\ C O JMCjPJL D E S m U V R E s D E la J. iOUSSE A V. Avec Figures en tcdlle-douce. NOUYELLE EDITION, Soigneiifement revue £«? corrige'e. Tome premier. A N E U C H A T E L, De rimprimerie de Samuel Fauche. Libraire du Roi. M. D. C. C, LXXV, V • ' ' (l tftOQ A SON EXCELLENCE MONSEIGNEUR xj e jB^mojsr DE LENTULUS, Lieutenant-General des Armees de Sa Ma- jeste' le Roi de Prusse, Chevalier de l’Ordre de l’Aigle noir, Chef d’un Re¬ giment de Cuiraffiers , Gouverneur & Lieutenant-General en la Souverainete de Neuchatel & Valengin , Membre du Con- feil Souverain & Lieutenant-General ds L Republique de Berne. MON SEIGNEUR, (Quandje con^us le projet de donner une nouvelle edition de la Collection complete des Oeuvres de M. Jean-* * 3 Jacques RouJfeaV, je format le dej- fiin de dedier a VOTRE EXCEL . LENCE ce-s premiers de mon im - primerie, perfuade quElle ne de- daigneroit pas de voirfin GRAND NO Ad d la tete dss owvrazes dun o auteur aufji celcbre, Je n eritreprendrai pas id lEloge de VOTRE EXCELLENCE y crave dans Iss coeurs de tons mss £> Coneitoyens par tomJes bienfaits en¬ ters noire Patrie. Il ejl daillmys trace pour touts /’Europe par lafa- nseur difinmse dont SA MAJES* T£ notre Augufie Souvtrain ho¬ nors VOTRE EXCELLENCE tfi par les glorieux Emplois quElle iut con fie, Cet Eloge donne par un Prime appreciates fi eclaire ffi fi jufie du merits , fera toujours eclipfier (es traits- de 1’eloquence la plus { fiu-. blime. ll nt me rejle done qua up 1 plan dir avec tout le public , qua prier VOTRE EXCELLENCE dagreer le profond rejpecl avec le* quel je fuis , xs> jel t" o :r m. js EXCELLENCE Le tris-humble £3® tres-obsijfant Serviteuyl Samuel Fauche, Libraire du Roi. Nciichatc!, le 10 Janvier 1774, I D U xiJ5 j£« (*) A. premiere Edition des Oeuvres de M. Rouffeau fe trouvant epuifee , je lui mandai la neceflite ou j’etois d’en entreprendre une nouvelle : fa reponfe fut qu’il falloit prendre VEdition fake a Paris chez Du Chefne en 14 vo¬ lumes, non compris les Lettres ds la Monta¬ gue, la Lettre a De Beaumont, le Contract So¬ cial, & le Di&ionnaire de Mufique ; de forte que cette Edition ii elle eut ete complete auroit fait 20 volumes. Je lui obfervai qu’il y avoit dans cette Edition nombre de pieces qui me paroilfoient n’y avoir ete mifes que pour en augmenter les volumes. Void fa reponfe en date du 18. Odto- bre 176^. “ Qiiand je vous ai parle de prendre l’Edi- „ tion de Du Chefne, c’eft parce qu’elle con- ( *) Ce t Arertiflement eft a la tete de l’edition de M. Key. Avertissement di/ Libraire; « tient des pieces de moi qui ne font pai „ ailleurs; rnais je n’ignorois pas qu’elle etoit „ fautive, & je n’ai jamais penle que vous „ y prendriez ni la Prophetie ni aueunfi piece „ qul lie fdit pas de moi. Ne cherchez pas w a groffir votre recueil; n’imprimez que ce , 5 que j’ai fait, & c’eft par-la precifement que 3, votre Edition fera recherchee.“ En confequehce je lfai ajoute a cette Edi¬ tion que les pieces auxquelles M. Rouifeau a repondu ( ce qui m’a paru neceifaire) & quei- ques Lettres qui ne s r y trouvoient pas. Cette Edition eft augmentee de trois Pieces nouvelles qui n’ont jamais paru, fa voir , Qiiejiion fur la Vertu la plus necejfaire an He- ros : La Reine Fantafque, Conte : Pygmalion , & une Table des Matieres pour la N Olive He He- loife, laquelle m’a paru aifez irttereifante pom' itre reque avec plaifir du Public. DISC O U R S QUIA REMPORTELE PRIX A L’ACADEMIE DE BOOK, EN L’ANNEE 1750 . Sur eette qiseftion propofee par la meme Acadcmie ; Si le reiabljfement des Sciences & des Ac ts ff contribue a epurer les mmurs. Sarbarus hie ego , qui non intelligor illis. Ovid. Tome 1. & , • 2 ; u f : i : / c : ■ ft. tm. - 'i . ' ■ ft. L VxiV ?31»2 :a2 ®- ■■■" . 1,1 Tr - ■■ f; ■■ - ■ * .vt«wfc \ . , ■nir 0 : ■ fc;/: •*> «• .wwiMMki • - - t ... ' - V OICI une des plus grandes & des plus belles queflions qui ayent jamais etc agit res. II ne s'agit point dans ce difeours de cesfub - tilites metaphyfiques qui ont g ague't out es les parties de la litterature, & dont les pro¬ grammes dt Academic ne font pas toujours exempts; mais il s'agit dune de ces veritds qui tiennent aubonheur dugenre humain. Jeprevois qiCon me pardonnera diffieik- merit le parti quefai ofe prendre. Heurtant de front tout ce qui fait aujourd’hui T admi¬ ration des homines , je ne puis in’ attendee qu’a un blame univerfel ; & ce n eft pas four avoir etc honor e de I approbation de quelques Sages, que je dois compter fur celle du public. AuJJi mon parti ejl-il pris: je neme foucie pas deplaire niaux beaux- efprits, ni dux:gens a la fhode. II y aura dans tous les terns des homines faits pour etre fubjugue's par les opinions de leur fo¬ ci etc. Tel fait aujourd’hui Tefpritfort & lephilofophe , qui par la mane raifon dells ete qiCun fanatique du terns de la Ligue. II ne faut point ccrire pour de tels Icc- teurs, quand en vent vivre au-dela de fo-n fiecle. Preface. Un mot encore , &je finis. Comptant peufiur Fhonneur que fai recu, j’avois , dcpuis Fenvoi , refondu & augmente ce dificours, au point cF enfair e , en quelque manierc, un autre outrage ; aujourd’huu je me finis cm oblige de le retab Hr dans Pet at oil il a ete couronne. fiy ai fieulement jette quelques notes , tfij laifiedeux additions faciles ci reconnoitre , & que FAcademic nauroit pent - etre pas approuvees. J'ai penfie que fequite, le refipecl la r*con- no (fiance exigeoient de moi cet avertifi- fiement. D I s e O U R s S U R CETTE QUESTION: Si le RctabliJTement des Sciences & des Arts a contribute cl epurer les mceurs. Decipimur fpecie reBi- 3Lt E retabliffement des Sciences & des Arts a-t- il contribue a epurer ou a corrompre ies mceurs ? Voila ce qu’il s’agic d’examiner. Quel parti dois- je prendre dans cette queftion ? Celui, Mef- ficurs , qui convient a un h onnete homme qui ne fqait rien , & qui ne s’en eftime pas moins. II fera difficile, je le fens, d’approprier ce que j’ai a dire au Tribunal oil je comparois. Comment ofer blamer les fciences devant line des plus fcavantes compagni.es de l’Europe, louer l’ignorance dans une celcbre Academie, & concilier le mepris pour l’etude avec le ref- pedt pour les vrais fqavans ? J’ai vu ces contra- rietes, & elles ne m’ont point rebute. Ce n’eft point la faience que je maltraite, me fuis-je ditj e’eft la vertu que je defends devant des hommes Yertueux. La probite eft encore plus chere aux gens de bien, que l’erudidon aux doctes. Qu’ai- je done a redouter ? Les lumieres. de I’aftemblee A 3 0 D I SC O UR S Sl T R LES qui m’ecoute ? Je Favoue; mais c’eft pour la conftitution du difcours , & non pour le fenti- ment de l’orateur. Les Souverains equitables n’ont jamais balance a fe condamner eux-memes dans des difcuflipns douteufes ; & la pofition la plus avantageufe au bon droit, eft d’avoir a fe defendre centre une partie integre & eclairee, juge eii fa propre caufe. A ce motif qui ni’encourage , i! s’en joint un autre qui me determine: c’eft qu’apres avoir fou- tenu , felon ma lurniere naturelle , le parti de la verite , quel que foit mon faeces , il eft un prix qui ne peut me manquer: je le trouveraf dans le fond de mon coeur. Premiere partie. ’ E s t un grand & beau fpectacle de voir Fhonime fortir, cn quelque maniere , du lieant par fes propres efforts> diffiper, par les lumie- res de fa raifon, les tenebres dans lefquelles la nature Favoit enveloppe; s’elever au-deffus de foi-menle ; s’elancer par Fefprit jufques dans les regions celeftes; parcourir a pas de geant, ainft que le foleil, la vafte etendue de Funivers; &, ce qui eft encore plus grand & plus difficile, rentrer en lot pour y etudier Fhonime & con- noitre fa nature , fes devoirs & fa fin. Toutes ces merveilles fe font renouvellees depuis peu de generations. Sciences etles Arts. 7 L’Europe etoit retombee dans la barbarie des premiers ages. Les peuples de cette partie du Monde aujourd’hui 11 eclairee, vivoicnt, il y a quelques llecles, dans un etat pire que Fignoran- ce. Je ne fqais quel jargon fcientifique , enco¬ re plus meprifable que Fignorance, avoit ufurpe le Horn du fcavoir, & oppofoit a fon retour un obltacle prefque invincible, II falloit une revo¬ lution pour ramener les hommes au fens com- niun ; elle vint enfin du c6te d’ou oil Fauroit le moins attendue.Ce fut leftupide Mufulman,ce fut Feternel fteau des lettres, qui les fit renaitrc par mi nous. La chute du trone de Cotiftantin por¬ ta dans FItalie les debris de l’ancienne Grece. La France s’enrichit a foil tour de ces precie'ufes dcpouilles. Bien-tot les fcieh'ces fuivirent les lettres; a Fart d’ecrire fejoignit Fart de penfer; gradation quipnroit etrange & qui n’eftpeut-etre que trop naturelle ; & Fon commenqa a fentir lp principal a vantage du commerce des Mufesce- lui de rendre les hommes plus fociables , en leur infpirant le delir de fe plaire les uns aux autres par des ouvrages dignes de leur approbation mu- tuelle. L’efprit a fes befoins, ainfi que le corps. Ceux-ci font les fondemens de la fociete , les autres en font l’agrement. Tandis que le gou- vernement & les loix pourvoient a la furete & au bien-etre des hommes alfemjjles, les faien¬ ces , les lettres & les arts , moins delpotiques & A 4 D I S CO UR-S SUR RES plus puilTans pent-et-re, etendent des guirlandes de fleurs fur les chaines de fer done ils font charges , etouffent en eux le fentiraent de cette liberce originelle pour laquelle ils fembloient etre lies , leur font aimer leur .efclavage , & en. foment ce qu’on appelie des peoples polices, Re befoin eleva les trones; les fciences & les arts les out aifermis. Puilfances de la terre , aimez les talcns, & protegez ceux qui les culti- vent (a). Peuples polices, cultivez-les j heu- r.eux elclaves, vous leur devez ce gout dcheat .<& fin d.o.nt vous vous piquez ; cette douceur de caraftere & cette urbanite de mceurs qui rendent ' p-armi vous le commerce fi liant & fi facile; en an mot, les apparences de routes les vertus , fans en avoir a peune. C’elf par cette forte de politelfe , d-autant plus aimable q.u’elie affedle moius de fe montrer , quefe diftinguerent autrefois Athenes & Rome, dans les jour? li yaptes d,e leur magnificence & (s''/ les Princes voyeiit toujour? avec plaifir le gout des arts agreivbies & des CuperSuites , doirt l’exportr.tinn de 3’argent ne refulte pas, s’etendre parmi leur.-, fujets. Car outre- qn’ils les nourriffent ainli dans cette petiteile d’ame fi jiropre a fa fervitude, ils fqavent tres-bien que tons les be- foins que le people fe danne, font autaflt de djaines d,ont li fe charge. Alexandre-■ voulant maintenir les Ichthvopha- ges dans fa dependence, les contraignit.de reiipdcer ala jeehe, & de fe nourrir des aiimens comrautis anx autres jeuples 3 & les fauva-ges de l’Amerique , qui vont tout anuiis , & qui ne-vivpnt que dn prgduit de leurchafie, n’upit jamais pu etre domptes. En effet quel, joug impoferoit- pii a des homines oy.i n’pttt hefqin de rieu ? SCIEKCES E T LES ARTS. $ 4e leur eclat: c’eft par elle, fans doute, que notre liecle & notre nation l’emporteront fur toils les temps & fur tous les peuples. Tjn ton p-hilofophe fans pedanterie, des manieres natu- xelles & pourtant prevenances, egalement eioi- gnees de la rufticite Tudefque & de !a pantomi¬ me Ultramontaine: voila les fruits du gout ac¬ quis par de bonnes etudes , & perfecftionne dans le commerce du monde. Qu’i! ferGit doux de vivre parmi nous, fi la oontenance exterieare e.toit toujours l’image des difpolitions du eoeur ■, fi la decence etoit la ver- tu ■, ii nos maximes nous fervoient de regies fi. la veritable pkilofopkie etoit infeparable dutitre de philofophe ! Mais tant de qualites vont trop rarement enfemble , & la vertu ne marche gue- res en fi grande pompe. La richeife de la pa- rure peut annoncer un homme opulent, Sc {on elegance un homme de gout; fhomme fain & robulte fe recommit a d’autres marques : c’eft lous l’habit ruftique d’un laboureur & non fous la dorure d’uncourtifan, qu’on trouvera la for¬ ce & la vigueur du corps. La parure n’eft pas moins etrangere a la vertu , qui eft la force & la vigueur de fame. L’homme de bien eft un athlete qui fe plait a combattre nud : ilmeprife tous ces vils ornemens qui generoient l’ufage de fes forces, & dont la plupart n’ont ete-invelites „qu-e pour cacher quelque diiformite. A.vant qug l’art etit faconne nos manieres , & A f io Discours sur les appris a nos paffions a parler un langage appre- te , nos moeurs etoient ruftiques , mais naturel- les; & la difference des procedes annoncoit au premier coup d’ceil celle des cara&eres. La na¬ ture humaine , au fond, n’etoit pas meilleure; mais les hommes trouvoient leuriecurite dans 3a facilite de fe penetrer reciproquement j & cet avantage, dont nous ne fentons plus le prix, leur epargnoit bien des vices. Aujourd’hui que des recherches plus fubtiles , & un goiit plus fin , ont reduit Part de plaire en principes , il regne dans nos mceurs une vile & trompeufe uniformite , & tous les efprits fem- blent avoir ete jettes dans un hieme moule : fans cede la politeffe exig.e, la bienfeance or- donne : fans cede on fuit des ufages, jamais fon propre genie. On n’ofe plus paroitre ce qu’on eft : & dans cette contrainte perpetuelle , les hommes, quiforment ce trohipeau qu’on ap- pelle fociete, places dans les memes circonftan- ces, feront tous les memes chofes, ii des mo¬ tifs plus puifians ne les en detournent. On ne fqaura done jamais bien a qui Foil a affaire : il faudra done, pour connoitre fon ami, attendre les gran des occafions ; e’eit - :i- dire , attendre qu’il n’en foit plus temps, puifque e’eft pour ces occafions memes qu’il eut ete elfentiel de le connoitre. Quel cortege de vices n’accompagnera point cette incertitude? Pius d’amities fiaceres ■, plus Sciences et les Arts. ii d’eftime reelle, plus de confiance fondee. Les foupcons, les ombrages , les craintes , la firoi- ueur, la referve, la haine, la trahifon , fe ca- cheront fans celfe fous ce voile uniforme & per- Bde de politeffe, fous cette urbanite fi vatitee que nous devons aux lurnieres de notre fiecle. On n'e profanera plus par des juremens le nom du Maitre de l’univers j mais on I’infultera par des blafphemes, fans que nos oreilles fcrupu- leufes en foient offenfees. On ne vantera pas fon propre merite; mais on rabaiffera celui d’autrui. On n’outragera point groliierement ion ennemi •, mais on le calomniera avec adref- fe. Les haines nationales s’eteindront; mais ce fera avec famour de la patrie. A l’ignoran- ce meprifee on fub/lL.ucra ini dangereux Pyrrho- nifine. II y aura des exces profcrits, des vi¬ ces deshonores, mais d’autres feront decores du nom de vertus; il faudra ou les avoir, ou les affecler. Vantera qui voudra la fobriete dss fa- ges du temps: je n’y vois , pour moi, qu’un ra- fmement d’intemperance autant indigne de mon eloge que leur artificieufe limplicite ( b). Telle eft la purete que nos moeurs ont acqui- fe. Cell ainfi que nous fommes devenus gens (b) J'ciime i (lit Montague, a contefter difcourir, mais c'efi avec feu d’hommcs , £y four moi. Car dc fervir de fpecfacle ciux grands, & faire a I'envi parade de fon efprii £? de fon caquet , je trouve que c'eft un mfcicr trls-mejfmnt d tin homme d’bon:: cur. C’eft celui tie tous 110s beaux-efprits , hoes un. is Discours sue ies de bien. C’eft aux lettres, aux faiences & aux arts a revendiquet ce qui leur appartient dans un ft falutaire ouvrage. J’ajouterai feuleiru nt line reflexion; c’eft qu’un habitant de quelques contrees eloignees, qui chercheroit. a fe former line idee des mocurs Europeennes , fur l’etat des fciences parmi nous, fur la perfection de nos arts , fur la bienfeance de nos fpe&acles , fur la politclfe de nos manieres , fur l’aifabilite de nos difcours, fur nos demonftrations perpetuelles de bienveillance, & fur ce concours tumultueux d’hommes de tout age & de tout etat, qui fem- blent emprefles, depuis le lever de l’aurore juf- qu’au coucher du foleil, a s'obiiger recipro'jue- men t ; c’eft que cet Stranger, dis-je, devine- roit exactement de nos mocurs le contraire de ce qu’elles font. Oil il n’y a nul effet , il n’y a point de caufe a chercher ; mais ici l’effet eft certain, la de¬ pravation reelle, & nos ames fe font corrom- pues , a mefure que nos fciences & nos arts fe font avances a la perfection. Dira -1 - on que c’eft un malheur particulier a notre age ? Non, Meftiears ; les maux caufes par notre vaine cutiofite font aulft vieux que le monde. L’eleva- tion & 1’abbaiffement journalier des eaux de I’o- cean n’ont pas ete plus regulierement alfujettis au cours de l’aftre qui nous eclaire durant la nuit, qvre le fort des mocurs & de la probite, au progres 'des fciences & des arts. On a vu la Sciences et les Arts. 13 vertu s’enfuir a mefure que leur lumiere s’ele- voit fur notre horizon , & le meme phenomena eft obferve dans tous les temps & dans tous les lieux. Voyez 1’Egypte , cette premiere ecole de l’u- jiivers, ce climat fi fertile fous un del d’airain, cette contree celebre , d’oii Sefoftris partit au¬ trefois pour conquerir le Monde. Elle devient la mere de la philofophie & des beaux arts ; &» bien-tot apres, la conquete de Cambife; puis cede des Grecs, des Remains, des Arabes, & enftn des Turcs. Voyez \a Grece , jadis peuplee de lieros , qui vainquirent deux fois l’Afie ; Tune devant Tro¬ yes, & l’autre dans leurs propres foyers. Les lettres naitTantes n’avoient point encore porte la corruption dans les occurs de fes habitans ; mais le progres des arts, la dhToludon des moeurs & le joug du Macedonien fe fuivirent depres, & la Grece, toujours fcavante, toujours volup- tueufe, & toujours efelave, n’eprouva plus dans fes revolutions que des changemens de maitres. Toute V eloquence de Demofthene ne put jamais ranimer un corps que le luxe & les arts avoient enerve. C’eil au temps des Ennius & des Terences que Rome, fondee par un patre & illuftree pac des laboureurs , commence a degenerer. Mais apres les Ovides , les Catulles, les Martials, & eette foule d’auteurs obfeenes, dont les nems J4 DlSCOURS SUR LE5 feuls allarment la pudeur, Rome, jadis le tem¬ ple de la vertu, deuient le theatre du crime, l’opprobre des nations, & le jouet des Barba- res. Cette capitale du Monde tombe enfin fous le joug qu’elle avoir impofe a tant de peuples, & le jour de fa chute fut la veille de celui ou l’on donna a l’un de fes citoyens le titre d’arbi- tre du bon gout. Que dirai-je de cette metropole de l’Empire d’Orient, qui, par fa pofition, fembloit devoir l’etre du Monde entier; de eet alyle des fcien- ces & des arts profcrits du refte de l’Europe, plus pcut-etre par fageife que par barbarie? Tout ce que la debauclie & la corruption out de plus honteux; les trahifons, les affaffinats & les poi- fons, de plus noir; le concours de tous les crimes, de plus atroce: voila ce qui forme le tiiTu de l’hiftoire de Conftantinople: voila la fource pure d’ou nous font emanees les lumieres dont notre fiecle fe glorifie. Mais pourquoi chercller dans des temps re- cules des preuves d’une vcrite dont nous avons fous nos yeux ces temoignages fubfiftans ? II elt en Afie une contree immenfe , ou les lettres ho- norees conduifent aux premieres dignites de 1’E- tat. Si les feiences epuroient les mceurs, fi elles apprenoient aux hommes a verfer leur fang pour la patrie , fi elles animoient le courage j les peuples de la Chine devroient etre fages , libres 8c invincibles. Mais s’il n’y a point de vice qui pu abbattre ■> & pour fa fidelite , que l’exempj^ n’a pu corrofnpre (c), Ce n’eft point par ftupidite que ceux-ci out prefere d’autres exereiees a eeux de l’elprit. Its n’ignoroient pas que dans d’autres con trees des hommes oififs pafToient leur vie a difputer fur le fouverain bien, fur le vice & fur la vertu, & que d’orgueilleux raifonneurs , fe dormant a eux- memes les plus grands eloges, confondoient les autres peuples fous le nonr meprifant de Barba- res; mais iis ont confidere leurs raoeurs, & ap- pris a dedaigner leur doctrine f. Oublierois - je que ce Fut dans le fem msme de la Grece qu’on vit s’elever cette cite auffi ce- lebre par fon heureufe ignorance que par la fa- getfe de fes loix, cette Republique de demi- Dieux, (c) Je n’ofe ainfi parlet de ces nations hetircufes, qui ne connoiffent pas meme de nom les vices que nous avorts taut de peine a reprimer ; de ces fauvages de l’Ameriquc dont Montague ne balance point a preferer la firnple & nature'le polite, non - feulement aux loix de Platon, mais meme a tout ce que la philofophie pourra jamais imaginer de plus parfait pour le gouvernemeiit des peuples. II e'n cite quantite d’excmples frappans pour qui les fqauroit admirer Mats quoi , dit-il, its ne portent point dc chuujfes! f De bonne foi., qu’on me dife quelle opinion les Athe- niens merries devoient avoir de l’eloquence, quand ils l’e- carterent avec taut de foui de ce tribunal integre, des juge- mcns duquel les Dieux nsemes n’appelloient pas. Que pen- foieirt les Remains de la medecine, quand ils la bannircnt de leur Republique ? Et quand un refte d’humanite porta les Efpagnols a interdire a leurs gens de loi l’entree de l’Amerique , quelle idee falloit - il qu’ils euffent de la jurif- prudence? Ne diroit-on pas qu’ils ont crn reparer par ce leal a&e tons les maux qu’ils avoknt faits a ees malliem reux Indiens! Sciences et les Arts.' 17 I)ieux, plutot que d’hommes j tantleurs vertus fembloient fuperieures a Phumanite '< O Sparte ! opprobre eternel d’une vaine doctrine! tandis que les vices conduits par les beaux arts s’intro- duifoient cnfemble dans Athenes ; tandis qu’un tyran y raflembloit avec taut de foin les ouvrages du prince des poetes, tu chaffois de tes murs les arts & les artiltes, les fciences & les fqavans. L’evenement marqua cette difference. Athe¬ nes devint le fejour de la politelfe & du bon gout, le pays des orateurs & des philofophes. L’elegance des batimens y repondoit a celle du ianguge. On y voyoit de toutes parts le mar- fore & la toile animes par les mains des- maitres les plus habiles. C’eft d’Athenes que font for- tis ces ouvrages furprenans qui ferviront de mo- deles dans tous les ages corrompus. Le tableau de Lacedemone eft moins brillant. La , difoient les autres peuples , les homines naijjent vertueux, & Pair mesne du pays femhle infpirer la vertu. II ne nous refte de fes habitans que la memoire de leurs actions heroiques. De tels monumens vau- droient ils moins pour nous que les marbres cu- jrieux qu’Athenes nous a laiifes ? Quelques fages , il eft vrai, ont refifte au torrent general, & fe font garantis du vice dans le fejour des Mufes. Mais qu’on ecoute le ju- gement que le premier & le plus malheureux d’entr’eux portoit des fqavans & des artiftes de font temps. Tome I. B Discours sur les „ J’ai examine, dit-il, les poetes, & je leg- „ regarde comme des gens dont le talent en im- „ pofe a eux-memes & aux autres, qui fe don- ,3 nent pour fages , qu’on prend pour tels, & „ qui ne font rien moins. „ Des poetes, continue Socrate , j’ai palfe „ aux artiftes. Perfonne n’ignoroit plus les arts „ que moi; perfonne ft’etoit plus convaincu que „ les artiftes polfedoient de fort beaux fecrets. „ Cependant je me fuis appercu que leur condi- „ tion n’eft pas meilleure que celle des poetes, „ & qu’ils font, les uns & les autres, dans le „ meme prejuge. Paree que les plus habiles „ d’entr’eux excellent dans leur partie, ils fe „ regardent comme les plus fages des hommes. „ Cette prefomption a terni tout-a-fait leur fca- „ voir a mes yeux; de forte que me met- „ tant a la place de l’Oracle, & me de- ,3 mandant ce que j’aimerois le mieux etre, „ ce que je fuis ou ce qu’ils font, fqavoir ce 33 qu’ils ont appris, ou fcavoir que je ne fqais „ rien; j’ai repondu a moi - meme & au Dieu: „ Je veux refter ce que je fuis. „ Nous ne fcavons, ni les fophiftes, ni les ,3 poetes, ni les orateurs , ni les artiftes, ni „ moi , ce que c’eft que le vrai, le bon & le ,3 beau : mais il y a entre nous cette difference, „ que , quoique ces gens ne fqachent rien , tous „ croyent fqavoir quelque chofej au lieu que „ moi, 11 je ne fqais rien , au moins je n’en w fuis pas en dome: de forte que toute cette SctE'NCESET LES ARTS.' 19 fuperiorite de fagelfe qui m’eft accordee par # l’Ovacle, fe reduit feulement a etre bien con- „ vaincu que j’ignore ce que je ne fqais pas ees par une plume digue d’ecrire d’apres un tel maitre , St de defendre une ft gran.ie caufe. jo Discours sur les temps apres fa mort. Dites-nous, celebre A- rouet, combien vous avez facrifie de beautes males & fortes a notre faulfe delicatelfe , & com¬ bien l’efprit de la galanterie , ft fertile en pedtes chofes, vous en a coute de grandes. C’ett ainfi que la diflblution des moeurs , fuite necelfaire du luxe, entraine a fon tour la corrup¬ tion du gout. Que 11 par hazard , entre les hom¬ ines ordinaires par leurs talens, il s’en trouve quelqu’uil qui ait de la fermete dans fame, & quireiufe* de fe preter au genie de fon fiecle, & de s’avilir par des productions pueriles; malheur a lui! II mourra dans l’indigence & dans 1’oubli. Que n’eft-Ce ici un pronoitic que je fais, & non une experience que je rapporte ! Carle, Pierre, le moment eft venu, ou ce pinceau deftine a augmenter la ntajefte de nos temples par des images fublimes & faintes, tombera de vos mains , ou fera proftitue a orner de peintures laf- cives les paneaux d’un vis-a-vis- Ettoi, rival des Praxiteles & des Phidias, toi dont les An- ctens auroient employe le cifeau a leur faire des Dieux capables d’excufer a nos yeux leur idola- trie} inimitable Pigal, ta main fe refoudra a ra- valler le ventre d’un inagot, ou il faudra qu’elle demeure oillve. On ne pent reftechir fur les moeurs, qu’on ne fe plaife a fe rappeller Fimage de la fimplicite des premiers temps. C’eft un beau rivage pare des feules mains de la nature, vers lequel on tour- ne inceflamment les yeux, &dont on fe fent e- SCIEECES ET LES Arts.' 31 loigner a regret. Quand les hommes innocens & vertueux aimoient a avoir les Dieux pour te- rnoins de leurs actions, ils habitoient enfemble fous les merries cabanes; nvais bien-tot devenus medians 5 ils fe lafferent de ces incommodes ipedateurs, & les releguerent dans des temples magnifiques. Ils les en chafferent enfin pour s’y etablir eux - mernes , ou du moins les temples des Dieux ne fe diftinguerent plus des maifons des citoyens. Ce fut alors le comble de la de¬ pravation; & les vices ne furent jamais pouffes plus loin que quand on les vit, pour ainfi dire, foutenus a 1’entree des palais des grands fur des colonnes de marbre, & graves fur des cha- piteaux Corinthielis. Tandis que les commodites de la vie fe mul- tipiient, que les arts fe perfedionnent & que le luxe s’etend , le vrai courage s’enerve, les ver- tus s’evanouiffent, & c’eft encore l’ouvrage des fciences, & de tous ces arts qui s’exercent dans 1’ombre du cabinet. Quand les Goths ravage- rent la Grece , toutes les bibliotheques ne furent fauvees du feu que par cette opinion fernee par l’un d’entr’eux , qu’il falloit laiffer aux ennemis des meubles li propres a les detourner de l’exer- cice militaire, & a les amufer a des occupations oiuves & fedentaires. Charles VIII fe vit mai- tre de la Tofcane & du royaume de Naples, fans avoir prefque tirel’epee; & toute fa cour attri- bua cette faciiite inefperee a ce que les princes 33 DlSCOURS SDR LES & la NobleiTe d’ftaHe s’amufoient plus a fe rs\U tire ingenieux & fcavans, qu’ils lie s’exercoiens a devenir vigoureux & guerriers. En cffet, die rhomme de lens qui rapporte ces deux traits, tous les exemples nous apprennerit qu’en cette martiale police & en toutes celles qui lui font femblables, l’etude des fciences elf bien plus propre a amollir & effeminer les courages, qu’a les alfermir & les animer. LesRomains ont avoue quelavertu militaire s’etoit eteinte parmi eux, amefure qu’ils avoient commence a fe connoitre en tableaux, en gra¬ vures , en vafes d’orfevrerie, & a cultiver les beaux-arts j & comme li cette contree fameufe etoit deftinee a fervir fans celfe d’exemple aux autres peuples , l’elevation des lettres a fait tom- ber derechef, & peut - etre pour toujours , cette reputation guerriere que l’ltalie fembloit avoir recouvree , il y a quelques fiecles. Les anciennes republiques de la Grece, avec cette fageife qui brilloit dans la plupart de leurs inftitutions , avoient interdit a leurs citoyens tous ces metiers tranquilles & fedentaires , qui * en affailTant & corrompant le corps , enervent li- t6t la vigueur de fame. De quel ceil, en diet, penfe-t-on que puilfent envifager la faim, la foif* les fatigues, les dangers & la mort, des hom- mes que le moindre befoin accabie, & que la moindre peine rebutc ? Avec quel courage les foldats fupporteront - ils des travaux exceinfs, dont ’Sciences it les A tf t s. .jf dout ils n’ont aucune habitude? Avec quells ar- deur ferorit-ils des marches fortees , foils des of- ficiers qui n’ont pas meme la force de voyager k eheval ? Qu’on ne m’objecte point la valeur re- nommee de tons ces modernes guerriers fi fca- vammerit difciplines. On me vante bien leur bravoure en un jour de bataille ; mais on ne me dit point comment ils fuppottent l’exces du tra¬ vail , comment ils refiftent a la rigueur des fai- fons & aux intemperies de fair; II ne faut qu’uit peu de foleil on de neige ; ilne faut que la pri¬ vation de quelques fuperftuites , pour fondre & detruire en peu de jours la meilleure de nos ar« mees. Guerriers intrepides , fouffrez une fois la verite qu’il vous eft ft rare d’eiltendre : vous etes braves, je le fcais ; vous euifiez triomphe avec Annibal a Cannes & a Trafimene ■, Ceiar avec vous eiit pa fie le Rubicon & after vi fon pays 5 mais ce n’eft point avec vous que le premier eiic traverfe les Alpes , & que l’autre cut vaincu vos ayeux. Les combats ne font pas toujours le fucces de la guerre ; & il eft pour les generaux un art fu- perieur a celui de gagner des batailles. Tel court au feu avec intrepidite , qui ne lailfe pas d’etre un tres - mauvais offxcier : dans le foldaC meme, un peu plus de force & de vigueur feroifi peut-etre plus neceffaire que tant de bravoure qui ne le garantit pas de la mort; & qu’importe a l’Etat que fes troupes periffent par la fievre & Tome L Q §£. Discours stR ie* le froid , ou par le fer de l’ennemi ? Si la culture des fciences eft nuilible aux qtfgi litss guerrieres , elle l’eft encore plus aux quali- tes morales. C’eft des nos premieres annees qu’une education infenfee orne notre elprit, & corrompt notre jugement. Je vois de toutes parts des etabliflemens tmmenfes, oil l’on eleve a grands xrais la Jeunefle, pour lui apprendre routes cliofes, excepte fes devoirs. Vos enfans ignoreront leur propre langue j mais ils en par- leront d’autres qui ne font en ufage nullepart? ils fcauront compofer des vers , qu’a peine ils pourront comprendre : fans fcavoit demeler l’er- reur de la verite, ils poflederont fart de les ren- dre meconnoilfables aux autres par des argument fpecieux; mais ces mots de magnanimite, d’e- quite, de temperance, d’humanite, de coura¬ ge , ils ne feauront ce que c’eft ; ce doux nom de patrie ne frappera jamais leur oreille ; & s’ils eti- tendent parler de Dieu ce fera moins pour le - eraindre q.ne pour en avoir peur. J’aimerois au- tant, difoit un fage, que mon ecolier eut paffe te temps dans un jeu de paUme , au moins le corps en feroit plus difpos, Je fcais qu’il faut occuper les enfans, & que l’oifivete eft pour eux le danger le plus a eraindre. Que faut - il done qu’ils apprennent ? Voila , certes, une belle qtieftion ! Qu’ils apprennent ce qu’ils doivant ; Pen£ Plulofoph, S c i e tt c E s E f les Arts. 3j faire etant homines (g) , & non ce qu’ils doivenc outlier. Nos jardins font ornes de ftatues , & nOs ga*. Cg) Telle etoit 1'education des SpattiateS , an fnpport da fills grand ile leurs rois. C’tft , dit Montagne , chofe digne de trcs. grande confuleration, qn’en cctte excellentc police de Lycurgus, & a la veritc monftruenfe par fa perfection, ft fsigneufe pourtant de la nourritnre des enfans, comme de fa principale charge, &au gite mdme des Mules, il s’y faffa fl pen hiention dd ladodtrine, comme ft cette genereufe jeu- nefle, dedaignant tout autre joug, on nit du lui fournir, an lieu de nos maitres de fciences, i'euleifient des maitres da Vaillance, prudence & juftice. Voyons maintenant comment !e meme Auteur parle des anciens Perfes. Platon , dit-il, rac'onte que le fils aine do leur fucceffion royale etoit ainfi nourri. Apres fa naiffance en le donnoit, non a des femmes, mais a des eunuques da la premiere autorite pres du roi, a caufe de leur vertU- Ccux- ci prenoient charge de lui rendre le corps beau & fain, 8s apres fept ans le duifoient a monter a oheval & aller a la chalfe. Quand il etoit au quntorzieme , ils le depofoient entra les mains de quatre : le plus fage , le plus jufte , le plus tem- pe'rant, le plus vaillant de la nation. Le premier lui appre- noit la religion j le fecond a etre tonjoms veritable j le tiers, a vaincre ia cupidite; le quart, a ne rien craindre. Tons, ajouterai - je, a le rendre bon,- aucun , ala rendre fqavant. Aftyage, en Xenophon, demande a Cyrus compte de fa derniere lecon. C’eft, dit-il, qu’en notre ecole un grand garqon ayant nn petit faye , le donna a Pun de fes compa- gnons de plus petite taille, & lui ota fon faye qui etoit plus grand. Notre precepteur m’ayaut fait juge de ce differend, je jugeai qu’il falloit laiffer les chofes cn cet etat , & quo Tun & Vautre femhloient etre mieux accommodes en ce point. Sur quoi il me remontra que j'avois mal fait ; car je m’etoiss arrete a confiderer la bienfeanee; & il Falloit premierement: avoir pourvu a la juftice , qui vouloit que nui ne fut forcra «n ce qui lui appnrtenoit, & dit qu’il en fut puni, comme on nous pimit en nos villages , pour avoir onblie le premier aorifte de tvtttu- Mon regent me feroit line hells harangue, in gencre demonjtrntivo, avant qu’il me perfuadat que fon icols vaut celle • la. c % 1 $ Disc ours sur|les leries de tableaux. Que penferiez - vous que prefentent ces chefs-d’oeuvre de Part, expofes as l’admiration publique; les defenfeurs de la pa- trie , ou ces horames plus grands encore , qui Font enrichie par leurs vertus. Non : ce font des images de tous les egaremens du coeur& de la raifon , tirees foigneufement de l’ancienne my- thologie , & prefentees de bonne heure a la cu- riofite de nos enfans, fans doute, afin qu’ils ayent fous leurs yeux des modeles de mauvaifes adions, avant meme que de fcavoir lire. D’ou naiflent tous ces abus, (i ce n’eft de Fin- egalite funefte, introduite entre les hommes par la diftindion des talens & par Favililfement des vertus? Voila 1’eiFet le plus evident de tou- tes nos etudes , & la plus dangereufe de toutes leurs confequences. On ne demande plus d’un homme s’il a de la probite , mais s’il a des talens; ni d’un livre, s’il eft utile, mais s’il eft bien ecrit. Les recompenfes font prodiguees au belefprit, & la vertu refte fans honneurs. II y a mille prix pour les beaux difcours, aucun pour les belles adions. Qu’on me dife cependant fi la gloire attachee au meilleur des difcours qui feront cou- ronnes dans cette Academie , eft comparable au merite d’en avoir fonde le prix. Le fage ne court point apres la fortune, mais il n’eft pas infenfible a la gloire ; & quand il la voit fl mal diftribuee , fa vertu , qu’un peu d’e- Btulation auroic animee & rendue ayantageufe a Sciences et les Arts’ ff la fociete, tombe en langueur , & s’eteint dans la mifere & dans l’oubli. Voila cc qu’a la lon¬ gue doit produire par-tout la preference des ta- lens agreables fur les talens utiles , & ce que Fex- perience n’a.que trop confirme depuis le renou- vellement des fciences & des arts. Nous avons des phyfieiens , des geometres, des chymiftes, des aftronomes , des poetes , des muficiens , des peintres; nous n’avons plus de citoyens : ou , s’il nous enrefte encore, difperfes dans nos catnpa- gnes abandonnees, ils y periflent indigens & ac- prifes. Tel eft l’etat ou font reduits , tels font les fentimens qu’obtiennent de nous ceux qui nous donnent du pain, & qui donnent du lait a 110s enfans. Je 1 ’avoue cependant; le mal n’eft pas auffi grand qu’il auroit pu le devenir. La Prevoyan- ceeternelle , en plaqant a cote de diverfes plan- tes nuilibles, des fimples falutaires, & dans la fubftance de plufieurs animaux malfaifans , le re- mede a leurs bleflures, a enfeigne aux fouve- rains, qui font fes miniftres, a imiter fa fagefle. C’eft a fon exemple, que du fein meme des fcien¬ ces & des arts, fources de mille dereglemens, ce grand monarque, dont la gloire ne fera qu’ac- querir d’age en age un nouvel eclat, tira ces fo- cietes celebres, chargees a la fois du dangereux depot des connoilfances humaines , & du depot facre des mccurs, par l’attention qu’elles out d’en maintenir chez elles toute la purete, & de C 3 §§ Discours scr les fexiger dans les membres qu’elles recoivent. Ces fages inftitutions aff'ermies par fon au- gufte fuccelfeur , imitees par tous les rois de l’Europe , ferviront du moins de frein aux gens de lettres , qui tous, afpirant a l’honneur d’etre adnlis dans les Academies , veilleront fur eux- memes, & tacheront de s’en rendre digues par des ouvrages utiles & des moeurs irreprochables. Celles de ces compagnies, qui, pour le prix dont elles honorent le merite litteraire, feront- irn choix de fujets propres a ranimer l’amour de la vertu dans les eceurs des citoyens, ruontre- ront que ce), amour regne parmi elles , & doune- ront aux peoples ce plailir !i rare & li doux, de voir des focietes Ipavantcs fe devouer a verier fur le genre humaiu , non-feulemenr des lumie- res. agrcables, rpais aulli des inftrudions falu- taires. Qu’on ne m’oppofe done point ufie objection qui if eft pour moi qu’une nouvelle preuve. Taut .de foins ne montrent qae trop la neceilite de les prendre > & fon ne cherche point de remedes a des maux qui n’exiftent pas. Pourquoi faut - il que ceux ci portent encore, par leur infuffifan- ce , le caradere des remedes ordinaires ? Tant d’etabliifemens faits a favantage des fpavans, n’en font que plus capables d’en impofer fur les ebjets des Iciences ; & de tourner les efprits a Jieur culture. II femble , aux precautions qu’on prends qu’on ait frop de laboureurs, & comrae s’il etoit plus aife d’en- gager les homines a bien faire de leur bon gre, que deles y. cbntramdre par la force. Que les fqavans du p remier ordre trouvent dans leurs cours d’honorables afyles qu’i\s y obtiennent la feule recompenfe digne d’eux; celle de contri- buer par leur credit au bonheur des peuples a qui ils auront enfeigne la fageiTe : c’eft alors feu lenient qu’on verra ce que peuvent la vertu, lafcience, &l’autorite, animees d’une noble emu¬ lation, & travaillant de concert a la felicite du genre hurnain. Mais tant que la puiflance fera feule d’uncote, les lumieres & la fagelfe fc-ules d’un autre , les fcavans penleront rarement de grandes chofes, les princes en feront plus rare¬ ment de belles, & les peuples continueront d’e¬ tre vils, corrompus & malheureux. 1 Pour nous, horiimes vulgaires , a qui le del n’a point departi de ft grands talens , & qu’il ne deftine pas a tant de gloire, reftons dans notre obfeurite. Ne courons point apres une reputa¬ tion qui nous echapperoit&qui, dans l’etat prefent des chofes, ns nous rendroit jamais ce 44 DlSCOURS, &C." qu’elle nous auroit coute, quand nous aurions tous Ies titrcs pour l’obtenir. A quoi bon cher- chec notre bonheur dans l’opinion d’autrui, ft nous pouvons le trouver en nous-memes ? Laif- foiis a d’autres le foin d’inftruire les peuples de leurs devoirs , & bornons- nous a bien remplir les notres : nous n’avons pas befoin d’en fqavoir davantage. O vertii, fcience fublime des ames fimples ! faut-il donc taut de peines & d’appareil pour te comioitre? Tes principes ne font-ils pas graves dans tous les occurs ? & ne fuffit - il pas , pour apprendre tcs loix, de rentrer en foi-meme, & d’ecouter la voix de fa confcience dans le filen- ce des paffions ? Voila la veritable philofophie; icachons nous en contenter ; & fans envier la gloire deces homines celebres , qui s’immortali- fcnt dans la re'publique des lettres, tachons de mettre entr’eux & nous cette diftinftion glorieu- fe qu’on remarquoit jadis entre deux grands peu¬ ples; que 1’un fcavoit bien dire, & l’autre bien feire. R & P O N S E AU DISCOURS PRECEDENT- ,: P. L. R. D. P. £ S Difcours da Citoyen de Geneve a de quoi furprendre •, & Ton fera peut- etre egale- ment furpris de le voir couronne par une Aca- demie celebre. Eft - cc fon fentiment particulier que F Auteur a voulu etablir? N’eft - ce qu’un Paradoxe dont il a voulu amufer le Public ? Quoi qu’il en foit, pour refuter fon opinion , il ne faut qu’en examiner les preuves , remettre l’Anonyme vis- a-vis des verites qu’il a adoptees , & l’oppofer lui-meme a lui-meme. Puilfe-je, en le com- battant parfes principes , le vaincre par fes ar- mes & le faire triompher par fa propre defaite ! Sa facon de penfer annonce un coeur vertu-’ eux. Sa maniere d’ecrire decele un efprit cul¬ ture ; mais s’il reunit effedivement la Science a la Vertu , & que l’une ( comme il s’efforce de le prouver ) foit incompatible avec l’autre , com¬ ment fa dodrine n’a-t-elle pas corrompu fa fa- gefle ? ou comment fa fagelfe ne ne 1’a- 1 - elle pas determine a refter dans l’ignorance ? A-t- i! don- ne a la Vertu la preference fur la Science? Pour- quoi done nous etaler avec tant d’aifedation une ■erudition ii vafte & fi recherchee ? A-t-ii.prefe- 4 6 R t P O 5T 3 2 re, ail coritraire, la Science a la Vertu ? Pouf- quoi done nous precher avec tant cf’eloquence celle-ciau prejudice de celie-la? Qu’il commen¬ ce par concilier des contradictions (i fingulieres , avantque de combattre les notions communes j avant que d’attaquer les autres, qu’il s’accord® avec lui-meme. N’auroit-il pretendu qu’exercer fon efprit & faire briller Ton imagination/' Ne lui envions pas le frivole avantage d’y avoir reuffi. Mais que conclure en ce cas de fon Difcours ? Ce que Ton conclut apres la lecture d’un Roman inge- nieux en vain un Auteur prete a des fables les couleurs de la verite, on voit fort bien qu il ne croit pas ce qu’il feint de vouloir perfuader. Pour moi, qui ne me flatte , ni d’avoir a {fez de capacite pour en apprehender quelque chofe au prejudice de mes moeurs , ni d’avoir ailez de vertu pour pouvoir en faire beaucoup d’honneur a mon ignorance , en m’elevant contre une opi¬ nion li pen foutenable, je n’ai d’autre interet que de foutenir celui de la verite. L’Auteut trouvera en moi un adverfaire impartial, je cherc’ne meme a me faire un merite aupres de lui en l’attaquant; tous mes efforts , dans ce combat, n’ayant d’autre but que de reconcilier fon efprit avec fon coeur , & de procurer la fa- tisfadion de voir reunies, dans fon ame, les Sciences que j’admire avec les Vertus . qu?; j’aime. &u Discours Prb'ce'dent, 47 Premiere Parti e. ! T . JjuJt E s Sciences fervent a faire connoitre le vrai y le bon, futile en tout genre : connoiflance pre- eieufe qui, en eclairant les efprits, doit natu- rellement contribuer a epurer les meeurs. La verite de cette propofition n’a befoin que d’etre prefentee pour etre crue : aufii ne m’arre- terai-je pas a la prouver •, ie m’attache feule- ment a refuter les fophifmes ingenieux de celui qui ofe la combattre. Des l’entree de fon Difcours , l’Auteur offr© a ncs yeux le plus beau fpedtacle ; il nous re- preTente l’honime aux prifes , pour ainll dire, avec lui-meme, fortant en quelque maniere dis meant defon ignorance ; diffipant par les efforts- de fa raifon les tenebres dans lefquels la nature favoit enveloppe * s’elevant par l’efprit jufques dans les plus hautes fpheres des regions celef. tes ; afferviffant a fon calcul les mouveraens des Aftres, & mefurant de fon compas la vafte etendue de fUnivers; rentrant enfuite dans le fond de fon cceur & fe rendant compte a lui- meme de la nature de fon ame, de fon excel¬ lence , de fa haute deftination. Qu’un parei-1 aveu , arrache a la verite, efi: honorable aux Sciences ! Qu’il en montre bien Jjt necefllte & les avantages! Qu’il en a du 48 k e' f Q V s £ co a ter a l’auteur d’etre force a le faire , & encofi plus a le retrader ! La Nature, dit-il, eft alfez belle par elle- tneme, elle ne peut que perdre a etre ornee. Heureux les hommes , ajoute-t-il , qui ftavent profiter de fes dons fans les connoitre ! C’eft a la fimplicite de leur efprit qu’ils doivent 1’in- nocence de leurs moeurs. La belle morale que nous debite ici le cenfeur des Sciences & l’apo- logifte des moeurs 1 Qui fe feroit attendu que de pareilles reflexions dulfent etre la fuite des prin- cipes qu’il vient d’etabiir ? La Nature d’elle-meme eft belle, fans dou- te; nvais n’eft-ce pas a en decouvrir les beau- tes , a en penetrer les fecrets , a en devoiler les operations que les Sqavans employent leurs re- cherches ? Pourquoi un fi vafte champ eft-il of- fert a nos regards ? L’efprit fait pour le parcou- rir, & qui acquiert dans cet exercice , ft digne de fon adivite, plus de force & d’etendue, doit-il fe reduire a quelques perceptions paflage- res , ou a une ftupide admiration ? Les moeurs feront-elles moins pures, parce que la raifon fera plus eclairee ? Et a mefure que le flambeau qui nous eft donne pour nous conduire, aug¬ mented de lumieres, notre route deviendra-t- elle moins aifee a trouver , & plus difficile a te- nir ? A quoi aboutiroient tous les dons que le Createur a faits a l’homme , fi , borne aux func¬ tions organiques de fes fens, il ne pouvoit feule- mens Au Disc ours PrS’-ce’d ent. 4 ^ inent examiner ce qu’il voit, reflecmr fur cc qu’il entend, difcerner par l’odorat les raports qu’ont avec Ini lesobiers, fuppleer par le tad: au defaut de la vue, & juger par le gout de ce qui lui eft avantageux ou nuifible ? Sans la rai- fon qui nous eclaire & nous dirige, confondus avec les betes , gouvernes par l’inftind , ne de- viendrions-nous pas bientot aulli femblables it elles par nos adions, que nous le fommes deja par nos befoins? Ce n’eft que par le fecours de la reflexion & de l’etude, que nous pouvons parvenir a regler l’ufage des chofes fenfibles qui font a notre portee, a corriger les erreurs de nos fens , £t foumettre le corps a l’empire de l’efprit, a conduire fame, cetce fubftance fpi- rituelle & immortelle, a la connoiftance de fes devoirs & de la fin. Comme c’eft principalement par leurs effeta fur les meeurs, que l’auteur s’attache a decrier les Sciences ; pour les venger d^une fi faulfe im¬ putation, je n’aurois qu’a rapporter ici les avail-*. tages que leur doit la Societe ; mais qui pourroifc detainer les biens fans nombre qu’elles y appor- tent, & les agremens infinis qu’elles y repan-* dent ? Plus elles font cultivees dans un Etat, plus 1’Etat eft floriflant; tout y languiroit fans elles.' Que ne leur doit pas PArtifan , pour tout ce qui contribue a la beaute, a la folidite, a la proportion , a la perfedion de fes ouvrages ? Le ^ Tome. I L) 0 R e' P 0 N g E laboureur, pour les difFerentes facons de force? la terre a payer a fes travaux les tributs qu’il en attend? Le Medecin , pour decouvrir la natu¬ re des maladies, & la propriete des remedes ? Le Jurifconfulte, pour difcerner 1’efprit des loix & la diverfite des devoirs? Le Jnge, pour demeler les artifices de la eupidite d’avec la fim- plicite de Pinnocence, & decider avec equite des biens & de la vie des hommes ? Tout ci- toyen, de quelque profeflion , de quelque con¬ dition qu’il foit; a des devoirs a remplir; & comment les remplir fans les connoitre ? Sans k connoiffimce de PHiftoire, de la Politique , de la Religion , comment ceux qui font prepo- fes au gouvernement des Etats y fqauroient - ils. y maintenir Pordre, la fubordination, la fure- te, Pabondance ? La curiofite, naturelle a l’homme, lui infpi- re l’envie d’apprendre y fes befoins lui en font fentir la necefiite; fes emplois lui en impofent Tobligation; fes progres lui en font gouter le plaifir. Ses premieres decouvertes augmentent Pavidite qu’il a de fcavoir; plus il connoit » plus il fent qu’il a de connoilfances a acque- rir; & plus il a de connoilfances acquifes , plus. 11 a de facilite 4 bien faire. Le citoyen de Geneve ne Pauroit - il pas e- prouve? Gardons-nous d’en croire fa model- tie. Il pretend qu’on feroit plus vertueux, II Ton etoit moins fcavant: ce font les Sciences» Au Dl SCOURS Pre'ce'be NT.’ ftf dit-il , qui nous font conlioitre le mal. Que d$ crimes, s’ecrie-t-il, nous ignorerions fans el- les! Mais l’ignorance du vice eft-elle done uns vertu ? Eft - ce faire le bien que d’igno- rer le mal ? Et ft, s’en abftenir parce qu’on ne le connoit pas , e’eft-la ce qu’il appelle etre vertueux, qu’il coilvienne du rnoins que ce n’eft pas l’&tre avec beaucoup de merite : e’eft s’ex- pofer a ne pas l’etre longtems : e’eft ne l’etre que jufqu’a ce que quelque objet vienne follicitec les penchans naturels , ou que quelque occalioii vienne reveiller des paffions endormies. II ms femble voir un faux brave , qui ne fait montra de fa valeur que quand il ne fe prefente point d’ennemis : un ennemi vient-il a paroitre, faut- il fe mettre en defenfe; le courage manque, 8c la vertu s’evanouit. Si les Sciences nous font eonnoitre le mal, elles nous en font connoitre auffi le remede. Un botanifte habile fcait de- meler les plantes falutaires d’avec les herbes ve- nimeufes 5 tandis que le Vulgaire, qui ignore e- galement la vertu des unes & le poifon des au- tres, les foule aux pieds fans diftindion , ou les cueille fans choix. Un homme eclaire par les Sciences , diftingue dans le grand nombre d’objets qui s’offrent ^ fes connoiifances, ceux qui meritent fon averfion , ou fes recherches i il trouve dans la dilformite du vice 8c dans le trouble qui le fuit, dans les charmes de la ver¬ tu & dans la paix qui l’aceompagne, dequoi fe- D % R E f P O N S E T* xer fon eftime & fon gout pour l’unc, Ton hor- reur & fes mepris pour l’autre; il eft fage par choix , il eft folidement vertueux. Mais, dit - on , il y a des pays, oil fans fcience , fans etude , fans connoitre en detail les principes de la Morale, on la pratique mieux que dans d’autres oil elle eft plus connue, plus louee, plus hautement enfeignee. Sans exami¬ ner ici, a la rigueur, ces paralleles qu’on fait ft fouvent de nos mceurs avec celles des Anciens ou des Etrangers , paralleles odieux , oil il en- tre moins de zele & d’equite, que d’envie con- tre fes compatriotes & d’humeur contre fes con- temporains : n’eft - ce point au climat, au tem¬ perament , au manque d’occafion, au defaut d’objet, a 1’oeconomie du gouvernement, aux continues , aux loix, a toute autre caufe qu’aux fciences , qu’on doit attribuer cette difference qu’on remarque quelquefois dans les mocurs, en diiferens pays & en differens terns 'i Rappeller fans cefle eetre fimplicite primitive dont on fait tant d’eloges, fe la reprefenter toujours comrae la compagne infeparable de l’innocence, n’eft- ce point tracer un portrait en idee pour fe faire il- lulion i Ou vit - on jamais des hommes fans de- fauts , fans defirs, fans paffions ? Ne portons- nous pas en nous-memes le germe de tous les vices ? Et s il fut des terns , s’il eft encore des climats oil certains crimes foient ignores , n’y yoit on pas d’autres defordres? N’en voit-on Au Disc ours Pu'ce'dekt. S3 "pas encore de plus monftrueux chez ces peuples dont on vante la ftupidite ? Parce que l’or ne tente pas leur cupidite, parce que les honneurs n’excitent pas leur ambition’, en connoilfent-ils moins 1’orgueil & l’injuftice ? Y font ils moins livres aux balfelfes de Pen vie, moins emportes par la fureur de la vengeance j leurs fens grof- iiers font-ils inacceifibles a l’attrait des plaifirs? Et a quels exces ne fe porte pas une volupte qui n’a point de regies & qui ne connoit point de freins ? Mais quand meme dans ces contrees fauvages , il y auroit moins de crimes que dans certaines nations policees; y a-t-il autant de vertus ? Y voit-on iur-tout ces vertus fublimes, cette purete de moeurs, ce defintereflement magnanime , ces addons furnaturelles qu’enfante la Religion ? Tant de grands hommes qui Pont defendue par leurs ouvrages, qui Pont fait admirer par leurs mccurs, n’avoient-ils pas puife dans Pe- tude ces lumieres fuperieures qui ont triomplie des erreurs & des vices? Celt le faux bel-ef- prit, c’eft Pignorance prefomptueufe qui font eclore les doutes & les prejuges ; c’eft Porgueil, c’eft Pobdination qui produifent les fchifmes & les herefies ; c’eft le Pyrrhonifme , c’eft l’incre- dulite qui favorifent l’independance , la revolte, les paffions, tous les forfaits. De tels adverfai- res font honneur a la Religion. Pour les vain- cre, eile n’a qua paroitre 5 feule, elle a de- D 3 f4 R e' p o n s e quoi les confondre tous; elle ne craint que de li’etre pas aifez connue, elle n’a befoin que d’e¬ tre approfondie pour fe faire refpecler ; on l’ai- me des qu’on la connoit; a mefure qu’on l’ap- profondit davantage, on trouve de nouveaux motifs pour la croire, & de nouveaux moyens pour la pratiquer : plus le Chretien examine l’au- tenticite de fes titres , plus il fe rafiure dans la polTeffion de fa croyance ; plus il etudie la reve¬ lation , plus il fe fortifie dans la foi. C’eft dans les divines Ecritures qu’il en' decouvre l’origine & l’excellence c’eft dans les dodes ecrits des Peres de l’Egftfe qu’il en fuit de fiecle en ftecle le developpement; c’eft dans les livres de Mo¬ rale & les Annales faintes, qu’il en voit les ex- emples» & qu’il s’en fait 1’applieation. Quoi J l’ignoranee enlevera a la Religion & a la vertu des lumieres ft pures, des appuis ft puiflans; & ce fera a cette meme Religion qu’un Docfteur de Geneve enfeignera hautement qu’on doit l’irregularite des nioeurs! On s’etonneroit davantage d’entendre tin ft etrange paradoxe, ft on lie fqavoit que la fingularite d’un fyfteme , quelque dangereux qu’il foit, n’eft qu’une raifon de plus pour qui n’a pour regie que l’efprit par¬ ticular, La Religion etudiee eft pour tous les hommes la regie infaillible des bonnes moeurs. Je dis plus: I’c-tude meme de la Nature contri- bue a elever- les fentimens , a regler la condui¬ ts j die raraene naturellement a Padmiration» Au P iscours Pre'ce'dent. r fjT a l’amour, a la reconnoiflance, a la fouiniflion que toute ame raifonnable fent etre dues au Tout - puiflant. Dans le cours regulier de ces globes immenfes qui roulent fur nos tetes , l’Afi. tronome decouvre une Puiflanee infinie. Dans la proportion exadte de toutes les parties qui compofent l’Univers, le Geometrc apperqoifi Felfet d’une intelligence fans bornes. Dans la fucceilion des terns, l’enchainement des caufes aux effets, la vegetation des plantes , Forganifa- tion des animaux , la conftante uniformite & la variete etonnante des differens phenomenes de la Nature , le Phyficien n’en peut meconnoitre l’Auteur, le Confervateur, FArbitre Sc le Maitrc. De ces reflexions le vrai Philofophe defeen- dant a des confequences pratiques, & rentrant en lui-meme, apres avoir vainenient cherche dans tons les objets qui Fenvironnent ce bonheur parfait apres lequel il foupire fans celfe, & ne trouvant rien ici bas qui reponde a Fimmenfite de fes defirs ; il fent qu’il eft fait pour quelque chofe de plus grand que tout ce qui left cree ; il fe retourne naturellement vers fon premier prin- cipe & fa derniere fin. Heureux , fi docile a la Grace, il apprend a ne chercher la felieite de fon coeur que dans la pofl’eflion de fon Dieu ! D 4 ! & dans aucun terns les ri- cheifes n’ont ete l’appanage ordinaire des Sea- vans. Pour un Platon dans l’opulence , un Arif, tippe accredite a la Cour , combien de Philofo- phes reduits £u manteau & a la beface, enve- loppes dans leur propre vertu & ignores dans leur folitude ! combien d’Homeres & de Dioge¬ nes , d’Epictetes & d’Efopes dans l’indigence ! Les Sea vans n’ont ni le gout ni le loifir d’anraf- fer de grands biens, Ils aiment l’etude; ils vi- vent dans la mediocrite, & une vie laborieufe &moderee, palfee dans le liience de la retraite, occupee de la lc&ure & du travail, n’eft pas aflurement une vie voluptueufe & crimindle. Les commodites de 'a vie , pour etre fouvenc le fruit des Arts , n’en font pas davantage le partage des Artiftes ; ils ne travaillent que pour les riches , & ce font les riches oififs qui prohtent $ abufeut des fruits de leur induftrie* Uf '■^S R e' P O N S E L’eiFet le plus vante des Sciences & des Arts , c’eft, continue l’Auteur, cette politelfe intro- duite parmi les hommes, qu’il lui plait de con- fondre avec Fartifice & Fhypocrilie. Politelfe , felon lui, qui ne fert qu’a cacher les defauts & a mafquer les vices. Voudroit-il done que le vice parut a decouvert; que l’indecence fut join- te au defordre, & le fcandale au crime ? Quand, effe&ivement, cette politelfe dans les manieres ne feroit qu’un rafinement de l’amour propre pour voiler les foiblelfes, ne feroit-ce pas en¬ core un avantage pour la Societe, que le vi- cieux n’ofat s’y montrer tel qu’il eft, & qu’il fut force d’emprunter les livrees de la bienfeance & de la modeftie ? On Fa dit, & il eft vrai 5 Fhy¬ pocrilie, toute odieufe qu’elie eft en elle me- me, eftpourtant un hommage que le vice rend a la vertu; elle garantit du moins les antes foi¬ bles de la contagion du mauvais exemple. Mais c’eft mal connoitre les Scavans , que de s’en prendre a eux du credit qu’a dans le rnonde cette pretendue politelfe qu’on taxe de diffimula- tiomt on peut etre poli fans etre diffimule •, on peut allurement etre Fun & l’autre fans etre bien fqavant; & plus communement encore on peut etre bien fqavant fans etre fort poli. L’amour de la folitude, le gout des livres , le peu d’envie de paroitre dans ce qu’on appelle 3c Beau-Monde, le peu de difpofition a s’y pre- fenter avec grace, le pen d’elpoir d’y plaire, Au Discours Precedent, f^ d’y briber , l’ennui infeparable des converfa- tions frivoles & prefque infupportables pour des efprits accoutumes a penfer; tout concourt a rendre les belles compagnies aufll etrangeres pour Je Scavant, qu’il eft lui - meme etranger pour elles. Quelle figure feroit-il dans les Cer- cles ? Voyez-le avec fon air reveur , fes fre- quentes diffractions , fon efprit occupe , fes ex- preftions etudiees , fes difcours fententieux, foil ignorance profonde des modes les plus recues & des ufages les plus communs : bientot par le ri¬ dicule qu’il y porte & qu’il y trouve , par la contrainte qu’il y eprouve & qu’il y caufe , il ennuye , il eft ennuye. II fort peu fatisfait; on eft fort content de le voir fortir. Il cenfure in- terieurement tous ceux qu’il quitte; on raille hautement celui quipart; & tandis que celui-ci gemit fur leurs vices, ceux-la rient de fes de- fauts. Mais tous ces defauts, apres tout, font affez indifferens pour les moeurs j & c’eft a ces defauts que plus d’un Scavant, peut-etre, a l’obligation de n’etre pas aufli vicieux que ceux qui le critiquent. Mais avant le regne des Sciences & des Arts, on voyoit, ajoute l’Auteur, des Empires plus etendus, des conquetes plus rapides, des guer- riers plus fameux. S’il avoit parle moins en ora- teur & plus en philofophe, il auroit dit qu’on voyoit plus alors de ces hommes audacieux, qui, tranfportcs par des paiiions violentes, & trainant 60 R e' p o n s e a leur fuite une foule d’efclaves, alloient atta- quer des nations tranquilles, fubjuguoient des peuples qui ignoroient le metier de la guerre, aifujettiifoient des pays oil les Arts n’avoient ele- ve aucune barriere a leurs fubites excurllons'; leur valeur n’etoit que ferocite, leur courage que cruaute, leurs conquetes qu’inhumanite; c’e- toient des torrens impetueux qui faifoient d’au- tant plus de ravages , qu’ils rencontroient moins d’obftacles. Auffi a peine etoient-i!s paffes , qu’il ne reftoit fur leurs traces que celles de leur fu- reur; nulle forme de gouvernement, nulle loi, nulle police, nul lien ne retenoit & n’uniffoit a eux les peuples vaincus. Que ron compare a ces terns d’ignorance & de barbarie , ces liecles heureux, oil les Scien¬ ces out repandu par - tout 1’efprit d’ordre & de juftice. On voit de nos jours des guerres moins frequentes , mais plus jultes ; des actions moins etonnantes, mais plus heroiques ; des vidoires moins fanglantes , mais plus glorieufes; des con¬ quetes moins rapides, mais plus aflurees; des guerriers moins violens, mais plus redoutes, fcachant vaincre avec moderation , traitant les vaincus avec humanite: l’honneur eft leur guide j lagloire, leur recompenfe. Cependant, ditl’Au- teur, on remarque dans les combats une grande difference entre les nations pauvres, qu’on appelle barbares, & les peuples riches, qu’on appeile polices. II paroit bien que le citoyen d© Au Discour s Pre'ce'denj.' On me taxe, par des phrafes fort agreable- ment arrangees , de contradi&ion entre ma con- duite & ma doctrine; on me reproche d’avoir cultive moi-memeles etudes que je condamne (c); puifque la fcience & la vertu font incompatibles, comme on pretend que je m’elforce de le prou- ver, on me demande, d’un ton affez prelfant , comment j’ofe employer l’une en me declarant pour l’autre- II y a beaucoup d’adreffc a m’impliquer ainfi moi-meme dans la queftion: cette perfonnalite nc peut manquer de jetter de l’ambarras dans mes reponfes ; ear malheureufement j’en ai plus d’une a faire. Tachons du moins que la julteife y fupplee a l’agrement. i. Que la culture des fciences corrompe les moeurs d’une nation , c’eft ce que j’ai ofe foute- nir; c’eft ce que j'ofe croire avoir prouve. Mais comment aurois-je pu dire que dans chaque hom- me en particular la fcience & la vertu font in¬ compatibles , moi qui ai exhorte les Princes a appeller les vrais fcavans a leur Cour, & a leur donner leur eonfance, afin qu’on voye une fois (c) Je ne fqaurois me juftifier, comme bleu d’autres, fur te que notre education ne depend point de nous, & qu’oa jre nous confujte pas pour nous empoifonner : c’eft de tres-bon gre que je me fin's jette dans l’etmle , & c’eft de meil'cur cceur encore que je I’ai abandonnee , en m’ap- percevant du trouble qu'elle jettoit dans moil ame fans aycun profit pour ma raifon. Je ne veils plus d’un me¬ tier trompeur, ou 1’on croit beaucoup faire pour la fagef- if, cu faifaut tout pour Ja yanite. E 3 Observations d e ce que peuvent la fcience & la vertu reunies pour lc bonhcur du genre humain ? Ces vrais fqavans font en petit nombre , jel’avoue, car, pour bien ufer de la fcience , il faut reunir de grands talens & de grandes vertus; or c’eft ce qu’on peut efperer de quelques ames privilegiees, piais qu’on lie doit point attendr? de tout utt peuple. On ne fqauroit done conclure de me$ principes , qu’un homme ne peiife etre fcavant & vertueux tout a la fois. 2 . On pourroit encore moins me prel'fer per- fonnellement par cette pretendue contradiction, quand meme elle exifteroit reellement. J’adore la vertu , mon cceur me rend ce temoignage; il pie dit trop auffi , camhien i' y a loin de cet a- mour a la pratique qui fait fhomme vertueux ; d’ailleurs, je fuis fort eloigne d’avoir de la fcien¬ ce, & plus encore d’en alfeder. J’aurois cru que l’aveu ingenu que j’ai fait au commencement de mon difeours , me garantiroit de cette impu¬ tation : ic craignois bien plutot qu’on ne m’ac- pufat de juger des chofes que je ne ponnoiiTois pas. On lent affez combien il m’etoit impoffi- ble d’eviter a la fois ces doux reproches, Que fcais-je meme, li i’on n’en viendroit point a les reunir , fi je ne me hatois de paifer condamna- tion fur celui-ci, quclque peu tnerite qu’il puii- fe etre ? 3. je pourrois rapporter a ce fujet ce que di- foient les Peres de PEglije des fciences moirdai- Jean-Ja.cq.ues Rousseau. 71 nes qu’ils meprifoicnt, & dont pourtant ils fe fer- voient pour combattre les philofophes payens. Je pourrois citcr la comparaifon qu’ils en faifoient avec les vafes des Egyptiens voles par les Ifrae- lites: mais je me contenterai, pour derniere re- ponfe , depropofer cette queftion: Si quelqu’un venoit pour me tuer, & que j’euffe le bonheur de me faifir de fon arme , me feroit il defendu , avant que de la jetter, de m’en fervir pour le chaffer de chez moi ? Si la contradiction, qu’on me reproche n’exif- te pas, il n’eft done pas ncceffaire de fuppofer que je n’ai voulu que m’egayer fur un frivole pa- radoxe ; & ce'a me paroit d’autant mains necef- faire, que le ton que j’ai, quelque mau vais qu’il puilfeetre, n’eft pas celui qu’on employe dans les jeux d’elprit. Il eft terns de finir fur ce qui me regarde: on ne gagne jamais rien a parler de foi j & e’eft une indiferetion que le Public pardonne dftftcile- ment, meme quand on y eft force. La verite eft ft independante de ceux qui 1’attaquent * & de ceux qui la defendent, que les auteurs qui en difputent devroient bien s’oublier reciproque- mentj cela epargneroit beaucoup de papier & d’encre. Mais cette regie ft aifee a pratiques: avec moi, ne 1’eft point du tout vis-avis de mon adverfaire j & e’eft une difterence qui n’eft pas a 1’avantage de ma replique. L’auteur, obfervant que j’attaque les fciences E 4 ^3 Observations de fk les arts par leurs effets fur les moeurs, enW ploye, pqur me repandre, le denomhrement des uti ites qu’oq en retire dans tons les Etats; corn- pie ft, pour juftifier un accufe, on fe contentoit de prouver qu’il fe porte fort bien, qu’il a beau- poup d’habilete 5 ou qu’il eft fort riche. Pourvu qu on m’accorde que les arts & Jes fciences nous pendent maihonnetes gens, je ne difconvicndrai pas qu’ils ne nou fqient d’ailleurs tres-comma T des ; c’eft une conformitc de plus qu’ils auront avec la piupart des vices. L’auteur va plus loin , & pretend encore qu? 1’etude nous eft neceifaire pour admirer les beau r tes de Vuniyers , & que le l'p e da cl e de la Natur? exp; fe, ce femble , aux yeux de tous pour l’inf- trudion des, fimples, exige lufmeme heaucoup d'inftrudions dans les obfervateurs, pour en etrs apperqu. J’avoue que cette propoftt on me fur- prend. Sieroit-ce qu’il eft ordo.nne a tous les hommes d'etre philofophes , ou qu’il n’eft ordonne qu’aux feuls philofophes de croirp en Dieu ? L’ftcrfture nous exhorte en mil- Je qndrojts d’adorer la grandeur & la bonte dp Dieu dins fts' meryeilles. de fes oeuvres; je np pen’e pas qu’efe nous ait prefcritnulle part d’e- tudier la phyfique, ni que ft Auteur de la Nature foit moins bieu adore par moi qui ne fqais rien, que par celui qui connoit & le cedre & Fliyfope., & la tronipe de la mouche, & celle de l’-ele- fhant, I Jeau-Jacques Rousseau, 73 On croit toujours avoir dit ce que font les fcicnces, quand on a dit ce qu’elles devroient faire. Cela me paroit pourtant fort different; l’etude de I’univers devroit elever Phomme a fon Crcateur, je le fqais; mais elie n’eleve que la yanite humaine. Le philofophe qui fe flatte de penetrer dans les fecrets de Dieu, ofe affocier fa pretendue fagelTe a la SageiTe Eternelle: il ap- prouve, il blame , il corrige , il prefcrit des loix: a la Nature, & des bornes a la Divinite; & tan- dis qu’occupe de fes vains fyftemes , il fe donne nhlle peines pour arranger la machine du Mo 11- de, le laboureur qui voit la pluie & le foleil tour-a-tour fertilifer fon champ, admire, loue & benit la main dont il regoit ces graces, fans fe meler de la maniere dont elles lui parviennent, Il ne cherche point a juftifier fon ignorance ou fes vices par fon incredulite. Il ne cenfure point les oeuvres de Dieu , & ne s’attaque point a fon iVIaitre pour faire briiler fa fuffifance, Jamais le mot irnpie d’Alphonfe X. ne tombera dans l’ef- prit d’un homme yulgaire: c’elt a une bouche fcavante que ce blafphenre etoit referve. Lacuriofite naturelle a Phomme , continue-ton, hi infpire I'envis cTapprendre. Il devroit done traveller a la contenir, comme tous. fes pen- chans naturels. Sw befoins lui enfant fentir la necefjiti. A bien des egards les eonnoiifances font utiles jeependant les Sauvages font des hom¬ ines, & ne fentent point cette neoeffite la, Scs E 1 74 Observations de emplois ltd eu impcfent l'obligation . Ils lui impo- fent bien plus fouvent celle derenoncer a l’etu- de pour vaquera fes devoirs (d). Ses progres lui enfant goiiter le plaifir. C’eft pour cela rneme qu’il devroit s’en defier. Ses premieres decouver- tes augment ait Pavidite qu'il a de fcavoir. Cela arrive , en eifet, a ceux qui ont du talent. Plus il connoit, plus il fait qu'il a de connoijflmces d acquerir. . C’eft-a-dire , que Pufage de tout le temps qu’il perd , eft de l’exciter a en perdre en¬ core davantage. Mais il n’y a gueres qu’un pe¬ tit nombre d’hommes de genie, en qui la vue de leur ignorance fe developpe en apprenant , & c’eft pour eux feulcment que l’etude peut etre bonne: a peine les petits efprits ont-ils appris quelque chofe, qu’ils croyent tout fcavoir; & if n’y a forte de fotife que cette perfuafion ne leur fade dire & fairs. Flits il a de connoijfar.ces ac~ quij'es , plus il a de facilite d bien faire. On voit qu’en parlant ainfi, 1’auteur a bien plus confulte ion eceur, qu’il n’a obferve les honimes. 11 avance encore qu’il eft bon de connoitre le mal pour apprendre a le fuir; & il fait entendre qu’on ne peut s’affiirer de fa vertu qu’apres l’a- voir mife a l’epreuve. Ces maximes font au nioins douteufes & fujettes a bien des difeuffions. (d) C’eft line mauvaife marque pour une fociele , qu’il faille taut tie fciince dans ceux qui la comluifent. Si les homines etolent ce qu’ils iloiveut etre, ils ii’auroient gue¬ res befoin li’etudier, pour apprendre les chol'es qu'ils out' 8 faire. Jean-Jacq_ues Rousseau. 7f il n’eft pas certain que, pour apprendre a bien faire, on foit oblige de fqavoir en eombien de manieres on peut faire le mal. Nous avons un guide interieur, bien plus infaillible que tous les livres, & qui ne nous abandonne jamais dans le befoin. C’en feroit alfez pour nous condui- re innoeemment, fi nous voulions l’ecouter tou- jours. Et comment feroit-on oblige d’eprouver fes forces , pour s’aflurer de fa vertu , li c’eft un des exercices de la vertu , de fuir les occafions du vice '{ L’homme fage eft continuellement fur fes gar¬ des, &: fe defie toujours de fes propres forces* il referve tout fon courage pour le befoin, &ne s’expofe jamais mal-a-propos.Le fanfaron eftcelui qui fe vante fuis cede de plus qu’il ne peut fai¬ re, & qui, a pres avoir brave & infulte tout le monde, fe lai/Te battre a la premiere rencontre. Je demande lequel de ces deux portraits relfem- ble le mieux a un Philofopfie aux prifes avec fes paffions, On me reproche d’avoir affedte de prendre chez les Anciens mes exemples de vertu. Il y a bien de l’apparence que j’ea aurois trouve enco¬ re davantage , fi j’avois pu remonter plus haut. J’ai cite aufii un peuple moderne, & ce n’eft pas nia faute, fi je 11’en ai trouve qu’un. On me reproche encore, dans une maxime generale 1 , des parallels odieux, ou il entre, dit-on, moinS de zele &d’ecjuitp 3 que d’envie centre nics corn- Observations de patriotes, & d’humeur contre mes contempo- rains. Cependant perfonne, peut-etre, n’aime autant que moi fon pays & fes compatriotes. Au furplus, je n’ai qu’un mot a repondre: J’ai dit rnes raifons , & ce font elles qu’il faut pefer. Quanta mes intentions, il en faut laiifer le ju- gement a celui-la feul auquel ii apparticnt. Je ne dois point pafl’er ici fous filence une objection confidetable, qui m’a deja ete faite par un Philofophe (e) : N'eji-ce point , medit-onici, mi climat, an temperament , au manque d'oecafton, mi defaut d'objet, a 1'ieconomie du gouvernement , aux coutumes, aux loix, d toute autre chafe quaux fdences, aid on doit attribuer cette difference quon remar que quelquefois dans les mmrs , en different pays en different temps ? Cette queftion renferme de grandes vues , &: demanderoit des eclaircilfemens trop etendus, pour convenir a cet ecrit. D’ailleurs, il s’agi- roit d’examiner les relations tres-cachees, mais tres-reelles , qui fe trouvent entre la nature du gouvernement & le genie , les moeurs & les con- jioilfances des citoyens > & ceci me jetteroit dans des difcuffions delicates qui me pourroient jnener trop loin, De plus, il me feroit bien difficile de parler de gouvernement, fans don- ner trop beau jeu a mon adverfaire ; & tout bien pefe , ce font des recherches bonnes a faire a Geneve , & dans d’autres circoiffiauces.. (e) Pi'cF. de I’Encycl, Jean-Jacq_ues Rousseau. 77 Je paffe a une accufation bien plus grave que Pobjection precedente; je la tranfcrirai dans fes propres termes; car il ell important de la mettre fidelement fous les yeux du ledteur. Plus le Chretien examine P authenticity de fes titres, phis il fe rafjure dans la pojfejjioii de ft croyance plus il etudie la revelation , plus il fe fortife dans la foi. Cejl dans les divines Ecritii- res, quil en decouvre Porigine 'if Pexcellence c'efi dans les docles ecrits des Peres de l' Eglife, qiPil en fuit de fiecle en fiecle le developpement ; cejl dans les livres de morale if les annules faintes , qiitl en volt les exemples if qiiil Pen fait Papplication. Quoi! Pignorance enlevera a la religion if a la Terta des appuis fipuiffans ; if ce fera a cette mi¬ me religion , qiiun do&eur de Geneve en feigner cl kautement qiPon doit Pirregidarite des vmirs ! On s'etonneroit davantage d’entendre un fi etrange pa- radoxe, fi on ne fcavoit que la frngularite d'thi fypUme, quelqus dangereux quil foit, n'efl qiPune raifon de plus , pour qui n'a pour regie que Pefprit particulier. J’ofe le demander al’Auteur; comment a-t-il pu jamais donner une pareille interpretation aux principes que j'ai etablis l Comment a-t-il pu m’accufer de blamer Petude de la religion, moi qui blame fur-tout Petude de nos vaines fciences, parce qu’ellenous detourne de celle de nos de¬ voirs!' & qu’eft-ce que Petude des devoirs du Chretien, finon celle de fa religion men^e ? 78 Observations t > 2 Sans doute j’aurois d& blaraer expreflement toutes ces pueriles fubtilites de la fcholaftique, a- Vec lefquelies, foils pretexts d’eclaircir lesprinci- pes de la religion, on en aneantit l’efprit, en fubf- tituant l’orgueil fcientifique al’humilite chretien- ne. J’aurois du m’elever avee plus de force con- tre ees Minifires indifcrets , qui les premiers 0116 ofe porter les mains a 1’arche , pour etayer avec leur foible fcavoir 1111 edifice foutenu par la main de Dieu. J’aurois du m’indigner contre ces hommes frivoles, qui * par leurs miferabies pointilleries, ont avili la fublime fimplicite de 1 ’Evangile, & reduit en fyilogifmes la doctrine de Jefus-Ciirift; mais il s’agit aujourd’hui de me defendre, & non d’attaquer. Je vois que c’eft par 1 ’Hiftoire & les faits qu’ii faudroit terminer cette difpute. Si je fca- vois expofer en peu de mots ce que les fciences & la religion ont eu de commun des le comraen- cement , peut-etre cela ferviroit-il a decider la queftion fur ce point. Le peuple que Dieu s’etoit choifi , n’a jamais cultive les fciences, & on ne lui en a jamais confeille l’etude j cependant fi cette etude etoit bonne a quelque chofe , il en auroit eu plus be- foin qu’un autre. Au contraire , fes chefs brent tous leurs efforts pour le tenir fepare , autant qu’ii etoit poflible, des nations idolatres & fca- vantes qui l’environnoient. Precaution moins neceffaire pour lui d’un cote que de Fautrs: Jean-Jacques Rousseau. ce peuple foible & groffier etoit bien plus aifc a feduire par les fourberies des pretres de Baal, que par les fophifmes des Philofophess Apres des difperfions frequentes parmi les E-» gyptiens & les Grecs, la fcience eut encore mil- le peines a germer dans les tetes des Hebreux. Jofeph & Philon, qui par-tout ailleurs n’auroient; ete que deux homines mediocres , furent des pro- diges parmi eux. Les Saduceens , reconnoilTa- bles a leur irreligion, furent les Philofophes de Jerufalem; les Phacifiens, grands hypocrites, en. furent les dotteurs (/). Ceux-ci, quoiqu’ilsbor- naffent a-peu-pres leur fcience a Petude de la loi, faifoient cette etude avec tout le fade & toute la fuffifance dogmatiques; ils obfervoieitt aufli avec un tres-grand foin toutes les pratiques de la religion : mais l’Evangile nous apprend 1’elprit de cette exaditude & le cas qu’il falloic en faire : au furplus, ils avoient tous tres - peu de fcience & beaucoup d’orgueil; & ce n’eft pas (f) On voyoit regner entre ccs deux partis cette haine & «e mepris reciproques, qui regnerent ile tout temps entrs les Dodtcurs & les r-iilofophes : c’eft-a-ilire , entre ceux qui font Ce leur tetc un repertoire de la Science d’r.utrui , & ceux qui fe^ piquent «l'en avoir une deux. Metres anx prifes le Maitre dc Muiique & le Maitre a Danfef da Bourgeois Gentil - homme , vous aurez l’Antiquaire & le Bel-Efprit, le Cliymifte & l’homme de Lettres , le Jurif- confulte & le Medecin , le Geometre & le Verfificateur, le Thcologien & ie Philafophe. Pour bien juger de tous ees gens-Id , il fuffit de s’en rapporter a eux-memes, & d’ecouter ee que Jv chaciin vous dit, non de fui, niais des autre*. 8o Observations de en cela qu’ils difFeroient le plus de nos docleurs d’aujourd’hui. Dans 1’etabliiTement ds la nouvelle loi, eg ne fut point a des Sqavans que Jefus-Chrift vou- lut cbnfier fa dodrine & fon minillere. 11 fuiviC dans fon choix la pr^dile&ion qu’il a montrea en toute occafion pour les petits & les fimples^ Et dans les inftrudions qu’il donnoit a Fes difei- pies, on ne voit pas un mot d’etude ni de feien- ce , li Ce n’eft pour fnarquer le mepris qu’il fai- foit de tout cela. Apres la mort de Jefus-Chrift', douze pauvres pecheurs & artifans entreprirent d’inftruife 8c de convertir le monde. Leur methode etoit lint- pie ; ils prechoient fans art, mais avec un eccut penetre ; & de tons les miracles dont Dieu ho- noroit leur foi, le plus frappant etoit la laintete de leur vie : leurs dif iples fuivirent cet exem- ple, & le fucces fut prodigieux. Les pretres payens allarmes firent entendre aux Princes ,' que l’Etat etoit perdu, parce que les olFrandes diminuoient. Les perfecutions s’eleverent, & les perfecuteurs ne firent qu’accelerer les pro- gres de cette religion qu’ils vouloient etouifer. Tous les Chretiens couroient au martyre ; tous¬ les Peuples couroient au bapteme: l’hiltoire de ees premiers temps eft un' prodige continue!. Cependant les pretres des idoles, non con- tens de perfecuter les Chretiens , fe mireiit a les ealomnier > les Philofophes, q.ui ne trouvoienc pas ; j £ a n - J a c q_u e s Rousseau, gi pas leur compte dans une religion qui preclie l’hutnilite , fe joignirent a leurs pretres. Les railleries & les injures pleuvoieilt de tontcs parts l^ir la ilouvelle feete. II fallut prendre la plume pour fe defendre. Saint Juftin , martyr (g) , ecri- (g) Ces premiers Ecrivains, qui feeloient tie leur fang le temoignage de leur plume, feroient aujourd’hui ties Au¬ teurs liien fcandaleux; car ils- foutenoient precifement le meme fentiment que moi. Saint Juftin, dans fon entre- tien avec Triphon , pafle en revue les diverfes feftes de Fhilofophie dont il aVoit autrefois efface , & les rend fi ri¬ dicules, qn’on croiroit lire un dialogue de Luoien: aufli voit-on, dans l’Apolosie de Tertullien, combien les pre¬ miers Chretiens fe tenoient offenfes d’etre pris pour des Phi- lofophes. , Ce feroit, en effet, un detail bien ftetriffant pour la phi- lofophie , que l’expoiition des maximes pernicieufes, &, des dogmes impieS de fes diverfes feftes. Les Epienriens nioienc tonte providence; les Academiciens doutoient de l’exiftence tie hDivinite, & Us Stoiciens,de 1’immortalite de Paine. Les feftes moins ee'Iebres n’avoieht pas de meiileurs fentiiiiens: en voiciun dchantillon dansceux de Theodore, chef d’une des deux branches des CVrenaiques, rapportepar Diogefle Laerce. Sums. lit uitticitiam , quo.I ea tfeque infyientibus , tieq.-te Japientibm ai~' ft.. . Probabiie dicebat pruAentem virum non feipfum , pro pa- triu , peri cults exponere ; neque etiiin pro infipientitiw commodi s amittendftm ejje pruientiam. Furto quoqtie & adulterio facrile - gio , cttr.i tempiflivum irit , Auturum operatn fapientsm ; nihil qtttppi horutn turpe mturu ejfe. Sea aiiferatur Ae hifee vulgarii opinio , qtue it Jlultorwn imperitoruttique pi bccuia conjlata efl. - fipimtem public}, abfquc ullo pit Acre ae jufpicione , fcortis con - grejfurum. Ces opinions font particulieres, je le fqais; mats y a-t-il line fcule de toutes les feftes qui lie foit tombde dans quel- que erreur dangereufe? Et que dirons - nous de la diftinc- tion des deux doctrines, fi avidement reque de tons les -4'hi- lofoplies, & par laquelte ils profeffoient en fecret des fen- timens contraires a ceux qu’ils enfeignoient publiquement? Pythagore fat le premier qui fit ufage de la doftrine inte- rieure ; il lie la decouvroit a fes difcipleS qu’apres de lon¬ gues epreuves Sc avec le plus grand my Here; il leur donnoit esa Tome 1 . F $2 Observations d e vit le prem'er l’apologie de fa foi. On attaquS les payens a leur tour; les attaquer c’etoic les vaincre. Les premiers fucces encouragerent d’autres Ecrivains. Sous pretexte d’expofer lj turpitude du paganifme, on fe jetta dans la my- thologie & dans 1’erudition (h): on voulut mon- tret de la fcience & du bel efprit; les livres pa- rurent en foule ; & les mteurs eommencerent a fe relachrr. Biemot on ne fe ccntentaplus de la /unpliei- te de l’Evangile & de la foi des Apdtres ; il fai¬ l'd t toujours avoir plus d’efprit que fes ptedecef- fears. On fubtilifa fur tous les dogmes ; cha- cun voulut foutenir fon opinion ; perfonne ne fecref’des leqons d’Atheifine, & offroit folemiiellemcnt (fes He. catombes a Jupiter. Les Philofophes fe trouvereiit li bien tie cette methode , qu’elie fe repamlit rapidement dans la Grece„ & de - la dans Rome , comme oil le voit par les onvrages tie Cieeron, qui fe moquoit avec fes amis, des Dieux immor- tels, qu’il atteftoit avec tant d’emphafe fur la tribune aux ha¬ rangues. (h) On a fait de juftes reproches a Clement d’Alexandrie , d’avoir affeifte dans fes ecrits nnc erudition profane, peu eonvenable a un Chretien. Cepenclant il fcmble qu’on etoit excufable alors de s’inftruire dela do&rine contre laquelle on avoit a fe defendre. Mais qui pourroit voir , fans rire, rou¬ tes les peines que fe donnent aiijourd’hui nos fqavans, pour eclaircir les reveries de la Mythologie? La doftrine interieure n’a point ete portee d’Enropc a k Chiue; mais elle y eft nee auffi avco la philofophie, & e’efi a elk que les Chinois font redevables de cette foule d’Athees eu de Philofophes qu’its out parmi eux. L’hiftoire de cette fatale doctrine , faite par un ho®me inftruit & lincere, feroit un terrible coup porte a la philofophie aiicienne & motlerne. Mais la philofophie bravera toujours la raifon , & le terns mSme ; paree qu’elie a fa fource dans 1’orgueil liumain, plus, fort qne.toutes ces chofes. L J e a.n - j a c q_u e s Rousseau. 83 Voulut ceder.L’ambition d’etre chef de fede fe fit entendre j les herelies pullulerent de toutes parts. L’emportement & la violence ne tarderent pas a fe joindre a la difpute. Ces Chretiens 11 doux, qui ne fejavoient que tendre la gorge aux couteaux, devinrent entr’eux des perfecuteurs furieux , pires qne les idolatres : tous tomberent dans les memes exces ; & le parti de la verite ne fut pas foutenu avec plus de moderation , que celui de l’erreur. Un autre rr.al encore plus dangfereux naqult de la meme fource. Celt l’introdudion de l’an- cienne philofophie dans la doctrine clv.etienne. A force d’etudier les Philofophes Grecs, on crut y voir des rapports avec le chriftianifme. On ofa croire que la religion en deviendroit plus relpedable , revetue de Paiitorite de la philofo¬ phie. II fut un terns ou il falloit etre Platcni- cien pour etre orthodoxe ; & peu s’en fallut que Platon d’abord , & enfuite Ariftote , ne fut pla¬ ce fur l’autel a cote dej. C. L’eglife s’eleva plus d’une fois contre ces a- bus. Ses plus illuftres defenfeurs les deplore- rent louvent en termes pleins de force & d’ener- gie : fouvent ils tenterent d’en bannir toute cet- te fcience mondaine, qui en fouilloit la purete. Un des plus illuftres Papes en vint meme jufqu’a cet exces de 2 ele, de foutenir que e’etoit une chofe honteufe d’aflervir la parole de Dieu aux regies de la grammaire. F % S 4 Observations be Mais ils eurent beau crier : entraines par h torrent, ils furent contraints de fe conformer eux- memes a l’ufage qu’ils condamnoient; & ce fut dime maniere tres - fcavante que la plupart d’entr'eux declamerent contre le progres des fciences. Apres de longues agitations, les chofes pri- rent enfin une affiette plus fixe. Vers le dixie- me fiecle, le flambeau des fciences ceiTa d’eclat- rer la terre; le clerge demeura plonge dans une ignorance que je ne veux pas juftifier , puifqu’el- le ne tomboit pas moms fur les cfrofes qu’il doit fcavoir, que fur celles qui lui font inutiles, mais •a laquelle l’eglife gagna du moins un peu plus 4e repos qu’elle n’en avoit eprouve jufques - la. Apres la renaiflance des lettres, les divifions ne tarderent pas a recommencer plus terribles que jamais. De fijavans liommes emurent la que- relle, de fqavans hommes la foutinrent; & les plus capables fe montrerent les plus obflines. C’eft en vain qu’on etablit des conferences entre les dodeurs des differens partis : aucun ivy portoit l’amour de la reconciliation , ni peut-etre celui de la verite ; tons n’y portoient que le defir de briller aux depens de leur adver- faire : chacun vouloit. vaincre , nul ne vouloit s’inftruire : le plus fort impofoit filence au plus foible : la difpute fe terminoit toujours par des injures; & la perfecution en a toujours etc le fruit. Dieu feul fqait quand tons ces nmtjx fity- ront. Je a%- Jacq_ue s Rousseau, g f Les fciences font floriflantes aujourd’hui; la litterature & les arts brillent parmi nous ; quel profit en a tire la religion ? Demandons-lc a cette multitude de Philofophes qui fe piquent de n’en point avoir. Nos bibliotheques vegorgent de livres de theologie, & les cafuiftes fourmil- lent parmi nous. Autrefois nous avions des faints & point de cafuiftes. La fcience s’etend, & la foi s’nneantit. Tout le monde veut enfei- gner a bien faire , & perfonne ne veut l’appren- drc. Nous fommes tous dcvenus docleurs , & nous avons ceffe d’etre chretiens. Non , ce n’eft point avec taut d’art & d’ap- pareil queTEvangile s’eft etendu par tout 1’ur.i- vers, & que fa beaute raviflante a penetre les cceurs. Ce divin livre, le feul neceifaire a un Chretien, & le plus utile de tous a quiconque meme ne le feroit pas, n’a befoin que d’etre me- dite, pour porter dans fame Pamour de fon Au¬ teur , & la volonte d’accomplir fcs preceptes. Jamais la vertu n’a parle un fi doux langage ; ja¬ mais la plus profonde fagefle ne s’eft exprimee avec tant d’energie 8t de fimplicite. On n’en quitte point la lecture , fans fe fentir meilleur qw’auparavant. O vous, Miniftres de la lot qui m’y eftannoncee, donnez vous moins de peine pour m’inftruire de taut' de chofes inutiles. Laif- fez-la tous ces livres fcavans qui ne fcavent ni me coavaincre , ni me toucher. Profternez-vous aux pieds de ce Dieu de mifericorde, que vous F 3 86 Observations de vous chargez de me faire connoitre & aimer ; de-' mandez lui poor vous cet r e humilite profonde que vous devez me precher. N’etalez point a ines yeux cette fcience orgueilleufe , nice fafte indecent qui vous deshonorent & qui me revol- tent; foyez touches vous-memes , fi vous vou- 3ez que je le fois ; & fur - tout montrez moi dans votre conduite, la pratique de cette loi dont vous pretendez m’inftruire. Vous n’avez pas be- foin d’en fcavoir, ni de rn’en enfeigner davan- tage, & votre miniftere aft accompli. 11 n’eft point en tout cela queftion de belles lettres , ni de philofophie. C’eft ainfi qu’il convient de fuivre & de precher l’Evangile ; & c’eft ainfi que fes premiers defenfeurs Pont fait triompher dc toutes les nations : non Arijtotelico more , difoient les peres de l’eglife, fedpifcatorio. Je fens que je deviens long ; mi's j’ai cru ne pouvoir me d.fpenfer de m’etendre u.n peu fur un point de l’importance de celui ci. De plus , les ledteurs impatiens doivent faire reflexion que c’eft une chofe bien commode que la critique ; car ou Ton attaque avec un mot, il faut des pages pour fe defendre. je pafle a la deuxieme partie de la reponfe s fur laquelle je tacherai d’etre plus court quoique je n’y trouve gueres moins d’obfervations a faire. Ce nefi pas des [deuces , me dit - on, ceji du fein des richejfes , qtts font nes de tout terns la mol- kj]s gjf Is luxe. Je n’avois pas dit non plus que Jean-Jacclues Rousseau, S7 !e luxe fut ne des fciences, mais qu’ils etoient nes enfemble, & que l’un n’alloit gueres fans 1’autre. Voici comment j’arrangerois cette ge- nealogie ; la premiere fource du mal eft l’inega- lite; de l’inegalite, font venues les richefles; car ccs mots de pauvre & de riche font relatifs , & par-tout ou. leshommes feront egaux, il n’y aura ni riches ni pauvres: des richeffes , font lies le luxe & l’oiftvete-, du luxe, font venus les beaux - arts ; & de Foifivete , les fciences. Dans aucun terns les richejfes n'ont its I'appanage des fcavans. C’eft en cela meme que le mal eft plus grand; les riches & les fcavans ne fervent qu’a fe corrompre mutuellement. Si les riches etoient plus fcavans , ou que les fqavans futfent plus riches , les uns feroient de moins laches flat- teurs, les autres aimeroient moins la balfe flat- terie; & tous en vaudroient mieux. C’eft ce qui pent fe voir par le petit nombre de ceux qui out le bonheur d’etre fgavans & riches tout a la fois. Pour uu Platon dans Populence, pour un /irijiippe accredits a la Cour , combien de pbilofo- pbes reduits an manteau & a la beface , enveloppss dans leur propre vertu & ignores dans leur folitu- de ? Je ne difconviens pas qu’il n’y ait un grand nombre de philofophes tres-pauvres , & furement tres- faches de l’etre: je ne doute pas non plus que ce ne foit a leur feule pauvrete , que la plii- part d’entr’eux doivent leur philofophie; mais quand je voudrois bien les fuppofer vertueux , F 4 $g Observations p e fcroit-ce furleurs moeurs , que le peuple ne voit point, qu’ii apprendroit a reformer les fiennes ? Les fcavans it'out ni le gout ni le loifir d'amajfer de grands biens. Je con fens a croire qu’ils n’en put pas le loifir. IIs aiment 1'etude. Celui qui n’aimeroit pas fon metier , feroit un homme bien fou ou bien mile cable. Ils' vivent dans la medio - (rite. II faut etre extremement difpofe en leut faveur pour leur enfaireun rnerite. Une vie laborieufe & moderee , paffee dans le filence de la retraits , occupee de la led are efj du traimil, n'ejl pas ajfnrement une vie voluptueuje & criminelle. Non pas du moms aux yeux des hommes : tout depend de l’interieur. Un homme peut etre con, traint a mener une telle vie, & avoir pourtant Fametres-corrompue: d’ailieurs, qu’importe qu’ii fo.it lui-merne ve'rtueux & modeile , ii les tra- vaux dont if s’occupe nourrilfent Foifivete, & gatent Fefprit de fes concitoycns ? Les connnodU tes de la vie , pour etre fouvent le fruit des Arts , n'enfant pas davantage le part age des Artiftes II ne me paroit gueres qu’ils fpient gens a fe les refufer, fur - tout ceux qui, s’occupant des arts tout-a-fait inutiles , & par confequent tres-lucra- tifs, font plus en etat de fe procurer tout ce qu’ils defir ent. Us ne travaillent que pour les ri¬ ches . Au train que prennent les chofes , je ne ferois pas etonne de voir quelque jour les riches travailier pour eux. Et ce font les riches oififs qui prof:ent & (ihufent de leur indufrie, Encore Jean-Jacclues Rousseau. 89 une fois , je lie vois point que nos Artiftes foient dcs gens fi fimples & fi raodeftes. Le luxe ne fqauroit regner dans un ordre de citoyens , qu’il sefe glide bien-tot parmi tous les autres fous differences modifications; & par - tout il fait le meme ravage. Le luxe corrompt tout, & le riche qui en joiiit, & le miferable qui le convoite. O11 ne Ibauroit dire que ce fut un mal en foi, de porter des manchettes de points , un habit brode & une boete emailiee ; niais e’en eft un tres- grand , de fibre quelque eas de ces colifichets , d’eftimer heureux le peuple qui les porte , & de confacrer a fe mettre en etat d’en acquerir de femblables , un terns & des Loins que tout homme doit a de plus nobles objets, Je n’ai pas befoin d’appren- dre quel eft le metier de celui qui s’occupe de tellesvues, pour fbavoir lejugement que je dois porter de lui. J’ai paffe le beau portrait qu’on nous fait ici cles fcavans ; & je crois pouvoir me faire un me- rite de cette complailance. Mon adverfaire eft moins indulgent; non feulement il ne m’accorde rien qu’il puiffe me refufer ; mais plutot que de paffer condamnation fur le mal que je penfe de not re vaine & fau.ffe politeffe, il aime mieuxex- cufer 1 ’hypocriiie. Il me demands ft je voudrois que le' vice fe m.ontrat a decouvert; affurement je le voudrois. La confiance & l’eftime renai- troient eutre leg bpns ; on apprendroit a fe dc- F 5 . jo Obsevations d e £er des medians ; & la fociete en feroit plus fi¬ re. J’aime mieux que mon ennemi m’attaque a force ouverte , que de venir en trahifon me frap- per par derriere. Quoi done ! faudra-t-il joindre le fcandale au crime ? Jene fqais; maisje vou- drois bien qu’on n’y joignit pas la fourberie. C’eft une chofe tres commode pour les vicieux, que toutes les maximes qu’on nous debite depuis loug - terns fur le fcandale ; fi on les vouloit fuivreala rigueur, il faudroit fe lailfer piller, trahir, tuer impunement, & ne jamais punir per- fonne ; car c’eft un objet tres-fcandaleux qu’un fcelerat fur la roue.. .. Mais Phypocrifie eft un hommage que le vice rend a la vertu. . . Oui, comme celui des affaffins de Cefar ; qui fe prof- ternoient a fes pieds pour l’egorger plus fiire- ment. Cette penfee a beau etre brillante; elle a beau etre autorifee du nom celebre de fon Au-' teur, elle n’en eft pas plus jufte. Dira-t-on ja¬ mais d’un filou , qui prend la livree d’une maifon pour faire fon coup plus commodement , qu’il rend hommage au nvaitre de la maifon qu’il vole ? Non; couvrir fa mechancete du dangereux man- teau de Phypocrifie , ce n’eft point honorer la vertu ; c’eft l’outrager , en profanant fes enfei- gnes; c’eft ajouter la lachete & la fourberie a tons lesautres vices ; c’eft fe fermer pour jamais tout retour vers la probite. II y a des caradte- res elcves qui portent, jufques dans le crime , je ne fqais quoi de her & de genereux, qui laiife voir au dedans encore quelque etincelle de ce Jean-JaCques Rousseau. 9 r Feu celefte , fait pour animer les belles ames. Mais Fame vile & rempante de l’hypocrite eft femblable a un cadavre, oil l’on ne trouve plus nifeu, nichaleur, ni reflburce a la vie. J’ea appelle a l’experience. On a vu de grands fce- lerats rentrer en eux-memes , achever faintement leur carriere , & mourir en predefines. Mais ce que perfonne n’a jamais vu, c’eft un hypo¬ crite devenir homrae de bien: on auroit pu rai- fonnablement tenter la converlion de Cartouche ; jamais homme fage n’eut entrepris celle de Cromwel. J’ai attribue au retabliflement des lettres & des arts l’elegance & la politefle qui regnent dans 110s manieres. L’Auteur de la reponfe me le difpute, & j’en fuis etonne: car puifqu’il fait tant de cas de la politeiTe & des fciences , je n’appercois pas 1 ’avantage qui lui reviendra d’o- ter a Tone de ces chofes rhonneur d’avoir pro- duit l’autre. Mais examinons fcs preuves; elles fe reduiront a ceci. On ne voit faint que les fcavans foient flu: polls que les autre s hommes ,• au contraire , ils le font fouvent beaucoup mains : done noirepolitejfe n'ejl pas I'ouvrage des fciences. Je remarquerai d’abord qu’il s’agit moins id de fciences que de literature , de beaux-arts & d’ouvrages de gout ; & nos Beaux-Efprits , auffi peu fqavans qu’on voudra, mais li polis, fi re- pandus , fi brillans, fi petits-maitres , fe recoil- noitront difficilenient a fair mauilade & pedan- 22 Observations d e tefque que 1’Auteur de la reponfe leur veut don- ner. Mais gallons lui cet antecedent ; accor- dons , s’il le faut, que les Scavans , les Poetes & les Beaux-Efprits font tous egalement ridicu¬ les ; que Meffieurs de l’Academie des Belles- Lettres , Meffieurs de l’Academie des Sciences , Meffieurs de l’Academie Francoife , font des gens groffiers qui ne connoiffent ni le ton ni les ufa- ges du monde , & exelus par etat de la bonne compagnie> l’Auteur gagnera peu de chofe a ce- la, & n’en fera pas plus en droit de nier que la politeffe & 1’urbanite , qui regnent parmi nous , foient I’effet du bon gout, puife d’abord chez les anciens , & repandu parmi les peuples de l’Europe , par les livres agreables qu’on y publie de toutes parts ( i ). Com me les meilleurs mai- tres a danfer , ne font pas toujours les gens qui (i) Quand il eft qiieftion d’objets auffi generaux que les tumors & les' manieres d’un peuple , il faut prendre garde de ne pas toujours retrecir fes vues fur des exemples par- ticuliers. Ce l’eroit 1c moyen de ne jamais appercevoir les fonrees des chofes. Pour fcavoir fi j’ai vaifon d’attribner la politeffe a la culture des Lettres, il ne faut pas chercher fi tin fqavan t, on tin autre, font des gens polis; mais il faut examiner les rapports qui peuvent etre entre la litterature & la politeffe, A- voir enluite quels font les peuples cbez lef- qutls ces chofes fe font trouvees reunies ou feparees. J’en dis antant du luxe, de la liberte , & de toutes les autres chofes qui influent fur les rnosurs d’une nation, & fur lefquelles j’entemls faire chaque jour tant de pitoyables raifor.nemens. Examiner tout cela en petit & fur quelques individus , ce n’eft pas philofopher; e’eft perdre fon terns & fes reflexions : car on pent connoitre a Fond Pierre ou Jacques , & avoir lait tres-peu de progres dans la connoiflaiice des homines. fe preferment le mieux , on peut-donner de tres- bonnes leqons de politefle , fans vouloir ou pou- voir etre fortpoli foi-meme. Ces pefans com- mentateurs, qu’on nous dit qui connoilToient tout dans les Anciens, hors la grace & la fineC. fe, n’ont pas laiife, par leurs ouvrages utiles, quoiquemeprifes , de nous apprendre a fentir ces beautes qu’ils ne fentoient point. II en eft de meme de cet agrement du commerce , & de cet- te elegance de mceurs qu’on fubftitue a leur pu- rete, & qui s’eft fait remarquer chez tous les peuples on les Lettres ont ete en honneur. A Athenes, a Rome , a la Chine , par-tout on a vu la politeife & du langage & des manieres accom- pagner toujours, non les Scavans & les Artif. tes , mais les fciences & les beaux - arts. L’Auteur attaqtje enfuite les louanges que j'ai donnees a 1’ignorance ■, & me taxant d’a- voir parle plus en Orateur qu’en Philofophe, il peint l’ignorance a foil tour; & l’on peut bien fe douter qu’il ne lui prete pas de belles couleurs. Je ne nie point qu’il ait raifon ; mais je ne crois pas avoir tort. II ne faut qu’une diftinc- tion tres-jufte & tres- vraie pour nous concilier , II y a une ignorance feroce ( k ) & brutale. (k ) Je ferai Fort eton ne fi qnelqn’nn de mes Critiques ne part de i’eloge que j’ai Fait de plulicurs peuples ignorans & vertueux, pour m’oppoFer la lille de toutes les troupes de Lrijaiuis qui ont iritvcte la terre , & qui pour 1’orduiaire qui nait d'un mauvais cocur & d’un efprit faux* line ignorance eriminelle, qui s’etend jufqu’aux devoirs de I’humanite , qui multiplie les vices, qui degrade la raifon, avilit Fame & rend les hommes femblables aux betes : cette ignorance eft ceile que l’Auteur attaque , 8c dont il fait un portrait fort odieux & fort reftemblant. II y a une autre forte d’ignorance raifonnable , qui confifte a borner fa curiofite a l’etendue des facultes qu’on a reques ; une ignorance modefte » qui nait d’un vif amour pour la vertu , & n’in- fpire qu’indifference fur toutes les cliofes qui ne font point dignes de remplir le coeur de rhomme, & qui ne contribuent point a le ren- dre meilleur ; une douce & precieufe ignoran¬ ce , trefor d’une ame pure & contente de foi 5 qui met toute fa felicite a fa replier fur elle- jneme, a fe rendre temoignage de fon innocen¬ ce, & n’a pas befoin de chercher un faux 8c vain honneurdans l’opinion que les autres pour- roient avoir de fes lumieres. Voila l’ignorance que j’ai louee , & ceile que je demande au ciel, en punition du fcandale que j’ai caufe aux doc- tes par mon mepris declare pour les fciences humaines. n’etoient pas de fort fqavans hommes. Je les exhorte d’avance a ne pas fe fatiguer a cette recherche , i moins qu’ils ne l’ef- timent ncceflaire peut mentrer de l’erudition. Sij’avois drt qu’il fuffit d’etre ignorant pour etre vertueux, ce ne feroit pas la peine de me repondre j & par la meme raifon, je me croirai tres-difpenfe de repondre moi - meme il ceux qui per- elront leur terns a me ; foutemr le contraire. Qiie ton compare , dxt l’Auteur , a ces terns d'ignorance gy de barbarie, ces Jiecles heureux oU les fciences out repandu par-tout Pefprit d’ordrs de jiiflice. Ces fiecles heureux feront diffieiles a trouver ; mais on en trouvera plus aifement, ou, grace aux fciences, ordre & jujlice ne fe- ront plus que de vains noms , faits pour en im- pofer au peuple , & ou l’apparence en aura etc confervee avec fein, pour les detruire en eifefc plusimpunement. On voit de nos jours desguer- res moins frequentes , mais plus jujles. En quel- que terns que ce foit, comment la guerre pour- ra-t^elle etre plus juile dans l’un des partis, fans etre plus injufte dans l’autre ? Je ne fcau- rois concevoir cela. Des aBions moins etonnan- tes , mais plus herotques. Perfonne allurement ne difputera a mon adverfaire le droit de juger de fheroifrne ; mais penfe-t-il que ce qui n’eft point etonnant pour lui, ne Je foit pas pour nous ? Des viBcires moins fanglantes, mais plus glorieufes ; des conquetes moins rapides, mais plus ajfurees ; des guerriers moins violens , mais plus redoutes ; fcachant vaincre avec moderation ; trai~ tant les vaincus avec humanite ; Phonneur ejl leur guide > la gloire, leur recompense. Je ne nie pas a l’Auteur qu’il y ait de grands hommes parmi nous; il lui feroit trop aife d’en fournir la preuve ; ce qui n’empeche point que les peu- ples ne foient tres - corrompus. Au refte , ces chofes font fi vagues, qu’on pourroit prefque §6 Observations dr les dire de tous les ages ; & il eft impoffible d’y repondre, parce qu’il faudroit feuilleter des bibliotheques & faire des in - folio pour ecablir des preuves pour ou contre. Quand Socrate a maltraite les fciences, il n’a pu , ce me femble , avoir en vue, ni l’or- gucil des Stoiciens , ni la moleffe des Epicu- riens , ni Tabfurde jargon des Pyrrhoniens, par¬ ce qu’aucun de tous ces gens-la n’exiltoit de ion terns. Mais ce leger anacronifme n’eft point meifeant a mon adverfaire : il a raieux employe fa vie qu’a verifier des dates , & il n’eft pas plus oblige de fqavoir par cceur fon Dioge- lie Laerce , que nroi d’avoir vu de pres ce qui fe paffe dans les combats. Je conviens done que Socrate n’a fonge qu’a relever les vices des Philofophes de fon terns j mais je ne fqais qu’en conclure , finon que des ce tems-la les vices pulluloient avec les Philo¬ fophes. A cela on me repond que e’eft 1’abus de la philofophie ; & je ne penfe pas avoir dit le contraire. .. Quoi! faut-il donefupprimer tou- tes les chofes dont on abufe ? Oui, fans dou- te , repondrai-je fans balancer : toutes celles qui font inutiles, toutes cedes dont Tabus fait plus de mai que leur ufage ne fait de bien. Arretons - nous un inftant fur cette derniere confluence, & gardons - nous d’en conclure qu’il faille aujourd’hui brfder toutes les biblio¬ theques 3 & detruire toutes les Univeifites & les Jean-J.acq.ues Rousseau. 9 % les Academies. Nous ne ferions que reploti¬ ger l’Europe dans la barbaric, & les mocurs n’y gagneroient rien (7). C’eft avec douleur que je vais prononcer une grande & fatale ferite. II n’y a qu’un pas du fqavoir a l’ignorance,& falternative de Tun a l’autre eft frequente chez les nations ,* mais on n’a jamais vu de peuple une fois corrompu , revenir a la vertu. En vain vous oteriez les alimens de la vanite, de l’oifi- vete & du luxe 3 en vain meme vous rameneriez les hornmes a cette premiere egalite, conferva- trice de Finnocence & fource de toute vertu: leurs coeurs, une fois gates , le feront toujours; il n’y a plus de remede, a moins de quelqua grande revolution prefque auili a craindre que le mal qu’elle pourroit guerir, & qu’il eftblama- Lie de defirer, & impoifible de prevoir. Lailfons done les fciences & les arts adoucir en quelque forte la ferocite des hornmes qu’ils ont corrompus : cherchons a faire une diverfion fage , & tachons de donner le change a leurs paffions. OfFrons quelques alimens acestigres, afin qu’ils ne devorent pas nos enfans. Les lumieres du mechant font encore moins a crain- dre que fa brutale ftupidite: elles le rendent ait (7) Les vices nous refleroient , dit le Philofophe que j’ai dejs cite, Cy nous uurions 1'ignorance de plus. Dans le peu dc ligneS que cet Auteur a writes fur ce grand fujet, on voit qu’il a tourne les yeux de ce cote, & qu’il a vu loin. Tome L G qu’il les admire ainfi que nous, & ne s’en tienne pas plus fort contre les verites qu’il attaque. REFUTATION jD’hm Difcotirs qui a remporte le Prix de VAcade¬ me de Dijon en I'annee 1750, fur cette Qtief- tion propofee par let merne Academic: Si le re- tabliflement des Sciences & des Arts a con- tribue a epurer les mceurs. Cette Refutation a ete hie dans nne Seance de la Societe Royale de Nancy , par M. Gautier, Profejfeur de Ma~ thematique zf d'Hiftoire. ■aLs’ETabussiMent que Sa Majefte a procure pour faciliter le diveloppement des talens & du genie, a ete indireciement attaque par un ou- vrage, oil 1’on tache de prouver que nos ames le font corrompues a mefure que nos fcienccs 8 i nos arts fe font perfeclionnes, & que le me- me phenomene s’eft obferve dans tous les terns & dans tous les lieux. Ce Difcours de M. Rouf- feau renferme plulieurs autres proportions, dont il eft ties - important de montrer la faulfete, puifque , felon de fcavans Journaliftes , il paroit capable de faire une revolution dans les idees de notre fiecle. Je conviens qu’il eftecritavec une chaleur peu commune, qu’il oftre des ta¬ bleaux d’une touche male & correcte: plus la he M. Gautier. ior tnaniere de cet ouvrage eft grande & hardie , plus ileftpropre aenimpofer, a accrediter des maximes pernicieufes. II ne s’agit pas ici de ces paradoxes litteraires , qui permettent de foutenir le pour ou le contre; de ces vains fujets d’elo- qucnce, ou Ton fait parade de penfees futiles, ingenieufement contraftees. Jevais, Meffieurs, plaider une caufe qui interefte votre bonheur. J’ai prevu qu’en me bornant a montrer combieu la plupart des raifonnemens ( a ) de M. Roufleau font det'eclueux, je tomberois dans la feche- reffe du genre polemique. Cet inconvenient ne m’a point arretc, perfuade que la folidite d’une refutation de cette nature fait fon princi¬ pal merite. Si, corame 1’Auteur le pretend, les fciences. depravent les mceurs, Stanislas le bienftiifant fera done blame par la pofterite , d’avoir fait un etabliffement pour les rendre plus floriflantes; & fon Miniftre, d’avoir encourage les talens & fait eclater les liens: ft les fciences depravent les mceurs , vous devez done detefter l’educa- tion qu’on vous a donnee , regretter amerement le terns que vous avez employe a acquerir des connoiffances, & vous repentir des efforts que vous avez faits pour vous rendre utiles a la pa- fa) I! y anroit de l’injuftice a dire que tons les raifonne- mens de M. RoufTeau font defeftueux. Cette propofition doit etre modifiee. II merite beancoup d’eloges pour s’etre eieve avec force contre les aims qui fe gliffcnt dans les Arts & dans la Repnblique des Lettres. G3 102 Re'futation frie. L’a'uteur que je combats eft 1’apologifte de l’iguorance: il paroitfouhaiter qu’on brule les bi- bliotheques; il avoue qull heurte de front tout ce qui fait aujourd’hui I’admiration des hommcs, & qu’il ne peut s’attendre qu’a un blame univer- fel > mais il compte fur les fuffrages des iiccles a venir. Il pourra les remporter , 11 ’en doutons point, quand I’Europe retombera dans la barba¬ ric ; quand fur les ruines des Beaux-Arts eplores, triompheront infolemment l’lgnorance & la Ruf- ticite. Nous avons deux queftions a difcutcr , Tune de fait, l’autre de droit. Nous examinero.ns dans la premiere parcie de ce Difcours, ft les fciences & les arts out contribue a corrompre les niceurs, & dans la feconde, ce qui peut refulter du progres des fciences & des arts confideres en eux-memes : tel eft le plan de l’ouvrage que je critique. Premiere parti e. , dit M. Rouffeau, que Part eut fa- qonne nos manieres, & appris a nos paftions a parler un langage apprete, nos moeurs etoient ruftiques , mais naturelles, & la difference des precedes marquoit au premier coup d’oeil celle des earadferes. La Nature humaine au fond n’e- ioit pas meilleure ; mais les hommes trouvoient Imv feeurite dans 1 i facilite de fe penctrer reci- 1) E M. G A U T I E R.' I03 proquement; & cet avantage , dont nous ne fen- tons plus lc prix, leur epargnoit bien des vices. Les foupcons, lcs ombrages, les craintes , la froi- deur, la referve, la haine , la trahifon , fe ca- chent fans ceffe fous ce voile uniforme & pcrfi- de de politefle , fous cette urbanite fi vantee que nous devons aux lumieres de notre fiecle. Nous avons les apparences de toutes les vertus fans en avoir aucune. Je reponds , qu’en examinant la fource de cette politefle qui fait tant d’honneur a notre fie- * cle , & tant de peine a M. Rouifeau , on de- couvre aifement combien elle eft eftimable. C’eft le defir de plaire dans la fociete, qui en a fait prendre l’efprit. On a etudie les liomhies, leurs humeurs, leurs caraderes, leurs defirs, leurs befoins, leur amour-propre; ^experience a' marque ce qui deplait. On a analvfe les agre- mens, devoile leurs caufes , apprecie le meri- te, diftingue fes divers degres. D’une infinite de reflexions fur le beau , Fhonnete & le de¬ cent , s’eft forme un art precieux , l’art de vi- vre avec les hornmes , de tourner nos befoins en plaifirs, de repandre des charmes dans la converfation , de gagner l’efprit par fes difeours & les coeurs par fes precedes. Egards , atten¬ tions , complaifances, prevenances , refped , au- tant de liens qui nous attachent mutuellement. Plus la politeile s’eft perfedionnee, plus la fo¬ ciete a ete utile aux hornmes 3 on s’eft plie aux G 4 J04 "Refutation bienfeances , fouvent plus puiifantes que les de¬ voirs ; les inclinations font devenues plus dou- ces , les caraderes plus lians , les vertus focia- les plus communes. Combien lie cbangent de difpofitions , que parce qu’ils font contraints de paroitre en changer! Celui qui a des vices ell oblige de les deguifer: c’eft pour lui un avertiR dement continue! qu’il n’eit pas ce qu’il doit etre; fes moeurs prennent infenfiblement la teinte des moeurs recues. La neceffite de copier fans •cefle la vertu , le rend enfin vertueux j ou du moms fes vices lie font pas eontagieux , comme ils le feroient, s’ils fe prefentoient de front avec cette rufticitc que regrette rnon adverlaire. II dit que les hommes trouvoient leur fecuri- te dans lafacilite de fe penetrer rcciproquement, & que cet avantage leur epargnok bicn des vi¬ ces. II n’a pas confidere que id Nature humaine n’etant pas meilieure alors, comme il l’avoue, la rufticite n’empechoitpas le deguifemer.t. On gn a fous les yeux une preuve fans rcplique : on yoit des nations dont les nranieres ne font pas faqonnees , ni le langage apprete , ufer de de¬ tours , dp dilfimulations & d’artifices , tromper gdroitement, fans qu’on puiife en rendre comp- tables les belles - lettres , les fciences & les arts, P’ailleurs , fi l’art de fe voiler s’eli perfection- necelui de penetrer les voiles a fait les me- fries progres. On ne juge pas des hommes fur 4s dimples apparences 5 on n’attend pas a les d e M. Gautier. lof eptouver, qu’on foit dans l’obligation Indifpen- fable de recourir a leurs bienfaits. On eft con- yaincu qu’en general il lie faut pas compter fur eux, a moins qu’on nc leur plaife , ou qu’on ne leur foit utile, qu’ils n’ayent quelqu’iuteret a nous rendre fervice. On fcait evaluer les olfrcs fpe'cieules de la poiiterfe, & rarr.ener fcs ex- preftions a leur fignification recue. Ce n’eft pas qu’il n’y ait une infinite d’ames nobles , qui en obligeant ne cherchent que le plaifir meme d’o- bliger. Leur politelfe aun ton bien fuperieur a tout ce qui n’eft que ceremonial j leur candeur , un langage qui lui eft propre : leur merite eft leur art de plaire. Ajoutez que le feul commerce du monde fuf- fit pour acquerir cette politelfe dont fe pique un gnlant horn me : on n’eft done pas fonde a en Lire honneur aux fciences. A quoi tendent done les eloquentes decla¬ mations de M. E.ouiTeau ? Qui ne feroit pas in¬ digue de l’entendre alfurer que nous avoirs les apparences de toutes les vertus fans en avoir aucune ? Et pourquoi n’a-t-on plus de vertu ? C’eft qu’on cultive les belles-lettres, les feien- oes & les arts. Si Ton etoit impoli, rultique , ignorant, Goth, Hun ou Vandale , on feroit digne des eloges de M. Roulfeau, Ne fe laife- ra-t-on jamais d’invectiver les homnres ? Croira- t-on toujours les rendre plus vertueux , en leur difant qu’ils n’ont .point de vertu ? Sous n re text e G J ioS Refutation d’epurer les mceurs, eft-il permis d’en renverfer les appuis ? O doux noeuds de la fociete, char- mes des vrais Philofophes, aimables vertus , c’eft par vos propres attraits que vous regnez dans les coeurs : vous ne devez votre empire ni a l’aprete flo'ique , ni a des moeurs barbares , ni aux confeils d’une orgueilleufe rufticite. M. RoulTeau attribue a notre fiecle des de- fauts & des vices qu’il n’a point, ou qu’il a de comraun avec les nations qui lie font pas poli¬ cies •> & it en conclut que le fort des moeurs & de la probite a ete regulierement alfujetti aux progres des fciences & des arts. LailTons ces vagues imputations & palfons au fait. Pour montrer que les fciences ont corrompu les mceurs dans tous les terns, il dit que plu- iieurs peuples tomberent fous le joug, lorf- qu’ils etoient les plus renommes par la culture des fciences. On fqait bien qu’elles ne rendent point invincibles j s’enfuit-il qu’elles corrompent les moeurs ? Par cette facon finguiierc de rai- fonner, on pourroit conclure auffi que l’ignoran- ce entraine leur depravation, puifqu’un grand nombre de nations barbares ont ete fubjuguees par des peuples amateurs des beaux-arts. Quand meme on pourroit prouver par des faits, que la dilfolution des mceurs a toujours regne avec les fciences , il ne s’enfuivroit pas que le fort de la probite dependit de leurs progres. Lorfqu’une nation jouit d’une tranquille abondance, elle fe D E M. Gautier. 107 porte ordinairement aux plaiiirs & aux beaux- arts. Les richefles procurent les moyens de fatis- faire fes paffions: ainfi ce feroient les richefles, & non pas les belles-lettres, qni pourroient fairc naitre la corruption dans les coeurs ; fans parler deplulieurs autres caufes quin’influent pas moins que l’abondance fur cette depravation : l’extre- nie pauvrete eft la mere de bien des crimes, & elle peut etre jointe avec une profonde igno¬ rance. Tous les faits done qu’alleguc notre ad- verfaire, ne prouvent point que les fciences corrompent les moeurs. II pretend montrer par ce qui eft arrive en Egypte, en Grece , a Rome , a Conftantinople, a la Chine, que les arts enervent les peuples qui les cultivent. Quoique cette aflertion fur laquelle il infifte principalement paroifle etran- gere a la queftion dont il s’agit, il eft a pro- pos d’en montrer la fauflete. UEgyp te, dit-il, devint la mere de la Philofophie & des beaux- arts , & bientot apres la conquete deCambife: mats bien des fiecles avant cette epoque, elle avoit ete foumife par des bergers Arabes , fous le regne de Timaus. Leur domination dura plus de cinq cens ans. Pourquoi les Egyptiens n’eu- rent-ils pas meme alors le courage de fe defen- dre ? Etoient - ils enerves par les beaux arts qu’ils ignoroient '( Sont-ce les fciences qui ont eff 4 nine les Afiatiques , & rendu laches a Pex- log Re'futati on ces taut de nations barbares de l’Afrique & de PAmerique '< Les vi&oires que les Atheniens remporterenC fur les Perfes & fur les Lacedemoniens merae, font voir que les arts peuvent s’alfocier avec la vertu militaire. Leur gouvernement, devenu ve¬ nal fous Pericles, prer.d une nouvelle face : Fa- mour du plaifir etouffe leur bravoure , les fonc- tions les plus honorables font avilies, l’impu- nite multiplie les raauvais citoyens , les fonds deftines a la guerre font employes a nourrir la moleffe & Foilivete •, toutes ces caufes de cor¬ ruption , quel rapport ont-elles aux fciences ? De quelle gloire militaire les Romaics ne fe font-ils pas couverts dans le terns que la littera- ture ctoit en honneur a Rome ? Etoient-ils ener- ves par les arts , lorfque Ciceron difoit a Cefar : vous avez dompte des nations fauvages & fero- ces, innombrables par leur multitude, repan- dues au loin en divers lieux ? Comme un feul de ces faits fuffit pour detruire les raifonne- mens de mon adverfaire, ilferoit inutile d’inllf- ter davantage fur cet article. On connoit les caufes des revolutions qui arrivent dans les Etats. Les fciences ne pourroient contribuer a leur decadence , qu’au cas que ceux qui font def- tincs a les defendre, s’occuperoient des fciences au point de negliger leurs fondions militaires ; dans cette.fuppoiition , toute occupation etran- gere a la guerre auroit les j-nerries fuites. M. Roulfeau , pour montrer que l’ignorance preferve les moeurs de la corruption, paiTe en revue les Scythes , les premiers Perfes , les Ger¬ mains & les Romains dans les premiers terns de leur Republique ; & il dit que ces peuples ont, par leur vertu, fait leur propre bonheur & Pe- xemple des autres nations. On avoue que Juftin a Riit un eloge magnifique des Scythes; mais Herodote , & des Auteurs cites par Strabon , les reprelentent comrae une nation des plus feroces. Ils immoloient au Dieu Mars la cinquieme par- tie de leurs prifonniers & crevo'ent les yeux aux autres. A Panniverfaire d’un Roi, ils etran- gloient cinquante de fes officiers. Ceux qui ha- bitoient vers le Pont-Euxin fe nourriffoicnt de la chair des Etrangers qui arrivoient chez eux. L’hittoire des diverfes nations Scythes oifre par- tout des traits, ou qui les deshonorent, ou qui font horreur a la Nature. Les femmes etoient communes entre les MalTagetes; les perfonnes agees etoient immolees par leurs parens, qui fe regaloient de leurs chairs. Les Agatyrfiens ne vivoient que de pillage, & avoient leurs fem¬ mes en commun. Les Anthropophages, au rap¬ port d’Herodote , etoient injuftes & inhumains. Tels furent les peuples qu’on propofe pour exem- ple aux autres nations. A 1’egard des anciens Perfes , tout le monde convient fans doute avec M. Rolliti qu’on ne fcuuoit lire fens horreur jufqu’ou ils avoient I ro Re'futatiow porte 1’qubli & le mepris des loix Ies plus comi mimes de la Nature. Chez euxtoutes fortes d’in- ceftes etoient autorifes. Dans la Tribu Sacer- dotale, on conferoit prefque toujours les pre¬ mieres dignites a ceux qui etoient nes du mana¬ ge d’un fils avec fa mere. II falloit qu’ils fulfent biencruels, pour faire mourir des enfans dans le feu qu’ils adoroient. Les couleurs dont Pomponius-Mela peint les Germains, ne fercnt pas naitre non plus l’envie de leur relfembler : peupie naturellement feroce, fauvage jufqu’a manger de la chair crue , chez qui le vol n’eft point une cho'fe honteufe , % qui ne reconnoit d’autre droit que fa force. Que de reproches auroit eu raifon de faire aux Romains , dans le terns qu’ils n’etoient point encore familiarifes avec les Lettres, un Philo- fophe eclaire de routes les lunu’eres de la rai¬ fon? Iliuftres Barbares, auroit-il pu leur dire, toute votre grandeur n’eft qu’un grand crime. Quelle fureur vous anime & vous porte a rava- ger 1’Uni vers ? Tigres alteres du fang des hom- mcs, comment ofez-vous mettre votre gloire a etre injuftes, a vivre de pillage, a exercer la plus odieufe tyrannie ? Qui vous a donne le droit de difpofer de nos biens & de nos vies, de nous rendre efclaves & malheureux, de re- pandre par-tout la terreur , la defolation & la mort? Eft-ce la grandeur d’ame dont vous vous piquez ? O deteftable grandeur, qui fe repait d e M. Gautier." xif de miferes & de catamites ! N’acquerez-vous de pretendues vertus, que pour punir la terre de ce qu’elles vous out coute ? Eft - ce la force ? Les loix de l’Humanite n’en ont done plus ? Sa voix ne fe fait: done point entendre a vos coeurs? Vous meprifez la volonte des Dieux qui vous ont deftines, ainfi que nous , a palfer tranquil- lement quelques inftans fur la terre : mais la peine eft toujours a cote du crime. Vous avez eu la honte de paiTer fous le joug, la douleur de voir vos armees taillees en pieces, & vous aurez bientot celle de voir la Republique fe de- chirer par fes propres forces. Qui vous empe- che de paffer une vie agreable dans le fein de la paix, des arts , des fciences & de la vertu ? Romains, celfez d’etre injuftes j celfez de por¬ ter en tous lieux les horreurs de la guerre & les crimes qu’elle entraine. Mais je veux qu’il y ait eu des nations ver- tueufes dans le fein de fignorance; je demande ft ce n’eft pas a des loix fages, maintenues avec vigueur, avec prudence, & non pas a la priva¬ tion des arts, qu’elles ont ete redevables de leur bonheur ? En vain pretend-on que Socrate meme & Caton ont decrie les Lettres ; ils ne fu- rent jamais les apologiftes de l’ignorance. Le plus fqavant des Atheniens avoit raifon de dire que la prefomption des hommes d’Etat, des Poetes & des Artiftes d’Athenes, terniiToit leur fcavoir a fes ye ux, & qu’ils avoient tort de fe croire les plus fages des hommes,- niais en bla- mant leur orgueil & en decreditant les Sophif- tes, il he faifoit point 1 ’eloge de Pignorance, qu’i! regardoit comme le plus grand mal. II ai- moit a tirer des fons harmonieux de la lyre , avec la main dont il avoit fait les ftatues des Graces. La Rhetorique, la Phyftque, PAftrono- mie furent Pobjet de fes etudes 5 & felon Dio- gene Laerce, il travailla aux tragedies d’Euri- pide. Il eft vrai qu’il s’appliqua principalement a faire une fcience de la morale, & qu’il ne s’i- maginoit pas fqavoir ce qu’il ne fqavoit pas : eft ce-la favorifer Pignorance? Doit-elle fe preva- loir du dechainement de l’ancien Caton contre ces difcoureurs artificieux, contre ces Grecs qui apprenoient aux Remains Part funefte de rendre toutes les verites douteufes. Un des chefs de la troifieme Academie, Carneade, montrant en. ,prefence de Caton la nccefllte d’une loi naturel- le , & renverfant le lendemain ce qu’il avoit eta- bli le jour precedent, devoit naturellement pre¬ vent l’efprit de ce cenfeur contre la litterature des Grecs. Cette prevention , a la verite , s’e- tendit trop loin 5 il en fentit Pinjuftice, & la re¬ para en apprenant la langue Grecque , quoiqu’a- vance en age; il forma foil ftyle fur celui de Thucydide & de Demofthene, & enrichit fes ouvrages des maximts & des faits qu’il en tira. L’agriculture, la medecine, l’hiftoire & beau- coup d’autres niatieres exerccrent fa plume. Ces traits; be M. Gautier: itj traits font voir que , fi Socrate & Caton euflent fait l’eloge de Pignorance , ils fie feroient cen- fures eux-memes ; & M. RouiTeau , qui a fi heu- reufement cultiveles belles-lettres, montrecom- Lien elles font eftimabks , par la maniere dont il exprime le mepris qu’il paroit en faire : je dis, qu’i! paroit; parce qu’il n’eft pas vrai-femblable qu’il fade peu de cas de fes connoiflances. Dans tous les terns on a vu des Auteurs decrier leurs fiecles & ioue' - a l’exces des nations anciennes. On met une forte de gloire a fe roidir contre les idees communes •, de fupei iorite, a blamer- ce qui elt loue ; de grandeur, a degrader Ge quo les hommes eftiment le plus. La meiileure maniere de decider la quelHon de fait dont il s agit, eft d’examiner l’dtat aduel des mceurs de routes les nations. Or il refulte de cet examen fait impartialement, que les peu- pies polices & diftingues par la culture des let— tres & des fciences, ont. eti general moins do vices que ceux qui ne le font pas. Dans la Bar- barie & dans la plupart des pays orientaux re- gnent des vices qu’il ne conviendroit pas memo de nommer. Si vous parcourez les diveis Etats d’Afrique , vous etes etonne de \oir tant de peu- ples faineans , laches , fourbes , traitres , ava- res , cruels, voleurs & debauches. La, font eta- blis des ufages inhumains ; ici, l’impudicite eft autorifee par les loix. La, le brigandage & le meurtre font eriges en profeiiions ,• ici, on eft Tome I. H H4 R e' F ? T A T I O J» tellement barbare, qu’on fe nourrit de chat# huroaiite. Dans plulieurs Royaumes les maria vendent leurs femmes & leurs enfans ; en d’au- tres on facrifie des hommes au Demon : on tire quelques perfonties pour faire honneur au Roi, lor fq it’ll paroit en public , ou qu’il vient a mou- rir. L’Afie & 1’Amerique oifrent des tableaus femblables (a). L’ignorance & les mccurs corrompues des na¬ tions qui habitenfc ces vaftes contrces , font voir combien porte a faux cette reflexion de raon ad- verfaire : peuples, fcachez une fois que la na¬ ture a voulu vous preferver de la fcienee, eom- me une mere arraehe une arme dangereufe des mains de foil enfant # que tous les fecrets qu’ellet vous cache font autant de maux dont elle vous garantit, & que la peine que vous trou vez a vous inftruire , n’eft pas le moindre de fes bienfaits. J’aimereis autant qu’il eftt dit: peuples , fqa- chez une fois que la nature ne veut pas que vous Vous nourridiez des produtftions de la terre ; la peine qu’elle a attachee a fa culture, eft un aver- tiffement pour vous de la laiifer en friche. II fi¬ nk la premiere partie de fon Difcours par cette reflexion : que la probite eft fille de 1’ignoran- ce , & que la fcience & la vertu font incompati¬ bles. Voila un fentiment bien eontraire a celui (V) Les homes etroites que je me fuis preterites, m’obli- gent a renvoyer a l’Hiitoire ties Voyages , & A 1 Hiitciu’i Generate par M. 1’Abbe Lambert. be M. Gautier.' iff’ <3e PEgUfe j elle regarda comme la plus dange- reufe des perfections la defenfe que PEmpereut Julien fitaux Chretiens d’enfeigner a leurs enfana ia Khetorique, la Poetique & la Philofophie. Seconde Parti e. Rouffeau entreprend de prouver dans la leconde partie de foil Difcours , que Porigine des fciences eft vicieufe, leurs objets vains , & leurs effets pernicieux. C’etoit, dit-i 1 , unean- cienne tradition paffee de l’Egypte en Grece , qu’un Dieu ennemi du repos des ho names ecoit l’inventeur des fciences ; d’ou il in fere que les Egyptians , chez qui elles etoient nees, n’en avoie'nt pas une opinion favorable. Comment ac- corder fa conclufion avec ces paroles : Remedei pour les maladies de lame : Infcription ou’au rapJ port de Diodore de Sieile , on lifoit lurle fron^ tifpice de la plus aucienne des bibliotheques # de celle d’Ofymandifis Roi d’hgypte. II aifure que PAftronomie eft nee de la fu- perftition j PEloquence de Pambition, de la hainei de la flatterie du menfongej la Geo¬ metric i de f avarice ; la Phyllque d’une vainif curiofite 5 toutes , & la Morale meme ,- de l’or- gueil liumain. II fuffit de raipporter ces belles decouveftes pour en faire conrioitre toute l’im- portance. Jufqu’ici on avoit eru que les feicn¬ ees & les arts devoient leur naiflance a nos bey H 3 , %\6 Re'fut'atiow loins ; on l’avoit raeme fait voir dans plulieurs ouvrages. Vous dites que le defaut de l’origine des fcien- ces. & des arts ne nous eft que trop retrace dans leurs objets. Vous demandez ce que nous fe- rions des arts fans le luxe qui les nourrit: tout le monde vous repondra que les arts inftructifs & minifteriels , independamment du luxe , fer¬ vent aux agremens , ou aux commodites, ou aux befoins de la vie. Vous demandez a quoi ferviroit la Jurifpru- dence fans les injuftices des homines: on peut Vous repondre qu’aucun corps politique ne pour- roit fubfifter fans loix, ne fut-il compofe que d’hommes juftes. Vous voulez fcavoir ce que deviendroit l’Hiftoire s’il n’y avoit ni tyrans , ni guerres, ni confpirateurs : vous n’ignorez cepen- dant pas que l’Hiftoire Univerfelle contieut la defcription des pays , la religion , le gouverne- ment, les moeurs, le commerce & les coutumes des peuples , les dignites, les Magiftratures , les vies des Princes paciBques , des Philofophes & des Artiftes celebres. Tous ces fujets, qu’ont- ils decommunavecles tyrans, les guerres, & les confpirateurs ? Sommes-nous done faits, dites-vous, pour mourir attaches fur les bords du puits oil la ve- rite s’eft retiree? Cette feule verite devroit re- buter des les premiers pas tout hornme qui cher- cheroit ferieuiiment a s’inftruire par l’etuds da bi M. Gautier. 117- la philofophie. Vous fcavez que les fciences dont on occupe les jeunes Philofophes dans les Uni- verfites, font la Logique , la Metaphyfique » la Morale, la Phyfique, les Mathematiques e- lementaires. Ce font done la felon vous de fte- riles {peculations. Les Univerfites vous ont une grande obligation, de leur avoir appris que la ve- rite de ces fciences s’eft retiree au fond d’un puits! Les grands Philofophes qui les polfedent dans un degre eminent, font fans doute bien fur- pris d’apprendre qu’ils ne fqavent rien. Ils igno- reroient aufli, fans vous, les grands dangers que 1’on rencontre dans Pinveftigation des fciences. Vous dites que le faux eft fufceptible d’uns infinite de combinaifons, & que la verite n’a qu’une maniere d’etre : rnais n’y a-t-il pas difte- rentes routes , ditferentes methodes pour arri- ver a la verite ? Qui eft-ce d’ailleurs, ajoutez- vous , qui la cherche bien fincerement ? A quel¬ le marque eft on fur de la reconnoitre? Les Philofophes vous repondront qu’ils n’ont appris les fciences , que pour les fqavoir & en fairs u- fage; & que l’evidence, e’eft-adire, la per¬ ception du rapport des idees eft le caradtere diftindtif de la verite, & qu’on s’en tient a ce qui paroit le plus probable dans des matieres qui ne font pas fufceptible-s de demonftration. Vou- driez-vous voir renaitre les Secies de Pyrrhon , d’Arcefilas ou de Lacyde ? Convenez que vous auriez pu vous difpenfer H 3 ii 8 Re'fctatiqs de parler de Forigine des fciences , & que vous n’avez point prouve que leurs objets font vains. Comment Fauriez-vous pu faire, puifque tout pe qui nous environne nous parle en faveur des fciences & des arts ? Habillemens, meubles, Joadmens , bibliotheques , productions des pays Strangers dues a la navigation dirigee par FAf- tronomie. La , les arts meehaniques mettent nos Jbiens en valeur; les progres de l’Anatomie alfu- jent ceux de la Chirurgie ; la Chymie , la Bq- tanique nous preparent des remedes: les arts li- f eraux, des p'aifirs inftruftifs : ils s’occupent a tranfmettre a la pofterite le i’ouvenir des belles pclions , & immortalifent les grands hommes & notre reconnoillance pour les fervices qu’ilsnous pnt rendus. Ici, la Geometrie, appuyee de FA1- gebre, prefide a la plupart des fciences ; elle donne des lemons a 1’Aftronomie, a la Naviga¬ tion , a FArtillerie, a la Phyfique. Quoi! tous, ces objets font vains ? Oui, & felon M. R.ouf- feau, tous ceux qui s’en occupont font des ci- poyens inutiles; & il conclut que tout citoyen inutile peut etre vegarde comme pernicieux. Que dis-je? felon lui , nous ne femmes pas menre des citoyens. Vqici fes propres parples : nous avoirs des Phyficiens 5 des Geometres , des Chy- sniftes, des Aftronomes , desJoetes, des Mu- iiciens, des Peintres ; nous n’avons plus de ci- piyens ; pu s’il nous en refte encore, difperfes daps nps qampagnes abando.nnees, ils y perif- d e M. Gautier.' iij> fent indigens & meprifes. Ainli, Meffieurs , cef- fcz done de vous regarder comme des citoyens. Quoique vous confacriez vos jours au fervice de la fociete, quoique vous rempliffiez dignement les emplois oil vos talens vous ont appelles, vous n’etes pas dignes d’etre nommes citoyens. Cette qualite eft le partage des payfans, & il faudra que vous cultiviez tous la terre pour la nieriter. Comment ofe-t-on infulter ainfi une na¬ tion qui produit tant d’excellens citoyens dan? tous les Etats ? O Louis le Grand ! quel feroit votre etonne- ment, fi rendu aux veeux de la France & a ceux du Monarque qui la gouverne en marchant fur vos traces glorieufes , vous appreniez qu’une de nos Academies a couronne un ouvrage, ou Ton foutient que les faiences font varnes dans leur objet, pernicieufes dans lenrs etfets ; que ceux qui les cultivent ne font pas citoyens ! Qiioi ! pourriez-vous dire , j’aurois imprime une tache a ma gloire, pour avoir donne un afyleaux Mu- fes, etabli des Academies , rendu la vie aux Beaux-Arts, pour avoir envoye des Aftronotnes dans les pays les plus eloignes, recompenfe les talens & les decouvertes, attire lesfqavans pres du Trone ! Qiioi! j’aurois terni ma gloire pour avoir fait naitre des Praxiteles & des Syfippes, des Apelles & des Ariftides , des Amphions & des Orphees! Qiie tardez-vous de brifer ces inf. trumens des arts & des fciences, de brulsr ces H 4 120 Re'futat i ON precieufes depouilles des Grecs & des Romains ^ toutes les Archives de l’efprit & du genie 'i Re- plongez-vous dans les tenebres epailfes de la barbarie, dans les prejuges qu’elle confacre foils les funeftes aufpices de l’ignorance & de la fu- perftition. Renoncez aux lumieres de votre fie- cle ; que des abus anciens ufurpent les droits de requite ; retabliifez des loix civiles contraires a la loi naturelle ; que l’innocent qu’accufe l’in- juftice, foit oblige, pour fe juttifier, a s’expo- fer a perir par 1’eau ou par le feu •, que des peu- ples aillent encore maffaerer d’autres peoples ious le manteau de la religion; qu’on fade les plus grands maux avec la meme tranquilite de confcience, qu’on eprouve a faire les plus grands biens : telles & plus deplorables encore feront les fuites de cette ignorance ou vous voulez rentrer. Non, grand Roi, 1’Academie de Dijon n’eft poiat cenfee adopter to s les fentimens de l’Au- teur qu’elle a couronne. Elle ne penfe point, comme lui, que les travaux des plus eclaires de nos fqavans & de nos meilleurs citoyens ne font prefque d’aucune utilite. Elle ne confond point comme lui les decouvertes veritablement utiles au genre humain , avec celles dont on n’a pu encore tirer des fervices, faute de connoitre tons leurs rapports & l’enfemble des parties de •la Nature; mais elle penfe, ainli que toutes les Academies de l’Europe, qu’il eft important d’e- be M. Gautier.' 121 tendre de toutes parts les branches de notre fqavoir , d’en creufer les analogies , d’en fuivre toutes les ramifications. Elle fqait que telle con- noiifance qui paroit tterile pendant un terns, peut ceifer de Petre par des applications dues augenie, a des recherches laborieufes , peut-e* tre meme au ha2ard. Elle fqait que pour elever un edifice, on ralfemble des materiaux de toute efpece: ces pieces brutes, amas informe, ont leur destination; l’art les degroffit & les arran¬ ge : il en forme des chefs-d’oeuvre d’Architec¬ ture & de bon gout. On peut dire qu’il en eft, en quelque for¬ te , de certaines verites detachees du corps de celles dont l’utiiite eftreconnue, comme de ces glaqons errans au gre du hazard fur la furface des fieuves; ils fe reuniifent, ils fe fortifient niu- tuellement & fervent a les traverfer. Si l’Auteur a avance fans fondement que cul- tiver les fciences eft abufer du terns, il n’a pas eu moins de tort d’attribuer le luxe aux Lettres & aux Arts. Le luxe eft une fomptuofite que font naitre les Liens partages inegalement. La vani- te , a l’aide de l’abondance, cherche a fe dif- tinguer, & procure a quelquesarts les moyensde lui fournir le fuperfiu ; mais ce qui eft fuperflu. par rapport a certains etats, eft necelfaire a d’autres , pour entretenir les diftindtions qui ca- radterifent les rangs divers de la fociete. La re- H f izt Refutation ligioH meme ne condamne point les depenfes qu’exige la decence de chaque condition. Ce qui eft luxe pour l’artifan, peut ne pas l’etre pour Fhomme de robe ou Fhomme d’epee. Di- ra-ton que des meubles ou des habillemens d’un grand prix degradent l’honnete homme & lux tranfmettent les fentimens de Fhomme vicieux ? Caton le grand, folliciteur des loix fomptuai- res, fuivant la remarque d’un politique, nous eft depeint avare & intemperant, meme ufurier & yvrogne ; au lieu que le fomptueux Luculius , encore plus grand capitaine & auffi jufte que lui, fut toujours liberal & bien-faifant. Condamnons la fomptuofite de Luculius & de fes imitateurs , mais ne concluons pas qu’il faille chaffer de nos murs les Sqavans & les Artiftes. Les paftions peuvent abufer des arts > ce font elles qu’il faut reprimer. Les arts font le foutien des Etats i ils reparent continuellement Finegalite des for¬ tunes , & procurent le neceflaire phyfique a la plupart des citoyens. Les terres, la guerre ne peuvent oecuper qu’une partie de la nation : comment pourront fublifter les autres Sujets, li les riches craignent de depenfer, li la circula¬ tion des efpeces eft fufpendue par une economic fatale a ceux qui ne peuvent vivre que du travail de leurs mains '{ Tandis, ajoute FAuteur, que les commodi- tes de la vie fe multiplient, que les arts fe per- bs M. Gautier,' 123 fe&ionnent & que le luxe s’etend , le vrai cou¬ rage s’enerve , les vertus militaires s’evanouif- fent, & c’eft encore Pouvrage des fciences & de tous ces arts qui s’exercent dans l’ombre du cabinet. Ne diroit-on pas, MeiEeurs, que tous nos foldats font occupes a cultiver les fciences & que tous leurs ofEciers font des Maupertuis & des Reaumur ? S’eft-on apperqu fous les re- gnes de Louis XIV. & de Louis XV. que les vertus militaires fe foient evanouies ? Si on veut parler des fciences qui n’ont aucun rapport a la guerre , on ne voit pas ce que les Academies pnt de cqmmun avec les troupes; & s’il s’agit de fciences militaires , pcut-on les porter a une trop grande perfection ? A l’egard de Pabondan- ce, on ne Pa jamais vu regner davantage dans les armees Franqoifes, que durant le cours de leurs vi&oires. Commentpeut-on s’imaginer que des foldats deviendront plus vailians , parce qu’ils feront mal vetus & mal nourris ? M. Rouifeau eft-il nrieux fonde a foutenir que la culture des fciences eft nuilible aux quali- tes morales ? C’eft, dit-il, des nos premieres annees, qu’une education infenfce orne notre efprit & corrompt notre jugement. Je vois de toutes parts des etabliffemens immenfes, ou l’on eleve a grands frais la Jeunelfe pour lui appreu- dre toutes chofes, excepte fes devoirs. Peut-on attaquer de la force tant de corps 12 / f . Re'futatiow refpe&ables, uniquement devoues a l’inftru&ioti des jeunes gens, a qui ils inculquent fans cede les principes de l’honneur, de la probite & da Chriltianifme ? La fcience , les mceurs , la reli¬ gion , voila les objets que s’eft toujours propo- fe l’Univerfite de Paris , conformement aux re- glemens qui lui ont ete donnes par les Rois de France. Dans tous les etablilfemens faits pour l’education des jeunes gens, on employe tous les rnoyens poflibles pour leur infpirer l’amour de la vertu & l’horreur du vice, pour en former d’excellens citoyens j on met continuellement fous leurs yeux les maximes & les exemples des grands hommes dc l’Antiquite. L’hiftoire facree & profane leur donne des leqons foutenues par les faits & l’experience, & forme dans leur cf- prit une imprellion qu’on attendroit en vain de l’aridite des preceptes. Comment les fciences pourroient-elles nuire aux qualites morales? Un de leurs premiers effcts eft de retirer de l’oifive- te, & par confequent du jeu & de la debauche qui en font les fuites. Seneque , que M. Rouf- feau cite pour appuyer fon fentiment, convient que les Belles Lettres preparent a la vertu. (&- vec. Epijl. 88.) Que veulent dire ces traits fatyriques lances eontre notre fiecle? Que Pelfet le plus evident de toutes nos etudes eft Pavililfenient des ver¬ sus ■, qu’on ne demande plus d’un homme s’il a e k M. Gautier; I2f de la probite, mais s’il a des talens; que la vertu rede fans honneur; qu’il y a mille prix pour les beaux difcours, aucuns pour les belles adions. Comment peut-on ignorer qu'un homme qui paffe pour manquer de probite eft meprife univerfellement ? La punition du vice n’eft - elle pas deja la premiere recompenfe de la vertu ? L’eftime, l’amitie de fes concitoyens , des diftinc- tions honorables, voila des prix bien fuperieurs a des lauriers Academiques. D’ailleurs celui qui fert fes amis, qui foulage de pauvres families , ira-t-il publier fes bienfaits? Ce feroit en anean- tir le merite. Rien de plus beau que les adions "vertueufes, ft ce n’eft le foin meme de les cacher. Af. Roulfeau parle de nos Philofophes avec mepris; il cite les dangereufes reveries des Hob- foes & des Spinofa , & les met fur une meme li- gne avec toutes les produdions de la philofo- phie. Pourquoi confondre ainft avec les ouvra- ges de nos vrais Philofophes, des fyftemes que nous abhorrons ? Doit-on rejetter fur l’etude des Belles-Lettres les opinions infenfees de quelques ecrivains, tandis qu’un grand nombre de peu- ples fontinfatues de fyftemes abfurdes, fruit de leur ignorance & de leur credulite ? L’efprit hu- main n’a pas befoin d’etre cultive pour enfanter des opinions monftrueufes. C’eft en s’elevanfc avec tout l’eifor dont elle eft capable, que la jrailon Ce met au deifus des chimeres. La vraie $26 R e' F (I X A T I O S philofophie nous apprend a dechirer 1c voile deS prejuges & de la fupetftition. Parce quequel- ques Auteurs ont abufe de leurs lumieres, fau- dra-t-il proferire la culture de la raifotf ? Eh 1 de quoi ne peut-ort pas abufer ? Pouvoir, loix, re¬ ligion , tout ce qu’il y a de plus utile , ne peut- il pas etre detourne a des ufages nuifibles ? Tel eft eelui qu’a fait M. Rouifeau de fa puiiTante' eloquence , pour infpirer lemepris des fciences, des lettres & des Phiiofophes.- Au tableau qu’il prefente de ces hommes Sqavans, oppofons ce- lui du vrat Philofophe. Je vais le traceE , Mef- lieurs , d’apres les modeles que j’ai I’honneur de connoitre parmi vous. Qu’eft-ce qu’un vrai Phi- lofophe ? C’eft un homme tres-raifonnable & tres-eclaire. Sous quelque point de vue qu’onle' confidere, on He peut s’empecher de lui accor- der toute ion eftiroe ,■ & I’on n’eft content de foi-tneme que Porfqu’on merite la fienne. 11 ne connoit ni les fouplelfes rampantes de la fiatte- rie , ni les intrigues artificieufes de la jaloufie »• ni la baileife d’une haine produite par la vani- te , ni le malheureux talent d’obfcurcir eelui des 'autres ; car l’envie qui ne pardonne ni les fuc- ees , ni fes propres injuftices, eft toujours le partage de l'inferiorite.- On ne le volt jamais avilir fes maximes en les contredifant par fes ac¬ tions , jamais acceffible ii la licence que con- damnent la Religion qu’elle attaque, les loix qu’el- be M. Gautier; tif le elude, la vertu qu’elle foule aux pieds. On doute fi fon caradtere a plus de noblefle que de force, plus d’elevation que de verite. Soil ef- prit eft toujours l’organe de fon coeur & fon ex- preffion 1’image de fes fentimens. La franchife » qui eft un defaut quand elle n’eft pas un merite, donne a fes difcours cet air aimable de iinceri- te, qui ne vaut beaucoup , que lorfqu’il ne cou- te rien. Quand il oblige, vous diriez qu’il fe charge de la reconnoiifance & qu’il reqoit le bienfait qu’il accorde ; & il paroit toujours qu’il oblige , parce qu’il defire toujours d’obliger. U met fa gloire a fervir fa Patrie qu’il lionore , a travailler au bonheur des hommes qu’il eclaire. Jamais il ne porta dans la fociete cette raifon fa¬ rouche , qui ne fqait pas fe relacher de fa fupe- riorite; cette inflexibility de fentiment, qui fous le nom de fermete brufque les cgards & leg condefcendances j cet elprit de contradiction, qui fecouant le joug des bienfeances fe fait un jeu de heurter les opinions qu’il n’a pas adop¬ tees , egalement ha'iffable foit qu'il defende les droits de la verite, ou les pretentions de fon orgueil. Le vrai Philofophe s’enveloppe dans 4k modeftie, & pour faire valoir les qualites des autres, il n’hefite pas a cacher l’eclat des fien- nes. D’un commerce auffi fur -qu’utile, il ne cherche dans les fautes que le moyeu de les ex-, cufer , & dans la conversion que celui d’aifo- 12$ Re'futatios &c. cier les autres a Ton propre merite. II fqaig qu’un des plus folides appuis de la juftice que nous nous flattons d’obtenir, eft celle que nouS rendons au merite d’autrui ; & quand il I’ignore- roit, il ne monteroit pas fa eonduite fur des principes difterens de ceux que nous venons d’expofer : perfuadc que le coeur fait Phommej 1’indulgence , les vrais amis ; la modeftie , des citoyens aimables. Je fqais bien, que par ces traits je ne rends pas tout le merite du Philofo- phe , & fur-tout du Philofophe Chretien; mon detfein a ete feulement d’en donner une legere efquiiTe. L E T- LETTRE DE J.J.ROUSSEAPV Sur la Refutation pre'cedente. (a) E vous envoye * Monfieur, le Mercure d'Oc- tobre, que vous avez eu la bonte de me preter. J’y ai lu avec beaucoup de plaiiir la refutation que M. Gautier a pris la peine de faire de mon djfcours ; mais je ne crois pas etre , cornme voir; lepretendez, dans la nece/iite d’y repondre ; & void mes objedions. 1. Je nepuis me perfuader que, pour avoii raifon, on foit indifpenfablemcnt oblige de par- ler le dernier. 2. Plus je relis la refutation, & plus je fui< convamcu que je n’ai pasbefoin de donner a M. Gautier d’autre teplique, que le difeours memo auquel il a repondu. Lifez , je vous prie , dans (a~) La Refutation qu’on vient tie lire, avoit ete lue . I’Acadetnie de Nancy, & inferee"dims le Mercure d’O&obrs 175T. Rile ne fe trouve ici, su’a caufe de la Reponfe clt M. Roufleau. BE GENEVE , A. Tome I, xgo J. J. Rgussea# l’un & l’autre ecrit, les articles du luxe , de tx guerre, des academies , de Peducation: lifez la profopopee de Louis le Grand, & celle de Fa- bricius; enfin, lifez la conclufion de M. Gau¬ tier & la mienne , & vous eomprendrez ce que je vcux dire, 3 . Je penfe en tout fi differemment de Mr. Gautier, que s’il me falloit relever tous les en- droits ou nous ne fommes pas de meme avis, je ferois oblige de le combattre, meme dans les chofes que j’aurois dites comme lui •, & cela me donneroit un air contrariant, que je voudrois Lien pouvoir eviter. Par exemple, en parlant de la politeiTe, il fait entendre tres-clairement que, pour devenir homrne de bien, il eft bon de commencer par etre hypocrite, & que la fauffete eft un chemin fur pour arriver a 1 a ver- tu. Il dit encore que les vices ornes par la po- liteffc ne font pas contagieux, comme ils le feroient, s’ils fe prefentoient de front avec ruf- ticite; que Part de penetrer les hommes a fait le meme progres que ceku de fe deguiferj qu’on: eft convaincu qu’il ne faut pas compter fur eux , a moins qu’on ne leur plaife, ou qu’on ne leur foit utile ; qu’on fcait evaluer les offres fpecieu- fes de la politefTe; c’eft-a-dire, fans doute, que, quand deux hommes fe font des compli- mens , & que Pun dit a l’autre dans le fond de fon cceur: Je vous traite comme un fof , & je Me moqug de vous; Pautre lui repond dans k A M. Grim MV fond du fien: Je fcais que votes mentez impudent- went; mais je vous le rends de mon mieux. Si j’avois voulu employer la plus amereironie, j’en aurois pu dire a-peu-pres autant. 4. On voit a chaque page de la refutation, que l’auteur n’entend point, ou ne veut point entendre 1’ouvrage qu’il refute : ce qui lui elt alfurement fort commode; parce que repon-* dant fans cede a fa penfee, & jamais a la mienne, il a la plus belle occafion du monde de dire tout ce qui lui plait. D’un autre cote, li ma re- plique en devient plus difficile , elle eii devient auffi moins neceffaire ; car on n’a jamais oui dire qu’un peintre, qui expofe en public un tableau, foit oblige de vifiter les yeux des fpe&ateurs, & de fournir des lunettes a tous ceux qui eu out befoin. D’ailleurs, il n’eft pas bien fur que je me Me entendre, meme en repliquant. Par exem- ple ; Je fqais, dirois-je a Monfieur Gautier, que nos foldats ne font point des Reaumurs & des Fontenelles, & e’eft tant pis pour eux , pour nous, & fur-tout pour les ennemis. Je fcais qu’ils ne fqavent rien, qu’ils font brutaux & grolliers ; & toutefois j’ai dit, & je dis encore qu’ils font enerves par les fciences qu’ils mepri- fent, & par les beaux-arts qu’ils ignorent. C’eft un des grands inconveniens de la culture des let- tres, que, pour quelques hommes qujelles eclai- rent, elles corrompent a pure perte toute une I 3 152 J. ]. R O U S S E A V nation. Or, vous voyez bien, Monfieur, qu® ceci ne feroit qu’un autre paradoxe inexplicabls pour M. Gautier, pour ce M. Gautier qui me demande fierement ce que les troupes ont de commun avec les academies ; li les foldats en au- ront plus de bravoure pour etre mal vetus & mat nourris; ce que je veux dire , en avancant qu’a force d’honorer les talens , on neglige les ver- tus j & d’autres quell ions femblables , qui toutes montrent qu’il eft impoffible d’y repondre intel- ligiblement au gre de celui qui les fait. Je crois que vous conviendrez que ce n’eft pas la peine de m’eXpliquer une feconcle fois, pour n’etre pas mieux entendu que la premiere. 5. Si je voulois repondre a la premiere par- tie de la refutation, ce feroit le moyen de ne jamais finir. M. Gautier juge a propos deme prefcrire les auteurs que je puis citer, & ceux qu’il faut que je rpjettc. Son choix eft tout-a- fait naturel; il recufe 1’autorite de ceux qui depofent pour moi, & veut que je m’en rapporte a ceux qu’il croit m’etre contraires. En vain voudrois- je lui faire entendre qu’un feul temoignage en nia faveur eft decifif, tandis que cent temoigna- ges ne prouvent rien contre mon fentiment, par- Ce que les temoins font parties dans le proces j en vain le prierois-je de diftinguer dans les exem- ples qu’il altegue; en vain lui reprefenterois-je qu’etre barbare ou crimine!, font deux chofes tout-a fait diiferentes, & que les peuples verita- 133 a M. Grim m. felement corrotnpus font moins ceux qui ont de mauvaifes loix, que ceux qui meprifent les loix; fa replique eft aiiee a prevoir. Le moyea qu’oti puilfe ajouter foi a des ecrivains fcandaleux , qui ofent louer des barbares qui ne fcavent ni lire niecrire; le raoyen qu’on puiiTe jamais fuppofer de la pudeur a des gens qui vont tout nuds , & de la vertu a ceux qui mangent de la chair crue. II faudra done difputer. Voila done Herodote , Strabon , Pomponius-Mela, aux prifes avee Xe¬ nophon, Juftin , Quinte-Curce, Tacite. Nous voila done dans les recherches de critique , dans les antiquites , dans Verudition. Les brochures fe transforment en volumes; les livres fe mul- tiplient, & la queftion s’oublie. C’eft le fort des dilputes de litterature, qu’apres des info-, jio d’eclairciiTemens, on ft nit toujours par ne fcavoir ou 1 ’on en eft ce n’eft pas la peine de commencer. Si je voulois repliquer a la feconde partie, cela feroit bientot fait; mais je n’apprendrois rien a perfonne. M. Gautier fe contente, pour m’y refuter , de dire oui par- tout oil j’ai dit non, & non par-tout oil j’ai dit oui: je n’ai done qu'a. dire encore non par tout ou j’avois dit non , oui par-tout ou j’avois dit oui, & fupprimer les preuves , j’aurai tresexaccement repondu. En fuivant la methode de M. Gautier, je ne puis done repondre aux deux parties de la refutation, I 3 134 J. J. Rousseau fans en dire trop & trop peu: or, je voudrois bien ne faire ni fun ni l’autre. 6. Je pourrois fuivre une ai*tre methode, & examiner feparement les raifonnemens de M. Gautier, & le ftyle de la refutation. Si j’examinois fes raifonnemens , il me feroit aife de montrer qu’ils portent tous a faux, que l’auteur n’a point fail! l’etat de la queftion , & qu’il lie m’a point entendu. Par exemple, M. Gautier prend la peine de m’apprendre qu'il y a des peu pies vicieux qui ne font pas fcavans ; & )e m’etois deja bien dou- te que les Kalmouques , les Bedouins , les Ca¬ iro s , n’etoient pas des prodiges de vertu ni d’e- rudition. Si M. Gautier avoit donne les me. mes foins a me montrer quelque peuple fcavant qui ne fat pas vicieux, il m’auroit furpris da- vantage. Par-tout il me fait raifonner , comma fi j’avois ait que la fcience eft la feule fource de corruption parmi les homines. S’il a cru cela de bonne foi, j’admire la bonte qu’il a de me repond re. Il dit que le commerce du monde fuffit pour pcquerir cette politefle dont fe pique un galant hommc ^ d’ou il conclut qu’on n’eft pas fonde a en faire honneur aux fciences, Mais a quo! done nous permettra-t-il d’en faire honneur ? .Depuis que les homines vivent en fociete, il y a §U des peuples polls, & d’autres qui ne l’etoieut a . M. Grim m. 13^ pas: Monfieur Gautier a oublie de nous rendre •raifon de cette difference. M. Gautier eft: par-tout en admiration de la ■purete de nos moeurs adiuelles. Cette bonne .opinion qu’il en a, fait allurement beaucoup d’homieur auxliennes; mais elle n’annonce pas line grande experience. Ondiroit, au ton donfc il parle, qu’il a etudie ies hommes , comme les •Peripateticiens etudioient la phyfique , fans for- tir de fon cabinet. Quant a moi, j’ai ferrne mes livres ; & apres avoir ecoute parler les hom¬ mes , je les ai regarde agir. Ce n’eft pas une merveille , qu’ayant fuivi des methodes fi diffe- rentes , nous nous rencontrions fi peu dans nos jugemens. Je vois qu’on ne fqauroit employer un langage plus honnete que celui de notre ile- cle , Sc voila ce qui frappe M. Gautier : mais je vois encore qu’on ne fcauroit avoir des moeurs plus corrompues, & voila ce qui me fcandaiife. Penfons-nous done etre devenus gens de bien , parce qu’a force de donner des noms dece'ns a nos vices , nous avons appris a n’en plus rougir ? II dit encore , que, quand meme on pourroit prouver par des faits, que la diffolution des moeurs a toujours regne avec les fciences, il ne s’en- fuivroit pas que le fort de la probite dependit de leur progres. Apres avoir employe la premiere partie de moil difeours a prouver que ces chofes avoient toujours marche enfemble, j’ai define la feconde a raontrer qu’en effet i’une teiioit I 4 13 6 J . J. Rous_seau a l"alitre. A qui done puis - je imaglner que M. Gautier veut repondre ici ? Il me paroit furtout tres-fcandalife de la ma- liiere dont j’ai parle de l’education des colleges. 11 m’apprend qu’on y enfeigne aux jcunes gens , je ne fcais combien de belles chofes, qui peu- vent etre d’une bonne reflburce pour leur amufe- ment, quand ils feront grands, mais dont j’a- voue que je ne vois point le rapport avec les devoirs des citoyens , dont il faut commencer par les inltruire. „ Nous nous enquerons vo- „ loaders : Scait-il du Grec & du Latin? Ecrit- 3 , il en vers ou en prole '< Mais s’il eft devenu „ meilleur ou plus avife , e’etoit le principal; & 3 , e’eft ce qui demeure derricre. Criez d’un ,, pafTant a notre peuple: 0 le fcavant homme ! „ & d’un autre : 0 le bon homme 11 ne faudra s , pas a detourner fes yeux & foil reljrcd vers 3 , le premier: il y faudroit un tiers crieur, 0 3 , les lour des tetes ! “ J’ai dit que la nature a voulu nous preferver de la fcience, comme une mere arrache une ar- me dangereufe des mains de Ton enfant, & que la peine que nous trouvons a nous inftruire s n’eft pas le moindre de fes bienfaits. M. Gau¬ tier aimeroit autant que j’euffe dit: Pcuples, fijachez done une fois , que la nature ne veut pas que vous vous nourrifliez des produc¬ tions de la terre : la peine qu’clle a attachee kfn culture, eft un avertiileraeut pour vous de A. M. Grimm. 13 ? la laifler eu friche. M. Gautier n’a pas fonge qu’avec un peu de travail, on eft fur de faire du pain ; raais qu’avec beaucoup d’etude , il eft tres-douteux qu’on parvienne a faire un homme raifonnable. II n’a pas fonge encore , que ceci 11’eft precifement qu’une obfervation de plus en ma faveur : car pourquoi la nature nous a-t-el!e impofe des travaux neceifaires, fi ce 11’eft pour nous detourner des occupations oifeufes ? Mais au mepris qu’il montre pour 1 ’agriculture, on voit aifement que , s’il ne tenoit qu’a lui, tous les laboureurs deferteroient bientot les campa- gnes , pour after argumenter dans les ecoles ; occupation, felon M. Gautier, & je crois, fe¬ lon bien des profelfeurs , fort importance pour le bonheur de l’Etat. En raifonnant fur un paffage de Platon, j’a- rois prefume que peut-etre les anciens Egypdens ne faifoieut-ils pas des fciences tout le cas qu’on auroit pu croire. L’auteur de la refutation me demande, comment on peat faire accorder cette opinion avec Vtnfp iratton qtfOfymandias avoit tnife a fa bibliotheque. Cette difficulte cut pu fetre bonne du vivant de ce prince. A prefent qu’il eft mort, je demande, a raon tour, on eft la necellite de faire accorder le fentiment du Roi Olymandias avec celui des fages d’Egypte. S’il ent compte , & fur tout pefe les voix, qui me repondra,que le mot de poifons n’eut pas ere fubftitue a celui de rms.les ? Mais paffons cette l )' I3S J. J. Rousseau faftueufe infcription. Ces remedes font excel- lens, j’en conviens, & je fai deja repete bien des fois; mais eft-ce uhe raifon pour les admi- niftrer inconfiderement, & fans egard aux tem- peramens des malades ? Tel aliment eft ties bon en foi, qui, dans un eftomac infirme , ne pro- duit qu’indigeftions & mauvaifes humeurs. Que diroit-on d’un medecin qui, apres avoir fait l’e- loge de quelques viandes fucculentes , conclue- roit que tous les malades s’en doivent ralfafier ? J’ai fait voir que les fciences & les arts ener- vent le courage. M. Gautier appelle cela une facon finguliere de raifonner j & il ne voit point la liaifon qui fe trouve entre le courage & la vertu. Ce n’eft pourtant pas, ce me femble, une ehofe ft difficile a comprendre. Celui qui s’eft une f is accoutume a preferer fa vie a fon devoir, ne tardera guere a lui preferer encore les chofes qui rendent la vie facile & agfeable. J’ai dit que la fcience convient a quelques grands genies ; mais qu’elle eft toujours nuilible. aux peuples qui la culdvent. M. Gautier dit que Socrate & Caton, qui blamoient les fciences , etoient pourtant eux - memes de fort fcavans homraes ; & il appelle cela m’avoir refute. J’ai dit que Socrate etoit le. plus fcavant des Atheniens ; & c’eft de la que je tire 1’autorite de fon temoignage: tout cela n'empeche point AI. Gautier de m’apprendre que Socrate etoit fcavant. A M. G R I M M. 13^ II me blame d’avoir avance que Caton me- prifoit les philofophes Grecs ; & il fe fonde fur ce que Carneade fe faifoit un jeu d’etablir & de renverfer les memes propofitions; ce qui pre- vint mal a propos Caton contre la litterature des Grecs. M. Gautier devroit bien nous dire quel etoit Ie pays & le metier de ce Carneade. Sans doute que Carneade eft le feul philofo- phe, ou le feul fqavant qui fe foit pique de fou- tenir le pour & le contre ; autrement tout ce que dit ici M. Gautier ne fignifieroit xien du tout. Je m’en rapporte fur ce point a fon erudition. Si la refutation n’eft pas abondante en bons raifonnemens, en revanche eile l’eft fort en belies declamations. L’auteur fubftitue par-tout les ornemens de fart a la folidite des preuves qu’il promettoit en commencant; & c’eft, en prodiguant la pompe oratoire dans une refuta¬ tion , qu’il me reproche a moi de 1’avoir em¬ ployee dans un difcours academique. A quoi tendent done , dit M. Gautier , les elo¬ quent es declamations de M. Roujfeau f A abolir , s’il ecoit pofllb’e , les vaines declamations des colleges. Qui ne feroit pas indigne de Qentendre qifurer que nous avons les apparences de toutss les vertus , fans en avoir aucune ? j’avoue qu’il y a yn peu de fiatterie a dire que nous en avons les apparences; mais M. Gautier auroit dy, mieux 140 J . J . Rousseau que perfonne , me pardonner celle - la. Eh J pourquoi n'a-t-onplus de vertu ? Ceft qu'on cultive ks belles-lettres, les fciences £*f les arts. Pour cela precifement. Si Ion etoit impoli, rujlique, ignorant, Goth, Hun on Vandale, on J'eroit digns des eloges de M. RouJJeau. Pourquoi non? Y a-t il quelqu’un de ces noms-la qui donne Pexciufion a la vertu i He fe lajfera-t-on point d'inve&iver les homines? Ne fe lafleront - ils point d’etre medians ? Croira-t-on toujows les rendre plus vertueux, en leur difant qu'ils jf cut point de vertu ? Croira-t-on les rendre meilleurs, en leur perfuadant qu’ils font aifez bons ? Sous pretexte d’sparer les mxitrs , eft-il per mis d’en ren- verfer les appuh ? Sous pretexte d’eclairer les efprits, faudra-t-i! pervertir les ames ? 0 doux nceuds de la fociete ! charntc des vrais philofophes ! aimables vert us ! c'ejl par vos propres at traits que vous regnez dans les cmrs; vous ne devez votre empire, ni a I'dprete Stoique, ni a des clameurs barbares, ni aux confeils dime orgueilleufe ruf~ ticite. Je remarquerai d’abord une chofe aifez plai- fante; c’efl: que de toutes les fectes des anciens philofophes que j’ai attaquees, comnie inutiles a la vertu, les Stoiciens font les feuls que M. Gautier m’abandonne, & qu’il femble memo vouloir mettre de mon cote. II a raifoil: je n’en ferai guere plus fier. a M. Grim m. 14j - Mats voyons un peu fi je pourrois rendre ex- adement en d’autres termes , le fens de cette ex¬ clamation : 0 abnables vertus ! c'ejl par vos pro- pres altraits que voits regnez dans les antes. Vous n’avez pas befoin de tout ce grand appareil d’igno¬ rance & de rufiicite. Vous fcavez abler an cceur par des routes plus fimples £5" plus naturelles. ll fajjit de fcavoir la rethorique , la logique , la phy- fique , la metaphyfiqae & les mathematiques , pour acquerir le droit de vous pojfeder. Autre exemple du ftyle de M. Gautier. Vous fcavez que les [deuces dont on occupe les jeunes philofophes dans les univerfites , font la lo¬ gique , la metapkyfique , la pkyfique , les mathema- tiquss elementaires. Si je l’ai feu , je l’avois oublie, comme nous faifons tous, en devenant raifonnables. Ce font done-Id .felon vous , de Jle- riles fpeculations. Steriles , felon 1’opinion com¬ mune; mais, felon moi, tres-fertiies en mau- vaifes chofes. Les univerfites vous ont une grande obligation de leur avoir appris que la virile de ces fciences s’efl retiree all fond ddun puits. Je ne crois pas avoir appris cela a perfonne. Cette fentence n’eft point de mon invention; elle eft auili anciennc que la philofophie. Aurefte, je fqais que les univerfites ne me doivent aucune reconnoilfance; & je n’ignorois pas, en pre- nant la plume , que je ne pouvois a la fois faire ma cour aux homines, & rendre hommage a la vefite. Les grands philofophes, qui les pojfedent J42 J. J. ft O f § S E- A tf dans m degre eminent , font fans doute bien furl fris d'apprendre quits ne fcavent rien. Je crois qu’en etfet ces grands philofophes, qui poiTe- dent toutes ces grandes fciences dans un degre eminent, feroient tres-furpris d’apprendre qu’ils ne fca vent riem Mais je ferois bien plus fur- pris moi-meme, fi ces hommes, qui fca vent tant de chofes , fcavoient jamais celle-la. Je remarque que M. Gautier, qui me traite par-tout avec la plus grande politefle, n’epargne aucune occafion de me fufciter dcs ennemis-, il etend fes foins s a cet egard , depuis les regens de college jufqu’a la fouveraine puiflance. M. Gautier fait fort bien de julliiier les ufages du monde; on voit qu’ils ne lui font point Gran¬ gers. Mais revenons a la refutation. h Toutes ces manieres d’ecrire & de raifon- ner, qui ne vont point a un homme d’autant d’efprit que M. Gautier me paroit en avoir , m’ont fait faire une conjedture que vous trou- verez hardte, & que je crois raifonnable. II m’accufe , tres - furement fans en rien croire , de n’etre point perfuade du fentiment que je foutiens. Moi, je le foupqonne, avec plus de fondement, d’etre en fecret de mon avis. Les places qu’il occupe, les circonftances oil ii fe trouve, l’auront mis dans une efpece de ne- celfite de prendre parti contre moi. La bien- feance de notre ficcle eft bonne a bien des «hofes j il m’aura done refute par biemicance a M. Grimm. 143 Irtais il aura pris toutes fortes de precautions, & employe tout Part poffible pour le faire de maniere a lie perfuader perfonne. C’eft dans cette vue qu’il commence par de¬ clarer tres-mal-a propos , que la caufe qu’il de¬ fend interede le bonheur de l’aiTemblee de- vant laquelle il parle, & la gloire du grand prince, fous les loix duquel il a la douceur de vivre. C’eft precifement corame s’il difoit : Vous ne pouvez, Meffieurs , fans ingratitude ervvers votre refpeclable protecteur, vous dif- penfer de me donner raifon ; & de plus , c’eft votre propre caufe que je plaide aujourd’hui de- vant vous; ainft de quelque c6te que vous en- vifagiez mes preuves, j’ai droit de compter que vous ne vous rendrez pas difficiles fur leur folidite. . . Je dis que tout homme, qui parle ainfi, a plus d’attention a fermer la bouche aux gens, que d’envie de les convaincre. Si vouslifez attentivement la refutation , vous n’y trouverez prefque pas une ligne qui ne fem- ble etre la pour attendre & indiquer la repon- fe. Un feul exemple fuffira pour me faire entendre. Les vi&oires que les Atheniens r emp or t event fur les Perfes & fur les Lacedemoniens uiemej, font voir que les arts peuvent s’ajfocier avec la vertu militaire. Je demande fi ce n’eft pas la une adrefte pour rappeller ce que j’ai dit de la de¬ faults de Xerxes, & pour me faire fonger au J44 J. J Rousseau denouement de la guerre du Peloponefe. Lear* gouvernement, devenu venal fons Pericles, prend une nouvelle face j Vamour du plaifir etoupfe leur Iravoure $ les fon&ions les plus honorables foist avi- lies i Pimp unite multiplie les mauvais citoyens i let fends defines a la guerre font defines a nourrir lot mollejfe & Voifiveie: toutes ces caufes de corruption, quel rapport ont-elles aux fcieiices ? Que fait ici M. Gautier, finon de rappeller toute la feconde partie de men difeours , ou j’ai jnontre ce rapport? Remarquez l’art avec le- quel il iious donne pour caufes les effets de la Corruption , afin d’engager tout horame de bon fens a remonter de lui-menie a la premiere caufe de ces caufes pretendues. Remarquez encore comment, pour en laiflfer faire la reflexion au ledteur, ilfeiiit d’ignorer ce qu’on ne peut fup- pofer qu’il ignore en effet, & ce que tous les ihiftoriens difent unanimement, que la deprava¬ tion des moeurs & du gouvernement des Athe- niens fut l’ouvrage des orateurs. II ell done certain que m’attaquer de cette maniere , e’eft bien clairement m’indiquer les reponfes que je dois faire. Ceci n’eft pourtant qu’une conjecture , que ja. ne pretends point garantir. M. Gautier n’ap- prouveroit peut-etre pas que je vouluffe juftifer foil fqavoir aux depens de fa bonne foi: mais 11 en effet il a parie fincerement, en refutant mon difeours, comment M. Gautier, profelfeur en Hif- • A M. Grim m.' > 4 ? Hiftoire , profeffeur en Mathematiques , membr© deTAcademie deNancy, lie s’eft- il pas un peu defie de tons ies titres qu’il porte ? Je ne repiiquerai done pas a M. Gautier; e’eft un point refolu. Je lie pourrois jamais re- pondreferieufement , & fuivre la refutation piei a pied : vous en voyez la raifon; &. ce feroit nial reconnoitre les eloges dont M. Gautier m’honore , que d’eniployer le ridiculum acri , l’ironie & l’amere plaifanterie. Je crains bieri deja qu’il n’ait que trop a fe plaindre du ton de cette lettre: au moins n’ignoroit-il pas , en ecri- vant fa refutation , qu’il attaquoit un homme qui ne fait pas aflez de cas de la politefle , pour vou- loir apprendre d’elle a deguifer foil fentiment. Au refte, je fuis pret a rendre k M. Gau¬ tier toute la juiiice qui lui eft due. Son outra¬ ge me paroit celui d’un homme d'elprit qui a bien des connoiflances. D’autres y trouveront peut-etre de la philofophie ; quant amoi, j’y trouve beaucoup d’erudition. Je fuis de tout moil coeur , Monfieur, &c. P. S. Je Miens de lire dans la gazette d’U- trecht, du 22 Odlobre , une pompeufe expoii- tion de l’ouvrage de Monfieur Gautier , & cette expofition femble faite expres pour confirmer mes foupqons. Un auteur qui a quelque con- fiance en fon ouvrage, lailfe aux autres le loin d’en faire I’eloge , & fe borne a en faire un bon Toms I. K J . J . Rousseau extrait. Celui de la refutation eft tourne avec tant d’adrelfe, que, quoiqu’il tombe uniquement fur des bagatelles que }e n’avois employees qus pour fervir de tranfitions, il n’y en a pas une feule fur laquelle un ledteur judicieux puifle etre de l’avis de M. Gautier. II n’eft pas vrai, felon lui que ce foit des vices des hommes que fhiftoire tire fon propre interet. Je pourrois lailfer les preuves de raifoime- ment, & pour mettre M. Gautier fur fon ter- rein , je lui citerois des autorites. Heureux les feuples dent les rois ont fait feu de bruit dans Fhiftoire ; Si jamais les hommes deviennent fages, leur hif- toire n amufera guere. M. Gautier dit avec raifon qu’une fociete, fut-elle toute conipofee d’hommes j-uftes, ne fqauroit fubfifter fans loix $ & il conclutde-ls qu’il n’eft pas vrai que, fans les injuftices des hommes , la jurifprudence feroit inutile. Un ft fqavant auteur confondroit-il la jurifprudence & les loix? Je pourrois encore lailfer les preuves de rai- fonnement> & pour mettre M. Gautier fur fon terrein, je lui citerois des faits. Les Lacedemoniens n’avoient ni jurifconful- tes, ni avocats; leurs loix n’etoient pas memo ecrites : cependant ils avoient des loix. Je m’en rapporte a l’erudition de M. Gautier, pour fqa- A M. Grim m. 14 f Voir fi les loix etoient plus nial obfervees a La- Cedemone, que dans les pays oil fourmillent les gens de loi. Je ne m’arreterai point it toutes les minucies qui fervent de texte a M. Gautier , & qu’il eta¬ le dans la gazette; rnais je finirai par cette ob- fervation que je foumets a votre exarnen. Donnons par-tout raifon a M. Gautier , & re- tranchons demon difcours toutes les chofes qu’il attaque ; mes preuves n’auront prefque rien perdu de leur force. Otons de l’ecrit de M. Gautier tout ce qui ne touche pas le fond de la queftion •, il n’y reftera rien du tout. Je conclus toujours qu’il ne faut point repon- dre a M. Gautier. A Paris, ce 1 Novemlre 17? I, 1 DISC O U R S S U R LES AVANTAGES DES SCIENCES ET DES ARTS; Prononce dans PAffemblee fubliqne de VAcadhnk des Sciences & Belles - Lettres de Lyon , le 22 Juin Par M. Bordis. eftdefabufe depuis long-terns de la chi- mere de Page d’or: par - tout la barbarie a pre¬ cede l’etabliiTement des focietes ; c’eft line veri- te prouvee par les annales de toils les peuples. Par - tout les befoins & les crimes forcerent les hommes a fe reunir, a s’inipofer des loix, a s’enfermer dans des remparts. Les premiers Dieux & les premiers Rois furent des bienfai- teurs , ou des tyrans •, la reconnoiflance & la crainte elevereiit les trones & les autels. La fu- perftition & le defpotifme vinrent alors couvrir la face de la terre : de nouveaux malheurs , de nouveaux crimes fuccederent; les revolutions fe multiplierent. A travel's ce vafte fpedtacle des paffions & des miferes des hommes, nous appercevons a peine quelques contrees plus Pages & plus lieu- Discours sur les Ayantages & e . 149? reufes. Tandis que !a plus grande partie du Monde etoit inconnue, que l’Europe etoit *fau- vage, & l’Afie efclave, la Grece penla , & s’eleva par l’efprit a tout ce qui peut rendre un peup!e recommandable. Des Philofophes forme- rent fes moeurs & lui donnerent des loix. Si Ton refufe d’ajouter foi aux traditions qui nous difent, que les Orphee & les Amphion atti- rerent les hommes du fond des forets par la douceur de leurs chants , on eft force , par l’Hif- toire, de convenir que cette heureufe revolu¬ tion eft due aux arts utiles & auxfciences. Quels hommes etoietit-ce , que ces premiers legislateurs de !a Grece ? Peut-on nier qu’ils ne fulTent les plus vertueux & les plus fqavaus de leur (iecle ? Ils avoient acquis tout ce que l’etude & la re¬ flexion peuvent donner de lumiere a 1’efprit, & ils y avoient joint les fecours de I’experience , par les voyages qu’ils avoient entrepris en Cre¬ te , en Egypte , chez toutes les nations oil ils avoient cru trouver a s’inftruire. Tandis qu’ils etabliffoient leurs divers fy de¬ nies de politique , par qui les paffions particulie- res devenoient le plus fiir inftrument du bien public, & qui faifoientgermer la vertu du fein merae de l’amour-propre ; d’autres Philofophes ecrivoient fur la morale, remontoicnt aux pre¬ miers principes des chofes , obfervoient la na¬ ture & fes eifets. La gloire de l’efprit & cello des armes avanqoient d’un pas egal ; les fages& K ? ifo Discours sur les les heros naifloient en foule ; a cote des Mil- tiade & des Themiftocle, on trouvoit les Arif- tide & les Socrate. La fuperbe Afie vit brifer fes forces innombrables , contre une poignee d’hom- mes, ^ue la philofopliie conduifoit a la gloire. Tel elt rinfaillible eftet des connoidances de 1’efprit: les moeurs & les loix font la feule four- ce du veritable heroifme. En uu mot la Greco duttout aux fciences, & le refte du Monde dui tout a la Grece. Oppofera-t-on a ce brillant tableau les moeurs groilieres des Perfes & des Scythesj’admire- rai, fi l’on veut, des peuples qui paflent leur vie a la guerre ou dans les bois , qui couchent furlaterre, & vivent de legumes. Mais eft-ce parrpi eux qu’on irachercher le bonheur ? Quel fpedacle nous prefenteroit le genre hurnain, compoie uniquement de laboureurs , de foldats , de chalfeurs & de bergers ? Faut - il done, pour etre digne du nom d’homme, vivre cornme les lions & les ours '( Erigera -1 - on en vertus, les facultes de Finftind pour fe nourrir , fe perpe- tuer & fe defendre? Je ne vois la que des ver¬ tus animales , peu conformes a la dignite de no- tre etre ; le corps eft exerce, mais Fame efcla- VB ne fait que ramper & languir. Les Perfes n’eurent pas plutot fait la conque, te de FAlie, qiFils perdirent leurs moeurs, les Scythes degenererent auili , quoique plus tard : ties vercus fj fauvages font trap contraires a r A vantages des Sciences etdes Arts, ifr Fhumanite pour etre durables; fe priver de tout & ne defirer rien, eft uu etat trop violent ; une ignorance ft groffiere ne fcauroit etre qu’uit etat de paffage. II n’y a que la ftupidite & la mifere qui puiilent y alTujettir les hommes. Sparte, ce phenoraene politique, cette re- publique de foldats vertueux, eft le feul peu- p!e qui ait eu la gloire d’etre pauvre par infti- tution & par choix. Ses loix fi admirees avoient pourtant de grands defauts. La durete des mai- tres & des peres , l’expofition des enfans , le vol autorife , la pudeur violce dans l’education. & les manages, une oifivete eternelle, les ex- ercices du corps recommandes uniquement, ceux de 1’eiprit profcrits & meprifes , l’aufterite & h ferocite des moeurs qui en etoient la fuite , & qui alienerent bien - tot tous les allies de la republique , font deja d’affez jaftes reproches : peut-etre ne fe borneroient-ils pas la , ft les par¬ ticularities de fon hiftoire interieure nous etoient mieux connues. Elle fe fit une vertu artificielle en fe privant de l’ufage de l’or ; mais que deve- noient les vertus de fes citoyens , fi - tot qu’ils s’eloignoient de leurpatrie? Lyfandre & Pau- fanias n’en furent que plus aifes a corrompre. Cette Nation , qui ne refpiroit que la guerre , s’eft elle fait une gloire plus grande dans les ar- mes que fa rivale , qui avoit reuni toutes les fortes de gloire ? Athenes ne fut pas mains guer- riere que Sparte; elle fat de plus fqavante, in- K 4 Ifa D I S CO U R S S U R L E S geriieufe & magnifique ; elle cnfanta tons les arts & tous les talensj & dans le fein meme de la corruption qu’on lui reproche , elle donna le jour au plus fage des Grecs. Apres avoir ete plufieurs fois fur le point de vaincre , elle fut vaincue , il eft vrai, & il eft furprenant qu’elle ne Feiit pas ete plutot, puifque FAttique etoit; im pays tout ouvert, & qui ne pouvoit fe defen- dre que par une tres-grande fuperiorite de for¬ ces La gloire des Laced emoniens fut peu foli- de; la profperite corrompit \eurs inftitutions, trop bifarres pour pouvoir fe conferver long- terns : la fiere Sparte perdit fes moeurs , co'mme la fcavante Athenes. Ede ne fit plus rien depuis qui fut digne de fa reputation : & tandis que les Atheniens & plufieurs autres viiles luttoient centre la Macedoine, pour la liberte de la Gre- ce, Sparte feule languiifoit dans le repos, & voyoit preparer de loin fa deftrudion, fans Lon¬ ger a la prevenir. Mais enfin je fuppofe que tons les Etats dotifc la Greee etoit compofee, euffent fuivi les me- ynes loix que Sparte, que nous refteroit - il de cette contree fi celebre ? A peine fon noni fe- J'oit parvenu jufqu’a nous. Elle auroit dedaigne de former des hiftoriens , pour tranfmettre fa gloire h la pofterite; le fpedacle de fes farou- phes vertus eut ete perdu pour nous : il nous fe- roit indifierent par eonfequent qu’elles euffent f^jfte Qu pop. Ges norpbreux lyftepies de philo- Avantages des Sciences etdes Arts, ifj fophie qui ont epuife toutes les combinaifons poL fibles de nos idecs, & qui, s’ils n’ont pas eten- dubeaucoup les limites de notre efprit, nous ont appris du moins ou elles etoient fixees; ces chefs-d’cEuvres d’eloquence & de poefie qui nous ont enfeigne toutes les routes du coeur; les arts utiles ou agreables, qui confervent ou embellif- fent la vie ; enfin I’ineftimable tradition des penfees & des adions de tous les grands hom¬ ines , qui ont fait la gloire ou le bonheur de Vhumanite : toutes ces precieufes richeffes de l’efprit euffent ete perdues pour jamais. Les fie- cles fe feroient accumules , les generations des hommes le feroient fuceedees eomme cedes des animaux, fins aucun fruit pour leur pofterite, & n’auroient laiffe apres elles qu’un fouvenir confus de leur exigence ; le Monde auroit vieil- ii, & les hommes feroient derneures dansune enfauee eternelle. Que prerendent enfin les ennemis de la fcien- ce? Qiioi! le don de penfer feroit un prefent funefte de la Divmite ! Les connoilfances & les moeurs feroient incompatibles ! La vertu feroit un vain phantome produit par unkiftind aveu- gle; & le flambeau de la raifon la feroit eva- nouir, en voulant l’eclaircir ! Quelle etrange idee voudroit - on nous donner & de la raifon & de la vertu ! Comment prouve-t-on de fi bifarres para¬ doxes? On objedeoue les faiences & les arts K f ,rf4 Discours sur les out porte un coup mortel aux moeurs anciennes, aux inftitutions primitives des Etats : on cite pour exemple Athenes & Rome. Euripide & Demoftene ont vu Athenes livree aux Spartiates & aux Macedoniens: Horace , V’irgile & Ciee- ron ont ete contemporains de la ruine de la li- berte Romaine; les uns & les autres ont ete te- moins des malheurs de leur pays : ils en out done ete la caufe. Confequence peu fondee, puifqu’on en pourroit dire autant de Socrate & de Caton. En accordant que l’alteration des loix & la corruption des moeurs ayent beaucoup influe fur ces grands evenemens , me forcera-t-on de convenir que les feienees & les arts y ayent con- tribue ? La corruption fuit de pres la profperite j les feienees font pour l’ordinaire leurs plus rapi- des progres dans le meme terns: des chofes fi diverfes peuvent naitre enfemble & fe rencon- trer: mais e’eft fans aucune relation entr’elles de caufe & d’effet. Athenes & Rome etoient petites & pauvres dans leurs commencemens; tous leurs citoyens etoient foldats , toutes leurs vertus etoient ne- ceflaires , les occafions meme de corrompre leurs moeurs n’exiftoient pas. Peu apres elles acqui- rent des richeffes & de la puiflance. Une par- tie des citoyens ne fut plus employee a la guer¬ re j on apprit a jouir & a penfer. Dans le fein de leur opulence ou de leur loiiir , les uns per- Avantages des sciences et des Arts, iff fectionnerent le luxe , qui fait la plus ordinaire occupation des gens heureux; d’autres ayant requ de la Nature de plus favorables difpofitions , etendirent les limites de l’efprit, & creerent une gloire nouvelle. Ainli tandis que les uns , par le fpedlacle des richelfes & des voluptes, prophanoient les loix & les moeurs; les autres allumoient le flambeau de la philofophie & des arts, inftruifoient, ou celebroient les vertus , & donnoient nailTance k ces noras fi chers aux gens qui fqavent penfer, rAtticiCme & l’urbanite. Des occupations li op¬ poses peuvent - elles done meriter les niemes qualifications i Pouvoient-elles produirs les me- nies efi’ets ? Je ne nierai pas que la corruption generate ne fe foit repandue quelquefois jufques fur les let- tres , & qu’elle n’ait produit des exces dange- reux ; mais doit-on confondre la noble deflina- tion des fciences avec Tabus criminel qu’on en a pu faire ? Mettra-t-on dans la balance quel- ques epigrammes de Catulle ou de Martial, cen¬ tre les nombreux volumes philofophiques, po- litiques & moraux de Ciceron , contre le fage Poeme de Virgile ? D’ailleurs les ouvrages licentieux font ordi- nairement le fruit de l’imagination , & non ce- lui de la fcience & du travail. Les hommes dans tous les terns & dans tous les pays ont eu des pailions; ils les out chanties. La France avoit Discours sur les des Romanciers & des Troubadours, longtems avant qu’elle eut des Scavans & des Philofo- phes. En fuppofant done que les fciences & les arts eulTent ete etouffes dans leur berceau , tou- tes les idees infpirees par les paflions n’en au- roient pas moins ete realifees en profe & en vers; avec cette difference , que nous aurions eu de moins tout ce que les Philofophes, les Poetes & les Hilloriens ont fait pour nous plai- re ou pour nous inftruire. Athenes fut enfin forcee de ceder a la fortune de la Macedoine-, mais elle ne ceda qu’avecl’U- nivers. C’etoit un torrent rapide qui entrainoit tout: & e’eft perdre le terns que de chercher des caufes particulieres , ou l’on voit une force fuperieure lii marquee. Rome, maitreffe du Monde , ne trouvoit plus d’ennemis; il s’en forma dans fun fein. Sa grandeur fit fa perte. Les loix d’une petite vil- le n’etoient pas faites pour gouverner le Mon¬ de entier : elles avoient pu fuffire contre les fadlions des Manlius , des Caffius & des Grac- ques : elles fuccomberent fous les armees de Silla , de Cefar & d’Odlave : Rome perdit fa li- berte , mais elle conferva fa puiffance. Oppri- mee par les foldats qu’elle payoit, elle etoit en¬ core la terreur des nations. Ses ty'rans etoient tour a tour declares peres de la patrie, & maffa- cres. Un Monltre indigne du nom d’homme fe faifoit proelamer Empereur 3 & l’augufte corps Avantages des Sciences it des Arts- i f 7 du Senat n’avoit plus d’autres fondtions que cel- le de le mettre au rang des Dieux. Etranges al¬ ternatives d’efclavage & de tyrannic , mais tel- les qu’on les a vues dans tous les Etats ou la niilice dilpofoit du Trone. Enfin de nombreufes irruptions des Barbares vinrent renverfer & fou¬ ler aux pieds ce vieux cololfe ebranle de toutes parts ■, & de fes debris fe formerent tous les Empires qui ont fubfifte depuis. Ces fanglantes revolutions ont-elles done quelque chofe de commun avec les progres des lettres ? Par - tout je vois des caufes purement politiques. Si Rome eut encore quelques beaux jours, ce fut fous desEmpereurs Philofophes. Seneque a-t-il done ete le corrupteur deNeron? Eft-ce 1’etude de la philofophie & des arts qui fit autant de monftres, des Caligula , des Domi- tien , des Helioga bale ? Les lettres qui s’etoient elevees avec la gloire de Rome ne tomberent- elles pas fous ces regnes cruels ? Elies s’affoi- blirent ainll par degres, avec le vafte Empire au- quel la deftinee du Monde fembloit etre atta- cliee. Leurs ruines furent communes , & l’igno- rance envahit l’Univers une feconde fois , avec la barbarie & la fervitude, fes compagnes fi¬ ddles. Difons done que les Mufes alment la liber- te, la gloire & le bonheur. Par-tout-je les vois prodiguer leurs bienfaits fur les nations, au mo¬ ment ou elles font leplus fleriffantes. Elies n’ont i <;8 £) i scours sun les plus redoute les glaces de la Rullie , ii-tot qu’ef* les ont ete attirees dans ce puiflant Empire , par' le Heros fingulier qui en a ete pour ainfi di¬ re le createur: le Legislateur de Berlin, le‘ Conquerant de la Silefie , les fixe aujourdTiui dans le nord de l’AHemagne, qu’elles font re- tentir de leurs chants, S’il eft arrive quelquefois que la gloire des Empires n’a pas furvecu long-terns a celle des lettres, c’eft qu’elle etoit a fon eomble, lorf. que les lettres ont ete cultivees, & que le fort des chofes humaines eft de ne pas durer long- terns dans le meme etat. Mais bien loin que les fciences y contribuent, elies periflent infailli* blement frappees des mernes coups ; en forte que Ton peut obferver que les progres des let¬ tres & leur declin font ordinairement dans une jufte proportion avec la fortune & fabaiiTement des Empires. Cette verite fe confirme encore par l’expe- rience des derniers terns. L’efprit humain, a- pres une eclipfe de plufieurs fiecles, fernbla s’e- veiller d’un profond fommeil. On fouilla dans les cendres antiques, & le feu facre fe ralluma de toutes parts. Nous devons encore aux Grecs cette feconde generation des fciences. Mais dans quel terns reprirent-elies cette nouvelle vie ? Ce fut lorfque l’Europe , apres tant de convul- fions violentes , eut enfin pris une pofitisn af- furee , & une forme plus heureufe. Avantages des Sciences et des Arts, Ici fe developpe un liouvel ordre de chofes. II ne s’agit plus de ces petits Royaum.es dorneC. tiques, renfermes dans l’enceinte d’une ville : de ces peuples condamnes a combattre pour leurs heritages & leurs maifons, tremblans fans cede pour une patrie toujours prete a leur echapper: e’eft une Monarchic vafte & puiflante, combi- nee dans toutes fes parties , par une legislation profonde. Tandis que cent mille foldats combat- tent gaiment pour la furete de l’Etat, vingt mil¬ lions de citoyens heureux & tranquilles, occu- pes a fa profperite interieure, cultivent Ians al- larmes les immenfes campagnes, font fleurir les loix , le commerce, les arts & les lettres dans l’enceinte des villes: toutes les profeffions di- verfes, appliquees uniquement a leur objet, font maintenues dans un jufte equilibre , & dirigees au bien general, par la main puijfantequi les con¬ duit & les anime. Telle eft la foible image du beau regne de Louis XIV", & de celui fous le- quel nous avons le bonheur de vivre : la France riche , guerriere & fqavante , eft devenue le mo- dele & I’arbitre de l’Europe; elle fcait vaincre & chanter fes vicloires: fes Philofophes mefu- rent la terre, & fon Roi la pacifie. Qui olera foutenir que le courage des Fran¬ cois ait degenere, depuis qu’ils ont cultive les lettres? Dans quel fiecle a-t-il eclate plus glo- rieufement qu’a Montalban, Lawfelt, & dans tant d’autres occaftons que je pourrois citer? iSo Discours sur les Ont-ils jamais fait paroxtre plus de conftance qii£ dans les retraites de Prague & de Baviere '{ Qu’y a-til enfin de fuperieur dans l’Antiquiteau fiege de Berg - op - Zoom j & a ees braves grenadiers renouvelles tant de fois, qui voloient avec ar- deur aux memes poftes * ou ils venoient de voir foudroyer ou engloutir les Heros qui les pre- cedoient. En vain veut on nous perfuader que Iereta- blilTement des fciences a gate lesUiceurs. On eft d’abord oblige de convenir , que les vices grof- Tiers de nos ancetres font prefqu’entierement proferits parmi nous. C’eft deja un grand avantage pour la Caufe des lettres, que Get aveu qu’on eft force de fai- xe. En eftet les debauches , les querelles & les combats qui en etoient les fuites, les violences des grands , la tyrannic des peres , la bifarrerie de la vieilleile , les egaremens iropetueux des jeunes gens, tons ces exces ft communs autre¬ fois , funeftes effets de 1’ignorance & de l’oifi- vete , n’exiftent plus , depuis que nos mceurs ont ete adoucies par les connoiffances dont tous les efprits font occupes ou amufes. On nous reproche des vices rafines & deli- cats; c’eft que par-tout oil il y a des homines, il y aura des vices. Mais les voiles ou la paru- xe dont ils fe comment, font du moins Faveu de leur honte , & un temoignage du refpect pu¬ blic pour la vertu* S’il Avantages des Sciences et des Arts. i 6 t S’il y a des modes de folie, de ridicule & de corruption , elles ne fe trouvent que dans la capitale ieulement, & ce n’eft meme que dans un tourbillon d’hommes perdus par les richeifes & l'oifivete. Les Provinces entieres , & la plus grande partie de Paris, ignorent ces exces , ou ne les connoilfent que de nom. Jugera-c-on rou¬ te la nation fur les travers d’un petit nombre d’hommes '( Des ecrits ingenieux reclament ce- pendant contre ces abus j la corruption ne jouit de fes pretendus fucces que dans des tetes igno- rantes •, les fciences & les lettres ne Gelfent point de depofer contre elle; la morale la demafque, la philofophie humilie fes petits triomphes 5 la Comedie, la Satyre , TEpigramme la percent de mille traits. Les bons livres font la feule defenfe des ef- prits foibles, c’eita-dire, de trois quarts des homines, contre la contagion de J’exemple. II 11’appartient qu’a eux de conferver iidelement le depot des moeurs. Nos exceliens ouvrages de morale furvivront eternellement a ces brochures licencieufes, qui dilparoilfent rapidement avec le gout de mode qui les a fait naitre. Cell ou- trager injuftemerit les fciences & les arts, que de leur imputer ces productions honteufes, L’ef- pritfeul, echauile par les paifions, fuffit pour les enfanter. Les Scavans, les Philolophes, les grands Orateurs & les grands Poetes, bienloin d’en etre les auteurs , les meprifeut, ou meme Tome. I L 1 62 Discours sur les ignorent leur existence: il y a plus, dans le nombre infini des grands Ecrivaips en tout gen¬ re qui ont iliuftre le dernier regne , a peine en trouve t-on deux oil trois qui aient abufe de leurs talens. Quelle proportion entre les reproches qu’on peut leur faire, & les avantages immor- tels que le genre humain a retires des fciences cultivees ? Des Ecrivains , la plupart obfeurs , fe font jettes de nos jours dans de plus grands exces ; heureufement cette corruption a peu du¬ re; elle paroit prefque entierement eteinte ou epuifee. Mais e’etoit line fuite particuliere du gout leger & frivole de notre nation ; l’Angle- terre & l’ltalie n’ont point de femblables re¬ proches a faire aux lettres. Je pourrois me difpenfer de parler du luxe, puifqu’il nait immediatement des richelfes, & non des fciences & des arts. Et quel .rapport peut avoir avec les lettres le luxe du fafte & de la mollelfe, qui eft le feul que la morale puiifo condamner ou reftreindre ? II eft, a la verite , une forte de luxe inge- nieux & fcavant qui anime les arts & les eleve a la • perfection. C’eft lui qui multiplie les pro¬ ductions de la Peinture , de la Sculpture & de la Mufique. Les chofes les plus louables en el- les-memes doivent avoir leurs borncs; & une nation feroit juftement meprifee, qui, pour aug- menter le nombre des Peintres & des Muil- ciens, fe laifleroit manquer de laboureurs & de Avantages des Sciences et des Arts. foldats. Mais lorfque les armees font complet- tcs, & la terre cultivee, a quoi employer le loilir du relte des citoyens ? Je lie vois pas pourquoi ils lie pourroient pas fe dormer des tableaux, des ltatues & des fpedtacles. Vouloir rappeller les grands Etats aux pe- tites vertus des petites Republiques, e’eft vou¬ loir contraindre un homme fort & robufte a be- gayer dans un berceau ; e’etoit la folie ue Ca- toil: avec 1’humeur & les prejuges hereditaires dans fa famille , il declama toute fa vie , com- battit, & mourut enfin fans avoir lien fait d’u- tile pour fa Patrie. Les anciens Romains labou- roient d’une main & conibattoient de l’autre. C’etoient de grands hommes , je le crois , quoi- qu’ils lie fi/fent que de petites chofes: ils le conlacroient tout entiers a leur patrie, parce qu’elle etoit etemellement en danger. Dans ces premiers terns on nefcavoit qu’exifter; la tem¬ perance & le courage ne pouvoient etre de vraies vertus , ce n’etoit que des qualites for- cees : on etoit alors dans une ithpolfibilite phy- lique d’etre voluptueux; & qui vouloit etre la- che , devoit fe refoudre a etre efclave. Les Etats s’accrurent: l’inegalite des biens s’intro- duifit neceffairement: un Pro-conful d’Afie pou- voit-il etre auffi pauvre, que ces Confuls an¬ ciens, demi- bourgeois & demi-payfans , qui ra- vageoient un jour les champs des Fidenates, & revenoient le lendemain cultiver les leurs ? Les L * i54 Discours sur les circonftances feules out fait ces differences: la pauvrete ni la richefle ne font point la vertu j elle eft uniquement dans le bon ou le mauvais ufage des biens ou des maux que nous ayons re- qus de la Nature & de la Fortune. Apres avoir juftifie les lettres fur l’article da luxe, il me refte a faire voir que la politelfe qu’elles out introduite dans nos mceurs , eft un des plus utiles prefens qu’elles puifent faire aux hommes. Suppofons que la politeffe n’eft qu’un mafque trompeur qui voile tous les vices, c’eft prefenter 1’exception au lieu de la regie, & Ta¬ bus de la chofe a la place de 1a. chofe meme. Mais que deviendront ces accufations, li la politeffe n’eft en effet que l’expreifon d’une ame douce & bien-faifante ? L’habitude d’une fi. louable imitation feroit feule capable de nous elever jufqu’a la vertu meme ; tel eft le mepris de la coutume. Nous devenons enfin ce que nous feignons d’etre. II entre dans la politeffe des moeurs, plus de philofophie qu’on ne pen- fe ; elle refpetle le nom & la qualite d’homme j elie feule conferve entr’eux une forte d’egalite ficftive, foible , mais precieux refte de leur an- cien droit naturel. Entre egaux , elle devient la mediatrice de leur amour-propre ; elle eft le facrifice perpetuel de l’humeur & de l’ef|)rit de iingularite. Dira-t on que tout un peuple qui exerce ha- bituellement ces demonftrations de douceur, Avantages des Sciences et des Arts. i(>? de bienveillance, n’eft compofe que de perfides & de dupes ? Croira-t-on que tous foient en meme terns & trompeurs & trompes ? Nos coeurs ne font point aifez parfaits pour fe moutrer fans voile: la politeife eft un vernis qui adoucit les teintes tranchantes des cara&e- res; elle rapproche les homraes , & les engage a s’aimer par les relTemblances generates qu’elle repand fur eux : fans elle , la fociete n’ofifiroit que des difparates & des chocs ; on fe ha'iroit pour les petites chofes •, & avec cette difpofi- tion, il feroit difficile de s’aimer meme pour les plus grandes qualites. On a plus forwent be- i’oin de complaifance que de fervices; l’ami le .plus-genereux m’obligera peut-etre tout au plus une fois dans fa vie. Mats une fociete douce & polie embellit tous les momens du jour. En- fin la politeife place les vertus j elle feule leur enfeigne ces combinaifons fines, qui les fubor- donnent les unes aux autres dans d’admirables proportions , ainli que ce jufte milieu , au-de- ca & au-dela duquel elles perdent infiniment de leur prix. On ne fe contente pas d’attaquer les fcien- ces dans les effets qu’on leur attribue; on les empoifonne jufques dans leur fource ; on nous peint la curiolite comme un penchant funefte; on charge fon portrait des couleurs les plus odieufes. J’avouerai que l’allegorie de Pandore peyt avoir un bon cotc dans le fyfteme moral: L 3 f 66 Discours sur les liiais il n’en eft pas moms vrai que nous devons a nos connoiifaiices , & par conlequent a notre curiofite, tous les biens dont nous jouiifons. Sans elle , reduits a la condition des brutes, no¬ tre vie fe pafferoit a tamper fur ia petite por¬ tion de tevrein deftine a nous nourrir & a nous cngloutir un jour. L’etat d’ignorance eft un etat de crainte & de befoin ; tout eft danger alors pour notre fragilite : la mort gronde fur nos te-, tes, elle eft cachee dans l’herbe que nous fou- lons aux pieds. Lor fq ft on craint tout, & qu’011 a befoin de tout, quelle difpofition plus raifon- irable que celle de vouloir tout connoitre ? Telle eft la noble diftinotion d’un etre pen- fant : feroit-ce done en vain que nous aurions ete doues feuls de cette faculte divine SI C’eft s’en rendre digne que d’en ufer, Les premiers homines fe confenterent ds cuhiver la terrff, pour en tirer ie bled: enfui- te on creufa dans fes entraiiles , on en arracha les metaux. Les memes progres fe font faits dans les lciences : on ne s'eft pas contente des de- couvertes les plus necefiaires : on s’eft attache avec ardeur a celies qui lie paroifloient que dif- liciles & glorieufes. Quel etait le point ou Ton auroit uu s’arreter? Ce que nous appelions ge- jiie , n’eft autre chofe qu’une raifon fublime & courageufe : il n’appartient qu’a lui feul de fe juger. Ce$ globes lumiaeux places loin de nous a Avantages des Sciences et des Arts. 1A7 des diftances fi enormes, font nos guides dans la navigation, & l’etude de leurs fituations ref- pe&ives , qu’on n’a peut-etre regardees d’abord que comme Pobjet de la curiofite la plus vaine, eft dev'enue une des fciences la plus utile. La propriete linguliere de Paimant, qui n’etoit pour nos peres qu’une enigme frivole de la Nature , nous a conduits comme par la main a travers Pimmenfite des mers. Deux verres places & tallies d’une certai- tie maniere , nous ont montre une nouvelle fcene de roerveilles, que nosyeuxne foupcon- noient pas. Les experiences du tube eiedrife fembloient n’etre qu’un jeu: peut-etre leur devra-t-on un jour la connoiftance du regne univerfel de ki Nature. , Apres la decouverte de ces rapports fi impre- vus, fimajeftueux, entre les plus petites & les plus grandes chofes, quelles connoilfances ofe- rions nous dedaigner ? En fqavons - nous afiez pour meprifer ce que nous ne fqavons pas? Bien loin d’etouffer la curiofite, ne femble-t-il pas, au contraire , que l’Etre Supreme ait voulu la reveiller par des decouvertes lingulieres , qu’au- cune analogie n’avoit annoncees ? Mais de combien d’erreurs ell affiegee l’etu- de de la verite ? Quelle audace , nous dit-on , ou plutot quelle temerite de s’engager dans des routes trompeufes, oil tant d’autres fe font ega- L 4 Biscours sur les 168 res ? Sur ces principes, il n’y aura plus rien que nous ofions entreprendre ; la crainte eter- nellfe des rnaux nous privera dc tous les biens ou nous aurions pu afpirer , puifqu’il n’en eft point fans melange. La veritable fagelfe, au contraire, conlllte feulement a les epurer, au- tant que notre condition le permet. Tous les reproches , que l’on fait a la philo- fophie, attaquent l’efprit humain., ou plutot f Auteur de la Nature , qui nous a fairs tels que nous fommes. Les Philofopbes etoient des hom- me ; ils fe font trompes, Doit-ons’en etonner? Plaignons-les, profitons de leurs fautes, & cor- rlgeons nous ; fonge'ons que c’eft a leurs erreurs n ultipliees que nous devons la polfelfion des verites dont nous jpuillons. II falloit epuifer les combinaifons de tous ces divers lyllemes, la piupart ft reprehenftbles & ft outrcs, pour par- venir a quelque chofe de raifonnable. Mille routes conduifent a 1’erreur ; une feule mene a la verite. Faut-il etre furpris qu’on fe foit me- pris ii fouvent fur celle-ci, & qu’elle ait ete de- couverte ft tard ? L’efprit humain etoit trop borne pour em- braffer d’abord !a totalite des chofes. Chacun de ces Philofophes ne voyoit qu’une face: ceux-la ratfembloient les motifs de douter : ceux-ci re- duifoient tout en dogrnts: chacun d’eux avok fon principe favori, Ion objet dominant. auquel il rapportoit toutes fes idees. Les uns faifoiont Avantages des Sciences et ides Arts. 169 entrer la vertu dans la compofition du bonheur, qui etoit la fin de leurs recherches ; les autres fe propofoient 1 a vertu meme, comme leur uni¬ que obfet, &fe flattoicnt d’y rencontrer le bon¬ heur. I! y en.avoir qui regardoient la folitude & la pauvrete, comme l’afyle des rnoeurs : d’au- tres ufoient des richelTes comme d’un inftru- ment de leur felicite & de celle d’autrui: quel- ques-uns frequentoient les Cours & les affem- blees publiques, pour rendre leur fageife utile aux Rois & aux peoples, U11 feul homme n’eft pas tous : un feul efprit, un feul fyfteme n’en- ferme pas toute la fcience; c’eft par la compa- raifon des extremes , que Ton faifit enfin le julte milieu j c'elfc parle combat des erreurs qui s’en- iredetruifent, que la verite triomphe: ces di- verfes parties fe modifient, s’eleveut & fe per- feciioiinent mutueiiement; elles fe rapprochent enfin, pour former la chaine des verites ,• les nuages fe- dilljpcnt, & la lumiere de l’evidence fe leve. Je ne diflimulerai cependantpas que les fcien- ces ont rarement attaint fobjet qu’elles s’etoient propofe. La Metaphyilque vouloit connoitre la nature des efprits, & non moins utile, peut- etre, elle n’a fait que nous developper leurs operations : le Phyficien a entrepris l’hiftoire de la Nature, & n’a imagine que des Romans; mais en pourfuivant un objet chimerique, combien n’a-t-il pas fait de decouvertes admirables? La L f 170 Discours sur les Chymie n’a pu nous donner de Tor, & fa folie nous a valu d’autres miracles dans fes analyfes & fes melanges. Les fciences font done utiles jufques dans leurs ecarts & leurs dereglfcmens; il n’y a que Pignorance qui n’eft jamais bonne a rien. Peut-etre ont-elles trop' eleve leurs pre¬ tentious. Les Anciens a cet egard paroilfoient plus fages que nous : nous avons la manie de vouloir proceder toujours par demonftrations ; il n’y a ft petit Profefleur qui n’ait fes argumens & fes dogmes , & par confequent fes erreurs & fes abfurdites. Ciceron & Platon traitoient la Philofophie en dialogues: chacun dcs Interlo- cuteurs faifoit valoir fon opinion: on difputoit, on cherchoit, & on ne fe piquoit point de pro- noncer. Nous n’avons peut-etre que trop eerie fur l’evidencc; elle eft plus propre a etre fentie qu’a etre definie: mais nous avons pre/que per¬ du Part de comparer les probabilites & les vrai- femblances, & ds calculer le degre de confen- tement qu’on leur doit. Qu’il y a peu de cbofes demontrees ! & combien n’y en a-t-il pas qui ne font que probables ! Ce feroit rendre un grand fervice aux hommes que de donner une methode pour l’opinion. L’efprit defyfteme, qui s’eft long-terns atta¬ che a des objets ou il ne pouvoit prefaue que nous egarer, devroit regler Pacquifition, Penchai- nement & le progres de nos idees : nous avons befoin d’un ordre entre les diverfes fciences a Avantages des Sciences et des Arts. i7r pour nous co’nduire des plus fimples aux plus compofees, & parvenir ainli a conftruire une ef- pecc d’obfervatoire fpirituel, d’oii nous puiC- (Ions concempler toutes nos connoiflances ; ce qui eft le plus haut degre de l’efprit. La plupart des fciences ont ete faites au ha¬ zard; chaque Auteur a fuivi l’idee qui le domi- noit, fouvent fans fcavoir oil elle devoit le conduire: un jour viendra oil tous les livres fe- ront extraits & refondus, conformement a un certain fyfteme qu’on fe fera forme ; alors les efprits ne feront plus de pas inutiles , hors de la route & fouvent en arriere. Mais quel eftle genie en etat d’embralfer toutes les connoilfan- ces humaines, de choifir le meilleur ordre pour les prefenter a l’efprit ? Sommes-nous aflez avan- ce's pour cela ? II eft du moins glorieux de le tenter: la nouvelle Encyclopedic doit for¬ mer une epoque memorable dans 1’Hiftoire des Lettres. Le temple des fciences eft un edifice immen- fe , qui ne peut s’achever que dans la duree des fiecles. Le travail de chaque homme eft peu de chofe dans un ouvrage fi vafte i mais le travail de chaque homme y eft neceffaire. Le ruiffeau qui porte fes eaux a la Mcr , doit-il s’arreter dans fa courfe , en confiderant la petitelfe de foil tributf Quels elogcs ne doit-on pas a ces hommes genereux, qui ont perce & ecrit pour la pofterite ? Ne bornoiis point nos idees a no- 172 Discours sur les tre vie proprej etendons-les fur la vie totalede genre humain; meritons d'y participer, & que l’indant rapide ou nous aurons vecu, foit digne d’etre marque dans fon hiitoire. Pour bien juger de l’elevation d’un Philofo- plie, ou d’un horame de lfcttres , au deifus du commun des hommes , il ne faut que confiderer le fort de leurs penfees : celles de, fun , utiles a ]a fociete generate, font immortelles, & confa- crees a Pad miration de tous les llecles ; tandis que les autres voyent difparoitre toutes leurs idees avec le jour , la circonftance, le moment qui les a vii naitre : chez les trois quarts des hommes le lendemain efface la veille , fans qu’il en relfe la moindre trace. Je ne parlerai point de l’Aftrologie judiciai- re , de lacabale, & de toutes les fciences qu’on appelloit Occultes : elles n’ont fervi qu’a prou- ver que la curiofite ell un penchant invincible ; & quand les vraies fciences n’auroient fait que nous delivrer de co-lies qui en ufurpoient fihon- teufement le nora , nous leur devrions dc}a beaucoup. On nous oppofe un jugement de Socrate, qui porta non fur les Scavans , mais fur les So- philles i non fur les fciences, mais iur l’abus qu’on en pent faire : Socrate etoit chef d’une Sedle qui enfeiguoit a douter, & i! cenfuroit, avec iullice, Porgueil de ceux qui pretendoient tout fqavoir. La vraie fcicnce efb bien eloignec Avantages des Sciences et des Arts. 173' dc cette affedation. Socrate eft ici ternoin con- tre lui-meme ; le plus fcavant des Grecs ne rou- giflbit point de Ton ignorance. Les fciences n’ont done pas leurs fources dans nos vices; el- les ne font done pas toutes nees de l’orgueil humaiiij declamation vaine, qui ne peut faire illufion qu’a des efprits prevenus. On demande, par exemple, ce que devien- droit l’Hiftoire, s’il n’y avoit ni Guerriers, ni Tyrans, ni Confpirateurs. Je reponds, qu’elle feroit l’Hiftoire des vertus des hommes. Je dirai plus •, ft les hommes etoient tons vertueux, ils n’auroient plus befoin , ni de Juges , ni de Ma- giftrats, ni de foldats. A quoi s’occuperoient- ils ? II ne leur refteroit que les fciences & les arts. La contemplation des chofes naturelles, l’exercice de 1’efprit font done la plus noble & 3a plus pure fondion de 1’liomme. Dire que les fciences font nees de Poifivete T e’eft abufer villblement des termes. Elies naif- fent du loifir , il ell vrai; mais elles garantif- fent de l’oifivete. Le citoyen que fes befoins at- tachent a la charrue , n’eft pas plus occupe que le Geometre ou l’Anatomifte ; j’avoue que fon travail eft de premiere neceffite: mais fous pre- texte que le pain eft neceffaire, faut-il que tout 3e rnonde fe metre a labourer la terre ? ik parce qu’il eft plus neceffaire que les ioix, le labou- reur fera-t-il eleve au delfus du Magiftrat ou du 1 74 D I 8 C 0 U R S S U ft L E s Miniftre ? 11 n’y a point d’abfurdites ou de pg- reils principes ne pulfent nous conduire. II femble, nous dit-on , qu’on ait trop de la- boureurs , & qu’on craigne de manquer de Phi- lofophes. Je demanderai a mon tour , li Ton craint que les profeffions lucratives ne manquent de fujets pour les exercer. C’eft bien mal con- noitre l’empire de la cupidite; tout nous jette des notre enfance dans les conditions utiles i & quels prejuges n’a-t-on pas avaincre, quel cou¬ rage ne faut-il pas, pour ofer n’etre qu’un Def- cartes, un Newton, un Locke? Sur quel fondement peut-on reprocher aux fciences d’etre nuifibles aux qualites morales ? Quoi! l’exercice du raifonnement, qui nous a ete donne pour guide; les fciences Mathemati- ques, qui, en renfermant taut d’utilites relati¬ ves a nos befoins prcfens, tiennent 1’efprit II eloigne des idees infpirces par les fens & par la cupidite; l’etude de 1’antiquite, qui fait partie de 1’experience, la premiere fcience de i’hom- me ; les obfervations de la Nature, ii neceilai- res a la confervation de notre etre , & qui nous elevent jufqu’a fon Auteur : toutes ces connoif- fances contribueroient a detruire les mceurs ! Par quel prodige opereroient.-elles un eifet fi contrai- re aux objets qu’elles fe propofent ? Et on ofe traiter d’education infenfee celle qui occupe la jeuneife de tout ce qu’il y a jamais eu de nob!® Avantages des Sciences et des Arts. 17? & d’utile dans l’efprit dcs hommes ! Quoi, les Miniftres d’une religion pure & fainte, aquila jeuneffe eft ordinairement confiee parmi nous, lui laiiferoient ignorer les devoirs de l’homme & ducitoyen! Suffit-il d’avancer unc imputation ft injufte, pour la perfuader ? On pretend nous faire regretter l education des I’erfes j cette e- ducation fondee fur des principes barbares, qui donnoit un Gouverneur pour apprendre a nerien craindre , un autre pour la temperance, un au¬ tre enfin pour cnfeigner a ne point mendr ; com- nie ft les vertus etoient. divifees , & cfevoient Former chacune un art fepare. La vertu eft un etre unique , indivifible: il s’agit de l’infpirer, non de l’enfeigner; d’en faire aimer la pratique, & non d’en demontrer la theorie. On fe iivre enfuite a de nouvelles declama¬ tions contre les arts & les fciences, fous pre- texte que le luxe va rarement fans elles, & qu’elles ne vont jamais fans lui. Quand j’accor- derois cette propofidon, que pourroit-on en conclure ? La plupart des fciences me paroif- fent d’abord parfaitement defintereffees dans cet¬ te pretendue objection : le Geometre , l’Aftrono- me, le Phyficien ne font pas fufpedts aifure- ment. A l’egard des arts, s’ils ont en elfett quelque rapportavec le luxe, c’eftun cote loua- ble de ce luxememe, contre lequel on declame tant, fans le bicn connoitre. Quoique cette queftion doive etre rcgardee comme etrangere a I'jS DlSCOtJRS SUR L £ § mon fujet, je ne puis m’empecher de dire, que tant qu’on ne voudra raifonner fur cette matiere que par comparaifon du palfe au prefent, on e;> tirera les plus mauvaifes confequences du mon- de. Lorfque les hommes m rchoient tout nuds , celui qui s’avilu le premier de porter des fabots paflapourun voluptueux: de fiecle en fiecle, on n’a jamais cede de crier a la corruption , fans comprendre ce qu’on vouloit dire ; le prejuge toujours vaincu, renaiifoit fidelement a chaque nouveaute. Le commerce & le luxe font devenus les liens des nations. La terre avant eux n’etoit qu’un champ de bataille, la guerre un brigan- dage, & les hommes des barbares, qui ne fe croyoient nes que pour s’alfervir , fepiller, & 'fe malfacrer mutuellement. Tels etoient ces'fie- cles anciens que Ton veut nous faire regretter. La terre ne fuffifoit ni a la nourriture , ni an travail de fes habitans; les fujers devendient a charge a l’Etat; fi-tot qu’ils etoient defames-, jl falloit les ramener a la guerre pour fe foulager d’un poids incommode. Ces emigrations eifroya- hles des peuples du Nord, la honte de I’huma- nite , qui detruifirent l’Empire Romain , & qui defolerent le neuvieme fiecle, n’avoient d’au- tres fources que la mifere d’un peuple oifif. Au defaut de l’egalite des biens , qui a ete long-terns la chimere de la politique , & qui eft impoflible dans les grands Etats, le luxe feul peut nour- rit A vantages des Sciences et des Arts. 177 rir & occuper les fujets. Ils lie deviennent pas moins utiles dans la paix que dans la guerre; leur iiiduftrie fert autaiit que leur courage. Lei travail du pauvre eft paye du fuperflu du richer Tous les ordres des citoyens s’attachent au Gou- vernemeilt par les avantages qu’ils en retirent. Tandis qu’un petit nombre d’hommes jouit avec moderation de ce qu’on nomine luxe 5 & qu’un nombre infiniment plus petit en abufe* parce qu’il faut que les homntes abufent de tout; il fait refpoir, l’emulafiion & la fubfiftanee d’un million de citoyens, qui lauguiroient fans lux dans les horreurs de la mendicite. Tel eft en France Petat de la capitale. Parcourez les Pro¬ vinces : les proportions y font encore plus fa- vorables. Vous y trouverez peu d’exces; le ne- celfaire commode alfezrare, Partifan & le la¬ bourers, c’eft-a-dire, le corps de la nation * borne a la iimple exigence : enforte qu’on pent regarder le luxe comrne une humeuir jettee fuf une tres-petite partie du corps politique, qui fait la force & la fante du refte. Mais, nous dit-011, les arts amo'lilTent le courage : on cite quelques peuples lettfes qui out ete peu belliqueuxi tels que Pancienne Egypte , les Chinois , & les Italiens modernes? Quelle injuftice d’en accufer les fciences ! II fe- roit trop long d’en rechercher ici les eaufes. II fuffira de citer, pour Phonneur des lettres, Pe- xernple des Grees & des Komains, de PEfpa- Tome l, M *78 Discours sur les gne, de l’Angleterre & de la France, c’eft-a-cfi-1 re, des nations les plus guerrieres & les plus fqavantes. Des barbares ont fait de grandes conquetes j c’eft qu’ils etoient tres-injuftes j ils ont vaincu quelquefois des peuples polices. J’en conclurai , ii Fon veut, qu’un peuple n’eft pas invincible pour etre fcavant. A toutes ces revolutions, j’oppoferai feulement la plus vafte & la plus fa¬ cile conquete qui ait jamais ete faite ; c’eft cel- le de l’Amerique, que les arts & les fciences As l’Europe ont fubjuguee avec une poignee de fol- dats; preuve fans replique de la difference qu’elles peuvent mettre entre les hommes. J’ajouterai, que c’eft enfin une barbarie paC fee de mode, de fuppofer que les hommes ne font lies que pour fe detruire. Les talens & les vertus militaires meritent fans doute un rang diftingue dans 1’ordre de la necellite: mais la philofophie a epure nos idees fur la gloire : l’am- bicion des Rois n’eft a fes yeux que le plus tnon- ftrueux des crimes : graces aux vertus du Prince qui nous gouverne , nous ofons celebrer la mo¬ deration & l’humanite. Que quelques nations au fein de Fignoranee ayent eu des idees de la gloire & de la vertu r ce font des exceptions ft fingulieres, qu’elles ne peuvent former aucun prejuge contre les fcien¬ ces : pour nous en eonvaincre, jettons les yeux fur 1’immenfe continent de FAfrique, ou nul 180 Discours sur les tus , dans la fomptuolite de fes palais, mcfiiJ rant fon bonheur fur celui qu’il procure au mon- de par fes bienfaits & par fes loix, devient le heros de mon coeur. Au lieu de cet antique he- ro'ifme fuperftitieux, ruftique ou barbare, que j’admirois enfremiffant; j’adoreune vertu eclai- ree, heureufe & bienfaifante; l’idee de mon exiftence s’embellit: j’apprends a honorer & k cherir l’humanite. Qui pourroit etre alfez aveugle , ou affez in- jufte , pour n’etre pas frappe de ces differences ? Le plus beau fpedacle de la Nature , c’eft Funion de la vertu & du bonheur; les fciences & les arts peuvent feuls elever la raifon a cet accord fublime. C’eft de leur fecours qu’elle emprunte des forces pour vaincre les paflions , des lumie- res pour diffiper leurs preftiges, de Pelevation pour apprecier leurs petitelfes, des attraits enfin & des dedoraagemens pour fe diftraire de leurs fedudions. On a dit que le crime n’etoit qu’un faux juge- ment (a). Les fciences, dont le premier objet eft l’exercice & la perfedion du raifonnement» font done les guides les plus allures des mceurs. L’innocence fans principes & fans lumieres n’eft qu’une qualite de temperamment, aulli fragile que lui. La fageffe eclairee connoit fes ennemis & fes forces. Au moyen de fon poin& (a) CenCderation fur les mceurs. Avantages des Sciences et des Arts. 18® de vue fixe , elle purifie les biens materiels , & en extrait le bonheur: elle fqait tour a tour s’abftenir & jouir dans les bornes qu’elle s’eft prefcrites. II n’eft pas plus difficile de faire voir l’utilite des arts pour la perfection des mceurs. On comptera les abus que les paflions en ont fait quelquefois : mais qui pourra compter les biens qu’ils ont produits ? Otez les arts du monde : que refte-t-il ? les exercices du corps & les paflions- L’efprit n’eft plus qu’un agent materiel, ou l’inftrument du vice. On ne fe delivre de fes paflions que par des gouts: les arts font neceflaires a une na¬ tion heureufe: s’ils font l’oecafion de quel- ques defordres, n’en accufons que l’imperfedion jtieme de notre nature : de quoi n’abufe-t-elle pas ? Ils 'ont donne 1’etre aux plaifirs de fame, les feuls qui foient dignes de nous : nous de- vons a leurs fedudions utiles l’amour de la ve- rite & des vertus , que la plupart des hommes auroient haies & redoutees, fi elles n’eulfent ete parses de leurs mains. C’eft a tort qu’on affede de regarder leurs produdions comme frivoles. La Sculpture , la Peinture flattent la tendrelfe, confident les re¬ grets , immortalifent les vertus & les talens; elles font des fources vivantes de Pemulation; Cefar verfoit des larmes en contemplant la fta- tue d’Alexandre. M 3 ig3 Discours sur les See . L’harmonie a fur nous des droits naturels,' que nous voudrions en vain meconnoitre; la Fable a die, qu’elle arretoit le cours des dots. Elle Lit plus; elle fufpend la penfee , die calme- libs agitations, & nos troubles les plus cruels : elle anime la valeur, & prefide aux plailirs. Ne Terrible-t - il pas que la divine Poefie ait dcrobe le feu du Ciel pour animer toute la natu¬ re ? Quelle ante peut etre inaccelfible a Fa tou- chante magie? Elle adoucit le maintien fevere de la verite, elle fait fourire la fageffe j les chefs-d’oeuvres du Theatre doivent etre conli- deres comrae de fqavantes experiences du cocur Jiumain. C’eft aux arts enfin que nous devons le beau choix des idees, les graces de l’efprit & Pen- jouement ingenieux, qui font les charmes de la fociete; ils out dore les liens qui nous uni/fent , orne la feene du Monde, & multiplie les hienfaits de la Nature, R t P O N 5 E D E JEAN-JACQUES ROUSSEAU,' Au Difcours precedent. Ne , dim tacemus , non verecundia , fed diffi- dentia ciuifh, tacere videamur. Cyprian, contra Demet. %=✓ ’est avec une extreme repugnance que j’a- mufe de mes di/putes des ledeurs oififs, qui fe foucient tres-peu de la ve'rite: mais la maniere dont on vient de 1’attaquer me force a prendre fa defenfe encore une fois, afin que mon filence ne foit pas pris par la multitude pour un aveu, ni pour un dedain par les philofophes. II faut me repeter; je le fens bien , & le public ne me le pardonnera pas. Mais les fages diront: Cet homme n’a pas befoin de chercher fans celfe de nouvelles raifons ; c’eft une preuve de la folidite des fiennes (a). (a) 11 y a des verites tres-certaines, qui an premier coup d’oeil paroiflent des abfurdites, & qui pafferont toujaurs pour telles auprefs de la plupart des gens. Allez dire a un homme da peuple que le foleil eit plus pres de nous era M 4 A M. B O R D E S.' 18? tenant toutes ces connoiifances par rapport aux mccurs fy). Si des intelligences celeftes cultivoient les fciences, il n’en refiilteroit que du bien ; j’en d : s autant des grands homrnes, qui font faits pour guider les autres. Socratef fqavant & ver- tueux, fut 1’honneUr de l’humanite : Mais les vices des hommes vulgaires empoifonnent les plus fublimes connoiflances & les rendent per- nicieufes aux nations; les mechans en tirent beaucoup de chofes nuifibles; les bons en tirent peu d’avantage, Si nul autre que Socrate ne fe fut pique de philofophie a Athenes , le fang d’un (b ) Les cotmoijfcmces rendent les hommes doux , dit ce philo- fophs ce'Iebre, ilont l’ouvrage toujouts profond 8z quclquefois fublime refpire par lout i’amour de l’liumanite, II a ecrif en ce peu de mots, &, ce qui eft rare, fans declama¬ tion, ce qu’on a jamais ecrit de plus folidc a l’a vantage des lettres. II eft vrai, les connoilTances rendent les hommes doux. JVIais la douceur, qui eft la plus aimable des vertus, eft auffi quclquefois line foiblelle de l’ame. La vertu n’eft pas toujours douce,• elle fqait s’armer a propos de feverite centre le vice } elle s’enflamme d’indignation contre 1? crime. Et le jufte au mechant ne fqait point pardonner. Ce fut line reponfe tres-fage que celle d’un roi de Lacede- mone ii ceux qui louoient en fa prefence l’extreme bonte de fon collegue Charillus. Et comment feroit-il bon , leur dit- il, s’il ne fqait pas kre terrible aux mechansi Brutus n'etoit point un homme doux: Qui auroit le front de dire qu’il n’etoit pas vertueux ? Au contraire, il y a des ames laches & pufillanimes qui n’ont ni feu ni chaleur , & qui ne font donees que pan indifference pour le bieu & pour le mal. Telle eft la douceur qu’iafpire aux peuples le gout des Litres, M ? 186 Ri'ponse de Rousseau jufte n’eut point crie vengeance contre la patrie des faiences & des arts (c). C’eft unc queftion a examiner, s’il feroit a- vantageux aux hommes d’avoir de la fcience , en fuppofant que ce qu’ils appellent de ce nom le meritat en eifet; mais c’eft une folie de preten- dre que les chimeres de la philofophie, les er- reurs & les menfonges des philofophes , puiffent jamais etre bons a rien. Serous-nous toujours dupes des mots ? & ne comprendrons-nous jamais qu’etudes, connoitfances, fcavoir & philofophie, ne font que de vains fimulacres eleves par l’or- gueil humain, & tres-indignes des noms pom- peux qu’il leur donne ? A mefure que le gout des ces niaiferies s’etend chez une nation, elle perd celui des folides vertus : car il en coute moins pour fe diftin- guer par du babil que par de bonnes moeurs, des qu’on eft diipenfe d’etre homme de bien, pourvu qu’on foit un homme agreable. Plus l’interieur fe corrompt , & plus l’exte- rieur fe compofe: ( je n’en difconviens pas. Je n’accufe point les hommes de ce ftecle d’avoir tons les vices ; ils n’ont que ceux des ames laches; ils N % i$6 Response de Rousseau font, feulement fourbes & fripons. Quant aut£ vices qui fuppofent du courage & de la ferme- t-e , je les en crois incapables. 8- Le luxe peut etre neceifaire pour donnef du pain aux pauvres. Mais, s’il n’j avoit point de luxe, il n’y auroit point de pauvres (h). II occupe les citoyens oififs. Et pourquoi y a-t-il des citoyens oififs ? Quand 1’agriculture etoit en honneur , il n’y avoit ni rnifere ni oifivete, & il y avoit beaucoup moins de vices. 9. Je vois qu’on a fort a coeur cette eaufe du luxe, qu’on feint pourtant de vouloir fepa- rer de celle des fciences & des arts. Je con- viendrai done , puilqu’on le veut fi abfolument,- que le luxe fert au foutien des Etats , comme les Cariatides fervent a foutenir les Palais qu’elles decorent; ou plutot, comme ces poutres dont on etaye des batimens pourris, & qui fouvent achevent de les renverfer. Hommes fages & (b) Le luxe nourrit cent pauvres ilans nos villes, & en fait perit cent mills dans nos campagnes ; 1’argent qut circule entre les mains des riches & des artiftes pour four- nir a leurs fuperfluites , eft perdu pour la fubfiftanee du laboureur ; & celui - ci n’a point d’habit, prccifement parce qu’il faut' : du galon aux autres. Le gafpillage des matieres qui fervent a la nourriture des hommes fuffit feul pour rendre le luxe odieux a rbumariite. Mcs adver- faires font bienheureux que la coupable delicatefle de no. tre langue m’empeche d’entter la-deffus clans des details qui les feroient rougir de la eaufe qu’ils ofent defemlre. Il faut des jus dans nos cnifines ; voila pourquoi taut de Jnalades manquent de bniiillon. Il faut des liqueurs fur 110 s tables; voila pourquoi le payfan ne boit que de 1’eair. II Faut de la poudre a nos perruques } voila pourquoi taut dc pauvres n’ont. point (Je pain. A M. B 0 R B E S.' 1 97 prudens , fortez de toute maifon qu’on etaye. Ceci peut montrer combien il me Teroit aife de rctourner en nia faveur la plupart des chofes qu’on pretend m’oppofer ; mais a parler Tran- ehement, je ne les trouve pas aflez bien prou- vees pour avoir le courage de m’en prevaloir. On avarice que les premiers homines furent medians ; d’ou il fuit que Thomme ell mecharit naturcllement (?). Ceci n’elf pas une aflertion de legere importance 5 il me Tenable qu’elle eut bien valu la peine d’etre prouvee. Les Annales de tous les peuplcs qu’on ofe citer en preuve , font beaucoup plus favorables a la fuppofition eontraire •, & il faudroit bien des temoignages pour m’obliger de croire une abfurdite. Avant que ccs mots atfreux de tien & de mien fuffent inventes ; avant qu’il y cut de cette efpece d’honanaes cruels & brutaux qu’011 appelle max- fi) Cette notte eft pour les Philofophes ; je confeills aux autres de la paiTer. Si l’homme eft mechant par fa nature , il eft clair que les fciences ne ^feront que le rendre pile; ainfi voila leur eaufe perdue par cette feule fuppofition. Mais il faut bien faire attention que , quoique l’hcmme foit naturelle- ment bon; comme je le crois , & comme j’ai le bonheur tie le fentir, il ne s’enfuit pas pour ceia que les fciences lui foient lalutaires; car toute poCtion qui met tin peiw pie dans le cas de les cultiver , annonce neceffairement un commencement de corruption qu’elles accelerent bien vite. Alors le vice de la confutation fait tout le mal qu’auroit pii faire celui de la nature, & les mauvais piejuges tiennent lieu des mauvais penchans. N 3 158 Re'ponse de Rousseau tres, & de cette autre efpece d’hommes fripons, raenteurs , qu’on appelle efclaves; avant qu’il V eut des homines aifez abominables pour ofcr avoir du fuperflu, pendant que d’autres hom¬ ines meurent de faim; avant qu’une dependance mutuelle les eut tous forces a devenir fourbes, jaloux & traitres; je voudrois bien qu’on in’ex- piiquat en quoi pouvoient coniifter ces vices , ces crimes qu’on leur reproche avec tant d’ern- phafe. On nvaffure qu’on eft depuis long-temps tjefabufe de la chimere de l’age d’or. Que n’a- joutoit-on encore qu’il y a long-temps qu’on eft defabufe de la chimere de la vertu ? J’ai dit que les premiers Grecs furent ver- tueux avant que la fcience les eut corrompusj & je ne veux pas me retrader fur ce point, quoiqu’en y regardant de plus pres , je lie fois pas fans defiance fur la folidite des vertus d’un peuple G babillard, ni fur la juftiee des eloges qu’il aimoit tant a fe prodiguer & que je ne vois cotifirmes par aucun autre -temoignage. Que m’oppofe-t-on a cela? Que les premiers Grecs dont j’ai loue la vertu etoient eclaites & fqa- vans, puilque des Philofophes formerent leurs moeurs & leur donnerent des loix. Mais avee cette maniere de raiformer , qui rn’empecherg, d’en dire autant de toutes les autres nations 'f Les Perfes n’ont-ils pas eu leurs Mages, les Jjiyriens leurs Chaldpens ? l,es Indes leurs A M. B O R T) E S. 199 Gymnofophiftes, les Celtes leurs Druides ? Ochus n’a-t-il pas brille chez les Pheniciens, Atlas chez les Lybiens, Zoroaftre chez les Per- fes, Zamolxis chez les ThraCes? Et plufieurs zneoie n’ont ils pas pretendu que la philofophic •etoit nee chez les Barbares ? C’ctoient done des Scavans a ce compte que tous ces peu- ples-la. A cote des Miltiade & des Themif- tocle, on trouvoit , me dit - on , les Arijlids ff les Socrate. A cote, fi l’on veut j car que m’importe ? Cependant Miltiade , Ariftide , The- miftocle, qui etoient des heros, vivoient dans un temps ; Socrate & Platon, qui etoient des Philofophes, vivoient dans un autre 5 & quand on commenca a ouvrir des ecoles publiques de philofophie, la Grece avilie & degeneree avoit deja renonce a fa vertu & vctidu fa liberte. La fuperbe Afie vit brifer fes forces innombrta¬ bles, contre linepoignee d'hommes que la philofophie conduifoit ii la gloire. II eft vrai: la philofo¬ phie de l’ame conduit a la veritable gloire; ntais celle-la ne s’apprend point dans les livres. Tel eft rinfaillible ejfet des connoijfances de I’ef- prit. Je prie le Lecteur d’etre attentif a cette conclufion. Les niicurs & les loix font la fettle Jburce du veritable heroifms. Les fciences n’y ont done que faire. En un mot la Grece dut tout aux fciences , & le refs du monde dut tout a la Grece , La Grece ni le monde ne durent done rien aux N 4 2 oo Re'poivse db Rousseau loix ni aux mocurs. J’en demande pardon a mes adverfairgs; mais il n’y a pas moyen de leur palfer ces fophifmes, Examinons encore un moment cette preferen¬ ce qu’on pretend dormer a la Grece fur tous lcs autres peoples > & dont il fernble qu’on fe {bit faic un point capital, fadmirerai, Ji Pan vent , des peuplgs qui pajfent leur vie a la guerre ou dans les boh , qui couchent fur la terre £ 5 ? viva it de legumes. Cette admiration eft en diet tres-di- gue d’un vrai Philofophe ; il n’appartieut qu’au peuple aveugle & ftupide d’admirer des gens qni pa Rent leur vie, non a defendre leur liberte, mais a fe voler & fe trahir mutuellement pour fatisfaire leur raollelfe ou leur ambition , & qui pfent nourrir leur oilivete de la fueur , du fang & des travaux d’un million de malheureux- Mais ejl - ce par mi ces gens grojfiers qu'on ira chsrcher Iebopbeur ? On 1’y chercheroit beaucoup plus raifonnablement, que la vertu parmi les au¬ tres. Quel [peliadc nous prefenteroit le genre humain compofe miquement de laboureurs , de fol- dots , ds chujfeurs & de bergers ? Un fpe.cftacle infiniment plus beau que celui d.u Genre Humaiii compofe d,e Cuifiniers, de Poete.s, d’lmprimeurs, d’Orflvres , de Peintres & de Muficiens. Il n’y a que fe mot foldat qu’il faut rayer du pre¬ mier Tableau. La guerre eft quelquefois un de¬ voir & n’eft point fait.e pour etre un metier, Tom fcomnie doft etre folda.t pour la defenie dg A M. B 0 R D E S.' 201 fa liberte ; nul ne doit l’etre pour envahir cclie .d’autrui; & mourir en fcrvant la patrie eft un emploi trop beau pour le confer a des mer- cenaires. Faut-il done , pour etre digues du nont d'hommes , vivre comme les lions & les ours ? Si j’ai le bonheur de trouver un feul lecleur impar¬ tial & ami de la verite , je le prie de jetter un coup d’oeil fur la fociete adtuelle , & d’y re- marquer qui font ceux qui vivent entr’eux corn- me les lions & les ours , comrne les tigres les crocodiles. Erigera -1 - on eu vertus les facult.es .de PjnJHnSl pour fe nourrirfe perpe- iv.er fe defen dr e ? Ce font des vertus , n’en doutons pas , quand ellcs font guidecs par la raifon & fagement menagees ; & ce font, fur- tout, des vertus , quand el les font employees a l’affiftance de 110s femblabl.es. Je ne vois hi que des vertus animales, pen conformes a la di- gnite de notre etre. Le corps ejl exerce , mats Paine efclave ne fait que Tamper & languir. Je dirois volontiers en parcourant les faftueufes lecherchcs de toutes nos Academies : „ Je ne 5, vois la que d’ingenieufes fubtilites, peu con- 3, formes a la dignite de notre etre. Uefprit „ eft exerce, mais fame efclave ne frit que „ ramper & languir. “ Otez les arts du Monde, nous ,dit-on ailleurs, que refie- t-il ? les exercices Ju corps & les pajicns. Voyez , je vous prie , comment la raifon & la vertu font toujours ou- jbliees! Les arts ont donne Petrs aux plaijirs de N y sc2 Response de Rousseau rante , les feuls qui foieut digues de nous. C’efl- a-dire , qu’ils en one fubftitue d’autres a celui de bien fairc , beaucoup plus digne de nous enco¬ re. Qii’on fuive l’edpric de tout ceci, on y ver- ra, comme dans les raifonnemens de la plupart de nies adverfaires , un enthoufiafine Cl marque furies merveilles de l’entendement, que cette autre facultc , infiniment plus fubiime & plus ca¬ pable d’elever & d’ennoblir Tame, n’y eft ja- anais comptee pour rien ? Voila l’effet toujours aflure de la culture des lettres. Je fuis fur qu’il n’y a pas actuellement un fcavant qui n’eftime beaucoup plus l’eioquence de Ciceron que fon ze- le , & qui n’aimat infiniment mieux avoir com- pofe les Catilinaires, que d’avoir fauve fon pays. L’embarras de mes adverfaires eft vilible toutes les fois qu’il faut parler de Sparte. Quo ne donneroient-ils point pour que cette fatale Sparte n’eut jamais exifte? & eux qui preten- dent que les grandes adions ne font bonnes qu’a «tre celebrees , a quel prix ne voudroient - ils point quo les fiennes ne l’euffent jamais ete ? Celt une terrible cbofe qu’au milieu de cette fameufe Grccc,qui ne devoir favertu qu’a la philofophie, I’Etat ou la vertu a ete la plus pu. re & a dure le plus long-temps ait etc preci- fement celui oil il n’y avoit point de Philofo- phes. Les moeurs de Sparte out toujours ete propofees en exemple a toute la Grece; toute ia Grece ctoit corrompue, & il y avoit de la A M. B 0 R D E S. 203 vertu a Sparte ; toute la Grece etoit eftlave, Sparte feule etoit encore libre: cela eft defo- lant. Mais enfin la fiere Sparte perdit fes moeurs & fa libertc , comme les avoit perdues la fqa- vante Athenes; Sparte a fini. Que puis-je rc- pondre a cela i Encore deux obfervations fur Sparte , & je pa lie a autre chofe; void la premiere. Apres avoir etc plufieurs fois fur le point de vain ere , A- tkencs fut vaincue , il eft vrai j £ 5 ? il eft furpre- nant qu'elie ne l'cut pas etc plutot , puifque I'Atti- qne etoit un pays tout Olivert , & qui ne pouvoit fe defendre que par la fuperiorits ds frees. A- thenes eut du vaincre par toutes fortes de rai- fons. Elle etoit plus grande & beaucoup plus peuplee qt:e Lacedemone 5 elle avoit de grands revenus , & plufieurs peuples etoient fes tribu- taires ; Sparte n’avoit rien de tout cela. Athe- nes , fur-tout par fa pofition , avoit un avantnge dont Sparte etoit privee, qui la mit en etat de defoler plufieurs fois le Peloponnefe , & qui de- voit feul lui aflurer I’Empire de la Grece. C’e- toit un Port vafte & cGmmode j e’etoit une Ma¬ xine formidable , dont elle etoit redevable a la prevoyance de ce ruftre de Themiflocle qui ne fqavoit pas jouer de la flute. On pourroit done etre furpris qu’Athenes, avec taut Advan¬ tages , ait pourtanc enfin fuceombe. Mais quoi- que la guerre ciu Peloponnefe, qui a ruble la Cre¬ ep , n’ait fait honneur ni a l’une ni a l’autre Re- 204 Re'ponse de Rousseau publique , & qu’elleait fur tout ete de la part des Lacedemoniens une infraction des maxi- mes de leur fage Legislateur , il ne fadt pas s’e- tonner qu’a la longue le vrai courage l’ait em- porte fur les reflources, ni rneme que la re¬ putation de Sparte lui en ait donne plufieurs qui lui faciliterent la vidoire. En verite , j’ai bien de la honte de fqavoir ces chofes-la , & d’etre force dc les dire. L’ autre obfervation ne fera pas moins remar- quable. En void le texte, que je crois devoir remettre fous les yeux du ledeur. Js fuppofe que tous les Etats dont hi Grecc e~ toil covipofee , eujfent fitivi les menses loix que Sparte , que nous rejleroit-il de cette con tree ft cs- lebre ? A peine fen nom feroit parvenu jufqiui ■nous. Elie auroit dedaigne de former des Hijlo - riens , pour tranfinettre fa gloire a la pojleriti j le fpe&acle de fes/vouches versus eut ete perdu pour nous il nous feroit indifferent, par cunfequent , qtdeliss eujfent exijle ou non. Les nombreux fyfemes de philofophie qui out epuife toutes les combinaifons pojfibles de nos idees , qui, s'tls n'ont pas etendu bcceucoup les limites de notre ef- prit , nous out appris du moins ok elles etoient ft- xees i ces chefs-d'ieuvres d' Eloquence Iff de Poe r fie qui nous out enfeigne toutes les routes du cceur les arts utiles ou agreables qui confervent ou em r bellijfent la vie j enfin Pinefimable tradition des A M. B O R D £ S." 20 ? penfees & des a&ions de tous les grands homines , qulont fait lagloire on le bonheur de leurs pareils: toutes ces precieufes richeffes de I'efprit eujfent ete perdues pour jamais. Les Jiccles fe feroient accu- mules, les generations des hommes fe feroient fuc- cedees comme celles des animaux , fans aucun fruit pour la pojlerite , n'auroient laiffe apres elles qu’uu fouvenir coufus de leur exigence ,• le Monde auroit rieilli , & les hommes feroient demeurls dans line enfance eternelle. Suppofons a notre tour qu’un Lacedemo- nien , penetre de la force de ces raifons eut. voulu les expofer a fes compatriotes j & tachons d’imaginer le difeours qu’il eut pu faire dans la place publique de Sparte. „ Citoyens , ouvrez les yeux fur votre aveu- „ glement. Je vois avec douleur que vous ne „ travaillez qu’a acquerir de la vertu, qu’a ex- 3, ercer votre courage & niaintenir votre li- „ berte i & cependant vous oubliez le devoir „ plus important d’amufer les oififs des races „ futures. Dites-moi; a quoi peut etre bonne „ la vertu, fi ce n’eft a faire du bruit dans le „ Monde? Que vous aura fervi d’etre gens de ,3 bien , quand perfonne ne parlera de vous ? ,3 Qu’importera aux fiecles a venir que vous „ vous foyez devoues a la mort aux Termopi- „ les , pour le faint des AthenienS , fi vous ns v laiffez comme eux ni fyftemes de philofo- 2o6 Re'ponse de Rousseau j, phie , ni- vers , ni comedies, ni ftatues (k) ? „ Hatez-vous done d’abandonner des loix qui „ ne font bonnes qu’a vous rendre heureux , ne s , fongez qu’a faire bsaucoup parler de vous „ quand vous ne ferez plus ; & n’oubliez jamais „ que , ft l’on ne celebroit les grands hommes , j3 il feroit inutile de l’etre Voila, je penfe , a-peu-pres ce qu’auroit pu dire cethomme, ft les Ephores reuffent Jaif- fe achever. Ce n’ett pas dans cet endroit feulement qu’ort nous avertit que la vertu n’eft bonne qu’a faire parler de foi. Ailleurs on nous vante encore (k ) Pericles avoit de grands talens , beaucoup d’elo- quence, de magnificence & de gout: il embellit Athenes d’excellens ouvrages de fculpture , d’edifiees fomptueux & de chefs - d’ceuvres dans tous les arts. Auffi Diea fqait comment il a e'te prone par la futile des eorivains ! Cependant il refte encore a fqavoir fi Pericles a ete nn bon Magfiftr.it: car dans la conduite des Etats, il ne s’agit pas d’elever des ftatues, mais de bieri gouver- ner des hommes. Je ne in’amuferai point a developper les motifs fecrets de la guerre du Peloponnefe, qui fut la mine de la Republique; je ne chercherai point fi le con- feil d’Alcibiade etoit bien ou mal fontle j fi Pericles fut juftement on injuftement nccufe de malverfation; je de- manderai feulement fi les Atheniens devinrent meilleurs oil pires foils fon gouvernement ; je prierai qu’oti me romme quelqu’un parmi les citoyens, parmi les efclaves, meme parmi fes propres enfans , dont fes foins ayent flit lin homme de bien. Voila pourtant , ce me fenible, la premiere fonftion du Magiftrat & du Souverain. Car le plus fur moyen de rendre les. hommes licurcux, n’eft pas d’orner leurs villes, ni meme de les enriclur, mais de les rendre bons. A M. B O R D E Si 207 les penfees du Philofophe, parce qu’elles font immortelles & confacrees a l’admiration de tous les liecles; tandis que les antres voyent difparoitre lews idees avec le jour , la circonfiance , le moment qtii les a vu mitre: chez les trois quarts des homines , le lendemain efface la veille , fans qu'il en rejle la moindre trace. Ah ! il en refte au moins quelqu’une dans le temoignage d’une bon¬ ne confcience , dans les malheureux qu’on a foulages-, dans les bonnes actions qu’on a faites* & dans la memoire de ce Dieu bienfaifant qu’on aura fervi en filence. Mort 0 u vivant, difoit le bon Socrate , I'homme de hien n'ejl jamais ouhli 6 des Dieux. On me repondra, peut-etre, que ce n’eft pas de ces fortes de penfees qu’on a voulu parier j & moi je dis , que toutes les au- tres ne valent pas la peine qu’on en parle. II eft aife de s’iraaginer que faifant fi pen de cas de Sparte , on ne montregueres plus d’ef. time pour les anciens Romaius. On confent d croire que cetoient de grands homrnes , quoiqiiils ne fiffent que de petites chofes. Sur ce pied-la j’avoue qu’il y a long-temps qu’on 11’en fait plus que de grandes. On reproche a leur temperan¬ ce & a leur courage de n’avoir pas ete de vraies vertus , mais des qualites forcees (/): cepen- ( 7 ) Je vois la plupart lies efprits de moil temps faire les ingenienx a obfcurcir la gloire des belles & genereufes ac¬ tions ancieimes, leur donnant quelque interpretation vile, &c. leur c-ontrijuvapt des occalions & des sautes vainest 2 Cg R eV 0 R S E DE RoUSsEAtJ * dant quelques pages a'pres , on avoue que Fabli¬ aus meprifoit Tor de Pyrrhus , & l’on ne peut' ignorer que 1’hiftoire Romaine eft pleine d’ex- emples de la facilite qu’eulTent eue a s’enrichir ces Magiftrats, ces guetriers venerabtes qui faifoient tant de cas de leur pauvrete ( rn). Quant au courage, ne fcait on pas que la la- cnete ne fqauroit entendre raifon , & qu’un pol- tron lie lailTe pas de fulr , quoique fur d’etre tue en fuyant? C'ejl , dit-on, vouloir contraindre itn hant- Grnmle fubtUite! Qtfoti me (tonne I’a&ion fa pins exccl- lente & pure , je m’en vais y fournir vraifemblablsment cinquante vicieufes intentions. Dieu fqait, a qui les vent etenrire, quelle divcrlite d’images ne l’ouffre notre interne volonte. Its ne font pas tant malicieufement, que lourde- ment & groffierement , les ingenieux , avec leur medi- lance. La meme peine qu’on prend a detracfer ces grands noms, & la meme licence, je la premirois volor.tiers a lenr donner tm tour d’epaule pour les hauffer. Ces ru¬ les figures, & triees pour 1'exemple du monde , par le confentement des fagcs , je ne me feindrois pas de les recharger d’honneur , autant que iron invention pourroit, en interpretation & favorables circonftances.. Et il faut croire que les efforts de notre invention font bien au- defTons de leur merite. C’eft l’office des gens de bien de peindre la vertu la plus belle qu’il fe puiffe. Et ne mef- iieroit pas quand la paffion nous tranfporteroit a la faveur de fi faintes formes. Ce n’eft pas Rouffeau qui dit tout cell, c’eft Montague. ( ou de i’infortune Guatimozin etendu par d’honnetes Europeens fur des charbons ardens, pour avoir fes trefors, tanqant ua de fes Officiers a qui ie merne traitement arrachoit quelques plain- tes, & lui aifant fierement: Etmoi, fuis jefur des rofes ? Dire que les fciences font nees de Boifivete, e'eft ahtfer viftblement des termes ,• elles naijfent du Soiftr , mais elles garantijfent de doifivete. Je n’mtsais point cette diltintlion de l’oilivctc & A M. B O R D E sV 217 du loifir. Mais je fcais tres-certainement que nul honnete homme ne peut jamais fe vanter d’avoir du loiiir, tant qu'il y aura du bien a faire, une patrie a fervir, des malheureux a fou- lager; & je defie qu’on me montre dans mes principes aucun fens honnete dont ce mot loifir puiife ecre fufceptible. Le citoycn que fes befioins attachent a lu charrue, n'efl pas plus occupe que le genmetre on I’anatomifle. Pas plus que l’en- fant qui eleve un chateau de cartes , mais plus utilement. Sous pretexte que le pain efl necejfitire, faut - il que tout le monde fe mstte a labourer la ter re ? Pourquoi non ? Qu’ils paiifent meme , s’il le faut. J’aime encore mieux voir les hommes brouter l’herbe dans les champs, que s’entre- devorer dans les villes. II eft vrai que tels que je les demande, ils reiTembleroient beaucoup a des betes; & que , tels qu’ils font , ils relfem- blent beaucoup a des hommes. Vet at d’ignorance efl un etat de crainte de befoin. Tout efl danger alors pour notre fragilite. La mart gronde fur nos tetes , elle efl caches dans 1 'her be que nous foulons aux pieds : lorfqu’on craint tout & qu’on a befoin de tout , quelle difipofition plus raifionnable que celle de vouloir tout connoitre ? II ne faut que confiderer les inquietudes continuel- les des medecins & des anatomiftes fur leur fante , pour fcavoir li les connoiflaneesfervent a nous ralfurer fur nos dangers. Comme elles nous en deooqvrmt toujours beaucoup plus, que O f 2x8 Response de Rousseau -demoyens de nous en garantir, ce n’eft pas lijie merveille , fi elles ne font qu’augraenter nos allarmes & nous rendre pufillanimes. Les animaux vivent fur tout cela dans une fecurite profonde , &ns s’en trouvent pas plus mal. Une geniffe n’a pas befoin detudier la botanique pour apprendre a trier fon foin , & le loup de- vore fa proie fans longer a l’indigeftion. Pour repondre a cela, ofera-t-on prendre le parti de i’inftind contre la raifon ? C’eft precifement ce que je d'eraande. II femble , nous dit-on , qu'on ait trap de la- loureurs , (J> qu'on craigne de manquer de Philo- fophes. Je dernanderai a man tour , ft Von craint que les profefjions lucratives ne manquent de fujets pour les exercer ? C'ejl bleu mal connoitre V empi¬ re de In cupidite. Tout nous jette des notre en- fance dans les conditions utiles. Et quels prejuges n'a-t-on pas d vaincre , quel courage ne f&ut - il fas, pour ofer n'etre qu'un Defcartes , nn New¬ ton , un Locke ? Leibnitz & Newton font morts combles de biens & d’honneurs, & ils en meritoient encore davantage. Dirons - nous que c’elt par modera¬ tion qu’ils ne fe font point eleves jufqu’a la charue ? Je connois affez l’empire de la c.upidi- te, pour fqavoir que tout nous porte aux pro- feilions lucratives: voila pourquoi je dis que tout nous eloigne des profeffions utiles. Un Hebert, un Lafrenaye, un Dulac , un Martin A M. B 0 R D E S." •ZlS) gagnent plus d^argent en unjour, que tous les laboureurs d’une Province ne fqauroient faire en un mois. Je pourrois propofer un probleme aflez fingulier fur le palfage qui m’occupe a&uelle- ment. Ce feroit , en otant les deux premieres lignes & le lifant ifole , de deviner s’il e(t ti¬ re de mes ecrits ou de ceux de mes adverfairqs. i Les bons livres font la fade defen [e des efprits foibles , c'efi - a - dire des trois quarts des homines, contre la contagion de I'exetnple. Premierement, les fcavans ne feront jamais autant de bons li¬ tres qu’ils donnent de mauvais exemples. Se- condement, il y aura toujours plus de mauvais livres que de bons. En troifieme lieu , les rneil- leurs guides que les honnetes gens puiffent avoir, font la raifon & la confcience: Faucis eft opus litteris ad mentem bonam. Quant a ceux qui out 1’efprit louche ou la confcience endurcie, la le&ure ne peut jamais leur etre bonne a rien. Enfin, pour quelqu’homme que ce foit ,il n’y a de livres necelfaires que ceux de la religion , les feuls que je n’ai jamais condamnes. On pretend nous faire regretter /’education des Ferfes. Remarquez que c’eft Platon qui pretend cela. J’avois cru me faire une fauvegarde de 1’autorite de cej Philofophe : rnais je vois que rien ne me peut garantir de l’animolite de mes adverfaires : Tros Rutulusve fuat ,• ils aiment mieux fe percer Pun l’autre, que de me donner le moindre quartier , & fe font plus de mai qu’a 220 Response de Rousseau 4iioi (r). Cette education etoit , dit - on , fonde'e fur des principes barb ares-, farce qiCon donnoit un maitre pour lexercice de chaque vertu, quoique la vertu foit indivifible ; farce qu'il s'agit de linfpi- rer, & non de lcnfeigner d'en faire aimer la pratique , & non d’en demontrer la Theorie. Que de chofes n’aurois-je point a repondre ? Mais il ne faut pas faire au le&cur l’injure de lui tout dire. Je me contenterai dc ces deux remarques. La premiere, que celui qui veut clever un en¬ fant, ne commence pas par lui dire qu’il faut pratiquer la vertu •, car il n’cn feroit pas enten- du: mais il lui enfeigne premierement a etre vrai, & puis a etre temperant , & puis cou- ragcux &c.; & enfin il lui apprend que la col¬ lection de toutes ces chofes s’appelle vertu. La feconde , que e’eft nous qui nous contentons de demontrer la Theorie; mais les Perfcs enfei- gnojent la pratique. Voyez moil Difcours , page 35. Tous les refroches qu'on fait a la Philofophie, attaquent leffrit humain. J’en conviens. On flu- tot lAuteur de la nature , qui nous a flits tels que nous famines. S’il nous a faits Philofophes , a quoi bon nous donner tant de peine pour le (r) Il me pafle par la tete nil nouveau projet ile de'fenfe, je ne reponds pas que je n’aye encore la Foibleffe ile l'exe- cutcr quelque jour. Cette defenfe ne fera compofee que de raifous tirees des philofophes: d'ou il s’enfnivra qu’ils out tous etc des bavards, comme je le pretends, fi l’on trouve leurs raifons mauvaifes ; ou que j’r.i caufe gignc'e , ft on les trouve bonnes. ' flevenir ? Les Plsilofophes etoient des hommes; ils fe font trompes i doit-on s’en frontier ? C ell: quant! ils lie fe tromperont plus qu’il faudra s’en eton- ner. Plaignons - les, prof tons de leitrs feint es , & corrigeons - nous. Oui, corrigeons - nous, & ne phiiofophons plus.... Mills routes conduifent a lerreur ; line feule mene a la verite ? Voila preci- fement ce que je difois. Faut-il etre furpris qu’ott fe foit mepris fi fouvent fur cede - ci, & qiielle ait tie decouverte fi turd? Ah! nous l’avons done trouvee a la fin! On nous oppofe un jugement de Socratc, qui porte , non fur les Ucavans, mais fur les Sophifies non fur les fciences , mais fur Pabus qu'ou enpeut faire. Que peut demander de plus celui qui fou- tient que toutes nos fciences ne font qu’abus, & tous nos Sqavans que de vrais Sophiftes ? Socrate etoit chef dime fecle qui enfeignoit a douter. Je rabbattrois bien de ma veneration pour So¬ crate , fi je croyois qu’il eut eu la fotte vanite de vouloir etre chef de fedc. Et il cenfuroit avec jufiice Torgueil de ceux qui pretendoient toutfc avoir. C’eft - a - dire , l’orgueil de tous les Sqavans. La •vraie fcience ejl bien eloignee de cette affectation. II ell vrai: mais c’eft de la notre que je parle. Socrate ejl id temo'm contre lui - memo. Ceci me paroit difficile a entendre. Le plus fcavant des Grecs ne rougijjbit point de fon ignorance. Le plus fqavant des Grecs ne fcavoit rien, de fon pro- pre aveu; tirez la conclufion pour les autres. 23z Re'ponse de Rousseau Les fcievces n'ont done pas leurs fources dans noS vices. Nos fciences ont done leurs fources dans nos vices. Elies ne font done pas toutes nets de Vorgueil humain. J’ai deja dit mon fentiment la- deffus. Declamation vaine , qui ne pent faire il- lufion qu'd des efprits prevenus. Je ne fcais point; repondre a cela. En parlant des bornes du luxe , on pretend qu’il nefautpas raifonner fur cette matiere, du palfe au prefent. Lorfque les hommes marchoient tout raids , celui qui s'avifi le premier de porter des fabots , pajfa pour tin voluptueux j de fiecle en fiecle , on da cejfe de crier d la corruption , fans comprendre ce qiCon vouloit dire. II eft vrai que jufqu’a ce terns , le luxe , quoique fouvent en regne , avoit du raoins ete regarde dans tous les ages comme la fburce fu- nefte d’une infinite de maux. II etoit referve a M. Melon de publier le premier cette dodrine empoifonnee , dont la nouveaute lui a acquis plus de fedateurs que la folidite de fes raifons, Je ne crains point de combattre feul dans mon fiecle ces maximes odieufes qui ne tendent qu’a detruire & avilir la vertu, & a faire des riches & des miferables, c’eft - a - dire toujours des medians. On croit m’embarrafler beaucoup , en me de¬ mandant a quel point il faut bonier le luxe ? Mon fentiment eft qu’il n’en faut point du tout. Tout eft fource de mal au - dela du neceffaire A M. B O R D E si 22J phyfique. La nature ne nous donne que trop de belbins ; & c’eft au moins une tres - haute impru¬ dence de les multiplier fans neceliite , & de met- tre ainfl fon ame dans une plus grande depen- dance. Ce n’eft pas fans raifon que Socrate , re¬ gardant l’etalage d’une boutique , fe felicitoit de n’avoir affaire de rien de tout cela. II y a cent a parier contre tin, que le .premier qui porta des fabots etoit un homme puniffable, a moins qu’il n’eut mal aux pieds. Quant a nous , nous fommes trop obliges d’avoir des fouliers , pour n’etre pas difpenfes d’avoir de la vertu. J’ai deja dit ailleurs que je ne propofois point de bouleverfer la foeiete adtuelle , debriiler les Bibliotheques & tous les livres , de detruire les Colleges & les Academies : & je dois ajouterici que je ne propofe point non plus dereduire les hommes a fe contenter du irmple neceffaire. Je fens bien qu’il ne faut pas former lechimeriaue projet d’en faire d’honnetes gens : mais je me fuis cru oblige de dire fans deguifement la verite qu’on m’a demandee. J’ai vu lemal, & tache d’en trouver les caufes : d’autres plus hardis ou plus infenfes pourront chercher le remede. Je me laffe , & je pofe la plume pour ne la plus reprendre dans cette trop longue difpute. J’apprends qu’un tres-grand nombre d’auteurs ( s ) fe font exerces a me refuter. Je fuis tres-fache de ne pouvojr repondre a tows mais je crois a- 324 Response de Rousseau voir montre; par ceux que j’ai choifis (?) pouf cela, que ce n’eft pas la crainte qui me retient a l’egard des autres. j’ai tache d’elever un monument qui ne dut point a l’art fa force & fa folidite: la verite feule , a qui je Fai confacre , a droit de le ren- dre inebranlable. Et fi je repoulfe encore une fois les coups qu’on lui porte, c’eft plus pour m’honorer moi-meme en la defendant, que pour lui preter un fecours dont eile n’a pas "befoin. Qu’il me foit permis de protefter en finif- fant, que le feul amour de l’humanite & de la vertu m’a fait rompre le lilence, & que l’amer- tume de mes inve&ives contre les vices dont je fuis le temoin, ne nait que de la douleur qu’ils m’infpirent, & du defir ardent que j’aurois de voir les hommes plus heureux, & fur-tout plus digues de l’etre. LET- (s) II n’y a pas jufqit’a Je petites feuilles critiques, fai- tes pour l’auiufement des jeunes gens, oil l’on ne m’ait Fait 1 ’honneur de fe fouvenir de moi. Je ne les ai point lues & ne les lirai point tres - allurement j mais rien ne m’empeche d’en faire le cas qu’elles meritent, & je ne doute point que tout cela ne foit fort plaifant. (?) On m’affure que M. Gautier m’a fait l’honneur de me repliquer, quoique je ne lui euffe point repondu & que j’eulfe mcme expofe mes raifons pour n’en rien faire. Appa- lemment que M. Gautier ne trouve pas ces raifons bonnes, puifqu’il prend la peine de les refuter. Je vois bien qu’il fautj ceder a M. Gautier ; & je conviens de tres - bon cceur du tort que j’ai eu de ne lui pas repondre ; ainfi nous voilit d’accord. Mon regret eft de ne pouvoir reparer mafaute: ear par malheur ii n’eft plus terns, & perfomie ne fqanroit de quoi je veux parler. LETTRE D E ?. J. ROUSSEAU, DE GENEVE, Sur lanouvelle Refutation de fon Difcours, par un Academicien de Dijon {a). ^ E viens, Monfieur , de voir une brochure in- titulee: Difcours qui cl remporte le prix a I'Aca- demie de Dijon m 1750 * pfjc. accompagr.e de la refutation de ce Difcours, par un Academicien de Dijan, qui lui a refufe fon fuffrage; & je pen- ibis, eii parcourant cet ecrit , qu’ail lieu de s’abbaiifer jufqu’a etre l’editeur de mon Dilb cours , l’Academicien qui lui refufa fon fuffra- ge, auroit bien du publier l’ouvrage auquel il l’avoit accords*: c’eut ete une tres-bonne ma- tiiere de refuter le mien. Voila done un demesjuges qui ne dedaigne 0 ) L’ouvfclge atiquel repond M. Rouftean , eft une brochure en deux colonnes, imprimee en 17^1 , CSs contenant 152 pages. Dans l’une de ces col*miles eft le Difcours de M. Rouftean. qui a remporte le Prix de 1 *A- cademie de Dijon. Dans l’autre eft une Refutation de ce Difcours. On y a joint des apoftilles critiques , & uns replique a !a reponfe faite par M. Rouftean a M. Gau¬ tier. Cette Replique , ainfi que la nouvelle Refutation , ne nous ont pas paru dignes d’etre inferees dans le fUcueij des Oeuvres de M, Roufeau. Tome l. P 22 6 L E f T R E D E pas de devenir un de mes adverfaires, & qui trouve tres-niauvais que fes collegues m’aientho- nore du Prix. J’avoue que j’en ai ete fort eton- ne moi - meme ; j’avois tache de le meriter, mais je n’avois rien fait pour l’obtenir. D’ail- leurs, quoique je Pouffe que les Academies n’a- doptent point les fentimens des Auteurs qu’elles Qouronnent , & que le Prix s’accorde, non a celui qu’on croit avoir foutenu la meilleure caufe, mais a celui qui a le mieux parle ; me¬ me en me fuppofant dans ce cas, j’etois bien eloigne d’attendre d’une Academie cette impar- tialite , dont les Scavans ne fe piquent nulle- ment toutes les fois qu’il s’agit de leurs interets. Mais 11 j’ai ete furpris de Fequite de mes Ju- ges , j’avoue que je ne le fuis pas moins de l’in- difcretion de mes adverfaires : comment ofent- ils temoigner ii publiquement Ieur mauvaife bu- meur fur 1’honneur que j’ai requ ? comment n’ap- percoivent-ils point le tort irreparable qu’ils font en cela a leur propre caufe ? Qu’ils ne fe flattent pas que perfonne prenne le change fur le fujet de leur chagrin : ce n’eft pas parce que mon Difcours eft mal fait , qu’ils font faclies de le voir couronne ; on en couronne tous les jours d’aufii mauvais, & ils ne difent mot j c’eft par une autre raifon qui touche de plus pres a leur metier , & qui n’eft pas difficile a voir. Je fca- vois bien que les. fciences corrompoient les moeurs , rendoient les hommes injuftes & ja- J. J. R 0 U $ S E A V. 22? loux, & leur faifoient tout Verifier a leur inte- ret & a leur vaine gloire; mais j’avois cru m’ap- percevoir que cela le faifoit avec un peu plu^ de decence & d’adreife : je voyois que les gens de Lettres parloient fans celfc d’equite, de mo¬ deration , de vertu , & que e’etoit fous la fauved garde facree de ces beaux mots qu ils fe livroient impunement a leurs pallions & a leurs vices ; mais je n’aurois jamais cru qu’ils euiTent le front de blamer publiquement l’impartialite de leurs confreres. Par-tout aiiieurs, c’ell la gloire des Juges de prononcer felon l’equite contre leur propre interetil n’appartient qu’aux fciences de faire a ceux qui les cultivent un cririie de leur integrite : voila vraiment un beau privilege qu’elJes out la J J’ofe le dire, 1’Academie de Dijon, eft fai- fant beaucoup pour ma gloire, a beaucoup fait pour la lienne: un jour a venir les adverfaires de ma caufe tireront avantage de ce Jugement, pour prouver que la culture des Lettres peut s’atfocier avec l’equite & le defintereifement. A~ lors les Partilans de la verite leur repondront: voila un example particular qui fernble faire contre nous; mais fouvenez-vous du fcandale que ce Jugement caufa dans le temps parmi la foule des gens de Lettres , & de la maniere dont ils s’en plaignirent, & tirez de-la une juite confequence fur leurs maximes, P* Littre »e 32 * Ce n’efl pas, a mon avis , line moindre im« prudence de fe plaindre que l’Academie ait pro- pofe fon fujet en probleme: je laiiTe a part le peu de vraifemblance qu’il y avoit, que dans l’enthoufiafme univerfel qui regne aujourd’hui quelqu’un eut le courage de renoncer volontai- rement au Prix, en fe declarant pour la negati¬ ve ; mais je ne fcais comment des Philofophes ofent trouver mauvais qu’on leur offre des voies de difcuffion : bel amour de la verite, qui tremble qu’on n’examine le pour & le contre! Dans les recherches de Philofophie , le meil- leur moyen de rendre un fentiment fufpect» c’eft de donner Pexclufion au fentiment con- traire : quiconque s’y prend ainfi a bien Fair d’un homme de mauvaife foi, qui fe delie de la bonte de la caufe. Toute la France eft dans l’attente de la Piece qui remportera cette an- nee le Prix a FAcademie Franqoife; non-leu le¬ nient elle elfacera tres-certainement mon Dif- cours, ce qui ne fera gueres difficile: mais on ne fqauroit rnerne douter qu’elle ne foit un chef- d’oeuvre. Cependant, que fera cela a la folution de la queftion '( rien du tout; car chacun dira, apres l’avoir lue : Ce Difcours eft fort beau ; mais fi C Auteur avoit eu la liberie de prendre le fentiment contraire, il en ekt peut-etre fait un plus beau encore. J’ai parcouru la nouvelle Refutation; car e’en eft encore une; & je ne fc;ais par quelle fatali- J. J. R O V % S E A tt. 229 te les ecrits de mes adverfaires qui portent ce titre fi decifif, font toujours ceux ou je fuis le plus mal refute. Je l’ai done parcourue cette Refutation , fans avoir le moindre regret a la refolution que j’ai prife de ne plus repondre a perfonne; je me eontenterai de citer un feul paifage, fur lequel le ledeur pourra juger II j’ai tort ou raifon : le voici. Je conviendrai qu'on peut etre honnete homme fans talens ,• mats n'ejl-on engage dans la fociete qidd etre honnete homme ? Et qidejl-ce qidun hon- nete homme ignorant & fans talens? un far dean inutile , d charge mime d la terre, &c. Je ne repondrai pas, fans doute, a un Auteur capa¬ ble d’ecrire de cette manierej mais je crois qu’il peut m’en remercier. II n’y auroit gueres moyen, non plus, a moins que de vouloir etre aulli diifus que 1’Auteur, de repondre a la nombreufe colledion des paflages Latins , des vers de La Fontaine , de Boileau , de Moliere, de Voiture, de Regnard , de M- Greifet, ni a l’hiftoire de Nemrod , ni a celle des Payfans Picards ; car que peut-on dire a un Philofophe qui nous allure qu’il veut du mal aux ignorans , parce que fon Fermier de Picardie » qui n’eftpas un Dodeur, le paye exadement a la verite , mais ne lui donne pas alfez d’argent de fa terre ? L’Auteur eft fi occupe de fes ter- res , qu’il me parle meme de la mienne. Une terre a moi! la terre de Jean - Jacques Roufi. P 3 Let tj e de 33 ° feau! en verite je lui confeille de me calomd nier (b) plus adroitement. Si j'avois a repondre a quelque partie de la Refutation, ce feroit aux perfonnalites dont cette critique eft remplie j mais conime elles ne font rien a la queftion , je ne m’ecarterai point de la conftante maxime que j’ai toujours fui fte, de me renfermer dans le fujet que je traite, fans y meler rien de perfonnel ; le veritable refpecl qu’on doit au Public, eft de lui epargner , non do trifles verites qui peuvcnt lui etre utiles , mais bien toutes les petites liargneries d’A.uteurs (c) , dont on remplit les ecrits poiemiques, & qui ne font bonnes qu a fatisfaire une honteufe animo- fne. On veut que j’aye pris dans Clc-nard (d) nn mot de Ciceron , foit: que j’aye fait des fo- (b~) Si 1’Auteur me fait I’bonneur de refuter cette Let- tre, il ne fant pas douter qu’il ne me prouve dans une belle & dude ilemoriftration , foutemie de tres-graves au¬ torites , (jiie ce u’cft point im crime d’avoir une terre : en eff’et , il fe pent que ce n’en foit pas un pour d’au- tres; mats e’en feroit un pour inoi. • (c) On peut voir dans le Difcours de Lyon un tres- beau modele de la maniere dont il convient aux Fltilofo- phes d’attaquer & de combattre fans perfonnalite's & fans invectives. Je me fiatte qu’on trouvera auifi dans ma re- ponfe, qui eft fous preife , un exemple de la maniere dont on peut defendre ce qu’on croit vrai , avec la Force dont on eft capable, fans aigreur contre ceux qui l’atta- quent. fd) Si je difois qu’tme ft bifarre citation vient a coup fur de quelqu’un a qui la methode Grecque de Cie'nard eft plus Fa mi tier e que les Offices de Ciceron, & qui par confequent. femble fe porter atfez gratuitement pour de- feufeur des bonnes Lettres , fi j’ajoutois qu’il y a des profdfions, comme, par exemple , la Chirurgie , cm 1’on iecifmes , a la bonne heure: que je cultive les Belles-Lettres & la Muflque : malgre le mal que j’en penfe , j’en conviendrai li l’on veut j je dois porter dans un age plus raifonnable la peine des araufemens de ma jeunefle : mais enfin , qu’im- porte tout cela, & au Public & a la caufe des Sciences ? Roulleau peut mal parler Franqois, & que la G'rammaire n’en foit pas plus utile a la vertu. Jean-Jacques peut avoir une mauvaife conduite , & que celle des Sqavans n’en foit pas employe tant de termes derives da Grec , que cela met ceux qui les exercent, dans la neceffite d’avoir qnelques notions elementaires de cette Langtie , ce feroit prendre le ton du nouvel adverfaire, & repondre comme il auroit pu fairc a ma place. Je puis repondre, moi, que quand j’ai hafarde le mot Inveftigation , j’ai vonlu rendre un fer- vice a la Langtie , en effayant d’y introduire un terme doux, harmonieux, dont le fens eft deja connu , & qui n’a point de fynonyme en Franqois. C’eft, je crois, tall¬ ies les conditions qu’on exige pour autorifer cette Jiberts falutaire : Ego cur , acquirerc faucet Si pojfirn, invideorj cum lingua Cutonis elf Enni Sermonem Patrium ditaverit i J’ai fur-tout voulu rendre exa&ement mon idee; je fqais , il eft vrai , que la premiere regie de tous nos Ecrivains , eft d’ecrire corredtement, &, comme ils difent , de parler Franqois; c’eft qu’ils ont des pretentions , & qu’ils veuient puffer pour avoir de la correftion & de l’elegance. M ;r premiere regie, a moi qui ne me foucie nullement de ce qu’on nenfera de mon ftile , eft de me faire entendre : toutes les fois qu’a l’aide de dix folecifmes , je pourrai m’exprimer plus fortement ou plus clairement , je ne ba- lancerai jamais. Pourvu que je fois bien compris des Phi- lofophes, je laiffe volontiers les puriftes courir apres les mots. 232 Lettre d e jneilleure : voila toute la reponfe queje ferai & je crois toute eelle que je dois faire a la pouvelle Refutation, Je finirai cette Lettre, & ce que j’ai a dire fur un fujet fi long-temps dcbattu , par un con- feil a mes adverfaires , qu’ils mepriferont a coup„ fur , & qui pourtant feroit plus avantageux qu’ils nepenfent au parti qu’ils veulent defendre j c’eft de ne pas tellement ecouter leurzele, qu'ils ne,. gligent de confulter leurs forces , & quid vale ant: humeri. Ils me diront fans doute que j’aurois du prendre eet avis pour moi-meme , & cela peut; etre vrai mais il y a au moins cette difference, que j'etois feul de mon parti, au lieu que le leur etant eelui de la foule, les derniers venus fembloient difpenfes de fe mettre fur les rangs, ils croiroient faire de la Mufique , & ils lie feroient que du bruit. Un autre effet qui refulteroit du defaut de melodie, feroit que les Muficiens n’en ayant qu’une faufle idee, trouveroient par-tout une melodie a leur maniere : n’ayant pas de veritable chant, les parties de chant ne leur couteroient rien a multiplier, parce qu’ils donneroient har- diment ce nom a ce qui n’en feroit pas; meme jufqu’a la Baffe - continue , a Puniflon de laquelle ils feroient fans facon reciter les Balfes - tallies , fauf a couvrir le tout d’une forte d’accompagne- ment, dont la pretendue melodie n’auroit au- cun rapport a celle de la partie vocale. Par-tout oil ils verroient des notes ils trouveroient du i M ¥ S 1 QU E F R A N C O I S E. 24 f *hant, attendu qu’en effet leur chant ne feroit que des notes. Voces, prour elle une forte de fard qui couvre fa laideur fans la detruire, & qui ne la rend que plus ridicule aux oreilles fenlibles. M U S I Q.U E F R A N c: O I S E. f la premiere, ear de tous ceux qui connoilTent bien l’une & l’autre Miifique, nul ne balance fur le choix, & l’ort a pu voir par les plaifans barbouillages de ceux qui fe font meles d’atta- quer l’ltalienne, quelle connoiflanee ils avoient d’elle & de l’Art en general. Je dois ajouter qu’il eft efleiltiel d’aller bien Cxncftement en mefure; mais je prevois que cet averti/fgment, fuperflu dans tout autre pays, fera fort inutile dans celui - ci , & cette feule fc million entraine neceffairement I’incompetence du jugenienti Avec toutes ces precautions, le cara&ere de fchaque genre ne tarde pas a fe declarer , & alors il eft bien difficile de ne pas revetir les phrafes des idees qui leur conviennent, & de n’y pas ajouter s du moii'is par Pefprit, les tours & les Ornemeiis qu’on a la force de Ieur refufer par le chant.line faut pas nonplus s’e-n tenir a une feule epreuve, car un air peut plaire plus-qu’uri autre, fans que cela decide de la preference du genre ; & ce n’eft qu’apres un grand nonibre d’elTais qu’on peut etablir un jugement raifonna- ble : d’ailleurs, en s’otant la connoitfaiice des paroles, on s’ote celle de la partie la plus im- portantc de la melodie , qui eft l’expreffion ; & tout ce qu’on peut decider par cette voie, c’eft li la modulation eft bonne & ft le chant a du na- turel & de la beaute. Tout cela nous montre combien il eft difficile de prendre affez de pre- Tome I. R §K8 Lettre s tr r la cautions contre les prejuges , & combien le ra£4 fonnement nous eft neceifaire pour nous mettr® nous si’eai ayans point , M -v s i q_u e Francois t. 2S9 fcuta dans un meme concert un monologue Fran- qois qui commence par ce vers : Temple,facre, fejour trariquille, £t un air deGaluppi qui commence par c elui-ci; Voi che languite fenza fperanza L’un & l’autre furent chantes, mediocrement pour le Franqois, & mal pour lltalien , par un hom- me accoutume feulement a la Mufique Franqoi- ie, & alors tres-enthoufialie de celle de M. Ra¬ meau. Je remarquai dans 1’Armenian durant tout le chant Franqois, plus de furprife que de plai- lir i mais tout le monde obferva des les premie¬ res mefures de l’air Italien, que fon vifage & les yeux s’adoucilToient j il etoit enchante* il pxetoit Fon ame aux imprelfions de la Mufique, & quoiqu’il entendit peu la langue, les fimples fons lui caufoient un raviflement Fenlible. Des ce moment on ne put plus lui faire ecouter au- cun air Franqois. Mais fans chercher ailleUrs des exemples, si’avons-nous pas meme parmi nous plufieurs per- fonnes, qui, ne connoitTant que notre Opera,crO- yoient de bonne foi n’avoir aucun gout pour le chant, & n’ont ete ddfabufes que par les inter¬ cedes Italiens. C’eft precifement parce qu’ils n’aimoient que la veritable Mufique* qu’ils cro- yoient ne pas aimer la Mufique. R a 2 60 L E T T K E S t7 K L A J’avoue que tant de faits m’ont rendu doo-v tcufe 1’exiftence de notre melodie , & m’ont faie foupconner qu’elle pourroit bien n’etre qu’unff forte de plein-chant module, qui n’a rien d’a- greable en lui-meme, qui ne plait qu’a I’aide de quelques ornemens arbitraires , & feulement a ceux qui font convenus de les trouver beaux. Audi a peine notre Mufique etl-elle fupportable a nos propres oreilles , lorfqu’elle eft executee- par des voix mediocres, qui manquent d’art pour la faire valoir. 11 faut des Fel & des Jeliotte pour chanter la Mufique Francoife, mais toute voix eft bonne pour l’ltalienne, parce que les beautes du chant Italien font dans la Mufi¬ que raeme, au lieu que celles du chant Fran¬ cois , s’il ena, ne font que dans l’art du Chan- teur. (i) Trois chofes me paroiifent concourir a la perfection de la melodie Italienne : La premiere ■" p] Au refle, c’efl: line errenr de ‘croire qu’en general les Chanteurs Italians ayent moins de voix que les Franqois. 11 faut au contraire qu’ils ayent le timbre pins fort & plus harmonieux, ponr pouvoir fe faire entendre fur les theatres iramenfes de 1’Italic , fans ceffer de menagcr les fans, comme. le vent la Mufique Italienne. Le chant Franqois exige tout FefFort des poumons, toute 1’etendue de la voix.; plus fort, nous difent nos Maitres l enflez' les fons, ouvrez la bouche„ tlonnez toute votre voix. Plus dsux, difent les Maitres Italiens, ne foreez poiiit, chantez fans gene, rendez vos ! ions donx, flexibles & coulans, refervez les eclats pour ces momens rares & pafiagers oil il faut furpremlre^& de- chi rer. Or il me paroit que dans la neceffite de fe faire ■entendre, ce!ui-ci doit avoir plus de voix, qui pent m. Staffer de crier.. 26 1 Musique Francois t . eft la douceur de la langue, qui rendant toutes ks inflexions faciles, laifle au gout du Muficien la liberte d’en £;ire un choix plus exquis , de varier davantage les eombinaifons , & de don- jaer a chaque Adeur un tour de chant particu- lier, de meme que chaque homme a fon gefte & Ton ton qui lui font propres , & qui le diftin- guent d’un autre homme. La deuxieme eft la hardiefle des modula¬ tions , qui quoique moins fervilement preparees que les notres , fe rendent plus agreables , en fe rendant plus fenfibles , & fans donner de la durete au chant ajoutent une vive energie a, l’expreffion. C’eft par elle que le Muficien, paf- fant brufquement d’un ton ou d’un mode a un autre, &fupprimant quandil le faut les tranfi- tioiis intermediaires & fcolaftiques, fait expri¬ mer les reticences , les interruptions, les difcours entre-coupes qui font le langage des paffions im- petueufes , que le bouillant Metaftafe a employe fi fouvent, que les Porpora , les Galuppi, les Cochi , les Jumella, les Perez , les Terradeglias ont fqu rendre avec fucces , & que nos Poe- tes lyriques connoiflent auffi peu que nos Mu- ficiens. Le troifieme avantage , & celui qui prete a la tnelodie fon plus grand elfet, eft l’extreme pre- cifion de mefure qui s’y fait fentir dans les mou- vemens les plus lents, ainfi que dans les plus gais : precifion qui rend le chant atiime & inte- R 3 2 SZ Lettre sur la" reflant, les accompagnemens vifs & cadences ^ qui multiplie reellement les chants, en faifant d’une meme combinaifon de Tons , autant de dif- ferentes melodies qu’il y a de maniere de les fcander ; qui porte au coeur tous les fentimens , &. a Pefprit tous les tableaux; qui donne au Mu- licien le moyen de mettre en air tous les ca- racteres de paroles imaginables, plufieurs dont nous n’avons pas meme l’idee (k), 8c qui rend! tous les mouvemens propres a exprimer tous les cara&eres (/) ou urv feul mouvement propre contrafter & changer de caractere au gre du Compofiteur. Voila, ce me femble, les fources d’ou le chant Italien tire fes charmes & fon energie ; a quoi Ton peut ajouter une nouvelle & tres-for¬ te preuve de 1’avantage de fa melodic, en ce qu’elle n’exige pas autant que la notre de ces (.fc) Pour ne pas fortir du genre comique, le feul eonnu 3 Paris , voyez les airs , Qiianio fciolto avro il contratto , &c. Jo 0 un vcfpcijo , &c. 0 quefto o quello t'ai a rifolvL’re , See, A un guflo da fhvdirc , &c. Stizzcfo mio , Jlizzofo , &c. lo Jono unci DonzeUa , &c. Quanti macjlri , quant i dotted , &c. I Sbirrj girt le afpgitanQ , &p. Mil Unique il teftamento , &c. Senti me, fe brand flare, o che rifu, chepiacere , &c. tons ca- rafteres if Airs dont I9 Mufique Franqoife n’a pas les premiers piemens, & dont elle n’eft pas en etat d’exprimer un feul mot. ( 1 ) Je me contenterai d’en citer un feul exemple, mais tres - frappant; c’gft l’air jV pur fun inf.'dice, Sec. de lj» Faulfe Suivantc; Air tres - pathe'tique fur un mouvement tres-gai , auqnel il n’a manque qu’une poix pour le chan,, ter, un Orcheftre pour l’accompagner, des oreilles pour Pentendre, & la feeonde partie qu’il ne fulloit pas lup~ piimer. ' • •» i Mu S I QU E F R A N C O I S E. 263 frequens’renverfemens d’harmonie , qui donnenfc a la Baffe-continue le veritable chant d’un def- fus. Ceux qui trouvent de fi grandes beautes dans la melodie Francoife, devroient bien nous dire a laquelle de ces ehofes elle en eft redcva- ble, ou nous montrer les avantages qu’elle a pour y fuppleer. Quand on comraence a connoitre la melodi» Italienne, on ne lui trouve d’abord que des gra¬ ces , & on ne la croit propre qu’a exprimer des fentimens agreables j mais pour peu qu’on etu- die Ton caractere pathetique & tragique, on eft bien-tot furpris de la force que lui prete l’art des Compoliteurs dans les grands morceaux de Mufique, C’eft a l’aide de ces modulations fqa- vantes, de cette harmonie fimple & pure, de ces accompagnemens vifs & brillans, que ces chants divins dechirciit ou raviifent 1'ame, met- tent le Spedlateur hors de luimerne, & lui ar- rachent, dans fes tranfports , des cris, dont jamais nos tranquilles Opera ne furent honores. Comment le Muficien vient-il a bout de pro¬ duce ces grands effets ? Eft-ce a force de con- trafter les mouvemens, de multiplier les ac¬ cords , les notes, les parties? Eft-ce a force d’entalfer delfeins fur defleins, inftrumens fur inftrumens ? Tout ce fatras , qui n’eft qu’un mauvais fupplement oil le genie manque , etouf- feroit le chant, loin de l’animer, & detruiroit I’interet en partageant {’attention. Quelque har s R 4 2^4 Lettke sur la monie que puiifent faire enfemble plufieurs par* ties toutes bien cbantantes , l’effet de ces beaux chants s’evanouit auffi-tot qu’ilsfe font entendre a la fois, & il ne refte que celui d’une fuite d’aocords, qui, quoi qu’on puilfe dire, eft tou- jours froide quand la melodie ne 1’anime pas * de forte que plus on entalfe des chants mal a propos , & moins la Mufique eft agreable & chantantej pprce qu’il eft impoilible a l’oreille de fe preter au meme inftant a plufieurs melo¬ dies , & que l'une effacant l’impreflion de fau- tre , il ne refulte du tout que de la confufion & du bruit. Pour qu’une Mufique devisnne inte- reffante , pour qu’elle porte a fame les fentimens qu’on y veut exciter, il faut que toutes les par¬ ties concourent a fortifier fexpreilion du fujet % que l’harmonie ne ferve qu’a le rendre plus ener- gique ; que Paccompagnement Pemhelliife, fang le couvrir ni le defigurer; que la Bade, par une marche uniforme & Pimple, guide en quelque forte celui qui chante & celui qui ecoute , fans que ni fun ni l’autre s’en apperc.oive; il faut 3 en un mot,„ que le tout enfemble ne porte a la fois qu’une melodie a f oreille & qu’une idee a f’efprit, Cette unit 4 de melodie me paroit une regie indifpenfable & non moins importante en Mufi¬ que 3 que I’unite d’action dans une Tragedie 5 par elle eft fpndee fur le meme principe, & diri- gfe yets le meffle objet. Aufti tops les b.ong Musique Franco i sb. 26 ? Cofflpofiteurs Italiens s’y conforment-ils avec un. foin qui degenere quelquefois en affedation , & pour peu qu’on y reflechiife, on fent bien-tot que c’eft d’elle que leur Mufique tire fon prin¬ cipal effet. C’elt dans cette grande regie qu’il faut chercher la caufe des frequens accompa- gnemens a 1’unilTon qu’on remarque dans la Mu- lique Italienne, & qui, fortifiant l’idee du chant, en rendent en meme-terns les Tons plus moel- leux , plus doux & moins fatigans pour la voix. Ces uniflbns ne font point praticables dans no, tre Mufique, fi ce n’eft fur quelques caraderes d’airs choifis & tournes expres pour cela •, jamais un air pathetique Francois ne feroit fupportabl® accompagne de cette maniere , parce que la Mu- iique vocale & l’inftrumentale ayant parmi nous des caraderes diiferens, on ne peut, fans pe- cher contre la melodie & le goiit, appliquer a 1’une les memes tours qui conviennent a l’autre, fans compter que la mefure etant toujours va¬ gue & indeterminee , fur-tout dans les airs lents, les inftrumens & la voix ne pourroient jamais s’accorder, & ne march eroient point alfez da concert pour produire enfembleun effet agrea- jble. Une beaut'i qui refulte encore de ces unif- fons , c’eft de donner une expreflion plus fenfi- jble a la melodie , tantot en renforqant tout d’un coup les inftrumens fur un palfage , tantot en les radoucilfant, tantot en leur donnant un trait de chant energique & faillant que la voix n’atu Rf 26 d Lettre sur la roit pu faire, & que l’Auditeur adroitement trom- pe lie lailTe pas de lui attribuer, quatid l’orcheftre fqait le faire fortir a propos. De-la nait encore cette parfaite correfpondance de la fymphonie & du chant, qui fait que tous les traits qu’on admire dans l’une, ne font que des develop- pemens de l’autre, deforte que c’eft toujours dans la partie vocale qu’il faut chercher la four- ce de toutes les beautes de 1’accompagnement. Cet accompagnement eft ft bien un avec le chant, & ft exadlement relatif aux paroles, qu’il femble fouvent determiner le jeu & dieter a l’A&eur le gefte qu’il doit faire ; (m) & tel qui li’auroit pu jouer le role fur les paroles feules„ le jouera tres-jufte fur la Mulique, parce qu’elle fait bien fa fondion d’interprete, Au refte, il s’en faut beaucoup que les ac- compagnemens Italiens foient toujours a 1’unif- Ion de la voix. II y a deux cas alfez frequens ou le Muficien les en fepare : L’un, quand la voix roulant avec legerete fur des cordes d’har- monie, fixe alfez l’attention pour que l’accom- pagnement lie puilfe la partager, encore alors donne ton tant de (implicite a cet accompagne¬ ment , que l’oreille aifedee feulement d’accords (m ) On en trouve des exemples frequens dans les Inter- medes qui nous ont ete donnes cette annee, entre antres dans l’air a un gufto da Jlordire du Maitre de Mufique, dans celui Jon Padrone de la femme orgueilleufe, dans celui vi Jlo ben du Tracollo, dans celui tu non penjl no figjiom de la Bq- hemienne, & dans prefque tous cqux qui demandent tl® jeu. M U S I Q.U E F R A N q O I S E. 26^ agreables, n’y fent aiicun chant qui puilfe la diftraire. L’autre cas demande un peu plus d$ foin pour le faire entendre. Qiiand le Mufuien fcaura fon art , dit l’Au- teur de la Lettre fur les Sourds & les Muets , les parties d'accompagnement concourront ou i fortijier I'expreJJion de la par tie chant ante , ou d ajouter de nouvelles idees que le fujet deman doit » que la partie chantante iiaura pu rendre. Ce paflage me paroit renfermer un precepte tres-utile , & void comment je penfe qu’on doit l’entendre. Si le chant eft de nature a exiger quelques additions , ou, comme difoient nos anciens Mu- iiciens, quelques diminutions (n) qui ajoutent a 1’exprellion ou a 1’agrement fans detruire en cela I’unite de melodie , deforte que l’oreille, qui blameroid peut-etre ees additions faites par la voix , les approuve dans l’accompagnement & s’en laiffe doucetnent atfeder, fans celfer pour cela d'etre attentive au chant; alors l’habile Mu. ficien, en les menageant a propos & les em- ployant avec goat, embellira fon fujet & le rendra plus expreffif fans le rendre moins un ; & quoique l’accompagnement n’y foit pas exa&e- jnent femblable a la partie chantante, l’un & i’autre ne feront pourtant qu’un chant & qu’une (n) On tronvera !e mot diminution dans le quatrieme vo¬ lume tie nSpcyclopedie. 26t Lettre sur la melodie. Que fi le fens des paroles comporte line idee accelfoire , que le chant n’aura pas pu rendre , le Muficien l’enchaifera dans des filen- ces ou dans des tenues , de maniere qu’il puifle la prefenter a l’Auditeur, fans le detourner de celle du chant. L’avantage feroit encore plus grand, fi cette idee accelfoire pouvoit etre ren- due par un accompagnemeut contraint & conti- nu, qui fit plutot un leger murmure qu’un veri- tablechant, comme feroit le bruit d’une rivie-re, ou le gazouillement des oifeaux: car alors le Compofiteur pourroit feparer tout-a-fait le chant de raccompagnement, & deftinant uniquemens ce dernier a rendre l’idee accelfoire, il difpofera ion chant de maniere a donner des jours frequens a l’orcheftre, en obfervant avec foin que la fym- phonie foit toujours dominee par la partie chan- tante, ce qui depend encore plus de 1’art du Compofiteur, que de 1’execution des Inftru- tnens : mais ceci demande une experience con- fornmee pour eviter la duplicite de melodie. Voila tout ce que la regie de l’unite peut ac- corder au gout dh Muficien , pour parer le chant ou le rendre plus expreffit, foit en embellilfant le fujet principal, foit en y en ajoutant un au¬ tre qui lui refte aifujetti. Mais de faire chanter a part des Violons d’un cote, de l’autre des Flu¬ tes , de l’autre des Balfons , cbacun fur un def- fein particulier , & prefque fans rapport entre eux, & d’appeller tout ce cahos, de la Mull* M u s i Q_u e Francois fi. 26$ tjue, c’eft infulter egalement l’oreille & le juge- ment des Auditeurs. Une autre chofe, qui n’eft pas moins con- traire que la multiplication des parties , a la re¬ gie que je viens d’etablir , c’eft 1’abus ou plutot l’ufage des fugues , imitations , doubles delfeins, & autres beautes arbitraires & de pure conven¬ tion , qui n’ont prefque de rnerite que la diffi- culte vaincue, & qui toutes ont ete inventees dans la nailTance de l’Art, pour faire briber le fa¬ vour , en attendant qu’il fut queftion du genie. Je ne dis pas qu’il foit tout-a-fait impofiible de conferver l’unite de melodie dans une fugue, en conduifant habilement l’attention de 1’auditeuE d’une partie a Fautre, a mefure que le fujet y paife; mais ce travail eft li penible, que pref¬ que perfonne n’y reuffit, & ft irrgrat, qu’a pei¬ ne le fucces peut-il dedommager de la fatigue d’ur* tel ouvrage. Tout cela n’aboutilTant qu’a faire flu bruit, ainli que la plupart de nos choeurs ft admires (o) , eft egalement indigne d’occuper la (o) Les Ttaliens ne font pas eux-memes tout a-fait reve- mis de ce prejuge barbare. I!s fe piquent encore d’avoir dans leuis Eglifes de la MuGque brnyante; ils ont fonvent des Mefifes & des Motets a quatre Choeurs, chacun fur un deffcin different; mais les grands Maitres ne font que rire de tout ce fatras. Je me fouviens que Temdeglias me par- lant de plnfieurs Motets de fa compofition oil il avoit mis des Cbceurs travailles aveo un grand foin , etoit honteux d’en avoir Fait de fi beaux, & s’en excufoit fur fa jeunelTe; Autrefois, drfoit-il r j’aimois a faire du bruit; i prelent js tacbe de faire de ia MuGqiis. 2^0 Lettre sur l A plume d’un homme de gehie , & l’attention d’ud homme de gout. A l’egard des contre-fugues* doubles fugues, fugues rcnverfees, baffes con- traiiites, & autres fottifes di/Eciles que l’oreille lie peut fouffrir , & que la raifon ne pe'ut jufti- fier , ce font evidemment des relies de barbaria &de mauvais gout, qui ne fubfiftent, eonime les portails de nos Eglifes gothiques , que pour Ja honte de eeux qui ont cu la patience de ies faire. II a ete un terns ou Htalie etoit barbare , & ameme apres la renaiffance des autres Arts que 1’Europe lui doit tous, la Mufique plus tardive n’y a point pris aifement cette purete de goiifc qu’on y voit briber aujourd’hui, & Ton ne pent gueres donner une plus mauvaife idee de ce qu’elle etoit alors, qu’en remarquant qu’il n’y a eu pendant long-terns qu’une merae Mufique en France & en Italie (p), & que les Muficien» des deux contrees communiquoient familiere- ment entr’eux, non pourtant fans qu’on put re- fp] L’Abbe Du Bos fe tourmente beaucoup pour Faire hon- neur anx Pais - Bas du rcnouvellement de' la Mufique, & cela pouvroit s’admettre, ft l’on donnoit le nom de Mufique a un continuel rempliflage d’accords; mais fi l’harmtinie n’eft que la baffe commune, &qne la melodie feule conftitue le caradtere, non feitfeirtent la Mufique moderne eft nee ea Italie , mcis il y a quelque apparenee que dans toutes 110s Langues vivantes , la Mufique Italienne teffi la feule qui puifie reellement exifter. Du terns d’Grlande & de Gouditnel, on faifoit de l’harmonie & des fons ; Lully y a joint un pen de cadence; Correlli, Buononcini , Vinci & Pergolefe , font les premiers qui ayen't fait de la Mufique. Musiq_ue Francois z' 27# marquer deja dans les notres le germe de cette jaloufie , qui eft infcparable de finferioritc. Lul- li Bieme, allarme de l’arrivee de Correlli, fe hata de le faire chaffer de France : ce qui lui fut d’au- tant plus aife que Correlli etoit plus grand honi- me , & par confequent moins courtifan que lui. Dans ces terns ou la Muiique nailfoit a peine, elle avoit en Italie cette ridicule emphafe de fcience harmonique, ces pedantefques pretentions de doctrine qu’elle a cherement confervees parmi nous, & par lefquelles on diftingue aujourd’hui cette Muiique methodique , compaflee, mais fans genie , fans invention & fans gout, qu’on appelle a Paris , Mufique krite par excellence , & qui, tout au plus, n’eft bonne, en eifet, qu’a ecrire, & jamais a executer. Depuis meme que les Italiens out rendu Thar- monie plus pure, plus fimple, & donne tous leurg foins a la perfection de la rnelodie , je ne nie pas qu’il ne foit encore demeure parmi eux quelques legeres traces de fugues & delfeins go- thiques , & quelquefois de doubles & triples melodies. C’eft de quoi je pourrois citer plu- iieurs exemples dans les Intermedes qui nous font connus , &'entre autres le mauvais quatuor qui eft a la fin de la Femme orgueilleufe. Mais outre que ces chofes fortent du caractere etabli, outre qu’on ne trouve jamais rien de femblable dans les Tragedies, & qu’il n’eft pas plus jufte de juger l’Opera Italien fur ces farces, que d® 'LeTtre sur LA juger notre Theatre Francois fur l'Impromptu de Campagne , ou le Baron de la CraJJe : il faut aufti tendre juftice a l’art avec lequel les Compofiteurs ont fouvent evite dans ces Intermedes les pieges qui leufi etoient tendus par les Poetes, & ont fait tourner au profit de la regie des iituations qui fembloient les forcer a 1’enfreindre. De toutes les parties de la Mufique, la plus difficile a traiter, fans fortir de 1’unite de melo¬ dic 5 eft le Duo, & eet article merite de nous arreter un moment. L’auteur de la Lettre fur Omphale a deja remarque que les Duo font hors de la Nature 5 car rien n’eft moins naturel que de voir deux perfontres fe parler a la fois du- rant un certain terns, foit pour dire la meme chofe , foit pour fe contredire, fans jamais s’e- eouter ni fe repondre : Et quand cette fuppofi- tion pourroit s’admettre en certains cas, il eft bien certain que ce ne feroit jamais dans la Tra- gedie, ou cette indecence n’eft convenable ni a la dignite des perfontiages qu’on y fait parler s . hi a l’education qu’on leur fuppofe. Or le meil- leur moyen de fauver cette abfurdite, c’eft de traiter le plus qu’il eft poffible le Duo en Dia¬ logue , & ce premier foin regarde le Poete ; ce qui regarde le Mulicien , c’eft de trouver un chant convenable au fujet, & diftribue de telle forte, que ehaeun des Intedocuteurs parlant al- ternativement, toute la fuite du Dialogue ne forme qu’unemelodie, qui, fans changer de fu- jet r MusiQ.U e Francoise. 273 jet, ou du moins fans alterer le mouvement, paife dans Ton progres d’une partie a l’autre , fans ceifer d’etre une , & fans enjamber. Quand on joint enfemble les deux parties, ce qui doit fe faire rarement & durer peu , il faut trouver un chant fufceptible d’une marche par tierces , ou par iixtes , dans lequel la feconde partie faf. fe foil eifet fans diftraire l’oreille de la premie¬ re. II faut garder la durete des diifonances, les fons perqans & renforces , le fortilfimo de l’Or- cheftre pour des inftans de defordre & de tranf- port, ou les Adeurs femblant s’oublier eux- memes , portent leur egarement dans l’ame de tout Spedateur fenfible , & lui font eprouver le pouvoirde l’harmonie fobrement menagee. Mais ces inftans doivent etre rares & amenes aveq art. II faut par une Mufique douce & affedueu- fe avoir deja difpofe l’oreille & le cceur a l’e- motion , pour que fun & l’autre fe pretent a ces ebranlemens violens , & il faut qu’ils paifent avec la rapidite qui convient a notre foiblelle 5 car quand l’agitation eft trop forte , elle ne fau- roit durer, & tout ce qui eft au-dela de la Na¬ ture ne touche plus. E11 difant ce que les Duo doivent etre, j’ai dit predfoment ce qu’ils font dans les Opera Ita- liens. Si quelqu’un a pu entendr , fur un Thea¬ tre d’ltalie, un Duo tragique chance par deux bons Adeurs, & accompagne par un veritable Orcheftre fans en etre actendri 5 s’ii a pu d’uns ■Tome. I S *74 Lettre StTR ri ceil fee affifter aux Adieux de Mandane & d’Ar* bace, je le tiens digne de pleurer a ceux da Lybie & d’Epaphus. Mais fans infifter fur les Duo tragiques, gen¬ re de Mufique dont on n’a pas raeme l’idee a Paris , je puis vous citer un Duo comique qui y eft connu de tout le rnonde , & je le citerai har- diraent commeun modele de chant, d’unite de melodie, de dialogue & de gout, auquel, fe¬ lon moi, rien ne manquera , quand il fera bien execute, que des Auditeurs quifachent 1’enten¬ dre : e’eft celui du premier a&e de la Serva Pa- drona , Lo conofco a quegl’ occkietti , &c. J’avoue que peu de Muficiens Francois- font en etat d’err fentir les beautes, & je dirois volontiers du Per- golefe, comme Ciceron difoit d’Homere, que e’eft deja avoir fait beaucoup de progres dans^ FArt, que de fe plaire a fa ledlure. J’elpere, Monfieur, que vous me pardonne- rez la longueur de cet article, en faveur de fe nouveaute, & de l’importance de fon objet. J’ai cru devoir m’etendre un peu fur une regie aulE elfentielle que celle de l’unite de melodie; re¬ gie dont aucun Theoricien , que je fache , n’a parle jufqu’a ce jour; que les Compofiteurs Ita- liens ont feuls fentie & pratiquee , fans fe dou¬ rer, peut-etre , defon exiftence; & de laquel- le dependent la douceur du chant, la force da Fexpreffion, & prefque tout le charme de 1® luonne Mufique. Avant que de quitter ce fujet > M U S I Q.U E F R. A N q O I S E. fl7f il me refte a vous montrer qu’il en relulte de nouveaux avantages pour l’harmonie meme, aux depens de laqudle je femblois accorder tout Pa- vantage a la melodie; & que Pexpreffion du chant donne lieu a celle des accords en forqant le Compollteur a les menager. Vous reifouvenez-vous, Monfieur , d’avoir entendu quelquefois dans les Intermedes qu’on nous a donnes cette annee , le fils de PEntrepre- neur Italien, jeune enfant de dix ans au plus , accompagner quelquefois aPOpera? Nous fumes frappes des le premier jour , de l’effet que produi- foit fous fes petits doigts , Paccompagnement da Clavecin; & tout le fpedacle s’apperqut a fon jeu precis & brillant que ce n’etoit pas PAccompa- gnateur ordinaire. Je cherchai auffi-tot les raifons de cette difference, carjene doutois pas que le fieur Noblet ne fut bon harmonifte & n’accom- pagnat tres-exadement: mais quelle fut ma fur- prife en obfervant les mains du petit bon hom- me , de voir qu’il ne remplilfoit prefque jamais les accords , qu’il fupprimoit beaucoup de Tons, & n’employoit tres-fouvent que deux doigts, dont Pun fonnoit prefque toujours l’odave de Pi Baife ! Quoi! difois-je en m of meme, Pharmo- ni'e complette fait moins d’efiet que l’harmonie mutilee, & nos Accompagnateurs , en rendant tous les accords pleins , ne font qu’un bruit con- fas, tandis que celul-ci avec moins de fons fait plus d’harmonie , ou du moins, rend fon ateom- S 2 2 76 L E T T R E S t R. E A pagneroefit plus fenfible & plus agreable ! GedT fut pour moi un probleme inquietant, & j’en compris encore mieux toute {’importance, quand apres d’autres obfervations je vis que les Italiens accompagnoient tous de la meme inaniere que le petit Bambin , & que , par confequent, cette e'pargite dans leur accompagnement devoir tenir au meme principe que eelle qu’ils afferent dans leurs partitions. Je comprenois bien que la Baffe etant le fort- dement de toute 1 harmonie, doit toujours do- miner fur le refte , & que quand les autres par¬ ties l’etouffent ou la couvrent, il en refulte une eonfufion qui pent rendre l’harmonie plus four- de; & je m’expliquois ainli pourquoi les Ita¬ liens , II economies de leur main droite dans Fac- compagnement, redoublent ordinairement d la gauche l’odave de la baffe; pourquoi ils met- tent tant de Contre-baffes dans leurs Orcheftres j & pourquoi ils font fi fouvent marcher leurs quintes (q) avec la Baffe, au lieu de leur don- ner une autre partie, comme les Francois ne manquent jamais de faire. Maisceci, qui pou- voit rendre raifon de la nettete des accords » ( q) On pent remarquer d l’Orcheftre de notre Opera que dans la Mufique Italienne les quintes no jouent prefque jamais leur partie quand elle elt a l’oftave de la Bade; peut-etre ne daigne-t-on pas meme la cnpier en parei! cas. Ceux qui conduifent 1’Orcheftre igtioreroient-ils que ce de- faut de liaifon entre la Baffe & le Deffus rend l’harmoeie fcrop feche? Mu si q_u'e Framboise. 277 rs’en rendoit pas de leur energies, & je vis bien- t6t qu’il devoit y avoir quelque principe plus cache & plus fin de 1’expreffion que je remars, quois dans la'fimplicite de l’harmonie Italienne, tandis que je trouvois la notre li compofee , li froide & fi languifTante. Je me fouvins alors d’avoir lu dans quelqvte ouvrage de M. Rameau , que chaque confonan- ce a fon caradere particular , c’eft-a dire , une maniere d’affeder Fame qui lui eft propre ; que I’effet de la tierce n’eft point le meme que ce- lui de la quinte, ni l’effet de la quarte le fne- me' que celui de la fixte. De meme les tierces & les fixtes mineures doivent produire des af- fedions differentes de celles que produifent les tierces & les fixtes majeures ; & ces faits une fois accordes, il s’enfuit aflez evidemment que les dilTonances & to us les intervalles pofiibles feront aufii dans le meme cas. Experience que la raifon confirme , puifque toutes les-fois que les rapports font differens, l’impreffion ne fcau- roit etre la meme. Or, me difois-je a moi-meme, en raifonnant d’apres cette fuppofition , je vois clairement que deux confonances ajoutees l’une a l’autre mal-a-propos, quoique felon les regies des ac¬ cords , pourront, meme en augmentant l’har- monie, afFoiblir mutuellement leur effet, le combattre, ou le partager. Si tout 1’eiFet d’une quinte nr eft neceiiaire pour l’expreffion dom S a 278 Lettre sur la j’ai befoin, je peux rifquer d’affoiblir cette ex- preflion par un troifieme foil, qui divifant cette quinte en deux autres intervalles , en modifiera lieceffairement l’effet par celui des deux tierces dans lefquelles je la refous ; & crs tierces me- rae , quoique le tout enfemble falfc une fort bonne harmonie , etant de differente efpece , peuvent encore nuire mutuellement a fimpref- fion l’une de Fautre. De meme, fi Fimpreilion jGmultanee de la quinte & des deux tierces m’e- toit neceffaire, j’affoiblirois & j’altererois mal-a- propos cette impreflion , en retranchant un des trois tons qui en torment l’accord. Ce raifonne- ment devient encore plus fenfibie, applique a la diffonance. Suppofons cue j’aie befoin de toute 3a. durete du trito-n , ou de toute la fadeur. de la fauife quinte; opposition, pour le dire en paf- fant, qui prouve combien les divers renverfe- juens des accords en peuvent changer l’effet; 31 dans une telle circonitance, au lieu de porter a l’oreille les deux uniques Tons qui forment la diffonance , je m’avife de remplir faccord de tons ceux qui lui conviennent, alors j’ajoute au triton la feconde & la fixte , & a la fauffe quin¬ te la fixte & la tierce, c’eft-a-dire, qu’introdui- fant dans chacun de ces accords une nouvelle diffonance, j’y introduis en meme terns trois confonances , qui doivent lieceffairement en temperer & affoiblir 1’eiFet, en rendant un de ees accords moins fade & l’autre moins dur. Mcsi Q_u e Francois e. 279 Ceft done un principe certain & fonde dans la nature, que toute Mufique 011 Pharmonie eft fcrupuleufement remplie , tout accompagnement, ou tous les accords font complets , doit faire beaucoup de bruit, mais avoir tres-peu d’expref- fion : ce qui eft precifement le caradtere de la Mufique Franqoife. II eft vrai qu’en menageant les accords & les parties, le choix devient dif¬ ficile & demande beaucoup d’experience & de gout pour le faire toujoursj a propos; mais s’il y a une regie pour aider au Compofiteur a fe bien. conduire en pareille occafion, c’eft certai- nement celle de l’unite de melodie que j’ai ta- cfie d’etablir ; ce qui fe rapporte au cara&ere de la Mulique Italienne , & rend raifon de la douceur du chant jointe a la force d’expreffion qui y regnent. II fuit de tout ceci, qu’apres avoir bien ctu- die les regies elementaires de Pharmonie, le Muficien ne doit point fe hater de la prodiguer inconfiderement, ni fe croire en etat de com- pofer parce qu’il fqait remplir des accords; mais qu’il doit, avant que de mettre la main a l’oeu- vre, s'appliquer a l’etude beaucoup plus longue & plus difficile des impreffions diverfes que les confonances, les diffonances & tous les accords font fur les oreilles fenfibles , & fe dire fouvent a lui-meme, que le grand art du Compofiteur ne confide pas moins a fqavoir difcerner dans Poc- cafion les foils qu’011 doit fupprimer, que ceux S4 2 8o Lettre sue la dont il faut faire ufage. C’eft en etudiant & feuil-f letant fans ceife les chefs-d’ocuvres d’ltalie qu’il apprendra a faire ce choix exquis , fi la nature lui a donne aflez de genie & de gout pour en fentir la neeeilitc ; car les difficultes de l’art ne fe lailfent appercevoir qu’a ceux qui font faits pour les vaincre, & ceux la ne s’aviferont pas de compter avec mepris les potties vuides d’u- lie partition, mais voyant la facilite qu’un Eco- Her auroit cue a les remplir, ils foupqonneronfc & chercheroot les raifons de cette limplicite trompeule . d’autant plus admirable , quelle ca¬ che des prodiges fous une feinte negligence , & que 1 'arte che tuttofa , nulla fi fcuopre. Voila, a ce qu’il me femble , la caufe des ef- fets furprenans que produit fharmonie de la Mu- fique Italienne, quoique beaucoup moins char¬ gee que la notre, qui en produit fi peu. Ce qui ne fignifie pas qu’il ne faille jamais remplir J’harmonie, mais qu’il ne faut la remplir qu’a- vec choix & . difcemement > ce n’eft pas non plus a dire que pour ce choix le Muficien foit oblige de faire tous ces raifonnemetis, mais qu’il en doit fentir le refultat. C’eft a lui d’avoir du genie & du gout pour trouver les chofes d’ef- fet j c’eft au Theoricien a en chercher les cau- fes & a dire pourquoi ce font des chofes d’eifet. Si vous jettez les yeux fur nos compofitions modernes , fur-tout fi vous lesecoutez, vous reconnoitre;? bien-tot que nos Muficiens ont fi M’ U S I Q_U E F R A N q o I S E. 2,frf ma! compris tout ceci, que , s’efforqant d’arri- ver au meme but, ils out diredlement fuivi la route oppofee; 8c s’il m’ell permis de vous dire nature lement ma penfee, je trouve que plus no¬ ire Mufique le perfedtionne en anparence, & plus elle fe gate en effet. II etoit peut-etre ne- ceflaire qu’elle vint au point ou elle ell , pour accoutumer infenfiblement nos oreilles a rejec¬ ter les prejuges del’habitude, & a gouter d’au- tres airs que ceux dor.t nos Nourrices nous ont .endormis; niais je prevois que pour la porter autres-mediocre degre de bonte dont elle eftfuf- eeptible , il faudra tot ou tard commence! parre- defcendre ou remonter au point oil Lully l’avoit mife. Convenons que l’harmonie de ce celebre Muficien eft plus pure & meins renverfee , que Fes Baifes font plus naturelles & marchent plus rondement, que fon chant eft mieux fuivi, que fes accompagnemetis moins charges nailfent mieux du fujet & en fortent moins, que fon re- citatif ell beaucoup moins maniere , & par con- fequent beaucoup meilleur que le notre; ce qui fe conftrme par le gout de 1’execution: car l’an- cien recitatif etoit rendu par les Adleurs de ce tems-la tout autrement que nous ne faifons au- jourdliui; il etoit plus vif & moins trainantj on le chantoit moins , 8c on le declamoit davan- tage. (r) Les cadences, les ports-de-voix fe [t-] Ceh fe prouve par k dure'e des Opera de Lolly,, fcsaucoup plus grande aujourd’bni que de fon temps , S f Zt2 L E T T R E S U R Li font multiplies dans !e notre; il eft devenu en¬ core plus languilfimt, & i’on n’y trouve prefque plus rien qui le diftingue de ce qu’il nous plait d’appeller air. Puifqu’il eft queftion d’airs & de recitatifs , vous voulez bien, Monfieur, que je termine cette Lettre par quelques obfervations fur l’un & fur l’autre, qui deviendront peut-etre des e- clairciifemens utiles a la folution du probieme dont il s’agit. On peut juger de l’idee de nos Muliciens fur la conftitution d’un Opera, par la fmgulari- te de leur nomenclature. Ces grands morceaux de Mufique Italienne qui raviifent 5 ces chefs- d’oeuvres de genie qui arrachent des larmes , qui offrent les tableaux les plus frappans , qui pei- gnent les fituations les plus vives, & portent dans fame toutes les paffions qu’ils expriment, les Francois les appellent des ariettes. Ils don- nent le 110m d 'airs a ces inlipides chanfonnettes, dont ils entre-melent les fcenes de leurs Opera, & refervent celui de monologues par excellence a ces trainantes & ennuyeufes lamentations , a, qui il ne manque pour alfoupir tout le monde, que d’etre chantees jufte & fans cris. Dans les Opera Italiens tous les airs font en felon le rapport uuanime de tous ceux qui les ont viis anciennement. Auffi toutes les fois qu’on reilonne ces, Opera eli-oa oblige d’y faire des retranchemens confide- rabies- Musi que Francois e. 283 fituation & font partie des fcenes. Tant6t c’eft un pere defefpere, qui croit voir l’ombred’un fils qu il a fait mourir injuftement, lui reprocher fa cruaute : tantot c’eft un prince debonnaire, qui', force de donner un exemple de feverite, de- mande aux Dieux de lui oter l’empire, ou de lui donner un cccur moins fenfiblc. Ici c’eft une mere tendre, qui verfe des larmes en retrouvanc fou fils qu’eile croyoit mort. La, c’eft le lan- gage de l’amour , non rempli de ce fade & pue¬ rile galimatias de flammes & de chaines, mais tragique , vif, bouillant , entrecoupe, & tel qu’il convient aux pailions impetueufes. C’eft fur de telies paroles qu’il fied bien de deployer tou- tes les richelfes d’une Mufique pleine de force & d’exprelfion, & de rencherir fur 1’energie de la Poelie par celle de l’harmonie & du chant. Au contraire, les paroles de nos ariettes tou- jours detachees du fujet, ne font qu’un mifera- ble jargon emmielle, qu’on eft trop heureux de ne pas entendre: c’eft une colledion faite au hazard du tres-petit nombre de mots fonores que notre langue peut fournir , tournes & retournes de toutes les manieres , excepte de celle qui pourroit leur donner du fens. C’eft fur ces im- pertinens amphigouris que nos Muliciens epuL fent leur gout & leur fcavoir, & nos Adleurs leurs geftes & leurs poumons; c’eft a ces mor- ceaux extravagans que nos femmes fe pament d’admiration j & la preuve la plus marquee que 284 Lettke sur la la Mufique Francoife ne fqait lii peindre ni par-i ler, c’eft qu’elle ne peut developper le peu de beautes dont elle eft fufceptibie, que fur des pa¬ roles quine fignifient rien. Cependant, a entendre les Francois parler de Mufique , on croiroit que c’eft dans leurs Opera qu’elle peint de grands ta¬ bleaux & de grandes paffions , & qu’on ne trou- ve que des ariettes dans les Opera Italiens , ou le nom nieme d’ariette & la ridicule chofe qu'il exprime font egalement inconnus. II ne faut pas etre furpris de la groflierete de ces prejuges: la Mufique Italienne n’a d'ennemis , raeme parmi nous , que ceux qui n'y connoiflent rien; & tousles Francois qui out tente de l’etudier, dans le feul deffein de la critiquer en connoiflance de caufe , ont bien- tot ete fes plus zeles admi- rateurs (r). Apres les ariettes, qui font a Paris le triom- phe du gout moderne , viennent les fameux mo¬ nologues qu’on admire dans nos anciens Opera : fur quoi Ton doit remarquer que nos plus beaux airs font toujours dans les monologues & jamais dans les fcenes , parce que nos Acfteurs n’ayant aucun jeu muet, & la Mufique n’indiquant au- ^un gefte & ne peignant aucune fituation , celui (j) C’eft nn prejuge peu favorable a la Mufique Frnn- qoife, que ceux qui la meprifent le plus foient precifo- nient ceux qui la connoiflent le mieux : car elle eft audit ridicule quanii on l’examine , qu’infupportable quand out I'e'coute. M U S I Q.U E F R A N q O I S E. 28<{ qui garde le lilence ne fcait que faire de la per- fonne , pendant que l’autre chante. Le cara&ere trainant de la langue, le peu de flexibility de nos voix, & le ton lamentable qui regne perpetuellement dans notre Opera, mettent prefque tous les monologues Franqois fur un mouvement lent; & comme la mefure ne s’y fait fentir ni dans le chant, ni dans la Baf- fe, ni dans l’accompagnement, rien n’eft li trainant, li lache , li languiffant que ces beaux monologues que tout le monde admire en Mil- lant •, ils voudroient etre trifles & ne font qu’en- nuyeux•, ils voudroient toucher le coeur & ne font qu’affliger les oreilles. Les Italiens font plus adroits dans leurs Ada¬ gio : car lorfque le chant eft li lent, qu’il feroit & craindre qu’il lie laiflat aflfoiblir l’idee de la mefure, ils font marcher la Bade par notes ega- les qui marquent le mouvement, & l’accompa- gnement le marque auffi par des fubdivilions de notes , qui foutenant la voix & l’oreille en me¬ fure , ne rendent le chant que plus agreable & fur tout plus energique par cette precilion. Mais la nature du chant Francois interdit cette ref- fource a nos Compofiteurs: car des que l’Ac- teur feroit force d’aller en mefure , il ne pour- roit plus developper fa voix ni fon jeu , trainer fon chant, render, prolonger les fons , ni crier a pleine tete , & par confequent il ne lerois plus applaqdi, 2$6 Lettre sur la Mais ce qui previent encore plus efficace- ment la monotonie & l’ennui dans les Trage¬ dies Italiennes , c’eft l’avantage de pouvoir ex- primer tous les fentimens & peindre tous les caraderes avec telle mefure & tel mouvement qu’il plait au Compofiteur. Notre melodie, qui ne dit rien par elle-meme , tire toute Ton ex- preffion du mouvement qu’on lui donne; elle ell forcement trille fur line mefure lente , furieufe ou gaye fur un mouvement vif, grave fur un mouvement modere: le chant n’y fait prefque rien, la mefure feule, ou, pour parler plus jufte, le feul degre de viteife determine le ca- radere. Mais la melodie Italienne trouve dans chaque mouvement des expreffions pour tous les caraderes, des tableaux pour tous les objets- Elle eft, quand il plait au Muficien, trifle fur un mouvement vif, gaye fur un mouvement lent, & comme je l’ai deja dit, elle change fur le meme mouvement de caradere au gre du Compofiteur; ce qui lui donne la facilite des contraftes , fans dependre en cela du Poete & fans s’expofer a des contrefens. Voila la fource de cette prodigieufe variete que les grands Maitres d’ltalie fcavent repandre dans leurs Opera, fans jamais fortir de la na¬ ture : variete qui previent la monotonie, la lan- gueur & l’enaui, & que les Muficiens Francois ne peuvent imiter, parce que leurs mouvemens. font donnes par le fens des paroles, & qu’ils M V S I Q.U E F R A N g O 1 S E. 2 87 font forces de s’y tenir, s’ils ne veulent tom- ber dans des contrefens ridicules. A l’egard du recitatif, dont il me refte a pavler , il femble que pour en bien juger il fau- droit une fois fqavoir precifement ce que c’eft; car jufqu’ici je ne fqache pas que de tous ceux qui en out difpute, perfonne fe foit avife de le definir. Je ne fcais, Monfieur , quelle ideevous pouvez avoir de ce mot; quant a moi, j’appel- le recitatif une declamation harmonieufe; c’eft- a-dire, une declamation dont toutes les infle¬ xions fe font par intervalles harmoniques. D’ou il fuit que comme chaque langue a une declama¬ tion qui lui eft propre , chaque langue doit auffi avoir fon recitatif partieulier ; ce qui n’empeche pas qu’on ne puiiTe tres-bien comparer un reci¬ tatif a un autre, pour fcavoir lequel des deux eft le meilleur, ou celui qui fe rapporte le mieux a fon objet. Le recitatif eft necelfaire dans les drames ly- riques, i. Pour lier l’adbion & rendre le fpedtacle un. 2. Pour faire valoir les airs, dont la con- tinuite deviendroit infupportable. 3. Pour ex¬ primer une multitude de chofes qui ne peuvent ou ne doivent point etre exprimees par la Muli- que chantante & cadencee. La Ample declama¬ tion ne pouvoitconvenir a tout eela dans'un ou- vrage lyrique , parce que la tranfition de la pa¬ role au chant, & fur-tout du chant a la parole, a une du.rete a laquelle 1’oreille fe prete diffici- S88 Lettre sur la lemetit, & forme un contrafte choquant qui d£- truit toute filiufion , & par confequent l’inte- xet; car il y a line forte de vraifemblance qu’il faut conferver , merae a l’Opera , en rendant le difcours tellement uniforme, que le tout puilfe etre pris au moins pour une langue hypotheti- que. Joignez a ce!a que le fecours des accords augmente Fenergie de la declamation harmonieu- fe, & dedommage avantageufement de ce qu’el- le a de moins naturel dans ies intonations. II eft evident, d’apres ces idees , que le meil- leur recitatif, dans quelque Langue quecefoit, fi elle a d’ailleurs les conditions neceffaires , eft celui qui approche le plus de la parole. S’il y en avoit un qui en approchat tellement, en con- fervant Fharmonie qui lui convient, que l’oreil- le ou l’efprit put s’y tromper, on devrcit pro- noncer hardiment que celui-la auroit atteint tou- te la perfedion dont aucun recitatif puifle etre lufceptible. Examinons maintenant fur cette regie ce qu’on appelle en France, recitatif, & dites-moi, je vous prie, quel rapport vous pouvez trouver en- tre ce recitatif & notre declamation ? Comment concevrez-vous jamais que la Langue Francoife, dont l’accent eft fi uni, i! fimple , li modefte , ft peu chantant, foit bien rendue par les bruyan- tes & criardes intonations de ce recitatif, & qu’il y ait quelque rapport entre les douces in¬ flexions de la parole & ces foils foutenus & ren 7 flesj M v s i Q.U e Francois e.' jggi fl.es, ou plutot ces cris (kernels qui foil tie tiiTii de cette partie de liotre Mufique , encore plus meme que des airs ? Faites , par exemple, re¬ citer a quelqu’un qui fache lire , les quatre pre¬ miers vers de la fameufe reconnoiflance d’lphi—' genie. A peine reconnoitrez - vous quelques le- geres inegalites , quelques foibles inflexions da voix dans un recit tranquille , qui n’a rieti da vif ni de paffionne , rien qui doive engager cel- le qui le fait a clever ou abailfer la voix. Fai¬ tes enfuite reciter par une de nos A&rices ces mernes vers fur la note du Muficien , & tachez , li vous le pouvez , de fupporter cette extrava- gante criaillerie, qui palfe .a chaque inftant de bas en haut & de haut en bas , parcourufans fujet toute l’etendue de la voix, & fufpend le recit hors de propos pour filer de beaux fans fur des fyllabes qui ne fignifient rien , & qui ne for- ment aucun repos dans le fens ! Qu’on joigne a cela les fredons, les caden¬ ces , les ports-de-voix, qui reviennent a chaqua inftant, & qu’on me dife quelle analogie il peufc y avoir entre la parole & toute cette mautfade pretintaille , entre la declamation & ce pretendu recitatif? qu’on me montre au moins quel- que cote par lequel on puifle raifonnablement; vanter ce merveilleux recitatif Francois dent 1’invention fait la gloire de Lully ? C’eft une chofe alfez plaifante que d’enteru 1 dre les Partifans de la Mufique Franqoife fe re- 1 Tome l, X 290 £ E T T R E S TJ R LA trancher dans le caradtere de la Langue , & ts~ jetter fur elle des defauts dont ils n’ofent acctH fer leur idole, tandis qu’il eft de toute eviden¬ ce que le meilleur recitatif qui peut convenir a la langue Francoife doit etre oppofe prefque en tout a celui qui y eft en ufage: qu’il doit rou- ler entre de fort petits intervalles , n’elever ns ft’abailfer beaucoup la voix , peu de fons foute- nus ; jamais d’eclats , encore moins de cris , rien fur-tout qui relfemble au chant, peu d’inegali- te dans la duree ou valeur des notes , ainfi que dans leurs degres. En unmot le vrai recitatif Francois, s’il peut y en avoir un, ne fe trou- vera que dans une route direci.ement contraire a celle de Lully & de fes fuccelfeurs; dans quel- que route nouvelle qu’alfurement les Compoli- teurs Francois, fi fiers de leur fauxlavoir, & par confequent ii eloignes de fentir & d’ai- mer le veritable; ne s’aviferont pas de cher- cher Ii-t6t, & que probablement ils ne trouve- jont jamais. Ce feroit ici le lieu de vous montrer par l’exemple du recitatif Italien , que toutes les conditions que j’ai fuppofees dans un bon reci¬ tatif, peuvent en effet s’ytrouver; qu’il peut avoir a la fois toute la vivacite de la declama¬ tion , & toute l’energie de l’harmonie; qu’il peut marcher auffi rapidement que !a parole , & fetre auffi melodieux qu’un veritable chant; qu’il peut marquer toutes les inflexions dont les pa£ MtlSlQ_UE fit AN CO IS E. 2?E /ions les plus vehementes animent le difcours, fans forcer la voix du chanteur , ni etourdir les oreilles de ceux qui ecoutent. Je pourrois vous montrer comment, a l’aide d’une marche fon- damentale particuliere, oil peut multiplier les modulations du recitatif d’une maniere qui lui foit propre , & qui contribue a le diftinguer des airs , ou, pour conferver les graces de la melo- die , il faut changer de ton moins frequemment; comment fur-tout, quand on veut donner a la palfion le terns de deployer tous fes mouve- mens , on peut, a l’aide d’une fymphonie habi- lement menagee , faire exprimer a I’Orcheftre, par des chants pathetiques & varies, ce que l’Ac- teur lie doit que reciter : chef-d’oeuvre de fare du Muiicien , par lequel il fqait, dans un recita¬ tif oblige (t ), joindre la melodie la plus tou- chante a toute la vehemence de la declamation, fans jamais confondre l’une avec 1’autre: je pourrois vous deployer les beautes fans nombre de cet admirable recitatif, dont on fait en Fran¬ ce taut de contes auffi abfurdes que les jugemens qu’on s’y mele d’en porter; comme liquelqu’un pouvoit prononcer fur un recitatif, fans connoi- CO J’avols efpere que le Sienr CafFarelli nous ilonne- roit, au Concert Spirituel , quelqne morceau de grand recitatif & de chant pathetique, pour faire entendre une fois aux pretendus Connoirfeurs ce qil’ils jugent depv.is C longtems; mais fur fes radons pour n’en rien faire, j’at trouve qu’il connoiffoit encore inieu.X que m oi la portes de fes Auditeurs, T % 5jJ2 L E T T R E S ti R L A tre a fond la langue a laquelle il eft propres Mais pour entrer dans ces details il faudroit, pour ainli dire, creer un nouveau Didionnaire , inventer a chaque inftant des termes, pour of- frir aux lcdeurs Francois des idees inconnues parmi eux, & leur tenir des difcours qui leur paroitroient du galimatias. En un mot, pour en etre compris il faudroit leur parler un langage qu’ils entendiflent, & par confequent de fcien- ce & d’arts de tout genre, excepte la feule Mu- flque. Je n’entrerai done point fur cette matiere dans un detail affede qui ne ferviroit de rien pour rinftrudion des Ledeurs, & fur lequel ils pourroient prefumer que je ne dois qu’a leur ignorance en cette partie la force apparente de mes preuves. Par la rneme raifon je ne tenterai pas non plus le parallele qui a ete propofe cet hyver, dans un Ecrit adre/Te au petit Prophete & a fes adverfaires, de deux morceaux de Mufique, l’un Italien & l’autre Franqois , qui y font indi- ques. La feene Italienne confondue en Italie avec mille autres chefs - d’eeuvres egaux ou fupe- rieurs, etant peu connue a Paris , peu de gens pourroient fuivre la comparaifon, & il fe trou- veroit que je n’aurois parle que pour le petit nombre de ceux qui favoient deja ce que j’avois a leur dire. Mais quant a la feene Francoifb j’en crayonnerai volontiers l’analyfe avec d’au-. I'int plus de plaiflr, qu’etant le morceau conf^ IVJ u s I q. 7 j E Franco iie.’ Sff ir-e dans la Nation par les plus unanimes fuffra- ges, je n’aurai pas a craindre qu’on m’accufe d’avoir mis de la partialite dans le choix, ni d’avoir voulu fouftraire mon jugement a celui des Lecteurs par un fujet pen connu. Au rede , comme je ne puis examiner cs morceau fans en adopter le genre, au moins par hypothefe, c’ed rendre i la Mufique Franqoife tout l’avantage que la raifon m’a force de lui oter dans le cours de cette Lettre; c’ed la ju- ger fur fes propres regies ; de forte que quand cette fcene feroit aulli parfaite qu’on le pretend » on n’en pourroit conclure autre chofe finon que c’ed de la Mufique Francoife bien faite , ce qui n’empecheroit pas que !e genre etant demontre flrauvais, ce lie futabfolument de mauvaife Mu- iique ; il ne s’agit done ici que de voir fi Foil peut Fadraettre pour bonne , au moins dans foil genre. Je vais pour cela tacher d’analyfer en peu de ffiots ce celebre monologue d’Armide , enjin il eft en ma puijfancc, qui palfe pour un chef- d’oeuvre de declamation, & que les maitres donnent eux - memes pour le modele le plus par- fait du vrai rccitatif Franqeis. Je remarque d’abord, que M. Rameau l’a ci¬ te avec raifon en cxemple d’une modulation ex- adle & tres-bien liee: mais cet eloge applique au morceau dont il s’agit, devient une veritable fatyre, & M. Rameau lui - meme fe feroit bien J 2 294 Lettre «ur la garde de meriter une femblable louange en pa- reil cas: car que peut - on penfer de plus mal cenqu que cette regularite fcolaltique dans une flene ou l’emportement, la tendreffe & le con- trafte des pailions oppofees mettent l’Adrice & les Spedateurs dans la plus vivo agitation ? Ar- mide furieufe vient poignarder fon ennemi. A fon afped , elle hefite ; elle fe laiife attendrir, Ie poignard lui tombe des mains; elle oublie tous fes projets de vengeance, & n’oublis pas •un feul inftantfa modulation. Les reticences, les interruptions, les tran fit-ions intelleduelies que le Poete offroit au Muficien n’ont pas ete une feule fois faifies par celui-ci. L’Hero'ine finit par adorer celuiqu’elle vouloit egorger au commen¬ cement; le Muficien finit en E-fi-mi cornme il avoir commence, fans avoir jamais quitte les cordes les plus analogues au ton principal, fans avoir mis une feule fois dans la declamation de 1’Adrice la moindre inflexion extraordinaire qui fit foi de l’agitation de fon ante, fans avoir donne la moindre expreiEon a l’harmonie : me epreuve fuffifante du talent du Muficien ; quand on la trouve fur le meme ton , fur les memes notes qu eje le ha'ijfe, il eft bien diffici¬ le de ne pas fentir combien Lully etoit peu ca¬ pable de raettre de la Muflque fur les paroles du grand homme qu’il tenoit a fes gages. A fegard du petit air de guinguette qui eft: a la fin de ce monologue, je veux bien confen- tir a n’en rien dire, & s’il y a quelques amateurs de la Mufiqne Francoife qui connoilfent la fcene Italienne qu’on a rnife en parallele avec celle- ci, & fur-tout fair impetueux, pathetique & tragique qui la termine , ils me fcauront gre fans doute de ce filence. Pour refumer en peu de mots mon fentiment fur le celebre monologue , je dis que li on l’en- vifage comme du chant , on n’y trouve ni me- fure , ni caradere, ni melodie : ft Ton veut que ce foit du recitatif, on n’y trouve ni naturel ni expreffion ; quelque nom qu’on veuille lui don- ner , on le trouve rempli de fons files, de tril- les & autres ornemens du chant, bien plus ridi¬ cules encore dans une pareille fituation qu’ils ne le font communement dans la Muflque Franqoi- fe. La modulation en eft reguliere j mais pue¬ rile par celameme, fcolaftique , fans energie , fans affedion lenfible. L’accompagnement s’y borne a la Balfe - continue, dans une fituation oil toutes les puilfances de la Muflque doivent |tre deployees 3 & cette Balfe eft plutdt csl)e $02 Lettre sur la qu’on feroit mettre a un Ecolier fous fa leqoft de Mufique , que raccompagnement dune vive fcene d’Opera, dont l’harmonie doit etre choi¬ ce & appliquee avec un difcernement exquis * pour rendre la declamation plus fenfible & l’ex- preffion plus vive. En un mot, fi 1 ’on s’avifoit d’executer la Mufique de cette fcene fansyjoin- dre les paroles, Ians crier ni gelliculer, il ne feroit pas poffible d’y rien demeler d’analoguea la fituation qu’elle veutpeindre & auxfentimens qu’elle veut exprimer , & tout cela ne paroitroit qu’une ennuyeufe fuite de fons modulee au ha¬ zard & feulement pour la faire durer. Cependant ce monologue a toujours fait, & je ne doute pas qu’il ne fit encore un grand ef- fet au theatre, parce que les vers en font ad- mirables & la fituation vive & intereifante, Mais fans les bras & le jeu de 1’Adrice, je fuis perfuade que perfonne n’en pourroit fouffrir le recitatif, & qu’une pareille Mufique a grand be- i'oin du fecours des yeux pour etre fupportable aux oreilles. Je crois avoir fait voir qu’il n’y a ni mefure ni melodie dans la Mufique Francoife, parce que la langue n’en eft pas fufceptible; que le chant Franqois n’eft qu’un aboyement continue!, infupportable a toute oreille non prevenue; que l’harmonie en eft brute , fans expreifion , & fen- tant uniquement fon remplilfage d’Eco ier; que les airs Franqois ne font point des airs; que ie M v s I Q_U E Francoise. 3Cg recitatif Franqois n’eft point da recitatif. D’our je conclus queles Franqois n’ont point deMufi- que & n’en peuvent avoir ; ( x ) ou que fi jamais ils en ont une, ce fera tant pis pour eux. Je fuis, &c. (*) Je n’appelle pas avoir une Mufiqne, que d’emprunter celle d’une autre langue pour tftcher de l’appliquer a la lien- ne, & j’aimerois mieux que nous gardaffions notre mauffade & ridicule chant, que d’afiocier encore plus ridiculement la melodie Italienne ala langue Franqoife. Ce degoutant aflem- blage , qui pent - etre fera deformais l’etude de nos Muficiens , eft trop monftrueux pour etre admis, & le carafleve de notre langue ne s’y pretera jamais. Tout au plus quelques pieces comiques pourront - elles paffer en faveur de la fymphonie; mais je predis hardiment que le genre tragique ne fera pas meme tente. On a applaudi eet ete a 1’Opera comique l’ouvrage d’un homme de talent, qui paroit avoir ecoute la bon¬ ne Muiique avec de bonnes oreilles, & qni en a traduit le genre en Franqois d’auffi pres qu’il etoit pollible ; fes ac- compagnemens font bien imites fans etre copies, & s’il n’a point fait de chant, c’eft qu’il n’eft pas pollible d’en faire. Jcunes Muficiens qui vous fentez du talent , continuez de meprifer en public la Muiique Italienne ; je fens bien .’que votre interet prefent l’exige ; mais hetez - vous d’etudier era particulier cette langue & cette Muiique, fi vous voulez pou- voir tourner un jour contre vos Camarades le dedain que vous affe&ez aujourd’hui contre vos Maitres, £c4 Extrait d’uhe Lettre 3(^9 o^« c^oa^sf^r'/s^oc^oc^aa^ac^io^oo^f EXT1AIT jD’/me Lettre de M. Roujfeau , a M.. ,<,1 Sur les Ouvrages de M. Rameau. ^E voudrois d’abord tacber de fixer, a pen pres , l’idee qu’un homme raifonnable & Impar¬ tial doit avoir des ouvrages de M. Rameau ; car je compte pour rien les clabauderies des cabales pour & contre. Quant a moi, }’en pourrai mal juger par dcfaut de lumieres ; mais ll la raiforr ne fe trouve pas dans ce que j’en dirai, l’im- partialite s’y trouvera furement, & ce fera tou- jours avoir fait le plus difficile. Les ouvrages theoriques de M. Rameau out ceci de fort fingulier, qu’ils out fait une grande fortune fans avoir ete lus , & ils le feront bien Moins deformais, depuis qu’un Philofophe (a) a pris la peine d’ecrire le fommaire de la doc¬ trine de cet Auteur. II eft bien fur que cet a- brege aneantira les originaux, & avec un tel de- dommagement on n’aura aucun fujet de les re- gretter. Ces differens ouvrages ne renfermeut rien de neuf ni d’utile , que le principe de la Baffe (a) M. d’Alembert DE M. R.OUSSEAU, A M. ..r. 50f Bafle fondamentale (b) : mais ce n’eft pas peu de chofe que d’avoir dofine un principe, fut-il meme arbitraire, a un Art qui fembloit n’ea point avoir, & d’en avoir tellement facilite les regies, quel’etude de la composition, qui etoit autrefois line aifaire de vingt annees , eft a pre- fent celle de quelques mois. Les Muficiens ont faili avidement la decouverte de M. Rameau, en affecftant de la dedaigner. Les Eleves fe font multiplies avec une rapidite etonnante; on n’a vu de tous cotes que petits Compofiteurs de deux jours, la plupart fans talens, qui faifoient les docfteuts aux depens de leur maitre ; & les fer- vices tres reels, tres-grands & tres-folides que M. Rameau a rendus a la Mufique, ont en me¬ me terns amene cet inconvenient, que la Fran¬ ce s’eft trouvee inondee de mauvaife Mufique & de mauvais Muficiens 3 par ce que chacun croyant" connoitre toutes les fineifes de l’Art, des qu’il en a fqu les elemens, tous fe font meles de faire de fharmonie, avant que l’oreille & l’experience leur eulfent appris a difcerner la bonne. A l’egard des Opera de M. Rameau, on leur a d’abord cette obligation, d’avoir les pre¬ miers eleve le Theatre de l’Opera au deifus des Treteaux du Pont - Neuf. II a franchi hardi- (4) Cc n’eft point par oubli pie je ne dis rien ici do pretendu principe phyinjue de I’liarmonie. V •r-'-i Tome I. 3oG E X TR A I T d’UN E LET T R E ment le petit cercle de tres-petite Mufique au« tour duquel nos petits Muficiens tournoient fans celTe depuis la mort du grand Lully : de forte , que quand on feroit alfez injufte pour refufer des taletis fuperieurs a M. Rameau, on ns pourroit jau moins difconvenir qu’il ne leur ait en quelque forte ouvert la carriere, & qu’il n’ait mis les Muficiens qui viendront apres lui a portee de deployer impunement les leurs j ce qui allurement n’etoit pas une entreprife aifee. II a fend les epines j fes fucceffeurs cueilleront les rofes. On I’accufe aifez legerement, ce me fern- ble , de n’avoir travaille que fur de mauvai- fes paroles; d’ailleurs pour que ce reproche eut le fens commun, il faudroit montrer qu’il a ete a portee d’en choifir de bonnes. Aime- roit-on mieux qu’il n’eut rien fait du tout? Un reproche plus jufle eft de n’avoir pas tou- jours entendu celles dont il s’eft charge, d’a- voir fouvent mal faifi les idees du Poete , ou de n’en avoir pas fubftitue de plus convena- bles, & d’avoir fait beaucoup de contrefens. Ge n’eft pas fa faute s’il a travaille fur de mauvaifes paroles, mais on peut douter s’il en eut fait valoir de meilleures. Il eft certai- nement du cote de l’efprit & de l’intelligence fort au-delfous de Lully, quoiqu’il lui foit pref. que toujours fuperieur du cote de i’expreflion. de M. Rousseau, a M..’..T 307 M. Rameau n’eut pas plus fait le monologue de Roland (c), que Luily celui de Dardanu-,. II faut reconnoitre dans M. Rameau un tres- grand talent, beaucoup de feu, une tete bien fonnante, une grande connoilfance des retiver- femens harmoniques & de toutes les chofes d’ef- fet; beaucoup d’art pour s’approprier, dena¬ tures orner, embellir les idees d’autrui, & retourner les liennes; alfez peu de facilue pour en inventer de nouvelles ; plus d’habilete que de fecondite, plus de fqavoir que de genie: ■ou du moms un genie etouffe par trop de fqa- voir; mais toujours de la force & de l’elegance, & tres fouvent du beau chant. Son recitatif eft rnoins naturel, mais beau¬ coup plus varie que celui de Lully; admirable dans un petit nombre de fcenes, mauvais pref. que par - tout ailleurs: ce qui eft peut-etre autant la faute du genre que la fienne; car c’eft fouvent pour avoir trop voulu s’alfervir a la declamation, qu’il a rendu fon chant ba¬ roque & fes tranfitions dures. S’il eiit eu la force d’imaginer le vrai recitatif & de le fairs paifer chez cette troupe moutonniere, je crois qu’il y eut pu exoeiler. II eft le premier qui ait fait des fymphonies & des accompagnemens travailles, & il en a a- bufe. L’Orcheftre de l’Gpera reifembloit avant y 2 CO A&e IV. Scene II. 308 Extrait d’une Lettu lui a une troupe de Quinze-Vingts attaques da paralyse. II les a un peu degourdis. Ils alfurent qu’ils out aduellement de Fexecution; mais je dis, moi, que ces gens-la n’auront jamais ni gout ni ame. Ce n’eft encore rien d’etre enfem- ble, de jouer fort ou doux, & de bien fuivre unAdeur. Renforcer , adoucir, appuyer, de- rober des foils, felon que le bon gout ou Fex- prellion l’exigent; prendre Fefprit d’un accom- pagnement, faire valoir & foutenir des voix, c’eft Fart de tous les Orcheftres du monde , excepte celui de notre Opera. Je dis que M. Rameau a abufe de cet Or- cheftre tel quel. II a rendu fes accompagnemens li confus, fi charges, fi frequens, que la tete a peine a tenir au tintamarre continuel de di¬ vers inftrumens, pendant l’execution de fes Opera , qu’on auroit tant de plaiiir a entendre, s’ils etourdidbient un peu moins les oreilles. Cela fait que FOrcheftre, a force d’etre fans ceifeen jeu, ne faifit, ne frappe jamais, & manque prefque toujours fon etfet. II faut qu’a- pres une fcene de recitatif, un coup d’archet inattendu reveille le Spedateur le plus diftrait, & le force d’etre attentif aux images que FAu- teur va lui prefenter , ou de 1’e preter aux fen- timens qu’il veut exciter en lui. Voila ce qu’un Orcheftre ne fera point, quand il ne cede da racier. Une autre raifon plus forte contre les accom- de M. Rousseau, a 309 323 Air note : n Q . 6 . Quand on fcait aimer & plaire, A-t-on befoin d’aufcre bien ? Rends-moi toncoeur, maBergcre, Colin t’a rendu le fien. Mon chalumeau, mahoulette, Soyez mes feules grandeurs Ma parure eft raa Colette , Ales trefors font fes faveurs. Que de Seigneurs d’importance Voudroient bien avoir fa foi! Malgre toute leur puiflance , Iis font moins heureux que moi. ■ ■ - --- - • '! SC E N E VI. COLIN, COLETTE, parse. COLIN, a part. $ E l’appercois .. Je tremble en m’offrant a fa vue ... .... Sauvons-nous . .. Je la perds, ft je fuis... COLETTE, a part. II me voit.... Que je fuis emue ! Le coeur me bat.... COLIN. Je ne fcais ou j’en fuis. X 2 t e D e riF 3 * 4 - COLETTE. Trop pres, fans y fonger, je me fuis approch^ COLIN. Je lie puis m’en dedire, il la faut aborder. (A Colette , d'un ton radouci , £tm ai& moitie riant, moitie embarrajfe.') Ma Colette.... etes-vous fechee ? Je fuis Colin : daignez me regarder. COLETTE. Colin m’aimoit, Colin m’etoit fidele : Je vous regarde , & ne vois plus Colin* COLIN. Mon cceur n’a point change : mon erreur trop cruelle Venoit d'un fort jette par quelquc efprit malin : Le Devin Fa dctruit. Jefuis, malgre l’envie , Toujours Colin, toujours plus amoureux. COLETTE. Par un fort, a mon tour, je me fens pourfuivie, Le Devin n’y peut rien. COLIN. Que je fuis malheureux ! COLETTE. D’un Amant pltrs conllant- COLIN. Ah! de ma mort fuiviet \Jotre infidelite_ COLETTE. Vos foins font fuperflus. Non, Colin, je ne t’aime plus. (S u V I L L A « E.’ COLIN. Air note : n°. 7. Ta foi ne m’eft point ravie; Non, confuite micux ton cocur : Toi-meme, en m’dtant la vie, Tu perdrois tout ton bonheur. COLETTE. i A P art.) (A Colin.) Helas ! Non , vous m’avez trahie. Vos {bins font fuperEus : Non , Colin , je ne t’aime plus. COLIN. C’en eft done fait! Vous voulez que je meure'j Et je vais pour jamais m’eloigner du hameau. COLETTE, rappellant Colin qui s’eloigne Imtement. Qjlin ? COLIN. Qlioi : COLETTE, Tu me fuis? COLIN. Faut-il que je demeure, |*our vous voir un amant nouveau ? X 3 £26; L e Devin COLETTE. Air note : n°. 8. Tant qu’a mon Colin j’ai fqu plaire, Mon fort combloit mes defirs. COLIN. Quand je plaifois a ma Bergere, Je vivois dans les plaifirs. COLETTE. Depuis que foil coeur me meprife, Un autre a gagne le mien. COLIN. Apres les doux noeuds qu’elle brife a Seroit-il un autre bien ? ( D'un ton prnetre.') Ma Colette fe degage! COLETTE. Je crains un amant volage. ENSEMBLE, Je me degage a mon tour. Mon cceur , devenu paifible * Oubliera , s’il eft poffible, f cber Que tu lui fus un jour, L chere COLIN, Quelque bonbeur qu’on me promette Dans les noeuds qui me font ofterts, b is Villas k. J’eufle encore prefere Colette A tous les biens de fUnivers. COLETTE. Quoiqu’un Seigneur jeune, -amiable* Me parle aujourd’hui d’amour, Colin m’eut lemble preferable A tout l’eclat de la Cour. COLIN, tmdrement „ Ah! Colette! COLETTE, avec un foupir. Ah ! Berger volage! Faut-il t’aimer malgte moi? { Colin fe jette aux pieds de Colette 5 elle lid fait! , remarquer d fon chapeau un ruban fort riche qiiil a recu de la Dame : Colin le jette avec d:~ dain. Colette lui en dome un plus fimple , dont glle etoit paree , & qtt’il recoit avec tranfport.') ENSEMBLE. Duo note : 11°. 9, f je t’engage A jamais Colin ^ l t’engage f Mon f ma ^ coeur & ^ foi Son l_ fa Qu’un doux mariage M’uniile avec toi, X 4 L E D E V I w 'm Aimons-nous toujours fans partage: Qiie famour foit notre loi. A jamais, &c. SCENE VII. LE DEVIN, COLIN, COLETTE. L E DEVIN. <3 E vous ai delivres d’un cruel male&ce ; V’ous vous airncz encor , malgre les envieux. COLIN. [I/s ojfrent chacun un prifent an Devin. ■Quel don pourroit jamais payer un tel fervice? L E DEVIN, recreant des deux mains , |Je fuis ailez paye , ii vous etes heureux. Air note : n°. 10. Venez , jeunes garcons ; venez , aimables filles : Raifemblez-vous , venez les imiter. Venez, galans Bergers j venez , Beautes gen- tilles, En chantaut leur bonheur, apprendre a le gouter. © u Villa©'*.' g2*r SCENE DERNIER E. LE DEVIN, COLIN, COLETTE, GARQONS ET FILLES DU VILLAGE. C H O E U R. O lin revient a fa Bergere l Celebrons un retour fi beau. Que leur amide fincere Soit un charme toujours nouveau.' Du Devin de notre Village Glaucous le pouvoir eclatant: II ramene uri amant volage, Et le rend heureux & conftant.' COLIN. ROMANCE . Air note: n°. II. . Dans ma cabane obfcure , Toujours foucis nouveauxj Vent, foleil, ou froidure, Toujours peine & travaux. X * 130 L e D e y i sr Colette , ma Bergere, Si tu viens l’habiter, Colin dans fa chautniere N’a rien a regretter. Des champs, de la' prairie Retournant chaque foir, Cliaque foir plus cherie Je viendrai te revoir : Du foleil, dans nos plaines Devanqant le retour , ; Je chanterai mes peines En chantant notre amour. ( On danfe .) L E DEVIN. II faut tous a l’envi Nous, fignaler ici; Si je ne puis Tauter ainfi, je dirai, pour mapart, une chanfon nouveiiei [// tire line chanfon de fa^oche.] 4 * 4 d ti Villas e.' VAUDEVILLE. L Air note : n«. 12. L’art a l’Amour eft favorable,' Et fans art l’Amour fqait charmer j A la ville, on eft plus aimable; Au village, on fqait mieux aimer. Ah! pour l’ordinaire L’amour ne fqait guere Ce qu’il permet, ce qu’il defend ; COLIN repete le refrain. Ah ! pour l’ordinaire, L’Amour ne fcait guere Ce qu’il permet, ce qu’il defend ; C’cft uu enfant, c’eft un enfant. [Regardant la chanfon.~] £112' a d’autres couplets ! je la trouve affcz belle* COLETTE, avec emprejfement. Voyons , voyons, nous chanterons auffis [ Elle prend la chanfon. ] t E Devi# II. Ici de la limple nature L’amour fuit la naivete ; En d’autres lieux , de la parure 11 cherche l’eclat emprunte. Ah ! pour l’ordinaire , E’Amour ne fqait guere Ce qu’il permet, ce qu’il defend j Cell un enfant, c’eft un enfant. CHOEUR. Deft un enfant, c’eft un enfant, III. COLIN. Souvent une flamme che'rie Eft eelle d’un coeur ingenu * Souvent par la coquetterie Un coeur volage eft retenu. Ah! pour l’ordinaire, &c. [A la fin de chaque couplet , le Chxiir repete ce vers. ] C’eft un enfant, e’eft un enfant. B u Village; zn L E DEVIN. L’Amour, felon fa fantaifie Ordoune & difpofe de nous: Ce Dieu permet la jaloufie, Et ce Dieu punit les jaloux. Ah! pour fordinaire, &£. V. COLIN. A voltiger de Belle en Belle, On perd fouvent l’heureux inftant j Souvent un Berger trop fidele Eft moins aime qu’un inconftant. Ah ! pour fordinaire, &c. V L COLETTE. A fon caprice on eft en bute , II veut les ris , il veut les pleurs $ Par les ... par les ... COLIN, ltd aidant a lire , Par les rigueurs on Is rebute, 934 L e D e v i sr COLETTE. On I’aifoiblit par les faveurs : ENSEMBLE. Ah! pour l’ordinaire, L’Amour ne fqait guere Ce qu’il permet, ce qu’il defends C’eft un enfant, c’eft un enfant. C H O E U R. C’eft un enfant, c’eft un enfant ( On danfe .) COLETTE. Ariette notee : n?. 13. Avec l’objet de mes amours, Rien ne m’afflige , tout m’enchante 5 Sans cede il rit, toujours je chante C’eft unc chaine d’heureux jours. Air note: n°. 14, Quand on fcait bien aimer, que la vie eft char- mante ! Tel , au milieu des fleurs qui brillent fur foa cours j b v Village^ g?j Un doux ruifTeau coule & ferpente. Quand on fqait bien aimer, que la vie eft char, mante ? [ On danfe. ] COLETTE, R 0 N D E. Air note : n". if. Allons danfer fous les ormeaux : Animez-vous, jeunes Fillettes. Allons danfer fous les ormeaux: Galans, prenez vos chalumeaux. {5Les Villageoises repetent ces qiiatre vers. ) COLETTE. Repetons mille chanfonnettes : Et pour avoir le ceeur joyeux , Danfons avec nos amoureux; Mais n’y reftons jamais feulettesd Aliens danfer fous les ormeaux, &c. LES VILLAGEOISES. Allons danfer fous ies ormeaux , &c, 336 Le Devin do Village^ COLETTE. A la ville , on fait bien plus de fracas; Mais font-ils auffi gais dans leurs ebats? Toujours contens, Toujours chantans; Beaute fans fard, Plaifir fans art; Tons leurs concerts valent-ils nos mufettes ? Allons danfer fous les ormeaux , &c. LES VILLAGEOISES. Allons danfer fous les ormeaux, &c. FRA G. 3FRA6MEN X D'une Lettre de M. Rousseau, Ecrite de Montmorency a un Ami, le Avril 1759, au fujet de foil Entree a I’Opera, qu’il avoir eue pour fon Devin du Village , qui lui fut dtee a caufe de fa Lettre fur la Muftoue 4 & qu’on voulut lui rendre, quand il eut quic- te Paris. .J^Supres nf avoir 6te les Entrees tandis quej’e- tois a Paris, me les rendre quand je n’y fuis plus , n’eft-ce pas joindre la raillerie a finfulte ? Ne lqavcnt-ils pas bien que je n’ai ni le nloyen, ni 1 ’intention deprofiter de leur offre ? Eh ! pour- quoi diable irois je II loin chercher leur Opera ? n’ai-je pas tout a nia porte les cllouettes de la foret de Montmorency ? Ils lie refufent pas, dit M. D***, de me rendre mes Entrees, j’entends bien : ils me les rendront volontiers aujourd’hui, pour avoir le plaifir de me les 6ter demain , & me faire avoir un fecond affront. Puifque ces gens-la n’ont ni foi ni parole, qui eft-ce qui me repondra d’eux, & de leurs intentions? Ne me fera-t-il pas bien agreable de ne me jamais prefenter a la porte , que dans 1’attente de me la voir fennel* une fe- conde fois ? Ils n’en auront plus, direz - vous , Tome I. Y §38 Fragment d’uhe LettrI le pretexte. Eh ! pardonnez-moi , Monfieur j ils 1’auront toujours. Car fi-tot qu’il faudra trouvex leur Opera beau , qu’on me remene aux carrier- res. Que n’ont-ils propofe cette admirable con¬ dition dans leur marche! jamais ils n’auroienC maffacre mon pauvre Devin. Quand ils voudronfi. me chicaner, manqueront-ils de pretextes ? A- vec des menfonges ©nn’en manque jamais. N’ont- ils pas dit que je faifois du bruit au Spectacle,, & que mon exelufion etoit une affaire de Police ? Premierement, ils mentent. J’en prends a temoins tout le Parterre & VAmphitheatre de ce tems-la. De ma vie je n’ai crie ni battu des mains aux Bouffons; & je ne pouvois ni rire s ni bailier a FOpera Francois, puifque je n’y re£ tois jamais , & qu’aufli-tot que j’entendois com- mencer la lugubre Pfalmodie, je me fauvois dans les Corridors. S’ils avoient pu me prendre en faute au Spe&acle, ils fe feroient bien gardes de m’en eloigner. Tout le rnonde a feu avec quel foin j’etois configne, recommande aux Sentinel- les. Par-tout on n’attendoit qu’un mot, qu’un gefte pour m’arreter: ii-t6t q e j allois au Par¬ terre , j’etois environne de Mouches qui cher- choient a m’exciter, Imaginez-vous s’il fallut u- fer de prudence pour ne dormer aucune prife Fue -znoi. Tous leurs efforts furent vains; car il y a longtems que je me fuis dit: Jean Jacques, puif. que tu prends le dangereux emploi de Defenfeur det limits, fois fans cejfe attentif fur toi - mews 4 d e M. Rousseau.' 339 fbwnis en tout aux loix & mix regies ; ajht que , quand on vnndra te maltraiter , on ait toujours tort.. Plaife a Dieu quej’obferve auffi-bien ceprecep- te jufqu’a la fin de ma vie , que je crois favour obferve jufqu’ici ! Ainfi, mon bon Ami , je parle ferme, & n’ai peur de rien. Je fens qu’il n’y a homme fur terre qui puiife me faire du mal juftement ; & quant a l’injuftice , perfonne au monde n’en eft a l’abri. Je fuis le plus foible des etres; tout le monde peut me faire dunval impunement. J’e- prouve qu’on le fcait bien , & les infultes des Diredeurs de 1’Operafont pour moi le coup de pied de l’ane. Rien de tout cela ne depend de moi; qu’y ferois-je ? Mais c’eft mon alfaire , que quiconque me fera du mal, faife mal > & voila dcquoi je reponds. Premierement done, ils mentent; & en fe-'' cond lieu , quand ils ne mentiroient pas , ils ont tort: car quelque mal que j’eulfe pu dire , ecri- re ou faire ; il ne falloit point m’6ter les En¬ trees , attendu que l’Opera n’en etantpas moins polfelfeur de mon ouvrage, n’en devoit pas moins payer le prix convenu. Que falloit-il done faire? M’arreter, me traduire devant les Tri- bunaux , me faire mon proces, me faire pen- dre , ecarteler , bruler , jetter mes cendres au vent, fi je l’avois merite: mais ilne falloit pas m’oter les Entrees. Auffi-bien , comment, etant prifonnier ou pendu , ferois-je allc faire du bruit Y 2 340 Fragment d’u&e Eettkl a l’Opera ? Ils difent encore : puifqu’il fe de¬ plait a notre Theatre , quel nial lui a-t-on fait da lui en oter l’Entree ? Je reponds qu’on m’a fait tort, violence, injuftiee , affront; & c’eft du mal que cela. De ee que mon voifin ne rent pas employer fon argent, eft-ce a dire que je fois en droit d’aller lui couper la bourfe ? De quelque maniere que je tourne la chofe* quelque regie de juftice que je puiffe appliquer, je crois toujours qu’en Jugement contradictoire , par-devant tous les Tribunaux de la terre , les Directcurs de l’Opera feroient a Vinftant con- damnesa reftitution de ma Piece, a reparation* a dommages & interets. Mais il eft clair que j’ai tort, parce que je ne puis obtenir juftice; & qu’ils ont raifon, parce qu’ils font les plus forts. Je defie qui que ee foit au Monde de' pouvoic alleguer en leur faveur autre chofe que cel a. II faut a prefentvous parler de mes Librai- res, & je eommencerai par M. P * * *. J’ignora s’il a gagne ou perdu avecmoi; toutes les fois que je lui dcmandois ft la vente alloit bien , il me repondoit, pajfublement ; fans que jamais j’en aye pu tirer autre chofe. Il ne m’a pas donn® un fol de mon premier Difcours, ni aucune efpece de prefent, finon quelques exernplaires pour mes amis. J’ai traite avec lui pour la gra¬ vure du Devin du Village , fur le pied de 50a francs , moitie en livres & moitie en argent» qu’ii s’obligea de me payer a piuiieurs fois & en t) e M. Rousseau* 341 •ertaitis termes: il ne tint parole a aucun, & j’ai ete oblige dc courir long-terns apres mes deux cents cinquante livres. Par rapport a nion Libraire de Hollande, j$ l’ai trouve en toutes chofes exad , attentif, hon- nete; je lui demandai vingt-cinq louis de moil Difcours fur Plnegaliti ; il me les donna fur le champ , & il envoya de plus une robbe a ma Gouvernante. Je lui ai demande trente louis de ma Lettre a M. d'Alembert , & il me les dorma fur le champ ; il n’a fait a cette occalion aucun prefent ni a moi, ni a ma Gouvernante (a) ; & il ne le dcvoit pas; mais il m’a fait un plaifir que je n’ai jamais requ de M. P ** * , en me de¬ clarant de bon coeur , qu’il faifoit bien fes affai¬ res avec moi. Voila, mon Ami, les faits dans leur exactitude. Si quelqu’un vous dit quelque chofe de contraire a cela, il ne dit pas vrai. Si ceux qui m’accufent de manquer de defin- terelfement, entendent par-la que je ne me ver- rois pas oter avec plaifir le pcu que je gagne pour vivre, ils ont raifon; & il eft clair qu’il n’y a pour moi d’autre rnoyen de leur pareitre defintereffe que de me laiffer mourir de faim. S’ils entendent que toutes reffources me font ega- iement bonnes, & que, pourvu que l’argent vien- [«] Depuis lors, il lui a fait line Penfion viagere de trois cents livres ; & je me fais un fenfible plaifir de rea. tire public y» ac^c aulQ. rare de rcconnoiffancc & de ga- tierofite. y* 343 Fragment d’uneLettre lie,, je m’embarrafle peu comment il vient, je crois qu’ils ont tort. Si j’etois plus facile fur les moyens d’acquerir, il me feroit moins doulou¬ reux de perdre; & l’on fqait bien qu’il n’y a per- fonne de li prodigue que les voleurs. Mais quand on me depouille' injuftement de ce qui m’appar- tient, quand on m’ote le modique produit de moil travail, on me fait un tort qu’il ne m’eft pas aife de reparer: il m’eft bien dur de n’a- voir pas merae la liberte de m’en plaindre. Il y a long-terns que le Public de Paris fe fait un Jean Jacques a fa mode , & lui prodigue d’une main liberate des dons , dont le Jean Jacques de Montmorency ne voit jamais rien. Infirme & malade les trois quarts de l’annee , il faut que je trouve fur le travail de l’autre quart de quoi pourvoir a tout. Ceux qui ne gagnent leur pain que par des voies honnetes , connoilTent le prix de ce pain, & ne feront pas furpris que je ne puiife faire du mien de grandes largefles. Ne vous chargez point, croyez-moi, de me defendre des difcours publics : vous auriez trop a faire. Il fufEt qu’ils ne vous abufent pas, & que votre eftime & votre amide me reftent. J’ai 2 Paris & ailleurs des ennemis caches qui n’ou- blieront point les maux qu’ils m’ont faits; car quelquefsis l’offenfe pardonne , mais l’olfenfeur ne pardonne jamais. Vous devez fentir combien la partie eft inegale entr’eux & moi. Repandus dans le monde, ils y font paifer tout ce qui / is M. Rousseau* $48 leur plait, fans que je puific ni le fqavoir , ni m’en defendre; ne fqait-on pas que l’abfent a toujours tort ? D’ailleurs , avec mon etourdie franchife, je commence par rompre ouverte- ment avec les gens qui m’ont trornpe. En decla¬ rant haut & clair, que celui qui fe dit mon Ami ne l’eft point, & que je ne fuis plus le lien, j’avertis le Public de fe tenir en garde contre le mal que j’en pourrois dire. Pour eux , ils ne font pas li mal-adroits que cela. C’eft une li belle chofe que le vernis des procedes & le me- nagement de la bienfeance ! La haine en tire un fi commode partiOn fatisfait fa vengeance a fon aife en faifant admirer fa generofite. On cache doucement le poignard fous le manteau de 1’amitie & l’on fqait egorger en feignant de plaindre. Ce pauvre citoyen ! dans le fond, il n’eft pas mcchant; mais il a une mauvaife tete qui le conduit aulfi mal que feroit un mauvais coeur. On lache royfterieufement quelque mot obfcur , qui bientot eft releve , commente, re- pandu par les apprentifs Philofophes; on pre¬ pare dans d’obfcurs coneiliabules le poifon qu’ils fe chargent de repandre dans le Public. Tel a la grandeur d’ame de dire mille biens de moi, apres avoir pris fes mefures pour que perfonne n’en puilfe rien croire. Tel me defend du mal dont on m’accufe, apres avoir fait en forte qu’on n’en puilfe doyter. Voila ce qui s’ap- J 4 344 Fragment d’une Lettre &e." pelle de l’habilete; Que voulez-vous que jc faC. fe a cela ? Entends - je de ma retraite les difcours que I’on tient dans les cercies ? Quand je les entendrois, irois je, pour les dementir, re¬ veler les fecrets de l’amitie, meme apres qu’el- le eft eteinte. Non s cher le Nieps, on peut repoufler les coups portes par des mains enne- mies j mais quand on volt parmi les Alla/Iins fon Ami le poignard a la main, il lie relte qu’s s’envelopper la tete. Jiarle contre mon fentiment. A une aflertion auffi temeraire, denuee egalement de preuve & de vrai-femblance, je ne fcais qu’une reponfe; elle eft courte & energique, & je les prie de fe la tenir pour faice. Us pretendent encore que ma conduite eft en contradiction avec mes principes , & il ne faut pas douter qu’ils n’employent cette feconde inftance a etablir la premiere; car il y a beau- coup de gens qui fqavent trouver des preuves a ce qui n’eft pas. Its diront done, qu’en faifant de la muiique & des vers , on a mauvaife grace a deprimer les beaux-arts , & qu’il y a dans les belles-lettres , que j’aftede de meprifer , mills occupations plus louables que d’eerire des Come¬ dies. Il faut repondre auffi a cette accufation. Premierement, quand meme on l’admettroit dans toutefa rigueur, je dis qu’elle prouveroit que je me conduis mal; mais non, que je ne parle pas de bonne - foi. S’il etoit permis de ti- rer des actions des homines la preuve de leurs fentimens, il faudroit dire que l’amour de la juftice eft bannie de tous les cccurs , & qu’il n’y a pas un feul chretien fur la terre. Qu’ori me montre des hommes qui aguTent toujours confe- quemment a leurs maximes, & je paffe condam- nation fur les miennes. Tel eft le fort de l’Hu- manite; la raifon nous montre le but, & les palfions nous en ecartent. Quand il leroit vrai que je n’agts pas felon mes principes, on n'au- P R E' F A C- E roit done pas raifon de m'accufer , pour cela feul, de parler contre mon fentiment, ni d’ac- eufer raes principes de faulfete. Mais ii je voulois pafler condemnation fur ce point, il me fuffiroit de comparer les terns pour concilier ies chofes. Je n’ai pas toujours eu le bonheur de penfer comme je fais. Long-terns feduit par les prejuges de mon fiecle, je prenois 1’etudepour la feule occupation digne d’un fage; je ne regardois les fciences qu’avec refpedt, & les fqavans qu’avec admiration (c). Je ne comprenois pas que l’on put s’egarer en de- montrant toujours , ni mal faire en parlant tou¬ jours de fagelfe. Ce n’eft qu’apres avoir vu les chofes de pres , que j’ai appris a les eftimer ce qu’elles valent ; & quoique dans mes recher- ches j’aie toujours trouve fatis eloquentia, fa- pientie Narcissi?. 357 Igic ni penfer. En un mot, il n’eft: prefcrit d’e¬ tre fqavant que dans les chofes qui ne peuvent nous fervir de rienj & nos enfans font precife- ment eleves comme les anciens Athletes des jeux publics, qui, deftinant leurs metnbres robuftes a un exercice inutile & fuperflu , fe gardoient de les employer jamais a aucun travail profitable. Le gout des lettres , de la philofophie & des beaux-arts amolit les corps & les ames. Le tra¬ vail du cabinet rend les hommes delicats , affoi- blit leur temperament, & l’ame garde diffici- lement fa vigueur , quand le corps a perdu la lienne. L’etude ufe la machine, epuife les efprits, detruit la force, enerve le courage; & cela feul montre adez qu’elle n’eft pas faite pour nous : c’eft ainfi qu’on devient lache &pu- fillanime , incapable de rellfter egalement a la peine & aux pailions. Chacun fqait combien les habitans des villes font peu propres a foutenir les travaux de la guerre, & Ton n’ignore pas quelle eft la reputation des gens de lettres en faitde bravoure () Je trouve dans l’Hiftoire un exemple unique', mais frappant , qui femlde contredire cette maxime : e’eft ce- lui de la Fondation de Rome , faite par une troupe de bandits dont les defeendans devinrent , en pen de gene¬ rations, le plus vertueux peuple qui ait jamais exifle. Je ne Ferois pas en peine d’expliquer ce fait, fi e’en etoit iri le lieu ; mais je me contenterai de remarquer que lec fondateurs de Rome etoient moins des hommes dont les moeurs fuflent corrompues , que des homines dont les d'e N a i c m *! 36f Mais quand un peuple eft une fois corrompu h un certain point, foit que les fciences y ayent contribue ou non , faut-il lesbannirou l’enpre- ferver , pour le rendre meilleur , ou pour l’em- pecher de devenir pire '{ C’eft une autre queC- tion dans laquelle je nre ibis pofitivement de¬ clare pour la negative. Car premierement), puif- qu’un peuple vicieux ne revient jamais a la ver- tu,,il ne s’agit pas de rendre bons ceux qui ne le font plus ; mais de conferver tels ceux qui ont le bonheur de l’etre. En fecond lieu , les xnemes caufes qui ont corrompu les peuples , fervent quelquefois a prevenir une plus grande corruption ; c eft ainfi que celui qui s’eft gate le temperament par un ufage indifcret de la Mede- cine , eft force de reoourir encore aux Mede- cins pour fe conferver en vie ; & c’eft: ainfi que les arts & les fciences , apres avoir fait eclore les vices, font necedaires pour les empecher de fe tourner en crimes; eltes les couvrent au moins d’un vernis qui uc permet pas au poifon de s’ exhaler auiii librement. Eiles detruifent la mosurs n’etoient point Forinees : ils ne meprifoient pas la ver- tu , mais its ne la conm iffoient pas encore ; car ces mots vertus & vices font ties notion collectives qui ne naiftcnt que de la frequentarion des homnies. Au furplus, on tire- roit un mauvais p.irti de cette objethon en faveur des feien- ces : car, des deux premiers Rois de Rome, qui donnerent une forme a la Repubi.qne, it inftituerent Fes coutumes & Fes mceurs, Tun ne s’occuudt que de guerres, l’autre que des rits facre's, ies deux chofes du moude les plus eloignee| jle lk plrilofopliie. 3&f P it e' f a c b vertu , mais dies en lailfent le fimulacre pUr blic (i), qui eft toujours une belle chofe. Elies introduifent a fa place la politeife & les bien- feances, & a la crainte de paroitre mechant, elles fubfticuent celle de paroitre ridicule. Mon avis eft done, & je l’ai deja dit plus d’une fois, de lailfer fublifter, & meme d’en- tretenir avec foin les Academies, les Colleges, les Univerfites, les Bibliotheques, les Specta¬ cles , & tous les autres amufemens qui peuvent faire quelque diverfion ala mechancete des hom¬ ines , & les empeeher d’occuper leur oifivete a des chofes plus dangereufes : car dans une con- tree ou il ne feroit plus queftion d’honnetes gens, ni de bonnes moeurs, il vau droit en^ core mieux vivre avec des fripons qu’avec des brigands. Je demande maintenant ou eft la contradic¬ tion , de cultiver moi-meme des gouts dont j’ap- ptouve le progres ? II ne s’agit plus de porter les peuples a bien faire , il faut feulement les diftraire de faire le mal ; il faut les occuper a des niaiferies, pour les detourner des mauvaifes ( i ) Ce fimulacre ell une certaine douceur de moenrs qui fupplee quelquefois a leur purete ; une certaine appa- rence d’ordre, qui previent l’horrible confufion; une certaine admiration des belles chofes , qui empeche les bonnes de tomber tout-a-Fait dans l’oubli. C’eft le vice qui prend le mafque de la vertu, non comme l’hypocrifie, pour trom- ■per & trahir; mais pour s’oter fous cette aimable & facree effigie, l’horrcur qu’il a de lui-memc, quand il fe voit 4 de?euvet{j. D E N'A R C I S S t. 3(?7 adions} il faut les amufer , au lieu de les pre- cher. Si mes ecrits out edifie le petit nombre des bons , je leur aifait tout le bien qui depen- doit de moi, & c’eft peut-etre les fervir utile- iuent encore , que d’otfrir aux autres des objets de diftra&ion qui les empechent de fonger a eux. Je m’eftimerois trop heureux d’avoir tous les jours une piece a faire fiffler, II je pouvois a ce prix contenir pendant deux heures les mau- vais deffeins d’un feul des fpedateurs , & fauver l’honneur de la fille ou de la femme de fon ami, le fecret de fon confident, ou la fortune de fon creancier. Lorfqu’il n’y a plus de meeurs , il ne faut fonger qu’a la police , & fon fcait alfez que la Mufique & les Spectacles en font un des plus importans objets. S’il refle quelque difficulte a ma juftification, j’ofe le dire hardiment, c e n’eft vis-a-vis ni du Public ni de mes adverfaires, c’eft vis-a- vis de moi feul: car ce n’eft qu’en m’obfervant moi- meme , que je puis juger fi je dois me compter dans le petit nombre, & li mon amc eft en etafc de foutenir le faix des exercices litteraires. J’en ai fenti plus d’une fois le danger} plus d’une fois je les ai abandonnes, dans le deffein de ne les plus reprendre , & renonqant a leur charme fedudeur, j’ai facrifie a la paix de mon coeur les feuls plaifirs qui pouvoient encore le flatter. Si dans les langueurs qui m’accablent, fi fur 1§ J* R e' B A C B fin d’une carriere penible & douloureufe, j’at ofe encore quelques momens reprendre ces exer- cices pour charmer mes maux , je crois au moins n’y avoir mis ni alfez d’interet ni alfez de pretention, pour meriter a cet egard les jullcs reproches que j’ai faits aux gens du lettres. II me falloit unc epreuve pour achever la connoilfance de moi - meme , & je l’ai faite fans balancer. Apres avoir reconnu la fituation de mon ante dans les fucces litteraires, il me ref- toit a l’examiner dans les revers. Je fqais main- tenant qu’en penfer , & je puis mettre le Public au pire. Ma piece a eu le fort qu’elle meritoit, & que j’avois prevu ; mais a l’ennui pres qu’elle m’a caufe , je fuis forti de la reprefentation bien plus content de moi , & a plus julte titre , que £ elle eut reuili. Je confeille done a ceux qui font Ci ardens a chercher des reproches a me faire, de vouloir mieux etudier mes principes, & mieux obferver ma conduite, avant que dem’y taxer de contra- didlion & d’inconfequence. S’ils s’apperqoivent jamais que je commence a briguer les fuifrages du Public , ou que je tire vanite d’avoir fait de jolies chanfons , ou que jerougifle d’avoir ecrit de mauvaifes Comedies , ou que je cherche a liuire a la gloire de mes concurrens , ou que j’affedte de mal parler des grands hommes de mon liecle, pour tacher de m’elever a leur ni¬ veau» Narcisse. 36 ? veau , en les rabaiflant au mien, ou que j’afpjre a des places d’Academie, ou que j’aille faire mjt cour aux femmes qui donneuc le ton, ou qup j’encenfe la fotife des grands, ou que , cellani de vouloir vivre du travail de mes mains , je tienne a ignominie le metier que je me fuip choifi , & falte des pas vers la fortune ; s’ils re- marquent, en un mot, que l’amour de la repu*. tatioil me falfe oublier celui de la vertu , je lupt- plie de m'en avertir, & meme publiqUement , & je leur promets de jetter a l’inftant au feu mes ecrits & mes livres , & de convenir de routes les erreurs qu’il leur plaira de me re- proeher. En attendant, j’ecrirai des livres , je feral des vers & de la Muiique , Ci j’en ai le talent , le terns-, la force & la volonte: je rontimierai a dire tres-franchement tout le mal que je penfe des lettres , de ceux qui les cultivent (k ), & [fc] J’admire combien la plupart des gens de lettres ont pris le change dans cette affaire-ci. Quand ils ont vn les fciences & les arts attaques , ils ont cru qu’on en vouloic perfonnellement a eux, tandis que , fans fe contredire eux- jnemes , ils pourroient tous penfer, comme moi, que, quoi- quc ces chofcs aycnt Fait beaucoup de mal 4 la fociete, il eft tres-elfentiel de s’en Fervir aujourd’hui, comme d’une me- decine au mal qu’elles ont caufe, ou comme de ces animaux malfaifans qu’il Faut ecrafer Fur la morfure. En un mot , il n’y a pas un lunnme de lettres qui, s’il peut loutenir dans fa eonduite 1’article precedent, ne puiflfe dire en Fa Faveur ce que je dis en la mienne; & cetce maniere de raiFonner me parolt leur convenir d’autant mietix, qu’entre nous, ils fe fbucient fort peu des fciences, pourvu qu’elles continuent A a Tome l. 37 ° Pre'face de Narcissi.’ croirai n’en valoir pas moins pour cela. II efl vrai qu’on pourroit dire quelque jour : cet enne- ini fi declare des fciences & des arts, fit pour- taut & publia des pieces de Theatre; & ce difi. cours fera, je l’avoue , une fa tyre tres-amere, non de moi, rnais de mon fiecle. de mettre les Sqavans en honneur. C’eft comme’ les Pretres duPaganifmc, qui ne tenoient a la Religiou qu’autant qu’el'a •Jes faifoir refpe&er. 0 U" L‘ A M A N T ; " BE LB I-ME ME; C OTETJEJO XJ£; Par M. J. J. ROUSSEAU: Reprefmtee par les Comediens Francois Ordinairci du Roi, le 1 8 - Pecembre 1773 . Aa % 4r4^4*$4'4r4^^4r4^& : 4>4r4j-4f-4*'4>-4 , -4>-->P , 4>-4if> ACTEUR S s 3L I SIM O N. , VALERE,i ^ Enfans de Lifnnoru LUCINDE, J ANGE'LXQ.UE.l iFrere&Sxurp. y p / ^ j-j g j piles de Lijimon # MA RTON, Suivante. FRONTIN, Valet de Valere. La Scene eft dans*/app art ement de Valere . L’AM'ANT A BE COMjklD XJETo SCENE PREMIERE. LUCINDE, MARTON. LUCINDE. S viens de voir mon frere fe promener dans le jardin ; hatons-nous, avant foil recour , de placer fon portrait far fa toilette. Le voila, Mademoifelle, change dans fes •ajuftemens de maniere a le rendre meprifable. Quoiqu’il foit le plus joli homme du monde, il brille ici en femme encore avec de nouvel- les graces. Valere eft, par fa delicateife & par I’affec- tation de fa parure, une efpece de femme cachee fous des habits d’homme; & ce por~ trait, ainfi travefti, femble moins le deguifer 3 que le rendre a fon etat naturel. MARTON. LUCINDE. A a 3 274 r L’A MAN? D E- L V I-M E M S, marton; Eh ! bien, oil eft le mal? Puifque les fern- fries aujourd’hui cherchent a fe rapprocher des hommes, n’eft-ii pas -convenable que ceox - ci faiTent la moitie du chemin r & qu’ils tachent >de gagner en agremens, autant qu’elles en fo- lidite { Grace a la mode, tout s’en mettra plus pifement de niveau, LUCINDE, Je ne puis me faire a des modes auffi ridicu¬ les, Peut-etre notre fexe aura-t-il le bonheur de n’en plaire pas moms, quoiqu’il devienne plus eftimable, Mais pour les hommes , je plains leur aveuglement. Que pretend cette Jeunefle etourdie en ufurpant tous nos droits ? Efperent- ils de mieux plaire aux femmes , en s’eiforqanfc de leur refl’embler? M ARTO N. Pour celui la, ils auroient tort, Seelies fe haililnt trop mutuellement pour aimer ce qui leur reilcmbie. Mais revenons au portrait Ne praignez vous point que cette petite raillerie ne fache Manfieur le Chevalier ? LUCINDE. Non, Marton; mon frere eft naturellement bon : il eft rheme raifonnable, a fon defaut pres. IQentira qu’en lui faifant, par ce portrait, un feproche muet '& badin , je n’ai fonge qu’a le guerir d’un travel's qui cheque jufqu’a cette ten- gfg 4.ngpli<|uecette aiaiable pupiile demon 37 ? C O M e' D I E. pere, que Valere epoufe aujourd’hui. C’eft lui rendre fervice, que de corriger les defauts de fon amant, & tu fqais combien j’ai befoin des foins de cette amie, pour me delivrer de Lean- dre fon frere , que mon pere veut auffi me faire epoufer. MARTON, Si bien que ce jeune inconnu, ce Cleonte,' que vous vices l’ete dernier a Paffy, vous tient toujours au coeur ? L U C I N D E. Je nc m’en defends point j je compte meme fur la parole qu’il m’a donnee de reparoitre bien- tot, & fur la promeife que m’a fait Angelique d’engager fon frere a renoncer a moi. MARTON. Bon! renoncer! Songez que vos yeux au- ront plus de force pour ferrer cet engagement, qu’Angelique n’en fqauroit avoir pour le ronipre. LUCINDE. Sans difputer fur tes flatteries, je te dirai que , comme Leandre ne m’a jamais vue, il fe- ra aife a fa foeur de le prevenir , & de lui faire entendre que, ne pouvant etre heureux avecune femme dont le coeur eft engage ailleurs, il ne fqauroit mieux faire que de s’en degager par un refus honnete. xM A R T O N. Un refus honnete ! ah! Mademoifelle, refu- fer une femme faite comme vous , avec quarante Aa 4 37^ L’A makt'di l u i-m eme, mille ecus, c’eft une honnetete dont jamais Leandre lie fera capable. (A part.) Si elle fca- voit que Leandre & Cleonte ne font que la meme perfonne , un tel ref us changeroit hien d’epuhete. LUCINDE. Ah ! Marton, j’entends du bruit; cachons vite ee portrait. C’eft Ians doute men frere qui revient, & en nous, amufant a jafer, nous nous fommes ote le loifir d’executer notre projefe, MARTON. ' Non , c’eft Angelique. i ■ -1 i ii - - - ■ ■ -— - ■ — — ■ i SCENE II. ANGEXIQJJE, LUCINDE, MARTON. A N G E' L I Q_U E. I chere Lucinde, vous fqavez avec quelle repugnance je me pretai a votre projet, quand vous fites changer la parure du portrait de Va- lere en des ajuftemeps de femme. A prefent que je vous vois prete a l’executer , je tremble que le deplaifir de fe voirjouer, ne I’indifpofe con- tre nous. Renonqons , je vous prie, a ce frivole badinage. Je fens que je ne puis trouver de goiit a m’egayer au rifque du repos de mop cocur. LUCIND E. Que vous etes timide ! Valere vous alme trop C 0 M l D I T. 377 pour prendre en mauvaife part tout ee quivien- dra de la votre, tant que vous ne ferez que fa maitteffe. Songez que vous n’avez plus qu’un jour a donner carriere a vos fantaifies , & que le tour des fiennes ne viendra que trop tot. D’ailleurs il eft queftion de le guerir d’un foible qui 1’expofe a la raillerie, & voila proprement i’ouvrage d’une maitrefle. Nous pouvons corri- ger les defauts d’uu amant: mais helas ! il faut fupporter ceux d’un mari. A N G E' L I aU E. Queluitrouvez-vous, aprestout, de (i ridi¬ cule ? Puifqu’il eft aimable, a-t-il ft grand tort de s’aimer i & ne lui en donnons-nous pas l’ex- emple ? Il cherche a plaire. Ah! ft c’eft un de- faut, quelle vertu plus charmante un homme pourroit-il apporter dans la fociete ? M A R T O N. Sur-tout dans la fociete des femmes. ANGE'LI Q.U E.. Enfin , Lucinde, li vous m’en croyez, nous fupprimerons , & le portrait, & cet air de raille¬ rie , qui peut aulli bien pafler pour une infulte que pour une correction. LUCINDE. Oh ! non. Je ne perds pas ainfi les frais de jnon induftrie. Mais je veux courir feule les rif- ques du fucces , & rien ne vous oblige d’etre complice dans une affaire dont vous pouvez p’etre que temcin, Aa f 378 L’Amant de iui-mejie, : MARTON. Belle difiin&ion ! L U C I N D E. Je me rejouis de voir la contenance de Valera De quelque maniere qu’il prenne la chofe, cela. fera toujours une fcene affez plailante, MARTON. J’entends. Le pretexte eft de corriger Valere ; mais le vrai motif eft de rire a fes depens. Voila le genie & le bonheur des femmes. Elies corri- gent fouvent les ridicules, en ne fongeant qu’a s’en amufer. ANGE'LI Q_U E. Enfin, voits le voulez; mais je vous aver- tis que vqus me repondrez de l’evenement. L U C I N D E. Soft. ANGE'LI Q.U E. Depuis que nous fommes enfemble, vous' m’avez fait cent pieces dontje vous dois la pu- nition. Si cette affaire-ci me caufe la moindre tracafferie avec Valere, prenez garde a vous, LUCINDE, Oui, oui. A N G E' L I Q_U E, Songez un peu a Leandre. LUCINDE. Ah ! ma chere Angelique.. .. ANGE'LI Q.U E. Oh! Ci vous me brouillez avez votre frere* jc vous jure que vous epouferez le mien. (6\w.) Marton, vous m’avez promis le fecret. M A R T O N. (Bus.) Ne craignez rien. LUC1NDE. Enfin, je.., MARTO N. J’entends la voix du Chevalier. Prenez au plutot votre parti, a moins que vous ne vouliez lui donner un cercle de filles a fa toilette. LUCINDE. 11 faut bien eviter qu’il nous apperqoive, (E7e met le portrait fur la toilette.') Voila le piege tendu. MARTON. Je veux un pen guetter mon homme, pouf voir_ LUCINDE. Paix. Sauvons - nous. ANGE'LI Q_U E. Que j’ai de mauvais preifentimens de tout secj! 380 L’A M A NT DE LUI-MEME,' SCENE III. VALERE, FRONTIN. VALERE. sSangaride, ce jour eft un grand jour pour vo us. FRONTIN. Sangaride ! c’eft-a-dire, Angelique. Oui, c’eft un grand jour que celui de la noce , & quimeme «llonge diablement tous ceux qui le fuivent. VALERE. Que je vais gouter de piaifir a rendre Ange¬ lique heupeufe ! FRONTIN. Auriez-vous envie de la rendre veuve? VALERE. Mauvais plaifant! .. Tu fqais k quel point je 1’aime. Dis-moi; que connois-tu qui puiffe man- quer a fa felicite ? Avec beaucoup d’amour, quelque peu d’efprit, & une figure... comma tu vois; on peut , je penfe, fe tenir toujours aflez fur de plaire. FRONTIN. La cbofe eft indubitable, & vous en avez fait fur vous-meme la premiere experience. VALERE. Ce que je plains en tout cela, c’eft je ne C 0 M E r B I E,' 3 S1 Jqais combien de petites perfonnes que mon ma¬ nage fera fecher de regret, & qui vont ne fqavoir plus que faire de leur coeur. F R O N T I N. Oh! que fi. Celles qui vous ont aime, par exemple, s’occuperont a bien detefter votre chere moitie. Les autres. . . Mais oil diable les prendre ces autres-la ? V A L E R E. La matinee s’avance ; il eft temps de m’habil - 1 ler pour after voir Angelique. Allons. (Il fe met ti la toilette .) Comment me trouves-tu ce matin? je n’ai point de feu dans les yeux ; j’ai le teint battu ; il me femble que je ne fuis point k l’ordinaire. FRONTIN. A l’ordinaire! Non j vous etes feulement & votre ordinaire. V A L E R E. C’eft une fort mechante habitude que Pufage du rouge ; a la fin je ne pourrai m’en pafler, & je ferai du dernier mal fans cela. On eft done ma boete a mouches ? Mais que vois-je la? un, portrait! ... Ah ! Frontin, le charmant objet! ... Oil as-tu pris ce portrait ? FRONTIN. Moi! je veux etre pendu fi je fqais de quoi vous me parlez. 382 UA 'mast de lui-meme* V A L E R E. Quoi ! ce n’eft pas toi qui as mis ce portrait? fur ma toilette ? FRONTIN, Nort 5 que je meure, ' VALERE* Qui feroit-ce done? FRONTIN* Ma foi, je n’en feats rien. Ce ne peut etro que ie diable 5 ou vous* VALERE. A aautres! On t’a pave pour te taire ... Scais- tu bien que la comparaifon de cet objet nuit k Angeliqne ? . . Voila d’honneur ia plus jolie figu¬ re que j’aie vue de ma vie. Quels yeux , Fron- tin ! ... Je crois qu’ils relfemblent aux miens* FRONT I N* C’eft tout dire. VALERE* Je lui trouve beaucoup de mon air.,. . Elle - eft ma foi charmante ! ... Ah! ft l’efprit fou- tient tout cela . .. Mais fon gout me repond de fon efprit. La friponne eft connoifleufe en merite. FRONTIN. ' Que diable ! Voyons done toutes ces raer- veilles. VALERE. Tiens, tiens. Penfes-tu mg duper avec ton air niais ? Ale crois-tu novice en aventures? C o m e' d i i . 383 F R O N T I N, a part. Ne me trompe-je point? C’eft lui. .. c’eft- lui-meme. Corame le voila pare ! Que de fleurs ! que de pompons! C’eft fans doute quelque tour de Lucinde : Marton y fera tout au moins de moitie. Ne troublous point leur badinage. Mes indifcretions precedentes m’ont coute trop cher. V A L E R E. Eh ! bien ; Monfieur Frontin recommit - il l’original de cette peinture ? FRONTIN, Poult! fi je le connois ? Quelques centaines de coups de pied au cul, & autant de foufflets que j’ai eu 1’honneur d’en recevoir en detail, out bien cimente la connoiflance. VALERE. Une iille, des coups de pied! Cela eft un peu gaillard. FRONTIN. Ce font de petites impatiences domeftiques qui la prennent a propos de rien. V A L E R E. Comment! l’aurois-tu fervie ? FRONTIN. Oui, Monfieur; & j’ai meme 1’honneur d’etre toujours fon tres-humble ferviteur. V A L E R E, II feroit affez plaifant qu’il y eut dans Paris One jolie femme qui ne fut pas de ma connoif. 384 L'Amajt de ltj,i-mime, fance ! ... 4 Parle-moi fincerement. L’original elt-il auffi aimable que le portrait? F'RONTIN. Comment, aimable! fcavez-vous, Monfieur, que , fi quelqu’un pouvoit approcher de vos perfe&ior.s, je ne trouverois qu’elle feule a vous comparer. V A L E R E, Confide rant le portrait. Mon coeur n’y refifte pas .,. . Frontin , dis— moi le nom de cette Belle. FRONTIN, ii part. Alt! ma foi, me voila pris fans verd. V A L E R E. Comment s’appelle-t-elle ? Parle done. FRONTIN. Elle s’appelle ,.. elle s’appelle .... elle ne s’ap- pelle point. C’eft une fille anonyme, conraie tant d’autres. V A LERE. Dans quels trifles foupqons me jette ce co¬ quin ! Se pourroit-il que des traits airffi. char- mans ne fullent que ceux d’une grifette? FRONTIN. Pourquoi non ? La beaute fe plait a parer des vifages qui ne tirent leur fierte que d’elle. VALERE. Quo* ! e’eft.. . FRONTIN. Uhe petite perfonne bien coquette, bien mi- nau- C O M e' D I E S8 c’eft un point refolu. F R O N T I N. Oui, dhez vous. Mais Monfieur votre pere, qui a fait auili fes petites refolutions a part, eft rhamme du monde le moins propre a ceder aux votres. Vous Icavez que fon foible n’eftpasla complaifance. C O M e' D I E." 38? V A L E R E. II faut la trouver a quelque prix que ce foit. Allons, Frontin', courons, cherchons par-tout. Allons, courons, volons> faifons l’inventai- re & le fignalement de toutes les jolies filles de Paris. Pelte ! le bon petit livre que nous au- rions la ! Livre rare, dont la ledture n’endor- miroit pas. V A L E R E. Hatons-nous. Viens achever de m’habiller. FRONTIN. Attendez, voici tout-a-propos Monfieur vo- fre pere. Propofons-lui d’etre de la par tie. Tais-toi, bourreau. Le malheurau^ contre terns! SCENE IV. LISIMON, VALERE, FRONTIN. LIS I M O N , qui doit toujoitrs avoir le ton FRONTIN. VALERE. brufque. H ! bien, tnon fils ? VALERE. Frontin, un fiege a Monfieur. Bb 2 388 L’Amant de tui- mem£? L I S I M O N. Je veux refter debout. Je 11’ai que deux motg a te dire. V A L E R E. Je ne fqaurois, Monlieur, vous ecouter qus vous ne foyez ailis. LISIMO N. Que diable! il ne me plait pas, moi. Vous verrez que rimpertinent fera des complimens avec fon pere. V A L E R E. Le refpedt.... L I S I M O N. Oh! le refpedl conlifte a m’obeir & a ne ms point gener. Mais , qu’eft ce ? encore en desha¬ bille ! Un. jour de noces ? Voibi qui eft joli I Angebque n’a done point encore requ ta vifite? V 1 LERE. J’achevois de me coeffer , & j’allois m’ha- biller pour me prefenter decemment devant elle, L I S I M O N. Faut-il tatit d’appareil pour nouer des che- veux & mettre un habit ? Parbleu ! dans ma jeu- nefl’e, nous udons mieux du terns, & fans per- dreles trois quarts de la iournee a faire la roue devant un miroir , nous fcavions a plus jufte ti« tre avancer nos affaires aupres des Belles. V A L E R E. II femble cependant que quand on veufc C O M e' D I E." 3 S9 §tre aime, on ne fgauroit prendre trop de {bin pour fe rendre aimable , & qu’une parure fi ne¬ gligee ne devroit pas annoncer des amans. bien occupes du foin de plaire. L I S I M O N. Pure fotife. Un peu de negligence fied quel- quefois b r en quand on aime. Les femmes nous tenoient plus de compte de nos empreifemens que du terns que nous aurions perdu a notre toi¬ lette ; fans affebler tarit de delicateffe dans la parure , nous etvavions davantage dans le coeur. Mais laitfons ce’a. J’avois penfe a differer ton manage jufqu’a l’arrivee de Leandre , aftn qu’i! eut le plailir d’y alfifter, & que j’eulfe , moi, celui de faire tes noces & cedes de ta four en immemejour. VALERE, has, Frontin, quel bonheur! F R O N T I N. Oui, un mariage recme j c’eft toujours autanfc de gagne fur le repentir. L1SIMO N. Qu’en dis-tu , Valere? II femble qu’il ne fe- roit pas feant de marier la four fans attendre le frere , puifqu’il eft en cbetnin. VALERE. Je dis, mon pere-, qu’on ne peut rien de mieux penfe. LISIMO N. Ce delai tie te feroit done pas de peine? Bb 3 350 L’Amant de lui-meate, VALERE. L’emprefTement de vous obeir furmontera toujours toutes mes repugnances. L I S I M O N. C’etoit pourtant dans la crainte de te mecon- tenter que je ne te l’avois pas propofe. VALERE. Votre volonte n’eft pas moins la regie de mes defirs que celle de mes adlions. ( Bas. ,) Frontin, quel bon homme de pere ! LISIMOX. Je fuls chat me de te trouver fi docile : tu en auras le merite a bon marche; car par une let- tre que je reqois a l’inftant, Leandre m’apprend qu’il arrive aujourd’hui. VALERE. Eh ! bien,. mon pere ? L I S I M O N. Eh ! bien, mon fils ? Par ce moyen rien ne fera derange. VALERE. Comment, vous voudriez le marier en arri¬ val! t ? FRONTIN. Marier un homme tout botte ! L I S I M O N. Non pas cela; puifque , d’ailleurs, Lucinde & lui ne s’etant jamais vus, il faut bien leur laiiler le loifir de faire connoiflance; mais il af- fiftera au mariage defafceur, & je n’aurai pas C O M *' I> I E. 35* la durete de faire languir un fils auffi complai- iant. VALERE. Monfieur.... L I S I M O N. Ne crains rien ; je connois & j’approuve trop ton empreirement, pour te jouer un auffi mau- vais tour. VALERE. Mon pere.... LISIMON. Laiffons cela , te dis-je : je devine tout, ce que tu pourrois me dire. VALERE. Mon, mon pere,. . j’ai fait... des refle¬ xions. ... LISIMON. Des reflexions, toi ! Je n’aurois pas devine celui-la. Sur quoi done, s’il vous plait, roulent vos meditations fublimes ? VALERE. Sur les inconveniens du mariage. F R O N T I N. Voila un texte qui fournit... LISIMON. Un fot peut reflechir quelquefois; mais ce n’eft jamais qu’apres la fotife. Je reconnois la mon fils. Bb 4 353 L’ Amant d e lui-meme," valere; Comment! apres la fotife. Mais je ne fuis point encore marie. LISIMQN. Apprenez , Monfieur le Philofophe, quftf n’y a nulle difference de ma volonte a Fade. Vous pouviez moralifer quand je vous propofai la chofe, & que vous en etiez vous-meme ff empreffe. J’aurois de bon coeur ecoute vos rai- fons : car vous fcavez ii je fuis complaifant. FRONTIN. Oh ! oui, Monfieur , nous fommes la-deffus en etat de vous rendre juftice. L I S I M O N. Mais aujourd’hui que tout eft arrete, vous pouvez fpeculer a votre aife; cefera, sUl vous plait, fans prejudice de la n6ce. F A L E R E. La crainte redouble ma repugnance. Songez * je vous fupplie, a J’importance de l’affaire. Dai- gnez m’accorder quelques jours. L I S I M O N. , Adieu , mon fils-; tu feras mane ce foir, ou.., tu m’entends. Comme j’etois la dupe de la de¬ ference du pendard! C O M e' D I E. 39* SCENE V. VALERE, FR ONT I N. V A L E R E. dans quelle peine me jette fon in- flexibility! F R O N T I N. Oui; marie ou desherite ; epoufer une femm$ ou la pauvrete : on balanceroit a moins. VALERE. Moi, balancer ! Non ; mon choix etoit en¬ core incertain, l’opiniatrete de mon pere determine. . FR.ONTIN. En faveur d’Angelique. VALERE, Tout au cont'raire. F R O N T I N. Je vous fclicite , Monfieur, d’une refolution aulli heroique. Vous allez mourir de faim en digne martyr de la liberte. Mais s’il etoit quef- tion d’epoufer le portrait ? Hem ’ le mariage ne vous paroitroit plus II affreux ? VALERE. Non; mais II mon pere pretendoit m’y for¬ cer , je erois que j’y refflerois avec la meme Bb f 394 L’Amant de lu i-m e m e,' fermete, & je fens que mon coeur me ramened roit vers AngeJique, li-tot qu’on m’en voudroit eloigner. F R O N T I N. Quelle dociiite ! Si vous n’heritez pas des biens de Monfieur votre pere , vous heriterez au moins defesvertus. (Regardant le portrait) Ah! V A L E R E. Qu’as-tu ? FRONT1N. Dep-'is notre difgrace, ce portrait me fem- ble avoir pris une phyfionomie famelique, un certain air allonge. V A L E R E. >C’eft trop perdre de terns a des impertinen¬ ces. Nous devrions deja avoir couru la moitie de Paris. (Il fort.) . F R O N T I N. Au train dont vous allez , vous courrez bien- t6t les champs. Attendons , cependant, le de¬ nouement de tout ceci •, & pour feindre de mon cote une recherche imaginaire, allons nous cacher dans un cabaret. C o m e' d i e.' SCENE VI. ANGE'LIQUE, MARTON. MARION. ah, ah, ah : la plaifante fcene! qui 1’euC jamais prevue? Que vous avez perdu, Made- moifelle , a n’etre point id cachee avec moi, quand il s’eft ft bien epris de fes propres char- mes ! ANGE'LI Q_U E. II s’eft vu par mes yeux. MARTON- Quoi! vous auriez la foiblefle de conferver des fentimens pour un homme capable d’un pareil travers ! A N G E' L I Q_U E. II te paroit done bien coupable? Qu’a-t-on, cependant, a lui reprocher que le vice univer- fcl de Ton age ? Ne crois pas pourtant qu’infen- llble a l’outrage du Chevalier, je fouftie qu’il me prefere ainfi le premier vifage qui le frappe agreablement. J'ai trop d’amour pour n’avoir pas de la delicatefle: & Valere me facrifiera fes fo- lies des ce jour, ou je facrifierai mon amour a ma raifon. L’Amantd! ldi-memj; MARTON. Je crains bien que l’un ne foie aufli difficile que l’autre. ANGE'LI Q_U E. Voici Lucinde. Mon frere doit arriver au- jourd’hui. Prends bien garde qu’elle ne le foupqonne point d’etre fon inconnu jufqu’a-ce qu’il en foit terns. SCENE VII. LUCINDE, ANGE'LIQ_UE» MARTON. MARTON. J E gage, Mademoifelle, que vous ne devinc- rez jamais que! a ete 1’eifet du porcrait '< Vous en rirez fiirement. LUCINDE. Eh! Marton, lailfons-la !e portrait; j’aibien d’autres chofes en tete. Ma chere Angelique, je fuis defolee, je luis mourante. Voici l’inftant oil j’ai beloin de tout votre fecours. Mon pere vienr. de m’annoncer l’arrivee de Leandre. II ve.ut que je me difpofe a le recevoir aujourd’hui, & a lui donner la main dans huit jours. A N G E' L I Q.U E. Que trouvez-vous done la de il terrible? C 0 M e' B i *. MARTON. Comment, terrible! Vouloir marier une bel¬ le perfonne de dix-huit ans avec un homme de vingt-deux , riche & bien fait! En verite, cela fait peur, & ii n'y a point de hlle en age de rai- fon, a qui 1’idee d’un tel mariage ne donnat la fievre. L U C I N D E. je ne veux ricn vous cacher. J’ai requ en me- me terns une lettre de Cleonte; il fera incef- famment a Paris i il va faireagir aupres de mon pere : il me conjure de differer mon mariage: enftn il m’aime toujours. Ah! machere, ferez- vous infenfible aux allarmes de mon coeur? & cette amitie que vous m’avez juree.... ANGE'LI Q_U E. Plus cette amitie m’eftchere, & plus je dois fouhaiter d’en voir rederrer les noeuds par votre mariage avec mon frere. Cependant, Lucinde, votre repos eft le premier de mes defirs ; & mes voeuxfont encore plus conformesaux votres que vous ne penfez. LUCINDE. Daignez done vous rappelier vos promeffes.' Faites bien comprendre Le.mdre que mon coeur iie fcauroit erre a lui; que . .. MAR T O N. Mon Dieu ! ne jurons de rien. Les hommes ont taut de reffources & les femmes tant d’in- conftance, que il Leandre fe nieuoit bien dans S9§ L’AmAnt di lci-memi,’ la tete de vous plaire, je parie qu’il en viendrolfi a bout malgre vous. LUCINDE. Marton! MARTON. Je ne lui donne pas deux jours pour fupplan- ter votre inconnu, fans vous en lailTer meme le moindre regret. LUCINDE. Allons, continuez .. . Chere Angelique, je compte fur vos foins-, & dans le trouble qui xn’agite, je cours tout tenter aupres de mon pere , pour differer , s’il eft poffible , un hymen que la preoccupation de mon coeur me fait en- vifager avec effroi. (File fort.) ANGE'LIQUE. Je devois I’arreter. Mais Litimon n’eft pas homme a ceder aux follicitations de fa Bile , & toutes fes prieres ne feront qu affermir ce mana¬ ge, qu’elle-meme fouhaite d’autant plus qu’elle paroxt le craindre. Si je me plais a jouir pen¬ dant quelques inftans de fes inquietudes, c’eft pour lui en rendre l’evenement plus doux. Quel¬ le autre vengeance pourroit etre autorifee par l’amitie ? MARTON. Je vais la fuivre; & fans trahir notre fecret, Fempecher, s’il fe peut, de faire quelque folie. C O M e' D I ll 3 99 SCENE VIII. ANGE'LI Q_U E. ULnsense'e que je fuis! mon efprit s’occupe a des badineries , pendant que j’ai tant d’affai¬ res avec mon cceur. Helas! peut etre qu’en ce moment Valere confirme fon infidelite.. Peut-etre qu’inflruit de tout, & honteux de s’etre laitfe fur- preudre, il offre par depit fon cceur a quel- qu’autre objet. Car voila les hommes : ils lie fe vengent jamais avec plus d’emportement, que quand ils ont le plus de tort. Mais le void, bien occupe de fon portrait. SCENE IX. ANGE'LIQ_UE, VALERE. V A L E R E, fans voir Angelique. J^E cours fans fqavoir ou je dois chercher cet objet charmant. L’amour ne guidera t-il point jnes pas ? ANGE'LI Q_U E, a part. Ingrat ! il ne les conduit que trop bien. VALERE. Ainli l’amour a toujours fes peines. Il faut 400 L’A M A N T BE L JJ I-M E Ml]' que je les eprouve a chercher la Beaute que fair me, ne pouvant en trouver a me faire aimer. AN G E' L I Q_ U E , a part. Quelle impertinence! Bielas ! comment peut- on etre ft fat & ft aimable tout a la fois ? VALER E. II faut attendre Frontin ; il aura pent - etre mieux reufli. En tout cas Angelique m’adore ... ANGE'LI Q_U E , A part. Ah ! traitre, tu connois trop mon foible. VALERE. Apres tout, je fens toujours que je ne per- drai rien aupres d’elle : le cceur , les appas , tout s’y trouve. ANGE'LI Q_U E, A part. II me fera l’honneur de m’agreer pour foil pis aller. VALERE. Que j’eprouve de brfarrerie dans mes fenti- mens! Je renonce a la polfeilion d’un objet char- mant & auquel dans le fond mon penchant me ramene encore. Je m’expofe a la difgrace de mon pere, pour m’enteter d’une Belle, peut- etre indigne de mes foupirs, peut-etre imagi- naire , fur la feule foi d’un portrait tombe des nues & flatte a-coup-fur. Quel caprice! quelle folie! Mais quoi! la folie & les caprices ne font-ils pas le relief d’un homme aimable? [Re¬ gardant ic portrait.'] Que de graces! ....Quels traits! .., Que cela eft enchants ! ... Que cela eft G O M e' D I Es 4G-r felt divin! Ah! qu’Angelique lie fe flatte pas de foutenir la comparaifon avec tant de charraes. A N G E' LI Q_U E, faifijjant Is portrait. Je n’ai garde allurement. Mais qu’il me foit permis de partager votre admiration. La coa- noiiTance des charmes de cette heureuie rivale adoUcira du nioins la honte de ma defaice. VALERE. O Ciel! ANGE'LI Q_U E. Qu’avez-vous done ; 1 Vous paroilfez tout In- terdit. Je n’aurois jamais cru qu’un petit-maitre fut fi aife a decontenancer. VALERE. Ah! cruelle, vous connoiiTez toutl’afcendant que vous avez fur moi, & vous m’outragez fans que je puilfe repondre. ANGE'LI Q_U E. G’eft fort mal fait, en verite; & reguliere- ment vous devriez me dire des injures. Allez, Chevalier, j’ai pitis de votre embarras. Voiia votre portrait •, & je fuis d’autant moins faohee que vous en aimiez l’original * que vos fenti- mens font fur ce point tout- a-fait d’accord avec les miens. VALERE. Quoi! vous connoiiTez la perfonne... A N G E' L I Q_U E. Non feulement je la connois, mais je puis Joins I. C c 4 02 L’A MANT D E Ll'I-ME AI E, vous dire qu’elle eft ce que j’ai de plus cher au monde. ViLERL Vraiment, voici du nouveau, & le langagd eft un pen linguiier dans la bouche d’une rivale. AN GE' LI Q_U E. Je ne fcais; mais il eft lincere. [A ■parti] Sll fe pique, je triomphe. V A L E R E. Elle a done bien du merite ? ANGE'U Q_U E. 11 ne tient qu’a elle d’en avoir infiniment. VALERI Point de defauts, fans doute. A N G E' L I Q_U E. Oh ! beaucoup. C’eft une petite perfonne bi-i farre, capricieufe, eventee, etourdie, volage, & fur-tout d’uue vanite infupportable. Mais r quoi ? elle eft aimable avec tout cela, & je pre- dis d’avaneeque vous l’aimerez jufqu’au tonibeau. VALER E. Vous y confentez donc?i ANGE'LI Q_U E. Oui. V A L E R E, Cela ne vous fachera point ? ANGE'LI aU E. Non. V A L E R E , a part. Son indifference me defefpere. [Haut.] Ofs- C O H e' D I E, 403 rai-je me flatter qn’en ma faveur vous voudries bien reflerrer encore votre union avec ellc c* A N G E' L I Q.U E., Celt tout ce que je demande. V A L E R E, outre. Vous dices tout cela avec une tranquillite •qui me charme. ANGE'LI aU E. Comment done ! vous vous plaigniez tout-a- fheure de mon enjouement , & a prefent vous vous fachez de mon fang - froid ’ Je ne icais plus quel ton prendre avec vous. VALERE, [Bar.] Je creve de depit. [Hautl] Mademoi- felle m’accorderat-eile la faveur de me fairs faire connoilflmce avec ellc ? ANGE'LI Q_U E. Voila, par exemple, un genre de fervice que je fuis bien fure que vous n’attendez pas de moi: raais je veux palfer votre efperance, & je vous le promets encore. VALERE. Ce fera bien-tot, au moins ? AN G E'LI Q_UE. Peut etre des aujourd’hui. VALERE. Je n’y puis plus tenir. [ II vent s'en alley, j ANGE'LI Q_U E , a part. Je commence a bien augurer de tout ceeij il Cc % 404 L’A M A NT D E L U I-M E M E a trop de depit pour n'avoir plus d!amoui> \_Haut.] Oil allez-vous , Valere ? VALERE. Je vois que ma prefence vous gene, & vais vous ceder la place. A N G E' L I Q_U E. Ah! point. Je vais me retirer moi-meme; il n’eft pas jufte que je vous chaffe de chez vous. VALERE. Allez, allezj fouvenez-vous que qui n’aim$ rien ne merite pas d’etre aimee. AN GE' LI Q_U E. II vaut encore mieux n’aimer rien, que d’etre! amoureux de foi-meme. SCENE X. VALERE. ^./^.Moureux de foi-meme ! Eft-ce un crime de fentir un peu ce qu’on vaut? Je fuis c-epen- dant bien pique. Eft-il poffible qu’on perde un amant tel que moifans douleur ? On diroit qu’el- le me regarde comme un homme ordinaire. He- las ! je me deguife en vain le trouble de mon cocur, & je tremble de l’aimer encore apres fon inconftance. Mais non; tout mon cocur n’eft qu’a ce charmant objet. Courons tenter de nou- velles recherches, & joignons au foin de fake C O M e' D I E. 40 f inon’bonheur, celui d’exciter la jaloulie d’An- gelique. Mais void Frontin. SCENE XI. VA L E R E, FRONTIN, ivre. FRONTIN. Ue diable ! Je ne fqais pourquoi je ne puis me tenir ; j’ai. pourtant fait de mon rnieux pour prendre des forces. V A L E R E. Eh! bien, Frontin, as-tu trouve... FRONTIN. Oh ! oui, Alonfieur. V A L E R E. Ah ! Ciel, feroit-il poflible ? FRONTIN. ) } Auffi j’ai bien eu de la peine. V A L E R E. Hate-toi done de me dire . . . FRONTIN. II m’a fallu courir tous les cabarets du quar- tier. V A L E R E. Des cabarets ! FRONTIN. Mais j’ai reufii au-dela de mes efperances, %06 L’A MANTLE L U I-M EME, VALERE. Conte-moi done ... , FRONTIN. C’etoit un feu ... line moufle . . . VALERE. Que diable barbouille cet animal ? FRONTIN. Attandez que je reprenne la chofe par ordre. VALERE. Tais-toi, ivrogne, faquin , ou reponds- rood fur les ordres que je t’ai donnes au fujet de l’ori- ginal du portrait. FRONTIN. Ah ! oui, F original; juftement. Rejouiffez- fous , rqjouifl’ez-vous, vous dis-je. VALERE. Eh ! bien ? FRONTIN. II n’eft: deja ni a la Croix-blanche, ni au Lio^ B’or, ni a la Pomme de pin , ni . . . VALERE. Bourrcau, finiras-tu '< FRONTIN. Patience. Puifqu’il n’eft pas la, il faut qu’il foit ailleurs &...oh! je le trouverai, je le ^rouverai. . . VALERE. II me prend des demange^ifons de PaiTom- prer ; fqrtqns. C O M e' D I E. 407 SCENE XII. F R O N T I N. Me voila, en efFet, aflez joli garqon!. I Ce plancher eft diablement raboteux. Ou en etois-je '{ Ma foi, je n’y fuis plus. Ah ! fi fait... SCENE XIII. LUCINDE, FRONTIN. LUCINDE. Rontin , ou eft ton maitre ? FRONTIN. Mais, je crois qu’il fe cherche aduellement, LUCINDE. Comment, il fe cherche ! FRONTIN. Oui, il fe cherche pour s’epoufer. LUCINDE. Qu’eft-ce que c’eft que ce galimathias ? FRONTIN. Ce galimathias! vous n’y comprenez done rien ( LUCINDE. Non, en verite. C c 4 408 L’Amantde lui-meme, FRONTIN. Mafoi, ni moi non plus: je vais pourtanfc vous l’expliquer, li vous voulez. LUCINDE. Comment m’expliquer ce que. tu ne com,- prends pas ? FRONTIN.. Oh ! dame , j’ai fait mes etudes , moi, LUCINDE. II eft iv,re, je crojs. Eh ! Frontin, je t’en prie , rappelle un peu ton bon fens ; ticlie de te- ftire entendre, FRONTIN. Pardi, rien n’eft plus aife. Tenez. C’eft un portrait.... metamor.... non, metaphor. oui, metaphorife. C’eft mon maitre, c’eft une fille . . . vous ayez fa;t mi certain melange... Car j’ai devine tout <~a, moi. Eh! bien x peuton parlor plus clairement ? L UCINDE, Non, cola n’eft pas poflible. F R O N T I N, II n’y a que mon maitre qui n’y comprenne rien. Car il eft devenu amoureux de la reiftm-, blance. L U C I N D E, Quo!! fans fe reconnoitre ? FRQNTI N. Qui, & q’eft bieu ce qu,’il y a d’extraordb- ftftire, 4 C O M e' D I £. 40 jr L U C I N D E. Ah ! je comprends tout le refte. Et qui pon- voit prevoir cela ? Cours vite, mon pauvre Fron- tin, vole chercher ton maitre, & dis-lui que j’ai les chofes les plus prelfantes a lui communiquer. Prends garde, fur-tout, de ne lui point parler de tes divinations. Tiens , voila pour .... iFRONTIN. Pour boire, n’elt-ce pas ? LUCINDE. Oh ! non, tu n’en as pas befoin. FRONTIN. Ce fera par precaution. SCENE XIV. LUCINDE. We balancjons pas un inftant, avouons tout, & quoi qu’il m’en puifle arriver, ne fouffrons pas qu’un frere fl cher fe donne un ridicule, par les moyens memes que j’avois employes pour Pen guerir. Que je fuis malheuroufe I J’ai de- Poblige mon frere; mon pere irrite de ma refif- tance n’en e*ft que plus abfolu : mon amant ab- fent n’eft point en etat de me fecourir j je crains les trahifons d’une amie, & les precautions d’un homme que je ne puis fouffrir: car je le hais furement, 8c je feus que je prefererois la more a Leandre, Ce f 410 L’A M ANT D E L U I-M EMI, I " 1 ... —» SCENE XV. A N G E' LI Q_UE, LUCINDE, MARTON. ANGE'LI Q_U E. Onsolez- vous , Lucinde ; Leandre ne veut pas vous faire mourir. Je vous avoue , cepen- dant, qu’il a voulu vous voir fans quc vous Is fquffiez. LUCINDE. . Helas ! tant-pis, ANGE'LI Q_U E. Mais fcavez - vous bien que voila un tant - pis qui n’eft pas trop modefle M A R T O N. C’eft une petite veine du fang fraternel. LUCINDE. Alon Dieu I que vous etes meckante ! Apres ccla, qu’a-t-il dit? A N G E' L I Q_U E. 11 m’a dit qu’il feroit au defefpoir de vous ob- tenir contre votre gre, MARTON. II a meme ajoute que votre refiflance lui fai- foit plaifir en quelque maniere. Mais il a dit ce¬ la d’un certain air . . . Scavez vous qu’a bien ju- ger de vos fentimens pour lui, jegagerois qu’il C O M e' B I E. 41 1 n’eft guere en refte avec vous. Haiflez-le tou.r jours de merne, il ne vous rendra pas mal 1 q change. L U C I N D E. Voila une facon de m’obeir qui n’eft pas trop polie. M A R T O N. Pour etre poli avec nous autres femmes, il ne faut pas toujours etre (I obeiflant. ANGE'LiaUE. La feule condition qu’il a mife a fa renoncia- tion ell que vous recevrez fa vifitc d’adieu, L U C I N D E. Oh ! pour cela non je l’en quitte. A N G E' L I Q_U E. Ah! vous ne fqauriez lui refufer cela. C’eft d’ailleurs un engagement que j’ai pris avec lui. Je vous avertis merne confideniment qu’il comp- te beaucoup fur le fucces de cette entrevue , & qu’il ofe efperer qu’apres avoir paru a vos yeux, vous ne relifterez plus a cette alliance, LU C i N D E. Il a done bien de la vanite ! M A R T O N, Il fe flatte de vous apprivoifer. ANGE'LI Q_U E, Et ce n’eft que fur cet efpoir qu’il a confenti au traite que je lui ai propofe. M ART O N. Je vous reponds ^u’il lfaccepte le marche, Jf .12 L’Amaxt de lui-meme, que parce qu’il eft bien fur que vous ne le preit- drez pas au mot. L U C I N D E. II faut etre d’une fatuite bien infupportable. Eh ! bien , il n’a qu’a paroitre : je ferai curieu- fe de voir comment il s l y prendra pour etaler fes charmes ; & je vous donne ma parole qu’il fera d’un air ..., faites - le venir. Il a befoin d’une lecon j comptez qu’il la recevra .. . inf- trudive. A N G E' L I Q_U E. Voyez-vous, ma chere Lucinde : on ne tient pas tout ce qu’on fe propofe; je gage que vous vous radoucirez. MARTON. f Les homrnes font furieufement adroits} vous verrez qu’on vous appaifera. LUCINDE. Soyez-en repos la-deffas, ANGE'LI Q_U E. Prenez-y garde au moins •, vous ne dircz pas qu’on ne vous a point avertie. MARTO N. Ce ne fera pas notre faute, li vous vous lailfez furprendre. LUCINDE. En verite, je crois que vous voulez me fake devenir folle. ANGE'LKIUE. [Bur a Marion.] La voiia au paint. [Haitif] C O M e' D I E» 413 Puifque vous je voulez done, Marton va vous l’amener. L U C I N D E. Comment ? MARTON. Nous l’avons lailie dans l’anti-chambre; il va, etre ici a l’inftant. L U C I N D E. O cher Cleonte! que ne peux-tu voir la ma- niere dont je reqois tes rivaux ? SCENE XVI. ANGE'LI Q_U E , LUCINDE, MARTON, LE'ANDRE. A N G E' L I Q_U E. J^LPprochez , Leandre; venez apprendre a Lucinde a mieux connoitre foil propre coeur: die croit vous hair, & va faire tous fes efforts pour vous mal recevoir; nrais je vous reponds , moi, que toutes ces marques apparentes de haine font en effet autant de preuves reelles de fon amour pour vous. LUCINDE, toujours fans regarder Leandre . Surce pied-la, il doit s’eftimer bien favorife, 1 je vous affure. Le mauvais petit efprit! 414 L’A MANT DE L U I-M.E Jti E ANGE'LI Q_U E. Allons, Lucinde, faut-il que la colere vous empeche de regarder les gens ? LE'ANDR E. Si mon amour excite votre haine, connoiflez fcombien. je fuis critninel. (// fe jette aux geuotix ele Lucinde.') LUCINDE. Ah ! Cleonte ! Ah ! mechante Angelique ! L E' A N D R E. Leandre vous a trop deplu, pour que j’ofe me prevaloir, fous ce nom* des graces que j’ai recues fous celui de Cleonte. Mais ft le motif de mon deguifement en peut juftifier l’eifet, vous le pat- donnerez a la delicateife d’un cocur, dont le foible eft de vouloir Stre aims pour lui-meme. LUCINDE; Levez-vous, Leandre; un exces de delicateffe n’offenfe que les cteurs qui en manquent, & le mien eft aulft conteiit de l’epreuve , que le votre doit l’etre du fucces. Mais vous , Angelique! ma chere Angelique a eu la cruaute de fe faire un amufement de mes peines! A N G E' L I Q_U E. Vraiment, il vous fieroit bien de vous plain- dre ! Helas ! vous etes heureux l’un & l’autre , tandis que je fuis en proie aux allarmes. L E' A N D R E. Quoi! ma chere fceur, vous avez fonge a mon bonheur, pendant merne que vous aviez C o m. i' d i Ml '41$ des inquietudes fur le votre ! Ah ! c’eft une bon- te que je n’oubiicrai jamais- [Illui baife la main ] SCENE XVII. LE'ANDRE, VALERE, ANGE'LIQUE, LUCINDE, MARTON. VALERE. ^QhjE ma prefence ne vous gene point. Corn* meat, Mademoifelle ! Je ne connoiffois pas tou- tes vos conquetes, ni l’heureux objet de votre preference; &j’auraifoin de me fouvenir, par humilite , qu’apres avoir foupire le plus conftam- ment, Valere a ete le plus maltraite. A N G E' L I Q. U E. Ce feroit mieux fait que vous ne penfez, 8c vous auriez befoin en elfet de quelques leqons de modeftie. VALERE. Quoi! vous ofez joindre la raillcrie a 1 ’outra- ge ! vous avez le front de vous applaudir 5 quand vous devriez mourir de honte ! ANGE'LI Q_U E. All! vous vous fachez! je vous laifle; je n’aL aie pas les injures. 4-16 L’A MANT D! LUI-MESEj V A L E R E. Non , vous demeurerez 5 il faut que je jouifis de toute votre honte. ANGE'LI Q,U E. Eh ! hien, jotuflez. VALERE. Car, j’efpere que vous n’aurez pas la haf» dieife de tenter votre juftification. A N G E LI Q_U E, N’a^ez pas peur. VALERE, Et que vous ne vous flattez pas que je con- ferve encore les moindres fentimens en votre faveur, A N G E' L I Q_U E. Mott opinion la-deifus ne changera rien a Is chofe. VALERE. Je vous declare que je ne veux plus avoif pour tous que de la haine. ANGE' LI Q_U E, C’eft fort bien fait. V A L E R E i tit ant k portrait. Et void deformais l’unique objet de tout nion amour. ANGE'LKID E. Vous avez raifon. Et moi je vous declare que ji’ai pour Monfieur ( \Montrant [on frere ) un atta- chement, qui n’elt guere infetieurau votre pour l’original de ce portrait. VA- 0 O M z' D I E, 4^17 V A L E R E. L’ingrate ! Helas ■, il ne me refte plus qu’^ ifiourir! ANGE’LI Q_U E. Valere , ecoutez. J’ai picie de l’etat oil je vous vois. Vous devez convenir que vous etes le plus injufte des hommes, de vous emporcer fur une apparence d’infidelite , dont vous m’a- Vez vous - meme donne l’exeniple; mais ma bon- te veut bien encore aujourd’liui pafler vos ttavers. VALERE. Vous verrez qu’on me fera la grace de me pardonner ! AN G E’L I Q_U E. Env.erite, vous ne lemeritez guere. Je vais cependant vous apprendre a quel prix je puis m’y refoudre. Vous m’avez ci-devant temoigne des fentimens que j’ai payes d’un retour trop tendre pour un ingrat. Maigre cela, vous m’a¬ vez indignement outragee , par un amour extra¬ vagant conqu fur un limple portrait, avec tou- te la legerete , & j’ofedire, toute l’etourderie de votre age & de votre caradlere. II n’eft pa? terns d’examiner fi j’ai du vous imiter , & ce n’eft pas a vous , qui etes coupable , qu’il convien- droit deblamer maconduite. VALERE. Ce n’eft pas a moi, grands Dieiux! Mais voyons ou tendent ces beaux difcours. Tome I. D d ^ig L’Amaht de lui-meme; A N G E’ L I Q.U E. Le void. Je vous ai dit que je connoiffois Pobjet de votre nouvel amour , & ce!a eft vrai. J’ai ajoute que je l’aimois tendrement, & cela n’eft encore que trop vrai. En vous avouant foil merite , je ne vous ai po'nt deguife fes de- fauts. J’ai fait plus; je vous ai promis de vous le faire connoitre ,• & je vous engage a prefenfc ma parole de le faire aujourd’hui, des cette heu- re meme : car je vous avertis qu’il eft plus pres de vous que vous ne penfez. V A L E R E. Qu’entends - je '{ Quoi! la. A N G E’ L I Q_ U E. Ne m’interrompez point, je vous prie. En- fin, la verite me force encore a vous repeter » que cette perfonne vous aime avec ardeur , & je puis vous repondre de fon attachement comnie du mien propre. C’eft a vous maintenant de choillr , entr’elle & moi, celle a qui vous def- tinez toute votre tendrefle : choiftffez , Che¬ valier ; mais choififfez des cet inltant, & fans retour. MARTON. Le voila, ma foi, bien embarrafle ! L’alter- native eft ptaifante. Croyez-moi, Monfieur t choililfez le portrait j c’eft le moyen d’etre k Pabri des rivaux. $20 L’A MANT D E LU I-M E M El V A L E R E. Dans quelle etrangefurprife vous me jettez f ANGE’LI Q_U E. Vous devriez d’autant moins meconnoitre cet objet , que vous avez eu avec lui le commerce le plus intime, & qu’aiTurement on lie vous ac- cufera pas de I’avoir neglige. Otez cette parure etrange que votre fccur y a fait ajouter.. . . VALERE. Ah ! que vois- je ? MARTOH. La chofe n’eft-elle pas claire? Vous voyezle portrait, & voila l’original. VALERE. O Ciel! & je ne moeurs pas de honte l MARTON. Eh! Monfieur, vous etes peut-etre le feul de votre ordre qui la connoifTez. A N G E’ L I Q_ U E. Ingrat! avois - je tort de vous dire que j’ai- niois l’original de ce portrait? VALERE. Et moi, je ne veux plus fainter que parce qu’il vous adore. ANGE’LI Q_U E. . Vous voulez bien que, pour affermir notre reconciliation, je vous prefente Leandre mon frere! LE’ANDRE, SouiFrez, Monfieur,.., Com d i e.' '421 V A L E R E. Dieux ! quel comble de felicite ! Qiioi! mema je n’en vois aucun l'ortir de fa famille fans prouver qu’il a des moeurs & de la litterature. Si fancienne amitie dont pluheurs de vos amis tn’ho- A J. ]. Rousseau. 4^ m’honorent, ft l’amour que j’ai pour les fcien- ces & les lettres , que vous enrichilFez tous les jours , peuvent m’etre un titre aupres de vous, j’aurai bien de 1’emprelTement, Monfieur , a me lier avec vous dans le premier voyage que je ferai a Paris , & je vous prie de recevoir avec plailir & amitie les alfurances de la haute eftime avec laquelle &c. Toni , 20 Q&obre ,17 > —- --- - -‘---- —.... . . Reportfe de M. J. J. Rousseau. Je vous honorois , Monfieur , comme nous Fallons tous ; il m’eft doux. de joindre la reeon- noiffance a l’eftime, & je remercierois volon- tiers M. Paliflot de m’avpir procure fans y hun¬ ger des temoignages de vos bontes qui me per- mettent de vous en donner de mon refped. Si cet Auteur a manque a celui qu’il devoit & que doit toute la terre au prindre qu’il vouloit anmw Per , qui plus que moi doit le trouver inexcufa¬ ble ? Mais li tout fon crime eft d’avoir expofe mes ridicules, c’eft le droit du Theatre, je ne vois en cela rien de reprehenfible pour l’honne- te homme, & j’y vois pour l’Auteur le merite d’un heureux choix. Je vous prie done , Mon¬ fieur , de ne pas ecouter la - deflus le zele que l’amitie & la generofite infpirent a M. d’A em- bert, &de ne point chagriner pour cette baga¬ telle un homme de merite qui ne m’a fait aucu- ne peine, Si qui portetoit avec douleur la disgra¬ ce du Roi de Pologue & la votre. Tome. I. G g 466 Lettres de M. ie Comte de Tressaww Mon coeur eft emu des eloges dont vous hod norez ceux de mes Concitoyens qui font fous vos ordres. Effedivement le Genevois eft natu- rellement bon ; il a Fame honnete, il ne man¬ que pas de fens, & il ne lui faut que de bons ex- emples pour fe tourner tout-a-fait au bien. Per- mettez moi, Monfieur, d’exhorter ces jeunes offieiers a profiter du votre , a fe rendre dignes de vos bonte's & a perfedionner fous vos yeux les qualites qu’ils vous doivent peut-etre , & que vous attribuez a leur education, je prendrai vo- lontiers pour moi, quand vous viendrez a Paris, le confeil que je leur donne, its etudieront l’hemme de guerre , moi le Philofophe , notre etude commune fera l’homme de bien, & vous Perez toujours notre maitre. Paris 26. Dec. I 7 f f- Seconde Lettre de M.le Comte de Tress AN. Recevez, Monfieur, le prix de la vertu la plus pure. Vos ouvrages nous la font aimer en nous peignant fes charmes dans leur premiere fimplicite : vous venez de l’enfeigner dans ce moment par Fade le plus genereux & le plus digue de vous. Le Roi de Pologne , Monfieur, attendri, edifie par votre lettre, croit ne pouvoir vou3 donner une marque plus ^clatante defoaeftimc a J. J. Rousseau. 467 r - .: . : .• k - :• : : , : r *"> I -- i w »v .•fjTi - a i *\ \ - 5 v ;r/'vuO'i f vyojroM f uv ■>:: r . \y.“ ' v .i . ■; r.hiii ■ ’ , ■ ' ■. • ’ :• • i j 1 fill! f) 3 • ,) .»■■■' it g: ok rusu ('*¥• , 90 Cf j trtsh* j.. f, -tioiij • ' '/'ff; sfi .0 > -*3 $ t kihj,\£' .'fc v » V . , m XT JL X DES A ARTICLES Contends Hans ce premier Torie, VertiJJiment fur cette nouvelle Edition. Difcours i fi It retabliffiment des Sciences £5? deS Arts a contribue a epurer les matters. page 1 Reponfe au Difcours precedent par le Roi de Po~ logne. 4? Qbfervations de J. J. Roujfeau fur la Reponfe qui a et£ faite d fon Difcours par le Roi de Po - logne. 64 Autre Refutation du Difcours de Mr. J. J. Rouf- fiau par Mr. Gautier de l’Academic de Nancy. 1 00 Lettre de J. J. Roujfeau ail fujet de la Refutation de Mr. Gautier adreffee a Mr. Grim. 129 Troifieme refutation intitulee: Difcours fur les avantages des Sciences & des Arts ; par Mr. Bor des, de P Academic de Lyon. 148 Reponfe de J. J. Roujfeau au Difcours de Mr. Bordes. 1&3 Lettre de J. J. Roujfeau, fur la nouvelle Refu¬ tation de fon Difcours par un Academicien de Dijon. 22? Difaveu de VAcademic de Dijon , au fiijet de la Refutation attribute faujfement d Pun de fes Membres. 234 Lettre fur la Mufique Pramoife , par J. J. Rouf- fiau . 237 TABLE des ARTICLES. fa ‘.trait d’une Lettre de J. J. Roujfeau, fur les Ouvraget de Mr. Rameau, 304 J levin (le) du Village , Inter me de. 311 XV. Airs notes & graves en Cuivre en X Plan¬ ches. 336 fragment, d’une Lettre de J. J. Roujfeau d Mr. le Nieps', au fujet de fon Entree d l’Opera. 3 37 Preface de Narcijfe. Nareijfe, ou I'Amant de lui-meme, Comedie de J. J. Roujfeau. 371 Lettre de J. J. Roujfeau a Mr. de Voltaire fur fon Poeme fur le defaftre de Lisbonne, 424 JJAIlie de Silvie, petite Piece de Vers. 4fd Imitation libre d’tcne Chanfon ltalienne de Meta• fiafe, . 4f* Guifeppe Farfetti, Patrizio Vcneto, a Gib. Gia¬ como Roujfeau, Sennone. 4^9 Lettre de J. J. Roujfeau d l’Auteur du Mercure. 46 Z Trois Lettres du Comte de Trejfan d J. J. Rouf- feau , avec lei Reponfes. 4^4 Avis d un Anonyme , par J. J. Roujfeau. 472 Lettre d'un Bourgeois de Bordeaux d l’Auteur dtt Mercure. 41 % Reponfe de J. J. Roujfeau d Mr. De Boijfy qui lui avoit communique la Lettre precedente. 481 Lettre de J. J. Roujfeau, au fujet du Mandement de Mr. Montillet qu'il ne connoijfoitpas. 482 -— du meme au fujet de I’ouvrage intitule dei Princes. 48 % Fin de la Table.