Sonia Vaupot: COHÉRENCE DISCURSIVE EN SLOVÈNE ET EN FRANÇAIS ... 57 Sonia Vaupot UDK 811.163.6'42:811.133.1'42 Université de Ljubljana DOI: 10.4312/vestnik.7.57-69 Faculté des Lettres sonia.vaupot@guest.arnes.si COHÉRENCE DISCURSIVE EN SLOVÈNE ET EN FRANÇAIS : LE RÔLE DES CONNECTEURS EN TRADUCTION 1 INTRODUCTION Dans cet article, nous nous sommes interrogées sur l'emploi des connecteurs en slovène et en français. Nous remarquons en effet la tendance à insérer des connecteurs ou des mots charnières dans les traductions des textes en français sans doute pour combler un manque de cohérence ou de cohésion dans le texte cible. Le slovène semble en revanche employer un nombre plus faible de connecteurs par rapport au français. Nous nous intéresserons ainsi à la présence et l'ajout de connecteurs dans les traductions de quatre extraits d'œuvres littéraires effectuées par Andrée Luck-Gaye et Elza Jereb. Nous nous demanderons s'il s'agit d'un effet de style ou d'une nécessité réelle, c'est-à-dire d'une tendance qui s'inscrit dans le système de la langue française. 2 LA COHÉRENCE DISCURSIVE Les connecteurs permettent de construire la cohérence du discours. Moeschler (1985) relie ainsi les notions de cohérence et d'argumentation. Selon l'auteur, les instructions argumentatives fixées par les connecteurs doivent être satisfaites pour qu'un discours soit cohérent. Il attribue aux connecteurs les propriétés suivantes (2002: 28) : les connecteurs contribuent à l'interprétation des discours en permettant les inférences ; ils ont un contenu procédural et conceptuel ; ils sont porteurs de traits forts ; leur fonction est de permettre le groupement et le séquencement de représentations mentales d'événements. L'auteur conclut qu'un connecteur est indispensable pour permettre une interprétation déterminée et spécifique du discours. Il transmet notamment des instructions sur la nature du groupement, la nature du séquencement et la nature de la relation causale entre événements. Moeschler se base sur la définition des connecteurs dans le cadre de la théorie de la pertinence, où les connecteurs sont considérés comme des éléments véhiculant des implicatures conventionnelles (Grice 1975), leur rôle étant de contribuer à la pertinence des actes de communication (Wilson and Sperber 1990). Les connecteurs seraient ainsi des contraintes sémantiques sur la pertinence et illustreraient les aspects non vériconditionnels du sens des énoncés. 58 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE Sans entrer dans les détails des différentes théories, rappelons que les connecteurs sont indispensables à la cohérence, la cohésion et la progression du texte. On les qualifie également de « marqueurs de relation », car ils associent des éléments à l'intérieur d'une phrase ou entre les phrases, et également « d' organisateurs textuels » lorsqu'ils créent des liens explicites entre les parties d'un texte. Leur fonction est donc variée : ils situent les éléments textuels dans le temps et dans l'espace ; ils marquent l'enchaînement des phrases et les transitions entre les diverses parties d'un texte ; ils favorisent la lecture, la compréhension du texte, la progression des informations et articulent la pensée de l'énonciateur ou du destinataire ; ils assurent la structuration d'un discours et sa désambiguïsation, etc. Toutefois, leur usage est déterminé, entre autres, par des contraintes pragmatiques et les situations de communication ou d'énonciation. Le rôle et la fonction des connecteurs sont ainsi multiples. Ils peuvent recevoir soit une fonction argumentative, soit une fonction discursive, et contribuent à la pertinence des actes de communication. 3 LES CONNECTEURS EN FRANÇAIS Le Trésor de la langue française définit le connecteur comme « un opérateur susceptible de faire de deux phrases de base une seule phrase transformée » (Ling. 1972) et qui sert à marquer les rapports syntaxiques entre deux ou plusieurs propositions consécutives. Le dictionnaire évoque également Jakobson (1957) qui qualifie de connecteurs, par opposition aux désignateurs, « les catégories qui caractérisent soit la relation des protagonistes du procès de l'énoncé (l'événement raconté) au procès de cet énoncé, soit la relation du procès de l'énoncé à un autre procès de l'énoncé ». Nous ne présenterons pas de manière détaillée toutes les recherches effectuées sur les connecteurs. Rappelons seulement que les sciences du langage s'y intéressent dès les années 80. Cependant, les recherches oscillent entre les définitions grammaticales, essentiellement syntaxiques et les définitions sémantico-logiques. Riegel et al. (2004) définissent les connecteurs comme des éléments de liaison entre des propositions ou des ensembles de propositions qui contribuent à la structuration du texte en marquant des relations sémanti-co-logiques entre les propositions ou entre les séquences qui le composent. Lorsque leur action se limite à la phrase (sens restreint), les connecteurs ne comprennent que les conjonctions de coordination (p.ex. mais, et) et les conjonctions de subordination (parce que, de sorte que, bien que, etc.). En revanche, lorsqu'ils assurent l'organisation du texte (sens large), ils regroupent également les conjonctions, les adverbes (alors, puis, ensuite, etc.), certains groupes prépositionnels (en tout cas, d'une part, d'autre part, etc.), des locutions (c'est-à-dire, autrement dit), etc. Lorsque les connecteurs fonctionnent comme des organisateurs textuels, les auteurs soulignent qu'ils assurent alors un rôle de liage (enchaînement entre les propositions) et un rôle d'empaquetage (structuration du texte en ensemble de propositions). Toutefois, la liste des connecteurs est limitée aux « unités linguistiques qui ne Sonia Vaupot: COHÉRENCE DISCURSIVE EN SLOVÈNE ET EN FRANÇAIS ... 59 font pas partie intégrante des propositions, mais qui assurent leur liaison et organisent leurs relations, sans être des expressions anaphoriques ». Certaines de ces unités possèdent le rôle de connecteur (puis, mais, puisque, etc.) tandis que d'autres possèdent plusieurs rôles (par exemple, alors est un connecteur consécutif et une anaphore temporelle). Ducrot (1980 in Schlamberger Brezar 2002: 89) étudie les connecteurs dans le cadre de la pragmatique intégrée à la sémantique. Il leur attribue une fonction d'instruction et les relie à l'argumentation. D'après Roulet et al. (1985: 85-193 in Schlamberger Brezar 2002: 91), les connecteurs se divisent en marqueurs de fonction illocutoire (initiatifs et réactifs), en marqueurs de structuration de la conversation (dans le discours oral) et, les plus fréquents, en marqueurs de fonction interactive qui définissent le rapport entre les constituants d'une intervention et se distinguent d'après leurs fonctions syntaxiques et pragmatiques. Les auteurs relèvent ainsi les connecteurs argumentatifs, les connecteurs contre-argumen-tatifs et les connecteurs conclusifs. Pour leur part, Arrivé, Gadet et Galmiche (1986: 180) définissent les connecteurs comme des termes qui permettent « de regrouper les usages interphrastiques des conjonctions de coordination, et de certains adverbes ou assimilés qui jouent le même rôle en tête de phrase : et, or, puis, cependant, en fin de compte... sont des connecteurs ». Reprenant une définition plus syntaxique, les auteurs les classent parmi les coordonnants qui créent un lien ou les subordonnants qui font la liaison. D'autres classifications apparaissent ultérieurement, notamment celles des connecteurs en tant que corrélateurs (Pierrard et al. 2006: 133), mais nous nous en tiendrons à la typologie basique de coordonnant et subordonnant qui suffit à notre analyse. 4 LES CONNECTEURS DU SLOVÈNE D'une manière générale, les recherches, effectuées en Slovénie, définissent les connecteurs à partir de la syntaxe structurale qui prend en considération les notions de coordination et de subordination au niveau de la phrase. Jože Toporišič (1976: 48) définit ainsi 13 classes de connecteurs (Toporišič in Schlamberger Brezar 2009: 125) qui sont des marqueurs de : - liaison (navezovalne členke) : a, in, ja, no, pa, potem, torej, tudi - sentiment (členke čustvovanja) : žal, dobro - insistance (poudarne) : ravno, posebno, zlasti, predvsem - retrait (izvzemalne) : le, samo, edino, komaj, vsaj - jugement (presojevalne) : tako, blizu, približno, skoraj, domala - ajout (dodajalne) : tudi, prav tako, niti, takisto, vključno - empêchement (členke zadržka) : pač, saj, komaj, že, sicer - confirmation (potrjevanja) : ali - concordance (soglašanja) : da, dejansko, gotovo, ja, kajpak, res, seveda 60 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE - possibilité ou probabilité (možnosti, verjetnosti) : morda, mogoče, morebiti, nemara, končno, navsezadnje, brž, verjetno, komaj - opinion et hypothèse (mnenja, domneve) : baje, menda, denimo - interrogation (vprašalne členke) : ali, a, kaj, mar - incitation ou affirmation (spodbujalne, trdilni) : a, ali, da, kako, morda - négation (nikalni) : da, kaj, še, ko, nikdar, saj - accord et désaccord (členke zanikanja in soglašanja) : ne, nikar, vraga, figo Par la suite, Toporišič (2000: 445-448) choisira plutôt de regrouper les connecteurs en 4 groupes principaux : les marqueurs d'injonction (pozivni členki), les marqueurs de valorisation (vrednotenjski členki), les marqueurs de sentiment (čustvenostni členki) et les marqueurs d'organisation textuelle (besedilnozgradbenostni členki). Ivana Černelič Kozlevčar (1993: 224 in Jakop 2001: 314) propose un classement qui reprend en partie la classification de Toporišič. Elle met en évidence : 1. Les marqueurs de sentiments (členki čustvovanja) qui expriment la joie, l'amour, la haine, l'enthousiasme, le mépris, l'admiration, la jalousie, l'ironie, etc. : žal, dobro, hvala bogu, etc. 2. Les marqueurs d'affirmation (členki pritrjevanja) : - accord sans réserve : seveda, res/gotovo, kakopa, kajpa, kajpada, menda ja, etc. - accord avec réserve : res/sicer ni, no, saj ni, toda, morda, že mogoče, etc. 3. Les marqueurs de persuasion (gotovostni členki) : seveda, res, gotovo, zares (ne), verjetno, mogoče, etc. 4. Les marqueurs d'opinion (členki mnenja) : baje, recimo, že, etc. 5. Les marqueurs de négation ou de désaccord (členki zanikanja) : nikakor, nasprotno, etc. Enfin, d'autres auteurs considèrent les connecteurs en tant que marqueurs discursifs (Schlamberger Brezar 1998, Gorjanc 1998), en tant qu'éléments du métadiscours (Pisanski 2002) ou en tant que lexèmes ou particules (Mojca Smolej 2007). En 2004 apparaît également une classification plus générale (Sporazumevalni prag 2004 in Schlamberger Brezar 2009: 130) qui opte pour une nouvelle répartition, sans toutefois viser une modification du contenu des regroupements précédents. Les connecteurs se répartissent ainsi en : 1. marqueurs discursifs modaux (modalni členki) qui expriment la nécessité, la probabilité ou la possibilité ; 2. marqueurs de renforcement (poudarni členki) qui soulignent une information sous-entendue ; 3. marqueurs phrastiques (zaznamovalci tipa povedi) ; 4. marqueurs interphrastiques (odnosni členki) qui assurent la cohérence du discours ; 5. particules discursives (besedotvorni členki). Pour notre part, nous avons choisi de repérer la fréquence des connecteurs dans les textes slovènes et leurs traductions françaises. Nous avons ainsi pu constater que de nombreux marqueurs, notamment potem, tudi, a, pa, vendar, saj, etc., apparaissent dans tous les Sonia Vaupot: COHÉRENCE DISCURSIVE EN SLOVÈNE ET EN FRANÇAIS ... 61 textes sources. Toutefois, la nature et la fréquence d'emploi des connecteurs diffèrent selon les traductions. Notre attention s'est donc portée sur les ajouts de connecteurs dans les traductions françaises. Nous avons voulu ainsi vérifier si les connecteurs étaient indispensables et permettaient une interprétation spécifique du discours, voire s'ils s'inscrivaient spontanément dans le système de la langue française. 5 SURVOL CONTRASTIF La maîtrise de l'écrit est une nécessité pour les traducteurs. Il est donc primordial de préparer les étudiants, futurs traducteurs, à la pratique de l'écriture. Les éléments textuels sont, entre autres, indispensables pour construire un texte cohérent en français. Cependant, lorsqu'il s'agit de traduire un texte du slovène vers le français, nous remarquons que ces éléments font parfois défaut. Les étudiants ont tendance à en faire abstraction ou ne maîtrisent pas toujours leur emploi, notamment pour marquer la progression d'une pensée. Nous pensons que les difficultés relatives à l'usage des connecteurs résultent du fait que les éléments textuels se construisent différemment en slovène. Notre étude consiste à observer le rôle des connecteurs dans les traductions françaises. L'observation et l'analyse des connecteurs, à partir de traductions du slovène vers le français, revêtent un double intérêt. D'une part, notre approche est traductologique et contras-tive. Elle présente ainsi des données qu'une perspective monolingue ne peut toujours recueillir. D'autre part, notre visée est pédagogique, car cela nous permettra de réfléchir à l'avenir sur les connecteurs de manière efficiente. Pour mener à bien notre étude, nous avons relevé, puis analysé la fréquence des connecteurs qui ont été ajoutés aux versions françaises dans quatre extraits de romans tirés de la revue "Le livre slovène" et traduits du slovène par deux traductrices différentes : 1. Ljubezen (L'amour) de Marjan Rožanc, traduit par Andrée Luck-Gaye (T1) 2. Matkova Tina (Tina de Matko) d'Ivan Preglej, traduit par Andrée Luck-Gaye (T2) 3. Ure mojih dni (Les heures de ma vie) de Mira Mihelič, traduit par Elza Jereb (T3) 4. Zato (Parce que) de Rok Arih-Drago Druškovič, traduit par Elza Jereb (T4) En observant les phrases, issues des textes T1 et T2, traduites par Andrée Luck-Gaye, qui ont nécessité l'ajout de connecteurs ou de marqueurs de liaison, nous ne relevons que l'élément suivant : Texte 1 (T1) : (...) me je sestra Cecilija potegnila pod razpelo v kotu pomožne kuhinje in me s palcem prekrižala po čelu, enkrat in še enkrat... (T1 : 67) (...) sœur Cecilija m'entraîna sous le crucifix dans un coin de l'annexe de la cuisine et me marqua le front d'un signe de croix une fois puis une fois encore... (T1 : 40) 62 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE D'une manière générale, nous remarquons que tous les marqueurs slovènes du texte source (T1) sont traduits en français, à l'exception de l'unique phrase indiquée ci-dessus où la traductrice insiste sur la répétition en ajoutant l'adverbe conjonctifpuis. Toutefois, nous notons l'effet inverse dans le texte T2 : le connecteur slovène n'est pas traduit en français comme l'indique l'exemple suivant. En effet, la traductrice n'a ajouté aucun connecteur français complémentaire, mais a traduit tous les connecteurs et marqueurs de liaison slovènes, à l'exception de l'élément saj dans l'exemple qui suit : Texte 2 (T2) : A bili so mirni in skoraj veseli : saj so vedeli, da bo v nekaj urah jutro in da ga bodo doživeli zdravi in doma pri ženah, pri otrocih. (T2 : 48) Mais ils étaient calmes et presque joyeux : ils savaient que dans quelques heures ce serait le matin et qu'ils le passeraient bien portants et chez eux auprès de leurs femmes et leurs enfants. (T2 : 52) Sans nous engager dans la querelle « sourcier-cibliste », nous notons que les traductions d'Andrée Luck-Gaye sont essentiellement sourcières. La traductrice établit des correspondances au niveau formel de la langue. Ainsi, la syntaxe du texte cible colle souvent au texte source, ce qui explique, selon nous, la non-insertion de connecteurs dans le texte français. La traductrice n'a en effet ajouté qu'un seul connecteur français, absent du texte source. En revanche, de nombreux connecteurs ont été insérés dans les traductions des textes T3 et T4 effectuées par Elza Jereb (voir le tableau ci-dessous, paragraphe 6). En outre, nous pouvons noter que les stratégies de traduction de la seconde traductrice sont essentiellement ciblistes. Elza Jereb s'attache en effet à traduire le sens, adaptant parfois son texte (notamment le T3). Elle insère également un nombre plus important de connecteurs dans ses traductions. Nous en concluons que l'ajout de connecteurs, dans une traduction, ne semble pas correspondre uniquement à une nécessité linguistique, comme le démontrent les traductions T1 et T2, mais reflète aussi une spécificité stylistique observable dans les textes littéraires et une tendance traductive cibliste. 6 LA NATURE, LE RÔLE ET LA VALEUR DES CONNECTEURS AJOUTÉS Le tableau qui suit énumère, par ordre d'apparition, les connecteurs présents dans les traductions T3 et T4, leurs occurrences, les catégories, les types de relations établies et les liens logico-sémantiques. Sonia Vaupot: COHÉRENCE DISCURSIVE EN SLOVÈNE ET EN FRANÇAIS ... 63 T3 T4 Catégorie Type Connecteur temporel Lien logico-sémantique donc 1 4 adverbe conjonction coordonnant Conséquence, conclusion Ainsi 2 3 adverbe conjonction coordonnant Conséquence, conclusion, illustration, justification, addition, comparaison en effet 2 2 adverbe subordonnant Cause, explication, but, illustration, justification, addition Ensuite 1 1 adverbe coordonnant Connecteur d'enchaînement Addition, énumération, classification, similitude, succession, restriction d'ailleurs 1 adverbe subordonnant Addition, constatation, transition (et) puis 3 adverbe conjonction coordonnant Connecteur d'enchaînement Addition, classification, similitude, succession, restriction aussi 1 adverbe conjonction coordonnant Reprise, addition, comparaison, conséquence soudain 2 adverbe coordonnant Connecteurs de rupture Soudaineté d'une action pourtant 2 adverbe coordonnant subordonnant Connecteur de rupture Opposition, contradiction, restriction quand même 1 adverbe coordonnant Condition, supposition, hypothèse, contradiction mais 2 conjonction coordonnant connecteur de rupture Opposition, contradiction encore 1 adverbe coordonnant Choix, reformulation, reprise, addition 64 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE Dans un premier temps, la classification de type logico-sémantique nous permet de noter l'usage d'au moins deux classes de connecteurs qui ont servi à structurer la cohérence des textes : les connecteurs temporels et les connecteurs logiques. L'usage des connecteurs temporels permet de marquer l'organisation chronologique ou la linéarité du récit. On remarque notamment l'emploi des connecteurs d'enchaînement (puis, ensuite) et des connecteurs de rupture (soudain, mais, pourtant). Les unités comme puis ou soudain agissent sur la structure du discours et l'organisation temporelle : Puis la porte se referma d'elle-même. (T4 : 31) ou (...) et soudain elle eut peur. (T4 : 30). Le structurateur ensuite semble agir en tant que marqueur organisationnel du discours et permet d'établir une structure hiérarchique. L'adverbe ensuite coordonne deux segments de discours au sein de la narration : J'avais même noté cela noir sur blanc pour pouvoir le lire, ce que je fis ensuite d'une voix tremblante. (T3 : 42). Enfin, le connecteur pourtant, qui peut aussi être classé comme un connecteur syntagmatique, explicite une relation implicite entre deux actants. Son emploi est notamment rectificatif : Se reposant couché sur le dos elle se disait pourtant... (T4 : 30). Le connecteur pourtant peut parfois être remplacé par quand même lorsqu'il désigne une contradiction : (...) c'est pourquoi sa question lui parut superflue, mais elle se sentit quand même flattée. (T4 : 31). En tant que connecteur argumentatif et marqueur d'opposition, quand même renforce ici la valeur de mais. D'autre part, la traductrice a employé les connecteurs logiques suivants : ainsi, donc, en effet, d'ailleurs, aussi, pourtant, quand même, mais, encore. Au même titre que les précédents, ces connecteurs sont indispensables à la cohérence du récit. Leur valeur exacte est définie par le texte. Le connecteur de consécution ainsi met en relation des termes et crée une relation d'identification entre eux. Il présente l'opinion du locuteur : (...) et j'eus ainsi l'agréable tâche d'accueillir Carver et sa femme à Ljubljana. (T3 : 41). Dans sa fonction de marqueur anaphorique, il assure la cohésion discursive. Considéré parfois comme une conjonction, le connecteur donc marque le raisonnement et permet de construire le discours : Regardons donc vers cette année 1962. (T3 : 40). Il explique la conséquence ou le but. Le connecteur prépositionnel en effet possède une valeur discursive et de confirmation : Il essaya, en effet, infatigablement d'étendre le cercle des centres PEN. (T3 : 41). Il marque l'explicitation argumentative, explique les causes et les motifs. Le connecteur de complémentation d'ailleurs introduit un argument supplémentaire, mais qui n'est pas indispensable à l'argumentation : Pourtant elle était depuis longtemps sillonnée de sentiers (ce qui d'ailleurs n'avait pas été commode pour les partisans) (T4 : 29). Il possède des propriétés pragmatiques définies par le contexte, au même titre que mais et donc, et impose aux énoncés un comportement inférentiel. Le connecteur consécutif aussi se différencie de ainsi et donc. Il permet d'additionner des informations : mais aussi à cause de ses yeux qui de près lui semblèrent plus grands encore, plus bleus, (T4 : 30). Le connecteur ou marqueur discursif mais a été particulièrement traité par Mojca Schlamberger Brezar (2009 et 2012). L'auteur précise notamment que, dans les dialogues littéraires, cette conjonction apparaît dans sa valeur pha-tique. C'est le cas dans les emplois suivants : « Les détectives, c'est rien, mais les bandits! (...) Sonia Vaupot: COHÉRENCE DISCURSIVE EN SLOVÈNE ET EN FRANÇAIS ... 65 Je ne sais pas. Mais j'ai peur de lui », dit-elle. (T4 : 32). Toutefois, on lui reconnaît plusieurs nuances en tant que connecteur argumentatif. En effet, il marque, dans le second exemple, la contradiction argumentative et la concession, au même titre que l'adverbe pourtant. Enfin, le connecteur énumératif encore marque une progression. Il est également marqueur de modalité d'insistance : Le père était un homme hargneux, dit-il encore. (T4 : 33). Nous pouvons, par conséquent, confirmer que les connecteurs occupent la fonction d'organisateurs textuels. Il est essentiel de les ajouter, même en traduction, notamment lorsqu'ils jouent un rôle dans la hiérarchie du texte. En ce sens, cette propension répond sans doute à une nécessité linguistique. 7 CONCLUSION Notre attention s'est portée sur les connecteurs, car ce sont les pivots indispensables des textes. Nous remarquons toutefois qu'une différence entre le slovène et le français réside dans l'usage de ces mots charnières. En effet, le slovène tend à utiliser un nombre plus faible de connecteurs par rapport au français. Nous avons voulu vérifier si la traduction du slovène vers le français sous-entendait parfois l'usage de stratégies pour rendre les liens lo-gico-sémantiques du texte source et si on en venait à insérer des connecteurs dans la traduction pour conférer au texte cible un degré de cohérence et de cohésion égal ou supérieur à celui du texte source. Notre survol contrastif n'a pas mis en évidence l'existence de relations implicites dans les phrases slovènes qui pourraient expliquer la présence de connecteurs dans les phrases françaises. En revanche, nous pouvons affirmer que les tendances traductives et les stratégies de traduction sont associées à l'usage de connecteurs. En effet, la traductrice qui a opté pour une traduction de sens a inséré des connecteurs supplémentaires, contrairement à la traductrice qui tend vers une traduction plus littérale. L'écart apparent entre les deux traductions confirme, en premier lieu, le fait qu'il est difficile, mais pas impossible, d'assurer la cohérence d'un texte sans ajout de connecteur. Nous en concluons que l'insertion de connecteurs dans les traductions permet, d'une part, de privilégier la cohésion linguistique de la langue cible, d'autre part, de mieux structurer l'information, car leur présence s'inscrit bien dans le système de la langue française. Le rôle des connecteurs étant de structurer un discours et d'assurer la cohésion du texte, des perspectives didactiques pourraient être envisagées. L'enseignant peut sensibiliser, dans un premier temps, les apprenants à la nécessité de réfléchir aux types de connecteurs utilisés, au choix du bon connecteur ainsi qu'à l'étude des occurrences et du sens des connecteurs afin de cerner leurs spécificités. Dans un second temps, le travail peut s'effectuer sur plusieurs niveaux : leur usage dans les phrases en tant que marqueurs de relation et au niveau du texte en tant qu'organisateurs textuels, notamment pour faire apparaître le déroulement des actions, les étapes d'un raisonnement, etc. Enfin, une dernière étape consiste à effectuer des exercices de traduction ciblés susceptibles de rendre le texte cible plus intelligible. La visée pédagogique reste donc à approfondir. 66 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE EXEMPLES ANALYSÉS DONC Če pogledam nazaj v leto 1962... (T3 : 210) Regardons donc vers cette année 1962. (T3 : 40) (...) ker pa se ga nihče ni ustrašil, se je zasmejal, skril svoje samoljubje (...) Pomislite, jokal je, pa na glas, solze so drčale (T4 : 179) (...) comme personne n'eut peur, il éclata de rire cachant ainsi son amour propre (...) Pensez-donc, il pleurait, mais on n'entendait rien, seulement des larmes qui coulaient sur son visage. (T4 : 32) Poglejta ga, kako joče. (T4 : 180) Regardez donc, comment il pleure. (T4 : 33) Že zgodaj je zvedel za svoj "zato". (T4 : 184) Très tôt il connut donc son "parce que". (T4 : 34) AINSI (...), in mene je doletela čast, da sem ju sprejela v Ljubljani. (T3 : 212) (...) et j'eus ainsi l'agréable tâche d'accueillir Carver et sa femme à Ljubljana. (T3 : 41) EN EFFET Neutrudno je poskušal pomnožiti število centrov, mednarodni Pen naj bi resnično obsegel ves svet. (T3 : 212) Il essaya, en effet, infatigablement d'étendre le cercle des centres PEN. (T3 : 41) (...) saj je bil Carver v mednarodnem pisateljskem krogu izredno priljubljen in je imel veliko prijateljev in še zdaj srečujem po konferencah in kongresih Pena ljudje, ki mi pravijo, kako zelo pogrešajo Carver-ja. (T3 : 213) (...) car Carver était très populaire dans son cercle international. En effet, il m'arrive encore maintenant de rencontrer à des conférences et des congrès du PEN des personnes qui me disent en soupirant combien elles regrettent la disparition de Carver. (T3 : 42) ENSUITE (...) in sem to tudi imela črno na belem, kar sem, ko je prišla vrsta name, prebrala s tresočim se glasom, v francoščini, seveda. (T3 : 215) J'avais même noté cela noir sur blanc pour pouvoir le lire, ce que je fis ensuite d'une voix tremblante. (T3 : 42) AINSI (. ) kako pomembno je bilo srečanje v Dubrovniku za jugoslovanske pisatelje glede na dogodke pred tridesetimi leti z veliko obljubo in upanjem, ki ju danes ponuja Pen pisateljem sveta. (T3 : 216) (...) de comprendre ce qui s'était passé à Dubrovnik trente ans plus tôt, les aidant ainsi à voir les possibilités dont dispose l'écrivain dans le PEN et à saisir les grandes promesses et l'espoir offert par le PEN aux écrivains du monde entier. (T3 : 42) D'AILLEURS Bil pa je že od nekdaj prekrižan s premnogimi stezami (nepripraven za partizane). (T4 : 169) Pourtant elle était depuis longtemps sillonnée de sentiers (ce qui d'ailleurs n'avait pas été commode pour les partisans). (T4 : 29) PUIS Komaj jo je zmogel zaradi njene žilavosti in njenih močnih rok. (T4 : 170) Ce n'est pas avec facilité qu'il arrivait à avoir le dessus, car elle était tenace et puis ses mains étaient si fortes. (T4 : 29) Vrata so se sama spet zaprla. (T4 : 175) Puis la porte se referma d'elle-même. (T4 : 31) ,Kaj vas briga' se je ujezil.' (T4 : 178) 'Et puis ça ne vous regarde pas,' dit-il furieux' (T4 : 32) Ves vesel si je nato obesil orožje, kot konjenik, preko ramena in prsi. (T4 : 182) Puis tout content, tel un chevalier, il jetait son arme sur l'épaule. (T4 : 34) AUSSI SOUDAIN (...) in zaradi njenih njegovih oči, ki so se ji iz bližine zdele še večje, boljplave, da se je zbala. (T4 : 173) (. ) mais aussi à cause de ses yeux qui de près lui semblèrent plus grands encore, plus bleus, et soudain elle eut peur. (T4 : 30) Sonia Vaupot: COHÉRENCE DISCURSIVE EN SLOVÈNE ET EN FRANÇAIS ... 67 SOUDAIN Rudi je bil obrnjen k vratom in France od njih, ko so se ta sama odprla in v odprtini je stal nekdo z brzostrelko, v belem plašču. (T4 : 174) Rudi était tourné vers la porte et France se trouvait en face de lui lorsque soudain la porte s'ouvrit d'elle-même et dans l'embrasure apparut un homme, dans un manteau blanc, une mitraillette à la main. (T4 : 31) POURTANT Ko je tako vznak počivala, se je vprašala:... (T4 : 174) Se reposant couché sur le dos elle se disait pourtant:... (T4 : 30) QUAND MÊME (...) in da je njegovo vprašanje popolnoma odveč, čeprav ji je godilo. (T4 : 174) (...) c'est pourquoi sa question lui parut superflue, mais elle se sentit quand même flattée. (T4 : 31) MAIS "Kaj detektivi, banditi! (...) Ne vem. Bojim se ga", je rekla. (T4 : 177) "Les détectives, c'est rien, mais les bandits! (...) Je ne sais pas. Mais j'ai peur de lui", dit-elle. (T4 : 32) ENCORE Oče so bili sitni, je rekel. (T4 : 181) Le père était un homme hargneux, dit-il encore. (T4 : 33) BIBLIOGRAPHIE ARRIVE, Michel/Françoise GADET/Michel GALMICHE (1986) La grammaire d'aujourd'hui. Guide alphabétique de linguistique française. Paris : Flammarion. DRUŠKOVIČ, Drago (ARIH, Rok - 1957) Zato. Ljubljana: Cankarjeva založba. DUCROT, Oswald et al. (1980) Les mots du discours. Paris : Les Éditions de Minuit. GORJANC, Vojko (1998) Konektorji v slovničnem opisu znanstvenega besedila. Slavistična revija 46(4), 367-388. JAKOP, Nataša (2000-2001) Funkcijska delitev členkov: značilnosti naklonskih členkov. Jezik in slovstvo 46 (7-8), 305-313. Le livre slovène (1976) 1/2, XIV. Ljubljana: Tiskarna ljudske pravice, 40-44 in 49-57. Le livre slovène (1983) 3/4, XXI. Ljubljana: Tiskarna ljudske pravice, 29-35. Le livre slovène (1985) 3/4, XXIII. 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Ključne besede: Diskurzivna koherentnost, konektorji, prevajanje, slovenščina, francoščina ABSTRACT Discourse Coherence in Slovenian and French: the Role of French Connectors in Translation This paper presents the use of Slovenian and French connectors. We notice a tendency of adding connectors or sight fillers into French translations, presumably to fill a lack of coherence or cohesion in Sonia Vaupot: COHÉRENCE DISCURSIVE EN SLOVÈNE ET EN FRANÇAIS ... 69 the target text. Indeed, the Slovenian language shows a tendency to use fewer connectors than the French language. By comparing source and target texts, the analysis examines the presence of connectors and their potential additions in four literary translations from Slovenian to French performed by two translators. The aim of the paper is to verify whether such additions are a real necessity or rather a trend that can be observed in the French linguistic system. Keywords: Discourse coherence, connectors, translation, Slovene language, French language