Mojca Schlamberger Brezar Université de Ljubljana* UDK 811.163.6'255.4=133.1:82Prešeren F. À PROPOS DES DEUX TRADUCTIONS DE LA COURONNE DES SONNETS DE FRANCE PREŠEREN VERS LE FRANÇAIS 1 INTRODUCTION Vladimir Pogačnik, professeur de la langue et linguistique française au Département des langues et littératures romanes, à l'Université de Ljubljana, a aussi enseigné le slovène à l'INALCO en tant que professeur associé de 1992 à 1996. Linguiste reconnu, il est réputé pour ses traductions de la poésie slovène vers le français. Il a traduit, entre 1979 et 2012, plusieurs œuvres de la littérature slovène en commençant par la prose, avec les extraits des romans de jeunesse Le Nid de frelons de Ivo Zorman et Le Manuel du vadrouilleur de Slavko Pregl (Livre slovène 1979) ainsi que la poésie des poètes contemporains, parmi lesquels Dane Zajc dans plusieurs éditions (cf. 1997) et Quatre poètes slovènes dans l'édition bilingue (Dane Zajc, Niko Grafenauer, Vera Pejovic et Peter Semolič). Le dernier ouvrage traduit est le livre pour la jeunesse de Vitomil Zupan Le Manteau fantôme en 2012. Les traductions de la poésie de France Prešeren et de sa Couronne des sonnets, qui, par sa forme élaborée ainsi que son contenu sophistiqué, présente un grand défi pour tout traducteur, ont été effectuées entre 1990 et 2000 et publiées dans plusieurs recueils, parmi lesquels les éditions de 1996 (Sonetni venec), Poèmes (Collection Prešeren dans le monde, vol. 3) de 1999, Patrimoine littéraire européen : anthologie en langue française en 1999. Après avoir abordé le thème de la traduction vers la langue étrangère, nous analyserons sa traduction de la Couronne des sonnets de France Prešeren qui sera comparée dans la suite à une autre traduction vers le français, à notre sens, beaucoup moins réussie. Dans son ouvrage, Daniel Gile (2005 : 180-182) discute « la règle largement majoritaire dans les milieux de traducteurs qui visent la qualité la plus élevée », qui est « la traduction exclusivement vers la langue maternelle » (Gile: ibid). Il pense néanmoins à certains pays où le marché exige un travail dans les deux sens et où les traducteurs sont parfois obligés de traduire vers une langue étrangère. Nike Kocijančič Pokorn (2003) adopte une approche plus pragmatique, défendant la thèse que les traducteurs non-natifs travaillant en partenariat avec des locuteurs natifs peuvent produire des traductions tout à fait adéquates. C'est en effet la tradition dans notre pays, ce qui a été démontré aussi par Vladimir Pogačnik et son œuvre de traducteur. Il reste toutefois à respecter les limites d'une telle démarche. Nous en reparlerons dans la dernière partie de l'article. Adresse de l'auteur. Filozofska fakulteta Univerze v Ljubljani, Oddelek za prevajalstvo, Aškerčeva 2, 1000 Ljubljana. Mél . mojca.brezar@ff.uni-lj.si * 2 ANALYSE STYLISTIQUE DU SONNET COMME BASE DES STRATÉGIES DE TRADUCTION 2.1 Forme du sonnet Selon B. A. Novak (2004), le sonnet représente, depuis sa création au XIIe siècle jusqu'à nos jours, le sommet de la poésie européenne. Cette forme poétique a même survécu à la révolution en poésie qui s'est effectuée à la rupture des XIXe et XXe siècles (Novak 2004 : 41). Avec deux quatrains à la forme symétrique et deux tercets apportant un peu plus de liberté, le sonnet est alors une forme stricte, mais en même temps assez souple et adaptable à différents courants littéraires. France Prešeren n'est pas le premier poète slovène à avoir écrit des sonnets (la primauté va à Jovan Vesel Koseski), pourtant c'est lui qui a canonisé sa forme (Novak 2004). La réception du sonnet italien par France Prešeren démontre une approche sélective : la distribution des rimes riches représente le schéma canonique classique ABBA ABBA CDC DCD qu'il a rempli avec sa vision romantique du monde (Novak 2004 : 40). Le vers utilisé selon le choix de Prešeren est l'hendécasyllabe ïambique, selon le modèle italien de Pétrarque tellement cher à Prešeren, qui s'est confirmé dans la langue slovène comme forme canonique aussi pour les générations à venir et reste en vigueur dans la poésie slovène, avec quelques modifications minimes, jusqu'au XXIe siècle (Novak 2004). Le sonnet français, à partir de ses premières apparitions chez Clément Marot ou plus tard à l'école de Lyon avec Louise Labé, était composé de décasyllabes. Avec Ronsard et Du Bellay, les sonnets prennent comme base l'alexandrin (Novak 2004 : 37) qui devient le vers canonique. Le vers slovène et le vers français étant composés d'un nombre différent de syllabes, le traducteur a donc deux possibilités : soit de choisir de transmettre la tradition littéraire slovène aux Français et donc suivre le schéma métrique de l'hendécasyllabe, soit de puiser dans la tradition française et adopter l'alexandrin pour base de traduction. Les remarques de Boris Paternu, le plus important théoricien et historien littéraire de Prešeren, sont très pertinentes pour tout traducteur. Paternu (2001) souligne la possibilité de la liberté de la traduction, mais en même temps la nécessité de sa loyauté à l'expression poétique de l'œuvre traduite. Il met en valeur la forme élaborée chez Prešeren dont le but, selon la poétique de Matija Čop, était de créer la haute poésie cultivée et libre qui pourrait accepter les principes de la création poétique en utilisant les formes représentatives de la poésie européenne qui se sont instaurées à partir de l'antiquité et de la renaissance et dont le rayonnement n'a pas encore apparu dans la langue slovène avant lui (Paternu 2001 : 14-15). Le sonnet (et sa forme telle qu'elle a été développée par Pétrarque) a été mis au centre de ce projet artistique car Čop et Prešeren considéraient cette forme poétique comme un moyen contre la barbarisation de la langue (Paternu ibid. : 14). Les attributs stylistiques et artistiques majeurs de la poésie de Prešeren qu'il faut, selon Paternu (2001 : 16), prendre en considération lors d'une traduction sont : • la musicalité de la langue de Prešeren. • la richesse des métaphores, due à leur multiple provenance. Chez Prešeren, nous pouvons rencontrer des métaphores de la tradition biblique, de l'Antiquité, du Moyen Âge, de la Renaissance, du Baroque, du classicisme ainsi que du romantisme. Il ajoute sa note personnelle avec le paradoxe et l'oxymore comme tropes de base. • la composition des textes poétiques. Chez Prešeren, on rencontre une stricte architecture de la poésie signe de la norme classique. Quelques chercheurs ont d'ailleurs souligné les lois mathématiques sous-jacentes à sa poésie, notamment A. Žigon et J. Puntar (d'après Paternu 2001 : 17). D'un côté, le contenu de la poésie de Prešeren va vers le chaos et la dissonance, tandis que la forme reste d'autant plus ordonnée. L'harmonie et la dissonance s'entremêlent (Paternu ibid.). Une forme qui exige encore plus de discipline formelle est la couronne des sonnets. Celle de Prešeren est composée, en guise d'amour courtois, de 14 sonnets et d'un 15e sonnet, le sonnet magistral avec acrostiche, et représente le sommet de sa création poétique. Pour le démontrer en traduction, il faut tenir compte aussi bien du contenu que de la forme. 2.2 Stratégies du traducteur Vladimir Pogačnik a mené une analyse approfondie de la forme et du contenu de la Couronne des sonnets de Prešeren avant d'aborder le travail de traduction (Pogačnik 2000). Ses recherches sont présentées dans le recueil sur la traduction de Prešeren vers les langues étrangères où il aborde les difficultés particulières de la traduction de la Couronne des sonnets de F. Prešeren dans trois traductions, celle de Lucien Tesnière, celle de Viktor Jesenik et Marc Alyn et la sienne. La plus ancienne est la traduction de Lucien Tesnière, datant des années 20 du XXe siècle, qui a été retrouvée au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Paris (Pogačnik 2000 : 355). La deuxième variante de la Couronne des sonnets en français a été élaborée par Viktor Jesenik et Marc Alyn et publiée en 1972 à Paris. La troisième traduction a été élaborée par Vladimir Pogačnik et est parue en 1996 à Celje (Mohorjeva družba), puis en 1999, dans l'anthologie Patrimoine littéraire européen (De Boeck Université). Le premier traducteur était locuteur matif du français possédant une bonne connaissance du slovène ; Viktor Jesenik était bilingue et conseillé par le français natif Marc Alyn tandis que Vladimir Pogačnik, de langue maternelle slovène, a absolument tenu à être conseillé dans ses traductions par la lectrice de français en Slovénie Jacqueline Ferrari, le poète français Robert Vigneau et Florence Gacoin Marks, alors étudiante en lettres et en slovène (Pogačnik 2000). La problématique se profile au niveau de la question de la forme et du contenu (Pogačnik 2000 : 356). Les conclusions que Vladimir Pogačnik tire de l'analyse sont les suivantes : • la traduction de L. Tesnière n'est pas un équivalent formel des sonnets de Prešeren. Tesnière écrit en vers libre rythmé qui devient, de temps en temps, un alexandrin. Au niveau du contenu, sa traduction est fidèle au flux de la pensée de Prešeren ; • les deux traductions récentes, de Jesenik et de Pogačnik, ont pris pour vers l'alexandrin que Pogačnik (2000 : 358) qualifie d'ailleurs comme la seule forme acceptable pour le public français ; • mais seule la 3e traduction tient rigoureusement compte de la forme du sonnet et de la rime (2000 : 358). L'innovation de Pogačnik (2000 : 362) apporte la traduction des épithètes par des noms abstraits. Il est évident que la traduction de Pogačnik se donne pour but de reproduire parfaitement en français le contenu comme la forme de la couronne des sonnets de Prešeren, pour reproduire son caractère unique aussi bien pour les Français. Mais il existe une 4e traduction de Prešeren par K. Mičevic qui a vu jour en 2001 et, de ce fait, n'a pas été mentionnée dans l'étude. Celle-ci va à l'encontre de toutes les règles de la traduction de la poésie ainsi que de la norme du français. Nous en reparlerons dans la suite en analysant la réception des traductions des deux premiers sonnets de la Couronne des sonnets de Prešeren ainsi que du sonnet magistral dans la traduction qu'en donnent Vladimir Pogačnik et Kolja Mičevic. 3 ANALYSE DE LA RÉCEPTION DES TRADUCTIONS DE LA COURONNE DES SONNETS DE PREŠEREN PAR LES LOCUTEURS NATIFS Dans le cadre de cet article, nous avons aussi analysé la réception de deux traductions de Sonetni venec de France Prešeren : la traduction de Vladimir Pogačnik, sous le titre La couronne des sonnets, parue dans deux éditions en 1996 et 1999, et La guirlande des sonnets de Kolja Mičevic, parue dans le recueil des poésies de France Prešeren, l'Ultime aimée en 2001. Le premier, le deuxième et le quinzième sonnet (le sonnet magistral qui forme l'acrostiche) ont été comparés. À la sortie des traductions de Mičevic, une bataille s'est déclenchée dans le quotidien Delo et dans sa rubrique Književni listi qui a tenté d'être apaisée en faveur de Mičevic, obtenant son épilogue dans la monographie sur les traductions de Prešeren (voir Ožbot 2001) où B. A. Novak avoue publiquement l'admiration qu'il porte à la traduction de Pogačnik (renonçant ainsi implicitement à ses attaques antérieures et à son apologie du français moins normatif de Mičevic). Du point de vue théorique, les stratégies de traduction de Pogačnik sont clairement expliquées dans son article (cf. Pogačnik 2000) et aussi prises en compte dans sa traduction de Prešeren. Quant à la traduction de Mičevic, il n'y a pas de trace dans ses écrits qui expliquerait ses stratégies de traduction - sauf le fait qui est souvent mentionné que la traduction s'est déroulée à partir d'une langue source étrangère vers une langue cible étrangère, ce qui est une stratégie inhabituelle dans les milieux traduisants. À première vue, les deux traductions gardent la forme du sonnet ainsi que l'acrostiche du sonnet magistral. La rime est régulière aussi bien chez Pogačnik que chez Mičevic. Le nombre des pieds est bien différent - tandis que Pogačnik s'est imposé la rigueur de l'alexandrin, chez Mičevic il y a en général de 10 à 12 pieds. L'alliage du contenu avec la forme, subtilement atteint chez Pogačnik, fait parfois défaut chez Mičevic. Mais comme toute traduction commence sa vie au sein du public et des lecteurs, nous avons voulu mesurer les réactions du public français face à la comparaison des deux traductions de Prešeren, celle de Pogačnik et celle de Mičevic. 3.1 Enquête L'enquête a été élaborée entre 2004 et 2006 parmi des locuteurs français natifs, à l'aide d'un questionnaire précédé d'une courte introduction concernant les traductions de Prešeren, en vue de les évaluer. Les poèmes présentés étaient le 1er et 2e sonnet ainsi que le sonnet magistral dans deux traductions, celle de Pogačnik et celle de Mičevic (voir l'Annexe pour les deux textes). La population totale enquêtée était de 32 personnes. Des 32 échantillons de l'enquête obtenus : 17 ont été remplis par des étudiants en lettres, locuteurs natifs du français (de l'université Paris XII - Créteil, au cours du séminaire du professeur Francis Claudon) ; le reste concerne des professeurs de français à des niveaux différents, du collège à l'université (11, parmi lesquels un professeur de littérature française, un professeur de traduction et une agrégée de lettres modernes), et des lecteurs férus de littérature (4), leurs professions étant orthophoniste, bibliothécaire (2), responsable du service culturel de la mairie. Les questions suivantes ont été posées : 1. Dans chacune des traductions, est-ce que vous comprenez le message du texte ? (cocher oui ou non pour les noms de Pogačnik et Mičevic). 2. Est-ce que vous comprenez la totalité du texte ? 3. Est-ce qu'il y a des parties du texte qui gênent la compréhension (au niveau lexical et au niveau grammatical ainsi qu'au niveau stylistique). 4. Si la réponse à la question précédente est affirmative, pourriez-vous souligner ces parties dans le texte ? 5. Dans laquelle des deux traductions le rythme est-il plus adapté à la pensée ? Pourriez-vous le justifier ? 6. Laquelle des deux versions vous donne plus de plaisir esthétique ? 7. Seriez-vous tenté, après la lecture de ces traductions, de connaître plus sur l'oeuvre et la vie de l'auteur de cette poésie ? 8. Auriez-vous d'autres remarques à nous communiquer ? Le questionnaire était accompagné de l'original slovène et des deux traductions du 1er et du 2e sonnet ainsi que du sonnet magistral (voir l'annexe à la fin de l'article). 3.2 Le survol des réponses En réponse à la question 1 concernant le message du texte, nous avons obtenu 32 réponses positives en faveur de Pogačnik et presque autant de réponses négatives pour Mičevic. La question 2, qui portait sur la compréhension de la totalité du texte, a donné les mêmes résultats. Un des enquêtés tend même à expliciter : « Dans la traduction de Pogačnik, tout est compris dès la 1ère lecture ». Pour la question 3, portant sur les éléments grammaticaux, lexicaux et stylistiques qui gênaient la compréhension, quelques constats concernent le nombre fréquent d'inversions du sujet chez Mičevic, l'impératif du verbe « voir » chez Pogačnik. En général, les éléments gênants se sont concrétisés en réponse à la question 4. Nous avons obtenu les remarques suivantes : Aucun vers n'a été souligné chez Pogačnik. Pourtant, deux des enquêtés ont mentionné que le mot tortil de Pogačnik les gênait, ainsi que le vers Oteront de leurs coeurs les pesantes ceintures et le syntagme « fidélité pérenne » qu'une lectrice a trouvé bizarre. Comme les deux lecteurs qui étaient eux-mêmes professeurs de l'université (l'un de traduction, l'autre de littérature) n'y trouvaient aucun inconvénient, nous osons constater que les vers les plus recherchés semblent être trop sophistiqués pour les Français eux-mêmes. Chez Mičevic, les vers qui ont été soulignés comme particulièrement gênants étaient : Poète tien aux Slovènes lie guirlande nouvelle où l'on ne sait pas, à l'oreille, si tien vient du verbe tenir- en français moderne, l'interprétation du tien comme déterminant possessif n'est pas normative. La forme pronominale pourrait s'utiliser en tant que valeur stylistique mais pas dans ce cadre. Aussi le vers De lui surgit en lui par une voie telle a été jugé incompréhensible (on ne sait pas qui est qui). Dans Récit de mes plaies et l'éloge de ton nom, on note l'absence de l'article, d'un côté, et la présence de l'autre. Il semble que Mičevic essaie d'atteindre le nombre de syllabes voulues en jouant avec les déterminants. La forme Il se peut que est trop familière et apparaît à côté des formes du passé simple, réservées à la langue écrite. Les registres de la langue ne sont pas correctement en place. Aussi, le vers Vents violents dont maint toit natal gèle était jugé incompréhensible ; les lecteurs se demandaient si le toit qui couvre les vents violents est gelé ou bien que signifie le toit natal du vent. De même, les vers suivants ont été soulignés comme non compréhensibles : Après naîtra leurfleur de plus rare choix ; Dans le suivant le précédent on reconnaît ; Guirlande de poésie - poète est comme elle ; De leurs coeurs dures ceintures ôteront. L'un des enquêtés, professeur de français, donne pourtant la réponse suivante concernant le texte de Mičevic : « Ce ne sont pas des fautes mais une syntaxe difficile car très bouleversée par rapport à l'ordre prosaïque des mots. On perd le sens du texte à force de vouloir reconstituer un fil narratif du propos. » La question 5, qui porte sur le rythme du sonnet, reste dans trois cas sans réponse car les destinataires affirment ne pas connaître la langue slovène. Pour la plupart des autres, la traduction de Pogačnik donne plus de plaisir esthétique et, par conséquent, envie d'en connaître plus sur Prešeren - ce qui n'est pas le cas avec Mičevic. Une lectrice parle de la fluidité versificative de Pogačnik et souligne l'importance des hémistiches dans sa traduction. Il y a aussi les réponses à la question quelle traduction semble meilleure : « Celle de Pogačnik, car le rythme de certains vers fait penser à une « guirlande » ; « Pogačnik se récite mieux à voix haute, les pieds tombent mieux, il n'en manque pas. » (par rapport à la traduction de Mičevic) ; « Le rythme est plus adapté dans la traduction de Pogačnik, car elle ne nécessite pas plusieurs lectures contrairement à celle de Mičevic » ; « Pogačnik s'essaie à l'alexandrin et y réussit convenablement (j'ignore si le texte original a un rythme régulier). Mais Mičevic semble vraiment faire du n'importe quoi » ; « La 2e traduction (de Mičevic) casse trop la pensée, il faut se casser la tête pour saisir. » Pourtant, la traduction de Mičevic trouve un éloge : « Chez Mičevic, absence de métrique régulière, or ce sonnet appartient à la prosodie originale. Traduction liant le poème vers l'époque médiévale plutôt qu'elle n'évoque le romantisme du 19e siècle. » Les réponses à la question 6 (laquelle des traductions donne plus de plaisir esthétique) vont à l'unanimité en faveur de Pogačnik, tandis que la traduction de Mičevic décourage. Deux des réponses soulignent la qualité de la traduction de Pogačnik : « La version de Pogačnik donne plus de plaisir esthétique pour le rythme. Pogačnik - petite musique mélancolique peut-être un peu sage. » La réponse à la question 7, demandant si la traduction donne envie de connaître plus sur la vie et l'œuvre du poète donne la plupart des réponses en faveur de la traduction de Pogačnik : sa traduction donne plus de plaisir esthétique et, par conséquent, plus d'envie de connaître France Prešeren - ce qui est rejeté dans le cas de Mičevic. Quelques lecteurs reconnaissent ne pas aimer le courant romantique et préférer la poésie moderne. 4 personnes parmi les enquêtés confirment que le courant du romantisme et la poésie de Prešeren les laissent indifférents. Ils préfèrent à leur tour Bonnefoy, Jaccottet, Mallarmé, et la modernité. Les réponses détaillées à la question 8 nous disent parfois plus sur leurs auteurs que sur la traduction, c'est la partie libre de l'enquête permettant aux enquêtés de s'exprimer sur la réception subjective du sonnet qu'ils venaient de lire : « Le plus gros défaut de Mičevic est qu'il mêle des tours de français classique - ou même plus anciens - à des tours de langue parlée actuelle. Cela crée un déséquilibre qui présente un poète du XIXe siècle comme un auteur de la 2e moitié du XXe. Les efforts déployés pour trouver des rimes sont parfois désespérés et désespérants. De manière générale, sa langue sonne faux - et sa traduction aussi. » (professeur de traduction) ; « Chez Pogačnik, Prešeren sonne comme Ronsard, il est acceptable au public français. » (professeur de littérature) ; « La musicalité de la langue française est beaucoup mieux ressentie et restituée chez Pogačnik. ») ; « Le sonnet traduit par Mičevic est moins compréhensible et partant plus poétique » ; « Chez Mičevic, quelques réussites stylistiques mais l'ensemble est très fastidieux à lire (trop de sujets inversés) et on perd le sens du message de vue. » ; « Mičevic est plus près du texte, plus littéral, il me fait penser au poète russe Mandelstam ... Poésie guirlande de fleurs et musicalité très mallarméenne. » (la personne en question affirme avoir la connaissance de base de russe) ; « La traduction de Pogačnik est plus facile à lire mais moins originale, moins moderne. Elle correspond peut-être davantage à l'époque où ont été écrites ces pensées » (professeur de français, qui affirme plus loin « le romantisme et le lyrisme ne me parlent pas » ; « La traduction de Mičevic rend l'émotion plus violente (et c'est la version de Mičevic qui donne plus de plaisir esthétique).» ; « La version de Mičevic m'a quand même plu par le travail intellectuel de compréhension qu'elle nécessite. Le fait que certains mots ne semblent pas « à la bonne place », à la relecture, n'est pas une gêne mais contribue à l'effet poétique (ex. dernier vers). » ; « La traduction de la poésie étant chose difficile, ne peut-on pas envisager une tentative qui s'attaquerait au fond, une tentative sans rime mais où le traducteur essaierait de rendre les images employées. Il me semble du reste que Pogačnik s'y emploie, tente de restituer une certaine musique et y parvient. Je suppose qu'on ne dispose que de ces deux traductions à l'heure actuelle ? Je me demande en tout cas pourquoi Mičevic s'est amusé à massacrer Prešeren : la traduction de Pogačnik paraît fort convenable (et pas du tout insultante pour le poète) à la locutrice native que je suis. » . 4 CONCLUSION L'analyse grammaticale, stylistique et celle de la réception de la traduction de Prešeren auprès du public français démontrent la qualité de la traduction de la Couronne des sonnets par Vladimir Pogačnik grâce à son analyse stylistique de Prešeren et a intériorisation du sonnet français. Chez Mičevic, le problème de l'expression dans un français qui n'est pas conforme à la norme et au standard apparaît au premier plan ; le mélange de différents registres ne présente pas un avantage. En fait, une telle traduction va à l'encontre des principes que Prešeren même s'est donné avec Matija Čop. Dans la plupart des théories de traduction, on n'ouvre même pas la question de la normativité défaillante, tellement l'expression en langue correcte et soignée va de soi. La volonté que montre B. A. Novak de présenter Prešeren comme unique (Novak 2001 : 28-29) a plus d'espoir dans le cadre d'une traduction qui est linguistiquement correcte, qui est donnée en forme élaborée et qui transmet les idées de la poésie traduite ainsi que ses particularités formelles, ce qui est le cas de la traduction de Vladimir Pogačnik. En fait, la comparaison de ces deux traductions démontre que le respect de la norme est de rigueur et obligatoire pour une traduction qui veut être réussie. L'opinion qui prévaut est que Mičevic massacre la poésie de Prešeren. Cependant, contrairement à toute attente, la traduction de Mičevic trouve aussi quelques éloges à son tour. Nous pouvons constater que les lecteurs sont imprévisibles. Même pour un public cultivé, la couronne des sonnets sous sa forme qui comporte l'acrostiche ne semble pas être très connue en France - la plupart des lecteurs enquêtés n'ont pas vraiment compris le sens du sonnet magistral et lient le mot « couronne » ou « guirlande » à la simple expression poétique. Ce qui était la préoccupation majeure de nos traducteurs et théoriciens littéraires (Pogačnik 2000, Paternu 2001, Novak 2001), à savoir l'influence du rythme sur la pensée de Prešeren, ne compte pas dans les yeux des destinataires qui pensent ne pas pouvoir en juger sans connaître le slovène. L'analyse de cette composante a montré que tous les lecteurs ne se rendaient pas compte de la spécificité de la forme et du rythme. Le projet de traduction de Prešeren semble revêtir une importance nationale surtout pour les Slovènes qui encouragent les traductions vers les langues étrangères en vue de la promotion de leur culture. Mais il faut savoir pour qui et pourquoi les faire. Les traductions qui présentent des défauts dans la langue cible sont loin de permettre une bonne présentation de la littérature nationale. Et pour Vladimir Pogačnik, cela a toujours été une évidence. Bibliographie GILE, Daniel (2005) Traduction, la comprendre, l'apprendre. Paris : P.U.F. KOCIJANČIČ POKORN, Nike (2003) « The (in)competence of a native speaker in theory of translation. » In : D. Kelly (éd), La direccionalidad en traducción e interpretación : perspectivas teóricas, profesionales y didácticas. Granada: Editorial Atrio, 115-137. NOVAK, Boris A. (2004) Sonet. Ljubljana : DZS. NOVAK, Boris A. (2001) « Verzifikacijski problemi prevajanja Prešerna v angleščino in francoščino. » In : M. Ožbot (éd), 19-30. OŽBOT, M. (éd) (2001) Prevajanje Prešerna - Prevajanje pravljic: 26. prevajalski zbornik. Ljubljana : Društvo slovenskih književnih prevajalcev, 19-30. PATERNU, Boris (2001) « Vprašanje Prešernovega jezika. » In : M. Ožbot (éd), 13-18. 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Annexe L'ORIGINAL ET LES DEUX TRADUCTIONS QUI SERVAIENT DE BASE À L'ENQUÊTE France Prešeren Poet tvoj nov Slovencem venec vije, 'z petnajst sonetov ti tako ga spleta, da »magistrale«, pesem trikrat peta, med drugim skupaj veže harmonije. Iz njega zvira, vanjga se spet zlije po vrsti pesem vsacega soneta; prihodnja v prednje koncu je začeta; enak je pevec vencu poezije: vse misli zvirajo 'z ljubezni ene, in kjer ponoči v spanji so zastale, zbude se, ko spet zarja noč prežene. Ti si življenja moj'ga magistrale, glasil se, z njega, ko ne bo več mene, ran mojih bo spomin in tvoje hvale. Ran mojih bo spomin in tvoje hvale glasil Slovencem se prihodnje čase, ko mi na zgodnjem grobu mah porase, v njem zadnje bodo bolečine spale. Prevzetne, kakor ti dekleta zale, ko bodo slišale teh pesem glase, srca železne djale preč opase, zvesto ljubezen bodo bolj spošt'vale. Vremena bodo Kranjcem se zjasnila, jim milši zvezde bodo zdaj sijale, jim pesmi bolj slovite se glasile; vendar te bodo morebit' ostale med njimi, ker njih poezije mile iz srca svoje so kali pognale. XV. MAGISTRALE Poet tvoj nov Slovencem venec vije, Ran mojih bo spomin in tvoje hvale, Iz srca svoje so kali pognale, Mokrocveteče rožce poezije. Iz krajev niso, ki v njih sonce sije; Cel čas so blagih sapic pogreš'vale, Obdajale so utrjene jih skale, Viharjev jeznih mrzle domačije. Izdíhljaji, solze so jih redile, Jim moč so dale rasti neveselo. Ur temnih so zatirale jih sile. Lej, torej je bledo njih cvetje velo, Jim iz oči ti pošlji žarke mile, In gnale bodo nov cvet bolj veselo. Pogacnik Je tresse une couronne aux Slovènes, pour toi Filant quinze sonnets de façon à former Le sonnet magistral aux vers trois fois chantés Qui lient en harmonie quinze chants à la fois. Chacun de ces sonnets suit une même voie ; Il sourd du magistral, puis vient s'y ressourcer, La fin du précédent est reprise en entrée, Le poète est pareil au tortil qu'il emploie. Ses pensées prennent source en un unique amour, Et là où le sommeil de la nuit les fit siennes Elles vont s'éveiller quand renaîtra le jour. Du sonnet de ma vie tu es la souveraine, Quand je ne serai plus, retentira toujours Un souvenir mêlant ta gloire avec ma peine. Un souvenir mêlant ta gloire avec ma peine. Vibrera en ces lieux dans les siècles futurs. Quand ma tombe précoce envahie de verdure Bercera les douleurs qui maintenant m'aliènent. Des filles comme toi, charmantes et hautaines De ces chants entendant les voix et les murmures, Ôteront de leurs cœurs les pesantes ceintures Par respect pour l'amour, fidelité pérenne. Les Slovènes iront vers les temps plus radieux, Les étoiles pour eux deviendront plus sereines, Leurs chants entonneront des refrains plus glorieux. Il se peut que ces vers néanmoins leur parviennent. Pour avoir retenti en échos mélodieux : Le cœur les a éclos, sonnets qui fleurs deviennent. MAGISTRAL Je tresse une couronne aux Slovènes, pour toi Un souvenir mêlant ta gloire avec ma peine. Le cœur les a éclos, sonnets qui fleurs deviennent, Inflétrissables fleurs d'un poétique émoi. À distance des lieux où le soleil flamboie, Privées elles restaient de vive et frêle haleine, Recluses dans les tours des rochers moraines, Impassibles foyers où l'orage foudroie. Mes larmes, mes soupirs étaient leur nourriture : Ils donnaient peu de force aux poésies en pleurs. Captives opprimées d'une saison obscure. Or vois, dans ces bourgeons, est venue la pâleur : Veuillent tes yeux verser leurs rayons doux et purs, Alors combien plus gaies viendront les jeunes fleurs. Micevic I Poète tien aux Slovènes lie guirlande nouvelle, De quinze sonnets il va la couronner, Car le magistral, chant en trois tours donné, Harmonieusement les autres tous mêle De lui surgit, en lui par une voie telle Se jette le chant de chacun des sonnets; Dans le suivant le précédent on reconnaît ; Guirlande de poésie - poète est comme elle ; Chaque pensée d'un seul amour sourd, Et là où reposait dans un sommeil profond Elle se réveille, dès que renaît le jour. De toute ma vie tu es le « magistral » dont Les sons seront là, moi absent déjà, pour Récit de mes plaies et l'éloge de ton nom. Récit de mes plaies et l'éloge de ton nom Aux Slovènes, puisque viendra ce temps, Quand la mousse couvrira ma tombe dans Laquelle mes maux présents dormiront. Belles comme toi, les filles au haut front, En écoutant les voix de tous ces chants, Pour l'amour fidèle respecter vraiment, De leurs cœurs dures ceintures ôteront. L'époque aux Carniolais sera plus claire, Les étoiles pour eux plus propices seront, Leurs chants sonneront mieux que naguère ; Il se peut que néanmoins ils resteront Parmi elles, car ces poésies tant chères Impatientes poussèrent du cœur profond. XV. LE SONNET MAGISTRAL Poète tien aux Slovènes lie guirlande nouvelle, Récit de mes plaies et l'éloge de ton nom. Impatientes poussèrent du cœur profond. Maintes roses de la poésie toutes frêles. Ignorant les pays, où soleil étincellle, Celles-ci manquaient de doux souffle bon Osant vivre parmi les rocs en abandon, Vents violents dont maint toit natal gèle. Allaitées de soupirs, de pleurs constants Joignirent leur élan à ces faibles voix Usées par les forces de très durs moments. Leurs fleurs sont pâles, vois-les, vois ; Jette-leur, de tes yeux, les rayons plaisants, Après naîtra leur fleur de plus rare choix. Résumé À PROPOS DES DEUX TRADUCTIONS DE LA COURONNE DES SONNETS DE FRANCE PREŠEREN VERS LE FRANÇAIS L'œuvre du professeur Vladimir Pogačnik présente, outre ses articles scientifiques, un nombre considérable de traductions du slovène vers le français, en prose comme en poésie. Son œuvre inclut aussi des traductions d'histoires courtes et un conte pour enfants. Son apport à la traduction vers le français le plus important est sans doute La Couronne des sonnets de F. Prešeren où les stratégies de traduction employées trouvent une explication traductologique. Nous allons analyser sa traduction de la Couronne des sonnets de Prešeren ainsi que sa réception par les lecteurs français en la comparant avec une autre traduction effectuée par Kolja Mičevič. Une analyse stylistique et syntaxique parle en faveur de la traduction de Pogačnik, telles sont aussi les réactions des lecteurs français cultivés qui ont participé à l'enquête. Mots-clés : traduction vers la langue étrangère, traduction littéraire, sonnet, la couronne des sonnets, France Prešeren Povzetek O DVEH PREVODIH PREŠERNOVEGA SONETNEGA VENCA V FRANCOŠČINO Delo prof. dr. Vladimirja Pogačnika poleg številnih znanstvenih člankov s področja leksikologije in skladnje vključuje tudi precej prevodov slovenskih avtorjev v francoščino - od kratkih zgodb prek otroške literature do poezije. Višek njegovega prevajalskega delovanja je nedvomno prevod Prešernovega Sonetnega venca, kjer je prevodne rešitve slogovno in prevodoslovno utemeljil. V članku bomo analizirali njegov prevod in recepcijo tega prevoda med francoskimi bralci vzporedno s skoraj sočasnim prevodom istega Prešernovega dela izpod peresa Kolje Mičevica, ki je bil v slovenskih krogih deležen več objav kot Pogačnikov prevod. Poglobljena slogovna in skladenjska analiza seveda govorita v prid Pogačnikovemu prevodu, taki so tudi odzivi kultiviranih slovenskih bralcev, ki smo jih anketirali za potrebe raziskave. Ključne besede: prevajanje v tuji jezik, prevajanje poezije/literarno prevajanje, sonet, sonetni venec, France Prešeren