Mojca Schlamberger Brezar Ljubljana CDU 800:316 LE RÔLE DES TOPOÏ DANS LA NÉGOCIATION CONVERSATIONNELLE1 1. Les topoï: définition Les topoï apparaissent pour la première fois chez Aristote dans ses Topiques. Là, il étudie des espèces des topoï, pouvant servir de prémisses à des syllogismes dialectiques ou rhétoriques. Dans sa Rhétorique, il distingue les lieux communs, qui peuvent servir indifféremment en n'importe quelle science et ne relèvent d'aucune, et les lieux spécifiques, qui sont propres soit à une science particulière, soit à un genre oratoire bien défini (d'après Perelman et Olbrechts-Tytéca: 1958: 12). Le "champ topique" est donc constitué d'une liste de thèmes, d'arguments généraux, dont l'apprentissage est un des objets essentiels de l'éducation rhétorique ancienne (Plantin 1990). Les topoï ou les lieux communs sont les reservoirs d'arguments, où l'on puise selon les besoins. Partant de la matière qui lui est fournie par la cause qu'il doit défendre, l'orateur doit mettre en oeuvre tous les arguments capables d'influencer au mieux le juge dans le sens des intérêts de la partie qu'il représente (Plantin, 1990: 237). Les topoï chez Anscombre et Ducrot sont étymologiquement liés à Aristote, mais appartiennent conceptuellement à la théorie de l'argumentation dans la langue (Anscombre et Ducrot, 1983), d'après laquelle "les relations argumentatives ne sont pas surajoutées à la valeur sémantique de l'énoncé", mais sont "fondamentales, (...), présentes dès le niveau le plus profond de l'analyse" (Anscombre et al., 1995: 15). D'après Anscombre (1995: 38-39), lors d'une énonciation, le locuteur donne des indications sur le chemin qu'il a choisi, et celui qui interprète tente de reconstruire un itinéraire à partir des indications fournies. Ces indications qui permettent d'opérer un choix parmi les chemins sont les topoï. Ce sont les principes généraux qui servent d'appui au raisonnement, mais ne sont pas le raisonnement. Ils ne sont jamais assertés, en ce sens que leur locuteur ne se présente jamais comme en étant l'auteur (même s'il l'est effectivement), mais ils sont utilisés. Ils sont toujours présentés comme faisant objet d'un consensus au sein d'une communauté plus ou moins vaste (y compris réduite à un individu, par exemple le locuteur). ' Cette communication a été présentée en tant qu'affiche au cours du 6iéme Colloque international de la pragmatique à Reims du 19 au 24 juillet 1998. 123 Le topos spécifie les prémisses qu'il est pertinent d'employer dans une situation et garantit le passage des prémisses vers la conclusion: il a donc la valeur du "garant" qui relève de sa nature procédurale. C'est pourquoi ils peuvent très bien être créés de toutes pièces, tout en étant présentés comme ayant force de loi, comme allant de soi (Ducrot, 1983). Le topos est graduel: il met en relation deux prédicats graduels, deux "échelles", et la relation entre les deux échelles, elle aussi, est graduelle" (Ducrot 1995), comme le montre le schéma (1). (1) J plus (moins) O est P, J plus (moins) O' est P' Ce schéma peut être illustré par l'exemple (2): (2) JS: Et... de quoi parlons-nous? On parle de plus de 50 000 d'entreprises de production, on parle de 20 milliards de chiffres d'affaires au niveau de la production et on parle de 35 légumes. Alors, aujourd'hui, aujourd'hui depuis que nous posons les questions au ministre le 25 juillet, le 25 novembre, le 6 avril et puis des séries de rencontres, on nous répond au niveau du Ministère, tout à coup on nous répond "choux-fleurs: Bretagne". Je rappelle: il y a 35 légumes, il y a une trentaine de départements concernés. (Polémiques2) Le locuteur expose le topos Tl: plus il y a de problèmes, plus il faut en parler. Ce topos est graduel: on parle beaucoup de choux-fleurs et de Bretagne. Mais il s'agit de 35 légumes et d'une trentaine de départements: il faut donc en parler davantage et trouver une solution plus complexe. Tl met en relation deux échelles: (3) . _ 35 légumes, 30 départements . . choux-fleurs, Bretagne parler (plus) X parler 2 Cet extrait, aussi bien que les autres, cités au cours de la communication, appartient au corpus oral, enregistré et transcrit par M. Schlamberger Brezar. Les conventions de transcription sont les suivantes: Majuscule: début de l'énoncé XXX mot incompréhensible /./ intonation descendante /,/ intonation montante /.../ énoncé non achevé (...) omission d'une partie du texte 124 2. Inventaire des topoï dans les textes analysés Nous allons essayer d'éclairer le rôle que jouent les topoï dans la négociation conversationnelle.3 Il semble que, d'une part, l'orientation des topoï, leur pertinence et leur gradualité influencent le choix des moyens d'argumentation (les opérateurs et les connecteurs) et par conséquent de différentes relations syntaxiques sous-jacentes, et d'autre part elles programment l'issue de la négociation. En vue de démontrer cette hypothèse, nous avons analysé plusieurs simulations de négociations commerciales en langue Slovène et un débat en français.4 D'après Plantin (1997: 12), le genre argumentatif se différencie en plusieurs espèces: certaines sont orientées vers l'expression et amplification, à savoir les débats d'idées, les débats politiques, d'autres vers la résolution du différend (négociations, conciliations). Nous avons donc affaire à deux types de textes différents où, nous supposons, les locuteurs vont faire preuve d'une attitude différente envers les topoï. 2.1. Où placer les topoï dans la grammaire Les topoï ne sont pas assertés, ils sont sous-jacents et sous-entendus, posés comme garant. Dans la grammaire fonctionnelle (Dik, 1989) ils sont codés au niveau sous-ja-cent de la prédication, de l'état de choses. Ils représentent une connexion inférentielle entre les événements ou les propriétés par lesquelles les arguments sont liés à la conclusion (Ellerup-Nielsen, 1996: 330). La base de l'analyse des textes argumentatifs est l'énoncé, le niveau de "clause" (Dik, 1989). Le topos se trouve dans la structure sous--jacente de chaque énoncé argumentatif, servant de premisse pour une conclusion. C'est une entité sémantique. Nolke (1994: 164) dit que «l'argumentation effectivement accomplie n'est jamais précisée dans la signification, mais la langue pose sur l'acte de l'argumentation des contraintes sémantiques qui, elles, doivent être décrites dans la signification. Toute phrase isolée est susceptible d'entrer dans une vatiété apparemment illimitée de chaînes argumentatives, 3 La notion de la conversation comme négociation (Roulet et al., 1985: 9-ll,Roulet, 1985: 13) suppose que dans une converstation, tout se négocie constamment: les modalités d'ouverture et de clôture de l'interaction. Il y a aussi l'idée que l'échange ne peut pas se conclure sans accord commun. 4 Nous avons analysé un débat télévisé, Les polémiques, diffusé sur la chaîne France 2, et 4 négociations commerciales en langue Slovène. Les textes analysés appartiennent à deux genres différents de textes argumentatifs, les négociations étant orientées vers la résolution du différend et les débats vers l'expression et l'amplification publiques du différend (Plantin, 1997: 12). Or, les contraintes de conclusion s'imposent pour les deux genres. 125 donnant lieu ainsi à une gamme non restreinte des topoï. Mais, d'une part, les expressions référentielles apportent avec elles tout un réseau de topoï relevant d'un champ topique, et, d'autre part, certains lexèmes - à savoir les opérateurs argumentatifs -orientent ou dirigent le choix à l'intérieur de l'éventail de topoï ainsi présenté.» La fonction du topos est d'une part de permettrte l'accès aux conclusions visées par l'acte d'argumentation, et, d'autre part, de choisir parmi les conclusions lorsque plus d'un acte d'argumentation est réalisé (Moeschler, 1985: 72). Le topos est de ce fait en étroit rapport avec les marques argumentatives que sont les opérateurs et les connecteurs, mais également avec la notion primitive d'acte d'orientation argumentative, puisque c'est à partir de telles indications que s'applique le topos. Il faut distinguer les connecteurs - prédicats à deux places et les connecteurs - prédicats à trois places (Moeschler, 1985). Les premiers relient deux échelles, les seconds deux topoï. 2.2. Les topoï dans le débat "L'argumentation repose sur l'utilisation systématique de principes d'enchaînements d'énoncés ou "topoï" dont la validité est admise par des interlocuteurs" (Plantin, 1990: 246). Les topoï exposés au cours du débat5 télévisé peuvent être rassemblés dans les groupes suivants: 1. Topos"économique" Plus on produit, plus on doit vendre. Plus on a de produits, plus le prix est bas. Plus le prix est bas, moins il faut produire. 2. Topos "social" Plus on manque de ressources, plus on est obligé de descendre dans la rue. Plus on est en crise, plus il faut faire appel à la collectivité. Plus on est en crise, plus vite il faut agir. Plus haut on est placé (à l'échelle sociale), plus on doit être au courant. 3. Topos "violence" Meilleures raisons qu'on a, plus on est autorisé à descendre dans la rue. Plus on est violent, moins c'est permis. 5 Dans le débat qui porte sur la violence des protestations des agriculteurs bretons et des agriculteurs en France en général, il y a les participants: MC; modératrice; GD, producteur, JS, FNPL (Fédération nationale des producteurs de légumes), FC, directeur du cabinet du Ministre de l'agriculture, MHA, députée des verts, CJ, député, GG et EP, députés européens, JL, maire de Morlaix. 126 Plus on est en crise, moins il faut être violent. Plus il y a de dégâts, plus il faut appliquer la loi. 4. Topos "qualité" Plus on produit, plus la qualité baisse. Plus il y a de qualité, plus ça coûte. 5. Topos "débat" Plus il y a de problèmes, plus il faut en parler. 6. Topos "politique agricole commune" Plus près on est de l'Euro, plus se règlent les aspects monétaires. Plus le système est figé, plus il faut qu'il évolue. Meilleur soit l'état de l'agriculture, plus il y a d'emplois. Les topoï exposés de 1 à 6 sont pertinents pour le débat: l'argumentation se fait par la reprise ou par la réfutation du topos: c'est le "fil rouge" qui assure la suite du débat. C'est à l'aide du topos que s'enchaînent les arguments. Illustration à l'aide d'un exemple du débat: (4) MHA: Je crois qu'effectivement aujourd'hui on est dans un système de politique agricole commune dont les aides favorisent cette surproduction. Or nos concitoyens, je crois que nous tous, nous attendons plutôt des produits de qualité. Donc... donc nous pensons qu'il faut la réformer profondément (la: politique agricole commune). T1 : Plus on favorise la surproduction, plus on va produire. T2: Plus on produit, moins les produits sont de qualité. T3: Plus le consommateur est conscient, plus il exige des produits de qualité. T4: Plus une politique est mauvaise, plus il faut la réformer. Les topoï exposés sont relatifs à des idéologies banales de la vie quotidienne quant à l'usage qu'il convient de faire de son temps. Le premier énoncé comporte deux topoï sous-jacents, T1 et T2, dont le premier est mentionné et l'autre sousentendu. Aux deux s'oppose T3, introduit par le connecteur or, qui met la qualité en premier lieu. C'est sur ce point qu'est fondée la conclusion, introduite par le connecteur donc, qui appelle à la réforme. La réponse de JS (2) s'enchaîne sur le T1 : 127 (5) JS: Je ne peux pas rentrer dans votre sens. Aujourd'hui la production française satisfait à peine à autour de 70% de la consommation française. En Europe, la production des fruits ou des légumes et des fruits sont liés à la même problématique pour voir: Europe a à peine 40%. L'Europe est le premier importateur mondial des fruits et des légumes. Donc je veux dire dans ces chiffres là qu'il faut intégrer, qu'il n'y a pas de surproduction. Par contre, il y a des téléscopages effectivement, et le cas des choux-fleurs est un téléscopage. Dans sa réponse, JS déclare que la première échelle n'est pas pertinente, parce que on ne produit pas trop. Le rejet est fait d'une manière explicite (uJe ne peux pas rentrer dans votre sens") et démontré par le syllogisme: Si l'on produit moins de 100% de sa consommation, il n'y a pas de surproduction. La France satisfait à 70% sa consommation de légumes. (L'Europe satisfait à 40% sa consommation de légumes.) Donc: il n'y a pas de surproduction. Une autre réplique s'enchaîne sur le T3 d'abord et puis sur le 12. (6) EP: Je vais aussi signaler à Madame A.: des produits de qualité. Mais tous les agriculteurs ne souhaitent que ça de faire des produits de qualité. Mais les produits de qualité ont un coût. Et est-ce qu'on peut bien se poser la question si les consommateurs veulent bien payer ce coût. Or aujourd'hui nous nous apercevons que le pouvoir d'achat n'augmente que leur pouvoir d'achat ne leur permet pas... leur pouvoir d'achat ne leur permet pas de consommer cher. EP: Tel que XXX il faut s'entendre qu'il y a à partir du collectivisme surproduction et que les produits ne sont pas de qualité. Je pense que c'est une idée reçue qui ne correspond pas à la réalité. Je ne peux pas XXX ressentir cela. La qualité aujourd'hui c'est une qualité qui est en France reconnue y compris à l'étranger et qui est tout à fait convenable. Il y a encore des progrès à faire et ils se font tous les jours. Mais on ne peut pas laisser dire cela. Donc... Cette réplique s'enchaîne d'abord sur T3 et ajoute le nouveau topos T5: plus les produits sont de qualité, plus cela coûte. Mais d'autre part, il reconnaît le topos de "qualité", qui est reconnue en France et rejette le T2, qui lie la surproduction au manque de la qualité. 128 En regardant de près les topoï exposés, on peut constater que les seuls topoï qui s'opposent directement dans le débat sont les topoï concernant la justification et la condamnation de la violence. Au cours d'autres topoï, il s'agit surtout de la réfutation de la gradualité comme c'était montré en (6). Les topoï opposés: Topos violence: 1. plus on a de raisons pour la violence, plus il est justifié d'être violent 2. plus on est violent, moins on peut le cautionner (7) Edouard des Places (EP): Avant de parler d'Europe, moi je voudrais qu'on déculpabilise les agriculteurs et tout particulièrement chaque fois qu'ils sont obligés de descendre dans la rue pour défendre leur propre niveau de vie. Or, il nous arrive à tout le monde... MC: D'accord enfin, on ne va pas saccager les trains... Ici, il s'agit de la conclusion, introduite par enfin, qui est justement opposée à ce qui a été dit auparavant. Elle pourrait être introduite par mais, pourtant ou un autre connecteur exprimant l'opposition et introduisant la contre-argumentation. Les topoï suggèrent la relation logique et influencent par conséquent le choix du connecteur. Pour le débat oral, il est typique (A. Ellerup Nielsen, 1996) qu'il y a moins de connecteurs que dans un texte écrit. Le topos sous-jacent peut donc indiquer la nature de la relation implicitement. Dans l'exemple Oui, enfin...: il s'agit d'une opposition, mais enfin prend normalement la valeur de conclusion. Le topos est assez fort pour qu'on puisse se passer du connecteur ou employer un connecteur dont la valeur est différente de celle exigée logiquement: c'est dans ce rôle que les particules de la langue slovène apparaissent comme connecteurs (exemple (13)). Dans (8), il y a la suite de l'étayage des arguments, basés sur des topoï opposés. (8) EP: Il nous arrive à tout le monde de prendre un train, de rester en gare, de rentrer dans un avion... CJ: Non, non, sur ce point, écoutez: la grève de 95, trois semaines de la grève de la SNCF, coût de la grève par jour 100 milions de francs, destructions qui sont tout à fait regrettables suite au mouvement des producteurs bretons: 5 milions de dégâts, c'est-à- 129 dire l'équivalent d'une heure de grève menée par la CGT en 95. Donc il faut aussi relativiser les choses... MC: Je ne sais si on puisse comparer, Monsieur XXXXX MHA: Ils ne sont pas permis... GG: C'est indéniable qu'il y a une situation de crise ponctuelle et des problèmes structurels sur les choux-fleurs et sur les légumes d'une manière générale. Ceci étant, quelle que soit l'ampleur posée du problème aujourd'hui, je trouve effectivement que les exactions qui ont été commises sont véritablement inadmissibles. Je sais que la justice a été saisie et pour moi elle va faire son travail parce que la loi doit s'appliquer pour tout le monde quelle que soit la profession, quelle que soit la race, quelle que soit la classe sociale en France. /X: Ils sont contents, les Bretons./ ML: Oui, encore que (...) moi, ce que j'aimerais dire sûrtout c'est que nous qui vivons ces manifestations violentes et brutales, parce que il faut quand même le rappeler qu'en 95 pour reprendre l'exemple du député qui est sur votre plateau, il y a eu des grèves effectivement de la SNCF qui ont eu un certain nombre de conséquences, je rappellerai quand même qu'en 95 sur Morlaix en 3 heures de temps quelques agriculteurs avec leurs tracteurs ont fait 8 millions de francs de dégâts sur le milieu urbain et sur la ville. Donc c'est vrai que c'est quand même quelque chose qui frappe l'opinion et qui laisse des traces dans la mémoire. Le deuxième topos dans le débat fait prévaloir contre le premier: le maire joue le rôle décisif, puisqu'il est le dernier qui va parler à propos de ce thème et qu'il a vécu ces manifestations. Il introduit un contre-argument par rapport à celui de X avec Oui, encore que. EP et CJ plaident pour la justification de la violence, MHA, MC (modératrice!), GG et ML sont contre. Vers la fin du débat, tout se concentre sur le même topos, à savoir, "plus il y a de problèmes, plus il faut en parler". Tous sont d'accord sur le fait qu'il faut trouver une solution, même si leurs points de vue sur ce sujet diffèrent. D'après la théorie de la conversation en tant que négociation (Roulet, 1985), cela permet de conclure le débat. Il y a aussi l'argument de MC, modératrice, qui pousse vers la conclusion (9) "C'est l'émission qui va se terminer alors", 130 fondée sur les circonstances et les règles de l'interaction: ces arguments ont évidemment un statut à part, puisqu'ils font référence aux circonstances du débat: règles, durée, décision prise (Plantin, 1997: 19). Après, les locuteurs se retrouvent sur le topos du départ, "plus il y a de problèmes, plus il faut en parler", introduit par GG et affirmé par JS dans l'exemple qui suit: (10) GG: Je pense que dans le débat que nous avons il y a une chose qui est très clairement exprimée, c'est le besoin qu'il y a dans ce pays à un débat public sur les fonctions de l'agriculture de la fin de ce siècle, du début du 3e millénaire. JS: ça c'est très bien dit... 2.3. Les topoï dans les négociations commerciales Un argument fondé sur une règle de base de toute négociation est "Faites des concessions!" (Plantin, 1997: 19), ce qui oppose la négociation au débat, où il s'agit de l'amplification du différend. Nous allons voir quelles sont les différences d'application des topoï. L'inventaire des topoï dans les négociations est plus restreint: 1. Négociation des prix de l'équipement du sport Tl: Plus les Slovènes aiment le ski, plus de skis ils achètent. T2: Meilleurs sont nos skieurs, plus le ski est à la mode (plus de skis les gens achètent). (orienté vers les prix bas) T3: Pire est la situation sociale, moins de skis les gens achètent. T4: Meilleur marché sont les skis, plus les gens vont en acheter (orienté vers les prix bas). Tl et T2 sont exposés par le locuteur A, T3 et T4 par le locuteur B. 2. Négociation du prix de la réparation de l'ordinateur Tl : Plus on accepte les propositions du partenaire, meilleure est la coopération. T2: Meilleure est la coopération, plus on doit accepter les proposition du partenaire. Ces deux topoï en effet ne sont qu'un topos circulaire: les partenaires sont d'accord sur Tl et T2: ils ne discutent que la gradualité de la "bonne coopération". 131 3. Négociation de l'organisation du cours de langue Tl : Plus on a de possibilités de durée des cours de langue, plus de gens il va y avoir. 12: Plus on donne de possibilités, moins c'est facile à organiser. T3: Plus c'est facile à organiser, plus cela nous convient. Tl et T3 sont en opposition. Tl va prévaloir. 4. Négociation de l'équipement vidéo Tl: Plus l'équipement est de qualité, plus le consommateur est disposé à payer. C'est surtout la gradualité qui est négociée ici. Dans les négociations, l'accord est atteint plus en détail que dans le débat, parce que le nombre des topoï employés est beaucoup plus restreint. Quand les deux locuteurs se retrouvent sur le même topos, il leur reste à négocier en détail ou à conclure le débat selon le cas. Les topoï de base sont acceptés par les deux partenaires sauf dans la Négociation des prix de l'équipement du sport. Là, il y a deux groupes de topoï liés qui ne s'opposent pas directement, mais entrent en opposition après la considération de leur visée argumentative6, étant orientés l'un vers la cherté et l'autre vers le faible coût des skis. Les topoï dans ce cas ne sont pas pertinents pour la conclusion: les partenaires se mettent d'accord sur le prix, les deux respectent la contrainte "consensus" (exemple (11)). (11) A4 8: Za alpske smučke pa mislim, da premalo vrednotite. Zdaj je pač tak čas, mislim, navdušenje Slovencev ob zmagi, ob teh velikih uspehih naših smučarjev, v bistvu, je tudi mogoče treba najti kompromis. 'A48: Pour les skis je pense, que vous sous-éstimez (le produit). Maintenant (particule), c'est le moment, je pense, l'enthousiasme des Slovènes devant la victoire, devant ces grands succès de nos skieurs, en fait, il faudrait trouver un compromis.' B48: Mi skušamo proizvode kvalitetneje, po sprejemljivih cenah prodajat, saj veste, standard pri nas ni tako visok, tako da bi vseeno vztrajali pri ceni B do C, ker, kot se je zdaj pokazalo, pač kupec preprosto ni zmožen, povprečen kupec smuči dražje kupovat, pri nas pa gre za zelo široko prodajo, saj sem vam povedala... 'B48: Nous essayons de vendre nos produits de qualité à bon marché, puisque vous le savez, le standing chez nous n'est pas si haut, de sorte que nous voudrions rester au prix B ou C, parce que, comme cela a été montré, (particule) le client n'est simplement 6 La visée argumentative (Ducrot, 1983: 11-12): l'énonciation est censée prendre une certaine position par rapport à l'univers auquel le discours se réfère. Il sélectionne un principe argumentatif, "topos", permettant d'atteindre la conclusion à partir de la position initiale. 132 pas capable, le client moyen, d'acheter des skis plus chers, chez nous, la vente ... enjeu, comme je vous l'ai dit. B 49: Ja, super, potem bi se zmenili, da pač eno leto kupujete po ceni C, potem pa bi dali na D kasneje... A49: Superbe, donc nous allons décider que vous achetez au prix C pendant un an et plus tard, c'est le prix D. Dans la négociation de l'organisation du cours de langue, les participants se rencontrent sur le même topos, "plus de possibilités, plus de participants", A devant abandonner son topos "plus c'est facile, plus cela nous convient" au profit de B. Dans la négociation de l'équipement vidéo, les deux participants sont d'accord sur le topos, mais se mettent difficilement d'accord sur le prix. Leur négociation est surtout l'étayage des arguments "idéologiques" de la société de la consommation (12). (12) A: Znamka, vsaj vaša znamka, predstavlja... 'A: Marque, au moins votre marque, représente...' B: D a, zaradi tega tudi potem ne gledajo na ceno... 'B: Oui, à cause de cela, ils ne prennent pas en considération le prix...' A: Na ceno sicer gledajo, ampak so pripravljeni več plačati v zameno za kvaliteto... 'A: Ils prennent d'ailleurs en considération les prix, mais ils sont prêts à payer plus pour avoir un produit de qualité.' B: Tako, ja, čeprav tukajle cena, ki jo imamo mi sicer, je nekoliko višja kot pri vas... 'B: Oui, oui, bien que le prix ici qu'on ait normalement chez nous, est un peu plus haut que le vôtre...' Dans la Négociation du prix de la réparation de l'ordinateur, la conclusion qui met en valeur le topos du départ: (13) A: Fino. Me veseli, da smo se tako zadovoljivo dogovorili, no, in upam, da bomo vnaprej tudi sodelovali. 'A: Bon, je suis contente de la conclusion et j'espère qu'à l'avenir aussi on va continuer à coopérer.' B: Ja, jaz tudi, no, tudi mi smo z vašimi storitvami zelo zadovoljni in tudi upam, da se v naprej kaj takega ne bo več zgodilo. 'B: Oui, moi aussi, nous aussi, nous sommes contents de vos services et nous espérons qu'il n'y aura plus de malentendus au futur.' 133 Il est difficile de généraliser à partir de l'analyse de 5 discours, mais ce qui est sûr est que l'accord est plus vite atteint si l'argumentation se fait sur le même topos et qu'on discute sa gradualité qu'à partir des topoï opposés. Aussi dans la langue Slovène, les connecteurs sont rares dans le discours oral. Les relations d'oppositions, fondées sur les topoï, sont souvent exprimées par les particules: (14) A: To (= obvezne ekskurzije) se mi zdi prisila za sodelujoče. 'Cela (=les excursions obligatoires) me paraît une contrainte pour les participants.' B: A veš, vseeno je mnogo več ljudi, ki grejo na ekskurzije, kot pa tistih, ki ne grejo. 'Tu sais, (particule) les gens qui participent à des excursions sont plus nombreux que ceux qui n'y vont pas.' La traduction française pourrait comporter aussi le connecteur pourtant ou quand même (d'après le sens de l'énoncé), mais l'original slovène comporte une particule (vseeno) qui ne sert pas normalement de connecteur, mais plutôt d'opérateur dans le sens d'argumentation dans la langue. 3. Conclusion Les topoï, en tant que principes rendant possible l'argumentation, influencent la structuration du débat ou de la négociation. D'une part, ils servent de "fil rouge" au débat ou à la négociation, ils sont le lieu sur lequel s'enchaînent les arguments qui vont dans un même sens ou dans un sens opposé. D'autre part, les partenaires se retrouvent sur le topos pour accepter une conclusion. La concentration des opinions sur le même topos représente la possibilité de clôture d'échange. Les recherches montrent que l'accord est le plus vite atteint dans les cas où il s'agit des mêmes topoï et où il ne faut négocier que leur gradualité, tandis que la négociation des topoï opposés est beaucoup plus longue et ne finit pas toujours avec un accord. Si les topoï sont opposés, l'accord peut se faire soit indépendemment des topoï, surtout si les topoï exposés ne sont pas pertinents pour le consensus, mais représentent les points de vue idéologiques des partenaires (exemple (12)). Même au cours du débat, limité plutôt par les contraintes circonstancielles (temps limité), à la fin, tout se concentre sur le topos "plus il y a de problèmes, plus il faut en parler", qui a été aussi le topos d'ouverture du débat et sur lequel tous sont d'accord. Quant aux cas de la réfutation des topoï, les locuteurs ont dû trouver de nouveaux topoï pour pouvoir continuer la négociation. Le topos est, d'après Ducrot (1983), en étroit rapport avec les marques argumenta-tives comme les opérateurs et les connecteurs. L'analyse des topoï du discours oral 134 montre que les énoncés ne comportent pas autant de connecteurs qu'un texte écrit et que parfois le topos sous-jacent est assez fort, sûrtout en présence d'énoncés contre-argumentatifs. La relation syntaxique prédominante dans les négociations conversationnelles analysés est celle exprimant l'opposition et la concession. Elle est rarement explicite, c'est-à-dire exprimée par des connecteurs. L'absence de connecteurs est possible grâce à l'évidence de la relation des topoï pour les locuteurs. RÉFÉRENCES Adam, J. M. (1992) Les textes: types et prototypes. Paris, Nathan, coll. FAC. Adam, J. M. (1996) L'argumentation dans le dialogue. Dans: Langue française 112, 31-49. Anscombre, J. C., Ducrot, O. (1983) L'Argumentation dans la langue. Bruxelles: Pierre Mardaga. Anscombre, J. C. et al. (1995) Théorie des topoï. Paris: Kimé. Blanche-Benveniste, C. ( 1997) Approches de la langue parlée en français. Paris: Ophrys. Dik, S.C. (1989) The Theory of Functional Grammar. Dordrecht: Foris. Ducrot, O. (1980) Les échelles argumentatives. Paris: Minuit. Ducrot, O. (1983) Opérateurs argumentatifs et visée argumentative. Cahiers de linguistique française 5, p. 7-36 Ducrot, O. (1988) Topoï et formes topiques. Dans Anscombre, J. C. et al. Théorie des topoï. Paris: Kimé. Ducrot, O. et al. (1980) Les mots du discours. Paris: Minuit. Eemeren, F. H. van, Grootendorst, R., Kruiger, T. (1987) A Handbook of argumentation theory, a critical surwey of classical backgrounds and modern studies. Dordrecht: Foris. Eggins, S. & D. Slade (1997) Analysing casual conversations. London, Washington: Cassell. Ellerup Nielsen, A. (1996) The Argumentative Impact of Causal Relations - An Exemplary Analysis of the Free Predicate in the Promotional Discourse. Dans: Argumentation 1996, vol. 10, Dordrecht: Kluwer, p. 243-268. Kerbrat-Orecchioni, C. (1985) Les négociations conversationnelles. Verbum, tome VII, 2-3, p. 223-243. Moeschler, J. (1985) Argumentation et conversation. Paris: Hâtier. Nolke, H. (1994) Linguistique modulaire: de la forme au sens. Louvain - Paris: Editions Peeters. Perelman, Ch. & L. Olbrechts-Tytéca (1958) La nouvelle rhétorique, le traité de l'argumentation. Paris: PUF. 135 Plantin, C. (1990) Essai sur l'argumentation. Paris: Kimé. Plantin, C. (1997) Le trilogue argumentatif. Présentation de modèle, analyse de cas: dans: Langue française 112, p. 9-30. Reboul, A. & J. Moeschler (1998) Pragmatique du discours. Paris: Armand Colin. Roulet, E. (1985) De la conversation comme négociation. Dans: Le Français aujourd'hui, 71, p. 7-13. Roulet, E. (1992) On the structure of conversation as negotiation. Dans: Searle, J. R. et al.: (On) Searle on conversation. Amsterdam, Philadelphia: John Benjamins Publishing Company, p. 91-100. Roulet, E. (1996) Une description modulaire de l'organisation topicale d'un fragment d'entretien. Dans: Cahiers de linguistique française 18. Genève: Université de Genève. Roulet, E. et al. (1985) L'articulation du discours en français contemporain. Berne: Lang. Schlamberger Brezar, M. (1997) Prvine konverzacijske analize. Dans: Kunst Gnamuš, O. (éd.), Posrednost in argumentacija v govoru. Ljubljana: Pedagoški inštitut, 92-137. Toporišič, J. (1992) Enciklopedija slovenskega jezika. Ljubljana: Cankarjeva založba. Povzetek VLOGA TOPOSOV V POGAJALSKEM SPORAZUMEVANJU Toposi ali skupna mesta argumentacije se prvič pojavljajo pri Aristotelu. Pri Anscombru in Ducrotu (1983, 1995) so ponovno obdelani in umeščeni v teorijo argumentacije v jeziku, kjer argu-mentacijski odnosi niso dodani semantični vrednosti izrekov, ampak so temeljni, prisotni že od najgloblje ravnine analize (Anscombre et al., 1995: 15). Po funkcijski slovnici (Dik, 1989) so del dejanskega stanja oziroma ravnine predikacije. Prispevek temelji na analizi toposov v avtentičnih besedilih, in sicer v televizijski polemiki v francoskem jeziku in simulacijah pogajanj v slovenskem jeziku. Iz analize je razvidno, da toposi kot principi, ki omogočajo argumentacijo, vplivajo na zgradbo polemike oziroma pogajanj. Na eni strani predstavljajo rdečo nit za nadaljevanje konverzacije, saj so mesto, kjer se navezujejo argumenti, bodisi enako, bodisi nasprotno usmerjeni. Na drugi strani pa so prav toposi tisto mesto, kjer sogo-vorci prihajajo do soglasja. Koncentracija mnenj na istem toposu predstavlja možnosti za zaključek izmenjave. Toposi so povezani tudi z argumentacijskimi zaznamovalci kot so operatorji in konektorji -povezovalci. Analiza govorjenega diskurza je pokazala, da le-ta vsebuje manj povezovalcev kot zapisano besedilo. Skladenjski odnos, ki prevladuje, je protivno-dopustni odnos in ta je le redko izražen s povezovalci. Njihovo odsotnost se da razložiti s toposi: le-ti so za naslovnika dovolj jasni, zato je v danih primerih raba povezovalcev nepotrebna. 136