123 Primož Vitez* Université de Ljubljana EFFETS GRAMMATICAUX DE L’OXYTONISATION EN FRANÇAIS 0 PRÉSENTATION DU PROPOS La relation entre l’accentuation et la syntaxe en français s’effectue sur deux axes : celui de la synchronie, concernant la congruence fonctionnelle des deux structures, et celui de la diachronie, concernant l’effet que les particularités prosodiques du français ont pu avoir sur la structuration syntaxique du système français. Les deux aspects sont liés puisque l’état actuel de la structure morphosyntaxique est conditionné par l’évolution du système et que les deux structures représentent deux niveaux d’analyse autonomes qui coopèrent, lors du processus de l’énonciation, dans l’objectif partagé d’assurer la cohérence structurelle et communicative du français. Le rôle dominant de l’oral dans l’usage de la langue laisse supposer que la parole, à long terme, génère les modifications et donne le cours au développement du système linguistique. Une évolution aussi particulière que celle de la prosodie du français devait avoir une part importante sur la formation de certaines singularités structurelles du sys- tème. L’analyse ci-dessous posera d’abord le cadre synchronique de la relation entre la prosodie et la syntaxe et se concentrera par la suite sur les particularités grammaticales, provoquées par la spécificité historique et actuelle de l’accentuation en français. En grammaire descriptive, et même en linguistique évolutive, les faits grammaticaux sont rarement interprétés par des arguments prosodiques. Il paraît toutefois que les traits spécifiques de certaines structures de la langue française justifient une telle approche méthodologique. 1 NOTIONS THÉORIQUES LIMINAIRES 1.1 Cohérence structurelle Les relations entre les structures linguistiques, constituant un système (notamment aux niveaux phonologique, morphosyntaxique, lexical, sémantique, prosodique etc.), ne s’établissent pas en termes de dépendance, mais en termes d’autonomie synchroni- sée (Vitez 1999a : 29), permettant à ces structures de coopérer dans le but commun, celui de la cohérence de l’énonciation et de la perception de l’énoncé. Les structures d’expression linguistique se présentent comme des degrés de liberté, terme mathéma- tique désignant de simples structures liées coopérativement afin d’atteindre un objectif complexe. Ce type de dynamisme structurel est comparable au mouvement du corps * primoz.vitez@ff.uni-lj.si UDK 811.133.1'367.2 DOI: 10.4312/linguistica.61.2.123-137 Linguistica_2021_2_FINAL.indd 123 20. 12. 2022 12:02:26 124 humain : lorsqu’on a l’intention de saisir un objet et que cet objet se trouve à une cer- taine distance par rapport à la position de notre bras, il faut exécuter les gestes néces- saires pour accomplir la tâche. Autrement dit, il faut agencer toutes les articulations nécessaires, épaule, coude, poignet, doigts – et n’en manquer aucune – pour que l’objet soit saisi. Ainsi, il suffit pour un énoncé de sortir incohérent ou avorté quand une seule structure fait défaut à la coopération énonciative ; il ne sera réussi qu’en faisant appli- quer toutes les articulations opératives. 1.2 Prosodie du français : trait distinctif de la parole L’image phonique générale, c’est-à-dire ses propriétés prosodiques et phonologiques, représente pour le français un ensemble de structures sonores qui constituent la spé- cificité essentielle de la langue française. Ses particularités accentuelles, concernant surtout la position de l’accent, ont engendré historiquement un type particulier de co- émergence du fait accentuel avec l’événement intonatif. Cet amalgame prosodique, typique de langues à accent fixe, dont le français, est à la source de l’impression audi- tive, donnée par les réalisations d’un phrasé (Astésano / Bertrand 2016 : 14) qui insiste systématiquement sur l’effet acoustique proéminent de la dernière syllabe des groupes accentuels. Comme l’impression auditive de l’accentuation se trouve amalgamée à la frontière du contour intonatif (ou mélodique) – et comme on ne reconnaît pas son intensité pour valeur déterminante – le français est souvent considéré comme une langue sans accent (Coustenoble / Armstrong 1934, Togeby 1965, Rossi 1980, Vitez 2014). Cette dési- gnation quelque peu métaphorique et paradoxale de l’accentuation française permet de comprendre la nature des automatismes énonciatifs selon lesquels les locuteurs de français langue maternelle marquent inconsciemment leurs attitudes communication- nelles par rapport au français, leur langue, mais aussi par rapport aux autres langues quand ils entreprennent de s’en servir. L’accent français est en même temps une notion phonétique et sociolinguistique. La communauté des analystes de la prosodie française a développé dernièrement un consensus (Jun / Fougeron 2003, Astésano / Bard / Turk 2007, Astésano / Bertrand 2016) sur l’existence systématisable d’une proéminence accentuelle sur la première syllabe de l’unité accentuelle. Il reste pourtant peu clair s’il s’agit de délimitation ac- centuelle d’une unité de sens en congruence avec le découpage syntaxique ou d’une certaine influence (Vitez 1999b : 119) de l’accentuation médiatique1 sur l’usage de la prosodie en français. Cette précision sur la nature de l’accentuation française ne relativise pas les moyens accentuels et intonatifs, provoquant une impression auditive spécifique de l’événement prosodique essentiel sur la dernière syllabe de l’unité. Il n’est pas difficile de montrer la façon selon laquelle l’accent français transforme les lexèmes 1 L‘usage de l‘accent d‘insistance par les locuteurs médiatiques, affectant la première syllabe de l‘unité – même les morphèmes qui sont considérés inaccentuables – s‘était automatisé dans les genres oraux télévisuels des présentateurs et journalistes. L‘accent initial est devenu ainsi a) une démarcation du début de l‘unité de sens (Astésano/Bertrand 2016 : 12) et/ou b) un accent phatique permettant au locuteur médiatique de maintenir l‘attention des auditeurs (Vitez 1999b : 117). Linguistica_2021_2_FINAL.indd 124 20. 12. 2022 12:02:26 125 empruntés aux autres langues. La «francisation» des mots étrangers ou de provenance étrangère consiste surtout à les accentuer sur la dernière syllabe : spaghettis, volleyball, parking, Canada, Fellini, et cætera. 1.3 Unité de sens : frontières accentuelles et syntaxiques En français, l’accent final n’a pas de potentiel distinctif, caractéristique des unités pho- nologiquement pertinentes, notamment du phonème. Le terme d’«accent final» même dénote sa position fixe : il en résulte que la fonction de cet accent, inhérent au sys- tème prosodique français, ne détermine pas la valeur sémantique des unités affectées – comme c’est le cas des langues à accents libres (Simon / Christodoulides 2016 : 84). Son rôle, c’est de marquer les limites des unités de sens et non la forme des unités de signification. Si le lexème ne constitue pas l’unité accentuelle en français, cette unité ne peut être que plus étendue sur le plan syntagmatique : sa dimension est celle du syntagme, son extension varie – en fonction de certains facteurs pragmatiques, dont le tempo – entre une et plusieurs syllabes correspondant à un ou plusieurs mots.2 En moyenne, elle est rarement inférieure à trois syllabes ou supérieure à sept (Riegel et al. 1999 : 57). L›opérativité de l›accentuation finale en français ne se situe pas seulement au plan syntaxique, mais également au niveau discursif (Vitez 2015) puisqu›elle permet aux interlocuteurs de s›orienter dans le découpage du sens, véhiculé par la structure énonciative. 1.4 Oxytonisation : vers une spécificité de la structure immanente du français L’oxytonisation est un processus évolutif qu’a subi le système linguistique français à partir du VIe siècle (Bourciez 1926, Fouché 1959, Grammont 1972, Vaissière 2001) et qui consiste à réduire la ou les syllabes post-accentuelles. Le développement du gal- lo-romain vers ce que l’on qualifie aujourd’hui de langue française a été conditionné par un trait prosodique particulier, inconnu dans les autres langues romanes. L’accent latin – dont la position était rigoureusement réglementée sur la syllabe pénultième ou antépénultième selon la quantité vocalique de celle-là – s’est donc imposé au français à l’endroit où il était placé originellement, mais sa position s’est stabilisée sur la dernière syllabe seulement à cause de la chute systématique des syllabes qui suivaient l’accent. «La place de l’accent s’est trouvée changée sans qu’on y est touché.» (Saussure 2016 : 179) Les paroxytons ou proparoxytons latins ont donc évolué de manière à se sys- témiser en oxytons français, unités accentuelles à accent fixe sur la dernière syllabe prononcée. Le repositionnement (stabilisation) de l’accent avait pour effet premier une trans- formation de l’unité accentuelle : du marquage du mot en latin, l’accent final français est progressivement passé au marquage du syntagme. La séquence de la chaîne parlée, 2 La notion de «mot» est ici accessoire. Les locuteurs ordinaires s‘en servent intuitivement sans avoir à se douter de la difficulté qu‘a la linguistique depuis Saussure de définir le terme systématique- ment. Dans l‘analyse segmentale de la chaîne parlée, cette unité est substituée par des définitions d‘ordre morphologique, lexical ou prosodique. Linguistica_2021_2_FINAL.indd 125 20. 12. 2022 12:02:26 126 affectée par l’accent, est devenue plus longue, comportant ainsi un nombre realative- ment élevé de syllabes inaccentuées. L’oxytonisation a produit ainsi la spécificité pho- nique et «musicale» de la prosodie française en général, parce qu’elle avait fait réduire systématiquement les syllabes post-toniques en faisant coïncider l’accent final avec l’événement intonatif sur la dernière syllabe du contour mélodique. 2 OPÉRATION SYNCHRONISÉE ACCENTUATION/SYNTAXE : VERS UNE CONGRUENCE DES STRUCTURES La double fonctionnalité de l’accent final français – sa fonction délimitative et contras- tive – permet d’établir un lien entre deux structures, toutes les deux constitutives au niveau syntagmatique de l’énonciation : si l’accent final marque la frontière d’une unité de sens, dans quelle mesure cette unité est-elle identifiable à la segmentation de la struc- ture syntaxique ? La nature de l’accentuation finale en français, combinée avec certains facteurs énonciatifs (relatifs aux intentions et autres propriétés des locuteurs), contribue à une qualité essentielle de l’unité accentuelle en français : sa virtualité (Garde 2013 : 82–83). L’extension de l’unité accentuelle étant instable, voire «arbitraire et contin- gente» (Togeby 1965 : 31), il est impossible de déterminer systématiquement l’enver- gure syntaxique de cette unité et sa portée syntagmatique. Il est toutefois concevable de proposer l’unité accentuelle minimale – séquence minimale susceptible de recevoir un accent final – et cette proposition correspond généralement, dans la structuration syntaxique de l’énoncé, au constituant syntaxique immédiat. Ainsi, l’énoncé (1) je ne crois pas que Pierre viendra vous voir pourrait en principe se réaliser accentuellement selon la découpage syntaxique de base, respectant la logique des unités normalement inaccentuables (indices, conjonc- tions, articles etc.), notamment comme (2) je ne crois pas / que Pierre / viendra / vous voir même s’il est plus probable que, dans la réalité de la parole, certaines séquences syntaxiques seront unies pour constituer une unité accentuelle plus typique, donc plus longue : (3) je ne crois pas / que Pierre viendra vous voir ou tout au moins (4) je ne crois pas / que Pierre / viendra vous voir. La première conclusion que l’on peut tirer de l’exemple donné, et qui concerne la relation de la structure accentuelle avec l’organisation syntaxique, c’est que dans les Linguistica_2021_2_FINAL.indd 126 20. 12. 2022 12:02:26 127 deux réalisations supposées spontanément probables, (3) et (4), la forme verbale ne reçoit pas l’accent. Or, ce fait accentuel n’entre pas dans la logique de la hiérarchie formelle en syntaxe où la forme verbale se voit attribuer la place centrale dans la struc- turation syntagmatique en tant qu’organisatrice de significations (Martin 1979 : 3) et porteuse de sens. Cela peut signifier que a) le verbe n’est pas au centre de l’informati- vité de l’énoncé ou que b) l’accent ne sert pas à appuyer la réglementation syntaxique de l’énonciation. Ce constat vient corroborer l’une des prémisses liminaires, à savoir celle qui attribue à l’accentuation une fonction dans la formation du sens et non dans celle des significations particulières. Ainsi, on observera que la première unité accen- tuelle de l’exemple proposé «je ne crois pas», tout en étant minimale, est la plus stable et autonome de toutes, puisqu’elle contient la négation (voir ci-dessous le paragraphe 3.2.3). L’adverbe négatif est systématiquement susceptible de recevoir le trait accen- tuel et, par là, tend à conclure l’unité prosodique. La fonction de la négation, dans un énoncé, n’est jamais purement syntaxique ; sa portée sémantique s’étend à la dénotation des éléments pragmatiques de l’énonciation, notamment à l’expression de l’attitude du locuteur, donc du sens global de l’énoncé. De plus, le centre informatif de la négation n’est pas le terme nié, mais la négation elle-même. C’est pourquoi l’adverbe négatif se retrouve systématiquement sous une forme d’accent, et souvent sous l’accent final. La co-action des structures accentuelle et syntaxique n’est pas un redouble- ment fonctionnel dans l’organisation de l’énoncé, elle produit un effet complexe de congruence de deux niveaux opératifs, unis afin d’accomplir un geste énonciatif cohé- rent. En se synchronisant avec l’opération syntaxique, la structure prosodique vient préciser ou nuancer le sens que suggère la constituance syntaxique immédiate en orga- nisant l’actualité des significations. Le dynamisme de cette congruence structurelle ne relève donc pas du système linguistique, mais provient de la parole, c’est-à-dire de la réalité pragmatique de l’usage qui, à long terme, provoque toutes les transformations du système linguistique. Nous examinerons par la suite les traces structurelles – et surtout morphosyn- taxiques – qu’a laissées en français l’oxytonisation, c’est-à-dire le processus prosodique qui a produit certaines singularités dans la structure immanente de cette langue. 3 RÉPERCUSSIONS SYSTÉMIQUES DE L’OXYTONISATION EN FRANÇAIS Dans un chapitre du CLG que Saussure consacre aux conséquences grammaticales de l’évolution phonétique, le linguiste genevois constate: «Une première conséquence du phénomène phonétique est de rompre le lien grammatical qui unit deux ou plusieurs termes.» (Saussure 2016 : 275) En effet, l’oxytonisation a privé certaines formes la- tines de leur potentiel flexionnel post-accentuel de façon à réorganiser les mécanismes morphosyntaxiques, censés assurer ailleurs les mêmes fonctions grammaticales. La transformation de l’unité accentuelle (du mot latin au syntagme français) et la chute des syllabes post-accentuelles ont fixé la position de l’accent immanent sur la der- nière syllabe. Tous les morphèmes qui, en latin, marquaient éventuellement certaines Linguistica_2021_2_FINAL.indd 127 20. 12. 2022 12:02:26 128 propriétés grammaticales des formes fléchies en fin de ces formes, et sur des syllabes inaccentuées, sont devenus inaccessibles au répertoire des possibilités flexionnelles en français. Les autres langues romanes ont conservé ce potentiel formel après l’accent. Les unités accentuelles se terminant en français automatiquement par l’accent fi- nal – et ayant été dépourvues définitivement de morphèmes post-accentuels – certains moyens morphosyntaxiques devaient se repositionner de façon à anticiper la forme concernée. D’un côté, ce mouvement généralisé a créé en français de nouvelles solu- tions morphologiques, antéposées aux formes fléchies (Creissels 1995 : 23) ; de l’autre côté, l’oxytonisme – fixité de l’accent en position finale de l’unité de sens – a déterminé le comportement spécifique de plusieurs fonctions expressives aux niveaux phonosty- listique, discursif et grammatical. 3.1 Conséquences phonostylistiques : mélodie et rythme En ce qui concerne les conséquences formelles de l’oxytonisation en français – outre le stéréotype de la mélodicité de l’image sonore générale – elles se font historiquement sentir dans les types d’expression linguistique qui exploitent la fonction poétique. Le vers français traditionnel, l’alexandrin, servant de cadre formel aux expressions esthéti- sées, est souvent proposé par la stylistique comme un exemple de l’intraduisibilité vers d’autres langues. La structure rythmique de ce vers est déterminée par l’accentuation qui en régit le comportement phonique de façon à faire le partage des douze syllabes en groupes accentuels de deux, trois, quatre ou six syllabes. (5) Faibles projets / d‘un coeur // trop plein / de ce qu‘il aime !3 Comme pour l’unité accentuelle du français en général, ce type de segmentation rythmique du vers produit un nombre relativement élevé de syllabes inaccentuées et par conséquent, un phrasé à impression plus détendue. C’est une proportion d’accents que les versifications des langues à accents mobiles ne connaissent pas : en italien ou espagnol, par exemple, l’unité accentuelle traditionnelle dans les schémas ïambique ou trochaïque comporte deux syllabes, en dactyle ou spondée du grec ancien trois etc. Ces formes rythmiques correspondent aux propriétés prosodiques générales de ces langues- là : l’accent n’ayant pas de position fixe, l’unité accentuelle et moins longue et identi- fiable normalement avec la segmentation de la chaîne parlée en lexèmes. L’alexandrin représente de ce fait un problème rythmique difficile, quasi insurmontable au passage traductif de la forme poétique vers d’autres types de verisification. La position finale de l’accent dans le vers français est à l’origine d’une autre spé- cificité de la poésie francophone, celle de la rime. N’ayant à leur disposition qu’une syllabe accentuée en fin du vers, les tropes du français favorisent presque absolument la rime masculine. (6) Souvent, pour s‘amuser, les hommes d‘équipage 3 Jean Racine : Phèdre, II/5, v. 697. Linguistica_2021_2_FINAL.indd 128 20. 12. 2022 12:02:26 129 (7) Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers4 La rime féminine qui consiste à faire suivre l’accent par une syllabe inaccentuée est seulement possible en français, lorsque le noyau de cette syllabe est schwa.5 Mais cette syllabe est régulièrement réduite, c’est pourquoi en français la rime féminine n’est qu’une suggestion phonique, un certain type de manque ou de lacune phonostylistique (6), la sous-entente d’une voyelle centrale [ə] qui ne s’articule pas, mais dont le lecteur doit ressentir la latence s’il souhaite dynamiser la structure rythmique et sonore du texte. 3.2 Conséquences grammaticales : déplacement et solidarité de la détermination On observe une répercussion générale de la fixation de l’accent français final en tant que produit du processus de l’oxytonisation : une grande proportion de formes, sus- ceptibles de variation flexionnelle (noms et verbes), se sont unifiées, voire figées sous l’effet de la stabilisation de l’accent sur la syllabe finale. Le marquage variationnel, dans l’impossibilité de se placer derrière la syllabe accentuée, se trouve déplacé au devant de la forme lexicale. La détermination étant préposée à l’unité déterminée, la marque de la variation flexionnelle anticipe ainsi en français la forme de base.6 Dans la suite, il sera question du marquage proclitique du pluriel des substantifs et celui de la personne verbale ; on ajoutera à cette analyse les particularités syntaxiques de la négation, provenant des caractéristiques du lien entre l’oxytonisme et le découpage des unités de sens en français. 3.2.1 Détermination nominale : marque du pluriel Sauf dans les cas où l’accent final recouvre la variation phonique du marquage du pluriel, p. ex. cheval – chevaux, les formes lexicales du substantif au pluriel restent inchangées par rapport à celles du singulier : enfant – enfants, citoyen – citoyens etc. Par comparaison de ces formes fléchies avec les principes de flexion dans la plupart des autres langues romanes, mettons en italien, bambino – bambini, cittadino – cittadini, il est évident que le pluriel de ces formes italiennes est marqué par une variation dési- nencielle, réalisée sur une syllabe inaccentué, postérieure à l’accent. Or, l’accentuation finale en français ne permet pas ce type de solution morphologique : la fonction de la détermination, sous forme de proclitique (c’est-à-dire anticipant la forme nominale), 4 Charles Baudelaire : Albatros (Les Fleurs du mal). 5 Le seul cas où la voyelle centrale (e caduc) se trouve accentuable est le cas de l‘impératif, suivi d‘un pronom personnel singulier masculin en fonction de complément d‘objet direct : prends-le ! 6 Le même effet est observable au niveau de la formation lexicale : le lexème seigneur, réduit en sieur et anticipé à l‘usage par un adjectif possessif de la première personne du singulier exprimant l‘humilité, donne la forme actuelle Monsieur, réalisée par une réduction vocalique considérable, due sans doute à l‘extrême fréquence de son emploi. Sous l‘effet de ce principe «agglutinatif» des déterminants (Creissels 1995 : 25) dans le processus de la génération lexicale en français, on définit parfois l‘unité acccentuelle en français par le recours à la notion de «mot prosodique» (Jun/Fouge- ron 2002 : 149). Linguistica_2021_2_FINAL.indd 129 20. 12. 2022 12:02:26 130 n’est pas seulement de déterminer le statut défini ou indéfini du substantif affecté, ou sa valeur déictique, mais aussi d’en définir la variation formelle selon le critère gram- matical du nombre. (8) la famille les familles une famille des familles cette famille ces familles sa famille ses familles Qu’il s’agisse d’article défini ou indéfini, adjectif démonstratif ou possessif, le dé- terminant représente le morphème qui définit le pluriel de la forme lexicale qui, elle, est invariable à l’égard du nombre. Certes, la variation plurielle est réalisée à l’écrit par le graphème s, désignant orthographiquement le changement en nombre ; il va sans dire que cette analyse, traitant de l’accent en tant que fait prosodique, se rapporte aux réalisations orales. Le pluriel est déterminé par une substitution de la voyelle préfixée au substantif, respectivement a/e, y/e, ɛ/e ; ə/e pour les formes masculines le/ce – les/ ces. C’est la qualité vocalique du déterminant qui marque le nombre de la forme subs- tantivale, et pas la désinence qui n’existe pas. La détermination phonique du pluriel, préposée à la forme substantivale, est encore plus marquante au cas où le substantif se réalise par une initiale vocalique. (9) l‘enfant les enfants un enfant des enfants etc. Dans les cas de ce type, la marque du pluriel est renforcée par une réalisation conso- nantique (Vendryès 1950 : 97), celle d’une constrictive apico-alvéolaire voisée [z], dont l’effet phonique grammatical est assez généralisé pour être ressenti en français ordinaire, voire familier, comme portant une suggestion référentielle au pluriel : p. ex. z’enfants de la patrie, quatre z’enfants etc. La consonne fonctionne comme un indice déterminatif ayant pour signifié la valeur du pluriel. 3.2.2 Détermination verbale : marque de la personne L’absence de syllabes inaccentuées en fin du groupe accentuel a produit un autre type d’opération déterminative et d’invariance formelle qui s’observe dans la morphosyntaxe du verbe français. L’accent final en tant que résultat du processus historique d’oxytoni- sation provoque dans la flexion verbale un isomorphisme, semblable à celui du nom au pluriel par rapport au singulier, mais plus générale, parce qu’il touche la quasi-totalité des occurences les plus représentatives dans la paradigmatique verbale en français. Il s’agit de la morphosyntaxe du paradigme verbal de l’indicatif présent au singulier où les formes des trois personnes présentent exactement la même réalisation parlée.7 7 On souligne encore le fait qu‘on examine ici les réalisations orales et qu‘il est insignifiant pour cette analyse qu‘à l‘écrit, la forme de la deuxième personne du singulier présente la marque graphique –s, d‘ailleurs uniquement entendue aux cas de l‘impératif, comme par exemple vas-y, prends-en etc. Linguistica_2021_2_FINAL.indd 130 20. 12. 2022 12:02:27 131 (10) je parle (io) parlo tu parles (tu) parli il parle (egli) parla Comme nous avons pu le voir au cas du pluriel des substantifs, les autres langues romanes, comme le latin, permettent le marquage du nombre par la variation désinen- cielle sur la syllabe inaccentuée post-accentuelle.8 De ce fait, la variation de la forme verbale est réalisable en italien sans élément pronominal, puisque la forme lexicale elle-même, par sa terminaison, rend compte de la personne marquée. En français, la «désinence zéro» – analogue à l’inexistence des syllabes finales sans accent – génère l’isomorphisme du paradigme entier et oblige le locuteur francophone à préciser la per- sonne ailleurs. Le morphème en fonction de référent personnel est donc situé devant la forme verbale9 et ne peut en être dissocié. Ces morphèmes de référence personnelle, je/tu/il, sont traditionnellement considé- rés par les grammaires françaises comme des pronoms personnels atones ou conjoints – par opposition aux pronoms personnels toniques ou disjoints, moi/toi/lui. Leur fonc- tionnement morphosyntaxique, pourtant, ne supporte pas l’épreuve de substitution par un élément de la sphère nominale. Les pronoms personnels proprement dits (toniques ou disjoints) peuvent jouer un rôle dans un groupe prépositionnel ou être mis en relief, par exemple, tandis que les unités de ce type qu’on appelle «atones ou conjointes» n’ont pas cette puissance syntaxique. (11) pars avec moi moi aussi je pars c’est moi qui pars *pars avec je *je aussi pars *c’est je qui pars Non seulement ces morphèmes personnels, du point de vue syntaxique, ne peuvent pas remplacer un nom ; le rendement fonctionnel du paradigme verbal à l’indicatif est nul si ce type de morphème n’est pas attaché directement à la base verbale – et cela sous forme de proclitique ou de préfixe qui pré-détermine la personne verbale. Il y a entre le morphème personnel et son verbe un rapport de solidarité absolue (Martin 1979 : 3) ou d’indissociabilité. Comme le français ne produit pas, dans le paradigme de l’indi- catif présent singulier, de terminaisons qui puissent assumer la fonction de référent du constituant sujet (Creissels 1995 : 25), cette tâche est revenue aux morphèmes je/tu/ il que l’on définit non plus comme des pronoms personnels, mais comme des indices 8 Il en va de même pour l‘évolution de la valeur adjectivale des substantifs, provenant des génitifs du nom en latin, p. ex. historiae – d‘histoire. Là aussi, la flexion nominale latine permettait la variation selon le cas sur la syllabe post-accentuelle, alors que le français à accent final fixe résout ce génitif par l‘adjectivation, introduite par la particule de, solidarisée prosodiquement comme un morphème proclitique avec la forme du substantif. 9 Cf. Vendryès (1950 : 104) : « […] on pourrait considérer le je de je dis comme le o final du latin dic-o, et imaginer en français une flexion par l‘avant : je-dis, tu-dis, il-dit (pronocé idi). Nous n‘en sommes pas là ; mais on constate déjà que depuis plusieurs siècles le pronom sujet tend de plus en plus à se souder à son verbe.» Linguistica_2021_2_FINAL.indd 131 20. 12. 2022 12:02:27 132 pronominaux ou indices personnels. Ces morphèmes indiciels sont inaccentuables du seul fait d’être obligatoirement conjoints (préposés) à la forme verbale pour en déter- miner la référence personnelle. On pourrait également proposer pour ce type d’unité morphosyntaxique une déno- mination catégorielle de déterminant verbal, puisque ces trois morphèmes personnels ne fonctionnent pas seulement comme des référents proclitiques (inaccentuables) du constituant sujet, mais aussi comme des éléments déictiques, désignant la présence (je/ tu) ou absence (il) des rôles participatifs (Benveniste 1966 : 251) dans le processus de l’énonciation. 3.2.3 Négation et accentuation de l’adverbe négatif La négation est l’un des traits énonciatifs dont la structure syntaxique constitue l’une des particularités les plus remarquables du français. La singularité des formes négatives françaises, au niveau syntaxique, consiste en leur structure double – «à double détente» (Tesnière 1959 : 223) – ou du moins en leur double apparence. On insiste actuellement sur l’aspect apparent de cette dualité, parce que le premier terme négatif (ne) tend sou- vent à disparaître à l’oral. Dans l’exemple de l’unité accentuelle (12) je ne crois pas la particule négative ne peut effectivement être omise, à condition qu’on réalise l’accent sur l’adverbe négatif pas – ce que les locuteurs francophones font presque systématiquement. Cela donne (13) je crois pas et la négation continue à fonctionner sans que sa force énonciative soit perturbée. La particule ne, préposée à la forme verbale, fonctionne comme un élément clitique, dispensable sous la suffisance énonciative de l’adverbe négatif postérieur. En ce qui concerne la relation entre les mécanismes syntaxiques et prosodiques en français, il est essentiel de remarquer que l’adverbe négatif (deuxième terme de la négation) se trouve systématiquement sous l’accent. Cela écarte la forme verbale niée de la proéminence accentuelle qui concerne l’adverbe négatif, porteur de la négation, et confirme la rela- tion de non-dépendance de la structure prosodique avec le découpage syntaxique où le verbe est censé occuper le sommet de la hiérarchie formelle. Le fait s’explique par la fonction de la négation qui n’est pas seulement un fait syntaxique et lexical, mais aussi un important facteur énonciatif dont l’informativité10 est essentielle à la production du sens de l’énoncé. L’accentuation finale a favorisé le 10 Le marquage prosodique du noyau informatif s‘observe aussi dans le cas des numéraux, même si en français ceux-ci se trouvent rarement sous l‘accent final. La différence prosodique entre Je regarde cet enfant et Je regarde sept enfants consiste à marquer d‘un accent secondaire (ou d‘insistance) le numéral dont le rôle énonciatif central est de préciser l‘information sur la détermination de quantité. L‘indice déictique cet est inaccentuable. Linguistica_2021_2_FINAL.indd 132 20. 12. 2022 12:02:27 133 report de l’élément négatif vers la syllabe terminale – et la particule négative ne,11 par sa position syntaxique et par l’instabilité de son noyau vocalique, ne pouvait plus se faire accompagner d’une force accentuelle. C’est pourquoi le français, langue à accent fixé en position finale, a systémisé vers la fin du XVIe siècle (Marchello-Nizia 2003 : 63) ce qui au début pouvait fonctionner comme une métonymie, c’est-à-dire l’ajout d’un nom désignant une petite quantité ou quelque chose de minime (pas, point, goutte, mie, miette) pour renforcer le sens de la négation. Comme cet ajout nominal à la négation était placé derrière la forme verbale niée, il tombait systématiquement sous l’accent fi- nal et se figeait de façon aussi à se transformer en noyau de l’expression négative. Cette expression a progressivement perdu sa valeur métonymique – sa négativité s’est gram- maticalisée – et son deuxième terme s’est établi comme adverbe négatif (ce qui s’ajoute au verbe). La négation, en français contemporain, ne peut pas opérer comme une simple déterminance, parce qu’elle fonctionne comme le centre informatif de l’énoncé qu’elle marque, et serait comme telle inopérative en dehors de sa position accentuée. (14) je ne le vois pas (15) je ne l’ai pas vu (16) je ne peux pas le voir Postposé à la forme verbale, l’adverbe négatif est pleinement marqué par l’accent final en combinaison avec l’événement intonatif. Lorsque le terme négatif pas est placé devant le verbe (participe ou infinitif) en réalisant par conséquent une syllabe non-finale de l’unité accentuelle, la substance prosodique qui l’affecte est réduite à une proéminence de l’intensité. Cela signifie que le terme négatif, comme les numéraux, reçoit une marque accentuelle même quand il se situe, dans l’unité accentuelle, en dehors de la position finale : il reporte systématiquement la propriété accentuelle à un endroit où l’accent se perçoit au-delà des automatismes de l’accentuation finale. Dans les exemples (15) et (16), l’unité accentuelle est conclue par la seule intonation descendante. Cela repose la question de l’extension de l’unité accentuelle en français et de sa relation avec la structure syntaxique : soit l’accent sur l’adverbe négatif établit une simple focalisation sur la néga- tion, soit il reformule l’énoncé accentuellement en formant une unité à part. 4 CONCLUSION L’action congruente de la prosodie avec les autres niveaux énonciatifs et la précocité de l’oxytonisme permet de suggérer que le développement accentuel a laissé certaines traces systémiques dans sa structure grammaticale en français. Le processus singulier de l’oxytonisation a formé en français, dès le VIe siècle – c’est-à-dire à un stade évolu- tif antérieur aux changements morphosyntaxiques – une image sonore générale, basée 11 Provenue de l‘adverbe négatif latin non, elle s‘affaiblit progressivement à partir du Xe siècle (Mar- chello-Nizia 2003 : 63). En passant par nen, sa voyelle se neutralise et devient articulatoirement instable – pour être finalement réduite à une syllabe inaccentuable et dispensable. Linguistica_2021_2_FINAL.indd 133 20. 12. 2022 12:02:27 134 sur l’accentuation fixée sur la dernière syllabe de l’unité accentuelle. La coopération des structures prosodiques et morphosyntaxiques a résulté en une série de particularités struc- turelles, observables en français. On a développé ici une interprétation des faits structurels selon laquelle l’évolution prosodique a conditionné l’ensemble du système linguistique. Au niveau morphosyntaxique, l’accentuation finale a annulé tout potentiel déter- minatif des formes fléchies sur la ou les syllabes post-accentuelles. La détermination du pluriel des substantifs s’est retrouvée ainsi généralement déplacée devant la forme substantivale : le pluriel n’est pas exprimé par une terminaison (comme en latin ou la plupart des autres langues romanes), mais par la qualité vocalique, voire consonantique, du déterminant proclitique. Une situation accentuelle oxytonique analogue s’observe dans le cas de la flexion verbale à l’indicatif présent du singulier : les terminaisons des cas historiques du latin ayant été réduites à zéro (ou à l’absence de la voyelle centrale), la détermination personnelle est revenue aux morphèmes je/tu/il que la grammaire tra- ditionnelle qualifie de pronoms personnels atones ou conjoints. Le statut syntaxique de ces morphèmes, en revanche, n’a rien de pronominal, puisqu’ils ne peuvent pas se substituer aux constituants nominaux. Devenu de simples morphèmes flexionnels, ils doivent être requalifiés en déterminants verbaux, indices pronominaux ou personnels, systématiquement inaccentuables, mais indissociables de la forme verbale. La négation est analysée ici comme la troisième spécificité morphosyntaxique dont l’évolution a été conditionnée par l’oxytonisme. L’affaiblissement accentuel progressif de la particule négative ne a provoqué une grammaticalisation d’un adverbe négatif supplémentaire, celui-ci systématiquement reporté après la forme verbale vers la fin de l’unité accentuelle. Le rôle central de la négation dans le processus énonciatif attribue une proéminence accentuelle à l’adverbe négatif même quand il ne termine pas l’unité accentuelle – virtuelle en français – ou lorsqu’il en crée une nouvelle en reformulant le schéma accentuel. 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Résumé EFFETS GRAMMATICAUX DE L’OXYTONISATION EN FRANÇAIS L’accentuation joue un rôle dominant dans la structuration prosodique du français. Le développement du gallo-romain vers ce que l’on qualifie aujourd’hui de langue française a été conditionné par un trait prosodique particulier, inconnu dans les autres langues romanes. L’oxytonisation est un processus évolutif qu’a subi le système lin- guistique français à partir du VIe siècle. Elle consiste à réduire la ou les syllabes post- accentuelles en fixant l’accent sur la dernière syllabe de l’unité accentuelle. La consé- quence principale de ce processus est la formation de l’unité accentuelle, identifiable comme le syntagme. L’oxytonisation a engendré quelques spécificités essentielles du système linguistique français. Certaines formes substantivales et verbales ne pouvaient plus développer leur flexion sur les syllabes post-accentuelles. La détermination du nombre nominal et de la personne du verbe s’est déplacée à l’avant de la forme lexicale. En français oral, le nombre du nom est déterminé par la qualité de la voyelle, formant le noyau syllabique de l’article et d’autres déterminants, et non par la forme lexicale elle- même. Une situation analogue s’observe dans la flexion du paradigme verbal à l’indica- tif présent du singulier : l’oxytonisme annule la possibilité du marquage personnel sur les terminaisons et provoque un isomorphisme dans la prononciation des trois formes verbales de base. Le marquage de la personne est revenu aux indices personnels ou pronominaux je/tu/il en fonction de constituant sujet qui en fait n’ont pas de propriétés pronominales et fonctionnent comme des morphèmes proclitiques. Mots-clés : accent français, oxytonisation, unité accentuelle, détermination nominale, détermination verbale, négation Summary SYSTEMIC EFFECTS OF OXYTONISATION IN FRENCH Accentuation plays a dominant historical role in French prosody. At a very early stage of its systemic evolution, as early as the 6th century, Gallo-Romance develops a process of oxytonisation, i. e. stabilisation of the accent on the last syllable of the accentual unit. Oxytonisation led to the reduction of what in Latin appeared as post-accentual syllable(s), which were preserved in other Romance languages, and also to the formation of accentual units. The main consequence of this process is the extension of the accentual unit that in French could no longer be identified as a lexeme, but rather as a syntagm. The fixing of the accent on the last syllable of the unit brought some fundaamental structural changes to Linguistica_2021_2_FINAL.indd 136 20. 12. 2022 12:02:27 137 the French linguistic system. Nouns and certain verb forms could no longer be inflected on post-accentual syllables. As a result, nominal number and the person of the verb came to be marked (in speech as opposed to in writing) at the beginning rather than the end of the ver- bal phrase. Nominal number is determined in spoken French not by the lexeme itself, but by the quality of the vowel as the nuclear element of the article or other possible determinants. An analogous situation is observed in the verbal flexion in the singular present paradigm where the oxytonisation removed the possibility of marking the person on a post-accentual suffix and provoked an isomorphism of the three basic verb forms. The marking of the per- son of the verb is assigned to personal or pronominal indices je/tu/il as subject constituants. These indices do not have the syntactic properties of independent personal pronouns - as they cannot be used autonomously - but function as proclitic morphemes. Keywords: French accent, oxytonisation, accentual unit, nominal determination, ver- bal determination, negation Povzetek STRUKTURNI UČINKI OKSITONIZACIJE V FRANCOŠČINI Med prozodičnimi posebnostmi francoščine ima specifika naglaševanja posebno mes- to. V zelo zgodnji fazi razvoja galoromanščine, od 6. stoletja naprej, je prišlo do t.im. oksitonizacije, stabilizacije naglasa na končnem zlogu naglasne enote. Oksitonizacija je povzročila redukcijo ponaglasnih nenaglašenih zlogov, ki so v latinščini sistematič- no nosili označevanje formalnih variacij ali pregibanja in so se kot takšni ohranili v drugih romanskih jezikih. Poglavitna prozodična posledica tega procesa je izobliko- vanje naglasne enote, ki v francoščini ni leksem, temveč besedna zveza ali sintagma. Oksitonizacija je prinesla nekaj bistvenih razvojnih sprememb v ustroj francoskega jezikovnega sistema v celoti. Zlasti samostalniške in glagolske oblike svoje pregibalne referencialnosti niso več mogle razvijati na končnih nenaglašenih zlogih (kakor jih je lahko latinščina in jih še vedno lahko večina drugih romanskih jezikov). Določanje samostalniškega števila in glagolske osebe se je tako preneslo pred leksikalno formo. Samostalniško množino v francoskem govoru določa kvaliteta samoglasnika, ki tvori zlogovno jedro člena in drugih določevalcev, in ne leksemska osnova. Do podobne situacije je prišlo v sedanjiškem pregibanju glagola v indikativu ednine, kjer je oksito- nizacija ukinila možnost končniškega določanja glagolske osebe in govorno poenoti- la vse tri osnovne glagolske oblike. Funkcija določanja osebe oziroma skladenjskega osebka je pripadla t.im. nenaglašenim osebnim zaimkom, ki pa v sodobni francoščini nimajo zaimkovne skladenjske vezljivosti in delujejo kot naslonski morfemi. Zato v tej vlogi funkcionirajo kot nenaglasljivi osebni indici ali osebni glagolski določevalci in so neločljivi predponski del glagolske oblike. Ključne besede: francoski naglas, oksitonizacija, naglasna enota, samostalniški dolo- čevalci, glagolski določevalci, zanikanje Linguistica_2021_2_FINAL.indd 137 20. 12. 2022 12:02:27