LETTRES MEMOIRES DU BARON DE P Ö L L N I T Z, CONTENANT Les Obfervations qu'il a faites dans fes VOYAGES, ET LE CARACTERE des Perfbnnes qui compofent les principales COURS DE L'EUROP TROISIEME EDITION, Augmentée de deux Volumes, d'une Tnbk des Matières A AMSTERDAM, Chez, FRANÇOIS CHANGUION. MDCCXXXVIL . MEMOIRES DU BARON DE PÖLLNITZ. gggj(£^jg(Endant que la Guerre conti-£ o Ü nuoit avec wccès en Rfpagne, S * S je ne celTois de folliciter au Palais R°yal ' mais touJ°ur* en-vain. Je palTois la plus grande partie de mon tems dans l'Antichambre du Régent ; j'allois quelquefois me defen-nuyer chez Mad. de R . . . dont il y a déjà quelque tems que je n'ai eu l'honneur de vous parler : mais toutes ces vifîtes, qui n'étoient plus alors l'effet d'une paffion vive , n'étoient qu'une trifte relTource dans la fituation où je me trouvois alors. Mes Amis me firent faire de lérieufes réflexions fur le peu A Madame de Tome II. A d'fcf- d'efpérance que je devois avoir de réuffïr à la Cour de France. L'Abbé dl'jjfir-feld profita de l'agitation où il me vit, pour me chafièr, pour ainfi dire, d'un endroit où je perdois mon tems & le peu d'argent que j'avois. Je quittai donc Paris encore une fois. Je pris ma toute *p*r Metz, pour éviter tes queftions importunes du Lieutenant-de-Roi de Toul. Sainte- Je paiTai par Sàinte-Menehoult. hçuTlt! Cette Ville eft fituée en Champagne: elle èft bâtie dans ùn marais, entre deux hauteurs. Elle a eu le malheur d'être brûlée peu après que j'y ai paflé : on m'a dit que tes Juifs de Metz avoient offert de la rebâtir entièrement, à condition qu'on leur permettroit d'y avoir une Synagogue. De Ste. Metieboult je me rendis à Verdun. Ver duH , Ville Epifcopale , dont les Evêques prennent les titres de Comtes de Verdun & Princes du S. Empire. Ce Dio-< cèle fait partie des trois Evêchés cédés à ta France par la Lorraine. La Cathédrale èfl dédiée à Notre-Dame : on voit dans cette Eglife un Puits qu'on y a confervé pour s'en fervir en cas d'incendie, parce que l'endroit étant fort élevé, il ne ferok pas aifé d'y porter de l'eau. Metz. De Verdun je palfai à Metz, où je féjournai. C'eit une Ville alfez grande, fur le confluent de U Mojelle & de la Se ill*. DUBaRONDÉ PÖLLKÏTl 3 Seiîle. Elle étoit autrefois Capitale de Metz-YAuJlrafîe j depuis elle a été regardée comme Ville Impériale , jufqu'en 1552, que le Connétable de Montnioremi en ht la conquête pour Heilri II. Roi de France. L'Empereur Charles - Quint fit des efforts inutiles pour la reprendre 5 le Duc de Guife, qui défendoit la Place, s'y acquit une grande réputation. Charles-Quint fut ii piqué d'avoir été obligé de lever le Siège, qu'il fe démit de fës E* tats, & fe retira dans un Cloitre. La Paix de Cateau - Cambrefis affûtai Metz,, Tûult & Verdun à la France eri 1559 ; 8c cette cefïion fut encore confirmée par la Paix de Munfiét on I648. L'Eglife Cathédrale de Metz èft dédiée à S. Etienne. C'eft un bâtiment plus confidérable par fon antiquité, que par ût beauté. Ce qu'il y a de plus remarqua* ble , ce font les Fonts Baptifmaux , qui font d'une feule pièce de porphyre, d'environ dix pieds de longueur. Il y a fort bonne compagnie à Metz : j'y lerois volontiers refté quelque tems, fi mes petites affaires me l'euffefit permis. Il y a un Parlement, qui eft compofé de nombre de gens de condition , qui font tous fort riches. D'ailleurs rl y a toujours une grofl'e Garnifon , & plu-fieurs perfonnes aifées qui paiïent ordinairement l'Hiver dans la Ville. Dans le tems que j'y pailài, c'étoit Mr. de Saillant A 2 qui qui y commandoit : il vivoit avec /pfen-deur On dînoir. ordinairement chez lui, & on foupoit chez l'Intendant de la Province j c'étoit alors Mr. de Céliy de la Maifon de Har/ay. Il étoit fort eftimé. En partant de Metz., je pris la route Spire. d'Allemagne. Je paffai à Spire. Cette Ville peut être regardée comme un monument des fureurs de la Guerre : on y voit force ruines, des reftes de maifons brûlées par les François dans la Guerre qu'ils firent pour la deftruction du Pala-tinat. Elle étoit autrefois le Siège de la Chambre Impériale ; mais depuis qu'elle a été ruinée, on Ta transférée à Wetzlar. Spire eft le Siège d'un Evêque, Suffra-gant de Maience. Je paflai le Rhin à Spire, fur un Ponton , & j'arrivai en peu d'heures à Heidelberg. De là je paffai à Stutgard, Jlm. & je me rendis à * U l m. Cette Ville eft une des plus confidérables d'Allemagne : on y voit des Edifices magnifiques , tant facrés que profanes , & de grandes Places ornées de Fontaines. L'Eglife de Notre-Dame eft la plus confidérable de toutes ; elle appartient aux Luthériens, qui font les maitres dans la Ville: les Catholiques y ont libre exercice de leur Religion. Cette Ville n'étoit autrefois qu'un Bourg, que Charlemagne donna à l'Abbaye de Reichenau. Les ha- bitans • Voyez le Tome I. des Lettres, p. ?i8. bltans d'U/w rachetèrent leur liberté mo- tjlm yennant une fbmme confidérable ; ils obtinrent enfuite que leur Ville feroit Impériale j & enfin elle eft devenue la Capitale de la Souabe. Ulm eft très bien fortifiée: elle entretient une forte Garnifon, & fes remparts font garnis de bons Canons. Malgré tout cela, l'Electeur de Bavière s'en rendit maitre affez aifément au commencement de la dernière Guerre, lorfque ce Prince fe déclara pour le Roi d'Efpagne fon Neveu, S. A. E. avoit, dit-on, des intelligences dans la Place. La Bataille de Hochfiet contribua à rendre la liberté à la Ville, qui, malgré les menaces du Maréchal de Villars, reçut Garnifon Impériale. \yiJlm je me rendis en un'jour à # Augsbourg, Ville très ancienne. Aug L'Empereur Augufie y mit une Colonie Romaine i c'eft de cet Empereur qu'elle eft appellée en Latin Augufta. Elle a efluyé dans tous les tems plufieurs révolutions. En 1518, Lutber y vint rendre compte publiquement de fa Doctrine. Charles-Quint y convoqua la Diète de l'Empire en 1530; cette Diète fut célèbre par la fameufe Confeflion a"Augsbourg, que les Proteftans prélentèrent à l'Empereur. Dans une autre Diète rené en 154.8 ? le même Charles-Quint y A 3 pro- * Voyez le Tome I. des Lettres, p. 314- Aücs- propofa ce Formulaire dit Intérim, au fu-bouug. jet de la Communion fous les deux Efpè-ces & le Mariage des Prêtres. Ce Formulaire a fait un tort irréparable à la Religion Carholique. Augsbourg eut beaucoup de part aux Guerres Civiles que nos Pores firent pour la Religion. Pendant ce tems,les Protef-tans s'emparèrent de la Ville, & enchas-fèrent l'Evêque & le Clergé: mais Charles-Quint l'aiant reprife, y rétablit la Religion & changea tout le Gouvernement, qui demeura en cet état jufqu'au commencement d'Avril 155a, que les Proteftans la reprirent & y rétablirent tout ce que l'Empereur avoit détruit. La Paix fuivit enfin ces malheurs , & ce fur à Augs-bourg qu'elle fut conclue. Cependant, cette Ville ne jouit pas longtcms des douceurs de la Paix; on vit bientôt renaitre les violences de part & d'autre. Le fameux Gujiave - Adolphe, Roi de Suède, vint au recours des Proteftans; il arriva à Augsbourg en 1632. Les habitans lui rendirent des honneurs extraordinaires ; ce qui choqua vivement les Princes Catholiques, & le Duc de Bavière fur-tout, qui les en punit deux ans après. Ce Prince s'étant déclaré Protecteur de l'ancienne Religion, aflïégea Augsbourg & la réduifit dans une telle extrémité, que les habitans mangeoient les Rats , les Chats, & même de la chair humaine. A îa Paix de Weftphalie, il fut réglé que augs-les Catholiques & les Luthériens fe fup- bourg. porteroientles uns les autres; ce qui s'eft pratiqué affez exactement depuis. Cepen-f -4ant cette Ville fe vit encore inquiétée par l'Electeur de Bavière , pendant la dernière Guerre ; il fe rendit maitre à*Augsbourg : mais fes Troupes l'abandonnèrent auffi-tôt après la Bataille de Hochftet. Depuis la Paix de Weftphalie, Y Empereur Uopold convoqua à Augsbourg la Diète de l'Empire en tu"90: ce fut là que l'Empereur fit couronner l'Impératrice , & qu'il fit élire fon Fils Jofeph Roi des Romains. La tenue des Diètes, & le Commerce qui eft afïèz floriifànt à Augsbourg, ont rendu cette Ville une des plus magnifiques de l'Allemagne. Ses Places font grandes, les rues larges, & les Fontaines d'une grande beauté. La Maifon de Ville eft un des beaux bâtimens que j'aye vu. C'eft un vafte édifice quarré, bien bâti en pisrre de taille ; le Portail eft tout de marbre ; prefque toutes les chambres font lambrüfées & plafonnées d'un très beau bois. Il y a une Salle qui a cent-dix pieds de long, cinquante-huit de large, & cinquante-deux de haut: le pavé eft de marbre ; fes murailles font enrichies de peintures qui repréfentent des Emblèmes & des Devifes qui ont du rapport au Gouvernement. Le plafond eft ce qu*^ A4 1 Augs- y a de plus beau; ce font des comparti-bourg. mens dont les cadres & les panneaux,qui font enrichis de Iculptures, font très bien dorés, & remplis de Tableaux ou d'autres ornemens, le tout très bien ordonné. L'Eglife Cathédrale eft grande & ipacieufe : ce qui m'a paru de plus remarquable c'eft la grande porte, route d'airain, fur laquelle divers endroits de la Bible font repréfentés en bas-relief, très artiftement travaillés. Le Palais Episcopal n'a rien d'extraordinaire. L'Evêque d'aujourd'hui eft de la Maifon de Neubourg, il eft Frère des Electeurs de Trêves & Palatin. La Dignité de Prince de l'Empire eft attachée à celle d'Evêqued'Augsbourg, comme à tous les Evêchés d'Allemagne : il eft élu par le Chapitre, compo-fé de Chanoines nobles de feize quartiers. La Souveraineté de l'Evêque s'étend fur prefquetout le territoire cïAugsbourg. Je vais à préfent vous parler d'une des plus brillantes Cours de l'Allemagne, je veux dire celle de Bavière , que j'eus l'honneur de voir à Munich, où je me ■ rendis au fortir d'Augsbourg. * Mu- v.,ch* n i c h eft Capitale de la Bavière. Elle eft fituée fur la Rivièreà'Ifer, qui fe jette dans le Danube , ce qui fait que les environs font prefque tous en prés. La Ville eft • Voyez le Tome I. des Ltttut,?. xj? & ƒ«-vintts. eft médiocrement grande, mais très bien Munich, bâtie ; je n'en ai guerès vu qui aient l'air auffi gai. Munich contient plufiers édifices fuperbes , tant fàcrés que profanes. Parmi les prémiers , les deux plus beaux que j'aye remarqués, font l'Eglife de Notre-Dame, & celle des Jéfuttes. Dans celle de Notre-Dame on voit un magnifique Tombeau de l'Empereur Louis IV, orné de figures de marbre 6c de bronze. Il y a une chofè à remarquer dans cette Eglife ; c'eft qu'en entrant par la grande porte, il y a une place de laquelle , quand on eft debout, on remarque un tel arrangement dans la difpofition des piliers qui foutiennent la voûte, qu'on ne peut appercevoir aucune fenêtre , quoiqu'il y en ait beaucoup. L'Eglife des Je fuit es eft auffi de la dernière magnificence. Elle confifte dans une ieule Nef extrêmement exhauffée, & fort large : la voûte eft très hardie, & entièrement ornée de Iculpture. La Sa-criftie renferme de grandes richeffes, tant en Reliques , qu'en Vafes d'or & d'argent. Leur Maifon eft auffi magnifique que l'tglhe ; on ne peut rien voir de plus beau, & il m'a paru que ce bâtimentfur-pafïbit pour l'extérieur le Palais Electoral. Le dedans contient de grandes Salles, qui fervent de Claffes pour les Ecoliers, qui viennent étudier chez eux. A 5 Le Munich. Le Palais de l'Electeur mérite d'être examiné avec attention : il peut aller de pair avec les Palais des plus puiflàns Souverains. Je crois qu'excepté le Palais • des luilleries , il n'en eft point d'auflj grand. Avec tout cela, il a le défaut de tous les Palais de Souverains : c'eft un bâtiment qui a été conftruit à différentes reprifes, & par confequent peu régulier. La prémière fois que je le vis, je vous avoue que je fus choqué de cette irrégularité , & je rabattis beaucoup de l'idée que je m'étois faite de ce bâtiment, fur ce que j'en avois lu dans des Relations de Voyageurs. Mais je changeai bien de fenriment,lorfquc j'eus examiné les Apar-temens. De tous ceux qui compofênt le Palais Electoral, il n'y en a point de plus magnifique que celui que l'on nomme communément f jîpartemcnt dt VEmpe-reur. La principale pièce de cet Apar&e-ment eft une Salle qui a 118 pieds de Jong & 52 de large : on peut dire que c'eft un ouvrage achevé. Elle eft ornée de peintures fuperbes, qui repréfentent des Hiftoires facrées & profanes , également diftribuées les unes vis à vis des autres : il y a fous chacune de ces Hiftoires des Vers Latins, qui expliquent le fujet du Tableau.- La Cheminée eft aufîi magnifique que le refte de l'Apartcmcnt: il y a au deffus une Statue de porphyre d'un d'un travail admirable, qui repréfente la Munich. Vertu ; elle tient une lance de la main droite , & de la gauche une branche de Palmier doré. Le plafond eft en com-partimens dorés, & enrichi de peintures d'un grand goût. En fortant de la grande Salle , on paffe par une Antichambre très vafte dans la Salle d'Audience , qui eft très ornée, comme tout le reftc. Cefi là que les Electeurs donnent audience aux Mi-niftres étrangers. On y voit, en huit grands compartimens, les différentes manières dont les Princes étrangers donnent audience aux AmbafTadeurs qui leur font envoyés. D'autres Tableaux repré-fentent les Hiftoires de plufieurs Juge-mens rendus p3r des Souverains qui ont adminiftré la juftice en perfonne : ces Tableaux font accompagnés d'Hiéroglyphes, d'Emblèmes, & de Devifes convenables au fujet. La grande Gallerie eft d'une grande magnificence , tant par rapport à fon étendue, que par rapport aux morceaux qu'elle contient. Elle eft ornée de Bas-reliefs d'un grand goût & de riches Tableaux, parmi lesquels, on voit les Portraits & les noms de 36 Princes prédccefTeurs de l'Electeur aujoud'hui régnant. Il y a auffi de très belles Cartes de diverfes Provinces , Villes & Dépendances des Etats de S. A. E. L'on voit enfuite une Munich, fecoodfl Gallerie, bien moins grande à la vérité , mais également ornée. On y remarque fur-tout des Tableaux très grands, qui repréfentent des Hiftoires des Princes ou Princeifes de la Maifon de Bavière. L'Efcalier qui conduit au grand A-partement dont je viens de parler, répond en magnificence à tout le relie ; on n'y voit que marbre & or de tous côtés. L'Apartement que l'Eledteur occupe ordinairement, eft fort ipacieux, mais fort irrégulier. Les Chambres & les Cabinets m'ont paru un peu fombres. Le tout eft orné de riches plafonds , j& de magnifiques tapifferies. L'Apartement de Mad. l'Electrice communique à celui de l'Electeur par une Gallerie fecrette. Tous les Princes & les Princeifes font également bien logés, & quoique les Chambres des Apartemens foient un peu petites , les Princes y font cependant logés d'une façon convenable. La grande Chapelle eft fort belle, & elle le ièroit beaucoup plus , fi elle étoit plus éclairée. Mad. l'Electrice en a une qui tient à fon Apartement , & qui eft bien moins grande que la prémière : elle pèche par le même endroit. Au reftc, c'eft un morceau unique, qui renferme des richeifes extraordinaires. Le Jardin du Palais Electoral n'eft plus du goût de ce fiècle. La moitié eft entourée d'un grand Portique orné de Tableaux, bleaux, qui repréfentent différentes Hiftoires des Princes de la Maifon de Bavière. On m'a dit que ces Tableaux avoient fer-vi de modèle à des tapiiTeries qui font dans le Garde-meuble de l'Electeur. Au bout de ce Portique,on trouve une Maifon alfez belle, dont les bas fervent de Serre pour les Orangers. Dans le haut, il y a des Apartemens très commodes : l'Electeur y tient Apartement en Eté. Auprès de cette Orangerie, il y a une efpè-ce de Ménagerie, dans laquelle on nourrit des Lions & autres Bêtes féroces. Le même Portique qui conduit à l'Orangerie , conduit auffi au Manège, qui eft un des plus beaux que j'aye jamais vu. Il eft long de 366 pieds, & large de 76. Il a 80 grandes croifées , & tout autour en dedans règne un beau Corridor ou Gallerie, qui fert pour placer les fpecta-teurs , lorsqu'il y a des Caroufels , ou quelque Tournoi. Ce Corridor eft féparé par la Tribune de l'Electeur, qui eft aflei grande pour contenir toute la Famille E-lectorale: elle eft ornée de fculptures très riches. La Gallerie du Palais qui aboutit au grand Portique du Jardin, conduit auffi à la Salle de l'Opéra , qui eft fort grande & fort élevée. Le Théâtre répond à la grandeur & à la magnificence de la Salle; les décorations font fuperbes, & en très grand nombre. Comme Mr. le Prince Electoral aime beaucoup laMu- lique, Munich, fique , il préfère l'Opéra à tout autre) Jpectacle ; il ordonne lui-même ce qui peut contribuer à le rendre plus magnifique : vous jugez bien que rien n'eu épargné. Décorations, machines,habits,tout eft également magnifique & bien entendu. Les jours qu'on célèbre quelque Fête à la Cour, comme naiffance ou autre chofe, lorsque l'Opéra joue, on voit defcendre à l'ouverture du Théâtre un Luftre d'une grandeur & d'une ftructure extraordinaire ; on le voit remonter auffi-tôt après le prémier Acte: c'eft un ufage dont je n'ai pu favoir de bonnes raifbns. Ce Luftre furprend d'autant plus, qu'on ne s'y attend pas; Je plafond s'ouvre pour le faire defcendre, aufîî-bien que pour le faire remonter. On dit que, lorlque le Grand Gu(lave~ Adolphe Roi de Suède entra victorieux à Munich , un des Généraux de ce grand Roi lui confeilla de brulef le Palais des Electeurs ; ce que ce Prince refufa de faire : plus grand en cela qu'Alexandre, qui mit en cendres le fuperbe Palais de Darius. Tout ce qui fit de la peine au Monarque Suédois,ce fut de né pouvoir emporter en Suède la belle Cheminée de la grande Salle dont je vous ai parlé. Je vais à préfènt vous parler des Princes qui compolènt l'augufte Famille de Bavière. Cette Maifon eft une des plu* illus- du Baron de PÖllmiTzr 15 illuftres de l'Europe. L'Electeur fe 00m- Munjc» moit Maximilien - Emmanuel - Marie. On ne pou voit avoir un plus grand air , ni être mieux fait, que l'étoit ce Prince. Il joignoit à ces qualités extérieures d'autres qualités, fans lesquelles les autres ne font rien, ou peu de chofe. Il étoit généreux, affable, compâtiffant ; par coniéquent a-doré dé fes Sujets. Il (avoit foutenir û dignité avec noblelïè. Sa dépenfe étoit grande & bien entendue. Il avoit époufë en prémières noces , l'Archiduchefle Fille de l'Empereur Leopold^ il en avoit eu un Fils que la mort lui a enlevé, lorsque ce jeune Prince étoit deftiné à porter une des prémières Couronnes du Monde, qui lui tömboit en héritage après la mort de Charles II. Roi d'Efpagne , par droit de fucceflion de fa Grand-Mère, qui étoit 1 Fille de Philippe IV. Après la mort de l'Electrice , l'Electeur a époufé une Princeife de Pologne, Thcréfe-Cunegonde Sobieski , Fille du Roi Jean Sobieski. Cette Princeife eft forç retirée, & à la réferve de fà famille, elle ne voit que deux ou trois Dames & fon Confefleur. Elle fc tient le plus fou-vent à Taco , Maifon de piaiiànce que l'Electeur lui a donnée. Lorlque la Prin-ceffe eft à Munich , elle s'occupe à des ceuvrcs charitables : tantôt elle vifite les Femmes malades , d'autres fois différer»* Couvens; &: dans toutes ces viütes,, elle . donne Munich, donne toujours des marques de fâ libéralité. L'Electeur en a eu plufîeurs Enfans. Le prémier eft le Prince Electoral, qui ic nomme Albert-Cajétan. Ce Prince a fait voir dans la Guerre de Hongrie, & au Siège de Belgrade , qu'il fer oit aufïï bien l'héritier des grandes qualités de l'Electeur fon Père , que de fes Etats. Il s'eft fait une grande réputation à Vienne, & tout le monde a été charmé du grand air & de l'efprit de ce Prince, qui avoit pour tous ceux qui l'approchoient, les manières du monde les plus gracieufes. Il parloit Latin , François & Italien, avec la même facilité que (a Langue naturelle. Le Duc Ferdinand eft le fécond Fils de l'Electeur : il a cependant été marié le prémier,avec une Princeiïè de Neubourg, Nièce de l'Electeur Palatin. Le Duc eft le plus beau des Fils de l'Electeur ; il eft parfaitement bien fait, & il a la plus belle tête que l'on puiffe voir. Ce Prince eft très aimable ; il aime le plaifir, mais il n'en eft point elclave : fa pafïion favorite eft la Chaffe, ce qu'il a de commun avec les Princes fes Frères. Le Duc Clément eft le troilîème Fils de l'Electeur, & celui qui jusqu'à préfent a été le plus favorifè de la fortune. Lorfque je paflai à Munich, ce Prince venoit d'être élu Evêque de Munfter & de Pader-bom, à la place du Duc fon Frère , mort bu Barqi* de Pqllnitz: %j mort à Rome peu après fon élection à l'Epifcopat. Le Duc Clément étoit déjà Evoque de Ratif bonne, lorfqu'il fut élu Evê-que de Munfter & de Faderborn ; il a réfigné Ratisbonne au Duc Théodore" le dernier des Princes de Bavière. Ces quatre Princes, & une Princeife qui fèfit Rç-ligieufe dans le tems que j'étois à Munich; font toute la Famille de l'Electeur, ck ici feuls Princes de la Maifon de Bavière. Vous {avez, Madame, que la Dignité Electorale a paffé à cette Maifon après la disgrâce de Frédéric Electeur Palatin, Roi de Bohème. Ce Prince aiant été mis au Ban de l'Empire, fut dépouillé du Haut-Palatinat, qui fut donné à la Maifon de Bavière, en récompenfe de l'attachement qu'elle avoit témoigné à la Maifon d'Autriche , &c des fraix qu'elle avoit fait* pour la Guerre. A la Paix de Wefipha-Ue, ce don fut confirmé à la Maifon de Bavière : le Fils de l'infortuné Frédéric recouvra fa Dignité d'Electeur, avec cet~ te différence, que de prémier qu'il étoit, il devint le dernier. Les Ducs de Bavière font reliés en poifeilïon du Haut-Palatinat & de la Dignité de premier Electeur. Il n'y en a point qui ait égalé l'Electeur Maximilten-Emmanuel, & jamais la Cour de Munich n'a été fi magnifique & fi nombreufè. Le Cérémonial qui s'y obferve eft , à peu de chofe près, ifi même qu'à la Cour Impériale* Tome II. U ?our JtfvMicH. Pour ce qui regarde les occupation» de la Cour de Bavière, voici à peu près comme on y paflbit le tems. L'Electeur fe levoit d'aflez bonne heure ; il alloit à la MeiTe vers les dix heures ; il te-noit enfuite Confeil, les jours marqués pour cela ; les autres jours , S. A. E. jouoit à la Pajfe en attendant l'heure du dîner. Après avoir joué, l'Electeur revenoit dans fon apartement, & y dînoit à fon petit couvert: perfonne ne pouvoir entrer pendant ce tems, excepté les Princes , les Officiers de fervice, & les Chambellans. Les Princes dînoient auffi dans leur particulier, mais affez fouvent ils faifoient manger des Cavaliers avec eux. Mad. l'Electrice , la Princeife, & Mad. la Ducheffe avoient auffi leurs tables feparées, & fèrvies par les Officiers de l'Electeur, ce qui caufoit une dépen-fe étonnante, auffi-bien que les Equipages de Chaffe: l'Electeur alloit d'un côté» le Prince Electoral d'un autre , & le Duc Ferdinand de même , de forte qu'il y avoit tous les jours près de 400 chevaux à courir ça & là. Au retour de la Chaflè, les Princes venoient paffer la foirée chez Madame la Ducheffe, où ils trouvoient une grande Affemblée de Dames. L'Electeur y venoit auffi quelquefois, il y jouoit au Pharaon, ou à d'autres Jeux. Vers l'heure du fouper, il fe retiroit dans fon apartement, où il fou- poit du Baron de PöllniTz, i? poit avec des Dames. Les Princes al- Mutiictft loient fouper chez le Prince Electoral, & Madame la Ducheffe foupoit chez elle avec des Cavaliers & des Dames. Les jours d'Àpartement (ce qui arrivent trois fois la femaine) les chofes é-toient autrement arrangées. Les Dames fe rendoient chez Mad. l'Electrice , ou dans l'Orangerie, félon que l'Apartement étoit indiqué dans l'un ou dans l'autre endroit. Lorsqu'il fe tenoit chez l'Elec-trice, les Dames s'y trouvoient en habit de Cour , au-lieu qu'à l'Orangerie elles pouvoient y paroitre en manteau. L'Electeur & les Princes s'y trouvoient aulîi. S. A. E. s'entetenoit quelque tems avec les Dames,- enfuite on fe mettoit au Jeu, & chacun faifoit fa partie comme il le fbu-haitoit. Le Jeu fini, on palfoit dans une autre Salle, où l'on trou voit une grande table bien fèrvie. L'Electeur , les Princes & les Dames s'y plaçoient, & lorfc qu'il y avoit de la place , on y faifoit afïèoir des Cavaliers , ou étrangers, ou même ceux qui étoient au fervice de l'Electeur. On n'obfervoit aucun rang à cette table, & les Princes mêmes fe plaçoient à l'endroit où ils fe trouvoient. Lorfque la Cour étoit à Nymphenbourg, Maifon de plaifance de l'Electeur, tout fe pafïoit à peu près de même qu'à l'Orangerie, excepté qu'on s'y promenoit davantage ; & afin que les Dames puffent £ » ' jouir fïumcH.jouir de ce plaifir avec plus d'agrément; 11 y avoit toujours nombre de calèches à deux chevaux : un Cavalier les conduifoit, deux Dames étoient affifes dans le fond, & un ou deux Cavaliers fe tenoient debout derrière elles. Celles qui aimoient mieux fë promener fur l'eau , pouvoient aifément le fatisfaire ; il y avoit pour cela fur le Canal des Gondoles & des Gondoliers à la Vénitienne, qui étoient prêts à marcher. Les Dimanches,les jours de Fêtes,& jours de réjouiffance, l'Electeur mangeoic en public avec les Princes & les Princeifes de fa Maifon. C'étoient des Chambellans qui fervoient pendant le repas. Le ibir il y avoit Concert. Les Dames en habit de Cour s'affembloient dans l'aparte-ment de Mad. l'Electrice, ou chez Mad. la Ducheffe ; elles accompagnoient ces Princeifes à l'Opéra, au fortir duquel on retournoit à l'apartement dont on étoit parti ; on jouoit jufqu'à l'heure du fouper. Ces jours-là, les Dames mangeoient avec l'Electeur : quelquefois auffi on portoit des tables de trois & quatre couverts , qu'on mettoit fur les tables de Jeu j ce qui étoit très commode pour ceux qui ne vouloient pas fe féparer. Après le fouper, il y avoit fou vent Bal. Pendant l'Eté , l'Electeur ne manquoit jamais de fe rendre tous les Jeudis au foir à l'Orangerie, pour tenir Aparcement; en- fukç du Bar on de PÖLLNiTï. 21 fuite il alloit coucher à Nymphenbourg. U MvKioi. en revenoit les Samedis , pour tenir les Confeils les Dimanches matin ; enfuite il alloit paiTer l'après-diner à quelque Maifon de plai lance. Cette vie ordinaire de la Cour étoit aiTex fouvent interrompue par des parties deChafïe,de Pêche,ou par d'autres plai-firs. L'Electeur ordonnoit lui-même toutes les Fêtes qu'il donnoit: je crois qu'il auroit eu peine à trouver quelqu'un qui s'y entendît auffi bien. Il règnoit partout un goût ôc un ordre charmant. Je vous avoue , Madame , que je m'imagi-nois être dans quelque Ile enchantée. Ce qui contribuoit encore à rendre la Cour de Munich bien brillante , c'étoit le fë-jour qu'y faifoit alors Mr. le Comte de Charolois , Prince du Sang de France, à fon retour de la Guerre de Hongrie. Ce jeune Prince, pouffé par la gloire, avoit cru ne pouvoir mieux fignaler fon courage qu'en portant les armes contre les Infidèles , à qui l'Empereur venoit de déclarer la Guerre : mais prévoyant bien que difficilement il obtiendroit de Madame la Ducheffe fa Mère & du Régent la per-miffion defortir du Royaume, il prit le parti de s'évader fans en rien dire qu'à deux perfonnes , qu'il emmena avec lui. Le jour qu'il exécuta ce projet, il feignit de vouloir aller à la Chaffe de bon matin; il courut fept Polies fans débrider,fur les Munich, chevaux de Mr. le Duc fon Frère; & il fe vit dans la Flandre Impériale, lorfqu'à Chantilly on le croyoit dans la forêt. Il palla à Liège & de là à Bon, toujours dans un équipage qui ne le faifoit pas prendre pour ce qu'il étoit- De Bon il continua fa route par Munich à Vienne, d'où, fans voir ni l'Empereur ni l'Impératrice, il fe rendit devant Belgrade que le Prince Eugène de Savoie tenoit alTiégée. Il fe diftingua beaucoup dans cette Campagne, & il fit affez, connoitre qu'il etoit digne de l'illuftre nom qu'il portoit. A-près la réduction de Belgrade , ce Prince revint à Vienne, où il féjourna quelque tems. Il fit enfuite le Voyage d'Italie, après lequel il revint à Munich. L'Electeur, qui avoit été parfaitement bien reçu de Madame la Ducheffe Mère du jeune Comte, Je fit un plaifir d'en témoigner fa reconnoiflance au Prince fon Fils : il le logea au Château, & le défraya lui & fes gens, pendant tout le tems qu'il paffa à Munich', on lui fervoit dans fon aparte-raent une table de douze couverts , '& lorlqu'il mangeoit avec l'Electeur, ce qui n'arrivoit qu'en compagnie de Dames & lorfqu'on devoit aller à la Chaflè, on fervoit une table de huit couverts pour les Gentilshommes. Quelques difficultés de . rang empêchèrent le Comte de manger en public avec 1 Electeur & les Princes. S. A. E. lui donna un certain nombre d'Of- du Baron de Pöllnitï. a; d'Officiers, de Pages & de Valets de pied, Munich* pour le fervir : on eut foin de ne choifir que des perfonnes qui parlaiTent François; mais cette précaution devint bientôt inutile, ce Prince aiant appris l'Allemand en très peu de tems , au point que les Payfans l'entendoient mieux que moi. J'en fis l'expérience un jour que j'avois l'honneur de l'accompagner à la Chaffe: il me dit de demander quelque chofe à un Pay-fan, qui me regarda de façon que je compris bien qu'il ne m'entendoit point. Mr. le Comte s'approcha, & demanda lui-même ce qu'il fouhaitoit, & le Payfan le comprit aulfi-tôt; & cela à caufe de l'accent Bavarois, que ce Prince avoit fort bien attrapé. Il revint à Chantilly le î. Mai 1720. A trois quarts de lieue de Munich, on Nym-voit la fuperbe Maifon de Nymphenbourg*, phen-où j'ai eu l'honneur de vous dire que la BOURC-Cour fe rendoit très fouvent. On ne peut rien voir de plus charmant : les Jardins fur-tout font d'une grande beauté. On arrive à Nymphenbourg par une grande A-venue , qui règne depuis Munich jusqu'à la grille du Château. La façade du côté de la Cour préfente d'abord trois Pavillons , qui font liés par deux Corps de logis. Le Pavillon du milieu eft plus gros que les deux autres j il eft quarré,& con-B àf tient * Voyez Tome I. des Lettres, page 307. j?ym_ tient une grande Salle fort ornée d'Ar-phen- chite&ure, avec un Apartement des deux bourg. cot£s( les jeux Pavillons de côté font terminés par deux grands Pavillons avancés , qui forment deux Ailes. Il y a un Perron du côté de la Cour, par où l'on monte dans la Salle ; du côté oppofé il y en a un autre , par lequel on defeend dans le Jardin. Du perron de la Cour on voit un grand Canal, bordé de deux Allées d'Ormes, qui eft féparé de la Cour par une grille. Pour ce qui regarde les Apartemens> ils font tous de la dernière magnificence. Je ne vous parlerai présentement que de celui de l'Electeur. La prémière Salle que l'on trouve en entrant, eft très belle pour fa grandeur, du refte, elle eft peu ornée : elle eft toute en blanc, & pilas-trée en plâtre, il n'y a que le plafond de peint. En tournant fur la droite , on entre dans une Antichambre qui eft commune entre l'Apartement de l'Electeur, & un. autre Apartement fur la gauche, qu'occupoit alors le Comte de Charohis. Cette Antichambre éft toute boifée: elle conduit par la même enfilade dans une Gallerie toute boifée, dont les panneaux de menuiferie font peints en blanc avec des filets dorés : on y voit dans des com-panimèns de fort beaux Tableaux , qui repréfentent ou des ChalTes, ou les Vues des différentes Maifons de l'Electeur. De cette ■ u Baron de Pöllnitz; 25 cette Gallerie, on entre dans une grande Nyw-Antichambre toute boifée, & ornée de jhjjjj glaces & de Tableaux magnifiques. De là B0 en tournant fur la gauche on entre dans un grand Cabinet, dont le meuble clt cfun fort beau damas bleu-célcftc galonné d'or, les lambris, les portes, les em-brafures de fenêtres , font peintes eu blanc, avec des bas-reliefs dorés. Dans ce Cabinet, auffi-bien que dans la Chambre qui fuit, il y a quantité de glaces & de tables de marbre d'une grande beauté. Cette féconde pièce eft la Chambre de lit. Les meubles & le lit font de damas bleu, de même que le Cabinet. De cette Chambre on paffe dans un fécond Cabinet, meublé dans le même goût. Ces trois pièces font d'une feule enfilade, & donnent furie Jardin. Ce dernier Cabinet termine l'Apartement de l'Electeur} qui communique par des Garderobes & un petit Degré au petit Apartement occupé par S. A. E., le grand Apartement n'étant que pour y tenir U Cour. L'autre côté du Palais contient les Apartemens de l'Elcûrice & des Princes , qui font tous très commodément logés. Les Jardins de cette Maifon font très bien entendus. En y entrant par le perron du Château , on découvre d'abord un fort beau Parterre, qui aboutit à un Bois percé de trois grandes Allées en pat-B 5 te- ^rM_ te-d'oye, au milieu defquelles font trois i-hen- Canaux d'eau vive, dont celui du milieu bourg, eft à perte de vue & le termine par trois Chutes-d'eau en forme de Cafcade. Le Bois eft divilë en Bofquets, ornés de Cabinets & de magnifiques Jets-d'eau. Sur la droire du Jardin eft un Bofquet, qui contient un Jeu de Paffe. Plus loin on trouve un Mail fort grand, en forme de fer-à-cheval. Les deux bouts donnent fur la grande Allée, & contiennent entre deux, un Pavillon bâti en Croix cintrée, compofànt deux étages, & formant au milieu un Salon octogone avec quatre Croiiees , entre lefquelles il y a quatre Cabinets : l'un eft une Antichambre , l'autre une Chambre à coucher, le troisième un Cabinet, & le quatrième un Efcalier. Cette Maifon eft bâtie en forme de Temple de Pagode ; tous les meubles font des Indes, la plupart en forme de Pagode ; c'eft ce qui fait qu'on l'appelle Pagodenbourg. Vis à vis" de cette jolie Maifon , fur la gauche du grand Canal , on trouve les Bains. Rien au monde n'eft mieux entendu & plus charmant : tous les plafonds , les bas-reliefs & autres ornemens ont rapport à l'ufage auquel cette Maifon eft deftinée : les Bains font de marbre, ornés de Statues & de Vafes très précieux. Quoique l'Electeur parût fe plaire beaucoup à Hymphcnbourg, cependant il faifoit i>ü Baron de Pöllniti. 27 foit actuellement bâtir, un autre Château Nym-qui devoit s'appeller S*chleishetm. Selon les rHE£^ DefTeins que j'en ai vu, ce Château doit BOU être beaucoup plus grand & plus magni- « fique que Nympbenbourg : auflî difoit-on que Schleisbeim feroit le Ver failles de Bavière, & Nympbenbourg le Marly. Je palïai mon tems fi agréablement pendant le féjour que je fis à Munich, qu'en vérité j'eus bien de la peine à quitter un endroit fi charmant. Je partis cependant, plein de fentimens de reconnoilTance pour toutes les bontés que m'avoient témoignées l'Electeur & les Princes fes-Enfans. Le prémier jour je fus coucher à * Wajferbourg. De là je me rendis à Pasjau, qui fait partie de laBaffe-Ba- Pajsau vière. C'eft un Evêché fuffragant de f Saltzbourg, Pajfau eft célèbre par le Traité qui s'y conclut entre l'Empereur Charles, & Maurice Electeur de Saxe, par lequel la Religion Proteftante fut établie & affurée en Allemagne,, au-lieu qu'auparavant elle n'étoit que tolérée. Cette Ville eft affez jolie, il y a de belles maifons, & plufieurs Egliles. La Cathédrale , qui eft tout nouvellement bâtie, elfc fort grande , & magnifique au dedans ; elle eft toute ornée de pilaftres, & d'autres ornemens d'Architecture ; la voûte elt peinte * Voyez le Tome II. des Ltttrth P. ÎO, t Voyez le Tome II. des Ltttra, p. 40. Vissau. peinte à frefque. J'y afliftai «Ju Service divin, le jour de la Pentecôte ; & comme tout le monde étoit fur fon beau , je remarquai que les plus petites Bour-geoifes étoient vêtues de velours noir a-vcc des jupes d'écarlate galonnées d'or; elles avoient des coliers de Perles de cinq ou fix rangs, d'autres des chaines d'or, des bagues & des boucles d'oreilles de diamans. De Pajfau je descendis le Danube jufqu'à Lintz., Capitale de la Haute-Autriche ; d'où je me rendis à* Vienne, Vienne. Capitale d'Autriche & la demeure ordinaire des Empereurs depuis Maximilien. Cette Ville vient d'être érigée en Archevêché, d'Evêché qu'elle étoit anciennement : l'Archevêque prend le titre de Prince. L'Eglife Cathédrale eft dédiée à S. Etienne : c'eft un ancien bâtiment af-fez. magnifique, mais fort fombre. La Ville eft fituée fur le Danube , dont un bras fépare la Ville d'avec le Fauxbourg, qui s'appelle Léopoldftat. Les Turcs ont tenté pluheurs fois, mais inutilement, de fe rendre maitres de Vienne. Soliman II. l'affiegea le 25 Septembre 1529; & le 14 Octobre Suivant, Charles-Quint l'obligea de lever le Siège. Les Turcs firent une nouvelle tentative en 169$: ils Pas-Siégèrent avec une Armée de plus de deux cens- * Voyez, Tome L des Lettres » p. 146. c~ fiâv. du Baron de Pöllnïti. 29 cens-mille hommes. L'Empereur LfopoM Viehn»; qui règnoit alors, fe retira avec toute fa Famille dans le Château de la Ville de Lintz., & il laiffale commandement de la Place au Comte de Staremberg, qui eut de terribles attaques à foutenir de la part des Turcs, qui pouflbient leurs ouvrages avec la dernière vigueur. La Place étoit aux abois» lorfque le Roi de Polo* gne Jean Sobieski vint au fecours de Vienne, à la tête d'une Armée de Polonois. 11 parut à la vue des Ennemis le 11 Septembre, & le lendemain il livra bataille. La victoire fut complette ; les Turcs a-bandonnèrent leur Camp & leur Artillerie : les Vainqueurs furent un prodigieux butin,ils prirent entre autres une fi grande quantité de Bœufs, que l'on dit qu'ils furent vendus cinq ou fix florins la pièce. L'Empereur n'eut pas plutôt reçu la nouvelle de la levée du Siège, qu'il partit de Lintz, pour fe rendre à Vienne ; il vit le Roi de Pologne en pleine campagne, & il donna à ce Prince de grandes marques de reconnoiffance pour le fervi-ce fîgnalé qu'il venoit de lui rendre. Vienne fut très endommagée dans ce Siège: une partie du Palais Impérial fût réduite en cendre, auffi-bien que piufieurs autres grands Edifices. L'Empereur penfa d'abord à réparer ces pertes, & le Palais fut rebâti; comme il étoit auparavant: Plufieurs Seigneurs firent aufïï conftruire Vienne, des Palais magnifiques, deforte que dans peu de rems la Ville recouvra fa première Splendeur. Le Palais Impérial n'a d'autre beauté que fa grandeur; du reite ceft peu de choie. Les Apartemens font bas 6c Sbm-bres, & fans ornemens ; les meubles (ont très anciens : il n'eft cependant guères de Princes qui aient un auiïï beau Tréior en tapifleries , je ne fai pas pourquoi on n'en fait point d'ufage. Les Apartemens de l'Impératrice Douairière étoient les ieuls logeables : cette Princeflè a eu foin de les faire exhauflèr, parqueter, & lambriflèr , ce qui leur a donné un certain air de ma-jefté, qu'ils n'avoient point auparavant. L'Apartement de cette Princeife eft tendu de velours noir, Suivant l'uiage de la Cour Impériale, qui porte, que les Impératrices Veuves ne quittent jamais le deuil. La Chambre à coucher,& le Cabinet appelle la Retirade , font les deur feules pièces qui ne Sont point tendues de noir ; tout l'ameublement eft gris. Du refte, un Etranger qui verroit le Palais de Vienne fans être prévenu de ce que c'eft, auroit peine à s'imaginer que c'eft la demeure du prémier Prince de l'Europe. Le Palais de la Favorite, Situé dans un Fauxbourg de Vienne,où l'Empereur pas-Se l'Eté, eft encore moins magnifique que celui de la Ville. C'eft une fort grande Mai- düBarou de PöllNiti. 31 Maifon, bâtie fur le grand-chemin, fans Viennr avant-cour y fans fymmétrie ni Architecture , & qui au-dehors a plutôt l'air d'un Couvent que d'une Maifon Royale. Les dedans répondent parfaitement aux dehors : on monte aux Apartemens par un grand degré tout de bois, qui conduit aune Salle des Gardes, qui eft une pièce d'une grandeur médiocre & fans aucun ornement, & de là on entre dans d'autres Apartemens à moitié meublés, & fort é-crafés. C'eft le défaut de tous les Apartemens. Les Jardins de ce Palais font aufS peu de chofe que le bâtiment, ils font remplis de grands arbres fruitiers affez, mal entretenus, & je n'y ai rien vu qui puiffe forme un coup d'oeil gracieux. Il s'en faut bien que les Seigneurs de la Cour foient auffi mal logés que l'Empereur, ils ont tous des Hôtels fuperbes, dans la Ville & dans le Fauxbourg. Le Palais du Prince Eugène de Savoie eft le bâtiment le plus magnifique que l'on puiffe voir, car foit que l'on s'attache à l'extérieur de l'édifice , ou que l'on examine les dedans , tout y eft du meilleur foût & de la plus, grande magnificence. ,a prémière Salle , qui fait la prémière pièce du grand Apartement, eft toute boifée, & ornée de grands Tableaux qui représentent les principales Batailles que le Prince Eugène a gagnées. De cette Salle on paffe dans une grande Antichambre, 32 Mémoires fiENNE. où Ton voit une tenture de tapiiîèrie du fameux Devos de Bruxelles : cet habile Ouvrier y a repréfenté auffi parfaitement qu'il eft poffible , les principaux évène-mens de la Guerre. De cette Antichambre on entre dans la Chambre de lit : je n'ai jamais rien vu de fi riche , que les meubles qui y font ; la tapifferie eft en bandes, pilaftrée de velours vert en broderie d'or, avec des figures de petit-point d'un travail fi parfait, qu'il femble que ce foit des mignatures. Cette pièce eft toute meublée dans ce goût-là. Le Cabinet qui fuit après la Chambre de lit, eft tout doré, & orné de tableaux & de glaces. En général, tout eft fuperbe dans cet A-parremenc , tableaux , glaces, tables de marbre ; les bras , les chenets même, font d'un travail très recherché. Je ne dois pas omettre nombre de Luftres des lus oeaux : celui qui eft dans la cham-re de lit eft le plus magnifique, on m'a dit qu'il avoit coûté quarante - mille florins. Pour ce qui eft des plafonds, lambris & autres morceaux de maçonnerie, ils font à la vérité fort beaux , mais il y règne plus de magnificence que de goût. Après avoir bien confidéré les Apartemens du Prince, on me fît voir la Bibliothèque, qui eft une des mieux conditionnées de l'Europe. Les Livres font arrangés a faire plaifir , & les reliures magnifiques forment le plus beau coup d'ceil du monde. ou Baron de Pöj-lnitz. monde. C'eft là que de tems en tems le Vienne*. Piincc va fe délaflbr des fatigues que lui donnent les grands Emplois. Ce Prince a un.jardin magnifique dans le Fauxbourg à&Vien»é. Ce Jardin c\\ précédé d'une Cour , qui eit Dparée dj la rue par une grille de fer très bien travaillée. O.i voit dans cette Cour une Pièce-d'eau d'une grandeur extraordinaire, qui eft bordée des deux côtés de deux Allées de Mironniers qui cortduifent à la Maifon , ou pour Odieux dire, au Château, car c'eft un grand Se Superbe bâtiment. On y travailloit encore dan? le tems que je l'ai vu. Cette Maifon fait face au Jardin, & en occupe presque toute la largeur. Le jardin eit en penre , ce qui a donné l'idée d y placer une fort belle Cascade au milieu. On voit à l'extrémité un fort beau bâtiment, qui en occupe toute la largeur. Il y a en-bas un grand Salon tout revêtu de marbre de différente couleur, avec un plafond Orné de belles peintures. De ce Salon on paffe dans une Chambre fur la gauche; dont les plafonds & les lambris font fort beaux. On entre enfuite dans un grand Cabinet , après lequel on trouve une Chambre de lit avec une Gallerie , qui eft terminée par un grand Cabinet. Voilà ce qui fe trouve a la gauche du Salon. A la droite , il y a un autre grand Apartement, & la Chapelle. Le derrière du Tome IL C bâtK , bâtiment donne fur une grande Cour, où font les Ecuries & Remifes. C'eft dommage que ce Prince, après toutes les dé-penfes qu'il a faites à ce bâtiment, n'ait pas acheté un terrein où l'Impératice a depuis fait bâtir un Couvent : on le lui avoit confeillé dans le tems, & il le refufa, en difant qu'il ne vouloit pas acheter tout le Fauxbourg. Il doit être aujourd'hui bien fâché de n'avoir point fait ce marché, car le Couvent que l'Impératrice y a fait fai • re eft d'une grande incommodité pour ce Prince, qui ne peut pas faire un pas chez, lui, fans être vu des Religieufes. De l'autre côté de la Ville il y a un autre Fauxbourg , qui eft affez confidérable. Les promenades y font fort belles. Le Prat, par exemple, eft un endroit fort fréquenté: c'eft un Bois fitué dans une Ile que forme le Danube. 11 y a une affluence de monde étonnante, dans les beaux jours : c'eft, à proprement parler, le Bois de Boulogne de Vienne. En revenant de cette promenade on en trouve encore une autre, que l'on appelle le Jardin de l'Empereur. C'étoit autrefois un beau Palais, mais à préfent on n'en voit plus que les débris, les Turcs l'aiant brûlé la dernière fois qu'ils ont affiégé Vienne. Le Jardin eft grand, & on pourroit en faire quelque chofe de beau avec peu de dépenfe ; cependant il paroît qu'on n'y penfe point : on m'a dit que c'étoit à caufe d'une multi- du Baron de Pöllnitz: 3? tude effroyable d'Infectes que le "Danube yienn* y attire , dans de certains tems , & qui, font déferter ceux qui s'y promènent. Quand on peut y aller fans danger, c'eft ordinairement fur le foir que le beau monde s'y affemble. Ce Jardin eft accompagné d'un Bois fort beau, & bien percé par des Allées magnifiques. Voilà , Madame, ce qu'il y a de plus confidérable en fait de bâtimens, à Vienne, & dans fes Fauxbourgs. Je vais à préfent tâcher de vous donner une idée de cette Cour. La Cour de Vienne eft, à mon avis, la plus firaple & en même tems la plus magnifique de l'Europe. Je m'explique. Si on s'arrête à l'extérieur de la Maifon de l'Empereur, rien n'eft fi fimple , ni même fi lugubre. Ses livrées font de drap noir, avec un galon de foie jaune & blanc. Ses Gardes font à peu près aufli Amplement vêtus,& d'ailleurs ils ne font pas en grand nombre. Le Palais, comme j'ai eu l'honneur de vous dire, eft très peu de chofe. Cependant, lorfque l'on conûdère la Cour en elle-même, que l'on voit ce nombre de grands & de petits Officiers , cette quantité de riches Seigneurs qui font une groffe dépenfe, & que l'on fait quels font les Princes qui iont au fervice de S. M. I., on eft contraint d'avouer qu'il n'eft point de Cour en Europe auffi brillante que celle de Vienne. C 2 Dans Vienne. Dans le tems que j'y étois, l'Empereur avoit deux Frères de Roi à fon fervice, deux Princes de Sang Royal, & un grand nombre de Princes de Maifon Souveraine, ou d'autres Maifons titrées. 11 n'y a point auffi de Cour , où l'on paffe plus Subitement de l'extérieur le plus Simple, au plus magnifique , cela va même ordinairement au point, que l'on renonce abfolument au bon goût, pour fe Surcharger du magnifique. Les jours de folenni-té, comme Naiifance, Mariage, &c. on ne voit que dorure & diamans fans nombre. Ces Sortes de Fêtes, que l'on appelle Gala , ne font pas plutôt expirées, que chacun rentre dans le Simple. Après vous avoir donné cette idée générale de la Cour de Vtetme, je vais vous en détailler les occupations ordinaires. Premièrement, dès que l'Empereur eft levé, il fe fait habiller; il lit enfuite quelques Dépêches ; quelquefois il donne audience à quelque Miniftre , ou il aSTiftc au Confeil. Enfuite il va à la MeSïe, foit dans fa Chapelle, foit dans quelque autre Eglife , fuivant la Fête. Les jours de cérémonie ou de Fête, il eft accompagné par le Nonce & les Ambaffadeurs. La marche de l'Empereur fe fait alors a-vec aSîèz. de pompe : on voit à la tête de la marche quelques Palfreniers de l'Ecurie Impériale à cheval, enfuite un E-cuyer, un caroile à fix chevaux dans le- quel eft le Grand-Ecuyer ; il eft fuivi des vienne. Chambellans, des Chevaliers de la Toi-fond'or, & des Miniftres, tous à cheval, en habits & manteaux noirs garnis de dentelles ; après eux paroiffent les Valets de pied ôc les Heiduques, habillés à l'antique, la tête découverte. Le carofTe de LL. MM. II. vient après , au milieu de deux files de Trabans ou de Cent-Suif-fes. L'Empereur eft toujours dans le fond, & l'Impératrice fur le devant, à moins que l'Empereur ne forte pour aller à la campagne , car alors l'Impératrice eft affile à côté de S. M. I. Les Pages, & quelques petits Officiers de la Chambre, fuivent à * cheval. Enfuite on voit une Compagnie des Gardes du Corps , puis un caroffe à vuide, & enfin trois ou quatre caroffes à fix chevaux, où font les Dames de l'Impératrice. La marche eft fermée par une Compagnie de la Garnifon ordinaire de Vienne , que la Ville entretient, & qui monte la garde au Palais de l'Empereur, S. M. I. n'aiant pour d'autres Gardes à pied. Après la Meffe, l'Empereur revient dans fon apartement. [1 eft précédé par toute fa Cour , de même qu'à fa fortie. Le Nonce & les AmbafTadeurs font couverts, de même que l'Empereur. L'Impératrice & les Archiduchefïes viennent en-fuite, conduites chacune par le Grand-maitre de leur Maifon; C 3 Lorf- Vienne. Lorfque l'Empereur eft de retour dans fon apartement, il fe retire dans une chambre qu'on appelle la Retirade. S. M. I. y refte jusqu'à l'heure du dîner. Lorfque l'on a fervi, le Grand-Chambellan en a«-vertir l'Empereur , qui vient fe mettre à table avec l'Impératrice, fuivie de toutes les Dames. Un Chambellan , ou le Grand-Argentier, préfente à laver à LL. MM. qui fe placent enfuite dans deux fauteuils. La table ne m'a pas paru fort délicatement fervie ; la vaiffclle eft an-f tique, & tous les plats étoient placés uns aucune fymmétrie. LL. MM.II. ont char cune leurs plats en particulier j cela fait qu'ordinairement on fert de petits plats: j'ai même vu fur la table cinq ou fix é-cuellcs de foupe. L'Empereur fe couvre dès qu'il eft an!s. Le Nonce & les Am-baffadeurs fe couvrent auffi, & fe tiennent debout autour de la table, jufqu'à ce que LL. MM- aient bu. C'eft un Chambellan qui leur préfente à boire. LL. MM. boivent à la fanté l'un de l'autre , après quoi le Grand -Maitré, le Grand-Chambellan, le Grand-Ecuyer & le Capitaine des Gardes s'avancent pour recevoir }cs ordres de l'Empereur, & (avoir ce que S. M. veut faire dans l'après-dînée: les Dames - d'honneur & les Officiers de l'Impératrice demandent la même chofe à cette Princeffe: enfuite chacun fe retire, à moins qu'il n'y ait Mufique, ce qui arrive du Baron de Pöllnxtz: ve affez. (buvent. Le dîner ne dure guè- Vienne* res plus d'une heure. LL. MM. reftent à table jusqu'à ce que tout foit deffervi, on ôte même la nape devant eux; mais c'eft pour en remettre une autre, fur laquelle le Grand-Argentier place un baffin & une aiguière de vermeil : c'eft ainii qu'il donne à laver à LL. MM. Le Grand-Chambellan préfente la ferviette à l'Empereur, & la Dame-d'honneur à l'Impératrice. LL. MM. parlent enfuite dans leurs Retirades; fouvent même ils fortent pour aller à la ChafTe , ou pour tirer au blanc. Lorsque l'Empereur tire au blanc, il y a plufieurs perfonnes nommées pour tirer * avec S. M. Il y a des Prix diftribués ' par ceux qui font de la Confrérie des Tireurs. " L'Empereur donne le premier Prix, l'Impératrice le fécond, & enfuite tous les Tireurs, fuivant l'ancienneté de leur réception dans la Société. Au retour , l'Empereur donne Audience à ceux qui l'ont fait demander par le Grand-Chambellan , qui a eu foin de fon côté de leur faire favoir l'heure à laquelle ils peuvent parler à S. M. Ces Audiences lè font fans cérémonie : on y eft introduit par le Chambellan de fervice. L'Empereur fe tient debout & couvert ; il eft adofïé contre une table ; il a un dais au defïus de lui, & un fauteuil à côté. On fait trois génuflexions , l'une à l'entrée, C - l'autre l'autre au milieu, & la troifieme lorsqu'on commence à parler. L'Empereur écoute avec attention, il répond avec bonté, & s'il y a eu quelque choie d'obfcur dans ce qu'on lui a dit, il demande qu'on le lui explique. Lorsque l'on n'a plus rien à dire, on met un genou en terre, & on avance la main pour demander à baifer celle de l'Empereur ; ce qu'il ne refufe jamais. On fc retire "enfuite en reculant, ôc en obfervant les trois révérences qu'on a faites en entrant. . On oblerve les mêmes cérémonies aux Audiences des Impé» ratrices. Pour en obtenir de l'Impératrice régnante , on s'adrclfe au Grand-Maitre de fà Mailon, qui la demande,& fait en-fuite favoir l'heure de la commodité de Nmpératrice. U ne fe trouve à ces Audiences qu'ene Datne-d'honneur , qui fe tient à une certaine diftance, affez éloignée pour ne pas entendre ce qui le dit ; & le Grand Maitre de la Mailon de S. M. demeure à la porte dans l'Antichambre. 11 s'eft glilïë un abus étonnant dans la Cour de Vienne, au fujet des Audiences. Le lendemain qu'on l'a obtenue, les Do-meftiques du Grand-Chambellan & du Grand-Maitre viennent demander une récompenfe, pour le fervice que leurs Maitres ont rendu d'annoncer à LL. Ma-jefîés. J'en ai même trouvé d'affez imper-tinens pour fixer la iomme qu'ils préten-doient avoir. Les Traba?is de la Cour, ou •u Cent-Suiffes, & les Huiffiers, vien- Vienne. nent audî fouhaiter une heureufe iffue de l'Audience qu'on a obtenue , & le tout pour attraper quelque choie. Auffi-rót que les Audiences font finies , l'Impératrice paffe dans une Chambre qu'on appelle la Chambre des miroirs, parce que c'eft l'unique de fon Apartement où il y ait des glaces. S. M. trouve là des Dames, qui lui baifent la main l'une après l'autre; enfuite l'Impératrice fe met à jouer. Il n y a que des Dames qui aient l'honneur déjouer avecelle,& qui aient per-miffion d'entrer dans cette Chambre, excepté cependant l'Empereur , le Grand-Chambellan, le Grand-Maitre, & les Princes parens de l'Impératrice, à qui S. M. veut bienaccorder cet honneur. Pendant le Jeu, les Dames font affilés autour de latabie, fans obfervcr aucun rang; ce n'eft pas même comme en France , où l'honneur du tabouret n'eft affecté qu'aux Ducheffes; à Vienne, celles dont on fait les Ducheffes, font traitées comme fi elles l'étoient. Il y a encore à Vienne un ulage tout différent de ce qui s'obferve dans les autres Cours de l'Europe. Il n'y a point de jours fixés puur les Apartemens, ni pour le Cercle; les î)ames envoyent, quand elles le jugent à propos, chez, la Dame-d'honneur, pour favoir d'elle à quelle heure elles peuvent faire leur cour à l'Impératrice; elles fe rendent enfuite au Palais, aux heures marquées. C 5 *crs Vienne. Vers l'heure du fouper, l'Empereur vient voir l'Impératrice : alors on quitte le Jeu. L'Impératrice fe lève, & donne fa main à baifer aux Dames qui ne doivent point refter au fouper. Après cela, LL. MM. vont fe mettre à table. Elle eft fervie à peu près comme au dîner, à l'exception que c'eft toujours chez l'Impératrice que fe fait le louper. La table n'eft éclairée que par deux bougies, que l'on relève trois ou quatre fois : c'eft une Fille-d'honneur qui eft chargée de cette fonction. Lorsqu'elle ôte le flambeau , elle fait une profonde révérence avant que de le donner à l'Argentier,qui mouche les bougies : enfuite elle fait une féconde révérence,lorsqu'elle place la bougie fur la table. Les jours de Gala ou de Fête, il y a mufique pendant le repas. Après qu'on a donné à laver à LL. MM. la Grande-Gouvernante ou Dame-d'honneur préfente la ferviette à l'Empereur ; & une Fille-d'honneur, qui eft en même tems Dame de la Clé d'or , la préfente à l'Impératrice. Lorsque les Archiducheffes loupent avec LL. MM. on leur préfente à laver dans le même baffin dans lequel s'eft lavé l'Empereur; une Fille-d'honneur leur préfente la ferviette, & après que l'Empereur s'eft levé de table , les deux prémières Archiduchefles préfentent le chapeau à l'Empereur, & l'éventail & les gands à l'Impératrice : en l'abfence des Archi- du Baron de Pöllniti.' 4} Archiducheffes , c'eft une Dame-d'hon- Vienne. neur & une Fille-d'honneur, qui doit être outre cela Dame de la Clé d'or, qui ont cet honneur. Apres cela, les Dames qui ont affifté debout au fouper, baiîent la main ■ de l'Impératrice, dans le tems que S. M. paffe de la Salle à manger dans la Salle ; des miroirs. Auffi-tôt que LL. MM. ; font entrées dans cette Chambre, tout le: monde fe rétire pour aller à l'Affemblée, qui étoit, dans le tems que j'étois à Vienne , chez. Mad. de Rahutin. C'eft là que l'on trouvoit tout le beau monde. Mr. le Prince Eugène de Savoie y venoit tous les foirs ; ce Prince y avoit une partie de Piquet réglée avec Mad. la Comteffe der Budiatii, & quelques autres Dames. On. fe retire vers les onze heures : c'eft ordinairement à cette heure-là que l'on va dans les endroits où l'on doit Jbupér. IX eft rare cependant de trouver des gens, qui foupent ; tous les grands feftins fe donnent toujours à dîner, & on dine extrêmement tard. Les Impératrices Douairières font fervies à table avec les mêmes cérémonies que \"lm-pératrice régnante. EHes mangent ordinairement feules,avec les' Archiducheffes leurs Filles. LTmpératiice-Mère mangeoit toujours à fon petit couvert ; mais l'Impératrice Douairière mangeoit en public les Dimanches & les jours de Fête,ou d&Gala. J'ai eu l'honneur de vous dire,en vous par- Vienne, parlant des Apartemens des Impératrices Douairières, que ces Princeffes ne quittent jamais le deuil. Cela ne regarde que leurs perfonnes : car leurs Officiers ôc autres Domeftiqucs font habillés de couleur. Cependant leurs Filles-d'honneur , quelque grand jour de Gala que ce puiiTe être, ne peuvent porter que des corps de robes à fond noir, brodé d'or & d'argent; leurs jupes font de la couleur qu'elles les veulent porter. Ces Princeifes n'affis-tent jamais à aucun Spectacle , ni Bal. Pour les Archiducheffes , l'ufage de Vienne eft , que celles qui font Sœurs , foient habillées uniformément; elles doivent auffi être coiffées toutes en che- -v. ux, les jours de cérémonie ou de Gala , de même que leurs Filles-d'honneur. Elles ne portent ordinairement que des habits de Cour ; mais les jours de grande cérémonie, elles portent des habits faits à peu près comme des robes d'enfans: les jupes font fort amples, avec de grandes queues. Il y a ordinairement Opéra & Comédie , ies jours de Gala. LL. MM. II. font affifes dans le Parterre : l'Empereur occupe la prémière place ,& l'Impératrice eft à fa gauche ; les Archiduchefiès font fur la même file. Tous ceux de la Famille Impériale ont des fauteuils de même grandeur & de même hauteur, avec un guéridon derrière, fur lequel il y a uns une bougie. Les Opéra font magnifiques Vienne pour les décorations 8c les habits ; les connoifTeurs m'ont affûté que la Mufi-que en étoit excellente: pour mci,je les ai trouvé auffi triftes que la plupart des Opéra d'Italie , parce que les uns & les autres ne font point accompagnés de Danfes ni d'aucun agrément. Je crois, Madame, avoir rapporté, à peu de chofe près , ce qu'il y a de remarquable à Vienne, foit à la Cour, feit à la Ville. Je vais vous parler à préfent en peu de mots des perfonnes qui com-pofoient cette augulte Cour , dans le tems que j'y ai demeuré. Charles VI occupoit alors le Siège Impérial. Ce Monarque eft le fécond Fils de l'Empereur Lèapold. Après la more de Charles II. Roi d'Efpagne, il fut reconnu Roi par tous les Princes de la Grande-Alliance: il prit alors le nom de Charles VI. Il paffa dans fon Royaume , & fit voir à la Nation Efpagnoïe, qu'il étoit digne d'être leur Maitre. La mort de l'Empereur Jofeph , fon Frère ainé, le fit repafTer en Allemagne : ce fut à Gènes qu'il apprit qu'il étoit élu Empereur. J'ai eu l'honneur de vous faire le récit de la cérémonie de ion Sacre. Le Règne de ce Monarque a été fignalé par des évènemens heureux: la fameufe Paix conclue avec la France, a rendu à l'Empire la tranquillité dont il avoit été Vienne. p"vé depuis longtems : celle qui a été faite quelques années après avec les TurCs, a affuré le bonheur de la Hongrie & de tous les Pays héréditaires. L'Impératrice fe nomme Elizabeth-Christine de Wolfenbuttel-Blankenberg. C'eft une Princeife qui joint à toutes les qualités de l'efprit , l'extérieur le plus a-vantageux. C'eft la plus belle perfonne de fa Cour, & il eft ailé de voir à fon port majeftueux , que la Nature l'a formée pour porter une des prémières Couronnes du monde. Elle eft très magnifique en habits, & fur-tout en diamans, dont elle a pour plufieurs millions. Le nombre en augmente tous les jours , par les préfens conlidérables que lui fait l'Empereur. Ce Prince rend juftice au mérite de fon augufte Epoufe, qui dé fon côté ne penfe qu'à lui donner des preuves de fon attachement.. Il eft impof-fible de trouver une union plus parfaite, que celle qui règne entre LL,. MM. II. Il y a trois Princeifes de ce Mariage.. Je n'ai eu l'honneur de voir que les deux prémières, la troifième eft née quelques années après mon Voyage de Vienne. Celle qui tenoit le prémier rang après l'Impératrice & les Archiducheffes fçsFilles, étoit l'Impératrice Douairière de l'Empereur Le'opold, Eéonore-Magdeleine-Thérèfe de Neubourg. C'étoit l'exemple de toute la Cour, pour la piété : elle paffoit la phis gran- du Baron de Poll ni tz; 47 grande partie de fon tems en prières au- VlENN-près des Autels, ou bien elle s'occupoit à faire des charités, qui étoient toujours très abondantes. La grandeur de fa naiC fance fembloit l'importuner , & elle vo-yoit avec peine les honneurs que fon rang & fon mérite lui attiroient. Elle eft morte dans un âge affez avancé. Elle avoit eu plufîeurs Princes & Princeifes, de l'Empereur Léopold. io, Jofeph-Jacob, mort Empereur à Vienne le 17 Avril 1711; 20. Charles, aujourd'hui régnant ; & trois Archiducheffes, l'une mariée au Roi de Portugal, l'autre Gouvernante des Pays-Bas, & la troifième qui réfide à la Cour de Vienne, L'Impératrice Douairière de l'Empereur Jofeph , fait auffi fa réfidence à Vienne: elle fe nomme Wilhelmine - Amélie. Llle eft Fille du feu Duc de Hanover, Oncle du Roi d'Angleterre. Ce Prince eft more fans laiifer d'Enfans mâles. La Princeife, après la mort du Duc fon Père, vint palier quelque tems en France; & Mad. fa Sœur aiant époufé le Prince de Mo-dène, elle l'accompagna dans ce pays, où elle demeura jufqu'à ion mariage, qui fut conclu à Modène avec l'Empereur Jofeph, alors Roi des Romains. Le Duc fon Beau-frère l'époufa par Procuration. Elle vint enfuite à Vienne, où elle fit l'admiration de toute la Cour, non leule-ment par le brillant de fon extérieur, mais encore par les autres qualités dont la la Nature l'a douée. Elle a eu foin dû cultiver fón efprit par beaucoup de lecture, & fur-tout par l'étude des Langues auxquelles elle s'eft appliquée, ôc avec fruit: elle poiTède le François & l'Italien , auffi parfaitement que fa Langue naturelle. Cette Princeife a eu plufieurs Enfans de lEmpereur fon Epoux, dont il n'eft relié que deux Princeffes; Tune s'appelle Marie- Jofephe, mariée au Prince Electoral de Saxe , aujourd'hui Roi de Pologne ; & la féconde Marie-Emilie, mariée au Prince Electoral de Bavière, aujourd'hui Electeur. Voilà , Madame , quelles étoient les perfonnes qui compofoient la Famille Impériale. J'eus lhonneur , peu de jours après mon arrivée, de baifer la main à toute cette augufte Maifon- Je fus enfuite préfenté aux Miniftrés : de forte qu'en fort peu de tems , je fus connu de toute la Cour. Je fus affez heureux pour m'y faire des Amis de considération , qui n'attendirent pas que je leur fifTe une cour affidue , pour me donner des marques de leur bonne volonté. Ils prièrent le Prince Eugène de m'employer. J'eus l'honneur de le faluer, & je lui remis des Lettres de recommandation que l'Electeur Palatin m'avoit données pour lui. Ce Prince me reçut avec beaucoup de bonté , & il me dit qu'il ne pouvoit m'affurer de me placer , parce que les Colonels difpofoienc de tous les Emplois Vienké' de leurs Régimens ; mais qu'il ne laiffe-roit pas de me faire plaifir dans tout et qui dépendroit de lui. Et effet, quelque tems après, il eut la bonté de parler pour moi au Comte Max. . . de S . . . qui me donna une Compagnie dans fon Régiment qui étoit en Sicile. Je fus bien charmé de ce préfenr, & je m'imaginai qu'enfin la Fortune s'étoit laffée de m'être toujours contraire. Cependant, après les prémiers mouvemens, je fis quelques réflexions qui me rejettèrent dans mon ancienne mélancolie. Je n'étois point en argent, & j'entrevoyois que je ne pouvois me difpenler de faire une dépenfe confidérable. Outre cela, j'avois quelques petites dettes, que je voulois acquitter avant que de fortir de Vienne ; il faloir un peu remonter mon équipage, qui étoit affez, délabré; & enfin il faloit aller en Sicile: toutes chofes qui demandoient beaucoup de dépenfe. Ce fut dans cette occafiori que je reçus de nouvelles preuves de l'attachement de mes Amis: chacun s'in-tèreffa pour moi efficacement. Mue. de K . . . . Fille-d'honneur de l'Impératrice Douairière , me procura une gratification de S. M. I. ; & Mad. la Comtef-fe de W . . . . chez, qui j'allois tous les jours, me fit une avance de mille ducats, en me difant,que je les lui payerois quand je le pourrois, ou plutôt, quand je ferois Tome II, D Lieu- . Lieutenant-Général. Elle accompagna une action fi généreufe , d'un difcours véritablement fage & Chrétien, & qui fembloit plutôt venir d'une Mère que d'une Amie. Cette Dame avoit été fenfi-blemént touchée de mon changement de Religion, & elle m'aidoit d'autant plus volontiers à terminer mes affaires, qu'el* le appréhendoit que je ne fuccombaffe à la tentation de redevenir Proteftant, pour obtenir de l'Emploi dans ma Patrie. Vous voyez., Madame, par ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, que j'étois en état de fbrtir de Vienne avec honneur. Auffi ne m'y arrêtai-je pas longtems : je n'y reftai que pour être témoin de deux grandes folennités , dont je vais vous faire la defcription. La première fut l'Entrée d'un Ambaffadeur Turc; 6c la féconde, le Mariage de l'Archidu-cheffe Marie-Jofephe avec le Prince E-leotoral de Saxe. Ce fut dans ces deux circonflances, que la Cour Impériale fit montre de toute fa magnificence. Pour ce qui regarde l'Entrée de l'Am-baffadeur, on peut dire qu'il n'y avoit du magnifique que de la part de la Cour Impériale; car en vérité, tout fon cortège & fes équipages étoient très peu de cho-fe. Cet Ambaffadeur s'appelloit Ibrahim Bâcha: il avoit avec lui une Suite de fix-cens hommes, tous affez mal vêtus. En attendant le jour de l'Entrée, il féjourna dans t>U öaron de pöllmitï. jl dans un Camp qu'il avoit fait conftruire yïenhf. à deux lieues de Vienne. J'y allai pour le Voir, avec quelques-uns de mes Amis : il nous reçut avec beaucoup de politefïe, & nous fit préfenter du cafré & des confitures. 4 Pendant cette collation , j'exa-minois avec foin tout l'intérieur de fa Tente, qui étoit véritablement fuperbe, & des plus grandes que j'aye jamais vu. La terre étoit couverte de tapis magnifiques , fur lefquels il y aroit une efpèce de drap de pied , de fatin cramoifi brodé d'or; c'étoit là qu'étoit afïis l'Ambaffa-deur: il étoit entouré de riches carreautf de fatin cramoifi brodé d'or. Sur le même drap de pied, à la droite de l'Arn-baffadeur, étoic afïis de côté le Secrétaire del'Ambafîade. Il y avoit autour de l'Ambaffadeur une vingtaine de Turcs, paffa-blement habillés, parmi lefquels il y avoit trois ou quatre jeunes Hommes d'une grande beauté & très bien faits. J'y remarquai entre autres un More, qui étoit l'homme le mieux fait que j'aye jamais Vu : il étoit plus richement vêtu que les autres Turcs, & à ce qu'on m'a dit,particulièrement confidéré de l'Ambaffadeur. Après que nous lui eûmes parlé quelque tems, nous primes congé de lui : il nous offrit poliment de nous faire voir fon Camp ; nous acceptâmes cette offre a-vec plailir, & nous partimes, aiant avec D a nous nous un homme que PAmbafTadeur nous donna pour nous conduire. Ce Camp occupoic plus de terrein qu'il n'en auroit ralu pour deux-mille homme?. Les Tentes étoient fort éloignées les unes des autres, & placées fans aucun ordre. Les chevaux, les boeufs, les chameaux, tout étoit pêle-mêle. Les Equipages qui appartenoient perfonellement à l'Ambas-fadeur, étoient dans une efpèce de Parc, que formoient des toiles lèmblables à celles dont on fe fert dans les ChaiTes. Tout étoit extrêmement mal-propre; les petits Domeftiques, fur tout, étoient les Messieurs les plus dégoûtans que j'aye jamais vu : ils n'avoient point d'habits fur le corps ; ce n'étoit précifément que des lambeaux. Les principaux Domeftiques étoient un peu moins mal;plufieurs d'entre eux nous firent politeffe,& voulurent nous régaler dans leurs Tentes. Quelques jours après notre vifite, l'Am-bafîàdeur fit fon Entrée en grande cérémonie. Le Maréchal de la Cour fut au-devant de lui jufqu'à une demi-lieue de Vienne, à la tête de la Magistrature de la Ville, des Affranchis de la Cour, de tous les Corps des Marchands & de fes Gentilshommes , tous bien montés & magnifiquement habillés. L'Ambafïadeur étoit dans un de fes caroffes trainé par deux méchans chevaux : c'étoit un petit chariot affez bas, fait à peu près comme les chariots riots couverts de Hollande, excepté qu'au- Vienne. lieu de toile cirée ou de cuir, il étoit couvert de drap rouge. Lorfque l'Am-baffadeur & le Maréchal de la Cour furent près l'un de l'autre, ils mirent tous deux pied à terre, & après les compli-mens de part & d'autre , ils montèrent à cheval. On portoit devant l'Ambaffadeur trois Queues de cheval 6c l'Eten-dart de Mahomet, qui eft un grand Drapeau de taffetas vtrd , tout parfemé de Croifïàns d'or. Celui qui le portoit étoit à cheval, & afin que le bout du Drapeau ne traînât point à terre , un homme à pied en portoit les coins. L'Ambaffadeur étoit précédé de tout fon Equipage, dans lequel il y avoit une demi-douzaine de chariots couverts de guenilles, & trainés chacun par quatre haridelles, qui étoient conduites par des chartiers dont les habit* étoient très mal en ordre. Après cet E-quipage, on voyoit les Officiers de l'Am-baflàdeur ; enfuite, douze-chevaux, dont le Sultan faifoit préfènt à l'Empereur. Derrière l'Ambaffadeur mar choit une Compagnie de Spahis, qui portoient des lances , au bout desquelles on voyoit de petits Etendarts de différentes couleurs. Ceux-ci étoient fuivis d'une Compagnie de Janijjaires, qui, quoiqu'affez mal vêtus , avoient cependant un air fort guerrier. Ils avoient les bras & les jambes D 3 nuds. nuds. La marche étoit fermée par un Regiment de HouJJars. Ce cortège paffa devant le Palais appelle la Favorite, où l'Empereur & l'Impératrice le virent défiler. Il traveria en-fuite toute la Ville ; il paffa le pont du panube dans le Fauxbourg de Léopold-Jlat , pù on avoit préparé une Maifon, conformément à l'ancien ufagc, qui eft, que jamais Ambaffadeur Turc ne peut demeurer à Vienne. L'AmbalIadeur témoigna être fcrupu-leux obfervateur du Cérémonial : il eut bien de la peine à confentir que les Ja-niffaircs portafïènt le moufquet fur l'épaule lorfqu'lls pafïeroient devant le Palais de la Favorite où étoit l'Empereur: il difoit pour s'excufer, que les Janiflai-res ne marchoient pas ainfi, même en f>réfence du Sultan. Il fut aufli pointil-. eux fur quelques autres bagatelles, auxquelles cependant on le contraignit de fe ioumettre, en le menaçant qu'il ne feroit point d'Entrée. L'Ambaffadeur de fon côté, pour témoigner fon reffentiment, ne fit porter que deux Queues de cheval élevées, & la troifième baiffée : mais voyant qu'on fe mettoit peu en peine de fa co-t 1ère, il revint bientôt à lui, & alors on lui fit politeffe. Il témoigna être fort a-* mateur du bon ordre , & il fit châtier ri-gpurçufement quelques-uns de fes Dômes- du Baron de PöllniTZ. 55 tiques qui avoient commis quelques excès. Pendant le féjour de l'Ambaffadeur à héopoldfiat , on ne voyoit que Turcs à Vienne, dont la plupart, qui n'étoient jamais fortis de chez, eux, donnoient tous les jours quelque fcène au public, parla furprife que leur caufoit tout ce qu'ils voyoïent. J'en vis un, un jour, entrer dans l'Eglife de S. Etienne, dans le tems qu'on n'y officioit pas: il n'y avoit même presque perfonne alors. J'eus la curiofité de le fuivre de loin ôc d'examiner toutes fes figures, qui me réjouirent beaucoup. Le Choeur fut l'endroit où il fit paroître le plus d'étonnement : la forme des Sièges des Eccléfiaftiques, la conftruétion du Mai-tre-Autel,en un mot, tout étoit nouveau -pour lui. Mais ce qui parut l'embaraffer le plus, ce fut une Lampe magnifique qui eft au milieu du Chœur : il tourna long*-tems de tous côtés , fans paroître fortir d'embarras; fans doute qu'il ne pouvoit concevoir , comment on pouvoit faire pour l'allumer. Cependant, après avoir un peu raifonné avec lui-même, il remarqua un cordon qui tenoit au bas : il s*a-vifa de le tirer; & fentant que tout ve-ncit à lui, il defcendit la Lampe jufques en-bas. Je remarquai qu'il étoit très content d'avoir fu fe donner un éclairciffe-mtnt dans la difficulté qui l'inquiétoit ; & trouvant là du feu tout près, il jugea àpîoposd'y allumer une longue pipe qu'il tira de fa poche, ce qu'il fit avec une tranquillité dont je pc pus m empêcher de rire. 11 remit enfuite la Lampe commç çlle étoit, auparavant, & il s'en alla. Peu de jours après l'Entrée del'Ambak fadeur Turc, on fit la cérémonie du Mariage de l'Ârchiduchelle Narie-Jofcphe avec \c Prince Electoral cie Saxe. 11 y avoit jongtems que ce iVariage avoit été projette: on prétend même que l'Empereur Jofeph avoit promis par écrit au iîoi de Pologne , de donner fa Fille ainéc au Prince Electoral, à condition qu'il fe fe-roit Catholique. Cependant, ce Mariage étant refté indécis, le Prince Electoral de Bavière fe mit fur les «angs ; ce qui cmbaniifa beaucoup la Cour de Vienne, qui ne favoit pour qui fe déterminer. La Cour de Saxe employa dans cette Négociation le Comte de IVackerbarth. Peu a-près, le Prince Electoral vint en perfonne à la Cour de Vienne, §c lprfqu'il fut obligé d'en partir , il y laiifa le Comte de Lagnafo, pour veiller à fes intérêts. Le Comte obtint enfin le confentement ce l'Empereur. Le Comte de F. . . vinç enfuite, en qualité d'Ambaifadcur , poar demander foleimeilement la Princeife à l'Empereur. La demande fe fit avec beaucoup de folennité, Comme j'étois cu-r rieux de favoir les cérémonies uiitées en pareilles occaiions, je me rendis chez le Comte de F. le jour qu'il de voit pa-tir pour l'Audience de l'Empereur. Je vis vienne. arriver le Comte d'Oropefa , Grand d'Ef-pagne , Chevalier de la Toifon d'or & Chambellan de l'Empereur ; il étoit dans un caroffe à fix chevaux , fuivi d'un fécond caroilè auffi à fix chevaux, aux Armes & aux livrées de l'Empereur. Les Valets de pied de S. M. I. & les Laquais du Comte marchoient aux portières du prémier caroife. Le Comte de ?.. . reçut le Comte d'Oropefa à la delcente du caroife; il le conduifit dans une Chambre où Ton avoit placé deux fauteuils fous un dais de ' velours cramoifi, enrichi de broderie & de crépines d'or, fous lequel on avoit mis le Portrait du Roi de Pologne. Les deux Comtes fe placèrent dans les fauteuils, l'Ambafïa-deur donnant la droite au Comte : ils fe couvrirent tous deux, & parlèrent pendant un quart-d'heure. Ils fortirent enfuite : l'Am-baffadeur monta le prémier dans le caroffe de l'Empereur, êc fe plaça feul dans lè fond ; le Comte d'Oropefa le mit fur le devant. Quatre des principaux Gentilshommes Saxons de la fuite de l'Ambaffa-deur montèrent dans le fécond caroife. Enfuite on fe mit en marche, qui s'ouvrit par un des carofïes de la Cour, fuivid'un Officier de TAmbaffadeur à la tête de 24 Laquais de S. E. Le caroffe des deux Comtes fuivoit après : les portières é-toient gardées par les Valets de pied de l'Empereur & les Laquais du Comte d'Q-d î rope-z rofefa. Huit Pages del'Ambaffadeur mar-choient enfuite, dont quatre étoient habillés à l'Allemande, & quatre à la Polo-xjoile : leurs habits étoient de velours bleu galonné d'or. Quatre Garçons de la Chambre , vêtus de drap bleu galonné d'or, fuivoient les Pages; & enfin trois caroffes de l'Ambaffadeur, chacun de fix chevaux, fermoient la marche. Cefutain-fi que le cortège arriva au Palais. Le prémier carolïè de l'Ambaffadeur entra feul dans la Cour intérieure, les deux autres demeurèrent dans la prémière Cour. L'Ambaffadeur trouva l'Empereur fous un dais ; il lui demanda l'Archiducheffe en mariage au nom du Roi fon Maitre, pour le Prince Electoral. L'Empereur lui répondit, qu'il le vouloir bien , à condition que l'Impératrice Mère de l'Archiducheffe , & l'Archiduchefle elle-même , y confenti-foient. Au fortir de l'Audience , l'Ambaffadeur fut conduit chez l'Impératrice régnante, 6c chez l'Impératrice Mère, auxquelles il dit à peu près la même chofe «ju'à l'Empereur. Les Princeifes répondirent, que fi l'Empereur le vouloir,6c quç l'Impératrice Amélie 6c l'Archiduchefle y confeniiffent, elles verroient conclure ce mariage avec plaifir. L'Ambaffadeur fut enfuite conduit à l'Audience de l'Impératrice Amélie, à qui il fit la même demande , en lui faifant part des réponses qu'il avoit eues de l'Empereur 6c des Impératrices. L'Impératrice fit réponfe, Vienkb. qu'elle n'avoit point d'autre volonté que celle de l'Empereur , que l'alliance du Prince Electoral lui faifoit plaifir , Se qu'elle efpéroit que l'Archiducheffe fà Fille n'y auroit aucune répugnance; & qu'elle alloit à IIinllant l'informer de fes intentions. En même tems elle fe tourna vers Madame la Comteffe de Curaffa, fa Dame-d'honneur , & lui ordonna de faire venir l'Archiducheffe. Cette Prin-ceffe étoit dans une chambre voifine ; elle vint aufli-tôt, richement parée. L'Impératrice lui dit ce que l'Ambaffadeur ve-noit de lui dire de la part du Roi de Pologne , au fujet de fon Mariage avec le Prince Electoral fon Fils : elle ajouta , que l'Empereur, les Impératrices, & elle avoient confenti qu'elleépoUfàt ce Prince; que cependant, on la laiffoit la mai-treflè de fa deftinée, & que l'Empereur ne prétendoit pas la contraindre. L'Archn ducheffe répondit, qu'elle n'avoit rien qui la détournât de ce Mariage, & qu'elle obéiffoit avec refpect aux ordres de LL. MM II. Après cette déclaration, l'Ambaflàdeur s'avança , & adreffant la parole à l'Archiducheffe, il lui présenta ïe Portrait du Prince Electoral enrichi de diamans. Cette Princeffe l'accepta , & fans le regarder , elle le préfenta à l'Impératrice là Mère. L'Impératrice, après Varoir regardé avec attention, voulut Vienne» l'attacher au corps de robe de l'Archiducheffe; mais l'AmbalTadeur pria S. M. I. de lui accorder cet honneur. Après cette cérémonie, l'AmbalTadeur s'en retourna à fon Hôtel, de la même façon dont il étoit venu. L'Empereur , l'Impératrice régnante , & l'Impératrice Mère, fe rendirent chez, l'Impératrice Douairière; où, après les complimens de félicitation, LL. MM. dînèrent enfemble. Le foir, l'Empereur & les Impératrices allèrent rendre vifitc à l'Archiducheffe fiancée. Toute la Cour Létoit. Il y eut grand Jeu, après lequel L. MM. imp. & les Archiducheffes allèrent fouper chez l'Impératrice Araéiie. Quelques jours après ,1'Ambafïàdeur de Pologne.fe rendit encore en cérémonie, mais dans Tes caroffes, au Palais de laF<*-vorîte , où , en préfence de toute la Famille Impériale, de tous les Miniftres & Confeillers privés, & des Chevaliers delà Toifon d'or, il renonça folennellement, au nom du Roi fon Maitre & du Prince Electoral de Saxe, au droit de fucceflion, en cas qu'il plût à Dieu que l'Empereur vînt à mourir fans poftérité mâle. Le Comte de Zinzendorff , Chancelier de la Cour, lut tout haut l'Acte de renonciation ; a-près quoi l'Empereur demanda le confen-tement de l'Archiducheffe ; cette Princefïc y aiant confenti, l'Empereur lui ordonna d'en prêter Serment ; ce qu'elle fit entre les les mains de l'Archevêque de Valence. Ce yIEN] Prélat étoit en habits pontificaux , devant un Autel qu'on avoit dreffé dans cette Chambre : il préfenta à la PrinceiTe le Livre des Evangiles , fur lequel elle renonça folennelleraent aux droits de fuccellion. L'Ambaffadeur jura la même chofe, au nom du Roi fon Maitre , & du Prince Electoral de Saxe. Quelques jours après , le Prince Electoral partit de Dresde, & fe rendit dans une maifon qu'on lui avoit préparée à deux lieues de Vienne. Il envoya avertir l'Empereur de fon arrivée ; il en fit part auffi aux Impératrices & aux Ar-chiduchefles. L'Empereur lui dépêcha à fon tour le Comte Molard Grand-Maitre des Cuifines,6c les Impératrices & les Archiducheffes des Gentilshommes de leurs Maifons, pour le complimenter fur fon arrivée. Le lendemain , le Prince vint incognito dans le Couvent de Reli-gieufes, fondé par l'Impératrice Amélie. Cette Princefîe s'y étoit rendue avec les deux Archiducheffes fes Filles. L'entrevue ne dura qu'une demi-heure. L'Archiducheffe fiancée 6c le Prince Electoral de Saxe defcendirent dans l'Eglife, 6c s'y confeflèrent : enfuite le Prince s'en rétourna à fa maifon, qui étoit, comme j'ai eu l'honneur de vous dire , à deux lieues de Vienne. Il en revint le lendemain , à fix heures du foir ; il descen- Vieî-'ne» dit au Palais dé la Favorite , ov on le conduifit dans l'Apartement du Grand* Chambellan; le Prince y changea d'habit; enfuite le Grand-Chambellan le conduifit chez l'Empereur. S. M. I. le mena chez l'Impératrice. Les deux Impératrices Douairières y étoient , avec toutes les Archiducheffes. L'Empereur leur préfenta le Prince. On paffa enfuite à la Chapelle, dans l'ordre fuivant. Tous les Seigneurs & Dames de la Cour ouvrirent la marché. Enfuite parut le Prince Electoral, aiant devant lui un des Gentilshommes de fa Chambre, qui portoit un bougeoir. L'Empereur fuivoit immédiatement le Prince ; enfuite les trois Impératrices : les deux Douairières marchoicnt aux deux côtés de l'Archiducheffe fiancée , l'Impératrice régnante marchoit la première, & pafloir par-tout la prémière. Elle avoit un habit couleur de feu & argent , garni de diamans; & fà coiffure étoit toute remplie de perles en poire. L'Archiducheffe, que je nommerai déformais Frincejfc È.'eclora/è , étoit auffi très richement habillée : elle portoit un vertugadin ; fon habit étoit de brocard d'argent brodé de diamans. A-près la Princeffe , marchoient les trois Archiducheffes l'une après l'autre , menées chacune par leurs Ecuyers : ces Prin-. ceffes étoient fuivics de leurs Dames, "qui étoient d'une magnificence extraof- dinairc du Baron de Pöllniti ô*^ diaaire. Au Ai-tôt que le Prince Electo- Vienhé. ral & la PrincefTe furent arrivés à la Chapelle, ils reçurent la bénédiction nuptiale de l'Evêque de Vienne. La cérémonie finie , la Famille Impériale re* tourna dans le Cabinet de l'Impératrice ; ils y demeurèrent près de deux heures, après lesquelles ils allèrent fe mettre à table dans le même ordre qu'ils avoient obfervé en allant à l'Eglife. La Salle du feftin étoit extraordinairement parée. La table étoit élevée fur une eftrade de trois marches, qui formoit un quarré beaucoup plus long que large. L'Empereur & les trois Impératrices fe placèrent à un bour, la Princeife Electorale occupoit la droite de la table & de l'Impératrice À4ère,le Prince Electoral étoit à la féconde place à la droite de la Princeife; il n'avoit qu'une chaife à dos , & il étoit fervi par un de fes Chambellans, tandis que la Princeife & les ArchiduchelTes avoient des fauteuils & étoient fervies par les Chambellans de l'Empereur. Vis à vis la Princeffe, à la gauche de l'Impératrice Amélie, étoient aflifes l'Archiducheffe fâ Fille & les deux Archiducheffes Soeurs de l'Empereur. Les Dames de la Cour entouraient la table; elles demeurèrent debout jusqu'à ce que LL. MM. II. eurent bu pour la prémière fois ; elles allèrent enfuite fouper à des tables fervies dans différentes Salles, Se revinrent au deffert. Le nombre des fer-vices 64 MeMoireS Vienne; vices fit durer longtems le fouper , qui fut d'ailleurs animé par une excellente Mufique. On avoit dreffé dans cette même Salle une efpèce de Tribune pour l'Ambaffadeur Turc, qui vit tout le fouper; il avoit avec lui une trentaine de fes Domeftiques. On eut foin de lui faire fervir des confitures & des rafraichitfe-mens, & l'Interprète lui aiant demandé ce qu'il penfoit de la magnificence de la Cour de Vienne, il répondit affez galamment , que tout ce qu'il y avoit de plus magnifique dans cette fête , étoit effacé par la perfonne de l'Impératrice. Après le fouper,les Impératrices Douairières conduiiirent la Princeffc dans fon Apartement, & elles ne fe retirèrent que lorsqu'elle fut couchée. Le lendemain, le Prince & la Princeffc reçurent les com-plimens de toute la Cour; ils dînèrent en -fuite avec l'Empereur & les Impératrices, & le foir ils affilièrent à la repréfentation d'un Opéra nouveau, fait à l'occafion de leur Mariage L'Empereur y étoit, afïis comme à l'ordinaire , aiant à fa gauche l'Impératrice, & tout de fuite fur la même ligne les Archiducheffes. Mad. la Prin-cefïe Electorale conferva le pas que fa naiffance lui donnoit. Le Prince Electoral étoit affis fur la même ligne que l'Empereur, mais après toutes )es Archiduchefles. L'Opéra fut des plus magnifiques ; je le trouvai cependant fort ennuyeux : il eft vrai qu'il fut trop long, & d'ailleurs il vienne. faiibit une chaleur infupportable. Après l'Opéra , la Famille Impériale foupa en-femble. Le lendemain le dîner fe pafla de même: ce fut le dernier repas que le Prince & la Princeife firent à Vienne ; dès qu'ils furent levés de table, ils prirent congé de l'Empereur & des Impératrices, & prirent la route de Drefde. Il furvint quelque difficulté, touchant le Cérémonial qui devoit s'obferver au palTage de la Ville de Prague: pour les éviter, le Prince Electoral prit les devans, & paffa autour de la Ville. La Princeffe y fit une Entrée. Auffi-tôt après le départ de la Princeffe, je penfai au grand Voyage que j'avois à faire pour joindre mon Régiment, qui, comme j'ai eu l'honneur de vous dire, étoit en Sicile. Comme ce Voyage devoit naturellement m'éloigner pour longtems de ma Patrie, je voulus auparavant mettre ordre à mes affaires. Pour cela je demandai un Congé d'un mois , &je m'en allai à Dresde , d'où je mandai à mon Homme d'affaires de me venir trouver. Je préférai le féjour de Dresde à celui de Berlin, tant à caufe de la folenni-lé de l'Entrée de la Princeffe, dont j'étois bien aife d'être témoin , qu'à caufe des ennemis que j'avois à la Cour de Pruffe, qui auroient peut-être fait jouer quelque ref-fort pour me deffervir auprès du Roi. Je Tome IL E P»rtls Dresde- partis doric de Vienne peu de jours après la Princefle Electorale, & j'arrivai à Dresde le même jour que S. A. y fit fon Entrée. Les préparatifs pour recevoir la Princeffe étoient de la dernière magnificence ; il auroit été difficile d'imaginer quelque chofe de plus riche & de plus galant. Pour vous donner quelque idée de la magnificence Polonoife, je reprendrai mon récit depuis le départ de la Princeffe , de la Ville de Prague. Auffi-tôt que le Roi fut averti que la Princeffe étoit fortie de Prague,il envoya au-devant d'elle le Comte àeWacberbarth Grand-Maitre de l'Artillerie, à la tête de plufieurs Gentilshommes. Le Comte rencontra la Princeffe fur les confins de Bohème ; il la complimenta de la part du Roi, & lui préfenta les Officiers que S. M. lui en voyoit pour la fervir ; car jus-ques-là, elle avoit été fervie par les Officiers de l'Empereur, qui l'avoit toujours défrayée. S. A. continua fon chemin jusqu'à Pirna, première Place de Saxe : elle y fut reçue par le Prince Electoral 9 & fâluée par le canon du Château de Son-nenftein. Le lendemain à 7 heures du marin, le Prince & la Princeffe s'embarquèrent fur le Bucentaure ; c'étoit une Galère richement équipée, & ainfi nommée parce qu'elle étoit conftruite fur le modèle du Bucentaure de Venije. LL. A A. «lefcendirent ainfi Y Elbe jusqu'à une demi-lieue dtj Baron de Pöllnitï. £7 lieue de Dre fie. Leur Galère étoit ao DrxsdBo compagnée de cent Gondoles peintes & richement dorées, de douze Frégates de fix & douze pièces de canon ; tous les Gondoliers & Matelots avoient des pourpoints de fatin bleu-célefte, & des culotte de fatin jaune galonnées d'argent. Ce fut au milieu de cette "Flotte galante, digne de Thétis & d3'Amphitrite , que le Prince & la Princeffe arrivèrent à une demi-lieue de Drefie. Le Roi s'étoit rendu en Cavalcade au Lieu du débarquement de la Princeffe, quelques heures avant fon arrivée. S. M. étoit accompagnée des Seigneurs de fa Cour , tous magnifiquement parés. Le Roi fur-tout avoit un habit extrêmement riche: il étoit de velours ras, pourpre, garni de diamans pour la valeur de deux millions d'écus. Il faifoit porter devant lui fon Guidon,par un Polonois armé de pied en cap. A fon arrivée au Lieu du débarquement, il avoit fait la revue du Cortège qui devoir compofer l'Entrée ; & enfuite il s'étoit retiré dans une Tente magnifique , doublée de velours jaune à galons d'argent, en attendant l'arrivée de la Princeffe. Dès que le Bucentaure fut à portée d'être vu, il fit trois décharges de toute fon artillerie. Cinq Tachts qui étoient à l'ancre fur YElbe vis-à-vis la Tente du Roi, Se les Batteries du rivage, répondirent E a uc cïQrmond de rien entreprendre de ce côté-là. Des Bretons mécontens réfugiés en Efpagne m'ont cependant affuré, que fi le Duc fût arrivé plutôt, le coup etoit immanquable : toute la Province le révol-toit, & faifoit affembler les Etats-Généraux pour déclarer le Roi d'Elpagne Régent. Pour moi qui ai connu allez par- fe déclarer ouvertement ticu- du 8 ar o m de PÓLLNITZÏ $f ticulièremenc tous les Chefs de ce Parti, Par». je ne regardois pas le fuccès de cette affaire avec des yeux fi allures. Ces Mes-: fleurs avoient beaucoup d'efprit, à la vérité , mais encore plus de paifion ; & pour tout dire en peu de mots , ils jouoienc gros jeu de prétendre furprendre le Régent. La fageffe de ce Prince prévint tous les malheurs dont le Royaume étoit menacé : il envoya en Bretagne une Chambre Souveraine, dont Mr. deCbâteauneuf étoit Préûdent : il la fit fôutenir par des Troupes commandées par le Maréchal de Montesquieu, ôc on commença à faire de» recherches des auteurs de la Révolte. Ori s'attendoit à voir beaucoup de fàng ré-* pandu; cependant, il n'y eut que quelques Gentilshommes qui payèrent pour tous, ôc ils eurent la tête tranchée. On dit que parmi ces Gentilshommes, il y en eut un qui eût pu fe fauver, s'il eût voulumais étant fur le point des'embap-. quer & voyant la Mer affez groffe, il fd fou vint, qu'on lui avoit prédit qu'il péri-roit par la Mer : la crainte de périr lui fitf rebrouffer chemin, il fut pris, & il eut la tête tranchée par un Bourreau qui s'ap-pelloit lu Mer. Sujet de triomphe pour les difeurs de bonne-avanture ! Outre ces quatre Gentilshommes, on en décréta plufieurs ; mais comme ceux-ci n'appréhendoient point la Mer, ils n« firent point.difficulté de s'y expofër. Les uns 94 Me M- o i r e s Patus. uns fe faurèrent en Efpagne; d'autres fe retirèrent à Hanover, où le Roi d'Angleterre leur accorda afyle, fans violer pour cela l'Alliance faite avec la France, qui portoit, que les deux Rois ne donneroient point afyle dans leurs Royaumes, aux Sujets révoltés de l'un ou de l'autre. Le Pays d'Hanover étant Electoral, n'étoit pas compris dans ce-Traité. Il y eut beaucoup de Bretons qui fe trouvèrent bien d'avoir été décrétés: la plupart qUittoient peu de chofe , & ils furent reçus en Efpagne comme gens qui avoient tout facrifié pour cette Couronne. Le Cardinal les fit presque tous Colonels, làns favoir s'ils avoient fervi ou non. D'autres , qui avoient abandonné des biens confidérables, furent affez malheureux pour être les moins récompenfés. Voilà ce qui occupoit Paris, dans le peu de tems que j'y paffai: car dès que je me fentis en état de marcher, je partis enfin tout de bon pour me rendre en Sicile. Comme ma fanté ne me permet-toit pas de prendre la pofle , je fis ma route à petites journées.. Le prémier jour je fus coucher à Melun , & le lendemain Moret. je dînai à Moret, qui eft un Bourg près de Fontainebleau , où il y a un Couvent dans lequel.on prétend qu'eft Religieufe ■la Princeffe Nègre dont accoucha la Rei-:ne Marie-Thérèfe. De Moret je paflai à Seqf} & de là à Au- Auxerre. Je trouvai cette Ville en Auxek-combuftiori, au fujet d'une avanture aifez RB« tragique. Un Boulanger voyoit depuis quelque tems la Femme d'un Pâtiffier. Sa Femme lui en fit des reproches. ôc le menaça même de l'en punir , mais le Boulanger , fans s'épouvanter , continua fon train ordinaire. Sa Femme au defef-poir , & furieufement jaloufe de fe voir privée de Ion Mari, voulut auffi en priver fa Rivale: pour cet effet, étant couchée avec lui, elle fe fervit d'un rafoir , & le mit en' état de ne lui plus donner de jaloufie. Le pauvre homme étoit fort mal, lorsque je paflai à Auxerre. J'appris cette nouvelle par l'Hôteflè où j'é-tois logé, qui me la raconta avec de grandes lamentations. D'Auxerre je paffai à * Dijon, Ca- Dijon. pitale de Bourgogne, & le Siège du Parlement & du Gouverneur de la Province. C'eft dans cette Ville que s'affemblent les Etats de Bourgogne. Mr. Je Duc, qui eft Gouverneur de la Province, y préfide ordinairement au nom du Roi'. Le Parlement de la Province y fut établi par Philippe Duc de Bourgogne, & confirmé par Louis XI. Il y a auffi Chambre des Comptes, Cour des Monnoies, & Préfidial. Les Campagnes que l'on traverfe depuis Dijon jusqu'à f Chalons, font dés plus • Voyez le Tome II. des Lettres , pag. 379- 1 f Voyez le Tome II. des Lettns, pag- 377' plus belles : on côtoyé toujours ces excellens Vignobles , qui fburniflènt les meilleurs vins de Bourgogne. A Châlons je trouvai une .ommodité pour aller à Lyon. La route eft des plus belles que l'on puiffe voir : on marche toujours fur les rives de la Saône ,qui forment le point de vue le plus gracieux & le plus diver-fifié que l'on puifle imaginer. Je paflai devant Trévoux, Capitale de la Principauté de Bombes : cette Principauté appartient à Mr. le Duc du Maine, ce fut feue Mademoifelle de France, Fille de feu Gafion Duc d Orléans, qui lui en fit pré-fent par fon Teftament. De Trévoux On fe rend en peu de jours à * Lyon. Avant que d'arriver à cette Ville, on trouve fur la droite le redoutable Château de Pierre-encifi, qui fert ordinairement de demeure à ceux qui font condamnés à une Prifon perpétuelle. . Lyon eft la Capitale du Lyonnois , fur le confluent du Rhône & de la Saône. C'eft une des plus belles & des plus magnifiques Villes de France. Sa fituation eft charmante, les Places tont fuperbes, & fes édifices tant facrés que profanes d'une grande magnificence. L'Eglife Cathédrale de S Jean eft un magnifique bâtiment, d'une Architecture Gothique, On y remarque , entre autres chofes, la belle • Voyc* le Tome H. des Lttrro, p. jô"?. belle Horloge qui pafle pour un chef- Lyon. d'oeuvre. Les Chanoines portent le titre de Comtes de Lyon , & font obligés de faire les mêmes preuves que les Chevaliers de Malthe. La Maifon de Ville eft un bâtiment des plus magnifiques dans ce genre; je ne fâche que celle à'Amflerdam qui foit au-def-fus. La Place fur laquelle elle eft bâtie, s'appelle la Place des Terreaux: elle eft fort belle, & quarrée. C'eft là que l'on voit la belle Abbaye des Dames de S. Pierre, pofïédée aujourd'hui par une Fille de Mr. le Maréchal de Villeroy. La Place de Bellecour forme le plus beau quartier de la Ville : elle eft ornée d'une Statue équeftre de Louis XIV, élevée fur un piédeftal de marbre blanc. C'eft le Maréchal de Villeroy , Gouverneur de Lyon & du Lyonnois , qui a fait ériger ce fuperbe monument, en reconnoilfan-ce des bontés que ce Monarque lui a toujours témoignées, & à toute fa famille. Après la Place de Bellecour , on voit le magnifique Pont de pierre qui joint les deux Quartiers de la Ville que la Saône fépare. En defcendant ce Pont, on trouve un Quai fuperbe, qui règne le long de la Rivière ; on l'appelle le Quai de Villeroy, parce qu'il a été conftruit par les ordres du Maréchal de ce nom. La famille de Villeroy eft fort aimée & refpecîée dans tout le Lyonnois : c'étoient les Sei-Tome II. G gneurs Lïoh. gneurs de ce nom qui rempliffoient toutes les Dignités de la Province, dans le tems que j'y paflai ; le Maréchal en étoit Gouverneur; le Duc de Villeroy fon Fils, les Ducs de Rets & à'Alincourt fes Petits-fils, en avoient la furvivance. Ce dernier eft Lieutenant-Géneral de la Province. L'Archevêché étoit occupé par un des Fils du Maréchal, & l'Abbaye des Dames de S. Pierre par une de (es Filles. Le Commerce de Lyon eft très florif-fant. Il l'étoit beaucoup plus avant les Billets de Banque ; le fameux Syftème a beaucoup nui à les Manufactures : cependant malgré cela, il n'y a point de Ville en France où il y ait des Négocians auffi aifés. Ils font d'un commerce fort aimable , ôc vivent la plupart en gens de condition : ce que je ne dis pas par rapport à la magnificence, pour laquelle il ne faut que de l'argent ; mais à caufe de leurs manières aifécs & polies, qui défignent toujours une belle éducation. Je me mis fur le Rhône à Lyony pour me rendre à Avignon* 11 y a des Villes confidérables fituées fur le Fleuve , qui fourniffent de magnifiques points de vue. Viïnn*. Telle eft la Ville de V i e n n k Capitale du Viennois , avec titre d'Archevêché. On y voit de fuperbes veftiges de la magnificence des Romains , qui n'épargnèrent rien pour la rendre confidérable. On allure qyisPilate y fut relégué, 63c on montre tre même une Maifon à une demi-lieue ou plus de la Ville , où l'on dit que ce Préteur a demeuré. Je demanderais auparavant , s'il eit bien vrai qu'il foie jamais venu dans cette Ville ? Vous en croirez ce que vous jugerez à propos. De Vienne jé paflai auprès de Valence & du Pont S. Esprit. Je vis dans cette Le Font dernière Ville le magnifique Pont, qui S.Esvrit. eft l'admiration de tous les Etrangers. C'eft un des plus beaux ôc des plus fuperbes de l'Europe. Il a 23 arcades,donc les piliers font fort gros, 6c percés en manière de portes , pour donner un cours plus libre au Rhône lorsqu'il eft débordé. On prétend que dans les piliers qui fup» portent le Pont, il y a des voûtes où l'on enfermoit les Fanatiques des Cévenrtes. Le paflige de ce Pont eft défendu par une Citadelle. Du Vont S. Efprit, on arrive en fort peu de tems à Avignon*. C'eft une Ville a vie n'on^ de Provence, qui appartient au Pape : Clément VI l'acheta de la Reine Jeanne de Provence, pour une fomme affez médiocre. Depuis ce tems-là, elle eft toujours demeurée fourrrife au S. Siège. Les Papes y ont fait leut féjour pendant plus de 70 ans. Grégoire XI rétablit le S. Siège à Rome, environ l'an 1377. Depuis ce tems-là , différentes Factions s'etant élevées entre les Princes Chrétiens au fu-jec de l'Eleftion des Papes, pluileurs An-G 2 tipapes tipapcs y ont demeuré. L'Eglife Cathédrale eft magnifique , quoique fort ancienne. Elle eft dédiée à N. D. de Doms. Avignon en général eft une Ville affez bien bâtie ; les rues font larges, droites & affez bien percées. La campagne eft charmante , & très fertile : rien ne m'a paru y manquer, qu'un plus grand nombre d'habitans. Je pris la pofte à Avignon, & je me Aix, rendis à A i x. C'eft la Capitale de la Provence, avec titre d'Archevêché. Il y a auffi un Parlement, & une Univerfité.' C'eft fans contredit une des plus belles Villes du Royaume. J'ai été charmé de la beauté du Cours , qui eft au milieu d'une belle & grande rue, dont les mai-fons font magnifiques : plu fleurs belles Allées, ornées de Jets-d'eau, y forment une promenade tres agréable. L'Allée du milieu fert pour les gens de pied, elle eft féparée des autres par une barrière qui l'environne. D'un bout du Cours on découvre la campagne, & l'autre eft borné par la Ville. Du côté de la campagne ce Cours eft terminé par un Jet-d'eau , & une baluftrade de marbre blanc à hauteur d'appui. Il y a un autre Cours hors de la Ville, qui furpaffe le prémier pour la grandeur, & qui ne lui cède en rien pour la beauté. L'Eglife Métropolitaine de S. Sauveur eft remarquable par fes Fonts Baptifmaux; c'eft une pièce d'une ftructnre admirable. Ce Baptiftère aix. eft tout de marbre blanc , foutenu par des colonnes fufelées à l'entour des Fonts Baptifmaux en façon de petit dôme. Cette Eglifè a une Tour très haute, & fort eftimée des connoiffeurs ; elle eft hexagone. . , Le Palais où s'affemble le Parlement, eft un bâtiment d'une grande magnificence: il contient des Salles où la dorure, la peinture & la fculpture ne font point épargnées. La grande Salle eft ornée d'une tenture de velours bleu , parfemée de fleurs-de- lis d'or. Le Trône du Roi, les hauts & bas Sièges, font couverts de pareils tapis. Les perfbnnes qui composent le Parlement d'Aix , font prefque toutes de qualité, ce qui contribue beaucoup à en rendre le féjour très gracieux. La Noblefïe y vit avec diftinótion. Outre les parties de jeu & de promenade, il y a encore des Concerts, certains jours de la femaine, où les Etrangers entrent gratis, les Muficiens étant payés par un certain nombre de perfbnnes de qualité, qui fe font abonnées pour foutenir c« Concert. Je demeurai cinq ou fix jours à Aix, après lefquels je partis pour Marseille, mar-C'eft une Ville de Provence, qui a titre slltLI d'Evêché : elle eft fituée fur la Méditerranée, ce qui la rend une des plus puif-fantes Villes de France pour le Gornmer-G 3 ce. C'eft elle qui fait prefque tout le Négoce du Levant. On la divife en Haute & Baffe Ville. La prémière eft le vieux Marjeiite, dont les maifons font très fom-bres , le6 rues étroites ôc fort inégales. C'eft dans ce quartier-là, qu'eft l'Eglife Cathédrale de N. D. de la Majour. La Ville baffe eft un très beau quartier; les rues font larges, prefque toutes tirées au cordeau, & les maifons très magnifiques, fur-tout celles qui bordent le Cours, qui eft une des plus belles promenades du monde. Il eft affez fembla-ble à: celui àyAix. Ce quartier de Mar-feille doit fon embeliffemcnt & fon agrandi ffement à Louis XIV, qui y a fait faire des travaux dignes d'un grand Prince, MarfeiUe a un Port magnifique : c'eft un grand Baffin prefque tout entouré de maifons , & défendu par deux Châteaux, dont celui qui eft fur la droite eft fort életfé & commande bien avant dans la mer ; celui de la gauche contient l'Arfenal. C'eft un des plus beaux que j'aye vu: il y règne un ordre qui forme un coup d'ceil charmant. C'eft dans le Port de MarfeiUe que fe tiennent les Galères du Roi, fur lefquel-les il y a grand nombre de Forçats qui font prefque tout le travail : ce font eux qui chargent & déchargent les Vaiffeaux. Il y en a d'entre eux qui ont la liberté de fe promener & de trafiquer dans la Ville, Ville, mais ils Tont obligés de payer quel- Ma*-que chofe à un homme qui les accom- ""-le. pagne , & de revenir le foir coucher à bord. D'autres, qui ont fur leur compte des crimes énormes , font enchainés deux à deux ou quatre à quatre , à de grandes chaines, qui ne les empêchent cependant pas abfolument de gagner leur vie par le travail. Le grand Commerce de MarfeiUe , & la richefle de fes habitans , donnent à cette Ville un certain air d'opulence , qu'on trouve rarement ailleurs. Il n'eft guères d'endroit où l'on faffe aufli bonne chère, & où l'on trouve plus aifément tout ce qu'un galant homme peut louhaiter pour pafler agréablement fon tems : Comédies, Concerts, Jeux, promenades, en un mot, les plai-fârs de toute efpèce , rendent le léjour de cette Ville très gracieux, à gens même de caractère & d'humeur tout op-pofée. Les environs de MarfeiUe font magnifiques : ils contiennent plus de 20000 petites Maifons, que les habitans du Pays nomment Bafiides. Elles font toutes entourées de vignes & de Jardins très beaux, ce qui rend ces habitations bien charmantes dans la belle faifon. Ce fut dans ces Maifons que la plupart des habitans de Marfeillt fe retirèrent pendant la dernière Pefte dont la Provence a été affligée , & qui a duré allez de tems G 4 Pou* pour faire périr une grande partie des habitans de cette Ville. La défolation auroit été bien plus grande, & peut-être même auroit pénétré dans le cœur de la France, fans les grands foins que le Duc Régent apporta à ce qu'on n'entretînt aucun commerce avec les Marfeillois. La Provence eft en général un magnifique Pays, & un féjour très agréable en tout tems, mais principalement en Hiver. C'eft précifément dans ce tems que le Ciel eft le plus beau, & qu'on y voit des jours qui naturellement devroient plutôt être des jours d'Eté. Je me fouviens de m'ctrc promené fur le Port de MarfeiUe dans cette faifon à deux ou trois heures après midi, & d'avoir été oblige de me retirer à caufe de la chaleur. Je remarquai cependant, que peu de jours après il s'éleva un vent, (que les gens du Pays nomment Mijiral ) qui étoit extrêmement froid; & il m'incommoda d'autant plus, qu'on fe chauffe allez mal dans ce Pays là : tout leur bois conüfte en quelques racines ou branches d'Olivier, qui ne font pas un trop bon feu. D'ailleurs, la plupart des chambres, fur-tout dans les Auberges , font fans cheminée, de forte qu'on eft obligé de fe fervir de brazier, ce qui eft fort incommode pour ceux qui ne font point faits à cette façon de le chauffer. Après avoir pafte quelques jours à me pro- promener dans MarfeiUe, je penfài à m'in- Ma*. former de quelque Vaiffeau qui fie voile seille. pour la Sicile. Quelques recherches que je fine, il me fut impoffible d'en déterrer un ; il falut me réfoudre de paffer à Gènes, ou à Livourne. On m'affura que ce trajet étoit peu de chofe, & que je ferois rendu en peu de jours. Je fis prix pour mon paffage, avec un Marchand qui alloit à Livourne. Le vent contraire nous arrêta quinze jours dans le Port ; nous en fortimes enfin après un long tems, mais ce fut pour relâcher à La Cieuta, petite Ville & Port de mer de Provence. J'attendis trois jours un vent favorable pour continuer ma route; mais enfin voyant que c'étoit inutilement , je pris le parti de laiffer mes Coffres & mes Domeftiques dans le Vaiffeau, & de continuer ma route par terre. Le prémier jour, j'allai coucher à Toulon, Ville de Provence, & un des Toulok. plus beaux Ports de mer de l'Europe. C'eft dans ce Port que font les Vaif-feaux du Roi. On y remarque le grand Arlënal de l'Amirauté de France , où Louis XIVa fait faire des ouvrages dignes de lui. La Rade de Toulon n'eft guères moins confidérable que le Port, les Vaif-feaux y font en parfaite fureté. On prétend qu'elle eft afïez grande pour contenir tous les Vaiffeaux de la Méditerranée. La Ville de Toulon en elle-même eft affez pe-G c tke, Ï06* memo! re* tite, & le commerce en feroit peu gracieux fans les Officiers de Marine. Ces Mrs. ont fait bâtir une Mailon qui leur ferr pour s'affembler: elle eit compofée de plufieurs Salles très bien ornées ; on y voit les Portraits du Comte de Toulouje, comme Grand-Amiral, de Mrs. les Maréchaux deTi-Jfé&c à'Etrées, & de plufieurs Généraux & Officiers de Marine. Ces Tableaux font entremêlés de magnifique Cartes Marines. On trouve toujours dans cet endroit nombreufë compagnie , & très bien choifie : le foir , on s'affemble dans ces Salles, & on joue à toute forte de jeux: Mrs. les Officiers de Marine font les honneurs de cette Salle, & ils s'en acquittent avec toute la grâce & la politeffe poffible. Un Etranger y eft toujours parfaitement bien reçu , & il s'impreffent à l'envi à lui faite civilité. Vous favez, Madame, que les Alliés tentèrent de fe rendre maitres de Toulon pendant la dernière Guerre. Le Duc de Savoie fe préfenta d'abord devant la Place ; mais il fut bientôt obligé d'en lever le Siège, n'aiant pu être fecouru par la Flotte d'Angleterre , qui étoit elle-même arrêtée par des vents contraires. D'autres attribuent la levée de ce Siège aux menaces que fit Charles XII, qui pour-lors étoit en Saxe , de fe déclarer pour la France, fi l'Armée du Duc de Savoie s'opiniâtroit à refter devant Toulon. Les Troupes du V Duc Duc fe retirèrent donc , après avoir fait quelque perte de leurs principaux Officiers, entre autres du brave Prince de Saxe-Gotha, Frère du Duc régnant, qui fut tué en voulant reconnoitre la Place. De Toulon je paflai à Frejus , Ville fur Frejus. la Mer. Elle eft très ancienne, & prétend même que la plupart de les anciens mo-numens ont été conftruits par les Romains. Tels font les ruines d'une Chauffée qui alloit jufqu'à Arles, près de l'embouchure du Rhôjte ; & les reftes d'un ancien Cirque , qui paroît avoir été très vafte. On dit qu'un grand Aqueduc qui eft tout auprès, yconduifoit de dix lieues une aflèx grande quantité d'eau , pour qu'on pût donner un Combat naval dans l'enceinte du Cirque. En fortant de Fréjus , on trouve une longue Levée, ou Chauffée , coupée par plufieurs petits Canaux , fur lesquels il y a des Ponts, qu'on dit avoit été faits par les Romains. En fuivant cette route, je paflai près d'ANTiBE», Place forte fur la mer. Ce- Akttres. toit autrefois un Evêché, qui a été transféré à Gfajfe dans la Haute-Provence. De là je paf.vu la Rivière de Var, qui fépare la France d'avec les Etats du Roi de Sar-daigne , 6v j'arrivai à Nice le quatrième jour de mon départ. Nice étoit autrefois très bien fortifiée ; Nice. fon Château fur-tout étoit regardé comme im- Nice, imprenable : aufli tint-il bon contre l'Armée de François I. & celle du Turc Bar-beroujfe, en iÇ+î. Louis XIV fut plus heureux : il fe rendit maitre de la Ville & du Château , qu'il fit démolir entièrement : il fit aufli détruire les autres fortifications de la Ville, & la rendit en cet état à fon Souverain. C'eft à Nice que l'on commence à voir des Orangers en abondance, qui font en plein champ, comme tous les autres arbres:ils portent également du fruit en Hiver & en Eté. Comme le tems étoit fort beau lorf-que j'arrivai à Nice, on me confeilla de m'embarquer , pour éviter les mauvais chemins qui fe trouvent dans le paffage des Montagnes. Je fuivis ce confeil , & je me mis dans une petite Barque , conduite par deux hommes feulement. Je me repentis bientôt d'avoir pris ce parti ; car une demi-heure après mon départ,il s'éleva un gros tems, qui penfa me faire périr, & ce ne fut que par une efpèce de ville miracle que j'abordai à Vill-efranche , FRAH- petit Port de Mer du Comté de Nice. CHE- Cette Ville n'a rien de remarquable que fon Port,qui contient fix Galères du Roi de Sardaigne. Ce fut là que £e Prince s'embarqua avec la Reine & toute fâ Cour, lorfqu'il alla prendre poffeflion de la Sicile. LL. MM. aiant été facrées & couronnées à Falerme, vinrent enfuite débarquer à Villefranche , pour s'en retourner ner à Turin. Il fit une tempête effroya- Ville-ble, la nuit que je paflai dans cette Ville. FRAN" Le lendemain, le tems fe calma; mais la CHE* Mer étant encore trop groffe, je ne voulus pas me hazarder. Le jour fuivanc m'aiant paru des plus beaux que l'on pût fouhaiter, je me mis auffi-tôt en mer ; mais ce ne fut que pour me trouver dans le même péril que j'avois déjà effuyé. Les vents , ou plutôt tous les Diables fe déchaînèrent contre moi. J'eus, je vous avoue, cruellement peur ; fur-tout lorf-que vis mes Conducteurs perdre contenance. Cependant je contrefis l'homme courageux ; je leur repréfentai , que le péril n'étoit pas fi grand qu'ils fe l'imagi-noient, & qu'il ne raloit pas fe décourager. Enfin je ne me fou viens pas tout à fait de tout ce que je leur dis ; peut-être même mon dilcours n'étoit-il pas aufli iùivi que fi j'eufle été en terre ferme. Quoi qu'il en foit, j'arrivai heureufement à Monaco, petite Ville qui appartient Monaco. au Prince de ce nom. Le Château a vue fur la Mer; il eft bâti dans un goût Italien, mais avec (implicite. Il y a dans cette Ville Garnifon Françoife, qui eft un détachement de la Garnifon d'Antibes. Le Prince de Monaco Souverain de ce Pays a époufé une Princeffe de Lorraine, (dont il n'a eu que des Filles. Il a marié l'ai-née & l'héritière de tous fes biens, à Mr. le Duc de Vukntinvis, Fils de Mr. de •Matignon. * ^c De Monaco je pafTai à S. Remo , prémière Viüe des Etats de Gènts. J'y pris Savone. une barque qui me conduifit à Savone, Ville de l'Etat de Gènes avec titre d E-veché. C'elt une des meilleures Places de la République , & fans contredit le Port de Mer le plus affuré qu'elle ait fous fa domination. Les Génois y ont fait bâtir une Citadelle , avec deux Fortereffes & plufieurs autres ouvrages, qui la rendent une Place très importante pour la République. Je me trouvai fi fort ennuyé de la Mer, que je pris des mulets pour me conduire à Gènes. Le deux tiers du chemin ne font presque pas pratiquables ; on ne fait continuellement que monter & defcendre, ce qui eft très fatiguant. Le feul agrément que j'y aye trouvé , c'eft que l'on côtoyé toujours la Mer , que l'on voit couverte de Vaifïeaux , ce qui forme un fort beau coup d'ceil. Lorsqu'on eft à quelques lieues de Gènes, la route devient alors très agréable ; car outre que le chemin eft très uni, on voit grand nombre de Maifons magnifiques , accompagnées de Jardins faits en forme de terraffe, qui compofent un Amphitéatre des plus fuperbes que l'on puiffe voir ; ce qui continue ainfi jusqu'à Gènes. Gènes. * G e n e s eft une Ville Archiépifco- pale, » Voyez le Totnefl* des Lettrcr, ç. jiç. & f*iv. pale , capitale de l'Etat de Gènes, & la gsnm. demeure ordinaire du Doge & du Sénat. C'eft la plus belle & la plus magnifique Ville de l'Italie. Il n'y a pas longtems que cette République jouit de fa Liberté : ce fut le célèbre André Doria qui l'acquit à fa Patrie, fous le Règne de François I, Roi de France, à qui Gènes étoit ioumi-fe. Depuis ce tems-là, cette Ville eft augmentée de beaucoup. J'y entrai par la porte attenant le Mole, qui eft , félon moi, l'entrée la plus propre à donner d'abord une idée magnifique de Gènes. Je fus frappé de la magnificence de ce Mole, & de la beauté du Port qui eft entouré de belles maifons bâties en Amphithéâtre. Mais rien n'eft comparable à l'Eglife de YAnnonciade : ce n'eft par-tout, qu'or, marbre , peintures & fculptures des plus fuperbes. Dabord en entrant on voit deux rangs de colonnes cannelées de marbre rouge veiné, & incrufté de marbre blanc : les chapitaux des colonnes font entièrement dorés : ils foutiennent une vôute auffi dorée,& enrichie de fort bel* les peintures ; le pavé eft de carreaux de marbre à compartimens. Je n'entreprens point d'entrer dans un plus grand détail des beautés que renferme cette Eglife ; tant de Voyageurs en ont donné des Relations fi exactes, que ce feroit répéter ce qui a été dit cent fois. Les rues de Gènes font, à proprement parler, Gxnes. parler, plutôt des Gallerics que des rues; on ne voit par-tout que des édifices èc des Palais de la dernière magnificence. Le Palais Balbï , fur-tout, eft celui qui m'a le plus frappé. Je n'en ai jamais vu d'auffi régulier, & dont les façades foient auffi conformes aux règles de l'Architecture ; mais auffi , c'eft uniquement dans cet extérieur fuperbe que confifte toute la magnificence des maifons de Gènes ; car que l'on entre dans un des plus grands & des plus riches Palais, on n'y trouve pas une ame; il femble qu'il n'y ait point de Domeftiques, & quelquefois on a bien de la peine à trouver le Maitre du logis: en un mot, les grandes maifons de Gènes font de vraies iolitudes, excepté cependant certains jours d'Afîèmblée. Il s'en rient tous les foirs, tantôt chez, un Noble & tantôt chez, l'autre. Les apartemens font alors magnifiquement illuminés , & on y fert avec profufion toutes fortes de rafraichiifemens. C'étoit dans ces fortes d'Affemblées , & dans une mauvaife Comédie Italienne, que confiftoient tous les plaifirs de Gènes , dans le tems que j'y étois; ce qui faifoit qu'un Etranger avoit tout le tems de s'y ennuyer. Il fe don-noit auffi très de peu de repas; Mrs. les Envoyés , qui font ordinairement ceux qui en donnent le plus, fc conforment lorsqu'ils font à Gènes au génie de la Nation, qui eft de ne donner ni à boire ni à bu Baron de Pqllnïtz. 113 à manger à perfbnne. Il n'y avoit de mon tems que l'Envoyé d'Angleterre qui ne fui voit point cet ufage ; il fe faiioir. un plaifir d'avoir du monde chez lui. Pendant le féjour que je fis à Gènes la République élut un nouveau Doge. Je le vis arriver à la Cathédrale, pour y faire le Serment accoutumé. La marche fe fit à pied : elle s'ouvrit par quelques Officiers du Doge;enfuite huit Pages en habits de velours cramoifi galonnés d'or, précédoient le Doge,qui étoit vêtu d'une longue robe de velours cramoifi, avec une manière de bonnet quarré de même étoffe; il avoit à fa droite le Général des Armes, ôc à fà gauche un autre Officier de la République : il marchoic entre deux files de Cent-Suifïes. Les Sénateurs fui-voient, deux à deux, vêtus de grandes robes de velours noir. L'Archevêque vint au-devant du Doge, jufqu'à la moitié de l'Eglife; il y avoir un carreau de velours cramoifi pour le Doge, ôc d'autres carreaux pour les Sénateurs. Ils fê mirent tous à genoux , aufïi-bien que le Doge, & après avoir fait une courte prière, l'Archevêque conduifit le Doge à l'Autel. Alors le Prélat prit le Livre des Evangiles,& le préfenta au Doge: celui-ci fe mit à genoux , & tenant la main fur l'Evangile, il fit ferment de maintenir la République dans fes Droits & Privilèges : après quoi le Doge s'en retourna Tome IL H * à fon Palais. Il y fut complimenté par tous les Sénateurs , & couronné Doge, & Roi de Cor fi. Le lendemain il donna un très grand feftin à plus de trois-cens perfonnes. Le Doge de Gènes eft un exemple vivant de l'inftabilité des grandeurs humaines. La fienne ne dure que deux ans, au bout desquels on vient lui annoncer que fon tems eft fini, & qu'il faut quitter le Palais Ducal & fe retirer dans le lien. Il faut, pour être Doge , avoir cinquante ans accomplis. Vous favez, que fon autorité eft des plus bornées: il ne peut faire ni bien ni mal. La feule occafion où il figure un peu, c'eft lorfqu'il s'agit de recevoir & d'expédier les Ambafïadeurs en cérémonie. Une autre Charge moins durable eft celle de Général des Armes : elle ne peut ' être exercée par le même que pendant deux mois; fans doute, de peur queceluï qui en eft revêtu n'acquière trop d'autorité. Cette République étoit autrefois fort fujette à fuivre les intérêts de l'Efpagne, lorfque cette Couronne pofîédoit le Mi-lanez. & le Royaume de Naples, parce que la plupart des Nobles Génois avoient leurs Terres dans ces Provinces : mais aujourd'hui que ces Pays ont paffé fous la domination de l'Empereur , la République eft obligée d'avoir de grands ménagemans gemens pour S.M.I., fans quoi on pour- Gènes.-roit bien mander le Doge à Vienne, comme Louis XIV le fit à Ver failles J'étois encore à Gènes, lorsque la République envoya une Galère à Antibes au-devant du fameux Cardinal Albéroni, qui, après avoir éprouvé l'inconftance de la Fortune en Efpagne, paffoit en Italie, dans le delïein de fe retirer dans le Duché de Parme fa Patrie. La disgrâce de ce Cardinal furprit toute l'Europe , à la ré-ferve du Duc d'Orléans Régent de France, qui en fut l'auteur. Ce Prince profita de l'intervalle que lui procuroit la Trêve à laquelle le Cardinal avoit fait confentir le Roi d'Efpagne , pour négocier l'éloi-gnement de ce Miniflre. Le Duc d'Or-iéans, pour mieux réulfir dans ce delïein, porta le Duc de Parme, Beau-père & Oncle de la Reine d'Efpagne,à agir de concert avec lui- pour obtenir du Roi d'Espagne l'éloignement de fon Prémicr-Mi-niitre. Le Duc de Parme chargea Scotti, fon Miniflre à Madrid, de négocier cette affaire : il y trouva d'abord des obftacles étonnans ; mais enfin les avantages qu'il promit à la Reine de la part du Régent de France, pour elle & pour fes Enfans, firent réulîir la négociation. Le Cardinal fut congédié, peut-être avec plus de précipitation que ne le raéritoit l'attachement qu'il avoit toujours témoigné pour la Reine, ôc les foins qu'il s'étoit donnés. H i pour Gémis» pour réveiller rEfpagne de la léthargie où cette Couronne languiffoit lorsqu'il fut déclaré Prémier-Miniftre. Ce fut le 5 de Janvier, que le Cardinal Jïlbéroni fe vit tout à coup abandonné de tout le monde, & obligé de fe fauver d'un Pays où il avoit paru avec plus d'autorité que le Rot même. L'ordre lui fut fignifié par Don Miguel Durand, Secrétaire d'Etat : il étoit écrit de la main propre du Roi, qui l'avoit remis entre les mains du Secrétaire , en partant pour aller à la Chafle maPardo. S. M. C. ordonnoit à fon Mi-niftre de ne plus fe mêler d'affaires d'Etat, de fortir de Madrid dans huit jours, & du Royaume dans trois femaincs ; & de plus, il étoit défendu au Cardinal de fe trouver pendant ce tems dans aucun endroit où le Roi & la Reine pourroient être. La disgrâce de ce Miniftre devoit faire d'autant plus de plaifir à Mr.leDued'Or-léam, qu'elle arriva dans un tems où le Cardinal prenoit des mefures pour s'accommoder avec l'Angleterre , où il avoit envoyé Mr. de Seiffan, anciennement Colonel en France, depuis Lieutenant-Général en Pologne, & aujourd'hui Capitaine-Général en Efpagne, pour traiter avec Mylord Stanèepe, qui étoit pour-lors à la tête des Affaires de ce Royaume. Mr. de Seijfan s'embarqua à la Coro-gne, après y avoir été arrêté affez long- tems tems par des vents contraires. Lorsqu'il fut en mer, il effuya une rude tempête, qui penlâ le faire périr ; mais enfin il arriva à Londres. Il fe rendit fur le champ chez Mylord Stanbope , duquel il étoit fort connu. En montant l'efcalier , il rencontra un Courier encore tout botté, qui defeendoit. C'étoit juftement le Courier de France , qui apportoit à Mylord Stanbope des Lettres de l'Abbé Dubois , depuis Cardinal, dans lesquelles celui-ci faifoit part au Mylord de la dif-grace du Cardinal Albéroni. Mr. de Seif-fan, qui ne favoit rien du changement arrivé à la Cour de Madrid pendant qu'il luttoit contre les vagues & les vents, entra chez Mylord Stanbope 3 & lui dit qu'il venoit fe rendre fon prifonnier, puisqu'il venoit d'Efpagne fans Paffeport, à moins qu'il ne voulût recevoir comme tel la Carte-blanche pour la Paix qu'il lui portoit. En même tems il montra au Miniltre Anglois le Plein-pouvoir qu'il avoit du Cardinal Albéroni pour traiter de la Paix. Mr. Stanbope ne l'interrompit point ; mais quand il eut ceffé de parler, il lui demanda s'il y avoit longtems qu'il étoit parti de Madrid. Mr. de Seijfan lui aiant conté tous les retardemens furvenus dans fon Voyage, Mylord lui donna à lire la Lettre de l'Abbé Dubois. L'Envoyé d'Efpagne demeura interdit à la lecture de cette Lettre ;il dit enfuite au Mylord, qu'il H 2 n'avoit n'avoit rien à dire à tout cela, & qu'il fe remettoit à fa difcrétion, pour faire de lui ce qu'il jugeroit à propos. Mylord lui répondit fort poliment , qu'il feroit tâché d'abufer de la confiance qu'il lui avoit témoignée en le venant trouver fans Paffe-port, & qu'il le laifïoit le maitre de retourner en Efpagne ; ce qu'il fit fans différer. On dit que le Cardinal Albéroni fut fi piqué contre le Roi & la Reine d'Efpagne, qu'il penfa à s'en venger. Pour cet effet, dès qu'il fut forti du Royaume, il écrivit à M. le Régent pour lui demander fa protection , & pour l'aflurer que s'il vouloit lui donner retraite à Taris, il lui feroit un détail des affaires les plus fe-crcttes de la Cour d'Efpagne. Je ne crois pas que Ton doive ajouter foi à des bruits de cette nature , inventés à plaifir pour noircir la réputation d'un Miniftre disgracié. Quoi qu'il en foit, l'Hiftoire vraie ou fauffe fait honneur à Mr. le Régent : car on dit que ce Prince rejetta les offres du Cardinal, ôc qu'il fe contenta de lui envoyer un Paffeport, afin qu'il pût paffer en Italie. Je l'y vis effectivement arriver : il débarqua dans les Etats de Gènes, où fur la foi publique, & fur la réception gracieufe que lui fit la République en envoyant au-devant de lui, cette Éminence fè croyoit fort en fureté. Mais la Fortune, qui etoit en train de le pour- fuivre, fuivre, ne fe contenta pas de fa disgrâce Gènes. de la part du Roi d'Efpagne : le Pape é-crivit au Doge ôc au Sénat, & demanda que le Cardinal fût arrêté;ce qui fut exécuté fur le champ. Ainfi, en moins de deux mois , ce Cardinal infortuné fe vit chaifé d'une Cour où il étoit le difpenfa-teur des grâces, pillé ôc dépouillé dans la route de tous fes papiers, en danger d'être tué par les Miquelets, ôc enfin arrêté dans fa propre Patrie où il arrive fur fa foi publique. Ce font des évènemens qui demandent de la fermeté ; auifi étoit-ce affez, la vertu du Cardinal Albéroni, ÔC j'ai toujours admiré avec étonnement le courage qu'il a témoigné dans fes adver-fités. Après avoir féjourné quelque tems à Gènes, je palfai à * Sarzane, ôc de là à t P t s e. C'eft une Ville des Etats de P i s e. Tofcane,avec Univerfité ôc Archevêché. C'étoit autrefois une République, qui le rendit même affez confidérable dans la Mer Méditerranée, Les Ducs de Tofca-ne de la Maifon de Médkis la conquirent, ôc en font demeurés les maitres. La Ville de Pi/è contient des édifices fuperbes, L'Eglife Métropolitaine nommée le Dôme, eft d'une beauté admirable. Elle eft bâtie dans l'Ordre Gothique: fa voûte eft fou-s H 4 ' tenue • Voyez le Tome II. des Lettres, pag 328. f Voyez le Tome II. des Lettres,gag j»j« l'ise. tenue par 76* colonnes de marbre; 1« dôme & la voûte du Chœur font peints à la Gothique. Toute cette grande Egli-fe eft tendue de velours cramoifi, enrichi de grands galons dor. On voit dans cette même Eglife une Chapelle, dont l'Autel eft d'une grande magnificence: le Tabernacle & le devant de l'Autel font d'argent maffif, d'un travail admirable. On fait aufli grand cas des portes de cette Eglife, qui font toutes de fonte , fur lesquelles il y a de très beaux bas-reliefs qui repréfentent des Hiftoires de l'Ancien Teftament. Près de cette Eglife eft le grand Cimetière; il eft environné d'une Gallerie, dont les murailles peintes à fresque repréfentent l'Hiftoire de la Ville de Pifi. A peu de diftance de ce Cimetière eft le Baptiftère, qui eft une Chapelle bâtie en Rotonde ou Dôme , fou-tenue par des colonnes de Granité Oriental d'une grofleur & d'une élévation extraordinaire. Le pavé & le marche-pied de l'Autel font de pierres fort rares, rni-fes en œuvre à la Mofaïque. La Chaire du Prédicateur eft de marbre blanc, d'un travail admirable. L'Eglife de S. Etienne mérite encore l'attention d'un curieux. On y voit de grandes richeffes en peintures, dorures, ftatues de marbre; entre autres, de riches dépouilles des Infidèles. C'eft dans Cette Eglife que s'aflèmble le Chapitre des Chevaliers de S. Etienne, inftitué par le PlSB> Grand-Duc Côme I. en 1561 , après le gain d'une Bataille. Les Chevaliers de cet Ordre doivent être nobles de quatre races: ils font vœu de foi conjugale: ils portent une Croix rouge en forme de Croix de Malthe , qui eft attachée à un ruban rouge, comme la Toifon d'or; la Croix eft encore brodée fur l'habit Se le manteau- En fortant de l'Eglife, on voit dans la Place la Statue de bronze du Grand-Duc Côme I. J'examinai avec attention la rameulê Tour panchée. Elle eft ronde, & toute entourée de colonnes de marbre blanc, qui foutiennent des Galleries qui régnent alentour. J'ai de la peine à croire que cette Tour ait été bâtie ainfi panchée: je croirois plus volontiers que cela vien-droit de quelque violente fecouffe ou tremblement déterre, qui font aflez fré-quens dans ces Pays-là. La hauteur de cette Tour eft , dit-on, de 188 pieds: on monte à la plate-forme ou ter rafle qui eft entourée d'un baluftre, par un efjca-lier de 193 degrés. Les environs de la Ville de Pife font très agréables. Il y a à fes portes un Bois de Cyprès, dont la continuelle verdure fait plaifir. Vous favez, Madame , que c'eft à Pife que fut conclu le fameux Traité entre Alexandre VII, & Louis XIV\ dans lequel on régla la fatisfac-H 5 tion tion que le S. Père devoit donner au Roi, pour l'affront que le Duc de Créquy fon Ambaffadeur avoit reçu à Rome. De Pife je me rendis en un jour à * - Florence, Capitale de la Tofcanc, & la demeure ordinaire des Grands-Ducs. On l'appelle Florence la belle, ôc ce n'eft pas fans raifon , car c'eft une des plus grandes ôc des plus belles Villes de l'Europe. L'Eglife Cathédrale eft un magnifique bâtiment , ôc d'une très grande étendue. Le dehors eft entièrement revêtu de marbre de différentes couleurs. Les dedans renferment des tréfors immenies en Tableaux , Statues ôc autres pièces des plus curieules. Auprès de la Cathédrale il y a une Eglife communément appellée la Chapelle du Baptiflère, qui eft auffi entiere-menr revêtue de marbre. L'Eglife de Y An-nonciade eft encore un édifice d'un grand goût; on y voit de toutes parts des peinture fuperbes, des ouvrages en or, bron-Ze, ôcc. le tout de la dernière délicates-fe. Cependant, quelque riches que foient ces bâtimens, on peut dire fans exagérer, qu'ils font peu de chofe en comparaifon de la fuperbe Eglife de S. Laurent. Elle eft de figure hexagone : au milieu de chaque face s'élève un double pilaftre de jafpe, • Voyez le Tome II. du Lettres, p. iz8. Voyez auffi p. 311. du Baron de Pöllnitï. 123 jafpe, avec un chapiteau de bronze doré Flc qui fbutient une corniche & un entable- ce. ment de pareille matière; chaque piédestal des pilaftres repréiente des emblèmes de pierres précieufes. Dans les fix angles il y a fix Tombeaux d'un marbre très précieux : au-deffus de chacun de ces Tombeaux, il y a un couffin parfemé de pierreries, qui fupporte des Couronnes très riches, placées au pied des Statues des Grands-Ducs. Ces Statues, qui font de bronze doré & deux fois plus grandes que nature , font pofées dans des niches de marbre noir. Les piédestaux des fix Tombeaux font revêtus de Calcédoine ôc de Porphyre, fur lesquels on voit en lettres d'or les Epitaphes des Princes dont les corps y font renfermés. Tout le refte des murs eft revêtu du plus beau marbre, & de pierres précieufes, placées en compartimens ou panneaux, dont les cadres font de bronze doré. Le grand Autel eft de Lapis Lazuli, ou Pierre d'Azur, enrichie de pierreries. Ce qui frappe le plus c'eft le Tabernacle, qui eft d'une magnificence digne du refte. En un mot, c'eft à mon avis le feul édifice que l'on puiflè comparer au fameux Temple de Salomon, dont l'Ecriture nous fournit une delcription li brillante. Tout le monde fait que ce fut le fameux Corne de Médicis qui jetta les fondemens de la Principauté de Florence, ôc que Florin- que ce fut le Pape Pie IV qui lui donna c* le titre de Grand-Duché. Lorfque je paf-fai dans cette Ville, le Grand-Duc Côme III vivoit encore. Ce Prince, quoique dans un âge fort avancé, confervoit encore beaucoup de vigueur. Il avoit les manières du monde les plus gracieufes, ce qui joint à fes cheveux blancs, lui at-tirok les cœurs & la vénération de tous ceux qui approchoient de S. A. J'eus l'honneur de lui rendre mes devoirs, un Ibir que je fus introduit à fon Audience par fon Premier-Minifire. Je le trouvai feul dans la chambre: il étoit debout appuyé contre une table, fur laquelle il y avoit deux bougies. Après que je l'eus fâlué, il fe couvrit, & m'ordonna de me couvrir aufli. Je le fuppliai d'accorder au profond refpeófc que j'avois pour S. A. de demeurer découvert : ce Prince ôta alors fon chapeau, & me preffa de mettre le mien; ce que je fis auflï-tôt qu'il fe fut couvert, Se cela fur ce grand principe, que les Particuliers font faits pour fe tenir dans la pofture que les Princes demandent d'eux. Cependant j'avouerai naturellement , que je fentois quelque peine à parler le chapeau fur la tête à un Prince de l'âge & du rang du Grand-Duc Ce Prince,avant que d'entrer en conver-fation, me demanda fi je parfois Italien : je lui répondis que je le parfois un peu, mais que je ne croyois cependant pas en DU BARON DE PÓLLNiTfc. I5f lavoir afïèz pour entreprendre de parler Florem-cette Langue en préfence d'un auffi grand ce. Prince que lui. Il me répondit à cela : Et moi fécorche un peu le François. Il me fit cependant l'honneur de me parler allez, fongtems dans cette Langue, avec beaucoup de bonté. Le lendemain je me fis préfenter à Mr. le Grand-Prince par Mr deTtrel Gentilhomme de la Chambre. Ce Prince me reçut avec beaucoup de bonté : il fe fou vint d'avoir vu Mlle, de Pëllnitz ma Coufine auprès de feue la Reine à Berlin, ÔC d'avoir été dans la maifon de ma Mère pendant fon féjour en Allemagne : il m'offrit fa protection, dans toutes les occafions où je pourrois en avoir befoin. Ce Prince a époufé une PrincefTe de Saxe - Lawenbourg , Veuve d'an Prince Palatin de Neubourg, Frère de l'Electeur Palatin. Le Grand-Duc Côme III qui eft mort en 1723, avoit époufé Marguerite-Louife f Orléans, Fille de Gajfon de France Duc ^Orléans Frère de Louis XIII: il en a eu deux Fils ôc une Fille. L'ainé s'appelloit Ferdinand de Médias : il eft mort à Florence le 30 Octobre 1713, fans avoir eu d'Enfans de Violente-Béatrix de Bavière, qu'il avoit époufée. Le fécond, aujourd'hui Grand-Duc, s'appelle Jean-Gafto» de Médias. La PrincefTe fe nomme An-ne-Marie-Louifè de Florence : elle a époufé l'Electeur Palatin Jean - Guillaume de Neu- Floben- Neubourg, & après la mort de ce Prince; ce. elle s'eft retirée dans les Etats du Grand-Duc, où elle fait fon féjour ordinaire. Le Palais du Grand-Duc eft le plus fuperbe édifice que l'on puiffe voir. Toutes les Relations des Voyageurs en font des defcriptions fort amples, mais on peut dire qu'elles font toutes bien inférieures à la réalité. La Gallerie fur-tout eft une pièce fans égale. Elle eft longue d'environ 400 pieds, ôc bordée par deux rangs de Statues & de Buftes antiques. De cette Gallerie on paffe dans plufieurs Chambres , toutes remplies de ce que l'on peut fouhaiter de plus curieux. Dans l'une on voit les Portraits de tous les fameux Peintres du monde , peints par eux-mêmes. La féconde eft ornée de Porcelaines de toute efpèce : on y voit une Table de pierres précieufes de rapport, d'une grande beauté. Les autres Chambres contiennent des Tableaux, des Antiques, des Cabinets de pièces rapportées d'un travail admirable. Je fus particulièrement frappé de deux Tableaux de cire, qui font dans l'une de ces Chambres;ils font tous deux d'une rare beauté: l'ouvrier a choifi pour fon fujet tout ce qu'il y avoit de plus triffe, car l'un repréfente un Cimetière, 6c l'autre une Ville affligée de la Pefte. On ne peut regarder ces deux Tableaux, fans reffentir en même tems de l'admiration ôc de l'horreur. " Il du Baron de Pöllnitz. 127 Il y a une pièce qui fait partie de la Gallerie, qui mérite d'être confidérée attentivement. C'eft un Salon octogone donc le pavé eft de marbre de différentes couleurs : les murs font tendus de velours cramoifi : le plafond du dôme eft revêtu de nacre de perle, ce qui fait un très bel effet. Entre toutes les raretés que renferme ce fuperbe Salon, rien n'eft comparable au célèbre Diamant du Grand-Duc. J'en ai vu le modèle, & c'eft la feule chofe qu'on en montre aujourd'hui. Le Roi de Dannemarc aujourd'hui régnant a été le dernier à qui le feu Grand-Duc l'ait fait voir en 1709: ce qui fait foupçonner que ce Diamant n'eft plus à Florence. Bien des perfonnes m'ont affu-ré qu'il étoit vendu , 6c que c'étoit le Grand-Seigneur qui en avoit fait l'acqui-fition. Quoi qu'il en foit, ce Diamant pefoit 139 carats & demi. Après avoir féjourné quelque tems à Florence, je partis pour Rome. Je paffai à Sienne *, Ville Archicpifcopale, qui Sienne. fait partie de la Tojcane. L'Eglife Cathédrale eft bâtie toute en marbre noir & blanc. De Sienne je me rendis à Mon- Monte-tefiascone, Ville & Evêché du JJJJ^ Patrimoine de S. Pierre. Mon deffein étoit de palfer cette Ville fans m'y arrêter, mais le mauvais tems m'obligea de de, * Voyez le Tome II. des Lettres, p. Mohte- demeurer à la Pofte ; il tomba des nei-FiAs- ges en fi grande abondance, & il fit en C0NE' même tems un vent & un froid fi terrible, que les habitans me dirent que de mémoire d'homme on n'en avoit reffenci de fi violent. Je n'eus pas de peine à les croire, fur-tout après ce qui m'arriva à la Pofte Le Maitre me fit monter dans une granae Salle , où je trouvai deux Cavaliers , l'un Italen & l'autre Allemand: ils venoient l'un & l'autre de Rome, & le mauvais tems les obligeoit comme moi de féjourner à Montejîajcone. Nous nous mimes à caufer auprès du feu. Je remarquai un mouvement aifez réglé, comme fi on nous eût voulu bercer. Comme je n'avors* jamais relfcnti de tremblement de terre, je crus que c'en étoit un : mais l'Italien me dit que le mouvement étoit trop réglé, & que lûrement il provenoit d'une autre caufe. Enfin après quelques momens , nous fumes convaincus que c'étoit le vent qui nous balottoit ainfi. Comme nous appréhendions avec raifon de périr fous les ruines de cette maifon, nous demandâmes à notre Hôte qu'U nous mît dans un endroit où du moins on ne courût point rifque de la vie. Cet homme fe mit à rire de la peur que nous avions, & nous dit pour nous raffurer, qu'il y avoit trente ans que fa maifon trembloit ainfi, fans jamais avoir été endommagée , & qu'ainfi il y avoit apparence ce qu'elle tiendroit encore quelque tems. Monte-Toutes ces raifons ne me perfuadèrcnt FIAS point de la folidité de la mailon ; au con- coNK* traire, un tremblement d'une trentaine d'années devoit, félon moi, fe terminer à un écroulement prochain ; & d'ailleurs aiant toujours éprouvé une fortune contraire, il étoit de la prudence de ne point aller au-devant des accidens. Je pris donc le parti de defcendre, les deux Meilleurs de ma compagnie firent de même, & notre Hôte nous conduifit dans une maifon vis à vis; mais ce ne fut que pour être plus mal. Le feu ne fut pas plutôt allumé, que la fumée penfa nous fuffoquer; il fa-lut néceffairement tout ouvrir pour avoir de l'air : mais la violence du vent ne permettant pas de demeurer longtems dans cette fituation , nous fumes obligés de déménager encore une fois. Nous en-trames dans la Ville, dans l'efpérance d'y être mieux : nous tombâmes dans la plus déteftable Auberge du monde : cependant nous primes le parti d'y relier, parce cju'heureufemcnt il y avoit une cheminée qui ne fumoit point. Nous pen lames d'abord à nous dédommager du froid que nous avions fouffert dans tous ces changemens; mais comme il étoit dit que nous ne pourions pas palier le jour fans eiïuycr de nouvelles inquiétudes , le feu prit à la cheminée. L'allarme fe mit dans la Ville, tout le monde accourut, & Tome IL I heu- Monte- heureuferoent on éteignit le feu en peu de tems. Cela n'empêcha cependant pas f*ï'*, le peuple de s'ameuter contre nous, & je ris le moment que nous allions être mis en prifon comme Incendiaires. Nous en fumes quittes pour la peur, en répandant cependant quelque argent. En conle-quence de tout ce bruit, il nous fut fait défenfe de faire du feu dans notre chambre ; de forte qu'il falut fe contenter de celui qu'on faifoit dans la cuiline du monde la plus mal-propre. De Montefiafcone je me rendis à Rc-Rome. me * en un jour & demi. Tout le trajet depuis Florence jufqu'à Rome n'eft que Montagnes. Les chemins qui dépendent des Etats de Tofcanc font bien entretenus , on a tâché de les rendre les plus fant les pentes des Montagnes & en fai-fant des Chauffées magnifiques; mais dès que l'on entre dans l'Etat Eccléfiaftique , les chemins font effroyables, à peine peut-on s'en tirer. Je fis arrêter ma chaife à une lieue de Rome, fur une hauteur dont la defeente conduit au Fonte-mole. Je portai mes yeux fur cette grande Ville, 6c je goûtai par avance le plaifir d'en parcourir tous les quartiers. Après avoir fatisfait cette prémière curiofité, je continuai ma route : je paffài le Tibre fur le Fonte-mole , & je fuivis un che- Voycz le Tome II. des Lemet,pag, 137, &f*îv. tuables que l'on a pu, en adoucif- min min pavé , qui nie conduiGt pendant un RoMa, affez long tems, entre des Jardins & des Maifons de plaifancejufques à la célèbre Ville de Rome. J'y entrai par la Porte du Peuple ; de là je paffai dans la Place du même nom. Cette Place eft triangulaire , & compofée de deux rangs de maifons affez mal bâties ; le troifième côté eft un peu mieux. On y voit deux grandes rues percées en patte-d'oie, & fe-parées l'une de l'autre par deux belles E-glifes d'égale Architecture. Au milieu de cette Place on voit le fameux Obélifque élevé par Sixte V. De cette Place je me rendis à la Douane, où je fis vifiter mes coffres. La façade de la Douane eft magnifique; c'eft un fuperbe portique, foutenu par de grandes colonnes de Granité Oriental. Auffi-tôt que les Commis eurent celfé de mettre toutes mes hardes fens deffus deffous, je continuai mon chemin pour me rendre à l'Hôtel du Monte dore fur la Place à'Es~ pagne. Cette Place eft peu de chofe; elle forme un quarre long fort irrégulier, & erwtouré de maifons affez mal bâties, ce elle eft terminée d'un côté par une Fontaine qui fert d'Abreuvoir. Le lendemain de mon arrivée, ma ou-riofité me porta à aller voir l'Eglife de S. Pierre. La première chofe que je vis fur mon chemin en fortant de mon Hôtel, fut le Pont S. Ange iiir le Tibre, qui ré-I 2 pond Rome, pond au Château du même nom. Ce Pont eft d'une belle largeur : des deux côtés règne une baluftrade de marbre, fur laquelle on voit de diftance en diftance des Anges de marbre d'un travail admirable. Le Château S. Ange eft, comme je l'ai dit, vis à vis le Pont: c'eft une grande Tour environnée de baftions, qui fert de Citadelle à la Ville de Rome, &z de retraite au Pape dans des tems de guerre ou de révolte. 11 communique au Palais du Vatican par une longue Gallerie. A la defcente du Pont S. Ange 3 on luit pendant quelque tems le Tibre , par un Q^ai qui eft fur la gauche: de là on paffe par plufieurs rues, & on entre dans la fa-meufe Place de l'Eglilè de S. Pierre, qu'on peut àppeller la première Place de l'Univers. Le Deflèin en a été donné par le fameux Cavalier Bernini, & il a été exécuté tel qu'on le voit aujourd'hui par le Pape Alexandre VII. Cette Place eft ovale : elle eft entourée d'une grande Gallerie, foutenue par 324 colonnes de pierre de taille Le comble eft orné d'une baluftrade, fur laquelle on voit d'ef-pace en efpace les Statues des douze Apôtres , & d'autres Saints, & les Armes du Pape Alexandre VII. C'eft dans cette Place qu on voit le fameux Obélifque que Sixte V fit élever en 1< Ko ; il eft au milieu de deux Fontaines magnifiques. La Gallerie qui entoure la place de S. Pierre con. conduit des deux côtés au Portique de r0m1;. l'Eglife ; c'eft un morceau qu'on ne peut fe lailèr d'admirer. En effet, foit que l'on confidère la matière, ou l'habileté de l'Architecte qui a conduit cet Ouvrage on eft également furpris de l'un 6c de l'autre. Le pavé du Portique eft de marbre, & le plafond de ftuc doré. Il conduit fur la droite au grand Degré du Vatican, 6c il eft comblé par une Gallerie couverte, fur laquelle le Pape paroît le Jeudi Saint ôc le jour de Pâques, pour anathématifer les Hérétiques, les Schif-matiques ôc les Infidèles ; ôc auffi pour donner la bénédiction au peuple, qui eft à genoux dans la Place Ôc dans les rues < qui y aboutiffent. La principale entrée du Portique répond à la grande Porte de l'Eglife qui eft de bronze, à côté de laquelle on voit la Porta Santa, qui n'eft ouverte qu'aux grands Jubilés de 25 ans en 25 ans. Quelque magnifiques que foient les dehors de ce fuperbe édifice, ils ne peuvent cependant point être comparés aux dedans. Ce n'eft par-tout qu'or, argent, bronze, marbre,pierres précieufes, peintures ôc fculptures des plus grands Maîtres; en un mot, on voit dans cet aii-gufte Temple les chef-d'eeuvres des plus habiles Ouvriers en toute forte d'ouvrage, ôc pour peu que l'on ait de goût pour I 3 les Rome, les belles choies, on découvre d'infhnt à autre de nouvelles beautés. Le plan de ce bâtiment eft une Croix, & le milieu forme un Dôme fort fpa-cieux & fort élevé, dont le plafond eft doré & peint en Mofaïque. C'eft fous ce Dôme qu'eft le grand Autel, qui eft un morceau unique pour fa magnificence Il eft élevé de quelques marches, & ifolé. Il n'y a que le Pape, ou dans fon abience le Doyen du Sacré Collège, qui puiffc y dire la Meffe. Quatre colonnes tprfes de bronze, entortillées de pampres, fupportent un Dais ou Pavillon fuperbe, entièrement de bronze : il eft orné de ' bas-reliefs , & fur-tout d'Abeilles, pour défigner les Armes du Pape Urbain V1II> de la Maifon des Barberins, qui a fait con-ftruire ce magnifique Pavillon. Au-deffus de chaque colonne il y a un Ange de bronze doré, haut de 17 pieds. Les corniches des colonnes font affez larges, pour que des Enfans puiffent y jouer & s'y promener. Sous l'Autel on voit le Tombeau des Apôtres S. Pierre & S. Paul: on y defcend par deux degrés de marbre, qui forment un fer-à-cheval. Le tout eft orné de Compartimens de marbre & de pierres précieufes, dont le travail furpaffe encore la beauté de la matière. Ces degrés font entourés d'une baluftrade de bronze, fur laquelle on voit quan- tité de lampes d'argent qui brûlent perpé- Romb. tuellement, excepté le Vendredi Saint. La Chaire de S. Pierre eft vis-à-vis le grand Autel: elle eft toute de bronze, & fort élevée : elle eft foutenue par les quatre Pères de l'Eglife, dont les Statues co-loifales font de bronze doré. Au-deffus de la Chaire il y a une gloire de bronze, qui s'élève jusqu'à la voûte ; & deflbus, un magnifique Autel, aux côtés duquel on voit deux Tombeaux de Papes. J'ai déjà eu l'honneur de vous dire, que je ne ferois point un détail circonftancié de toutes les beautés que la plupart des Villes d'Italie, & Rome fur-tout, offrent aux yeux des curieux. Je ne pourrois que répéter ce que cent Voyageurs ont déjà amplement décrit. Je pane donc fous fi-lence divers Monumens, au fait desquels la lecture de plufieurs Voyages d'Italie vous a mis parfaitement. Je vous dirai feulement en paffànt, que je fus frappé de la beauté du Tombeau de la fameufe Chris-fine Reine de Suède, qui après avoir fait une abdication volontaire de fa Couronne , & s'être rendue Catholique , avoit enfin fixé fon féjour à Rome , où elle eft morte. Cette Princeffe a été inhumée dans l'Eglife de S. Pierre, & on lui a élevé un magnifique Tombeau de marbre & de bronze ; on y voit le Portrait de la Reine en médaillon, qui eft d'une grande beauté. A côté du Tombeau de cette I t Prin- Rome. Princeffe , on voie celui de la célèbre Comteffè Matilde, dont la mémoire doit être bien chère aux Souverains-Fontifès : c'eft une des plus fignalées bienfaicrices que l'Eglife ait jamais eues. . Outre les dehors & les dedans de l'Eglife de S. Pierre, il y a encore des fou-terrains d'une grande magnificence. On y voit plufieurs Chapelles revêtues de marbre, dont les Autels font ornés de Tableaux en Mofaïque, afin qu'ils puif-fent réfifter à l'humidité. La couverture de l'Eglife mérite aufli d'être vue : on monte d'abord jufqu'au Dôme par un degré bâti en pente fans marches ; on paffè enfuite par un fécond degré moins commode qui conduit au Globe qui comble le Dôme, & qui fupporte fa Croix. On découvre de cet endroit près de quarante milles de pays. Au fortir de l'Eglife de S. Pierre, j'allai voir le Palais du Vatican, qui touche à cette Eglife. C'étoit autrefois la demeure ordinaire des Papes ; mais depuis quelque tems, ils lui préfèrent le Palais du Monte-Cavallo 1 dont on prétend que fair eft bien plus fatn. Le Vatican eft très irrégulier: ce (ont plufieurs morceaux de bâtimens attachés enfemble, qui com-pofent un édifice d'une grandeur prodi-gieufe, dans lequel par conféquenc il y a un grand nombre d'Apartemens. Il eft accompagné d'un Jardin , à l'extrémité duquel il y a une Maifon appellée Behe- r0me. dere, à caufe de la belle vue qu'on y découvre. Il y a dans ce Palais tout ce qu'on peut fouhaiter de plus curieux en Tableaux & en Statues. Les Apartemens du Pape font fort beaux; ils font tapiffés de damas ou de velours cramoifi , avec de grands galons & des crépines d'or. J'entrai dans un grand Apartement que l'on avoit autrefois richement meublé pour le Roi d'Elpagne Philippe V, lorsque l'on croyoic que ce Prince, qui étoit entré en Italie, viendroit jufques à Ro-vie. ■ La célèbre Bibliothèque du Vatican mérite aulfi la curiofité d'un Voyageur: elle eft remplie de Livres très rares 6c de Ma-nufcrits curieux. Vous favez qu'elle a été beaucoup augmentée par la Bibliothèque de Heidelberg, & par celle du Duc dUrbin. Après avoir fatisfait ma curiofité à l'égard de ces édifices , je penfai à faire quelques vifites. J'allai chez Mr. le Marquis C. . . 6c chez le Duc S. . . pour lefquels on m'avoit donné des Lettres à Florence. Ces Mrs. me firent beaucoup dé politelfes, & s'offrirent de me faire voir les beautés de Rome 6c de m'introduire dans les Affemblées. En effet, le même jour le Marquis C... me mena chez Mad. de B... où je trouvai une fort belle Al-femblée de Dames, de Cavaliers, 6c fu¥£ l 5 tout tout d'Abbés du bon air, qui auroicnt pu faire la leçon aux Petits-maitres les plus rafinés en matière de coquetterie. Les Pâmes étoient fort bien mifes, & la plupart très aimables; mais d'un accès très difficile, à quiconque n'avoit pas l'honneur de porter un petit-collet. Les jeunes Abbés avoient eu foin de s'en emparer, de façon qu'il étoit hors d'apparence de pouvoir les aborder. Le tems fe paffa à caufer & à prendre force Chocolat j après quoi on paffa dans une autre chambre où l'on fe mit à jouer àdifférensjeux. Ce fut là que je fentis combien il m'auroit été avantageux d'être Monsieur FAbbél chacun de ces Mcffieurs trouva aifément à faire fa partie; pour moi, comme on ne me fit pas l'honneur de me préfenter des cartes, je me trouvai fort désœuvré, & fans mon Introducteur avec lequel je m'entretenois de tems en tems, j'aurois fait une très fotte figure. Je ne jugeai pas à propos d'attendre la fin de cette Affemblée, & je fus très content lorsque je m'en vis dehors. Le lendemain, je pris avec moi un Antiquaire, pour me fervir de guide dans le deffein que j'avois de parcourir ce qu'il y avoit de plus curieux à Rome. Il me conduifit d'abord dans les Places les pluscon-fidérables. La prémière que je vis fut la Place Trajane, au milieu de laquelle on voit la célèbre CvlonneTrajane, ainfi nom- du Baron de Pôllnitz. 139 mée de l'Empereur Trayait, qui la fit Rome. commencer; mais elle ne fut achevée qu'après fa mort. Elle eft haute de 128 pieds ; on monte jufqu'en-haut par un ef-calier de 123 degrés. Le dehors de cette Colonne eft de marbre, & repréfènte en bas relief les principales actions de Trajan. C'eft le Pape Sixte V. qui a fait relever cette Colonne, & qui a fait placer au-deffus la Statue de S. Pierre, au-lieu d'une Urne qui contenoit,à ce qu'on dit, les cendres de l'Empereur Trajan. Mon Antiquaire me conduifit enfuite à la Place Navone , qui forme un quarré long, autour duquel il y a nombre de maiibns, auffi irrégulières que peu magnifiques. Il y a au milieu trois Fontaines qui font très commodes pour l'ufage auquel elles font deftinées, qui eft d'inonder tout ce quartier dans les grandes chaleurs, afin de donner quelque rafrakhif" fement aux perfonnes de qualité, qui viennent s'y promener en caroffe. Nous allâmes voir l'Eglife de S. Jean de Latran, que l'on peut regarder comme la prémière Bafilique de la Chrétienté. Elle doit là fondation à l'Empereur Constantin, qui la fit bâtir d'une magnificence extraordinaire. Elle a eu le malheur d'être brûlée deux fois; mais elle a toujours été rebâtie avec la même magnificence. Elle n'eft pas à la vérité auffi grande, ni' d'une Architecture aufS mo- Rome, moderne, que l'Eglife de s. uier re; mais au refte elle ne lui cède pas en beauté. Le pavé eft entièrement de marbre; la voûte eft ioutenue par quatre rangs de colonnes d'une hauteur & d'une grof-leur extraordinaire. On voit auprès de cette Eglife une Chapelle bâtie en dôme, qu'on dit être le Baptiftère de Constantin. Ce derni-jr article n'eft pas tout à fait fur. En fortant de cette Eglife, je me rendis à la Scala Santa. C'eft un bâtiment de pierre de taille, qui n'a rien que de très commun. Trois portiques forment la façade principale : celui du milieu conduit à la Scala Santa, ou le Saint Degré, ainii appelle , parce qu'on prétend que les marches de ce Degré font les mêmes qui formoient l'Efcalier du Palais de Pi-îate, par lequel Notre Seigneur defeen-dit après qu'il eut été flagellé. On ne monte ce degré qu'à genoux. Il conduit à une Chapelle grillée, qui renferme des Reliques précieufes , entre autres, une Image de Jéfus-Chrift qu'on affure avoir été peinte par les Anges. C'eft à caufe de cela, que cette Chapelle eft appellée Je SanUa Sanclorum. U y a à côté de cette Scala Santa deux petits Degrés, qui fervent à ceux qui ne veulent point monter le S. Degré à genoux, ou à ceux qui de leenden t après avoir fait cet acte de dévotion. Après Après avoir vu la Scala Santa , mon Rome, Guide me conduifit au Colifée , qui eft un grand Amphithéâtre bâti de pierre. On prétend que Vefpafen fit commencer ce fuperbe bâtiment, Ôc que fon Fils 77-tus l'acheva. Cet Empereur y donna un fpecfacle de Combats d'animaux, auquel on dit qu'il y avoit cinq - mille bêtes féroces. Le dedans du Colifée forme une Place ovale , entourée de Tribunes ôc d'un Amphithéâtre , qui contehoit> fui-vant l'opinion de quelques Auteurs , plus de quatre - vingt - cinq - mille fpeétateurs. C'eft grand dommage qu'un u fuperbe ,é-difice n'ait pas été conlervé. Urbain VIII de la Maifon des Barberins permit à fes Neveux de démolir une partie du Colifée, ôc d'en bâtir le Palais Baberini. Le peu qui en refte tombe tellement en ruïne, qu'il y a grande apparence que nos des-cendans ne connoitront ce magnifique bâtiment que par les Eftampes que nous en avons. Le Panthéon , ou N. X>. de la Rotonde, eft le feul des bâtimens anciens qui fe foit bien confervé. Il a 228 pieds de diamètre; depuis fon centre jufqu'au haut du dôme, il y a 144. pieds. Agrippa, Favori ôc Gendre de l'Empereur Augufie , fit bâtir ce Temple à l'honneur de tous les Dieux; aujourd'hui c'eft une Eglife dédiée à tous les Saints. Elle ne reçoit de jour que par une grande ouverture qui eft au milieu Rome, de la voûte , qui , quoique peu élevée, n'eft cependant foutenue par aucun pilier. Elle étoit autrefois entièrement revêtue de bronze , mais Urbain Vlll le fit enlever pour l'employer à la conftrudtion du grand Autel de l'Eglife de S. Pierre ; ce qui donna lieu à fes ennemis de dire, que ce que les Barbares n'avoient ofé entreprendre , les Barberini l'avoient fait. Au retour de cette courfe, je trouvai chez moi Mr. le Duc de S.....qui venoit me prendre pour me mener à l'As-femblée chez Madame de S____ La compagnie n'étoit pas fort nombreufe , & d'ailleurs auffi peu divertiiïànte que la prémière à laquelle j'avois été introduit. J'y trouvai peu de Dames, toujours beaucoup d'Abbés , 6c prefque point de gens d'Epée. Je compris bien que les Aflëm-T)lées de Rome n'étoient pas ce qu'il y avoit de plus amufant pour un Etranger \ je pris le parti, & je crois que je fis beaucoup mieux, de m'occuper à voir les différentes curiofités de 1a Ville. J'allai au Capito/e, toujours accompagné de mon fidèle Antiquaire. Cet édifice eft compofé de trois Corps de logis détachés l'un de l'autre,dont deux forment des ailes avancées : tous trois font bâtis de pierre de taille. Ils font finies fur une Montagne, où l'on monte par un grand degré de marbre. La Cour de ce bâtiment forme un grand ovale , dans lequel on defeend par par trois marches de marbre. Au milieu Roms. on voit la Statue équeftre de l'Empereur Mare-Aurèle , refte magnifique de l'Antiquité. Du Capitoîe j'allai au Palais du Pape , appelle Monte-Cavallo, du nom de la Montagne fur laquelle il eft fitué. C'eft un des Palais de Rome qui jouit de la plus belle vue & du meilleur air. Ce fut le Pape Paul V qui le fit bâtir. Les Jardins qui accompagnent ce bâtiment ne font beaux que par leur étendue , du refte ils ne répondent point à la magnificence de ce Palais. Après l'avoir fufEfamment examiné , je retournai à mon logis, où j'avois donné rendez-vous à Mr. le Marquis A.. pour aller enfemble chez Mr. le Cardinal Corjîni. Ce Seigneur tenoit Aflem-blée tous les foirs. Il me fit l'accueil du monde le plus gracieux. Je trouvai chez cette Éminence nombreufe compagnie , qui me plut davantage que les deux As-femblées précédentes. Le Cardinal faifoit parfaitement les honneurs de chez lui , & il avoit grand foin que tout le monde fut occupé, foit au jeu , foit à la conver-fation. Je lui fis ma cour afliduement, & tous les foirs jufques à mon départ, je ne manquois pas de me trouvera fon Affem-bléc. Le refte de la journée , j'étois occupé à parcourir les différens quartiers de Rome, pour y examiner ce qui raéritoit le plus d'être remarqué. * * Après Rome. Apres avoir ainfi parcouru les dedans de la Ville , je voulus aufli voir les dehors. On me conduifit aux fameufes Vignes Pamphili & Borglxfe , que les Italiens mettent au-deiïus de tous les Jardins de l'Europe ; en quoi je ne fuis pas tout à fait de leur avis. Les Statues qui font dans ces Vignes font, à la vérité, des morceaux uniques; mais pour ce qui concerne l'Agriculture ou les Eaux , c'eft peu de chofe en comparaifon des Jardins de France. On trouve à l'entrée de la Vigne Borghcfi un grand Portail de marbre, qui répond à une Allée au bout de laquelle on voit une affez grande Place, entourée d'une baluftrade de marbre ornée de Statues de pareille matière. Cette Place fert de Cour à la Mailbn, qui n'eft pas fort grande , mais qui renferme des richeffes immenfes en Statues & en Tableaux. Les dehors font revêtus de bas-reliefs de marbre , entre lefquels on admire fur-tout la Statue de Curtius à cheval, qui fe précipite dans le Gouffre. La Vigne Pampbili eft , à mon avis , le plus bel endroit des environs de Rome. Les Jardins ont un air de grandeur 6c de fymmétrie, que je n'ai point remarqué ailleurs. Les dehors & les dedans de la maifon font également revêtus de bas - reliefs de marbre , d'un travail admirable. On y voit auffi des Statues magnifiques, mais la plupart un peu endommagées ; 6c cela par* DU B ÀRON DE PÖLLNITZ 14c par une alternative de dévotion & detié- rome deur d'un Prince Pamphili, qui a fait à ces Statues un mal irréparable. Ce Prince, dans les prémiers mouvemens d'une dévotion fervente , fit couvrir de plâtre les nudités des Statues de ce Jardin ; mais bientôt cette ferveur s'étant difîïpée, il voulut revoir fes Statues dans leur prémier état : il falut pour cela rompre le plârre à coups de marteaux, & l'Ouvrier peu attentif en a donné qui ont considérablement garé quelques-unes de ces Statues. Toutes les différentes curiofités de Rome me prirent un tems affez confidérable, auffi-bien que les fameux Palais Borghcfe> Famèje, Colo?ine, Pa!avici?ti , Barberini &C autres , dont j'omets la description. A-près m'être ainfi fatisfait, je penfai à me faire préfenter au Pape, je m'adreffai pour cela au Cardinal del Giudice , pour lequel j'avois des Lettres de recommandation , aufli-bien que pour les Cardinaux Gual-tiéri & Ottoboni. J'eus l'honneur d'avoir des Audiences très favorables de ces trois Eminences. Comme Allemand , je rendis premièrement vifite au Cardinal del Giu-dice, qui étoit alors chargé des Affaires de l'Empereur. Après avoir attendu quelques momens dans fon Antichambre , je fus introduit à fon Audience par un de fes Gentilshommes. Ce Prélat étoit incommodé ce jour-là ,* je le trouvai en robe de chambre fur un canapé. Il fe leva des Tome H. K qu'il qu'il me vit entrer, & il avança quelques pas pour me recevoir. IL s'aflit enfuite, 6c me fit affeoir dans un fauteuil vis-à-vis ion canapé. L'Audience finie , il fe leva 6c me conduifit jufques auprès de la porte de fa chambre. Je trouvai là les Gentilshommes de S E. dont deux me condui-firent jufques à l'Efcalier ; un feul defcen-dit 6c m'accompagna jufques à mon caroffe. Mr. le Cardinal Guahiéri me fit aufli un accueil très obligeant. 11 me donna Audience dans fon Cabinet. Après les prémières civilités, il s'affit dans un fauteuil, il me fit affeoir aufli, ôc m'obligea de me couvrir. J'eus bien de la peine à m'y réfoudre ; mais enfin il falut obéir, 6c je demeurai dans cette fituation , l'efpace, d'une grande heure. Je fus charmé des manières de ce Prélat ; c'étoit de tous les Cardinaux, celui qui faifoit le moins de cas de la morgue ordinaire des Eminences. Les bontés qu'il me témoigna me portèrent à m'attacher à lui, 6c je lui fis ma cour très aflïduement pendant tout le tems que je féjournai à Rome. 11 me fit conduire par un de fes Gentilshommes chez Mr. le Cardinal Ottoboni, Protecteur des Affaires de France. Je le trouvai dans fon Cabinet ; il étoit debout lorfque j'entrai, 6c il relia dans cette fituation pendant tout le tems de ma vifite. En me retirant, je fus accompagné de la même façon du Baron de Pull nit-z. 14 Çon que je Pavois été chez Mr. le Cardi- Ro}.*; nal del Giudice. Après que j'eus rendu vifite à ces trois Cardinaux, Mr. le Cardinal del Giu-dice me préfenta au Pape. C'étoit clément XI, de la Maifon Albani, qui oceu-poit alors le S, Siège. Le Cardinal eut feul une Audience de S. S. avant que dé m'in-troduire , après laquelle on me fit entrer. Je me mis à genoux dès la porte, fuivant la coutume : enfuite m'étant relevé , j'avançai jufqu'au milieu de la chambre, oii je me préparois à faire une féconde génu? flexion; mais le Pape m'en empêcha, & me fit ligne de la main d'avancer jus-ques à lui, en me difant, A-venti , A* veitti. J'obéis, &c j'avançai jufques à fes pieds : je me mis alors à genoux, & je baiiai une Croix en broderie qui eft fur les mulqs de S. S. Le Pape me donna fâ bénédiéfion, & m'ordonna de me lever. Il me fit l'honneur de me parler alfez longtems fur le bonheur que j'avois eu tfembraffer la Religion Catholique ; il s'informa même de plufieurs particularités de ma converfion , èi il parut ii fenfiblè à la grâce que Dieu m'avoit faite, qu'il ne pue s'empêcher d'en verfer quelques larmes. Il me demanda enfuite des nou* velles de l'état de la Religion en Allemagne , &l il fit de grands éloges du zèle que l'Eleéteur Palatin faifoit paroître pouf la Religion Catholique. U finit en m-'ex-K % hor- hortant à demeurer ferme dans Ie parrJ que j'avois eu le bonheur d'embrafler. S. S. me fit préfent en me congédiant, de plufieurs Agnus, de deux petites Médailles l'une d'or & l'autre d'argent, ôc d'une Difpenfe pour manger gras en Carême. Je demeurai à Rome jufques à la fin du Carême, afin de voir par moi-même les cérémonies de la Semaine Sainte. C'eft dans ce tems que la Cour du Souverain-Pontife paroît dans toute fa magnificence. S. S. partit leMécredi de la Semaine Sainte de Monte Cavallo, pour fe rendre au Palais du Vatican. La marche fe fit avec beaucoup de cérémonie, 6e un nombreux cortège. Les Prélats 6c Officiers de la Maifon de S. S. marchoient les prémiers: ils étoient tous à cheval en grandes fou-tanes , ce qui véritablement faifoit un as-fez vilain effet, car à mon avis, les robes longues 6c les chapeaux détrouffés ne paroiffent pas un équipage convenable pour monter à cheval. Après eux marchoient , deux Palfreniers qui conduifoient un Cheval blanc richement caparaçonné : c'étoit celui que montoit S..S. ; mais ce jour-là elle étoit dans une chaife à porteurs de velours cramoifi brodé d'or : elle étoit fîiivie d'une litière dans le même goût, ôc d'un caroffe magnifique attelé de fix chevaux gris-pommelés. La chaife du Pape étoit au milieu de deux files de Cent-Suiffes. Les Chevaux-légers fermoient la marche. Ge du Baron de Pölln itï. 149 Ce fut ainfi que le Pape fit fon Entrée Rome. au Palais du Vatican. Le lendemain qui étoit le Jeudi Saint, je priai Mr. le Cardinal Gua/tiéri de me placer de façon que je puffe voir les cérémonies de ce grand jour. Cette Éminence eut la bonté de me procurer ce que je fouhaitois. Lorfque j'arrivai à l'Eglife, le Pape étoit déjà à fa Chapelle : il étoit as-fis fur un Trône élevé à la droite de l'Autel. S. S. avoit à fes côtés deux Cardinaux, je remarquai qu'ils étoient affis fur des tabourets. Le Connétable Colonne étoit debout auprès du Pape, aiant fEpée nue à la main. Aufïî-tôt que la Meffe fut finie , le S. Père defcendit de fon Trône, & fe mit dans un grand fauteuil de velours cramoifi brodé d'or. Huit hommes de la livrée de S. S. levèrent le fauteuil jufques fur leurs épaules , & le portèrent ainli fur la Gallerie qui eft au-deffus du Portique de l'Eglife de S. Pierre. Le Pape étoit précédé de fa Maifon, ôc de tous les Cardinaux, qui marchoient deux à deux au milieu de deux files de Cent-Suillès. Toute la Place de S. Pierre , & les rues qui y aboutifïènt , étoient remplies de peuple. Les Chevaux-légers de S. S. ôc fes Gendarmes y étoient aufli, ôc les Gardes à pied , tous rangés en bataille, les Officiers à la tête. Les timbales & trompettes fe firent entendre , lorfque S. S. parut ,* mais bientôt à ce bruit fuccéda , un filencc profond. Le Pape ordonna alors à un Cardinal de lire la Bulle d'Excommunication & d'Anathème contre les Hérétiques , les Schifmatiques , les Païens , & contre tous ceux qui ne ren-doient point au S. Siège l'obéiffance qui lui eft duc , qui retiennent fes biens ; en un mot , contre tous ceux qui mènent une vie déréglée. Pendant la lecture de cette Bulle, le Pape tenoit un cierge, ou plutôt une torche allumée: auffi-tôr. que le Cardinal eut ceffé de lire, le Pape fe leva , c'eft-à-dire , les huit hommes qui le portoient l'élevèrent un peu , alors S, S. prononça l'Excommunication à haute voix ; elle jetta enfuite dans la Place la torche qu'elle tenoit à la main, comme un fymbole du foudre de l'Eglife, Quelques momens après , le Pape leva cette Excommunication , à condition cependant , que les Anathématifés fe converti-roient & feroient pénitence publique de leurs fautes. Il donna enfuite fa bénédiction à tous ceux qui étoient préfens, ôç à toute la Ville de Rome en général, ce qu'il fit en fe tournant vers les trois faces de la Ville. En même tems, on tira tout le canon du Château S. Ange , les trompettes , timbales & tambours des Troupes qui étoient dans la Place de S. Fier* re fe firent entendre , aulli-bien que toutes les cloches de la Ville, pendant ce tems-là , S. S, fut reportée dans fa Cha- pel- pelle, où elle ôta la Tiare qu'elle avoir. Rome, portée pendant toute la cérémonie, elle monta enfuite à l'Autel , où elle prit le S. Sacrement» , qu'elle porta avec grande dévotion dans un Sépulcre magnifique que l'on avoit conftruit dans la petite Chapelle. Après cette cérémonie, le Pape fe retira pour reprendre fes habits ordinaires.il parut enfuite,accompagné des Cardinaux, dans une Salle où étoient rangés treize Prêtres de Nations différentes, habillés de longues robes blanches. S. S. leur lava les pieds , & leur donna à chacun une Médaille & un bouquet de fleurs. Cette cérémonie finie , le Pape , fuivi des treize Prêtres, paffa dans une féconde Salle, où il y avoit une table fort proprement fervie. Les Prêtres s'y placèrent, le Pape & les Cardinaux les fervirent. Le Chevalier de S. George 6c la Princeffe fon Epoufe affiflèrent à cette cérémonie : le Pape leur parla pendant quelque tems> & fur la fin S. S. leur dit en les quittant, Je viens de laver des pieds , je vais à pre-jent laver des mains. En même tems elle » préfenta à laver aux treize Eceléfiaftiques, qu'elle avoit fervis pendant le dîner. Le Pape s'étant retiré , les Cardinaux paffèrent dans une grande Salle , où ils trouvèrent une table magnifiquement fer-vie. Sur le foir, le Pape 6c le Sacré Collège affiflèrent au Miferere, qui fut chanté dans la grande Chapelle , par la Mufiguc de S. S. Rome. Le jour de Pâques , le Pape affilia à la Grand' Méfie avec tous les Cardinaux, après laquelle S. S. revêtue de fes habits pontificaux, & la Tiare en tête, fut portée comme le Jeudi Saint fur la Gallerie qui fait face à la Place de S. Pierre, où les Troupes étoient rangées en bataille , 6c le peuple à genoux pour recevoir la bénédiction du Pape. Auffi-tôt qu'elle eut été donnée , il fe fit une décharge général de toute l'artillerie du Château S. Ange. Le Pape fe retira enfuite dans fon Palais, & les Cardinaux chacun chez eux. Ce fut ainfi que fe terminèrent les cérémonies de la Semaine Sainte, pendant laquelle j'ai remarqué que les Eglifcs étoient toujours fi remplies de monde, qu'on y étouffoit. Je ne crois cependant pas que ce foit uniquement par dévotion , que les Italiens fréquentent les Eglifes pendant ce faint tems , l'excellente Mufique qui s'y exécute , m'a paru les attirer plus que tout autre motif de Religion. Immédiatement après la Semaine Sainte , je partis de Rome en pofte, avec plufieurs Etrangers qui avoient aulfi-bien que moi la curiofité de voir la fameufe Vil-Nafles. le de Naples. Cette Ville, qui eft la Capitale d'un Royaume de même nom, eft iituéefur le bord de la Mer, qui forme une efpèce de Bafïïn que la Ville entoure en Demi-lune. De. là elle s'élève en Amphithéâtre fur des Coteaux,qui font com- blés par des Vignes & des Jardins délicieux, d'où l'on découvre le plus beau point de vue qu'on puifTe imaginer. C'eft fur l'un de ces Coteaux que l'on voit le fameux Château S.Eime, bati par Charles-Quint ; c*eft une Fortereffe qui commande toute la Ville. Naples eft le Siège d'un Archevêque. Sa Métropole eft dédiée à S. Janvier. On confèrve dans cette Eglife le Chef de ce Saint, & quelques gouttes de fon fangdans une phiole de verre. On affure que tous les ans , le jour de la Fête de ce Saint, lorfque l'on approche la phiole du Chef, à l'inftant le fang qui eft congelé devient liquide. Ce Miracle arrive à la vue de tout le peuple de Naples , qui m'a paru avoir une grande dévotion pour ce Saint. On peut aifément en juger par la magnificence de fon Eglife , dans laquelle on voit briller par-tout l'or, l'argent, le marbre &c. U y a aulfi des Tableaux d'une grande beauté. Le Palais du Viceroi eft un des magnifiques bâtimens de l'Univers. On eft également fatisfait, foit que l'on s'arrête à la beauté de l'Atchiredture & à la dis-pofition des Apartemens , foit que l'on faffe attention au magnifique coup d'œil que le Viceroi découvre d'un Balcon qui règne devant fes fenêtres : je n'ai jamais rien vu de fi étendu , ni de fi agréablement varié. Les Jardins magnifiques, le K 5 Port Port, l'Arfenal, des Montagnes très élevées, le terrible Mont Véfuve, en un mot la Ville entière de Naples , voilà, Madame, le point de vue du Palais du Viceroi. Celui qui l'étoit alors , étoit Mr. le Cardinal de Stbrotenbacb , peu aimé des Napolitains, qui regrcttoient allez, hautement le Comte de Gallas prédécefleur du Cardinal. Je ne fai fi la haine que l'on portoit au nouveau Viceroi étoit bien fondée , car plufieurs m'avouèrent ingénue-mcnt qu'il faifoit tout fon pofiïble pour les rendre heureux. Peut-être fa Cour, trop trifte & peu fréquentée, ne plaifoit-elle point aux Napolitains , qui aiment à voir faire de la dépenfe. D'ailleurs , le Cardinal paroiffoit rarement en public , & ces peuples veulent voir fouvcnt leur Viceroi : ils aiment à le voir marcher avec la pompe qui convient à un Seigneur revêtu d'une Dignité,qu'ils regardent au-deffus de toute autre , car il faut remarquer , qu'un Napolitain ne trouve rien de comparable à la Viceroyauté de Naples. On raconte , à propos de cette opinion avantageufe qu'ils ont de cette Dignité , qu'une Napolitaine , fe trouvant à l'Audience d'un Roi d'Efpagne , elle lui fouhaita pour comble de bonheur, qu'il plût à Dieu de le faire un jour Viceroi de Naples. Je trouvai à Naples le Prince T... que j'avois connu à Vienne. Ce Seigneur s'offrit fric de m'introduire dans plufieurs As-Napj.es. femblées, donc il m'affura que je ne ferois pas mécontent. J'acceptai avec plaifir fâ propoûtion , fur l'affurance qu'il rae donna qu'elles étoient autrement compofées, que celles de Rome. J'y fis connoifïàncè avec plufieurs Seigneurs Napolitains, qui eurent pour moi toutes les attentions pos-fibles : ils eurent la politefle de me conduire dans les endroits de la Ville qui méritoient d'être remarqués. Je fus charmé de la magnifique promenade que forme le Cours qui eft le long de la Mer, où je trouvai nombre de carofles qui me parurent avoir un air plus François que ceux de Rome : à cela près qu'ils étoient tous attelés de mules, ou de très méchans chevaux. Après la promenade , on me propofâ une partie de louper , dans laquelle on me promit grand' chère & bonne compagnie. Je l'acceptai volontiers, & j'eus le plaifir de voir qu'on m'avoit tenu parole. La chère étoit des plus délicates , des Dames très aimables furent auffi de la partie. J'aurois eu un vrai plaifir à m'entretenir avec elles, mais faute de favoir l'Italien , je ne pus parler que par fignes, manière de converfer affez incommode pour des fperfbnnes qui n'au-roient pas mieux demandé que de caufer. Après Je fouper , on pr©pofa une partie de Pharaon. Le Prince T... s'offrit de tailler, ce qu'il fit avec tout le malheur Naplis. poflîble : en peu de rems je lui vis perdre des fommes considérables. Je gagnai pour ma part 260 piffoles, que ce Seigneur m'envoya le lendemain, avec un grand panier de pois verds & beaucoup de fruits. Je n'eus garde , pendant mon féjour à Naples , de ne pas aller voir le fameux Mont Véfuve , dont j'avois tant de fois entendu parler. Cependant, lorfque je me trouvai au haut de cette terrible Montagne, je fus très fâché d'y être venu. Je m'étois imaginé que je ferois dédommagé de la peine que j'avois eue d'y monter, en voyant quelque chofe de merveilleux lorfque je ferois fur le fommet : point du tout. Je ne vis que de la fumée qui fortoit de plufieurs trous affez grands , auprès defquels il n'auroit pas été prudent de s'approcher. Je ne fus pas même tenté de le faire , & je m'en retournai à peu près auffi favant que j'étois venu. Tout ce que je remarquai de fingulier , ce fut que frappant du pied contre terre, j'entendis un bruit afïez femblable à celui d'un tonneau vuide : voilà tout ce que je puis vous dire du Mont Véfuve. Pour ce qui concerne la forme de cette Montagne , il feroit affez inutile d'en faire la description, car elle en change chaque fois qu'elle jette des fiâmes. J'eus beaucoup plus de peine à en defcendre, que je n'en avois eu à y monter : l'abondance de terres cuites, de pierres calcinées, de matières »u Barok de Pöllnitz. 157 res bituminenfes , & de cendres, ren- naplei; doient la defeence fi difficile, que lorfque je fus en-bas , je me trouvai fatigué au point que j'eus bien de la peine à rejoindre mon cheval. Je m'apperçus que des bottes molles que je portois étoient entièrement brûlées, fans doute par le fbuphre & la chaux dont toute cette Montagne eft compofée. On me dit alors , qu'il y avoit déjà quelque tems qu'elle n'avoit point jette de fiâmes, mais que cela ne tarderoit guères à arriver , parce qu'on remarquoit qu'il fe faifoit de nouveaux trous, & que la terre qui diminuoit à vue d'ceil, commençoit à s'affaiffer. Un pareil voifinage me parut être d'une grande incommodité pour une Ville auffi confidérable que Napier : cependant , les Napolitains n'en paroiffentpasforretonnes.il eft vrai que lorfque les fiâmes paroifîent, ce ne font plus les mêmes hommes , ils courent en foule aux Eglifes, on voit tout le monde en prières, ils promettent hautement de changer de vie : mais ils ne fe croyent pas plutôt en fureté , qu'ils font tout auffi débauchés qu'auparavant. Semblables en cela à ces Efprits-fbrts , qui dans le cours d'une fanté parfaite parois-fent.méprifer la mort, & qui, lorfqu'elle faitfentir fes approches, font voir en eux des foiblefles qui démentent leur fàufle bravoure. Le lendemain , j'allai voir la grande Char- 158 M et m o i a B i Naples. Chartreufe de S. Martin , dont la fitua* tion eft des plus avantageufes. L'Eglife & le Couvent font deux bârirnens fuperbes , qui contiennent des richeffes im-menfes. Le Tréfor & la Sacriftie font remplis d'ornemens magnifiques, de vafes d'or ôc d'argent richement travaillés , ôc la plupart enrichis de pierres précieufes. Les Religieux font logés très commodément , ils ont chacun une Chambre , un Cabinet, une Bibliothèque , ôc un petit Jardin. Poufc- Je me rendis enfuite à PouzzoL,oû 2.0l. je vis un chemin, ou plutôt une Caverne d'une ftrudture affez bizarre. Elle eft taillée tantôt dans le roc , Ôc tantôt dans le fable. Sa hauteur eft de 30 à 40 pieds, & elle eft affez large pour que deux carottes puiffent y paffèr de front. Ce chemin qui eft fort long ne reçoit de jour que par les extrémités , & par un trou qui eft au milieu , ce qui fait que dans la plus grande partie de la route, il faut marcher à tâtons. On a foin de crier de diftance en diftance, pour avertir du côté «lue Fon tient; précaution, fans laquelle 00 feroit en danger de fe heurter. Après avoir pafte cette Caverneje me trouvai auprès de la Grotte du Chien. C'eft une Caverne peu fpacieufe , qui a tout au plus cinq pieds de hauteur. 11 y a peu de gens qui Duiflent s'y tenir droit. J'y vis faire l'expérience qu'on a coutume d'y d'y faire. On coucha un Chien par ter- p0uï re: à finftant il tomba en convulfion & z^l. peu après il ne donna plus aucun figne de vie. On le jetta pour mort hors de Ja Caverne , un homme le prit , & le mit devant moi dans le Lac , qui n'eft qu'à 25 ou 50 pas de la Caverne. Le Chien reprit aufli-tôt fes efprits. Après cette expérience , dont je laifle l'explication à gens plus habiles que moi , je me tranfportai à Pouzzol, qui n'a en vérité aucun refte de fon ancienne fplendeur. Je ne fai pas pourquoi les Etrangers fe font une efpèce de loi d'y aller ; on n'y voit plus que d'anciennes mazures , qui ne lignifient rien. L'envie que j'avois de voir la fameufè Ville de Venife , ne me permit pas de demeurer longtems à Nap/es ; je n'y reftai qu'autant de tems qu'il en faloit pour recevoir la réponfe à une Lettre que j'avois écrite à mon arrivée au Comte de S. . . en Sicile, dans laquelle je prétextois des affaires de la dernière importance , qui m'empêchoient d'avoir l'honneur de me rendre auprès de lui aufli-tôt que je l'au-rois fouhaité. C'étoit à la vérité pur compliment , que cette envie que je di-fois avoir de le joindre au-plutôt : plufieurs perfonnes de mes amis me dégoû-toient extrèmementd'aller fervir en Sicile. La Lettre que le Comte de S. . . m'écri-Vit en réponfe à la nueûnc, mit le corn- ble à ce dégoût : il le prit fur un ton qui me déplut, & les leçons qu'il lui plut de me donner me firent prendre la réfolu-tion de ne pas m'expoier à en recevoir une féconde fois. Je lui écrivis qu'il pouvoir difpofer de ma place , & que mes affaires ne me permettoient pas de prendre fi-tôt du fervice. Dès-lors je pris la réfolution de continuer à voyager , & de tenter fortune à la Cour d'Efpagne, où il y avoit déjà longterm que j'avois envie de me rendre. Vous me verrez cependant bientôt auffi heureux dans cette Cour , que dans toutes les autres. N'aiant donc plus rien qui me gênât dans mes Voyages, je pris le parti de con-renter ma curiofité. Je partis de Nap/es pour me rendre à Venife. Je paflai "avec affez, de précipitation à travers plufieurs petites Villes du Patrimoine de S. Pierre, dans lefquelles il n'y a rien de remarquable*, que de très mauvaifes Auberges. Je Loret- m'arrêtai à Lorettk, petite Ville dans te. la Marche d'Ancone, dont les environs me parurent charmans. La Ville en elle-même eft fort jolie , & avantageufement fituée: elle eft placée fur un Coteau, duquel on découvre la Mer Adriatique ou le Golfe de Venife ; ce qui forme un point de vue magnifique. Les habitans de Lorette font tous fort riches , ils ne font cependant commerce que de Chapelets, d'Images de la Vierge , & autres chofes femblables: mais mais le concours des Pèlerins qui y arri- Lohet-venc à chaque inftant eft fi confidérable, te. " que la dépenfe qu'ils font, foie pour fe loger , foit pour faire emplette d'Images ôc de Chapelets, fuffit feule pour mettre les gens du Pays fort à leur aife. Vous favez , Madame , que l'objet du Pèlerinage de Lorette eft de vifiter une Chapelle qui étoit autrefois la Maifon oû1 demeuroit la Ste. Vierge , lorfque l'Ange lui annonça qu'elle feroit la Mère du Sauveur du Monde. On eft furpris d'abord de trouver en Italie une Maifon qui fut autrefois bâtie dans un Pays fort éloigné de celui qu'elle habite aujourd'hui; mais lorfque l'on eft un peu au fait de l'Hiftoire , on revient aiiément de fon étonnement : car avant que de fixer fon domicile dans la Marche cXAncone , cette Maifon a changé plufieurs fois de demeure. Premièrement, de Nazareth qui eft vraiment fon Pays natal, elle fut, dit-on, tranfportée par des Anges en Dalmatie, où elle demeura pendant trois ans. Après ce terme , ces mêmes Anges l'enlevèrent une féconde fois, ôc l'apportèrent dans le Territoire de Recanati dans la Marche â'Ancone. Mais comme on n'entendok parler tous les jours que de meurtres ôc de brigandages dans ce quartier.là , les Anges allarmés d'un pareil voifinage enlevèrent la Maifon une troifième fois, ôc la placèrent à quelque peu de diftance-de Tome II, L l'en- l'endroit où elle eft à préfent. Mais elle n'y refta pas longtems ; car deux Frères à qui appartenoit le terrein fur lequel fc trouvoit alors placée cette Maifon, difpu. tant avec chaleur à qui en feroit le maitre , les Anges terminèrent bientôt le différend en tranfportant le bâtiment pour la quatrième & dernière fois : ils le pofèrent dans l'endroit où on le voit aujourd'hui. Pour faire honneur à cette Maifon, peut-être auffi pour tâcher de la fixer dans ce dernier domicile , on a eu foin de bâtir un Eglife fort magnifique , au milieu de laquelle elle eft enfermée. Les murailles de l'Eglife font revêtues de marbre blanc, travaillé en bas-relief par les plus habiles Ouvriers de ce tems-là : on y voit toute l'Hiftoire de la Ste. Vierge. On voit auffi entre de doubles colonnes d'Ordre Corinthien , deux rangs de niches les unes fur les autres, on a placé dans celles d'en-bas les Statues des Prophètes , & au def-fus celles des Sibylles ; le tout eft d'un travail admirable. La Maifon de la Vierge que l'on appelle communément la Saura Cafa, m'a paru être bâtie de brique. Elle eft beaucoup plus longue que large. Elle eft féparée en deux parties inégales par un Autel : c'eft dans la plus petite partie que l'on voit la Statue miraculeufe de la Vierge. Elle eft debout dans une niche, portant l'Enfant Jtfus fur le bras droit. La Mère ôc l'Enfant ont chacun lur la tête une tri- triple Couronne d'or, enrichie de pierreries. Tout l'habillement confifte dans une longue mante de brocard d'or, brodée de perles & de diamans. Le Sanctuaire eft éclairé par plufieurs lampes d'or maffif: d'une grandeur prodigieulè : il y en a une entre autres, remarquable par fa grandeur & par la richeffe du travail, qui a été envoyée à Lorette par la République de Venife , pour accomplir le Vœu que cette République avoit fait pendant le tems d'une Pefte, qui ravagea cruellement une grande partie de l'Etat Vénitien. Pour ce qui eft du Service divin , ori peut dire qu'il fe fait à Lorette avec la dernière exactitude. Rien auffi n'eft plus édifiant,que de voir avec quelle dévotion des Pèlerins de tout Pays viennent vifiter la Santa Cafa ils n'y entrent qu'à genoux , & ils en baifent dévotement les murailles, aufli-bien que la cheminée dans laquelle on prétend, que la Ste. Vierge faifoit la cuifîne. Ils font auffi toucher des Chapelets & des Images à une Ecuelle, que fondit être la même qui fervoit à mettre la foupe de la Ste. Vierge. En fortant de l'Eglife, on me conduifit dans une grande Salle , où je vis des ri-chefles immenfes. Il y a dix-fept grandes Armoires toutes remplies de pierreries, de vafes la plupart d or, ou d'une matière plus précieufe que l'or même. Je vis aufli dans cette même Salle les differens La ha- Lor et- habits de la Vierge : il y en a pour lui en tï. faire changer tous les jours : je n'ai jamais rien vu de fi riche. Après que j'eus bien examiné cette riche Garderobe , j'allai voir le Palais, qui eft peu éloigné de l'Eglife. Ceft un bâtiment fort fpacieux. On m'en fit voir le Gardemeuble , dans lequel on conferve des tapifferies fuperbes. J'allai enfuite voir l'Arienal , qui eft peu confidérable. Après avoir entièrement fatisfait ma curiofité à Lorette , j'en partis pour prendre la route de Bologne. Je paflai aux portes é'Ancone , qui eft un Port de mer des Etats du Pape , où je ne m'arrêtai point, parce qu'on m'avoit averti quil n'y avoit rien de remarquable à voir. J'allai dîner Fano. à F a n o , petite Ville affez jolie , dans laquelle je vis un Arc de triomphe à trois portes , dont les lnfcriptions étoient ab-folument effacées. Je ne trouvai perfonne affez inftruit pour me mettre au fait de ce morceau , qui me parut être fort ancien. Pïsaro. De là je paflai à Pesaro, petite Ville peu éloignée de la Mer , ôc très renommée pour la fertilité de fon terroir. Il y a une Place affez grande, au milieu de laquelle on voit une magnifique Fontaine. Cette Ville & tout le Duché d'Urbin fut réuni au S. Siège fous le Pontificat d'Urbain Vlll : ce fut en mémoire de cet événement , que l'on fit élever la Statue de ce Pape , qui fe voit encore aujourd'hui Pmaro, dans la grande Place. De Te faro je me rendis en un jour à R imi n i , Ville Epifcopale, fituée au- Rimini. trefois fur le bord de la Mer, mais depuis bien du tems elle ne jouit plus de cet a-vantage, la Mer s'en eft retirée à plus d'un demi-mille. Céfar en fît autrefois fa prémière conquête, au commencement delà Guerre civile. L'Empereur Augufle l'embellit d'un Arc de triomphe, qu'on y voit encore aujourd'hui. On voit auffi les ruines d'un Amphithéâtre, & un Pont de marbre bien confervé , fur lequel deux Jnfcriptions font voir qu'il a été conftruic par les Empereurs Augufte Se Tibère. Depuis Rimini jufqu'à Bologne, je n'ai rien vu de remarquable. * Bologne eft une VilleArchiépif- Bolo-copale , & la féconde de l'Etat Ecciéfiaf- g ne. tique. On l'appelle communément Bologne la graffe , à caufe de la fertilité de fon terroir. Elle étoit autrefois indépendante du S. Siège , ôc elle ne s'y eft foumife qu'à des conditions très avaiitageufes pour elle. Elle a droit, entre autres, d'avoir toujours à Rome un Auditeur de Rote ôc un Ambaffadeur , ce qui eft exactement obfervé. Le Pape de fon côté y a un Légat, c'eft toujours un Cardinal qui eft char- * Voyez le Tome II. des Lettre , pag. IZ4. L 3 chargé de cec emploi. 11 y eft logé dans un Palais , antique à la vérité, mais fort fpacieux , & dont les apartemens font commodément dillribués. On remarque au-deflus du portail de ce Palais une Statue en bronze, que Ton regarde comme un chef-d'œuvre de l'Art, elle pcfe, dit-on, onze mille livres : elle a été élevée en l'honneur de Grégoire XIII. A côté de cette Statue on voit celle de Bo?iiface VIII, qui a fon mérite. Pour ce qui eft des mœurs des habitans de Bologne , je ne puis qu'en faire l'éloge. Ils ont pour les Etrangers toute la politeffe & toutes les attentions , que l'on peut fouhaiter. La NoblelTe y eft nombreufe, & vit d'un plus grand air & avec plus de liberté que dans aucun autre endroit de l'Italie j & pour dire en un mot ce que je penfe de cette Ville, ce feroit la feule où je voudrois demeurer, fi j'avois à m'établir en Italie. Après y avoir féjourné pendant quelque tems, je partis pour Venife, dans un bateau que l'on appelle le Meffager , qui part de Bologne tous les matins , ou du moins ,' plufieurs fois dans la femaine. C'eft la plus déteftable voiture, dont un honnête-homme puifTe fe fervir ,• cependant il falut bien en paffer par-là. Mais à peine étions-nous en train d'aller, qu'à quelques milles de Ferrare l'eau fe trouva trop baffe : on fit mettre pied à terre à tous ceux qui étoient dans le bateau, on Bol<* mit les bagages fur des chariots , & on gn*. nous fit monter dans des efpèces de ca-roffes , à peu près femblables aux coches de France. Je fentois une grande répugnance à monter dans cet équipage, dont tout l'extérieur ne promettoit rien de bon : le Cocher paroiffoit avoir un peu de vin dans la tête , ôc les chevaux qu'il avoit à gouverner étant extrêmement vifs, auroient eu befoin d'un Conducteur qui eût été un peu de fens rafiis. Cependant , n'aiant pour-lors d'autre reffource pour continuer ma route que de me fer-vir de cette voiture , ou de faire à pied tout le refte du chemin, je fuivis l'exem-ple de ceux qui avoient été obligés, auiîi-bien que moi,de defcendre du bateau,ôç nous montâmes tous courageufementdans le caroffe qu'on nous avoit amené. Nous partimes d'un train , qui me donna de terribles inquiétudes pendant toute la route : cependant notre Cocher fe tira adroitement des endroits les plus difficiles, Ôc nous roulâmes affez heureufement jufqu'à Ferrare. Mais nous n'eûmes pas fait deux pas dans la Ville , que notre Conducteur , voulant apparemment faire montre de fon habileté , fit doubler le pas à fes chevaux , précifément dans le tems que nous allions tourner dans une rue : les chevaux ainfi excités tournèrent avec une telle impétuofité 5 qu'aiant pris L 4 le Bolo- le tournant un peu trop court, une roue gne. » ©u Baron de Pöllnitz. 181 Clocher mérite auffi d'être vu ; fa fitua- Milak. tion eft très avantageufe, on en découvre plufieurs Villes, & une bonne partie de la Lombardie. Il y a encore plufieurs Eglifes magnifiques , dont je n'entreprens point de vous faire la defcription ; non plus que de plufieurs autres édifices bâtis avec goût, ôc richement meublés: car la Nobleftè de Milan eft magnifique. Leurs Apartemens ont un air de grandeur ôc de nobleffe, dont la plupart des Italiens ne fe piquent point ordinairement. Les gens de qualité y font d'un très bon commerce; il y a Affemblée tous les foirs, aujourd'hui chez l'un, demain chez un autre ; ôc partout on jouit d'une grande liberté. Chacun s'occupe à ce qui lui peut faire plaifir; les uns caufent, d'autres jouent; ordinairement après le Jeu on foupe enfem-ble, ôc quelquefois le fóuper eft fuivi d'une efpèce de Bal. Vous voyez, Madame , par la defcription que je fais de Milan, que le féjour en eft fort agréable. J'oubliois une des grandes qualités des Milanois; c'eft qu'ils ne font nullement jaloux. Je ne fai comment ils ont pu faire pour ne point participer à un défaut , qui femble faire le principal caractère des Italiens. Vous favez que jamais Ville n'a été fu-jette à plus de révolutions que Mtlan. Elle a été affiégée quarante fois, Ôc prife M 3 vingt- Milan, vingt-deux ; mais jamais elle n'a été plus maltraitée que par l'Empereur Frédéric I. fumommé Barberoujfe. Ce Prince, après l'avoir prife, la fit rafer & y fit femer du fel; il n'y eut que quelques Eglifes qui furent épargnées. Le Duché de Milan, qui par fa fituation fc trouve à la bien-lé;.nce de bien des Souverains, a toujours été une fource de Guerres pour l'Italie. Vous avez lu fans doute dans les différentes Hiftoires , combien de malheurs ce Duché a attirés fur les Provinces voifines, fur-tout pendant les Règnes de l'Empereur Charles-Quint & de François I. Roi de France. Ce dernier demandoit le Milanez pour le Duc d'Orléans fon fécond Fils ; l'Empereur avoit promis à ce Prince de lui en donner l'Inveititure; mais peu efclave de fa parole, il ne fe mit pas en peine de fatisfaire à la promef-fe qu'il avoit faite. Ce manque de parole caufa une haine irréconciliable entre ces deux Monarques. Elle fut à la vérité quelquefois fufpenduc, mais ce fut toujours" pour reprendre de nouvelles forces , & elle ne finit qu'avec la vie de ces deux Princes. Après avoir féjourné quelque tems à Milan, je partis pour me rendre à la Cour de Savoie. La prémière Ville où je m'ar-sal. rêtai fut Casai,. Cette Ville étoit autrefois une des plus fortes & des plus importantes Fortcreflcs de l'itaiic; la Citadelle, dit Baron de Pöllnitz. 183 délie, fur-tout, étoit regardée comme Casal. une des Merveilles du Monde, par tous le* connoiifeurs. Louis XIV, qui en a été longtems le maitre, y avoit fait faire des fortifications dont on voit peu d'exemples. Ce Monarque aiant remarqué la grandeur des bâtimens, avoit fait faire un retranchement & un fécond rempart, qui formoit un nouveau ballion dans le cccur du prémier. Aujourd'hui il ne refte plus que quelques veftiges de ces beaux ouvrages ; les fortifications, tant de la Ville que de la Citadelle, aiant été démolies en 169c, fuivant la Capitulation faite entre les Impériaux ôc les François, lorsque les prémiers fe rendirent maitres de la Place. Cafal appartenoit autrefois aux Ducs de Mantoue, mais aujourd'hui il appartient au Roi de Sar daigne, par conceflion de l'Empereur. Je me rendis en un jour de Cafal à Turin. Turin , Capitale du Piémont, Cette Ville eft le Siège d'un Archevêque, ôc la demeure ordinaire du Duc de Savoie. Elle eft d'une médiocre grandeur; mais au refte, elle eft fort belle, les rues lbnt -larges ôc droites, les maifons prefque toutes uniformes, entremêlées d'édifices magnifiques. On y voit auffi une Citadelle, des * Voyez le Tome II. des Lcttru, p. 339- des plus fortes que l'on puiffe imaginer -tout y eft contreminé. C'eft là que l'on voit un Puits d'une conftrucfion affez particulière : quoiqu'il foit très profond , il eft cependant fait de façon que plufieurs chevaux peuvent y defcendre & remonter fans fe rencontrer. Cela fe fait par le moyen d'un double efcalier fans degrés j qui tourne tant de fois que la pente en devient aifée. En entrant dans Turin par la Porte neuve , on conçoit une grande idée de la Ville. On trouve d'abord une grande rue fort longue, dont toutes les maifons font d'une égale Architecture. Vers le milieu, on voit la Place de S. Char/es, qui eft environnée de maifons d'une fym-métrie parfaite, qui auroient bien plus grand air, fi les portiques qui régnent à l'entour étoient plus élevés. Après que l'on a paffé la Place de S. Charles, on trouve, en fuivant toujours la Rue neuve, une féconde Place qui fait face au Palais du Roi; à la droite duquel on voit le Palais qu'occupoit MadameRoy'aie. Mère du Roi. Ces deux Palais communiquent enfemble par le moyen d'une Gallerie. Le Palais du Roi n'a rien de bien magnifique au dehors; mais en récompenfe, les Apartemens font d'un grand goût & richement meublés. Les Connoiffeurs a-vouent que les Tableaux, qui font en af- fez grand nombre , font des morceaux Turin: excellens. L'Apartement du Roi & de la Reine occupe le premier étage, & forme un double Apartement, qui eft précédé par une Salle des Gardes. Le plus beau morceau du Palais eft la célèbre Chapelle du S. Suaire. Quoique cette Chapelle faffe partie de la Cathédrale, je ne fais point difficulté de l'appeller la Chapelle du Palais, parce que le Roi y entend toujours la Meffc. Elle m'a paru aflèz trille, fans doute parce qu'elle eft revêtue de marbre noir qui tire un peu fur le ve.dâtre, & que d'ailleurs tout ce noir n'eft relevé par aucun bronze, ni dorure. Je m'informai de la raifon qu'on pouvoit avoir eue pour choifir du marbre noir préférablement à tout autre; on me répondit, que c'étoit en mémoire de la mort de N. S. J. C. dont on garde le S. Suaire au-delfus de l'Autel. Cet Autel eft fait de façon, que deux Prêtres peuvent y dire la Meife enlemblc, fans le voir, ni s'interrompre. A côté du Palais du Roi, on voit, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, le Palais de Madame Royale, Mère du Roi. Ce bâtiment étoit anciennement très peu déchoie, les Apartemens étoient allez iîmples, & l'on n'y montoitque par un Efcalier extrêmement incommode. Madame Royale, qui étoit fort magnifique, a fait faire des changemens conûdérables; M 5 en- Tu h in. entre autres embelliffemens , elle a fait conftruire toute une façade, pour y faire un des plus beaux Efcaliers du monde: ce qui fait dire aujourd'hui, que c'eft un Efcalier fans Palais , comme auparavant on dilbit, que c'étoit un Palais fans efcalier. En effet, le refte du bâtiment ne répond nullement à la magnificence de cette façade , & de l'Efcalier. Ce peu d'extérieur n'empêche cependant pas que les dedans des Apartemens ne foient magnifiques; on ne voit par-tout, que marbre , dorures magnifiques, peintures des plus grands Maitres, des glaces d'une grandeur & d'une beauté furprenante, & des meubles très riches. Ce Palais n'étoit accompagné d'aucun Jardin ; il étoit environné de trois côtés par des rues & des Places fort belles : la face de derrière don-noit fur la rue du Pô, qui eft une des plus belles rues de Turin. La Famille Royale confiftoit prémière-ment dans la perfonne du Roi Viclor-Ame-dée, qui avoit époufé une Petite-fille de FranceporaméeAme-Maried'OrléanSjFil' le de Philippe Duc d'Orléans, Frère de Louis XIV, & de Henriette d'Angleterre; dont il a eu deux Princes & deux Princeifes. Le prémier des Princes s'appelloit Philippe- Jofeph , mort le 22 Mars 1715, âgé de ,c ans. Le fécond, qui eft aujourd'hui régnant par la démiffion du Roi fon ■Père, s'appelle Charles - Hmamel, marié en en prémières noces avec Anne-Chrifiine Tumm, de Sultzbach, ôc en fécondes avec Polyxe-ne de Uejfe-Rhinfels. Les deux Princeifes étoient Marie-Adélaïde de Savoie , mariée au Duc de Bourgogne, Dauphin de France, Père de Louis XIV, morte le 12 Février 1712; & Marie-Louife de Savoie, prémière Femme de Philippe V, Roi d'Efpagne, morte le 14. Février 1714. La Reine vivoit encore, dans le tems que je paflai à Turin. C'étoit une PrincefTe des plus gracieufes, ôc qui aimoit beaucoup à converfer avec les perfonnes de fa Cour. Elle recevoit parfaitement les Etrangers qui avoient l'honneur de lui être présentés. Elle eft morte le 26 Août 1728. Madame Royale, Mère du Roi, étoit extrêmement âgée : cependant, à travers ce grand âge, il étoit aifé de remarquer que cette PrincefTe avoit eu de la beauté, accompagnée d'une belle taille ôc d'un air de majefté, que les années n'avoient point altéré. Le premier Prince du Sang de la Maifon de Savoie s'appelle Viclor - Amédée , Prince de Carignan. Ce Prince n'étoit pas à Turin lorsque j'y paffai ; il étoit depuis quelque tems en France, où fes affaires l'appelloient. J 'eus l'honneur de fa-luer la Princeffe fon Epoufe. Vous fa-vez. que cette Princeffe eft Fille du Roi, & Turin. & de Madame la ComtelTe de Verrue. Elle s'appelloit avant fon mariage, Made-moifelle de Suze. Cette Princeife eft, à la vérité, d'une taille médiocre , mais faite à peindre; les traits de fon vifage qui font réguliers, font encore relevés Car la blancheur & l'éclat de fon teint, "outes ces perfections extérieures font foutenues de toutes les qualités de l'efprit 6*c du cœur; c'eft une douceur, une po-liteffe, une façon de parler, qui attache les cœurs en même tems qu'elle attire les refoedts; une vivacité d'efprit qui charme, & une bonté de cœur qui ne fe renferme pas dans de fimples paroles, mais qui ne fe fait jamais mieux fentir que lorsqu'il le prélente une occafion de rendre fervice. Ceci, Madame, n'eft point un Caractère fait à plaifir; je ne dis que ce que j'ai vu par moi-même, & ce que toute la Ville de Turin difoit de la Princeife. Je fus témoin du regret que l'on eut de la perdre, lorsqu'elle partit pour aller trouver le Prince fon Epoux à Paris; ce qui arriva pendant mon féjour dans cette Ville. Je fis ma cour fort affidûment au Roi & à toute la Famille Royale. C'étoit ordinairement lorsque S. M. fortoit de la Meife, que l'on avoit l'honneur de lui parler, car il étoit affez rare de le voir dans le refte de la journée. On alloit en-fuite chez le Prince de Piémont, qui a- Voit fon Apartement au-deffus de celui du turik; Roi. On ne faifoit pas fa cour à ce Prince aufli fouvent, ni auffi longtems qu'on l'auroit fouhaité, parce qu'alors il étoit fort occupé à fes études. Le tems le plus commode pour le voir, éroit le foir, lorsqu'il venoit au Cercle chez la Reine. Ce Cercle conmençoit vers les 6 ou 7 heures: les Dames le rendoientau Palais en habit de Cour, elles entroient dans la Chambre de la Reine, où il y a-voit un fauteuil placé au milieu de deux rangs de tabourets. La Reine ifortoit de fon Cabinet, accompagnée des Princeifes; lorsqu'elle étoit près de fon fauteuil, elle faluoit à droite & à gauche ; enfuite elle s'alfeyoit; les Princeffes s'affeyoient auffi fur des plians, & les Dames fe te-noient debout derrière les Princeifes; les Cavaliers qui s'y trouvoient, le tenoient debout derrière les Dames. La Reine, après avoir parlé pendant quelque tems avec les Princeifes & les Dames, fe le-voit; elle faluoit à droite & à gauche, & fe retirait : quelquefois elle s'arrêtoit dans la même Chambre pour parler à des Dames, ou à des Cavaliers, qu'elle vouloir diftinguer. Au fortir du Cercle de la Reine, on paflbit chez Madame Royale. Cette Princeffe tenoit Cercle de même que la Reine, à la réferve cependant que le Prince de Piémont ne s'y trouvoit pas, & qu'après ïpo Memo i r e ,s près le Cercle S. A. R. permettait aux perfonnes qu'elle vouloit honorer, deda fuivre dans fa Chambre de lit, où elle leur parloir longtems, fe tenant toujours appuyée fur un de fes Ecuyers. Après le Cerclé de .Madame Royale, on ne voyoit plus cette Princeife, ni perfon-nede la Maifon Royale. La NoblelTe ordinairement s'afTembloit au fortir du Cercle, chez Madame la PrincefTe de Ville-franche, où l'on jouoit à différens Jeux, Il y avoit toujours plufieurs tables d'Hom-bre, de Pharaon, de Lansquenet, &c. J'y jouai avec beaucoup de fortune., comme j'avois fait pendant tout mon Voyage d'Italie. J'ai fait tout ce Voyagcaux dépens du Jeu, fi bien que lorsque j'eus paffé les Monts, je me trouvai encore autour de deux-cens, piftoles de profit. Je trouvai beaucoup d'Etrangers au fer-vice du Roi de Sardaigne. Le Chef de fes troupes étoit Mr. de Rhebinder, Suédois , qui recevoit parfaitement les Etrangers ; fa maifon étoit une des meilleures de Turin, Mr. de Schulembourg, dont vous connoiffez parfaitement la Famille, étoit Lieutenant-Général. Comme ce Seigneur eft Luthérien, il a obtenu la permiifion d'avoir un Aumônier de fa Religion. Je ne vous nommerai point les autres Officiers étrangers, parce que je ne les ai point connus en particulier. Avant du Baron de Pôllnitï. 191 Avant que de for tir de Turin , je crois Tuiuh. f que vous ne ferez pas fâchée de favoir ce qui compofe la Maifon du Roi. Cette Maifon , fans être nombreufe, ne laifle pas d'être magnifique. S. M. a trois Compagnies de Gardes du corps , que l'on diftingue par les noms de Sar daigne, Savoie , & Piémont. Ces Compagnies font fort bien habillées. Le Roi a un nombre confidérable de Pages , qu'on élève avec bien plus de foin que dans nos Cours d'Allemagne,où l'on oublie afïez fouvent que les Pages font Gentilshommes. La livrée eft d'écarlate, garnie de galons de velours bleu & blanc. Mr. le Prince de Piémont étoit fervi par les Officiers du Roi. La Reine avoit fa Maifon féparée ; elle avoit une Dame-d'honneur, une Dame-d'atour , & fix Filies-d'honneur. Ces fix Filles dévoient être réformées, & on parloit de mettre en leur place auprès de la Reine fix Dames du Palais, mariées. Madame Royale avoit auffi fa Maifon, & des Gardes. Comme elle aimoit naturellement la magnificence, toute fa Cour avoit un extérieur fort lefte. Cette Princeife avoit aufli à fon fervice le même nombre de Dames & de Filles - d'honneur, que la Reine. Il arriva à la Cœur de S. A. R. une avanture, qui fit beaucoup de bruit. Par-les Filies-d'honneur de la Princefïe, qui qui étoient toutes très aimables, il y erî avoit une qui l'emportoit fur toutes les autres, de façon que fa beauté lui attiroic de toutes parts nombre d'adorateurs. Un jeune Piémontois , que j'ai fort connu, affez aimable de fa figure, plein défprit, mais d'une étourderie au deffus de tout, fe mit fur les rangs ; il mit tout en œuvre pour réuffir dans fon entreprife : mais après avoir foupiré affez long-rems , il fe vit tout auffi avancé que le piémier jour. Ce jeune Amant ne fe rebuta point : il continua toujours fes pourfuites avec une conftance , qui afïurément méritoit quelque attention : mais, foit par vertu, foit peut-être pour ne pas déplaire à quelque Amant favorifé , la Demoifelle demeura inflexible. L'Amant rebuté crut qu'il étoit de fon honneur de ne pas furvivre à un pareil traitement. Cependant, dans u-ne circonftance auiïi délicate, il réfolut de ne rien précipiter; il crut même qu'en faifant part à la Cruelle du defefpoir Quelle l'a voit jette, & de la terrible extrémité à laquelle il fe trouvoit réduit, cela pourroit l'engager à le traiter avec moins de rigueur : mais il en arriva tout autrement. De forte que ce jeune Fou aiant déclaré nettement qu'il fe tueroit, fi fon martyre duroit plus longtems, la Demoifelle lui répondit affez froidement : Eh bien, Monfieur , tuez-vous, que m'importe ? Ces douces paroles ôtèrent au jeune Pié- mon- düBarondePölliïïtz. ï<)} montais l'envie qu'il prétendoic avoir de Tumw. ié tuer ; mais cependant, il réfolut d'en donner la peur à fa MaitreiTe , & après être forti affez brufquèment d'avec elle, il alla faire emplette d'une Veffie qu'il fie remplir de fang , & l'aiant mife aiïez a* droitement fous fa chemife , il revint trouver la Demoifelle , & la menaça encore de fe tuer à fes yeux , fi elle perfis-toit dans fes refus. Aiant reçu à peu près la même réponfe que la précédente , il s'écria avec paffion : Vous voulez donc ma mort, Mademoifelle ? Allons , /'/ faut vous fatisfaire. Il tira en même tems fon épée » & aiant percé la velfie , il fe laiffa tomber , & contrefit le mort. La Demoifelle fît un cri épouvantable ,. on vint au fe-cours. L'abondance du fang répandu effraya d'abord ; mais lorfqu'on eut relevé le jeune-homme , on vit bien-tôt à fon vi-fage que le facrifice qu'il venoit de faire ne lui avoit pas coûté beaucoup. Ce qu'il y eut de fâcheux pour lui, ce fut que Madame Royale en fut informée à l'inftant, car cette Scène tragi-comique fe paffa dans fon Antichambre. La Princeffe, pour apprendre à ce jeune étourdi à ne pas manquer au refpcct dû aux Princes , le fit mettre en prilbn dans un Château peu éloigné de Turin J où il efl demeuté environ deux ans. De Turin je me rendis dans le même jour au pied du Mont Cenis.Je ne vis rien Tome U. N de m. do remarquable dans toute cette route ; que la Ville de Su s s y où l'on confer-voit autrefois les Titres & les Chartes de la. Maifon de Savoie ; mais l'Empereur •frédéric L y fit mettre le feu & les brul» tous. A peu de diftance de Sufe on voit une Bru- Forterefle appelléc la Brunette. C'eft un rTE. morceau qui mérite l'attention d'un Voyageur. Cette Fortereffc commande au pas-fage des. Alpes , qui ne pourront plus être fi, facilement pafïées par les François. Le lendemain de mon arrivée au pied du Mont-Cenis, je me préparai à paffer cette terrible Montagne ; je fis démonter ma chaife, qu'on chargea fur des mulets avec mes coffres ; enfuite je me mis dan» une efpèce de fauteuil, & deux hommes relevés de tems en tems par deux autres, me pailèrent en cinq heures dé tems. Lorfque je fus fur le fommet de la Montagne v je m'arrêtai , dans l'cfpérance de découvrir une grande étendue de pays \ mais je ne vis qu'une belle Prairie avec un grand Lac, & des Prés qui doivent être d'excellens pâturages. On trouve auffi fur le haut du Mont-Cenis un Cabaret , où les Muletiers & les Porteurs fe repofent. Ceft l'endroit du monde le plus trifte; il eft vraiment au milieu d'un Défèrt affreux , & toujours couvert de neiges, du moins pendant neuf mois de l'année. Une chofe qui mérite d'être remarquée, cîeft r>U B a-row TXE PÖLLKMT2: föf c'eft qu'au milieu d'une telle folitude, & environné de gens qu'on ne connoit point, il ne-le perd jamais rien. Après la defcenté du Moht-Centt jfaüai jufqu'à Lanebourg, premier Village de SàV voie. Ceft là qu'on remonte les chaifes. Dès que mon équipage fut fur pied , je pris la- route de • C h a m b a r V, Capitale Chambv,-de la Savoie. Cette Ville eft fituêe entre Ry-deux Montagnes fur les Rivières de Laffe &z d'A'lbans. Il y? a un-Parlement , Cöm-pofé de quinze Sénateurs 6c de quatre Préfidens. Il eft redevable de fon inftitu-tion à Amédée Wi, Duc de Savoy e. De Cbambérije me rendis à G-ë'ne'vê-, Geneyjs. petite République alliée dés Cantons Suis^ les. Cette Ville eft fituée fur un Lac dont elle fe prétend Souveraine , comme lé République de Piaifir le prétend être de* la-Mer Adriatique. Ce Lac contribue bèau«-coup à l'embelliffement dé Geiiàve , qufr eft bâtie fur un coteau en Amphithéâtre-, de façon qu'elle domine d'un côté fur le? Lac ,. qui eft bordé de Vignobles cVdë Maifons-de campagne fort jolies ; ôt def Uautre on découvre une Campagne magnifique, des jardins, de fort beaux pâttf»' rages & une belle Allée qui forme urf Mail fort long: Ces deux côtés fe trouvent bordés des Montagnes de Savoie1,- dont * Voyçfc le Tome II. des' Lettres; ptgt 36*; N a Genève, dont la cime couverte de neiges forme un Ipectacle fort agréable. Il eft vrai qu'à l'égard des Genevois, la fituation de leur Ville feroit beaucoup plus avantageufe , fi le coup d'ceil n'étoit pas fatisfait de fi près ; ou du moins, fi on n'avoit rien à craindre de ce qui forme un point de vue û charmant. En effet , de quelque côté que ces Républi-quains jettent les yeux, ils voyent facilement les limites de leurs Etats ; & cette {)etite République ne fe foutient que par a jalouûe des Souverains leurs voifins , qui ne veulent point permettre à aucun d'entre eux d'en faire la conquête. Cependant , ces Meilleurs font montre de leurs forces ; ils ont fait des dépenfes con-fidérables pour fortifier la Place : je ne fai pas pourquoi ; car fi l'une des Puis-fances voifines venoit attaquer Genève, & que cette Ville ne fût point fecourue par les autres , fortifiée ou non, elle feroit bien obligée de fe rendre. J'aurois mieux aimé employer à faire des embel-liffemens dans la Ville, l'argent qu'ils ont dépenfé pour leurs nouvelles Fortifications; & fe contenter des anciennes , qui font plus que fufEfantes pour leur donner le tems d'attendre du fecours en cas d'attaque. J'allai voir l'Arfenal, qui me parut bien fourni. Ils ont aufli toujours une Garnifon confidérable. Les Soldats qui lacom- pofent pofent ne peuvent être enrôlés que de Gbvbv^ leur plein gré, & dès que la Milice commence à leur déplaire , ils peuvent demander leur congé, fans que l'Officier puiffe le leur refufer. Cette liberté de fe retirer n'empêche pas que la Garnifon ne foit toujours plus que complette. Les Genevois ont la réputation d'être riches , & ce n'eft fans fondement ; le Commerce y eft confidérable , ôc tout le monde y eft ou Négociant , ou Fabri- , quant. Ils affectent cependant beaucoup de modeftie , foit dans leurs bâtimens, foit dans leurs meubles. Les maifons ne font guères exhaufiées, ôc les apartemens font d'une médiocre grandeur ; les meubles ôc les habits font auffi très modeftes : il y a même un Décret du Sénat qui leur défend d'employer de la dorure en meubles ou en habits , dans la crainte apparemment que le Luxe , qui ruina jadis la République Romaine, ne caufe une pareille révolution dans leur petit Etat. Le Sénat de Genève s'aflemble ordinairement à la Maifon de Ville, vis-à-vis de laquelle il y a un Corps de garde qui préfente les armes lorfque Mrs. du Sénat s'as-femblent, ou qu'ils fortent de leur féan-ce , ou bien lorfqu'ils marchent en cérémonie. Dans ces occafions , le Sénat ôc les Miniftres forment deux lignes, dont la droite eft occupé par le Sénat, ôc la gauche par les Miniftres. N 3 L» La Maifon de Ville n'a rien de fort remarquable , tout y eft d'une .grande (implicite. J'ai remarqué dans la grand' Salle les Portraits de la Reine Anne d'Angleterre , de Frédéric I. Roi de Pruffe, de l'Electeur de Brandebourg Frédéric - Guillaume le Grand, ôc du Landgrave deBejfe-Cajfel. Tous ces Portraits font autant de marques de Communion que ces Princes xint données aux Genevois. Vous favez qu'ils font tous de la Religion Réformée, & -très attentifs à ne point fouffrir le mélange d'aucune autre Secte, Les Luthériens y ont une petite Chambre qui leur iert d'Eglife , 6c il leur eft très exprefïë-ment défendu d'en faire bâtir une. Pour les Catholiques-Romains , on les regarde à Genève comme des Idolâtres. Le Roi de France n'a obtenu qu'avec peine que l'on diroit la Meffe chez fon Réfident : les Miniftres Genevois , dans le tems que Louis XIV fit faire cette demande à la République , mirent tout en oeuvre pour empêcher qu'elle ne fût accordée ; mais toutes leurs démarches n'eurent aucun effet, ôc on leur fit fentir qu'il y auroit de l'imprudence à defobliger un aufli grand Prince. Meflieurs les Miniftres font une figure affez confidérable dans l'Etat, pour que je vous en dife un mot. Ces Meflieurs fe regardent comme autant d'Evêques ; chacun dans fon Prêche particulier fait fon Man- Mandement , décide des matières de Foi geneve. en dernier reflbrt; & quoique d'une même Religion , ils font quelquefois d'un fentiment bien différent les uns des autres. Cependant, quelque divifion qu'il y ait entre eux , ils fe donnent volontiers la mafn lorfqu'il s'agit d'invectiver contre le Pape , la Cour de Rome, les Evê-ques Ce fur-tout contre les Jéfuites ; car ils ne peuvent fouffrir ces derniers, & il eft rare qu'un Miniftre fe poffède affez. ur fuivre exactement la matière de fon êche , fans faire une cruelle fortie fur ces Religieux. Pour ce qui eft de Mrs. du Gouvernement , il faut avouer qu'ils font fort charitables. Ils ont fait bâtir un Hôpital magnifique, auquel ils ont donné de grands revenus, ôc où les Pauvres font fort bien entretenus. Les Pauvres paffagers y font reçus peint un jour feulement ; on les loge , on leur donne à manger, ôc le lendemain on les congédie, avec quelque argent qu'on leur donne pour continuer leur route. Ce même Hôpital fert auffi de Maifon de correction pour les Jeunes-gens , & pour les Femmes de mauvaife vie ; car là-deffus, la Police eft très exacte à Genève. Je voudrois pouvoir faire le même éloge des Commerçans de cette Vule i qui peut-être font de fort honnêtes-gens; mais le démêlé que j'ai eu avec un des plus fameux d'entre eux, me rend N 4 leur leur probité fort fufpc&e. Voici ce qui me donna occafion de connoitre un peu le caractère des Commerçans de Genève 11 eft vrai que je n'ai eu affaire qu'à un feul; mais comme cet unique m'avoit été indique comme l'homme de Genève le plus intègre , je crois ne pas juger témérairement de tous les autres , en ne leur fuppofant qu'autant de mauvaife-foi que j'en ai trouvé dans ce Banquier G renommé. J'avois environ quatre-cens piftoles , en iortaht de Genève , tant en vieilles espèces , qu'en piftoles d'Efpagne. J'appris, clans ce même tems, qu'il étoit défendu de palfer en France de pareils effets, & on me çonfbilla de m'en défaire, & de prendre des Lettres de change fur Lyon. Je ne fis point difficulté de fuivre ce con-lèfl; j'allai trouver celui qu'on me don-noit pour le plus honnête Banquier de Genève ; je ftipulai avec lui qu'on ne pourroit, fous quelque prétexte que ce pût être, me payer à Lyon qu'en efpèces fonnantes , les Billets commençant déjà à perdre beaucoup de leur crédit. Comme tout ceci n'étoit que verbal, ce Ban-guier me fît la promeffe la plus folen- ' nelle, 6c affura même avec ferment, que j'aurois lieu d'être content. Sur des pro-meffes en apparence fi authentiques , je. comptai mes efpèces : il ajouta en les re-cevant, que fi par hazard le Banquier de. "Lyon refufoic de me payer en efpèces, il Geneye. s'engageoic à me payer en argent comptant , en lui renvoyant fa Lettre de change. Je fuppofois tant de bonne-foi dans cet honnête-homme, que je partis de Genève avec fa Lettre de change & une fom-me très modique, que je m'étois rélervée pour me conduire à Lyon. Je n'y fus pas plutôt arrivé , que je me rendis chez le Banquier auquel le Genevois m'adreifoit. Je préfentai ma Lettre de change, à laquelle on fe mit en devoir de fatisfaire, en me déployant du Papier. Je refufai d'abord cette monnoie , & je lui fis part des conventions que j'avois faites à Genève. Celui-ci me répondit, qu'il n'étoit point obligé de tenir des conventions dont il n'étoit nullement participant ; & il me con-feilla de renvoyer ma Lettre à Genève. Je fuivis fon confeil, & j'écrivis à mon Banquier, qu'on refufoit de fatisfaire à ce dont nous étions convenus. Celui-ci fut fi Jongtems fans me faire réponfe , que je me crus à la veille de n'avoir ni Billets ni efpèces ; & par conféquent dans une fituation affez trifte , la petite fomme que je m'étois réfervée pour mon voyage de Lyon , aiant été bientôt diffipée. Cependant , au bout de trois femaines le Banquier Genevois me renvoya ma Lettre de change , en niant fortement d'avoir fait avec moi aucun autre traité, que de= me faire payer en monnaie courante , qui N y étoient Crfiiuiv*.étoient des Billets. Je vis bien qu'il en fa-loit néceffairement paffer par-là .; je pris donc des Billets , & je partis de Lyon en pofte pour me rendre à P*ris. Taris. j€ trouvai de grands changemens dans cette Ville. La Paix avec TLfpagrjeétoit ajourée ; la plupart des Priionniers qui s'é-toient trouvés envelopés dans l'affaire du Prince de Callamare, étoient alors en liberté; quelques-uns qui étoient, ou plu* coupables , ou moins utiles à l'Etat , avoient été chaflès de France , & la plupart s'étoient retirés en Efpagne, où j'en ai vu qui s'y trouvoient fi mal à leur aife, qu'ils regrettoient les prifons de la Baftil-le , où du moins ils étoient bien nourris. Le Duc Régent de fon côté, après avoir ainfi calmé l'inquiétude des performes , auxquelles ion autorité faifoit ombrage , avoit auiïi pourvu à l'établiflement de quelques-unes de fes Filles. 11 y en avoit une à qui il avoit fait avoir l'Abbaye de Cbtllts , par la démiffion qu'en avoit bien voulu faire Mad. de Viilsrs qui en étoit Abbefle. La féconde, qui s'appelloit Ma-demoifelle de Valois, venoit d'être mariée au Prince héréditaire de Modène. Cette Princefle étoit partie avec un trouifeau, qui furpaûbit en magnificence celui que l'on donne communément aux Ftlles de France. Sur la route , on lui avoit rendu les mêmes honneurs que l'on a coutume de .rendre aux Filles de Roi j Ôc afin que le du Baron de Pöllnitl ao; réel répondît à tout ce brillant, le Duc Pari». de Modène avoit ftipulé une dot très confidérable , payable en efpèces d'Italie , pour n'être point expofé à toutes les révolutions des monnoies de France. Ce Prince avoit pris un bon parti, car tous les jours étoient remarquables par diffé-rens Arrêts au fujet des efpèces. Cependant ces mêmes Arrêts paroi ffoient devoir être bientôt inutiles ; du moins ce qui en étoit le principal objet, étoit ab-folument difparu. N'y aiant donc plus d'or ni d'argent dont on pût diminuer la valeur , on s'avifa de toucher aux feules efpèces Cjui reftoient : je parle des Billets de Banque, qui effuyèrent à leur tour d'étranges révolutions , d'autant plus de conféquence pour ces miférables effets , que rfaiant aucune valeur intrinfèque, ils pouvoient très aifément retomber dans le néant d'où ils étoient fortis. On dit que ce furent les Ennemis de Mr. Lauj, qui furent caufe du defattre des Billets. Ils envioient le crédit qu'ils voyoient que cet Etranger avoit fur le Duc Régent -7 & rien ne le fk mieux connoitre , que la difficulté qu?ils eurent à réuffir dans leur en-treprife. Mais enfin ils vinrent à bout de leurs deffeins , & après avoir plufieurs fois remontré , & toujours inutilement, que les Billets faifoient un tort confidérable au Commerce 3 que plufieurs Marchands étoient obligés de fermer leurs bou- Paris, tiques, étant impoffible de négocier fans argent ; que les Particuliers qui avoient pour tout bien des rentes conftituées , étant rembourfés avec des Billets, ne pou-voient pas fubfifter longtems , ces mêmes Billets n'étant pas reçus chez les Marchands pour la valeur qui y étoit énoncée • enfin le Régent, fatigué des pour-fuites continuelles de ces donneurs d'avis, céda à leur importunité , & confentit à la fuppreffion des Billes. Mais comme on fentoit bien l'impoflGbilité qu'il y auroit de les anéantir tout d'un coup, on prit le parti de les éteindre peu à peu. Ce fut en conféquence de ce projet , qu'on vit paroître le 2t Mai un Arrêt du Confeil, qui diminuoic les Billets de dix pour cent par mois , jufqu'à la moitié de leur valeur. Cet Arrêt occafionna quelque tumulte j tout Paris étoit prêt à fe foule-ver: le concours de peuple fut un jour fi confidérable du côté de la Banque, qu'il y eut plufieurs perfonnes étouffées dans la preffe,dont la populace mutinée porta les corps jufques dans la Cour du Palais Royal. Mr. Lavjy à qui on en vouloir pour, avoir donné l'idée d'un Syftème fi pernicieux , n'ofoit plus fe montrer. Enfin le mouvement parut devenir fi fèrieux, que le Régent fentit bien qu'il étoit impofii-ble pour le préfent, de faire valider l'Arrêt qui venoit d'être donné : il prit le parti de le faire révoquer, dansl'efpérancede. re- ôu Baron Di Pöllnitz, àof regagner la confiance du Public. Mais elle étoit entièrement perdue; chacun déferta la Banque , & malgré les menaces de diminutions d'efpèces, on aima encore mieux garder fon argent , qui valoit toujours quelque chofe, que de le charger de Billets , qui à la première fantaifie du Prince ne laifferoient après eux que la trille idée d'avoir eu du bien. En effet, malgré la révocation de l'Arrêt, les Billets perdirent confidérablement de jour en jour. Ce fut alors que le terme de réalijer devint le terme favori du tems j c'eft-à-dire , que la plupart des Particuliers qui étoient chargés de Billets, cherchèrent à les échanger, non pas contre de l'argent, qui fembloit alors être rentré dans les entrailles de la terre , mais contre des effets réels : les uns achetèrent des Diamans, les autres de la Vaiffelle d'argent, d'autres des Marchandifes , en un mot, les plus prudens fe défirent de leur Papier. Les Seigneurs même devinrent Marchands. Il y en eut un. entre autres des plus qualifiés , * qui fit un Magazin confidérable de Cafré ,de Bougies, d'Epiceries & autres chofès femblables, pour les revendre dans la fuite. Le Parlement prit connoiflancç de ces acquifitions ; mais ce Seigneur en fut quitte pour quelque mortification de la part de ces Meflieurs 5 du refte , les Epi- Mr. lç Duc de /* Ftrtu Txtiu Epiceries , lé Bois, le Caffé &c. lui ré*: tèrenr. Ce fut dans cette crife de la réduction des Billets, que j'arrivai à Pari*. Cette Ville étoit alors comme un Bois, dans lequel on n'entendoit parler que de vols & d'affafîinats. Effectivement, la facilité qu'il y avoit de porter dans fon portefeuille la fortune de bien des gens, étoit un grand fujet de tentation pour les Voleurs. D'ailleurs, malgré le défaut d'argent , le Luxe, la Débauche & le Jeu étoient parvenus au dernier période; ôc les jeunes Débauchés fe portaient aux plus affreux1 excès, pour attraper dequol fe fatisfaire. On me raconta à ce fujet', que vers la fïri du Carême de 1721, le Comte de Hom, jeune Seigneur allié aux premières Familles de l'Europe , eut la lâcheté d'affafTîrier , lui troifîème , un pauvre miférable qui gagnoit fa vie à négocier pour d'autres, des Actions & des Billets. Comme le porte-feuille de cet homme parut rempli de quantité d'effets qui dévoient monter à une fomme confidérable , le Comte l'engagea à! venir dàffs un Cabaret de la rue S. Martin, föus prétexte de lui acheter des Actions. Il le fit monter dans une chambre fur le derrière, qu'il avoit arrêtée exprès ; Ôc dans le rems que celui-ci déployoit fon porte-feuille fur la table , le Comte & les deux Camarades lui jettèrent la mppe par du Baron de PöllnïtzI 207 par deiTus la tcte, & le poignardèrent Pa*K cruellement à coups de couteaux. Le bruit que fit ce malheureux dans le tems qu'on l'aflaffinoit, fit monter quelqu'un du Cabaret ; mais ils avoient eu foin de fermer la porte de la chambre en dedans, de lorte qu'il fut impoffible d'entrer. Le Comte & fes Complices prirent le parti de defcendre par une fenêtre qui donnoit fur une petite rue à côté du Cabaret; & quoiqu'ils fuffent à un fécond étage, ils defcendirent affez aifément, à la faveur de quelques morceaux de bois qui étoient en travers de la rue pour foutenir les* deux maifons. Les Camarades du Comte longèrent à le fauver; mais il n'y en. eut qu'un qui fut allez heureux pour pas-fer dans les Pays étrangers"; l'autre fut arrêté vers les Halles, &t conduit chez un' Commiffaire. Le Comte de fon côté, au-lieu de chercher à fe fauver,alla fè plaindre chez un Commiffaire de ce qu'on avoit, difoit-il, voulu l'afTaffiner. Son vi-fage égaré, & fa main & fes manchettes teintes de fang, firent foupçonner le Commiffaire , qu'il pourroit y avoir quelque chofe de plus ou de moins dans une pareille plainte, & il lui demanda de le conduire dans l'endroit où il difoir avoir couru rifque de la vie. Mais comme celui-ci en faifoit quelque difficulté, le Commiffaire fit venir des Archers pour l'y conduire de force. Le Comte, avant que Paris. de partir, demanda un moment pour fë retirer dans un endroit particulier, fous le prétexte de l'impreilion que le danger avoit fait fur lui ; mais ce ne fut que pour jetter dans des Commodités le porte-feuille qu'il avoit volé, comme on l'a fu depuis. 11 partit enfuite avec le Commiffaire. On n'eut pas beaucoup de peine à favoir la vérité : le Cabaretier avoit fait ouvrir fa chambre, & la vue du cadavre & les couteaux enfanglantés furent autant de témoins qui dépolcrent contre le Comte. Il fut conduit au Châtelet, & en huit jours de tems (on procès fut terminé. Il fut condamné, aufli-bien que fon Complice , à être roué vif en Place de Grève ; ce qui fut exécuté le mardi de la Semaine Sainte. Pendant le tems de fa prifon, tout ce qu'il y avoit à Paris de Seigneurs Etrangers agirent vivement pour obtenir fa grâce, ou du moins pour qu'on lui fît trancher la tête, reprélentant, que l'infamie du fupplice de la Roue retomberoit fur toute la Famille. Mais le Duc Régent dit pour toute réponfe, que le Comte étoit aufïi-bien fon Parent que le leur ; &c que c'étoit le crime, & non pas le fupplice, qui desho-noroit les Familles. Le Comte de Horn fit une mort vraiment Chrétienne ; les principes de Religion, qu'une éducation convenable à fa naiffance lui avoit donnés, mais qu'il avoit eu le malheur d'é- touf- du Baron d;e P<5lL n ï t z. iocj toufrer, fe réveillèrent dans ces terribles momens, & Jui firent accepter la mort avec une réfignation, qui fe trouve rarement dans les perfonnes qui meurent de morr violente. La décadence des Billets ne fut pas le fèul mal que la France effuya; la Pefte fe mit auffi de la partie, Je me trouvai un jour au lever du Duc Régent, où il annonça lui-même la trifte nouvelle que la Pefte étoit à MarfeiUe. On fut d'abord affez feniïble à cette nouvelle, mais on l'eut bientôt oubliée, on fe livra plus que jamais aux plaiiirs, à la bonne chère, à la galanterie &c. Il n'y eut que le Jeu qui parut un peu en fouftrir, parce qu'il fa-loit néceflairement de l'argent comptant, les Billets n'aiant alors qu'un crédit forcé. Pour le Commerce, il alloit toujours en empirant, & les Marchands, qui avoient tenu bon à refufer des Billets de Banque, furent cependant bientôt obligés d'en accepter , voyant bien que s'ils perfiftoient à les refufèr, ils feroient dans la nécefïi-té, ou de ne plus vendre, ou de vendre à crédit: alternative également ruïneufe pour le Commerce, qui ne peut fe fbu-tenir que par la circulation des efpèces, ou du moins de quelque chofe qui puifle leur être équivalent. Je ne pris de part aux malheurs publics qu'autant que l'humanité, & l'intérêt que je prenois à la fortune de mes Amis, me Tome IL O le Paiii. le permirent: du refte, je paflbis affez bien mon tems. J'allai dans une Campagne d'un de mes Amis près d'Orléans, où je demeurai environ fix femaines; a* près lesquelles je revins à Paris, où je ne reftai qu'autant de tems qu'il m'en falut pour tout préparer pour mon Voyage d'Efpagne. Je pris la route de Lyon & du Languedoc, pour avoir le plailir de voir plufieurs de mes Amis qui avoient des Terres dans ces différens endroits. De Lyon je paifai à Vienne en Dauphiné. De là je reparlai le Rhône, & prenant ma route par le Vivarez, je me rendis à une Terre près de Nimes, qui appartenoit à un de mes Amis, chez, qui je demeurai pendant un mois. J'allai voir à Nimes les fa meules Arènes , qui font de précieux reftes de l'Antiquité Romaine. De Ni-Mont- mes je me rendis à Mo ntpellier, rsLusit. qUi 4 ttkh\ avis eft une de? plus agréables Villes du Royaume, & celle, après Paris, où il y a le plus de beau monde. La fituation en eft charmante: elle eft peu éloignée de la Mer, & environnée de Campagnes très fertiles, qui forment un point de vue très gracieux. Les maifons font affez mal bâties , mais les dedans font tous très propres & bien meublés. Les rues font fi étroites, qu'il eft difficile d'y aller en équipage, on fe fert ordinairement de chaifes à porteur. Les dehors de la Ville font aflez, beaux, principalement ment du côté de la Mer. Il y a dans cet Mokt- " endroit un grand Quatre en forme de pellieb. Terraffe, entouré d'arbres, au milieu duquel on voit une magnifique Statue é- Sucftre de Louis XIV, fur un grand pié-eftal de marbre blanc. Les Connois-feurs prétendent que c'eft un morceau achevé dans toutes fes parties. Après avoir paifé quelques jours à Montpellier, je continuai ma route vers Toulou/e. Je paflai d'abord par Beziers, Bë-Ville Epifcopale, dont le féjour eft fi a- *lEtt54 gréable, que l'on dit en commun proverbe : Si Dieu voulait choijir un féjour fur U Terre, il choifiroit celui de Beziers. On, dit même que les habitans du Pays, les nobles fur-tout, ont plus d'efprit & de conduite que par-tout ailleurs. Cependant j'ai vu dans différentes Cours plufieurs perfonnes originaires de cette Ville , qui m'ont fait concevoir une idée bien oppofée à celle qu'on a voulu me donner des habitans de Beziers ; c'étoient ailurément les plus grands étourdis du monde. De Beziers je paflai à Castelnauda-CasTî^-ry. Ce fut aux environs de cette Ville, nauda-que fut donnée la Bataille dans laquelle le RY' fameux Connétable de Montmorency fut pris les armes à la main contre fon Roi. Louis XIII, à la follicitation du Cardinal de Richelieu, fit trancher la tête à ce Seigneur , qui reçut le coup de la mort avec O a une une fermeté digne de fon nom & d'une meilleure caufe. De cette Ville je me rendis en peu de tems à Toulouse , qui eft la Capitale du Languedoc, & le Siège d'un Parlement qui eft le fécond du Royaume. La Cathédrale eft dédiée à S. £-tienne : c'eft un bâtiment magnifique, fitué dans une grande Place ornée d'une belle Fontaine, fur laquelle s'élève un Obélifque parfaitement bien travaillé. Le Palais de l'Archevêque joint la Cathédrale : c'eft un bâtiment tout neuf, dans lequel on n'a rien épargné. Pour ce qui regarde le commun des maifons de Tbuloufe, elles font toutes affez bien bâties, cependant fans aucun ornement. Les rues font affez larges, mais fort mal-propres ; ce qui me fit juger que la Police n'y étoit pas fort exacte. Pour ce qui eft des Touloufains, je vous avoue, Madame, que je m'accom-moderois affez de leur façon de vivre. Ils ont tous beaucoup d'efprit: malheu-reufement, ils en font perfuadés, ce qui leur fait quelque tort. Du refte ils font fort polis , fur-tout pour les Etrangers, qu'ils reçoivent parfaitement bien. Je ne crois pas avoir jamais fait meilleure chère , & plus agréablement, qu'avec ces Meilleurs : ils ont tous des faillies ré-jouiffantes. L'accent du Pays, fur-tout dans les Femmes , répand fur tout ce qu'elles difent un certain1 agrément, qui femble donner de l'efprit aux penfées raêr mes mes les plus communes. Les petites Tou-Chanfons où Vaudevilles font auffi corn- lovse. me des fruits du terroir ; tout le monde en fait faire ; & fi elles ne font pas également bonnes, elles font toujours également bien reçues, par le talent qu'ils ont de les faire valoir. Il faut aufli avouer à l'honneur des Languedociens , qu'il n'eft point de Province en France, & même en Europe, où l'on voyage avec plus d'agrément que dans la leur. Les chemins font magnifiques, les Cabarets bien fournis de tout ce qu'un Voyageur même un peu difficile peut fouhaiter ; 6c le tout à un prix raifbnna-ble. De Touloufe je paffai à P au, Ville & pAty. Parlement du Béant, célèbre par la nais--fânce de Henri IV, qui arriva l'an 1557 le 1. Décembre : ce qui donna lieu à Catherine de Médieis, fa Belle-mère, qui ne l'aimoit pas, de l'appeller le Béarnois. On voit encore dans le Château, la Chambre où ce Prince vint au monde. Cette Ville ne confifte que dans une feule grande rue, au bout de laquelle eft le Château, qui eft très ancien. Le commun des maifons m'a paru être fort peu de chofe; elles font toutes baffes , petites & fans ornement. Les environs font aflez. beaux. Au fortir de la porte du côté des Pyrénées, on voit un Bois fort épais, percé de plufieurs Allées, qui forment une promena-O 3 de Pau. de magnifique. Depuis ce Bois, qui eft fitué fur un terrein fort élevé, jufqu'aux Pyrénées, on découvre une Vallée d'une grande étendue , coupée d'une Rivière fort belle, 6c parfemée de Villages & de petits Hameaux, qui forment un point de vue des plus agréables. Depuis Pau julqu'à Baionne, on s'ap-perçoit bien qu'on n'eft plus dans le Languedoc: les chemins font affreux, & les Auberges déteftables, ce qui fit que je ne m'amufài point fur la route , ôc je me Baion- rendis en diligence à B a i o n n e. Le wb. lendemain de mon arrivée, j'allai rendre vifite au Lieutenant-de-Roi , qui com-mandoit dans la Place. C'étoit un Canadien , qui avoit été, à ce que je crois, Major ou Lieutenant-Colonel du Régiment de Normandie. Le Duc Régent l'avoit fait Brigadier, ôc tout de fuite Chevalier de S. Louis , dans la grande promotion qu'il avoit faite au commencement de la Guerre d'Efpagne. il lui avoit donné pour Adjoint un nommé Dar doncourt, comme un homme dont il étoit fur. Ce fut celui-ci qui me reçut, le Lieutenant-de-Roi n'étant point pour-lors à Baionne. Je fus d'abord aflez content de J>adoncourt: il me reçut poliment, Ôc fur ce que je lui dis que j'avois intention de paffer en Efpagne, il me répondit que j'en étois abfolument le maitre, ôc qu'il n'y voyoit aucun obitacie. Le lendemain il il vint me voir, & me pria à dîner. J'ac- Raiow-ceptai la partie , dont je n'eus pas lieu d'être content. L'Affemblée étoit allez mal compofée, & il s'y tint des difcours qui me déplurent beaucoup. Dans ma f>rémière entrevue avec Dadoncourt , j« ui avois parlé d'une vifite tque j'avois rendue au Comte de S. . . dans le Languedoc : il m'en parla beaucoup pendant le dîner qu'il me donna, & il m'avoua qu'il avoit été étonné que le Duc Régent lui eût rendu la liberté, au-licu de lui faire trancher la tête, comme il l'a-voit mérité. Oui , ajouta-t-il avec un tranfport, auquel je crois que le vin pouvoit avoir quelque part, oui, S. Ji. R. a eu trop débouté; il faloit faire trancher la tête à toutes ces Canailles qui avoient ofé tremper dans l'affaire du Prince de Cella-mare. Je ne laiflai pas d'être étonné dt la vivacité de cet homme, & je lui re-préfentai allez doucement , que Mr. le Régent avoit agi avec beaucoup de prudence dans la conduite qu'il avoit tenue ; qu'il y auroit eu trop de cruauté à faire périr des perfonnes de la prémière qualité, dont le fang répandu auroit peut-être pu trouver quelque défenfeur. Eh Mon-fleuri me répondit-il, qu'auroit?on pu faire ? Le Duc d Orléans étoit ajfuré des 7You~ \ pes & des Places, tout le monde auroit fièrement pris fa défenfe dans les Provinces ', moi-même , f aurais fait pendre le prémier O 4 Gtn- Gentilloomme qui auroit fait mine de Je remuer. Je vis bien que j'avois affaire à un rude Satellite, & le voyant d'ailleurs pris de vin, je lui laiffai le champ libre pour exagérer l'attachement qu'il préten-doit avoir pour le Duc Régent; me promettant bien de ne plus voir un homme qui avoit des fentimens aufli fanguinaires. Au fortir de ce dîner, j'allai à l'Audience de la Reine d'Elpagne, Marie-Aime de Neubourg, Douairière de Charles II. En arrivant au Palais, ou plutôt dans une maifon aflez vilaine où la Reine étoit logée , je trouvai un Ecuyer de cette PrincefTe, qui me conduifit dans une Chambre d'Attente. Quelques momens après, ce même Gentilhomme vint me prendre & me conduifit chez Mad la Ducheffe de Lignarès, Dame-d'honneur de la Reine. Cette Dame me fit mille politeflès ; mais comme elle ne favoit que l'Efpa-gnole, il nous fut impoflible de converger enfemble. Elle fe contenta de me parler beaucoup par lignes, & moi je lui répondis par force révérences. Heureu-fement on vint nous débaraffer l'un de l'autre, en l'avertiffant de me conduire chez la Reine. Je trouvai S. M. debout, habillée de noir à l'Etpagnole. Elle étoit feule dans fa Chambre; je vis dans une autre Chambre quelques Filles-d'honneur, aufli habillées à l'Efpagnole , qui regar-doient à travers la porte, qui étoit ent^- ou- du Baron de Pöllnitx. 217 ouverte. La Reine me fit une réception Baion-des plus gracieufes ; elle s'informa de mon NE-nom, de ma Patrie; elle me parut charmée de rencontrer un Allemand un peu au fait d'un Pays qu'elle a toujours aimé. Elle me demanda des nouvelles des Electeurs & des Princes fes Frères. J'étois en état de fatisfaire S. M. fur toutes ces demandes, aiant eu l'honneur de faire ma cour affez exactement à l'Electeur Palatin & aux Princes fes Frères. Enfin, a-près une Audience d'une heure & plus, la Reine me congédia: je mis un genou en terre, & je lui baifai la main, félon l'ufage qui s'obferve en Efpagne. Le lendemain ôc les jours fuivans, j'eus l'honneur de lui faire ma cour, tantôt dans le Couvent des Capucins où elle en-tendoit la Méfie affez fouvent, tantôt dans celui des Cordeliers où S. M. feren-doit prefque tous les après-midi pour af-fifter au Salut. Quelquefois je me ren-dois dans un Jardin qui étoit derrière la maifon, où S. M. fe promenoit affez fouvent au fortir du dîner. Cette Princeffe parloit toujours avec une bonté ôc une familiarité qui me charmoit : elle é-toit bien aife elle-même de fe débaraffer fouvent d'un cérémonial aufii incommode pour les Princes qui donnent Au-, dience, que pour ceux qui y font admis. Elle me fît l'honneur de me demander un jour, fi je n'étois pas bien furpris de O $ la Baion» k v0'r fi mal ^°g^ej & avec une Cour ne. auffi peu brillante. Je lui avouai, que d'abord j'avois été un peu furpris que S. M. eût préféré un pareil logement, au Château vieux qui étoit dans la Ville, & qui véritablement avoit plus l'air d'un Palais que la maifon qu'elle occupoit. Mais, me dit-elle, je fuis accoutumée à ma petite maifon ; je ne pourvois pas me réfoudre à la quitter. Je m'y fuis retirée pendant les troubles entre la Maifon d'Autriche & celle de France, pour être moins expo fée à voir du monde, ce que je n'aurais pu éviter fijeujfe habité le Château : tout ce qui auroit pajfé, foit d'Efpagne, foit de France, auroit fans doute demandé à me voir; toutes ces vif tes auroit infailliblement caufé de Vombrage à l'un des deux partis , & peut-être à tous les deux ; & j'avois de fortes raifons pour les ménager. Un autre jour que j avais l'honneur de lui parler de l'Efpagne & de l'Allemagne, je pris la liberté de lui dire, que j'étois étonné que S. M. eût préféré le féjour de Baionne, à celui d'un de ces Pays, où il me fembloit qu'elle auroit plus d'autorité , 6c où elle feroit fervie par un plus grand nombre de gens de qualité. Pour les gens de qualité, me dit la Reine, je ne m'en Jbucte pas beaucoup; tous Us hommes font égaux pour les Rois, & Ut ne font grands qu'autant que nous les approchons de nous, & que nous les honorons de notre confiance. Un Un homme que vous appeliez un homme de Baion, rien, fi je lui donne demain, une Charge & ne. que je Vadmette à mon fervica, il efi pour moi tout aujji grand Seigneur, que fi fias Pères avoient exercé le même emploi toute leur vie. Pour ce qui efi de demeurer en Ejpagne ou en Allemagne , j'ai de fortes raifons qui m'en empêchent. En Ejpagne, je ferois obligée de vivre dans un Couvent, ce qui me dép!air oit beaucoup. En Allemagne , je ferais à la vérité au milieu de ma Famille; mais la Cour d'Efpagne ferait peut-être fâchée que j'y demeurajfe; on me chagrinerait fur mon Douaire, que je fuis bien aife de conjèrver. Toutes ces raifons, mais plus encore une longue habitude, lui faifoienc aimer le féjour de Baionne; cette efpèœ de folitude lui plaifoit davantage que le tracas d'une Cour nombreufe, où affez fouvent le Prince & le Courtifan fe gênent mutuellement. Cet air de liberté qui règnoit dans cette petite Cour, & la bonté que la Reine avoit de s'entretenir affez fouvent avec moi, étoit caufe que je reculois de jour à autre mon départ pour l'Efpagne. Cependant, après avoir longtems différé, je me préparai fé-rieufement à partir. Mais dans le tems que je n'avois plus qu'à prendre congé de S. M. il m'arriva un incident affez dit-gracieux, qui me fît détefter le féjour de Baionne, autant que je l'avois aimé jufques- lao Mémoires . ques-là. Quelques railleries que j'avois faites aflez imprudemment m'attirèrent l'indignatiort du Lieutenant-de-Roi, qui fut fe venger, en fe fervant d'un prétexte aflez fpécieux. Voici mon Hiftoire, en peu de mots. Il y avoit à la Cour de la Reine une Femme, qui par des manières aflez libres & qui tenoient un peu de la folie, avoit fu faire fa cour fi adroitement, que la Reine avoit pour elle plus de bontés que ne meritoient les fervices qu'elle pouvoit rendre. Cette Femme s'appel-loit JLa Borde : elle étoit Veuve d'un Marchand, & depuis elle s'étoit mariée clandeftinement avec le Majordome de la Reine. C'étoit elle qui gouvernoit toute la Mailon de S. M. chez laquelle elle fie manquoit pas de fe rendre tous les jours. La Reine avoit permis à cette Femme de s'affeoir en fa préfence ; ce qui l'avoit rendue fi vaine, qu'elle ne le fouvenoit plus de fon prémier état. Elle affe&oic un air de Princeffe, qui ne lui alloit point du tout, & qui lui attira bientôt la haine non-feulement des Officiers de la Reine, mais de tout Baionne. Il n'y avoit que le Lieutenant-de-Roi qui lui fût attaché, & cela parce que cet Officier, qui étoit arrivé à Baionne dans un équipage peu é-toffé, & qui d'ailleurs n'avoit pas grande reffource, aiant été obligé de folli citer quel- du Baron de Pöllnitz. 221 quelques gratifications de la part de la Baion-Reine, Madame La Borde avoit employé NB« fon crédit pour lui. Elle n'avoit pas eu grand' peine à réuflîr; car la Reine qui eft bonne 6k généreufe, n'a pas un plus grand plaifir que de donner. La figure grotefque du Lieutenant-de-Roi, & la façon de fe mettre de la Dame La Borde, étoient un fonds inépuifable de plaifante-ries pour la Maifon de la Reine. En effet , quelque grave que l'on pût être, il étoit impofîible de s'empêcher de rire en voyant d'un côté la vieille tête frijotée du Lieutenant, que l'on appelloit communément le Pere éternel; & de l'autre cette Dame La Borde, ordinairement vêtue de trois ou quatre robes de chambre de différentes couleurs les unes fur les autres, & l'une plus courte que l'autre: des cornettes négligées, chargées de rubans ponceau , étoient fa coiffure favorite ; de plus, elle portoit à fon côté un énorme bouquet de fleurs, attaché avec un ruban couleur de feu ; & de l'autre le Portrait de je ne fai quel Saint, attaché aufli avec un ruban couleur de feu. Un petit Laquais, aufli ridicule que faMaitreffe, portoit les queues de toutes ces robes. Je vous avoue, Madame, que je ne pus me retenir à un pareil fpeélacle, &dans une partie de fouper où je me trouvai en belle humeur, je fis des railleries allez piquantes de ce charmant couple. Le Lieutenant Baion- tcnant-de-Roi en fut informé, & réfolut ne. de s'en venger. Je fus averti par un Cor-delier Allemand, Confeflèur de la Reine, qu'on avoit deffein de me faire arrêter. Comme je ne me fentois coupable de rien, je crus d'abord qu'on vouloitfeulement me faire peur. J'allai cependant trouver Dadoncourt, ÔC fans nommer per-fonne, je lui fis part de l'avis qui m'avoit été donné. Il me jura fur fon honneur, & prit Dieu à témoin que fon def-fein n'avoit jamais été de me faire arrêter, & que j'étois le maitre de partir quand je voudrois. Je m'en retournai à mon Auberge, à moitié détrompé de l'avis qu'on m'avoit donné ; mais je ne fus pas plutôt dans ma chambre, que je vis entrer le Major de la Place, accompagné d'un bas Officier, & de deux Soldats la baionnette au bout du fulil. Il me dit qu'il venoit m'arrêter de la part du Roi, & qu'il avoit ordre de me conduire à la Citadelle avec mon Valet de chambre. Il me demanda auffi tous mes papiers, ôc les clés de mes coffres : je lui donnai tout ce qu'il me demanda. Il donna mes hardes en garde à mon Hôte, à la charge d'en répondre. Enfuite on me conduifit à la Citadelle, on me mit dans une chambre , ôc mon Valet - de - chambre dans une autre: on mit à la porte de la mienne une Sentinelle, à qui on défendit de me laiûer parler à qui que ce fût. Vers du Baron de Pöllnitz. 223 Vers le foir, on m'apporta à fouper. JeBAtc*-demandai de l'encre & du papier, qu'on nje. me donna auffi-tôt, & j'écrivis au Lieutenant-de-Roi , pour m'informcr du fujet qu'il avoit eu de me faire arrêter, & en même tems pour favoir s'il ne me fc. roit pas permis d'écrire en France au Duc Régent & à mes Amis. Il me fit réponfe dès le lendemain, que l'unique fujet de ma détention étoit d'avoir paru trop ami de Mr. le Comte de S____que je de- vois me foutenir de la façon dont je lui avois parlé de ce Comte en préfence de témoins, ce qui lui avoit fait foupçonner 2ue j'aurois fort bien pu entrer dans la ^onfpiration qu'il avoit fufcirée contre le Régent ; qu'ainfi , n'aiant pas d'ailleurs l'honneur de me connoitre, il auroit cru manquer à fon devoir, & à la confiance dont on l'honoroit, s'il ne fe fût pas ak furé de ma perfonne: qu'au refte, il alloit écrire en Cour ; & que fi on ne me trouvoit coupable de rien, je ferois bientôt en liberté. Il finifïoit fa Lettre par des affurances de fon amitié, proteftant qu'il tâcheroit de me fervir. Ne pouvant, dans les circonftances où je me trouvois, rien faire de mieux, je voulus bien compter fur les fcrvices dont le Lieutenant-de-Roi me faifoit offre; Se pour metranquillifer un peu, je reffois au lit le plus longtems qu'il m etoit poffible, car il n'y avoit que le fommeil qui pût a- . lors me rendre la prifon fupportable : lorsque j'étois éveillé, j'avois la tête fatiguée de mille penfées différentes, je for-mois des projets, j'imaginois mille moyens pour me tirer de l'embarras où je me trouvois ; mais c'étoit autant de Châteaux que je bâtiffois en l'air, & qui fe trouvoient détruits, dès que j'y réfléchie fois férieufement. Je paffai ainfi quelques jours, au bout desquels je. reçus une vifite qui ne me plut pas d'abord. Je vis entrer dans ma chambre un Officier, un Sergent, & quatre Soldats la baionnette au bout du fufil. L'Officier me pria de le fuivre chez le Major de la Citadelle, qui étoit chargé de m'interroger. Comme j'étois dans une fituation où il étoit très prudent d'être docile, je fuivis l'Officier. Je trouvai le Major affis dans un fauteuil: il me fit beaucoup de politeffes, & me pria de l'ex-cufer s'il ne fe levoit pas pour me recevoir , mais qu'il étoit fi incommodé de la goutte , qu'il lui étoit impofïible de fe remuer. 11 me pria enfuite de m'afïèoir, & il me demanda mon nom, mes qualités, la Religion que je profeffois, d'où je venois, où j'allois, &c. Je répondis fort laconiquement à toutes ces queftions. On les rédigea enfuite par écrit, auffi-bien que mes réponfes, & on me les fit figner. Enfuite on me reconduifit dans ma chambre. Deux Deux jours après, on mit mon Valet de chambre en liberté, & on lui permit de me fervir. On m'accorda aufli de recevoir la vifite d'un Capucin Allemand nommé le P. Thomas. Ces deux faveurs accordées en même tems me flattèrent beaucoup, & je conçus de grandes efpé-rances d'une prochaine liberté: chaque fois que j'entendois le bruit des clés, je m'imaginois toujours que c'étoit la fin de ma captivité que l'on venoit m'annoncer. Je me flattois que le Duc Régent donne-roit des ordres pour ma liberté: j'atten-dois donc des nouvelles avec impatience. J'en reçus à la vérité, mais bien différentes de celles que j'efpérois. Dadoncourt m'écrivit un Billet, par lequel il meman-doit qu'il avoit reçu des ordres de la Cour pour me refferrer de plus près. Il les exécuta en effet, ôc je crois même qu'il les paffa; car non content de me priver une féconde fois de mon Valet de chambre, ôc de défendre au P. Thomas de me rendre vifite, il ne tint pas à lui que je ne mouruffe de faim ôc de froid. La peur qu'il avoit que ma prifon ne me fût pas affez fenfible, le faifoit agir à mon égard avec toute la dureté poflible. Mon ordinaire fut diminué de moitié; pour le bois, on le fupprima entièrement, dans la crainte que je ne mille le feu à la Citadelle. Je lui écrivis à ce fujet, offrant même d'en faire acheter à mes dépens, Tome II. P s'il Baion- s'il vouloit le permettre. Il me fit répon-fe, qu'un Pruflien ne dcvoit pas être fi fenfible au froid qu'il faifoit en Guyenne; il eut l'impertinence d'ajouter, que fi j'avois férieufement froid , il me confeil-loit de garder le lit. Ce ne fut pas encore tout. Le befoin que j'avois d'argent m'avoit déterminé à efcompter les Billets de Banque qui me reftoient, & qui é-toient réduits prefque à rien. Dadoncourt ne le fut pas plutôt, qu'il fit défendre au Banquier d'efcompter mes Billets, dans la crainte apparemment que je ne me fer-vilfe de cet argent pour corrompre mes Gardes. Bien plus, il abufa de fon autorité au point, qu'il fit vendre mes hardes pour payer la dépenfe que j'avois faite à mon Auberge pendant mon féjour de Baiome, Je voulus m'oppofèr à cette vente , mais inutilement; on ne voulut pas même me permettre d'y envoyer quelqu'un de ma part, pour avoir foin que tout fe fît avec quelque ordre: ce fut le Valet de chambre de Dadoncourt qui acheta le tout, pour la huitième partie de fa valeur, & il m'a toujours été impoffible de favoir au jufte combien on a retiré de cette vente. Il eft vrai que lorsque la liberté me fut rendue, on ne me demanda pas d'argent. - Tant de mauvais procédés les uns fur les autres me piquèrent vivement. J'écrivis plufieurs Lettres, tant au Duc d'Or- du Baron'de Pöllnitz. 217 d'Orléans, qu'à Mr. Le Blanc, Mïniftre Baiom. de la Guerre : je les envoyai à la Pofte à Acqs, par un Soldat qui fe chargea de les porter, moyennant quelque argent, que je lui donnai avec mes Lettres à travers une fente de ma porte. Mais tout cela n'eut aucun effet. J'écrivis auffi une Lettre à la Reine d'Efpagne ; mais cette Princeffe, qui me regardoit alors comme un Criminel d'Etat, ne voulut point s'in-tèreffer pour moi. Ce refus acheva de me defefpérer, & la trifteffe me faifît au point que je tombai malade, & on eut la cruauté de me refufer un Médecin. Dans ce même tems, le Baron de Montbel paffa à Baionne, & aiant appris que j'étois enfermé dans la Citadelle, U demanda à me voir. Ce Baron étoit François de Nation, & il avoit paffé à Berlin à la révocation de l'Edit de Nantes ; on lui avoit donné de l'emploi dans cette Cour, & il avoit été Capitaine dans le Régiment de feu mon Père. Il s'en alloit pour-lors en Efpagne. Dadoncouri lui refufa tout net la permiffion qu'il lui demandoit. Le Baron demanda, du moins qu'il lui fût permis de m'envoyer faire compliment par mon Valet de chambre; Dadoncourt le permit, mais ce fut pour m'outrager de plus belle. Mon Valet de chambre ne fut pas plutôt entré dans la Citadelle, qu'on le fouilla pour voir s'il n'suroit point quelques Lettres pour moi 5 P a mais Baion- mais n'en aiant point trouvé, Dadoncourt lui ne. foutint que le Baron lui en avoit donné pour me les rendre, & qu'il faloit les trouver. Celui niant toujours d'avoir reçu aucune Lettre,on le mit au cachot, où on le menaça de lui faire pafferle refte de fa vie, s'il n'avouoit pas qu'on lui avoit donné, ou voulu donner des Lettres pour moi. Voilà , Madame , la trifte fituation où je me trouvois à Baionne , arrêté fur de faux prétextes , languiffant de faim & de froid, privé de tout fecours , abandonné d'une Princeife fur la protection de laquelle je comptois beaucoup , & n'aiant uniquement pour moi que la bonne con-feience, qui ne me reprochoit rien de ce que l'on m'imputoit. Foibles fecours , quand on a en tête de ces ennemis qui favent également perdre & l'innocent & le coupable ! Une perfécution fi injufte me jetta dans un abattement, d'où je ne for-tois que pour me livrer à des excès de fureur qui me faifoient appréhender de perdre entièrement la tête, lorfque je revenois un peu à moi. Enfin toute cette agitation, tous ces emportemens aboutirent heureu-fement à un calme philofophique , qui me rendit à moi-même. Devenu tranquille , je raifonnai affèz. jufte : je compris que de me laifïer mourir de chagrin, étoit la plus grande fottife que je pouvois faire ; & que pour remédier à tout ceci., il ne faloit que du tems & de la patience. Je pris donc mon parti en vrai Philofophe, Baion-& je me dis à moi-même, qu'il faloit m'at-ne. tendre à paiTer tranquillement ma vie dans la Citadelle, jufqu'à la Majorité de Louis XV. Je commençois déjà à m'accoutumer à ma chambre & au filence, lorfque l'on vint m'apprendre la nouvelle de ma liberté. Ce fut le 31 de Janvier , que cette nouvelle me fut annoncée par le Valet de chambre de Dadoncourt. Il me dit que fon Maitre avoit reçu des ordres de la Cour pour me faire fortir de la Citadelle ; que cependant, comme il étoit tard, il me prioit d'y palfer encore la nuit, & que le lendemain j'irois où je jugerois à propos. Je confentis à palier encore la nuit dans la Citadelle. Le lendemain Dadoncourt, fans avoir égard à la parole qu'il m'avoit fait porter que j'aurois liberté entière , & par conféquent que je pourrois ou refter , ou partir àl'inftant, félon ma volonté , m'envoya demander quand je voulois partir pour l'Efpagne, ajoutant qu'il avoit reçu ordre de m'y faire conduire , Ôc qu'il lui étoit défendu de me laiffe féjourner dans Baiowie. Je lui répondis en peu de mots, mais cependant je lui en dis affez pour lui faire entendre que je n'étois pas en état de partir, parce que tout mon bien conliltant en Billets de Banque , qui valoient alors peu de chofe, il faloit néceffairement attendre que je les eulfe efcomptés ; que ce-P 3 pen- - pendant j'offrois de refter dans la Citadelle jufqu'à ce que j'euiTe trouvé le moyen de faire de l'argent, à moins qu'il ne voulût bien lui-même me rendre ce fervice : j'ajoutai, que s'il m'étoit défendu d'escompter mes Billets , je demandois du moins qu'il me fût permis de paffer en Hollande , où je trouverois de mes Païens ou des Amis , qui me rendroient fervice. Dadoncourt me répondit avec toute la hauteur &c l'impertinence d'un homme de fa forte ; il me fit dire qu'il n'étoit ni Changeur ni Banquier, pour escompter mes Billets ; que je ne pouvois refter dans la Citadelle, parce que l'ordre portoit de m'en faire fortir ; & enfin , qu'il ne me permettrait pas de paffer en Hollande, parce que le même ordre lui enjoignoit de me faire paffer en Efpagne. Cette réponfe me parut un peu familière; car enfin, fâchant qui j'étois, il pouvoit & devoit même en agir plus poliment avec moi ; & en fuppofant même des ordres auffi preflans que ceux qu'il difoit avoir , un honnête-homme auroit fu les notifier autrement- Je mis vis donc à la veille de partir pour l'Efpagne, le bâton blanc à la main; & cela feroit furement arrivé, fans le fecours du P. Thomas, qui me fit trouver quarante piftoles fur 2000 liv, de Billets de Banque Je me fervis de cet argent pour faire mon Voyage. Les ballots que j'avois à emporter ne me caufèrent pas grand çru> du Baron de Pöllnitz. 231 «mbaras : j'ai eu l'honneur de vous dire que B.mon-Dadoncourty avoit mis bon ordre, en met- Notant en vente ce que je pouvois avoir. Comme mon Voyage d'Efpagne étoit regardé comme une affaire de la dernière importance , on me donna un Garde qui me conduifit jufques fur la frontière Ce fut là qu'on eut la bonté de me faire voir les ordres de la Cour , que l'on exécutait avec la dernière exactitude. C'étoit une Lettre, adreffée zDadojicourt par Mr. Le Blanc Miniftre de la Guerre , dont voici la teneur : S. A- R. veut bien accorder , Monsieur , la liberté au Sieur Baron de Pöllnitz. détenu actuellement à la Citadelle de Baionne , à condition qu'il forte du Royaume ; c'eft pourquoi, je vous prie de le faire conduire ju/qu'aux frontières d'Efpagne. Mon Garde prit congé de moi fur la frontière , & je continuai ma route vers Pampelune. Je vis les fameufes Montagnes des Pyrénées, dont le partage eft bien différent de celui des Alpes ; on ne trouve par-tout que des Auberges déreftables , qui ont tout à fait l'air de Cavernes de Voleurs. Les peuples qui habitent ces Montagnes ont je ne lai quoi de funefte dans la phyfionomie, qui effraye les Voyageurs. Je me trouvai obligé de paifer une nuk avec mon Valet de chambre dans un Cabaret, où il y avoit environ une vingtaine de ces gens-là ; nous primes le par ci de paifer toute la nuit fans nous coucha , P + & & je crois que dans cette occafîon nous agimes affez prudemment ; car ces Montagnards avoient l'air de vrais Coupejarrets. Je partis de cet effroyable féjour le plus matin qu'il me fut poflîble, pourmeren-Pamte- dreà Pampelune, où j'arrivai vers lune. je fQjr je defcendis à une Auberge que l'on m'avoit indiquée comme la meilleure de la Ville: je la trouvai cependant tout auffi rnauvaife que celles que j'avois rencontrées depuis Baionne. Le pain , le vin, la viande, le lit, tout y étoit déteftable. Cependant, comme la vie me paroiffoit y être plus en fureté que dans les Auberges des Montagnes , je me dédommageai de la nuit que j'avois paflee debout, & je dormis parfaitement jufques au lendemain. J'allai rendre vifite au Prince de Cafiil-Une Viceroi de Navarre, qui me fit mille politeffes. Je lui expofai au jufte la fituation de mes affaires, & ce que j'avois eu à fouffrir du Lieutenant-de-Roi de Baionne. Ce Seigneur parut être fenfible à l'état où je me trou vois, & il eut la bonté de me faire offre de tout ce dont je pour-rois avoir befbin. Quant au traitement que j'avois reçu du Lieutenant-de-Roi , il n'en parut nullement furpris : il me dit même que je n'étois pas le feul qui avoit été ainfi traité , & qu'il ne comprenoit par pourquoi Mr. le Régent n'étoit pas informé de routes les injuftices qu il faifoit dans Baionne. Il me confeillir d'écrire à S. à S. A.R.& de lui faire un détail exact de Pampe-la façon dont on en avoit agi avec moi. Si cela ne vous procure aucune réparation y ajouta-t-il, du moins , je fuis fur que cela lui attirera quelque mercuriale. Je fuivis le confeil de Mr. de Caflillone , j'écrivis au Duc Régent & à Mr. Le Blanc : mais tout cela ne fervit de rien ; on m'avoit tellement noirci dans l'efprit du Prince & du Miniftre , que non content de ne me point faire de réponfe , on écrivit à Mr. de M...,, chargé des Affaires de France à Madrid, de me barrer en tout ce qu'il pourroit. Celui-ci de fon côté exécuta fidèlement les ordres dont on l'avoit chargé , bien moins par obéiffance pour fon Prince , que par le plaifir qu'il trouvait à faire du mal. Mr. de Caftillone eut la politeffe de me faire voir ce qu'il y avoit de plus remarquable à Pampelune. Nous allâmes nous promener enfemble hors de la Ville, dont la fituation me parut fort belle. Elle eft environnée de murailles , & fortifiée de Baftions & de Demi-lunes. Toute cette fortification feroit cependant de peu de rélîftance, fans la Citadelle, qui a été réparée & confidérablement augmentée fbus le Miniftère du Cardinal Albéroni. Toute la route depuis Pampelune jusqu'à Madrid y eft très defagréable: on ne voit par-tout que Campagnes arides , des Villages fort délabrés répandus çà ôc là ; P 5 &, I'ampe- ÔC, ce qui me fie encore le plus de pei-ne, ce fut de rencontrer des Auberges où à peine pouvoir-on trouver dequoi fubfifter. Mais c'eit bien pis brique l'on quitte la Navarre, & que 1 on entre dans la Caltille : on ne trouve rien dans toutes les Auberges. On fournit une chambre, & puis c'eft tout.Si l'on veut manger, il faut tout envoyer acheter par fes Domeftiques, & le faire préparer ; car perfonne ne le met en devoir de rien faire. Du refte on trouve affez aifément à acheter de côté ôc d'autre ce qui peut être néceffaire à la vie, & le tout à un prix allez modique. Je parcourus tout ce Pays fans faire aucune mauvaife rencontre, ce qui n'eft pas peu étonnant, car les affaùînats ôc les vols font très communs en Efpagnc. Alcala. J'arrivai un dimanche au foir à Al-cala, Ville de la Nouvelle Caftille, fameufe par fon Univerlité. Cette Ville eft redevable de fa magnificence au Cardinal Ximénès , qui étant Prémier-Mi-niftrc fous Ferdiaand d'Arragon & belle de Caftille , n'épargna rien pour rendre cette Ville une des plus belles de l'Espagne. Il commença par faire bâtir de fort beaux Collèges , ôc lorfqu'après la mort de Ferdinand il fut devenu Régent d'Efpagne, il y fonda une Univerlité. Madrid. Depuis Alcala juiqu'à M a n r 1 o, il n'y a que fept lieues. On ne découvre celte Capitale que lorfqu'oii en eft bien près. Elle du Baron oe Pöllnitz. 235 Elle eft placée dans un fond, fur la fameufe Rivière de JSftÊ£*§**fa L'entrée de Madrid a un faux air de l'entrée de Rome par la Porte du Peuple \ mais cette efpèce de refïern-blance ne fè conferve pas long-tems. Trois rues en patte-d'oie conduifent dans le cceur de la Ville ; je pris celle de la droite qui me conduifit à la Place de S. Do-mingue, où l'on m'avoit indiqué une Auberge Françoifè. En defcendant de chaife , je me vis embraflèr très tendrement par un homme que j'avois vu autrefois au fervice du Roi Staniflas de Pologne ; depuis j'avois vu ce même homme à Paris , d'où il avoit été obligé de fe fauver pour éviter de tomber entre les mains de la Juftice. Il avoit été accule d'avoir volé & affafliné, lui troifième, un Abbé. Quoiqu'abfcnt, le procès avoit toujours été fon train , & il avoit été condamné par contumace à être roué vif, ce qui avoit été exécuté en effigie. Après plufieurs cour-fes, il étoit enfin venu à Madrid, où l'on recevoit à bras ouverts tous ceux qui venoient de France, Il avoit quitté fon nom de LeG____pour prendre celui de Mr. le Baron D.....Je le remis parfaitement dans l'inftant qu'il vint m'embraffer; mais aiant encore la mémoire affez fraîche de fon affaire de France , je ne jugeai pas à propos de répondre avec chaleur aux po-litefîès de ce nouveau Baron ; je pris le parti de lui faire de grandes exeufes fur ce Madrid, ce que je ne le remettois point. Cet homme continua toujours à me preffer de le reconnoitre ; il me dit : Mais nyêtes-vous pas le Baron de Pöllnitz ?Ne vous Jbuvene-uous-pas de m3avoir vu à Berlin, enfuite à Hanover &c. ? Je aie tins toujours ferme fur la défenfive. Mon homme continuant toujours de me rappeller le tems paiTé, me parla beaucoup de fon Voyage à Paris, il me cita plufieurs circonfiances. Enfin fatigué de tout ce détail, je crus lui faire plaifir de lui donner à entrevoir que je le connoiiTois : je citai plufieurs noms de gens avec lefquels nous nous étions trouvés enfemble , comme fi c'eût été le fien que j'eufle cherché ; enfin le voyant au comble de la joie de fentir qu'à force de tarer je pourrois trouver fon nom , je .voulus lui en donner la fatisfadtion , & je lui dis, cependant avec un air affez incertain : Mais, Monfieur, feriez-vous Mr. Le G...?A ce nom, mon homme rougir, perdit abfolument contenance, & enfin fe retira fans me répondre, ou du moins il me parut parler d'une voix fi balle , que je ne pus rien entendre. Pour moi, je ne fongeai qu'à demander une chambre à l'Hôte, pour me repofer quelques mo-mens. Le foir, je defcendis pour fouper à table d'hôte. Je trouvai que les perfonnes avec qui j'alïois fouper, étoient précifé-ment les mêmes Officiers qui m'avoient yu parler à Le G.... Ils me demandèrent fi du Bàron~de Pöllnitz; ijy fi je connoifïbis le Monfieur qui m'a- Madwbs' voie abordé, & comment il s'appelloit. Je ne fis aucune difficulté de les fatisfaire, & ne fâchant pas que l'homme à qui je venois de parler eût changé de nom en quittant la France, je dis bonnement qu'il s'apelloit Le G.....Je n'eus pas plutôt prononcé ce nom , qu'un de la compagnie s'écria : Eh morbleu ! c'eft l'ajfajftn de l'Abbé V... Quoi ƒ un homme comme cela ofer demander de l'emploi ici ! Je compris bien que j'avois fait une bévue , en di-fant à des Etrangers un nom qui avoit décontenancé celui-même qui le portoit ; je penfai auffi en même tems que Le G... en avoit fait une autre bien plus confidérable , de me mettre dans la néceffité de le faire. Je voulus réparer toutes ces bévues , en difànt que je pourrois bien m'ê-tre trompé , & que le Baron D.... n'étoit pas Le G____ mais on ne m'écoutoit déjà plus, chacun exagéroit la noirceur de l'afîàffinat qui l'avoit obligé de fe fauver de France; enfin l'Hifloirc fut tellement divulguée en un inftant, que le prétendu Baron fut obligé de déloger de Madrid. On m'a dit qu'il s'étoit retiré en Portugal, où la fortune lui étoit affez favorable. Je ne fus pas longtems fans trouver à Madrid bien des gens de connoiffance. Dès le lendemain de mon arrivée , je rew $us la vifite de plus de vingt Officiers, tant Maurid. tant François qu'Allemands, que j'avois vus dans différentes Cours. Je trouvai aufli dans mon Auberge le Baron de Mont bel, qui avoit fait tant de démarches inutiles pour pouvoir s'informer de ma fanté, lorsque j'étois dans la Citadelle de Baionne. Enfin en très peu de tems je trouvai autant & même plus de connoiflances qu'il ne m'en faloit, fur-tout à mon arrivée à Madrid, où je ne cher chois point à me difliper , mais feulement à obtenir de* l'Emploi. Je penfai d'abord à me faire préfcnter au Roi & à la Reine. Ce fut un nommé La Roche qui me procura l'Audience de S. M. Ce La Roche étoit François de Nation , & prémier Valet de chambre du Roi. S. M. l'avoit aufli nommé Secrétaire des Dépêches; & à toutes ces qualités il joignoit encore celle d'Introducteur des Ambaflàdéurs. Ce fut dans une Audience fecrette, que j'eus l'honneur de faluer S. M. Cette Audience eft differente de l'Audience publique, en ce que celle-ci, qui n'eft ordinairement que pour les gens du commun, le donne les portes ouvertes, & en pré-fence des Grands , qui fe tiennent debout & couverts des deux côtés de la Salle. Le Roi eft aflîs dans un fauteuil, qui eft placé fous un dais. On fait depuis l'entrée de la Salle jufqu'au Roi, trois génuflexions ; lorfqu'on eft près de S. M. ori fe met à genoux , & on expofe ce que l'on a à dire. Philippe V ne répond jamais Madf autre choie que, Je verrai Jy ferai attention. Après que cette Audience eft finie, celui qui fait la fonction d'Introducteur a-vertit tout haut, lorfqu'il doit y avoir Audience fecrette : alors les Grands fe retirent, & on ferme les portes. Ce fut ainfi que j'eus Audience. Je trouvai le Roi feul dans la chambre ; je lui fis mes trois génuflexions, & m'étant approché de lui , je me mis à genoux. Je lui dis alors, qu'aiant entendu par-tout faire de grands éloges de la piété de S. M. & de Ion zèle pour la Religion Catholique , j'avois cru ne pouvoir rien faire de mieux que de me venir mettre à fes pieds pour lui offrir mes très humbles fervices; que j'avois encouru la difgrace de mon Souverain & perdu toute eipérance de pouvoir fervir avec agrément dans ma Patrie, à cauie de la Religion Romaine que j'avois embraflëe, dont je fis voir une Attefta-tion à S. M. fignée de Mr. le Cardinal de Noailles. Je lui fis voir aufli une Lettre du Roi de Pruffe,qui m'accordoit la prémière Penfion attachée à la Charge de Gentilhomme de la Chambre , dont j'au-rois joui fans doute , fans mon changement de Religion. Le Roi prit la Lettre dû Roi de Pruffe , l'Atteitation du Cardinal de Noailles; il les regarda l'une & l'autre, & me les rendit en me difant: Je ferai at- ten- Madrid, tention à ce que vous demandez., & je vous expédierai bientôt. Je lui préfentai alors un Mémoire, qu'il mit dans fa poche. Je me levai enfuite , & je fortis de la chambre en faifant trois révérences à reculons. Au fortir de l'Audience du Roi, j'allai à celle de la Reine. J'y fus introduit par fon Majordôme-Major. Cette Princeife étoit habillée en Amazone , parce qu'elle devoit accompagner le Roi à la Chaffe. Sa prémière Dame-d'honneur & quelques Dames du Palais étoient préfentes. Je vis aufli dans une porte qui étoit entre la Chambre d'Audience & la Chambre de la Reine , le Prince des A furies, mort Roi d'Elpagne en J724, les in fans fes Frères , & l'Infante Marie-Anne-Victoire. Je dis à la Reine , à peu près les mêmes chofes que j'avois dites au Roi: elle me répondit avec bonté , ocelle Je feroit toujours un plaifir de mètre utile en tout ce qui dependroit d'elle. Je me retirai, très flatté d'une réponfe fi obligeante. Voilà, Madame, par où je commençai mon entrée à la Cour d'Elpagne. Il étoit naturel de rechercher d'abord le fo-lide ; car, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, j'étois peu chargé d'efpèces , & malheureufement, je n'avois point d'effets fur lefquels je puffe en efpérer : de façon que pour peu que je me fuffe répandu dans le monde, j'aurois couru riique de me trouver bientôt au bout de mes mes finances. L'accueil obligeant que le Madr: Roi ôc la Reine voulurent bien me taire, releva un peu mon courage abattu: je recommençai à efpérer, & me comptant déjà un peu en faveur, je me répandis dans mes connoilTances. Je trouvai d'anciens Amis,j'en fis de nouveaux; je jouai avec fuccès, ce qui me parut d'un excellent augure ôc me procura de faire ma cour avec une certaine aifance, qui ne le trouve pas ordinairement chez les perfonnes , dont les finances font en defor-dre. Je vais à préfent vous dire deux mots de la Cour , ôc de ceux qui y figuroicnt le plus. Je ne vous parlerai point du Roi : tout le monde fait, ôc les dernières Guerres ont aflez fait connoitre, qu'il eft Fils de Louis Dauphin de France Fils de Louis XIV. Il a époufé en prémières noces Ma~ rie-Louife-Gabrieîle de Savoie , morte à Madrid le 14 Février 1714 , dont la mémoire eft toujours chère aux Efpagnols : ils regrettent toujours la Savoyarde, c'eft ainfi qu'ils appellent cette Princeife. Le Roi d'Elpagne en a eu plufieurs Princes. L'ainé étoit Don Louis, Prince des Afturies , enfuite Roi d'Efpagne par la démiffion du Roi Ion Père en 1724. Ce jeune Prince mourut dans la même année. Le fécond s'appelioit Don Philippe, ne à Madrid en 1712, ôc mort en 1721; Tomell. Q ÔC . & le troifième, Don Ferdinand, aujourd'hui Prince des Afturies. Après la mort de cette Princeffe, le Roi 1 épouiéElijabethFarnèfe^Niècc & Belle-fille du Duc de Parme. Elle a aufli donné plufieurs Princes & Princeffes au Roi fon Epoux. L'ainé s'appelle Don Carlos; il eft deftiné par la Quadruple Alliance à la iûcceflion de Tofcane & des Duchés de Parme & de Plaifance. Le fécond eft Don Philippe, né le 15 Mars 1720. La Reine eft grande & bien faite, un peu maigre, & aflez marquée de petite-vérole. Elle a un génie vafte & entreprenant, qui ne s'effraie point des difficultés. Elle fit bien connoitre , en mettant le pied en Efpagne , qu'elle ne vouloit pas le laiffer mener; car avant même que d'avoir vu le Roi, elle congédia la Princes-fe des Urfins & la fit conduire hors du Royaume, à caufe de l'empire qu'elle fa-voit que cette Princeffe avoit fur l'efprit du Roi. Elle fongea aufli à éloigner les François , & elle tâcha d'infinuer au Roi du dégoût pour ia propre Nation. Les Efpagnols furent d'abord, affez contents de tous ces changemens, efpérant qu'enfin on choifiroit parmi eux quelqu'un pour les gouverner : mais ils eurent encore le chagrin de fe voir gouverner par un E-tranger. L'Abbé Albéroni , Parmefan de Nation, fut élevé aux prémières Dignités de l'Eglife & de l'Etat, & gouverna l'Espagne pagne avec une apparence de fuccès, qui lui fît concevoir de grandes idées. Il fît entrevoir à la Reine une grande deftinée pour fbn Fils. Mais un Politique plus ra-finé fut arrêter tous ces vains projets, & la Reine fe defàbufa au point qu'elle fut la prémière à porter le Roi à éloigner Le Cardinal ; ce qui arriva de la manière dont j'ai eu l'honneur de vous le dire. Le crédit de la Reine ne laiflà pas de fouf-ffir un peu de ce changement : le Roi fut quelque tems indécis fur le parti qu'il a-voit à prendre ; mais enfin il rendit à la Reine fa confiance, & c'eft toujours elle qui gouverne. Il eft vrai qu'elle eft aidée par des Miniftres qui ont de grands talen* pour le Gouvernement. C'étoit le Marquis Grimaldo , qui étoit chargé des Affaires étrangères , lorfque j'arrivai à Madrid. Ce Miniftre avoit la réputation d'avoir tout l'honneur & toute la probité poflîble. J'ai eu l'honneur de le voir plufieurs fois',& il m'a toujours reçu avec beaucoup de politeffe. On m'a allure qu'il étoit aflfez inftruit des bonnes intentions du Roi pour les Particuliers qui lui font leur cour , & qu'il y a lieu de tout cfpérerlorfqu'il affure que le Roi efti-roe quelqu'un. Cependant , je ne fai fi on pourroit faire quelque fonds fur un pareil compliment ; j'ai remarqué qu'il le faifoit à bien du monde ; & pour moi en mon particulier, Mr. de Grimaldo me dit O^a \ que Madrid, que le Roi avoic la bonté de m'eftimer ; avant même que j'euffe eu l'honneur de faluer S. M. Mr. de Campo-Florïdo avoit le département des Finances. C'étoit un Miniftre fort poli & très defmtèreflé ; on fait qu'il n'a point fait de ces acquittions qui accompagnent toujours une fortune brillante. Malgré ce defintèreifement, ce Miniftre avoit le même fort que tous ceux qui dirigent les Finances , il n'étoit pas aimé; & quoiqu'à fon entrée dans les Finances il les eût trouvées en aiTez mauvais état , on n'entendoit point raifon là-des-fus,& on lui demandoit compte d'un bien que d'autres avoient diiïipé. Mr. de Cafielar étoit Miniftre de la Guerre. Il venoit d'être nommé à cette place, lorfque j'arrivai à Madrid. C'eft le Miniftre le plus poli que j'aye jamais connu : quoiqu'accablé d'affaires, il avoit un air aifé, qui faifoit plaifir à tous ceux qui avoient affaire à lui. Il avoit encore une qualité peu commune à Mrs. les Miniftres : c'étoit d'expédier promtement ; on iavoit bientôt à quoi s'en tenir , & foit qu'on obtînt quelque grâce , ou que l'on reçût un refus, on étoit prefque également fatisfait du Miniftre, qui donnoit avec plaifir, & qui ne refufoit que lorfqu'il lui étoit impoffible d'accorder ce qu'on lui demandoit. Voilà, Madame, quels étoient les Mi- du Baron de Pöllnitz. 24c niftres employés dans les difîérens Dépar-temens. Il n'y avoit point alors de Pré-mier-Miniftre en Efpagne ; depuis la disgrâce du Cardinal Albéroni, le Roi gé-roit les affaires par lui-même, ou plutôt, c'étoit la Reine qui gouvernoit vraiment en Souveraine. Cependant, quelque grand que fût fon crédit, elle ne l'emportoit qu'avec peine fur le Confelfeur du Roi, qui avoit une grande part dans toutes les affaires. C'étoit le fameux Père Dauban-ton Jéfuite, qui avoit fil s'emparer de l'esprit du Roi au point, qu'il ne fe faifoit rien de confidérable fans fon avis. C'étoit vraiment alors le Prémier Miniftre d'Espagne , du moins il ne lui en manquoit que le titre, car il en faifoit les fonctions : non pas avec l'efprit, la fineffe, & la po-ltteffe du Miniftre difgracié; car il étoit dur, impitoyable ; il voyoit tranquillement des Officiers réduits à la dernière extrémité , faute d'être payés de leurs appoin-temens. Je m'adrcflai à lui, comme tout le monde, pour lui demander l'honneur de fa protectionlorfque je le vis de près, je trouvai un homme haut, vain, extrêmement brufque. Il eft vrai que toute cette hauteur difparoiffoir^ dès qu'il avoit à parler à des perfonnes dont il efpéroit quelques fer vices ; c'étoit ablolument un autre homme, & il favoit fi parfaitement l'art de diffimuler,que la politeiiè,h douceur , l'humilité paroiftoienc peintes fur CL 3 fori 046* MEMOIRE! . fon vifâge, d'une façon à faire croire que rien n'étoit plus fincère , & que tout cet extérieur n'étoit que l'expreflïon de ce qu'il penfoit intérieurement. La Pourpre Romaine étoit, dit-on, fon feul point de vue; & uniquement occupé'de cette Dignité, tous moyens lui paroifl'oient également bons, dès qu'ils pouvoient conduire au Chapeau rouge. Le Cardinal Alhé* roni l'en leurra quelque tems,& cela pour en tirer les fervices dont il pouvoit avoir befoin. Le Régent de France le lui fit voir auffi en perfpeccive, comme une ré -compenfe infaillible , s'il pouvoit déterminer S. M. C. à ligner le Traité de la Quadruple Alliance. Ce Jéfuite s'y employa de tout fon coeur & y réuffit, &le Chapeau fi fouhaité fut donné à un autre : tout ce que le R. P. put obtenir, ce fut une Abbaye pour un de fes Neveux. J'aurai occafion de vous parler de ce Jéfuite, pendant mon féjour en Efpagne. Le Cardinal Borgia étoit auffi beaucoup en faveur ; mais il étoit peu propre à rendre fervice, plus par indolence qu'autrement : car pour ce qui s'appelle bonté de coeur, je ne crois pas qu'il y eût homme qui poiïëdât cette vertu dans un degré plus éminent. Il étoit avec cela très dévot. Il paffoit pour être peu lettré, juf-ques-là que l'on m'affura qu'il ne favoit pas un mot de Latin. Voici une Hiftoire que l'on me raconte de lui à ce fujet : je ne »u Baron de Pull ni tz. 247 ne vous la donne pas comme quelque chofe de bien authentique. On me dit que le Duc de S. Aignan, Ambaiïàdeur de France, fe difpofant à rendre vifire à ce Cardinal , fut averti que cette Éminence n'entendoit pas le François. L'AmbalTadeur crut fe tirer d'affaire en lui parlant Latin: il lui rit donc Ton compliment en cette Langue. Mais il fut bien fur-pris lorsque ce Prélat lui dit en Efpagnol, qu'il n'entendoit pas le François ; & quel- 3u'un qui étoit préfent à l'Audience aiant it au Cardinal, que ce n'étoit pas en François, mais en Latin, que l'AmbalTadeur avoit parlé , Oh bien, répondit il, je rientens pas le Latin-François. De forte qu'il falut continuer la convention par Interprète. Quelque diffèrens que fulTent les caractères des Miniftres 6c des Favoris, il falut bien s'y accommoder, dans l'espérance que mes pas ne feroient point inutiles. J'avois donc grand foin de les voir les uns & les autres, pour les prier de parler en ma faveur. Je ne fai s'ils le firent, & fi le petit rayon de fortune qui commença à luire, mais qui difparut bientôt, fut un effet de leurs recommandations , ou une marque que le Roi avoit été fenûble à la defcription que je lui a-vois faite de l'état de mes affaires, dont le prémier dérangement n'étoit caufé que par mou changement de Religion, qui Q.4- m'a, m'avoit obligé de quitter le fervice de mon Souverain. Quoi qu'il en foit, je reçus une réponfe très favorable au Mémoire que j'avois eu i honneur de préfenter au Roi : il m'accorda un Brevet de Lieutenant-Colonel à la fuite du Régiment de Sicile, avec le Soldo-vivo, ce qui faifoit autour de feize piftoles par mois. On appelle en Efpagne, avoir le Soldo-vivo, lorsque l'on'eit payé comme fi l'on étoit en pied. Cette paye me parut fort honnête, & j'augurois déjà bien de mes affaires : je trouvai qu'un Officier pouvoit fort bien vivre dans fon quartier avec une pareille fomme : je faifois déjà des projets d'arrangement, & devenu fage à mes dét pens, je commcnçois à parler ménage. Je trou vois qu'avec ce que j'allois retirer d'Efpagne, & ce qui devoit me revenir de. chez moi, je ferois en état de remonter un peu mon équipage délabré, & de paroître d'une façon convenable, jusqu'à ce que la fortune , qui commençoit à m'être moins rigoureufe, m'eût mis en é-tatde faire la figure que je fouhaitois. Je ne manquai pas , auffi-tôt que le Roi m'eut agréé à fon fervice, de lui faire mes très humbles remercimens. J'eus aufîî l'honneur de remercier la Reine : je lui fis mon compliment en Allemand , & cette Princeffe me repondit dans là même Langue. Je partis peu après pour-l'Arragon, où le Régiment à la fuite du-r quel quel je devois être, étoit alors en quartier. Comme j'étois venu en Efpagne a-vec très peu d'argent, je ru» bien-tôt o-bligé de revenir à Madrid pour demander quelque petite Gratification, en attendant le payement de mes appointcmens. Quelques-uns de mes Amis, à qui j'en parlai, me confeillèrent de demander hardiment une fomme un peu forte, ou une Pen-fion fur des Bénéfices, paree qu'il ne faloit nullement compter fur mes appointe-mens pour vivre j qu'en Efpagne , plus qu'ailleurs , on étoit dur à la paye, ôc toujours en retard d'un an, ôc quelque fois de deux ôc trois, fuivantque l'on fa-voit importuner le Miniftre, ou que l'on graiffoit à propos la patte du Tréfbrier. Cette nouvelle me déconcerta un peu, Ôc j'entrevis dès-lors que la fortune me fe-roit auffi peu favorable en Efpagne, qu'eU le me l'a voit été ailleurs. Cependant je ne perdis point entièrement courage : je me préfentai au Miniftre de la Guerre; celui-ci me renvoya au P. Daubanton, ôc ce dernier me répondit, comme fi ce-, la eût été vrai, qu'il ne femêloit de rien, Vous voyez, Madame, que cela com-mençoit affez bien. Je ne me rebutai pourtant pas ; accoutumé que j'étois à être refufé, j'aimai tout autant l'être deux fois qu'une. Je frappai à différentes portes, mais elles furent toutes ou fermies pour moi, ou ouvertes fans effet. Je pris le parti de m'adrelTer au Roi immédiatement; j'eus l'honneur de lui préfenter un Placet, dans lequel je lui expofai la fituation où je me trou vois , 1. par le des-aftre des Billets de Banque , & 2. par le procédé étrange du Lieutenant-de-Roi de Baionne. Le Roi me répondit en prenant mon Placet : J'y ferai attention. Il faut remarquer, que le Roi étoit pour-lors à Aranjuez, ce qui faifoit qu'il n'y «voir de Miniftre auprès de lui que Mr. de Grimaldo. C'étoit à ce Miniftre que les autres Miniftres tant de la Guerre que des Finances, & le Préfident du Confeil de Caftille, étoient obligés d'adreffer leurs Dépêches, ce qui étoit peu commode pour expédier les affaires : mais enfin , tel eft l'ufage de la Cour d'Efpagne. Les Confeils ne fuivent le Roi qu'au Buen-Retiro, & cela parce que c'eft dans Madrid même ; car d'abord que le Roi fort de h Capitale, toutes les Affaires paffent par les mains d'un feul Miniftre. J'allai donc chez Mr. de Grimaldo, pour fa voir le réfultat de mon Placet. Ce Miniftre, félon fa louable coutume, me répondit, que le Roi m'eftimoit infiniment. Cette réponfe banale me flat toit fort peu ; & quand même il auroit été vrai que S. M. me faifoit l'honneur de m'eftimer, je touchois du doigt à une fituation dans laquelle l'eftime des Prince* eft une viande un peu creufe, fi elle n'eft ac- tccompagnée du fblide. Je preflai vivement Mr. de Grimaldo, pour qu'il eût la bonté de me faire avoir autre chofe que de l'eftime. Enfin, après plufieurs allées & venues, ce Miniftre me dit un jour d'un air riant, que mes affaires alloient Hen. Je crus d'abord avoir réuffi, & je n'étois curieux que de favoir de combien étoit la Gratification ou la Penfion que l'on m'accordoit. Point du tout : le bon train qu'avoient pris mes affaires, étoit d'être renvoyé au P. Daubant0». Je me rendis donc chez le Révérend Père, & je lui demandai avec tout le refpectpoflîble, des nouvelles d'un Placet qui lui avoit été renvoyé: j'ajoutai à cette humble demande, une prière encore plus humble, pour obtenir l'honneur de fa protection. Mon compliment & mes refpecfs furent très mal reçus, & il me répondit affez brufquement : Vous imaginez-vous, Mon-fieur, que je naye rien autre chofe à faire qu'àpenfer à votre Placet ? Je ne l'ai pas encore vu, Monfeur, <& je ne fiai pas même fi on me l'a envoyé. Je répliquai, toujours très refpecfueufement, que Mr. de Grimaldo m'avoit allure que......Ah! interrompit-il, Mr. de Grimaldo, Mr. de Grimaldo ! En difànt cela il rentra dans fon Cabinet, & me ferma la porte au nez. Je vis bien que le vent n'étoit pas bon pour aborder Sa Révérence, & je remis la partie au lendemain. Je me rendis dis chez lui, à l'heure à peu près que je favois qu'il avoit coutume d'aller chez le Roi ; & je me mis dans un coin de fon Vcflibule, en pofture de fuppliant. Le Jéfuite Compagnon du Confeffeur, qui me vit dans ce Veftibule, vint me prier de paffer dans l'Antichambre. Je m'en défendis abfolument, fur ce que tant d'honneur ne m'appirtenoit pas. 11 eft vrai que ce que j'en faifois, étoit pour parler plus furcment au Confeffeur; car j'avois remarqué qu'aflèz fouvent le R. P. jouoit un tour de Page à ceux qui l'at-tendoient dans l'Antichambre: il for toit par une petite porte , qui donnoit préci-lémcnt fur le Veftibule où j'étois alors. J'attendis là une groffe heure ; après quoi , comme je l'avois prévu, je vis mon homme fortir par la porte écbapatoi-re Je le lai lis au paffage, & je lui re-préfentaj humblement , que j'avois eu l'honneur de lui parler la veille. Je le trouvai d'un fens un peu plus raiïis : il me promit qu'il parlerait au Roi, & il me dit d'en venir favoir la réponfe le lendemain. Vous jugez bien que je n'eus garde d'y manquer. If me dit qu'il ne lui avoit pas été poftible de parler au Roi de mon affaire, mais qu'immanquablement il lui parleroit dans quelques jours. Ces jours dégénérèrent infcniiblcmcnt en fermâmes, & les lemaincs en mois, ce qui penià me dcfelpcrer. On ne pouvoit gue- guères me reprocher de ne pas folliciter, j car aifurément je ne paflai pas un matin fans aller faire un tour dans l'Antichambre du Confefïèur. Il me remarquoit bien ; quelquefois il m'honoroit d'un léger falut, d'autres fois il jettoit un coup d'oeil aflèz fier. Enfin, après bien des afliduités, je ne pus obtenir qu'un refus en bonne forme. Je vous avoue, Madame, que je fu9 un peu étourdi de ce coup. Je me trou-vois fans argent, fans crédit, fans favoir à qui je pourrais en emprunter pour attendre un quartier de mes appointemens: encore , quel fonds pouvois-je faire fur une paye qui fe différait d'année à autre ? Dans ces triftes conjonctures, je fus affez heureux pour faire connoiffance avec Mr. de Stanbope: ce fut par le moyen d'un nommé HoltzendorffSecrétaire de ce Miniftre. Ce Secrétaire étoit de Berlin, & il a un Frère qui eft Valet de chambre du Roi de Pruffe. Il voulut me témoigner la reconnoiffance qu'il avoit de quelques fervices que mes Parens lui avoient rendus, en me faifant faire connoiffance a-vec fon Maitre. Mr. de Stanbope me fit mille politeffes, il agit même auprès du Confeffeur & auprès de Mr. Seotti, Miniftre de Parme, & tout-puiflànt chez la Reine, pour me faire avoir ce que je fouhaitois ; mais il y échoua, aufïï-bien que moi. Au refte, il me rendit tous les a?+ Memoires Madrid, les fervices qui dépcndoient de lui, il me preiTa d'accepter fa table, il m'offrit même fes équipages, & m'avança quelque argent; en un mot, il me traita comme un bon Ami auroit pu faire, & je puis dire que je lui ai des obligations eflèntiel-les, car fans fon fecours, j'aurois paffé de triffes jours en Efpagne. Pendant que je perdois mon tems à folliciter le P. Daubant on, je ne laiffai pas de confidérer ce qu'il y avoit de remarquable, tant à Madrid, qu'aux Maifons Royales, où la Cour alloit de tems en tems. Madrid eft, à proprement parler , la Capitale de toute l'Efpagne en général, Ôc le féjour ordinaire des Rois. Ils y ont un grand Palais, dont l'Empereur Cbar-Us-Quint a fait bâtir la principale façade. Les dedans ont été bien changés ôc embellis fous Philippe V. Le Château eft dans le fond d'une grande Cour, qui forme un quarré long : deux côtés de cette Cour font bordés par des bâtimens écra-fès, dont une partie fert de Corps de garde aux Gardes Efpagnoles & Walon-nes, qui fe rangent en deux files dans cette Cour, lorfque le Roi ou quelqu'un de la Famille Royale y paffe. Trois grands Portiques forment l'entrée de cette Cour. La façade du Palais du côté de la Cour confifte dans un grand Corps de logis, fîtué au milieu de deux Pavillons fort étroits ; trois grandes portes tes cochères y torment trois entrées ; celle du milieu qui eft la principale , eft fort fombre, & conduit fous une voûte afTez fpacieufe pour que plufieurs carofles puissent y tourner en même tems : elle fépare deux Cours quarrées d'égale grandeur & de pareille ftru&ure , autour defqu elles on voit une rangée de colonnes de pier-ie de taille, qui foutiennent une Gallerie couverte qui règne tout autour. Dans la Cour qui eft à droite, on trouve l'Efca-lier qui conduit aux Apartemens du Roi 6c de la Reine; ôc dans l'autre, font les Bureaux des Miniftres. L'Apartement du Roi confifte d'abord dans une Salle des Gardes, peu fpacieufe, & encore moins éclairée. Sur la gauche de cette Salle on trouve une affez longue enfilade de Chambres fort étroites Ôc peu élevées, fans plafond ni autres ornemens que des tapifferies d'une grande richeffe. Cette enfilade eft terminée par trois pièces, que la Princeffe des Urfins a fait faire. La prémière de ces Chambres eft un grand Salon, fort élevé ôc bien proportionné: il eft parqueté ôc boifé: on voit dans des coraparrimens quelques Portraits de Rois, de Reines ôc de Princes d'E£ pagne, peints par les plus habiles Maîtres. La féconde pièce eft octogone; on lui a donné cette forme, pour ménager quatre petites Garde-robes dans les angles du quarré. De cette pièce on paffe dans k Cham- Madrid. Chambre du Roi, qui eft fort grande, & entièrement meublée de dama* cramoifi avec des galons & des crépines d'or : à peine peut-on voir la tapilferie, tant elle eft couverte d'excellens Tableaux & de Glaces magnifiques. L'Apartement de la Reine eft moins grand & bien moins beau que celui du Roi. S. M. a une Salle des Gardes féparée de celle du Roi. LL. MM. peuvent aller de plain-pied dans la Chapelle, qui n'eft pas bien grande, mais qui eft richement ornée. La Tribune n'eft pas plus élevée que le pavé de la Chapelle; ce pavé eft d'un marbre fort beau. Les fenêtres de la Chapelle font toutes de glaces. Il n'y a que les Infans qui aient place dans la Tribune : les Grands d'Efpagne font afïis fur des Formes, qui font des deux côtés de la Chapelle depuis la Tribune jufqu'à l'Autel. Je crois que les Cardinaux ont le privilège d'avoir un fauteuil & un Prié-Dieu dans la Chapelle, en pré-fence même de S. M. ; du moins j'ai vu ainfi le Cardinal Borgia. C'eft dans ce Palais que le Roi pafïoit ordinairement l'Hiver, jufqu'à la mi-Carême: le Roi fe rendoit alors au Palais du Retira qui eft fitué près la porte (XAlcala. C'eft un grand & vafte bâtiment, fans ornement ni ft.ruct.ure, & qui a bien plutôt l'air d'un Couvent que d'une Maifon Royale. Les dedans répondent affez aux bu Baron de Pöllnitz. 257 aux dehors. Les chambres font très petites : Madru»; les tapifleries & les tableaux font d'une grande richelTe ; mais Mrs. les Efpagnols lont fi négligens, qu'ils laifTent manger ces belles tapifleries par les rats, fans fe mettre en peine de les raccommoder. Il y a encore des tableaux magnifiques dans une autre Salle de ce même Palais, qui repréfentent les actions principales du Duc' de Feria: c'eft dommage que pour augmenter l'entrée de la Salle, on ait coupé par quartiers plufieurs de ces tableaux. Les Jardins de ce Palais font peu de chofe. Philippe V avoit paru avoir deffein de les embellir, il avoit même déjà commencé à y faire travailler : mais ces ouvrages ont été difcontinués. Il n'y a rien de remarquable qu'une Statue de bronze , qui eft (placée au milieu d'un petit Parterre enclos de murailles. Cette Statue rcpréfente Philippe II. à cheval; c'eft un morceau des plus hardis qui foient en Europe. Le Cheval y eft repréfenté faifanc des courbettes, tout fon corps n'eft fou-tenu que fur une hanche. Le refte des Jardins confifte dans un grand Enclos orné d'Allées fans fymmétrie. J'y ai vu une Pièce-d'eau fort belle. Le Mail du Roi mérite d'être vu, aufli-bien que la Ménagerie , qui eft remplie d'Animaux fore rares. Le Roi & la Reine, foit à Madrid, foit au Retiro , vivoient toujours de la Tome II. R mê- ; même manière. Il faifoit jour un peu tard, & lorsque le lever étoit annoncé, LL. MM. ne fe levoient pas pour cela aulîi-tôt; le Roi prenoit une couple d'oeufs frais, & quelque tems après du chocolat ; la Reine ne prenoit que du chocolat. Enfuite LL. MM. faifoient venir le Marquis de Grimaldo, avec qui elles parloient d'affaires ; puis elles fe le-voient. Le P. Daubanto?i entroit alors, & demeuroit environ une bonne heure avec le Roi. S. M. alloit enfuite à la jVjeffe. Au fortir de la Chapelle, le Roi donnoit Audience à fes Sujets, ou bien aflifloit au Confeil de Caftille; quelquefois il s'occupoit dans fon Cabinet, jufqu'à l'heure du dîner, qui fe faifoit fort en particulier avec la Reine feule. Après le dîner, LL. MM. fortoient cnfemble pour la Chaffe , & revenoient un peu tard. Aulli-tôt qu'ils étoient rentrés, on leur fer voit une collation, qui confiftoit en quelque Perdrix froide, ou autres cho-fes pareilles. Mr. de Grimaldo avoit per-miffion d'entrer à ces collations. Lorsqu'elles étoient finies , le Roi donnoit Audience dans fon Cabinet à des Miniftres étrangers, ou à d'autres perfonnes de diftindtion. Pendant ces Audiences, le P^oi étoit ordinairement debout ôç fans chapeau; la Reine ne s'éloignoit point, elle fe tenoit pendant ce tems-là derrière un écran, d'où elle pouvoit entendre tout bu Baron de Pöllnitz. 2*9 tout ce que l'on difoit. Après ces Au- Mamw, diences, lorsque le Roi avoit envie de travailler, il faifoit entrer le Marquis de Çajlelar ou de Campo-florida ; ii$ ne ref-toient guères qu'un? demi-heure avec le Roi. S. M. palfoit enfuite le refte de \\ fairée avec les Infans, les Damçs du. pa_ Uis &ç leurs Camcriftes ; quelquefois on jouoit jufqu'à l'heure du fouper- Mr. de Seqtfi Miniftre de Parme, &z fort en faveur , afllftoit ordinairement à ce fouper pour entretenir LL. MM. Auffi-tôt qu'elles étoient levées de table, elles fe couchoient. A la Campagne, les plaifirsj n'étaient guères plus vifs qu'à Madrid. J'ai vu plufieurs fois la Cour à Ara»juez.; j'ai remarqué que les après-midi fe paffoient ou à la Chaffe, ou à la promenade dans les jardins du Château. Dans ces pro-, menades, LL. MM. tiroient des Corneilles avec de petites arquebufes quipor-toient extraordmairement loin. La Reine tircit ordinairement plus jufte que le Roi. Tandis que LL. MM. çhaffoienc ainfi d'un côté, le Prince des Afluries, accompagné de l'Infant fon Frère 6c de fes Gouverneurs, chaffoit d'un autre côté, & ne revenoit que le foir. Ce fut au Palais du Retira, que le Roi patra les Fêtes de Pâques pendant le féjour que je fis à Madrid. Cela me donna occation de voir les Procédons de la R 2 Se- Semaine Sainte, qui fe rendirent le Vendredi Saint au Palais du Retira , où le Roi & la Reine , le Prince des Afluries & les Infans les virent pafïer. Je vous avouerai naturellement, que je n'ai jamais rien vu de fi pitoyable, pour ne pas dire de fi fcandaleux, que ces fortes de Procédions. Il fembloit que Ton eût réfolu de tourner en ridicule la chofe du monde la plus facrée. Il s'agiffoit de la Paflion & de la Mort de N. S., & tout cela étoit repréfente d'une façon fi burlefque, qu'en vérité je m'étonne qu'un Tribunal d'inquifition , qui fait brûler affez fouvent pour des crimes imaginaires, ne puniffe pas févèrcment ceux qui participent à de pareilles Fêtes. Dans la Procefïion que j'ai vue , N. S. y étoit repréfente de grandeur naturelle , dans bien des attitudes différentes. On le voyoit fur le Calvaire , revêtu d'une robe de chambre de taffetas pourpre, priant fon Père d'éloigner de lui le Calice qu'un petit Ange lui préfentoit. Cet Ange é-toit attaché à un fil-d'archal, afin qu'il parût fe foutenir en l'air. Enfuite d'autres perfonnes portoient l'Image de N. S. attaché en Croix, toujours de grandeur naturelle , aiant fur fa tête au-lieu de Couronne d'épines , une longue perruque naturelle bien poudrée, & nouée a-vec un ruban de couleur. Enfin chaque circonltance de la Paffion & de la Mort de de J. C. étoit repréfentée au naturel, & mabb«. d'une façon plus comique l'une que l'autre. Chaque Image étoit efcortée par quatre, fix, ou huit Hommes armés de pied en cap, avec des halebardes à la main. Entre chaque Image marchoient des Ecclé-fiaftiques , & les différentes Confréries. Il y avoit à la tête de la Proceffion, des Hommes entièrement couverts de toile noire, de façon qu'on ne leur voyoit pas même le vifage; il n'y avoit qu'une très petite ouverture , par où ils pouvoient voir & refpirer : ils s'en fer voient aufli pour faire réfonner des efpèces de trompes, affez femblables aux cornets des Vachers. Ils avoient fur la tête des chapeaux extrêmement pointus. Ceux-ci é-toient fuivis par d'autres Hommes , & par des petits Garçons tous nuds depuis la tête jufques à la ceinture, dont les corps étoient entortillés de cordes de paille : ils avoient les bras attachés à un morceau de bois, qui les obligeoit de les tenir étendus en marchant, comme s'ils euffent été attachés à une Croix. Il y a-voit aufli une troupe de Flagellans; mais ceux-là n'ofoient pas fe préfenter devant le Roi, ils attendoient que la Proceflion eût été au Retira, & ils la fuivoient em-fuite. Il y avoit encore des Procédions dans le même goût pendant la Semaine de Pâques, lorfqu'on portoit le S. Sacre-R 3 menç Madkid. ment aux malades. Les rues étoient tendues de tapifleries , & les Balcons garnis de tapis. Le S. Sacrement étoit porté Tous un dais ; il étoit précédé par un grand nombre de Prêtres & de Confrères, qui avoient tous des cierges à la main. 11 y avoit aufli une nombreuie Symphonie, & quantité de Baladins habillés en mafques de différentes façons, qui faifoient des fauts & des gambades, en jouant des caflagnettes. Ils accompa-gnoient ainfi le S. Sacrement en continuant leur danfe dans l'Eglife même , jufqu'à ce qu'on eût donné la bénédiction. Je vous parle de ces cérémonies,Madame , comme les aiant vues par moi-même. On m'en avoit déjà fait un portrait affez reffemblant, mais j'avois pris tout ce qu'on m'avoit dit pour autant de calomnies , inventées à plaifir pour décrier le culte que l'Eglife Romaine rend au plus grand de nos Myftères ; d'autant plus que c'étoient des Réformés qui m'en avoient fait le portrait. Je voulus être témoin oculaire de tout ce qu'on m'avoit affuré qui s'obfervoit dans le Cérémonial de l'Eglife d'Efpagne. C'eft ce qui fît que je fuivis toutes ces Proces-ûons avec une extrême avidité, & je fus vraiment feandalifé de voir réalifé ce que je n'avois pris que pour des imaginations des Ennemis de l'Eglife Romaine. Je ne fai fi ma mauvaife humeur contre ces Superftitions né fut pas augmentée par le defagrément qu'il y a à marcher par les rues de Madrid. Cette Ville, quoi-qu'afïcz belle , & ornée dé Places dans lefquélles on voit des Fontaines magnifiques , aiant d'ailleurs dès rues la plupart fort larges , droites 6c bien percées, eft cependant d'une mal-propreré dont ofi voit peu d'exemples dans les Villes même les moins policées". On jette de toutes les maifons quantité d'ordures qui fe confirment 5 dit-on , du foir au matin, tant l'air de Madrid eft corrolif. Cependant j'ai éprouvé le contraire , 6c je me fuis fenti vivement incommodé de la puanteur que répandoient ces ordures. La puanteur journalière des rues de Madrid n'eft rien cependant, en comparaison de celle qu'il faut elTuyer dans des jours dè folennité ; car Ordinairement ces fortes de jours-là on nettoyé les rues : c'eft a-lors que tout ce qui s'y trouve étant mis en mouvement , il eft difficile d'y pouvoir tenir , fur-tout dans des tems de fè-chereffe. Tout fe trouvant confommé 6c changé en une pouflîère très fubtile, l'air que l'on refpire, 6c même tout ce que l'on mange eft infecf é de cette pouflîère, qui pénètre par-tout. J'ai entendu dire à ce fujet à un Médecin Italien, qu'il étoit fur qu'un Etranger, quelque fage 6c quelque retiré qu'il fût, ne pouvoit guères R 4 paf- paiTcr trois ou quatre ans à Madrid fans être attaqué d'une maladie que nous regardons avec horreur , mais dont les Espagnols ne font point étonnés : on dit même qu'elle eft héréditaire dans bien des familles. Ce Médecin prétendoit que tout ce qu'on refpiroit, bu voit ou mangeoit, étoit empefté par la mal-propreté de Madrid. Je ne fai quelle peut être la caufe d'une fi grande mal-propreté, car il y a des fommes considérables diftribuées tous les ans pour le nettoyement des rues. Peut-être la parefle des Efpagnols en eft-elle l'unique caufe; en effet, je ne connois point de Nation fur la Terre qui aime tant à ne rien faire. Je luis fur que s'ils habitoient un Pays moins fertile que le leur , ils mourroient bientôt de faim. L'Hiver , ils paflènt leur tems à fe promener au Soleil, ce qui eft un délice pour eux. L'Eté,ils palTent le jour à dormir, ou à prendre des Eaux glacées ; & ils réfervent leur promenade pour ia nuit. Les Payfàns, par-tout ailleurs fi accoutumés au travail, font en Efpagne tout auffi pareflèux que les gens de Ville ; à peine travaillent-ils à la terre ; ils fe contentent d'en gratter un peu la furface, 6c de femer enfuite par-defius. Ce qui eft étonnant , c'eft que tout y vient auffi bien que dans un Pays mieux cultivé. L'mdolence des Elpagnols ne leur per?> met- mettant pas de faire des exercices un peu Madrid. vifs , fait que la promenade eft un de leurs plus grands plaifirs. Ils font aufîî très afïidus à la Comédie, & c'eft-là ce que l'on trouve de plus divertifïant à Madrid. Cependant je puis vous afliirer qu'il n'y a rien de fi pitoyable que les Spectacles Efpagnols, Le lieu où la Comédie le repréfente eft horrible ; c'eft un endroit fort fombre , rempli de bancs en Amphithéâtre, au-defïus defquels on voit des loges grillées pour les Dames. Le Théâtre eft fait à la Romaine , c'eft un rang de Portiques fermés par des rideaux. C'eft par-là que les Comédiens entrent fur le Théâtre. Le tout eft très mal é-clairé. Mais ce qui me choqua le plus, ce fut un égoût, que je fèntis bien d'abord , mais que fobfcurité m'empêcha de voir à l'inftant : il paffe précilëment au milieu du Parterre , ce qui caufe une puanteur infupportable. Les Acteurs font très mai habillés, & la plupart fort laids, ou mal faits. Les Actrices font plus paf-fables , mais cependant c'eft très peu de chofe. Les Pièces ne valent guères mieux que les Acteurs; cependant les Efpagnols affurent que ce font des morceaux excellens. Ce qui m'a le plus di-verti, c'a toujours été les Danfes des En-tr'actes ; il feroit difficile de trouver quelque chgle de; plus ridicule. La plupart de leurs Pièces de Théâtre (ont des Piè-R 5 ces Madrid, ces faintes ; ils jouent même les Myftères de notre Religion. Un de mes Amis m'aaffuré y avoir vu adminiftrer le S. Sacrement à un malade : fi cela eft vrai, je ne comprens pas que l'Inquifition, d'ailleurs fi févère, puifle tolérer de pareils abus. Je vous dirai à propos de l'Inquifition ^ que je fus témoin, pendant mon féjour en Efpagne, de la févérité de ce Tribunal. Peu de jours après mon arrivée à Madrid, je vis brûler plufieurs perfonnes convaincues d'avoir judaïfé. Il y avoit parmi ces pauvres malheureux une jeune Fille d'environ dix-huit ou vingt ans , qui étoit une des plus belles perfonnes que j'aye vu en Efpagne. Elle alla au fupplice avec la joie peinte fur le vifage, & elle mourut avec une fermeté telle qu'on dépeint celle de nos Martyrs. Quelque tems après cette Exécution , l'Inquifition fit encore de grandes recherches dans toute l'Efpagne; oa enleva plus de 40 perfonnes dans une nuit à Madrid, entre autres un célèbre Médecin nommé Peralte, dont apparemment l'Etoile portoit qu'il périroit par l'Inquifition. Sa Mère y étoit en prifon lorsqu'elle le mit au monde, & elle fut brûlée peu de tems après fes couches. Le jeune Peralte fut élevé dans la Religion Catholique ; mais à l'âge de tente ans il fut accufé & convaincu de Judaïfme; »u Baron de Pöllnitz. 26*7 il en fut quitte cette première fois pour Madrid. trois ans de prifon ; mais enfin il fut pris une féconde fois , 6c j'ai appris a-près mon départ de Madrid , que ce pauvre milerable y avoit été brûlé : en quoi les vœux de fa Mère ont été fa-tisfaits , car on m'a afluré que cette Femme en montant fur le bûcher fit des vœux pour que fon Fils pût mourir un jour de la même façon. Je fus bien aiié de n'être point à Madrid dans le tems de l'Exécution de ce Teralte ; je l'avois connu un peu : c'étoit le plus honnête homme du monde , mais vraiment entêté du Judatfme. Ce ne fut point pour joindre mon Régiment, que je partis de Madrid: je pris une route un peu oppofée, 6V cela pour tâcher d'avoir quelque argent, n'y aiant pas moyen d'en toucher en Efpa-' gne. Ce ne fut alfurément point ma faute , fi je ne réuffis pas ,• car je ne crois pas que jamais Courtifan ait fait fa cour avec autant d'affiduité que je la faifois, non feulement au Roi 6c à la Reine, mais au P. ConfelTeur, dont la protection feule m'auroit fuffi, s'il eût voulu m'en honorer. Je me trouvois donc tous les jours, tantôt dans l'Antichambre du Roi , tantôt dans celle du R. P. Je fuivis la Cour dans toutes les Mailons de plaifance qui font aux environs de Madrid. Je Vis ÏEfcurial, bâtiment ment fuperbe, que Philippe II. fie bâtir à caufe de Ja Bataille qu'il gagna fur les François auprès de S. Quentin. On ne peut rien voir de plus beau que cet é-difîce. Philippe II. n'avoit eu d'abord intention d'y conftruire qu'une Eglife ôc un Couvent ; enfuite il s'y eft ménagé un logement, qui eft quelque chofe de partait. L'Efcurial eft le lieu de la fepul-ture des Rois d'Efpagne. Le Caveau dans lequej on dépofe leurs corps , eft un chef-d'œuvre d'Architecture : on voit par-tout briller l'or ôc les pierres précieufes. Philippe V faifoit bâtir alors un Palais, dont le DelTein me parut magnifique : c'eft celui qu'on appelle aujourd'hui S. Ildéfonje. Sa fituation eft des plus avan-tageutes. Il de voit être accompagné de Jardins magnifiques. Aranjuez, eft la Maifon de plaifance que j'ai le plus fréquenté dans mon Voyage d'Efpagne. Elle eft fituée à 7 lieues de Madrid, fur les bords du Tage qui environne tous fes Jardins. Les environs en font magnifiques. Charles-Quint y a fait planter des Avenues, qui font aujourd'hui dans toute leur beauté. Ce fut à Aranjuez que je me déterminai enfin à demander mon congé à S. M.; car voyant qu'il n'y avoit pas moyen de rien obtenir, je réfolus de paffer en Hollande ôc de là en Allemagne , afin de régler quelques affaires de famille. Je penfai encore é-chouer dans la demande que je fis de mon congé; le Roi ne paroiffoit pas porté à me l'accorder. La crainte qu'il avoit que je ne vinffe à changer de Religion, lui donnoit des fcrupules : mais le Père Dau-banton, peu délicat fur de pareilles matières, dit deux mots à S. M. qui confentit enfin à me laiffer partir. Voilà la feule obligation que j'aye au R. P. Lorfque je pris congé du Roi, il m'ordonna de revenir le plus tôt que je pourrais. Je le promis, & véritablement c'étoit mon deffein: mais la Fortune, toujours contraire à mes entreprifes, me fit prendre une route bien contraire. Mr. de Stanbope , qui avoit toujours agi avec moi avec toute la générofité poffible, me fervit encore fort à propos à mon départ; il me prêta quarante piftoles pour mon Voyage. Je partis de Madrid avec un Neveu de Mr. de Seiffdn, qui alloit trouver Mr. fon Oncle à Bilbao. Ce jeune-homme s'appel-loit le Baron de V. . . . J'eus bientôt lieu de me repentir d'avoir un tel compagnon de Voyage. C'étoit de ces jeunes Officiers , toujours prêts à mettre l'épée à la main fur le moindre fujet ; d'ailleurs d'une vivacité , ou plutôt d'une étourdc-rie qui ne lui donnoit pas le tems d'écouter ce qu'on lui difoit: ce qui faiibit qu'allez fouvent, il s'imaginoit être in- fulté, Madrid, fuite, lorsqu'on fe mettoit en fraix pour lui faire un compliment. Voilà, Madame, une partie du caractère de celui avec lequel j'étois deftiné à rouler. Dès le premier jour, fa grande facilité de s'aboucher avec le premier - venu, penfa nous coûter cher. En paffant au milieu d'une efpèce de Bois affez, épais, j'apperçus de loin quatre hommes bien armés fur le grand-chemin, deux d'un coté, ôc deux de l'autre. Comme il faloit néceflairement paflèr au milieu d'eux, j'avertis mon Compagnon de s'aflûier de fes pistolets. Ces Meflîeurs nous voyant faire aifez bonne contenance, nous laiflerent paflèr. Nous les primes l'un & l'autre pour des François, ce qui engagea le Baron de V. . . à faire arrêter notre chaife pour lier converfation avec eux. 11 leur demanda qui ils étoient. Ils répondirent qu'ils étoient des Officiers François, qui avoient abandoné leur Patrie pour une affaire d'honneur. Ils demandèrent à leur tour des nouvelles de Madrid, ôc tout en caufant je remarquai qu'ils s'approchoient de notre chaife un peu trop près ; ce qui fit que je rompis la converlàtipn , en ordonnant au Poftillon de marcher & même d'aller bon train, parce que nous avions affaire. Ces prétendus Officiers doublèrent aufli le pas pour nous joindre : mais heureufement pour nous, nous découvrîmes de deflus une petite hauteur un Convoi voi d'environ 40 mulets , & plufieurs Madrib. perfonnes à cheval, qui venoient de notre côté. Nos pourfuivans ne les eurent pas plutôt apperçus, qu'ils rebroufièrent chemin avec une promtitude, qui me confirma dans l'idée que je m'étois formée que nous avions affaire à des Voleurs. Mais il n'y eut plus moyen d'en douter, dans la rencontre que nous fîmes de plufieurs Alguafils qui couroient la Campagne pour fe faifir de quatre hommes , qu'il nous fut aifé de reconnoitre au portrait qu'ils en firent, pour être les mêmes avec qui nous avions penfe avoir affaire. La féconde journée, nous penfames a-voir querelle epfemble au fujet du payement. Comme c'étoit moi qui me mc-lois de la cuifine, & que de ma vie je n'ai aimé à mourir de faim , le Baron trouva que je n'étois pas affez économe, & refufa d'abord de payer fa part. Cependant il fe rendit à la fin; mais comme cette dépenfe lui tenoit fort au cœur, ü ne me regarda point de bon œil pendant le refte de la route : il affedia même de ne me point parler du tout. Pour je pris auffi le parti du filence , & ne pouvant rien faire de mieux je m'endormis tranquillement, & tout en dormant je fis une route affez confidérable. Mon fi bonne difpofirion, Com- Compagnon de Voyage ne commença à Butîgos. parler qu'à Burgos. Cette Ville eit Capitale de la Vieille Cailille : c'étoit autrefois la demeure des Rois d'Efpagne. Elle n'a rien de remarquable qu'une Place affez grande, qui eft entourée de maifons d'égale fymmé-trie, foutenues par des piliers , qui forment une Gallerie autour de la Place. L'Eglife Cathédrale eft un bâtiment magnifique, mais entièrement dans le goût Gothique. Il y a auprès de Burgos une Abbaye très nombreufe de Filles de qualité ; elles poflèdent, auffi-bien que tous les Cou-vens d'Efpagne , des revenus confidéra-bles. Depuis Burgos jufqu'à Vittoria, le Pays eft plus beau ôc bien mieux cultivé que dans la Nouvelle Caflille : les Villages paroiffent plus peuplés. J'y ai vu des Payfans avec une certaine activité , qui ne fe trouve point chez les Efpagnols: je crus arriver dans un autre Monde. Vitto- Vittoria eft une Ville de Com-KIA« merce : elle eft fituée dans une Plaine très fertile, ôc remplie de Villages. Les rues font fort étroites ; ôc les. maifons, qui font toutes de bois, s'avancent de façon fur la rue, qu'on pourroit prefque fe donner la main d'une maifon à l'autre; ce qui rend les rues fort fombres. Ce fut dans cette Ville que la Reine Ma-rie-Louije de Savoie fe retira, avec fes En- du Baron de Pöllnitz: 17$ Enfans & les Tréfors de la Couronne, Virr* lorfque l'Archiduc Charles , aujourd'hui RiA-Empereur, tournant fes pas vers Madrid après la Bataille de Saragojfe, obligea le Roi Philippe de fortir d'Elpagne. Nous logeâmes à la Pofte, où nous fumes beaucoup mieux que nous ne l'avions encore été dans aucun endroit de l'Efpagne. Mais lorfqu'il s'agit de payer, il falut encore effuyer une nouvelle fcè-ne. Pour moi je payai ma part ians murmurer, parce que j'ai toujours remarqué que de quelque manière qu'on s'y prenne, il faut toujours en venir là. Après donc avoir donné ce qu'on m'avoit dit que je devois , je m'amufai quelque tems dans? ma chambre, pour voir fi je n'oubliois rien \ lorfque tout d'un coup j'entendis un grand bruit dans la Cour, qui m'obligea de mettre la tête à la fenêtre. Je fus très étonné de voir mon Baron qui étoit aux prifes avec l'Hôtelfe & trois ou quatre Servantes, qui le repaflbient d'importance. Je defcendis au plus vite, pour le retirer d'entre les mains de ces Bacchantes, & j'arrivai très à propos; car rfiôteiTe s'étoit faifte d'un grand couteau de cuifine , avec lequel elle vouloit le poignarder. Je féparai les combattans^ & avec quelque argent l'Hôtelfe s'appai-fa. Le fujet de la querelle venoit de oe que le Baron ne voulant abfolument pas payer ce qu'on lui demandoit, s'étoit pré- Teme IL S paré Vitto- paré à partir fans laiffer d'argent. L'Hô-wa« teffe, qui n'entendoit point raillerie, l'a-voit faifi au cplet, ôc celui-ci pour s'en débaraffer lui avoit donné un foufflet. L'Hôteffe vouloit abfolument avoir fatis-faétion de l'affront qu'elle avoit reçu ; mais enfin après bien du bruit, on nous laiffa partir. Nous quittâmes notre chaife à Vitt»-ria, pour y prendre des chevaux, à caufe des mauvais chemins par où il faut paffer pour fe rendre à Btlbao. Depuis Vittoria jufqu'à Bïlbao le Pays eft fort couvert, on ne voit que des Montagnes de tous côtés 6c quantité de Bois , ce qui fert de retraite à bien des Voleurs. Nous mimes pied à terre dans un Cabaret qui étoit feul au milieu d'un Bois, 6c nous nous trouvâmes bientôt environnés de fept ou huit hommes armés , qui a-voient vraiment l'air de Coupe-jarrets. Ils nous demandèrent fi nous étions Officiers , 6c fi nous étions feuls de notre compagnie. J'eus affez, de préfence d'efprit pour leur répondre que nous avions pris les devans d'une Compagnie de Cavalerie, qui alloit arriver dans peu de tems à ce même Cabaret : j'ordonnai en confé-quence que l'on tînt du foin tout prêt pour les chevaux. Je ne fài fi cette nouvelle leur fit peur, mais ils fortirent as-fez, promtement du Cabaret, 6c s'enfoncèrent dans le Bois. Nous montâmes à che- cheval pour continuer notre route. Nous Vitto-trouvames à une lieue du Cabaret, une ma. Montagne des plus hautes que j'eufîè encore vu de ma vie comme elle étoic fort efcarpée, on avoit préparé des chemins en tournant, alfez larges pour que deux mulets chargés pulTent y palier. Au pied de cette Montagne nous trouvâmes une Vallée charmante, qui nous conduifit jufqu'à Bilbaoy c eft-à-dire, l'efpace de trois ou quatre lieues. Cette Vallée eft arrojféc d'une Rivière , dont les côtés font bordés par des Vignes, ou par des arbres de différentes elpèces. Tout et Pays eft extrêmement peuplé ; on ne fait pas deux-cens pas fins trouver une maifon; Il y a aufli une quantité prodigieufe de Forges, dont on prérend que le fer eft le meilleur qui foit en Efpagne. Biljjao eft Capitale de la tëi&aye, &ç Bilbao. la Ville la plus jolie que j'aye vue en Eipa-gne ; les promenades fur-tout font d'une grande beauté. Cette Ville fait un grand Commerce de Laines avec la Hollande, l'Angleterre & la France, & ordinairement il y a dans le Port de Bilbao plufieurs Vaiffeaux de ces trois Nations. Autrefois ce Port étoit franc, ce qui contri-buoit beaucoup à faire fleurir le Commerce ; mais Philippe V z Supprimé cette franchiiè, & a établi une Douane, ce cjui ne fe fit pas fans cauler beaucoup de oefordre. Les habitans de la Campagne Bilbao. furent ceux qui fe fignalèrent le plus pour la confervation de leurs Privilèges, ils prirent les armes, & engagèrent plufieurs de ceux qui demeuroient dans la Ville à le joindre à eux. Ces révoltés commirent mille excès, ils tuèrent plufieurs perfonnes , & mirent le feu aux maifons de ceux qu'ils foupçonnoient avoir eu part à l'é-tabliffement de la Douane. Cette l'édition fat bientôt appaifée; on fe faifit de ceux qui avoient occafionné le tumulte, plufieurs des plus mutins furent pendus, & cet exemple fit effet fur la multitude. Au refte, on en agit affez doucement avec eux, car on auroit pu profiter de ce tumulte pour les priver de quantité de Privilèges des plus extraordinaires, & même en quelque façon contraires au bien public. Par exemple, un Bifcayen ne peut être condamné à mort pour quelque crime que ce foit, à la réferve de celui de Lèze-Majefté & d'Héréfie ; tous les autres, quelque énormes qu'ils foient, ne font punis que par la Prifon, ou par les Galères. La Catalogne jouiffoit autrefois des mêmes Privilèges, mais elle en a été dépouillée lorfque Philippe V l'a recon-quifè. On voit près de Bilbao une Chapelle miraculeufê, fituée fur une Montagne fort haute. Les Pèlerinages fréquens qui s'y font depuis longtcms, l'ont beaucoup enrichie. Mais de tout ce que j'y ai vu, rien rien ne m'a plus frappé que le Maitre- Bilbao. Autel. Il n'eft cependant que de bois , lans aucune peinture ni dorure ; mais le travail eft Surprenant. On peut regarder ce morceau comme un chef-d'œuvre de l'Art. On m'a dit que celui qui avoit fait ce bel ouvrage, avoit été ac-cufé de Judaïfme quelque tems après l'avoir fini, & qu'il fut brûlé comme tel. En vérité, l'Inquifition auroit dû lui faire grâce en faveur de fon habileté. Je reftai plus longtems à Bilbao, que je ne m'y étois attendu. J'efpérois toujours trouver quelque Vaiffeau prêt à partir pour la Hollande; mais enfin, fatigué d'attendre, je m'embarquai fur un Vais-feau marchand de Bilbao, qui faifoit voile à Londres: deforteque je parvins à voir l'Angleterre, ce que je n'efpérois pas fi-tôt. Nous eûmes un vent fi favorable dans tout le Voyage, que le fixième jour après notre départ, je me trouvai rendu dans Londres * même. Tous les endroits par où l'on paffe avant que d'arriver dans cette Ville, forment un fpec-tacle au-deflus de tout. Rien n'eft comparable à la beauté de celui que préfente le Canal, ou la Manche, par la multitude des Vaiflèaux qui vont & viennent, de côté & d'autre. Le magnifique rivage de la Tamije donne aufli une grande idée de * Voyez le Tome III. des Lettres, p. 301. S 3 378 Memoires Lon- de la richeffe de l'Angleterre; on ne voit VRzs. par-tout que des Mailons magnifiques ôc des Jardins d'une grande beauté. Je vis avec plaifir la magnifique Fonderie de canons, de bombes, ôc de boulets, ôc le Paredes Vailfeaux du Roi. J'en vis plufieurs à l'ancre, tous magnifiques, ôc dignes d'une Nation auffi opulente que le ibnt les Anglois. Je fus frappé fur-tout de la grandeur d'un de ces Vailfeaux , qu'on me dit être celui que monte l'Amiral , lorfque l'Angleterre l'envoyé en Mer. On voit encore fur la gauche de la Tawife, avant que d'arriver à Londres, un bâtiment magnifique pour des Soldats invalides. C'elt aux environs de cet Hôtel que fe tiennent les Yachts du Roi , qui fervent à traniporter S. M. Ôc toute fa Cour en Hollande, lorfqu'elle fe rend dans fes Etats d'Allemagne. Celui qui eft pour le Roi eft fort grand, ôc enrichi de fculpture ôc de dorure. Depuis cet endroit jufques. au Pont de Londres, on ne découvre plus que Vailfeaux ôc Barques allans ôc venans; les deux côtés de la Rivière font bordés par des Vailfeaux à l'ancre , ce qui forme un magnifique fpeiStacle. Je crois qu'il eft impoffible qu'un Etranger ne foit frappé du mouvement continuel qui le lait fur cette'Ri. ■vière. je paflai ious le célèbre Pont de Ls, qui effectivement doit être regardé comme un des premiers Ponts du mon- monde, par rapport à fa longueur, & par loh. le flux & reflux auquel il elt expofé. Sa dh** largeur ne répond point à fa longueur; & ce qui le rend encore plus étroit, ce font d'aflèz méchantes maifons ou boutiques, dont il eft chargé, 6c qui font un mauvais effet. Je mis pied à terre près de Whiteball. C'étoit autrefois un Palais magnifique, où les Rois d'Angleterre faifoient leur féjour : il fut malheureufement réduit en cendres fous le Règne de Guillaume III 6c de Marie. Il n'eft refté de tout ce Palais qu'un grand Pavillon, d'une très belle Architecture : il fervoir autrefois de Salle de feftin, mais aujourd'hui c'eft une Chapelle. Ce fut à Whiteball que l'infortuné Charles I. eut la tête tranchée; on voit encore dans ce qui refte du Palais , la fenêtre par où fortit ce Prince pour paffer fur FÉchaffaut, qui étoit dres-fé vis-à-vis. Le Palais de Whiteball fait face au Parc S. James, qui eft à Londres ce que les Tuileries font à Paris. On voit même plus de monde dans ce Jardin-ci , que dans celui de Paris. Ce qui en gâte beaucoup la promenade , c'eft que le monde y eft fort mêlé; la livrée ôc le plus vil peuple s'y promènent, de même que les gens de condition. Ce Parc eft coupé au milieu par un grand ôc magnifique Canal , qui fait un fort bel effet. S 4 Les Lon* Les Allées en font bien entretenues, & bhï5. fur-tout celle que l'on appelle Y Allée du Mail: c'eft la plus longue de toutes. Au bout de cette Allée en fortant de Whiteball, on voit fur la droite le Palais S. James, qui eft aujourd'hui habité par les Rois d'Angleterre. C'eft un bâtiment fort ancien, qui étoit autrefois un Couvent, & qui même en a encore beaucoup l'air : fans les Gardes qui l'environnent, un Etranger auroit peine à s'imaginer que ce bâtiment eft le Palais d'un Souverain. Il a deux entrées, l'une du côté de S. James, & l'autre du côté de Whiteball. Il y a à chacune de ces entrées une Compagnie de Gardes à pied, avec un Drapeau ; il y en a toujours deux en fcntinelle, l'épée à la main. La Garde du Roi de la Grande-Bretagne eft la plus lefte que j'aye jamais vue: ils font tous d'une riche taille, & ne font point, comme par-tout ailleurs, des Soldats de parade; on exige de ceux qui fe préfen-tent, des Certificats de fervice. On les diftingue par les noms de Gardes du corps, Grenadiers, Hallebardiers, & de Gardçs à pied. Les Gardes du corps portent des habits d'écarlate galonnés d'or fur toutes les coutures , avec des paremens bleus. Ils font toujours bottés lorsqu'ils font de garde, & ils n'ofeioient fe débotter qu'ils ne loient relevés. Les Grenadiers à cheval font habillés de même que que les Gardes du corps, mais ils por- l®n-tent des bonnets de drap bleu-célefte,fur dres. lesquels on voit en broderie d'or 6e d'argent l'Ordre de la Jarretière. L'habit des Hallebardiers eft aflez extraordinaire: ils font vêtus à l'antique, d'éca-late avec un galon de la livrée du Roi, qui eft de velours bleu avec un grand galon d'or au milieu; ils portent des toques de velours noir, garnies de plumes blanches. Les Gardes à pied ont des habits rouges, avec des paremens bleus ôc des allema-res de la couleur de leurs Colonels. Voilà, Madame, ce que je remarquai en entrant dans la Ville de Londres. Je confinai mon chemin jufqu'au quartier Ste. Anne, ou l'on m'avoit adreffé chez des François Réfugiés, très honnêtes-gens. Après m'être repofc pendant quelques jours , je fis quelques démarches pour me produire à la Cour; mais elles furent toutes infructueufcs. Le Roi ôc fa Cour Allemande avoient été ii fort prévenus contre moi par Mlle, de Pöllnitz. , qu'il me fut impoflible d'obtenir une Audience de S. M. La Princeffe de Galles fut plus fenfible à ma fituation, ÔC elle eut la bonté de me faire un préient. Les Allemands qui étoient à la Cour , fuivircnt l'exemple de leur Maitre à mon égard; deforte qu'il falut me retrancher à ne voir que des Anglois. J'en trouvai % 5 plu- Lon- plufieurs que j'avois vus en France, & d-REs. avec lesquels je renouai connoifTance. Ils me firent toutes les politeiïcs imaginables; ils eurent même l'attention de me conduire dans les différens quartiers de "Londres où il y avoit quelque chofe qui méritât d'être vu. Ils me menèrent d'abord à l'Eglife de S. Paul, qui après S. Pierre de Rome eft la plus grande & la plus magnifique Eglife de l'Europe. Elle fut commencée après le grand Incendie de Londres, fous le Règne de CharlesII., & elle n'a été achevée que fous le Règne de la Reine Anne. Les dehors du bâtiment font aufli magnifiques que les dedans; il eft bien dommage qu'ils fbient offusqués par quantité de maifons , que l'on feroit bien de mettre à bas. La façade eft la feule pièce du bâtiment que l'on puiffe regarder à fon aife ; elle eft précédée d'une Place affez petite, que l'on a entourée d'une grille de fer. Sur la droite de cette grille on voit la Statue de la Reine Anne ; elle eft repré-lèntée debout en grandeur naturelle, revêtue de fes ornemens royaux, le Sceptre dans une main , & le Globe dans l'autre. Cette Statue, qui eft de marbre blanc, eft poféc fur un piédeftal de même matière. Ce monument ne m'a pas paru digne du bon goût que la Nation Angloife a .la réputation d'avoir pour les beairx ouvrages. On peut dire la même me chofe des autres morceaux de Sculp- Lok- -ture que j'ai remarqués dans les dedans dres. de l'Eglife de S. Paul, qui ne paroiffent pas partir de main de Maitres. Le Chœur m'a paru trop petit de beaucoup par rapport à la grandeur de la Nef ; il eft féparé du refte de l'Eglife par une baluftrade de bois , qui forme une efpèce de Portail, au-deffus duquel font les Orgues, qui font un affez mauvais effet. Je crois que cela vient de ce qu'elles font deftituées d'accompagnement- On voit vis-à-vis de l'entrée du Chœur la Table de la Communion, qui eft entourée d'une baluftrade avec un banc , où les Communians fe mettent à genoux. Le fiège de l'Archevêque de Cantorbéry eft à la droite de cette Table ; il eft élevé de quelques marches ; il y a au-deffus un dais pareil à ceux des Evêqucs Catholiques. Tout le Chœur e(t environné de petites Tribunes, afîèz fèmblables à des Loges de Comédie ; c'eft ordinairement là que fè placent les Ma-gifttats , lorsqu'il viennent en Corps à l'Eglife. La Chaire du Prédicateur eft placée au milieu du Chœur ; elle eft toute fimple, de bois de noyer, & d'une figure octogone; elle eft faite de façon , qu'on ne voit pas le degré par où monte le Prédicateur. A la droite de •la porte du Chœur il y a un dais & «n liège pareil à celui de l'Archevêque Los- de Cantorbéry ; c'eft la place de l'Evêque dkes. de Londres. Au fortir de S. Paul j'allai voir l'Eglife de U'eftminjîer, qui eft fituée dans un quartier affèz. éloigné de celui de S. Paul, ce qui m'obligea de me fcrvir d'un caroffe de louage. Ces voitures font très communes à Londres ; mais comme elles font fans reflorr, cela les rend d'une rudefle infup-portable. Au refte, elles font excellentes pour faire bien du chemin en peu de tems ; les chevaux, qui font affez bons, vont prefque toujours au galop , & cela fur le plus mauvais pavé de l'Europe , ce qui fait efïuyer de terribles fecouffes à ceux qui fe fervent de ces équipages. Je me rendis donc à l'Eglife de Wéjlminjler dans une de ces voitures. C'eft dans cette Eglife que les Rois d'Angleterre font facrés & inhumés. Elle eft fort ancienne, & n'a d'autre beauté que fa grandeur. Elle eft entourée de quantité de Chapelles, dans lefquelles on voit les Tombeaux de plufieurs Rois, Reines, & même de dif-férens Particuliers : il y en a peu qui foient dignes de remarque. Ce fut dans cette E-glife que je vis le Fauteuil de S. Edouard : c'eft un fiège de bois , fans aucun ornement , qu'on dit avoir fervi à S. E-douard: on y foit afleoir les Rois, le jour de leur Sacre. A côté de ce Fauteuil eft une Armoire , dans laquelle on conferve *a cire la Statue du Général Momk , qui réca- du Baron de Pöllnitz: 28c rétablit Charles II. fur le Trône de fcs it0if. Pères, après la mort de Cromvjel. On me dres» fit voir dans une Chapelle peu éloignée, une autre Statue en cire , qui repréfente Charles II. en grandeur naturelle : il eft revêtu de lès habits de Chevalier de la Jarretière. Je vis aufli dans la même Chapelle la Statue en cire de la Duchefle de Richement, dans fes habits de Duches-fc. Je trouvai dans l'Eglife de Weftminfier un Seigneur Anglois de mes anciens A-mis , qui me conduifit dans la Salle du Parlement. Le Roi devoit s'y trouver ce jour-là , pour mettre fin aux Séances de la Compagnie. En effet, peu après mon arrivée je vis entrer le Roi , revêtu de fès habits Royaux, & la Couronne fur la tête. Comme on m'avoit averti que la féance ne feroit pas longue , j'allai attendre le Roi fur fon paffage, pour voir quel étoit fon cortège. Je le vis monter dans un caroffe à fix chevaux, les Gardes l'ac-compagnoient à cheval, & fon carofïe é-toit précédé par un autre dans lequel é-toient les principaux Officiers de la Couronne. Le Roi d'Angleterre ne fort ainfi accompagné, que lorfqu'il va au Parlement ; car ordinairement il fort en chaife à porteurs, fix Valets de pied précèdent, & fix Hallebardiers de la Garde marchent à côté de la chaife : les Officiers de fervice fuivent ordinairement S, M. dans des ca- lon- carofles à deux chevaux. Le Prince & la ores. Princeffe de Galles ont un cortège à peu près femblabie, lorsqu'ils fortcnt. J'ai remarqué parmi les gens de la liviéedu Roi & de LL. AA. RR. un ufage qui en-unique pour cette Cour : c'elt que lorsqu'ils font de fervice, ils portent au lieu ce chapeau , des bonnets de velours noir tout unis , faits à peu près comme des bonnets de Coureur. Après que j'eus vu paffer le Roi, j'allai dîner chez, Mylord......dont j'avois vu le Frère en Efpagne. J'y palTai l'après-dînée, & fur le foir il me mena à l'Opéra, dont je fus très content, tant par rapport aux Acteurs qui étoient les prémières Voix de l'Europe , que par rapport à rOrcheftre, qui ne pouvoit être ni meilleur , ni plus nombreux. Cependant, je lui préférerais encore l'Opéra de Taris. Celui de Londres en\ ablolument dépourvu de Danfes ; & lorfqu'il y en a , elles font li mal exécutées , qu'elles font infuppor-tables aux perfonnes de bon goût. Les habits de Théâtre font beaucoup plus riches que ceux des Acteurs François ; mais ils n'ont pas ce bon goût , que le feul François peut fe vanter de pofféder fou-verainement. Le Théâtre Anglois a encore un défaut ; c'eft d'être extrêmement dégarni ; ils ne favent ce que c'eft que les Choeurs , & lorlque la Scène demande quelque fuite, elle eft ordinairement com- po- poféc de gens qu'on ramaffeoû Ton peut,LoH-ce qui fait qu'ils ont tous un air affez Tot dre*« & fort embaraiTé. La Salle qui contient les Loges, eft prefque ronde : elle eft peu grande, mais fort élevée ; les places m'y ont paru affez bien ménagées : tout le monde eft aftis, même au Parterre, dans lequel il y a des bancs qui forment un Amphithéâtre peu élevé , & prefque en cercle , de façon que tout le monde fe voit en face. Cette Salle eft fi fort éclairée de bougies , qu'elle éblouit les yeux; ce qui diminue beaucoup de l'éclat du Théâtre. Le Roi étoit à l'Opéra , le jour que j'y allai. S. M. étoit placée dans une Loge à la droite du Théâtre, fans aucune diftinétion. Elle s'entretint pendant tout le tems du Spectacle , avec trois Dames qui étoient dans fa Loge. Quelques jours après , j'allai à la Comédie. Je ne vous dirai rien de la Pièce que j'en tendis, parce que ne fâchant point l'Anglois , je n'en pus juger que par les applaudiffemens que l'on y donna, Les Acîeurs me parurent excellens, du moins à en juger par leurs geftes & leur port : il auroit été difficile d'en trouver qui eus-fènt un extérieur plus avantageux. Le peu d'efpérance de trouver de l'emploi à la Cour d'Angleterre , joint à ce que mes finances diminuoient à vue d'oeil, me força de penfer à un départ prochain. Je me dépêchai donc de parcourir la Ville Lok. le de Londres , afin d'y voir ce qu'il y ores, avoit de plus remarquable. Je trouvai des quartiers très beaux , & des Places en plus grande quantité qu'en aucune autre Ville; elles feroient magnifiques , fi on ne les gâtoit en les enfermant par une paliffade de bois, pour employer le terrein du milieu en Jardinage. Les maifons font communément fort petites , la plupart n'ont point de Cour, & il y en a peu qui aient des Jardins. D faut cependant excepter nombre d'Hôtels, qui font d'une grande magnificence. Tel eft l'Hôtel du Duc de Montalgu , dont le bâtiment eft d'un goût exquis. La Cour eft très grande , & fort belle. Le Jardin répond parfaitement à la beautédu bâtiment. L'Efca-lier mérite d'être vu par desconnoiffeurs: le plafond repréfente Pha'éton qui demande au Soleil de conduire fon char : la chute de Phaèton eft repréfentée dans le Salon qu'on trouve immédiatement au haut de l'Efcalier. Les Apartemens qui font aux deux côtés du Salon , font auffi d'une grande beauté, & très richement meublés. J'allai enfuite voir l'Hôtel de Mylord Marlborough , qui eft très magnifique, & rempli de tableaux des plus habiles Maîtres. Le plus grand nombre eft de Van Dyck. Après avoir ainfi parcouru plufieurs autres Hôtels, dont je n'entreprens point de faire la defcription , on me fit voir une ©u Baron de Pöllnitz. 289 une Colonne qui me parut furpafîer de LoM beaucoup la célèbre Colonne de Trajan. dres. Ce Monument a été érigé en mémoire de l'effroyable Incendie arrivé à Londres peu après le rétablilTement de Charles 71. fur le Trône d'Anglererre. Cette Colonne mériteroit d'être placée dans un endroit plus vafte : elle eit dans un coin affez, reffer-ré, qui eft précifément l'endroit où l'Incendie a commencé. On lit defïus une Infcription Latine, qui marque toutes les circonftances de ce trille événement. Dans le piédeftal de ce Monument il y a une porte qui conduit à un Efcalier pratiqué dans la Colonne , par où l'on peut monter jufqu'au haut. C'eft, après le Dôme de S. Paul, l'endroit de Londres d'où l'on découvre le plus de pays. A peu de diftance de ce Monument,' on voit le bâtiment que l'on appelle la Bourfe , ou le Change. C'eft là que les Marchands s'aflemblent depuis midi jufqu'à deux heures. Ce'bâtiment eft fort grand, & quarré. Sa principale façade elt très magnifique : la Place où s'adèmblent les Marchands eft entourée d'une belle Gallerie, qui eft foutenue par de grandes arcades d'une belle Architecture. C'eft là que l'on voit la Statue de Charles U. en marbre : ce Prince y eft repréfente debout , revêtu de fes habits royaux. On voit dans des niches qui font au-defîus des arcades, les Statues des Rois & Rei- Tovic II. T nes nes d'Angleterre ; elles font toutes de pierre , & d'un ouvrage fi imparfait , qu'elles défigurent plus la Bourfe, qu'elles ne l'ornent. Il y a encore près de ce bâtiment une autre Statue de Charles II. Ce Prince y eft repréfente à cheval. Ce monument eft de marbre blanc ; mais il a été fi mal exécuté , que je crois qu'il vaudroit peut être mieux qu'il n'eût point été érigé. La Statue équeftre qui repréfente Char/es I. eft bien mieux exécutée : c'eft un monument tout de bronze, qui a été érigé fur le Marché au Foin près de Whiteball. Les connoilfeurs admirent fur-tout le cheval; c'eft un morceau des plus hardis que l'on puifïe voir ; il a été fait par le même Ouvrier qui a fait le cheval de Henri IV', que l'on voit à Paris. La Statue de Chartes I. n'eft pas du même Ouvrier. Crom- ôc l'Artifan fait aus- ii bien que le Mylord, fe deiênnuyer a-près fon travail. Les Anglois font beaucoup pour les Spectacles ; les Combats fur-tout, quels qu'ils foient, les amufent agréablement : aufli en voit-on chez eu*x de toutes les efpèces. Tantôt c'eft un Combat de Taureaux avec d'autres bêtes , d'autres fois c'eft un Combat de Coqs. Vous avez fans doute entendu parler du Combat de ces petits Animaux. Les Coqs d'Angleterre valent mieux pour cela qu'aucuns autres: c'eft une Efpèce dont on ne trouve point de femblable dans les autres Pays. Ils ont le bec extrêmement long, & lorfqu'ils ont une fois commencé à fe battre, ils continuent avec un tel acharnement qu'il y en a toujours un des deux qui demeure fur la place. Avant que de les expofer au Combat, on leur attache aux pieds de petits éperons, dont ces animaux fe fervent adroitement l'un contre l'autre. Les .Anglois fpectareurs du Combat ne demeurent point indiffé-rens ; il fe forme d'abord divers partis en faveur des Combattans , & l'ufage en Angleterre eft de faire des paris coniidé-rables ; car il faut remarquer qu'il n'eft point de Nation au monde qui aime tant à parier que la Nation Angloife. Les Combats d'Animaux ne font pas les feuls que l'on voie en Angleterre ; il y a fort fouvent des Combats de Gladiateurs. Ces rniférables, pour un vil intè-T + rêt, 1>0N. têty fe barrent à coups de fabre , & f« uses, font flffez. fouvent de cruelles bleffures. Les Anglois aiment beaucoup ces fortes de Combats ; ils applaudiflènt avec de grands cris, lorfque l'un des deux bleffc {on Adverfaire , & lorfque le Combat eft fini , les deux Combattans le donnent la main, en fe faifant mutuellement de grandes révérences, pour donner à entendre qu'il n'y a point de rancune entre eux. Je ne conçois pas comment il fe peut trouve des perfonnes pour exercer un pareil métier , d'autant plus qu'il eft fujet à des conféquences très fâcheufes ; car leurs Loix portent, dit-on, que celui quibles-fera, fera traiter fon Adverfaire à fes dépens ; & que celui qui tuera, fera pendu fans remiflîon. Jl y a une autre efpèce de Gladiateurs, qui fe battent tous les foirs pendant fEté fur une Place dans le Quartier S. James. Ils n'ont pour toutes armes que des fa-bres de bois , avec lefquels ils s'affom-ment. Le Vainqueur eft ordinairement régalé par quelqu'un des fpectateurs. J'ai vu auffi en pafîant fur cette même Place, des Lutteurs qui râchoient de fe jerter à terre- & lorfque l'un des deux fut venu à bout de fon adverfaire, il lui donna poliment la main pour lui aider à fe relever. Tous ces Spectacles occafionnent toujours, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, des Paris confidérable?. Après Après avoir vu à Londres ce qui peutLot*-mériter la curiofité d'un Etranger , on»re*» m'engagea , avant que de partir , à aller voir les Maifons Royales qui font à la Campagne. Je vis Hamponcourt ôzWind-Jor? qui font deux Maifons magnifiques, mais cependant peu de chofe en cora-paraifon des Maifons Royaies de France. Kenfngton me plut affez : c'eft un Château qui appartenoit anciennement à un Seigneur Anglois, duquel le Roi Guillaume l'acheta , à caufe de fa proximité de Londres. On travailloit alors à y faire quelques changemens. L'Apartement du Roi eft fort ipacieux , mais peu magnifiques : il eft orné de quelques tableaux de VanDyck, qui (ont d'une rare beauté. Un de ces tableaux repréfente le Roi Charles I. fur un cheval gris-pommelé. Dans un autre on voit la Reine Elisabeth de France , fa Femme , & tous fes Enfans. Je n'ai jamais rien vu de mieux exécuté que ces deux morceaux. Les Jardins de Kenjîngton feroient très beaux pour un Particulier ; mais pour un Roi , je fou-haitcrois quelque choie de plus magnifique. Ce fut par la vifite des Maifons Royales que je finis mon Voyage d'Angleterre, où je demeurai près d'un mois, après lequel je m'embarquai pour paffer en Hollande. Je fus aflez long tems à faire ce trajet, à caufe d'un calme qui nous fur-T 5 prit prit en pleine Mer ; de façon que nous nous vimes arrêtés fans pouvoir avancer ni reculer. Enfin cinq jours après notre départ de Londres, nous arrivâmes à l'entrée de la Meufe, où il falut effuyer un gros vent qui dura toute la nuit. Le lendemain nous entrâmes heureufement dans la Mcu-fe, & nous arrivâmes fur le midi à Rotterdam, d'où je partis le même jour pour t me rendre à La Haie. Je n'y fus pas plu-* tôt arrivé , que je penfai à renouveller ma Garderobe & à radouber un peu mon Equipage. Quoique tout cela ne me cau-fât pas de grands fraix, il falut, me trouvant très court d'argent , avoir recours à l'emprunt. Je donnai des délégations à mes prêteurs fur une rente qui me venoit de ma famille , & que je partageois en tiers avec mon Frère Se Mlle, de Pöllnitz.. Comme mon Frère & moi étions mineurs lorfque ma Grand'mère nous laiffa cette rente, Mlle, de Pöllnitz, comme l'ainée de la famille , s'étoit mife en droit de la recevoir ; on lui payoit le tout fur fes fimples quittances, & enfuite elle nous donnoit à chacun notre part ; ce qu'elle continuoit toujours de faire, depuis que j'étois majeur. Mes Créanciers acceptèrent avec plaifir la délégation que je leur propofois ; mais ils me prièrent pour leur plus grande fureté, de m'afïurer que Mlle, de Pöllnitz voudroit bien les payer. J'écrivis aufli-tôt, & je les priai d'écrire aulïi auffi de leur côté; mais comme cette bon- la ne Parente ne m'a jamais voulu de bien, elle jugea à propos de me traverfer dans l'expédient que j'avois imaginé pour a-voir de l'argent. Elle ne me fit pas l'honneur de me répondre ; mais elle écrivit à mes Créanciers, & les avertit de fc défier de moi , que je ne cherchois qu'à les duper , que je n'avois point de part dans cette rente , & que tout ce que je leur avois dit là-defïus n'étoit que menfonge. Mes prêteurs furent un peu effarouchés de pareilles nouvelles; ils s'imaginoient avoir affaire à un Fripon qui n'avoit cherché qu'à les attrapper, & contre lequel ils n'au-roient pas grand recours, fi une fois je par-venois à m'efquiver. De mon côté, je fis tous mes efforts pour les raffurer ; je leur dis que Mademoifelle de Töllnitz. a voit trahi la vérité , uniquement pour me jettcr dans l'embaras ; & que je me faifois fort de lui faire révoquer les Lettres qu'elle leur avoit écrites. D'ailleurs , je leur offrir de les payer avec les fommes que je devoir retirer de mes Terres. Tout ce que je pus leur dire ne fit aucun effet, le foupçon avoit jette de profondes racines; & ils réfblurent , pour s'affurer de leurs dettes, de me faire arrêter. Ils le firent en effet, &c un dimanche au matin je vis arriver une compagnie peu gracieufe, pour me prier de vouloir bien me tranfporrer de bonne grâce dans les Priions de L* HarrêtaAi quelques jours à Wurtzbourg. bourg *,Evêché des plus riches ôcdes plus oonfidérables de l'Empire. L'Evêque prend le titre de Duc de Francome* de la Maifon de Stbonborn. Ce Prélat tetretenoit une Cour & une Maifon aufli con- occupoit alors le Siège, étoit * Voy« les Lettres, Tome L pag. 191. & 'jhi* confidérable qu'aucun autre Prince d'Al- WttktT-lemagne. Je le vis dans toute ùl fplen- bovrg* deur, le jour du Patron de la Cathédrale. Il lbrtoit de chez lui pour fe rendre à l'Eglife,avec une pompe vraiment royale. Je vis d'abord un Fourier de l'Evêque , fuivi de tous les Domeftiques ôc Cavaliers de là Cour. Enfuite fix ca-roflès à nx chevaux, aux Armes de l'Evêque. Puis deux Coureurs & vingt-quatre Valets de pied de ce Prince , tous habillés de fa livrée, qui étoit pourpre, avec des galons de velours vert entremêlés de galons d'argent : ils avoient des velles de drap vert galonnées d'argent. Après les Valets de pied, marchoient dix-huit Pages, avec des manteaux aux couleurs de l'Evêque, doublés de fathi vert. Ils étoient fuivis de plus de cinquante Gentilshommes, qui précédoient immédiatement un caroilè magnifique, dans lequel le Prince étoit feul. Son Grand-Ecuyer ôc fon Capitaine des Gardes marchoient à pied aux portières du caroffe, qui étoit au milieu de deux files de Cent^Suiffes habillés à l'antique. Cinquante Gardes du Corps, en habits de drap pourpre galonnés d'argent ôc des bandoulières de •velours vert auîfi galonnées d'argent, fuivoient le caroife. La marche étoit fermée par trois beaux ca-roffes à fix chevaux, aux Armes de l'Evêque. Ce fur avec oc Cortège qu'il fe X 2 ren- iWuRTl. rendit à fa Cathédrale : il fut reçu à la bourg, porte par tout le Chapitre en Corps : un Domiceltaire portoit la Bannière de Fran-conie , & le Maréchal de la Cour de l'Evêque portoit 1 Epée de l'Etat , pour marquer la Souveraineté du Duché de Franconie. On conduifit le Prélat à la Sacriflie, où il fe revêtit des Ornemens Pontificaux : de là il vint au Chœur; Son Trône étoit élevé de trois marches, &" placé fous un dais magnifique , tout de haute-line à fond d'argent. L'Office commença alors par une très belle Mufi-que, exécutée par les Muficiens de l'Evêque. Après un Motet affez court, le Prélat prit le S. Sacrement fur l'Autel , & le porta en Proceffion hors de l'Eglife. Il fit tout le tour de la Cathédrale, précédé du Domieellaire & du Maréchal de fa Cour, qui portoient l'un la Bannière de Franconie, & l'autre l'E-pée. Les rues par où la Proceffion paf-ù. étoient bordées de quatre-mille hommes des Troupes de l'Evêque , que ce Prélat avoit fait entrer dans la Ville pour rendre la cérémonie plus éclatante. Lorsque la Proceffion fut rentrée dans l'Eglife, on chanta la Méfie en Mufique,& l'Evêque y officia. La cérémonie finie, il s'en retourna à fon Palais , accompagné du même Cortège avec lequel il étoit venu à l'Eglife. La Ville de Wurtxkourg fc relient de la magnificence de fon Evêque : elle a Wurti-des bâtimens facrés & profanes d'une bourg. grande magnificence. Je vous ferai le détail de quelques-uns, après que je vous aurai die deux mots de la Ville en elle-même. Wurtzbourg eft une Ville ancienne, qui a été fujette à plufieurs révolutions. Elle fut prife en 1526 par les Payfans de Souabe & de Franconie, qui s'étoient révoltés contre leurs Seigneurs,, s'imaginant que Luther, qui prêchoit a-lors qu'on devoit fe fouftraire à l'autorité du Pape, approuveroit auffi leur révolte contre leur Souverain. Luther, loin d'approuver leur conduite , écrivit fortement contre eux : mais il falut pour les réduire employer d'autres voies que celle des remontrances. George Truchfes de Waldbourg, Colonel de la Ligue de Souabe , fut en peu de tems les ranger à leur devoir, il fe prélenta à eux avec un bon nombre de Soldats: les Payfans eurent la témérité de vouloir tenir tête, mais ce fut à leurs dépens ; ils furent défaits en différentes fois , & on affure qu'il en coûta la vie à plus de 50000. Après cette défaite, Wurtzbourg fut tranquille jufqu'à ce que Guillaume de Grum-bach, qui avoit quelque fujet de plainte contre l'Evêque, le fit affafliner. Le Chapitre de Wurtzbourg fe mit en devoir de venger la mort de fon Evêque. Grum-bat h de fon côté réfolut de les prévenir, X 3 ôc Wurtz- ôc s'étant mis à la tête de douze-eens bourg, hommes, il furprit la Ville en 15^3 : il la mit au pillage, ôc contraignit ainfi le Chapitre à s'accommoder avec lui. L'Empereur Ferdinand II. aiant été bientôt informé de la conduite de Grumbacb, le mit au Ban de l'Empire. Grumbacb fe retira auprès de Jean Frédéric Duc de Saxe , Fils de Jean-Frédéric que l'Empereur Charles-Quint avoit dégradé de la Dignité Electorale. Cette infortune du Père auroit dû empêcher le Fils d'accorder fa protection à un Révolté tel que Grumbacb. Cependant il paffa outre. L'Empereur, indigné d'une pareille conduite , mit le Duc au Ban de l'Empire, & S. M. I. chargea l'Electeur jtugufte de Saxe de veiller à ce que ce Ban fût exécuté. Cet Electeur s'acquitta fi bien de fa. commifïion , qu'il fe rendit maitre de la perfonne de Jean-Frédéric y qu'il envoya à l'Empereur. S. M. I. le fie conduire à Neufiad, où ce malheureux Prince eft mort après une prifon de vingt-fix années. Grumbacb , qui a-voit aufli été arrêté, fut condamné à être rompu vif, & fes Complices eurent la tête tranchée. Depuis cette expédition, Wurtzbourg a toujours joui d'une grande tranquillité; ce qui l'a rendu auffi riche ôc auffi puiffante qu'on la voit aujourdhui. Ses bâtimens, tant facrés que profanes, font très magnifiques, comme j'ai déjà eu l honneur - /. de «iç vous le dire. La Cathédrale eft un b£- Wubtj*.* timent très vafte, qui renferme de gran- b°Vr.g, des richeffes. Tous les ornemens de l'Autçl, le Pupitre, & les deux grands Chandeliers qui font devant l'Autel, font d'argent maffif, aufli-bien que plufieurs Statues, qui repréfentent Notre Seigneur , la Sainte Vierge, & quelques Saints , de grandeur naturelle. Outre toutes ces richefTes, on remarque encore dans le Chœur de belles & magnifiques tapilferies, qui repréfentent l'Hiftoire de l'Ancien Teftament. Ce Chœur eft plus élevé que la Nef, de plufieurs marches. Le Maitre-Autel eft compofé par quatre colonnes de marbrq npir, qui forment un demi-cercle, & qui fupportent une Coupole de bois doré fort artiftement travaillée, & comblée par une Couronne Ducale. La Nef contient des Chapelles, où l'on voit briller de toutes parts des vafes d'or ôc d'argent. L'Evêque faifoit bâtir à côté de la Cathédrale une Chapelle, qui devoit être magnifique : les dedans dévoient être entièrement revêtus de marbre, que le Prélat avoit fait venir exprès d'Italie. Il y faifoit travailler avec diligence, parce que, me dit-il dans le tems, je la dcjtine pour le lieu de ma [epulture. Peut-être ce Prince avoit-il un preflen-timcnt de ce qui devoit arriver bientôt: en effet, il mourut peu de mois après; & il a eu pour Succeffeur ckrijlophe-X 4 Fran~ ÂVurtz- François de Houtten de Sto/tzenberg ci-scukG. devant Membre du Chapicre de Wurtz-bourg. Après la Cathédrale, il y a encore plufieurs autres belles Eglifes à voir. Celle des Jéfuites eft une des plus magnifiques. J'allai enfuite voir le Château. Il eft fi-tué fur une Hauteur qui domine par-def-fus toute la Ville & la Campagne. Le chemin qui y conduit eft très rude, & fort incommode pour les caroffes ; ce qui avoit déterminé Je feu Evêque à l'abandonner, pour demeurer dans la Ville dans une maifön particulière, en attendant que le magnifique Château qu'il faifoit bâtir fût achevé. Je ne pus m'em-pêcher de trouver à redire que l'on eût abandonné un bâtiment auffi magnifique, & aufli convenable à un Souverain : car ' on peut dire que rien n'y a été épargné. Il eft entouré de tous côtés de remparts Ôc d'autres ouvrages, qui le mettent à 'l'abri de toute attaque. Les dedans du "Château font anciens, à la vérité; mais ils ne perdent rien de cet air de grandeur qui annonce la demeure d'un Prince. Je n'ai jamais rien vu de fi beau que les Caves de ce Château : comme elles ne peuvent avoir de lumière d'ailleurs que par la porte, on a foin de les éclairer par quantité de lumières qui font fur des bras dorés. Ces Caves font remplies de barils, dont la plupart font d'une grandeur du Baronde Pöllnitz. %i<) deur énorme: ils font tous ornés de feu lp- y/ur ture, & tous remplis de vin , dont on a ^our foin de faire goûter aux Etrangers. Au fortir de la Cour du Château, on entre dans la Cour de l'Arfenal. Ce bâtiment eft de brique & de pierre de raille. Les Salles baffes font parfaitement bien voûtées , & contiennent environ 160 pièces de canon de fonte, dont il y en a de 4.0 à 48 livres de balle; les communs font de 24 livres. Les piliers qui ioutiennent la voûte font garnis, de même que les murs, de tous les inftrumens nécelfaires aux Canonniers, & de tous les équipages d'Artillerie, jufqu'aux har-nois des chevaux. Les bas étoient garnis de cailles pleines de balles de mouf-quet. Au-deffous de cette Salle, il y a de grandes & belles Caves, remplies de munitions de bouche pour l'entretien de 6000 hommes pendant une année. Les Salles hautes fervent pour les Armes : on m'a affuré qu'il y en avoit pour 40000 hommes, tant de Cavalerie que d'Infanterie : le tout eft dans un ordre qui fait plaifir à la vue. Les vuides font remplis de pierres à fufil & de balles. La Cour de cet Arlenal, & tous les battions du Château, font pleins de bombes & de boulets. Enfin, à bien examiner ce Château, on le prendroit plutôt pour le Temple de Mars, que pour le Palais d'un Miniftre de Paix. X 5 Le Wv*tz- Ec Château neuf, que l'Evêque faifoit n du ko. bâtir quand je paflai dans fa Capitale, eft dans la Vill« même, près de la porte par où l'on arrive en venant de Nuraînbtrg. Ce fera un des plus beaux Palais de l'Europe, fi Ton remplit exactement le plan que j'en ai vu. Tous les fonde mens é-toient déjà achevés, ôc environ la quatrième partie du Château conduite jusqu'au prémier étage. On y travailloit à force; mais il faut bien du tems pour conduire à fa perfection un bâtiment de 360 & quelques pieds de face, & qui forme cinq grandes Cours. Le deflein de l'Evêque étoit de faire le principal Efcalier de marbre, & d'en faire revêtir la Chapelle, la Salle des Gardes, les grandes Salles du Palais, & toutes les cheminées ôc les portes. Les Jardins dévoient répondre à la magnificence du bâtiment j l'Evêque avoit déjà fait reculer les remparts & combler les fofles : mais la mort l'a arrêté au milieu de fa courfe, ôc il a laifTé à fon Succelfeur le foin de conduire à fa perfection un Ouvrage dont le plan fait l'admiration des Connoifleurs. Après avoir vu les deux Châteaux, j'allai voir le grand Hôpital, qui eft un très bel établiffement. Ce bâtiment contient un gros Pavillon, au milieu de deux Ailes fort étendues. La principale entrée eft par le Pavillon^ on y monte par deux marches. On trouve d'abord à droi- droite & à gauche deux belles Galleries Wurtr-en forme d'arcades, qui fervent de Cor- bourg. ridors pour conduire aux Offices nécef-faires pour l'entretien des Pauvres de l'Hôpital. Au hautdel'Efcalier du Pavillon, on trouve un Veftibule , qui conduit à deux Galleries fermées, le long desquelles font les Chambres des Pauvres. Ce même Veftibule conduit encore à une grande Salle fort belle, toute revêtue de fculpture , peinte & dorée. Cette Salle eft accompagnée fur la gauche de deux grands Cabinets, qui fervent de retraite aux Evêques pendant la Semaine Sainte. Le fécond étage eft femblablc au prémier. U y a une Salle pareille à celle dont je viens de parler, dans laquelle l'Evêque affifté de fon Chapitre lave les pieds aux Pauvres, le Jeudi Saint: il les régale en-fuite -, & les fert à table, accompagné des Chanoines de fon Chapitre, qui dînent enfuite avec lui dans la Salle d'en-bas. Detrière cet Hôpital eft un très beau Jardin, orné de Jets-d'eau, daGrot-tes , & d'une belle Orangerie très bien entretenue. Ce Jardin ne fert que pour la récréation des Pauvres , qui peuvent s'y promener quand il leur plaie. Le def-fein du feu Evêque, qui étoit magnifique en tout, étoit de faire agrandir ce bâtiment par quatre Corps de logis fembla-bles à celui qui fubfifte, ce qui auroit formé une belle Cour au rniheu. Il y a encore iouRof " core d'autres Hôpitaux à Wurtzbourg «tt « nombre de quinze'ou feize, tous fondés d'une façon qui prouve bien la bonté 6c la richeffe du pays. Après avoir féjourné à Wurtzbourg, je. m'embarquai fur le Main dont le cours eft très agréable : il eft bordé de Vignobles, & de belles Campagnes , qui forment un coup d'ceil auffi agréablement varié qu'on le puiffe fouhaiter. J'arrivai à Francfort, où j'appris la nouvelle de la mort de Mlle, de Pöllnitz, dont j'héritois conjointement avec mon Frère, de la rente qu'elle avoit en Hollande. Ses autres biens paffèrent à Made. fa Mère, qui vivoit encore. De Francfort je me rendis à DuJJel-dorff, où je trouvai mon Frère, qui étoit encore de mauvaife humeur contre les Juges qui nous avoient fait perdre notre Procès. Pour moi, plus accoutumé aux difgraces, je travaillai à le confoler, & je lui confeillai de paffer à Berlin , pour y vendre les Terres que nous y avions. La mort de ma chère Coufine nous donnoit le pouvoir de procéder à cette vente, car alors la fubftitution n'étoit plus qu'entre mon Frère & moi. Mon Frère partit donc pour Berlin , & moi je me Ham. tranfportai à Hambourg, dans le def- hovrg. fein d'y attendre l'iffue de cette vente. J'y demeurai depuis le mois de Novembre jufqu'à Pâques ; j'y paffai l'Hiver parfaitement bien. J'ai déjà eu l'honneur de vous vous dire en vous parlant de cette Ville, Haj*-qu'il y avoit ordinairement bonne com- bourg. pagnie. Cet Hiver que j'y paffai, il y en eut plus que de coutume: prefque toutes les perfonnes de qualité qui a-voient des Maifons aux environs, y é-toient venu demeurer; il y avoit outre cela plufieurs Miniftres envoyés au Cercle de la Baffe-Saxe, qui la plupart é-toient des perfonnes d'un commerce charmant. Tel étoit Mr. Poujjin, Envoyé de France : ce Miniftre étoit vraiment un homme d'efprit, &d'un mérite peu commun. Les autres Envoyés étoient pareillement toutes perfonnes d'élire. Outre ces Miniftres, il y avoit à Hambourg plufieurs autres maifons où les Etrangers, pour peu qu'ils fufïènt connus pour être de condition, étoient parfaitement bien reçus. Mr. le Comte de Nat, Lieutenant-Général au fervice de l'Empereur, & ci-devant Miniftre d'Etat du Duc de Holjiem & Général de fes Troupes, s'y diftinguoit par une dépenfe qui rendoitt ta fa maifon une des meilleures de Hambourg. Il y avoit tous les jours nombreu-fè compagnie, fans que tout ce grand monde parût caufer le moindre embarras.' Il règnoit par-tout un air de liberté qui charmoit, & qui recevoir un nouveau luftre des manières nobles & gracieufes que la Comteffe Epoufe de ce Miniftre avoit pour les Etrangers qui venoient chez Ham- chez elle. Je ne vous ferai point un éio-jovfcG. ge pîus détaillé de cette Darne ; je me fouviens de vous en avoir entendu parler comme d'une perfonne d'un mérite distingué, & qui joignoit à beaucoup d'ef-prit toute la politeffe poflible. Mr. le Comte de Guldenjtetn faifoit aufli une figure confidérable à Hambourg : ià table étoit délicate, & toujours fournie d'ex-cellens Convives. Jugez, Madame, û on avoit le tems de s'ennuyer dans une Ville où depuis le matin julqu'au foir il ne s'agiflbit que de plaifir. Aujourd'hui on dînoit chez l'un, demain chez un autre. Les après-dînées fe paflbient à jouer : quelquefois on interrompoit le Jeu pour fe rendre à un Opéra, dont j'ai été allez content. L'Orcheftre m'en a paru excellent, les décorations magnifiques, les Danfes affez bien exécutées, des Acteurs fuperbement habillés, & qui tâchoient de fe tirer de leur rôle le moins mal qu'il leur étoit pofliblc. Je partis de Hambourg en nombreuic Kiel, compagnie pour aller à la Foire oe Ku:^ Cette Foire commence le lendemain des. Rois , Ôc dure trois femaines. Pendant tout le tems qu'elfe fe tient, Hambourg éft véritablement un Défèrt ; tout le monde court à cette Foire, parce que c'eit là ordinairement que Von e£t payé de les revenus, qu'on renouvelle de bail avec fes Fermiers^ ôc qu'on troave à placer fes fonds avantageufement. Quoique je Kiix. n'euffe rien à faire de tout cela , toute la bonne compagnie de Hambourg qui s'y tranfportoit me détermina aufli à faire le Voyage. La Ville de Kiel eft très peu de chofe : elle eft fituée entre des Collines, fur un Bras de mer qui y forme un Lac, & baigne les murs du Château du Duc, c^ui eft affez mal entretenu & tout démeuble. Il eft accompagné d'un Jardin , qui eft en auffi mauvais ordre que le bâtiment. Cette Ville eft extraordinatrement peuplée pendant tout le tems de la Foire, on a même bien de la peine à s'y loger. La Noblefife s'afîèmble tous les foirs dans* une maifon ,où l'on joue à différensjeux^ affez fouvent on y fait des parties de fouper, qui font ordinairement fuivies d'un Bal. Il y a outre cela une Comédie Allemande , qui, ne laiife pas d'être fréquentée, quoique déteftabie. Après la Foire, j'allai pafïèr deux jours à une Terre qu'un de mes Amis avoic à trois lieues de Kiel. Enfuite je m'en retournai à Hambourg, où je reftai jusqu'à Pâques■> & aiant reçu des nouvelles de Berlin, par lesquelles on me man-doit qu'on ne trouvoit point d'acheteur ^ui voulût donner de ma Terre la fomme ■que j'en demandots , je pris le parti de m'y transporter > afin de prendre quelque arrarjgcrocat avec mon Frère au iujet de nos 336" Me mo i r es Kiel. nos biens. J'y confervai V incognito , au* tant que je pus: il n'y eut que mon Homme d'affaires & deux ou trois Amis à qui je me fis connoitre. Mes affaires finies Je partis de Berlin avec mon Frère , pour me rendre chez lui à Zell. Mon delïein étoit d'y féjourner jufqu'à ce que le tems fût propre pour prendre les Eaux de Ca-relsbadt. Lorfque ce tems fut venu, je partis de Zell. Je m'arrêtai pendant quelque tems Blak- à Blankenberg, où le Père & la • ken JVlère de l'Impératrice demeuroient alors. berg. Certeyille n>eft pas confidérable. Le Château eft fitué fur une Montagne fort élevée, ce qui eft fort incommode pour les Domeftiques du Duc, qui demeurent tous dans la Ville. C'eft un vieux bâtiment , que le Père du Duc d'aujourdhui a fait réparer & ajufter à la moderne, du mieux qu'il a été polfible. Les Apartemens font petits ; il n'y a de grande pièce qu'un feul Salon affez beau, dont les murs font ornés de pilaftres entremêlés de tableaux qui reprélentent les Princes & Princeffes parens du Duc & de la Ducheffe. Il y a aux deux extrémités du Salon, des cheminées fur lefquelles on voit en grand les Portraits du^Duc & de la Ducheffe. Le Château* eft accompagné d'un Parc fort beau , dans lequel Madame la Ducheffe a une Ménagerie, ou plutôt une Ferme où il y a quantité de Vaches, qu'elle le a fait venir de Suiffe 7 elles font dans Blan-une érable, que l'on a foin de tenir d'une ken-propreté extraordinaire. berg. Le Duc & la Ducheffe me firent un accueil des plus favorables , qui me fit naitre l'envie de m'attacher à eux. Mon defiein d'être Eccléfiaftique s'étoit abfo-lement diflipé , & je me trouvois alors dans une liberté qui me faifoit faire des réflexions férieufes fur tous les projets qui me paflbient par la tête. Celui de fer-vir le Duc de Blankenberg fe prélènta donc , & je fis des démarches pour y réuflir, prefque aufli-tôt que je l'eus formé. Le Confeiller Privé fë chargea d'en parler pour moi : il reçut d'abord des ré-ponfes aflez favorables , mais enfin il en fut de cette tentative comme de toutes les autres ; je reçus bien des complimens, Ôt je fus refufé. Après avoir féjourné quelque tems à Blankenberg, je pris congé du Duc & de la Ducheflè. Cette Princeffe voulut bien accepter deux Chiens fort beaux, que j'avois amenés avec moi : elle me fit pré-fent d'un Portrait très reffemblant du Duc fon Mari, fur une Médaille d'or de la valeur de vingt-cinq ducats. De Blankenberg je paflai à B a r b i *, où j'eusl'hon- Bahbi. neur de faluer le Duc de Saxe qui y demeure ordinairement. Ce Prince étoit au- * Voyez le Tome I. des Lettre/, p. 114. Tome II. Y Barbi- autrefois au fervice du feu Roi de PrufTe, lorfqu'il n'étoit encore qu'Electeur : il y a déjà longtems qu'il a quitté le Service , pour fe retirer dans fa Ville de Barbi , où il a fait bâtir un Château magnifique, donc les Apartemens font parfaitement bien meublés. Il y a un Salon fuperbe, & à côté une Chambre d'Audience & un Cabinet qui méritent d'être vus : tout le meuble eft de velours cramoifi brodé d'or, d'un travail admirable. De Barbi je pris la route de Ca-arels- relsbadt par Leipzig. Je m'ennuyai ldt. beaucoup en prenant les Eaux, parce que la iaiic n étant déjà avancée , la plupart de ceux qui avoient pris les Eaux étoient partis. N'aiant donc rien à vous dire des connoilfances qui fe font ordinairement dans ces endroics , je vous parlerai de Ca-rehbadt en lui-même. C'eft un très vilain endroit, qui n'eft habité que par des Ar-tifuns qui travaillent en ferraille. Les Eaux que l'on y prend font de deux fortes: on les diftingue par le Sproudel & le Muhlbadt. Le Sproudel eft extrêmement chaud • il fort de terre de la grofleur d'un homme, avec une véhémence étonnante. Ses Eaux font non {feulement chaudes , mais bouillantes ; ce qui eft d'autant plus furprenant, que la Fontaine eft fur le bord d'une Rivière très rapide & très froide. Cependant au milieu de cette Rivière, on voit encore paroître des Eaux minérale, les, qui fument comme de l'eau qui bout CakelI-. dans un chaudron. badt. Pour le Muhlbadt, il n'eft qu'un peu plus que tiède.Il n'y a pas bien longtemsque les Médecins font prendre de fes Eaux ; autrefois elles fervoient de bain pour les beffi-aux malades, & on trouvoit qu'elles leur faifoient du bien. Les Médecins ont rai-fonné fur la nature de ces Eaux, & les ont ordonnées à ceux qui trouvent celles du Sproudel trop violentes. Je les ai prifes , les unes & les autres, & je m'en fuis aflez bien trouvé. Elles n'ont aucun mauvais goût, & il eft certain que pour peu qu'elles euffent un goût desagréable, il feroit impoflîblc d'en prendre tous les jours une aufli grande quantité que l'on en prend. Ce que je trouve de delà-gréable, eft qu'il faut les prendre dans fa chambre , qu'il faut avoir foin de tenir bien fermée , parce que le Sproudel fait fuer confidérablement , & pour peu que l'on prît l'air, on rifqueroit de gagner des rhumatifmes. On ne fort ordinairement que trois ou quatre heures après qu'on a achevé de prendre les Eaux j le refte de la journée, il faut néceffairement fe promener pour fe garantir du fommeil, qui eft dangereux après le dîner. Ce qu'il y a de trifte , c'eft que dans la néceflité où l'on eft de fe promener, on ne trouve aucune promenade qui fatisfaflè : elles font toutes extrêmement bornées ; de quelque côté Y a qu'on! Cah&ls S11'011 *ê t°urne » on ne voit rt gros Pavillon : c'eft là que le Prince & la Princeife jouoient tous les foirs avec les Seigneurs de leur Cour. La table du Margrave étoit toujours magnifiquement fervie, fur-tout à dîner-elle eft faite en forme de fer à cheval! La bu Baron de Pöllnitz. 35c La Princefle étoit toujours placée au mi- Ba*kith« lieu , aiant à fa gauche la Princeife fa Fille & la jeune Princeffe de Culmbach ; à la droite étoient les Dames de fa Cour, & les Cavaliers. Mr. le Margrave étoir, placé vis-à-vis dans l'intérieur du fer-à-cheval, & avoit à fa droite & à fa gau* che plufieurs Cavaliers. Outre la table du Margrave, il y en avoit encore deux autres de feize couverts, dans une autre Salle, pour les Cavaliers qui ne pouvoient point être placés à la table du Margrave. Après le fruit, on plaçoit fur la table un grand cabaret d'argent, avec une caffetière pareille & des taflès ; & chacun prenoit ainfi du caffé, fans fe lever de table. Aufli-tôt après le dîner,- Mad. la Margrave & les Princeifes fe retiroient : mais Mr. le Margrave reftoit dans la Salle , à s'entretenir avec les Courtifans. Ce Prince étoit ordinairement debout, il s'appu-yoit feulement contre une table. La converfation étoit foutenue par quelques ra-zades que l'on buvoit. Mr. le Margrave buvoit volontiers ; mais il laiflbit une entière liberté aux perfonnes qui lui faifoienc la cour. Sur les fix heures, lorlque la Princeffe étoit près de fortir, Mr. le Margrave fe rendoit au Mail, où l'on jouoit à FHom-bre ou au Piquet julqu'à l'heure du fouper; après lequel on retournoit au Cha-Z 2 teau. 35<5 Mémoires teau. Le Prince avoit encore une autre Maifon fort belle, aux portes de Bareith, que l'on appelle Brandebourg. Cette Mai-ion eft fur le bord d'un grand Lac, fur lequel il y a plufieurs Galères, des Yachts, ôc des Gondoles, qu'il fait fouvent combattre les uns consrc les autres. Il adonné dans ce gcût un très beau Spectacle fur un Théâtre qui eft bâti fur les bords du Lac , de forte qu'en ouvrant l'enfoncement, le Théâtre fe trouve au niveau du Lac, que l'on voit l'efpace d'une demi-lieue. Ce fut là qu'il fit exécuter un Combat naval, qui forma un Spectacle magnifique. Àu milieu du Lac on voit une Ile qui eft fortifiée, & que le Margrave fait attaquer & défendre à fes Troupes, pour leur rafraichir toujours la mémoire des évolutions militaires. A une demi-lieue de cette maifon, il y en a encore une autre, que l'on appelle YHermitagc, ôc cela parce qu'il n'y a que des perfonnes nommées qui puiflent y venir, 6c aufli parce que pendant tout le tems que le Margrave y demeure , le Prince, la Princeffe Ôc toute leur Suite font habillés en Hermites. On arrive à cette maifon par une Avenue , qui eft terminée par une grande Grotte qui repréfente le Mont Parnaflè. Apollon, les neuf Mufe s ôc Pégafe y font repréfentés, Ôc forment autant de Jets-d'eau. Ce Mont eft ou- du Baron de Pöllnitz. 357 ouvert de quatre côtés, & donne paffage Bareith. dans une Cour ou plutôt dans une Place, qui eft coupée par plufieurs Allées d'arbres; l'Allée du milieu conduit au Château , qui eft d'une Architecture toute ruftiquc. Il femble même n'avoir été fait que d'un feul rocher. En entrant on trouve d'abord une fort belle Grotte, ornée de coquillages , & de différentes Statues qui repréfentent des Fleuves & des Nymphes. Au fortir de cette Grotte on entre dans un petit Jardin quarré, qui ne forme qu'un Parterre, & qui eft entouré d'un bâtiment ruftique. Au bout de ce Jardin eft le Corps de logis; il eft compofé de deux Ailes, qui tiennent en-femble par le moyen d'un Salon magnifique, qui eft entièrement revêtu de marbre. L'Aile droite du Salon contient un Apartement compofé de plufieurs chambres ; c'eft celui de Mr. Je Margrave, qui eft le Père Supérieur des Hermites. De ce même côté, il y a douze Cellules pour autant d'Hermites. Dans le côté oppofé, il y a le même nombre d'Apar-temens pour Mad. la Margrave & pour les Dames Hermites. Le grand Salon fert de Réfectoire; c'eft là que les Hermites des deux Sexes prennent leurs repas. Le Jardin eft grand & très bien entretenu; il eft terminé par une Cafcade qui tombe du haut d'une Montagne, ce qui Z 3 fait MEMOIRE! fait un effet charmant. La Cafcade 'eft bordée par des Terraffes & des pentes très commodes, garnies des deux côtés d'une charmille à hauteur d'appui. 11 y a aufli de chaque côté un Bois de Sapins, dont chacun des fcntiers conduit à un Pavillon. Chaque Hermite le lien. Ces Pavillons font bâtis & meublés dans les goût d'un Hermitage. Les Hermites font obligés de s'y retirer après le dîner, pour y obferver le filcnce: on a cependant un peu mitigé cet ufage, & ils peuvent à préfent fe vifiter l'un l'autre. Ordinairement , le Supérieur & la Supérieure leur rendent vifite Vers le tems de la récréation, la Supérieure fonne fk Cloche, le Prieur y répond par la fienne, & les Hermites des deux Sexes fonnent auffi la leur , pour marquer qu'ils ont entendu qu'ils doivent fe rendre chez, le Supérieur. Lorsqu'ils y font arrivés, ils fortent en-femb'.e, & fe rendent au lieu de la récréation, où l'on s'aroufe à toutes fortes de Jeux. A l'heure du fouper, on fe rend au Réfectoire. Quelquefois les Dames Hermites régalent le Prieur par des plats qu'elles ont préparés dans la cuifi-ne de la Supérieure. Les Hermites de leur côté peuvent jouir du plaifir de la Chaffe. Vous voyez bien, Madame, qu'il eft aifé de vivre dans une pareille folitu-de, & que la Règle n'a rien de trop auf-tère. Lorsqu'on a paifé à THermitage le tems tems marqué, toute la Cour revient à Bar Bareith. Apres avoir été témoin par moi même de là vie douce & aifée que l'on mène à la Cour du Margrave, je pris congé du Prince & de la PrincefTe, dans le deflein de continuer à voyager; non pas tant pour chercher de l'Emploi, que pour fatisfaire aux dettes que j'avois été obligé de contracter dans un tems où l'on ne me donnoit de mon bien, que ce qu'on ne pouvoit abfolument point m'ôter. Je finis ici, Madame, le récit de ma vie ambulante. Quelque ennui qu'ait puvouscaulèr une narration aufli peu mtèreflànte, ayez la bonté de ne m'en point vouloir de mal, & de penfer que je n'ai écrit que pour obéir à des ordres fouvent réitérés. Quelqu'un, plus fenlible à fes propres intérêts, n'auroit eu garde d'obéir ; je ne manquois pas de raifons pour m'en dii-penier: mais j'ai appréhendé qu'un iilen-ce obftiné de ma part ne démentît en quelque façon le profond refpeét avec lequel je fuis & ferai toute ma vie, MADAME, Votre très hnmble & très obéiffant fervitcur, Le Baron de Pöllnitz Z4 PRO- 3öo Al emoi r e s ff n PROFESSION DE FOI, presente'e A. S. E. LE CARDINAL *** A ROME. M ONSEIGNEUR,* De tout tems la conduite de ceux qui ont changé de Religion a été expoféc à ia ccnfure de ceux de la Communion qu'ils abandonnent, 6c a donné lieu aux différentes réflexions des perfonnes de la Communion qu'ils embraflent. Souvent on a reproché aux Profclytes, que l'intérêt, ou l'ignorance, avoient été la caufe de leur changement. Je ne fai ce qu'on aura penfé fur mon compte, lorsque renonçant à l'Héréfie de Calvin, j'ai pris le parti qui m'a paru le plus faint; c'eft à dire, lorsque je fuis rentré dans le fein de l'Eglife, d'où le dérèglement de mes Ancêtres m'avoit éloigné. Quoi qu'il en foit, je fuis toujours prêt de rendre compte à tout le monde d'une action, dont je bénis t Cette Pi*ce eft traduite de l'Italien. du Barqn de Pöllnitz. 361 bénis la mémoire, & que je fuis fâché de n'avoir pas fait plutôt. Quant à l'intérêt, je ne pen fe-pas qu'on puifle dire qu'il ait eu aucune part à ma converfion. Ce que j'étois auprès du Roi de Pruffe ; le rang que je tenois à fa Cour, foit par ma naiffance, foit par les Emplois que j'avois; les biens que je pofîédois; la fortune dont jejouiffois; tous ces avantages comparés avec la fituation où je fuis préfentement, doivent faire connoitre que l'intérêt n'a pas été le motif qui m'a engagé à changer de Religion. Quant à l'ignorance, il eft fur quej'au-rois de la préfomption fi je me croyois un Savant, & fi je voulois me faire paffer pour tel. J'ofe pourtant dire que je n'ignore aucun des principaux Articles de la Religion orthodoxe que je profeffe. J'en remets le jugement à Votre Grandeur, comme en qualité de mon Evêque, par rapport à la Dignité de Vicaire - Général dans la Haute 6c Baffe-Saxe , dont Sa Sainteté vous a honoré. Je vous fupplip de vouloir donner votre attention à la Confeflîon de foi que je joins à cette Lettre. Examinez, je vous prie, Monfei-gneur, fi elle eft orthodoxe; je vous en fais entièrement le Juge. Si par malheur il y avoit quelque chofe qui ne fût pas conforme aux fentimens de la Religion Catholique, je me foumets entièrement ; à votre décifion, d'autant plus que je me ferai toujours une gloire d'être un de vos Diocéfains, & que je fouhaiterai toujours avec beaucoup d'empreffement de profiter des inftrudHons de Votre Grandeur. Lifant ce paffage de l'Apôtre aux Ephé-fiens Ch. IV. v.5. Unus Dominus, una jides, unum baptisma, „Un Dieu> une Foi, un ,, Baptême, j'ai examiné quelle étoit la véritable Foi ; & me dépouillant de toutes les opinions qu'on m'avoit données dans mon éducation, la prémière réflexion que j'ai faite m'a conduit à examiner l'origine de la prétendue Religion Réformée, ôc de quelle manière elle a pris commencement. J'ai trouvé que dans tous les Pays, l'intérêt, l'ambition, le dérèglement, la vengeance avoient été les motifs qui a-voient donné lieu à l'établiflement de cette Religion. J'ai examiné la vie ôc les moeurs des Chefs de ces Sectes, ôc j'ai trouvé que la plupart étoient gens paf-fionnés, enclins à la colère, adonnés aux plaifirs des fens, menant une vie peu réglée , Ôc ne faifant aucun compte de leur parole. Auffi je n'ai pu me perfuader que Dieu eût voulu choifir de telles perfonnes pour réformer Ion Eglife, fuppofé même qu'elle en eût befoin J'ai porté mes réflexions plus loin ; j"ai examiné fa divifion qui eft entre les Prétendus Réformés, ôc je me fuis apperçu que leur Corps eft un Corps fans Tête, où chaque que Prince & chaque Souverain fe rend arbitre des Articles de Foi, & s'attribue l'autorité du Pape. Chaque Curé fait l'Evêque; chacun explique l'Ecriture fain-te à (à manière, & comme il l'entend; chacun fe fait des principes ôc des dogmes de Religion, qui lui font particuliers. C'eft un Troupeau fans Pafteur. Enfin les Prétendus Réformés font toujours di-vifés entre eux; ils rejettent & condamnent réciproquement leurs doctrines, ôc jamais ils ne s'accordent que lorsqu'ils a-giffent contre le Pape , ou contre les Catholiques. Outre cela, leur Religion n'eft plus ce qu'elle étoit dans le tems croyoient autrefois d'un confentement unanime, la Prédeftination. Aujourd'hui les Suides ôc les Hollandois font prefque les (èuls qui foi eut de ce fend ment. Les autres la rejettent quant au Salut, & ne l'admettent que pour l'heure Ôc pour le tems de la mort, ôc pour les évènemens de la vie, qui félon eux font réglés par un Deftin inévitable. Autrefois lçs Luthériens, Ôc les Calviniftes, convenoient tous qu'on pouvoir fe fauver dans la Re> ligion Catholique ; aujourd'hui ils pen-lent autrement. Depuis quelques années, ils fe font avifés d'écrire que les Catholiques font damnés. J'ai auffi fait réflexion fur les différentes Sectes qui font for lie* des ceux Religions, & de 364 Memo i r e s . & j'ai trouvé qu'il n'v en a pas une qui ne fe flatte de profefler la véritable Religion, quoiqu'elles aient toutes des fentimens oppolés. Je n'ai pu m'imaginer que ces divifions duflènt être la marque de la véritable Eglife, n'étant pas poflîble de croire qu'une Eglife dirigée de cette manière puiflè être la véritable. Venant enfuite à examiner l'établiffe-ment & l'Ordination de leurs Miniftres, je n'ai pu les regarder comme tels, étant perfuadé, comme dit Saint Paul, que les Evêques font d'infticution divine, & qu'eux feuls ont le pouvoir d'ordonner les Prêtres. La Tradition, rejettee par les Protef-rans en tout ce qui ne leur eft pas favorable, & reçue des mêmes lorsqu'elle peut leur fervir, me paroît un fujet qui mérite toute mon attention. En effet, quand les Proteftans difent qu'ils ne croyent pas la Tradition, il me fcmble qu'ils ne font pas d'accord avec eux-mêmes, lorsqu'ils reçoivent l'Ecriture Sainte , & qu'ils la regardent comme la Loi de Dieu; car ils ne peuvent favoir cette vérité que par la Tradition. Et s'ils reçoivent la Tradition quant à l'Ecriture, pourquoi ne la rcçoivcnt-ils pas lorsqu'il s'agit des Dogmes de la Religion? Comment peuvent-ils favoir, fi ce n'eft par la Tradition, que les Livres des Macchabées, cxEfther, à'Esdras ôc VEçcléfiajle font apocryphes ÔC &ne font pas canoniques? Qui leur a dic que le refte de la Bible a été dicté par le Saint Efprit? Enfin, qui leur a donné le pouvoir de rejetter ces Livres ? Quel motif peut les avoir engagés à cela, li ce n'eft parce que ces mêmes Livres leur prouvent des chofes qu'ils ne veulent pas croire? Enfin j'ai cherché dans le Calvi-nifme quelques marques de la véritable Eglife, mais je n'ai pu en trouver aucune; parce que la véritable Eglife doit être une j & unie à Jéfus-Chrift, de même que le corps à la tête ; & parce que c'eft Jéfus-Chrift qui a fondé l'Eglife , qu'il l'a reconnue pour fon Epoule, pour la Fille de Dieu le Père, & en même tems pour être la feule infaillible. Ne trouvant aucune de ces marques dans la Religion Proteftante, & les trouvant au contraire dans la Religion Catholique, je n'ai pu m'empêcher de re~ garder cette dernière comme la feuls où je peux trouver mon Salut. C'eft ce qui m'a déterminé à en étudier les Dogmes, & voici ceux que je me fuis formé, & que je crois fermement. I. Je reçois la Sainte Ecriture, fans en ôter aucune chofe; & je la crois toute d'infpiration divine. Je crois que Moï-fe , les Prophètes, les Evangéliftes, les Apôtres l'ont écrite par la même infpira-tion. Je donne à l'Ecriture Sainte la même explication > que lui donne l'Eglife Catholique, qui feule eft en droit de Pin-terpréter. Je crois encore , que cette même Ecriture eft la bafc & le fondement de la Religion, & qu'il rry a que ceux qui la lavent expliquer comme PE-gtife, qui doivent la lire. II. Sur le témoignage de l'Ecriture Sainte, je crois en un ièul Dieu, le plus parfait de tous les Etres, Efprit pur, libre, dégagé de toute matière, qui con-noit toutes chofes, qui eft doué d'une fa-geffe infinie, tout-puiflànt, d'une bonté & d'une miféricorde ineffable, jufte, faint, qui ne lailfe pas le péché impuni, & qui ne peut changer , qui eft d'une gloire & d'une grandeur infinie, qui eft la fource éternelle & intariffable de bonté & de charité, & d'où provient tout ce qu'il y a de bon & de parfait, qui fe répand dans toutes les créatures, qui eft Père de routes chofes, & qui par fa miféricorde infinie a bien voulu nous donner fon Fils unique pour notre Salut. III. Je crois à la très fainte Trinité, le Père, le Fils, & le Saint Efprit, qui, quoique trois Perfonnes diftindtes , ne font cependant qu'un fêul Dieu. Ces trois Perfonnes font éternelles, & égales en majefté & en gloire. IV. J'appelle Père, Dieu le Père, parce que la même Ecriture lui donne ce nom. Deut. XXXII. 6. Numquid non îpje efi pater tuut, qui fojfedit te, ^ fecit & créa- treavit te ? ,, N'eft-ce pas lui qui eft „ votre Père , ô Ifraël ? n'eft - ce pas ,, lui qui vous a gouverne, qui vous a „ fait, & qui vous a créé"? Et dans un autre endroit, Malach. II. v. 10. Numquid non pater unus omnium noftrum t numquid non Deus unut creavit nos ? „ N'eft-ce pas Dieu feul qui eft notre ,, Père? N'eit-ce pas lui feul qui nous a „ créé"? Le Nouveau Teftament lui donne le même nom. Dans l'Epitre aux Romains, Chap. VIII. v. n. Saint Paul dit: „ Nous n'avons pas reçu l'Efprit d'efcla-,> vage, mais l'Efprit d'adoption des en-„ fans de Dieu, par lequel nous dilons „ mon Père, mon Père". Non enim ac-cepiftis fpiritum fervit ut is iterum in timoré, fed accepiftis fpirttum adoptionis filiorum , in quo clamamus Abba Pater. „ Confi-„ dérez, (dit Saint Jean) quelles mar-„ ques de fon amour le Père nous a don-„ nées, en voulant que nous fuflions ap-„ pelles, & que nous fuffions effective-„ ment les Fils de Dieu" Fidete qualem charitatem dédit nobis Pater, ut filii Dei nominemur & fmus'l Propter hoc mundut non novit nos, quia non novit eum. V. Je crois en Jéfus-Chrift, Fils unique de Dieu , & Dieu lui-même, par qui tout a été produit, qui a créé le Ciel ôc la Terre,que les Anges adorent ôc glorifient, qui lit dans les cceurs des hommes, dont le pouvoir eft éternel, ôc qui a bien vou- 1ü venir au Monde pour être notre Sauver & notre Rédempteur. VI.. Je crois Jéfus Fils de Dieu, parce que la croyance de cette vérité eft le fondement de notre Salut 6c de notre Rédemption. Outre cela, la fàinte Ecriture nous l'allure. Saint Jean dit dans fa ï. Ep. Chap. IV. v. 15. Quisquis confeffus fuerit quoniam Jejus eft filius Dei, Deus in eo manet, <& ipfe in Deo. Jéfus-Chrift parlant de foi-même, dit en Saint Matthieu, Chap. XV. v. 17. Beatus es,Simon Bar jon a, quia caro & fanguis non revela-vit tibi, fed Pater meus qui eft in ccelis. „ Vous êtes heureux, Simon Fils de Jean, ,, parce que ce n'eft pas la chair 6c le fang ,, qui vous ont ré zélé que je fuis le Fils „ de Dieu , mais mon Père qui eft au „ Ciel". VII. Je crois que le Saint Efprit eft Dieu comme le Père, 6c comme le Fils3 qu'il eft de toute éternité comme eux, qu'il eft égal à eux, qu'il eft infiniment parfait , qu'il eft le fouverain bien, la fouveraine fageffe, qu'il a la même es-fence , la même nature du Père 6c du Fils, defquels il procède de toute éternité. VIII. De même, fur le témoignage de la Sainte Ecriture, je crois au Saint Efprit. Elle lui donne ce nom en plufieurs occafions, mais plus particulièrement dans le Nouveau Teftament, que dans l'Ancien x cien. Dans le Nouveau Teftament, H nous eft ordonné d'être baptifés au nom du Père, du Fils, & du Saint Efprit, S. Matth.Chap. XXVIII. v. 19. Saint Pierre dit à Ananias & à Saphire, A& Chap. V. •v. 3. Anania , cur tentavit Satan a s cor tuum mentiri te Spiritui Sanclo ? „ Com-„raent, Ananias, Satan vous a-t-il tenté, „ de mentir au Saint Efprit" ? Et il ajoute enfuite: Non es mentit us hominibus, fed Deo. ,, Vous avez menti à Dieu, & non „pas aux hommes". Il appelle Dieu, celui qu'il avoit appelle un peu auparavant le Saint Efprit. Saint Paul dans fon Epi-tre aux Corinthiens, Chap. XII. v. 6. a-près avoir parlé de Dieu, dit, que c'eft du Saint Efprit qu'il avoit parlé. Divifonet operationum funt, idem vero Deus, qui »-ftratur omnia in omnibus. ,, Il y a diffé-j, rentes opérations furnaturelles, mais c'eft ,, le même Dieu qui opère tout dans tous". Et il ajoute enfuite, v. 11. Hac autem omnia operatur unus atque idem Spiritus , divi-dens fingulis prout vult. „ Mais c'eft un „feul & même Efprit qui opère toutes ces „chofes,diftribuant à un chacun fes dons „ comme il luiplait". Enfin l'Ecriture joint ordinairement la Perlonne du Saint Esprit avec le Père & le Fils, comme j'ai déjà dit en parlant du Baptême. Et dans l'Ordination, elle lè fert du nom du Père, du Fils, & du Saint Efprit. Elle lui attribue tout ce que nous croyons ne 1 ome IL A a coo# convenir qu'à Dieu feul. Elle lui donne^ par exemple, des Temples. „ Ne favez.-„ vous pas (dit Saint Paul i Cor. Chap. „ VI. v. 19-) que les membres de votre „ Corps font le Temple du Saint Es-± prit"? An nefcitis quoniam membra ves-ira tetnplum funt Spiritus Sancli ? La même Ecriture lui attribue encore le pouvoir de fanétifier & de vivifier nos ames, de pénétrer ce qu'il y a de plus caché dans Dieu, de parler par les Oracles des Prophètes , & enfin d'être par-tout. Ce font-là les attributs de Dieu feul, & qui ne conviennent qu'à lui. Je ne me fais donc aucune difficulté de croire que le Saint Efprit eft véritablement Dieu, comme le Père, & comme le Fils ; qu'il eft la troi-iième Perfonne de la très faintc Trinité ; ôc que comme tel je dois l'adorer , le prier, ôc l'honorer. IX. Je crois fermement & pieufement, que Dieu eft le Créateur de toutes les chofes vifibles & invifibles, que fon pouvoir eft infini, & que rien ne l'a obligé à créer le Monde, finon fa feule bonté, qu'il a voulu en effet communiquer aux chofes qu'il a créées. Il a formé le corps de l'homme du limon de la Terre, & il l'a difpofé de manière qu'il auroit pu être immortel & impaflible, non pas par fa nature , mais par une grâce fpéciale. Quant à notre ame, il l'a faite à fon image & à, fa reffemblance, ôc il lui a don-*. • . ..né bu Baron m Pöllnitz. 371 né le Libre-arbitre, & il en avoit modéré les mouvemens & les defirs, de ma-* nière qu'elle étoit entièrement fou mile à la Raifon; outre tous ces avantages, il lui avoit encore donné la juftice originelle. Mais Adam, Père commun de tous, les hommes, n'aiant pas pbfervé le commandement que Dieu lui avoit fait de ne pas manger du fruit de l'arbre de la Science du bien & du mal, a perdu pour lui & pour fes defcendans, la juftice dans laquelle il avoit été créé ; ainfi tout le Genre-humain a été privé de cette grandeur & de cette excellence, dans laquelle il avoit été créé; & depuis cette chute il n'a pu être rétabli dans fon prémier é-tat, par aucune puiffance; les Anges même n'en ont pas été capables: il faloit, pour remédier à nos maux, que le Fils, de Dieu par fa vertu toute-puiffante vînt s'unir à notre foible Nature , pour détruire la malice infinie du péché, & pour nous réconcilier avec Dieu en répandant fon fang, comme il a fait, dont il foit à jamais glorifié ! X. Je crois constamment & fermement, que Dieu s'eft fait voir à Moije, qu'il lui a révélé tout ce qui eft contenu dans la Genèfe, & qu'il lui a donné la Table des dix Commandemens. Je crois avec Saint Auguftin , que le Décalogue eft l'abrégé de toutes les Loix. Je crois de mçme, comme Jéfus-Chrijl l'enfeigne A a 2 dans dans Saint Matth. XXII. 40. que les deux Commandemens de l'amour de Dieu, Ôc de l'amour du Prochain, renferment toute la Loi ôc les Prophètes. XI. Je crois que c'eft un devoir indis-penfable d'obéir à la Loi de Dieu, parce que c'eft Dieu lui-même qui en eft l'Auteur; ôc parce que Jéfus-Chrift l'a confirmée ôc l'a déclarée avec les paroles. Je crois aufli, que pour être fauve , il faut obferver fes Commandemens. Il y auroit de l'impiéré à penfer différemment. XII. Outre les Commandemens de Dieu, je crois qu'il eft abfolument né-ceflàire de croire le Symbole de la Foi, tel qu'il aété reçu par les Pères du Concile de Trente. Je reconnois ce Concile pour Oecuménique, j'en accepte toutes les déifions fans en excepter aucune , je les regarde toutes comme orthodoxes , ôc comme des règles furcs pour me conduire à mon Salut. XIII. Je crois en Dieu le Père tout-puijjant, Créateur du Ciel & de la Terre; & en Jéfus-Chrift fon Fils unique notre Seigneur, qui a été conçu du Saint Efprit, eft né de la Vierge Marie, a fouffert fous Ponce Pilât e, a été crucifié, eft mort & m été enfeveli; eft défendu aux Enfers ;eft rejfufi. cité le troiftème jour, eft monté au Ciel, eft affts à la droite de Dieu le Père tout-puis-fant, d'où il viendra juger les vivans les morts. Je crois au Saint Efprit, la fainte fainte Eglife Catholique, la Communion des Saints, la rémijjion des péchés, la réfurrec-tion de la chair, & la vie éternelle. Aiant rapporté ci-devant les raifons, pour leiquelles je crois en Dieu le Père, le Fils, ôc le Saint Efprit, je n'en dirai pas davantage à ce fujet, & je païTerai aux autres points du Symbole. XIV. Dans le Symbole notre Sauveur eft appelle Seigneur; en effet, puifqueDi^u le Fils eft éternel, comme Dieu le Père, il eft aufli Seigneur de toutes chofes , comme Dieu le Père. Jéfus-Chrift, entant qu'homme , eft aufli appelle Seù-gneur, par pluiieurs raiions. Prémière-ment, parce qu'il eft notre Rédempteur, & qu'il nous a délivrés de nos péchés: c'eft ce qui a fait dire à Saint Paul dans fon Epitre aux Philipp. Chap. II. v. 8. y. 10 & 11. Humiliavit femetipfum fa flus obediens ufjue ad mortem, mortem autem crucis ; propter epuod fjp Deus exalta-vit illum, gjr donavit illi nomen, quod efi fùper omne nomen, ut in nom ine Jefu omne çenu fieclatur xœlefiium , terreftrium , & infernorum , omnis lingua confiteatur , quia D minus Je fus Chrifius in gloria efi Dei Patris. „ Parce qu'il s'eft abaiflè lui-„ même jufqu'à la mort, ôc jufqu'à la mort de la c»oix, Dieu l'a élevé, ôc il lui a „ donné in nom, qui eit au-defliis de tous ,,les noms; afin qu'au nom de Jéfus tous „ ticchiflènt le genoux au Ciel, en Terre, Aa 1 Jt £ „ & dans l'Enfer,& afin que toute langue „confeffè que le Seigneur Jéfus-Chrift eft „ dans la gloire de Dieu fon Père". Jéfus-Chnft dit auffi en parlant de lui, dans S. Matth. Chap. XXVIII v. 18. Data efimihi cmnis potcftas in Cœ!o & in Terra „ Tout „ pouvoir m'a été donné au Ciel & en 3, Terre". Enfin, après les grâces que nous avons reçues de Jéfus-Chrift, nfe fommcs-nous pas fes véritables Efclaves? N'eft-çe pas lui qui nous a rachetés? N'eft-ce pas lui qui eft notre Seigneur? Ne devons-nous pas être pour toujours au fervice de notre Rédempteur? X V. Je crois qu'il a été conçu du Saint E/prit, qu'il efi né de la Vierge Marie. Par ces paroles je confcflè, que quand Jéfüs-Chrifl Fils de Dieu, notre unique Seigneur, a pris pour nous la Nature humaine dans le fein de la Vierge Marie*, il n'a pas été conçu par la voie ordinaire des autres hommes, mais par une voie furnaturelle, c'eft à-dire par l'opération du Saint Efprit ; de façon que la même Per-fonne étant toujours Dieu, comme elle avoit été de toute éternité, eft devenue Homme , quoiqu'elle ne le fût pas auparavant. Saint Jean dit à ce fujet, I.Chap. v. i. In principio erat Verbum, & Verbum er at apud Deum, & Deus erat Verbum „ Au commencement étoit le Ver-5, be, & le Verbe étoit avec Dieu, & Dieu 9Jétoit le Verbe"-. Et il ajoute enfuite, v. 14. Et verbum earo faclum eft , & habi-tavit in nobis. „ Et le Verbe s'eft fait „ chair, & il a habité parmi nous". XVI. Je crois qu'/'/ a été conçu par l'opération du Saint Efprit. Par ces paroles je n'entends pas, que cette ièule Perfonne ait opéré le Myftère de l'Incarnation. Il ,cft vrai qu'il n'y a que le Fils qui ait pris la Nature humaine ; mais il eft encore vrai que les trois Perfonnes de la très fainte Trinité, Père, Fils, & Saint Efprit, ont également contribue à ce Myftère. Tout ce que Dieu fait,eft commun aux trois Perfonnes,-elles y ont toutes également part, jamais l'une n'agit fans l'autre. Il n'y a que la manière avec laquelle une Pcrlonne procède de l'autre, qui ne leur eft pas commune; le Fils feul eft engendré du Père, & il n'y a que le Saint Efprit qui procède du Père & du Fils. Enfin je crois que cette conception eft miracu-leufe, j'en adore le Myftère avec humilité , fans vouloir le pénétrer , ne pouvant l'entreprendre fans me mettre en danger de me perdre. XVII. Je crois qu'// eft né de la Vierge Marie. Ces paroles m'apprennent que Jéfus-Chrift eft né comme homme; elles me font aufli connoitre que je fuis obligé d'honorer la Vierge Marie comme Mère de Dieu , ce que je fais avec un très A a 4 pro- profond refpedt, 6c avec une entière confiance , parce que la protection de la Sainte Vierge eft la meilleure protection que je puiile choifir auprès de Jéfus Chrift. XVIII. Je crois qui/ a fou fert fous Ponce Pilatc, qu'il a été crucifié, qu'il efi mort <& qu'il a été enfiveli. il eft d'une néceiiité abfolue de croire cet article , & on ne fauroit jamais y trop penfer, parce qu'il eft comme la bafe qui foutient la Foi 6c la Religion Catholique. En effet, cet Article une fois établi, tout le refte fe prouve aifé-ment. C'eft pourquoi je crois fermement que Jéfus Chrift a été mis en Croix pour notre Salut; je crois aufli qu'il a reflènti dans la partie inférieure de l'âme tous les tourmens qu'on lui fit fouf-frir, parce qu'il étoit véritablement Homme ; je crois de même qu'il a ibuffert de grandes peines d'efprit ; ces peines l'obligèrent de dire ces paroles : Trifiis efi anima me a ufque ad mar tem : „ Mon „ ame eft trifte jufqu'à la mort". Quant à la mort de jéfus-Chrift, jû crois qu'il eft réellement mort en Croix,parce que tous les Evangéliftes marquent qu'il y rendit l'efprit. Quoique je fois perluadé que fon ame a été féparée de fon corps ,je crois aufli que la Divinité a toujours été unie à fon corps dans le fepulcre, & à fon ame dans l'Enfer. Jéfus-Chrift eft mort,afin que comme dit l'Apôtre auxHebr. chap. II. v. 14,6c "5« bu Barok de Pöllnitz. 377 15. deftrueret eum qui habebat mortis imperium , id eft Diabolum, & libérant eos qui timoré mortis per totam vitam obnoxii e-rant fervituti : il étoit nécefïaire que le Fils de Dieu mourût, pour détruire par „ fa mort celui qui étoit le Prince de la „ mort ; c'eft-à-dire le Démon". Au reife, la mort de Jéfus-Chrilt a été volontaire ; lui-même eit allé au-devant de la mort; lui-même a déterminé le lieu & le tems de fa mort, ce qui fe prouve évidemment par les paroles du Prophète Haïe : Atque idem Dominus ad fe ante pajjionem dixit. Il a été offert parce qu'il l'a voulu ; ôc notre Seigneur dit lui-même en parlant de fa palfion, dans Saint Jean: Ego pono animam meam, ut iterum fumam earn ; nemo tollit eam à me y fed ego pono eam à me ipfo, <& poteftatem ha-beo iterum fumendi eam, „ Je laiffe mon „ ame pour la reprendre. Perfonne ne me „ l'ôte, c'eft moi-même qui la laifle, ôc „ j'ai le pouvoir de la reprendre". XIX. Quand je dis que Jéfus-Chrift a été mis dans le fepulcre, je crois non feulement que fon corps a été enfeveli, mais je crois encore que Dieu lui-même a été mis dans le fepulcre. Puifque la Divinité n'abandonna jamais le corps du Sauveur,qui fut mis dans le fepulcre, il faut néceffairemerjt que nous confef-fions que Dieu a été enfeveli. Aa y XX. XX. Je crois que Jéfus-Chrift eft de/1 cendu aux Enfers. Par-là j'entends que notre Seigneur étant mort, fon ame defcendit aux Enfers , ôc qu'elle y refta aufli longtems que fon corps demeura dans le fepulcre. Par la deicente aux Enfers, j'entends que notre Seigneur defcendit effectivement dans ces lieux, où font retenues les A-mes qui n'ont pas encore reçu la béatitude éternelle ; ôc par-là non-feulement il a fait connoitre que tout ce qu'on a-voit dit de fa Divinité étoit véritable t mais il fit encore voir qu'il étoit Fils de Dieu, comme il l'avoit déjà prouvé par un grand nombre de prodiges & de miracles. En erfer, tous les hommes qui étoient defcendus dans ces lieux cachés, y étoient defcendus comme des Efcla-ves; mais Jéfus-Chrift y defcendit libre ôc victorieux, il détruifit le pouvoir des Démons qui y exerçoient leur tyrannie, Ôç qui y retenoient les Ames des hommes à caufe de leurs péchés. Jéfus - Chrift victorieux fit fortir ces Ames de la prifon où elles languiflbient, ce que Saint Paul affure lorfqu'il dit aux Coloff. chap. II. v. 15. Expolians principatus <& pot eft at es traduxit confidenter, palam triumphans il-los in femet ipfo : ,, Jéfus-Chrift aiant des-,, armé les Principautés & les Puiflances „ les a conduit ouvertement, en triom- phant en préfence de tous. XXI. pu Baron de Pollmitl 379 XXl". Je crois que Jéfus Chrift eft ref-fufcité des morts le troifème jour. Quand je dis que notre Seigneur eft reiïufcitéjje n'entends pas feulement qu'A a pris une nouvelle vie; mais j'entends âuffi par-là qu'il s'eft reffufcité par fa propre vertu. Ce qui conyient'particu-îièrement à {éfus-Chriu-, ôc ce qui prouve auffi fa Divinité, d'autant plus que la réfurredfion des morts eft contre Tordre de la Nature, n'y aiant perlbnne qui ait le pouvoir de paffer de la mort à la vie. Saint Paul dit à ce fujet , aux Gorinth. Chap. XIII. 4. Etfi crucifixus eft ex infr-mitate,fed vivit ex virtute Dei. „ Qaoi-„ que Jéfus-Chrift ait été crucifié félon la „ foiblôffe de la chair, il vit maintenant „ par la vertu de Dieu". Comme la Divinité de Jéfus-Chrift n'a jamais été iéparée de fon corps, il a pu par fa propre vertu fe refïufciter lui-même & fe redonner la vie. David nous a-voit prédit cette vérité Pf. XCVII. Salvabit fbi dextera e'jtts <& brachium fanttum. „ Il „ le fauvera avec la force de fa droite ôc „ de Ion iàint bras". Notre Seigneur lui-même a confirmé cette vérité , quand il a dit en Saint Jean, Chap. X. vs, 17 ôc 18. Ego pono animant meam , ut iterum fumam eam, poteftatem habeo iterum fumendi eam. Je laiffe ma vie pour la reprendre, j'ai le pouvoir de la laiffer „ ôc de la reprendre". Dans un autre endroit ^8o Memoires droit il dit en parlant aux Juifs , dans Saint Jean Chap» II. v. 19. Seivhe tem-phen boe, & tu tribus âiebus excitabo il-lud. „ Detruifez.ee Temple, & je le ré-„ tablirai dans trois jours". Lorsque je dis que notre Seigneur eft reiTufcité le troisième jour , je ne crois pas pour cela qu'il ait été trois jours entiers dans le fepulcre. 11 y fut mis le Vendredi au foir, & il reflufeita le Dimanche matin , ce qui fait les trois jour?, Jéius-Chnft a mis cet intervalle entre fa mort & fa réfurrection, pour faire connoitre qu'il étoit véritablement Homme, ôc en même tems afin qu'on ne doutât pas de fa mort. Je crois fermement qu'il eft abfôlument néceffaire de croire le Myftère de la Rélurrecfion , étant per-fuadé que cette vérité eft une des plus importantes de notre Religion, comme nous le prouve Saint Paul. L'Apôtre parlant aux Corinthiens, dit dans le Chap. XV v. 14 & 17. Si Chrift us non rejur-rexit , inaris eft ergo prœdicatio noftra , inanis eft pdes v*ftra, adhuc enim eftis in peccatis veftris. Si Jéfus-Chrift n'eft pas „ reffufcité, notre Prédicarion eft inutile, „ ôc votre roi ne fert à rien , vous êrcs ,, encore dans vos péchés '. Je crois auffi que la réfurreefion de Jéfus-Chrift è:oit abiolument néceffaire pour faire voir la juftice de Dieu, en recompenlanr celui >gui avoit été méprife Ôc qui étoit mort par par obéiflànce. L'Apôtre dit aux Phi-lipp Chap. IL V. fc. Humiliavit jemetip* fum faffus oie dien s ufque ad mortem, mot* tem autem crucis. „II s'eft humilié lui mê* ,, me en fe rendant obéiflant jufqu'à la „ mort,& juiqu'à la mort de la Croix; „ c'eft pour cela que Üieu l'a élevé". Secondement, afin de foutenir & de fortifier notre efpérance , qui doit être ferme & confiante. En effet, puifque jéfus-Chrift eft reflufeité, nous devons auffi efpérer de reflufciter un jour. C'eft à ce fujet que Saint Pierre dit , dans fa prémière Epure Chap. I. v. 3. & ±. Be-veditttts Deus & Pater Domini nofiri Je-fu Chrifti,qui fecundum mijericordiam Juam magnam regeneravit nos in fpem vivant fer refurredionem Jeju Chrifti ex mortuif in baredttatem incorruptibilem. Béni foit „ Dieu, le Père de Notre Seigneur Jéfus-„ Chrift, qui félon la grandeur de fa mi-„ fèricorde nous a régénérés par la réfur-,, reclion de Jéfus-Chrift pour nous don-„ ner une vive efpérance, & pour nous „ faire entrer dans un héritage qui ne fe „ peut corrompre". XXII. Je crois que Jéfus-Chrift eft monté au Ciel, & qu'il eft a,ps à la droite de Dieu le Père tout-puiffant. Par l'rtfcenfion de Noire cireur, j'entends que Jéfus-Chrift , après avoir accompli le Myftère de notre Kédemp* tion, eft monté comme Homme, en corps corps & en ame dans le Ciel • où il a-voit toujours été comme Dieu , étant préfenc en tout lieu par fa Divinité ; qu'il y eft monté par fa propre vertu , & non par aucune vertu étrangère , comme Elie, qui fut transporté au Ciel dans un chariot de feu. Par ces paroles, U. eft ajjîs à la droite de Dieu le Père tout-puiflavt, je ne crois pas que Jéfus-Chrift foit aflis effeétive-ment. Ces paroles font des expreflions figurées dont l'Ecriture fe fert. Dieu n'a rien de corporel , & par conféquent il n'a point de droite, & il n'eft pas aflis. C'eft pourquoi quand le Symbole dit que Jéfus-Chrift eft aflis à fa droite , c'eft aufli une expreflion figurée , dont l'Ecriture fe fert pour marquer l'état de gloire , où notre Seigneur Jéfus-Chrift comme Homme a été élevé au-deffus de toutes les autres créatures. Cette parole, // eft aflis y fignifie la poffeflion fiable & permanente de la gloire & du pouvoir fouverain que Jéfus Chrift a reçu de fon Père, qui, félon l'Apôtre aux Jiphef. Chap. I. v. 20. 21. „ l'a reffufci-n té des morts ,. & l'a fait atfeoir à fa „ droite dans le Ciel, fur toutes les Prin-„ cipautés, toutes les Puiffances, toutes „ les Dominations, & tous les noms de „ Dignités qui peuvent être non feule-„ ment dans le fiècle prélem, mais auf. „ fi dans le fiècle à venir , aiant mis j, fous fous fa puiiTance toutes chofes ". Suf-citans illum a mortuis , & conftituens ad dexteram fuam in cœlefiibus , fupra om-nem Principatum, & Potejiatem, & vir-tu rem y <& domina t ion em, & omne nomen quod nominatur non folum in hoc Jaculo , fed etiam in futuro. Quant à l'Afcenfion de Jéfus-Chrift dans le Ciel, je erois qu'elle étoit né-cefïàire ; il faloit que Jéfus-Chrift mît fon Trône dans le Ciel pour prouver que fon Royaume n'étoit point de ce monde, qu'il n'étoit point paffager, ni de la Terre, comme fe l'imaginoient les Juifs, mais que fon Royaume étoit fpirituel. Il a auffi voulu monter au Ciel, afin que fon Afcenfion fît naitre en nous le defir de le fuivre , & en même tems pour accomplir la promeffe qu'il avoit faite à fès Apôtres, lorfqu'il leur avoit dit: Expedit vobis ut ego vadam; f enim non abiero, Pa-raclitus non veniet ad vos; fi au tem abiero, miltam eum ad vos. „ Il eft avantageux „ pour vous que je m'en aille ; car fi je ne „ m'en vais pas, le Confolateur ne viendra „ pas vers vous, mais fi je m'en vais, je vous „ l'envoierai Enfin Jefus-Chrift eft monté au Ciel pour être notre Avocat auprès de fon Père, comme dit Saint Jean dans fa prémière Epitre Chap. II. v. 1. & 2. Fi/ioli, hac Jcribo vobis, ut non peccetis ;fed & fi quis peccaverit , Advocatum habemus «pud Patrem Jefum-Chrifum jufium , & lp fi efi propitiatiopropeecatis nofiris. „Mes ,, petits Enrans , je vous écris ceci afin que vous ne péchiez point. Si cepen-„ dant quelqu'un de vous pèche, nous avons pour Avocat auprès de Dieu le t, Père , Jéfus-Chrift qui eft jufte, 6c il „ eft lui-même la victime de propitiation pour nos péchés. Jéfus-Chrift eft aufli monté au Ciel pour nous y préparer une place, comme il nous l'avoit promis,6c pour prendre pour nous en qualité de notre Chef, poflèflion de la gloire, 6c pour nous en ouvrir les portes, qui julqu alors , ôc depuis le péché d'Adam, avoient été fermées. XXIU. Je crois que Jéfus-Chrift viendra juger les vivans <& les morts, parce que la Sainte Ecriture m'affure qu'il doit y avoir deux venues du Fils de Dieu. La prémière eft arrivée lorfque pour notre Salut il a bien voulu prendre la Nature humaine, La féconde arrivera quand il viendra à la fin du Monde juger tous les hommes. J'ignore quand cela arrivera, mais je fuis pourtant certain que cela doit arriver. Saint Matth. m'en aflure, Chap. XXIV. v. 36. D, & que tout ce qu'il déliera fur la Ter-,> re , fera délié dans le Ciel *. Tïbi dabo claves Regfii Cœlorum, & quodeumque liga» veris Juf er Terram, erit ligatum & in Cm-lis & quodeumque folveris Ju fer Terram , / erit fo/utum <& in Ccelis. Dans un autre endroit, Jéfus Chrift dit encore en parlant à fes Apôtres , „ que tout ce qu'ils s> lieront fur la Terre, fera lié dans le 3, Ciel, & que tout ce qu'ils délieront fur „ la Terre} fera délié dans le Ciel"", dans S. Matth. Chap. XVIII. v. 1. Quacumque alligaveritis fufer Terram , erunt ligata tjr in Ccelis , & quatcumque folveritis fufer Terram, erunt foluta & in Ccelis. Cela me fait croire que je dois ufer du pouvoir que Jéfus-Chrift a donné à fon Eglife , de remettre les péchés , comme d'un remède qui eft très falutaire pour les maladies de mon ame. Et j'ai recours au Sacrement de la Pénitence , comme à l'unique moyen que j'ai pour me purifier de mes péchés. XXVIII. Je crois la B/furreélion de U chair, ôc je la regarde comme le fondement fur lequel eft appuyée l'efpérance de notre Salut. C'eft ce que dit Saint Paul aux Corinth. 1. Chap. XV. v. 13. ÔC 14. Si autem refurreélio mortuorum non eft , neque Chriftus refurrexit , fi autem Chriftus non refurrexit y inanis eft ergo pra-dicatio noftra , inanis eft ftdes veftra. „ Si « les Morts ne leflùlcitent pas, Jélus-Chrift Bt>4 „n'eft n'eft pa* non plus reffufcité ; ôc- fi Jéfus-„ Chrift n'eft pas rcflufciré, norre prédica-„ tion eft inutile, & votre foi rie fert à „ rien ". Il n'y a donc rien de plus certain que la réiurrcction de la chair. L'Ancien éc le Nouveau Tèftament nous la prouvent par plufieurs exemples. Nous liions dans l'Ancien Tèftament, qu'Etie & Eli-fée refluicitèrent plusieurs Morts. Et dans le Nouveau Tèftament, outre les Morts qui furent reflufcités par Jéfus-Chrift , il eft encore parlé de ceux que les Apôtres reflufcitèrent. Or comme tous ces Morts font reflufcités, je crois fermement, que tous les autres Hommes doivent rcffuici-tcr. Job dit, Chap XIX. v. 15. „ Qu'il ,, eipère de voir Dieu dans fa propre „ chair Se in carne fuâ confpeclurunt iteuvi fuum. Et Daniel dans le Chap XI f. v. 2. dit en parlant des Morts : Alios in comme il eft. XXX. J'accepte & je crois les fainrs Sacremens de l'Eglife. Je crois qu'il y en a fept, & je les regarde comme des chofes qui ont été inftituées pour nous en lignifier d'autres , puifqu'ils nous marquent par ce qui fe pafte extérieurement, l'intérieur de notre ame. La Sainte Ecriture nous dit affez clairement qu'il faut les regarder comme des fignes. L'Apôtre dit en parlant de la Circoncifion, qui avoit été un Sacrement de l'ancienne Loi, ôc qui avoit été ordonnée à Abraham, „ qu'il a reçu le ligne de la Circoncifion, com- me la marque de la juftice qu'il avoit „ reçu avec la foi ". Et fignum ateepit tircumcijtonis , fignaculum juftitiat fidei. Et dans un autre endroit, le même Apôtre nous affure que nous tous qui avons été baptifés en Jefus-Chrift , avons aulfi été bap'ifes à fa mort. Notre Seigneur Jéfus-Chrift a inftitué :** fept Sacremens ; non feulement pour fi- fignifier,mais auffi pour produire & pour opérer ce qu'ils lignifient. Les Sacremens lignifient la Grâce de Dieu qui fanctifie notre ame , & qui lui donne toutes les Vertus Chrétiennes. Le prémier de tous ces Sacremens eft le Baptême, il nous fait avoir part à tous les autres. C'eft notre Seigneur Jéfus-Chrift qui l'a inftitué , comme tous les autres Sacremens. On ne peut pas être Chrétien, ni prétendre à la Vie éternelle, uns avoir été baptifé. Dans S.Jean Chap. III. vf. 5. Nifiquis renatus fuerit ex aqua & Spiritu Sanfto, . non pçtejl introire in Regnvm Dei. „ Si on 3, ne rcnait par l'eau & par le Saint Efprit, . >, on ne peut pas entrer dans le Royaume » de Dieu". Cela regarde les Enfans, comme les Perfonnes raifonnables , parce que les Enfans aiant péché dans Adam, il faut qu'ils reçoivent la grâce & la juftice de Jéfus-Chrift,pour régner dans la vie éternelle. Le Baptême eft un Sacrement qui ne fe reçoit qu'une fois. Unus Dominut, una fidesyunum Bapiifina. „Un Dieu,une „ Foi, un Baptême",dit l'Apôtre aux E-phéfiens, Chap. IV. vf. 5. parce que comme Jéfus-Chrift ne peut pas mourir une féconde fois, de même nous ne pouvons pas mourir une féconde fois au péché par le Baptême. Quant au Sacrement de la Confirmation , il a été auffi inftitué par notre Seigneur gneur Jéfus- Chrill. Je crois qu'on doit bien prendre garde de négliger un Sacrement aufli faine , & qui eit un moyen dont Dieu fe fert pour nous faire part de tant de grâces. Si par le Baptême nous devenons les Soldats de Jélus-Chrift ,nous recevons dans le Sacrement de la Confir-marion les armes pour combattre nos Ennemis. Dans le Baptême , le Saint Efprit nous donne la plénitude de la Grâce , pour recouvrer l'innocence , & dans la Confirmation, il nous donne la Grâce pour acquérir la perfection de la juftice. Dans le Baptême, nous fommes régénérés pour m-ner une nouvelle vie, & la Confirmation nous donne des forces pour combattre. Dans le Baptême, nous fommes laves & purifiés, & dans la Confirmation, nous fommes fortifiés. Là Régénération fauve par elle-même en tems de paix, ceux qui reçoivent le Baptême , & la Confirmation leur met les armes à la main , & les difpofe au combat. Enfin je crois que tous les Catholiques doivent apporter tous leurs foins pour recevoir ce Sacrement , puifque Jéfus-Chrift voulut que fes Apôtres le reçuffent , ce qui arriva, félon S. Luc, lorfque le Saint Efprit defcendit fur eux le jour de la Pentecôte, d'une façon fi miraculeufe. Il eft dit dans les Aótes des Apôtres , Chap. If v. a. que tout à coup on entendit un grand bruit, comme d'un vent impétueux & bu Baron de Pöllnitz: 397 violent, qui venoit du Ciel, & qui remplit toute la maifon où ils étoient ; & qu'au(ïï-tôt ils furent remplis du faine Efprit. Et facJus eft repente de Cœ/o fonus , tanqiiam advenientis fpiritus vehementis , replevit totam dornum. Comme ces paroles nous font comprendre que tous les Diiciples affemblés dans cette maifon , qui étoit la figure de l'Eglife, reçurent le Saint Efprit, il faut auffique tous cejx qui font dans l'Eglife reçoivent le Sacrer ment de la Confirmation , qui eft prouvé par la defeente du Saint Efprit qui arriva le jour de la Pentecôte. Enfin, je crois que Dieu confirme dans nous, par ce Sacrement, ce qu'il a commencé avec le Baptême, & que par la Confirmation il nous rend parfaits Chrétiens. XXXI. Je crois que le faint Sacrement de l'Euchariftie eik un véritable Sacrement, &je le regarde comme un des plus grands Myftères d£ la Foi. Mais ce qui me le rend plus repeétable , c'eft que les Hérétiques mêmes font perfuadés qu'il a été inftitué par notre Seigneur Jéfus - Chrift. Je crois avec Saint Auguflin, ôc avec toute l'Eglife , que ce Sacrement confifte en deux chofes, à favoir , dans les Efpèces vifibles du pain & du vin, ôc dans la chair & dans le fang invifible de notre Seigneur Jéfus-Chrift. C'eft pourquoi j'adore le Sacrement de l'Euchariftie. J'entends par cette parole Sacrement, le corps ôc le fang de notre Seigneur. Je fufpends tous me» fentimens, j'en détache mon efprit, & je crois avec foumilfion que la fainte Eucha-riftie eft réellement le corps de notre Seigneur j c'eft-à-dire, ce même corps, qui eft né de la Vierge Marie, & qui eft aflis à la droite du Père éternel. Je crois qu'il n'y refte rien de la fubftance du pain ôc du vin, me rapportant entièrement aux paroles de notre Seigneur Jéfus - Chrift : Hoc eft corpus meum , bic eft fianguis meut. Ceci eft mon corps, cela eft mon lang Saint Paul me confirme dans ce Sentiment , lorfqu'après avoir rapporté que Jéfus-Chrift avoit conlacré le pain ôc ie vin, il dit aux Corinth. i. Chap. II. v. aa. ôc 39. Probet autem feipfum homo, <& fie de pane illo edat, & de calice bibat qui enim inanducat & bibit indigné , judicium fibi manducat & bibit, non dijudicant corpus Domini. „ Que l'homme s'éprouve foi-mê* „ me, ôc qu'il mange ainfi de ce pain, ôc „ qu'il boive de ce calice; parce que quicon-„ que en mange ôc en boit indignement, „ mange ôc boit fa propre condamnation, „ ne fàifant pas le discernement qu'il doit du „ corps de Jéfus-Chrift". Si ce Sacrement étoit feulement la mémoire ôc le figne de la Paflión de Jéfus-Chrift, comme le veulent les Hérétiques , je ne crois pas que Saint Pasd fe tût fervi d'expreflions aus-fi preffantes , pour exhorter les Fidèles a s'éprouver, auparavant que de s'approcher de bu Baron de Pöllnitz? $00. de ce Sacrement. Le même Apôtre S. Paul nous allure encore de la vérité du corps de Jéfus-Chrift dans l'Euchariftie, lorfqu'il dit dans la 1. Ep. aux Corinth. Chap. X. vf. 16. Calix benedicJionis , eut benedicimus , nonne commu?iicatio fanguinis Chrift i eft ? & punis quem frangimus, nonne participatio corporis Domini eft ? ,, N'eft il „ pas vrai que le calice de bénédiction , „ que nous béniifons, eft la communion ,, du fang de Jéfus-Chrift,- & que le pain 3, que nous rompons , eft la communion du corps de Jéfus-Chrift "? Mais outre ces paroles de l'Apôtre, Jéfus-Chrift dit en Saint Jean Chap. VI. vf. 52. Panis quem ego dabo, caro mea eft pro mundi , donnerai eft ma chair, que je dois don->, ner pour le falut du monde ". Enfin celui qui mange de ce pain, vivraéter-„ nellement Je crois que la Sainte Euchariftie a été inftituée par notre Seigneur Jéfus-Chrift, pour deux railbns La prémière, afin qu'elle fervît de nourriture à notre ame, pour conferver fa vie fpirituelle , & feconde-ment, afin que l'Eglife eût toujours un Sacrifice, qui pût être offert à Dieu pour la rémifïïon de nos péchés. En effet, comme nous offènfons Dieu fi fouvent, ôc que nos péchés l'irritent contre nous, l'Eglife offre le Sacrifice de l'Euchariftie pour engager Dieu le Père à fufpendre la jufte rigueur de fa colère & de fa vengeance, ôc pour obtenir de lui les effets de fa mi-féricorde. L'Agneau Pafchal, que les Ifraë'lites of-froient Ôc mangeoient comme Sacrifice & comme Sacrement, étoit la figure de l'Euchariftie. Notre Seigneur n'a pas pu nous donner une plus grande marque de l'amour qu'il avoit pour nous , que de nous laitier ce Sacrifice vifible , qui renouvelle le Sacrifice fanglant, qu'il a offert lui-même à Ion Pere fur la Croix, afin que jufqu'à la fin de tous les fiècles nous en honorafîîons la mémoire, î Par le Sacrifice de l'Euchariftie , j'entends la fainte Meffe ; ôc comme le Sacrement de l'Euchariftie eft pour nous une «ne action ^méritoire , & qu'il nous procure de grands avantages lorfque nous te recevons , je crois que le faint Sacrifice de la Méfie me fait mériter , ôc me fait lâtisfaire à Dieu pour mes péchés j je crois que ce Sacrifice eft le même qui fot offert fur la Croix, je crois que c'eft la même Victime , c'eft-à-dire notre Seigneur jélus-Chrift , qui s'eft offert lui-même une fois fur l'arbre de la Croix. En effet, la Victime qui s'eft offerte d'une manière fànglante , celle qui s'offre d'une manière non fànglante, eft la même , il n'y en a pas deux. Et ce Sacrifice fê renouvelle tous les jouw dans l'Euchariftie, félon le commandement que Dieu nous en a fait, lorlqu'il nous a dit : Faites ceci en mémoire de moi : Hocfitxite m meam com-memorttionent, S.Luc Chap.XXII.v. 19. Je crois qu'il n'y a que Jéfus-Chrift , qui eft Prêtre dans ce Sacrifice. Les Ministres qui confièrent le corps & le fang de notre Seigneur, n'offrent pas eux-mêmes ce Sacrifice , ils prennent la place de Jéfus-Chrift lui-même. Cela eft évident par les paroles de la confecration : le Prêtre ne dit pas : Ce ci efi le torps 4e Jefits-Cbrifi , mais , Ceci efi mon Corpe (Hoc efi Corpus meum) j & par conféquent, c'eft parce qu'il tient la place de Jéfus-Chrift, qu'il change par la vertu de ces paroles, la fubftance du pain ôc du vin , en celle du corps ôc du fang de Jéfus-Chrift. Ce a Ainfi Ainfi la Meffe n'eft pas feulement un Sa. crifice de louanges ôc d'actions de grâces, ou la (impie commémoration du Sacrifice qui a été accompli fur l'arbre de la Croix; mais je crois encore qu'elle eft un Sacrifice efficace qui me réconcilie à Dieu , ôc qui me le rend favorable. Et fi nous offrons cette fainte Victime avec un cœur pur, une Foi ardente, ôc que nous ayons une vive, douleur de nos péchés ; je ne doute point que Dieu ne nous faffe mifé-ricorde , ôc que nous n'obtenions le fecours de fa fainte Grâce, dans les befbins que nous avons. Je fuis même perfuadé qu'il eft comme impoflîble qu'en faveur de cette fainte Victime , Dieu ne nous accorde pas la grâce de la Pénitence , ôc la rémifïion de nos péchés. Par confequent, le faint Sacrifice de la Meffe n'eft pas feulement utile à celui qui l'offre, & à celui qui y participe réellement; mais je crois encore qu'il eft avantageux à tous les Fidèles en général, à ceux qui font vivans, & à ceux qui font morts dans la grâce de Dieu, & qui ne font pas encore purifiés des taches de leur péché. Selon la tradition confiante des Apôtres , il eft permis d'offrir le faint Sacrifice de la Mes-fè pour ces Fidèles qui font morts dans la grâce de Dieu , ôc qui ne font pas entièrement purgés de leurs fautes ; on l'offre aufli pour éloigner les afflictions, ôc les calamités publiques , ôc pour la Satisfaction tion des péchés des vivans , ôc des peines qu'ils onc méritées. D'où je conclus, que le Sacrifice de la MelTe s'offre particulièrement pour le bien ôc pour l'utilité de tous les Fidèles. XXXII. J'admets & je reçois la Pénitence pour le quatrième Sacrement. Il a été reconnu de l'Eglife , & inftitué comme tel par notre Seigneur Jéfus-Chrift, afin qu'on ne pût pas douter de la rémis-fion des péchés , que Dieu a proraife par ces paroles d'Ezéchiel : Si impius egerit pee-nitentiam, vivet in aternum.*» Si l'impie „ fait pénitence, il vivra éternellement'*. Je crois que Jéfus-Chrift a inftitué ce Sa-crerhent, afin de s'en fervir comme d'un canal pour répandre fur nous fon précieux fang , afin qu'il effaçât les péchés que nous aurions commis après le Baptême', & afin que nous fu(fions entièrement per-fuadés que c'eft à Jéfus-Chrift feul que nous fommes redevables de la grâce de notre réconciliation avec Dieu. Je crois la Pénitence un Sacrement, de la même manière que le Baptême en eft un. Le Baptême efface tous les péchés & particulièrement le péché originel ; par la.même raifon il faut que la Pénitence, qui efface tous les péchés de volonté ou d'action qui ont été commis après le Baptême, foit proprement ôc véritablement un Sacrement. Outre cela , ce qui fe fait extérieurement par le Pénitent ôc par le Ce 3 Prc- Prêtre, montre ce qui s'opère intérieure^ ment dans l'ame du Pénitent. Il faut absolument croire que la Pénitence eft un-Sacrement, puisqu'elle renferme tout ce qui eft de J'effence du Sacrement. Elle eft le figne d'une chofe fainte j car d'un côté le Pénitent exprime parfaitement a-vee fes paroles & avec fes actions qu'il s'éloigne de l'impureté de fes péchés, Se de l'autre le Prêtre en conférant ce Sacrement, fait voir la rémiflion des péchés que L>ieu par un effet de fa bonté accorde au Pénitent. Les paroles que Jéfus-Chrift dit à Saint Pierre, & aux Apôtres, me perfuadent cette vérité; dans S. Matth. Chap. XVI. v. 19. Tibi dabà claves JLegni Cœlorum , & quodeumque ligaves ris fuper terram erit ligatum c£ in ccelis, & quodeumque fol-verts fuper terram erit fo-lutum ér in ccelis. „ Je vous donnerai „ les Clés du Royaume du Ciel". Ces paroles ne me laiffent aucun lieu de douter de la rémiflion des péchés ; c'eft pour cela que Tabfolution que le Prêtre prononce fait voir la rémiflion des péchés. Se c'eft l'abfolution qui l'opère dans l'ame du Pénitent. Le Sacrement de Pénitence diffère des autres Sacremens , en ce que la matière des autres Sacremens eft quelque chofe de naturel ou d'artificiel ; au-lieu que les trois actes du Pénitent, la Contrition, laCon-feflion & la Satisfaction , font comme la ma- madère du Sacrement de Pénitence. On doit même appeller ces actes , les parties de ce Sacrement. Dieu les exige absolument du Penitent , & il font absolument néceffaires, pour que le Sacrement de Pénitence foit entier , & afin que le Pénitent puiffe obtenir l'entière & parfaite rémiflion de fes péchés. Et quand je dis que ces actes font comme la matière de la Pénitence , ce n'eft pas que je croye qu'ils n'en foient pas la véritable matière; mais c'eft pour faire connoitre que je ne crois pas qu'ils foient de la nature de la matière des autres Sacremens. En effet, la matière des autres Sacremens eft toute externe par rapport à celui qui les reçoit, comme l'eau dans le Baptême, le Chrême dans la Confirmation. Je confidère la Confcffion comme une partie abfolument néceffaire dans le Sacrement de la Pénitence. Quoique je croye que la Contrition parfaite efface tous les péchés ; néanmoins, comme pour produire cet effet, il faut qu'elle vienne d'un pur amour filial & desintèreffé envers Dieu, qu'elle foit vive, forte & ardente , & que la douleur qui la produit dans l'ame foit proportionnée à la grandeur des péchés qu'on a commis ; 6c comme il y a peu de perfonnes dont la douleur puiffe arriver à une fi grande perfection, par conséquent, il y en auroit peu qui pourroient Ce 4 ef- efpércr d'obtenir par ce moyen le pardon de leurs péchés. Il a donc talu que Dieu, qui eft infiniment bon & in'niment miséricordieux, pourvût à notre Salut, en nous donnant un moyen plus facile. C'eft ce qu'il a fait, en donnant à fon E-glife les Clés du Royaume du Ciel. C'eft pourquoi, félon la doctrine du Concile de Trente, je regarde comme une vérité confiante, que tout homme qui fait un acte de Contrition, qui néceiTairemenc renferme la réfolution de ne plus offenler Dieu à l'avenir, obtient par la vertu des Clés que l'Eglife a reçues, le pardon & la rémiflion de fes péchés , après qu'il les a confeflés à un Prêtre. Je crois qu'il obtient la rémiflion de fes péchés, quand même fa douleur n'eft pas aflez. parfaite pour pouvoir par elle-même lui en procurer le pardon. Je reçois & j'admets la doctrine des fainrs Pères, qui enfeignent tous unanimement, que c'eft précifément les Clés de l'Eglife, qui nous ouvrent le Ciel. Je crois que notre Seigneur Jéfus-Chrift a inftitué la Confeflion, & qu'il l'a inftituée par un pur effet de fa bonté & de fa miléricorde, lorsque les Apôtres étant aifemblés dans un même endroit a-près fa réfurrection, il foufHa fur eux, en leur dilànt : Accipite Spiritutn Sanelunt : quorum remiferitis peccata remittuntur eis, & quorum retinueritis r et eut a erunt, S. Jean, Jean, Chap. XX. verf. 22 & 23. „ Les ,> péchés feront remis à ceux à qui vous „ les remettrez, & ils feront retenus à „ ceux à qui vous les retiendrez Il eft donc évident que notre Seigneur a donné aux Prêtres le pouvoir de retenir & de remettre les péchés ,& qu'en même tems il les a établis Juges. C'eft pour cela que nous devons ne leur rien cacher; nous fommes obligés de nous acculer de toutes les circonftances de nos péchés, afin qu'ils puiffent nous juger, & nous donner une pénitence proportionnée à nos fautes. Je ne crois pas feulement que Jéfus-Chrift a inftitué la Confeflion, je crois encore qu'il nous en a ordonné l'ufage comme néceffaire ; Se un pécheur qui a commis un péché mortel , ne peut recouvrer la vie de fon ame que par ce moyen. Le Sauveur du Monde nous a fait connoitre clairement cette vérité, lorsqu'il a' exprimé le pouvoir d'adminiftrer ce Sacrement par les Clés du Royaume du Ciel; & comme on ne peut entrer dans un endroit fermé, que par le moyen de celui qui en a les Clés, de même perfonne ne peut entrer dans le Ciel, après s'en être fermé l'entrée par le péché, à moins que le Prêtre à qui notre Seigneur en a confié les Clés n'en ouvre les portes. Il faut pourtant excepter les cas de nécefîiré, où la Contrition parfa ite fuffit fans ia Confeflion, Si cela Ce 5 étoit croit autrement, il n'auroit pas été né-ceiTaire que notre Seigneur eût dit, qua filveritis in Terra, foluta erunt in Cœlo. Ce que vous aurez délié fur la Terre, „ fera délié dans le Ciel". De même il n'auroit pas été néceflàire que Jéfus-Chrift eût donné les Clés du Ciel à l'Eglife. Enfin, je crois la Satisfaction absolument néceffaire, & je la prends en deux manières. La prémière eft celle avec la- fuelle nous fatisfaifons entièrement à *ieu, félon toute la rigueur de fa Juftice fuprème, pour nos péchés de quelque qualité qu'ils foient, ôc avec laquelle enfin nous nous réconcilions avec Dieu. C'eft à notre Seigneur Jéfus-Chrift que nous fömmes uniquement redevables de cette Satisfaction, c'eft lui qui nous l'a méritée en fatisfaifant pleinement à Dieu, avec le lang qu'il a répandu fur la Croix pour nous racheter de nos péchés. Il n'y avoit aucune créature qui eût pu s'acquitter d'une fi grande dette ; mais, comme dit Saint Jean, Ipfie efi propitiatio pro pec-tatis nojiris, non pro nofiris autem tantum, fed etiam pro totius mundi : „ 11 eft feul la Victime de propitiation pour nos pé-,, chés, ôc non feulement pour les nô-„ tres, mais encore pour ceux de tout „ le monde ". Cette Satisfaction , qui vient des mérites de Jéfus-Chrift , eft pleine Ôc entière, Ôc proportionnée à la gran- grandeur de tous les péchés du Monde. Je reçob ôc j'admets encore la féconde efpèce de Satisfaction, qu'on appelle Canonique, & qui s'accomplit dans un certain efpace de tems, qui eft prefcrit par les Canons, & qui donne le pouvoir aux Prêtres d'iropofer aux Pénitens une pénitence, avant que de les abfoudre de leurs péchés; c'eft ce qui opère la Satisfaction. Enfin, je fuis perfuadé que la Satisfaction eft une efpèce de remède, qui efface toutes les fouillures que notre ame a contractées par les taches du péché. Par le moyen de cette Satisfaction, nous payons les peines qui nous ont été imposées pendant un certain tems pour l'expiation de nos péchés. Je conclus enfin, qu'il eft abfolument néceffaire de nous exciter à la pratique de cette Satisfaction. Quand même Dieu nous remet dans la Pénitence la coulpc du péché , ôc la peine de la mort éternelle qui lui eft due, il ne nous remet pourtant pas toujours les peines temporelles qui font dues au péché. Ce qui fc voit par plufieurs exemples dans l'Ecriture Sainte, dans le III. Chap. de la Genè-fe, dans le XII. Ôc le XX. Chapitre des Nombres, ôc en plufieurs autres endroits, ôc fur-tout en celui où il eft parlé de David. En effet, quoique le Prophète Nathan lui eût dit que Dieu lui avoit re» mis Ion péché, & qu'il l'eût afluré qu'il ne mourroit pas, David ne lailTa pas de s'impofer volontairement de grandes mortifications, il ne laifia pas d'implorer la miféricorde de Dieu dans ces termes: Amplius lava me ab iniquitaie meâ, & d feccato mco munda me : quoniam iniqaita-tem meam ego cognofio, & peccatum meum contra me efi fimper. „ Verfez fur moi ,, abondamment de l'eau pour me laver „ de toures mes fautes; je reconnois mes ,, iniquités, & mon péché eft toujours „ devant moi Quoique David eût fait cet acte de pénitence , quoiqu'il eût demandé avec tant de ferveur le pardon de fon péché, Dieu ne laifla pas de le punir, par la mort de fon Fils qui étoit le fruit de fon adultère, par la révolte de fon Fils AbJ'alom, qu'il aimoit tendrement, & par plufieurs autres afflictions, dont il l'avoir menacé auparavant. Quant à la rniion pour laquelle toutes les peines du péché ne nous lont pas remifes par le Sacrement de Pénitence , comme par celui du Baptême , je crois que for-dre de la Juftice, comme dit.le Concile de Trente, veut qu'on pardonne d'une manière à ceux qui avant le Baptême ont péché par ignorance, & qu'on pardonne d'une autre manière à ceux qui aiant été délivrés une fois de l'efclavage du Démon & du péché, & qui aiant même reçu çu le Saint Efprit, n'ont pas craint de le contrifter. C'eft un effet, de la bonté de Dieu, de ne pas permettre que nos péchés nous foient remis fans en taire la fàtisfàdtion, afin que nous ne nous irna- • ginions pas qu'ils font moindres qu'ils ne -font, afin que nous ne tombions pas dans de plus grands delordres par un mépris .injurieux au Saint Efprit, en accumulant de cette façon un tréfor de colère pour le jour de la colère de Dieu: Tbejauri-zantes nobis iram in die ira. En effet , les peines de la Satisfaction font comme nn frein qui arrête nos péchés; ce font encore des marques certaines de la douleur que nous avons d'avoir offenfé Dieu; c'eft enfin par ces peines que nous fâtis-faifons à l'Eglife notre Mère, que nous avons grandement offenfée par nos péchés: car, comme dit S. Augufiin, quoi- . que Dieu ne rejette pas un coeur contrit & humilié; cependant, comme la douleur que nous avons conçue dans notre cœur d'avoir offenfé Dieu, ne peut être connue que par des paroles & d'autres marques extérieures, les faints Pères ont eu raifon de fixer certains tems pour la Pénitence, afin que nous pulfions fatisfaire à l'Eglife dans le fein de laquelle nos péchés ont été commis. XXXIII. Je remercie Dieu , de ce qu'après m'avoir fait entrer dans la véritable table Vie, par le Sacrement de Baptême; il a encore inftitué le Sacrement de l'Esc-trème-Qntlion , pour me faire entrer plus facilement dans le Ciel au fortir de cette vie. Je crois que notre Seigneur Jé&s-» Chrift inftitua le Sacrement de l'Extrè* me-Ondtk>n, lorsqu'il envoya iês Difci-ples deux à deux au-devant de lui par les Villes & par les Villages. Il eft dit, qu'ils prêchoient aux Peuples, qu'ils les exhortoient de faire pénitence, qu'ils chaffoient plufieurs Démons, ot qu'ils oi-gnoient d'huile plufieurs malades, & qu'ils les guériflbient tous. Ce fut notre Seigneur qui leur commanda de faire cette onction ; il l'inftitua plutôt pour le falut de l'ame, que pour la fanté du corps; il y attacha une vertu toute divine, oc Surnaturelle. Plufieurs grands Saints nous affurent fi clairement de cette vérité, ■que je n'ai aucun lieu de douter que l'Ex-trème-Onéfion ne foit un des fept Sacre» mens de l'Eglife , ce qui a été inftitué pour le foulagement des malades lorsqu'ils font à l'extrémité. C'eft ce qui fe remarque dans l'Epirre de S. Jaques, Chap. V. verf. 14. & 15. Infirmatur quis in vobis ? inducat presbyteros Ecclejue, ^ crent fuper eum, ungentes eum oleo in no-mine Dominiy & oratio fidei falvabit in-firmum, & alhvabit eum Dominus : & Ji in peccatis fit, remittmtur n. Y a-t-il „quel- j> quelqu'un parmi vou6 qui tombe ma-„ lade ? qu'il appelle les Prêtres de l'E-„ glife, & qu'ils prient pour lui, en l'oi-5, gnant d'huile au nom du Seigneur. La „ Foi fauvera le malade, le Seigneur le Soulagera; & s'il a commis des péchés, „ ils lui feront remis". L'Apôtre, en nous difant que les péchés font remis par cette onction, nous fait aufli connoitre en même tems qu'elle eft un véritable Sacrement : c'a été ladécifion de plufieurs Conciles, & principalement de celui de Trente. XXXIV". Je refpecte, &je regarde le Sacrement de l'Ordre, comme le fixième Sacrement de l'Eglife, & je le crois abfo-lument néceffaire , parce que les autres Sacremens dépendent entièrement de lui. En effet, fans le Sacrement de l'Ordre, il y auroit des Sacremens qu'on ne pourrait pas administrer; il y en auroit auffi qui feroient privés de toutes les cérémonies Solennelles, & de tout culte de Religion. Je crois donc que l'Ordre eft un Sacrement des plus excellens. Il rend les Prêtres & les Evêques les Interprètes de la volonté de Dieu, il fait qu'ils représentent Dieu fur Terre, & qu'ils opèrent en qualité de fcs Subftituts; c'eft ce qui fait que l'Ecriture Sainte les appelle des Anges, & même des Dieux. Que peut-il y avoir de plus merveilleux que le pouvoir que ce Sacrement donne aux Prêtres, tres, de confacrer, d'offrir le corps 6c lc fang de Norre Seigneur, Ôc de remettre les péchés ? N'eft-ce pas un fujet d'admiration pour nous, que les Apôtres ôc les Dilciples aient été envoyés par tout le Monde, de la même manière que Jéfus-Chrift avoit été envoyé par fon Père ? Les Prêtres ont été auffi envoyés pour travailler à la perfection des Saints, aux fonctions de leur Miniftère, ôc à l'édifice du Corps de Jéfus.-Chrift. Eph. .IV v. 12. Ad tonfummationem Sanéïorum , in opus minifierH, in adijicationem corpons Chrifii. Je crois que perfonne ne peut, ni ne doit s'attribuer le caractère d'Evêque ou de Prêtre, à moins qu'il n'ait été appelle par les Miniftres légitimes de l'Eglife, c'eft à dire par les Evêques : Nec quisquam fumit fibi honorent. „ Perfonne ne s'attri-„ bue cet honneur," dit l'Apôtre, en parlant aux Hébreux, Chap. V. v. 4. ôc Dieu lui-même dit en Jércmie : ,, Je „ n'envoyois pas les Prophètes, Ôc ils ne „ laiifoient pas de courir". Quant au pouvoir de l'Ordre, je crois qu'il s'étend à l'Eucharillie, ôc à tout ce qui peut avoir rapport à l'Euchariftie. Cette vérité eft établie par plufieurs Paflages de l'Ecriture Sainte, ôc principalement par ce que notre Seigneur dit à fes Diiciples: Sicut me mift pater, & eg0 mitto vos : accipite Spiritum Sanclum. Quorum rum remifiritis féccaia, remittuntur eis <& quorum retinueritis, retenta funt. Et dans S. Matth. Chap. XVIII. vf. 18. il dit auffi : Amen dico vobis, quacumque alli-gaveritis fufer Terram, erunt ligota & in Ccelo, & quacumque folveritis fufer Terram , erunt foluta & in Ccelo. „ De la même manière que mon Père m'a en-„ voyé , je vous envoyé. Recevez, le à, Saint Efprit. Les péchés feront remis „ à ceux à qui vous les remettrez; ôc „ ils feront retenus à ceux à qui vous les „ retiendrez. Je vous dis en vérité, que ,, tout ce que vous lierez fur la Terre, „ fera lié dans le Ciel; ôc que tout ce „ que vous délierez fur la Terre, fera „ délié dans le Ciel "' XXXV. Je crois que le Mariage eft le feptième Sacrement de l'Eglife. On ne peut pas nier que le Mariage n'ait été inftitué par Dieu lui-même. La Genèfe le dit trop clairement, Châp. L v. 27. Mafculum, & feeminam creavit eos, benedixitque illis Deus, & ait, Cres-cite & multiflicamini. „ Dieu créa i'hom-,, me ôc la femme, ôc après les avoir bé-,, nits il leur dir,Croiflèz ôc multipliez" Et dans un autre endroit: Non efi bonum hominem ejfe folum ; faciamus ei adjutorium fimile fibi. ,, Il n'eft pas à propos que l'homme foit feul; faifons-lui un aide » femblable à lui". Jéfus-Chrift dans le Nouveau Tèftament attribue l'inftitütion Tome U. Dd du du Mariage à Dieu fon Père, dans S. Math. Chap. XIX. & dans S. Marc Chap. X. » ' Je crois que le Mariage eft un Sacrement indiftblubk : Quod Deus conjunxit, homo non fepatet. Que l'homme ne fé-„ pare point ce que Dieu a joint enfem-„ ble ". Oe font les propres paroles du Concile de Trente. Il y a pourtant certains cas, où le Pape, comme Vicaire de Jéfus- Chrift & Succeiïèur de Sairtt Pierre, peut rompre, ck annuller le Mariage. Ce qui -me periàde encore que le Mariage eft un Sacrement, c'eft oe pafîage de l'Apôtre Saint Paul aux Ephef. Chap. V. v. z8. Viri debent diligere ttxores fuas , ul corpora fua. Qui fuam uxorem diligit, fe ipfum diligit, nemo entm unquam car mm fuam odio habtüt, fed nutrit &fo ils font dam- du Ba ron de Pöllnitz. aît nés pour toujours, jamais ils ne feront délivrés de leurs peines. De-là je conclus, que l'Eglife a toujours admis un troifième Lieu , qui eft le Purgatoire. Plufieurs anciens Conciles m'affurent de cette vérité, ôc entre autres le Concile de Car-thage, Chap. XXIX. & dans des tems moins éloignés, le faint Concile de Trente. Je crois encore trouver une explication favorable à mes fentimens touchant le Purgatoire, dans le paffage de S. Jean, Apoc. Chap. V. v. 13. Et omnem crea-turam qua in Ccelo eft, & fuper Terrant, & fub Terra, <& qua funt in Mari, tiqua in eis, omnes audivi dicentes fedenti ht Tbrone, <&> Agno : Benediclio , & honor , & gloria , & poteftas in facula faculorum. „ Toute créature qui eft au Ciel, & fur la Terre, & dans la Terre, & fous la ,, Terre, & dans la Mer, 6c par-tout ,, ailleurs, je les ai toutes entendues, qui „ difoient à celui qui eft aflis fur le Trô-,, ne, & à l'Agneau: Bénédiction, hon-„ neur, gloire, Ôc pouvoir dans tous les „ fiècles des fiècles ". Il me femble que ces paroles ne peuvent pas convenir aux Démons, ni aux Réprouvés; il faut né-ceffairement les rapporter aux Ames fouf-frantes du Purgatoire ; c'eft elles que l'Apôtre entend , par celles qui font fous Terre , puifqu'il eft certain que les Démons & les Réprouvés ne louent pas Dieu. Dd 3 Or Or en admettant pour une vérité con-liante, qu'il y a un Purgatoire, je crois fans en douter, qu'il faut prier pour les Morts, 6c pour la délivrance de ces A-mes qui Souffrent, puifqu elles font une partie de l'Eglife, qui eft d'autant plus refpedfable, que quoiqu'elle fouffre, elle ne laiffe pas d'être affinée de jouir un jour de la béatitude éternelle. Outre cela, ces Ames qui font délivrées par mes prières & par les Sacrifices qu'on offre pour elles, deviennent enfuite mes Protectrices auprès de Dieu. Mais quand Ces raifons ne fèroient pas fuffifantes, l'Eglife prie pour les Morts, & cela me fuffit. Saint jiugujt'tn, ôc plufieurs Pères de l'Eglife, m'affurent que l'ufage de prier Ç>ur les Morts leur étoit venu par la radition depuis le tems même des Apôtres. Et l'Ecriture Sainte nous apprend que cet ufage étoit déjà établi dans 1 Ancien Tèftament, ce qui fe prouve clairement par ce paflàge des Machabées , Chap. XII. v. 44. Et faèJâ collatione, Juodecim milita drachmes argent 1 mi fit H#e» rofojymam offerri pro peccatis mortetorum , Sacrificium bené & religiofè de refurreclione cogitans. Et dans le même Chapitre, v. 4.6. Sanda ergo ér fitlubris e/l cogttatio pro defttnttis exorare, ut a peccatis folvan-tur. 11 me femble que ces paflages prouvent clairement que les Juifs, qui conii- po- pofoient avant la venue de Notre Seigneur la véritable Eglife, prioient 6c fà-crifioient pour les Morts. Je crois donc que toutes fortes de perfonnes peuvent ôc doivent faire des prières pour les Morts. Mais le Sacrifice delà fainte MeiTe ne peut être célébré que par les Prêtres, ôc la Meffe eft utile à celui qui la dit, à celui qui la fait dire, Ôc à l'Ame pour qui on la dit. XXXVII. Je crois fermement, que l'invocation des Saints nous eft très Utile pour notre Salut, ôc qu'elle n'eft point contraire aux Commandemens de Dieu, comme le veulent les Hérétiques. En effet, le Culte de Dieu n'eft autre chofe que d'honorer Dieu dans fes Saints, tout comme , ( s'il m'cft permis ici de faire une comparaifon, \ j'honore mon Roi, en honorant fes Miniftres. Dieu, qui nous ordonne d'honorer nos Pères ôc nos Mères, les perfonnes avancées en âge , nos Maitres, ôc nos Supérieurs , nous défendroit - il d'honorer les Saints, ôc les Anges qui font fes Miniftres, ôc par confécjuent nos Supérieurs ? Les Hérétiques, qui condamnent avec tant de force l'invocation des Saints, ÔC qui la traitent même d'Idolâtrie, ne lais-fent pourtant pas de prier rous les jours dans leurs Temples, & dans des Lieux particuliers, afin qu'il plaife à Dieu d'ordonner à leur Ange Gardien de les can-> Dd 4 duire duire & de les garder. Or s'ils conviennent qu'un Ange eft leur protecteur , peuvent-ils fans ingratitude refufer d'honorer leur bienfaiteur ? Je crois avec l'Eglife, que les Anges & les Saints nous préfervent , & nous délivrent tous les jours , de plufieurs grands dangers, autant par rapport à l'ame, que par rapport au corps. La charité les engage à prier pour nous, & à offrir nos prières & nos larmes au Seigneur. Ils veillent continuellement fur nous, ils nous gardent fans ceffe. C'eft pour cela que Jéfus-Chrift recommande à fes Difciples de prendre garde de ne pas feandalifer aucun des petits Enfans, parce que leurs Anges qui font au Ciel voyent inceffarrrment la face de fon Père qui eft au Ciel. Videtc ■ne condemnetis umtm ex his pufillis : Dico enim vobis quia Angeli eorum in Ccelis femper vident faciem Patris mei , qui in Celis eft. S. Math. Chap. VIII. v. 10. Dès le tems même du Vieux Tèftament, l'invocation des Saints étoit en ufage. Jacob en donnant fa Bénédiction à fes Enfans, dit ces paroles : Angelus qui eruit me de cuncïis malis , benediçat pueris iftis, g£* invocetur fuper eos nomen meum, nomina quoque Patrum meorum Abraham, & IJaac , & crefeant in multitudinem fuper Terram. (Dans la Genèfe Chap. XLVIII. v. 15.) Comment peut-on mieux prouver l'invocation des Anges ôc des faints Pa- triarches ? L'Ecriture nous en donne encore une preuve dans le prémier Livre des Rois, Chap. VII. v. 8. où les Enfans d'Ifrael difoient à Samuel : Necejfe pro nobis clamare ad Dominum Deum nofirum, ut fahet nos de manu Philifiiorum. De-là je conclus, qu'en honorant les Saints qui font morts dans le Seigneur, en les invoquant, en vénérant leurs faintes Reliques, nous ne diminuons en aucune manière la gloire qui eft due à Dieu; au contraire, je crois que nous l'augmentons. L'honneur que nous rendons aux Saints fortifie notre efpérance, il la rend plus vive, plus ardente, & il fait naitre dans nous un defir plus grand de les imiter. Jéfus-Chrift lui-même étoit perfuadé, entant qu'Homme, que la protection des Anges pouvoit le délivrer de la main des Juifs ; ce qu'il fit connoitre lorfqu'il commanda à Saint Pierre de remettre fon épée dans le fourreau, parce que, dit-il, s'il vouloitjil n'avoit qu'à prier Dieu fon Père de lui envoyer douze Légions d'Anges. An putas quia non poffum rogare Patrem meum, & exbibebit mibi modo plus quant duodecim Legiones Angelorurn ? S. Matth. XXIV. v. 53. Saint Auguftin dans le VIII. Liv. de la Cité de Dieu Chap. XVII. dit : Summa Religionis efi imitari quem colis. D'où je conclus que nous devons imiter les Saints, les honorer, les refpe&er; & tn les honorant nous les invoquons, par-Dd 5 co 42Ó Memo ire» ce qu'en les honorant nous pouvons leur repréfenter nos befoins, afin qu'ils puis-fent nous obtenir de Dieu les fecours ôc les grâces qui nous font nécelfaires. Je dis que nous devons invoquer encore plus particulièrement la Sainte Vierge, que les autres Saints. Puifqu'elle efi: te Mère de Dieu, n'y auroit-il pas de l'impiété à dire qu'elle ne mérite pas d'être invoquée ? Qui eft - ce qui peut mieux qu'une Mère, obtenir des grâces de fon propre Fils ? Qui eft-ce qui peut mieux nous réconcilier avec Dieu, que la Vierge ? Elle accourt au faint Autel de réconciliation, ôc elle n'y vient pas feulement en qualité de fuppliante , mais elle }r vient encore comme Impératrice, fe-on les propres paroles de Saint Pierre Vamien, Serm. XLIV. Nativ. Virg. Ac-cedis ante Mud aureum réconciliâtionit hu* mana ait are, non folum rogans, fed impe-rans, Domina, non ancilla. Qui eft-ce qui peut nous défendre d'honorer, Ôc de refpe&er celle, par qui notre délivrance, notre falut, notre vie nous font venues ? Comme dit Saint jiuguftin (de S. Virginitate Cap. VI.) Per Evam mors, per Mariam falus. Je n'ai aucun lieu de douter que les Saints nous entendent, parce que je crois aux témoignages des faims Pères. Saint Grégoire de Nazianze étoit de ce fenti-ment, lorsqu'il dit dans fon Epitre 10. ïllud perfuafum fanBorum anïmum res noj-tras fentire , & Saint Grégoire de Nyjjè dans la Prière 19. qu'il fait à Saint Théodore: Quamquam tu vttam banc trans-cexdijii, bumanat tamen mole fias & ne-cejfitates non ignoras ; impetra nobis pacem. Il y a eu plufieurs autres Saints qui ont cru, 6c qui ont dit que les Anges viennent au-devant de ceux qui prient, afin de les recevoir , 6c de les conduire au trône de la Gloire. Et fufcipientes eus ufque ad Tbronum Gloria fanfii Dei per-ducunt. Puifque les Saints écoutent nos prières, je conclus que nous fommes o-bligés de les prier. En effet, fi les Saints ne nous entendoient pas, il feroit inutile de les invoquer,* de même il ne ferviroit à rien qu'ils nous écoutaflènt, fi nous ne les invoquions pas. J'honore donc, ôc j'invoque les Bienheureux qui jouiffènt de la gloire célefte, Ôc je les invoquerai jufqu'au dernier moment de ma vie, c'eft alors que j'aurai plus befoin de leur affiftance. Je les invoquerai tant que je vivrai. L'Ecriture Sainte m'enfeigne que Dieu lui-même a donné des louanges à quelques Saints. Enfin , c'eft fur leur protection que je fonde mes eipérances. S'il eft vrai que dans le Ciel les Bienheureux fe réjouiffent lorsqu'un pécheur fe convertit ôc fait pénitence, comment pourrois-je douter que les Saints étant invoqués des Pénitens,ne les fccourent, & ne leur obtiennent le pardon de leurs péchés ôc la grâce dont ils ont befoin.? XXXVIII. Puisque nous devons invoquer les Saints, & puisqu'ils écoutent nos prières, je crois que je fuis obligé d'honorer leurs Images , leurs Tombeaux , aufli-bien que leurs faintes Reliques , ôc fi j'ai du refpect pour une peinture qui repréfente le portrait de mon Roi, ou de quelque Souverain, comment à plus forte raifon n'en aurois-je pas pour ce qui me repréfente les Saints, qui font bien au-deffus des Princes de la Terre, puisqu'ils font les Amis de Dieu ôc nos Protecteurs auprès de lui? De tout tems, l'ufage des Images a été permis. Dieu lui-même a ordonné de faire des Figures ôc des Images. Il ordonna, par exemple, de faire les Chérubins de Propitiation, le Serpent d'airain. Et quand les Hérétiques difent que Dieu défend les Images, ils n'ont pas raifon. Dieu nous défend de faire des Images pour les adorer: c'eft ce que je ne fais pas. J'ai du refpeót pour les Images, non par rapport à ce qu'elles font, mais par rapport à ce qu'elles me repréfentent. Ce n'eft pas à ces Images que j'adreffe ma prière, ôc fi je me mets à genoux devant une Image, c'eft parce que je veux honorer Ôc prier les Saints qu'elles me repréfentent. Les Images me rappellent l'Hiftoire de l'Ancien & du Nouveau Tèftament, elles me font fouvenir de toutes les grâces que Dieu m'a faites , ce qui m'engage à l'aimer & à le fervir avec plus de ferveur. Enfin les Images des Saints nous font naître le defir d'imker la fainteté de leur vie & de leurs actions. XXXIX. Pour ce qui regarde le Mérite , il eft certain qu'on ne peut pas ga-ner le Ciel fans les bonnes œuvres. Le Ciel ne nous eft promis que comme une récompenfe. Pour être perfuadé de cette vérité, je n'ai qu'à faire attention fur les paroles que Jéfus-Chrift dit aux Bons dans Saint Matth. Chap. XXV. v. 34 & 35. Ventte, benedicliV atris mei\pojjidetepa'ratum vobis regnum à confiitutione mundi, efurivi enim,&'dedijris mihi manducare;Jîtivi, <& dedifiis mihi bibere ; hofpes eram, & collegiftis me. Notre Seigneur appelle les Bons dans fon faint Paradis, parce qu'ils lui ont donné à manger quand il avoit faim , parce qu'ils lui ont donné à boire lorsqu'il avoit foif. De ces paroles je conclus , que le Ciel ne fe donne pas purement & Amplement ,• il faut le gagner avec les bonnes œuvres. Jéfus-Chrift ne dit-il pas dans un autre endroit,que ,, fi on donne feulement un verre d'eau pour s, l'amour de lui, on en recevra un tor-5, rent de délices"? On ne peut rien de plus clair, rien de plus évident, pour prou- prouver que nous pouvons mériter auprès de Dieu, que ce que dit Saint Paul dans fa première Ep. aux Corinth. Chap, III. V. 8. Unusquisque autem propriam mer cèdent accipiet, fecundum fuum laborem. Chacun recevra la récompenle félon fon travail" : Voilà ce qui me fait croire que celui qui aura le plus travaillé, recevra une plus grande récompenfe. C'eft pour cela que Jéfus-Chrift dit que „ dans la maifon de fon Pere , il y a „ plufieurs demeures". In dome Patris mei muit ai manjiones funt. Je crois donc qu'il faut que je ne fois pas oifif, ni même parefleux, au contraire, je dois travailler fans ceffe pour acquérir le Royaume du Ciel par mes bonnes œuvres. Jéfus-Chrift dit en Saint Matth. Chap. XI. V. 12. que „ le Royaume du Ciel fe „ prend par force , & que ce font les „ violens qui le raviffent". Regnum ces-lorum vim patitur , <&> violenti rapiunt illud. Il dit encore dans un autre endroit : „ Si vous voulez entrer dans la „ gloire célefte, obfervez mes comman-n démens": Si vit ad vitam ingredi ,fer-va mandata. Maintenant, pour pouvoir faire ces bonnes œuvres, je crois que la Grâce de Dieu nous eft néceffaire ; 6c cette Grâce s'obtient par la ferveur de nos prières, 6c par la fermeté de notre Foi. XL. Je paffe à l'autorité du Chef yi-Gble de l'Eglife. Par ce Chef, j'entends, com- du Baron de Pöllnitz; 451 comme j'ai déjà dit, le Pape, qui eft le Succeflèur légitime de Saint Pierre , & comme tel,je crois qu'il eft infaillible, non-feulement dans le Gouvernement de l'Eglife, mais auffi pour tout ce qui regarde la Foi. Je me rapporte uniquement à ce que Jéfus-Chriit dit à ce fujet , lorsqu'il donna les Clés à Saint Pierre : Tu es Petrus , & Jàper banc petram adifcabo Ecclefîam mcavt. Saint Matth. Chap. XVI. v. 18. „ Tu ès Pierre, & fur cette pierre je bâtirai mon Egli-,, le ". Dans cette occafion, Jéfus-Chrift établit S. Pierre Chef & Prince de l'Eglife. Les paroles fuivantes de Jéfus-Chrift oonfirment entièrement cette vérité : Et porta Inferi non pravalebunt adverfuseam. „ Et les portes de l'Enfer ne prévaudront „ pas contre elle", c'eft-à-dire, contre l'Eglife , & par conféquent contre fon Chef. Il eft donc vrai que Dieu a accordé une autorité abfolue à Saint Pierre, & à fes SuccelTeurs. Cette autoritéeft fem-blable à celle que Dieu dans l'Ancienne Loi avoit accordée à Aaron ,&à fa famille. C'eft en confidération de cette fuprè-me Dignité, que je crois que je ne peux pas affez avoir de refpeót & de foumif-fion pour le Pape, & je crois prouver ce que j'avance , premièrement, parce cue c'eft avoir de la dévotion pour Jé-fiis-Chrift,que d'honorer fon Vicaire. En fécond lieu, c'eft nonorer Saint Pierre , que que d'honorer fon Succeffeur. Enfin, je crois que je fuis plus digne d'être un Membre de l'Eglife, lorfque j'honore celui qui en eft le Chef. Je lui baife donc les pieds, comme je ferois à Jéfus-Chrift lui-même, je me profterne devant lui, comme je ferois devant Saint Pierre, & je fuis entièrement perluadé que cette marque d'adoration, bien loin de devoir être traitée d'I-dolatrie, félon le fentiment des Hérétiques, ne peut être regardée au contraire que comme une chofe agréable à Dieu, ôc qui fert à le glorifier. L'Ancien Tèftament nous dit que Jacob adora fept fois Efaù, dans la Genèie Chap. XXXIII. v. % &c 7. Ses Enfans avec Lia & Ra* chel l'adorèrent. Jofeph fut adoré de fes Frères, Abigail adora David, & Beth-fabee, Salomon. Tous ces actes d'adoration ne fe faifoient point à Dieu, c'eft aux hommes qu'ils fe rendoienr. Pourquoi donc refuferons-nous d'adorer le Chef de la Chrétienté ? Si Sa'mt Pier-re refufa d'être adoré par Corneille, c'eft qu'il vit bien que Corneille étant Gen-tis, il lui rendroit une adoration & un culte prefque femblable à celui qui étoit dû à Dieu. Mais cela ne veut pas dire que Saint Pierre n'ait pas reçu les honneurs qui lui étoient dûs comme étant le Prince de l'Eglife. Enfin, me profter-nant aux pieds du Pape , j'ai part à fà bénédiction ; je la lui demande humblement, & j'adore en lui le pouvoir qu'il a de me bénir. Je luis encore perfuadé qu'il n'y a que le Pape qui foit en droit d'affembler un Concile; & je crois que toute Atfemblée qui fe fait fous le nom de Concile, lans la participation du Pape , ne peut pas être regardée comme un Concile œcuménique. Un Corps ne peut pas agir fans fon Chef; c'eft la Tête qui dirige toujours le Corps. Ainfi i'Egliiè ne peut pas s'aflèmbler , agir, ni décider, fans le Pape qui elt fon Chef, & qui feul par conféquent efi en droit de décider, puifqu'il eft la Pierre fur laquelle Jéfus -Chrift a fondé fon Eglife , & puifque fans lui il n'y auroic point d'Eglife. Je reçois donc avec fourmilion toutes les décidons d'un Concile, où le Pape a prélidé en perfonne, ou par fes Légats ; & je regarde comme une fimple jAffemblée du Clergé, les Alfemblées des Prêtres qui fe font, ou qui fe font fai-les par le commandement de toute autre Puil lance, que du Pape. Vo.h , Moniêigncjir , la Déclaration iin'ère de ma voi, telle qu'elle eft gravée dans mon cœur. Je la crois fainte, je la cro^Canonique ; & j'elpére que VotreG^^kur ia voyant écrite, lui donnera ia même approbation , .Ion* •■lie voulut bien l'honorer lors : j'eus l'a-yantage Jc la lui expov:r u. bouche. Si, tym Comment la jeune Noblefle y eft élevée, gc comment elle voyage. 136 138. Autres particularités touchant cette Noblefle. 239-141. Et touchant le Royaume en général. 128-244 Bois-le-Duc m. b 302, Bolingbroke (Mr. de S. Jean , Lord); comment reçu en France, m. a iy8 Bolognt. 1. b 124-127. m. b là? Bolfena. 1. b i$f Bolfane. 1. b 81 Bonn. 1. c 17 f Borde. Voy. i.a Borde. Borghèfe, (le Palais) à Rome. 1. b 198 &fuiv. Borgia (le Cardinal) ; Son ignorance- m. h 246 Bot, Architecte. 1. a ic. m. a 160 Bothmar (le Comte de). 1. a 89 Boufiers (le Duc de). 1. c 146 Bourbon (le Duc de): m. a 241 Bourg (le Maréchal du). 1. a 360. 361 Bourgogne (le Duc de) depuis Dauphin : fon , Portrait, m. a 237. Sa mort. 239 Bourgogne (la Duchcfle de) : fon Portrait, 8c fa mort. m. 4 237. 238 Brandebourg, Ville, m. a 296 Brandftein (Frédéric-Augufte de). 1. c 422 Breda. m. « 283 Breitenbaucb (Henri-Augufte de) 1, ç 424 Brenner, Montagne. 1. b 79. 80 Bref au. m. a 316 Bretagne (le Duc de); fa mort. m. a 240 Bretagne : mécontentement de cette Province. m. a m. « 444. Suites de cette affaire. 463 & fuiv. m. b oi. 94 Brhoufel. La 377 Brille (la) Ut 197 Brixen. 1. b 80 Bro^e (Mr.de) Envoyé de Pologne à La Haie. 1. c a ' France (Marie, Reine de) Femme de Louis X V, a penfé époufer le Margrave de Bade-Bade. 1. a 357. Le Duc d'Orléans l'époufe à Strasbourg par Procuration du Roi. 364. Son Eloge, ibid ôc 367. Difcours prononcés par le le Cardinal de Rohan lors de la célébration du Mariage. 3ÓÓ-37Z. francfort fur le Mcin. 1. b 4 & fuiv. m. a 188 & fuiv. 203 & fuiv. Francfort fur l'Oder. 1. a 3. Ses révolutions. itid. Son Université , fes Foires Ôc fon François (les) : comment ils exeufent leurs défaites. 1. b 340-342. Remarques fur leur caractère. 1. b 411-41). 1. c 9i'9f- Ont toujours dit qu'ils donnoient la Paix à l'Europe. Le 119 Frédéric I. Roi de Pruflè: fa Statue. La 11. Voy. Truffe. Trèdèric-Guilhume, Roi de Pruûe : fon Portrait. 1. a 29. 44. 45-. Quelle vie il mène, ôc fes occupations. 47. 48. Voy. Iruffe. Frédéric-Guillaume le Grand, Electeur de Brandebourg : Statue érigée en fon honneur. 1. a 13. Se m. a 70 Frédéric-Augufte, Roi de Pologne , Electeur de Saxe: fon Portrait &c. 1. a 131-134 Fréjus. m. b 107 Friesberg (le Baron de). La 87 Friefe (Henri-Frédéric, Comte de). 1. a 170. 1. c 39/- 41 *, Fulde, Ville. 1. a 190. Cour de l'Abbé. 190. 191. m. a 411, Furftenfeldt, Abbaye. La jj» Commerce. Franckendahl. 1. b 4 1 G. Vj Gamarre. Voy. Tbou. Gand. 1. c. 139-141. m. a i. l. 15^-14.1. 111. » jjt GW 1. £ 329-338. Réflexion fur la. conduite te des François envers cette République. 330. Sa Guerre avec les Corfcs. 337. m. b 110 Genève, m. b 195*. Ses Miniftres & fes Magifl trats. 198. 199. Ses Négocians manquent de bonne-foi. 199- aoz Otorge I. Voy. Angleterre. George IL Voy. Angleterre. Gertruie: fon Hiftoire. 1. b 10-17 Girard (le P.) : fon Procès avec la Cadièrc. 1. <0 3°f- 396- Epigramme &. Calotte au fujet de ce Procès, ibid. 8c 397. Fable fur le même fujet. 401 Globe (Jean-Frédéric, Comte de). 1. « 398 Gohren (le Baron de). 1. a, 64 Golofkin (le Comte de) Miniftre Plénipotentiaire de Ruflie à La Haie. 1. e 267 Gondulpbe (St.) 1. c 164-165: Gërtx. (Henri, Baron de) : fon Hiftoire. 1. tt Gotha (le Duc de Saxe-) : fon Caracf ère, fes occupations, fa Cour 8cc. 1. a 184-188 Grands Grenadiers de Prufle. 1. a 49 Grdvenitz.. Voy. Wttrben. Grimaldo (le Marquis), m. 6 243-270 Grimani (le Cardinal) Légat à Bologne. 1. b .Y. (Mlle, de) : fon Hiftoire. 1. b 114. Gotha, Ville. 1. a 184. m. a 76-8» 413 Grumkau (Mr. de). W a Qrumkau (l'Hôtel de) à Berlin. 1. * Gntldre pris. m. « 310 61-62 7 68 Hait (la), 1. * ifS-*^, m. et Ö» /«if 163-167 Halherfiadt. m. a Hall en Saxe. m. a 147. 8c 1. * ll7 Halle près de Saltzbourg. 1. b Halle en Tyrol. 1. b 6z Ham. m. a t6o Hambourg. 1. 0 72. /«if. m» 0 299. m» £ 33*-334 Hameien. 1. 0 93 ÜB00W. 1. A. 34. 37. m. 0 410. 411. Particularités qui concernent le Comte de Hanau, fa Cour, 8cc. 1. b 37-37. rn. 0 410 Hanover, Ville. 1. 0 87. /«iv. m. 0 iy4> Hanover, Elccforat: fes Finances en bon état. i.0 93 & fuiv. Haquenée, préfentée tous les ans au Pape par les Rois de Naples. 1. b 194 & fuiv% Harbourg. 1. 0 83. 93 Harlem. 1. c 273-2/7. m. 0 i7jj Harracb (Frédéric , Comte de). 1. c 128. 129 Hartsfeldt (Edmont, Comte de). 1. 4 400 Hattorff (Mr. de). 1. 0 90 Haugreitz. (Jean-Adolphe de). Le 4,16 Heidelberg. 1. 0 381. Pourquoi l'Electeur Pa* latin n'y fait plus fa rélidence. 382-384. Avanture de l'Auteur en allant voir la fa-meufe Tonne de cette Ville. 386-389. Voy. aufli m. 0 477-481 Helvoet/luis. 1. c 297 Hering (Mr. de) 1. 0 18a, Hermitage (1') Maifon de plaifance du Margrave de Bareith: u defeription, 8c comment on y vit. 1. 0 223. 214. m. b 3/6-379 Herrenbaufen, Château. 1. 0 p2 Hervorden. m. 0 ï(j0 Herz.nn (Maximilien* Comte de). L « 413 Mem. tome U-, G g HU- Wldeshtim (le Baron de). 1. * 4», Hoff. m. b 31 j Hollandais: leur Caractère. 1. e 198-300 Holftein-Beek (Charles-Louis, Prince de). 1. c. 430 Horn (le Comte de): fa fin tragique, m. b 206- 209 Hoyhm (le Comte de). 1. 4 149 Hubert sbeurgA. 4 tiç • Huffites en Bohème. 1. 4 237 I. J^co*. Voy. P/Vrr*. Jacobi, Statuaire. 1. 4 13 Jardins d'Italie: ce que l'Auteur en penfe. 1. b 199- loo Jean-Gaflm, Grand-Duc de Tofcane : paroles remarquables de ce Prince. 1. b 133. Particularités curieufes qui le concernent. 311 ftriv. Jean Népomucène (St) : fon Hiftoire , 8c fes miracles. 1. 4 230 & ftttv* Jeanne de Brabant, Femme de Louis le Sévère Duc de Bavière, fon Hiftoire. 1. 0 312 Jeu, pouffé jufqu'à la fureur en France, 8c y égale toutes les conditions. 412-416 llgtn Oe Baron de): l. 4 5-8-61. Deffèrt l'Auteur, m. 4 422 Impératrice (L'): Femme de Charles VI .comment elle donne Audience. 1. 4 249. Son Portrait. 277. 25-8. m. b 46 Impératrice Douairière (L'). m. b. 49. Sa Mai-ion 8c fon Caractère. 1. 4 a5"3_1ff Ingolftadt. m. b 3 jf Intjuifition de Rome : ce que l'Auteur en pen--ft. l.b « 3>©3-3o6 In- Inauïfition d'Efpagne. m. b 266" Infpruck. 1. b 64-78 Jofeph-Clement , Electeur de Cologne. Voy. Cologne. Italiens : remarque fur la haine que fe portent les habitans des divers Etats d'Italie. 1. i Juifs t combien nombreux a Prague. 1. a 237. 236. Confidérés à laHaie. L». 275*. 276. m. a 164, 167 Julien, le *<58 K. KAlf (Mr.) 1 fon Hiftoire. I. c 247. & fuiv. Kumcke (Mrs.) Frères : leur Hiftoire. m. 4 13 y-142. Auteurs de la difgrace du Comte de Wartemberg. 136 ^ fuiv. JCameke. Voy. Kamcke. Kara-Mufiapha, Grand-Vifir : fa tête trouvée, Scconfervée. 1. 4 279 Kehl. 1. 4 3f8. 379 Keifersverdt. L c 208 Keppel (Mr. 8c Mad. de). 1. * 271. 272 KettUrs (la Maifon des) Ducs de Courlande: remarque curieufe fur cette Maifon. 1. b 31* Keyferliag (Hermann-Charles). 1. c 43c Ktél. m. b 33^ Kilmanfeck (Mad. de) depuis Mylady Arling-ton. 1. 4 03 Xin^idétail de cette Maifon. 1. 4 141- 242 Klenek (Mlle. de). 1. 0 288 Kniphaufen (le Baron de). 1. 4 63-°4 \ Kolbe. Voy. Wurtemberg (Jean-Cafimir de Kolbc). Konickel (le Comte de). 1. b 67 , Kö&igfeck (le Comte de). 1. a i-jo-ij$ ^ômgsjeît (le Comte de), m. b 311 L. T* r..'.. Envoyé de PrufTe à Hambourg : Por-J ^ trait de fa Femme, ôc defcription d'un repas qu'il donne à l'Auteur, m. 0 322- 326 I.... (le Marquis de) : Hiftoire de fon mariage.* 1. c 106 La Borde: Hiftoire 5c Portrait de cette Femme, m. b > 120. 221 Lagnafco (le Comte de), la 148 Lagnafco (Jofcphc, Comteffe de), le 431 L*/«r*(Mr. de). Le 278 Landau. 1. a 377 Lanebourg. L b 364 Languedociens, m. b 212. 213 Laquaisy combien importons à Paris. 1. c 92 La*> (Jean). L e ]fa & fuiv. Son Brevet de Controllcur-Général des Finances du Régiment de la Calotte, 72. Son Syftème 8c fes fuites, 70.71. 76-93. m. b 90.91.202-206. Luxembourg y Palais de l'Empercar. 1. a 261 Le G. ... m. b 237 Lei de. Voy. Leyden. Leipzig. 1. a 117-119. m. a 413 Lerici. 1. b 3,10 trt/re en vers , d'un Gentilhomme retiré du Monde à un de fes Amis. 1. c 28 Lettre écrite par un Anglois & fa Femme, a- van-t que de fc pendre. 1, g 86 Leubnitx. (Charles de). 1. c 4,14 Leyden. 1. c IJ7-257. m. a 162 Liberté de la Hollande : ce que c'eft. 1. c 237 Lichtenftein (Antoinette de) Comte (Te de Wal-lenftein. 1. c ^ 433 Liège. 1. c iC3-if8. Caractère des Liégeois. ij-6. 157 Lille. 1. c 14^-147. Aflîégée. m. a 100-104. Priié. 104. Voy. aufli m. a 334 Limbourg. le 160. 161 Linar ( Maurice-Charles, Comte de). 1. a 418 JLiBtz^L a 292. 1. c 19° Lipsky (Jean Alexandre), Evêque de Craco-vie. 1. e 428 Lipfiadt. m. a 160 Livourne.l b 319-325-Lpndres. I c 301-35-6. Ses Edifices publics & particuliers. 304 & fuiv. Comment on y vit. 343-347. Ses Bals publics. 347. 348. Ses ipeéiacles. 349. 35"o. Ses environs. 35-5'. Sa defeription. m. b 278 r> fuiv. Voy. Pa-, • ris. , %.oosduinen : monument ungulier de ce Village. 1. ç 294 "Lorette. 1. b 309. m. b 160-164 Lorraine (Cour de), m. a 436"437 Lottnm (le Comte de), m. a 67 Lokz'j XIV. Voy. Fr*»«. XFl Voy. France. Louvain. I c ico. m. a 332 LJvendabl (Waldcmar, Baron de). 1. a 143, c 392 Lubomirshy (George-Ignace , Prince de). 1. c '—"~ 43° Luneville. m. a 4^ .Luther: ce qu'il dit avant que d'aller à la Diè- gs 3 te te de Worms, 8c comment il y comparut. LHtzclbourg (Antoine, Comte de). 1. a i ƒ i. c 391" Lutztnbottrg,où Lutzelbourg. 1. 4 fo Luibeipbonrg. I. * î***^8 Lyon. i. b 3Ó8-376. m. b 06 M. MAirii fa defcription. m. * 1/4-177. 163-164 Maçon. I. b 377 Magdebourg. 1. 4 m-114. m- * 103-196 Maieace. 1. f 196-100. m. 4 42$" • Caractère de l'Electeur d'aujourd'hui, Philippe-Charles Baron d'Eltz. 1. c 196. 197 Maine (le Duc Se la Ducheflè du). 1. c 14-28. ta. a 249- Arrêtés, m. 0 466 Maintenait (Mad. de). 1. c 77. Son Epitaphe. 78 Malines. 1. c ifo. m. 4 111 Malplaauet (BataillexSc). m. s 114 Manderfcbeit-Blancktnbeim (François-George , Comte de). 1. 4 399 Manhtim. 1. 4 389-404 Manteuffel (Erneft , Comte de). 1. 4 146. c 408 Af4rf (Saint) ; Defcription de fon Eglilc à Venife. 1. b 86 ö»/«h». De fa Fête. 93 Marck {Jules- Augufte, Comte de la). 1.4 400 Marie-Elizabetb, Archiduchefle, Gouvernante des Pays-Bas: fe fanvc de l'incendie de fon Palais. 1. c 124-126. Son Caractère, Cérémonial de fa Cour 8cc. 116-131 Marie-fofepht. Voy. Pologne. Ma- Marie Leczinski Reine de France. Voy. Fr*»-ce. Mzrlborotigh (Mylord) : fon voyage à Berlin, m. a 72. Corrompt un Miniftre du Roi de Suède. 87 Marly. m. « 237 MarfeiUe. m. A 101 Mu/eh (Mr. de) Envoyé de Pruffe à la Haie. I. c *6. Gg 4 Ait» Miniftres de Genève. Voy. Genève. MiJJijJifl. Voy. Syftème du Papier. Mocenigo (AloifioJ Qoge de Venife: fon Por, trait, f k 90, Modene. m. b 176 Monaco, m. b 109 Mormldefchi. Voy. Chriftine. M'onbijou. 1, 4 7 Monbrillant. \. a 93 I. * 121. m. 4 222 Monteallier. \. b 339 Montefiafcone. 1. £ 135*. m. J 127 Monterefo. \, b 136 Montpellier, m. b *iQ Monulphe (St.) 1. c 164. 16$- Moret. va. b 94 Mofcbmska (la ComtefTe) Lu 392 Mofchinsky (Antoine, Comte de). 1. c 416 (Mr. de la). Vov. WynendaU jAunchaufen (Mn de). 1. 4 90. 106 Munchenberg. 1. 4 4 Munich. 1. 0 293-311. m. f 8, j&w. Mwfter. m. 0 .209 N. N0/>/«, m- b x52-1/8 Hajfatt-Orange (la Princeffe de) refufe de donner fa Fille au Roi de PrufTe. m* 4 106- 107 Ktjfut-Orange (le Prince de).l. c 277, Se noye au paffage du Moerdyck. m. 4u 181. Règlement provifionel des Etats-Généraux entre lui le Roi de Pruffe , touchant la fuccef-fion du Roi Guillaume. ^ tfaJau-Siegert (le prince de). 1. c 137. , ^aJfau-Wèilbourg (le Comte de) A.a 401.m. a zoo Nattmer (le Maréchal de). 1. a, 5-7 Naumbourg. 1, a I7i-l7f Népomucene. Voy. Jeun. Neufcbâtel, ajugé au Roi de Pruflc. m. a 92- 9? Neuwidt. le 19t Nevcaftle (le Duc de). 1. ç 33* Nice, m. b 107 Nicolotti: Eleâion, de leur Doge a Vcmfe. lb 9î- 9* Nieuport, 1, r 143. m. 0 35"^ Nimegue. 1. c 212. 113. m. a I0x Nord-Hollande. 1. y 117 Pont de Bonvoifin. 1. b 367 Pont S. Efprit (le), m. b 99 Ponte, lié 1*8 Portocarrero (l'Abbé) : arrêté, m. a . 4,64. Pofe: fon Jardin à Leipzig. 1. a 118 Potzdam, Ville 8c Château. 1. « 48 P0UZZ.0I. m. b 15-8 ^Prague. 1. a 117-245-. m. b 340-3yi ^~FFe7Jing (Maximilien, Comte de). 1. a 304 Prétendant. Voy. Chevalier de S. George. E-choue dans fon entreprife fur l'Ecofle. m. a 381-383 Princes Romain; (Remarques fur les). 1. b 273- 278 Prïn- Princeffe (Mad. la), m. a 247 traceffion du S. Sacrement» à Romç. I. £302. 3°3 troceffions d'Efpagne , fcandaleufes.m. b 260- 262 tromnitz. (Erd m ann, Comte de). L* 408 truffe (Frédéric I. Roi de): fon Couronnement, m. a 36-48. Son Entrée à Königs-berg. 49. Comment reçu par les Magistrats de Dantzick fur leur territoire. 50. Son Entrée à Berlin. 52. Ses prétentions à la fucceflion de Guillaume III, Roi d'Angleterre. 63. 11 fonge à les faire valoir. 63-66. Comment reçu à la Haie. m. a 6/. Protège les Réfugiés d'Orange. 68. Eft reconnu Souverain de Neufchâtel. 92-9J". Négociations pour fon fécond mariage. ior-108.Se détermine pour la Princeffe deMec-kelbourg. 108. Arrivée de la nouvelle Reine, m. 112. Leur mariage. 112. Ses foins pour fes Sujets affligés de la Pefte. 120. Comment le fervice ié faifoit chez lui. 126-131. Va à la Haie. 179. Avec quelle grandeur d'ame il apprend la mort du Prince d'Orange. 182. Tombe malade d'une frayeur, 8c meurt. 273_i^5' truffe (Frédéric-Guillaume , Roi de).- étant Prince Royal, à quoi il fe divertiffoit. m. a Epoufe la Fille de l'Electeur d'Ha-nover. 90-91. Parvient à la Couronne, m. a 277. Réforme qu'il fait dans fa Cour. 276 Truffe (Sophie-Dorothée Reine de); fon Portrait. 1. a 34. truffe (la Reine de) première Femme de Frédéric I. : fa mort m.a 72-74.Honneurs renoua à ion Covps. 7?. 76. Son Caractère. 77 , Mim. Tome tf. gh truf-. Truffe (la Reine de) féconde Femme de Frédéric I. Voy. Meckelbourg (la Princeffe de). Truffe (Famille Royale de). La if & fuiv. Truffe (Cour de) : 1. n 29 & fuiv. m. a- 4 ó» fuiv. Truffe (la)* caufe fingulière de fon érection en Royaume, m. a 17-32. Cette affaire doit fon iiicccs à une méprife. 27_29 Tucelle (l'Abbé). Le '103 Tultaiea (Bataille de) m. a 87 Tyll (la) .- obligation que lui a l'Auteur, m. b 300. 301 Tyrenées. m. b 231 R. R.. . (la Marquife de) huée aux Tuileries. 1. c 107 Radicofani. 1. b I34 Rajiadt. 1. a Ifo-lï^ Ratisbomie. m. b 316-322 Raugrave (Mad. la). L b 7 Rebinder (le Maréchal de). 1, b 359 Réception de l'Archiducheffe, Epoufe du Prince Electoral de Saxe, & fon Entrée à Drefde. m. b 66-S0 Rechberg (le Comte de). 1. a 304 Réfugiés Franfois, bien reçus à Berlin, m. 0 68. 121. Leur reconnoiffance. 121 Regio. m. b 178 Reinbabe (le Baron de). 1. 0 r8o Reliques d'Aix - la- Chapelle. 1. c [167,166 Rhenen. Le 214 Rhinberg pris. m. 0 67 Rhinfeldts. 1. c 194 Rimini. m. b *6£ Rodolphe L Empcrgux ; ibgulajitc de Ion *>aJ tre, ere. 1. c 162. Sa piété. 163 Rohan(k Cardinal de): Difcours qu'il adreffa à la Reine de Fiance, à la cérémonie de ion Mariage. 1. 1*366 - 372. Son Caractère. 373. Sa magnificence. 374-377. tlohr ( la Baronne Douairière de ). 1. c 417 Rolle , Surintendant des Finances à Berlin, l.a 6 Rome. 1. b 137-308. Entrée de cette Ville par la porte du Peuple. 138. Defcription de la Ville. 138-173. 167-170.177-190. 198-201. Son Carnaval. 211. & fuiv. Ses Spectacles. 113 & fuiv. Ses plailirs. 225- & fuiv. Vie des Romains. 228 & fuiv. Leurs Aifem-blées. 229 & fuiv. Leur politeflc. 234. Leur Caractère. 235-. 236. Aflaflinats qui s'y commettent, z36-238. Charité qu'on y exerce envers les Pauvres. 238. Vanité des Bourgeois. 279. Pompes funèbres. 280. Gouverneur de Rome. 283. Sénateur de Rome. 284. Comment on y exécute les Criminels. a8f-288. Sa defcription. m. b 130-137.138-145*. Aflèmblécs de cette Ville. 137. 138. 142.143. RonciglioneA. b 136 Rote ( la ) à Rome. 1. b 282 Rotenberg. 1. b 62 Rothenbourg(le Comte de) amufe l'Auteur.m. a 406,407 Rotofiki(\e Comte). 1. a 138. Voy. Rutotpsky. Rotterdam. 1. c 19f. m. a 167 Rubemfré ( le Prince de). 1. C 137 Rubi ( le Marquis de). 1. c 140 Rafpoli (le Cardinal). 1. b 240 fuiv. Rjttowfk) (le Comte).!, c 388. Voy. kotofsty. Hhi S. Sa'rn S. SAint Sonnet ( Mr, de ). L A 176 Saint-Cloud. 1. c 84 Cyr. 1. c 76" Saint-Denys. m. 4 229 Saint-Florentin (le Comte de). 1. « 47 Saint-George, Ordre de Bavière. 1.4 296. 297 Saint-Hubert, Ordre de Wirtemberg. 1. 4 330 Saint-Jean de Maurienne. 1. £ 367 Saint-Quentin, m. 4 226* Saint-Remi, Exlaquais, figure à la Cour de France. I. b 414 Sainte-Menehoult. m. b 2 Saltx,bourg. 1. * 40-78. Droits & prééminences ! de l'Archevêque. 42. 43-^3; Election & portrait de celui d'aujourd'hui. 43-47. Sa j Maifon. 71. 72. Hiftoire des Emigrans de ' Saltzbourg. 77-78. Fête ridicule que donne l'Archevêque, m. b 86 Saltzdahl. 1. 4 103. m. 4 148 Salut fingulicr des habitans du Tyrol. 1. b 63 Santen. 1. c 208 Sardam. 1. c 246-249 Sar daigne. Voy. VicTfir-Amédée , 8c Charles-Emanuel. Sarzan» ou Serfane. \.b 328 Saverne. 1. 4 372-377 Savoie ( Maifon de), m. £ 186-188. Voy. T4- ri», Victor - Amédée, Charles-Emanuel, Eu-, gent. Savone. va. b xip Saurin (Jaques) : Epitaphc de fes Epitaphes. 1.1: 279.280 Saxe (Etat abrégé de la Cour de). 1. c 361-436. Autre Etat de cette Çou£. \. a 130 & fuiv. Saxe Saxe (le Prince Electoral de). \,a 134,. Cé-rémoniesdc fon Mariage avec l'Archiduchsf-fc. m. b f6-6f Saxe ( la PriucefFe Electorale de ) 1. a 136 Saxe (Famille Electorale de), m. b 80-82 Saxe ( le Comte Maurice de). 1. a 138. le 389 Saxe ( le Chevalier George de ). 1. c 390 Saxc-Weitfenfels (Chriftine, Princefle de). 1. c 388 Saxe-Zeitz (le Cardinal de), m. b 316. 317. 319. 320 Saxe-Zeitz (le Duc de). m. b 312.313 Saxons Se Saxonnes; leur Caractère. 1. a 172- Schenk, m. » 161 Schlangtnbadt. le 201 Schleifheim, Maifon de l'Electeur de Bavière-. la 310. Schluter, Architecte. 1. a 14 Schmiedel (le Baron de). 1. 4 181 Schomberg (le Maréchal de). 1. a 24 Schonborn (le Comte de), Evêque de Bam- berg 8c de Wurtzbourg. 1. a 270 Schonborn ( le Cardinal Damien-Hugo, Comte de) Evêque de Spire. f t 377 Schonborn : fortune de cette Maifon. 1. a 380 Schonborn. Voy. Trêves. Schpnbmn, Palais commencé par l'Empereur j Joleph. la 261 Schonfeldt ( Henri - Rodolphe de ) Seigneur de Lqwenitz. le 411 Schulenbourg (Mr. de) Gouverneur de Zctl. la 8y Schulenbourg (le Comte de) Généraliflime des Vénitiens. 1. £ 104 Schuurman (Anne-Marie), m. a 287 H h 3 Schwal- Schs»albach. I c 200. Schwatz. 1. £ 63 Schvoerin (l'Hôtel de) à Berlin, la 11 Schwizinsky (Nicolas). L « ufJ 424. Se////*» (Mr. de): Avanture iingulière qui lui arrive, m. b 116-118 Semaine-Sainte : comment on en fait les fonctions à Rome. 1. b 264-269, m. b 148-1 ƒ2 Senlis. m. a 2.2.8 SensA.b 381 Serfane ou Sarzana. 1. b 3*8 Sejlri. L b ■ 329 Seyjfertitz, ( Adolphe, Baron de ). 1. e 414 Shrewsbttry (le Duc de): envoyé à Paris, m. 4 268. Son Portrait, Se celui de fà Femme. 168-270. Politefle du Roi envers elle. ibid. 8c 270 Sicile : Expédition de l'Efpagne en ce Royaume, m. a 45*8 fuiv. Stekingen (le Baron de). 1. a 398 Sienne. Ib 133. 134. m. b 127 Slingeland ( Mr. de ) Penlionnaire de Hollande. 1. c 269 Smith (Richard Sc Bridget): Lettre qu'ils écrivent avant que de fe pendre. 1. c 86 Sobiefki (Jean) Roi de Pologne: ce qu'il écrivit à iâ Femme après la levée du Siège de Vienne. 1. a, 278 Sophie-Dorothée , Reine de Prufle : fon Portrait, la 34 Spa. le 1 5-9.160 Sparr ( le Baron de). 1. c 187 Speffacles Efpagnol.-;. m. b 265-Spire, Evêche. 1. a 379 380 Spire, Ville, m. b 4. Spo'rk ( Mr. de), la ' 106 Sporck (Mr. de) Envoyé de l'Electeur de Bruns- Brunswick-Lunebourg à la Haie. 1. c 267 Stanbope ( Mr. de): rend fervice à l'Auteur, m. b ... p 253 Stanijlawky ( N. de Sehgutt ) 1. c 41 <ç Staremberg (Gui, Comte.de), 1. a z66. z6j Staremberg (Gundacker, Comte de). 1. «270 Stein ( le Baron ). 1. a 99 8c ^ioo Stein (Thérèfe, Baronne de). 1. c 427 Stertzingen.. L b 80 Strafford (Mylord). 1. c - 330. 331 Strasbourg. 1. a 3y9-?°^- m- * 4°7 \Studenitz. (le Baron de). 1. 4 J8i StutgardA. a 322.111.4 427 (Charles XII, Roi de) : origine 8c Histoire abrégée de la Guerre qu'il fit au Roi de Pologne, m. a. 78-87. Eft trahi par un de fes Miniftres. 8r Sulkotosky (Alexandre-Jofeph, Comte de). 1. c 400. 418 Sulpice (le Curé de S.) à Paris. 1. b 416-418 Sufe. m. b 194 Syftème du Papier, en France, 8c fes fuites. 1. c. f°- f'U TAmife (la). L c 302. 303. m. b 277. Tefchen (la Princeffc de). Le 431 Thirbeim (Sigifmond, Comte de). La 303 Thou (Mr. de): fon différend avec Mr. deGa-marre. Le 261 Tingry (le Prince de). 1. r 120 Tonne de Heidelberg. 1. a 38c & fuiv, Torring-Sebfeldt (Maximilicn Comte de), il. a 3°3 H h 4 Tor- Torring ( Ignace - Jofeph , Comte de ). 1. 4 3°f Tofcane (Cofme III. Grand - Duc de) : comment il reçoit l'Auteur, m. b 114. Voy, Cofme I. Jeàn-Gajlon. Toul. m. a 439 Toulon, m. b 105* Touloufe. m. b ait Touloufe (le Comte de). 1. c 24. 31. 3* Teur aux Rats. \. c 194 Tour & Taxis (le Comte de la). 1. a 399 Tour & Taxis (Je Prince 8t la Princefle de la). l.c 133-135-. Démêlé du Prince avec le Comte de Naifau-Wcilbourg. Voy. Najfau-Weil-bourg. Tranquillité Chrétienne fur les Dijputes du tems : Pièce en vers. 1. c 99 Trente. I. b 82 Trêves (François-George , Comte de Schonborn , Electeur de). 1. e 193 Trévoux. 1. b 376 Troupes Prujpemes. 1. a 30. fuiv. Leur éloge, m. ê t 71- 71- 88 Turin. 1. £ 339-361. Levée du Siège de cette Ville, m. a 88. 89. Sa defcription. m. b 183-193. Cour du Duc de Savoie, 188-191. Avanture arrivée à cette Cour. 191-193 Turquie (Ambaffadeur de) à Vienne, m. b co- Tyrol : Remarques fur ce Pays 8c fur fes Habitans. 1. b 60. 61. 62. 63. 64. 80. 81. 82. v. UHlefeldt (Mlle, de): fa rrifte fin. 1. c 126 Ulm. 1. a 310. 321. m. b * Utrecht. 1. c. 116-220. Jeu de mots fur la Paix. principales matières. Paix conclue dans cette Ville, ziç. 110. Voy. auffi m. u »8c V.::; (le Baron de) Neveu de Mr. de Seif-fan : fon caractère, m. b 169-171. Vairac (l'Abbé de) : fon Avanture avec un Co*-feillcr Petit-maitre. h-1 90 Valeociennes. 1. c 110. m. a 2*3 Venife. 1. b 87-123. Sa décadence, fes intérêts. 104-106. Ses maximes, ufages &c. 106-108. 112. 113. 121. 122. m. b 16B- 174 Verdttn. m. b % Vemefobre. La 11 Vers. Voy. Digues, Verfxilles. m. a 230 fa fi**>> Viareggio. L b 326 Vicior-Amédée, Roi de Sardaigne 8c Duc de Savoie : Hiftoire de fon abdication 8c de fa détention. 1. b 344-3f6 Vienne en Autriche. 1. a 146-192. Détail de cette Cour. 146-160. 268-177. Defcription de la Ville 8c des environs. 161-167. Sa Police. 176. 277. Ses Sièges. 278. Autres particularités qui la concernent. 28b. Sadcf-cription. m. b x%-$ï Vienne (Cour de), m. b 35*-48 Vienne on Dauphiné. m. b 98 Viereck (Mr. de). 1. a 67. 66 Villars (le Maréchal de). 1. e 63-70. m. a 306-307 Vdlefrunche. m- b 108 Villeroy (le Maréchal de), m. a 389-391 H h 7 vil- ViUtroy, Archevêque;.de hS&hri trait curieux qui le regarde. 1. b . 3?°-37i Vintimille (N. de) Archevêque de Paris. J. b 394. Epigramme fqr fon Mandement en faveur de Ta Conftitution. 397. Voy. Parle- .■pftnt delaris, ____T~T Vfftxnti (Don Julio). \. c 12S yittrbe. \. b 135-VUtaria. m. b ; , . 172 Voleurs d'Angleterre..1. c » 336"338 ■ Ini -.1 , roèfc W.« :' •' •' • ::"v\ i. ira w2 .«. :i ..-:vi W4cherbarth (le Comte de). 1. * , ,144 Wackerbarth-Salmour (Jofeph, Comte * de Gabaleon). 1. c .396 Wabtringen. L b 60 Wallenftein. Voy. Lichtenfiein. Walpole--(le Chevalier Robert). 1. c 328-319 Wurtemberg (Jean-Cafîmir de Colbe, Comte de). • 1. §X&&*.Prémier M.iniftafc de Frédéric I. Roi de Pruffe : fon Hiftoire. m. « 10. /«n;. .Cabale contre lui. 5-4-5-6.11 fe venge, ƒ6.77. " 60. Sa difgrace.-i 34-142. Meurt à Francfort, m. a 289. Eft pleuré partie Roi de Pruffe. 290 Wurtemberg (la Comteffe de) 1. et y. 1. c 273. Son extraction, fa fortune, Sec. m. a 12-14. Particularités touchant cette Dame..29. Se retire à Utrecht, m. a 290. Son intrigue avec le Chevalier de B. . . ibid. Son avanture avec l'Auteur. 290-292. Suite de fon intrigue avec le Chevalier de B. 360-363. Comment elle fé conduit à Paris. 360. 363-365-. Va en Hollande. 365* Wa.rtenp.cben (le Comte de) : 1. 4 5-1 War- Wartenjleben (le Maréchal de); \. 4 24. m. 4. to3 67. 63 Wajfenaar (Maifon de). loc 276. 277 Wajfer bourg. \. b 39 Voy. Wynendul. . Weimar, Ville. 1. 4 17c. 176 Weimar ( le Duc de ) : fa Famille, fa vie , 8c fa Cour. 1. 4 176-182 IVelderen (le Comte de). l.'f 272. fTe«yê» (Mr. de). 1. 4 II WefeL 1. r 208. m. a ' »6o MA» (le Comte de).-époufé la Mère de l'Auteur, m. 4 33-36. Se laiffe engager dans u-ne Cabale contre le Comte de Wartemberg. 5-4-5-6. Et fe perd par-là. 76. Meurt. 113 Wirtemberg (le Duc); fa Famille, fa Cour.ni. 4 428-432. Wirtemberg (la Ducheffe de). 1. 4 322. 323 Wirtemberg (le Duc de) ; fon Portrait. 1. a 324. Sa Famille. 324-326. Ses Amours. 326-330. Sa Cour 8c les Troupes. 330-334. Ses revenus. 337. Sa Famille, fa Cour, m. a 4iS-*2 2 Wirtzbourg. Voy. Wurtzbourg. Witgeuftein (le Comte de); fadifgrace. m. 4 137-139. Eli mis en liberté. 143 Wohlin (le Baron de). 1. * 399 Wolffettbuttel. 1. a 104. m. 4 147. Portrait du Duc Antoine-Ulric. 148-17J Worms. I. b 2. 3 Wratijlau (le Comte de). 1. e 426 Wratislàu ( François-Charles Comte de). 1. c 434 Wrongel (le Mareéchal de). 1. c 137 Wurben (la Comteffe de) ou de Gràvenitz, , Maitreife du Duc de Wirtemberg. 1. 4 323, 326-330. 338-342 . Wttrrtx.- Wurtemberg. Voy. Wirtemberg. Wurtibourg, Ville. 1. * 191 fa fuiv. Comment on vît à la Cour de l'Evêque. ibid.— 198. Ses revenus, prérogatives 8cc. 199-201. b 3"-33* Wynendal: Mr. de la Motte y eft défait par le Général Web. m. a 104 Y. X Près, m. s 379 Z. ZEiflA.o ïif Zeift (Mr. de). 1. c 178 Zeitx.. m. b 311. m. a 174. 1. * 84. fa fuiv. ZeH (la Ducheffe de) de la Maifon d'Olbreu-fe. 1. « 83 Zett (la Ducheffe de) Fille de la précédente. I. * 86 ZinzenJorff (le Comte de) Miniftre Plénipo-tentiaue de l'Empereur à la Haie. 1. e 167 ZinrenJorff" (Louis , Comte de). 1. « 168- *7° Zumjwgen (le Maréchal de). 1. « 136 Pi»