Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 Yves Plasseraud UDC 376.744(44) Membre du bureau du Groupement des droits des Minorités Paris, France LE BILINGUISME DANS L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE: LE CAS DES LANGUES REGIONALES* En 1883, Jules Ferry, Ministre de l'Instruction Publique (devenue depuis l'Education Nationale), instaure l'Ecole Publique laïque et obligatoire pour tous les enfants de France. C'est le début d'une offensive en faveur de l'apprentissage du français (on compare les instituteurs à des hussards noirs de la République) qui, en quelques décennies, réalisera les voeux les plus chers de l'Abbé Grégoire en réduisant les langues dites régionales à l'état de vestiges en survie précaires. Dans de telles conditions, rien d'étonnant à ce que ceux qui on durement ressenti l'humiliation du “symbole” ou de la “vache" voient dans l'école le moyen quasi-magique de reconstruire ce qui précisément a été détruit par elle. Ecoles de France et langues minoritaires, citoyenneté républicaine ou aliénation culturelle? L'histoire de la lutte pour l'enseignement des langues régionales est ancienne et ...décevante. Pendant bien des décennies, malgré l'ardeur d'association comme Ar Brezhoneg Er Skol (le Breton à l'Ecole) entre les deux guerres, rien ne fut fait. La première éclaircie, dans les années d'aprés-guerre, est le vote le 22 Décembre 1950, malgré une vive opposition, du texte qui entrera dans l'histoire sous le nom de Loi Deixonne. Ce document encore fort timide prévoit pour l'essentiel l'autorisation d'utiliser les langues énumérées par la loi’ à l'école primaire et secondaire, l'instauration d'une épreuve facultative de langue régionale au baccalauréat, l'organisation de stages pour les élèves des écoles normales, et enfin un enseignement en Faculté. Cependant, ce texte est truffé de restrictions et de garde-fous, une heure seulement d'enseignement par semaine dans le primaire, on parle de “parler local" pour minorer les langues en question par rapport à la langue nationale, etc. Malgré toutes ces insuffisances, la Loi Deixonne fut immédiatement exploitée au maximum par les miliants des langues régionales qui, grâce à elle, purent enfin donner une base légale à leurs revendications. Une série de circulaires en résultèrent au cours des trente années suivantes. Citons à titre d'exemples de progrès ponctuels les textes suivants: * Original: French 4o4 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 - Circulaire du 24.10.1966 (No. 66 - 361) créant des Commissions académiques appelées à conseiller les Recteurs en la matière. - Circulaire du 17.2.1969 (No. 69 - 90) qui recommande de consacrer une place dans l'enseignement à l'étude des civilisations. - Décret No. 7433 du 16.1.1974 qui étend la Loi Deixonne à la langue Corse. - Loi générale relative 4 l'éducation du 11.7.1975 (No. 75 - 620) qui prévoit qu' "un enseignement des langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité." Mais il y a aussi des retours en arrière comme ce texte qui, en pleine frond des vignerons langue-dociens, stipule que, en ce qui concerne "les langues d'Oc" (et non plus l'Occitani), il convient d'utiliser "la graphie la plus appropriée au lieu du dialecte de la langue." Bel aveu de la crainte d'un réveil politique de l'Occitanie! En Alsace, la pression des parents d'élèves aboutit en 1971 (Réforme Holderith}) à la réintroduction de l'Allemand au CM1 à partir d'une demi-heure par jour. Rien n'est prévu pour les dialectes qui constituent l'idiome quotidien d'une grand partie des élèves. Malgré ces timides progrès, l'Etat jacobin défend pied à pied ses positions et l'application des réformes décidées demeure toujours très imparfaite. Ainsi par exemple, les enseignements techniques courts et agricoles, qui sont précisément ceux où se concentre la grande masse des alloglottes de naissance, restent-ils en général comme par hasard en dehors du systèmel En outre, l'insertion des langues régionales dans l'emploi du temps de l'élève est le plus souvent difficile, rien n'ayant été entrepris pour modifier les horaires. Par ailleurs, c'est le plus souvent après les classes "normales" ou encore le mercredi que les élèves fatigués se verront proposer les cours facultatifs de Corse ou de Basque. De plus, bien souvent, le début de l'enseignement traine des semaines sinon des mois après la rentrée, les professeurs manquent ou ne sont pas payés, bref, les langues régionales sont de toute évidence les parents pauvres de l'éducation nationale. De ce fait, très peu d'élèves furent touchés (1,88% dans le second degré en 1980-1981 en Bretagne par exemple). Face à cette évidente mauvaise volonté, les associations et autres groupements (notamment D.P.L.F.: Défense et Promotion des Langues de France) accentuent leur action militante: volontariats, pétitions, création de cercles culturels et d'associations, etc. Citons: Skol Ober en Bretagne, Les Ecoles Occitanes d'Eté en Occitanie (Arles, Villenneuve sur Lot...)* ou encore l'Université Catalane d'Eté à Prades. Et le mouvement continua ainsi jusqu'en Mai 1981, date de l'arrivée de la Gauche au pouvoir. 405 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 Depuis 1981: des espoirs décus Des socialistes, on attendait beaucoup, tant ils avaient laissé espérer,” le droit a la différence n'était-il pas l'un des slogans du Candidat Mitterand? Alain Savary, Ministre de l'Education Nationale, confirmait bientôt les espoirs en déclarant: "Tout ce qui a été relégué, voire étouffé du passé, des cultures, de la langue des régions, doit reprendre ouvertment place dans un environnement familier dont l'école doit apprendre à reconnaître Les richesses pour la construction personnelle de chaque enfant." Après quelques consultations - et manifestations d'impatience des intéressés - paraît enfin la circulaire sur "l'enseignement des cultures et langues régionales dans le Service Public de l'Education Nationale" (21.6.1982, No. 82 - 261). Programme d'actions pour trois ans, ce texte se fonde sur trois principes: - engagement officiel de l'Etat en faveur des langues en cause, - création pour elles d'un statut dans le cadre de l'Education Nationale, - Volontariat tant des élèves que des maîtres. Parmi les nouveautés, on note la création de classes expérimentales bilingues, l'extension de l'enseignement en question aux Lycées d'Enseignement Professionnel (L.E.P.) et l'instauration d'un corps d'inspecteurs spécialisés. C'est là, en théorie, un véritable "avancée." On entrevoit le bout du tunnel. Le monopole du français paraît entamé. Entamé seulement, car les restrictions demeurent importantes. Ainsi, le nombre de langues concernées n'est-il pas modifié et on continue à parler des "cultures et langues régionales" alors que le projet du Parti Socialiste utilisait, lui, l'expression de "langues et cultures des peuples de France." Cette "période de purgatoire" de trois ans mise en place par circulaire est décevante. On songe au vieil adage français “Donner et retenir ne vaut." Aux dernières nouvelles, le bilan est effectivement bien mince. Bien sûr, un certain nombre de structures ont été mises en place, mais l'ardeur n'y est pas, l'argent, les maîtres, et surtout une ferme volonté politique, font défaut. Dans les faits, eu égard aux espérances, le bilan est extraordinairement mince, et au sein des associations qui, depuis souvent plus a’ un demi-siécle, portent l'avenir des langues régionales a bout de bras, l'amertume est grande, d'autant plus que certaines déclarations du Ministre de l'Education Nationale Chevènement amènent à penser qu'il envisage de sacrifier complètement les langues régionales. Il va sans dire que la situation est malheureusement sensiblement la même pour les langues "hors Loi Deixonne," notamment l'allemand et le flamand.), 406 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 Les résultats pratiques Nous emprunterons içi l'essentiel des conclusions à l'excellent rapport de M. Tozzi: “Il y a incontestablement des points positifs: des sondages ont été effectués pour la premiére fois en 1982-1983, révélant 64 instituteurs flamandophones (dont 10 volontaires pour enseigner). La rentrée 83 a officialisé le flamand, avec 300 inscrits en 6éme Les habilitations, la formation initiale et continue des personnels sont des acquis. La création de postes dans le primaire induit une dynamique: avec 24 itinérants au lieu de 10 au Pays basque, on touche 3h/semaine 192 classes et non plus 81. Trois postes spécifiques ont été créés pour le gallo en 1983- 1984, et dix supplémentaires pour le breton. Mais "l'effort sans précédent" reste modeste sur le terrain... les besoins sont souvent estimés après la rentrée sans être sûr d'avoir sur place un enseignant disponible. Ou bien l'administration annonce l'ouverture d'options, mais l'information des familles étant peu ou mal faite, on ne peut ensuite les ouvrir à cause du seuil d'effectif. Certains Conseillers dissuadent de prendre l'otion en 4ème, ne sachant pas Si les élèves pourront la continuer en seconde. Certains élèves Pourront la continuer en seconde. Certains élèves sont refroidis par ces conditions d'enseignement; que répondront ces élèves des deux collèges de Rennes où l'on a proposé les cours de breton les mercredi et samedi matin, où il n'y a aucun autre cours? Il faut de plus sortir de la problématique par établissement: 10 élèves demandent dans chacun des cinq collèges d'une ville à suivre l'heure de 6ème. Aucun établissement n'atteignant 15. 50 familles sont privées de ce choix ... et on en conclut à l'absence de demande sociale. ‘Le ministère a décidé, au moins pour les trois ans qui viennent, de ne répondre qu'aux besoins" (Y. Boulenc). Mais on reste dans le cercle vicieux: comme il ya peu de possibilités proposées, la demande ne peut s'exprimer et celle-ci étant faible, on ne veut pas offrir plus de possibilités.... Le nombre d'élèves concernés baisse dans les lycées. Les Candidats au bac stagnent autour de 10,000. La situation se dégrade en Loire-Atlantique où en 1982, il n'y a plus de cours de breton que dans trois établissements (7 en 1977). Il subsiste des discriminations importantes entre les langues de France; il n'est pas question pour le moment de stages de formation continue en flamand. 11 y a une licence d'enseignement en breton, pas en catalan. Celle de corse est une licence d'université, et non d'enseignement. Aucun des 67 premiers titulaires de la licence bretonne (400 inscrits) n'a trouvé de débouché, puisque les 18 postes ouverts à la rentrée 1983 ont été pourvus avec des “militants de la première heure... Deux mots aussi sur les ‘immigrés de l'intérieur.' Ca fait dix ans, témoigne P. Martel, qu'existe à Paris VIII un enseignement de l'occitan.... Mais le 10 Mai 1981 a servi d'accélérateur et provoqué en 1982 la constitution d'un département des langues et Cultures opprimées (basque, breton, catalan, mais aussi berbère, quechua), Nous avons demandé un certificat de spécialité pour les 407 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 futurs ennseignants. Le ministére a rejeté notre demande: il ne peut y avoir d'enseignement des langues régionales hors de la région. C'est là un problème de fond.' Des problèmes pédagogiques nouveaux Ceci étant, l'Education Nationale n'est pas la seule responsable, et, au plan pédagogique, l'expérience a montré que l'instrument n'était guère au point. Pendant des décennies. tous les efforts des militants ont été orientés vers l'instauration d'un enseignement en langy¢ régionale. Peu - à part certaines brillantes exceptions - avait été fait en ce qui concerne le matériel pédagogique et les techniques d'enseignement. Le manque de livres, de cartes, de lexiques, de fiches, etc., l'insuffisance des lieux et occasions de rencontres entre enseignants aboutissent à une grande déperdition d'énergie. Pratiquement aucune réflexion n'avait il faut le dire été menée sur des thèmes comme “l'enseignement monolingue en langue de France pour obtenir le bilinguisme à la fin du primaire," et encore, “le bilinguisme fraqais - langue régionale à l'école." Mais, comme le soulinge M. Tozzi, cette improvisation ne présentatit pas que des inconvénients: entre un maître militant et des élèves passionnés, le courant passe bien, surtout si l'enseignement. est libéré des contraintes académiques habituelles. “Des élèves volontaires et des heures impossibles, ça permet d'établir une "convivialité" avec les éjèves d'origine occitane les plus conscients de leur spécificité. Mais l'expérimentation sauvage dans un interstice toléré, si elle autorise une transgression linguistique ou pédagogique, trouve ses propres limites sans les armes de la formation et du matériel support. D'où l'ambivalence: des pratiques individuelles diversifiées, souvent intéressantes, mais le sentiment de ne pas être reconnu et soutenu; et une incapacité à consolider et capitaliser collectivement les démarches, pour théoriser et améliorer sa pédagogie."l S'appuyer sur l'acquis linguistique de l'enfant apparaît souvent comme la meilleure recette pour une pédagogie efficace. Il est irréaliste d'enseigner l'occitan à des petits méridionaux - mème non dialectophones de naissance - comme s'il s'agissait pour eux d'une langue étrangère. L'accent, un certain vocabulaire familier, les expressions locales, tout est là pour rappeler un substrat linguistique, une “compétence enfouie" encore présente. C'est de ce substrat qu'il faut partir et d'ailleurs l'accueil en langue maternelle des tout petits donne généralement de bons résultats. Une autre règle sembe se dégager de ces quelques années de t&tonnement: c'est l'enfant en tant qu'individu plus que 1a connaissance linguistique qu'il faut mettre au centre des préoccupations. L'échange oral à partir du vécu familial de 408 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 l'enfant importe plus que les connaissances grammaticales ou lexicologiques. L'essentiel, c'est la langue moyen d'expression. Combattre le statut abaissél8 de la langue (le "“patois") est également essentiel pour faire sauter les blocages psychologiques des enfants (ou petits enfants) de dialectophones. La conquête d'une dignité linguistique est aussi l'une des tâches d'un enseignement en (ou de) langue régionale. Ceci demande une pédagogie progressive et adaptée. En outre, l'intégration de l'enseignement des langues ethniques dans le cursus normal de l'élève fait perdre à celles-ci une partie de leur caractère attractif de fruit défendu et démobilise certains élèves. Voilà un nouveau défi à relever Ceci étant, par delà les questions d'enseignement des langues régionales, se pose un problème politique de fond. Une telle pratique pédagogique n'a, dans un pays de tradition jacobine comme la France, aucune chance de succès si elle n'est soutenue par une véritable décentralisation de l'administration culturelle. La décentralisation politique est depuis la loi de 1982 une réalité en France. La décentralisation culturelle suit péniblement. Le transfert de compétences est effectif en matière de formation depuis le ler Juin 1983 et en matière de carte scolaire depuis le ler Janvier 1985. Récemment, deux mesures significatives ont été annoncées par le Gouvernement (Conseil des Ministres du 7 Août 1985): - La création auprès du Premier Ministre - qui en nommera les membres - d'un Conseil National des Langues et Cultures Régionales de France. Cet organisme consultatif correspond sensiblement à l'une des dispositions de la dernière proposition de loi du Groupe Socialiste à l'Assemblée Nationale. 2 - La création dès 1986 sous la responsabilité du Ministère de l'Education Nationale d'un certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (C.A.P.E.S.) de breton. Cette première percée devrait être suivie de mesures analogues pour les autres langues régionales. Mais ce n'est là en tout état de cause qu'un début, c'est tout l'environnement culturel: histoire, géographie, écologie de la région d'origine ou de vie des enfants qui devrait à terme faire l'objet d'un enseignement régionalisé. Un enseignement en langue régionale En dehors de l'Education nationale "normale," deux autres types d'expériences se sont développés en France au cours de ces dernières années. 1. Le monolinguisme en langue régionale à la maternelle Les Ikastola, écoles en langue basque (Esquara), existent en Euskadi Sud, notamment dans la province de Guipuzkoa, depuis le milieu des années 1960. Au Pays Basque nord (en France), c'est en 1969 qu'est créée une association Seaska (le berceau) afin de "promouvoir l'éducation et la culture basque chez les enfants." 409 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 La première école maternelle en Esquara est créée à Bayonne la même année; elle comporte huit enfants. Depuis, à l'instar de ce qui s'est passé au sud, les "Abertsale" (militants de la cause basque) ont ouvert plus de 25 écoles (74 classes) représentant 800 éelèves de la maternelle à la seconde. L'idée de base des Ikastola du nord est que face au rouleau compresseur de l'Education Nationale "centrale," seul un enseignement exclusivement en langue régionale peut faire le poids. Ce statut d'établissement privé de Seaska (actuellement Fédération des Ecoles Basques) ne l'empêche pas de se considérer comme l'embryon d'un futur service public basque de l'Education Nationale. Le français au début inexistant dans le programme d'enseignement est ensuite introduit au Cours Préparatoire pour représenter jusqu'à trois demi-journées à la fin du primaire. Pratiquement, l'enfant n'apprend à lire et à écrire le français que lorsqu'il sait le faire en basque. En sixième, le basque domine encore, mais il y a déjà 5 heures de français et 3 heures d'espagnol par semaine. La pédagogie pratiquée se veut active, collective et "autogérée." L'épanouissement physique et psychique des élèves est pour les maîtres une préoccupation centrale. Les instituteurs (Eraskaldes ou Anderenos pour les institutrices) recrutés après le bac qui maîtrisent la langue et sa variante locale subissent ensuite deux ans de formation professionnelle notamment de stages. Ils sont actuellement soixante. Le financement représente un gros problème. Un budget $¢ quelques 8 millions de francs en 1985 est - mal - assuré par une cotisation parentale théorique (de 3% de leur revenu), des subventions des collectivités locales (à raison de quelque 10% du budget) ex surtout des collectes, dons et autres recettes diverses. 4 Chaque école doit en pricipe s'autofinancer. Les responsables sont élus et les parents jouent dans le fonctionnement des écoles un rôle déterminant. Malheureusement, avec un déficit de 2 millions de francs, Seaska a dû limoger une cinquantaine de maîtres et la rentrée 1985 a été très difficile. En 1976, c'est en Catalogne nord (Roussillon) que naissait la première Bressole (Bressola: le berceau) bientôt suivie d'une Calendreta (apprenti) occitane (en dialecte béarnais) à Pau. Puis ce fut Béziers, Toulouse, Oloron Sainte Marie... En 1983, fonctionnaient 6 écoles représentant 7 classes, 8 enseignants et 80 élèves. Rappelons que la France comporte près de 25 millions d'occitans d'origine. En Bretagne - qui constitue l'étape suivante - l'exemple venait, plus encore que d'Euzkadi, du Pays de Galles 33 fonctionnent quelque 400 écoles en langue maternelle galloise. La première école Diwan (le germe) s'ouvre à Lampaul- Ploudalmezeau au printemps 1977. La pédagogie s'inspire ici aussi de la méthode Freinet. Une école peut être ouverte lorsque 4 élèves sont demandeurs, et au delà de 15, on procède à un dédoublement quand cela est matériellement possible. Afin 410 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 d'éviter la coupure école-famille, des cours de langue bretonne sont donnés aux parents qui le souhaitent, En 1985, 20 écoles (de la maternelle à la fin du primaire) fonctionnent regroupant 800 élèves sous la responsabilité de 39 enseignants. En Corse, Scola Corsa créée en 1977 à Ajaccio démarre avec une classe de 25 élèves. Le développement stagne depuis. 11 est vrai qu'en Corse, la langue corse est encre très largement parlée par toutes les couches de la population. - é Ces expériencgs souvent largement réussies au plan pédagogique et psychologique sont loin cependant de faire l'unanimité. A droite, on leur reproche soit d'étre passéistes et de contrecarrer la vocation de progrès de l'école, soit au contraire d'être le prétexte à un “endoctrinement politique" de gauche.{? À gauche, on y a vu la constitution d'un système d'enseignement parallèle récupéré par le "privé" et mettant en cause par son existence même la fonction de l'enseignement public. Enfin, on a voulu y voir un germe sournois de séparatisme. Mais, en réalité, l'avenir des écoles maternelles en langue ethnique est - comme le proclame la charte de Diwan - l'intégration dans le service public de l'Education Nationale. En 1983, des négociations s'engagèrent enfin entre le Ministère et les cing associations concernées qui avaient défini une plateforme en commun. La solution offerte par l'Etat était la création d'Etablissements d'intérêt public ou, pour celles qui n'avaient encore jamais touché de subventions, entre le contrat type de l'enseignement privé et une convention ad hoc. Dans le premier cas, l'Etat prenait à son compte charges et salaires, dans le second une plus grande souplesse de création (notamment en matière d'effectif) avait pour contrepartie une moindre couverture des frais. Après de rudes discussions, l'une après l'autre, leg associations signèrent la convention proposée par l'Etat”, mais une “évolution" du système par une commission spéciale est prévue avant tout renouvellement de la convention. On est encore dans le provisoire. 2. Les classes expérimentales bilingues dans le service public Malgré certains encouragements officiels, ces classes demeurent encore rarissimes à l'heure actuelle en France. Pour le basque par exemple, on compte une trentaine d'enseignants itinérants qui enseignent le basque dans quelques 140 écoles à raison de trois heures par semaine à quelques 3,000 élèves. Pour une population basquophone estimée à environ 70,000 personnes, c'est notoirement insuffisant. Suite à la circulaire Savary, le Ministère faisait pourtant connaître des intentions encourageantes fin 1982. “Des classes expérimentales bilingues, sous la responsabilité de l'école publique, pourront être créées s'il existe un minimum de 411 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 huit élèves sollicitant l'enseignement bilingue ... Le taux respectif d'enseignement en français et basque (ou breton) sera défini de manière à éviter la domination d'une langue sur l'autre, et à permettre l'apprentissage convenable de chacune d'elles. I1 sera donc vraisemblablement à moduler selon l'âge des élèves. Le personnel sera recruté selon le principe du volontariat. Une formation complémentaire sera proposée... Des passerelles seront prévues pour les enfants qui voudraient passer d'un enseignement bilingue à un enseignement exclusivement en français, et vice-versa... Des cours renforcés dans l'une ou l'autre langue seront donnés ... La continuité sera assurée pour les enfants qui le désireraient ... Il y aura articulation entre ces classes publiques bilingues et les Ikastolaks (ou Diwans)." En fait, dans les rectorats de Bordeaux et de Rennes (les seuls concernés à ce stade), la rentrée suivante se montre très décevante. En Bretagne, une première ouverture se fait à St. Rivoal dans le Finistère. I s'agit d'une école à classe unique de 15 élèves de deux à dix ans. L'enseignement de maternelle se fait à 40% en breton, mais l'apprentissage de la lecture et de l'écriture se fait en français. Quelques rares autres tentatives ont eu lieu en Bretagne (Savidan de Lannion), puis en Gironde (La Teste). Les résultats connus apparaissent inégaux et de toute te les terrains d'essais sont si limités qu'il semble bien aléatoire de vouloir en généraliser les conclusions. Une chose paraît cependant manifeste, l'égalité des langues n'est pas vraiment assurée dans les faits. Le français domine nettement, et beaucoup pensent déjà, au vu des résultats de ces classes, que "l'Etat ne peut autoriser l'iptégration complète d'une école monolingue en langue régionale. En outre, nombreux sont les pédagogues qui pensent qu'une éducation à 50/50 n'est pas adaptée pour des enfants en situation diglossique, comme le sont la plupart des élèves concernés. Si un même maître parle alternativement breton et français, il y a toutes chances pour que des enfants baignant dans un univers francophone répondent en français. Conclusion 1986 marquera vraisemblablement la fin de la période de gouvernement de gauche en France. C'est l'heure du bilan, sur ce point il n'est guère brillant. Au lieu de la vaste réforme de réhabilitation et de réintroduction des “langues de France” dans l'Education Nationale, on a eu droit à de timides réformes. Il est vrai que les résistances étaient énormes! Au total, 1% seulement des élèves français suivent des cours de langue régionale et, malgré certaines avancées dans le supérieur, la tendance actuelle n'est pas 4 un accroissement de ce chiffre. Malgré une lutte sans relâche et depuis plus d'un siècle des militants culturels, les langues régionales de notre pays paraissent en fait en train de disparaître, laminées par la société moderne, l'indifférence du public et des autorités. C'est donc hélas un prognostic pessimiste, même s'il doit être nuancé par les espoirs suscités par les expériences en cours, qu'il faut 412 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 faire actuellement sur la survie des langues "périphériques" de France. Notes 1. M. de Certeau, D. Julia, J. Revel, Une politique de la langue: La Révolution frangaise et les patois, Gallimard, 1975; C. Gendre et F. Javelier, Ecole de France et Minorités Nationales, Fedeurop, 1978. 2. Nous nous limterons ici aux langues des "ethnies" autochtones de France. Pour les langues des populations allogénes, voir notamment: Marie-Claude Munoz, "De la pluralité ethnique à la pédagogie interculturelle," dans: La France au pluriel, l'Harmattan, Paris, 1984, 181 p. 3. Marques - un sabot, morceau de bois - que l'élève surpris à parler “patois” devait porter au cou jusqu'à ce qu'il puisse la passer à un condisciple dans le même cas. 4. Peut-être cette politique de la langue était-elle nécessaire, on s'accorde en général actuellement à penser qu'elle a été trop loin. 5. Sauf dans une certaine mesure à l'époque du Gouvernement de Vichy. 6. No. 51-46 du 11.1.1951 sur l'enseignement des langues et dialectes locaux. 7. Breton, Basque, Occitan et Catalan seulement. Allemand, Corse, Flamand, franco-provemal et dialectes d'Oil sont toatalment ignorés. 8. J.P. Richardot, "L'Ecole Occitane de Villeneuve sur Lot: Voli parlar en Oc," Le Monde, 14.9.1977. 9. Voir notamment: Henri Giordan, “Démocratie Culturelle et droit à la différence." Rapport au Ministre de la Culture, La Documentation Française, 1982. 10. “C'est blesser un peuple au plus profond de lui-même que de l'atteindre dans sa culture et sa langue. Nous proclamons le droit à la différence" (Discours de Lorient, 14 Mars 1981). 11. Cité in Michel Tozzi, Apprendre et vivre sa langue, Syros, Paris, 1984, p. 110. Ouvrage essentiel que nous avons beaucoup utilisé pour la préparation de cet exposé. 12. Cf. M. Tozzi, op.cit., p. 119. 13. Op. cit., p. 115 14. On peut citer par exemple les travaux de Roparz Hemon pour le breton où encore ceux de l'Institut d'Etudes Occitanes (I.E.O.) pour l'occitan. 15. P. Roques cité par M. Tozzi, op. cit., p. 122. 413 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 16. M. Tozzi, op. cit., p. 122. 17. Tout ceci vaut également pour les dialectes de la Langue d'oil, le Gallo, le Normand, le Percheron, voire la Langue Picarde. 18. C. Duneton, Parler Croquant, Dire, Stock 2, Paris, 1973; et Langue Dominante et Langues Dominées, Ouvrage Collectif, Edilig, Paris, 1982. 19. Notre ouvrage, Une et (in)divisible, Nature et Bretagne, 1979, p. 133. 20. Loi No. 82-213 du 2 Mars 1982. 21. Le Monde, 9 Août 1985, Art. de J.P. Péroncel-Hugoz. 22. No. 2157, Enregistrée à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 17 Mai 1984. Annexe au P.V. de la séance du 24 Mai 1984. 23. P. Etcheverry, "Les défenseurs de l'Ecole basque manifestent à Latche, Le Monde, 20.8.1985. 24. Depuis 1981, les Ikastola bénéficient de maigres subventions de l'Etat. IL fallut pour cela bien des manifestations de rue. 25. Une association Arrels (Racines) regroupe les 5 bressoles représentant 50 élèves et 6 maîtres. 26. A. Le Calvez, Un cas de bilinguisme: Le pays de Galles, Skol, Lannion, 1970. 27. Corse: "L'enjeu culturel," Le Monde, 27.1. 1982. 28. S. O'DY, “Ecole, Les Trois Cobayes de Treglonou," L'Express, 8-14 Novembre 1980; et J. de Rosière, "Les Maternelles en Breton font Ecole," Le Monde, 8 Novembre 1980. 29. Le Figaro, Série "Langues Régionales, mythe ou réalité," du 22 au 29 Août, 1985. 30: M: Tozzi, op. cits; p. 151: 31. J. Boulenc, in L'Education, Juin 1983. 414