Vladimir Pogačnik Ljubljana CDU 804.0-24 LE RELATIF QUI / QU' SUJET EN FRANÇAIS CONTEMPORAIN Notre contribution se donne pour but de souligner la "cohabitation" très répandue, mais peu divulguée de deux (selon certains auteurs de trois et même quatre) variantes phonomorphologiques de la forme simple du pronom relatif sujet en français parlé actuel: /ki/, /k/, /kj/, /k'/, tout en essayant de reposer certaines questions liées à ce phénomène. En effet, un exemple comme "C'est moi qui parle, c'est moi qu'écoute" (Renaud, Mistral gagnant, 1985, TLF, p. 96) n'étonne plus les interlocuteurs, car il est on ne peut plus courant. Néanmoins, les personnes censées devoir apprendre le français "moderne" à leurs élèves ne cessent de s'étonner que ce fait ait été plus ou moins banni des grammaires. Si dans sa 13e édition Gré visse (1993, p. 52) finit par consacrer une maigre note à l'élision de qui dans le langage populaire tout en insistant sur l'ancien emploi de que dans la fonction de sujet, Riegel, Pellat et Rioul (1994, p. 57) se contenteront, eux, de mentionner simplement tu élidé devant voyelle "dans la langue de la conversation familière"; cette élision soumise à la seule loi phonétique est devenue, il est vrai, un automatisme absolu. Ayant beaucoup intéressé les linguistes français des années 20, le phénomène semble devenir pour très longtemps un sujet tabou en France. Guiraud (1965, p. 47) et Martin (1967, pp. 97-122) l'analyseront avant tout comme une réalité diachronique et dialectale d'un que sujet, renonçant à l'éventualité d'un qui élidé et suivant ainsi l'enseignement de Frei (1929, p. 184). Celui-ci, contrairement à son contemporain Bauche (1929, p. 103), lequel classe la forme élidée du relatif sujet sous qui, parle d'un que apocopé et insiste sur quelques rares exemples où que s'emploie comme sujet (forme non élidée, ibid., p. 185) en français avancé, que Guiraud, d'ailleurs, a repris ultérieurement (op. cit.). Frei est devancé par un Foulet (1929) fort tâtonnant, mais reste en contradiction avec les très lucides Damourette et Pichon qui s'étaient penchés sur le phénomène dès le premier livre de leur "grammaire-fleuve" (1911-1927, t.I., p. 199) pour souligner à la fin du débat: " On ne rencontre jamais, de nos jours, que valant qui devant consonne. Ce que l'on note qu' devant voyelle n'est donc qu'une muance phonétique du strument qui (1911-1940, t.VII., p. 359)". On note ces derniers temps un intérêt plus vif pour la question chez les linguistes hors de l'Hexagone. On trouvera ainsi un petit chapitre dans la grammaire posthume de 67 Togeby (1982, p. 476) où l'auteur préfère à son tour interpréter la graphie qu' comme résultat de l'élision d'un qui et non d'un que. Cette hésitation se poursuit d'ailleurs jusqu'aux articles du Canadien Léard (1982, pp. 106 et 112) et du Néerlandais Laeven (1983, p. 44). Dans une étude approfondie sur la question et parue aux Etats-Unis, Bernard Tranel (1978) a situé pour la première fois le débat sur le plan syntaxique: parlant exclusivement de l'élision de qui, il la limitera aux seuls cas où celui-ci a la fonction d'un "complementizer", fonction qui correspond en gros à l'emploi non-prédicatif chez Moignet (1967, pp. 85 et ss.). Claire Blanche-Benveniste (1991) et son équipe ont distingué récemment une double nature morphologique des éléments relatifs: pour eux, il s'agit tantôt de pronoms tantôt de particules. La caractéristique sémantique de qui pronom est son trait animé; pour le côté syntaxique, il est toujours accompagné d'une préposition; en phonétique on note la stabilité absolue de sa voyelle "i". Contrairement à ce tableau, la particule qui n'a pas de trait sémantique spécifique s'employant indifféremment pour l'animé et l'inanimé; elle est utilisée exclusivement pour les emplois de sujets; quant au côté morphophonétique de la particule, les auteurs constatent: "le 'i' n'est pas stable dans les prononciations familières: il tend à disparaître devant un mot commençant par une voyelle : - celui qu'est arrivé - dans la semaine qu'a suivi " (p. 71) Selon ces auteurs qui n'est en somme qu' un que auquel on ajoute ou non un "i". Ils rapprochent d'ailleurs ajuste titre l'exemple "les gens qu-i sont venus" de la forme qu-iz que l'on trouve devant voyelle dans le français très relâché: "les gens qu-iz ont fait ça" (p. 73). Il s'en sort que les locuteurs de ce registre interpréteraient le "i" de qui comme l'indice pronominal ils (prononcé /i/ devant consonne et /iz/ devant voyelle et graphié dans les écrits argotiques respectivement y et yz). Ayant entrepris notre recherche sur la question à l'INALF de Nancy dès 1987, nous avons voulu l'appuyer sur un corpus textuel du registre correspondant. Nous l'avons complétée, en 1993, grâce au programme Frantext, avec un choix d'auteurs contemporains plus approprié. Nos constatations sur qui/qu', éléments relatifs en fonction de sujet, sont les suivantes: 1° Sur le plan historique.- Manifestement, que sujet n'a pas réussi à supplanter qui en français comme en anciens provençal et espagnol ou encore en italien (Martin, 1967, p. 114). Sa tâche dans le registre non-normalisé devait se fixer ailleurs: nous pensons ici surtout au "que passe-partout". Sur ce point, l'affirmation précitée de Damourette et Pichon se vérifie définitivement. 2° Sur le plan phonétique.- La variante /k'/ (=k mouillé) proposée par Damourette et Pichon n'est plus sentie aujourd'hui. La variante /kj/ est également déficitaire; IkJ 68 suivi de voyelle en commutation avec /ki/ suivi de consonne, sembleraient être les seules variantes et les plus fréquentes en français courant non-conventionnel. 3° Sur le plan syntaxique.- Le fonctionnement dans la phrase constitue, selon notre conviction le critère de choix essentiel. La commutation a lieu exclusivement dans les emplois non-prédicatifs, lorsque qui est associé à un antécédent nominal ou pronominal, c'est-à-dire dans les relatives "adjectives", et de façon plus restreinte et sporadique dans les relatives "substantives", dites "périphrastiques", ayant pour antécédent provisoire un pronom démonstratif (celui..., ce; cf. Riegel, pp. 480-488). Qui "élidé" est très fréquent aussi dans les phrases clivées lorsque l'extraction affecte le constituant sujet. Dans ce cadre, la dichotomie traditionnelle 'relative déterminative/explicative' n'est pas pertinente, encore que cette dernière suppose peu d'exemples: "Mireille, qu' est balancée en athlète, des hanches, du bassin..." (Céline, Mort à crédit, 1936, TLF, p. 3) Ce qui s'élide plutôt rarement, même chez les auteurs comme Céline, par exemple; cependant, dans Zone de J.-L. Degaudenzi (1987), nous avons trouvé deux exemples devant l'auxiliaire est et dans une négation sans ne: "Les gardes m'avaient laissé cuver, ce qu' est pourtant pas tout à fait dans le règlement des jardins publics..." (TLF, p. 175) "Suis devenu trop faiblard pour tirer mon épingle de ce qu' est vraiment plus un jeu..." (ibid., p. 205). La "muance" de qui touche aussi les interrogatifs "extensifs" : "... qui c'est qu'allait les retenir?" (Céline, ibid., p. 298) "... alors qui c'est qu' est bonnard?" (ibid., p. 676) Si dans un exemple cité par Damourette et Pichon (ibid.) - "Dossin ^«'engueule M.Tardot" - qu' a la fonction d'un complément d'objet, et un /k'/ palatal, après l'intervention des auteurs, devra venir l'alterner comme sujet, nous aurions, de nos jours, beaucoup moins d'aisance pour décider de la fonction de qu' en dehors d'un très large contexte et/ou d'une intonation nuancée, dans les exemples du type: La femme qu ' a vue Bernard chez le docteur, est ma cousine. La femme qu ' a vu Bernard chez le docteur, est ma cousine. BIBLIOGRAPHIE - BAUCHE, H. (1929).- Le Langage populaire; Paris, Payot. - BLANCHE-BENVENISTE, C. et al. (1991).- Le Français parlé. Etudes grammati- cales; Paris, Ed. du C.N.R.S. - BONNARD, H. (1961).- Le système des pronoms qui, que, quoi en français; Le Français moderne, t.XXIX, pp. 168-182. 69 - DAMOURETTE, J. & PICHON, E. (1911-1940).- Des mots à la pensée. Essai de Grammaire de la Langue Française; Paris, d'Artrey (tomes I., IV., VII.). - FOULET, L. (1929).- La Difficulté du relatif en français moderne; Revue de Phi- lol.fr.Litt. t. 40, pp. 100-124. - FREI, H. (1929).- La Grammaire des fautes; Genève, Slatkine Reprints (1971). - GREVISSE, M. (1993).- Le bon usage; Paris-Louvain, Duculot (13e éd.). - GUIRAUD, P. (1965).- Le Français populaire; Paris, PUF (Que sais-je? N° 1172). - LAEVEN, Th. (1983).- Le clivage en français contemporain; Recherches de linguis- tique française d'Utrecht. II, pp. 37-46. - LEARD, J.-M. (1982).- Essai d'explication de quelques faits de morpho-syntaxe du québécois: le pronom relatif en diachronie structurale; Revue québécoise de linguistique. vol. 12, n° 1, pp. 97-143. - MARTIN, R. (1967). - Quelques reflexions sur le système relatif -interrogatif QUI/CUI//QUE-COI en ancien français. Trav.Ling.Litt. Strasbourg, t.5, n°l, pp. 97-122. - MOIGNET, G. (1967).- Le système du paradigme QUI/QUE/QUOI; ibidem, pp. 75- 95. - RIEGEL, M. et al. (1994).- Grammaire méthodique du français. - Paris, PUF. - SÖLL, L. (1980).- Gesprochenes und geschriebenes Französisch; Berlin, E. Schmidt. - TOGEBY, K. (1982).- Grammaire française, vol. I.; Copenhague, Akademisk Forlag. - TRANEL, B. (1978). - On the elision of /i/ in French qui. Studies in French Linguis- tics. vol. I, n°l, pp. 53-75. - TLF -Trésor de la langue française.- Concordances par Frantext. Povzetek OSEBKOVNI INAČICI OZIRALNIH QUI/QU' V SODOBNI FRANCIŠČINI Prispevek prinaša nekatere dileme v zvezi z dvojno rabo in dvojno obliko oziralnega zaimka v funkciji osebka, kakršni zasledimo v sodobnem pogovornem nenormiranem francoskem jeziku: qui pred soglasniki in qu' pred samoglasniki (Paul qu'écoute...: Paul qui fait...). Jezikoslovci se vse do danes ne morejo poenotiti, ali je treba v variantni obliki qu ' videti qui ali pa morebiti ostalino nekdaj osebkovno rabljenega que. Vprašanje je za sinhrono rabo pravzaprav ¡relevantno, vendarle se zdi, da nekateri fonomorfološki avtomatizmi v pogovornem jeziku (n.pr. t'as : tu fais, il a : y fait) in pa prevlada sodobne francoske oblike qui za osebek na diahroni in primerjalno romanski ravni prej govorijo v prid elizije le-te. Tri glasovne podobe krajšega qu' - /k/, /k'/ in /kj/ se tujemu opazovalcu francoskih govorcev zdijo omejene le na prvo. Pri nihanju v osebkovni rabi qu' in qui imajo po našem mnenju najpombemnejšo vlogo skladenjske omejitve: qui bo tudi v nenormiranem jeziku pred samoglasniki rabljen namesto qu\ zlasti v primerih, ko ne gre za najpogostejše in najenostavnejše oblike prilastkovega odvisnika, in takrat, ko lahko nastopi dvom o skladenjskih razmerjih. 70