227 Máté Kovács* 5 UDK [811.133.1'42:373.3]:82Bégaudeau F. Université Eötvös DOI: 10.4312/linguistica.58.1.227-236 Loránd de Budapest LA GUERRE DES MOTS DANS LA CLASSE : LES VARIÉTÉS LINGUISTIQUES NON STANDARD DANS ENTRE LES MURS DE FRANÇOIS BÉGAUDEAU 1. INTRODUCTION Paru en 2006, le roman Entre les murs de François Bégaudeau met en scène l’his- toire d’une année scolaire. Dans un collège, situé dans une zone d’éducation prioritaire (ZEP) dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, le quotidien d’un professeur de français et d’une classe de quatrième s’avère plus que compliqué. Cette école de la République, lieu par excellence de la mixité sociale, condense des questions d’éduca- tion, de culture, d’identité, d’intégration et/ou d’exclusion, etc. Et plus spécifiquement surgissent également des problèmes de communication et des conflits entre professeurs et élèves liés avant tout aux différents arrière-plans sociaux. « Dans ce roman écrit au plus près du réel, François Bégaudeau révèle et investit l’état brut d’une langue vivante, la nôtre, dont le collège est la plus fidèle chambre d’échos », comme l’annonce la quatrième de couverture du livre. Dans cette pers- pective, notre article se propose d’explorer cet « état brut » de la langue française et de porter un regard d’analyse sur le rôle des variétés linguistiques non standard employées dans l’œuvre. Comment les mots deviennent-ils un outil de controverse, de combat, voire de guerre dans la classe ? Quelles variétés de langue non standard sont utilisées dans le roman ? Quelle est la fonction remplie par les éléments non conventionnels ? Telles sont, entre autres, les questions auxquelles nous tenterons d’apporter nos réflexions. 2. SOCIÉTÉ, ÉCOLE, LANGUE L’histoire du roman se situe dans un collège de milieu défavorisé où Souleymane, Amar, Khoumba, Dianka, Fortunée, Djibril, Mohammed et les autres affrontent ver- balement, et de façon constante, leur professeur principal, François. Ces jeunes issus d’un contexte d’immigration et d’un milieu familial où règne une diversité linguis- tique et culturelle se trouvent dans la difficulté de s’intégrer au monde de l’école. La situation précaire des familles, caractérisée par un accès particulièrement restreint au travail et par un taux élevé de chômage ainsi que par un manque de scolarisation des parents, aboutit à l’émergence d’une fracture sociale qui, à son tour, engendre une fracture linguistique (Goudaillier 2002 : 11). Ces fractures sociale et linguistique se * kovacs.mate@btk.elte.hu Linguistica_2018_FINAL_2.indd 227 13.3.2019 13:40:40 228 manifestent bien souvent par la violence verbale et le sentiment d’exclusion vécu par les jeunes introduit dans leur discours « une culture d’opposition de principe » (Messili/ Ben Aziza 2006 : 2). L’école est basée en France sur le modèle « un pays, une langue » et sur l’idée de l’unification linguistique, ainsi elle « ne tolère ni concurrence (une seule langue natio- nale), ni déviance (respect obsessionnel de la norme prescriptive-proscriptive) » (Boyer 1997 : 6), et peine à accepter la diversité linguistique. Dans la classe, l’usage des élé- ments non conventionnels, en particulier ceux appartenant à la langue des cités, est mal vu et considéré comme une sorte d’atteinte au français normatif. Bertucci (2003 : 25) décrit la situation de la façon suivante : La perception ordinaire des enseignants concernant les parlers jeunes / parlers des banlieues est qu’ils sont largement répandus et qu’ils se distinguent nettement du français de référence enseigné à l’école ou plus simplement du français standard. D’une manière générale, l’usage de ces parlers coïncide avec le sentiment d’une montée de l’incivilité linguistique, du fait du caractère outrancier de ces pratiques (langage à connotation sexuelle ou scatologique, insultes) renforcé par des com- portements et des modes de communication inadaptés. « Incivilité linguistique », « insultes », « comportements et modes de communi- cation inadaptés », ou encore « déstructuration » et « appauvrissement » (Dannequin 1999 : 77) comptent parmi les notions qui gravitent autour de la langue des jeunes 1 selon la conception des enseignants. La culture d’opposition que nous venons d’évo- quer plus haut se réalise entre autres par l’usage des mots « proscrits », bannis de la langue de l’école. Bertucci (2003 : 26-27) remarque à ce propos que « [c]ette contrelé- gitimité linguistique 2 s’affirme en tant que parler jeune opposé au langage des adultes, et pour les jeunes issus de l’immigration en tant que langue impropre des étrangers par opposition à la langue française académique et scolaire ». De plus, comme le précise Dannequin (1999 : 77) : […] le comportement langagier de ces jeunes est, la plupart du temps, montré dans ses aspects les plus agressifs (langage de la rue, de l’injure sexuelle et de la violence) ou les plus en rupture avec la langue française courante (présence de 1 Rappelons avec Gadet (2007 : 120) que la notion de langue des jeunes est quelque peu problématique « car la catégorisation purement démographique dissimule une question sociale, voire ethnique ». À propos de cette question, voir aussi Féral (2012) et Devilla (2015). Boyer (2001 : 76) observe l’évolution de la notion de la façon suivante : « de la décennie 1980 aux années 1990 s’est opéré un net déplacement du repérage : on est passé (aussi bien dans le discours épilinguistique médiatique que dans les ouvrages à visée métalinguistique) de «français branché» à «parler jeune» puis (définitivement ?) à «langue des cités» ». 2 À propos de la contrelégitimité linguistique, remarquons avec Bourdieu (1983 : 103) qu’elle ne s’affirme que « dans les limites des marchés francs, c’est-à-dire dans des espaces propres aux classes dominées, repères ou refuges des exclus dont les dominants sont de fait exclus, au moins symboliquement ». Linguistica_2018_FINAL_2.indd 228 13.3.2019 13:40:40 229 termes en provenance de langues étrangères, anglo-américain et, plus spécifique- ment, de diverses langues de l’immigration : arabe, langues africaines...). L’opposition qui est donc faite entre la langue des jeunes et celle de l’école entraîne la stigmatisation des éléments non standard provoquant dans la majorité des cas des conflits entre le professeur, dépositaire de la langue « correcte » (français standard) et les jeunes, utilisateurs de la langue « corrompue » (langue des cités). 3. « GUERRE » DES MOTS Suite à l’introduction et au bref parcours du contexte social, nous pouvons nous de- mander à juste titre pourquoi figure dans le titre de cet article le syntagme « guerre des mots ». Il faut souligner de prime abord que le champ sémantique de la guerre est présent tout au long du roman par l’utilisation des expressions comme « guerre », « guerrier », « agresseur », « troupe », « vengeance », « assiéger », « sonner le début de l’offensive », « promettre des représailles » ou « battre en retraite ». Ces éléments de langue servent à décrire la réalité quotidienne de la classe qui s’articule, nous semble- t-il, autour d’une opposition fondamentale entre les jeunes et leur professeur. Au début du roman, François, le professeur ne tarde pas à déclarer la « guerre » : – Parce que si t’es comme ça toute l’année, ça va être la guerre et c’est toi qui vas perdre. Soit c’est la guerre et ça va être un cauchemar pour toi, soit tu fais les choses bien et ça se passera bien, bonne fin de journée. (Bégaudeau 2006 : 20) Le quotidien de François et de ses élèves est, comme nous l’avons évoqué plus haut, parsemé de conflits, de combats, voire de guerre(s). Parmi ces conflits d’ordres divers, nous aimerions attirer l’attention sur ceux qui mettent en scène l’opposition, d’une façon ou d’une autre, entre la langue officielle, celle enseignée à l’école et le par- ler des jeunes. Dans ce milieu de mixité sociale qu’est le collège, la langue de l’école représente la norme à suivre tandis que le parler des jeunes est considéré comme un moyen de communication « incorrect » qui présente des lacunes de vocabulaire et des inexactitudes dans l’expression. L’extrait suivant en témoigne : – M’sieur ça s’fait pas, vous êtes vénère et vous vous en prenez à moi ça s’fait pas. – D’abord on dit pas vénère, on dit quoi ? – On dit quoi quoi ? – Utilise un vrai mot français, ça changera. – Vous avez la rage et vous vous en prenez à moi, ça s’fait pas m’sieur. – C’est pas à toi de m’expliquer si j’ai la rage ou pas, et maintenant tu te tais parce que ça va mal finir. (Bégaudeau 2006 : 57) Lors de cette dispute, l’une des élèves, Katia utilise l’adjectif vénère, formé à partir de vénérer, faux verlan d’énerver (Goudaillier 1997 : 181), qui est identifié comme un mot non français par le professeur. Ce dernier va « jusqu’à nier la proximité Linguistica_2018_FINAL_2.indd 229 13.3.2019 13:40:40 230 linguistique entre [sa] langue et celle parlée par [les] jeunes car, pour [lui], ʻce n’est plus du françaisʼ » (Dannequin 1999 : 77). Ainsi, l’élève se voit exclure de l’univers de la « langue académique au sens fort du terme, celle de l’autorité, du pouvoir » (Goudail- lier 1997 : 8), le mot qu’elle emploie est considéré comme étranger au domaine de la langue « correcte ». Le synonyme d’être vénère, avoir la rage, qui appartient au registre familier, semble être mieux accepté, il est même répété par le professeur. Le refus d’accepter vénère, mot caractéristique de la langue des cités, peut être dû au fait que : [...] le professeur de lettres, du fait de sa culture, du fait de la position forte qu’il a acquise dans l’univers de la littératie, et du fait de la relation étroite entre sa profession et la norme prescriptive, est assurément l’un des acteurs sociaux les moins bien préparés à considérer que le français dont il est spécialiste et qu’il enseigne – le français écrit, et de surcroît littéraire – n’est pourtant qu’une variété parmi l’ensemble des variétés du français. (Boutet, Gadet 2003 : 17) Cette idée de Boutet et Gadet (2003) semble renforcée par les deux extraits suivants tirés du livre : J’ai fait une colonne avec les mots familiers qu’on ne devait pas écrire, et à côté une autre colonne avec leur conversion acceptable. À gauche engueuler, à droite gronder, ou réprimander, ou tancer. À gauche galère, à droite souci, ou désœuvre- ment. À gauche Macdo, à droite MacDonald’s, ou fast-food. À gauche super belle, à droite très belle, ou éblouissante, ou magnifique, ou superbe. (Bégaudeau 2006 : 108-109) – Déjà, il faut que tu enlèves toutes les expressions orales ou familières, tu comprends ? Sa bouche a formé un oui aphone. J’ai repris la copie afin d’illustrer ma démonstration. – Par exemple il faut mettre les négations. « Je ne fais pas de sport » plutôt que « je fais pas de sport ». J’avais appuyé exagérément sur le ne. – Et tu vois, des trucs comme super-beau, à l’écrit ça se dit pas. (Bégaudeau 2006 : 168) Comme les extraits cités en témoignent, le professeur, suivant une approche claire- ment prescriptive, fait constamment la distinction entre le registre familier et la variante « acceptable » du français. Ainsi, la langue des jeunes et celle de l’école se trouvent op- posées, et les élèves sont amenés à utiliser la variante considérée comme prestigieuse. Quelques lignes après le conflit entre Katia et le professeur, la dispute reprend, cette fois entre Imane et le professeur, François : – Eh monsieur franchement vous charriez trop. – Je peux continuer mon cours ? Linguistica_2018_FINAL_2.indd 230 13.3.2019 13:40:40 231 – Sur ma vie vous charriez trop. – T’as qu’à conjuguer le verbe s’émouvoir au passé composé, si tu veux absolu- ment l’ouvrir. (Bégaudeau 2006 : 57) Imane reproche à son professeur de trop charrier. Le verbe charrier dans le sens d’« exagérer » 3 relève du français familier. C’est ici un moyen d’exprimer le mécon- tentement de l’élève et, compte tenu de son caractère non standard, il confère une plus grande expressivité aux paroles d’Imane. Comme réponse, le professeur rejette l’utilisation de ce mot par un exercice de conjugaison relevant du domaine du fran- çais standard. L’un des plus grands conflits du roman se déroule entre Sandra, Soumaya et leur professeur, François : – Je m’excuse mais moi, rire comme ça en public, c’est c’que j’appelle une at- titude de pétasses. Elles ont explosé en chœur. – C’est bon, on est pas des pétasses. – Ça se fait pas de dire ça, m’sieur. – J’ai pas dit que vous étiez des pétasses, j’ai dit que sur ce coup-là vous aviez eu une attitude de pétasses. – C’est bon, c’est pas la peine de nous traiter. – Ça s’fait pas monsieur d’nous traiter. – On dit pas traiter, on dit insulter. – C’est pas la peine de nous insulter de pétasses. – On dit insulter tout court, ou traiter de. Mais pas un mélange des deux. Je vous ai insultées, ou alors je vous ai traitées de pétasses, mais pas les deux à la fois. (Bégaudeau 2006 : 83) Le professeur décrit le comportement des deux filles comme une « attitude de pé- tasse ». Pétasse, à l’origine, signifie « prostituée » (Colin, Mével, Leclère 2006 : 597) mais il est utilisé ici sans connotation sexuelle comme un terme injurieux à l’adresse des filles. Cette fois, c’est donc le professeur qui emploie un mot non standard, doté d’une expressivité particulière, pour qualifier la conduite de ses élèves. Ces dernières s’indignent des paroles du professeur, peut-être non seulement en raison du sens véhi- culé par le mot mais également du fait que de par son emploi le professeur a essayé de se positionner plus près d’elles. Le verbe traiter (forme abrégée de l’expression traiter quelqu’un de tous les noms) dans le sens d’« insulter quelqu’un » ou « couvrir quelqu’un d’injures » 4 est souvent utilisé dans la langue des cités. Enfin, le dernier extrait du roman que nous souhaitons aborder met en scène un autre élève, Baidi, et le professeur : 3 http://atilf.atilf.fr/, consulté le 15 juin 2017. 4 http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/nom, consulté le 15 juin 2017. Linguistica_2018_FINAL_2.indd 231 13.3.2019 13:40:40 232 – Mes parents ils sont pas là. – Comment ça ? – Ils sont au bled. – Et t’as pas des frères et sœurs ? – Wesh y’a mes grands frères. – D’abord on dit pas wesh, et après tu leur feras signer à tes grands frères. (Bé- gaudeau 2006 : 95) Dans ce dialogue, Baidi utilise bled (village, ville ou pays d’origine), un substantif argotique d’origine arabe qui est largement attesté dans la langue des cités (Goudaillier 1997 : 53) et l’interjection wesh qui appartient également au français des cités. Le pro- fesseur, lui, ne fait que refuser l’emploi de wesh. 4. VARIÉTÉS DE LANGUE NON STANDARD Entre les murs de François Bégaudeau met en scène, comme nous venons d’en donner un avant-goût par les extraits analysés, un large éventail de variétés de langue non stan- dard. Dans ce qui suit, nous tâcherons de répartir les éléments lexicaux relevés dans le texte selon les différentes variétés de langue. Pour la catégorisation, nous avons em- ployé un dictionnaire général : Le Petit Robert de la langue française et deux diction- naires spécialisés : Grand dictionnaire de l’argot et du français populaire de Jean-Paul Colin, Jean-Pierre Mével et Christian Leclère, et Comment tu tchatches ! Dictionnaire du français contemporain des cités de Jean-Pierre Goudaillier (voir les détails dans les références bibliographiques). Le roman puise dans une grande mesure dans le français familier. Les unités lexi- cales suivantes appartiennent à ce registre de langue : Noms boulot, bordel, bourge, cata, chahut, chieur, clim, connard, connerie, crevard, galère, gamin, gars, infos, machin, maquereau, merde, mytho, nana, pétasse, putain, pute, truc, type Adjectifs archi-simple, bébête, bonbon, con, cramé, dingue, foutu, hyperclose, hyperfriqué, hypertragique, rageant, sacré, super- normal, super-sage, sympa, tranquillou Verbes et locutions verbales bosser, bousiller, se casser, causer, charrier, chauffer, chier, chiper, débarquer, dégager, embêter, emmerder, se démerder, s’en ficher, s’en foutre, gueuler, lester, se la péter, picorer, piger, se planter, pleurnicher, postillonner, potasser, sécher, touiller, avoir la rage, avoir ras le bol, s’en battre les couilles, se casser la tête, foutre le bordel, foutre la merde, foutre en l’air, foutre un bourdon, foutre la paix, foutre les boules, péter les plombs, faire pisser le sang, se faire trouer Les exemples identifiés présentent divers procédés sémantiques et formels de créa- tion lexicale. Parmi les procédés sémantiques, nous pouvons évoquer la métaphore : Linguistica_2018_FINAL_2.indd 232 13.3.2019 13:40:40 233 galère (situation difficile). Les procédés formels caractéristiques sont la troncation par apocope : cata (catastrophe), clim (climatisation), mytho (mythomanie), sympa (sym- pathique), etc. ; la préfixation : archi-simple, hyperfriqué, super-sage, etc. ; la suffixa- tion : connard (con), crevard (crever), tranquillou (tranquille), etc. ; et le redoublement de la syllabe initiale : bébête (bête), bonbon (bon). À part le français familier, le lexique appartenant au français contemporain des cités est présent dans une mesure considérable dans l’œuvre. Nous avons repéré les mots suivants : poucave (dénoncé), faire crary (se vanter), seum (haine, rage), souk (grand désordre), wesh (interjection), shit (drogue), clash (conflit), s’en battre les yeuks (s’en battre les couilles), renps (parents), cheum (moche), golri (rigoler), vénère (énerver), séca (casser), ouf (fou), coi (policier, flic), pédé (pédéraste), traiter quelqu’un (insulter) Ils attestent l’emprunt aux langues tsiganes : poucave (dénoncé), faire crary (se van- ter), arabe ou berbère : seum (haine, rage), souk (grand désordre), wesh (interjection), et à l’argot (slang) anglo-américain : shit (drogue), clash (conflit). Parmi les procédés for- mels, nous y trouvons un certain nombre de déformations verlanesques : s’en battre les yeuks (s’en battre les couilles), renps (parents), cheum (moche), golri (rigoler), vénère (énervé), séca (casser), ouf (fou), qui permettent de « faire une langue «en miroir» qui manifeste la différence de locuteurs refusant de se reconnaître dans la langue normée » (Messili/Ben Aziza 2006 : 3). Enfin, il y a également un exemple d’abréviation : traiter quelqu’un (traiter quelqu’un de tous les noms), un exemple de troncation par apocope : pédé (pédéraste) et le mot coi dont l’origine semble incertaine : il est formé soit par aphérèse de McCoy, héros d’une série policière américaine, soit par apocope de coyotte (Goudaillier 1997 : 76). Quant à l’argot traditionnel, nous avons repéré dans le roman trois mots d’origine argotique qui sont également employés de nos jours dans les cités. Baston (bagarre), déverbal de bastonner, est issu du vieil argot français (Colin/Mével/Leclère 2006 : 51 ; Goudaillier 1997 : 47), pétard (pistolet) provient d’un substantif argotique (Co- lin/Mével/Leclère 2006 : 597), alors que bled (village, ville ou pays d’origine) est un substantif argotique d’origine arabe (Colin/Mével/Leclère 2006 : 80 ; Goudaillier 1997 : 53-54). Enfin, certains exemples relèvent du domaine du jargon de l’enseignement : philo (philosophie), agreg (agrégation), récré (récréation), et témoignent également de la présence du langage non conventionnel dans le roman. 5. EN GUISE DE CONCLUSION « Ne rien dire, ne pas s’envoler dans le commentaire, rester à la confluence du savoir et de l’ignorance, au pied du mur. Montrer comment c’est, comment ça se passe, comment ça marche, comment ça marche pas. Diviser les discours par les faits, les idées par des gestes. Juste documenter la quotidienneté laborieuse. » Ces quelques lignes que nous pouvons lire sur la quatrième de couverture peuvent être considérées comme le credo du Linguistica_2018_FINAL_2.indd 233 13.3.2019 13:40:40 234 livre. Le caractère documentaire de l’œuvre et la fidélité à dépeindre les événements dans leur réalité justifient le recours à l’emploi de divers registres et variétés de langue non standard (français familier, français contemporain des cités, argot et jargon). L’histoire qui se déroule dans une école de la République met en scène des jeunes de différentes origines utilisant une langue qui leur est propre afin de se démarquer du français acadé - mique, ce français enseigné à l’école, symbole du pouvoir et de l’autorité. Les conflits qui émergent au fil du roman montrent qu’entre les murs, mais également hors les murs, les mots peuvent bel et bien s’avérer des outils de combat, voire de guerre. Corpus BÉGAUDEAU, François (2006) Entre les murs. Paris : Gallimard. 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Linguistica_2018_FINAL_2.indd 234 13.3.2019 13:40:40 235 Résumé LA GUERRE DES MOTS DANS LA CLASSE : LES V ARIÉTÉS LINGUISTIQUES NON STANDARD DANS ENTRE LES MURS DE FRANÇOIS BÉGAUDEAU Entre les murs de François Bégaudeau présente la vie d’une classe d’un collège parisien durant une année scolaire. Ce collège qui accueille des élèves de milieux défavorisés est le théâtre de conflits où s’affrontent élèves et professeurs. La pré- sente étude a pour objectif principal d’analyser comment les mots peuvent devenir un outil de combat ou de guerre dans la classe. Après un bref aperçu de la diversité linguistique caractérisant l’éducation en France, notre article se propose d’étudier des extraits de dialogue entre les élèves et leur professeur principal et d’explorer l’importance et la fonction des éléments de langue non conventionnels qui appa - raissent dans l’œuvre. Mots-clés : collège, mixité sociale, banlieue, guerre, variétés non standard Abstract WAR OF WORDS IN THE CLASSROOM: NON-STANDARD LANGUAGE VARIETIES IN FRANÇOIS BÉGAUDEAU’S THE CLASS François Bégaudeau’s The Class depicts the life of a class in a junior high school in Paris during a school year. This high school, which is attended by students from unprivileged social classes, is a theatre of conflicts between students and teachers. This study aims at analysing how words can become an instrument of war in the classroom. After a short overview of the linguistic diversity characterising educa - tion in France, our article studies excerpts of dialogues between students and their head teacher and explores the importance and function of the non-standard language represented in the book. Keywords: junior high school, social diversity, suburbs, war, non-standard varieties Povzetek BESEDNA VOJNA V RAZREDU: NESTANDARDNE JEZIKOVNE ZVRSTI V ROMANU RAZRED (ENTRE LES MURS) FRANÇOISA BÉGAUDEAUJA Roman Razred (Entre les murs) Françoisa Bégaudeauja predstavlja dogajanje v enem od višjih razredov osnovne šole v pariškem predmestju. Šola, ki jo obiskujejo večinoma učenci iz socialno šibkejših okolij, je kraj, kjer se spopadajo učenci in učitelji. Najpomembnejši cilj pričujoče študije je analizirati, kako lahko besede postanejo oro- dje spopada oziroma vojne v razredu. Po kratkem pregledu jezikovne raznolikosti, ki je Linguistica_2018_FINAL_2.indd 235 13.3.2019 13:40:40 236 značilna za šole v Franciji, se lotimo analize odlomkov dialogov med učenci in njiho- vim razrednikom ter preučimo pomen in funkcijo nestandardnih jezikovnih elementov, ki se pojavljajo v delu. Ključne besede: šola, družbena razslojenost, predmestje, vojna, nestandarne jezikovne zvrsti Linguistica_2018_FINAL_2.indd 236 13.3.2019 13:40:40