Primož Vitez Ljubljana CDU 804-4: 800.63-4 ANALYSE CONTRASTIVE DE L'INTONATION PHRASTIQUE EN FRANÇAIS ET EN SLOVÈNE1 1 INTRODUCTION L'objet de cette étude est de mettre en évidence les principales différences ou d'éventuelles ressemblances de l'intonation de la phrase française et Slovène. Le travail traite des formes de l'intonation au niveau de la phrase et dans ce cadre a) au niveau de l'intonème et b) au niveau des formes globales. Les prototypes intonatifs globaux ont été étudiés et décrits selon les principes de méthodologie suivis par Aubergé (1991), afin d'intégrer les résultats dans l'élaboration du niveau prosodique de la parole synthétique. L'étude formelle de l'intonation au niveau de la phrase fait ressurgir l'importance des aspects phonétique et phonologique, ainsi que la nécessité de considérer les rapports que l'intonation entretient avec les autres structures linguistiques de l'énonciation. Un intérêt premier doit alors être accordé à la fonction linguistique de l'intonation et, par conséquent, à la possibilité d'ériger un système «phonologique» intonatif, propre à une langue particulière. Les technologies de la communication parlée - et dans la virtualité d'interfaces homme-machine surtout la synthèse et la reconnaissance de la parole - prévoient logiquement l'inclusion des études de l'intonation dans leur cadre de recherche. Les difficultés auxquelles elles se heurtent ont permis de démontrer l'incomplétude de différents modèles de l'intonation jusqu'ici proposés. Les différentes descriptions linguistiques des faits intonatifs se sont également révélées insuffisantes en dépit du fait que l'intonation phrastique joue un rôle essentiel dans l'intelligibilité même du processus de la communication parlée. L'inclusion d'un module prosodique dans la synthèse de la parole nécessite une tentative de modélisation des différents comportements intonatifs, propres à un système linguistique. 1 Cet article résume le travail de doctorat du 3e cycle qui a été effectué au Département des langues et littératures romanes de la Faculté des Lettres (Université de Ljubljana), sous la direction de M. le professeur Vladimir Pogačnik. La soutenance a eu lieu le 2 octobre 1995 devant MM. les professeurs Janez Orešnik (président du jury), Vladimir Pogačnik et Jože Toporišič (examinateurs). 257 La partie théorique du présent article situe l'étude de l'intonation phrastique dans le cadre linguistique. Le modèle analytique que nous avons adopté ici est fondé sur deux hypothèses principales: la première est la notion de rendez-vous entre les différentes structures (intonation, syntaxe, sémantique, structure du discours, texte) véhiculées dans la communication parlée. Cela implique que la redondance doit s'interpréter comme interaction de différents degrés de liberté du système communicatif et non pas comme un simple doublage de l'information. La seconde hypothèse est de conférer une nature globale aux formes intonatives: un contour intonatif est le résultat d'un geste décomposable en une succession de gestes porteurs et de gestes portés. Chaque geste est associé à une origine et à une cible rendez-vous. Une méthodologie déductive traduisant ces deux hypothèses a permis de construire et d'analyser deux corpora (français et Slovène) pour le niveau de la phrase simple lue, située hors du contexte discursif ou dialogique. L'interprétation des données, obtenues par suite du traitement acoustique du signal sonore des phrases oralisées pour les deux langues, concerne principalement l'évolution de la variation de la fréquence fondamentale (FO) sur les voyelles constituant les noyaux des syllabes. Ces dernières représentent ici les unités minimales. Une analyse supplémentaire de durée des susdites voyelles a été révélatrice surtout au niveau de la mise en contraste des faits intonatifs en français et en Slovène. La notion de rendez-vous structurels invoque le principe de coïncidence entre la structure intonative et les autres structures linguistiques projetées dans l'énoncé, et révoque l'existence de relation de congruence partielle ou totale entre elles. Les premiers résultats montrent que l'intonation phrastique, en français comme en Slovène, suit un mouvement global qui semble bien, au vu des données obtenues sur les deux corpora, être indépendant de la structure en constituants de la phrase. 2 L'INTONATION DE LA PHRASE DANS LA LINGUISTIQUE Contrairement aux autres faits prosodiques, l'intonation de la phrase devait attendre l'avènement du structuralisme pour susciter un intérêt systématique des linguistes. La définition saussurienne de la double nature du signe linguistique a apporté une stricte délimitation du domaine de l'analyse linguistique, occupé par la langue se présentant comme code ou système de règles et de rapports entre les éléments représentatifs. Ne présentant pas de caractéristiques qui la feraient entrer dans la conception op-positionnelle de la phonologie structurale, l'intonation phrastique a été rigoureusement considérée comme un fait prosodique qui, à défaut de toute fonction linguistique, n'a qu'une valeur expressive dans la parole. C'est exactement le point de vue qui a été adopté sans réserve par le fonctionnalisme. Martinet, maître d'école fonctionnaliste, précise que l'intonation phrastique ne peut avoir aucune valeur distinctive, du seul fait qu'il est impossible de la décrire en 258 2 3 termes de la double articulation du langage. D'autres jugements structuralistes confèrent à l'intonation un rôle distinctif, soit au niveau des modalités phrastiques, soit à celui des unités (formes) intonatives minimales, comparables aux phonèmes. Il semble toutefois que ces interprétations opposées simplifient ou bien surestiment à leur manière la réalité que présente l'intonation de la phrase, c'est-à-dire structure prosodique qui concourt avec les autres structures linguistiques dans le but commun de former la cohérence globale du message parlé. D'un autre côté, la division des faits linguistiques en segmentaux et suprasegmen-taux a également obscurci l'analyse méthodique de l'intonation. Le principe terminologique de la segmentation dans la chaîne parlée est certainement justifiable au niveau des représentations mentales, comportant des unités élémentaires discontinues comme phonème ou syllabe. Contrairement à cela, la nature continue des réalisations phoniques s'oppose à cette définition du segment. Une chaîne parlée réalisée se situe nécessairement dans l'espace et dans le temps. Cela signifie que ses parties s'organisent conformément aux lois physiques qui régissent toute manifestation de l'objectivité matérielle. Ainsi, les sons de la chaîne n'ont pas de limites ni de centre strictement définissables; s'y ajoutent la variabilité continue des réalisations parlées et leur singularité irrévocable. Dans cette variabilité infinie de différents modes phoniques dénonciation, il n'est pas possible de délimiter avec précision un segment (que ce soit un son ou une unité intonative) ni de déterminer son extension. Dans les années soixante, la position de l'intonation phrastique à l'intérieur de la linguistique a commencé à se préciser. Les phonéticiens et phonologues américains (Pike et Bolinger pour l'anglais) ont été suivis par les linguistes européens (Delattre pour le français, Danes pour le tchèque) dans la mesure où ils ont tous reconnu dans l'intonation phrastique une structure linguistique qui participe activement à la création du processus communicatif. Son activité linguistique a été reliée théoriquement avec celle de la syntaxe ce qui représente un tournant dans l'analyse prosodique en général. Le premier système intonatif a été décrit par Delattre4 qui a défini les dix formes intonatives françaises de base, et cela par rapport à la relation entre intonation et structure syntaxique. Par là, Delattre a annoncé d'un côté l'existence des spécificités intonatives qui déterminent le système de l'intonation pour une langue donnée. D'autre part, la classifi- 2 M. Rossi (1981) et N. Catach (1980) se sont amusés à expliquer que l'intonation de la phrase relevait de la troisième articulation. 3 Hockett (1942) attribue à l'intonation une valeur distinctive dans les cas où elle est seule à distinguer les modalités des phrases ayant exactement la même structure syntaxique. Quelques décennies plus tard, Faure (1970) avance que l'intonation peut «être segmentée en unités discrètes, opposables, situées dans des parties parfaitement localisables de la chaîine parlée, comme le sont les phonèmes». Cela signifie qu'il devrait, pour chaque langue, être possible de décrire un système intonatif, reposant sur les principes de la phonologie linéaire. 4 P. Delattre (1966): Les dix intonations de base du français, in French Review, No 40, vol. 1, pp. 1-14. 259 cation de Delattre incite à conclure que l'intonation de la phrase doit aussi bien posséder des traits universaux qui la caractérisent généralement en tant que phénomène prosodique de la parole. La description de Delattre a été perfectionnée et élargie par l'intonologie des années quatre-vingt, qui a reconsidéré l'importance de la relation entre intonation et syntaxe. De plus, l'approche intonosyntaxique met enjeu les principes d'énonciation ou, plus précisément, de l'actualisation énonciative. Les intonologues sont les premiers à avoir réfléchi systématiquement des impulsions qui relient l'intonation à la syntaxe et à l'éventualité de la thématisation ou rhématisation de certaines parties du discours. La classification intonologique des unités intonatives (intonèmes) repose sur le principe mathématique de congruence entre les deux structures; cette interprétation définit cependant l'intonation de la phrase non seulement comme phénomène linguistique qui complète l'activité de la syntaxe, mais aussi comme ayant un statut hiérarchiquement inférieur, dépendant de l'organisation syntaxique. La recherche dans le domaine de l'intelligence artificielle et des technologies vocales a montré des lacunes dans les connaissances concernant l'organisation spatiale et temporelle de la chaîne parlée et, plus particulièrement, ses propriétés prosodiques. Un progrès considérable a été réalisé avec une nouvelle conception de la phonologie non-linéaire qui a abouti en phonologie articulatoire (Browman, Goldstein). Celle-ci postule que l'enchaînement de gestes et mouvements articulatoires doit être à l'origine de la description phonologique. Par là, cette théorie établit le dynamisme de la réalisation parlée comme caractéristique centrale de la parole, sans oublier de souligner l'analogie avec l'activité articulatoire du système moteur de l'homme. La conception dynamique de la parole et, par conséquent, de l'intonation, a été adoptée et développée par V. Aubergé dans son ouvrage5 qui a servi de référence métho-: dologique et analytique au présent article. Le processus de communication et sa cohérence représentent le résultat de l'activité et de l'actualisation du système linguistique à plusieurs degrés de liberté dans lequel le rôle traditionnel de redondance ne peut plus être interprété comme redoublement d'information, mais comme interaction sous forme de coïncidence entre diverses structures énonciatives. La méthodologie, conçue conformément à cette définition du processus de communication, prévoit l'existence de rendez-vous structurels, points d'encrage où les structures se rencontrent systématiquement de façon à créer la cohérence globale du message. 5 V. Aubergé (1991): La synthèse de la parole: «des règles aux lexiques», thèse de doctorat, ICP-INPG/Université Stendhal - Grenoble III. 260 3 CORPUS ET TRAITEMENT ACOUSTIQUE DU SIGNAL6 Pour l'analyse acoustique du signal, deux corpora ont été construits suivant la méthodologie déductive. Le corpus français, élaboré par V. Aubergé, contient 171 phrases, organisées par paires minimales. Ces dernières sont conçues a) au niveau global de la phrase selon les différentes modalités et selon la longueur et b) au niveau syntaxique selon la position, la valeur et la fonction des constituants immédiats. Cette même construction caractérise le corpus Slovène qui, lui, contient un plus petit nombre d'unités phrastiques (55-phrases simples), mais dont l'organisation par paires minimales est compatible avec le corpus de référence. La dualité oppositionnelle permet de rechercher au niveau de la phrase le rapport que l'intonation entretient avec la syntaxe. Dans les deux cas, les phrases choisies ont été oralisées sans auditoire, en état isolé et sans répétition. Les phrases n'ont pas de contenu sémantiquement pertinent pour la subjectivité du locuteur ce qui paraît indispensable pour l'examen des fonctions linguistiques que doit exercer l'intonation au niveau de la phrase. Chaque corpus (français et Slovène) a été lu a prima vista, sans consultation de l'auteur. La seule consigne donnée aux deux locuteurs avant le début de l'enregistrement était de lire les phrases d'une manière «neutre», naturelle, sans implication d'expression potentielle. 3.1 Paires minimales Les paires minimales du corpus contrastif qui relèvent du niveau de la modalité intonative opposent principalement les phrases déclaratives (1) aux phrases interrogatives. À l'intérieur de la modalité interrogative, les interrogations directes (2). ayant la même structure syntaxique que les assertions, s'opposent aux interrogations introduites (3) par une particule ou un mot interrogatifs qui, dans la structure syntaxique, représentent les mots grammaticaux, dépourvus d'accent syntagmatique (français) ou lexical (slovène). À ces deux sous-ensembles de l'interrogation, on a opposé l'interrogation inversée (4). Nous avons également proposé un nombre restreint de phrases impératives (5) et exclamatives (6) pour les opposer sous un autre angle, celui de l'intensité de la variation globale de hauteur, à la modalité déclarative. (la) C'est possible maintenant. (lb) Tvoj brat je umetnik. (2a) C'est possible maintenant? (2b) Tvoj brat je umetnik? (3a) Est-ce que c'est possible maintenant? (3b) Ali je tvoj brat umetnik? 6 Le descriptif abrégé et l'explication du traitement acoustique sont ici valables pour tous les deux corpora, construits sur les mêmes principes théoriques et méthodologiques. On parlera donc du corpus contrastif au lieu de deux corpora distincts. 261 (4a) Est-ce possible maintenant? (4b) Je tvoj brat umetnik? (5a) Indiquez le numéro! (5b) Desnemu daj prednost! (6a) Enfin c'est possible! (6b) Tvoj brat je čudovit umetnik! Pour ce qui est des paires minimales relevant du niveau syntaxique de la phrase, n quelques constructions actives (1) s'opposent dans le corpus slovène aux passives (2) dans la modalité déclarative. L'opposition entre Y affirmation (3) et la négation (4) pour cette même modalité intonative a été plus particulièrement observée dans le cas des verbes slovènes 'biti' (fr. être) et 'imeti' (fr. avoir), parce que la négation y est soudée pour les formes verbales du paradigme «temps zéro» (slov. je-ni, ima-nima). La position de l'adverbe, en français comme en slovène, est très variable; on a pu former des oppositions en mettant l'adverbe au début (5), au milieu (6) ou à la fin (7) d'une phrase. (1) Zid je pobarva/ na belo. (2) Zid je pobarvan na belo. (3a) C'est possible maintenant. (3b) Članek je slabo napisan. (4a) Ce n 'est pas possible maintenant. (4b) Članek ni slabo napisan. (5a) Maintenant il y a deux possibilités. (5b) Slabo je napisal članek. (6a) Il y a maintenant deux possibilités. (6b) Članek je slabo napisal. (7a) Il y a deux possibilités maintenant. (7b) Članek je napisal slabo. Au niveau de la structure syntaxique dans les deux langues, l'intonation de la phrase a également été observée et comparée par rapport à l'emploi et à la réalisation de o différents intonèmes. L'analyse tient compte de la classification intonématique, pro- o posée par l'intonologie aixoise. 7 En slovène, la transformation passive peut, dans certains cas, être effectuée au moyen d'une seule substitution phonémique pour la phrase entière. Voir l'exemple donné dessus. 8 Intonème: unité distinctive d'intonation au niveau de la phrase, définie par l'intonosyntaxe; élément minimal du système intonatif, propre à une langue donnée. La linguistique américaine utilise plutôt la notion de «morphème intonatif» ou «suprasegmental» pour décrire les contours d'intonation. 9 L'ouvrage fondamental d'intonologie a été publié par une équipe de phonéticiens et phonologues de l'Université de Provence, Aix-en-Provence, à savoir: M. Rossi, A. Di Cristo, D. Hirst, Ph. Martin, Y. Nishinuma (1981): L'intonation. De l'acoustique à la sémantique, Klincksieck, Paris. 262 3.2 Analyse du signal acoustique Nous avons pu effectuer le traitement acoustique du corpus grâce à l'utilisation de l'éditeur de signal de parole ISIS (Interactive System for Image and Speech) dont les spécificités graphiques permettent de visualiser pour chaque signal le sonagramme avec les formants des sons voisés, les valeurs de la variation continue fréquentielle pour la hauteur tonale, et la durée absolue de chaque élément désigné dans la chaîne parlée traitée. À partir d'un premier étiquetage manuel du signal au centre choisi des parties acoustiquement stables (audibles), le logiciel a établi un étiquetage automatique aux bornes (selon des événements acoustiques cohérents). Ainsi ont été calculés un codage de la fréquence fondamentale (FO) en trois points pour chaque son voisé et une valeur de durée pour chaque son. Nous nous sommes plus particulièrement intéressé aux valeurs de FO sur les voyelles qui constituent les noyaux syllabiques de chaque phrase traitée. Pour toutes les phrases, le système ISIS a élaboré un fichier de prosodie qui rend compte des paramètres prosodiques du signal (FO, durée). Nous avons codé dans ces fichiers la structure syllabique (et accentuelle), la catégorie lexicale des unités et leur fonction syntaxique. Pour l'extraction des courbes, les valeurs de la hauteur tonale sont mesurées en Hertz. L'examen de la variation de hauteur s'accompagne dans notre analyse d'un traitement de la durée vocalique qui, comme nous verrons par la suite, est particulièrement importante pour l'interprétation du lien entre l'intonation et l'accent linguistique. 4 RÉSULTATS PARTIELS 4.1 Corpus Slovène 4.1.1 Lignes de déclinaison Après avoir obtenu les courbes du fondamental pour toutes les phrases, il a été possible d'en extraire le codage pour les voyelles. Pour l'obtention des lignes de déclinaison,10 nous avons d'abord calculé la moyenne des trois valeurs de FO sur les voyelles initiales et finales de chaque phrase. Les phrases étant classées en sous-ensembles déterminés par le nombre de syllabes et, à l'intérieur de ses sous-ensembles, par les modalités déclarative, interrogative, impérative et exclamative, nous avons moyenné en un premier temps les valeurs de FO initiales et finales séparément pour les phrases d'une 10 Ligne de déclinaison: ligne abstraite qui relie d'une manière globale la valeur tonale moyenne de la voyelle initiale avec celle de la voyelle finale et rend ainsi compte de la différence globale entre ces deux valeurs. Elle peut être descendante (intonations déclarative, impérative, exclamative) ou ascendante (intonation interrogative). 263 modalité intonative pour chaque nombre de syllabes. Ensuite nous avons calculé les moyennes de FO pour toutes les phrases appartenant à une même modalité. La table 1 ci-après représente la moyenne et les écart-types des valeurs de début (D) et de fin (F) des phrases par classe de modalité. déclaratives interrogatives impératives exclamatives moyenne (D) 99 Hz 100 Hz 103 Hz 105 Hz écart-type (D) 3/4 de ton 4/4 de ton 5/4 de ton 6/4 de ton moyenne (F) 68 Hz 120 Hz 67 Hz 70 Hz écart-type (F) 3/4 de ton 3/4 de ton 1/4 de ton 4/4 de ton Table 1: Lignes de déclinaison des phrases par modalités Ces résultats montrent une stabilité relativement probante de l'attaque et de la finale pour chaque modalité capable d'indiquer clairement les contours de phrases. On notera d'abord, contrairement à la conviction générale, que l'attaque d'une interrogative n'est guère plus haute que celle d'une déclarative: 1 Hz en moyenne, ce qui ne représente pas une différence audible. De la même manière, on ne note pas de différences linguistiquement significatives entre la déclarative d'une part et l'impérative et exclamative de l'autre. Cette dernière constatation s'explique par le simple fait que les trois modalités phrastiques sont caractérisées par une descente globale de la ligne de déclinaison et du contour intonatif. Les intonations impérative et exclamative n'ont, à proprement parler, pas de rôle strictement fonctionnel par rapport à la structure syntaxique. Du point de vue linguistique (au sens saussurien du terme), et par un registre plus large où elles se situent, elles représentent une variante expressive du contour descendant, donc non-marqué. Afin de vérifier ces résultats, nous avons calculé pour chaque modalité les mêmes moyennes sur la première des trois valeurs de FO pour les voyelles initiales (D) et la dernière des trois valeurs de FO pour les voyelles finales (F), sans noter de divergences significatives par rapport aux résultats antérieurs. D-F déclaratives interrogatives impératives exclamatives moyenne 31 Hz -20 Hz 36 Hz 34 Hz écart-type 4/4 de ton 6/4 de ton 5/4 de ton 6/4 de ton Table 2: Différences entre FO (D) et FO (F) par modalités On postule à juste titre que la seule forme intonative globale marquée est, par opposition à l'assertion non-marquée, l'intonation interrogative dont la ligne de déclinaison et le contour se dirigent globalement d'un niveau plus bas à un niveau tonal supérieur. L'ascension de la courbe interrogative est contenue dans la notion de la ligne de déclinaison qui se termine régulièrement par la valeur tonale plus haute que n'est celle de l'attaque. L'écart-type relativement remarquable des hauteurs des voyelles ter- 264 minales interrogatives provient du fait que la classe «interrogative» comporte non pas seulement les phrases à intonation interrogative, mais les phrases interrogatives en général. Cela signifie qu'elle comporte aussi les interrogations partielles et introduites dont l'intonation est globalement descendante, l'interrogativité étant concentrée sur les particules ou mots interrogatifs. 4.1.2 Accent lexical Sur les représentations graphiques des courbes de FO qui ont été extraites pour chaque phrase du corpus slovène, nous avons noté les positions que V accent lexical aurait prises s'il s'agissait de mots isolés. Nous avons ensuite vérifié quelle est la relation entre la hauteur de FO sur la voyele accentuée et la hauteur maximale (proéminente) de ce même paramètre pour l'unité lexicale en question. Nous avons constaté que les mouvements mélodiques ne coïncident que rarement avec une position accentuée: l'accent est donc certainement réalisé par les autres paramètres, et la variation de FO est donc bien une variation du système intonatif. proéminence FO sur accent lexical proéminence FO sans accent lexical NOM 17 71 VERBE 5 50 Table 3: Coïncidence de FO avec la position de l'accent lexical slovène L'examen de la durée vocalique dans les phrases du corpus slovène a confirmé la supposition que l'accent lexical n'est pas réalisé à travers la variation de la hauteur tonale. L'ingérence de la quantité vocalique dans la réalisation de l'accent lexical ne peut pas être étudiée précisément sans égard à la durée intrinsèque des voyelles. Celles-ci présentent des valeurs temporelles intrinsèques en relation avec leur degré d'aperture. Cela veut dire que les voyelles ouvertes ont une durée inhérente plus grande que les voyelles fermées. Nous avons mesuré la durée de toutes les voyelles, accentuées et non-accentuées, qui forment les noyaux des syllabes du corpus entier. Le calcul en valeurs absolues a montré qu'une grande majorité de positions vocaliques accentuées coïncident avec les valeurs proéminentes de la durée vocalique (DV). proéminence DV sur accent lexical proéminence DV sans accent lexical LEXEME 132 18 Table 4: Coïncidence de DV avec la position de l'accent lexical slovène Dans le petit nombre d'exemples où les valeurs absolues proéminentes de la durée vocalique ne correspondent pas aux voyelles accentuées, il s'agit de voyelles fermées dont la quantité intrinsèque est petite. C'est le plus souvent le cas de la voyelle /i/ accentuée; sa durée dépasse cependant régulièrement la durée des voyelles du même timbre à l'intérieur d'une unité lexicale donnée. 265 4.1.3 Propriétés prototypiques de l'intonation phrastique Dans un sens restreint, on considère comme prototypiques le propriétés d'une forme intonative globale dont les caractéristiques distinctives sont impliquées dans toute forme intonative capables de former l'image prosodique intégrale d'un énoncé appartenant à une modalité déterminée. Au niveau intonotactiqué, ces propriétés peuvent marquer les intonèmes, signes linguistiques dont les valeurs distinctives déterminent prosodiquement la partie de la chaîne parlée qui en est affectée. Dans un sens global, les propriétés prototypiques de l'intonation sont celles qui, en dehors des classifications par modalités, caractérisent toutes les formes globales de l'intonation. Les propriétés prototypiques permettent à l'intonation l'exercice de ses fonctions linguistiques et communicatives au niveau de la phrase. Les réalisations d'une forme prototypique peuvent être plus ou moins marquées par les valeurs expressives, extralinguistiques. Nous avons déjà souligné le rôle important que joue l'interrogation dans l'analyse de l'intonation. En effet, le contour interrogatif présente en Slovène deux propriétés générales qui peuvent être considérées comme prototypiques. La ligne de déclinaison montante montre que la valeur tonale de la voyelle finale est supérieure à celle de l'initiale. On observe que l'ascension de l'intonation interrogative n'est réalisée que tout à la fin de l'interrogation totale: la courbe se dirige abruptement en haut sur la dernière syllabe, après être descendu sensiblement sur la syllabe d'avant. Nous avançons ici que la descente de la courbe interrogative juste avant l'ascension fait partie de la stratégie énonciative. L'abaissement de la tonalité annonce, par opposition, une montée de la hauteur tonale qui, elle, distingue une interrogation de la déclaration. C'est pourquoi on considère que la forme intonative de l'interrogation est la seule marquée. Si l'on se réfère toujours à l'interrogation totale, on observe qu'au niveau du corps de l'intonation, c'est-à-dire de la partie antérieure à la conclusion distinctive, la configuration du contour intonatif d'une question totale ne diffère pratiquement pas de celui d'une assertion. On constate uniquement que le corps entier d'une interrogative est situé légèrement plus haut que celui d'une déclarative. Une analyse perceptive devrait montrer si cette différence de hauteur globale est audible, donc déterminante pour la reconnaissance d'une forme particulière. Un examen général des courbes intonatives du corpus Slovène révèle une propriété qui caractérise tous les contours traités, même s'ils présentent l'effet de focalisation sémantique sur un élément syntaxique particulier. Cette propriété prototypique des contours globaux est la première proéminence locale ou globale (au niveau de la phrase) de FO sur la deuxième ou troisième syllabe de l'énoncé, qu'elles soient accentuées ou non. Les intonations impérative et exclamative sont souvent caractérisées par une proéminence FO déjà sur leur première syllabe. Cette généralité est observable sur la totalité des phrases du corpus, et cela quelle que soit leur longueur, strucutre syntaxique ou modalité. La première proéminence de FO peut affecter tous les lexèmes, quelle que soit leur catégorie grammaticale ou fonction syntaxique. 266 4.2 Corpus français11 Comme le corpus slovène, le corpus français a été analysé acoustiquement selon l'aspect de la variation tonale et celui de la durée. Au niveau syllabique, le traitement a relativisé les valeurs, et cela par rapport aux valeurs intrinsèques des voyelles. Les résultats obtenus, concernant la variation de la hauteur tonale, témoignent d'une forte compatibilité des données pour le slovène avec celles pour le français. Les propriétés intonatives communes que partagent les deux langues se situent surtout au niveau global de la phrase. Cela signifie que les modalités se distinguent l'une de l'autre par les mêmes différences entre les lignes de déclinaison: la seule ligne montante caractérise et marque l'intonation interrogative. De même, on observe la petite différence entre les configurations des corps intonatifs déclaratif et interrogatif (question totale). Au niveau global, la première proéminence locale ou globale de FO se situe également au plus tard sur la troisième syllabe de l'énoncé. Il en résulte logiquement que l'intonation n'exerce sa fonction distinctive qu'en sa conclusion: «La superposition des contours-moyens de même longueur des phrases assertives et interrogatives pourrait indiquer que la modalité est déterminée seulement dans le dernier tiers de la phrase.»12 5 ASPECTS CONTRASTIFS Comme il a déjà été dit, la hauteur tonale détermine en principe la réalisation d'une forme intonative, soit-elle globale ou non-globale. Il ne faut toutefois pas négliger le paramètre de la durée vocalique. Cette dernière caractérise la quantité des noyaux syllabiques et peu, dans certains cas, intervenir dans la création de l'image intonative d'un énoncé français ou slovène. Vu que cette analyse, à côté des différences entre les deux systèmes, traite peut-être surtout les points où les intonations française et slovène se ressemblent, la comparaison se concentre sur la description des formes prototypiques de l'intonation au niveau de la phrase. 5.1 Intonation et syntaxe Au niveau des parties du discours, la comparaison est conçue sur une vérification de la validité de la classification intonologique d'intonèmes. Nous avons confronté l'emploi des intonèmes français avec l'emploi des mêmes formes sur les exemples slovènes; ensuite nous avons examiné si la classification en intonèmes correspond à la classification de signes intonatifs, élaborée par Toporišič.13 À travers cette comparaison, nous avons essayé de montrer le fonctionnement systématique de l'intonation 11 Le corpus français est décrit et analysé dans l'ouvrage cité de V. Auberge (1991). 12 V. Aubergé, op. cit., p. 110. 13 J. Toporišič (1984): Slovenska slovnica, Založba Obzorja, Maribor, pp. 449-459. 267 au niveau de la construction phrastique, même sans tenir compte de sa variabilité individuelle et continue, ou sa valeur expressive. Nous avons pu constater que les différences entre les réalisations d'intonèmes en français et en Slovène sont minimes; en général, elles sont perceptibles au niveau de l'intensité des modifications tonales dans le cadre des contours descendants ou montants. Il est possible de dire tout simplement que la variation intonative française est plus forte, qu'elle remplit un registre relativement plus étendu. Cette constation résulte du rôle spécifique que l'intonation exerce en français: c'est la fonction délimitative par laquelle l'intonation est capable de discerner les constituants du discours ou parties de l'énoncé. Il en sera encore question plus loin. 5.1.1 Intonèmes modaux Les deux intonèmes modaux assertion /AS/ (1) et question /QU/ marquent la modalité de la phrase toute entière. L'emploi et la réalisation de la forme intonative /AS/ ne présente pratiquement pas de différences dans les deux langues: cet intonème crée, avec la structure syntaxique, la modalité déclarative par une descente finale du ton dans la conclusion. la Elle part chez elle. /AS/ lb Domov se odpravlja. /AS/ En français, l'intonème /QU/ est toujours réalisé avec une montée progressive et linéaire (2) du ton dans la conclusion. La partie finale part d'une position légèrement abaissée devant la hausse progressive qui se termine au milieu de la zone supérieure du registre. Le point de départ d'une conclusion interrogative en Slovène aussi est légèrement abaissé - mais la forme peut se terminer de deux manières: elle peut monter linéairement, comme en français, ou bien, après une montée abrupte, aboutir en une légère descente finale (3). 2a Elle part chez elle? /QU/ 2b Domov se odpravljal (QU/ 3a Tu coupais avec cette faux] /QU/ 3b Našo barako je zamedlol /QU/ Cette dernière forme intonative slovène correspond à ce que Toporišič appelle «anticadence graduelle». Il faut noter une dernière particularité des conclusions interrogatives slovènes: la montée ou la descente finale du ton s'opèrent toujours sur la dernière syllabe (voyelle) de l'énoncé interrogatif. 5.1.2 Intonèmes incidents La fonction énonciative des intonèmes incidents témoigne de l'ingérence que l'intonation a dans la distinction des parties du discours et dans leur actualisation. La parenthèse incidente /IN/ (1) intervient dans l'image intonative du thème de l'énoncé et Vincidente prédicative /IP/ (2) dans celle du rhème. Si l'on observe les réalisations de ces deux intonèmes d'incidence, on peut conclure que leurs contours sont régulièrement monotones, pratiquement sans changement de direction perceptible de la variation 268 tonale. Il s'agit donc dans les deux cas d'un maintien de la hauteur. Contrairement à cela, l'incidence intonative slovène contient une descente ou une montée de la courbe. Celles-ci dépendent, pour la plupart des cas, de l'intention du locuteur, la Mon voisin Jean, le bavard, me l'a dit. /IN/ lb Sosedov Janez, tisto gobezdalo, mi je povedal. /IN/ 2a Donne-moi de l'eau, et froide. /IP/ 2b Prinesi mi vode, hladne. /IP/ En Slovène, ces deux intonèmes peuvent même perdre leur distincitivité, parce qu'une incidente peut se réaliser intonativement par une simple reprise de l'intonation (3) qui caractérise la partie précédente de l'énoncé, c'est-à-dire celle qui correspond syntaxiquement (ou sémantiquement) à l'incidente. 3a II est parti, comme toujours, sans rien dire. /IP/ 3b Odšel je, kot zmeraj, brez besed. /IP/ 5.1.3 Intonèmes progrédients Les propriétés des intonèmes progrédients, non-finaux ou continuatifs, offrent moins de possibilités de comparaison directe, parce que ces unités intonatives sont en liaison très étroite avec la syntaxe. Les intonèmes continuatif majeur ICI/ (1) et constinuatif mineur /ct/ (2) sont les plus fréquemment employés entre les unités intonatives progrédientes. Ils marquent et délimitent les constituants du discours selon leurs valeurs hiérarchiques. L'intonème /CT/ marque les limites entre le constituants majeurs, par exemple entre sujet et verbe, ou les limites entre les propositions. La compatibilité de son rôle avec la structure syntaxique est également observable en français et en Slovène. L'intonème /ct/ marque les limites syntaxiques d'une plus petite importance hiérarchique. la Jean savait que ce n'était pas vrai. /CT/ lb Janez je vedel, da to ni res. /CT/ 2a Jean est rentré hier soir, /ct/ 2b Janez se je vrnil včeraj zvečer, /ct/ La différence principale entre les réalisations française et slovène de ces intonèmes montants repose dans l'intensité de la variation tonale, toujours à cause du rôle délimitatif de l'intonation française. Dans la terminologie de Toporišič, la notion de «semi-cadence montante» couvre toute la variété des intonèmes progrédients. L'intonème progrédient continuatif majeur appellatif /CT+/ (3) ressemble du point de vue de la réalisation à l'intonème /CT/, sauf que sa montée se termine normalement légèrement plus haut. L'emploi français de cette unité ne diffère pas de l'appellatif slovène. 3a François, où vas-tu? /CT+/ 3b France, kam greš? /CT+/ 269 Enfin, l'unité intonative de progrédience énumération /EN/ (4) termine la liste des intonèmes continuatifs. En français comme en slovène, sa réalisation est toujours montante, si l'énumération n'est pas marquée expressivement (émotionnellement). Cet in-tonème marque les éléments non-finaux de l'énumération. 4a II y a un spectacle aujourd'hui, demain et après-demain. /EN/ 4b Predstave bodo danes, jutri in pojutrišnjem. /EN/ 5.1.4 Intonèmes terminaux Les contours des deux intonèmes terminaux conclusif majeur/CC/ (1) et conclusif mineur /cc/ (2) sont descendants et marquent la finalité des parties du discours ou des propositions qui constituent la phrase. Comme les intonèmes /CT/ et /et/, ils se distinguent entre eux par l'intensité de leurs conclusions. L'unité /CC/ marque le terme d'une proposition qui représente un accomplissement sémantique ou la fin d'une proposition coordonnée. Elle est toujours réalisée avec une pause prolongée avant la proposition qui suit. la Je ne vous le raconterai pas, car vous le savez vous-mêmes /CC/ lb Tega vam ne bom pravil, saj sami veste. /CC/ La fonction linguistique de l'intonème /ct/ est la moins claire entre toutes les fonctions des unités intonatives de la classification intonologique. Cette unité peut marquer les parties de l'énoncé où l'on s'attendrait normalement de trouver les intonèmes /ct/, /CT/ ou /EN/, mais qui sont réalisées avec une expressivité qui leur donne le sens de finalité. Cela signifie que la classification intonologique est le moins justifiée dans le cas de l'unité /cc/ qui ne présente pratiquement pas de valeur distinctive. 2a Mon voisin Jean me l'a dit. /cc/ 2b Sosedov Janez mi je povedal, /cc/ Ajoutons à cela que toutes les deux unités intonatives terminales seraient désignées dans la classification de Toporišič par le terme de «semi-cadence descendante». 5.1.5 Conclusion INTONÈME FORME INTONATIVE SLOVÈNE /AS/ cadence /QU/ anticadence /IN/ semi-cadence IJP/ semi-cadence /CT/ semi-cadence montante, descendante leti _ /CT+/ semi-cadence montante /EN/ semi-cadence montante /CC/ semi-cadence descendante /cc/ - Table 5: Validité des intonèmes en slovène 270 La classification intonologique des formes intonatives se base sur la description des fonctions syntaxique et énonciative des intonèmes. Contrairement à cela, Toporišič appuie sa description sur les propriétés phonétiques des unités intonatives. C'est pourquoi sa terminologie ne dispose que de trois termes pour rendre compte du lien qu'entretient l'intonation avec la syntaxe: cadence, anticadence et semi-cadence. Les distinctions de second degré des deux dernières formes sont également basées sur les critères phonétiques: l'anticadence peut être montante, graduelle ou haute, la semi-cadence montante, graduelle, haute ou descendante. Cette description ne facilite pas l'explication des rapports entre les deux structures énonciatives qui ont pourtant une importance essentielle pour la compréhension du rôle linguistique de l'intonation. 5.2 Intonations globales Les propriétés distinctives principales qui, en français comme en Slovène, déterminent les formes prototypiques de l'intonation globale au niveau de la phrase, sont la ligne de déclinaison et la configuration du contour global. La ligne de déclinaison est une ligne abstraite qui relie les hauteurs tonales moyennes des voyelles initiales et finales dans le cadre d'une modalité et rend compte de la différence globale entre elles. C'est une ligne qui détermine en principe la modalité de l'énoncé. Elle peut être montante (interrogative) ou descendante (déclarative, impérative, exclamative). L'intonation interrogative est la seule marquée, parce que la différence entre les valeurs de FO initiale et finale est négative. Sous un autre angle, l'intonation déclarative peut être considérée comme la seule vraiment non-marquée, car le registre des intonations impérative et exclamative est sensiblement étendu à cause de la valeur expressive de leur réalisations. 5.2.1 Contours prototypiques En français, la distinctivité de l'intonation interrogative est reconnaissable seulement dans le dernier tiers du contour. Qui plus est, l'interrogation slovène n'est réalisée que tout à la fin du contour intonatif, c'est-à-dire sur la dernière syllabe. Quant à la partie pré-(anti)cadencielle de ces deux formes intonatives ou corps d'intonation, l'analyse de notre corpus contrastif montre qu'il n'y a pas de différences notables entre le corps interrogatif et le corps déclaratif. Le corps intonatif d'une question totale est situé légèrement plus haut que celui d'une déclaration. La différence est tellement petite qu'on peut assurer que cette partie n'est pas distinctive. La différenciation de ces deux prototypes ne se fait qu'à partir du «focus» abaisseé juste avant la montée finale de l'interrogation ce qui est valable pour les deux langues. Les conclusions distinctives de ces deux formes intonatives globales sont normalement plus longues en français: c'est une conséquence de différences entre les systèmes accentuels français et slovène. Retenons notre attention une dernière fois sur le corps de la forme intonative au niveau global de la phrase. Ses propriétés ne sont pas distinctives, mais il possède une 271 caractéristique qui semble bien contribuer à la formation du prototype global de l'intonation au niveau de la phrase. L'analyse des phrases dans les deux langues a présenté une première proéminence locale ou globale de FO sur la deuxième ou troisième voyelle, plus rarement sur la première, et cela sans égard à la longueur, modalité ou construction syntaxique de la phrase. L'explication de ce phénomène doit probablement être cherchée dans les contraintes physiologiques et instruments psychologiques qui régissent la production de la parole. Ils font partie de la stratégie fondamentale de la parole, à l'aide de laquelle le locuteur négocie et adresse son message parlé; ils concernent le principe même de l'économie linguistique au niveau de la phrase. Cette propriété de la configuration du corps intonatif semble être une caractéristique générale de l'intonation phrastique pour les langues à intonation, où les oppositions tonémiques n'existent pas ou ne peuvent pas pleinement remplir leur fonction linguistique. 5.2.2 Accent et intonation La différence principale et la plus englobante entre les systèmes intonatifs français et Slovène est la spécificité de la relation entre l'intonation phrastique et le système ac-centuel dans les deux langues. Dans le cadre de cette question, la définition et l'extension des unités accentuelles font diverger les choses. L'accent lexical «mobile» du slovène est réalisé dans le cadre d'un mot contenant une syllabe accentuable, tandis qu'en français c'est le syntagme qui représente l'unité accentuelle. Cela signifie que le domaine d'action linguistique pour l'accent français correspond exactement à l'extension des parties d'énoncés que couvre à tous les niveaux l'intonation phrastique. Si l'on admet que l'accent d'intensité, normalement, remplit la fonction de délimiter les unités accentuelles, on est autorisé de constater qu'en français l'accent a perdu ce rôle délimitateur. La conclusion distinctive d'une forme intonative se distingue par une variation de la hauteur tonale qui prend le maximum de sa force juste sur la dernière syllabe de l'unité intonative (et donc: accentuelle). La conséquence principale de ce fait: la partie distinctive de l'intonation couvre la position extrêmement prédictible de l'accent syntagmatique fixe qui subit un effacement à l'oreille d'un locuteur français. À savoir, celui-ci n'est capable de percevoir ni la réalisation de l'accent d'intensité ni de faire usage de sa fonction linguistique. Tout cela signifie que les réalisations intonatives françaises sont caractérisées, par rapport à l'intonation slovène, par une variation tonale plus radicale; elles sont en général plus intenses. Grâce à la fusion systématique de l'accent syntagmatique avec la distinctivité de l'intonation française, l'accent d'intensité est devenu un phénomène prosodique secondaire, sans valeur distinctive ni contrastive. 272 BIBLIOGRAPHIE AUBERGÉ, Véronique (1991): La synthèse de la parole. Des règles aux lexiques, de doctorat, ICP-INPG/Université Stendhal - Grenoble III. BEZLAJ, Fran (1939): Oris slovenskega knjižnega izgovora, Razprave Znanstvenega društva v Ljubljani 17, filološko-lingvistični odsek 5, Ljubljana. BOË, Louis-Jean, CONTINI, Michel (1975): Étude de l'intonation de la phrase interrogative en français (question totale). Premiers résultats, Bulletin de l'Institut de Phonétique de Grenoble, no. 4, pp. 34-49. BOLINGER, Dwight et al. (1972): Intonation. Selected readings, Penguin Books, Baltimore. BROWMAN, Catherine P., GOLDSTEIN, Louis (1989): Articulatory gestures as phonological units, in: Phonology, no. 6, pp. 201-251. 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Jože Toporišič (član). Eksperimentalni del naloge je bil opravljen na Inštitutu za govorno sporočanje (ICP) Univerze Stendhal v Grenoblu. V prvem delu prispevka avtor na kratko razgrinja položaj stavčne intonacije v jezikoslovju 20. stoletja in svojo analizo po eni strani umesti v teoretični okvir francoske intonologije, po drugi strani pa v okvir dinamičnega pojmovanja stavčne intonacije v govoru (artikulacijska fonologija, umetni govor). Avtor ugotavlja, daje primerjava francoskega intonacijskega sistema s slovenskim smiselna na dveh ravneh. Na ravni povezave stavčne intonacije in skladnje je analiza pokazala, da v jezikovnem delovanju intonemov, kakor jih je utemeljila intonologija, ni bistvenih razlik med francoščino in slovenščino. Razlike je opaziti le v uresničitvah intonacijskih oblik, ki so v francoščini zaradi drugačnega delovanja naglasnega sistema intenzivnejše. Na globalni stavčni ravni je podobnosti med francosko in slovensko intonacijo še več. Opisati je mogoče celo intonacijske značilnosti, ki naj bi veljale za univerzalne. V določeni globalni intonacijski obliki je razločevalen samo zaključek, padajoč ali rastoč, ne pa tudi intonacijski trup. Pri slednjem je razčlemba obdelanih primerov v obeh jezikih pokazala, da je prvi lokalni ali globalni višek vrednosti osnovne frekvence (torej poglavitnega intonacijskega parametra) na drugem ali tretjem, redkeje na prvem zlogu povedi, in sicer ne glede na dolžino, naklon ali skladenjsko strukturo stavka. 274