Par ma foi, Monseigneur, je m'ennuie fort de ne plus entendre les rossignols de mon pays. — Eh bien! dit le prince, il faut vous satisfaire: fixez vous-même votre rançon. — Ma rançon! répondit fièrement le prisonnier, je la fixe à soixante-dix mille florins, et je n'en rabattrai pas une obole! Si même les rois de France ou de Castille, mes amis, refusaient de la payer, il n'est fille ou femme de France qui, à force de filer, ne veuille gagner ma rançon. Différents auteurs 14. Un trait de Louis XII Louis XII, qui régna au commencement du XVIme siècle, fut un des meilleurs rois de France. On le surnomme le Père du peuple. Il chercha à rendre meilleure la condition des paysans. Il leva le moins possible d'impôts et prit sous sa protection le peuple des campagnes. Un jour, il apprit qu'un grand seigneur avait coutume de maltraiter et de battre les laboureurs et les paysans. Il résolut de le punir. Il fit venir le coupable à la cour et, sans lui laisser voir son mécontentement, il l'invita à dîner. On lui servit un repas splendide, des viandes à discrétion, mais on ne servit pas de pain que le roi avait défendu de lui donner. Le seigneur s'étonna, il ne put concevoir un pareil mystère. Cependant le roi vint à passer, et s'adressant à son hôte, il lui demanda s'il avait fait bonne chère. « Sire, répondit le seigneur, on m'a servi un repas magnifique, mais je n'ai point dîné, car on a oublié de me donner du pain. — Allez, dit alors le roi avec un front sévère; tâchez à comprendre la leçon que je viens de vous Francoska čitanka 2 donner: et, puisqu'il vous faut du pain pour vivre, songez, Monsieur, à bien traiter une autre fois ceux qui le font venir. » Le seigneur comprit la leçon et rentra chez lui tout confus. René Sully Prudhomme 15. Un songe Le laboureur m'a dit en songe: « Fais ton pain, Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème. » Le tisserand m'a dit: « Fais tes habits toi-même. » Et le maçon m'a dit: « Prends la truelle en main. » 5 Et seul, abandonné de tout le genre humain, Dont je traînais partout l'implacable anathème, Quand j'implorais du ciel une pitié suprême, Je trouvais des lions debout sur mon chemin. J'ouvris les yeux, doutant si l'aube était réelle: 10 De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle, Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés. Je connus mon bonheur et qu'au monde où nous sommes, Nul ne peut se vanter de se passer des hommes; Et depuis ce jour-là, je les ai tous aimés. Léo Claretie 16. Paris-Renaissance François Ier monte sur le trône. Au Louvre, les coffres du trésor royal regorgent d'or. Louis XII, roi économe, dépensait peu, amassait beaucoup. Le jeune compte d'Angoulême peut faire des prodigalités. Il a de quoi payer. A Paris il fut bien reçu. Sa bonne figure franche et joviale, son nez arrondi, sa fine barbe encadrant sa physionomie éveillée, lui valurent aussitôt les sympathies de sa ville. Le nouveau roi devait donner à la vie parisienne un lustre qui lui manquait sous le règne précédent. Ce fut une des époques les plus brillantes de l'histoire de Paris, par les magnificences d'un roi qui fit tout pour l'orner et l'égayer, par l'éclat des fêtes qui s'y célébraient, par l'affluence des artistes que le roi y fit venir. De superbes châteaux s'élèvent. Le vieux Louvre féodal de Philippe Auguste, cette lourde masse, sombre et sévère, tombe sous la pioche des travailleurs, Jean Bullant commence le Louvre. Paris se peuple d'artistes, qui sont tous des maîtres, orfèvres et ciseleurs, accomplissant des merveilles d'art. La France jouit d'un éclat qui fait envie à nos voisins. Le trône s'environne d'un éclat qui éblouit, qui aveugle sur les maladresses politiques, la misère du peuple. Par ces prodigalités le roi pouvait s'asservir les seigneurs et créer le despotisme. Il a pour le servir un personnel nombreux et brillant. Des gentilshommes de haut rang composent son domestique. Les plus grands seigneurs se disputent l'honneur de tenir le bougeoir à son coucher, et au lever, l'hiver. La vie somptueuse de la cour insulte à la misère publique. Pendant que le roi étale un luxe insensé, le paysan hâve et maigre, tué de travail et de privations, meurt de faim. On peut juger par l'exemple du maître quelle était l'existence menée par les grands seigneurs et les grandes dames. Ils étaient à trop bonne école pour ne pas le suivre. Les toilettes sont dispendieuses, les costumes des seigneurs coûtent des prix fabuleux. La vie est une fête perpétuelle; ce ne sont que concerts, mascarades. Cette époque de frivolité, de faste et d'insouciance présente de bien curieux contrastes. Le roi, à la fois lettré et débauché, sérieux et folâtre, s'entoure de savants, lit la Bible, que lui traduit Vatable, s'amuse du cynisme de Rabelais et des gentillesses de son page Clément Marot. Ce jeune page, à qui son père apprit la poétique, est une figure curieuse. Avec ses espiègleries, son talent délicat, sa bravoure insolente, sa fierté irritable, son esprit indépendant, sa gaieté pétillante, ami des idées nouvelles, il jouit d'un succès immense. Le roi est poète. Déjà les contemporains avaient loué le goût éclairé de François Ier pour les lettres et les arts. François Ier fonda le fameux Collège royal trilingue qui sera l'illustre Collège de France; il favorise les imprimeurs, fait fondre les beaux caractères de Garamond, et mérite que Marot lui dise: . .. Tu as fait les lettres et les arts Plus reluisants que du temps des Césars ... C'est toi qui as allumé la chandelle Par qui maint œil voit mainte vérité. François Ier est le génie de la Renaissance française. Les lettres, les arts, l'érudition lui doivent beaucoup. II a secondé le mouvement de la Renaissance, en protégeant et en appelant en France des artistes italiens: Léonard de Vinci, Benvenuto Cellini, le Titien. Grâce à lui, le goût s'épure et se transforme. Les femmes n'ont rien à envier aux hommes, dans un siècle qui vit naître Marguerite de Valois, la reine de Navarre, aimable, spirituelle, savante autant que belle, et où Marie Stuart récitait au Louvre un discours latin de sa composition. Comment ne pas donner en passant un souvenir à cette aimable sœur du roi, Marguerite de Navarre, que Paris ne posséda malheureusement pas assez longtemps. Du fond de la Navarre où l'avait emmenée son mari, elle ne cessa du moins d'étendre à toute la société parisienne, gens de lettres et artistes, son influence bienfaisante et féconde. Même de loin elle demeura le bon ange de cette cour. Gaspard 17. Charbonnier est maître chez lui François Ier s'étant égaré dans la forêt, entra vers les neuf heures du soir dans la cabane d'un charbonnier; le mari était absent, il ne trouva que la femme accroupie auprès du feu; c'était en hiver, et il avait plu. Le roi demande un abri pour la nuit et à souper. L'un et l'autre lui furent accordés; à l'égard du souper, il fallut attendre le retour du mari; en l'attendant, le roi se chauffa assis sur une mauvaise chaise, la seule qu'il y eût dans la maison. Vers les dix heures arriva le charbonnier, las de son travail, fort affamé et tout mouillé; la femme exposa la chose à son mari. Mais à peine le charbonnier eut-il salué son hôte et secoué son chapeau tout trempé que, prenant la place la plus commode et le siège que le roi occupait, il lui dit: « Monsieur, je prends votre place, parce que c'est celle où je me mets toujours, et cette chaise, parce qu'elle est à moi. Or, par droit et par raison, chacun est maître en sa maison ...» François Ier applaudit au proverbe et se plaça ailleurs sur une sellette de bois. On soupa, on parla des affaires du royaume, on se plaignit des impôts. Le charbonnier voulait qu'on les supprimât; François Ier eut de la peine à lui faire entendre raison... « A la bonne heure donc ! dit le charbonnier, mais ces défenses rigoureuses pour la chasse, les approuvez-vous? Je vous crois honnête homme, et je pense que vous ne me perdrez pas. J'ai là un morceau de sanglier qui en vaut bien un autre; mangeons-le, mais surtout: bouche close! » François Ier promit tout, mangea avec appétit, se coucha sur des feuilles et dormit bien. Le lendemain, il se fit connaître, paya son hôte et lui permit la chasse. C'est par cette historiette que l'on peut expliquer le sens du proverbe: Charbonnier est maître chez lui. 18. Adieux de Marie Stuart Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu, te quitter, c'est mourir. 5 Toi que j'adoptai pour ma patrie, Et d'où je crois me voir bannir. Entends les adieux de Marie, France, et garde son souvenir. Le vent souffle, on quitte la plage, 10 Et peu touché de mes sanglots, Dieu, pour me rendre à ton rivage, Dieu n'a point soulevé les flots! Adieu, charmant pays de France, etc. Lorsqu'aux veùx du peuple que j'aime 15 Je ceignis le lis éclatant, Il applaudit au rang suprême Moins qu'aux charmes de mon printemps. En vain la grandeur souveraine M'attend chez le sombre Écossais; 20 Je n'ai désiré d'être reine Que pour régner sur des Français. Adieu, charmant pays de France, etc. L'amour, la gloire, le génie, Ont trop enivré mes beaux jours; 25 Dans l'inculte Calédonie De mon sort va changer le cours. Hélas! un présage terrible Doit livrer mon cœur à l'effroi: J'ai cru voir, dans un songe horrible, 50 Un échafaud dressé pour moi. Adieu, charmant pays de France, etc. France, du milieu des alarmes, La noble fille des Stuarts, Comme en ce jour qui voit ses larmes, 55 Vers toi tournera ses regards. Mais, Dieu! le vaisseau trop rapide Déjà vogue sous d'autres cieux; Et la nuit, dans son voile humide, Dérobe tes bords à mes yeux! 40 Adieu, charmant pays de France, etc. Prosper Mérimée 19. Une scène d'auberge du temps de Charles IX L'auberge du Lion d'Or était remplie de soldats. A leur accent étranger, à leur costume bizarre, on les reconnaissait pour ces cavaliers allemands nommés reîtres qui venaient offrir leurs services au parti protestant, surtout quand il était en état de les bien payer. Si l'adresse de ces étrangers à manier leurs chevaux et leur dextérité à se servir des armes à feu les rendaient redoutables un jour de bataille, d'un autre côté, ils avaient la réputation, peut-être encore justement acquise, de pillards consommés et d'impitoyables vainqueurs. La troupe qui s'était établie dans l'auberge était d'une cinquantaine de cavaliers. Tandis que les uns pansaient leurs chevaux attachés à la muraille, d'autres attisaient 4e feu, tournaient les broches et s'occupaient de la cuisine. Le malheureux maître de l'auberge, le bonnet à la main et la larme à l'œil, contemplait la scène de désordre dont sa cuisine était le théâtre. Il voyait sa basse-cour détruite, sa cave au pillage, ses bouteilles, dont on cassait le goulot sans que l'on daignât les déboucher, et le pis, c'est qu'il savait bien que, malgré les sévères ordonnances du roi pour la discipline des gens de guerre, il n'avait point de dédommagement à attendre de ceux qui le traitaient en ennemi. C'était une vérité reconnue dans ce temps malheureux, qu'en paix ou en guerre, une troupe armée vivait toujours à discrétion partout où elle se trouvait. Laoisse, Reynach 20. Henri IV C'est le meilleur et le plus grand de nos rois. Quand il naquit, au château de Pau dans le Béarn, le roi de Navarre, son grand-père, lui frotta les lèvres avec une goûsse d'ail, et lui fit boire quelques gouttes de vin, afin, disait-il, de donner à l'enfant un tempérament vigoureux. Henri était vêtu et nourri comme les enfants du pays. Il courait comme eux, et mieux qu'eux escaladait les murs et les rochers. Sa mère, Jeanne d'Albret, très instruite, lui mit les meilleurs livres entre les mains, elle lui fit lire l'histoire des homîmes illustres. Il fit ses premières armes sous l'un des plus illustres chefs militaires de son temps (Coligny). Après la Saint-Barthélemy, à laquelle il n'échappa que par un miracle, il prit le commandement de l'armée protestante et montra les plus brillantes qualités de capitaine et de soldat. Désigné par le roi mourant (Henri III) comme son héritier, Henri de Navarre, désormais Henri IV, était le roi légitime, mais la France refusa de le reconnaître, parce qu'il était protestant. Henri essaya de conquérir son royaume les armes à la main. Il remporta sur les armées de la Ligue les victoires d'Arqués et d'Ivry. Il entreprit le siège de Paris, mais il résolut de se rendre au vœu général, il abjura le protestantisme dans la cathédrale de Saint-Denis. Les portes de Paris s'ouvrirent, et Henri fut accueilli par les acclamations du peuple. Grand comme capitaine, il fut plus grand encore comme politique pour sa fidélité aux deux idées-forces: la liberté et la paix. Par un édit signé à Nantes, il permit aux protestants le libre exercice de leur culte. « Il ne faut plus faire distinction entre les catholiques et les protestants, disait-il, il faut que tous soient bons Français. » — Le choix de ses conseillers fut presque toujours excellent. Il était de goûts simples et savait parler à chacun le langage qui convenait. Sa bonté est proverbiale, mais elle ne dégénérait pas en faiblesse. Le peuple n'oubliera jamais .la mémoire du roi, qui voulait que tout paysan pût mettre « la poule au pot le dimanche ». Ce qui aida également à sa popularité, c'est qu'il était peuple, mais avec l'allure royale. Le génie n'éclate pas chez lui comme chez Napoléon, mais on sent en lui un parfait équilibre. Aussi a-t-on pu dire de lui qu'il fut le plus français des rois de France, celui dont l'âme fut le plus passionnément nationale, le seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire. Anecdote 21. Le roi et le paysan Henri IV, étant à la chasse, s'était écarté de sa suite. Il rencontra un paysan assis au pied d'un arbre, sur le bord de la route: — Que fais-tu là? lui dit le prince. -— J'attends pour voir le roi passer. — Si tu veux monter derrière moi, ajouta Henri, je te conduirai dans un endroit où tu pourras le voir tout à ton aise. — Comment ferai-je pour reconnaître le roi au milieu des autres seigneurs? — C'est très facile, répondit celui-ci, tu verras lequel des seigneurs garde son chapeau, tandis que les autres restent découverts devant lui. Tout en causant, nos cavaliers arrivèrent au lieu du rendez-vous de chasse, où Henri retrouva les cavaliers de sa suite. — Eh bien ! dit-il au paysan, sais-tu maintenant qui est le roi? — Il faut que ce soit vous ou moi, dit le rustre avec étonnement, tous les autres sont là découverts devant nous ... La Bruyère 22. Le paysan du XVIIme siècle L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides, et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible: ils ont comme une voix articulée et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines: ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé. J. J. Rousseau 23. La misère du paysan français du XVIIIme siècle Un jour, m'étant à dessein détourné pour voir de près un lieu qui me parut admirable, je m'y plus si fort et j'y fis tant de tours que je me perdis enfin tout à fait. Après plusieurs heures de course inutile, las et mourant de soif et de faim, j'entrai chez un paysan dont la maison n'avait pas belle apparence; mais c'était la seule que je visse aux environs. Je croyais que c'était comme en Suisse, où tous les habitants à leur aise sont en état ^'exercer l'hospitalité. Je priai celui-ci de me donner à dîner en payant. Il m'offrit du lait écrémé et de gros pain d'orge, en me disant que c'était tout ce qu'il avait. Je buvais ce lait avec délices et je mangeais ce pain, paille et tout: mais cela n'était pas fort restaurant pour un homme épuisé de fatigue. Ce paysan, qui m'examinait, jugea de la vérité de mon histoire par celle de mon appétit. Tout de suite, après avoir dit qu'il voyait bien que j'étais un bon jeune honnête homme qui n'était pas là pour le vendre, il ouvrit une petite trappe à côté de sa cuisine, descendit, et revint un moment après avec un bon pain bis de pur froment, un jambon appétissant, quoique entamé, et une bouteille de vin dont l'aspect me réjouit le cœur plus que tout le reste; on joignit à cela une omelette, et je fis un dîner tel qu'autre qu'un piéton n'en connut jamais. Quand ce vint à payer, voilà son inquiétude et ses craintes qui ïe reprennent; il ne voulait point de mon argent, il le repoussait avec un trouble extraordinaire; et ce qu'il y avait de plaisant était que je ne pouvais imaginer de quoi il avait peur. Enfin, il prononça en frémissant ces mots terribles de commis et de rats de cave. Il me fit entendre qu'il cachait son vin à cause des aides, qu'il cachait son pain à cause de la taille, et qu'il serait un homme perdu si l'on pouvait se douter qu'il ne mourût pas de faim. Tout ce qu'il me dit à ce sujet, et dont je n'avais pas la moindre idée, me fit une impression qui ne s'effacera jamais. Ce fut là le germe de cette haine inextinguible qui se développa depuis dans mon cœur contre les vexations qu'éprouve le malheureux peuple, et contre ses oppresseurs. Cet homme, quoique aisé, n'osait manger le pain qu'il avait gagné à la sueur de son front et ne pouvait éviter sa ruine qu'en montrant la même misère qui régnait autour de lui. Je sortis de sa maison aussi indigné qu'attendri, et déplorant le sort de ces belles contrées, à qui la nature n'a prodigué ses dons que pour en faire la proie des barbares publicains. Théodore de Banville 24. Ballade des pauvres gens Rois, qui serez jugés à votre tour, Songez à ceux qui n'ont ni sou, ni maille; Ayez pitié du peuple tout amour, Bon pour fouiller le sol, bon pour la taille 5 Et la charrue, et bon pour la bataille. Les malheureux sont damnés — c'est ainsi! Et leur fardeau n'est jamais adouci. Les moins meurtris n'ont pas le nécessaire. Le froid, la pluie et le soleil aussi, 10 Aux pauvres gens, tout est peine et misère. Le pauvre hère, en son triste séjour, Est tout pareil à ses bêtes qu'on fouaille. Vendange-t-il, a-t-il chauffé le four Pour un festin, ou pour une épousaille, 15 Le seigneur vient, toujours plus endurci; Sur son vassal, d'épouvante saisi, Il met sa main, comme un aigle sa serre, Et lui prend tout en disant: « Me voici! » Aux pauvres gens, tout est peine et misère. George Sand 25. Tableau du labour Ce qui attira mon attention était véritablement un beau spectacle, un noble sujet pour un peintre. A l'extrémité de la plaine labourable, un jeune homme de bonne mine conduisait un attelage magnifique: quatre paires de jeunes animaux avec ces gros yeux farouches, ces mouvements brusques, ce travail nerveux et saccadé qui s'irrite encore du joug et de l'aiguillon et n'obéit qu'en frémissant de colère à la domination nouvellement imposée. C'est ce qu'on appelle des bœufs fraîchement liés. L'homme qui les gouvernait avait à défricher un coin naguère abandonné au pâturage et rempli de souches séculaires. Un enfant de six à sept ans, beau comme un ange, marchait dans le sillon parallèle à la charrue et piquait le flanc des bœufs avec une gaule longue et légère, armée d'un aiguillon peu acéré. Lorsqu'une racine arrêtait le soc, le laboureur criait d'une voix puissante, appelant chaque bête par son nom, mais plutôt pour calmer que pour exciter; car les bœufs, irrités par cette brusque résistance, bondissaient, creusaient la terre de leurs larges pieds fourchus, et se seraient jetés de côté emportant l'areau à travers champs, si, de la voix et de l'aiguillon, le jeune homme n'eût maintenu les quatre premiers, tandis que l'enfant gouvernait les quatre autres. Tout cela était beau de force ou de grâce: le paysage, l'homme, l'enfant, les taureaux sous le joug; et, malgré cette lutte puissante, où la terre était vaincue, il y avait un sentiment de douceur et de calme profond qui planait sur toutes choses. Quand l'obstacle était surmonté et que l'attelage reprenait sa marche égale et solennelle, le laboureur jetait un regard de contentement paternel sur son enfant, qui se retournait pour lui sourire. Achille Millien 26. Labour Par le champ qui décrit sa courbe dans l'azur, Les six bœufs deux par deux vont d'un pas lent et sûr, Traînant le soc où l'homme aux cheveux gris s'appuie Et qui fend le sol dur tant assoiffé de pluie. 5 Matin ensoleillé de juin qui resplendit. Un jeune paysan, toucheur de bœufs, brandit L'aiguillon d'un geste ample et comme hiératique Et chante à pleine voix selon le mode antique: « Ho! les beaux bœufs nourris par moi 10 Dans les étables de la ferme, Tio! tio! holéha holé! Bons au labour, bons au charroi, Tirez bien droit, marchez bien ferme, Tio! tio! hip! » 15 Les bœufs blancs, œil mi-clos, mufle rose et baveux, En un commun effort tendent leurs cous nerveux. Jusques au bas du champ droite descend la raie. Un bref instant de pause à l'ombre de la haie, Puis les couples vaillants vont, patients et doux, 20 Pour un autre sillon repartir... Et les jougs Grincent sous la courroie, et le soc luisant crie En pénétrant au sein de la terre meurtrie. « Ho! mes valets, mes compagnons De tous les temps, calme ou tempête, 25 Tio! tio! holéha holé! Gentils et forts, fiers et mignons, Hardi! Mes bœufs que rien n'arrête, Tio! tio! hip! » Alfred de Vigny 27. Dans le cabinet du cardinal de Richelieu La salle était fort longue, mais éclairée par une suite de hautes fenêtres en ogive. Une table ronde énorme la remplis- sait dans toute sa largeur; autour de cette table, chargée de papiers, étaient assis et courbés sous leurs plumes huit secrétaires occupés à copier les lettres qu'on leur passait d'une table plus petite. D'autres hommes debout rangeaient les papiers dans les rayons d'une bibliothèque, et ils marchaient avec précaution sur le tapis dont la salle était garnie. Malgré cette quantité de personnes réunies, on eût entendu les ailes d'une mouche. Le seul bruit qui s'élevât était celui des plumes qui couraient rapidement sur le papier, et une voix grêle qui dictait, en s'interrompant pour tousser. Elle sortait d'un immense fauteuil à grands bras. C'était un de ces fauteuils qu'on voit encore dans quelques vieux châteaux et qui semblent faits pour s'endormir en lisant. L'homme qui s'y trouvait ne dormait pas. Il avait le front large et quelques cheveux fort blancs, des yeux grands et doux, une figure pâle à laquelle une petite barbe blanche et pointue donnait cet air de finesse que l'on remarque dans tous les portraits du siècle de Louis XIII. Une bouche presque sans lèvres était encadrée par deux petites moustaches grises et par une royale, ornement alors à la mode. Ce vieillard, qui avait sur la tête une calotte rouge, était enveloppé dans une vaste robe de chambre et portait des bas de soie pourprée, n'était rien moins qu'Armand Duplessis, cardinal de Richelieu. Claude Augé 28. Mazarin et le solliciteur Un solliciteur vint un jour implorer Mazarin sans avoir soigné sa mise. Le cardinal n'aimait guère à donner; aussi s'empressa-t-il de congédier le quémandeur, après l'avoir écouté à peine, sous prétexte que celui-ci n'avait point observé les lois de l'étiquette. Notre homme ne se tint pas pour battu. Quelques jours après, il vint de nouveau voir le ministre, mais avec un nouvel ajustement; il a, cette fois, une perruque neuve et bien noire, la moustache teinte, les joues fardées, un habit qui fait valoir sa taille. Bref, on lui donnerait vingt ans de moins que son âge. Le rusé ministre le reconnaît fort bien, mais il n'en laisse rien paraître. Il écoute le solliciteur, puis avec un admirable sourire: « Je suis désolé de ne pouvoir vous accorder cette faveur, lui dit-il, mais je l'ai déjà refusée, il y a quelques jours, à monsieur votre père. » Mme de Sévigné 29. Le madrigal de Louis XIV Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très vraie, et qui vous divertira. Le roi se mêle depuis peu de faire des vers. MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre. Il fit l'autre jour un petit madrigal que lui-même ne trouva pas joli. Un matin, il dit au maréchal de Gramont: « Monsieur le maréchal, lisez, je vous prie, ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent. Parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons. » Le maréchal, après avoir lu, dit au roi: « Sire, Votre Majesté juge divinement bien de toutes choses. Il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu. » Le roi se mit à rire et lui dit: « N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat? — Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. — Oh, bien! dit le roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement, c'est moi qui l'ai fait. — Ah ! Sire, quelle trahison ! que Votre Majesté me le rende ; je l'ai lu brusquement. — Non, Monsieur le maréchal, les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. » Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le roi en fît là-dessus et qu'il jugeât, par là, combien il est loin de connaître jamais la vérité. Henri de Régnier 30. Madrigal Viens écouter les fontaines Derrière les buis égaux; Versailles aux vasques pleines Est bien la cité des Eaux. 5 Une onde noble et diverse L'enchante encore de ses jeux, Et ces bosquets qu'on traverse Sont habités par des Dieux. Mais des bassins qu'on admire • 10 Nul ne me semble plus beau Que ton miroir, quand il mire Ton visage dans son eau. Claude Augé 31. Le Distrait spirituel La Fontaine, ce poète d'une sensibilité délicate et d'une malicieuse bonhomie, dont les fables exquises sont devenues un livre universel, était l'homme le plus distrait de la terre. Il rêvait sans cesse à ses personnages. Le prince de Condé l'invita un jour à un repas, mais le poète oublieux n'y alla point. De là, grande colère du prince. Sur le conseil d'un ami, La Fontaine se rendit auprès du vainqueur de Rocroi pour lui présenter ses humbles excuses. Dès que Condé l'aperçut, il lui tourna le dos. « Merci, Monseigneur, s'écria le malin fabuliste. On m'avait dit que vous étiez fâché contre moi, mais je vois bien qu'il n'en est rien. — Voilà qui est singulier, fit le prince surpris; et à quoi donc voyez-vous cela? — Votre Altesse me tourne le dos, et elle n'a pas l'habitude d'agir ainsi avec ses ennemis. » Cet adroit compliment fit tomber la mauvaise humeur de Condé, qui tendit la main au spirituel poète. La Fontaine 32. L'huître et les plaideurs Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent Une huître que le flot y venait d'apporter: Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent; A l'égard de la dent il fallut contester. 5 L'un se baissait déjà pour ramasser la proie; L'autre le pousse et dit: « Il est bon de savoir Qui de nous en aura la joie. Celui qui le premier a pu l'apercevoir En sera le gobeur: 1 autre le verra faire.— 10 Si par là l'on juge l'affaire, Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci. — — Je ne l'ai pas mauvais aussi, Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie. — Eh bien! vous l'avez vue, et moi je l'ai sentie. » 15 Pendant tout ce bel incident, Perrin Dandin arrive: ils le prennent pour juge. Perrin, fort gravement, ouvre l'huître et la gruge, Nos deux messieurs le regardant. Ce repas fait, il dit d'un ton de président: 20 « Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille, Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille! » Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui; Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles: Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui, 25 Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles. Fénelon 33. Contre la guerre La guerre épuise un État et le met toujours en danger de périr, lors même qu'on remporte les plus grandes victoires. Avec quelques avantages qu'on la commence, on n'est jamais sûr de la finir sans être exposé aux plus tragiques renversements de fortune. Avec quelque supériorité de forces qu'on s'engage dans un combat, le moindre mécompte, un rien vous arrache la victoire, qui était déjà dans vos mains, et la transporte chez vos ennemis. Quand même on tiendrait dans son camp la victoire comme enchaînée, on se détruirait soi-même en détruisant ses ennemis: on dépeuple son pays; on laisse les terres presque incultes: on trouble le commerce; mais, ce qui est bien pis, on affaiblit les meilleures lois et on laisse corrompre les mœurs: la jeunesse ne s'adonne plus aux lettres; le pressant besoin fait qu'on souffre une licence pernicieuse dans les troupes; la justice, la police, tout souffre de ce désordre. Voilà donc les maux que la guerre entraîne après elle! Quelle fureur aveugle pousse les malheureux mortels! ils ont si peu de jours à vivre sur la terre! ces jours sont si misérables! pourquoi précipiter une mort déjà si prochaine? Les hommes sont tous frères, et ils s'entre-déchirent: les bêtes farouches sont moins cruelles qu'eux. Les lions ne font point la guerre aux lions, ni les tigres aux tigres; ils n'attaquent que les animaux d'espèce différente: l'homme seul, malgré sa raison, fait ce que les animaux sans raison ne firent jamais. Mais encore, pourquoi ces guerres? N'y a-t-il pas assez de terres dans l'univers? Combien y a-t-il de terres désertes! le genre humain ne saurait les remplir. Quoi donc! une fausse gloire, un vain titre de conquérant qu'un prince veut acquérir allume la guerre dans des pays immenses ! Ainsi un seul homme sacrifie brutalement tant d'autres hommes à sa vanité : il faut que tout périsse, que tout nage dans le sang, que tout soit dévoré par les flammes, afin qu'un seul homme, qui se joue de la nature humaine entière, trouve dans cette destruction générale son plaisir et sa gloire! Quelle gloire monstrueuse! Peut-on trop mépriser des hommes qui ont tellement oublié l'humanité? Oh! que les rois doivent prendre garde aux guerres qu 'ils entreprennent! Elles doivent être justes; il faut qu'elles soient nécessaires pour le bien public. Le sang d'un peuple ne doit être versé que pour sauver ce peuple dans les besoins extrêmes. Victor Hugo 34 Après la bataille Mon père, ce héros au sourire si doux, Suivi d'un seul housard qu'il aimaitjentre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Parcourait à cheval, le soir d'une bataille, 5 Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. Il lui sembla-dans l'ombre entendre un faible bruit. C'était un Espagnol de l'armée en déroute, Qui se traînait sanglant sur le bord de la route, Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié, 10 Et qui disait: « A boire, à boire, par pitié! » Mon père ému tendit à son housard fidèle Une gourde de rhum qui pendait à sa selle, Francoska čitanka 3 Et dit: « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. » Tout à coup, au moment, où le housard baissé 15 Se penchait vers lui, Flion^me, une espèce de Maure, Saisit un pistolet qu'il étreignait encore, Et vise au front mon père, en criant; «Caramba! » Le coup passa si près que le chapeau tomba Et que le cheval fit un écart en arrière. 20 « Donne-lui tout de même à boire, » dit mon père. Alphonse Daudet 35. La mort du Dauphin Le petit Dauphin est malade, le petit Dauphin va mourir ... Dans toutes les églises du royaume, le Saint-Sacrement demeure exposé nuit et jour et de grands cierges brûlent pour la guérison de l'enfant royal. Les rues, de la vieille résidence sont tristes et silencieuses, les cloches ne sonnent plus, les voitures vont au pas . .. Tout le château est en émoi... Des chambellans, des majordomes, montent et descendent en courant les escaliers de marbre ... Les galeries sont pleines de pages et de courtisans en habits de soie qui vont d'un groupe à l'autre quêter des nouvelles à voix basse ... Dans l'Orangerie, il y a nombreuse assemblée de médecins en robe. On les voit, à travers les vitres, agiter leurs longues manches noires et incliner doctoralement leurs perruques ... Le gouverneur et l'écuyer du petit Dauphin se promènent devant la porte, attendant les décisions de la Faculté. Et le roi? Où est monseigneur le roi? ... Le roi s'est enfermé tout seul dans une chambre, au bout du château ... Les Majestés n'aiment pas qu'on les voie pleurer ... Pour la reine, c'est autre chose ... Assise au chevet du petit Dauphin, elle a son beau visage baigné de larmes, et sanglote bien haut devant tous. Dans sa couchette de dentelles, le petit Dauphin, plus blanc que les coussins sur lesquels il est étendu, repose, les yeux fermés. On croit qu'il dort; mais non. Le petit Dauphin ne dort pas ... Il se retourne vers sa mère, et, voyant qu'elle pleure, il lui dit: — Madame la reine, pourquoi pleurez-vous? Est-ce que vous croyez bonnement que je m'en vais mourir? La reine veut répondre. Les sanglots l'empêchent de parler. — Ne pleurez donc pas, madame la reine; vous oubliez que je suis le Dauphin, et que les Dauphins ne peuvent pas mourir ainsi... La reine sanglote encore plus fort, et le petit Dauphin commence à s'effrayer. — Holà, dit-il, je ne veux pas que la mort vienne me prendre, et je saurai bien l'empêcher d'arriver jusqu'ici... Qu'on fasse venir sur l'heure quarante lansquenets très forts pour monter la garde autour de notre lit!... Que cent gros canons veillent nuit et jour sous nos fenêtres! Et malheur à la mort, si elle ose s'approcher de nous! .. . Pour complaire à l'enfant royal, la reine fait un signe. Sur l'heure, on entend les gros canons qui roulent dans la cour; et quarante grands lansquenets, la pertuisane au poing, viennent se ranger autour de la chambre. Le petit Dauphin bat des mains en les voyant. Il en reconnaît un et l'appelle: — Lorrain! Lorrain! Le soudard fait un pas vers le lit: — Je t'aime bien, mon vieux Lorrain ... Fais voir un peu ton grand sabre ... Si la mort vient me prendre, il faudra la tuer, n'est-ce pas? Lorrain répond: — Oui, monseigneur .. . Et il a deux grosses larmes qui coulent sur ses joues tannées. A ce moment, l'aumônier s'approche du petit Dauphin et lui parle longtemps à voix basse en lui montrant un crucifix. Le petit Dauphin l'écoute d'un air fort étonné, puis tout à coup l'interrompant: — Je comprends bien ce que vous me dites, monsieur l'abbé; mais enfin est-ce que mon petit ami Beppo ne pourrait pas mourir à ma place, en lui donnant beaucoup d'argent? L'aumônier continue à lui parler à voix basse, et le petit Dauphin a l'air de plus en plus étonné. Quand l'aumônier a fini, le petit Dauphin reprend avec un gros soupir: — Tout ce que vous me dites là est bien triste, monsieur l'abbé; mais une chose me console, c'est que là-haut, dans le paradis, je vais être encore le Dauphin... Je sais que le bon Dieu est mon cousin et ne peut pas manquer de me traiter selon mon rang. Puis il ajoute, en se tournant vers sa mère: — Qu'on m'apporte mes plus beaux habits, mon pourpoint d'hermine blanche et mes escarpins de velours! Je veux me faire brave pour les anges et entrer au paradis en costume de Dauphin. Une troisième fois, l'aumônier se penche vers le petit Dauphin et lui parle longuement à voix basse... Au milieu de son discours, l'enfant royal l'interrompt avec colère: — Mais alors, crie-t-il, d'être Dauphin, ce n'est rien du tout! Et, sans vouloir plus rien entendre, le petit Dauphin se tourne vers la muraille, et il pleure amèrement. Jeanne d'Uhart de Roques 36. Louis XVI et les pommes de terre de Parmentier Antoine-Augustin Parmentier, pharmacien en chef des Invalides, propageait la culture des pommes de terre en France. Pourtant, il trouva chez ses compatriotes bien des préjugés contre la pomme de terre. Quand il osait vanter la succulence de ce légume, utilisé comme comestible, on lui riait au nez. Cependant, la mauvaise volonté de ses compatriotes ne le découragea pas. Il écrivit même deux brochures sur ce sujet: Examen chimique de la pomme de terre (1773). —- Traité sur la culture et les usages de la pomme de terre (1789). Avec une ténacité qui devait obtenir sa récompense, Parmentier ne cessait de solliciter une audience du roi ou d'un de ses ministres; mais le grand âge de Louis XV l'éloignait de toute nouveauté, et, tant que ce monarque vécut, il ne put obtenir satisfaction. Ce fut quelque temps après l'avènement de Louis XVI que le ministre Turgot, toujours occupé du bien public, et spécialement de l'agriculture, reçut le novateur. Parmentier exposa si bien au ministre les avantages de la culture de la pomme de terre, que Turgot, vivement intéressé, lui promit de le présenter au roi. Cette présentation eut lieu à quelque temps de là, et Parmentier obtint même de Louis XVI la cession de cinquante arpents de terre inculte, dans la plaine des Sablons, près de Paris. Muni d'une semence sélectionnée, qu'il était allé chercher en Allemagne, l'agronome-pharmacien la mit en terre dans ce terrain propice, où la première récolte fut un éclatant succès. Mais trop de préventions existaient contre ce légume mal connu. Ce fut, dans toute la France, un concert de moqueries sans fin. Les gazettes mentionnaient ironiquement les expériences tentées par ce nouveau bienfaiteur de l hu-manité souffrante, qui sert à la même table les hommes et les pourceaux. — Mais le jeune homme ne semblait rien voir, ni rien entendre. Ne pouvant écouler sur les marchés sa récolte, il courait les hôpitaux et les taudis, distribuant avec prodigalité aux miséreux les sacs de pomme de terre. Faible et sans volonté, le roi, après le renvoi de Turgot, avait vu succéder plusieurs ministres, sans parvenir à améliorer une situation inextricable. La famine sonnait sa lugubre fanfare, et, dans les villes, il n'était pas rare d'apercevoir des malheureux disputant aux chiens errants les détritus jetés aux ordures. C'est alors que Louis XVI songea à celui que son ex-ministre Turgot lui avait recommandé. Un jour, il vint, avec la reine et une suite brillante, faire visite à l'établissement des Sablons. Parmentier exprima au roi toute sa reconnaissance pour sa visite. Ensuite il lui dit: — Ma plus grande fierté sera d'avoir offert aux yeux de mes souverains le premier plant fleuri de pommes de terre. Mon vœu le plus cher serait de contribuer par cette nouvelle culture à la prospérité de mon pays. — Ce vœu se réalisera, monsieur Parmentier, fit le roi, et je veux que demain ce légume soit servi à ma table. — Ainsi sera-t-il fait!... ajouta Marie-Antoinette. En attendant, je veux que cette plante si décriée occupe une place de choix dans nos parures. » Et la jeune souveraine, fixant une fleur de pomme de terre au revers de l'habit de son royal époux, en épingle un bouquet à sa ceinture. Devant cet exemple parti de si haut, tous les courtisans s'empressèrent d'imiter leurs souverains, si bien que durant plusieurs jours il fut de bon ton, à la cour et à la ville, d'orner ses vêtements de fleurs de pomme de terre. Louis XVI tint parole. La pomme de terre, appelée « par-mentière » en l'honneur de son propagateur, introduite à la table royale, y remporta tout le succès qu'elle méritait, et bientôt, fut vantée par les plus fins gourmets. H. Taine 37. Prise de la Bastille A la Bastille, de dix heures du matin à cinq heures du soir, ils fusillent des murs hauts de quarante pieds, épais de trente, et c'est par hasard qu'un de leurs coups atteint un invalide. On les ménage comme des enfants: à la première demande, le gouverneur fait retirer ses canons des embrasures; il invite à déjeuner la première députation; il subit plusieurs décharges sans riposter. S'il tire enfin, c'est à la dernière extrémité et après avoir prévenu les assaillants qu'on va faire feu. — Pour eux, ils sont affolés par la sensation nouvelle de l'attaque et de la résistance, par l'odeur de la poudre. « La Bastille n'a pas été prise de vive force, disait le brave Élie, l'un des combattants; elle s'est rendue avant même d'avoir été attaquée », par capitulation, sur la promesse qu'il ne serait fait mal à personne. La garnison était troublée par la vue de la foule immense. Huit ou neuf cents hommes seulement attaquaient, la plupart ouvriers ou boutiquiers du faubourg, tailleurs, merciers, marchands de vin. mêlés à des gardes françaises. Mais la place de la Bastille et toutes les rues environnantes étaient combles de curieux qui venaient voir le spectacle. Du haut de leurs parapets, il semblait aux cent vingt hommes de la garnison que Paris tout entier débordait contre eux. — Aussi bien ce sont eux qui baissent le pont-levis, qui introduisent l'ennemi; tout le monde a perdu la tête, les assiégés comme les assiégeants. A peine entrés, ils commencent par tout briser, et les derniers venus fusillent les premiers, au hasard. La toute-puissance subite et la licence de tuer sont un vin trop fort pour la nature humaine; le vertige vient, l'homme voit rouge, et son délire s'achève par la férocité. Pendant les longues heures de la fusillade, l'instinct meurtrier s'est éveillé; et la volonté de tuer, changée en idée fixe, s'est répandue au loin dans la foule qui n'a pas agi. Différents auteurs 38. Le 14 Juillet Depuis 1880, la fête nationale en France est le 14 Juillet: c'est l'anniversaire de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, qui fut le commencement de la Révolution Française. C'est le canon qui annonce le commencement de la journée de fête. Dès le point du jour, les salves d'artillerie retentissent. Les édifices publics, les maisons privées sont pavoisées; à toutes les fenêtres flottent des drapeaux. Les villes qui ont une garnison s'offrent, dans la matinée, le spectacle d'une revue. A Paris, elle est splendide. Les Parisiens, pour y assister, se sont levés avant l'aube. On entend les tambours et les clairons des soldats qui se rendent à la revue. Les rues sont envahies par les files interminables de véhicules et de piétons qui se hâtent pour arriver à temps à I hippodrome de Longchamps où la revue a lieu à huit heures du matin. Enfin, on arrive. Dans les tribunes, c'est l'écrasement. Des tambours et des clairons retentissent, le canon sonne, la Marseillaise éclate, c'est l'arrivée du Président de la République. Le défilé commence. Aux sons des musiques militaires, tandis que les avions volent dans le ciel et que les ballons dirigeables passent au-dessus des tribunes, les troupes défilent fièrement devant le Président de la République, les Présidents des deux Chambres, les Ministres, les Ambassadeurs et des milliers de Parisiens. On voit, en grand uniforme, les maréchaux et les généraux célèbres. La foule applaudit, les acclame. Vive l'armée! Vive la France! L'après-midi, il y a des concerts et des jeux populaires dans tous les quartiers. Le soir, la ville est illuminée. Jeunes et vieux dansent en plein air, sur chaque place, à chaque coin de rue. Ernest Laoisse 39. La Marseillaise Marseille était alors une des villes les plus ardemment révolutionnaires du royaume. Le 22 juin y avait été donné un banquet, où fut chanté par un jacobin « le chant de guerre pour l'armée du Rhin », que Rouget de Lisle avait composé à Strasbourg. C'est là que fut décidé le départ d'un bataillon pour Paris. Ce bataillon avait 516 hommes, dont 500 pris dans les gardes nationales de Marseille et des villes voisines, et 16 dans celle de Toulon; il était commandé par François Moisson et Pierre Gaunier, officiers de la garde nationale. Les Marseillais entrèrent à Paris le 30 juillet, vers midi par « le faubourg de gloire » ; ils débouchèrent sur la place de la Bastille, tambours battants, drapeau tricolore déployé, à une allure martiale, chantant l'hymne, encore inconnue à Paris, de l'armée du Rhin. Dans ce faubourg révolutionnaire, le cri: «Aux armes, citoyens! Formez vos bataillons», l'invocation glorieuse : « Amour sacré de la Patrie, conduis, soutiens nos bras vengeurs » ; ces appels à la vengeance, au combat contre « cette horde d'esclaves, de traîtres, de rois conjurés », tout fit vibrer violemment les âmes. Des larmes coulaient de tous les yeux ; l'air retentissait de cris de : « Vive la Nation ! Vive la liberté! » Les Marseillais furent conduits, au milieu de l'allégresse générale, à leur caserne. Rouget de Lisle 40. La Marseillaise Allons, enfants de la Patrie, Le jour de gloire est arrivé! Contre nous de la tyrannie L'étendard sanglant est levé! (bis) 5 Entendez-vous dans les campagnes Mugir ces féroces soldats? Ils viennent jusque dans vos bras Égorger vos fils, vos compagnes! Refrain Aux armes, citoyens! Formez vos bataillons! 10 Marchons! (bis) Qu'un sang impur abreuve nos sillons! Nous entrerons dans la carrière Quand nos aînés n'y seront plus. Nous y trouverons leur poussière Et l'exemple de leurs vertus, (bis) 15 Bien moins jaloux de leur survivre Que de partager leur cercueil, Nous aurons le sublime orgueil De les venger ou de les suivre. Paul Louis Courier 41. Les paysans après la Révolution Si La Bruyère pouvait revenir et se trouver à nos assemblées, il y verrait non seulement des faces humaines, mais des visages de femmes et de filles plus belles, surtout plus modestes que celles de sa cour tant vantée, mises de meilleur goût sans contredit, parées avec plus de grâce, de décence; dansant mieux, parlant la même langue, mais d'une voix si joliment, si doucement articulée, qu'il en serait content, je crois. Il les verrait le soir se retirer, non dans des tanières, mais dans leurs maisons proprement bâties et meublées. Cherchant alors ces animaux dont il a fait la description, il ne les trouverait nulle part, et sans doute bénirait la cause, quelle qu'elle soit, d'un si grand, si heureux changement. Lamartine 42. Le dépôt gardé Nous étions alors en guerre avec les Russes, et notre armée, qui comptait plus d'un demi-million d'hommes, avait envahi les vastes plaines de la Russie. Au moment, où nos soldats étaient ainsi bien loin de la Patrie, l'hiver survint, un des plus froids, des plus terribles hivers dont les hommes aient gardé la mémoire. On se hâta de revenir sur ses pas. Mais bientôt la neige se mit à tomber sans interruption; les chemins en étaient couverts, et le froid était si pénétrant qu'il gelait les membres de nos soldats et tuait leurs chevaux. En quelques jours, trente mille chevaux périrent. Alors il fallut abandonner dans la neige, au pouvoir de l'ennemi qui nous poursuivait, les chariots chargés de vivres et de munitions de toute sorte. Parmi ces innombrables chariots, il en était un sans doute plus précieux que les autres; car on le fit successivement atteler de plusieurs chevaux; mais tous les chevaux, les uns après les autres, succombèrent au froid. Quand le dernier d'entre eux se fut affaissé dans la neige, le colonel du régiment, Pelleport, appela tous ses hommes. « Soldats, dit-il, ce fourgon contient de l'or; la garde de cet or nous a été confiée par la Patrie; nous devons le ramener intact. Il n'y a plus de chevaux, pour traîner ce fourgon; que chaque homme dans notre régiment prenne sur lui une partie de ce trésor. Vous êtes tous des hommes d'honneur, et j'ai confiance en vous. » Tous les soldats, la main levée, jurèrent de garder jusqu'à la mort l'or qu'on allait leur remettre. Alors le colonel ouvrit le fourgon, dans lequel on vit reluire, à l'éclat de la neige, les pièces d'or amoncelées; il y en avait six mille, qu'il versa par poignées et au hasard dans la main de tous ses hommes. Après bien des périls, après de nobles efforts de courage, l'armée française arriva enfin en pays ami. Nos soldats qui étaient un demi-million en partant n'étaient plus que quatre-vingt mille au retour. Le régiment du colonel Pelleport avait perdu plus d'hommes encore que les autres. A mesure qu'on avait avancé dans la route, ceux qui s'étaient sentis mourir avaient appelé leurs camarades et leur avaient remis la part de pièces d'or dont ils avaient la garde. Le trésor allait ainsi grossissant de plus en plus entre les mains de ceux qui survivaient. Chacun d'eux fatiguait sous le poids de cet or: chacun de ces hommes avait une fortune sur lui, et cependant, chacun manquait de pain, de vêtements, de chaussures. Au retour, le colonel compta les hommes qui l'entouraient et qui étaient maintenant si peu. Des trois mille soldats qui avaient composé le régiment au début de la guerre, il n'en restait plus que soixante: mais des six mille pièces d'or, il n'en manquait pas une. Victor Hugo 43. La retraite de la Grande Armée Il neigeait. On était vaincu par sa conquête. Pour la première fois l'aigle baissait la tête. Sombres jours! l'empereur revenait lentement Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. 5 II neigeait. L'âpre hiver fondait en avalanche. Après la plaine blanche, une autre plaine blanche. On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau. Hier la grande armée, et maintenant troupeau. On ne distinguait plus les ailes ni le centre. 10 II neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre ' Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés, On voyait des clairons à leur poste gelés, Restés debout, en selle et muets, blancs de givre, Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. Erckmann-Chatrian 44. Le retour de Louis XVIII Je n'ai jamais rien vu d'aussi joyeux que le retour de Louis XVIII, en 1814. On avait eu tant de misères depuis des années, on avait craint tant de fois d'être pris par la conscription et de ne plus revenir, on était si las de toutes ces batailles, de toute cette gloire, de tous ces Te Deum, qu'on ne pensait plus qu'à vivre en paix. Mais si peu de temps après, nous devions jouir d'un nouveau spectacle, nous devions voir revenir les émigrés du fond de l'Allemagne et de la Russie. Comme ils s'arrêtaient à l'hôtel du Bœuf-Rouge, on les voyait dans les chambres en train de se peigner, de s'habiller, de se faire la barbe eux-mêmes. Sur le midi, tous descendaient, criant, appelant: « Jean! Claude! Germain! » avec impatience, ordonnant comme des personnages, et s'asseyant autour des grandes tables, leurs vieux domestiques tout râpés debout derrière eux, la serviette sur le bras. Et ces gens, avec leurs habits de l'ancien régime, leur air joyeux et leurs belles manières, faisaient tout de même bonne figure; on disait: « Voilà des Français qui reviennent de loin; ils ont eu tort de partir et d'exciter l'Europe contre nous; mais à tout péché misericorde; qu'ils soient heureux, qu'ils se portent bien, c'est tout mal qu'on leur souhaite. » Mais le bruit s'étant répandu que ces gens ne se gênaient pas de dire entre eux «qu'ils nous avaient enfin vaincus; qu'ils étaient nos maîtres: que le roi Louis XVIII avait toujours régné depuis Louis XVII, le fils de Louis XVI; que nous étions des rebelles, et qu'ils venaient nous remettre en ordre ! » Le père Goulden me dit d'un air de mauvaise humeur : « Cela va mal, Joseph! Sais-tu ce que ces gens vont faire à Paris? Ils vont redemander leurs étangs, leurs forêts, leurs parcs, leurs châteaux, leurs pensions. Tu trouves leurs robes et leurs perruques bien vieilles, eh bien, leurs idées sont encore plus vieilles! Ces gens-là sont encore plus dangereux pour nous que les Russes et les Autrichiens, car les Russes et les Autrichiens vont partir et ceux-ci resteront. Ils voudront détruire ce que nous avons fait depuis vingt-cinq ans. Ce sera la guerre contre la nation. Le peuple a réfléchi depuis vingt-cinq ans, il connaît ses droits, il sait qu'un homme en vaut un autre; chacun veut garder son champ, chacun veut avoir l'égalité des droits, chacun se défendre jusqu'à la mort. » Béranger 45. Le Marquis de Carabas Voyez ce vieux marquis Nous traiter en peuple conquis: Son coursier décharné De loin chez nous l'a ramené. 5 Vers son vieux castel Ce noble mortel Marche en brandissant Un sabre innocent. Chapeau bas! Chapeau bas! 10 Gloire au marquis de Carabas. Aumôniers, châtelains, Vassaux, vavassaux et vilains, C'est moi, dit-il, c'est moi Qui seul ai rétabli mon roi. 15 Mais s'il ne me rend Les droits de mon rang, Avec moi, corbleu! Il verra beau jeu. Chapeau bas! Chapeau bas! 20 Gloire au marquis de Carabas. Erckmann-Chatrian 46. Le retour de Napoléon Au commencement du mois de mars, le bruit se répandit comme un coup de vent que l'Empereur venait de débarquer à Cannes. D'où venait ce bruit? Personne n'a jamais pu dire. Moi-même je me rappelle une chose extraordinaire. Le 5 mars, en me levant, j'avais poussé la fenêtre de notre petite chambre. Le froid était vif, pourtant le soleil donnait. Et je ne sais comment, tout à coup l'idée de l'Empereur me vint, je le vis avec sa capote grise, le dos rond, la tête enfoncée dans son chapeau, qui marchait, la vieille garde derrière lui. Catherine balayait notre petite chambre. C'était comme un rêve. Pendant que j'étais là, j'entendis quelqu'un monter l'escalier. Aussitôt je reconnus M. Goulden, ce qui me surprit, car il ne venait pour ainsi dire jamais chez nous. Il ouvrit la porte et nous dit bas: « Mes enfants, l'Empereur a débarqué le 1er mars à Cannes, près de Toulon; il marche sur Paris. » Il n'en dit pas plus et s'assit pour respirer. On pense comme nous nous regardions l'un l'autre; seulement au bout d'un instant Catherine demanda: « C'est dans le journal, monsieur Goulden? » — Non, dit-il, on ne sait encore rien là-bas. Mais, au nom du ciel, pas un mot de tout cela, nous serions arrêtés! Ce matin, Zébédé, qui montait la garde, est venu me prévenir. Il m'a raconté la chose comme tout à fait sûre, le régiment reste consigné à la caserne jusqu'à nouvel ordre. Il paraît qu'on a peur des soldats; mais alors comment arrêter Bonaparte? Ce ne sont pas non plus les paysans, auxquels on veut ôter les biens, qu'on peut envoyer contre lui, ni les bourgeois, qu'on traite de jacobins. Voilà maintenant une bonne occasion poulies émigrés de se montrer. Ce jour-là tout resta tranquille, et le lendemain aussi. Le troisième jour seulement, on apprit par des voyageurs de commerce, que le Haut-Rhin et le Jura étaient en l'air; que des régiments de cavalerie et d'infanterie se suivaient à la file du côté de Besançon: que des niasses de forces se portaient à la rencontre de l'usurpateur, etc. J'ai vu depuis d'autres révolutions, mais jamais une agitation pareille, surtout le 8 mars, entre quatre et cinq heures du soir, quand l'ordre arriva de faire partir sans retard le 1er et le 2e bataillons armés en guerre. Depuis ce moment la confusion était partout. On ne travaillait plus; les percepteurs, les contrôleurs, les droits réunis, le maire, les adjoints, etc., se faisaient des cheveux gris et ne savaient plus sur quel pied danser. Personne n'osait se déclarer pour Bonaparte ni pour Louis XVIII, excepté les couvreurs, les maçons, les charpentiers qu'on ne pouvait pas destituer. Ceux-là ne se gênaient pas pour crier: A bas les émigrés! — Ils riaient même de la débâcle, qui grandissait à vue d'œil. Un jour le journal disait: « L'usurpateur est à Grenoble, —le lendemain, — il est à Lyon, le lendemain, il est à Mâcon, — le lendemain, — à Auxerre; » ainsi de suite. Jules Claretie 4?. Deux braves à Waterloo La garde se forme en carrés; la vieille garde essaye d'opposer une résistance invincible aux soldats de Blticher et à ces Anglais de Wellington qui descendent maintenant, en poussant leurs hourras, du plateau où on les massacrait le matin. Impassibles, baïonnette croisée, cloués au sol, les grenadiers de la vieille garde attendent de pied ferme l'attaque suprême de l'ennemi; leurs carrés, citadelles humaines, s'écrasent sous les balles, se dispersent en laissant des monceaux de cadavres pour marquer la place où ils ont combattu. Cinq sont détruits, trois résistent encore! Les carrés que commandent les généraux Petit et Poret de Morvan, attaqués à leur tour, tiennent fièrement sous les boulets et les balles. Autour d'eux s'entassent des morts anglais et des cadavres prussiens. Et là, parmi ces héros, combattaient les capitaines Fougerel et Malapeyre, placés au centre, sabre à la main, autour du porte-drapeau. Lne balle tout à coup vint frapper au front l'officier, un nommé Crosnier, qui tenait le drapeau tricolore. Un filet de sang coula du front troué de ce brave. Blessé à mort, il se tenait debout, encore cramponné à la hampe du drapeau. Puis, brusquement, ses doigts se détendirent, et il tomba de toute sa hauteur, la face dans la boue sanglante. « Fougerel, s'écria Malapeyre, Fougerel, à toi le drapeau! » Fougerel saisit l'étendard échappé de la main du mourant et le brandit avec une colère superbe. Une balle vint fracasser l'aigle d'or et l'emporta, et le capitaine sentit vibrer clans sa main le drapeau, qui semblait frisonner comme un être blessé. En ce moment, les Prussiens, avançant lentement, mais sûrement, poussaient leurs masses sombres sur le carré, qui pliait. Déjà quelques soldats effarés se détachaient du groupe héroïque et se mêlaient à la cohue hurlante qui fuyait par la chaussée de Genappe. Alors il sembla à Fougerel qu'il entendait un grand cri, à la fois suppliant et impératif, un cri poussé par Malapeyre, et qui lui ordonnait de sauver le drapeau. Ces deux hommes se regardèrent instinctivement dans la fumée sombre. Ce ne fut qu'un éclair. Ils se comprirent. La patrie était perdue. « Ils sont trop! ils sont trop! » disait Malapeyre. Tout à l'heure les Prussiens allaient arracher aux soldats mourants le drapeau des grenadiers de la garde. Il fallait le leur dérober, le leur ravir; il fallait le détruire. Fougerel fit glisser à terre la hampe qu'il tenait dressée, et la brisant sur un canon, tandis qu'ils arrachaient l'étoffe de soie: «Enterre-le, » dit-il à son ami. Il y avait à leurs pieds, parmi les cadavres, un écouvillon cassé; Malapeyre s'en servit pour faire un trou assez profond dans la terre boueuse, et, quand il eut fini, recouvrant le drapeau, les lambeaux de soie, d'une couche de terre rouge de sang, il trépigna sur cette sorte de tombe ; puis, quand il releva la tête vers Fougerel, il entendit le capitaine qui lui disait avec un geste fier: « Maintenant, vive la France! On peut mourir! » Et tous deux, sous la mitraille épouvantable, parmi les cris de triomphe insultants des vainqueurs, au milieu des plaintes sinistres des vaincus, ces hommes froids, souriants, heureux d'avoir sauvé le drapeau, jetaient comme une arme impuissante la hampe brisée à la face des Prussiens. Victor Hugo 48. Waterloo WATERLOO! Waterloo! Waterloo! morne plaine! Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine, Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons, La pâle mort mêlait les sombres bataillons. 5 D'un côté c'est l'Europe et de l'autre la France. Choc sanglant! des héros Dieu trompait l'espérance; Tu désertais, victoire, et le sort était las. O Waterloo! je pleure et je m'arrête, hélas! Car ces derniers soldats de la dernière guerre 10 Furent grands, ils avaient vaincu toute la terre, Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin, Et leur âme chantait dans les clairons d'airain! Sauve qui peut! affront! horreur! toutes les bouches Criaient: à travers champs, fous, éperdus, farouches, 15 Comme si quelque souffle avait passé sur eux, Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux, Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles, Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles, Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil! 20 Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient. — En un clin d'œil, Comme s'envole au vent une paille enflammée, S'évanouit ce bruit qui fut la grande armée. Et cette plaine, hélas, où l'on rêve aujourd'hui, Vit fuir ceux devant qui l'univers avait fui! 25 Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre, Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire, Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants, Tremble encor d'avoir vu la fuite des géants! Victor Hugo 49. Les deux Iles Il est deux îles dont un monde Sépare les deux Océans, Et qui de loin dominent l'onde Comme des têtes de géants. 5 On devine, en voyant leurs cimes, Que Dieu les tira des abîmes Pour un formidable dessein; Leur front de coups de foudre fume, Sur leurs flancs nus la mer écume, 10 Des volcans grondent dans leur sein. Ces îles, où le flot se broie Entre des écueils décharnés, Sont comme deux vaisseaux de proie, D'une ancre éternelle enchaînés. 15 La main qui de ces noirs rivages Disposa les sites sauvages, Et d'effroi les voulut couvrir, Les fit si terribles peut-être, Pour que Bonaparte y pût naître, 20 Et Napoléon y mourir. Chateaubriand 50. La marine française part pour conquérir Alger C'est le 5 mai 1830, à Toulon, que le duc d'Angoulême passa la revue de la flotte prête à mettre à la voile. Notre marine, ressuscitée au combat de Navarin, sortit de ses ports de France, naguère si abandonnés. Le spectacle que présentait la rade était magnifique. La rade était couverte de navires qui saluaient la terre en s'éloignant. Les bateaux à vapeurs, nouvelle découverte du génie de l'homme, allaient et venaient portant des ordres d'une division à l'autre. Le Dauphin se tenait sur le rivage, où toutes les populations de la ville et des montagnes étaient descendues. Les navires de guerre et les bâtiments de transport, entre lesquels circulaient des milliers de barques, occupaient le centre du tableau dont Francoska čitanka le cadre était formé par les collines que couvrait une innombrable population. Tous les navires étaient pavoisés; les équipages, montés dans les vergues et dans les hunes, faisaient retentir l'air des cris de: Vive le Roi! C'était une grande joie pour les spectateurs français assemblés de saluer les généreux vaisseaux prêts à rompre la chaîne des esclaves. Alger allait devenir notre fille et notre conquête. Ces vaisseaux, qui apportaient la liberté aux mers de la Numidie, emportaient la légitimité; cette flotte sous pavillon blanc, c'était la monarchie qui appareillait, s'éloignant des ports où s'embarqua saint Louis, lorsque la mort l'appelait à Carthage. Esclaves délivrés des bagnes d'Alger, ceux qui vous ont rendus à votre pays ont perdu leur patrie; ceux qui vous ont arrachés à l'exil éternel sont exilés. Le maître de cette vaste flotte a traversé la mer sur une barque en fugitif. Guy de Maupassant 51. Un républicain enragé Paris venait d'apprendre le désastre de Sedan. La République était proclamée. La France entière haletait au début de cette démence qui dura jusqu'après la Commune. On jouait au soldat d'un bout à l'autre du pays. Des bonnetiers étaient colonels faisant fonctions des généraux; des revolvers et des poignards s'étalaient autour des gros ventres pacifiques; de petits bourgeois devenus guerriers d'occasion commandaient des bataillons de volontaires braillards et juraient comme des charretiers pour se donner de la prestance. Le seul fait de tenir les armes affolait ces gens qui n'avaient jusqu'ici manié que des balances. Chacun se croyait appelé à jouer un grand rôle militaire. Le bourg de Canneville ignorait encore les affolantes nouvelles de l'armée et de la capitale; mais une extrême agitation les remuait depuis un mois, les partis adverses se trouvant face à face. Le maire, M. le vicomte de Yarnetot, petit homme maigre, vieux déjà, légitimiste rallié à l'Empire depuis peu, par ambition, avait vu surgir un adversaire déterminé dans le docteur Massarel, chef du parti républicain dans l'arrondissement. En quinze jours, il avait trouvé le moyen de décider à la défense du pays soixante-trois volontaires mariés et pères de famille, paysans prudents et marchands du bourg, et il les exerçait, chaque matin, sur la place de la mairie. Le 5 septembre au matin, le docteur en uniforme, son revolver sur sa table, donnait une consultation à un couple de vieux campagnards, dont l'un, le mari, atteint de varices depuis sept ans, avait attendu que sa femme en eût aussi pour venir trouver le médecin, quand le facteur apporta le journal. M. Massarel l'ouvrit, se dressa brusquement, et, levant les bras au ciel dans un geste d'exaltation, il se mit à vociférer de toute sa voix devant les deux ruraux affolés: — Vive la République! vive la République! vive la République ! Puis il retomba sur son fauteuil, défaillant d'émotion. Et comme le paysan reprenait: « Ça a commencé par des fourmis qui me couraient censément dans les jambes, » le docteur Massarel s'écria: — Fichez-moi la paix ! J'ai bien le temps de m'occuper de vos bêtises. La République est proclamée, l'Empereur est prisonnier, la France est sauvée. Vive la République! Et courant à la porte, il beugla: Céleste, vite, Céleste! La bonne épouvantée accourut; il bredouillait, tant il parlait rapidement: — Mes bottes, mon sabre, ma cartouchière et le poignard espagnol qui est sur ma table de nuit: dépêche-toi! Comme le paysan obstiné, profitant d'un instant de silence, continuait: — Ça a devenu comme des poches qui me faisaient mal en marchant. Le médecin exaspéré hurla: — Fichez-moi donc la paix, nom d'un chien! Si vous vous étiez lavé les pieds, ça ne serait pas arrivé. Puis, le saisissant au collet, il lui jeta dans la figure : — Tu ne sens donc pas que nous sommes en république, triple brute? Mais le sentiment professionnel le calma tout aussitôt, et il poussa dehors le ménage abasourdi, en répétant: — Revenez demain, revenez demain, mes amis. Je n'ai pas le temps aujourd'hui. Alphonse Daudet 52. Les paysans à Paris A Champrosay, ces gens-là étaient très heureux. J'avais leur basse-cour juste sous mes fenêtres. Bien avant le jour, j'entendais l'homme entrer dans l'écurie, atteler sa charrette et partir pour Corbeil, où il allait vendre ses légumes, puis la femme se levait, habillait les enfants, appelait les poules, trayait la vache, et toute la matinée c'était une dégringolade de gros et de petits sabots dans l'escalier de bois . .. L'après-midi tout se taisait. Le père était aux champs, les enfants à l'école, la mère occupée dans la cour à étendre du linge ou à coudre devant sa porte en surveillant le tout petit... Une fois, c'était vers la fin du mois d'août, j'entendis la femme qui disait à une voisine: « Allons donc, les Prussiens ! ... Est-ce qu'ils sont en France, seulement? — Ils sont à Châlons, mère Jean! ...» lui criai-je par ma fenêtre. Cela la fit rire beaucoup ... Dans ce petit coin de Seine-et-Oise, les paysans ne croyaient pas à l'invasion. Tous les jours, cependant, on voyait passer des voitures chargées de bagages ... Peu à peu mes voisines commencèrent à s'alarmer. Chaque nouveau départ dans le pays les rendait tristes ... Puis un matin, roulement de tambour aux quatre coins du village! Ordre de la mairie. Il fallait aller à Paris vendre la vache, les fourrages, ne rien laisser pour les Prussiens . .. L'homme partit pour Paris, et ce fut un triste voyage. Sur le pavé de la grand'route, de lourdes voitures de déménagement se suivaient à la file, pêle-mêle avec des troupeaux de porcs et de moutons qui s'effaraient entre les roues, des bœufs qui mugissaient; sur le bord, au long des fossés, de pauvres gens s'en allaient à pied derrière de petites voitures à bras pleines de meubles de l'ancien temps. Aux portes de Paris, on s'étouffait. Il fallut attendre deux heures ... Pendant ce temps, le pauvre homme, pressé contre sa vache, regardait avec effarement les embrasures des canons, les fossés remplis d'eau, les fortifications qui montaient à vue d'œil... Le soir, il s'en revint consterné, et raconta à sa femme tout ce qu'il avait vu. La femme eut peur, voulut s'en aller dès le lendemain. Mais d'un lendemain à l'autre, le départ se trouvait toujours retardé ... C'était une récolte à faire, une pièce de terre qu'on voulait encore labourer ... Qui sait si on n'aurait pas le temps de rentrer le vin? Une nuit, ils sont réveillés par une détonation formidable. Le pont de Corbeil venait de sauter. Dans le pays, des hommes allaient, frappant de porte en porte: « Les uhlans! les uhlans! sauvez-vous. » Vite, vite, on s'est levé, on a attelé la charrette, habillé les enfants à moitié endormis, et l'on s'est sauvé par la traverse avec quelques voisins. Comme ils achevaient de monter la côte, le clocher a sonné trois heures. Ils se sont retournés une dernière fois. L'abreuvoir, la place de l'Église, leurs chemins habituels, celui qui descend vers la Seine, celui qui file entre les vignes, tout leur semblait déjà étranger, et dans le brouillard blanc du matin le petit village abandonné serrait ses maisons l'une contre l'autre, comme frissonnant d'une attente terrible. Ils sont à Paris maintenant. Deux chambres au quatrième dans une rue triste ... L'homme, lui, n'est pas trop malheureux. On lui a trouvé de l'ouvrage; puis il est de la garde nationale, il a le rempart, l'exercice. La femme se désole, s'ennuie, ne sait que devenir. Elle a mis ses deux aînées à l'école, et dans l'externat sombre, sans jardin, les fillettes étouffent en se rappelant leur joli couvent de campagne et la demi-lieue à travers bois qu'il fallait faire tous les matins pour aller le chercher. La mère souffre de les voir tristes, mais c'est le petit surtout qui l'inquiète. Là-bas, il allait, venait, la suivait partout, dans la cour, dans la maison, sautant la marche du seuil, trempant ses petites mains ro'ugies dans le baquet à lessive, s'asseyant près de la porte quand elle tricotait. Ici quatre étages à monter, l'escalier noir, les fenêtres hautes, l'horizon de fumée grise et d'ardoises mouillées ... Il y a bien une cour où il pourrait jouer: mais la concierge ne veut pas. Là-bas, au village, on est maître chez soi. Tout le jour le logis reste ouvert, le soir, on pousse un gros loquet de bois, et la maison entière plonge sans peur dans cette nuit noire de la campagne où l'on trouve de si bons sommes. De temps en temps le chien aboie à la lune, mais personne ne se dérange ... A Paris, dans les maisons pauvres, c'est la concierge qui est la vraie propriétaire. Le petit n'ose pas descendre seul, tant il a peur de cette méchante femme. Pour distraire l'enfant qui s'ennuie, la pauvre mère ne sait plus qu'inventer; sitôt le repas fini, elle le promène par la main dans les rues, le long des boulevards. L'enfant regarde à peine autour de lui. Il n'y a que les chevaux qui l'intéressent; c'est la seule chose qu'il reconnaisse et qui le fasse rire. La mère non plus ne prend plaisir à rien. Elle s'en va lentement, songeant à son bien, à sa maison, et quand on les voit passer tous les deux, on devine bien qu'ils sont dépaysés, en exil, et qu'ils regrettent de tout leur cœur l'air vif et la solitude des routes de village. Auguste Brizeux Pays Oh! ne quittez jamais, c'est moi qui vous le dis, Le devant de la porte où l'on jouait jadis, L'église où tout enfant et d'une voix légère, Vous chantiez à la messe auprès de votre mère, 5 Et la petite école, où traînant chaque pas Vous alliez le matin, 0I1! ne la quittez pas. Car, une fois perdu parmi ces capitales, Ces immenses Paris aux tourmentes fatales, Repos, franche gaieté, tout s'y vient engloutir, 10 Et vous le maudissez sans en pouvoir sentir. Adamovic d'après le Temps 54. Un père héroïque Le 22 août 1914, au moment où les Allemands se ruaient avec tant de violence sur nos frontières du Nord et de l'Est, le général de Castelnau dictait ses ordres. Un officer se présenta devant lui: « Qu'y a-t-il, » demande le général en se retournant. «Mon général! répond l'officier d'une voix qui tremble an peu, votre fils Xavier vient d'être tué d'une balle au front, en donnant l'assaut à l'ennemi. » Le général resta silencieux une seconde, puis il passa lentement la main sur son front et s'adressant à ses officiers: « Messieurs, continuons. » Quinze jours plus tard, le 8 septembre le lieutenant Gé-rald de Castelnau, fils aîné du général, était grièvement blessé sur le champ de bataille. Le blessé fut transporté auprès de son père, au quartier général. On s'empressa de lui prodiguer des soins, mais la blessure était extrêmement gra ve, un éclat d'obus lui avait arraché l'épaule. Bientôt, le lieutenant rendait le dernier soupir. Le général de Castelnau se pencha alors sur le corps de son enfant, l'embrassa, et, au milieu d'un silence solennel et douloureux, il dit: « Va, mon fils. Tu as la plus belle mort qu'un soldat puisse souhaiter. Je jure que nos armées te vengeront et vengeront en même temps toutes les familles françaises. » Et, ayant recouvert d'un mouchoir le visage de son fils, il fit longuement le salut militaire et se retira. Les officiers, témoins de cette scène d'une si touchante simplicité, n'avaient pu retenir leurs larmes, mais devant la magnifique fermeté d'âme de leur général, ils les essuyèrent. Et tous, ils suivirent leur chef pour continuer la tâche commencée. Henri de Régnier ^ Salllt Salut, ô premiers morts de nos premiers combats, O vous tombés au seuil de la grande espérance Dont palpite le cœur ébloui de la France, Héros, je vous salue et ne vous pleure pas! 5 La gloire vous a pris, pieuse, dans ses bras, Et d'un baiser d'amour sacre votre vaillance, Et la Victoire, avant que son vol ne s'élance, Posera ses pieds nus où marchèrent vos pas. Lorsque le Coq gaulois, de son bec héroïque, 10 Aura crevé les yeux de l'Aigle germanique, Nous entendrons son chant vibrer au clair soleil. Salut à vous, Héros, qui, d'une main hardie, Cueillerez le laurier triomphal et vermeil Pour l'offrir à l'autel sanglant de la Patrie. IL Régions et fleuves. Paris Louis Dorey 56. Le Périgord et ses truffes Tout à fait au fond des très vieux temps, quand les trois quarts de la Gaule n'étaient que sombres forêts, terres marécageuses ou couvertes d'herbes sauvages, la région qui forme aujourd'hui le Périgord présentait déjà l'aspect d'un pays à demi civilisé. Sous ce ciel heureusement tempéré, dans cette contrée où les collines rocheuses se creusent de nombreuses grottes habitables, d'antiques races d'hommes s'étaient fixées de bonne heure et avaient prospéré. Peut-être avez-vous déjà admiré, soit les originaux, soit les reproductions des bœufs sauvages, des mamouths, des rennes, des chevaux, des diverses plantes, œuvres de ces artistes vénérables, qu'on découvre dans plusieurs endroits du Périgord, notamment aux Eyzies, à quelques lieues de l'endroit où la Vézère jette ses eaux sombres dans la claire Dordogne. Alors, quoi d'étonnant si, mille ans avant Jules César et Vercingétorix, les Vésuniens, ancêtres des actuels Périgour-dins, moissonnaient le froment dans les plaines grasses, nourrissaient des vaches fécondes, de grands bœufs roux? Aux flancs des coteaux pierreux, paissaient les brebis et bondissaient les chèvres, Un jour, un Génie, nommé Truffon, apporta au chef du pays des fruits gros comme de bonnes noix ou de petites pommes. La peau en était noire. Une odeur délicieuse se répandit sur un assez grand espace. Le Génie dit: — Ces fruits, de mon nom, s'appellent Truffes. Moi seul, je peux faire naître les truffes. La truffe se produit mystérieusement dans la terre, et seulement aux endroits que je désigne. La Vésunie sera l'unique région de la Gaule, même de l'univers, où j'en permettrai la naissance. Disant cela, le Génie sauta au milieu des porcs qu'il avait amenés au chef, et leur toucha la tête avec une baguette. Tout de suite, ils levèrent leurs groins du côté des truffes et grognèrent de plaisir. Truffon dit encore: — Les hommes riches et puissants, les chefs de peuples se disputeront la truffe de Vésunie. Vous la vendrez au poids de l'or. Ce sera pour vous et vos descendants une source intarissable de richesse, une gloire qui ne s'éclipsera jamais. Depuis ce temps fabuleux, les porcs se sont multipliés prodigieusement en Vésunie. C'est une grande richesse pour le pays. Toujours mystérieuse, toujours cantonnée dans les terres désignées par le Génie, la truffe est restée l'incomparable fleuron de la couronne vésunienne et périgourdine. J. Michelet 57. La Bretagne La pauvre et dure Bretagne étend ses champs de quartz et de schiste depuis les ardoisières de Châteaulin près de Brest, jusqu'aux ardoisières d'Angers. C'est là son étendue géologique. La langue bretonne commence vers Elven, Pontivy, Lou-déac et Chatelaudren. De là jusqu'à la pointe du Finistère, c'est la vraie Bretagne, la Bretagne bretonnante, pays devenu tout étranger au nôtre, justement parce qu'il est resté trop fidèle à notre état primitif, peu français, tant il est gaulois. Et pourtant cette pauvre vieille province nous a sauvés plus d'une fois: souvent lorsque la patrie était aux abois, et qu'elle désespérait presque, il s'est trouvé des poitrines et des têtes bretonnes plus dures que le fer de l'étranger. A l'extrémité de la Bretagne est Brest, le grand port militaire, la pensée de Richelieu, la main de Louis XIV ..., la force de la France entassée au bout de la France .. . C'est justement à cette pointe où la mer, échappée du détroit de la Manche, vient se briser avec tant de fureur, que nous avons placé le grand dépôt de notre marine. Certes, il est bien gardé. J'y ai vu mille canons. L'on n'y entrera pas, mais l'on n'en sort pas comme on veut. Plus d'un vaisseau a péri à la passe de Brest. Toute cette côte est un cimetière. Il s' y perd soixante embarcations chaque hiver. La mer est anglaise d'inclination, elle n'aime pas la France, elle brise nos vaisseaux, elle ensable nos ports. Rien de sinistre et formidable comme la côte de Brest. Là, deux ennemis sont en face: la terre et la mer, l'homme et la nature. Il faut voir quand elle s'émeut, la furieuse, quelles monstrueuses vagues elle entasse à la pointe de Saint-Mathieu, à cinquante, à soixante, à quatre-vingts pieds; l'écume vole jusqu'à l'église. L'homme est dur sur cette côte; fils maudit de la création, vrai Caïn, pourquoi pardonnerait-il à Abel? La nature ne lui pardonne pas. La vague l'épargne-t-elle quand, dans les terribles nuits de l'hiver, il va par les écueils attirer le varech flottant qui doit engraisser son champ stérile, et que, si souvent, le flot apporte l'herbe et emporte l'homme? L'épargne-telle quand il glisse en tremblant sous la pointe du Raz, à côté de la Baie des Trépassés où les courants portent les cadavres depuis tant de siècles? C'est un proverbe breton: « Nul n'a passé le Raz sans mal ou sans frayeur. » A Lavau, près de Brest, s'élève une grande pierre brute. De là jusqu'à Lorient, à Quiberon et Carnac, sur toute la côte méridionale de la Bretagne, vous ne pouvez marcher un quart d'heure sans rencontrer quelques-uns de ces monuments informes qu'on appelle druidiques. Ce sont de grosses pierres basses, dressées et souvent un peu arrondies par le haut, ou bien une table de pierre. Qu'on veuille y voir des autels, des tombeaux, simples souvenirs de quelqu'événement, ces monuments ne sont moins qu'imposants, quoi qu'on ait dit. Mais l'impression en est triste, ils ont quelque chose de singulièrement rude et rebutant. Lemoine ^ Le soleil de ma Bretagne La mer m'attend, je veux partir demain, Sœur, laisse-moi, j'ai vingt ans, je suis homme. Je suis Breton et je suis gentilhomme; Sur l'Océan je ferai mon chemin. 5 — Mais si tu pars, mon frère, Que ferai-je sur terre? Toute ma vie à moi, Tu sais bien que c'est toi! Ah! ne va pas loin de notre berceau: 10 Reste avec moi, ta sœur et ta compagne; Mon frère, on vit heureux dans la montagne, Et puis de la Bretagne Le soleil est si beau! — Sur un vaisseau qui portera ton nom, 15 Je reviendrai dans trois ans capitaine; J'achèterai ce bois, ce beau domaine, Et nous serons les seigneurs du canton! — Mais n'as-tu pas, dit-elle, Notre pauvre tourelle, 20 Pour trésor le bonheur, Pour t aimer tout mon cœur? Ah! ne va pas loin de notre berceau; Reste avec moi, ta sœur et ta compagne! Mon frère, on vit heureux dans la montagne, 25 Et puis de la Bretagne Le soleil est si beau! — Mais il partit, quand la foudre grondait; Dix ans passés ... de lui point de nouvelle! Près du foyer sa compagne fidèle 30 Pleurait toujours et toujours attendait. Un jour à la tourelle Un naufragé appelle, Lui demande un abri. — C'est lui, mon Dieu, c'est lui! 55 Oui, sœur, c'est moi! je reviens au berceau; J'ai tant souffert loin de toi, ma compagne! Mais je l'oublie en voyant ma montagne. O ma chère Bretagne, Que ton soleil est beau! Alfred de Vigny 59. La Tou raine et la Loire Connaissez-vous cette contrée que l'on a surnommée le jardin de la France, ce pays où l'on respire un air si pur dans les plaines verdoyantes arrosées par un grand fleuve? Si vous avez traversé, dans les mois d'été, la belle Touraine, vous aurez longtemps suivi la Loire paisible avec enchantement. Lorsque l'on accompagne le flot jaune et lent du beau fleuve, on ne cesse de perdre ses regards dans les riants détails de la rive droite. Des vallons peuplés de jolies maisons blanches qu'entourent des bosquets, des coteaux jaunis par les vignes ou blanchis par les fleurs du cerisier, de vieux murs couverts de chèvrefeuilles naissants, des jardins de roses d'où sort tout à coup une tour élancée, tout rappelle la fécondité de la terre ou l'ancienneté de ses monuments, et tout intéresse dans les œuvres de ses habitants industrieux. Rien ne leur a été inutile: il semble que dans leur amour d'une si belle patrie, seule province de France que n'occupa jamais l'étranger, ils n'aient pas voulu perdre le moindre espace de son terrain, le plus léger grain de son sable. Les bons Tourangeaux sont simples comme leur vie, doux comme l'air qu'ils respirent, et forts comme le sol puissant qu'ils fertilisent. On ne voit sur leurs traits bruns ni la froide immobilité du Nord, ni la vivacité grimacière du Midi; leur visage a, comme leur caractère, quelque chose de la candeur du vrai peuple de saint Louis; leur langage est le plus pur français, sans lenteur, sans vitesse, sans accent: le berceau de la langue est là, près du berceau de la monarchie. Mais la rive gauche de la Loire se montre plus sérieuse dans ses aspects; ici, c'est Chambord que l'on aperçoit de loin et qui, avec ses dômes bleus et ses petites coupoles, ressemble à une grande ville de l'Orient; là, c'est Chanteloup, suspendant au milieu de l'air son élégante pagode. Non loin de ces palais, un bâtiment plus simple attire les yeux du voyageur par sa position magnifique et sa masse imposante: c'est le château de Chaumont. Construit sur la colline la plus élevée du rivage de la Loire, il encadra ce large sommet avec ses hautes murailles et ses énormes tours. M. Fallex et A. Mairey 60. L'Aquitaine et la Gascogne La Gascogne, ancienne province de France, qui avait Auch pour chef-lieu, comprenait les Landes, le pays basque et d'autres parties de l'Aquitaine. La grâce heureuse et souriante du climat a toujours fait de l'Aquitaine une contrée de prédilection. A l'époque gallo-romaine, ce fut déjà le pays aux grandes villes, aux brillantes cultures, la joyeuse Aquitaine, et les rois mérovingiens aimaient à y passer, après la moisson et la vendange, quelques mois. Au Moyen âge, la civilisation de langue d'oc, plus légère en Gascogne, plus âpre dans le Haut-Languedoc, rivalisa avec celle du Nord, et le lyrisme enjoué de ses troubadours l'emporta sur la gravité des trouvères septentrionaux. Mais les lourds barons de Simon de Monfort écrasèrent cette éclatante floraison, en même temps que l'hérésie albigeoise. La région fut peu à peu soumise aux rois de Paris. La Gascogne, après avoir été longtemps gouvernée par des ducs indépendants, fut conquise par Charles VII en 1453. Une partie ne ïut annexée qu'à l'avènement de Henri IV: la conquête de la Navarre et du Béarn fut le dernier épisode de la lutte. Mais le Midi océanique a pris sa revanche: avec Henri IV ce fut la France qui se rattacha au Bcarn et les Gascons vaincus sont montés à la conquête du Nord; au XVIe siècle, ils dominaient à la cour. La Gascogne a formé surtout les départements des Hautes-Pyrénées, du Gers, des Landes. Le département des Hautes-Pyrénées possède le plus grand nombre de glaciers et de torrents. Les flancs de ces montagnes n'ont ni forêts ni pâturages. Dans le pays, il y a beaucoup d'eaux minérales (Lourdes). Le département des Landes n'est fertile que dans les vallées traversées par l'Adour. Tout le reste est un pays triste, infécond. Le sous-sol des Landes est une plate-forme tertiaire et argileuse, recouverte par un placage de sables que les vents d'ouest ont apportés de la mer. Ces sables fins sont très humides en hiver et très secs dès l'apparition des chaleurs; c'est pourquoi le sol ne présente en hiver qu'un marécage et en été une surface désséchée. Pour parcourir ces déserts de sable, le Landois se sert d'échasses. Le langage des Gascons est plein d'esprit et de gaieté. Comme tous les peuples méridionaux, ils aiment à exagérer et à blaguer. Ils sont un peu hâbleurs. On dit qu'ils racontent des choses extraordinaires, qu'ils se vantent et qu'ils mentent souvent. Ils ont le sang chaud, les passions fortes, l'imagination souple. Le soldat gascon est très fanfaron, mais très brave. 61. Gasconnades I. Un train bien rapide « Les trains marchent bien vite en France, déclara un Gascon, en voici une preuve: J'étais en voyage de Paris à Marseille. A Lyon j'étais descendu et je ne m'élançai dans le wagon qu'au moment où le train allait partir. Le chef de gare accourut et m'insulta. Alors je levai la main pour lui donner une gifle et... ce fut le chef de gare de Marseille qui l'attrapa. » II. Un tour de Gascon Un Gascon avait perdu son cheval à Rome. Il fit publier que si on ne le lui rendait pas, il en viendrait à l'extrémité à laquelle son père s'était porté en pareille occasion. Le voleur, fort effrayé de cette mystérieuse menace, jugea prudent de ramener le cheval à son propriétaire. Notre Gascon, tout joyeux, s'écria que le voleur avait bien fait de lui rendre sa monture: — Je suis vraiment fort aise, ajouta-t-il, de n'être pas réduit à imiter la conduite de mon père! — Qu'avait-il donc fait Monsieur votre père? lui demanda quelqu'un. — Eh! parbleu! n'ayant plus de cheval, le pauvre homme fut obligé de s'en retourner à pied. III. Au cirque Un Marseillais et un Gascon assistent ensemble à une représentation au cirque. Comme on applaudit à outrance un équilibriste, le Gascon dit à son compagnon: — Peuh! ça? un acrobate? Mais, mon cher, chez nous, ils dansent sur une corde et ils n'ont même pas de balancier et ils vont bien plus haut! — Et chez nous donc! Mon bon, ils dansent à cent mètres de terre . .. avec un balancier, c'est vrai, mais ... sans corde. Clément Marot IV. Le Gascon Gourmand, ivrogne et assuré menteur, Pipeur, larron, jureur, blasphémateur, Sentant la hart de cent pas à la ronde, Au demeurant le meilleur fils du monde. M.FaUex et A. Mairey 62. La Savoie De la grande chaîne des Alpes la France ne possède que la partie occidentale. Les Alpes occidentales ou franco-italiennes et franco-suisses sont orientées du Nord au Sud, on évalue leur longueur à 350 kilomètres, du lac Léman au golfe de Gênes. La plus simple division, c'est la division classique en trois parties: Alpes de Savoie, Alpes du Dauphiné, Alpes de la Haute-Provence. La Savoie est la région montagneuse qui s'étend entre le lac Léman, le Rhône, la frontière suisse et italienne, et la chaîne de Belledonne. L'ancien duché, réuni définitivement à la France en 1860, est partagé en deux départements, la Haute-Savoie et la Savoie. La Savoie appartient au domaine du Rhône. Le lac Léman recueille, calme et épure les eaux rapides et boueuses du Rhône suisse. L'Arve, qui le rejoint pour le salir, dans les faubourgs mêmes de Genève, est un torrent forcené. Plus loin le Rhône traverse le Jura; sur sa rive savoisienne, il reçoit le Fier. L'Isère, autre affluent du Rhône, a tout son bassin supérieur en Savoie. L'éloignement des centres houillers, la difficulté des communications tendaient à éliminer dé plus en plus les Alpes de Savoie de la vie industrielle moderne, lorsque l'utilisation des forces hydrauliques a complètement transformé leur état économique; elle a créé ou développé des industries variées. Chamonix n'est qu'un centre de tourisme, mais un des plus favorisés du monde. Chambéry (23.000 h.), l'ancienne métropole de la Savoie, pratique des industries diverses. Aix-les-Bains, près du lac du Bourget, est une station thermale des plus fréquentées. Guiraud 63. Le retour du petit Savoyard Avec leurs grands sommets, leurs glaces éternelles, Par un soleil d'été, que les Alpes sont belles! Tout dans leurs frais vallons sert à nous enchanter, La verdure, les eaux, les bois, les fleurs nouvelles. 5 Heureux qui sur ces bords peut longtemps s'arrêter! Heureux qui les revoit, s'il a pu les quitter! Quel est ce voyageur que l'été leur renvoie, Seul, loin dans la vallée, un bâton à la main? C'est un enfant... il marche, il suit le long chemin, 10 Qui va de France à la Savoie. Pourquoi tant se hâter à sa course dernière? C'est que le pauvre enfant veut gravir le coteau, Et ne point s'arrêter qu'il n'ait vu son hameau Et n'ait reconnu sa chaumière. 15 Les voilà ... tels encor qu'il les a vus toujours, Ces grands bois, ce ruisseau qui fuit sous le feuillage! Il ne se souvient plus qu'il a marché dix jours, Il est si près de son village! Tout joyeux, il arrive et regarde ... Mais quoi! 20 Personne ne l'attend! sa chaumière est fermée! Pourtant du toit aigu sort un peu de fumée. Et l'enfant plein de trouble: « Ouvrez, dit-il, c'est moi. La porte cède, il entre: et sa mère attendrie, Sa mère, qu'un long mal du foyer retient, 25 Se relève à moitié, tend les bras et s'écrie: N'est-ce pas mon fils qui revient? 64. La Seine (Description) La Seine prend sa source sur le plateau de la Côte-cl Or. Elle coule d'abord au fond d'une vallée étroite, puis débouche dans les larges plaines de la Champagne, qu'elle parcourt jusqu'en aval du confluent de l'Aube, où elle devient navigable. A Montereau, elle se grossit de l'Yonne. Immédiatement en amont de Paris, la gracieuse Marne vient se joindre à la Seine. Au-dessous de Paris, la Seine décrit une série de méandres au pied des célèbres et charmants coteaux de Meudon, de Saint- Cloud, de Saint-Germain, puis reçoit à Conflans l'Oise qui prend sa source en Belgique. Au delà le fleuve forme de nouveau plusieurs détours dont le plus allongé a fait donner le nom d'Elbœuf (coude, en anglais elboro) à la ville située à son extrémité. C'est à l'origine de ce méandre, en aval de l'embouchure de l'Eure, grand affluent venu du sud-ouest, et de l'Andelle, petite rivière des plus charmantes, que commence la partie maritime du fleuve. Plus bas s'est élevé Rouen, le grand port de rivière de la Seine, rivière tranquille, qui constitue une admirable voie navigable, où le trafic, de Paris à la mer, est particulièrement intense. Après une course de 800 kilomètres environ, la Seine se jette dans la Manche. Bernardin de Saint-Pierre 65. La Seine (Conte) La Seine, fille de Bacclius et nymphe de Cérès, avait suivi dans les Gaules la déesse des blés, lorsqu'elle cherchait sa fille Proserpine par toute la terre. Quand Cérès eut mis fin à ses courses, la Seine la pria de lui donner, en récompense de ses services, ces prairies que vous voyez là-bas. La déesse y consentit et accorda de plus à la fille de Bacchus de faire croître des blés partout où elle porterait ses pas. Elle laissa donc la Seine sur ces rivages. Un jour que la Seine s'amusait à courir sur ces sables, en cherchant des coquilles, et qu'elle fuyait, en jetant de grands cris, devant les flots de la mer, Neptune parcourait les rivages de l'Océan. A sa vue, la Seine s'enfuit aussitôt vers les prairies. Mais le dieu des mers avait aperçu la nymphe de Cérès, et, touché de sa bonne grâce et de sa légèrete, il poussa sur le rivage ses chevaux marins après elle. Déjà il était près de l'atteindre, lorsqu'elle invoqua Bacchus son père, et Cérès sa maîtresse. L'un et l'autre l'exaucèrent: dans le temps que Neptune tendait les bras pour la saisir, tout le corps de la Seine se fondit en eau; son voile et ses vêtements verts devinrent des flots couleur d'émeraude; elle fut changée en un fleuve de cette couleur, qui se plaît encore à parcourir les lieux qu'elle a aimés étant nymphe. Francoska čitanka 5 M.Fallex et A.Mairey 66. Climat de la France La France est privilégiée dans son climat. On compte quatre principales influences qui le déterminent: 1° La situation en latitude. — Comprise entre le 42° et le 51° parallèle, à égale distance des régions équato-riales et des régions polaires, la France ne connaît ni les lourdeurs accablantes des unes ni les froids longs et rigoureux des autres. 2° La situation entre quatre mers, la mer du Nord, la Manche et l'océan Atlantique d'un côté, la Méditerranée de l'autre. 3° La prédominance des vents de l'Ouest. — Ces vents s'imprègnent d'humidité sur l'Océan; ils viennent de là promener leurs vapeurs sur les terres et propagent l'influence modératrice de la mer jusqu'à l'intérieur du continent. 4° La forme du relief français. — Les larges plaines de la Garonne, de la Loire et de la Seine contribuent à égaliser le climat en ouvrant le cœur même du pays à l'influence océanique. Il n'y a de hauts remparts, pour barrer les vents et les nuages, que sur les frontières du Sud-Ouest et de l'Est. La France ne connaît que des températures modérées: la moyenne générale de l'année est de 11°. Mais ici trois régions sont à distinguer: le littoral océanique, l'intérieur des terres et la bordure méditerranéenne. Le littoral océanique a une moyenne annuelle relativement élevée, mais on ne constate jamais d'extrêmes excessifs ni de chaud ni de froid. Les hivers sont doux, le nombre des jours de gelée, c'est-à-dire de ceux où le thermomètre descend au-dessous de 0°, est très faible. Dans l'intérieur des terres la moyenne est plus basse. De l'Ouest vers l'Est, les hivers sont de plus en plus froids: en décembre, Paris a 2.7, Lyon 1.7, Nancy et Strasbourg 0°, et le nombre des jours de gelée augmente. En général, les étés sont chauds. Les hautes montagnes, comme les Alpes et les Pyrénées et même comme le Jura et les Vosges, ont un climat particulier et une végétation originale. L'abaissement progressif de la température permet aux neiges persistantes d'occuper tous les sommets; leur limite inférieure est à 2.300 mètres environ dans les Alpes de Savoie et à 2.900 mètres dans les Pyrénées françaises. La bordure méditerranéenne a des températures beaucoup plus fortes que le reste de la France. La moyenne annuelle dépasse 11°. Les hivers sont doux et ne s'abaissent pas au-dessous de 7°. La France méditerranéenne possède une végétation à feuillage persistant, toujours vert. Les chaleurs de l'été sont fortes de 22° à 24° en moyenne, mais elles se supportent aisément, grâce à la sécheresse de l'air. En résumé, la France a un climat modéré dans l'ensemble; mais l'inégale influence de la mer, la variété du relief, l'infinie diversité des terres chaudes, calcaires ou alluviales, qui absorbent la chaleur, et des terres froides, granitiques ou argileuses, qui la renvoient, créent des différences assez sensibles. M. Fallex et A. Mairey 6?. Pans La cité de Paris était désignée par la nature elle-même pour l'emplacement d'une grande ville. Paris se trouve près du confluent de deux grandes rivières, la Marne et l'Oise. 11 possède ainsi deux grands chemins naturels. La haute butte de Montmartre était très favorablement placée pour servir de montagne de guet: de là, il était facile d'observer au loin la plaine environnante. La petite île de la Cité fut le germe et le noyau de Paris. La station de bateliers et de pêcheurs qui s'y était cantonnée commença par être une simple étape de bateliers, mais elle devint un entrepôt grâce à la variété de produits que recèle l'intérieur du bassin. C'est le fleuve qui fut l'âme de la ville grandissante. Le bateau des descendants des Nautae parisiaci (bateliers parisiens) figure encore aujourd'hui dans les armes de la ville de Paris avec la fière devise: Fluctuât nec mergitur (est ballotté, mais jamais englouti). A ces avantages immédiats, Paris joint d'autres privilèges. Les rives de la Seine font partie de cette voie naturelle qui réunit la Méditerranée à l'Océan. Paris occupe précisément le point où vient aboutir la route de l'Aquitaine et de l'Espagne par la vallée de la Loire. Les vallées rayonnantes du Bassin parisien ouvrent des relations faciles vers tous les points de l'horizon en faisant de Paris le centre attractif de toutes les contrées limitrophes. La nature pourtant n'a pas tout fait. Paris n'aurait jamais été la grande cité qu'il est aujourd'hui, s'il n'était devenu la capitale de la France. Son rôle politique fournit la raison de son prodigieux essor. Aux temps mérovingiens Paris, comme la plupart des villes de la Gaule, changea son vieux nom de Lutèce contre le nom du peuple dont il était le centre, puis devint la capitale du pays des Francs (de Clovis) et lappel-lation même de France s'applique d'abord à la région qui s'étend au Nord entre l'Oise et la Marne. Après avoir végété sous les Carolingiens qui s'étaient fixés à Aix-la-Chapelle, c'est avec les rois Capétiens qu'il grandit d'une croissance régulière. Du jour où ils y établirent leur résidence, Paris attira tous les talents, il devint le grand centre intellectuel et artistique, donna le ton à la province et imposa sa langue aux dépens des autres dialectes. Il devenait au même temps le premier foyer économique de la nation. Au XIIIme siècle Paris était déjà une grande ville dont la population peut être évaluée à environ 250.000 habitants, mais le centre est toujours l'île de la Cité. Dès le début du XVIIIme siècle, elle dépassait le demi-million. Le dénombrement officiel de 1921 accuse 2.906.400 habitants. Avec sa banlieue immédiate Paris compte 4 millions d'hommes. Quelques villes (quartiers) de la banlieue dépassent 60.000 âmes (Saint-Denis), d'autres en ont plus de 30.000 (Clichv, Neuilly-sur-Seine, etc.). Pour nourrir une telle fourmilière humaine, tous les moyens de transport déversent annuellement de tous les points de la France, de colonies et de l'étranger, toutes sortes de comestibles. La région parisienne est le plus vaste des marchés français de consommation. Il en est de même pour l'industrie: aucun groupe ne peut en France soutenir la comparaison avec celui de Paris. C'est l'industrie de luxe qui caractérise le travail parisien: elle est réputée dans le monde entier pour son goût et son fini artistique. Le commerce se spécialise suivant les quartiers: l'alimentation autour des Halles centrales, les abattoirs à la Yillette, l'automobilisme autour des Champs-Elysées, la librairie dans le Quartier des Écoles ou Quartier latin, etc. Les Grands Magasins concentrent un trafic d'une extraordinaire intensité, et il n'est guère de paysanne qui ne connaisse de nom le Louvre. Paris est desservi par 9 grandes gares intérieures, puis par la voie fluviale de la Seine, complétée par plusieurs canaux, par des automobiles et des autobus, par des tramways et le Métropolitain. III. Ecoles André Laurie 68. Mes débuts au lycée Le 4 octobre de cette année-là fut un grand jour pour moi. Quand je vivrais aussi vieux que le patriarche Matu-salem, cette date resterait à mes yeux plus mémorable que celle d'aucun fait historique. C'est ce jour-là que je fis mon entrée solennelle dans la société française en qualité d'élève interne au lycée de Châ-tillon-sur-Lèze. Il était sept heures et demie, ni plus ni moins, quand la voiture s'arrêta devant l'hôtel de France, où mon père avait l'habitude de descendre quand il allait à Châtillon. Un quart d'heure plus tard, suivi d'un homme de peine qui portait la malle, nous franchissions la porte du lycée. A gauche, en entrant, s'ouvrait la loge du concierge. Je devais apprendre en peu de temps à ne professer qu'un respect modéré pour le père Barbotte, comme on appelait ce Cerbère ventripotent. Mais, ce jour-là, je dois en convenir, je fus vivement impressionné par la gravité générale de cet important fonctionnaire. Il me toisa d'un coup d'œil, et, à la requête polie de mon père, qui demandait à voir M. le proviseur, il répondit presque dédaigneusement: « Grand escalier. Porte en face. Économat à gauche. » Mon père et moi, nous étions arrivés au grand escalier; nous en avions gravi les marches jusqu'au premier étage, et nous nous étions arrêtés devant une double porte en cuir vert sur laquelle on lisait: Cabinet de M. le proviseur. Cette porte ouvrait sur une antichambre, où nous fûmes introduits par un domestique, et où se trouvaient déjà, sous la conduite de leurs parents, huit à dix élèves, les uns en uniforme, ce qui montrait clairement qu'ils avaient déjà appartenu au lycée, les autres comme moi, dans leur meilleur costume civil, et par conséquent nouveaux. Notre tour d'entrer chez M. le proviseur venait d'arriver, et la porte auguste s'ouvrait devant nous. L'entrevue ne fut pas longue. Mon père voyait le proviseur fort occupé, et n'avait voulu que me présenter à lui. M. Ruette avait reçu un mot de l'inspecteur d'Académie, qui se portait garant de mon aptitude à entrer en sixième. Il ne restait donc qu'à me faire inscrire à l'économat. Un coup de sonnette, le domestique parut, reçut les instructions du proviseur, et nous sortîmes de son cabinet. J'avais vu tout cela comme dans un rêve. L'instant d'après, je me trouvais avec mon père devant un guichet. Un jeune employé prit mon nom, m'informa que j'étais inscrit sous le numéro 976, me délivra un petit carton que je devais remettre à la lingerie, et voulut bien encaisser un certain nombre de billets de banque dont mon père allégea son porte-feuille. Cela fait, le jeune mandarin nous rendit au bras du domestique, qui nous précéda, à travers un dédale de couloirs et d'escaliers, jusqu'au bâtiment affecté au service de 1 habillement. La malle ouverte et dûment inventoriée, il ne resta plus qu'à passer chez le tailleur, un petit bossu déjà fort affairé à couper de larges pièces de drap avec des ciseaux presque aussi grands que lui. Ma mesure fut prise en un clin d'œil, et nous redescendîmes au rez-de-chaussée dans le vestibule. L'heure de la séparation était arrivée. Mon père et moi, nous étions vivement émus. « Allons, mon enfant, je vais te laisser, me dit-il. Sois bien sage et ne perds jamais de vue les promesses que tu as faites à ta mère ... Nous viendrons te voir le plus tôt possible ... Tâche de n'avoir à nous donner de toi que des nouvelles agréables ...» Et il partit. Une dernière fois je le vis se retourner, avant de franchir le seuil pour m'envoyer un adieu de la main. Puis, le domestique me conduisit le long d'un large corridor où pénétraient des clameurs d'abord confuses, puis de plus en plus distinctes, à mesure que j'avançais. Enfin nous parvînmes à une barrière à claire-voie qu'il ouvrit; je la franchis, et comme un gladiateur lancé dans le cirque, je me trouvais dans la cour des petits. Gustave Flaubert 69. L'arrivée d'un nouveau Nous étions à l'étude, quand le proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail. Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir: puis, se tournant vers le maître d'études: « Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l'appelle son âge. » Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures. Ses jambes en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous. On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir pour qu'il se mît avec nous dans les rangs. Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres. Mais la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. « Levez-vous, » dit le professeur. Il se leva, sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire. Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup de coude; il la ramassa encore une fois. « Débarrassez-vous donc de votre casque, » dit le professeur, qui était un homme d'esprit. Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre, ou la mettre sur la tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux. « Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom. » Le nouveau articula, d'une voix bredouillante, un nom inintelligible. « Répétez ! » Le même bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les huées de la classe. « Plus haut, cria le maître, plus haut!« Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une bouche démesurée et lança à pleines poumons, comme pour appeler quelqu'un, ce mot: Charbooari. Ce fut un vacarme qui s'élança d'un bond, monta en crescendo, avec des éclats de voix aiguës (on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait: Charbovari! Charbooari!). Cependant, sous la pluie des pensums, l'ordre peu à peu se rétablit dans la classe, et le professeur, parvenu à saisir le nom de Charles Bovary, se l'étant fait dicter, épeler et relire, commanda tout de suite au pauvre diable d'aller s'asseoir sur le banc de paresse, au pied de la chaire. Il se mit en mouvement, mais, avant de partir, il hésita. « Que cherchez-vous? » demanda le professeur. « Ma cas ..., » fit timidement le nouveau promenant autour de lui des regards inquiets. « Cinq cents vers à toute la classe ! » exclamé d'une voix furieuse, arrêta une bourrasque nouvelle. «Restez donc tranquilles!» continuait le professeur indigné, et s'essuyant le front avec son mouchoir. « Quant à vous, le nouveau, vous me copierez vingt fois le verbe ridiculus sum. » Puis d'une voix plus douce: « Eh! vous la retrouverez votre casquette; on ne vous l'a pas volée!« fout reprit son calme. Les têtes se courbèrent sur les cartons, et le nouveau resta pendant deux heures dans une tenue exemplaire, quoiqu'il y eût bien de temps à autre quelque boulette de papier lancée d'un bec de plume qui vint s'éclabousser sur sa figure. Mais il s'essuyait avec la main, et demeurait immobile, les yeux baissés. Le soir, à l'étude, il tira ses bouts de manches de son pupitre, mit en ordre ses petites affaires, régla soigneusement son papier. Nous le vîmes qui travaillait en conscience, cherchant tous les mots dans le dictionnaire et se donnant beaucoup de mal. Grâce, sans doute, à cette bonne volonté dont il fit preuve, il dut de ne pas descendre dans la classe inférieure; car s'il savait passablement ses règles, il n'avait guère d'élégance dans les tournures. C'était le curé de son village qui lui avait commencé le latin, ses parents, par économie, ne l'ayant envoyé au collège que le plus tard possible. Alphonse Daudet 70. Le petit Chose Ce qui me frappa d'abord, à mon arrivée au collège, c'est que j'étais le seul avec une blouse. A Lyon, les fils de riches ne portent pas de blouses; il n'y a que les enfants de la rue, les gônes comme on dit. Moi, j'en avais une, une petite blouse, j'avais l'air d'un gône ... Quand j'entrai dans la classe, les élèves ricanèrent. On disait : « Tiens ! il a une blouse ! » Le professeur fit la grimace et tout de suite me prit en aversion. Depuis lors, quand il me parla, ce fut toujours du bout des lèvres, d'un air méprisant. Jamais il ne m'appela par mon nom, il disait toujours: « Eh, vous! là-bas, le petit Chose! » Je lui avais dit pourtant plus de vingt fois que je m'appelais Daniel Eys-set-te ... A la fin, mes camarades me surnommèrent « le petit Chose », et le surnom me resta ... Ce n'était pas seulement ma blouse qui me distinguait des autres enfants. Les autres avaient de beaux cartables en cuir jaune, des encriers de buis qui sentaient bon, des cahiers cartonnés, des livres neufs; moi, mes livres étaient de vieux bouquins achetés sur les quais, moisis, fanés, sentant le rance; les couvertures étaient toujours en lambeaux, quelquefois il manquait des pages. Jacques faisait bien de son mieux pour me les relier avec du gros carton et de la colle forte; mais il mettait toujours trop de colle, et cela puait. Il m'avait fait aussi un cartable avec une infinité de poches; très commode, mais toujours trop de colle. Quant à moi, j'avais compris que, lorsqu'on est boursier, qu'on porte une blouse, qu'on s'appelle « le petit Chose », il faut travailler deux fois plus que les autres pour être leur égal, et ma foi! le petit Chose se mit à travailler de tout son courage. André Laurie 71. La Saint-Charlemagne Le banquet de la Saint-Charlemagne eut lieu, selon l'usage, le 28 janvier. Avec Mandrès et Verschuren, nous étions les seuls internes de sixième qui y eussent été admis, car il fallait avoir été premier au moins une fois, ou second au moins quatre fois, pour mériter cet honneur. A six heures, après la récréation, nous étions montés nous habiller au dortoir, et, à sept heures moins un quart, on était venu nous appeler. Nous nous étions joints dans le couloir à nos camarades des autres divisions, et tous ensemble nous étions arrivés au grand salon du proviseur. Ce n'était pas un mince honneur, pour des moutards, comme nous, de marcher ainsi à la file avec des taupins et des rhétoriciens, et je puis dire qu'à ce moment seulement, je me sentis véritablement pénétré de la grandeur de mon triomphe. L'inspecteur d'Académie, le censeur et tous les professeurs du lycée, en habit noir et cravate blanche, étaient déjà réunis autour de M. Ruette. Je cherchais d'œil M. Delacour, et j'eus peine à le reconnaître dans cette tenue de gala, tant j'étais habitué à l'identifier avec sa toge et sa toque. Mais il nous vit le premier et nous adressa un petit signe amical. Les externes invités étaient arrivés aussi dans leurs plus beaux atours. De ma classe il n'y avait que Parmentier qui se joignit immédiatement à nous. Mais à peine avions-nous eu le temps d'échanger quelques poignées de main, qu'un domestique ouvrit à deux battants une porte intérieure, et annonça que « ces messieurs étaient servis ». La table, dressée dans une salle à manger spécialement réservée pour ces occasions, nous apparut alors dans toute sa splendeur. Elle avait la forme d'un fer à cheval bordé de quatre-vingts couverts et garni de plats montés, au milieu d'une profusion d'arbustes fleuris. Devant chaque place, il y avait deux ou trois verres, et, sur chaque serviette, une carte bordée de dentelles avec le nom d'un invité. Le proviseur s'assit au centre, avec l'inspecteur d'Académie à sa droite et le censeur à sa gauche. Puis venaient alternativement les professeurs et les élèves de chaque classe. M. Delacour, qui avait d'abord causé presque exclusivement avec nous, nous mit bientôt à l'aise en s'engageant dans une conversation suivie avec M. Challet, le professeur de cinquième. D'autre part, nous avions débuté par accepter tout ce que nous offraient les garçons, ce qui n'avait pas manqué de nous plonger en peu de temps dans cet état de douce béatitude si éminemment favorable à la gymnastique dë la langue. Nous commençâmes donc, au milieu du cliquetis des verres, d'échanger à demi-voix nos réflexions personnelles. Alors, Verschuren, qui était mon voisin de droite, me poussa le coude. « Dis donc, Besnard, me dit-il à demi-voix, penche-toi un peu sur la table. — Pourquoi cela? — Pour me masquer, pendant que je vais verser mon verre de Champagne dans cette fiole. » Il me montrait dans sa serviette une petite bouteille d'une propreté douteuse, qu'il avait évidemment apportée dans sa poche. « Es-tu fou? lui dis-je. Comment peux-tu songer à une chose si inconvenante? Allons, ne fais pas ta tête, reprit-il, j'ai promis aux autres de leur faire goûter du Champagne de la Saint-Charle-magne. Si tu ne veux pas m'aider, je dirai que c'est toi qui m'as empêché. » Cet argument me parut si péremptoire que je m'empressai de prendre l'attitude exigée. Verschuren avait tout préparé, jusqu'à un entonnoir de papier qu'il introduisit dans le goulot de la bouteille. Je l'entendis qui décantait son verre de vin avec un sang-froid imperturbable. Cette conduite me navrait, à la lettre. « Je n'en ai pas assez pour remplir ma fiole, passe-moi un peu du tien, veux-tu? » reprit au même instant Verschu-ren en s'adressant à Mandrès. Il fut apparemment mal reçu de ce côté, car il se rabattit sur moi. De guerre lasse, je lui laissai encore prendre mon verre. J'étais fort mal à l'aise, très honteux de participer à une cuisine aussi révoltante. Mais il ne paraissait même pas sentir ce qu'il y avait de cruel à m'associer ainsi à son méfait. « Sapristi, fit-il, il manque encore du Champagne! ... Oh! une !... Si tu disais à Parmentier de me passer tout doucement le verre de M. Delacour !... » J'allais m'insurger cette fois, quand un domestique s'approcha de nous. Il tenait une bouteille de Champagne. « Monsieur Verschuren, M. le proviseur m'a chargé de remplir votre fiole, » dit-il assez haut pour être entendu de nos voisins immédiats, et notamment des deux professeurs. Qui fut bien honteux? Ce fut l'infortuné Verschuren, quand il eut à exhiber sa fiole et son entonnoir. Tout le monde se mit à rire. A sa place je me serais effondré sous la table. Mais il se remit vite et opposa un front d'airain à nos railleries. Après le dessert et les toasts habituels, quand on se leva pour entrer au salon, M. Ruette eut l'obligeance de nous engager à remplir nos poches de fruits et de bonbons pour nos camarades. Le véritable moment du triomphe fut notre entrée au dortoir, qui s'effectua vers neuf heures. Nos camarades étaient déjà couchés, mais tous avaient encore l'œil ouvert. Une double bordée de questions à demi-voix nous assaillit au passage. « Dis donc, Besnard, est-ce que c'était chic? — Y avait-il des truffes? — J'espère qu'on rapporte du nanan pour les amis ? ...» Nous nous empressâmes de faire notre distribution, qui fut accueillie avec un enthousiasme impossible à décrire. IV. Esprit français Jusserand, ambassadeur de France aux États-Unis 72. La France est une semeuse Discours prononcé à la Nouvelle-Orléans, le 19 décembre 1903 Il y a quelques années, la République française décida de faire graver un coin nouveau pour ses monnaies. Elle s'adressa aux maîtres médailleurs les plus célèbres, et de leurs mains sortirent des chefs-d'œuvre pour les différentes monnaies. Pour l'une des plus humbles pièces d'argent, la commande avait été faite au célèbre graveur Roty. Il lui vint à l'idée de représenter la France en semeuse, jetant le grain à pleines poignées, au soleil levant. L'effet fut immédiat; la France entière se reconnut. La France, certes, ne dédaigne pas les belles et abondantes moissons; mais, et c'est là le plus pur de sa gloire, elle aime mieux encore semer que moissonner. Une France, représentée en moissonneuse n'eût enthousiasmé personne. La semeuse enthousiasma tout le monde; elle devient chaque jour davantage l'emblème classique de la patrie; elle a passé des petites monnaies aux grandes et des grandes aux timbres. Elle parcourra encore bien du chemin. Dans cette image, la France s'est reconnue, et avec raison: tout son passé, son présent, son avenir sont là, exprimés par un geste; telle elle fut, telle elle sera; bon sang ne saurait mentir. De cette main tendue vers le soleil qui se lève, vers l'aube éternelle des idées, sont tombés quelques-uns des grains les plus féconds qui aient jamais été semés. Elle a jeté au vent la bonne graine, et cette graine a germé. Elle a semé la liberté, et la liberté poussa; elle l'a semée sur notre sol; elle l'a semée aussi aux plaines d'Amérique, aux vallées d'Italie, aux champs de Morée, ailleurs encore, et partout la graine a poussé. mzo ^ prance^ fGyer (je civilisation Il ne faut flatter personne, pas même son pays; cependant je crois qu'on peut dire, sans flatterie, que la France a été le centre, le foyer de la civilisation de l'Europe. Il serait excessif de prétendre qu'elle ait marché toujours, dans toutes les directions, à la tête des nations. Elle a été devancée, à diverses époques, dans les arts par l'Italie; sous le point de vue des institutions politiques, par l'Angleterre. Peut-être sous d'autres points de vue, à certains moments, trouverait-on d'autres pays de l'Europe qui lui ont été supérieurs; mais il est impossible de méconnaître que, toutes les fois que la France s'est vue devancée dans la carrière de la civilisation, elle a repris une nouvelle vigueur, s'est élancée et s'est retrouvée bientôt au niveau ou en avant de tous. Et non seulement telle a été la destinée particulière de la France, mais les idées, les institutions civilisantes, si je puis ainsi parler, qui ont pris naissance dans d'autres territoires, quand elles ont voulu se transplanter, devenir fécondes et générales, agir au profit commun de la civilisation européenne, on les a vues, en quelque sorte, obligées de subir en France une nouvelle préparation; et c'est de la France, comme d'une seconde patrie, qu'elles se sont élancées à la conquête de l'Europe. 11 n'est presque aucune grande idée, aucun grand principe de civilisation qui, pour se répandre partout, n'ait passé d'abord par la France. C'est qu'il y a dans le génie français quelque chose de sociable, de sympathique, quelque chose qui se propage avec plus de facilité et d'énergie que le génie de tout autre peuple: soit notre langue, soit le tour de notre esprit, de nos mœurs; nos idées sont plus populaires, se présentent plus clairement aux masses, y pénètrent plus facilement; en un mot, la clarté, la sociabilité, la sympathie, sont le caractère particulier de la France, de sa civilisation, et ces qualités la rendaient éminemment propre à marcher à la tête de la civilisation européenne. Rioarol 74. La situation de la France et le tempérament français La FranCe, qui a dans son sein une subsistance assurée et des richesses immortelles, agit contre ses intérêts et méconnaît son génie, quand elle se livre à l'esprit de conquête. Son influence est si grande dans la paix et dans la guerre, que, toujours maîtresse de donner l'une ou l'autre, il doit lui sembler doux de tenir dans ses mains la balance des empires, et d'associer le repos de l'Europe au sien. Par sa situation, elle tient à tous les États; par sa juste étendue, elle touche à ses véritables limites. Il faut donc que la France conserve et qu'elle soit conservée; ce qui la distingue de tous les peuples anciens et modernes. Le commerce des deux mers enrichit ses villes maritimes et vivifie son intérieur; et c'est de ses productions qu'elle alimente son commerce si bien que tout le monde a besoin de la France. Sa capitale, enfoncée dans des terres, n'a point eu, comme les villes maritimes, l'affluence des peuples; mais elle a mieux senti et mieux rendu l'influence de son propre génie. Elle a attiré par ses charmes, plus que par ses richesses. Les opinions exagérées du Nord et du Midi viennent y prendre une teinte qui plaît à tous. France, ô belle contrée, ô terre généreuse, Que les dieux complaisants formaient pour être heureuse, Tu ne sens point du nord les glaçantes horreurs, Le midi de ses feux t'épargne les fureurs. (André Chénier, Hymne à la Justice) Rivarol 75. La langue française et l'esprit français Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l'action, et enfin l'objet de cette action: voilà la logique naturelle à tous les hommes; voilà ce qui constitue le sens commun. Or, cet ordre si favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours contraire aux sensations, qui nomment le premier l'objet qui frappe le premier; c'est pourquoi tous les peuples, abandonnant l'ordre direct, ont eu recours aux tournures plus ou moins hardies, selon que leurs sensations ou l'harmonie l'exigeaient; et l'inversion a prévalu sur la terre, parce que l'homme est plus impérieusement gouverné par les passions que par la raison. Le français, par un privilège unique, est seul resté fidèle à l'ordre direct, comme s'il était tout raison; et on a beau, par les mouvements les plus variés et toutes les ressources du style, déguiser cet ordre, il faut toujours qu'il existe: et c'est en vain que les passions nous bouleversent et nous sollicitent de suivre l'ordre des sensations: la syntaxe française est incorruptible. C'est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. Ce qui n'est pas clair n'est pas français. Pour apprendre les langues à inversions, il suffit de connaître les mots et les régimes; pour apprendre la langue française, il faut encore retenir l'arrangement des mots. On dirait que c'est d'une géométrie toute élémentaire, de la simple ligne droite, que s'est formée la langue française; et que ce sont les courbes et leurs variétés infinies qui ont présidé aux langues grecque et latine. La nôtre règle et conduit la pensée; celles-là se précipitent et s'égarent avec elle dans le labyrinthe des sensations. Si on ne lui trouve pas les diminutifs et les mignardises de la langue italienne, son allure est plus mâle. Elle est faite pour la conversation, lien des hommes et charme de tous les âges. Sûre, sociable et raisonnable, ce n'est plus la langue française, c'est la langue humaine. J../. Rousseau 76. L'amabilité française Le Français est naturellement bon, ouvert, hospitalier, bienfaisant: mais il y a aussi mille manières de parler qu'il ne faut pas prendre à la lettre, mille offres apparentes qui ne sont faites que pour être refusées. Je n'entendis jamais tant dire: «Comptez sur moi dans l'occasion, disposez de mon crédit, de ma bourse, de ma maison, de mon équipage. » Si tout cela était sincère et pris au mot, il n'y aurait pas de peuple moins attaché à la propriété ; la communauté des biens serait ici presque établie, le plus riche offrant sans cesse, et le plus pauvre acceptant toujours, tout se mettrait naturellement de niveau. Au lieu de cela, c'est peut-être la ville du monde où ces fortunes sont le plus inégales, et où régnent à la fois la plus somptueuse opulence et la plus déplorable misère. Au lieu de tous ces sentiments suspects et de cette confiance trompeuse, veux-je chercher des lumières et de l'in- struction, c'en est ici l'aimable source, et l'on est d'abord enchanté du savoir et de la raison qu'on trouve dans les entretiens, non seulement des savants et des gens de lettres, mais des hommes de tous les états, et même des femmes: le ton de la conversation y est coulant et naturel; il n'est ni pesant ni frivole; il est savant sans pédanteries, gai sans tumulte, poli sans affection. Ce ne sont ni des dissertations ni des épigram-mes: on y raisonne sans y argumenter; on y plaisante sans jeu de mots; on y associe avec art l'esprit et la raison, les maximes et les saillies, la satire aiguë, l'adroite flatterie et la morale austère. On y parle de tout, pour que chacun ait quelque chose à dire; on n'approfondit point les questions, de peur d'ennuyer: on les propose comme en passant, on les traite avec rapidité; la précision mène à l'élégance; chacun dit son avis et l'appuie en peu de mots; nul n'attaque avec chaleur celui d'autrui, nul ne défend opiniâtrement le sien; on discute pour s'éclairer, on s'arrête avant le dispute, chacun s'instruit, chacun s'amuse; tous s'en vont contents, et le sage même peut rapporter de ces entretiens des sujets dignes d'être médités en silence. Mme de Staël 77. L'esprit de conversation Il me semble reconnu qiie Paris est la ville du monde où l'esprit et le goût de la conversation sont le plus généralement répandus; et, ce regret indéfinissable de la patrie (qui est indépendant des amis même qu'on y a laissés) s'applique particulièrement à ce plaisir de causer, que les Français ne retrouvent nulle part au même degré que chez eux. Volney raconte que les Français émigrés voulaient, pendant la Révolution, établir une colonie et défricher les terres en Amérique; mais de temps en temps ils quittaient toutes leurs occupations pour aller, disaient-ils, causer à la ville; et cette ville, la Nouvelle Orléans, était à six cents lieues de leur demeure. Dans toutes les classes, en France, on sent le besoin de causer: la parole n'y est pas seulement, comme ailleurs, un moyen de se communiquer ses idées, ses sentiments et ses affaires; mais c'est un instrument dont on aime à jouer et qui ranime les esprits, comme la musique chez quelques peuples. Francoska citanka 6 V. Air et mer Jules Sandeau 78. Une promenade à la mer On était arrivé au 15 septembre. Ce jour-là, dans l'après-midi, le Pouliguen offrait l image de la solitude et de l'abandon; on aurait pu croire que la vie s'en était complètement retirée. Tous les habitants étaient dehors, les pêcheurs à la mer, les paludiers aux marais salants, les femmes à la récolte du varech ou à la pêche des crevettes. Il n'était resté que les enfants trop jeunes encore pour être emmenés, une douzaine de petits drôles qui, en l'absence de leurs parents, se trouvaient maîtres absolus de la place. Ils étaient tous entre sept et dix ans, sauf le fils Legoff, qui en avait douze. En raison de son grand âge et de son expérience précoce, on lui avait donné les autres à garder. Nous allons voir comment ce vénérable Mentor s'acquitta de sa tâche, et par quelles prouesses il justifia la confiance du bourg. Contrairement aux injonctions de leurs familles, tous mes polissons venaient de se jeter dans une barque amarrée au quai. Le sage Mentor s'était emparé des avirons qu'il manœuvrait à tour de bras, tandis que le reste de la bande, par un piétinement désordonné, imprimait à l'embarcation un mouvement de roulis ou de tangage qui leur permettait de se croire en plein Océan. Les choses ne devaient pas en rester là. Il y avait près d'une heure qu'ils se démenaient comme des possédés dans ce bateau qui ne marchait pas, et ils commençaient à se lasser d'un jeu qui les laissait à la même place, quand ce sacripant de Legoff, tout fier d'avoir en main les avirons, offrit à ses amis le régal d'une promenade autour de la baie. Les voilà partis, quelle fête! Christoph Colomb mettant le cap sur un monde nouveau n'était ni plus triomphant ni plus fier. Ils étaient à peine sortis du chenal, que l'embarcation devenait la proie du reflux qui les poussait au large sans qu'aucun d'eux s'en aperçût. Ils pensaient être encore dans la baie, qu'ils en étaient déjà loin. Les dunes, les rochers, le hameau, tous les accidents de la côte, s'abaissaient et s'amoindrissaient peu à peu derrière eux. L'étonnement, la stupeur, l'épouvante, se peignirent bientôt sur tous les visages. Ils se précipitèrent tous à la fois sur les rames, et manœuvrèrent si bien, qu'au bout de quelques secondes elles étaient le jouet des flots, sans qu'il fût possible de les repêcher. Ils jetèrent des cris désespérés: ils entraient dans la haute mer, Dieu seul pouvait les entendre. Le jour baissait, le soleil enflammait le couchant, et pas une voile à l'horizon, pas un chasse-marée en vue, pas une chaloupe, pas un bateau pêcheur! Perdus dans l'immensité, ils ne voyaient que le ciel et l'eau. Pressés les uns contre les autres, pâles, défaits et l'œil hagard, ils ne criaient plus, ils ne pleuraient pas, ils étaient terrifiés. Marc et Legoff étaient les seuls qui fissent encore bonne contenance. Legoff avait l'attitude révoltée d'un petit Ajax qui défie les dieux. Au moment où le soleil abîmait dans les flots, la barque s'affalait sur un banc de petits récifs que le jusant avait mis à fleur d'eau. Culbutés par la violence du choc, ils roulèrent pêle-mêle et se relevèrent en se tâtant les côtes. Ils en étaient quittes pour quelques meurtrissures ; mais la barque était en morceaux. Charles Baudelaire 79. L'homme et la mer Homme libre, toujours tu chériras la mer. La mer est ton miroir; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame, Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer. 5 Tu te plais à plonger au sein de ton image; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur Se distrait quelquefois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage. Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets: 10 Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes; O mer, nid ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets! Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remord, 15 Tellement vous aimez le carnage et la mort, O lutteurs éternels, ô frères implacables! Pierre Loti 80. Les pêcheurs d'Islande Leur navire s'appelait la Marée, capitaine Guermeur. 11 allait chaque année faire la grande pêche dangereuse dans ces régions froides où les étés n'ont plus de nuits. Il était très ancien, comme la Vierge de faïence, sa patronne. Ses flancs épais, à vertèbres de chêne, étaient imprégnés d'humidité et de saumure, mais sains encore et robustes. Au repos, il avait un air lourd, avec sa membrure massive, mais quand les grandes brises d'ouest soufflaient, il retrouvait sa vigueur légère, comme les mouettes que le vent réveille. Quant à eux, les six hommes et le mousse, ils étaient des Islandais — une race vaillante de marins cpii est répandue surtout au pays de Paimpol et de Tréguier, et qui s'est vouée de père en fils à cette pêche-là. Ils n'avaient presque jamais vu l'été en France. Le navire se balançait lentement sur place. Yann et Sylvestre avaient préparé très vite leurs hameçons et leurs lignes, tandis que l'autre ouvrait un baril de sel, et, aiguisant son grand couteau, s'asseyait derrière eux pour attendre. Ce ne fut pas long. A peine avaient-ils jeté leurs lignes dans cette eau tranquille et froide, ils les relevèrent avec des poissons lourds, d'un gris luisant d'acier. Et toujours, les morues vives se faisaient prendre: c'était rapide et incessant, cette pêche silencieuse. L'autre éventrait avec son grand couteau, aplatissait, salait, et la saumure qui devait faire leur fortune au retour, s'empilait derrière eux, toute ruisselante et fraîche. . Ils continuèrent de pêcher, car il ne fallait pas perdre son temps en causeries: on était au milieu d'une immense peuplade de poissons, d'un banc voyageur, qui depuis deux jours ne finissait pas de passer. Ils avaient tous veillé la nuit d'avant et attrapé en trente heures plus de mille mornes très grosses; aussi leurs bras forts étaient las, et ils s'endormaient. José-Maria de Heredia 81. Maris Stella Sous les coiffes de lin, toutes, croisant leurs bras Vêtus de laine rude ou de mince percale, Les femmes à genoux sur le roc de la cale, Regardent l'Océan blanchir l'île de Batz. 5 Les hommes, pères, fils, maris, amants, là-bas, Avec ceux de Paimpol, d'Audierne et de Cancaie, Vers le Nord sont partis pour la lointaine escale. Que de hardis pêcheurs qui ne reviendront pas! Par-dessus la rumeur de la mer et des côtes 10 Le chant plaintif s'élève, invoquant à voix hautes L'Étoile sainte, espoir des marins en péril; Et l'Angélus, courbant tous ces fronts noirs de hâle, Des clochers de Roscoff à ceux de Sybiril S'envole, tinte et meurt dans le ciel rose et pâle. Victor Hugo 82. Le capitaine du Normandy Dans la nuit du 17 mars 1870. le capitaine Harvey faisait sont trajet habituel de Southampton à Guernesey. Une brume couvrait la mer. Le capitaine était debout sur la passerelle du steamer et manœuvrait avec précaution, à cause de la nuit et du brouillard. Les passagers dormaient. Le Normandy était un grand navire, le plus beau peut-être des bateaux-poste de la Manche, 600 tonneaux; il était »jeune«, comme disent les marins, il n'avait pas sept ans. Le brouillard s'épaississait, on était sorti de la rivière de Southampton, on était en pleine mer. Il était quatre heures du matin. L'obscurité était absolue; on distinguait à peine la pointe des mâts. Tout à coup, dans la brume, une noirceur surgit, trouant les ténèbres. C'était la Mary, grand steamer à hélice, venant d'Odessa, avec un chargement de 500 tonnes de blé. La Mary courait droit sur le Normandy. Nul moyen d'éviter l'abordage, tant ces spectres de navire dans le brouillard se dressent vite. Avant qu'on ait achevé de les voir, on est mort. La Mary, lancée à toute vapeur, prit le Normandy par le travers et l'éventra. Du choc, elle-même, avariée, s'arrêta. Il y avait sur le Normandy vingt-huit hommes d'équipage, une femme de service et trente et un passagers, dont douze femmes. La secousse fut effroyable. En un instant, tous furent sur le pont, hommes, femmes, enfants, demi-nus, courant, criant, pleurant. L'eau entrait, furieuse. Le capitaine Harvev, droit sur la passerelle de commandement, cria: « Silence, tous, et attention! Les canots à la mer. Les femmes d'abord, les passagers ensuite, l'équipage après. Il y a soixante personnes à sauver.» On était soixante et un, mais il s'oubliait. On détacha les embarcations. Tous s'y précipitaient. Cette hâte pouvait faire chavirer les canots. Ockleford, le lieutenant, et les trois contremaîtres continrent cette foule éperdue d'horreur. Dormir, et tout à coup, et tout de suite, mourir, c'est affreux. Cependant, au-dessus des cris et des bruits, on entendait la voix grave du capitaine, et ce bref dialogue s'échangeait dans les ténèbres: « Mécanicien Locks ? -— Capitaine? — Comment est le fourneau? — Noyé. — Le feu? — Éteint. — La machine? — Morte! » Le capitaine cria: « Lieutenant Ockleford? » Le lieutenant répondit: « Présent. » Le capitaine reprit: « Combien avons-nous de minutes? — Vingt. — Cela suffit, dit le capitaine. Que chacun s'embarque à son tour. Lieutenant Ockleford, avez-vous vos pistolets? — Oui, capitaine. — Brûlez la cervelle à tout homme qui voudrait passer avant une femme. » Tous se turent. Personne ne résista, cette foule sentant au-dessus d'elle une grande âme. La Mary, de son côté, avait mis ses embarcations à la mer, et venait au secours de ce naufrage qu'elle avait fait. Le sauvetage s'opéra avec ordre et presque sans lutte. Il y avait comme toujours, de tristes égoïsmes; il y eut aussi de pathétiques dévouements. Harvey, impassible à son poste de capitaine, commandait, dominait, dirigeait, s'occupait du tout et de tous, et semblait donner des ordres à la catastrophe. On eût dit que le naufrage lui obéissait. A un certain moment il cria: « Sauvez Clément! » Clément, c'était le mousse, un enfant. Le navire décroissait lentement dans l'eau profonde. On hâtait le plus possible le va-et-vient des embarcations entre le Normandy et la Mary. « Faites vite », criait le capitaine. A la vingtième minute le steamer sombra. L'avant plongea d'abord, puis l'arrière. Le capitaine Harvey, debout sur la passerelle, ne fit pas un geste, ne dit pas un mot, et entra immobile dans l'abîme. On vit, à travers la brunie sinistre, cette statue noire s'enfoncer dans la mer. Ainsi finit le capitaine Harvey. Après s'être imposé toute sa vie le devoir d'être un homme, il usa en mourant du droit d'être un héros. Victor Hugo 83. Nuit sur l'océan Oh! combien de marins, combien de capitaines, Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis! Combien ont disparu, dure et triste fortune! 5 Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Dans l'aveugle océan à jamais enfouis ! . .. Combien de patrons morts avec leurs équipages! L'ouragan, de leur vie a pris toutes les pages, Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots! 10 Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée; Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée; L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots. Ernest Laoisse 84. Des ailes! Des ailes! Mes chers enfants, au temps, où vous étiez tout petits, ce fut une de vos fantaisies de vouloir attraper les oiseaux. Un hardi pierrot prenait terre auprès de vous; d'une allure de jouet mécanique, il sautillait à droite, à gauche, en avant, en arrière et vous disait des bonjours par des signes de tête brusques. Vous trottiniez vers lui, la main tendue; mais le hardi pierrot est aussi un pierrot prudent; d'un coup d'aile rasant la terre, il s'éloignait un peu, se posait de nouveau, se remettait à sautiller, et vous, qui vous étiez arrêtés un moment, vous recommenciez à trottiner, la main tendue toujours. Alors le petit oiseau du ciel, voyant votre insistance, s'envolait vers l'arbre ou vers le toit voisin; et vous, haussés sur la pointe de vos pieds, vous leviez vers le ciel vos regards et vos bras comme pour vous envoler. Les grandes personnes se moquaient de vous; elles vous ont, bien sûr, conseillé un moyen de prendre le pierrot: « Mets-lui un grain de sel sur la queue, et il ne bougera plus. » Mais elles étaient bien sottes de se moquer de vous, les grandes personnes; votre fantaisie, c'était un vieux rêve de l'humanité: Des ailes! Des ailes! Il y a trois mille et quelque centaines d'années, la Grèce naissante contait l'aventure d'un père et d'un fils, l'un nommé Dédale et l'autre Icare, qui, enfermé en Crète dans une prison, se fabriquèrent des ailes avec des plumes et de la cire, et s'envolèrent. Le père, volant bas, atteignit la côte italienne; mais le fils — la jeunesse ne doute de rien — voulut profiter de l'occasion pour aller regarder le soleil d'un peu près, et alors la chaleur fit fondre la cire, et le pauvre Icare tomba dans la mer où il mourut. Qui sait par combien de têtes, depuis ces temps lointains, a passé ce rêve, si naturel à l'être dont le visage est tourné vers le ciel, et dont le regard est attiré par les splendeurs et par le mystère de l'espace sans fin. Voilà passé six siècles qu'un moine anglais, Roger Bacon, prédisait une machine au milieu de laquelle un homme assis ferait mouvoir des ailes artificielles qui battraient l'air comme celles d'un oiseau. Puis le rêve rentra dans le silence. Tout à coup, il faillit devenir une réalité. Ce fut à la fin de l'avant-dernier siècle, de ce XVIIIme siècle qui eut tant d'ambitions et tant d'audaces. A la veille de la Révolution, Blanchard passionna Paris et Versailles par l'invention d'une «machine volante» et par la promesse de «disputer à l'aigle le chemin des nues»; on a célébré les frères Montgolfier, inventeurs illustres du ballon ... Dans ces dernières années, le problème de la conquête de l'air s'est posé en plusieurs pays: diriger le ballon, ou bien inventer une machine volante. Des hommes y ont appliqué la volonté et la patience de leur esprit, et c'est une histoire magnifique que celle de ce travail. Des essais ont attiré l'attention publique; les catastrophes l'ont émue; toute cause qui a des martyrs est sacrée grande cause. Peu à peu, le ballon dirigeable assurait sa marche, et l'aéroplane disciplinait ses ailes. Enfin, les grandes preuves furent faites: le dirigeable du comte Zeppelin voyagea dans les airs d'Allemagne; un matin, Blériot s'envola de la côte de France... J'avais bien raison de vous dire qu'elles étaient sottes, les grandes personnes, quand elles se moquaient de votre geste d'envolée qui fut celui du premier marmot à la vue du premier pierrot. C'était un geste en avant, et vous étiez des précurseurs. George Duruy 85. Les frères Montgolfier Une des plus merveilleuses inventions du XYIIIme siècle est celle des aérostats, connus communément sous le nom de ballons. Les deux frères Joseph et Étienne Montgolfier naquirent l'un en 1740 et l'autre en 1745. Leur père, qui dirigeait une importante fabrique de papier, avait une assez belle aisance, ce qui lui permit de faire donner à ses enfants une instruction très complète. Arrivé à l'âge d'homme, Joseph, l'aîné, fut pris par son père pour associé. Il en profita pour donner carrière à son esprit inventif et appliqua à la fabrication du papier des procédés nouveaux. Un hasard heureux le mit sur la voie de l'invention des aérostats. A quelque temps de là, Étienne Montgolfier, qui était allé compléter ses études à Paris, en fut rappelé par la mort de son père et vint s'installer auprès de son aîné qu'il chérissait tendrement. Joseph lui communiqua l'idée qu'il avait conçue de construire une machine pour s'élever dans l'air. Le projet plut à Étienne, qui entra aussitôt dans les projets de son frère et se mit au travail avec lui. Le 5 juin 1783, les deux frères résolurent de procéder à une expérience publique. Ils avaient construit un appareil en toile doublée de papier, de forme ronde, avec une ouverture par laquelle on fit entrer de l'air échauffé par la combustion de plusieurs bottes de paille. Cette machine, qui pesait cinq cents livres, n'eut pas été plus tôt remplie d'air chaud, qu'elle s'éleva majestueusement jusqu'à une grande hauteur, aux applaudissements enthousiastes de la foule. Le succès de l'expérience décida les deux frères à la renouveler sous les yeux du roi Louis XVI et de sa cour. Étienne partit pour Paris, et obtint un véritable triomphe. Le nom de montgolfières fut donné aux aérostats à l'air chaud. Charles Rabot 86. Le naufrage du brise-glace Tchéliouskine L'expédition montée sur le Tchéliouskine, était chargée d'étudier les possibilités d'une route vers l'Extrême-Orient par l'océan Glacial de Sibérie. Dans le courant de juillet, l'expédition quittait Léningrad; elle comptait cent deux personnes. L'été dernier, les banquises ayant été très abondantes dans la partie occidentale de l'océan Glacial de Sibérie, le Tchéliouskine double très tard la pointe septentrionale de l'Asie, le 1er septembre seulement. De là, il poursuivait sa route. Le 19 septembre, il arrivait jusqu'au but. Encore un jour ou deux de navigation, et il entrait dans le détroit de Béring et bientôt après dans le Pacifique. Mais voici qu'il se trouve coincé entre les glaces. Tous les efforts pour le dégager demeurent inutiles. Des dispositions sont alors prises en vue de l'hivernage, lorsque, sous la poussée du courant marin, la banquise se met en mouvement, entraînant avec elle le vapeur. Il arriva, un mois plus tard, dans le détroit de Béring. Mais un coup de vent jette le Tchéliouskine au milieu de la banquise riveraine de la côte américaine du détroit. Sous l'impulsion d'un courant portant au nord, cette masse de glace se meut suivant cette direction. Le navire russe se trouve ainsi ramené dans l'océan de Sibérie. A la fin de décembre la situation devenant tout à fait préoccupante, Schmidt, en chef prudent, ordonne le débarquement sur la banquise des vivres et du matériel de campement afin que l'équipage puisse subsister si le navire captif coule. Au début de février, le Tchéliouskine se trouve complètement cerné par des monticules de glace. Le 13, par un froid de —30°, l'ouragan se déchaîne, accompagné de tourbillons de neige qui bouchent la vue. Des vagues de glace hautes de plus de 8 mètres viennent heurter le navire avec une force irrésistible. Sous le choc, une déchirure s'ouvre. A bâbord, la coque est défoncée sur toute la longueur du navire; par cette brèche, des flots d'eau pénètrent dans les cales, et bientôt Tchéliouskine disparaît englouti sous la banquise meurtrière. Aussitôt après l'engloutissement du Tchéliouskine les radiotélégraphistes du bord établirent un poste de T. S. F. sur la banquise et lancèrent un vibrant appel de détresse. Immédiatement, des brise-glaces partent au secours des naufragés, tandis que des meutes de chiens sont rassemblées sur la côte de Sibérie pour tenter la traversée de la banquise et que de puissants avions arrivent au poste de T. S. F. installé au cap de Vellen. Le sauvetage par la voie de l'air commence le 5 mars: ce jour-là, par 40° sous zéro, le pilote Liapidevski, un as entre les as, parvenait à se poser sur un champ de glace voisin du camp. Un coup de maître cet atterrissage sur un terrain de 200 mètres de long tout bosselé. L'avion apportait aux naufragés un changement de viande de renne fraîche, excellent remède contre le scorbut. Cet approvisionnement mis à terre, les dix femmes et les deux enfants de l'expédition sont installés dans la carlingue, puis, Liapidevski parvient à enlever son appareil. Bientôt après, ces douze rescapés de la banquise arrivaient au poste du cap Vellen. Le 7 avril, deux avions pilotés par les aviateurs Kamanine et Molokof réussissaient à sauver cinq naufragés. Bientôt après les autres furent sauvés. Le 13 avril, on relatait de Moscou: «Aujourd'hui, trois avions pilotés par Molokof, Vodo-pianov et Kamanine ont recueilli les six derniers rescapés du camp Schmidt. Les huit chiens de l'expédition ont également été sauvés. » VI. Nature Léon de Lapérouse 87. Scoutisme Scouts de France, Éclaireurs, Guides de France ... Toujours prêts ... A ces divers termes, dont on les désigne selon la fédération qui les groupe, il faut donner le même sens dérivé ou traduit de notre vieux mot français escoute. Ils sont à l'es-coute; ils éclairent et guident. « Us » et « elles ». Nos garçons et nos filles. Ils pratiquent un code moral: la loi scoute; ils sont liés par une promesse d'honneur. Les insignes qu'ils portent: les drapeux qu'ils suivent; les saluts qu'ils échangent; les équipement dont ils usent; le cérémoniel qu'ils échangent; les chants qui marquent les heures de leur vie; tout cela est empreint d'un symbolisme qui rend toujours présent à leur esprit les préceptes de la loi. Ce sont des enfants de sept à onze ans, les Louveteaux, les Jeannettes, ou les Petites Ailes; puis des adolescents, les Scouts, les Éclaireurs 011 les Guides; puis les jeunes hommes qui ont atteint leurs dix-huit ans, les Routiers. Ils sont formés en équipes: meutes, patrouilles, troupes, clans, districts, provinces. Toutes leurs fédérations françaises ont un unique président général. C'est ce maréchal de France — dont l'œuvre entière est dominée par la pensée de l ordre à créer, à sauvegarder, à rénover — Hubert Lyau-tey. Ils ont de beaux patrons: saint Georges et François d'Assise, qu'ils invoquent autour des feux de camp, qui prêcha les oiseaux et apprivoisa le loup de Gubbio, et saint Louis et Messire Du Guesclin, et Bayard, et sainte Jeanne d'Arc. Chaque jour, ils s'efforcent de faire une B. A., une bonne action. Ils suivent une méthode d'éducation où ils ne s'engagent qu'avec l'agrément de leurs parents: qui reste conciliable avec leur devoir d'état, scolaire ou professionnel; qui développe en eux l'esprit d'équipe, avec tout ce que cela implique de camaraderie agissante et confiante, qui suscite l'initiative, le respect humain et la peur des responsabilités. Quand, à dix-huit ans, ils prennent la route, le chef leur dit: « Si la route te manque, fais-la! » Déjà, lors de leurs promesses, ils ont embrassé la loi scoute: Mettre son honneur a mériter confiance. Être loyal à son pays, à ses parents, à ses chefs. Être fait pour servir et sauver son prochain. Être Vami de tous et le frère de tout autre scout. Être courtois et chevaleresque. Voir dans la nature l'œuvre de Dieu, aimer les plantes et les animaux. Obéir sans réplique; ne rien faire à moitié. Sourire et chanter dans les difficultés. Être économe; prendre soin du bien d'autrui. Être pur dans ses pensées, ses paroles et ses actes. Et les voici au camp. Le commissaire de province en a choisi le site. Le camp .. . grande école! Les forêts, les montagnes, les ruisseaux, les horizons, la mer. les plantes et les bêtes, la nature et ses secrets qui se dévoilent; la vie simple et parfois rude, l'entr aide qu'elle requiert, le sens d'observation qu'elle aiguise, les poumons qui s'enflent d'air pur. Alsace, Aquitaine, Artois, Auvergne, Flandres et Bourgogne, Bretagne et Limousin, Ile-de-France et Provence, toutes nos provinces, et aussi Algérie et Maroc et d'autres territoires d'outre-mer groupent ainsi leurs enfants aux camps. André Theuriet 88. La forêt Les gens du monde s'imaginent que les bois ne sont peuplés que de trois ou quatre grandes espèces dominantes, comme le chêne, le hêtre, le sapin et le châtaignier; ils ne se doutent pas qu'à côté de ces races princières il y a le menu peuple des arbres, dont les physionomies sont aussi tout originales. C'est ainsi que dans la profonde forêt de l'histoire, on ne voit d'abord que certaines personnalités héroïques; mais, si on prend la peine de plonger plus à fond et d'étudier les individualités obscures et négligées, on découvre des caractères curieux et des figures intéressantes. Celui qui écrirait une monographie des essences secondaires trouverait là matière à des observations neuves et utiles. Il y a le charme, par exemple, ce cousin germain du hêtre; ceux qui n'ont pas vu une futaie de charmes ne peuvent se faire une idée de l'élégance de cet arbre aux fûts minces et noueux, aux brins flexibles, au feuillage ombreux et léger. Et le bouleau! que n'aurait-on pas à dire sur la grâce de cet hôte des clairières sablonneuses, avec son écorce de satin blanc, ses fines branches souples et pendantes où les feuilles frissonnent au moindre vent? En avril, toutes les veines du bouleau sont gonflées d'une sève rafraîchissante; nos paysans enfoncent un chalumeau à la base du tronc et y recueillent un breuvage limpide et aromatique. J'en ai goûté une fois, et, grisé par cette pétillante liqueur, je me suis couché au pied de l'arbre en proie à une délicieuse hallucination. Il me semblait que dans mes veines circulait et fermentait la sève des plantes forestières, et que moi-même j'allais verdir et bourgeonner. J'étais devenu un bouleau, l'air jouait mélodieusement dans mes ramures couvertes de chatons en fleur, les fauvettes chantaient dans mes feuilles, et les sauges odoriférantes s'épanouissaient à ma base... C'était un enchantement, je t'assure! — Je ne te nommerai que pour mémoire l'érable, à l'écorce rugueuse et aux feuilles tridentées, le frêne, aimé des cantarides, le sycomore, riverain des sources vives, le tremble au feuillage argenté: mais je ne veux pas quitter le sujet sans te dire tout le bien que je pense du tilleul, qui peuple nos taillis de son épaisse frondaison. Le chêne est la force de la forêt, le bouleau en est la grâce; le sapin, la musique berceuse; le tilleul, lui, en est la poésie intime. L'arbre tout entier a je ne sais quoi de tendre et d'attirant; sa souple écorce, grise et embaumée, saigne à la moindre blessure; en hiver, ses pousses sveltes s'empourprent comme le visage d'une jeune fille à qui le froid fait monter le sang aux joues; en été, ces feuilles en forme de cœur ont un susurrement doux comme une caresse. Va te reposer sous son ombre, par une belle après-midi de juin, et tu seras pris comme par un charme. Tout le reste de la forêt est assoupi et silencieux; à peine entend-on au loin le roucoulement des ramiers ; la cime arrondie du tilleul, seule, bourdonne dans la lumière. Au long des branches, les fleurs d'un jaune pâle s'ouvrent par milliers, et dans chaque feuille chante une abeille. C'est une musique aérienne, joyeuse, née en plein soleil, et qui filtre peu à peu jusque dans les dessous assombris où tout est paix et fraîcheur. En même temps chaque feuille distille une rosée mielleuse qui tombe sur le sol en pluie impalpable, et, attirés par la saveur sucrée de cette manne, tous nos grands papillons de bois, les morios bruns, liserés de jaune, les vulcains diaprés d'un rouge feu, les mars à la robe couleur d'iris, tournoient lentement dans cette demi-obscurité comme de magnifiques fleurs ailées. C'est surtout pendant les nuits d'été que la magie du tilleul se révèle dans toute sa puissance. Au parfum des prés mûris, la forêt mêle la balsamique odeur des tilleuls. C'est une senteur moins pénétrante que celle des foins coupés, mais plus embaumée et faisant rêver à de lointaines féeries. André Tlieuriet 89. Le chant des bûcherons Voici les bûcherons, les francs coupeurs de chênes. Par la neige ou la pluie, ils font leur dur métier; Dès que le jour commence, en route! Le gibier Ne rôde pas plus qu'eux dans les forêts lointaines; 5 Leurs jarrets sont de fer, leurs muscles sont d'acier. Voici les bûcherons, les francs coupeurs de chênes! L'arbre, dans le taillis comme un géant campé, Au-dessus du chemin dressait sa grande taille; Son tronc large et noueux semblait une muraille . . . 10 Dans l'herbe le voilà gisant... Qui l'a frappé? Ce sont les bûcherons, ils ont comme une paille Brisé l'arbre géant dans le taillis campé. Qui nourrit de charbon la fournaise béante, Où l'on coule la fonte, où l'on forge le fer? 15 Qui fournit leurs grands mâts aux vaisseaux de la mer? Qui donne à la maison sa porte et sa charpente? Qui fait luire dans l'âtre un soleil en hiver Et nourrit de charbon la fournaise béante. Ce sont les bûcherons. — Leur bras n'est jamais las. 20 Parfois, quand la forêt, de brouillards imprégnée, Fait silence l'hiver, le bruit d'une cognée, Ou d'un chêne qui roule et tombe avec fracas, Retentit dans le fond d'une combe éloignée ... Ce sont les bûcherons, leur bras n'est jamais las. 25 H onneur aux bûcherons, aux francs coupeurs de chênes! Ils n'ont pas sitôt mis le pied hors du taillis, Qu'ils se sentent le cœur pris du mal du pays. Au bois est leur patrie, au bois sont leur domaines: Leurs fils y grandiront près des pères vieillis, 30 Les fils des bûcherons, des francs coupeurs de chênes! » Élisée Reclus 90. L'aspect des montagnes Quel contraste entre la vue des plaines et l'aspect de la montagne, lorsque la cime en est dégagée de vapeurs et qu'on peut la contempler de loin à travers la lourde atmosphère qui pèse sur les terres basses! Le spectacle est beau, surtout lorsque la pluie a fait tomber sur le sol les poussières flottantes, que l'air est rajeuni, pour ainsi dire. Le profil de rochers et de neiges se détache nettement du bleu des cieux; malgré l'énorme distance, le mont, azuré lui-même comme les profondeurs aériennes, se peint sur le ciel avec tout son relief d'arêtes et de promontoires: on distingue les vallons, les ravins, les précipices; parfois même à la vue d'un point noir qui se déplace lentement sur les neiges, on peut, à l'aide d'une lunette d'approche, reconnaître un ami gravissant la cime. Le soir, après le coucher du soleil, la pyramide se montre dans sa beauté la plus pure et la plus splendide à la fois. Le reste de la terre est dans l'ombre, le gris du crépuscule voile les horizons des plaines; l'entrée des gorges est déjà noircie par la nuit. Mais là-haut tout est lumière et joie. Les neiges que regarde encore le soleil, en réfléchissent les rayons roses; elles flamboient et leur clarté paraît d'autant plus vive que l'ombre monte peu à peu, envahissant successivement les pentes, les recouvrant comme d'une étoffe noire. A la fin, la cime est seule assez haute pour apercevoir le soleil par dessus les courbures de la terre; elle s'illumine comme d'une étincelle; on dirait un de ces diamants prodigieux qui. d'après les légendes hindoues, fulguraient au sommet des montagnes divines. Mais soudain la flamme a disparu, elle s'est évanoui dans l'espace. Qu'on ne cesse de regarder pourtant: au reflet du soleil succède celui des vapeurs empourprées de l'horizon. La montagne s'illumine encore une fois, mais d'un éclat plus doux. La roche dure ne semble plus exister sous son vêtement de rayons; il ne reste qu'un mirage, une lumière aérienne; on croirait que le mont superbe s'est détaché de la terre et flotte dans le ciel pur. Ainsi, la rareté de l'air des hautes régions contribue à la beauté des cimes en empêchant les souillures de la basse atmosphère gagner les sommets; mais elle force aussi les vapeurs invisibles qui s'élèvent de la mer et des plaines à se condenser et à s'attacher en nuages aux flancs de la montagne. D'ordinaire, l'eau vaporisée suspendue dans les couches supérieures de l'air ne s'y trouve pas en quantité assez considérable pour qu'elle se change immédiatement en nuages et retombe en pluie: l'atmosphère où elle flotte la maintient à l'état de gaz invisible. Mais que la couche d'air monte dans le ciel, emportant ses vapeurs, elle se refroidira graduellement, et son eau, condensée en molécules distinctes, se révélera bientôt. C'est d'abord une nuelle presque imperceptible, un flocon blanc dans le ciel bleu; mais à ce flocon s'en ajoutent d'autres; maintenant, c'est un voile, dont les déchirures laissent çà et là pénétrer le regard dans les profondeurs de l'espace; à la fin. c'est une masse épaisse se déployant en rouleaux ou s'entassant en pyramides. Il est de ces nuages qui se Francoska čitanka 7 dressent sur l'horizon en forme de véritables montagnes. Leurs crêtes et leurs dômes, leurs neiges, leurs glaces resplendissantes, leurs ravins ombreux, leurs précipices, tout le relief se révèle avec une netteté parfaite. Seulement, les monts de vapeur sont flottants et fugitifs; un courant d'air les a formés, un autre courant peut les déchirer et les dissoudre. A peine leur durée est-elle de quelques heures, tandis que celle des monts de pierre est de millions d'années: mais en réalité la différence est-elle donc si grande? Relativement à la vie du globe, nuages et montagnes sont également des phénomènes d'un jour. Minutes et siècles se confondent, lorsqu'ils se sont engouffrés dans l'abîme des temps. Théophile Gauiier 91. J'étais monté plus haut... J'étais monté plus haut que l'aigle et le nuage; Sous mes pieds s'étendait un vaste paysage Cerclé d'un double azur par le ciel et la mer, Et les crânes pelés des montagnes géantes 5 En foule jaillissaient des profondeurs béantes, Comme de blancs écueils sortant du gouffre amer. C'était un vaste amas d'éboulements énormes, Des rochers grimaçant dans des poses difformes, Des pics dont l'œil à peine embrasse la hauteur, 10 Et, la neige faisant une écume à leur crête, On eût dit une mer prise un jour de tempête, Un chaos attendant le mot du Créateur. Différents auteurs 92. La houille L'origine végétale de la houille est depuis longtemps reconnue. Arrachés au sol qui les a vus naître, les plantes et les arbres furent entraînés dans un lac ou dans un golfe. Là, après avoir flotté à la surface, ils ont fini, saturé d'eau, par tomber au fond où ils ont été enveloppés par les détritus de terres. Ils sont demeurés longtemps, dans leur sépulture, où, soumises à de nombreuses actions chimiques, ils ont passé à la forme minérale de houille. Les endroits où il y a des gisements de la houille qu'on exploite, s'appellent houillères ou mines de houille. La houille ou charbon de terre est tirée des profondeurs du sol par des ouvriers appelés mineurs. Ceux-ci descendent aux entrailles de la terre par un trou noir, appelé puits. Certains points ont un millier de mètres de profondeur. Arrivés au fond, ils se répandent par les galeries, chemins pratiqués dans la mine. Pour éviter les éboulements, on étançonne les parois par des pièces de bois. Le mineur ne voit pas souvent le soleil. Il travaille au sein de la terre, éclairée seulement par la faible lueur d'une petite lampe. Parfois un gaz appelé grisou se répand dans la mine. Si par malheur ce gaz prend feu, une terrible explosion se produit, tuant, brûlant les ouvriers, détruisant les galeries. Les houilleurs abattent la houille que l'on fait transporter dans de petits wagons au puits d'extraction. De là, les wagonnets sont transportés à l'extérieur dans des cages de fer. Avant d'être livré à la consommation, le charbon subit souvent certaines manipulations: le concassage, qui facilite le triage; le triage qui élimine les pierres et parties schisteuses; le criblage, qui classe les morceaux de combustible par grosseur; le lavage, pour éliminer les impuretés de certaines houilles. Le charbon de terre est un précieux combustible qui dégage en brûlant beaucoup de chaleur. La houille est utilisée pour le chauffage domestique et le chauffage industriel. De la houille on extrait le gaz d'éclairage et le coke. Celui-ci est employé dans les hauts fourneaux à la fabrication de la fonte. La houille est aussi utilisée à produire la vapeur qui fait marcher les locomotives de nos chemins de fer. Différents auteurs _ „ 93. Le ter Le fer est un métal très ductile, mais en même temps très résistant. Il est connu depuis la plus haute antiquité. C'est un métal que l'on trouve dans le sol sous la forme de minerai. Les gisements de fer sont surtout exploités en Angleterre, en Allemagne, en France et aux États-Unis. On fait fondre ce minerai dans de grands fours appelés hauts fourneaux, et la fonte est transformée en fer. En laissant à celui-ci une certaine quantité de carbone, on obtient l'acier. La fonte à l'état liquide est coulée dans des moules dont elle prend exactement la forme. On en fait des roues de machines, des poêles, des marmites, etc. L'acier peut se fondre ou se forger. Il est très dur et en même temps très élastique. Aussi l'emploie-t-on pour fabriquer les rails des chemins de fer, les roues, les canons, les fusils, les ressorts, les aiguilles et les outils tranchants, comme canifs, couteaux, ciseaux, haches, etc. Le fer est livré au commerce en lames, en fils ou en barres. Avec le fer en lames, on fait les seaux, les arrosoirs, les casseroles, etc.; avec le fil de fer, on fabrique les clous, les grillages; enfin, le fer en barres est transformé en une infinité d'objets tels que serrures, clefs, etc. Le fer est le plus utile de tous les métaux. Dans l'industrie, dans l'agriculture, dans tous les services publics, dans nos maisons, le fer et l'acier sont d'un usage journalier, ils nous procurent les objets les plus divers, et la vie ne serait plus possible sans eux. Si, tout à coup, le fer disparaissait, ce serait un effondrement de notre civilisation. Différents auteurs 94. Le volcan Un volcan est une montagne de forme pyramidale qui vomit des tourbillons de feu et des matières embrasées par une ouverture appelée cratère. Par là s'échappent dans les airs les gaz enflammés, de la fumée, de la vapeur d'eau; par là s'élancent et retombent sur le sol des cendres et des pierres; par là s'écoule une sorte de boue brûlante qu'on nomme lave. La puissance d'explosion d'un volcan est assez violente pour faire trembler la terre, agiter la mer. détruire les villes. L'Etna et le Vésuve sont les deux principaux volcans de l'Europe. L'an 79 avant J.-C.. une terrible éruption du Vésuve détruisit plusieurs villes florissantes. Il y a aussi des volcans éteints. Certains terrains du centre et du midi de la France sont volcaniques. La lave refroidie a la couleur d'ardoise. Elle a une dureté et une solidité égales à celles du marbre. En Auvergne, on exploite des carrières de lave pour bâtir des maisons. Eugène Rambert 95. Les glaciers Les grands glaciers ont ceci de remarquable qu'ils se forment à l'ordinaire par la réunion de plusieurs glaciers. Les rivières ont besoin de quelque temps pour confondre les eaux; les glaciers se soudent et ne se mêlent pas. Si l'un est plus pur que l'autre, il se distingue encore par sa blancheur dans ie lit où ils coulent côte à côte. Leurs moraines d'ailleurs les accompagnent et les séparent fidèlement. Chacune d'elles est une limite, et il suffit d'en considérer le réseau pour décomposer le glacier. Parmi les plus grands glaciers de la Suisse, on en compte trois qui jouissent d'une célébrité particulière, celui de l'Aar, celui d'Aletsch et celui du Mont-Rose. Le premier est le plus simple. Deux fleuves jumeaux tombent des montagnes, et, séparés par une muraille de rochers, coulent parallèlement: puis la muraille s'abaisse, ils se joignent et remplissent de leur flots apaisés une vallée haute et large, où ils cheminent d'un cours égal et majestueux: tel est le glacier de l'Aar. Celui d'Aletsch est le glacier roi, qui ne connaît que des tributaires. Derrière l'Aletschhorn se cache un réservoir où se rassemblent les eaux solides de tout un amphithéâtre de montagnes; le glacier d'Aletsch s'en échappe, pour s'engager dans la vallée au long cours, qui, au lieu de lui ouvrir le chemin de la plaine, le fait tourner lentement autour de la cime où il a pris naissance et dont il porte le nom. Du haut de l'Aletschhorn on peut, à volonté, faire rouler des quartiers de roc au nord, au sud, à l est et à l'ouest; tous, par une route, où par une autre, rejoindront le glacier géant qui fait ceinture autour de lui. Bien différent est celui du Mont-Rose: c'est le glacier composite, multiple, gigantesque, produit de dix glaciers formidables. Ils descendent de toutes les pointes du Mont-Rose, les uns purs, les autres souillés, les uns à flots tranquilles, les autres en se brisant aux parois des ravines, et viennent se réunir dans la vaste enceinte que dominent tant de sommets rivaux. C'est moins un fleuve qu'une mer en mouvement; une mer qui tout à coup voit le chemin se fermer devant elle, et qui ne trouve d'issue que par une gorge étroite entre deux murailles inébranlables. Le glacier s'y précipite, il se fait torrent, se brise, se hérisse, puis se tordant lui-même à un dernier contour de la gorge, il en débouche, abrupt et tourmenté, et vient mourir sur le fond verdoyant de la vallée. Fénelon 96. La grotte de la déesse Calypso La grotte de la déesse Calypso était taillée dans le roc, en voûte pleine de rocailles et coquilles; elle était tapissée d'une jeune vigne qui étendait ses branches souples également de tous côtés. Les doux zéphyrs conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse fraîcheur: des fontaines coulant avec un doux murmure sur des prés semés d'amarantes et de violettes, formaient en divers lieux des bains aussi purs et aussi clairs que le crystal: mille fleurs naissantes émaillaient les tapis verts dont la grotte était environnée. Là, on trouvait un bois de ces arbres touffus qui portent des pommes d'or, et dont la fleur, qui se renouvelle dans toutes les saisons, répand le plus doux de tous les parfums; ce bois semblait couronner ces belles prairies et formait une nuit que les rayons du soleil ne pouvaient percer. Là, on n'entendait jamais que le chant des oiseaux ou le bruit d'un ruisseau, qui, se précipitant du haut d'un rocher, tombait à gros bouillons pleins d'écume, et s'enfuyait au travers de la prairie. La grotte de Calypso était sur le penchant d'une colline. De là, on découvrait la mer, quelquefois claire et unie comme une glace, quelquefois follement irritée contre les rochers, où elle se brisait en gémissant, et élevant ses vagues comme des montagnes. D'un autre côté on voyait une rivière où se formaient des îles bordées de tilleuls fleuris et de hauts peupliers qui portaient leurs têtes superbes jusque dans les nues. Les divers canaux qui formaient ces îles semblaient se jouer dans la campagne: les uns roulaient leurs eaux claires avec rapidité; d'autres avaient une eau paisible et dormante; d'autres par de longs détours, revenaient sur leurs pas comme pour remonter vers leur source, et semblaient ne pouvoir quitter ces bords enchantés. On apercevait de loin des collines et des montagnes qui se perdaient dans les nues, et dont la figure bizarre formait un horizon à souhait pour le plaisir des yeux. Les montagnes voisines étaient couvertes de pampre vert qui pendait en festons: le raisin, plus éclatant que la pourpre, 11e pouvait se cacher sous les feuilles, et la vigne était accablée sous son fruit. Le figuier, l'olivier, le grenadier, et tous les autres arbres couvraient la campagne, et en faisaient un grand jardin. Théophile Gautier __ T 97. La source Tout près du lac filtre une source, Entre des pierres, dans un coin; Allègrement l'eau prend sa course Comme pour s'en aller bien loin. 5 Elle murmure: « Oh! quelle joie! Sous la terre il faisait si noir! Maintenant ma rive verdoie, Le ciel se mire à mon miroir. Les myosotis aux fleurs bleues 10 Me disent: Ne m'oubliez pas! Les libellules de leurs queues M'égratignent dans leurs ébats: A ma coupe l'oiseau s'abreuve; Qui sait? —- Après quelques détours 15 Peut-être deviendrai-je un fleuve Baignant vallons, rochers et tours. Je broderai de mon écume Ponts de pierre, quais de granit, Emportant le steamer qui fume 20 A 1 Océan où tout finit. » Ainsi la jeune source jase, Formant cent projets d'avenir; Comme l'eau qui bout dans un vase, Son flot ne peut se contenir; 25 Mais le berceau touche à la tombe; Le géant futur meurt petit; Née à peine, la source tombe Dans le grand lac qui l'engloutit! Encyclopédie par l'image 98. Les plantes à fleurs ou angiospermes C'est le groupe le plus considérable du monde végétal, celui qui fournit près des deux tiers des espèces de plantes peuplant nos cultures, nos forêts. Les parties d'une plante sont: la racine, la tige, les feuilles et la fleur. Regardons comment est organisée la fleur. Elle se compose ordinairement de quatre sortes de feuilles. Ce sont, en partant du point le plus bas, de l'extérieur de la fleur, les sépales verts, les pétales colorés, les étamines, les carpelles formant le pistil. Prenons une fleur épanouie de Renoncule. Nous voyons qu'en dessous, il y a cinq sépales verts qui constituent une première enveloppe florale, le calice. Au-dessus se trouvent cinq pétales jaunes formant une deuxième enveloppe, la corolle. A l'intérieur de la corolle, on aperçoit les étamines. Une étamine comprend une partie mince, le filet, et une partie supérieure renflée en massue, l'anthère, renfermant du pollen. Au centre sont insérées un grand nombre de petites feuilles vertes qui emprisonnent les ovules. Chacune de ces feuilles florales fertiles porte le nom de carpelle. Ce carpelle forme une cavité entièrement close, l'ovaire, où se développe l'ovule. Cet ovaire se continue par une partie plus ou moins allongée appelée le style, terminé par un plateau gluant, le stigmate. L'ensemble.-ovaire, style, stigmate, est ce qu'on appelle un pistil. A la base de l'ovaire, des étamines, des pétales, il y a souvent des nectaires, c'est-à-dire des cellules sécrétant du nectar, sorte de liquide sucré. Ce liquide contient des substances dont se servent les bourdons, les abeilles et les guêpes pour faire du miel. Différents auteurs 99. La pomme de terre La pomme de terre est une plante originaire du Pérou où elle pousse à l'état sauvage. Ses racines produisent des tubercules, plus ou moins arrondis ou allongés. Sa tige vert sombre est creuse, anguleuse, haute de 50 centimètres à un mètre, aux fleurs blanches délicatement teintées de lilas, ou violettes. Le tubercide devient grand s'il est placé dans un terrain favorable; la pomme de terre préfère un sol sec et peu fumé. Vers la fin de l'été, lorsque les tiges commencent à se faner, on fait la récolte; on arrache les tubercules à la houe. On rentre les • pommes de terre dans la cave, on les y conserve à l'abri des gelées, de la chaleur et de l'humidité. Ainsi protégées, elles se conservent sans pourrir ni germer. La valeur alimentaire des tubercules est considérable; aussi la pomme de terre joue-t-elle un rôle important dans l'alimentation de l'homme. C'est la principale nourriture de la population, «le pain du pauvre», dont le riche pas plus que le pauvre ne saurait se passer. La pomme de terre est consommée sous des multiples formes. Elle est savoureuse cuite sous la cendre, si croustillante à l'huile, si bonne toujours qu'on l'accomode de mille manières (pommes frites, bouillies, en purée, en soupe, etc.) et qu'on en mange très souvent. La pomme de terre ne sert pas seulement à la nourriture de l'homme, mais aussi à nourrir les bestiaux; on s'en sert surtout pour engraisser les cochons. L'industrie en tire une sorte de farine à grains blancs que l'on nomme « fécule ». La fécule, bouillie avec de l'eau où l'on a versé quelques centièmes d'acide sulfurique, se change en gomme, puis en sucre. Le sucre peut fermenter et donner de l'alcool ou eau-de-vie. En France, cette plante qui devait, par la suite, prendre une extension si remarquable, n'en fut admise dans l'alimentation que vers la fin du XVIIe siècle. C'est Parmentier qui y en a propagé la culture. Chateaubriand m ^ ^ okeaux Aussitôt que les arbres ont développé leurs fleurs, mille ouvriers commencent leurs travaux. Ceux-ci portent de longues pailles dans le trou d'un vieux mur, ceux-là maçonnent des bâtiments aux fenêtres d'une église; d'autres dérobent un crin à une cavale, ou le brin de laine que la brebis a laissé suspendu à la ronce. Il y a des bûcherons qui croisent des branches dans la cime d'un arbre. Mille palais s'élèvent, et chaque palais est un nid; chaque nid voit des métamorphoses charmantes: un œuf brillant, ensuite un petit couvert de du- vet. Ce nourrisson prend des plumes; sa mère lui apprend à se soulever sur sa couche. Bientôt il va jusqu'à se pencher sur le bord de son berceau, d'où il jette un premier coup d'œil sur la nature. Effrayé et ravi, il se précipite parmi ses frères, qui n'ont point encore vu ce spectacle; mais rappelé par la voix de ses parents, il sort une seconde fois de sa couche, et ce jeune roi des airs ose déjà contempler le vaste ciel, la cime ondoyante des pins et les abîmes de verdure au-dessous du chêne paternel. Et pourtant, tandis que les forêts se réjouissent en recevant leur nouvel hôte, un viel oiseau, qui se sent abandonné de ses ailes, vient s'abattre auprès d'un courant d'eau: là, résigné et solitaire, il attend tranquillement la mort au bord du même fleuve où il chanta ses amours et dont les arbres portent encore son nid. Coppée .. 101. Mort des oiseaux Le soir, au coin du feu, j'ai songé bien des fois A la mort d'un oiseau, quelque part, dans le bois: Pendant les tristes jours de l'hiver monotone, Les pauvres nids déserts, les nids qu'on abandonne, 5 Se balancent au vent sur le ciel gris de fer. Oh! comme les oiseaux doivent mourir l'hiver! Pourtant, lorsque viendra le temps des violettes, Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes Dans les gazons d'avril où nous irons courir. 10 Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir? Chateaubriand 102. Migration des oiseaux Tandis qu'une partie de la création publie chaque jour aux mêmes lieux les louanges du Créateur, une autre partie voyage pour raconter ses merveilles. Des courriers traversent les airs, se glissent dans les eaux, franchissent les monts et les vallées. Ceux-ci arrivent sur les ailes du printemps, et bientôt, disparaissant avec les zéphyrs, suivent de climat en climat leur mobile patrie; ceux-là s'arrêtent à l'habitation de l'homme: voyageurs lointains, ils réclament l'hospitalité. Chacun suit son inclination dans le choix d'un hôte: le rouge-gorge s'adresse aux cabanes; l'hirondelle frappe aux palais: cette fille de roi semble encore aimer les grandeurs, mais les grandeurs tristes, comme sa destinée: elle passe l'été aux ruines de Versailles et l'hiver à celle de Thèbes. A peine a-t-elle disparu qu'on voit s'avancer sur les vents du nord une colonie qui vient remplacer les voyageurs du midi, afin qu'il ne reste aucun vide dans nos campagnes. Par un temps grisâtre d'automne, lorsque la bise souffle sur les champs, que les bois perdent leurs dernières feuilles, une troupe de canards sauvages, tous rangés à la file, traversent en silence un ciel mélancolique. S'ils aperçoivent du haut des airs quelque manoir gothique environné d'étangs et de forêts, c'est là qu'ils se préparent à descendre: ils attendent la nuit. Aussitôt que la vapeur du soir enveloppe la vallée, le cou tendu et l'aile sifflante, ils s'abattent tout à coup sur les eaux, qui retentissent. Un cri général, suivi d'un profond silence, s'élève dans les marais. Guidés par une petite lumière, qui peut-être brille à l'étroite fenêtre d'une tour, les voyageurs s'approchent des murs à la faveur des roseaux et des ombres. Là, battant des ailes et poussant des cris par intervalles, au milieu du murmure des vents et des pluies, ils saluent l'habitation de l'homme. Racine 103. Migration des oiseaux Ceux qui, de nos hivers redoutant le courroux, Vont se réfugier dans les climats plus doux, Ne laisseront jamais saison rigoureuse Surprendre parmi nous leur troupe paresseuse. 5 Dans un sage conseil par les chefs assemblé, Du départ le grand jour est réglé; Il arrive: tout part; le plus jeune peut-être Demande, en regardant les lieux qui l'ont vu naître, Quand viendra ce printemps par qui tant d'exilés 10 Dans les champs paternels se verront rappelés. Bu^on 10-4. Le rossignol Il n'est point d'homme bien organisé à qui ce nom ne rappelle quelqu'une de ces belles nuits de printemps où le ciel étant serein, l'air calme, toute la nature en silence, et, pour ainsi dire, attentive, il a écouté avec ravissement le ramage de ce chantre des forêts. On pourrait citer quelques autres oiseaux chanteurs dont la voix le dispute, à certains égards, à celle du rossignol. Les alouettes, le serin, le pinson, les fauvettes, la linotte, le chardonneret, le merle se font écouter avec plaisir lorsque le rossignol se tait: les uns ont d'aussi bons sons, les autres ont le timbre aussi pur et plus doux; mais il n'en est pas un seul que le rossignol n'efface par la réunion complète de ces talents divers et par la prodigieuse variété de son ramage. Le rossignol charme toujours et ne se répète jamais; s'il redit quelque passage, ce passage est animé d'un accent nouveau; il réussit dans tous les genres; il saisit tous les caractères, et de plus il sait en augmenter l'effet par les contrastes. Ce coryphée du printemps se prépare-t-il à chanter l'hymne de la nature, il commence par un prélude timide, par des tons faibles, comme s'il voulait essayer son instrument et intéresser ceux qui l'écoutent : mais ensuite : prenant de l'assurance, il s'anime par degrés, il s'échauffe, et bientôt il déploie dans leur plénitude toutes les resources de son incomparable organe. Florian 105. Le rossignol et le prince Un jeune prince, avec son gouverneur, Se promenait dans un bocage, Et s'ennuyait, suivant l'usage: C'est le profit de la grandeur. 5 Un rossignol chantait sous le feuillage: Le prince l'aperçoit, et le trouve charmant; Et, comme il était prince, il veut dans le moment L'attraper et le mettre en cage; Mais pour le prendre, il fait du bruit, 10 Et l'oiseau fuit. « Pourquoi donc, dit alors son Altesse en colère, Le plus aimable des oiseaux Se tient-il dans les bois farouche et solitaire, Tandis que mon palais est rempli de moineaux? 15 — C'est, lui dit le mentor, afin de vous instruire De ce qu'un jour vous devez éprouver: Les sots savent tous se produire; Le mérite se cache, il faut l'aller trouver. » Buffon 106. Les vautours On a donné aux aigles le premier rang parmi les oiseaux de proie, non parce qu'ils sont plus forts et plus grands que les vautours, mais parce qu'ils sont plus généreux: leurs mœurs sont plus fières, leur démarche plus hardie, leur courage plus noble: les vautours, au contraire, n'ont que l'instinct de la basse gourmandise et de la voracité; ils ne combattent guère les vivants que quand ils ne peuvent s'asseoir sur les morts. L'aigle attaque ses ennemis ou ses victimes corps à corps; seul il les poursuit, les combat, les saisit; les vautours, au contraire, pour peu qu'ils prévoient de résistance, se réunissent en troupes comme de lâches assassins, et sont plutôt des voleurs que des guerriers, des oiseaux de carnage que des oiseaux de proie. Il n'y a qu'eux qui s'acharnent sur les cadavres: la corruption les attire, au lieu de les repousser. Les éperviers et les faucons montrent plus de courage, car le vautour semble réunir la force et la cruauté du tigre avec la lâcheté et la gourmandise du chacal. On doit donc d'abord distinguer les vautours des aigles par cette différence de naturel, et on les reconnaîtra en ce qu'ils ont les yeux à fleur de tête, au lieu que les aigles les ont enfoncés dans l'orbite; la tête nue, le cou aussi presque nu, couvert d'un simple duvet, tandis que l'aigle a toutes ces parties bien couvertes de plumes; à la forme des ongles, ceux des aigles étant presque demi-circulaires, parce qu'ils se tiennent rarement à terre, et ceux des vautours étant plus courts et moins courbés; à la partie du dessous de la gorge, qui est plutôt garni de poils que de plumes; à leur attitude plus penchée que celle de l'aigle, qui se tient fièrement droit et presque perpendiculairement sur ses pieds; au lieu que le vautour, dont la situation est à demi horizontale, semble marquer la bassesse de son caractère par la position inclinée de son corps. Théophile Gautier 107. Le chasseur Je suis enfant de la montagne, Comme l'isard, comme l'aiglon. Je ne descend dans la campagne Que pour ma poudre et pour mon plomb; 5 Puis, je reviens, et de mon air Je vois en bas l'homme ramper, Si haut placé que le tonnerre Remonterait pour me frapper. La Fontaine 108. Le lièvre Un lièvre en son gîte songeait. Car que faire en un gîte à moins que l'on ne songe? Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait: Cet animal est triste et la crainte le ronge. 5 « Les gens de naturel peureux Sont, disait-il. bien malheureux! Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite: Jamais un plaisir pur, toujours assauts divers. Voilà comme je vis: cette crainte maudite 10 M'empêche de dormir, sinon les yeux ouverts. t> Buffon 109. Le lièvre Les lièvres paissent pendant la nuit plutôt que pendant le jour: ils se nourrissent d'herbes, de racines, de feuilles, de fruits; ils rongent même l'écorce des arbres pendant l'hiver. Ils dorment ou se reposent au gîte pendant le jour. Ils dorment beaucoup et dorment les yeux ouverts; ils n'ont pas de cils aux paupières, et ils paraissent avoir les yeux mauvais: ils ont, comme par dédommagement, l'ouïe très fine, et l'oreille d'une grandeur démesurée. Leur course est si rapide qu'ils devancent aisément tous les autres animaux. Comme ils ont les jambes de devant beaucoup plus courtes que celles de derrière, il leur est plus commode de courir en montant qu'en descendant. Ils marchent sans faire aucun bruit, parce qu'ils ont les pieds couverts et garnis de poil, même par dessous. La chasse du lièvre est l'amusement et souvent la seule occupation des gens oisifs de la campagne. On va le matin et le soir au coin du bois attendre le lièvre à sa rentrée ou à sa sortie; on le cherche pendant le jour dans les endroits où il se gîte. Il se laisse ordinairement approcher de fort près, surtout si l'on ne fait pas semblant de le regarder. Il craint les chiens plus que les hommes; quoiqu'il coure plus vite que les chiens, comme il ne fait pas une route droite, qu'il tourne et retourne autour de l'endroit où il a été lancé, les lévriers lui coupent le chemin, le saisissent et le tuent. Il se tient volontiers en été dans les champs; en automne dans les vignes, et en hiver dans les buissons ou dans les bois. Il a tant d'ennemis, qu'il ne leur échappe que par hasard, et il est bien rare qu'ils le laissent jouir du petit nombre de jours que la nature lui a comptés. Buffon 110. Le cheval arabe Il n'y a point d'Arabe, quelque misérable qu'il soit, qui n'ait des chevaux. Ils montent ordinairement les juments, l'expérience leur ayant appris qu'elles résistent mieux que les chevaux à la fatigue, à la faim et à la soif. Comme les Arabes n'ont qu'une tente pour la maison, cette tente leur sert aussi d'écurie; la jument, le poulain, le mari, la femme et les enfants couchent tous pêle-mêle: on y voit les petits enfants sur le corps, sur le cou de la jument et du poulain, sans que ces animaux les blessent ni les incommodent. Ces juments sont si accoutumées à vivre dans cette familiarité qu'elles souffrent toute sorte de badinage. Les Arabes ne les battent point; ils les traitent doucement, ils parlent et raisonnent avec elles; ils les laissent toujours aller au pas, et ne les piquent jamais sans nécessité: mais aussi dès qu'elles se sentent chatouiller le flanc avec le coin de l'étrier, elles partent subitement, et vont d'une vitesse incroyable; elles sautent les haies et les fossés aussi légèrement que les biches; et si leur cavalier vient à tomber, elles sont si bien dressées qu'elles s'arrêtent tout court même dans le galop le plus rapide. Tous les chevaux des Arabes sont d'une taille médiocre, fort dégagés, et plutôt maigres que gras. Tous les jours, du matin au soir, tous les chevaux des Arabes demeurent sellés et bridés à la porte de la tente. 111. Le renard et le bouc Un renard et un bouc, qui avaient soif, descendirent dans un puits. Quand ils eurent bu, comme le bouc jetait les yeux du côté de la sortie, le renard lui dit: «N'aie pas peur: j'ai trouvé un bon moyen de nous sauver tous les deux. Tiens-toi debout, appuie à la muraille tes pieds de devant et incline également tes cornes en avant; moi, je grimperai en haut le long de ton dos et de tes cornes; puis de là sautant hors du puits, je te tirerai ensuite d'ici à ton tour. » Le bouc se prêta complaisamment à ce discours, et l'autre, quand il eut ainsi sauté hors du puits, se mit à bondir de joie près de l'ouverture. Le bouc lui reprochait de violer les conventions faites. « En vérité, répliqua le renard, si tu avais autant d'esprit que de poils à la barbe, tu ne serais pas descendu avant d'avoir avisé au moyen de remonter. » Cette fable montre que l'homme prudent doit d'abord considérer la fin des choses avant de les entreprendre. Fénelon 112. Les deux renards Deux renards entrèrent la nuit dans un poulailler; ils étranglèrent le coq, les poules et les poulets; après ce carnage, ils apaisèrent leur faim. L'un, qui était jeune et ardent, voulait tout dévorer; l'autre, qui était vieux et avare, voulait garder quelques provisions pour l'avenir. Le vieux disait: « Mon enfant, l'expérience m'a rendu sage; j'ai vu bien des choses depuis que je suis au monde. Ne mangeons pas tout notre bien en un seul jour. Nous avons fait fortune; c'est un trésor que nous avons trouvé, il faut le ménager. » Le jeune répondait: « Je veux tout manger pendant que j'y suis, et me rassasier pour huit jours. » Après cette conversation chacun prend son parti. Le jeune mange tant qu'il se crève et peut à peine aller mourir dans son terrier. Le vieux, qui se croit bien plus sage de modérer ses appétits, veut le lendemain retourner à sa proie et est assommé par le maître. Ainsi chaque âge a ses défauts: les jeunes gens sont fougueux et insatiables dans leurs plaisirs: les vieux soni incorrigibles dans leur avarice. Florian 113. Le chien et le chat Un chien vendu par son maître Brisa sa chaîne et revint Au logis qui le vit naître. Jugez de ce qu'il devint, 5 Lorsque, pour prix de son zèle, Il fut de cette maison Reconduit par le bâton Vers sa demeure nouvelle. Un vieux chat, son compagnon, 10 Voyant sa surprise extrême, En passant lui dit ce mot: «Tu croyais donc, pauvre sot, Que c'est pour nous qu'on nous aime!» Fénelon 11-4. Les abeilles LTn jeune prince se promenait dans son jardin; il entendit un grand bruit et aperçut une ruche d'abeilles. Il s'approcha de ce spêctacle, qui était nouveau pour lui: il vit avec éton-nement l'ordre, le soin et le travail de cette petite république. Les cellules commençaient à se former. Line partie des abeilles les remplissaient de leur doux nectar; les autres apportaient des fleurs qu'elles avaient choisies entre toutes les richesses du printemps. L'oisiveté et la paresse étaient bannies de ce petit État: tout y était en mouvement, mais sans confusion et sans trouble. Les plus considérables d'entre les abeilles conduisaient les autres, qui obéissaient sans murmure et sans jalousie contre celles qui étaient au-dessus d'elles. Pendant que le jeune prince admirait ces objets qu'il ne connaissait pas encore, une abeille que toutes les autres reconnaissaient pour leur reine, s'approcha de lui, et lui dit: « La vue de nos Francoska čitanka o ouvrages et de notre conduite vous réjouit; mais elle doit encore plus vous instruire. Nous ne souffrons point chez nous le désordre ni la licence; on n'est considérable parmi nous que par son travail, et par les talents qui peuvent être utiles à notre république. Le mérite est la seule voie qui élève aux premières places. Nous ne nous occupons nuit et jour qu'à des choses dont les hommes retirent toute l'utilité. » Florian 115. La guêpe et l'abeille Dans le calice d'une fleur, La guêpe un jour voyant l'abeille, S'approche en l'appelant sa sœur. Ce nom sonne mal à l'oreille 5 De l'insecte plein de fierté, Qui lui répond: « Nous, sœurs! ma mie; Depuis quand cette parenté? — Mais c'est depuis toute la vie, Lui dit la guêpe avec courroux; 10 Considérez-moi, je vous prie. J'ai des ailes tout comme vous, Même taille, même corsage; Et, s'il vous en faut davantage, Nos dards sont aussi ressemblants. 15 — Il est vrai, répliqua l'abeille, Nous avons une arme pareille, Mais pour des emplois différents. La vôtre sert votre insolence, La mienne repousse l'offense; 20 Vous provoquez, je me défends. » La Fontaine 116. La cigale et la fourmi La cigale, ayant chanté Tout l'été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue: 5 Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la fourmi sa voisine, La priant de lui prêter 10 Quelque grain pour subsister Jusqu'à la saison nouvelle. « Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l'août, foi d'animal, Intérêt et principal. » 15 La fourmi n'est pas prêteuse, C'est là son moindre défaut: « Que faisiez-vous au temps chaud? Dit-elle à cette emprunteuse. — Nuit et jour à tout venant 20 Je chantais, ne vous déplaise. — Vous chantiez? j'en suis fort aise, Eh bien! dansez maintenant. » VIL Religion 117. Le Pater Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel; donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour, pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, et ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il. 118. Salutation angélique Je vous salue, Vierge Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Ainsi soit-il. Ancien Testament 119. Joseph se fait connaître à ses frères Joseph, ne pouvant supporter la présence de ceux qui l'entouraient, les tu sortir, et en pleurant poussa un cri qu'entendirent tous ceux qui étaient dans le palais du roi. Il a dit à ses freres: « Je suis Joseph. Mon père vit encore? >: Ses frères n'eurent pas la force de lui répondre, tant était gr-irid leur trouble. « Approchez-vous, ajouta-t-il. Oui, je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu, malgré mon innocence. Mais ne vous affligez pas et ne craignez point: réjouissez-vous au contraire. Si Dieu m'a envoyé avant vous, c'était pour vous sauver. Voilà deux ans que je règne la famine, et pendant cinq années encore nul ne labourera ni ne moissonnera. « Hâtez-vous donc de rejoindre votre père, et exhortez-le à venir ici. Je l'établirai dans la terre de Gessen, lui, ses fils, ses troupeaux de gros et de petit bétail, et tout ce qu'il possède. Racontez-lui ma gloire et tout ce que vous avez vu, et ramenez-le ici le plus promptement possible. » Puis, se jetant au cou de Benjamin, il se mit à pleurer, et Benjamin pareillement. Il donna un baiser à tous ses frères au milieu de ses larmes. Après cela ils conversèrent entre eux. Nouveau Testament 120. Le bon Samaritain Un docteur de la loi s'adressant à Jésus, lui dit pour le tenter: « Maître, que faut-il que je fasse pour posséder la vie éternelle? » Jésus lui répondit: « Qu'est-il écrit dans la loi? qu'y lisez-vous? » —Le docteur répondit: «Vous aimerez le Seigneur, votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même. » Jésus lui dit: «Vous avez fort bien répondu: faites cela et vous vivrez. » Mais cet homme, voulant faire paraître qu'il était juste, dit à Jésus: « Et qui est mon prochain? » Jésus reprenant la parole, lui dit: «Un homme descendant de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs qui le dépouillèrent, le couvrirent de plaies, et s'en allèrent, le laissant à demi mort. Il arriva ensuite qu'un prêtre descendait par le même chemin, lequel ayant aperçu l'homme blessé, passa outre. Un lévite, passant aussi au même lieu, l'ayant considéré, passa outre encore. Mais un Samaritain arrivant à l'endroit où était cet homme, et l'ayant vu, en fut touché de compassion. Il s'approcha donc de lui, versa de l'huile et du vin dans ses plaies, et les banda. L'ayant mis ensuite sur sa monture, il l'emmena dans une hôtellerie, et eut grand soin de lui. Le lendemain, à son départ, il tira de sa bourse deux deniers qu'il donna à l'hôte, et lui dit: « Ayez soin de cet homme, et tout ce que vous dépenserez de plus, je vous le rendrai à mon retour. Lequel donc de ces trois vous semble avoir été le prochain de celui qui était tombé entre les mains des voleurs? » — Le docteur répondit: « C'est celui qui a usé de miséricorde envers lui. » — « Allez donc, lui dit Jésus, et faites de même. » Alphonse Daudet 121. Le curé de Cucugnan L'abbé Martin était curé ... de Cucugnan. Bon comme le pain, franc comme l'or, il aimait paternellement ses Cucugnanais; pour lui son Cucugnan aurait été le paradis sur terre, si les Cucugnanais lui avaient donné un peu plus de satisfaction. Mais, hélas! les araignées filaient dans son confessionnal, et, le beau jour de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint-ciboire. Le bon prêtre en avait le cœur meurtri, et toujours il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant de ramener au bercail son troupeau dispersé. Un dimanche, après l'Évangile, M. Martin monta en chaire. * — Mes frères, dit-il. vous me croirez, si vous voulez; l'autre nuit, je me suis trouvé, moi misérable pécheur, à la porte du paradis. « Je frappai: saint Pierre m'ouvrit! « — Tiens ! C'est vous, môn brave monsieur Martin, me fit-il ; quel bon vent... et qu'y a-t-il pour votre service? « — Beau, saint Pierre, vous qui tenez le grand livre et la clef, pourriez-vous me dire, si je ne suis pas trop curieux, combien vous avez de Cucugnanais en paradis? « — Je n'ai rien à vous refuser, monsieur Martin; asseyez-vous, nous allons voir la chose ensemble. « Et saint Pierre prit son gros livre, l'ouvrit, mit ses besicles: « — Voyons un peu: Cucugnan, disons-nous. Cu. . . Cu ... Cucugnan. Nous y sommes. Cucugnan ... Mon brave monsieur Martin, la page est toute blanche. Pas une âme ... « — Comment! Personne de Cucugnan ici? Personne? Ce n'est pas possible! regardez mieux ... « — Personne, saint homme. Regardez vous-même, si vous croyez que je plaisante. « Moi, pécaïre! je frappais des pieds, et, les mains jointes, je criais miséricorde. Alors, saint Pierre: « — Croyez-moi, Monsieur Martin, il ne faut pas ainsi vous mettre le cœur à l'envers. Ce n'est pas votre faute, après tout. Vos Cucugnanais, voyez-vous, doivent faire à coup sûr leur petite quarantaine en purgatoire. « — Ah! par charité, grand saint Pierre! faites que je puisse au moins les voir et les consoler. « — Volontiers, mon ami. . . Cheminez droit devant vous. Voyez-vous là-bas, au fond, en tournant? Vous trouverez une porte d'argent toute constellée de croix noires... à main droite ... vous frapperez, on vous ouvrira ... * «Et je cheminai... je cheminai! J'ai la chair de poule, rien que d'y songer. Un petit sentier, plein de ronces et de serpents qui sifflaient, m'amena jusqu'à la porte d'argent. « — Pan ! pan ! « — Qui frappe ? « — Le curé de Cucugnan. « — De...? « — De Cucugnan. « — Ah !... Entrez. « J'entrai. Un grand bel ange, dans des ailes sombres comme la nuit, avec une robe resplendissante comme le jour, avec une clef de diamant pendue à sa ceinture, écrivait, cra-cra, dans un grand livre ... « — Finalement, que voulez-vous et que demandez-vous? dit l'ange. « — Bel ange de Dieu, je veux savoir, je suis bien curieux peut-être, si vous avez ici les Cucugnanais. « — Les ... ? « — Les Cucugnanais, les gens de Cucugnan ... que c'est moi qui suis leur prieur. « — Ah! l'abbé Martin, n'est-ce pas? « — Pour vous servir, monsieur l'ange. * « — Vous dites donc de Cucugi__.n . .. « Et l'ange ouvre et feuillette son grand livre. « — Cucugnan, dit-il en poussant un long soupir . .. Monsieur Martin, nous n'avons en purgatoire personne de Cucugnan. « — J ésus ! Marie ! J oseph ! personne de Cucugnan en purgatoire! O grand Dieu! où sont-ils donc? « — Eh! saint homme, ils sont en paradis. Où voulez-vous qu'ils soient? « — Mais j'en viens, du paradis . .. « — Vous en venez ! ... Eh bien ? « — Eh bien ! il n'y sont pas ! ... « — Que voulez-vous, monsieur le curé ! s'ils ne sont 'ni en paradis ni en purgatoire, ils sont. .. « — Sainte croix! Jésus, fils de David! Aï, aï, aï! est-il possible? Aï! pauvres nous! comment irai-je en paradis si mes Cucugnanais n'y sont pas? « — Écoutez, mon pauvre monsieur Martin, puisque vous voulez coûte que coûte être sûr de tout ceci, prenez ce sentier, filez en courant, si vous savez courir... Vous trouverez à gauche un grand portail. Là, vous vous renseignerez sur tout. « Et l'ange ferma la porte. 122. Les quatre mendiants Nom d'un modeste dessert, comme l'on sait, dessert de carême. Des nombreux ordres ecclésiastiques que le moyen âge a vu naître, il n'en est pas de. plus populaire parmi nous que ceux des quatre ordres mendiants qui sont: les Franciscains, les Dominicains, les Carmes et les Augustins. La popularité des quatre ordres s'explique assez par leur vie de pérégrinations continues. On était accoutumé de les voir passer, la main tendue, là besace au dos, et chacun savait leur froc par cœur; celui des Franciscains de couleur grise, celui des Dominicains de teinte écrue et la robe brune des Carmes, et la robe noire des Augustins. Aussi, lorsqu'au dessert apparaissaient sur une même assiette les quatre fruits secs que vous savez, nos pères d'y reconnaître aussitôt les quatre mendiants: Le raisin portait la livrée sombre de l'Augustin. La noisette celle du Carme. L'amande celle du Dominicain. La figue celle du Franciscain. C'était une langue parlante. Le destin des quatre ordres veut qu'elle ait aujourd'hui besoin d'être expliquée. Petit Parisien, 2 avril 1934 123. La canonisation de dom Bosco La double célébration des offices solennels de Pâques et de la cérémonie de la canonisation de dom Bosco, le fondateur de l'ordre des salésiens, avait attiré ce matin, au Vatican, une foule extraordinairement nombreuse, où se trouvaient des pèlerins accourus de toutes les régions d'Italie et du monde entier. Plus de quarante mille d'entre eux n'ont pu trouver place dans la basilique vaticane et ont dû se contenter de stationner sur la vaste place de Saint-Pierre. C'est sous un soleil radieux que la longue procession des membres des clergés régulier et séculier de Rome et le pompeux et majestueux cortège pontifical auquel participaient 23 cardinaux et 85 évêques, sortirent des palais apostoliques par la Porte de bronze, se dirigèrent vers la place Saint-Pierre et gagnèrent la basilique par l'escalier central. Ainsi une multitude de fidèles qui n'avaient pu trouver place dans le temple eurent tout de même l'impressionnante et magnifique vision du souverain pontife, porté par huit bussolantes de rouge vêtus, sur la sedia gestatoria et qui, escorté par toute sa cour, ne cessait de tendre sa main bénissante en réponse aux ovations frénétiques. Après la longue cérémonie de canonisation, commencée à 9 heures, vint la présentation des reliques les plus insignes de la Passion par les chanoines vaticans, et ce n'est que vers 1 h. 50 que le pape apparut sous le dais de soie du baldaquin à la loggia extérieure de la basilique vaticane, entouré de toute sa pompe, pour donner à l'énorme foule qui se pressait sur la place la bénédiction apostolique accompagnée de l'indulgence plénière. Racine (Athalie) 124. Les louanges de Dieu Tout l'univers est plein de sa magnificence, Qu'on l'adore ce Dieu, qu'on l'invoque à jamais! Son empire a des temps précédé la naissance. Chantons, publions ses bienfaits. 5 En vain l'injuste violence Au peuple qui le loue imposait silence: Son nom ne périra jamais. Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance. Tout l'univers est plein de sa magnificence. 10 Chantons, publions ses bienfaits. Il donne aux fleurs leur aimable peinture. Il fait naître et mûrir les fruits. Il leur dispense avec mesure Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits; 15 Le champ qui les reçut les rend avec usure. Il commande au soleil d'animer la nature, Et la lumière est un don de ses mains; Mais sa loi sainte, sa loi pure Est le plus riche don qu'il ait fait aux humains. 20 O divine, ô charmante loi! O justice, ô bonté suprême! Que de raisons, quelle douceur extrême D'engager à ce Dieu son amour et sa foi! VIII. Relations franco-yougoslaves Émile Haumant 125. Hélène la Française — reine de Serbie Plus au sud, les rois serbes ont affaire aux Francs, non de Constantinople — ceux-là, les Bulgares et les Grecs les occupent — mais des rives de l'Adriatique. Charles d'Anjou, qui songe à passer de Naples dans les Balkans, s'allie avec Milutin contre les Grecs et lui promet, après victoire commune, une partie de la Macédoine. Les Vêpres. siciliennes mettent fin à ses projets, mais des « Angevins » restent établis en Albanie. Au début du XIVe siècle, l'idée d'alliance revient toujours contre les Grecs; la petite princesse Zorica (Aurore) est promise à Charles de Valois. Mais, un peu plus tard, on voit le Français Guillaume Adam proposer à notre Philippe VI de « conquester » la Serbie elle-même — 8000 hommes, dit-il, y suffiront — et sans la guerre de Cent ans nous aurions peut-être connu cette aventure. En définitive, de cette activité franque il est resté pour la Serbie une certaine pénétration d'esprit français, grâce à Hélène d'Anjou, épouse d'Uros Ier et cousine, dit-on, de saint Louis. Quoi qu'il en soit de son origine fort discutée, elle a joué un rôle bienfaisant; devenue veuve, elle tient en paix ses fils Dragutin et Milutin, construit des églises, des écoles. La tombe de la bonne reine, Hélène la Française, existe toujours, non loin de Studenica, à Gradac, et les montagnards y portent encore, le jour de sa fête, des fleurs et des fruits. Émile Haumant 126. Le cycle de Kosovo Le cycle de Kosovo a un commencement, un nœud, un dénouement, inspirés par une idée unique, visible dès le début, au banquet que le tsar Lazare offre à ses féaux, en son palais de Krusevac. Entre sa femme, la tsarine M i 1 i c a. Comme Esther devant Assuérus de Racine, elle s'excuse de paraître, de parler, mais un ordre d'en haut l'y force. « Tous les rois serbes, dit-elle, ont fondé des églises brillantes de mosaïques et d'or; toi seul, Lazare, tu n'y as pas songé. Quand le feras-tu? » L'empereur jure aussitôt qu'il élèvera la blanclie église de Ravanica. qu'il y entassera les trésors, et ses convives de l'applaudir. Seul, Miloš, s'est tu; Lazare l'interpelle, la coupe à la main. « A ta santé, voïvode Miloš ! Dis-moi, toi aussi, si je dois construire une église? » Miloš saute sur ses pieds légers; son bonnet de zibeline à la main, il salue l'empereur et parle: « Prince, le temps en est passé ! Consulte les livres des tsars, Voici ce qu'ils annoncent tous. C'est que les temps sont arrivés Où le Turc régnera chez nous. Il détruira nos monastères, Il pillera nos sanctuaires, Pillera ta Ravanica. Il prendra le plomb de ses murs Pour en fondre des boulets Qui détruiront nos forteresses. Les morceaux de son toit d'or Feront des colliers pour ses femmes. Les perles des saintes images Orneront le sein de ses filles, Et les pierreries de l'autel, La garde de son cimeterre...» Et Miloš en conclut qu'il faut construire une église, non pas riche, mais solide, pour qu'elle dure autant que les Turcs eux-mêmes, et Lazare l'approuve, car, lui aussi, il attend des malheurs. Voici justement qu'arrive de Jérusalem un faucon chargé d'une lettre de la mère de Dieu: « Tsar, rejeton de race illustre, Dis, quel royaume as-tu choisi? Veux-tu le royaume du ciel Où le royaume de la terre? Si tu préfères celui-ci, Prends ton coursier, ton ceinturon; Que tes guerriers prennent leur sabre. Et vous vaincrez l'armée des Turcs. Mais si tu préfères le ciel, Élève un temple, non de marbre, Mais de soie et d'écarlate. Et que l'armée y communie, Qu'elle s'y prépare à la mort, Car tes guerriers périront tous Et toi aussi, tu périras ...» Le choix de Lazare est tout fait: il combattra, périra pour le royaume des cieux. Quand approche l'innombrable armée des Turcs, il part avec tous ses guerriers; jeune ou vieux, nul ne veut rester en arrière. Pourtant la tsarine Milica voudrait bien garder près d'elle un de ses frères, un des neuf Jugovic, et le tsar le lui permet. Elle se place donc, à l'aube, sur le passage des troupes, et voit arriver le plus jeune, Bosko Jugovic, le porte-étendard. Milica l'interpelle, le supplie de rester; le tsar y consent, pour qu'elle ne reste poini seule. Mais Bosko répond: « Va. ma sœur, dans ta blanche tour Moi, je n'irai pas avec toi. Si Lazare m'offrait Krusevac, Je ne rendrais pas l'étendard, Car l'armée entière en rirait, Car tous me montreraient du doigt: « Voyez-vous le poltron, le lâche, Qui pour Dieu ne veut pas mourir...» Et chacun des Jugovic, à son tour, résiste aux prières de Milica, et suit l'armée, qui s'écoule vers Kosovo, résolue et pourtant sans espoir: les héros serbes savent que la fatalité est sur eux. S'arrêtent-ils, pour communier, dans l'église où les rencontre la jeune fille de Kosovo, ils lui promettent d'aller à sa noce, mais d'avance, par précaution, ils lui font leur présent, puis partent à leur destin. Seul l'infâme Vuk Bran-kovic voudra rester hors de la mêlée, avec tous ses chevaliers. Le lendemain, les corbeaux volent sur la Serbie, croassant partout la nouvelle du désastre. L'un d'eux, passant au-dessus de la maison où la mère des Jugovic attend ses fils et son vieil époux, laisse tomber devant elle une main qui porte un anneau d'or. « Ma bru, demande la vieille femme, ma bru. épouse de Damjan, mon plus jeune fils, de qui est cette main? » Et la bru répond: « Ma mère, je la reconnais; c'est celle de Damjan; voici sa bague de noces. » La mère prend la main, la tourne, la retourne. « Oh! ma main, dit-elle, ma main chérie, ma pomme d'or, où as-tu grandi? qui t'a arrachée? C'est ici près de moi, que tu as grandi: c'est à Kosovo où on t'a arrachée. » Et son cœur se brisant, elle meurt à son tour. Lamartine 127. La Tour aux Crânes humains (Juillet 1833) Sofia n'a rien de remarquable. En quatre petites journées de marche ... j'arrivai dans la plaine de Nis, dernière ville turque, presque aux frontières de la Serbie. Je précédais, à cheval, d'une demi-heure la caravane; le soleil était brûlant. A environ une lieue de la ville, je voyais une large tour blanche s'élever au milieu de la plaine, brillante comme du marbre de Paros. Le sentier m'y conduisait. Je m'en approchai, et, donnant mon cheval à tenir à un enfant turc qui m'accompagnait, je m'assis à l'ombre de la tour pour dormir un moment. A peine étais-je assis que, levant les yeux sur le monument qui me prêtait son ombre, je vis que ses murs, qui m'avaient paru bâtis de marbre ou de pierre blanche, étaient formés par des assises régulières de crânes humains. Ces crânes et ces faces d'hommes, décharnés et blanchis par la pluie et le soleil, cimentés par un peu de sable et de chaux, formaient entièrement l'arc triomphal qui m'abritait. Il peut y en avoir quinze à vingt mille. A quelques-uns les cheveux tenaient encore et flottaient comme des mousses au souffle du vent. La brise des montagnes soufflait vive et fraîche, et, s'engouffrant dans les innombrables cavités des têtes, des faces et des crânes, leur faisait rendre des sifflements plaintifs et lamentables. Je n'avais là personne pour m'expliquer ce monument barbare. L'enfant qui tenait les deux chevaux par la bride jouait avec les petits morceaux de crânes tombés en poussière au pied de la tour. J'étais si accablé de fatigue, de chaleur et de sommeil que je m'endormis, la tête appuyée contre ces murs de têtes coupées. En me réveillant, je me trouvai entouré de la caravane et d'un grand nombre de cavaliers turcs, venus de Nis, pour nous escorter à notre entrée dans la ville. Ils me dirent que c'étaient les têtes des quinze mille Serbes tués par le pacha dans la dernière révolte de la Serbie (1809). Cette plaine avait été le champ de mort de ces généreux insurgés, et ce monument était leur sépulcre. Je saluai de l'œil et du cœur les restes de ces hommes héroïques, dont les têtes coupées sont devenues la borne de l'indépendance de leur patrie. La Serbie, où nous allions entrer, est maintenant libre, et c'est un chant de liberté et de gloire que le vent des montagnes faisait rendre à la tour des Serbes morts pour leur pays! Bientôt ils posséderont Niš même: qu'ils laissent subsister ce monument! Il apprendra à leurs enfants ce que vaut l'indépendance d'un peuple, en leur montrant à quel prix leurs pères l'ont payée. Abel Bonnard 128. Lamartine et les Yougoslaves Lamartine, sur la fin de son voyage en Orient, revenant par terre de Constantinople, s'arrêta chez ceux qu'on appelait alors les Serviens; encore soumis de nom à la Turquie, ces paysans courageux avaient, de fait, conquis leur indépendance et sans doute n'en demandaient-ils pas plus. Lamartine fut pour eux plus ambitieux qu'eux-mêmes. Assis à leur foyer, causant avec eux, écoutant les chansons où ils conservaient leur histoire, le poète s'émut soudain, et se levant dans toute sa majesté, il annonça le grand royaume slave qui existe épanoui maintenant. Ce miracle de clairvoyance fut un effet de la sympathie. Lamartine lui-même a un fond rustique. C'est parce qu'il avait senti ce que valaient ces paysans dont il était l'hôte, qu'il a prévu la place qu'ils tiendraient un jour dans le monde. Émile Haumant 129. Réveille-toi, Illyrie ! Dans l'ode à la renaissance de l'Ulyrie écrite par le poète Vodnik en 1811, c'est le héros qui apparaît au premier plan: Napoléon a dit: «Réveille-toi, Illyrie!» — Elle s'éveille, elle soupire — « Qui me rappelle à la lumière? — O grand héros, est-ce toi? » ... Quatorze siècles durant, la mousse a recouvert l'Illyrie. — Aujourd'hui Napoléon dit de secouer sa poussière ... Chez les Slovènes pénètre l'esprit de Napoléon — une génération toute entière s'élance de la terre ... Appuyée d'une main sur la Gaule — elle donne l'autre à la Grèce. » Dans cet hymne à Napoléon, il y a peut-être une part officielle — Yodnik, professeur au Lycée de Ljubljana, était fonctionnaire — mais, tout compte fait, cet enthousiasme est sincère. L'ombre du héros plane donc sur la renaissance yougoslave, mais elle ne doit pas faire oublier ses soldats. Après avoir, les premiers jours, maudit ce pays de rocs et ses Mor-laques féroces, ils ont subi son charme, se sont pris à l'aimer, et, en dépit de la conscription, des droits réunis et du bouleversement universel, ils ont réussi à ne pas se faire détester: « Il n'y a plus que les grands seigneurs à regretter l'Autriche, » écrit, en 1813, Fouché. Depuis ce temps, les historiens yougoslaves ne sont pas arrivés à une autre conclusion. Est-ce parce que les Français ont fait des routes et porté dans ce pays leurs immortels principes, ou simplement qu'ils l'ont mis en contact avec une civilisation plus généreuse que celles dont il avait l'expérience? Certes, l'idée de cette civilisation a survécu au mirage napoléonien; en toute occasion les patriotes l'ont évoquée, parce qu'elle reposait, dans les masses comme chez les lettrés, sur un fond de souvenirs et d'espoirs où le bien l'emportait décidément sur le mal. Charles Nodier 130. La guzla Un jour, Antonia fut arrêtée par le son d'un instrument qu'elle ne connaissait point; elle s'approcha et vit un vieillard qui promenait régulièrement sur une espèce de guitare, garnie d'une seule corde de crin, un archet grossier, et qui en tirait un son rauque et monotone, mais très bien assorti à sa voix grave et cadencée. Il chantait en vers esclavons l'infortune des pauvres Dalmates, que la misère exilait de leur pays; il improvisait des plaintes sur l'abandon de la terre natale, sur les beautés des douces campagnes de l'heureuse Macarsca, de l'antique Trao, de Curzole aux noirs ombrages; de la belle Épidaure, toute couverte de lauriers-roses; et de Salone que Dioclétien préférait à l'empire du monde. A sa voix, les spectateurs, d'abord émus, puis attendris et transportés, se pressaient en sanglotant, car dans l'organisation tendre et mobile de l'Istrien, toutes les sympathies deviennent des émotions personnelles, et tous les sentiments des passions. Antonia, surprise, s'avançait lentement vers le vieillard, et, en le regardant de plus près, elle s'aperçut qu'il était aveugle comme Homère. Elle chercha sa main pour y déposer une pièce d'argent percée, parce qu'elle savait que ce don était précieux aux pauvres Morlaques, qui en ornent la chevelure de leurs filles. Le vieux poète la saisit par le bras et sourit, parce qu'il aperçut que c'était une jeune femme. Alors, changeant sur-le-champ de mode et de sujet, il se mit à célébrer les douceurs de l'amour et les grâces de la jeunesse. Il ne s'accompagnait plus de guzla, mais il accentuait ses vers avec plus de véhémence, et rassemblait tout ce qu'il avait de forces, comme un homme dont la raison est dérangée par l'ivresse ou par une passion violente. Prosper Mérimée 131. Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga Qu'y a-t-il de blanc sur ces collines verdoyantes? Sont-ce des neiges? Sont-ce des cygnes? Des neiges? elles seraient fondues. Des cygnes? ils se seraient envolés. Ce ne sont point des neiges, ce ne sont point des cygnes: ce sont les tentes de l'Asan-Aga. Il se lamente de ses blessures cruelles. Pour le soigner, sont venues et sa mère et sa sœur; sa femme chérie, retenue par la timidité, n'est point auprès de lui. Quand la douleur s'est apaisée, il fait dire à sa fidèle épouse: « Ne me regarde point dans ma maison blanche, ni dans ma maison, ni devant mes parents. » La dame, en entendant ces paroles, se renferme dans son appartement toute triste et accablée. Voilà que des pas de chevaux retentissent près de sa maison, et la pauvre femme d'Asan-Aga, croyant que son mari s'approche, court a son balcon pour se précipiter. Mais ses deux filles ont suivi ses pas: « Arrête, mère chérie! ce n'est point notre père Asan-Aga, c'est notre oncle Pintorovic-Bev. » L'infortunée s'arrête; elle serre dans ses bras son frère chéri. « Ah! mon frère, grande honte! Il me répudie, moi qui lui ai donné cinq enfants! » Le bey garde un morne silence; il tire d'une bourse de soie rouge un écrit qui lui rend sa liberté. Maintenant elle pourra reprendre la couronne de mariée aussitôt qu'elle aura revu la demeure de sa mère. La dame a lu cet écrit; elle baise le front de ses deux fils et la bouche vermeille de ses deux filles; mais elle ne peut se séparer de son dernier enfant, encore au berceau. Son frère, sans pitié, l'arrache avec peine à son enfant, et la plaçant sur son cheval, il rentre avec elle dans sa maison blanche. Elle resta peu de temps dans la maison de ses pères. Belle, de haut lignage, elle fut recherchée bientôt par les nobles seigneurs du pays. Entre tous se distinguait le cadi d'Imotski. La dame implore son frère: «Ah! mon frère, puissé-je ne te pas survivre! Ne me donne à personne, je t'en conjure; mon coeur se briserait en voyant mes enfants orphelins. » Ali-Bey ne l'écoute point; il la destine au cadi d'Imotski. Elle lui fait encore une dernière prière: qu'il envoie au moins une blanche lettre au cadi d'Imotski, et qu'il lui dise: « La jeune dame te salue et par cette lettre elle te fait cette prière: Quand tu viendras avec les nobles svati, apporte à ta fiancée un long voile qui la couvre tout entière, afin qu'en passant devant la maison de l'aga, elle ne voie pas ses orphelins. » Quand le cadi eut lu cette blanche lettre, il rassembla les nobles svati. Les svati allèrent chercher la mariée, et de sa maison il partirent avec elle tout remplis d'allégresse. Ils passèrent devant la maison de l'aga; ses deux filles du haut du balcon ont reconnu leur mère: ses deux fils sortent à sa rencontre, et appellent ainsi leur mère: « Arrête, mère chérie! viens goûter avec nous! » La malheureuse mère crie au stari-svat: «Au nom du ciel! mon frère stari-svat, fais arrêter les chevaux près de cette maison; que je puisse donner quelque chose à mes orphelins. » Les chevaux s'arrêtèrent près de la maison, et elle donna des cadeaux à ses enfants. A ses deux fils, elle donne des souliers brodés d'or; à ses deux filles Francoska čitanka 9 des robes bigarrées, et au petit enfant, qui était encore au berceau, elle envoie une chemisette. Asan-Aga a tout vu, retiré à l'écart: il appelle ses deux fils: «Venez à moi, mes orphelins; laissez-là cette mère sans cœur qui vous a abandonnés! » La pauvre mère pâlit, sa tête frappa la terre, et elle cessa de vivre aussitôt, de douleur de voir ses enfants orphelins. IX. A bâtons rompus 132. Anecdotes 1. Le sot a une idée Un sot disait au milieu d'une conversation: « Il me vient une idée.» Un plaisant dit: « J'en suis bien surpris.» 2. Le cocher et le roi Le cocher du roi de Prusse l'ayant renversé, le roi entra dans une colère épouvantable. « Eh bien! dit le cocher, c'est un malheur; et vous, n'avez-vous jamais perdu une bataille? » 3. Lja mort nous a oubliés Une femme âgée de quatre-vingt-dix ans disait à M. de Fontenelle, âgé de quatre-vingt-quinze : « La mort nous a oubliés. — Chut! répondit Fontenelle, en mettant le doigt sur la bouche. » 4. La cantatrice Une célèbre cantatrice avait demandé cinq mille ducats pour chanter deux mois à Saint-Pétersbourg. L'impératrice Catherine II lui répondit: « Je ne paye sur ce pied-là aucun de mes généraux. — En ce cas, repartit la cantatrice, Votre Majesté n'a qu'à faire chanter ses généraux. » L'impératrice paya les cinq mille ducats. 5. Distraction d'un savant Le savant Ampère sortait un jour de l'Académie rêvant à un problème. Tout à coup il s'arrête, ses yeux s'animent. Il avait gardé à la main la craie blanche dont il venait de se servir; il voit devant lui un carré noir assez semblable aux tableaux dont il se servait habituellement; il y place ses chiffres; mais tout à coup le tableau fuit sous sa main et fait trois pas ... Ampère le suit... Le tableau prend le trot ; Ampère prend sa course et ne s'arrête qu'exténué, hors d'haleine. Ce tableau n'était autre chose que le dos d'un fiacre arrêté. 6. Traits d'esprit d'Alexandre Dumas père a) Un jour, un personnage dit à brûle-pourpoint au fécond romancier, qui était fils d'un général, né mulâtre à l'île de Saint-Domingue: «Vous êtes mulâtre? —- Oui, monsieur. — Alors votre père était nègre, sans doute? — Oui, monsieur. — Et votre grand père? — C'était un singe, monsieur. Ma famille a commencé où finit aujourd'hui la vôtre. » b) Alexandre Dumas avait été invité à un repas qui aurait à peine suffi pour un malade à la diète. Après le dessert, il remercie son hôte qui lui dit : « Vous m'excuserez, je vous ai traité en ami, c'est sans cérémonie; quand voulez-vous que nous recommencions? » Alors Dumas, furieux: « Tout de suite, si vous voulez. » Lamartine 133. Les deux frères Voici comment les Arabes racontent que Salomon choisit le sol de sa mosquée: « Jérusalem était un champ labouré; deux frères possédaient la partie du terrain où s'élève aujourd'hui le temple: l'un de ces frères était marié et avait plusieurs enfants; l'autre vivait seul. Ils cultivaient en commun le champ qu'ils avaient hérité de leur mère. Le temps de la moisson venu, les deux frères lièrent leurs gerbes et en firent deux tas égaux, qu'ils laissèrent sur le champ. Pendant la nuit celui des deux frères qui n'était pas marié eut une bonne pensée; il se dit à lui-même: « Mon frère a une femme et des enfants à nourrir; il n'est pas juste cjue ma part soit aussi forte que la sienne; allons, prenons dans mon tas quelques gerbes que j'ajouterai secrètement aux siennes: il ne s'en apercevra pas et ne pourra ainsi refuser. » Et il fit comme il avait pensé. La même nuit, l'autre frère se réveilla et dit à sa femme: « Mon frère est jeune, il vit seul et sans compagne: il n'a personne pour l'assister dans son travail et pour le consoler dans ses fatigues; il n'est pas juste que nous prenions du champ commun autant de gerbes que lui; levons-nous, allons et portons secrètement à son tas un certain nombre de gerbes; il ne s'en apercevra pas demain et ne pourra ainsi refuser. » Et il fit comme il avait pensé. Le lendemain, chacun des deux frères se rendit au champ et fut bien surpris de voir que les deux tas étaient toujours pareils. Ni l'un ni l'autre ne pouvait s'expliquer ce prodige. Ils firent de même pendant plusieurs nuits de suite; mais comme chacun portait au tas de l'autre le même nombre de gerbes, les tas demeuraient toujours égaux, jusqu'à ce qu'une nuit, tous deux s'étant mis en sentinelle, pour éclairer ce mystère, ils se rencontrèrent portant chacun les gerbes qu'ils se destinaient mutuellement. Or, le lieu où une si bonne pensée était venue à la fois et si persévéramment à deux hommes, devait être une place agréable à Dieu; et les hommes la bénirent et la choisirent pour y bâtir une maison de Dieu. » Chamfort 134. Le voleur peu prévenant L'abbé de Molière était un homme simple et pauvre, étranger à tout, hors à ses travaux sur le système de Descartes; il n'avait point de valet, et sa culotte sur sa tête pardessus son bonnet, les deux côtés pendant à droit et à gauche, il travaillait dans son lit, faute de bois. Un matin, il entend frapper à sa porte: — Qui va là ? — Ouvrez ... Il tire un cordon, et la porte s'ouvre. L'abbé Molière, ne regardant point: — Qui êtes-vous ? — Donnez-moi de l'argent. — De l'argent ? — Oui, de l'argent. — Ah! j'entends, vous êtes un voleur? — Voleur ou non, il me faut de l'argent. — Vraiment oui, il vous en faut: eh bien! cherchez là-cleclans . .. Il tend le cou et présente un des côtés de la culotte; le voleur fouille: — Eh bien ! il n'y a point d'argent. — Vraiment non; mais il y a ma clef. — Eh bien ! cette clef ... — Cette clef, prenez-la. — Je la tiens. — Allez-vous en à ce secrétaire; ouvrez ... Le voleur met la clef à un autre tiroir. — Laissez donc, ne dérangez pas, ce sont mes papiers ; à l'autre tiroir, vous trouverez de l'argent. — Le voilà. — Eh bien ! Fermez donc le tiroir .. . Le voleur s'enfuit. — Monsieur le voleur, fermez donc la porte ... Morbleu! il laisse la porte ouverte ... Quel chien de voleur ; il faut que je me lève par le froid qu'il fait; maudit voleur! L'abbé saute en pied, va fermer la porte et revient se mettre à son travail, sans penser peut-être qu'il n'a pas de quoi payer son dîner. Florian 135. Les deux voyageurs Le compère Thomas et son ami Lubin Allaient à pied tous deux à la ville prochaine. Thomas tremblant, et non sans cause, Une bourse de louis pleine. 5 II l'empoche aussitôt. Lubin, d'un air content, Lui dit : « Pour nous la bonne aubaine ! — Non, répond Thomas froidement, Pour nous n'est pas bien dit; pour moi, c'est différent. » Lubin ne souffle plus; mais en quittant la plaine, 10 Ils trouvent des voleurs cachés au bois voisin. Thomas tremblant, et non sans cause, Dit: « Nous sommes perdus! — Non, lui répond Lubin, Nous n'est pas le vrai mot; mais toi, c'est autre chose. » Cela dit, il s'échappe à travers le taillis. 15 Immobile de peur, Thomas est bientôt pris. Il tire la bourse et la donne. Qui ne songe qu'à soi quand sa fortune est bonne, Dans le malheur n'a point d'amis. E. Legouvé 136. A la douane Un de mes amis revenait de Belgique avec sa belle-mère. La brave dame avait acheté de fort belles dentelles et les avait adroitement cachées dans ses malles, au milieu de ses robes. Arrivés à la frontière, son gendre lui dit: — N'oubliez pas de déclarer vos dentelles. — Par exemple! il me faudrait payer des droits énormes. — Mais ces droits, vous les devez ! — Je les dois? A qui? Pourquoi? — Parce qu'il y a une loi sur l'importation, qui frappe d'un impôt... — Est-ce que c'est moi qui l'ai faite, cette loi? Est-ce qu'on m'a demandé mon avis pour la faire? Je la trouve absurde, cette loi; je la trouve inique ... J'y échappe; c'est mon droit. — Mais c'est de la contrebande, et la contrebande est une fraude! — Assez, reprit-elle sèchement. Vous n'avez pas la prétention, j'imagine, de m'apprendre ce que j'ai à faire. Donc, taisez-vous ! Il se tut, mais quand on en vint à l'examen des malles, et que le douanier demanda aux voyageurs s'ils n'avaient rien à déclarer, mon ami, avec le calme qui lui est propre, répondit: — Oui, Monsieur; Madame a ici des dentelles qui, je crois, doivent payer l'entrée. La fureur de la dame, vous vous l'imaginez. Elle ne pouvait rien dire, le douanier était là; il lui fallut ouvrir ses malles et payer un droit qui lui parut exorbitant. A chaque pièce de dentelle qu'elle montrait, elle lançait à son gendre des regards furibonds. Mais l'histoire eut un dénouement bien imprévu. La vue de l'honnêteté a un tel ascendant, même sur ceux qu'elle condamne ou irrite, que la visite finie et les deux voyageurs restés seuls, la belle-mère de mon ami se retourna vers lui, et après un moment de silence, lui sautant au cou: — Mon gendre, vous êtes un brave homme; il faut que je vous embrasse. 137. Le corridor de la tentation Nabussan, roi de Sérendib, un des meilleurs princes de l'Asie, était toujours trompé et volé: c'était à qui pillerait ses trésors. Le receveur général de Sérendib donnait toujours cet exemple, fidèlement suivi par les autres. Le roi le savait; il avait changé de trésoriers plusieurs fois; mais il n'avait pu changer la mode établie de partager les revenus du roi en deux moitiés inégales, dont la plus petite revenait toujours à Sa Majesté et la plus grosse aux administrateurs. Le roi Nabussan confia sa peine au sage Zadig. « Vous qui savez tant de belles choses, ne sauriez-vous point le moyen de me faire trouver un trésorier qui ne me vole point? — Assurément, répondit Zadig; je sais une façon infaillible de vous donner un homme qui ait les mains nettes. » Le roi, charmé, lui demanda, en l'embrassant, comment il fallait s'y prendre. « Il n'y a, dit Zadig, qu'à faire danser tous ceux qui se présenteront pour la dignité de trésorier, et celui qui dansera avec le plus de légèreté sera infailliblement le plus honnête homme. » Le jour même, Zadig fit publier au nom du roi que tous ceux qui prétendaient à l'emploi de receveur général de Sa Majesté Nabussan, fils de Nabussanab, eussent à se rendre, en habit noir de soie légère, dans l'antichambre du roi. Il s'y rendirent au nombre de soixante-quatre. On avait fait venir des violons dans un salon voisin; tout était préparé pour le bal, mais la porte de ce salon était fermée, et il fallait, pour y entrer, passer par une petite galerie assez obscure. Un huissier vint chercher et introduire chaque candidat, l'un après l'autre, par ce passage dans lequel on le laissait seul quelques minutes. Le roi, qui avait le mot, avait étalé tous ses trésors dans cette galerie. Lorsque tous les prétendants furent arrivés dans le salon. Sa Majesté ordonna qu'on les fît danser. Jamais on ne dansa plus pesamment et avec moins de grâce; ils avaient tous la tête baissée, les reins courbés, les mains collées à leurs côtés. « Quels fripons! » disait tout bas Zadig. Un seul d'entre eux formait des pas avec agilité, la tête liaute. le regard assuré, les bras étendus, le corps droit, le jarret ferme. «Ah! l'honnête homme, le brave homme!» disait Zadig. Le roi embrassa ce bon danseur, le déclara trésorier, et tous les autres furent punis, car chacun, dans le temps qu'il avait été dans la galerie, avait rempli ses poches et pouvait à peine marcher. Le roi fut fâché pour la nature humaine que, de ces soixante-quatre danseurs, il y eût soixante-trois filous. La galerie obscure fut appelée le corridor de la tentation. 138. Gil Blas et le parasite Je demandai à souper dès que je fus dans l'hôtellerie. C'était un jour maigre: on m'accommoda une omelette. Je n'avais pas encore mangé le premier morceau, que l'hôte entra suivi de l'homme qui l'avait arrêté dans la rue. Ce cavalier portait une longue rapière et pouvait bien avoir trente ans. Il s'approcha de moi d'un air empressé. « Seigneur écolier, me dit-il, je viens d'apprendre que vous êtes le seigneur Gil Blas de Santillane, l'ornement d'Oviédo et le flambeau de la philosophie. Est-il bien possible que vous soyez ce savantissime, ce bel esprit dont la réputation est si grande en ce pays-ci? Vous ne savez pas, continua-t-il en s'adressant à l'hôte et à l'hôtesse, vous ne savez pas ce que vous possédez : vous avez un trésor dans votre maison: vous voyez dans ce jeune gentilhomme la huitième merveille du monde. » Puis, se tournant de mon côté et me jetant les bras au cou: « Excusez mes transports, ajouta-t-il, je ne suis point maître de la joie que votre présence me cause. » Je ne pus lui répondre sur-le-champ, parce qu'il me tenait si serré que je n'avais pas la respiration libre; et ce ne fut qu'après que j'eus la tête dégagée de l'embrassade, que je lui dis: « Seigneur cavalier, je ne croyais pas mon nom connu à Pegnaflor. — Comment, connu? reprit-il sur le même ton: nous tenons registre de tous les grands personnages qui sont à vingt lieues à la ronde. Vous passez ici pour un prodige; et je ne doute pas que l'Espagne ne se trouve un jour aussi vaine de vous avoir produit que la Grèce d'avoir vu naître ses sept sages. » Ces paroles furent suivies d'une nouvelle accolade. Pour peu que j'eusse eu d'expérience, je n'aurais pas été la dupe de ces démonstrations ni de ces hyperboles; j'aurais bien connu, à ses flatteries outrées, cjue c'était un de ces parasites que l'on trouve dans toutes les villes, et qui. dès qu'un étranger arrive, s'introduisent auprès de lui pour remplir leur ventre à ses dépens; mais ma jeunesse et ma vanité m'en firent juger tout autrement. Mon admirateur me parut un fort honnête homme, et je l'invitai à souper avec moi. «Ah! très volontiers, s'écria-t-il; je sais trop bon gré à mon étoile de m'avoir fait rencontrer l'illustre Gil Blas de Santillane pour ne pas jouir de ma bonne fortune le plus longtemps que je pourrai. Je n'ai pas grand appétit, poursuivit-il; je vais me mettre à table pour vous tenir compagnie seulement, et je mangerai quelques morceaux par complaisance. » En parlant ainsi, mon panégyriste s'assit vis-à-vis de mç)i. On lui apporta un couvert. Il se jeta d'abord sur l'omelette avec tant d'avidité qu il semblait n'avoir mangé de trois jours. J'en ordonnai une seconde, qui fut faite si promp-tement, qu'on nous la servit comme nous achevions, ou plutôt comme il achevait de manger la première. Il y procédait pourtant d'une vitesse toujours égale, et trouvait moyen, sans perdre un coup de dent, de me donner louanges sur louanges; ce qui me rendait fort content de ma petite personne. Il buvait aussi fort souvent; tantôt c'était à ma santé, et tantôt à celle de mon père et de ma mère, dont il ne pouvait assez vanter le bonheur d'avoir un fils tel que moi. En même temps, il versait du vin dans mon verre, et m'excitait à lui faire raison. Je ne répondais point mal aux santés qu'il me portait: ce qui, avec ses flatteries, me mit insensiblement de si belle humeur, que, voyant notre seconde omelette à moitié mangée, je demandai à l'hôte s'il n'avait pas de poisson à nous donner. Le seigneur Corcuelo, qui selon toutes les apparences, s'enten- dait avec le parasite, me répondit: « J'ai une truite excellente; mais elle coûtera cher à ceux qui la mangeront; c'est un morceau trop friand pour vous. — Qu'appelez-vous trop friand? dit alors mon flatteur d'un ton de voix élevée, vous n'y pensez pas, mon ami; apprenez que vous n'avez rien de trop bon pour le seigneur Gil Blas de Santillane, qui mérite d'être traité comme un prince. » Je dis fièrement à Corcuelo: « Apportez-nous votre truite et ne vous embarrassez pas du reste. » L'hôte, qui ne demandait pas mieux, se mit à l'apprêter, et ne tarda guère à nous la servir. A la vue de ce nouveau plat, je vis briller une grande joie dans les yeux du parasite, qui donna sur le poisson comme il avait donné sur les œufs. Il fut pourtant obligé de se rendre, de peur d'accident, car il en avait jusqu'à la gorge. Enfin, après avoir bu et mangé tout son soûl, il voulut finir la comédie. « Seigneur Gil Blas, me dit-il, en se levant de table, je suis trop content de la bonne chère que vous m'avez faite pour vous quitter sans vous donner un avis important dont vous me paraissez avoir besoin. Soyez désormais en garde contre les louanges. Défiez-vous des gens que vous ne connaîtrez point. Vous en pourrez rencontrer d'autres qui voudront, comme moi, se divertir de votre crédulité; n'en soyez point la dupe, et ne vous croyez pas, sur leur parole, la huitième merveille du monde. » En achevant ces mots, il me rit au nez et s'en alla. La Fontaine 139. Le corbeau et le renard Maître corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maître renard, par l'odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage: 5 «Hé! bonjour, monsieur du Corbeau! Que vous êtes joli! que vous me semblez beau! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. » 10 A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie, Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le renard s'en saisit, et dit: « Mon bon monsieur, Apprenez que tout flatteur 15 Vit aux dépens de celui qui l'écoute. Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. » Le corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. André Theuriet 140. L'arrivée de la diligence Une heure se passa ainsi, puis tout à coup, dans le silence, un faible tintement de grelots, un sourd roulement de roues résonnèrent au dehors, très loin, du côté de la grand'route. En 1851, la voie ferrée s'arrêtait à Poitiers; le service du chef-lieu se faisait encore au moyen d'une diligence qui mettait sept heures pour amener les voyageurs et les dépêches à Saint-Clémentin, où l'arrivée du courrier était l'événement et la grande distraction de la journée. La diligence approchait en effet, tirée par ses quatre chevaux dont on distinguait le trot sur le pavé de la grand'rue. Avec elle l'animation semblait revenir dans la petite ville endormie. On entendait les volets clos s'ouvrir bruyamment, et les gens accourus aux portes échanger de joviales interpellations. La voiture débouchait de la grand'rue. Le conducteur sonna une fanfare sur son cor, et la lourde machine avança avec précaution, à cause du peu de largeur de la chaussée. Les chevaux ruisselaient de sueur, la caisse jaune était couverte de poussière, et les voyageurs, éveillés d'un long somme, encadraient leurs têtes poudreuses aux portières. En guise d'escorte, trois gamins couraient par derrière, en s'ap-puyant au marchepied de la rotonde. A côté du conducteur, cramoisi à force de souffler dans son instrument, un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans semblait attirer l'attention des bourgeois. On se le montrait, on le saluait d'un signe de tête, et il répondait gaiement à ces saluts de bienvenue en soulevant son chapeau. A l'extrémité de la rue, près des remises de l'hôtel, un couple bourgeois était occupé à envoyer des signaux dans la direction de la voiture. La dame agitait son mouchoir, tandis que le mari manifestait de son côté en secouant sa canne levée à la hauteur de la tête. La diligence, oscillant lourdement, s'était enfin arrêtée devant la grande porte de la remise, et le jeune homme, descendant lestement, s'était jeté au cou de sa mère, puis avait reçu l'accolade de son père, qui semblait tout aise de revoir son héritier. 141. La diligence Clic! clac! clic! holà! gare! gare! La foule se rangeait, Et personne dedans. Peste! quel tintamarre! 5 Quelle poussière! ah! c'est un grand seigneur! — C'est un prince du sang, c'est un ambassadeur! La voiture s'arrête; on accourt, on s'avance: C'était... la diligence, Et personne dedans. 10 Du bruit, du vide, amis, voilà, je pense, Le portrait de beaucoup de gens. Alphonse Daudet 142. La chèvre de M. Seguin M. Seguin n'avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. Il les perdait toutes de la même façon: un beau matin, elles cassaient leur corde, s'en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C'étaient, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air de la liberté. Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. Il disait: « C'est fini; les chèvres s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas une. » Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habituât mieux à demeurer chez lui. Ah! qu'elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin! Qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande! C'était presque aussi charmant que le cabri d'Esméralda, et puis docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l'écuelle. Un amour de petite chèvre ... M. Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d'aubépines. C'est là qu'il mit sa nouvelle pensionnaire. 11 l'attacha à un pieu, au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps, il venait voir si elle était bien. La chèvre se trouvait très heureuse, et broutait l'herbe de si bon cœur que M. Seguin était ravi. « Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuiera pas chez moi! » M. Seguin se trompait, sa chèvre s'ennuya. # Un jour, elle se dit en regardant la montagne: « Comme on doit être bien là-haut! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite longe qui vous écorche le cou! ... Les chèvres, il leur faut du large. » A partir de ce moment, l'herbe du clos lui parut fade. L'ennui lui vint. Elle maigrit; son lait se fit rare. C'était pitié de la voir tirer tout le jour sur la longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant mê!... tristement. M. Seguin s'apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c'était... Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois: « Écoutez, M. Seguin, je me languis chez vous. Laissez-moi aller dans la montagne. — Ah! mon Dieu! ... Elle aussi! cria M. Seguin stupéfait. Et du coup, il laissa tomber son écuelle; puis, s'asseyant dans l'herbe, à côté de sa chèvre: Comment! Blanquette, tu veux me quitter. » Et Blanquette répondit: « Oui, monsieur Seguin. — Est-ce que l'herbe te manque ici? — Oh! non! monsieur Seguin. - — Tu es peut-être attachée de trop court; veux-tu que j'allonge la corde? — Ce n'est pas la peine, monsieur Seguin. — Alors, qu'est-ce qu'il te faut? Qu'est-ce que tu veux? — Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin. — Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne .. . Que feras-tu quand il viendra ? — Je lui donnerai des coups de cornes, monsieur Seguin. — Le loup se moque bien de tes cornes. Il m'a mangé des biques autrement encornées que toi... Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l'an dernier? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit.. . puis le matin, le loup l'a mangée. — Pécaïre! Pauvre Renaude!... Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne. — Bonté divine! ... dit M. Seguin; mais qu'est-ce qu'on leur fait donc à mes chèvres? Encore une que le loup va me manger... Eh bien, non ... je te sauverai malgré toi, coquine ! et de peur que tu ne rompes ta corde, je vais t'enfermer dans l'étable, et tu y resteras toujours. » Là-dessus, M. Seguin emporta la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné que la petite s'en alla ... Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n'avaient rien vu d'aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Les genêts d'or s'ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu'ils pouvaient. Toute la montagne lui fit fête. Notre chèvre était heureuse! Plus de corde, plus de pieu ... rien qui l'empêchât de gambader, de brouter à sa guise .. . C'est là qu'il y en avait de l'herbe! jusque par-dessus les cornes, mon cher!... Et quelle herbe! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes ... C'était bien autre chose que le gazon du clos. Et les fleurs donc!... De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux! . .. La chèvre blanche, à moitié soûle, se vautrait là-dedans, les jambes en l'air et roulant le long des talus, pêle-mêle avec les feuilles tombées et les châtaignes ... Puis tout à coup elle se redressait d'un bond sur ses pattes. Hop! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pic, tantôt au fond d'un ravin, là-haut, en bas, partout ... On aurait dit qu'il y avait dix chèvres de M. Seguin dans la montagne ... C'est qu'elle n'avait peur de rien, la Blanquette. Elle franchissait d'un saut de grands torrents qui l'éclaboussaient au passage de poussière humide et d'écume. Alors, toute ruisselante, elle allait s'étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil... Une fois, s'avançant au bord d'un plateau, une fleur de cytise aux dents, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes. «Que c'est petit! dit-elle; comment ai-je pu tenir là-dedans? » Pauvrette! De se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde ... En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Seguin. Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans une troupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la lambrusque. * Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c'était le soir... « Déjà! » dit la petite chèvre; et elle s'arrêta fort étonnée. En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d'un troupeau qu'on ramenait, et se sentit l'âme toute triste ... Un gerfaut qui rentrait la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit. Puis ce fut un hurlement dans la montagne : « Hou ! hou ! ... » Elle pensa au loup; de tout le jour la foie n'y avait pas pensé . .. Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C'était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort. « Hou! hou! »... faisait le loup. « Reviens ! reviens ! ... » criait la trompe. Blanquette eut envie de revenir; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu'il valait mieux rester. La trompe ne sonnait plus .. . La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles. Elle se retourna et vit dans l'ombre deux oreilles courtes toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient... C'était le loup. Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là, regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait, le loup ne se pressait pas; seidement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment: « Ha! ha! la petite chèvre de M. Seguin! » et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d'amadou. Blanquette se sentit perdue ... Un moment, en se rappelant l'histoire de la vieille Renaude, qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite; puis, s'étant ravisée, elle tomba en garde, la tête et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu'elle était... Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le loup, — les chèvres ne tuent pas le loup, — mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude ... Alors le monstre s'avança, et les petites cornes entrèrent en danse. Ah! la brave chevrette, comme elle y allait de bon cœur! Plus de dix fois, je ne mens pas, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Pendant ces trêves d'une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe; puis elle retournait au combat, la bouche pleine ... Cela dura toute la nuit. De temps en temps la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait: « Oh! pourvu que je tienne jusqu'à l'aube ...» L'une après l'autre, les étoiles s'éteignirent. Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents ... Une lueur pâle parut dans l'horizon ... Le chant d'un coq enroué monta d'une métairie. « Enfin! » dit la pauvre bête, qui n'attendait plus que le jour pour mourir; et elle s'allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang ... Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea. Autran 143. Les chèvres provençales La montagne au soleil, où croissent pêle-mêle Cytise et romarin, lavande et serpolet, Enfle de mille sucs leur bleuâtre mamelle; On boit tous ses parfums quand on boit de leur lait. 5 Tandis qu'assis au pied de quelque térébinthe, Le pâtre insoucieux chante un air des vieux jours, Elles, dont le collier par intervalles tinte, Vont et viennent sans cesse et font mille détours. En vain le mistral souffle et chiffonne leur soie: 10 Leur bande au pâturage erre des jours entiers. Je ne sais quel esprit de conquête et de joie Les anime à gravir les plus âpres sentiers. Ton gouffre les appelle, ô Méditerranée! Qu'un brin de mousse y croisse, une touffe de thym, 15 C'est là qu'elles iront, troupe désordonnée Que le péril attire autant que le butin. Alphonse Daudet 144. Les chasseurs de Tarascon Au temps dont je vous parle, Tartarin de Tarascon n'était pas encore le Tartarin qu'il est aujourd'hui, le grand Tartarin de Tarascon, si populaire dans tout le midi de la France. Pourtant, même à cette époque, c'était déjà le roi de Tarascon. Francoska čitanka 10 Disons d'où lui venait cette royauté. Vous saurez d'abord que là-bas tout le monde est chasseur, depuis le grand jusqu'au plus petit. La chasse est la passion des Tarasconnais, et cela depuis les temps mythologiques. Donc, tous les dimanches matin, Tarascon prend lés armes et sort de ses murs, le sac au dos, le fusil sur l'épaule, avec un tremblement de chiens, de trompes, de cors de chasse. C'est superbe à voir ... Par malheur, le gibier manque, il manque absolument. Si bêtes que soient les bêtes, vous pensez bien qu'à la longue elles ont fini par se méfier. A cinq lieues autour de Tarascon, les terriers sont vides, les nids abandonnés. Pas un merle, pas une caille, pas le moindre lapereau, pas le plus petit cul-blanc. Ah! ça! me direz-vous, puisque le gibier est si rare à Tarascon, qu'est-ce que les chasseurs tarasconnais font donc tous les dimanches? Ce qu'ils font? • Eh! mon Dieu, ils s'en vont en pleine campagne, à deux ou trois lieues de la ville. Ils se réunissent par petits groupes de cinq ou six, s'allongent tranquillement à l'ombre d'un puits, d'un vieux mur, d'un olivier, tirent de leurs carniers un bon morceau de bœuf en daube, des oignons crus, un saucisson, quelques anchois, et commencent un déjeuner interminable, arrosé d'un de ces jolis vins du Rhône qui font rire et qui font chanter. Après quoi, quand on est bien lesté, on se lève, on siffle les chiens, on arme les fusils, et on se met en chasse. C'est-à-dire que chacun de ces messieurs prend sa casquette, la jette en l'air de toutes ses forces, et la tire au vol. Celui qui met le plus souvent dans sa casquette est proclamé roi de chasse, et rentre le soir en triomphateur à Tarascon, la casquette criblée au bout du fusil, au milieu des aboiements et des fanfares. Inutile de vous dire qu'il se fait dans la ville un grand commerce de casquettes de chasse. Il y a même des chapeliers qui vendent des casquettes trouées et déchirées d'avance à l'usage des maladroits. Comme chasseur de casquettes, Tartarin de Tarascon n'avait pas son pareil. Tous les dimanches matin, il partait avec une casquette neuve; tous les dimanches soir, il revenait avec une loque. Aussi, tous les Tarasconnais le reconnaissaient-ils pour leur maître. Cher ami, 145. Lettres i. Une invitation Paris, 20 novembre 19 . Le 28 novembre nous fêterons mon anniversaire. Mes parents m'ayant donné la permission d'inviter quelques amis, je te prie de venir. J'espère que tu accepteras cette invitation et que tu t'amuseras bien. Je te serre cordialement la main. Ton dévoué U c /« Charles i.c:L c 2. Pour excuser l'absence d'un élève Version I Monsieur le Professeur, Je vous prie d'excuser mon fils Jean qui a manqué l'école hier. Il avait un si violent mal de tête au moment de partir que j'ai jugé préférable de le garder à la maison. Veuillez agréer, Monsieur le Professeur, l'expression de mes sentiments distingués. (Signature) Version II Monsieur le Professeur, Mon fils Charles a été pris cette nuit d'un mal de gorge avec fièvre (ou: d'une forte indisposition), et n'a pu se rendre ce matin à l'école. Le docteur doit venir ce soir et, si la maladie 10* de mon fils nécessite quelques jours de congé, vous recevrez l'attestation médicale requise. Veuillez agréer, Monsieur le Professeur, l'expression de mes sentiments distingués. (Signature) 3. Pour excuser de manquer une leçon Madame, Notre/'cours©' d'école est fixée à mardi prochain; à mon grand regret, je ne pourrai venir prendre ma leçon comme d'habitude. Mais je viendrai le mardi suivant, à l'heure accoutumée, sauf avis contraire de votre part. J'espère que je vous aurai prévenue assez promptement pour vous éviter tout ennui, et je vous prie, Madame,' d'agréer mes compliments respectueux. (Signature) 4. Pour justifier une absence Monsieur, Depuis trois jours, j'ai une grippe accompagnée d'une forte fièvre, et je me trouve dans l'impossibilité de reprendre mes occupations à la date convenue. Le médecin m'interdit de retourner au bureau avant quinze jours. Je regrette vivement le dérangement que je vous cause, et dès mon retour, je ferai tout mon possible pour rattraper le temps perdu. Je vous prie, Monsieur, de recevoir l'assurance de mes sentiments dévoués (ou: respectueux). (Signature) ■é'csûôve c^oii 5. Pour un anniversaire Chère Madame, ^ou. Je Nous voici au 19 mars, et je ne voudrais pas que ce jour se passât sans que vous eussiez de moi un signe d'amitié. Permettez-moi donc de vous envoyer mes vœux les meilleurs pour une santé parfaite, tout le bonheur que vous pouvez souhaiter, et de nombre, retours de cet anniversaire. Croyez, chère Madame, à 1 assurance de mon affectueux respect. -yne. e/^t» \ n (Signature) 6. Lettre de nouvel an Strasbourg, le 31 décembre 1933. Mes chers grands-parents, C'est parce que je suis le plus jeune de la famille que l'on m'a chargé de vous écrire aujourd'hui. Mes parents, mes frères et sœurs et moi-même, nous vous adressons nos meilleurs vœux à l'occasion de la nouvelle année: nous souhaitons surtout qu'elle ne vous apporte que du bonheur et que votre santé à tous deux se maintienne toujours aussi bonne que par le passé. Ce serait bien mieux encore, mes chers grands-parents, si je pouvais demain matin vous offrir mes vœux de vive voix et vous embrasser très affectueusement. Mais je n'aurai pas ce plaisir et c'est de bien loin, hélas, que je vous adresse, avec toute la famille, mes meilleurs baisers. Votre petit-fils Gaston ' ; ' - ^^Iw.-, 7. Lettre de condoléance Colmar, le 20 avril 1933. Mon cher ami, Nous avons ce matin la triste nouvelle du grand malheur qui vient de vous frapper, et je m'empresse de te dire que nous prenons une grande part, ma famille et moi, à votre douleur. Notre surprise a été d'autant plus vive et notre peine d'autant plus grande que nous ignorions tout à fait que ton pauvre frère était malade. Je le revois toujours robuste, enjoué, affectueux et travailleur, tel qu'il était lors de mon dernier séjour dans ta famille, et je ne peux croire encore que ce cher Gaston nous ait quittés pour toujours. Je te prie de vpuloir bien présenter les condoléances émues de ma famille à tes pauvre^ parents si cruellement frappés, et de croire à mon affectueuse amitié. Henri 8. Pour demander les renseignements sur une domestique Madame, Paris' le 27 avril 19 " " Marie X. s'est présentée hier chez moi et m'a montré un certificat attestant qu'elle a été à votre service du mois d'avril 1927 au mois de septembre 1928. Je vous serais très obligée, Madame, si vous pouviez me donner quelques renseignements sur le caractère, la conduite et, en particulier, la fidélité de M. X. Vous pouvez être assurée de mon absolue discrétion. Veuillez agréer, Madame, avec mes remerciements, 1 assurance de mes sentiments les plus distingués. (Signature) 9. Un fils à ses parents, après une maladie Mes chers parents, Mille fois pardon, si j'ai été aussi longtemps sans vous écrire. J'ai été assez dangereusement malade, et c'est ce qui m'a empêché de vous écrire. Mais je n'ai pas cessé de penser à vous. Je commence à prendre une nourriture plus substantielle et à me promener dans le jardin. Dans huit jours, je pourrai reprendre le cours de mes études. Le médecin m'a parlé de me faire respirer l'air natal pour hâter ma convalescence. Si ce projet pouvait s'effectuer, votre vue serait pour moi le meilleur des cordiaux et me rendrait une santé égale à celle que je vous souhaite. Votre très-obéissant fils. 146. Extraits de journaux 1. Des forêts dévastées par le feu Lyon, 19 avril. — Le feu a pris aux broussailles et, trouvant un aliment facile dans les hautes herbes sèches et les feuilles mortes, n'a pas tardé à prendre une extension considérable. La forêt, composée en majeure partie de chênes, a été envahie par les flammes sur une étendue de plus de dix hectares. Poussée par un violent vent du sud, l'incendie a gravi la pente et s'est attaqué aux importantes forêts de sapins. > 2. Un incendie La nuit dernière, vers 23 h. 50, les pompiers de la ville étaient alertés par la sirène municipale. Un incendie venait de se déclarer dans un immeuble situé sur la route nationale, près de la place Saint-Georges. Le feu, qui avait pris naissance dans les greniers, activé par le vent du midi, faisant de rapides progrès, le maire fit appel aux pompiers. Malgré l'intervention de ceux-ci, il ne reste.de l'immeuble que des pans de murs. Les dégâts dépassent 250.000 francs. Au cours du sauvetage, un pompier a été blessé à la tête et sur diverses parties du corps par la chute d'une partie de la toiture. 5. Un hydravion de la marine capote près de Toulon Toulon, 17 avril (dép. Havas) Un hydravion a capoté hier après-midi, vers 15 heures, au moment où il amérissait. Les trois occupants, qui se débattaient dans les flots, ont été rapidement secourus par une barque de pêche et par une vedette du poste des torpilles. Transportés à l'hôpital maritime, on constata que les aviateurs ne portaient que des blessures sans gravité. L'appareil a pu être sauvé par la gabare à vapeur. 4, Aux États-Unis, un avion est frappé par la foudre Un avion a été frappé par la foudre en plein vol au cours d'un violent orage, et s'est abattu. Les deux hommes et les deux femmes qui se trouvaient à bord ont été tués. 5. a) Accident d'auto Deux jeunes gens qui n'avaient pas de permis de conduire étaient partis en auto. C'est pourquoi un terrible accident s'est produit. L'automobile vient de faire une chute de 300 mètres en amont du pont. Les sauvetages furent entrepris. On a découvert d'abord un cadavre horriblement broyé. L'autre est enseveli sous les décombres de la voiture. b) Accident d'automobile L'auto, piloté par le chauffeur, partit. Quatre personnages y avaient pris place. Cependant le chauffeur fut pris d'une défaillance et ne fut plus maître de sa voiture, qui obliqua. A cet endroit la route surplombe le lit du fleuve, qui coule 100 mètres au-dessous. Aucun parapet ne borde le chemin. L'auto sortit de la route pour dévaler la pente. Dans sa course vertigineuse, elle fit de nombreux bonds qui projetèrent sur le sol deux voyageurs. Puis elle alla s'abîmer dans le lit du fleuve. Deux personnes furent tuées, une fut grièvement blessée, une jeune fille s'en est tirée avec quelques écor-chures sans gravité. 6. Le train déraille Toulon, 25 avril (dép. Havas) Hier soir, un train de la compagnie de chemin de fer de Provence a déraillé sur la ligne d'Hyères à Toulon. L'accident, dont la cause n'a pu encore être déterminée, s'est produit à une centaine de mètres avant la commune du Pradet. Une voiture du convoi a été renversée. Un des voyageurs a eu une fracture du crâne et des blessures aux jambes. Un autre voyageur a été légèrement contusionné. 7. Office immobilier du »Journal des Débats« Paris et Banlieue Becon-les-Bruyères. — Appartements à vendre dans beaux immeubles, quartier agréable, rapport net 6%. — Office Immobilier du « Journal des Débats ». 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La mort de Roland (Chanson de Roland)..................8 7. Huon de Bordeaux (Chanson de geste) ..................9 8. Féodalité (Différents auteurs)..........................13 9. La réception d'un chevalier (François Guizot)..............13 10. Départ pour la première croisade (Michaud)....... 14 11. Saint Louis (Voltaire) ................................15 12. Du Guesclin (Augot, Cagne)............................16 13. La rançon de Du Guesclin ............................17 14. Un trait de Louis XII (Différents auteurs)................17 15. Un songe (Sully Prudhomme)..........................18 16. Paris-Renaissance (Léon Claretie)........................19 17. Charbonnier est maître chez lui (Gaspard)............20 18. Adieux de Marie Stuart (Béranger)...........21 19. Une scène d'auberge du temps de Charles IX (Prosper Mérimée) 22 20. Henri IV (Lavisse et Reynach).............23 21. Le roi et le paysan (Anecdote).............24 22. Le paysan du XVTCme siècle (La Bruyère)........25 23. La misère du paysan français du XVIIIme siècle (J. ]. Rousseau) 25 24. Ballade des pauvres gens (Théodore de Banville).....26 25. Tableau du labour (Georges Sand, La Mare au Diable) ... 27 26. Labour (Achille Millien) ...............28 27. Dans le cabinet du cardinal de Richelieu (A. de Vigny, Cinq- Mars) ......................28 28. Mazarin et le solliciteur (Cl. Augé)...........29 29. Le madrigal de Louis XIV (Mme de Sévigné).......30 30. Madrigal (Henri de Régnier)..............30 31. Le Distrait spirituel (Cl. Augé) . ............31 32. L'huître et les plaideurs (La Fontaine) .........31 33. Contre la guerre (Fénelon, Télémaque).........32 34. Après la bataille (Victor Hugo).............33 < 35. La mort du Dauphio (A. Daudet)............34 36. Louis XVI et les pommes de terre de Parmentier (Jeanne d'Lhart de Roques)....................36 37. Prise de la Bastille (Hippolyte Taine)..........38 38. Le 14 Juillet (Différents auteurs)............39 39. La Marseillaise (Ernest Lavisse)............40 40. La Marseillaise (Rouget de Lisle)............40 41. Les paysans après la Révolution (Paul Louis Courier) ... 41 42. Le dépôt gardé (Lamartine)..............41 43. La retraite de la Grande Armée (Victor Hugo, L'Expiation) . . 43 44. Le retour de Louis XVIII (Erckmann-Chatrian)......43 45. Le marquis de Carabas (Béranger)...........44 46. Le retour de Napoléon (Erckinann-Chatrian).......45 4?. Deux braves à Waterloo (Jules Claretie).........46 48. Waterloo (Victor Hugo)................48 49. Les deux Iles (Victor Hugo)..............49 50. La marine française part pour conquérir Alger (Chateaubriand) 49 51. Un républicain enragé (Guy de Maupassant).......50 52. Les paysans à Paris (Alphonse Daudet, Contes du Lundi) . . 52 53. Le Pays (Auguste Briseux)..............54 54. Un Père héroïque (Adamovic d'après le Temps)......54 55. Salut (Henri de Régnier)...............55 II. Régions et fleuves. Paris 56. Le Périgord et ses truffes (Louis Dorey).........56 5?. La Bretagne (J. Michelet)...............57 58. Le soleil de ma Bretagne (Lemoine)...........58 59. La Touraine et la Loire (Alfred de Vigny)........59 60. L'Aquitaine et la Gascogne (M. Fallex et A. Mairey) .... 60 61. Gasconnades....................62 62. La Savoie (M. Fallex et A. Mairey)...........63 63. Le retour du petit Savoyard (Guiraud)..........63 64. La Seine (Description)................64 65. La Seine (Conte, Bernardin de Saint-Pierre).......65 66. Climat de la France (M. Fallex et A. Mairey).......66 67. Paris (M. Fallex et A. Mairey).............67 III. Écoles 68. Mes débuts au lycée (André Laurie)...........69 69. L'arrivée d'un nouveau (Gustave Flaubert)........71 70. Le petit Chose (A.Daudet) ..............73 71. La Saint-Charlemagne (André Laurie)..........74 IV. Esprit français 72. La France est une semeuse (Jusserand).........77 73. La France foyer de civilisation (Guizot).........77 74. La situation de la Fiance et le tempérament français (Rivarol) 78 75. La langue française et l'esprit français (Rivarol)......79 76. L'amabilité française (J. J. Rousseau)...........80 77. L'éîfprit de conversation (Mme de Staël).........81 V. Air et mer 78. Une promenade à la mer (Jules Sandeau)........82 79. L'homme et la mer (Charles Beaudelaire)........83 80. Les pêcheurs d'Islande (Pierre Loti)...........84 81. Maris Stella (José-Maria de Heredia)..........85 82. Le capitaine du Normandy (Victor Hugo, Pendant l'Exil) . . 85 83. Une nuit sur l'Océan (Victor Hugo)...........88 84. Des Ailes! des ailes! (Ernest Lavisse)..........88 85. Les frères Montgolfier (George Duruy) .........90 86. Le naufrage du brise-glace Tchéliouskine (Charles Rabot) . . 90 VI. Nature 87. Scoutisme (Léon de Lapérouse).............92 88. La forêt (André Theuriet)...............94 89. Le chant des bûcherons (A. Theuriet)..........95 90. L'aspect des montagnes (Élisée Reclus)..........96 91. J'étais monté plus haut (Théophile Gautier)........98 92. La houille (Différents auteurs).............98 93. Le fer (Différents auteurs) ..............99 94. Le volcan (Différents auteurs).............100 95. Les glaciers (Eugène Rambert).............101 96. La grotte de la déesse Calypso (Fénelon, Télémaque) .... 102 97. La source (Théophile Gautier).............103 98. Les plantes à fleur ou angiospermes (Différents auteurs) . . 104 99. La pomme de terre (Différents auteurs).........104 100. Nids des oiseaux (Chateaubriand)............105 101. Mort des oiseaux (Coppée) ..............106 102. Migration des oiseaux (Chateaubriand)..........106 103. Migration des oiseaux (Racine).............107 104. Le rossignol (Buffon).................107 105. Le rossignol et le prince (Florian)...........108 106. Les vautours (Buffon) ................109 107. Le chasseur (Th. Gautier)...............110 108. Le lièvre (La Fontaine)................110 109. Le lièvre (Buffon)..................110 110. Le cheval arabe (Buffon)...............111 111. Le renard et le bouc (Ésope) .............112 112. Les deux renards (Fénelon).................112 113. Le chien et le chat (Florian)..............113 114. Les abeilles (Fénelon)................113 115. La guêpe et l'abeille Florian).............114 116. La cigale et la fourmi (La Fontaine) ..........114 VII. Religion 117. Le Pater.....................115 118. Salutation angélique.................' 115 119. Joseph se fait connaître à ses frères (Ancien Testament) . . 116 120. Le bon Samaritain (Nouveau Testament).........116 121. Le curé de Cucugnan (A.Daudet) ...........119 122. Les quatre mendiants ................119 123. La canonisation de dom Bosco (Petit Parisien) ......120 124. Les louanges de Dieu (Racine, Athalie) .........121 VIII. Relations franco-yougoslaves 125. Hélène la Française — reine de Serbie (Émile Haumant) . . 122 126. Le cycle de Kosovo (Émile Haumant)..........122 127. La Tour aux Crânes humains (Lamartine)........125 128. Lamartine et les Yougoslaves (Abel Bonnard).......126 129. Réveille-toi, Illyrie! (Émile Haumant)..........126 130. La guzla (Charles Nodier, Jean Sbogar).........127 131. Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga (Prosper Mérimée) 128 IX. A bâtons rompus 132. Anecdotes: 1. Le sot a une idée................130 2. Le cocher et le roi................130 3. La mort nous a oubliés..............130 •t. La cantatrice............. .... 130 5. Distraction d'un savant..............130 6. Traits d'esprit d'Alexandre Dumas père.......131 133. Les deux frères (Lamartine)..............131 134. Le voleur peu prévenant (Chamfort) ..........132 135. Les deux voyageurs (Florian)........... . 133 136. A la douane (E. Legouvé)...............134 137. Le corridor de la tentation (Voltaire)..........135 138. Gil Blas et le parasite (Le Sage)............136 139. Le corbeau et le renard (La Fontaine)..........138 140. L'arrivée de la diligence (A. Theuriet)..........139 141. La diligence (Gaudy).................140 142. La chèvre de M. Seguin (A. Daudet)...........140 143. Les chèvres provençales (Autran)............145 144. Les chasseurs de Tarascon (A. Daudet) .........145 145. Lettres: 1. Une invitation..................147 2. Pour excuser l'absence d'un élève..........147 3. Pour excuser de manquer une leçon...... . . 148 4. Pour justifier une absence.............148 5. Pour un anniversaire...............148 6. Lettre de nouvel an........ ......149 7. Lettre de condoléance...............149 8. Pour demander des renseignements sur une domestique 150 9. Un fils à ses parents, après une maladie.......150 146. Extraits de journaux: 1. Des forêts dévastées par le feu...........150 2. Un incendie...................151 5. Un hydravion de la marine capote près de Toulon . . . 151 4. Aux États-Unis, un avion est frappé par la foudre . . . 151 5. a) Accident d'auto................152 b) Accident d'automobile.............152 6. Le train déraille............ .... 152 7.' Office immobilier du Journal des Débats . . .... 152