d £6793 ' / BIBLIOTHfiQUE SLOVfiNE. VLADISLAV FABJANČIČ : LES DEUX VOUGOSLAVIES PROJET PANGERMANISTE ET SOLUTION ENTENTISTE ET DEMOCRATIQUE GENE VE, 1918. IMPRIMERIE « O NIO N ». Prix: 50 cts. EDITEUR: « SOCIETE SLOVENE JANEZ KREK« GEN EVE Čase postale Plainpalais 11.262. Redacteur: Vladislav Fabjančič. Solution pangermanique. A preš son succes facile et — esperons-le — ephe- mere a l'Est, FAIlemagne s’occupe aujourdimi de re- cueillir les fruits de ses victoires. Elle s’efforce de re- soudre toutes les questions orientales a sa fatjon et dans le sens de ses interčts imperialistes. Elle s’est reserve le droit de decider d’une fatjon excLusive du sort de la Pologne, de I’Ukraine, de la Finlande, de la Roumanie etc., en eliminant, tout au moins provisoirement, toute participation des puissances de 1’Entente a la solution de ces problemes. Le plan allemand d’une Europe orien- tale nouvelle est deja etabli avec soin, dans son en- semble et jusque dans ses plus petits details. Et TA1- lemagne procede methodiquement a son execution. Si elle semble souvent hesiter et tatonner, ce n’est qu'une apparence; car la realisation d’un plan si grandiose de- mande non seulement beaucoup de temps, mais aussi une activite trbs complexe. Aujourd’bui deja, nous com- mencons a apercevoir les grandes lignes du plan pan- germanique. On se rend nettement compte de la regle generale toujoors observde: n’annexer a 1’Allemagne que les conquetes que Ton juge definitives; partout ailleurs favoriser la solution susceptible de faciliter de nouvelles annexions, a l’epoque voulue et quand sera termi n če la digestion des victimes d'aujourd’hui. A preš s’etre assure le monopole dans les problemes de la Russie, FAllemagne commence a s’occuper des questions immediates de la Mitteleuropa. Cest elle qui tranchera le litige entre la Turquie et la Bulgarie, dfl a raggrandissement de celle ci par la paix de Bucarest; car elle detient, dans la Dobroudja septentrionaie — condominium des allies centraux — , un gage precieux pour exercer une pression sur la Bulgarie . . . Mais ee 2 n’est la qu’un point accessoire dans la politique alle- mande de la Mitteleuropa, dont le centre reside dans la question des rapports entre 1’Allemagne et PAutriche- Hongrie. Q,nel est Pinteret de PAllemagne vis-a-vis de PAu- triche? Son demembrement et l’annexion de ses terri- toires allemands? Aucuneraent! Bien au contraire, Pin¬ teret allemand est d’avoir dans PAutriche-Hongrie un a 11 ie shr et fidele qui apportera a PAllemagne, a .toute occasion, Pappui formidable des armees que possedeun Etat de 50 millions d’habitants. Cest la pol i ti q u e pre- conisee deja par Bismarck 1 ) et suivie des lors par tous les liommes ČPEtat allemands. Le calcul est bien simple. Les Allemands savent que PAutriche-Hongrie a cesse definitivement d'etre urie grande puissance independante et capable de re- presenter pour eux un danger; car, depuis le reveil des nationalites opprimees deladouble Monarchie, les temps de sa grandeur sont passds a tout jamais. La Monarchie est divisee en deux camps opposes qui se combattent avec acharnement et sans aucune possibilito de conci- liation: (Puncoteles Slaveset les Latins qui demandent leur inddpendance et la division de PEmpire en des Etats nationaux, de Pautre les Allemands et les Ma- gyars qui defendent par tous les moyens la position privilegiee qui fait d’eux les maitres des autres peuples subjugues. Mais, pourpouvoir tenir les Slaves en echec pour toujous, les Allemands d’Autriche et les Magyars ont besoin de Paide dhine force exterieure, car ilssont en minorite dans PAutriche-Hongrie. Quel interet PAl¬ lemagne a-t-elle en face de cet etat de choses? Elle.ne peut pas se desinteresser de PAutriche-Hongrie, car il ne saurait Ini etre indifferent que son alliee suit forte ou faible. El le doit done se decider en faveur de Pun ou de Pautre parti. Elle ne peut ni ne veut soutenir les Slaves, qui n’ont aucun goftt pour les plans allemands de domination mondiale et,quisont resolumentadversaires de toute politique commune avec PAllemagne imperialiste. L’interet de PAllemagne reside done dans le renforcement de la position des Allemands et des Magyars dans la double ') Bismarck a declare qu’il se debarasserait impitoyable- ment des «tetes chaudes« qui parleraient d’annexer 1’Autriche a PAllemagne. 3 Monarchie. Elle sait que ces deux peuples ont hesoin de son appui pour pouvoii' maintenir l'oppression des nationalites subjuguees; elle sait aussi qu’ils sont lies avec elle tant par la communaute de langue et du sen¬ timent national que par leur sympathie pour les metho- des allemandes et surtout par Fidentite des interets sociaux. Les principes que 1’Allemagne propage comme siens sont essentiellement ceux des Allemands d’Autriche et des Magyars. Enfin, les trois nations: Allemands, Magyars et Allemands autrichiens ont la metne soif inextinguible de domination et de conquete. On ne peut imaginer d’allies plus sinceres ni de communaute d’interets plus etroite. II n’est done pas etonnant que 1’Allemagne ait reussi a enchainer FAu- triche-Hongrie sous tous les rapports, dansles domaines politique, economique, intellectuel 1 ) et social. Elle a ete favorisee aussi par l interet vital de la maison de Habs- bourg, qui est obligee de menager. dans la personne de ses Allemands, le seul soutien sur de 1’Etat. Mais ceux-la resteront fideles seulement si 1’Autriche marche dans le sillage de 1’Allemagne et reste un Etat germa- nique. Dans le cas contraire, elle se verrait metiacoe par un irredentisme allemand extremement dangereux, et le dernier peuple de FAutriche serait irredentiste et revolutionnaire. Force de choisir entre les Allemands qui n’admettent qu’une Autriche oii ils seront les maitres ou menacent de partir pour Berlin 2 ), et les Slaves qui n’attendent qu’une occasion pour detruire la Monarchie danubienne et former leurs propi’es Etats nationaux, Fempereur Charles s’est tout naturellement decide pour les Allemands et leurs freres magyars. On voit ainsi que le renforcement de Tallkmce entre VAllemagne et V Autriche- Hongrie annonce au mois de mai nest que la consequence natur elle des interets vitaux communs etin- separables des deux parties contractantes. Par ce fait, F ’) Ge serait une grave erreur de se figurer que les Alle¬ mands d’A.utriche se sentent difEerents de ceux d’Allemagne. lis se considerent uniquement comme des Allemands et nullement comme des Autrichiens (d’ailleurs, personne en Autriche ne s’intitule Autrichien), et poursuivent les memes ideals panger- manistes. 3 ) Le mot d’ordre de tous les partis politiques allemands de FAutriche, a l’exception des socialistes democrates, est comme ou le sait: «L’Autriche sera allemande, ou ne sera pas.» 4 Allemague a obtenu la possibilitd d’une immixtion en- core plus directe qu’auparavant dans les prolilemes qui agitent l’Empire des Ilabsbourg, et la faculte illimitee de preparer la solution de toutes les quest.ions de I’ Europe centrale dans son interet. Une des questions les plus importantes qui concer- nent la creation de la Milteleuropa est sans donte la question yougos)ave. L’Allemagne se rend bien compte que c’est la la partie la plus malade du corps de I’ Autriche-Hongrie. Kile sait que l’on ne peut plus se refuser a resoudre cette question; elle voit la necessite d’une opdration energique. Et elle a depuis longtemps deja un plan tout pret. Ce plan, c’est la solution pan- germanique de la question yougoslave que nous ailons exposer dans ces grands traits. II existe, on 1’oublie trop souvent; deux plans pan- germaniques pour la conquete de 1’Europe, d’une enver- gure tres inegale. Le premier s’exprime dans la devise »Hambourg - Bagdad*, le second dans la devise »De la Mer Baltique a la Mer Adriatique» (Belt-Adria); celui-ci, plus ancien que 1’autre, n'est que la continuation de la politique du Saint Empire allemand, c’est-a-dire lu potiš- see verz la MedUerrmee par l’Adriatlgue. Et il ne faut pas croire que le nouveau plan pangermanique ait rem- place rancien: il ne Ta que complete et elargi. Nous ne croyons pas que TAIlemagne pense pouvoir germaniser tous les territoires entre Hambourg et Bagdad ; elle ne projette que d'y dtablir sa domination politique, militaire et economique. 11 en va autrement du plan »Belt-Adria*, qui a en vue la creation d'une Allemagne unifiee , de¬ puis les rives baltiques jusqu’a Trieste et Pola, non seule- ment dans 1’union politique, militaire et dconomique, mais aassi aa polni de vue de la race et de la langue. Le plan preccinse la germanisation def i niti ve et complete de tous les territoires qui separent le peuple allemand et la langue allemande de l’Adriatique, porte septentrio- nale de la Mediterranee. Tandis que le plan le plus vaste depend uniquement de la victoire militaire de TAIlemagne sur les puissances de TEntente, les Allemands comptent pouvoir realiser 1’autre plan pangermanique meme sans cette victoire: la tache ne leur semble pas au dessus des forces d’un peuple de 80 millions. 11 s’agit d’eloigner un million et demi de Slovenes qui separent rAllemagne de 1’Adriatique, de germaniser ce petit peuple, decoloniser ses territoires avec des Allemands. Les Allemands exe- cutent ce dessein, avec mothode, depuis cinquante ans au moinšj.et s’iis n’ont, pas encore abouti, c’est grace a ia resistance desesperee des Slovenes luttant pour leur vie. Mais, apres cette guerre, ils comptent avoir facile- naent raison de cette resistance. Pour la vaincre, il fant avant tout isoler completement les Slovenes, briser leur union avec les Croates et les Serbes, eteindre cette source d’esperance dans laquelle les Slovenes ont puise de tout temps Penergie necessaire dans une lutte si dure. Ilfaut done empecher par tous les moyens la creation d’une You- goslavie qui engloberait les Slovenes. Sur ce point, tous les partis allemands sout d’ac- eord, ceux d’Autriche et ceux d’Allemagne,. a l’except.ion de l’extreme gauche socialiste. On remplirait des volumes a vouloir seulement resumer 1’enorme litterature alle- mande qui defend ce point de vue et enregistrer toutes les manifestations des partis polit,iques et des corpora- tions aliemandes qui s’y rapportent. Nous ne noterons ici que que)ques exemples — choisis parmi les plus recents, sinon les plus car-acteristiques — de la fidelite avec laquelle ce point de vue represente 1’opinion alle- mande. Le Deulscher Klub de Vieune a publie au mois d’avril une brochure dans laquelle la guestion yougo- slave est envisagee du point de vue allemand. Dans 1’introduction de cette brochure, il est dit entre autres : * La question yougoslave est une des importantes ques- tions soulevees par la guerre mondiale, les Yougosluves habitant un territoire qui conslitue pour nous le pont pour l'Adrialique, pour l’Orient et pour le Commerce mondial. II n’est pas dout,eux que cette question, qui a entraine la guerre mondiale, devra etre resolueau cours mfime de cette guerre. Aussi notre devoir doit-il etre d’appuyer la solution qui preselite pour nous le moins de danger.,.» Voici cette solution : ...«11 faut prendre resolument position contre utre solution slovene de la question yougoslave, car les pays allemands de l’Autriche et V Empire allemand se trouveraient de ee fait coupes de l’Adriutique el de rOrient,, Neanmoins, les Allemands de 1’Autriche n’ont auenne raison essentielle de s’opposer a une union des Serbes et des Croates sous la protec- 6 tion de la couronne hongroise. De toule fa$on, les ter- ritoires habites par les Slovenes doivent rester unis aux pays allemands de TAutriche .» L’organe des pangermanistes autrichiens, 1 'Alldeul- sches Tagblatt, ecrit: »Le peuple allemand luttera sans pitie contre les Yougoslaves. Aucune coucession, aucun compromis: pasune seule parcelle du Sud ne doit etre perdue et la vole vers VAdriatigue doit nous revenir .» La Tagespost (21. lil), le porte-parole des Volksrats de FAntriche allemande qui ont toujours eu une in¬ fluence decisive sur les gouvernements de la raonarchie, apres avoir demande « 1’alliance perpetuelle entre FAu- triche et FAIIemagne >, alliance qui « doit entrer dans la Pragmatique Sanction, par une loi fondamentale de FEtat, loi inviolable et eternelle*, ajoute: »Nos deputes doivent faire une politique des plus violentes en ce qui concerne FEtat yougoslave. La route de 1'Adriatigue doit apparteuir a FEtat et demeurer assuree pour les Allemands , ou, pour niieux dire, cette route doit etre conguise et assuree. 11 ne faut pas que Trieste devienne jamais la capitale d’un Etat yougoslave ; pour cela on doit renforcer la population allemande par vole de colo- nisation; mais en meme tetnps, les fadeurs de l'Etat doivent, dans Finteret de celui-ci, soutenir cette colo- nisation par tous les moyens dont ils disposent. La lun- gue allemande sur les bateaux, les ecoles navales alle- mandes, le commerce allemand et les metiers allemands doivent avoir d Trieste leur centre et leur appui le plus fort... La voie de Trieste doit etre assuree de deux cdtes, en empšchant la slavisation du cliemin deferdu Sud (Vienne — Gratz—Laihach — Trieste) eten maintenant dans les mains des Allemands la ligne de Elagenfurth — Goritza — Monfalcone — Trieste...* La Deutsche Tageszeitmg (19.111) dit: «On ne peut pas considorer comme une qnestion interieure de FAur triche le fait de voir une tres forte barriere yougoslave se placer devant FAdriatique...» Des citations analogues pourraient se trouver dans tous les journau^c allemands d’Autriche et d’Allemagne, sauf peut etre dans quelques organes de Fextreme gauche. Cette meme-o|)inion au sujet de la question yougo- slave a ele exprimee dans les tres nombr. ilses reunions populaires tenues en Autriche allemande au cours des 7 derniers mois. Citons-en seulement deux exemples. La Neue Freie Presse (20. 111) publie la resolution adoptee, le 19 marš, a 1’nnanimite par, une assemblee nationale allemande de Graz. Cette resolution pose en iait que »Falliance avec 1’empire allemand doit etre renforce au point de vue politique, economique et militaire* et qn’ «un Etat yougoslave doit etre empeche par tous les moyens», car «/« rotite vers la mer (Adriatique) doit demeurer ouverte pour nous (Allemands). La voie libre vers Trieste doit etre garantie par une rectificatJon des frontieres et par un travail de co!onisation.» Le Frem- denblatt 126. III) a apporte cette nouvelle: «Le 24 marš s’est reunie a Vienne Fassemblee nationale alle¬ mande comprenant des delhges de Boheme, de Vienne, de la Basse Autricbe, de Styrie, de Carintliie, de Car- niole et du Littoral. L’assemblee a adopte a 1’unanimite une resolution dans laquelle les Allemands demandent avant tout que la voie vers l’Adriatique leur soit assuree ...» Quant a 1’opinion des milieux dirigeants de 1’Alle- magne, el le ne saurait etre mieux exprimee qu’elle ne 1’est dans un article de 1’amlral Tirpitz, publie par le Budapesti tiirlap (12. V) sous le titre «La Hongrie, I’ Autriche et l’Angleterre». Tirpitz y dit notamment: «La double Monarchie ne pourra pas, apres l’experience faite dans cette guerre, renoncer a son influence dominante dans l’Adriatique, ni a 1’assurance d’une position dans la Mediterranee. Mais jusqu’a ce que la tyrannie mari- time de 1’Angleterre soit abolie, la domination de la Hon¬ grie et de 1’Autriche sur l’Adriatique ne sera qu’un beau reve. De meme que Falliance avec 1’Allemagne et la vic- toire sur 1’Angleterre est la condition du developpement de la Hongrie et de 1’Autriche, de meme pour 1‘Alle- magne la Hongrie et I’Autriche sont un allie tres im- portant. Non seulement a canse de leur force militaire, mais aussi comme proprietaires des ports adriatiques et a cause de leur influence dans les Balkans, la Hongrie et 1’Autriche representent pour FAIlemagne toute la va¬ le ur d’me alliance dont le champ d\actmle s'etend de Hambourg et d’Anvers jusqu'd Cattaro et plus loins en- core. De Trieste et de Pola on peut efficacement menacer la force vi tale de 1’empire britanigue , la voie principale qui conduit d truvers la 'Mediterranee ...» 10 On voit par tout cet exposd que les Allemands ont tres peu de sympathie pour la creation d’un Etat you- goslave; mais ils se rendet bien compte de la necessite de trouver une solution a la question yougoslave, qui menace de bouloerser la douhle Monarchie. Et ils ont leur formule prete: c'est la Yougoslavie sans les Slovenes. Cette maniere de voir a ete adoptee entierement par le gouvernement autrichien — consequence logique du renforcement de Palliance avec PAliemagne — et proclamee publiquement, corame programme gouverne- mental, par le president du Conseil des ministres autri- chiens, le chevalier dr. Seidler, lors de son discours de- vant les cbefs des partis allemands, polonais et ruthenes, le 3 mai. M. Seidler a, corame on sait, dit ee qui suit sur la question yougoslave. «Je ne sais, dit le ministre autrichien, si 1’Etat you- goslave naitra quelque jonr, ce ivest pas impossible, mais on ne saurait en parler ici, car Paffaire ne concerne pas uniqnement PAutriche, mais aussi la Hongrie et la Bosnie. Je ne veux pas non plus envisager la question de savoir si certains territoires autrichiens pourraient etre reunis a cet Etat, mais une chose est assez claire: c’est que si un tel Etat etait. cree (il va sans dire qu’il ne pourrait Petre que sous le sceptre de S. M. et qu’il ferait partie integrante de la Monarchie), il ne pourrait Petre en tant qu’une des conditions de la paix et on ne pourrait pas lui annexer toutes les parties du territoire autrichien separant cet Etat de PAdriatique et se trou- vant en etroite union avec les regions parlant allematid.i II fant souligner que ce programe a ete arrete a p res des longues con versations avec Berlin et Budapest et les Volksrats de PAutriche allemande. Et il faut ajouter que Pempereur Charles a donne sa pleine approbation, lors dela reception dhine deputation des pangermanistes des pays des Alpes, le 25 mai. Ainsi tout ce qui est allemand, le peuple des deux empires, les deux gouver- nements et les deux empereurs, se trouve d’accord avec cette formule qui doit etre observee envers la question yougoslave. Le programme pangermanique est en meme temps le programme officiel des deux empires germa- niques. Examinons maintenant de preš cette *Yougoslavie» que les Allemands veulent bien admettre. Geographi- II quement, elle engloberait les pays suivants: la Croatie- Slavonie comme centre, la Dalmatie, la Bosnie et I' Herzogovine, eventuellement aussi le Montenegro et la partie de la Serbie qui ne serait pas annexee par la Bulgarie. Seraient done exclus, en outre des regions de la Hongrie peuplees par les Yougoslaves (le Banat, la Batchka, la Baranya, le Medjoumourie et le Preko- mourie), surtout et avant tout les pays de 1’Autriche peuples par les Slovenes: la Carniole, laStyrie du Snd, la Carinthie meridionale, la partie slovene de la Goritza et 1’lstrie croate et slovene. Trieste n'en ferait naturel- lement pas non plns partie. Ce serait done la reunion partielle des Oroales et des Serbes, d l’exclusion complete des Slovenes. Quels avantages une pareille solution de la ques- tion yougoslave presenterait-elle [)Our les Allemands? N’en enumerons que les essentiels. Premierement: Comme cette Yougoslavie ferait partie integrante de la monarchie habsbourgeoise, qui,de son cdte, se trouve le plus etroitement alliee avec i'Alle- magne, elle devrait mettre toutes ses forces militaires et economiques au Service de la Mit.teleuropa pangerma- nique. Elle serait trop petite et trop faible pour pouvoir s’y refuser. Ainsi 1’influence allemande n’y serait con- trecarree par aucune autre influence; car elle serait trop fortement tenue par les Allemands de son cote nord et par la filiale allemande, les Magyars, du cote oriental. Elle ne pourrait communiquer direetement avec le reste du inonde que par la mer Adriatique. Mais quel serait le sort de cette mer? Deuxiemement: Cette Yougoslavie devrait laisser la partie septentrionale de la mer Adriatique dans la pos- session immediate de 1’Autriche allemande, c’est-a-dire entre les mains de rAllemagne. Les pays yougoslaves situes au Nord de l'Adriatique (Carniole, Styrie, Carin¬ thie, Goricie) servira+ent aux Allemands comme des de- bouches sur Trieste et. ITstrie. En tenant solidement les boulevards septentrionaux de EAdriat.ique et en se servant a son gre aussi du littoral croato-serbe, le peu- ple allemand — gnide par deux grandes puissances al- iemandes etroitement alliees, rAllemagne et PAutriche- Hongrie — deviendrait bientot maltre absolu de 1’Adria- tique. Une fois les pays slovenes germanises, la langue allemande se repandrait sans interruption depuis flam- bourg jusqu'a Trieste. L’Adriatique. entre les mains alle¬ mandes, ce serait le prelude de Fattaque contre les flotles des Etats mediterraineens, le cominencement de la realisation du reve pangennanique de la Mdditerranoe allemande. Une fois que les Siovenes seraient ecrases, le conp direct serait porte a Fltalie, a la France et a l’A ngieterre. Cest en par luni de l' Adriatique que FAlle- magne s’efforcerail de conguefir l'Eggpte, le Maroc etc. Troisiemement : Ainsi la question yougoslave serait «solutionnee» avant la fin de la guerre, et FAIIemagne et 1’Autriche pourraient la presenter, a la conference de la paix comme n’existant plus. Ce serait un fait accompli, comme en Ukraine, en Finlande, en Rouma- nie. Dans tous ces pays. FAIIemagne a reussi a satis- faire au moins l’un des partis. Et tout le travail alle- mand, jusqn’au congres de la paix, y sera concentre dans Eeffort de renforcer vis a-visde leur pays la position des partis germanophiles qui ont accepte ” la solution allemande. Au congres de la paix, l’Allemagne repre- sentera les Solutions allemandes concernant ces pays comme correspondant a la volonte de leurs habitants. C’est le meme resultat que les Allemands comptent obtenir avec ce plan qu’ils appellent malicieusement la solution «croate» de la question yougoslave. llsesperent contenter au moins les Croates, ou plutot une partie des Croates, ce qui attendrait la solidarite yougoslave dans le vif. Heuresement, le jeu ne leur sera pas tres facile ici, car les Croates ont fait une trop amere ex- perience de la domination des Habsbourg et ils sont, dans leur dnorme majorite, des trop chauds et resolus parti- sans du yougoslavisme integral, pour preter 1'oreille aux sugestions allemandes. Neanmoins, un certain dan- ger existe.. II y a en Croatie et en Bosnie un parti, celui de Stadler-Frank, qui est disposd, pour des raisons opportunistes, a accepter le programme de Seidler. 11 est vrai que ce parti est presque sans echo dans le peuple croate, tnais F Autriche, la cour et les Allemands s‘efforcent par tous les moyens de le renforcer. Si un decret de Fempereur realise le plan pangermaniste, le gouvernement dans cette Yougoslavie existait deja. Cest de l’Adriatique, a travers les |)ays slovenes, que 1’Allemagne va se pre- parer a conquerir la maitrise sur la Mediterranee. II est evident que les Etats mediterraneens ont un interet de tout premier ordre a voir s’etablir au Nord de 1’Adri- atique une barriere qui empechera la sortie des Alle- mamis sur cetle mer. Cette barriere naturelle est constituee par les pays slovenes. Si la Yougoslavie veut etre indepeudaute, elle ne doit anennement per- mettre que 1'Allemagne s’etablisse sur l’Adriatique; car elle pourrait ainsi etre attaquee de flanc, son Commerce serait etouffe par la puissante flotte marchande alle¬ mande sni' l’Adriatique et sa jeune liberte serait menac(5e dans son germe par la formidable flotte de guerre alle- mande. Le ineme danger menacerait immediatement I' Italie et, dans un avenir prochain, 1'Angleterre medi- terraneenne, la France et la Greee. Ainsi nous croyons ne pas exagerer en affirmaut que, pour l’Enlente, le centre de la guestion gougoslave 15 est precisement dans les pays slovenes. Cest ce qu’a vu, il y a deja n n siecle, le gšnie de Napoleon 3 ). Une Tougoslavie sans les pays slovenes ne serait pas vraiment libre et ne pourrait pas accomplir la grande tache qui lui est devolue par la nature: etre, avec 1'ltalie, le gardien de la liberte sur l’Adriatique. Lorsque le jour arrivera ou 1’Entente pourra enfin dicter une paix juste et dernocratique, nous croyons qu’on appreeiera a sa juste valeur et a toute son im- portance la barriere slovene. II y a une a utre tache encore qui appartient aux pays slovenes: c’est de servir de pont entre les puis- sances occidentales et les Balkans. Si la Slovenie n’entrait pas dans la Yougosiavie, la France et FAngle- terre rFauraient aucune liaison libre, par voie de terre, avec les Balkans. Elles seraient obligees de passer, comme avant la guerre, par rAlleinagne et 1’Autriclie. Si au contraire la Slovenie fait partie integrante de la Yougoslavie, la route, par chemin de fer: Calais—Faris —Milan — Gorice—Ljubljana—Zagreb —Belgrade—Cons- tantinople poura tres avantageusement rejnplacei Fan- cienne ligne de l’Express oriental: Calais — Pariš—Mu- nique—Vienne—Budapest — Belgrade—Sophia — Constan - tinople. La nouvelle route serait plus courte, evilerait les pays allemands et ne traverserait, depuis le canal de la Manche jusqu’a la Bnlgarie, que des pays arnis et allies. Cette liaison directe, par voie de terre, permettrait a la Yougoslavie de rester en contact constant avec I’ occident europeen. Elle lui permettrait de s’appuyer eco- nomifjuement et culturellement, et non pas seulement politiquement, sur 1’ltalie, sur la France et sur le monde anglosaxon. Ainsi 1’influence allemande dans les Bal¬ kans serait efficacement conlrecarree, et les pays de 1’ Europe sud-orientale ouvriraient largement leurs portes au cpmmerce et a la’ civilisation de FEurope očcidentale. Et utie puissante muraille vivante de nations libres et ;! ) II est interessant et significatif de rappeler que Napo¬ leon a fonde Flllvrie avež" Fintention precise de eouper les Al¬ lemands de Ja Mediterranee. L’importance strategique et poli- tique qu’il attribuait a la barriere naturelJe des pays slovenes ressort. du fait qu’il a choisi comme capitale de lMllyrie preci¬ sement Ljubljana (Laibach), la capitale slovene, 16 alličes, depuis l’Atlantique jusqu’a la Mer Noire (avec la Roumanie), s’opposerait a la poussee de Pimperialisme allemand vers les iners et les terres du Sud de PEurope. La Mediterranee n’aurait pas a changer de maltre, la route de l’Afrique et des Indes serait sauvegardee. Mais les peuples de 1’Entente, tant d’Europe que d’Amdrique, ne eombattent pas seulement pour leur existence et pour leur stlrete, mais en metne temps aussi pour la liberte du rnonde, pour la victoire de la democratie. Et c’est justement dans la question yougo- slave que se trouve la preuve la plus evidente de la parfaite harmonie entre la justice et les butsdeguerre de 1’Entente, entre les voeux des peuples opprimes de PEurope centrale et les interets vitaux des Etats de 1’Entente. Tout le peuple yougoslave: les Slovenes, les Croates et les Serbes, demande son union integrale 1 ) dans un Etat iudependant et combat de toute son ener- gie pour la realisation de son droit. La meme solution de la question yougoslave est exigee par Pinterfit vital des grandes puissances democratiques. i ) Gette Yougoslavie integrale n’apporterait, il fant le sou- ligner, aucune atteinte,aux droits du peuple allemand, car elle ne demande pas un seul pouce du territoire habite par le peu¬ ple allemand. Tout aussi fausse est Passertion allemande que la route de la mer leur serait fermee. N’ont-ils pas des mers libres dans le Nord ? Quelques declarations des partis et des hommes politiques slo veneš. 1 ) I. Parti populaire. Dr. Antoine Korošec, president du parti populaire slovene et du »Club Aougoslave» au parlement de Vienne: «...Nous n’avons qu’un seul bat a poursuivre: l’union et 1’indčpendance de notre nation des Slovenes, des Croates et des Serbes. Les Allemands veulent passer sur nos corps pour surgir sur l’Adriatique. Mais, de metne que notre peuple a su resister jati is a !in- vasion des Turcs, tous les Slovenes, les Croates et les Serbes resisteront a la nouvelle invasion, celle des Al- lernands, et travailleront de toutes leurs forces eri vue de la crdation de leur propre Etat, qui sera seul ea- pable de leur offrir les conditions neoessaires a leur libre developpement...» (Du discours (prononcd le 17 marš 1918 a Žalec en Styrie). II. Parti national-progressiste (parti ddmoeratique yougoslave). « ... Les hommes de confiance du parti national- progresiste de Carniole, a 1’assemblee du parti a Ljub¬ ljana, le 2 fevrier 1918, declarent: que la eondition es- sentielle pour l’obtention d’une paix stable entre les peuples est la reconnaissauce eomplete et omni-latdrale ') Nous ne rapportons ifti que quelques fragments des tros nombreuses declarations faites par les partis politiques slovenes qui demontrent 1’unanimite qui repne parmi les Slovenes en ce qui concerne la necessite de creer un Etat independant des Serbes — Croates — Slovenes. du droit des peuples de dicider eux-memes de leur sort; en invoquant ce droit, ils voient le salut du peuple slovfene^ dans llunion des Croates, des Serbes et des Sl^enes dans un Etat indčpendant.» Br .-^Vladimir Ravnihar, depule au parlement de Vienne peuple yougoslave tout entier , jusqu’au dernier homme, jusqu’a la derniere femme, est convaincu, comme nous le sornmes, que le peuple des Croates, des Serbes et des Siovenes doit organiser lui-roeme son avenir dans son propre Etat libre*. (Du discours pro- noncd le 6 marš 1918 au parlement de Vienne.) III. Parti socialiste ddmocrate yougoslave (fraction slovene): «...Le comitd executif du parti social-democrate yougoslave proteste de la fagon la plus energique contre le gouvernement de Seidler, qui menuce de persecuter le peuple yougoslave a cause de ses aspirations a un Etat libre de la nation aux trois noms (Serbes, Croates et Siovenes)... et considere de son devoir de dire d’une fagon claire et precise, au sein de son parti, ainsi que dans les assemblees, que le proldtariat yougoslave est completement d’accord avec le peuple entier...* (Declaration du 5 juin 1918). M. Golouh: «Le peuple yougoslave, qui demande aujourd’hui de fagou unanime le resserrement de tous les rangs du peuple, doit savoir qu’il a dans les so- cialistes democrates siovenes les camarades les plus fer- mes et les plus risolus dans la lutle pour le but com- mun. Que le monde entier le sache: le peuple yougo- slave tout entier, sans distinction de partis, saura obtenir par la lutte ce qu’il considere comme condition de son meilleur avenir dans la liberte. Vive l’Etat pougoslave libre et ind&pendanlh (Declaration faite au nom du parti, dans une assemblee populaire a, Trieste, le 30 mai 1918).