ABREGE CHRONOLOGIQUE HISTOIRE DES DÉCOUVERTES Faites par les Européens dans les différentes parties du Monde , Ex trait des Relations les plus exactes & des Voyageurs les plus véridiques , Par M. Jean Barrow , Auteur du Dictionnaire Géographique. Traduit de l'An g lois par M. Ta r g e* TOME ONZIEM EVjÉftS à% 17YCEAI ^ Ibibliothe A PARIS, -Beauvais Chez Z 17 édie Françoife, M. DCC. L X V 1. Avec Approbation & Privilege du Roi» HISTOIRE DES DÉCOUVERTES Faites paries Européens dans les différentes parties du monde. SUITE DU VOYAGE de Dom Georges Juan & de Dom Antonio de Ulloa. CHAPITRE V. Les A fironomes débarquent dans la baye de Manta : Dejcription de cette baye : Pêches des Mant as : Ils arrivent à Guiaqu'l, fondation de cette ville : Sa Defcription : Incommodités de la nouvelle ville : Des bâtiments : Gouvernement civil ; Gouvernement Tom. XI. A î Découvertes eccléfiaftique : Des habitants : Température du climat : Habillement des femmes : Caufes du peu de rich.jfes de Guiaquil: Incommodités de r hiver dans ce pays : Defcripùondu Cacaotier : Du fruit de cet arbre. Ulloa. 1 Outes chofes étant préparées Chap. v. nour je départ fes Agronomes, ils /«. 1736. s'embarquèrent à bord du S. Chrifto-în« d !b°" P^e 9commanc^^ Par ^e Capitaine Dom quenc dans la Juan Manuel Morel, le n de Février baye de Man- 1736, &C le lendemain ils mirent à la voile ; mais n'ayant que très peu de vent, &c toujours variable, ils ne perdirent la terre de vue que le 26 au foleil couchant. Le 9 de Mars , vers trois heures du matin, ils jet-terent l'ancre dans la baye de Minta , avec le deffein d'examiner cette côte, pour reconnoîrre fi , en commençant leur première bafe dans une des plaines voifmes de la mer, ils pourroient continuer leurs fuites de triangles fur les montagnes jufques près de Quito. En conféquence ils defeendirent fur le rivage le 6 au foir, oc fe rendirent au village de Monte - Chrifr.o, environ à trois lieues de la côte , mais ils reconnurent bien-tôt qu'il étoit des Européens. 3_ impofîîble d'y faire aucunes opéra- tj l l 0 a] tions géométriques, parce que le pays chap. v. étoit exceiTivement montagneux , & An. 173s. prefque tout couvert d'arbres d'une hauteur prodigieufe ; obitacle infur-montable pour leur projet. Ils fe déterminèrent donc à pourfuivre leur voyage jufqu'à Guiaquil , pour fe rendre enfuite à Quito ; mais Mef-fieurs Bouguer & de la Condamine , jugeant qu'il feroit néccrfaire de demeurer quelque temps à Guiaquil, parce que la faifon n'étoit pas convenable pour aller avec les Mules de Gueranda aux montagnes, réfo-lurent de s'y arrêter , & d'employer leur temps le plus avantageufement qu'il feroit pofîible , en déterminant le lieu où l'Equateur coupe la côte : en faifant des oblervations fur les longueurs du pendule, & fur d'autres objets aufïï importants. La Baye de Manta étoit autrefois Defcr^o* remarquable par une pêche de perles „e.c"te tres coniiderable , mais elle a ete Manias, diicontinuée depuis quelque temps, parce que les habitants n'ont pas alfez d'intelligence pour acheter les Nègres qu'on y employé. Cette baye a pris probablement Ion nom de la Aij 4 DÉCOUVERTES j A grande quantité de Mantas qu'on y chap. v. ' trouve ; les habitants Indiens étant An. mé particulièrement employés à la pêche de ce poiffon, qu'ils talent &c transportent dans les provinces intérieures. Les Européens admirent leur dextérité à cette forte de pêche qu'ils font en jettant dans la mer une pièce de bois pareille à celles dont on fe fert pour les balifes , d'environ quinze .ou dix-huit pieds de long, tk de près d'un pied de diamètre. Ce morceau de bois fuffit pour foutenir le poids d'un filet qu'on met en travers fur une des extrémités , pendant qu'un Indien fe tient debout fur l'autre. Sur ce bâtiment chancellant, il fe met en mer à l'aide d'une feule rame, & s'avance environ à une demi-lieue, où il jette fon filet. Un autre Indien le fuit fur un pareil morceau de bois , prend le bout de la corde attachée A l'une des extrémités du filet, qui par ce moyen fe trouve étendu dans la mer : les deux Indiens retournent vers la terre, où leurs camarades les attendent pour tirer le filet fur le rivage. Rien n'eft plus étonnant que de voir la dextérité Si l'agilité des Indiens pour entretenir l équilibre fur ces bois roulants. L'agi- D E S E U R OPEENS. 5 tation de la mer les oblige de changer tj l l 0 ai continuellement de fituation, & de chap. v. faire toutes fortes de mouvements de An. 1Ji6t corps ; mais ce qui augmente encore la difficulté, c'eft que l'Indien eft obligé en même temps d'avoir attention à fa rame & à fon filet pour le tirer vers la terre. Il arrive quelquefois, mais rarement, que les Indiens tombent de leurs pièces de bois , mais comme ils font excellents nageurs, ils la regagnent bien-tôt, & en un inftantils fe retrouvent dans leur première pofture. Le 13 de Mars, les Académiciens n« arrivent quittèrent la baye de Manta , & cpr à Guia4uil* toyerent le rivage jufqu'à l'Ifle de la Plata. Le 18, ils jetterent l'ancre à l'embouchure de la rivière Tumbez., où ils demeurèrent jufqu'au 20 , qu'ils remirent à la voile vers fix heures du matin , & le 25 à cinq heures du . foir ils débarquèrent à Guiaquil. Quoiqu'on n'ait rien de certain fur ^ Fo"^f.°* le temps de la fondation de Guiaquil, cc on regarde généralement cette ville comme la féconde d'origine Efpagno-le, tant dans la province de même nom que dans le Royaume du Pérou. II paroît par d'anciens reginVes, con- 6 DÉCOUVERTES U l l o a ^erv*s ^ans ^es archives, qu'elle fut Uup. v. la première bârie , après San-Miguel An. 1736. de Piura, fondée en 1532, &c comme Lima, autrement nommée Los Roy es, ou Remacr fut fondé en 15 3 4, ou fui-vant quelques-autres en 1535 ; on peut mettre l'ctabliuement de Guiaquil entre ces deux années. La fplen-deur que cette ville avoit acquiie fous le premier Gouverneur Belalcazar ne fut pas de longue durée ; elle fouffrit plufieurs attaques fiirieufes , èc fut enfuite entièrement détruire par les Indiens du voifinage, mais en 15 3-7, elle fut rebâtie par le Capitaine François de Orellana. La première fituation de Guiaquil étoit dans la baye de Charapoto, un peu au nord de l'endroit où eft actuellement le village de Monre-Chrifto : mais on l'a mife depuis, où elle eft à préfent fur le rivage occidental de la rivierede même nom, à 2 dégrés 11 minutes 21 fécondes de latitude méridionale. Quand Orellana changea la première fituation de cette ville , elle fut bâtie fur le penchant d'une montagne, nommée Cer-rillo-Nerde , qu'on appelle préfente-ment Ciudad-Vieja, ou la vieille ville. Les habitants fe voyant reflérrés d\ua côté par la montagne , & de l'autre tj77~oT. par les ravins que les chutes d'eaux chap v. arvoient formés , réfolurent , fans An> l abandonner entièrement la place , de conftruire la principale partie de la ville à la diflançe de cinq eu fix cents toifes, ce qui fut commencé en 1693 : mais pour conferver la communication avec l'ancienne, ils firent un pont de bois d'environ cent toifes de long, ce qui les mit à couvert des inconvénients des ravins, & l'intervalle ayant été rempli par de petites maifons , l'ancienne & la nouvelle ville font préfentement réunies, Guiaquil efl fort étendu, & occupe $a deferip, un efpace de près d'une demi-lieuetlon' de longueur, fur le bord de la rivière, depuis la partie la plus baffe de la vieille ville , jufqu'à la partie la plus élevée de la nouvelle ; mais la largeur n'eft pas proportionnée, parce que chacun défire avoir fa maifon près de la rivière , tant parce que la fituation en eft plus agréable , que pour jouir des vents rafraîchilfants qu'on y recherche en été avec d'autant plus d'ardeur qu'ils font très rares dans ce pays. Toutes les maifons des deux villes A iv _8 Découvertes Ulloa. *ont ccmftruites en bois ; il y en a Chap. v. beaucoup de couvertes en tuile, mais An. i73<$. la plus grande partie de celles de la vieille ville ne font couvertes que de chaume : cependant pour prévenir les accidents du feu qui y a fait de grands ravages en diverfes occafions, il eft préfentement défendu d'employer ces fortes de couvertures. Plufieurs de ces embrafements font arrivés par la méchanceté des Nègres, qui, pour fe venger de quelques punitions que leurs maîtres leuravoient fait fourïrir, ont jette pendant la nuit du feu fur ces toits , ce qui a ruiné non-feulement les objets immédiats de leur vengeance , mais encore la plus grande partie des habitants. Quoique les maifons, comme nous l'avons dit, foient toutes bâties en bois, elles font en général grandes & belles : elles n'ont qu'un feul étage: le derrière du raiz de chaïuTée fert de magafin, & furie devant on voit des boutiques de toutes efpeces, avec de grands portiques qui fervent de paffa-ge durant l'hiver, parce que les autres parties des rues font abfolument impraticables. Pour fe mieux garantir du feu, que des Européens. 9___ les habitants ont tant de raifon derj L l 0 a. craindre , les cuifines font à douze ou chap. V. quinze pas des maifons, auxquelles An. 1716. elles communiquent par le moyen de longues galleries ouvertes, qui reffem-blent à des ponts; mais ces galleries font bâties fi légèrement que fur la moindre apparence de feu à la cui-fine , on les démolit en un infiant, & la maifon eft garantie. Les perfon-nes diftinguées ou riches habitent les appartements hauts, & on laifle les chambres baffes pour les étrangers, qui y vont trafiquer , ou qui paflént par cette ville avec leurs marchan-difes. En hiver, il n'eft pas pofîible de incommodi-traverfer à pied ni à cheval le terrein v/u/viDeé"" fur lequel eft bâti la nouvelle ville, ni les favannahs qui font dans le voi-finage, d'autant que le fol n'eft qu'une efpece de craye fpongieufe fi unie, qu'il n'y a aucun écoulement pour les eaux, ck que dès les premières pluies, tout ce terrein n'eft plus qu'un bourbier continuel. Aufti depuis le commencement des pluies jufqu'à la fin de l'hiver, on ne peut palTer dans lès endroits qui ne font pas couverts par les portiques , autrement que fur de A v io Découvertes j - larges planches qu'on jette d'un en-Ch3p. v. ' droit à l'autre : mais elles deviennent An. i73« bien-tôt très griffantes, 6c l'on tombe fréquemment dans le bourbier. Le retour de l'été fait évaporer promp-tement les eaux, 6c le terrein eft bientôt defféché : mais l'ancienne ville n'a pas ces défavantages , parce qu'elle eft bâtie fur un fonds de gravier, toujours folide. Guiaquil eft défendu par trois forts, dont il y en a deux fut-la rivière près de la ville, Se le troi-fieme , qui eft derrière, fcrt à garder l'entrée du ravin. Ils font conftruits fuivant la méthode moderne de fortifier , mais avant qu'on les eut élevés, il n'y avoit qu'une plate-forme, qui eft toujours demeurée dans la vieille ville. Ces forts font bâtis de grandes pièces d'un bois très dur y dont on a auMi formé différentes pa-liffades, & il a l'avantage de confer-ver cette dureté tant fous les eaux que dans la boue, ce qui eft très bon pour le pays, 6c pour l'ufage auquel on l'applique. Avant qu'on eût élevé ces fortifications , Guiaquil fut pris par des Gorfaires Européens en 1686 &c en 1709 : mais les derniers durent leur iuccès à la trahifon d'un Mulâtre qui, pour fe venger de quelques par- tj l l 0 a. ticuliers, conduifit les ennemis par ChaP. v. une ruelle détournée, dont on ne fe An. 17311. méfîoit pas, enforte que les habitants étant furpris ne purent fe mettre en défcnfe. Tous les couvents & toutes les Des bâùr Eglifes font de bois, excepté dans l'ancienne ville où celle de San-Do-mingo eft de pierre, parce que la fo-lïtlïte du terrein dans cette partie eft fufiifante pour foutenir des bâtiments de cette efpece.DansIa nouvelle ville, outre l'Eglife paroiffiale , il y a les couvents des Auguftins oc des Fran-ciicains , avec le college des Jé fuit es : mais les membres de ces communautés font en petit nombre, à caufe de leur peu de revenu. Il y a auffi un hôpital , où l'on ne trouve d'autres fe-cours que celui du logement, La ville & fa jurifdidTion font feu- Gouverne-mifes au Corrégidor , qui eft nommé mçntuv,h par le Roi, oc qui change tous les cinq ans. Quoiqu'il foit fubordonné au Préfident & à l'audience de Quito, d nomme des Lieutenants dans les différents départements de fa jurifdiclion, & pour la police & le gouvernement civil, Guiaquil a des Àlcaldes & des h Découvertes U l l o a. Regidors ordinaires. Les revenus font Chap. v. adminiftrés par un Tréforier & par un au. 17J0. Directeur , qui reçoivent les tributs des Indiens, les droits furies marchan-difes d'importation & d'exportation, & les taxes fur les denrées qui y font confornmées , ou qui ne font que paner. Gouverne- Pour le gouvernement eccléfiafti-fiaui^ue. que , il y a un Grand-Vicaire de I E-vêque de Quito , qui ordinairement eft aufti Curé de la ville. Guiaquil à proportion de fa grandeur, contient autant d'habitants qu'aucune autre ville de toute l'Amérique, ôtTaffluen-ce continuelle des étrangers qui y font attirés par le commerce, contribue beaucoup à en augmenter le nombre, qu'on évalue à vingt mille perfonnes. La plus grande partie des meilleures familles font des Européens, qui s'y font mariés : ilya aufti quelques riches Créoles , 6V les autres habitants font des différentes Caftes que nous avons fait connoître , en parlant des autres villes. Des i,abi- Les habitants en état de porter les armes, font partagés en compagnies de milice, fuiyant leur rang ck leur Cafte, afin d'être en état de défendre DES EUROPÉBNS. leur ville & leurs biens dans l'occa- u7T"oT. iîon. L'une de ces compagnies, entié- chap. v. rement compofée d'Européens , & An. 173*. qu'on nomme la Compagnie étrangère , eft la plus nombreufè , & celle qui a le plus d'apparence dans toute cette milice. Sans aucun égard pour les différences qui peuvent naître de leurs richeffes ou de leur état civil, ils fe mettent fous les armes, & rendent l'obéiffance convenable à leurs Officiers, qu'ils choififfent eux-mêmes de leur propre corps, particulièrement entre ceux qui ont fervi en Europe , & qui font par conféquent les plus expérimentés clans l'art militaire. Le Corrégidor eft le Commandant en chef, & il a fous lui un Colonel & un Major pour difcipliner les autres compagnies.. Quoique la chaleur de Guiaquil Température foit égale à celle de Panama & de a laM' Carthagene, le climat en eft remarquable par la couleur particuliere à l'efpece humaine. Un Auteur a donné à ce canton le nom de Pays-bas equinoctiaux, à caufe de la reffern-blance qu'il a avec les Pays-bas d'Europe ; mais il mérite encore le même nom par cette fingutariffé, que tous 14 DÉCOUVERTES t — les naturels .excepté ceux qui viennent J l l o a. j, rt , r I- - ^ Chap. v. dun melange de diveries races , ont An. 1736 ^es couleurs fraîches 6k de fi beaux traits qu'ils furpaifent tous les habitants de la province de Quito , Se même de tout le Pérou. On remarque particulièrement deux phénomènes qu'on n'a pas encore bien expliqués: l'un que malgré la chaleur du climat, les naturels ne font pas de couleur tannée: l'autre, que quoique les Espagnols n'ayent pas en général une aum belle carnation que les autres nations Septentrionales, les enfants qui naiffent à Guiaquil de mères Ef-pagnoles y ont une très belle peau. Quelques-uns en attribuent la caufe aux vapeurs qui s'élèvent de la rivière vo'iûne , mais cette raifon n'elî: nullement fatisfaifante, puifque d'autres villes jouiffent du même avantage, fans que le teint des habitants en reçoive aucun changement, au lieu que dans celle-ci les beaux teints font les plus communs, 6k que les enfants y ont ordinairement les cheveux 6k les fourcils clairs , avec un très beau ri-fage. Outre ces avantages, dont il fem-ble que la nature ait voulu favorifer des Européens. 15 les habitants de Guiaquil, ils font en \j LLO A[ général très bienfaits & ont beaucoup chap. v. de politeife ; auftiplufieursEuropéens, a». 1736. qui n'avoient dclîèin que d'y féjour-nertrès peu de temps, s'y iônr. mariés & établis, fans y avoir été attirés par la fortune immenfe des femmes qu'ils ont époufées, comme dans les autres villes du même pays , puifque les habitants de Guiaquil ne font nullement renommés pour leurs richeifes. L'habillement des femmes de Guia- Habillement quil reffemble beaucoup à celui des Bi,*^i femmes de Panama, excepté quand elles vont faire des vifites, ou quand elles en reçoivent. Au lieu du Pollera , elles portent un faldellin , qui n'eft pas plus long que le Pollera, mais il eft ouvert par-devant: les côtés croifent l'un fur l'autre, tk il eft chargé d'ornements avec profufion. Il eft garni de falbalas d'une étoffe plus riche, qui ont près d'un pied &c demi de large, & bordés de belles dentelles, ou de franges d'or, ou de rubans, difpofés avec tant d'élégance , que cet ajufte-ment eft extrêmement riche & noble. Quand elles fortent fans voile , elles portent un mantelet léger de couleur brune, bordé de larges bandes de î6 DÉCOUVERTES *t77TTT7 velours noir , mais fans dentelles ni \J l l o a. ... Chap. v. autres ornements. Outre les colliers An. m6. ^es bracelets, elles ont aiuTi des rofaires ou chapelets aufti riches qu'à Panama, & non-feulement elles char-gentleurs oreilles de pendants, de brillants , mais elles y joignent des touffes de foye noire, environ de la groffeur d'une aveline, fi remplies de joyaux que l'éclat en eft éblouiffant. Caufet du A juger de cette ville par fon conv ^ieGvlb- merce > un étranger la croiroit beau-yiii. coup plus riche qu'elle ne l'eft réellement. Cette médiocrité vient en partie des deux pillages qu'elle a foufferts, &C en partie des incendies qui l'ont totalement ruinée. Quoique les maifons ne loientquede bois, ainfi que nous l'avons déjà remarqué, & qu'il ne coûte que la peine de le couper, & de le conduire à la ville ; cependant les frais d'une maifon un peu apparente montent jufqu'à quinze ou vingt mille écus, parce que le falaire des ouvriers y eft d'un prix exceflif, & que le fer s'y vend très cher. Les Européens, quand ils ont fait une fortune honnête en cette ville , oc qu'ils nom pas de biens-fonds qui les y retiennent, fe retirent à Lima ,. ou des Européens. 17 dans quelque autre ville du Pérou ?tj l l o a. afin de pouvoir faire valoir leur bien chap. v. avec plus de fureté. An. 1736. A Guiaquil, l'hiver commence dans le mois de Décembre, quelquefois tés Ae L'hiver dès les premiers jours , d'autrefois audans «pays, milieu «ou à la fin , 6c dure jufqu'au mois d'Avril ou de Mai. Pendant cette faifon , il femble que les éléments , les infectes, 6c toutes fortes de vermines fe foient ligués contre l'efpece humaine. La chaleur eft excefîive, la pluie tombe jour Se nuit, accompagnée de fréquents & furieux orages, de tonneres 6c d'éclairs, enforte que tout paroît confpirer à j etter l'effroi dans l'ame des habitants. La rivière de même nom, Se toutes celles qu'elle reçoit dans fon cours , fe débordent & mettent tout le plat pays fous les eaux. Lorfque le calme dure quelque temps, ils fcupirent après les vents rafraîchiffants, 6c des légions innombrables d'infeètes 6c de vermifïèaux infcftent l'air 6c le terrein, de façon à ne pouvoir prefque les fupporter. On trouve dans ce pays un grand Description nombre de Cacaotiers , qui en géné-duCac*0""-ral ont dix-huit à vingt pieds de hauteur. Cet arbre pouffe quatre ou cinq î8 Découvertes J"~~-tiges dès la terre, fuivant le plus oit Chap. v. ' le moins de force de la racine qui les An. j736. produit : ces tiges ont ordinairement quatre à cinq pouces de diamètre ; mais la première pouffe vient dans une direction oblique, enfbrte que les branches s'étendent de toutes parts Séparément les unes des autres. La feuille a quatre ou cinq pouces de long, & trois ou quatre de large. Elle eft fort unie , douce , & fe termine en pointe , comme celle de l'Oranger de la Chine ; mais la couleur en eft différente : le Cacaotier qui a beaucoup moins de feuilles, eft d'un verd obfcur, & n'a rien de femblable à l'éclat de l'Oranger. Lesgouffes qui contiennent le Cacao font attachées aux tiges, de même qu'aux menues branches. Elles commencentpar une fleur blanche qui n'eft pas fort large, & dont les pifhlles contiennent l'embryon de la gouffe , qui croît jufqu'à la longueur de fix ou fept pouces , fur quatre ou cinq de large, &: reffemble affés parla forme à un Concombre. Elle eft canellée fuivant fa longueur, mais plus profondément que le Concombre. Ces gouffes n'ont pas toujours les mêmes dimenfions, 8c ne font pas propor- tionnées à la tige 6k aux branches fur y LI/"Q A, lefquelles elles viennent en forme Chaj>. v. d'excroiffance : quelques-unes font An. 173*» beaucoup plus petites , 6k il n'eft pas extraordinaire d'en voir une de la plus petite taille fur le tronc, pendant qu'on en trouve une autre d'une grof-feur extraordinaire à l'extrémité d'une des plus petites branches ; mais il faut remarquer que quand deux gouf-fes fe touchent, l'une attire tout le fuc nourricier, 6k croît aux dépens de l'autre. Tant que la gouffe croît, elle eft Du fhûi &i toujours de couleur verte, à peu près "c arbfc« comme celle de la feuille ; mais quand elle arrive à maturité, elle devient peu-à-peu de couleur jaune. La peau, ou coquille qui la couvre eft mince , unie & claire. Quand le fruit eft parfaitement mûr,on le cueille 6k onlecoupe par tranches : la chair en eft blanche 6k pleine de jus, avec de petits grains rangés régulièrement. Ils n'ont pas alors beaucoup plus de confiftance que le refte de la chair ; ils font feulement plus blancs , 6k renfermés dans une membrane très fine, remplie d'une liqueur femblable à du lait, mais tranfparente 6k un peu vifqucu~ 10 découvertes j L T fe : on le mange alors-de même que chap. v. ' les autres fruits. Le goût eft doux , An. 1736. tirant un peu fur l'acide ; mais on prétend dans le pays que ce fruit occafionne des fièvres. La couleur jaune de la gonfle indique que le cacao commence à fe nourir de fa propre fubftance pour acquérir plus de con-fiftance. Alors les grains commencent à fe remplir, la couleur brillante fe ternit peu-à-peu, jufqu'à ce que ces grains foient parvenus à leur maturité ; & quand le jaune eit entièrement changé en brun obfcur , c'eft une indication qu'il eft temps de cueillir le cacao. On trouve alors la peau d'environ deu*r lignes d'épailieur, & chacun des grains eft renfermé dans un compartiment , formé par les membranes tranlverfales de la gonfle. Quand le fruit eft cueilli, on l'ouvre pour en tirer les grains , qu'on met fécher à l'air fur des peaux deftinées à cet mage , ou plus ordinairement fur des feuilles de Vijahuas. Quand ils font bien fecs, on les met dans des facs de cuir pour les porter aux marchés, & on les vend par charges dont chacune pefe quatre - ving - une livres. Le prix de cette marchandife des Européens, ii ^^^^ varie beaucoup ; quelquefois la char- \j LLO A, ge ne coûte que fept ou huit réaies , Chap. v. quoique la dépenfe pour les recueil- Aiu iiiit lir excède ce prix ; mais en général on la vend quinze ou vingt francs , & elle augmente beaucoup dans le temps où la flotte vient à Guiaquil. Le cacaotier donne du fruit deux fois par an, en égale quantité, & aufti bon l'un que l'autre. On eftime que dans la jurifdiction de Guiaquil on en recueille tous les ans au moins cinquante mille charges. Cet arbre fe plaît tellement dans l'eau, qu'il faut que le terrein où il eft planté devienne comme un bourbier ; &£ s'il manque d'humidité, il périt en peu de temps. Il faut aufti avoir attention de le planter à l'ombre, ou au moins de façon qu'il foit garanti des rayons perpendiculaires du foleil; on le met ordinairement près de quelques grands arbres ,à l'ombre defqucls il croît &c fleurit. Il n'y a aucun terroir plus propre à la culture des cacaotiers que celui de Guiaquil, dont le canton eft prefque tout en favannhas ou larges plaines couvertes d'eau en hiver , & arrofées par des canaux durant l'été, avec beaucoup de grands ar- 11 DÉCOUVERTES U l l o a. bres propres à donner l'ombrage né* chap. vi/ ceilàire aux cacaotiers. An. 1736. _ CHAPITRE VI. Dijîancc par eau de Guiaquil à la douane de Babahoyo : Temps qu'on emploie à cette navigation : Largeur de li rivière de Guiaquil : Beauté des bords de cette rivière : Matériaux & conjlruclion des maifons de campagne : Qiiels appartements on y occupe : Adrefje des habitants à conduire leurs canots : Dejcription des Balsas ou Radeaux : Leur ujage: Leur conjlruclion : Charges qu'ils peuvent porter: Manierede les conduire : Abondance de poifjon dans la rivière de Guiaquil : Pêches des Indiens : Des Alligators ou Caïmans : Leurs pontes , & comment ils eclofent : Defcription des Galli-na^ps : Voracité des Alligators ; Comment on les détruit. Diftançe T A partie navigable de la rivière par eau de I « 1 —, . .. Dj j ■ i Guiaquil à h J*—1 de Guiaquil s etend depuis la Ba°bTo7o.dc ville Ju(T-l'à k douane de Babahoyo , qui eft le lieu du déchargement pour u 1. l o a. lesmarchandifes. Ceux qui ont long- chap. VI. temps fréquenté ce pays ont partagé An, l7iit cette diftance en vingt portées fuivant les différentes finuofités de la rivière, qui eft fort tortucufe ; mais en comptant jufqu'à Caracol où l'on débarque en hiver , il y a vingt-quatre portées, dont la plus longue , qui eft la troifieme en venant de la ville, peut avoir environ deux lieues tk demie d'étendue. Les autres n'ont pas plus d'une lieue ; enforte qu'en mefurant la diftance par eau de Guiaquil à la douane, on trouvera vingt-quatre lieues &: demie, & jufqu'à Caracol , vingt-huit & demie. On eft plus ou moins long-temps Temps qH'oa \ r • r • 1 j-.r' employé à a taire ce voyage, liuvant la dîne- Ce«e navjga-rence des faifons , & fuivant le bâ-tl0,,• timent dont on fait ufage. En hiver un chata emploie ordinairement huit jours de Guiaquil à Caracol en remontant la rivière , au lieu qu'il ne faut que deux jours pour defce.ndre de Caracol à Guiaquil. En été un canot léger remonte en trois marées, & defeend en moins de deux. Il en eft de môme à proportion pour tous 24 DÉCOUVERTES y les autres bâtiments, qui emploient thap. vi. beaucoup plus de temps à caufe du a», m*, courant de la rivière, à remonter qu'à defcendre. La diftance de Guiaquil à Ifla-Ver-de , limée à l'embouchure de la rivière , dans la baie de Puna, eft eftimée par les Pilotes d'environ huit lieues : elle eft partagée comme l'autre partie en portées ; & l'on compte trois lieues d'Ifta-Verde à Puna. Ainft toute la diftance de Caracol, oii l'on remonte le plus haut dans la rivière, jufqu'à Puna eft de trente-fept lieues & demie. Larceur <*e L'embouchure de la rivière a gSSl1* Verde eft d'une lieue de longueur, &c elle a même quelque chofe de plus à Guiaquil ; mais elle eft plus étroite au deflits , oit elle fe trouve reflerrée par les montagnes, & forme di verf es criques , ou anfes. En été la marée monte jufqu'à la douane, retient la vîteffe du courant, & par conféquent fait enfler la rivière ; mais en hiver, le courant étant plus fort & plus rapide , on ne remarque l'accroifièment de l'eau que dans les portées voifines de Guiaquil ; & il arrive toujours trois ou quatre des Européens. if Fois par an que par la grande vîteffe ^ Q 7" du courant les marées font imper- chap.Vu ceptibles. An> X7Jfc La principale caufe du gonflement de la rivière vient des torrents qui tombent des Cordillieres. Quoique les pluies foient fréquentes , la plus grande partie des eaux qu'elles four-niffent eft reçue dans les lacs, ou s'arrête dans les plaines , enforte que l'accroiftement de la rivière paroît venir entièrement de celles qui descendent des montagnes. Les bords de cette rivière, de mê- Beauté iel me que ceux des anfés & des canaux , b.*r/j^ecnw font ornés de maifons de campagne, & des cabanes du menu peuple de toutes les caftes , qui y trouve toute la commodité néceftaire pour la pêche & pour l'agriculture. Les efpaces intermédiaires font remplis de halliers fi bien variés, qu'il feroit très difficile à l'art d'imiter les beautés des payfages qui y font formés par la nature. Les rofeaux, ou cannes font les Matériaux principaux matériaux & les plus tom^J^^ muns dont on fe fert pour les bâri-fons dccam-ments près de ces rivières. On en faitliasnc# ufage pour toutes les parties intérieure. XL B 3.6 DÉCOUVERTES f7-res , telles que les murs , les plan- v l l o a. , 9 q « * î r r Chap. Vi. chers , & les rampes des elcahers. An. i7s6. Toute la différence qu'on trouve clans les plus grandes maifons , eft que quelques-unes des principales pièces font de bois. Pour bâtir, on commence par enfoncer en terre huit, dix ou douze pièces de bois, plus ou moins , fuivant l'étendue de la mai-fon ; elles font fourchues par l'extrémité fupérieure, &c d'une hauteur convenable, parce que tous les appartements font au premier étage, & qu'on ne fait aucun logement au raiz de chauffée. On pofe des poutres en travers fur ces poteaux fourchus , à la hauteur de douze ou quinze pieds de terre. Sur ces poutres on difpofe les cannes, de façon qu'elles forment comme un rang de folives, qui fervent à porter un plancher de fem-blables cannes, lefquelles ont un pied & demi de largeur ; ce qui elt aufîî beau & aufîi folide qu'un plancher en bois. Les diftributions des différentes pièces font de la même matière; mais les murs extérieurs font ordinairement treilliffés pour donner un libre paffage à l'air. Dans les grandes maifons, les principales poutres font de bois, les fo« liveaux de cannes, avec d'autres plus tj l l 0 a! petites qui les traverfent, tk l'on met cbap. VI. par-deffus tout des feuilles de vija- An iv6t hua. Ainfi une maifon fe confauit à peu de frais, quoiqu'elle contienne toutes les commodités néceffaires. Pour les pauvres gens, le travail d'un feul homme fuffit à leur former une habitation : il fe rend dans un petit canot à une anfe ; coupe dans le bois le plus proche autant de cannes, de vijahuas, &: de Béjucos qu'il en a be-foin ; apporte le tout fur le rivage ; fait vin balza ou train, fur lequel il charge fes autres matériaux , & def-cend la rivière , jufqu'à l'endroit où il veut élever fa cabane. Il commence enfuite fon ouvrage, en attachant avec des béjucos les parties quifont ordinairement chevillées, & en peu de jours il a fini fon bâtiment. Quelques-unes de ces cabanes ont autant d'étendu? que les maifons de bois Dans toutes ces maifons, de me- Quels appar-me que dans celles de la plus grande °n partie de la Juridiction de Guiaquil, le defîbus eft entièrement ouvert, & expofé à tous les vents fans aucun mur, ni clôture , à l'exception des poteaux qui portent le bâtiment. On 5.8 DÉCOUVERTES rjLlOA>les difpofe ainfi parce que quelque chap. vi. dèpenfe qu'on pût faire pour les raiz An 17ÎO de cnaun^e » "S ne feroient jamais d'aucun ufage en hiver, où tout le pays n'eft qu'un bourbier continu. Cependant en quelques endroits qui ne font pas expofés aux inondations, il y a des pièces par bas, avec des murs & des difïributions, comme dans les autres appartements. Adreflè des Tous les habitants ont des canots habitants a paûer d'une maifon à une autre: conduire r r r . . 7 leurs canots 6c ils font fi adroits à les conduire, ' qu'une petite fille fe met feule dans un de ces efquifs , quoiqu'il foit fi léger Se fi petit que quelqu'un moins adroit le renverferoit feulement en y marchant. Elle s'en fert à traverfer les courants les plus rapides, ce qu'un bon marinier , qui n'y feroit pas habitué , ne pourroit faire qu'avec beaucoup de difficulté. t Les pluies continuelles de l'hiver, &c la légèreté des matériaux dont les maifons font conduites, obligent de les réparer tous les étés , 6c il faut rebâtir entièrement chaque année celles des pauvres gens, qui font les plus baffes, particulièrement les parties formées de cannes , de béjueos 6c de vijahuas ; mais les poteaux qui u l l o a» fervent de fondements demeurent chay. vu toujours fur pied , & en état de re- An. 17s*. cevoir de nouveaux matériaux. Les bâtiments dont on fe fert fur cette rivière font les chatas , les canots , & les balzas ou radeaux, dont le nom fait connoître la nature , lans enfeigner la méthode de lesconftrui-re , que ces Indiens ignorants dans les arts & dans les fciences ont ap-prife par le befoin. Ces balzas, qu'ils appellent Janga- Deicriptioa das, font compofés de cinq, fept ou o"Radeau*, neuf fortes pièces d'un bois nommé Balza, mais que les Indiens de Da-rien appellent Puero , 6c qui paroît être le Ferula des Latins , dont parle Columelle. Ce bois cil" blanc, doux , 6c fi léger , qu'un enfant peut aifé-ment en porter une pièce de douze ou quinze pieds de long, 6c d'un pied de diamètre. Non-feulement on fe fert des balzas Leur urag<% fur les rivières, mais aufTi pour de petits voyages fur mer, 6c quelquefois on les conduit jufqu'à Paita. Comme les dimeniions ne font pas toujours les mômes , on les emploie auflî àditfércnts ufages. Quelques-uns fer- 3° DÉCOUVERTES ÛLLOAi vent pour la pêche ; d'autres pour Chap. vi. tranfporter des marchandifes de tou-An. i73«j. tes les efpeces de la douane à Guiaquil , & de cette ville à Puna , au faut de Tumbez & à Paita. Il y en a de plus ornés & d'une conftrudion plus élégante, qui fervent à tranfporter les familles dans leurs terres ôc dans leurs maifons de campagne. Ils ne reçoivent aucune agitation fur les rivières, & l'on y trouve les mêmes commodités que dans les maifons , comme on en peut juger par leur grandeur , qui donne la place fufK-fante pour y faire toutes les difpoii-tions convenables. Les pièces de bois dont on les conftruit ont douze ou treize toifes de longueur, & environ deux pieds, ou deux pieds oc demi de diamètre , enforte que les neuf forment un plancher de vingt à vingt-quatre pieds de large. On peut juger à proportion , de la grandeur de ceux qui n'ont que fept pièces de bois, & ainfi des autres. Leurconf. Qes pieces ou poutres font atta- uutf ion. r « ■ i /ii ju' chees ou hees enlemble par des béjucos , avec tant de folidité qu'au moyen des autres pieces qui font mi-fes en travers aux deux extrémités* & aufti fortement attachées, ces bal- tj l l o a~ zas réiiftent à la rapidité des courants, chap. v 1. dans les voyages à la côte de Tum- An. 1730, bez ik de Paita. Les Indiens les conf-truifent avec tant de foin, que jamais ils ne fe lâchent, malgré l'agitation continuelle qu'ils éprouvent : cependant il eft arrivé quelquefois que par leur négligence à examiner la qualité des béjucos , ils fe font brifés ou pouris, & qu'il en auroit fallu mettre d'autres, faute de quoi l'on a eu quelques exemples de balzas qui fe font féparés dans le mauvais temps ; ce qui a fait perdre les marchandées bc les paflagers qui étoient deffiis. A l'égard des Indiens ils ne manquent jamais de fe réfugier fur une des poutres , qui furRt pour les conduire au port le plus prochain. La plus forte poutre de celles qui charge» r 111 n ' qu'ils peu- compolent le balza, elt toujours un vent porter, peu plus longue que celles qu'on place à côté : on attache de part & d'autre celles qui fuivent, & ainfi de fuite jufcju'à ce que tout le balza loit forme ; enforte que la principale pièce eft au milieu, & que le nombre des poutres eft toujours kn-pair. Les plus forts balzas portent or- 13 iv _ 3* découvertes U l l o a. dinairement quatre à cinq cents quin- Chap. vi. taux,fansquelesmarchandifespuinent An. 1736. être endommagées par la proximité de l'eau , parce que le balza fuivant toujours le mouvement de la mer , les vagues ne peuvent jamais monter défais, & l'eau ne peut s'introduire entre les poutres. Manière ie Jufqu'à préfent nous n'avons parles conduire. , , j 1 n n- 01 le que de la conltruction & des ufages des balzas ; mais la plus grande fingularité de ces machines flotantes, c'elt qu'elles vont à la voile, qu'on les peut virer & manœuvrer aufïï-bien par les vents contraires que les vaiffeaux qui ont une quille, & qu'elles ne dérivent que très peu. Ces avantages viennent de ce qu'au lieu de gouvernail, on les conduit par le moyen de quelques petits radeaux de trois ou quatre toifes de long, Ô£ d'une demi-toife de large, nommés Guares , qu'on place verticalement à l'avant & à l'arriére entre les principales poutres ; enforte qu'en enfonçant les uns plus profondement dans l'eau, & en élevant les autres, on peut porter en arrière , ferrer le vent , revirer , avancer , & faire tous les autres mouvements d'un bâ- des Européens. 33" _ tîment régulier;méthodeabfolument t} L L o a. inconnue aux nations les plusintel- chap.vi. ligentes de l'Europe. Les Indiens en An< 1?3<, connoiffent feulement le méchanif-me ; mais leurs efprits n'étant pas cultivés par la fcience , ils ne pour-roient rendre aucune raifon de toutes leurs opérations. Si cette méthode avoit été plutôt connue en Europe , elle auroit fervi à éviter un grand nombre de naufrages , &L fauve beaucoup de vies très précieufes. Nous avons déjà remarqué que Abondance cette rivière , & les anfes qu'elle for- dïJÎÏ^ me font remplies de beaucoup de rcd,e Gui**. poilion ; ce qui donne en certains temps de l'année afièz d'occupation aux Indiens & aux Mulâtres qui en habitent les bords. Ils commencent à faire leurs préparatifs vers la fin de l'été, quand ils ont femé &1 re-ceuilli tes fruits de leurs petites fermes. Tous ces préparatifs confluent à examiner les balzas, à leur faire les réparations nécenaires , & à leur donner une nouvelle couverture de feuilles de vijahua. Ils mettent deiTus une quantité fuffifant de fel, de harpons ÔC de dards, avec du maïz , du plantain & du bœuffeché pour leurs pro- B Y 34 Découvertes U l l o a. vifions. Quand tout eft ainfi difpo-Chap. vi. fé , ils mettent auftî leurs canots fur An. 1736. les balzas, & y montent avec leurs familles , & les petits meubles qu'ils poiTedent, A l'égard des beftiaux &c des chevaux , dont ils ont en petite quantité , ils les envoient pour hiverner dans les montagnes. Ils fc rendent enfuite à l'entrée de quelque anfe, où ils efperent prendre beaucoup de poiftbn ; & ils y demeurent tout le temps de la pêche, à moins qu'ils ne (oient trompés dans leur attente , & qu'ils ne lé trouvent ■ obligés d'aller à une autre. Quand ils en ont pris la quantité qu'ils jugent fuffifante, ils retournent à leurs habitations ; mais ils ont toujours foin d'emporter avec eux des feuilles de vijahua, des béjucos & des cannes, pour faire les réparations néceftaires. Pècheides Voici quelle eft leur manière de indiens. pêcher. Ils amarrent leurs balzas à l'embouchure de l'anfe ; fe mettent dans leurs canots, avec quelques lances & quelques harpons. Quand ils voient un poiftbn , ils s'avancent vers lui , jufqu'à ce qu'ils foient à une diftance convenable, &c dardent leurs lances avec tant de dextérité qu'il eft des Européens. 35_ très rare qu'ils le manquent. Si l'en- y L L 0 A, droit abonde en poilTon, ils en pren- céap, VI, nent la charge de leur canot en trois An. 17îfi, ou quatre heures, & retournent en-fuite au balza pour vuider & faler ce qu'ils ont pris. Quelquefois, particulièrement dans les endroits où Tante forme comme un étang, ils fe fervent d'une herbe , nommée Bar-bafco , qu'ils mâchent en la mêlant avec quelque appas , & la répandent dans l'eau. Le jus de cette herbe eft fi fort, que lorsqu'un poiftbn en a avalé, en li petite quantité que ce foit, il devient comme ivre, 6t flotte à la furface de l'eau ; enforte que l'Indien n'a que la peine de le prendre. Ce jus foit périr fur le champ les petits poillons ; les plus gros font quelque temps à revenir dans leur état naturel, & même ils m eurent prompte-ment quand ils en ont avalé une trop grande quantité. On poiirroit croire que des poiftbnspris par cette méthode feroient nuifibles à la fanté ; mais l'expérience a prouvé le contraire , & les hommes les plus craintifs ne fe font aucune peine d'en manger. On pêche aufti avec des filets ; mais alors _ 3^ D é couvertes Ul l o a on f°rme ^es compagnies pours'ai-Chjp. vi/der réciproquement. An. -t7î«. ^a multiplication des poiftbns dans cette rivière eft beaucoup empêchée Drs ou Caî- Par ^c n°mbre prodigieux d'alliga-tors, ou caïmans, animaux amphibies qui habitent les rivières &c les plaines voifines , mais qui ne s'éloignent que rarement des rivages. Quand ils font las de prendre des poiftbns, ils fortent de l'eau pour fe chauffer au foleil ; & ils reffem-blent moins alors à des créatures vivantes qu'à des morceaux de bois pouris que les courants jettent quelquefois fur les rivages : mais ils fe plongent dans l'eau auiTi-tôt qu'ils a pperçoi-vent quelque barque ou quelque autre bâtiment. On en voit d'une taille fi prodigieufe, qu'ils ont plus de quinze pieds de long. Quand ils le repofent fur les rivages, ils tiennent ouvertes leurs gueules monftrueufes pour y attirer les mofquittes , les mouches & d'autres infectes qu'ils dévorent enfermant leurs mâchoires. Malgré tout ce qu'on a écrit de la voracité de ces animaux , nos Académiciens virent par expérience qu'ils fuyoient les hommes, & qu'àùffi-tôt qu'ils en voyoient feulement un ,tj l l 0 ^-ils plongeoient dans la rivière. Tout „hap VI. leur corps eft couvert d'écaillés im- An. 17164 pénétrables aux balles de moufquet , à moins qu'on ne réuflifle à les frapper dans le ventre, près les pâtes de devant, le feul endroit où ils puif-fent erre bleues. L'alligator elf ovipare : la femelle „Ieur P°ntei r • 0 , , , r , 1 x ix comment tait un grand trou dans le table pres a» édofcnt, le bord de la rivière , &c elle y dé-pofe les œufs, qui font prefque aufti gros que ceux d'autruche, & blancs comme des œufs de poule, mais beaucoup plus folides. Elle en fait ordinairement un cent, & demeure au même endroit jufqu'à ce qu'elle les ait tous dépofés , ce qui dure un jour ou deux. Elle les couvre de fable ; & pour les mieux cacher, elle fe roule iur ce précieux dépôt jufqu'à %ne diftance conlidérable. Après cette précaution, elle fe retire dans l'eau jufqu'à ce que par un inftinct naturel, elle connoifte qu'il eft temps de délivrer fes petits de leur prifon : alors elle revient fur le rivage, fuivie du mâle, creufe le fable, & brife les œufs, mais avec tant d'attention qu'à peine trouve-t-il un feul petit qui 3$ découvertes V l l o a. en ^01t endommagé, & l'on voit ram-Cnjp. vi. per autour d'elle comme un eflaim An 1735 ^e Jeunes alligators. La femelle les porte dans l'eau ; mais le vigilant gallinazo , qui eft un gros oifeau , très-commun dans ce pays, faifit cette occafion pour lui en enlever quelques-uns , & même l'alligator mâle, qui ne vient que pour en faire fa proie , lui en dévore plufieurs, jufqu'à ce que la femelle ait gagné la rivière avec le refte : elle-même mange tous ceux qui tombent de fon dos, ou qui ne peuvent nager ; enforte que d'une portée aufti formidable , il n'erT refte heureufement que quatre ou cinq. Defcripiion Le gallinazo eft l'ennemi le plus j« gaiima- redouraûje des alligators, ou plutôt, il eft exceftivement friand de leurs œufs , &C emploie toute fon adrefte à pouvoir les découvrir. Ces oileaux pendant tout l'été guettent les femelles , parce que c'eft la faifon où elles font leurs œufs, & que le fable alors n'eft point couvert d'eau fur les bords des rivières. Le gallinazo fe perche fur quelque arbre, où il fe cache entre les branches, & épie en fJence fcdligator femelle, jufqu'à ce qu'elle des Européens. 39 ait dépofé fes œufs Se fe foit retirée, «• croyant les avoir fi bien caches qu'ils chap. vi. ne peuvent être découverts. Aufti- An- ^ tôt qu'elle eft dans l'eau le gallinazo tombe fur fa nichée , oc avec fon bec , fes griffes Sc fes ailes écarte le fable , oc dévore les œufs, dont il ne laiffe que les coquilles. Ce féftin le dédom-mageroit amplement de fa longue patience , fi une multitude d'autres gal-linazos ne venoient de toutes parts partager le butin de celui qui a eu le bonheur d'en faire la découverte. Le lecteur remarque fans doute les moyens dont fe fert la Providence pour diminuer le nombre de ces animaux deftructeurs , non-feulement par l'âpreté des galiinazos, mais encore par celle des mâles eux-mêmes. Autrement, ni les rivières , ni les campagnes voiiinesnc pourroient les contenir, puifque malgré tant d'ennemis infatiablcs , il en refte un fi grand nombre qu'on a peine à l'imaginer. Ces alligators font les plus gra nds ^^jj^jj deftructeurs de poiftbn dans cette ri-^ lfiV: vicre , & ils en font leur nourriture la plus ordinaire. Ils emploient beaucoup d'adreflè pour fe fatisfaire ; huit fc ^0 DÉCOUVERTE^ UUOAou dix qui forment, pouf ainfi dire J chap. v i. une ligue fe mettent à l'embouchure An. 1736. d'une rivière ou d'une anfe , pendant que d'autres de la même confédération remontent très loin dans la rivière, après quoi ils chaffent les poilfons devant eux ; enforte qu'il n'en échappe prefque aucun , de quelque groiTeur qu'il foit. Les alligators qui ne peuvent manger dans l'eau, élèvent leurs têtes au demis de la furfâce de la rivière, 8c peu-à-peu font fortir le poiffon de leurs mâchoires, afin de le dévorer à leur aife. Quand ils font raffafiés , ils fe retirent pour fe repofer fur le rivage. Quand ils ne peuvent trouver des poiffons pour fatisfaire leur faim, ils entrent dans les prairies qui bordent la rivière, & dévorent les veaux oc: les poulins. Pour s'emparer plus facilement de leur proie , ils font leurs excurfions pendant la nuit, afin de la iurprendre endormie. On remarque aufîï que les alligators qui ont commencé à manger de la chair, y prennent tanrde goût qu'ils ne veulent plus de poiffon , à moins qu'ils n'y foient forcés par la néceilïté. Les exemples même ne font que trop fréquents où des Européens. 41 ces animaux le jettent fur l'efpece tj l l 0 a. humaine, particulièrement fur les en- chap. vi. fants , qui par l'imprudence naturelle ah. 173s* à la jeuneffe fortent des maifons dans l'obicurité. Quoiqu'ils n'en foient pas éloigné? , les voraces alligators ont la hardicife de les attaquer, les fai-fiftent dans leur gueuile, & pour fe mettre à couvert contre le fecours que peut attirer les cris de leurs victimes , ils ne manquent jamais à les emporter en diligence dans la rivière, oii ces enfants font bien-tôt noyés , & ils reviennent enfuite à la furface de l'eau pour les manger à leur aife. Leur cruauté fe fait encore reften- Comme»* tir quelquefois aux mariniers qui con-duifent des chaloupes. Quand ils ont l'imprudence de s'endormir avec un bras ou une jambe fur le bord , l'animal qui s'en faifit entraîne aumVtôt tout le corps dans la rivière. Les alligators qui ont ainli mangé de la chair humaine, font les plus dangereux de tous, &£ font pour ainfi dire enflammés d'un defir ardent de renouveller un repas qui leur eft fi délicieux. Les habitants des cantons où ils abordent font très induftrieux à en faire des chaiies & à les détruire. Pour y par- 42 DÉCOUVERTES j L L ^ venir, ils fe fervent particulièrement Chap. vi. de cafonetes qui font des pièces d'un I7i6 bois dur, aiguif ées par les deux bouts, 6c auxquelles on joint pour appas les poumons de quelque animal. On attache la cafonete au bout d'une fangle ou d'une groffe corde, dont l'autre extrémité eft fortement liée au rivage. Quand l'alligator voit les poumons flotter fur l'eau, il s'élance furl'appas, 6c alors les deux pointes de bois entrent dans fes mâchoires, de façon qu'il ne peut ni ouvrir ni fermer la gueule. On le tire à terre , 6c il-fait les plus violents efforts pour fe dégager, pendant que les Indiens l'excitent comme un Taureau /parce qu'ils fçavent qu'ils ne courent d'autre danger que celui d'être renverfés , s'il arrive que faute d'adreffe ou d'agilité, ils fe tiennent à fa portée. Cet animal refiemble fi bien au lézard qu'on lui en donne communément le nom dans ce pays. Cependant il y a quelque différence dans la forme de fa tête, qui eff longue 6c menue vers l'extrémité, où elle diminue peu à peu comme un groin de cochon : quand il eft dans l'eau, il la tient toujours élevée au-dçflùs de la furface t des Européens. 43 . ce qui prouve évidemment qu'il 3tJlloa, befoin d'air pour refpirer. Ses ma- chap. vu choires font garnies de dents très An. 17*6* fortes & très pointues , auxquelles plufieurs Auteurs attribuent des vertus particulières. CHAPITRE VII. Voyage de Guiaquil à Caracol : Multitude prodigieufe de Mofquittes : Suite du voyage des Aflronomes : Acliviti des Indiens pour élevé* des huttes 9 Cafcade de Mamarumi : Dangers de ce voyage : Remarque finguliere fur un climat tempère : Difficultés qut trouvent les Afronomes dans la montagne de Saint-Antonio : Précipices qu'on rencontre fur cette route: Adrefft ctonnan'e des Mulets du pays : Temps les plus fâcheux pourfaire ce voyage: Négligence excefjïve des habitants, AUssi-tot que les Mathéma- Voyage de îiciens François & Efpagnöls'cïracol * arrivèrent à Guiaquil, le Corrégidor Mulûtud. dépêcha un ménager au Magiftrat dedeMof^uin Guaranda , pour qu'il envoyât deslis* 44 DÉCOUVERTES U, L voitures au port de Caracol, afin de CÎiap. vu les tranfporter, eux &: leur bagage par* An. 1736. deflùs les montagnes. Le paffage fut jugé absolument impraticable dans cette faifon, ce qui les obligea de demeurer à Guiaquil jufqu'au retour de l'été ; alors on leur donna avis que les mulets envoyés par le Magiftrat, étoient fur la route de Caracol, &C ils Rembarquèrent te 3 de Mai à bord d'un grand Chata pour s'y rendre. La force ordinaire du courant, & plufieurs accidents rendirent leur voyage fur la rivière û long , qu'ils n'arrivèrent à Caracol que le 11. On ne peut imaginer comi ien ils furent incommodés des Mofquites. Quoiqu'ils fe iuffent munis de chafTe-couftns, ils n'en retirèrent que très peu d'avantage. Ils étoient occupés tout le jour à chaf-fer ces infeéres, mais la nuit ils fouf-froient le tourment le plus cruel ; leurs gants à la vérité fervoient à leur garantir les mains, mais rien ne pou-voit fouftraire leurs vifages aux pi-quûres infuportables de ces efpeces de coufins : leurs habits n'étoient qu'une foible défenfe ; des aiguillons perçans pénétroient le drap le plus épais . ôc leur çaufoient des déman- geaifons d'une vivacité inexprimable, tj l l 0 a . La nuit la plusfâcheufe qu'ils parlèrent chap vu. dans ce voyage , fut celle on ils jet- An, ,7J^ terent l'ancre devant une grande & belle maifon inhabitée. A peine y eurent-ils abordé qu'ils Rirent attaqués de toutes parts par des effaims innombrables de Molquites, & il étoit im-poifible que tout homme capable de ïentiment pût repofer un feul inftant. Ceux qui s'étoient couverts de chaffe-coufins, après avoir pris le plus grand foin pour qu'il n'en rcftât aucun d'enfermé dedans, en furent fi bien affaiblis de tous côtés qu'ils furent bien-tôt obligés de quitter le lit. Ceux qui étoient dans la maifon efpérant trouver quelque foulagement en pleine campagne , fe hazarderent d'y aller, quoiqu'ils fuffent expofés à un danger beaucoup plus terrible de la part des ferpents. Ils furent également trompés , & l'incommodité parut toujours la même tant pour ceux qui portoient des chaffe-coufins, que pour ceux qui n'en avoient point ; enfin ils ne trouvèrent aucun expédient qui pût les garantir du nombre prodigieux de ces pernicieux infectes. Ils brûlèrent ides arbres entiers, efpérant les écarter 46 DÉCOUVERTES Ulloa Par ^a mm^t> mnis elle fembloit au ehap vji. contraire les multiplier, & en pro-An. 1736. duire de nouveaux eflaims. Au point du jour, ils ne pouvoient réciproquement fe regarder fans horreur ; leurs vifages étoient couverts de pullules, leurs mains chargées de tumeurs in-Jfuportables, & fon jugeoit aifément par ces parties découvertes , de la douleur qu'ils dévoient refîéntir dans celles qui, pour être cachées , n'en étoient pas plus à l'abri de ces animaux. La nuit fuivante, ils logèrent dans une maifon habitée, où ils en trouvèrent encore beaucoup , quoiqu'ils fiuTent en moindre nombre que le jour précédent. Ils racontèrent à leur hôte la manière déplorable dont ils avoient paffé la nuit, & il leur répondit gravement que la maifon dont ils fe plaignoient fi amèrement, avoit été abandonnée, parce que c'é-toit le purgatoire d'une ame, mais un de la compagnie lui répliqua fpiri-tuellement, qu'il croyoit plutôt qu'on avoit ceffé de l'habiter, parce qu'elle étoit le purgatoire du corps. Suite au Les mulets étant arrivés à Caracol, aSwovkê. ^es Mathématiciens en partirent le 14 de Mai, ôc après avoir fait quatre des Européens. 47 lieues par des favannahs, &c par des tj l l 0 a; bois de plantains & de cacaotiers, cha{.. vuils arrivèrent à la rivière Ojibar , oc An l?iSi continuèrent leur voyage en la côtoyant. Ils la parlèrent à gué au moins neuf fois, toujours avec affez de danger par la rapidité de l'eau, par la largeur & la profondeur de la rivière , & par le fond rempli de roches : vers trois ou quatre heures du foir , ils firent halte à un endroit nommé le port des Mofquites. Toute la route depuis Caracol jufqu'à la rivière d'Ojibar cil fi profonde ck fi remplie de fondrières, qu'à chaque pas leurs bétes cnfonçoient jufqu'aux fangles; mais fur les bords de cette rivière , ils trouvèrent le terrein plus ferme, & le chemin plus facile. Le nom de l'endroit où ils pafierent la nuit en fait affez connoître l'incommodité. La maifon avoit été abandonnée quelque temps comme celle dont nous avons parlé fur les bords du Guiaquil, oc elle étoit devenue le réceptacle de tant d'efpeces de ces mleûes infernaux qu'il étoit difficile de déterminer laquelle des deux maifons étoit la plus pernicieufe. Quelques-uns des Européens, pour effayer 48 Découvertes |7 L L de s'en délivrer , fe mirent nuds dans Chap. vu. la rivière , n'ayant que la tête hors An. 171S. de l'eau j ma^s ^eur vifage étant la feule partie découverte , il fut affaiHi en un inftant d'une multitude ii prodïgieufe de ces terribles animaux, qu'ils furent forcés de renoncer à cet expédient & de leur livrer leur corps. Aftivirédes Le i 5 , ils continuèrent leur voyager dcs°ur 8e Par une f°r&z tres épaiffe, à l'ex-fcutte», trémité de laquelle ils fe retrouvèrent fur les bords de la même rivière , qu'ils traverferent encore quatre fois avec nlus de danger que les précédentes. Vers cinq heures ils firent halte fur le rivage à un endroit nommé Calunia, ou le Pofte Indien. Ils ne trouvèrent aucune maifon pour y loger , de même qu'ils n'en avoient point rencontré dans toute cette journée ; mais cet inconvénient fut bientôt reparé par la dextérité des Indiens, qui coururent dans les bois, revinrent avec des branches d'arbres, ÔC des feuilles de vijahua, avec lefquelles en moins d'une heure ils élevèrent différentes hunes, affés grandes pour les contenu tous, & fi bien couvertes, que la pluie qui tomba avec violence, ce put en pénétrer les toits, Le des Européens. 49 Le 16 aux heures du matin, dans-y L L 0 AJ, ïemême pofte de Caluma, ils obfer- ctop. vu. verent que le Thermomètre etoit à An. 173$. 1016 , &: remarquèrent que l'air étoit cafcade de fenfiblement rafraîchi. Ils fe remirent Ma»»""», en route à huit heures & demie , & à midi ils parlèrent par un endroit nomméMamarumi, ou Mere de Pierre, & y virent une cafeade de la plus grande beauté. Le rocher d'où les eaux fe précipitent eft prefque perpendiculaire, de cinquante toifes de hauteur, & accompagné des deux côtés d'arbres très-élevés & très touffus. La vue eft également enchantée de la clarté de l'eau, & du volume qu'elle forme en tombant : après fa chute, elle continue fon cours dans un lit où l'on defeend par une pente douce, & qui eft traverfé par la grande route. Ils parlèrent encore deux fois la même rivière fur des ponts , avec autant de danger que quand ils l'a voient pafte à gué, & à deux heures après midi ils arrivèrent à un endroit nommé Tarigagua , où ils logèrent dans une grande cabane, couverte de feuilles de Vijahua , qu'on avoit élevée pour les recevoir. Ils furent au moins aufti fatigués cette jour- Tom, XI, Ç ~Ulloa nc^e 9u^'lS favoient été dans aucune' Chap. vu des précédentes, parce qu'ils rencon-An. J73<ï. trerent plufieurs précipices très dangereux , &C qu'en différents endroits le chemin étoit fi étroit qu'ils y trou-voient à peine le paffage pour leurs mulets. Il leur étoit impofîible de ne pas Te heurter fréquemment contre les arbres & les rochers, enforte qu'il y en eut peu d'entr'eux qui arrivaf-fent à Tarigagua fans avoir reçu plufieurs contuiions. D«nge« de On ne doit pas être furpris de ce voyage. ^ nous avons dit, qu'il étoit aufti dangereux de paffer furies ponts que de traverfer la rivière à gué ; ils font tous de bois & fort longs , ce qui les fait mouvoir fortement quand on eft deftus : de plus comme ils n'ont qu'environ trois pieds de largeur, fans aucun parapet , le moindre faux-pas peut faire tomber les mulets dans le torrent, où ils fe perdent indubitablement , ce que les guides leur dirent oui arrivoit très fouvent. Comme le bois de ces ponts eft füjet à fe pourrir près de l'eau , on les répare tous les-ans vers l'hiver , qui eft le feul temps où l'on en fait ufage, parce que la rivière eft toujours guéable en été. des Européens. $i Quand quelqu'un de diftinclàon »~tjlloa.* comme un Préfident, un Evêque ou Chap. vit. un Auditeur, fait un voyage de Cara- An< ^ col ou de Babahoyo , le Corrégidor de Guaranda envoyé des Indiens élever des cabanes aux endroits où l'on a coutume de paffer les nuits, comme les Mathématiciens en trouvèrent une à Tarigagua : elles demeurent debout, & fervent enfuite aux autres voyageurs , jufqu'à ce qu'elles foient détruites par les pluies. Quand elles font renverfées , les voyageurs fe contentent des huttes que leur conftruifent les guides Indiens, avec une promptitude furprenante. Le 17 à Tarigagua , vers fix heures Remarque du matin, le thermomètre étoit à£^j™fi« 1014 & demi, & nos AffronomesteiûP«é. qui depuis quelque temps étoient habitués aux climats chauds, fentirent le froid avec ailés de peine. Ceux qui entreprennent ce voyage remarquent des exemples très fréquents des effets que fait fur les hommes la différence d\? température. De deux voyageurs dont un vient de Guiaquil & l'autre des montagnes, le dernier trouve la chaleur fi incommode à Tarigagua , qu'il a peine à y fupporter quelques ?2 découvert e^s Ülloa nakits j au neu cîlle ^ premier fe coucha,, vil. vre de tous ceux qu'il peut fe prpcu-An. 1^6 rer. L'un trouve tant de délices dans la chaleur douce de la rivière , qu'il fe hâte de s'y baigner; l'autre la trouve fi froide qu'il en craint jusqu'aux moindres éclaboufturés. Cette variété fe remarque non-feulement dans les différents voyageurs , ma;s encore dans la même perfonnc, loi fquaprès avoir été aux montagnes , elle revient à Guiaquil, ou au contraire, pourvu que le voyage ck le retour îbient dans la même faifon de l'année. Cette différence fenfible vient uniquement du changement qu'on éprouve en quittant un climat auquel on eft accoutumé , & en paffant dans une autre température contraire. Ainfi deux perfonnes, dont l'une eft habituée à un climat froid , tel que celui des montagnes, ôi. l'autre à un climat chaud , comme celui de Guiaquil , doivent reffentir une femblable différence quand elles fe rencontrent dans un pays tempéré'comme eft celui de Tarigagua, l'une par rapport au chaud, l'autre par rapport au froid, Ce phénomène peut fervir à démontrer la fameufe opinion que les fens des Européens. ^3 font fujets à autant de variations ap- uLLOAfT parentes, que les fenfations vark-nt chap viii dans ceux qui les éprouvent, d'au- An. 1534. tant que les imprefîions des objets different fuivant les différentes dif-pofuions des fens, & que les organes de deux perfonnes différemment flifpofées, font diveriement affectées. A neuf heures & un quart du matin, Difficulté les Mathématiciens commencèrent à J^Afoonï' monter la montagne de S. Antonio ^nc«dan»ia au pied de laquelle eft fitué Tarigagua; s "ÂaSSo,* à une heure ils arrivèrent à un endroit que les Indiens nomment Guamac , ou Croix de Canes, 6c ils y firent une halte. Il eft difficile de donner une idée jufte de la difficulté de la route qui conduit de Tarigagua à cette montagne, & nos Mathématiciens y éprouvèrent plus de peine & de fatigue qu'ils n'en avoient eue jufqu'alors dans leur voyage , outre les dangers auxquels ils étoient expofés à chaque inftanr. En quelques endroits , la defcente eft ft difficile que les mulets peuvent à peine s'y foutenir, & en d'autres la montagne eft fi efcarpée qu'on ne peut y grimper qu'avec de^ peines .exceilives. Quelquefois le chemin eft C iij 54 découvertes "r;-fi étroit qu'à peine ces animaux trou'-' Çhap vu. vent Feipace neceuaire pour poier leurs pieds ; d'autrefois ils font com-M-1736. fufpendus fur les bords des précipices. De plus ces routes, ou plutôt ces fentiers font remplis de trous de près de deux pieds de profondeur , où les mulets mettent leurs pieds de devant & de derrière, de façon qu'il arrive fouvent que leurs ventres traînent fur le terrein avec les jambes de celui qui les monte. Cependant ces trous fervent comme de d&égrés , fins quoi ces efpeces de précipices feroient impraticables. S'il arrive malheureufement que l'animal mette le pied entre deux de ces trous y ou qu'il ne le pofe pas bien à plomb , le Cavalier efr en grand danger de tomber , & même de périr, s'il eft au bord d'un précipice. On dira peut-être qu'il feroit plus fur de faire cette partie du chemin à pied, mais il eft, trop difficile de pouvoir bien placer fes pieds fur les élévations qui font entre les trous ; le moindre faux-pas enfonceroit le voyageur jufqu'à la ceinture dans la boue épaiffe dont ils font remplis , & il lui feroit alors aufii difficile de retourner en arrière que d'aller en avant. des Européens. 55 Ces trous , qu'on appelle clans le yjlt0A. ' pays Cameloncs, rendent toute la cbap. vu. route très dangereufe, & font pour An 1?Jtft ainfi dire des obftacles continuels à la marche des mulets ; cependant le -pijj'jjj'j8" danger cllencore beaucoup plus grand ccntrt f 11 r dans les endroits oh ils manquent.Cew '-"f* Le chemin étant extrêmement eicarpe & très gliffant, par la nature du ter-rein , qui n'efl que de craye ck toujours mouillé : il feroit abfôlumént impraticable, fi les Indiens n'alloient devant, & ne creufoient de petites tranchées qui traverfent la route , avec des bêches qu'ils portent pour cet ufage ; ce qui diminue beaucoup les difficultés & les dangers de ces étroits paffages. Il faut renouveller continuellement le même travail . parce qu'en moins d'une nuit la pluie détruit tout celui qu'on a pu faire le jour précédent. L'embarras d'avoir toujours des hommes devant foi pour préparer la route , le danger des chiites & des contufions , & le défagre-ment d'être couvert de boue & Fqu-vent mouillé jut qu'à la peau,fcroient moins fâcheux à fupporter , s'ils n'éteint encore augmenta par la vue fies précipices qui font fi affreux , 56 Découvertes! 'Vlloa cll,,on Peut dire fans exagérer que Chap. vu. l'homme le plus hardi tremble en fai-An. 1736. fant cette route. -<| Il y a autant de dangers & de difrî-Adrrffe cultes a defcendre de ces hauteurs : •«Jrt!Tu Bpour s'en former une idée , il faut pay». remarquer que dans cette partie des montagnes , l'efcarpement eft fi roide que les camelones ne peuvent fub-lifter , & qu'ils font détruits par les eaux , qui détrempent continuellement la terre. D'un côié ce font des hauteurs inacceftibles , & de l'autre des abîmes effrayants , & comme on fuit en général la direction de la montagne, le chemin, bien loin d'être de niveau, forme deux ou trois montées & autant de defcentes dans l'efpace de cent ou cent cinquante toifes, & c'eft dans ces endroits que les camelones ne peuvent fubfifter. II femble que les mulets connoiffent les précautions qu'on doit prendre dans ces defcentes : quand ils font au fommet d'une éminence , ils s'arrêtent, placent leurs pieds de devant l'un près de l'autre , comme s'ils voulaient refter en place ; en font de même de leurs pieds de derrière qu'ils reculent un peu, comme quand ces arâç des Européens. 57 maux veulent s'accroupir. Ils demeu- " tjlloa. rent quelque temps dans cette atitude, chap vu. comme pour examiner le chemin, oc An. 173^ enfuite fe laiffent gliffer avec une vî-teflè que notre Auteur compare à celle d'un météore. Le cavalier ne doit alors avoir d'autre loin que de fe tenir ferme dans la telle ,. fans vouloir guider fa monture , parce que le moindre mouvement feroit perdre l'équilibre au mulet , ce qui les expoferoit l'un &c l'autre mi plus grand danger de périr. Ces animaux lent d'une adrefïe furprenante dans ce pays; en fe biffant gliffer par un mouvement fi rapide, dans le temps 011 ils femblcnt ne pouvoir fe gouverner eux - mêmes , ils fuivent exactement les diffèrentes finuontés de la route , comme s'ils avoient précédemment bien reconnu & mis dans leur mémoire le chemin qu'ils doivent parcourir, &c prévu tout ce qui eft néceiTaire pour leur fureté, entre tant d'inégalités. Sans leur fècours y il feroit impofïïble de voyager dans ce pays j où la fureté du cavalier dépend entièrement de l'expérience & de l'adreffe de fa monture. Malgré le grand ufage que ces mu: C v, "ulloa *ets ont acclins Pour parcourir cette Ohap. vu. route , ils ne font pas entièrement An. 1730. délivrés d'une efpece de crainte ou d'horreur, qu'on remarque en eux quand ils arrivent au fommet de quelque hauteur efcarpée. Ils s'y arrêtent fans que le cavalier leur retienne la bride ; & s'il arrive par défaut d'expérience qu'il les pique de l'éperon , ils n'en demeurent pas moins immobiles , & ne quittent jamais leur place qu'ils ne fe foient mis dans la pofture que nous venons de rapporter. Il feriîblë alors que l'infîintt leur tienne lieu de raifon : non-feulement ils examinent la route avec la plus grande attention , mais ils tremblent 6c hen-niffent. à la vue du danger, enforte-qu'un cavalier, qui n'y eft pas accoutumé , ne peut manquer de s'en former des idées terribles. Les Indiens, qui vont devant, fe placent fur les côtés de la montagne , en fe tenant aux racines des arbres , &C animent les mulets par leurs cris , jufqu'à ce qu'ils aient atteint le bas de la defcente. On trouve à la vérité quelques endroits , où ces defcentes ne font pas fur les bords des précipices ; mais 'alors la route eft fi étroite , ôc fi creu- fe , & les côtés fi efcarpés, que le tjlloa. danger eft prefque aufll grand : le chap vil. fentier n'a qu'à peine la largeur né- An. m** ceflàire pour le paffage du mulet & du cavalier : ii l'animal tombe, l'homme eft néceffairement foulé aux pieds; ck faute de pouvoir fe dégager, il lui arrive fouvent de fe carier un bras ou une jambe quand il ne perd pas la vie. Il eft réellement étonnant de voir comment ces mulets, après avoir furmonté les premières imprellions de la frayeur, fe lahTent gliffer en fuivant la déclivité , avec quelle pré-ciûon ils écartent leurs jambes de devant , pour conferver l'équilibre & ne point pencher d'un côté plus que de l'autre ; la façon dont ils dirigent leur corps par de legers mouvements pour parcourir les diverfes finuofités de la route ; enfin leur adref-fe en s'arrêtant à la fin de leur cariere impétueufe. Les hommes mêmes ne pourraient fe conduire avec plus de' prudence tk de réflexion : quelques-uns de ces mulets , quand ils ont fait: plufieurs fois ces voyages , acquièrent une efpece de réputation par leur adreffe & lc.in- fureté ; ce qui les rend d'un grand prix. Ulloa. Quoique ces voyages foient toucha p. vu. jours très difficiles 6c très dangereux An. lip, dans tous les temps, les pires de tous , font le commencement de l'été & le t cm; s les , ,,, . fhs fâcheux commencement de 1 hiver, parce que pour ùatc cc\es plaies occafionnent alors de fit-neux torrens; qu en quelques endroits les chemins font entièrement couverts d'eau , & qu'ils font tellement gâtés dans les autres , qu'il ne feroit pas pofîible d'y paffer, fi l'on n'envoyoit des Indiens devant foi pour les accommoder. Enfin après tout leur travail , qui ne peut être fait qu'à la hâte ; & quand ces gens les ont rendus tels qu'ils les regardent comme fûrs & aifés, un Européen les trouve encore fi difficiles qu'il voudront à grand prix les pouvoir éviter. N^Hgencq j cl difficulté naturelle à tous les «xceihve des . . . r . àabuams. chemins qui font entre les montagnes eft encore augmentée dans ce pays par la négligence des habitants ; 6c elle cil fi grande qu on a peine a la concevoir. S'il arrive, par exemple , qu'un arbre tombe en travers, de la route, & bouche le paffage, perfon-ne ne fe donnera la peine de l'écarter. Quoique cet obftacle donne beaucoup de travail à tous ceux qui paf- dés Européens. 6i fcnr par ce chemin, aucun ne fon- Ulloa. gsra à le détourner; & ni le Gou- "TV viû vernement, ni ceux qui fréquentent An. cette route ne prendront le foin de le faire ôter. Cependant quelques-uns de ces arbres font fi gros qu'ils ont quatre ou cinq pieds de diamètre , & par conféquent rempliffent tout le paffage ; mais dans ce cas y les Indiens coupent une partie du tronc, tk aident les mulets à fauter par-deftiis le relie ; ce qui oblige de les décharger , tk ce n'eft qu'avec le plus grand travail qu'on furmonte cet obftacle, après avoir perdu beaucoup de temps, &c mis en rifque les marcha ndifes. Satisfaits d'avoir réufli à le pafler, ils laiftent l'arbre comme ils f\ nt trouvé, & ceux qui les fuivent font obligés d'efliiyer les mêmes fatigues : ainfi la route, au grand défa-vantage du commerce , demeure em-barraffée jufqu'à ce que le temps ait détruit l'arbre. Ce n'eft pas feulement ia route de San-Antonio & celle des autres montagnes entre Guiaquil 6c les Cordilieres qui font ainfi négligées, ij ei eft de même de toutes celles du pays, particulièrement quand elles paftènt fur les montagnes , ou ai$ travers dçs forêts, CHAPITRE VIII. Les Agronomes arrivent à Guaranda .? Honneurs qu'ils y reçoivent : Fertilité du pays : Ils fe remettent erz route : ils entrent dans un p y s très froid : Jls voient les rej'tes a"un palais des Incas : Ils arrivent à Quito : abrégé de Chijloire dz cette ville : S it nation de Quito : Beauté des environs de la ville : D'où viennent les eaux de Quito r Volcan voijtn de Quito : Grande place de Quito ; Couvent des Francifcains : Des bâtiments : Matériaux dont on fe fe>t pour les aonjlruire : Des Paroi [fes : Des Cou;-verrtf & des Colleges : Monafere de files : Magnificence des Couvents & médiocrité des paroïijes : l'e l'hôpital : Congrégation de N. D. de Bethléem ; D*s Cours de Juflice % Chambre des finances : Tréforeric des bims des défunts : Du ( orps-de-ville : Chapitre de la Cathédrale Danj.es des Indiens* E 18 à fix heures du marin , les chap v âTlr Mathématiciens obferverent que An. 17i6m le thermomètre à Crin, de Canas étoit à 1010 ; ils trouvèrent le chemin LcsA'lr^" ai fii mauvais que le jour precedent, vcm à gu*î 6k arrivèrent au fommet dune mon-randa* tagne nommée par les Indiens Pu-cara , ce qui fignifie porte , ou étroit paffage de la montagne : le même mot s'explique encore par lieu fortifié , 6k on lui a peut-être donné ce nom à caufe du peu de largeur dû chemin, ek de la force naturelle que cet endroit tire de fa fituation. Ils commencèrent alors àdefcendre avec plus de facilité vers la Province de-Chimbo, accompagnés deKA'caldede cette Province , 6k des principaux de la ville de Guaranda. On leur fit des compliments très gracieux fur leur arrivée ; ils s'avancèrent enfemblc vers la ville ; & quand ils en furent environ à une lieue, ils rencontre-rent le Curé, qui étoit Dominiquain, avec plufieurs Religieux du même Ordre , ck un grand nombre d'habitants fonis pour les recevoir. Pour augmenter le cérémonial, ils avoierrt auiii amené une troupe de Cholos.o»; valets Indiens,. 64 DÉCOUVERTE? Ulloa. ^es Cholos croient habillés de Çhap vj.'ibleu, avec des ceintures autour de An. 1730. leurs reins. Ils avoient des efpeces de turbans fur la tête, & des dra? ,u"ryner" Peaux ;l la main- Ce penc corps fut foivent. partagé en deux ou trois compagnies , qui vinrent au devant des Mathématiciens en danfant , & en chantant dans leur langage quelques mots pour marquer le plaiur qu'ils avoient de voir ces Savants arrivés fans accident dans leur pays. La cavalcade entra ainfi dans la ville, au ion de toutes les cloches, tk. au bruit des trompettes, des tambours & des fifres, dont toutes les maifons reten-tiffoienr. Les AhVonomes marquèrent au Corregidor leur furprife de cette reception , qu'ils regardoient comme au deffus de leur rang ; mais il leur dit qu'elle n'avoit rien d'extraordinaire ; qu'on avoit coutume de rendre les mêmes honneurs à toutes les perfonnes de confidération qui entroient à Guaranda , & qu'il y avoit une efpece d'émulation entre les différentes villes , pour difputer à qui recevroit le mieux les étrangers. ' Futilité du Quand ils eurent paffé les moia- des Européens. 65 ragnes au-delà de Pucara, ils trou- tjlloa!"" verent que tout le pays dans l'efpacc chap. vifj de deux lieues de longueur, & aufli An. i7i«» loin que fe pouvoit étendre la vue de part & d'autre étoit une plaine unie & découverte , fans arbres ni montagnes, & remplie de champs de froment, d'orge , de maïz, &C d'autres grains , dont la verdure , très différente de celle des montagnes, frappa agréablement la vue de nos voyageurs. Le Corrégi«lor les reçut dans fa maifon à Guaranda jufqu'au 21 du même mois, & ils fe remirent alors en route pour Quito. Us obferverent que pendant trois jours le thermomètre fut régulièrement à 1014 & demi. Le 22 , ils commencèrent à tra- 'l*fcrem**> verferle defert de Chimborazo , laif-tente,irout^» fant à gauche la montagne de même nom ; parlèrent par divcrfes hauteurs ou éminences , la plus grande partie de fable, & virent à une diltance allez éloignée que la neige formoit, pour ainfi dire , les côtés de la montagne. A cinq heures oc demie du loir , ils arrivèrent à un endroit nommé Rumi-Muchi , c'efl-à-dire, Cave de pierre, à caufe d'une pro; *Ülloa. f°ncIe cavité qu'on y trouve clans le Chap. vin roc, & qiûftit aufti le feul logement Ai>. 1736 quMs y rencontrèrent. Le voyage de cette journée fut ils enirvntaccompagné de beaucoup de peines «ars ui) pav t> i • 'î •/•••. wè«froid. 6k de fatigues : us n étoient pins expofés à la crainte des précipices , 6k n'avoient plus de partages dangereux, comme dans la route de Guàr inda ; mais ils fourfrirent cruellement du froid de ce defert, augmenté par la violence du vent. Quand ils eurent traverfé cette grande plaine de fable , 6k les parties les plus défa-gréables de ce lieu flérile , ils trouvèrent les ruines d'un ancien palais des Incas , litué dans une vallée entre deux montagnes ; mais il n'y refte prefque autre chofe que les fondements des murs. Le 23 à cinq heures trois quarts du matin , ils trouvèrent que le thermomètre étoit à 1000 , qui eft le terme de la glace, aufti remarque-rent-ils que tout le pays étoit couvert d'une gelée blanche , 6k qu'il y avoit de la glace dans la cabane ou ils logèrent. Ils en fortirént a neuf heures du matin, 6k continuèrent à côtoyer Chimborazo : à deux heures après midi, ils arrivèrent à Mocha, tjlloaj^ village petit & très médiocre , où ils cha*. v.il. furent obligés de paffer la nuit. An. 173^ Le 24 , à'neuf heures du matin , ils fe remirent en route pour gagner Hambato , où ils arrivèrent à une heure après midi, après avoir pane plulieurs torrents , & diverfes ravines ou crevaffes de la montagne Car-guairafo , qui étoit couverte de neiges , un peu au nord de Chimborazo. Ils trouvèrent une de ces crevaftes fans eau , quoiqu'elle fut de La profondeur de douze pieds,parce qu'elle avoit été formée par les fecoufTes d'un violent tremblement de terre. Le 26 , ils parlèrent la rivière de Hambato & celle de Saint-Miguel fur des ponts de bois , & arrivèrent le même jour à Lrtacunga. Ils en partirent le 27 à fix heures du matin, traverferent à gué une rivière nommée Alaques , & allèrent coucher à la ville de Mula-Halo. Le 28, en continuant leur voyage, ï'«nv07«* ■1 . , . - .* 0 les relus d ur» ils arrivèrent le loir a une ferme OUpaiaU <îe«I». hameau nommé Chi shinche. Us fi-cas' rent la première partie de cette journée dans une grande plaine , à l'extrémité de laquelle ils eurent le plai- ,*Ülloa. ^r ^e Pan^r Par un édifice qui avoit Ch.-,} h.appartenu aux Indiens payens, & qui An. 1736 étoit le refte d'un palais de leurs Incas. On le nomme Callo, & il donne le même nom à toute la plaine. Ils montèrent enlùite une hauteur ; & quand ils furent parvenus au fommet, ils entrèrent dans la plaine de Tiopullo , qui eft aufti étendue que la précédente : Au fond de cette plaine vers le nord, ils trouvèrent une maifon où ils parlèrent la nuit, lis arrivent Le 20, ils partirent plus matin que * les autres jours , parce qu il etoit te dernier de leur voyage. Ils fuivirent une route qui traverfoir plusieurs ravines , Se qui les conduisît dans une plaine fpaciêufe , nommée Turu-Bamba, c'eft-à-dire , plaine de boue, à l'extrémité de laquelle eft la ville de Quito, où ils arrivèrent à cinq heures du foir. Le Préfident de la Province leur procura des appartements dans le palais de l'Audience , ck les traita avec la plus grande fplen-deur les trois premiers jours, pendant lefquels ils recurent les vitites de l'Evêque, de l'Auditeur, des Chanoines , des*Régidors , & de toutes les autres perfonnes de diiuii£hon? des Européens. 69 qui paroîffoient fe difputer à qui leur tjlloa. • feroit le plus de politefies. ciup. wir. Garcilaffo, dans fon Hiftoire des a*. i7j$. ïncas du Pérou , rapporte que le Royaume de Quito fut conquis p.ari»h?ftoh?d/ l'armée de l'Empereur Tupac-Inga-Q.uh«. Yupanque , commandée par fon fils aîné Guayanacapa qui fut fon f uccef-feur au trône Impérial. Ce dernier, entre plufieurs enfants naturels, en eut un nommé Atahualipa d'une fille du dernier Roi de Quito, Comme il l'ai— moit excefîivemcnt à caufe de fes grandes qualités , & de fon caractère infinuant, il voulut lui procurer un etabliffement honorable , & engagea Hueicar fon fils aîné & légitime à le laitier jouir du Royaume de Quito , à titre de fief de l'Empire, parce que fuivant une loi invariable, toutes les conquêtes dévoient être annexées pour toujours à la couronne , fans pouvoir en être aliénées pour quelque caufe que ce fut. Ce Monarque eut donc la fatisfacfion de voir fon fils bien-aimé fouverain de fcs gtands Etats : mais après la mort de Guayanacapa , le jeune Prince, dont il avoit conçu de fi grandes efpérances , eut l'ingratitude des'emparer de l'Empire, 70 DÉCOUVERTES *ULLOA de mettre fon frère en prifon , & de Ch», vi 1*1. le faire périr quelque temps après An, lJ3i d'une mort violente. Son bonheur fut de peu de durée, & il éprouva le même fort par les ordres de Doni François Pizarre, qui avoit envoyé Sebaftien de Belalcazar pour faire la conquête du Royaume de Quito. Ce Commandant défit les Indiens, corn me nous l'avons rapporté dans l'hiftoire de la conquête du Pérou , partout où ils oferent lui rélifter, & par une fuite de victoires , fe rendit bien-tôt maître de ce Royaume. Il rebâtit en 1534 Ja Capitale qui avoit excetfivement fouffert des troubles intérieurs, èv lui donna le nom de San-Francifco de Quito qu'elle a toujours confervé depui . situation Je Nos Aftronomes trouvèrent par les obfervations les plus exactes , que la ville de Quito eft fituée à la latitude méridionale de o degré 13 minutes 3 3 fécondes , & à 298 dégrés 1 5 minutes 45 fécondes de longitude, en comptant du méridien de Teneriffe. Cette ville eft dans la partie intérieure du continent de l'Amérique méridionale , & fur les confins orientaux des Cordillieres occiden- des Européens. 71 taies des Andes. Elle eft éloignée "Ûlloa d'environ 3 5 lieues à l'oueft de la côte ci»p. villa de la mer du lùd : elle a au nord- An, m6tt oueft la montagne 6k le délert de Pichincha , qui lui font contigus, 6c cette montagne eft aufti renommée chez les étrangers par fa hauteur ex-certive, qu'elle eft fameufe dans le pays par les grandes richeffes qu'on s'imagine qu'elle renferme. La ville eft bâtie fur le penchant delà même montagne , 6k entourée par plufieurs autres de hauteur médiocre entre les coupures ou Guyacos, comme ils les appellent, qui forment les éminences de Pichincha. Quelques-unes de ces coupures font d'une grande profondeur , 6k traversent toute la ville , enforte qu'une grande partie des bâtiments font fondés fur des arcades. Cette fituation rend les rues irrégu-lieres 6k très inégales, quelques parties de la ville étant bâties fur les< pentes , dans les fonds & fur les fom-mets de ces coupures. Par rapport à W; grandeur, Quito peut être regardée comme une des villes du fécond rang d'Europe ; mais l'inégalité du ter-rem lui donne beaucoup moins d'apparence qu'elle n'en auroit, ft elle 71 DÉCOUVERTES rTjLLOA étoit dansime poiition plus favorable^ Char v t/i Dans le voifinage font deux plai-An 1736 nes f ►âcieufes, l'une au fud, nommée tj . . Tmubamba , qui a trois lieues de B ante rirs > ^ c environs de longueur ; 1 autre au nord , appellee te«c ville. Innn-Quito , d'environ deux lieues d'étendue. Elles font ornées de maifons de campagne &c de terres cultivées , ce qui en rend la vue très agréable de la ville, d'autant que les plaines & les hauteurs voifines font couvertes d'une verdure charmante, & emaillces d'une infinité de fleurs produites par un printemps perpétuel. Ce magnifique théâtre efl encore div^rfifiépar les nombreux troupeaux qui paiffent fur les hauteurs , dont la fertilité eft fi grande qu'ils ne peuvent en confommcr les pâturages. Ces deux plaines fe refferrent en approchant de la ville , & à leur jonction elles forment une langue de terre, couverte par les éminences fur leiquclles elle eft bâtie. Il doit paroî-tre étonnant qu'avec deux plaines aufli belles oz au(fi étendues, fi près de Quito , on ait choiti une fituation suffi peu agréable que celle de cette ville; maisil femble que les fondateurs ont eu moins d'égard à a convenance; des Européens. 73 Venance & à la beauté , qu'au defirrj L L 0 A. de perpétuer le fouvenir de leur con-Chap. v m, quêté, en bâtinant fur le même ter- An. 175*, rein où étoit l'ancienne capitale des Indiens, qui choififfoient toujours de Îiareilles fituations pour y conftruire eurs villes , fans doute dans la vue de les rendre plus propres à faire une forte défenfe. On peut croire aufti que les Efpagnols, dans les commencements de leur conquête, ne penfoient pas que cette place devînt jamais de la grandeur à laquelle elle eft parvenue. Cependant Quito n'eft plus dans un état aufti florifTant que par le paffé ; ïe nombre des habitants eft diminué confidérablement, particulièrement celui des Indiens , & l'on voit des rues entières de leurs huttes qui font abandonnées & en ruines. Au fud-oueft de Quito, fur la lan- d'où tJct»-gue de terre qui appartient à la plaine de Tura-Bamba , eft une éminence nommée Panecillo , ou petite feuille, arce qu'elle a la forme d'une feuille e fucre. Elle n'a pas plus de cent toifes de hauteur, & il y a un partage étroit entre cette éminence & les montagnes qui couvrent les parties orientales de la ville. -De la partie Tom. XI, D V h oT méridionale & ^e ^a partie occiderv. Chap. vin taie de Panecillo coulent plufieurs An. 1736. ruiffeaux d'une eau excellente : il torn, be aufti diverfes fontaines des émi, nences de Pichincha, & par le moyen des conduits & des canaux qu'on a pratiqués , la ville eft pourvue d'eau en abondance ; le furplus fe réunit après quelques détours, 6c forme une rivière qu'on nomme Machangara. Vokan voi- f Du temps des Payens, Pichincha fin d* Quito, étoit un volcan , & il a eu quelques éruptions affez vives depuis la con-quête. La bouche ou l'ouverture eft dans un pic , dont le fommet eft pré-fentement couvert de fable Se de matière calcinée : mais il n'en fort plus de feu , 6c l'on n'y voit aucune apparence de fumée. Cependant les habitants font quelquefois allarmés par les bruits effrayants que caufent les vents renfermes dans les cavités de la montagne; ce qui rappelle à leurs efprits les terribles dévaluations cau-fées anciennement pariés éruptions, quand toute la ville 6c le pays voifm. fe font trouvés enfevelis pour ainfi dire fous un déluge de cendres. Ce terrible phœnomene eft fouvent arrivé dans des temps où la lumière du des Européens. 75 foleil étoit cachée pendant trois ou \j LLOA quatre jours fucceftivement par des chap. vin! nuées des mêmes matières , que les An. i7î«, rayons de cet aftre ne pouvoient pénétrer. Au centre de la plaine d'Inno-Quito eft un endroit nommé Rumi-Pamba , c'eft-à-dire forte plaine , qui eft remplie de groflès pièces de rochers que la montagne y a jettées dans le temps de fes éruptions. Nous avons déjà remarqué que la partie la plus élevée de Pichincha eft couverte de glace & de neige, dont on apporte une grande quantité à la ville, ou les perfonnes aifées s'en fervent à rafraîchir le vin & les liqueurs. La principale place de Quito a Grande place Vr r «r (•/■ r L 1111 de Quito. quatre faces : 1 Eglife Cathédrale en occupe une; le Palais Epifcopal eft dans la face oppofée : la troifieme eft pour l'Hôtel de ville , &: la quatrième pour le palais de l'Audience. Cette place eft très fpacieufe , &c l'on Voit au milieu une très belle t'ontiùne ; Jnais elle eft plus défigurée qu'elle n'eft ornée par le palais de l'Audience, dont la plus grande partie tombe en ruine, au lieu d'être bien entretenue, comme il conviendroit à la dignité du gouvernement. Il ne refte que U l l o a cllie'c[ues &ues & quelques bureaux Chap. vfin'aont on prenne foin ; mais les murs au. i75ö- extérieurs font en fi mauvais étar qifiis menacent continuellement d'entraîner le relie par leur chiite. Les quatre rues qui terminent les angles de la place font droites, larges 6c très belles, mais on y trouve des defcentes fort incommodes, qui commencent à foixante ou foixante & dix toifes de la place , c'eft-à-dire, après les coins qui terminent les premières f îles des bâtiments. Ces inégalités privent les habitants de l'ufage des carotlès ou des autres voitures à roues : mais les perfonnes au-deffus du commun fe diftinguent en fe faifant accompagner par un domclbque qui porte un grand jparafôl, & les femmes de qua-Ktré font portées dans des chaifes. Excepté les quatre rues dont nous venons de parler, toutes celles de la ville font tortues , & l'on n'y ob-ferve aucun ordre aucune fyme-trie. Quelaues-unes font traverïces par les coupures de la montagne, & les maifons font bâties fuivant le cours irrégulier & les projections bizarres de ces coupures, enlorte que quelques parties fe trouvent: fur des Européens, 77 ta hauteur , tk d'autres au fond d'une y 0 même coupure. Les principales rues Chap. vin! font pavées, mais celles qui ne le font Ah. ili6% pas deviennent impraticables après les pluies , qui font très communes dans ce pays. Outre la principale place , il y en Couvent des a deux autres à Quito, qui font très Fra™f«"». grandes avec plufieurs de moindre étendue. Oeft dans ces places que font finies la plus grande partie des couvents , qui ont une très belle apparence , parce que les frontifpices &c les portails des édifices confacrés à la religion font ornés de tous les em- #» belliffemerits de l'architecture. Le plus magnifique eft celui des Francifcains, tout conftniit en pierre de taille , qui a conté des fommes immenfes. Auffi, la juftefle des proportions , la difpofttion des parties , l'élégance de l'architecture, le bon goût & l'exécution de tout l'ouvrage le font comparer avec juftice aux plus beaux des bâtiments que nous admirons en Europe. Les principales maifons font très d« bitw grandes, & quelques-unes ont desmcnt8' appartements fpacieux & biendiftri-ûués, quoiqu'elles foient en général D iij __7* DÉCOUVERTES i. l o a coniP0^es d'un feul étage. II y en a' Chap. vin.' peu qui ne foient ornées de balcons, An. i736. mais les portes & les fenêtres, particulièrement dans l'intérieur, font en général baffes & étroites , en quoi l'on a fuivi le mauvais ufage des an-» ciens Indiens, qui étoit de faire les ouvertures très petites, & de bâtir fur les terreins les plus inégaux. LeS Efpagnols prétendent juftifîer cet ufage en difant qu'il efl utile pour donner moins d'accès au vent; mais quoiqu'il en foit, ils ne peuvent nier qu'il n'ait pour origine une aveugle imitation de la façon de conftruire des anciens habitants. Mauînaux Les principaux matériaux dont on ïoXcSte fert pour bâtir à Quito, font les i«y/*4 briques non cuites , qu'on nomme Adobes, & la terre glaife : la matière èe ces briques eft fi bonne pour la conftrucf ion qu'elles durent un temps confidérable, pourvu qu'elles ne foient pas expofées à la pluie. On les cimente ou on les joint enfemble avec une fubftance nommée Cangagua , qui efl une efpece de mortier très dur, dont les anciens Indiens fe fervoient pour bâtir les maifons & les murs de toute efpece. On en voit encore pliifieurç bes Européens. 79 reftes près de la ville, & en diverses y ' parties du Royaume, malgré l'inclé- chaj>. viïïî mence des temps, ce qui en prouve , la force oc la durée. La ville eft partagée en différentes D.sParair-paroifTes qu'on appelle le Sagrario, fet< Saint Sebaflien , Sainte Barbe , Saint Roch , Saint Marc, Sainte Prif'que &C Saint Blaife. La cathédrale , outre la richeffe des ornements efr. encore décorée de belles tapifferies, & d'au> tres embeiiffements très fomptueux. Au contraire , les autres Eglifes pa-roiffiales ont à peine le néceffaire pour célébrer avec décence le fervice Divin. Pluiieurs ne fbntpoint pavées, & le relie de l'intérieur repond à cette marque de médiocrité. La chapelle del Sagrario efl très grande, construite en pierre , & d'un très bon goût d'architecmre : mais l'intérieur ne répond nullement à l'apparence extérieure. Les couvents de Moines à Quito ve^se'&c^J font ceux des Auguftins , des Domi- coîegci, * nicains & des Pères de la Merci, qui font tous chefs de province, ôc il y a de plus un monaflere de Recollets , un fécond de Dominicains , & un autre de la Merci; Outre le college Div U l l o a - ^es ^fuites, il y en a deux pour Tes1 Chap. vin- feculiers, l'un fous la direction de ces An. 1730. Pesés , & l'autre fous celle des Do, minicains. Le premier porte le nom de Saint Louis , & le fécond celui de Saint Ferdinand. Dans celui de Saint Louis font douze places de fondation Royale pour des fils d'Auditeurs, & d'autres Officiers de la couronne. Dans ce college eft l'Univer-fité dont Saint Grégoire efr. le patron. Le fécond college fous l'invocation de Saint Thomas, efr. de fondation Royale, Se les profeffeurs font payés furies revenus de la couronne. Quelques-unes des chaires de ce college font remplies par des Gradués. Il y en a de deftinées pour l'étude du Droit civil & du Droit canon , & une de Médecine ; mais cette dernière eft demeurée long-temps vacante, faute de Profeffeur, quoiqu'il fût difpenfé d'avoir pris des dégrés. Le couvent des Francifcains a aufti un college , nommé Saint Bonaventure ; mais il n'eft que pour les Religieux de cet ordre, &" quoiqu'il foit fous le même toît que le couvent, il a cependant fon adminiftration & fon économie pafcj ticuliere. Il y a plufieurs couvents de filles tj l l o a. à Quito : les principaux font ceux de chaP. vin. Sainte Claire , de Sainte Catherine, ad. i7^. & deux de Sainte Thérefe, dont les Monaft Religieufes font déchaïuTées. L'un des lk ^H deux étoit autrefois établi dans la ville de Latacunga, mais il a été détruit ainfi que cette place par un tremblement de terre : on a tranfporté le couvent à Quito ,&c depuis ce temps, il y eft toujours demeuré. Le college des Jéfuites & tous les Magnfffeewa couvents des Moines font très grands, & «éSuSS bien bâtis & avec beaucoup de fplen-d-si)Mft#««i deur. Leurs Eglifes, quoique l'architecture de quelques-unes ne foit pas dans le goût moderne , font grandes & magnifiquement décorées, particulièrement dans les fêtes folemnelles: on voit avec furprife la quantité d'argenterie , de riches tapiflèries, & d'ornements fomptueux qui augmentent la folemnité & la pompe du fervice Divin. Les couvents de filles ne peuvent faire paroître autant de richeftès, mais ils furpaflènt ceux des hommes par l'élégance & par le bon goût des decorations.La différence eft étonnante quand on pafte de ces Eglifes dans celles des parûmes où tout n'annonce D v V l L o a. cIue *a Pauvreté , môme dans les ot2 .Chap. vni! cafions les plus folemneHes : il eft vrai An. i7i6. qu'on attribue particulièrement ce peu de décence à la faute de ceux qui les deffervent. Je i'hopitaj. H V a auffi un hôpital, avec des falies feparées pour les hommes & pour les femmes, & quoique les revenus en foient peu confidérables, une fage économie les fait future à toutes les dépenfes néceffaires. Il étoit anciennement fous la direction de quelques perfonnes particulières de la ville , qui, au grand dommage des pauvres, négligeoient leur devoir &c diffipoient fouvent une partie de l'argent qu'ils recevoient ; mais il eû préfcntement adminiftrépar les Religieux de Notre-Dame de Bethléem, 6c leurs foins ont fait entièrement changer de face à toutes chofes : on a rebâti le couvent, ainfi que l'infirmerie , & l'on a élevé une Eglife, petite , mais très belle, & décorée avec beaucoup de décence. Congrcga- Cet ordre de Notre-Dame de Be- j^a^fuu D* thléem a été fondé depuis peu fous M Bethléem.. . ./ k le nom de Congrégation, oc a pris naiffance dans la province de Guati- mala. Le nom du Fondateur eü Pedro des Européens. 83 de San-Jofeph de Bétancour, né dans tj l l 0 a, la ville de Chaîna en l'Ifle deTene-chaP. vm, ritfe l'an 1626. Après fa mort, arri- An. i7j<*« vée en 1667, fa congrégation fut approuvée par une Bulfe de Clément X , dattée du 2 de Mai 1671, qui fut renouvellée formellement par une nouvelle Bulle en 1674. En 1687 ,1e Pape Innocent XI, érigea cette congrégation en une communauté de réguliers , & depuis ce temps elle s'eft accrue de plus en plus comme Ordre religieux. Elle étoit alors déjà paffée de Guatimala à México, & s'étoit établie en 1671 à Lima, oîi les Pères prennent foin de l'hôpital nommé Del Carmen. Dans la ville de Saint Miguel de Piura , ils prirent poffef-fion de l'hôpital de Sainte Anne en l'année 1678, & en 1680, ils ont été chargés de celui de Saint Se-haïtien à Truxillo. Leur exactitude ïi bien remplir les devoirs de leur état a déterminé les habitants des autres villes à les choifir pour administrer leurs hôpitaux, particulièrement dans la ville de Quito, où ils ont déjà reformé tous les anciens abus , quoiqu'ils n'y foient que depuis peu d'années ; cv ont mis cet hôpital dans un , ^Découvertes" Ulloa, ^ta.r beaucoup meilleur qu'on ne l'a-' Chap vin. voit encore vu. An, i7^. Les Pères de cet Ordre font déchauffés , & portent un habillement d'un brun obfcur, affez femblable à celui des Capucins , qu'ils imitent aufîi en ne fe faifant point rafer la barbe. Sur un côté de leur habillement efl une image de Notre-Dame de Bethléem : tous les lix ans, ils s'af-femblent pour choifir un Général „ dont ils font l'Election alternativement à México & à Lima. Dmi Cours Entre les Cours de Juftice , qui fe tiennent a Quito , la principale ett celle de l'Audience royale, qui y frit établie en 1563. Elle eff compofée d'un Préfident, qui eft aufîi Gouverneur de la Province, pour routes les matières civiles, de quatre Auditeurs, qui font en même temps Juges civils & criminels, & d'un Fifcal royal , ainfi nommé parce, qu'il prend aufîi connoiffance de toutes les affaires relatives aux revenus de la Couronne* Outre cet Officier, il y a un autre Fifcal, nommé Protecteur des Indiens, qui efr. chargé de leur défenfe, & de plaider pour eux à l'Audience, La Jurifdicfion de cette Cour s'étend juf» qu'aux extrémités de la Province »'tjl l'0 a' & l'on ne peut appeller de fes juge-Chap, viii^ menrs qu'au feul Confeil des Indes , An. 173^ auquel même on ne peut a voir recours que dans les cas de déni de Juftice ou d'une injuftice manifeste. Après l'Audience royale efl: la Chambra Cour de Las-Caxas ou Chambre des esfuunccs« Finances , dont les principaux Officiers font un Maître-des-Comptes , un Tréforier, & un Fifcal royal. Les revenus qu'on verfe dans la caiffe de cette Cour font les tributs des Indiens de cette Jurifdiction, ceux d'Otabalo, de Saint-Miguel-de-Ibarra, deLata-cunga , de Chimbo , & de Riobam-ba ; les taxes levées dans les mêmes endroits ; les droits qui fe perçoivent aux douanes de Babahoyo, Yagua-che, & Caracol. Toutes ces fournies fontdiftribuées annuellement, partie a Carthagene , 6c partie à Sainte-Marthe , pour payer les honoraires des Présidents, des Auditeurs, des Fifcals, des Corrégidors, des Ecclé-fiaftiques & des Gouverneurs de May nas & Qui j os ; une autre partie eft diftribuée aux Officiers des Corn-mandeiïes, ôc aux Caciques des vil; lages. M DÉCOUVERTES \jLLO A Le Tribunal de Cruzada ou Croï* Chap. vin!zade eft compofé d'un Commiflaire, An. i7i6 l11* poftède ordinairement quelque dignité Eccléftaftique , & d'un Trésorier , qui eft aufti Maître des Comptes ; toutes les affaires relatives à la Croizade doivent lui être rapportées. Tr«?forcrif II y a aufti une Tréforerie pour les inbieiii «^effets des perfonnes décédées, inf-titution établie depuis long-temps dans toutes les Indes, pour la confer-vation des biens de ceux dont les héritiers font en Efpagne, afin qu'ils foient à couvert des accidents qui pourroient arriver par la négligence, ou par la friponnerie des particuliers entre les mains defquelsils pourroient demeurer, & pour les conferver aux héritiets légitimes. Cette inftitution , excellente dans fon origine eft présentement fujette à de grands abus; oc ces biens fouffrent des diminutions très confidérables avant qu'ils paffent ' à ceux qui doivent les pofléder. Outre les Tribunaux dont nous ^Tenons <£? parler, il y a encore un Commiftaire de l'Inquifition , avec «n premier Alguazil, & des Familiars nommés par le Saint-Office de Lima. ic*i^orFI fa Corporation ? oh Gorps-de-ville des Européens; 87 eft eompofee d'un Corrégidor, deÎTw ~ deux Alcaldes ordinaires qu on chot-chap. vin, fit annuellement, & desRégidors, Ab> ou Echevins. Ce font eux qui élisent les Alcaldes , dont l'élection oc-caiionne toujours beaucoup de troubles dans la ville , parce que les gens de tous états font divifés en deux partis , les Créoles & les Européens ou Chapitons ; ce qui altère beaucoup l'union & la tranquillité publique. Cette affemblée nomme aufîi l'Alcal-de-major des Indiens , qui doit être le Gouverneur d'une des villes Indiennes qui font dans l'étendue de cinq lieues de Quito. Cet Alcalde a fous lui d'autres Officiers inférieurs pour le Gouvernement civil ; mais î'Alcalde lui-même & les Officiers ne font guéres au deffus du rang d'Al-guazils du Corrégidor, ou des Alcaldes de la ville , quoique dans leur inflitution ils fuifent revêtus d'un pouvoir beaucoup plus étendu. Outre ces Officiers, il y a les Alcaldes Indiens nommés des Harrieros, qui font chargés du foin de procurer des mulets & les autres chofesnécenaires aux voyageurs. Ils doivent être tous fubor-fennés à. leur Alcalde-major ; cèpe*** U L L o a ^ant ^ n'a tïue tr^s Peu d'autorité fur Çhap. vin. eux. An. 1736 Le Chapitre de la Cathédrale efl Cha tt i compofédel'Evêque,duDoyen, de la Cathedra-l'Archidiacre,du Grand-Chantre,de l'Ecolâtre, du Tréforier, du Théologal , du Pénitencier, du Magiftrat, de trois Chanoines de préfentation, de quatre Prébendes , & de deux demi-Prébendes. Leurs revenus font de vingt-quatre mille piaftres pour l'Evê-que ; de deux mille cinq cents pour le Doyen ; de deux mille pour chacune des quatre dignités fuivantes ; de quinze cents pour chacun des Chanoines ; de fix cents pour chaque Prébende , & de quatre cents vingt pour les demi-Prébendes. Cette Eglife fiit érigée en Cathédrale l'an 1545, & l'on y célèbre les fêtes avec la plus grande magnificence , particulièrement celle du Saint-Sacrement, & celle de la Conception, 011 toutes les Cours , les Officiers & les perfonnes d'un rang difîingué ne manquent jamais d'affifter. Ce qui mérite le plus d'attention dans la pompe de ces fêtes eft la procefîion de la Fête-Dieu, ôc ks danfes des Indiens. Pour la pro-cefîion y dans les rues ou eUe paile ? bes Européens. £9_ chacune des maifons eft ornée deUL 0 riches tapifferies, avec de fuperbesChap vuu ares de triomphes , & des autels de An ^ diftance en diftance plus élevés que les maifons, oit l'on voit répandue une quantité étonnante de vaiffelle d'argent & de joyaux arrangés avec tant d'élégance , que l'œil en efl aufîi frappé qu'il efl furpris de voir tant de richelfes. Cette fplendeur, jointe à la magnificence des habits de ceux qui affilient à cette proceffion en font un a été des plus folemnels , dont la pompe 6z le bon ordre fe foutien- nent également jufqu'à la fin de la cérémonie, A l'égard des danfes, c'eft une cou- Danfes dç tume dans les Pâroiffes de Quito ,IndKns* ainfi que dans toutes celles des montagnes, que le Curé choifit, un mois avant la célébration des Fêtes, un nombre d'Indiens pour y remplir les fonctions de danieurs; & ils commencent alors à répéter les danfes qui étoient en ufage dans leur nation avant qu'ils fiuTént convertis à la Religion Chrétienne. Ils ont pour mu-«que une flûte ou fifre & un tambour: leurs mouvements ne font que des fauts de û mauvaife grâce, qu'ils ne V L tTôT Peuvent °iue déplaire à la vue d\\h Chap. vijl'.Européen. Quelques jours avant la A». i7« folemnité , ils s'habillent d'un pourpoint , d'une chefnife & d'un jupon de femme avec le plus de parure qu'il leur efl poiïible. Par-def-fus leurs bas ils mettent des efpe-ces de botines découpées, auxquelles ils attachent un grand nombre de Îjrelots. Ils fe couvrent le vifage 6k a tête d'une forte de mafque formé de rubans de diverfes couleurs. Avec cet habillement bizarre , ils ont l'orgueil de fe donner le nom d'Anges , forment des compagnies de huit ou dix, paffent toute la journée à courir dans les rues , prennent le plus grand plaifir à faire fonner leurs grelots , & s'arrêtent de temps en temps pour danfer ; ce qui leur attire les applaudiffemens d'une multitude ignorante , qui n'a aucune connoiffance de danfes plus élégantes. Il efl réellement très étonnant, que fans aucun profit, & fans aucunes vues d'intérêt , autre que de s'imaginer remplir un devoir de religion , ils continuent cet exercice quinze jours avant; la grande fête, & un mois après, fans s'inquiéter de leur travail ou de bes Européens. 91 ïeifrs familles, ne faifant que courir\j ^L*0 A* ou danfer pendant tout le jour, fans whaP vju] marquer ni ennui, ni dégoût, quoi- An. I73#k que le nombre de leurs admirateurs diminuent journellement, & que les applaudiflementsfe changent enfin en moqueries. Ils portent le même habillement dans les autres proceflions, ainfi que dans les fêtes des Taureaux, qu'ils voient avec le plus grancf plaifir, &C durant iefquelles o» les difpenfe dw travail, CHAPITRE IX. Dom Ulloii & M. Godin montent fur la montagne de Pichincha : Hauteurs du Thermomètre : Djfcultés qu'Us y éprouvent pour s'y établir un logement : Comment ils y vécurent » Tempères & nuages au défaits de. leur habitation : Difficultés que leur occafionnent les temps contraires : Froid excefjîf qu ils y éprouvent : Leur nourriture : Ifnt partie de leurs Domefiiques Us abandonnent : Ils changent d'habitation : Incommodités de leurs différentes fations : Variétés étonnantes fous le même climat^ Fertilité du pays : Variétés qu'elles occafionnent : Bas prix des vivres dans ce pays : Productions du pays : Température toujours égale : Des Villages. Uuoa. T) Eu de temps après que nos Mathé-chap. ix. J; maticiens furent arrivés à Quito , An. i7j7. -js réfolurent de continuer leurs luîtes Dom Ulloaj 1 r J & m. GodinOe triangles pour melurer un arc du montent fur méridien au Sud de cette ville ; ils fe u montagne *. . . de Pichincha, partagèrent en deux corps, compo-tjl l o a fés de François 6c d'Efpagnols ; 6c ciup. IX, chacun fe retira au lieu qui lui étoit An> defliné. Dom Georges Juan, & M. Godin, qui étoient à la tête de l'un , allèrent à la montagne de Pamba-mafca , pendant que Mrs. Bouguer , de la Condamine & Dom Ulloa, avec ceux qui les accompagnoient, montèrent fur le fommet le plus élevé de Pichincha. Les deux compagnies fouf-frirent excefîivement de la rigueur du froid 6c de la violence des vents, qui fur ces hauteurs foufflent continuellement avec la plus grande impétuofité, ce qui leur étoit d'autant plus fenfible, qu'ils étoient moins accoutumés à cette température. Dans la Zone tor-ride, preîque fousl'équateur, où l'on croiroit naturellement que la plus grande incommodité qu'ils dévoient redouter étoit l'excès de la chaleur, leur peine venoit au contraire du froid excefîîf auquel ils étoient ex-poïés ; 6c l'on peut juger de fon in-tenfité par les expériences qu'on fît avec le thermomètre fur le fommet • de Pichincha , en le tenant foigneu-fement à couvert du vent, 6c le point de la glace étant à. 1000. Îjuoa. Le 1 y d.,Août '737> à midi la K-Chap ix.'queur étoit à la hauteur de 1003. A„. 17J7à A quarre heures du foir à 1001 éc Haute»™ d,, demiei & à fix heures à 9.98 & demie. Theioomc- Le 16 d'Août à fix heures du ma-*e* tin la liqueur étok à 997. A dix heures elle monta à 1005. A midi elle fut à 1008. A cinq heures du foir elle defcendit à 1001 & demie ; èc a fix heures ils l'obferverent à 999 6c demie. Le 17 , à cinq heures trois quarts du matin , ils la trouvèrent à 996. A neuf heures, elle monta à 1001, A midi trois quarts elle étoit à 1010. A deux heures un quart après midi elle fut à 101 z &c un quart. A fix heures du foir à 999 ; ôc h dix heures à 998. ©ifficnitcs Leur premier foin fut de fe mettre ïïnibpourrî'U"a couvert, & de fe loger dans ce étaüiir uni».fâcheux féjour: afin d'y mieux réuffir, gcmem, réf0[urent d'élever une tente pour chaque compagnie ; mais ils ne purent le faire à Pichincha, parce que le fommet de la montagne étoit trop étroit; & ils n'eurent d'autre reffource que celle de fe confrruire une hutte fi petite , qu'à peine les pouvoit-elle contenir tous. On ne doit pas en êtte des Européens. 95 fwrrri , fi l'on fait attention à Fin-Ullox\ commodité de la fituation, & à la chaP. ix/ petitefie du lieu, qui eft une des poin- An. i7iy. tes les plus élevées d'une montagne remplie de rochers, cent toifes au defius de l'endroit le plus haut du de-fert de Pichincha. Telle fut leur ha* bitation, qui en très peu de temps parut couverte de glace & de neige, ainfi que tous les environs. Pour monter fur cet énorme rocher, depuis la baie, où les mulets pouvoient feulement aborder, & peur gagner leur cabane, le chemin étoit fi rude, qu'on ne pouvoit y grimper autrement qu'à pied. Il failoit y employer quatre heures d'un travail & d'une peine continuelle , occafionnée tant par la fatigue du corps, que par la fubtilité de l'air, qui ôtoit prefque la refpiration. Nous allons rapporter en peu de Comment mots, pour la fatisfàction du Lecteur, J ve*"~ la manière de vivre des Aftronomes pendant le temps qu'ils employèrent à mefurer géométriquement quelques dégrés du méridien. Le defert de Pichincha , étant très peu différent de tous les autres, ce récit pourra fervir à donner une idée de la fatigue, & des dangers auxquels il fe trouvèrent 96 DÉCOUVERTES V l l o a. exP°fts, tant par rapport à leurs opé-chap. ix. rations, que par d'autres inconve-An. 1737. nients , pendant tout le temps qu'ils employèrent à l'exécution de l'entre-prife dont on leur avoit fait l'honneur de les charger. La principale di-verfité entre les differents déferts , confiftoit dans le plus ou le moins d'éloignement des endroits d'où ils pouvoient tirer des provifions , Se dans l'inclémence du temps, qui étoit proportionnée à la hauteur des montagnes , & à la faifon de l'année. Tempêtes Ils fe tenoient ordinairement ren- SfiSE'ferofe dans lei.ir hutte > a caufe cle Ia ïiübitauon. rigueur du froid , Se de la violence du vent , outre qu'ils étoient enveloppés d'un brouillard fi épais , qu'à peine pouvoient-ils distinguer quelque objet à fix ou huit pas de diftance. Quand ce brouillard ven oit à s'é-claircir, les nuages par leur poids defeendoient vers la furface de la terre, &entouroient déroutes parts la montagne à un grand éloignement; enforte qu'il fembloit voir une mer , au milieu de laquelle leur rocher for-moir une ille. Alors ils entendoient un bruit affreux de tempêtes qui rou-loient au dédits de Quito Se du pays voilin, des Européens. 97 voifin. Ils voyoient les éclairs s'éle- tj^lq\ ver des nuages , & entendoient les Oap. îx. remuements du tonnere beaucoup au An. rj7. deffous d'eux : ainii quand les parties inférieures étoient expofées à de violentes tempêtes de pluie & de tonnere , c'étoit alors qu'ils jouilfoient d'une agréable férénité, le vent étant appaifé , le ciel découvert, & les rayons du foleil modérant la rigueur du froid. Tout changeoit de face quand les nuages remontoient ; leur épailfcur ôtoitla refpiration ; la pluie ik la grêle tomboient continuellement , & le vent recommençoit à fouffler avec toute fa violence. Cette fituation facheufe les mettoit fouvent dans la crainte d'être emportés avec leur hutte dans les précipices dont ils étoient environnés , où d'y être en-fevelis fous la glace &: fous la neige qui s'accumulcient de jour en jour. Le vent eft quelquefois fi violent Difficultés aans cette région de 1 air, que la vweïafionnemles en eft fatiguée ; & la crainte des Eu- ^européens étoit encore augmentée par le bruit horrible qu'ils entendoient fouvent dans les précipices, quand il y tomboit quelque énorme fragment de rocher. Ce bruit étoit d'au- Tom. XL E o8 Découvertes tant plus effrayant, qu'on n'en en-Chap. ix. ' tencloit aucun autre dans ces deferts, An. 1737. ^ pendant la nuit, le repos, dont ils avoient fi grand befoin, étoit fré-cmemment interrompu par ce fracas épouvantable. Quand le temps étoit un peu favorable dans leur canton , & que les nuages raffemblés vers quelques-unes des autres montagnes qu'ils dévoient lier par leurs obferva-tions, ne leur permettaient pas de faire tout l'ufage qu'ils auroient dé-firé de cet intervalle de beau temps, ils en profitoient au moins pour for-tir de leur hutte , &: pour faire quelque exercice. Quelquefois ils deicen-doient une partie de la montagne ; d'autrefois ils s'amufoient à rouler de gros morceaux de rochers dans les précipices, à quoi ils employoient toutes leurs forces réunies , pour faire ce que la force du vent feul exé-cutoit fouvent. Cependant ils avoient foin de ne s'écarter que très peu ; & quand ils voyoient quelque apparence que les nuages alloient gagner leur hutte, ce qui arrivoit quelquefois très fubitement, ils s'y retiroient en diligence. La porte de cette hutte étoit attachée avec des longes de cuir; ils ne laifloientdans l'intérieur aucune fente des Européens. 99 qui ne fut bien garnie , & elle étoit tj l l 0 j] couverte de paille très ferrée : cepen- ciaj»1. ix. dànt malgré tous leurs foins le vent An. l?i7, pénétroit au travers. Les jours n'é-toient fouvent guéres meilleurs que les nuits ; & toute la lumière dont ils jouiflbient étoit celle d'une lampe ou deux, qu'ilstenoient continuellement allumées. Quoique leur hutte fïit très petite, Froid ex-& remplie de monde , l'inteniu é du éprouvent! y froid y étoit fi grande, qu'outre la chaleur des lampes, chacun d'eux étoit obligé d'avoir une poelle remplie de charbons allumés. Cette précaution auroit rendu la rigueur du climat fupportable, fi le danger qui les m :naçoit d'être entraînés dans les précipices ne les avoit obligés de fe lever toutes les fois qu'il tomboit de la neige, & de s'expofer à la rigueur de l'air extérieur j pour dégager avec des pelles le toit de leur cabane, des mânes de neige qui s'y amaffoient-, autrement il n'auroit pu en fuppor-ter le poids. Us avoient à la vérité des domeffiques & des Indiens, mais tellement engourdis parle froid, qu'il étoit très difficile de les faire fortir d'une petite tente, où ils entretenoicntun Eij IOO DÉCOUVERTES U LLO A continuel. Tout ce que les Euro- chai». IX.' péens en pouvoient obtenir étoit de partager leur travail, encore ne 1p An. 1737. y .r p ., 1C faifoient-ils qua contre-cœur , Se par conféquent avec beaucoup de lenteur & de parefîé. Il eft aifé d'imaginer tout ce que nos Aftronomes eurent à fouffrir de la dureté d'un tel climat. Leurs pieds s'enflèrent , & devinrent fi tendres qu'ils ne purent plus fupporter la chaleur, & ils ne marchoient qu'avec la plus grande difficulté. Leurs mains étoient couvertes d'engelures, leurs lèvres enflées & fendues , enforte qu'il en fortoit du fang toutes les fois qu'ils vouloient parler, ou faire quel-qu'autre mouvement. Ils étoient donc forcés de garder le filence , &: la faculté de rire leur étoit abfolument interdite, parce qu'en occafionnant l'extenfion des lèvres, cette action leur caufoit de tels déchirements qu'ils ©n étoient incommodés pendant deux ou trois jours. Leurnourri- Leur nourriture ordinaire étoit un peu de riz, bouilli avec de la viande ou des oifeaux qu'on leur apportoit de Quito : au lieu d'eau fluide , ils rempliffoient leur pot déglace, &z n'a- des Européens, ioi voient que la même refîburce pour \j LLO A boire. Pendant qu'ils mangeoient , chap, îx. chacun étoit obligé de tenir fon plat An. 1737. fur un réchaud de feu , pour l'empêcher de geler ; ils en faifoient de même pour l'eau qu'ils buvoient. Us crurent d'abord que l'ufage des liqueurs fortes répandroitune chaleur favorable dans toutes les parties de leurs corps , ce qui les rendroit moins fenfibles à la rigueur du froid ; mais ils reconnurent avec étonnement qu'ils ne trouvoient aucune force dans les liqueurs fpiri-tueufes, & qu'elles ne les garantif-foient pas plus des impreiiions du froid que ne faifoit l'eau commune. Ils fe trouvèrent en même temps une partie dans l'embarras de ne pouvoirlaHïex JJJiJJJs4°e] leurs Indiens tous enfemble. Auffi-tôt abandonne, qu'ils commencèrent à éprouver la rigueur du climat, ils formèrent le projet d'abandonner leurs maîtres. La première défertion étoit fi peu prévue qu'elle auroit pu avoir des fuites très fâcheufes, fi l'un d'entre eux n'avoit eu de meilleures difpo-htions, n'étoit relié, & n'avoit donné avis de ce qui fè paffoit. Comme il n'y avoit fur le rocher aucun endroit ©ù l'on put placer une tente pour 102 D ÉCOUVERTES jj L l o a. *es Indiens , ils fe retiroient tous les Chap. ix. foirs dans une cave au pied delà mon. An, i«7, tagne, où le froid étoit moins vif & où ils entretenoient un feu continuel, ce qui rendoit leur fituation beaucoup plus fupportable que celle de leurs maîtres. Tous les jours avant de fe retirer, ils fermoient en dehors la porte de la hutte des Afrronomes, laquelle étoit fi balle qu'on ne pouvoir y paifer fans fe bairfer : mais comme la neige tk la grêle qui tomboient toutes les nuits formoit un mur contre la porte, un ou deux Indiens étoient chargés de venir le matin la débar-^raffer. Il y avoit bien quelques do-métriques Nègres qui logeoient dans une petite tente , mais leurs mains 6c leurs pieds étoient tellement couverts d'engelures, qu'on les auroit plutôt tués que de les faire travailler. Les Indiens venoient donc régulière? ment tous les matins dégager la porte entre neuf & dix heures: mais à peine l'eurent-ils fait quatre ou cinq fois, que les Aftronomes fe trouvèrent un. jour fort allarmés de voir paffer dix heures, onze heures tk midi lans qu'ils arrivalfenr. Ils furent enfin délivrés par leur fidéle Indien qui n'avoit pas des Européens. 103 Voulu fe prêter à laféduclion de festj l l 0 a" compatriotes, tk qui informa les chap. ix. Maîtres de la défertion des quatre autres. Auffi-tôt que la neige fut ôtée ' '737' de devant la porte , ils envoyèrent l'Indien au Corrégidor de Quito, qui leur en envoya de nouveaux avec la plus grande diligence , menaçant de punir féverement ceux qui manque-roient à leur devoir. La crainte du châtiment ne put les engager à fupporter la rigueur de leur fituation, & ils déferterent deux jours après, ce qui détermina le Corrégidor, pour prévenir tous les inconvénients , à envoyer quatre Indiens fous les ordres d'un Alcalde, tk aies relever tous les quatre jours. Les Ailronomes pallèrcnt vingt- échangent • ^ * f.__'___- d'habitation. rrois jours tres ennuyeux lur ce rocher, c'eft-à-dire, jiilqu'au 6 de Septembre , fans qu'il leur fût pofîîble de terminer leurs obfervations des angles : quand le temps étoit clair & ferein près de leur habitation , les montagnes furies fommersdefquelles étoient les fignaux qui formoient les triangles pour mefurer les dégrés du méridien ; leur paroiffoient enveloppées dans les nuages, & quand elles E iv 104 découvertes V llo a. Soient découvertes , Pichincha étoit Chap. ix. environné de brouillards. Ils jugèrent au. 1737. donc nécefTaire d'élever les fignaux dans des endroits plus bas , & dans une région plus favorable. Cette ré-folution ne leur fît changer d'habitation qu'au commencement de Décembre, lorfqu'ils eurent fini les ob-fervations qui concernoient particulièrement Pichincha, & qu'ils en commencèrent de nouvelles. Ils ne trouvèrent aucune diminution d'inconvénients, de froid, ni de fatigue, parce que les endroits où ils faifoient ces observations étoient toujours né-ceffairement dans la partie la plus élevée des déferts ; enforte que le feul relâche qui leur pouvoir procurer quelque foulagement, n'étoitque dans le court intervale de palier d'un, lieu à un autre. ' [nc?m.m0fli- Dans toutes les Gâtions- qui fuccé-dér ent à celle de Pichincha , pour stations. parvenir à la mefure fatiguante des degrés du méridien, chaque compagnie logea fous une tente , qui étoit fort petite , mais où ils trouvoient cependant moins d'inconvénients que dans leur première hutte , quoiqu'ils y euffent encore plus de peine, puif- des Européens. 105 qu'ils croient obligés de la néroyer tj l l 0 a. plus fréquemment des neiges qui la ch.ip.jx. couvroient, crainte qu'elle ne fût ren- An# 1737. verfée par leur poids. Ils placèrent d'abord ces tentes en des endroits moins expofés ; mais ayant pris en-fuite la réfolution de les faire fervir de fignaux pour prévenir l'inconvénient d'en avoir de bois , ils les tranf-porterent aux lieux les plus viiibles , où l'impétuofité des vents arracha quelquefois les piquets , tk renverfa même les tentes. Il fuit de ce que nous avons rapporté jufqu'à préfent que pour former un jugement exact fur la température de Quito , l'expérience doit corriger les erreurs qui feroient la fuite de la feule fpéculation. Sans le fecours de ce guide infaillible, 6k fans les lumières que nous donne l'hiitoire, pourroit-on croire qu'au milieu de la Zone Torride, ou plutôt fousl'Equa-ieur , non-feulement la chaleur fut fupportable, mais qu'en quelques endroits le froid y fût très rigoureux ; & que fous le même climat, d'autres endroits jouiroient des douceurs & des avantages d'un printemps perpétuel; que leurs champs feroient ton- U l'loT iours couverî5 ^e verdure ,.& émail-. ... ix. ' lés des fleurs les plus éclatantes? An. 1737. Cependant la douceur de l'air , toujours exempt des extrémités du froid Se du chaud , Se l'égalité confiante des jours Se des nuits rendent aufîi agréables que fertiles ces cantons que le raifonnement mal informé jugeroit inhabitables par leur fituation. La nature y a répandu fes dons avec une main fi libérale, que les endroits dont nous parlons font beaucoup plus fortunés que ceux des Zones tempérées, où les vicifîitudes de l'hyver Se de l'été, Se les variations du chaud au froid font fentir avec plus de défa-grement ces deux extrêmes. ^ Vari tés lcs moyens que la nature a etn-foHs le niVrnc ployés pour faire d'une partie de ce •a.iut. pays une habitation délicieufè , confident en un affemblac;e de circonf-tances fi bien combinées, que s'il en manquoit une feule , ces cantons feroient entièrement inhabitables, ou au moins fujets à de grands inconvénients. Ce concours fingulier efr. fi favorable qu'il corrige l'ardeur des rayons du foleil , Se modère la chaleur de cette brillante planète. La principale de ces. circonltances efl des Européens. 107 l'élévation du terrein au-deffus de la \J~L 0 A> furface de la mer, ou plutôt au-deffus Chap. IX. de la furface de tout le globe , ce qui An. 1737. non-feulement diminue la réflexion du foleil, mais encore rend l'air plus fubtil, facilite la congélation , & ôte toute l'incommodité du chaud. Ces effets naturels doivent incontellablement être attribués à la fituation du pays, & cette unique circonflance furfit pour produire les fingularités étonnantes qu'on y obferve. D'un côté l'on voit des montagnes d'une hauteur & d'une étendue prodigieufe, dont les fommets font couverts de neige ; de l'autre font des volcans, dont l'intérieur efl rempli de feux dévorants pendant que le fommet, les coupures & les cavités font enfe-velies fous les glaces. Les plaines jouiffent d'une agréable température ; mais les profondeurs & les vallées éprouvenr toute l'ardeur d'une chaleur exceflive : enfin fuivant la dif-pofition des lieux & les fituations hautes ou baffes , on trouve toutes les variétés poffibles, comprifes entre les deux extrêmes du plus grand chaud & du plus grand froid. Si l'on donnoit une description dé- FeniütC .!«■ E vj 108 DÉCOUVERTES j J TÔT. tam"ée de la fertilité du pays, elle pour-Ciup, jx. roit paroître hors de toute croyance : An. i737. mais on en connoîtra la ponibilité , en confidérant l'égalité & la bénignité du climat. Les dégrés du chaud &t du froid font fi heureufement réglés , que l'humidité nécefTaire eft toujours entretenue , & qu'il eft très rare qu'il fe paife un jour fans que la terre foit favoiïfée de quelques rayons bienfai-fans du foleil. Il n'eft donc pas fur-prenant que ce pays jouiffe d'une plus grande fertilité que ceux où les mêmes caufes ne fe trouvent pas réunies, fur-tout en remarquant qu'il n'y a aucune différence fenfible dans tout le cours de l'année ; enforte qu'on voit ici les fleurs & les fruits des diverfes fai-fons précifément dans le même temps. Un Européen curieux y obferve avec un plaifir mêlé d'admiration , des plantes qui jauniflent tk fe defféchent dans un champ , pendant que d'autres de la même efpece ne font que commencer à pouflèr ; & des fleurs qui perdent leur éclat lorfque d'autres commencent à s'ouvrir , comme pour entretenir perpétuellement le même émail dans les campagnes. Sur un même arbre, on voit des fruits des Européens. 109 parvenus à leur maturité , & des jT"- feuilles changer de couleur, pendant chap ix. qu'il en pouffe de nouvelles , & crue An j» r . r 1/1" ' '75> cl autres parties fe couvrent de fleurs cV de fruits dans toutes les gradations pofîibles. On remarque la même fertilité dans le bled , & l'on fait la moiflbn dans un champ pendant qu'on le terne dans le champ voifin. On en voit de nouvellement femé , qui commence à fortir de terre : d'autre qui efl en épies, & d'autre encore plus avancé qui efl déjà couvert de fleurs , en-forte que le penchant des montagnes préfente en même temps toutes les beautés & toutes les richeffes des différentes faifons de l'année. Tout ce que nous venons de dire efl Variétés ' en général ; cependant il y a un temps JJ^J 0ffS" déterminé pour la grande moiffon. Il , arrive aufîi que la faifon la plus favorable pour fémer dans un endroit efl un mois ou deux après celle qui convient à un autre, quoiqu'ils ne foient éloignés que de trois ou quatre lieues , & que le temps convenable pour une terre qui efl à une femblable diftance ne foit pas encore arrivé. Ainfi en différents cantons a & quelquefois U L L o a.^ans ^e mcme •> la fémence & la ré~ Chap, jx coke occupent toute l'année , & l'a-AA. 1-37. van cement ou le retard font naturellement occafionnés par la diverfité des fituations , félon que le terrein efl en montagnes , en coteaux, en plaines, en vallées,ou en coupures. Toutes ces différentes pofitions font autant de températures particulièresj ce qui diverfifie de même les temps des opérations de la campagne : mais cette diverfité ne contredit en rien ce que nous avons dit en général fur la fertilité tk l'abondance de ce pays fortuné. Basprixrics Cette fécondité remarquable du wresàQm- terrem im fa;r proauire naturellement une quantité prodigieufe de fruits & de grains de toute efpece , tk contribue également à leur donner une qualité excellente, qui s'étend fur les animaux, comme on en peut juger par la déiicateffe du bœuf, du veau , du mouton,. du porc &£ de la volaille qu'on mange à- Quito. Le pain de froment y efl en abondance ; mais les femmes Indiennes qu'on charge du foin de le faire ignorent également la bonne façon de le pétrir & «k; le cuire, quoique le bled fo.it par- des Européens, iii fait : cependant le pain qu'on mange-- dans les maifons particulières efl aufîi chaP. ix.* bon que le meilleur pain d'Europe. An< Iî37> Le boeuf, auûi parfait que celui de nos contrées , efl vendu par quartier de cent livres pefant, pour quatre réaies de l'argent du pays, & l'acheteur a la liberté de choifir le morceau qui lui plaît le mieux. Le mouton fe vend aufîi par moitié ou quartier de l'animal, 6k dans la primeur, quand il efl bienengraiffé, on le donne entier pour cinq ou fix réaies. Les autres ef-peces de provisions font vendues en bloc fans poids ni mefure, 6k le prix en efl réglé parl'ufage. Les plantations voifines du fom- Proiv&on* met des montagnes produifent du du pay*' froment, de l'orge, des légumes de toute efpece, 6k des pommes de terre, félon la variété des températures. -Au-deffous de ces plantations, on voit paître de nombreux troupeaux de moutons 6k de brebis , dont la laine employée à différents uiages , fournit de l'occupation à une infinité de perfonnes. Quelques fermiers ne s'attachent qu'à nourrir des vaches, particulièrement pour l'avantage qu'ils retirent de leur lait, dont ils. Î77~ 7 font du beurre 6c du fromage. En u l l o a. c y & a Chap. ix. d autres fermes, on s occupe en même An. 1737. temps à différents travaux, tels que le foin des troupeaux, l'agriculture, 6c les manufactures, principalement celles de drap , de bayes 6c de fer- ges. Température On voit par tout ce que nous ve-«gaie. nons de rapporter, qu aucune juridiction n'a une température égale dans toute fon étendue , parce que les différents dégrés de chaud 6c de froid dépendent de la fituation de chaque canton. C'eft à cette différence qu'on doit la bonté 6c la variété des efpeces de grains 6k: de fruits que le pays produit, 6c dont chacun trouve en quelque endroit la température la plus convenable à fon efpece. Aufîi en voyageant feulement une demi-journée , on paffe d'un climat dont la chaleur fait fentir qu'on efl fous la Zone torride , à\ un autre on l'on reffent toutes les rigueurs de l'hiver. Il faut encore remarquer, ce qu'on peut regarder comme un nouvel avantage , c'efl que chacun de ces endroits n'éprouve point de vicifïi-tndes dans le cours de l'année , "de même que les parties tempérées n'y des Européens. 113 reuentent nulle variation du chaud fj- au froid. Cependant cette règle fouf- chap.ix." fre des exceptions pour les parties An. tj%\ montagneufes, où le froid augmente par la violence des vents , ou par le changement de temps qu'on appelle Tiempo de paramos, qui arrive quand les nuages enveloppent la plus grande partie des montagnes, & fe précipitent en pluie & en neige. Alors le froid devient infuportable ; mais quand ces nuages nébuleux font difperfés, S7^r IJeLitenance,ckeildanslajurifdiclion de Piura. Il y a environ trente mai-ions , conflruites des mêmes matériaux que celles de Tumbez, mais on n'y trouve d'autres habirants que des Indiens & des Métifs. A un quart de lieue de la ville pafTe une rivière de même nom, dont les eaux font de la plus grande utilité pour la campagne. Ce canton efl cultivé dans toutes fes parties, &c partagé en différents champs, qui produifent des grains de diverfes efpeces dans la plus grande abondance, ainfi que de tous les fruits & de tous les végétaux excellents qui croiffentdans les pays chauds , mais ces campagnes , ainfi que Tumbez, font in-teflés d'une multitude prodigieufe de mofquites. On paffe à gué cette rivière pendant l'été, mais en hiver , quand les torrents tombent des montagnes , on la traverfe dans un JBalza, parce que la rapidité du courant efl alors confidérablement augmentée, On ne peut fe difpenfer de la tra-verfer pour aller à Piura, & le chemin efl enfuite l'efpace de quatre lieues par des bois de grands Algarrobaîes. bes Européens. 125 Ces bois conduifent à une plaine ari- y L L de , où les conducteurs & les Indiens cbap. x. qui connoiffent le mieux le pays, A 1 , r . . 1 J ' An. 1740. perdent quelquefois leur route, parce que le vent applanit les hauteurs de fable qui fervoient de guide , & efface toutes les traces de chemin; enforte qu'avec cet horifon terreflre, on efl obligé de fe guider le jour par le foleil, & la nuit par les étoiles : mais comme les Indiens conndiffent peu la pofition des affres, ils font fouvent embarraffés , & expofés à beaucoup de fatigues avant de retrou= ver leur chemin. On peut juger par tout ce que suite rie la nous avons dit, des peines que les g?nle f»kf* voyageurs éprouvent dans cette route. De plus, jufqu'à Amotape, il faut porter non-feulement des provifions, mais même de l'eau, tk tout ce qui efl nécefTaire pour allumer du feu , a moins qu'on ne fe contente de manger des viandes froides. A cette dernière paufe efl une mine de cuivre , Se une efpece de goudron minéral, dont on tranfporte une grande quantité à Callao, ik en d'autres endroits, 011 l'on s'en fert pour calfater les vaiffeaux, mais il a le défaut de bru- F iij U l l o a. ^er ^es corclaöes- Cependant, comma Chap. x. ' il efl à très bas prix, on en fait ufage An. 1-740. en Ie niêlant avec le bray ordinaire. La ville de Piura, qui efl à préfenr Defcription . . . i , T , r . 41 «kcate ville, la capitale de la Junfdiction de même nom, a été le premier établifièment des Efpagnols dans le Pérou. Elle fut fondée en 15 3 1 , par Dom François Pizarre , qui y bâtit aufîi la première Eglife du pays. Cette ville, anciennement nommée San-Miguel de Piura , fut d'abord établie dans la vallée de Targafala ; mais comme l'air y étoit très mauvais, on l'a depuis transférée dans fa fituation actuelle, qui efl au milieu d'une plaine de fable. Elle efl à la latitude méridionale de 5 dégrés, 11 minutes, une féconde. Les maifons font conftnùresde bri- 3ues cuites au foleil, ou d'une efpece e rofeaux, nommés Quinchas, &il y en a peu qui ayent un étage au-deffus du raiz-de-chauffée.- C'eft ou réfide le Corrégidor , dont la jurifdicuon s'étend d'un côté fur le pays nommé Vallée, & de l'autre dans les montagnes. H y a aufti un bureau pour la recette des deniers royaux, fous la direction d'un Tréforier ou Receveur, qui change tous les fix des Européens. 117 mois de réfidence avec un autre , 7j- qui demeure au port de Paita , & chap: xf ' vient prendre la place de celui de An. i740. Piura. Les fonctions du premier font de recevoir les droits fur les marchandifes d'importation qu'on y décharge , & d'empêcher le commerce de contrebande : celles du fécond , font de recevoir ce qui elf impofé fur les marchandifes qui vont des montagnes à Loja , & de Tumbez à Lima. Cette ville contient près de quinze Chaleur & mille habitants, entre lefquels il yaS^tfle d* plulieurs familles dimnguees , outre les Efpagnols, les Métifs , les Indiens & les Mulâtres. Le climat eft chaud & fort fec ; la pluie y tombe encore plus rarement qu'à Tumbez, & cependant l'air y eft très fain. Il y a une rivière très avantageufe pour les habitants, ainfi que pour le pays cir-convoifin , dont le terroir fableux efl aifément pénétré par les eaux ; & comme il efl fort uni, on les fait paffer en différents cantons par le moyen des canaux. En Eté cette rivière manque abfolument d'eau : le peu qui defeend de la montagne efl abforbé, avant d'avoir atteint la ville, ■ F iv Ii8 DÉCOUVERTES \jLLo '1* en forte que les habitants n'ont d'au-Ch-p. x. tre moyen pour s'en procurer , que An. 1740. celiû de creufer dans le lit de la rivière des puits , dont la profondeur eft proportionnée à la longueur du temps que dure la fécherefie. II y a un hôpital à Piura, fous I'ad-• miniflration des Pères de Bethléem. On y reçoit des gens affectes de toutes fortes de maladies, mais il eft particulièrement renommé pour la guérifon de celles qui font les fuites de la débauche, & qui font très communes en ce pays, à caufe de la chaleur du climat. Il y vient par cette raifon un grand nombre de perfonnes infectées de ces maladies infâmes, &i!sy recouvrent lafanré avec moins de remèdes que dans les autres pays, comme aufîi avec moins de fatigue & plus de diligence. Produaion» Comme tout le territoire de cette Je PiurT.uu° Jürifdicüon, au - dedans du pays des Vallées, produit feulement des Al-garrobales, du maïz, du coton, des grains , quelques fruits, tte plufieurs végétaux nourriffants, la plus grande partie des habitants s'attachent à élever des chèvres , dont on vend con-tinuellementunegrande quantité pour des Européens. 129 les tuer , parce que leur graille fert \j LLO ; à faire du favon, qui eft d'un débit chap. x. sûr à Lima , à Quito , & à Panama. ; 1 Air s r • ^n. Leurs peaux apprêtées fervent a faire le cuir qu'on nomme Cordouan, qui eft aufîi fort recherché dans les mêmes villes. Une autre branche de commerce eft le Cabuya ou Pita, efpece de plante d'où l'on tire du fil très fort & très fin : on en trouve abondamment dans les parties monragneufes de la jurifdiction de Piura. Ce pays tire encore un grand avantage des mulets, d'autant que toutes les marchandifes qui vont de Quito à Lima, comme aufîi celles qu'on apporte , & qu'on débarque au port de Paita, ne peuvent être tranfportées aux endroits pour lefquels elles font defti-nées, autrement que par les mulets de cette province. La quantité pro* digieufe de marchandifes qui y viennent de toutes parts, doit faire juger de la multitude des animaux employés à cetranfport, qui dure plus ou moins de temps dans le cours de l'année ; mais qui eft toujours- étonnanr tant que les rivières font baffes, Le 21 , nos Européens continue- $u;,f ^ sent leur voyage, &c îe lendemainT°y»st" F v fjo Découvertes y ll é-A. ns arrivèrent à la ville de Séchura 9 Chap. x. éloignée de dix lieues de Piura. Tout \n. 174s *e Pays entre ces deux places eft un défert de fable très uni, & très fatiguant pour les mulets. Quoique les mauvais chemins, Se le danger des routes du Pérou, permettent rarement de fe fervir d'autres voitures que les mulets , cependant de Piura à Lima, on a l'avantage de pouvoir aller en litières. Au lieu de bâtons, elles font fufpendues fur deux longues cannes, 6c difpofées. de façon qu'elles ne peuvent toucher l'eau dans le paffage des rivières qu'on traverfe à gué, ni fe heurter contre les rochers dans les montées & les defcentes, aux endroits difficiles de la route. Comme les mulets qu'on loue à Piura font tout le voyage jufqu'à Lima , fans aucun relais , &C que dans ce long efpace de chemin , il fe trouve plufieurs grands déferts à traverfer, la fatigue que caufe naturellement la longueur de la route, augmentée par la difficulté des fables qu'on efl obligé de paffer, force les voyageurs à prendre néceffairement quelque repos , particulièrement à Séchura ? des Européens, ttt parce qu'au ibrtir de cette ville, on ^ LQA entre dans le varie défert qui porte chap. x. * le même nom. , c , , , . An. 174a. àechura etoit anciennement contigue à la mer, à une petite diftance , D/fc">d«" di° . 7 t a ' .de Séchura. une pointe nommée Aguja ; mais la ville ayant été détruite par une inondation, on jugea plus à propos de la rebâtir à une lieue environ de la côte, près d'une rivière de même nom , & qui eft fujette aux mêmes variations que celle de Piura. Dans le temps où nos Aftronomes la tra-verferent, ils la trouvèrent entièrement à fec , au lieu que depuis le mois de Février ou Mars, jufqu'en ceux d'Août ou de Septembre, l'eau eft fi profonde , & le courant fi rapide , qu'on ne peut la traverfer que dans des Balzas. Quand la rivière eft à fec, les habitants ont aufti recours a l'expédient d'y creufer des puits, où ils trouvent à la vérité de l'eau , mais fort épaiflè & très mauvaife. Séchura contient environ deux cents maifons de Cane, avec une grande & belle Eglife de brique. Les habitants font tous Indiens, & cosnpo-fent près de quatre cents familles , qui lont toutes occupées aux emplois F v'}- _ 132 découvertes Ö l L o a. ^e contIuire les mulets, pu à la pêche* Chap. x, Lesmaifonsdetoutescesvillesfonttrès An. 1740. fimples : les murs ne font autre chofe que des canes ordinair es& des rofeaux, qu'on enfonce un peu en terre, avec des toirs plats de même nature, parce que les pluies y font excefîivement rares. Les habitants trouvent affez de lumière & d'air dans ces maifons , où les rayons du foleil & le vent fe font aiiement des paffages. Habillement L'habillement des femmes-Indien-. es emjrjes. nes ces canrx)ns reffemble beatb-coup à celui que les femmes de Quito-nomment Anaco , mais avec quelque différence : en marchant, elles le lèvent un peu,. & le portent fous le bras. Leur coeffure elfde moufîèîine, garnie de dentelle , ou brodée de diverfes couleurs ; mais les veuves; les portent noires. On connoît l'état de chacune par la manière dont elles, arrangent leurs cheveux : les filles & les veuves les partagent en deux treffes plattes, dont il en tombe une fur chaque épaule , au lieu que les femmes mariées les réuniffent en une feule. Elles font très.adroires, &: s'oc--cupent ordinairement à faire des na-pes & des ferviettes de toile de coton, des Européens. 133 ou à d'autres ouvrages femblables. Ulloa " Les hommes font habillés à l'Efpa- chap. x* gnole, & par conféquent portent des An. 1740, bouliers ; mais les femmes n'en ont point. Ils ont en général de l'efprit, &: réuifilfent à tout ce qu'ils veulent s'appliquer. Il eft certain que tous les Indiens des Vallées depuis Tum-bez jufqu'à Lima font induftrieux , intelligents ik civilités au-delà de ce qu'on les croit ordinairement. La ville de Séchura eft la dernière t Défert o& de laJurifdi6fion.de Panama : lesha^gétieporte»" hitants , non-feulement refnfent de'iercau' fournir des mulets aux voyageurs qui ne font pas munis d'un pafteport du Corrégidor ; mais ils ne leur permettent pas même de continuer leur route, de quelque rang qu'ils foient. L'objet de cette exactitude eft d'empêcher les abus dans le commerce, d'autant qu'il n'y a d'autre chemin que celui qui conduit par le défert, Se un autre , nommé Rodeo ; enforte qu'il faut néceftairement prendre l'un des deux. Si l'on fuit celui du défert, on eft obligé de louera Séchura des mulets-pour porter l'eau, dont on abreuve ceux qwi font chargés, quand ils ont £dt la moitié du chemin. On met cette Ulioa eall c^ans ^e ëro^cs callebaffes, ou: chap. x.' dans des peaux, & pour quatre mu-An. 1740. lets chargés , il en faut un cinquième qui porte l'eau ; mais on en met un pour les deux qui portent une litière. Quand on fait le voyage à cheval, les cavaliers portent leur eau dans de grands fa es , ou outres de cuir eleïtinés à cet ufage. Chacun des voyageurs , foit en litière, foit à cheval ne peut fe difpenfer d'en porter la quantité fufHfante , parce que dans tout le voyage, on ne trouve que du fable , que le vent raffemble en petites éminences, Se des maffes de iel d'efpace en efpace, fans aucun arbriffeau, ni herbe , ni fleur, ni verdure. difficultés Le 24 f les Européens partirent de ferUce dêfettl Séchura , & traverferent le défert, oii ils ne firent que quelques paufes courtes pour repofer leurs bêtes de charge. Le lendemain à cinq heures du foir , ils arrivèrent à la ville de Monope , qui eff éloignée de vingt-huit ou trente lieues de Séchura T quoique les naturels en comptent davantage par erreur. L'étendue- Se l'uniformité de la plaine, oii le mouvement continuel du fable efface tou- des Européens. 135 re trace de chemin , trompe fouvent - les guides les plus expérimentés ; mais chap°xT ils ont bientôt l'adreffe de retrouver An 1 leur route , & ont deux moyens d'y réufîir. Le premier efl d'aller toujours directement contre le vent, & de l'avoir également derrière eux quand ils retiennent, parce que le vent du ► Sud ibuffle régulièrement en tout temps dans ce défert ; ce qui rend cette règle infaillible. Le fécond moyen efl de prendre de temps en temps une poignée de fable & de le fen-tir, d'autant que la fiente des mulets imprègne plus ou moins ce fable d'une odeur forte ; ce qui fert à leur faire reconnoître la vraie route. Ceux qui ne connoiffent pas bien ce pays, s'expofent à de grands dangers s'ils s'arrêtent pour fe repofer ou pour dormir ; quand ils fe remettent en route, ils fe trouvent prefque toujours hors d'état de reconnoître le vrai chemin ; & c'efl par une grâce particuliere de la Providence quand ils ne périffent pas de fatigue ou de befoin, comme il n'arrive que trop fréquemment. La villle de Monope efl compofée Defcripno» de foixante & dix ou quatre-vingtdc Menorc* r$6 DÉCOUVERTES ~Ulloa 'mau duffrie des habitants, qui y condui-fent l'eau par des canaux, abonde en différentes fortes de végétaux. Il y en a de plufieurs efpe?es connues en Europe; d'aïures qu'on peut appeler Créoles, parce qu'ils tirent leur origine d'Europe , & que le climat y a caufé de grande changemens. On trouve des efpaliers jufqu'a dix lieues de la ville, 6c le raiiin qu'on v recueille fert à faire du vin ; mai il n'a pas la qualité de celui des au tres parties du Pérou, & il ne rapporte pas la même quantité. Les gens mal-aifés du pays s'occupent à travaillai- en ouvrages de coton, à broder des mouchoirs, ït faire des mantes , piquer des couvertures , &% autres travaux femblables, CHAPITRE XI, Suite du voyage des Aflronomes : Defcription de San-Pedro : lis arrivent à Chocope : Defcription de cette ville : Ils arrivent à Truxillo : Température du climat : Defcription de Biru : De la rivière Santa : Defcription de Santa-Maria-dcda-P arrilla : Tambo , ou hôtellerie bâtie par les Incas : Ils arrivent à Pativirca : Defcription de cette ville : Ils arrivent à Guaura : Monuments des Incas : Ils arrivent à Chançay : Ils arrivent à Lima : Canaux con-flruits du temps des Incas. LE 28 , les Agronomes partirent tjlloa/ ' de Lambayeque; & après avoir chap. pafTéla ville de Montent, qui en eft An. 1740. éloignée de quatre ou cinq lieues, Sujte du ils s'arrêtèrent près de la côte de la voyage «les mer , à un endroit nommé Los-La-Altronotncs-gunas, ou les Marais. Le 29, ils parlèrent à gué la rivière Xequetepeque, à un quart de lieue de la ville de même nom , & le foir Ulloa ^s arriverent a ^a v^e de San-Pedro, Ch»p. xi. qui efl à vingt lieues de Lambayeque An. 1743. &: la dernière de cette jurifdi£tion. San-Pedro efl compofée d'environ Jb^pSto. cent îrente maifons, ou baraques , habitées par cent vingt familles Indiennes, trente de blancs, ou Métifs, & douze de Mulâtres. Il y a un couvent d'Auguffins , mais qui n'eft ordinairement compofé que de trois fu-jets , le Prieur, le Curé & fon Vi-cairer La rivière qui paffe à San-Pedro efl nommée Pacafmayo ; &. tout le territoire produit du grain & des fruits en abondance. Une grande partie de la route de Lambayeque à\ San-Pedro efl fur le bord de la mer, mais à quelque diftance, qui n'eft pas toujours la même, i chocopc.nt Le 30 de Novembre , ils traverfe-rent la ville de Payjari, qui eft la première qu'on trouve dans la jurifdic-tion de Truxillo ; cV le premier de Décembre, ils arrivèrent à celle de Chocope, éloignée de treize ou quatorze lieues de San-Pedro. Le pays voifin eftarrofé par la rivière, nommée Chicama, qu'on diftribue en canaux , & il produit en grande quantité des cannes de fucre, des raifins, des Européens. 141 des fruits de diverfes efpeces, Eu- TJ- ropeens & Créoles, mais particuhe- chap. xi. rement du maïz, qui efl le grain dont An> ,740> on fait le plus d'ufage dans toute la vallée. Depuis les bords de la rivière de Lambayeque jufqu'à celle dont •nous parlons , on trouve des cannes de fucre près de toutes celles qu'on rencontre ; mais pour la bonté & pour la quantité les cannes de la Chi-cama font préférables à toutes les autres. Chocope eit compofée de quatre- Défection vingt ou quatre-vingt-dix maifons ,dccetteviIlc' couvertes de terre. Les habitants font au nombre de foixante ou foixante & dix familles, principalement d'Ef-pagnols , avec quelques-unes des autres caftes ; mais il n'y en a que vingt ou vingt-cinq d'Indiens. L'Eglife efl bâtie de brique, grande, & ornée avec décence. On rapporte comme un événement remarquable qu'en 1726 , il plut pendant quarante nuits continuellement, l'eau commençant à tomber régulièrement à quatre ou cinq heures du foir, & ceilant à la même heure du matin; tout le relfe du jour étant très clair jk très férein. Ce Phénomène ruina abfolument tou- ~Llloa tes *es ma^ons » m^me î'Eglife dé Chap. xi. brique, dont il ne refla que quel-An i ques fragments de murs. Les habi-' '74°' tants en fiirent d'autant plus étonnés , que durant tout ce temps , Ie vent du Sud continua à fouffler comme à l'ordinaire , & même avec une fi grande violence, qu'il enlevoit le fable quoique très mouillé. Il en arriva de même deux ans après pendant onze ou douze jours ; mais la pkde ne fut pas aufîi violente , ni aufn deftruôive que la précédente. Depuis ce temps on n'a rien remarqué de femblable ; & l'on n'a pas de fouvenir d'un pareil événement dans les années précédentes, il* arrivent Les Officiers Efpagnols ne demeu- à TmjtiUo. rerent à Chocope que le temps né-cellaire pour faire repofer leurs mulets : ils continuèrent enfuite leur voyage , & arrivèrent à Truxillo, qui en eft éloigné de onze lieues. Cette ville fut bâtie en 1535 par Dom François Pizarre, dans la vallée de Chimo. La fituation en eft très agréable , quoique le terrein foit fableux, comme font les environs de toutes les villes de la vallée. Elle eft entourée d'un mur de brique -} 6c par fa gran- des Européens. 143 deur, elle mérite cl être mife au rang ~Jj-1 des villes de la troifieme claffe. La chapL.°xi*. mer eft à une demi-lieue de cette An. i7i0. ville ; & deux' lieues plus au Nord , on trouve le port de Guanchaco , où le fait tout le commerce maritime. Les maifons font d'une affez belle apparence : la plus grande partie font de briques, décorées de balcons & de fuperbes portiques ; mais les autres ne font que des baraques. On les fait toutes baffes, à caufe des fréquents tremblements de terre ; & il y en a peu qui aient un étage au deffus du raiz de chauffée. Le Corrégidor de tout le département y réfide, ainfi que l'Evêque, & le Chapitre, compote de trois dignitaires , qui font le Doyen, l'Archidiacre & le Grand-Chantre , avec quatre Chanoines & les Prébendaires. Il y a auffi un Bureau des revenus , dirigé par un Receveur & un Tréforier, dont un des deux réfide à Lambayeque. Il y a des couvents de différents Ordres, un College de Jéfuites, un Hôpital de Notre-Dame de Bethléem, & deux Monafteres de filles des ordres de Sainte-Claire & de Sainte-Thérefe. Les habitants font comp olés d'Ef- 144 DÉCOUVERTES "^J^ 'pagnols, dont il y a plufieurs familles t.", xi très riches & de diitinclion, d'Indiens, An f\_ 6c de toutes les autres Caftes : en général , ils font tous polis , doux , 6c d'une conduite réguliere. Température Dans ce climat, la différence eft <îu cm u. très fenfible entre l'hiver 6c l'été: le premier efl excefîivement froid 6c le dernier ell accompagné de chaleurs infupportables. Toute la vallée efl très fertile, 6c abonde en cannes de lucre, en maïz, en fruits , en légumes , en vergers, 6c en plans d'oliviers. La partie du pays voifine des montagnes produit beaucoup de froment , d'orge, 6c d'autres grains ; enforte que les habitants, non-feulement jouiffent d'une grande quantité de provifions, mais qu'ils en tranf-portent conlidérablement à Panama, particulièrement du bled 6c du fucre. Cetre fertilité contribue beaucoup à. l'embéliiTement du pays, la ville étant environnée d'agréables bofquets 6c d'allées d'arbres, qui en rendent l'abord charmant. Les jardins font aufîi très bien cultivés, 6c préfentent l'af-peél le plus riant ; ce qui, joint à un ciel férein, efl aufîi agréable aux voyageurs qu'aux habitants. Environ des Européens. 14^ Environ à une lieue de la ville eft fj-— une rivière, dont les eaux font con- cha,. xi. duites par différents canaux dans les An. 174». diverfes parties de ce pays délicieux. Les Aftronomes la traverferent le 4 en fortant de Truxillo ; tk le 5 , après avoir paffé Moche , ils arrivèrent à Biru, éloigné de dix lieues de Truxillo. Biru eû compofé de cinquante mai- ?liot fons ou huttes, habitées par foixante 6c dix familles d'Efpagnols,d'Indiens, de Mulâtres, 6c de Métifs. Environ une demi-lieue au Nord, on trouve un petit ruiffeau , d'où l'on tire de l'eau par différentes tranchées pour arrofer le terrein. Cette précaution rend les terres aurïï fertiles que celles de Truxillo ; tk l'on en peut dire de même de tous les établifiéments qu'on trouve en remontant la rivière. Les Européens en partirent le même jour, 6c continuèrent leur voyage en côtoyant toujours le rivage, mais à quelque diftance, fans s'en écarter de plus d'une lieue ou deux. Le 6, ils firent halte dans un endroit défert, nommé Tambo-de-Chuo, 6c fe rendirent enfuite fur les bords de la rivière Santa : ils la traverfe-Tom. XL G U t, L o a. rent avec ^ ^ecours des Chimbado-Chap. xi. ' res tk entrèrent dans la ville de même An. i;.;o. nom , qui en eft éloignée d'environ un quart de lieue , & à quinze de Biru. Le chemin entre ces deux villes n'eft prefque que des plaines de fable qui pafiènt entre les montagnes, rc h rivière La rivière Santa, dans l'endroit où ftuna. l'onfca coutume de la traverfer, a près d'un quart de lieue de largeur , étant partagée en cinq canaux, qui coulent toute l'année avec beaucoup de rapidité. On la pafté en tout temps à gué ; & il y a des gens qui font leur métier de demeurer fur le bord avec de grands chevaux accoutumés à vaincre le courant, qui eft toujours très fort. Ce font eux qu'on nomme Chim-badores ; tk il faut qu'ils connoiflènt parfaitement le gué , pour guider les mulets chargés dans leur paffage , autrement il feroit prefque impoftïble de traverfer cette rivière, dont les vagues changent fouvent le lit. Les Chimbadores mêmes ne font pas toujours bien sûrs, parce que le gué ayant changé de place dans quelqu'un des canaux,ils font quelquefois entraînés par le courant, tk leur perte eft inévitable. En hiver, il arriye fouvent des Européens. 147 que l'eau qui vient des montagnes y L L G A enfle tellement la rivière, qu'elle cef- Chap. xi." fe d'être guéable pendant plufieurs a«. j7-p. /ours : alors les voyageurs font obligés d'attendre que ces eaux foient écoulées , particulièrement quand ils ont avec eux des marchandifes. Ceux qui vont fans bagage, remontent fix ou huit lieues au deffus de la ville, tk paffent la rivière dans des balzas faits de callebaffes ; mais c'efl toujours avec danger , d'autant que fi le balza rencontre un courant trop rapide , il en efl entraîné , & emporté juf-que dans la mer. La ville, nommée Santa-Maria- de- Dffcnpnon la-Parrilla , fut premièrement bâtie ^X'Va rl-irl fur le bord de la mer ; mais elle en tiii^-efî actuellement environ à une demi-lieue. Elle étoit anciennement grande , peuplée, la réfidence d'un Corrégi-dor, tk avoit plufieurs couvents; mais ayant été pillée en 1685 par un aventurier Anglois, les habitants l'abandonnèrent ; tk pour fe mettre plus en sûreté ,„ ils la tranfporterent où elle efl à préfent. Cette nouvelle ville n'a pas plus de trente maifons ; les meilleures ne font que des cabanes, & les autres de paille, Elles font habi- I48 DÉCOUVERTES ljLl Q ^tées Par ciriqvTai-ite pauvres familles , . xi.'compofées d'Indiens, de Mulâtres, An. i74o. & de Métifs. La ville & le voifinage fonr infef-tés d'une multitude prodigieufe de mofquittes. Leur nombre diminue quelquefois en certaines faifons , & quelquefois , mais très rarement, il n'en refte aucun; mais pour l'ordinaire on en efl tourmenté pendant tout le cours de l'année. A Piura , & au deffus on n'eft point incommodé de ce pernicieux infecte, excepté dans quelque villes voinnes des rivières ; mais il n'y a aucun endroit où ils foient plus infupportables qu'à Santa. Tarofcg ou Les Aftronpmes partirent le 8 de bcWiLricbâ cette ville , & arrivèrent à une plan-4as.P"r Cj " tation nommée Guaca-Tambo, qui en eft éloignée de huit lieues, & auprès de laquelle ils trouvèrent le Tambo, ou Hôtellerie bâtie par les Incas pour l'ufage des voyageurs. Il y a un apen-tis pour les mettre à couvert, cV un ruiffeau qui paffe à côté. Le 9 ils firent huit lieues, & arrivèrent aune autre plantation , connue fous le nom de Manchan; mais une lieue avant d'y arriver, ils paf-ferent par un village, nommé Câlina* DES EUROPÉENS. 149 la-Baxa, qui n'efï compofé que d'une 7:--- tgùie, ex de dix ou douze maifons. ctiaj'. m. Entre ce village & Manchan on trou- An>, Ve un petit ruifîèau. Ils partirent le 10 de Manchan , payèrent des montagnes remplies de pierres qu'on appelle les Culebras, qui forment une route très incommode , particulièrement pour les litières; Se le lendemain ils arrivèrent à Guarmeyà feize lieues de Manchan : ils tirent encore trois lieues jufqu'à Pafcana , où il y a une paufe , élevée pour fervir de Tambo , ou Hôtellerie , Se nommée Tambo de Culebras. La ville de Guar-mey eft petite Se de peu d'importance , compofée feulement de quarante maifons, pareilles à celles dont nous avons déjà parlé : elles font habitées par environ foixante Se dix familles, dont il y en a très peu d'Efpagnoles. Le Corrégidor a obtenu la permif-ïion de demeurer toujours en cette ville , vraifemblablement pour être à couvert de la plaie infupportable des mofquittes de Santa, où il faifoit anciennement fa réfidence. Le 13 , ils trouvèrent un endroit pJ"";:V''; nomme Callejones , après avoir fait "a* treize lieues par des plaines remplies G iij I^oDÉ COUVERTES U t- l o a ^2 roca^^es 9 & pai* des hauteurs Chap Ai. affez efcarpées. Ils en rencontrèrent ' ' entr'autres une très dangereufe, nom-. i7 . Salto-del-Frayle, ou le Saut-du-Moine. C'eft. un rocher très élevé , tk prefque perpendiculaire du côté de la mer. Cependant il n'y a pas d'autres chemins, quoiqu'on ne puiffe voir le précipice fans trembler : Il femble même que les mulets en foient effrayés , par la précaution qu'ils prennent à affurer leurs pas. Le lendemain , ils arrivèrent à Guaman-mayo , hameau à quelque diftance de la rivière Barranca , & dépendant de la ville de Pativirca, environ à huit lieues de Callejones.. Cette ville eft la dernière de la Jurifdicfion de Santa, ou de Guarmey. Defcription Pativirca n'eft compote que de Recette vüie. qUarante ou cinquante maifons, avec un nombre proportionné d'habitants, entre lefquels il y a quelques familles d'Efpagnols , tk quelques Indiens. Près de la côte de la mer , qui eft environ à trois quarts de lieue de Gua-manmayo, on voit quelques gros murs de briques non cuites, qui font les reftes d'un ancien édifice Indien. La grandeur de ces ruines confirme des Européens. 151 la tradition des naturels , qui difentrî r T " ,, . 1 • _r 1 1 u l l o a. que cetoit le palais dun de leurs chap, xi< Caciques ou Princes; 6e il eft cer- An. 1740 tain que la fituation y convenoit parfaitement, puifqu'ily a d'un côté une campagne fertile 6c très agréable , &: que de l'autre il jouiffoit de la vue & de la fraîcheur de la mer. Le 15, ils fui virent les bords dô^ Rsmfant la rivière Barranca , qu'ils traverfe- uaur*' rent aifément, guidés par les Chim-badores. Il eft vrai qu'elle étoit très baffe, 6c partagée en trois branches; mais comme elle efl remplie de pierres , le gué eft toujours dangereux. Environ à une lieue, ils trouvèrent la ville de Barranca, où commence la Jurifdiction de Guaura. La ville efl peuplée ; 6c plufieurs des habitants font Efpagnols , quoiqu'il n'y ait pas plus de foixante , ou foixante 6c dix maifons. Le même jour , ils arrivèrent à Guaura , éloigné de neuf lieues de Guamanmayo. Cette ville n'a qu'une rue, d'environ un quart de lieue de longueur , Se contient cent cinquante ou deux 5^n.ts maifons : quelques-unes font naties de briques, d'autres ne font que des baraques ; 6c l'on y voit aufîi G iv U l l o a cIue^clues huttes d'Indiens. II y a une ctap. Eglife paroiftiale, 6c un couvent de A Francifcains, Un peu plus loin , on •'74°. i 1 . 1 . , , , trouve une plantation , qui s etend environ à une lieue de part 6c d'autre du chemin > qui efl très "agréable dans toutes fes parties. Celle de l'Eft, auffi loin que la vue fe peut étendre, eft couverte de cannes de lucre ; 6c celle de l'Oueft eft partagée en champs de bled, de maïz, 6c d'autres efpe-ces de grains. Cette abondance n'eft pas bornée au voifinage de la ville , toute la vallée , qui eft très grande préfente un afpect aufti riant. Dans la partie méridionale de la ville de Guaura eft une groffe tour avec une porte, 6c au delfus une efpece de redoute. Cette tour eft: élevée à la tête d'un pont de pierre , fous lequel coule la rivière de Guaura, qui paftè fi près de la ville, qu'elle baigne les fondements des maifons , mais fans leur caufer aucun dommage , parce qu'elles font bâties fur le roc. Au-delà de la rivière eft un faux-bourg qui s'étend environ aune demi-lieue ; mais les maifons ne font pas contigues, 6c les boccages 6c les jardins qui les féparent font un nouvel des Européens. 153 agrément pour les voyageurs. Le ciel tj L L o *. y efl ferein, la température de l'air ch.p vilaine tk réguliere , quoiqu'il y ait An. i7+c. une différence fenfible entre les fai-fons ; mais le froid de l'hiver, & les chaleurs de l'été font également fup-portables. En continuant leur chemin après Moimncenu Guarmey , les Officiers trouvèrent" lna* beaucoup de reffes des édifices des Incas. En quelques endroits, ils virent des murs de palais, en d'autres de larges foffés , qui bordoient de grandes routes très fpacieufes, en d'autres des fortereftes tk des châteaux finies convenablement pour arrêter des incurfions d'ennemis. LTn de ces derniers monuments fe voit à deux ou trois lieues au Nord de Pativirca , affez près de la rivière. Ce font les ruines d'un fort, finie au fommet d'une éminence, à une petite diftance de la mer ; mais il ne refte que les veftiges des murailles. De Guaura, ils fe rendirent à la iispgBèntV ville de Chançay ; & quoique la dif- chaQw-tance de l'une à l'autre ne paffe que pour douze lieues, ils jugèrent par la longueur du temps qu'ils y avoient employé qu'elle eft au moins de qua- G v 1^4 Découve r"~t e s Ûl l q A~~ torze. Cette ville compofée d'environ Chap. xi." trois cents maifons & huttes d'In-Aa. 17.J0. diens efl: très peuplée; &c entr'autres habitants , il y a plufieurs familles d'Eipagnols, dont quelques-unes font d'un rang difîingué. Outre l'Eglife paroifliale , il y a un couvent de Francifcains, & un hôpital entretenu particulièrement par les charités des habitants. Chançay elf la capitale d'une Jurifdiclion de même nom, quoiqu'elle dépende de Guaura. Le pays voifin efl naturellement très fertile , & arroféde toutes parts, au moyen des canaux , qui y conduifent les eaux de la rivière de Paffamayo , qui coule environ à une lieue & demie au Sud de la ville. Tout ce canton efl femé de maïzpour engraif-fer des porcs, parce qu'on y fait un commerce confidérable de ces animaux , & que c'eû cet endroit qui en fournit la ville de Lima. Le même jour qu'ils arrivèrent à Chançay , ils firent encore une lieue au-delà de la rivière Paffamayo juf-qu'au Tambo de même nom, fitué au pied.d'une montagne de fable très, fatigante par fa longueur, par fon. «fcarpement, & par la difficulté d'y des Européens. 155 marcher ; ce qui fait qu'on la paffe UlloaI ordinairement de nuit, parce que le Chap. xiJ terrein efl alors moins fatigant An. 1740». Ils trouvèrent enfuite le Tambo 1Isarrivcn des Incas ; & après avoir fait douzeà Lima, lieues depuis qu'ils étoient fortis de Chançai, ils eurent enfin la fatisfac-tion d'entrer dans la ville de Lima.. Par la diftance qu'ils remarquèrent; très exactement dans le cours de leur voyage, ils jugèrent, que de Tumber à Piura il y a foixante & deux lieues ; de Piura à Truxillo , quatre-vingt-neuf ; & de Truxillo à Lima, cent treize ; ce qui fait en tout deux cents foixante & quatre lieues. La plus grande partie de ce long voyage fe fait ordinairement de nuit, parce que tout le pays n'étant qu'un fable continuel , la réflexion des rayons du foleil eft fi violente, que les mulets feroient accablés par la chaleur, ainfi que par le manque d'eau, d'herbage r d autres fourrages. Aufti l'on re—• connoît toute cette route, plutôt par les os des muletsqui ont fuccom-bé fous le fardeau , que par leurs autres traces. Il en paffe & repaffe cependant continuellement durant tout le cours de l'année;. mais le vent e£- Un. toi ^ace D*entor ^cs empreintes de leurs Chap. xi. pieds. Le pays eft aufîi tellement in-An. i74o. culte, que lorsqu'on y découvre quelques herbes ou quelques arbriffeaux, on efl afTuré d'être dans le voifinage de quelques maifons. Elles font toujours près des rivières , dont l'humidité fertilife ces terreins arides, ôz fait pouffer cette verdure, qu'on ne trouve pas dans les endroits inhabités , qui ne font tels que par le manque d'eau, fans quoi les animaux ne peuvent fubfifter, ni la terre donner aucun produit. Canaux La diftribution des eaux par le wm-îïdéî £ moyen des canaux, qui étendent les «as.' avantages qu'on tire des rivières à. des endroits qui en font affez éloignés, doit fon origine au foin, & à l'attention royale des Incas. Entr'autres preuves de leur zele pour rendre leurs fujets heureux , ils leur ont donné par ce fe-cours les moyens de tirer de la terre tout ce qui etoit nécefïaire pour leur procurer la fubfiftance, & l'agrément.. Entre ces rivières, il y en a plufieurs qui font entièrement à fec , ou au moins très baffes quand les eaux cef-fent de couler des montagnes; mais. «Fautres. comme celles de Santa , de des Européens. 157 Barranca , de Paffamayo, &c. font Ulloa. 1 toujours pleines, même dans la plus chàP. XU grande féchereffe. An. i74o. Le temps où les eaux commencent 0cs faifûns à croître dans ces rivières, efl au flans ce pays* commencement de Janvier ou de Février ; & elles continuent jufqu'au mois de Juin; ce qui fait la faifon de l'hiver dans les montagnes, au lieu qu'on jouit alors de l'été dans la vallée. La pluie tombe en abondance furies hauteurs, pendant que l'ardeur dufoleil occafionne une chaleur excefïive fur la côte, & qu'on n'y reffent prefque aucun vent raf-fraîchiifant. Depuis le mois de Juin l'eau commence à décroître ; & au mois de Novembre & de Décembre les rivières font à leur état le plus bas , ou entièrement à fec : c'eft alors qu'on a l'hiver dans la vallée & l'été fur les montagnes. Quoique la diftance foit peu confidérable , la température de l'air y eft totalement différente. w 8sd CHAPITRE XIL Situation de la ville de Lima ; Hauteur des montagnes voifines : Grande place de Lima : Etendue de la ville : Fauxbourg San Labara'. Des Bâti-ments : Magnificence des Eglifes : Des vafes facrés Des Couvents t Des tours & des cloches : Fréquents tremblements de terre à Lima : Phénomènes qui les précèdent : Tremblement de 1687. Tremblement de 1745. Inondation dont il efi accompagné à Callao : Nombre d'habitants* qui y périrent : Volcans qui vomiffent des torrents d'eau: Fertilité des environs de Lima*. Ulloa. T ^ vn^e de Lima, aufTi nommée' Chap. au. JLj la ville des Rois , a été fondée 9 An. 1710. fuivant Garcilaffo , dans fon Hifroire situation de des Incas, par Dom François Pizarre 7 fevilkdeli-fe jour de la fête de l'Epiphanie en 1535. Quelques autres prétendent que la première pierre ne fut pofee que le 18 de Janvier de la même année y ce qui paroît confirmé par l'acte des Européens. 159 même de fondation , confervé iuf- Tr 1\ lr i » 1 • , ulloà. qu a prêtent dans les archives de cette Chap, XIL ville. Elle elf fituée dans la vallée fpa- An. i740* cieufe 6c agréable de Rimac 7 mot Indien , qui efl le vrai nom de la ville, d'où les Efpagnols par corruption ont tiré celui de Lima : mais le nom de Rimac s'efï confervé pour celui de la vallée 6c de la rivière. Ce mot doit fon origine au culte d'une idole à laquelle les Indiens naturels avoient coutume d'oifrir des Sacrifices, comme le firent aufîi les Incas, quand ils eurent étendu leur empire jufqu'en cet endroit. On difoit qu'elle répondoitence lieu aux prières que fes adorateurs lui adreffoient ; 6c par honneur, ils lui donnèrent le nom de Rimac, qui fignifie, celui qui parle. Conformément à plufieurs ob-fervations que firent nos Aflronomes, Lima eft fitué à 11 dégrés 1 minutes 31 fécondes de latitude méridionale, 6c à 299 dégrés 27 minutes, près de S fécondes de longitude, à compter du Pic de Teneriffe. La fituation de cette ville efl la plus Haute.r , -rr • • montagnes- avantageufe qu on punie imaginer ,.VoiuW parce qu'étant au centre de cette grande vallée, elle la commande tou^ ï6o découvertes 1jLLOa ■ te. Dit côté du nord, mais à. une Chap. xii. diftance confidérable , font les Cor-A«. i74o. dillieres ou chaîne des Andes , d'où quelques collines s'étendent dans la vallée : les plus proches de la ville font celles de S. Chriftophe & d'A-mancaes. La hauteur perpendiculaire de la première, fuivant les mefures prifes géométriquement par Dom Georges Juan & par M. de la Con-damine en 1737 eft de 134 toifes T mais le pere Feuillée l'établit de 136 toifes 1 pied , diiférence qui vient fans doute de ce que la bafe fur laquelle les uns & les autres ont établi leurs opérations, n'a pas été mefu-rée avec la même exactitude. La hauteur d'Amancae s eft un peu moindre, & la fituation de cette colline eft environ à un quart de lieue de la ville» Grande place La rivière qui porte le même nom. ,mJ' que la vallée , baigne les murs de Lima , & on la paffe aifément à gué , quand elle n'eft point enflée par les torrents qui tombent des montagnes, Dans les autres temps , il feroit im-poftible de la paflèr ainfi, tant à caufe de fa largeur, que par par rapport à la profondeur , & à la rapidité du courant. Pour remédier à cet incoa- des Européens. i6i vénient, on y a élevé un pont de Q-~ pierre très large & très beau, avec cLp.xn." une porte à l'extrémité, dont l'archi- An, teclure répond à la ma j elle de l'ouvrage. Cette porte donne entrée dans la ville, & conduit à la grande place, qui eft fort étendue tk très ornée, Au centre , on voit une fontaine , également remarquable par fa hauteur & par fa grandeur. Au milieu efl une flatue de bronze , qui repré-fente la renommée, avec quatre petits bafîins aux angles. L'eau jaillit de la trompette delà flatue, outre celle qui fort des bouches de huit lions , dont elle efl environnée , ce qui contribue beaucoup à la magnificence de tout l'ouvrage. La partie orientale de la place eft terminée par la Cathédrale. tk par le palais Archiepifcopal, plus élevé que tous les autres bâtiments de la ville. Les principaux-fondements, ainfi que les bafes des colomnes & des pilaftres , &: la façade tournée à Poueft font de pierre de taille ; le dedans reffemblc à la Cathédrale de Se-ville, mais celle de Lima n'eft pas fi grande. L'extérieur efl orné d'une fu-perbe façade ou frontifpice, qui s'é-ieve entre deux tours majeftueufes, l6l DÉCOUVERTES U L L A & au milieu eft le grand portail. Au-chan. xii. tour règne une grande gallerie , avec An. J74o. une baluftrade de bois , qui par la couleur femble être de bronze ;& de diftance en diftance , il y a plufieurs pyramides, qui augmentent beaucoup la magnificence de l'édifice. Au nord de la place eft le palais du Viceroi , où Ton tient plufieurs Cours de juftice , ainfi que les bureaux des revenus, avec la prifon d'Etat. Ce bâtiment étoit autrefois aufîi remarquable par fa grandeur que parla beauté de l'architecture : mais depuis l'affreux tremblement de terre que cette ville a éprouvé le 10 d'Octobre 1687 , il n'eft plus compofé que de quelques appartements bas , avec une terraffe, & c'eft oii le Viceroi fait fa réiidence, de même que toute fa famille. Dans la partie occidentale , qui fait face àla Cathédrale , eft la maifon du Confeil & la prilon de la ville : le côté méridional eft occupé par des maifons particulières, qui n'ont qu'un étage, de même que les autres bâtiments, mais avec des façades de pierre, qui, par leur uniformité & par l'élégance des portiques, embe-liffent beaucoup cette place, dont des Européens. 163 chaque côté a quatre-vingt toifes. ' Ulloa La ville a la forme d'un triangle , Chap; xlL dont la bafe ou le plus grand côté An. J7.P« s'étend fur les bords de la rivière. Sa longueur eft de 1910 toifes , qui la ggf" font deux tiers de lieue. La plus grande largeur du nord au fud , c'eft-à-dire , depuis le pont jufqu'à l'angle oppofé à la bafe eft de 1080 toifes, ou de deux cinquièmes de lieue. Elle eft environnée d'un mur de brique, qui fufHt pour l'ufage auquel il a été deftiné, mais il n'a aucune régularité. Cet ouvrage fut commencé & fini par le Duc de la Paîata en 1685. H eft flanqué de 34 baftions, mais fans plateforme ni embrafures ; n'ayant été fait que pour enclorre la ville, &: pour la mettre en état de foutenir les attaques imprévues des Indiens* La ville a fept portes & trois poternes dans fa circonférence. De l'autre côté de la rivière , vis- ^'^^"^ à-vis de la ville eft un fauxbourg, nommé San-L;)zaro, q u'on a augmenté confidérablement depuis quelques années. Toutes les rues de ce faux-bourg , de même que celles de la ville, font larges, parallèles, & fe coupent à angles droits, Quelques- Ulloa unes vont ^u n0rc^ au ^ ' ^ *es au"* Chap. xii, tres de l'eft à l'oueft, ce qui forme An. I740. des quarrés de maifons de foixante & quinze toifes de front, qui eft l'étendue ordinaire de tous les quarrés ou. places dans ce pays, à l'exception de Quito , oii ils ne font que de cinquante toifes. Les rues font pavées, & il y coule des ruiffeaux de l'eau qui vient d'une rivière un peu au-deffus de la ville. Elle paffe par des conduits voûtés, ce qui contribue beaucoup à la netteté de Lima , fans qu'il en naiffe aucun inconvénient. Pcs 'Bâti- Quoique la plus grande partie des iems' maifons foient balles, elles font cependant commodes, & ont en général une affés belle apparence. Elles font toutes de Baxareque ou de Quincha: mais il femble qu'elles foient conf-truites de matériaux plus folides, tant à caufe de l'épaiffeur des principales murailles, que par rapport à l'imitation des corniches. Pour les mettre mieuxenétat de foutenir les fecouffes des tremblements de terre, dont cette ville a éprouvé de terribles boulver-fements, les principales parties font de bois , ajuftés avec des mortoifes dans les foliveaux du plancher, &c des Européens. 165 les poteaux qui fervent pour les murs Uiloa font attachés endehors & en de- Chaf.xii* dans avec des canes fauvages, & des An. i74o, chagllas ou ofiers, qui renferment totalement tout ce qui eff en bois. Ces ofiers font enduits de terre glaife, blanchie par-delfus, tk les façades font peintes en façon de pierre de taille. On y ajoute des corniches & des portiques, qu'on peint également en couleur de pierre ; ainfi tout le front des bâtiments en impofe à la vue, &T les étrangers croyent qu'ils font conitruits avec les matériaux qu'on a feulement imités. Les toits font plats , tk on n'y met des couvertures que ce qui efrnéceffaire pour garantir du vent, & pour intercepter les rayons du foleil. Les pieces de bois dont ces toits font formés, & qui en dedans font décorés de moulures & d'autres ornements, font auffi couverts de terre glaife, pour les garantir du foleil ; & cette Iédere couverture luffit dans un pays où il n'y a jamais de pluie violente. Par cette conftruc-tion, les maifons font moins en danger que fi elles étoient bâties de matériaux plus folides : tout l'édifice fe prête aux mouvements qui lui font l66 DÉCOUVERTES tj L communiqués par les tremblements Chap. xu. de terre, & les fondements étant liés An, i74o. avec ^es différentes parties du bâtiment fuivent aufîi les mêmes mouvements , enforte qu'en fouffrant le choc, elles peuvent bien être endommagées , mais il eft difficile qu'elles foient renverfées. Les cannes fauvages , dont on fe fert pour les parties intérieures des murs, reffemblent par la longueur & par la groffeur à celles que nous connoiffons en Europe , mais elles n'ont aucune cavité. Le bois en eft très folide, & ne pourit que difficilement. Le chagllas eft aufîi une efpece d'arbriffeau fauvage qui croît dans les forêts, & fur les bords des rivières : il eft fort, & flexible comme I'ofier. C'eft de ces matériaux que font bâties toutes les villes dans la Vallée dont nous avons parlé. A l'eft &c à l'oueft de la ville, hors des murs , il y a beaucoup de jardins fruitiers & de potagers: la plus grande partie des maifons ont aufn des jardins d'ornement, continuellement arrofés par les eaux que des canaux y conduifent. Magnificence Toutes les Eglifes, tant celles des des lighfes, 0 ' des Européens. 167 couvents que les paroftTes, ainfi oueTT---• 11 h j n y Ulloa. leschapelles,font grandes,confiantes chaP. xii. en pierre pour la plus grande partie , An. ,740. & embellies de peintures, & d'autres ornements de grand prix, particulièrement la Cathédrale , les Eglifes de S. Dominique , de S. François , de S. Auguftin , des Pères de la Merci & des Jéfuites. Elles font décorées avec tant de magnificence qu'on ne peut en donner la defcription , & qu'il faut les voir pour s'en former une idée. On efl étonné de la pompe & des richeffes de cette ville , particulièrement dans les fêtes folemnel-les. Les autels , depuis le pied juf-qu'aux bordures des tableaux font couverts d'argent maffif, travaillé en diverfes fortes d'ornements : les murs de ces Eglifes font aufîi couverts de velours,ou de tapifîèries d'aufîigrand prix, avec de fuperbes franges dW ou d'argent, quoique ces étoffes foient d'une cherté exceffive dans ce pays , & l'on met encore deffus des pieces d'argenterie, qui repréfenrent diverfes figures. Quand les yeux parcourent les piliers, les murs & les plafonds, ils font également éblouis par les objets les plus éclatants, qui fe pré- U" l l o a fentent ae toutes parts : on y remar-chap. xll. que des candélabres d'argent mafïif An. 17401 de fix ou fept pieds de haut, qui forment deux rangs dans la nef de l'Eglife; des tables relevées en boflés du même métal, pour foutenir d'autres chandeliers plus petits, & dans ces inter-vales font placées des ttatues d'anges fur des pié-d'effaux : enfin tout l'intérieur de ces Eglifes eff couvert d'argenterie , ou d'autres effets d'auili grande valeur ; enforte que le fervice Divin eft célébré avec une magnificence difficile à imaginer , & que même dans les jours ordinaires, les ornements , par la quantité &C par la richeffe, furpaffent ceux qu'on expof e avec orientation les jours les plus fo-lemnels dans beaucoup de villes de l'Europe. D« vafes Si l'on a peine à concevoir l'im-i«es. menfité des richeffes répandues dans l'intérieur des Eglifes, comment l'imagination pourra-t-elle fe représenter ce qui fert immédiatement au fervice Divin, comme les vafes facrés , les calices & les oflenfoires ou expofi-tions , dont la fplendeur fait naître une efpece d'émulation entre les différentes Eglifes. Dans routes ces pieces, l'or An. 1740. des Européens. 169 l'or eft couvert de rant de pierres Tt- precieules que les yeux ont peine à chap. \U en Soutenir l'éclat. Les étoffes d'or C\: d'argent pour les habillements fa-cerdotaux & pour les autres ornements , font toujours les plus riches & les plus chères de celles qu'on cn-regiftre dans les vaifleaux, & il en eft de même des franges & des dentelles. En général ce qui fert à orner les Eglifes, eft dans chaque efpece ce qu'on peut trouver de plus grand prix tk de plus précieux. Les principaux couvents font grands, Des Cou" F * vcn ts. avec les appartements en bon air , & bien diftribués. Quelques parties , comme les murs extérieurs qui les environnent font de briques non cuites, mais les bâtiments en eux-mêmes font de quinchas ou de baxareques. Plufieurs Eglifes font voûtées en briques, d'autres feulement en quinchas ; mais la beauté de l'architecture empêche de faire attention aux matériaux qui les compofent. Les frontifpices & les principales portes ont l'apparence la plus majeftueufe : les colomnes , les Irifes, les ftatues &c les corniches font de bois très bien fculptées, & elles imitent fi bien la couleur de la pierre, Torn. XI. H Ï70 DÉCOUVERTES Ur LOA qu'il faut les toucher pour en con-Chap. XII noître la matière. Cette ingénieufe An. J749. imitation n'eft pas l'effet de l'épargne, mais c'eft pour les garantir le plus qu'il eft poftible des terribles dévaluations occafionnées par les tremblements de terre, qui empêchent d'employer des matériaux plus folides &plus pefants. j>es tours Les Eglifes font décorées de petites «tclochers, coimo]es rres agréables , &c quoiqu'elles foient toutes de bois, on ne peut les diftinguer à la vue , des ouvrages en pierre. Les tours font de pierre depuis les fondements julqu'à la hauteur de dix ou douze pieds : enfuite on les fait en brique jufqu'à la voûte de l'Eglife ; le refte eft de bois peint en couleur de pierre de taille, & elles font terminées par une ftatue convenable au nom que porte TEglife. On peut juger à peu près de la hauteur de ces tours par celle de Saint Dominique qu'on a trouvé eu la m entrant géométriquement entre vingt-cinq & trente toifes, ce qu'on regardera comme bas, en comparai* fon de la grandeur des bâtiments ; mais on ne peut les élever davantage, tant par rapport aux tremblements de terre, crue pour les mettre en état des Européens. 171 de fupporrer les cloches , qui par le 77- • 1 1 u p n /• U l l o a . poids oc le nombre 1 emportent fur chap. in. celles d'Efpagne , & dont le fon pro- ao. 5740. duit une harmonie très agréable. Tous les couvents font fournis d'eau aux dépens de la ville , non de celle des ruiffeaux, qui coulent, comme nous l'avons remarqué, par des conduits voûtés, mais de celle qui vient d'une fource par le moyen de différents tuyaux. Aufïï tous les couvents d'hommes &c de filles font obligés d'entretenir une fontaine dans la rue, pour l'ufage des pauvres gens qui ne peuvent avoir d'eau dans leurs maifons. Un des plus terribles défaffres au- Fréquents quel on efl expofé à Lima efl celui de^erreTtiï des tremblements de terre ; ce pays »a-y elf. li fujet, que les habitants font dans une crainte continuelle d'être enfevelis fous les ruines de leurs maifons tant ils font fréquents & violents. Ces affreux ébranlements de la nature n'ont aucune régularité , ni pour la longueur du temps , ni pour la violence : mais il n'y a jamais affés d'in-tervale de l'un à l'autre pour qu'on ait le temps d'en oublier les effets. Il fe pajfe rarement un mois fans qu'on Hij U ll o a. ^n^û^entequelquefecoufre^iaistrop Chap.xij. peu forte pour ruiner les maifons, An. J7+0 Se ces horribles bouleversements font quelquefois près d'un fiécle fans fe répéter. Phénomènes Quelques fubits que foient ces trem-3,"lMPrécé"blements, ils ont toujours quelque dent. r . * . J 1 n ligne qui les précède : un des principaux eft un bruit ou murmure dans les entrailles de la terre, environ une minute avant le choc ; il ne continue pas dans le même endroit où l'on commence à l'entendre, mais il court d'un lieu à l'autre Se s'étend fous le terrein. Il efl fuivi des heurlements effrayants des chiens, qui femblent connoître les premiers le danger qui s'approche. Les bêtes de charge qui font dans les rues s'arrêtent, Se par un inftincl: naturel écartent leurs jambes , comme pour fe tenir plus fermes, Se être moins expofées à tomber,. Les habitants effrayés par ces préfages, fuyent de leurs maifons dans les rues avec tant de précipitation, que fi cette calamité arrive la nuit, ils fe fauvent entièrement nuds, la crainte Se la préfence du danger leur faifant oublier toutes les règles de la modeftie. On voit alors tant de bes Européens. 173 figures fingulieres dans les rues de la [j L " 0*~J* ville, qu'il feroit difficile ( dit l'Auteur Ch..r. x 1 r. ' Efpagnol ) de tenir fon férieux , ff An. l'on n'étoit foi-même occupé d'autres objets dans ces terribles inffanrs. Ce concours fubit eif accompagné des pleurs des enfants au'on a enlevé de leurs lits , & des lamentations des femmes , qui en invoquant les faints avec des cris perçants , augmentent encore la frayeur publique & la con-fufion générale. Les hommes mêmes font trop fortement affeftés, pour ne pas faire paroftre leur terreur, & toute la ville n'eft qu'un théâtre affreux de confternation & d'horreur. Cet effroi univerfel n'eft pas terminé par les premières fecouffes, & perfonne n'ofe retourner dans fa maifon, crainte qu'elles ne fe renouvellent ; en effet il arrive fouvent qu'elles tombent par de nouveaux chocs , après avoir été ébranlées & affoiblies parles premiers. Undesplusaffreuxbouleverféments Tremblement de la nature que cette ville ait fouf- de m?' ferts, arriva le 20 d'Oétobre 1687. Il commença à quatre heures du matin , & fut accompagné de la deffriiC-tion de plufieurs édifices publics, ôc H iij U l l o a ^e DeaucouP ^e maifons , où il périt Chap. XII.' un grand nombre d'habitants : mais An. 1740 ce n'étoit pour ainfi dire qu'un effai de ce qui alloit fuivre , & comme un avertiffement pour garantir la plus grande partie de ceux qui reltoient, d'être enfevelis fous les ruines de la ville. Le choc recommença à fix heures , avec des mouvements iî impétueux , que tout ce qui avoit réfiflé au premier tomba alors en ruines. "Leshabitants s'eff imerent trèsheureux de n'être que les fpedateurs de la dévastation générale qu'ils virent des rues & des places, où ils avoient d'abord pris la fuite au premier ébranlement. Dans cette féconde fecoulTe , la mer fe retira confidérablement , revint enfuite avec fureur, & les vagues élevées comme des montagnes engloutirent Cailao, ainfi que tous les cantons voifins, dont les habitants périrent fous les eaux. Tremblement Un autre tremblement de terre de 17+6. encore p}us terrible arriva le 28 d'Octobre 174Ó, à dix heures & demie du foir, cinq heures trois quarts après que la lune fut entrée dans fon plein, Les fecouffes commencèrent avec tant des Européens. 175 de violence , qu'en moins de trois fj " minutes tous , ou prefque tous les ciup. xn* bâtiments grands & petits de la ville An. i74©. furent renverfés, & enfevelirent fous leurs ruines ceux des malheureux habitants qui ne s'étoient pas retirés avec allés de diligence dans les rues & dans les places, qui font les feuls aziles où l'on puiffe avoir recours pendant ces aifreufes convuliions de la nature. Les horribles effets de ce premier choc cefferent bien-tôt, mais le calme fut de peu de durée : les fecouffes recommencèrent , & furent fi fouvent répétées, que les habitants, fuivant la relation qu'ils en envoyèrent, en comptèrent deux cents dans les premières vingt-quatre heures, & que jui'qu'au 24 de Février de l'année mirante , datte de cette relation, on en obferva quatre cents cinquante , dont quelques-uns, quoique plus courts que le premier, fe firent fentir avec autant de violence. A la même heure, le fort de Callao fondation , , ' . dont lien ac- romba également en ruines , mais ceCompagné * que les bâtiments fournirent du trem-CalIao-blcment de terre malgré fa violence , ne fut pas comparable à la terrible cataffrophe qui fuivit l'ébranlement: Hiv I76 DÉCOUVERTES jj j Q A la mer , comme il arrive ordinaire-Chap. XII.' ment, le retira à une grande diftance ; Ah. 1740. revint bien-tôt en montagnes de vagues, d'où s'élevoit uneépaiffeftirnée, occafionnée parla violence de l'agitation , & couvrit des eaux de l'océan , Callao & tout le pays contigu. Tel fut l'effet du premier choc, mais la mer fe retirant de nouveau à une plus grande diftance que la première fois , s'élança en revenant avec une im-pétuofiré encore plus terrible, couvrit les murs & les autres bâtiments de la place ; tout ce qui avoit échapé à fa première invafion, fut renverfé & détruit totalement par la fureur des eaux irritées , qui ne laifferent qu'un fragment des murs du fort de Sainte-Croix , comme un veftige de cette horrible dévaftation. Il y avoit alors dans le port vingt-trois vaiffeaux ou bâtiments grands &: petits; dix-neuf furent coulés h fond en un inftant, & les quatre autres, du nombre defquels étoit une frégate , nommée S. Firmin , furent emportés par la force des vagues, tiès avant dans le pays. Nomore Cette terrible inondation s'étendit d habitants 1 '1 a 1 qui y péri- aux autres ports de la cote, tels que des Européens. 177 Cavallas & Guanape : les villes de Jj~ L 0 A~ Chançay , Guaura, la vallée de Bar- chap. xil. ranca, Supe & Pativilca , éprouve- An< I740, rent le même fort que Lima. Le nombre de ceux qui périrent fous les ruines de cette capitale avant le 3 1 du même mois d'Octobre , & dont on trouva les corps, monta à treize cents perfonnes , outre les eflropiés & les bleffés, dont plufieurs moururent enfuite après avoir fouffert des tourments horribles. A Callao , 011 le • nombre des habitants montoit à environ quatre mille , il n'en échapa que deux cents, dont vingt-deux durent la vie au fragment de mur qui relia fur pied. Suivant ce qu'on apprit à Lima Volcans qui quelque temps après ce défaflre, dans to™*™1*'8 la province nommée Lucanas,il yà'cm, eut la même nuit une éruption d'un volcan , d'où il fortit une quantité d'eau fi prodigieufe que tout le pays en fut inondé ; & près de Patas, dans îa montagne nommée Converjiones de Caxamarquilla, trois autres volcans répandirent auffi une quantité étonnante d'eau. Quelques jours avant ce déplorable événement, on entendit à Lima* H y Tj' l l o a. ^es Driuts fouterreins, qui reffem-Chap. xil. bloient quelquefois au mugiffement An, 1740. des bœufs , & d'autrefois à des décharges d'artillerie. Depuis le tremblement de terre , on les a encore entendus dans le fiîence de la nuit , preuve convaincante que la matière inflammable n'eft pas totalement épui-fée , & que les caufes des fecoiiffes ne font pas détruites. Fertilité Ses En conféquence de ces terribles dé-im!rS dC vaftations, & de ce qu'il ne pleut jamais, ou très rarement dans le pays, on poiirroit conclure naturellement qu'il doit être ftérile ; mais l'expérience prouve le contraire. Lima jouit de la plus abondante fertilité ; le terrein produit toutes fortes de grains, une variété prodigieufe de. fruits. L'art & l'induftrie liippléent à l'humidité que les nuages réfutent de donner, & rendent la terre fertile r malgré la- féchereffe continuelle. des Européens. r*ra i y CHAPITRE XII7. Grand avantage des canaux au Pérou: Suites funefïes des tremblements de terre pour la fertilité du pays : Forets d'Oliviers : les fruits y durent toute Vannée : Vignes qui rapportent farts culture : Qualités du terroir : Preuves que la mer s'efl retirée de fon ancien lit: Des fontaines dans ce pays : Du fumier nommé Guano : Beauté des payfages aux environs de Lima : Refies d'une ancienne vil le des Incas : Danger de fonder des maifons dans ce pays : Précautions pour garantir Lima des invajîons des Anglois. NOus avons déjà remarqué qu'un - ^ des principaux foins des Incas ch xiu. étoit de faire couper des tranchées, , , _ 1 . , . , An. 1740, ou petits canaux , de la manière la 1 ., 7 ,-a ., Grand svan- plus- avantageufe , pour diltribuer tage jes ca. l'eau des rivières, de façon à hu- naLlx au *'é-mecter les différentes parties de leurs Etats-, & à rendre de valies campagnes propres à rapporter des grains. H vj» l8o DÉCOUVERTES U " L Les Efpagnols voyant fous leurs yeux Ch. xm. ces ouvrages fi utiles ,, ont eu foira An. i74o. ^e *es entretenir, 6c par ce moyen on arrofe des champs fpacieux de froment & d'orge , de grandes prairies, des plantations de cannes de lucre 6c d'oliviers, des vergers 6c des jardins de toutes fortes , qui rapportent dans la plus grande abondance. A. Quito , les fruits n'ont point de faifon déterminée, au Heu qu'à Lima , les campagnes produi-fent les moiffons, tk les arbres perdent leurs feuilles fuivant le cours, ordinaire de la nature : mais il faut remarquer que dans les pays chauds , quoique les feuilles perdent la vivacité de leur couleur, elles ne tombent que lorfqu'elles font chaflees par de nouvelles. Les fleurs ont aufîi leur temps , qui eff fuivi de celui des fruits, & ce pays reffemble à cet égard aux zones.tempérces, tantpour le produit tk les faifons du bled, des fleurs tk des fruits , que par la différence de l'hiver & de l'Eté. Sm'resfunef- Avant le tremblement de terre de bSmdcn«rt 1687 » OÙ cette ville fouffrit un fi terre pour h horrible défaffre , les moiffons de p/jfe U Moment 6c d'orge fuffifoient pour four- des Européens.. r8i nir aux befoins du pays , fans qu'on yL L0 A fut obligé d'yen apporter d'ailleurs, ch. xi-ii. particulièrement pour le froment : Ail» mais ce bouleverfement de la nature a tellement altéré le terroir, que le bled fe pourrit aufli-tôt qu'il eft feméy ce qui eft caufé vraisemblablement par des nuages d'exhalaifons fulphureu-fes qui s'élèvent des entrailles de la terre, & par la quantité prodigieufe de particules de nitre qui fe font répandues de toutes parts. Cet événement a obligé les propriétaires des campagnes de les employer à d'autres ufages ; ils en ont mis beaucoup en champs de Luzerne, en plantations de cannes de fucre & en autres efpecesde végétaux, parce qu'on a éprouvé qu'ils n'étoient. pas fujets aux mêmes inconvénients. Après quarante années de cette ftérilité de grains, les laboureurs ont remarqué que le terroir s'amélioroit, Si qu'il fe difpo-foit à reprendre fon premier état de fertilité. On a fait furie froment quel-ues épreuves qui ont eu aflez de iccès, & l'on a vu peu à peu que le grain venoir comme avant le tremblement de terre.. Cependant, foit à caufe des autres plantes qu'on a cuir 18 2 DÉCOUVERTES j L L tivées, ou foit que les laboureurs ne ch. xui." s'y foient pas employés avec la même An< ]740j ardeur, il eft certain qu'on n'a pas eu autant de bled qu'on en recueilloit avant. On peut croire aufti que le dernier événement a encore eu des effets pernicieux fur le terrein , mais depuis qu'on a établi un commerce de grains avec le Chili, on a été moins fenlible à ce dérangement. Dans le voifinage de Lima, on feme particulièrement de la luzerne : la confomma-iion en eft plus cqniidérable dans ce pays qu'en tout autre ; 6k c'eft la nourriture ordinaire des animaux, particulièrement des mulets & des chevaux , dont le nombre eft prodigieux. Les autres parties du pays font occupées par les diverfes plantations , dont nous avons parlé : il y a beaucoup de cannes qui produiient une efpece de fucre excellente. Toutes ces campagnes & ces plantations font cultivées par des efclaves Nègres , qu'on acheté pour cet ufage , & il en eft de même dans les autres parties de la vallée , oit les terres font en rapport,-Les plantations d'oliviers reffem-blent à d'épaiffes forêts , tant par la hauteur & l'étendue des arbres , crue- des Européens. tSj par la grandeur & la force des feuilles, tjVlo a" en quoi ils l'emportent fur tous ceux ch. xiu.* d'Elpagne, & comme on ne les taille An. 1740. jamais , leurs branches deviennent tellement entrelacées que la lumière ne peut pénétrer au travers. Ils n'ont jamais befoin d'être labourés, & la feule culture qu'ils demandent eft de nétoyer les trous qu'on fait aux pieds-pour recevoir l'eau, d'entretenir les> canaux qui la conduifent, & de couper d'efpace en efpace les rejettons pour fe faire des partages, qui fervent à aller cueillir le fruit. Avec des foins aufîi légers , les habitants recueillent une grande quantité d'excellentes olives ; ils les mettent fous le preffoir pour en faire de l'huile , ou les font mariner, à quoi elles font très propres par leur beauté , leur grofléur & leur parfum. L'huile de ce pays efl de beaucoup préférable à celle d'Efpagne.. La campagne contigue à la ville eft couverte de jardins, qui produi-fent toutes fortes d'herbages & de fruits comme en Efpagne, aufîi beaux & aufîi bons que ceux d'Europe , outre ceux qui font particuliers à l'Amérique. Ils y viennent dans la. if?4 Découvertes *j L r (~ plus grande perfection , Sc il n'y a au-Ch. mu.' cune partie du Pérou qui puiflè être An. 17.0. comparée au voiiînage de Lima , où toute la terre efl couverte de fruits qui efl très propre à les foutenir des Européens. 185 parce qu'elle eft ou pierreufe, ou^-" pleine cle fable. On fe contenre de ch. xni. tailler ces vignes, tk. de leur fournir An. J7+0. de l'eau en temps convenable ; & elles viennent très bien fans autre culture. On ne donne pas plus de foin à celles dont on tire du vin : à Ica, Pifco , tk Nafca , tk dans les autres endroits où on les defline à cet ufa-ge , on les forme feulement en feps. On ne fait pas de vin de celles qui croiffent près de Lima ; mais on en confervé les raifins, dont la vente efl confidérable. Le terroir des environs de Lima^0^11^ ** efl rempli de pierres à feu , ou de cailloux en fi grand nombre , que de même qu'en d'autres endroits le fol efl entièrement de fable , de roc ou de ferre ; aux environs de Lima il efl totalement de ces fortes de pierres; ce qui efl très incommode pour les voyageurs , foit à pied, foit à cheval. Les terres labourables ont une efpece de croûte de terre d'un pied ou deux d'épaiffeur, tk le deffous efl de mêmes pierres. Cette circonflance, jointe à la reffemblance de ce terrein avec celui des déferts voifins, tk avec lS6 DÉCOUVERTES -le fond de la mer, fait juger que tout Ch. xui. ' cet efpace aété anciennement couvert A„ des eaux de l'Océan, à la diftance de trois ou quatre lieues & même plus loin des bornes actuelles de la mer, On fait particulièrement cette remarque dans une baye , environ cinq lieues au Nord de Callao , nommée Marques, où il y a tout lieu de croire que, fans remonter beaucoup d'années , la mer couvroit environ une demi-lieue de ce qui efl actuellement terre-ferme, dans la longueur d'une lieue & demie fur la Côte. Frcuvfs que Dans la partie la plus intérieure de Kti3"defOT cette ka7e »Ies rochers font percés & ancien lie. polis , comme ceux qui font continuellement frappés par les vagues , ce qui prouve que la mer y a formé la large cavité qu'on y remarque , & que par fes chocs continuels elle en a détaché les maffes énormes qu'on trouve fur le terrein. On peut donc conclure naturellement qu'il en eff arrive de même dans les campagnes contigues à Lima, tk que les terreins où l'on ne trouve que des pierres femblables à celles du fond de la mer adjacente , ont été . anciennement couverts par les eaux. des Européens. îSy Une autre fingularité de ce pays y " " ^"^ aride , efl l'abondance étonnante des ch. xm." fontaines : on y trouve par-tout de An. i74o. feau fans beaucoup de travail, en Des font»» r . r î « nes dans ce creulant feulement quatre ou cinq pays> pieds. On peut en affigner deux cailles : l'une, c'efl que la terre étant très fpongieufe de fa nature, l'eau de la mer s'y infinue à une grande diftance, & efl filtrée en paffant par fes pores : L'autre c'efl qu'une grande quantité de torrents, après être tombés des montagnes s'étendent dans ces plaines, & continuent leur cours par des canaux fouterreins, ce qui eiî d'autant plus probable , que cette qualité pierreufe du terrein ne s'étend pas à une grande profondeur , 6V que le deffous efl très ferré & compacte : par conféquent l'eau fe porte d'elle-même dans les parties les plus fpon-gieufes, où font toutes ces pierres, & elle y continue fon cours, en laiffant la furface à fec. L'abondance de ces eaux fouter-reines efl très avantageufe à la fertilité du pays, particulièrement pour les groflès plantes , dont les racines ont beaucoup de profondeur. C'efl un effet de la bienfaifance du fage auteur U l L o a de la nature , qui pour remédier à la ch. xiu.'itérilité où feroit tout ce pays, par An. i74o. le manque d'eau, lui en envoyé des montagnes , loit par les rivières découvertes , foit par les canaux fouterreins. Du fumier Les terres de la jurifdiction de no, 1C Chançai, de même que celles des autres parties de la côte du Pérou font fumées de la fiente de certains oifeaux de mer, qui s'y répandent en une quantité prodigieufe. On les nomme Guanaès , & leur fiente s'appelle Guano, mot indien , qui lignifie toute forte d'excrémens : ces oifeaux, après avoir employé tout le jour à chercher leur nourriture dans la mer, viennent fe repofer la nuit dans les Iiles voi-fines de la côte , en fi grand nombre que le terrein en eft entièrement couvert. Ils y laiffent de leur fiente à proportion , la chaleur du foleil ladeffé-che comme une croûte, & il en fur-vient tous les jours de nouvelle , en forte que malgré la quantité de ce gu'on enlevé , elle n'eft jamais épui-fée. Quelques-uns croient que ce Guano n'eft autre chofe que la terre même de ces Ifles, quia la propriété d'exciter une fermentation dans le des Européens. 189 fol avec lequel elle eft mêlée. Cette ^—~ opinion eft fondée fur la quantité cC XII prodigieufe qu'on en enlevé tous les An, I7+{ ans , & fur les expériences qu'on a faites en creufant, & en perçant le terrein , ce qui. a fait connoître que jufqu'à une certaine profondeur , on lui trouvoit la même qualité qu'à la fuperfîcie, d'où l'on a conclu que cette terre avoit naturellement la qualité échauffante de la fiente ou du Guano. Ce fentiment feroit probable fi la vue & l'odeur ne prouvoient que ce même terrein eft formé de ces excréments. Quoiqu'il en foit c'eft le fumier qu'on employé dans les champs femés de Maïz , & en les arrofant convenablement, on Pa trouvé très propre à fertilifcr le terrein ; on en met un peu à chaque tige , & on lui donne aufti-tôt de l'eau. On s'en fert aufti pour les champs d'autres grains, excepté pour l'orge & pour le froment, ce qui en employé tous les ans une très grande quantité. Outre les vergers , les champs & Beauté A 1 _ • j- . ° n ■ 1 nayf.itrcs au les ]ardins, dont ce pays elt agréa- environs a blement varié, il y a d'autres parties, lima-où ia nature fournit d'elle-même les plus beaux payfages pour les habi- U L l o a tans » & ^es Paturages excellents pour Ch. XIU.' les befliaux. On remarque particu-An. 1740. fièrement les hauteurs de faim ChriÇ-tophe 6c d'Amancaès, dont la verdure perpétuelle, diverfifiée au printemps par l'émail des fleurs, femble inviter les habitans à venir jouir de plus près des beautés qu'elles préfen-tent de loin à leur vue. On trouve le même agrément dans les endroits qui font jufqu'à fix ou huit lieues de la ville , 6c plufieurs familles s'y retirent pour changer d'air, 6c pour fe livrer aux amufements champêtres. La hauteur d'Amancaès tire fon nom d'une fleur qui y croît en abondance : elle efl de couleur jaune , de la forme de la Campanule, avec quatre feuilles en pointes. La couleur efl extrêmement brillante, 6c c'efl en quoi con-fifle la beauté de cette fleur, qui ne rend aucune odeur. Reftes d'une Les feuls monuments de l'antiquité kdoîncas" clu'on trouve aux environs de Lima , ' font les Guacas , ou fépulchres des Indiens, 6c quelques murs qu'on rencontre fréquemment des deux côtés des chemins dans tout le pays. A trois lieues au Nord-Efl de Lima, dans une vallée, nommée Guachipa on des Européens. 191 voit aufîi les murs d'une grande ville. 7j- Voici la defcription que le Marquis ch. xiu,' de Valde-Lyrios , homme doué de An_ beaucoup de talents en a donné à nos auteurs. Les rues font très étroites: les murs des maifons ne font que de terre, tk les maifons , femblables à tous les bâtiments du même temps n'ont point de toit, & font compofées de trois petites pieces quarrées. Les portes fur la rue font en général plus baffes que la taille ordinaire d'un homme, & la hauteur des murs n'efl gueres que de neuf pieds. Entre tourtes les maifons qui compofent cette grande ville , fituée au pied d'une montagne, il y en a une dont les murs lurpafîént ceux de toutes les autres, ce qui fait conjeclurer qu'elle étoit la demeure du Cacique ou Prince, mais elle efl tellement ruinée qu'il efl impofîible d'en bien juger. Les habitants de la vallée , où l'on trouve des campagnes fertiles arro-fées par la rivière Rimac, & qui ne font pas éloignés de ces ruines, les appellent le vieux Caxamarca , mais on n'a pu découvrir ii cette ville portoit réellement ce nom dans le temps du paganifme. On n'en trouve U l l o a. aucun mémoire ni aucune tradition, Ch. .vin. 6c il n'en elt point parlé dans les An. 17+0. hiftoires de ce royaume écrites par Garcilano, 6c par Herrera, enforte que tout ce qu'on en peut dire eft que l'epithéte vieux, eft uniquement pour la diftinguer de la ville actuelle de Caxamarca. Une particularité furprenante des murs de cette ville, 6c de tous les autres de la vallée voiline, eft qu'étant bâtis fur la furface de la terre, fans aucuns fondements, ils ont foufferts les violents tremblements de terre qui ont renverfé Lima 6c d'autres grandes villes conftruites à l'Efpa-■gnole. Les villes indiennes n'ont reçu d'autre domage que celui qui eft ordinaire à toutes les villes abandonnées , ou celui qui y a été caufé par les conducteurs qui en font un lieu de repos pour les beftiaux qu'ils mènent à Lima. Danger de On peut juger par la conftruttion •Sifons dans de ces maifons que les naturels , in-(k par». ftruits par une longue expérience , ont reconnu que dans les endroits fujets aux tremblements de terre , on ne devoit pas faire de fondations pour affermir les murailles. On fait par des Européens, iq-* par tradition que les Indiens nouvel- 77- T r • • * l rr u l l o-a lement fournis virent que les Efpa- ch. xm. gnols creufoient des fondements , . pour faire des bâtiments élevés , "' 17414 ils s'en mocquerent & leur dirent, qu'ils creufoient leurs propres fépul-chres, en leur faifant entendre que les tremblements de terre les enfe-veliroient fous les ruines de leurs maifons. C'eff une trifîe preuve de l'orgueil & de l'opiniâtreté, qu'ayant devant les yeux l'exemple prudent des Indiens, tk la ruine totale de leur propre ville, renverfée quatre fois en moins de deux cents ans, ils fe foient toujours livrés à la pafîion deftru&ive d'avoir des bâtiments élevés & élégants , qui exigent nécef-fairement des murs épais tk élevés, auxquels il faut des fondements proportionnés à la grandeur de l'édifice, tk au poids qu'ils doivent fupporter. Pendant que nos officiers furent Prccantion* à Lima , ils s'attachèrent continuel- fSfS& lement à mettre le pays dans le meil- curfions des leur état de défenfe pofiibie, s'ilAns,0IÎ-arrivoit que l'Efcadre Angloife, commandée parle Contre-Amiral Anton, qu'on attendoit dans la mer du Sud , Tom. XL l 194 Découvertes V l l o a rürinat quelque entrepriiè, afin de la en a:;j. rendre inffuctueufe. An. av.-. En même-temps on envoya quatre vaiifeaux de guerre, pour croifer fur la côte du Chili , & pour vifiter 1"lue de Juan Fernandez (*) afin d'attaquer l'Efcadre Angloife, aufFi-tôt qu'elle paroîtroit dans la mer du Sud. Après avoir croifé un temps affez considérable , ces vaiffeaux revinrent à Cal la o , fans avoir eu con-noiffance qu'aucun bâtiment étranger eût paffe dans ces mers. Le temps de l'hiver approchoit, on:Geor.te 7 011 quelque autre grain. La Ch. xiv. guerre ne les trouble donc en rien ; au, 1743. au contraire , ils la regardent comme une occupation qui lesarnufe, parce-que quand ils font en paix , tout leur temps fe parlé dans une molle oifiveté, dans des jeux oùilsconfomment beaucoup de chicha, liqueur qu'ils tirent des pommes, & dont ils font un grand ufage. Comment Qe font ordinairement les Efpa-. on lait la paix , . - , . 1 avec eilx. gnols qui font les premières avances des traités de paix avec les Indiens. AulTi-tôt que l'on elf convenu des propofitions, on tient un congrès ,. où le Gouverneur, le Major Général du Chili, les principaux Otiiciers ,. l'Evêque de la Conception , & les autres perfonnes de diitin£Hon, afîif-tent. Du côté des Indiens, le Toqui, ou Généralitùme, & les Capitaines de fon armée , fe rendent au congrès comme repréfentants des communautés. La dernière irruption que rirent ces ennemis fauvages fut en 172.0,. pendant le gouvernement de Dom Gabriel Cano , Lieutenant Général-des troupes Efpagnoles, qui leur fit la guerre avec tant de vigueur & tant de fuccès, qu'ils furent obligés de de- des Européens. 205 mander la paix. Leurs préliminaires jj l l 0 a'* furent fi fournis, que le congrès ayant ch. XIV. été tenu en 1724, le traité fut conclu, An. my, aux conditions qu'ils demeureroient en poffeffion de tout le pays au fud de la rivière Liobio , tk les Capitaines de Paz , furent fupprimés. Ces Capitaines étoient des Efpagnols, gui faifoient leur réfidence dans les villages des Indiens convertis, tk qui, par leurs exactions avoient été la principale caufe de la révolte. Outre les congrès qu'on tient avec les Indiens, pour conclure un traité de paix , on en tient aulli à l'arrivée d'un nouveau Préfidenr. Les cérémonies font les mêmes dans l'une tk dans l'autre occafion , enforte que le récit de l'un fervira également pour donner une idée de l'autre. Quand on doit tenir un congrès, *» le Préfident fait avertir les Indiens ongies* des frontières , du jour &du lieu de l'alfemblée; il s'y rend avec ceux que nous avons dit , tk du côté des Indiens , il y vient les chefs de leurs principales communautés : mais pour-plus de fplendeur, on amené de part tk d'autre une efcorte compofée d'un nombre d'hommes dont on efl con>- 106 découvertes ~J7[^~ venu. Le Prennent 6k fa compagnie Ch. xiv' logent fous des tentes, 6k les Indiens A». 1/43. campent à une médiocre diftance.' Les anciens, ou chefs des nations voifmes, font la première vifite au Préficlent, qui les reçoit très gracieu-fement, boit à leurs fantés avec du vin, 6k leur donne cnfuite fon verre pour qu'ils en faftent de même. Cette politeffe, qui leur eft très agréable, eft fuivie d'un préfent de couteaux, de cifeaux , ck de plufieurs autres ba-■ gatelles , auxquelles ils attachent un grand prix. On met enfuite le traité de paix fur le tapis, 6k l'on règle la manière d'en obferver chaque article , après quoi ils retournent à leur camp, on le Préiident leur rend la vifite , en fanant porter avec lui une quantité de vin fuffifante pour les en régaler modérément. PnSfentsré- Tous les chefs des autres commit-rocjLies. naut( 108 découvertes 771-* conduite qu'on tiendra à l'avenir dans v l l o a. • * \ Ch. xjv. les affaires quon aura a traiter. An. 1743. Quelque averiîon que les Indiens pron;.Siicsayent toujours marque à fe foumet-Miinoiinai. tre à la domination des Monarques Efpagnols, ils n'ont pas fait paroître le même éloignement pour les Millionnaires ; au contraire ils leur ont toujours permis d'aller librement parmi eux, tk un grand nombre de ces Indiens ont recule baptême avec joie. Cependant il efl très difficile de les engager à quitter leur manière de vie, dont la liberté les plonge dans-toutes fortes de vices tk dans une férocité, qui en général éloigne leurs efprits des préceptes de la religion Chrétienne. Avant la guerre de 1720,. les Millionnaires , par un zele infatigable , avoient formé plufieurs villages , efpérant par ce moyen porter les nouveaux convertis à pratiquer la doctrine de la foi en Jefus-Chrift. Ces villages nommés S. Chriflophe,. Santa-Fe, Santa-Juana , San-Pedro r & la Mocha, étoient tous dirigés par les Jéfuites. Les Chapelains des forts fur les frontières ont aufïï un fupplé-ment d'honoraires pour inftruîre un certain nombre d'Indiens, Au: temps; des Européens. 209 du (bulcvement, leur férocité natu- jJT—jT"T relie reprit le deffus ; tous les profé- ch. xiv. * lites abandonnèrent les Millionnaires, An. ,74}. ck fe joignirent à leurs compatriotes : mais au rétablilTement de la paix, ils folliciterent les Millionnaires de revenir au milieu d'eux , ck ils ont formé depuis quelques communautés. Cependant elles font encore bien éloignées de leur état précédent, étant très difficile d'en réduire , même un petit nombre, à embraffer la vie fb-ciale. Au milieu de la fureur de ces In- Habille-diens , tk dans le temps de leurs pl^iSent*ce* grandes hoflilités contre les Efpagnols , ils épargnèrent en général les femmes blanches ; les emmenèrent dans leurs huttes, tk fe les approprièrent. Aufîi , un grand nombre d'Indiens de ces nations ont le même teint que les Efpagnols nés dans le pays. En temps de paix , il en vient beaucoup dans les territoires Européens , ils fe louent pendant un certain temps pour travailler dans les campagnes, tk à l'expiration du terme ils retournent dans leurs cantons, après avoir employé ce qu'ils ont gagné à acheter les marchandifes qui Ulloa ^ont en^m<^es Parm* eux. Tous les na-Chap. xiv. turels hommes & femmes portent le An. tjii. Poncho tk fa Mante qu'ils font dé laine, tk quoiqu'on ne puiffe pas leur donner à jufte titre le nom d'habillement , ils fuffifent pour la décence , au lieu que les Indiens plus éloignés des frontières Efpagnoles, tels que ceux qui habitent les territoires au fud de Valdivia , ck: les Chonos, qui vivent dans le continent près de Chiloe, ne portent aucune efpece de robe. Les Indiens d'Arauco , de Tu-capel & des autres cantons voifins de la rivière Biobio , fe plaifent beaucoup à monter à cheval, & ils ont plufieurs corps de cavalerie dans leurs armées. Leurs armes font de grandes lances , des javelots, & d'autres de la même nature, dont ils fe fervent avec beaucoup d'adreffe. Arrivée Je Auffi-tôt crue Dom Ulloa & Dom plufieurs Bd. ^ , 1 r . , , , timentsEure-Georges Juan turent arrives dans la peins. baye 2e la Conception , ils joignirent An, 171+. l'Efpérance, frégate commandée par Dom Pedro de Mendinueta, qui avoit réufïï à doubler le Cap Horn , tk à gagner la même baye. Quelques jours après, ils apprirent que DomJofeph . Pizarro étoit arrivé par terre de Bue- des Européens, m nos-Ayres, & avoit deffein d'arborer y ' — fon pavillon fur l'Efpérance. Sur cet ch. xiV." avis, ils rirent voile pour Valparaifo, ou le Contre-Amiral monta fur ce bâtiment, & prit le commandement de l'Efcadre. Us trouvèrent dans le même port trois bâtiments François nommes le Louis - Erafme , Notre-Dame de la Délivrance & le Lis , équipés pour vaiffeaux de regiflre , qui avoient mouillé à Valparaifo dans le deffein d'y vendre leur cargaifon. Toute la flotte mit alors à la voile pour l'flle de Juan Fernandez, d'où ils allèrent à Callao , & y arrivèrent le 24 de Juin. Nos Aftronomes retournèrent en- le* Afcro-core à Quito, où ils finirent leursfcntfcuwob-obfervations, de revinrent à Lima, fcryarion». afin de s'y procurer un paffage pour leur retour en Efpagne. Ils trouvèrent à Callao lesbâtiments françois la Délivrance & le Lis, qui fe préparoient à repafîèr en Europe:ils ne voulurent pas manquer cetteoccafion.-Dom Georges Juan s'embarqua fur le dernier & Dom Antonio de Ulloa fur le premier. . Hs fortirent du Port de Callao le £"o^\ vingt-deux d'Octobre, & le vingt-deux fur des bâti- de Novembre ils joignirent le Louis 212 DÉCOUVERTES jj"^—Tmm Erafine, qui avec un autre vailTeau de Ch. XIV.' regiftre françois nommé le Marquis An j d'Antin , tes avoit attendus dans la im' baye de la Conception. Cette petite Efcadre étant ainfi formée , ils partirent de la baye, mais le lendemain le Lis eut une voye d'eau, tk fut obligé de retourner pour fe radouber. Quoique le relie de PEfcadre fût en affez mauvais état, ils continuèrent leur voyage tk eurent le bonheur de doubler le Cap Horn , fans éprouver ces terribles ouragants, fi fréquents vers ce Cap. Iisfcra^ou- Le 21 de Mai 174-5 , ils jetterent bent à la cote l'ancre dans la rade de Fernando de du lire fil. XT rrt ' Noronna, lfle qui appartient aux Annie J74J. portugais fur la côte duBrefil. Ils y radoubèrent leurs vaiffeaux , & prirent à bord de nouvelles provifions, du bois tk de l'eau. Le 10 de Juin, à dix heures du matin , ils remirent à la voile, tk continuèrent leur cours au Nord, fe flattant qu'ils feroient le refte de leur voyage fans aucun nouveau danger. Le 12 ils pafferent l'Equateur , tk continuèrent leur cours^fans aucune interruption. CHAPITRE XV. L'Efcadre efl attaquée par lei Anglois • Forces des François : Forces des Anglois : Combat très vif entre les deux Efcadres : Dom Ulloa fe fauve fur la Délivrance : Ce bâtiment fait voile pour Louisbourg: Raifons qui déterminent les Officiers à prendre cette toute : Ils font trompés par de faux pavillons : Ils font pris par les Anglais : On les débarque à Louisbourg : Soins que prend Dom Ulloa pour confcrver fes obferva-tions : Il efl conduit en Angleterre: Egards des Anglois pour les Savants : Dom Ulloa fe rend à Londres : Eloge qu'il fait de M. Folkes : Eloge qu'il fait des Anglois en général : Il efl reçu à la fociétê royale de Londres : Il revient a Madrid : Conclujion. . Ulloa. LE 21 de Juillet vers fix heures chaP- xv-du matin PEf cadre étant à 43 de- An. j74î. grés 57 minutes de latitude fepten- iAfeadreeft trionale, & à 39 degrés44 minutes àÎ^^Jg 214 DÉCOUVERTES t;-l'Efl du méridien de la Conception, Ulloa. , „ . ,/ . i -i ch. xv. les François découvrirent deux voiles An< ,74J> environ à trois lieues de diftance , qui faifoient cours Efl - Nord - Efl , & que les rayons du foleil avoient empêché les fentinelles de voir plutôt. Ils demeurèrent au Sud-Ouefl, ck les trois vaiffeaux fe tinrent au Nord-Efl, fans changer leur cours jufqu'à fept heures du matin. Alors fe trouvant à la portée du canon les uns des autres , le plus grand des deux bâtiments ennemis tira un coup à baie , ck en même temps arbora pavillon Anglois. Les Frégates Fran-çoifes fe mirent en ligne, quoiqu'elles ne fuffent prefque pas en état de combattre ; elles n'avoient qu'un très foible équipage , très peu d'armes ck de munitions, ôk manquoient de couronnement qui pût couvrir les hommes, enforte que le Pont ck le Château d'avant étoient également expofés au feu des ennemis. Cependant, aufîi-tôt que les Anglois eurent mis leur pavillon, les François demeurèrent fous voile en ligne , mais toujours en fuivant leur même cours, jufqu'à ce que le plus des Européens. 215 petit des bâtiments ennemis tomba fur -' eux, & tira plufieurs coups pour les ch. xv." obliger à mettre aiuTi pavillon, ce An. 174/.* qu'ils ne tardèrent pas à faire. Une demi-heure après , le feu du canon &. de la moufquetterie commença des deux côtés , & à huit heures les deux vailfeaux furent à la portée du piftolet. Voici quelles étoient les forces des Forces des François : le Louis Erafme portoit ranî°,!>* vingt canons, huit fur le pont, de chacun huit livres de balle, & avoit foixante-dix ou quatre-vingt hommes à bord , tant matelots que palfagers & mouffes. Le Marquis d'Antin avoit aufîi dix canons de chaque côté , dont les cinq premiers étoient de fix livres de balle, & les cinq derniers de quatre, avec cinquante-cinq hommes à bord. La Délivrance étoit le plus petit des trois bâtiments, ne portoit de chaque côté que fept canons de quatre livres , &c n'étoit monté que de cinquante hommes. Les ennemis qu'on reconnut enfuitc Forces de* pour des corfaires , étoient de beau-Au"lolJ" coup fupérieurs en forces. Le plus gros vaiffeau , nommé le Prince Frédéric , commandé par le capitaine 2l6* découvertes r-Jean Talbot, avoit trente-fix canons, Ch. xv. dont vingt-quatre étoient de douze li-An vres de boulet, outre les balles ramées qui donnoient dans les mâts 6c fur les flancs des François, 6c ils avoient autfi fix pieces de fix fur le pont. Le plus petit nommé le Duc, commandé par le capitaine Morecock avoit de chaque côté dix canons de douze livres ; l'un 6c l'autreportoient aufîi des pierriers chargés de mitrailles qui cauferent un grand défordre dans les manœuvres des frégates. Le Prince Frédéric qui entretenoit un feu continuel de canon 6c de moufquetterie , ne pouvoit fuivant toute apparence avoir moins de deux cents ou de deux cents cinquante hommes à bord, 6c l'on juge par le feu du Duc qu'il pouvoit en avoir cent cinquante ou deux cents. Combat très Le combat fut entretenu des deux vtf entre les a / , deuxefeadres. cotes avec autant de courage que d'ardeur , malgré le défavantage des François , puifqu'un feul bord de * l'ennemi faifoit un feu double de celui d'un de leurs vaiffeaux. Les Anglois bien munis de moufquetterie , entretenoient un feu continuel, au lieu que les François n'avoient que douze ou quatorze fufils à bord de des Européens. 217 de chaque bâtiment, tk qu'ils ne pou-TT " a r 9 C ' r ulloa. voient même preiqucn faire ufage , ch. xv. parce que c'étoit s'expofer à une An> ins, mon affurée que de paroître feulement fur le château d'avant ; enfin vers dix heures tk demie le Marquis d'Antin , qui étoit à l'arriére, baiffa pavillon devant le plus gros des bâ-timens ennemis avec lequel il étoit engagé, après avoir perdu fon capitaine , qui mourut en encourageant fes hommes , avec autant d'ardeur qu'il en avoit marquée dans le commencement du combat. Malgré la répugnance que ceux qui reftoient avoient à fe rendre, ils furent obligés d'y confentir, parce que leur bâtiment avoit reçu tant de coups au-deffus de l'eau qu'il etoit prêt de couler à fond. Le capitaine de la Délivrance, qui, Drom ül'oa ' ' \ ,l a. . A . 1 fe lauve lut etoit a la tete , voyant ce bâtiment h Délivran-pris , tk jugeant par la diminution"-de leurs forces qu'il n'y avoit aucune efpérance d'un plus heureux événement, mit prudemment toutes fes voiles au vent, pour effayer à s'échapper, pendant que les vaiflcaux ennemis étoient occupés avec leur prife. Auffi-tôt que le Marquis d'An-Tom. X/, K J l l o a tm eut kaiffé pavillon, le plus petit Ch. xv. ' bâtiment Anglois fe retira du com-A0( I74J> bat, qu'il avoit entretenu alternativement avec les deux autres François pour s'affurer de la prife, pendant que le Prince Frédéric recommença à lé battre. Il étoit onze heures oc demie quand la Délivrance fongea à chercher fon fa lut dans la fuite : le Louis Erafme n'héfita pas à fuivre fon exemple , mais le plus gros des corfaires Anglois le joignit bien-tôt, et" le mit dans la néceflitc de fe rendre , par la fupériorité de forces & par la vivacité avec laquelle elles étoient employées ; cependant ce ne fut encore qu'après que le brave Capitaine François eût été bleffé fi dangereufement qu'il mourut le lendemain. Les deux corfaires étant arrêtés par cesprifes, &C le vent de Sud-Eft. étanttrès frais, l'évafion de la Délivrance en fut d'autant plus ravorifée : ce bâtiment continua fon cours Nord-Ett, & à quatre heures après midi , il fut entièrement hors de la vue des ennemis & des prifes. Les cargaisons du Marquis d'Antin & du Louis Eratfne furent évaluées trois millions de piaftres, deux mil- des Européens. 219 lions en or ôk en argent monnoyé, en uLLOA lingots, ck en vailtelle d'argent ; le ch. xv! lùrplus en Cacao , qui faifoit la plus An. 1745. forte charge, en un peu de Quinquina , ck en laine de Vigogne. Le Capitaine de la Délivrance , Ce bâtiment après être échappé auffi heureufe- Jjj ment , confulta avec lès Officiers fur bourg, la route qu'il convenoit de prendre. L'un d'entr'eux avoit été fouvent à Louisbourg, dans l'Ifle de Cap-Breton près de Terre-Neuve , ék avoit une parfaite connoiffance de la fituation ck des forces de cette place. Il dit au Capitaine que dans le commencement de l'Eté on y envoyoit tous les ans deux vaiffeaux de guerre, pour porter de l'argent 6k des troupes, tant à cette place qu'au Canada, ainfi que pour protéger la pêche de la morue. Comme on avoit toujours main- j^J'^Jf1 tenu le même ufage dans le temps officiers de la paix la plus profonde, il étoitcct' naturel de penfer qu'on le fiiivoit en temps de guerre, où les puuTances maritimes augmentent toujours le nombre de leurs vaineaux. On n'y avoit jamais manqué dans toutes les guerres précédentes, cette place étant ho DÉCOUVERTES ------regardée comme rrès importante cb.Lxv,A'pour la France, & comme la ' clef An% mh du Canada , le port le plus fur pour la pêche, & celui qui faifoit le commerce le plus confidérable avec les Mes de Saint Domingue & de la Martinique. Le Capitaine déterminé par ces raifons, Se parce qu'il pa-roilfoit moins dangereux de prendre cette route que de vouloir gagner ]a côte d'Efpagne, fe détermina à fuivre celle qu'il croyoit la plus fûre, & fit voile pour le Cap-Breton, La fituation facheufe du bâtiment permettoit à peine de choifir, & il y âuroit eu très peu d'efpérance qu'il pût arriver en Efpagne fi l'on avoit voulu prendre cette route. On leur avoit dit à la Conception peu de temps avant, leur départ, qu'on avoit formé à Londres une compagnie pour armer trente vaiffeaux corfaires de vingt ou trente canons, qui établi roient leur croifiere de façon à pouvoir enlever tous les bâtiments qui viendroient des Indes. Quoique ce ne fût qu'une fauffe allarme , le malheur qu'ils avoient eû de rencontrer les deux corfaires, d^nt la force fe rappbrtoit à ce qu'on leur des Européens. .221 avoit dit, fervit à y donner une ap- ~uLI 0A, parence de vérité, & ils conclurent ch. xv. qu'il y en avoit un plus grand nombre « n de dimibués plus près des côtes. Il étoit d'autant plus naturel d'y ajouter foi, que depuis plus de deux ans ils n'a-voie nt eu aucunes autres nouvelles d'Europe ; & après ce qui leur étoit arrivé , ils auroient paru inexcufables s'ils avoient expofé une charge aufîi confidérable que celle de la Délivrance , dans un vaiffeau fi pefant qu'il ne pouvoit éviter de devenir la proye du premier ennemi qui lui donneroit la chaffe. Toutes leurs forces confiitoient en quatorze canon3 de quatre, & en quinze fufils ; neuf de leurs gens avoient été mis hors de combat dans la dernière aètion , & ce qui étoit le pire, ils n'avoient prefque plus de poudre. Outre cet état de foibleffe, le bâtiment faifoit tant d'eau par le dommage qu'il avoit reçu dans cette action , qu'il ne put être vuidé qu'à minuit, quoiqu'on fe fut mis fans perdre de temps à la pompe , & quêtons ceux fans distinction qui n'avoient pas été bleffés y travaillâffent alternativement & volontairement .Quelques confidé- 222 DÉCOUVERTES 77-râbles que puflent être ces raifons ch. xv. reunies , le Capitaine 6k les Officiers An. 17+5. ne voulurent pas prendre fur eux-mêmes l'événement d'une démarche aufîi importante : ils en parlèrent aux paffagers, qui l'approuvèrent tous comme la meilleure reffource, dans la circonfîance où l'on fe trouvoit ; en conféquence ils changèrent de route le foir même, èk tournèrent du côté de Louisbourg , comme vers un port de fureté, liftaittroin. Le 13 l'Août, à fix heures du pus par àetgtttitv, ils virent un brigantin qui ions. )>au" faifoit route fur la côte, & qui pa-roifîbit aller à Louisbourg : auiîi-tôt la Délivrance mit pavillon François, 6k ce bâtiment y répondit en tirant deux ou trois coups de canon. Cette conduite ne leur caufd aucune inquiétude : ils jugèrent que le brigantin, foupçonnant quelque tromperie dans le pavillon , avoit fait cette décharge pour avertir quelques barques de pêcheurs qui étoient en mer de rentrer dans le port, 6k ils furent encore mieux confirmés dans cette penfée par la promptitude avec laquelle ils virent que ce brigantin s'y retiroit lui-même comme en un lieu de fureté. Une heure après, c'eft-à-dire vers des Européens. 223 huit heures , ils virent fortir du port tj L L o a de Louisbourg deux vaiiTeaux de Ch. \\-guerre, 6c jugèrent qu'ils faifoient A„. partie d'une Eicadre Françoilè envoyée pour la confervation de cette place importante ; tk comme il parut qu'ils étoient fortis fur le fignal du brigantin ils crurent qu'on prcnoit leur vailTeau pour un Corfaire de Bofion, qui voidoit troubler la pêche. Ils n'eurent donc absolument aucune inquiétude, particulièrement quand ils virent que ces vaiffeaux met-toient pavillon François , tk que l'un d'eux avoit une banderolle. Ils eurent d'autant plus lieude fe croire en fureté qu'ils virent le même faux pavillon à tous les Forts de Louisbourg tk à tous les vaiffeaux qui étoient dans le port, ce qu'ils diftinguoient alors fans peine. On peut juger de la joie dont leurs cœurs étoient remplis,quand ils penfoient qu'ils étoientà la fin de toutes leurs craintes, ÖC dans un lieu de repos, après un voyage fi fatiguant 6c fi dangereux : mais autant ils goûtoient de fatisfaction , autant furent-ils frappés d'étonne-ment tk de douleur, quand au milieu de ces idéesagréables, ils virent toutes Kiv "7777777" leurs efpérances détruites & tous leurs ch. xv. projets de rejouiiiance termines par An. i745. les malheurs réels de la captivité. ils font pris étoient alors fi près des deux pa.- les An- vaiffeaux qui fortoient du port, qu'on donna ordre de mettre en mer la chaloupe , d'envoyer un Officier à ' bord de celui qui paroiffoit être le principal, & de difpofer le canon pour le faluer ; le plus petit, qui portoit cinquante canons, continuant fa route , vint border la Délivrance : ce fut alors qu'ils reconnurent trop évidemment leur erreur, par tout ce qu'us virent & entendirent : mais leur malheur fut confirmé quand ce vaif-feau mit fon véritable pavillon, &C tira plufieurs coups de canon, qui emportèrent les driiTes du petit hunier , ce qui fit tomber la voile , & en même temps le plus gros vaiffeait s'avança à ffribord de la Délivrance. Je ne crois pas qu'aucune perfonne raifonnable puiflê taxer le Capitaine de défaut de courage, pour avoir aufTi-tôt baiffé pavillon entre deux ennemis aufîi redoutables, contre lef-quels la réfiffance n'auroit été qu'une témérité infenfée. La chaloupe du plus petit des bâtiments ennemis vint à des Européens. 225 bord 6k prit pofieffion de la Déli- HjJ^ôÂT vrance , ck après avoir tiré quelques ch. av. coups de canon , ils rentrèrent dans An ■ le port avec cette riche pnle. Les. deux navires Anglois étoient Oalcsdé-le Sunderland, Capitaine Jean Brett, iSXourg. de foixante canons , 6k le Chelfer, de cinquante, commandé par Philippe Durell : ce fut au dernier que la Délivrance fe rendit. Le Capitaine Durell ' envoya les Officiers, pour qu'ils fuf-fent plus à leur aife dans la maifon qui lui avoit été affignée lorfque fuivant les articles de la capitulation de Louisbourg, les habitans avoient été envoyés en France. Cette maifon lui étoit alors de très peu d'ufage , parce qu'il demeuroit toujours à bord de fon vaiffeau. Dom Ulloa ajoute, qu'en partant Soi™ qir= de l'Ifle de Fernando de Norona , il ulloa peur avoit fait un paquet de tous fes papiers "JSjJjJJJjiÏÏ ' fecrets , 6k qu'il avoit recommandé au Capitaine , au Supercargo, 6k aux autres Officiers de les jetter en mer, s'il arrivoit qu'il pérît dans quelqu'ac-îion. Quand il vit qu'il n'y avoit aucun moyen de fe défendre contre les. Anglois,ni de les-éviterai les jetta lui-même après y avoir attaché un bou- K. v 2l6 DÉ COU VERTES \j~L l q ' let de canon. Tous les autres papiers Ch. xv. relatifs à la mefure des dégrés du mé-An. 1745 ridien, ainfi que les obfervations af-tronomiques, & les relations hifto-riques , étant d'un ufage univerfel , fans qu'il pût arriver aucun inconvénient de ce qu'ils tomboient entre les mains des ennemis, il les conferva avec foin ; mais comme avec des gens qui ne penfoient qu'à for & à l'argent, ils auroient été en grand danger de fe perdre, ou d'être confondus avec une multitude d'autres, il jugea à propos de déclarer aux Capitaines à quel fervice il avoit été employé, & de leur recommander ces papiers , qui ne tendoient qu'à perfectionner la navigation. il rQ,«on. Dom Ulloa fut envoyé avec la -âtm An" flotte en Angleterre , & on le mit à Fareham, village agréable à l'entrée du port de Portfmouth , où les pri-fonniers de guerre étoient alors retenus. » Je ne dois point paffer fous « filence, dit Dom Ulloa, la courtoi-» fie & la générofité du Capitaine » Brett, Commandant du Sunderland » envers tous les prifonniers du pre-» mier rang. Non-feulement il les » admit à fa table pendant tout le des Européens. 217 » voyage , mais il engagea les autres tj l l 0 a# » Officiers à imiter fon exemple. Ils ch. xv. » fe portèrent tous à l'envi les uns An. I74J, » des autres à nous marquer toutes » fortes de politeffes , firent paroître » autant d'humanité pour ceux d'un » plus bas état, tk n'oublièrent rien » de ce qui pouvoit adoucir nos pei- » nes. J'écris ceci, comme un mo- » miment de ma reconnoiffance en- » vers ces généreux gentilhommes. Notre auteur fut confié aux foins de M. Brookes , CommilTaire pour les prifonniers François, tk il marque également fa reconnoiffance dans les termes les plus forts des faveurs qu'il en a reçues, ainfi que de M. Bickman, qui étoit chargé des Efpagnols. » Ces deux gentilhommes , dit-il, Egards des » offrirent d'unir leur crédit pour fol- i«?sù"»m; » liciter l'Amirauté, au fujet de mes » papiers,ce que j'avois le plus à cœur. En conféquence on envoya une requête au Duc de Bedford , qui étoit alors premier Lord de l'Amirauté, tk la réponfe fut conforme aux deiîrs de Dom Ulloa. Les Lords de l'Amirauté dirent qu'ils n'étoient point en guerre avec les arts tk les fciences, ni avec ceux qui les profeifoient : que la na- Ulloa. t*on Angloife *es cultivoit, & que Ch. xv." les Miniitres 6k tous les Grands de An. 1745. cette nation fe faifoient honneur de les encourager ék de les protéger. Dom mica Peu de temps après, notre auteur ;.£nd4Lon- obtint la permiflïon de fe rendre à Londres, pour être à porrée de renouveler fes follicitations avec plus de lacilité, 6k d'en obtenir plus prom-ptement feifét. Aufîi-tôt ajoûte-t-il » que je m'adreffai au bureau des pri->» fonniers de guerre , on me fît voir » une lettre du Lord Harington, alors » Secrétaire d'Etat, pour me conduire » à fon hôtel. Ce Seigneur avoit été » Ambaffadeur pendant quelques an-» nées en Efpagne,6k entràutres qua-» lires , il avoit acquis beaucoup d'af-» fection pour les Efpagnols. Il fe fît » le plus grand plaifir de m'en donner » des marques, par laréception la plus » obligeante^ n m'affurant qu'il ne né-» gligeroit rien pour me faire remettre »mes papiers, 6k pour me rendre tou-» tes fortes de bons offices. M. Martin » Folkes , Préfident de la Société » Royale de Londres , homme éga-» lementrecommandable parfit feien-» ce , par fa politeffe, 6k par l'ardeur >* avec laquelle il fe portoit à faire tout des Européens. 119 »Ie bien qui étoit en ion pouvoir, ULLOAf «tachant que j etoisaFareham, qu'on c»aP. xv. » avoit remis mes papiers à l'Amirau- An. 174^ » té, & craignant qu'ils ne tombaient » entre les mains de gens ignorants » dans ce qu'ils contenoient, d'où il » auroit pu arriver qu'ils auroient été » perdus ou difperfés, demanda qu'ils » lui fuffent remis.....Ils lé trouve- » rent malheureulèment mêlés avec » d'autres de nature toute différente , » enforte qu'il étoit très difficile de » lesféparer, fans que l'auteur fut pré-» fent pour les reconnoître par l'écri-» ture, &c par d'autres marques dif-» tincf ives. M. Brookes, réfolut de ne >> fe donner aucun repos , jufqu'à ce » que cette affaire fut terminée à ma » Satisfaction, agit avec tant d'activité, » conjointement avec M. Folkes , » qu'on obtint un ordre de l'Amirauté, » adreffé au Secrétaire de laCompa-» gnie des Indes, oîi tous ces papiers » avoient été en voyés, pour qu'on en » fît la recherche, & qu'on envoyât » à l'Amirauté ceux que j'aurois fé-» parés. Cet ordre étoit fi précis qu'il » hit exécuté le jour même de fa date. Eloge qne » Le Préfident de la Société Royale Dom ulloa » dont le mérite étoit généralement fSkttl Ni* 230 DÉCOUVERTES jll » eftimé de tous les Lords de l'Ami-Ch. xv. ' » muté , continua à s'intéreflèr en fa-An. 174& ». vcur ûe mes papiers , tk en confé-» quence de fes follicitations , l'exa-» men lui en fut remis. Ce Gentil-» homme, qui poffédoit au plus haut » degré toutes les vertus fociales, tk » toutes les qualités d'un favant , l> affable , fans artifice, d'un génie » auquel rien ne pouvoit échapper , » de la conduite la plus aimable , fou-» tenue des manières les plus géné-» reufes , m'avoit fait paroître une » véritable amitié dès le premier mo-» ment de mon arrivée. Il m'intro-» duifit dans les affemblées de la So-» ciété Royale , tk c'efl à lui que ie » dois la connoiffance de plufieurs » perfonnes de diftincfion , dont j'ai » reçu toutes fortes de prévenances. » II eut la complaifance de me con-» duire dans divers cabinets, dont y> l'accès eft fi délicieux pour un eiprit » raifonnable , oii toute la nature eff. » rnffemblée dans une hiftoire vivante » des diverfes productions delà terre » tk des eaux, ainfi que des trois » règnes, minéral, végétal tk animal, » Il me procura aufîi la connoiffance » des plus fameux littérateurs, tk ne des Européens. 23 i » ceffa de me fervir de guide. Enfin tjlloa. »il me donna des preuves d'amitié Chap. xv. » beaucoup au-delà de ce que je pou- An. 174;. » vois en efpérer, quand même j'au-» rois conçu la plus haute opinion de » ma fcience. » » La recommandation d'un homme » aufli renommé, au jugement duquel » on s'en rapportoit en une infinité » d'occafions, ainfi que d'avoir été » choifi pour un de ceux qui dévoient » mefurer la longueur d'un degré du » méridien terreffre au Pérou, eurent » une telle influence fur tous les ama-» teurs des fciences, que je ne leur » rendrois pas juftice , fî je ne leur » déclarois que c'efl particulièrement » à eux que je dois le bonheur d'avoir » recouvré mes papiers 6k ma liberté, » ck d'avoir reçu de différentes per-» fonnes'de qualité touteslespoliteffes » qu'ils ont eu peur moi. » » Une telle conduite m'a convaincu rioçe qn'i! » de la fincérité des Anglois, ainfi que £ » de leur candeur, de leur honnêteté oéraU » 6k de leur complaifance défintéref-» fée. J'ai obfervé avec foin le carac-» tere , les inclinations , les ufages v particuliers, le gouvernement, les » conflitutions 6k la politique de cette 2J2 découvertes Ulloa w nati°n n méritante , & je puis dire Ch. xv. ' » que dans fa conduite économi-An i » que, tk dans les vertus fociales, elle: » peut fervir de modelle à tous ceux » qui défirent acquérir des ralents fit-» périeurs dans tout le refte de Pu-» nivers. » i\ eft reçu » M. Folkes , après avoir examiné à la Société „ • r r ■ \ Royale de » mcs papiers, en fit fon rapport à Londres. » l'Amirauté, en ternies fi favorables, Année m6. >t que g je iQS rappQrtois, ce feroit le » témoignage le plus honorable que »pût recevoir mon travail. L'Ami-» rauté fatisfaite lui donna, comme il » le demandoit, la permiiîion de mer »les remettre, ce qu'il fit le 25 de »■ Mai. Pour me donner un témoi-» gnage encore plus illuftre de l'eftime >♦ dont il m'honoroit, il propofa au » Comte Stanhope, tk à plufieurs au-» tres membres de la Société Royale ,. » de m'admertre dans ce Corps célé-» bre, jugeant avec raifon qu'un tel » honneur augmenteroit encore l'ar-» deur de mes défirs, pour contribuer » au progrès des feiences >k U revient à &om Ulloa, ayant ainfi obtenu fes-Madrid. papiers , après avoir eû fa liberté: C«*lii&«k dèsfapremiéredemande,s'embarqua. à Falmouth dans le Pacquebot de Lif- des Européens. 235 bonne , & arriva à Madrid le 26 r, _ _ " / de Juillet 1746. Peu de temps après, Chat-, xv. le Roi d'Efpagne donna ordre que ad. 1746» les papiers de Dom Ulloa fuffent rendus publics fous fes propres aufpi-ces, & c'eft de ces mémoires authentiques que nous avons tiré l'extrait de ce voyage célèbre. FIN des Voyages & Recherches de Dom Ulloa. RELATION ABRÉGÉE Z»^ DÉCOUVERTES DES RUSSES, 5Vi2 /a o>/c? H fut propofé de couper un tien. autre paffage par l'Ifïhme de Darien , qui joint les deux continents de l'Amérique Septentrionale Se de l'Amérique Méridionale. On a vu bientôt que l'exécution étoit accompagnée de difficultés infurmonrables, tant par le mauvais air du climat, que par la hauteur étonnante des montagnes, Se des autres o )ftacles naturels , Se par le nombre prodigieux d'hommes qu'il auroit fallu employer à cette en-treprife. De plus la diftance de l'Angleterre à la côte de Co roman del, au Royaume de Bengale , Sec. auroit été beaucoup plus grande en traverfant Fllthme de Darien , qu'en faifant le tour du Cap de Bonne-Efpérance. Enfin il n auroit pas été poflible de des Européens. 237 revenir en temps convenable des Dc-Ci1llveItes Indes Orientales par ce paffage , à des iiuflês. caufe des vents alifes, contre lesquels Chap' l' il auroit fallu faire cours , la plus grande partie du voyage. Quand on fe fut bien affuré que Tentatives tous ces projets étoient chimériques, dai« 15s cii- . 1 , ' ~ . a niats fepten- on chercha 11 la nature elle-même monaux. n'avoit pas ouvert un tel paffage, par lequel on pût faire le voyage des Indes Orientales en moins de temps & avec moins de difficulté. On ne pouvoit le cherch r qu'en deux parties différentes du globe, l'une au Nord-Oueft, autour de l'Amérique Septentrionale, l'autre au Nord-Eft, vers les côtes feptentrionales de l'Europe & de l'A-fie. Les recherches qu'on a faites ont été infructueufes jufqu'à prêtent , quoiqu'il foit très probable que ces paffages exiffent : mais la rigueur du froid dans ces parties du globe ck les Ifles énormes de glaces qui flottent continuellement dans la mer glaciale, rendraient vraifemblablement ces partages inutiles, même en fuppofant que fa diftance fut moindre qu'elle ne l'eft réellement. L'expérience n'a que trop fait voir les dangers & les miféres qui accompagnent de longs Découvertes voyages dans ces climats rigoureux, des Rudes, cm la maladie afFreufe du fcorbut fait chap. 1. les ravages les plus terribles fur les hommes qui n'ont d'autre nourriture que des viandes falées. Depuis quelques années, les Rulles ont cependant fait plufieurs découvertes avec un fuccès confidérable. Ils ont trouvé que les Continents de l'Afie &C de l'Amérique font féparés par un détroit qui en quelques endroits n'a que cent cinquante milles de largeur, & où l'on trouve plufieurs Iiles qui facilitent la communication entre ces deux grands Continents , dont les habitants fe connoiffent réciproquement depuis les temps les plus Recherche» fèCUleS. foinscUtCo" ^es^U^es om aun^ découvert qu'il tre - Amiral y a un paffage libre de Kamtchatka , Bfring:- 6c des côtes de la mer d'Ochotzk , A». 1738. aux j(]es ju Jap0n ^ par conféquent aux différentes parties de la Chine 6c des Indes orientales. Entre différentes preuves qu'on en poiirroit rapporter, nous avons choifi le voyage fait fous les ordres duContre-AmiralBering en 173 8,&nouspenfons qu'il fuffira pour fatisfaire le Ie£teur fur cette partie. Le Chef d'Efcadre Bering né en des Européens. 139 Dannèmark, avoit fait dans fa jeu- Décpuvert(.s neffe plufieurs voyages aux Indes desR-utt^: orientales & aux Indes occidentales, ' ap* *' quand les encouragements confidé- An' '7lï' rables que donnoir le Czar Pierre le Grand aux hommes habiles dans la marine , le déterminèrent à tenter la fortune en Rufïïe. Il fervit dans toutes les expéditions navales pendant la guerre de Suéde, joignant à la capacité nécefTaire pour remplir fa place, une longue expérience, qui lui faifoit mériter d'être employé dans un fervice aufîi important. Cet Officier, ayant reçu des ordres A^lpttS> de pourfuivre les découvertes des spanbergs Ruffes dans les parties orientales de cet Empire, fe rendit à Ochotzk pour les mettre à exécution, & pour entreprendre un voyage au Japon. Le Capitaine Spanberg , qui fut nommé Commandant de l'un des vaiffeaux de cette expédition, fe chargea de faire conlïruire deux bâtiments au même endroit, l'un de ceux qu'on appelle Hucker, qu'on nomma St.-Michel-Archange , 6k l'autre une double chaloupe , qui fut appellée l'Efpérance. En même-temps le Chef d'Efcadre ordonna de conflruire deuxPacquebots Découvertes Pour envoyer fur la côre d'Amérique, des Ruiies. 6c deux bâtiments de provifions , qui Chap'1 dévoient feulement accompagner les An. 1738. autres jufqu'à Kamtchatka. Tous ces bâtiments furent à l'eau dans le cours de l'Eté, 6c Ton donna les noms de Saint-Pierre & de Saint-Paul aux deux Pacquebots. Ils fe mirent aulfi-tôt à transporter des provifions de Jakutzk à Judomskoi-kreft, 6c de ce dernier endroit à Ochotzk. îipartd'o- Le Capitaine Spanberg fut choifl y^adarvc'c pour commander le Saint-Michel, 6c le Lieutenant Walton eut le commandement de l'Efpérance. Dès le premier voyage à Kamtchatka, on leur joignit la barque nommée Saint-Gabriel , qu'on remit aux foins de Scheltinga , Officier de ceux qu'on nomme en Anglois Midshipmen. Avec ces trois bâtiments le Capitaine Spanberg mit à la voile d'Ochotzk vers le milieu de Juin 1738. Il ne put le faire plutôt, parce que jufqu'à ce temps, la mer fut toujours remplie de glaces, 6c même alors il ne put voguer qu'avec de grandes difficultés. II dirigea d'abord fon cours vers Kamtchatka, où il rit fes préparatifs pour paffer l'hiver. Après y être demeuré peu de temps, des Européens. 241 temps, il fit voile pour les Mes Kuri- Découvert„ lian, fituées dans le détroit qui fépare eau ■. & fuivant fon Journal à 38 dégrés 41-minutes de latitude Septentrionale. Le rivage lui parut très agréable, entrecoupé de vallées & couvert de bois charmants , à quelque diffance de la mer. Il vit une multitude de bâtiments Japonois ; deux vinrent vers iui à la des Européens. 243 rame, mais quand ils furent à la dif- D:.c0liv.rtes tance de trente ou quarante toifes , J" Ruflc». ils s'arrêtèrent, tk ne voulurent pas approcher davantage. Lorfque les An' 173?' gens du vaifTeau leur rirent des fignaux pour les engager à venir à bord , ils y répondirent par d'autres , tk marquèrent qu'il falloit que le Capitaine tk lès gens allâflènt à terre. Spanberg évita de fe rendre à cette invitation, tk il ne demeura que très peu de temps en un même endroit, dans la crainte d'être furpris. Le 20 de Juin, ils virent encore Commerce plufieurs bâtiments Japonois, donttf'ifl'""? * 1 ' tes japonois. chacun contenoit dix ou douze hommes. Le 12,, le Capitaine jetta l'ancre à 38 dégrés 25 minutes de latitude. Deux barques de pêcheurs vinrent à bord, tk les hommes échangèrent du poiffon frais, du riz, de grandes feuiiles de tabac , des concombres marines , tk d'autres denrées, pour diverfes marchandifes de Ruffie, dont les gens du vaiffeau éioicnr bien pourvus , telles que du drap , des habits , du coton , des étoffes de foye , des miroirs, des cizcr.ux , des aiguilles, des pieces de v?rre bleues, &c. Ils reçurent avec joie ce dernier article , L ij iJccKi.-ertcs" ma*s HS f*renr Peu de cas des autres ; dCha Ufll'S" ParcecIu'^s Soient communs dans leur la?* " Pays. Us parurenten général très polis n' lm' 6c raifonnables pour les prix de leurs denrées. Les gens reçurent auffi de ces Japonois quelques pieces de monnoye d'or en forme dequarré long , de la même efpece dont Kœmpfer a donné la defcription. Elles n'étoient pas fi hautes en couleur que les ducats de Hollande, 6c pefoient deux grains de moins. Defcription Le lendemain , on vit à quelque rJóiSSST diftance foixante & dix-neuf de ces barques de pêcheurs, toutes plates à la poupe, 6c dont la proue fe ter-minoit en pointe. Elles avoient quatre pieds 6c demi, ou cinq pieds de Par* geur, 6c environ vingt-quatre pieds de longueur. Elles portoient un pont avec un petit foyer au milieu : le gouvernail pouvoit fe déplacer, 6c on le rangeoit de côté quand on ne vouloit pas en faire ufage. Quelques-unes avoient deux gouvernails très courbes , un de chaque côté de la poupe. Les rameurs étoient debout, 6c ils avoient auffi des grapins. Outre ces barques , ils ont d'autres bâiimens qui leur fervent à des Européens. 245 trafiquer clans les Illes voifines, &c 5&ôuv«»« même le long de la côte, quand le ^esRuffes. voyage efl très court. Ils font plus grands que les autres, fe terminent eu Ar' I73y" pointe à l'avant &c à l'arriére, contiennent beaucoup plus de monde , & vont mieux à la voile , particulièrement devant le vent. Les Japonois en général font de D-'s j;,p°-petite taille, oc de teint bafanne, avec ral. les yeux noirs oc le nez plat. Les hommes fe rafent depuis le front jusqu'au fommet de la tète, le refie de leurs cheveux efl bien peigné, attaché par derrière , & enveloppé dans un papier. Les garçons font diftingués par une efpece de tonfure ralée , d'environ deux pouces de diamètre , autour de laquelle leurs cheveux font arrangés comme les autres. Leurs habillements font longs & larges, affez femblables aux robes de chambre des Européens. Ils ne portent point de culottes , mais ils font enveloppés d'un linge, qui leur en tient lieu. Avant que le Capitaine Spanberg ,n m vi'ï-quittât cet endroit, il vint à fon vaif- Jerfonnes^dà feau un grand canot, où étoient affis «M"»aion, quatre nommes, non compris les L iij ^Ti*^Tc7 rameurs , habillés de robes brodées, uffes. 6V qui paroifToient erre des perfonnes ap' ' de condition. Le Capitaine les invita An'iyS9, à entrer dans fa chambre ; auffi-tôt qu'ils y furent ils fe courbèrent juf-qu'en terre, élevèrent leurs mains jointes fur leurs têtes, tk demeurèrent dans cette pollure jufqu'à ce que le Capitaine leur eut ordonné de fe lever : il leur fît fervir de l'eau-de-vie, qu'ils parurent boire avec plailir. Spanberg leur montra un globe tk une carte , oit ils reconnurent aufli-tôt leur pays, en lui donnant le nom de Niphon. Ils montrèrent auffi du doigt fur la carte les Ifles de Matfmai ôc de Sado,ainfi que les Caps Songar tk Noto. En partant ils fe courbèrent encore jufqu'à terre tk marquèrent par tous les fignes poffibles, leur reconnoiffance de ce qu'ils avoient reçu. Le même jour, les barques de pêcheurs revinrent, Rapportèrent différentes fortes de denrées, qu'ils échangèrent contre des marchandifes de Rufîie. u fe remet Le Capitaine Spanbere voyant qu'il en roue-pour . 1 ,. . 1 . • V 1 • 1 r revenir à avoit rempli le principal objet de ton Kamtchatka. VOyag€} qUj ^tojt ae découvrir la véritable iituation du Japon , relativement à Kamtchatka , mit à la voile des Européens. 247 peu de jours après pour fon retour. Il ht en revenant diverfes obferva- des Ruffes.j lions fur les lues qu'il avoit déjà vues , Chnp' L tk par lefquelles il falloir néccffaire- An# l?'9' ment qu'il repalfât. Il dirigea d'abord fon cours au 11 trouve Nord-Ett, & le 23 de Juillet, il vit^ilkhabl-une grande Ifle , à la latitude de 43 degrés 50 minutes : Il y jetta l'ancre à trente braffes de profondeur, & envoya fon Yacht de bouleau avec une chaloupe à terre , pour chercher de l'eau ; mais les gens ne trouvèrent aucun endroit oii ils puffent defcen-dre , à caufe des rochers efcarpés qui bordoient la côte. Il fit voile à une autre partie de la même Ifle, & envoya encore fa chaloupe à terre, d'où elle revint avec treize tonneaux de bonne eau. Il croît dans cette Ifle du bouleau, du fapin, & d'autres arbres inconnus aux gens de mer de Rufîie. Ils virent des hommes qui prirent la fuite auffi-tôt qu'ils les eurent apper-Çus, tk trouvèrent des barques ou canots de cuir , conftruits comme ceux qu'on fait en Rufîie. Cette découverte engagea le Capitaine à s'approcher du rivage , tk il jetta l'ancre vers le fond d'une baye fablonneufq Découvertes a m,it Dran"es de profondeur. Il y «les Rurtes. avoit dans cette baye un village, où chap. 1. je Capitaine envoya fa chaloupe, tk An. 1739. e|je amena niut des habitants. Portrait des Ces gens reffembloient par les traits habitants. & par ]a taille à ceux des Ifles Kuri-lian, qui font dans le détroit voifin de Kamtchatka , tk ils parloient le même langage. Ils portent des cheveux très longs, qui leur couvrent prefque tout le corps ; les hommes de moyen âge ont la barbe noire , tk celle des vieux efl: grife : quelques-uns ont des pendants d'oreilles d'argent. Leurs habits font d'étoffe de foye de diverfe couleur, ck ils leur tombent jufqu'aux pieds , qu'ils ont nuds. On leur fit boire de l'eau-de-vie, tk on leur donna différentes bagatelles , qui parurent leur faire le plus gand plaitir. Voyant un coq vivant fur le vaiffeau , ils fe j etterent à genoux, joignirent leurs mains au-deffus de leur tête , tk fe courbèrent juf-qu'en terre, tant vis-à-vis du coq , que pour remercier des préfents qu'ils avoiens reçus. Enfuite le Capitaine les fit remettre fur le rivage. Le 9 de Juillet, le Capitaine Spanberg , partit de cette Ifle tk mit à la des Européens. 249 voile pour découvrir la fituation de Découvertes quelques autres qui étoient dans le dish^ufl|S* voifinage, afin de pouvoir les mar-quer avec jufteife fur fa carte. Il ne An< J739' put le faire fans danger, & fans quelques inconvénients. Quelquefois ils n'eurent que trois , quatre ou cinq braffes d'eau, pluûeurs hommes du vaiffeau tombèrent malades, &c quelques-uns moururent peu de temps après. Le 23 de Juillet, faifant cours au son retour i Sud-Ouéfl il arriva à Tille de Matf- Ochoak. mai, dont la fituation eft à 43 degrés 22 minutes de latitude fepten-trionale. Il y trouva trois grandes Buffes Japonoifes , & fe prépara au combat dans le cas où elles l'attaque-roient : mais elles demeurèrent tranquilles , tk le Capitaine continua fa route jufqu'à Ochotzk, où il arriva le 29. Walton , qui avoit été féparé de jîgj^ Spanberg par un brouillard , fit voi- Wakon. le pour les Illes du Japon , qu'il découvrit le 16 de Juin. Il continua fon cours au Sud , & le 17, il vit trente-neuf bâtiments Japonois , femblables à des galleres , qui paroiffoient for-tir d'un port, tk qui fe féparèrent en L y 2^0 DÉCOUVERTES jrr~"—— prenant différentes toutes. Ils avoient des Riiffei. des voiles étroites de toiles de co-chap. i. ton cjont ]es imes ^rojent rayées de Ait. 1739. kieil » & Jes autres entièrement blanches. Walton en fuivit une pour trouver un port ; arriva devant une grande ville, & jetta l'ancre à trente braf-fes d'eau. u aborde au Le 19 , un vaiffeau Japonois, avec Japon. dix-huit hommes , vint border le bâtiment Ruffe. Ces gens parurent très polis , & firent entendre par figne qu'il falloit que les RufTes vinlTent à terre. "Walton y envoya fon fécond contre-maître, un quartier-maître &C fix foldats bien armés , avec deux tonneaux vuides , pour les remplir d'eau fraîche. Il leur donna aulîi différentes marchandifes, pour en faire préfent aux Japonois , afin de gagner leur amitié. : v'iriïc dea Quand les RufTes approchèrent du - tinSi rivage, environ cent petits bâtiments vinrent à leur rencontre , & les ferrèrent de fi près , qu'ils pouvoient à peine fe fervir de leurs rames. Les Japonois leur montrèrent des pieces d'or , dont ils paroiffoient avoir une grande quantité, pour leur faire con-noître qu'ils déûroient entrer en- des Européens. 251 commerce avec eux. Cependant le •^.c0.,vrr.s Yâyl aborda, tk ces petits bâtiments d*s R.$flês. demeurèrent à quelque diftance du Clup' rivage. Ils étoient couverts de gens, An" I7i9' qui le courbèrent jufqu'à terre devant les étrangers , remplirent d'eau leurs tonneaux, tk avec la plus grande complaifance les reportèrent dans leurYawl, Pendant qu'ils étoient ainfi occup- Quelques pés , le contre-maître, accompagné R-u'J"esdef-du quartier-maître tk de quatre fol- terre, dats defeendireni: à terre, 6c en laiffa feulement deux pour g rlcYawl. Ils trouvèrent la ville compofée d'environ quinze cents maifons de pierre tk de bois , qui occuppoient un cf-pace de près de trois "Werfl.es le long de la côte. Le contre-maître entra dans la maifon oîi il vit qu'on avoit porie fes tonneaux : il y fut reçu de la manière la plus polie , par le Japonois qui foccupoit; on les condui-fit dans un appartement , où il fut . régalé de vin, tk d'une colation de raifms, de pommes, d'oranges tk de raves dans des vafes de porcelaine. De cette maifon, il paiTa dans une autre où il fut regale de même , tk on lui préfenta de pins du ris bouilli à man- L vj. DcWrt« gerA» 011 C" fit aUtant 311 qllartier- Hcs Ruflèf. maître 6c aux foldats qui l'accompa-ciup' ï* gnoient. Le contre-maître fît prêtent An. j7jP. je cnapelets de verre, 6c d'autres bagatelles à l'es bienfaiteurs & aux gens qui avoient rempli les tonneaux , après quoi il s'avança avec fa compagnie vers la ville, où ils remarquèrent beaucoup de propreté 6c de bon ordre tant dans les maifons que dans les rues. Ils trouvèrent en quelques endroits des boutiques , où l'on ven-doit des étoffes de coton , mais ils n'en virent pas de foye. Il y avoit une grande quantité de chevaux , de vaches, & de poules , les fruits de la terre confiftoient en froment 6c en pois. Lorfque le contre-maître retour-noit à fon Yawl, il vit devant lui deux hommes, qui avoient des fa-bres à la main , ce qui lui caufa quelque crainte , 6c l'engagea à regagner le bâtiment le plutôt qu'il lui fut pofîible. R cR vifite ^e Yawl fut fuivi jufqu'au vaiffeau par Je Gou-par plus de cent barques Japonoifes, verneurdune • , * , ï YiUe. avec quinze hommes dans chaque , 6c ils virent dans une , un homme diftingué qui vint à bord. Il étoit habillé de foye , & par les refpeôs DécouverleJ qu on lui rendoit , ils jugèrent que des Rudes, c'etoit le Gouverneur de la place. Il chal'' '* fit préfent a Walton d'un vafe plein An* I^9" de vin ; le Lieutenant lui en marqua fa reconnoiffance par d'autres préfents , & le traita avec fa fuite le mieux qu'il fut en fon pouvoir. On remarqua que les Japonois paroiffoient prendre beaucoup de plaifir au goût de l'eau-de-vie de Rufîie. Àiuu-tÔt que le Gouverneur fut parti , Walton remit à la voile , après avoir tiré un coup de canon , en fi-gne d'amitié. Le 22 de Juin, il cagna encore la ■ ,UnGa't,. à renforcer les garnifons de la mer du Chap. 1. ' Sud, Après avoir croifé quelques An. 1740» jours à la hauteur de l'Iile de Madère, il fit voile à la rivière de ia Plata , où il arriva le 5 de Janvier 1741 , tk il envoya .auffi-tôt à Buenos-Ayres , pour avoir un renfort de provisions. Pendant que l'Amiral Efpagnol étoit dans la rivière de la Plaça , il fut informé par la trahifon du Gouverneur Portugais de Sainte-Catherine ; que M. Anfon étoit arrivé à cette Ifle le 21 Décembre précèdent, ck qu'il le difpofoit à fe remettre en mer avec la plus grande diligence. Pizarro, qui défiroit beaucoup de feire le tour du Cap Horn avant les Anglois, leva auul-tôt l'ancre avec les cinq gros vaiffeaux, fans attendre les provifions de Buenos-Ayres. Vers la fin de Février, l'Efcadre ceJ?jjfr* £ Efpagnole rangea le Cap Horn, tk qUeite.les i'V-dirigea fon cours à l'Oueft , dans H^,* l'intention de le doubler, mais la nuit font réduits. me temps il fit partir un exprès, Chap. I.' qui traverfa le continent, & iè rendit An. 1743. à Saint-Jago du Chili, près du Viceroi du Pérou, pour l'informer des malheurs qui étoient tombés fur l'Ef-cadre ; tk pour lui demander une re-mife de deux cents mille écus pris fur la caiffe Royale de Lima, afin de fe mettre en état de rétablir les vaiffeaux qui lui reffoient, tk d'effayer une féconde fois à faire le tour du CapHorn, . aufîi-tôt que la faifon feroit affez favorable pour qu'il le pût tenter. u n'obtient La réponfe ne fut pas conforme à l-'rrdcman!rattente,niaux befoins de Pizarro : au lieu des deux cents mille écus qu'il de-mandoit,le Viceroi ne lui en remit que cent mille , en lui difant même qu'il n'avoit pu avoir cette fomme qu'avec beaucoup de difficulté. Cependant les habitants de Lima, qui regardoient la préfence de Pizarro comme abfo-lument néceffaire à leur fureté, prétendirent que cette épargne n'étoit pas fondée fur le défaut d'argent dans le tréfor royal, mais fur les vues in-téreffées de quelques confidents du Viceroi, qui l'empêchèrent de fatif-faire la demande de Pizarro. 11 fit réduit Les barques d'avis revinrent de a un feul van- a des Européens. 167 Rio-de-Janeiro , avec une quantité ANSON7 confidérable de poix , de bray ck de ] cordages, mais ils ne purent fe pro- An?'17+.. curer ni mâts, ni vergues : cependant en mettant les mâts de FEfpérance à l'Afie, ck en fe fervant des mâts de réferve ck des vergues qu'ils avoient à bord ; ils réunirent à rétablir l'Afie , ck le Saint-Etienne. Ce dernier bâtiment toucha peu de temps après fur un bas fond, en defcendant la rivière de la Plata ; il y fut tellement endommagé, qu'on le condamna, 6k Pizarro fe remit en mer avec l'Afie, vers la fin d'Octobre. L'Amiral Efpagnol ne doutoit pas jj nf reut alors qu'il n'eut un voyage aufîi doubler Le prompt que favorable, pour faire le Car Hor"' tour du Cap Horn, parce qu'il voyoit le temps très modéré, èk qu'il avoit tout l'été pour y réuffir. Il fut trompé dans fon attente : en arrivant à la latitude de ce Cap, fon vaiffeau perdit fes mâts, èk il fut encore obligé de revenir à la rivière de la Plata , dans un grand embarras. L'Afie avoit fouffert confidérable- wifpurc qu'il ment dans cette féconde expédition ^1,110f" infortunée , ck l'on jugea qu'il n'y avoit d'autre parti à prendre , que Mij 2f58 DÉCOUVERTES - celui de rétablir l'Efpérance , qu'on avoit laiffée en arrière à Monte Védio. Tous fe mirent auffi-tôt à l'ouvrage , & le vaiffeau fur en état de tenir la mer au commencement de Novembre 1742. Il fut alors décidé que Mindi-nuetta qui commandoit le Guipufcoa quand on le perdit fur la côte du Bre-fil, prendroit le commandement de l'Efpérance , 6c feroit le tour du Cap Horn, pendant que Pizarro fe rendrait par terre au Chili. En confé-cjuence, l'efpérance mit à la voile de la rivière de la Plata, au mois de Novembre , 6c arriva fans accident fur la côte du Chili , où Mindinuetta trouva l'Amiral. Il s'éleva de grandes difputes , ck il fe forma une violente animofité entre ces deux Officiers, parce que Pizarro voulut reprendre le commandement de l'Efpérance , que Mindinuetta avoit conduit dans la mer du Sud,èk que ce dernier réfuta de le lui remettre. Il fourenoit qu'étant entré feul dans cette mer, fans aucun fupérieur, il n'étoit pas au pouvoir de Pizarro de reprendre l'autorité qu'il avoit cédée à Buenos-Ayres : cependant Mindinuetta fut enfin obligé de renoncer u cettte prétention. des Européens. 269 Quelques grands que fuflènt les An"son>'" malheurs de Pizarro, ils fembloient chap.l. n'être pas encore à leur comble. En An. 1740. revenant par terre à Buenos-Ayres confpira-avec Mindinuetta, il prit la réfolu-tion des in. tion de faire radouber l'Afie s'il étoit S^1"11 pofîible, & de repaffer en Europe. La plus grande difficulté étoit de fe procurer le nombre d'hommes né-ceffaire pour conduire ce bâtiment d'autant que tous les gens de mer qu'il put raffembler à Buenos-Ayres refiants de ceux qui étoient fur toute l'Efcadre ne montoient pas à cent hommes. Pour y fuppléer , il rélolut de prendre de force plufieurs habitants du pays ; de mettre à bord tous les prifonniers Anglois qu'on avoit pu faire , & d'y joindre les contrebandiers Portugais qu'on avoit pris en différents temps , ainfi que quelques Indiens. Entre ces derniers étoit un chef, & dix de fes compagnons qui avoient été pris par les Efpagnols , environ dix mois avant. Il fe nommoit Orellana, & étoit membre d'une puiffante tribu , qui avoit commis de grands ravages dans les environs de Buenos-Ayres. Avec cette troupe de gens de M iij ijo DÉCOUVERTES "toute forte, Pizarro mita la voile ",0^' de Monte-Védio, dans la rivière de la Plata , vers le commencement de A ' Novembre 1745 , & les Efpagnols , bien convaincus du mécontentement des étrangers qu'ils emmenoient, les traitèrent avec une hauteur & une dureté excelîive, particulièrement les Indiens , qui étoient fouvent battus de la manière la plus cruelle par les moindres Officiers , fous les plus légers prétextes , & quelquefois uniquement pour marquer leur fupério-ritc. Orellana & fes compagnons , quoique très-patients & très-fournis en apparence , méditoient une ri-goureufe vengeance de tout ce qu'on leur faifoit fouffrir. Il reconnut que les Anglois étoient aufîi ennemis des Efpagnols qu'il l'étoit devenu lui-même , & chercha toutes les occa-fions de s'entretenir avec ceux qui entendoient la langue de leurs barbares maîtres , fans doute dans l'intention de les engager dans le projet qu'il avoit formé pour fe venger de leur cruauté , &c pour recouvrer la liberté ; mais ne trouvant pas les Anglois aufîi précipités, & auffi animés qu'il l'étoit lui-même , il réfolut de des Européens. 27 î s'en rapporter uniquement à la réib- Anson. lution & au courage de fes ridelles chap" ° • », An. 1740. compagnons. On peut juger quils s'engagèrent volontairement à agir fous fa conduite , & à exécuter tout ce qu'il jugeroit à propos de leur commander. En conféquence ils fe munirent de couteaux d'Hollande , dont la pointe eft très-aiguë , ce qu'ils n'eurent pas de peine à fe procurer , d'autant que c'étoit ceux dont-on fe fervoit communément dans le vaiffeau. Ils employèrent auffi leur temps de repos à couper fecrette-ment des bandes de cuirs frais , qui étoient en grande quantité fur ce bâtiment , & ils attachèrent aux deux bouts de ces longes des boulets de petites pieces , telles qu'on en met fur le pont. Cette efpece d'arme efl très-dangereufe entre leurs mains : ils la font tourner autour de leur tète , avec une adreffe particuliere aux Indiens de Buenos-Ayres , qui y font exercés dès l'enfance. Après avoir pris ces précautions préliminaires, ils attendirent l'occafion favorable de remplir leur projet, & un outrage que reçut en particulier Orellana , fervit à en précipiter l'exécution. Un Miv ANson. ^"^cier uu ordonna de monter aux Chap. i. mats , ce qui lui étoit impoffible , tk An. 1740. le brutal Eipagnol prit prétexte de cette défobéiffance pour le battre avec tant d'inhumanité, qu'il le laillh couvert de lang fur le pont, tk prefque évanoui des bleffures tk des, coups qu'il avoit reçus. Cet acte de cruauté ne pouvoit manquer d'animer de plus en plus les Indiens à la vengeance , d'exciter encore leur haine tk de leur faire dcfirer avec une nouvelle impatience les moyens d'accomplir leur deffein , comme ils le firent peu de jours après. Ils mafla- Vers neuf heures du foir , lorf* Sgque plufieurs des principaux Officier* tagnois. étoient fur le demi-pont, à jouir de la fraîcheur, le château d'avant garni de la garde ordinaire , tk le corps du bâtiment rempli de befliaux vivants : Orellana tk fes compagnons, qui avoient préparé leurs armes , favorites des ombres de la nuit, quittèrent leurs grandes culotes , tk une partie de leurs habits les plus emba-raffants. Ils montèrent tous enfem-ble fur le demi-pont tk s'avancèrent vers la porte de la grande chambre. Le Boffeman les réprimanda tk leur des Européens. 173 commanda auffi-tôt de s'éloigner ;~XnsoX mais Orellana ayant dit à fes gens Chap. ». quelques mors en langage Indien , Ari_ ■ quatre d'entr'eux fe retirèrent ; en fe partageant deux par chaque cou-roir , pandant que le chef & les fix autres qui les fuivoient paroiffoient fe difpofer lentement à quitter le demi-pont. Auffi-tot que les quatre premiers furent dans les couroirs , Orellana fit le cri de guerre ordinaire à ces Sauvages , tk l'on prétend que ce cri eft un des bruits les plus affreux tk les plus effrayants qu'on puiffe entendre. Ce heurlement fut le lignai pour commencer le maffa-cre : tous tirèrent leurs couteaux , tk firent mouvoir leur boulets autour de leurs têtes. Leur chef avec les fix qui étoient demeurés fur le demi-pont tombèrent tout-a-coup fur les Efpagnols avec lefquels ils fe trouvoient mêlés, tk en jetterent près de 40 à leurs pieds, dont plus de 20 furent tués fur le champ , tk le refle mis hors de combat. La plus grande partie des Officiers dès le commencement du tumulte fe jetterent dans la chambre du Capitaine, éteignirent les lumières tk barricadèrent la porte , pendant 274 DÉCOUVERTES ~r~-que les autres , qui avoient échapé à Anson. ? • c i t i- f • cinp. i. la première tureur des Indiens , rai- Ari I743> foient leurs efforts pour fe fauver par les couroirs dans le château d'avant : mais les Indiens , qui s'étoient mis dans ces couroirs à deffein, en poignardèrent la plus grande partie 6c forcèrent les autres de fe précipiter dans le corps du bâtiment. Plufieurs fautèrent d'eux-mêmes par-derfus les balcons, 6c fe trouvèrent très-heureux de pouvoir fe cacher au milieu des befliaux : mais la plus grande partie gagnèrent les haubans, 6c fe réfugièrent fur les hunes ou dans les agrès. Cependant la garde du château de proue voyant que la commur nication étoit coupée, 6c épouvantée par les cris de quelques bleffés qui avoient eu encore allés de force pour fe fauver par les couroirs, ne fâchant ni le nombre des ennemis, ni quelle partie du bâtiment ils occupoient , crut que tout étoit perdu, 6c ne fon-gea qu'à s'échaper dans la plus grande confufion , en montant dans les cordages de la mifene 6c du beaupré. Décourage C'ell ainfi que onze Indiens , avec ,e-nteierit"* line réfolution , peut-être fans exemple , fe rendirent maîtres, prefque en des Européens. 175 un inffant du demi-pont d'un vaif- AnsóK> feau de foixante & fix canons, avec Chsp. 1. cinq cents hommes d'équipage, & An. 17^0» demeurèrent paifiblement maîtres de leur polfe un affés long efpace de temps. Les Officiers, qui étoient dans la chambre du Capitaine . les gens d'entre les ponts & ceux qui étoient montés dans les manœuvres ne cherchant que leur propre fureté , furent long-temps incapables de former aucun projet pour détruire la révolte , & pour reprendre le commandement du vaiffeau. Il elf vrai que les cris des Indiens, les gémiffe-ments des bleffés , & les clameurs confufes des gens d'équipages , augmentés par l'obfcurité de la nuit , firent d'abord paroître le danger beaucoup plus grand , & les remplit de cette terreur panique que les ténèbres , le défordre & l'ignorance où ils étoient des forces de leurs ennemis , ne pouvoit manquer de produire. Quand les Indiens eurent nétoyé c£tcoàmf™ le demi-pont , le tumulte parut en connoîtra quelque forte appaifé, parce que la crainte faifoit garder le filence à ceux qui s'étoient échappés , & que les M yj 276 DÉCOUVERTES Anson. "révoltés n'étoient pasen état de les chap. 1. pourfuivre. Cependant Orellana , le An. 1740. voyant maître du demi-pont, brifa une cailTe d'armes , où il eîperoit trouver des coutelas , dont il fe feroit armé , ainli que fes compagnons , étant tous très adroits à s'en fervir : mais heureufement pour les Efpagnols , ils étoient cachés fous les armes à feu, qui furent les feules que virent les Indiens, 6c dont ils ne pouvoient faire aucun ufage. Cet inconvénient déconcerta la fuite de leur projet, & donna le temps à Pizarro, 6c à ceux qui étoient avec lui dans la grande chambre , de parler par les fenêtres, 6c par les fa-bords , à- ceux qui étoient dans la fainte barbe ,& entre les ponts. lis apprirent d'eux que les Anglois demeu-roient fort tranquilles dans le fond , 6c qu'ils n'avoient aucune part à la mutinerie, 6c enfin reconnurent à plufieurs indices, que toute cette révolte avoit été projettée 6c exécutée par le feul Orellana avec fes Indiens. Les indiens Sur cette affurance, Pizarro 6c fes L'Amiral re- Ohiciers retournent d attaquer les In-vient'en Ef-fJiens fur le demi-pont, avant que les autres mécontents qui étoient à des Européens. 277 bord euffent eu le temps de revenir de "ÂNSON la première furprife , 6k de faire ré- chap. 1 * flexion fur la facilité qu'ils auroient An. m* eue à s'emparer du vaiffeau , en fe joignant aux Indiens. Pizarro raffem-bla toutes les armes qu'il put trouver dans la chambre de poupe 6k les partagea entre les Officiers , mais ils n'a-voient d'autres armes à feu que des pifiolets , qui leur devenoient même inutiles faute de poudre ck de balles. La communication avec les gens de la fainte-barbe remédia à cet inconvénient : il defcendit un panier par la fenêtre de la chambre, ck le canonier y mit par les fabords des cartouches de piflolets. S'éiant ainfi procuré des munitions, ils chargèrent leurs armes, ouvrirent un côté de la porte 6k tirèrent quelques coups fur les Indiens du demi-pont, mais ils ne firent aucun effet. Enfin Mindinuetta eut le honneur de renverfer «mort Orellana , 6k aufîi-tôt fes ridelles Indiens , voyant i'impolTibilité de faire une plus longue réfiftance, fautèrent tous dans la mer , où ils périrent jufqu'au dernier. Ce fut ainfi que les Efpagnols recouvrèrent le commandement , après eue les Indiens eurent iy% Découvertes Anson ^ maîtres du demi-pont pendant chap. il deux heures. Au, mo. Cette dangéreufe révolte étant totalement appaifée par la mort de ces hardis Sauvages , Pizarro continua Ton cours pour l'Europe , & arriva liir la côte de Gallice au commencement de l'année 1746. CHAPITRE II. Suite du voyage de M. Anfon : il arrive a tlfle Sainte-Catherine : allar-me que caufe fon arrivée : on met les malades à terre : fituation de cette Ifle : fis productions : combien l'air y efl mal fain , déjagréments que le Gouverneur fait éprouver aux Anglois : Nations auxquelles le Bréfil a appartenu : richtffes quon trouve dans ce pays : quantité d'or quon en tire tous les ans : comment on y a découvert les diamans : compagnie qui en fait feule la recherche : avantages du Port de Sainte-Catherine : M. Anfon y fait rétablir fes mats : di fficultés que fait le Gouverneur : M- Anfon remet à la voile : il éprouve une tempête violente : un de fes vaiffeaux manque d'être pris par les Efpagnols. APrès avoir rapporté en peu de ^^fu mots l'expédition de Pizarro , qiû de l'aveu même des Efpagnols , süit?°d» n'avoit pour objet que de détruire A°n^5ne ,7}0# On repréfenta au Roi que fi l'on . trouvoit une fi grande quantité de ces Compagnie 0 * . , quienfaitfcu-diamants, comme il y avoit lieu de uu recher-jg croire , leur valeur diminueroit considérablement, ce qui cauferoitia ruine des marchands Européens qui poffédoient beaucoup de ceux des Indes , enforte qu'on ne tireroit aucun avantage de cette découverte. Cette confidération, qui en effet pa-roinoit fondée fur de jufr.es raifons , engagea Sa Majefté à en défendre la recherche générale & à former une Compagnie qui en eut feule le privilège. Cette Compagnie , au moyen d'une fomme qu'elle paye annuellement au Roi, a la propriété de tous les diamants qu'on trouve au Brefil : mais il lui elf défendu d'y employer plus de huit cents efclaves, pour empêcher qu'on n'en ramaffe une trop grande quantité , ce qui ne poiirroit manquer d'en diminuer la valeur. in pinède ^"es découvertes importantes dans Sainte-Ca'tbe- le Brefil, ont occafionné de nouvelles loix, de nouveaux gouvernements, & de nouveaux règlements en différentes parties du pays ; de même que des Européens. 295 dans Tille Sainte-Catherine, parce ~Ans0N. qu'on a trouvé dans le voifinage de chap. u. cette Ifle plufieurs rivières confidéra- An, I740. bles, qui entraînent de très grandes richelTes. Le Port de la même Ifle, eft auffi fans contredit le plus grand de toute la côte, & il eft très probable qu'avec le temps, il deviendra le principal établiflèment du Brefil, tk le port le plus confidérable de toute l'Amérique Méridionale. La laiton devenoit de jour en jour Anfon moins favorable pour laire le tour du fcs mâw. Cap-Horn, &le Chef d'Efcadre vouloir partir de Sainte-Catherine le plus promptement qu'il lui feroit poflible; mais en examinant les mâts du Tryal, on trouva quelegrandmât étoit fendu par le haut, tk que celui de Milene étoit hors d'état de fervir. Ces inconvénients obligèrent les Anglois de demeurer plus long-temps qu'ils nel'a-voient projette , afin de mettre ce bâtiment en état de fupporter les tempêtes qu'ils n'avoient quetrop de fujet de craindre dans leur palTage à la mer du Sud. Pendant qu'on étoit occupé à ré- Difficulté! parer lê TryaI,on découvrit une voile SS^Jj en pleine mer, tk le Chef d'Efcadre Niv 1C)6 DÉCOUVERTES ~— • penfant que ce pouvoit être un bâti-Chap.°n* ment Efpagnol, donna ordre demet-An i tre hors la barque à dix-huit rames, "' I74°' qu'il envoya à la découverte , fous les ordres de fon fécond Lieutenant, avant que ce bâtiment pût être fous la protection des forts. Il trouva que c'étoitun Brigantin Portugais de Rio-Grande : le Lieutenant fit beaucoup de politeffe à ceux qui le montoient, 6k même il refufa de recevoir un veau, dont le Maître vouloit lui faire pré-fent. Cependant le Gouverneur fut très-offenfé de ce que M. Anfon avoit envoyé la barque, ck prétendit que cette conduite étoit une violation de la paix qui fubfifîoit entre les Couronnes de la Grande Bretagne 6k de Portugal. On n'attribua d'abord cette ridicule querelle qu'à l'infolence naturelle de Dom Jofe : mais comme il perfiifa à accufer le Lieutenant de s'être conduit avec hauteur, d'avoir ouvert des lettres , 6k d'avoir voulu s'emparer, par violence, du même veau, que le Chef d'Efcadre favoit qu'il avoit refufé ; on foupçonna avec raifon qu'une faifoit tout ce bruit, mal fondé , que pour empêcher de vifiter le Brigantin, quand ilfe remettroit en, des Européens. 297 mer,crainte qu'on ne découvrit fa con- Al?süN*7 rrebande & fa correfpondance avec chap. iu les Gouverneurs des places voifines. An. 17p. Lorfque l'Efcadre fut radoubée, & m, a rrïon munie de provifions fraîches, elle ^ ^_ mit à la voile de Sainte-Catherine , le prouve une 18 de Janvier 1741 , pour aller furS?tc V1°" une côte ennemie , ou au moins déferre & barbare , où l'on ne pouvoit An< 174:4 attendre qu'un climat beaucoup plus orageux que tout ce qu'on avoit vu jufqu'alors. Le jour qui fui vit le départ des Anglois, ils eurent un temps très rude , accompagné de pluie , de ton-neres & d'éclairs. Il devint plus clair & plus beau, avec de légères brifes; & continua de même jufqu'au foir du 21 ; alors le vent recommença à fraîchir , il augmenta de plus en plus pendant toute la nuit, & vers huit heures du matin, il occafionna une tempête violente , accompagnée d'un brouillard fi épais qu'il étoit impoiîi-blede rien diilinguer au-delà de la longueur de deux vaiffeaux ; ce qui lit difparoître toute l'Efcadre; mais ce brouillard s'étant dilTipé le lendemain à midi ; M. Anfon revit tous fes vaiffeaux, à l'exception de la Perle, qui ne put le rejoindre que près d'un 20S DÉCOUVERTES *A n 1 • mois après. La Chaloupe le Tryal chap n" s'écarta beaucoup au-deffous du vent, An. 1741. ayant perdu ion grand niât, & ayant été obligée de couper les cordages qui le rerenoient,crainte qu'il ne bri-fât le bâtiment. M. Anfon s'arrêta avec toute l'Efcadre pour lui donner du fecours, & la mer continaant toujours à êtretrès-groffe, le Gloucefter eut ordre de touer cette Chaloupe, un de fes Ils continuèrent leur cours au Sud ^J£SèiW"-avec très peu de retard, jufqu'au 18 pris par les de Février. Ils découvrirent alors une apagnol* voiie?&le Severn & le Gloucefter eurent ordre de lui donner la chafte ; mais M. Anfon reconnut que c'étoit la Perle qui avoit été féparée de l'Efcadre pendant la tempête. Il fit un lignai pour ordonner au Severn de rejoindre, & de Iaiffer le Gloucefter feul aller à la pourfuite ; mais au grand étonnement de toute l'Efcadre, on vit qu'à l'approche du Gloucefter, les gens de la Perle augmentoient leurs voiles pour s'éloigner de ce bâtiment. Cependant le Gloucefter les atteignit , trouva leurs hamacs relevés , & tout préparé pour le combat. La Perle ayant enfin joint le Chef d'Efcadre , le Lieutenant Sait dés Européens. 299 lui dit que le dix du môme mois, ils Anson. avoient vu cinq vaiffeaux de guerre cbap. N. Efpagnols ; qu'il avoit cru pendant An> I7.u Quelque temps qu'ils faifoient partie de l'Efcadre Angloife ; qu'avant de découvrir fon erreur, il s'étoit laiffé approcher à la portée du canon , par le vaiffeau commandant, qui portoit une large banderolle rouge exactement femblable à celle du Chef d'Efcadre ; mais que reconnoiffant enfin que ce bâtiment n'étoit pas le Centurion , il avoit ferré le vent au plus près, & s'étoit éloigné avec toutes fes voiles, quoique l'Efcadre entière n'eut ceffé de lui donner la chaffe pendant tout le jour. Il ajouta que l'un des vaiffeaux Efpagnols ref-fembloit parfaitement au Gloucefter , & que par cette raifon il a'voit fait force de toutes fes voiles pour éviter ce dernier , croyant que c'étoit le même qui lui avoit déjà donné la chaffe. CHAPITRE III. M. Anfon jette l'ancre au Port Saint-Julien : Dejcription de la Patago-nie : Comment on y chaffe les Taureaux fauvages : manière de les prendre fans les tuer : Chevaux fauvages qu'on y trouve : d:s Pengouins: des habitant s: nouvelles inflruHions données aux Capitaines : M. Anfon remet à la voile : il découvre la terre, de feu : il paffe le détroit de le Maire: les Anglois font affaillis d'une hor*> rible tempête : elle efl fui vie de plufieurs mois de fort temps : dommages que feufrent leurs vaiffeaux : ils ont des tempêtes continuelles : toute l'Efcadre efl difperjée. Anson. Y E 19 de Février, à fix heures du chap. m. foir, FEfcadre jetta l'ancre dans ap. i74i, la baye de Saint-Julien, fur la côte de m. Anfon Patagonie , & l'on travailla aulTi-tôt jette l'ancre à radouber le Tryal. Ce port efl le au Port Saint. ... . J 1 Julien. heu de rendez-vous le plus convenable en cas de féparation , pour toutes les Efcadres, ou pour les Cor- des Européens. 301 foires qui veulent palier dans la mer AMON." .du Sud, ce oui nous engage à en Chap. llû donner la defcription , ainfi que de An. 1711. la côte de Patagonie, ck nous pen-ions qu'on ne la regardera pas comme inutile. Le pays nommé Patagonie, s'étend Defcription depuis les ctablifiéments Efpagnols jfcbi'atagor clans rAmérique meridionale , jusqu'au détroit de Magellan. La partie Orientale eft remarquable par une particularité qu'on ne trouve peut-être en aucun autre endroit du monde connu. Tout le paysau Nord de la rivière de la Plata ci: rempli de forets , qui produifent des arbres d'une groffeur confidérable ; n$a£s au Sud de cette rivière , on n'en trouve absolument d'aucune efpece , fi ce n'eft quelques pêchers que les Efpagnols ont plantés ôk cultivés dans les environs de Buenos-Ayres, enforte que fur toute la côte Orientale de la Patagonie , qui a près de quatre cents lieues de longueur , ck dans toute la largeur où Ton a pu faire des découvertes , on n'y rencontre d'autres bois que quelques mauvais buitfons. Quoique ce pays toit privé de bois, rn Cojgg jil eft abondant en pâturages : le fier* Taureaux, Anson. rem en général eft rempli de dunes Chap m, d'un fol fec, & qui n'eft prefque que An. 1741. du gravier, couvert de touffes d'herbes très-longues , entremêlées de cantons fteriles, oii l'on ne voit autre chofe qu'un gros fable. En plufieurs endroits cette herbe nourrit d'immen-fes troupeaux de vaches 8c de bœufs, ou plutôt de Taureaux, dont quelques-uns ont été amenés par les Efpagnols , quand ils ont commencé à s'établir à Buenos-Ayres. Ils s'y font multipliés fi prodigieufement, que s'é-tant répandus de toutes parts dans le pays, ils ne font plus regardés comme appartenants à aucun maître particulier , & que les chaffeurs en tuent annuellement plufieurs milliers, uniquement pour en avoir les cuirs & le fuif. Ces chaffeurs montent à cheval, armés d'une efpece de lance , dont le fer, au lieu d'être dans la même li^ne avec le bois, eft au contraire place en travers. Ils pourfuivent l'animal avec cet inftrument ; le chaffeur s'en fert pour lui couper les jarrets : la bête tombe, fans pouvoir fe relever, & le chaffeur la laiffe fur la place pendant qu'il en pourfuit d'autres qu'il fait tomber de même. Quelquefois des Européens. 303' ces premiers chaffeurs font fuivis de"Av:s0N. ves Indiens du Chili, qui ont fi long- chap. ni. temps réfiflé à la puiflance des Efpa- An, 1741. gnols, ont fouvent ravagé leur pays , ck font toujours demeurés indépendants. Ils font d'excellents cavaliers , & très-experts dans l'ufage de toutes fortes d'armes , excepté des armes à feu, que les Efpagnols leur cachent avec le plus grand foin. On a vu un exemple de l'activité 6k de la réfolu-tion de ces Indiens dans la conduite d'Orelîana èk de fes compagnons , que nous avons rapportée. Peut-être que le moyen le plus fur ( dit l'Auteur Anglois, ) de détruire la puiflance Efpagnole en Amérique feroit de donner du fecours ck de l'encouragement à ces Indiens , de même qu'à ceux du Chili. Sir Jean Narborough à obfervé il y a long-temps que le port de Saint Julien produifoit du fel , èk qu'au mois de Février, il y en avoit furK-famment pour en charger mille vaiffeaux : cependant M. Anfon ayant envoyé un Officier à un étang falé, pour en prendre la quantité dont fon Efcadre aVoit befoin, il n'en trouva que très-peu ck mauvais, ce qui ve- "7-nok fans doute de ce que le temps? Anson. , . , ^ u • i Chap. iJi étoit alors très-humide. An 174t. Lorfque le Tryal fut radoubé , ce Nouvelles qui occupa particulièrement les An- ïnftruâions ojois, pendant leur féjour à la baie données aux S c'^TT N il 1 .Capitaines, de Saint Julien , ou ils ne demeurèrent que pour ce feul objet : le Chef d'Efcadre tint un confeil des principaux Officiers, à bord du Centurion, &£ leur dit qu'il avoit ordre , fi cela étoit pofîible , de fe rendre mnître dans la mer du Sud de quelque port, où l'on put caréner & radouber les vaiffeaux de l'Efcadre. II leur propo-fa d'attaquer Baldivia , la principale place fur la frontière du Chili : tout le confeil y confentit unanimement , & l'on donna aux Capitaines de l'Efcadre de nouvelles inftruétions , portant qu'en cas de féparation , ils feroient en forte de fe rendre à fille de Nueffra-Senora Del-Socoro , où ils croiferoient feulement dix jours : que fi durant ce temps ils n'etoient pas joints par le Chef d'Efcadre, ils continueraient leur cours & croiferoient quatorze jours à la hauteur du port de Baldivia : enfin que s'ils n'y étoient pas encore joints par le refte cîe l'Efcadre , ils dirigeroient leur des Européens. 309 cours à Tille de Juan-Fernandez. On anson. " detrendit auffi à aucun bâtiment de Chap. ni. s'écarter de plus de deux milles du An. 1741, Centurion , à moins qu'il n'y fut forcé par une néceffité inévitable. Après avoir fait ce reglement né- m. Anton ceffaire, l'Efcadre leva l'ancre le ma-à k tin du vendredi 27 Février : mais le Gloucefter ne pouvant retirer fon ancre demeura beaucoup en ariere, & fut enfin obligé de couper fon cable en abandonnant la féconde. Le 4 de Mars, étant à la vue du Cap de la Vierge-Marie, la plus grande partie des Capitaines profitèrent du temps clair &C ferein qu'il fît l'après-midi , pour rendre une viiîte à M. Anfon. Pendant qu'ils étoient avec lui, ils furent tous très alarmés par une grande flâme, qui s'éleva du Gloucefter , & qui fut fuivie d'un nuage de lumée : leurs craintes furent bien-tôt diffipees, quand ils apprirentque cette flàme avoit été occafionnée par une étincelle venant de la forge , qui avoit mis le feu à une quantité de poudre , Se à d'autres matières com-buftibles qu'un Officier préparait à bord pour en faire ufage, fi l'on rencontrait l'Efcadre Efpagnole, mais '3 10 découvertes ~A Qu'elles avoient été éteintes avant Anson. ~ , -/r i Ch p. m. que levameauen reçut aucun dom- Ân. 1741. mage. Il découvre Les Anglois remarquèrent que dans i terre de ces hautes latitudes , le beau temps eft de courte durée, tk que lorfqu'il paroît le plus ferein , c'eft un préfa-ge certain d'une tempête prochaine. La belle après midi dont nous venons de parler , fut fuivie d'une nuit très-orageufe , qui finit le matin par une horrible tempête. Elle dura tout le jour fuivant, mais le vent tomba vers minuit, tk le lendemain matin, ils découvrirent la terre qu'on nomme terre de feu , dont la vue n'avoit rien d'agréable , n'étant compofée que de hauteurs très élevées , & toujours couvertes de neige. n parte le Le 7 de Mars, ils commencèrent «ira! ie le à entrer dans le détroit de le Maire, tk virent la terre des états. On donne ce nom à une Ifle dont l'arfreufe ftérilité préfente un afpecl: encore plus fauvage que celui de la terre de feu. Il femble qu'elle foit entièrement compofée de rochers inaccelîibles , qui fe terminent , fans le moindre mélange de terre , par des pointes hériflees d'une hauteur prodigieufe ; bes Européens. 311 elles font toutes couvertes d'une nei-- ge éternelle , entourées de toutes parts d'affreux précipices , tk paroif- & , lent iulpendues de manière ainipirer l'effroi. Les montagnes qui portent ces pointes font féparées en général les unes des autres par des abimcs , qui femblent pénétrer dans la fubf-tance même des rochers jufqu'à leurs racines les plus profondes , enforte qu'il n'eft pas pofîible à l'imagination de fe rien repréfenter de plus horrible tk de plus effrayant : ces énormes crevaffes paroiffent s'être formées par de fréquents tremblements de terre. L'Efcadre fut entraînée dans ce détroit par la rapidité de la marée, qui le lui fît paffer en deux heures ou environ , quoiqu'il ait fept â huit lieues de longueur. On le regarde ordinairement comme les limites des Océans atlantique tk pacifique , tk les Anglois commencèrent à fe flatter qu'ils étoient à la fin de tout danger , tk qu'ils ne trouveraient plus qu'une mer libre , jufqu'à ce qu'ils arrivaffent à ces heureufes côtes, où tendoient tous leurs défirs. Ils s'ima-ginoient que les chimères dont l'amour de l'or avoit rempli leur ima- _ 312. DÉCOUVERTES "Anson. gination alloient être réalifées , 8c Chap. m. n'avoient l'efprit rempli que de beaux An. 1741. projets pour s'emparer de tout l'or du Chili 6k de tout l'argent du Pérou. Ces idées agréables étoient entretenues par la pureté de l'air , 6k par la férénité du temps qu'il faifoit alors ; en effet , quoique l'hyver s'approchât , le matin de cette journée fut plus doux 6k plus agréable qu'ils n'en avoient encore eu depuis leur départ d'Angletere. Ainfi animés par Fefpé-rance , ils panèrent ce fameux détroit , fans prévoir les maux qui les attendoient, 6k qui étoient pour ainfi dire fufpendus fur leurs têtes. Ils ne pouvoienr prévoir que plufieurs des vaiffeaux de l'Efcadre alloient en être féparés pour toujours ; qu'ils feroient tous difperfés , 6k que le jour de ce paffage étoit le dernier dont joui-roient la plus grande partie d'en-tr'eux. les Anglois Us avoient à peine atteint l'extrê-a?ünehoiibk-mit^ Méridionale du détroit de le tempête. Maire , lorfque toutes leurs belles ef-pérances furent tout-à-coup changées en l'attente horrible d'une immédiate deftrutfion. Les derniers vaiffeaux n'étoient pas encore hors du détroit, quand des Européens. 313 quand l'air commença à s'obfcurcir , ~7~-- le vent fouflant fortement du Sud , c£jÏS" leur fit fentir de violentes ranales . , pendant que la marée , qui leur avoit été fi favorable , leur devint contraire , tk les emporta à l'Efl: avec une rapidité prodigieuse, Ils furent alors dans la plus grande inquiétude poulies deux derniers bâtiments, leWa-ger & la Pinque l'Anne , craignant qu'ils ne fuffent brifés fur les rochers de la terre des Etats, d'où ils ne fe ■ fauve rent réellement qu'avec les plus grandes difficultés. Toute l'Efcadre , au lieu de con- Eli* eft r«ï-tinuer fon cours au Sud-Oueff cpm-iî«irsrooisde me on en avoir le deffein, fLit chaf-fort tem?s fée à l'Efl par la force réunie de la tempête èk du courant, enforte que le lendemain matin les vaiffeaux étoient près de fept lieues à l'Efl: de la terre des Etats. La violence de ce courant qui les emportoit à l'Efl avec tant de rapidité , jointe à la force & à la durée des vents d'Oueil , leur fît bientôt connoître qu'il pouvoit-être au-deffus de tous leurs efforts de doubler le Cap Horn; quoique quelques-uns d'entr'eux euffent regardé cette difficulté comme chimérique. Ils fu- Tom. XL O 314 DÉCOUVERTES Auff/Mt Tent pleinement convaincus du peu -ttwsoN. 1 . 1 * Uh in. de fondement de leurs idees prece-An. tffi. dentss. Les dangers continuels aux quels ils fe trouvèrent expofes pendant les trois mois qui fiiivirent le temps dont nous parlons n'ont peut-être jamais eu rien qui puiffe leur être comparé. Ils eurent une fuite continuelle de temps fi orageux que les marins les plus anciens , Se les plus expérimentés en furent également furpris , Se avouèrent que ce qu'ils avoient nommé jufqu'alors des tempêtes , n'étoient que des bouffées en les comparant à la violence des vents qui les chaffoient devant eux. Ils fai-foienr élever des vagues fi courtes Se fi hautes que les hommes étoient avec raifon , dans une terreur continuelle ; & fi une feule de ces vagues s'étoit rompue fur eux, elle les auroit vraifembîablement précipités au fond des eaux. Les vaiffeaux faifoient des roulis terribles Se continuels , qui donnoient des fecouilés fi vives Se fi violentes , qu'ils fe trouvoient à chaque in liant dans le danger le plus imminent d'être brifés en pieces contre les ponts, & les autres parties des bâtiments. Quoiqu'ils priffent toutes des Européens. 315 les précautions pofiibles pour fe ga- — rantir de ces chocs , en s'attachant à q quelque corps folide, plufieurs fu-rent arrachés de ces ailles , Se tués ou eftropiés. Ces tempêtes étoient d'autant plus dangereufes qu'elles étoient inégales Se laiffoient de temps en temps quelques intervales trompeurs. Il arrivoit quelquefois qu'après avoir été réduits à s'abandonner les mats nuds à la merci des flors, ils fe hazardoient à mettre leurs baffes voiles avec de doubles ris, Se même le temps paroiffant plus favorable, les encouraeeoit à élever leurs hautes voiles : mais tout-a-coup le vent reprenoit une fureur nouvelle , Se en un infiant, les voiles étoient déchirées fur leurs vergues. Pour augmenter leur embarras, ces ouragans amenoient ordinairement une grande quantité de neige Se de plnye , ce qui gcloit les voiles Se les rendoit fi caffantes ainfi que les cordages, qu'ils fe rompoient au plus léger effort : en même temps les membres des hommes devenoient tout engourdis , Se même plufieurs fe trouvèrent hors d'état d'agir , parce que leurs doigts des pieds Se des mains furent entière- O ij 3IÓ DÉCOUVERTES '-'-menr gelés. Le Centurion, en voguant chS?tn' üans cette nier mrieu^e ? ou n Prit fouvent beaucoup d'eau , devint fi '"' ' 4I* lâche dans fes œuvres mortes, que (a mer y entroit par toutes les coutures , tk que les Hts même des Officiers ne pouvoient demeurer à fec. Le 23 de Mars une tempête violente Sr/°ïa^f-nt ^e gr^e & de Pmye rompit la gran-fèaux. de vergue du Centurion, la ralingue de la grande voile fut aufîi rompue , la voile elle même fut déchirée en lambeaux, tk malgré tous les foins des hommes pour la conferver, la plus grande partie fut emportée en mer. Cet accident obligea M. Anfon de faire fignal à tous les vaiffeaux de mettre à la cape , tk la tempête s'é-tant changée en «aime , ils travaillèrent tous fans perdre de temps à réparer leur dommage. Us remirent en diligence une autre grande voile tk continuèrent leur cours avec un vent modéré : mais ils ne jouirent pas vingt-quatre heures de ce relâche : une nouvelle tempête les alîaiilit avec encore plus de fureur que la précédente , tk les mit dans la nécefïité de • courir fous leurs mâts nuds. Cependant ils eurent enfuite deux ou trois An. 17+:. conr- des Européens. 317 jours d'untempsmoins orageux,mais a'nson' il ntim brouillard li épais que dedemi- Ch.ni.' heure en demi-heure on étoit obligé de tirer un coup de canon du Centurion pour tenir l'Efcadre ralfemblée. Le 31 ils furent allarmés par un iisontde« coup de canon tiré du Gloucefter & r 1 t c 1 la/ annuelles, par un fignal qu on ht de ce bâtiment pour parler au Chef d'Efcadre. Le Centurion s'en approcha , & trouva que la grande vergue étoit rompue dans les Palans. On regarda cet accident comme un grand malheur en ce qu'il obligeroit l'Efcadre à faire un plus long féjour fous ce climat orageux ; mais pour l'abréger autant qu'il feroit poffible, M. Anfon fît paffer à bord du Gloucefter plufieurs charpentiers des autres bâtiments , afin dç réparer le dommage avec la plus grande diligence. Le Capitaine du Tryal fe plaignit en même-temps du mauvais état de fes pompes, ck de ce que fa chaloupe faifoit tant d'eau qu'il lui étoit prefque impofîîble de la yuider, fur quoi le Chef d'Efcadre donna ordre de lui faire paffer une pompe en bon état de fon propre bâtiment. Le lendemain, premier Avril, le temps fut très obfcur tk Oiij 3 I 8 DÉCOUVERTES ~-couvert cle nuages : le vent com- "MIL5 mença à fraîchir & à fe tourner en ' fréquentes raffales : ce qui préfageoit n. 1741- "l 1 1 j • 1 r a les approches d une violente tempête ; en effet, le 3 il s'en éleva une fi terrible qu'elle furpaffa toutes celles qu'ils avoient déjà eues , tant par la fureur que par la durée. Le Centurion reçut un horrible coup de mer qui tomba fur le bas-bord , la vague entra par la gallerie du demi-pont, 6c tomba dans le vaiffeau comme un déluge. En même-temps les mats 6c les agrès fouffrirent exceffivement : on fut obligé de baiffer les vergues du grand mât 6c de la mitaine, 6c de ferler toutes les voiles. Les Anglois demeurcrenten cet état pendant trois jours, après lefquels le vent étant un peu tombé, ils fe hazarderent à mettre à la voile; mais en ne fe fcrvant que des baffes. Le 8 on tira plufieurs coups de canon, en figne de détreffe : M. Anfon fît un fignal pour que l'Efcadre amenât, 6c il vit que le Vager avoit perdu fon mât de miléne 6c la vergue du grand hunier. Ce bâtiment n'étoit pas le feul qui eut fouffert de la dernière tempête ; le lendemain la Pinque l'Anne fit aufîi des Européens. 319 un fignal de détreffe , on vit que Pétai 7 . de la miiène & le hauban du beau- ch. .11.' pré étoient canes, tk que le bâti- An ^ ment étoit dans le plus grand danger J74U de perdre tous les mâts. On fut donc obligé de s'arrêter jufqu'à ce que tout fut rétabli, après quoi l'Efcadre remit à la voile. Les Anglois commencèrent alors „J^ï/'^Ê à fe flatter de l'efpérance que leursperfée. peines étoient à leur dernier période, & qu'ils arriveraient bientôt fous un climat plus favorable , d'autant que fuivant leur journal, à la fin de Mars, ils étoient environ à dix dégrés à l'Oueff de la pointe la plus occidentale de la terre de feu, 6c que depuis ce temps ils avoient toujours fait cours au Nord avec autant de vi-teffe que la fureur de la mer avoit pu le leur permettre. Cette illufion ne fervit qu'à rendre leur fituation encore plus terrible, lorfque le 14 d'Avril le temps qui avoit toujours été très chargé s'étant éclairci, la Pinque-l'Annefit fignal entre une & deux heures du matin , qu'elle voyoit la terre devant elle ; elle n'en étoit él0 gnée que de deux milles , ce qui jo it toutcl'Efcadre en grand dan-Oiv 3 2o Découvertes --ger d'être jettée à la cote , & fi le aTuT' vent avoir foufïïé avec violence du u 1741 cot^ ordinaire , ou fi la lune n'avoit ' ' parue fort brillante il ne fe feroit pas échapé un feul vaiffeau. Ils reconnurent, à leur grand étonnement que cette terre étoit le Cap-noir , quoiqu'ils s'imaginaffent être dix dégrés plus A l'Ouelt. Les courants les avoient jettes dans cette erreur : ils les avoient pouffes avec tant de force du côté de l'Efl, que lorfqu'ils crurent avoir parcouru dix-huit dégrés à l'Ouefi, ils n'en avoient fait réellement que la moitié. Cette découverte les obligea de diriger encore leur cours vers le Sud , & au lieu de s'approcher d'un climat plus tempéré, ils fe trouvèrent de nouveau expofés aux terribles ouragans, qui les avoient déjà jettes fi fouvent dans la confie rna-tion. Pour rendre leur fort encore plus déplorable , ils furent excefîi* vcment atfoiblis par les maladies & par la mort prompte de beaucoup de leurs gens. Trois jours avant celui dont nous parlons ils avoient perdu de vue laSeverne &c la Perle , & quelques foins qu'on fe donnât pour les retrouver, il ne fut plus polfible des Européens. 311 de les revoir; ce qui fit juger qu'ils avoient été emportés de nuit fur ch. j cette terre , où ils avoient péri. Ac- An< câblés par des idées fi propres à les jetter dans un découagement total , ils tournèrent au Sud-Ouefr. juf-qu'au 21 d'Avril, où ils fe trouvèrent à plus de foixante dégrés de latitude méridionale, & à fix dégrés à l'Oueff. du Cap-noir, ayant eu dans cet intervalle le temps le plus favorable qu'ils puffent défirer : mais le 24 après midi le vent s'éleva prodi-gieulement, il fe forma une tempête horrible ; le temps étant devenu très obfcur, les quatre autres vaiffeaux de l'Efcadre furent féparés & ne fe joignirent qu'à fille de Juan-Fernan-dez. Le Centurion , dans cette tempête , eut lés voiles déchirées en morceaux, & la plus grande partie de fes agrès rompus par la violence des coups de mer. O v CHAPITRE IV. Lefcorbut fe met dans le vaifeau de M. Anfon : effets terribles de cette maladie :il ne trouve aucun de fesvaifjïaux au premier rendez-vous : phénomène qui bleffe plufieurs de fes gens : ils font dans le plus grand danger de périr : ils manquent fljle de Juan-Fernande^ : ils la retrouvent après avoir perdu beaucoup de monde : difficultés qu'ils trouvent à y aborder : leur avidité à dévorer l'herbq que la chaloupe leur apporte ; ils réujfifjent enfin à y jet ter Cancre ; M. Anfon efl rejoint par U Tryal: on defcend les malades à terre : d'où vient le nom de Clfle de Juan-Fer-nande^ : arbres & plantes de cette Ifle : afpecl charmant des payfages : defcription de t endroit ou M. Anfon plaça fa tente : des chiens & des chèvres qu'on trouve dans Vlflt •' des lions & des veaux marins : particularités fur ces animaux : des oifiaux: des poifjbns. AUflî-tôt que les Anglois curent Anson. paffe le détroit de le Maire , le ch. iv. feorbut commença à paroître parmi An. 1741. les hommes d'équipage. La longueur le fcnrb[it du temps qu'ils demeurèrent en mer: met dans le la fatigue qu'ils y fournirent, tk les JJ.' Son.6 différentes peines qu'ils y-éprouverent firent faire des progrès fi étonnants à cette maladie , qu'à la fin d'Avril, il n'y avoit prefque perfonne à bord qui n'en fut attaqué plus ou moins, 6\i que pendant le même mois , il mourut quarante-trois hommes fur le feul Centurion. Quoique le fcor-but étendit de jour en jour fes ravages , ils efpererent qu'à mefure qu'ils avanceraient vers le Nord ,lesfym-ptômes iraient en diminuant ; mais ils furent encore cruellement trompés dans leur attente , & dans le cours du mois de Mai, ils perdirent deux fois autant d'hommes que dans celui d'Avril. Ils n'arrivèrent à Juan-Fernandez que vers le milieu de Juin, la mortalité alla toujours en augmentant jufqu'à ce temps, & la maladie fit des progrès fi terribles , qu'après avoir perdu plus de deux cents hommes , ils fe trouvèrent réduits à un Ovj "Anson n PeXlt nom^re en ^tat de faire ie Ch. ïv.' fervice , qu'à chaque quart on ne An. 1-41. pouvoit compter que fur fix hommes. Effets terri- Cerre horrible maladie , fi fré- bles de cette 1 1 , maladie. quente dans tous les longs voyages, ckqui fut fi deffruclive dans l'Efcadre de M. Anfon, attaque le corps humain de diverfes manières, aufîi étonnantes qu'impofîibles à bien décrire. Les fymptômes varient à l'infini, &c il efl très rare que les plaintes de deux malades fe rapportent l'une à l'autre. H y a cependant quelques-uns de ces fymptômes qui font en général les plus ordinaires. Tels font de grandes taches difperfées fur tout le corps , les jambes enflées, des tumeurs putrides , une lafîitude extraordinaire , un abattement étonnant, des friffonnements & des tremblements , avec une difpofition à être frappé de terreurs paniques aux accidents les plus légers. Tout ce qui détruifoit les efpérances des hommes de l'Efcadre , rédoubJoir la maladie, faifoit périr ceux qui en étoient fortement attaqués , & confinoit dans leurs hammacs ceux qui auroient pu rendre encore quelque fervice. Elle"!-1 t - r > 1 • Anson. etoit fouvent accompagnée de jau- ch. iv. niiïes , de pleurefies , de rhumatifme An. i74i. 6k de fièvres putrides ; mais ce qui paroît encore plus extraordinaire , elle faifoit r'ouvrir des bleffures fermées depuis plufieurs années , 6k dé-truifoit les calus des os rompus , quoiqu'ils fuffent formés depuis très longtemps ; enforte que les fractures fe trouvoient au même état que fi elles avoient été feulement rétablies depuis peu. Plufieurs des hommes, quoique confinés dans leurs ham-macs, paroiffoient affez gais , par-loient d'une voix forte 6k nette, mangeoient 6k buvoknt avec plaifir; mais fi on les tranfportoit dans leurs lits d'un endroit du vaiffeauà l'autre, ils expiraient auffi-tôt. D'autres fe confîans en leurs forces, ou plutôt en leur courage, voulaient quitter leurs hammacs; mais ils mouraient avant d'avoir gagné le pont, ck il étoit très ordinaire d'en voir périr dans l'inlfantoii ils venoient de faire quelques efforts pour remplir leur M. Anfûn fervice. ™ tro;,veratl- • cun de fes Cette affreufe maladie , contre la- vaiffeaux a» quelle ils combattoient depuis fi long- ^ZJÏ*' 3 2Ó DÉCOUVERTES -temps , bien loin de diminuer, eten- ?v.' doit fes horribles ravages, à mefure ( qu'ils s'éloignoient du Cap-Horn. Us ne trouvèrent pas l'Océan pacifique plus favorable pour eux, que n'avoit été le voifinage orageux de la terre de feu. Le Centurion étant arrivé le-8 de Mai à la hauteur de l'ïfle de So-coro , le premier rendez-vous indiqué pour toute l'Efcadre, les Anglois fe flattoient de l'efpérance d'y rencontrer quelques-uns de leurs compagnons ; mais ils y croiferent plufieurs jours fans découvrir aucunes voiles , fans recevoir aucun fou-lagement dans les maladies dont ils étoient attaqués, 6c fans reffentir aucune modération dans la fureur des éléments. Engagés dans ce labyrinthe d'info rtunes,il n'eft pasétonnantqu'ils le foient abandonnés à la fun*fte idée que tous leurs Confors étoient péris ; mais en même-temps , ils fe trouvèrent eux-mêmes dans le plus grand danger d'être jettes à la côte qui leur paroiffoit fi efcarpée 6c fi irréguliere que fi ce malheur leur fut arrivé, ils n'auroient eu d'autre attente que celle de leur deftruction totale. Cette terre ne préfentoit que l'afped le plus des Européens. 3 27 effrayant, une côte couverte de ro- anson " chers ftériles, & un rivage bordé de ch. IV." précipices. Le découragement où ils étoient „.t)74." . / ö Phénomène plonges par la vue de cette terre, qui bicdi-piu-étoit encore augmenté par les dîî&™ de f" cultes qu'ils trouvoient à manœuvrer leur vaiffeau, parce que le icorbut avoit fait périr la plus grande partie de leurs gens, ck que tout le refte de l'équipage en étoit plus ou moins infecté. Ils ne trouvoient aucune diminution dans la violence des vents en avançant au Nord : ils éprou-voient toujours de furieufes raffales, qui déchiroient leurs voiles,6kendom-mageoient considérablement leurs agrès. Dans une de ces raffales , qui fut accompagnée de violents éclats de tonnère , une flamme s'élança le long des ponts, avec une explofion femblable au bruit d'un nombre de piftolets 6k plufieurs Officiers 6k Matelots en furent bleffés. Nous ne finirions pas fi nousj^-f-voulions rapporter en detail les dan-danger de pé. gers 6k les terreurs qu'ils éprouvèrentnr" fur cette côte : tous ces accidents allèrent en augmentant jufqu'au 22 de Mai, où il f embla que les efforts 328 DÉCOUVERTES T-de toutes les tempêtes précédentes Ch. iv. s étoient reunies, ÖC avoient conipire mu i7+i. le»1' ruine totale. Prefque toutes les voiles du Centurion furent déchirées, tk la plus grande partie de ce quirefloit entier des agrès fut rompu. Une vague haute comme unemontagne,tomba fur le pont à flribord, tk lui donna un choc fi prodigieux , que plufieurs des haubans furent rompus delà fecouffe ; le Lefl & les provifions furent tellement bouleverfésque le bâtiment s'enfonça de plus de deux bandes à bas-bord. Ce coup fi effrayant jetta les hommes dans la confcernaticm la plus profonde ; chacun penfant qu'on alloit couler à fond à chaque infiant. Il efl vrai que le vent tomba après quelques heures , mais toutes les voiles étoient fi déchirées , qu'on ne pouvoit les hiffer aux vergues ; le vaiffeau fati-guoit cxcefîivement dans une mer ii rude 7 & alloit toujours en roulant , faute de voiles pour le tenir en état. Les hommes ne perdirent pas un moment pour raccommoder leurs voiles tk leurs cordages ; mais pendant qu'ils étoient occupés à ces réparations fi néceffaires , ils furent dans le danger le plus imminent d'être des Européens. 329 jettes fur la côte de rifle de Chiloe , Anson. d'où ils fe trouvèrent fi près, que fi ch. tv. le vent ne fe fut tourné Sud, par l'é- An. i74f. vénement le plus heureux , ils y auraient immanquablement péri. Cette circoniiance, pour ainfi dire miracu-leuiè, les mit en état de s'éloigner de terre avec la grande voile feule : le maître tk M. Walter, chapelain du Chef d'Efcadre , prirent le foin du gouvernail, pendant que tout le relie de l'équipage travailla avec la plus grande diligence à mettre les mâts en fureté , tk à racommoder les voiies. Cette tempête parut enfin être le Hi ma«-de rnier effort de ce climat orageux :jua„.i.cr'naa-apres avoir croifé pendant quinze > en penfantaux ruiffeaux Cv aux fon* » faines , qui foient en état de juger » de l'émotion que nous reffentimes >► à la vue d'une grande cafeade d'eaux » traniparentes, qui d'un roc de près » de cent pieds de haut tomboit dans » la mer à une petite diftance du vaif->► feau. n Ceux qui étoient depuis long - temps renfermés dans leurs des Européens. 335 hamacs raffembloient alors toutes —~ les forces qui leur reftoient , & chfiv." fe traînoient en rampant jufques fur An 1741. le pont, pour fatisfaire leurs regards de cet afpecl vivifiant. C'eff ainfi qu'ils côtoyoient le rivage , en contemplant ces payfages enchanteurs, dont la beauté augmentoit à mefure qu'ils approchoient ; mais la nuit les enveloppa encore de fes ténèbres avant qu'ils découvrirent une baye où ils pufîènt aborder. Ils fe déterminèrent à paffer cette nuit la fonde à la main , & M. Anfon envoya le matin la chaloupe pour trouver un abordage. Cependant le courant les emporta pendant la nuit & les mit fi près de terre qu'ils furent obligés de jetter leur féconde ancre, à foixante & cinq braffes d'eau , n'étant pas à plus d'un demi-mille du rivage. A quatre heures du matin on envoya le troifiéme Lieutenant avec le canot chercher la baye qu'on dénroit fi ardemment , & il revint à midi avec fon canot chargé de veaux marins & d'herbes fraîches. Il y avoit dans cette Ifle d'autres végétaux beaucoup meilleurs , mais les gens du canot n'en avoient pas rencontré dans le court 336 DÉCOUVERTES -féjour qu'ils y avoient fait, 6c ils ne chaS°îv jpouvoient douter que l'herbe même .• ne fut un mets délicieux pour leurs An. 1741. „ ..r . , , compagnons : en effet, ils la dévorèrent en un inflant. A l'égard des veaux marins, ils furent moins recherchés par les gens d'équipage , d'autant qu'en l'ablence de ceux du canot, ils avoient péché une grande quantité de poiffons excellents. Us réuffif- Le canot avoit découvert la baye jettccl'ancre! 011 avoient deflèiri d'aborder ; le temps étant favorable, ils firent leurs efforts le lendemain matin pour lever l'ancre , & obligèrent même les malades, qui pouvoient à peine fe tenir debout, de venir les aider. Maigre leurs fecours , leurs forces réunies étoient fi peu confidérables, qu'il fe paffa près de quatre heures avant que le cable fut perpendiculaire , 6c enfuite tous leurs efforts ne purent l'arracher de terre. Cependant il s'éleva un v?nt frais vers midi, ils mirent toutes leurs voiles, réullirent à enlever l'ancre , rangerent la côte autour de la pointe qui forme la partie Orientale de la baye, où ils la jetterent enfin à cinquante-fix braflès. de profondeur. des Européens. 337 Il n'y avoir pas long-temps que le Anson< Centurion étoit rangé quand on ap- chap. îv. perçut une voile, tk lorsqu'elle fut An. i74i. plus proche, on reconnut que c'étoit M. Anfon la chaloupe le Tryal. M. Anfon en- gïffî**1 voya aum-tôt quelques-uns de fes gens à bord de ce bâtiment, tk avec leur fecours il fut conduit à l'ancre dans la baye. M. Saunders, qui le commandoit, dit au Chef d'Efcadre qu'il avoit perdu trente-quatre hommes de fon équipage, & que ceux qui lui f efl oient étoient tellement malades du fcorbut, qu'il n'y avoit que lui, fon Lieutenant & trois des hommes qui fuffent en état de manœuvrer. H ajouta que le 9 de Mai il avoit retrouvé la Pinque - l'Anne , avec laquelle il avoit été de confervé pendant quatre jours, mais qu'il en avoit été féparé depuis par un violent coup de vent. M. Anfon donna particulièrement On aofc-end r„ • r ' \ v le? malades i les premiers foins à envoyer a terre teri:c. tout ce qui étoit néceflaire pour élever des tentes, afin d'y faire defcen-dre les malades, dont il mouroit toujours un grand nombre à bord. La maladie augmentoit fans doute beaucoup par l'ordure tk l'infection dans Tom. XI. P 338 DÉCOUVERTES -laquelle étoient ces malheureux, par- Ui»s.°iv'. ce qu^l reftoit trop peu de monde nour en avoir foin : ce qui rendoit An. 1741 r -/r i' • /• le vailleau d une puanteur înluporta-ble entre les ponts. Malgré l'ardent délir que tous avoient d'être à terre, le nombre de ceux qui pouvoient travailler étoit fi petit que les tentes ne purent être préparées avant le feize. Les deux jours fuivants on débarqua tous les hommes au nombre de cent foixante & fept, outre douze ou quatorze qui moururent dans la chaloupe quand ils furent expofés au grand air. On fut obligé de tranf-porter la plus grande partie des malades du vailleau dans leurs ham-macs, 6c enfuite de les porter de même par un rivage pierreux aux tentes. Ce travail étoit fi fatigant pour le petit nombre de ceux qui étoient en état de le faire , que M. Anfon eut l'humanité , non - feulement de s'y employer lui-même ,mais encore d'obliger tous les officiers fans diflinc-tion à prêter la main pour ce fervice charitable. D'où vient m Anfon s'attachoit particulière* nue deJuan- ment à fairelever le plan des rades Se Fernande*. ües Cütes, & à faire toutes les obferva- des Européens. 339 tions qu'il jugeoit pouvoir être utiles ÂTJsTw aux vaiffeaux Anglois qui poudroient chap. iv. naviguer à l'avenir dans ces mers. An. 174*. On prétend que l'Ifle de Juan-Fer-nandez a pris fon nom d'un Efpa-gnol , qui en obtint la propriété , mais qui l'abandonna , après y être demeuré quelques temps. Suivant les obfervations de M. Anfon , elle eft fituée à 3 3 dégrés 40 minutes de latitude méridionale , Se eft éloignée de cent lieues du continent du Chili. Sa plus grande longueur efl entre douze &: quinze milles, Se fa plus grande largeur d'un peu moins de fix milles. La partie feptentriona-le de cette Ifle eft formée de rochers efearpés , très-hauts Se dont une grande partie fbnt abfolument inac-cefîibles, quoiqu'ils foient en général couverts d'arbres. Le terrein eft fî léger , Se a fi peu de profondeur , que les plus grands arbres y font aifément déracinés , ce qui fut caufe de la perte d'un des matelots. Cet homme étant monté fur des hauteurs pour chaffer des chèvres, s'attacha à un arbre pour qu'il l'aidât à grimper : mais cet arbre manqua auf-fi-tôt : l'homme roula le long du cô-» 340 DÉCOUVERTES --teau , -6c s'attacha dans fa chute à chSiv N"UB autre arbre d'une groffeur confi-An | " dérable , qui fut de même déraciné ; le matelot tomba entre les rochers , il fut brifé 6c périt liir la place. La partie méridionale , ou plutôt celle du Sud-Oueff de l'Ifle elf totalement différente des autres. Le ter-rein efl fec , pierreux 6c lans arbres , mais il efl très plat 6c bas , par comparaison avec les hauteurs de la partie feptentrionale. Ce côté efl peu fréquenté par les vailfeaux , parce-que le rivage efl efcarpé , 6k qu'il n'y a pas d'eau fraîche , ou au moins en très petite quantité. De plus il cil expofé à des vents du Sud , qui en général y foufflent pendant toute l'année , 6c avec grande violence dans le temps du folffice d'hiver. Aibrcs & Les forêts de la partie feptentrio-ianrc-saecernaIe de rifle fQM compofées d'arbres prefques tous aromatiques de différentes fortes , mais il n'y en a pas d'allés gros pour faire aucune pièce confidérable de charpente , à l'exception des myrtes, dont le fommet efl circulaire , 6c qui paroiffent aufîi réguliers 6c auffi uniformes que fi on . les avoit taillés. Sur l'écorce de cet des Européens. 341 arbre vient une excrefcence qui ref-"~^NS0> 1 femble à de la moufle , mais qui a chap. iv. l'odeur 6k le goût de l'ail, auffi les An. „^x, hommes du Centurion en firent le même ufaee. Quoique cet arbre foit le plus fort de l'Ifle, il ne monte pas à plus de quarante pieds. Il y croit auffi du piment 6k des arbres à chou , mais ils n'y font pas en grande abondance. On y trouve une grande variété de diverfes plantes , entre lcl-quelles font prefque tous les végétaux qu'on regarde comme particulièrement convenables pour la guéri-fon du fcorbut, 6k l'on y rencontre en abondance de l'ofeille fauvage , du pourpier, du creffon de fontaine , des navets 6k: des raves de Sicile. M. Anfon pour l'avantage de fes compatriotes qui pourroient aborder à l'avenir dans cette Ifle , y fema des laitues , des carottes 6k d'autres plantes de jardins , 6k il y planta aufîi dans les bois des noyaux de diverfes fortes de prunes , d'abricots 6k de pêches , qui depuis ce temps y ont profité exceffivement. Il n'eff pas inutile de remarquer que quelques parties de cette Ifle ref-femblent aux montagnes du Chili , P iij 34* DÉCOUVERTES A N où l'on trouve de l'or, & qu'en plu-chap. iv." fieurs endroits on voit des collines An. mi. d'une efpece particuliere de terre rouge beaucoup plus belle que le vermillon : peut-être que fi l'on en faifoit l'épreuve, on en pourroit tirer une marchandife d'un très grand ufage, & par conféquent d'un bon prix. Afpcd char. Les bois qui couvrent la plus ^ran-mantdespay-$e partje des hauteurs efcarpees , ases* font ii bien dégagés de ronces qui font très incommodes. des Européens. 351 Les repas les plus délicieux que ansok les gens de l'Efcadre firent dans l'Ifle, ch. IV.' furent compofés de poiffons , dont An. 1741. la baye leur fournit une grande abon- De dance. Ils y trouvèrent des morues "p01 °n' d'une groffeur étonnante, des caval-lies, des tatonneurs, de grandes brèmes , des pucelles , des congres d'une efpece particuliere & très efli-mée , un poiffon noir affés fembla-ble à la carpe , & que quelques-uns nommèrent ramoneur de cheminées. •Tous ces poiffons étoient en fi grande quantité qu'une chaloupe, avec deux ou trois lignes en rapportoit fa charge en deux ou trois heures. Cependant leur pèche étoit fouvent interrompue par un grand nombre de chiens de mer , & de gros requins , qui fuivoient les chaloupes , pour enlever leur proye. On trouva aufîi des écreviffes de mer, qui péfoient huit ou neuf livres : le goût en étoit délicieux , & elles étoient en fi grande quantité près du rivage, que les crocs des chaloupes en perçoient fréquemment , en s'éloignant ou en s'ap-prochant de terre. CHAPITRE V. Les Anglois défefpetent de revoir les autres vaiffeaux de l'Efcadre : te Gloucefler paroît à la. vue de l'Ifle fans pouvoir y aborder : il aborde enfin à Juan-Fer nande^ : les Anglois reconnoijfent que les ennemis étoient venus depuis peu dans l'Ifle : M. Anfon fait conflruire un four : il fait bâtir une forge : avantage qu'on poiirroit retirer de l'Ifle de Mafa-Fuero : le Tryal efl envoyé à cette Ifle : occupation des Anglois à Juan - Fernande^ : la Pinque l'Anne rejoint M. Anfon. L 'Arrivée de la chaloupe le Tryal p Ach ° N* -L/ peu de temps après que le Cen-An ^ ^ turion eut abordé dans l'Ifle de Juan-n' I741, Fernandez , donna aux Anglois la défcfperfi^PÎ115 gr?nae espérance d'être bien-de revoir les tôt rejoints par tous les autres bâti-SxSdèTtf-ments de l'Efcadre ,. & ils furent cadre. plufieurs jours à regarder continuellement en mer, dans l'attente de les y découvrir. Après être ainfi demeurés des Européens. 353 quinze jours fans avoir vu aucunes ~.—TTf voiles , ils commencèrent à défef- chap. v/ perer de jamais rencontrer leurs coin- . pagnons ; d'autant quils favoient par leur propre expérience que fi le Centurion fut demeuré aufîi longtemps en mer, tous les hommes qui étoient à bord auraient immanquablement péri , tk que le bâtiment n'ayant que des corps inanimés pour équipage , aurait été chaffe au gré des vents 6c des vagues. Il y avoit donc tout lieu de croire que leurs conforts avoient eu ce malheureux fort , tk chaque jour rendoit plus probables ces penfées fi décourageantes. Cependant, le 11 de Juin , quel- Le Gibo-ques-uns des hommes, montés fur .c""v£aero£ une éminence près du rivage,décou-rifle, fans vrirent fous le vent un vaiffeau, qui àbonkr.Y ne portoit d'autres voiles que les baffes , avec la grande. Peu de temps après, l'air s'étant beaucoup chargé, ce bâtiment difparut : ils furent plufieurs jours fans le voir ; ils craignirent qu'il n'eut auffi perdu la vue de l'Ifle , 6c que les gens d'équipage ne fuffent tellement affaiblis par les maladies qu'ils ne puffent gagner le 354 Découvertes . vent. Le 26 on revit une voile : on Chip. v. jugea que c etoit le même vailleau , An. 1741. tk il approcha bien-tôt de fi près , qu'on le reconnut pour le Gloucefter. M. Anfon ne doutant pas que les gens ne fuffent en détreffe , envoya à leur fecours fa chaloupe , chargée d'eau fraîche , de poiffon tk de végétaux. Les craintes du chef d'Efcadre n'étoient que trop bien fondées : jamais aucun équipage ne s'étoit peut-être trouvé dans une fituation auffi déplorable : on avoit déjà jette en mer les deux tiers des hommes , tk de ceux qui reffoient vivants, il n'y en avoit prefque aucun en état de faire le fervice, excepté les Officiers tk leurs domeftiques : Depuis très-long-temps ils étoient réduits à une pinte d'eau pour chaque homme en vingt-quatre heures , tk cependant il leur en reffoit fi peu , que s'ils n'avoient été fe courus, ils auroient péri de foif en très peu de temps. Quoique ce bâtiment ne fut qu'à trois milles de la baye , ils ne pouvoient y parvenir, parce que le vent tk les courants leur étoient contraires. Ils continuèrent le lendemain à louvoyer, mais comme ils ne pouvoient venir à dés Européens. 355 l'ancrage à moins que le vent ou les A 0 N> courants ne changeaient* M. Anfon chap. v. leur envoya la chaloupe du Tryal, Aiu inu avec un nouveau le cours d'eau , tk d'autres rafraîchilfemenrs. M. Mitchel, Capitaine du Gloucefter , fut obligé de retenir cette chaloupe , tk celle qu'on lui avoit envoyée le jour précédent , parce qu'il manquoit de forces fuffifantes pour manœuvrer fon Vaiffeau fans le fecours des hommes qui les montoient. Le Gloucefter demeura quinze jours dans cette fituation , comparable à celle de Tantale , fans pouvoir gagner le port , quoiqu'il fit de fréquents efforts pour Y parvenir, tk qu'il femblât plufieurs fois prêt à y reuflir. Le 9 de Juillet on vit qu'il s'écartoit considérablement à l'Eft, tk l'on jugea que c'étoit dans l'intention de gagner la partie méridionale de l'ifte : mais on le perdit bien-tôt de vue , & l'on fut près d'une femaine fans qu'il reparut, ce qui caufa de nouvelles inquiétudes , parce qu'on ne pouvoit douter qu'il ne fe retrouvât dans la même difette d'eau. Après une" attente accompagnée de la plus vive impatience, on le découvrit de nou- 3 c6 DÉCOUVERTES • -veau le fölze , dans le temps où Chap. vN'il faifoit fes efforts pour gagner An. 1741. la pointe orientale de l'Ifle : mais le vent foumant toujours directement de la baye , l'empôchoit d'approcher plus près qu'à quatre lieues de terre. Le Capitaine Mitchel fît faire plufieurs fignaux de détreffe, Se on lui envoya la grande chaloupe , avec beaucoup d'eau Se d'autres rafraîchif-fements. Comme on ne pouvoit fe paffer de cette chaloupe, M. Anfon donna des ordres pofitifs au quartier-maître de revenir immédiatement. Le lendemain, le temps fut très-orageux , on ne vit point la chaloupe , ck: l'on eut la plus grande crainte qu'elle ne fut perdue , ce qui auroit été un malheur irréparable pour tous ceux qui étoient à terre. Le troifié-me jour on eut la joye de la voir re-paroître : on envoya auffi-tôt le canot à fon fecours , Se en peu d'heures il la ramena à la Toue au bord du Centurion. L'équipage de la chaloupe avoit pris à bord fix des hommes malades du Gloucefter, mais il en étoit mort deux avant qu'elle eut pu rejoindre. En même temps on apprit à M. Anfon que fur ce bâtiment des Européens. 357 il y avoit à peine un homme en fan-"7-T ,1 ,., • , Anson. te , excepte ceux qu 11 avoit envoyés chap. v. à fon fecours : qu'il en mouroit jour- An> r u nellement un grand nombre , 6c que fans les rafraîchiffements 6c l'eau qu'il avoit envoyé de l'Ifle , les ma lades , 6c ceux qui ne l'étoient pas auroient également péri. Ces maux étoient d'autant plus terribles qu'on ne voyoit aucune efperance d'y pouvoir apporter remède : ce vaifîeau avoit déjà paffe un mois , à faire fes efforts pour gagner la baye ; il n'étoit pas plus avancé que le premier jour qu'il avoit vu l'Ifle , 6c les gens d'équipage avoient perdu toute efperance d'y réufTir, après le grand nombre de tentatives infructueufes qu'ils avoient faites. Le même jour , leur fituation devint encore plus fâ-cheufe : après avoir reçu le dernier fecours de rafraichiffements on les perdit encore de vue de la terre , 6c tous en générai défefpercrent de les voir jamais è l'ancre. C'eff ainfi oue cet équipage mal- c!1 a\0^" 1 „ . 1 „ • \ 1 enfin a Juan. neureux alloit 6c venoit a quelques Fernande*, heues du port qu'il déiiroit avec tant d'ardeur , pendant que le voifinage de l'Ifle, 6c la vue de tout ce oui 358 DÉCOUVERTES l-Douvoit finir les peines dont il étoit Chap. v. accable , ne lervoient qu a les aug-An. 1741. menter. Il fut enfin tiré de cette fa-cheufe fituation , dans le temps où ceux qui étoient à terre en avoient le moins d'efpérance : après avoir perdu de vue le Gloucefter pendant plufieurs jours, ils furent agréablement furpris lorfque le 13 Juillet au matin, ils le virent les voiles levées à la pointe du Nord-eff. de la baye; alors le chef d'Efcadre envoya toutes fes chaloupes à fon fecours, & environ une heure après, il jetta l'ancre entre le Centurion & le rivage. Quand il approcha de la terre, le premier foin de M. An{on fut de l'aider à jetter l'ancre , & enfuite de faire débarquer les malades. Il avoit perdu plus des trois quarts des gens d'équipage ,& il ne lui reftoit pas quatre-vingts hommes , encore étoient-ils tous malades , & la plus grande partie paroiffoient toucher à leur dernier moment , mais foit que ceux en qui la maladie avoit fait de plus grands progrès fuffenttous morts, foit que les herbes, les provisions fraîches & l'eau que M. Anion avoit envoyées à bord euffent pr éparé ceux des Européens. 359 qui reftoient à une prompte guéri- A Q NJ fon, il n'en mourut que très peu à chap. v. terre , &: les malades en général fu- An. mu rent rétablis en beaucoup moins de temps qu'il n'en avoit fallu à ceux du Centurion quand ils étoient arrivés dans l'Ifle. Lrs An Revenons à ce quife paflbit à ter-«connoj| te, pendant que les gens du Gloucef- JJ«^gVJ ter faifoient d'inutiles efforts pour v nus depuis gagner le rivage. Après avoir defcen-jffe . r fl & An. 1741. 0 equipage , dans la peniee que le pain frais , joint aux végétaux & au poiflbn nouvellement péché, contri-bueroit beaucoup à leur rétabliue-ntcnt. Au commencement de Juillet, quelques-uns des hommes étant parfaitement rétablis, les plus forts eurent ordre d'abattre des arbres, &: de les couper en bûches, qui furent apportes une à une fur le rivage par ceux qui n'étoient pas allés forts pour les couper. Les uns les tranfporterent en s'appuyant fur des béquilles, tk. les autres eii fe fervant feulement d'un bâton. Le chef d'Efcadre fit enfuite élever v fù[[ v;. une forge à terre, & employa les for- une ft ingérons à raccommoder les cadènes des haubans, & à réparer tout ce qui étoit endommagé dans les fers des bâtiments. Les gens commencèrent auffi à raccommoder les agrès , mais comme ils n'avoient pas affés de vieux cables pour faire tout le fil de caret qui leur étoit néceffaire , ils attendirent l'arrivée du Gloucefter t Tom. XL Q 362 DÉCOUVERTES a-oui avoit beaucoup de ces vieux ca- A n SON. A y i i n i -rr Chap. v. bles a bord, Four que les vailleaux An. i74i. pullént être remis en état le plus promptement qu'il feroit poflible, on éleva une grande tente pour ceux qui travailloient aux voiles , 6c ils s'appliquèrent avec la plus grande diligence à réparer les vieilles 6c à en faire de neu-ves.Ces ouvrages 6c lefoin desmalades furent la principale occupation des gens jufqu'à i'anivée du Gloucefter. Aufîi-tôt que le Capitaine Mitchel Avantages fut à terre , il fe rendit auprès de M. SLTétSêAnfon, ck lui dit, que pendant fa riuedc Ma-dernière abfence, il avoit été jette a" uao* par les vents jufqu'à Mafa-Fuero , petite Ifle , environ vingt-deux lieues à l'Oueff de celle de Juan-Fernandez: qu'il y avoit remarqué divers courants 6c avoit fait fes efforts pour envoyer fa chaloupe au rivage, afin d'y prendre de l'eau ; mais que le vent foufc floit de terre avec une fi grande violence, qu'il formoit des lames 6c met-toit dans l'impoffibilitédedébarquer, forte que fes gens étoient revenus fans eau, mais chargés de poiflon frais. Quoique cette Ifle ait été re-preientée par les anciens navigateurs comme un roc ftérile , le Capitai- des Européens. 363 ne Mitchel affura le chef d'Efcadre ,A ON~ qu'elle étoit prefque toute couverte chap. v. d'arbres & de verdure , & qu'elle An. 1741. avoit près de quatre milles de longueur , ce qui lui faifoit penfer qu'on y poiirroit trouver quelque petite baye , affés grande pour mettre à l'abri tout vailleau qui y chercherait -du rafraîchiffement. Cette defcription de Mafa-Fuero eft Lenv\ donna lieu de conjecturer que descendue, quatre vaiffeaux qui manquoient encore de l'Efcadre , quelques-uns pouvoient avoir abordé à cette Ifle , croyant que c'étoit celle du rendez-vous; conjecture d'autant plus vraisemblable, qu'ils n'avoient pas de plan ni de cartes bien exactes de celle de Juan-Fernandez. Dans cette penfée , M. Anfon réfolut d'y envoyer la chaloupe le Tryal, auffi - tôt qu'elle pourrait tenir la mer , afin d'examiner toutes les bayes & les anfès de cette Ifle, pour reconnoître fi quelque vaiffeau de l'Efcadre s'y feroit retiré. En conféquence on la fît partir le 5 d'Août pour faire cetré recherche. Vers le milieu du même mois, les gens du Centurion étant bien réta- QM XwTolZ blfe 9 011 *ellr Perimt de quitter la Chap, v. * tente des malades, & de s'élever des An. 1741. huttes féparées, parce qu'on jugea qu'ils pourroient les entretenir plus propres, ce qui contribueroit encore à rétablir plus promptement leurs forces : mais en même temps on leur donna ordre qu'au premier coup de canon qu'ils entendroient des vaif-* leaux , ils fe rendiffent tous fur le rivage. Occupation On les occupoit à terre, à cou-? iiM^^n'ui3 Per ^u k°^s ) à ra maffer des rafraî-deî'. * chiflements, & à faire de l'huile avec la graiffe des lions marins , dont on fe fervoit pour bmler dans les lampes , cV pour endure les côtés des vaiffeaux, en la mêlant avec de la poix. On l'employa auffi en y joignant de la cendre de bois , pour Suppléer au fuif dont on manquoit. Il y avoit fur le Centurion deux pêcheurs de terre-neuve , & M.-Anfon leur donna ordre de faler une grande quantité de morues pour fervir de provifion en mer. La Pinquc- Nous avons déjà rapporté qu'on l'Anne re- avo;t élevé à terre un four de cuivre, ! oint M. An- ... . - , ion. qui fervoit a cuire tous les jours du pain frais pour les malades; mais lapins des Européens. 365 grande partie de la farine éroit à bord —7 de la pinque d'avitailîement l'Anne, chap. v! tk comme ce bâtiment avoit rencon- ^n. tré la chaloupe le Tryal, le neuf de Mai, on efperoit tous les jours la voir arriver dans fille. Cependant les mois de Juin & de Juillet , s'étant parles lans qu'on en eut aucunes nouvelles , on jugea que la Pinque étoit perdue tk le chef d'Efcadre réduifit tous les vaiffeaux à une portion très médiocre de pain. Enfin le 16 d'Août, on apperçut une voile au Nord , tk auf-f'-tôt le Centurion tira un coup de canon pour appeller tous les hommes qui étoient à terre : ils obéirent fans perdre de temps , tk fe rendirent immédiatement fur le rivage. Ils étoient alors bien difpofés à recevoir ce vaif-feau, foit qu'il fut ami ou ennemi , mais leurs fentiments étoient partagés , tk quelques-uns penfoient que c'étoit la chaloupe le Tryal qui reve-noit de fa courfe. Cependant on reconnut bien-tôt que ce bâtiment portoit trois mâts , ce qui donna lieu à de nouvelles conjectures : les uns fe perfuadoient que c'étoit le Severn , d'autres foutenoient que c'étoit la Perle , tk il y en avoit qui penfoient 366 DÉCOUVERTES -qu'il n'appartenoit pas à l'Eicadre. chap. V. Vers midi on reconnut à n'en pouvoir ■Aa. 17-j.i. douter que c'étoit la Pinque d'avitail-lement l'Anne , 6k: elle manœuvra avec tant de bonheur que vers cinq heures, elle jetta l'ancre dans la baye. Son arrivée cauia une joye excefiive à tous les équipages, 6k: elle rut d'autant plus grande qu'on donna ordre auflî-tôt de remettre tout le monde k {a portion entière de pain. CHAPITRE VI. Ce qui étoit arrivé à la Pinque depuis qu'elle avoit étéféparée : elle aborde au continent : les Anglois fe rendent maîtres d'une famille Indienne : hifi 10ire du refle de l'Efcadre : le Wagtr fait naufrage , & les gens fe révoltent : fuites facheufes de cette rébellion. Les révoltés laifjènt le Capitaine à terre : ils gagnent la cote du Brefil : état fâcheux du Capitaine & de Jes compagnons : ils fe remettent en mer : le Capitaine refle encore à terre avec quatre hommes : ils fe font conduire aux établiffements Efpagnols. TOus les hommes qui éroient à Anso?;. terre furent très furpris de voir Chap. \ 1. que l'équipage de la Pinque faifoit la An '741. manœuvre fans aucune marque de Ce qui étoit foibleife, ni de détreffe : mais quand elle eut jette l'ancre, on apprit qu'el-?"'61}6 avoi* le avoit demeuré dans un port de-UL Lpartl" puis le milieu de Mai, c'eif-à-dire , près d'un mois avant que le Centu- 368 DÉCOUVERTES /vf;sONy~rion arrivai à fille de Juan-Fernan-cbp. v j. dez ; enforte que les hommes de cette Au. 1741. Pinque avoient fouffert beaucoup moins de temps que ceux du refte de l'Efcadre. Le 16 Mai étant à 45 dégrés 15 minutes de latitude méridionale , ils avoient vu la terre à la diftance de quatre lieues, avoient re-vire de bord 6k: dirigé leur cours au Sud ; mais leur voile de mifene s'é-tant déchirée , 6k le vent les portant vers le rivage, le Capitaine , foit qu'il fut forcé de gagner la terre, foit comme le penferent quelques-uns , qu'il ne voulut pas tenir la mer plus long-temp*, s'approcha de la côte pour chercher quelque abri entre les iiles qu'il avoit en vue. Environ quatre heures après il jetta l'ancre à la hauteur de l'Ille d'Inchin, mais étant trop éloigné de terre , Ôk n'ayant pas le nombre d'hommes fuffifant pour filer le cable aufti vite qu'il étoit nécefTaire, ils furent chalfés pendant deux jours , après lefquels ils approchèrent à un mille de terre. Ils craignoient à chaque inftant d'être pouffes fur le rivage , en un endroit où la côte étoit fi haute 6k fi efcarpée , que fi ce malheur leur des Européens. 369 fut arrivé , ils n'auroient eu aucune efpérance de fauver, ni le bâtiment, ni la cargaifon. Les Chaloupes fai-foient eau de toutes parts, Se comme on ne voyoit nulle apparence d'un endroit où l'on put débarquer , tout l'équipage compofé de leize hommes, non compris les mouifes , fe regarda comme perdu , penfant que fi par quelque événement extraordinaire quelques-uns arrivoient à terre , ils feroient infailliblement mafia crés par les fauvages. Frappés de craintes auffi terribles , ils fe voyoient j etter fur les rochers qui lormoient le rivage ; mais dans le temps oii les gens croyoient que la Pinque alloit fe brifer à chaque in-ffant, ils remarquèrent une petite ouverture entre les terres ; coupèrent aufîi-tôt les cables des deux ancres ; fe dirigèrent vers cette ouverture, Se trouvèrent que c'étoit un petit canal, entre une lût & le continent par où ils entrèrent dans un port, qui efl peut-être un des meilleurs de tout le monde connu, tant parce qu'on y efl en fureté contre tous les vents , & la violence des vagues, que parce que l'eau y eft très tranquille. C'efl Q v Anson. a^n^ 9ue ^es horreurs du naufrage & Chap. vi. la crainte d'une defiruclion prefque An. i7+I. inévitable rirent place , pour ainfi dire, en un infrant, aux idées les plus agréables de fureté , de rafraichiffe-ment ck de repos, nie aborde Dans ce port, que la providence u continenr. ]eur £t amfi découvrir , ils jetterent l'ancre à vingt-cinq braffes de profondeur , quoiqu'ils n'euffent qu'une haufiere 6k une petite ancre de trois cents livres. Les gens,dont plufieurs étoient malades du fcorbut, y furent promptement rétablis èk remis dans un état de parfaite fanté , par les provifions fraîches , 6k par la bonté de l'eau qu'ils trouvèrent en abondance fur le rivage voifin. Les principaux rafraichiffements qu'ils y rencontrèrent furent des végétaux, tels que des orties 6k du céleri, qu'ils dévorèrent plutôt qu'ils ne les mangèrent. Ils y rencontrèrent auffi une grande quantité d'oyes, de mouettes 6k de pengouins, avec des pétoncles 6k des moules d'une groiTeur extraordinaire , 6k d'un gout excellent. Quoiqu'on fut alors au. milieu de l'hiver , le climat ne leur fît point fentir un froid rigoureux , 6k ni les des Européens. 371 arbres, ni la furface de la rerre ne a.nson. furent point dépouillés de leur ver- chip. vi. dure. Malgré tout ce que rapportent An. 17+1. les hifloriens Efpagnols , de la barbarie des habitants de cette côte, ils ne leur parurent pas en nombre fuffî-fent pour caufer la plus légere inquiétude à un vaiffeau de force ordinaire , & ils ne remarquèrent en eux aucune difpofition à la malice ni à la méchanceté. 11 efl vrai que les découvertes faites par les gens d'équipage fur la côte voifine furent très bornées, parce qu'étant en petit nombre , & n'ayant aucune connoiffance , ni du pays , ni des habitants , ils ne s'écartoient jamais au-delà de l'étendue de terrein qui environnoit le port, & d'on ils avoient toujours la vue de leur vaiffeau. Le pays voifin étoit fi couvert de bois, tk paroiffoit tellement traverfé par les montagnes', qu'ils jugèrent prefque impoffible de pénétrer beaucoup au-delà du rivage. Ils furent alors bien convaincus de la fauffeté des relations données par les écrivains Efpagnols, qui ont représenté les habitants de cette côte, comme très féroces &très puiffants, & ils s'affurerent à n'en pouvoir dou- 3 y 2 DÉCOUVERTES ~~ÂZ77> ter qu'il n'y avoit aucun habitant, i,hrt>. vi. particulièrement durant 1 hiver, piui-An. 174t. qu'ils n'y virent qu'unefamille Indienne , qui aborda au port dans une Pirogue , environ un mois après leur arrivée. Les Anglois Cette famille étoit compofée d'un k rendent Indien de près de quarante ans, de fa maures d nue £ r l ? r.nniUe in- temme ck de deux entants, dont lun 4iionr,c. étoit âgé de trois ans , ók l'autre encore à la mamelle. Ils paroiffoient avoir avec eux tout leur bien, qui confiftoit en un chien & un chat, un berceau, un filet à pêcher, une hache, un couteau , quelques écorces d'arbres propres à couvrir une hutte, un dévidoir en affez mauvais état, une pierre à feu Ók un briquet, avec quelques racines d'une couleur jaune ck d'un goût défagréable, qui leur fervoient de pain. Aufîi-tôt que le maître de la Pinque les apperçut, il envoya fon canot, qui les amena à bord, ck craignant qu'ils ne les découvriflent s'il les laiffoit s'éloigner , il prit, à ce qu'il crut, toutes les précautions né-ceffaires pour les garder, fans leur faire aucune violence. Le jour il leur permettoit d'aller librement où ils youloient aux environs du vaiffeau 3 des Européens. 373 mais la nuit il les enfermoit dans le ~T- aa. i» t, • 1 a Anson. ateau d avanr. Ils avoient la même cha^. vi. nourriture que les gens de l'équipage, Alli [7.£ & on leur donnoit fouvent de l'eau-de-vie, qu'ils paroiffoient aimer avec pafTion, enforte que dans le commencement ils ne parurent nullement mécontents de leur fituation. Quand le maître alloit à terre pourchaffer, il menoit l'indien avec lui, & cet homme marquoit beaucoup de joie quand il lui voyoit tuer du gibier ; auffi tous les gens du vaiffeau les trai-toient avec la plus grande humanité. On s'apperçut cependant bientôt que quoique la femme parut toujours gaie bz tranquille, l'homme devenoit pen-fif & mécontent d'être ainfi retenu. Il paroiffoit d'un très bon naturel, & quoiqu'il ne put converfer que par figne avec les gens de la Pinque, il étoit très curieux, s'informoit de tout ce qu'il voyoit èk fe faifoit entendre avec beaucoup d'intelligence. La plus grande preuve qu'on eut de fa faga-cité fut la manière dont il réuffit à s'échapper : il y avoit huit jours qu'il étoit à bord de la Pinque quand les écoutilles du Château d'Avant, où il etoit renfermé durant la nuit avec 374 D ÉCOUVERTES Ans fa famille , vinrent à être déclouées ; Chap. v/. la nl"r fui vante fut très obfcure tk An. J7414 orageufe : il en profita pour faire palfer fa femme tk fes enfants par cette Ecoutille, & enfuite il les def-cendit par-delfus le vaiffeau dans le canot : mais pour ne pas être pour-fuivi, il coupa les cordes de la chaloupe tk de fa Pirogue , qui étoient liées k la poupe , tk fe mit aufli-tôt à ramer vers le rivage. Il fe conduifit avec tant de fecret tk de diligence , que quoiqu'on fît le quart fur le demi-pont avec des armes chargées, on ne le découvrit que lorfqu'il fut hors du vaiffeau , tk lorfque le bruit des rames fît connoître fon évafion , mais il étoit alors trop tard pour l'empêcher de s'échapper, & même pour le pourfuivre. L'Indien , outre la liberté qu'il recouvra, fut encore en quelque forte vengé de ceux qui l'a-voient tenu renfermé , tant par l'embarras oit ils fe trouvèrent pour ravoir leurs chaloupes, qui s'étoient écartées du bâtiment, que par la terreur où ils furent jettes aufli-tôt après fon départ. A la première allarme , les gens du quart crièrent» aux Indiens», ce qui mit tout l'équipage dans le des Européens. 37^ plus grand trouble, s'imaginant qu'on ™T~- étoit environné d une flotte de Fi- ckm?vù roques armées. L'activité 6k la réfo- . 1 v , . r . a . An. 1741* lution qu avoit fait paroitre cet homme , fut admirée par fes anciens maîtres ; ils rendirent juftice à fon mérite , convinrent que l'cntreprife étoit d'un brave homme, 6k quelques-uns jugeant qu'il s'étoit caché dans les bois voifîns du port , où il y avoit Heu de craindre qu'il ne périt faute de provifions , ils engagèrent le maître à leur laiffer mettre autant de nourriture qu'il en poiirroit avoir befoin, en un endroit où ils jugèrent qu'il la trouveroit aifément. Leur humanité eut probablement l'effet qu'ils en avoient attendu : quand ils y retournèrent quelque temps après ils virent que ces provifions étoient enlevées, ck par quelques circonffan-ceson jugea qu'elles étoient tombées entre les mains de l'Indien. L'Equipage de la pinque étant bien rafraîchi , 6k rétabli du feorbut , fe munit d'une quantité fùffifanîe d'eau 6k de bois ; fe remit en mer peu de jours après l'évafion de l'Indien , 6k: pafla fans aucun accident au rendez-Yous indiqué à toute l'Efcadre. '376* découvert es "T"—~* La Pinque ayant ainli rejoint M, Chap.°vi'. Anfon à Juan-Fernandez , il ne man-i quoit plus que trois bâtiments , le * . Severn, la Perle, ôcle Wager, vaif-refte de'^Ef- feau de munition. Les deux premiers "î1l'-Lc^"" avoient été féparés à la hauteur du çer fur naur- i, , fragc, & Im Cap-noir , bc étoient retournes au FcnrS.fc r"V° " Bréfù, enforte qu'il n'y eut que le "Wa-ger qui fut perdu dans la mer du Sud , après avoir fait le tour du Cap-Horn. Ce bâtiment avoit à bord des mortiers nommés Coehorns , quelques pieces de campagnes, montées pour le fervice de terre, des instruments de pionniers pour les opérations du rivage , diverfes munitions d'artillerie, & un affés grand nombre d'outils. L'entreprife contre Baldivia avoit été réfolue dès le temps que l'Efcadre s'étoit mife en mer , & le Capitaine Cheap , commandant duWager, dé-firoit ardemment que toutes ces munitions fuffent promptement devant cette place , crainte que fi l'Efcadre fe trouvoit réunie au rendez-vous , on ne l'accusât du retard , ou du peu de réutfite de l'entreprife. Il avoit prisfortement cette réfolution, quand il découvrit la terre le quatorze de Mai, à 47 dégrés ou environ de îati- d F s Européens. 377 rude meridionale, mais pendant qu'il ~- £ T • r iT ^ ' t 1 ANSON; taitoit les efforts pour s en écarter , cbap. vi. il eut le malheur de tomber de le- An. i7}i. chelle de poupe , & de le brifer l'épaule. Cet accident le mit hors d'état d'agir , & les gens d'équipage ayant manqué à prendre toutes les mefures néceffaires, le bâtiment toucha fur un rocher couvert d'eau , fut bien-tôt ouvert tk échoua entre deux petites Ifles. La confufion que ce malheur occalîonna fut beaucoup augmentée par les difpofitions que l'équipage avoit à la révolte. Les gens 5 imaginèrent qu'après la perte du Vaiflèau le Capitaine n'avoit plus aucune fupériorité , tk qu'ils étoient devenus tous égaux. Ils commencèrent par piller le bâtiment, s'armèrent de tout ce qu'ils trouvèrent fous leur mains , tk menacèrent de maffa-crer quiconque auroit la hadieffe de s'oppofer à eux. Cette efpece de fré-nélie fut augmentée par les liqueurs qu'ils trouvèrent à bord , & quelques-uns en burent avec tant d'excès, qu'ils tombèrent entre les ponts, tk furent noyés dans le vaiffeau même , qui étoit plein d'eau. Le Capi-I taine, après avoir fait fes efforts pour Anson. engager l'équipage à venir à terre, fut Chap. vi, enfin obligé d'abandonner les mutins An. 1741» &: de fuivre fes Officiers, avec ceux qui continuèrent de demeurer fournis à fon autorité. Enfuite il renvoya la chaloupe , & fit repréfenter à ceux qui étoient reffés, qu'ils dévoient fonger à leur confervaiion , mais ce fut fans aucun fuccès. Cependant le lendemain, le temps étant devenu très orageux , ils virent que le vaiffeau étoit prêt à fe féparer, craignirent de périr , & marquèrent leur défir d'aile*à terre, mais les chaloupes n'arrivant pas aufîi promptement qu'ils les attendoient, ils furent faifis d'une fureur fi extraordinaire, qu'ils pointerent une pièce de quatre contre la hutte où étoit le Capitaine, & tirèrent deux coups , qui paflerent heureufement par deffus. Leurs dif-pofitions mutines parvinrent à un tel excès quand ils furent débarqués , que fe trouvant fur une côte déf erte, où l'on pouvoit à peine avoir d'autres provifions que celles qu'on fau-voit du vaiffeau naufragé , il ne fut pas pofïîble de les engager à ménager toutes celles qu'on en retira. On ne vit plus entr'eux que fraudes ÔÇ des Européens. 379 crue larcins , chacun s'attachant à ca- "1- cher ce quil avoit détourne tk tou- chap. VI. te cette conduire ne fervant qua An 1741» animer les hommes les uns contre les autres occafionna une infinité de divifions tk de querelles. Une autre fource de chaleur tk d'ani- chçJJJ"d^* molîté fut le fentiment du Capitaine, cette rebti-qui étoit totalement différent de celui l0n, de prefque tousles autres, fur lesmefu-res qu'il y avoit à prendre dans une circoniiance aufîi critique. Il étoit d'avis de rétablir autant qu'il feroit pof-fible les chaloupes , pour fe remettre en mer , tk faire cours au Nord , parce qu'ayant encore plus de cent hommes en bonne fanté , des armes à feu tk des munitions , qu'on avoit fauvées du naufrage , il ne doutoit pas qu'ils ne fuffent en état de fe rendre maîtres de quelque vaiffeau Efpagnol , s'il en pouvoit trouver fur la côte , tk il efpéroit en rencontrer dans le voifinage de Chiloe ou de Baldivia. Son deffein étoit quand il s'en feroit emparé d'aller enfuite au rendez-vous à Juan-Fernandez, &: il foutenoit que quand même on ne feroit aucune prife , les chaloupes feroient en état de les y 3 So DÉCOUVERTES " Anson. conduire aifément. Ce projet ne pirt ; cbp. vi. être goûté de la plus grande partie An. 1741. des gens, qui ne pouvoient lé réfoudre à reprendre une entreprife , qui leur avoit déjà occafionné tant de défaff res. La réfolution la plus générale fut donc d'allonger la grande chaloupe , 6c de s'en fervir , ainfi que des autres pour faire cours au Sud , afin de paffer le détroit de Magellan , 6c de faire leurs efforts pour gagner la côte du Bréfil, où ils ne doutoient pas qu'ils ne fuffent bien reçus, 6l qu'on ne leur procurât les moyens de repaffer dans la Grande-Bretagne. Quoique ce projet à la première vue, dut paroître beaucoup plus hazar-deux 6c plus long que celui qui avoit été propofé par le Capitaine , cependant comme il avoit pour objet de retourner dans leur patrie , cette feule circoniiance leur fit fermer les yeux fur tous les autres inconvénients , 6c ils l'embrafferent avec tant d'opiniâtreté , que le Capitaine même fans jamais changer de fenti-ment , fut obligé de céder au torrent 6c de paroître acquiefcer à ce projet, qu'il étoit réfolu de traverfer fecrettemçnt. Il commença par des Européens. 381 prendre la réfolution de faire telle- anson. ment allonger la grande chaloupe , chai-, vu qu'elle put fervir feulement à les con- An. i74i. duire à l'Ifle de Juan-Fernandez, 6c non à faire un voyage auffi long que celui de la côte du Brefil. Les gens étoient déjà très animés contre le Ca-taine , à caufe de la fermeté avec laquelle il s'étoit oppofé à leur projet favori, mais il furvint un nouvel accident , qui augmenta encore de beaucoup leur reflentiment contre lui. Un quartier-maître nommé Co-zens qui avoit toujours paru à la tête de la mutinerie de toute la troupe , eut des querelles avec la plus grande partie des Officiers qui étoient attachés au Capitaine : il le traira lui même avec tant de hauteur 6c d'infolen-c-e , que la fureur 6c la brutalité de cet homme devenant de jour en jour plus intolérable , on ne douta plus qu'il n'y eut quelque mefure violente prête à éclore , 6c que Cozens ne fut à la tête, ce qui obligea le Capitaine 6c tous lès parti/ans de fe tenir fur leurs gardes. Le munitionnaire retrancha un jour par oçdre de M. Cheap la portion à un homme qui ne vouloir pas travailler: Cozens fe mê- 3$2 DÉCOUVERTES "77,-la dans cette affaire, tk infulta vive-; Chap. vi. ment le munitionnaire, qui lui me-An. w', me étoit ^ort v^ & q1^ délivroit alors les portions devant la tente du Capitaine. Le munitionnaire irrité de ion entêtement j tk peut-être déjà animé par quelque querelle précédente , cria » à la mutinerie » en ajou-» tant » le coquin a des piffolets » tk en même temps il eut l'imprudence d'en lâcher un fur Cozens. M. Cheap à ce cri, & fur le bruit du piftolet lauta auffi-tôt hors de fa tente , tk ne doutant pas qu'il n'eut été tiré par Cozens , il lui en lâcha un coup , qui l'atteignit à la tête : il ne fut pas tué fur la place , mais le coup étoit mortel , tk il expira quinze jours après. Les révol- Quoique cet événement irritât cap1-'aine1 àe beaucoup les gens , il les frappa de «ne, terreur , tk les rendit plus fournis à l'autorité du Capitaine. Cependant quand ils eurent préparé la grande chaloupe , tk qu'ils furent difpofés à fe mettre en mer , voyant qu'il tra-verfoit fecrettement leur projet de gagner le détroit de Magellan, tk dans la crainte qu'il ne reulîit enfin à le former un parti iiifîîfant pour le rendre abfolument fans effet, ils ré- des Européens. 383 folurent de prendre le prétexte de la Anson 1 mort de Cozens, pour le dépouiller ciuP. VI, du commandement, 6c pour le con- ^n. 17411 duire en Angleterre, afin de le faire juger comme meurtrier. Enconfé-quence ils lui donnèrent une garde ; mais quand ils furent prêts à s'embarquer , ils le laifferent à terre avec le petit nombre de ceux qui lui étoient demeurés attachés , fans autre bâtiment que le bateau nommé en Anglois Yawl, ou Jol, mais il recouvra enfuite la barge , parce que ceux qui le montoient vinrent rejoindre leur Capitaine. Quand le Wager avoit fait naufrage , il étoit monté de près de cent trente perfonnnes , dont il en mourut environ trente pendant le féjour. Il y en eut quatre-vingt qui s'embarquèrent dans la grande chaloupe 6c le canot pour faire cours au Sud , enforte qu'après leur départ , il ne relia que onze perfonnes avec le Capitaine, qui étoit aufîi tout ce que la barge 6c le Yawl pouvoient contenir. Ce fut environ cinq mois après le. ni, B»&n«ftt c - * -j « . la cote du naufrage , que la grande chaloupe , Bréûl, changée en barque longue, leva l'an- 3 84 DÉCOUVERTES "t--cre & fît voile au Sud , les gens fai- ciwp.°vi. fant trois acclamations à leur départ An. 1741. Pour ^amer *e Capitaine , qui étoit fur le rivage avec le Lieutenant des troupes de terre , nommé Ha-milton , & le chirurgien. Ils eurent bien-tôt lieu de fe repentir de la témérité avec laquelle ils s'étoient engagés dans une entreprife auffi défef-pérée. Le bâtiment pouvoit à peine contenir le nombre d'hommes avec lequel ilsTavoient mis en mer, Ô£ leurs provifionsn'étant autres que celles qu'ils avoient pu retirer du vaiffeau naufragé, ils n'en avoient qu'une très petite quantité. Leur canot , le feul petit bâtiment qu'ils euffent, fut bien-tôt rompu de la poupe &c fe brifa en pieces, enforte que lorsqu'ils manquèrent d'eau & de provifions , ils ne purent que très rarement aborder le rivage , pour s'en procurer de fraîche. La mifere qu'ils fouffroient fut auffi grande qu'on peut fe l'imaginer ; ils laifferent environ vingt de leurs hommes à terre dans les différents endroits où ils toucherent ; mais il en périt beaucoup plus par la faim pendant celong &c ennuyeux voyage; enforte que de quatre - vingt qu'ils étoient des Européens. 385 ëtoienteripartant.îl n'y en eut que tren- ~r~-- «il 1 I»1 1 • Anson. te qui eurent le bonheur de 1 achever, chap. vl. Ceux-ci arrivèrent à Rio - Grande , Alli I74I. fur la côte du Brefil, le 29 de Janvier fuivant. Le Capitaine & ceux qui étoient ils demeurés avec lui, quand il fut ainfi^^6 du abandonné , fe propofoient d'aller du côté du Nord dans la Barge & dans le Jol, mais le temps fut fi contraire qu'il fe paifa deux mois après le départ de la grande chaloupe avant qu'ils puffent fe mettre en mer. L'endroit oii le Wager avoit fait naufrage, n'étoit pas une partie du continent, comme ils l'avoient cru d'abord , mais une ifle , à quelque diftance de la terre-ferme , & elle ne leur fournilfoit d'autre nourriture que des coquillages , avec quelques herbes. La chaloupe avoit emporté la plus grande partie des vivres qu'on avoit tirés dit vaiffeau , enforte que le Capitaine ce fes gens manquèrent fouvent de nourriture, parce qu'ils étoient réfolus de conferver le peu qu'ils avoient de provifions de mer pour leur voyage au Nord. Il fut très fâcheux pour les gens Us - ™& du Wager d'ignorer que la pinaue'e>UUll^'l::, Tom, XI, R Anson." l'Anne ^Wlt f°rt Pr<-*s d'eux tout îé Chap. vj. temps qu'ils demeurèrent à terre ; en An. 1741. effet elle n'en étoit éloignée que d'environ trente lieues, tk paffa très près du même endroit, dans le temps où ils firent naufrage. Ce bâtiment étoit fpacieux ; il auroit pu les prendre tous à bord , & les auroit conduits à l'Ifle de Juan-Fernandez. M. Walter jugea même qu'il en étoit beaucoup plus près , d'autant que plufieurs des gens du Wager entendirent diverfes fois le bruit du canon qui ne pouvoit être que celui qu'on tiroit tous les loirs de la pinque, tk ce qui confirma fon fentiment , c'efl que ce fut toujours vers ce même temps que fes gens entendirent ce bruit. Le 14 de Décembre, le Capitaine tk fes gens s'embarquèrent fur la Barge tk le Jol, dans l'intention de faire cours au Nord ; mais à peine a voient-ils été une heure en mer, que le vent commença à fouffler avec tant de violence& que la mer devint fi haute qu'ils furent obligés pour éviter leur perte totale , d'y jetter la plus grande partie des provifions qu'ils avoient fauvées du vaiffeau naufragé. Ils perfùlerent cependant dans leur des Européens. 387 defTein, tk abordèrent à terre le "——7~ plus fouvent qu'il leur fut pofïïble, chap°vi. pour fe procurer de la fubfiffance. . Ti t 11 • • an- ^4 r" ils eurent le malheur, environ quinze jours après de perdre Ie Jol qui coula a fond étant à l'ancre, & il y périt un homme qui fut noyé. Cet accident leur caufa la plus grande affliction ; il ne leur reffoit que la barge, il n'y avoit pas affez de place pour les contenir tous, tk ils fe trouvèrent dans la dure nécefîité de laitier quatre de leurs mariniers fur une côte déferre. Malgré ces défaftres, ils continuèrent leur cours au Nord , quoiqu'ils fuffent fouvent retardés parles vents, & par le befoin de provifions qu'ils étoient obligés de chercher à terre. Ils firent trois tentatives inutiles pour doubler une pointe qu'ils jugèrent être le cap nommé de Tres Montes, mais ne pou va nt en furmonter les difficultés,ils réfolurentunanimement de retourner à l'Ifle qu'ils avoient nommée de Vager. Ils y arrivèrent au milieu de Février, prefque demi morts de faim & de fatigue. Quand ils y eurent débarqué , ils reçurent inopinément un grand foulagement par diverfes pieces de bœuf que la mer avoit détachées 3 8S DÉCOUVERTES ~7jj—— du vaiffeaünaufragé, & qui nageoient ChM.°vL i~ul" ^ ull'face ae l'eau- Peu de temps An. 1741, après arrivèrent dans la même Ifle deux canots d'Indiens dans l'un desquels ils en trouvèrent un , natif de Chiloe , qui parloir un peu Efpagnol. M. Elliot le chirurgien qui entcndoit cette langue, l'engagea à conduire le Capitaine 6c fes gens à Chiloé, en lui promettant pour récompenfe de lui donner la barge avec tout ce qui en dépendoit. ic Capitaine En couféquence , les onze per-ï5eCîS?4 &nnes qm compofoient tout l'équi-bommes. page s'embarquèrent le fix de Mars , à bord de la barge ; mais après un voyage de quelques jours, fix d'en-tr'eux avec un Indien furent écartés en mer dans ce petit bâtiment, pendant que le Capitaine étoit à terre , avec M. Hamilton , Lieutenant de la marine , M. Elliot le chirurgien, M. Byron , 6c M. Campbell, quartiers-maîtres. C'efl: ainfi que ces cinq Anglois demeurèrent fur une côte dé-ferte , fans provifions, 6c fans aucun moyen de s'en procurer, d'autant que leurs armes, leurs munitions , enfin le peu qu'ils poffédoient étoit demeuré dans la barge. des Européens. 389 Ils Te trouvèrent alors dans l'état le 1 plus déplorable, & fuivant leur opi- chzl. vii nion dans une fituation plus affreufe An. 1741. que ce qu'ils avoient éprouvé juf- Us fcfont qu'alors : mais pendant qu'ils fài- conduire aux r • n j'irv • établiflèmcni ioient reflexion aux différentes cir-£rp,gnüls> confiances de ce dernier malheur fi peu prévu , tk qu'ils fe perfuadoient qu'il n'y avoit plus aucune efpérance de foulagement, ils virent dans l'é-Ioignement un canot qu'on reconnut bien-tôt pour celui de l'Indien , qui avoit entrepris de les conduire à Chiloé. Cet honnête Américain avoit quitté le Capitaine Cheap tk fes gens pour aller pécher , & avoit laiffé l'autre Indien que les matelots avoient emmené en mer dans la Barge.. Quand cet homme vit qu'il avoit perdu la Barge ck fon compagnon,on eut beaucoup de peine à lui perfuader qu'on n'eut pas tué cet Indien ; mais enfin étant Satisfait de tout ce qui lui fut dit à ce fujet, il entreprit de les conduire aux établiffements Efpagnols, & de leur fournir des provifions pendant toute la route. Pour y réuilîr, il prit plufieurs de fes compatriotes dans d'autres canots ; le Capitaine & fes quatre compagnons s'embar- R iij 390 DÉCOUVERTES -nuerent avec eux, vers le milieu de nson. i, n j t • , x [. Mars , & au commencement de Juin Bi 174x. ils arrivèrent à l'Ifle de Chiloé. M. Elliot mourut dans la traverfee , & les autres furent réduits à un état fi fâcheux par le chagrin & par la fatigue , que les Efpagnols qui les traitèrent avec beaucoup d'humanité , ne purent les rétablir que très difficilement. Après être demeurés quelque temps à Chiloé, on les envoya à Val-paroifo, & enfuite à Saint-Jago , Capitale du Chili. Ils y demeurèrent plus d'un an, & fur les nouvelles d'un Cartel avec l'Efpagne , le Capitaine Cheap & le Lieutenant Hamilton eurent la permifïion de revenir en Europe , à bord d'un vaiffeau François. M. Campbell qui avoit changé de religion pendant qu'il étoit à Saint* Jago, préfera d'aller à Buenos-Ayres, avec Pizarro & fes Officiers : il revint depuis avec eux en Efpagne, d'où il repaffa enfuite en Angleterre. CHAPITRE VII. Defcription de Mafa-Fuero : on trouve la Pinque hors d'état de fervir : les Anglois prennent un vaiffeau Ffpa-gnol : inflruclions qu'ils en reçoivent : ils apprennent les mefures quon avoit prifes précédemment contre eux : M, Anfon revient à Juan-Fernande? : ilfe met en croifiere avec fon Efcadre : le Tryal fait une pri-fe : le Tryal efl fort endommagé dans fes mats : On le coule à fond & l'on arme la prifé : les anglais en font une nouvelle : politefjc de M. Anfon , & retenue des Anglois envers les femmes Ffpagnolcs : il fait réparer & armerfes chaloupes. APRÈS avoir parle en peu de -r- _ 1 • r • Anson. . mots des infortunes qui accom- Chap< V(I< pagnerent les gens de l'Equipage du An> ,74, "Wager, nous allons reprendre le fil . de ce qui concerne M. Anfon , que de MaSSué! nous avons laiffé k l'Ifle de Juan-Fer-ro- nandez. La Chaloupe le Tryal qu'il avoit envoyée à l'Ifle de Mafa-Fuero, R iv 3Ç2 DÉCOUVERTES ~"A-— revint à celle de Juan-Fernandez 1 Anson. . r v „ . Chap. v j. environ une femame après 1 arrivée An. i7iU de la Pinque l'Anne, ayant fait le tour de l'Ifle, fans avoir trouvé aucun des vaiffeaux de l'Efcadre. Cette Ifle que les Efpagnols appellent le petit Juan-Fernandez , eft un peu plus grande & d'un meilleur terrein qu'on ne l'a précédemment repré-fentée. Les anciens Ecrivains en ont parlé comme d'un petit rocher nud , fans bois , fans eau, & entièrement inacceffible ; au lieu que les Anglois l'ont trouvée couverte d'arbres, avec plufieurs belles cafcades d'eau qui tombent de la côte dans la mer. Il y a aufîi du côté du Nord un endroit oii un vaiiTeau poiirroit jetter l'ancre, mais il feroit trop expofé à tous les vents., excepté à celui du Sud. On y trouve une grande quantité de Lions oC de Veaux marins , outre beaucoup de Chèvres , qui n'ayant jamais été troublées ,ne connoiffoient pas le danger jufqu'à ce qifon eut tiré fréquemment fur elles ; & comme les Efpagnols n'ont pas jugé cette Ifle affez confidérable pour être fréquentée par leurs ennemis, ils n'en ont pas détruit les provifions, en mettant des chiens à terre. Quand on eut déchargé la Pinque, "ÂnsSn! ce qui employa la fin du mois d'Août, chap. vu. îe Chef d'Efcadre eut le chagrin de An- 1741-voir crue la plas grande partie des. °" trouve .,i , r. ÖA , 1 „ , Ja Pinque provifions ctoient gâtées par 1 eau de hors d'état de la mer, & que le bâtiment , bien examiné par le charpentier, étoit hors d'état de fervir. En conféquence, fur la requête que le maître, nommé M. Gérard préfenta à M. Anfon, au nom des propriétaires, le Chef d'Efcadre acheta pour la fomme de trois cents livres fterling le bâtiment avec tout ce qu'il, contenoit, & le maître ainfi que tous les hommes pafferent à bord du Gloucefler. Tous les gens d'Equipage partagés alors entre les trois bâtiments , ne montoient qu'à trois cents trente-cinq hommes, y compris les Mouffes,& ce nombre n'auroit pas même été fuffifanr pour former l'Equipage complet du Centurion. On approchoit de jour en jour de !•« Angïofj la faifon où la navigation efl la plusÇatE' É£ favorable dans ces mers, & les gensPaSnol« s'occupoient fortement à rétablir les bâtiments. Le 8 de Septembre, vers onze heures du matin , on découvrit une voile qui approchoit de l'Ifle, ce Rv 394 Découve pJ't e s Anson ^ ^ e^P^rer ^ M. Anfon que ce Chap. vu. feroit un des vaiffeaux de fon Efca-An. i74i. dre ; mais quand on vit qu'elle tour-noit à l'Efl, on jugea que c'étoit un bâtiment Efpagnol. Le Centurion qui étoit le plus près, fe mit en mer avec toute la diligence qu'on put faire , mais la nuit étant furvenue, on perdit ce vaiffeau de vue, ck le lendemain , quoique le temps fut très ferein, on eut le chagrin de ne plus le découvrir, même du haut du grand mât. Les Anglois réfolurent cependant de continuer leur pourfuite ; mais après avoir croifé ce jour entier 6k le lendemain, ils fe déterminèrent à retourner à Juan-Fernandez. Le i o ? vers trois heures du matin , un vent frais de Sud-Oueff s'étant élevé , les obligea de diriger leur cours au Nord-Oueff, ck au point du jour ils ap-perçurent à cinq lieues de diff ance un bâtiment qui n'étoit pas le même que celui qu'ils avoient vû quelques jours avant. L'Equipage du Centurion fît alors force de voiles ; ce bâtiment vint à eux , mit pavillon Efpagnol, 6k fit un fignal comme à un confor, mais voyant qu'on ne lui répondoit pas , il tourna aufli-tôt au Sud. des Européens. 395 Comme ce navire paroiffoit un gros- vaifTeau, & qu'il avoit pris par erreur a^fC le Centurion pour fon confor, on pen- An. 1 laque c'étoit un vailleau de guerre de l'Efcadre de Pizarro, ce qui porta M. Anfon à donner ordre de rompre toutes^ cabannes des Officiers, &c de les j etter en mer , avec plufieurs banques d'eau , ainfi que les provifions qui étoient entre les canons ; mais quand on fut plus près , on reconnut que c'étoit un navire marchand qui n'avoit que très peu de canons, & qui fe rendit quand on lui eut tiré quatre volées. M. Sau-marez, premier Lieutenant du Chef d'Efcadre eut ordre de prendre pof-fefJion de la prife , &C d'envoyer les Officiers , les paffagers, & enfuite tous les autres prifonniers à bord du Centurion. Ce bâtiment fe nommoit Nueffra-Senora-del-monte-Carmelo, étoit commandé par Manuel Za-morra. Lorfque M. Saumarez paffa à bord de la prife , les Efpagnols le reçurent avec les plus baffes foumif-fions , étant remplis de terreur, & dans la plus grande crainte de recevoir de mauvais traitements. Le Lieutenant fît fes efforts avec beaucoup de po- " anson ütetfes pour difliper leur frayeur ,îes Chap. vil. affura qu'elle étoit très mal fondée, An. 17+1. èk qu'ils tomboient entre les mains d'un ennemi généreux. La cargaifon confifloit particulièrement en lucre , en une grande quantité d'étoffes, du coton 6k du tabac ; mais re qu'on trouva de plus confidéraure furent quelques caiffes de vaiffelle d'argent, 6k vingt-trois ferons de piaffres , dont chacun pefoit plus de deux cents livres aver-du-pcis. Le vaiffeau, de quatre cents cinquante tonneaux , étoit chargé pour le port de Valparaifo , dans le Royaume du Chili. inftriicVioos Suivant ce qu'on apprit par les qu'Us en te. ' • v . . / . f \ ,l . ~ joivem. pnlonmers qui étoient a bord, ainh que par les lettres èk les papiers qui tombèrent entre les mains de M. Anfon après la prife du vaiffeau , on fut informé avec certitude de la force 6k de la defîination de l'Efcadre de l'Amiral Pizarro qui avoit croifé à la hauteur de Madère, dans le temps où les Anglois y avoient pane , avoit enfuite donné la chaffe à la Perle, quand ce bâtiment étoit allé à Saint-Us appf™ Julien , 6k avoit enfin éprouvé tous nent les me* ' r Anes qu'on les malheurs que nous avons rap- avoir prifes ' ment comte Lorfque Pizarro avoit envoyé un des Européens. 397 exprès au Viceroi du Pérou pour lui Anson. demander deux cents mille piaftres , Chap. Vil, il lui avoit fait dire qu'il étoit pofîîble An l74U qu'au moins une partie de l'Efcadre Angloife entrât dans la mer du Sud : mais que fâchant par fa propre expérience qu'elle feroit dans un état très foible & fans défcnfe, il confeil-IoitàSon Excellence d'envoyer dans la partie du Sud tous les vaiffeaux de guerre qu'il poiirroit raffembler ; qu'ils enleveroient vraifembîablement les navires Anglois Iesuns après les autres avant qu'ils puffent gagner aucun port, de rafraîchiffement,è^ qu'il ne doutoit pas que fes vaiffeaux ne s'en rendiffent aifément les maîtres. Cet avis fut très approuvé du Viceroi qui fit aufli-tôt mettre en mer quatre vaiffeaux de Callao, l'un de cinquante canons , deux de quarante , tk un de vingt-quatre. Ils étoient deftinés à joindre Pizarro quand il arriveroit fur la côte du Chili ; trois établirent leurcroifiere à la hauteur du port de la Conception , tk le quatrième à l'Ifle de Juan-Fernandez. Ils y croiferent pour chercher l'Efcadre de M. Anfon jufqu'au 6 de Juin, mais n'ayant vu jufqu'alors aucun de fes vaiffeaux, tk jugeant Anson cï11'^ ^eur ^l°'lt ^mP°^^e ^e temr » Chap. vii. long-temps la mer, ils quittèrent leur An. i74i. croifiere, &: retournèrent à Callao. Cette circoniiance remarquable prouve que les événements regardés par M. Anibn , & par tous les gens comme l'infortune lapins terrible, ôc qui lui coûtèrent réellement la vie d'un grand nombre d'hommes, furent cependant la caufe delaconfervation du refle. En effet , li les Anglois avoient gagné l'Ifle dans le temps où M. Anfon penfa l'avoir vue, qui étoit le 28 de Mai , où ils en étoient réellement très proches , ils n'auroient pu manquer de tomber entre les mains de leurs ennemis. Ils étoient alors dans un tel état de foibleffe , que la plus médiocre défenfe leur auroit été impoflible. Le Tryal, le Gloucefter & la Pinque l'Anne qui abordèrent féparément à la même Ifle auraient éprouvé un femblable fort, & M. Anfon ainfi que tous les hommes demeurés vivants auroicnt été emmenés prifonniers à Callao. Quand on apprit ces nouvelles, les gens du Centurion ne doutèrent plus que les jarres brifées , les cendres & les os de poiffon qu'ils avoient vus dans le des Européens. 399 temps de leur première defcente à Anson- * Juan-Fernandez, n'y- eullènt été laines Chap VII. par le bâtiment qui avoit croifé à la An. i74i. hauteur de ce port. Outre toutes les circonfiances re- M. Anfon latives à Pizarro , que le Chef d'Ef- S^jf»1 à cadre apprit des pnlonniers oc.des papiers qu'on trouva à bord du Car-melo, il fut encore averti que l'Embargo mis au mois de Mai précédent fur tous les navires de cette mer, étoit actuellement levé, ce qui lui donna l'efpérance de faire d'autres prifes confidérables, pour fe dédommager de FimpoiTibilité où il fe trou-Voit d'exécuter quelque entreprife importante contre les érabliffements Efpagnols. Le Chef d'Efcadre étant ainfi fatisfait fur les principaux objets qui pouvoient l'intéreffer, prit à bord la plus grande partie des prifonniers, avec tout l'argent, & mit à la voile pour Juan-Fernandez , où il jetta l'ancre le lendemain avec fa prife. Après avoir interrogé plus en détail U.Jemete» les prifonniers, & examine plus par- fon Lfeadre. ticuliérement les papiers, on reconnut que plufieurs autres vaiffeaux marchands avoient été chargés à Callao pour Valparaifo. Le Chef d'Ef- Anson cac^re employa dès le lendemain ma-Chap. vii. tin la double chaloupe le Tryal, pour An. mi. croifer à la hauteur de ce dernier port, &ilréfoîut auffi de léparerlesvaifîèaux qui étoient fous fes ordres , afin de les employer en différentes croifieres, ce qui les mettrait plus à portée de faire des prifes, & feroit moins fujet à jetter l'allarme fur la côte. Les matelots oublièrent alors toutes leurs fatigues précédentes, reprirent leur activité ordinaire, & fe préparèrent avec une diligence infatigable à quitter fille de Juan-Fernandez. Comme ces préparatifs , malgré toute leur induûVie ne pouvoient manquer de les occuper quatre ou cinq jours : M. Anfon, pendant cette intervalle donna ordre de mettre à bord de la prife le Carmelo, l'artillerie de la Pinque l'Anne qui confiftoit en quatre pieces de lix livres, quatre de quatre livres, & deux mortiers. Il mit fix palfagers & vingt-trois matelots à bord du Gloucefter , pour aider à la manœuvre , & donna ordre au Capitaine Mitchel de partir de l'Ifle de Juan-Fernandez, pour croifer à la hauteur de celle de Payta , à une diftance du rivage , affez éloignée pour ne pas des Européens. 401 £rre découvert, & de demeurer dans "anson ' ceire croifiere jufqu'à ce qu'il y fût ch. VIL joint par le Centurion. Quand M. An Anfon eut donné ces ordres , il leva l'ancre le 19 de Septembre , de confervé avec la prife ; fortit de la baye, quitta l'Ifle de Juan-Fernandez, & fit voile à l'Oueft pour joindre la double chaloupe le Tryal qui croifoit à la hauteur de Valparaifo. Le Centurion , après avoir quitté le Tmi rifle de Juan-Fernandez, fut retenu^1"»^"^ trois jours par l'inconflance des vents, à la vue de cette Ifle. Le 25 de Septembre, un peu avant le coucher du foleil , il découvrit deux voiles à l'Efl, & la prife avança directement de ce côté, en fe féparant du Centurion , pour ne pas donner lieu de foupçonner eue c'étoient des bâtiments en croifiere. M. Anfon qui avoit tout difpofé pour le combat , mit toutes fes voiles pour s'avancer vers ces vaiffeaux. Aufii-tôt qu'il eut été apperçu par l'un des deux qui pa-roiffoit être un navire de force, ce dernier vint directement à lui, pendant que l'autre fe tenoit à quelque diftance. A fept heures du foir, le Centurion fe trouva à la portée du 40Z DÉCOUVERTES T-- piflolet de celui qui étoit le plus près 1 A.NSON. r i i ' 1 a x . r o,i Ch. vu. ayant une bordée prête a tirer, oc les . canoniers tenant leurs mèches alumées Un. 1741. , r , pour mettre te teu au premier ordre. AufÏÏ-tôt que M. Anfon vit qu'il étoit impofïïble que ce bâtiment échappât, il ordonna au maître d'appeller en Efpagnol, avant de faire tirer le canon ; mais l'Officier qui commandoit à bord, & qu'on reconnut pour M. Hughes , Lieutenant, du Tryal répondit en Anglois. Il dit que ce bâtiment étoit une prife faite quelques jours avant par le Tryal qui étoit l'autre vaiffeau qu'on voyoit à quelque diftance , mais qu'il avoit perdu fes mâts. Le Tryal joignit enfuite le Centurion ; le Capitaine Saunders, qui commandoit , vint à bord , &c dit au Chef d'Efcadre que cette prife étoit un des meilleurs voiliers, qui lui avoit coûté trente-fix heures de chaffe ; crue pendant quelque temps il avoitdéfefpéréde s'en rendre maître: que les Efpagnols avoient d'abord été allarmés en voyant comme un nuage de voiles qui les pourfuivoient, parce que le corps du navire étoit fi enfoncé dans l'eau qu'on n'en voyoit aucune partie ; mais que remarquant des Européens. 403 enfuite combien le Tryal gagnoit peu ' anson* fur eux, ils avoient ceffé de craindre, ch. vil' 6k avoient changé de cours pendant a ho r An. ijiU nuit, en fermant toutes leurs fenêtres , pour qu'on ne vit aucunes lumières : que cependant une fente dans un des volets avoit rendu toutes leurs précautions inutiles ; que les gens du Tryal voyant toujours cette lumière, avoient continué de lui donner la chaffe jufqu'à ce qu'ils euffent été à la portée du canon : que le Capitaine Saunders leur avoit inopinément donné l'allarme par une bordée, ck qu'il n'avoit pas eu le temps d'en tirer une féconde, parce qu'ils avoient baiffé les voiles, 6k s'étoient fournis fans oppofition. Ce vaiffeau nommé l'Aranzazu , étoit un des plus gros navires marchands employés dans ces mers , 6k portoit fix cens tonneaux de charge. La cargaifon étoit à peu près la même que celle du Car-melo , mais il n'y avoit que pour environ cinq mille livres fferling d'argent. Ce fuccès fut en quelque forte ba- te Tryal eft lance par le malheur qui arriva auma?c;(iaii^ Tryal d'avoir fon grand mat fendu : mâcs. le mat du grand hunier tomba dans * Anson " ^a mer' ^ ^ .^demain •> Perl* ch. vu! dant qu'ils faifoicnt tous voile à l'Eft, 4 le mât de Mifène fut rompu. Ces ac- An, 1741. . . , . „ t1 ta 1 cidentsetoientd autant plus fâcheux-, qu'on ne pouvoit lui donner de fecours, parce que le vent fouffloit avec tant de force , que le Chef d'Efcadre n oia haz.arder de mettre fa chaloupe en mer. Il ne vouloit pas laiiièr ce bâtiment dans une fituation auffi fâ-cheufe , & il fut obligé de l'attendre pendant près de quarante-huit heures, ce qui les écarta tous de leur Croifiere, & leur fit craindre avec raifon d'avoir manqué quelque riche capture. On le coule Le 27 , le temps étant beaucoup àfond & Ton _j caime M. Anfon envoya fa cha- loupe au iryal: le Capitaine vint a bord du Centurion , 6k: lui donna un aéfe figné de lui, & de tous les Officiers , pour représenter que fon bâtiment, outre qu'il étoit démâté , avoit tant de fentes de tous côtés qu'on étoit obligé d'employer la pompe clans le temps le plus modéré ; que s'il furvenoit du gros temps, ils ne pourroient manquer de périr tous. Sur cette repréfentation , le Chef d'Efcadre voyant qu'il n'avoit pas ce qui auroit été nécefTaire pour le ré- des Européens. 40? parer, donna ordre de le détruire - —'— mais jugeant qu'il étoit à propos de ckV paroître toujours avoir la même An r force, 6k fâchant que la prife du Tryal avoit fouvent été employée en vaiffeau de guerre par le Viceroi du Pérou, il ordonna qu'elle feroit établie frégate au fervice de Sa Ma-jeflé Britannique, pour être montée par l'Equipage du Tryal , fous le même Capitaine, ck fous les mêmes Officiers. Pendant que cette prife étoit au fervice d'Efpagne , elle portoit trente-deux canons, mais on ne lui en donna alors que vingt, dont douze furent pris fur le Tryal, avec huit qui avoient été fur la Pinque l'Anne. Tout étant ainfi réglé, le Capitaine Saunders eut ordre d'enlever du Tryal les armes 6k les munirions de guerre 6k de bouche, ainfi crue tout ce qui pouvoit fervir aux autres vaiffeaux ; après quoi on le coula à fond. On donna à cette nouvelle frégate le nom de la prife du Tryal : le Capitaine eut ordre de croifer à la hauteur de l'Ifle de Valparaifo , d'y ' demeurer vingt-quatre jours, 6k s'il n'étoit pas joint dans cet efpace de temps par le Chef d'Efcadre , de ga- 406 découvertes ' A 1 ■■ gner la côte du Pufco ou de Nafca ^ Oh Sv°n* où il trouverait furement M. Anfon. An. 174& Après que ces ordres eurent été donnés , le Centurion quitta les autres vaiffeaux le foir du môme jour, 2,7 de Septembre, pour croifer pendant quelques jours à la hauteur de Valparaifo. tes Anglois Quoique cette difpofition fut la font une nou- i l ? a • vciic prife. plus prudente qu on put imaginer , relativement au peu de forces qui étoient fous les ordres du Chef d'Efcadre ; il n'eut pas le bonheur de rencontrer aucun vaiffeau dans ces différentes croifieres. M. Anfon fut joint par les prifes du Tryal tk du Centurion , dont la dernière avoit aidé à vuider & à couler à fond la double chaloupe ; &ilréfolut de rejoindre le Capitaine Mitchel qui étoit en croifiere à Payta, afin que fi l'on mettoit hors une Efcadre de Callao ils pûffent la bien recevoir , en réunifiant leurs forces. Dans cette intention , ils dirigèrent leur cours au Nord , tk le 5 de Novembre ils furent à la vue de la haute terre de Barranca ; environ une heure après l'avoir découverte, ils eurent la fatisfaction qu'ils atten-doient depuis-fi long-temps de voir' des Européens. 407 une voile à laquelle ils donnèrent_ auili-tôt la chaffe ; mais le Centurion Anson. étant beaucoup meilleur voilier que chVl • les deux prifes, les perdit de vue, &c An' l741* gagna confidérablement fur le vaiffeaii qu'il pourfuivoit. Cependant la nuit étant furvenue, il le perdit auffi de vue vers les fept heures du loir, &c les Officiers étoient indécis fur le cours qu'il falloit tenir, mais à la fin M. Anfon décida que puifqu'ils avoient le vent favorable, ils ne dévoient pas en changer. On continua la chaffe environ une heure & demie dans les ténèbres ; quelques-uns s'ima-ginant de temps en temps voir les voiles de l'ennemi directement devant eux. Enfin M. Brett, fécond Lieutenant l'apperçut directement à bas bord qui faifoit cours vers la haute mer , à. quatre points de différence de celui du Centurion. Auffi - tôt on fuivit le même cours, on le joignit en moins d'une heure, & il amena après qu'on, eut tiré quatorze coups de canon. M. Dennis , troiliéme Lieutenant du Centurion fut envoyé dans une chaloupe , avec feize hommes pour prendre poffeffion de la prife qu'on trouva d'environ trois cents tonneaux. On 408 DÉCOUVERTES l~A^-la nommoit la Sanra Terefa-de-Jefus * Ch. vu! elle alloit de Guiaquil à Callao , 6k An. 1741. étoit chargée de peaux, de bois , de tabac, de cacao , de noix de coco, de r71 de Pito qui ert très fort, 6k qu'on fait d'une efpece de plante, de cire, de drap de Quito , ck: de plufieurs autres denrées ; mais l'argent qu'on trouva à bord ne montoit pas à plus de cent foixante-dix livres fterling. Quoique cette cargaifon fut de grande valeur pour les Efpagnols , comme on avoit les ordres les plus précis de ne pas rançonner leurs vaiffeaux ; toutes les marchandifes qu'on leur prenoit dans ces mers, excepté celles qui pouvoient fervir aux Anglois , ne donnoient d'autre avantage que celui d'en priver leurs ennemis. Poiircflcdc Outre l'équipage compofé de qua-fctciu!e°dcf rante-cinq hommes, il y avoit à bord vctScsVc"" dix palîagers,favoir quatre hommes ck mes Efpa- " trois femmes nés dans le pays , mais gnoics. je parents Efpagnols avec trois efclaves noirs qui les accompagnoient. Les femmes étoient une mere ck deux filles dont l'aînée avoit vingt èk un ans, 6k la plus jeune quatorze. Ces femmes furent frappées de la plus grande terreur ? ck plongées dans le chagrin des Européens. 409 chagrin le plus vif", quand elles virent1- qu'elles tomboient entre les mains ch! Vi?* d'ennemis que les outrages commis An 1 par les boucaniers, tk les difcours des prêtres Efpagnols leur faifoient regarder comme les plus brutaux tk les plus terribles de tous les hommes. Leurs craintes étoient beaucoup augmentées par la beauté extraordinaire de la plus jeune de ces demoifelles, tk par les difpofitions à la débauche , où elles avoient lieu de croire qu'elles trouveroient des matelots qui n'avoient pas vu une feule femme depuis près de douze mois. Remplies de ces terreurs, elles fe cachèrent aufli-tôt que l'Officier vint à bord, tk quand elles furent découvertes, il eut beaucoup de difficulté à leur perfuader d'approcher de la lumière. 11 les convainquit bientôt par fa conduite polie, tk par les affurances qu'il leur donna de toutes fortes de bons traitements tk d'une fureté parfaite , que toutes leurs craintes étoient fans fondement. M. Anfon inffruit de la terreur qu'elles avoient fait paroître, leur fît dire aufîi-tôt qu'elles demeu-reroient à bord de leur vaiffeau ; qu'elles auruient les mêmes appar-Tom. XL S 410 DÉCOUVERTES --tements , & continucroient à jouîr vïî" de tout ce qui étoit à leur ufage avant leur prife. Il donna auffi les ordres les 74 ' plus févéres pour qu'on ne les inful-tât en aucune manière, & qu'on ne leur fît aucune peine. Pour leur donner plus de certitude que ces ordres feroient exécutés , & en même-temps pour leur procurer les moyens de fe plaindre , fi quelqu'un y contrevenait : il permit à leur pilote qui en général eft. la féconde perfonne à bord des vaiffeaux efpagnols, derefferavec elles comme leur protecteur. M. Anfon choifit cet homme par préférence , parce qu'il parut prendre un intérêt particulier à ce qui concernoit ces femmes ;& parce qu'il avoit d'abord déclaré qu'il étoit marié avec la plus jeune. On connut cependant depuis qu'il l'avoit dit uniquement dans la vue de pouvoir mieux les garantir contre le traitement qu'il craignoit qu'elles n'éprouvaffent, en tombant entre les mains des Anglois. Cette conduite compathTante, & cette douceur dont on ufa avec elles, diffipa entièrement leur confternation ; cV. elles parurent très fatisfaites & très gaies tout le temps qu'elles demeurèrent prifonnieres. Le lendemain matin, le Centurion anson lut joint par fes deux confors, & ils ch vu.' firent cours au Nord , étant alors An i74i. quatre voiles de compagnie. Ils „ . virent la mer autour d eux, d un tres rcr & nr,'ier beau ronge , fefpace de plufieurs feschalouf«. milles, ce qu'ils attribuèrent à la quantité étonnante de frai de poiffon qui nageoit fur la furface de l'eau. On en mit dans un verre à boire ; elle parut d'abord trouble, & peu de temps après devint auiîi tranfparente que du cryftal, avec quelques globules rouges & glaireux quinageoient dans la partie fupérieure. Comme il y avoit beaucoup de bois fur la nouvelle prife , M. Anfon donna ordre de réparer les chaloupes, & de mettre des pierriers à la proue, tant de la Barge que de la Pinaffe, afin d'en augmenter la force, dans le cas où l'on feroit obligé d'en faire ufage pour aborder quelques vaiffeaux ou pour fajre quelque expédition à terre. Sij ■ CHAPITRE VIII. Température de Pair dans ce climat : caufes de cette température : les Anglois font une nouvelle prife : projet pour furprendrc Payta : Defcription de cette ville : préparatifs pour l'expédition : les Anglois s'emparent de la place : ils fe rendent maîtres du Fort : ils pillent la ville ; les Efpagnols fe raffemblent : ils ne font aucun mouvement contre les Anglois. AwsON ' X Es Anglois continuèrent à faire ch. vin". 1—'cours au Nord ; & il ne leur An. 1741. arriva rien de remarquable pendant Température deux ou trois jours, quoique les vaif-de £a,rdans féaux fuffent difpofés de façon qu'il étoit à peine poflible qu'aucun bâtiment ennemi pût leur échaper. En fuivant cette côte , ils obferverent qu'il y avoit un courant qui les em-portoit au Nord, & qui pouvoit faire faire environ dix milles par jour. Us étoient alors à peu près à huit dégrés de latitude méridionale , & ils c®m- des Européens. 415 mencerent à voir un grand nombre Ans on. de poiffons volants, & de bonites, Ch. vin. ce qu*ils n'avoient point trouvé depuis An. 174;. qu'ils avoient quitté la côte du Brésil. On remarque que vers la côte orientale de l'Amérique méridionale ces animaux s'étendent à une latitude beaucoup plus éloignéequevers la côte occidentale. Les matelots ne cefferent d'en voir lur celle du Brefil que lorf-qu'ils furent près du tropique méridional , ce qui vient fans doute des divers dégrés de chaleur qu'on trouve aux mêmes latitudes d'un côté ou de l'autre du continent. Il eff évident que la température d'un endroit dépend beaucoup plus des autres circon-ffances que de la diftance au pôle, ou de fa proximité de l'équinoctial. Les gens de l'Efcadre trouvèrent que la côte du Bréfil efl exceffivemcnt étouffante , & que celle de la mer du Sud aux mêmes dégrés de latitude, eff peut-être auffi tempérée qu'aucune autre partie du globe. En fuivant cette côte, ils ne fentirent pas une feule fois le temps auffi chaud qu'on le trouve fouvent dans les jours d'été en Angleterre , ce qui eff d'autant plus extraordinaire , qu'il ne S iij 414 DÉCOUVERTES Anson. tombe jamais dans ce pays aucune ch. vin. pluye qui puiffe rafraîchir l'air. Sur An. 1741. la côte du Pérou, & même fous la ligne equinoctiale tout concourt à faire préférer le grand air& la lumière du jour ; au lieu qu'en d'autres pays l'ardeur infuportable du foleil rend la plus grande partie du jour inutile pour le travail & pour l'amufement, & que les pluyes fréquentes n'y font pas moins incommodes dans les temps plus tempérés de l'année. Au contraire fous ce climat délicieux le foleil pa-roît rarement, parce qu'ilyfait toujours un temps couvert qui fufHt pour cacher cet aftre , & pour modérer la vivacité de fes rayons perpendiculaires , fans obfcurcirl'air, & fans rendre la lumière du jour mélancolique ou défagréable. Ainfi toutes les parties de la journée font propres au travail & à l'exercice en plein air , même la fraîcheur agréable occalionnée par les pluyes dans les autres climats fe fait aufîi fentir dans celui-ci oii elle eff apportée par les brizes des régions plus froides du côté du Sud. causes eje Qn ne „eut (l0llter que cette tempé- «ure. rature agréable ne foit due particulièrement au voifinage de ccsvaftes mon- des Européens, 415_ tagnes nommées les Andes qui, en Anson. fuivant prefque parallèlement le ri- ch. vin. vage dont elles ne s'écartent que très peu, & en s'élevant plus haut qu'aucunes montagnes qui foient fur la fur-face de la terre, forment fur leurs coteaux une grande étendue de pays, où fuivant le plus ou le moins d'éloi-gnement du fommet on trouve dans toutes les faifons les variétés de toutes fortes de climats. Ces montagnes arrêtent une grande partie des vents d'Eft qui tournent ordinairement fur le continent de l'Amérique méridionale , rafraîchiffent la portion d'air qui fe fait un paffage au-deffus de leur fommet, tk entretient la fraîcheur d'une partie confidérable de l'Atmofphere qui fe trouve contigu aux neiges dont ces montagnes font perpétuellement couvertes. C'efl ainfi que les Andes, en répandant l'influence de leurs fommets glacés fur les côtes voifines & fur les mers du Pérou, font à n'en pouvoir douter la caufe de cette température , & de l'égalité qu'on y remarque en tout temps. Quand l'Efcadre eut avancé au-delà de l'Equateur, & qu'elle fe fut éloignée de ces montagnes, les S iv Anson. Anglois n'eurent plus pour les garan-ch. vin. tir des vents d'Eft que les terres éle-Aa, 1741. vées de l'Ifthme de Panama qui ne font que des Taupinières en comparaifon des Andes ; ils trouvèrent en très peu de temps un climat totalement différent , tk en deux ou trois jours ils pafferent de l'air tempéré du Pérou, à l'Athmofphere brûlant des Indes occidentales. Les Anglois Le IO de Novembre, M. Anfon font une nou-y. » . - 111 vc.ie prife. le trouva a trois lieues de la plus méridionale des Ifles de Lobos, fituée à 6 dégrés 2,7 minutes de latitude méridionale. Etant alors près de la croifiere choifie pour le Gloucefter, il alla toute la nuit à petites voiles, mais le lendemain matin au point du jour, il vit près du rivage un vaiffeau qui avoit paffé l'Efcadre à la faveur de la nuit, & qui louvoyoit fur la côte. Aufli-tôt qu'il fe fut affuré que ce n'étoit pas le Gloucefter, il fit lever toutes les voiles, tk lui donna la chaffe : mais comme il n'y avoit que très peu de vent, ce qui empêchoit les vaiffeaux de faire beaucoup de chemin , il donna ordre d'appareiller & d'armer la barge,la pinaffe, tk celle du Tryal, pour continuer la chaffe , tk aborder des Européens. 417 _ ce bâtiment. Le Lieutenant Brett, Ans on. cmi commandoit la barge, le joignit Ch- viJi* vers neuf heures du matin, l'aborda , An- W« tira une volée de moufquetterie entre les mâts par-delliis la tête de ceux qui le montoient, 6k y entra aulîi-tôt avec la plus grande partie de fes gens, fans trouver la moindre réfilfance , les ennemis étant effrayés par la moufquetterie , 6k par l'éclat des fabres. Le Lieutenant Brett fit aufîi-tôt amener les voiles , donna fes ordres pour que le bâtiment joignit le chef d'Efcadre , & reprit avec foi les deux pinaffes. Quand il fut à quatre milles du Centurion, il fe mit dans la barge, avec un nombre de prifonniers qui l'avoient inftruit de quelques faits importants , dont il défiroit faire part à M. Anfon ,1e plus promptement qu'il lui feroit poflible. La prife fe nommoit Nueffra-Senora-del-Carmin; elle étoit d'environ deux cents foixante - dix tonneaux , avoit A bord quarante-trois matelots , 6k étoit très chargée d'aci'ta* bâtiment jufqu'au port de Payta, étoit le Gloucefter, ce qui fut confirmé par la fuite. Voyant que celui dans lequel on devoit embarquer l'argent , étoit eflimé comme un des meilleurs voiliers, 6k qu'on lui avoit donné le fuif depuis peu, on jugea qu'il n'y avoit aucune apparence de pouvoir s'en rendre maître, fi on le laiffoit fortir du port. On fît auffi réflexion que les Anglois étoient découverts , __4lO DÉCOUVERTES on. que l'allarme étoit répandue fur toute VllJ' la côte ,& qu'ils ne retireroient plus • aucun avantage de leur croifiere, ce qui détermina le chefd'Efcadre, après s'être informé dans le plus grand détail , de la force, & de l'état de la place, à tâcher de la furprendre la nuit fuivante. ption Payta fitué dans un terrein ftérile, vlie'compofé uniquement de fables & d'ardoifes, efl à 5 dégrés 12 minutes de latitude méridionale. On n'y trouve pas une feule goûte d'eau fraîche , ni aucune efpece d'herbage ou de provifion , excepté du poiftbn &c quelques chèvres : mais à la diftance de deux ou trois lieues eft une autre ville nommée Colan , d'où l'on apporte fur des radeaux à Payta de l'eau , du maïz, des légumes , de la volaille, & d'autres denrées pour les vaiffeaux qui y abordent: à l'égard du gros bétail, on l'amené de Piura, qui eft comme , nous l'avons déjà dit à quatorze lieues dans les terres. L'eau qu'on apporte de Colan eft blanche & flatte peu la vue , cependant on prétend qu'elle eft très faine. Les habitants difent qu'elle traverfe de grands bois de falfepareille, & qu'el- des Européens. 411 *e efl imprégnée du fuc de ces ar- ~anson. bres. Quoique le port de Payta ne ch. vin. foit gueres autre chofe qu'une baye , An. 17+r. on le regarde comme le meilleur dans toute cette partie de la côte, & il efl vrai que l'ancrage y efl très fur & très commode. Il efl très fréquenté par tous les vaiffeaux qui viennent du Nord, parce qu'il n'y a point d'autre port de rafraîchiffement pour ceux d'Acapulco , de Sanfonate, de Réaléjo , &c de Panama qui vont à Callao. Le vent leur étant contraire , la plus grande partie de l'année il leur feroit impofîible de faire ces longs voyages , s'ils ne relâchoient fur la côte pour avoir de l'eau fraîche. La ville n'a que peu d'étendue , & ne contient qu'environ deux cents familles. Les maifons n'ont que le rais de chauffée, avec des murs de cannes fendues & de torchis , & les toits font couverts de feuilles. Quoique ces édifices foient très légers , ils fuffifent dans un climat, où la pluie efl regardée comme un prodige , & oii il fe paffe fouvent plufieurs années fans qu'il en tombe. M. Anfon s'informa des forces de la place, & apprit qu'elle n'étoit dé- 41X DÉCOUVERTES -fendue que par un fort, où il y avoit chap. vi T j feulement 8 pieces de canon, mais An, fans foffés ni rempart, n'ayant qu'un fimple mur de brique, avec une compagnie très foible pour unique gar-nifon, quoique la ville put armer ai-fément trois cents hommes de plus. Préparai Le cnef d'Efcadre voyant qu'il pour 1expe- , . . . ' J r b Ànion. n avoit pas befoin de toutes fes forces pour enlever cette place, & jugeant que fes vaiffeaux pourroient être vus à quelque diftance , même dans la nuit, ce qui allarmeroit les habitants & leur donneroit lieu d'enlever leurs effets les plus précieux , réfolut de faire fa defcente uniquement avec les chaloupes. En conséquence il chargea de ce fervice la barge à dix-huit rames , fa pinaiTe &c celle du Tryal. Il choifit pour cette expédition cinquante-huit hommes , bien fournis d'armes & de munitions & donna le commandement au Lieutenant Brett. Pour prévenir la confufion qui auroit pu arriver par l'ignorance où l'on étoit des rues de la place , & par les ténèbres de la nuit , il donna ordre à deux des pilotes Efpagnols de conduire le lieutenant à l'endroit le plus commo- des Européens. 413 de pour le débarquement & de fervir %~T~, 7~~ enfuite de guides à terre ; mais pour chap. v. 11. s'affurer de leur fidélité , il déclara An. !-4,, aux prifonniers qu'ils feroient tous mis en liberté & débarqués à terre , fi les pilotes fe conduifoient fîdelle-ment. En même temps il dit à ces pilotes que s'ils fe rendoient coupables de quelque trahifon ou de mauvaife conduite , ils feroient tués fur le champ, & qu'on emmeneroit prifonniers en Angleterre le refle des Efpagnols qui étoient à bord. Vers dix heures du foir , lesvaif- hesAt>s[°Ài ' s'emparent de leaux étant a cinq lieues de la place, la place le Lieutenant Brett, avec les chaloupes qui étoient fous fes ordres quitta l'Efcadre & arriva fans avoir été découvert à l'embouchure de la baye, mais à peine y fut-il entré qu'il fut apperçu par quelques gens d'un vaiffeau qui y étoit A l'ancre & qui fe jetterent aulïï-rôt dans leurs chaloupes. Ils ramèrent vers le rivage , en crianr, » les Anglois, les chiens »d'Anglois; « ce qui jetta immédiatement l'allarme dans toute la ville. Les gens des chaloupes virent en même temps plufieurs lumières qui alloient & venoient dans le fort avec d'au- ""Ànson tres mcuces ^ marcmoient que les Chjp. vi 11 habitants étoient en mouvement. An. i7+i. Alors le Lieutenant Brett encouragea fes gens à s'avancer en diligence, afin de ne donner aux ennemis que le moins de temps qu'il feroit pofîi-ble pour fe préparer à la défenfe. Avant que les chaloupes eufTent pu gagner la terre , les foldats du fort avoient préparé quelques pieces de canon, qu'ils pointerent vers le lieu du débarquement, la première volée paffa très près d'une chaloupe & l'on entendit le fifflement des boulets au-deffus de la tête des hommes. Les Anglois redoublèrent leurs efforts , gagnèrent le rivage & une partie fut débarquée avant la féconde volée. Aufli-tôt qu'ils furent à terre, l'un des pilotes Efpagnols les conduifit à l'entrée d'une rue étroite, où ils furent à couvert contre le feu du fort : ils fe formèrent le mieux qu'il étoit polfible en aufîi peu de temps , & marchèrent vers la place d'armes, qui étoit fort grande , à l'extrémité de cette rue , ayant le fort d'un côté & la maifon du Gouverneur de l'autre. Dans cette marche qui fut faite avec affés de régula- dès Européens. 425 rité, les cris & les clameurs de loi- anson xante marins , qui étoient depuis fichip. viii. long-temps à bord de leurs vaiffeaux , An, I74,. ck qui fe trouvoient pour la premie-re fois à terre dans un pays ennemi, animés par la joie qui accompagne toujours le débarquement Ók encouragés par l'efpérance d'un butin confidérable : les cris , dis-je de cet ardent détachement, joints au bruit des tambours, les firent paroître en fi grand nombre dans l'opinion de leurs ennemis , que la crainte fit plutôt chercher auxEfpagnolslesmoyens de prendre la fuite, que ceux de faire de la réfu^pnce. Cependant les marchands qui* avoient leur tréfor dans la ville , s'étoient portés avec un petit nombre d'autres habitants fur une galerie qui environnoit la maifon du Gouverneur, d'où ils firent une décharge fur les Anglois; mais quand on eut répondu à leur feu, ils abandonnèrent ce pofte ók les laifferent en poffeffion de la place. Après ce fuccès le Lieutenant Brett r 1 . IIî le ren- partagea les gens en deux partis ,dem maître dont il chargea l'un d'entourer la(1ufoct* maifon du Gouverneur , 6k de s'affu-rer s'il étoit poffible de fa perfonne, ""anson pendant que lui même, à la tête de Chap. vn'i. l'autre , marcha au fort pour s'en An. emparer ; mais il fut très furpris d'y entrer fans aucune oppolition, parce que les ennemis l'avoient abandonné à fon approche , ck s'étoient fauves par-demis les murs. Ainfi la place fut emportée en moins d'un quart d*heure, à compter du moment oii ils avoient commencé leur def-cente, fans autre perte que celle d'un homme qui fut tué 6k de deux bleffés. < Le Lieutenant Brett plaça aufli-tôt une garde au fort, une autre à la maifon du Gouverneur ck mit des fentinelles à toutes les avenues de la ville, tant pour ne pas être furpris par les ennemis, que pour empêcher de détourner les effets. Enfuite fon premier foin fut de s'emparer de la maifon de la douanne , où le tréfor éroit dépofé , 6k d'examiner fi quelques-uns des habitants étoient demeurés dans laville,afîn de prendre les mcfuresnéceffaires. Il vitbien-tôt qu'il n'avoit rien à craindre de ceux qui étoient reffés ; la plus grande partie étoient dans leurs lits , quand on avoit furpris la place , 6k ils avoient des Européens. 427 pns la fuite avec tant de précipita- / KSOK> tion qu'ils n'avoient pas même eu le Chap. v.ii. temps de prendre leurs habits. Le A:1> inSt Gouverneur n'avoit pas été le dernier à fonger à fe mettre en fureté : il avoit fui devant la plupart des autres demi nttd, & abandonné fa femme, âgée de dix-feptans, qu'il avoit epoufée depuis trois ou quatre jours : mais elle fut emmenée en chemife par deux fentinellesEfpagnoIes, dans le temps où le détachement arrivoit devant la maifon. Le petit nombre d'habitants qui étoient reftés, furent mis fous une garde dans une Eglife , à l'exception de quelques forts nègres, qu'on occuppa le refte de la nuit à tranfporter le tréfor de la douanne & de quelques autres endroits au fort, mais il furent toujours accompagnés d'une file de fufiliers. Le tranfport du tréfor de la douane Ik pillen* fut la principale occupation des gensla vllJe* de M. Brett, mais pendant que les matelots étoient ainfi employés, on ne put les empêcher d'entrer dans les maifons qu'ils trouvèrent fur leur chemin , pour y chercher leur butin particulier. Ce qu'ils remarquèrent d'abord , furent les habits que les Efpa- 4*| DÉCOUVERTES "A, "— gnols -avoient laiffés dans leur fuite. anson. ? • i i , , ciiap. vin. Suivant la coutume du pays ; la plus An. 1741, grande partie étoient brodés ou couverts de dentelles d'or ; les matelots s'emparèrent de ces vêtements éclat-tants , 6k les mirent par-deffus leurs chauffes pleines d'ordure 6k leurs fales j'aquetes ; ils n'oublièrent pas les peruques 6k les chapeaux bordés qu'ils trouvèrent avec les habits, & quand quelques-uns eurent commencé , ils furent bientôt imités par tout le détachement. Ceux qui arrivèrent les derniers, ne trouvant plus affez d'habits d'hommes pour s'en parer, prirent les robes ck les jupons des femmes ; tous ceux qu'ils trouvèrent affez riches , ils ne fe firent aucun fcrupute de les mettre, 6k de les joindre à leurs vêtements couverts de graiffe. M. Brett fut dans la plus grande furprife quand il vit la figure grotefque que leur donnoit ces habillements,6k le premier parti qui fe préfentaà lui dans ce ridicule équipage, étoit fi bien dé-guifé , qu'il eut peine à en reconnoître les hommes. Cependant le Centurion 6k les autres bâtiments vinrent à petites voiles à Pay ta,6k vers fept heures du matin ils fe trouvèrent à l'embouchure de la "i-' w • ' • v Anson. baye. Quoique ceux qui étoient jàcbap. Vilf. bord n'eulTent pas lieu de douter du An# , r< fuccès de l'entreprife ; ce fut toujours avec la plus grande joie qu'ils découvrirent par le fecours de leurs lunettes le pavillon Anglois élevé fur le fort. Alors ils entrèrent dans la baye le plus promptement qu'il leur fut pofïï-ble ; à onze heures, la chaloupe du Tryal vint à bord du Centurion , chargée de piaïtres & de vaiflèlle d'argent , & les Officiers firent leur rapport au chef d'Efcadre de tout ce qui s'étoit paffé la nuit précédente. M. Brett s'étoit occupé jufqu'alors Lfs rE£Pa,- \ tv c> \ r 1 'r {Tools fe raf- a ramaller bc a tranf porter les trelors, iemi>ient. fans aucun obffacle, pendant que les ennemis s'affembloient de toutes les parties du pays , fur une colline , derrière la ville. Ils fe firent voir en grand nombre, ayant entr'autres deux cents cavaliers, qui paroiffoient bien allures, bien montés, & accompagnés de trompettes, de tambours & d'étendards. Ils firent fur la colline une efpece de parade, avec beaucoup d'o-flentation, au bruit de tous leurs inffru-rnents militaires, en faifanttous leurs efforts pour intimider le petit nombre Anson 'd'Anglois qui étoient débarqués j chap. viii. quoiqu'ils n'en fuffent pas la quan- An. t7W. tiré, tk pour les engager à abandonner la plaee,avant d'avoir fini leur pillage. Cependant M. Brett continua tant qu'il fît jour à envoyer le tréfor,& à employer les chaloupes pour tranfporter a bord des rafraîchiffements tels que des cochons , de la volaille ck d'autres denrées. Pour prévenir toute furprife durant la nuit : le chef d'Efcadre envoya à terre un renfort qu'on diffri-bua dans tous les paffages qui con-duifoient à la Place d'armes, tk pour plus grande fureté, les rues furent fortifiées avec des baricades de fix pieds de hauteur. Les ennemis ne firent aucun mouvement pendant toute la nuit, tk au point du jour on recommença à charger les chaloupes, tk à u*™? font[es envoyer aux vaiffeaux. uciin mou- J . . , . ' ■ement con- On reconnut alors combien il au-Tfflis" An"rou* été important de s'affurer de la perfonne du Gouverneur, fi cela avoit été pofîible. S'il fut tombé au pouvoir des Anglois,ils l'auroient vraifembîablement engagé à traiter pour la rançon de plufieurs magazins remplis d'effets de grande valeur , que le chef d'Efcadre ne pouvoit faire tranfpor- des Européens. 431 ter à bord , faute de place, ce qui au- anson roit été très avantageux de part ôtcw v ùï. d'autre. Ce Gouverneur raffembla An. 17+I. toutes les forces du pays, plufieurs lieues à la ronde , & il fut fi fier de leur nombre, & fi content de fon nouveau commandement militaire , qu'il fembloit ne plus s'occuper du fort de fon gouvernement. Le chef d'Efcadre lui envoya plufieurs méffa-ges de prifonniers qu'on avoit faits, & offrit de recevoir une rançon pour la ville , à des conditions modérées, mais ce Gouverneur étoit devenu fi arrogant qu'ilne daigna pas môme faire de réponfe. Fin du Tome onzième. TABLE DES MA TI E RE S Contenues dans ce onzième Volume. A lg arrosa le s,feul v es du Pérou, 121. Alligator , ou Caïman du Pérou. Defcription de cet animal, 36. Ponte prodigieufe des femelles, ^7. Leur adrefie à prendre le poiflon, 39. Comment on en fait Ja chafTe, 42. Amancaes, montagne voi-fiiie de Lima, 161. Amancaes , fleur du Pérou , 190. Andes, montagnes d'Amérique. Leur defcription, 4M- Anfon ( M. Anfon ) eft nommé pour commander une Efcadre contre les Espagnols, 258. Il met à la voile : Etat de ion Efcadre, 2<;?. II arrive à Madère, 260. Il a remet à la voile, 279. Il jette l'ancre à l'Ifle Sainte Catherine, 282. Maladies qui fe mettent dans fon Efcadre , 186. Il eft trahi par le Gouverneur de Sainte Catherine , 288. 11 eft battu d'une tempête , 297. II arrive au Port Saint Jul-lien , 300. Il remet à la voile, 309. Il paffe le détroit de Lemaire ,310. Ses VailTeaux font horriblement fatigués par les tempêtes, 313. Ils font jettes vers le Cap Noir , 320. Tous fes VaifTeaux font difperfés, 321. Le fcorbut fe met dans le feul qui lui refte, 323. Symptômes de cette maladie, 324 Mor-talité entre fes gens, 3 50. DES MA Ils découvrent l'fle de Juan-Fernandez, 331. lis y abordent après beaucoup de difficultés, 3 36. Ils font rejoints par le Tryal, 337. On débarque les malades , 338. M. Anfon y fait dreffer des tentes, 343. Us revoient le Gloucefter, 3 54. Difficultés qu'il trouve à gagner l'iffe, 555. 11 aborde enfin à Juan-Fernandez , 358. M. Anfon y fait rétablir fes vaiffeaux, 361. Il envoie le Tryal à Mafa-Fuera , 363. 11 eft rejoint par la Pinque l'Anne , 566. Relation de ce qui etoit arrivé à ce bâtiment, 367. & fuivant. Avantures du Wager, 576 & fuivant. Retour du Tryal, 392,Us prennent un vaiffeau Efpagnol , 395. Us fe mettent en croiziere, 401. Us font une prife , 402. On coule à fonds le Tryal , 405. Us font une nouvelle prife, 407. Modération & politeffe des Anglois . 410. Ils font encore une prife, 416. lnlfructions qu'ils en reçoivent, 418. Us fe vendent maures de Tom. XL I E R E S. 433 Payta ■> 4^4- Us pillent les trcfors de cette place, 427. Antonio ( San ) montagne du Pérou : dangers qu'on éprouve en la traversant, 54. Grand fecours qu'on retire des mulets , e$. Arauco , pays du, Chili : comment on y fait le commerce, 198. Combien le vin eft dangereux pour les habitants , 199. leur manière de faire la guerre aux Efpagnols, 201. Leurs 1 rai-tés de paix ck leurs C.jn-grés, 204, Leur attachement aux Millionnaires , 2C8. B. Babahoyo, ville 6k douanne du Pérou, fa diftance de Guiaquil , 22. fia/ça, bois du Pérou , 19. Baisas , Radeaux du Pé-rou^ leur defcription, 29. Leur conftruch'on , 30. Grand ufage qu'on en fait dans ce pays , 31. Barbafco , herbe qui enivre le poifibn, yt, Barrana , ville du Pérou , 15 t. Séring , Chef- d'Efcadre T 434 T A -Kufle , eft chargé cie faire faire des découvertes , 23 S. Bethléem , Ordre de religieux au Pérou , 82. Ils font chargés du loin des hôpitaux, bj. Biru, ville du Pérou: fa defcription, 14^. Bouguer ( Monfieur ) Af-tronôme François , fe fépare de Dotn Ulloa, 3. Il monte avec lui fur la montagne de Pichincha , Brefil : Defcription de ce pays , 289. Quantité d'or qu'on en retire, 290. Des diamants , 292, ReftricYions mifes fur ce commerce j 294. C. CACAOTlSR : Defcription de cet arbre & de fon fruit, 17. Callao , ville du Pérou , engloutie par un tremblement de terre, 174. Effets terribles de ce phénomène , T76. Caracol, ville du Péfou: fa diftance de Guiaquil, Catherine ( ifle de Sainte ) fa fituation, 283. Ses productions, 284. Gou- B L E vernement de cette ifle, 287. Chagllas , oziers du Pérou , 166. Chançai, ville du Pérou : fa defcription , 1 ^4, Cheap ( Monfieur) Capitaine du Wager , eft fépare de l'Efcadre de M. Anfon, 321. fort vaiffeau fait naufrage, 3 77.Révolte de fes gens, 378. Ils l'abandonnent à terre , 382. Us gagnent la côte du Bréfil, 385- M. Cheap fe remet en mer, 386. Il refte à terre avec quatre hommes , 388. Ils gagnent les établiflemems Efpagnols , 390. Chili, pays de l'Amérique méridionale : fes richef-fes & fa fertilité , 197. Chimbadores, gens qui fervent à traverfer les rivières dans l'Amérique méridionale, 146. Chocope , ville du Pérou , 140. Sa defcription, 141. Pluie extraordinaire qui y tombe, 142. Chriftophe ( Saint) montagne voiiîne de Lima : fa hauteur, 160. Condamine (M. de la ) fe fépare de Dom Ulloa, DES MA f U monte avec lui fur la montagne de Pichincha, D. Darien, Ifthme d'Amérique : impoflibilité de le couper, 236. E. èta ts ( Terre des ) près le détroit de Lemaire : fa defcription, 310. F. Feu (Terre de) près le détroit de Lemaire : Af-affreux qu'elle préfente, 310. Fondai, ville dans l'ifle de Madère, 26"0# G. Gallinazo , Oifeaudu Pérou : chaffe qu'il fait des jeunes Alligators , 38. Godin ( Monfieur ) Aff ro-nome, fe joint à Dom George Juan, arrivent à Lima , 1 jf. Dom Ulloa prend le Commandement d'une frégate , 195. Ils fe rendent à fille de Juan Fer-nandez avec Dom George Juan , 196. Ils vont au Chili , 197. Us retournent à Quito , & unifient leurs obfervations, 211. Dom Ulloa s'embarque pour revenir en Europe , ibid. Il eft attaqué par les A n-glois . 214. U réufîit à leur échapper, 217. U fait voile pour Louif-bourg, 222. U tombe entre les mains de* Anglois , 224. Il eft conduit en Angleterre, 226. On lui rend fes papiers. Il efl- reçu Membre de la Société Royale , 232. Son retour en Ef-pagne, 233. W. Wa l t o n , Lieutenant Ruffe , part pour faire des découvertes, 240, 440 TABLE DES MATIERES. U eft fépare de Span- Son commerce avec les berg , 242. Relation de habitants eit intenom- ion voyage , 249. Il pu, 153. Son retour à aborde au Japon, 250. Ochotzk, 255. Fin de la Table des matières du onzième Volume.