zgmA p T t r e s {•iflMZ MOIRES DU BARON DE pôllnitz, CONTENANT Les Obfervations qu'il a faites dans fes VOYAGES, ET LE CARACTERE des Perfonnes qui compofent les principale» COURS DE L'EUROPE. TROISIEME EDITION, Augmentée de deux Volumes, &> d'une Table dtsMatièrtSm TOME TROISIEME» A AMSTERDAM, C6» FRANÇOIS CHANGVION. MDCCXXXVII. LETTRES DU BARON DE PÔLLNITZ, A Mr. L. C. D. S. LETTRE XL. Monsieur, L y a dix jours que je fuis à ^ r Verfaillet- J>ai cu l'honneur de I'aris, ?â S Saluer le Roi j la Reine & tou-ttRSKnR te la Maifon Royale. J'ai trouvé que le Roi a fort gro(ïi depuis fon mariage, mais c'eft toujours un des plus beaux Princes de l'Europe. On peut dire de Louis XV, que c'eft un Prince né lans vices, ôc exemt de cet orgueil attaché d'ordinaire à la Royauté. Il Tome III. A eft eft familier avec fes Courtifans, réfervé avec les perfonnes qui lui font inconnues, mais particulièrement avec les Am-baffadeurs; plus fecret & plus circonfpect: que ne le font les perfonnes de fon âge. Ses mœurs, fa conduite, & fes fentimens font d'un homme de bien, & promettent à la France un Règne doux & pai-fible. 11 y a apparence que Louis XV faura fe borner à commander à une des plus puifïantes Monarchies de l'Univers, & que la conquête d'une Ville ou d'une Province ne le portera point à troubler l'Europe. Il a été élevé dans des fentimens de juftice, qui doivent raiTurer fes Voifins. Dieu l'a choifi fans doute pour être un des Arbitres de l'Europe, pour y maintenir l'Equité, & non pas pour la détruire. Louis le Pacifique & le Débonnaire feront fes Titres. Ne doivent-ils pas être plus chers aux Peuples,que ces Titres enfànglantés de Louis h Conquérant? & ne peut-on être grand, & aimer la paix ? Jufqu'à préfent, le Rot femble fuivre les projets de Gouvernement que s'étoit formé feu Mr. le Duc de Bourgogne fon Père, dont la France vénère encore la iagefle. Plaife à Dieu qu'il les fuive toujours, & que fon Règne long & glorieux finiûe ainfi qu'il a commencé i Je ne vois jamais Louis XV, lâns admirer la Providence, qui a confervé ce Prin- du Baron di Pollnitz. 3 Prince contre l'efpérance des Peuples. pAnis. J'ai eu l'honneur de le voir.Dw d'Anjou, Mr. le Duc de Brttagne fon Frère vi-voit encore; je l'ai vu Dauphin; 6c enfin je l'ai vu monter fur le Trône : il a-voit alors le teint pâle, 6c ne promettoit pas de vivre. Quelles maladies n'a-t-ii pas efluyé ? Cependant, il jouit aujourd'hui d'une fanté parfaite ; 6c cette Couronne , qu'on croyoit devoir paflèr à des Branches collatérales, eft affermie fur la tête de ce jeune Prince, 6c paflèra félon toute apparence à fa Poftérité. Enfin un Roi de France Père de cinq Enfans vi-vans avant l'âge de vingt ans, eft un phénomène dont on auroit de la peine à trouver des exemples dans l'Hiftoire ancienne 6c moderne, 6c me paroît plus extraordinaire encore que l'âge avancé 6c le long Règne auquel fon Bifaicul elt parvenu. La Reine eft une Princene d'une vertu exemplaire, qui n'a d'autres foins que de rendre à Dieu, au Roi 6c à les En-fans, ce qu'elle leur doit. Elle eft extrêmement gracieufe 6c civile, 6c a une grande facilité à s'exprimer en François, en Allemand ôc en Polonais. Autrefois, elle avoit beaucoup de goût pour, la Mu-fique. Elle aime la lcdlure. Conforme en tout aux fentimens du Roi, elle ne prend aucune part au Gouvernement. Elle n'aime ni ie fafte ni les cérémonie*, A 2 6c Taris. & il ne paroîc pas que le rang de première Reine du Monde ait fait d'autre effet fur elle, que de rendre fes vertus plus refpedtables 6c plus éclatantes. Les Énfans de France font encore fi jeunes, qu'on n'en fauroit parler. Je vous allure que c'eft un bel attirail, que de voir ces enfans venir chez la Reine, ou courir dans la Gallerie; ils ont au moins quarante Suivantes, tant Dames que Femmes de chambre, à leur fuite. Madame la Ducbefle de Vandatour eft chargée de l'Education des Enfans de France: mais comme elle eft fort âgée 6c hors d'état de les fuivre par-tout, Madame la Du-cheiTè de Tallard fa Petite-fille lui a été ajointe. Cette Dame eft Fille du Prince de Rohan, Frère du Cardinal de Rohan. Le choix qu'on a fait d'elle pour fuccéder à Madame de Vantadout a été applaudi par toute la Cour; 6c en effet, peu de Dames ont des manières plus nobles, plus de politeflè, & des fentimens plus élevés. Ce qu'il y a de fingulicr, c'eft que depuis la naifïance du Dauphin Fils unique de Louis XIV, la Mère, la Fille 6c la Petite fille ont toujours été chargées de l'Education des Enfans de France. Son Altefîe Royale Veuve du Régent, Fille de Louis XIV 6c de Madame de Montefpan, tient le premier rang à la Cour. Cette PrinçciTe eft feule en droit; de du Baron de Pollnitz. 5 de manger avec Leurs Majeftés , lorf- Paris. qu'EUes mangent à leur grand Couvert : mais c'eft une prérogative dont elle ne fe prévaut pas fouvent ; n'aimant pis à s'habiller, elle paroît peu à la Cour; & lorfquelle vient chez le Roi ou la Reine, c'eft. en particulier. Elle fait fon fé-jour ordinaire à Paris, ou à Bagnolet *. C'eft la feule PrincefTe du Royaume , qui a des Gardes & qui jouit des honneurs de Fille de France. Le KoiLouis XIV accorda toutes ces grandes diftinc-tions à feu Mr. le Duc d'Orléans, en faveur de ce mariage, auquel ce Prince confentit contre la volonté de feu Mon-fieur fon Père, & contre les défenfes ex-prefïes de feue Madame, qui fut tellement irritée de ce que fon Fils n'avoit pu réfifter aux volontés de Louis XIV, qu'elle leva la main fur lui lorfqu'il lui dit qu'il alloit fe marier. Madame fut longtems fans vouloir voir fa Belle-fille, & elle conferva toujours une vive douleur de ce mariage, jufqu'à ce qu'elle vit fa Petite-fille mariée à Mr. le Duc de Berry. Depuis ce tems-là, Madame moins prévenue, reconnoiffant les vertus de Son AltefTe Royale, a toujours vécu en trèi bonne intelligence avec elle. Cette PrincefTe vit dans une allez grande retraite A3 au * [La mode des 'Bagnoktus eft tcuuc de ce Village» ou les Paytânnçs çn portent,] au milieu de la Cour, & eft fort occupée à des oeuvres de piété. Mr. le Duc d'Orléans fon Fils eft un Prince d'une dévotion exemplaire, pref-que continuellement en orailbn, & toujours occupé à des œuvres de charité. Il a voulu le retirer deux ou trois fois du monde ,• mais le Roi jugeant fa préfence néceflaire dans le Confeil, n'a pas trouvé à propos d'y confentir. Son AltciTe SérénifTime eft le Premier Prince du Sang, & Gouverneur du Daupbiné. [[ s'eft démis depuis quelques années de la Charge de Colonel-Général de l'Infanterie Françoife. Ce Prince a été marié a-vec la Princefle de Bade, dont il a un Fils qui porte le Titre de Duc de Chartres, jeune Prince de grande efpérance, qui eft élevé à S. Cîoud, éloigné de la grandeur & du tumulte de la Cour. Mr. le Duc d'Orléam a encore quatre Sœurs dans le Royaume. L'ainée eft Ab-belTe de Chelles^ on l'appelloit autrefois Mdlle. de Chartres. Cette Princelle prit l'habit deReligieufe malgré feue Madame & feu Mr. le Régent, qui firent tout leur pofîible pour la détourner de ce deftein. Elle étoit une des plus aimables Princef-fes de l'Europe, & auroit pu faire le bonheur d'un grand Prince. La féconde eft la Reine d'EJpagne, veuve de Louis I. qu'elle avoit époufé lorfqu'il étoit Prince des Ahuries, oc avec qui du Baron dë Pollnitx. 7 qui elle a vécu peu de tems. Après le pAm«. décès de ce jeune Roi à qui fon Père avoir, cédé la Couronne, Leurs Majeftes Catholiques aiant confenti au retour de la jeune Reine d'Efpagne qui fouhaita de revenir en France, le Roi lui afiigna le Château de Vincennes pour fa demeure. La Reine y a demeuré quelque tems. Elle y reçut la vifite du Roi quelques femaines après fon arrivée: le Roi dit a-vant que d'y aller , que fa vifite feroic courte. Je ne parle pas beaucoup , dit ce Prince; on dit que la Reine d'Efpagne ne dit mot ; je ne croi pas que nous nous amu-fions beaucoup. La vifite en effet fut très courte: la Reine reçut le Roi au bas du carofïè, le Roi lui donna la main, & la conduilit dans fa chambre, où il y avoir deux fauteuils fous un Dais. Le Roi fe plaça à la droite. Mr. le Duc dit quelques mots ; le Duc de Noailles, qui comme Capitaine des Gardes étoit derrière le fauteuil du Roi,parla; le Roi fe leva, & s'en alla avec les mêmes cérémonies avec lefquelles il étoit venu. Quelque tems après, la Reine d'Efpagne vint voir le Roi. Les Gardes de cette PrincefTc occupèrent tous les poftes de Versailles, les Gardes du Roi aiant reçu ordre de leur céder. Le Roi reçut la Reine à la defcente du caroife , & tout fe paflà comme à Vincennes. La Reine à'EJpagne, après quelque tems de féjour dans leChâ-A 4 tcau tcau de Vincennes, vint occuper les A-partemens du Luxembourg qu'avoir occupes Madame la DuchefTe de Berry fa Sœur. Depuis quelque tems cette Prin-ccife eft retirée dans un Couvent, & fa Maifon, qui avoit d'abord été extrêmement nombreufe, a été réformée de beaucoup. Aux vains honneurs près, elle auroit été beaucoup plus heureuf* li elle n'avoit jamais été Reine: elle pourrait fe marier, au-lieu qu'à préfent, il faut demeurer Veuve, & palïèr fes beaux jours dans la fblitude & la retraite. La troiiième Sœur de Mr. leDucd'Or-léans eft Madlle. de Beaujolois, qui avoit été deftinée à l'Infant Don Carlos, &qui au renvoi de l'Infante d'Efpagne revint avec la Reine la Sœur en France. C'eft une des plus belles ôc des plus aimables Princefles de la Terre, digne de régner, &Z digne de l'Infant *. Mdlle. d'Orléans f fa Sœur eft une Princeffe qui joint à beaucoup de charmes, des grâces infinies, & dont l'air & les manières font toutes convenables à fa nai (Tance. Après la Maifon d'Orléans, celle de Coudé * {Philippe EUfaheth d'Orléans. Elle eft morte de la Petite-Vérole, le II Mai i 7^4, univcilellemcqt regrettée t Se fans avoir été mariée.] •j- [ Lonife Vlam d'Oriéim. J Elle a été mariée en 1731 à Louii dé "Bourbon Prince de bmty , [a qui elle vient de donner un fils le I Septembre 1734' pendant <]ue le Prince étoit à l'Armée du Roi fur le. Khin/j du Baron de Pollnitz. 9 Coudé tient le premier rang. Elle confif- Paris. te en trois Princes 6c en ftx Princefles. Mr. le Duc de Bourbon eft eft le Chef. Ce Prince eft Grand-Maitre de la Maifon du Roi, 6c Gouverneur de Bourgogne. Son AltelTe a perdu un œil à la Chatte, par un malheureux coup que rira Mr. le Duc de Berry. Ce Prince fut marié fort jeune avec la Coufine Mdlle. de Conty, qui eft morte fans poftérité. Il fit aufïi fort jeune les dernières Campagnes d'Allemagne, en compagnie de fon Beau-frère Mr. le Prince de Conty. Après la mort de Louis XIV, Mr. le Duc intenta procès à Mrs- les Princes légitimés: il fit dépouiller Mr. le Duc du Maine du rang de Prince du Sang, auquel il avoit été élevé par un Arrêt folennellement enregistré au Parlement pendant la vie du feu Roi. Mr. le Duc demanda, comme Premier Prince du Sang, qu'il reprélcntoit alors à caufe de la grande jeuneiTe de Mr. le Duc de Chartres, aujourd'hui Duc ^Orléans, d'être chargé de la Surintendance de l'Education du Roi, à laquelle Mr. le Duc du Maine avoit été nommé par le Tefta-ment du feu Roi. Il obtint la demande, & Mr. le Duc du Marne fe retira à Seaux. Mr. le Duc eut enfuite beaucoup de part aux affaires de la Régence, 6c Mr. le Duc d'Orléans fut fi bien le ménager qu'il eut tout lieu d'être content. A 5 A A la mort imprévue du Régent, Mr. le Duc s'étant trouvé à Verfailles, fut demander au Roi la Charge de Prémier-Miniftre, vacante par la mort de S.A. R. Il l'obtint. Feu Mr. de la Vrillière Secrétaire d'Etat, ne fe fouvenant peut-être pas ailez de ce qu'il devoit au Fils d'un Prince qui l'avoit comblé de bienfaits, drefïà promtement la Patente, & la fit ligner au Roi avant que le Duc de Chartres qui étoit à l'Opéra de Paris pût être averti de la mort de fon Père. Ce Prince arriva en porte à Verfatlles, & demanda à être Premier-Miniftre; mais il apprit de la bouche de Mr. le Duc même, que le Roi avoit difpofé de cette Charge en fa faveur. Mr. le Duc revêtu de l'autorité de Prémier-Miniftre fit de grands changemcns dans les affaires ; mais ces change mens font plus de l'Hiitoire, que d'une Lettre. Mr. Le Blanc, qui avoit été Miniflre de la Guerre 6c les délices des Officiers, fut misa la Baitille; 6cMr. de Breteuil, qui avoit été ci devant Mai-tre des Requêtes 6c Intendant de Tours, occupa fa place : [ ce qui fut une fuite de la mésintelligence, ou plutôt de la haine de deux Femmes, Maitreffes, l'une de Mr. le Duc de Bourbon, l'autre de Mr. Le Blanc. ] Tous les Amis de Mr. Le Blanc, au nombre defquels étoit Mr. le Comte de BelU-ljle, eurent part à fa diigrace. Les quatre Frères Paris eurent du Baron de Pollnitz. ii le maniement des Finances: deux de ces Pak Frères avoient été Soldats aux Gardes, mais ils avoient fu Te tirer de cette trifte condition 6c fe rendre néceiFaires à l'Etat dès le tems de la Régence. Mr. a"Ar-genfon Garde des Sceaux avoit été leur Protecteur, 6c les avoit élevés fur la ruine de Jean Laiu 6c de fon Syftème. Tout ce qu'ont fait les Paris, n'eft point de mon fujet. Leur fortune rapide leur attira des envieux, 6c ils devinrent bientôt l'objet de la haine publique. L'action la plus éclatante du Miniftè-re de Mr. le Duc, eft le renvoi de l'Infante, 6c le mariage du Roi. Ce Prince voyant les inconvéniens où la France pouvoit tomber, fi le Roi venoit à mourir fans Poftérité, crut devoir prévenir un accident ii funefte. C'eft ce qu'il lui étoit impofïible de faire, fans marier le Roi. L'Infante étoit un enfant, il faloit attendre huit ans pour le moins avant que de pouvoir en efpérer lignée; au-lieu qu'en mariant le Roi, il y avoit efpérance de voir inceifamment un Dauphin qui affureroit le repos du Royaume. Son A. S. propofa l'affaire au Confcil. Il le trouva d'abord affei divifé : on appré-hendoit le refTentiment du Roi d'Efpagne, 6c Mr. le Duc lui»même étoit au defefpoir d'être contraint pour le bien public de donner de juftes fujets de mécontentement; à Leurs Majeftés Catho- liques. Le Confeil s'étant enfin réuni, le renvoi de l'Infante y fut unanimement réfolu. On le fit favoir à la Cour d'Efpagne, où cette nouvelle peu attendue fut reçue avec toute l'indignation poffi-ble. L'Infante fut renvoyée. La Du-cheffe de Tallard fut chargée de la conduire iur la frontière d'Efpagne. On rendit à cette Princeffe tous les honneurs dûs à la Fille d'un grand Roi, 6c on apporta tous les adouci démens pofîïbles au déplailir que fon retour pouvoir caufer à Leurs Majeflés Catholiques. Le Mariage du Roi fui vit de près le renvoi de l'Infante. Toute la France murmuroit tout bas de voir partir cette Princeffe. Elles'étoit fait aimer : fes manières 6c fon efprit furpaffant infiniment fon âge, on auguroit qu'elle feroit un jour une grande Reine. L'hcureufe fécondité de la Reine, par laquelle le Ciel paroît applaudir à ce qu'a fait Mr. le Duc, lui a enfin attiré la bénédiction du Peuple , 6c a fait oublier l'Infante. Le Roi, quelques mois après fon mariage, aiant jugé qu'il ne convenoit pas à fes affaires que ce fût un Prince du Sang qui en eût la direction, ôta la Charge de Prémier-Miniftre à Mr. le Duc, 6c rendit l'ancien Evêque de Frejut, aujourd'hui Cardinal de Fleur y, dépofkaire de fon Autorité. Mr. le Duc reçut ordre de fe retirer à Chantilly, Château qui lui appar- du Baron de Pollnitl 13 appartient près de Sentis. Ce fut là que Pari les Amis de ce Prince le firent penfer à un fécond mariage. On lui propofaplu-lieurs Princeflès, & il fe détermina pour Eléonore de Hep -Rhinfelds, Sceur de la Princeflè de Piémont aujourd'hui Reine de Sardaigne. Le Frère de la PrinceiTe étant chargé de la Procuration de Mr. le Duc, l'époufa à Rotenbourg en préfence de Mr. le Comte de Gaffé, que Mr. le Duc avoit envoyé poar affilier en fon nom à cette cérémonie. La jeune Du-cheiTe arriva en France. Sa beauté, & les charmes de fon efprit & de fa pei-fonne, la rirent admirer de toute la Cour, dont elle fait aujourd'hui un des principaux ornemens. Elle eft chérie 3c ref-pe&ée de tout le monde; Ôc chacun la plaint, de ce que Mr. le Duc n'a pas pour elle toute la tendreffe qu'elle méri-, te, & qu'il feroit à fouhaiter qu'il eût, pour le foutien de la Maifon de Condéy dont les deux Princes reltans, les Comtes de Charolois &c de Clermont, ne font pas mariés. Mr. le Comte de Charolois eft grand, beau & bien fait. Son entrée dans le monde fut éclatante, & le deûr de la gloire s'empara de fon ame auffi-tôt qu'il fut en âge de fe connoitre. La Guerre étoit allumée en Hongrie: la Vi&oire que le Prince Eugène de Savoie remporta près de Temisivar aiant réveillé la réputation de ce Héros en France, le Comte de Charolois conçut le delTein d'apprendre l'Art de la Guerre fous un fî grand Mai-tre. Il n'ofoit déclarer l'envie qu'il avoit de faire la Campagne, qui fuivit celle de Tetnistvar. Craignant de ne pouvoir obtenir le confentement du Duc d'Orléans Régent, de Madame la Duchefle fa Mère, & de Mr. le Duc, il réfolut départir fecrettement, afï'uré que fa démarche feroit applaudie s'il étoit aflez heureux pour la mettre à exécution. Il fit confidence de fon defTein à Mr. de Billy un de fes Gentilshommes, & à Renault fon premier Valet de chambre. Ce fut avec ces deux hommes qu'il partit de Chantilly, feignant d'aller à la ChafTe. Il fit cinq ou fix Portes avec les mêmes chevaux, qui appartenoient à Mr. le Duc. Il les laifïa enfuite à la Porte, ordonna au Maitre d'en avoir foin, & prit des chevaux de relais avec lefquels il gagna Liège. Là il fe repofa quelques jours,& fit faire du linge. Il pafTa enfuite à la Cour de l'Electeur de Cologne, qu'il a-voit connu en France. Sa première vifite à Bonn fut chez Mr. de S. Maurice, Premier- Miniftre de l'Ele&eur. Il ne le trouva point. Mr. de Billy demanda à voir Madame de S. Maurice: il lu? dit 3u'une affaire d'honneur l'avoit obligé e fortir du Royaume avec le jeune Gentilhomme qui étoit avec lui. Madame de du Baron de Pollnïtî. 15 de S. Maurice ne penlant pas que ce fut Parts. un Prince du Sang de France, & prenant le Comte de Charolois pour un petit Officier, le reçut très froidement. Elle envoya appeller fon Mari, qui étoit auprès de l'Electeur. Mr. le Comte de S. Maurice vint; il reconnut aufïi-tôt le Comte de Charolois, 6c lui rendit les ref-pects qui lui ctoient dûs. Il courut en-fuite avertir l'Electeur de l'arrivée de ce Prince. S. A. E. fut d'abord fort en peine : il ne favoit s'il n'ofFenferoit pas la Cour de France, en recevant le Comte, qu'il appréhendoit être forti du Royaume pour quelque mécontentement. Cependant, réfléchilTant que quelque chofe que pût avoir fait le Comte de Charolois, la Cour de France ne pourroit point trouver mauvais qu'on eût des attentions pour fa qualité de Prince du Sang, il le fit prier de fe rendre au Palais. Mr. le Comte y fut fous le nom de Comte de Dammartin, qu'il a toujours porté, tout le tems qu'il a été hors du Royaume. L'Electeur le reçut avec toutes les marques de la plus haute confidération : il le garda quelques jours à fa Cour, & lui fournit enfuite de l'argent pour qu'il pût fe rendre à Munich, où ce Prince avoit mandé à Mr. le Duc fon Frère de lui envoyer des remifes , & les équipages néceffaires pour la Campagne qu'il alloit faire. Mon- Moniteur le Comte de Charolois ne trouva pas l'Electeur de Bavière à Munich ; mais il n'en fut pas moins bien reçu. Madame l'EIectrice qu'il ne fut pas voir, aiant appris fon arrivée, lui fit rendre tous les honneurs qui lui étoient dûs. L'Electeur étant de retour à Munich , fut charmé d'y trouver ce Prince: il s'offrit de faire fa paix en France, & effectivement il fit approuver fa fortie du Royaume à Madame la DuchefTe & à-Mr. le Régent. Les Domeftiques du Comte étant arrivés , il partit pour la Hongrie, & pafTa par Vienne fans faluer 1 Empereur , ni l'Impératrice Douairière fâ Confine-germaine. L'Impératrice en fut ofFenfée \ elle écrivit à Madame la Princcflè fa Tante , Aieule du Prince, & lui marqua , qu'elle ne croyoit pas qu'il convînt qu'un Prince de la naifïàn-ce de Monlieur le Comte de Charolois eût paffé à Vienne pour fervir dans l'Armée Impériale , fans avoir vu l'Empereur. Les Parens de Mr. le Comte lui firent des reproches du peu d'attention qu'il avoit témoigné pour Leurs Majestés Impériales. Il s'exeufa fur ce qu'il n'avoit pas fu quel traitement il devoir demander ; mais il reçut pour réponfe , & Mr. le Régent le lui ordonna au nom du Roi, d'aller chez Leurs Ma-jeltés Impériales au retour de la Campagne. Il du Baron de Po'llnitz. 17 Illa fie avec beaucoup de diftin&ion, Paris.' fe ménageant fi peu, que le Prince Eugène de Savoie lui en faifoit fouvent des reproches. Son plailîr étoit d'aller s'appuyer fur les parapets des retranche-mens , & avec des arquebufes rayées il tiroit aux Turcs, comme s'il eût tiré au blanc. Ceux-ci à leur tour ne le meria-geoient pas, & faifoient liftier les baies à l'entour de ia terc, Monfieur le Comte affilia à la Bataille de Belgrade, &vit prendre cette Place. Il vint enfuite à Vienne, & y paffa quelques femaincs. 11 fut ?. l'Audience de l'Empereur comme Comte de Charolois , & non incognito. L'Empereur le reçut debout, à ia Favorite. Il arriva même une avanture affeL fingulièrc. Le Comte, peu informé du Cérémonial, ne favoit pas qu'il trouve-. roit l'Empereur fcul. En entrant dans le Cabinet, il vit un homme allez. Amplement vclu , adotîé. contre une table. Le Comte crut que c'était quelque Gentilhomme. Cependant, après quelques momens, aiant jette les yeux fur celui qui reftoit immobile, il apperçut la Toi-ion d'or. Il fe douta que ce pourroit être l'Empereur: il s'avança, difant en lui-même , qu'en tout cas il n'y avoit pas grand mal à fe méprendre. L'Empereur le reçut avec beaucoup de marques de diftin&ion. Le Comte lui baifa la main, parce qu'on lui avoit dit que c'étoit l'u-- Tme III B fagea fage, 6c que tous les Princes de l'Emwre le faifoienc. Il pafla enfuite chez les Impératrices , & il eut lieu par-tout d'être content de I3 réception qu'on lui fit- De Vienne il revint à Munich. Il fit enfuite le voyage de toute l'Italie, & logea à V*Q*ie chez le Cardinal de la Tre-nwuilky pour-lors chargé des affaires de. France. Après avoir repaffé les Monts , il revint à Munich, où il a paffé dix-huit mois, toujours logé 6c défrayé, lui 6c fa Suite, par l'Electeur, Son À. E. lui en-tretenoit une table de douze couverts, & il y avoit un Train de Chafïè 6c des chevaux à fes ordres. Ce Prince, depuis fon retour en France, fait fa principale occupation de h Cbaffe, Il paroît peu à la Cour, 6c ne fe mêle nullement des Affaires d'Etat. On a fouvcnt parlé de le marier , mais il paroît qu'il ne panche point pour le Sacrement; non plus que Moniieur fon Frère cadet, le Comte de Clerrnant^ jeune Prince d'une figure aimable, d'un naturel doux, 6c qui paroît avoir des fentimçns dignes de & naiffance. Cewc qui l'approchent Se qui le connoiffent particulièrement, m'ont afïuré qu'il avoit toutes les qualités poffibles pour êtrç un jour un grand Prince. Il paroît qu'on 1© deftine à l'Eghfe, ôc S. A. S. jouit actuellement de plulieurs Abbayes confidé-rablesi mis jusqu'à prêtent ce Prioce eifc du Baron déPollnitî. 19 vêtu en Séculier ,6e ne fait aucune fonc- Pas» tion eccléfiaftique. J'oubliois de vous dire en vous parlant du Comte de Charolois , que ce Prince eft Gouverneur de la Touraine, ii a fuecédé en cette Dignité à feu Mr. Dangeau, Chevalier-d'honneur de feue Madame la DuchefTe de Bourgogne. La Touraine de fon tems n'étoit point comptée parmi les grands Gou-vcrnemens : Mr. le Régent voulant en donner un à Monfieur le Comrc de, Charolois, après «voir accordé les furvi-vanees de tous les grands Gouverne-mens, ne trouva pas d'autre moyen que d« mettre la Touraine au rang des autres Provinces. Les trois Princes dont je viens de vous parler ont pour Mère Madame la. Du--cheffe, Fille légitimée de Louis XIV & de Madame de Montefpan. C'eft une PrincelTe qui a fait du bruit dans l'Europe, par fon efprit, fa beauté, 6c les a-grémens de fa peribnne. Quoique Mère d'une nombreufe famille , on peut la compter encore au nombre des belles perfonnes de la Cour ; ôc il eft certain ?ue Madatne la DuchefTe étant avec les rincefies fes Filles , paroît plutôt être leur Sceur, que leur Mère. Cette Prin* ceffe eft extrêmement riche , fes Gens d'affaires lui ont ménagé de grands fonds dans la Contagion des Actions du MijfiÇ-fifi. Elle vit avec beaucoup de magni- ricence, & elle vient, de faire conftrui-re un Hôtel qu'on peut mettre au rang des plus beaux Edifices de l'Europe. S. A. S. partage fon féjour entre la Cour & la Ville:elle eft auffi fouvent à Chantilly , auprès de Mr. le Duc fon Fils. Madame la PrincefTe de Conty féconde Douairière, les Princefles de Charoloisy de Clermont &r de Sens, font fes Filles* ôc forment une des plus belles familles qui fut jamais. C'eft dommage que des Princefies aulTi. belles & aulTi accomplies ne trouvent point à fe marier; leur grandeur s'oppofe à leur établifTement, & ce fiècle a été beaucoup plus abondant partout en PrincefTcs, qu'en Princes. Madame la PrincefTe de Conty penfant à marier Iç Prince fon Fils, vient d'acheter le bel Hôtel que le Comte de Belle - lfle-a fait bâtir, des fbmmes immenfes qu'il a gagnées dans les Actions du Mijfijfîpi. C'eft là qu'elle compte de finir fes jours. Déjà elle paroît peu à la Cour ; le desagrément d'être obligé de s'habiller, en éloigne beaucoup de Princefles & de Dames. Madame la PrincefTe de Conty fut mariée fort jeune. Elle a eu-deux Fils; il n'en refte plus qu'un, qui portoitpendant la vie de fon Père le nom de Comte délais: il eft aujourd'hui Prince de Conty. * Mdlle. * Il eft marié depuis avec LcvffDltnt «t'O-Utpii Fille cadette 4u feu logent. Mdlle. de Charolois raflemble en fa per- paris. ibnnc toutes les grâces imaginables. Elle a grand air, beaucoup de feu ôc de brillant dansTefprit ; c'clt de toutes les filles de Madame la DuchefTe, celle qui luires-femble le plus, Ôc dont les idées font les plus vives. Pendant la Régence de Mr. le Duc d'Orléans , l'argent étant devenu d'une rareté extraordinaire, Mdlle de Charolois parut au Palais Royal aiant deux Louis-d'or en guife de pendans d'oreille. Mr. le Duc d'Orléans lui aianc demandé ce que c'étoit que cette nouvelle mode, elle lui répondit, qu'il lui paroifToit que les Louis étoient plus rares que les Dia-mans, ôc qu'ainfi elles les portoit comme tels. Mdlle. de Charolois occupe le petit Hôtel de Bourbon, qui appartenoit autrefois à Anne de Bavière Palatine, Veuve de Henri-Jules de Bourbon Prince de Con-dé, Aieule des Princes & Princefles de la Maifon de Condé. Cette PrincefTe y a fa Maifon indépendante de Madame la DuchefTe ; mais elle fuit ordinairement la Cour, ôc comme elle aime beaucoup la Chafîè ôc qu'elle eft très bien à cheval, elle eft de toutes les parties du Roi. Mdlle. de Clermont joint à beaucoup de beauté , un air de noblefle, de douceur & de modeftie, qui la diftingue de tout ce qu'il y a de plus grand à la Cour. La médifance, qui ne refpedte pas toujours le Sang Royal ici, n'a pu répandre ionve-B 3 nin nin fur cette PrincefTe, ôc toute la Cour a toujours admiré fa fageiTe ôc fa vertu. Elle eft Surintendante de la Maifon de la Reine, ôc en cette qualité elle fut avec les Dames du Palais au-devant de Sa Ma-jefté à Strasbourg. Mdlle, de Sens a de la beauté, des grâces, Ôc de la modeftie. Elle a été é-lerée auprès de fon Aieule Madame lit PrinceiTe ; èc après là mort, Madame la DuchefTe de Brunsiukk fa Grand-tante, Mère de l'Impératrice Amélie, qui â pafTc les dernières années de fa vie en France, a eu foin de fon éducation , ôc en a fait une des plus aimables PrincefTes de la Terre. La Maifon de Conty, qui forme la troifième Branche des Princes du Sang, confifte aujourd'hui en deux Douairières, un jeune Prince , Ôc une PrincefTe ap-pellée Mdlle. de la Roche-Sur-Tôn. Madame la PrincefTe de Conty, première Douairière, eft Fille légitimée du Roi .Louis XIV ôc de Madcmoilèlle de la Val:ère Cette PrincefTe eft célèbre par 1 la beauté , fon efprit Ôc fon grand air , i elle conferve encore. Elle devint Veu-ve très jeune. On prétend que le Roi de Maroc Ta voit demandée en mariage ; mais beaucoup de gens m'ont afturé que c'eft une fable •. Quoi qu'il en foit, là cho* * Voici l'oiigïnc de cette fable. Mchcmed Ht* ^A- lè n'étoit pas faifable, & quand la Reli; Pari». gion n'eût pas été un obftacle , le Roi Louis XIV n'aurdit pas voulu facrifier à un fîttm OU Fih d'Âfchen, Amiral de Salé, fut député par le Roi de Mette a la Coût de Fiance, je «e nie fpuviens pas fcn quelle année. Ce Corfche étant à Paris , entendit louer extrêmement la beauté «le i» Princeflt de Unty , & parler de l'atfe&ion que le Rtii aVoii pour elle. Pour faire plaifir aux Tran-ç*is » il s'avila de dire que l'Empereur lbn Maître aiant vu le Portrait de la Princeflc qui étoit parmi l'équipage tl'un Chrétien tombé dans l'efclavage » l'avait trouvée la plus belle perforait «lu monde i &c que Sa Majefté Maure avoit dit , que fi Elle a-voit une femolablc Femme dans fon Serrail , Elle croyait qu'il feroit inutile d'en chercher d'autre. Le difeours de Mehzmed fit d'abord beaucoup de chemin , mais on le rapporta tout autrement qu'il n^voit été tenu; car le btuit fe répandit bientôt, qu*ii étoit venu demander la PrinceiTe en matiage pour Mnkf-ïÇmÀH fort Maître. Comme le Portrait paroilîbit quelque chofe de myftérieux , on courat chet cet AmbâïTadeur, pour favoir qui étoit l'Esclave auquel on l'avoit pris ; mais il le tira mal d'affaire. Cependant la prétendue demande de Mt~ hymtd fut pendant quelque tems le fujet de la con-verfàtion des François, qui ne manquèrent pai d'en ûire, à kiw oîdinake> k iiiict d'une Chanton, que voki. Sur l'Air, Je ne fris né ni Rti ni Prince. Votre beauté, g^ndt Princcfii, Porte les traits dont l'Amour b'effe, Jupjues aux pfai fauvages Lieux : L'Afrique avec vous capitule, Et les conquêtes de vos yeux Vost fini loin que telles d'ftercu!e, Q 4. r* un Marabou , une Fille qui lui étoïc chère , & qui faifoic l'ornement de fa Cour. Madame la PrinceiTe de Conty, depuis la mort du Dauphin fon Frère , n'a plus paru en public. Elle voit la Reine & le Roi en particulier, dans le Cabinet de Leurs Majeftés. Ses occupations font des œuvres de piété & de charité , «5c ia vie eft un exemple de vertu. Elle demeure ordinairement à Paris dans fon Hôtel, qui a de la beauté & de la magnificence : il appartenoit au-tefois au Maréchal-Duc de Lorges. Les Princes légitimés Fils de Louis XIV, font le Duc du Maine, & le Comte de Touloufe. Le premier eft Grand - Maitre de l'Artillerie, Colonel-Général des Suffis & Grifons , 6c Gouverneur de Guienne. Il a épaulé Louife-Bénédiffine de Bourbon-Condé, dont il a deux Fils & une Fille. Le Duc du Maine polfede la Souveraineté de Dont* 1res, que feue Mademoifelle, Fille de Gaston de France Fils d'Henri IV, lui laif-fa par Teftament. Ce Prince a fervi avec S'il efi bien vrai qu'il vous adore. Qpe je plains et panvre Roi Maure % D'être ÇtnÇtbk à vos appas ! En-vain envers vous il s'explique* La France ne donnera p.u San jf»ge«„ Diable de l'Afrique. arec diftinction dans fa jeunette. Il a 1)ARU, le malheur de boiter: mais il a une piété vraiment Chrétienne , & un génie fupérieur. Le feu Roi le diitinguoit par-deflus tous fes Enfans , & il en donna un témoignage éclatant en le nommant Surintendant de l'Education du Roi Louis XV, & en partageant l'autorité de la Régence entre lui & Mr. le Duc à"Orléans , à qui il l'auroit volontiers entièrement ôtée, h la nailTance de S. A. R. ne fa lui avoir donnée de plein droit. Quelques années auparavant, le même Roi , par une Déclaration la plus folen-nellement enregillrée qui fut jamais, a-voit reconnu le Duc du Maine, le Comte de Touloufe , & leur poiirérité, habiles à fuccéder à la Couronne , au défaut des Princes légitimes. Les Princes du Sang , par refpcét. pour Louis XIV devant qui tout fléchiiïbit, ne s'oppofèrent point à une Déclaration qui leur étoit ii peu honorable. Mais au commencement du Règne de Louis XV, ils intentèrent procès, à ce fujet, aux Princes légitimés. L'Arrêt qui les appelloic à la Succeffion de la Couronne fut révoqué , & le Comte de Touloufe con-ferva feul, pour fa vie , les honneurs attachés à la Dignité de Prince du Sang.. Ee Duc du Maine & fes Enfuis furent dépouillés de ces grandes prérogatives, & réduits au rang de leur Pairie. Quel-B 5 ques 26 I* e t t *. e s que* années après, il a plu au Roi de rendre les mêmes honneurs au Duc du Maine, ôc à fes Fils le Prince de 2>ow-hes & le Comte d'Eu, mais ces Prince* demeurent exclus de la Couronne. Je vous ai déjà rapporté comment Mr. le Duc avoit privé le Duc du Maine de la Surintendance de l'Education de Louis XV. Ce ne fut pas la feule mortification qu'eut à efTuyer ce Prince : c'étoit un tems où il parouToit qu'on ne penfoit qu'à détruire tout ce qu'avoit fait Louis XIV. Avec fes Emplois ôc fes Honneurs, il perdit encore iâ liberté. Il fut acculé d'être d'intelligence avec le Prince de Cellamare Am-bafTadeur d'Efpagne, qui tâchoit d'exciter les François à une révolte contre le Kégent, en leur promettant l'affiftance du Roi fon Maitre. Le Duc du Maine fut arrêté & conduit prifonnier à Dour-Uns en Picardie, où il fut étroitement gardé. Ceux qui font le moins attachés à ce Prince, conviennent qu'il fupporta ce revers de fortune avec une conitance héroïque. J'ai ouï dire à des gens qui é-toient chargés du foin de le garder, qu'ils ne le virent pas un moment démentir cette tranquillité & cette douceur qui accompagnent toutes fes aétion$. La DuchefTe du Maine n'apprit pas fa difgraCe avec la même tranquillité: née avec toute la fierté du grand CondCion Aicul, elle s'em- s'emporta contre le Régent, mais parti- pAfus. culièrement contre Mr. le Duc fon Neveu, qu'elle regardoit comme l'auteur de fes maux. On prétend qu'avant fa détention, le Duc du Maine lui-même éprouva fes reproches. C'étoit le jour que Louis XV vint au Parlement tenir fon premier Lit de Juftiee , dans lequel le Duc du Maine fut dépouillé de la part que le Teftament du feu Roi lui donnoic à la Régence. Au fbrtir du Parlement, ce Prince étant rentré chez, lui, y trouva fa Femme, inquiète dé favoir ce qui s'é-toit pane. Il lui en rendit un compte exact. La DuchelTe ne put retenir fon dépit, & regardant fon Époux avec indignation: u ne me rejie donc que la honte de vous avoir époufé! lui dit-elle. Lorsqu'elle reçut ordre de céder à Mr. le Dut l'Apartement qu'elle occupoit aux Tuileries pendant que le Duc du Maine étoit Surintendant de l'Education du Roi : Oui je le céderai, dit-elle. En même tems9 elle ordonna qu'on le démeublât, Ôcpour que la chofe allât plus vite, elle caffa les miroirs, les porcelaines 6c tous les meubles de cette forte. Cependant lorfquelle fut arrêtée, & pendant fa détention même , on ne lui entendit prononcer ni plaintes, ni murmures. Elle fuppqrta fa difgrace avec cette fupériofité qu'on admire en elle, qui U met fi fort au des-fus des autres FemmeSiôc qui la fait aller de pair avec tout ce qu'il y a de Grands-Hommes. Mr. le Duc & Madame la 'Duchefle du Maine font fouvent à Seaux , belle Maifon peu dif tante de Paris,fur le grand chemin d'Orléans, bâtie par Jean-Bap-tifie Colbert. Ils y ont toujours une brillante Cour. Me. la Duchefle aime les Sciences & les Artsj tout ce qu'il y a de Gens de Lettres la regardent comme leur Protectrice, & il fe fait peu d'Ouvrages en vers , dont les prémices ne foient pour elle. En lui faifant dernièrement ma cour , on y lut une Pièce fur deux rimes, qui fut fort applaudie. Je vous en envoie ci-joint la Copie. LETTRE D'un Gentilhomme retiré du Monde à un de fes Amis. C-fE vois régner fur ce rivage, xJ L'Innocence & la Liberté, Que d'objets dans ce payfagey Malgré leur contrariété, M étonnent par leur affemblagel 'Abondante frugalité^ Au- du Baron de PôllmiTZ." 'Autorité fans ejclavage, Eichejfesfans libertinage, Charges, NobleJ/è , fans fierté. Mon choix eft fait, ce voiftnage Détermine ma volonté. Bienfaifante Divinité, Ajoutez y votre fîtffrage. Difciple de l'adverfité, Je viens faire dans le Village Le volontaire apprentijfage D'une tardive obfcurité. Auff-bitn, de mo?i plus bel âge J'apperçois l'injîabilité. J'ai déjà,,. de compte arrêté-, Quarante fois v» le feuillage Par le Zéphir reffufcité. Du Printems foi mal profite : J'en ai regret; & de TE te Je veux faire un meilleur ufage. ^x\- • ■ V- ■ J'apporte dans mon Hermitage7 XJn cœur dès longtems rebuté Du protnt & funefie Efclavagei Fruit de la folle vanité. Payfan fans rufticité, Hermite fans patelmage , Mon but efi la tran«uiUitC 30 Lettres Je veux pour unique partage, La paix d'un cœur qui fe dégags Des filets de la Volupté. L'incorruptible probité^, De mes Aieux noble héritage, A la Cour ne ma point quitté. Libre & franc, fans être fauvage Du Courtifan fourbe & vêlage L'exemple ne m'a point gâté. L'infatigable ailivité, Refie d'un utile naufrage ; Mes Etudes, mo» Jardinage} Un Repas fans art apprêté; D'une Epoufe (économe & fage La belle humeur, le bon ménage, Vont faire ma félicité. C'efi dans ce Port, qu'en fureté Ma barque ne craint point lJorage, Qu'un autre à fon tour emporté, Au gré de fa cupidité, Sur le fein de l'humide plage, Des vents ofe affronter la rage y Je ris de fa témérité, Et lui Joukatte un bon voyage. Je réferve ma fermeté Pour un plu* important paj[*ge\ JE* j* Rapproche avec courage , mis» Des portes de l'Eternité. Je fai que ta mortalité Du Genre-humain ejl l'appanage \ Pourquoi feul ferois-je excepté1 La vie eft un pèlerinage : De fin cours la rapidité, Loin de m'allarmer, me foulage. De fa fin, quand je Venvifage y L'infaillible nécejjîté Ne me fauroit faire d'outrage. Brûlez de POr empaqueté. Il n'en périt que Vembalage : C'eft tout. Un fi léger dommage Df'vroit-il être regretté? Le Prince de Dombes, Fils aine du Duc du Maine, eft beau, grand & bien hit. Il eft reçu en furvivancc dans les Charges de Mr. (on Père. Je ne fâche {?oinc que le Comte d'Eu ait des Em- Îlois. Ce? Princes font ordinairement a j Cour. Mdlle. du Maine eft une très aimable PrincefTe, dont l'Education a très bien répondu à là naiflance, & qui Pour les manières 6c la politefïe , eft digne Fille de fa Mère, te Comte de Touloufe, Grand-Amiral France , eft le fécond Fils du Rd Lqhj$ ^2 Le t t r e s Louit XIV & de Madame de Montefpan: Il a commandé dans la dernière Guerre l'Armée navale de France. C'eft un Seigneur des plus beaux & des mieux faits de la Cour. Il eft noble & magnifique dans tout ce qu'il fait. On le dit généreux. ï II eft d'une grande poli-teiTe, & a toujours été conlidéré autant par fon mérite., que par fon rang de Prince légitimé , qu'il a fu conferver pendant qu'on en dépouilloit fon Frère. On a cru longtems que ce Prince ne fe marieroit point, & que fes grands biens paiîèroient aux Enfans du Duc du Maine: cependant, il. s'cft marié depuis quelques années, avec [ Marie* Viffoire~] de Noailles, Veuve du Marquis de Gondrin Fils du Duc à'Antin, duquel elle avoic un Fils, qui eft aujourd'hui Duc d'Eper-non. Cette PrinceiTe a donné à Mr. le Comte de Touloufe un Fils, qui porte le nom de Duc de Pentbievre, • Titre qui donne au Comte de Touloufe le rang de Pair au Parlement. Ce Prince depuis fon mariage fait fon féjour ordinaire à Rambouillet, où le Roi fait fouvCnt des parties de Chaffe. Sa Majefté témoigne ... ..... ''■'■> - ^rri beau- iuft , joniFîicn ti ■-- •;- : »:'-'v' • [Le Roi a dûnn£ \ ce-jeune Duc âgé de 9 ans, Ja furvivance de là Charge de Grand Amiral, pour Etrennes du joiu^e l'an de cette année 1.7*4. H cfl beau> bien fait; tout plein d'eiprit, & donne de tiè* belles cfperarjccs. ] beaucoup de confédération pour Madame PaRis-la ComtelTe de Touloufe, ce qui donne le crédit à cette Princeflé de parler avec liberté à Sa Majefté. Les François prétendent que c'eft elle qui a fait démettre Mr. le Duc du Miniftère. Il eft certain que le Roi étoit à Rambouillet, lorfque le Duc de Charot vint annoncer à Mr. le Duc que l'intention de Sa Majefté étoit qu'il fe démît de fa Charge de Premier - Miniftre. Mr. le Duc étoit à Verfailles iorfqu'il reçut cette fa-cheufe nouvelle : on dit qu'il demanda à parler au Roi & à la Reine , mais que le Duc de Charôt lui dit qu'il a-voit ordre de le faire partir pour Chantilly. S. A. S. obéit, & il ne parut pas que la perte de fon autorité l'affligeât. Ce Prince eut plus de chagrin de voir éloigner les Amis & fes Créatures. La Marquife de Prie Dame de la Reine , qu'il honoroit de fa plus particulière estime , reçut ordre de quitter la Cour , & de fe retirer en Normandie, où elle avoit acquis pendant fa faveur des Terres confidérables ; les Frères Paris , ces objets de la haine publique , furent dépouillés de leur autorité: Mr. Le Blanc rentra dans le Miniftère : Mr. de Belle-Ifle obtint la liberté, & le Commandement des Troupes [ du Gouvernement] de Metz. [& des trois Evêchés.] Madame de Prie eut U douleur de voir fa Tome IlL C place Taris, place de Dame du Palais occupée par la Fille de Mr. Le Blaw , dont elle étoit ennemie & qu'elle avoit tâché de perdre. Cette Dame ne put rélifter long-tems à la difgrace : accoutumée à dominer , elle ne pouvoit s'accoutumer à la retraite. Elle languit quelque tems • & enfin elle mourut d'une Colique qui lui mais je ne puis m'empêcher de vous faire connoitre combien font peu folides les raifonnemens de ceux qui blâment fà conduite quant aux Affaires Etrangères. Je ne me mêle point des Affaires intérieures du Royaume, quoique très perfuadé que la droiture du Cardinal , ôc fon zèle pour le Roi, le portent à faire de fon mieux. Je veux feulement vous laiffer juger fi fon inclination pour la Paix eft blâmable. Il a trouvé en entrant dans le Miniftère, les Coffres du Roi épuifés , & le Royaume dans un état qui demandoit du repos, plutôt qu'une Guerre, dont l'événement eft toujours incertain. Mais, après cela, à qui faire la Guerre? Sur quel prétexte? Qui eft-ce qui infulte la France? ôc qui lui demande autre chofe que fon amitié? Les Paix d'Utrecht ôc de Bade, ôc tous les Traités faits depuis ions la Régence C 4 «m du Duc d'Orléans, n'ont-ils pas réglé les intérêts de l'Europe ? L'Angleterre n'a-t-elle point recherché avec emprellement l'Alliance de la France ? L'Empereur a-t-il paru moins la délirer ? L'Efpagne même, oubliant le renvoi de l'Infante, n'eft-elle pas rentrée dans fes anciens en-gagemens avec cette Couronne, auffi-tôt que le Cardinal de Fleury a été chargé du Miniftère ? En quoi les François peuvent-ils donc fe croire méprifés par leurs Voilîns ? Je prétens prouver au contraire , que Louis XV, fous le Miniftère du Cardinal de Fleury, loin d'être négligé, a été autant recherché par les Puiûances Etrangères, que Louis XIV dans toute fa gloire, qui lui attira le titre de Louis le Grand. Lorsqu'il s'eft agi d'abolir la Compagnie d'Ofiende, quels mouvemens l'Angleterre & la Hollande ne fe font - elles pas donnés pour attirer le Roi dans leur querelle? Que n'a point fait l'Empereur, pour l'engager dans fon parti ? Tout é-toit incertain, tandis que la France demeurait indéterminée. Les Anglois & les Hollandois fe préparaient à attaquer l'Empereur , & ce Monarque à fe défendre. Le Cardinal fait déclarer le Roi pour les Puiffances Maritimes : auffi-tôt l'Empereur abolit la Compagnie d'Of-tende. Qu'auroit-on obtenu de plus par la Guerre? Lorfqu'il s'eft agi d'introduire l'Infant Dm du Baron de Pollnitz. 41 Don Carlos en Italie, quelles démarches, pARIS, quelles follicitations les PuifTances intè-rellëes n'ont-elles point employées, foit pour attirer Louis XV dans leur parti, foit pour lui faire obferver la neutralité ? Le Comte de Zinzendorff venu de Vienne exprès à Verfailles pour y traiter du repos de l'Italie , me paroît être une preuve que l'Empereur ne néglige pas tant la France, que les efprits inquiets & mal-intentionnés tâchent de le perfua-der. De bonne foi, fi la France n'eût point menacé d'attaquer l'Empereur en cas qu'il ne confentît point à l'introduction de l'Infant en Tofcane, Sa Majefté Impériale auroit-elle cédé aux (impies menaces de l'Efpagne ? Ce Monarque eft affez. bien établi en Italie, pour ne rien craindre de cette Couronne; & fi l'équité & la juftice n'accompagnoient pas toujours fes actions, il lui étoit aifé de s'emparer des Etats de Tofcane : il auroit été très difficile aux Efpagnols de l'en déloger, eux qui n'ont pu prendre Gibraltar, & qui n'auroient peut-être jamais fournis Barcelone fans l'afïiftance des François. Le Cardinal de Fleury fait déclarer le Roi en faveur de l'infant, il menace de fe joindre aux Anglois & aux Efpagnols : l'Empereur voyant toute l'Enrope contre-lui , mais particulièrement la France qui lui peut porter les plus rudes coups,cède au tems & accorde tout ce qu'on lui C 5 de- Paris» demande. Y a-t-il rien de plus glorieux pour le Cardinal ? Et pourquoi faire la Guerre,ii par de fimples menaces on obtient ce que l'on veut ? Mais,difent les mal-intentionnés,nous achetons la Paix de tout le monde, par notre argent. Ce n'eft pas le défaut du Cardinal , de prodiguer l'argent du Roi. Je ne fâche pas qu'il en donne à perfon-ne , fi ce n'eft les Subfides accordés aux Couronnes de Damemarc & de Suède. Si c'eft-là acheter la Paix , Louis XIV, & le Régent après lui, ont fait de bien plus grandes profufions, &c peut-être avec moins de fruit ; & il feroit facile de démontrer que pour déloger les Efpagnols de la Sicile, le Régent a fait paflèr plus d'argent, dans un mois, en Allemagne & en Angleterre, que le Cardinal n'en donne par année aux Couronnes du Nord, dont l'une eft, depuis un tems infini, accoutumée à tirer des Sublïdes de la France. Cependant, on n'a point ac-cufé Mr, le Régent d'acheter la Paix de fes Voifins , parce que pour acheter la Paix, i! raloit quelqu'un qui voulût lui faire ia Guerre: or il eft certain qu'aucune PuifTance ne pcnioit alors, ni ne penfe encore à attaquer la France. Qu'elle refte paifible, on l'y iaifTera. Mais auifi., quand la jultice ne main-tiendroit pus le Cardinal dans les fenci-mens paudques, ôe qu'il voudroit céder du Baron de Pôllnitï. 43 à l'impétuofité des François, je voudrais Paris, bien favoir fi ceux qui défirent la Guerre, font bien afïurés que l'événement en fût favorable ; ôc fi une fois commencée, ii dépendrait d'eux de la terminer toutes les fois qu'ils le jugeraient convenable à leurs affaires ? Mais je fuppofe que tous les évènemens répondent à leurs defirs, ôc que h Guerre foit heu-reufe : quelle acquilition peut faire la France , qui ne lui foie plus à charge que profitable ? Plus elle étendra fes frontières, plus elle fe fera d'Ennemis , & plus elle fera obligée d'entretenir de Troupes. Les frontières du Royaume font alTurées : quelques Villes de plus , une Province même, font-ils des objets pour un Roi de France, & valent-ils le fang ôc les fommes qu'ils coûteraient à acquérir? Non, en vérité, le Cardinal a raifbn; ôc n'en déplaife aux François,ils ne fàvent ce qu'ils veulent. Combien n'ont-ils pas defiré la Paix ? A peine en goûtent-ils les fruits, qu'ils veulent la Guerre. Si le Cardinal l'entreprenoit, & que les fuites fuffent fâcheufes , n'en rejetteroit-On pas la faute fur lui ? Ce feroit pour le coup,que l'on dirait qu'il ne convenoit pas à un Prêtre de faire la Guerre. Je croi que le Cardinal de Fleury a de fortes raifons pour faire ce qu'il fait. Les François accoutumés au Règne de Louis XIV, toujours entremê- lé de grands évènemens, ne fauroient s'accoutumer à un Règne plus uni. H faut efpérer qu'ils s'y feront. Quoi qu'ils faffent, il paroît que le Cardinal eft fort tranquille fur tout ce qu'on peut dire de lui. Comme il fait qu'il n'a rien à fe reprocher, & qu'il a toujours préféré le Bien-public à fon intérêt particulier, il ne craint point de révolution dans fa fortune. Il fait que l'innocence va toujours la tête levée ; & que le véritable mérite eft au-deflus de l'envie & de la malice. Mr. Dagueffèau, Chancelier de France, eft le premier Magiftrat du Royaume , & fà Charge a de fi grandes prérogatives, que le Roi même ne fauroit la lui ôter. Il a fuccédé dans cette éminente Dignité à Mr. Foi/m, qui étant Miniftre de la Guerre , fut fait Chancelier par Louis XiF,lorfque Mr. de Vontchartrain fe démit de cette Charge pour confa-crer à Dieu le refte de fes jours dans la retraite. Mr. Voifin étant mort fubite-ment au commencement de la Régence du Duc â'Orl/ans , S. A. R. nomma Chancelier en fa place Mr. Daguejpau, qui étoit pour-lors Avocat-Général. Toute la France applaudit à ce choix. Tout le monde étoit perfuadé de la candeur 6c de l'intégrité du Magiftrat; on ne dou-toit pas qu'il ne fût pour l'équité & la juftice: & en effet, il répondit très bien à l'attente du Public. Mais comme le Paru. vrai mérite eft toujours le plus envié,il s'éleva bien-tôt une Cabale contre fon intégrité. Mr. Daguejfeau refufa démettre le Sceau à des Edits qu'il croyoit contraires au bien de l'Etat; le Ducd'Or-léans en fut irrité, il exila le Chancelier à Frêne, belle Maifon que ce Miniftre a près de Meaux. Les Sceaux furent donnés à Mr. d'ArgenJon Lieutenant de Police, avec le ritre de Garde des Sceaux; ce qui écoit anciennement une pure Com-miffion, mais que le Régent voulut alors ériger en Charge. Le Parlement de Paris cria beaucoup contre cette nouveauté ; mais le Régent, après tout, fut fe faire obéir. Après la mort de Mr. d'Ar-genjon, le Chancelier fut rappelle & les Sceaux lui furent rendus; * mais ce ne fut pas pour longtems : le Régent, qui ne vouloit que des Miniftres qui fûflènt obéir, diigracia une féconde fois le Chancelier qui s'oppofoit à fes volontés , & donna les Sceaux à Mr. d'Armenonville. Celui-ci étant mort fous le Miniftère du Cardinal de Fleury , les Sceaux furent donnés à Mr. Cbauveli» , qui au Titre de Garde des Sceaux joint encore la Char- * [Dès qu'il fut arrive , la Place de VcndSmt ou de Louis le Grand , où logéoit Mr. DagneffeAu, fut indiquc'c pour le Commerce des A&iotis, qui le falloir auparavant à la rue ggincjtiempoix ; & i'on trou. va un matin une Affiche à l'Hôtel du Chancelier . avec ces patolej, Et homo faftus tji, c> hakiubit tum **Hs, ] Charge de Miniftre & Secrétaire d'Etat des Affaires Etrangères. Le Chancelier depuis quelque tems a été rappelle , il affilie au Confeil : mais fa Charge a perdu fon plus beau luftre, depuis que les Sceaux en font féparés. Mr. Chauvelin,Garde des Sceaux, Mi-niftre ôc Secrétaire d'Etat * des Affaires Etrangères, doit fon élévation au Cardinal de Fleury, qui paroît lui donner toute fa confiance. Ce Miniftre paffe pour être très laborieux, doux & civil. Les Miniftrcs Etrangers le louent beaucoup de lui , 6c il leur, fait oublier Mrs. de Torcy 6c de Morville: le premier, fde la Maifon de Colbert,] Miniftre des Affaires Etrangères fous Louis XIV, homme pour ainfi dire né dans le Miniftère, 6c dont les grands 6c bons fervices ont été fort applaudis , mais plus récompenfés par les applaudiffemens de l'Europe, que par les bienfaits de la Cour. L'autre eft Fils du feu Garde des Sceaux d'Armenonville. Il avoit acquis une grande réputation dans fes AmbalTades en Hollande 6c au Congrès de Cambray. Ce Miniftre t aiant demandé à fe retirer, Mr. Chauvelin lui a fuccédé. Lé * Il eft a&uellement ajoint dans le Miniftère au Cardinal de Fleury, qui a été bien aife de fe nom-mer un Coadjiueur. f II eft mort depuis peu à Paris» fort regrette' de ceux qui l'ont connu. Le Comte de Manrepas eft Petit - fils pAtu$ du Chancelier de Fontchartrain, & Fils du Comte de Fontchartrain Secrétaire d'Etat du Département de la Marine fous le Roi Louis XIV. Il eft entré extrêmement jeune dans le Miniftère, & s'eft conduit d'une manière à fe faire des amis & des créatures, je n'ai encore entendu qu'une voix fur fon chapitre : tout le monde m'en dit du bien. [ Mais il n'en eft pas de même de ies Secrétaires , ou Premiers - Commis : les Marins peftent fouvent contre les airs d'importance de quelques-uns de ces Scribes, attentifs à furprendre la bonne-foi du Miniftre en faveur de leurs Créatures, au préjudice d'autres Sujets qui le méritent mieux. ] Le Comte de S. Florentin eft -.le la Maifon de Thèiypeaux, ainfi que le Comte de Maurepas, qui a époutë fa Sœur. Il eft Fils de Mr. de la Vrillière, Secrétaire d'Etat. Le Régent lui avo:.t accordé la furvivance de la Charge de fon Père, lorfqu'à peine il avoir, vingt ans. Mr. de la Vriilïtre écaiw dOPt peu de tems avanr h mariage du f u , Mr. de S. Florentin entra dans fa Charge. Il a le Déparcetr-ent des Affaires Eccléflafti-ques. Il eft marié depais quelques années avec la Fiil^ lu feu Conne de F!a~ ten >Grand-Chambeibr fa Patrie ne lui Pariç. convenant pas, il eft mort à Munich. La plupart des François l'accufent d'avoir cpuifé la France, & d'avoir fait paffer des fommes immenfes dans les Pays Etrangers. Je ne fai ce qui en eft , mais il eft certain que Laiv après fa difgrace a vécu fort petitement. Sa Veuve & fora Fils tj qui font actuellement à Utrecht> n'y font pas bien grande figure ; beaucoup de gens m'ont die tjue c'eft par politique. Pour moi qui penfe plus rondement,& qui ne vois pas ce qui pourroit empêcher Mme. Laiv & fon Fils d'étaler leurs ri-chefTes dans le Pays où ils font, je croi ce que des gens, amis particuliers de Jean Lava, m'ont allure pour vérité confiante ; c'eft que La>w, ébloui de fà fortune, & ne penfant pas qu'elle dût être de fi peu de durée, n'avoit pas penfé à l'afïurer dans les Pays Etrangers ; ôc quand il y auroit penfé, qu'il n'avoit pas eu le tems de faire paffer des fommes hors du Royaume. Il étoit obligé, ôc par néceffité, ôc par politique, de faire des acquifitions en France. 11 en avoit fait de confidérables ; mais elles ont été pour lui un fonge agréable, & leur perte n*a f [Il eft mort cette année (1734.) Cornent dans le Réjymcnt du Prince d'Or^c-fri/*: maisldâc. L*w a laiilc une Fille aimable » & qui A eu uns i«Uc Êdwaiioa- j D a 5* L 1 f t t B « n'a fervî qu'à lui faire fentîr plus vivement fa diigrace. Je fuis du fentiment de ceux qui croyent que Jean Lavj étoit plus riche en venant en France, qu'il ne l?étoit trois mois après l'avoir quittée. [Vous na ferez peut-être pas fâché de voir cette Calotte, qu'on a faite pour lui. - BREVET de Controlleur-Général des Finances, Pour le Sr. Jean Law. 3e par le Dieu porte-marotte x Nous Général de la Calotte, Attendu que le Régiment EJJ obligé fenfibkmeni Au Sr, Law, de qui la ftience Et conduite dans ta Finance Nous a donné maints Calotins, En inventant les Bulletins , Autrement dits Billets de Banque s Four fervir au jeu de la Blanque, Jeu non renouvelle des Grecs % Comme le fade jeu de FOiey Mais imaginé tout exprès four exciter l'homme 1 la josti Témoin les piaf ans virement, du Baron de Pôlln itz. 53 Et continuels changement, Paiis. Que l'on a vu dans te Royaume De Quinquempoix & de Vendante , Et Principauté de Soiffons, Ou l'Achat & le Dividende Caufoient une rumeur fi grande, Qu'on ne vit jamais tant de rats Obféder gens de tous états: Mari, Femme, Garpon & Fille, Laquais, Servante, la Famille, En un mot, fans rien excepter, Venoit jouer & blanqueter , Et s'y portait de telle forte, Qu'il fallait gardes à la porte Pour renvoyer chacun chez foi± Après les trois coups de Beffroi» Là de tous Pays & Provinces, Marchands, Magiftrats, Artifans^ Prélats, Guerriers & Courtifans, Ducs & Pairs, çfr même des Princes^ Non du Pays, mais bien forains, Accouroient comme des Effains , Malgré vent, grêle, pluie & crotte, Four y jouer à la marotte, En beaux & bons deniers comptant, Contre ét valeur* cahtim9 D 3 Dont 54 L" i r t m b "i Xtojiri France & Terrer voifinet Se pourront fouvenir iongtems. A ces caufes, oiirtiGn affidu de Me. La» > & qui par fon manège pendant le Syttême, s'eit attiré quantité de Faf-«jusaades, dont celle ci eft la moins piquante. Que couperont les Commijfaires Au papier qui fera vifé, Et duquel en homme avife* Il a fi bien grojjt le nombre, Que la France y feroit à l'ombre, Si tous les Billets raffemblés, . Et les uns aux autres collés, On en pouvait faire une Tente. Au furplus de ladite rente, Lui donnons notre grand Cordon, Fajfaut de la droite à la gauche, Ainfi qu'une légère ébauche De fa droiture, dont le fond Va fi loin que Terrailon * même, Grand calculateur du Syfième, Nt pourrait pas le mefurer. En outre, pour mieux honorer Le chef de ce grand Terfonnage, Qui fit bouquer tout homme fage, Et foi difant docle & profond, Lui donnons Calotte de plomb. De la haute & première claffe ; Et pour jurerait de telle grâce, t Joignons â ces Coqs f dont la voix Chan. ^ • L'Abbé Ttrraflàn, qui â écrit en faveur du SjC~ «ènie. * Ld» avoit trop Coqs pour Arroci.. D 4 5\ Il y a-voit grande compagnie , le Maréchal de Villars , entre autres. La converfation roula fur l'ufage où etoient les Anciens, de donner des furnoms à leurs Héros ; 6c on blâma les Modernes de ne les poinr. imiter. Quel nom vous donnerions-nous, Mr. le Maréchal, lui dit Madame la DuchefTe du Lude? je pris la parole : Cela ne feroit pas difficile, dis-je ,* il me paroît qu'il n'y a point de titre qui convienne mieux à Mr. le Maréchal de Villars } que celui de Germanicus François. Cette fadai-fe fut du goûrdu Maréchal, il prit un au Tome 111. E riant * riant, & me dit beaucoup de chofes obligeantes. Mr. le Maréchal de Villars dans la jeu-nelTe a été Page du Roi Louis XIV, Il entra fort jeune au Service, & s'y diftin-gua dès les commencemens ; de forte qu'il doit réellement fon élévation plutôt à fes fervices & à fon mérite , qu'à la fortune. Après la Paix de "Rys-wyck, il fut chargé des Affaires du Roi à la Cour de l'Empereur. Il en fut rappelle peu de tems avant que la Guerre commençât au fujet de la fuccefïîon du Roi d'Efpagne , Charles II, La Guerre étant déclarée, Mr. de Villars, pour-lors Lieutenant-Général, fut de l'Armée d'Allemagne commandée par le Maréchal de Cat'mat. Le Marquis de Villars, avec un Détachement de l'Armée , attaqua les Impériaux près de Fridlingue. Les François difent qu'il remporta la Victoire, les Impériaux difent que non: je ne fai quel parti a raifon ; mais ce Combat valut le Bâton de Maréchal de France à Mr. de Villars. C'étoit en 170a. La même année, le Duc de Savoie étant entré dans l'Alliance contre les deux Couronnes, dans le tems qu'il les affuroit de fon attachement, le Traité que fît ce Prince avec l'Empereur & fes Alliés fut tenu fè-cret pendant quelque tems, mais il ce put l'être affez pour que l'Electeur de Bavière n'en eût connoiffance. S. A. E. en fit des reproches à l'Envoyé de Savoie. Ce Miniftre jura qu'il n'en favoitrien, & que Paris. de plus il ne le croyoit pas. Le Maréchal de Villars qui étoit préient, mit la main fur l'épaule de l'Envoyé , ôc lui dit ce vers de Racine : Tu ne le crois que trop, malheureux Mithridate. En 1704, le Maréchal de Villars fut rappelle de l'Armée d'Allemagne pour commander dans les Cé-mennes : il y remporta des Palmes ôc des Olives , au-lieu de Lauriers, car il fut par fa douceur ôc fa modération calmer une Rébellion , que la févérité exceiîive du Maréchal de Montrevcl fon prédécefïèur n'avoit fait qu'irriter. 11 eut enfuite le Comrftandement de T Armée d'Allemagne , ôc il le conferva jufqu'en 1709, qu'il vint dans les Pays^ Bas relever le Duc de Vendôme, qui paifa en Efpagne. Mr. de Villars rétablit en Flandre l'honneur de la France, terni par pluficars Défaites. Car quoique les François perdifTent encore la Bataille de Mal-plaquet, ils fe défendirent avec tant de valeur dans cette Journée, que les Alliés furent contraints d'admirer leur courage. Le Maréchal de Villars aiant été bieffé au genou, fut obligé de fe retirer, ôede laiF fer le Commandement au Maréchal de Boufers, qui fe retira en bon ordre. On prétend que le Maréchal de Villars en apprenant la nouvelle, dit, Villars n'y étoit pas , il ne fauroit être par - tout. Cette Victorc coûta cher aux Alliés, ils y per-E 2 diren; dirent vingt-trois-mille-hommes , & u» nombre confidérable d'Officiers de marque. Ils pouvoient dire ce que dit Pyrrhus , après avoir défait les Romains : Encore une pareille Vicloire, & je fuis perdu. Les François perdirent huit-mille cent trente-fept hommes ; &c pendant toute la dernière Guerre, il n'y a point eu de Bataille plus meurtrière ni plus difputée. La Campagne de 1712 fut la plus brillante qu'ait fait le Maréchal de Villars : il y remporta la Victoire de Dénain, & enleva dans deux mois aux Alliés, ce qui leur avoit coûté plufieurs Campagnes. Ce fut environ dans ce tems-là, que le Duc de Vendôme étant mort à Vinaroz en Efpagne, Louis XIV conféra le Gouvernement de Provence qu'avoit eu ce Prince, au Maréchal, qui fut encore fait Duc & Pair. On conte qu'étant allé prendre pofTeflion de fon Gouvernement, les Députés de la Province lui présentèrent una bourfeiremplie de Louis-d'or. Voici, Mon-feigneur, une bourfe, lui dirent-ils, pareille à celle que nous préfentames à Mr. le Duc de Vendôme lorfque, comme vous , il vint être notre Gouverneur ; mais ce Prince re-fufa de la prendre. . . Ah ! répondit le Maréchal de Villars en prenant la bourfe , Mr. de Vendôme étoit un homme inimitable. La Guerre étant terminée dans les Pays-Bas par la Paix dVtrecht. le Maréchal de vu-- Villars eut encore le Commandement de pARI8, l'Armée d'Allemagne. En prenant congé du Roi, il lui dit : Je fupplie très humblement V. M. de fe fouvenir que je la laijfe au milieu de mes ennemis , tandis que je vais combattre les fiens. 11 prit en effet Landau ôc Fribourg, ôc revint enfuite à Verfailles, recevoir les ordres du Roi pour aller traiter de la Paix avec Mr. le Prince Eugène de Savoie. Pendant la Campagne, fes Ennemis avoient voulu lui faire un crime auprès du Roi, de ce qu'il avoit acheté une Terre de dix-huit-cens-mille francs. Le Roi lui en parla, ôc lui de- » manda pendant fon dîner, s'il étoit vrai qu'il eût fait une telle acquilîtion. Oui, Sire , répondit le Maréchal, qui fe dou-toit que ceux qui avoient fait ce rapport au Roi étoient préfens, j'ai acheté une Terre qui me coûte dix - huit - cens - mille francs ; <& Ji la Guerre continue, <&• que Votre Majefté me confie le Commandement de fon Armée , je me faite d'en acheter u-yie plus confidérable l'année prochaifie, aux dépens de fes Ennemis. Au-lieu de faire une Campagne, le Maréchal fut à Raf-tadt y où il figna avec le Prince Eugène de Savoie les Préliminaires de la Paix, que ces deux Généraux conclurent enfuite à Bade le 7 Juin 1714. Depuis ce tems, le Maréchal a toujours demeuré à la Cour. Les François le regardent comme le Ref-SLuratcur de leur réputation dans les Pays-E 3 Bas, Bas, le foutien de l'Etat, & le premier Capitaine de Ion tems. Il eft comble de biens & de dignités ; il eft Duc & Pair, Maréchal de France , Grand d'Efpagne \ Commandeur des Ordres du Roi, Chevalier de la Toifon d'ûr , & Gouverneur de Provence. Il a un Fils unique, pour qui il a obtenu la furvivance de fon Gouvernement. * Je * [Le Roi de France aiant déclaré la guerre à l'Empereur , en 173:5, conjointement avec les Rois d'Efpagne de Sardaignej Sa Maj- donna au Maréchal de YilUrs le Commandement de fon Armée en Ita-liei ou, il fc rendit après que la conquête du Milanea eut été fort avancée. Il fit celle de Pizz.%bitone 5 & l'Armée Impériale étant enfin formée & le Comte de Merci, qui la commando» , l'aiant fait paroitre fubitement en Campagne en pafiânt le Pô , il fit tant de mouvemens que le vieux Maréchal, contraint d'être par - tout . fùivant fon ancien di&on , en tomba malade, & fut oblige de quitter l'Armée. Il y en a qui prétendent qu'il en eut ordre «le la Cour, ou fa conduite ne fut pas approuvée. Qnoi qu'il en foit * fon mal empirant à Ion arrivée a Turin , il y mourut le I? de Juin 1734» dans fa 84. année , dans la même chambre? dit-on» ou il étoit né ■ pendant que fon Père le Marquis de VULrs y étoit de la part du Roi. Il avoit époufé en 1702, Jeanne-Angélique-Roque de VarcnnvlUe , dont le Père a été Ambaffa-dem du Roi \ Venife. La Maifon de Villars eft originaire de Lyon ', elle a commencé à le faire connaître en laperfonne deCUnde d%VUlan, Seigneur de la Chapelle & de Maklas, fécond Fils de Franck de yuiari , nç vers l'an 1^16. Voici un Sonnet qu'on prefestta aw Maréchal loriqu'il partit pour l'Italie. ViUéri, Je me fuis peut-être trop étendu en Paws. vous parlant du Maréchal de Villars ; mais j'ai cru que les petites particularités que je vous ai rapportées pourroient vous foire plaifir, & que vous ne feriez pas fâché d'apprendre quelques circonstances d'un Homme qui après tout a fait du bruit dans l'Europe. Je ferai plus bref en vous parlant des autres Seigneurs , & je ne vous en nommerai même encore que deux ou trois , dont vous pouvez avoir entendu parler, & qui ont acquis le plus de réputation parmi nous. Jaques Fitz~Jamesy Duc de Bertuick, Pair VM&rs, tes grandi Exploits qui fauvlrent ta France, T)ans les fièclts futurs t^ immort aliferont, La Paix fut le doux fruit de ta haute prudence \ Maïs de nouveaux Lauriers doivent teindre ton firent. Le Tire de fin Roi, PEfpagne & le Pi/mont, Sur toi feul aujourd'hui fendent leur efpfranie. *Arme ton bras vainqueur, tours venger leur affrcn('t L'Allemand ftourra-uilContenir tafrifenst? Les grands Caurs en tout tems eonfervent leur valent , L* Age refpetle en eux leur première vigueur , tys favtnt s'affratuhir des Loix de la Nature : Semblables aux Lauriers que leur main va cueillir, $mî des ans, des falfons ne craignent peint l'injure. La Hiret ent le drtît it ne jamais vitillir, J E4 Pams, Pair & Maréchal de France, & Pair d'Angleterre, Grand d'Efpagne , Cheva-. lier de la Jarretière 6c de la Toifbn d'or, eft Fils légitimé de Jaques IL Roi de la Grande-Bretagne. Il avoit fuivi fon Père en France, où il fervit avec diftin&ion. En 1705, il eut le Bâton de Maréchal; en 1707, il commanda l'Armée des deux Couronnes en Efpagne , ôc y défit My-r lord Gatloivay près ftAlmanza. Le Roi d'Efpagne , pour le récompenfer d'un fi grand fervice, le fit Grand d'Efpagne 6c lui donna le Duché de Liria, que Mr.de Beriuick céda à fon Fils ainé qui en eft actuellement en potTeffion. En 1714., Mr. le Maréchal-Duc de Berwick rédui-fît Barcelone fous la puifTance de Philippe V. Cette Ville n'avoit pas voulu reconnoi-tre ce Prince, 6c quoiqu'abandonnée 6c fans efpoir de fecours, elle avoit continué la Guerre avec une opiniâtreté qui tenoit du defefpoir. Femmes , Prêtres, Religieux , tout étoit fbldat dans Barcelone ; ôc pendant le Siège qui dura foixante 6c un jour de tranchée ouverte, après onze mois de Blocus, if y eut cinq-cens-quarante-trois tant Moines qu'Eccléliaftiqucs, tués, ou blelïés, dans les Sorties ou dans les Attaques. La Ville fut prife d'afïàut le 11 Septembre. Le combat dura depuis quatre heures du matin jufqu'à onze, que les habitans fe retirèrent dans la nouvelle Ville ; qui n'eft féparée de l'autre i ■ 'T Que que par une fimple muraille. Ils fe ren- Paris. dirent le lendemain à difcrétion, au Maréchal-Duc de Berwick , qui leur promit verbalement de leur conferver la vie Ôc de fauver la Ville du pillage, moyennant une grofle femme d'argent. Barcelone réduite à l'obéiffance, le Maréchal revint en France, comblé de biens ôc de dignités. Le Roi Louis XIV étant mort , il fut admis au Confeil de Régence, & fut envoyé peu de tems après pour commander en Guienne. Le Régent lui conféra le Commandement de l'Armée contre le Roi d'Efpagne. S. A. R. l'avoit offert d'abord au Maréchal de Villars ; mais ce Seigneur lui avoit répondu, qu'il ne porterait jamais l'épée contre un Prince qui pouvoit un jour devenir fjonMartre, pour le fervice duquel il avoit verfé fon fang, &c qui coûtoit fi cher au Royaume. Le Maréchal-Duc de Berwick fut moins délicat, il accepta le Commandement, Il prit S. Sébajtîen, Ôc obéit au Régent beaucoup plus que fon devoir ne le demandoit. Cela lui valut la continuation du Commandement de Guienne , ôc particulièrement de Bourdcaux. Depuis quelque tems, le Maréchal-Duc eft beaucoup à la Cour, ôc fouvent dans fa Duché-Pairie qui eft en Bicardie. * Vièlor- * [Le Roi aiant nommé le Maréchal de VilUn >m commander eu ïrelie , crut devoir Qppofcr le E < ' Mi- Vièlor-Marie Duc d'Efirées, que j'au-rois dû nommer avant le Duc de Berwick, comme étant plus ancien Maréchal de France , eft Vice - Amiral de France , Duc & Pair, Grand d'Efpagne , Commandeur des Ordres du Roi, & Chevalier de la Toilbn d'or. Il eft le dernier de fa Maifon, illuftrée par toutes les grandes Dignités du Royaume , depuis * la belle Gabrielle d'Ejirées , MaitrefTe d'Henri IV. C'eft un des Seigneurs de France qui vit avec le plus d'éclat & de magnificence. Sa maifon eft ouverte à tout ce qu'il y a d'Etrangers de dillinc-tion. Les gens favans & lettrés y font bien reçus. Le Maréchal a une belle Bibliothèque , un très beau Cabinet de Médailles, & un Recueil parfait de Pierres gravées antiques. Outre les biens de la Maifon d'Eftrêes dont il eft l'unique Chef, il a fait de grandes acquifitions par les Actions du Mijfijjipi • & il y a peu de Souverains qui aient de plus beaux Diamans. Depuis les Troubles qui s'élevèrent en Bre- Marécha! de Herwîck au Prince Eugène que l'Empereur avoit nommé pour commander fur le Rhin. Il commença le Sicgc de Philipsbourg , & étant allé vifiter la Tranchée, il fut tué d'un coup de Canon entre fes deux Petits-fils. Le Duc de Liria, fon Fils, a fuccédé à rous fes Titres ] * [La Maifon d'EtlrHi, originaire de Picardie, é-Itoit en pofleffion des Dignités de la Couronne avant Cabnelk, puifque fon Aïeul étoit Grand-Maître de T Artillerie de France.] du Baron de Pôllnitz. 7? Bretagne pendant la Régence de Mr. le Paris. Duc ^Orléans, c'eft toujours ce Seigneur qui tient les Etats de cette Province. La Noblefïe de Bretagne s'en loue beaucoup , ôc trouve une grande différence entre la manière dont elle eft traitée par ce Maréchal, ôc la façon dure Ôc hautaine avec laquelle le feu Maréchal de Montefquiou en agifToit » pendant la Régence. Quoique le Maréchal â'Ejlrées foit fort attaché à la Cour , il eft pourtant fouvent à Paris, où il a un très bel Hôtel. Il voit chez lui tout ce qu'il y a de grand Ôc de meilleur dans le Royaume. Madame la Maréchale à'Efirées, qui eft Noailles, Sœur de Madame la Com-telle de Touloufe, étoit autrefois Dame du Palais de Madame la DuchefTe de Bour* gogne. Elle a toute la politeffe de l'ancienne Cour, Ôc bien qu'elle ait paffé le feu de la jeunefïè , c'eft encore une des plus aimables Femmes de la Cour, ôc elle rend fa maifon une des plus agréables du Royame. Je fuis, Ôcc. A Vcrfaillcs, eç i. de Mai ijj». LET- LETTRE XLII. Monsieur, J'Ai beaucoup fait le badaud hier avec deux Anglois, à qui j'ai fervi de Cicérone , comme on dit en Italie. Ne vous attendez pas toutefois que je vous fafle le récit de tout ce que j'ai vu : Ver failles a été tant décrit, que vous trouverez vingt Livres pour un, qui traitent des beautés de cette Maifon Royale. Après avoir fait voir à mes Anglois le Château, la Chapelle, les Ecuries, & le Parc,, je les ai menés à l'Abbaye Royale de S. Cyr , dont ils avoient entendu parler , & qu'ils fouhaitoient fort de voir. Cette Maifon eft grande , fuperbe , & digne, de la magnificence du grand Roi qui l'a fondée, à la follicitation de Madame de Maintenon , pour l'éducation de deux-cens-cinquante jeunes Demoifelles, dont les familles ne font pas en état de leur procurer un entretien convenable à leur naifïance. Madame de Maintenon s'eft retirée à S. Cyr, d'abord après le décès de Louis XIV, & elle n'en eft plus fortie depuis. Elle s'y étoit retirée même pendant la maladie du Roi, un jour que ce ce Prince étoit abandonné de fes Méde- Paris, cins. Il revint pourtant contre toute efpé-rance , & ne voyant point Madame de Maintenon , il la demanda. Cette Dame revint ; le Roi lui fit des reproches obli-geans de ce qu'elle favoit abandonné, 6c la pria de relier auprès de lui, tant qu'il feroit en vie. Madame de Maintenon o-bcit , mais le Roi ne fut pas plutôt expiré , qu'elle monta en caroile & alla à S. Cyty pour n'en fortir jamais. Elle eut la confolation d'y recevoir les vifites de tous les Princes & Princefles du Sang. Feue Madame Mère du Régent, qui n'avoit point vu Madame de Maintenon pendant la vie du Roi, crut ne pouvoir s'exemter de faire cette vifite. Mr. le Régent y étant allé aufli, lui dit qu'elle pouvoit compter qu'il obfervé-roit ponctuellement tout ce que le feu Roi avoit ordonné à fon égard dans fon Teftament. Madame de Maintenon le remercia, & lui dit qu'étant réfolue de finir fes jours dans la retraite, elle ne lui de-mandoit que quarante-mille livres pour fa fubfiftance. Elle mourut quatre ans après, & fut enterrée dans FEghfe de S. Cyr, au milieu du Choeur. On a gravé fur la Tombe, qui eft d'un fimple marbre noir, cette Epitaphe , que j'ai copiée mot à mot, parce qu'elle m'a paru belle , & je vous l'envoie , parce que je ne croi pas que vous l'ayez, vue ailleurs, CY 7| L e t t r e 5 C Y GIT Très haute &> très puijjante Dame, Madame Françoise d'à u b i g n f/, Marquife de Maintenons Femme illujîre *, Femme vraiment Chrétienne j Cette Femme forte que le Sage chercha vainement dans Jbn ftècle, Et qu'il nous eût propofépour modèle , s'il eût vécu dans le nôtre. Sa Naijfance fut très noble. On loua de bonne heure fo?i Efprit, & plus encore fa Vertu. La Sagejfe, la Douceur, la Modefie formaient fon Caractère, Qui * [On devoit ajouter ici , du Toîte Paul Scarron. Elle étoit Fille de Confiant eTAubigné Baron de Suri-ncAtt , & de Jeanne de Cardillac. Charles d'Anbtgné Gouverneur du Berry , Chevalier des Ordres du Roi , mort en 1703 , étoit fon Frère. Son Aicul étoit Théodore-Agrippa d'AubtgnêAmiral de Bretagne & de Guiennc ; célèbre par (on zèle pour le Pta-teftantifme. & Auteur d'une Hijloîre de fon tems, de la ConfiJJioH de Sancy & du "Eayon de Fanefie. Cha>-cun (ait que l'attachement de îa Veuve Scarron à Madame de Monte (part la fit coimoitrc de Louis XIV* à qui l'on cara&érc plut tellement. qu'elle fe maintint dans la plus grande faveur iufqu'à la mort de ce Monarque.] Qui ne fe démentit jamais. Paris. Toujours égale dans les différentes fituations de fa vie, Mêmes principes , mêmes règles, mêmes Vertus. Fidèle dans les exercices de Piété, Tranquille au milieu des agitations de la Cour, Simple dans la grandeur, Pauvre dans le centre des richeffes, Humble au comble des honneurs", Révérée de Louis le Grand, Environnée de Ja gloire, Autorifée par ja plus mtime confiance, Dépofitaire de fes grâces Qui n'a jamais fait d'ufage de fon pouvoir, Que par fa bonté. Une autre Ejlher dans la faveur, Une féconde Judith dans ta retraite & /V raifon : "La Mère des Pauvres, VAfyle toujours fur des malheureux. Une vie f illufre ji été terminée par une mort fainte & précieufe devant Dieu. Son Corps eft refié dans cette fainte Maifon, Dont 80 Lettrés Dont elle avoit procuré l'établiffement:j Et elle a laijfé à l'Univers L'exemple de fes Vertus. Décédée le 15 d'Avril 1710. . Née le i$ de. Novembre 1635, Mes Anglois trouvèrent les louanges qu'on avoit données à Madame de Maintenon, outrées. J'avoue que je la trouve bien lërvie; & s'il eft vrai qu'elle fût autant humble que le marque ion Epitaphe, je ne doute pas que fa modeftie n'eût eu beaucoup à fouffrir } fi elle s'étoit autant entendu louer pendant fa vie. Il eft certain que cette Dame avoit un grand fonds de Vertu ôc de Piété ; ôc j'ai ouï dire à des perfonnes qui n'avoient pas autrement lieu de s'en louer , que lorfqu'on la con-noifloit j il étoit impolhble de ne la point eftimer. Au retour de S. Cyr, j'ai été ici à la représentation d'une Tragédie de Mr. de Voltaire , intitulée Brutus, Mes Anglois ôc moi avons été charmés de la beauté de cette Pic'ce. Non feulement nous en admirions la conduite ôc la vérification, mais nous applaudiiTîons aulTi à la manière libre dont l'Auteur fait penfer ôc parler les Romains. Les François ne fe trouvent point de notre fentiment. Le refpeàl dû à la Royauté n'y eft point ménagé, di-(ent-ils : .ils font un crime à l'Auteur, de ce ce qu'il ofe reftreindre l'Autorité "Royale Paris. dans les bornes de la Juftice. Ce nef point en France , continuent-ils , que Mr. de Voltaire a puifé ces fentimens -7 on fent aifé-tnent qu'il les a pris au-delà de la Mer. ils peuvent être bons parmi les Anglois : mais parmi nous, ils ne font point tolcrables ; & fi Mr. de Voltaire continue d'écrire de la-forte , /*/ pourroit bien occuper un aparté-ment à la Baftille. J'avoue que ce nom redoutable m'a fermé la bouche : je n'ai ofé prendre la défenfe de l'Auteur , de peur de palier pour ion complice. La Baftille ôc le S. Office ont toujours été deux noms qui m'ont impoié filence, quelque démangcaifon que j'aye eu de parler. Au refte, les Comédiens ont fait des merveilles. Un nommé Du Frêne s'eft furpaffé. Il eit Frt-re de Quinaut, excellent Comédien dans les rôles de Caractère , outré a l'excès dans le Tragique j ôc hors du Théâtre, fat au delà de toute cx-prertïon, aufli bien que fon Frère, quoique gens d'cfprit l'un ôc l'autre. Les Comédiens font beaucoup plus conlidérés ici qu'ils ne le font ailleurs ; ce qui les rend d'une infolence extrême. Les Seigneurs les recherchent, ôc les admettent à leurs parties de plaifir. Ces gens fe voyent Rois fur le Théâtre , ôc pairs ôc compagnons à table avec les premier* Seigneurs du Royaume ; il n'eft pas cton- Tome III. F nanc nant que la tete leur tourne. Ce qui vt mettre le comble à leur arrogance, eit u-ne démarche que Y Académie Wrançoife vient de faire à leur égard. Elle a invité depuis peu, par une Lettre , la Comédie Françoife à unDifcours qui devoir fe prononcer à l'Académie : de quoi les Comédiens fe trouvant fort honorés, dès le lendemain ils firent offrir aux Académiciens les entrées gratis à la Comédie ; ce que ceux-ci acceptèrent, au grand étonne-ment de tout Paris, qui blâme fort l'Académie. On en attribue la caufe à quelques Auteurs qui font fort liés avec les Comédiens, & qui ont fait la chofe fans ia participation des autres. H y a eu à ce fujet quelques brouilleries dans l'Académie, parce que ceux qui n'avoient pas eu de part à l'affaire , ont defavoué tout ce qui s'étoit paffé. A la vérité, il femble qu'on avoit perdu le bon-fens ce jour-là, & les Seigneurs qui font de l'Académie en font beaucoup de bruit. Il eft vrai que des Comédiens qui ofent offrir l'entrée gratis à un Maréchal d'Ejtrées & à des Seigneurs de cette forte, ne font point des gens ordinaires, & Us mériteroienr. bien qu'en parlant d'eux , on dît la Compagnie des Comédiens , au-lieu de la Troupe , afin de les diftinguer des Comédiens de Campagne *. Après cela > pourquoi ne * [On fait ici allufign 4 w Bon-mot du P«fî- 4cm DU BAR ON DE PÔLLNITZ. S$ ne les point honorer? Les Acteurs de PO- pAMf. péra, qui comme eux divertilTent le Public pour de l'argent > ont bien le privilège, qu'un Gentilhomme, làns déroger au titre de Nobleiïe, peut y être reçu. Cette faveur , dit fort bien un Auteur moderne, n'avoit point encore été accordée à ceux qui fervent aux Spectacles publics, & qui donnent du divcrtiflèment pour de 1 argent; parce que dans la plus grande partie des iucles du Chriftianifme,on les avoit regardés comme des excommuniés &c comme des infâmes, à caufe de la corruption qu'ils caufoient dans les mœurs, par leurs repréièn tarions alors trop licen-cieufes; ce que l'on ne craint peut-être plus à paient. Il eft certain que pouvant être Noble à l'Opéra, je ne vois pas pourquoi on ne doit pas l'être à la Comédie. Cependant, il me paroît que ii laNoblef-fe convient à des gens de Spedacle, ce doit être aux Danièurs de Corde & aux Sauteurs : outre l'honneur qu'ils ont de divertir le plublic , ils rifquent de fe tuer tous les jours ; & n'eft-cc pas là le partage de la Noblcflc ? En revenant hier de Vcrfaillcs avec mes Anglois , nous palTames à S. Cloud, où nous dent de Harki, à qui des Comédiens parlant au nom de leur Troupe que le bon Seigneur n'aimoit pas, fut-tout depuis le Tattujfti diietit, Monseigneur, là Compagnie da CméAUns &c. A qiioi le Prtfident répondu, Mejjtemi, la Trouve du i'arkment &ç. J nous eûmes l'honneur de voir le Duc de Chartres , Fils unique de Mr le Duc d'Orléans. Ce Prince étoit dans le Parc , ôc voyoit faire des épreuves d'Artillerie à un ïeune Officier de ce Corps. Nous fumes furpris de l'attention avec laquelle le jeune Prince obfervoit toutes chofes : les queftions qu'il faifoit à l'Officier , furpaf-foient fon âge. Nous eûmes encore lieu d'être très fatisfaits de la manière gracieu-fe ôc polie avec laquelle il nous reçut. Franchement, j'ai été charmé de voir un Petit-fils de feue Madame , être fi digne d'elle 6c du fang illuftre dont il eft ifTii. S. Cloud eft une Maifon appartenant à Mr. le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang. Feu Monfteur, Philippe de France Frère de Louis XIV, l'a fait bâtir, ÔC y a ajouté de très magnifiques Jardins. Il eft certain que fi le feu Roi eût choiiî S. Cloud au-lieu de Ver failles, il eût pu a-vec moins de dépenfe faire quelque chofe de plus beau. On admire à S. Cloud la Gallerie Ôc le Salon peints par Mignard; la Cafcade ôc le grand Jet-d'eau, qui pouffe jufqu'à cent pieds de hauteur, & qui n'eft furpafïe que par celui qu'un Anglois a î%\\x.\Herrenhaufen prèsd'Hanover, fous le Règne du Roi George I. S. Cloud a été funefte à plufieurs Princes de la Maifon Royale. Henri III y fut afFafïiné le i. d'Août 1589, à huit heures du matin, par Jaques Clément. Henriette d'An- d'Angleterre , première Femme de feu Paris. Monfienr , Philippe de France Duc d'Orléans Frère unique de Louis XIV, y mourut fubitement d'une Colique, le 30 Juin 1670. Elle dit quelle étoit empoifonnéc ■ ce qui engagea le Roi à la faire ouvrir en préfence de PAmbafladeur d'Angleterre. On ne put guères juger ii les foupçons de cette PrincefTe avoient été véritables : les Médecins & les Chirurgiens lui trouvèrent toutes les parties nobles gâtées, quoiqu'elle n'eût encore que vingt-fix ans. Son Epoux paya fubitement le tribut à la Nature, dans le même Château , le 4 Juin 1701. Ce que je vous ai dit de la malhcureufc fin du dernier des Valois, me rappelle ce que PHiftoire rapporte, que le Te - Deum fut oublié dans la cérémonie de fon Sacre, que la Couronne lui tomba de la tête, & qu'il ne fe trouva point d'Huile dans la Sainte Ampoule pour faire l'Oncïion accoutumée * : ce qui fut remarqué comme un * [La Phiole de la Sti. Ampoule eft gardée à Reims dans le Tombeau de S. Remy , dans l'Eglifc qui porte Ion nom. Depuis le Sacre de Clovis , où Ion dit que cette Phiole fut apportée du Ciel avec l'Huile dont ce premier Roi Chrétien de France fut facre- , on ne l'a pas remplie ; 8c le Moine qui h fait voir à Reims > dit très férieufement, que quand le Roi eft malade , elle fe vuide , jufques-là qu'il n'y refte pas une goutte d'Huile à la mort du Roi : niais que dès que fon Succefleur eft proclamé, elle un mauvais préfage, qui ne fe trouva que trop véritable dans la fuite. .ruifquc j'en fuis fur les évènemens tragiques , je vais vous rapporter un fait arrivé depuis peu en Angleterre, que les Anglois avec qui je fuis revenu de Verfailles, m'ont conté comme une vérité conftante. Un Relieur, nomme Richard Smith , 8c ia Femme qui s'appelle Budget (Brigitte) furent trouvés il y a quinze jours, pendus tous deuv proche de leur lit, à trois ou quatre pieds de diftance l'un de l'autre; ik dans une autre chambre on trouva leur petite Fille qui n'avoit que deux ans, morte d'un coup de piftolet, dont on lui a-voit caiTé la tête. On trouva fur une table trois Lettres, dont voici la plus intè-reflânte, comme étant très propre à vous faire connoitre le Caractère Stoïque des Anglais. Elle eft adreflée au Sr. Brindley, Relieur à Londres , dans la rue qu'on appelle New-Bond-fireet. Cousin Brindley, „ Ce que vous apprendrez de notre ,, mort étant un peu extraordinaire quand „ on le confidère dans toutes les circon-« ilances , nous avons jugé à propos de 3 vous donner quelque éclairciflèment fur „ notre fe remplit d'elle - même. Je rncxwte ce que j'ai ou i de nies propres oreilles , ôc dont j'ai ii fans que Je Moine s'en tachât.} ^ notre conduite. La, raifon qui nous a Paru* „ fait délirer la mort , eit une haine in-„ vétérée que nous avons conçue contre 3, la pauvreté & là milcre; malheur, qui „ par une fuite d'accidens funcftes nous étoit devenu tout à fait inévitable: car „ nous prenons à témoin toutes les per-„ fonncs qui nous ont connus, que nous „ n'avons jamais été des fainéans , ni des „ gens fans conduite , ôc que nous avons „ pris auranc de peine pour gagner notre ,, vie, qu'aucun de nos voiiins , quoique „ nos foins n'aient pas eu le même fuc-„ ces. Nous prévoyons bien que le meur-„ tre de notre Enfant eft une circonftan-„ ce qui fera condamnée de tout le mon-„ de ; mats de notre côté , nous fommes „ parfaitement tranquilles fur cet article. „ Nous fommes perfuadés , qu'en fuppo-„ fant même un état d'annihilation, com-„ me quelques-uns fe l'imaginent , il y a „ moins de cruauté à prendre notre Fille avec nqÉs, qu'à la laifter au monde fans „ amis, fans fupport, evpofée à l'igno-„ rance , & à la milère. Cependant, „ comme nous foubaitons d'aller au-de-„ vant des cenfures , foit de la malignité, „ foit de l'ignorance, nous croyons qu'il „ exifte un fbuverain Etre, par la coniï-„ dération de fes œuvres admirables , ôc ,, de cette multitude de Corps céleftes, 5, glorieux, innombrables, dont l'ordre ôc „ l'harmonie étonnante lui rendent un té-F 4 w moi- „ moignage continuel. Nous avons pris „ plailir aufli à tourner quelquefois notre ,, attention fur les autres merveilles , qui „ éclatent dans les moindres parties de „ l'Univers , ôc de toutes ces obferva-„ tions, nous avons conclu que le Mon-}j de ne fauroit être fans un premier Mo-„ teur; c'eft-à-dire, fans l'exiftence d'un Etre tout-puilTant. Mais en recon-„ noiffant la Toute - puiflance de Dieu, „ nous ne faurions nous empêcher non plus d'être perfuadés qu'il eft bon, qu'il „ n'eft point implacable , qu'il ne ref-5, femble point à la race perverle des Hom-3, mes, qu'il ne fe fait point un plailir du „ malheur de fes Créatures, ôc dans cette confiance , nous remettons nos ames „ entre fes mains, fans être effrayés par „ de terribles appréhenfions, 6c nous fqu „ mettant de bon cœur à tout ce qu'il lui „ plaira d'ordonner de nous dans fa bon-„ té, au moment de notre mort. Nous „ croyons encore qu'il exifte ips Créatu-„ res immatérielles, & nous fommesfon-3, dés dans ce fentiment fur de bonnes rai-„ fons , quoique nous ne prétendions pas concevoir leur manière d'exifter. En-„ fin nous n'ignorons pas certaines Loix „ humaines, qui font faites pour infpirer 3, la terreur; mais, indifférens pour ce que îî nos corps peuvent devenir après notre „ mort, nous en laitions la difpofition à la fageffe des Juges ; ce qui fera voir affez, „ cillez, que nous nous foucions peu d'un Paris. „ Hic jacet. C'eft un honneur que nous „ n'attendons , Ôc que nous ne délirons „ point. „ L'opinion des Naturaliftes eft , que „ la matière dont nos corps lont compo-„ fés , fe dilïîpc ôc le renouvelle à cer-,j tains périodes de notre vie , de forte „ qu'un grand nombre de pauvres gens changent plus fouvent de corps , que d'habits. Comme les Théologiens ne nous apprennent point avec lequel „ de ces différons corps nous devons ref-„ fufeiter, il eft auffi probable de celui que nous avons en mourant, que d'au-„ cun autre , qu'il ne fera éternellement „ qu un peu de cendre lourde 6c muet-te ". j-Richard Smith. Signé *-gridget Smith. Les Juges, après les formalités ordinai-naires, ont déclaré Richard Smith atteint Ôc convaincu du crime , qu'on nomme en Angleterre Felo de Je, Félonie contre foi-même, ôc coupable du meurtre de fa Fille. Bridget a été déclarée Lunatique. La bonne Dame avoit pourtant ligné la Lettre avec fon Epoux, ôc avouoit avoir été de moitié du meurtre de fon Enfant : il me paroît que fon corps méritoit bien F 5 une une petite pendaifon, pour le moins. A coup fur , elle n'auroit pas paiTé pour Lunatique ici. La Tragédie étant ordinairement fuivie de quelque petite Pièce, je vais auflî vous donner une petite Farce. C'eft l'avantu-re d'un Confeiller Petit -Maître , avec l'Abbé de Vmrac , Auteur , ôc homme d'eiprit *. Il y a quelques jours que l'Abbé marchant à pied, fe trouva furpris par la pluie. Il fe mit à couvert fous un auvent, devant une boutique. Un Confeiller paifa dans un magnifique carofle, allant le train d'un Petit-Maître , c'eft-à-dire, paffant fur le ventre à tout le monde. Cette courlê impétueufe fut arrêtée tout d'un coup par quelque chofe qui rompit aux harnois des chevaux. Le Confeiller fe trouva arrêté vis-à-vis l'Abbé de Vaitae , qui étoit habillé comme le font aiTez tous les Auteurs ; un mauvais manteau & un vieux chapeau couvraient un habit fort ufé. Le chapeau parut un fujet de * [L'Abbé dt Vairac étoit d'une bonne famille de Gaicnne, & avoit toute la vivacité de fa Province, ÎjUt lui tenoit lieu d'eiprit ; mais un eiprit cauftique. 1 étoit Auteur plagiaire, «'il en fut jamais. Il a publié un Etat dt l'Efpagnt , & un État de l'Empire^ celui ci lui a attiré une Sentence fiétriflante de la Cour de Vienne. Il avoit compofe une Hiftwe de Portugal, qu'il n'a pu obtenir Ja permiïïion de faite imprimer , parce qu'on trouva qu'il y louoit les Portugais plu» q«e les François. Il eft mort a* commencement de 1733 r à fon wwnr d'un Voyafce en Hollande.] de plaifanterie au Confeiller. Il ordonna pARie» à un de fes Laquais d'aller demander à cet Abbé, fi fon chapeau étoit de la Bataille de Éocroi. Les Laquais de ce Pays-ci font effrontés &infolens, plus que partout ailleurs. Celui du Confeiller s'acquitta exactement de fa commiffion. Mr, éAbbé, lui dit-il d'un ton goguenard, mon Maître voudroit favoir à quelle Bataille notre chapeau a reçu toutes ces blejju-res ? A la Bataille de Cannes, mon Ami, répondit l'Abbé j & en même tems il en appliqua cinq ou fix coups , à tour de bras, fur les épaules de l'infolent Ambaf-fadeur. Le Confeiller voyant battre fon Domeftique, fort promtement de fon ca-rofïè , ôc accourant vers l'Abbé , Que faites-vous là ? lui dit-il. Je punis un infolent , répondit froidement l'Abbé. Parbleu, Mr. l'Abbé, je vous trouve plai-fant , d'ofer battre un de mes gens ! Vaut ne me connoijj'ez pas , fans doute , ear 'vous auriez du refpeSt pour ma livrée. Pardonnez-moi, répliqua l'Abbé , je vont connais très bien.....Et qui fuis-je, dit le Confeiller ? Vous êtes un fit, répondit l'Abbé. Le Petit- Maître fe retira, ôc ne demanda point fon refte. Cette Lliftoirc eft très véritable , je la tiens de F Abbé de Vairac lui - même, qui me l'a contée avec le même fang-froid avec lequel il avoit répondu au Confeiller. Quoi- Quoique les Laquais ne lbient pas gens dont on s'entretienne ordinairement, ceux de Paris me paroiiTent mériter que je vous en dife quelques mots. Ils forment un Corps li coniidérable, qu'il y a bien des Rois qui n'ont pas une Armée auffi nom-breule. D'ailleurs , ces gens-là font des fortunes fi extraordinaires & deviennent fouvent fi rapidement, de Valets, Mai-tres 6c Seigneurs, que franchement ils ne doivent pas être confondus parmi le gros des Laquais de l'Europe. Ceux d'entre eux qui ont le talent de favoir faire les Petits-Maitres, comme il y en a beaucoup, (car tout ce qu'il y a de mieux fait fk de plus beau fe trouve dans la Livrée de Paris,) ceux-là, dis-je, étant au fer-vice de quelque jeune Seigneur, font ordinairement pairs & compagnons avec leurs Maitres. 11 y en a d autres qui font gens à bonnes fortunes, & fi on en croit la Satire ôc peut-être les apparences, il y a des Dames de la première qualité qui ne traitent pas toujours leurs Laquais en Domeftiques. 11 eft vrai qu'elles les tirent la plupart du tems de la Livrée, 6c pour les approcher de leur perfonne elles en font des Garçons ou Valets de chambre. Rien n'eft trop beau pour ces Favoris de Vénus, on les équipe comme des Princes i 6c à voir un de ces Laquais fortunés , on le prendroit aiiément pour un homme de conféquenec. Il eft vrai qu'il y y en a qui contrefont l'homme de qua- Paris. lité, on ne peut pas mieux , ôc fou vent ils ont de meilleures manières que leurs Maitres. L'air d'importance 6c de Seigneur eft aflèz né avec le Fismçois. •D'autres jouifïént de la faveur de leurs jeunes Maitres, d'une manière fi peu conforme aux ufages ordinaires , qu'on ne fait qu'en penfer ; Ôc plufieurs de ces Seigneurs , oubliant ce qu'ils fe doivent à eux - mêmes ôc à leur nom , font des parties de fouper avec ces gens , où il me paroît que l'agrément de la conver-fation ne fauroit avoir part. Mais tel eft l'efprit de débauche , qui s'eft emparé de la plus grande partie de la 1 eu-nefïè de la Cour. 11 eft vrai que cela a été de tout tems. , Ce n'eft pas que l'excès de débauche foit du goût de la Nation, au contraire, le François eft né vertueux, ôc il meurt de même : heureux s'il peut échapcr à quatre ou cinq années d'une jeu ne (Te bouillante, Ôc furmonrer les pafTions tu-multueufes que fa grande vivaciié allume dans fon cceur, ôc qui lui font commettre des chofès à vingt ans, qu'il détefte ôc abhorre à trente! Je foutiens même que la plupart des François ne funt point vicieux par panchant. Le Seigneur left; infiniment plus que le gros de la Nation, ôc c'eft un je-ne-fai-quoi qui l'entraine;. mauvaife compagnie, mauvais confèils; il Pari* il croit qu'il eft du bel-air d'êrre débauché, & beaucoup le font infiniment plus par la langue, que par les effets. il me paroît qu'il n'en eft pas de même des Femmes, (je parle de celles qui ne font pas fort étroitement attachées aux préceptes de la vertu. ) Elles confervent toujours un extérieur de bienteance, qui impofe à ceux qui ne les connoiffcnt pas. Leurs difcours mêmes ne font paxS licencieux; & fi elles font du mal, c'eft dans un tête-a-tête. Il eft certain qu'on rend peu de juif ice parmi nous aux Dames Françoifes. Beaucoup de nos jeuncs-gens qui reviennent de Paris, voulant faire les Petits-Maitres, en font des récits fi desavantageux , que la plupart des Allemands, & fur-tout nos Dames, penfent le contraire de ce qu'elles devraient penfer. La vertu 6c la modeftie régnent ici parmi le Sexe} comme ailleurs, Ôc ces Petits-Mai-tres qui en parlent autrement, ne favent fouvent pas nommer une Femme de qualité par ion nom, ôc ne connoiffene pas même une Antichambre. Certainement, il y a ici des Femmes de qualité qui ont levé le mafque, mai* leur nombre eft fi petit, que l'on ne doit point faire retomber leur mauvaife conduite fur tout le Beau-Sexe, je vous fuis garant qu'il y a ici des Dames, belles, jeunes Ôc faites pour charmer, ôc que la médifartee eft obligée de refpeéter. Il me paroît que l'on ne fauroit en demander davantage. Pari». Il en eft de même des Jeunes-gens, le plus grand nombre eft très débauché : mais il s'en trouve qui ont confervé le frein de la modeftie. Un La Tremouiîîe, un Luxembourg, un Bouflers, & plulieurs autres, peuvent fervir d'exemples à notre Jeuneiîe,qui peut-être vaudroit moins que la Jeuneiîe Françoiie, fi elle entroit auflï jeune dans le monde, & qu'elle fe trouvât dans le centre de la joie & des plaifirs. Mais, je m'apperçois qu'au-lieu d'une Lettre, j'écris un Fatlum. Je laifle là mon Plaidoyer, & je croi ma Lettre aflez, longue pour pouvoir la terminer. Je fuis entièrement à vous. A Paris, ce il de Mai LETTRE XLIII. Monsieur, J'Etois fort embarafle, il y a quelque tems, de ce qui pourroit faire oublier aux François le P. Girard, la Cadière, Se le prétendu Bienheureux Fârh. J'appré-hendois que ces deux fujets ne fulTent encore longtcms la matière des converfa- tions ; tions : mais je me fuis trompé. Tout cela eft oublié, & il y a bien autre chofe fur le tapis. L'Archevêque de Paris s'eft avifé de faire publier un Mandement, par lequel il défend un certain Imprimé intitulé Nouvelles Ecçléftafliques. Le Parlement de Paris a pris la mouche , & a donné un Arrêt qui condamne le Mandement de l'Archevêque. La Cour a pris le parti du Prélat, & a cafie tout ce qu'a fait le Parlement. Celui-ci a prétendu maintenir fes Privilèges, qu'il ne tient pourtant que de la bonté des Rois : il a ceiTé de s'alTemblcr , & il a falu des ordres réitérés du Roi pour lui faire reprendre fes fondions. Cependant , les Avocats ôc les Procureurs fe font avifés de foutenir le Parlement, & prérendent ne point plaider avant que le Roi ait rendu juftice au Parlement , (c'eft le terme dont ils fe fervent,) en lui con-fervant la poilèlTion des Appels comme d'abus , qu'il a , à la vérité , depuis plu-fieurs fiècles, 6c qui fait le iiijet.des conteftations prélentes. Le Parlement dit qu'il eft d'autant plus en droit de foutenir cette ancienne prérogative, que fa conscience, 6c le bien de l'Etat auquel il eft prépofé, l'y engagent. Car quelles conféquences, dit-il, ne réfulteroient point, fi on autorifoit le Mandement de l'Ar- l'Archevêque ? Le Pape & les Evêques pARlS. infenfiblement s'attribueroient le droit qu'ils prétendent avoir, de prononcer des Excommunications pour des caufes très légères, & même de mettre le Roi en Interdit, & d'ufurper ainfi un Droit temporel defpotique, à l'ombre de leur Pouvoir fpirituel : ce qu'il prétend être abfolument contraire aux Libertés de cette Eglife, félon lefquelles il fuffit qu'en pareil cas, le Parlement ait flétri & condamné ces Nouvelles Eccléfiafti-ques, comme il a déjà fait depuis long-tems. Voilà en gros la fituàtion des affaires, & les raifons qu'allègue le Parlement pour le maintien de fes Droits , qu'il farcit d'une infinité de grands mots > comme de motifs de confeience , de Libertés de VEglife Gallicane , ôc de mille exprefïions femblables, dont les Croche-teurs mêmes vous étourdilTent les oreilles , en pafTant dans les rues. Les Dames mêmes ont oublié pour un rems tout jargon de parure , pour ne parler que ce langage là; ôc telle ne s'entrete-noit que de Pompons &c de Cornettes y qui aujourd'hui parle en Avocat , fou» tient les "Libertés Gallicanes, détruit l'E-glife , & envoie le Sacré Collège & les Evêques aux Galères. Enfin, je ne puis vous exprimer jufqu'à quel point le François eft ridicule dans ces circon-Tome UL G ftaa- ■ - H - " Lettre* ftânces. Avide de toute nouveauté; bonne ou mauvaife , il les fàifit aveuglément : ce qui confirme l'inconftance de la Nation, qui eft telle , que fi par bizzarrerie on alloit lui prêcher le Ma-hométifme, je croi qu'elle l'embraiTe-roit avec cette légèreté qui lui eft fi ordinaire. Voici, mon cher Ami, une Pièce de Poëfie qui fans doute vous fera plailir , & que j'ai trouvée bonne. Elle roule fur Ja Tranquillité Chrétienne. Si je puis encore, avant mon départ d'ici, amafier quelque ^chofe de nouveau, je ne manquerai pas de vous l'envoyer. Je ibupai dernièrement dans un endroit a-vec Mr. de Voltaire & un autre Poète ; ce dernier nous récita une Pièce fort jolie, qu'il ne voulut pas nous communiquer , fous prétexte qu'elle é-toit imparfaite : mais il me l'a cependant promife. Quand je l'aurai, je vous l'envoierai. TRAN- du Baron dePollnitz. 90 T R A N QU ILLITE' CHRETIENNE Sur les Difputes du tems. Plein d'ignorance & de mifèret, Pourquoi, Mortel audacieux, Veux-tu fur de profonds myftères Porter un œil trop curieux ? Toi, pour qui toute la Nature Ne par oit qu'une Enigme obfcurêt Tu fondes les Divins Décrets', Tu crois que to?i foible génie De l'Intelligence infinie Pourra dévoiler les fecrets ? Crains les ténèbres refpetlables r Où Dieu cache fa Majefté. De fes deffeins impénétrables Qui peut percer l'obfcuritél Mefure la vafte étendue De ces Globes, qu'offre d la vite Un tems ferein & lumineux. Mais arrête ici ton audace} G 2 T* ioo Lettre % Tu ne feux voir que la furface Ve ce Théâtre merveilleux. Où t'emporte l'ardeur extrême De tout comprendre & de tout voir ? Tu ne te connoiî pas toi-même, L'Efprit échape à fon favoir; Et la Raijon impérieufer De la Grâce vitlorieufe Veut pénétrer la profondeur ! Paul y tout rempli de fa lumière, Nous apprend quelle eft la manière Dont elle agit fur notre cœur. Je jens en moi que la Nature Veut établir ma Liberté; Elle fe plaint, elle murmure y Quand fon pouvoir eft difputé. Mais fi j'interroge mon Ame, Comment une célefie fiâme La fait agir, la fait mouvoir ; Je crains que cette Ame hautaine Ne donne à la puiffance humaine 3 Ce qui vient du Divin pouvoir. Surpris de l'intervalle immenfè Qu'on voit de l'Homme au Créateur Si je n'aAmets une Puijfanco Qui concourt avec fon Auteur , Paris. Ce n'eft plus pour moi qu'un vaiu titre, Que te franc, que te libre Arbitre, Que ma Raifon fait tant vanter : fe ne cannois plus de Jufticey Qui récompense & qui punijjè Ce qui ne peut rien mériter. Ainfi mon Ame eft fufpendut Entre les fèntimens divers : Far-tout ou je porte ma vue Je vois des abîmes ouverts. Pour me garantir du naufrage, Je n'ofe quitter le rivage; ha crainte affûre mon repos. Combien, dans cette Mer profonde, Flottant à la merci de l'onde 5 Se perdent au milieu des flots l De ta?it de difputes fameufes^ Où nous embarque notre orgueil, Fuyons les routes danger eu/es : L'Homme à lui-même eft un écueiL Dans le petit Monde fenfible, Eft un Dédale imperceptible, Dont nous ignorons les détours. La Foi de notre jort décide : Elle tient le fil qui nous guide ; G 3 Sans lot Lettres Sans elle, nous errons toujours. Heureux le cœur fmple & docile, Qui fans raifonner fur la Toi, RefpeèJe dans nos faims Conciles 1L.e facré dépôt de la Foi; Ne franchiffant point la barrière, Que le Père de la lumière Met aux vains efforts de l'efprit ! A quoi nos foins doivent-ils tendre ? Efi-ce à pratiquer j ou comprendre Ce que le Ciel nous a prefcrit ? Laiffons la Sageffe éternelle Difpofer des cœurs à fin gré. Il fuffït à l'Homme fidelle Que par lui Dieu foit adoré. Qu'importe à ces Docteurs habiles, Que par des raifons trop fubtiles Un Syflème foit combattu ? Que produit leur haute fcience, Si Dieu ne met dans la balance Que l'Innocence & la Vertu ? Il feroit à fouhaiter que tous les François euffent la même tranquillité Chrétienne ; Us ne fe déchireroient pas comme ils font, & ils ne feroient pas lefcan-daic de l'Europe. Mais la chofe eft al- lée trop loin, & je ne prévois pas qu'el- p le puiiTe être terminée. Ce fera toujours un Ver qui rongera la France, ôc un fujet de divifion entre la Cour ôc le Parlement. La Cour vient depuis quelques jours d'exiler l'Abbé Tutelle, Confeiller au Parlement. C'étoit le Broujfel du tems ; ôc je croi qu'il feroit charmé de faire revivre les anciennes Barricades, qui furent faites pendant la Minorité de Louis XIV y après que la Reine-Mère Anne d'Autriche eut fait arrêter le même Broujfel. Mais jufqu'à préfent il ne paroît pas que Fon falTe tant de bruit pour l'Abbé Tutelle, qui en faifoit cependant beaucoup au Parlement. Il y parloit comme un Ange, ôc tout le monde difoit qu'il dé-fendoit, on ne peut pas mieux, les Libertés de l'Eglife Gallicane. Je craina bien pourtant, qu'il ne faura pas défendre fa propre liberté ; ôc je fuis bien trompé, s'il meurt fans avoir logé à Vin-cennes ou à la Bajiil/e. Le Parlement fe donne de grands mouvemens pour Ion rappel; il ne veut rien faire avant que ce cher Confrère ne lui foit rendu. En attendant, rien ne fe fait, ôc les Particuliers en fouffrcnt; ôc ces mêmes Con-fcillers qui fe font un cas de confcience d'enregiltrer un Edit du Roi qui donne atteinte aux anciens Privilèges du Parle-ment, ne s'en font point de faire languir G 4 la la Veuve & l'Orphelin après la fin d'un Procès fufpendu pendant ces divifions do-meftiqucs. En vérité, je ne puis qu'admirer la bonté du Roi, & la modération du Cardinal de Fleury, Mr. le Régent & le Cardinal Pubois n'auroient pas eu tant de patience. Le premier envoya le Parlement à Pontoife , ôc fit arrêter & exiler des Confeillers, pour un fujet moins grave, ôc lorfque le Parlement s'oppofoit aux changemens des Monnoies, qui intèrefibient véritablement la fortune de tous les François. Jufqu'à préfent, les Repréfentations du Parlement n'ont point produit le retour de l'Abbé Vucelle\ Ôc je croi que le Prémier-Préfident fera encore plus d'un voyage à Compiegne, où le Roi eft depuis quelque tems *. On vient de faire un Couplet fur l'exil de l'Abbé: je ne me fouviens point du commencement ; mais voici comme ï\ finit : Que de bonnes gens vont pleurer ! Que de filles vont crier, Rendez-nous Fu celle, ô gaiy Rendez-nous Pucelle ! Con^ * [Ce célèbre Confeiller a été rendu aux inftan-tes prières de fes Confrères, peu de tems après; & il a mérite les éloges du Miniftre même, comme de toute la France, j »u Baron de Pôllnitz. 105 Convenez que les François font heu- pari*. reux. Ils trouvent matière à fe divertir de tout. Tout eft fujet de Chanfonpour eux ; & je me fouviens d'avoir ouï chanter la Pefte qui étoit en Provence en 1720. Au refte, tous ces grabuges qui font entre la Cour & le Parlement , ont fait oublier abfolument le Bienheureux Paris. Il eft vrai qu'il commençoit d'être hors de mode, depuis que la Cour a-voit fait fermer le Cimetière de S. Mé-dard où il eft enterré. Si l'on eût pris ce parti d'abord, on auroit prévenu bien des fcandales. Je fuis bien fâché de ne pouvoir être témoin de la fin de ceci; mes affaires m'appellent en Allemagne, &je compte de partir au premier jour: ainfi, ne m'écrivez plus. Je vis, il y a deux jours, honnir les appas d'une jeune Dame, qui fut fort mortifiée. C'étoit la Marquife de R..... Dame du Palais. Elle eft dans l'ufago depuis longtems, de mettre très bizarrement beaucoup de blanc, de rouge & de mouches. Ce jour-là elle s'étoit fur-pafféc. Elle étoit venue au Jardin des Tuilleries pour s'y faire admirer, car on dit qu'elle eft fort coquette ; mais elle fut huée par quantité de Petits-Maitres qui la Suivirent, & qui attroupèrent tout le monde après elle, de forte que la pauvre Dame prit le parti de fe retirer. Comme elle fut obligée d'attendre fon caroflè, Q 5, les les Laquais Petits-Maitres la huèrent encore beaucoup. Je n'ai de ma vie vu une femme plus humiliée. Le même foir, je foupai avec le Marquis de L .....Je ne Pavois jamais V'n une Dame m'apprit qu'il devoit fa fortune à une vieille Femme. Car quoiqu'il fût homme de naiflance, comme il etoit Cadet, il n'étoit point riche. A l'âge de vingt ans, il plut à Madame la Mar- qdlfe de L.....qui en avoit foixante & dix. Elle lui propofa de l'époufer. Le Marquis, pour-lors Chevalier, ne fe fit pas beaucoup prier. Il étoit d'une très jolie figure, mais il n'ofoit fe flatter de trouver une jeune Femme qui eût cent-cinquante-mille livres de rente, comme avoit 1a Marquife. En revenant de S. Sul-pice où les deux Amans furent mariés, la Marquife conduilît fon Epoux chez elle, & l'aiant mené dans un apartement : Vous n'en aurez que la peur, Mo?tjieur, lui dit-elle. Ne vous imaginez pas que je vous aye époufé pour la bagatelle. Voici votre apartement ; le mien eft de lautre côté: vous coucherez ici,& je coucherai dans ma chambre. J'ai voulu vous faire du bien, parce que vous m'avez paru un jeune - homme de mérite. Je nai pu le faire fans vous épou-fer; & fai mieux aimé qu'on dife que je fuis une vieille folle qui a époujé un jeune homme, que de donner lieu de dire que je veut entretiens, il eft plus honorable pour vous vous <& pour moi, d'être jnariês ; je pour- j> rai vous faire autant de bien que je voudrai, fans que le Public puijje y trouver à redire. Je fuis réfolue de le faire ; & comme je n'ai point de Parens , vous pouvez, compter que tout ce que j'ai Jera un jour à vous. Je ne vous demande pour toute re-connoijfance, qu'un peu de part dans votre efîime; & je fuis perfuadée que vous êtes trop honnête homme pour 1? avoir pas de bon-7ies manières pour moi. Jugez de la fur-prife du Marquis, à un difcours fi peu attendu. 11 voulut fe jetter aux pieds de fa Femme, Ôc lui donner des marques de la plus vive tendrefie; mais elle le re-pouilant : Point de ces chofes extraordinaires, Monfieur, lui dit-elle, vivons en A-mis-, tout le refie eft fuperfiu. Enfin elle lui fit connoitre, qu'abfolument ellevou-loit qu'il ne penfât jamais qu'elle fût fa Femme. Le Marquis fut obligé de s'y conformer; ils ont vécu ainfi en parfaite intelligence pendant lèpt ans; la Dame eft morte, ôc a lai fie l'on Mari lbn héritier univerfel. Les bonnes fortunes font pour les jeunes-gens. J'avois ici des engagemens, à l'âge de vingt-deux ans, avec une Vieille qui n'étoic pai tout à fait fi desintèref- fée que Madame la Marquife de L..... Elle me faifoit du bien; mais elle m'obli-geoit à beaucoup de reconnoifiance, La Dame avoit quarante ans plus que moi ; les les mouches j le rouge, & le blanc re-nouvelloienc journellement fes attraits. Il faloit avoir vingt-deux ans, comme moi, pour n'être point épouvanté de fes charmes. Quatre-vingt-mille livres de rente que j'envifageois, me faifoient prendre pour naturel ce qui n'étoit qu'emprunté; & je ne fai fi je n'aurois pas juré que ma furannéeMaitreffe n'avoit que quinze ans. Nous avons vécu enfemble pendant deux ans, avec beaucoup d'attention l'un pour l'autre. La Dame avoit deux Fils, qui pouvoient être mes Pères; cependant, elle ne desefpéroit pas de pouvoir avoir encore lignée. Elle me pro-pofa le mariage: j', confentis. Mrs. mes Beaux-fils futurs furent avertis, je ne fai par qui, où j'en étois avec leur Mère. Ils vinrent le jetter à fes pieds, & la conjurèrent de ne leur point faire le tort, à eux Ôc à leurs Enfans, (car ils étoient mariés) de m'époufer. Ma Promife fut ébranlée; je fur vins dans le tems qu'elle alloit promettre à fes Fils ce qu'ils de-mandoient. Ma préfence la raiïura, 6c je la fis triompher de fa foiblelTe. Cependant, les Fils firen1- louer unref-fort qui ne leur fut pas inutile. Leur Mère étoit coquette; mais elle étoit dévote, & elle donnoit à Dieu le tems qu'elle n'étoit pas avec moi ou à fa toilette. Les Fils lui détachèrent un Prêtre de S. Sul-pice. Le fiiint homms prit ion tems, que que je n'étois pas au logis. Je n'avois Pari*. pas prévu le coup, fans quoi, le SuiiTe& tous les Domeftiques étant mes créatures , il m'auroit été aifé de lui empêcher l'entrée de la maifon. Il s'acquitta fi bien de fa commilTion, qu'il obtint que le Contrat de mariage qui devoit être ligné le lendemain, ne le ieroit que dans trois mois. J'appris cette nouvelle fans beaucoup de chagrin, &c j'avoue que ma préemption étoit telle, que je ne croyois pas que la Dame pût m'échaper. Au portrait que je vous ai fait de ma Belle, vous jugez bien que je n'étois pas fort a-moureux. Le fcrupule que lui avoit fait naitre le Prêtre de S. Sulpice, ne la fai-foit point changer de manières à mon égard ' Nous vivions toujours fort unis enfemble : cependant je n'ofois pas parler de ra'alTurer quelque chofe. On me fai-foit de gros préfens, je. les diflipois à mefure que je les recevois. Parler de Teftament à une Amante de foixante & deux ans, c'étoit une étrange manière de faire l'amour, & le moyen de tout perdre. Ce malheur m'arriva cependant, lorsque j'y penibis le moins. J'entrai un matin dans la chambre de ma Belle: je la trouvai à fa toilette. Elle le plaignit d'un grand mal de tête, & me dit qu'elle fe trouvoit fort embaralTée ; qu'elle avoic prié du monde à dîner > mais qu'elle n'étoit toit pas en état de leur tenir compagnie; Elle me pria de faire les honneurs de la maifon. Je lui confeillai de faire dire à ceux qu'elle avoit invités, qu'elle fe trou-voit mal, & qu'elle les prioit de remettre la partie à un autre jour. Elle y con-fentit. Je fortis, en lui promettant de retourner pour dîner avec elle. Je fus faire ma tournée. En rentrant , je la trouvai parée plus qu'à l'ordinaire. Elle me dit que fon mal de tête s'étant diffipé après avoir pris du CafFé, elle s'étoit a-juftée pour me plaire. Nous dînâmes cnfemble: elle mangea très peu, ôc recommença bientôt à fe plaindre. Je la fis mettre fur fon lit, ôc m'étant afiis à côté d'elle, je pris un Livre pour lire jufqu'à ce qu'elle pût prendre du repos. Tout d'un coup je me fentis faifir la main» Je me tournai vers le lit, ôc je vis ma Promife expirer en me ferrant la main. J'appellai du monde. On vint; Chirurgiens ôc Médecins arrivèrent. On la fai-gna ; mais tout fut inutile : On ne voit pat deux fois le rivage des morts. Cet accident me frappa tellement,que je ne peniài pas même à mettre mes effets à couvert. Je pailai dans ma chambre, & à peine y avois-je été quelques momens, qu'on me dit qu'un des Fils de la défunte étoit là avec un Cornmif-faire pour mettre le fcellé fur tout. Je ne m'y oppofai nullement, & de bonne- du Baron de Pôllnitz. in foi, je n'avois aucun droit de le faire. Paun-Mais ma bonté ne fcrvit qu'à rendre le Fils plus fier: il vint jufques dans mon apartement, pour mettre le fcellé fur les chofes qui m'appartenoient. Je lui dis ue s'il ne fe retiroit, je le ferois mettre ehors par mes gens, ôc ceux de la défunte qui m'étoient tous affectionnés. Sur ces entrefaites, feu Mr. de N.....Confeiller au Parlement, qui étoit fort de mes Amis, vint pour me voir: il me confcilla de déloger le plus vue que je pourrois, ôc de faire emporter au-plutôt ce qui m'appartenoit. 11 m'offrit fa maifon , pour y retirer mes meubles Ôc mes effets. J'acceptai l'offre, ôc tout fut em- Îiorté en peu d'heures. Les Fils ont vou-u depuis m'intenter un procès ; mais comme ils n'avoient aucune preuve de ce que j'étois relié redevable à leur Mère, ils n'ofèrent entreprendre de me chagriner. Si j'avois été alors de l'humeur dont je fuis aujourd'hui, j'aurois été plus longtems fenfible à la perte que je fai-fois; car outre une bonne Amie, chofe rare ôc précieufe, je perdois l'efpérance d'une fortune brillante. Je ne fai comment j'ai été vous rap-peïlcr mes anciennes avantures. C'eft u-ne démangeaifon de caufer ; ôc cela m'eft plus permis avec vous, qu'avec un autre. Adieu, Mon Cher. Vous n'aurez plus rien de moi fur ce Pays-ci, car je me prépare à le quitter au premier jour. A Paris, le 28 de Mai 1733.. ##################### LETTRE XLIV. Monsieur, lu N fortant de Paris, j'ai fuivi le pavé jufqu'à Chantilly, qui peut paf-fer pour le plus beau Château du Royaume , depuis les grandes augmentations qui y ont été faites par Mr. le Duc, qui en eft Seigneur. La Forêt de Chantilly eft tout ce que l'Art & la Nature ont formé de plus beau. Le Château eft magnifique, les Ecuries fuperbes, & le Parc eft orné des plus belles Eaux du monde. Louis XIV a toujours fort fou-haité d'avoir cette Maifon. Il demanda à l'acheter de feu Mr. le Prince. Celui-ci lui répondit, qu'il étoit le maitre ; mais que dès ce moment, il le fupplioit de l'en faire Concierge. Le Roi comprit quec'étoit à regret que Mr. le Prince lui cèdoit cette Maifon, fie n'en parla plus. Mr. ie Duc de Bourbon, qui eft apurement le plus riche Prince, fans être Souverain, qui foit en Europe, demeu- du Baron de Pôllnitz. 113 re beaucoup à Chantilly depuis qu'il n'eu: plus chargé du Miniftère. Il y a toujours une très nombreufe Cour, & il y vit plutôt en Roi, qu'en Prince du Sang. Après m'être bien promené à Chantil- Cam-ly, j'ai été coucher à Sentis ; & le len- BRAY* demain je fuis arrivé de bonne heure à C a m b r a y , Ville célèbre par plulïcurs endroits, mais dont la beauté ne répond point à la réputation. Cambray y Capitale du Cambrejis , étoit autrefois une Ville Impériale, &c fon Archevêque étoit Souverain ôc Prince de l'Empire. La France s'étant emparée de Cambray , il ne relie plus à l'Archevêque , de tant de belles prérogatives, que le vain Titre de Prince de l'Empire qu'il continue toujours de prendre, bien qu'il n'ait plus de voix ni de féance à la Diète. Depuis 1712, que je vins pour la première fois en France, l'Eglife de Cambray a eu quatre Archevêques. Je trouvai alors le Siège occupé par l'illuftre François de Salignac de la Mothe Fenelony Précepteur de feu Mr. le Duc de Bourgogne Père de Louis XV. Il eut pour Succeffeur Jean d?Bftréesy mais celui-ci mourut avant que d'avoir pris poffellion de l'Archevêché. Le célèbre Cardinal Dubois lui fuccéda : il jouit peu de cette Dignité, étant mort à Ver failles le 10 d'Août 1723. L'Abbé de S. Albin , Fils-naturel de Mr. le Duc d'Or-léans Régent, fut nommé Archevêque de Tome III. H Cam- Lettres Cambray , dans un âge où il eut befoin des Difpenfes de Rome pour pouvoir occuper cette Dignité. Je croi qu'il n'eft pas hors de propos que je m'arrête un moment fur le Cardinal Dubois. Peut-être ne ferez-vous pas fâché d'en apprendre quelques particularités. Voici avant toute chofe les Titres qu'il portoit : Guillaume Carài?ial Dubois, Prêtre, Archevêque Duc de Cambray , Prince du Saint Empire, Comte du Cambrefis , Abbé de Saint-Juft- de Nogent fous Couffy , de Bourgueil, d'Airvaux, de Cercamp , de Bergue-Saint-Vinoc , & dé Saint Bertin de Saint-Omer ; Principal & Premier Miniftre , & Secrétaire d'Etat ? aiant le Département des Affaires Etrangères ; Grand-Maitre & Surintcndant-Gé' néral des Courier s ,Pofes & Relais de France ; l'un des Quarante de l'Académie Fran-pif e, & de celle des Belles-Lettres ; Elu par les Prélats & autres Députés à l'Afifem-blée générale du Clergé de France, pour en être Premier-Préf dent. Le Cardinal Dubois étoit d'une extraction commune, mais né avec de grands talens , & avec un cfprit peu ordinaire. Il fut Précepteur de Mr. le Duc d'Orléans , qui a été Régent du Royaume; c'eft ce qui faiibit que le Prince & lui fe connoiilbient fi parfaitement, que le moindre ligne leur fufrifoit pour s'entendre. L'Abbé Dubois fut employé dans les Négociations de la Paix, en Angleterre, Ca«-& à Utrecbt. Le Duc d'Orléans étant BR*** devenu Régent, l'envoya ménager les intérêts du Roi auprès du Roi George I., avec qui il conclut le célèbre Traité de la Quadruple Alliance. A la Majorité du Roi , le Régent voulant avoir un Pré-mier-Miniftre dont il fût allure , choifit l'Abbé Dubois. Il le fit d'abord Archevêque, enfuite il obtint le Chapeau pour lui. On prétend que le Cardinal cotn-mençoit à oublier ce qu'il devoir à fon bienfaiteur, 6c qu'il penfoit à fe fouftrai-re de fon obéiflance, lorfqu'il mourut à Verfailles , après avoir joui peu d'années d'une brillante fortune. Sa maladie ne dura que peu de jours, 6c fut douloureufe. ha Peyronie , Premier-Chirurgien du Roi, lui fit une O-pération , que les ennemis du Cardinal attribuent au peu de continence qu'il ar-voit eue avant que d'être Archevêque. Il craignit beaucoup l'Opération , 6c ne voulut point la fupporter, quoique les Chirurgiens l'aflurailènt que c'étoit l'unique moyen de lui fauver la vie. Mr. le Duc cYOrléans, à qui les jours du Minis* tre étoient chers, uià de fon autorité,6c ob lica le Cardinal à fubir l'Opération. Elle ne répondit point à l'eipérance de S. A. R. Son Favori mourut peu de jours après. L'empreficment avec lequel le Duc d'Orléans s'empara du Minilière, H 2 con- confirma le Public dans l'opinion où il étoit, que le Cardinal avoit penfé à fe fouftraire à la domination de ce Prince. Le Cardinal fut peu regretté : ii étoit brufque , violent & emporté; ce n'étoit pas le moyen de s'acquérir l'amitié d'une Nation, qui veut qu'on conferve la bien-féance & la politefïe en toutes choies. La fatire , peut-être la calomnie, a débité que ce Cardinal étoit marié à Tours, lorsqu'il fut fait Archevêque, Se que fa Femme vivoit dans cette Ville : qu'il avoit chargé Mr. de Bretueil Intendant de Tours, de la porter à ne fe point dire fà Femme;, mais qu'elle ne voulut point perdre cet avantage ; fur quoi Mr. de Bretueil s'é-toit fait apporter le Regiftre de la Paroif-fe où le mariage s'étoit fait, & en avoit arraché la feuille : que la Femme avoit voulu faire du bruit, mais qu'on l'avoit menacée de la faire enfermer, & obligée ainfi à garder le filence. Je ne vous garantis pas qu'il y ait un mot de vrai en tout ceci : mais c'eft ce que la Chronique fcandaleufè a débité , & qui a paffé jufqu'à Rome. Le feu Pape apprenant toute cette Hiftoire, & encore bien d'autres qui rouloient fur le chapitre du Cardinal, fut au defefpoir de l'avoir élevé à la Pourpre. On nf a allure que le chagrin qu'en avoit eu le S. Père, avoit contribué à abréger fes jours. Le Cardinal étant un jour dans fes humeurs meurs noires , envoya fans ménager les Cam- termes , Madame la Duchefle de F.....bray. cueillir des violettes, La Dame s'en plaignit à Mr. le Duc d'Orléans Régent. Ce Prince lui répondit : Vous avez, raifort , Madame , le Cardinal Dubois eft un brutal; mais tl eft de bon confeil. Le même Cardinal fit une réponfe à peu près femblable au Cardinal de Noail-les. Celui-ci lui aiant dit , un jour qu'il fortoit de l'Audience de Mr. leDucd'Or-léans, que ce Prince n'avoit pas voulu é-coûter fes repréfentations, & lui avoit dit d'aller fe.....vous entendez le refte.: Eh bien , répondit le Cardinal Dubois, Votre Eminence ne fauroit mieux faire que d'obéir. Ces Contes m'en rappellent un qui courut tout Paris, peu après que le Cardinal Dubois fut élevé à la Pourpre. On faifoit trouver enfemble les Laquais de S. Em & ceux du Cardinal de Noailles. Ils prirent difpute au fujet de la prééminence de leurs Maitres. Les uns dilbient: Notre Maitre eft plus ancien Cardinal, Due & Pair , & Commandeur des Ordres du Roi. Les autres diloient : Le nôtre eft Prince de l'Empire, Duc de Cambray , & Premier-Miniftre. Le nôtre, reprirent les premiers , facre les Evêques ; donc il doit avoir te pas fur le Cardinal Dubois..... Plaifante raifon ! dit un Laquais de ce dernier Cardinal ; fi le facre y fait quelque H 3 cho- chofe, mon Maître eft plus grand Seigneur i le vôtre facre les Evêques , & te mien fa* cre Dieu tous les jours. Il n'avoit pas tort; le Cardinal avoit cette mauvaife habitude, il juroir comme un Grenadier. Le Cardinal en mourant ne laiffa pas de grands biens, éc foit qu'il fût delin-tèrelîé , ou qu'il n'eût pas eu le tems d'amafïèr des richefles, la fortune aiant duré trop peu, fes Héritiers ne trouvèrent pas dequoi fe confoler beaucoup de fa perte. Mr. le Duc d'Orléans l'oublia bien-tôt, Ôc la France ne s'en fouvint qu'autant qu'il plut aux Beaux-Efprits de rappeller ià mémoire par des Satires & des Epitaphes , qui auroient peut - être pailé à la Poilérité, fi le venin y avoit été moins répandu. Le Cardinal Dubois eft inhumé dans l'Eglile S. Honoré, 014 fon Frère étoit Chanoine. Cet Ecclé-fiaftique lui a fait élever un Tombeau de marbre, où le Cardinal eft repréfenté à genoux, tourne vers l'Autel du Chœur, dont il femble détourner la tête. Les Critiques ont dît qu'il nofoit regarder après fa mort, ce qu'il avoit profané^pen-dant fa vie. Le Cardinal Dubois avoit obtenu pour Cambray , que le Congrès s'y tiendroit pour accommoder les différends entre l'Empereur & l'Efpagne. Les François S'en glorifioient beaucoup : ils difoient qu'il étoit bien glorieux pour Mr. le Duc d'Or- du Baron de Polln itz. 119 d'Orléans , que toutes les PuilTances de Cam. l'Europe lui envoyaiiènt des Ambafla- BUAT* deurs pour le rendre l'Arbitre de leur fortune. Les mêmes chofes ont été dites au fujet du Congrès de SoiiTons. On •vient, difoient les Flatteurs de ia Cour , nous demander la Paix chez nous. On é-toit plus modelte autrefois parmi les Alliés ; ôc quand Louis XIV a envoyé fes Ambaffadeurs à Aix-la-Chapelle , à Ni-mègue, à Rysvayck , £ à Gertruydenberg, ] à Utrecht, à Rafiadt , nous n'avons pas dit que le Roi venoit nous demander la Paix, Mais les François ont toujours dit qu'ils donnaient la Paix à l'Europe. Quoi qu'il en foit, ils n'ont pas beaucoup lieu de fe glorifier des deux derniers Congrès qui ont été tenus chez eux; l'un 6c l'autre ont été ouverts avec beaucoup d'éclat, 6c fe font terminés fans rien conclure. Le Traité de Vienne, conclu le 30 Avril 1715, mit fin à celui de Cambray, dont toutes les opérations pendant l'eipace de quatre ans n'avoient abouti qu'à former un beau Règlement pour le Cérémonial, ôc pour maintenir le bon ordre encre les Domeiliques. Le Baron de Ripperda , depuis Duc ôc Grand d'Efpagne, devenu Prémier-Miniftre de Leurs Majeftés Catholiques, homme d'un tempérament vif, étant ennuyé des longueurs du Congrès de Cambray , le rendit à Vienne fous le nom de Baron de Paffènberg , Ôc établit H -f une Cam- une amitié fi étroite entre fon Maître & bray. l'Empereur, qu'il n'y en avoit peut-être jamais eu dépareille entre les deux Cours, lors même que la Maifon d'Autriche oc-cupoit le Trône d'Efpagne. La gloire du Congrès de Cambray en reçut un grand échec, & le Traité de Seville n'a pas fait plus d'honneur au Congrès de Soijfons. Valen- De Cambray je fuis allé à Valen-ciennes. c i e n n e s, dernière Place de la Flandre Françoife, & une des plus considérables de cette Province. Le Prince de Tingry en eft Gouverneur. 11 eft Fils du célèbre Duc de Luxembourg Maréchal de France , duquel nos Ecrivains ont cru ternir la gloire, en l'accufant d'avoir été en commerce avec le Diable, qui lui a-voit fait remporter tant de Victoires fur nous. Le Prince de Tingry s'eft beaucoup diftingué pendant la dernière Guerre, fous le nom de Chevalier de Luxembourg. 11 fit entrer un Convoi de Poudre, pendant la nuit, dans Lille afliégée; ôc contribua beaucoup par-là à faire traîner ce Siège. Tout ce qu'il y a d'Officiers le regardent comme un des premiers Généraux qui foit en France. Il y a long-tems que là naiïïance , fon mérite , fes 1er vices ôc ceux de fon Père , auroient dû lui procurer le Bâton de Maréchal. On croyoit qu'il feroit compris dans la dernière Promotion: cependant il ne l'a point été *. Il eft aujourd'hui un des plus anciens Lieutenans- Généraux. Je ne faurois m'empêcher de vous parler de « fa politefle ôc de fes manières gracieufes ; j'ai lieu de me louer infiniment des bontés qu'il a bien voulu avoir pour moi. M o n s , Capitale du Hainaut, eft Mon*. moins grand que Valenciennes ; mais je croi qu'il y a plus de NobleiTe , ôc que s'il y avoit Garnifon Françoifè, il y au-roit plus de Société. C'eit le Duc à'A-remberg qui eft Gouverneur de cette Place Ôc du Hainaut , dont il eft Grand-Bailly héréditaire; mais il fait là demeure à Bruxelles, ôc ne vient dans la Province que pour y tenir les Etats. Ce Seigneur eft Prince Souverain de l'Empire, Lieutenant-Général, Colonel d'un Régiment d'Infanterie, Gouverneur du Hainaut ôc de la Ville de Mons, Chevalier de laToifon d'Or; [ôc depuis peu, Capitaine des Trabans de la Garde de l'Empereur. ] 11 étoit au berceau, lorsqu'il reçut le Colier de cet Ordre du Roi Charles II. après que fon Père eut été tué en Hongrie. Il eft le feul Seigneur des Pays-Bas, qui n'ait jamais reconnu d'autreSou-verain que la Maifon d'Autriche. Madame * [Il ne l'a pas même été dans la Promotion de 4 Maréchaux de France, que le Roi vient de faire cette année 1734, quoiqu'il ait lervi uv« beaucoup de valeur depuis le commencement de cette Gueire.J H 5 Mon», me fa Mère, qui eft une Fille du feu-Marquis de Grana Gouverneur des Pays-Bas, a iu l'empêcher de prendre aucun parti, & elle a toujours rejette les avantages qui lui ont été offerts de la part de Philippe V. La Bataille de llamélies aiant fournis les Pays-Bas à leur légitime Souverain, Madame la DuchefTe d'Arembcrg & fon Fils firent des premiers à recon-noitre le Roi Charles III. Le jeune Duc eut un Régiment National Flamand au fervice de ce Monarque, & fit fort jeune fa première Campagne fous Mylord JMarlborcugh. C'eft fous lui, & fous le Prince Eugène de Savoie, qu'il a fait depuis toutes fes Campagnes , où il s'eft toujours fort diftingué , mais particulièrement à la Bataille de Belgrade. Il eft certain que fi le Duc faifoit plus de fé-jour à Vienne, il y a longtems qu'il auroit quelque Emploi important. Il a toutes les qualités qu'il faut pour être bon Capitaine & habile Miniftre , & il eft doué de toutes celles qui rendent un homme aimable. L'Empereur le coniidère, & le Prince Eugène de Savoie l'aime 5c l'eftime. Il paroît que le Duc ne penfe pas à profiter de ces avantages,& qu'il préfère les plaifirs tranquilles de Bruxelles , au tumulte de la Cour de Vienne, je ne vous parle pas de la Bataille de Malplaquet, qui fe donna dans le voifi-nage de Mon* , ni du Siège de cette du Baron de Pôllnitz. 125 Place : ce font des chofbs dont vous MoNS> devez avoir les oreilles rebattues , & dont je vous ai déjà parlé dans d'autres occafions. Il y a une très belle Chauffée de Mons à Bruxelles, On paffe par Halle, où l'E-gîife eft fort fréquentée par les Dévots du pays. Il y a une Image miraculeufe de la Sainte Vierge, à laquelle les Princes de la Maifon d'Autriche ont fait de grands dons. La Ville de Bruxelles eft beaucoup Hruxel-plus grande qu'elle n'eft peuplée, & fes LES' dehors font plus agréables que la Ville n'eft belle. Les maifons font prefque toutes vieilles, & l'on peut dire, qu'aux Eglifes & à l'Hôtel de Ville près, il n'y a pas un Edifice qui mérite qu'on en parle. Une très grande incommodité de Bruxelles eft l'inégalité de fon terrein ; il faut prefque toujours monter & defcen-dre. Si cette Ville étoit aufîi grande que Paris, on pourroit bien avec vérité Fap-peller l'Enfer des chevaux. Ce qu'il y a encore de très incommode , eft le peu de Police qu'on y obferve: on eft toujours dans les boues , ou étouffé de la poufîière. Le Palais, qui a été brûlé, étoit un ancien bâtiment logeable, mais fans régularité. On en voit encore les ruines, je ne fai pourquoi on les conferve: il me femble voir celles du Palais de Friam. L'Ar- iî4 Lettres , L'ArchiduchefTe, Gouvernante des Pays-Bas, occupe le Palais d'Orange, appartenant au Prince de NaJJau Stadthouder héréditaire de Frife. Elle y eft étroitement logée ; mais S. A. S. l'a préféré à l'Hôtel d'Egmont , dont les apartcmens font plus valtes ôc plus commodes, 6c qui lui avoit été offert par le Duc d'A-remberg qui en eft le propriétaire. Cette Princefle a failli à périr dans l'incendie du Paiais, arrivé par l'imprudence des Chefs d'Office, qui préparoient des Confitures pour un Bal que l'Archidu-chefïè devoit donner le lendemain. Le feu prit au fucre , 6c fe répandit dans l'Office Les Officiers crurent pouvoir l'éteindre fans faire du bruit ; mais le feu les gagna. Il y avoit quatre heures que l'incendie avoit commencé, avant que l'al-larme fe mît au Palais; 6c cependant on prétend qu'on auroit pufauver une grande partie du Palais 6c des meubles , ii l'on avoit permis aux Bourgeois d'y porter la main. Mais la crainte qu'il n'arrivât du desordre 6c qu'il n'y eût des effets écartés, fit qu'on tint longtems les portes du Palais fermées, 6c que les Soldats bour-roient les Bourgeois qui en vouloient approcher. Tout fut confumé. L'Archidu-çheiïë fe fauva comme par miracle; un f'etit Chien, qu'elle avoit couché fur fon it, l'éveilla en la grattant au viiage. Elle fcntit la fumée, 6c appella fes Femmes, du Baron de Pollnïtz. '12? En même tems fes Gardes enfoncèrent Bruxel-la porte, ôc elle n'eut le tems que de LES* mettre fa robe ôc un bas. Le plancher bruloit, ôc enfonça dans le moment qu'elle lortit de là chambre. Elle ne fauva que fon Chien. S. A. S. fe rendit à la Chapelle, ôc s'y mit en oraifbn ; mais le feu aiant gagné cet afyle, elle fut obligée de fe retirer cheT. le Prince de Rubempré fon Grand-Ecuyer, dont l'Hôtel étoit en face du Palais. Elle y vit confumer cet Edifice, avec toutes les richefîès qu'il renfermoit. Le malheur de fes Domef-tiques, ôc le danger où ils pouvoient être expofés, parurent feuls la toucher. Elle ne put encore demeurer dans ce fécond afyle; l'Hôtel de Rubempré étoit lî près du Palais, qu'il étoit à craindre que le feu ne s'y communiquât. L'ArchiduchefTe fut obligée de le retirer dans le Palais d'Orange, qu'occupoit pour-lors le Comte de l'iscovti ion Grand-Mairre ôc ton Premier Miniltre. Mdlle de Rubempré itxt avoir fourni des bas, & M idame de Vis-conti lui donna des chemiiej ôc des habits. Ce fut dan* ces habits empruntés % que la Fille de tant d'empereurs reçut le lendemain les compMmcns de rouie Ja Noblelfe, Toute fa Garde-mbe tut brûlée, on ne fauva que la VaiGTelle. Tout le monde convient que TArchi-ducheffe conierva dans Un h grand malheur, un^ tranquilhté extraordinaire. Elle ne , ne celToic d'encourager les uns, 6c de confbler les autres. Elle fut uniquement fenfible au trille fort de Mdlle. cïUhle* feldt , Dame de la Clé d'or, & Fille de la Dame - d'honneur. Cette infortunée Demoifelle fut furprife par les fiâmes , dans le tems qu'elle couroit à l'aparte-ment de fa Mère, qu'elle croyoit encore endormie. On la tira toute grillée hors du feu. Elle vécut encore jufqu'au lendemain, ôc reçut les Sacremens de l'E-glife & les adieux de fa Mère, avec une confiance d'autant plus admirable, qu'elle étoit fort jeune , fort chère à fa Mère, & à la veille de faire un établifïement très avantageux. Toute la Cour fut édifiée de la réfîgnation avec laquelle elle fupportoit fon malheur. Elle dit plufieurs fois, qu'elle mouroit contente, puifque Dieu avoit fauve l'Archiducheffe , ôc fa Mère. S. A. S. l'a honorée de fes larmes, ôc lui a fait faire des Obfèques magnifiques dans l'Eglife des RR. PP. Jéfuites. Toute la Nobleffe de Bruxelles y a affifté, & chacun a regretté fa perte. En fouillant dans les ruines du Palais, on a retrouvé prefque tous les Diamans de l'Archiducheffe, il n'y a que les Pen-dans d'oreilles qui font de grand prix,ôc la Toilette d'or, qui manquent. L'ArchiduchefTe eft l'ainée des trois Sœurs de l'Empereur. Cette Princeiïe a beaucoup d'embonpoint; cependant, elle elle danfe avec légèreté & nobleiTe. Son Bntttrô) air eft grand ôc majeftueux. Elle paroît le* extrêmement férieufc, ôc parle peu, mais avec dignité , ôc elle poftède bien plu-fieurs Langues. Lorfqu'eile arriva dans les Pays-Bas , en paflant par Lou-vain, elle répondit en Latin aux Députés de rUniveriité qui l'avoient haranguée dans cette Langue. Elle pofïède bien l'Hif-toire, la Géographie, & plufieurs autres belles Sciences, 6c Ton peut dire, fans trop la flatter, qu'elle eft un exemple de Vertu 6c de Piété. Il eft impoltible de pouffer Iplus loin la charité. Elle ne fait ce que c'eft que de refufer les malheureux. Elle voudroit être en état de faire du bien à tous ceux qui lui demandent, Ôc elle fe trouve embaraffée lorfqu'eile eft obligée de refufer. Elle partage fa journée entre Dieu, 6c leï Affaires,auxquelles elle donne beaucoup d'attention. S. A. S. eft de très facile accès , 6c il n'y a rien de fi ailé que d'en avoir audience. On lui rend ici les mêmes honneurs qu'on rend à Vienne à l'Empereur. Elle mange toujours feule,6cexcepié les jours de Courier, c'eft toujours en public. Ses Dames la fervent à table. Loriqu'on lui parle, elle écoute,6c répond avec beaucoup de douceur. Il eit à naitre qu'elle ait jamais témoigné le moindre mécontentement à aucun de fes Domeftiques. Elle Elle eft fécondée dans les Affaires, par le Comte Don Julio Visconîi , Milanois de nation; homme d'honneur 6c de naif-fànce, intègre & plein de droiture,incapable de le laiffer gagner par d'autre voie que celle de la Juftice; bon ceconome , 6c toutefois deiintèreflè. Quelque peu portés que les gens de ce Pays-ci foient à dire du bien de leur Gouverneur, ou de leurs Supérieurs, ils conviennent tous que Mr. de Visconti eft un Miniftre incorruptible. Ce Seigneur eft d'une taille élevée; il a l'air férieux, 6c même févè-re. Les Affaires dont il eft comme accablé, ne lui permettant pas d'être toujours également attentif à tout, il fe re-poie de plufietars chofes fur fon Secrétaire, nommé Henri Crumpipen , Weftpha-lien d'origine, qui eft né avec toutes les difpofitions pour les Affaires. Il eft doux, civil, honnête, officieux, a une mémoire extraordinaire, 6c une application fin-gulière. Tout le monde s'en loue ici,6c chacun convient qu'il eft auffi incorruptible que fon Maitre. Mr. de Visconti vient d'être nommé Vice-Roi de Naples. Il doit être relevé par le Comte Frédéric de Harrach, qui, à une grande naiflance, joint un caractère très aimable, 6c les manières d'un homme de qualité. Il a été à Cambray pendant le Congrès, où,fans être Ambaffa-deur, il avoit connoiflance de toutes les ArTai- Affaires, les Plénipotentiaires de TEmpe- Bt? reu aiant eu ordre de communiquer de LE toutes chofes avec lui. Depuis il a été Miniftre chargé des Affaires de l'Empereur à la Cour de Turin. Il en fut rappel-lé, ôc envoyé Ambaffadeur de SaMajefté Impériale comme Roi de Bohème ôc premier Electeur Séculier , à la Diète de Ratishonne. Il quitte ce Porte, pour venir être Prémier-Miniftre de la Sérénif-time ArchiducheiTe. Je ne doute point qu'il ne foit du goût des Flamands. Iï eft affable ôc prévenant, aé~tif, laborieux, généreux ôc libéral, il aime la dépenfe ôc les plaifirs. Comme il eft riche par lui-même, ôc par fa Femme qui eft une PrincefTe de Lichtenftein, il eft en état de fa-tisfaire les Bruxellois * qui veulent que l'on dépenfe chez eux, ôc qui regrettent journellement l'Electeur de Bavière Maxi-milien-Emanuel, parce que ce Prince dé-penfoit tous les ans fept ou huit millions qu'il tiroit de la Bavière. UArchiduchef-fe ne dépenfe point, difent les Bruxellois, fa Cour efl un Couvent de plus. S'ils réflé-chifîoient que cette P ri n celle n'aquequa-tre-cens-lbixanre ou tout au plus cinq-cens-mille florins de revenu, ils modéreraient * [ Ce M'miÛre remplit patfaitemcnt cette prédiction 5 il eft chili & révéré» & chacun fe loue de 1m manières, Ôc de la diligence avec laquelle a expédie ks affaires. ] Tome lïl. I roient fans doute leur critique. Avec cet* te fomme, peu confidérable pour une fî grande PrinceiTe, S. A. S. entretient une très grande Maifon, elle paye bien tout le monde , &c ne doit rien à pcrfonne. C'eft ce qu'on n'a pu dire d'aucun Gouverneur ni Souverain des Pays-Bas , ils ont toujours quitté ces Provinces en y laifTant des dettes. Depuis un tems infini, ces gens-ci font accoutumés à fe plaindre, & je croi que fi on examinoit chaque Brabançon ou Flamand en particulier, il y en auroit très peu qui puflènt dire quelle forte de Gouvernement ils vou-droient,& quel Maitre leur conviendroit. Depuis la mort de Charles II. Roi d'Efpagne, ils ont changé quatre fois de Domination, ils ont eu huit ou neuf Gouverneurs, qui tous ont excité leurs murmures. Le feul Maréchal Comte de Daun,aujourd'hui Gouverneur de Milan, a eu leurs applaudiflemens, peut-être autant parce qu'il avoit relevé le Marquis de Prié dont chacun defiroit le rappel , que pour les changemens avantageux qu'il avoit faits dans le Gouvernement. La Cour de Bruxelles n'eft pas véritablement des plus amufantes: l'Etiquette de Vienne y eft obfervée en toutes chofes, l'Archiducheffe eft fervie comme l'Impératrice , perfonne ne peut manger avec elle. Le Duc de Lorraine feul a été exemté de cette loi, mais encore a-t-il Falu que ce fût à une Maifon de Chaf- Bruxee; fe: les Dames le fervirent, ainli quei'Ar- lks. chiduchefle. L'Electeur de Bavière pas-fant avec les Princes fes Frères à Bruxelles, en venant de France, dit, qu'il étoit plaifant, que lui, qui coucheit journellement à Munich avec une Archiduchejfe, ne put pas manger avec une Archiduchejfe à Bruxelles. Les Dames titrées de ce Pays-ci,parmi lefquelles il y en a grand nombre dont les Maris font Grands d'Efpagne » ont prétendu dans les commencemens a-voir un Tabouret chez, S; A. S. Mais elles ont été déboutées de leur demande j ôc elles ont eu beau alléguer, que les autres Gouvernantes des Pays-Bas leur a-voient accordé cette diltinâion, on leur a répondu, que les autres Goujjernantes n'étoient pas Sœurs des l'Empereur, ôe que quand même elles l'auroient été, elles ne fuivoient pas fans doute l'Etiquette de la Cour de Vienne, où toutes les Dames, PrincefTes ôc autres,fe tiennent debout devant les ArchiduchefTcs. D'autres ont prétendu venir au Palais en carofle à, fix chevaux : il y en a même qui s'y font préfentées dans un tel équipage. Mais les Gardes,mieux informés de l'Etiquette que ces Dames mêmes , les ont renvoyées , ôc leur ont dit qu'il ne conve-noit qu'à Son A. S. feule d'aller à fis: chevaux. Les Dames s'en font retour-I 2 nées BtvXEL* n**s ^°rt: honteufes, elles ont boude pen-dant quelque tems, & n'ont pas paru à la Cour : mais voyant qu'on les laifïbit dans leur mauvaife humeur , & appréhendant un ordre de Vienne , elles font revenues , & font aujourd'hui ce qu'elles doivent. La NoblelTe de ce Pays-ci eft extrêmement hautaine. Il y a des Maifons qui font réellement de très grande qualité ; mais il y en a une infinité qui avec des Titres fort pompeux, auroient bien de la peine à prouver Nobleffe. A les entendre , ils ont tous été jadis Comtes de Hainaut, de Flandre, Ducs de Brabant , de Gueldre, & ainfi du refte. Leurs Ancêtres ont rendu des fervices importans à FEtat : mais la plupart de ceux d'aujourd'hui fe j^pofent ; ou s'ils fervent, c'eft l'Efpagne, & la France. Aller à Vienne, s'y ennuyé à mourir. Les Allemands ont des manières ji différentes des nôtres, di-fent-ils, leur fervice eft fi rude ! Se confiner dans cette Hongrie, ne nous en parlez pas, on n'y voit pas une ame. Ces Meilleurs} après tout , ont raifon : plufieurs parmi eux, fans avoir jamais fervi l'Eny, pereur , ôc peut - être fans l'avoir jamais vu , font parvenus à avoir des Régi-mens , des Gouvernemens, & les Emplois les plus diftingués dans les Pays-Bas. Comme cela leur réuflit, ils au- cour à l'Empereur; eb fi donc ! on roient roient tort d'en agir autrement; ils fer- Bru*». vent en Efpagne, & viennent fe faire ré- les. compenfer à Bruxelles. Il faut convenir néanmoins, que fi les Flamands , fous lefquels je comprens généralement tous les Sujets des Pays-Bas Autrichiens , vont peu à Vienne , leur peu de fortune en eft en partie caufe. La NobleiTe n'étant pas autrement riche , n'eft pas en état de faire de la dépenfe ; auffi vit-elle avec beaucoup d'ceconomie dans le particulier. Il eft très rare qu'ils invitent à manger, & aucun ne tient table. Cependant , il y a ici plus d'Equipages à Manteau Ducal, que dans Vienne même. Tous ces Ducs & ces Princes faits par les Rois d'Efpagne, ne prenoient autrefois que le Titre d'Excellence ; on les appelle , Mon Prince , ôc Monfieur , depuis qu'ils font aux Allemands. Ils voudraient fort qu'on les appellât Altejjès ; & ils tâchent d'u-furper ce Titre , que leurs Domeftiques ôc bien des pauvres Gentilshommes leur donnent, l'entrelardant de beaucoup de Monfeigneurs. Le Duc à'Aremberg eft le feul Seigneur qui en fait la dépenfe , & comme il eft celui à qui il eft dû le plus d'honneur , c'eft celui qui en exige le moins. Bruxelles perd beaucoup par les fréquentes abfences du Prince de la 7our & Tajfis, Grand-Maitre héréditaire des I 1 Pos- 134* Lettres Bruxel- Poftes de l'Empire, Ôc Grand-Maitrç Irlf: héréditaire des Poftes des Pays-Bas. Lorsque ce Seigneur eft à Bruxelles, il y vit avec beaucoup d'éclat ôc de magnificence : fa maifon eft ouverte à toutes les perfonnes de qualité, c'eft l'afyle des Etrangers. Madame la PrinceiTe de la Tour, qui eft une PrincefTe de Lobko-mit* , eft d'une poîiteffe admirable , fie par fes manières nobles 6c gracieufes, 6c par l'agrément de fon efprit, attire chez elle tout ce qu'il y a de perfonnes de mérite,- tous les Etrangers en font charmés. Les gens du Pays confidèrent la Maifon de la Tour , mais ils lui portent envie. Le Prince de la Tour, pour n'être point Souverain , n'en eft pas moins bien allié. Sa Mère étoit une FurftenT berg. Mme. fa Femme eft une Lobko-wuitz. Son Fils a époufé une PrinceiTe de Brandebourg-Culmbach. Et fa Fille eft mariée au Prince Alexandre de Wurtem-r berg. De forte que tous ceux qui attaquent la Maifon de la Tour , fur fon ancienneté 6c Ja nobleffe , me paroiflènc être aiïez, mal fondés, je veux croire qu'il y a des Maifons plus anciennes , quoique les La Tour aient fait imprimer un grand Livre in Folio , en plulîeurs volumes, par lequel ils prouvent une très ancienne origine , 6c fe font descendre des anciens Las Torres qui ont &é fi longtcms en guerre avec les tn$ ciens du Baron de Pôllnitî. 13? ciens Vifconti. Mais il me paroît qu'une BruxëiS Maifon qui eft alliée depuis plufieurs gé- LES-ncrations avec ce qu'il y a de plus grand dans l'Empire , ôc dont un Fils a été Chanoine * ou Comte de la Cathédrale de Cologne, peut être admis parmi ce que nous avons de meilleur en Allemagne. De toutes les Dames, l'ArchiduchelTe diftingue le plus la PrinceiTe de la Tour. Les autres Dames en font jaloufes, mais la chofe eft très naturelle : Made. de la Tour eft née à Vienne , elle a été comme élevée avec l'ArchiduchelTe, les a-mitiés contractées dans la première jeu-neiTe font ordinairement celles qui fe maintiennent le plus. D'ailleurs , Mad. de la Tour témoigne tant d'attachement pour l'ArchiduchelTe , qu'il n'eft pas fur-prenant que cette PrinceiTe lui marque de la confiance. Je vous ai dit que les plaifirs de la Cour de Bruxelles n'étoient pas bien vifs, ceux de la Ville y font alTez, conformes. 11 y a une Comédie horrible , repréfentée fur un très beau Théâtre. Les AfTemblées font afTez. triftes , ôc le deviendront encore plus après le déparc de la Comteffe de Vifconti 7 qui foutient feule * Le Prince Chrifiian, deuxième" Fils du Prince de U Tour: il a quitté ion Canonicat de Cologne, pour farii dans les Tieupas de l'Empereur. I4 Bruxel- feule les plaifirs. Qui a vu Bruxelles tEs. pendant la Guerre , ôc qui ie voit aujourd'hui , ne le connoit plus. Tout y languit, & il n'y a prefque plus d'autre commerce que celui des Dentelles, des Camelots , ôc des Tapilïeries, dont la Fabrique eft très parfaite. La Manufacturé de TapiiTerie de Lenirs furpafle toutes les autres pour la beauté des couleurs ; il fournit l'Angleterre ôc l'Italie. Devos travaille pour l'Allemagne. Il a fait les belles Tapilïeries du Prince Eugène de Savoie, ôc î'Hiftoire as Charles V, pour l'Empereur Charles VI. Vermillon envoyé beaucoup de fes Ouvrages en Portugal, en France, ôc en Mofcovie. Van der Borg le Fils vient de faire une très belle TapiiTerie pour l'ArchiduchelTe, repréfentant l'Adoration du Veau d'or par les Ifraëlites, ôc Moi-fe recevant les Tables de la Loi. Le Père de Van der Borg, auffi habile que fon Fils , a fait les magnifiques Tapis-feries de la Chambre des Etats , qui repréfentent la Joyeufe Entrée de frhi-lippe le Bel Duc de Brabant , que l'on peut voir dans la Maifon de Ville , ôc qui méritent d'être vues. Il y a ici le Maréchal de Zumjungenr qui commande les Troupes que l'Empereur a dans ce Pays-ci. C'eft un homme d'un très grand mérite , & que fa- valeur Ôc fes ièrvices ont conduit aux du Baron de Pôllnitx. 137 aux premiers Emplois militaires *. Il B eft iflu d'une famille Patricienne deLL-Vrantfort , ôc profefTe la Religion Luthérienne. Il a été fimple Soldat, & a palTé par tous les grades. C'eft un Capitaine expérimenté , ôc dont les Officiers font très fatisfaits. Il fait beaucoup d'accueil aux Etrangers , & fans faire une dépenfe exceifive, il repréfente allez, bien. Le Maréchal de Wrangel eft Gouverneur de Bruxelles. C'eft un vieillard refpedté , Ôc bien refpectable. Il eft Suédois, & a palTé comme Mr. de Zumjungen par tous les Emplois , aiant commencé par être Dragon. Il n'eft pas bien riche, mais il fe fait beaucoup d'honneur de ion bien, ôc tient toujours une très bonne table. Le Prince de Rubempré eft de la Maifon de Merode, une des plus diftinguées des Pays-Bas. Il eft Grand-Ecuyer de l'ArchiduchelTe, ôc Chevalier de la Toi-fon d'or. C'eft un Seigneur fort honnête, ôc des plus riches du Pays-Bas. Le Prince de Najfau eft Capitaine de la Garde-Noble de S. A. S. Ôc Chevalier de l'Ordre de S. Hubert. H eft Frère puîné du Prince de Najfau- Siege»} * M. le Marécha^ de Zmtjangtn eft mort |le 2? Août 1732, [Le Com:c de Wwmbrtmd commande par interim. ] Siegen , qui après la mort de Guillaume III, Roi de la Grande-Bretagne, a pris le Titre de Prince d'Orange, qu'il porte aujourd'hui en Efpagne où il eft Pensionnaire du Roi. Le Prince de Nafi fau, dont je fais mention ici, a auffi été autrefois au fervice d'Efpagne. Il eft marié avec la Sœur du Marquis de NeJIe en France, dt a pafïè depuis quelques années au fervice de l'Empereur, où il eft actuellement Lieutenant-Général. Je ne doute point que fa naiffan-ce, & l'alTiduité avec laquelle il exerce fa Charge auprès de l'Archiducheffe, ne lui procurent inceffamment la Toifon d'or. Je parts en peu de jours pour faire ma tournée de Flandre. Ce Pays-ci eft il connu , & vous en entendez parler fi fouvent à des Officiers qui y vont ou qui en reviennent , que je croi ne devoir pas vous confirmer ce que vous en favez. Ainfi ne vous attendez, qu'à en avoir une relation très fuperficielle. Vous aurez de mes nouvelles par le premier Ordinaire. En attendant j'ai l'honneur d'être ôcc, À Bcunellcs, ce + de Juin 1732. LET- ********************* LETTRE XLV, M o n s i eu r, DE Bruxelles j'ai été à G AND, Capitale du Comté de Flandre , a-vec Evêché fuffragant Malines. Cette Ville eft coupée par VEfcaut ; la Rivière de Lis , & un très grand nombre de Canaux, partagent la Ville & fes environs en différentes Iles. L'enceinte en eft extrêmement vafte. On prétend que l'Empereur Charles - Quint avoit accoutumé de dire , qu'il mettroit Paris dans fon Gand. Cela pouvoit être alors; mais pour le préfent, Gand entreroit à coup fur dans Paris. Cette Ville a diminué en grandeur & en puilfance , comme toutes les Villes des Pays-Bas. Autrefois les Gantois étoient fujets à fç révolter ; mais ils ne le firent jamais a-Vec plus d'éclat que contre Charles -Quint. Us en furent cruellement punis: cet Empereur , oubliant qu'il avoit reçu le jour parmi eux , n'eut pas fi - tôt appris leur révolte , qu'il traverfa la France pour venir châtier les Révoltés. Il fit exécuter vingt-cinq des principaux Bourgeois, & en proferivit un plus grand nombre, confifqua les biens des plus coupables , leur ôta leur Artillerie, leurs armes , leurs Privilèges, les condamna â plus de douze-cens-mille écus d'amende, & y bâtit une Citadelle: par où il fit de Gand une vafte folitude , nombre de fes Habitans s'étant retirés dans d'autres Villes. Les fortifications de Gand confîftent en de grands Dehors, une contrefearpe, de larges folTés ôc de bons remparts. Sa grandeur , fa fîtuation , ôc fes richefTes la rendent afTez confidérable ; mais elle eft trop étendue pour être une bonne Place. Cependant on dit que le Roi Guillaume d'Angleterre avoit coutume de dire, qu'en tems de guerre il étoit beaucoup plus convenable aux Alliés de con-ferver Gand, que Bruxelles, Je me fuis contenté de faire le badaud à Gand. J'ai été voir toutes les Eglifes, qui font en très grand nombre Ôc parmi lefquelles il y en a d'afTez belles ; ôc je n'y ai fait d'autre connoiffance , que celle du Baron de Stein , Colonel du Régiment de l'Infant de Portugal; homme de naiffance ôc de mérite, marié à Mdlle. de Watteville , ci-devant Dame du Palais de l'ArchiduchelTe Gouvernante des Pays-Bas. C'eft une Dame ref-pedtable , Ôc que tout Gand honore. Jû j?ne vous dirai point fi l'on s'amufe dans cette Ville -9 û les apparences ne font du Baron de Pôllnitz. 141 pas trompeufes, les plaifirs y doivenc Gan», languir. J'ai été avec la Barque , le long du Canal, de Gand à Bruges. C'eft la manière de voyager la plus commode & la plus agréable du monde. J'ai été dans une bonne chambre, en compagnie véritablement afTez mêlée. A midi, on nous a fervi un dîner comme dans la meilleure Auberge de Bruxelles, où, par pa-renthèfe, les Hôtelleries font excellentes. Une loi de cette Barque eft, que les Femmes' boivent gratis ; les Hommes payent le vin. Cela va allez loin; car il y a ordinairement force femmes, & la plupart des Flamandes ne font pas ennemies du jus de la treille. Bruges, dans le Comté de Flan- Bruc-es. dre, eft fitué dans une grande Plaine, à trois lieues de la Mer, fur le Canal dit Reye, lequel s'étant divifé en divers Ruif-feaux navigables, forme plufieurs lies dans cette Ville. Un autre Canal va à QJtende, qui n'en eft qu'à trois lieues ; & il porte à Bruges des VailTeaux de quatre-cens tonneaux. C'eft par ce moyen que le Commerce s'y foutient; mais il eft confidérabiement diminué, depuis que plufieurs Marchands fe font allés établir à Anvers & en Hollande, Leur retraite n'empêche pas que Bruges ne foit toujours une des plus grandes & des meilleures Villes de la Flandre. Il y a des Edi- Brwses. Edifices facrés & 'profanes, magnifiques; Les rues font larges, droites & bien percées, avec plufieurs grandes Places. 11 n'y manque que des habitans. Tous les plaifirs y confiftent à manger & à boire. Il eft difficile qu'un Etranger s'y introduife: les Fiamans font naturellement allez, farouches, Ôc il lemble qu'un Allemand leur falïe peur. Lorfque le Comte de Lalaing, ci-devant Vicomte ÛOudenarde, eft dans cette Ville dont ii eft Gouverneur j on a du moins une maifon où l'on eft fur d'être bien reçu. Mon malheur a voulu qu'il fût à Bruxelles. De forte que comme je n'aime pas à m'en-nuyer, je me fuis rendu promtement à osten- O s t e N o e. de. Cette Ville eft célèbre par un Siège de trois ans 6c trois mois qu'elle a fou» tenu contre Albert Archiduc d'Autriche, 6c par l'Oétroi de la Compagnie des Indes que l'Empereur avoit accordé , ôc que toute l'Europe a voulu favoir révoqué. Oftende n'a jamais été une Ville d'une grande refïource pour les plaifirs. El* le eft petite, mais elle mérite d'être vue. C'eft le Port le plus confidérable que l'Empereur pofïède en Flandre. Sa fitua-tion la rend extrêmement forte; elle eft environnée de deux Canaux fort profonds ; il y a huit boulevards ôc un large foffe, divers baftions, ôc de bons Dehors bien entretenus. Si la Compagnie d'O/f»- du Ba ron de PollnïTZ. 143 û'Oftende avoit eu lieu, cette Ville feroit ostâtô devenue puiffante. On commençpit à y de. bâtir: tout languit aujourd'hui, Bâtimens & Commerce. La Hollande ôc Y Angleterre engloutilTent tout, ôc paroifïènt a-voir juré la ruine des Pays-Bas. Nieuport, où je me fuis rendu Nieu-par le Canal, eft infiniment plus trille port. qu'Ojlende. C'eft un Trou extrêmement bien fortifié, ôc qui a des inondations de plufieurs lieues. L'air y eft déteftable, au point que la Garnifon n'y eft que par Détachement, ôc il ne laifïe pas encore d'y mourir beaucoup de monde. Les habitans ont un air livide ôc mal-fain. Il n'y a pas une ame à voir, 6c les Officiers qui aiment le monde, y pé-riffent d'ennui. Au for tir de Nieuport je fuis revenu à Gand, d'où j'ai été à C o u r t r a y , Cour-par une des plus belles Chauffées bordée tray» d'arbres qui foit en Flandre. Cette Ville, qui eft petite ôc riante, fait un grand commerce en Toiles ôc Linges damafîés, & contient des Habitans ailés. Ses fortifications font moins que rien : il y a pourtant un Gouverneur, un Commandant, ôc tout un Etat-Major. Le premier eft Mr. de Devenitz., Irlandois Maréchal de Camp des Armées de l'Empereur: l'autre eft Mr. Digfîn, Ecofïbis; il a le Brevet de Colonel, ôc eft un des plus honnêtes hommes que je connoifïe, Cour- dont l'unique défaut eft d'être peut-être tray. tr0p honorable. Il m'a fuit beaucoup rie politeffes. Il y a cinq ou fix perfonnes de qualité dans cette Ville qui pour s'ennuyer plus commodément, ne reçoivent point de Bourgeois. Le Chapitre de la Collégiale de S te. Marie eft co tripe fë de bons Prêtres, qui fe déchirent les uns les autres, & ne fe voyent qu'au Chapitre, où ils ont l'agrément de fe beaucoup quereller. Je fuis fur qu'en s'embrallant à la Grand' Méfie, ils voudraient par amitié s'étouffer. J'ai continué de me rendre par une Menin. belle Chauffée à M e n i n , Place de Barrière appartenant à l'Empereur, avec Gar-nifon Hollandoife. Le Comte de NaJJau-Lalecky Lieutenant-Général & Colonel d'un Régiment de Cavalerie au fervice de Hollande, en eft Gouverneur *. Il doit avoir fait, avant que de prendrepof-feflion de fon Gouvernement, ( ainfi que tous les Gouverneurs ou Commandans des Places de Barrière ) ferment de fidélité entre les mains de l'Archiducheffe, à l'Empereur, & enfuite encore aux Etats-Généraux fes Maitres. Je ne fai comment il pourrait ajufter cela, en cas que l'Empereur & les Hollandois vinflènt à avoir la Guerre. Je croi que ce ferment peut * [Il eft Airière-pctit-fiU du FiUiCC Mamriu & de U Dame de Matines. ] ï)u Baron de Pollnïtz. 14* peut être mis de pair avec celui que fait Memn» le Capitaine du Bucentaure à Venilè,lorf-qu'il conduit ce Bâtiment en mer , de le ramener dans le Port, quelque tems qu'il faiTe. Men'tn elt une des Places les plus régulièrement fortifiées de la Flandre. Mr. de Vauban, qui a eu la conduite des Ouvrages,les regardoit comme fon chef-d'œuvre. On prétend cependant, que ces Ouvrages font trop reilèrrés & rrop petits. Cette Place s'efi afièz, mal défendue, juf-ques-là que des Officiers m ont dit qu'il n'y avoit point de brèche. Le Commandant François qui la remit au Duc dé Marlborough, aiant demandé à fortir par la brèche , on lui répondit qu'on ne le lui conleilloit pas , à moins que d'avoir des échelles: il prit le parti, avec faGar-nilbn , de fortir par la Porte. 11 n'y a d'autre compagnie à Menin , que quelques Femmes d'Officiers , Ôc Mdlles. de La/eck, qui font des perfonnes d'un très grand mérite. Lille, Capitale de la Flandre Fran- Lillb. çoife , eft aufïi gaie , auiïi peuplée , ÔC auffi commerçante , que les Villes de la Flandre Impériale font languiflantes Elle efl grande, belle, & bien fortifiée. Ses rues font larges , ôc bien pavées : elle a deux magnifiques Places, Ôc des Edifices facrés 6c profanes qui font foi de fa ri-chefle. On y bâtit un nouvel Hôtel de Ville, qui eft mal ûtué 7 mais qui, lorf-Tme IIL K qu'il qu'il fera achevé > aura de la grandeur àc de la magnificence. Le Duc àzBoufiert, dont le Père s'eft acquis beaucoup de gloire par la défenfe vigoureufe qu'il a faite à Lille, eft Gouverneur de cette Ville & de la Flandre Françoiie. C'eft un jeune Seigneur beau & bien fait , quoique d'une taille au-deiTous de la médiocre. Il s'applique beaucoup au métier de la Guerre, & eft d'une très grande efpérance. Les Officiers s'en louent beaucoup , & j'en ai entendu dire du bien à tout le monde. Il repréfente a-vec dignité, & fait une belle dépenfe. Je l'ai trouvé extrêmement poli & plein d'attention pour tout le monde, avec un efprit doux & agréable , éloigné de la préfomption ordinaire à la jeuneffej en un mot, tel qu'il feroit à fouhaiter pour la France que fuflcnt tous les jeunes Seigneurs. Il y a plufieurs bonnes maifons dans Lille, entre autres, celle de Madame de Mouchi, ci devant Dame du Palais & Favorite de feue Madame la DuchefTe de Berri; celles du Commandant de la Ville & de la Citadelle; & l'Intendance. On trouve dans toutes ces maifons, bonne & nombreufe compagnie. Les Officiers François fe produifent beaucoup p;us que les nôtres: la fubordination finit entre eux, dès qu'il ne s'agit pas du Service, ii y a une bonne Comédie, dans une une allez palTable Salle. En Hiver, il y Lille. a beaucoup de Bals; en un mot, on s'y fent vivre, on mange enfemble, on joue, & on fe divertit. Vous favez que Louis XW conquit Lille fur les Efpagnols. Les Alliés reprirent cette Place en 1708, après un long Siège qui rappelloit le fouvenir de celui de Troie, pour le nombre de Princes Se de grands Seigneurs qui s'y trouvèrent. Le Roi de Pologne, le Prince Electoral de Hanover aujourd'hui Roi de la Grande-Bretagne, & le feu Landgrave de UeJJe-CajJel, y affilièrent. Lille a été rendue à la Frauce par la Paix d'Utrecht ,& cette Couronne en échange a cédé la Ville d'Tpres avec fa Châtellenie à l'Empereur. Le Commerce fleurit extrêmement dans cette Ville: toute la Flandre impériale y accourt, à caufe du gain qu'il y a à faire fur la monnoie. Depuis la Paix, elle eft fort augmentée ôc fort embellie: il y a peu de Villes qui vaillent mieux. Je m'y fuis beaucoup plu, ôc fi mes affaires ne m'avoient rappelle en Allemagne , j'y au rois paffé encore quelque tems. J'ai repalTé par Gand, d'où je me fuis rendu à Anvers, furnommée la marchande; car vous faurez que prefque toutes les Villes des Pays-Bas ont des furnoms. On dit, Bruxelles la noble, Gand lagran-K 2 m de, Louvain la fage, Malines U gentille ± Namur la forte, & ainfi du refte. Aktirs. Anvers, anciennement une des plus belles & des plus riches Villes de l'Europe, efl fîtuée dans une belle ce fertile plaine, à la droite de YEfcaut. L'Eglife de Notre-Dame, qui eft la Cathédrale,eft un très grand bâtiment, qui mérite d'être vu pour les magnifiques Tableaux dont elle eft ornée. La Maifon de Ville & l'Eglife des Jéfuites font dignes de l'attention d'un Voyageur. Cette Eglife étoit autrefois d'une grande magnificence; elle fut confumée par le feu du Ciel en 1718. Les Révérends Pères Jéfuites y perdirent un Tréfor en Tableaux. Ils ont rebâti, mais avec plus d'eeconomie que n'avoient fait leurs prédécefleurs. On y voit encore de fuperbes Tableaux de Rubens, & deux très magnifiques Chapelles. Je ne vous dis rien de la fondation (YAnvers, de fa Citadelle bâtie par le fameux Duc cYAlbe, & de tout ce que cette Ville a fouffert durant les Guerres civiles de Religion;ces chofes font trop connues. Anvers eft extrêmement déchu de'ce qu'il étoit. Autrefois c'étoit la Ville la plus commerçante de l'Europe. Amfter-dam s'eft élevé fur fes ruines. Les Villes doivent fubir leur deftinée, comme toute autre chpfc. Anvers eft incomparablement mieux fitué o^Amferdam: du Baron de Pôllnitz. 149 les plus gros Vaiffeaux y arrivoient au- Anvers. trefois par YEJcaut ; mais cette Rivière eft à prcfent barrée par des bâtimens remplis de pierres Ôc autres chofes, que les Hollandois , charitables voisins des Pays-Bas, y ont fait couler à fond.Malgré le deialtre du Commerce, il y a encore des maifons extrêmement riches. Tous ces opulens Citadins entretiennent des équipages magnifiques, portent des habits galonnés ôc brodés, Ôc leurs Femmes font vêtues comme des Princeffes, Elles viennent toutes à l'Aflemblée, qui commence d'affez bonne heure : on y fait une partie de Quadrille, ôc puis on va fouper chez foi. La promenade des remparts efl charmante ; mais on n'y rencontre que des Prêtres, qui font parade d'y dire leur Bréviaire. Il y a un des plus jolis Théâtres qui foit hors de Fltalie, & point de Spedlacle. Tout cela , comme vous voyez , n'elt pas des plus amufans. Le Marquis de Rubi, Maréchal des Armées de l'Empereur, eft Gouverneur d'Anvers. Il devroit demeurer dans la Citadelle ou Château ; mais comme fa maifon y efl fort délabrée , il en occupe une dans la Ville. Ce Seigneur re-préfente avec dignité. Il efl Catalan, ôc étoit Vice-Roi de Sar'daigne, lorfque les Efpagnols firent la conquête de ce Royau-K 3 me ijo L e -r t r e « me du tems du Cardinal Albcroni *. Voilà, Moniteur, tout ce que je vous puis mander d'Anvers ; d'où je me fuis *ULiNE<-«ren(*u * Mali nés, jolie Ville, où la " Métropole mérite d'être vue. Le Cardinal de Bojfu, Frère du Prince de Chi-majf, en eft Archevêque. C'eft le feul Archevêque qui foit dans les Pays-Bas appartenans à la Maifon d'Autriche. Vous favez que c'eft à Malines que fe tient le Souverain Confeil, ou Parlement. Cela fait qu'on y voit force Procureurs & A-vocats, & qu'on y entend parler beaucoup de Chicane. 11 y a peu de gens de qualité, &c les AlTemblées excitent beaucoup à bâiller. La Chauffée entre Malines ScLottvain eft nouvellement faite. Ceux de Malines étoientobligés ci-devant,en Hiver,pour éviter les mauvais chemins , de palfer par Bruxelles; ce qui étoit un grand détour. LovvAiM. Louvain eft une grande Ville, où " l'on voit beaucoup d'Etudians, de Docteurs, de Prêtres, & de Moines. Tout cela n'étant pas trop bonne compagnie pour moi, je n'ai fait que paiTer tout au tra- * C L'Empereur vient de le nommer pour relevée le Comte de S^llago, Viceroi de Sicile, dans lettms que D. Car/ts, Roi de Naples, alloit faire une def-cente en Sicile avec 2.0 mille hommes, lôus ies ordres du Comte de è4*ttcmar Duc de "Bhont: ] du Baron de Pôllnitz. ici travers de la Ville. J'avois vu autrefois Lovyaik. les Eglifes, & je connoiffois l'efprit tumultueux des habitans, les moins civili-fés des Pays-Bas. Un des grands Privilèges de l'Univerfité de Louvain, eft de nommer à un grand nombre de Bénéfices ; fur quoi elle eft actuellement en procès avec plufieurs Evêques des Pays-Bas , qui prétendent difputer ce droit à l'Univerfité, fous prétexte qu'elle nomme à des Cures, des Sujets qui leur font inconnus , & dont ils ignorent les fenti-mens. Mr. Strickland, Anglois d'origine, & Evêque de Namur, doit aller de la part des Evêques, faire décider cette affaire à Rome. Je parie bien qu'il ne fera que procurer bien de l'argent à la Daterie & à la Rote. Il y a un très beau Pavé depuis Lou-vain jufqu'à Tirlemont, Ville aiFez déferre, & où je ne fai rien de remarquable. Auflî nai-je fait que la brûler, & j'ai été coucher à Mastricht, une des meil- Mas-leures 6c des plus fortes Places de l'Eu- thicht, rope, appartenant aux Hollandois, à qui l'Efpagne l'abandonna par la Paix de Munfter. L'Armée de France la prie en 1673 , en treize jours -y les Alliés la reprirent en cinquante. Elle fut reconnue appartenir aux Hollandois , par la Paix de Nimègue. Ils y entretiennent une nombreuie Garnifon. Le Prince Guillaume de HeffeXajJel, Frère du Roi de K 4 Sue- Suède, en eft Gouverneur ; mais depuis la mort du Landgrave de Hejfe, le Prince étant chargé de la Régence du Land-graviat, n'eft plus à Majlr'uht. C'eft une perte pour cette Ville ; il y tenoit une jolie Cour , ôc y vivoit avec toute la dignité convenable à fa nailfance. En ion abfence , c'eft Mr. le Brigadier à'Ameroxge» * , qui commande dans la Place. Les promenades de Maftricht, fur-tout celle des remparts, font charmantes. 11 y a bonne compagnie à voir, ôc c'eft la Garnifon la plus animée qu'aient les Hollandois. La Ville eft allez, jolie , elle a de belles Places, Ôc les rues font bien percées. Les Catholiques, ainfi que les Ré* formés, y ont desEglifes, ôc vivent dans l'union qui règne dans toutes les Villes de la Hollande. LzMeuje traverfe Maftricht. On pafie cette Rivière fur un Pont de pierre. On m'a conté pour une vérité, que feu le Maréchal ÛOwwerkerke étant jeune, fauta à cheval du Pont dans la Rivière, pour prouver l'excès de fon amour à Mdlle. de Feldtbruck. 11 étoit à la portière de fon carofle, à lui conter fleurette: * ÇMr, à7Ameremen. d'une des meilleures Famil-îes de la Province; d'Utrecht, aiant perdu ion Frère aine qui étoit dans la Régence , a quitté le Ser> vice, pour prendre fa place dans le Gouverne» ment. J du Baron de PÔllnitx. 15$ te: elle lui dit, que tout ce qu'il lui di- Mas* foit étoient des (omettes, & qu'elle pa- ruent* rieroit avec lui qu'il ne l'aimoit pas allez, pour fauter avec fon cheval dans la Rivière. La gageure fut faite, ôc le Comte tfOuiverkerke la gagna , au rifque de fa vie. 11 fut allez, heureux pour ne point perdre les étriers, ôc fon cheval fut aflez bon pour le porter à terre Après avoir fait ce faut périlleux 5 il reconnut le ca-raclère de la Maitreffe, ôc rompit avec elle. La bonne Demoifelle auroit mérité quelque chofe de pis,. Je me fuis arrêté quelques jours à Mas-tricht. Cette Ville m'a rappelle le fou-venir de mon Père, qui y eft mort au fervice de l'Electeur Frédéric de Brandebourg. J'ai été arrofer de mes larmes fa Tombe, qui eft dans l'Eglife neuve \ c'eft le feul devoir que j'ai pu rendre à fa mémoire , la Religion dans laquelle il eft mort me défendant d'employer pour lui les prières de Eglifè. La Ville de Liège eft à cinq lieues Liège. de Mafiricht. Il y va ôc il en vient journellement une Barque. Mais de remonter une Rivière aufîi rapide que la Meu-yè, ôc qui en Eté manque fouvent d eau, c'eft ce que je ne confcilletai jamais à perionne. La plupart des Antiquaires veulent que Liège ait été bâtie par cet Ambiorix Roi des Eburons, grand ennemi des Romains, K 5 le- ij4- L e t tris lequel leur tailla en pièces une Légion commandée par deux Lieutenans de CY-fary qui ne vengea pas mal dans la fuite fes Généraux de l'affront qu'ils avoient reçu. Mais que cela foit ainfi, ou non, il eft certain que Liège eft une Ville très ancienne. Elle eft grande, & fort peuplée, fituée dans une agréable Vallée environnée de belles Montagnes, que divers Vallons féparent. Ces Vallons forment des Prairies, par où coulent plufieurs petites- Rivières, lefquelles fe déchargent dans la Meufe qui traverfe la Ville, & que l'on paife fur un Pont de pierre. La Cathédrale,dédiée à S. Lambert y eft célèbre par fon Chapitre , qui fe trouve compofé de Princes , de Cardinaux & de perfonnes de la première qualité , parmi lefquels on en compte d'une nailTance alTez. commune, qui deviennent Très fonciers ( c'eft le titre que prennent les Chanoines) par la voie du Doctorat. Il s'en faut beaucoup que le Chapitre, quelque refpectable qu'ilpuifie être, foit auflï bien compofé, que ceux d'Allemagne. Le Palais du Prince-Evêque eft ancien, il a de grandes Salles, mais il eft fi refierré par de petites rues , que les apartemens en font peu aérés *. L'Evê- que * [ Il a été entièrement bn»lc»an commencement de cette année 1734. j ou B aron de PûLLNlTÏ. 155 que d'aujoord'hui efl: le dernier de la Liège. Maifon de Bergue. Il avoit de puiifans Compétiteurs, lorfqu'il fut élu; c'étoient l'Electeur de Cologne, & le Cardinal de Saxe-Zeitz, Sa bonne fortune prévalut : il ne s'actendoit pas lui-même à être élu. Je ne fai fi le Chapitre eft bien content de lui, mais le Peuple l'eft beaucoup. Il gouverne avec douceur & fageife ; il eft fort jufte, ôc pardonne rarement au crime; bon d'ailleurs, mais d'aifeï. difficile accès; fort rangé dans fes affaires; faifant des charités, qui peut • être ne lotit pas toujours diftribuées félon fes intentions. Il a eu longtems un Capucin pour ConfetTeur. Ce bon Père dirigeoit tout, & on l'accufoit d'aimer un peu trop fes confrères, à qui il faifoit enfraindre le voeu de pauvreté. Il eft mort, ce Miniftre Capucin, fans être autrement regretté des Domcftiques du Prince. Sa Charge de ConrctTeur a été remplie par un autre Capucin , mais dont l'autorité eft plus bornée. Le Prince mène une vie aiTez, privée. Il eft huit mois de l'année à Serai, Maifon de plaifànce à une petite lieue de Liège, fur les bords de la Meufe du côté d'H«y. Il n'a ordinairement avec lui que fon Conrefleur, fon Capitaine des Gardes, ôc un Gentilhomme de la Chambre. Sa table eft plus délicate que fomptueufe; fes livrées font fort modcftes ; les Gardes des en petit nombre , & aiTez, uniment habillés. Il a levé un Régiment aux Gardes, dont le Comte de Beaufort, Frère du Gouverneur de Charleroy, eft Colonel. Ce Régiment eft logé dans les anciennes Caferncs de la Citadelle , autrefois très confidérable, mais entièrement ruinée & démolie depuis le dernier Siège, par lequel Mylord Marlborough fit la conquête de cette Place. Il eft dit dans le Traité de Paix, que la Citadelle de Liège ne pourra être rétablie. Vous favez, que le Siège Epifcopal de Liège étoit autrefois à ïongres, dont on dit que Materne, envoyé par S. Pierre, fut le premier Evêque. Ses Succefleurs transférèrent le Siège Epifcopal à Maf-tricht, & de là ils le tranfportèrent à JLiège. Un amateur de peintures trouve à fe fatisfaire dans les Eglifes de cette Ville : il y en a de très magnifiques. Les E-glifes en général font très belles; on les a prefque toutes réparées , depuis quelques années. Celle de S. Paul feroit admirée dans Rome même. Le Service Divin s'y lait avec beaucoup de régularité, & on ne peut qu'en être édifié. On obièrvep ar-tout le Rit Romain. Les plaifirs de Liège confiftent beaucoup à boire. Il y a peu de fociété parmi les Femmes , & les Hommes font beaucoup au Cabaret. On y a de bon — Vin Vin de Bar ôc de Bourgogne , ôc de la Lieg». Bière encore meilleure ; l'un ôc l'autre n'étant pas bien chers, les Liégeois s'en donnent à cœur joie. Comme ils ont d'ailleurs la tête fort chaude , ôc qu'ils font grands parleurs , railleurs 6c médi-fans, il arrive que leurs feftins ou alTcm-blées finilTent fouvent comme les Comédies Italiennes. On accufe les Liégeois d'être peu fmcères, & on les appelle les Italiens des Pays-Bas. Ils font un grand Commerce, avec auffi peu de bonne-foi qu'ailleurs. Ils font ivrognes, querelleurs , ôc vindicatifs. Toute forte de vengeance leur paroît bonne. Ils aiment les Procès ôc la Chicane. Le Pays de Liège feul fournit plus d'occupation à la Chambre de IVetz,lary que tout l'Empire enfemble. J'avoue que de toutes les Nations que j'ai pratiquées,il n'y en a point pour qui j'aye moins d'eftime, Ôc ce fera toujours celle avec laquelle je lierai le moins de fociété. J'eftimerai toujours les honnêtes-gens qu'il peut y avoir , ôc je fuis perfuadé qu'il y en a; je n'entre point dans le détail: je ne parle que du gros des Liégeois, qui m'ont paru tels que je vous les dépeins. Si je leur fais tort, je leur en demande pardon. Un autre en concevra telle idée qu'il lui plaira: je ferai charmé qu'on leur trouve du mérite. Le Pays de Liège eft fertile & abondant Luge. dant en toutes chofes , excepté en Vin ôc en Huile, qu'il faut tirer des Etrangers. On y trouve des Mines de Fer 6c de Plomb, des Carrières de Marbre, ôc de la Houille ,qui eft une terre propre à brûler, Ôc le chauffage ordinaire : mais chauffage très defagréable à caufe de la mauvaile odeur, qui furpaffe infiniment celle du Charbon d'Angleterre , ôc qui rend Liège en Hiver auiîi noir ôc aufïi fombre que Londres. L'Evcque eft Seigneur de tout le Pays: il a pourtant fes Etats , qui ne font pas toujours de l'avis du Prince. On compte dans le Pays cinquante Baronies, grand nombre d'Abbayes, plus de vingt Villes fermées, ôc près de quinze-cens Villages. Cette Principauté eft fujette de l'Empire. Je compte de partir d'ici demain, ôc d'aller coucher à Spa, où j'efpère de me réjouir. Faites-en autant, ôc croyez-moi toujours, &c. A Liège, ce 18 de Juin 1732. LET- LETTRE XLVI. Monsieur, LE chemin de JL/^p à Spa efl: très Spa. defagréable; & en vérité, cet Endroit ne mérite pas la peine d'y aller. Je / parle pour ceux qui n'ont pas befoin de prendre les Eaux; car je ne veux pas me brouiller avec les Anglois, qui négligent les meilleures Eaux du monde qu'ils ont à Bat h & à Tunbridge, pour venir prendre celles de Spa. Il y a plufieurs Fontaines, que les Médecins du Lieu ajuf-tent à tous maux. Celle du Pouhon, qui eft au milieu de la Place de Spa , eft bonne pour la Gravelle, la Sciatique,& enfin pour toutes chofes, excepté pour l'Eftomac: mais en revanche, cette partie du Corps humain peut être rétablie par l'Eau de la Geronftere, qu'il faut aller {>rendre tous les matins à trois quarts de ieue de Spa, dans un petit Bois où l'on a bâti une méchante Cabane, pour que les Buveurs puiflent fe mettre à couvert de la pluie. Mais fi la Geronfiere eft bonne pour l'Eftomac, elle ne vaut rien pour la Poitrine : il faut aller alors à une autre Fontaine, dont j'ai oublié le nom. Les Spa, Les Médecins & les Habitans de ^prêchent fort, qu'il faut continuer de boire au moins hx femaines de fuite. Les bonnes gens confultcnt plus leurs intérêts, que la fanté des Etrangers. Les Arfglois fuivent allez, ces préceptes, & vont même au-delà. J'ai connu un jeune Trlan-dois, qui depuis trois ans s'imagine d'être malade , & prend fans difeontinuer les Eaux de Spa. Il a voulu me perfuader qu'il feroit mort fans cela. 11 prétendoit fouffrir de grands maux de reins; cependant, il avoit fort bon viiàge, mangeoit beaucoup, dormoitbien, & danfoitcomme un perdu. Pendant que j'ai été à Spa, je me fuis cru à Londres: il y avoit dix Anglois pour un autre Etranger, Je croi que cette Nation a fait une Confpiration d'enlever Spa à FEvêque de Liège. J'ai été charmé d'^renouveller connoiffance avec des perfbnrîes de naiilànce, que j'a-vois connus à Londres. Quoique je fois extrêmement prévenu pour l'Angleterre & pour les Anglois, je ne puis m'empêcher de convenir avec beaucoup d'autres, qu'ils font plus aimables & plus iociables hors de leur Pays. que chez eux. En venant de Spa à Aix-la-Chapellt% Lim- j'ai paffé à Limbourg, Ville Capi-»ourg. taie du Duché de ce nom, & en vérité, la plus affreufe Capitale de l'Univers. Elle eft fur une Montagne prefque «ô- ou Baron de Polln tri. 161 lée, 6c dans une des plus defagréables fi- Lim-v tuations qu'on puifîè s'imaginer. EllenouK vrai homme ; c'eft pourquoi, prhîis Dieu que nous puijjions regarder cette fainfe Relique dune telle manière , que l'honneur la gloire de Dieu en jhit augmentée , & que nous puijjîons obtenir fa grâce & fa fainte. béneditlion. Les autres Proclamations font dans le goût de celle-ci. Mais c'eft aiTez vous entretenir de Reliques. On conferve aulli dans l'Eglife à'Aix de très grandes richeffes , confiftant en Vafes d'or & de vermeil, en Chapes brodées de perles, Ôc autres Ornemens facrés très riches. On y voit le Siège Royal fur lequel Charlemagne a été alîis dans fon Tombeau 325 ans. 11 eft de marbre blanc, non poli, parce qu'il a été couvert de plaques d'or. Je ne fai ce qu'elles font devenues. C'eft fur ce Siège, que le Roi des Romains va s'alTeoir d'abord qu'il eft facré ; & où les Electeurs ôc le Chapitre del'Eglilè lui vont faire les premières révérences , en qualité de Roi fies Romains. Le Maitre-Autel ôc la Chai- r? bu Baron de Pollnitï. 16*7 ?e font couverts de plaques d'or garnies Ai* la. de plufieurs pierres de grand prix , fur- ££AÏBt tout d'une pierre d'Agate d'une grolTeur extraordinaire : le tout donné par S. Henri de Bavière , fécond Empereur des Romains de ce nom. Ma Lettre devien-droit un volume, fi je vous détaillois toutes les autres richeffes de cette Eglife. Mrs. à'Aix s'étant flattés d'avoir chez eux le Congrès qui a été enfuite à Soijfons, ont fait réparer leur Hôtel de Ville , de forte qu'il eft aujourd'hui un des plus beaux de l'Allemagne. On a aufll bâti de nouveaux Bains, très propres & très commodes. Ce bâtiment eft d'une belle apparence. Aix eft en tout une fort jolie Ville , & hors de la Saifon même des Eaux , il y a fort bonne compagnie. Il ne faut pas y chercher des plailîrs bien bruyans j mais on y trouve une bonne Société. Les maifons de Madame la Com-teilè de Goljlcin & du Baron de Dobel-fiein , font d'une grande reflource. Le dernier eft un Cavalier de- mérite & de naiflance, Fils d'un Père qui étoit Offi- , cier- Général au fervice de l'Electeur de Cologne Jofeph - Clément • & qui dans la dernière guerre, aiant fervi en France, y avoit acquis de ia réputation, Il m'hono-roit de fon amitié , & je vénère fa mémoire. De tous les Endroits où l'on prend les Eaux , il n'y en a point où l'on foit plus U 4 agréa- Lettres AtxtLA- agréablement qu'à Aix. On y eft parfai-' Chapel- tement bien logé & nourri. 11 y a la mal-fbn de Bougy près de la Fontaine , où le feu Roi de Danneniarc, la Reine, la PrincefTe , & toute leur Suite on été commodément logés. Cette maifon eft très bien meublée, & appartient à de fort honnêtes gens. C'eft eux qui pendant la Saifon tiennent les AlTemblées & donnent de Bal, dans une parfaitement belle Salle. D'Aix-la-Chapelle je fuis venu dans moins d'un jour à Cologne. A. une Montagne près, que l'on monte au fortir <ïAix, le chemin eft fort uni, & le pays ]uliers. fort plat. J'ai pailè par Juliers, Capitale du Duché de ce nom : elle eft limée fur la petite Rivière de Roer, qui eft fort fujette à fe déborder. Plufieurs Auteurs veulent que Jules-Céfar ait fait bâtir cette Ville j d'autres en attribuent la fondation à Drufus. Quoi qu'il en foit, elle ne fait honneur ni à l'un ni à l'autre. On ne peut pas dire qu'il y ait un feul Edifice. Les fortifications m'ont paru allez, négligées. Le Château ou Citadelle, que je n'ai vu que de loin, doit être en meilleur état. L'Electeur Palatin y entretient une bonne Garnifon ; c'eft le Général ' Haxhaufen qui commande dans la Place, je croi que là maifon eft l'unique de Ju-Hert. La Religion Catholique eft feule exercée dans la Ville j les Habitans Réformés ou Luthériens ont leur Chapelle fi»r du B À r onde P O l l n i t z. 169" le glacis de la Place. Il le pourroic aifé- juuEBSv ment que dans peu ils auront des Eglifes dans la Ville même : il ne faut que la mort de l'Electeur Palatin ; fuivant les apparences , le Roi de Prujfe ne lailTera pas échaper un Pays fur lequel il a de fi juftes prétentions. : Cologne eft la plus grande Ville de Colj-l'Allemagne, ôc la plus trifte de l'Europe. GNE* On n'y entend que fonner des cloches, on n'y voie que des Prêtres, des Moines, ôc des Etudians, dont beaucoup demandent l'aumône en chantant. Ceux de Cologne fe vantent qnAgrippine Mère de Héron y eft née , ôc que cette PrincefTe aiant voulu donner à cette Ville des preuves éclatantes de fa bienveillance ôc de fâ libéralité , en avoit augmenté confidéra-blement le circuit, Ôc l'avoit peuplée d'une Colonie de Vétérans. Il feroit à fouhaiter que cette Impératrice vécût en- ' core, ôc qu'elle penfat à peupler Cologne, où il y a plus de maifons que de familles./ Il faut qu'un bourgeois foit bien mal dans . fes affaires, s'il n'occupe pas une maifon ■ entière. Si la quantité d'Eglifes rendoit les habi- ! bitans d'une Ville faints, ceux de Cologne le lèroient plus que gens du monde. On y compte autant d'Eglifes ou Chapelles que de jours en Tannée. Parmi ces Temples, la Métropole dédiée à l'Apôtre S.' Pierre, eft le.plus confidérable. Ce fe-L y roit roit un des plus grands & plus magnifiques Edifices de l'Europe, s'il étoit achevé j mais dans l'état où il eft, il ne fait pas trop d'honneur à fon Chapitre , le plus illuftre de l'Allemagne. Les Chanoines font tous Princes ou Comtes-nés de l'Empire, & doivent prouver fcize Quartiers. Il y a auiTi des Chanoines Docteurs- mais ceux-là ne font proprement que les Gens d'affaires du Chapitre. On voit dans une Chapelle derrière le Chœur , les Corps des Trois Rois , qui ont été portés à Cologne. La porte par où ils font entrés dans la Ville , eft du Côté du Rhin : elle fut murée d'abord après que ces faintes Reliques y eurent Îàfïë, afin que rien ne la profanât. Les mages des Trois Rois font peintes au def-fus. Les habitans de Cologne ont une dévotion extraordinaire envers ces Reliques. Je croi qu'il ne feroit pas bon dans une aflèmblée de Bourgeois , de s'avifer d'en révoquer en doute l'authenticité. Les perfonnes de qualité & les honnêtes-gens font polis à Cologne, comme ailleurs j mais le Peuple y eft extrêmement groiïier. Il y a des Familles Patriciennes fort anciennes, & qui font voir aufli clairement qu'elles defccndcnt des anciens Romains , que le Duc de Vantadour en France a prouvé qu'il eft parent de la Sainte Vierge. La Ville eft gouvernée par un Sénat. »u Baron de PoLln itz. 171 Elle eft Libre & Impériale: cependant Cote-l'Electeur de Cologne y exerce la Haute- GNE* Juftice, & tient pour cet effet un Grand-Jufticier, ou Lieutenant criminel, qui ne dépend nullement des Magiftrats. Les principales Charges font diftribuées entre les Patriciens, qui fe tiennent renfermés chez eux & fuyent la Nobleffe, comme tous les Patriciens d'Allemagne II y a très peu de maifons de qualité, à proportion de la grandeur de la Ville. Les Seigneurs du Chapitre font tout l'a-grémen.: de Cologne, & font honneur aux Etrangers j mais ils font la plupart peu dans cette Ville: aufli-tôt que leur réfi-dence eft faite, ils vont chez eux, ou dans les autres Lieux où ils font Pré-bendiers. 11 y a des Marchands riches, qui fe nourriifent bien, & qui boivent encore mieux. Peut-être fe réjouilfent-ils : je ne les ai pas pratiqués} vous favez que notre fierté Germanique ne nous permet pas de nous abaiflèr jufqu'à eux. 11 y a encore beaucoup de chofes cu-rieufes à voir dans cette Ville, entre autres, la maifon où les Chevaux montèrent d'eux-mêmes au grenier, pour convaincre un Homme que fa Femme qui é-toit enterrée la veille, n'étoit pas morte. Vous trouverai cette Hiftoire dans les Lettres de Mijfon. J'ai vu la maifon où l'infortunée Reine de France Marie de Médias a logé, pendant le tems qu'elle a demeuré ici, où elle eft morte dans une fituation affez trifte, pour fervir d'exemple à l'Univers, de la fragilité des grandeurs humaines. L'ingrat Cardinal de Richelieu qu'elle avoit comblé de biens ÔC' d'honneurs, non content de la bannir du Royaume, la laiiToit manquer de tout. Il rendit la Reine une Martyre de fouf-frances ôc de douleur, tandis qu'il vi-voit dans le luxe de la plus haute fortune. Le Cardinal Mazarin, fon Suc-celTeur dans le Miniftère, vint auffi Ce retirer dans cette Ville, pendant que toute la France étoit conjurée contre lui : mais il eut la gloire de la fbumet-tre. Je ne vous dirai pas les revenus de la Ville, parce que je n'ai vu perfonne qui ait pu me donner le moindre éclaircilTe-ment là-deÛus. Elle entretient quelques Compagnies d'affez mauvais Soldats, qui font la garde aux Portes, à la Maifon de Ville, & qui vifitent fort infolemment les coffres de ceux qui arrivent. Ce qui eft afTurément la plus grande des incommodités : puifque pour deux-cens pas qu'on a à faire pour arriver à l'Auberge, il faut faire détacher les Valifes, que Von fouille ôc que Ton met tout fans def-fus deflous. Vous êtes obligé de remettre les chofes en ordre ; ôc ceux qui ont tout mis en confufion, ont encore Tef-fronterie de vous demander pour boire. Dans Dans d'autres Villes, un Commis vous Colo« accompagne chez, vous, & vous lui fai- GNE' tes voir ce que vous avez. Mais les Villes Impériales veulent toujours quelque chofe de particulier ; 6c ordinairement cela va directement contre leur propre intérêt, ôc eft toujours oppofé à la commodité du Public, Il y a des Proteftans établis ici ; ôc ce ne font pas les moins riches de la Ville. Ils vont à l'Eglife à Mulheim, Bourg du Pays de Berg, à une demi-lieue d'ici. Je parts demain pour Bonn, où l'on attend l'Electeur à toute heure. Il vient de Mergentahî, où il a été élu Grand-Maitre de YOrdreTeutonique*, quoique le Pape * [Il a fuccédé à Frantms-LwU de Nmhour^ Electeur dcMaience, élu Grand-Mai ne Je 12 Juillet 1694. a la place de fon Fi ère Louis Antoine de Ne^Êksrr; ÔC il eft le quatorzième Graud-Maitrc depuis la défection de la Pruflè qui étoit ci-devant le Siège de cet Ordre, lequel lublifte depuis l'an 1190, qu'il fut in-ftitue dans la Terre-Sainte par Henri Roi de Jerulà-lem. Un Duc de Maz.avie aiant attire chez lui Her-man de Sattx.a quatrième Grand - Maître du nouvel Otdrc, élu en 1210, il lui donna & à les Chevaliers des Terres fur les frontières de la Piufic, dont le* habitans, qui étoient Paiens, caulbient beaucoup de maux à les Sujets, ôc il promit de leur laiilèr toutes les Terres qu'ils conquetroient fur ces Peuples; ce que. l'Empereur & le Pape confirmèrent. Avant l'an 12. & forme les Palatinats de Culm% de Marienbmrg &c. C'eft ainfi que les Chevaliers Teutons furent obligés de le retirer en Allemagne, où leur Ordre eft partagé en II Provinces. Chacune de ces Provinces a fes Comman-deries particulières, & leur plus ancien Commandeur fc nomme Commandeur Provincial: ces douze Commandeurs, qui dépendent du Grand-Maître , oni oroit de lVlire. Marientaht en Franconie eft la Reiidence du Grand-Maître, qui a environ iO mille eais de levenu. On prétend que l'Ordre ne delclpère pas encore de iccottYta quelque jour les Etats qu'il a pctdlU- : louer l'Electeur. Je vous manderai comment j'aurai trouvé la Cour de ce Prince. Je fuis toujours avec une très parfaite con-lidération, ôcc. A Cologne, ce z$ de Juillet 1732. LETTRE XLVII. Monsieur, /^Omme je fuis arrivé à B o n n deux Bonh. j'ai eu tout le tems de m'y promener. Cette Ville eft fituée fur le Rhin, à cinq lieues de Cologne, d'où l'on s'y rend par un des plus beaux chemins du monde, bien pavé ôc planté d'arbres, traverfanc une grande ôc fertile plaine, entourée de coteaux chargés de vignes & de bois. Cette Ville eft fort ancienne. Florus nous apprend que Drufus en eft le Fondateur. Les Sa vans affurcnt qu'elle eft Y Ara U-biorum des Anciens, dont parle Tacite. Quoi qu'il en (bit, Bonn n'a pas le moindre Monument qui le reflènte de la magnificence Romaine ; c'eft aujourd'hui une petite Ville, qui cefife d'être quelque choie dès qne la Cour n'y eft pas. Elle étoit autrelois très bien fortifiée, ôc a elfuyé avant le retour de la Cour, ,176" ..Le t t r e s. Bonn. elTuyé plufieurs Sièges, entre autres en 1689, par Frédéric Electeur de Brandebourg, depuis Roi de PrulTe. Il le fit à la tête de fes Troupes, de celles deMun-iler & de Hollande, & y perdit beaucoup de monde. Ses Grands Mousquetaires, tous Gentilshommes François Re-ligionnaires, s'y diftinguèrent infiniment. 'Ces gens, nouvellement fortis de France, étoient animés de haine & de vengeance contre Louis XIV, qui par la révocation de l'Edit de Nantes les avoit réduits à abandonner leur Patrie. Ils firent des prodiges de valeur , & ne fe lalfoient point de combattre. Tout François Catholique leur étoit odieux. S. Bonnet <3c de nailTance, fut tué en montant à l'AlTaut en Volontaire. Cet Officier cro-yoit qu'on lui avoit fait un paiTe-droit, de ne ie pas commander pour l'AlTaut : il en fit fes plaintes à l'Electeur, qui lui répondit, qu'il favoit très bien que cela lui étoit dû, mais qu'il croyoit devoir ménager un Officier pour lequel il avoit beaucoup d'eilime. S, Bonnet dit qu'il ne croyoit pas pouvoir reiter en arrière fans fe deshonorer, & qu'il demandoit en grâce à S. A, E. de trouver bon qu'il ne perdît point une occafion qui lui pro-. cureroit fans doute l'honneur de lui témoigner fon zèle. L'Electeur répliqua, qu'abfolument il lui ordonnoic de ne point homme de courage du Baron de Pollmitz. 177 penfer à combattre, ôc de demeurer au- BqnN; Près de fa perfonne. S. Bonnet, avide de gloire, peut-être entraîné par fa deilinée, n'obéit point, & reçut un coup de moui-quet dont il mourut deux jours après, fort regretté de fon Maitre Ôc de toute l'Armée. Pendant ce Siège, Boa» fut réduit en un tas de pierres; il n'y relia prelque pas une maiion fur pied. Le Baron dAJ-feldt, qui y comimndoit pour Louis XIV, fît une très belle défenfe, Ôc foutint un Blocus de deux mois, ôc vingt-ièpt jours de tranchée ouverte. Cette Ville fut encore atïiégée en 1703, par Mylord-Duc de Marlborough, qui réduilit le Marquis d'Alègre * aujourd hui Maréchal de France, à capituler au bout de onze jours Par la Paix d'Utrecbt, il avoit été arrêté que les Hollandois conferveroient Garni-fon dans Bonn; mais l'Electeur Jojeph-Clément, peu de temsaprè6 fon rétabliffe-ment, trouva le moyen de les déloger, & de demeurer , comme il étoit bien jufte, maitre chez lui. Ce même Prince , à fon retour de France, trouva fa Capitale dans un trifte état; beaucoup de maifons, détruites dans le dernier Siège, n'étoient point encore relevées; fon propre Palais étoit ruiné. 11 entreprit de tout rétablir, ôc en effet, ... en * [Il eft mort.] Tome UI. M en peu d'années il a non feulement fait relever les mazures, mais il a aufïï fait conftruire nombre de maiions nouvelles, & a fait bâtir un Palais de grande apparence, & qui auroit été un des E-difices les plus considérables de l'Allemagne, s'il avoit été conduit à fa perfection. Le Corps du bâtiment, qui eft achevé, contient de vaftes Apartemens ménagés avec art} richement décorés & fuperbement meublés. Les TapilTeries dont la Chapelle eft ornée aux grandes Fêtes, méritent d'être confédérées; elles repiéfentent en douze grandes pièces , l'Hiftoire de la Nativité de Notre-Sei-gneur, fur des DciTeins admirables. Ces morceaux peuvent paiTer pour des chef-d'œuvres des Gobelins , où l'Electeur Jofepb-Clément les a fait faire. La principale Eglife de cette Ville a de la grandeur. Elle fut fondée [dit-on] par Ste. Hélène Mère de l'Empereur Constantin, en l'honneur des Saints Martyrs CaJJtus F brus ôc Malufius, Soldats d'une Légion Romaine. La Statue de cette PrinceiTe eft placée à l'extrémité de la Nef j elle eft de cuivre jaune. La Sainte eft repréfentée à genoux, adorant la Croix, qu'elle foutient de la main gauche. Elle eft dans une attitude fort noble, & cette Statue ieroit certainement eftimée, fi clle étoit dans quelque £glife de Rome. J3ien Bien que l'Electeur ait tous les agré- Bonn. mens delirables à Bonn, il eft néanmoins plus Souvent à Brubl, Maifon qu'il a fait bâtir à trois lieues de cette Ville. Quoique ce Château ne foit pas des plus é-tendus, il a de très beaux Apartemens, ornés de tout ce que le bon-goût & la magnificence peuvent produire de plus parfait. L'Elcéleur y fait travailler à des Jardins, qui, à en juger par leur commencement , feront des plus Superbes lorfqu'ils feront achevés. Le feu Electeur avoit fait élever un Château à un quart de lieue de Bonn, près d'un Village nommé Popeùdorjf. Il étoit bâti en forme de Cirque, d'une Architecture toute particulière. 11 a plu à l'Electeur régnant de le faire démolir en partie, & d'employer les matériaux aux travaux de Brubl. Près de Popekdorff eft le Jardin de la Pépinière, qui eft très bien diilribué ôc fort proprement entretenu. Toutes ces maifons fervent d'embellif-lement aux environs de Bonn, qui fans cela eft déjà dans une très agréable fitua-non. Je m'y plairois incomparablement J^ieux qU'à Cologne. La première s'embellit journellement, tandis que l'autre dépérit. Je me fus beaucoup promené, ^attendant le retour de l'Electeur, Ce Prince eft enfin arrivé, avec le Duc F&r-*inand ion Frère. B a été reçu au bruit -M 2 du Bonn, du canon, & complimenté par tout ce qu'il y avoit de perfonnes de diftinction, fur fon retour, ôc fur fa promotion à la Grand'Maitrife de l'Ordre Teutonique. Le lendemain il y a eu Gala à la Cour. L'Electeur étoit habillé en Séculier, ôc portoit l'épée. Tout le monde en fut fur-pris , parce que l'habillement affecté aux Electeurs de Cologne, cil femblable à celui des Cardinaux. L'Electeur déclara qu'il étoit ainfi vêtu , comme Grand-Maitre d'un Ordre Militaire. S. A. S. porte à juifc titre les grands noms de Clément - Augufte. Ce Prince a grand air, il eft bien fait, ôr d'un facile accès; il aime les plaifirs, mais particulièrement la Chalfe, autant que fon état le lui permet. Sa vie régulière, & la fa-gelfede (esmœurs, peuvent fervird'exemple à bien des Prélats plus âgés , moins puiffans ôc d'une nailTance moins élevée. Il a pafle fon enfance à Gratz, avec les Princes fes trois Frères aines. L'Electeur fon Père l'envoya enfuite, avec le Duc Philippe fon Frère, à Rome. Le Marquis Santini , Lucquois de nation, Commandeur de l'Ordre de Malte & Lieutenant-Général au fervice de Bavière , leur fut donné pour Gouverneur. Le Duc Philippe étant mort peu de tems a-près avoir été élu Evêque de Paderborn ôc deMvnfttr, à quoi avoit beaucoup contribué Mr. le Comte de Pkttenberg au- jour- d u Baron de Pollnitz. 181 jourd'hui Prémicr-Miniftre de l'Electeur, Bonn. rnais qui pour-lors n'étoit attaché à ce Prince que par le dévouement qu'il a toujours eu pour la Maifon de Bavière; il porta encore les deux Chapitres à choifir pour Evêque le jeune Duc Clément-Augufte. Ce Prince reçut à Rome fes Bulles de la main du Pape, & vint enfuite prendre polTeffion de fes Evê-chés. Peu de tems après, l'Electeur de Cologne fon Oncle fie recevoir le jeune Prince pour fon Coadjuteur. Jojeph-Clément étant décédé , Clément - Augufte lui fuccéda encore à l'Evcché de Hildes-heïm. Après la mort du Duc d'Torck , Erneft-Augufte Duc de Brunsiuich-Lune-bourg , Evcque d'Osnabruck , il fut élu pour fuccefleur de ce Prince. Et enfin , il vient d'être élevé à la Grand'-Maitrife de l'Ordre Teutonique par le choix unanime des Commandeurs. Six des plus grands Bénéfices polTc-dés par un feul Prince , excitent les murmures des ennemis de la Maifon de Bavière. Quoi! difent-ils, un feul Evêque , pour tant d'Evêcbés ! c'eft de quoi nos Annales fournirent peu d'exemples ; cela neft pas canonique. Je ne fuis point allez verfé dans le Droit-Canon , pour décider fi cela eft canonique ou non : mais je n'ignore pas que d'autres Princes ont poiïédé autant, & même plus Je Bénéfices , & qu'il eft du bien & M 3 de de l'intérêt de l'Eglife, que l'Electeur foit puifllmt. Albert, Cardinal de Brandebourg, étoit en même tems Archevêque de Maicnce, & de Magdebourg. L'Archiduc Léopold poilédoit neuf grands Bénéfices on ne diloit pas de Ion tems, que cela 'n'étoit point canonique. François de Neubourg, dernier Electeur de Maience, n'étoit point rrêcre , & avoit cinq Evêchés, ou Abbayes ; on ne s'eft point récrié contre. Pourquoi donc trouver étrange que l'Electeur en pos-fède fix ? Ce Prince n'clt inférieur ni en naiffance, ni eh mérite, à l'Archiduc Leopold, & au Prince de Neubourg. Sans être Fenlionnaire de l'Electeur , je ne puis m'empëcher de dire que les Catholiques, loin de fe récrier contre fa grandeur, devraient au contraire contribuer à l'augmenter. Les divers Evêchés de l'Electeur ibnt entourés, & entrecoupés même, par les Etats des plus grandes Puiiïances Protestantes , defquels ils ne iàuroient en particulier fe défendre , en cas que le malheur de l'Allemagne voulût qu'elle fût expofée à une Guerre de Religion ; au-lieu que réunis fous un Chef, ils forment un Etat refpectablc. Mais, * Il «oit Grand -Maitre de P Ordre Teutonique; Eve-Cjue de Sirnsfaura , lUibarJiadt , P*jp>t* > Oimfttz, > «• 'àrejiaui Abbe de Hirfchfetdt * Murbach , ÔC dits. rfuBARON de PÔLLNITL l%% ■Mais, difent encore les mal-intention- Bonh. nés , Bernard de Qalen étoit fimplement Bvêque de Munfter, <& cependant il a fait trembler la Hollande. Cela eft vrai ; mais ce Prélat étoit ibutenu de toutes les forces de Louis XIVfans lefquelles, tout inquiet & guerrier qu'il étoit, il n'auroit ofé penfer à attaquer les fept Provinces. Mais je luppofe qu'il eût été en état de faire la guerre feul à la République, qu'eft-ce que cela prouverait pour le tems préfent? La face de l'Europe, & particulièrement de l'Allemagne, a bien changé depuis que ce Prince n'eft plus; les Proteftans , foibles alors , font puifïans; ils font les maitres du Commerce iource des richelTes , ôc polTèdent les Provinces les mieux fituées pour recevoir les fecours étrangers. Les Catholiques au contraire font épuifés, divifés d'intérêts; leurs Etats , dépourvus de Manufactures & fans Négoce , font pauvres. 11 me fcmblc donc , je le répète encore , que loin de s'oppofer à la grandeur de l'Electeur, leur intérêt demande qu'ils contribuent à l'augmenter , afin de donner un Protecteur à la Religion ôc à l'Eglife. Pardonnez-moi, Monfieur , ce long Plaidoyer : je me fuis laiflè emporter au zèle de la Religion , Ôc pour la jufte Caufe d'un Prince qui oblige d'aimer en lui ce qu'on eft tenu de rcfpeéter. Il a M Of pour pour Prémier-Miniftre, Ferdinand'Comte de Fletteîiberg-Nordkirchen, dont la Maifon tient depuis longtems un rang diifingué en Weftphalic, & a donné plufieurs Princes fivêqucs de Paderborn ôc de Munfter. Elle portoit ci-devant le Titre de Baronie ; Mr. de Flcttenberg en eft le premier Comte. Peu de tems après qu'il eut éré élevé à cette Dignité, l'Empereur le nomma à fon Confeil d'Etat Privé, & Sa Majefté Impériale ôc Catholique vient de lui envoyer l'Ordre de la Toifon d'Or , en reconnois-fance de ce que ce Miniftre a détermi. né l'Electeur à garantir la Pragmatique Santlion. Le Comte de Plettenberg fe trouve donc décore de toutes les Dignités auxquelles un homme de qualité Séculier peut afpirer en Allemagne : il eft Comte de l'Empire , Confeiller Privé de l'Empereur, Chevalier de la Toifon d'Or , Grand - Maitre de la Mailbn de l'Electeur de Cologne , fon Grand-Chambellan , ôc fon Principal Miniftre. Jamais perfonne ne mérita mieux ces Emplois , l'Electeur lui étant redevable en partie de fa grandeur J. C eft ce Mi- niiire * fit a cependant été difj.',rncié en 173 =î ' Pm,r un allez loger lujet, qui fay perdre tous fes lvn-j lois au Comte de la Lippe ; & la dilgrace a entraîne celte de toute la famille , & de gr.inds chauge-wens à la Cour de l'Eicdtcur , dont le Comte de Hahtn - Ztlltra eft à btitèat Giand Maure & 1 * îruer- du Baron de PollNitx. 15$ mitre qui, comme je l'ai dit, a fait élire Bons. ce Prince Evêque de Padérbom Ôc de Munfter , 6c entuite Evêque de Hildes-heim Ôc cYOfnabruck: il a même contribué beaucoup à le faire élire Coadju-teur de Cologne, puifque fans fes représentations , le défunt Electeur Jofeph-Clément ne fe feroit peut-être jamais déterminé à en accepter un , parGe qu'il appréhendoit de mourir, dès qu'il auroit fut cette démarche. Le Comte de Plettenberg diflipa cette vaine frayeur , ôc procura ainlî à celui qu'il s'étoit choifi pour Maitre , le fécond Eleétorat de l'Empire. Vous concevez ailément, Moniieur, que de fi grands fervices rendus par ce Miniifre à un Prince dont il n'étoit point Sujet, n'ont pu que lui attirer de grandes récompenses. Ils lui ont valu toute la confiance de l'Electeur, qui fe repofe entièrement fur lui du loin des Affaires. Le Comte ufe de fon autorité avec modération; il eft civil ôc honnête. Ses manières font nobles, 6c ai fées, autant que là figure eft agréable. 11 n'a point ces airs de fupériorité, que prennent ordinairement ceux qui dans la grandeur font favorisés de la fortune. Devenu Prémier-Miniftre d'un grand Prince, dans r Miniftre , & le Baron de Ihtnf.dn Grand-M 5 dans un âge * où à peine on oferoit pen-fer à fe mêler des Affaires , il s'eft fait un jeu du travail , & n'a point cet air myftérieux & hautain qui ne fert qu'à aliéner les cœurs: il eft de facile accès, écoute avec attention ceux qui lui parlent , 6c répond avec précihon , fans chercher ni détours ni délais. 11 eft généreux, libéral, & bienfaifant, vigilant, laborieux, 6c attaché au travail. Il fe lève tous les jours à cinq heures, & emploie la matinée aux Affaires : il tient enfuite une magnifique table, à laquelle il obferve au milieu de l'abondance & de la délicateffe, la frugalité fi louable dans ceux qui font en place. Après le dîner, il pafïè dans fon Cabinet , où il donne audience aux Miniftres fubaltemcs; lais-fant à la Comtefle fon Epoufe le foin de faire les honneurs de fa maifon, qui eft toujours ouverte aux gens de diftinéfion & de mérite. Comme il eft né un des plus riches Seigneurs de l'Allemagne, il en eft aulli un des plus magnifiques. Sa dépenfe eft confidérable. Son Hôtel eft richement meublé, & rempli d'excel-lens Tableaux des plus habiles Maitres-Mais la magnificence de cette maifon n'approche point encore de celle de ton Çhâ- * H n'avoit pas encore vingt-huit ans accomplis. Château de Nordkirchen, où tout eft fu- Bonn, perbe ôc retient le Souverain. Cependant Mr. le Comte de Pkttenberg l'embellit tous les jours , il y fait actuellement travailler à des Jardins, qui auront peu de pareils en Allemagne Ce Miniftre a un Fils unique , qui efl: à l'Univerfité de Leydeti; jeune-homme de grande efpérance , qui eft déjà Confeiller Aulique actuel de l'Empereur , fon Chambellan, & Grand-Ecuyer * de l'Electeur de Cologne ; ôc auquel Mr. le Comte de Plettenberg , outre fes grands biens , lai fiera fes traces à fuivre ôc fes exemples à imiter. Il y a encore nombre de perfonnes de naifïance Ôc de mérite à cette Cour. Le Baron de Nothajf't, Lieutenant-Général , Chambellan , ôc Capitaine des Gardes de l'Electeur; Mr. de VFalbot de Goudenau, Maréchal de la Cour ; le Baron de Scbourfjèc Mrs. les Marquis Ca-pont, Ôc Trot ri , Chambellans de TElec-teur, fè diftinguent par leur politefïe envers les Etrangers. Le Baron de Sparrt Suédois d'origine, mais dont le Père eft mort au fervice de France , eft Aumônier de l'Electeur , ôc Doyen de Bonn. S. A. E. vient de l'envoyer à Rome, pour demander l'approbation du S. Père pour fon élection à la Grand' Maitrife. Mr. de Sparr * [Le Baron de Roi/a pris la place.] Bomn. Spart a é;é Page du feu Electeur de Bavière ; il fe conduiht dans cet état avec une fàgefTe, qui n'y eft pas ordinaire; il .«'appliqua à l'étude de diverfes Langues, & apprit à les parler avec la même facilité que fa Langue naturelle. Il fit de grands progrès dans la Mulique, l'Hifloi-re, ôc la Géographie, & ne négligea rien de ce qui pouvoit le rendre un jour utile à l'Etat ôc à fon Prince. Au fortir de Page, il entra au fervice, & fut Major aux Gardes , ôc Chambellan de l'Electeur de Bavière. Il penfoit à s'établir, lorsque Dieu, dont les décrets font impénétrables, lui infpira de fe faire d'E-glifc. Il quitta fes Emplois, ôc fe retira dans un Séminaire, d'où il ne fortit que pour embraffer l'Orjdre de Prêtrife. Il dit fa première Meffe dans la même E-glife ôc le même jour, que le Duc Théodore de Bavière Evêque de Ratisbonne ôc de Vreifusgen dit la fienne. Il a pafïé depuis une année à Rome , Ôc s'y eft fort appliqué à l'étude du Droit Canon. Je l'ai connu dans cette Ville, & l'y ai vu eftimé de tout le monde. Il a des fentimens de piété ôc d'honneur , tels qu'il feroit à fouhaiter qu'euflent tous nos Eccléfiaftiques ; Dieu ôc le Monde en fe-roient mieux Servis. La Maifon de l'Electeur eft très nom-breufe : mais ce Prince n'a que deux Ré-gimens d'Infanterie dans fon Electorar. Le Le Baron àtNotbajft commande en Chef* Bonn» ces Troupes, qui, quoiqu'en petit nombre, font fuffiiàntes pour garder les Places de Bonn, Rh'mberck Ôc Keifers'werdt, qui étoient autrefois fortifiées, mais qui depuis la Paix ont été démolies. Dans Pabfence de l'Electeur , c'eft le Doyen du Chapitre de Cologne qui gouverne , fous le titre de Stadthalter. Il eft logé dans le Palais Electoral, ôc fervi par les Officiers de l'Electeur. Pendant ce tems-là, Bonn eft allez trifte: la No-bleffe s'affemble chez, Madame la Com-tefTe de Fugger , Ôc on y voiE plus de Coiffes que de Chapeaux. Les Dames Chanoineffes de cette Ville y brillent. Je vous laiife en fi bonne compagnie, & fuis, ôcc. A Bonn, ce 30 Juillet 1732. LET- LETTRE XLVIII. Monsieur, J'Ai remonté le Rhin depuis Bonn jus-ques à Maience, pour éviter le partage desagréable des Montagnes de la We-teravie. Je n'ai point été fatigué, mais en revanche j'ai eu alfez d'ennui. J'ai Lintz. mis pied à terre à Liun, petite Ville de l'ElecForat de Cologne fur la droite du Rhin , & j'y ai bu d'excellent Vin de Bleickert, qui fe fait près du Village de Huningue à une lieue de cette Ville. Les Liégeois , qui favent braifer les Vins comme la Bière, en achètent beaucoup ici, qu'ils accommodent à leur manière, 6c le vendent pour du Bourgogne. A-près avoir rempli mes Cantines, j'ai continué ma navigation 6c fuis arrivé à An-Ander- derNach, petite Ville qui tire un grand nach, profit des Trains de gros bois qu'on y raflèmble pour la Hollande. On y fait aufli un grand débit de Flacons 6c de Fors de grès, 6c d'Eau minérale deDuncb-fieiny fore en ufage l'Eté pour boire avec du vin. Un peu plus haut qu"'Andernach , de l'au- l'autre eôté de la Rivière, eft un Châ- Neu-teau abandonné, appartenant au Comte wnyr. de Neuwidt, qui y met fes Equipages de ChalTe. Le vulgaire croit que le Diable habite dans cette maifon. C'eft ainfi que la fuperftition eft de tous les Pays. La petite Ville de Neuwidt donne fon nom à un Comté de l'Empire. Le Comte y a une allez jolie maifon. Ce Seigneur, ainfi que fes Sujets, font Réformés; * il a époufé une Fille du feu Comte Alexandre de Dohna, qui a été Gouverneur du Roi de Pruife. C'eft une Dame refpedtable par fa vertu, par fon efprit, & par les manières. Le Rhin, qui depuis Neuwidt jufques à Bonn ne trayerfe que des plaines, eft refierré plus haut par des montagnes af-fez élevées pour me rappcller le Souvenir fâcheux des Alpes. Ces furieux Rochers font cultivés jusqu'à leur cime, & produifent d'excellens vins. Leur af-pecî: même occupe la vue, étant variés de Vignobles, de Bois, de Bourgs, Village , Châteaux & mazurcs. La feule Ville. • [Ce Comte, qui aime les Sciences, veut faire de Ion Château un Lycée , & de là Ville une petite Athènes. Il commence par former une nom-breufe Bibliothèque, & a envie d'attirer des Savan$ auprès de lui. Mais il eft queftion de les bien choi-ftrj 6c le premier choix que le Couue a tait d'un Homme qui a déjà toute fa faveur, eft de mauvais augure pour la fuite. J Cô- Ville de conféquence eft Coblentz , dans bjlentz. l'Electorat de Trêves, fituée fur le confluent de la Molette Ôc du Rhin , dans nne belle vallée , entourée de magnifiques coteaux. Elle eft revêtue de très belles murailles , & de remparts. Ses deux Rivières favorifent fon Commerce, ôc font toute là richelfe. 11 y habite plufieurs perfonnes de qualité; tels font les Comtes de la Leie , ôc de Metternkh, les Barons de Wa/pot, & d'0 à cinq lieues de Cologne. Le Rhin baigne fes murailles, Ôc prend fon cours avec tant de violence fur la Ville , qu'on a pré obligé de faire de grands ouvrages pour le rompre. Dujftldorjf eft petit. Le feu Electeur Jean-Guillaume , qui y faifoit fa demeure , avoit entrepris de l'agran-» dir d'un Quartier qu'on appelle la Fille-neuve; mais la mort de ce Prince, ÔC l'abfençe de la Cour , ont interrompu ces travaux. L'Electeur régnant fait fortifier cette Place ; mais on y travaille avec tant de lenteur , qu'il faudra bien du tems avant qu'elle loit achevée. Le Dussel- Le Château ou Palais de l'Electeur eft dokff. ancien, & n'a rien de remarquable que la Gallerie de Tableaux. Elle confifte en cinq grandes Pièces ou Salons, dont trois font beaucoup plus grands que les deux autres. Les Tableaux de la première Salle font tous de la main de Rubens. On y admire le Jugement dernier. Cette Pièce eft une des plus considérables qu'ait fait cet excellent Peintre. On dit qu'il la fit pour le Duc Wolffgang de Neubourg, en reconnoiffance de ce que ce Prince l'avoit retiré d'Efpagne , où Rubens de-voit être arrêté par le S. Office. Les Tableaux de la féconde Salle font tous de difïcrens Maitres Flamands ; mais les ouvrages de Vaii Dyck y font en plus grand nombre. La troifième Salle, qui eft la plus grande, contient des Tableaux des plus habiles Maitres Italiens. La quatrième eft ornée des Ouvrages £du Chevalier] Van der Werf, Peintre Hollandais mort depuis peu à La Haie , qui a eu la gloire de voir vendre fes Tableaux jufqu'à mille ducats d'or la-pièce. L'Electeur Jean-Guillaume lui faifbit une penfion de fix - mille florins , & lui payoit deux-mille florins pour chaque Tableau. Aucun Peintre Flamand n'a mieux poffédé le DefTein } àÇ n'a été plus habile dans le mélange des couleurs. Sa peinture eft fi fine, le co- du Baron de Pôllnitz. 205 loris en efl: fi vif & fi bien ménagé , dus sel. qu'il n'y a point d'Email qui foit plus dorf». beau. Parmi fes Ouvrages, les Connois-feurs admirent la Vie & la Paffion de Notre Seigneur ; Diane dans le Bain, Pièce pour laquelle l'Electeur Jean-Guillaume a payé vingt-mille florins j le Portrait de Marie-Anne de Medicis Femme du même Electeur. Cette PrinceiTe eft repréfentée, avec les Dames de fa Cour, en Veftales. La cinquième & dernière Salle eft la plus magnifique, & contient des Pièces choifies des Maitres du premier rang ; comme Raphaël, Jules Romain , Fietro di Cortone, le Guide , Titien , Faul-Veronefe , Tintoret , Correge, Albane , les Caraches , Jofeph Pin , Paul Rubens , Van Dyck , Rembrants , & plufieurs autres. Mais ce qui n'occupe pas moins la curiofité dans un autre genre, c'eft l'abondance & la diverlité des autres choies qui fe voyent diftribuées dans ces divcrfes Chambres ; comme des Bronzes de la première perfection , copiés la plupart fur les plus belles Antiques , placés fur de belles tables de Florence ■ des Cabinets portatifs , garnis de' Miniatures excellentes, ou de pierres de rapport ; enfin une infinité d'autres chofes très dignes d'admiration, qui rendent cette Gallerie d'une grande magnificence. Sous VvsstL* Sous ces mêmes Salles, il y a une au* »orff. tre Gallerie, remplie de Statues de marbre ôc de plâtre, fur le modèle de toutes les Statues célèbres de Rome ôc de "Florence, dont l'Electeur Jean-Guillaume a fait prendre les moules avec beaucoup de foin ôc de dépenfe. Devant le Palais, fur le Marché, eft la Statue équeftre de l'Electeur Jean-Guillaume. Ce Prince eft repréfenté à cheval, en cuiraiTe, portant le Bonnet Electoral. Ce Monument, qui eft de bronze, ne répond point à la dépenfe qui y a été faite. Le cheval eft repréfenté marchant le pas, 6c fa queue traine la longueur d'un pan à terre, ce qui fait un fort vilain effet, quoique l'on dife que celui qui a jette cette Statue, a imité un cheval qu'a voit l'Electeur. Cela pou voit ê-tre fort beau en crin ; mais cela ne l'eft pas en bronze. Tout ce Monument eft élevé fur un piédeftal de marbre gris, fort malîlf ôc fort uni, fans Infcription ni ornemens. Cependant, Jean-Guillaume de Neubourg, Electeur Palatin, méri-toit autant que Prince du Monde, qu'on tît paffer fes Vertus à la Poftérité par quelque Infcription. Il étoit magnifique, généreux, libéral; il protégeoit les Arts ôc les Siences ; fa Cour ôc fa dépenfe é-toient royales; fa bonté le rendoit aimable; il étoit les délices de les Courtifans» ÔC l'amour de fes Sujets, DU B'ARON DE PoLLNITZ. 207 Ce grand Prince vwoit dans un tems, ix-ssm-où l'Allemagne avoit quatre Princes qui, vàift-comme lui,proté*eoient les Arts: c'étoit Frederic-Augujle Roi de Pologne, Frédéric Roi de Prujfe , Antoine-Vlric Duc de Brunsvotck- Lunebourg, & Charles Landgrave de îïeffe Cajfet. De tous ces Princes , il ne reite que le Roi de Pologne *, les autres ne vivent plus que dans l'Hiftoi-re. Ils ont laiflë des Monumens de leur magnificence, & les Gens-de-Lettres feront palîer leur gloire à la Poftérité la plus reculée. " L'Electeur Palatin régnant aiant éta-, bli fa réfidence à Manheim, il y a une Régence à Vujfddorff, dont le Comte de Schasberg eft le Chef. Le Pays de Berg. & celui de Juliers qui en eft dépendant, font des Pays d'Etats, fans le confente-nient desquels le Souverain ne fauroir, établir d'Impôts. Ces Pays rendent un million d'écus à l'Electeur. Toutes les Religions y font tolérées. Chaque Communion a fes Eglifes, mais les Catholiques feuls font admis aux Emplois Civils Les RR. PP. Jéfuites ont une belle Maifon & une belle Eglife. Il y a une Chapelle hors de la porte de Cologne, qui mérite d'être vue : elle eft bâtie fur le modèle • Il eft mon depuis ncé: & laiflant la réputation d'une verru la plus, fevère. Sa mort avoit fait naître de grandes t!;>énnces a la Cô'ut dt Rome & aux Jéfuites. Ceux ci, cluflès des Provinces par des Lot* très févères > employèrent l'cntremiic d'une certaine Cour pour réuflir dans leur dcflèin de faire agréer un VUaht - Apo/iotïaue , à la place de I*Archevêque d'Vtrechti mais ce deflein , rjue l'on regarde comme dangereux à la Liberté de la République, a échoue. & Mr. Théedert van der Kf»<»> » lucccdé au dciust. J nion qu'on avoit conçue d'eux , depuis u-Jlu'ils s'efforcent de faire patTer pour Saint trecht. 'e Sieur Paris. On ne fait pas grand cas dans ce Pays-ci , de ces Favoris de la Cour célefte ; à plus forte raifon, de ceux qui en augmentent le nombre. Quoi qu'il en foit, tout le monde convient, & les Catholiques les plus zélés mêmes fbnr de ce nombre, qu'aux fentimens de Religion près , on ne peut rien blâmer dans leurs moeurs & dans leur conduite, & qu'ils vivent avec autant de régularité qu'ils fai-> foient peut-être dans la Maifon qu'ils ont abandonnée. L'Hôtel de Ville n'a rien de magnifique, du moins à en croire ceux qui l'ont vu , car je n'ai point eu la curiofité de l'examiner. Il n'y a pas même un Edifi-ce de conféquence dans cette Ville. On y trouve de la propreté, mais point d'Hôtels. Cela faifoit que pendant le Congrès, les Ambaffadeurs étoient affez é-troitement logés : encore n'étoit-ce qu'à force d'argent ; juiques-là que plufieurs d'entre eux auroient pu acheter les maifons qu'ils occupotent, pour ce qu'ils en ont payé de loyer pendant le cours de leur Miniftère. Ce Congrès me rappelle ce que difoient alors de certains Politiques cauftiques, fur les trois Paix qui a-voient été conclues confécutivement dans les Etats de la République. Nimègue, difoient-ils, fignifioic Neim-weg (P***»/- tout i ) U- tout;) Reywjyck, Reis-weg, (Arrache-trecht. tout;) 6c U/re«tf , Ausser - Recht, ( Hors de Droit. ) Si l'on examinoit bien les chofes, tout ceci feroit peut-être allez véritable,- mais les rieurs ne feroient pas pour les Alliés. Je me fuis iervi de la Barque qui part trois fois par jour d'Utrecht pour Amfter-dam, & qui en revient de même. C'eft la voiture la plus commode , la mieux w réglée, & la moins chère de l'Europe. On fait au jufte le moment auquel on doit partir, & à un quart-d'heure près, celui auquel on arrive. En prenant le Rouf, qui eft un lieu féparé dans la Barque, on eft feul, ou avec qui l'on veut. Comparant la Barque au Cachot ambulant dans lequel j'étois arrivé à Utrecht, je me trouvai aile comme un Prifonnier qui fort de prifon. Le Canal que j'ai fui-vi pour me rendre à Amfierdam , offre mille objets agréables à la vue ; ce ne font Îar-tout que belles Maifons de campagne, ardins magnifiques, Prairies ,& Villages. C'eft après avoir admiré toutes ces Amstbr- chofes qui marquent la richeffe des Habitans, que je fuis arrivé Amsterdam i cette Tyr moderne, la Maitreffe du Commerce , Je Magafin du Monde, & une des plus belles , des plus grandes & des plus opulentes Villes de l'Europe. Elle renferme des Edifices facrés & profanes qui ont de la magnificence, mais qui auf- du Baron dePollniti. aai fi (car je parle avec franchife) confervenc Amstek-toujours je ne fai quoi qui tient du Bour- °am. geois, & qu'on ne trouve point dans les bâtimens de Venife Ôc de Gènes , où les idées font plus élevées, parce que laNo-blefïe gouverne. Ce qu'on peut dire être véritablement grand ôc magnifique \Am-jlerdam, ce font fes remparts revêtus de brique, ôc les larges ôc profonds foliés qui l'environnenc. Amfterdam eft la feule Ville au monde, qui peut être comparée en quelque manière à Venife. Car quoiqu'elle ne foit pas bâtie, comme celle-ci, au milieu de la Mer, elle eft également bâtie fur des pilotis. Comme Venife, elle compofé un nombre infini d'Iles, ôc fes principales rues ont des Canaux ; avec cet avantage, qu'ils font bordés de larges quais plantés d'arbres, ôc qu'à Venife l'eau n'eft reffcr-rée que par les maiibns mêmes. Voilà, je croi, toute la refïemblance qu'ont ces deux Rivales du Commerce ; car pour la beauté des Edifices , il n'y a aucune comparaifon : un Canal Grande ÔC un Canal Reggio valent mieux à cet égard , que tout Amfterdam. Là ce ibnt des Palais j 6c ici ce font des maifons, propres, gentilles , ôc riantes, fans ordre d'Architecture , Ôc bâties de brique. Autrefois, la manière de bâtir des Amfterdamois étoit fort extraordinaire. La plupart des vieilles maifons qui Amster- fubfiftent encore, font montées fur des *»am. échafles: je m'explique. La face du premier étage fur le rez-de-chauflee eft ordinairement tout fenêtres, féparées par des piliers de bois, qui (importent toute la maçonnerie des autres étages, heureu-fement très légère, car il eft rare qu'une muraille foit plus large que de deux briques; & les plafonds ne font autres que des ais, de forte qu'on a l'agrément de ne pouvoir parler au premier étage, fans être entendu au fécond. Je ne critique point la manière de diftribuer les chambres , quoique franchement les Architectes d'ici n'y entendent rien; non plus qu'à conduire des cheminées, qui fument prefque toures. Il eft vrai que les Habitans n'en font pas fort incommodés, & qu'ils pourroient même s'en palier. * Les 'Femmes fe chauffent avec une tourbe -toute une journée, elles la mettent dans une petite terrine , qu'elles renferment eniuite dans une Chaufferette de bois percée à jour, qu'elles ont fous leurs jupes , où elles les couvent comme une poule fes poufïîns. Les Hommes font toujours chez eux en Robe de chambre fourrée de flanelle , & affublés de trois ou quatre groifes camifoles : fi le froid eft * [Ce qui eft dit dans tout cet Article , de la manière de vivre, ne don s"einendre que du peuple» &c n<>u des pcrlbnncs d'un certain rang » pas même des Négocia™. J eft grand, ils fe fervent aufll d'un Stoof, amstek-c'clt ainii qu'on appelle la Chaufferette dam. dont je viens de dire que fe fer voient les Dames; ou bien ils fe chauffent dans la Cuilinc, où rarement il y a allez de fracas pour les empêcher de s'approcher du foyer ; & je parierois qu'il y a bien des gens ailes qui ne mettent pas plus d'une fois par (emaine le pot au feu. Il n'y a point de Nation au Monde qui fe nour-riife plus mal que les Hollandois , mais particulièrement les Amjlcrdamois : du beurre, du lait, du fromage, &c du poif-fon iàlé, font leurs mets ordinaires. Mais je m'écarte de mon fujet touchant la manière de bâtir. Je ne l'ai comment des maifons ii légères peuvent fe foutenir; au (fi y en a-t-il qui ont des airs panchés que j'aime mieux voir à une Danfeufe, qu'à une maifon. On en a depuis peu redrelfé un grand nombre. ^-ln de ces pignons en forme de pain de lucre, par où fe terminent la plus grande partie des vieilles maifons, étoit mal-heureufement tombé, & avoit tué trois perfonnes qui paffoient dans la rue. JLe Gouvernement, fort attentif à prévenir tout accident, a fait ordonner que chaque Propriétaire eût à faire abattre ces Pyramides penchantes; ce qui fait deux bons effets, on n'eft plus en danger d'avoir la tête caiTée, & la Ville en eft t>lus belle. Leur principal ornement font des des fenêtres; il n'y a gucfes de Pays où il y ait un plus beau vitrage , & dans beaucoup de maifons ce font des glaces fines. Dans tel Palais de Venife ou de Gènes , les peintures & les dorures des feuls plafonds valent plus que la plus belle maifon cYAmferdam. Je ne difeon-viens pas toutefois qu'il n'y ait ici quelques maifons pour l'élévation defquelles rien n'a été épargné; mais en général elles font petites : il n'y en a guères qui aient plus de cinq croifées de face ; les autres j quatre; & la plus grande partie, trois. On entre par un Perron d'une forte de marbre ou de pierre noire. Dans les maifons de grandeur ordinaire , on trouve en entrant un veftibule allez é-troit , dont le parquet eft de marbre blanc, & iouvent les murs en font revêtus auffi, du moins à une certaine hauteur. L'apartement confifte ordinairement en deux pièces de plain pied, une petite Cour au-delà, & un fécond corps de logis qui n'a qu'une pièce de profondeur, & qui eft percé du côté du Jardin. A Venife & k Gènes y un Marchand ( car je laiiTe là les Nobles) aura pour le moins un apartement de trois ou quatre pièces. A Amferdam les meubles font plus propres, & en Italie plus riches. H y aura ici une belle Tapifferie de Flandre, un Cabinet de Tableaux, de belles Glaces, quantité de Porcelaines .& de beaux beaux Colifichets des Indes; le plancher amster-fera couvert d'un beau Tapis de Perle ; DaM* mais on n'y trouvera point de meubles de velours brodé d'or , des Lufîrcs de Cryftal de roche, des Tableaux en abondance, & ce nombre de Bulles, de Va-fes 6c de Statues antiques de marbre 6c de bronze. Enfin, pour finir ce long parallèle, je vous dirai que li les Palais d'Italie avoient la propreté des maifons d'Amflerdam, ils feroient incomparables; 6c Ci les maifons d'Amfterdam étoient auf-fi négligées que celles d'Italie, on ne les regarderoit pas. Quelque petite que foit une maifon ici, il y a toujours un apartement inhabité, 6c c'eft le plus beau du logis. C'eft un Sanctuaire, dont la première Servante de la maifon eft la Grande -Prêtrelle. Elle porte un iî grand refpeâ: à ce Lieu réfervé, qu'elle n'y entre jamais que dé-chauftée, de crainte de fouiller le plancher, pour lequel on a ici une fi grande vénération, qu'on lui rend une cfpèce de Culte ; ce font des Dieux Pénates, 6c c'eft attirer l'indignation de la Maitrefie du logis 6c des Servantes, que de n'avoir pas pour leur Plancher la vénération qu'elles lui portent. Avant que d'entrer dans la maifon, il faut bien s'clluyer les pieds à une natte qui fe trouve à la porte j en-fuite il ne faut point cracher, dût-on é-touffèr, à moins qu'on ne trouve un pe- , Tême III, P tic tit baquet plein de fable deftiné pour cet ufage; ne rien laiCTer tomber qui puifïe tacher , autrement je ne répondrois pas que les PrêtrelTes n'immolalfent le Délinquant à leur Idole , & qu'on ne vît renaitre la fable d'Orphée Ôc des Bacchantes. Les PrêtreiTes accordent de certains jours dans l'année, à leurs Maitres, auxquels ils peuvent entrer dans le Sanctuaire & y recevoir même compagnie : mais le lendemain ce lieu, qu'on appelle en langage du pays Befie-Kamer , (c'eft-à-dire, la belle Chambre, ) eft lavé & purifié, comme le font nos Eglifcs lorfqu'el-les ont été profanées. Je n'exagère point*; & il y a de ces Chambres que je garantirais bien n'être point ouvertes quatre fois l'année, à moins que ce ne foit pour airer les meubles. Il en eft de même de mille belles chofes qu'ont les Amfterda-mois, dont ils ne fe fervent point, crainte de les gâter. Us font au milieu de l'abondance ôc des richeffes , fans en jouir. Cependant, depuis quelques années ils commencent à jouir en quelque manière de la vie ; ils donnent dans les Equipages, dans les Meubles & dans les Parties de Campagne; & leurs Femmes, dans la parure Ôc la magnifï- cen- * ÇCcla étoit généralement vrai, il y a cinquante ou foutante ans; mais aujourd'hui, fin-tout parnu le* gens d'un certain air , n tn dî inf^u'A trù, q*t '/ pourrai Uttr^J du Baron de PôLlnitz. 227 cence. Les Vieillards crient contre les amste^ nouveaux ufapes , ils difent que la Ré- *>am> publique eft fur fon déclin. En cela iemblables à un de nos Empereurs, qui remarquant que fort'Grand-Ecuyer avoit fait changer les traits de cordes qui é-toient en ufage à fa Cour , en traits de' cuir, s'écria, que k Lttxe perdrait j* Maifon <& fon Etat, Le Gouvernement d'Amfterdarrï eft entre les mains d'un Sénat, compofé de trente-fix perfonnes. Ces places font pour la vie; & c'eft le Sénat même qui homme les Sujets qui doivent remplacer ceux qui meurent. Dans ce Corps il y * douze Bourguemeitres, dont quatre régnent annuellement. Tous les ans on en choifit trois de douze , qui avec un des quatre de l'année précédente , qui refte en charge, ont la direction des affaires. Ces derniers, avant que d'entrer en charge , font obligés de prêter ferment entre les mains des anciens Bbur-guemeftres. Celui qui refte d'une annéô à l'autre , a la Prélidence pendant troia mois, après quoi les autres fuivent à leur: tour; ôc ceux qui fortent de charge, * font * [Comme il n'y a pas de Dignité au deflns de? telle de Bourgueiïiertre > ceux qui font parvenus i Cc Pbfte , roulent toujours les uns après les autfej d.ans les fondions ils ne pallent pas a d'autres Em-P'ois: ce font des Membres du Confeil, qui font en-^>yé» au Collège des ConfeUlcrs-Députes, ou oui f«mpli(fCHl iw i>Qftci c|e Trcloriew &c. Mail le* P * Bout- AwstEr- ^ont ordinairement employés pour Tréfo-dam. riers de la Ville , ou pour Confeillers-Députés aux Etats de Hollande réfidans à la Haye. La Charge de Bourguemeftre eft plus honorable que lucrative3car on dit qu'ils n'ont que cinq-cens florins par an d'ap-pointemens. Leur autorité eft confidé*. rable ; ce font les premiers Magiftrats, & en quelque façon les Maitres de la Ville. Ils difpofent de tous les deniers publics, & jugent feuls de ce qui eft né-cefTaire pour la confervation de la Ville. Ils font les gardiens de la Banque , qui ne peut être ouverte qu'en la préfènce de l'un d'eux. Ils confèrent toutes les Charges, 8c peuvent en gratifier qui bon leur femble, leurs Enfans même: de forte qu'il ne faut qu'un Bourguemeftre dans une famille, pour la mettre à l'aife; comme parmi nous en Allemagne il ne faut qu'un Evêque , pour relever une Maifon tombée. Il y a auiît dans la Ville un Bailly » qu'on nomme Hoofd-Schout ou Hoofd-Officier, qui eft ce qu'on appelle ailleurs le Lieutenant de Police. H a fous lui trois Subftituts, qu'on nomme Onder-Schoui; ce font eux qui arrêtent les Mal- fai- BQurRuemcftrcs vont aux Alfemblées des Etats de I* Province, avec le Penfignaiic OU Syndic de 1» Ville» qui porte ia parole ] faiteurs, ce qu'ils font fouvent au milieu Amste* d'une foule de populace, Amplement ac- DAM-compagnes de deux Archers , qui pour toutes armes ont des épées. Tout tremble à leur afpedt , & deux hommes en conduifent un autre en prifon, avec plus de facilité que quarante Archers ne font à Paris. C'eft dans l'Hôtel de Ville que s'af-femble le Sénat. .Cette Maifon, ii célèbre par là magnificence, 6c parce qu'elle renferme la Banque la plus foncée ôc la plus riche de 1 Univers,eft véritablement . un fuperbe Edifice; & bien qu'il ait des défauts , on peut le mettre au nombre des plus beaux Bâtimens de l'Europe. Cet Hôtel fait face à une Place appellée le Dam y au centre de la Ville. Le Bâtiment eft un quarré prefque parfait, avec des Pavillons à chaque angle. La principale face préfente au milieu un Corps avancé, qui contient le tiers de toute la fiçade: il eft décoré par fept Portiques, qui par leur petiteflè défigurent tout ce grand Corps d'édifice. On prétend que ce n'eft point l'ignorance de l'Architecte, qui l'a fait palier par deffus les Règles de l'Art : mais un trait de prudence. Dans le tems que cet Hôtel fut bâti, la République étoit naifiante. Le Peuple d'Amfterdam, turbulent 6c fujet à commettre des violences , étoit beaucoup moins fournis à fes Magiftrats qu'il ne r 3 l'eft >w«tj&r- l'eft aujourd'hui ; & ces Magiflrats è-toient fouvenc troublés dans leurs délibérations par la multirude. Ce font ces inconvcniens que l'Architecte a voulu prévenir, en rendant les entrées difficiles à la foule. Mais li c'étoit-là fes rai fon;;, trois grands Portiques au-lieu de fept petits faifoient le même effet: il auroit pu leur donner de la proportion, & la façade auroit été plus majçftueufe. Mais le nombre de fept etoit le nombre élu , il devoit reprélenter les Sept Provinces U nies , fous l'union dcfquelles la Ville d'Amfterdam jouit de fâ Liberté Se de fon Commerce. Malgré cç défaut, il eft Certain qu'un Etranger qui veut bien ne point comparer l'Hôtel de Ville au Palais de Verfailles, à l'Efcurial, aux Procurâtles de Venife, & qui en le regardant penfè uniquement qu'il voit une Maifon de Ville, & non le Palais d'un Roi,ou d'un Etat puiiTant, ne pourra que le regarder avec admiration, fur-tout s'il veut bien réfléchir , que tout ce qui forme ce bâtiment a dû être porté des Pays é-trangers. Tout ce grand Edifice , quant au dehors, eft de pierres de taille , extrêmement bien mifes en œuvre. On y voil régner tout autour un Ordre de pilaftres. Le tout eft d'une grande lolidké. Le Corps avancé de la principale face eft terminé par un Fronton,qui eft un gomd inor- morceau de Sculpture. On y voit la Amster. Ville d'Amfterdam fous la figure de Cy- »am. bêle, aftife dans un fiège. Quatre Naia-dcs ôc deux Nymphes marines lui pré-fcntent des Couronnes de palmes ôc de lauriers 3 ôc des Fruits, en ligne de la Puiiïance & de l'Abondance que cette Ville reçoit par le Commerce. D'un autre côté, Neptune accompagné de Tritons, paroît venir rendre hommage à la DéeiTe, fans doute pour marquer la puif-fance de cette Ville fur la Mer. Tout ce magnifique groupe eft extrêmement bien exécuté, ôc fort eftimé desConnoif-feurs. Un Dôme, percé de tous côtés par huit grandes arcades qui foutiennent la Coupole , comble tout l'Edifice, & lert d'emplacement à un Carillon, que les Amateurs de bruyantes Mufiques difent être fort harmonieux. L'intérieur du bâtiment préfente d'abord la Chambre de Juftice , dans laquelle les Criminels reçoivent leur Sentence. Trois Portiques lui donnent ouverture fur la grand'- Place, de laquelle on peut voir ce qui s'y paflè. Cette Chambre eft revêtue de Bas-reliefs de marbre blanc, d'excellentes mains. On y voit avec admiration , la grande manière dont eft repréfenté le Jugement de Salomon. Lorsqu'on a palTé cette Chambre, on trouve le Grand Efcalier , dépourvu de tout ornement, & manquant-P 4 de de jour. II. conduit à la grand'Salle, qui véritablement a de la magnificence, mais qui n'eft point allez éclairée, Elle eft décorée de pilaftres ôc de Bas-reliefs de marbre blanc , exécutés avec un art infini. La voûte de bois , ôc peinte à l'huile, ne répond point à la richcfïè de cette Salle. Quatre grands Coridors ou Galleries , ouverts par de grandes arcades des deux côtés aux deux extrémités de la Salle, conduifent aux Apartemens, ôc font ornés de pilafires accouplés de marbre blanc, de fleurons en bas-relief, ôc de Statues d'une grande ordonnance, ainfi que les Emblèmes dont font ornées les portes, tous très convenables au lu-jet qui iè traire dans la Chambre dont elles donnent l'entrée. Je n'entreprens point de vous détailler toutes ces Chambres , parce qu'outre que cela mèneroit trop loin , je n'y ai rien remarqué , à quelques Peintures près, qui méritât votre attention. L'Arfenal occupe tout un étage, au-deflus de ces Chambres. H n'eft recommandablc que par la quantité prodigieufe d'Armes à l'ufage de notre tems, fur-tout de fufils, que la Ville fait fabriquer, ôc dont elle fait même commerce. Le Rez-de-chaufïée eft fort bas, mais compofé de grandes ôc belles voûtes. U contient les Bureaux de la Banque, & les Priions, dont il ne s'eft encore écha- Pé pé perfonne, & d'où il eft-humainement Amsteh-impoffible de s'évader; car outre que les dam. murailles font extrêmement épaifiés, tout eft bien barricadé en dehors ce en dedans, de barres de fer, dont l'afpeci feul épouvante. Au relie, fi des Cachots pou-voicnt être beaux, ceux-ci le ieroient af-furément ; ils font tous éclairés , Ôc les Prifonniers y font moins maltraités qu'ailleurs : on les nourrit, ôc on ne les lailfe pas croupir dans l'ordure. C'eft dans la Maifon de Ville que fe doivent marier tous ceux qui ne font pas de la Religion dominante du Pays. C'eft une cérémonie qu'on peut voir tous les Dimanches ; elle fe fait en pré-fence de deux Echevins, ôc d'un Secrétaire. Les Mariés fe rendent dans une Salle, où font aflis à une table Mrs. du Magiftrat. Là ils font infcrits l'un a-près l'autre, ôc fans diftindtion de rang, dans le Livre des Mariages. Enfuite on fe retire, ôc on eft aulïi bien marié que fi on l'avoit été par le Pape même ; il n'eft plus néccliaire d'avoir recours à l'Eglife. Cependant, tout ce qu'il y a de gens réglés vont recevoir la bénédiction nuptiale, du Prêtre ou du Miniftre. Le Tréfor de la Banque eft gardé dans des fouterrains , qui s'étendent , à ce qu'on allure, bien avant fous la Place du Dam. Tout le monde convient P 5 qu'il ■Amstcr- qu'il efl: immenfe : mais perfonne ne dam, fait précifément en combien de milliards il confifte; & c'eft une queftion à pro-pofer , fi fon crédit ne furpalTe pas infiniment fes fonds. Ce qui eft certain, eft que Je Public y a une telle confiance , que tout le monde y met fon argent , qui ne rapporte néanmoins nul intérêt ; au contraire , il faut cent Ôc cinq florins d'argent courant, pour faire cent florins de Banque. Les plus grands payemens fe font ordinairement en Banque : on a une certaine fomme écrite dans les Régiftres de la Banque; on la tranfporte à celui à qui on fait un payement , ou on lui en cède une partie en confervant le refte. Cela s'appelle avoir compte en Banque. C'eft un Commerce femblable, que le célèbre Jean Lavj a voulu établir à Paris. Il ne lui a manqué pour y réullir , que les fonds de la Banque d'Amfterdam, Ôc la confiance publique. On dit que les revenus de cette Ville vont à cinquante-mille livres par jour. Je n'ai pas de peine à le croire, car véritablement, les Impôts y font très confidérables. Les Sujets de cet Etat payent plus que quelques Sujets de Couronnes que ce foit. Toute la différence confiite dans la diftribution des Taxes , Ôc dans la manière dont elles font levées. Ici , elles s'étendent également far les riches 5c lur les pau- Amster-vres , fur les Etrangers ôc fur les Ci- OAM-toyens. La Liberté tant vantée de ces Provinces , ne diffère en rien de celle dont jouiiTent les honnêtes-gens dans d'autres Pays : j'excepte toutefois la Religion , que chacun peut ajufter ici à fa manière. La Liberté ne confifte donc que dans légalité des Conditions. Qu'un Manant ofe dire cent inlblences à un Bourgeois , méprifer la NobleiTe , cen-furer impunément fes Maitres , ôc traiter tous les Rois de Tyrans, il me paroît qu'une telle Liberté tient beaucoup du Libertinage. Les Allemand* Ôc les François , peu accoutumés dans leur Patrie à ces licences, s'y abandonnent aifément ; ôc c'eft ailurément merveille que de les entendre dans un Cafte parler des Souverains, fur-tout lors qu'animés d'un faint zèle ils défendent 1* Religion, félon eux par-tout opprimée, excepté dans les Etats Proteftans Ré? formés. Tout Gouvernement qui ne permet point entière Liberté de Con-Icience, leur paroît tyrannique. Il eft vrai que dans ce Pays-ci , chacun croiç ce qu'il veut. Audi y a-t-iltoute forte de Religions , qni néanmoins aboutiflènt à un même principe, qui eft de s'enrichir, ôc de fe tourmenter le corps ôc l'ame pour acquérir du bien , non pour eu jouir, L E T T R E ï Amster- jouir, mais pour avoir le plaifir de dam. mourir riche. L'Argent, chéri & efti-mé par tout le Monde , eft adoré dans cette Ville; il y tient lieu de naiflance, d'efprit &c de mérite. Un homme peu partagé de la fortune eft négligé prefque par-tout, mais il eft méprilè ici. Après ceux de la Religion dominante , les Catholiques , parmi lefquels je comprens les Janléniftes, font les plus nombreux. On dit qu'ils font plus de vingt-mille. Ils ont quatorze Eglifcs, deftèrvies par diftérens Ordres de Religieux, que Meilleurs les Etats ont déclaré ne vouloir plus remplacer que par des Prêtres Séculiers natifs du Pays. On prétend que cette réfolution a été prife, parce que Jes Moines failoient paffer à leur Couvent l'argent qu'ils recevoient pour les Pauvres. Je ne fai fi cette ac-cuiation eft fondée j mais en tout cas , qui pourra aflurer que les Prêtres n'em-ployeront pas les deniers des Pauvres pour enrichir leur famille ? Les Catholiques forment un Corps confidéra-ble dans cet Etat , & par leur nombre & par leurs richeflès. On peut dire qu'ils font, avec les Juifs , (pardonnez-moi le parallèle) un des principaux fou-tiens du Commerce ; car comme ils ne peuvent entrer dans les Charges, ils demeurent Marchands de Père en Fils. Il eft vrai que parmi les Réformés qui font font dans les Charges, il y en a qui né- amste*> gocient. DAM' 11 Ce que je viens de vous dire de nos Eccléhaftiques, m'engage à vous parler auffi de deux Prédicateurs Réformés , très eftimés & fort fuivis par ceux de leur Communion. L'un eft Mr. Alpin, Miniftre Allemand , qui prêche dans l'Eglife nommée la Chapelle ; homme dont les mœurs font exemplaires ; qui ne s'abandonnant point à une Contro-verfe aigre ôt envenimée , prêche une Morale vraiment Chrétienne & qui va au cœur. Il étoit Miniftre de la Gar-nifon de Potzdam dans les Etats de Pruflè , lorfqu'il fut appelle dans cette Ville par la Colonie Allemande qui y eft établie. Il fe fait aimer & confidé-rer par ià modeftie , fa douceur & (à candeur. C'eft un témoignage que je lai rends fur ce que m'en a appris la voix publique, avec laquelle s'accordent parfaitement les fentimens de vénération & d'amitié que j'ai pour lui. Le fécond Prédicateur eft Mr. Châtelain, Miniftre François, avec qui je n'ai point de liaiion, mais duquel on m'a dit beaucoup de bien , & que j'ai entendu prêcher. Il feroit à fouhairer que tous les Eccléliaftiques ( nos Prêtres me permettront de ne les pas oublier ) eulfent à cœur, comme ce Miniftre, d'inftrui-re leur Auditoire,•& qu'ils annonçaient Amstbr- la Morale , qui eft de toutes les Reli-dam. gions, puifqu'elle eft fondée fur la Piété & la Vertu. Mr. Châtelain étoit Mi-fîiftre a La Haie , lorfqu'il fut appelle dans cette Ville, où il a l'agrément d c-tre autant eftimé & fuivi de fon Troupeau , qu'il l'étoit de celui qu'il a quitté. Il me refteroit, MônGeur, à vous entretenir encore de bien des chofes; mais franchement, je n'en peux plus, Ja plume me tombe de Ja main, je la reprendrai pour le premier Ordinaire , & ce fera moins pour vous parler d'Amfterdam, que pour vous affurer qu'on ne peut être plus parfaitement que je le tins, &c. A Amftcrdam, ce 19 Novembre 173a. LETTRE Lî. Monsieur, DEpuis que le tems s'eft mis à la gelée, je tiens mes Aflïfes fur la glace, à voir gliffer fur les patins : Exercice favori des Hollandois, & donc ils s acquittent avec une adreffe mer-veilleufe. Ces patins font un allez petie mor- du Baron de Pollnits. 339 morceau de bois uni comme une Na- Amste*^ vette, hormis que l'endroit où le talon DAM> & la plante du pied doivent appuyer , eft un peu plus large. Le refte eft mince , & recourbé au bout, afin que le fer qui eft au deiTous fende mieux la neige , ôc qu'on puiiTe éviter avec plus de facilité les obftacles ôc les petites' éminences qui fe trouvent dans la glace. On va ainfi d'une grande rapidité : mais ce n'eft pas fans danger de fe caffer bras ou jambes, ôc fôuvent de fe noyer. Les Hollandois font moins expofés à ces inconvéniens, parce qu'ils font plus fermes dans l'Art ; ils apprennent à patiner lorfqu'à peine ils peuvent marcher. C'eft plus, le plaifir du peuple & de la grande jeuneiîe , que des honnêtes-gens °u des hommes faits. Ceux-ci vont en frameaux, à la manière de notre Pays; c'eft ce qu'on appelle ici Narren, {faire les fam.) A bien prendre la chofe, elle me paroît très bien nommée. Le lieu où je me promène eft fur la Rivière d'Amftel, hors de la Porte d'U-trecht. J*y vois plufieurs milliers de perfonnes courir fur les patins, avec tant de rapidité qu'ils paroiflènt voler. Si un de ces. Patineurs paroiflbit en SuiiTe, je ne fai s'il n'y auroit point le fort de Brioché , Joueur de Marionnettes , que les:. Peuples. Helvétiques brûlèrent comme Sorcier, Ce* 240 L e t t r e 9 Amster- Ces Patineurs font pour moi d'une" dam. grande reiTource, car à vous parler con-fidemment, je m'ennuye beaucoup dans cette Ville, qui en vérité n'eft pas habitable pour un homme qui n'eft point dans le Commerce ; un Etranger, fur-tout , n'y fait que devenir. Tout fon refuge eft le trifte Caffé, ou la promenade. Dans l'un on eft enfumé de Tabac , étourdi de mauvais Commentaires fur les Gazettes, ou du prix du Poivre 6c du Gingembre ; dans l'autre on eft folitaire. La Comédie eft une trifte reiTource pour ceux qui n'entendent pas le Hollandois ; Langue d'ailleurs qui, non plus que la nôtre , n'eft pas à mon avis trop propre au Théâtre. Les Aéleurs m'ont paru pitoyables, les habits peu de chofe ; mais les Décorations font belles, & le Théâtre magnifique 6c fpacieux. Je ne fai pourquoi les Magiftrats ne veulent point de Comédie Françoife dans leur Ville. Il me femble pourtant qu'elle y feroit plus de bien que de mal; elle poliroit un peu la Jeuneiîe, 6c la retiendroit fans doute de la débauche , à laquelle l'oifiveté, & la difficulté de trouver où palier les foi-rées, la porte à fe livrer. J'ai ouï dire à feu Mr. le Garde des Sceaux à'Ar-genjhn ,. qu'il avoit remarqué pendant qu'il avoit été Lieutenant de Police à Paris, qu'il fe commettent plus de desordres du Baron de Pollnitz. 241 ordres ôc de débauches dans cette Ville Amster-pendant la quinzaine de Pâques que les DAM" Théâtres font fermés, qu'il ne s'en commettent en quatre mois lorfque les Spectacles étoient ouverts. Je ne doute point qu'il n'en fût de même d'Amfterdam , °ù il y a une nombreute Jeuneiîe, pour qui les Pères ont une complaifance a-veugle, Ôc font toujours prêts à immoler le Veau gras : ce qui fait qu'abandonnée à elle-même, ôc aiant en général peu de principes d'Education, elle donne dans tous les excès où l'entrai-nent fes pallions. Ces Jeunes-gens, qui préfèrent à tout autre Exercice celui de favoir conduire une Chaile, veulent ce-Pendant faire les Petits-Maitres : je vous laiiTe à penfer comme ils s'en acquittent. Ees AiTemblées , ou Sociétés comme 0,1 les appelle ici , n'ont rien d'attirant. On y voit d'alTez beaux vilâges', mais qui ne difent mot, du moins à un E-tranger , dont l'afpect femble les effaroucher. On y prend du Thé , on y fait une reprife d'Hombre , ou de Quadrille , enfuite on va chercher à fou-Per. Les Sociétés où il n'y a point de Dames, font encore moins amufantes. On y fume beaucoup, on y boit de même, °n y parle de Commerce ou de Politique; ôc pour-lors, malheur aux Puiflàn- Tome III. Q_ ces ces qui ont interdit dans leurs Etats Tentrce des Inutilités Hollandoifes. Le feul remède contre l'ennui, eft la lecture , Ôc c'eft en quoi on peut fe fatisfai-re : car outre qu'Amfterdam eft le centre de la Librairie , il y a des Libraires aifez. officieux pour prêter 'des Livres à ceux qui, comme moi , ne fauroient fe charger d'une Bibliothèque. Je partage le tems entre la lecture, le Caffé, ôc la Promenade : mais quant à la Promenade, j'en ufe très modérément: il faut la chercher fi loin , que j'y penfe plus de quatre fois avant que de me mettre ea chemin. Les Canaux, comme le Heere Gracht, ôc le Keizers Gracht, font bien des Promenades dans la Ville, puifqu'ils font plantés d'abres : mais le pavé n'en eft point agréable. C'eft fur ces deux Canaux que demeurent les perfonnes les plus diftinguées, ou plutôt les plus riches de la Ville. Une des plus belles Promenades dans la Ville, eft le Pont qui joint le rempart d'un côté de YAmfiel à l'autre : il a fix-cens foixante pieds de longueur, fur foixante Ôc dix de largeur. On y jouit d'une vue admirable, & c'eft peut - être la feule. qui puilfe être comparée à celle du Pont-Royal à Paris. L'Amirauté , avec fon enceinte , f°r" me une petite Ville. C'eft un des Ar-fenaux de la Marine de la République On y voit actuellement foixante & dix amste*« VailTeaux de guerre , ôc des matériaux dam. pour en conftruire un nombre encore plus confidérable. N'en déplaife aux Vénitiens, leur Arfenal tant vanté n'eft nullement comparable à celui-ci, quant à la Marine. La proximité qu'il y a entre l'Amirauté ôc le Magafm de la Compagnie des Indes , m'engage à vous parler de cette Maiibn qui renferme tant de richeffes. C'eft un fort grand Edifice, de plufieurs étages , diftribués en plufieurs chambres ou falles, où l'on voit une quantité pro-digieufe de toutes fortes d'Epiceries. Les plus communes font en tas , comme les grains dans nos greniers. Il y a aufîi beaucoup d'autres chofes de prix; ôc en un mot, elle renferme tout ce que les Indes fourniffent de plus précieux. A-près m'être promené une heure dans cette Maifon , j'étois comme embaumé de l'odeur de toutes les différentes E-piceries ôc fans un grand mal de tête qu'elles me donnèrent, je me ferois cru rhétamorphofè en Momie. Mais plai-fanterie à part, je croi qu'un cadavre Qui feroit dépoté dans cette maifon , y demeureroit incorruptible. La Compa* gnie des Indes eft proprement une Ré-Publique dans la République même. Elle arme, defarme, lève ôc congédie Officiers & Soldats, fans en rendre compta te . te à l'Etat. Elle entretient un Gouverneur dans les Indes, qui y vit avec plus d'éclat & de grandeur que ne font ici fes Maitres. On pourroit dire à un Directeur de la Compagnie des Indes , Je vous fouhaite d'être un jour Gouverneur de Batavia, comme une Femme Napolitaine qui fe trouvoit à Madrid , fou-haitoit à Philippe IV, qu'il pût devenir un jour Vice-Roi de Naples. Je ne vous dis rien des Maifons de Correction, ni des Hôpitaux , qui font en grand nombre , bien fondés Ôc bien entretenus, parce que j'ai une antipathie extrême pour les Priions , 6c que le nom d'Hôpital m'effraie. Je vois que je m'y achemine à grands pas : il fera affez tems de vous en parler, lorfque j'y aurai établi mon domicile. Une defeription de Synagogue ne vous intè-relTeroit pas, je penfe : ainfi je me contente de vous dire qu'il y en a deux ; l'une pour les juifs Portugais , qui eft fort belle ; l'autre pour les Juifs Allemands. Les uns ôc les autres font également Juifs ; mais diftérens de cceur 6c de fentimens. Les premiers font moins laid:,, ils ont la barbe faite , ôc il y efl a qui font très honnêtes-gens. On m'en fit remarquer un , il y a quelques jours, qui étoit un jeune-homme de bonne mine , Ôc qui pouvoit figurer parmi les Petits - Maitres. On m'a dij qu'il du Baron oePollnitî. i\* qu'il avoit été élevé dans notre Religion, amster-, & qu'il y paroiftoit attaché ; lorsque fetrou- dam. vant à Paris à la fuite de Mr. * * * Am-balTadeur de il s'enfuit de chez, ce Miniftre 6c vint à Amftcrdam, où il ju-daïfa tout comme s'il n'avoit jamais oui parler de Jéfus-Chrift. Près du Quartier des fuifs, eft le Jardin des Simples. Je no fuis point atTez, Botaniite pour vous dire les Plantes qu'il contient, mais on m'a aiTuré que c'eft un des plus beaux de l'Europe pour les Plantes étrangères ; 6c cela n'eft pas fans vrai-femblance, à caufe du grand Commerce des Hollandois. Lorsque je vous aurai dit que la Pro-» menade publique, qu'on appelle Planta* eft près de ce jardin, 6c qu'ellecon-fifte en plufieurs belles Allées dont l'une eft taillée en éventail, je croirai vous avoir communiqué jusqu'aux minuties de mes Remarques fur l'intérieur d'Amfterdam. Les environs de cette grande Ville, dans laquelle on prétend qu'il y a autour de cinq - cens - mille ames, ce qui feroit dans l'égalité de Naples, font extrêmement habités. Il y a plus de huit-cens Moulins à vent, occupés fans celle à foudre des grains ou à feier du bois, P.e l'autre côté du Port, il y a plufieurs Villages, dont Sardam eft le plus confidérable, tant pour fa grandeur qui furpaife bien des Villes, que pour la ri- chefÎG . chefle de fes Habitans, qu'on nomme Payfans, & qui ne prétendent pas être autre chofe; je ne fai pourquoi, car ils négocient ôc figurent ici à la Bourfe, tout comme les gros Négocians, Ôc ne s'appliquent point à l'Agriculture. On m'a alfuré que les Moulins à vent de Sardam, toujours occupés à fcier du bois, furpafTent le nombre de mille. ' Ceft bien là que Don Quichotte auroit pu fignaler fon courage. La propreté , tant chérie en Hollande, eft portée à fon comble dans .ce Village: les Amfterdamois même en conviennent, ôc l'admirent. L'habillement des Payfans de Sardam approche plus de l'habit dé Ville, que celui des Payfans des autres Villages dé ces quartiers-là. Ceux-ci s'habillent d'une façon fort extraordinaire. Ils portent des culottesprodigieufement amples; chez, bien des Peuples, on en feroit des habits, bous cette culotte il y en a une autre, ôc ^eut-être une troifième , ou bien un caleçon : mais aux deux qui pa-roiflent, il y a des boutons d'argent maf-fif, plus grands qu'un écu. Ils portent suffi quatre ou cinq camifoles l'une fur l'autre, toutes avec des boutons d'argent attachés fi près à près, qu'ils fe touchent, Par-deiTus toutes ces veftes il? ont une cafaque ou pourpoint noir, qui les ferre extrêmement par le bas, ce qui faft que toutes leurs camifoles remontent > du Baron de Pôllnitz. 147 tent, de forte qu'ils paroilTent avoir de a la gorge comme les Femmes. Leurs oa fouliers font à la Matelotte , ou pour parler avec révérence, tels que les portent à préfent les Petits-Maitres François. Ils ont auflt pareillement des boucles d'argent, d'une grandeur plus convenable à des harnois de chevaux, qu'à des fouliers. Je vous alTure que h les Romains avoient été vêtus comme ces Payfans, le butin de* Carthaginois auroit été plus confidérable en boutons d'argent, que celui qu'ils firent à la Journée de Cannes par l'amas des bagues des Romains. Les Femmes portent aufli un petit Equipage d'or ôc d'argent fur elles. Elles ont des pendans d'oreilles d'or, une aiguille de pareil métal qui leur attache le bonnet, des chaînes en guife de perles, de grofTes bagues; & à tout cela, la matière n'eft point épargnée. Les Sardamois font fi fort attachés à leur ancien habillement, qu'un Père re-fufa de reconnoitre fon Fils, parce que celui-ci, qui avoit été pendant quelques années en France, fe préfenta devant lui en habit tout chamarré d'or. C'étoit à la Bourfe d'Amfterdam. Le jeune Kalf, c'eft ainfi que fe nommoit le Payfan Cavalier , étant arrivé à Arafterdam vers l'heure de la Bourfe, y alla, fe doutant qu'il y trouveroit fon Père. H ne fe trompa point ; il courut à lui pour l'em-Q 4 braf- Amsteu- brader: mais le Père le repoufiant lui uam, demanda ce qu'il fouhaitoit, & lui die qu'il ne croyoit pas avoir l'honneur d'être connu de lui, & qu'apparemment il fe méprenoit. Le Fils eut beau employer le nom de Père, le vieux ^^inexorable l'interrompant, Moi votre Père! lui dîjVil; Je ^at q^*ttn Fils, qui eft Payfans tomme moi, & non pas un Seigneur comme vous parojffez l'être. Le jeune - homme comprit que fon Père en vouloit à fon habit : il alla dans une Auberge , envoya chercher des habits à la Sardamoifè, & ainfi habillé il retourna le lendemain à la Bourfe, où fon Père le reçut avec tous les témoignages de la plus vive tendreffe. Depuis ce jour-là le jeune Kalf, qui s'é-tolt fait appeller de Veau en France (ccil ce que lignifie fon nom traduit en François,) a toujours continué à s'habiller de la forte: ce qui donna lieu, il y a quelques années, à une aiTez, plaifante avan-ture. Un François qui avoit connu Mr. Kalf fous le nom de de Veau à Paris, é-tant venu à Amfterdam, demanda partout Mr. de Veau, qu'il difoit être un Seigneur fort riche & de grotte condition: il en jugeoit fur le train qu'il avoit vu mener à fon Ami. Il fut long-tems fans pouvoir en apprendre des nouvelles, parce que peu de gens favoient que le jeune Kalf eût francifé fon nom dans les Pays Etrangers. Enfin un François é-* tabli à Amflerdam, offrit au Parifien de Amster-lui faire voir fon Ami. Il le conduifit dam. pour cet effet à la Bourfe, & lui montrant Mr. Kalf, Tenez, lui dit-il, voilà celui que vous cherchez. Le François, qui ne reconnut point Mr. de Veau dans fon habit de Village, crut que fon Conducteur fe moquoit de lui. Eh parbleu, Mon-Jieur, lui dit-il ,je vous ai affezdit que celui que je demande eft u?i Seigneur, & non pas un Pay/an. Mr. Kalf, qui entendoit parler l'Etranger & qui l'avoit d'abord reconnu, l'aborda, 6c lui fit compliment fur fon arrivée. Le François le reconnut pour-lors à la voix ; mais il crut que c'étoit un rêve. 11 ne pouvoit comprendre qu'un homme qu'il avoit connu Sei-neur en France , pût être Payfan en îollande. Mr. Kalf lui expliqua le myf-tère, autant que le lieu où ils étoient le lui permettent ; ôc le pria de pafTer avec lui à Sardam. Le François y alla, 6c ce fut un nouveau fujet de iùrprife pour lui, de voir que ce Payfan étoit logé ôç meublé comme un Seigneur. Mr. Kalf lui fit Voir qu'en quittant les habits François, il n'avoit point renoncé à la politeffe: il lui fit bonne chère pendant plufieurs jours, 6c le renvoya très fatisfait à Am« iterdam. Le Village de Sardam étant dans la Nord-Hollande, je ne puis me difpenfer Qe vous parler de ce recoin de Provin- ce. am*t£r- ce. On y voit également, Prés, Ca-dam. naux, Maifons de campagne, Jardins, gros Bourgs & bonnes Villes ; une uniformité de beau,qui pour être continue, ennuyé. Qui a vu une Ville, les a toutes vues; qui voit une maifon, les voit toutes : il en eft de même pour tout le refte. Les principales Villes de ce Canton font Home, Alcmar, & Enckhuijen. Elles font toutes bâties avec la même propreté: mais rien n'y mérite le furnom de magnifique, fi ce n'eft les Allées qui font aux Portes de ces Villes. Tous ces endroits font afTez déferts : pour les peupler, il faudroit les Emigrajis de trois ou quatre Evêchés. Le Commerce y languit; Amfterdam eft un Aiman qui attire tout à foi. Cette partie de la Provin» ce de Hollande eft fort affligée par des Vers qui rongent les pieux des Digues. On fe flatte que la gelée fera un remède contre ce fléau, un des plus triftes qui puiffe tomber fur ce Pays. On ne fait au vrai d'où ces Infectes ont pu s'engendrer; il eft douteux fi c'eft dans la Mer, ou dans le bois même. A juger des petites picotures extérieures des pieux infectés , ce doit être dans la Mer que naif-fent les Vers, d'où ils s'introduifent dans le. bois, grands comme des épingles, Si par la fuite ils prennent la groflèur d'un bois, de manière qu'il reffemble à un rongent intérieurement le du Baron de PôLLNiTî. ajï gâteau de Cire. Leur dégât, dit - on, ne AwiTani s'étend que dans les parties du pieu qui dam. font dans l'eau. Le dommage qu'ils ont caufé aux Digues eft très confidérable, ôc a fi fort allarmé les Etats, qu'ils ont défendu les Spectacles à La Haie, & ordonné des Prières publiques. Beaucoup de gens prétendent qu'un fléau pareil affligea cette Province il y a cinquante ou foixante ans , 6c qu'on en fut délivré par une efpèce de Poiffons qu'on n'a plus revu depuis, qui dévorèrent tous les Vers D'autres difent que ceci eft un Conte, ôc qu'on n'a jamais connu de pareils Infectes, encore moins des Poiffons qui les aient dévorés. Quoi qu'il en foit, il va paroître inceffamment plufieurs Traités fur l'origine, la nature, & les progrès des Vers d'à préfent. Si je ne me trompe, Ces Livres indiqueront la manière 6c les remèdes propres pour les détruire. S'il en paroît quelqu'un avant que je m'éloigne de ce Pays, je ne manquerai pas de Vous l'envoyer. Au refte, je ne faurois vous dire que dans ma tournée de la Nord-Hollande j'aye fatisfait d'autre fens que celui de la vue. La fociété m'a paru n'y être pas fort en ufage. Je ne fuis jamais forti, fans que tout le monde m'ait regardé comme une Efpèce très finguhère. Je ne fuis pourtant point Petit - Maitre, ÔC ma %urc eft de celles qu'on regarde avec indif- . indifférence. Le Sexe dans ce Pays é-carte eft très beau: l'on y voit des Pay-fannes qui pour la délicatefTe du teint ne le cèderoient point aux plus belles Dames. Ces Beautés champêtres font prefque toutes blondes, ôc ont un air indolent qui me fait augurer qu'elles ne refu-feroient point leur cœur à quelque jeune Faune qui le leur demanderait. Pour moi qui ne fuis plus dans un âge à tenter l'avanture, je me fuis contenté d'admirer ces belles Nymphes, dont les faveurs m'auroient peut-être plus humilié que flatté; mais qu'à coup fur je n'aurois pas préféré à l'honneur de votre amitié, qui eft pour moi d'un prix ineftimable. Je vous en demande la continuation, ÔC j'ôfe dire que je la mérite par l'attachement avec lequel je fuis, ôcc. A Amftcrdam, ce 7 Décembre LET* Harlem. LETTRE LU Monsieur, ME trouvant retenu dans ce Port par les vents contraires, obftinés depuis fix jours à s'oppofer à mon pafïk-ge en Angleterre, fans apparence de changement, j'ai tout le tems de vous inftruire des chofes que j'ai vues depuis la dernière Lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire cVAmJlerdam. En partant de cette Ville par la Barque, j'ai été rendu en moins de trois heures à H a r l e m, la féconde des Villes qui ont droit d'envoyer des Députés à l'Affemblée des Etats de la Province. Elle fut longtems la Rivale d'Amfterdam, à qui elle fit la guerre, mais dont elle ne put empêcher ragrandiffement. Pendant que ces Provinces combattoient pour leur Liberté, Harlem fut afïïcgé, pris Se facca^é par les Espagnols,contre lefquels les Femmes mêmes portèrent les armes. En 1^59, le Pape Paul IV érigea cette Ville enEvêché : mais elle n'eut jamais que deux Evêques. Ce qui fait fafplendeur, font fes Manufactures, confiant en Etoffes de foie, Tôiies-tfarif- tes 254 1. e r r r e s Ha* le m. tes ou Cambrais, Bazms rayés, & Bas de fil. Ses Blanchifleries lui font encore d'un grand rapport. Les Amateurs de Fleurs trouvent à s'y Satisfaire: il y en a d'une fi grande beauté, qu'on m'a alfuré qu'un oignon de Tulipe y avoit été vendu jufqu'à quatorze-cens florins. Mais ce qui relève le plus la gloire de Harlem, c'eft d'avoir donné naiffance à Laurent Cojler, Inventeur de l'Imprimerie. Je n'ignore pas que Maience dispute l'honneur de cette Invention à Harlem: mais comme ce n'eft point à moi à décider ce procès, je croi de bonne foi lorsque je luis à Harlem, que Cojler eft l'Inventeur de cet Art admirable, quitte pour, croire le contraire lorsque je ferai à Maience , & pour demeurer dans l'incertitude par-tout ailleurs. On voit encore la Maifon de Cojler, où l'on a placé fur la porte i'Infcription fuivante. MEMORLE SACRUM. T YPOGR APHIA, ARS ARTIUM OPTIMA; CONSERVATRIX, HIC PR1MUM INVENTA CIRCA ANNUM MCCCCXL- Il me paroît que pour mettre les deu* Villes d'accord,onpourroit convenir que Coller inventa l'Art de graver fur le bois, dont bu Baron de Pôllnitz. 255 dont on fe fervoit autrefois, & que Jean Harlem. Faujle de Maience inventa les Caractères de métal dont on fe fert préfentement. Ainfi les deux partis auroient également la gloire de l'Invention , laquelle après tout leur eft disputée par les Chinois , qui prouvent que l'Art de l'Imprimerie étoit connu chez eux il y a deux-mille ans. En me promenant dans Harlem, mon Conducteur me fit remarquer des efpè-ces de Cocardes de Batifte garnies de dentelle, attachées à quelques portes. Il me dit que c'étoit pour marquer qu'il y avoit une Accouchée dans la maifon : ce qui procure au Mari de ne pouvoir être arrêté pour dettes pendant l'efpace de ûx femaines, que la Femme eft réputée être en couches. Je n'ai pu lavoir ce qui avoit occafionné l'octroi de ce Privilège, ni par quel Prince il a été accordé. Les Promenades de Harlem , fur-tout celle du Bois qui eft aux portes de la Ville, feroient charmantes, fi elles n'é-toiens pas tant fablées. Le Canal en revanche , qui conduit de cette Ville à Leyden, eft un des moins agréables de la Province: fes bords n'offrent guères que des Prairies & des Dunes. Leyden eft une des plus grandes & Leydek. des plus belles Villes du Pays. Elle a été fujette, comme le font toutes les chofes d'ici-bas, à de grandes révolutions & de grands JLeyden. grands maux. Les Efpagnols l'aŒégè-rent en 157? , ôc Comme ils dcfefpé-roient de s'en rendre maitres par la force, ils entreprirent de la prendre par la famine. Les Habitans furent réduits dans une extrême mifère: mais comme on perça les Digues de la Meitje & de Ylfièl, toutes les vait.es Prairies qui environnent Leyden devinrent une efpèce de Mer, 6c les Efpagnols, en danger de périr, levèrent le Siège. On fête encore le 3 d'Octobre, comme le jour anniverfaire de la délivrance de la Ville. La grande Eglife, confàcrée à S. Pierre , cil un des plus beaux Edifices qui foient en Hollande. La voûte eft foute-nue par trois rangs de colonnes d'une grande élévation. Tous les autres bâti-mens font propres; les rues font larges, bien percées, ôc beaucoup ont des canaux. Il ne manque à cette Ville, qu'un plus grand nombre d'Habitans qui vivent de leurs rentes; car elle abonde en petit-peuple , tous Cardeurs de laine ou Drapiers , qui ne font pas trop à leur aife, les Manufactures étant fort tombées depuis que quelques Etats, voifins de celui-ci , ont détendu l'entrée des Draps de Hollande chez eux. L'Univerfité me paroît fe foutenir mieux. Il y a actuellement trois grands Hommes pour ProtefTeurs , Vitriarius pour le Droit , Boerhaave pour la Mé- de- du Baron de Pûllnitï. 257 decine, & ** Gravefande pour les Ma- LEyDEîf thématiques. Le premier , par ion lavoir & par la manière aifée dont il s'énonce, attire à Leyden toute la jeune Noblefle de Bohème & d'Autriche. De toutes les Univerfités Proteftantcs, j'excepte celles d'Angleterre , je n'en con-nois point où les Etudians foient moins débauchés & moins carillonneurs qu'à Leyden. Il n'y a point de Ville aulTï plus propre pour étudier ; rien n'y dif-fipe; on eft à la fource des Livres"; il n'y fait pas trop cher vivre, & chacun y fait la dépenfe qu'il veut. Les Etudians ne s'y piquent point, comme en Allemagne, de magnificence en habits; plufieurs ne quittent presque jamais leur robe de chambre; & c'eft l'habillement favori des Bourgeois. Cela me fit croi-re> la première fois que je palfai par cette Ville, qu'il y règnoit quelque Maladie épidémique. En effet, tous ces déshabillés dans les rues paroilTent autant de convalefcens. La célèbre Chambre d'A-natomie a été tant décrite, que je n'ai garde de vous en parler. Les Catholiques ont ici des Eglifes en chambre, comme dans toutes les Villes des fept Provinces : il y en a parmi eux qui font fort riches, & qui font de bonne Maifon. Les chemins de Leyden à La Haie, foit par terre ou par le Canal, font éea-Tome III. R le. le ment agréables, par les belles Maifons de campagne & les beaux Jardins qu'on voie de tous côcés : on fait ces trois lieues fans prefque s'en appercevoir. La Haie. La Haie , qu'on traice de Village parce qu'elle n'eft point fermée, & qu'elle ne députe point à l'Aiïemblée des lirais de la Province , vaut néanmoins mieux que bien des grandes Villes qui ont ce Privilège; & c'eft affurément un des plus beaux Endroits de l'Europe. Le* I'.rats-Généraux, ôc ceux de la Province, s'y affemblcnt. Les Miniftres Etrangers y réftdcnt. L>u tenu paffé , les Comtes dç Hollande y demeuroient. Depuis l'établi ife ment de la République, les Stad-houders y ont tenu leur Cour ; ôc La Haie, tout Village qu'elle eft, peut paf-fer pour la Capitale des Provinces »U-nies. Dans cette Ville, les Habitans font plus honnêtes, plus fociablcs, & en tout plus traitabies que dans le refte de la Hollande. La Noblefle y eft conûdérée, ôc le mérite n'y eft point compté pour r:cn. Les Dames y ont bon air, iè mettent bien, ôc ont quelque choie de plu* pour plaire, que la fimplc beauté. Les maifons font plus fpacieufes ôc mieux conftruites, quoique peut-être moins magnifiques, qu'à Amfiefdam ; U y a même quelques Hôtels, accompagnes de Jardins. Le Palais qu'on nomme /* Cour, étoit an- d u Baron de Pollnit z. 259 anciennsment le logement des Souve- Là Hai»„ rains, & enfuite des Stadhouders. C'eft un grand Edifice , compofé de plufieurs bâtimens qui forment un tout très irrégw-fier. C'eft là que s'affemblent les Etats-Généraux, fie Confeil d'Etat,} les Etats de Hollande, le Confeil des Nobles, Ôc Celui des Qecommiteerde Raaden ou Con-fiiillers-Députés de la Province; LL. HH* PP. tiennent leurs Conférences dans deux Salles qui ont de la grandeur ôc de la magnificence ; l'une eft appellée la Chambre de Trêve, parce que la Trêve de douze ans y fut conclue avec l'Elpagne. C'eft dans cette Chambre que les Etats donnent audience aux Miniftres Etrangers. On voit encore dans le Palais, une autre grande Salle où font expofés tous les Drapeaux ôc le* Etendards pris fur les Ennemis de la Çlépublique. Joignant la Cour, Çft l'Hôtel qui fert à loger les Ambaffa-deurs , les trois jours que l'Etat les défraie. Il a été bâti par le Prince Maurice de Naffity, après être revenu de fon Gouvernement du Brez.il. 11 l'avoit orné de tout ce que les Indes fourniffent de plus rare. Toutes ces belles chofes, ainfi que le Palais , furent confumées par les Aimes [en 1707, le jour du départ du Duc «te Marlborough pour l'Armée. Comm* il n'y eut que la charpente de brûlée, des Particuliers qui avoient hypothèque fuir c«ttc Maifon,] ont depuis, |aiç çleveï R 2 l'Hô- t* Hin. l'Hôtel qui fubfifte maintenant, & quî5 pour n'être pas d'une grande étendue, ne laiffe pas d'avoir de l'apparence. Le Palais de la Vieille Cour , appartenant au Roi de Pruflè, Frédéric J, l'aiant hérité de Guillaume 111 Roi de la Grande-Bretagne , eft un grand Corps de bâtiment, au fond d'une Cour que forment deux ailes avancées , foutenues de hautes arcades. Elles font jointes par une ba-luftrade de fer, qui lépare la Cour d'avec la rue. Les Apartemens font grands & commodes; il y a une très belle Salle, ornée de peintures de bonnes mains. Ce Palais eft accompagné d'un grand Jardin, que le feu Roi de Prufle avoit fort embelli, & dont il permettoit l'entrée à tout ce qu'il y avoit de beau monde, mais qui eft aujourd'hui négligé. Le Miniftre du Roi, & Mr. le Comte de Hompefch Général de la Cavalerie de l'Etat * , y ont des logemens. Je pourrois encore vous nommer plufieurs Maifons de conféquen-ce , que je paffe fous filence, pour ne point trop charger ma Lettre d'inutilités. La fituation de La Haie eft très différente de celle des autres Villes de cette Province ; fes environs fourniffent tout ce qui forme un beau payfage. De quelque côté qu'on y arrive , c'eft toujours par de belles Avenues pavées de briques. * [ Il «ft mort. ] do Baron de Pôllnitx. atîf Rien n'eft plus beau que le chemin qui i,k ha» conduit à Scheveling, Village fur la Mer, à une lieue de La Haie. C'eft une Allée tirée au cordeau , coupée dans les Dunes, & fermée par de doubles rangs d'ar-ebres entremêlés de pyramides d'Ifs. Le chemin de Delft & celui qui conduit à Loosduinen, à une & à deux lieues de La Haie , font encore d'une grande beauté. Enfin, de quelque côté qu'on porte fes pas, on eft toujours dans des Promenades charmantes, & l'intérieur de la Ville même en fournit de très agréables. Celle qu'on nomme le Voorhout, eft la plus fréquentée : c'eft où fe fait le Cours des Ca-rofiès. 11 y a une grande Allée au milieu , bien fablée , & entourée de barrières , où tous les foirs en Eté il y a de très beau monde. Ce fut Charles-Quint qui embellit La Haie de cette Promenade. Elle a occafionné plufieurs démêlés pour la préfeance, entre les Am-baftadeurs. Celui que Mr. de Thou Am-baftàdeur de France, y eut avec Mr de Gamarre Ambaffadeur d'Efpagne , eft le plus remarquable. Ces deux Miniftes fe promenoient tous deux en caroffe à fix chevaux; ils fe rencontrèrent de front, & aucun ne voulut céder. Leurs Do-meftiques étoient fur le point d'en venir aux mains ; lorsque quelques Meilleurs des Etats, qui avoient vu naître la dispute, offrirent leur enrremife aux Arn-R 3 baffa- \ Li Maie, baffadcurs , Ôc leur propoierent de s'en retourner tous deux en même tems par où ils étoient venus. Mr. de Garniarre accepta tous les partis qui lui turent pro-pofés: mais Mr. de Thou les refufa tous, . ôc ne voulut jamais admettre d'égalité entre l'Ambaifadeur d'Efpagne ôc lui. Lê nombre des Membres des Etats étant groffi par plufieurs autres qui s'y joignirent j poulîés du même defir de pacifier les chofes, Mr. de Beverwert, le premier des Nobles de la Province de Hollande , après quatre heures entières de conteitations ôc de conférences inutiles, voyant Mr. de Thou abfolument oblliné à prétendre le palïàge libre, propofa enfin à Mr. de Gamarre de fe retirer au travers du Cours , offrant pour l'exécution de ce projet , d'y faire faire deux ouvertures,' Ôc lui repréfentant, que par ce moyen il auroit ôc la barrière ôc la droite. Cette propofition fut acceptée par l'Ambafïâdeur dEfpagne; ôc par-là finit une difpute, qui, fans la prudence & les foins de Mrs, des Etats, auroit PU avoir de fâcheufes fuites. Les deux partis crurent avoir remporté des vains honneurs du pas le frivole avantage, quoi-qu'en effet il demeurât à rAmbaffadeur jie France, puifqu'il obtint k Hberté de fon pafiage, qui étoit tout ce qu'il avoit tf mandé. 11 acheva fa promenade, tandis que i'EfpRgaoi fi'en retourna chev. M» peut-être à caufe que la nuit étoit LaHa>e lurvenue durant la longueur de la dispute. Les François, qui ont toujours été fur le qui-vive de la Préféance , ont eu le plus de différends à ce fujet. Le Comte d'Efirades, Ambaffadeur de Louis eau eut un au même Voorhout avec le Prince d'Orange, depuis Roi de la Grande-Bretagne. Leurs carottes fe rencontrèrent , & chacun aflfeefant la place d'honneur, ils demeurèrent arrêtés vis à vis l'un de l'autre. Les gens de l'Ambaifa-«icur accoururent de ion logis , & tous iès Amis le joignirent à eux : mais il dérendit d'en venir à aucune voie de fait, pour éviter le malheur qui en feroit infailliblement arrivé, & qui eût été très grand, à caufe de l'affluence du peuple qui le rangea auprès du Prince. Le Penlionnaire cri étant averti , accourut pour y mettre ordre, fie l'AmbaÛadeuric voyant venir a lui, Je ne fai , lui dit-il, ce cm veulent dire les gens du Prime far une telle conteftation. Jufqu'à présent pavois ignoré ^ue Mrs. les Etats cujjkuî un Souverain. (C'en: que les Ambaffadeurs jae cèdent qu'aux Souverains. ) Il envoya en même tems demander à la PrinceiTe Douairière d'Orange., s'il devoit imputer cette méchante conduite au Gouverneur du Prince, plutôt qu'au Prince lui-même. «■B répondit, que c'étoit au Roi d'An-R, 4 glc- Haie, gleterre à fe mêler de cette affaire. Elle prétendoit que Sa Majefté Britannique fe trouverait intèreffée à foutenir le rang de fon Neveu. Cependant elle fuivit le confeil du Penfionnaire. Elle defcendit dans l'Allée qui étoit entre les barrières. Le Prince fon Fils la voyant venir, mit pied à terre, comme par refpeét pour elle, & fit retourner fon caroflè; de forte que celui de l'Ambaffadeur paflà dans le rang qu'il prétendoit lui être dû. Ce Miniftre fondoit fes prétentions fur ce que les Pré-déceffeurs du Prince n'avoient point pris le pas fur les Ambafïàdeurs ; qu'au contraire, ils avoient été les recevoir à une lieue de La Haie de la part de l'Etat, jufqu'à Frédéric-Henri Aieul du Prince, qui fous prétexte de la Goûte fè difpcn-fa de cette cérémonie , mais fans prendre la première place. Charles II. put en murmurer; mais vendu à la France, il ne prit point à cœur les intérêts de fon Neveu. Comme j'en fuis fur les Ambaffadeurs, je vais vous nommer les Miniftres Etrangers qui réfident à La Haie. Mr. de Fene-lon , Brigadier des Armées du Roi de France , eft Ambaffadeur de Sa Majefre Très - Chrétienne auprès des Etats Généraux. Ce Miniftre eft Neveu du Grand Fenelon Archevêque de Cambray. H *e fait honorer par fa modeftie, fa candeur, & par l'ordre qu'il maintient dans fa mai" ' * fon. »u Baron de Pollhitï. i6*ç F°n. Sa dépenfe eft peu considérable, Ôc La Hai«| le paroît encore moins aux Habitans de La Haie , qui n'ont point oublié celle que faifoit parmi eux Mylord Cbefierfieîd Àmbaifadeur de la Grande-Bretagne, un des plus magnifiques Seigneurs d'Angleterre, qui étoit adoré du Peuple , ôc qui eft regretté par tout ce qu'il y a de perfonnes de diftincf ion. Le Comte de Sinzendorf, Miniftre Plénipotentiaire de l'Empereur , poflede de rands biens dans les Etats héréditaires. 1 eft Gendre du grand Sinzendorjf Chancelier de la Cour Impériale; ce qui a fait qu'il eft parvenu fort jeune à mettre au jour fes talens pour les Affaires, ii a fu rétablir la bonne harmonie entre la Ré-Publique ôc l'Empereur fon Maitre, altérée par 1"établiiïement de la Compagnie $Qftendey Ôc faire garantir par LL. HH. ï*P. la Pragmatique Sanéfion. * Le Comte de Gollofkin eft Miniftre Plénipotentiaire de Rujjîe , ôc remplit ce Pofte , * I[Cc Miniftre a eu pour Sueccfleur , en i>?4» le Comte àruhUftid, Fils de la Guiid'-Maitrciie de « iUt dc ,,AlchiduchcIlè Gouvernante des Pays-lias. 11 eft venu prendre une place h bien remplie, dans un tems très difficile, qui lui a donnéOCCafion de découvrit les grands talens qu'il a pour U Négociation Si d'un côté fa maifon eft une des mieux réglées , de l'autre on peut dire que c'eft une des plus magnifiques. Le Comte dc Sinundnrff eft mort lubireiiK'in a la fin de Septembre 1754, au Chi-tc=>u du Comte A'Jfptre», dans ie tems qu'il dlf-Puloii a retourner à Vienne.] R j i66 • Lettres Haie. Pofte avec l'approbation générale de rouis ceux qui le connoiffent. 11 eft autant civil & honnête, que le climat dans lequel il a pris nailïàncc eft rude. 11 a palîë fa jeuneiîe à Berlin, &ç a fait fes Exercices à l'Académie que le feu Roi Prederit J. avoit fondée. Il a enfuite été plufieurs années Envoyé Extraordinaire du feu Czar Pierre le Grand, & de l'Impératrice £< atherive] à la Cour de PruiTe, de laquelle { l'Impératrice Anne l'envoya] en qualité d'Ambafiadeur à celle de France. Enfin il eft chargé des Affaires de fa Souveraine auprès des Etats-Généraux. On cftime fa fagacité, & la douceur de fon caractère. Pendant fon fèjour à Berlin, il y a époufé la Fille du feu Comte Fe-rjjfier de Dobna, qui périt malheureulë* ment à l'Affaire de Denain, en qualité de Lieutenant-Général d'Infanterie au fervice des Etats. C'eft une Dame d'une vertu refpeéfable, [qui a la plus charmante famille qu'on puiffe voir.] Mr. de Mafch , Envoyé du Roi de •PrufTe, eft très propre à ménager les intérêts du Roi fon Maitre dans ce F«ys> où un Miniftre doit erre civil 6c populaire. Le feu Roi l'avoit donné pour Gouverneur à Mrs. les Princes de Bran-debourg-Çulmbacb, dont l'ainé eft actuellement Prince régnant de Bareutb. Les fentimens que Mr. dc Mafch a infpirés à ces Princes , font fon éloge. Il étoit du Baron de PôllniTX. %6j Confeiller-Privé de la Régence de Clê- La Ves lorfque le Roi l'envoya dans ce Pays, où il a eu la fortune de terminer * les longs différends qui étoient entre SaMa-jefté Pruffiennc & le Prince de Najfau-Qrange , pour la Succeflion du feu Roi Guillaume III. Mr. J>e Brojje, François de naiffancc, ménage ici les Affaires du Roi de Pologne f, au fervice duquel il eft Maréchal de Camp. Il s'eft acquis beaucoup de confédération par les talens, par fa poli telle j ôc par les agrémens de fon cl prit. 11 obferve un grand ordre dans fa maifon , mais il ne laiffe pas de rc-préfenrer. Mr. de Sforck , Miniftre du Roi de la Grande-Bretagne comme Eledfeur de Brunswick-Lufiebourg , a de la naiffan-Ce- il eft entré très jeune dans les Affaires ; & comme il eft à portée de prendre pour modèle fon Beau - père le Grand - Peniionnaire de Hollande , un des plus fages Miniftres du rems 3 il eft à préiùtner qu'il y fera de grands progrès. C'eft un des Envoyés dont la dépenfe * [Ces différends fe font terminés pendant le Mt-jftfftyi de Mr. Mafch , qui n'y a pas eu de part, ftiifts feulement Mr. Lm'/eins Réfidcnt du Roi , & Mr. Dnm-ttn Conlèillei & Maitre dc, Requêtes du Grince.] t -Le Roi de Pologne étant mou, ii « été confir-f«r -fon 6ft*teft**t La Haie, pcnfe eft la plus honorable. Madame fi Femme a de très bonnes manières, ôc fait parfaitement les honneurs de fa maifon. Je ne connois point Mrs. les Envoyés de Suède* ôc de Danwmarc\. M.ï.d>Ay-rolles ménage les intérêts du Roi de la Grande - Bretagne , ôc le fait en homme vieilli dans les affaires. Don Louis SAcunha, Miniftre Plénipotentiaire du Roi de Portugal, eft depuis longtems chargé des plus importan-tantes AmbalTades. Il étoit fécond Am-baffadeur au Congrès d"Utrecbt; il a depuis rempli le même emploi en Angleterre ; enfuite en France ; & le voici enfin ici, où il repréfenté avec dignité. Il a la réputation d'être habile Négociateur, ôc fin Politique. Il eft très poli, aime la magnificence, & n'étoit pas ennemi de la galanterie lorfqu'il étoit moins âgé. Voilà, * [Mr. FrtjvJ II a rcïïde à La Haie depuis plu~ fleurs année*, & des le tems même de rAinbafla-deur Palmtjmlit à qui il fuccéda C'eft un Miniurc conibmmé dans les affaires > & que les autres , plu* nouveaux que lui , confultent volontiers Se avec feutt.] _ t [ Il y a déjà quelques années qne Mr. Greyi en charge, comme Envoyé Extraordinaire, des intérêts du Roj de Danncmarc auprès des Etats - Généraux; Elevé- pour être Miniftre des Autels , il s'eft tiouvÇ plus de penchant pour le Miniftère du Cabinet ; » y réunit, 8c fe fait fort eftimçri mais il voit peu de monde J »u Baron de Pôllnitz. 269 Voilà, Monfieur, la plupart des Mi- La Rai* niftres Étrangers qui rélident à La Haie. Ceux de l'Etat font en petit nombre. Mr de Slingeland, Giand - Penfionnaire, eft à leur tête. La fagefle confommée de ce Miniltre , blanchi dans la direction des fecrets de cet Etat , eft reconnue de tout le monde. La République le regarde comme une de les principales Colonnes , & l'Europe le met au rang des plus grands Miniftres. Il a été ci-devant Secrétaire [du Confeil] d'Etat, lorfque La Haie étoit ce qu'étoit Rome fous un Sixte V., le centre de la Politique. 11 fuccéda dans la Charge qu'il occupe préfentement, à feu Mr. Hoorn-beek, & il exerce ce pénible Emploi a-Vec une approbation univerfelle. Son âge j & ia Goûte dont il eft fort incommodé, ne l'empêchent point de vaquer aux Affaires. Il eft fécondé par Mr. le Greffier Fa-gel, un des plus grands génies de 1 Etat, vénérable par fon grand âge , refpcfta-ble par fa vertu, par Ion érudition, par fa candeur , & par une noble franchife qui accompagne fes actions & fes paroles. Amateur des Lettres, il a une Bibliothèque favamment choilie, & un Cabinet de Médailles & de Pierres antiques les plus rares. On voir chez lui des Tableaux des plus habiles Maitres, des Vales, des Urnes, & tout ce que l'An- l'Antiquité a lailTé dé plus précieux; toutes choies qu'il le fait un plaifir de montrer à des Connoiilèurs curieux. C'eit dommage que ce Miniftre , qui réunit en lui ce qu'on vénère dans les plus grands Hommes, ne puiiîe pas vivre toujours. Il eft certain que La Haie contient un nombre infini de Perfonnes de mérite des deux fcxes ; & cet Etat peut iè vanter d'avoir autant de Sujets d'une: probité reconnue , que peut-être au-cun autre Pays du Monde. Vous les nommer tous, Moniteur, ce ferait entreprendre un ouvrage au-deftus de me3 forces , ôc qui demanderont un volume. Je pourrai dans la fuite vous parler fim-piemenc de ceux qui figurent le plus à La Haie, foit par leurs Emplois., ou par leur naiUanee. La Haie eft l'endroit de l'Europe, où un Etranger parvient le plus aifément à faire de bonnes connoiffances. Les. Sociétés ou Affemblées, le Spe&acle, les Promenades lui en fourniftent les oçca* fions. Pour peu qu'il ait quelqu'un qui le produiiè , il eft bientôt connu. Lc$ mailons les plus ouvertes > ôc où voit ce qu'il y a de plus diftingué dans cette Ville, iom celles de Mylady <¥Ar temarle , de Mr. de Keppti ôc de Mr. le Comte de Mïlderen. Mylady eft VeU-ve de Mylojrd Comte d'AlètMtrie, Géj DU BARON DE foLLMITfc. ÎJt aérai de l'Infanterie Hollandoife , Colo- la Haie,, nel des Suiffes , Gouverneur de Tour» nay, Ôc Chevalier de l'Ordre de la Jarretière. Il étoit de la Maifon de Keppel, depuis longtems diftinguée dans ces Provinces. Ii avoit été Page du Prince d'Orange , qui étant devenu Roi de la Grande-Bretagne, le fit Comte ôc Pair d'Angleterre. Il le combla de biens Ôc de Dignités , ÔC l'on peut dire que Mylord à'Albemarle , & Mylord Portland, ont été les deux Seigneurs pour qui Guillaume IJI a toujours témoigné le plus d'eftime. Mylord $ Alhemark fe ibutint dans la faveur, par fon alïiduité, par la complaifance, par un fonds de vrai mérite, ôc par fon attention à ne point demander, ôc à attendre que tout lui vînt du propre mouvement du Roi. Ce Seigneur a laifXé un Fils , qui a un Régirent en Angleterre. Mylady fa Veuve eft Sœur de Mrs, Van der Dui?t, Nobles de cette Province. Elle vit avec beaucoup de décence, ôc elle eft toujours confidérée comme la première Dame de La Haie. , * Mr. de Keppel, Frère de feu Mylord • [Mi. dc Ktffd avoit époufé" la Veuve du feu Comte de Wetdtun , un des grands hommes qu'ait la République, & cjfu a laifle trois Fils & cinq filles, qui font l'ornement dc la NobJeiTe dcGuci-d[c fie les délices de La Haie, oit les Etrani Gucl- -v iu wuw * * •««-, jcs JMraneers ont CCttC Danic UQ faCik & agréable accès. Mr. de *vîfl>f/> un dec beaux hommes de ion temi Si un des bravée Haie, lord KAlbemarle, eft Lieutenant-Général au fervice de l'État, & Colonel d'un Régiment de Cavalerie. Il a été quelque tems Envoyé Extraordinaire de LL. HH. PP. à la Cour de Prufle. Il faic une très belle dépenfe à La Haie , fes manières font extrêmement nobles, & fa maifon parlera toujours pour bonne dans tous les Pays du monde. Madame de Keppel, ci-devant Welderen , en fait les honneurs, avec toute l'attention pof-fible : aufli eft-elle extrêmement confédérée, & on a pour elle beaucoup de déférence. Mr. fon Fils le Comte de Welderen, Député de la Province de Gueldre aux Etats - Généraux , ne lui cède point en politeffe. Il étoit très jeune, lorfqu'il fut reçu Membre de l'Etat en la place de Mr. fon Père. Peu de tems après être pourvu de cette Charge, il fut nommé Ambaflàdeur en Angleterre, pour complimenter Leurs Majeftés Britanniques fur leur avènement au Trône. Sa dépenfe fut des plus brillantes » mais les Anglois firent moins de cas de la magnificence , que de la fage conduite du jeune Ambaflàdeur. Il remporta avec lui les applaudiffemens de Leurs Majeftés & de la Cour d'Angleterre, Feftime des honnêtes-gens, & l'affection du braves Officiers de l'Erat, eft mort l'année dernière 173? , ne taillant qu'un Fils, qui eft Officiel *»* Oaidcs À cheyai.j du Peuple de Londres. A fon retour la Haie* à La Haie , le Comte de Welderen reprit féance dans les Etats [Généraux.] Il continue de faire une belle dépente, & fa maifon eft une des plus brillantes du Pays. U a un Frère cadet, Membre du Confeil d'Etat , [on le nomme le Waldgrave >~] qui elt un jeune Seigneur plein de mérite. Mylady Cadogan , Veuve de Mylord Qadogan l'Ami fidèle du feu Duc de Marïborough, & fon Succelfeur dans fes Emplois , tient l'AHèmblée tous les Dimanches au foir. Cette Dame eft Mère de la DuchefTe de Richement , que la Cour d'Angleterre regarde comme un de fes ornemens. Elle a encore une Fille nommée Mylady Marguerite , une des plus aimables pcrionnes de La Haie. La Comtcfle de Wartenberg , Veuve du Prémier-Miniftre de Frédéric I. Roi de Pruffe , s'eft retirée à La Haie , où elle vit à peu près comme faifbit Madame de Mazarin à Londres. Elle fait de la nuit le jour , & du jour la nuit. Sa maifon eft ouverte à tout ce qu'il y a d'Etrangers : on y joue beaucoup. * Mais * C La bonne DamC eft morte cette année-ci de la rttîte Vérole , dans un âge aflez avancé. Quoique depuis un certain tems elle fît profefîion de Devo-iton , die n'avoit pas encore perdu entièrement lé S<>ut de la galanterie , en quoi elle l'avou certaine- T°m* Itl S ment- La Haie. Mais les Ouvrages d'Efprit, & les Sa-vans , n'y font pas fi bien reçus que chez la DuchefTe de Mazarin. Un S. Evremond auroit beau écrire ôc dire de belles chofes, je croi qu'un jeune Alci-de lui feroit toujours préféré. Par le dénombrement des maifons que je viens de vous faire, vous voyez , Mon- ment emporté fur la Mazarin ; car elle afluroit elle-même , qu'on auroit plus aifément compté les coquilles du rivage dc Schevrtinç , que fes avantures galantes. Elle n'avoit jamais manque qu'un feul homme i c'etoit le Roi Aujnfie. Elle ht tout ce qu'elle put, fmon pour s'en faire aimer , au moins pour s'en faire carcfler> mais inutilement: & chacun lait l'avanture de Mylord R qpl avoit régalé tant de gens» chez qui chacun avoit Jurandes Entrées. Elle meurt, on la fort d'abord de a chambre, on la met dans un cercueil dans le vestibule de fa maifon , on met le fcellé chez elle, » on l'enterre fans qu'un feul de ces ingrats Favoris daigne accompagner fon Convoi, où il n'y avoit que les Tortcurs & quelques Voifins, qui fuient infimes par la canaille.] Monfieur , qu'il y en a fuffirarnment La Hais. pour favoir où aller. Il n'y a point de jour qu'il n'y ait Aflèmblée alternativement, ou chez l'un ou chez l'autre. Ii n'y a point de Speétacle pour le prélent : je croi vous avoir marqué que les Etats l'ont interdit à caufe des Vers qui affligent les Digues des côtes de cette Province. Les Comédiens néanmoins font toujours ici ; ôc de plus il y a un Opéra, qu'un Hébreu Anticomique a fait venir de Paris exprès , afin de détruire la Comédie lorfque les Théâtres feront ouverts. Un Anabaptifte au contraire , zélé Comique , ne voulant pas que l'Opéra ôc fon Protecteur triomphent, foutient la Comédie. Tout Ld Haie a pris parti dans cette grande querelle j mais je croi que pour mettre les partis d'accord , Mrs. les Etats ne per* mettront aucun Spe&acle. Ce SGhifme fourniroit abondamment matière à écrire des Nouvelles comiques : je fuis furpris que quelque Bel-Efprit n'en régale point le Public, d'autant plus qu'il n'y a poinC ici de recherche de Lieutenant de Police à craindre *. Vouï * [La fuite de ce démêlé entre le Juif & l'Ana-baptiîte a été, q«e celui-ci a (Uccombc , les Comédiens étant partis. Le Juif vainqueur a trouvé l'expédient de métamorphoièr Ion futur Opéra en uni Concert public, qu'il donne les Lundis âptSs inidi„ «c ou fe trouve tout ce qu'il y a de beau monde des ■ z 1 deux Vous regarderez fans doute comme E' un Phénomène , qu'un Hébreu , que nous regardons en Allemagne avec un mépris qui n'eft peut-être ni trop généreux ni trop Chrétien, fe mêle de Spectacles , & ofe vouloir forcer toute une Ville à fe conformer à fon goût : mais vous devez favoir, Monfieur , que les Juifs font traités dans cet Etat fur un tout autre pied que dans le refte du monde ; ôc véritablement, quant aux Juifs Portugais, ils méritent de l'être: un Texeyra , un Schivartzo , un Duliz , ont fait des actions de générofité, dignes des plus vertueux Chrétiens. Ils font une dépenfe de Seigneurs , ôc vous les prendriez affurément pour tels. Ils font reçus dans toutes les Affemblées , leurs Femmes y paroiffent de même j ils régalent , Ôc reçoivent chez eux tout ce qu'il y a ici de Perfonnes diftinguées j ils fecourent nos Pauvres , donnent à nos Eglifes, ôc ne diffèrent de nous que parce qu'ils vont à la Synagogue. Les Nobles les plus diftingués de la Province font les Wajfenaar 6c les Boet-felaar. Les premiers fe partagent en plufieurs Branches , dont celle d'Obdata eft l'ainée. L'Empereur Charles III éleva cette Branche à la Dignité de Com-° te deux fexess on y chante des Actes d'Ope'ra & 1» plus belles Cantates Fiancoifcs.] te de l'Empire. Le célèbre Amiral la d'Obdam , qui délivra Copenhague , étoit Aieul du Comte d'Obdam d'à préfent. Le Roi de Danemarc , en reconnoiiTan-ce des fervices que lui avoit rendus l'Amiral, lui conféra l'Ordre de l'Eléphant , qu'aucun Etranger ne recevoit alors à moins que d'être Prince. Après la mort de l'Amiral > le même Ordre paffa à fon Fils , mort Lieutenant - Général j & Colonel d'un Régiment de Cavalerie au fervice de la République. Le Comte d'Obdam d'aujourd'hui efl Chevalier de l'Ordre de S. Jean , & tient avec Mr. fon Frère * un rang diitingué dans l'Etat. 11 a palTé une partie de fa jeunefïè à la Cour de Berlin , où Mr. fon Père étoit Envoyé Extraordinaire. Rien n'égaloit pour-lors fa vivacité & fon humeur enjouée: tout cela a changé ; ii vit maintenant dans une grande retraite , adonné à la dévotion & aux affaires. De tout le fang de Najfau - Orange , ces Princes Fondateurs de la République > il ne refte plus qu'un jeune Prince i & Mrs. les Comtes d'Owwerkerke , de Zeifi , & de Laleck , qui en font *uflï, mais du côté gauche. Le Prince eft • [ Mr, de WajftHMr-Tnicktl, nom que luj donne W«je belle Terre dans la Province d'OfcriiTel, d,o«t il «« Dcputc.J S 3 . eft Stadhouder héréditaire de Frife, Sradhouder de Groningue , Stadhouder ôc Capitaine Général dc la Province de Gueldrc, [ôc du Pays de Drcnte.] Il promet de remplir dignement un jour la place des Princes dont il 'porte le nom. f Le Comte Maurice d'Owwerkerke eft Pair de la Grande-Bretagne; le Roi Guillaume III avoit honoré fon Père * de cette Dignité, Il eft Maréchal de Camp, & Colonel d'un Régiment de Dragons. C'eft un Seigneur d'un mérité diftingué, ôc qui s'eft fort fignalé dans la dernière Guerre. Mr. de Zeifi eft Député de la Province d'Utrecht, dans laquelle il poiïè-de de grandes Terres. C'eft un des plus riches Nobles de. cette Province. Le Comte de Laleck eft le plus ancien Lieutenant-Général de Cavalerie au fervice des Etats ; il a un Régiment, ôc il eft Gouverneur de Menin , Place de la Barrière. Ces trois Comtes font Coûtons, ôc forment trois Branches. Hs defeendent du Prince Maurice d'Orange* ÔC T [GuJlUumi-ChaTlti-Titnri VÙWX à'0ra'**' a époule le 14 Mr.rs dc cette année I7?4» ja * «eue Royale de la Grande-Bretagne.] M„,e- * Mr. le Com:e A'OuwtrktrU, mort VeldtM-1^ cha! de ia République, lin la fin de la Ca.mp»fir «Je ï7o8. K du Baron de Pôllnitz. 179 & à*Anne de Malines. Mon Aïeule é- La toit Fille de ce Prince. Il me relie encore à vous nommer Mr. Hogendorp , Receveur - général de l'Etat y Charge qui dans ce Pays-ci, comme ailleurs, eft fujette à l'envie, ÔC expofe celui qui l'exerce à la critique du public. Mr. Hogendorp éprouva Tu-, ne 6c l'autre, il y a quelques années ; il ne tint point a fes Ennemis qu'il n'y fuccombâc : cependant il fe foutint, ôc les Etats approuvèrent fa conduite. C'eft un des Sujets de la République les plus magnifiques, ôc dont la dépenfe eft la plus brillante. [Je vous ai parlé dans une de mes précédentes, de deux Prédicateurs vi-vans cVAmJterdam ; je ne puis m'empê-cher de vous entretenir ici d'un Miniftre mort depuis peu , 6c dont le nom s'eft allez illuftré, tant parmi ceux de fa Communion , que dans la nôtre. C'eft Mr. Saurin , qui a été toujours confédéré ici, 6c dans toutes ces Provinces , comme un des plus éloquens Prédicateurs que l'on ait entendu depuis le Refuge. On a fait quantité d'Epitaphes pour ce célèbre Prédicateur ; mais comme elles font toutes très mauvaifes, je me contente de vous envoyer l'Epitaphe des Epita-pfees mêmes. EPI* LaHaiE- E P I T A P H E des Epitaphes de M. SaURIN. Sous ces tifons, fans titres, fans parapha, Incognito gifent vingt Epitaphes, Quant arraché de leurs maigres cerveaux, Incognito, vingt chétifs Poétereaux ; Difant vouloir par détefable rime Louer encor certain Efprit fublime, Dont rien ne dis, fnon quà fes talent, Vivant trouva force contredifans. Chantres grojjiers du bourbeux Marécage , Pour Dieu, ctjfez votre maudit ramage ! Si noblement chanter n'eft votre fort, Dites tout court, le grand Saurin eft mort. Pendant mon féjour à La Haie , j'ai beaucoup entendu parler d'un François nommé Armand, dont les avantures extraordinaires faiioient alors le iujet de tous les entretiens. Il ne manquoit pas d'efprit; mais il étoit bizarre & le plus violent de tous les hommes. Ses etn-portemens , qui alloient quelquefois jufqu'à la fureur , ont été caufe de tous les malheurs. On m'a promis fon Histoire: fi on me tient parole, je ne manque- du Baron de Pôllnitz. 281 querai pas de vous l'envoyer. * La HISTOIRE de JEAN BARRE', dit ARMAND. Jean Barré , natif de la Province dc Bourgogne, parut à Amfierdam en 1710, fous le nom d'Armand. 11 étoit bien fait, à la fleur de fon âge, & paroiflbit avoir eu de l'éducation. Il diloit être forti de France , pour avoir tué un homme en Duel. Tout autre que lui fe feroit trouvé bien embaraffé en pareil cas ; pouriuivi par la Juflice , loin de fa Patrie & de fes Amis , fans argent , dans un Pays dont il n'entendoit pas la Langue , & confondu dans une grande Ville au milieu d'un Peuple nombreux , où l'indigent à tant de peine à fe faire connoitre. Mais Armand n'étoit pas fans relTources. Hardi, intriguant , parlant beaucoup oc s'énon-Çant allez bien; Poëte d'ailleurs, ou du moins faifant des Vers avec une facilité étonnante , il trouva bientôt moyen de faire des connoiffances. 11 auroit mê-1116 paffé pour homme de condition , fî la néccffité ne l'eût forcé dc faire ufage d'un * LKditcur a cru faire plaifir au Public en mettant ici t*Hj^oirc dc cet homme extraordinaire, qui ne lui çft. tombée entre les mains qu'après la première Edition de ces Mémoires. S 5 LaHaib. d'un talent, qui montroit affez ce qu'on en devoit croire. C'étoit celui d'écrire en perfection , & de faire en peu de tems d'exccllens Ecoliers. Avec cette reffource , Armand eût pu vivre heureux : mais fon caractère violent, 6c fon humeur fatirique , lui firent perdre en peu de tems fes Protecteurs 6c fes meilleurs Amis. Outre ces défauts qui alloient à l'excès, il çtoit foupçonneux , hautain, d'une opiniâtreté fans exemple, bizarre dans toute fa conduite, 6c admirateur outré de fes productions. On étoit afluré de devenir fon plus cruel ennemi, dès qu'on ne lui applaudiffoit pas en tout: c'étoic allez pour le mettre en fureur, que de ne pas faire de fes Vers tout le cas qu'il en faifoit lui-même. Deux ou trois traits fufhtont pour le faire con-noirre. Il logeoit chez un Bourgeois , qui > trop prévenu en fa faveur, fe trouvoit heureux de pouvoir jouir familièrement de la compagnie d'un homme, qui avoit fu le charmer par fon efprit 6c fes manières. Ils le donnoient fbuvent à manger. Un jour Armand invita à foupe* ion Hôte avec toute fa famille, 6c quelques Parens. Il avoit ordonné , à (on ordinaire , un magnifique repas. On e-toit déjà à table , lorfqu'une Femme de la compagnie s'aviià de demander d'une cet: certaine forte de pain , qu'elle étoit ac- La Haï». coutumée de manger. L'Hôte en envoya chercher fur le champ. Armand s'en apperçut , & s'imaginant qu'on ne trouvoit pas qu'il eût fait venir allez de pain, il fort brufquement Ôc revient un moment après , tenant une corbeille pleine de pain qu'il renverle fur la table. Après cette incartade il fort de la maifon comme un furieux , ôc palTe lo relie de la foirée à fe promener à grands pas devant la porte. 11 avoit appris que Mr. P.....A» gent de la Marine de France à Rotterdam, faifoit joliment des Vers.. Il va le trouver fous les aufpices d'Apollon ; ôc après lui avoir fait un compliment fur fa qualité de Poëte , il lui préfente des Vers de fa façon, le priant avec inftan-ce de lui en dire fon avis. Mr. P . . . moins avide de louanges qu'Armand, lui répondit qu'on l'avoit mal informé; qu'il n'étoit rien moins que bon j uge en fait de Poëlîe , ôc qu'il le prioit de ne le pas regarder comme tel. Armand prit cette réponiè pour ua affront , ôc (é retira brufquement en le maltraitant de paroles. Il ne traita pas mieux Mr. C. . . . r , à qui il rendit vilîte pour le même fujet ; ôc il fe vengea de ces deux Meilleurs par une Kpigramme, qu'il afficha un Dimanche à la porte de l'Eglife Françoifç. Re- La Haie, Rebuté de l'accueil que lui avoient fait les Beaux-Efprits de Rotterdam, il fe tourna du côté des Marchands. Il alla voir Mr. C. . . . t homme d'une probité reconnue , foit pour lui préfenter fes Vers , ou pour lui offrir fes fervi-ces en qualité de Maitre d'Ecriture. Comme Mr. C...../ avoit l'oreille un peu dure , il crut devoir en avertir notre Poète ; mais celui - ci s'imaginant que c'étoit un prétexte pour le congédier, lui tourne le dos & fort, fort irrité de l'affront qu'il croyoit avoir reçu. Il eut même la témérité d'afficher quelques jours après à la Bourfe , un Ecrit fort offenfant, pour ternir la réputation de cet honnête-homme. Cette Affiche ne tarda pas à être enlevée par quelques Amis de Mr. C.....t ; mais Armand ne l'eut pas plutôt appris, qu'il y en mit une autre , encore plus infultante que la première. Mr. C. . . t > pour n'être plus expofé à de pareilles infultes , porta fes plaintes au Magiftrat de Rotterdam , qui fomma l'Auteur des Affiches de comparoitre en fa préfénee. Armand obéit ; & dit pour fe juftifier, qu'étant Etranger, il n'avoit pas cru rien faire qui fût défendu par les Loix du Pays ; mais qu'aiant été nouvellement informé du contraire , il vouloit bien faire à l'Offenfé telle réparation qu'on jugeroit à propo» , promettant d'ailleurs de fortir de la Ville fans délai. Le Ma- La giftrat voulut bien fe contenter de fes raifonSjôc n'exigea de lui que l'exécution de fes promelfes. Ainfi il quitta cette Ville, & partit pour Amfterdam fon premier fèjour. Malgré le mauvais fuccès de fes Vers, il ne perdit pas l'envie d'en faire de nouveaux, il fembloit même que fa paflïon pour la Poëfie fût devenue plus forte. De retour à Amfterdam, il commença par compofer des Satires contre les Ennemis de "Rotterdam, qu'il accufoit d'avoir fait échouer tous fes projets. Il entreprit enfuite de mettre en Vers burlesques les tendres Amours à'Abélard & d'Hélo't/è. Cette Pièce, remplie d'obfcé-nités, & de traits fabriques contre fes Ennemis, courut bientôt tous les Caf-fés; & lorsqu'il crut y avoir mis la dernière main, il trouva un Libraire qui voulut bien fe charger de la faire imprimer, quoiqu'elle eût été méprifée de tous les ConnoifTeurs. Dans le tems que cet Ouvrage s'imprî-moit, Armand lia, amitié avec le Comte de Bucquoi, fi connu par fes avantures & les extravagances. Ce Comte fe mêloit aufli de faire des Vers, & n'étoit pas moins grand parleur qu''Armand. La ref-femblance de caractère parut d'abord devoir ferrer pour longtems les liens de leur amitié. Mais une trop grande liberté La Haib, que prit le Comte les brouilla fans rf* tour, ôc donna lieu à une Scène qui pen-fa devenir tragique. Le Comte, qui ne connoiffoit pas encore à fond le foible de ion Ami, s'avifa, un jour qu'il étoit dans la chambre à?Armand, de faire une critique un peu trop févère de fes Poë-fies. Armand, à qui perfonne n'avoit jamais ôlé parler fur ce ton , s'emporta jufqu'à la fureur : il traita fon Cenfeur d'impudent, de fou ôc d'Avanturier. Enfin les deux Poètes en vinrent aux mains, & comme Armand étoit le plus fort, ii força le Comte, à coups de pieds, de fortir de fa chambre, Ôc le pourfuivit de cette manière jufqu'à la rue. Pafïons à l'événement fatal de fa vie, qui fut la caufe de tous fes malheurs,ôc le conduiiît enfin fur Féchaffaut. Depuis longtems, Armand avoit lié amitié avec un Baionnois, nommé La B. . . . jeune homme dépourvu des biens de la forru* ne, mais qui eut le bonheur d'époufer une très riche Héritière. Dans le tems que le Public les croyoit encore enfern-ble dans une union très étroite, on fut étrangement furpris d'apprendre que V* B. . . . venoit d'aceufer fort Ami d'un horrible attentat; ôc que fur cette accu-fation, Jirmand avoit été arrêté ôc conduit en Prifon. La B. . . . prétendoit que le trouvant un jour dans la chambre d'Armand, celui-ci en avoit fermé la por- te& l'avoit forcé, le poignard fur la gor- La Haî«-ge> à figner une Obligation de mille Ducats. L'idée que l'on avoit du caractère d'Armand, formoit contre lui un préjugé peu avantageux. La B. ... m contraire paifoit pour un jeune-homme d'une conduite irréprochable r mais malheureufe-ment pour lui, l'affaire étoit de nature à ne pouvoir guère être prouvée. Au-lieu de crier au fecours, du moins en fortant de la chambre, il s'étoit retiré fans rien dire,ôc n'avoit même été rendre fa plainte que deux jours après. Au défaut de preuves direétes contre le Prifonnier, il fit faire des enquêtes de fes vie Ôc mœurs. Il découvrit que le nom d'Armand étoit un nom emprunté; qu'il s'appelloit Jean Barré; qu'il avoit Femme & quatre Enfans; qu'il avoit été Receveur au Grenier à Sel de Vézelay en Bourgogne ; enfin qu'il avoit tué d'un coup de fufil fon Beau-frère à la campagne, Ôc qu'aiant pris la fuite, il avoit été condamné par défaut à être pendu. Lorsqu'Armand comparut devant les Juges, il convint fans détour de ce que J*l Accufateurs avoient allégué contre W à l'égard de fon nom, du lieu de fà demeure ôc du fujet de fa fuite; mais il nia d'avoir affafîîné fon Beau-frère, a-Vouant néanmoins qu'il l'avoit tué à fon corps défendant. Comme il ne s'agifïbit Pas de ce qu'il avoit fait en France, les Juges La Haie. Juges ne s'arrêtèrent qu'au cas dont il &> toit queflion. Armand dit que La B.. - j lui avoit fait de fon propre mouvement le Billet des mille Ducats, pour recon-noitre les fervices qu'il lui avoit rendus en lui prêtant quelque argent, & en lui procurant les moyens de faire réuffir fort mariage II plaida lui-même fa Caufe, toujours avec beaucoup de fermeté & fans jamais fe couper. La B. ... au con-> traire parut peu affuré dans tout ce qu'il dit; ce qui fit foupçonner à quelques-uns, qu'il n'avoit chargé Armand, que pour ne lui pas payer la fomme qu'il lui avoit promife. D'autres néanmoins attribuèrent, avec plus de vraifemblance, le peu de fermeté de La B, . . . à fa timi-* dite naturelle, & à l'embaras où devoir le mettre une aceufation de cette nature j intentée fans preuves. Comme Armand demandoit avec i&À fiance qu'on en vînt à une conclufion j les Juges n'aiant rien trouvé qui pût fonder les prétentions de La B. , . . rendf* rent une Sentence qui portoit : Que ce dernier conflgneroit les mille Ducats, & que l'Accufé feroit mis en liberté , erl donnant caution pour cette fomme eri cas d'Appel à la Cour de Hollande; f*llt à lui de poufuivre fa Partie pour les frai* * dommages, intérêts & réparation d'h°n* rieur. La B. ... ne manqua pas d appeler de cette Sentence à la Cour. pian» mand en fit autant; ôc aiant trouvé eau- La tion & reçu les mille Ducats, il le fit voir par toute la Ville avec une longue barbe qu'il avoit laillé croître en prifon, & qu'il jura de ne pas faire rafer avant que d'avoir gagné fon Procès à la Cour. » Pour ne paslaifler trainer cette affaire, il fe rendit zLa Haie, afin d'en hâter la décifion. Enfin la Cour rendit une Sentence qui confirmoit celle d'Amfterdam. Armand fe pourvut enfuite pour obtenir réparation d'honneur, dommages & intérêts. La B. . . . fe voyant par-là débouté de toutes fes prétentions Se craignant les fuites du Procès, jugea à propos dc mettre ordre à fes affaires, & fe retira en France. D'abord la Cour fit mettre le Scellé chez lui, il fut fommé trois fois de comparoître ; & il y a lieu de croire qu'il auroit été condamné par ' contumace, fi la mauvaife conduite d'Ar-mandrieut pas arrêté tout-à-coup le cours de la Juftice. Voici ce qui donna lieu à cet incident. Dans l'impatience où étoit Armand de voir l'iflue de fon Procès, il alloit tous les jours importuner fes Juges, qui quelquefois n'avoient pas le loiiir de lui donner audience. Un jour s'étant préfenté à la porte de f Avocat-Général,un des Do-rneftiques auquel il s'adreilà lui dit que fon Maitre n'y étoit pas, & voulut le congédier. Je (ai le contraire, lui ré-Tomc lu, T pon- ape L b T T r e * La Haie, pondit Armand, if faut néceffairement que je lui parle. Sur cela ils fe dirent des injures; Armand perdit patience, maltraita je Domeftique de coups, Se. mit toute la maifon en allarme. On le eonduilit en prifon, d'où il feroit forti peu de tems après, s'il eût voulu fe Teconnoitre coupable, & faire à T Avocat-Général une fatisfadfion convenable. Au-lieu de prendre ce parti, il s'emporta d'une manière étrange contre l'Avocat, & le menaça d'en tirer une vengeance éclatante. Mais cette fierté lui coûta cher , puisqu'elle donna lieu à une Sentence qui le con-damnoit à douze ans de pnfon. j] y eft refté jufqu'en 9ue 'a Cour jugea à propos de le faire transférer dans une autre Ville jufqu'à l'expiration du terme porté par la Sentence. Armand, averti de cette réfolution, s'imagina fans doute qu'on vouloit le traiter plus durement 2u'on n'avoit fait jusqu'alors, ou peut-tre l'expédier fecrettement. Dès-lors il ne fe pofféda plus. Il forma Je deffeifl de tuer les Archers qui ôferoient l'ap-proeher, ou du moins de les mettre hors d'état de le faifir. Dans cette vue, il fie d'un bois dc fon lit une efpèce de bârofl ferré avec des cloux, & dont l'un des bouts étoit armé d'une lame de Canif. Le jour auquel on devoit le tirer de fa prifon > deux Archers fe préfentèrent pour Je prendre* mais lui qui les attendoit s'étant rnis en défenfe, iien éventra un, Scrom- 1 pit deux côtes à l'autre. Après cela,on ne trouva plus d'Archers qui voulufiènt s'expoièr à un pareil traitement. Cependant, pour fa rendre maitre de ce furieux, on s'avifa d'un (tratagème qui réuf-fit- Deux Archers eurent ordre de faire chacun un trou à la muraille de ia prifon ; & dans le moment qu'Armand était occupé à examiner ces ouvertures, on lui tira dans le vifage un coup de pifto-let chargé de fable. La violente douleur que ce coup lui eaufa dans les yeux, à la langue & au vifage, le mit hors d'état de défènlè: il le rendit, & demanda quartier. En même feras on (e iuiiit de lui, ôc il fut mis aux fers. Lorsqu'on lui fît. fon Procès, il avoua que foh defïein a-voit été de tuer tous ceux qui auroienr. entrepris de le transférer, & qu'il le feroit encore li la ehofe étoit en fon pou^ voir. Cette circonftançe aggrava fon cri-me, & il fut condamné à avoir la tête tranchée, L'idée d'une mort prochaine n'eut rien de terrible pour lu» : il parut regarder ce dernier moment avec allez, d'indifférence- Mais ce qu'on remarqua de iingu-her dans cet homme extraordinaire,c'eft: que l'affreulè penfée d'une mort infâme & juftement méritée, qui auroit dû l'occuper entièrement, ne diminua en rien *a tç&dft3f qu'il avoit toujours témoi-T a gnér La Haie, gnée Pour ^es Vers. Dans le tems même qu'un Miniftre l'entretenoit de l'Eternité, il l'interrompit tout à coup en lui diiànt: Monfieur, voici des Vers de ma façon ; je vous prie de les entendre lire : fat toujours aimé à m'égayer par ces fortes d'Ouvrages. Un Procureur qui étoit préfent, ck qui faifoit en même tems la fonction de Confolateur, témoigna être feandalifé d'une lecture qui convenoit ii peu en pareille circonftance. Armand, jettant fur lui un regard plein d'indignation, lui dit tout net qu'il étoit un Ane, & qu'il s'étonnoit qu'un homme de fa forte, un Procureur, brouillé à jamais avec le Ciel, & maudit aux iïècles des fiècles, s'avisât de faire leConlolateur, & de vouloir réconcilier les Hommes avec Dieu. Le jour de l'Exécution étant venu, * il fut conduit devant les Juges pour entendre prononcer fa Sentence de mort. Mais à peine eut-on commencé d'en faire la lecture, qu'il s'emporta d'une manière étrange, & dit qu'il étoit injufte de lui lire fa Sentence en une Langue qu'il n'en-tendoit pas. On eut beau lui repréfen-ter qu'elle lui feroit expliquée en François, il continua toujours fur le même ton ; en forte qu'on fut obligé de lui mettre dans la bouche un mouchoir qu'on tenoit par derrière, des deux bouts. Ce-* ' pen- • Il a été exécuté au mois dc Juillet 17& pendant aiant donné à connoitre qu'on La l'incommodoit, on lâcha le mouchoir; 6c alors il dit qu'on le lui ôtât entièrement, 6c qu'il gardcroit un profond fi-lence. Il fut accompagné au lieu du fupplice par un Miniftre , ôc falua en riant toutes les perfonnes de fa connoif-fance qu'il vit dans la foule. Lorsqu'il fut fur l'Echaffaut, il pâlit en jettant les yeux fur la Potence: il dit qu'on lui a^-voit promis tout autre chofe, 6c qu'il n'avoit pas cru devoir finir fes jours par le genre de fupplice qu'on lui préparoit. On le raffura en lui diiant qu'il auroit feulement la tête tranchée, s'il n'ufbit pas de violence; mais qu'autrement il feroit pendu, 6c qu'on l'élèveroit à la Potence à l'aide d'une poulie que l'on avoit préparée. Il répondit, qu'il n'avoit pas envie de finir par la corde. Il demanda enfuir te au Bourreau, s'il favoit bien fon métier. Celui-ci lui affura qu'oui, 6c ajouta qu'il avoit fait fauter feize têtes avec fuccès, ôc qu'il efperoit que la fienne feroit la dix-feptième qui lui feroit honneur. Il demanda encore où étoit le fabre, 6c le Bourreau lui dit qu'il feroit prêt à tems. Enfin le moment fatal étant venu, il fè. mit à genoux; 6c dès qu'on lui eut bandé les yeux, il eut la tête emportée d'un feul coup.] Je ne vous dirai rien de particulier de la Maifon dc Honflardyck, ci de la Mai-E 3 Jhn *94 L E t T* R ET • La Haie. fa* dit Bais*, qui appartiennent àu Roi de Prulle, parce que ces Mailons ne font plus ce qu'elles étoient. Elles dépérif-iènt, ÔC dans peu elles ne mériteront point qu'on en parle. En allant à HouJ'~ iardyck, j'ai pailé par le Village dc Lnos-duïneh, où* j'ai vu dans l'Egliïè le Badin dans lequel on dit que furent baptifés les J-nfahs dont accoucha uneCom-teifé de fiollan e f, en conformité d'une imprécation que fit contre elle une pauvre Femme chargée d'Iinfans, qui lui demandoit l'aumône , ôt qui fe vovant rebutée par la Comteffc , lui fouhaita qu'elle acciuchât, d'une même groHclle, d'a.nant d'Enfans qu'il y avoit de jouf§ dans l'année; vceux qui furent accomplis. Ot événement hngulter eft repréfenté dans un Tableau, confervé loigneufement dans l'Eglife-. Le Château de fyfwytk, % ôù fut fi-ghée la Paix en i<»97, h'étaht pas en meilleur état que celui dé tïovjlardyck, jè n'ai pas cru devoir me détourner dû pBLrr. beau chemin de Delft pour l'aller voir. Cette Ville, qui eft à une lieue de JL* Haœ, h'ôfFre rien de remarquable, h • [ Ou k Salit fQrmçei 8aos le Ici», de ha^iXf' Elle a été cédée au Piiiice dVréqgi pr ioh TiJi'ed* Hollaot'cj cite woit Cortitefle de Henncbtrg. j ^ [Il cil aufli au Priacc à'Qt*n£t.] du Baron de Pôllnitx. 295 ce n'eft le Tombeau de Guillaume L, Dslft. Prince d'Orange, qui fut aiTaiïiné à Delft par Balthazar Gérard Francomtois, l'an 1584. La République, qui a fait élevef ce Maufolée, n'a rien épargné pour laif-fer à la Poftérité un Monument digne d'elle, & de fa reconnoilfance pour les fer vices fignalés que lui avoit rendus ce Héros. Ceft à Delft qu'eft l'Arfenal de Terre de l'Etat, un des mieux fournis fie des mieux entretenus de l'Europe. Cette Ville fait un grand commerce en Faïences. Comme elle eft à la même distance du Château de Rytivyck que La Haie, les Arabafladeurs de France y demeurèrent pendant la tenue du Congrès. Elle eft habitée aujourd'hui par plufieurs perfonnes, à qui le dégoût du Monde, ou le manque de fortune, a fait choiiîr le parti de la retraite. Vous jugez, bien par-là qu'elle n'eft pas fort animée: je l'ai parcourue, mais je n'y ai fait aucune con-noillànce. Rotterdam, à trois lieues de Delft, Rotter-eft beaucoup plus peuplée que cette Ville. DAM* Elle ne le cède qu'à Amfitrdam pour le Commerce. . Sa lituation fur la Meufi à "x lieues de la Mer, fait qu'elle a communication avec toutes les Villes de la Hollande & des Provinces voifines, foie Par la Rivière même, foit par les Canaux & les Rivières qui viennent s'y perlée. Son plui grand Commerce eft a-T 4 rec 2$6. Le t t r es vcc l'Angleterre & la France: aulli y z-t-il trois Eglifes Angloifes, une Epifco-palc ou Anglicane, une Presbytérienne, & une EcoiToife. Quant à nous autres Catholiques, nous y avons plufieurs E-glifcs en chambre; & les Juifs y ont une Synagogue allez propre. La Statue çYErasme , le Reftaurateur dc la Langue Latine, placée fur le Marché, n'a rien que de très fimple. Ce favanc homme eib repréfenté en habit de Docteur, tenant un Livre à la main. Le piédcital eft fimplement décoré d'une Infcription Latine, [ainfi que la Muion où eit né ce Savant, qui eft confervée telle qu'elle étoit alors, & qui eft très petite & très chétive.] On dit que Mrs. du Magiftrat font dans l'intention dc faire bâtir fur la même Place où eft la Statue d'Erarac, un Hôtel de Ville, dont franchement ils ont grand befoin, celui qui fublifte étant très vilain. Si ce projet s'exécute, il eft à fouhaiter qu'ils em-ploycnt un plus habile Architecte, & plus de diligence, qu'ils n'en ont employé pour élever une Bourfe , qui eft commencée depuis longtems,& qui refte à demi achevée. Il eft vrai qu'elle n'eft encore que trop grande, pour le nombre des Marchands qui s'y aiTemblent. Mais enfin il elt étonnant qu'une Ville, qu'on die être opulente, laille un de les principaux Edifices imparfait. Il y a dans cette Ville quelques mai- Rotter-fons magnifiques. Mais Ton plus grand uAM-ornement font fes Canaux, dont la largeur ôc la profondeur permettent rentrée aux Vatlïèaux, ce qui eit d'une grande commodité pour le Commerce. J'ignore fi le monde eft traitable à Rotterdam, car quoique j'y aye pallé plufieurs fois, je ne m'y fuis jamais affez, arrêté pour pouvoir y lier des connoiffances. Je m'y fuis toujours beaucoup promené fur le beau Qjai qui règne le long de la Meufe: il eft planté d'une belle Allée, Ôc bordé d'un côté de magnifiques maifons. De Rotterdam je fuis venu par Maas-landfluis à La Brille, Ville bien for- Rrili.e. tifïée fur la Meufe, près de fon embouchure. Elle clt célèbre dans l'Hiftoire des Pays-Bas, parce que l'an 1572, Guillaume de Lwmy Comte de la Marck, ÔC quelques autres Confédérés, courant la Mer pour éviter de tomber entre les mains du Duc tiAlbe, la furprirent,s'en rendirent maitres, Ôc y jettèrent les premiers rbndcmcns de la Liberté des Provinces-Unies. Au fortir de La Brille je fuis venu à Helvoetslu is, le plus trifte Hel« Lieu de la Hollande. Les vents , qui vof.t-font rage depuis quelques jours , empê- SLUIS* chent le Paquetbo: ôc moi de partir. En attendant, je fuis très mal ici : on m'y T y fert Hbl- fert deux fois par jour, Canards bouillis, 3E'rî* Canards en ragoût, & Canards rôtis; encore m'a-t-on demandé lî je n'en vou-Jois point à la daube. Ce ne peut être que de cette Ville,qu'un François a voulu parler lorsqu'il a dit qu'on ne voyoit en Hollande que trois chofes , qui com-œençoient toutes trois par ia fyllabe Ca, favoir, Canaux, Canards, Canaille : car afîurément, on voit autre chofe dans le refte de la Hollande, où il y a autant d'honnêtes-gens que dans aucun Pays du Monde. J'ôfe même avancer, qu'il y règne une certaine candeur , qu'on ne trouve peut-être point fi généralement ailleurs. Le Hollandois connoit rarement la fourbe & la fraude ; il eft fuf-ceptible d'amitié, tant qu'il ne s'agit point d'ouvrir la bourfe. S'il étoit moins attaché aux richeffes, il n'y auroit guè» res de Nation fur qui l'on trouvât moins à glofer. J e m'accommoderois très bien avec eux. Lorsqu'on les traite avec douceur , on en fait allez ce que l'on veut. Aufti l'Empereur Charles -Quint difoit-il» quil faloit donner de bonnes paroles aux kiollandois, leur laijfer l'ombre de la Liberté, mais les faire bien contribuer. Quelque panchant que ces Peuples aient vers l'intérêt, ils font néanmoins charitables & veulent bien que chacun vive. Ils n'ont peut-être point cet efprit brillant, qui tient aujourd'hui lieu de tout* du Baron dë Pôllnitz. 299 mais Us ont du bon fens. Je me luis fou- Hel-vent placé dans les Barques, pour écou- V0ËTk ter ce qui s y difoit;6c j ai ete furpns d y entendre parler des gens du commun, de Commerce, des Intérêts de l'Ecat ôc des autres Pays,des moeurs de diftérensPeuples, de l'Hiftoirc de leur Pays, & enfin de mille autres chofes, avec plus de jultelïb que ne feroient peut-être ailleurs bien des Faifeurs d'Epigrammes,de Rondeaux, 6c de Bouts rimes. Au relie, ce Pays-ci a (es desagrémens ôc fe* charmes. 11 cil certain que le Peuple y eft par-fois trop infolent. Cependant un Hollandois inlbkcra difficilement le premier,ôc à moins que l'Etranger ne l'irrite par fes hauteurs, ou fon trop de vivacité, il ne jbrtira pas de fon phlegroe. Je ne fai pourquoi les Etrangers prennent plailir à décrier la Hollande, comme un Pays où ils ont été écorches. Cela a pu leur arriver dans un Trou comme Helvaetjhis , ou bien à Rotterdam lorsqu'un nommé Carpenter, François Réfugié, y tenoic l'Auberge du Maréchal de Turenne : mais cela n'arrive point dans une bonne Ville> où tous les Etrangers,je parle dc ceux qui veulent bien s'huma-nifer à manger à table d'Hôte , favent ce qu'ils dépenfent. L'Ordinaire eft réglé; le vin, le logement, tout a fonpàx fait. Il n'y a que les foupers qui font brè- brèche à la bourlè : c'eft à l'Etranger à y prendre garde. Quant aux Voitures, foit par eau ou par terre, elles font taxées, 6c il eft impoflible qu'on foit trompé , ii ce n'eft dans les tems de glaces ; pour-lors les taxes ceffant, il eft certain qu'on eft à la merci des Bateliers 6c des Charretiers. C'eft bien à tort auffi, que les Etrangers crient contre la Juftice; je la trouve plus jufte ici qu'ailleurs. Mais elle n'agit pas toujours avec la vivacité que le fouhaitcroit un Etranger, qui Couvent n'a ni le tems, ni les moyens, ni la volonté d'attendre. 11 s'en prend à la'Juftice, lorfqu'il devroit s'en prendre à la iituation de fes affaires. Je crains bien que vous ne vous en preniez, à moi, pour avoir abufé de vo? tre attention par cette longue Lettre. Je la termine enfin, en vous aflurant que l'on ne peut être plus parfaitement que je le fuis, ôcc. A Helvoeifluis, ce % Février 17j 3. du Baron de Pôllnitz. 301 LETTRE LUI. monsi eur, L'Inquiétude que vous me témoignez de favoir ii je fuis arrivé à bon port dans ce Royaume , eft trop obligeante pour que je n'y fois pas très fenfibie. Je n'en attendois pas moins d'un Ami tel que vous. J'aurois prévenu vos loins, fi je n'avois cru devoir reconnoitre un peu ce Pays avant que de vous entretenir de ce qui le regarde. Je me flatte d'être maintenant en état de fatisfaire votre cu-riolité. Mon palfage a été des plus favorables: en moins de dix-huit heures j'ai été rendu de Hehoetjluis à Hartuich , Port où arrivent ôc d'où partent les Paquetbots qui font le trajet entre ce Royaume ôc la Hollande. Har-wich m'aiant paru mériter peu l'attention d'un Voyageur , je ne m'y fuis arrêté que pour prendre des chevaux de relais, ôc luis venu en toute diligence à Londres: Cette Ville , qui pour (a grandeur, pour le nombre de fes Habitans, & pour fa richeffe,peut palier non feulement pour la Capitale d'un puiiTant Ko- Lon- Royaume, mais même pour la Capitale Jôrbs. de l'Europe : Cette Ville où règne la vraie Liberté; où les Arts font cultivés & protégés; où les Habitans, iaris vain faite, fa vent jouir de leur fortune; où le Mérite e(t conlidéré , & la N alliance comptée pour beaucoup lorsqu'elle eft accompagnée de !a Vertu : Enfin, cette Ville où l'on trouve encore de ces Ames Romaines, que les autres Nations admirent, mais qu'elles ne lavent point imiter. Londres , avec tous les attributs que je viens de lui donner, avec des Edifices facrés ôc profanes magnifiques, ne fau-roit ê:re placée au rang des plus belles Villes. Ses rues fales & mal pavées, fes mailbns de brique peu élevées , & fans ornement d'Architecture, noircies par l'impitoyable fumée de Charbon , lui donnent un air fombre, qui diminue beaucoup fes agrémens. La Rivière de la Tamfi fait la richeffe de Londres, &t l'on peut dire de toute l'Angleterre. AufTi les Habitans de cette Ville font-ils plus de cas de cette Rivière, que de tout autre avantage dont ils jouiflènt. C'eft ce qu'un vieux A-lder* vtan ofa faire conrroitre au Roi ÇharUf lt Ce Monarque étoit extrêmement irrité contre la Ville dc Londres. Le Lord-Maire & les Aldermans étant venus pour tâcher de l'appaiief , il s'emporta beaucoup Coup contre eux, & leur dit, qu'il fau-roit leur faire reifcnrir toute fon indi- D gnation , & qu'il transférerait fon Siège Royal à Oxford. Le vieux Alderman contrefaifant le fourd> & adreflant la parole à un Seigneur qui étoit préfent à l'Audience, lui dit afièz haut pour pouvoir être entendu du Roi : Que dit Sa Majefié, Mylord ? Voudroit-elle dans fa colère nous ôter la Tamife ? Voulant dire par-là, que le Roi ne pouvant ôter cette Rivière a la Ville de Londres, les Habitans ne fe foucioient pas qu'il allât demeurer à Oxford. Je n'ai véritablement rien vu de plus beau dans mes Voyages, que cette Rivière depuis ion embouchure jusques au Pont de Londres. Outre, qu'elle eft continuellement couverte de jNavires, de Bateaux & de Barques, qui montent ou defeendent fuivant le cours de la marée, fes bords préfentent difré-rens beaux objets. Ce ne lont que Bourgs, Villages, & Maifons de campagne. L'on y voit le grand & magnifique Hôpital dc Grcenwick) fondé fous Charles II. pour les Invalides de la Marine. Quoique ce bâtiment ne foit point encore achevé, il {>eut être compté au nombre des Edifices es plus confidérables de l'Europe, 6c ne le cède pas en magnificence à bien des Maifons Royales. Sa fituation eft des plus belles, & mérite feule qu'on y fallç un tour de promenade. Lo?t- Londres eft à la gauche de la Rivière,' dans un endroit où elle forme un Croif-fant. Le célèbre Pont , fur lequel la Reine Elifabeth fie expofer la tête du Comte â'EjJex, après l'avoir flatté départager fon Trône avec lui, a huit - cens pieds de longueur, & foixante de largeur: il eft bordé de maifons des deux côtés qui n'étant ni belles ni élevées , ne font qu'en borner la vue. L'Eglife de S. Paul, la Cathédrale de Londres, eft, après S. Pierre de Rome, le plus grand 6c le plus fuperbe Temple de l'Europe. Je ne fai même, fi elle é-toit précédée d une Place ou Colonnade pareille à celle qui précède la Bafilique de Rome, fi elle ne la furpafferoit pas en magnificence. J'entens pour l'extérieur, car pour les dedans , ils n'ont rien de comparable. La principale face dc S. Paul eft d'une Architecture que les anciens Romains , ces Maitres dans l'Art de bâtir, ne trouveroient peut-être point indigne de leur tems. Il eft vrai pourtant que cette belle face perd de fa ma-jefté, par deux petites Tours, ou Clochers , dans un goût allez. Gothique, qu'on a placés fur les deux angles de l'Edifice. Tout le bâtiment eft ifolé, & conftruit en croix , avec un grand Dôme au milieu. On y entre de trois côtes par de grands Portiques. La principal façade eft précédée d'une Place entourée * d'une i)U B aron de PoLLNlTZ. ^oc d'Une Grille de fer, où l'on voit au mi- Lot*, lieu la Statue en marbre blanc de la Rei- DRBS« • ne Anne, fous qui cette Eglife a été a-chevée, après avoir été commencée d'abord après le grand Incendie tous le Règne de Charles IL La Reine eft re-préfentée debout, avec toutes les marques de la Royauté. Elle tient dans fa main droite Un Sceptre , qui reffemble affez, à un cierge : on diroit qu'elle fait Amende honorable ; & franchement , cette Statue eft peu digne de la Reine qu'elle repréfenté, du Temple qu'elle précède, & de la Ville de Londres qui l'a fait ériger. Toute l'Eglife eft d'une pierre fort blanche, que la fumée, ce Beau de Londres, a rendu noire d'un côté. Les dedans font auffifimples, que les dehors font magnifiques. Le Dôme feul eft peint en grifaille. Le Chœur (car l'Eglife Anglicane en a confervé l'uiàge) eft fëparé de la Nef par un mur, qui n'aiant qu'une certaine hauteur, fou-rient les Orgues, qui fervent ainfi également à la Nef ôc au Chœur, Ôc qui . défigurent l'une ôc l'autre. Les Sièges occupés par le Lord-Maire ôc les Aider-mans lorsqu'ils affilient zuTe-Deum, font de bois, & conftruits comme les Forces des Chanoines dans nos Eglifes. Les fouterrains font très magnifiques: ils contiennent des Caveaux où fontdépofés ceux féjour à Rome ; il me dit l'avoir volé lorfqu'cn revenant de fon Ambaffade de Portugal, il avoit paflë à Londres chargé d'une commiffion de l'Empereur auprès du Roi George I. Il ajouta , que c'étoit le feul vol qu'il eût fait de fa vie , ôc qu'il s'en feroit un très grand fcrupule, fî cette Pierre étoit autant honorée en Angleterre qu'elle méritoit de l'être : mais que l'aiant vue négligée ôc méprifée, il n'avoit pu s'empêcher d'en fauver un morceau; qu'il avoit profité du moment que celui qui en étoit le Gardien avoit tourné la tête , Ôc qu'il avoit été afTez heureux pour en abattre avec une clé le morceau qu'il confervoit. Je lui dis,que je ne croyois pas qu'il dût fe faire un grand fcrupule de ce vol; que c'étoit au plus une Guinée qu'il avoit manqué de donner au Gardien de la Pierre ; que moyennant cette fomme, j'étois perfuadé qu'il en auroit eu un bien plus grand morceau , ôc peut-être que pour quelque chofe dc plus, on lui auroit livré toute la Pierre. Ah Dieu ! s'écria le Cardinal en levant les yeux au Ciel, je voudrois bien l'avoir achetée! On m'a tait voir encore dans l'Eglife de Weflminfter, la Chaife ou le Trône de pierre, qu'Edouard I. ce fier Conquérant de l'Ecofîe, enleva dc l'Abbaye de Scone Scone , ôc fit tranfporter à Wefiminfler, pour montrer aux Ecoflbis que toute Souveraineté étoit abolie chez eux. Depuis ce tems-là les Roi* d'Angleterre ont toujours obfervé de Vaffeoir dans ce Trône, le jour de leur Sacre. Le Palais de Wefiviinfter, où demeu-roient autrefois les Rois, ôc où le Parlement tient fes féances, n'a rien que de très fimple La Salle où fe fait le Feftin Royal le jour du Sacre, eft une des plus grandes de l'Europe. Celle où s'affem-blent les Seigneurs, & qu'on nomme la Chambre des Pairs,eft peu ornée, & leTrô-ne du Roi n'eft nullement magnifique: on dit qu'on doit bâtir inceflàmment une nouvelle Maifon pour la tenue du Parlement. Cette entreprife mérite d'être conduite par un habile homme ,1e Parlement de la Grande-Bretagne étant, après la Diète de l'Empire , le Corps le plus augufte de l'Univers. Lorfque ie Roi fe rend au Parlement, c'eft dans tout l'éclat de la Royauté : il y paroît avec la Couronne ôc les Habits Royaux. Son Trône eft au fond de la Salle :au-lieu que celui du Roi de France, dans la tenue de fes Lits de Juftice, eft placé dans un coin, aiant les Pairs à fes deux côtés, ici le Prince de Galles feul, comme Héritier de la Couronne, eft affis fur la même file avec le Roi,- les Pairs occupent les côtés ôc les bancs de tra-vcrfe. Je n'ai point encore eu l'honneur du Baron de Pôllnitz: 317 de voir le Roi dans fon Parlement, mais Lon-j'y ai vu le feu Roi fon Père ; je vous »RE»-allure que Tafpect. de cette augufte Af-femblée me fit naitre des fentimens de ref-pedt , que je ne fâche point avoir reffen-tis ailleurs. En voyant ce Roi, le meil* leur ôc le plus jufte des Rois, venir approuver ce que les Pairs du Royaume, ou pour mieux dire les Pères du Peuple , avoient arrêté , je crus voir Augufte au Capitole, approuvant les Décrets du Sénat, & le Sénat applaudifîant aux actions de l'Empereur. Toutefois ,1e Parlement n'applaudit pas toujours aux volontés des Rois: au contraire, il fait les contredire courageufement , lorsqu'ils veulent empiéter fur la Liberté publique. Il eft vrai que depuis la dernière Révolution qui priva la Mailbn de Stuard du Trône, les Rois ont toujours été fort unis avec leurs Parlemens. Tel eft le génie de la Nation : un Roi doux ôc jufte en eft aimé ôc refpecté ; il trouve les elprits aufli fournis, que le Roi Tyran les trouve oppolés. Tous ceux qui blâment les Anglois fur leur peu d'attachement pour leurs Rois, n'ont pas bien lu leur Hif-toire , ou fe plaifent dans l'Efclavage ; ôc ceux qui trouvent un Roi de la Grande-Bretagne à plaindre de ce qu'il n'eft point abfolu , fe font une fauffe idée de la Royauté. Un Monarque Anglois peut faire autant de bien qu'aucun cun Roi du Monde; mais il ne peut pas faire de mal. Qu'eft-ce qu'un Roi honnête-homme (pardonnez-moi cette ex-prclTion, ce titre n'eft pas indigne d'un Roi,) peut defirer de plus ? n'y a-t-il pas là deq loi fatisfaire fon ambition? ÔC eft-il poilible qu'un homme puiffe être trouvé à plaindre, pour ne pouvoir faire des millions de malheureux? Pour moi, je trouve que les Anglois qui ne défendent pas leurs Loix & leur Liberté, font auiïi criminels que ceux qui s'oppofent à la volonté de leur Souverain dans un E-tat où le Defpotifme eft une fois établi. Ce que j'admire dans les Anglois, eft non feulement la fermeté avec laquelle ils défendent leurs Droits, mais la manière dont ils le font. On voit dans les autres Nations, des Députés desParlemens, ou des Etats, faire à leur Souverain des Remontrances étudiées ôc concertées. Un Anglois, au contraire, fait fes Remontrances fur l'heure même; il écoute d'abord attentivement ce que propofe le Parti de la Cour, & s'il trouve la propo-fition contraire au bien de l'Etat, il s'y oppofe avec folidité , non avec des paroles fleuries 6c recherchées, mais avec force, alléguant les Loix, les Exemples, ôc repréfentant les inconvéniens des chofes. Le Seigneur Anglois facrifie tout a fa.Patrie; la Cour 6c lès faveurs font de foibles attraits pour lui ; il fait y renon-^ f' cet, cer, lorfqu'il croie que fon honneur l'en- Lon-gage à s'oppofer dans le Parlement aux in- »RES* tentions de la Cour ; il fe démet de fes Emplois. * Rarement un Roi a le plailir de difgracier : mais il a encore moins celui d'être folliciré par le disgracié de lui rendre là faveur. Un Anglois qui écriroit des Lettres comme BuJJi-Rabutin en a écrit à Louis XIV, feroit, je croi, autant méprifé en Angleterre, que Bujji a été cftimé en France. Les disgraciés ne font point fuis ici, comme ailleurs ; leurs Amis ne les abandonnent pas, & fouvent un Seigneur eft plus vifite dans fa difgrace , qu'il ne l'étoit dans fa faveur. Il me paroît que cette indifférence d'être bien ou mal à la Cour, eft pouflée quelquefois trop loin. On m'a conté à ce iujet, que la Reine Catherine de Portugal , Femme dc Charles IL y aiant fait défendre la Cour à une Dame dont la conduite lui donnoit du feanda-le, cette Dame lui fit répondre qu'elle lui obéiroit , & qu'elle aft'uroit Sa Ma- jefte • [On peut en donner pour exempte le Comte de Ckrfttrfitld & le Duc de Satrbermgh. Ces deux Seigneurs qui partageoient toure Ja ràvcnr du Roi, l'un £ortime Grand-Maitre, l'auirc comme Grand-Ecuyer de la Cour, ont quitté des Emplois fi coniidérables pour pouvoir plus librement, l'un s'oppofer au îa-nicux Bill de l'Aecife, l'autre ptotefter contre la réfection d'un autre Bill pour fountairc les Dignitaires au reffentiment dultfir.iftcre, lorsqu'ils i'opuoloient ■ iï* dclftin».] Lon- jefté qu'elle ne la reverroit que loriqu'ori r>re«. la pourroit voir pour fix fols. Elle vouloir, dire, lorfque la Reine feroit morte, 6c expofée à Weftminfter. Le Roi régnant aiant fait défendre, il y a quelques années, la Cour à la Duchcf-ie de Queensbury qui lui avoit manqué de refpect, le Duc Mari de la Dame , qui desapprouvoit fa conduite, fe démit pourtant de fon Emploi de Vice-Amiral d'EcoQè , 6c ne parut plus à la Cour. Mais la DucheiTe 6c lui ne laiffoient pas de paroître par-tout ailleurs, 6c rece-voient force vilites chez. eux. Un homme n'eft fui ici, que lorfqu'il a commis un crime, ou quelque lâcheté. Il n'y a point de Roi fervi avec plus de refpect, que l'eft un Roi de la Grande Bretagne. Les Pairs même le fervent à genoux. Sa Maifon eit extrêmement nombreufe ; fes Gardes font lclles , ôc compofent un Corps conlîdérable ; fa Cour eft toujours fort groffc, 6c rien ne lui manque enfin des honneurs de la Royauté. Depuis la dernière Révolution, un Roi n'eft refponfâble de rien : les Miniftres feuls peuvent être coupables ,6c doivent compte au Parlement du mal qui arrive. Le Roi régnant efl d'une taille au def-fous de la médiocre : mais il eft très bien fait, il a le port haut, un air fort iérieux, parle très peu, mais avec juftef- »u Baron de P^llnitz. 32? fe. Le François, l'Anglois & l'Italien Ldtf* lui font auffi familiers que l'Allemand. DRBSi* Il a beaucoup de lecture , ôc fait plus que ne favent ordinairement ceux qui font ceints du Diadème. Peu ébloui du faite ôc de la vaine grandeur, il ne donné point dans ia magnificence fuper-ftue : il eft ceconome fans avarice , libéral fans diflîpation : ennemi du Vice, ôc protecteur de la vertu : fbbre dans fa manière de vivre , ôc réglé dans fes mœurs : d'un tempérament vif, plein de feu ôc d'ambition j mais foumettant l'un ôc l'autre à la Râifon. ïl éft actif Ôc laborieux , connoiiïànt les affaires ; d'une conception ailée , ôc doué d'une mémoire admirable. Comme Prince E-leétoral, il a donné des preuves de fa valeur dans les Pays-Bas , aux Batailles d'Oudenarde Ôc de Malplaquet. Comme. Prince de Galles, il a fait voir que l'ad-verfué ne peut abattre fon courage. Et comme Roi ôc Electeur , il a témoigné qu'il fait pardonner l'offenlè jufqu'à l'oublier. Ses Peuples font heureux fous fon Règne ; il ne penfc en Angleterre qu'à maintenir la Paix ôc ia Balance de l'Europe , à faire fleurir le Commerce , Ôc a rendre la Nation une des plus pm'/Tan-tes de l'Univers. A Hanover, il eft Occupé à réparer par fes bienfaits la douleur qu'y caufe fon éloignement. 11 n'a point encore fait de malheureux depuis Tarn III. X qu'il Lon- quil règne ; & fi les bénédictions des dke5, peuples prolongent les jours des Rois, Sa Majefté Britannique peut efpérer un des plus longs Règnes. La Reine eft une Princelïè qui fait aimer en fa perfonne, tout ce qu'on eft obligé d'y refpecter. Son port eft ma-jeftueux , mais entremêlé de modeftie, & de douceur. Ses manières font des \ plus gracieufes. Son efprit, auffi folide que brillant, eft orné de mille belles con-noiffances. Elle a toujours regardé avec dédain tous les amuferaens de ion Sexe: mais particulièrement, elle n'a jamais aimé la parure. La lecture de Livres choi-fis a fait de tout tems un de fes plus grands plaifirs, & l'on peut dire que Sa Majefté eft une des favantes Princeifes de l'Europe. Aiant perdu fort jeune le Margrave de Brandebourg - jinfyacb fon Père , ôc Madame fa Mère PrincefTe de Saxe-Eife-nach s'étant remariée à Jean-George VI Electeur de Saxe, elle demeura fous la Tutèle de Frédéric Electeur de Brandebourg, depuis Roi de Frujfe ; ce qui nt qu'elle paffa une partie de là première jeuneffe à la Cour de Berlin , où l'Elec-trice, Sceur du feu Roi George I. lui fit .part de fa politefTe, & lui infpira les fen* timens élevés qui la rendoient l'admiration de tous ceux qui l'approchoient. La jeune Princeflè $Anff*cb étoit pour-lorS tout ce que la Nature avoit formé de Loh-plus parfait. Le bruit de fa beauté lui »RE8* attira les vœux de Charles III. Roi d'Efpagne , notre augufte Empereur. Ce , Monarque lui offrit fa main & fa Couronne. Mais la PrincefTe, fortement attachée à fa Religion, refufâ l'une 6c l'autre. Dieu la réfervoit, fans doute, pour faire le bonheur de la Grande-Bretagne. Elle époufa le Prince Electoral de Bruns* iwîck-Lunebourg. Quelques années après, elle vit , fans joie marquée, fon Beau-père 6c fon Epoux appelles à la polfeftion. d'un des premiers Trônes du Monde. J'étois alors à Hanov:rt 6c j'ofe vous afïu-rer que toute la Famille Electorale apprit fa nouvelle grandeur avec une modération qui la rendoit digne de fa fortune : mais particulièrement la Princeflè témoigna qu'elle étoit fortement perfuadée qu'elle pouvoit être heureufe fans Couronne , 6c que Ion Beau-père 6c fan Mari étoient déjà Rois , puifqu'ils mé-ritoient de l'êcre. Devenue PrincefTe de Galles , la Reine a fu iè ménager avec prudence, encre les deux Partis qui divi-foient la Famille -Royale. Le feu Roi avoit pour elle une véritable eftime, & elle y répondoit par un très grand ref-peét. Enfin devenue Reine, Sa Majefté contribue autant qu'elle peut au bonheur de fes Sujets. Le Roi lui fait part X 2 des Los» des Affaires, & dans Ton abfence il lui laifTe la Régence du Royaume. Parmi les félicités de Leurs Majeftés Britanniques, on doit compter la nombreufe Famille dont le Ciel les a bénis. Elle conufte en deux Princes & cinq Princeffes. L'Ainé , qui porte le titre de Prince de Galles, Tans être d'une taille bien élevée, a grand air; ôc il eft ai-fé lorfqu'on le voit parmi les Courtifans, de le reconnoitre pour le Maitre des autres. Il eft extrêmement gracieux , affable , doux, ôc poli. On peut dire dc lui, qu'il a véritablement le cceur d'un Roi. Peu de Princes font plus généreux. Il aime les plaifirs ôc la magnificence , il eft galant, a l'efprit pénétrant , parle beaucoup , mais avec discernement Ôc juftefTe ; il pofïède bien plufieurs Langues, l'Hiftoire ôc la Géographie; il eft adroit dans tous fes Exercices, & certainement il n'ignore rien de ce que doit lavoir un Prince de fon rang. Les Hanovriens , parmi lefquels il a été élevé, l'adoroient, ôc les Anglois ne lu* paroiffent pas moins attachés. Le jeune Duc de Cumberland, leçon» Fils de Leurs Majeftés, eft fait comme on dépeint l'Amour. Son efprit furpaiTc in-. finiment fon âge. 11 eft fort adroit, apprend avec une grande facilité. 11 P3*" Ici'Anglois, l'Allemand, le Latin # le François. Il me paroît, qu'on n'en Lom-peut pas demander davantage d'un Prin- drjes. ce, qui n'a pas encore treize ans accomplis. Des cinq PrincelTes, je ne vous parlerai que des trois Ainées, les deux Cadettes n'étant pas encore hors de l'enfonce. L'Ainée, qu'on appelle la Princeflè Roya~ le, a une taille parfaite, &un air de mo-deftie & de bonté qui lui attire les fufFra^ gcs de tous ceux qui la voycnc. Son caractère eft aullî doux que fa phyfionomie. Son efprit, détaché de toutes les bagatelles , eft d'une folidité qui furpalïè fon âge, La lecture de bons Livres, la convention de perfonnes de mérite, & la Mu 3 fique , font fes principales occupations. Elle eft extrêmement gracieufe & obligeante ; on la dit gcnéreufe & bienfai-fante. C'eft un plailir de la voir à cheval j elle danfe avec beaucoup de grâce j & afTurément elle a toutes les vertus convenables à fa haute naiflance. Les PrincelTes Amélie, & Elifabetk, fans être de ces Beautés éclatantes, ont des charmes perfonels, & des qualité» de l'ame, fuffifantes pour rendre un jouir quelque Prince heureux. C'eft par ces. Portraits de la Maifon Royale , que je terminerai ma Lettre, qui eft d'ailleurs alTez, longue. Je ne tarderai pas à vous donner la fuite de me* Remarques. En attendant, foyez affurc X 3 que ^2<5 Lettres que je fuis toujours avec un attachement inviolable} &c. A Londres, ce 12d'Avril 173?. LETTRE LIV. Monsieur, NOus en fommes à la Famille Royale , & à ce qui regarde la Cour, Celle-ci eft plus nombreufe que brillante , s'il eft vrai que ce font les plaifirs qui forment le brillant d'une Cour. Leurs Majeftés ne paroiiTent pas les aimer, du moins ces plaifirs bruyans , qui au-lieu de délaffer l'efprit, ce qui doit être le but des plaifirs, ne font que le fatigues. Il eft très aifé d'obtenir l'honneur de faluer Leurs Majeltés & la Famille Royale : on n'a qu'à fe nommer au Duc de Gtafton Grand-Chambellan du Roi, & à Mylord Grantham Grand-Ecuyer de la Reine. On va au lever du Roi, & à la Toilette de la Reine , comme on fait en France. Leurs Majeftés ne mangent en public que les Dimanches; I n'y a que leurs Eofans qui mangent alors avec Elles. La table eft en forme lon-de quarré long : le Roi & la Reine en dris. occupent le milieu, le Prince de Galles la droite , ôc les trois PrincelTes ainées la gauche. Le fervice s'y fait comme en France. La table eft placée au milieu d'une Salle entourée de gradins jusqu'au plafond, où il y a un nombre infini de fpec-fcateurs. La même Salle fert auffi pour le Bal, lorsqu'il y en a à la Cour. Il y a trois fois la femaine A-partement, qu'on appelle ici Dry-Room, ôc qui commence à dix heures du foir. Les Dames fe rendent vers cette heur« dans un Apartement de trois grands Salons, que la Reine Anne a fait faire, ôc qui font les uniques chambtes pafTables de tout le Palais de S. James. Le Roi y arrive , fuivi de la Reine à qui le Prince de Galles donne la main, ôc des PrincelTes fes Filles. Leurs Majeftés s'y entretiennent quelques momens, avec les perfonnes qu'elles veulent diftinguer. La Reine fait enfuite une profonde révérence au Roi, ôc fe met à jouer avec H Princeflè Royale, ôc deux Dames que Sa Majefté nomme. La partie ne dure or-^nairement qu'une heure. Leurs Majestés fe retirent un peu devant minuit. Les jours qu'il n'y a point de Dry-Raom, le Roi ôc la Reine affilient fouvent à l'Opéra ou à la Comédie. Dans les beaux jours, ils fe promenentdans le Parc de S. X4 Ja- James, ou dans les environs de Londres L'Eté, Leurs Majeftés font presque toujours à Kenjîngton, Windfor , ou Hamp-toncourt*. Ces deux dernières Mailons ont de la beauté. La première des deux fut bâtie par le célèbre Cardinal Wolfejr, Favori de Henri VIIï. On la regardoit comme la plus belle Maifon de l'Europe, avant que Louis XIV eût commencé de bâtir. Le Roi chafle peu : plus appliqué au bien de lès Etats,il s'occupe avec fes Mi-niftres Parmi ceux-ci le Chevalier Robert Walpole eft le principal , comme il eft auffi le feul Chevalier d'Angleterre qui ioit honoré de l'Ordre de la Jarretière. Ce Miniftre, autant applaudi par le Parti de la Cour , qu'il eft critiqué par le Parti contraire, eft généralement vénéré & eftimé dans toutes les Cours de l'Europe. On y reconnoit que c'eft fous fa direction que le Cabinet de S. James donne aujourd'hui le mouvement à toute l'Europe, qu'il eft l'Ame de tous les Conleils, de toutes les délibérations, & de toutes les réfolutions. 11 me paroît que le Chevalier Walpole a le fort de Mylord - Duc de Marlborough , qui, admiré de tout l'Univers, même de ceux à qui il a fait le plus de mal , étoit à peine confidéré dans fa Patrie , ^ qu'il combloit de gloire & de profpéritc. Je ne vous dirai-rien, pour cette fois , de- du Ba ron de pollnitz. 3*9 particulier du Caradère de ce Chevalier, low-parce que je n'en fuis point encore allez t>R*-s» bien informé. Comme je n'ai point à faire à lui, je le vois palier , & voilà tout. Je cherche un homme neutre, c'eft à dire, qui ne foit ni pour ni contre ce Miniftre, qui le connoilTe & qui puif-fe me le faire connoitre auffi. Si je fuis afïez. heureux pour trouver un tel homme , je vous ferai part des lumières qu'il m'aura données. En attendant, j'en en-tens parler comme de l'homme du Royaume le mieux inftruit des Loix , qui connoit à fond le fort & le foible de l'Etat , que rien n'épouvante , que rien n'étonne. Au(Ti n'y a-t-il point d'homme plus entreprenant ôc plus hardi. Il connoit parfaitement fa Nation, ôc poifède l'art de la favoir gouverner. Perfonne ne parle avec plus d'éloquence au Parlement. Il eft rare qu'il n'y faiïe paiTcr ce qu'il y propofe. Il décide, pour ainfi dire , de la Chambre Bafte. Ceux qui le contredifent le plus dans le Parlement, font le Chevalier Pultney dans la Chambre Baffe, ôc Mylord Straf-fard dans celle des Pairs. Vous lavez, que ce Seigneur a été longtems AmbafTadeur de la Reine Anne à la Cour de Berlin , enfuite auprès des Etats-Généraux , ôe Îue c'eft lui qui a; figné la Paix à'Utrecbt. I étoit Membre du Confeil - Privé, lorf- plus humains que nous , qui rafinons fur les Tortures &; les Supplices, comme fi ce n'étoit rien que de faire fouf-frir un homme, & que ce ne fut point allez dc lui ôter la vie , qu'aucun Monarque de la Terre ne peut prolonger d'un moment , encore moins rendre à celui à qui il l'a ôtée. L'Exécution des Criminels eft ici un fpectacle pour le Peuplé, par la fermeté avec laquelle la plupart vont au fupplice. J'en vis dernièrement cinq qu'on menoit au Gibet, & qui étoient parés & paroiffoient être contents , comme Vils alloicnt affilier à quelque Fête. Les Exécutions ne fe font pas avec un appareil au Qi effrayant qu'ailleurs, il n'y a pas ce nombre d'Archers, ni toute cette gravité qui en impofe quelquefois plus que le fupplice même. Un Criminel arrive ici au Gibet, en charet-te. Lorfqu'il eft directement fous la Potence, on l'y accroche, un coup dc fouet fait que le Cheval entraine la charette , fie le Criminel refte pendu. On m'a dit que les Amis & fes Proches vont le tirer par les pieds, pour l'expédier plus vite. Ceux qui meurent fans foiblelfe, font toujours comblés d'éloges par la Populace : le moindre de Y 2 leurs Lon- leurs Titres eft d'être morts en braves »ues. Gentilshommes. L'intrépidité confervée à l'article de la mort, fait un des caractères des Anglois. La Religion nous défend d'approuver ce mépris pour la vie : mais nous ne laiflbns pas de l'admirer dans les Romains, de qui les Anglois ont fans doute retenu l'ufage de terminer leurs jours lorfque la vie leur eft à charge. Ces meurtres de foi-même ne iont que trop en ufage ici , & on les y voit commettre par des gens bien nés, auffi - bien que par ceux de la lie du peuple, Je vous ai cité un exemple dans une de mes Lettres de Paris, d'un Relieur & de fa Femme , qui s'étoient pendus à Londres pour éviter la mifère qui leur paroiffoit inévitable. Je pour-rois encore vous en citer d'autres auffi triftes , fi je n'appréhendois que de fi lugubres objets ne vous fiffent horreur. Cependant convenez avec moi qu'on ne fait à quoi attribuer une fîngularité fi é-trange. Car enfin, les autres Nations ne témoignent pas par leurs actions avoir plus de Religion que les Anglois, ils ibnt tout autant fenfibles à leurs malheurs: il eft rare toutefois qu'un homme attente fur foi-même. Pourquoi ces gens-ci font-ils donc un jeu de la vie? Auroient-ils plus de fermeté, ou plus de foiblefTe? Beaucoup de gens fe font pendus par amour. Je vous avoue que fi j'étois af- Los* fez abandonné de Dieu pour en faire Ujoa*»* folie, ce feroit pour une Angloife. Je leur trouve un air de modeltie ôc de douceur, quelque chofe de timide, & une naïveté, qui me charment, des yeux tendres & langoureux, qui ne font pas du goût de tout le monde, mais qui font du mien , & qui à l'âge de vingt ans m'auroient mené fort loin. La plupart des Angloifès font bien faites, elles ont les plus beaux cheveux du monde, & ne doivent la beauté de leur teint qu'à la feule Nature : on a le plailir dc les voir rougir. Les plus libres confervent un air de pudeur, qui perfuade aifément qu'elles ne font point façonnées au Crime. Elles font ordinairement très richement habillées, mais pas avec tout le goût desFran-çoifes. C'eft la feule chofe que j'ai à leur reprocher. Il femble qu'elles s'étudient à le mettre à hur defavanrage. Leur habillement ferré par devant,avec des manches étroites & qui ne paflent pas le coude, les fait paroitre n'avoir point d'épaules ni de poitrine. Une troufliire allez platte & large, avec des juppes ou paniers fort étroits par le haut, & excelli-vement larges par le bas,achèvent de diminuer leurs grâces. Elles font toujours lacées, & il eft auffi. rare de voir ici une Femme fans corps, qu'il eft rare de voir à Paris une Femme habillée. Je voudrais Y 3 que que les Dames Angloifes imitafTent un> peu plus les Françoiles dans la parure: il me paroît que les Pompons, & mille Colifichets dont fe parent ces dernières, conviennent très bien à des Femmes. En revanche, je voudrais que les jeunes Seigneurs nimitaflent pas, comme ils fonc, l'air & les ajuftemens des François: qu'ils gardafïènt les manières de leur Pays, elles font plus convenables à des Hommes. On dit qu'entre les bonnes qualités des Femmes , elles ont celle de favoir prendre autant d'amour qu'elles en favent donner. Cela eft fort bien, & fort naturel : il me paroît que rien ne mefTied tant au Beau-Sexe, que la cruauté, d'autant plus que je croi qu'il eft poffible qu'une Femme aime, fans oublier la vertu. Les Femmes d'ici s'amufent peu à des ouvrages : leur occupation eft de faire des vifites, & d'en recevoir, d'aller beaucoup à la Cour, pour avoir le plaifir d'être vues ; ce qui véritablement me paroît être de tous les plaifirs, celui auquel elles font le plus fenfibles. La même raifon les conduit à la Promenade, au Concert & aux Spectacles. Dans tous ces endroits, elles gardent un grand air de retenue, » peine fè parlent-elles, leur éventail fait route leur converfation. Je me trouvai l'autre jour en vifite dans une maifon,ou il y avoit un Cercle de vingt Femmes, & pas un Homme. Elles fe regardoient. & ne fe difoient mot. Trouvez-moi, fi Lon-vous pouvez, vingt Femmes ailleurs qui DKES* demeurent ainfi tranquilles. Au refte , les Femmes jouilfent ici d'une grande liberté. On les voit fortir le matin avec un mafque de velours noir fur le vifage, une coiffe faite en forme de chapeau dont les bords font abattus, une robe détrous-fée, avec un tablier blanc devant elles. Ainfi ajuftées elles viennent au Parc, & vont où bon leur femble. Elles fe promènent beaucoup à cheval. Enfin, elles font ce qu'elles veulent. Les Maris font rarement de leurs parties, & s'informent peu de leurs allures: trop Philofophes & trop raifonnables pour faire dépendre leur Honneur de la Vertu de leurs Femmes, que je croi véritablement moins en danger ici que par-tout ailleurs, le génie des Anglois n'étant pas de filer le parfait a-mour. Je fuis perfuade qu'Hercule ne fera jamais imité ici dans fon amour pour Omphalc. Les plaifirs de cette grande Ville font des plus diversifiés. Cependant, j'ai connu des Anglois qui revenant de Paris, trouvoient qu'on mouroit d'ennui à Londres. D'autres ont voulu me foutenir qu'on fe divertiffoit mieux à Rome. Vous favez, Monfieur, ce que je vous ai dit des plaifirs de ces deux Villes. Après que je vous aurai parlé de ceux de Londres, tels qu'on les y prend, ou qu'on les y Y 4 peut peut prendre, je vous prendrai pour juge entre ces Anglois Francifés ou Italianilés, & moi. Un homme raifonnab!e,favant,dévot, en un mot un Homme, trouve ici à s'af-fortir. Je défie qu'il le fafTe mieux au-delà de la Mer. Le Dérègle, ou pour mieux dire, le Débauche, ne trouve rien qui l'arrête. L'homme du Monde, que je mets entre deux, a dequoi le fatisfaire. Comme l'Efpèce de ces derniers eft la dominante, parlons à les occupations. Il fe lève tard, s'habille en Frock, (c'eitun jufte-au-corps fans poches & fans plis, avec des manches étroites,) laiffe là fon épéèj prend une canne, 6c va où bon lui femble. Sa courfe finit ordinairement par le Parc, parce que c'elt la Bourfe des gens de qualité. 11 trouve à s'y appareiller, pour quelque partie qu'il propo-fë. Il s'en retourne changer d'habit, Se tombe enfuite au Caffé ou dans la maifon de Chocolat, où a coutume d'aller cehù à qui il veut parler j car les Anglois iè font une efpèce de Loi, d'aller du moins une fois par jour dans ces fortes de maifons- ils y parlent d'affaires & de Nouvelles, lifent les Gazettes, & louve nt fe regardent fans fe dire mot. Cela eft fort heureux, car s'ils aimoient au-tant à caufer que bien d'autres Nations, Jes Caftes ne feroient pas praticables,on pe s'y entendrait point, tant il y a de inonde duBaron dePollnitz, 347 monde. Le Chocolat de la rue S.James, Lon-où je viens perdre mon tems tous les UR£Si matins, eft toujours rempli à ne pouvoir s'y tourner. Ducs, Pairs ■ & Gentilshommes , tout y eft mêlé : il ne s'agit que d'être habillé comme un honnête-homme. A une heure on va à la Cour, on voit habiller le Roij enfuite on paffe chez la Reine, où il y a ordinairement grand nombre.deDames fort parées. Sur les trois heures, chacun prend fon parti. Les dîners font pouffes fort loin, & les parties de Cabaret fort en ufage. Dans les maifons, les Dames fe retirent après le repas ; les Hommes relient à table. On en ôte la nape, oc les Valets y pofent u-ne bouteille de vin, ou plus, li tous les , Conviés ne boivent pas du.même vin, a-vec des verres bien rincés j ôc puis le retirent. Un feul refte au Buffet. La bouteille fait la ronde, chacun en verfe ce qu'il lui plait, ôc boit ce qu'il veut ; mais l'on boit toujours trop, parce que l'on boit trop longtems. Au fortir de table, dans les beaux jours on retourne à la Promenade, foit en ca-roffe dans le Hiae-Parck où fe fait le Cours, fbit à pied dans le Parc de S. James. L'Hiver, on fait des vifites jusqu'à l'heure des Spectacles. Ceux-ci méritent bi en un Arricle feparé, ôc vous l'aurez tout du long. Au fortir de l'Opéra ou de }a Comédie, on va à rAflèmblée,qui T 5 eut eft alternative tantôt chez un Seigneur, & tantôt chez un autre ; ou bien on fe rend à la Cour au Dry - Room. A minuit, on va louper. Les parties de Cabaret font plus animées, ôc Bacchus eft ordinairement fécondé par Vénus. On fe retire au jour. Jugez, après ce que je viens de vous dire, fi un Jeune-homme n'eft pas autant occupé à Londres, qu'à Paris & à Rome. Croyez-moi, c'eft un air que fe donnent ceux qui diknt qu'on s'ennuye dans cette Ville. Dans les maifons particulières, on mange avec autant de propreté ôc de délica-teffe que dans Pays du monde. On n'y fert ordinairement que trois plats à chaque fervice, Ôc fou vent même on fert plat à plat, ce qui fait qu'on mange toujours plus qu'on ne voudroit, ôc qu'on pafTe beaucoup de tems à table. Le boeuf eft excellent ici, ôc je m'accommode très bien des Rondins, qui font faits de farine, d'eeufs, de mie de pain, ôc enfin de mille chofes que j'ignore,- mais le tout enfemble fait un très bon mets. Un ufage établi dans ces maifons , Ôc dont vous vous accommoderiez fans doute, c'eft que la première fois qu'on y eft introduit, on baifê, à la vérité très mo-deftement, les Dames du logis. On a le plailir de les voir rougir, comme fi elles faifoient un crime. Un lècond u-J&ge moins agréable que le premier, ett feu Baron de Pollnitz. 347 qu'après avoir mangé quelque-part, il faut lok-donner aux Domeitiques. Ce qu'on don- dr*s. ne doit être proportionné à la grandeur du Maitre chez qui l'on a mangé; de forte que li un Duc me donne à dîner quatre fois par femaine, fes Valets m'emportent ce que je dépenferois pendant huit jours dans un Cabaret. Je fuis fur-pris que les Anglois ne réforment point cet ufage, eux qui d'ailleurs font fi magnifiques, & qui payent fi largement leurs Domeftiques, que je croi qu'il n'y en a pas de plus heureux dans le monde. Les Cabarets font exceflivement chers: mais on y eft proprement fervi. Je les préfère en cela aux Cabarets de Paris, ou le linge de table eft ordinairement très gros ôc très vilain. Les Affemblées font fi nombreufes , qu'elles ne font pas praticables. Cependant , il n'y a ordinairement que trois ou quatre tables de Jeu. Presque tout le monde lè tient debout. On fe remue comme des Fourmis, on fe pouffe, on fe paffe, on fe demande pardon, on fè làlue, & on fe demande comment on fè porte. Il eft comme impoflïble d'y lier converfation. L'Affemblée la plus belle ôc la plus nombreufe de l'Europe, eft celle qui fe tient au grand Théâtre de Hay-Market, les jours de Bal. Je puis dire n'avoir jamais vu de plus beau fpedtacle. On y comp- l_,nN. compte quelquefois jusqu'à trois-mille durs, perfonnes. Chacun paye une Guinée, pour laquelle on eft fervi de tous les ra-fraichifiemens ôc de tous les vins imaginables, avec un Ambigu fuperbe. Toute cette nombreufe Aflèmblée fe tient dans plufieurs Salles richement décorées, ôc parfaitement bien éclairées. On danfe dans plufieurs, 6c on joue dans les autres. La Fête commence par un Concert, compofé de tout ce qu'il y a d'habiles Muliciens dans Londres. Le Bal commence enfuite, 6c ne finit que le lendemain au matin. Souvent ces Bals font masqués; alors le Roi 6c le Prince de Galles l'honorent de leur préfence. La Reine Ôc les PrincelTes n'y paroifîent jamais. De quelque manière que fe faite cette Fête, tout le monde y vient toujours fort paré; les Dames fur-tout font toutes brillantes de pierreries, car il n'y a point de Pays au monde où il y ait de plus beaux Diamans. Les Danfes An-gloifes font des Contredanfes, qui demandent beaucoup de monde: toutes les perfonnes qui les compofent, fe joignent iuccelïivement, ce qui donne lieu à faire des connoiffanecs. Les Airs font fort gais, ôc il me paroît qu'ils feroient plus convenables à la vivacité Françoife, qu'à la tranquillité Angloifè. Quant aux Spectacles, les Anglois les aiment, & en ont plus qu'aucune autre r Na- Nation. Ils ont un Opéra Italien, qui Lon-eft le meilleur & le plus magnifique de l'Europe. On y paye une demi-Guinée pour les moindres places, ôc une Guinée pour les autres. 11 y a toujours un grand concours de monde. Cependant, cela ne fuffit pas pour payer les Acteurs : plufieurs Seigneurs contribuent à leurs appointemens, qui font excefïirs. Aufliy a-t-on les meilleure voix de l'Italie. Un Acteur nommé Senofmo a quinze-cens pièces par an, encore eft-il comblé de préfens. La Mufique de ces Opéra eft ordinairement de la compofition d'un nommé Hcndel, que beaucoup de gens eftiment au-delà de toute expreffion, ôc que d'autres regardent comme un homme ordinaire. Quant à moi, je trouve fa Mufique plus iàvante que touchante. Les Décorations font très belles, ôc la Salle eft fort grande, ôc beaucoup plus belle que celle de Paris. On eft affis dans le Parterre ; les Dames forment des demi-cercles, de forte que tout le monde fe voit en face: ce qui fait un fort bon effet. J'oubliois de vous dire, que tout eft bien éclairé de bougies. On dan-fe dans les Entre-Actes, lorsqu'il n'y a point d'Intermède burlesque. Outre l'Opéra Italien, il y en a encore un Anglois, où l'on ne chante que lea Airs, le refte eft récité. Cela me paroît plu5 raifonnable que lorsque tout eft eft chanté : du moins un homme ne chante point en fe tuant, ou en fe battant. La Comédie Ang'oife eft fort eftimée par les Anglois, & a été fort critiquée par les François , qui trouvent qu'elle n'eft point comparable à la leur. Les Beaux Ffprits des deux Nations ont traité très férieufement cette importante matière, & ont fait voir également de pré-fomprion. Je n'ai garde de décider entre eux. Cependant, je vous dirai qu'il me femble que les François font trop gênés par leurs Règles , & que les Anglois ne fe contraignent point allez. Les deux Nations font ainlî connoitre leur différence de goû: , l'une pour l'Obéif-fance, & l'autre pour la Liberté. 11 me paroît que fî les Anirlois n'obfervent point la fimplicité du Sujet , & l'unité du Lieu , ils abondent en penfées heu-reufes. Au refte, quelque prévenus qu'on les dife pour leurs productions , ils ne laiflènt pas d'eftimer les Pièces Françoi-fes où ils trouvent des penfées qui leur conviennent. On vient de traduire ici la Tragédie de Brutus par Voltaire. Cette Pièce a eu même plus de fuccès à Londres qu'à Paris. Auffi l'Auteur l'avoit-ii compolèe en Angleterre : tout imbu de la façon libre de penfer des Anglois, il avoit en quelque manière oublié qu'il e-toit François, & il v parle des Rois comme fi c'étoient des Hommes. ^cs Les Spectacles m'engagent à vous rap- tMti porter tout de fuite les plaifirs qui pa-roiffent être du goût de tous les Anglois. Ils chaffent beaucoup, & d'une manière fort différente de la nôtre. Ils courent extrêmement , & ils pourfuivent un Lièvre avec autant d'ardeur qu'ils pourfuivent leurs Ennemis après les avoir mis en déroute. Leurs Chiens & leurs Chevaux fécondent leur ardeur , & n'ont point leurs pareils pour la vîceflè; aufîi l'Angleterre fournit-elle de Chevaux ôc de Chiens presque tous les grands Seigneurs de l'Europe, comme le Danne-raarc leur fournit des Faucons. Cette vîteffe des Chevaux Anglois fait qu'il y a des Courfes de Chevaux tous les ans, à un Lieu nommé Newmarket, Ôc c'eft proprement ce que les Voyageurs appellent une chofe à voir. Ces Courfes fe font plufieurs jours de fuite , ôc fur-paffent infiniment celles qu'on voit en Italie. Elles fe font en rond Deux Chevaux montés par des Palefreniers, fe disputent la vîtefle. On pèfe les Cavaliers, Ôc on ajoute au plus léger le poids donc il diffère d'avec l'autre. Ils courent fans felle,- avec une telle rapidité, que la vue a peine à les fuivre. Il fe fait dans ces °ccafions des gageures de plufieurs mille livres fterling ; il femble que ce foit une Fête à l'honneur de Fbtus Dieu des Ri-chef- Lon- cheffes: les Guinées pleuvent fur le Pâ-bre5. ]efrenier qui remporte le Prix , chacun s'emprefïe de lui donner. Tel eft l'ufa-ge des Anglois : non contens, de payer largement ceux qui contribuent à leurs plaifirs,ils les comblent de préfens C'eft ce quife voit à tous les Combats d'Hommes, aux Danlèurs de Corde, Sauteurs & femblables Spectacles : chacun jette de l'argent fur le Théâtre , pour celui qui a le mieux fait fon perfonnage. Les Acteurs de l'Opéra & les Comédiens ont auffi des gratifications ; chaque Acteur a un jour dans l'année, auquel la recette de l'entrée eft pour lui. 11 eft affiché au profit de qui eft la repréfenta-tion : s'il fe trouve que c'eft pour un Sujet aimé, chacun envoyé prendre plus de Billets qu'il ne lui en faut, le tout pour favorifer l'Acteur. Cette libéralité des Anglois envers ceux qui leur font plailir, s'étend particulièrement envers leurs Ivlaitrefles ; rien ne leur paroît trop beau ni trop cher pour elles. Ce n'eft point à des foins, qu'ils veulent devoir les faveurs qu'ils reçoivent ; c'eft à leur argent, & à leurs préfens. En cela fort différens de certains Abbés de Kome> dont cinq ou fix fe cottifent pour fournir au néceffaire d'une Maitreffe. Ces Abbés me font fou venir , qu'il j en a beaucoup ici qu'on nomme Chapelains, dont l'air de profpérité fait aflèz con- du Baron de Pollmit'z. 353 connoitre que dans la Réforme de TE-glife Anglicane on n'a pas fort altéré dres. leurs revenus. Je ne fai li ces Meilleurs font plus fages que nos Eccléfiaftiques : les apparences me feroient presque pen-fer qu'ils ont la même ambition, le même defir des richelfes, la même inquiétude; enfin, qu'ils (ont également Hommes. La différence eft, qu'ils font fournis aux Loix, que leurs pallions rte peuvent éclater , Se que la fuperftition ne les fait pas regarder comme des Oracles. On dit que leurs Sermons font admirables, & qu'ils tendent toujours à réformer l'Homme, & à le conduire dans le chemin de la Vertu. Ils les lifent, au-lieu de les réciter par cœur; ce qui les empêche de donner dans la gefticu-lation outrée, 6c dans ces Enthoufiasmes forcés, qui fouvent irritent plus qu'ils n'édifient. Mais c'eft allez vous entretenir des Eccléfiaftiques , lorsque je ne ' devois vous parler que de plaifirs. CeuX du Peuple font les Combats d'Animaux, de Gladiateurs, de Luteurs; en un mot, tous les fpectacles qui peuvent contribuer à faire verfer du fang. Les blefïures font comptées ici pour rien, 6c la mort pour Peu dc chofe. Je croi que les Anglois font defeendus de Mutius Scevola, car, comme ce Romain, ils mepriient la douleur. Parmi les plaifirs du Peuple, il y en a auffi qUi font mêlés d'infolencc. Tome lu, Z J'ca . j'en vis un exemple, il y a quelques jours, dans le Parc de S. James. Un homme a-voit fait un pari, qu'il feroit le tour du Parc dans un certain nombre de minutes. Pour être plus léger à la courfe, il s'é-toit deshabillé au point que fa main lui fervoit de feuille dc figuier. Dans cet état de nature, il traverfa tout le Mail, où il y avoit un monde infini. Les Dames, étonnées d'un pareil fpe&aclc, ne favoient quelle contenance tenir; les u-nes détournoient la tête , les autres fe couvroient de leurs éventails : mais toutes fe rangèrent, ainfi que les Hommes, pour le laiifer pafïcr. Après avoir achevé fa courfe, il reprit tranquillement fes habits près de Whitehall où il les avoit laifîës ; Ôc comme il avoit gagné la gageure, beaucoup de gens, loin de le blâmer de fon infolence , lui jettèrent de l'argent. Jugez, par - là , fi rien égale la douceur ôc le bonheur de la condition des Anglois. Je ne dois point oublier parmi les plaifirs de cette Nation, de nommer les Parties de Campagne. Les Anglois en font un cas extrême ; ôc véritablement , ils ont raifon, -leur Campagne étant d'une grande beauté. Elle leur produit tout, excepté du vin ; la verdure y paroit toujours nouvelle; les Maiions de plaifance des Seigneurs font fuperbes ; ôc c'eft a la Campagne que les Anglois vivent avec magnificence, ils y paroifïent véritable- l0#-ment Seigneurs: au4ieu qu'à Londres, URES-. ;v, la plupart vivent en amples Particuliers. Les environs de Londres, particulièrement le long de la Tamife , iont tout ce qu'on peut voir de plus agréible. Je ne conçois pas comment, lorsqu'on eft né Anglois 6c qu'on jouit d'une forte de fortune , on peut le réfoudre à quitter ces Contrées ; comme font cependant beaucoup d'Anglois, qui préfèrent àl'An-gleterre, des Pays moins favorifës de la Nature. Je vous avoue que ii j'avois mille livres fterling de revenu, je renoncerais à tout ce que la Fortune pourrait m'offrir de plus brillant ailleurs. Le Climat ici eft doux, l'on n'y reflent jamais ces excès de chaud ou de froid, dont on eft accablé dans les autres Pays, A la vérité, cela eft caufe que les fruits ne font pas auffi bons ici qu'ailleurs, &c qu'il n'y vient point de Rai (in : mais ce mal eit réparé par les Raifins d'Efpagne 6c de Portugal, que les Vaiffeaux apportent en abondance. Un des grands agrémens de la Campagne d'Angleterre, eft que vous n'y voyez point de Payfan miièrable.- tous iont bien logés, bien vêtus, 6c le nourriffent bien. Leur fort eft plus heureux que ce-lui de bien des Gentilshommes, dans des -Provinces de ma connoifl'ance. On n'y 7* 2 ton- Lon connoit point cette fubordination excefît-»res. ve, qu'exigent ailleurs les Grands. Un Gentilhomme qui rend vifite à un Seigneur, en efl reçu comme fon égal, Ôc on ne lui fait point fentir la différence que le hazard de la naiffance a mis entre le Seigneur chez qui il eft , Ôc lui. Cela n'empêche pas que les Grands ne foient fort honorés ici : dès qu'ils font civils, chacun s'empreffe à avoir pour eux toute forte de déférence; mais perfonne ne croit être fait pour efluycr leurs hauteurs. Les Grands époufent ici, comme en France , des Demoifelles d'une naiffance inférieure à la leur. Il eft vrai qu'il faut faire une grande diftinétion entre le Marchand Anglois, Ôc les Marchands des autres Pays Les Anglois font fouvent iffus des plus grandes Maifons du Royaume, ôc l'on en voit fortir de leur Comptoir, pour être Pairs , lorsque par droit de fucceffion de Cadets, ils parviennent à être Aines de Maifons. Ainfi , lorsqu'un Seigneur époufe la Fille d'un Marchand, il époufe quelquefois fa Coufine, ou une Demoiielle d'une Maifon diftin-guée; au-lieu qu'en France, c'eft toujours la Fille d'un Roturier. Voilà, Monfieur, le peu de Remarques, que j'ai faites fur ce Pays; je fou-haite qu'elles puiflent vous amufer. Comme je compte d'y faire encore quelque i'éjour, je pourrai vous envoyer dans la fuite j les obfervations que j'y aurai faites. En attendant, continuez.- moi l'honneur dc votre iouvenir, & foyez très perfuadé que perfonne au monde n'eft plus particulièrement que moi, &c.  Londres, ce 4 Mai 175?. Z 3 ETAT ETAT ABREGE DE LA COUR DE SAXE, SOUS LE REGNE T?AUGUSTE III ROI DE POLOGNE E T ELECTEUR DE SAXE. Z4 au roi. SIRE, 7 TN Ouvrage, dans lequel il eft parlé de Votre M a j e s t e', de la Reine fon Augufte Epoufe , & ^Princes & Princesses /es Enfans , convient à fi jufte titre de lui être prefenté, que fofe, SiRE,/f mettre refpettucufement à vos pieds, vous fuppliant très humblement de P agréer, comme un témoignage du defir que j'ai de manifefter votre gloire, & comme un gage de mon humble recomioiffance pour tous les bienfaits qu'il Vous a plu de répandre fur moi. Comme Prince, <& comme Roi, je Vous ai trouvé, Sire, compâtijfant <& généreux. Souffrez, donc, que je publie à toute la Ter-9"e , que fi Vous portez le nom du grand Auguste, Vous faites dans ce Siècle, comme a fait cet Empereur da?is l'Antiquité, l'ornement <& l honneur de l Univers. Vous êtes, Sire, ennemi des louanges, je dois rejpeéïer votre modeftie. Votre ^ajkste', fattsfaite de faire du bien, Ve cherche de relief que dans fes aftionsmê-fnes. L'offrande des cœurs & les vœux de % 5 fi* %ti E P I T R E: fes Sujetsylaifuffifent. Ce n'eft point à un particulier tel que moi , à louer un Roiy pour qui l'Encens ne peut être agréable, que lorsqu'il lui eft offert par l'unanimité' de fon Peuple. Daignez cependant , S ire , me permettre que je m'unijfe à ces fortunés Sujets , qui ne cejfe?it de bénir Votre Règne. J'ai l'avantage fur eux de Vous être fournis & attaché uniquement par mon panchant, fondé fur la connoijfante des Vertus toutes Royales de Votre Majesté'. Je m'eftimerai heureux, S I RE, de n'être point defavouéparVotre MajES* te', & de pouvoir me dire tout le tems de ma, vie avec le plus profond refpe£è> SIRE, DE VOTRE MAJESTE Lé tris humble, très obtient & tris fournis [ervittur, Chaules-Louis Baron de Pôllmt*' AVER- AVERTISSEMENT. L'Etat Abrège' de la Cour de S axe , qu'on donne ici , n'a pas befoin de Préface pour en recommander la lecture. Le feul Titre fait voir, que la matière en eft intèreffante pour tout Saxon. Tout Sujet fouhaite de connoitre fon Souverain , & chaque Particulier dans un Etat délire de connoitre les Minif-tres, & les Courtifans. Ce font de ces Portraits, que j'ai ofé tracer ; j'avoue toutefois, que c'eft fans me flatter d'avoir réuffi : il faudroit pour cela avoir cette pénétration & cette délicateffe d'eiprit que la Nature , marâtre pour moi, m'a refufées. Il feroit même néceffaire, pour rendre mon entreprife plus heureu-ïe , de m'être arrêté plus longtems à Dresde que je n'ai fait. Trois mois de féjour dans une grande Cour, fuffilènt à peine pour en donner des lumières à un Homme auffi éclairé, que je fuis borné. Comment avoir, après cela, la préemption de croire d'y être parvenu ? Je ne diffimule pas, que, malgré l'imperfection qui fe pourra trouver dans ce Livre,fa compofition ne m'ait coûté plus de peine , que ne f auroit fait un autre beaucoup p]us étendu , dont la matière m'auroit été plus familière. Il m'a falu tirer des informations fur bien des parti- cu- cularités, & même à la dérobée. Je dois à la politefle de Mr. le Confeiller de la Cour Kônig, des Inftructions qui me manquoient, fur ce qui regarde quelques Seigneurs de la Cour. Si j'avois eu le bonheur de rencontrer une ou deux Perfonnes officieufes comme lui, mon Ouvrage en feroit plus correct , & plus é-tendu. Je fuppîie ceux qui le liront, de l'agréer tel qu'il eft , & de me pardonner les fautes qu'il peut y avoir; en ce que je fuis le premier qui ait ofé traiter un tel Sujet. Il y a de la témérité en cela j j'en conviens. Mais un motif fi noble m'a fait agir, qu'il me paroît ex-cufable. Toute la Saxe eft informée en général, qu'elle eft régie par un Souverain débonnaire, & attentif à la rendre heu-reufè. Il étoit inutile de lui expofer leS Vertus & les Actions du Roi; elle les admire, & fait des vœux pour lui. Mais, comme ce grand Prince a des envieux de fa Gloire, j'ai voulu les confondre» & ramener, s'il eft poffible, ceux qu'un aveuglement funefte écarte de Sa Majefté, Tous ceux qui ont approché A u g vs* TE III, conviendront avec moi, qul1 orne le Trône fur lequel une Nation refpectable l'a placé; & que tout «que j'ai dit de ce Monarque, eft au-deflouS de ce qu'on en peut dire. Comment de- AVERTISSEMENT. 365 peindre au vrai un Roi né fans vices, vertueux par principes, & bon par Religion ? L'admirer dans le filence , eft le feul moyen de lui plaire ; j'en fuis trop in-ftruit, pour ne m'y pas conformer: je n'ai donc ofé m'étendre à fon égard, autant que la grandeur du Sujet le demande. Le même éloignement de la Reine pour les louanges, m'a fervi de bornes. Combien de Vertus ne m'a-t-il pas falu fupprimer, que de penfées ai-je dû immoler, pour ne point ofîenfer la noble modeftie de cette augufte PrinceiTe, qui, fimple dans la Grandeur, fait confifter fa gloire à être humble au comble des Honneurs ? Je penfe que perfonne ne me dcfavoue-ra fur ce que j'ai avancé de Monfeigneur le Prince Royal & Electoral, des MeiTeigneurs les Princes ses Frères, & de Mesdames les Princesses ses Soeurs. L'ef-pérance que je fais envifager, fur ce qu'on a à attendre de Leurs Altesses Royales, fera toujours confirmée par le tems, & par tous ceux qui en approchent. Les Adions du Duc Jean-Adolphe de Saxe Weijfenfels font fi établies, que j'ai cru ne devoir pas anticiper fur l'Hiltoi-te qui doit les confacrer. La même rai-fon m'a fait être court fur les belles qualités $6 AVERTISSEMENT. litesde fon Ame, que la Cour & l'Armée révèrent. Quant à ce qui regarde Madame la Princeflè de Saxe-Weiflenfels, j'avoue ingénument , que n'aiant point eu l'honneur de lui faire ma cour , je n'ai pu parler de fes Vertus que fur la voix publique, qui n'en peut affez faire l'éloge. je me fuis plus étendu en parlant des - Miniftres : ce que j'en dis eft conforme à la vérité. De forte que ceux qui ne les connoifîènt point, pourront s'en former une jufte idée. J'ai nommé les principaux Seigneurs, & les Dames les plus diftinguées de la Cour, autant que le peu de tems que j'ai employé à cet Ouvrage, & l'Abrégé dans lequel je me fuis reftreint, me l'ont permis. Je me flatte qu'ils me pardonneront la franchife avec laquelle je parle d'eux -0 & je crois avoir allez, ménagé mes termes, pour ne me point attirer de reproches. ■ ETAT etat abrege DELA COUR DE SAXE. £&'S?*2?«2?#«H?'H? # %%%% L 2> «SV^re*? Perfonne .du ROT* AUguste III , Roi de Pologne, Grand-Duc de Lithuanie , 6c Electeur de Saxe , naquit le 7««* Octobre 1696. Il efl: Fils unique d'Augufte II, dernier Roi de Pologne, 6c d'Eberhar-dîne de Brandebourg-Èareuth. Son Aieuv le Amie PrinceiTe Royale deDannemarc, Veuve de Jean-George 111 , Electeur de Saxe, prit loin de fon enfance, 6c lui imprima ces fentimens de Piété, d'Humanité 6c de Juftice, qui le rendent aujourd'hui les délices de fes Peuples 6c l'exemple des Rois. Lorsqu'il fortit des mains des Femmes, le Roi fon Père le confia aux foins de Mr. de Miltitz, Homme dc naiifance , qui par fon érudition, fes bonnes mœurs, ôc Fa vertu fonde, étoit digne d'un tel Emploi. Prince, pour qui la Vertu a tou>j ■ ^ jours jours eu des charmes, reconnut le mériter de fon Gouverneur. Il l'aima , prit de l'attachement pour lui, & recevoir fes avis avec une docilité, qui dans un âge tendre dénotoit déjà ce fonds deSageffe, qui le rend aujourd'hui digne du Trône. Pendant que le jeune Prince avoit été fous la conduite des Femmes, Dieu avoit touché le cœur du feu Roi. Ce Monarque, Luthérien par le fort de fa naiifan-ce, avoit reconnu la Religion Catholique , ôc peu de tems après avoit été élu Roi de Pologne : de forte que Sa Majefté, convaincue de la fainteté de la Religion qu'Ellc avoit embraffée, fongea à la faire connoitre au Prince fon Fils. Cependant, la déférence refpectueufe que le Rci avoit pour S. A. R. fa Mère, fit qu'il ne voulut pas que le jeune Prince renonçât en préfence de cette augufte PrincefTe à une Religion qu'elle lui avoit enfeignée , ôc à laquelle elle étoit fortement attachée. Il réfolut de l'éloigner & de l'envoyer à Francfort, pour aftifter à la Cérémonie du Sacre de l'Empereur Charles VI. Mr. de Miltitz, l'accompagna dans ce voyage; mais comme l'attachement de ce Seigneur pour les Dogmes de Luther faiioit appréhender au Roi qu » ne portât obftacle à fes defleins, il le rap-pella, ôc nomma pour Gouverneurs de fon Fils le Comte de Cofit, Ôc le Baron 6c PrincelTes de la Maifon de Saxe font Princes du Sangi particulièrement ceux qui font ilTus de la Branche Albert ne, comme dépendant avec le Roi, de l'Electeur Jean - George L qui forma les quatre Branches , lavoir , VEleùlorale , Weijfenfels, Merfebourg, Zritz. Comme ce n'elt ici qu'un Etat abrégé de la Cour à?Augufte lit. on ne parlera que des Princes qui réfident à cette Cour. . Jean-Adolphe, Duc de S a x e-"Emjenfels, naquit le 4»ne Septembre 168^ Il efl: d'une taille avan-tageufe; fon air, les manières , fa façon de penfer tiennent de fa naiiïance ; ja-îaais Prince ne fut plus digne de l'c-tre- Il eft bienfailant, généreux , 6c raffernble en fa perfonne toutes les quartés qui fonc aimér & reipeder. A-près avoir paflé fa première jeunclfe au tervicc de HeiTe-CafiTel, il eft entré à Bb j celui celui du feu Roi. S. A. S. s'eft toujours diftinguée dans les diverfes Campagnes qu'elle a faites en Allemagne, en Italie, en Flandre, & en Pologne. Elle vient de foutenir avec éclat la réputation des Armes du Roi devant Dantzig. Sa bonté, fa fagefle, & fon attention à difcerner le vrai mérite , lui attirent l'amour & la vénération des Officiers & des Soldats. Ce Prince eft actuellement Lieutenant - Général des Armées de l'Empereur, Général de la Cavalerie & de l'Infanterie de Saxe , Colonel des Gardes du Corps & d'un Régiment d'Infanterie , & Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc. Il eft Veuf de Caroline, Princeflè de Saxe-Eife-nach; & profefle la Religion Luthérienne. # * * La PrinceiTe Christine de Saxe-Weissenfels, née le 27^ Juillet 1690 , fuit les Dogmes de l'Eglife Catholique , le Prince Albert fon Père étant rentré dans cette Communion-Elle eft d'une taille avantageufe, f°n air eft grand & majeftueux, fes manières gracieufes Se polies. S. A. S. re" çpit avec attention & bonté tous ceux qui l'approchent, & n'ufe de fa nais-iance, que pour en remplir les obligations» tions. Attachée à la Reine par les liens du fang & de la vertu, elle en eft chérie & diftinguée. Toute la Cour l'honore & la relpe&e, plus par inclination que par devoir. VII. Des Enfans Légitimés d'Av- g u s t e IL LE Comte Maurice de Saxe, Fils d'Aurore Co mtefle de Konigsmarck 9 eft l'ainé des Enfans-naturels du feu Roi : comme ce Seigneur eft au fervice de France , on ne croit pas devoir en parler plus particulièrement ici, pour ne point fortir des bornes qu'on s'eft preferites dans cet Ouvrage , de ne faire mention que de ceux qui font leur fé-jour à la Cour. * ■* * Le Comte Rutowsky , né en Pologne de Made. de Spiegel, eft Maréchal de Camp des Armées du Roi, Colonel des gardes du Corps , & d'un Régiment d'infanterie, & Chevalier de l'Ordre de ^Aigle blanc. Ce Seigneur reifemble beaucoup au feu Roi fon Père , il en a la force , ladreffe , la valeur la po-«teiïe. Il a reçU fon éducation en Fran-ce ) d'où il paiTa au fervice de Vi&or-B b 3 A- Amedée , dernier Roi de Sardaigne. P entra depuis, pour peu de tems, à celui du Roi de Prufle. Enfin il s'eft fixé à celui de Saxe , s'eft fignalé au Siège de Dantzig 3 & fait actuellement Ja Campagne en Volontaire dans l'Armée Impériale fur le Rhin. Il profeflè la Religion Catholique. # 4 4 Le Chevalier George de Saxe eft Filf de la Princeflè dc Tejchsn , & a été é-levé dans la Religion Catholique. Il eft Colonel au fervice du Roi, ôc Chevalier de l'Ordre ûe l'Aigle blanc. Ce Seigneur eft bien fait, a l'air noble, & foutient le nom qu'il porte , par beaucoup de valeur Ôc de bons fentimens-Il poflède parfaitement l'Architecture Militaire , Ôc a de grands talens pour la Guerre; il les cultive au point , que fes amufemens mêmes ne font autres qu'une étude de ce que doit favoir un grand Capitaine. Ce defir de fe mettre en é-tat de pouvoir un jour commander , l'a engagé, à fon retour du Siège de Dant-* Zig, à fe rendre à l'Armée du Prince Eugène dc Savoie, pour profiter des W* Çons de ce grand Maitre, Le »e la Cour de Saxe. 39* * * * Le Comte de Cafîl, Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc, eft né de la Corn-teflè de Cofel. Il eft grand & bien fait, fon air eft modefte & réfervé, là prudence furpaffe fon âge. Ce Seigneur , ne démentant pas le fang dont il eft ilïu, fait actuellement la Campagne fur le Rhin dans l'Armée Impériale. Il eft de la Communion Luthérienne. * * * La Comteffe Bilinska eft Sœur du Comte Rutovjsky , & , comme ce Seigneur, eft née en Pologne, & a été élevée dans la Religion Catholique. Augufte IL l'accorda en mariage au Comte Bilins-ky> Les fréquentes incommodités de cette Comtefle l'ont obligée d'aller à Paris , pour le rétablilfement de fa fanté; de forte que , n'étant pas à la Cour , on ne croit pas devoir parler de fon Caractère, * 4f * La Comteffe Orfehka, mariée à Cbar-tes-Louis Prince de Holftein-Beck, a pris naiOance à Varfovie , & a été élevée dans la pQ[ Catholique. Madame fa Mè-B b 4 re re étoic Françoife, ôc s'appelloit Renard. Cette Princeflè efl: d'une taille avanta-geufe, il y a beaucoup de grâces répandues fur fa perfonne. Elle a toujours aimé la Mufique , la Danfe 6c la magnificence. * * # La Comtefle Mofchinska, Fille de la Comtefle de Cofel, eft née à Dresde. Lé feu Roi la maria au Comte dc Mofchins-ky, Seigneur Polonois. Elle fe fait révérer 6c aimer par la régularité dc fes mœurs, par fes manières gracieufes, 6c par la bonté de fon Caractère. VIII. Des Miniftre $ du Cabinet. WAldemar Baron de Lb'iuendahl, Grand-Maréchal, Miniftre du Cabinet , Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc, 6c de celui de l'Eléphant, tient, par fa Charge do Grand - Maréchal , le premier rang à la Cour. Il eft Danois d'origine , 6c defeend • des Comtes de Guldenloive, du Sang de Dannemarc. H employa fa première jeuneflè au fervice des Etats - Généraux , 6c fût Capitaine dans les Gardes-bleues. Ils les quitta, p< uf entrer au fervice dè l'Empereur Leopolafj Ôc fe diftingua , en qualité de Lieutcnant-GolonèljCn i6%& à la levée du Siège de Vienne. Etant retourne de- Hepuis en Dannemarc, il y fervit avec honneur. Quelques mécontentemens l'a-ianr fait fortir de cette Cour, il vint en Saxe, où Augufte II. le déclara Préfident de la Chambre. Il exerçoic cette Charge, lorfquele Roi de Dannemarc le rap-pella. Il palfa , avec l'approbation du Roi de Pologne fon Maitre, à Copenhague. Sa Majefté Danoife lui confia le Commandement de fon Armée en Norwëge contre les Suédois. Il s'acquitta glorieufement dc cette Commis-lion , elle lui. mérita l'Ordre de l'Elé-' phant ; il avoit déjà celui de Danne-brog. 11 ne tint qu'à lui d'occuper les plus grands Emplois en Dannemarc : mais il avoit promis à Augufte II. de ne le point quitter ; de forte qu'il refufa tous les avantages que lui offrit Frédéric IV, & revint en Saxe. Le feu Roi le nomma Grand-Maréchal, après le décès du Comte de Pflug ; il en fait encore dignement les fonctions. Dans un âge avance, il jouit d'une fanté affuréc, & a l'air, les manières, & la façon de pcnfer d'un Homme de fa qualité. Affable & poli, il fait noblement les honneurs dc la Cour, les Courtifans le révèrent, & le Roi. témoigne l'cftimer. Sa Majefté eft le fixième Roi que ce Miniftre reconnoit pour (on Maitre. Il a , pour fecon-^e Epoufe , une Dame de la Maifon °e Rameau , du Pays de Holftein , la-13 b 5 quel- quelle eft d'un Caractère refpeclable, ÔC d'une politefTe qui ne laifle rien à délirer, parlant François, comme fi elle étoit née à VerfaiHes. Le Grand^Maréchal a deux Fils, de fon premier mariage avec une Dame de RevencUu. Son Cadet Walde-mar Baron dc Lowendahl eft Maréchal de Camp des Armées du Roi, Infpec* teur-Général de l'Infanterie Saxonne, & Colonel d'un Régiment d'Infanterie. Il «.voit quatorze ans, lorfque le Grand-Maréchal l'envoya en Dannemarc, où il fit une Campagne fur Mer fous l'Amiral Tordenfchild. A fon retour à Dresde, il porta le moufquet, & pafla enfuite par tous les Grades fubalternes. Etant Lieutenant il accompagna le Général Secken** dorff à Vienne, où le Maréchal Comte Guida de Stttrenberg lui donna une Compagnie dani fon Régiment. Il fe diftin-gua particulièrement aux Sièges de Té-rni-war ôc de Belgrade, & en Sicile. A-» iant paiTé depuis au fervice # Augufte 11, Sa Majefté lui conféra un Régiment. Il a fait depuis deux Campagnes en Volontaire avec les Impériaux en Corfe, & a témoigné dans toutes les occafions autant de valeur Ôc de prudence, qu'en dernier lieu de fageflè Ôc d'habileté dans la défen-fe de Cracovie , où , avec une foible Garnifon accablée de maladies, il a non feulement réiifté avec vigueur aux attaques des Polonais Adhérens du Primat ; * m*1? mais les a même obligés à Te retirer. Comme ce Général elt plein du defir de fe fignaler, il a été à peine de retour de Pologne, qu'il eft allé faire la Campagne çn Volontaire avçc les Impériaux fur le Rhin. *** * Antoine Comte de Lutzelbourg, Mi'» niftre du Cabinet, Général de la Cava* îerie, & Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc, eft Lorrain de n alliance, & pro-, felfe avec exemple la Religion Catholique. Ce Seigneur eft d'une taille élevée. Son mérite lui a procuré l'honneur d'avoir été Gouverneur du Roi après le décès du Comte de Cofie. Il remplit ce Pofte jufqu'à la Majorité de Sa Majefté, qu'il fut nommé Grand-Maitre de fa Mai-ion. Ses fréquentes incommodités l'ont obligé à quitter cette Charge. Cependant il fut l'année dernière à Vienne, y reçut pour le Roi l'inveftiture de fes E-tats Feudataires de l'Empire, & y conclut le Traité d'Alliance qui fubhfte entre les deux Cours, * t f Henri-Frédéric Comte de Friefe} Grand-Chambellan, Miniftre du Cabinet, Gé-ttéraj dç l'Infanterie, & Chevalier de l'Ordre dre de l'Aigle blanc, eft iflii d'une Maifon qui depuis longtems tient un rang confidérable en Saxe. Il a pafîé une partie de fa jeuneiîe au Service du Czar Pierre le Grand, ôc s'eft diftingué par'fa valeur à la Bataille de Pultowa, & par fa prudence dans l'Affaire du Pruth. 11 entra depuis au fervice du feu Roi. Ce Monarque, connoiffant fon mérite, l'éleva aux plus grandes Dignités de fa Cour, ôc lui donna pour Epoufe une des Filles qu'il avoit eues de la Comteffe de Cofel. Le Grand-Chambellan a le maintien ôc les manières d'un Homme <|e naiffance, il penfe ôc agit en Seigneur. Peu dc personnes le furpaffent en politefle ôc en belles connoiffancesj il poffède parfaitement plufieurs Langues, & tout ce qui forme le Miniftre ôc le Capitaine. Il aime les Lettres & les Arts, & a toujours été leur appui. Sa dépenfe eft honorable, ôc p^r la manière dont il repréfenté, il s'attire la vénération de tous ceux qui le pratiquent. Jofeph Comte dc Gabaleon-Uatkcr-barih-Salmour, Miniftre du Cabinet, Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc, ôc Gouverneur de S. A. R. Monfeigneur le Prince Royal & Electoral, eft Piémon-tois. H porte le nom ôc les Armes de }Vac- BSLA. Cour de SaXîs; 397 Wackerbarth, pour avoic été adopté pas* le feu Feld-Maréchal Comte de Wacker-barth fon Peau-père, décédé en dernier lieu, lorfque ce Seigneur avoit époufe la Mère du Comte Gabaleon-Salmour, Dame d'un grand mérite, & Veuve du Margrave Charles de Brandebourg. Il avoic d'abord pris le parti des Armes ; mais aiant reçu une bleffure au pied, dont il eft demeuré incommodé, il a dû quitter un métier dans lequel il-s'étoit diftingué»1 Depuis ce tems-là il s'eft appliqué aux affaires d'Etat. Le feu Roi l'envoya à la Cour de Bavière, ôc à celle de Vienne; il y foutint avec dignité les prérogatives de fon Caractère, ôc fe fit extrêmement eftimer de Leurs Majeftés Impériales, & des Miniftres. Augufte II. l'aiant rappelle devienne, l'envoya à Rome vers le nouveau Pontife Clément XII. Les Romains> ces Maitres dans l'Art dc la Politique, convinrent bien-tôt, que ce Miniftre c-toit au-deffus de leurs leçons. Ils admirèrent la fageffe ôc la fermeté avec laquelle il fe conduifit, lorfque les Sbirres ofèrent infulter la Franchife de fon Quar-; tier; Ôc tous avouèrent, que le Miniftre le plus expérimenté n'auroit pu mieux foutenir l'honneur de fon Maitre. A fon retour de Rome, le feu Roi le nomma Gouverneur du Prince Frédéric, aujourd'hui Prince Royal ôc Electoral. Le choix de Sa Majefté fut univerfellement applau- ci : en effet, le Comte a toutes les qualités pour remplir dignement ce Pofte* Il unit à beaucoup de Religion, une can* deur reconnue, une grande expérience dans les affaires, beaucoup de douceur, de polirefle, & de modeftie. il eft d'une profonde érudition, & toujours plein d'attention pour répondre à la confiance que Leurs Majeftés lui témoignent. La méthode qu'il employé pour inftruire le Prince, lui a attire l'amitié & l'eftime de S. A- R- & ne pourra que lui mériter un jourTes louanges & la reconnoiflance de ceux qui s'intèreffent à la gloire de la Maifon Royale. Augufte III. en parvenant au Gouvernement, envoya le Comte avec Mr. de Baudijjtn. en qualité de fes Plénipotentiaires vers la République de Pologne. Il a répondu dans ce Pofte à l'attente que le Roi avoit de fa capacité. Sa fagefle a prévalu, il a eu l'avantage de triompher des brigues & des cabales du Primat. A* près que le Roi eut été proclamé , le Comte jura au nom de Sa Majefté dans l'Eglife de Varfovie l'obfervation desP*f-ta Conventa drefies par les Membres de la République, & accompagna enfuite la grande Dépuration des Seigneurs Polo-nois à Tarnovitz. Ce fut lui qui répondit pour Leurs Majeftés aux Harangues de reconnoiffance 6r d'obéiflance que leur fit, de la part dc la République, dë la Cour di Saxe. 399 Si A. R.me PEvêque de Cracovie. Ce Miniftre répondit dans les deux Langues, dont s'étoit fervi ie Prélat. 11 parla Latin pour le Roi, & François pour la Reine. Depuis le Sacre de Leurs Majeftés, le Comte étant revenu à Dresde, eft uniquement occupé de l'Education du Prince Royal. Le fuccès répond à les foins, &C tout nous eft garant, que S, A. R. attirera un jour fur foi la bénédief ion que Dieu répand fur les Juftes, *** Wolf Henri de Baudiflin, Miniftre du Cabinet, Général de la Cavalerie, Colonel d'un Régiment de Carabiniers, & Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc, & de Dannebrog, a toutes les qualités requifes dans un Homme de naiifance; une phyiionomie agréable, une taille avan-tageufe, un air noble, des manières ai-fées & prévenantes, une valeur reconnue, une générofité dépouillée d'oftenta-iion y & enfin, ce qui eft par-deffus toutes choies , un fonds de probité & de candeur que rien ne peut altérer. Il eft natif du Pays de Holftein, ôc a palfé fes premières années au fervice de Suède» ôc enfuite à celui du Duc fon Souverain qui lui donna un Régiment, avec lequel il fervit toute la dernière Guerre dans le« Pays-Bas, en qualité dc Maré- chai de Camp. Augufte II. l'appella à' fon fervice, le fit Lieutenant-Général de fes Armées, & enfuite Général de la Cavalerie. Augufte III, en parvenant à la Régence, l'appella dans fon Confeil du Cabinet, & l'envoya comme fon Plénipotentiaire en Pologne. Ce Seigneur a eu part à tout ce qui s'y efl: fait à l'avantage & à la gloire du Roi. Il a commandé depuis l'Armée que Sa Majefté a été obligée de faire entrer dans fon Royaume pour la défenfe de fes Sujets op-prefles. Il y eft tombé dangéreufement malade; de forte qu'il s'eft trouvé contraint de revenir en Allemagne, pour y prendre les Eaux de Pirmont \ ce qu'il a tait avec iuccès. Il eft actuellement à Dresde, où fon Ancienneté lui donne le Commandement en Chef des Troupes. Alexandre-Jofepb Comte àeSulko s'affura des Pierreries, & des Papiers de conféquence; & vint enfuite à Dresde joindre l'Electeur aujourd'hui Ce 3 Roi. Roi. Sa Majefté le reçut avec des marques de bonté qui auraient pu faire oublier le Monarque défunt au Miniftre,fi fa reconnoiflancene lui avoit dicté, qu'un tel Roi & un tel Maitre ne doivent jamais s'oublier. Le Roi le confirma dans tous les Emplois & Honneurs qu'il tenoit de la bon-té d'Augufte II., Ôc le nomma de plus fon Miniftre du Cabinet. Quelque tems après, Sa Majefté le déclara Préfident de la Chambre des Finances. C'eft ainfi que ce grand ôc vrai Roi, en diftinguant le mérite, honoroit encore la mémoire de fon augufte Père; puisqu'il fit ce que ce magnanime Prince eût fans doute fait pour fon Favori. Dans ce tems, le Miniftre remit au Roi fa Charge de Grand-Maitre de la Garderobe, que fes diverfcs occupations ne lui permettoient pas d'exercer avec l'exactitude qu'il croyoit devoir y employer. Depuis le retour de Ja Cour de Cracovie, où ce Seigneur avoit accompagné le Roi, il a époufe la Comtefle de Collovorat, Dame-d'honneur de la Reine, qui, à une grande naiflance , unit deJ qualités pcrfonelles qui ne fe peuvent aflèz louer. La Mariée étant Catholique, la Ctrémonie de ce Mariage s'eft faite a Moritzbourg, en préfence de Leurs Majeftés, par S. A, R.me l'Evêque de Cracovie. Jamais Epoux n'ont été mieux alTortis. Madame rafiemble beaucoup de grâces dans fa perfonne , ôc Monfieur de Brubl eft d'une preftance qui ne laiiTe rien à defirer. Il la relève ordinairement par une riche parure, dans laquelle le bon goût eft toujours obfervé. Perfonne ne le furpafle à la Cour en magnificence, fa dépenfe eft des plus brillantes, ôc fa maifon eft un lieu d'aflembléc pour les perfonnes de diftincfion. Ce Minière a quelque chofe de fi attirant dans fa phy-lionomie ôc dans fes manières, qu'il gagne aifément les coeurs des plus indiffé-rens. Poli, affable, ôc prévenant, il é-coute attentivement ceux qui lui repré-fentent leurs befoins ; il répond avec pré-cifion ôc politefle : s'il fe trouve contraint de refufer, il le fait d'une manière, qu'il perfuade être fenlible au desagrément de n'avoir pu obliger. Auiji cette bonté de caractère, Ôc la douceur avec laquelle il traite fes Subalternes, font qu'il peut fe glorifier de polléder l'amour Ôc la vénération du Public. * * * Outre les Miniftres du Cabinet ci-deflus nommés, il y en a encore trois, Sui, quoique retirés de la Cour ,jouhTent du rang Ôc des peniions attachées au Miniftère. Tels font le Comte de Mm-Cc 4 teuf- teujfeljle Comte àzPromnitz , ôc le Marquis de Fleuri. Erneft Comte de Manteuffel, Miniftre du Cabinet, ôc Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc, eft d'une famille qui tient depuis longtems un rang diftingué en Po-méranie. Il fait actuellement ion féjour à Berlin, s'étant retiré de la Cour du vivant à'Augufte II. Il conferve une penfion annuelle de douze-mille Rifdales. Ce Seigneur eft grand, bien fait ôc magnifique dans fa dépenfe. Lorsqu'il étoit à Dresde, fa maifon étoit ouverte aux perfonnes de diftinétion ôc de mérite. Le feu Roi l'honoroit de fa confiance, &lui avoit remis le département des Affaires étrangères, que le Comte dirigeoit avec l'approbation de Sa Majefté, ôc des Miniftres Etrangers qui avoient à traiter avec lui. On l'a regretté après fa retraite : c'eft fans doute ce qui fait fon Eloge. Il a pour Epoufe, une Baronne de Bludotuska, qui eft , comme lui, de la Religion Luthérienne. * * * Erdmann Comte de Promnitz eft plus à fes Terres , qu'à la Cour II eft Miniftre du Cabinet, Ôc Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc. Ce Seigneur avoit époufe une Princeflè de Saxe-Weiffênfels. Il a'cft toujours djftingué par ion zèle & fon attachement à la Famille Royale. Il en a donné des preuves, en levant à les dépens une.Compagnie franche pour le fervice du feu Roi , qu'il fit joindre aux Troupes de Sa Majefté dans le Camp de Zeithaim. II a levé depuis, pour le même ufage, un Régiment de Cavalerie. * * * François Vicardel, Marquis de Fleury Ôc de Beaufort, eft de Savoie. Il étoit envoyé du Roi de Sardaigne auprès de l'Empereur, lorsque le feu Roi l'appella à fon lervice, en lui donnant place dans fon Confeil du Cabinet. Ce Miniftre a devers lui les parties qu'on peut délirer dans un Homme qui eft en place. II a une phyfionomie agréable, des manières engageantes, un discernement jufte,une pénétration ailée, avec beaucoup d'égalité dans l'humeur. Ses fréquentes incommodités ne lui permertant pas de faire ufage de fes talens, il a demandé à fe retirer fur fes Terres en Savoie j Ôc le feu Roi, toujours grand ôc magnanime, voulant qu'il fût un témoin de fa bonté & de fa magnificence toute royale, lui alfura la jouilfance de Ces penfions: faveur qUi iui a confirmée par le Roi priant. Ce 5 Le 4io Etat Abrège4 •2* & *2? Le Comte Suhkoivsky 6c Monfieur de JBraW font les Miniflres qui décident de toutes les Affaires, fous le bon plailir du Roi. Ces Seigneurs ne connoiffent ni jaloufie, ni envie; un même principe les anime, ils envifagent le même but; c'eft d'augmenter, s'il eft poflïble , la gloire du Roi, & la félicité de l'Etat. La Charge de Miniftre du Cabinet eft fi éminente dans cette Cour, qu'elle donne le pas -à ceux qui en font revêtus, par-deffus tous les Généraux de la Cavalerie & de l'Infanterie. IX. Des Confeillers Privés AÛuels, ou Es Confeillers d'Etat Privés actuels iffus des meilleures Familles de Saxe, 6c profefïênt la Religion Protefiante. Le détail de leurs caractères, de leur expérience, 6c de leur mérite , obligeroit à furpaffer les règles qu'on s'eft preferites dans cet Ouvrage, de ne parler que de ceux que leurs Emplois attachent directement à la Perfonne du Roi , 6c qui compofent la Maifon de Sa Majefté. On croit toutefois devoir dire à la gloire du Confeil d'Etat Privé,que tous fes Mem- Mimjtres d'Etat, nombre de huit. Ils font bres bres font des Sujets qui font honnneur au choix du Roi ; qu'ils veillent au bien public, & que dans leurs délibérations on reconnoit leur zèle pour le Roi, ôc leur amour pour la Patrie. Alexandre de Miltïtz. de Scharffenberg eft Préfident du Confeil d'Etat Privé. Il eft natif Saxon. C'eft lui qui a été Gouverneur du Roi. Comme on a déjà parlé de ce Seigneur , on s'r:bftienc d'en faire plus particulièrement mention ici. Deux des Conieillers d'Etat Privés font des Conférences , auxquelles allifte Sa Majefté, favoir Gottlob-Frederic Baron de Gersdorff, & Bernhard Baron de Zech, Le premier eft d'une Maifon ancienne & diftinguée, qui a donné plufieurs Grands-Hommes à cet Etat. Le fécond s'eft acquitté avec fucces de diverfes Négociations dans lesquelles il a été employé. Tous deux font laborieux, vigilans, intègres , & de grande expérience dans les Affaires. %. Des Grands-Officiers du Roi. Aldemar Baron de Lôraiendabl occu- Du Grand-Marcchal. pe cette Charge. * * Voyez Minijirtt dit Cai4ntt, pag. ^x. Il Il a fous fon Département, Meilleurs les Gentils-La Danfe hommes de la Cham- La Comédie, bre, Les Trompettes, Mrs. les Pages, Les Valets de pied, Les Chaffeurs , Les Tares, La Mulique de la Les Heiduques, Chapelle & de la Les Coureurs, Chambre, Les Mores; Enfin un nombre confidcrable d'autres Officiers & Domeftiques de la Maifon du Roi- Sa Jurisdicfion s'étend non feulement fur ceux que je viens de nommer, mais auffi lur tous les Etrangers de qualité qui fè trouvent à Dresde. 11 y a pour cet effet un Tribunal, dont le Grand-Chambellan, le Grand-Maitre des Cuiû-nes, le Grand Echanfon, ÔC le Maréchal de la Cour, font Membres. XI. Dn Grand-Chamê/ellan. /"^'Eft le Grand Chambellan qui reçoit ^ les Amhifïâdeursôc Miniftres Etrangers , ôc qui les introduit à l'Audience du Roi Celui qui poffède actuellement cetre grande Charge, eft Henri-Frédéric Comte de Friefe. * Il a fous lui Meffieurs les Chambellans. XII. Du DE la CoUR DE S A x S- 413 XII. Dh Grand-Ecujcr. ALexandre-Jofeph, Comte deSulkovx* ky , * eft en poffeilion de cette Charge, une des plus belles & des plus nobles de la Cour, puisque celui qui en eft revêtu eft fervi par les Equipages ôc la Livrée du Roi, & qu'il difpofe de tous les Emplois fubalternes des Ecuries. 11 a fous lui les Ecuyers,les Piqueurs,& tous les Ouvriers employés pour le fervice des Ecuries ,& la conftruétion des Equipages. Du Prémîcr-EcHjer. Adolphe de Bruhl, Chambellan du Roi, eft feul Premier -Ecuyer En l'abfencc du Grand-Ecuyer, il fait fa Charge. Il eft Frère de Henri de Bruhl, Miniftre du Cabinet, & lui reOemble par la candeur ôc la droiture. Sa probité eft empreinte fur le vifage, ôc rejaillit fur toutes fes actions. Senlible à l'amitié, il en remplit les devoirs. Aux qualités de l'Ame , il joint celles d'un extérieur agréable , d'être adroit dans fes Exercices, d'avoir un goût affiné pour les Arts,depof-féder parfaitement la Mufique , & ;dc jouer de divers Inftrumens. Il étoit ci-devant au fervice du Duc Régent de Weiffenfeis, enfuite à celui du Duc deSaxe-Weimar, qui faifoit tanc d'efti- * Voyez Hfm'lhtt te CMne, r>«g. 400. d'eftimc de fon mérite, qu'il lui avoit remis la direction dc fa Cour. Cela n'empêcha pas qu'il ne quittât ce Prince, pour entrer au fervice du feu Roi, qui lui conféra les Emplois dont il jouit. Depuis qu'il e(t à la Cour, il a époulè une jeune Dame de qualité de la Famille d'Ope/en) que la fortune Ôc fes charmes faiioient rechercher comme un parti très conlidérable. XIII. D» Grand-Veneur. Elui qui occupe 1 aujourd'hui cette ^-^ Charge, une des plus lucratives de la Cour, eft Charles de Leubnitz. Elle lui donne la Surintendance fur tous les Officiers de la Vénerie , parmi lesquels font compris les Grands-Foreftiers, les Veneurs, les Gentilshommes , les Pages de la Vénerie, ôc plus de cent Chajjeurs ,ou autres perfonnes qui en dépendent. Le Grand-Veneur eft Proteftant, ainfi que fon Epoufe , qui eft de la Maifon de Schaurot. XIV. Dh Grand- Maitre des Cuijmes* A Dolphe Baron de Seyffertitz, eft d'une Maifon diftinguée depuis longrems dans cet Etat. Il débuta à la Cour par être Gentilhomme dc la Chambre. Au- grfe dî la Cour de Saxe. 415 gujie II. à la requifition du feu Czar Tierce le Grand, le plaça Gouverneur auprès du Czarowitz , lorsque ce jeune Prince vint en Allemagne. Mr. de Seyjfertitz demeura dans cePofte jufqu'après le Mariage du Czarowirz avec la Princeffe de Brunswick-Wolftenbuttcl-Blanckenbourg. Etant revenu en Saxe, il accompagna le feu Roi à Berlin, lorsque Sa Majefté, conjointement avec Frédéric IV, Roi de Dannemarc, y fut rendre vifite à Frédéric I. Roi de Pruife. En 1711, il fur nommé pour Maréchal de l'Ambaiîàde qu'Augufte II. envoya à Francfort, pour l'Election d'un Empereur. Sa Majefté Impériale Charles VI, à la Cérémonie de -fon Sacre, le fit Chevalier de l'Empire ;& enfin le feu Roi le nomma Chambellan, puis Grand-Maitre des Cuifines. Il en fait la Charge avec dignité & po-litelTe. Il a époulé une Dame de la Famille de Haxthaufen, Veuve du Grand-Fauconnier Comte de Beichling. Ces deux Epoux font de la Communion Luthérienne. Enl'abfence du Grand- Maréchal, le Grand-Maitre des Cuifines fait fes fonctions; & dans les grandes Cérémonies il Porte, comme lui, un Bâton garni d'argent vermeil doré. Son département s'étend fur les perfonnes qui fuivent : Les Contrôleurs de la Bouche, & de la Mai-fin; les Ecrivains de la Cuifine ; lesPw- Vth* voyeurs; les Cuijiniers, & 'Rôtifleurs ; les Pûtiflïers-y les Argentiers; IcsPoiflbnniers, tec. ôcc. XV. D« Grand-Echanfôn. JFan-Adolphe de Hattgwitz , Grand-E-chanfon, a de la nailTance. Son Père éroic Grand-Maréchal fous le feu Roi. Il eft bien fait, a l'air noble, s'acquitte a-vec grâce ôc adrefle dc toutes fortes d'Exercices, 8c fait dignement les honneurs dc la Cour. Il eft dc la Religion Pro-teftante, & marié avec une Dame de la Famille de Beifi. Sa Charge le met au deffus dc tous les Officiers du Gobelet, & de ceux qui font commis fur la Cave 8c la Paneterie. Dans l'abfcncc du Grand-Maréchal, 8c du Maitre des Cuifines, il fait leurs fonctions ; & dans les grandes Cérémonies, il porte comme eux le Bâton d'argent vermeil doré. XVI. Du Grand-Fauconnier. ANtoine Comte de Mofchinshy poffède aujourd'hui cette Charge. Ce Seigneur eft Polonois , & de l'Eglife Catholique, Il a été Page du Roi , 8c a accompagné Sa Majefté dans fes Voyages de France Ôc d'Italie, où il a acquis une grande politefle , ôc des manières tfès prévenantes. A fon retour à Dresde, il fut fait Gentilhomme de la Chambre du Roi , pour-lors Prince Royal. Le feu Roi le nomma enfuite Ion Chambellan; ôc après que le Comte de FitZ.-thum eut été malheureulement tué à Varfovie, Sa Majefté aiant conféré fa Char-e de Grand-Chambellan au Comte de riefe, donna celle de Grand-Fauconnier, qu'avoit eu ce Seigneur, au Comte Mofchinsky, qui fut décoré prefque en même tems de l'Ordre de l'Aigle blanc, ôc de la Charge de Trélorier de la Cour de Pologne. Sa Majefté lui accorda auffi en mariage une de fes Filles-naturelles *. Jamais perfonne ne mérita mieux fes honneurs, que le Grand-Fauconnier. Ce Seigneur eft magnifique , 6c repréfenté de telle forte qu'il honore fon Caractère. Par fes bonnes manières, il s'attire l'amitié 6c la confidération de tous ceux qui le pratiquent. 11 a fous fes ordres, les Officiers de la Fauconnerie , les Fauconniers , 6c généralement tous ceux qui ont quelque rapport avec la Fauconnerie. * Elle eft Fille dc la ComtetTc dc Cofil. Voyee Pag- m- Terne Ut. Dd XVII- XVII. Du Grand-Maitre de la Gar-derobe. ALexandre-Jofepb Comte dc Sulkaws-ky \ poflède aujourd'hui cette Charge. Il a fous fon Département,le Clergé Catholique ,• les Médecins du Corp ; les Valets de Chambre ; les Secrétaires , Ecrivains, ÔC Copifes de la Chambre; les hu fpecleurs de la Chambre des Curiofîtes; les Huijjiers de la Chajnbrc , ÔC du Cabinet; les Perruquiers, Chirurgiens , ôc Tailleurs du Corps; les Mores , les Nains , ôc les Garfo?js de la Chambre ; - les Architectes, Ingénieurs ôc Dejjinateurs, XVIIE D# Grand- Maitre des Poftes. MAurice-Charles Comte de Linar , Grand-Maitre des Poftes , Chambellan 6c Chevalier de l'Ordre de S. Jean, eft d'une Maifon diftinguée depuis longtcms dans cet Electorat. Sa bonne mine répond à fa naiflance. Par fa po-liteflé, fes manières 6c fa dépenfe,il fait honneur à fon Maitre. Le Roi après fon Sacre l'a envoyé en Mofcovie, pour donner part de l'accompliflement de cette Cérémonie à l'Impératrice des Ruffies: il ménage encore auprès de cette PrinceiTe f Voy« Minières dn C*èinttt pag. 4«0. cefle les intérêts de Sa Majefté, ôc le fait d'une façon qui ne peut tourner qu'à fon avantage, & à la gloire du Roi. Ce Seigneur a encore été employé par le feu Roi à la Cour dc Pruflè, 6c à celle de la Grande-Bretagne à Hanover , 6c s'eft toujours acquitté de fes Commit' lions avec des fuccès qui lui ont valu l'approbation de Sa Majefté. XIX. Dfi Maréchal dc la Cour. JEan George d'Einjîedel, Confeiller d'Etat Privé, 6c Maréchal de la Cour, a de la naiflànce. Ces ancêtres ont occupé les premières Charges de l'Etat. Il a viiîté les principales Cours de l'Europe, 6c s'y eft formé un caractère de politcf-fc, dont il fait ufage. Il eft bien fait, a l'air noble \ fes manières y répondent : il fait beaucoup, Ôc s'acquitte bien de tous les Exercices. Il a époufe la Fille du Général Comte de Flemming, Gouverneur de Leipzig, riche héritière, ôc ref-Pectable par fes qualités de l'Ame. Le Maréchal de la Cour ôc fon Epoufe font de la Communion Luthérienne. Sa Charge le rend ajoint au Grand-Maréchal, au Grand-Maitre des Cuifines, ôc au Grand-Echanfon. Comme ces Seigneurs, il porte le Bâton de vermeil doré dans les Cérémonies. C'eft lui qui fait ordinairement les Honneurs dc la Cour. Dd i 1 Cuti» * * * Curt d'EhtJiedel, Maréchal de la Cour ôc Chambellan, fe fait diftinguer par la bonne mine, ôc fa nailfance. Ses bonnes qualités, ôc fes manières, le rendent digne de tous les Emplois. Il efl: de la Religion dominante en Saxe, ôc a époufe depuis peu Mdlle. de Scbonberg de Maxen, qui par fes charmes perfonnels fait aujourd'hui un des ornemens de la Cour. * * * Ernejl-Ferdinand d'Erdmansdorff, Maréchal de la Maifon du Roi, Ôc Chambellan, fe fait eftimer par fon mérite, fa politeffe ôc fa naiflànce. Entre diverfes connoiflances qui le rendent propre pour les Affaires , il a celle de pofféder plufieurs Langues, particulièrement la Fran-çoile. II a époufe une Dame de la Famille de Hejler. L'un Ôc l'autre fuivent les Dogmes de la Religion Luthérienne. XX. Des Chambellans. LEs Chambellans font en trop grand nombre, pour être tous nommés ici. On fe contentera de faire mention des douze Penlîonnaires, qui font le fervice vice auprès de Leurs Majeftés. On n'en parlera pas même fuivanc l'ancienneté de leur réception. Ils fervent ordinairement huit jours alternativement auprès du Roi ôc de la Reine, & ont le rang de Généraux-Majors. La plus belle Prérogative de leur Charge eft celle d'avoir l'honneur de manger avec Leurs Majeftés lorsqu'ils font de (crvice , ôc d'être Dépolitaires des Placets qui font prefen-tés au Roi fur fon paflage. Henri-Rodolphe de Schonfeld, Seigneur de Lb'iuenitz , eft le premier Chambellan du Roi. Il eft d'une belle preftan-ce, a de très bonnes manières , de la politefle, & un caractère doux ôc aimable. Sa .dépenfe eft honorable, ôc conforme à fa fortune. Il a accompagné le Roi à Cracovie, & en dernier lieu à Oliva, Sa Majefté l'aiant nommé pour la fuivre dans ces Voyages. f t t Helmut h de Plesk eft d'une Famille du Duché de Holftein, conlidérée dans cette Province par les grandes Terres qu'elle y pollède, ôc par le rang qu'elle tient à la Cour de Dannemarc, où il y a eu plufieurs Seigneurs de Plesk dans le Mi-niltere. Celui dont il eft mention ici, efl actuellement Envoyé Extraordinaire «u Roi auprès dc celui dc Dannemarc. Dd 3 Au* * * * Augufte - Henri-Gotthb Comte de Cal-lenberg efl de cet Eledtorat, où fa JVÎai-fon tient depuis longtems un grand rang, 6c poflede de belles Terres. Il a été Envoyé Extraordinaire du Roi aux Cours-de France, de Bruxelles,de Cologne,dc Trêves, 6c de l'Electeur Palatin, pour y notifier la mort du feu Roi, 6c l'avènement de Leurs Majeftés à l'Electorat. Ce Seigneur a pour Èpoule une Comtcfle de Bofe. Il fait une belle dépenfe, Ôc ome la Cour par fa politefle. Il eft dc la Communion Proteftante. # ■§? * Jean-George de Carloviitz. eft de la même Religion. Il eft Saxon, Ôc marié a-vec Mdlle. de Neitfeb, 11 a un talent particulier à fe concilier l'affection de tout le monde, qu'il doit à fes Voyages , ôc à un beau naturel. f '■ 4; - * Frederic-Augufte de Bravdftcin, après avoir fini fes Etudes à Wittenberg, a vi-firé avec fuccès les principaux Pays de l'Europe. A fon retour, le feu Roi le déclara Gentilhomme de la Chambre : quel- quelque terns enfuite,Sa Majefté le nomma Chambellan. Il a de la naiflànce,& ce qui eft convenable à un Courtifan. Il fuit les Dogmes de la Religion dominante dans l'Etat. 4li4s'$ Detkr-Henri cFEinfiedel, Frère du Maréchal de la Cour, honore fon nom par les qualités perfonnelles. Il eft grand Ôc bien fait, a l'air noble, 8c peu de Cavaliers le furpaifent en bonnes manières, en adrefle , ôc en belles connoi flan ces. Il a fait fes Etudes à Wittenberg , & a vu depuis les principales Cours de l'Europe. En dernier lieu, il a été envoyé du Roi à celle de Suède , pour y notifier le décès du feu Roi, 6c l'avènement de Sa Majefté à l'Eleélorat. «S? -3? -3? Sigisrnond d'Arnim eft Chambellan du Roi, 6c Colonel d'un Régiment de Cavalerie. Sa Famille eft ancienne, ôcpof-fède des'Terres en Luface. Sa naiflànce, 6c fon mérite pcrfonnel, lui ont procure les Emplois. Il eft de la Religion du Pays. & * # Haxtmme» Qoûïte de Herz.au eft d° Dd4 Bo- Bohème. Feue la Comteffe fa Mère c-toit Grande-MaitreiTe de la Reine, & a-voit accompagné Sa Majefté de Vienne ici II eft plus abfent, qu'à la Cour, où cependant il feroit en état de faire figure. Il luit les Dogmes de l'Eglife Catholique. * * * Charles-Chrétien de Minckwitz eft d'une belie preftance Comme il a beaucoup voyagé,il s'eft acquis bien dcscon-noiflances, & une grande politeffe. Il eft né Saxon, & a embrafte la Foi Catholique; quoique , par cette démarche, il fe foit privé de î'efpérance d'un grand Héritage, * # * Henri-Augufte de Breitenbaurh a de la naiflànce, avec des fentimens ôcdes manières qui y répondent. Son bon goût, & la connoiflance de la Mufique , lui ont valu la direction des Plaifirs du Roi. Il eft de la Communion du Pays, & eft marié avec une Dame dc la Maifon de Sch'onberg. * £ * Nicolas Schivizinsfy eft natif Polonois. Il a des qualités eftimables, & un grand attachement pour la Religion Catholi- # * * N. N. de Sehgutt Stanijla Ôc chante avec grâce ôc méthode. Sa noble dépenfe, fa géné-rofité, fes manières gracieufes Ôc diftinguées ne peuvent s'exprimer, ni être comparées qu à la bonté de fon Caractère. * # * François Comte de Montmorency porte un nom trop fameux, pour parler dc fa naiflànce. Il étoit Colonel en France» lorfqu'il pafla au fervice à!Augufte IL » qui le reçut avec cette marque d'eftime, que ce Grand Roi accordoit fi volontiers aux Perfonnes de mérite. Sa Majefté le nomma Maréchal de Camp de fes Armées: quelque tems après, elle le déclara Lieutenant-Général ôc Commandant dr la C<*u& 9e Saxe. 41J de fes Chevaliers-Gardes. Le Comte é-poulâ pour-fors Madame Patftfàn, Veuve du Grand-Général de Lituanie, Dame que fa naifTànce , les qualités de ion arae, êt fa fortune , huioient confjdércr comme un Parti très confidérable. La Comtefle de Montmorency a été du vivant dp fou pieuùer Epoux à Paris, pour le rétabli fï<: ment de la fan té. Elle parut alors a la Cour de France, fie y reçut des honneurs extraordinaires. Les François admjrèrcni fa politeflè , la délicatelîc de fes penfées, £c la facilité avec laquelle elle les expri-moit dans leur Langue. Ils en augurèrent •Vifltageufement de la Cour $ Augufte U: m concevant pas toutefois qu'une Etrangère pût avoir ém manières Ii conformes aux leurs. On ne la révère pas moins à Dresde qu'à Paris , 6c tous ceux qui la connqifleflt , conviennent qu'elle g dç» fentimens très refpectables. * * * Antomtt» de Ijchtenfte'tnComtefle âç Wattenfte'm, eft Femme de Léopold Corn-te de Wallenftein, ci-devant Çrand^Mai-tre 4e la Maifon de la Reine, C'eft une Oame que fes vertus., 6c fes manières gra-cieufes, ont fait aimer 6ç honorer ici. préparant à fuivre fon Epoux en Sj]éjie, ^He emportera avec elle l'gftime de Leur* Majeftés, ëc les regrets de la Cour. Ttme III. Ee XXV. Des XXV. Des Mtnijlres Etrangers qui réji-dent à cette Cour. Tpjtanfoit-Charles Comte de Wrat'tftau, Confeiller d'Etat Privé de l'Empereur, Chevalier des Ordres de Rufïie , & de Pologne , réfide en cette Cour en qualité d'Ambaflàdeur de Sa Majefté Impériale & Catholique. Il eft iflu d'une des plus grandes Maifons du Royaume de Bohème , & qui a donné de fages Minières à l'augufte Maifon d'Autriche. Ce Seigneur eft depuis longtems dans le maniment des plus importantes Affaires. Il étoit Ambaf-îàdeur pour le Royaume de Bohème à la Diète de l'Empire aflcmblée a Ratisbon-ne. De là il pafla dans le même Caractère en Pologne , il y aflifta à la Diète de Grodno. L'Empereur le nomma enfuite Grand-Maitre de la Maifon de la Princef-fe Royale & Electorale > aujourd'hui Reine. JLe Comte, s'étant dignement acquitté de cette Charge pendant plufieurs années , pafla à l'Ambaflade de Ruflie. Il y conclut l'heureufe Alliance qui fubfifte entre les deux Empires, & y acquit l'eftime de l'Impératrice , qui lui donna fon Ordre de S. André. Augufte II. lui avoit déjà conféré celui de l'Aigle blanc. Ce Miniftre, depuis fon retour deMoi-covie, a encore été chargé par l'Empereur d'importantes Commiflîons aux Cours de PruiTe, de Brunswick, & de Holftein. Enfin Û eft revenu en cette Cour, & y eft derechef Ambaflàdeur de Sa Majefté Impériale & Catholique, Il fait aufïi les fondions de Grand-Maitre de la Maifon de la Reine. Ce Seigneur eft d'une taille moyenne, fa phyfionomie eft heureufe ; il eft civil, bienfaifànt, & aime la magnificence ôc les plaifirs , mais il ne s'y livre point aflez , pour perdre de vue les intérêts de fon Maitre, dont il traite les Affaires avec une noble candeur : ce qui l'a fait autant eftimer dans les Cours où il a réfidé , qu'il s'eft fait aimer par fon affabilité Ôc fa politeffe. Il a pour Epoufe une Comtcfle de Kinsky , dont le Père a été Grand-Chancelier de Bohème fous l'Empereur Léopold , & dont le Frère poflède actuellement cette Charge fous le très Augufte Charles VI. ❖ * «8? Hermann - Charles Keyferling , Miniftre Plénipotentiaire de l'Impératrice des Ruf-fies, eft d'une Famille de confidération en Courlande. Il a fait iês Etudes à Konigs-berg en Prufle. Après avoir vifité les principales Cours de l'Allemagne, étant retourné dans fa Patrie, il entra Gentilhomme de la Chambre de la DuchefTe de Courlande » Anne de Mofcovie , maintenant Impératrice. Cette PrincefTe l'employa en diverfes Commiflàons aux Cours Ee 2. de 43<î Etat A » r. e g * ' &c:: de Rufïie & de Pologne. II quitta ceV pendant fon Service, pour une Charge judiciaire du Pays. Anne étant parvenue au Trône, les E>-tats de Courlande lui députèrent Mr. Key* ferling. Cette Princeflè lui offrit de l'emploi à fà Cour, & le nomma Vice-PréfL-dent de la Chambre de Juftice de l'Empi* re des Ruflies. Quelque tems après, elle le fit Préfident de l'Académie des Sciences établie à Petersbourg , & l'envoya en-fuite à cette Cour, où il s'acquitte de fon Miniftère avec une approbation univerfel-le. Ce Miniftre a pour Epoufe la Fille du Starofte Firchs, afliffiné à Mittau pour s'être oppofé aux prétentions d'une Pui fiance refpeclable. Les deux Epoux font de la Communion Luthérienne. Jean Hart