Received: 2017-03-23 Original scientific article ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 DOI 10.19233/AH.2017.08 LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE MOITIÉ DU XVIe SIÈCLE Lucien FAGGION Université d'Aix-Marseille, CNRS, TELEMME UMR 7303 -Maison méditerranéenne des sciences de l'homme , Aix-en-Provence, France e-mail: lcnfaggion@gmail.com EXTRAIT L'objectif de cette analyse est de saisir les actes de violence (vengeances) commis à Vicence et dans son territoire dans la seconde moitié du XVIe siècle, des actes transmis à la juridiction du tribunal citadin (le Consulat), composé de douze nobles locaux, parmi lesquels quatre consules provenant du Collège des Juges - expression des statuts et de l'idéologie nobiliaire, ainsi que des valeurs politiques et culturelles de la Respublica vicentine -, qui s'occupent soit de justice civile, soit de justice pénale, toujours en présence du podestat, qui est un patricien vénitien, et de sa cour (assesseurs). L'intérêt ainsi prêté aux différentes manières d'évaluer et de juger les auteurs d'actes violents criminels (concepts de réparation et de punition, défenses judiciaires offertes aux prévenus) selon les normes insérées dans les pratiques du tribunal vicentin, permet de dégager le rôle assumé par la justice locale, avant que certaines affaires ne soient éventuellement transférées dans les grands tribunaux vénitiens (Avogaria di Comun, Conseil des Dix) ou déléguées dans d'autres cours prétoriennes de la Terre Ferme vénitienne (par exemple, à celle de Padoue). Il est aussi possible de considérer les sentences prononcées (bannissement perpétuel, bannissement à durée déterminée, bannissement ad inquirendum) dans la seconde moitié du XVIe siècle et de dégager comment les acteurs de la justice et les justiciables utilisent le droit et l'outil judiciaire. Mots-clefs: Consulat, consuls, vengeance (faida), coutumes, justice réparatrice, justice punitive, rites judiciaires, bannissement, bannissement ad inquirendum, défense per patrem, sauf-conduit, paix, négociation LA FAIDA E IL CONSOLATO A VICENZA NELLA SECONDA METÀ DEL CINQUECENTO SINTESI L'obiettivo di questa analisi è di cogliere gli atti di violenza (faide) commessi a Vicen-za e nel suo territorio nella seconda metà del secolo XVI, atti trasmessi alla giurisdizione del tribunale cittadino (il Consolato), composto da dodici nobili locali, di cui quattro 131 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 cónsulesprovenienti dal Collegio dei Giudici - espressione degli statuti e dell'ideologia nobiliare, nonché dei valori politici e culturali della Respublica vicentina - che giudicano sia nel foro civile che in quello penale, e sempre in presenza del podestà, un patrizio ve-neziano, e della sua corte (assessori). L'interesse è cosí prestato ai vari modi di valutare e di giudicare gli autori degli atti di violenza (concetti di risarcimento e di punizione) secondo le norme inserite nelle pratiche del tribunale berico, e ci permette di evidenziare il ruolo svolto dalla giustizia locale, prima che certi casi siano eventualmente trasferiti a tribunali veneziani (Consiglio dei Dieci, Avogaria di Comun) oppure delegati ad altre corte pretorie di Terraferma (per esempio, a quella di Padova). Ci consente inoltre di considerare le sentenze comminate (bando perpetuo, bando a durata determinata, bando ad inquirendum) nella seconda metà del secolo XVI e di cogliere come la giustizia viene usata dai vari attori (giudici, imputati, vittime). Parole chiavi: Consolato, consoli, faida, consuetudini, statuti, giustizia riparatrice, giustizia punitiva, riti giudiziari, bando, bando ad inquirendum, difesa per patrem, salva-condotto, pace, negoziazzione 132 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 La conflictualité nobiliaire est intense en Terre Ferme vénitienne dès le début du XVIe siècle et se trouve réprimée par les autorités politiques locales, les villes étant divisées par des luttes de factions qui conduisent à des vengeances (faide) que le patriciat vénitien cherche à combattre (Povolo, 1980, 1997, 2011, 2015a; Muir, 1993; Bianco, 1995). L'étude de ces dissensions permet de dégager la façon dont sont gérées la violence et la criminalité à la fois par les aristocraties urbaines, à la tête des conseils municipaux; par les tribunaux des villes du Dominio et par le patriciat de saint Marc, une gestion de la criminalité qui rend perceptible l'existence d'une « séparation juridique » - tout comme culturelle et politique - entre l'univers diversifié de la Terre Ferme et celui de Venise du début du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle (Cozzi, 1980, 1984; Povolo, 1994, 1997, 2006, 2010). L'analyse de l'activité d'un tribunal de la Terre Ferme - le Consulat de Vicence dans la seconde moitié du XVIe siècle - présente l'intérêt de cerner la mise en pratique de deux traditions judiciaires en matière de répression pénale: il y a, d'une part, celle issue du système romano-byzantin qui privilégie la fonction punitive de la sentence qualifiée de State law; et, d'autre part, celle de la community law, la sanction étant tenue pour réparatrice, censée rétablir l'honneur lésé de la victime et accabler l'auteur de l'acte condamné (Langbein, 1974; Van Caenegem, 1991, 1992; Povolo, 1997, 2007, 2016; Cario, 2010). Dans ce dernier cas, l'atteinte est évaluée dans un contexte privé et résolue par la communauté, la négociation reposant sur des pratiques informelles qui tendent à apaiser les tensions déclenchées par l'acte violent. Cette situation duelle (State law, community law) souligne la mise en pratique de deux types de justice, l'une punitive, l'autre réparatrice, les deux pouvant néanmoins coexister et admettre un système hybride avant que ne s'impose, au XVIIe siècle, le caractère étatique - et punitif - de l'administration judiciaire dans la République de Venise (Povolo, 2007). La justice punitive s'identifie aux exigences politiques du pouvoir central et fait face à une justice réparatrice dominée par les valeurs et l'idéologie communautaire (honneur, vengeance, coutumes) qui soutiennent les innombrables faide divisant les sociétés de la Terre Ferme. L'affirmation de la justice punitive est réalisée par les juristes, la logique politique se situant à l'opposé des valeurs qui marquent l'identité des communautés et la notion de la paix, laquelle doit être entendue comme le garant d'une hiérarchie sociale fondée sur l'honneur et la préséance: on passe ainsi, peu à peu, de « l'ordre de la paix à l'ordre public » (Povolo, 2007). Dès le début de la formation de l'État régional par Venise au XVe siècle, les villes de la Terre Ferme, devenues sujettes, ont pu conserver leurs statuts, privilèges et prérogatives: Vicence voit ainsi préservé son tribunal civil et pénal, le Consulat, magistrature composée de douze nobles, quatre provenant du Collège des Juges (consules iudices) - des professionnels du droit commun, défenseurs des traditions judiciaires et des valeurs de la Respublica vicentine face au pouvoir central -, et huit consuls laïques (consules milites), issus des rangs des députés ad utilia, magistrature de nature oligarchique (Povolo, 1980, 1986; Faggion, 1998). À l'instar des autres grands centres urbains du Dominio, il y a, à Vicence, deux recteurs vénitiens, des patriciens élus par leurs pairs au Grand Conseil de la capitale, afin que ceux-ci mènent durant seize mois l'activité soit de podestat (sphère judiciaire), soit de capitaine (sphère militaire et fiscale). Le Consulat détient un pouvoir 133 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 délibératif ancestral, au même titre que le podestat et la cour prétorienne de ce dernier composée d'assesseurs, au nombre de trois (le vicaire prétorien, le juge du Maléfice et celui de la Raison), lesquels ne peuvent pas être originaires de la ville et du territoire dans lesquels ils sont appelés à exercer leurs tâches (Povolo, 1980, 1991). Puissant tribunal urbain entre les mains des élites locales, le Consulat limite l'activité judiciaire du podestat qui est tenu de respecter les normes et les procédures en vigueur: les statuts citadins figurent en effet comme la source première à laquelle doivent se conformer les administrateurs de la justice pénale, le podestat ne pouvant pas agir seul, ni en toute liberté. Les pouvoirs coercitifs étendus du Consulat attribuent à ses douze membres le prestige et la prééminence politique: le tribunal vicentin est un instrument qui permet d'éviter les lois, de couvrir des délits et des abus commis dans la ville et son contado, selon une logique de la réparation garantie par la coutume et les statuts (Povolo, 2016). Déjà, lors de l'ouverture d'un procès, les consuls - défenseurs des pratiques judiciaires, sociales et culturelles locales - ont le droit de s'exprimer en premier, de donner leur avis, en précédant aussi bien les assesseurs de la cour prétorienne que le podestat lui-même, une séance judiciaire ne pouvant pas être tenue sans la présence des consuls ou, au moins, de sept d'entre eux. Les membres du tribunal délibèrent sur la sentence à prononcer, un privilège partagé avec le podestat et la cour prétorienne. La dénonciation d'un crime se fait à l'office du Maléfice; une fois celle-ci enregistrée, seul un consul se transfère sur le lieu où s'est produit l'homicide et où il recueille les premiers témoignages sans devoir être assisté par le juge du Maléfice. Les premières expertises et les témoignages ayant été réalisés, le consul remet le procès instruit à l'office du Maléfice et donne son avis sur celui qui doit être appelé soit en tant que témoin, soit en tant que prévenu. L'instruction est achevée par le juge du Maléfice qui prépare un résumé en présence des consuls, du podestat et des assesseurs (Viggiano, 1985; Povolo, 1991). C'est au cours de cette phase que les avocats des deux parties interviennent et communiquent, par écrit ou de vive voix, leur opinion, le procès se déroulant à portes ouvertes. Celles-ci closes, tous les membres s'expriment, expliquent leur choix et, enfin, votent. À défaut de pouvoir disposer des procès instruits par le Consulat au XVIe siècle, qui ont disparu, il est possible de se rapporter aux indications, toutefois peu détaillées, qui figurent dans les registres des bandits - bannis - du tribunal, selon des règles communes à d'autres villes d'Italie (Cavalca, 1978), et rangées en trois rubriques: la première concerne la date de la mise par écrit de l'accusation (la signatura) et les éventuels changements ayant trait à la sentence; la deuxième indique le nom des prévenus; enfin, la troisième, la sentence. En dépit de la parcimonie des informations fournies, on connaît les peines infligées et les éventuelles modifications apportées à celles-ci. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le tribunal vicentin applique une administration pénale propre sur le plan local, une justice réparatrice où les valeurs culturelles et politiques, ainsi que l'idéologie nobiliaire, sont défendues; il rend perceptible l'existence du système vindicatoire, les logiques de la négociation, de la réparation et de la pacification, alors que le pouvoir central, caractérisé par la mise en œuvre d'une justice punitive et la notion de l'ordre public, se fonde sur le principe de l'autorité et fait intervenir le Conseil des Dix ou l'Avogaria di Comun, afin de briser les 134 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 solidarités urbaines, ou délègue les affaires instruites dans d'autres cours prétoriennes de la Terre Ferme dans le respect des traditions judiciaires locales. LE SYSTÈME VINDICATOIRE ET LA NÉGOCIATION À l'instar des autres tribunaux citadins de la Terre Ferme, le Consulat de Vicence a pu maintenir son contrôle sur la criminalité et la vengeance (faida), en trouvant des solutions juridiquement acceptées et cautionnées par la coutume et les statuts locaux. Ces derniers légitiment la notion (et la préservation) de l'honneur aristocratique (pureté et ancienneté du lignage) tout comme la recherche d'une paix à conclure entre les parties antagonistes (Povolo, 1997, 2007). Composé d'une élite d'hommes de loi recrutés en fonction de leur formation universitaire en droit, de leur noblesse et de leurs réseaux, le Collège des Juges de Vicence permet à l'aristocratie de jouer un rôle de médiation, de négociation et de compromis dans le cadre de la coutume et des procès instruits par le Consulat (Povolo, 1997, 2004, 2007; Faggion, 1998, 2002, 2007). Les familles nobles du Dominio, en lutte pour les pouvoirs locaux et la défense de leur status, menacées par l'émergence de groupes sociaux nouveaux et riches (marchands, juristes, médecins) - désireux d'obtenir la voix politique au sein des Conseils municipaux -, sont entraînées dans des conflits qui mettent à jour une opposition entre la hiérarchie de l'honneur, liée au status nobiliaire, et la hiérarchie de la richesse, qui se rattache aux compétences professionnelles et au talent. L'intensité des dissensions rend compte d'un langage de la violence et de la vengeance qui est finement articulé et dépend d'un code de comportements et de règles spécifiques et rationnelles, motivés par la préservation de l'honneur face à l'affirmation de groupes émergents fortunés qui aspirent à la reconnaissance sociale et à la participation aux affaires publiques. Aussi les familles en litige se trouvent-elles amenées à rechercher une réparation selon des procédés cautionnés par les élites citadines, la coutume et les lois municipales; par le Consulat et le Collège des Juges, qui instaurent un nouvel équilibre rompu par l'homicide, des pratiques réparatrices cependant désapprouvées par le groupe dirigeant vénitien qui veut rompre la logique de la réciprocité et affaiblir l'autorité nobiliaire traditionnelle au profit des intérêts des groupes émergents, nouveaux interlocuteurs du pouvoir central. De prestigieuses familles de l'aristocratie de Vicence, telles les Capra et les da Porto, à la tête de puissantes factions qui se disputent l'hégémonie urbaine, ou la Casa Trissino, composée de plusieurs lignages (colonnelli), connaissent des différends importants dont le seul langage possible, en mesure de rétablir une paix acceptée par tous et idéalement durable, est celui de la vengeance et de sa ritualisation, l'idée de parité à instaurer entre les parties antagonistes étant essentielle (Povolo, 1997, 2015a; Faggion, 2002, 2007). Aussi l'héritage de Ciro Trissino « dal Vello d'Oro » - une branche issue du colonnel-lo des Miglioranza - accordé par son père l'illustre humaniste Giangiorgio, l'ami des papes Médicis et de l'empereur Charles Quint, soulève la jalousie, le ressentiment et la formation de groupes rivaux au sein de la famille et de la parenté. Ces sentiments sont à l'origine de plusieurs homicides perpétrés par des membres de la Casa Trissino dans le dernier tiers du XVIe siècle, des gestes criminels qui réclament une réponse de la part 135 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 des personnes offensées: après des années de tensions familiales, Ciro est assassiné le 4 février 1576 dans sa demeure de la localité de Cornedo; puis, le 8 avril 1583, au nom de la réparation obligée et du code de l'honneur à préserver, son fils Marcantonio, témoin du crime perpétré en 1576, se venge et assassine à Vicence, le jour du vendredi saint, son cousin Giulio Cesare qu'il tient pour responsable de la mort de son père (Povolo, 2015a; Faggion, 2002). Quoique de tels meurtres caractérisent la vie des cités de la Terre Ferme depuis les premières décennies du XVIe siècle, l'émotion est chaque fois très forte à Vicence. Certains Trissino - Ippolita, la mère de Giulio Cesare, et Francesco, l'oncle de celui-ci - demandent une réparation qui soit pensée à Venise - au lieu du tribunal local qui participe des idéaux, réseaux et factions nobiliaires -, et les autorités se mobilisent. Aux yeux de la partie blessée, les « dal Vello d'Oro » en 1576, l'honneur mérite d'être restauré, ce qu'accomplit Marcantonio en 1583. Mais la logique de la réciprocité nécessite également une réponse au meurtre de Giulio Cesare. Ainsi Ranuccio Trissino, en décembre 1588, tue l'épouse et le nouveau-né de Pompeo, frère aîné de Marcantonio. Ces différents crimes, qui ont défrayé la chronique de l'époque, passent pour avoir été mus par un acte irraisonné, sauvage et aveugle, alors que celui-ci se fonde en réalité sur un code de l'honneur spécifique, légitimé par la coutume et les statuts, une pratique interrelationnelle qui se trouve exprimée par la rhétorique et la culture judiciaire (Povolo, 2004, 2015a, 2015b; Faggion, Regina & Ribémont, 2014). Les mots de l'émotion (« odio », « ira », « furore »), abondamment utilisés par les justiciables et les hommes de loi, rendent compte des stratégies mises en acte par tous ceux qui sont amenés à solliciter la justice, à atténuer et à modifier l'évaluation que doit émettre le juge. C'est ainsi qu'au mois d'avril 1583, le Consulat instruit un procès criminel contre trois membres de la famille Tagliaferro - Giordano, fils d'Alberto; Marco, fils de feu Battista; Giordano, fils d'Andrea -, et contre Girolamo Scalzeto, tous originaires de la localité de Celsano (BCB-Vi, AT, SC, 1138, f° 269v°): contra quos [les Tagliaferro et Girolamo Scalzeto] processum fuit per nos [les membres du Consulat] et curiam nostram [la cour prétorienne] ad denunciam decani ville Celsani secundum processum formatum per spectabilem dominum consulem de eo et super eo quod in die lune post diem Pasquatis Resurectionis Domini Nostri Iesu Christi 16 aprilis [...] adecclesiam sancti Sepulchri ex ortu rixa inter illos de Tagliaferro et non nullos mollendinarios a ponte barbarani cum in dicta rixa remansirent vulnerati Andreas supradictus etMarcus Tagliaferro irra et furore [nous soulignons]. Le langage de l'émotion contribue à atténuer la gravité d'un crime qui passe dès lors pour un homicide pur perpétré sans préméditation, comme l'atteste en avril 1583 l'assassinat de Giulio Cesare Trissino par Marcantonio Trissino, emporté dans son acte sanguinaire par la « fureur » (Povolo, 2015a), alors que des expressions telles que « homicidio insidioso », « homicidio commesso cum malis qualitatibus » ou « homicidio pensato » (« homicidio apensato »), renvoient à un acte prémédité, le plus souvent exprimé par les termes d'excès et de rixe (« pro excessu », « rixa », « rissa »), à une vengeance conduite grâce à un « auxilium » prêté par des proches et des amis, censée restituer l'équilibre brisé 136 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 entre des groupes antagonistes, à l'instar de ce qui se produit, également en avril 1583, avec les Tagliaferro, responsables de la mort de Vincenzo Luchete. Se fondant sur la coutume et les statuts, le Consulat parvient à envisager des solutions qui relèvent de la justice réparatrice, l'ordre de la paix étant souhaité par tous, reposant soit sur la rédaction d'un acte de réconciliation, soit sur le versement d'une somme d'argent qui constitue un dédommagement négocié entre les parties, soit sur les deux. Aussi, dans la Prattica Criminale publiée en 1622, le chancelier vénitien Lorenzo Priori, actif dès 1570 dans les chancelleries des villes de la Terre Ferme, au service des patriciens élus podestats, écrit que: [...] i liberati et assolti non possano ritornar nella città o luogo di dove fossero stati banditi se non haverà la carta dellapace dell'offeso [nous soulignons], et havuta non possa né anco in essa andare se non dopofinito il tempo di quel rettore che l'haverà bandito [...]. Et per quella legge 1540 18 decembre il bandito non si pud liberare se non sei mesi dopo quel reggimento che l'haverà bandito, et conviene anco havere la carta della pace con l'offeso [nous soulignons], legge 1568 12 ottobre (Priori, 2004, 62, 64; Marcarelli, 2004; Menegon, 2004). L'affaire de Pietro Bartolomei est révélatrice de ces résolutions admises par le tribunal vicentin. Quoiqu'il ne soit pas possible de connaître les détails de l'homicide perpétré par Pietro Bartolomei, originaire de la localité de Valle Tosina, on apprend que celui-ci est absous le 11 avril 1573 et doit payer une somme de cent livres: « Absolvatur apoena homicidii et pro excessu in libris centum parvorum Magnificae Comunis quarum quarta pars ex arbitrio et hoc ante quod exeat ex carcere » (BCBVi, AT, SC, Libri dei Banditi, 1106, f° 14v°). Il est probable que les protagonistes se soient réconciliés, moyennant le versement d'une somme d'argent à la partie lésée, comme c'est sans doute le cas, le même jour, pour le noble Giovanni Capra, fils de l'homme de loi Alessandro, membre du Collège des Juges, dont « soluta fuit post publicationem in contatis ut in autentico [...] Joannes Capra quondam spectabilis legum doctoris domini Alessandri excusatus, in libris centum parvorum Comuni Vincentiae quarum quarta pars pro toto excussu ex arbitrio » (BCBVi, AT, SC, Libri dei Banditi, 1106, f° 15r°). Le cas des frères Antonio Maria et Andrea Branzi Loschi, fils du noble Marcantonio, s'avère également instructif à cet égard: le 30 janvier 1583, ces derniers sont inculpés de voies de faits contre un autre noble, Giuseppe Fracanzan, à l'encontre duquel ils nourrissent de la haine (« odium »). Ils sont tenus de régler la somme de trois cents livres, que leur père Marcantonio se charge d'acquitter, destinée à la Commune de Vicence, car la sentence a été commuée en peine pécuniaire, donc atténuée, en raison de la paix conclue entre-temps (BCBVi, AT, SC, 1138, f° 273): Antonius Maria et Andreas fratres filios domini Marcantonii Brantii de Luschis contra quos processum fuit et est per nos et curiam nostram super querella contra eos per viam constituti instituta per dominum Joseph Francazanum et processu super ea formato de eo quod cum predicti querellati odium [nous soulignons] prosequentes in 137 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 dictum dominum Joseph [...]. Antonius Maria et Andreas de Branciis condemnentur in libris tercentis denariorum parvorum insolidum comuni Vincentiae quarum quarta pars applicetur reparationi pontium iuxta partem mitigata pena propterpacem [nous soulignons] pro toto excessu ex arbitrio quas libras tercentas solvere debbeant ante-quam exeant [...]. L'affaire instruite le 1er septembre 1584 concerne une autre vengeance commise par les frères Pietro, Parisio, Guerino et Mandricardo de Bavis, de la localité de San Giovanni Illarione, tout comme par Francesco Soprana et Bernardino Birono, qui sont bannis et condamnés à dédommager Giovanni Carlotto, le fils du défunt, ainsi que Zeno et Domenico Carlotto (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1107, f° 4r°). Les six inculpés sont donc perpetuo banniti de Vincentia, Padua, Verona, Tarvisio et suis districtibus a Plavi et Mintio citra et de inclita Civitatis Venetorum et Ducatu pro homicidio insidioso et appensato comisso [nous soulignons] et si pervenerint quod decopentur et eorum cadavera in quattuor partes dividanda appendendas super furcis locis solitis et salvis promissis insolvendis ad dandum filio Joannis defuncti ducatos centum correntes et Zeno et Domenico Carlotto ducatos 50 pro quoque pro eorum iniuria, damnis, salvo iuro procedendi contra alios liquidendos. Les affaires de vengeance sont peu explicitées dans les registres du Consulat: l'indication de « mandante » permet pourtant de relever l'existence de ce type de crime très diffus au XVIe siècle. Ces cas ne sont pas publiés, lorsque les prévenus se présentent spontanément en prison (« se personaliter carceribus presenterunt »): il en va ainsi du « mandante » Gasparo Cribele, de Lorenzo Cribele et de Girolamo Zupega, deux « man-datarii tutti de Zossan districto de Vicenza » (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1106, f° 44r°), accusés d'« homicidio apensato». De façon analogue, le 31 janvier 1587, les frères Giovanni, Gasparo et Giovan Maria Lorenzoni sont qualifiés de « mandates », tandis que les frères Mioto et Giovanni Zamfrati, les frères Battista et Andrea Mallosi, et Stefano Pazzola sont les cinq « mandatarii » d'une vengeance qualifiée d' « homicidio apensato et convincto » (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1106, f° 52r°). Dans le cadre coutumier et statutaire, même les actes les plus violents, ayant provoqué la mort, peuvent donc être résolus à l'amiable entre les parties concernées, grâce à un compromis qui conduit le notaire à officialiser la pacification obtenue en rédigeant un document: ainsi, le 20 juillet 1564, les frères Andrea et Battista Zanco, fils de Bartolomeo, « non fuerunt publicati quia Andreas habuit pacem [nous soulignons] et solverunt actum ». Andrea est banni initialement pour une durée de trois ans de Vicence et de son territoire, de la ville de Bassano et pour trois mille au-delà des confins. Cependant, la paix ayant été scellée, il est décidé qu'Andrea Zanco « sit absolutus a banno », grâce au règlement d'une somme de 50 livres pour l'offensé, lequel doit également recevoir cent livres de Battista (BCBVi, AT, SC, Libri dei Banditi, 1105, f° 10v°). La recherche de la paix s'avère essentielle comme le prouve, par exemple, le 22 septembre 1565, Giuseppe Sutoris, fils de « messer » Michele, de Vicence, qui est condamné à un bannissement de trois ans, à un 138 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 emprisonnement de trois mois et à une récompense (taglia) de 25 livres, l'inculpé pouvant se libérer de sa condamnation à la condition de conclure un acte de paix avec Gasparo Cremona, le père du défunt Stefano, et de lui remettre 50 ducats en or (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1105, f° 28v°): « bannitus de Vincentia et vincentinu districtu et de Bassano ac de aliis locis per annos tres proximos futuros et donec ad penam carceris per menses tres et iterum revertatur cum talea [prime pour la capture] » de 25 livres, « cum declaratione predictus Joseph possit se liberare a banno predicto habita pace [nous soulignons] a Gaspare Cremona patre Stephani defuncti solvendo eidem ducatos quinquaginta auri ». La mention du banni Giuseppe Sutoris est biffée du registre du Consulat le 24 septembre 1568, car la durée de la condamnation a expiré: l'inculpé peut désormais être intégré dans sa communauté. Sous le « reggimento » du podestat Andrea Dolfin, Alvise Trissino, fils de Pietro, et Battista, son « carocerius », sont inculpés le 23 décembre 1586 d'une agression commise contre Raimondo Paltono, le nom du noble vicentin ayant été biffé le lendemain du registre du Consulat, en raison de la pacification réalisée avec la partie adverse (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1107, f° 51v°): Quod dictus Aloysius sit banitus de Vincentia et vincentinus districtus et de Bassano et eius territorio et per tria milliaria ultra confines bassani et de quattuor locis per annos quinque; et sit extra protectionem et possit impune offendi, et si conductus fuerit stet clausum in carcere per menses tres et postea revertatur ad banum tunc incepturum et solvat captoribus libros 25, et salvis promissis condemnetur in ducatis centum per ipsum dandis Domino Raimondo Paltono pro eius iniuria quos solvat antequam exeat ex carcere cum declaratione quod secuta pax inter ipsos quod intelligatur absolutus a dicto banno [nous soulignons] et banitus tantum modo per annum de Vincentia et burgis adpenam carcerisper mensem, et contra Baptista ultrascriptus non procedatur. Le registre mentionne l'arrangement accompli au nom de la justice et de l'ordre, hors des salles du tribunal, Alvise Trissino s'étant engagé à faire la paix avec la victime Raimondo Paltono: Cancellatum nomen et bannitum contrascripti Domini Aloysii Trissini mandata cla-rissimo potestatis [Andrea Dolfin] ita comittere suo excellentissimo domino vicario ex relatione Philomeni per et hoc stante pace secuta intervenientem dictum dominum Alyosium [nous soulignons] ex una et Raymondum Paltronum ex alia ut constat instrumento rogato per Dominum Benedettum Bascianum notarium publicum sub die 24 mensis septembris. Fidèle à la négociation et à la préservation des hiérarchies sociales, le Consulat prononce ainsi des peines qui sont souvent modifiées au fil du temps: c'est par exemple le cas de Giovanni Caltran, fils de feu Pietro, « vincentinus civis dictusNodarin », qui est signalé dans les registres du tribunal le 3 août 1585, puis le 2 septembre 1598 (BCBVi, AT, SC, 139 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 Libro dei Banditi, 1107, f° 19v°). Le 3 août 1585, Giovanni Caltran et Agostino, fils de feu Gregorio de Agostini, surnommé Merlo, de la localité de Caltrano, sont condamnés au bannissement pour une durée de douze ans ou à l'emprisonnement en cas de capture et, dans ce cas, avec la promesse d'une prime de 50 livres pour ceux qui les appréhendent; à une somme de 150 ducats à régler à l'une des deux victimes, Giacomo, et de 25 ducats destinée à Pietro Rancio, « similiter offenso », avant de sortir de prison: de Vincentia et vicentino districtu et per 15 miliaria ultra confines et de aliis terris et locis per annos duodecim ad poenam carceris cum talia libras quinquaginta danda captoribus et salvis promissis in ducatis centum quinquaginta currantibus pro ipsos in solidum dandis Giacomo offenso, et similiter in ducatis viginte quinque in solidum solvandis Petro Rancio similiter offenso pro eorum iniuriis, damnis et quas condem-nationes solvere deberant ante quam exeant ex carceribus [nous soulignons]. Finalement, le 2 septembre 1598, sont biffés du registre le nom du contumace Giovanni Caltran et la mention de la peine, « cancellatum nomen et bannitum contrascripti Joannis Caltrani in executione mandati clarissimi domini potestatis », alors que figurent les indications relatives à son bannissement perpétuel, sous peine de mort en cas de capture à l'intérieur des terres dont il a été exclu: «perpetuo bannitus de Vincentia et vincentino districtu et per 15 miliaria ultra confines et de inclita Civitate Venetiarum et Ducatu et de aliis terris et locis ad poenam capitis per homicidio puro », la pacification n'ayant pas été réalisée (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1107, f° 24r°). Il arrive aussi que soit rayé le nom du prévenu si celui-ci se présente spontanément à la justice et effectue sa défense, avant même la diffusion du mandat du podestat qui le cite à comparaître: le 17 novembre 1584, Francesco Zambonini, surnommé Cechon, fils de feu Bernardino, originaire de la localité de Quinto, est inculpé d'homicide pur, mais le mandat n'a pas été « publicus quia ante publicationem fuit [Francesco Zambonini] detentus et admissus adfaciendum deffensiones suas » (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1107, f° 8r°). Néanmoins, quelques semaines plus tard, le 5 décembre, après avoir pu se défendre et avoir subi les interrogatoires, sa peine est fixée, le Consulat ayant décidé que Francesco Zambonini soit envoyé à Venise, puni de la peine des galères pour trois années consécutives et, en cas d'inaptitude, emprisonné durant six mois, avant d'être banni définitivement: « Venetias adserviendum super trimeribus condemnatus in compendibus per remiga per annos tres continuos et sine erit habilis quod stet clausus in carcere reato per menses sex et postea sit bannitus perpetuo de Vincentia et districtu 15 miliaria 4 locis Civitatis Venetorum et Ducatu cum pena carceris » (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1107, f° 10r°). CONTRÔLE SOCIAL, RITES JUDICIAIRES ET AUTORITÉ DE L'ÉTAT Les peines prononcées par le tribunal vicentin dans la seconde moitié du XVIe siècle ne sont pas nombreuses: on compte l'amende pécuniaire, les galères, l'amputation, la peine capitale. La condamnation aux galères est préférée à la peine de mort, aux ampu- 140 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 tations, aux expositions publiques, mais c'est en réalité le bannissement (perpétuel, à durée déterminée, ad inquirendum), lié au système coutumier de la vengeance, qui est le plus souvent infligé, dès lors que le prévenu est déclaré contumace. Cette propension à bannir s'affirme dès la loi du 15 mai 1545, approuvée d'abord par le Sénat, puis par le Grand Conseil, cette peine étant considérée comme « extraordinaire » par les juges qui peuvent agir selon l'arbitirum, lorsqu'il y a des circonstances atténuantes ou des doutes susceptibles d'innocenter le prévenu (Viaro, 1980). À l'instar de ce qui se produit ailleurs en Italie, le prévenu peut se présenter avant la sentence définitive de condamnation au bannissement, obtenir l'annulation de celle-ci et se disculper, en ayant réglé au préalable une peine pécuniaire (Cavalca, 1978, 169). La prudence caractérise le bannissement, les présupposés pour sa validité étant la notification au prévenu en mains propres et, en l'absence de celui-ci, à son domicile (Cavalca, 1978, 172-173): à cette occasion, il est nécessaire de spécifier le crime attribué, répéter que le prévenu, cité à comparaître, ne s'est pas présenté dans les délais prescrits et indiquer la peine que le fugitif encourt s'il est capturé. Le dernier acte de la procédure d'expulsion est la signalisation du contumace dans un registre approprié, qui est tenu par le Consulat de Vicence, car tous doivent savoir qui a été banni, le podestat, de son côté, faisant figurer le nom du fugitif, la cause du bannissement, le montant de la somme de la condamnation et mettre à la disposition du groupe dirigeant la liste des accusés contumaces. Instrument de lutte politique et de contrôle social, le bannissement constitue un langage implicite de la vengeance et implique les valeurs à la fois de justice réparatrice, favorable à la victime et contraignant l'offenseur à réparer le tort causé, et de justice punitive, expression du pouvoir central qui ignore les alliances et les factions nobiliaires citadines. Aussi cette peine doit être comprise comme un outil destiné à établir une trêve, afin que les groupes en litige parviennent à un accommodement. C'est seulement après cette phase de discussion et, partant, de négociation, suivie de la paix, que le Consulat reconnaît au banni le droit de réintégrer la communauté dont il a été exclu. Dans le cadre du système vindicatoire, la résolution assurée par le tribunal local, qui aspire à sauvegarder les valeurs nobiliaires traditionnelles et à maintenir les équilibres sociaux, se trouve traduite par la peine de bannissement, l'exclusion du bandit, la possibilité de tuer le fugitif qui cherche à retourner dans le territoire interdit, la négociation et la conclusion d'une paix, qui offre au condamné la garantie de revenir à Vicence et dans son territoire, dans un environnement social en principe apaisé. Qu'il soit perpétuel ou provisoire, le bannissement traduit les exigences de la justice pénale et le rôle d'équilibre qu'il convient d'établir entre la victime et l'inculpé. La peine la plus sévère est le bannissement perpétuel de l'ensemble de l'État vénitien, ainsi que de tous les navires, qu'ils soient armés ou désarmés (« tam parte terrae quam maris et naviliis armatis et ex armatis »). Aussi bien à Venise qu'en Terre Ferme, le contumace qui, cité à comparaître, ne se rend pas en justice pour répondre de ses actes, est tenu pour coupable, ce qui, dans un premier temps, justifie de la part des autorités judiciaires le bannissement perpétuel et la peine capitale comme le souligne, dans la Prattica Criminale, le chancelier vénitien Lorenzo Priori (Priori, 2004, 57): 141 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 Quando non si potesse havere il reo nelle prigioni et, proclamato, né anco egli si présentasse, ma restasse assente e contumace, con tutto che per general consuetudine et prattica, mentre che vi siano inditii sufficienti a transmettere la citatione, si potria bandire diffinitivamente con pena della vita, attento che li assenti et contumaci si hanno per la forma de i statuti per confessi et convinti senz'altre legitime prove [...]. Ma nel Stato di questo Serenissimo Dominio, confrontandosi pure in certo modo con dette leggi [les lois impériales et civiles], si osserva in prattica che restando il reo contumace, convinto perd in processo del delitto per testimonii o per inditii prossimi al fatto di modo che il giudice con buona conscientia per dette prove o inditii prossimi congionti con la contumacia, la quale è una tacita confessione del delitto, possa condannare il reo alla diffinitiva, pud esser punito alla detta diffinitiva, et tanto mag-giormente quanto che per la forma del statuto s'havessero i rei assenti per confessi. C'est ce qui se produit le 13 novembre 1586 pour Sacripano Bertolini, fils de Giovan Battista, de la localité de San Vito, inculpé d'homicide prémédité et déclaré contumace. Son absence le rend coupable aux yeux de la justice et le bannissement perpétuel est infligé (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1107, f° 47v°): Alias sub die 19 septembris [1586] signatus in banoperpetuo de Vincentia etvincentinu districtu et per XV milliaria ultra confines de Inclita Civitatis Venetorum et Ducatu et de quattuor locispro homicidio cum malis qualitatibus comisso in personam Pompilii filii Jacobi Brixa et ut in dicta signatura et non publicatus, stante fide etiam et nunc repositus quia fuit intimatus ad se defendendum et_fuit contumax, confirmetur in dicta signatura banniperpetui adpenam capitis [nous soulignons]. Il existe une distinction entre les bannis en contumace, qui entrent dans le cadre de l'autorité ordinaire des recteurs (exclusion de la ville, du territoire et de quinze mille au-delà des frontières), et ceux qui sont exclus de l'ensemble de l'État vénitien - en l'occurrence de Vicence, Padoue, Vérone et Trévise et de leurs territoires, ainsi que des quatre lieux Gambarare, Oriago, Lizzafusina et Bottenigo (Priori, 2004, 60) -, une mesure qui témoigne de la volonté du pouvoir central, à travers le Conseil des Dix, de punir en faisant intervenir une instance judiciaire qui n'est pas locale; entre les bannissements à durée déterminée et ceux perpétuels qui concernent également la ville de Venise et le Dogado. Les décisions adoptées par le groupe dirigeant vénitien sont destinées à favoriser, à encourager et à maintenir la paix dans les villes et les territoires assujettis. La juridiction des cours locales, en l'occurrence celle du Consulat vicentin, s'avère donc, en matière de bannissement, d'une extrême importance, l'objectif étant double: il s'agit d'une part d'exiler ceux qui menacent la tranquillité de la communauté; d'autre part, de rétablir la paix là où elle a été rompue. Fondée sur la discussion concernant le sort du banni, accepté par les deux parties, une telle démarche est soutenue par le tribunal local qui exprime les intérêts du groupe dominant et la volonté de contrôler les affaires publiques, quelles qu'elles soient (administratives, politiques, judiciaires). Dans l'in- 142 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 tention de rendre effective l'autorité judiciaire du tribunal, les statuts citadins prévoient que les bannis peuvent être tués en toute impunité ou être libérés en tuant d'autres bannis, afin d'assurer le respect des trêves acceptées par le tribunal local, de réduire les tensions interfamiliales et de négocier les actes de paix. Le système vindicatoire informel, dicté par les règles de la coutume et de la négociation, et celui formel des institutions judiciaires, médiatisé et géré par les juristes rassemblés dans le collège homonyme, se trouvent unis, au nom de la paix et de l'ordre public, dans leurs efforts pour réprimer les violences (Povolo, 1997, 2004, 2007, 2015b; Faggion, 1998, 2002, 2007). De façon similaire, la pratique du bannissement s'intègre dans ces deux systèmes et est appréhendée à travers les rites judiciaires qui constituent des garanties de défense pour l'inculpé: la défenseperpatrem, le sauf-conduit et le bannissement adinquirendum. La défense per patrem permet au père du banni de se présenter en justice à la place du fils, d'expliquer l'acte commis et de reconnaître la responsabilité de ce dernier, dans le cas d'un homicide pur, dû à la légitime défense, selon une mesure adoptée par le tribunal vénitien de la Quarantia criminal le 27 août 1533 « et in altri tempi », comme le décrit Lorenzo Priori (Priori, 2004, 45): Ilpadre per ilfigliuolo è ammesso a difendere la causa delfigliuolo, conforme a molte decisioni in simili casi seguite nell'eccellentissimo Conseglio di 40 al criminal, 1533 27 agosto et in altri tempi, ammettendosi detto padre non come procuratore, ma per il proprio suo interesse et per delitto solamente puro et commesso a necessaria difesa [nous soulignons], et che havesse essopadre legitimo et special mandato dalfigliuolo di poter a nome suo confessare il delitto. [...] Et se fosse provato dal padre che l'ho-micidio fosse seguito a caso o necessaria difesa, all'hora il giudice secondo la qualità delle prove pud dar un bando a tempo al reo come li paresse per conscientia: ma se altrimenti fosse provato, si bandirebbe in perpetuo con pena della testa o della galera in caso di contraffatione de ' confini. À l'instar de la défense per patrem, l'usage du sauf-conduit joue un rôle important dans la négociation et et offre au prévenu la possibilité de se justifier, d'alléguer une circonstance atténuante et d'éviter une peine sévère. L'attribution du sauf-conduit permet au prévenu de bénéficier de garanties qui concernent l'acte répréhensible et son caractère divisible, comme le prouve la distinction entre homicide pur et homicide prémédité (Priori, 2004, 39-40): Divisibile s'intende quando il delitto principale sia congionto con altro delitto di diversa specie, et che per detta qualità o specie di delitto si alterasse la pena del principale et che il reo fosse degno di diversa et separata punizione [nous soulignons]. Come in essempio sarebbe se uno commettesse homicidio pensato: essendo la pena del pensamento più grave per l'alterazione del delitto più di quella dell'homicidio puro, questo reo pud separar questo delitto, et come divisibile dimandare il sal-vocondotto per la qualità del puro et presentarsi per la qualità del pensamento [...]. Si è ben veduto et in prattica osservato che per l'homicidio commesso con schioppo 143 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 il reo prende salvocondotto dell'homicidio et sipresentaper la qualità del schioppo, rispetto che la pena dell'archibuggio, stante le leggi, è maggiore et più grave di quella dell'homicidiopuro. En revanche, le sauf-conduit n'est pas accordé si l'acte commis n'est pas divisible: Ma se il delitto non fosse divisibile, cioè che non fosse congionto con altro maggior delitto, all'hora et in tal caso non se gli concede salvocondotto, essendo che sarebbe cosa ridicolosa di uno che fosse imputato di stronzatore di monete o di fabricarle che egli volesse salvocondotto che non havesse instromenti tali per commetter questo delitto, o fosse imputato d'homicidio et che volesse salvocondotto ch'egli non havesse arme [...]. L'évaluation est ainsi effectuée entre un acte grave (par exemple, « homicidio doloso », « homicidio pensato ex proposito », « homicidio commesso ex insidiis », « homicidio proditorio », « homicidio per assassinio ») et un autre commis fortuitement ou sans préméditation (« homicidio a caso », « homicidio culposo »). L'affaire de Lelio Trissino, appartenant à la branche des « Panensacco », inculpé d'homicide en 1583 et d'un second perpétré en 1581 qui est mis en lumière grâce à l'enquête, aide à dégager comment opèrent les justiciables et les acteurs de la justice citadine (Povolo, 2004, 2007; Faggion, 2002, 2007): le procès est ouvert par le Consulat qui travaille dans l'intérêt des élites locales. Le noble vicentin et deux autres complices, qui sont tous contumaces, obtiennent de la justice un sauf-conduit les autorisant à se présenter au tribunal citadin et à ne pas être soumis à d'autres chefs d'inculpation. Les interrogatoires sont conduits de plano, ce qui leur permet de ne pas subir d'objections du juge chargé de l'affaire. Lelio Trissino dispose également d'une « piezaria », une caution fournie par une tierce personne qui l'autorise dès lors à se défendre, mais les proches des victimes demandent au podestat de Vicence de ne pas accepter que l'affaire soit instruite par le Consulat, « perché messer Lelio ha molti parenti et molti mezzi ». C'est la raison pour laquelle le procès est ensuite remis à une magistrature de la capitale, l'Avogaria di Comun dont les objectifs ne correspondent pas à ceux des élites urbaines, préoccupées de préserver les hiérarchies sociales existantes. La même Casa aristocratique est concernée, aussi en 1583, par une autre affaire retentissante, impliquant cette fois Marcantonio qui lave l'honneur de son père Ciro, assassiné en 1576, en tuant son cousin Giulio Cesare. Dans cette affaire, les proches - Ippolita, la mère de Giulio Cesare, et l'oncle de ce dernier, Francesco -, écrivent une supplique à la Seigneurie de Venise, afin que l'affaire soit instruite par la Quarantia Criminal (Povolo, 2015a). Mais, défendant ses privilèges ancestraux et son tribunal, qui soutient les vengeances et la recomposition des conflits nobiliaires, l'aristocratie vicentine n'accepte pas que le dossier échappe à son autorité. En dépit de l'opposition manifestée par la ville de Vicence, le cas est délégué au podestat de la ville de Padoue et à sa cour prétorienne, selon la procédure « servatis servandis », qui prévoit dès lors le strict respect des procédures traditionnelles, le Consulat vicentin étant exclu de l'instruction du procès et du jugement. À l'instar de Lelio, Marcantonio 144 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 Trissino dispose d'un sauf-conduit qui, selon le caractère divisible du crime, lui permet d'être jugé uniquement pour les circonstances aggravantes de l'homicide prémédité (« pensamento »): celles-ci faisant défaut, le noble prévenu peut être libéré et se présenter à nouveau pour un simple homicide (homicide pur), une démarche destinée à favoriser la négociation et la paix. Marcantonio Trissino est condamné le 11 juillet 1584 à la relégation dans la ville de Bergame pour une durée de quatre ans, puis au bannissement perpétuel des territoires situés entre les fleuves Mincio et Piave. Le bannissement ad inquirendum est prononcé uniquement dans le cas de délits graves -« quando il reo non fosse convinto (come è detto) ma inditiato » (Priori, 2004, 58) -, lorsque le prévenu est contumace et que les juges n'ont pas assez d'indices sur la culpabilité du fugitif. Dans ce cas, les recteurs ont la possibilité, et non l'obligation, en cas de capture du banni, de le soumettre à la torture pour découvrir la vérité. Le délai relatif à cette peine est de seize mois, une fois le mandat du recteur notifié, selon une loi du Sénat du 15 octobre 1504, délai prolongé ensuite à deux ans le 18 juin 1524 (Priori, 2004, 58). Disposant de vingt-quatre mois pour revenir à l'intérieur du territoire dont il se trouve exclu, sauf dans la ville de Venise qui lui reste interdite -, afin de répondre aux accusations, d'ajouter des éléments au procès susceptibles de le disculper ou d'atténuer la peine, le banni ne peut pas être attaqué en toute impunité comme c'est le cas pour les autres prévenus. S'il est appréhendé par la justice ou s'il s'est présenté au cours du délai prescrit, le procès continue, mais l'absence de sa présentation constitue un indice autorisant l'emploi de la torture. En revanche, si le temps de la condamnation s'est écoulé, le bannissement devient définitif et s'étend à l'ensemble de la République, avec l'alternative de la mort (Priori, 2004, 58): [...] si bandisce ad inquirendum secondo la legge 1524 18 giugno che riforma quella del 1504 15 ottobre, cosi nel tempo come ne i delitti, perché quella voleva che i rei havessero tempo di presentarsi di mesi sedici et comprendevano anco i casi puri, et questa dà tempo di doi anni et vuole che nei casi attroci et pensati si possi venire a questo bando chiamato ad inquirendum che non è altro che bandire questo assente di quel luogo, territorio et per quindici miglia oltre i confini. Le 3 décembre 1585 sont publiés les mandats concernant Francesco Polga, les frères Giovanni et Giacomo Manduli, de la localité de Thiene, et Agostino Botanino. Étant contumace, celui-ci est condamné à verser 1000 livres et au bannissement perpétuel de Vicence, Padoue, Vérone et Trévise et de leurs territoires, « a Plavi et Mintio citra [les fleuves Piave et Mincio] et de quatuor locis ad inquirendum [nous soulignons] pro homicidio apensato ». Quant aux trois autres prévenus, ils sont relaxés (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1107, f° 27v°). La sentence prononcée s'avère donc provisoire dans l'attente de saisir le prévenu, devenu fugitif - donc banni par les autorités judiciaires -, et de le soumettre à l'interrogatoire et à la torture: ainsi, le 27 septembre 1586, Francesco Palo de Padoue, Bartolomeo Becari, surnommé le « Sordo » (le Sourd) et Battista Molendinari de Malo sont astreints à une amende de 1000 livres et « banniti de Vincentia, Padoa, Verona, Treviso et suis districtibus a Plavi et Mintio citra et de Alma Civitate Venetorum et Ducatu 145 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 quatuor locis ad inquirendum [nous soulignons] homicidio apensato » (BCBVi, AT, SC, Libro dei Banditi, 1107, f° 45v°). Cependant, les dispositions prises par le pouvoir central, le Conseil des Dix, contrarient la gestion des conflits locaux par le Consulat. L'intervention du gouvernement vénitien se fonde sur un processus qui brise le système réparateur privilégié par les élites et les tribunaux du Dominio, et les pratiques judiciaires locales: deux périodes peuvent être retenues, la première inaugurée par la loi de 1549 et la seconde par celle de 1580, qui marque un tournant décisif dans la lutte contre la criminalité, le banditisme et le vagabondage dans la République de Venise et la mise en place d'une justice punitive imposée par le Conseil des Dix qui empiète sur l'autorité ancestrale des tribunaux citadins. Les lois promulguées mettent à jour la politique répressive menée par le pouvoir central tout comme les ambiguïtés et contradictions des dispositions prises dès la seconde moitié du XVIe siècle (Povolo, 1980, 1986, 2016). En juillet 1549, le Conseil des Dix décide en effet de suspendre la possibilité, autrefois reconnue aux bannis, de pouvoir se libérer de leur peine en tuant ou en capturant d'autres bannis dans la juridiction dans laquelle ils ont été jugés. Plusieurs fois reprise - notamment le 31 octobre 1569 -, suspendue, puis reproposée avec des ajouts et modifications, la loi de 1549 fait débuter en Terre Ferme une politique de la suspension: destinée à être appliquée de façon provisoire (durant deux ans), elle est maintenue jusqu'en 1555, ensuite suspendue et réintroduite en 1580, le Conseil des Dix se chargeant désormais du bannissement pour tout l'État. Au cours de ces périodes de suspension, les tribunaux citadins, comme le Consulat de Vicence, reprennent leur autonomie à l'égard du pouvoir central, et le système fondé sur les liens entre la vengeance et les institutions judiciaires locales est à nouveau effectif. Pourtant, déjà le 30 août 1531, le Conseil des Dix avait décrété que tous les bannis surpris in loco a loro prohibito per la forma della sententia loro [...] possino essere impune offesi e morti », ainsi que « offeso e morto », celui qui leur offre l'hospitalité, « perché le spalle, e i favori che da altri hanno questi banditi sono le cause che li danno core e li mantegono nella disobbedientia, per la quale tanti maleficii e con tanta facilità sono da loro perpetrati (Leggi criminali del Serenissimo Dominio Veneto, 30-31). Une autre loi, adoptée le 18 août 1541, interdit les réunions de « gente armata al numero quattro, e da li in sù », l'obligation étant de les dénoncer avec la promesse d'une récompense pour la capture ou le meurtre des individus poursuivis (Leggi criminali, 3839). Les affaires d'homicide, en nombre croissant dès la seconde moitié du XVIe siècle, explique la sévérité du groupe dirigeant vénitien qui cherche à éradiquer le phénomène du banditisme et à contrôler l'activité judiciaire des tribunaux de la Terre Ferme (Povolo, 1986, 2016). Les lois promulguées dès les années 1560 - notamment celle du 16 décembre 1560 (« Dellapena delli assassini et altri che commetteno delitti attroci trovati inflagranti crimine. Et del beneficio di quelli che li ammazzano o prendono vivi », Leggi 146 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 criminali, 50) -, permettent de tuer n'importe quelle personne prise en flagrant délit en se fondant sur des instruments de répression tels que l'attribution d'une prime, la libération de son propre bannissement, l'impunité accordée à un banni qui tue un de ses complices: en septembre 1561, deux lois se rapportent aux bandits qui n'hésitent pas à entrer dans les territoires qui leur sont pourtant interdits; en novembre 1561, le Conseil des Dix cherche à affaiblir et à contenir la loi du 16 décembre 1560, et ne donne plus la possibilité aux bannis « diffinitivamente et in perpetuo » de se libérer du bannissement et d'en tuer un autre, limitant une telle mesure aux seuls bannis pour cause d'homicide (« per homicidio puro ovvero a tempo »). En février 1562, l'emploi et le port de certaines armes sont prohibés; en septembre 1567, la loi de 1560 est à nouveau modifiée, le mot « atroce » ayant été inséré. En décembre 1570, il est permis aux bannis et aux personnes incarcérées de pouvoir commuer leur peine avec celle de la galère, seulement s'ils ne se sont pas rendus coupables de « cas atroces ». Quoique le nombre de magistratures pouvant imposer une prime pour la capture des bannis soit élevé, seul le Conseil des Dix, dès 1549, dispose de fonds pour payer ceux qui aspirent à obtenir une prime (taglia) pour appréhender ou tuer un fugitif: la récompense se fonde sur la libération d'un bandit tenu pour coupable d'un acte moins grave que le sien (Basaglia, 1985). La faculté de se « libérer du bannissement » - « liberar bandito » dans le cas d'un homicide pur pour des bannis à durée provisoire -, figure comme l'un des éléments les plus caractéristiques du système judiciaire qui se développe dans la République de Venise au cours du XVIe siècle. Il s'agit, à l'origine, d'une mesure exceptionnelle, d'abord réservée aux officiers qui parviennent à arrêter ou à tuer un banni pour « cause atroce », ainsi qu'aux bannis qui veulent se libérer d'une telle condamnation, limitée à ceux qui sont accusés d'homicide pur. Nombreuses et souvent contradictoires, les dispositions prises par le pouvoir central suivent les mécanismes du système vindicatoire et contribuent à suspendre la légitimité des statuts et leurs dispositions internes, adoptées dans les conseils municipaux. La loi du 20 juillet 1580 « liberare il bandito », due au Conseil des Dix, casse définitivement celle promulguée en 1549 et parvient à occulter les liens traditionnels existant entre la logique de la vengeance et le bannissement, celui-ci s'étendant à toute la République. CONCLUSION Grâce aux rites judiciaires (sauf-conduit, défense per patrem, bannissement ad in-quirendum), le Consulat vicentin se distingue au XVIe siècle par une pratique du contrôle social et de la défense du prévenu, une pratique qui se veut réparatrice, destinée à préserver les valeurs de la Respublica citadine, ainsi qu'à sauvegarder le système vindicatoire, l'honneur des familles aristocratiques et les hiérarchies sociales existantes: le prévenu est alors entendu et peut faire valoir sa défense dans l'intention d'atténuer la peine. Le pouvoir central, tout en respectant les statuts et privilèges des villes de la Terre Ferme, ne manque pas, dès la seconde moitié du XVIe siècle, face à l'augmentation inexorable des vengeances (faide), d'intervenir dans la gestion des conflits, en imposant une politique punitive qui fait fi des alliances, des solidarités et des factions nobiliaires, dont la légiti- 147 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 mité repose sur le Consulat et le Collège des Juges. La politique de suspension de la loi de juillet 1549, supplantée par une autre émanant du Conseil des Dix en juillet 1580, de nature étatique et punitive, témoigne de la volonté du groupe dirigeant vénitien d'affaiblir l'autorité des élites urbaines du Dominio et d'éradiquer la violence par des mesures qui concernent l'ensemble de la République. 148 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 FAJDA IN KONZULAT V VICENZI V DRUGI POLOVICI 16. STOLETJA Lucien FAGGION Univerza Aix-Marseille, CNRS, TELEMME UMR 7303 -Sredozemska hiša za humanistične vede, Aix-en-Provence, Francija e-mail: lcnfaggion@gmail.com POVZETEK Namen prispevka je bil zbrati nasilna dejanja, storjena v italijanski provinci Vincenza v drugi polovici 16. stoletja, torej primere za katere je bilo pristojno mestno sodišče - Konzulat, ki je bil sestavljen iz dvanajstih lokalnih plemičev, od tega štirih konzulov (consules), ki so prihajali iz Kolegija sodnikov - Collegio dei Giudici. Ti so bili nosilci statutov in plemiške ideologije, kot tudi političnih in kulturnih vrednot Respublice, ki so sodili tako v civilnih kot kazenskih zadevah, vedno v prisotnosti župana (podestà), beneškega patricija in predstavnikov sodišča (assessori) Posvetili smo se različnim načinom sodnega ocenjevanja in presoje storilcev nasilja na podlagi pogajanj in kompenzacije, kot tudi socialnega miru, medtem ko je koncept reda in kaznovanja izvajala Beneška republika, ki je želela prekiniti z lokalnimi tradicijami reševanja sporov. Intenzivni plemiški spori, ki so bili značilni za celinska mesta Beneške republike od 16. stoletja dalje, so bili zatrti s strani urbanih sodnih oblasti, ki so iskale rešitev v običajnem pravu in lokalni zakonodaji, z namenom da bi tako ohranili notranjo družbeno hierarhijo. Na svojo pest je beneška aristokracija skušala izkoreniniti nasilje in kodekse časti preko intervencij sodišč iz prestolnice, Sveta desetih (Consiglio dei Dieci) ter Mestne Avogarie (Avogaria di Comun), z različnimi rituali, kot tudi z vse bolj strogimi zakoni, ki so jih osrednje oblasti pričele uvajati od srede 16. stoletja. Tako smo prikazali vlogo, ki jo je imelo lokalno sodstvo - osredotočeno predvsem na pomiritev in popravilo škode -, preden so bili nekateri primeri nazadnje predani beneškim sodiščem ali drugim celinskim pretorskim sodiščem (npr. v Padovi). Namen teh je bil zmanjšati logiko maščevalne paradigme in lokalnega reševanja sporov v imenu javnega reda in Republike. Tako nam analiza delovanja konzulata v Vincenzi v drugi polovici 16. stoletja omogoča, da razmislimo o kaznih, ki so bile naložene (trajni izgon, izgon za določen čas, izgon ad inquirendum) in razumeti, kako je bila pravica uporabljena s strani različnih akterjev (sodniki, toženci, žrtve) preko pravnih obredov, kot npr. prepustnica, obramba per patrem ter izgon ad inquirendum, ki so toženi stranki omogočali obrambo ter rešitev spora med strankami - obtožencem, žrtvijo ter vpleteno sorodstvo - v korist miru in ohranitve lokalne družbene hierarhije. Ključne besede: Konzulat, konzulu, fajda, običaji, statuti, oprostilno sodstvo, kazensko sodstvo, pravni obredi, izgon, izgon ad inquirendum, obramba per patrem, prepustnica, mir, pogajanje 149 ACTA HISTRIAE • 25 • 2017 • 1 Lucien FAGGION: LA VENGEANCE ET LE CONSULAT À VICENCE DANS LA SECONDE ..., 131-152 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE BCBVi - Biblioteca Civica Bertoliana de Vicence, Archivio Torre [= AT], Sentenze criminali [= SC], Libri dei Banditi, registres 1105 (1563-1570), 1106 (1572-1583), 1107 (1584-1592). BCBVi - Biblioteca Civica Bertoliana de Vicence, Archivio Torre [= AT], Sentenze criminali [= SC], registre 1138 (1578-1584). Leggi criminali del Serenissimo Dominio Veneto (1751). Venise. Priori, L. (2GG4): Prattica Criminale secondo il ritto delle leggi della Serenissima Republica di Venetia [1622]. In: Chiodi G. & C. Povolo (ed.): L'amministrazione della giustizia penale nella Repubblica di Venezia (secoli XVI-XVIII), vol. I, Lorenzo Priori e la sua 'Prattica Criminale'. 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