Lucien T e sni ère L E S V O Y E L L E S N A S A L E S S L A V E S ET LE P A R L E R S L O V E N E DE R E P L J E Une des caractéristiques les plus frappantes du slave par rapport à l'indo- européen est la tendance à l'élimination des voyelles fermées. Tandis que la com- paraison des langues indo-européennes conduit souvent à restituer des formes indo- européennes comportant une syllabe fermée (cf. i.-e. *penbre «cinq», "wertö «je tourne»), dont les deux voyelles sont par conséquent séparées par des groupes de deux consonnes, le slave tend au contraire à n'admettre que des syllabes ouvertes, dont les deux voyelles ne sont par conséquent séparées que par une seule consonne: v. si. p(ti, vratiti. Cette tendance du slave à l'élimination des syllabes fermées vaut pour toute la période qui s'étend depuis le début du slave commun, qu'elle caractérise, jusqu'à l'époque où l'amuïssement des jers faibles a amené la restitution des groupes de deux consonnes, c.-à-d. après le vieux slave, cf. v. si. sbtbnikb «centenier», r. šotnih. C'est à cette intolérance du slave à l'égard des syllabes fermées que l'on peut rappor- ter la plupart des traits essentiels du phonétisme slave, comme p. ex. la monophton- gaison, la métatlièse liquide (y compris le polnoglasie russe) et la nasalisation, la sonante deuxième élément de la diphtongue, la liquide et la nasale faisant figure de premier élément consonantique après la voyelle, d'où il résulte que la syllabe est fermée. Cette tendance du slave une fois reconnue, il est normal d'admettre que les voyelles nasales, tant du slave commun que du vieux slave, devaient être des voyelles nasales pures (ô), c.à-d. sans prolongement consonantique nasal, et non des voyelles nasales suivies d'un appendice consonantique également nasal ( « " ) ; e t pourtant, 011 admet généralement que les voyelles nasales du slave commun et du vieux slave étaient des voyelles nasales impures: «Les voyelles nasales du slave commun n'étaient pas des voyelles nasales pures, comme celles du français du nord; l'émission nasale se poursuivait après que l'émission orale avait cessé» (Meillet: Le slave commun, p. 50). «On doit penser que les voyelles nasales représentaient des diphtongues ,brisées' à second élément nasal, approximativement ou» et 'ea» (à l'initiale syllabique jea»)> (Vaillant: Manuel du vieux slave, grammaire, p. 29). Kulbakin (Le vieux slave, p. 34) est à ma connaissance le seul qui 11e partage pas cette façon de voir: «Les lettres g, с expriment о et e nasalisés; il n'y a pas de raison, à mon sens, de les concevoir comme o", e": tels exemples comme čendo des parlers macédoniens ou pol. renka (cf. d'ailleurs pol. wçch, kgsaé), invoqués par A. Meillet, ne suffisent pas à justifier cette conception.» L'argument essentiel invoqué pour justifier la nasale impure est en effet le témoignage du polonais et du macédonien: «Les parlers macédoniens où il a subsisté des restes de voyelles nasales ont des formes où la nasale se poursuit après la voyelle orale, soit čendo, zämbi; et dans le seul dialecte slave (avec de rares parlers slovènes) qui ait encore aujourd'hui des voyelles nasales régulièrement, le polonais, rçka, rgczka donnent l'impression de r("ka, rg»čka.> (Meillet: Le slave commun, ibid.) «Si l'on a été amené à considérer les choses ainsi, c'est que les deux témoignages que l'on possède, celui du polonais et celui du macédonien, concordent à cet égard; or il n'y en a pas d'autre» (Meillet: B. S. L., XXX, p. 196). Si Meillet fait (entre parenthèses) une trop discrète allusion aux parlers slovènes, allusion qu'il ne re- nouvelle d'ailleurs pas dans son compte rendu du Bulletin de la Société de Linguis- tique, par contre A. Vaillant n'en fait aucune mention: «les langues slaves modernes ont généralement perdu les voyelles nasales, comme il apparaît dans l'usage des sla- vons, ou elles les ont modifiées, et le bulgaro-macédonien dialectal (fin) ou le polonais (g, ( ) n'en donnent qu'une idée lointaine». (Manuel du vieux slave, ibid.) Or les voyelles nasales du Slovène dialectal dont on fait si peu de cas sont précisément, à mon avis, les plus intéressantes, et ce sont elles que l'on devrait citer en premier. Il s'agit du dialecte carinthien de la Podjunska dolina, le seul groupe de parlers slovènes qui ait conservé des voyelles nasales. J'ai fait en 1923 dans cette région une enquête dialectologique qui a porté sur le parler de Replje (point 25 de mon Atlas linguistique pour servir à l'étude du duel en slovène), où j'ai relevé les formes suivantes: dop (dçb), put (pgt), kot (kgt), moi (mgš), gSs (gçs), göst (ggsl, épais), rok (rçk, gén. pl.), toča (tgča), gobe (ggbe), söset (sçsed), modar (mgder, sage), p6p(o)ka (pgpek), ôska (gzka), guwop (golgb), bo (bg), où le б actuel représente un g ancien, et brlok (brlog), wçdi (vçdi), cqkwe (cçkle), dont la nasale actuelle est déconcertante et doit être attribuée à quelque innovation locale, car je ne l'ai pas retrouvée dans mes autres enquêtes en Carinthie. Le с du vieux slave est représenté à Replje par ä (à): pata (pfta), Ràpla (Replje), uzâw <(vzel), gwàjte (gl(jla), grà (grç). Mais un à un peu moins ouvert et tendant volontiers vers о est souvent égale- ment le représentant d'un a étymologique en contact avec une consonne nasale: готе (rame), пота (nama), wöma (vama), pomet (pamet), znömeje (znamenje), söm (sam), srčjm (sram). Ce qu'il importe de bien souligner, c'est que les voyelles nasales de Replje sont rigoureusement pures. Le mot /ti}t s'y prononce exactement comme le français compte en prononciation de Paris et de la France du nord, et sans accent dit «méridional» (kont, kö»t), c.-à-d. qu'il ne comporte aucune trace de prolongement consonantique nasal. Il est fort important que la chose ait été entendue par un Français du nord, plutôt que par un Slovène. Car son témoignage est moins sujet à caution. En effet un Français du nord, qui use couramment de voyelles nasales pures, est particulière- ment sensible à la «prononciation du midi», qu'il est par définition fort expert à dé- celer chez ses compatriotes. Au contraire la plupart des autres Européens, et en particulier les Slovènes eux-mêmes, sont, au point de vue de la prononciation du français, de véritables Méridionaux, et ont naturellement tendance à prononcer les voyelles nasales du français avec un appendice consonantique nasal, seul groupe phonétique que connaisse leur langue. Leur témoignage est donc toujours suspect, et quiconque le récusera aura pour lui la vraisemblance. Qu'il soit donc permis à un Français du nord slavisant, qui a pratiqué le slovène et entendu le dialecte de Replje, d'apporter ici tout le poids de son observation phonétique. Il est heureux de faire hommage de cette observation au maître de la linguistique slovène à l'occa- sion de son soixantième anniversaire. C'est que ce témoignage garantit un fait qui est, à mon avis, crucial pour le slavisant soucieux de déterminer la valeur ancienne des voyelles nasales slaves. Il serait en effet paradoxal de penser que le slave ait connu des voyelles nasales impures avec prolongement consonantique nasal à une période où il avait tendance à éliminer toute syllabe fermée, et que ces voyelles nasales impures soient devenues des voyelles nasales pures précisément à l'époque où, après la chute des jers, les syllabes fermées ont réapparu dans les langues slaves modernes. Le slave commun devant par définition pouvoir rendre compte de toutes les formes se trouvant dans n'importe quel parler slave, et non pas seulement de celles qui ont eu une grande fortune littéraire, le parler de Replje, comme tous ceux que Meillet englobe sous la qualification de «rares parlers slovènes», présente au point de vue de l'histoire de la langue tout autant de valeur probante que n'importe quel parler polonais ou macédonien. Or s'il est avéré qu'il contient des voyelles nasales pures devant occlusives (ce qui n'est le cas ni du polonais, ni du macédonien), il est impossible d'admettre que ces voyelles nasales pures d'un état de langue qui connaît des syllabes fermées proviennent de voyelles nasales impures d'un état de langue qui tendait à les ignorer. Les voyelles nasales pures de Replje ne peuvent par conséquent pro- venir que de voyelles nasales pures du slave commun. Les faits de Replje donnent donc entièrement raison à Kul'bakin contre Meillet et les autres. Et c'est pourquoi il y a lieu, à notre avis, d'admettre avec lui que les voyelles nasales du vieux slave (et du slave commun) étaient des voyelles nasales pures. Montpellier, juillet 1950. P o v z e t e k Ena prav značilnih potez prvotne slovanščine in stare cerkvene slovanščine je v tem, da ne trpita zaprtih zlogov. To izključevanje zaprtih zlogov traja v slovan- ščini dotlej, da so posamezni slovanski govori začeli opuščati polglasnike v šibkih (pozicijah. Zaradi te osnovne poteze se zdi naravno, da sta se izgovarjala stara nosniška samoglasnika ç in g čisto samoglasniško in si nista zapirala zloga s so- glasniškim elementom na koncu, kakor splošno sodijo slavisti razen Kul'bakina. Vsi opirajo to mnenje na pričevanje tistih sodobnih slovanskih govorov, ki so nosniški izgovor ohranili, to je zlasti poljščina in nekaj makedonskih narečij; v obeh primerih se danes izgovarja soglasniški element na koncu. Slovenščine in njenih govorov pa tu slavisti ne omenjajo ali pa tako mimogrede, kakor da so njeni govori v tem pogledu brez pomena. Po avtorjevem mnenju pa so ravno slovenski govori najbolj zgovorni in bi jih bilo treba navajati na prvem mestu. Gre tu za koroško narečje v Podjunski dolini, edina skupina slovenskih govorov, ki je ohranila nosniški izgovor starih nazalov. Tam je avtor 1923 v vasi Replje zbral tozadevno gradivo. Ugotovil je, da izgovarjajo tam reflekse za stara nosniška samoglasnika f in ç danes o in б brez vsakega soglasniškega elementa na koncu, torej čisto samoglasniško kakor Francozi svoje nazalne samoglasnike. Avtor pravi, da je posebno pomembno, da to ugotavlja slavist iz severne Francije, ki ima za tak izgovor še prav posebej šolano uho, ker dobro čuti soglasniški element, saj je to v južnofrancoskem izgovoru tipična napaka v izgovoru knjižnega jezika; noben drug Evropejec bi ne bil bolj poklican sodnik v tem vprašanju. Zato je avtor vesel, da s to ugotovitvijo lahko počasti mojstra slovenskega jezikoslovja ob njegovi šest- desetletnici. Ta ugotovitev je za vestnega slavista odločilen kažipot pri iskanju fonetične vrednosti starih nazalnih samoglasnikov. Nesmiselno je trditi, da bi si bil zapiral jezik zloge za nosniškim samoglasnikom v času, ko je povsod drugod zaprte zloge odpiral, po drugi strani pa, da bi bila ta dva nosnika izgubila svoj soglasniški ele- ment v dobi, ko je govor že poznal zaprte zloge in so mu bili že zelo domači. Po svojem bistvu mora praslovanščina postavljati osnove, iz katerih se dajo razložiti refleksi v katerem koli slovanskem govoru, ne samo v tistih, ki so imeli srečo večje literarne znanosti. Govor v Repljah ima za jezikovno zgodovino toliko dokazne moči kakor kateri koli poljski ali makedonski govor. Če je torej ugotovljeno, da ima ta govor čiste nosniške samoglasnike v dobi, ko so mu zaprti zlogi zelo domači, ne moremo misliti, da jih ima od nečistih nosniških samoglasnikov iz dobe, ko jezik zaprtih zlogov sploh ni poznal. Cisti nosniški samoglasniki v Repljah torej ne morejo biti od drugod kakor iz prvotnih čistih nazalov. Govor v Repljah torej daje prav KuFbakinu proti Meilletu in drugim slavistom in je treba sprejeti za prvotni izgovor slovanskih ( in ç čiste samoglasnike brez soglasniškega elementa.