■ i L V T T R E S E T OIRES U BARON DE PÔLLNITZ, CONTENANT Les Obfervations qu'il a faites dans fes VOYAGES, HT LE CARACTERE des Perfonnes qui compofent les principales COURS DE L'EUROPE. TROISIEME EDITION', Augmtni£^de_ deux Volumtj d'une Table des Matières A AMSTERDAM, Chez, FRANÇOIS CHANGUION. MDCCXXXVII. LETTRES DU BARON DE PÔLLNITZ, A Mr. L. C. D. S. LETTRE Monsieur* ■ÉiB^ fortir de Manbeim ,fâ yaSSé franc ^ le Rh'm fur un Pont de ba-III 114 teaux i & trois ncures après DAtl£" je fuis arrivé à F r a n c n e n-i)ahljqui etoit autrefois fortifié , mais qui après avoir été brûlé dans l'incendie général du Valaî'mat, a été démantelé par la Paix de Nimègne, fans que Cette Place paille être rétablie. On y voit encore des marques de la fureur * lome II, A Fran- Françpife, & beaucoup de maifons brûlées n'ont pas été rétablies. Le Pays entre Franckendahl & Worms eft des plus beaux du monde. Je fuis arrivé à dix heures du matin dans cette Ville, 6c j'ai employé le refte de la matinée à en voir les chofcs les plus remarquables. Worms n'eft plus ce qu'il étoit avant que les François l'euiTent brûlé. Ses plus riches Habitans, au-lieu de rebâtir leurs maifons, fe font retirés à Francfort 6c en Hollande j de forte que ce qui fait aujourd'hui le principal luftre de Worms, c'cft fon Chapitre. 11 eft tout compolé de Perfonnes de qualité. L'Electeur de Maience * eft Evêque ici: il fut élu le 12 Juillet 1694.. Ce Prince a bâti un nouveau Palais Episcopal, dont l'ordonnance n'eft pas dépourvue de beauté. Il joint la Cathédrale, qui eft ancienne, &c bâtie avec beaucoup de foli-dite. Les Luthériens viennent de bâtir une belle Eglife, dont la voûte eft peinte. On y voit en divers compartimens, l'Hiftoire de la prétendue Réformation de Luther. Ce Docteur y eft 'repréfen-tc paroiilànt devant la Diète de l'Empire, af- * Depuis que ceci a^té c'ait, l'Eleft eut de Ma'en-t« de la M ai ion Palatine de Nettbonr^, étant mon» le Chapitre de Worms a élu unanimement pour E-vêque Franpit-Gctrgc Comte; dç ù\bor)b»rn, AwJi*- vëcjuc Elc&cui de TiCYCs, afTemblée à Worms l'an 1511. Vous fa- wo^ks-vez qu'il y avoit été cité par l'Empereur Charles-Quint. Ses Amis, pour le détourner de comparaître , lui citèrent l'exemple de Jean Hus, qui, malgré le Sauf-conduit qui lui avoit été donné par l'Empereur Sigifmotid, fut brûlé par Décret du Concile de Confiance. Luther fans s'intimider leur répondit, que quand il ferait ajfuré d'avoir autant de Diables fur les bras, qu'il y avoit de tuiles fur les maifons de Worms , il vouloit toutefois y aller. Il y vint en effet, & parut le 17 d'Avril devant rAflcmblce de la Diète, à qui il offrit, avec un courage digne d'une meilleure Caufe, de foutenir là Doctrine 6c fes Livres , contre tous ceux qui voudraient les détruite par l'Ecriture Sainte. La Ville de Worms eft fituée au milieu d'une belle 6c vafte Plaine, fertile en Grains, en Vignobles, & en Arbres fruitiers. Il y croît un Vin qu'on nomme Lieben-Frauen-Milch; {Lait de Notre-Dame.) Le Rhin pafle à trois oïl quatre-cens pas de la Ville. On prétend Îu'autrefois il en baignoit les murailles. )e quelque côté qu'on arrive à Worms, onapperçoit de très loin les quatre Tour» de la Cathédrale, toutes bâties de pierre de taille rouge. Deux Ivrognes prirent un jour ces Tours pour des Capucins, ils étoient à la Campagne à une diftance A 2, affei- 4 k £ T t R I t Works. affeZ éloignée de la Ville;le Soleil con> mençoit à lé coucher. L'un dit à fon Camarade: Nous ri avons pas de tems à perdre, les portes vont Je fermer.... Bon ! répondit l'autre en montrant les Tours, ne vois-tu pas ces Capucins qui font devant nous ? Ils font de la Ville, prétendent y entrer comme nous. . .Tu as raijon 7 reprit le premier, buvons à ces bons Ter es. Ils avoient une gourde pleine de Vin \ ils la vuidèrent fi bien, qu'ils ne joignirent que le lendemain les prétendus Capucins. ©pi-eh- R*en n'eft p'us Deau tre m Et m. "Worms & Oppenheim, petite Ville fïtuée fur une hauteur , à la gauche du ~Rhin , qu'on pafle iur un Pont-volant. Au fortir d1Oppenheim, le chemin eft impraticable pendant près de deux lieues, à caufe qu'il eft fouvent inondé par le débordement de ce Fleuve. Le refte du chemin julqu'à Francfort , éft parfaitement beau. Je fuis arrivé fort tard dans cette Ville : heureufement, Mrs. de Francfort , qui autrefois fermoient leurs portes au Soleil couchant, fe font avilés depuis peu d'années de les lailTcr ouvertes juf-qu'à dix heures , de forte que l'on peut entrer dans la Ville en payant une bagatelle. franc Je ne fai fi je dois vous parler de la ïurt. Ville de Francfort : elle a été tant décrite, & elle eft fi connue dans le monde , que je m'imagine que chacun fait corn- comme elle eft faite, même fans l'avoir franc Vue. Francfort eft célèbre par les Foires qui s'y tiennent deux fois par an, à Pâques, & à la fin de Septembre. Cette Ville lourfrit un grand incendie en 1619; mais tout eft rebâti, ôc les maifons font plus belles qu'auparavant. Il n'y a guè-res d'endroit plus ennuyant , ôc peu de Villes en Allemagne où le Peuple foit plus gvoiTier. Les Bourgeoifes font d'une affectation fans égale, 6c leur langage eft insupportable. Les Magiftrats font ici tous Luthériens. Cependant , les principales Eglifes font aux Catholiques. Les Réformés peuvent habiter dans la Ville j mais ils ne peuvent y avoir d'Emplois, 6c font obligés d'aller au Sermon à Bac-kenhàm dans le Comté de Hanau, '6c de faire baptifer leurs Enfans dans les Eglifes Luthériennes. La grande Eglife oïl le fait la Cérémonie du Sacre de l'Empereur, eft fombre, 6c nullement con^ venable pour une fi augufte Cérémonie. Voqs favez qu'Aix-la-Chapelle eft proprement le Lieu deftiné pour le Sacre de nos Empereurs, ôc Francfort le Lieu où doit faire l'Election. Cependant, depuis Maximilien 2. aucun Empereur n'a été couronné à Aix. La fituation de Francfort étant au centre de l'Empire,eft beaucoup plus commode pour tous les Princes, mais particulièrement pour les électeurs Çccléliafti ques 6c l'Electeur Pa- latin \ latin: ils peuvent faire venir, & renvoyer leurs Equipages, par eau. Lorfque Charles VI fut couronné à Francfort en 1711, il y eut un concours extraordinaire de Princes & de iSeigneurs. Certains fpéculatifs tirèrent deux Pronoftics, fur deux remarques qu'ils firent. L'une fur, que l'Empereur fit ion Entrée dans cette Ville en grand deuil, pour l'Empereur Jofepb fon Frère. Us dirent que Charles portoit le deuil, par le preffentimenc qu'il avoir qu'il ferôit le dernier Empereur de fa Maifon. Le fécond fut, iur ce que Charles for tant de l'Eglife revêtu de toutes les Marques de l'Empire, l'E-pée de Charlemagm tomba hors du fourreau. L'Electeur de Trêves de la Maifon de Lorraine le remarquant 3 retint l'Epée, & la remit avant qu'elle fut entièrement tombée. Les mêmes Tireurs d'fHorofcopedirent que cela pronoftiquoit que l'Empereur ne jouiroit jamais d'une tranquille Paix , & qu'il feroit toujours dans une fituation à devoir tirer l'épée pour fa défenfe. Les Personnes les plus distinguées qui demeurent à Francfort , font en petit nombre. La Princeiîè Douairière de 'Najpiu-Qufmgen, née Loveftein; le Comte de Degenfeldt-[Schamberg\ * Maréchal de * M a été Miniftre Plénipotentiaire du Roi de ïr'U'u stipres du Roi de Ja tiicuxte Bretagne, [& 1 de Camp des Armées du Roi de Truffe, framc-& Commandeur de l'Ordre de l'Aigle "Rï-noir ; enfin, Madame la Raugrave * , Fille de Charles-Louis Electeur Palatin. Elle en; la dernière du fang des Princes Palatins Réformés. Le Sénat de Fra?ic-fort, en confidération du grand âge de Madame la Raugrave, & par refpect pour fa naiflance , lui a accordé la liberté de faire prêcher dans fa Maifon par fon Chapelain Réformé. Quelquefois le Prince de la Tour & T*$s > t Grand -Maitre héréditaire des Polies de l'Empire j fait fon féjour à Francfort. Sa Maifon eft d'une grande reflburce pour les Etrangers, fur-tout lorfque la Prin-cefle eft du voyage. C'eft une Dame d'un très grand mérite, & qui a le coeur & les fèntimens d'une ReineC'eft dans les maifons des perfonnes que je viens de nommer, que la Compagnie de l'un & l'autre Sexe fe ralTemble tous les foirs. Le tout enfemble forme de très pe- «1 eft retour a Trmcfm , où. il eft Miniftre dit Roi de Prufle auprès du Cercle du Rhin. J * Cette Dame eft morte dans cette année 1733. T Depuis que l'Auteur a été à Francfort 1 le Prince Alexandre de la Ta»r & Tajjis, qui a époufé une Princcffe de "Brandebourg - 'Bartitk , fait fa réfidenec dans cette Ville: il y fait bâtit une Mailon, ^| Loitif:-^Anne-Franco!fc de Lobhxpltx. » Fille dit *tn Ptince Léoftld dt LobUttht. , Grand •Miittc de l Impératrice, jufqu'cn 1708.] A4 Franc- petites AlTemblées, à h réferve des Foi-forï. reSj ou- Cout: fourmille de Noblefle. La plupart des Electeurs & Princes de l'Empire ont à Francfort des Agens, à qui ils donnent le Titre de Réiîdent. Mais ces Mrs. n'en font pas plus confiderés : la plupart font des Marchands de Francfort même, qui follicitent ce Titre afin de fe {buftraire à la domination du Sénat,s'exempter de payer les Droits , Ôc pour pouvoir mettre fur leurs portes les Armes des Princes à qui ils envoyent les Gazettes. Le Comte de Degenfeldt figure affex ici, pour que je vous en parle plus particulièrement. Ce Seigneur a de la naif-fauce. Il eft originaire du Paiatinat, ôc a pafïe la première jeuncfTe au fervice de l'Electeur Palatin. De Réformé qu'il étoit alors, il fe fit Catholique. Quelques années après, il retourna à fa première Communion , ôc époufa en Angleterre une de les Parentes , Fille du Duc de Schomberg , de laquelle il a eu de très gros biens. Il a encore une riche fucceflion à attendre de Madame la Raugrave Palatine, fa Tante *. La parenté de Mr. de Degenfeldt, ÔC de cette Dame, m'a rappelle l'Hiftoire de la Mère * Cette Dame eft motte à Francfort au mois dç. Fevriei 17 jj. re de Madame la Raugrauve, qui, com- franc me je vous l'ai dit, étoit une Degenfeldt. fort. Je me fuis avitè de l'écrire fur ce que j'en ai ouï dire à feue Madame de France , Se fur de très bons Mémoires qui m'ont été communiqués. J'ai placé cette Hiftoirc, comme arrivée du tems des anciens Germains; & comme je l'ai fait pour l'inlérer dans un Ouvrage que Toi-iiveté m'a fait entreprendre , je la fais raconter par feue Madame l'Elcciricc <ÏHa?iovcr. Cette PrinceiTe adreffe le difeours à fa Bru. Je vous envoie ci-joint toute l'Hittoire : vous en trouverez, la Clé à la fin. Comme je vous crois désœuvré à la Campagne, je n'appréhende point que la lecture que vous en ferez vous faiTe perdre du tems : je crains bien plus qu'elle ne vous ennuie, Mais en tout cas., ce fera votre faute : je ne vous force point à lire, il dépend de vous de laitier là Gertmde, Il I S- lO L Ê T T R ES HISTOIRE D E GERTRUDE DAME MARCOMANNE. L'Hiftoirc de Gertrude , dont j'entre-prcns , Princeffe , de vous faire Je récit, elt proprement l'Hiftoirc de l'ex-tinélion de ma Maifon ; puifque la fatale paffion du Roi Malcolme mon Frère pour cette Femme, eft, félon ios apparences, caufe qu'il ne refte plus de notre Sang que trois PrinceiTes * & moi. La conformité de fentimens avoit lié une étroite amitié entre mon Frère & moi. Nous avions été élevés enfemble en Belgie \, où le Roi mon Père avoit été contraint de fe réfugier pour être plus à portée de recevoir du fecours â'A/- frede * Madame l'Abbeflc de Mattbmjfon , Sœur de Madame l'Eleétrice d'Hanover , qu'on iùppolè parlei ici j Madame la Duchcife d'ffj»»w> Mère de l'Impératrice Amélh j & Made. la Princelfc de Conié. f A Rhcncn , petite Ville dq la ProTincc d'u-ttecht. du Baron de Pollntrz. 11 frede Roi d'Albion, Père de la Reine ma Mère, contre les Romains, qui après une longue & iàngiante Guerre l'a voient dépouillé de les Etats. Ce Roi l'amufa longtems par de belles promeiTes. Mais le peu d'intelligence qu'il y avoit entre lui & les Etats de Ton Royaume, joint à une certaine indolence qui lui étoit naturelle, l'empêcha d'en venir aux effets- & le Roi mon Père ne vécut point aflèz pour être témoin de la Paix que fes Alliés obligèrent enfin les Romains de conclure. Cette Paix ne fut point avantageufe à Malcolme mon Frère : il falut que pour l'obtenir, il cédât une partie de fes Etats * au prince des Boyens l'Allié des Roumains j & ce f-Qt à ce pris qu'on le laifia tranquille poffeffeur du reiïc. Mon Frère fe voyant affermi fur le -1 rône, fongea à fe marier. Ses Minif-tres lui parlèrent de la Princeffe des Cattes, comme du parti qui lui étoit le Plus convenable^ & l'aiïurcrent qu'outre 1 avantage qu'il tireroit d'une alliance li muitre, il ne pouvoit époufer une plus belle Princeffe, ni d'un meilleur caractère. Mon Frère , qui ne fe marioit que par raifon d'Etat, n'eut aucune ré* pu- pugnance à fuivre leurs avis, & il épour la cette Princeffe. Le commencement de fbn mariage fut allez heureux : la Reine là Femme avoit de la beauté ; Ôc bien que ion caractère fût fort différent du portrait qu'on en avoit fait à mon Frère, elle fut pendant quelque tems fe déguifer allez , pour que ce Prince fè fût bon gré du choix qu'il avoit fait. Mais leur union ne dura pas longtcms^le vrai caractère de la Reine fe manifefta bientôt: on reconnut qu'elle avoit une aigreur, ôc une hauteur d'efprit infuppor-talies: elle étoit particulière ôc fombre, toujours prête à comrarier, ôc Jbuvent d'une humeur chagrine, dont elle-même ignoroit la caufe, ôc qu'elle faifoir rejaillir fans diflinétion fur tous ceux qui 1 ap-prochoient. Le Roi mon Frère étoit d'une humeur tout oppolée; il aimoit les plaifirs, il étoit galant, affable, naturellement enjoué, bienfaifant} ôc j'oie dire, fans qu'on puiffe m'acculèr de prévention pour un Frère dont la mémoire m'eft encore chère, que s'il eût fu un peu mieux réprimer fa colère, c'eût été le Prince de fon tems le plus accompli. Cependant, il fupporta d'abord afTez patiemment la mauvaife humeur de ià Femme, il tâcha de la ramener parla douceur: mais voyant que tous fes foins étoient inu-* riles, il réfolut enfin de chercher quelque autre amufement. 11 y avoit longtems que la beauté de Gertrude, Fille d'honneur de la Reine fa Femme , avoit fait quelque impreffion for lui i mais il s'étoit contenté jufqu'a-lors de le lui témoigner par fes regards, pour ne point irriter la Reine. Gertrudey qui s'étoit apperçue que mon Frère ne la regardoit pas avec des yeux indiffé-rens, affectok d'éviter toutes les occasions où ce Prince eût pu lui parler de fon amour. Mais le hazard favorifa mon Frère. Ce Prince étoit un jour chez, la Reine la Femme : la converfation qui tomba fur les bijoux , le fit appercevoir que depuis quelque tems il ne voyoit plus à cette Princeffe un Brafïelet donc il lui avoit fait préfent} ôc lui aiant demandé ce qu'elle en avoit fait , la Reine lui dit qu'elle croyoit l'avoir mis dans une Caffette dont elle gardoit elle-même la clé. Elle fe la fit apporter par une de fes Filles, & l'ouvrit : mais le Brailelet ne s'y trouvant point, elle en parut inquiète. Mon Frère le remarqua, ôc fa faifant un plaifir d'augmenter fon inquiétude, il lui dit, mais d'une manière qui faitoit voir qu'il ne le penioit pas, qu'elle avoit fans doute quelque Amant caché, à qui elle avoit donné ce braffelet, ou qui l'avoit dérobé. Ces paroles, quoique dites en riant , firent une vive impreffion fur l'efprit de la Reines Ôc comme elle étoit d'un caractère a prendre feu facilement, elle fut vivement piquée rie ce difcours, & oubliant le refpcâ qu'elle devoit au Roi fon Epoux, elle s'emporta contre lui jufqu'à lui dire les paroles les plus outrageantes. Mon Frère,naturellement vif & bouillant, ôc qui ne s'at-tendoit à rien moins qu'à un pareil traitement, lui répondit, que fi elle conti-nuoit à s'oublier de la forte, il fauroit trouver les moyens de réprimer une telle infolence. Il fortit enfuite brusquement, ôc paffant par l'Antichambre, il rencontra la belle Gertrude. Son dépit le fit parler par-deffus les ménagemens qu'il avoit gardés jufqu'alors : il s'approcha d'elle, lui parla longtcms, ôc lui trouva tant d'esprit ôc de douceur, qu'il acheva de s'en laiffer charmer. Il lui déclara fon amour, ôc cette adroite Fille, fans lui donner des cfpérances, lui répondit d'une manière à ne le point rebuter. Mon Frère s'étant retiré,Gertrude entra chez la Reine faMaitreflè, dont elle avoit toute la confiance. Cette Princefle ne la vit pas plutôt, qu'elle lui fit raille plaintes de la manière dont le Roi l'a-voit traitée. Gertrude témoigna êtrefen-fible à fon chagrin, ôc jugeant bien que la Reine ne manqueroit pas de favoirque le Roi l'avoit entretenue dans l'Antichambre , elle lui dit, que ce Prince Faiant rencontrée dans fon paffage, lui avoit fait avec emportement le récit de ce ce qui s'étoit paffé ; ôc qu'elle avoit fait tous fes efforts pour l'appaifer , fans a-voir pu y réuffir. Elle blâma le procédé du Roi , 6c profitant de la liberté que la Reine lui donnoit, elle lui dit que fi elle, qui n'étoit qu'une Particulière, fe voyoit traitée de la forte par un Epoux, fût-il même Roi,elle ne pourroit jamais lui pardonner. Elle ajouta plulieurs autres difcours, qui, bien loin d'adoucir Fcf-prit de cette foible Reine, ne firent que l'aigrir davantage. Cependant Maltolme, impatient du fuccès de fon amour, écrivit un Billet à Gertrude, qu'il lui fit porter par un de fes principaux Domeffiques , & il l'accompagna d'une riche garniture de Dia-mans. Mais l'habile Gertrude, cherchant à irriter fa pafïion plutôt que de la fa-tisfaire, n'avoir garde de fe rendre à fes premières attaques ; elle lui renvoya les Diamans, avec une réponfe modelie 6c jcfpectueufe, par laquelle elle le prioit de ne lui plus parler d'amour. Mon Frère étoit trop paflionnément amoureux, pour fe rebuter ; il redoubla fes libéralités, il eut des foins 6c des emprelTémens ; ÔC comme il eft rare qu'un Roi aimable de & perfonne trouve une longue réfiftan-CÇ> Gertrude relâcha peu à peu de fa fé-vérité, ôç enfin elle fit connoitre qu'elle a'étoit pas infcnfible. Leur union 9 qui ne fortoit pas des bor- i6 LetTre bornes ce l'honnêteté, demeura lecrertc pendant un tems allez confidérable,-mats ce ne fut que pour mieux éclater. Un jour Maholme lé trouvant chez fa Femme, laiiïà fans s'en appercevoir tomber une Lettre. La Reine la releva, 6c y reconnut le caractère de Gertrude. Cette Lettre étoit écrite en Langue Latine,ce qui augmenta la curiolité de la Reine. Elle fe confia au Prince Fa/amirlbn Cou-fin , & le pria de lui en dire le contenu. Ce Prince fatisfit imprudemment fà eu-rioiïté,& lui apprit que Gertrude , par ce Billet, affuroit le Roi de toute fa tcndreflc. Vous concevez aiiément, avec quelle émotion la Reine apprit cette intrigue: elle ne fut pas la maitrefïc de fes premiers mouvemens, 6c fans vouloir écouter les raifons que lui allégua Vatamir, elle courut fur le champ à FApartement de Gertrude , qui , heureufement pour elle, étoit fortie du Palais. La Reine fit forcer le Cabinet de cette Fille, jugeant que la Caffette y pourroit être.. Elle l'y trouva effectivement : elle la fit ouvrir,6c en tira toutes les Lettres,dont plufieurs, qui le trouvèrent être du Roi fon Epoux, ne lui laiflbient aucun lieu de douter de l'extrême pafïion de ce prince pour Gertrude , 6c de la bonne intelligence qui étoit entre eux. Mon Frère fut bien-tôt informé de ce que la Reine venoit de faire i mais il diflimula le le chagrin que cela lui caufoit : il n'en témoigna aucun relTentiment à fa Femme, ôc fe contenta d'envoyer avertir Gertrude de ne point retourner au Palais. Le lilence de Malcolwe trompa la Reine, qui véritablement n'étoit pas fort pénétrante ; elle fe flatta même qu'il fe pour-roit que le Roi ignorât fa violence. Dans cette penfée, elle crut devoir diffimuler fa haine Ôc fa colère contre Gertrude. Elle affecta d'être fort inquiète de fon fort i elle fit faire pendant quelques jours des perquifitions pour découvrir ce qu'elle étoit devenue , ôc parut fort affligée de fon abfence. Elle efpéroit par toutes ces démonftrations d'amitié la faire revenir au Palais, afin d'exercer alors fur elle toute la vengeance qu'elle médi-toit. Les chofes étoient en cet état , lorsque le Roi de Suève , Beau - frère de la Reine ma Belle-fceur, vint à la Cour a-vec la Reine fa Femme. Ce Prince aiant remarqué en plufieurs occafions la mélancolie de la Reine, lui demanda la caufe de fon chagrin, un jour qu'ils é-toient à table. „ La mauvaife humeur „ de la Reine ma Femme ( dit Maicol-3, me ) ne doit pas vous furprendre, Sei-„ gneur : c'eft fa maladie ordinaire ; Ôc „ le plus fouvent, elle n en lait pas elle-3, même la raifon. . . Mon mal n'eft que trop réel.(reprit la Reine enfVâ-fm H* B }> méc t% L E T T R. E S „ mée de dépit j ) Ôc vous avez mauvais fe grâce ( continua-t-elle en s'adreffant à fon Epoux) de vouloir le fiure pat-„ fer pour imaginaire, vous qui en êtes l'unique caufe par vos indignes A-„ mours ". Cette réponfe faite en public choqua tellement mon Frère , qu'il en pâlit de dépit ; ôc n'étant pas le maitre de fon refTentiment, il s'oublia jufqu'à la frapper. Cette malheureufe Princeffe fè leva de table, ôc fe retira toute en larmes dans fon Apartement. Mon Frère, qui revenoit de fes excès de promtitude, auffi facilement qu'il s'y lailToit emporter, eut regret quelquesmomens après,de ce qu'il venoit de faire ; il en fit fes excu-iès au Roi ôc à la Reine de Suève, ôc au fortir de table, il palTa avec eux dans l'Apartement de fa Femme, à qui il demanda pardon de ce qui s'étoit pafTé. Cette fatisfadfion, à laquelle la Reine ne s'attcndoit pas fi-tôt, la toucha j le Roi Ôc elle s'embrafférent, ôc ils fe promirent mutuellement de tout oublier. Mais le croirez-vous? ma Uelle-fceur, incon-ftante Ôc bizarre, changea tout à coup de fentiment, ôc fon Epoux étant venu la trouver le même foir dans le deffein d'y paffer la nuit,elle refufa abfolument de lui faire part de fon lit, à moins qu'il ne le réfolût à lui livrer Gertrude. Mal-colme^i étoit encore confus de ion der- nier emportement, écouta plus patiemment qu'il n'auroit fait dans une autre occafion, une proposition fi violente. Il tâcha par la douceur, de ramener l'ef-prit de fa Femme» l'aifurant qu'il ne s'étoit jamais rien pafTé de criminel entre lui ôc Gertrude, ôc que s'il avoit entretenu un commerce de Lettres avec cctt» Fille, ç'avoit été moins par amour, que pour connoitre s'il étoit vrai qu'elle é-crivît auffi bien en Latin , qu'on le lui. avoit dit. Quoiqu'il y eut peu de vrai-femblance à ce discours , comme l'on croit aifément ce que l'on fouhaite, la Reine fe laiffa enfin pcrfuader, ôc fe réconcilia avec fon Mari, fans infifter davantage fur le facrifice qu'elle avoit d'abord exigé. L'Empereur étant venu paffèr quelque tems à Pluibourg,y convoqua une Aflem-blce des Princes de l'Empire. Mon Frère y alla, avec la Reine fa Femme : mais ce fut pour fe brouiller plus que jamais t ôc ma Belle -fceur fut allez, inconlidérée pour rendre Céfkr ôc fa Cour témoins de certains démêlés, que pour fon intérêt , ôc celui de fon Epoux , elle auroit du renfermer avec foin dans fon domefti-que. Il eft vrai que mon Frère ne gar-doit pas beaucoup de mefures avec elle; il aitûoit plus que jamais Gertrude i qu'il avoit laiffée dans une de fes Maifons près de Montpakn. Une légère indifpo-B 2 fction fition l'aiant empêchée d'être du voyage , il ne fe pafîbit point de jour qu'il n'envoyât un Exprès pour favoir de fes nouvelles ; & la mauvaife humeur de la Reine , qui auroit fans doute mieux fait d'employer les voies de la douceur pour le ramener , ne faifoit que l'irriter contre elle , & fortifier fon pan chant pour Gertrude. L'Afïemblée des Princes de Germanie étant terminée , Ôc l'Empereur étant retourné à Home , mon Frère prit le chemin de Montpaien Capitale de fon Royaume, après avoir donné ordre à la Reine de le fuivre le lendemain. Mais, pour une raifon que je n'ai jamais pu approfondir, cette Princeffe, au-lieu de lui o-béir , demeura encore un mois à P/»/-bourg , fans daigner faire favoir au Roi fon Epoux le fujet de fon retardement-Non contente de cette desobéifïànce 3 elle eut l'audace, en arrivant à Mont-paien, d'aller avec un vifage affuré à l'A-partement de ion Epoux, fans favoir s'il le trouveroit bon- Mais ce Prince, jufte-ment irrité, aiant prévu qu'elle pourroit faire cette démarche, avoit donné fes ordres pour ne la pas laiffer entrer. Elle fut donc contrainte de fe retirer dans fon Apartement^ où un Capitaine des Gardes vint un moment après, lui annoncer de la parc du Roi, qu'elle étoit prifonniè-rc. Cette Cette infortunée Princeffe fupporta fa difgrace avec beaucoup de foiblefïe. Elle fe repentit, mais trop tard, d'avoir été aûez. imprudente pour contrevenir aux ordres du Roi fon Epoux, & fe flattant de gagner quelque chofe fur fon efprit, elle lui écrivit une Lettre très foumife, par laquelle elle lui demandoit pardon de fa desobéiiTance, & le prioit de lui rendre fa liberté. Mon Frère lui fit réponfe, mais ne lui donna que le titre de Princeffe de Cattie. Il lui marqua, „ qu'aiant „ fait réflexion au peu de conformité qu'il y avoit entre fon humeur 6c la tienne, il avoit réfolu de la répudier, 6c qu'el-„ le devoit elle-même fe porter à ce Di-j, vorce. Que fi elle vouloit y confentir », de bonne grâce, il lui rendrait la liber-jj té , Ôc lui affureroit un revenu propor-„ tionné à fon rang. Cette réponfe fut un coup de foudre pour ma Belle-fœur ; il n'y eut point d'excès où fon defefpoir ne la portât. Elle fut longtems comme hors d'elle-même; mais enfin aiant repris fes fens par le fe-cours de fes Femmes, ôc s'étanc confulr tée avec ceux qui avoient le plus de part à fa confiance, elle fit dire au Roi, qu'il ctoit le Maître, ôc pouvoit fe fcrvir de fon autorité, mais qu'elle ne confentirqic jamais à ce Divorce. Mon Frère, qui avoit pris fon parti,1 ©C qui ne voyoit point d'autre raoye* de fe procurer la polTefïïon de Gertrude , qu'en époufant cette Fille qui oibit mettre fes faveurs à un fi haut prix, leva le maique; il notifia fon deiTein à fa Cour^ ôc peu de jours après, ce mariage fe fit en la manière qui, comme vous favez, fe pratique en Germanie par les Princes qui fe mefallient, 6c qui exclud les En-fans de la fucceffion de leur Père. Dès qu'il fut marié, il rendit la liberté à la Reine, 6c lui écrivit, ,, que de l'avis 6c „ du confentement des Prêtres de fon „ Royaume qu'il avoit fait affembler, il „ avoit époufé Gertrude. Que la chofe „ étant faite ôc fans remède, il efpéroit „ qu'elle prendroit le parti de fe confo-„ 1er. Qu'au refte, il la traiteroit tou-„ jours en Princeffe ,• qu'elle continueroit ;, à occuper fon Apartement au Palais; „ qu'elle auroit fes Gardes à elle , ôc „ qu'il avoit deftiné un fonds fuffifanc „ pour (on entretien. Mais qu'il exigeoit „ de la complaifance, qu'elle recon-„ nût déformais Gertrude pour légitimé 3, Reine ". Ma Belle-ioeur , qui vit pour-lors fa difgrace affurée, s'abandonna à la plainte ôc aux larmes, elle écrivit au Roi fon E-poux dans les termes les plus touchans; elle implora l'affutance du Roi fon Frère. Mais tout cela inutilement : il lui falut çèdcï à fa mauvaife fortune, ôc prendre du Baron dï Pollnïtz; 23 en patience un mal qu'elle s'étoit en par-rie attiré par ion imprudence. Pendant que tout ceci fe palToit, mon Frère étoit à une de fes Maifons * peu diftante de fa Capitale, où il faifoit traiter Gertrude en Reine , & peu de tems enfuite, il la mena à Montpaien , où ce ipedtacle fut une nouvelle mortification pour la Reine ma Belle -fcèur. Cependant, cette infortunée Princeffe ne defef-pérant point encore de pouvoir ramener fon Epoux , voulut faire une dernière tentative fur le cœur de ce Prince. Elle s'habilla le plus magnifiquement qu'il lui fut poïhble , ôt fe faifant accompagner par fes Enfans, elle fut attendre le Roi fon Epoux dans une chambre voifine de la falle où il étoit à table avec Gertrude, & par où il devait nécefïairement paf-fer. Lorsqu'il parut , elle fe jetta à fes pieds avec fes Enfans ; elle embralTa les genoux ; elle le conjura en larmes, de vouloir bien avoir pitié d'une malheu-reule Princeffe qu'il avoit autrefois trouvée digne de prendre pour Femme , & de faire attention que l'affront qu'il lui faifoit en la répudiant, rejailliroit fur ces mêmes Enfans qu'il avoit tant aimés. Mon Frère parut attendri par un fi trif-te fpectacle ; il regarda quelques mo-mens , les larmes aux yeux , fa Femme & fes Enfans. Il étoit prêt de la rele-B 4 ver, * A ftlwftftùgen, i une li«u« de KtUtdtrg. Ver, Jorfque Gertrude qui le fuivoit, ap- Î>réhendant les fuires du trouble où elle e voyoir, lui dit d'un ton ferme en Langue Etrurienne, Souvenez-vous, Seigneur j de ce que vous m'avez promis. Ce peu de paroles firent un tel effet fur l'ef-prit mal allure de mon Frère , qu'il fe contenta de lever les mains au Ciel, 6c paffa outre , faifant connoitre par fon trouble, combien il étoit peu maitre de lui-même en cette oecafion. La Reine ma Bclle-fœur demeura quelque tems interdite, mais bien-tôt la fureur & le def-efpoir s'emparèrent de fon ame. Elle fe releva, & courut dans fon Cabinet, où s'étant faifie d'un Poignard *, elle revint fur fes pas, dans l'intention d'en percer le cœur de fa Rivale. Mais la rage dont elle étoit agitée ne lui laiffànt pas affez de préfence d'efprit pour cacher cet infiniment de fa vengeance, il fut apperçu d'un des principaux Courtifans , qui le lui arracha lorsqu'elle étoit fur le point d'entrer dans le Cabinet où mon Frère étoit avec Gertrude. Ce Prince entendant du bruit fi près de lui, accourut, & demanda ce que c'étoir. „ C'eil moi ( dit la Reine d'un ton affuré) qui venois j, vous venger, & me venger moi-mê- » me * CVtoit un Piftolet , que le Comte de Hakcnfo lui faifït, & qu'il tira en l'ail! par la fenêttc. On * été oblige de dire ici que c'étoit un Poignard, ies atmcs a rcti n'étant pas encore connues au tems ou l'on a pl*cé cette ^Htoùç. - - me , du Monftre qui nous defunit. „ Mais ce Traitre ( ajouta -1 - elle en „ montrant celui qui lui avoit ôtc le « Poignard ') m'a privé du feul plaifir aa- „ quel je pouvois être fenfible...... „ frinceffe ( lui dit le Roi, d'un air „ allez, tranquille ) ne vous laiffez, plus „ emporter à de tels excès, fi vous ne „ voulez, pas que j'ufe de violence avec „ vous Il fe retira enfuite avec Ger-truds , & ma Beïie-fceur palta dans fon Apartement, dans un état qu'il eft facile de concevoir. Clodius, qui gouverne aujourd'hui l'Empire, aiant été pour-lors proclamé Empereur , cette Princeffe lui adrelTa fes plaintes, & le pria de la remettre bien a-vcc Makolme. Mais Céfar «'étant excufc de le faire , ma Belle-fceur qui ne pou-voit plus fuppofter la préfence de fa Rivale , fe retira auprès du Roi fon Frère, pour y attendre la fin de fes malheurs. Mon Frère vécut depuis dans une grande union avec fa nouvelle Epoufe; il en eut quatre Fils & autant de Filles. Mais enfin la mort lui aiant ravi une Peribnne fi Chère , ce Prince fut fi fenfible à cette perte, qu'il palfa deux ans dans des regrets continuels, & paya enfin lui-même le tribut à la Nature. ^ Il ne laiffa qu'un Fils & une Fille de fa légitime Epoufe, qui lui fervécut de quelques années. Le Roi mon Neveu fut B 5 ma- marié: mais il éroir naturellement fi mélancolique , fon humeur fympathifoit fi peu avec la Reine fa Femme , & il y avoit fi peu d'amitié entre eux, qu'il eft mort fans poftérité. J'ai vu ma Maifon s'éteindre avec lui, fes Etats paffer fous la puiiïance d'un Prince qui nous eft à peine parent, & ma Patrie livrée à la plus affreufe défolation. Car ma Nièce aiant époufé Merouée Frère à'ArioviJie Roi des Gaules , ce dernier , qui eft un Prince ambitieux & que le moindre prétexte excite à la Guerre , ne tarda pas à faire valoir les droits de fa Belie-fceur ; & prétendant qu'elle devoit hériter du Roi fon Fr«re, malgré la Loi Salique établie en Germanie, il envoya une formidable Armée dans les Etats de tèu mon Neveu. Les Gaulois n'y trouvant pas d'abord de réfiftance, y commirent des cruautés énormes ; ils portèrent leur fureur jusqu'à violer le Tombeau des Rois mes Aieux, dont on vit les Corps dépouillés fervir de jouet aux Soldats effrénés. Malheurs qui ne fefoient peut-être pas arrivés , fans la funefte paillon de mon Frère pour Gertrude , puisque , félon les apparences , s'il avoit vécu en bonne intelligence avec fa légitime E-poufc, il en auroit eu plus d'Enfans, & je n'aurols pas ]a douleur de voir le Trôn" de mes Pères occupé par une Maiion Etrangère. CLE" ou Barok de Pôli.M'iti. a; GERTRUDE. ALbion. L'Angleterre. Alfrede I. Jaques I. Roi d'Angleterre. Ariovifie. Louis XIV. Belgie. La Hollande. Boyens. (Le Prince des). L'Electeur de Bavière. Cattes. ( La Princeffe des). La Princeffe de Heffe-CatTel. Céfar. L'Empereur. Clodius. L'Empereur Léopold. Germanie. L'Allemagne. Gertrude. La Baronne de Degenfeldt. Malcolme. Charles-Louis Electeur Palatin, Merouée. Philippe de France Duc d'Orléans, Frère de Louis XIV. Montpaien. Heidelberg. Pluibourg. Ratisbonne. Romains (Les). Les Impériaux. Rome. Vienne. Suives (Le Roi des). Mr. le Margrave de Bade-Dourlach* Fin de PHipire de Gertrude. Pour V Hiftoirc de Corn* $1 C e t t r Ê f Comme toutes les Perfonnes qui ont part à cette Hiftoire font mortes , je ne me fuis pas fait un fcrupule de vous en faire part. Je l'ai écrite fort à la hâte, pour divertir Madame la Princeffe de A.....Ainfi vous ne devez pas ptre furpris il vous ne trouvez pas dans cette petite Relation toute la juf-teffe qui devroit y être. Je dois vous dire encore , que tout y eft véritable ; ainfi vous pouvez, la lire comme une Hiftoire, & non comme un Roman. Le fort en eft jette , je parts pour Rome. Àinh* écrivez-moi, s'il vous plaît, en droiture à Venife. Je vais demain af-(jftçr à une grande Partie de Chafle , qui fe fera à Darmjladt. y y demeurerai deux jours, j'en irai palier deux autres chez le Comte de Hanau ; & en-fuite je commencerai mon Pèlerinage pour les Lieux Saints. Je fuis très par-; fortement, &c. A rrancfott, çç || Mars 1730» LET- »u Baron de PÔllnitx; 29 ********************* LETTRE XXII. Monsieur, DEpuis que vous n'avez, reçu de mes darm= nouvelles, j'ai fait Ôc vu bien des «aot, choies. Je fuis parti le 23 de Mars, de Francfort pour Darmstadt , Capitale du Haut-Comté de Catzenellenbogen, & la Rélidence â'ErneJi-Louis Landgrave de Hefe - Darmftadt *. Cette Ville eft extrêmement petite, & n'eft ceinte que de * [ Philippe le Magnanime , Landgrave de Méfie-Cdjfel, fe trouva en i î 18 , Souverain de tout le Pays de Belle. Il mourut en ij<>7. & laifla 4 Fils, qui partagèrent fes Etats > & formèrent les quatre Branches de Hejfe-Cafel, Uejfe-Marpurg , Heffi Rhelnfeh, & Hejfe-Darmfladt. Les Landgraves Louis de hiarpurg & Philippe de Rhtinfels n'eurent pas de poftérité; mais leur Neveu Maurice de Ctfltt aiant eu 18 Enfans,Er-nefl un de fes Fils recommença une Branche de Rhein-fels, laquelle a été pattagec en Rotenburg &c fanfried , qui fubiiftent encore. La Poftérité de George, premier Landgrave de Darmftadt, n'a pas été moins feitilc.Sc a formé les Branches de Darm/iadt, HutzJ>ach éteinte * Hambourg & Lauterbach, aum" éteintes. Le Landgrave régnant cft un des 16 Enfans du Landgtàve uouis Vl, Arricre-petit-hls de George I. On compte a prefent 6 Branches de la Matlon de Helle, qui font 1. Htfje-Cajfei 2. HeJTe-Philipfiahl. 3. Heffe Rheinfcls-Rotenbtmg, 4. Heffe-Rheinfets-Vanfriti, s. HtfTt-DarmJiaàt, 6. ««/-IJt-HmbtHrg. j ' de paliflâdes. Le Palais du Prince feroît un des plus grands ôc des plus magnifiques de l'Europe , s'il avoir été achevé fuivant le Modèle qui en a été fait : il pourroit loger l'Empereur & les neufE-lecteurs de l'Empire. Il auroit été plus grand que la Ville, & auroit coûté des iommes immenfes. Ce qui eft achevé, eft d'une très grande apparence. Mais tous ces magnifiques travaux, que le Landgrave régnant avoit d'abord fait pouiïèr avec beaucoup de chaleur, ont été entièrement discontinués , fans qu'il y ait d'apparence qu'ils foient jamais repris. Le vieux Palais eft beaucoup plus logeable qu'il ne le paroi t : il y a des A-partemens richement meublés, ôc qui ont de la commodité. Le Landgrave ne demeure point dans le Palais ; il occupe u-ne aifez, petite Maifon fur la Place, de mène une vie très retirée : on ne le voit que les Dimanches, 6c les jours de Fête. Il s'occupe à tourner en Ivoire, à faire des effais de Chymie, ôc à deffiner. Il aime la Chaile par-defJus toutes chofes. Il fe plait à l'Agriculture, ôc à la Mu-fique j ôc on peut dire à la lettre , qu'il n'eft jamais désœuvré. Il a beaucoup d'acquis, ôc de belles connoiiTances. Il a vu beaucoup de diftërens Pays ; ôc quoiqu'âgé de foixante ans , il a encore bonne mine , ôc fes cheveux gris , pour ne point dire blancs, luj donnent un air DUBARON de PoLLNITï. %\ vénérable. Il monte très bien à cheval, D arm-marche bien, & paroît jouir d'une lanté stadt. parfaite, il a eu pour Femme, Dorothée de Brandebourg - Onoltzbach , morte en 1705. On dit qu'il a époufé depuis peu N. . . de Spiegel, Veuve du Comte Set-, b'ehdorf, Lieutenant Général au fer vice de Bavière. Quoi qu'il en foit, ce mariage n'eft point public, & la Dame porte toujours le nom de ion premier Mari, duquel elle a des Enfans. Il eft vrai que le Landgrave la diftingue beaucoup ; 6c en vérité, elle eft bien aimable. Ce Prince dîne ordinairement à une petite table de quatre couverts. Les Dimanches & les jours de Fête, il fe rend au Palais ôc dîne avec fon Fils à une table de feize couverts, & foupe avec des Dames qui paroilïent uniquement les Dimanches & les jours de Fête à la Cour. Il eft très difficile de parvenir à parler au Landgrave, & encore plus à fon Fils unique le Prince Héréditaire. Les Officiers de la Vénerie ont feuls le droit de les approcher. Cela fait que cette Cour n'eft; pas des plus amufantes. Il faut fe répandre dans la Ville, où il y a nombre de per-fonnes de mérite , qui font civilité aux Etrangers. Le Prince Héréditaire f, Fils unique du Landgrave, eft bien fait; il a l'air noble, t [11 fc fiQHUMM»..* tft a* i«j-Avril 1691.3 Darm- ble, danfe bien, monte bien à cheval,a jtxpt. de la vivacité, de l'efprit, ôc delà po-liteiïè: mais fouvent aufli il eft rêveur, mélancolique, & retiré dans les Bois j aimant la ChafTe avec pafïiori, fujet à fe forger des chagrins, ôc ne fâchant pas les diffimuler. Il voit très peu de monde, avec toutes les qualités néceflaires pour y briller. Il a été marié avec Charlotte - Chrifiine de Hanau, laquelle étant morte en 1726, lui a laiflè trois Fils 6c deux Filles, dont l'ainé avoit fept ans. En vertu de ce mariage, le Prince eft héritier des Terres que le Comte de Hanau a en Alface, & généralement de tous fes Biens Allodiaux j ce qui fera une très riche Succelfion. La Cour de Darmftadt ne laiffe pas d'être afTez, nombreufe. Le Landgrave a quantité de Confeillers d'Etat, de Gentilshommes de la Chambre ôc de la Cour, mais encore plus d'Officiers de la Vénerie Ôc de Chaffeurs. Il n'y a point de Province en Allemagne, plus propre pour la ChafTe j ôc aucune en Europe, où il y ait plus de Cerfs. Le Pays eft uni & plat, Ôc le terrein iablonneux, entrecoupé de Bois percés de Routes magnifiques. J'ai vu des Cerfs venir jufqu'auprès des paliffades de la Ville i ôc dans le tems du Rut, j'en ai entendu crier de mon lit. Cette grande quantité de Bêtes fauves eft extrêmement à charge aux. Payfans, qui font nuit ôc jour en campagne pour gar- i der leurs champs. Le Landgrave Ôc le «Tj Prince Héréditaire font fi jaloux de leur Chalîe, que c'eft un meurtre pour eux que de tuer un Cerf; Ôc bien que ce foit un ufage établi parmi presque tous les Souverains, de punir rigoureufement tous ceux qui tuent un Animal, que Dieu pourtant a certainement créé pour l'ufagc de tous les Hommes, il n'y en a point qui obferve plus cette Loi que le Landgrave. Je vous parlerai avec la même incertitude des revenus de ce Prince, que de ceux de tous les autres Souverains. On dit qu'il a cinq ou fix-cens-mille florins par an. Je ne fuis pas trop informé du nombre de fes Troupes ; je n'ai vu que le Régiment des Gardes, qui eft extrêmement bien compote. Ses Gardes à cheval font encore de très belles Troupes: elles font commandées par le Général Mihitz , qui eft en même tems Grand-Maréchal de la Cour, dont il fait très bien les honneurs. Quoique le terrein à Darmjladt foit extrêmement fablonneux, il y croît d'ex-cellens Légumes. J'ai vu lervir à la table du Landgrave, des Asperges dont trois pefoient une livre: il eft vrai qu'elles é-toient beaucoup plus belles que délicates. Je me fouviens que dans un autre Voyage que j'ai fait ici, c'étoit au mois de Tems II. C Dé- Da*m- Décembre, on fervit au Landgrave dans «tadt. divers pots de Porcelaine, un Cerifier nain plein de Cerifes, des Fraiiiers, un Amandier, & enfin les fruits de toutes les Saifons. La Partie de ChaiTe qui devoit fe faire a été remife, je ne fai pourquoi ,* & moi qui n'étois venu que pour la voir, je me fuis arrêté un feul jour, & j'ai été à Ha-7iau. Mr. le Comte & Madame la Princeffe de Hanau y étoient arrivés depuis peu de jours, d'Alface. La Ville de Ha-a ' nau eft fituée dans une vafte Plaine, fur la droite du Main. On la divife en deux Quartiers, la Vieille & la Nouvelle Ville. Cette dernière partie eft beaucoup plus grande que l'autre; elle a été bâtie par des Proteftans Wallons, qui dans les perfécutions du Duc d'Alfa fous Philippe IL9 Roi d'Efpagne, quittèrent les Pays-Bas & vinrent s'établir à Hanau. Ils fortifièrent la Ville , & bâtirent de manière que toutes les rues font en droi-1 te ligne. Le Comte entretient quelques Compagnies, dont il fait des détache-mens pour le Contingent qu'il doit fournir comme Membre du Cercle du Haut-Rhin. Les Wallons domiciliés à Hanau , y ont établi plufieurs Manufactures, fur* tout d'Etoffes de laine. Les Réformés, •les Luthériens Ôc les Juifs, font tolérés ici : pour nous autres , nous pouvons cher- ehercher uneMelle où bon nous femble. Phi Le Palais du Comte eft dans la Vieil- RUH le Ville. C'eft un ancien bâtiment, qui n'a pas bien grande apparence, mais dont les Apartemens font commodes, & très richement meublés. Le Comte a une très jolie Maiibn de plaiiance, à un quart de lieue deH*»*»,- on la nomme Phi/ips-Ruhe, (Repos de Philippe.) Le feu Comte de Hanau, Frère du Comte régnant, l'a fait bâtir. C'eft dans cette Maifon que je trouvai la Cour de Hanau. 11 y avoir très nombreufe compagnie, & j'aurois fort fouhaité pouvoir m'y arrêter quelques jours. Peu de Princes dans l'Empire vivent plus gracieufement que le Comte de Hanau. C'eft Madame la Princeffe *, de la Maifon de Brandebourg-Anfpach^ & Sœur de la Reine d'Angleterre , qui dirige toute la Maifon, & qui tient toutes les chofes dans un ordre admirable. On jouit dans fa Cour, de toute la liberté qu'on peut defirer. En arrivant, on vous affigne une chambre. Un Laquais eft chargé de vous fervir. Tous les matins, un Officier vient demander ce que l'on fouhaite pour déjeûner: rien ne manque, de tout ce qu'on peut demander. Si enfuite on veut aller à la, Chailè, on envoie demander un Guide C 2 au - au Grand-Venèur, ôc des chevaux à l'Ecurie du Comte. Si l'on revient trop tard pour dîner, on eft fervi très délicatement dans fa chambre. Les foirs a-près qu'on eft retiré , un Sommelier a encore foin de vous pourvoir de Vin Ôc de Bière. Les Domeftiques étrangers font nourris avec ceux du Comte. Sa table eft des mieux lervies, elle eft ordinairement de dix-huit couverts ; une féconde table eft fervie avec la même magnificence. Le Comte a une trèsgros-fe Maifon, ôc vit en toute manière en Prince. AufTi ne tient-il qu'à lui de l'être ; il y a longtems qu'il en a le Diplôme Impérial: mais il n'en veut point faire ufage, ôcdit qu'il aime mieux être le premier Comte, que le dernier Prince. Il eft le dernier mâle de fa Maifon. Après fa mort, le Comté de Hanau retombe au Landgrave de Hejfe-CaJJel, félon le Traité de Confraternité fait entre les Maifons refpectives de Saxe, de Hejfe ôc de Hanau, qui porte, que ces Maifons fe fuc-cèderont l'une à l'autre. Le Roi de Pologne, comme Eledeur de Saxe, auroit dû avoir fa part à la Succeflîon du Comte de Hanau, mais Sa Majefté a cède par un Traité fes droits au Landgrave de Caffel. Quant aux Terres à'Alfate ÔC les Biens AUodiaux, ils retombent, comme je vous l'ai déjà dit, aux Enfans du Prince Héréditaire de Darmjladt. bu Baron de Pollnitl 37 Le Comte de Hanau paroît beaucoup Philip»-plus âgé qu'il ne l'eft en effet. C'eft un *™E-Seigneur fort civil. 11 eft idolâtre de fa ChalTe. C'eft un crime impardonnable, que de tuer un Cerf fur fes Terres. Le petit Gibier, Lapins, Lièvres, Ôc Perdrix, ne font pas moins ménagés. Tous ces Animaux défolent les campagnes; mais ils fervent pour l'amufement du Comte : le pauvre Payfan eft réduit à payer fa Taille, ôc à ne dire mot. Je ne me fuis point arrêté depuis Ha- Munich nau jufqu'ici. J'ai paiTé par Wurtzbourg, Nuremberg ôc Augsbourç. J'arrivai hier au foir en cette Ville, ôc je compte d'en partir demain. Je m'arrêterai deux ou trois jours à Saltzbourg, enfuite je me rendrai par le Tyrol à Venife. Ne manquez, pas, s'il vous plait, de m'y donner de vos nouvelles. Je viensd'affifter auxObfèques dcThe-rèfe-Cunegonde Sobieska, Eleétrice de Bavière, Mère de l'Elect.eur. Cette Prin-cefîe vient de mourir à Venife, où elle s'étoit retirée depuis dix-huit mois. On attend inceffamment fon Corps , pour l'inhumer dans le Tombeau de la Maifon Electorale. Elle laiffe, à ce qu'on dit, près de foc millions de florins. Comme elle n'a point fait deTeftament, les quatre Princes fes Fils partageront également. Elle laifie encore une Fille, qui eft Religieufe dant un Couvent de cette C j Ville. Wvkic». Ville. Je me trouvai à fa prife d'habit, en 1719. Elle choiftt cette retraite malgré l'Electeur fon Père, qui fit tout ce qu'il put pour l'en détourner. Elle vit en odeur de fainteté. Mais pour en revenir aux Obfèques de Madame TElec-trice, elles n'ont pas été autrement magnifiques. L'Eledteur y a affilié avec Madame l'Electrice, l'Électeur de Cologne, le Duc Ferdinand^ l'Evêque de Freifingen, Madame la Ducheffe Ferdinand, & les deux Princes fes Fils. Ces Princes avoient des capuchons par defïus la tête, & de grands manteaux : cet habillement n'eft pas des plus avantageux. La Maifon de Bavière obferve une Etiquette affez. fin-gulière; elle ne donne jamais de Livrée noire, ni ne drape point les Caroffes. Cela me paroît très raifonnable; mais cela ne fait pas un fort bel effet dans une Pompe funèbre. Je fuis,&c. A Munich, ce a Avril» 173c* LET- ********************* LETTRE XXIII. Monsieur, EN partant de Munich j'allai dîner à Wasi**-. Eversberg, Village appartenant aux MV&8' RR. PP. Jéfuites, qui y ont une Maifon dont la grandeur fait toute la beauté. Je fus coucher à WasserbouRO > Ville de la Bavière, bâtie fur un Rocher tellement entouré de la Rivière d'Inn , qu'il devient une Presqu'île. Les Montagnes & les Rochers femblent devoir accabler cette Ville , qui véritablement ne mérite pas trop qu'on en parle. Elle avoit été affignée pour Douaire à l'Electrice Thérèje-Cunegonde Sobieska, morte le mois dernier ; mais cette Princeffe n'a jamais voulu y demeurer : tout autre auroit fait de même. Après avoir paffé Vin» * fur un Pont de bois allez fragile, j'ai monté une haute Montagne , j'en ai descendu une autre, remonté une féconde, oc toujours continué la même chofe jufqu'à deux lieues C 4 de * Cette Rivière prend û fource dans le Tyrol, un pi au deflus d1 btspruck .■ eUcdcvicnt navigable à*W-U, Ôc va fc perdre dans le Vannbt près de Pajfan. de Saltzbourg, où le Pays devient plus praticable. La Ville de Saltzbouro , ainfi que tout l'Archevêché, prend fon nom delà Rivière de Saltz. qui traverfe la Ville Ôc le Pays. Elle prend fa fource dans le Tyrol, & va fe perdre dans Ylnn. La Ville eft fort refferrée par les Montagnes qui l'environnent, ce qui fait qu'elle eft beaucoup plus longue que large: mais tout confidéré , ce n'eft pas une grande Ville. Elle eft allez, bien fortifiée, & a un Château qui étant fur une hauteur , forme comme une Citadelle. Ce Château eft fourni d'un bon Arfenal, ôc de toutes fortes de munitions. On m'a afluré qu'il y avoit vingt-mille quintaux de Poudre. II y a quelques années, que me trouvant ici, la foudre tomba fur ce Magazin : il ne s'en falut que d'un demi-pied, qu'elle n'eût pénétré aux Poudres. Si cela étoit arrivé, je penfe que j'aurois fait le faut périlleux, ÔC que je ne vous écrirois plus. Ce Château a toujours une Garde de cinquante hommes. LaGarnifon de la Ville eft de 600 hommes, logés dans des Cafernes. La Ville de Saltzbourg renferme de plus beaux Edifices, que bien des grandes Villes. L'Eglife Cathédrale eft magnifique : elle fut conlacrée le 24 Septembre 1618, par un Archevêque qui é-toit de la Maifon des Comtes de Lodron. Tout du Baron de Pô'llniti 41 Tout cet Edifice, qui eft très vafte, eft salts* de pierre de taille. Son fuperbe Portail bouus. peut être confédéré comme ce que nous avons de plus partait en Allemagne. L'habile Architecte qui en a eu la conduite, a beaucoup imité la façade de l'Eglife de Ste. Agnès de la Place Navonne à Rome. On y remarque quatre Statues de marbre plus grandes que nature, qui repré-fentent S. Pierre, S. Paul, S. Rupert, ôc S. Virgile, dont les deux derniers ont été les premiers Archevêques de Saltzbourg. Toute l'Eglife elt ornée en dedans d'un grand Ordre Corinthien , en pilaftres. Elle eft bâtie en Croix, avec un Dôme fort élevé, qui fépare la Nef d'avec le Chœur. Le grand Autel,qui eft au fond du Chœur, eft de marbre, ainfi que les deux Chapelles qui forment la Croix. Le Parquet de l'Eglife eft de grands carreaux de marbre de différentes couleurs. C'eft dommage que le jour n'ait pas été mieux ménagé ; le Dôme feul eft éclairé. Mais fi l'Eglife eft magnifique , les ornemens du grand Autel le font encore plus. Aux grandes Fêtes, on y voit un Soleil d'or garni de Pierres précieufes, de la valeur de cent-mille écus, une grande Croix d'or mafïif y quatre Chandeliers du même métail. Le devant de l'Autel & le Tabernacle font d'argent maffif, d'un excellent ouvrage. S. Rupert, furnommé l'Apôtre de Ba-C 5 vière, vière, fut le premier Evêque de Salis-bourg, en 582. Léon III, que l'Eglife honore comme Saint, érigea cet Evêché en Archevêché,en faveur de S. Arnould, l'an 798. Il eut pour SufFragans les E-vêques de Freijingen, de Ratisbonne, de Pajfau, de Brixeu, de Gurck, de Chiem* fée, de Seggau 6c de Lavant. L'Archevêque a droit de nommer aux quatre derniers Evêchés. La nomination du feul Evêché de Gurck eft alternative entre ce Prélat, ôc l'Empereur comme Archiduc d'Autriche. Les quatre Evê-ques portent le Titre de Princes de l'Empire, Ôc jouiflènt de toutes les prérogatives attachées à cette haute Dignité. Malgré cela, l'Archevêque ne leur donne jamais la main, il les traite en leur parlant, de Euer Ereuntjchaft ( Votre A-mitié.) Le fcrvice dans cette Métropole fe fait félon l'ufage obfervé dans l'Eglife de S. Pierre à Rome. Le Chapitre eft compofé de l'Archevêque, d'un Prévôt, du Doyen, ôc de vingt-quatre Chanoines , tous de qualité , lesquels ne font obligés de faire que quatre mois de réfi-dence; le refte du tems, ils peuvent aller où bon leur femble. Le Prévôt ôc le Doyen font tous deux mitres ôc crof-iés *. L'Archevêque, ainfi que l'Electeur * Le Prévôt & le Doyen de Pajfau jouiflènt de la jmème Prérogative. duBaro.h de Pôllnîtz; 43 teur de Cologne, a le droit de s'habiller salt*. en Cardinal. Ce Prélat adminiftre alter- »"«ae. nativement avec l'Archiduc à'Autriche, le Directoire du Collège des Princes à la Diète de l'Empire. Il eft de plus Légat-né & perpétuel du S. Siège, & Primat d'Allemagne. Voici fes Titres : Léo-pold, par la grâce de Dieu, Archevêque de Saltzbourg ér Prince de l'Empire, Légat perpétuel du S. Siège Apofiolique de Rome, Primat d'Allemagne, forti de lillufre Maifon des Barons de Firmian. L'Archevêque, en parvenant à l'Epif-copat, doit payer à Rome pour le Pal-lium, cent-mille écus. C'eft ordinairement le Pays qui paye cette fomme pour lui, & qui fait outre cela un Don gratuit de cent-mille écus à fon nouveau Prince. Ce Prélat jouit d'environ quinze-cens-mille florins de rente. Le Sel qui palTe en Bavière ôcenSouabe, lui rapporte feul trente-mille écus. Il eft le mai-tre abiblu de tous fes revenus, ôc n'en doit compter à perfonne. L'Archevêque d'aujourd'hui eft du Tyrol, d'une Maifon diftinguée, mais peu favoriiee de la fortune. Il eft né en 1679, le 2<î Mai,ôc a fuccédé à François-Antoine Comte de Ffarrach. La diviiion du Chapitre fit fon élévation. Les Chanoines ne pouvoient s'accorder fur le choix d'un Evêque; tous vouloient l'être, ou vouloient du moins élever un de leurs Parens ou Amis. A- près près bien des débats, des allées & venues, leur choix tomba fur le Baron de Fir-tnian, qui étoit pour-lors fort infirme. Ce fut ce qui lui procura la Mitre: les Partis qui divifoient le Chapitre fe réunirent en fa faveur, parce qu'ils le regardoient comme un homme qui vivroit peu, mais qui vivroit affc'z pour donner le tems à chacun de former fes cabales, afin de pouvoir élever à l'Epifcopat celui de qui il efpéroit le plus d'avantage. Tous ces Meffieurs fe font grandement trompés fur la vie de l'Archevêque. Ce Prélat, comme un autre Sixte V., a perdu toutes fes infirmités en parvenant à l'Episcopat, & promet de furvivre à beaucoup de lès Electeurs. Ce Prince eft d'une taille haute; il a un air févère & fier, falue peu, parle encore moins; la Chaffe fait le plaifir de fa vie; il eft presque toujours feul,ôcmange de même. En Eté, il fe tient à la Campagne, & y eft d'un très difficile accès. Il y eft fans fuite & fans compagnie. On l'aceufe d'être fort ceconome; je ne fai fi c'eft avec raifon : mais peut-être le paroîtroit-il moins, s'il avoit (uccédé dans l'Episcopat à tout autre qu'au Comte de Htrracb , le Prélat le plus généreux, le plus noble, & le plus magnifique de fon tems. L'Archevêque eit naturellement valétudinaire: il doit la con-fervation de fà famé, après Dieu, à fon Médecin nommé Gerftter, natif de Vienne i ne: homme favant dans fon Art, plein salt* d'honneur ôc de probité, qui a fu fe pro- bouro, curer un tel crédit fur l'efprit du Prélat, qu'il eft presque le fcul qui ofe lui parler avec liberté. Le Comte à'Arco, Fils de la Sœur de l'Archevêque , eft celui fur qui ce Prélat répand tous fes bienfaits; il le préfère, à l'étonnement de toute la Cour ôc du Chapitre, à un Neveu de fon nom, Chanoine de Saltzbourg ôc de Trente , jeune Eccléfiaftique de grande efpérance. L'Archevêque de la Maifon de Lodron , qui a fait bâtir la Métropole, a aufli fait conftruire le Palais Archiépiscopal, les Fortifications ôc les Ecuries; tout cela a été achevé en trente-deux ans qu'il a été Archevêque. La diftribution des Apar-temensdu Palais n'étant pas tout à fait du goût d'à préfent, le défunt Archevêque Antoine Comte de Harrach a tout fait changer, ôc n'a presque confervé que les dehors. Aujourd'hui le Palais de Saltzbourg furpaflè en magnificence bien des Maifons Royales. Il contient, fans compter les Salles ôc les Gallcries, cent foi-xante ôc treize chambres, toutes riche-njent^ meublées. L'Apartement de l'Archevêque eft fuperbe. On y monte par un grand Elcalier de marbre, imitant le Jaune antique. Il eft diviié en trois rampes, Ôc vient aboutir à une grande Salle des Gardes, d'où l'on entre dans F Aparté- ,- tement de l'Archevêque, compofé de di-vcrfes pièces, où d'excellens Maitres Italiens ont travaillé aux plafonds fur de fort beaux DelTeins. 11 eit certain qu'on demeure furpris, en voyant la richeflè des meubles, & la diveruté infinie des autres chofes qui fe voyent diflribuées dans ce valle Apartement; comme des Tables de marbre,enrichies de moulures d'Or moulu; des Porcelaines anciennes, de la première beauté ; des Lultres d'argent maflif,6c de Cryftal de roche, d'un rare travail; des Girandoles aulTi d'Argent ou de Cryftal, fur de grands Guéridons dorés; 6c une infinité d'autres chofes très dignes d'être conlidérées avec attention. Quelque magnifique que foit cet A-partement, il y en a un autre deftiné pour les jours de Cérémonie, qui le fur-paflè infiniment. Je ne vous parlerai que des principales pièces. On entre d'abord dans un grand Salon, orné des Portrait» de quatre-vingts Archevêques de Saltzbourg. Il eft fuivi d'un fécond Salon magnifiquement 6c ingénieufement décoré ; Ôc cette pièce, dans tout ce qu'on y remarque, fait voir de la grandeur 6c de la magnificence. Elle eft meublée d'une tenture de Damas cramoiii à galons d'or, formant une riche Architecture en pilaftres Compofites, dont la friiè eft ornée de Confoles couplées, ce qui embellit infiniment toute cette décoration. tion. C'eft la riche dorure, qui brille saltz-par-tout avec une abondance extrême. ««««-o. Une des extrémités de cette Salle fert d'emplacement à un fuperbe Buffet de vermeil, ôc l'autre finit par un riche Dais, fous lequel eft placé l'Archevêque lorsqu'il dîne en Cérémonie. LeLuftre qui eft au milieu de la Salle, eft fuperbe par rapport aux magnifiques morceaux de Cryftal de roche dont il eft compofé. Dans le fond de ce grand Apartement, on trouve deux Galleries qui méritent l'attention des Curieux en Peinture; ils pourront certainement s'y occuper agréablement, ôc ils y trouveront quantité de Tableaux choifis, des meilleurs Maitres. La Cheminée de la première de ces Galleries en augmente beaucoup la décoration; elle eft du plus beau marbre, orné de Bronze doré d'Or moulu. Au deffus eft une Statue de bronze de grandeur naturelle, repréfentant Antinous. La féconde Gallerie n'eft pas moins magnifique que la première. Le parquet, les lambris, les chambranles, ôc généralement tous les ornemens iont de fin marbre. Les murailles font peintes à fresque, ôc préfentent en divers Tableaux les Cartes Géographiques des principaux Etats de l'Europe. Ces Tableaux font exécutés avec beaucoup d'art ôc une très grande exactitude, tant pour la peinture, que pour la difpoiition des chofes. Un Un troifième Apartement, qui eft au-deffus de celui qu'occupe l'Archevêque, eft deftiné pour loger les Princes Etrangers, & ne le cède point en grandeur ôc en magnificence aux autres. 11 con-fifte en plusieurs pièces d'enfilade. On y voit dans une Salle tous les Portraits des Empereurs depuis Charlemagne jufqu'à l'Empereur Charles VI, Les chambres qui iuivent font tendues de très riches tapis-fcries: il y en a une qui repréfente la Guerre de FoTnpée & de Céfar : elle eft d"un DeiTein admirable ; le Maréchal Daun, Gouverneur de Milan, en avoit offert quarante-mille florins au défunt Archevêque. Je ne parlerai point des autres Apartemens, ne m'étant que trop étendu fur ce qui regarde le Palais Archiépiscopal. S'il avoit appartenu à un Prince Séculier , j'en aurois beaucoup moins dit; mais j'ai cru devoir vous donner une idée de la richeffe d'un Prélat. Le Palais eft accompagné d'un grand bâtiment, qui fèrt de Grand-Commun pour loger les Domeftiques de l'Archevêque. Les Ecuries font royales, & il un François les voyoit, il feroit contraint de convenir que quant à l'intérieur, elles furpaffent en magnificence les Ecuries tant vantées de Verfailles. Elles contiennent cent cinquante chevaux fur deux files, avec une large allée au milieu. Deux rangs de colomnes de pierre foutiennent la voûte, qui eft d'une belle élévation. Attenant ces Ecuries eft le Manège cou- j vert, dont le plafond peint à fresque re-préfente une Joute de Tournoi. Une Gallerie règne tout autour, C'eft dommage que ce magnifique Manège n'ait pas plus de largeur. Le Manège découvert n'a point fon pareil au monde. C'eft une très grande Place quarrée, dont trois côtés font bordés par des rochers fort é-levés, dans lesquels on a pratiqué avec beaucoup d'art trois rangs de Loges,qui fervent à placer les fpeétateurs lorfqu'il y a quelque Carroufel, ou Combat de Bêtes fauves. Tout cet ouvrage eft véritablement magnifique ; les anciens Romains ne le desavoueroient pas. L'Eglife du Collège de la Trinité eft extrêmement bien décorée. Le parquet eft de marbre, ôc la voûte eft peinte a-vec beaucoup d'art ; on y voit l'Affomp-tion de la Vierge, à qui Dieu le Père & Jéfus-Chrift pofent une Couronne fur la tête. Le grand Autel eft d'une forme toute particulière, mais d'une grande magnificence. Deux Anges de bronze fur-paffant la grandeur humaine, en action d'humilité ôc d'adoration, foutiennent un Cœur de bronze qui fert de Tabernacle. Par-deffus eft un Monde, au milieu, de Dieu le Père ôc du Rédempteur. Dieu le Père paroît appuyer la main droite fur le Monde, ÔC préfente la gauche à No- Tome II, D tre saltz- tre Seigneur, qui de fon côté pofe la *ovro. main gauche fur le Monde ,& de la droite tient une Croix. Ils font foutenus par des rayons fort étendus, qui brillent d'u-fie très riche dorure. Ce fuperbe Groupe eft lurmonté d'une Gloire, au milieu de laquelle paroît le S. Efprit en forme de Colombe, ÔC dont les rayons portent fur Dieu le Père ôc Dieu le Fils. Le tout eft de bronze doré d'Or moulu, ôc d'une très belle ordonnance. Près de cette magnifique Eglife eft le Paiais de Mrabel, où le défunt Archevêque Comte de Barrach pafloit les E-tés. Ce Prince, véritablement magnifique en toutes chofes, a fait bâtir cette Maifon de fond en comble, Ôc y a fait une très grande dépenfe. L'Architecte qu'il a employé, n'a pas répondu à fes intentions; ôc il paroît qu'il entendoit très mal à diftribuer des Apartemens. Chaque pièce prifc en détail a de la beauté, mais il n'y en a pas une véritablement en Ion lieu. Le grand Efcalier eft fuperbe, tant pour ion ordonnance, que pour la riche manière dont il eft décoré j mais il eft placé dans un coin, ôc à moins que d'avoir un guide, il eft difficile de le trouver. Le Salon, qui eft la première pièce de l'Apartement de l'Archevêque, mérite l'attention des Curieux, par rapport à la grande manière dont il eft peint. Le marbre, le bronze Ôc la dorure parois- roiffent y être prodigués. L'Ordre Corinthien en pilaftre y eft entièrement ob-fervé; on y voit des Bas-reliefs imitant le bronze, qui font d'un très bondeffein & qui font un très bel effet. C'eft dommage que ce beau Salon manque de proportion; il eft beaucoup trop élevé pour fa grandeur : mais c'eft encore un plus grand dommage qu'il n'ait pas la vue fur les Jardins, la Rivière de Saltz, & la Campagne , objets qu'on découvre des Apartemens qui communiquent au Salon. La Chapelle de Mirabel eft encore d'une grande magnificence; quoique de moyenne grandeur , elle ne le cède point aux plus belles Eglifès. Ce Palais eit accompagné de Jardins , fort ornés de Fontaines & de Statues; on y voit plu-fieurs Orangers plantés en terre, qu'on couvre en Hiver d'une Loge de charpente. Voilà, Monfieur, un détail bien cir-conftancié de la Ville de Saltzbourg. 11 me rcfte encore à vous parler de la Maifon de l'Archevêque ; elle vous donnera une idée de fa grandeur &z de fa riches-fc. Ce Prince a Un Grand-Maître. Un Grand Chambellan, Un Grand-Maréchal. Un Grand-Ecuyer. Un Grand-Veneur. D 2 Ur Un Capitaine des Gardes. Un Grand-Maitre des Cuifines. Un Grand-Argentier. Vingt-quatre Chambellans. Seize Gentilshommes fervans , nommés Truchps. Seize Pages. Quinze Huiffiers du Cabinet. Onze Huiffiers de la Chambre. Quarante-deux Valets de chambre. Vingt-huit Valets de pied. Dix-huit Cuiiiniers. Je ne l'ai pas le nombre des Cochers & Palfreniers ; mais ils doivent être en grand nombre, l'Archevêque aiant fept cens-cinquante chevaux. Outre les Officiers que je viens de vous nommer, il y a encore les Grands-Officiers héréditaires de l'Archevêché : ils font au nombre de quatre. L'Ainé de la Maifon de Ltdrtn eft Grand Maréchal héréditaire. Le Comte de Kuenbourg eft Grand-Echanlon. La Charge de Grand-Pannetier eft vacante par la mort du Comte de Tban-haufen, dernier de fa Maifon. Le Comte de Torring eft Grand-Chambellan. Ces Charges font exercées par les Aines des Maifons ci-deffus nommées. L'Archevêque confère l'Ordre de S. ift^tt,lequel a été inftitué le 25 deNo- vem- vembrc 1702, par l'Archevêque Jean-Erneji. Ce Prélat y a attaché iix Com-manderies ou Prébendes, d'un revenu confidérable. C'eft aux Princes de Bavière que les Archevêques doivent la plus grande partie de leurs richeiïes. * Cependant ceux du Chapitre de Saltzbourg n'admettent point de Princes, pour avoir un prétexte de refufer les Princes de la Maifon de Bavière, dont ils appréhendent la puiffance. Il me paroît qu'ils obfervent plus en cela les préceptes de la politique, que de la reconnoiffance. La Ville de Saltzbourg mérite d'être vue ; mais elle n'eft point amufante : tout Je monde y vit pour foi, & excepté quelques Meilleurs du Chapitre, & leGrand-Ecuyer Comte de Trucbjfes-Zeil, il n'y a perfonne à voir. Ce dernier eft un Seigneur dont les manières & les fentimens ibnt entièrement conformes à fa naiffan-ce. Je ne connois perfonne qui foit plus poli, & j'ai à me louer beaucoup des bonnes manières qu'il a pour moi. Il eft d'une Maifon dont une Branche eft établie en Prufle, où elle occupe depuis longtems des Emplois diftingués, ôc où D 3 elle * [Le Revenu de cet Archevêché monte à 600 mille florins. L'Archevêque a 60 mille flor. par an, pour le* menus plaifirs; & pour officier à trois Serv/ces folenncls, on lui paye 24. mille Ecus, fans compter le Doyenne > qui lut vaut %\ mille florins.] SAtTz- eMe a produit des Sujets d'un grand mê-souaa. rite & qui ont bien fervi l'Etat. J'oubliois de vous parler de deux chofes qui méritent d'être vues. C'eft le Couvent des Capucins, d'où l'on découvre une vafte étendue de Pays; &c le Cimetière de l'Eglife de Saint Sebastien, dans laquelle eft enterré le célèbre Para-celfe. Son Tombeau eft dans un endroit fort négligé, derrière une porte, où une Epitaphe Latine enfeigne que „ làgitP^i-„ tippe-ThéophraJle Paracelfe, célèbre. Mé-decin; qui avec un art merveilleux a „ fit guérir de la Lèpre, de la Goûte, de l'Hydropifie, & d'autres maux in-curables ; 6z qui aiant donné tout fon bien aux Pauvres, eft mort l'an 1541, „ le 24 Septembre ", Paraceljè guériffoit presque tous fes Malades par Sympathie ; ce qui a fait croire au Peuple, toujours facile à donner dans l'extraordinaire,qu'il étoit Magicien. 11 a fait plufieurs Livres, parmi lesquels ion Traité de laPhilofophie fecrette eft un des plus curieux: il contient effectivement des paflàgcs qui font croire que (i Paracelfe n'étoit pas Sorcier, du moins il en avoit la Religion. Le Cimetière de S. Sebajiien eft en quarré, entouré d'une Gallerie foutenue par des arcades : il eft long de cent dix-neuf pas, & large de quatre-vingt-feize. Les environs de Saltzbauri ne font; point point desagréables; & quoique la Vallée $AIjTï.; dans laquelle eft tituee cette Ville ibk bourg. allez reilerrée par lei Montagnes , elle ne lailïe pas de préfenter divers objets qui plaiiènt à la vue. L'Archevêque a deux Maifons de plat-fànce, qui font Clcisheim & Heilbron, qui toutes deux ont de la beauté ôc de la magnificence. Heilbron fur - tout mérite d'être vu, par rapport aux belles Eaux & aux Cafcades. j'efpère de vous écrire incelTamment de Venife: peut-être même aurez-vousde mes nouvelles d'Infpruck. Cela dépendra du féjour que j'y ferai, ôc du déparc du Courier. Je ïuis, ôcc. A Saltzbourg 1 ce z Avril 1730. Depuis l'année 17^0, que cette Lettre eft écrite, il eft arrivé de grandes révolutions dans l'Archevêché de Saltzbourg par rapport à la Religion. Plus de vingt-deux-mille perfonnes ont quitté ce Pays, abandonnant leur bien Ôc leur fortune, ôc fe font déclarés de la Communion Luthérienne. Chofe étrange, ôc prefque impoiïible à concevoir! Car enfin, ces gens-là n'avoient jamais connu d'Ecclé-ïiaitiques que leurs Prêtres; ils vivoient dans un Pays ou il n'étoit pas queftion, de Controverfe, parce que tous les Ha-bitans étoient crus bons Catholiques ; par D 4. con-f conféquent, ces Peuples ne pouvoient point s'inftruire. La plus grande partie même ne favoient point lire, 6c étoient élevés dans une fi grande ignorance, qu'à peine iâvoient-ils les principes du Christianisme. Comment donc ces bonnes gens ont-ils pu connoitre qu'ils étoient dans l'erreur? Je n'ignore pas que dans le commencement de la prétendue Réforme, il y a eu des Saltzbourgeois qui ont fuivi les Dogmes de Luther ? comme Staupitz, Abbé de S. Pierre à Saltzbourg , Paul Speratut Prédicateur de la Métropole de cette Ville, 6c plufieurs autres. Mais le Luthéranisme fembloit être étouffé dans cette Province, lorsque tout d'ura coup il y paroît plus établi que jamais. Je le répète encore, je n'y conçois rien. Eft-il poflible que des Archevêques , des Curés, 6c des Prêtres , aient eu fi peu de foin de ce qui devroit leur être le plus cher , j'entens le falut des Ames, que tant de milliers de perfonnes aient pu palTer pour bons Romains à leurs yeux, tandis qu'ils abhorroient Rome 6c fes préceptes ? Car enfin je iuppofe , 6c je croi même qu'il y a eu depuis la prétendue Réforme, des Proteftans dans le Pays de Saltzbourg: la puiflance humaine n'en: point furfifante pour détruire une Religion, lorsqu'elle a eu des Sectateurs dans un Etat. Mais il eft difficile cile que ces Sectaires y fubfiftent à Finfu salti-d'un Souverain Eccléfiaftique. Comment B0U&3' donc ceux-ci ont-ils pu non-feulement y fubfifter, mais s'y multiplier, fans que les Prêtres Ôc l'Archevêque en aient eu connoiiTance? La ConfeËon ne devoit-elle pas informer les Curés des fenti-mens de leurs Paroiiïiens? ne devoient-ils pas en avertir leur Chef l'Archevêque ? ôc ce Prélat oc fes Prêtres ne de-voient-iîs pas tâcher de ramener les é-garés par l'exemple d'une Foi vive, par des exhortations charitables, 6c s'oppo-fer par une activité compatilTante à leur propagation ? Tout cela a été négligé ; les Prêtres 6c leur Archevêque n'ont reconnu l'embrafement, que lorsqu'il n'é-toit plus tems de l'éteindre , 6c au-lieu de la douceur, de la compafTion 6c de la charité , qui étoient l'eau avec laquelle il faloit éteindre cet embrafe-ment, ils y ont jette l'huile de la haine, de la violence, 6c fe font laines emporter à la fureur de leur zèle, L'Archevêque, hautain, dur, Ôc iévère,oubliant qu'il étoit Père ôc Archevêque, ôc fè livrant à la véhémence de fon tempérament , a perdu pour jamais ces Ames, qu'il pouvoir efpérer de ramener par des instructions vraiment paffcorales , en les traitant comme des Enfans égarés. La manière oppofèe à ces préceptes , que çe Prélat a employée,a fait déclarer Pro-D y teftans sait*- teftans bien des perionnes qui feroient bourg, mortes dans le fein de l'Eglife, fi on a-voic employé les remèdes convenables pour les y ramener. Je fuis très perfuadé au refte, que parmi les Emigrans de Saltzbourg , il y en a une infinité à qui la Religion a fervi de prétexte, qui n'ont quitté leur Patrie que dans l'eipérance d'être mieux ailleurs, & féduits par le plailir trompeur d'avoir rompu le frein de la foumiffion. Quoi qu'il en foit, ces infortunés Sujets,comme les Ifraëlites, fe font répandus dans divers Pays, en Allemagne, en Hollande, & en Pruffc, où le Roi (je fuis o-bligé d'en convenir, tout Catholique que je fuis) les a reçus avec une magnanimité ôc une charité vraiment Chrétienne ôç Royale , Sa Majefté n'aiant épargné ni foin ni dépenfe, ôc aiant fait voir à f U-iîivers, que Û la France eft l'Afyle des Rois malheureux , les Etats de Pruflè font l'Afyle des Peuples opprimés. LET- LETTRE XXIV. Monsieur, J'Ai fait le voyage, de Saltzbourg à Infi pruck, avec les mêmes chevaux. Ceffc ce que je ne ferai plus ; la voie de la Poite vaut toujours mieux; 6c quoiqu'il en coûte un peu plus, on en eft récom-penfé par l'ennui qu'on a de moins. A trois lieues de Saltzbourg eft la petite Ville de Halle , appartenait à l'E- h lecteur de Bavière. Ce lieu eit considérable par fes Salines. Il eft fi tué dans une petite Vallée , que traverfent trois Rivières , formées par les Torrcns des Montagnes, fur lesquelles il arrive une prodigieufe quantité de bois flottant à l'abandon, 6c qui eft arrêté à Halle par des pilotis qui traverfent ou barrent les Rivières. On en forme des ,amas con-fidérablcs pour les Salines, qui en consument une grande quantité. Après avoir parcouru les Salines, j'ai été dîner à Schneitzenrieth, mauvais Village , mais où j'ai fait meilleure chère que dans bien des bonnes Villes. Après dîner, j'ai continué ma route, ôc au bout de quatre lieues je fuis entré dans Halle, dans le Tyrol, dont l'entrée eft fort ferrée par deux Rochers ou Montagnes d'une extrême hauteur , entre lesquels il y a deux Forts, l'un appartenant à l'Archevêché de Saltzbourg, & l'autre au Comté de Tyrol. Chaque Souverain tient Gar-nifon dans fon Fort, & des Commis pour les Droits d'entrée ôc de fortie. Ce paflage eft fi étroit, qu'une voiture a de la peine à y paiTer. Je fuis venu coucher le même jour à Wah- Wahtringen, le premier Bourg des ITnT Etats ^u tyrol, en y arrivant de l'Allemagne. J'ai trouvé les jeunes Garçons tenant dans leurs mains un morceau de bois pourri allumé , & parcourant ainfi les Maifons , les Bois & les Campagnes. Un Vieillard , à qui j'ai demandé ce que cela vouloit dire, m'a répondu que ce bois ainfi allumé étoit bénit par le Curé, & avoit la vertu de préferver de la Foudre tous les endroits où il étoit porté. Cette bénédiction de bois fe fait le Samedi avant Pâques. On forme un grand Bûcher devant l'Eglife: le Curé y jette de l'Eau-bénite, 6c y met cnfuite le feu. Lorsque tout eft bien allumé, c'eft à qui en aura un tifon, avec lequel chacun parcourt fes Terres 6c fa Maifon, avec li peu de précaution, que je ne conçois pas comment ils ne mettent pas le feu par-tout. Depuis Halle jufqu'à Wabtringe» , le Pays DU B ARON DE PÔLLNITZ: 6l Pays eft extrêmement: inculte. Les'Ha- wA». bitans le nourriflent de Laie, de Sauer- teun-kraut7 ôc de Bouillie faite de farine d'A- 0EN* voine. Ils n'ont de grains que ceux qu'ils tirent de la Bavière, leur bétail fait toute leur rieheffe ôc leur commerce ; ôc les Montagnes leur fourniflènt d'excel-lens pâturages. Le jour de Pâques , j'ai entendu la Meffe à Saint Jean, gros Village où il y a une fort jolie Égîife. J'ai été fort édifié du Sermon qu'a fait le Curé , ôc de la régularité avec laquelle s'y fait le Service Divin. Après la Méfie j'ai été dîner à Elvan^ Elvaw» où je me fuis rendu par une Vallée qui en Eté doit être agréable, mais qui dans la faifon préfente eft toute couverte de neiges. Si j'ai été édifié à Wahtringen, je n'ai pas été moins feandalifè à Elvan% de furprendre le Maitre de la maifon , jeune drôle bien bâti, avec une de fes Servantes, occupés à tout autre choie qu'à dire leur Chapelet. Ma préfence n'a point paru déconcerter les Amans ; le Maitre fort honnêtement m'a inviré à fuivre fon exemple , m'affurant que fà maifon étoit très bien pourvue de iMym-phes, ôc j'ai vu peu de tems après qu'il difoit vrai, car le froid m'aiant faK demeurer dans la chambre commune en attendant qu'on en eût échauffé une pour moi, j'ai vu entrer dix jeunes Filles, tou- jelvai*, toutes très humbles fervantes de mari Hôte , ôc nullement d'humeur à imiter les onze mille Vierges, Après dîner, aianc continué ma route à travers les neiges Ôc les rochers, je fuis venu coucher à Kundahl, Le lendemain je n'ai plus eu de neiges, ôc j'ai traverfé une Vallée fort agréable, au rotem- bout de laquelle je fuis arrivé à Roten-*er*' berOj Ville fur les bords de l'Inn , défendue par un Château élevé fur un rocher , ôc plus fort par fa fituation que par fes ouvrages. L'Electeur Maximilien-ILmanuel de Bavière s'étant préfènté le 12 de Juin de l'année 170} devant ce Château, obligea la Garnifon qui étoic compofée de Milices , de fe rendre à diferétion. Depuis ce Fort jufqu'à Inf-fritck , j'ai toujours côtoyé la Rivière d'f»w, qui traverfe une belle Vallée bordée de hautes Montagnes , lesquelles font beaucoup plus elearpéesfur la droite de la Rivière que fur la gauche. Cependant elles iont chargées de maifons, habitées par les Mineurs. Je ne fai comment ces bonnes gens ont pu bâtir dans des endroits ii peu commodes : leurs maifons paroifïent comme collées contre les Rochers, ôc à moins que d'être Chèvre ou Hirondelle, il n'y a pas' moyen d'y arriver. Toute la Vallée eft extrêmement habitée, on y voit quantité de jolis Villages, des Châteaux 6c de belles Maifons de campagne. Elle eft terminée par la Ville de Schwatz,, qui eft schwat^ affez bien bâtie. L'Eglife Paroifïîale eft un ancien Edifice, qui a de la grandeur ôc de la beauté. Elle eft toute couverte de Cuivre : la plupart des Eglifes dans le Tyrol font couvertes de Fer-blanc, peint en vert, ce qui fait >un afïèz, joli effcT. Les maifons à Schvjatz font toutes de brique; il eft rare d'en trouver de bois. J'ai remarqué dans l'Auberge où j'ai dîné, ôc par tout le Tyrol, que ceux qui entroient dans la maifon, difoient à l'Hôte , Je te falue , Jtfus - Cbrifi ; à quoi il répondoit, Qu'il fiit leué, lui <& la fain-te Vierge Ja Mère. Le Maitre de la maifon s'avançoit enfuite , 6c préfentoit la main aux nouveaux - venus. Cette manière de fe faluer eft ufitée parmi le Peuple dans tout le Tyrol, ôc ce Salut eft affiché imprimé fur toutes les portes. Le même Billet apprend que le Pape Clément XI y avoit attaché cent jours d'Indulgence 6c Abfolution plénière, en faveur de ceux qui prononceroient le Salut ôc la réponfe. Après avoir dîné à Schwatz, j'ai continué à côtoyer 17»», ôc trois lieues au-delà j'ai paflé la Rivière fur un Pont près de Fultisbau, beau Couvent de Moines Servîtes, à une lieue de Halle, fecon- h*m.i; de Ville du Tyrol. Les RR, PP. Jéfuitcs y ont une belle Maifon, ÔC une magnifique H^tLE cine Egttfê accompagnée d'un grand Jardin. L'Hôtel des Monnoies mérite encore d'être vu ; il s'y fabrique beaucoup d'Efpèces d'Argent Ôc de Cuivre, tirés des Mines du Tyrol. L'Eau y eft conduite par un Aqueduc de bois. Il fê fait encore à Halle un grand Commerce de Cuivre, de Fer-blanc, ôc de Sel qui s'y fait en abondance, ôc dont le débit eft favorifé par la Rivière d'Inu qui devient navigable à Halle. lNî. De cette Ville à Inspruck, il y a ïsvck. deux lieues. Le chemin eft uni & droit; il mériteroit bien d'être bordé d'arbres, Infpruck, Capitale du Tyrol, eft fituéeau milieu d'une Vallée fur les bords dcl'Iw», qu'on pafle fur un Pont de bois qui eft entre le Fauxbourg & la Ville. Les Archiducs, Souverains du Tyrol, faifoient anciennement leur réiidence à Infpruck; mais depuis que l'augufte Maifon d'Autriche a été réduite en Allemagne à la feule Branche Impériale, cette Ville n'a plus eu que des Gouverneurs , lesquels cependant ont toujours été grands Seigneurs. Charles Duc de Lorraine, qui avoit époulé la Reine Douairière de Pologne , Sœur de l'Empereur Léopold, ôc qu. s'eft rendu célèbre par les Victoires qu'il a remportées fur les Turcs, a exerce cet important Emploi. Ce Prince étant mort à înjpruck, a eu pour Succef-feur Charles Prince Palatin de Neuhurg, Frère Frère de l'Impératrice Eléonore troifième ivs-Femme de Eéopold; il a renoncé auGou- pruck. vernement du Tyrol, en parvenant à FE-lectorat. Il vivoit à Infpruck avec beaucoup de grandeur ôc de magnificence, ôc il y eft encore fort regretté. Depuis fon départ, le Gouvernement du Tyrol n'a point encore été conféré. On dit qu'il eft deftiné pour l'Archiducheife Marie-Madeleine, Sœur cadette de l'Empereur. Les Bourgeois à'Infpruck la fou-haitent, mais je ne croi pas que la No-blefïè en foit fort empreffée; la préfen-ce de l'Archiduchcffe engageroit les per-fonncs de qualité à faire de la dépenfè; ils feraient obligés à faire leur cour, 6c ils ne pourroient plus traiter leurs Vaf^ faux avec la même hauteur. Mr. le Comte de Konickel eft le Chef de la Régence, il a le Titre de Lands-bauptman, ce qui revient au Lieutenant-Général de la Province. Toutes les Cours Souveraines dépendent de lui, 6c il commande abiolument dans la Province. Ce Seigneur eft Tyrolois : il eft logé dans une très belle maifon , que les Etats du Tyrol ont fait bâtir pour y loger le Landshauptman. 11 repréfente avec dignité, 6c fait honneur aux Etrangers. Ce fut à Infpruck, que l'Empereur Char-les-Quint reçut un des plus grands échecs de la vie. Ce Prince y fut furpris, a-yec Ferdinand Roi des Romains ion Frè- Tome II, E re? re, par Maurice Electeur de Saxe, qui étoit fa Créature , 6c qui cependant lui faifoit la guerre pour caufe de Religion. L'Empereur ôc fon Frère faillirent à être pris, ils eurent à peine le tems de fe fau-ver à Villaco , petite Ville fur la Brave dans la Carinthie. Ce fut un terrible revers pour un Prince , qui peu d'années auparavant avoit tenu un Pape ôc un Roi de France prifonniers. L'Electeur de Bavière, Maximilien* 'Emanuel, n'eut pas plus de fortune à Inf-fruck , qu'en avoit eu Charles* Quint : il s'en •rendit maitre au mois de Juin de l'année 1703 ; mais il fut obligé de l'abandonner au mois de Juillet fuivant, ôc de fe retirer en Bavière, après avoir tenté inutilement de forcer les Paffages presque inacceffibles par eux-mêmes, ôç bien gardés par quelques Troupes réglées ôc par les Payfans. Son deilein étoit de fe joindre dans le Trentin à Mr.de Vendôme, ôc de s'ouvrir ainfi une communication a-vec le Milanez. Dans cette retraite, l'Electeur courut plufieurs fois risque de perdre la vie, Ôc fes Troupes y furent prefque aifommées par les pierres que les Payfans leur jettoient dans les Défilés qu'elles furent obligées de palier. La Ville d'injpruck eft abfolument fans défenfe ; ôc n'étoit fes Fauxbourgs , ce feroit une des plus petites Villes d'Allemagne. Ces Fauxbourgs font d'une grande de étendue, & c'eft où demeurent les j perfonnes les plus diftinguées. Les mai- raye*, fons font très commodes, bien bâties de brique, & presque toutes avec des arcades, ce qui eft d'une grande commodité pour les gens à pied. Il fe faifoit autrefois ici beaucoup de Sel , mais depuis quelques années, les Sources font taries, ce qui eft une perte de deux-çens-mille florins par an pour Jnfpruck. Dans fa petiteffe, cette Ville ne laifïè pas de contenir de très belles chofes. Tel eft l'ancien Palais des Archiducs, grand ôc vafte Edifice, mais dépourvu de toute Architecture, & fans aucune régularité. On y voit des Tableaux d'habiles Maitres : entre autres , dans une Salle nommée la Salle des Qéans , l'Enlèvement de Déjanire eft repréfenté aveiS. beaucoup d'art &c de perfection. . Le Palais eft accompagné d'affez grands Jardins, mal entretenus, mais où on remarque quelques reftes de magnifiques Fontaines & de Statues de bronze. Parmi celles - ci, on voit la Statue équeftre d'un Archiduc d'Autriche. Ce Prince eft repréfenté de grandeur naturelle, en cuirafïe, en haut-de-chauffes à l'antique, en fraife, & en bottes molles. Le cheval paroît fe fou tenir fur les hanches, dans une attitude comme s'il alloit partir de la main en fautant. te Prince Charles de Nstfhurg, au* E 2 jour- jourd'hui Electeur Palatin , ne trouvant pas le vieux Château aiTcz, logeable, en avoit fait bâtir un de bois, qui vient d'être réduit en cendres depuis quelques années, le feu y aiant pris par accident. L'Eglife Paroiffiale eft bâtie à la moderne , avec un grand Dôme élevé au milieu de la croifée. Toute l'Architecture dans cet Edifice eft de l'Ordre Corinthien. Le Portail ou Frontifpice eft expofé à un point de vue avantageux, fur une Place ; il eft orné de trois Ordres l'un fur l'autre, ce qui fait en tout une fabrique d'environ vingt toifes de hauteur, fans comprendre encore un grand Perron de plufieurs degrés , à la manière d'Italie, fur lequel eft élevé tout le bâtiment. Toutes les parties de cet Edifice font chargées d'ornemens groffiè-rement imaginés & très mal exécutés, de forte que la confufion qu'ils produi-fent choque infiniment les délicats en Architecture. Les dedans font plus fup-portables que les dehors , & ont même de la magnificence Toute la longueur, depuis l'entrée jufqu'au marchepied du grand Autel , eft de foixante 6c douze toifes. Les fondemens en furent jettes pendant que Charles de Neubourg étoit Gouverneur du Tyrol. Ce Prince y po-fa la première pierre. Toute la décoration de cette Egltfe confifte en pilaftres de marbre rouge veiné de blanc 3 les cha- pîteaux font de plâtre. La voûte eft pein- iNS. te à frefque , par Gofman Daniel OJfem , truck, natif de Munich. Ce Peintre a affez bien réu(îi dans fes ouvrages, pour donner de la fatisfaction à ceux qui aiment & qui connoiiTcnt les belles chofes. Le grand Autel eft fous l'Arc du fond op-pofe à la Nef. 11 eft tout à fait magnifique, orné de quatre grandes Colomnes d'Ordre Compolite, de marbre vert veiné de blanc, dont les chapiteanx Se les foubaflemens font de marbre de différentes couleurs. Elles foutiennent un Baldaquin formé par quatre courbes comblées par une Gloire. Le Tabernacle Se le devant de l'Autel font d'Argent maffif, chargés de plufieurs feuillages &Z moulures de Vermeil doré. Il y a peu d'Autels plus magnifiquement décorés. On y voit un Tableau miraculeux de la Sainte Vierge , que l'Archiduc Léopold Souverain du Tyrol y apporta de Dre/de. Ce Prince avoit fait une viiîte à l'Electeur de Saxe , qui lui montrant fon Tréfor, l'avoit prié d'en choifir la pièce qui lui ièroit la plus agréable. Léopold prit cette Image, fur ce qu'on lui dit que dans les commencemens du Luthéranijme, elle a-voit été jettée trois fois dans le feu , Se toujours retirée fans avoir été endommagée. L'Archiduc, de retour dans fes E-tats, fit préfent de cette Image à la Pa-roific <5c depuis ce tems-là, elle y a toujours été en grande vénération , & n'a ceiTé d'opérer de grands Miracles* Trois grandes Lampes d'Argent maffif brûlent fans celle devant cette Image, Les autres Chapelles ont chacune une Lampe d'Argent mallîf, dont la lumière gtt s'éteint jamais, C'eft l'Electeur Palatin qui a fait don de toute cette Argen-cerie à cette Eglife. Le célèbre Toit d'Or eft près de l'Eglife Paroiffiale ; il (ert de couvert à un Balcon de la Chancellerie qui fait face fur la Place. On prétend que Frédéric d'Autriche Souverain du Tyrol fit faire ce Toit, pour montrer à fes Sujets qu'il n'é-toit pas auiîi dépourvu d'argent qu'ils le croyoient, & qu'il ne méritoit pas le fur-nom qu'ils lui avoient donné, de Prince à bourfe vuide. Beaucoup de gens fou-tiennent que ce Toit n'eft pas d'Or ; d'autres difcnt le contraire. Autant que j'en puis juger , je le eroi de Cuivre, couvert d'une lame d'Or très mince ôc par conféquent d'une valeur fort médiocre. Mais quand tout ce Toit feroit d'Or maffif, je ne croi pas que la dépenfe en eût été fort extraordinaire. Il eft vrai qu'elle auroit toujours été beaucoup trop confidérable pour une chofe fi peu utile. La Maifon des RR. PP. Jéfuites eft un très grand bâtiment, auquel rien n'a été épargné. Sa principale face a çenc foixante^fix pas détendue. Ce font ces Pères qui dirigent l'Univerfité. Près de iMS* cette Maifon Profeflè eft l'Eglife des truck. Francifcains, dont le Couvent a été fondé par les pieux legs de l'Empereur Ma-ximilien, qui ordonna en mourant à fon Succeffeur, de faire conftruire cette Maifon & l'Eglife à Infpruck. Son Petit-fils Ferdinand I., Fils de Philippe le Bel, exé-cuta fa volonté; ôc pour honorer la mémoire de fon Aieul, il lui éleva un Tombeau de marbre , qu'on peut mettre au nombre des plus fuperbes Maufolées de l'Europe. L'Empereur Maximilien y eft repréfenté à genoux fur un carreau , les mains élevées au Ciel, ôc comme prof-terné en oraifon. Il eft orné de la Couronne Ôc de la Dalmatique Impériale. Cette figure eft de grandeur héroïque, de bronze, d'un travail admirable. Elle eft placée fur un grand foubafïement de marbre noir , fort élevé , formant un quarré oblong, fur une élévation de trois marches de marbre rouge. Tout ce fou-baiîemcnt eft divifé en vingt-quatre com-partimens ou Tableaux quarrés, de marbre blanc , repréfentant en d'excellens Bas-reliefs les actions mémorables de Maximilien. Les quatre Vertus Cardinales en attitude de deuil font repréfentées erj bronze, comme affifes aux coins du Maufolée » ôc paroiifent porter leurs regards fur la Statue de Maximilien, Tout ce Maufolée eft ifolé, ôc occupe le mi-É 4 lieu lieu de l'Eglife. L'Infcription fuivante effc gravée en lettres d'or, tout à l'entour de la bafe de ce Monument. IMPERATOR1 CAESARI MAXIMI-LIANO , PIO , FELICÏ , AUGUSTO , PRINCIPI TUM PACIS TU M BELLÏ ART1BUS OMNIUM AETATIS SUAE REGUM LONGE CLARISSIMO; SUB CUJUS FELICI IMPERIO 1NCLYTA GERMANIA , DULCISSIMA IPSIUS PATRIA , TAM ARMIS QUAM L1TE-RARUM STUDIIS PLUS QUAM UN-QUAM ANTEHAC FLORERE CAPUT-QUE SUPER ALIAS NATIONES EX-TOLLERE COEPIT : CUJUS 1NSI-GNIA FACTA TABELL1S 1NFF.RIO-RIBUS, QUAMVIS SUB COMPENDIO, EXPRESSA CONSPICIUNTUR. IMPE-RATOR CAESAR FERD1NANDUS , PIUS, FELIX, AUGUSTUS , AVO PA-TERNQ PERQUAM COLENDO , AG BENE MERITO , PIETATIS ATQUE GRAT1TUDINIS ERGO POSUIT. NA-TUS EST DIE XXVII. MARTI1 ANNO DOMINI M. CCCC. LIX. WELSyE IN AU STRIA DENATUS. Tout ce fuperbe Maufolée a été exécuté avec beaucoup d'art & de foin par Alexandre Colin , natif de Malines, Le Por- du Baron de Pôllnitz; 75 Portrait de cet habile Ouvrier, & celui iNs-de fa Femme , fe confervent dans l'E- rrd«k. glife, comme une récompenfe due à cet excellent Artifle. Ce Maufolée a été fort enrichi par la magnificence de Frédéric Archiduc d'Autriche, fumommé le Prince à la bourfe vuide. Il a fait placer dans la Nef de l'Eglife vingt-huit Statues de bronze de fept pieds de hauteur, repré-fentant autant de Princes & Princefïes alliés de la Maifon d'Autriche. Elles font placées fur deux files , depuis la grande Porte jufqu'à l'Autel, & fëparcnt ainfi la Nef d'avec les deux Ailes des côtés. 11 eft dommage que ces Statues foient entre les mains des Moines, qui les négligent beaucoup j ils les laifïê-nt ronger par la poufïière : elles feraient bien mieux dans quelque Palais Royal. Il y en a qui fpnt d'une grande perfection. Je croi que vous ne ferez pas fâché de favoir les noms de ceux qu'elles repréfentent. La première, à commencer de la droite de l'Autel, eft la figure de Jeanne de Cajlille, Mère de Charles Quint 6c de Ferdinand I. , Chefs des deux Branches de la Maifon d'Autriche, dont la première s'eft éteinte en Charles II. Roi d'Efpagne,ÔC la féconde fleurit encore avec gloire parmi nous en la perfonne de l'augufte Charles VI. La IL Ferdinand le Catholique , Père de Jeanne. E 5 La La III. Cuncgonde, Archiduchefïè, Fuie de l'Empereur Frédéric IF, ÔC Femme d'Albert de Bavière, morte Religieuse. La IV. Marguerite t Fille de Henri Duc de Carinthie ôc Comte de Tyrol, furnom-mé le Pieux , pour avoir fondé & bâti pluiieurs Couvents. Cette Princeffe étoit nommée Marguerite à la grand' bouche. Elle fut mariée en premières noces avec Jean Margrave de Moravie , Fils de FEmpereur Charles IF. Ce Prince étant mort , elle époufa Louis Margrave de Brandebourg , Fils de l'Empereur Louis de Bavière. Se voyant veuve pour la féconde fois, & fans poftérité, elle fit don du Comté de lyrol dont elle étoit Souveraine, à fes Coufins Rodolphe, Albert, ÔC Léopold d'Autriche. L'Empereur Charles IV confirma cette donation en 1364. La V. Marie de Bourgogne, Femme de l'Empereur Maximilien I. la plus riche Héritière de fon tems. La VI. Elisabeth, Fille de l'Empereur Sigifmond, Ôz Femme de l'Empereur Albert II. laquelle porta le Duché de Luxembourg à la Maifon d'Autriche. Elle a été la Mère de l'infortuné Roi Ladijlas. La VII. Godefroi dé Bouillon Duc de Lorraine, Roi de Jérufalem , placé ici parmi les Princes de la Maifon d'Autriche, comme étant iffu de la même Tige queux, D U B a R O N D E P 6 LL I T Z. 75 La VIII. Albert I., Empereur. ÏJM, La IX. Frédéric Archiduc d'Autriche, rave*, celui qui étoit furnomraé le Prince à la baurfe vuide. La X. Léopold $ Autriche , furnommé le Vertueux, Fils à!Albert le Sage. La XI. Ôc la XII. Les opinions font très partagées pour favoir de qui font ces deux Statues: mais on croit généralement qu'elles repréfentent les Empereurs Char» tes-Quint, & Ferdinand I. La XIIL L'Empereur Frédéric /^Père de Maximilien I. La XIV. Albert II. Empereur , Roi de Hongrie ôc de Bohème , ôc Père de l'infortuné Roi Ladijlas. La XV. Clovis premier Roi Chrétien de France, placé parmi les Princes de la Maifon d'Autriche , parce que leurs Généalogistes les font defeendre des ancien* Francs qui fubjuguèrent la France. La XVI. Philippe L dit /* Bel, Roi d'EJpagne, La XVII. L'Empereur Rodolphe L La XVIII. L'Archiduc Albert, dit U Sage. La XIX. Tbéodorie Roi des Qoths. Je ne fuis point aflez. bon Généalogifte, pour vous dire quel rapport il peut avoir avec la Maifon d Autriche. La XX. Erneji Archiduc , Aieul de Maximilien I. La XXI. Théodebtrt Comte de Provenu Dente , de qui dcfcendoient les Ducs de Bourgogne & les Comtes de Hapsbourg. La XXII. ArtusPrince de Galles, Ma-ri de Catherine d'Arragon. La XXilI Sigifmond Archiduc , & Comte de Tyrol, qui adopta l'Empereur Maximilien I La XXIV. Blanche - Marie , féconde Femme de Maximilien 1. Cette Princeffe étoit Fille de Jean Galeas, Duc de Milan. La XXV. Marguerite, Fille de Maximilien 1. mariée en premières noces avec Jean Prince cVEJpagne y & pour la féconde fois avec Philibert Duc de Savoie. La XXVI. Cimburgue^Vemme de l'Archiduc Ernefi, & Mère de l'Empereur Frédéric IV. Li XXVII. Charles le Hardi, Duc de Bourgogne, Père de Marie de Bourgognef Femme de Maximilien I. La XXVIIL Philippe Duc de Bourgogne, Père de Charles le Hardi. Outre ces vingt-huit Statues, il y en a encore vingt-trois autres placées fur la corniche du Portique qui fépare la Nef d'avec le Chœur. Elles (ont de bronze, de deux pieds de hauteur, & repréfentent les Rois & les Princes que l'Eglife honore comme Saints. J'ai encore à vous entretenir de la Chapelle de cette Eglife, nommée la Chapel-fe d'Argent , à caufe de l'Image de la Vier- bu Baron de PÔllnitz: 77 Vierge qu'on y voit , d'Argent maffif ôc In s* grande comme nature,au milieu de l'Au- T*-V<&i tel , avec quantité d'Images de Saints toutes du même métal. On monte à cette Chapelle par un Efcalier tournant. On y voit le fuperbe Tombeau de Ferdinand Archiduc d'Autriche, Comte duTjt-rol, Fils de l'Empereur Ferdinand I. Ce Maufolée eft fous une arcade peu élevée. Ferdinand, dont la figure eft de marbre blanc, paroît couché fur un lit de repos de marbre noir , élevé d'un pied de terre. Toute l'arcade eft revêtue de marbres de différentes couleurs, formant divers com-partimens très artiftement travaillés. On y voit les Armoiries des Provinces fou-mifes à la Maifon d'Autriche ; les diftè-rens émaux en font marqués par des Pierres précieufes enchaffées dans le marbre, ôc fi bien mifes en œuvre , que l'ouvrage paroît d'émail. Autour de la même arcade font placés cinq Bas-reliefs , repré-fentant en autant de Tableaux les actions mémorables de Ferdinand. Cinq autres Bas-reliefs contiennent les Images des Patrons de ce Prince , favoir , Jésus-Christ, Saint Antoine de Fadoue, Saint George, Saint Thomas, ôc Saint Léopold. Près du même Tombeau eft celui de Philippine de Wetferin , native d'Augs-bourg 3 Femme de l'Archiduc Ferdinand; dont elle eut deux Fils, Charles, Mar- llr,. grave de Burgau , & André Cardinal #*vck. d'Autriche. Ce Maufolée eft de pierre, & n'a rien de remarquable. On y lit cette Epitaphe. FERDTNANDUS D. G. ARCHIDUX, DUX BURGUNDIAE, COMES TYROL, PHIL1PPINAE CONJUGI CHARISSI-MAE FIERI CURAVIT. OBIIT 14, A-PRILIS i;8o. Le Francifcain qui m'a fait voir cette Chapelle, m'a fort affuré qu'elle étoit u-ne des premières Chapelles du Monde, par rapport aux Indulgences que la béné-ficence des Papes y avoit attachées; qu'elle alloit de pair avec la Chapelle du Saint Sepulchre de Jerufalem , avec les Eglifcs de S. Jean de Latran , de Sainte Marie Majeure &: de Saint Grégorie de Rome : & qu'enfin une Meffe dite dans cette Chapelle pour le repos de l'ame d'un Défunt, fuffifoit pour le retirer du Purgatoire. Voilà , Monfieur, les remarques que j'ai faites en cette Ville , d'où je me prépare à partir demain. Je m'attens à être bien cahoté jufqu'à Venife , où en revanche je me promènerai bien commodément en Gondole. Je voudrois bien que vous y fuffiez -y nous irions voir bien des belles chofes enfemble. Au défaut de cet- cette fatisfaction, je ne celTerai de penfer à vous. Ne m'oubliez pas, ôc croyez-moi à jamais, ôcc. A Inlpruck, ce 9 Avril 1719. ************ ********* LETTRE XXV. Monsieur, JE vous ai écrit d'I&spruck la veille que j'en fuis parti pour me rendre ici, où je fuis arrivé fans mauvaise avanture. A trois quarts de lieue d'Inspruck, on entre dans des Montagnes fort fatigantes Ôc ennuyantes. La plus haute de ces Montagnes eft appellée le Brenner. Les gens du Pays lui donnèrent ce nom, lorfqu'en la défrichant ils brûlèrent le Bois dont elle étoit couverte. Cette Montagne eft beaucoup plus rude du côté de Trente^ que du côté d'inspruck : elle eft couverte «e neiges pendrnt neuf mois de l'année, ôc j'y en ai trouvé encore beaucoup. Malgré cela, elle eft habitée jusqu'au fammet. 11 y a la Pofte, un Cabaret, une Chapelle dans laquelle on ne dit la Mefle que lorsque les neiges font fondues. Elle produit des grains ôc des foins crt en abondance. Il y a près de la maifon de la Poite une Source confidérable, qui forme d'abord une abondante Fontaine; enfuite elle fè divife en deux Torrens, qui bien-tôt fe changent en Rivières, dont l'une va fe précipiter dans Yhm, au-deffus d'Inspruck; & l'autre après être devenue navigable à deux lieues de Bol-Jane , fe vient perdre dans YAdige au-de/Ius de Trente. Le pafïage du Brenner eft très pénible, & quelquefois impraticable lorsqu'il neige ou qu'il fait un orage; il arrive fouvent que les Voyageurs font obligés d'attendre plufieurs jours, jusqu'à ce que le tems fe foit remis au beau : ce qui eft d'autant plus incommode, que les Auberges de l'un &c de l'autre côté font des plus mauvaifes. stert- Stertzingen, petite Ville à qua- ïingen. tre poftes d'Inspruck, n'a rien de remarquable, j'y ai été bien traité. Le lende- ïîrixp.w. main j'ai été dîner à Brixen , Ville Episcopale , fituée dans une Vallée agréable , & où j'ai trouvé la faiiôn fort a-vancéc. Le Pays entre Brixen & Bol-fane eft extrêmement habité ; on n'y trouve rien de négligé , & les Montagnes les plus efearpées font cultivées. Bolsan e. Bolsane eft une jolie Ville , fort peupiée, & qui fait un grand Commerce; elle eft et bre par fes Foires , qui s'y tiennent quatre fois l'année. Sa fituation eft des plus agréables, au milieu d'une d'une belle ôc grande Vallée , chargée Bolsanh. de Villages ôc toute remplie de Vignobles. L'air y eft beaucoup plus doux que dans le refte du Tyrol: j'y ai trouvé les arbres dans toute leur verdure, tandis que dans le pays ils bourgeon-noient à peine. Les Vignes font gardées avec beaucoup de loin , par des Hommes qui fe tiennent dans des Huttes appuyées fur trois perches mifes en croix , ôc affez, élevées pour dominer par-deffus les Vignobles. Mijjôn, dans ion Voyage d'Italie , dit que ces Huttes ou Guérites étoient pour loger les Gardes qui ont foin d'empêcher les Ours de manger le raifin. Je ne fai qui lui a pu dire qu'il y avoit des Ours dans cette contrée ; mais s'il y en a , il n'y a pas d'apparence qu'ils fe hazardent dans une Vallée auffi peuplée que celle de Bolfane. Les Vins de cette Vallée font les meilleurs de tout le Tyrol ; mais il faut les boire , ainfi que tous les Vins de ce Pays , l'année de leur cru ; fans quoi ils fe tournent en liqueur, ôc deviennent d'un doux rebutant. La Vallée de Bolfane s'étend jusqucs à Trente ; elle eft toujours également a-gréable : on s'y trouve comme en liberté, en comparaifon des Montagnes horribles dont on a été accablé depuis Inf-pruck. Tome II. F Le Le Concile tenu à Trente a rendu cette Ville célèbre. j'ai été voir l'Eglife de Sainte Marie Majeure, qui fervoit de Lieu d'Affemblée aux Pères du Concile. Elle n'a rien de remarquable que (es Orgues, qui (ont d'une énorme grandeur pour l'Eglife ; mais d'ailleurs composées avec beaucoup d'art : elles donnent divers fons, ôc imitent la voix , les cris de divers Animaux , ôc le bruit des timbales ôc des trompettes. .L'Evêque de Trente eft Prince de l'Empire. Le Siège eft vacant par la mort du Comte de Wolcke7i(lein, dernier Evêque. Le Chapitre a fixé le jour de l'Election au mois de Mai prochain. Beaucoup de Voyageurs font grjind cas du Palais E-pifcopal -y j'ai été affez, malheureux pour n'y rien remarquer qui fût digne d'attention. Dans tout le Tyrol, le Peuple eft a fiez laid. Pre(que toutes les Femmes y (ont défigurées par des Goitres, Ôc avec cela elles fc défigurent encore par leur habillement- Les Paysannes portent des bas qui n'ont point de pieds, ôc qui depuis la cheville juiqu'à mi-jambe forment quantité de petits plis. Leurs fouliers ne diffèrent en rien de ceux des Hommes. Leurs jupes font extrêmement courtes, ôc remontent jufques (bus les mammelles , qu'elles ont d'une groffeur prodigieuie. Avec cela elles ont un corps de jupe qui defcend à demi-taille, & qui achève de Trin*^ les rendre difformes. Pour coiffure elles portent un chapeau vert pointu, dont les bords font abattus, ôc qui ne leur eft pas plus avantageux que tout le refte de leur ajuftement. A Brixen, le fang devient plus beau ; les Femmes font plus jolies, les Hommes mieux faits, ÔC en général, le Peuple plus civilité; quoiqu'à tout prendre , les Tyrolois foient de très bonnes gens. Ils font bons Ôc zélés Catholiques: on dit pourtant que parmi les Payfans, il y a des Luthériens. La Sainte Vierge ôc Saint Chriflophle font les principaux objets de la dévotion du Peuple. Ce dernier eft peint fur toutes les maifons. Les chemins font pleins de petites Chapelles de la Vierge,qu'on dépeint de toutes fortes de manières. Je l'ai vue repré-fentée dans une Chapelle, debout, aiant fur la tête un grand voile, qu'elle éten-doit avec fes bras pour en couvrir le Pape, l'Empereur, fept Rois, ôc autant d'Electeurs, qui paroiiloient profternés à fes genoux. Au fortir de Trente, j'ai commencé à monter une Montagne qui ne s'eft appla-me qu'à Berfchen, à une Pofte Ôc demie de Trente. Cette Montagne eft extrêmement efcarpée, pénible ôc ennuyante. Eorfqu'on l'a pafïéc, on fe trouve enterré dans des Rochers ôc des Montagnes horribles, qui fcmblent devoir écrafer les F x pas- TxenTk. paflans. On m'a affuré que cela arrîvoït quelquefois , dans les faifons pluvieufes; il fe détache alors tant de pièces de Rocher , qu'il faut quatre ou cinq-cens Charettes pour dégager les chemins. Enfin jufqu'à une lieue de Boffagne, Ville de l'Etat de Venife, ce ne font que pierres & précipices; mais depuis cette Ville jufqu'à Meftre , qui en eft à quatre Poftes , la Campagne eft la plus belle du monde. Tout y eft beau ôc bon , excepté le Vin ôc les Cabarets. Le Vin a naturellement un goût moifi, ôc point de corps : fa couleur eft pareille au gros Vin de Bourdeaux. Ce Pais abonde tellement en Cailles , que le Maitre de la Pofte de Bojfagne m'a affuré en avoir pris fept-cens-vingt dans une matinée. Il ajouta, qu'il ensfaifoit un gros commerce , ôc en pourvoyoit une partie de l'Etat de Venife Ôc de la Lombardie. Je ne fai s'il difoit vrai, mais il-me fit voir onze-cens Cailles vivantes , qu'il tênoit dans des cages d'ofier dans une grande Grange : il avoit fufpendu toutes les cages à des ficelles, afin que les Rats ôc les Chats ne puffenc pas y atteindre. Meître ^'eJk à M ii s t r e qu'on s'embarque * pour paffer à Venife , qui en eft à fept lieues. J'ai fait ce trajet dans une Gondole en moins d'une heure ôc demie. Comme j'étois arrivé en Pofte à Mef-tre , mes Gondoliers m'ont conduit en ar- arrivant à. Venife, au Bureau de la Pof-mestrs* te, où j'ai été obligé de dire mon nom, ôc le fujec pour lequel j'étois à Venife. C'eft une cérémonie, à laquelle ceux qui ne vont point en Pofte ne font point fujets. Je fuis venu loger au Lion blanc, fort charmé de pouvoir m'y repofer , & d'avoir perdu de vue les Alpes , ces Montagnes horribles, au milieu defquei-les perfonne , à moins que d'être Suijfe ou Tyroloit, ne pourra fe réfoudre d'habiter: car quant à ces Peuples, comme le remarque fort bien le Cardinal Ben* tivoglio dans fon Voyage de Suijfe, ils font faits pour les Alpes , ôc les Alpes pour eux. Comme j'ai déjà été deux fois à Venise , je fers de Cicérone * à deux Venis*« Comtes de Bohème que j'ai connus à Prague , Ôc que le hazard m'a fait rencontrer dans l'Auberge ; Ôc pour leur faire fuivre le train ordinaire de tous les Etrangers, je les ai fait débuter par aller voir la Place de Saint Marc, la première Place de Venife , ôc peut-être du Monde Le Palais du Doge, l'Eglife de Saint Marc , ôc les Procuratiet , ibnt les Edifices qui la décorent. Elle vient d'être pavée depuis peu d'années, de grands car- * C'eft le nom qu'on donne en Italie à ceux qui font voir les Curiofites d'une Ville aux Etrangers. F3 carreaux de pierres de taille. Nous a-vons monté à la célèbre Tour de S. Marc: elle eft quarrée ; on y monte par une rampe fans degrés. Le Doge Dominique Morofni l'a fait bâtir 3 pour fervir comme de Fanal aux Vaiffeaux. 11 fit dorer l'Ange qui domine au deffus , ce qui faifoit qu'on le voyoit fort avant en "Mer. Le tems, qui détruit tout, a dédoré cet Ange. C'eft de cette Tour qu'on découvre tour Venife, les Iles voi-fines , & la Terre-ferme; ce qui, tout cnfemble, compofe un magnifique point de vue. Nous fommes enfuite entrés dans l'Eglife de Saint Marc. C'eif un Edifice d'Archite&ure Grecque , peu élevé , 8c très fbmbre ; mais après tout, plein de belles choies , & qu: mérite l'attention d'un Voyageur. Comme cette Eglife a été décrite avec plus d'exactitude que je ne pourrois faire , je ne vous marquerai que très fuccintement les principales chofes qu'elle renferme. Le grand Portique eft aifez écrafe : il faut même defeendre quelques marches pour entrer dans l'Eglife. Il eft dominé par une platte-forme fur laquelle on a placé quatre Chevaux de bronze tirés de Çonflan-tinap/e , où ils avoient été tranfportés de Ro?ne par Confiantin , lorfque ce Prince en transféra le Siège de l'Empire. Rien n'égale la magnificence & la beauté de Ces ces Chevaux. Ils étoieut autrefois en- ^ tièrement dorés ; l'avarice des Hommes les a portés à en gratter ce précieux métal ; & le tems a preique dédoré tout le relie. En entrant dans l'Eglife, on trouve à la droite une Pierre quarrée , qui m'a paru être de marbre blanc, Ôc qu'on die être une pièce du Rocher dont Moife fie fortir de l'eau dans le Défert. Si cette Pierre eft véritablement celle de Moife 9 le Miracle de ce Légiflateur eft d'autant plus admirable, ôc peut tenir lieu de deux; l'un, d'avoir fait venir de l'eau là où il n'y en avoit point j l'autre, d'avoir pu faire fortir par quatre trous grands comme un pois, une allez grande quantité d'eau pour abreuver une multitude fi nombreufe. Le pavé de l'Eglife eft magnifique , d'une Mofaïque extrêmement diversifiée de différentes pierres de couleur, marbres ôc porphyre. Mais ce qu'il y a de plus fuperbe dans cette Bafîlique, font les ornemens de l'Autel pour les grandes Fêtes, dont celle de Saint Marc Patron de la République eft une des plus fêtées. Le Tré-ior de S. Marc eft alors étalé. Jl con-fifte dans les riches dépouilles des Empereurs de Confîantinomie. Tout reluit d'Or madif, de Perles ôc de Diamans. Je croi qu'excepté le Temple de Jérufalem , il n'y a point eu de Maiibn confacrée à Dieu , qui ait poffédé tant de richellés. F 4. 1 out Tout ce Tréfor eft gardé dans la Tour de S. Marc, & n'en peut être tiré qu'en préfence d'un Procurateur. Celui-ci doit encore être préfent à l'Autel, lorfqu'on y place ces richeffes, & n'olèroit les quitter de vue jufqu'à ce qu'elles aient été renfermées en lieu de fureté. L'Eglife de S. Marc fert de Chapelle publique au Doge ; il s'y rend toujours accompagné du Nonce du Pape &desAm-baflàdeurs; du moins, cela devroit être ainfi : mais Mr. de Gerfi AmbafTadcur de France évite, je ne fai par quel motif de délicateffe, de fe trouver dans les fonctions où affifte Mr. le Comte de Bolagnos * Ambaffadeur de l'Empereur, qu'il voit avec peine prendre le pas fur lui. Quand le Doge va à l'Eglife de S. Marc, il s'y rend toujours en grande cérémonie ; il marche entre le Nonce & l'Ambaffadeur de l'Empereur : les autres Ambaffadeurs marchent fur la même file, félon le rang de leurs Maitres. Ils font précédés par fix Trompettes. On porte devant le Doge fix Bannières, un fauteuil fans dofîler, & un carreau de brocard d'or. Ce Prince eft vêtu d'une robe longue de brocard d'or, doublée & rebordée d'hermine. Les Sénateurs en robes de damas rouge le fui-vent, marchant deux à deux. Il eft reçu * Ce Miniftrc eft mort en 1731 à Vtniftx il vicM d'eue remplace par le Prince Pi», çu à l'entrée de l'Eglife par le Clergé de vrhisi* S. Marc : on lui préfente l'Eau-bénite ôc l'Encens; les Ambaffadeurs les reçoivent après lui. Sa Sérénité ôc les Ambaffa-deurs fe mettent à genoux au milieu de la Nef, ôc font de cette manière les prières de Domine , falvum fac Principem nofirum. Enfuite le Doge va fe placer à l'extrémité du Chœur à la droite de l'entrée, dans le premier haut-banc des Chanoines. Le Nonce du Pape eft à fa droite , l'Ambaffadeur de l'Empereur à la droite du Nonce , ôc ainiî des autres. Le Doge fe tient debout jufqu'à ce que les Sénateurs foient entrés ; ceux-ci pas-fant devant Sa Sérénité , lui font une profonde révérence , à laquelle le Doge ne répond en aucune manière. Tout le monde étant placé, le Doge accompagné des Ambafladeurs s'avance vers l'Autel ; le Nonce y entonne la grand' Mette , ôc dit l'Introït, auquel le Doge répond. Après l'Introït, le Doge ôc les Ambaffadeurs retournent à leurs places, ôc le Prélat officiant de S. Marc continue l'Office. Après la Meffe , le Doge s'en retourne dans fon Palais, accompagné du même Cortège qu'il a eu en venant à l'Eglife. Quand il a monté le grand Efca-iier de fon Palais, il s'affied dans un fauteuil qui eft placé en face de l'Efca-lier. Il fe relève quelques momens a-F 5 près, près , congédie les Ambaffadeurs Ôc les autres perfonnes de fa fuite, ôc fe retire dans fon Apartement. Le Palais du Doge eft attenant l'Eglife de S. Marc, C'eft un vafte E-difice, dont vous trouverez une ample defcription dans les Voyages de Mif- Le Doge d'aujourd'hui eft Ahifo Mo-cenigo * , Prince autant refpeélable par fon mérite , que par fa Dignité. 11 a l'efprit pénétrant, parle bien , a une grande politeffe , ôc infiniment plus de générofité qu'on n'en donne à ceux de fa Nation. 11 eft bien fait, ôc fon air noble eft relevé par fa chevelure blanche, qui le rend vénérable. Avant que d'être Doge , il a fervi avec diftinction la République, en qualité de Généralifli-me. 11 fut élu Doge en 1722. Les vains honneurs que lui procure cette Dignité ne l'ont point ébloui, ôc il paroît qu'ils lui font plus à charge qu'agréables. Avant qu'il fût Doge, il étoit le Noble le plus fociable qu'il y eût à Venife ; ôc actuellement il voit beaucoup plus de monde que n'en ont vu fes Prédéceffeurs. Il fe mafque dans les réjou fiances publiques ; il fort tous les foirs dans une Gondole or- * H eft mort, 8e a eu pour Succcflèur D«n Cari* KttX&ini, ê ordinaire, fans fuite ni efcorte, & vient jouer chez, fon Frère. Il a même été quelquefois en Terre-ferme , ne fe fou-ciant pas de perdre pour quelque tems les honneurs attachés à la Dignité de Doge ; car vous favez que cette qualité ne paflè pas les Lagunes. Il eft obligé d'atfifter à toutes les Cérémonies publiques , ce qui eft fort contre fon gré ôc ion caractère, qui eft beaucoup plus u-ni que celui des autres Italiens. La Cérémonie la plus éclatante pour lui eft celle des Epoufailles de la Mer,ôc fans contredit c'eft un des plus beaux fpectaclcs de l'Univers. Cette Cérémonie le fait le jour de l'Afcenfion. Le Doge, les Ambaffadeurs ôc le Sénat font dans le Bucentaure. Les Gondoles dorées de Cérémonie des Ambaffadeurs, un nombre infini de Piottes ôc de Gondoles, quatre Galères ôc deux Vaiffeaux de guerre,leur fervent d'elcorte, ôc environnent le Bu-centaure , le plus fuperbe Vaiffeau qui fut jamais, ôc qui furpaffe en magnificence tout ce que l'Hiftoire (peut-être la Fable) nous rapporte du magnifique Vaiffeau de Cléopatre. Le Doge, en entrant dans le Bucentaure, eft fàlué par le Canon des Galères, des Vaiffeaux de guerre ôc des Navires marchands qui font dans le Port. On n'entend en même tems de tous côtés, que timbales, trompettes, ôc Concerts de Mufique, aux- quels fe joignent les acclamations du Peuple; tandis que le Doge fe rend à l'entrée de la Mer, où il fait la fonction de l'é-poufer, pour marquer l'Empire que la République a fur le Golfe. Sa Sérénité époufe encore deux autres Femmes , qui ne lui donnent pas plus d'embaras dans le ménage,que la Mer. Ce font les Abbeffes des Couvens délia Vegïne, ôc de S, Daniel. Cette Cérémonie fe fait le jour de S. Philippe. Le Doge fe rend en grand cortège à ces Couvens , qui font iitués au Lido derrière YArJenal. Il eft dans une Piotte, accompagné des Ambaffadeurs & du Sénat. Le Prélat officiant le reçoit à l'entrée de fEglife, lui préfente l'Ëau-bénite, Ôc le conduit à la place qui lui eft préparée dans le Chœur, où il afïifte à la grand' Meffc. Enfuite il fe rend à la. Grille, dans laquelle il y a une grande ouverture où paroît l'AbbefTe avec les Religieu-fes. L'Abbeffe adreffant le difcours au Doge, le fupplie de vouloir bien continuer d'honorer de fa protection , elle ôc fes Rcligieufes. Le Doge lui répond, qu'elle & toute fa Maifon peuvent compter (ur fa bienveillance. Il fort enfuite, ôc paiTe à pied au Couvent de S. Daniel, où il eft reçu ôc fait toutes les mêmes chofes qu'il a fait à la Vergine Ces deux Couvens ont des Privilèges afïez fingu-liers. Les Abbeifes font croflées; elles, & leurs Religieufes , dépendent unique ■ vekisb'. ment du Doge & nullement du Pape ou de la Cour de Rome, tant pour le Spirituel que pour le Temporel. Elles font bien rentées, ôc vivent avec toute l'ai-fance poilible. L'habillement des Religieufes eft plus galant que modefte: elles portent leurs cheveux trèfles, comme les Filles de Strasbourg, leurs jupes font aiïèz courtes pour qu'on leur voie la cheville du pied; pour corps de jupes, elles portent des cafaquins à basques courtes, qui font très avanrageux aux belles tailles; leur gorge eft découverte , ôc ce n'eft qu'en allant au Chœur qu'elles la couvrent de mantes de fine laine blanche trainant jufques à terre. Ces Religieufes font Filles de Nobles, ôc jo.iilfent d'une grande liberté, je doute qu'elles en aient autant dans la maifon de leur Père. La Fête de S. Marc eft encore célébrée avec beaucoup de folennité. La veille, le Doge accompagné des Ambaffadeurs fe rend en grand cortège à l'Eglife de S. Marc, ôc y affilie aux Vêpres. Le lendemain les Confréries, qui font au nombre de neuf, s'aflemblent dans le Palais Ducal, accompagnent procefhon-nellement le Doge à l'Eglife, Ôc afïîftent à la grand' Meffe; après laquelle le Doge retourne dans ion Palais, & les Confréries font le tour de la Place. Chaque Confrérie a des Images magnifiques, Ôc deux e. deux Dais ou Baldaquins richement brodés en Or & en Argent, dout les perches ou fbutiens font d'Argent maffif. Cette Proceffion eft terminée par un Homme vêtu d'une robe de damas rouge, portant une perche au bout de laquelle eft une Roue mouvante, qui fert de foutien à un Lion doré, entouré de branches de laurier & de petits étendards de différentes couleurs. Le Lion fe tourne fans ceiTe, ôc l'Homme qui le porte lui fait faire cent fauts Ôc gambades. Il eft environne d'une multitude de Peuple, qui crie, Vive Saint Marc! Ce fpe&acle, quoique ridicule, ne laiffe pas d'amuier : il attire nombre de Noblelïe dans la Place; ôc ce jour-là , tout le monde eft mafqué. Après la Proceffion, les Masques vont voir la Table du Doge , qui donne à dîner aux Ambaffadeurs ôc au Sénat, à une Table en forme de fer à cheval. Elle eft extrêmement garnie de hors-d'œuvresôc de machines faites d'Amidon; on les appelle ici des Tritwphes. On ne peut rien voir de mieux exécuté ôc de plus magnifique dans ce genre. Comme on appréhende la foule , on fait fortir tous les Mafcjues , à l'heure du dîner. On refte mafqué toute la journée, ôc l'a-près-dîner toute la Noblelïe , ou pour mieux dire tout Venife , paroît mafqué fur la Place de S. Marc; ôc c'eft en vérité un (ingulier ôc beau fpe&aclé pour qui ne Ta jamais vu. Ce qui m'a furpris, Vifeitt. ôc fi je l'oie dire, fait rire , eft de voir tomber à genoux tous ces Masques lorsque Y Angélus fonne ; vous diriez que tout le monde eft en exrafe : cependant, tout ce qui a précédé ôc qui fuie ce coup de cloche, n'eft pas fort dévot. Le lendemain de S. Marc, nous avons eu un autre fpedtacle public, ôc par con-iéquent un nouveau fujet aux Vénitiens pour fe mafquer. C'étoit l'élection que les Pêcheurs, qu'on nomme ici les Nicolotti, ont faite d'un Chef qui porte le titre de Doge des Nicolotti. Leur choix eft tombé cette fois fur un Barcherole ou Gondolier du Noble Giufliniani. Lorf-qu'on le conduifit à l'Audience du Doge, il étoit habillé d'une robe de fatin rouge, qui lui donnoit affez l'air d'un Pantalon. Il étoit précédé de fifres ôc de hautbois, ôc d'un grand nombre de Nicolotti. On portoit devant lui une Ba-nière rouge, dans laquelle étoit l'Image de S. Marc. Le Doge le reçut aflis fur ion Trône, en préfence du Confeil. Le Doge Nicolotti fit fort gravement fon compliment au Doge de Ja République, Ôc ce Prince lui répondit en peu de mots. Il fe retira enfuite dans le même ordre qu'il étoit venu. La Charge de ce Doge comique lui donne de l'autoriréfur tous les Nicolotti: il eft leur Juge, il les fait aller à la pêche , ôc il doit avoir foin . foin que la Ville foit pourvue de poiffon; On dit que cette Charge, qui eft pour la vie, rend plus de mille écus à celui qui en eft revêtu. Il avoit autrefois le privilège de commander dans un Quartier de la Ville , Ôc affiftoit à toutes les Cérémonies où affifte le Doge; il accom-pagnoit ce Prince dans le Bucentaure,& prenoit le pas fur tous les Ambaffadeurs: mais ils ont perdu ce droit, pour s'être laiffé précéder, je ne fai dans quelle oc-cafion, par un Ambaffadeur de l'Empereur. Le Patriarche de Venife eft la féconde Perfonne de l'Etat. Celui d'aujourd'hui eft de la Maifon Gradenigo. L'autorité de ce Prélat eft fort bornée ; il ne nomme qu'à deux ou trois Bénéfices. Les Habitans de chaque ParoiiTe élifenc leurs Curés , ce qui ne fe fait pas fans intrigues ; car ces Cures étant très lucratives , font fort briguée;;. Le Patriarche a le droit d'avoir une Gondole violet Ôc or, avec une impériale ou houiïè de velours rouge : mais cette Gondole ne peut furpaffer un certain point de magnificence. Vous favez que celles des Particuliers doivent être noires ; les Ambaffadeurs ont feuls le droit d'en a-voir de dorées. Quoique les Eglifes de Venife aient été affez décrites, je ne puis m'empêcherde vous dire quelques mots de celles qui m'ont bu Baron de Pôllnitî. $7 m'ont paru les plus dignes d'attenrion. Il Vênui; eft indubitable que la façade de lEglifc des Carmes déchauffésj fituée fur le grand Canal , eft le plus magnifique Portail non-feulement de Venile, mais peut erre de l'Europe, tant par rapport aux proportions d'Architecture qui y ont été ob-fervces avec foin, que par rapport à la beauté du marbre blanc comme de l'ai— bâ.re, dont toute cette belle face eft décorée. L'intérieur de cette Eglife eft extrêmement magnifique. La voûte eft richement dorée, 6c peinte avec art. Les murailles font revêtues de marbre de couleur , en pilaftres. Le parquet eft de pierres de rapport de diverfes couleurs. Les Autels font des plus fuperbes. Mais toutes ces différentes choies me parois-fent être en trop grand nombre ; je vou-drois que les ornemens y fùffent plus ménagés : la trop grande quantité choque bien plus la vue, que ne feroit une noble fimplicité. C'eft ce que l'on trouve dans l'Eglife de S. George, une des plus grandes de Venife, ôc dont l'Architecture frappe ôc furprend. Elle eft accompagnée d'une Maifon Religieufe, qui en magnificence ôc en régularité iurpaflè bien des Palais de Souverains. Le grand Efca-lier eft une belle pièce d'Architecture, ôc conviendroit beaucoup mieux dans un Palais de Roi, que dans un Couvent. lame II. G Cet- $t t» e t - t r. e s fpxui.i Cette Maifon a deux magnifiques Cloîtres plantés d'Orangers, deux ipacieufea Cours, ôc deux grands Jardins bien cultivés. Ces derniers ont des terraffes, dont la vue donne for la Mer ôc fur les lies d'alentour. Les Capucins, qui par-tout ailleurs ont des Eglifes fort (impies, en ont ici une très magnifique. On l'appelle al Redemp-tore. La République l'a fait bâtir,pour s'acquitter d'un vœu qu'elle avoit fait en tems de Pelle. Le bon Capucin qui m'a fait voir l'Eglife , m'a fait particulièrement remarquer le Crucifix de bronze au-deffus du grand Autel: le Sauveur y eft repréfenté expirant , la tête panchée vers l'épaule droite. Mon Conducteur m'a affuré que lorsque ce Crucifix avoit été placé dans cette Eglife , l'Image de Notre Seigneur avoit eu la tête levée 9 mais que depuis ellel'avoit baiflëe, comme elle l'eft à préfent. D'autres Egliies méritent d'être vues^ pour les fuperbes Tombeaux des Familles diftiriguées de la République, qu'on y voit élevés avec art. Tel eft le Tombeau des Nobles Cornaro, dans l'Eglife des Cajetans. On y voit les effigies en marbre de huit Cardinaux ôc de quatre Doges, ifïus de cette Maifon. L'Eglife de S. Paul Ôc de S. Jean contiennent des Tableaux très eftimés par les Con-noiffeurs. On y voit le fuperbe Tom- beau des Valerio. Le Père, la Mère & vb le Fils y font repréfentés de grandeur naturelle, en marbre, revêtus de l'habit de Doge & de Dogefïe. Avant que de ceiTer de vous parler des Eglifes, je croi vous devoir dire un mot de celle des RR. PP. Jéjuites. Le Portail eft d'une Architecture noble: tout y eft bien difpofé, & les ornemens y font bien ménagés. Mais la vraie magnificence a été employée pour la décoration de l'inrérieur. Le Choeur & le Maitre-Autel font tout ce qu'on peut voii de plus riche. Le Chœur eft compofé d'un grand Dôme foutenu par quatre grandes colonnes de marbre blanc y in-crufté de grands fleurons de marbre Vert antique. La voûte eft peinte ôc dorée. Le grand Autel eft tout de marbre : c'eit un Pavillon ou Dôme , fou-tenu par dix: colonnes torfes de Vert antique. Le Tabernacle eft d'albâtre, in-crufté de Lapis. Tout ce riche ouvrage eft terminé par deux Anges de grandeur naturelle , & furmontés par les Images de Dieu le Père & de Dieu le Fils. Les cinq marches qui conduifent à l'Autel, font de marbre vert incruité de Jaune antique , li bien mis en œuvre , qu'on prendroit aifément cet ouvrage pour un tapis de Pcrfe. La balultrade qui fépare la Nef d'avec le Chœur , & la Chaire du Prédicateur, font de marbre, & ré-G 2 pon^. pondent parfaitement à la magnificence de toute l'Eglife. Je paffe maintenant à YArfenal, fi célèbre en Europe, peut-être plus par ce qu'il a été, que par ce qu'il eft aujourd'hui. Trois Nobles font chargés de Je garder; ils fe relèvent tous les huit jours. Celui qui eft de garde, doit vifiter les Portes pendant la nuit, &c les Sentinelles doivent fonner chacun une cloche toutes les heures, afin que l'Officier de garde fâche qu'ils veillent à leur Pofte. C'eft au Noble de garde qu'il faut demander la permiffion de voir l'Arfenal, il ne la refufe jamais aux perfonnes de condition. On m'a d'abord fait voir les quatre Salles remplies des armes néceflàires pour les Troupes de Marine. On y conferve auffi les Cuiraffes des Généraux qui fe font le plus diftingués au fervice de la République. Toutes ces chofes font pleines de pouffière. Enfuite on m'a fait voir le Magafin aux Ancres, ôc la Cave où les Artifans de l'Arfenal vont puifer à difcrétion du vin ôc de l'eau mêlés en-femble dans une Fontaine. Tout baptifé qu'eit ce vin, on prétend qu'il s'en conformée tous les ans pour foixante & quatorze-mille écus. C'eft une fondation qu'une Comaro, Reine de Cypre, a faite pour le foulagement des Ouvriers. Les Forges font près de cette Cave : elles font au nombre de douze, mais il n'y en en a ^cruellement que deux qui travail- venis», lent. La Corderie qui en eftvoifine,a quatre-cens-dix pas de longueur : elle fert en même tems de Magafm de Chanvre, donc elle ne m'a pas paru fort bien pourvue. Dans une autre Cour on trouve beaucoup de Canons de fonte & de fer, une Salle remplie de boulets, le Magafin des cordages, le Chantier de bois, 6c trois grandes Salles pleines d'armes pour l'Infanterie. Une Salle qui fervoit d'Arfenal pour la Cavalerie, a été réduite en cendres depuis peu , par la négligence d'une Sentinelle. Le Chantier des Vaiffcaux forme une Cour feparée. Il y a au milieu un grand Bafïin qui a communication avec la Mer, & qui eft entouré de vingt-fix Loges couvertes, où font renfermés autant de Vaifièaux, Galères , ou Galéaffes. Ces dernières font des machines d'une grandeur terrible: elles ont un efpècedeFort aux deux extrémités. Mon Conducteur m'a affuré qu'une Galéafïe Vénitienne ne redoutoit pas vingt-cinq Galères Ottomanes: cela peur être, mais je parierois bien pour les Infidèles. On voit dans le même Chantier les proues de douze Galères Turques , prifes à la célèbre Bataille de Lépante. Mais ce qu'il y a de plus magnifique dans ce Chantier, eft le Bucentaure, forti l'année 1728 pour-la première fois. Ce fuperbe yaiffeau a. G 3 été été conftruit par Antoine Corradini. Le Defiein y eft fi bien obfervé, 6c les or-nemens de fculpture , quoiqu'en grande quantité, font fi bien placés , que tout s'y distingue , Ôc que tout y frappe ôc furprend. Il eft doré jufques à fleur d'eau 3 6c on prétend qu'on a employé pour cela foixante Ôc dix - mille Sequins. Le tillac eft couvert depuis la pouppe jufqu'à la proue, de velourscramoiiï chamarré de grands galons ôc de crépines d'or. Les dedans font encore , s'il eft poftlble, plus magnifiques que le dehors. La grand'-Chambre ou Salle tient toure la longueur du bâtiment. Le Doge y eft aflïs fur une efpèce de Trône,ôc les Ambaffadeurs ôc Sénateurs font placés dans des Formes, qui reffcmblent à celles que les Chanoines occupent au Chœur. Le plafond eft compoié de Bas-reliefs en divers compartimens , entièrement dorés. Le parquet eft de bois de noyer , in-crufté de bois d'ébène ôc de nacre de perle. Les Rameurs font à fond de cale: ils font habillés uniformément, ôs leurs rames font toutes dorées, ce qui fait un très bel effet lorsqu'ils font la manœuvre. Vous favez, que le Bucentaure ne fort qu'une fois l'an , le jour de l'Aicenfion. Le Capiraine qui le monte ce jour-là , doit avant que de fortir du Port, allure* par ferment qu'il le ramènera dans 1 l'Ar. l'Arfenal. Il n'y met rien du fien, car pour peu que le tems foit mauvais, la Cérémonie eft remife à un autre jour. Le Bucentaure eft renouvelle tous les cent ans, & les vieux font confervésjuf- D ans le moment on m'avertit que le Courier eft fur Ion départ, de forte que je fuis obligé de remettre au premier Ordinaire ce qui me refte à vous dire de Venife. Je ferai très charmé Û je puis fatisfaire votre curiouté, mais encore plus fi je puis vous prouver que perionne ne vous honore plus parfaitement que moi. Je fuis &c. A Venife. ce 27 Avril 1730. LETTRE XXVI. M o n s i eur, LA République entretient douze Galères & vingt Vai fléaux de guerre. La Galère Capitane qu'on nomme la Fuf-ta, ne fort jamais du grand Canal, & eft continuellement à l'ancre devant la Place S. Marc. Il y a ordinairement quatre Galères & autant de Vaiiïèaux de guerre dans le Levant, les autres font à l'ancre dans le Canal de la Zueca, on lçs a tirés le tems les détruife. de- depuis peu de l'Arfenal, parce que l'eau n'y éiant pas courante, les Vaiffeau?; s'y endommageoient. C'eft dans la Marine que con lifte la plus grande puifiànce de la République. Elle entretient très peu de Troupes de terre, ôc ce petit nombre eft tout à Corfouj qui eft le rempart de Venife & la dcfénfe du Golfe. C'eft Mr. le Comte de Schulenbourg , Général en Chef de la République , qui lui a con-fervé cette Place. Les Turcs avoient tenté de s'en rendre maitres dans îe cours de la dernière Guerre , mais Mr. de Schulenbourg leur fit lever le Siège. La République , en rcconnoilïànce de cet important iervicc^ lui a fait élever une Statue équeftre dans la Place du vieux Château de Corfou , Ôc lui a affuré une penlion pour la vie, de cinq-mille écus par an, outre fes appointemens ordinaires. 11 eft certain que Venife a diminué en puifiànce ôc en commerce. Les Turcs lui onr enlevé la Morée , il ne lui refte que peu de choie dans le Levant, ôc fes Places en Terre-ferme font pauvres , dépeuplées, ôc mal fortifiées. Ce qui fait une des furetés de Venife, font ies Lagunes-, mais elles commencent à s'affermir depuis quelques années, par les boues Ôc le limon qu apportent les Rivières qui fè déchargent dans le Golfe; ce qui avec le teins ne pourra qu'être très desa- van- vantageux à Venife, d'où lesVaiffeaux ne vEHISlr forcent déjà plus que par un Canal qu'on a été obligé de faire pour cet effet, au-lieu qu'autrefois ils arrivoientôc partoienc de tous les cotés. On auroit pu prévenir cet inconvénient, en faifant quelque peu de dépenfe, au-lieu qu'aujourd'hui, le mal eft fans remède. Les Puiffances que les Vénitiens doivent le plus ménager, font les Turcs, ôc Y Empereur, dans les Etats duquel ils font comme enclavés. Le Grand-Duc de Tojcane ôc le Duc de Panne étoient autrefois des Puiffances peu redoutables pour la République ; mais fi ces Etats font jamais réunis fous l'autorité de l'Infant Don Carlos, le Syftème politique de l'Italie changera beaucoup, & les Vénitiens fe trouveront félon les apparences réduits à ménager ce Prince. 11 y a long-tems que la République oblèrve une grande neutralité dans les démêlés des Princes Chrétiens, peut-être parce qu'elle ne fait pour lequel elle doit le déterminer ; car quoique le Sénat haïflè les Efpagnols, le fouvenant toujours de la célèbre Conspiration du Marquis de Bedmar Ambaf-fadeur du Roi Catholique, il n'a guères d'amitié pour les Allemands ni les François, dont la puifiànce lui fait ombrage. Je croi que fi la République pouvoir nuire à ces trois Puiffances en même tems, ou la verroit bien-tôt fortir de cetre G 5 Iç\ léthargie où la retient fa profonde Politique. Depuis que les Anglois & les Hollan-dois fe font rendus les Maitres du Commerce, celui de Venife eft autant déchu que fa puifiànce. Les Manufactures font extrêmement tombées. Les Vénitiens fournifïbient autrefois de Draps preique toute l'Europe ; leurs Glaces de miroir ôc leurs Verres étoient encore d'un grand débit : mais depuis que ces Manufactures ont paffé dans les autres Pays , Venife n'en fournit presque plus que l'Italie. La Verrerie mérite d'être vue: on y travaille nuit & jour , à la réferve des mois d'Août ôc de Septembre,lorsque les chaleurs font trop excelTives. Il eft certain que les Glaces qu'on y fait font beaucoup plus fortes que celles qu'on fait ailleurs* mais comme elles font foufflées , il s'en faut aufli infiniment qu'elles foient d'un auffi grand volume que les Glaces coulées. Au reite, elles demandent moins de travail, C- ont l'avantage, lorsqu'elles font rompu ", de pouvoir être refondues, la matière en étant beaucoup plus flexible que des Glaces coulées. La P litique, la défiance, ôclesfoup-cpns, font les Tyrans des Nobles de Venife; mais encore plus des Ambafïàdeurs, que fout le monde fuit comme des gens fuf< âr, ôc qu'un Etranger ne fauroit preique pratiquer ans renoncer au com- mer«< merce des Nobles. Un Ambaffadeureft venu»; réduit à s'amufer dans fon domeftique, ou en compagnie d'Etrangers, qui font toujours en aflez. grand nombre dans cette Ville. Aucun Noble ne le peut viliter fans la permiffion expreffe du Sénat, qui l'accorde aujourd'hui avec beaucoup plus de facilité qu'autrefois. Les ufages ont changé ici en bien des chofes. C'étoit autrefois un crime que de voir une Femme en particulier, d'être arrêté par fes Créanciers, il par-3, tit de Vienne iècrettement, m'abandon-j, nant au plus affreux dcfclpoir. Je fus ,, huit mois fans pouvoir apprendre de fes nouvelles. Enfin je vins à favoir H 3 » ¥A , „ qu'il étoit dans cette Ville. Je pris le „ parti de le fuivre. Madame la Com- „ telle de W.....qui m'avoit géné- „ reufémcnt a(ïiftéc} me fournit dcquoi „ faire mon voyage. En arrivant ici, je „ n'y trouvai peint mon Epoux. J'ap-„ pris qu'il étoit à Padoue. Je me mec-3j tois en devoir de l'aller trouver , lors-„ que je reçus la nouvelle qu'il avoit été „ tué par un Etudiant avec lequel il a-„ voit pris querelle au Jeu. Sa mort fut „ pour moi le comble de la douleur, je 33 me trouvois Etrangère ici, fans con-3, noiffânees ni refTource. Je cherchai, „ mais inutilement, à gagner ma vie par' le travail, comme j'avois fait à H. : . . „ mais je trouvai û" peu d'ouvrage," qu'il s, me fut impolTible de me tirer d'intri-„ gue. J'aurois fans doute fuccombé à „ ma mifère, fi je n'avois trouvé le No-3, ble D. . . . qui, touché de ma fîtua-» lion, m'a (lifte depuis fix ans , en me „ taifant une penfion. Heureuic ii je pou-,3 vois m'en paffer, Se me retirer pour „ jamais dans quelque Maifon de piété"! C'eft ici que l'infortunée H. . . finit fa narration. Je fondai fes fentimens fur la Religion : je la favois élevée dans le Lu-théranifme. Elle me témoigna avoir inclination de fe rendre Catholique, & même Religieufe. Je lui promis de la fervir de tout mon pouvoir , & dès le même foir je parlai à Madame M, . . . qui me Ç pro- promit de la faire entrer en Religion dès qu'elle feroit Catholique. Un Jéfuite l'in-itruit depuis près d'un mois: il nous faic cfpérer qu'elle fera inceffamment en état de prendre le voile. Elle me témoigne beaucoup d'ardeur pour cela. Je lui ai -appris depuis peu de jours la mort de fon Père, elle m'en a paru fort touchée: mais elle m'a témoigné aufïi fe foumettre aux décrets de la Providence , ôc m'a parlé de les malheurs avec tant de réiîgna-tion, que j'ai lieu de croire qu'elle fera heureuiè dans la retraite qu'elle va cm-braflèr. Si cela eft , je me trouverai très heureux d'avoir contribué par mes confeils à fa tranquillité. Peut-être qu'elle obtiendra du Ciel par fes prières, que je mette moi-même en pratique les leçons que je lui ai faites fur la néceilité de la converfion. Pardonnez-moi, Monfieur , cette longue digreftion. Comme vous avez connu le malheureux H.....pendant fa fortune , ôc que vous êtes également informé de fa difgrace , j'ai cru que vous ne feriez pas fâché d'être inftruit du fort de fa Fille. Je vais reprendre mes remarques fur Venife. Il y a deux jours que j'ai été voir la Scuola s. Rocco. Ce font des Salles où s'ailèmblent les Confréries de ce Saint. On y voit des Tableaux des plus habiles Maitres. On eftime fort dan» la grande H 4 Salle Salle cPen-bas , le Tableau de l'Annonciation par Tintoret. Cette peinture eft fans contredit une des plus belles ôc des plus touchantes qu'it y ait à Venife , à caufe des vives expreffions de furpvife , d'admiration ôc de joie, qui paroiffent fur le vifage de la Vierge. Elle eft dans fa chambre , que l'habile Peintre a représentée comme un lieu fimple, mal entretenu , & dont les meubles font vieux ôc ufés. Sur le grand Efcalier eft un autre Tableau, représentant de même l'Annonciation: il eft de la main du Titien, ôc n'eft pas un de fes ouvrages les moins eftimés. Les Salles d'en-haut font ornées de divers Tableaux du Tintoret , dans iefquels il a traité la Paillon de Notre Seigneur. Le Sauveur paroifTant devant Pdate, eft une pièce admirable : on eft véritablement touché de voir la mo-deftie Ôc la férénitë qui régnent fur fon vifage. Un fécond Tableau repréfenté Notre Seigneur portant fa Croix. Dans un troifième on le voit attaché à la Croix , ôc expirant pour le falut des hommes. Ce font des pièces impayables , ôc qui paflènt pour tout ce que le Ti?itoret a jamais fait de plus achevé. J'ai aufïi été voir les principaux Palais , qui font presque tous fur le Grand Canal ôc le Canal Reggio. Ils font très magnifiques, mais ils fe reffemblcnt presque tous: qui en a vu un, peut dire les avoir avoir tous vus. Ils ont peu de Cour 5 vrhis»; encore moins de Jardin , point d'Ecuries : un feul Corps de logis , avec un grand Sallon au milieu ôc des Aparte-mens à droite ÔC à gauche , forment un Palais à Venife. Au marbre près, il y a des Palais auffi magnifiques ailleurs , auxquels on ne donne que le nom de Maifon. La Place de Saint Marc eft le rendez-vous ordinaire de tout ce qu'il y a d'honnêtes-gens à Venife. Il y a des Nobles qui y tiennent leurs Affilés , ôc qui n'en ibrtent que pour fe coucher ; ils paflent leur vie à jouer dans des Caf-fés, ou des boutiques de Perruquiers. Le nombre des Nobles n'eft point limité : moyennant cent-mille ducats , peut acquérir la Nobleffe qui veut. Ces Mes-heurs fe traitent d'Excellence , ÔC tous prétendent ce titre des Etrangers. U y a cependant de ces Excellences qui vont eux-mêmes à la Boucherie ôc à la Pois-fonnerie , ôc qui portent chez eux leur viande ou leur poitTon caché fous leurs robes : il y en a même de fi pauvres , qu'on leur voit demander l'aumône. Ce Titre eft ici fi fort en ufage , que j'ai eu toutes les peines du monde d'empêcher un Laquais que j'y ai pris , de me le donner. J'avois beau lui dire que je n'étois nullement Excellent j il me ré-pondoit qu'il favoit trop ce qu'il devoit H 5 à à mon Excellence , qu'il ne vouloit pas paffcr pour manquer de refpect à mon Excellence. Un François venu depuis peu de Conftantinople , & à qui je fat-ibis mes plaintes de la profanation de ce Titre , m'affnra que les Vénitiens en é-toient encore plus libéraux hors de Venife, Se qu'il avoit entendu à Conftantinople les Palfreniers du Baile de la République fe traiter d'Excellence. ■ Parmi les Excellences Vénitiennes , il y a auiTi des Petits-Maitres ; on les re-connoit à leurs pourpoints doublés de couleur de rofe , à leurs belles perruques blondes, à leur démarche évaporée, & à l'air panché avec lequel ils font dans leurs Gondoles. Celles-ci font beaucoup plus petites Se plus légères que les Gondoles ordinaires. Ces Petits-Maitres font fort galans , & ont ordinairement plus d'une Maitreffe : il y a peu de Nobles qui n'en aient au moins une. Au peu de liberté près dont jouiffent ces Créatures , elles font heureuies comme des Sultanes,' leurs Amans les traitent en Princefïès , & généralement , les Vénitiens portent un grand refpcdt à toutes les Femmes. J'ai vu la Faujima célèbre Chanteufc , Se la Stringuetta fameufe Courtifane , arriver masquées à la Pla-:ce S. Marc , s'appuyanc fur des Nobles , & tous les nommes les faluer comme fi elles avoient été des Dames de [ H gran- grande importance. Le même jour qu'cl- Venu». les parurent dans la Place , nous y eûmes un combat de deux Femmes masquées, qui étoient Rivales. Dès qu'elles iè furent reconnues , elles prirent querelle : les coups de poing s'enfuivirent, elles s'arrachèrent les masques, & enfin il y eut des couteaux tirés, dont elles fe frappèrent fi bien, qu'il y en eut une qui relia fur la place. Je croi qu'il eft tems de finir ma Lettre, déjà afîèz longue, & peut-être remplie de trop de bagatelles. Je vous mande tout ce qui me vient à l'efprit ; cela fait un vrai pot-pourri : mais au moins cela vous prouve le plaifir que j'ai de m'entretenir avec vous. Je fuis, &c. A Veiule, ce ij Mai 173°- LETTRE XXVII. Monsieur, LEs Lettres de Rome portant toutes qu'on eft fur le point d'avoir un nouveau Pape, je fuis parti plus tôt de Venife que je n'aurois fait, & je me fuis rendu en pofte dans cette Ville, fans trop m'ar-rcter nulle-part. J'ai paffé par Paooué, p*d<>w où où j'ai eu l'honneur de faluer le Prince Emanucl de T or tu gai, qui y fait fon té-jour depuis quelque tems. J'ai été en-fuite à la Comédie, que j'ai trouvée des plus raauvaifes, mais où l'Ailembléc é-toit belle ôc nombreufe : entre autres, beaucoup d'Etudians & de Jeunes-gens, parmi lesquels il y avoit un Jeune-homme d'une très jolie figure. 11 avoit dix ou douze mouches au vifage, un habit rouge brodé de Jais noir ; le chapeau, le nœud d'épaule, la dragonne ôc les bas, tout étoit brodé de Jais. Je le pris d'abord pour un Charlatan • mais je vis bien que la bizarrerie de l'habillement éroic le goût du Pays. Ce qui m'a amufé quelques momens, étoit un Lièvre à qui un Arlequin faifoit faire le manège, la culbute, fauter par-defTus un bâton,& battre le tambour des deux pattes de devant. De Padoue je fuis venu à Ferrare, Ville de l'Etat Ecclcfiaftique, où le Pape tient un Légat qui eft toujours un Cardinal. Cette Ville m'a paru grande, bien percée, & contenant quelques beaux Palais, mais au refte très mal peuplée, ce qu'on attribue au mauvais air qui règne dans cette Contrée, une des plus belles de l'Italie. Le chemin de Ferrare à Bologne eft extrêmement uni, Ôc en Eté aufïi bon ôc agréable, qu'il eft impraticable en Hiver. Bologne eft la féconde Ville de l'E-^ . r----wc tat Eccléfiaftique. Elle eft grande & Bol<> belle: fa fituation eft des plus agréables :QNK* tout le Pays qui l'environne eft proprement un Jardin, & tout ce que la Nature a produit de plus fertile ôc de plus beau. On dit que cette Ville contient près de quatre-vingt-mille Habitans. Le Peuple y eft honnête Ôc civil, Ôc k Noblelïe des plus polies envers les Etrangers. Il y a des Palais magnifiques, je ne vous parlerai que de la Maiibn du Marquis Rinucci, parce qu'elle m'a paru être une des plus confidérables. Elle eft d'une grande magnificence, ôc d'une vaftc étendue. Le rez-de-chauflèe contient trois grands Apartemcns, le premier étage en contient cinq, de même que le troifiôme. L'Efcalier de ce Palais eft fort cllimé pour fon ordonnance. Dans une des Salles l'on voit deux grands Tableaux. Le premier eft le Sacre de l'Empereur Charles-Quint, fait par le Pape à Bologne. Le fécond repréfenté le Roi de Danne-marc Frédéric IV, donnant audience au Sénat de Bologne, qui le complimente fur fon arrivée. Dans- une féconde Salle on a repréfenté avec i¥E en deux grands Tableaux, le feu Cardinal Rinucci-> aiant audience du Roi de Pologne auprès de qui il étoit Nonce. Dans le fécond, l'on voit le même Cardinal recevant la Burette des mains du Roi de France Louis XIV, auprès duquel il étoit Nonce lorsqu'il fut bolo- élevé à la Pourpre, Les Apartcmens qui ONE* accompagnent ces Salles font très richement meublés, ôc ornés d'excellens Tableaux. Les Eglifes de Bologne ne le cèdent point en magnificence aux plus belles E-glifes d'Italie. Celle de S. Paul m'a paru mériter le plus d'attention. Elle eft deffervie par des Moines Bernardins. La voûte eft couverte d'un grand ouvrage de peinture, qui repréfenté l'Hiftoire de S. Paul, Ces peintures, qui font fort efti-mées, font d Antonio Caccioli, ôc Rolli, deux Bolonois l'un ôc l'autre fe font fur-paiîès. La peinture du Dôme, où l'on voit Saint Paul à genoux prêt à avoir la tête tranchée, eft d'une beauté admirable. Le grand Autel eft de marbre de différentes couleurs, mis en œuvre avec beaucoup d'art. Les Sièges des Moines font de bois de noyer, ôc au deffus font divers Tableaux de la Vie de S. Paul, faits par un habile Elève du Carache. Les Eglifes dQ^Ste.Catherine de Bologne ÔC cel-le de S. Michel in Bofcoy méritent toute l'attention d'un Voyageur, par rapport aux rares peintures dont elles font décorées. Michel in Bofco eft fur une Hauteur, à trois milles de Bologne, on y va par une Gallerie couverte, faite en Portique: c'eft un ouvrage que les Citoyens de Bologne ont fait faire par dévotion pour une Image rairaculeufe de la Sainte Vier- Vierge, qui eft révérée dans cette Eglife. eot.o- Le Palais du Légat eft fort ancien , tiNB« 1 mais il a de la grandeur ôc de la magnificence. Il eft actuellement gardé pendant la Vacance du Saint Siège, comme fi l'Ennemi étoit aux portes de la Ville. Toutes les-avenues (ont tendues de chaînes, les Gardes Suifïes font cuira (Tés, la Garde de cinquante foldats eft barricadée avec des paliflàdcs ôc des chevaux de tri-fe, ôc la porte du Palais défendue par huit pièces de Canon. Il me refte à vous dire de Bologne, que c'eft une des Villes d'Italie où un Etranger a le plus d'agrément. Outre que la Nobleffe va au-devant de tout ce qui peut lui faire plaifir, il trouve à s amuièr par la vue des belles peintures. Il y a fouvent d'excellens Concerts, Opéra Ôc Comédie,1 les Promenades font charmantes, les Maifons de campagne gracieufes : je croi que c'eft tout ce qu'on peut délirer dans la vie. Je me fuis rendu dans deux jours de Bologne à Florence, après avoir paffe en chaifè Y Apennin, Montagnes prodigieu-fes : chofe que je ne ferai plus de ma vie. J'ai beaucoup pâti fur cette route, ôc fi jamais il vous prend envie de la faire, je vous confeille de porter avec vous, provihons , ou Cuifinier. Dans toute cette route il n'y a aucun endroit de conlidération. Fiorenzola eft f ' or e une20LA- Fioren- une méchante petite Ville, qui eft presque zola.. à moitié chemin. De cetteVillc à Scarperia, le chemin eft extrêmement rude: on descend une haute Montagne pavée en manière d'efcalier ,que l'on ne peut defcendre enchaife à moins que de Je rouer. J'ai pris le parti de marcher. A Scarperia le Pays devient plus praticable, ôc il embellit à mcfurc qu'on approche de Florence. On foNTK. Pa^' cr)core dans un Bourg nommé Ponte , qui eft fitué au pied d'une Colline, fur laquelle le Grand-Duc a un Château qui m'a paru allez bien fortifié. Floren- On apperçoit Florence d'affez "* loin, Ôc en vérité, c'eft un beau point de vue que cette grande Ville, dans une belle Vallée, au milieu de Collines qui s'élèvent inleniiblemenr, ôc qui enfin le terminent par de hautes Montagnes , tellement habitées, qu'elles peuvent être regardées comme les fauxbourgs de Florence. La Rivière ÛArno traverfe la Ville ôc la Vallée. On peut dire que c'eft avec juftice, que Florence eft nommée la Belle d'entre les Villes d'Italie, puisqu'elle a tout ce qu'on peut defirer dans une grande Ville riche ôc opulente, Edifices fàcrés ôc profanes, Ponts, Monumensôc Fontaines. Cependant elle n'eft ni auflî grande, ni aulïi peuplée que Bologne. En entrant à Florence, j'ai apperçu au-deffus de la Porte une table de marbre blanc, où j'ai lu l'Infcription iuivante: FLOJ FLORENTIA, ADVENTU FRI- Floru*-DERICI IV DANIAE ET NORVE- CB' GIAE, AUGUSTÏ, FELICIS i QUOD EAM SUA PRAESENTIA MAGNUS HÔSPES IMPLEVERIT AUGUSTA, FELIX, AN. i7o8. MENSE MAR-TIO. C'eft le feu Grand-Duc Cdsme qui a fait graver ceci à l'honneur du Roi de Dannemarc. La Ville de Florence a été fi exactement décrite, que je pillerai très légèrement fur tout ce qui regarde fes Edifices. La Place appel lée la Piazza del Cran Duca, ou du Palais Vieux, contient affez, de belles, chofes pour orner une grande Ville. On y voit une grande Fontaine que Cosme I. a fait conftruire fur les DefTeins cYAmmanati & de Philippe Bal-dinucci, deux Sculpteurs très célèbres pour-lors. A peu de diftance de cette Fontaine, eft la Statue équeftrc de Cosme I. Elle elt élevée fur un grand piédeftal de marbre blanc, à la principale face duquel on a gravé cette Infcription : COSMO MED1CI, MAGNQ E-TRURLE DUCI PRIMO, PIO* FE-LICI, INVICTO , JUSTO-, CLE- Tome IL I MEN~ 130 Lettres MENTI, SACRAE MILITIAE PA-CISQ^ IN ETRURIA AUTHORI, PATRI ET PR1NCIPI OPTIMO, FERDINANDUS F. MAG. DUX.IH. EREXIT AN. CID. 10. LXXXXIIU. Les autres trois faces du piédeftal contiennent des Bas-reliefs de bronze d'une grande beauté. Le premier repréfenté Cosme L reconnu pour Souverain par le Sénat de Florence,* le fécond, la cérémonie du Couronnement de Cosme; & le troificme, le même Cosme fur un Char de triomphe à l'antique, faifant fon Entrée triomphante dans Sienne foumife à fon Gouvernement. Ferdinand I. de Médias , en faifant ériger cette Statue à l'honneur de fon Père, employa pour 1* direction de cet ouvrage le célèbre Jean Boulogne, qui a très bien répondu à l'opinion qu'on avoit de lui. La Gallerie du Grand-Duc eft près de la Place : j'y ai vu fout ce que les Anciens &c les Modernes ont eu de plus curieux. Un Bufte du Grand Alexandre', la fameufe Statue de Vénus taillée par Apollodore, avec celles des Empereurs, & des Impératrices de Rome, & des plus grands Pcrfonnages des fiècles paifés; les meilleurs Qriginaux des plus grands Peintres, & mille chofe» rares tant en Diamans, Rubis, Perles, Eroeraudes» Saphirs, Saphirs, & Topazes, qu'en Ambre, Por- Flomk-celaines, Cryftaux, Porphyre, Corail, ci. Marbres ôc Granité. Toutes ces belles chofes détaillées formeroient un Volume. On eft actuellement occupé à les mettre en Eftampes; plulieurs perfonnes de qualité ont contribué à la dépenfe de ce bel Ouvrage, qui eft confidérable, 6c pour lequel ils employcnt d'excellens Deflina-teurs. 11 auroit été digne du Grand-Duc, & il me paroît que ce Prince, voyant fa Maifon étiente & fes biens paffer dans des mains étrangères, devoit bien du moins éternifer la gloire de fes Aieux, en donnant au public un état des Richefïes immenfes qu'ils ont acquifesôc trans mifes à leur poftérité. De toutes les Eglifes d'Italie il n'y en a point de plus magnifique pour l'extérieur, que le Dôme de Milan ôc la Cathédrale de Florence. Toutes les deux font entièrement revêtues de marbre de différentes couleurs. Un Citadin de Florence, qui prétendoit favoir parfaitement PHiftoire de cette Ville, m'a afluré que f* Cathédrale avoit été bâtie de l'Impôt de cinq lois qu'on avoit mis fur chaque pièce de Drap qui fe vendoit alors à Florence. Je croi que, fans bleffer lâchante, vous pouvez, prendre ceci pour un Conte. r En face de la Cathédrale eft le magnifique Baptiftère, dans lequel on entre I * pat par trois Portes de bronze il artiftcment travaillées, que Michel-Ange difoit qu'elles méritoient d'être les Portes du Paradis. La Chapelle de S. Laurent, qui n'eft pas encore achevée, fait l'admiration de tous les Connoiffeurs. Elle eft deftinée pour être le Lieu de la fepulture des Grands-Ducs. jChaque Prince fera dé-pofé dans un Maufolée merveilleufement travaillé, & enrichi de pierres précieuses. Il y a cent-cinquante ans que cette Chapelle eft commencée ÔC qu'on y travaille j il s'en faut cependant encore des deux tiers qu'elle ne foit achevée. S'il étoit permis de gîofer fur la conduite des Princes , je dirois encore , que le Grand-Duc, qui voit finir avec foi ià grandeur Ôc fa Maifon, auroit bien dû mettre la dernière main à ce Monument de la magnificence desMedicis: car peut-il fè flatter que il lui-même néglige de faire pafler l'éclat de la Maifon à la Pof. térité, fes Succefleurs qui ne lui font rien, ou du moins peu de chofe, penfe-ront à l'éternifer? Mais tel eft le caractère de Jean-Gaflon Grand-Duc de Toscane; indifférent ôc infenfible à tout, il voit les Etrangers difpofer de fes Etats & lui nommer un Succeffeur, les Courti-fans prêts à l'abandonner pour s'attacher à ce même SuccefTeur ; & cette perfpec-tive, quelque desagréable qu'elle puilïè être, ne paroît point l'affliger. Il difoit flores il y a quelques jours, en venant de fi-ce. gner fon Teftament par lequel il déclare l'infant d'Efpagne Bon Carlos fon Héritier , qu'il venoit de faire un Fils par un trait de plume, lui qui n'en avoit pu faire un en trente-quatre années de mariage. Voilà,Monfieur, tout ce que vous aurez pour cette fois de moi touchant Florence, où je n'ai pu m'arrêter que peu de jours, pendant lesquels je n'ai fait aucune connoiffance, m'étant uniquement occupé à voir les Curiofités de cette Ville. A mon retour de Rome, je compte paffer encore ici, je m'y arrêterai quelque tems pour connoitre un peu la Cour, ôcvous ferez alors inftruit de tout ce que j'y aurai remarqué. De Florence je fuis venu dîner à Cas-tilloncello, ôc coucher à Sienne, Ville sienne. de l'Etat de Toscane, à laquelle Cosme l. de Medicis la fournit, non fans une forte réfiftance des Siennois. Cette Ville eft un Archevêché ôc une Univerfité. Elle jouit d'un très bon air, Ôc fa fituation eft fort agréable. On dit qu'on y parle "l'Italien avec plus de pureté que dans aucune au-^ Ville d'Italie. Elle m'a paru manquer dHabitans: j'ai parcouru plufieurs rues, fans rencontrer perfonne. On dit qu'il y a beaucoup de Nobleffe établie dans Sienne, ôc qu'elle fait accueil aux Etrangers; comme je ne m'y fuis arrêté qu'un I 3 jour, jour, je n'ai eu le tems que de parcourir la Ville. La Cathédrale m'a paru un grand Ôc magnifique Edifice, revêtu de marbre. Le Palais du Grand-Duc eft ancien, mais logeable. On y confidcre la Tour, comme une pièce fingulière d'Architecture. La Grande-Princefïe * Violente de Bavière eft Gouvernante de Sienne : elle demeuroit autrefois dans cette Ville, où elle étoit extrêmement aimée; mais depuis quelque tems elle fait fa rélidence à Florence. La Place qui eft devant le Palais, eft ovale, ôc creu-le au milieu: on peut l'inonder, comme la Place Navone de Rome. Depuis Sienne jufqu'à Viterbe, le chemin eft extrêmement mauvais. J'ai pafTé Radico- -a Montagne de Radicofani, fituce fa»i. dans une des plus vilaines Contrées de toute l'Italie. Au fommet de la Montagne il y a un Château , où l'on entretient une Garnifon de quinze hommes ôc un Commandant, que j'ai trouvé à la Place du Cabaret où j'ai mis pied à terre. Il avoit été Lieutenant en France dans le Régiment Royal Italien, ôc par-loit allez bien François. Il me dit que les Habitans de fon Gouvernement é-toient aufïi mauvaifes gens que le Pays étoit vilain. J'en vis, quelques momens après, une preuve. Un Muletier prit que- * Cette Piincçfle eft moite en 1731 > à Florence. du Baron de Polln itz. 135 querelle avec le Garçon du Cabaret ; celui-ci lui donna un coup de couteau dans le bas-ventre, avec plus de tranquillité qu'il n'auroit fait peut-être une bonne action. Le Commandant ne fit point arrêter l'Aflàffin. Sur ce que je lui en témoignai ma furprife, il me dit qu'il n'a-roit rien à dire hors de fa Place; que d'ailleurs il n'ofoit faire arrêter l'AflaiTin, parce qu'il avoit trois Frères aufri mé-chans que lui, & qui ne manqueroient pas de tirer vengeance du châtiment qu'il pourroit faire. Et puis, me dit-il, j'au-rois bien à faire, fi je voulois faire arrêter tous ceux qui donnent des coups de couteau. Aqoapendente eft une vilaine a la République étoit fans doute plus opulente qu'elle ne l'eft aujourd'hui. Il eft certain que le Capitole renferme un Tré-for conlidérable en Statues antiques ôc modernes, en Bas-reliefs , ôc en toutes fortes de fragmens antiques. Les bâti-mens font de l'ordonnance de Michtl-Ange. C'eft dans le Corps de logis du mi- lieuj lieu beaucoup plus élevé que les deux r0ms. autres, que s'adminiftre la Juftice. Un grand Perron, auquel on monte par deux Efcaliers, précède la Porte par laquelle on entre dans la Salle du Tribunal où l'on plaide. Entre les deux rampes il y a une magnifique Fontaine , ornée de deux Statues antiques de marbre, couchées fur des piédeftaux , repréfentant le Nil Ôc le Tibre. Dans une niche au deiTus, fe voit la Statue de Rome triomphante , ouvrage de porphyre 6c de marbre antique, d'une excellente fculpture. L'intérieur de ces trois Corps de bâ-timens contient de belles peintures. On y admire le Rapt des Sabines. Parmi les Statues modernes , les connoilTeurs eftiment celle de bronze du Pape Urbain VIII, faite par le Chevalier Bernini; la Statue Coloiïale du Pape Léon X, ouvrage en marbre fait par Lorenzetto de Florence, celle d'Alexandre Farnèfe, de Marc-Antoine Colonne, de Grégoire XIII, de Paul III, 6c enfin de plufieurs autres que je ne nomme point, comme é-tant de moindre valeur, 6c qu'on regarde ici avec indifférence parce qu'elles ne font pas de la première main, mais qui chez nous palferoicnt pour des Chef-d'œuvres. Me trouvant dans levoifinage duCam-po Vaccina *, je ne puis m'empêcher de M 3 vous * Grande Place appeiléc ainfu vous en dire quelque chofe; non pas que je prétende vous le détailler, mon peu d'érudition ne me le permet pas. On y voit des reftes admirables de la magnificence de Rome antique, que je ne fau-rois regarder fans être touché de com- Çaffion de l'état oû ils font aujourd'hui, ous penferiez comme moi, fi vous vous trouviez au milieu d'une grande Place, & qu'en portant vos regards de tous côtés, vous ne viiïiez par-tout que des ruines; les murs de l'ancien Capitok d'un côté; de l'autre, YA're de Çonftantinérigé avec tant de dépenfe par le Sénat & le Peuple Romain, délabré, & prefque enterré; plus loin Y Arc de Titus, encore en plus mauvais état; à votre gauche, les ruines immenfes du Temple de la Paix ; les vertiges du Temple d'Antonin & de Fauftine , fur l'architrave duquel on lit encore ces vaines paroles, Divo Antoni-w, Diva; Fauflinœ; à votre droite, les triftes reftes du Temple de la Concorde, qui, à en juger par les huit colonnes qui font encore fur pied, devoir être fuperbe : il fût bâti pour accomplir un vceu du Dictateur Furius Camillus, pour avoir réconcilié le Peuple avec la NobleiTe. C'é-toit, félon Varron, dans ce Temple que s'afletnbloit le Sénat pour traiter des affaires de la République. Enfin , tant, d'autres infortunés fragmens de la Mai-trefle de l'Univers, qui vous feroiem ref- Teffouvenir de i'inftabilité de ce Monde, RoM£. «3c que tout y eft vanité. Mais que diriez-vous encore, fi allant plus avant vous parveniez au célèbre Coiffée, que le tems qui détruit tout , a refpecté , mais que les Hommes, ceux mêmes qui avoient le plus d'intérêt à conferver ce qu'il y a-voit de beau dans Rome, ont détruit? Que diriez-vous , Ci vous voyiez qu'il refte à peine allez de ce fuperbe Edifice, pour fe pouvoir former une idée de ce qu'il a été ? Ce fut Veftafien qui le fit bâtir , fur le même modèle o^Augufle avoit eu deffein de le faire. Sa forme en dehors eft ronde, d'une élévationpro-digieufe, & entièrement de grandes pierres de taille. La Cour ou l'enceinte eft ovale. Il y avoit trois rangs diftingués en Amphithéâtre; le plus élevé étoit pour les Sénateurs, le fécond pour les Chevaliers, & le troilièmepour le Peuple. On prétend qu'il contenoit quatre-vingt cinq-mille ames.Ce fut Titus qui en fit la dédicace: ce Prince à cette occafion célébra une grande Fête, fit au Peuple des largelfes con-fidérables,6c fit paroitredans un feuljour cinq mille Bêtes fauvages de toutes les efpè-ces. Paul III ozUrbaïn VIII ont fut démolir le Colifée, & fe font fervis des pierres pour bâtir les Palais qu'occupent leurs familles. C'eft affez vous entretenir des Edifices publics, voyons quelques Palais particuliers. Avant que de vous y introduire, M 4. je 184- Lettres je vais vous découvrir mes fentimens fur. Jes Palais de Rome en général. Je ne nie point qu'il ne s'en trouve ici de plus beaux & de plus grands qu'ailleurs, mais ceux-ci font en petit nombre, ôc les autres ne méritent point qu'on en parle comme on fait. Il me femble qu'il en eft des Edifices de Rome , comme de ces gens dont la réputation ell une fois bien établie : on admire en eux , ce qu'on critiqueroit peut être dans d'autres» On admire ici beaucoup de Palais , par la prévention où l'on eft que l'Architecture y fleurit plus qu'ailleurs. Cela étojt vrai autrefois du tems d'un Sixte V., d'un Paul F,&c d'un Urbain VIII, qui avoient à cœur l'embelliflement de Rome ; mais cela n'eft plus, depuis que les Papes indolcns ne font plus rien faire. Je puis vous affiner qu'on bâtit actuellement beaucoup mieux en France qu'en Italie, fur-tout pour ce qui regarde la diftribu-tion des Apartcmens, à quoi les Italiens n'entendent rien. La plupart des Apar-temens de Rome confiftent dans une grande enfilade de chambres , fouvent très petites, d'où l'on ne peut fortir que par la même porte par laquelle on eft entré. Ordinairement , les chambres manquent de jour, de cheminée, Ôc de place pour mettre un Lit ou un Dais: cela fait que ces deux meubles font rarement là où ils devroient être. Cependant, dant c'eft la marotte des Cardinaux & rq des Princes Romains, d'avoir des Dais. Un grand nombre d'entre eux en ont même cinq ou fix. Vaine oftentation, oui fait croire à ces Meilleurs qu'ils donnent Audience , lorsqu'ils reçoivent des vifites. Après cela, ce n'eft point ici qu'il faut chercher les enjolivemens qu'on voit en France ôc ailleurs. Pour parquet, ce font des briques; les lambris n'y font point connus ; les vitrages font horribles; la plupart des plafonds, car il y en a auiîî de très magnifiques, font de bois, fi grofîièrement travaillés, que la dorure qui y elt employée ne fert qu'à en mieux faire voir la difformité. Les meubles font prefque par-tout les mêmes ; c'eft ou du damas rouge, avec une bordure en-haut de velours de la même couleur, enrichi de galons 6c de franges d'or faux; pu bien ce lont des Tableaux: ceux-ci véritablement font des plus parfaits; mais lorfque je vois cinq ou fix pièces d'enfilade toutes remplies de peintures,je m'imagine être dans une Boutique de Tableaux de la Foire S. Germain. D'ailleurs ces Tableaux font dans de fi vilaines 6c antiques bordures, qu'ils en font défigurés. Les Miroirs font très rares, 6c tou4-jours de petit volume. Les Porcelaines 6c les Cryliaux font peu en ufage ; il oit vrai qu'en revanche on a ici de belles Statues: je les admire, je les trouve ïuper-M 5 bes; Rome, bes ; mais je les veux dans une Gallerie, dans un Sallon, ou dans un Jardin; il me paroît qu'elles font déplacées dans une chambre Tout ce qu'on voit ici de meubles, eft antique;on les doit prefque tous à des "apes morts depuis longtems ; 6c excepté les maifons du Cardinal dcl Ciudice, Albano, Bolognettt, &Z Carolis, aucune autre n'eft meublée à la moderne. Il eft tems d'entrer dans quelque Palais. Celui qu'on appelle ici le Palais Farnèfe, eft félon moi le plus magnifique de Rome. Michel-Ange en a été l'Ar-chit -etc. La plupart des pierres de cet édi'îce ont été tirées du Colifée de l'Empereur Vefpafen, par ordre de Paul III, qui n'eut point de fcrupule de détruircle plus fuperbe Monument de l'Antiquité, pour procurer un Palais à fes Neveux. Ce Palais cit élevé de deux étages ; il eft précédé d'une Place parfaitement quarrée, laquelle eit ornée de deux fuperbes Fonraines, dont l'eau jaillit continuellement de la hauteur de quinze pieds, 6c tombe enfuite par deux napes dans une Conque ou Cuve de Granité Oriental, d'une grandeur immenfe 6c tout d'une pièce. On entre dans le Palais par un grand Portail ou porte cochère , orné par dedans de colonnes Doriques; il conduit à une Cour quarrée, dont les bâti-mens font foutenus d'arc .des avec de grands corridors ou galleries bien voûtées. tées. On y voit les célèbres Statues rom«, d'Hercule ÔC de Flore , dignes véritablement de l'attention d'un Curieux. Dans une féconde Cour allez négligée , on voit dans une loge de bois le magnifique Groupe de, marbre blanc , tout d'une pièce, repréfentant la Fable de Dircé attachée au Taureau par Zetus ôc Amphion fils d'Antiope, Femme de Lycus Roi de Béotie, qui pour venger leur Mère que Lycus avoit répudiée parce quelle s'étoit latffé féduire par Jupiter changé en Satire commirent la barbare action de tuer Lycus, ôc de lier Dircé par les cheveux: aux cornes d'un Taureau farouche , ôc de la faire trainer ainli. Les Dieux, touchés du fort de cette Princeffe, la changèrent en Fontaine. Cette grande machine fut portée de Rhodes à Rome, par ordre de l'Empereur Antonin-Caracalla : on la trouva fous terre au lieu où é-toient autrefois les Bains de ce Prince, d'où Paul III la fit porter au Palais de fa Famille, afin de la faire iervir de perspective à la grande Porte, mais juiqu'à préfent elle n'a point encore été placée. Le grand Efcalier qui conduit aux A-partemens , eft orné de plufieurs belles Statues. On entre d'abord dans une grande Salle , où l'on voit l'Hiftoire d'Alexandre Farnèfe lorfqu'il paffa VEfcaut. Ce Prince y paroît couronné par la Yi&oire, & aiant à fes pieds la Flandre ôc Roms. & YEfcaut enchainés. Il y a encore dans diverfes niches &c fur divers piédeftaux, nombre d'autres belles Statues antiques. La première Chambre eit peinte à fref-que par Salviati & Zttccaro. On y voit l'Empereur Charles-^uint ècFrattfois I. Roi de France, fe donnant la main; les faits mémorables de Paul III; & Martin Luther en conférence avec le Nonce de ce Pontife. Dans les Apartemens qui fui-vent, on trouve quantité de beaux Buf-tes, & des plafonds bien peints & richement dorés. Mais la plus belle pièce de ce Palais eft la Gallerie, toute peinte par Annibal Carache. Cet habile homme y a repréfenté avec beaucoup d'art, diverfes Divinités affiliant au Triomphe de Bacchus. Enfin rien n'eft épargné dans ce Palais. On m'a affurè que les meubles en étoient autrefois très magnifiques, mais aujourd'hui il en eft tout dépouillé, ôc fert de logement au Miniftre de Parme. C'eft dommage que ce Palais ne foit point achevé ; ce ferait en vérité une belle pièce : mais il en eft ainfi de tous les Miracles de S. Pierre , c'eft le nom qu'on a donné à tous les Palais bâtis par des Papes pour leurs Familles. Les Papes font vieux , lorfqu'ils parviennent au Pontificat ; la modeftie ou la bien-féance les empêche de travailler pour leur Famille dès la première année, il? commencent fur le déclin de leurs jours: ils Suivent alors de vaftes deffeins, & Rom*, meurent avant que d'avoir pu les achever. Leurs Neveux ordinairement ne pour-iiiivent point ce que leur Oncle a commencé, foit qu'ils ne veuillent pas mettre au jour les richeffes qu'il leur a laifïées, foit qu'ils n'aient pas le cœur affez grand pour cela; car franchement,ces Neveux de Papes font fouvent peu de chofe, & ont eu une éducation fort commune. La plupart font des gens de médiocre ou de baffe naifiance , qui deviennent Princes fans autre mérite que la fortune de leur Oncle: enivrés de leur grandeur, ils s'y perdent, ils s'y endorment , ils ne pen-fent à rien, pas même à la confervation de leur Maiion naiffànte : aufïi les voit-on tomber dans peu ; ils n'ont qu'un Printems, l'Hiver les faifït bientôt. Le projet de Paul III étoit de faire bâtir un Pont fur le Tibre qui arrofe le derrière du Palais Parnèfe , afin de lui donner la communication du Jardin du petit Palais Parnèfe , qui eft de l'autre côté du Fleuve dans le Quartier nommé la Longare. Si ce deffein avoit été exécuté, le Duc de Parme auroit eu un bien plus fuperbe Palais à Rome, que dans fa Capitale. Le Palais Barberini ne le cède en rien à celui de Parnèfe : il eft même plus grand, & renferme fans contredit plus de richciïès en Tableaux, Statues & Ta- piffe- ï le Connétable n'a voulu prendre aucun parti > avant que les cHofes fiiflem plus dccid8«S« vec la dignité convenable à leur naiffan- r0m*. ce; ils font honnêres , affables ôc généreux. Le Cardinal d'aujourd'hui, ôc le Connêrable fon Neveu, font peut-être les meilleurs Seigneurs du Monde. Ils habitent tous deux dans le même Palais, ôc vivent dans une concorde ôc une u-nion d'autant plus belle, qu'elle eft rare parmi les Grands. Leur Palais eft un des plus magnifiques qu'il y ait dans Rome, quant à l'intérieur: il mériteroit bien une autre façade. Il ne doit ion élévation qu'à fes Maitres, ôc les Succeffeurs de S. Pierre n'y ont aucune part. Sans vous détailler chaque chambre , je vous dirai qu'elles font toutes richement meublées. On y voit des Cabinets, des Tableaux ôc des Statues d'une beauté extraordinaire. La Gallcrie eft royale, ôc a des beautés que n'a point celle de Ver-failles que toute l'Europe admire: telles font les quatre Colonnes de marbre Jau- 1 ne antique, dont deux à chaque extrémité foutiennent l'arcade qui fcrt d'entrée au Sallon qui eft au bout de la Gal-lerie. On pourrait dire que cette Galle-rie ferait parfaite, fi un des Salions qui la terminent n'étoit pas élevé de cinq ou fix marches, tandis que l'autre eft au niveau de l'Apartement ôc de la Gallerie. La voûte de cette belle pièce eft peinte ôc repréfenté la Victoire remportée du tems de Pie Vy à Levante fur les Turcs, Tume II. N par 194- Lettres par la valeur de Marc-Antoine Colonne'. Ces peintures étant de différentes mains, ne font pas tout à fait de la même beauté. Quant aux Tableaux ôc aux Statues qui décorent les murailles revêtues de marbre , on ne peut rien voir de plus parfait, J'ai vu des François même convenir de ce fait. Je n'ai jamais vu un plus beaucoup d'ceil, que cette Gallerie illuminée la veille & le jour de la Fête de S. Pierre, auquel le Connétable préfente la Haquenée au Pape. Cette cérémonie s'efb faite depuis peu de jours, ôc comme elle n'avoit pu fe faire la Fête de 5. Pierre, à caufe de la vacance du Saint Siège, elle s'eft faite dans l'Eglife de Notre Dame du Peuple, le jour de la Fête de cette Eglife. Lé Pape s y rendit en grand Cortège, aiant fur le devant de fon caroffe les Cardinaux Olivieri ôc Banchieri, l'un Secrétaire des Brefs, Ôc l'autre Secrétaire d'Etat.1 Arrivé à la porte de l'Eglife , il fe mit dans fa chaife gefiatoire, ôc on le porta vers l'Autel, où il entonna les Vêpres-, qui furent continuées par la Mufique. Pendant ce tems-là, Don Philippe-Corfini Arrière-Neveu du Pape, & toute la No-bleflè qui avoit accompagné le Saint Père, partirent à cheval de l'Eglife, ôc allèrent au Palais du Connétable. Us é-toient accompagnés d'un Détachement des Ccnt-Suiifes de la Garde, des Che* .. vatax- vaux-légers ôc des Carabiniers. Don Ro«t. Philippe Corfini complimenta le Connétable au nom de Clément XII, ôc lui dit qu'il venoit pour le conduire à l'Audience de Sa Sainteté. La marche commença par un Détachement des Chevaux légers ; toute la Noblelïe feudataire du Royaume de Naples paroilToit enfuite; les Princes marchoient feuls félon leur rang, ôc étoient précédés de leurs Gentilshommes ôc Officiers à cheval, ils tutoient fuivis par la Haquenée, qui eft: un cheval blanc portant une felle en forme de bât,de velours rouge,avec une hauf-fe trainante à terre, de la même étoffe richement brodée en argent; à fon cou pendoit une bourfe de velours rouge , dans laquelle étoit la Lettre de change de fept-mille Ducats, pour le Tribut que paye au S. Siège le Royaume de Naples., Immédiatement après la Haquenée , paroilToit le Conflitai>k au milieu de deux files de Cent-Suiiïès; il étoit précédé de trente-fix Valets de pied, 6c entouré de feize Pages tous de fa livrée. Don Philippe Corjini etoit à fa droite, ôc Mgr. Acctuaviva * Majordome à fa gauche. Les Prélats feudataires le fuivoient: ils étoient en mantelette , montés fur des mules, ôc marchoient deux à deux. Qjjjin^ * Cardinal depuis cette année 17 jj. N a ijfj Lettres Quinze magnifiques caroffes du Connétable, dont quatre étoient à fix chevaux, fermoicnt la marche. Le Connétable é-tant arrivé à l'Eglife, 6c aiant mis pied à terre,rencontra le Pape, qui étoit prêt de fortir de l'Eglife. L'Ambaffadcur s'é-tant mis à genoux devant le Pape qui étoit dans fa chaife gejlatoire,lui dit,que l'Empereur Charles VI, Roi des deux Ski-les, fon Maitre, l'avait chargé de remettre à Sa Sainteté le Tribut de (a Haquenée & des fept-mïlk ducats, que Sa Majefé Impériale & Royale devoit au S. Siège pour le Royaume de Naples. Ce compliment doit fe faire en Langue Espagnole, 6c le Pape y répond en Latin. Clément XII dit: Nous acceptons le Tribut & lepréfent que notre bien-aimé Fils Charles VI, Empereur, Roi des Siciles, nous doit; nous lui donnons à lui & à fon augufte Epoufe Elifabeth Impératrice, à fes Royaumes & Etats, & généralement à tous fes Sujets, notre bénCdiclion Apoftoiïque , au nom du Père, &c. Lorfque le Pape eut achevé de parler, l'AmbaÛàdeur, qui étoit toujours demeuré à genoux, fe leva ; un Notaire Apoftoliquè qui fe trouva préfent, enregistra Sur le champ, fuivantl'u-fage , cette fonction dan3 les Registres Apostoliques. Cela fait, Clément XII fortic de l'Eglife , 6c s'en retourna en grand Cortège au Palais de Monte-Caval-lo. Le Connétable, accompagné du Car- dinal Cienfuegos Ambaffadeur de PEmpe- RoMEi reur, fortit un moment après: le Cardinal monta dans le principal caroffe du Connétable , ôc ce Prince fe plaça à la gauche de Son Eminence ; les Valets de pied du Cardinal & de l'Ambafi'adeur marchoient confondus l'un parmi l'autre 5 les carofles fuivoient alternativement, un caroife du Cardinal, ôc un du Connétable. Son Eminence en avoit dix, tous à deux chevaux feulement. Ils arrivèrent ainfi au Palais du Connétable, qu'ils trouvèrent illuminé avec des torches de cire blanche. Toute la Nobleilè de Rome, & tous les Cardinaux y arrivèrent quelques momens après. On y fervic quantité de rafraichiffemens, & l'on tira un Feu d'artifice qui étoit élevé au-deffus du portail de la Cour , & conftruit de manière qu'il faifoit également face vers la rue & vers le Palais. Le lendemain, le Connétable ôc le Cardinal firent encore en grand Cortège le tour des principales rues de Rome; le foir, le Palais de l'Ambaffadeur fut illuminé , le Sacré Collège ôc toute la NoblciTc y parurent comme la veille, ôc il y eut encore un Feu d'artifice. C'eft ainfi que finit cette cérémonie. Il eft tems aulfi de finir ma Lettre, ôc de vous alfurer que je fuis toujours, ôcc. A Rome, ce i« Septembre 1730, N 3 LET- 19.8 Le t t r e s LETTRE XXX. Monsieur, QUoiquc je fois très las de vous parler de Palais, je ne puis m'empë-chef de vous dire quelque chofe du Palais du Prince Borghèjè. On y admire la Cour; &c en effet, les bâtimens dont elle eft environnée font d'une ordonnance élégante & agréable. Ce font deux rangs d'arcades l'un fur l'autre , foutenus par quatre-vingt-feize colonnes de Granité, qui forment des Coridors ou des Galle-r ries, à la faveur defquelles on peut aller à couvert tout autour. L'Apartement d'Eté qui eft de niveau avec la Cour3 pft digne de loger un Roi. On n'y voit que des peintures les plus rares : plufieurs chambres ont l'agrément d'avoir des Fontaines toujours jailliffmtes, dont les Baf-fms font de porphyre ou d'autres pierres prccieiKcs ; il y en a même une d'Argent maffif , d'un ouvrage parfait. Les meubles ne répondent point à la magnificence de tout ceci ; ils font tous du tems de Paul V, qui étoit de la Maifon Borghèjè, & qui fa tirée de l'état médiocre où elle étoit 'a Sienne t où la profèi- fion d'AvQcat faifoit toute fon illuftra- Rqme... tion. L'Aine de cette Maifon jouit de cent-feize-mille écus de revenu; & de la manière dont il vit, il n'eft point en danger de déranger fes affaires. Il n'y a point de Famille dans Rome, en faveur de laquelle S. Pierre ait plus opéré que celle de Borghèjè. Le Palais du Prince dans la Ville eft , comme je viens de vous le dire , fuperbe ; il eft accompagné de belles Ecuries , ôc d'un fécond Palais en face du premier , qui fert de Grand-Commun pour loger des Domef-tiques. Prefque toutes les maifons ç\u quartier , qui eft un des plus habités de Rome , appartiennent au Prince. Il a suffi plufieurs Maifons de campagne magnifiques : parmi celles-ci eft le Château de Mondragone près de Frefcati, bâti par le Pape Paul V, ôc le Jardin près de la Porte Pinciane , fait par le Cardinal Scipioft Borghèfe Neveu de Paul V. Avant que l'Art du Jardinage fût introduit parmi nous ôc en France , les Jardins de l'Italie étoient regardés comme les plus beaux du Monde : aujourd'hui ce n'eft plus cela , ôc à moins que d'être Italien ôc de n'avoir jamais pailé les Alpes , on ne fauroit regarder qu'avec beaucoup d'indifférence tous les Jardins que les Romains traitent de maraviglia, àincanto , ÔC de fpavento. Ne croyez N 4 pas pas toutefois que je ne trouve rien de beau dans les Jardins d'ici ; j'y admire la verdure continuelle, bien que fombrc ôc mélancolique , des Chênes-verts , Sapins, Vins, 6c Lauriers, qui forment les allées. J'admire la magnificence de ceux qui ont fait ces Jardins; je vois avec plai-fir dans leurs ouvrages, qu'ils ont penfé en Seigneurs, ôc qu'en effet ils ont fait tout ce qui fe pouvoit faire de plus beau dans leur tems Mais je m'afflige aufïi de voir combien peu de foin leurs Neveux prennent de ces chofes, comme ils les laiflént périr, Ôc combien peu ils fa-vent jouir des biens que la Providence leur a donnés. Grâces aux fondations de Vaut V 6c' du Cardinal Scipion, les Maifons Ôc les Jardins du Prince Borghèjè font mieux entretenus que ceux des autres Seigneurs Romains: malgré cela, il s'en faut infiniment qu'ils aient cet air propre 6c peigné des Jardins de Brame 6c de Hollande, Ôc des Pays ultramon-tains. Mondragone eft fitué fur une hauteur, ôc fait face à la Ville. C'eft un grand bâtiment, fait fur le modèle du Palais de Monte- Cavalk. Les Apartemens en font fpacieux, mais extrêmement mal meublés. La Maifon de la Vigne Pinciane n'eft magnifique, que par rapport aux rares fculp-tures dont elle eft décorée; elle eft presque entièrement revêtue en dehors de fu- per^ perbes Bas-reliefs de marbre antique, par- rom». i mi lefquels on voit avec plaifir Curtius à cheval, qui fe précipite dans le gouffre pour délivrer fa Patrie de la Pefte. La Statue de Bélifaire, en attitude de Pauvre qui demande l'aumône , eft fi bien faite, qu'elle excite à la compaffion. Les Apartemens, quoique très mal meublés, font ornés de Tableaux ôc de Statues fu- {>erbes. Parmi ces dernières on admire e David tenant fa fronde, taillé en marbre par le Cavalier Bernini: Le Groupe qui repréfenté Daphné commençant à changer en Laurier , dans le tems que le Dieu du Jour eft prêt de l'embrafïer : L'ancienne Statue de Sénèque expirant dans le Bain ; elle eft de marbre Noir antique, placée jufqu'à mi-jambe dans une cuve ou vafe de pierre Afrkaine, d'ouvrage moderne: La fameufe Statue du Gladiateur en attitude de combattant, ouvrage d'Agafias Ephélien, comme le marque l'Infcription Grecque qui eft au pied de la Statue: Enfin, le bel Hermaphrodite couché fur un matelas, le tout de marbre d'un ouvrage merveilleux. On dit que cette Statue fut trouvée fous les fondemens de la façade de l'Eglife Notre Dame de la Viéloire, lorfque le Cardinal Scipion Borghèjè la fit faire. C'eft alfuré-ment une belle trouvaille, ôc il auroit été dommage qu'elle n'eût point paru au jour. Je ne finirois pas, fi je voulois vous par-N y 1er 1er de toutes les autres Statues du Prince Motghèfe : aucun Roi du Monde n'en a d'au in belles ôc en auffi grand nombre; il peut fe vanter de poflëder un Tréibr inef-timable. Trêve maintenant, s'il vous plait,pour tout ce qui regarde Bâtimens Ôc Statues ; il faut vous dire de quelle manière Clément XII a pris poifètlion de S. Jean de L.atrau. Ce fut le Dimanche 19 Novembre, que fe fit cette cérémonie. L,e Pape fe rendit dès le matin avec fon Cortège ordinaire, du Palais de Monte-Cavallo à celui du Vatican. A dix-huit heures ôc demie, qui étoit environ à une heure ôc demie de notre Horloge , la Cavalcade commença. On vit d'abord deux Trompettes ôc quatre Chevaux-légers de la Garde, fuiyis de plufieurs Caillons couverts de tapis brodés aux Armes des Cardinaux à qui ils appartenoient; puis pa-roilfoient les Malliers des Cardinaux, portant les Malles d'argent maiîif de leurs Maitres. On voyoit enfuite les Gentilshommes ôc les Chapelains de Leurs Eminences, de l'AmbaiTadeur de Bologne, Ôc des Princes Romains, tous a-tjèz mal montés , ôc vêtus d'habits ôc de manteaux noirs. Quatre Ecuyers du Pape , en robes rouges , le Tailleur de Sa Sainteté , ÔC deux Garçons de la Garderobe en robes de ferge rouge. Us précédoient deux valifes garnies de velours îours rouge galonné d'or , portées par Kow. des Mulets en manière de litière. Les Garçons d'Ecurie en cafaques de ierge rouge, conduiront deux à deux cinq Ha-quenées du Tribut de Naples. Les Mules du Pape, portant des caparaçons de velours rouge à galons ôc franges d'or. Trois Litières couvertes de velours rou-,ge à galons d'or. Le Maitre de l'Ecurie Papale, fuivi de deux Piqueurs. A quelque diitance de là, on voyoit arriver la Nobleffe Romaine marchant fans dif-tinction de rang, tous habillés en habits Ôc manteaux noirs, avec de grandes perruques , ôc le chapeau bas. Cinq Maf-fiers du Pape en fimarre violette à galons noirs veloutés, portant leurs Maiïès d'argent mafïif : ils étoient fuivis de quatorze Tambours à pied , en cafàques de fat in rouge à galons jaune ôc rouge , portant les Énfcignes des quatorze Quartiers de la Ville de Rome. Quatre Trompettes du Pape , habillés de rouge à galons d'or. Les Valets de chambre Apoitolique, en robes rouges. Les Valets de chambre nommés gli Camerieri extra muras. Le Çommiffaire ôc le Fifcal de la Chambre , en robes violettes, Les Avocats Confiftoriaux , en habits noirs. Les Chapelains du Grand-Commun , en robes rouges. Les Valets de chambre privés, ôc les Camerieri d'honneur , en robes violettes. Les quatre derniers por- toient Lettres toient fur un bâton élevé, les quatre Chapeaux de Cardinal vacans. Enfuite venoient quarante Officiers du Sénat & du Peuple Romain, en robes de velours noir, ôc portant des toques de la même étoffe ; ils étoient fuivis des Clercs de la Chambre, des Auditeurs de Rote , du Maitre du Sacré Palais marchant à la gauche du Doyen, des Auditeurs de Rote , ôc des quatorze Maréchaux portant des vertes de fatin blanc fous des robes de moire violette, ôc des toques de velours noir. Ils étoient fuivis du Gouverneur de Rome en camail ôc ro-chet, des Princes del Soglio en habit ôc manteau noirs; de deux Maitres des Cérémonies précédant le Porte-croix du Pape, qui portoit l'Image du Sauveur tournée vers le Saint Père : il marchoit entre deux Huilfiers portant des baguettes rouges. Le Saint Père paroiffoit en-fuite, dans une litière en forme de Phaë-tùn t garnie de velours rouge brodé ôc galonné d'or, ôc portée par deux mules blanches. Vingt-quatre Pages vêtus à l'antique , de fatin blanc avec quantité de rubans rouge ôc argent, ôc des manteaux noirs doublés de moire blanc ôc argent, enrichis de grands galons d'or > environnoient la litière : ainfi que les Valets de pied, ies Maitres des rues, ôc les Anfpeffades en habits d'écarlate galonnés d'or. Immédiatement devant la litière litière marchoit à cheval le Capitaine des rojik; Cent-SuiiTcs, revêtu d'une cuiraffe de fer , le cafque en tête , marchant à la tête de deux files des Cent - SuifTes cui-raffés comme lui. Sa Sainteté, qui étoit au milieu , portoit une foutane blanche. Elle avoit un Rochet, ôc par defïus u-ne Etole de latin rouge brodé en or , le Camail ou la Mantelette de velours rouge doublé d'hermine , une Barette de la même étoffe , & par-deflus un Chapeau rouge. Apres la litière paroiffoient l'Aumônier , l'Ecuyer-tranchant , le Secrétaire , ôc le Médecin. A quelque peu de diftance fuivoient quatorze Cardinaux , montés fur des mules ; ils étoient en habits violets , ôc avoient leurs capuchons abaiiTés par-deffus la tête, avec leur Chapeau rouge. Us étoient fuivis par Monfignor Neri Corfini Neveu de Clément XII, à la tête des Patriarches, Archevêques, Evêques Affiftans, Protonotaires Apoftoliques, l'Auditeur de la Chambre, le Tréforier, les Rapporteurs de la Signature, Ôc d'autres Prélats do-; meftiques, tous vêtus en rochet ôc ca-; mail violet. La marche étoit terminée par le Corps des Chevaux - légers ôc celui des Carabiniers. Les premiers avoient à leur tête le Marquis Bartolomei Corfini Ôc le Duc Strozzi, tous deux Neveux du Saint Père ; ces deux Seigneurs étoient en cuiraffes dorées, ôc avoient par 26fj Lettrés par-deffus des Cafaques de Gros de Tou?s rouge brodé en or ,• ils avoient fur leur chapeau de grands pennaches blancs ; ôc leurs Pages portoicnt devant eux leurs lances ôc leurs cafques. Les Chevaux-légers avoienc par-deffus leurs habits , qui ne font point uniformes, des cafa-ques de drap rouge galonné d'or ; leurs chapeaux étoient ornés de grands pennaches blanc ôc rouge; ils portoient pour armes, des lances au bout defquelles il y a de petits étendards de taffetas rouge ôc bleu, comme j'en ai vu aux Spahis. Toute cette Cavalcade traverfa le Capitale, dont la Cour étoit tapiflée de damas rouge galonné d'or faux. Le Marquis Frangipani Sénateur de Rome reçut le Pape, ô£ lui préfenta les clés du Capitule , en lui faifant une courte harangue , à laquelle le Pape répondit par une bénédiction. Au Campo Vaccina, par où le Cortège paffa, le Pape trouva près de la Vigne Farnèfi un Arc de triomphe , que le Duc de Parme, comme Fcudatai-re du Saint Siège, eft obligé de faire ériger à toutes les prïfes de poifelfion du nouveau Pape. Depuis le Capitole jufqu'à l'Eglife de S. Jean de Latran, ce qui fait une diftance affez conlidérâble , les rues étoient tendues de tapifferies, fournies par les Juifs, qui avoient étalé beaucoup de vieux haillons. Le Pape, à -la deicente de fa litière, fut fut reçu à la porte de S. Jean de Latran r.0me, : par le Cardinal Tic de la Mirandole, Archi-Prêtre de cette Bafilique. Il préfen-ta au S. Père la Croix à baiièr, 6c précédé du Chapitre de S. Jean de Latran le conduifit au Trône, qui étoit drefïë à la droite du grand Portail. Le Pape s'y é-tant afïïs fe revêtit de fes Habits Pontificaux, 6c prit la Mitre. Il admit enfuite le Chapitre au baifer du pied. Le Cardinal Archi-Prêtre le harangua au nom du Chapitre, ôc lui préfenta dans un baiTïn de vermeil orné de fleurs, les clés de la Bafilique, dont l'une étoit d'or, 6c l'autre d'argent. Pendant ce tems-là, les Cardinaux fe revêtirent de leurs Chapes ô£ de leurs Mitres. Le Pape s'étant levé de fon Trône, s'avança vers la grand'-Porté de l'Eglife. Le Cardinal Archi-Prêtre l'encenfa par trois fois , ôc lui préfenta l'Afpcrgès ; le Pape le prit, ôc l'aiant trempé dans de l'Eau-bénite , il en répandit fur le Clergé Ôc le Peuple. 11 s'affit enfuite dans fa chaife gejlatoire , 6c fe fit porter par la Nef vers le grand Autel. Meffieurs du Chapitre portaient un Dais par-deffus le Saint Père. Le Pape s'agenouilla devant le Saint Sacrement , il y fit une courte prière , Ôc fut fe placer fur un Trône élevé dans le fond du Chceur en face de l'entrée. II y reçut l'obédience ordinaire des Cardinaux ? des Evêques, des Prélats ôc du Clergé, Clergé, & donna enfuite la bénédiction folennelle aux aiTiitans , étant aidé dans cette fonction par deux Cardinaux - Diacres , qui lui mettoient & ôtoient la Mitre, fuivant que le Cérémonial le de-mandoit. Sa Sainteté defcendit enfuite du Trône, & s'étant afïîfe dans fa chaife gcfiatoire, elle fut portée proceffion-nellement dans le Palais de Latran. La Mufique chantoit pendant ce tems-là des Antiennes , ôc le Cardinal Archi-Prêtre lifoit diverfes Oraifons. Arrivé à la Loge qui fait face à la Grand'-Place vers •la Ville de Rome , le Pape monta fur un Trône fort élevé, & donna deux fois la bénédiction au Monde Chrétien. Il vit enfuite jetter au Peuple quelques légères Médailles frappées à Ion coin. Il fe mit après cela dans une chaife à porteurs, & fe fit porter jufques à fon carofiè, dans lequel il fit monter avec lui les Cardinaux Bancbieri 6c Olivieri , & retourna ainfi au Palais de Monte-Cavallô , accompagné de fon Cortège ordinaire. Cette Cavalcade & cette Cérémonie paroiffent plus magnifiques dans les Def-criptions ou dans les Estampes qu'on en a faites, qu'elles ne le font en effet. Si j'ofe le dire, elle a un air de mafearade, qui ne me paroît pas convenir à la Cour du Vicaire de Je sus-Chris t. Tous les Séculiers habillés de noir, la plupart des Eccléfiaftiques en violet montés fur r0mb.: des mules; tout cela, dis-je , forme une pompe bien lugubre. La plupart des Cardinaux &c des Prélats font vieux; ôc les voir à cheval ce n'eft pas les voir à leur avantage. On avoit mis des tapis de différentes couleurs à toutes les fenêtres : cela fe pratique ici à toutes les Fêtes folennelles, foit de Procédions , ou d'Entrées publiques. Mais il me pa-roit que ces tapis , au - lieu d'orner les rues, leur donnent un air de Friperie. Les Tapifferies qu'on met en France ôc dans les Pays-Bas , en pareilles folenni-tés, ont un air bien plus majeftueux. Les Deffeins fur leiqucls étoit élevé l'Arc de triomphe, étoient affcz beaux; mais comme il étoit exécuté en papier & en carton, une grande pluie qu'il a-voit fait quelques jours auparavant, l'avoit prefque ruiné. Joignez à cela, que l'ordre de la Marche étoit très mal ob-ièrvé ; on y remarquoit des intervalles de demi-quart-d'heure. Lorfque le Pape fortit de S. Jean de Latran, il y eut une li grande confulion de caroffes, qu'il fut plus d'une heure fans pouvoir pafle-r. On dit qu'il y aura inceffamment une promotion de Cadirnaux : fi cela eft , je ne manquerai pas de vous mander ce qui le fera paffé à ce fujet. Je ne vous en dirai pas d'avantage pour aujourd'hui, ôc je Tome II. O dou- 2io Lettres doute même que vous ayez, de mes nouvelles avant le Carême. Je fuis, ôcc. fe A Rome, ce s Décembre 1730. LETTRE XXXI. Monsieur, J'Ai été il y a quelques jours à l'Audience du Saint Père. J'aurois dû y aller plus tôt ; mais j'ai cru devoir laiffer paifer les plus preifés. Depuis fon exaltation jufqu'au jour que je vous parle, Clément XII n'a ceffé d'être importuné. On demande ici comme ailleurs, & je vous affure qu'on n'y obtient pas plus facilement: en ceci, tous les Pays font égaux, & toutes les Cours fe reffemblent. M'étant adreffé à Monfignor Acquavî-*va Majordome, qui faifoit le fervice de Maitre de Chambre, (Monfignor Doria* qui eft pourvu de cette Charge, fe trouvant incommodé,) il m'annonça au Pape, qui me fit entrer auffi-tôt. Je laiifaij conformément à l'ufage, mon chapeau ÔC mon épée à la porte. Je trouvai le Pape fous • Aujourd'hui Cardinal, & Archevêque de 3#k<-■vent* fous un Dais, aflïs dans un fauteuil éle- r0mb, vé de trois marches, le pied droit appuyé fur un carreau de velours rouge. En entrant dans la chambre, Monfignor Acquaviva me dit de me mettre à genoux. Je le fis. Le Pape me donna (a bénédiction. Je me relevai, Ôc fus me remettre à genoux au milieu de la chambre. Seconde bénédiction de la part du Pape. Enfin je me relève, ôc m'approche du Pontife. Je me remets à genoux, ôc reçois ainfi une troilième bénédiction, qui véritablement ne coûtoit pas beaucoup au Saint Père; elle confif-toit en un ligne de croix, fans y ajouter un mot. Le Pape, qui aime à parler & qui parle bien, mequeftionna beaucoup: il fe fouvint de m'avoir connu lorsqu'il étoit Cardinal. Il n'y eut forte de gracieufetés qu'il ne me dît, ôc j'eus lieu d'être fort content de mon Audience,'tant que je ne demandai rien. Mais comme je m'avifai de me mettre au rang des follicitans, je vis changer le vifage du Pape, fon air riant devint févère,ôc il me fut aifé de remarquer que ma pre-fence lui étoit importune. Mais comme j'étois prévenu qu'il s'inquiétoit toutes les fois qu'on lui demandoit, je n'en retranchai pas un mot de ce que j'avois à lui dire. Je me retirai enfuite en reculant, Ôc en m'agenouillant trois fois comme j'avois fait en entrant. Le Pape à O 2 du- Rome, chaque fois me donna fa bénédiction : c'eft tout le fruit que j'ai remporté de mon Audience. Je me prépare à en demander inceffamment une autre : on die que le bon Pape aime à être importuné ; je le fervirai à fa mode. Tous ceux qui vont à l'Audience du Saint Père, n'y font pas autrement reçus, à moins que d'être Princes : encore les Catholiques doivent-ils tous baifer la mule. 11 y a quelque tems que le Prince régnant de Waldeck étoit ici; il fut à l'Audience de Sa Sainteté, & en fut reçu comme l'avoient été autrefois les Princes de Brunsvmk. Il attendit quelques momens dans l'Antichambre; on ne lui fit quitter ni l'épée ni le chapeau, mais ceux de fa Suite furent obligés de quitter l'un & l'autre. Le Majordome l'aiant introduit, le Pape le reçut affis fur fon Trône. Le Prince en entrant ne fe mit point à genoux. Le Pape lui fit quelques guettions , igreur contre ceux qui font font de fentiment contraire : elle vou- Rome. droit les ramener, mais c'eft par le bon exemple & par la douceur. Si elle pof-fédoit un Royaume, elle fe feroit affu-rément une loi de bien remplir les devoirs de fon rang; ôc en vérité, elle a de grands avantages de la Nature pour y réuiïîr dignement: car elle a une facilité merveilleufe à comprendre, ôc une mémoire admirable; elle parle Polonais, Allemand, François, Italien ôc Anglais, d'une manière qu'on ne fauroit distinguer laquelle de ces Langues lui eft la plus familière. Je vous avoue, que de toutes les Princelïès que j'ai eu l'honneur d'approcher, elle eft une de celles qui me paroillènt les plus dignes de la vénération publique. Je voudrais la favoir heu-reule; ôc fi le devoir ôc le refpecf. dont je ne me départirai jamais, ne m'atta-choient pas (i fortement au Roi ôc à la Reine delà Grande-Bretagne, je fouhai-terois de lui voir porter la Couronne des trois Royaumes. Vous favez. que cette Princeffe eft Fille du Prince Jaques Sobieski, par conséquent Couline-germaine de l'Empereur ôc de la Reine d'Efpagne Veuve de Charles II. Tout cela n'a pu la garantir d'être arrêtée à htfpruck, lorsqu'elle y palïa pour venir époufer le Prétendant; elle fut fort étroitement gardée, ôc la manière donc elle s'en eft fàuvée fait connoitre la fupé-O 5 rio- riorité de fon efprit. Le Prétendant chargea Mr. Gaidon , Major au fcrvice de France, de procurer s'il étoit pofïiblc Ja liberté à la Princeffe. Cet Officier fe rendit à Infpruck, accompagné de Mr. Ogan Gentilhomme Anglois, ôc d'un Ir-landois nommé Mijfet, qui mena avec lui fa Femme. Ils arrivèrent avec un grand train à Infpruek, ôc s'y donnèrent pour gens de conféquence. Us avoient trouvé le moyen de faire brifer les roues de leur carofTe à la porte de la Ville, ce qui leur fervit de prétexte pour s'y arrêter tandis qu'ils faifoient raccommoder leur voiture. Us s'introduifirent dans toutes les Affemblées, & trouvèrent le mo-yen, par une Religieufe qu'ils gagnèrent, de faire rendre des Lettres à la Princes-fc. Le jour de l'enlèvement fixé, ôc l'heure prife pour onze heures du foir, ils firent pafîer une jeune Fille de la taille de la Princeffe, à travers les Gardes qui é-toient dans l'Antichambre. Elle fe mit dans le lit de la Prifonnière, qui depuis deux jours feignoit d'être malade. La Princeffe prit les habits de cette Fille, ôc ainfi déguifée elle fortit de fon Apartement, paffa à travers fes Gardes, ôc fut trouver Mijfet qui firHoit devant le Couvent, comme ils en étoient convenus, pour qu'elle fût à qui elle devoit s'adres-fer. La Princeffe fut conduite à une hôtellerie ; Ôc comme il avoit beaucoup nei- du Baron de Pollnitz. iip neigé j qu'il faifoit fort fale & fort obfcur, RoMEj elle mit un pied dans un tas de boue : fon foulier y relia , ôc elle fut obligée de marcher fur fes bas. Arrivée à l'hôtellerie, elle ne fe donna pas le tems de changer de bas \ elle monta toute mouillée dans une voiture, où Madame Mijfet ôc Mr. Gaidon eurent l'honneur de fe placer auprès d'elle. Ogan étoit à cheval à la portière, Ôc Mijfet relia encore deux heures à lnfpruck, pour voir fi la fuite de la Princeffe feroit découverte. Comme le filence de la Garde lui fit croire qu'on ne s'étoit apperçu de rien, il fuivit la Princeffe, reliant toutefois deux Pof-tes en arrière, afin d'obfcrver fi on ne les fuivoit pas. Cette précaution ne fut point inutile. Le lendemain, on s'étoit apperçu de bonne heure de l'évafion de la Princeffe. Le Commandant d'injpruck dépêcha auffi-tôt des Couriers fur toutes les grandes routes, avec ordre à tous les Officiers du Pays d'arrêter la fugitive. Mijjet fut joint par le Courier qui pourfuivoit la Princeffe ; il fit quelque chemin avec lui, réfolu de lui caflèr la tête, s'il ne trouvoit pas moyen de l'enivrer. Il y réuflit, aiant eu la précaution de fe pourvoir d'une drogue qui faifoit auffi-tôt perdre connoitfancc ôc tomber dans un profond fommcil. Il en donna au Courier, ôc lorsqu'il le vit endormi? il lui enleva fes Dépêches, ôc vint joindre la Princeffe, qui au bout de trois jours ôc trois nuits qu'elle marcha fans discontinuer, fe trouva dans les Etats du Saint Siège. Elle arriva à Bologne, où elle trouva Tvlylord Duwbar chargé d'une Procuration du Prétendant qui étoit alors en Ef-pagne, pour l'époufer en fon nom. Cette cérémonie fe fit fans grande pompe, ôc la Princeffe partit peu de jours après pour Rome. Mylady JMarr, accompagnée de tous les Anglois ôc Angloifes du Parti du Prétendant qui fe trouvèrent à Rome, vinrent dans les caroffes de ce Prince au-devant de la Princeffe; & ies Cardinaux, les Princes Romains Ôc toute la Nobteffe y envoyèrent aufïi leurs caroffes. La Princeffe fît ainfi une Entrée publique dans Rome, où elle fut reçue avec de grandes marques de refpeét ; ôc peu de tems après, elle y fut jointe par fon Epoux. En vous parlant du Prétendant, je ne dois pas omettre de vous dire qu'il court ici une Prophétie, qu'on dit avoir été trouvée parmi les papiers du feu Pape. Elle promet la paifible poffefîîon du Trône de la Grande-Bretagne, pour l'année 1734, au Prétendant. Je ne lui donner rois pas grand argent pour fes efpérances, Quoi qu'il en foit, voici la Prédiction. pum Dum Marcus cantabit halleluja7 Et Antonius Vent creator, Et Jouîmes Baptifa cœnabit, Tune regnabjt & triumphabit Eex in An-glia Jacobus III, C'eft à dire : Lorsque S, Marc tombera fur le jour de Vaques, S. Antoine de Padoue à la Pentecôte, S. Jean Baptifte le jour du S. Sacrement, Le Roi Jaques III régnera & triomphera en Angleterre. Le Carnaval eft fini, grâces à Dieu; je dis grâces à Dieu , parce qu'il m'a beaucoup ennuyé, quoiqu'il n'ait duré ici, fuivanc l'ufage qui y eft établi, que huit jours. Pendant ce tems-là, depuis deux heures après midi jufqu'au coucher du Soleil, toutes les rues ont été pleines de Masques, partie à pied, & partie en calèches ouvertes. Les premiers fe difent mille fottifes, & les autres s'aveuglent en fe jettant des poignées de dragées au vifage. Ce qu'il y a de beau en ceci, c'eft qu'on fe connoit tous, foit aux habits ou aux équipages., D'ailleurs, le fafte Romain ne fe dément pas, même dans les Mafcarades : ils habillent leurs Domef-tiques en Arlequins, Ôc s'en font fuivre à vifage découvert. Ils fe promènent ainfi gravement dans des chars découverts, faits en manière de Gondoles; les chevaux font pennachés & chargés de grelots, comme le font les nôtres dans nos Courfes de Traineaux. Sur le foir, les caroffes fe rangent fur deux files dans la rue du Cours, d'ailleurs allez, étroite, ôc l'on voit la Courfc des Barbes: ce font cinq ou fix Chevaux qu'on laiffè aller à l'abandon depuis la Porte du Peuple jufquespaffé le Palais de Venife. Ces pauvres bêtes courent à travers les huées & les cris du Peuple ; & il s'en efiropie fouvent en fe heurtant contre les caros-fes. Le premier de ces Chevaux qui arrive au but, remporte un Prix pour fon Maitre: il coniîfte ordinairement dans une pièce de drap d'or. Lorsque le Soleil fe couche, tout le monde fê retire. Cependant un Romain vous alfurera que le Carnaval de Rome eft le plus beau du Monde. Mais ce qu'ils vantent beaucoup, ôc qu'ils penfent ne fe point trouver ailleurs dans le même degré de magnificence, ce font leurs Bais. Je vous en laiffe juger. Plufieurs Cavaliers s'étant joints cet Hiver , avoient loué le Palais Barberini près du Mont de Piété, ôc i'avoient fait meu- bler par des Juifs Fripiers. Le jour du Romb. Bal fixé, ils invitèrent toutes les Dames ; quant aux Hommes, ils avoient la liberté d'y paroitre masqués, moyennant qu'ils fe fiifent connoitre à la porte. Toutes les chambres étoient petites ôc fort mal éclairées: on danfoit dans plufieurs pièces , au fon de cinq ou fix violons. La Salle deftinée pour la principale Nobles-fe, étoit entourée de gradins; la place où Fon danfoit, étoit un réduit ovale, marqué par des barrières. Un Cavalier de la troupe qui donnoit le Bal, fe tenoità l'entrée de l'Ovale; on lui donnoit le titre de Maitre de la Salle : il avoit foin de faire dan fer tout le monde, Ôc montroit qui l'en devoir prendre. Toutes les Dames parurent masquées à ce Bal, qu'on appelloit Feflin, je ne fai pourquoi, car excepté des glaces, il n'y avoit ni à manger ni à boire. Elles étoient toutes afièz magnifiques; il y en avoit même quelques-unes en habit de Cour. J'ai été deux fois à ces prétendus Feftins; mais comme je m'y ennuyois beaucoup ôc que j'y étouffais, je n'ai pas voulu y retourner. Les Romains difent que je n'aime pas les belles chofes. Je ne m'accorde pas auffi trop bien a-vec eux fur leurs Spectacles, il n'y en a ici que pendant le Carnaval ; mais a-lors nous avons eu deux Théâtres d'Opéra, ôc quatre ou cinq pour la Comédie. Rome. die. De tous ces Théâtres, il n'y en a qu'un de beau; c'eft celui des Dames, nommé communément le Théâtre cCAli-berti, parce que c'eft un Comte Alïberti qui l'a fait bâtir. La Salle en eft excef-iivement grande, ce qui fait que les voix s'y perdent. Il y a fept rangs de Loges qui font fort baffes ôc petites , ce qui donne un air de Poulailler à la Salle. Le Parterre contient neuf-cens perfonnes, commodément affifcs. Le Théâtre eft. grand, fort élevé, ôc a de belles décorations; mais les changemens de fcène ne fe font point avec la diligence ufitée dans nos Spectacles ; chacun y place une pièce: néanmoins, quand tout eft rangé, cela a ion mérite. Les habits des trois premiers Aéteurs, font magnifiques ; ceux des autres, horribles. Les voix iont belles ; la Mufique ordinairement bonne ; les Danies ne peuvent fe regarder, vous ne fauriez. vous imaginer rien de plus affreux. Les Femmes font des Hommes traveftis, par le fcrupule, fi j'ofe le dire , ridicule qu'on a ici de ne point vouloir que les Femmes paroiflent fur les Théâtres : cela fait que l'Opéra de Rome eft toujours fort inférieur aux autres O-péra d'Italie. Il n'y a peut-être rien de plus ridicule que de voir de ces demi-Flommes faire les Femmes ; jls n'ont ni air ni grâce; cependant on les applaudit ici, comme les meilleures Actrices le feu Baron de Poll nitz. 325 font ailleurs. Quoique je fois paffionné Rome; pour laMuiîque Italienne, je vous avoue que je ne laiiïe pas aufli de m'ennuyer à leurs Opéra,, lorfque je vois ces Mutilés faire le Roland, l'Hercule , ou quelque autre Héros de cette efpèce; & je m'impatiente de ne voir jamais que fix Acteurs, point de Machines, point de Dan-fes hors des EntreïAdkesi H me paroît qu'un pareil Opéra mériteroit mieux le nom de Concert. Les bonnes voix font très rares, 6c il n'y a actuellement que cinq ou tix Hommes, & trois Femmes, qui aient la réputation de bien chanter. Il en eft de même pour les Compoiiteurs. On vient de perdre un des plus habiles hommes dans ce genre: c'étoit Léonard Vinci; on dit qu'il a été empoifonné à Naples. Il refte encore le Sieur Hafs % communément nommé il Sajfone, & le Sieur Porpora. Le premier eit Allemand: il a épouié la célèbre Faufl'me. En vous parlant des plailîrs de Rome » je ne dois point omettre les inondations de la Place Navone, qui fe font ici les quatre Dimanches du mois d'Août. Les deux tiers de la Place font inondés : cela forme un Lac i dans lequel fe fait le Cours des Caroffes. Les fenêtres d'alentour font remplies de fpeétateurs, & les de vans des mailons de commun peuple} qui fait des huées §c des cris épouvantables lorfqu'un caroife prend un peu d'eau* Tmt IL P «u ou qu'il y en a qui viennent à ver fer,' comme cela arrive quelquefois. Ce qui m'a paru de plus fingulier dans ceci , effc que pendant que le Peuple eft occupé à voir paffer les carofles & à faire mille folies, un Jéfuite monté fur une borne à l'autre extrémité de la Place, s'efforce par de vains cris de fe procurer un Auditoire de pénitens. Perfonne, ou peu de gens, l'écoutent: mais il parle toujours, ôc il ne tient pas à lui qu'on ne quitte tout pour l'entendre. A vingt pas du Prédicateur eft un Charlatan,api par les folies que fait ôc dit fon Arlequin, attire un bien plus grand Auditoire que le Jéfuite. Ne voila-t-il pas des plaifirs bien vifs ? Cependant un Romain qui n'aura jamais pailé le Tonte-Mole, comme il y en a beaucoup, vous dira que rien n'égale les plaifirs de Rome. Les Romains, je le foutiens, ne favent point fe divertir. Dans leurs parties les plus libres, il règne toujours un air de contrainte qu'on n'a point ailleurs. Les manières ailées même ne leur conviennent point; ôc lorfqu'ils en prennent, ils tombent aifément dans l'oubli de la Politeffe, qui d'ailleurs ne leur eft pas familière: ils connoiffent beaucoup plus le Refped, que la Politeffe. Pour apprendre à les connoitre, il faut les voir à leurs Campagnes: ils y font plus ouverts, moins cérémonieux & Plus corn- commerçables , ôc y vivent beaucoup Roms, mieux qu'à Rome; du moins ils y mangent. J'ofe même dire qu'ils y font de la dépenfe: mais cette dépenfe ne leur fait pas l'honneur qu'elle devroit leur faire, ils ne favcnt point la faire valoir; & je ne fai fi c'eft prévention ou vérité, mais il me femble qu'ils la font à contrecœur. La plus grande magnificence de leurs repas confifte dans les Defïèrts. Ils ont d'exccllens Officiers : mais nous autres UItramontains,nous ne nous accoutumons pas tout à fait de même à leurs Cuifiniers. Je ne fai fi c'eft faute de goût ou de difeernement, mais je ne conçois pas que d'autres motifs que ceux de la dévotion ou de la curiofité, puiffent conduire quelqu'un à Rome; il n'y a guère de Ville plus trifte dans le Monde. Je connois toutefois des Etrangers, ôc particulièrement des Anglois, dont le goût pour Rome tient de l'enthoufiasme. Je me donne la gêne pour penfer comme eux, ôc je fais tous mes efforts pour me perfuader que la vie qu'on mène ici eft agréable; mais je ne puis y réuffir, ni m'accoutumer à prendre des mœurs 6c des manières fi oppofées aux nôtres. 11 eft difficile de changer de goût & de manières à mon âge: celles de Rome ne me conviennent point, je prévois que je m'y ennuyetai toujours. $i néanmoins, F 2 par par un cas fortuit, je venois jamais t m'y amufer, je vous promets de révoquer mes complaintes, & de vous faire part de mes plaiiirs, comme je le fais ici de mes peines. Les gens d'ici fe lèvent tard , & fe Couchent de même. La première chofe qu'ils font, c'eft de prendre du Chocolat; puis ils entendent la Meffe dans leur Chapelle domeftique: prefque toutes les maifons en (ont pourvues. Enfuite ils font quelques vifites, ils retournent chez eux à l'heure du dîner, fe deshabillent, & dînent frugalement en famille. Après îe repas, ils fe mettent entre deux draps, & dorment une ou deux heures ; ils en pailent après cela autant à ne rien faire; puis ils s'habillent, & vont au Cours qui eft hors de la Porte du Peuple, depuis cette Porte jufqu'au Ponte-Mole. C'eft u-ne promenade qui fe fait fur un très mauvais pavé, entre deux murailles & quelques mauvaifes maifons: on n'y a point d'air, & l'on y étouffe de pouftière. Le Soleil étant fur fon déclin, le beau monde fe rend à la Place tfEfpagne : je croi vous avoir marqué de quelle manière on s'y amufe. Au fortir de cette Place, chacun va faire des vifites de bienféance. Sur les deux heures de nuit, ce qui dans les grands jours de l'Eté eft environ à dix heures de notre horloge, on va dans les Couver fat ions. Or celles-ci peuvent être divifées en trois claiTes , grandes Rom*, Converfations de Jeu, Converfations particulières où l'on joue, & Cotteries où l'on ne fait que dilcourir Toutes trois font peu nombreufes, ce qui vient de la divifion qui eft entre les Princeffes & les Dames, ôc de ce que toutes ces Dames aiment à avoir du monde chez, elles. Les Affemblées les plus fréquentées par les Etrangers, font celles de Mesdames Corfini Nièces du Pape, du Duc de Santo-Buono, ôc de Madame laComteile de Bolognetti. Ce font les trois maifons de Rome où il y a le plus de monde, ôc où les Etrangers reçoivent le plus d'honnêtetés. Le Duc a tous les Vendredis un grand Concert chez lui, où affilie tout ce qu'il y a de plus diftingué dans Rome. Madame de Bolognetti tient la grande Affemblée tous les Dimanches. Celle-ci commence par un grand Cercle de Femmes, la plupart fort parées, qui prêtent l'oreille à ce que leur dilentdeux ou trois Abbés nonchalamment appuyés fur le dos de leurs chaifes. Un Etranger entre, ôc falue reïpecfueuiement la Compagnie, mais aucune Dame n'y fait attention; Madame Bolognetti, jeune ÔC belle Femme, eft la ieule qui fe lève, ôc qui s'efforce d'entretenir le pauvre E-tranger en François, qu'elle parle fort joliment. Beaucoup -d'autres Dames entendent & parlcrif cette Langue; mais foit P 3 timi- timidité ou malice , elles ne veulent poinc la parler; & cela eft fi vrai, que je me fouviens qu'au premier voyage que je fis ici, j'accoftai un jour une Dame aflèz aimable, je lui parlai François, ne fa-chant pas pour-lors l'Italien; mais elle me répondit en bon François, Je n'entent , Monfieur , ni ne parle point le François. Elle fe tourna enfuite de l'autre côté, ôc un moment après je vis entrer un Abbé de bonne mine, qui Pentrcrint fecrettement toute la foirée. Il pailoit apparemment une Langue qu'elle enten-doit. Après le Cercle, on fe met à jouer, mais c'eft à des Jeux que nous autres Ul-rramontains ne connoiftbns non-plus que la Magie- Tels font le Tarot, le Pazzi-ea, la Première, ÔC le Milchiadè. Il en eft, je penfe, de ce dernier Jeu , comme àca Langues; il eft difficile de les apprendre bien, à moins que de les commencer fort jeune. Il faut la vie d'un Homme, pour apprendre à connoitre le;: Cartes: il y en a quatre-vingt-dix-neuf «dans un Jeu, ôc des figures fort extraordinaires, des Papes, des Diables, ôc fou-vent le Diable emporte le Pape. Pendant le Conclave, on jouoit au Pharaon; mais le Pape a défendu tous les Jeux de hazard , ce qui fait tort à bien des maifons qui fubôftcicnt de l'argent des Cartes, Les Affemblées particulières ne diffèrent des publiques, que par le moins de monde qu'on y trouve. Il n'y a ordinairement que la Maitreffe du logis, & une douzaine de Petits-colets, qui véritablement font les Petits - maitres d'ici, s'entend lorfqu'ils font Italiens ; car ne croyez pas que ces Meilleurs permettent à un pauvre Abbé Ultramontain de parler; ils ne lui croyent ni affez d'efprit, ni affez de mérite. Comme c'eft le Pays des Prêtres, vous voyez dix Petits-colets pour un Homme d'épée. U eft vrai que l'habillement d'Abbé eft celui que portent les gens de Robe , & tous ceux qui ne font pas en état de faire grande dépenfe en habits : de forte qu'il ne faut pas s'y tromper, lorfqu'on voit fortir un Petit -colet de certains Lieux fufpeéts; ce n'eft pas toujours un Prêtre, ni même un Ecciéfiaftique. La troifième Converfation, où on ne joue point , eft ordinairement dans la maifon de quelque Prince. J'y paffe mes foirées, & j'y bâille fort à mon aife. C'eft pourtant dans une des premières maifons de tout Rome, & affurément la Converfation fe tient dans ua des plus beaux Apartemens du Monde. J'entre dans une très grande & magnifique chambre , éclairée par deux bougies ; de forte que fi l'ufage ne m'avoit appris l'endroit de la chambre où fe tiennent 1e Maitre P4 & 6c la Maitrefïè du logis, il me feroit im* pofTîble de les faluer. Ces deux minces bougies font placées dans de grands flambeaux d'argent, fur d'antiques guéridons du même métal. Une Fontaine d'argent mafïif, dont l'eau jailliifànte fait un doux murmure, m'invite agréablement au fommeil : il me femble même que ceux qui lbnt dans la chambre ont peur de m'éveiller ; ils ne fe parlent qu'à l'oreille, & chacun garde la place que fa bonne ou mauvaife fortune lui a procurée, car ce feroit un crime que de déranger une chaife; de forte qu'à moin;» que de fe parler par un porte-voix , il faut fe contenter d'entretenir fon voifm, Le moment après qu'on eft entré, deux Pages vêtus de noir viennent offrir fur des foucoupes des Eaux glacées: je n'en prens pas chaque fois qu'on m'en préfente ici, fans quoi il y a longtems que j'aurois fait une Mer Glaciale de mon eftomac. Ce grand filence, cette Fonr taine qui murmure, tous ces Cardinaux, Prélats , ôc Abbés que je vois vêtus de noir, ces deux bougies qui forment une clarté lugubre, tout cela, dis-je, donne à cette Afïemblée un air de gens occupés à garder un Mort : je vous affure qu'un Cimetière ne me rappelle pas plus le fouvenir que je fuis mortel. 11 arrive cependant quelquefois, que quelqu'un de |a compagnie hauffe la voix, ôç raconte les nouvelles du jour. Elles roulent or- RoMBi dinairement fur l'intérieur de Rome,fur ce qu'a dit le Pape , fur l'effet contraire qu'a fait- une médecine, fur quelque Cardinal ou Prélat, fur le chaud & le froid qu'il fait, ôç fur le quartier de la Lune où l'on eft. Après avoir approfondi ces intèreffantes matières jufqu'à minuit, tout le monde fe retire, l'efto. mac & l'efprit également vu ides. Croyez-vous, Monfieur, après ce que je viens de vous dire , qu'un Etranger paffe bien fon tems ici? Non, en vérité. Rome elt une Ville qu'un Jeune-homme doit abfolument voir ; il y concevra une idée parfaite de l'Architecture, il s'affermira dans le goût de la Peinture & de la Sculpture, 6c fe formera une véritable idée de la magnificence de l'ancienne Rome. Mais lorfqu il aura tout bien çonlidéré, je lui confeillerai toujours de partir , puisqu'il n'y a rien à apprendre pour lui, ôc tout à oublier. Il n'y a pas un feul bon Maitre d'Armes \ à peine y a-t-il un Maitre de Langues qui fâche fItalien: ceux qui fe mêlent de ce métier , font prefque tous Etrangers , ôc Dont ni accent ni méthode. Tout ce qu'un Jeune-homme peut apprendre ici, eft l'Architecture Civile , ôc le Droit-Canon ; car pour l'Hiftoire Eccléûafti-que même, il y a peu de gens qui la pof-ièdent dans in pureté. P 5 Un Un Cavalier Ultramontain perdra facilement ici les bonnes manières qu'il pourra avoir contractées en France, ou ailleurs; car, encore un coup, la plupart des Romains ne faventque faire descom-plimens, & ils ignorent la politefTe: de mille, il y en a à peine un qui ait l'air d'un Fïomme de qualité. Pour en juger, il faut les voir à table. La malpropreté avec laquelle ils mangent elt extrême; cela vient de ce qu'ils mangent ordinairement feuls : ils fe laiffent aller , 6c fe trouvent enfuite embaraiTés lorfqu'ils mangent en compagnie. Leur malpropreté ne confifte pas feulement dans leur manière de manger, elle s'étend encore fur leur habillement. Je croi que de trente, il n'y en a pas plus d'un qui change de linge tous les jours. Je me fouviens que me trouvant en 1719 en France,un Colonel réformé au fervice de France, Italien de Nation , venoit fouvent les matins chez moi. Il me dit un jour, qu'il remarquoit que j'avois bien pris les manières Françoifes. Je lui demandai en quoi? Il me répondit, que c'étoit en ce que je changeois de chemiiè tous les jours. Ne croyez pas toutefois que la malpropreté foit générale ; il y a ici des gens aufïi mufqués qu'ailleurs, & je vous réponds qu'un Petit-maitre Romain eft aulli Damoifeau que le plus franc Petit-maitre François. H eft vrai qu'ils font plus rares ici qu'ailleurs , parce que les RoME> , jeunes-gens, avant l'âge de vingt ans,ne font admis dans aucune Converfation. Au refte, pour ce qui regarde le caractère des Romains , je vous dirai ingénument , que je les trouve beaucoup au-defTus de l'idée qu'on a d'eux au-delà des Monts. Les honnêtes-gens font de tous les Pays. Je connois des Romains qui ne cèdent point en probité au plus droit des Teutons. J'en connois d'autres qui ne penfent pas de même: mais n'en eft-.il pas ainfi par-tout, & y a-t-il un Pays dans le Monde où tous les Hommes foient vertueux ? On accufe les Italiens, en général, d'être jaloux: je croi qu'on leur fait tort. Il n'y a point de Pays où les Dames aient plus de liberté qu'ici. 11 fe peut que parmi les Bourgeois il refte encore quelque levain de l'ancienne jaloufie; mais pour ce qui regarde les perfonnes de qualité, ils ne me Faroiffent pas plusfujets à ce défaut qu'on eft chez. nous. Je voudrois bien pouvoir les juftifier de même fur leur trop de panchant à l'ceconomie ; mais la chofe eft trop avérée, & c'eft le péché originel de prefquc tous les Italiens, & particulièrement des Romains : il fe répand fur les Grands, & fur les Petits. C'eft fans doute cet efprit d'avarice qui les rend auffi fobres qu'ils le font , car je Grois avoir remarqué que forfqu'ils mangent 23,6 L E T T Jt E a gent hors de chez eux, ils ceffent d'être fobres. Cependant, je n'en ai jamais vu d'ivres, & fort rarement parmi les gens du commun. On les accule auffi d'être vindicatifs : cela pourrait bien être ; mais en vérité, ils font beaucoup plus décriés qu'ils ne le méritent. J'en ai connu qui ont fort bien fu oublier qu'on les avoit offènfés. Il eft vrai que la populace fe donne affez aifément des coups de couteau ; mais c'eft parce que la Juftice eft trqp indulgente. Un homme convaincu d'homicide pour la première fois, eft condamné aux Galères; quelquefois même , lorfque le cas le peut permettre, il n'eft que banni de la Ville oc de l'Etat Eccléfiaftique ; il refte abfent deux ou trois ans, enfuite il paye cinquante écus, & revient à Rome, Ceux qui ont fait un meurtre, & qui ne font point arrêtés, accommodent ordinairement leur affaire en payant quelque argent au Gouvernement. Si la Juftice étoit auffi relâchée chez nous, & que nos Eglifes fuiTent des Afyles comme ici, peut-être y verrions-nous commettre plus de crimes qu'à Rome , où après tout on n'entend point parler de Vols, ni d'AfTaffinats commis pour voler ; & quoiqu'il n'y ait ici ni Lanternes, ni Guet ou Patrouille pendant la nuit, je ne ferois point difficulté de traverfer tout Rome la bourfe à la main. Ce que j'appréhenderois plutôt, ce feroit d'êtr* d'être aflàffiné par méprife. Après cela , romk,-Ces affafïinats font beaucoup plus en ufage parmi les gens de néant, que parmi les perfonnes qui ont eu quelque é-ducation. Depuis que je fuis ici, je n'ai point ouï dire que pareille avanture fût arrivée à un homme connu. Il n'y a pas longtems, que me trouvant le foir dans une maifon peu éloignée de chez moi,je me retirai feul ôc à pied. Il pouvoir être onze heures. Il faifoit un beau clair de Lune, & il y avoit encore beaucoup de monde dans les rues. J'enfilai la rue du Cours. Lorfque je fus à la Place Colonne près de la Maifon du Cardinal Imperiali, je vis deux Hommes venir vers moi ; l'un étoit un peu en ar. rière. Le premier étant à mes côtés 6c me heurtant, j'entendis partir un coup de piilolet, ôc je vis ce pauvre malheureux tomber mort à mes pieds. Le coup partoit de celui qui le fuivoit, avec qui il avoit pris querelle au Jeu. Perfonne ne fe mit en devoir d'arrêter le criminel: il alla fort tranquillement gagner le pas d'une Eglife : je l'y ai vu quelques jours j enfin il a gagné le large , Ôc s'il eft en état de payer cinquante écus, il obtiendra aifément fa grâce au bout de trois ans d'exil. C'eft une chofe bien horrible, que les Lieux faints, deftinés à garder l'Holocaufte fans tache , fervent de retraite à un Malheureux tout fumant du du fang de fon prochair). Tout le monde convient que c'eft un abus ; mais on ne veut point pécher contre les anciens ufages. Sous le dernier Pontificat le Cardinal Alberoni propofa aux Cardinaux, dans une Congrégation , de folliciter le Pape à ôter les Franchifes aux Eglifes; mais fa proposition fut rejettée. ,, Eh „ bien, (dit-il en colère) je voudrois que „ quelque fcélérat s'avifât de tuer un de vous autres, & qu'il fe réfugiât dans „ l'Eglife dont je fuis Protecteur ; je „ vous réponds bien que tout le Sacré „ Collège me le demanderait, qu'au-lieu „ de le livrer à la Juftice, je ferais tout „ mon poffible pour le faire évader. " On dit que Clément XII veut ôter ces Franchifes quant aux Afîaflins ; mais je doute qu'il ofe l'entreprendre : les Moines y trouvent trop leur compte , les Privilèges de leurs Maifons leur attirent les rcfpects du Peuple & les hommages de la canaille. Malgré les desordres qui fe paffent ici, & les abus qui y font établis, il n'y a point de Ville au monde où Dieu îbit mieux fervi, & où la charité envers les Pauvres foit plus mile en œuvre. 11 y a pour cela un grand nombre d'Hôpitaux, parmi lefquels l'Hôpital des Pèlerins mérite d'être vu. On y reçoit journellement quelques centaines de Pèlerins de toutes les Nations ; on les y garde oc foigne pendant trois jours , puis on les r0mk. renvoie en leur donnant quelques pièces d'argent. Les derniers jours de la Semaine fainte, ces Pèlerins font fervis,les Hommes par des Cardinaux, Ôc les Femmes par des PrincefTes 6c des Dames Romaines. Le Service Divin fe fait avec beaucoup de pompe dans toutes les Eglifes, mais particulièrement dans la Chapelle Papale. Si je vous mandois toutes les cérémonies qui s'y obfervent, je ne finnois pas aujourd'hui. Je vous parlerai en tems 6c lieu des fonctions de la Semaine fainte : bien que j'y aye affilié une fois fous le Pontificat de Clément XI, je fuis bien aife de les revoir , pour pouvoir vous en parler plus favamment dans la fuite. Je fuis, ôcc. A Rome, ce 10 Mars 1731. LETTRE XXXII. Monsieur, QUoique la première Promotion de Cardinaux qu'ait fait Clément XII fe foit faite fur la fin de l'année dernière j'ai remis à vous faire la relation de cette cérémonie jufqu'à aujourd'hui, aiant eu 24.0 Lettres eu allez d'autres matières pour vous entretenir. Cette Promotion fut en faveur des trois Nonces, qui ne quittent jamais leur Nonciature que pour être Cardinaux, je veux dire , les Nonces à''Allemagne, de France , Ôc à'Efpagne : Ôc de Mgr. Ruspoli Parent du Pape. Ce dernier a-voit refulè le Chapeau fous le Pontificat de Benoit XIII. Son Père l'avoit obtenu pour lui, du Cardinal Cofcia, à qui il avoit promis la fomme de trente-mille écus. Mgr. Ruspoli, averti du Traité qui étoit entre fon Père ôc Cofcia, fût trouver le Cardinal Corfini aujourd'hui Pape, qui étoit Ami ôc Parent de fon Père; il lui dit ce qui fe pafïbit entrefon Père Ôc le Miniftre de Benoit XIII, ÔC le fupplia de faire en forte que ce Traité ne s'achevât point, puifqu'ailïtrément il n'accepteroit jamais le Chapeau à moins qu'il ne l'eût de la pure bénéficence du Pape. Le Cardinal Corfini fut charmé de la générolité du jeune Ruspoli; il rompit le Traité; ôc maintenant qu'il occupe le Trône de S Pierre , il a préféré Mgr. Ruspoli à maints Prélats qui ont blanchi dans la Prélature en fervant le Saint Siège. Cette Promotion fe fit au Monte-Ca-vallo. Le Pape, dans un Conliftoire fe-cret i déclara qu'il étoit réfolu de faire cinq Cardinaux, favoir, les trois Non-ies, ÔC Mgr. Ruspoli? & que le cinquiè- trie il fe le réfervoit in petto. Le Cardi- Rognai Secrétaire d'Etat, au défaut d'un Cardinal-Neveu, dépêcha auffi-tôt des Cou-riers aux Nonces , pour leur porter la nouvelle de leur promotion ; 6c il envoya avertir Mgr. Ruspoli de ce qui s'étoit parlé. Ce Prélat, qui attendoitcette bonne nouvelle dans i'apartement du Cardinal Secrétaire d'Etat, alla auffi-tôt par l'Efcalier dérobé chez, le Pape , le remercier de la grâce qu'il venoit de lui faire. Enfuite il fut à fon Hôtel, où il reçut les complimens de toute la No-bleffe. L'après-dîner il alla faire viike à Mgr. Neri Corfini Neveu de Clément XII , qui étoit celui que le Saint Père s'étoit réfervé in petto. Le jeudi d'en-fuite il y eut Conliftoire public,dans lequel le nouveau Cardinal, qui jufqu'à ce jour félon le Cérémonial avoit été obligé de garder la chambre 6c d'être vêtu de violet, reçut le Chapeau de la main du Pape. Son Eminence fe rendit le matin à la Chapelle du Monte - Cavallo, pendant que les Cardinaux s'aifcmbloient dans la Chambre du Confiftoire. 11 fut joint dans la Chapelle par les Cardinaux Barber ini repréfentant le Doyen du Sacré Collège, Ottoboni Grand-Chancelier Albano Camerlingue, 6c Cienfuegos Tré-forier de la Chapelle. Ces Eminences après de grands complimens, conduifi! rent leur nouveau Collègue vers l'Autel, Tome II & ôc lui firent faire le ferment ordinaire de fidélité au Saint Siège. Ils s'en retournèrent enfuite dans la Salle du Confiitoi-re,& le nouveau Cardinal demeura feul avec fon Caudataire Ôc un Maitre des Cérémonies, dans la Chapelle. Pendant ce tems-là, les Cardinaux rendirent l'obédience au Pape, en lui bauantla main. Deux Cardinaux-Diacres vinrent enfuite prendre le Cardinal Ruspoli, ôc l'intro-duifirent dans la Salle du Confiftoire, En entrant dans le Parquet, il fît une profonde inclination au Pape qui étoit vis à vis, affis fur fon Trône, il fit une féconde révérence au milieu du Parquet, 6c une troifième au pied du Trône,* a-près quoi il fe mit à genoux , & baiia ainfi le pied & la main du Saint Père, qui le releva ôc l'embraffa. Le nouveau Cardinal fut enfuite embraifer fes Collègues , fuivant le rang de leur ancienneté, & retourna fe mettre à genoux aux pieds du Pape. Un Maitre des Cérémonies lui tira le Capuchon par-deffus la tête , ôc le Pape lui mit le Chapeau, qu'un Maitre des Cérémonies lui ôta le moment d'après. Le nouveau Cardinal baifa une féconde fois le pied & la main du Saint Père. Le Pape s'étant levé de fon Trône, le retira dans fa chambre. Ruspoli l'y fuivit, oc après l'avoir remercié de l'honneur qu'il venoit de lui faire, il vint rejoindre les Cardinaux dans la Salle Salle du Confiftoire. Ils fe rendirent pro- romi> ceffionnellement, précédés de la Mufi-que du Pape, à la Chapelle, où on chanta le Te Deum : après quoi les Cardinaux paflèrent dans la grand' Salle qui précède la Chapelle , nommée communément la Salle Royale. Ils y formèrent un Cercle : le nouveau Cardinal y remercia fes Collègues de l'honneur qu'ils lui avoient fait de le recevoir pour Confrère, ôc enfuite ils fe retirèrent. Ruspoli étant arrivé chez lui , y trouva un Càmérier fecret du Pape, qui lui porta dans un baffin d'argent le Chapeau qu'il" venoit de recevoir. L'après - dîner , le nouveau Cardinal fut en grand Cortège à l'Eglife de S. Pierre, eniuite il fut fa-luer le Prétendant à la Couronne d'Angleterre , ôc la PrinceiTe fa Femme, il rendit auffi vifite au Cardinal Doyen, ôc les jours fuivans il viiira tout le Sacré Collège, fans obferver de rang. Huit jours après le Conliftoire public, le Pape en tint un fecret , dans lequel il ferma ôc ouvrit la bouche au Cardinal Ruspoli. La première cérémonie fe fit, le nouveau Cardinal étant à genoux aux pieds du Saint Père. Sa Sainteté lui mit deux doigta fur la bouche, ôc lui défendit rigoureniement de parler à perfonne de ce qui fe pafferoit dans les Conliftoires ou il affifteroit. Cette clô* ture de la bouche privoic autrefois les ÇLa Car- Rome. Cardinaux de voix paffive Ôc active^ Jorfque le cas arrivoit qu'ils entraffent dans le Conclave avant que le Pape leur eût ouvert la bouche, comme cela pou-voit arriver , parce que les Papes laif-ibient ordinairement quelques jours d'intervalle entre la clôture de la bouche ôc la cérémonie de l'ouvrir. Mais Pie V déclara par une Bulle qu'il publia le 2(î Janv. 1571, que la clôture de la bouche étant une fîmplc cérémonie, elle ne de-voit pas exclurre les nouveaux Cardinaux de fa voix active ôc palïîve. Le Cardinal Ruspoli s'étant levé de devant le Pape , fut occuper fa place parmi les Cardinaux. Le Saint Père prononça en même tems les paroles Extra omnes, qui font répétées par un Maitre des Cérémonies,ôc qui obligent tout le monde, excepté les Cardinaux, à fortir. Il tint enfuite le Confiftoire fecret, après lequel les portes furent ouvertes, ôc chacun rentra dans la Salle. Le nouveau Cardinal fut encore fe mettre aux pieds du Pontife, qui lui ouvrit la bouche en lui donnant la faculté d'avoir voix active ôc paffrve. Il lui aifigna en même tems l'Eglife dont il devoit porter le Titre, ce qu'il fît en lui mettant au doigt un anneau d'or avec un Saphir O-riental, pour lequel le Cardinal, fuivant l'ufage établi par Grégoire XVdoit payer cinq-cens écus d'or au Collège de la Pro- Propaganda. Par-là finit la Cérémonie. Rome. Le foir, les Palais des Cardinaux, Princes ôc Miniftres étrangers, comme auffi d'autres perfonnes de qualité , furent illuminés, comme ils l'avoient été le jour de la Promotion. Il y a, comme je l'ai remarqué, deux fortes de Confiftoires , le public ôc le fecret. Ils font intimés l'un ôc l'autre aux Cardinaux par deux Huiffiers du Pape, qui reçoivent l'ordre du Saint Père même. Ces Huidicrs font encore les intimations des Chapelles publiques, Procédions , Cavalcades ôc autres fonctions : ils ont des robes de drap violet,ôc portent une baguette noire. Ils parlent aux Cardinaux à genoux, en ces termes: E-■minentijjime Domine, Crafiina die , hora &c. in Palatio Apoftolico erit Çonfifiorium fecretum (ou) fiât Procefito. Ils ont ce privilège, que les Cardinaux ne peuvent les faire attendre un moment , ôc qu'ils font obligés de les recevoir dans quelque état qu'ils fe trouvent : ils doivent les écouter debout, ôc les faluer de la calotte. Les mêmes Huiffiers ont encore le privilège, lorfqu'ils trouvent un Cardinal à table , de pouvoir lui enlever le meilleur plat, fi le Cardinal n'aime mieux leur donner deux piftoles. Le Confiftoire eft proprement comme le Confeil d'Etat du Pape, dans lequel il délibère fecrettement avec lesCar-8 3 di- dinaux fur les affaires les plus importantes du Saint Siège. Après que le Pape y a donné Audience particulière à chaque Cardinal, on y propofè les Evêques, ôc l'on y confère le Tallium aux Archevêques. On y décide tout ce qui a été traité dans les Congrégations Confiftoria-le5, 6c enfin tout ce qui regarde le bien de l'Eglife , tant pour le Spirituel que pour le Temporel. C'eft ce qu'on appelle Confiftoire fecret. Dans le public, le Pape reçoit les Ambaffadeurs d'obédience , Ôc il y donne le Chapeau aux nouveaux Cardinaux. Le Pape eft le maitre d'affembler le Confiftoire , toutes les fois que bon lui femble. Ce jour là, toutes les autres Congrégations font fufpendues. Dans le Confiftoire pu-< blic, le Trône du Pape eft beaucoup plus élevé qu'à l'ordinaire, Ôc les Cardinaux occupent de hauts bancs, aiant leurs Ç&udataires ou Porte-robes affis à leurs pieds. Le Connétable Colonne, en qualité de premier Prince del SogUo, fe tient debout à la droite du Trône : il ne cède cette place qu'aux Neveux du Pape. L'Ambaffadeur de Bologne Ôc les Confer-vateurs de # a demandé de payer par termes ; il a d'abord lâché 10 mille écus, fit auffi-tôt il a reçu l'abfolution, on lui a été fes Gardes tk on lui a accordé la pcrmiilïon de fe promener dans le Château S. Ange, fie même «l'y parler à fon frère l'Evêque de Targa. Il criemi-ftre , ôc le fait tirer l'oreille, toujours dans l'efpé-ranec qu'une Goûte remontée le délivrera du Pape. Enfin il vient (173+) de payer encore 10 mille e-cus. Mais un Maltôtier, dont il avoit reçu autrefois un gros préfent pour lui procurer une quittance de la Chambre à qui il devoit 70 mille écus, vient de aiounr Vous favez que d'abord après la mort Roms, du Pape Benoit XIII, le peuple accourut au Palais- de Cofcia, le pilla, & auroit mis le Cardinal en pièces, s'il ne fe fût fauve par une porte de derrière. Il fe déguifa Ôc fortit de Rome. Il devoit n'y pas revenir, ou fe faire donner un fauf-conduit de fes Collègues, par lequel ils lui auroient aiïuré qu'après l'éle&ion du nouveau Pape, il lui feroit permis de fe retirer à Benevent fon Archevêché j mais c'eft ce qu'il n'a pas eu la précaution de faire. Il eft venu aflifter au Conclave, Ôc enfuite il eft allé occuper fon Palais. Le nouveau Pape l'a menacé du Château S. Ange : la frayeur l'a pris, il a gagné pays; ôc on lui en fait un crime, parce qu'une Bulle à!lnnocent X, de la Maifon Pamphili, publiée le 19 Février de l'année 1646, ordonne qu'aucun Cardinal ne pourra fortir des Etats du Saint Siège, fans la permiffion du Pape: elle enjoint de plus, que le Cardinal qui y dérogera, fera cité trois fois dans l'efpace de quinze mois, favoir, deux fois de fix en fix mois, mourir înfblvablc, & fans avoir rembouifé cette friponnerie. Céfcr ne perd rien, dit-on ; la Chambre s en prend au Cardinal Cofcia , il eft condamne .1 payer «lu? ^ amcle; & le PaPc «« veut pas entendre parler de compofition. Ainli voilà l'elanùflemcnc de S. L. encore ditK.é, à moins oue les vœux ne Tome II. r mois, & en dernier lieu trois mois après la féconde Citation ; & fi enfuite le Cardinal s'obftine à ne pas revenir, il fera privé du Chapeau. Cofcia n'a encore été cité qu'une fois, & ne paroît pas encore difpofé à revenir. Ceux qui le con-noiffent, affinent qu'il reviendra. En attendant , on l'a dépouillé de l'Archevêché de Benevent, que le Pape a conféré à Monfignor Doria * fon Maitre de Chambre: procédé peu ufité, & contre lequel le Cardinal Cofcia a fait de grandes pro-teftations , dont on n'a fait aucun cas. Je doute que ce Cardinal revienne jamais ici, quand même le Pape lui donnerait un fauf-conduit. L'avanture de Monfignor Targa, fon Frère, doit l'épouvanter. Ce Prélat étoit à Venife, après avoir été à Vienne folliciter inutilement pour fon Frère & pour lui la protection de l'Empereur. Le Pape lui ordonne de revenir à Rome ; il demande fureté pour fa perfonne, on la lui promet ; il revient, & fe loge dans un Couvent. Deux jours après, le Pape lui fait ordonner d'aller loger dans un autre, & de n'en point fortir fans fon ordre, larga obéit. Les Moines, * Il l'a «nfufte créé Cardinal. Il «ft moit à Henf vent en 17j,, perfonne» après là mort, ne voulut accepter ce Bénéfice, que le Pape fut obligé de donner à l'Abbé Contl, Romain , qui ne l'accepta qt» a condition que S. S. l'accompagncroic du Chapea* wugç, ce qui eft aiûvc à la deinièrç Promotion-J Des, à qui fa garde étoit commife, le Veillent de près. Malgré cela, une belle nuit des foldats viennent l'enlever, & le conduiïènt au Château S. Ange; c'eft apparemment la fureté qu'on lui avoit pro-mife. Il y eft étroitement refTerré, ôc ne peut parler à perfonne. Ces actes de févère Juftice font allez, en ufage fous le Pontificat de Clément XII. Comme il eft dans le goût de défaire tout ce que fon Prédéceflèur a fait ; fous prétexte que ce Pontife a aliéné les droits du Saint Siège, on n'entend parler que de décrets Ôc d'emprifonnemens. Les plus fages , ou peut-être les plus criminels, gagnent le large: les autres fe lailTent arrêter, comme a fait Mgr* Sardini, acculé d'avoir fait faire au feu Pape le Traité avec le Roi de Sardaigne, par lequel le Saint Père accorde à ce Prince la nomination à tous les Evêchés ôc Bénéfices de fon Royaume. Ce Prélat fut arrêté dans fa maifon la nuit, ôc conduit au Château S. Ange, où il eft gardé en Prifonnier d'Etat. * On lui avoit enlevé peu de jours * C'eft le même dont les Nouvelles publiques de cette année 17 jx marquent qu'il avoit été condamné à avinr la tête tranchée» mais que Sa Sainteté a-voit commué là peine en dix années de pritbn. Les mêmes Nouvelles ont dit depuis, que le Pape avoit modifié cet Arrêt à 7 ans de pnfon , & tntuite à trois. [Enfin le Pape a voulu le faire tranfporter à Pironft, oh ailleurs: mais ce Prei,t nc Tgiîlurpas, jours avant qu'il fût arrêté, tous fes Papiers: il les a demandés pour pouvoir fe juftifier, mais on les lui a refufës. Il y a quelques jours que le Pape lui fit dire, qu'il lui permettoit de fe juftifier s'il le pouvoit faire; à quoi Sardini répondit, qu'il n'avoit rien à dire, qu'il prenoit le Pape pour Juge, ôc le Cardinal Corfini, Neveu de Sa Sainteté, pour Avocat. Tout cela ne lui a de rien fervi, il eft toujours en prifbn, ôc l'on prétend que le Pape lui fera grâce s'il ne lui fait pas trancher la tête. Il y a quelque tems que le Cardinal Ottoboni s'intèreffoit pour un certain Chanoine nommé Nocera, compris dans les affaires de Sardini. Il pria le Pape de vouloir bien révoquer le Décret de prife de corps rendu contre Nocera, qui étoit retiré dans un Afyle à Albano. Le Pape répondit au Cardinal, qu'il étoit fâché de ne pouvoir lui accorder fa demande, mais qu'il ne vouloir point charger fa confeience de n'avoir point puni l'iniquité. ,> Nous fournies vieux, dit le S. Pè-„ re , notre âge nous affure que nous pa- roîtrons bien-tôt devant le Tribunal de „ Dieu: nous voulons donc agir d'une „ manière à pouvoir eipérer d'y trouver „ mifèricordej ôc c'eft de quoi nousn'o- » & repondit qu'il mourroit au Château S. Ange» ou n'en limùoit qu'avec fa pleine libcnc.j v » ferions nous flatter, fi nous ne laiffions r0mk. „ point le cours à la Juftice. Qui fait, „ cher Cardinal, ii demain nous ferons „ encore en vie?----- Votre Sainteté, „ répondit le Cardinal, ne doit pas ap-„ préhender de mourir fi-iôr. Dieu ac-„ corde ordinairement aux grands Prin-„ ces deux périodes de Règne , Pun „ pour faire éclater leur juftice, & Pau-„ tre pour pouvoir faire des grâces. Il a accordé à Votre Sainteté le période ,} de la juftice, iL faut efperer qu'il lui „ accordera auiïî celui des grâces". Je finirai ma longue Lettre par une a-necdoefe affez. .curieufe, que je tiens du Cardinal Imperiali, blanchi dans la Pourpre. Lui parlant de la Bulle d'Innocent X, qui défend aux Cardinaux de fortir de . l'Etat Eccléfiaftique fans la permiiîion du Pape, il me dit qu'Innocent X avoit fulminé cette Bulle à l'occaiion de la fuite du Cardinal AJlalli fon Parent, qu'il auroit voulu priver du Chapeau. Voici ce qui donna lieu à tout ce vacarme. Après que les Portugais eurent fecoué le joug des Efpagnols 6c rétabli la Maifon de Bra-gance fur le Trône, le Roi d'Efpagne, qui prenoit toujours le Titre de Roi de Portugal, prétendit que c'étoit lui qui de voit nommer aux Evêchés & Bénéfices vacans en Portugal: ce qui embarafibit extrêmement le Pape, qUe ies Efpagnols R 3 te- 3.62 Lettres tenoient dans une grande fujettion. En? fin pour fortir d'affaires, il réfolut d'af-fembler à l'improvifte un Confiftoire, ôc d'y nommer aux Evêchés de Portugal. Il confia fon deffein au Cardinal Secrétaire d'Etat, & au Cardinal Aftalli, leur défendant fous peine de la vie d'en parler à perfonne. Le foir qu'il devoit faire intimer le Confiftoire pour le lendemain, l'Ambaft'adeur d'Efpagne lui fit demander audience avec tant d'inlTance, qu'il n'ofa la lui refufer. Ce Miniftre lui témoigna être informé de fon deffein, & prorefta contre tout ce qui fe feroit dans le Confiftoire, de contraire aux prétentions du Roi fon Maitre. Le Pape, fort en colère de ce que fon fecret étoit éventé, foupçonna fon Secrétaire d'Etat de l'avoir trahi. Il lui en fit de violens reproches, ôc le menaça de lui faire perdre la tête. Le Miniftre jura que ce n'é-toit pas lui qui avoit informé l'Efpagnol, & dit que li cet Ambaffadeur favoit le fecret de Sa Sainteté, ce ne pouvoit ê-tre que du Cardinal Aftalli. Il demanda vingt-quatre heures au Pape pour lui prouver fon innocence, & pour découvrir le coupable. Il envoya chercher un Valet de chambre de l'AmbafTadeur d'Ef-pagne, & lui promit cinq-cens piftoles, li après avoir couché fon Maitre, il fouil-ioït dans fes poches ôc en tiroir, un billet qu'il qu'il difoit y favoir, écrit de la main du Cardinal Aftalli. Le Valet de chambre fe laiflâ féduire, il porta le fatal billet au Cardinal Secrétaire d'Etat, qui ne tarda pas à le faire voir au Pape, lequel tourna toute fa colère contre Aftalli. Il lui fit défendre l'entrée du Palais, & comptait de le faire arrêter le lendemain, mais Aftalli ne lui en laiffa pas le plaifir, il s'enfuit la même nuit en Felouque de Rome, & pafla en Sicile. Ce fut alors ^Innocent X fit la Bulle en queilion. Il t citer Aftalli, qui véritablement revint dans les Etats du Saint Siège, mais il relia dans une petite Ville frontière du Royaume de Naples, où il étoit accompagné d'une Garde de deux-mille Efpagnols , qui demeurèrent auprès de lui tant que vécut le Pape, après la mort duquel Aftalli retourna à Rome. J'ai l'honneur d'être, ôcc. A Rome t ce is Juin 173t. LET- 26*4 Lettres LETTRE XXXIII. Monsieur, PErmettez-moi de vous dire , qu'il y a plus de policeffe que de fincérité, dans les approbations dont vous honorez mes Relations. Tout le mérite qu'elles peuvent avoir , c'eft qu'elles font écrites avec beaucoup de naïveté. Je vous mande les chofes telles que je les trouve , ou telles qu'on me les rapporte : ti j'aceufe faux , c'eft l'effet de mon peu de connoilfancej ou de ma crédulité: je fais de mon mieux , ôc j'y vais de bonne foi ; vous n'en pouvez pas prétendre davantage. Vous fouhaitez de favoir les fonctions de la Semaine fainte , je vais vous les rapporter , telles qu'elles fe font paflées cette année. Le Dimanche des Rameaux , le.Pape diftribua des palmes dans la Chapelle de Monte-Cavallo, à tous les Cardinaux Ôc à tous les affiftans. Le dernier Mécredi de Carême , les Cardinaux fe rendirent l'après-dîner dans la Chapelle Papale, où ils alïiftcrcnt aux Vêpres 6c Ténèbres , chantées par la Mulïque du Pape, fans accompagnement d'inftrumens. C'eft peut-être une des Rome. plus belles pièces de Mufique qui aient jamais -ère faites : on Feftime li fort ici , qu'il eft défendu fous peine d'Excommunication au M litre de Chapelle d'en donner copie, ôc à d'autres de la transcrire. Le Jeudi faint, le Pape s'étant, trouvé légèrement indifpofé , le Cardinal Barberim officia pour lui Les Cardinaux fe rendirent dès le matin au Vati-/can dans la Chapelle Sixtine ; ils affilièrent à la grand' Mciîè , après laquelle le Cardinal Barberini, précédé des Evêques ôc Cardinaux tous en Mitres ôc Chapes blanches, porta proceiïionnellement, fous un Dais tenu par huit Archevêques , le Saint Sacrement dans la Chapelle Pauline , qui étoit magnifiquement illuminée. Le Corps de Notre Seigneur y fut mis en dépôt : enfuite les Cardinaux paiTèrent dans une Salle , où ils trouvèrent treize Prêtres de diverfes Nations , vêtus de robes de laine blanche , avec des bonnets quarrés de la même étofFe , ils étoient tous affis fur un banc élevé en forme de gradin. Le Cardinal Bar-berini monta fur un Trône qui étoit d relié à l'extrémité de la Salle, il ôta fa Chape , Ôc s'étant revêtu du Pluvial, il prononça quelques Oraifons , auxquelles Ja Muiique répondit. Il quitta enfuite le Pluvial, mit un tablier blanc , Ôc fut la-*> S, ver 166 V eî T T R. e 8 ome. ver les pieds des Prêtres, dans un baflîrt de vermeil qui étoit porté par des Maitres de cérémonie. Il leur lécha les pieds, les baifa , & fit donner à chaque Prêtre par le Tréforier Apoftolique , deux Médailles d'or & une d'argent. Il remonta encore au Trône , & aiant repris le Pluvial, il entonna le Pater Nos-ter , que la Mufique acheva. Il pa(Ta enfuite avec les Cardinaux fes Confrères dans une chambre feparée , où il reprit fes habits ordinaires. D'un autre côté , les treize Prêtres furent conduits par un Maitre des cérémonies dans une Salle , où ils fe placèrent à une table , qui fut proprement fervie. Les Camé-riers d'honneur du Pape les fervirent \ fi le Pape avoit été en fanté, il l'auroit fait lui-même. Les Cardinaux dînèrent aufïi enfemble: leur dîner étoic des plus fuperbes, il fe fait toujours aux dépens de Leurs Eminences , de certains deniers que leur fournit la Rote & la Da-terie. Le repas des Prêtres eft payé par la Chambre Apoftolique, & c'eft le Majordome du Pape qui ordonne le fervice des deux tables. Le Buffet des Cardinaux eft d'une grande propreté j'en ai vu de plus magnifiques, mais je n'en ai jamais vu de mieux rangés. Les Cardinaux portent toujours leur boiffon: on dit que c'eft depuis la cataftrophe arrivée au Pape Alexandre n & à Ion Fils Cé/ar Borgia Duc de Valentinois ■> Rome. lorfque ce dernier , pour avoir la dépouille du Cardinal Adrien de Cornette, fit porter du vin empoifonné à une partie de fouper , dont étoient le Pape, ôc .ce Cardinal qu'il vouloit empoifonner. Mais Cornetto eut le bonheur d'échaper au piège qu'on lui tendoit , le Pape ôc Cejar fon Fils en portèrent la peine. E-tant arrivés au lieu où fe faifoit le fouper , ôc fe trouvant altérés , ils demandèrent à boire, dans le tems même que celui qui favoit le fecret étoit lorti: un autre leur donna du vin préparé: le Pape en mourut ; mais Cejar s'étant fait en-veloper dans le ventre d'une Mule, en rechapa. Après le dîner, les Cardinaux retournèrent dans la Chapelle Sixtine, ôc y affilièrent aux Ténèbres ÔC au Mi fer ère. La cérémonie de ce jour, de laver les pieds, eft un ufage anciennement pratiqué par les Princes Catholiques. L'Hiftoire de France rapporte que Robert le Pieux, celui qu'on qualifie Roi de ies mœurs aulfi bien que de fes Sujets, entretenoit continuellement deux-cens Pauvres à fa fuite , ôc leur lavoir fouvent les pieds, particulièrement le Jeudi faint. A Vienne, a Ver failles, en Ejpagne Ôc en plufieurs autres Cours, l'Impératrice, les Reines Ôc les Souveraines lavent ies pieds le même jour à treize Femmes. Le 36*8 Lettrés Le Vendredi faint, les Cardinaux afîlA tèrcnt encore le matin au Service Divin dans la Chapelle Sixthie. Enfuite ils dînèrent enfemble: on ne leur fervit que des racines, Ôc un Chapelain du Pape leur fit la leéture. Après le repas, ils alliftè-rent encore au Mi fer ère Enfuite ils descendirent tous dans l'Eglife de S. Pierre z ôc aiant formé un demi-cercle devant le grand Autel, ils fe mirent à genoux fur des carreaux de drap violet, ôc révérèrent ainfi les Reliques, qui leur furent montrées d'un balcon fort élevé, Elles con-fiftoient dans la Lance avec laquelle fut ouvert le côté du Sauveur du Monde, le faint Suaire, ôc une grande pièce de la Croix, Le Samedi , les Cardinaux affilièrent au Service Divin dans la Chapelle de Moute-Canjallo. Le Dimanche premier jour de Pâques, le Pape revêtu de fes Habits Pontificaux; parut, porté dans fa chaife gefiafoire, dans fa Chapelle : il entonna la grand' Meife, qu'un CardinaL-Prctre acheva enfuite. Lé Pape fut porté à la Loge ou Tribune qui donne fur la grand' Place: là un Cardinal-Diacre lut à haute voix la Bulle in Cœna Domini, après quoi le Pape fulmina les Cenlurcs Apofloliques contre les Hérétiques, en jettant en - bas dans la Place un flambeau allumé. Enfuite le Saint Père, au bruit du Canon du Château du Baron de Pollnïtz. 36*9 teau de Monte-Cavatlo Ôc du Château S. RoMK< Ange , donna deux fois la bénédiétion à tout le Peuple , qui étoit à genoux dans la Place ôc les rues aboutiffantes au Palais. La bénédiction que le Pape donne ce jour-là eft folennelle , ôc s'étend fur tout le Monde Chrétien. J'oubliois de vous dire , que le Jeudi ôc le Vendredi faint, pendant que l'Egliie eft en deuil pour le Sauveur du Monde, la Chapelle Papale eft dépouillée de tous ornemens, le Trône du Saint Père eft iàns dais, ÔC le Pape ne donne point de bénédiction , ni n'admet perfonne à lui baifer le pied ou la main. Puifque j'en fuis fur les Cérémonies , je vous rapporterai celles qui s'obfervent à la fabrication ôc à la diftribution des Agnus-Deidç cire blanche, reprélentant d'un côté le Sauveur du Monde fous la figure d'un Agneau, [tenant l'Etendarc de la Croix ] félon l'attribut que lui a donné S. Jean Baptifie Ion Précurfeur. C'eft un ufage ancien dans l'Eglife, que ces Agnus-Deï. S. Auguftin en fait mention , dans fon Epitre cent-dix-huitième. Baronius, dans fon huitième Volume , allure que de fon.tems l'ufage étoit de diftribuer au peuple , les Dimanches de la Quafimodo , des Agnus-Dei, bénits par le Pape, ôc le Cardinal Bellarmm dit que le Pape Léon III donna l'ah 708 à l'Empereur Qharkmagne un Agvm- Rome. Agnus-Dei enchaiTé dans de l'or enrichi de pierres précieufes. * Tous les Souverains-Pontifes béniffent des Agnus-Dei la première année de leur Pontificat ; ils font la même cérémonie l'année du Jubiié j & enfuite de fept en fept ans, à commencer de la première année de leur exaltation. Clément XI ï en fit la cérémonie le Mécredi après Pâques , dans la grande Salle de fon Apartement du Monte-Cavallo. Elle étoit tendue de damas rouge, à galons d'or. Le Trône du Pape étoit dans un fond j à f a droite étoit * [Voici l'origine de cette Cérémonie , félon le P. Shm#d, & Ckcartlli. Elle tient de la coutume iju on avoit a Rome , de diftiibucr au peuple le jour du Dimanche h -Albls, le refte du Cierge Pascal > béni le jour du Samedi laine. Le peuple toujours fupïrftincux attachoit plulleuts venus à cette Cire bénitei entre autres, de prélèrver des preftiges du Dcmon , & des effets de la Foudre , &c. Se l'on avoit coutume de brûler de petits morceaux de cette cire dans les marions- Comme les reftes du Cierge Pascal ne fumldicnt pas aux empreflement du Peuple , l'Archidiacre s'avità de prendre d'autre cire lut laquelle il répandoit de J'huile , la bénis* foit , & en faifoit de petits morceaux en figure d'Agneau, qu'ii diftribuoit au Peuple. Eufuite on fe contenta d'applatir ces morceaux de cire, & d'y imprimer un Agtieau portant l'Eiendan de la Croix-Or» croit qu'il n'y a que ceux qui font dans les Ordres , qui puilïcnt les toucher • & on le* couvre propiement d'etoife brodée : pour les donner aux Laïcs II n'y a rien en quoi les Moines rculfiS" fent mieux à tromper les ames crédules j ils leur «w* tribueat des ^gmts • Vti qui jamais n'ont pafle 1«* Alpes.} étoit un Autel & entre le Trône ôc r0me. l'Autel j il y avoit une Tribune pour le Prétendant & fa Famille. En face du Trône étoit une grande Tribune avec des gradins, pour l'AmbaiTadeur de Venife , les Dames ? ôc ce qu'il y avoit de perfonnes de diftinétion. Au-deffous de la même Tribune étoit un Amphithéâtre , pour les fpe&ateurs du fecond ordre. Des barrières couvertes de damas rouge formoient un Parquet quarré , au milieu duquel on voyoit quatre grandes Cuvettes d'argent maffif, pleines d'eau , pofées fur des pieds de bois doré ôc argenté , d'une fculpture admirable de Bernini. Le Pape , accompagné de dix Cardinaux qu'il avoit fait inviter pour cette fonction , étant entré dans la Salie & s'étant afEs fur fon Trône , deux Camériers d'honneur mirent devant lui une Cuvette pareille aux quatre qui é-toient dans la Salle. Le Pape aiant une Mitre de brocard d'argent ôc une Chape de la même étoffe, entonna le Veni Spi-ritus Sancle , que la Mufique continua. Enfuite le Saint Père dit encore quelques Oraifons , ôc bénit l'Eau qui étoit daus la Cuvette devant lui : il y mit de l'Huile fainte , ôc du faint Chrême. Quatre Cardinaux vinrent prendre dans de grandes cuillers d'argent de cette Eau bénite , ôc la mêlèrent avec l'eau qui étoit dans les quatre Cuvettes, Le Pape pe & les Cardinaux mirent enfuite de grands tabliers' blancs , & les Cardinaux s'affirent deux à deux fur des efcabelles à chaque Cuvette. Deux Cardinaux af, liftèrent le Pape. Les Camerieri £ honore, ôc les Prélats domeftiques , portèrent dans des Cuves de bois argenté, des Agnus - Dei ; ôc à mefure qu'ils en rem-plifloient les Cuvâtes pleines d'Eau-bé-nite, le Pape ôc les Cardinaux les repê-choient avec de grandes écumoircs d'argent , ôc les remettoient dans d'autres Cuves que les Prélats alloient remettre aux Sacriftains. Ceci dura près de deux heures, jufqu'à ce que le Pape fe trouvant fatigué , fe leva , dit encore quelques Oraifbns , ôc enfuite fe retira. La même cérémonie fe réitéra le lendemain, Ôc on fit en ces deux jours foixante-mille Agnus - Dei, qu'on préiend coûter à la Chambre douze-mille écus. Le Dimanche de la guajimodo , le Pape diftribua les Agnus avec beaucoup d'appareil , dans la Chapelle de Monté-Cavalfo. Il fe rendit en Proceffion , porté dans fa chaife gefiatoire , de fort Apartement dans la Chapelle j il s'y plaça fur (on Trône , ôc en même tems la Mufique chanta Y Agnus-Dei ; lequel fini, un Sous-Diacre Apoftolique portant des Agnus dans un baffin d'argent, précédé de la Croix ôc des Acolythes por" tant des cierges fur de grands chande- d'argent, ôc l'Encenfoir , entra dans la romï. Chapelle, Ôc setant mis à genoux, dit à haute voix , parlant au Pape : Pater Sanéle, ifti font Agni novelli qui annun-ciaverunt vobis Alléluia ; modo wnerunt ad fontes, repleti funt charitate; Alléluia. Le Chœur répondit, Deo grattas, Alléluia. Enfuite le Sous-Diacre fe releva, & fut fe mettre à genoux au milieu de la Chapelle , où il dit les mêmes paroles. Il réitéra la même chofe au pied du Trône du Pape, à qui il préfenta le bafïin plein $ Agnus - Dei , en petits paquets envelopés dans du coton. Le Saint Père les diflribua aux Cardinaux & à tous les alTiftans: on les recevoit à genoux. J'en ai eu ma bonne part, ôc je n'attens qu'une occafion pour vous en envoyer. Il y a ici une forte de gens, qui portent leurs prétentions bien haut. Ce font les Princes Romains , qui la plupart ne doivent cette Dignité de Prince qu'au bonheur qu'ils ont eu d'avoir un Pape dans leur famille. Il y en a beaucoup qui font à peine Gentilshommes. On les traite d'Excellence, mais ce Titre ne s'étend que fur le premier-né. Ils fe font traiter avec beaucoup de refpect par leurs Domeftiques, & ont tous la marotte d'avoir dans leur Palais des Baldaquins Ôc des chambres d'Audience. Ils prétendent qu'un Gentilhomme doit venir chez eux lome II. S fans fans fe faire annoncer , & attendre dans leur Antichambre qu'il leur plaiie de le voir. Vous jugez, bien qu'il n'y a que des Gentilshommes très nécetïïteux , qui fe fou mettent à cette loi , ôc que les Antichambres de Leurs Excellences ne font pratiquées que par leurs Domefti-ques. Loriqu'ils fe font vifite entre eux en cérémonie, ils fe placent fous un Dais, comme les Cardinaux j ils fortcnt alors in Fiochi , ôc ont deux caroffes de fuite , fans compter celui du Corps, où Son Excellence occupe feule le fond , 6c fes Gentilshommes les portières ôc le devant. Un Laquais porte un Ombrello devant eux , comme devant les Cardinaux j c'eft un porte-reipect, devant qui tous les caroflès qui ne font point à des Cardinaux ou à des Princes, doivent céder le pas, & même arrêter. Les Princeflès ne donnoient pas autrefois la main chez elles aux Dames j mais depuis que les honneurs attachés au Né-fotijine ont été abolis, elles ont été obligées de s'humilier, & de traiter les Dames d'égales. Malgré cela, il y a fort peu de commerce entre elles. Du tems paffé, les Nièces du Pape ne cèdoient la main à perfonne, pas même aux Princeflès , ôc toutes les Dames en général étoient obligées d'être en corps de robe lorfqu'elles leur rendoient vifite j les Nièces n'alloient chez perfonne , ôc jouis-r foient du Baron de PôllniTx. 275 foient de tous les honneurs de Souverai- Roma nés.. Mais tout cela n'eft plus. Les Nièces du Pape régnant, non-ieulement donnent la main à la moindre des Dames , mais elles leur rendent leurs vifites. II eft vrai que Mefdames les Princeiîès Corfini font d'une attention & d'une po-liteife extraordinaire pour tout le monde} & jufqu'à prêtent, quoique le Pape ait déclaré leurs Maris Princes cC Ducs , elles continuent à fe faire annoncer lous le nom de Marquife , & n'ont point arboré de Baldaquin. La NoblerTe applaudit fort à leurs manières d'agir ; mais les Princes en font très mal fatisfairs , 6c croyent qu'elles aviliiïent par-là leur Dignité. Il y a quelques jours qu'un Anglois nommé Thirems, qui eft depuis lon^tems au fervicc du Grand-Duc , & attaché aux Corjini , difoit au Pape avec qui il eft fort libre , que la conduite de Mesdames Corfini charmoit autant la Nobles-fe, qu'elle choquoit les Princes. „ Bon! >, répondit le Pape, eft-ce que les Prin- ces croyent que mes Neveux & me* „ Nièces n'étoient pas autant de qualité „ lorfqu'ils portoient le titre de Mar-„ quis , que maintenant qu'ils ont celui „ de Prince ? Je veux bien qu'ils fa-„ chent que li j'ai déclaré mes Neveux „ Princes & Ducs, c'a été plutôt pour 276* Lettres „ me conformer à l'ufage, que dans ïë „ deffein de les illuftrer. " Je pardonnerois la vanité aux Princes Romains , s'ils jouiffoient de quelques prérogatives folides - mais dans leurs Terres ils font de (impies Gentilshommes ; 6c lorfqu'il plait au Pape, il leur envoie des Sbirres comme au moindre de fes Sujets. Ce qui gonfle ainfi ces Meffieurs, c'eft que des Gentilshommes de bonne Maifon ne font point difficulté de les fervir, la pauvreté parmi la Nobleffe étant allez, grande, & les reffources pour les gens d'épée très médiocres, d'autant plus que la plupart des Gentilshommes Romains, fort déchus de leurs Ancêtres, n'ont point de goût pour les armes : leur amour pour Rome , ôc l'idée qu'ils ont qu'il n'y a point de Lieu fi délicieux au monde, les empêche d'en fortir, Ôc les réduit à fervir des gens qui très fouvent leur font inférieurs en naiffance. Au refte, les Princes Romains ne fe diftinguent ni par leur air , ni par leur dépenfè. Contens d'avoir un grand nombre de Valets, car il y en a qui ont jufqu'à vingt-quatre Laquais, ils vivent très médiocrement ; aucun d'eux ne tient table ; on ne prend chez eux que des Glaces, ôc tout au plus une taffe de Chocolat. C'eft le foir qu'on les pratique, car dès que \'Angélus a fonné, il n'y a plus de cérémonies à Rome, les Abbés ôc les Prêtres très vont en habit court chez les Cardi- r0me. naux, & l'on ne fe falue plus lorfqu'on fe rencontre. Les gages que les Princes & les Cardinaux donnent à leurs Domeftiques, font peu confidérables : cela fait que leurs gens de livrée gueufent toute l'année. La première fois qu'on entre dans une maifon, les Domeftiques viennent demander pour boire, ce qu'ils appellent la bonne manche-, ils réitèrent leur quête au commencement de l'année, au mois d'Août , ce qu'ils appellent la ferra Gujla , & lorfque leur Maitreffe accouche d'un Fils ; enfin ils trouvent tant d'occafions , qu'on en eft fans ceffe importuné. Les PrincelTes ont le privilège d'arriver aux Spectacles en fe faifant éclairer par huit flambeaux de cire blanche. J'en ai vu qui pour conferver les flambeaux, arrêtaient à quatre ou cinq-cens pas du Théâtre, pour donner le tems à leurs Laquais d'allumer les flambeaux , afin d'arriver en pompe à l'Opéra. Lorfqu'elles fortoient, elles arrêtoient encore au même endroit , les Laquais éteignoient les flambeaux , ôc la PrincelTe n'étoit plus éclairée que par deux petites lanternes lourdes , dont on fe fcrt communément ici. Cette manière d'aller à huit flambeaux rue fait fouvenir d'une DuchefTe Angloife , qui aiant été à Rome , avoit pris goût à aller de la forte. Elle vou-S 3 lut lut en introduire la mode à Paris ; mais on lui défendit de marcher ainfi , parce que les deux ou trois loirs qu'elle for-tit, tout le monde fe mettoit à genoux ; on croyoit que c'étoit le Saint Sacrement qu'on portoit à un malade. La plupart des Dames ôc PrincelTes ont de très magnifiques caroffes ; mais elles s'en fervent rarement. Le Marquis Sudarini, qui vient de marier fon Fils , a donné à la Bru un caroiïe qui a coûté fept-mille Feus Romains, qui font environ dix-mille cinq-cens Ecus de notre monnoie. Il y en a plufieurs autres qui font encore d'un plus grand prix. Ces caroffes font de terribles machines, c'eft tout ce que deux chevaux peuvent tirer. Quelque fuperbes que foient ces maifons ambulantes , tout ce qui les accompagne ne les affortit jamais. Elles font ordinairement entourées de dix ou douze Laquais mal vêtus, Ôc qui avec les épées qu'ils portent , paroiffent plutôt des Archers que des Valets de pied. Généralement , les livrées font effroyables, je ne croi pas qu'il y en ait de plus bizarres au monde. Les Laquais font la plupart vieux, fales ôc mal bâtis : cela vient de ce qu'un pauvre milerable qui endoflè une fois la livrée, ne la quitte jamais: il ne parvient pas même à être Valet de chambre. Lorfqu'il elt hors d'état de fervir, fon Maitre le jubile, c'eft à dire, qu'il lui donne donne la moitié de fes gages, ôc il ne fert n0^, plus. On ne regarde ici ni à la figure, ni à la propreté des Domeftiques, pourvu que le nombre s'y trouve , qu'importe comme ils font faits ? Cette marotte d'avoir des Laquais s'étend jufqu'au Bourgeois: les moins à leur aife ne pouvant point en entretenir toute l'année, en ont d'arrêtés pour les Fêtes ôc lès Dimanches. C'eft un garçon Cor- , donnier , ou un Ramonneur , qui vient endoffer ce jour-là un méchant habit de livrée, fouvent emprunté à la Juiverie, ôc qui avec des cheveux bien gras derrière les oreilles, ôc une grande brette au côté , marchant d'un pas grave devant Madame ou Mademoifellc, la conduit à l'Eglife ôc la ramène au logis. 11 feroit contre la bienféance, qu'une Femme ou Fille fortît feule ; les plus abandonnées font toujours accompagnées d'une Matrone. Les Pompes funèbres fe font ici avec beaucoup d'éclat, lorfque c'eft quelque perfonne de qualité. Tous les morts font portés en terre à vifage découvert. J'ai vu les funérailles du Cardinal Buencompa-gno Archevêque de Bologne, ôc celles du Prince Rufpoli. Le premier fut porté de nuit dans un de fes carolTes à l'Egliie de 5. André de Laval, qui étoit toute tendue de noir. Le lendemain , le Corps fut mis fur un Lit de parade, au milieu S 4. de 28o L s t t r e s de la Nef } il étoit revêtu des Habits Sacerdotaux , la tête tournée vers le Chœur, le Chapeau de Cardinal étoit à fes pieds. Quatre Valets de chambre é-toient aux coins du Lit, & tenoient chacun une Bannière de tarretas noir aux Armes du défunt. Cent grands cierges ou torches de cire blanche , lur de grands chandeliers de fer, étoient autour du Lit. La grand' Meffe fut chantée en Mufique, & tout le Sacré Collège y affilia. Les Cardinaux, en entrant dans l'Eglife, fai-foient à genoux une courte prière au Saint Sacrement," enfuite ils alloient fe mettre à genoux aux pieds du Mort} ils y di-foient un Pater, & l'Oraifon Abjolve Démine, &c; puis prenant un Ajpergès, ils jettoient de l'Eau-bénite fur le Corps du Défunt. Après la Meffe , les Cardinaux fe retirèrent. Le Mort demeura expofé jufqu'au foir , qu'on lui ôta les Habits Sacerdotaux , & on le mit dans une caille de plomb, qui fut encore enfermée dans une autre caille de bois de Cyprès} après quoi on le defcendit dans la fofTe. Le Prince Ruspoli fut expofé dans l'Eglife de S. Laurent Luciîii, qui avoit été fa Paroiffe, de la même manière que l'avoit été le Cardinal Buoncom-pagno; mais il n'affilia à l'Office ni Cardinaux, ni Parens du Défunt. Les Italiens difent qu'il eft barbare d'obliger les Parens d'affittcr aux funérailles les uns des des autres, comme cela fe pratique parmi Romï: nous. Mais s'ils n'affilient point aux funérailles , ils portent le deuil beaucoup plus régulièrement & plus longtems que nous. Une Femme en deuil eft noire depuis la tête jufqu'aux pieds, on ne lui voit pas le moindre linge j cela n'eft pas fort avantageux aux brunes. Les Nièces du Pape ne portent jamais le deuil, pas même pour leurs plus proches : les Romains difent que le bonheur d'avoir un Pape dans fa Maifon eft fi grand, que rien ne doit affliger les Parens d'un Pontife. On enterre ici les Morts vingt-quatre heures après qu'ils font expirés, Ôc quelquefois plus tôt. C'eft une chofe fur-prenante, que la diligence avec laquelle on pare les Eglifes,- 6c il faut convenir, que foit pour des funérailles, ou pour des jours de Fête , c'eft toujours avec une magnificence & un goût extraordinaire. La plupart des Eglifes ont leurs propres Tentures. Les jours de Fête fblennellc, elles font ordinairement tendues de damas cramoifi, avec une bordure de velours de la même couleur, le tout enrichi de galons ôc crépines d'or. Toutes ces Fêtes d'Eglife fe célèbrent avec beaucoup de pompe ôc d'appareil : toutes les maifons des quartiers d'alentour font illuminées la veille ôc le foir de la Fête même, qui eft toujours terminée par un Feu d'artifice S 5 qu'on Rome, qu'on tire dans le lieu le plus fpacieux du quartier, & qui fe fait aux dépens des Paroifliens. Les Romains ont un goût fingulier pour tout ce qui eft Fête, & font grands amateurs de Spectacles. Ils font pour le moins aufli badauds que les Parviens ; la moindre nouveauté les fait accourir, comme s'ils n'avoient jamais rien vu ; Ôc tout ce qu'ils voyent eft toujours la même chofe. Un Feu d'artifice eft élevé chez, eux en moins de rien. Ce font des machines fort hautes, faites de rofeaux couverts de papier. Cela paroît beaucoup, & coûte fort peu de chofe. Il ne fe paffe prefque point de femaine en Eté, qu'il n'y ait un ou deux de ces Feux. Le Tribunal de la Rote eft, après les Congrégations des Cardinaux, le premier Tribunal de Rome, 6c peut-être du Monde, puisque fon autorité s'étend fur tous les Royaumes 6c Etats qui reconnoiffent . le Saint Siège. Il eft compofé de douze Prélats portant le Titre d'Auditeurs, favoir, un Allemand, un François, deux Efpagnols, un Bolonais, un Ferrarois, un Vénitien, un Tofcan, un Milanois,t\ trois Romains. Ils ont quatre Notaires fous eux. Le plus ancien Auditeur préfide. Us s'affemblent deux fois la femaine,dans le Palais où le Pape fait faréfidence. C'eft au Tribunal de la Rote qu'on appelle dans tous tous les Pays Catholiques, pour les Cau- Rome. fes Bénéficiâtes. Le. Gouverneur de Rome eft toujours Prélat, ôc ordinairement Archevêque in partibus. Sa Charge lui donne rang immédiatement après les Cardinaux, * ôc il prétend le pas au-deffus des Ambaffadeurs des Couronnes. Je ne faurois vous dire pofitivement, fi ceux-ci lui cèdent: je n'en ai point encore vu paroîtrc dans une fondt ion publique. Le Gouverneur eft le Juge fouverain des Caufes criminelles, ôc prend connohTance de toutes les Caufes civiles qui demandent une promte exécution. Il a fous lui un Lieutenant ôc un Auditeur Civils, un Lieutenant Ôc deux Juges Criminels, avec nombre d'Officiers fubalternes, le Prévôt nommé Barrigello, Ôc trois-cens Archers ou Sbirri. Lorsqu'il fort , il eft accompagne de fes Gardes ; ce font dix ou douze vieux Hallcbardiers, plus déguenillés que tout ce que vous avez jamais vu. Il fait porter des fiochi noirs à fes chevaux, car vous faurez qu'il y a quatre fortes de fiochi : les Cardinaux nés Princes , ou Amba(fadeurs, en ont de rouge ôc or ; ceux des Cardinaux qui ne font point Princes, font rouge unis, les Princes en ont tout d'or j le Gouverneur de * [Il çft Vice Cametlingue.] de Rome & d'autres Prélats, comme le Majordome, en font porter de noirs. Le Gouverneur fort toujours avec deux ca-rofles; 6c il eft précédé de YOmbrello, comme les Cardinaux. Il va deux fois la femaine à l'Audience du Saint Père, pour lui rendre compte de tout ce qui îe paffe, mais particulièrement des rai-fons qu'ont eu les Juges en condamnant quelqu'un à mort. Il ne peut jamais s'abfenter de Rome. Une des plus belles prérogatives de fa Charge, eft qu'il ne la quitte jamais que pour devenir Cardinal. Un autre Magiftrat de marque à Rome, eft le Sénateur. Les Romains prétendent qu'il repréfenté l'ancien Sénat de Rome: fi cela eft, c'eft bien en raccourci. Il demeure au Capitule, ôc doit toujours être né hors de Rome. Il tient fa Charge par Bref du Pape, 6c la con-ferve pendant fa vie. Il a fous lui plu-fieurs Officiers fubalterncs, deux Lieu-tenans-Civils, portant le titre de Collatéraux ; un Juge nommé Capitaine de VAppellation ; un Lieutenant-Criminel, ou Fi/cal, qui condamne à mort. Il a droit de prendre connoiiTance de toutes les Caufes civiles 6c criminelles , qui peuvent naitre entre les Bourgeois 8c Ha-bitans de Rome. Pour cet effet il a encore fous lui trente Notaires ou Com-mifTaircs, Ôc a la difpofition des Priions du Caoitole. Lorsqu'il paroît dans une Romk. fonction publique, il eft vêtu d'une longue robe de brocard d'or doublée de taffetas rouge, avec une toque de velours noir. Il a fa place marquée dans la Chapelle Papale, ôc il va, comme le Gouverneur de Rome, deux fois la femaine rendre compte au Pape 6c au Cardinal-Neveu , de ce qui s'eft paiïe à fon Barreau. Il eft habillé alors d'une longue fi-marreou robe de velours, ou de gros de Tours noir. Lorsqu'il prend pofTeflion de fa Charge, il prête ferment au Pape, ôc Sa Sainteté lui donne un bâton de Commandement, qui eft un Sceptre d'y-voire. Il eft conduit enfuite en grande cérémonie au Capitole, efeorté par toute la NoblefTe de Rome à cheval, Ôc par toutes les Milices de la Ville. C'eft une chofe allez lîngulière, que la manière dont les Criminels font exécutés* On ne connoit ici que deux fortes de fup* plice ; celui de la Strappa-Corda , ôc le Gibet. Le premier, quoiqu'il ne foit pas mortel, me paroît plus affreux que la mort. Un homme eft attaché avec les deux mains croifées à une corde, on l'enlève ainfi d'environ quinze ou feize pieds, enfuite on le laifle tomber fubitement, ôc il en eft ordinairement eftropié pour toute fa vie. Lorsqu'on doit pendre un homme, on en parle huit jours d'avance, comme de la plus belle fête du monde. La Rome. La veille de l'exécution, plufieurs Prélats, Princes & autres perfonnes de qualité reçus dans la Confrérie des Confortateurs, ic rendent fur le minuit à la Pri-fon. Lorsqu'ils font près des cachots, ils font grand bruit, & demandent à haute voix au Geôlier, Ou eft un tell en nommant le Criminel qui doit être condamné. Il eft ici, répond cet homme, allez, haut pour être entendu du Criminel. Ouvrez-nous , difent les Confortateurs; // eft mal là, nous voulons le transférer dans un endroit oit il fera mieux. Le Concierge ouvre le cachot, les Confortateurs y entrent, exhortent le Criminel à ies fui-vre^ & le prenant au milieu d'eux & d'une troupe de Sbirres , ils le condui-fent par plusieurs gaîleries & détours vers la porte d'une Chapelle, fermée par une portière de drap noir. Dans le moment que le Criminel elt prêt d'y entrer, le Fifcal le nommant par fon nom, lui dit, Un tel, voilà ta Sentence. 11 lui jette en même tems un billet, od la Sentence eil écrite. Le Criminel la lit, ou un des Confortateurs lui rend cet office. Dans ce moment, les Sbirres fe retirent, & les Confortateurs demeurent feuls avec le Criminel. La portière de la Chapelle s'ouvre, & le Patient apperçoit dans le fond un Autel, fur lequel il y a une Croix au milieu de fix cierges allumés. On le conduit vers l'Autel, où on lui bu Baron de Pollnitz, 287 demande s'il veut fe confefTer. S'il dit RoMEt qu'oui, comme peu d'Italiens meurent volontairement fans Confeffion , on lui donne un Confefièur qui l'exhorte de fon mieux. La plupart des Italiens meurent affez chrétiennement ; mais ils ont de la peine à s'y réfoudre. Il y a quelques années qu'un homme condamné à mort pour le péché qui attira le feu du Ciel fur So-dome, ne vouloit point entendre parler de Confeffion. Le Cardinal Banchieri, pour-lors Prélat, étoit un de fes Confortateurs, & l'exhortoit à demander pardon à Dieu de fes crimes. Comment! lui dit le Criminel, vous voulez, que je meure pour un crime que vous autres Prêtres commettez, tous ? . . . Je ne Jai, répondit le Cardinal, s'il y a des Prêtres affez. malheureux pour commettre un tel crime; mais fi cela eft, ils ne F avouent pas en Juftice. Un autre Criminel ne pouvoit fe réfoudre à mourir, un Con- . fortateur lui dit, qu'il faloit bien que les Rois & les Papes mouruffent. Il eft vrai, reprit le Patient : mais Us ne Jont pas pendus. Après qu'un Criminel s'eft confefTé, il reçoit les Sacremens, & les Confortateurs ne l'abandonnent plus jufqu'au lendemain. A dix heures, qui elt l'heure de l'exécution, on le conduit dans une charette au lieu du fupplice ; deux Prêtres Rome, très 6c deux Confortateurs s'y placent auprès de lui,- il eft conduit de manière qu'il tourne le dos à la Potence. Arrivé au lieu du fupplice, on le defcend devant une Chapelle, où on lui fait faire une prière : enfuire on le fait aller à reculons jufqu'au pied de l'échelle, qu'il monte auffi à reculons. Le Bourreau l'attend en-haut, l'accroche, ôc puis lui marche fur les épaules pour le faire mourir plus tôt. Après qu'il eft expiré, on dit des Meffes dans toutes les Eglifes, même dans la Chapelle du Pape, pour le repos de fon Ame; on fait pour cela une Quête , à laquelle les plus pauvres contribuent. Enfin, après avoir demeuré expofé quatre ou cinq heures, il eft enterré comme un autre homme. Pardonnez-moi, Monfieur, fi je finis li lugubrement ma Lettre : le Courier eft fur ion départ,- j'ai encore beaucoup d'autres Lettres à écrire: ainfi, ne trouvez pas mauvais que je n'ajoute plus rien à celle-ci. Je fuis, Ôcc. A Rome, ce S Septembre 1731» L E 1- LETTRE XXXIV. M o n s i eur3 T/Oici, fuivant les apparences, la der- Rome. * nière Lettre que je vous écrirai de Rome; ainfi je vais vous répondre de mon mieux fur les queftions que vous nie faites dans votre dernière Lettre. Vous fouhaitez, Monfieur, que je vous faffe un portrait fidèle du Saint Père. Penfez-vous bien à ce que vous exigez? Convient il à un Particulier comme moi, qui ne vois le Pape qu'en perfpcéfive, dans toute fa gloire & fa grandeur, de le dépeindre? Non, Monfieur, les Suc-ceiTeurs de S. Pierre ne font point comme les autres Princes : il n'y a que leurs Domeftiques les plus affidés qui puiftènc bien les connoitre; Ôc ceux-ci, foit par zèle ou par politique, les dépeignent toujours, finon comme ils font, du moins comme ils devroient être. Vous me direz, que dans toutes les Cours il en eft de même , 6c que malgré cela on peut juger des Princes par leurs actions. Il eft vrai : mais cela ne nous donne jamais qu'une idée imparfaite des Princes, qui Tome II. T ibu- fouvent font du bien ou du mal fans le vouloir faire. A juger par l'extérieur, Clément XII peut être mis au rang des plus grands Pontifes qu'ait eu l'Eglife. Il a toujours, avant même que d'être Pape, paffé pour homme de bien, & il borne toute fa gloire à mériter ce titre. Il eft fec, & li je l'ofe dire, quelquefois brufque dans fes rcponfes. L'envie qu'il a de rétablir les Finances , que les Miniftres de Benoit XIII ont fort dérangées, le rend cecono-me, peut-être plus qu'il ne convient à fon Caractère. 11 a les intérêts du Saint Siège fort à cœur; mais on l'aceufe d'être plus touché de la perte qu'il fait du Duché de Parme, (qu'on prétend ici être dévolu au S. Siège par la mort du Duc François Farnèje,) qu'il ne l'eft des troubles que caufent Les affaires de la Confti-tution en France. Il eft aflez ami des gens de qualité; mais il leur fait peu de bien. Son épargne s'étend jufques fur fen Neveux : il les a comblés d'honneurs & de titres , mais il leur a donné jufqu'à préfent très peu d'argent. Lorsqu'il étoit Cardinal, fa maifon étoit ouverte pour tout le monde, il vivoit avec magnificence , & on s'étoit attendu qu'il feroit Slutot un Pape prodigue, qu'œconome: étoit honnête & affable, mais peu fer-viable; content de bien recevoir fes A- rnis5 «ris, il croyoit que cela fuffifoit : les af- R0m*. faires l'occupoient peu, il penfoit plus à vivre noblement, qu'il ne penfoit à l'Etat. Aulfi les Romains , qui n'étoient pas autrement fatisfaits de fon élection, difoiertt qu'il étoit parvenu au Pontificat en jouant au Piquet. Depuis qu'il eft Pape, il eft entièrement changé : il veut être informé de tout, & affecte de vouloir être fort propre Miniftre. Malheureufement, la mémoire commence à lui manquer, & il a prefque perdu la vue: joint à cela, que n'aiant jamais été employé dans des affaires de Politique, il a plus de théorie que de pratique. Malgré cela, il auroit été à fouhaiter pour l'Etat Eccléfiaftique, "qu'il eût été élu Pape à la place de Benoit XIII; mais le malheur de ce Pays-ci eft, qu'il eft "ordinairement à des Princes plus occupés de leurs infirmités, que du foin du Gouvernement. Il eft dommage que le Pape (bit fi vieux, car il a les qualités qui forment un grand Prince. Malgré Ion grand âge, il a eu le bonheur de faire dix Cardinaux en quinze mois de Pontificat. Sa dernière Promotion de cinq Cardinaux n'a pas été généralement approuvée. Entre autres Pafquinades afTeT, grofliéres qui ont été débitées à ce fujet, on avoit affiché à plufieurs portes du Palais Pontifical ces paroles: Noftro Signore fa una hlla pre-mtione, fitattro Mat H ed un Mïnchione. Les cinq Cardinaux ont été Mgr. Guadagno Neveu du Pape, ci-devant Carme déchauffé; Mgr. Doria, Maefiro di Caméra, Archevêque de tèene-vent; Mgr. Gentili, Dataire, à qui le Pape avoit tait quitter la Charge de Sécréta-rio délia Congregazione de Vefconji e Regola-ri, dont on ne fort que pour être Cardinal, & lui avoit fait accepter la Charge de Dataire qui n'eft qu'une fimple Commiffion; Mgr. Ferraio, ôc Mgr. Bi* chi, Nonces en Portugal. Le dernier eft célèbre pour les démêlés qu'il a occalionnés entre le Saint Siège ôc la Cour de Lisbonne. Le Roi de Portugal, mécontent de ce que ce Nonce fraudoit les Droits d'entrée en faifant venir des marchandifes pour fon compte, qu'il vendoit enfuite au préjudice des Marchands Portugais, ôc plus irrité encore de ce que ce Prélat s'attribuoit plus d'autorité que n'avoient fait fes Prédécef-feurs, demanda fon rappel à Clément XI, II réitéra fes inftances auprès d'Innocent XIII, qui enfin confentit à fa demande. Alors le Roi, par un changement dont j'ignore la caufe, déclara qu'il ne vouloir point que Bichi partît de fa Cour avant que d'avoir achevé le tems de fa Nonciature. Et comme le Pape avoit nomme Mgr. Ferraio pour relever Bichi, ôc qu'il s'obilinoit que ce dernier retournât à R°" mea le Roi ordonna à fon Ambaflàdeur de demander au Pape la raifon pour la- r0mei quelle il rappelloit Bichi ; 8c lui enjoignit, qu'en cas que le Saint Père déclarât que c'étoit pour punir (on Nonce, il eût à dire que ce Miniftre étoit entièrement innocent de tout ce dont il avoit éré accule en Portugal : mais fi" au contraire le Pape donnoit à entendre qu'il rappelloit Bichi pour lui conférer une Charge dans le Palais Apoftolique, qui lui affurât le Chapeau de Cardinal, lui Ambaffadeur eût à répondre, queSaMaj. Portugaife croyoit que la Dignité de Nonce à fa Cour devoit procurer la Pourpre à tous ceux qui réûdoient en cette qualité auprès d'Elle; qu'ainfi Sa Maj. nefouf-friroit jamais que Mgr, Bichi partît de Lisbonne avant que d'être déclaré Cardinal. Le Pape fe récria contre la nouvelle prétention du Roi, il réitéra fes ordres à Bichi pour revenir à Rome, Se fît partir Mgr. Ferraio pour le Portugal. Mais le Roi défendit à Bichi de fortir du Royaume , & à Ferraio d'y entrer. Bichi menue rcfufa d'obéir au S. Père; celui-ci le menaça de l'eKCommunier ; mais le Prélat , allure de la protection du Roi, ne fit pas grand cas des Cenfures Apoftoli-ques. Le Roi , en effet, continua de lolliciter vivement le Chapeau pour lui; mais Innocent XIII n'en voulut point entendre parler, fous prétexte qu'il ne lui T 3 con>. 294- Lettres convenoit pas d'élever Bichi à la Pourpre, après avoir été, comme Cardinal Protecteur de Portugal, fon aceufateur auprès du Saint Siège. Benoit XIII, naturellement incliné à faire du bien, ôc porté à la paix, étant parvenu au Pontificat, écrivit de fa main au Roi de Portugal, Ôc lui promit le Chapeau pour Bichi. Le Sacré Collège, informé de l'intention du Pape, lui fit de vives remontrances, ôc chaque Cardinal en particulier lui repréfenta combien peu Bichi étoit digne de la Pourpre. Le .Cardinal Corfini, aujourd'hui Pape, fut celui qui fe déclara le plus vivement contre le Prélat : il dit au P ape, que quelque ref-pect, qu'il eût pour Sa Sainteté, il necon-{endroit jamais que Bkhj, cet homme fans honneur ôc fans foi, (c'étoient les é-pithètes dont il l'honoroit) devînt fon Confrère. Enfin tout le Sacré Collège témoigna tant de mécontentement de cette Promotion, que le Pape fut obligé de retirer la parole qu'il avoir donnée au Roi de Portugal. Ce Monarque, irrité d'être le jouet des Prêtres, rappella l'Ambaffadeur Ôc l'Envoyé qu'il avoit à Rome, &c ordonna à fes Sujets d'en fortir, ôc de n'avoir aucune liaifon avec Je Saint Siège. Le Pape à fon tour rappella Ferraio, qui étoit toujours relié en Eipagne fur la frontière du Portugal: il cita Bichi, qui fe ïéiblut enfin à revenir. Sur ces entrefaites, Bcmit XIII mou- r0me. rut; ôc Clément XII lui aiant fuccédé, Bichi qui lui eft Parent revint à Sienne, Lieu de fa naiffance. C'eft là qu'il apprit fa Promotion , qui s'eft faite le 24 Septembre dernier, non fans de grandes conteftations dans le Sacré Collège. Un grand nombre de Cardinaux ont fait ref-fouvenir le Saint Père , qu'il avoit été autrefois le plus empreffé à donner l'exclufion à Bichi. Dans le Confiftoire où" le Pape le propofa, un Cardinal en opinant dit, que ce Prélat pouvoir être reçu dans le Sacré Collège en qualité de Pénitent. Le Pape aiant dit qu'il ne favoit point d'autre moyen de parvenir à un accommodement avec le Roi de Portugal, qu'en faifant Bichi Cardinal, un des Cardinaux lui répondit: „ Je doute que la ,, Promotion de Bichi nous remette bien „ avec le Portugal: mais en tout cas, ce „ ne fera toujours qu'un Chapeau mal „ donné de plus". Les Romains languifTent après cet accommodement avec le Portugal. De tout tems les Ambaffadeurs de cette Couronne ont fait ici une très grande dépenfe, mais particulièrement fous le Roi régnant,, qui y a fait employer de très groffes forâmes en Statues, Tableaux Ôc autres chofes de prix. On compte que l'abfence des Portugais eft une perte de plus d'un T 4 «ail- 2cj6 Lettres million d'Ecus Romains par an pour h Ville de Rome. Les Neveux du Pape font, comme Jeur Oncle, intègres, pleins d'honneur & de probité : mais ils ne rendent fervice à perlbnne,& ne connoiffent point leplai-fir de faire du bien; (oit que leur froideur naturelle les porte à n'être point ferviables, ou que Jeur pouvoir auprès de leur Oncle ne (oit pas bien grand. Le Cardinal, qui naturellement devroit avoir le plus de crédit, eft celui qui en a le moins. Son panchant pour l'œco-nomie * eft exceilif. Avant qu'il fût Cardinal & Miniftre, on en avoit une haute idée: oncroyoit qu'un homme qui avoit beaucoup voyagé, & qui avoit été employé pendant plufieurs années par le Grand-Duc en France & au Congrès de Cambrai, devoit être verfé dans le? Affaires ; aujourd'hui on lui applique ce Vers: Tel brille ait fécond rang, fui s'oçlipfe au. premier. Tout * [ Dans le rems qu'il était au Congrès de Cambrai, il voaloit régler la maifon de chaque Plénipotentiaire j & c'dt tout ce qu'il y failbit. Un jcmt il.s'avifa de donner ies avis œcouonies chez Mylord Witxoorth, mais il trouva Mylady ucu complailan'te; Mr. le M/rrqn's , dit elle, nous tiens (ervons de' Italiens pour régler nos Concerts: mais peut lu t«bUt pewfetttZ' pettf de confuittr fes François, j Tout le monde convient de fa droitu- Romk. te ; mais on ne le regarde point comme un Miniftre. Il eft d'une froideur rebutante: lorfqu'il accorde quelque grâce, il le fait d une fi étrange manière , que ceux qui les reçoivent font fâchés de lui avoir obligation. Je doute qu'après la mort de fon Oncle, il lui refte beaucoup de créatures. Dans le même Confiftoire où le Pape a fait Bichi Cardinal, le Saint Père parla beaucoup fur la Succelîion de Parme. 11 fe plaignit en termes généraux, de l'Em-Pereur, de ce qu'il s'attribuoit fur les E-tats de Parme, des droits qui n'étoient dûs qu'au Saint Siège. Il fit partauSar cré Collège, de tout ce qu'il avoit fait pour maintenir les droits de l'Egliie: il dit que dès qu'il avoit été informé que la DuchelTe de Parme n'étoit point enceinte, il avoit ordonné à fon Nonce à Parme de prendre poffeffion des Etats dévolus au Saint Siège par l'extinction de la Ligne mafcuiine de la Maifon Parnèje : que Ion Nonce avoit exécuté fes ordres j mais que Stampa, Général & Commiffai-re de l'Empereur, avoit fait publier un Edit par lequel il défendoit au nom de l'Empereur à tous les Sujets de Parme, de reconnoitre d'autre Souverain que celui à qui Sa Majefté Impériale donneroit rinveftiture du Duché. Le Pape dit qu'il avoit appris avec douleur cet attentat de T 5 Stam- Komt,. Stampa; mais qu'il efpérbit de la juftice 8c de la piéré de l'Empereur, qu'il n'ap-prouveroit point la conduite de fon Général , ôc qu'il ne commettroit rien contre les droits inconteftables du Saint Siège fur les Etats de la Maifon Farnèfe. Les Cardinaux répondirent fort modefte-ment au Pape: ils le remercièrent des foins qu'il s'étoit donnés pour maintenir les droits de l'Eglife, ÔC le prièrent de continuer ces mêmes foins. Les Cardinaux Cienfuegos ôc Bent'rvoglio n'afïiftèrent point à ce Confiftoire, étant informés de toutes les plaintes que le Pape y devoit faire. Ces gens-ci font extrêmement irrités contre l'Empereur. „ Quoi ! difent-„ ils, n'avoir pas plus de refpeét pour le „ Pape ôc le Saint Siège, ' envahir les „ biens de l'Eglife , en difpofer à fon „ gré, font-ce là les actions d'un Empc-„ reur Protecteur de la Foi Catholique?" A les entendre, on croiroit que l'Empereur leur ôté réellement leur bien. Je iuis perfuadé, que pourvu qu'il leur donnât le Duché de Parme , ils confenti-roient qu'il fe fît Janfénifte. Vous fouhaitez, Monfieur, d'être informé de la réception qu'on fait ici aux Ambaffadeurs. Il y a longtems que j'au-rois prévenu vos defirs, fi j'avois vu aller à l'Audience du Pape tout autre Ambaffadeur que celui de Malte, dont la réception eft inférieure ici à celle qu'on y fait aux Ambaffadeurs des Couronnes. Ce romi* fut le fécond Dimanche de Carême après dîner, que l'Ambaffadeur de Malte, qui réfidoit ici depuis fix ans en qualité d'Am-baffadeur de l'Ordre, fit fon Entrée comme Ambaffadeur Extraordinaire d'Obédience. Ce Miniftre s'étant rendu fans fuite à la Vigne du Pape Jules hors de la Porte du Peuple, il y fut complimenté de la parc du Pape par le Majordome Se le plus ancien Prélat, ôc de la part des Cardinaux ôc de la principale Nobleffc par leurs Gentilshommes. La marche fe fit enfuite avec plus d'ordre qu'on n*er* obferve ordinairement ici dans les fonctions publiques. D'abord paroiffoient les caroffes à fix chevaux des Cardinaux, Princes, & autres perfonnes de diftinc-tion , marchant fans faire attention atr rang de leurs Maitres. Puis verroient deux Palefreniers à cheval, de l'AmbafTa-deur; ils étoient fuivis de quatre Caif-fons ôc de deux Chariots de campagne, couverts de tapis brodés aux Armes de Son Excellence. L'Ecuyer de l'Ambaf-fadeur , fuivi de fix Chevaux de main, de deux Trompettes, des Valets de pied, Valets de chambre, Pages Se Gentilshommes de PAmbaffadeur, touî à cheval. Ils éroient fuivis des premiers Valets de pied des Cardinaux, montés fur des Mules, ôc portant le Chapeau rouge de leur Maiore pendu fur les épat*ksv & précédoient les Gentilshommes des Cardinaux j qui étoient fuivis d'un Détachement des Chevaux-légers. Suivoient les Camerieri d'honoré, montés fur des Mules. Les Chevaliers de Malte à cheval précédoient l'Ambaffadeur;, qui étoit entre le Majordome Ôc Mgr. Colonne le plus ancien Prélat. Son Excellence étoit précédée de douze Coureurs de la livrée, & marchoit au milieu de deux files de Cent-Suiffes de la Garde du Pape. Trois caroffes à fix chevaux,de l'Ambaffadeur, fermoienc la marche. Tout ce Cortège paffa par les principales rues de Rome, 8c accompagna l'Ambaffadeur à fon Hôtel, où Son Excellence fit fervir des ra-fraichilfemens à tout le monde. Le jour de l'Audience, l'Ambaffadeur fe rendit dans fes équipages au Palais de Monte-Cavallo, accompagné des caroffes des Cardinaux & de la Nobleffe. Il ftft reçu au haut de i'Elcalier par le Majordome, qui le conduifit dans l'Apartemenc qu'on nomme Y'Apartement des f rince s. L'Ambaffadeur y attendit quelque tems ; cîïftn deux Maitres des Cérémonies vinrent l'avertir que Sa Sainteté étoit prête à l'admettre à l'Audience dans le Confiftoire, où elle étoit. L'Ambaffadeur s'y rendit, conduit par les Maitres des Cérémonies. Mgr. Aquaviva Majordome le reçut à l'entrée de la Salle du Confiftoire, Ôc le conduifit à l'entrée du Patv quet en face du Pape. L'AmbafTadeur r0me. s'y mic à genoux, & fit une profonde inclination au S. Père, qui lui donna fa bénédiction. Il fe remit encore à genoux au milieu du Parquet, & pour la troifième fois aux pieds du Pape, à qui il fit fon difcours à genoux. Il remit auffi dans cet état la Lettre du Grand-Maitre au Saint Père, qui la donna à un Prélat, lui ordonnant d'en faire la lecture. L'Ambaffadeur fe leva, ôc aiant traverfé le Parquet en faluant à droite Ôc à gauche les Cardinaux, il fut fe mettre à genoux à l'entrée du même Parquet, en face du Saint Père. Il entendit ainli faire la lecture de la Lettre du Grand-Maitre, ôc enfuite un afïèz long Difcours Latin que fit à genoux un Abbé Chevalier de Malte, au nom de l'Ordre. Le Prélat qui avoit fait la lecture de la Lettre, répondit en Latin à ce Difcours. L'Ambaiïàdeuf, qui étoit toujours demeuré à genoux, fe leva après que le Prélat eut fini de parler: il retourna fe mettre à genoux aux pieds du Pape qu'il baifa, ôc préfenta enfuite à Sa Sainteté les Chevaliers de Malte qui l'avoient accompagné à l'Audience, Ôc qui baifèrenc tous les pieds au Saint Père. Le Pape s'étant levé, fe retira dans fon Apartement. L'AmbalTadeur attendit dans la Salle du Confiftoire, jufqu'à ce que tous fes Cardinaux en fuirent iortu. 11 retourna 301- Lettres «a enfuite à fon Hôtel, où il donna un grand repas aux Chevaliers de fon Ordre. Le lendemain, & les jours fuivans, il fit fes vifites de cérémonie aux Cardinaux. Leurs Eminences ne donnent point la main aux AmbafTadeurs : mais à cela près, ils les reçoivent affez comme leurs égaux. On m'a afiuré que les Ambaffadeurs Extraordinaires des Rois font logés trois jours au Palais Pontifical, pendant lef-quels ils ont l'honneur de dîner une fois avec le Saint Père. Si je fuis encore ici à l'arrivée de Mr. le Duc de S. Aîgnan Ambaffadeur de France , qu'on attend tous les jours, je vous marquerai la réception qui lui fera faite; car quoique ces Cérémonies fe trouvent ici imprimées, je veux voir par mes yeux, avant que de vous rien alïurer. De toutes les fonctions publiques qui fe font ici, il n'y en a point de plusau-gufte ôc de plus iâinte que la Proceffion du Saint Sacrement, lorfque le Pape le porte. Le jour de la Fête-Dieu, le Saint Père étoit aflis dans une chaife à bras lâns doilier : il avoit un Prié-Dieu devant lui, fur lequel il repofoit le Soleil qui renfermait le Saint Sacrement. Sa Chape, qui étoit fort longue ôc fort ample, couvroit le Prié-Dieu ôc la chaife, de manière que le Pape paroiflbit être à genoux. U avoit la tête découverte, Ôc e- toit toit porté ainfi par huit hommes. Je n'ai ro.«e< rien vu de plus exemplaire en ma vie, que la contenance du Pape pendant cette Cérémonie: on voyoit la contrition & la dévotion peintes fur fon vifage. La Proceffion partit de l'Eglife de S. Pierre. Toutes les Confréries, les Ordres Religieux, la NobleiTe Romaine, les Con-fervateurs Romains, le Gouverneur de Rome, le Chapitre de S. Pierre, tous les Prélats ôc Evêques, y comparurent- On portoit devant le Saint Père trois Tiares Ôc autant de Mitres, enrichies de perles Ôc de diamans. Le Pape étoit entouré des Cent-Suiffes de fa Garde, tous cui-* raffés, ôc des Officiers de fa Chambre. Les Chevaux-légers ôc les Cuirafïïers à cheval fermoient la Proceffion. La Colonnade de S. Pierre Ôc les rues étoient tendues de tapifleries , ôc couvertes de toiles pour empêcher l'ardeur du Soleil. Le Pape paffant devant la maifon où é-toit la famille des Stuarts, donna la bénédiction du Saint Sacrement à ces Princes. Les Nièces du Saint Père étoient dans une maifon voifine; mais elles ne reçurent pas le même honneur, qui eft. réfervé aux fculs Souverains. Vous me paroiffez, Monfieur, beaucoup trop prévenu contre le Saint Office ou î'Inquiûtion, pour que je ne tâche pas de vous defàbufer de la prévention où j'ofe dire que vous êtes. Ce Tribunal 5fô+ Lettres- Rome, nal ne doit pas être plus redoutable aux honnêtes-gens , que toutes les autres Cours de Juftice. On en fait mille contes dans nos Pays, ôc fur-tout parmi les Proteftans, qui font abfolument faux. Vivez en homme de bien ; parlez de Dieu ôc des Saints avec le refpecT: que vous leur devez, ou du moins ne cherchez point à les infulter; ne donnez point de fcandale public ; ôc vous n'avez rien à craindre du Saint Office. De bonne-foi, dans tous les Pays Chrétiens, un homme qui dira ou fera publiquement des impiétés, ne fera-t-il pas repris par les Contiftoires & par la Juftice? Je vous avoue que je ne conçois pas en quoi coniifte cette barbarie 6c cette inhumanité , qu'on attribue dans les Pays Proteftans au Saint Office : il me paroît au contraire que c'eft le Tribunal le plus doux qu'il y ait au monde. Que j'aye commis, dit, ou penfé les chofes les plus injurieufes à Dieu ôc à la Religion, que j'aille m'en accufer au Saint Office, ôc que je lui témoigne du repentir de mes fautes ôc de mes erreurs; le Père Com-miffaire me repréfentera l'horreur de mes péchés, il m'exhortera pour le falut de mon ame, à changer de mœurs ôc de fentimens, ôc enfin il m'abfoudra. Quel eft donc le Tribunal Proteftant, qui fe contente d'une confefïion volontaire ? Au-heu d'abfoudre le Pénitent, ne le con- condamnent-ils point à la prifon & au Rcîm*. fupplice ? Depuis feize mois que je fuis dans Rome , je n'ai point ouï dire que quelqu'un aie été arrêté par le Saint Office: j'ai vu au contraire des actes de clémence de ce Tribunal tant décrié, que n'auroit peut-être point fait le Conliftoire de Genève. Un certain T allas, natif de Toulon , Capitaine de haut-bord en France, vint ici dans les commencemens que j'y fus arrivé. Il avoit avec lui une jeune perfonne, qu'il difoit avoir enlevée. Il demanda au Vicaire la permiilion de l'époufer, & elle lui fut accordée. Quelques mois après, arrive une Femme, qui fe trouve être l'Epoufe de Pallas , & Mère de la jeune Fille qu'il venoit d'époufer, & qui étoit prête d'accoucher. Pallas voyant fon crime prêt à être découvert, va fe déclarer au Saint Office, qui lui donne fureté pour fa perfonne & l'abfout peu de jours après, lui enjoignant de reprendre fa première Femme. Pallas mourut peu de jours enfuite, & fes deux Femmes font allé plaider pour leur Douaire» Je doute que cet Officier eût été abfous devant un Parlement de France. La Congrégation du Saint Office fut établie par le Pape Paul III, à la fblii-Citation du Cardinal Jean-Pierre Caraffi;. qui depuis étant devenu Pape fous le nom de Paul IV, augmenta notablement Tome II, V l'au- 306 Lettre s ■ Rome, l'autorité de ce Tribunal. Le fâînt Pontife Pie V la réduifit à l'état où elle eft aujourd'hui. Cette Congrégation eftcom-pofée de douze Cardinaux,de nombre de Prélats, ce de quantité de Théologiens de diftérens Ordres, qu'on nomme les Confultori & Qualificatori dei Santo Offîcio. Parmi ceux-ci font compris un Conventuel , le Générai des Dominicains , le Maitre du Sacré Palais, le Commiffaire du Saint Office, le Fifcal, & l'Afïeffeur; ce dernier doit toujours être un Prélat Séculier. Ce Tribunal prend connoiffan-ce des Caufes d'Héréfie, ôc des nouvelles Opinions qui répugnent à l'intégrité de la Foi Catholique : comme auffi des matières d'Apoftafie, Sortilèges, abus des Sacremens, ôc autres Maléfices. Ilcon-noit pareillement des Livres défendus. H tient fes féances deux fois la femaine, favoir, le Mécredi dans le Couvent de la Minerve, ôc le Jeudi en préfence du Pape, qui en eft le Chef. Le plus ancien Cardinal porte le Titre de Secrétaire du Saint Office, ôc en eft le Garde des Sceaux. Les feuls Cardinaux y ont voix délibérative, Ôc ils n'admettent que les avis qui leur paroifient convenables. Le Palais du Saint Office eft joignait l'Eglife de S. Pierre: c'eft là où demeurent l'Affeffeur, le Père Commiffaire, le Fifcal, le Notaire ôc autres Officiers. C'eft là auffi que font détenus les P»- du Baron de Poll nïti. 307 formiers , ôc qu'ils font jugés fuivanc romb; l'exigence du cas. Les Officiers du Saint Office ne reconnoiffent en première in-ftance d'autres Juges que rAffeffeur du Tribunal dont ils font membres, ôc ils appellent en fentence définitive à Mrs. les Cardinaux membres de la Congrégation. Je finirai ma longue Lettre, par une remarque que j'ai faite fur les Romains, ôc les Italiens en général: je veux dire, fur la haine réciproque des Habitans des divers Etats d'Italie. Les Romains haïf-fent les Florentins, je ,croi vous l'avoir dit plus d'une fois: mais ils n'en demeurent pas là, ôc ils haïfTent auffi cordialement les Napolitains ôc les Génois. Ils di-fent communément, qu'il faut fept Juifs pour faire un Génois, ÔC fept Gémis pour faire un Florentin. C'eft une chofe étonnante , que cette haine qui anime les Peuples d'Italie les uns contre les autres* Je ne faurois concevoir comment ila n'ouvrent pas les yeux fur le préjudice qu'elle leur porte : car enfin, elle n'eft pas fimplement d'une Province à l'autre, elle répand fon poifon fur ies Villes fou* mifes au même Souverain. Ces gens - ci ne fauroient fe mettre en tête qu'ils forment une même Nation, Ôc que leur u-nion feroit leur richefTe ôc leur puifiànce. Jaloux les uns des autres , ils ne cherchent qu'àfe détruire, ÔC fe privent V a ainfi 308 Lettrëï ainfi du foutien le plus folide de leur Libevté. Il me paroît que nous fommes beaucoup plus raisonnables ; car quoique notre Allemagne foit diviièe en bien plus d'Etats que ne l'eft l'Italie,nous formons du moins un Corps contre les Etrangers qui en veulent à nos Biens & à notre Liberté. Les petits Princes fuivent la volonté de l'Empereur, ôc l'intérêt unanime de l'Empire eft le leur. Nos Princes fevoyent, fe vinrent, & maintiennent une forte de liaifon commune. Les Princes Italiens, au contraire, ne Ce voyent jamais ; ôc lorfque par un cas fortuit un Souverain de quatre ou cinq lieues de Pays vient à avoir une entrevue a-vec un autre, il faut autant de négociations qu'il en a falu pour ajufter l'entrevue de Philippe IV Ôc de Louis XIV. .N'eft - il pas ridicule que de fi petits E-tats en agifTent avec autant de fineiTe Ôc de politique les uns envers les autres , que les Royaumes les plus puiflàns ? C'eft cette défiance & cette haine mutuelle des Etats ôc des Villes d'Italie, qui les a rendus depuis longtems le jouet des Etrangers. Si cependant ces gens vouloient s'entendre, ils les chafferoient bien-tôt. La Nature leur a donné des foflés ôc des murailles; il ne tiendroit qu'à eux de les défendre: mais c'eft apparemment ccqu* h Providence, qui règle le fort des E- Roi»; tats, ne veut point. Adieu, Monfieur. Je ne fai pas trop quand je pourrai vous écrire , encore moins quand j'aurai le plailir de vous em-braffer. Il ne fe pafTe point de jour que je ne le fafle en idée. Rendez-moi la pareille, ôç foyez alTuré que perfonne au monde n'eft plus particulièrement que moi, &c. A Rome, ce 10 O&obre 17JI* ********************* LETTRE XXXV. Monsieur, LA route de Rome à Lorette a été Lotiet-tant décrite, que je croi devoir la te. pajïcr fous fjlencc. Je ne vous en dirai pas davantage de la Santa Cafa : vous fa-vez comme quoi les Anges l'ont portée au lieu 01} elle eft aujourd'hui. Si vous Voulez favoir en quoi confifte le Tréfor de cette Maifon , lifez les Voyages de Mijfon i il a amplement détaillé toutes choies. Depuis ce tems-là, ce Tréfor ne s'eft pas autrement augmenté; les Princes n'y envoyent prcfque plus d'offrandes. La Reine de France vient d'y faire V } une une fondation à perpétuité, de quatre Meffes par jour, en action de grâces de la naiilance du Dauphin. De Lorette à Bologne , le chemin eft bon, & le Pays beau & fertile. Je me fuis encore arrêté trois jours dans cette Ville, pour y voir Mr. le Cardinal Grimant, qui y eft Légat du Saint Siège. C'eft un Prélat d'une haute vertu, dont les mœurs font faintes, & les manières fîmples & polies. Il a été Internonce à Bruxelles, Nonce à Cologne, puis en Pologne; & il réiidoit à Vienne en cette qualité lorfqu'il fut élevé à la Pourpre. Je l'ai connu dans toutes ces différentes Nonciatures, je l'ai vu à Rome lorfqu'il y eft venu recevoir le Chapeau, & je viens de le voir à Bologne: je l'ai trouvé, Cardinal & Légat, tel qu'il étoit n'étant qu'Jnternonce *. Les honneurs ne changent que les Ames ordinaires. Quelque répugnance que j'aye eu de repaifèr une féconde fois Y Apennin, il a falu pourtant m'y réfoudre, ou renoncer à me trouver à Livoume à l'arrivée des Flottes Efpagnole & Angloife. J'ai été à ' * [Le Cardinal Grimant avoit fuccide dans lal-e" faticm de Ho'.t'r.e au Cardinal '8tnt;voglto, aufli •'ut qu'il avoit été créé Cardinal par le Pape régnant; Il eft mort dans cette Légation, & S. S. a conteitf fa place au Cardinal G/o. 'Bit. Spinal*, qu'il «"f" d'élever à la Pourpre. ] à Florence, ôc j'ai eu l'honneur, de faluer le Grand-Duc, & Madame l'Elec-trice Palatine Douairière. J'avois fait autrefois ma cour à cette Princeffe, à liujfeldorffôc ici; elle a bien voulu s'en rappeller la mémoire, ôc m'a comble d'honneurs & de grâces. Son AltcffeSé-rénilfime Electorale vit dans une grande retraite, ôc elt prefque continuellement en oraiibn. Elle a fes Dames du Palais; mais au refte elle eft fervie par les Officiers du Grand-Duc. Elle fe fert aufïi des Equipages de ce Prince. Je ne comptois point de pouvoir rendre mes refpeéts au Grand-Duc , parce qu'on m'avoit dit qu'il étoit très difficile d'en avoir Audience. Cependant je fuis parvenu à cet honneur, dans le tems que j'y penfois le moins. Au fortir de chez Madame l'Electrice, je rencontrai un Valet de chambre du Grand-Duc, qui me dit que S. A. R. me deman-doit. Ce meffage me furprit; je croyois qu'il fe méprenoit : mais il me dit que c'étoit bien à moi qu'il avoit ordre de parler. 11 falut obéir. Le Valet de chambre m'introduifit à l'Audience. Je trouvai le Grand-Duc au lit, aiant plufieurs Chiens à l'entour de lui. Il étoit affis, en chemife, fans manchettes ni camifo-le, avec une longue cravate de groffe moufîeline. Son bonnet étoit fort barbouillé de tabac, ôc véritablement tous V 4 fes fes atours n étoient ni propres ni magnifiques, A côté du lit étoit une table en forme de buffet , fur laquelle il y avoit des féaux d'argent remplis de bouteilles de liqueurs , ôc des verres. S. A. R. me reçut avec de grandes marques de bonté. Elle me fit des reproches de ce que je n'avois pas encore demandé à la voir, & me dit le plus graciculemenc du monde, qu'il étoit fort mal à moi de témoigner tant de froideur pour mes anciens Amis. Ce Prince te fouvint d'a-voit connu mon Père, Ôc fe rappella que lorsqu'il avoit été à Berlin , mes Parens lui avoient rendu tous les rcfpecfs qu'ils lui dévoient. Il me demanda des nouvelles de la Cour de Pruffc , ôc voulut favoir tous les changemens qui s'y étoient faits depuis qu'il n'y avoit été. Il me parla de la Cour de Rome, ôc particulièrement du Pape. Il me dit en riant, que de fon Sujet qu'avoit été le Saint Père, il étoit devenu fon égal , enfuite fon Maitre & celui de tous les Princes Catholiques. La converfation devint en-fuite plus gaie; elle roula fur les plaifirs, la bonne-chère ôc le vin. Le Grand-Duc me dit qu'il étoit de trop bonne heure pour boire du vin, (il étoit deux heures après midi); mais qu'il vouloit me faire goûter une liqueur excellente. Il eut la bonté de m'en verfer d'une bouteille qui étoit à côté de Ion iit. J'eus beau beau protefter que je ne buvois jamais Flouem-de liqueurs, il falut boire ce verre, a- CE» près celui-là un autre, & enfin un troi-iième. Le Grand-Duc ne fe prévaloir point de fon rang, il me traitoit d'égal & buvoit autant que moi. J'étois fur le point d'embrafier fes genoux ôc de lui demander quartier, lorfqnheureulèmenc pour moi, le Sieur Joannino, fon Valet de chambre favori, vint lui dire quelque chofe à l'oreille. Le Grand-Duc prit un air lërieux, & peu de tems après me congédia, en m'ordonnant de ne point partir de Florence fans recevoir ies com-mandemens. Divertijfez-vous le plus que vous pourrez, me dit ce Prince; mais ne partez point fans me tire adieu. Deux heures après que je fus arrivé à mon Auberge , S. A. R. m'envoya un prélènt , coniiflant en Volailles , Sauciffons de Bologne, Fromages, Confitures, 6c autres bonnes chofes, comme plufieurs douzaines de bouteilles de très excellent Vin. il y en avoit aflurément allez pour me nourrir trois mois. Je demeurai quatre jours à attendre les ordres du Grand-Duc ; mais voyant que je n'en recevois point, je lui fis demander par Joannino fon Favori, s'il n'a voit rien à me commander. Il me fit dire qu'il me prioit d'attendre encore deux jours, Ôc qu'eufuite il me verroit. J'appris qu'il étoit arrivé un Courier de Li-V 5 vour^ vourne , qui avoit apporté la nouvelle qu'on y avoit vu la Flotte d'Efpagnc en mer. Je crus que le Grand-Duc feroic fort occupé avec fes Miniftres; mais je fus bien-tôt informé qu'il s'en remettoit entièrement à ce que feroient le Commandeur D'E/bène Se le Marquis Jtinuc-cini} fes Miniftres, qui règloient tout à leur gré, avec le Père Afcanio Miniftre d'Efpagne. Le Grand-Duc étoit tranquille dans fon lit : ce n'eft pas qu'il fût malade, mais il s'y plaifoit. Il y a vingt-deux mois qu'il n'eft point forti de fon Palais, & plus de fept qu'il ne s'eft point habille. Il fait jour chez lui à midi. Il fait venir devant fon lit, ceux à qui il veut parler. Les Florentins ne parviennent pas aifement à cet honneur. 11 paroît que notre Nation eft celle qu'il eftime le plus; il parle bien notre Langue, 6c fe pique même d'en favoir les divers Dialectes. Il paffe peu de Pèlerins allant à Rome, ou en revenant, qu'il ne faffe venir chez lui : il s'entretient des heures entières avec eux, leur fait boire des liqueurs, & les renvoie en leur donnant un écu. II dîne à cinq heures du foir, oc foupe à deux heures après minuit. H mange toujours feul, fouvent dans fon lit, pc refte des deux 6c trois heures à table , pendant lefquelles il s'entretient avec Joannino ôc quelques Jeunes -gens »u Baron ©e Pôllnitz. 315 qu'on appelle Hufpanti , parce qu'érant Floren-penfionnaires du Grand - Duc , ils font CE-payés en Rujpes qui font autant que des Sequins. Il y en a qui ont deux , trois ôc même cinq Rufpes par femaine : Joannino"les paye les Mécredis ôc les Samedis. Leur fonction n'eft autre que de paraître au dîner ou au fouper du Grand-Duc, toutes les fois que ce Prince les fait demander. On dit qu'ils font plus de trois cens, Ôc qu'ils coûtent quatre-vingt-mille écus par an à Son Altefle Royale. Leur Corps eft compofé de toutes les Nations, niais il y a plus d'Allemands que d'autres. Us n'ont ni Livrée, ni Uniforme; on ne les connoit que parce qu'ils font toujours fort frilës Ôc poudrés. Les deux jours que le Grand-Duc m'a-voit fait ordonner d'attendre , étant expirés, je lui fis encore demander la per-miftion de partir. Il me fit venir, ôc me reçut tout auffi gracieufement que la première fois. Il me retint près de trois heures, pendant lefquelles il me fit l'honneur de me parler de mille chofes différentes. Il me congédia enfuite, en me difant : Adieu, allez à Livourne votr débarquer mes nouveaux Hôtes. Avant que de quitter Florence, je croi devoir vous nommer les perfonnes de marque que j'ai connues dans cette Cour. .Le Commandeur D'Elbène eft Grand-Maitre de la Maifon du Grand-Duc, ôc Chet 3it> Lettres FtouEN- Chef de fon Confeil. C'eft un homme CE* refpectable par fon âge ôc par fon mérite. Mr. le Marquis Rinuccini eft le fécond Miniftre; mais il eft proprement l'ame du Confeil. Il y a longtems qu'il eft employé dans les affaires. En 171 r il étoit Envoyé du Grand - Duc à La Haie, ÔC il accompagna dans ce tems-là le feu E-leéteur Palatin à l'élection d'un Empereur à Francfort. Il fut depuis Envoyé du Grand-Duc au Congrès d'Utrecht, ôc de là il pafia en Angleterre. Au retour de fes Ambafiades , le feu Grand-Duc l'admit dans fon Confeil, ôc lui donna le département des Affaires étrangères,qu'il dirige encore. C'eft lui qui a difpofé le Grand-Duc ôc l'Eledtrice à fe foumettre au* conjonctures du tems, ôc à recon-noitre l'Infant d'Efpagne Don Carlos pour Succeffèur. C'eft lui enfin qui règle toutes chofes pour l'arrivée de ce Prince, qu'on attend ici avec beaucoup d'impatience. Quoique la Nobleffe de Florence foit généralement très polie envers les Etrangers , il eft certain néanmoins que le Marquis Richardi eft qn des Cavaliers qui leur fait le plus d'honneur. Comme il eft un des plus riches Gentilshommes de la Tofeane, il eft auffi un de ceux qui font le plus de dépenfe. 11 a trois Fils. L'un eft Prélat. L'ainé nommé Don Vincent,», qui du Baron de Pôllnitï: 317 qui fera «n jour le Chef de la Maifon, a Flore»-beaucoup voyagé, & a certainement beau- CE* coup d'acquis & de mérite. Il y a ici grand nombre de belles Dames, qui fe mettent très mal ,& qui ont beaucoup moins de liberté qu'à Rome. Une nommée Madame Suarès brille beaucoup : fa maifon eft ouverte pour tout le monde, elle fait grand accueil aux Etrangers, particulièrement aux An-glois. Sa maifon feroit fort bonne, fi on y jouoit moins. Avant que de quitter Florence , il me paroît qu'il n'eft pas hors de propos de vous dire quelques particularités de la Maifon de Medicis , qui eft prête à finir en la perfonne du Grand-Duc Jean-Gafion. Cette Mailbn a donné fept Souverains à la Tofcane, Cofme , premier de ce nom, fut auffi le premier Grand-Duc; il obtint ce Titre environ l'an 1568, de l'Empereur Maximilien II. à qui il avoit demandé le Titre de Roi a* Etrurie ;mn$ ce Prince lui répondit, quil ne connoif-ioit qu'un Roi en Italie , qui étoit lui-même. Cependant, pour làtisfaire la vanité de Cofme , Maximilien inventa le Titre de Grand-Duc, celui d'Archiduc é-tant déjà l'appanage de la Mailon d Autriche. Voici les noms 2c ies alliances «les fept Grands-Ducs. Floren- Cofme I. eut pour Femme Eléonore de CE- Tolède. Ferdinand I. époufa Jeannf d'Autriche. François I. Marie - Madeleine d'Autriche. Cofme II. Claude de Lorraine. Ferdinand II. Marie de la Rovère Du-chefïè d'Urbin. Cofme III. Marguerite-Louife d'Orléans. Jean-Gafton, Anne-Marie-Françoife de Saxe- Latuenbourg. La Maifon de Meâicis m'a rappelle l'idée de la Maifon des Kettlers Ducs de Courlande, ôc me fait concevoir un parallèle à faire entre ces deux Maifons. Les Medicis, avant que d'être Souverains de Tofcane, étoient Gonfalonniers de Florence: Les Kettlers étoient Gentilshommes ôc Grands - Maitres de l'Ordre Teutonique en Courlande. L'Empereur Maximilien 11. fit Medicis Grand-Duc : Sigismond- Augufe Roi de Pologne fit Kettler Duc. Les deux Maifons ont donné fept Souverains à l'Europe. Elles fe font alliées également aux plus grandes Maifons. Le dernier des Medicis, ôc le dernier des Kettlers, ont pour Femmes des PrinceiTes de la Maifon de Saxe. Tous deux voyent de leur vivant, des Puiffances étrangères difpofer deleurSuc-ceffion *. Les deux Maifons ont pref- que « [ Il te rencontre pourtant une différence cn"£ que commencé à fleurir en même tems Flore**-» dans les deux extrémités de l'Europe; ôc ce. fuivanc les apparences , elles finiront de même. Je n'ai pu relier que fix jours, ce voyage-ci, à Florence, parce que j'ai voulu voir arriver les Efpagnols à Livour- Livour-ne. Je n'ai point eu de tems à perdre: WE-ils font entrés dans la Rade la veille que je fuis arrivé, ôc ils ont débarqué deux ou trois jours après. La Flotte coniïf-toit en deux Efcadres, dont l'une de treize Vaiffeaux étoit Angloife : elle étoit commandée par l'Amiral Wager. Les deux Efcadres étoient parties en même tems ; mais elles avoient été difperfées par une tempête dans le Golfe de 'Lyon. Les Anglois font tous arrivés en même tems ; mais les Efpagnols ne font arrivés que les uns après les autres, ôc ils ont perdu quelques Vaiffeauxde tranfport. Enfin les Troupes ont été débarquées le 2 de No- vem- ces deux Maifons. Celle de Kjttkr n'a plus effectivement que le Duc Ferdinand ; mais celle de Medicis a encore des Princes , qui ont un droit incontefta-blc à Ja Succelïîon : car il eft prouvé que 'Bernard di Mtdlcis, Frère ainé du Pnpc Léon XI, defcend de Juvauo de Medicis ,• Frète de Silveftre- Clarijfimc, Chef de la Branche régnante; ce Hcmard de Medieit étoit fils à'Gttjviano, dernier Gonfalonier de Florence en 15-38. "Bernard acheta la Baronic à'Ottajmo près du MantVefuve dans le Royaume de Naples, où il transporta cette Branche des Medicis, & il cft Trifaieul A'Qttavîano de Medicis, préfèntement Prince fOttajano & Duc de Sarno, qui a éuouI(r nMrt fille de Cfar/« Puncc d\rffj«aww, Flotien- vembre, jour des Morts, par une pluie C£* horrible; ce qui a donné lieu aux Super-ftirieux d'en urer de mauvaifes conjeâu* res. Mr. le Marquis de Çharni *, qui commande les Troupes Espagnoles, étoit venu la veille à terre ajufter toutes chofes avec le Marquis Rinuccini, que le Grand-Duc avoit envoyé pour cet effet à Livourne. Le Général Efpagnol a été obligé de prêter ferment de fidélité au Grand-Duc , ce qu'il a fait entre les mains du Marquis Rinuccini : moyennant cela, les Troupes Efpagnoles entrèrent dans la Ville , elles furent mêlées avec celles du Grand-Duc, ôc elles montèrent la garde le même jour de leur débarquement. On eft convenu qu'il y aura toujours deux tiers d'Efpagnols, z* vec un tiers de Soldats du Grand-Duc. L'Armée d'Efpagne n'eft que de fix-mille hommes, mais il y a des armes & des équipages pour plus de vingt-mille. C'eft rélite de leurs Troupes. 11 y a un Régiment Wallon. J'ai été voir les deux Vaiffeaux Amiraux. L'Anglois étoit à trois ponts, ôc avoit quatre-vingt-fix pièces de canon. L'Efpagnol, monté par l'Amiral Mari, étoit * [ Le Comte de Charni ligne N. d'Orléans C. 4* Charw. Il eft bârard de la Maifon «r/ww, fflgV on ne fait de qui. Il s'eft avancé à la Cour d'JM-pagne II eft à prélcnt Commandant de N»i>«*« Sx. Licutenam-Génçial du Royaume.] étoit de quatre-vingt-dix pièces; il ëtôît Livotj à trois ponts j & beaucoup plus grand NE. que le Vaiffeau Anglois. Il avoit été préparé pour le tranfport de l'Infant Don Carlos, ôc on n'avoit rien épargné pour le rendre magnifique. La chambre de l'Amiral étoit tendue d'un glacé bleu-célefte & argent; les tables, les chaifes & les bordures des miroirs étoient de. Laque des Indes, rouge ôc or. Malgré cette magnificence, le Vaiffeau Anglois l'emportoit pour la propreté; on y étoit beaucoup plus civilemeht reçn que chez l'Efpagnol. Les Officiers de Marine Anglois font prefque tous gens de condition: ils s'effbrçoient à faire polirefle à ceux qui venoient à leur bord , ôc parîoient-avec beaucoup de modeftie de leurs Vaiffeaux Ôc de leur manœuvre; âu-lîeu que les Efpagnols fe vantoient beaucoup. Ceux-ci prétendoient que leurs Vaiffeaux qui n'avoient que deux ponts, étoient bien plus aifés à manœuvrer que ceux des Anglois qui étoient tous à trois ponts ï Us foutenoient, que comme leurs Navires étoient plus larges ôc plus longs, ôc leurs ponts plus élevés, ils éroient beaucoup plus à craindre que les Anglois, ÔC qu'ils étoient moins incommodés par la fumée dans un Combat. Un Officier Anglois au contraire m'a dit ert me parlant des prétentions des Efpagnols, qu'un Vaiffeau à trois ponts étoit à préférer à tome 11 X urft y%z Le t • t s. $ S tivoua- un Bâtiment qui n'en avoit que deuif^ »b. parce que quand la Mer eft haute & qu'il faut fermer le pont d'en-bas,il refte toujours deux batteries ; ay-lieu qu'un Vaiffeau à deux ponts fe trouvant dans le même cas,n'en conferve plus qu'une. D'ailleurs, un Vaiflèau à trois ponts, difbit cet Officier, étant plus élevé que le Vaiffeau à deux ponts, a un grand avantage fur l'autre lorfqu'il vient à l'abordage. Comme je n'entens rien à la Marine , je ne fai ii mon Anglois a eu rai'bn. Mais quoi qu'il en fqit, je fuis de l'opinion prefque généralement reçue; c'eft que lorfque Dieu laifïera agir les Caufes iecondes, il y aura toujours plutôt à parier pour les Anglois, que pour les Efpagnols. Le jour de S. Chaules, qui étoit la Fête de l'Infant Don Carlos , le Marquis Mari nous a donné Hne grande Fête : je dis nous, parce que j'en étois, avec tout JLivourne, Florence, Sienne, Lucques, 8c Tife. Vous voyez que la cpmpagnie é-toit nombreufe. Je vous affure de plus qu'elle étoit belle. Mrs. les Florentins, qui s'étoient attendus que l'Infant arri-veroit avec la Flotte, s'étoient tous fait faire des habits neufs ; & comme ils Ibnt n^ureUement affex magnifiques, ils ri'avoient rien épargné dans cette oçca-fipn. Mrs. les Lu/quoif ne leur cèdoient pas, & on peut dire de ceux-ci, qu'a- ♦ec les Minois, Ôc les Génois, ils font Ltyot»*« de tous les italiens les plus polis, & qui NEv ont le plus l'agir de gens de condition. Il y avoit outre les Italiens un fi grand concours d'Anglois & d'Etrangers à Li-vourne, qu'on ne trouvoit pas à s'y loger. Cependant, les vivres n'y étoient point renchéris, & s'y trouvoient en abondance. Les Anglois (ortt retournés chez eux. On dit que PInfant f arrivera inceiTam-tr\ent par terre. LesTo.fcans languilïènt d^ le voir, ôc s'en promettent des mer* Veilles; car, ogtrc le bien qu'on leur en g dit, ils fe fondent fur une prédiction 4e }$ofiradamvs, qui dit dans un de fes Quatrains : JPIU pbç profond de t Occident d'Europe , ]p£ doubles nopces un enfaitt naîtra, JJjji ter Livourne, il faut bien vous dire quelque chofe de cette Ville , plus fatneufe par le grand Commerce qui s'y fait, que par fon ancienneté. C'eft une des plus jolies Villes de l'Italie, ôc c'eft bien celle où il y a le plus grand abord de Marchands Etrangers, que le Commerce y attire, ou qui s'y établiffent parce qu'on ne peut point y être arrêté pour dettes. La Ville eft bien bâtie ; les rues font larges, droites ôc bien percées; plufieurs ont des Canaux à la Hollandoife. La grande Place eft belle, Ôc le Port magnifique. On le divife en grand ôc petit Port; le premier a été rendu commode par la dépenfe qu'on a faite d'un beau Mole, ôc de quelques Tours , qui fervent de Fanaux ,* l'autre , dont l'entrée eft fort étroite, fert pour les Galères. On y voit une admirable Statue de marbre de Cofme I. de Medicis; elle eft élevée fur un piédeftal d'un pareil marbre blanc. Le Grand-Duc eft repréfenté en cuirafTe, avec un Manteau Ducal; il a un turban Ôc un cimeterre à fes pieds. Les accompagnemens de cette belle Statue méritent d'être foigneuièment obfer-vés. Sur les quatre corps du foubafle-ment, qui fert d'empâtement au piédeftal, on a placé autant d'Efclaves de bronze, représentant des Turcs, dans des attitudes admirables \ ils paroùTent comme enchainés au piédeftal. Les ConnouTeurs Livoun-les regardent comme des chefs-d'ceuvres. ke-Leur proportion, qui cil de douze pieds, fait croire au vulgaire qu'ils repréfentent quatre Géans ; mais la Tradition rapporte qu'ils repréfentent quatre Turcs , le Bis-Aieul, PAieul , le Père & le Fils. Ils étoient fur un Bâtiment Turc ; le plus jeune étoit Aftrologue : il prédit à fes Compagnons en s'embarquant, qu'ils feroient faits, un tel jour , Efclaves des Chrétiens. La prédiction, pour leur malheur , ne fut que trop vraie : ils furent pris par les Galères du Grand-Duc; & ce Prince,pour faire pafier cet événement à la poftérité, a fait faire leurs Statues. Il s'en faut de beaucoup, que P 1 s e , plsE> quoique bien plus considérable ôc par fon ancienneté ôc par la beauté de fes Edifices,foit aufli agréable que Uvourne. Cette V-ille eft grande, belle ôc bien bâtie ; mais extrêmement dépeuplée. La Rivière d'Arno, qui vient de Florence, la fépare en deux ,* ce qui forme deux fuperbes Quais. La Cathédrale eft un grand ôc iuperbe Edifice , d'une Architecture Gothique. On y entre par trois grandes Portes dont les battans font de btonze, ôc repréfentent des Hiftoires du Nouveau Teftament; ce qui doit confondre ceux qui difent que ce font les Portes du Temple de Salomon. Il s'en faut de beaucoup, qu'elles foient de la X j beauté 3*6" Lettres beauté de celles du Baptiftère de Florèn-^ss« ce. L'intérieur de l'Egliie répond à la magnificence des dehors : la voûte eft foutenue par foixante colonnes de mar-r bfë. Je ne vous dis rien de la Tour qui pânche, & qui eft à fix ou fept étages ou rangs de colomnes l'un fur l'autre ; ni du fuperbe Baptiftëre; encore moins dti Cimetière dit il Càmpo Santa Voyez MiJ-fon, il vous dira les tnefures de toutes chofes. Cet homme ne marchoit pas fans lnftrumens de Mathématique dans les poches ; il a tout mefuré, ôc tout pefé. Pif eft une Ville qu'il faut voir, mais où il ne faut pas S'arrêter: on y meurt d'ennui. Les Pitons font encore roui: fiers de l'honneur que leurs Ancêtres ont eu d'avoir fournis Çarthage. Je n'ai iejourné qu'un jour à Pifey & j'ai continué ma route vers Gènes. J'ai Viahjso- traverfé la forer de Vureûoio. Si Çio, j'avois eu beaucoup d'argent avec môi^ & quej'euffe voulu croire mon Guide, j'aurois eu grand' peur: il m'a afTuréqu'il ne fe pafloit point de femaine, qu'il n'jr eut des palTans volés & aiïàlTïnés. Etant arrivé à Viareggio, Bourg au milieu dé la forêt, j'appris que tout ce que mon Guide m'avoit dit étoit faux, Ôc que depuis dix-hùit ans que le Courier de Lw ■ *iïes à voit été voïé, on h'cntcndoit pas par- parler de Voleurs. "Cela m'a fort raffu- ViareI* ré, car franchement je n'aime point à cio. ferrailler avec des Voleurs de grand-chemin ; mais cela ne fuffit pas pour tran-quillifer un Laquais Italien que j'ai à mon fervicc. Comme il me reitoit encore trois lieues de forêt à paffer, il me conjura de prendre une Efcorte. Je me moquai de lui, Ôc je continuai ma route. Mon Laquais étoit à cheval, difant fon Chapelet. A peine avois-je fait une demi-lieue, que je vis venir cinq hommes armés. Mon Laquais fut le premier à les appercevoir. Il fe mit à crier comme un perdu : Jejits Maria, morire fenza Ço7!f?jJi Lettres bombarder. Le Marquis de Seignelaî fut le miniftre de fa vengeance, & s'acquitta fi bien de fa commiffion, qu'il y jetta depuis le 18 de Mai jufqu'au 28 du même mois , treize-mille bombes. Les Génois furent réduits à s'humilier. Le Roi leur accorda la Paix, à condition qu'ils envoie-roient quatre Sénateurs en France, lui faire leurs fourmilions, le Doge portant la parole; &c que ce Titre lui feroit confer-vé, quoique félon lesLoix de la République , il le perde aufïi-tôt qu'il met le pied hors de la Capitale. François-Marie Imperiali Lercari étoit pour-lors Doge. Il fut à Ver failles-, &c y eut fon Audience le 15 de Mai de Tannée 1685. Il affecta d'y pa-roître avec des équipages fuperbes ; par où il donna moins de luftre à fa Dignité, que d'éclat à la réparation. Lei François fe glorifient beaucoup de cet événement, ils en ont frappé des Médailles; il l'ont repréfenté dans des Bas-reliefs de bronze , en Tapifferies & en Tableaux; tous leurs Hiftoriens en parlent comme d'une des Epoques les plus glorieufes du Règne de Louis XIV. Je ne prétens nullement diminuer la gloire d'un Règne que tout l'Univers admire & refpecte encore ; mais je ne puis m'em-pêcher de dire que je doute que les François pardonnalfent aifément aux autres Nations de faire une pareille montre de leurs exploits. Les EJpatçnols, qui ont la réputation d'être vains, me le paroif- Genê* lent, (i |'ofe le dire, moins que les François. Ils ont un événement encore plus glorieux dans leur Hiftoire; c'eft les ex-cufes que Philibert Prince de Piémont, Fils 3e Charles-Emanuel Duc de Savoie, fit en perfonne en 16 io à Philippe IV Roi d'Elpagne. Ce Monarque étoit mécontent de la conduite du Duc, parce que ce Prince avoit fait un Traité avec la France, il penfa à s'en venger, & il en rrouva l'occalion. Henri W Roi de France aiant été affâOTmé, Marie de Me-4icis Régente de France n'étoit pas en état de fe brouiller avec rEfpagne,& de fecourir Charles - Emanuel Philippe IV profita de ces conjonctures; il fit marcher des Troupes du Milanez vers le Piémont. Le Duc, pour détourner cet orage, envoya fon Fils à Madrid, Le jeune Prince y fut d'abord allez bien re-çti, mais il eut la mortification d'être obligé dè faire la Harangue la plus humiliante qui pût être faite par un Prince Souverain. Sire, dit-il en s'adrelTant au Rof, le Due mon Seigneur & Père, arrêté lui-même par fon âge <& fes affaires, m'a envoyé jupplier Votre Majeflé à genoux , d'agréer la JJtisfaclion que je lui fais ici. Je n'ai point de termes affez, forts y pour lus marquer la Jènfble douleur que la perte de Jes bo?més grâces coup au Duc mon Père. Je Vte jette encore $ff$.foh aux pieds de Votre 3,2 L ET T r .. e fj tre Majefté, réfolu de ne me pas relever-quand j'y devrais mourir, qu'elle ne m'ait accordé la grâce que je lui demande • c'ejl de prendre le Duc mon Père, & toute notre Maifon , fous, fa protection royale. Vous donnerez., Sire, une marque de votre facilité à pardonner les plus grandes fautes, de la bonté que vous avez, toujours eue pour une Maifoît qui veus eft dévouée, <& qui vous honore comme fon Seigneur <&> fon Père. C'eft la proteftation qu'en fait à vos genoux un Prince de votre fangj & je la ftgnerai du mien* s'il eft nécejfaire. Le Duc mon Père compte abfolument fur les bontés de Votre Majeftéy <&> nous nous abandonnons à elle fans réferve. Si elle daigne m''accorder la grâce que jê lui demande humblement, es fera un nouveau lien qui nous attachera é-ternelleme?it à fes intérêts. Cet humiliant difcours n'eft-il pas plus flatteur pour le Roi d'Efpagne, que toutes les exeufes du Doge de Gènes pour Louis XIV? ÔV le Prince de Piémont à Madrid, ne vaut-il pas plus que le Doge à.Verfailles? Cependant, les Efpagnols n'ont ni frappé des Médailles, ni élevé des Monumens pour tranfmettre cet é-vènement à la Poftérité. Pardon, Monfieur, de cette digreflion : la Harangue du Prince de Piémont n'eft pas dans tous les Hiftoriens; j'ai cru qu'elle vous feroit plaifir, & j'ai penfé que la réparation de ce Prince mife en.uiraUèle avec cçl$° du Doge, n'étoit pas tout à fait hors de g* mon fujct : je reprens le fil de ma narration. La rue Balbi & la rue Neuve font plutôt des Galleries. que des rues. La première eft auprès de la belle Eglife de YAmonciade. Le premier Edifice confi-dérablc qui s'y préfente, eft le Collège des Jéfuites. Jaques Balbi Noble Génois fit don, en mourant, de cette Maifon à la Société, à condition que fes Armes demcureroient toujours fur le grand Portail. Elles y font encore, quoique les RR. PP. Jéfuites aient fait beaucoup d'efforts pour détruire ce foible fouvenir de leur Bienfaiteur. Ils ont eu à ce fu-jet de grands procès avec la Maifon Balbi , mais enfin ils ont été condamnés par Arrêt du Sénat à maintenir les Armes du Fondateur. Les deux Palais Durazzà, qui font dans la même rue, fonr d'une grande magnificence, & très richement meublés. Dans l'un de ces Palais eft un Théâtre nommé le Théâtre du Faucon : il eft extrêmement bien diftribué ,* chaque fpectateur peut voir Se entendre aiféraent , & fans incommoder fon voifin ; les loges font grandes 6c commodes, & les ornemens distribués par-tout avec entendement. La rue Neuve ne le cède point en magnificence à la rue Balbi. On y dif-tingue les deux^ Palais Brignile, & véritablement ils font tous deux fuperbes; ils ils font embellis de tout ce que l'on £ pu imaginer de plus gracieux 6c de plus nouveau, les meubles tn font extrêmement riches, & on y voit d'exceilens Tableaux des plus grands Maitres, des tremeaux de glaces d'une grandeur extraordinaire, 6c placés avec avantage; des tables de marbres rares, fur des pieds d'un excellent deffein 6c très richement dorés; enfin tout ce que l'on peut Ibu-haiter de plus beau ÔC de plus parfait. Mrs; Brignole font quatre Frères, dont il n'y en aqu'unfeul qui ait un Fils; ils ont fept magnifiques Palais dans Gènes, ôc potfè-dent des biens immenfes. Le Palais du Duc Doria eft dans la même rue. 11 a de la grandeur ôc de la magnificence, mais ne renferme pas tant de richeffes que le Palais du Prince Da-ria hors la Porte S. Thomas, qui doit fa fondation au célèbre Doria Général de l'Empereur Charles-Quint Ce Palais eft d'une grande étendue, il porte fa vue fur la Mer; mais les Apanemens ont peu d'élévation, ôc ne font point dans le goût moderne. Le Fauxbourg de S. Pierre d'Anna eft 4'une très grande étendue, ôc contient quelques magnifiques Palais. Les con-noiflèurs en Architecture y eftiment le Palais Imperiali > dans lequel l'Empereur & l'Impératrice ont logé à leur retour d'Efpagne. i>u Baron de Follnitl ||| Il y a plus de fociété à Gènes qu'à Ve- Gemes; nîfe, & les Nobles y font bien plus ac-ceifibles. Je ne croi pas que ceux qui accufent les Italiens d'être jaloux, y comprennent les Génois: il y a peu de Pays au Monde où les Femmes aient plus de Jiberté, $c où elles pèchent plus en ap* parence. Jl faut qu'une Femme ait bien peu de charmes, pour n'avoir pas deux pu trois Amans déclarés : on les appelle Çicisbei. Ceux-ci ne quittent jamais leurs Darrils , ôc font très incommodément l'amour 3 étant obligés de trotter à côté de la Chaife à porteur de leur Maitref-fe, fi bien que c'eft à la fueur de leur corps qu'ils gagnent une œillade de leurs Belles. Il y a ici des Dames qui ont jufqu'à cinq ou fix de ces Adorateurs, qui les accompagnent par-tout. Ce qu'il y a d'heureux, eft que tous ces Rivaux vivent en fort bonne intelligence. Il efl: yrai que s'ils prenoient querelle, ils feroient obligés de fe battre à coups de poing, car les Nobles ne portent point d epée. Ils font habillés comme les gens de Robe en France ; mais ils portent toujours des manteaux courts de foie , que je voudrois que Mrs. les Confeillers au Parlement en France portaflènt aufïi pour les diftinguer des Tailleurs & des Courtauds de boutique. Les perfonnes de qualité fe mettent fort bien ici, Ôc les Génois, de l'un 6c de l'au- 33 j'ai traverfé trente-deux fois la même Rivière, & j'ai vu beaucoup de belles maifons; car quoique les environs de Gènes foient fort montagneux, ils ne laiffent pas d'être très agréables, tous ces coteaux étant couverts de Châtaigniers & d'arbres fruitiers. A-près avoir fait environ quatre Poftes, je fuis entré dans la Plaine, ôcje n'enfuis plus forti jufqu'à Turin. Ce Pays eft aflurément un des plus beaux de l'Univers ; il ne lui manque que des Chaut" lëes. La Ville la plus confidcrable que j'ai trouvé fur ma route, eft Alexandre de la Paille, qui eft fuuée fur I* Rivière de Tanaro. Cette Ville eft affez. grande , mais peu peuplée. Elle étoic autrefois dépendante du Milanez : l'Empereur l'a cédée au Roi de Sardaigne. Ce Prince y entretient une bonne Gar-nifon, & fait travailler à réparer les fortifications, qui véritablement avoient été fort négligées. Cette Ville eft encore célèbre par fes Foires , qui font des plus confidérables d'Italie. J'ai paffé enfuite à Ast 1 , où je n'ai Asti. trouvé de bon que l'Auberge , une des meilleures d'Italie. De là je fuis venu coucher à Quieri, Ville du Piémont , grande, mal bâtie, mais remplie de gens de condition , & fituée dans une parfaitement belle Plaine. L'empreffemenc que j'ai eu de me rendre à Turin , m'a empêché d'y féjourner. J'ai paffé au pied d'une Colline fur laquelle eft le Château de Montcallier, Maifon Royale bâtie par feue S. A. R. Mère du Roi M°nt-Vi&or - Amédée. Les Apartemens font CALUER grands & magnifiques, & jouiffent d'une des plus belles vues du monde. Les Jardins qui accompagnent le Château , ne méritent pas plus l'attention d'un Voyageur , que le Bourg de Montcallier même. A quelque diftance de ce Lieu , j'ai paffé le Po fur un Pont de bois , & je fuis arrivé par une belle avenue à Tu- t h 1 n , Capitaje du Piémont 6c le féjour WM^ Y 2 or- 340 L e t t r e s ordinaire des Ducs de Savoie. Ces Princes ont voulu qu'elle fût la Réfidence de la Chambre des Comptes , 6c du Sénat qui eft ce qu'on appelle en France le Parlement j Ôc l'ont rendue} indépendamment de fon heureufe fituation , une des plus belles 8c des plus fortes Villes d'Italie. Elle eil double, Vieille Ôc Nouvelle , avec des Baftions ôc des Dehors bien revêtus, Ôc une Citadelle très régulièrement fortifiée. Son affiette eft à dix-huit milles des Alpes, dans une Plaine , aiant le Po d'un côté, ôc la Doire de l'autre. Cette Ville fera toujours célèbre par le Siège qu'elle foutint en 1704. Le Comte Maréchal Daun Gouverneur de Milan y commandoit alors , le Duc de Savoie l'aiant demandé à l'Empereur. H défendit la Place contre le Duc d'Or-léans Petit-fils de France, & donna le tems au Prince Eugène de Savoie de venir à fon fecours ôc de faire lever le Siège. Les François prétendent que tout ceci s'eft fait par ordre de la Cour , ôc que Madame la Duchefie de Bourgogne 7 Fille du Roi Vtâor-Amédée, avoit obtenu de Louis XIV que le Siège de Turin feroit levé. Comme je n'ai aucune con-noiffance de ce qui s'eft pailé alors dan? le Cabinet du Roi de France, je ne puis nier ni affurer ce faitj mais comme ce n'eft point un Article de foi q«e de r * croire croire ce que les François débitent là- Turin. deflus , ils me permettront , s'il leur plait , de ne point ajouter foi à des difcours fi contraires à la gloire du plus grand Roi qu'il y ait eu. Car comment s'imaginer , que ii Louis XIV avoit bien eu envie de faire décamper fon Armée de devant Turin, il eût voulu mettre cette même Armée au hazard d'être o-bligée de combattre contre fi volonté <5c fes ordres, & commettre ainfi l'honneur de fon Neveu , la gloire de fes Armes , & la vie de quantité de braves gens qui furent tués à cette déroute? Une retraite méditée dans le Cabinet, fe pouvoit faire en meilleur ordre , & n'auroit pas eu l'air d'une fuite. Mais telle eft l'opinion des François : ils n'ont jamais été battus que parce qu'il a plu à la Cour qu'ils le fuiTent, ou par la jaloufie qui règnoit parmi leurs Chefs. Ils ont perdu la Bataille de Hochftedt, par le peu d'intelligence qu'il y avoit entre l'Electeur de Bavière & le Maréchal de Tallard ; celle de Raméliet , parce que le Maréchal de Villeroi ne vouloit pas que l'Electeur de Bavière eût la gloire de nous battre ; celle iïOudenarde , parce que Mr. le Duc de Bourgogite , l'Héritier préfomptif du Trône, étoit bien aile que Mr. le Duc de Vendôme reçût cet échec. Mr. de la Motte s'eft laiflë battre près de Wyntndal, uniquement pour Y 3 corn- 34* Le t t r e » complaire à Mr, le Duc de Bourgogne l qui appréhendoit de ne pouvoir porter le Roi ion Aieul à la Paix qu'il defiroic beaucoup, fi Lille n'étoit point pris par les Alliés, ôc cette Ville ne pouvoir être prife qu'en laiilant pailèr le Convoi que Mr. de la Motte avoit attaqué. Le Pas-fage de YEfcaut, le Siège de Bruxelles levé , Gand rendu fans coup férir , tout cela s'eft encore fait par ordre de Mr. le Duc de Bourgogne , qui vouloit la Paix à quelque prix que ce fût, & qui ne pouvoit l'obtenir qu'en iacrifiant l'Armée ôc la gloire du Roi fon Aieul. En vérité , quand tous les Maréchaux de France me diraient la même choie , ils me trouveraient aufti incrédule que S. Thomas, ôc ils ne me porteraient jamais à faire cette infulte à la mémoire de Mr. le Duc de Bourgogne , le Prince lé plus fage de fon tems , que de penfer qu'il eût eu li peu à coeur l'honneur de fa Nation & les intérêts de la Maifon. . Le quartier de Turin appelle la Ville-Neuve , eft tout ce qu'on peut voir de plus régulier. Les maifons font de brique , 6c élevée* de trois étages. Les rues font larges j droites ôc bien pavées. On y voit de belles Eglifes, mais particulièrement la Métropole ou la Chapelle du S. Suaire } qui eft auffi la Chapelle Royale. On peut la confidérer comnie un un chef-d'œuvre d'Architecture. Elle Turin; eft eh manière de Dôme octogone, toute revêtue , & même la voûte , de marbre noir. L'Autel eft au milieu du Dôme. On y garde la précieufe Relique du S. Suaire de Notre-Seigneur, dont le pareil eft à Rome dans l'Eglife de S. Pierre, & à Befançon. On m'a-voit dit que j'y remarquerais diitincte-ment empreints le vifage ôc une partie du corps de notre Sauveur, mais je n'ai pas été aflèz. heureux pour rien découvrir. Le Palais du Roi n'eft pas de grande apparence, ôc de plus il n'eft point achevé ; cependant les Apartemens font bien ménagés. Les meubles font riches, ÔC l'on y voit d'excellens Tableaux, ôc des plafonds magnifiques. Ce Palais eft accompagné de jardins ménagés dans les fortifications avec art, fur de beaux plans j mais au refte ils font très peu ornés. Tout ce qu'il y a de plus beau Ôc de plus parfait en Architecture moderne à Turin, Ôc peut-être en Europe , eft la façade du Palais de feue Madame Royale , Aieule du Roi. Ce Palais eft attenant le Palais du Roi, auquel il communique par une Gallerie. C'étoit un fort ancien bâtiment de peu d'apparence dont Madame Royale fit ajufter les dedans j elle n'y épargna ni dorure ni pein. * 4 zure. turin, ture. Lorfque cela fut efi état, il fe trouva que l'Efcalier étoit peu commode: S. A. Ri magnifique en tout, entreprit d'en bâtir un; ôc c'eft ce qui * donné lieu à la fuperbe façade dont je fais mention ici. Cette Princeffe con-fulta tous les habiles Architectes d'Italie, ôc elle s'arrêta à ce qui lui parut le plus grand & le plus beau. Avant que cet Efcalier fût bâti, on difoit que le Palais de Madame Royale étoit une Maifon fans Efcalier ; aujourd'hui l'on dit que c'eft un Efcalier fans Maifon. Il eft vrai que cet Efcalier feroit digne du Louvre, & qu'il eft beaucoup trop grand pour l'Edifice dont il fait partie. Je n'ai pu voir le Château de la Vénerie , à trois lieues de Turin ; le Roi Viclor y étant gardé, il n'eft permis à perfonne d'en approcher. Vous aurez fans doute appris la détention de ce Prince; mais je doute que vous foyez. informé de ce qui a occafionné cet événement, ÔC de la manière dont ce Prince fut arrêté. Voici ce que j ai appris de gens dignes de foi. Le Roi Viclor-Amédée , depuis le décès de la Reine fa femme, Fille de feu Monfieur, Philippe de France Duc d'Or-léa?is, Ôc de Madame Henriette cPAngi** terre, étoit devenu amoureux * de Madame * [Le Prince avoir aimé Mlle, de C*mU»e avant qu'elle fût Epoufe du Comte de S. $ihdflm > ,c|jf dame la Marquife de S. Sébttjiien, Dame tui«n. du Palais de la Princeffe de Piémont aujourd'hui Reine de Sardaigne. La vertu de Madame de S. Sébastien* Se la dévotion du Roi, portèrent ce Prince à épou-fèr fa Favorite. Mais il crut qu'il n'étoit point glorieux à un Roi d'élever iur le Trône fa Sujette ; il conçut le deffein d'abdiquer, avant que de contracter cette alliance inégale *. Il en fit la proposition à Madame de S. Sébafiien , qui fit tous fes efforts pour porter Viclor à demeurer fur le Trône ; mais voyant qu'il étoit ré-folu de ne la point faire Reine, elle con-fentit à l'abdication, toujours trop honorée de étoit alors Demoitclle-d'lionneur de Madame Royale, elle fut enluite Dame-d'honneur de la Duchefle de Savoie , & enfin Dame ■ d'Atour de la Princefle de Ihémtnt à préient Reine de Satdaigue. Elle eft Veuve depuis 17a?. Quoique mariée au Comte de Jf. S£~ hafiien, elle avoit coniervc l'amitié & l'cltimc du Roi . & avoit toujours lui lui aflez, de crédit. Lorf-qu'elle devint Veuve, les anciens feux fe rallumèrent, le Roi lui donna au Palais un apartement où il pou. voit la voir fans être vu, & il prit foin de la fa-mille.] * [On prétend que le véritable motif de cette Abdication étoit l'embaras ou ce Prince le trouvoit 4 l'occafion de la Succefïïon de Parme & de Tofcaue, *t de l*introdu£tion de l'Infant Don Caries en Italie. Il avoit pris, dit-on, des engagcinens au lujet de cette affaire , premièrement avec la Cour de Vienne, 6c enfuite avec l'Efpagne; & comme il ne pouvoir tontenter l'une des deux Cours fans s'expofer au rcP ftmiment de l'autre, il prit le parti d'abdiquer, du ÏWSy&Sfi' ~ *" *■ y? de devenir la Femme d'un Prince qui auroit porté la Couronne. Le Roi Viclor confulta fes plus confidens fur fon abdication; tous lui confeillèrent de ne point defcendre du Trône. Son Fils, le Roi Charles conjura de demeurer Roi. Je, protège a Votre Majefié, lui dit ce Prince, que le defir de régner ne m'a jamais tenté un moment, que je me trouve trop heureux d'être [on premier Sujet. Toutes lès remontrances furent inutiles, le jour de l'abdication fut fixé au 5 de Septembre de l'année 17*0. Ce jour-là, tous les Notables de l'Etat, ôc le Sénat, s'affem-blèrent dans la grande Salle du Palais f. Le Roi y parut fans aucune marque de Royauté, accompagné du-Prince de Piémont. Il déclara aux affiftans, qu'il étoit réfolu de céder le Trône à fon Fils; que dès ce moment il les exemtoit, comme tous fes Sujets, du Serment de fidélité qu'ils lui avoient fait; qu'il les exhortoic à rcconnoitre fon Fils Charles Prince de Piémont, pour Roi ; ôc qu'il les prioit d'être aufïi fidèles au Maitre qu'il leur donnoit, qu'ils lui avoient été attachés. L'Acte d'Abdication fut enfuite lu à haute ts L'Abdication s'eft faite le ? de Septembre, ail Château de Rivai!. Les motifs exprimes étoient, les fatigues d'un Règne de jo ans; les infirmités d'un âge allez avance1 j & la néceflite de mettre quelque intervalle entre le Trône Ôc le Tomucau. ] .te voix par [le Marquis DelBorgo,^ Secrétaire d'Etat, tk Charles fut reconnu pour Roi. Après cette cérémonie, le Roi Viclor, qui avoit époufé * Madame de S. Sébaf-tien à condition qu'elle ne porterait point d'autre nom, partit avec elle pourC^w-béri, qu'il avoit choiii pour le lieu de fa retraite. Il n'y avoit pas un mois qu'il étoit dans cette Ville,qu'il fe repentit de n'être plus le Maitre. Le Roi fon Fils avoit cependant des déférences ii refpec-tueufes pour lui, qu'il fembloit qu'il ne fût encore que Sujet. Le Roi Viclor en abdiquant avoit confeillé à fon Fils de faire melurer les Terres de la Nobleffe & de faire enfuite payer fes Gentilshommes à proportion des Terres qu'ils, pofïèdcroient. Ce plan exécuté augmentent véritablement les revenus du Roi, mais ruïnoit la Nobleffe. Charles, parvenu à Ja Couronne, ne jugea pas convenable de le mettre à exécution. Viclor en fut irriré ; il écrivit à ce flijet à fou Fils, plutôt en Maitre qu'en Père,- mais Voyant que Charles ne fuivoit pas fes avis, * [Le Roi n'a époufé la Comtdïc de S, Sétafi **» cpi'a Chambfri, ou dlc alla Je joindre : car il c. toit pjrn de Turin fans dlc. Lorfqu'il l'epoula ,] lui donna 100 mille écus, dont elle acheta Je Mar uiiiiar de Spigo pour fes Enfans ; die en prit le nom, ft quitta celui de.?. MU/rif»,] e "-nom,, avis , il conçut l'idée de remonter fur le Trône. * Il fonda fecrettement tous les efprits,mais il ne trouva par-tout que des Sujets fidèles à Charles. Tout cela ne le découragea point : ilcomptoitfur les Troupes, il favoit qu'il avoit leur eftime, il croyoit avoir auffi leur amitié ; la plupart des Officiers étoient fes créatures, il ne doutoit pas qu'ils ne lui fulfènt toujours attachés ; il fe fiattoit qu'ils concouraient à fes defïèins. Il écrivit au Maréchal Rebinder en termes généraux, mais flatteurs & féduifans. Ce Général, qui commande les Troupes en Chef, fentit de quelle conféquence il étoit d'ôter au Roi Viclor tout efpoir de régner ; il lui répondit, qu'il reconnoiffoit lui devoir toutes chofes, biens, honneurs & dignités. Votre Majefié, difbit le Maréchal dans fà Lettre , m'a fait tout ce que je fuis,je r?ai aucune obligation au Roi Charles , j'en ai d'inexprimables à Votre Ma* m * [ViiïoT'KAmcdée penlà à remonter fur le Trône» dès qu'il apprit la conclufton du Traite de Vienne* ou i'Empereur confentoit à l'introduction des Efpa-gnols. C'eft alors qu'il découvrit à la MarqiuTc Ùd Spigo les vrais motifs de fon Abdication . & les moyens qu'il vouloir employer pour remonter fur le Trône. Cette Femme arnbitieufe l'cncon ragea 5 & comme elle a beaucoup d'cfprit tk eft fort intriguante, elle remua ciel Se terre pour faire réutTu ce projet qui la mettoit far le Trône , 8c elle intèreû» dans cette affaire tous ies Paréos & f« Amis» dont quelques uas la tiahiremrp jffté ; mais entre ies biens dont Elle m'a Turbï* comblé', l'honneur de fon eftime m'a toujours été le plus précieux, Permettez. - moi donc, Sire, de conferver cette ejlime, que jofo dire avoir acquis par mon fang répandu pour votre fervice : je la perdrois , Sire j f f étais affsz malheureux pour devenir parjure au Roi que vous m'avez donné> & auquel vous m'avez ordonné d'obéir. Je lui ferai fidèle autant que je l'ai été à Votre Majefté, çjr je ver fer ai tout mon fang pour le maintenir fur le Trône. Je fuis pourtant toujours prêt de donner à Votre Majefté les marques les plus réelles de mon refpeclueux attachement pour fa Perfonne* très perfuadé, Sire, que vous ne m'ordonnerez rien qui ne foit conforme à la juftice qui a toujours accompagné toutes vosaiîions^ &c. Cette Lettre ne fut point encore ca- Îable d'arrêter l'inquiétude du Roi Viclor^ 1 écrivit une féconde fois au Maréchal de Rebinder, & à d'autres Généraux. II parla en Maitre, & marqua qu'il fauroit punir ceux qui refuferoient de lui obéirt Toutes ces Lettres furent portées au Roi » Charles. Ce Prince parut touché du cha-« grin que témoignoit fon Père ; il dit à ceux qui les lui portoient : §>ue voulez.-vous que je faffe ? c'eft mon Père. J4 compte fur votre fidélité, & je m'abandonne à la Providence, Le Roi fe flatta cependant de pouvofr cal- 35<3 Lettres calmer les inquiétudes de Viclor : il voulut avoir une entrevue avec lui. Il partit pour cet errer avec la Reine pour Evian. Leurs Majeftés pafïèrent à Chambéri : Charles y vit fon Père, qui lui témoigna beaucoup de mauvaife humeur. CePrin-ce écouta tout avec le refpeéfc d'un Fils ; mais au fortir de chez Viclor, il paffa chez, Madame de S. Sébaftien, avec qui il eut un long entretien, il exhorta cette Dame à calmer Pefprit du Roi Viclor, & à lui perfuader de ne fe plus mêler des affaires. Il m'a fait Roi, dit Charles ,• ainfi je veux l'être. Vous pouvez, tout fur fon efprit ; faites qu'il fe iranquillije. S'il ne Je plait po'wt ici, qu'il choifjfe tel Château ou tel Lieu de mes E-tats qui lui plaira le plus ; il y fera le Maitre. On dit que Charles s'avança même dans cette converfation , jufqu'à céder une Province en Souveraineté à fon Père 7 il promit de grands avantages à Madame de S. Sébafiten,tajnt pour elle , que pour le Fils qu'elle avoit eu de fon premier Mariage , &#pour fes Frères. Cette Dame promit tout ce que youlut le Roi ; mais elle tint mal les promeffes. Le defir & l'efpoir d'être Keine, la portèrent à augmenter chaque jour les inquiétudes du Roi Viclor. Ce Prince n'obfervoit plus aucune me-fure, & diloit publiquement, qu'il vou-lqit remonter fur le Trône, Pour mieux réuf- réuflîr dans fes defTeins , il crut devoir tur s'approcher de Turin. Il écrivit pour cet effet au Roi Ion Fils ôc lui marqua,que l'air de Chambéri étant contraire à fa fanté , il le prioit de trouver bon qu'il allât occuper le Château de Montcallier. Charles étoit de retour à Tarin, lorlqu'il reçut cette Lettre. Il n'eut pas le tems d'y répondre, & il apprit que le Roi fon Père & Madame de S. Sébajlien étoient déjà arrivés à Montcallier, Il n'en fut point fâché: fâchant les menées du Roi Viclor, il étoit bien aile de le voir dans fon voifmage , où il lui étoit aifé de le faire oblerver ; 6c le Roi Viclor à fon tour étoit charmé d'être à Montcallier, dans l'elpoir que la proximité de Turin lui faciliteroit les moyens de gagner la Garnifon 6c le Commandant de la Place. 11 fit tous fes efforts pour y réuffir, 6c témoigna fi ouvertement * vouloir remonter fur le Trône, que les Miniftres t de Charles appréhendant qu'il n'appel- lat * [ En faitânt venir à Montcallier Je Marquis /el ^<"ï<>. à qui il demanda fon Acte d'Abdicatioc, ne lui donnant que xi heures pour le lui rapporter; 6c en le prefentam devant ia Citadelle de lurm, pour y entrer, & animer la Gainilon à l'aider dans Ion entreprife. J t-fCc furent tous les Confcillcrs d'Etat & les Grands, qui afiembJés par «rare du R0, & con itiltcs fur le danger prcMant , furent tous' d'avis de foire, arrêter ViRor-AnnAâ & 1cm Epome J TumN. \U les Etrangers à Ton fecours, confciî-Jèrent tous au Roi de le faire arrêter. Ce jeune Prince fe récria plufieurs fois fur cette propofition. Quoi ! faire arrêter mon Pere ? non, dit-il, je ne puis m'/ refoudre. Il fut très longtems à pouvoir s'y déterminer, 6c ne le fit enfin que fur les fortes inftances de fon Confeil. Lorfqu'il figna l'Ordre, la main lui tembla au point que le Secrétaire d'Etat fut obligé de la lui foutenir. Le Comte de la Pérouje, Lieutenant-Général des Armées, fut chargé de la commilfion d'arrêter le Roi Viclor. On lui donna un Détachement de trois-mille hommes, pour le foutenir dans cette en-treprife. Ces Troupes furent tirées de Turin, Ôc des Places voifines. Elles for-tirent toutes à la même heure de leur Garnifon; Ôc fans favoir où on les conduisit , elles fe trouvèrent à deux heures après minuit à Montcallier, au pofte qui leur étoit aifigné. Le Comte de la Pé-roufe, accompagné du Chevalier de So~ lare Lieutenant-Colonel aux Gardes, à la tête d'un Détachement de Grenadiers la baïonnette au bout du fufil, monta le grand Efcalier, qui conduifoit à 1*Apartement où étoit le Roi Viclor. Le Marquis tPOrméa Secrétaire d'Etat, qui por-toit l'Ordre ligné du Roi Charles, fe fai-fit avec un autre Détachement de Grenadiers, de l'Efcalier dérobé. M{. de 1* Péroufe trouvant l'Apartement fermé, en tw fit enfoncer la porte. On fe faifk d'un Garçon de la chambre, qui étant de fervice dormoit dans la première antichambre. On poufià enfuite plus loin, ôc on enfonça toutes les portes juiques à la chambre de lit, où le Roi étoit couché avec Madame de S. Sébaftien. Cette Dame entendant du bruit fe leva prom-tement, ôc n'aiant eu que le tems de prendre une robe, elle courut à la porte. Lorfqu'elle vit tant de gens armés, elle s'écria, Ah Sire! nous femmes trahis. On ne lui donna pas le tems d'en dire davantage : deux Officiers la portèrent dans une chambre voifine, où on la fit habiller, ôc on la conduifit enfuite à Cève, Fortereife du Piémont. Les cris de Madame de S. Sébafiien, ni le bruit qu'on avoit fait , n'avoient point éveillé le Roi Viéî'or, qui a toujours dormi d'un fommeil fort profond. Le Chevalier de Solare fe failit de lepée du Roi, qu'il apperçut fur une table, ôc Mr, de }a Pérouje s'approcha du lit, ôc ouvrit les rideaux. Le Roi s'éveilla alors enfurfàut, ôc demanda de quoi il s'a-giffoit. Le Comte de la Péroufe lui dit, qu'il avoit ordre du Roi de l'arrêter. Qu'efi-ce que le Roi , répondit Vi&or ? -C'efi moi qui fuis votre Roi <&> votre Maitre j vous rien devez, point reconnaître d'autre. . . . Votre Majefté l'a été, répondit Tome 11 £ * le le Comte ; mais Elle ne l'eft plus : & comme il lui a plu de nous donner le Roi Charles pour Maitre <ér de nous commander de lui obéir , fefpère qu'Elle voudra bien nous donner l'exemple de l'obéijfance. Le Roi s'emporta beaucoup, il menaça les Officiers, ôc ne voulut point fe lever. Le Chevalier de Solare s'étant approché trop près du lit, le Roi lui donna du coude dans le ventre , ôc lui dit en colère de fe retirer. Comme il s'ob-ftinoit à ne pas vouloir fe lever, des Officiers le foulevèrent ôc l'habillèrent. Le Roi dit qu'il ne fouhaiteroit d'occuper le Trône que deux heures, pour pouvoir faire pendre les Coquins qui avoient fé-duit fon Fils ; il nomma les premiers de la Cour. Après qu'il fut habillé, des Officiers l'environnèrent ôc le conduifirent par le grand Efcalier vers fon carofTe qui l'at-tendoit dans la Cour. Le Roi voyant l'antichambre pleine de Grenadiers, parut étonné i Ôc les Soldats , qui ne fa voient point encore de quoi il s'agiffoit, le parurent aufïi, voyant que c'étoit leur vieux Roi qu'ils conduifoient prifonnier. Quoi, c'eft notre Roi! fe difoient-ils tout bas : qu'a t-il fait? de quoi s'agit-il? Le Comte de la Péroufe appréhendant une émeute, leur cria, De la part du Roi, filence, fous peine de la vie. Le Roi trouva dans la Cour un Régiment de Dragons, qu'il du Bahon de Pollnitz. 35y tvoit toujours le plus diftingué parmi fes Tutus Troupes. Leur préfence parue le toucher : il voulut leur parler ; mais on ne lui en donna pas le loifir, Ôc on le fit monter en caroffe. Le Comte de la Péroufe Se le Chevalier de Solare lui demandèrent la permifiion de s'y placer ; mais le Roi leur répondit, qu'il ne les y fouffriroit pas. Ils montèrent à cheval, & occupèrent les deux portières ; les Troupes environnoient le caroflè, 6c le Roi fut conduit ainfi à Rivoli. J'ou-bliois de vous dire , qu'en partant de Montcallier il demanda trois chofes, fa Femme, fes Papiers, 6c fa Tabatière : il obtint la dernière. Le lendemain dé fon arrivée à Rivoli, on mit des grilles de fer 6c des doubles chaffis devant les fenêtres de fon Apartement. Le Roi demanda au Vitrier ce qu'il vouloir faire ? Je veux vous mettre des doubles chajfts , pour que vous n'ayez point froid cet Hiver, répondit cet homme. Hé quoi! maraud, dit le Roi, crois* tu que je pajferai ici tout l'Hiver ? ... * Ah ma foi, répliqua le Vitrier , vous y paierez, celui-ci & bien d'autres. Ce Prince eft fervi avec foin, 6c avec tout le rcipeet dû à fa perfonne. On dit qu'il commence à fe tranquillifèr *, |j6 Che: * Il eft le mon le ?i Octobre Z 2 5Çf5 Lettres Chevalier de Solare, & deux Capitainej aux Gardes , font chargés de le garder. Il joue quelquefois avec eux au Billard. Ils ont ordre de le traiter avec toute ibr-te de refpedf, & de ne jamais répondre aux plaintes qu'il pourroit leur adref-fer. Ce qu'il y a d'heureux dans tout ceci pour le Roi Charles, c'eft que pas un de fes Sujets ne lui a manqué de fidélité : il n'a point été obligé d'enfanglanter fon Règne par quelque exécution • il n'a même fait arrêter que trois perfonnes , parmi lefquelles étoient les deux Médecins du Roi Viclor, qui avoient porté fes Lettres: mais ils viennent d'être remis en liberté, & il y a apparence que la bonne intelligence fera bien-tôt rétablie entre le Père ôc le Fils. On dit que Madame de 5". Sébafiien eft dans un grand abattement, ôc qu'elle ne prend que du bouillon qu'elle fait elle-même. Après fa difgrace , fon Fils qui étoit Enfeigne aux Gardes, ne parut plus à la Cour. Le jeune Roi s'apperçut de fon abfence; il ordonna au Marquis d'Or-mea. Miniftre & Secrétaire d'Etat, de lui dire de fa part, qu'il pouvoit paroître à la Cour ôc \ exercer ion Emploi , Sa Majefté l'afliirant que quelque coupable que pût être Madame de S. Sébafiien , Elle ne lui en feroit pas porter la peine, & qu'Elle auroit foin de fit fortune. Les Piémontois font charmés de leur Turin. nouveau Roi; & en effet, c'eft un Prince qui a les qualités d'un bon Monarque: il eft humain, compârifïant, généreux6c bienfaifant. Il eft d'une taille au defibus de la médiocre, mais très bien prife; il danfe bien; il aime les plaifirs, mais particulièrement la Chaflè. On peut dire fans le flatter, qu'il a beaucoup de vertus; 6c que s'il a des défauts, ce n'eft que parce que l'entière perfection eft incompatible avec la Nature humaine. La Reine eft de la Maifon de Hejfe-Hhhfclds. Elle eft d'une taille élevée 6c fine; fon air eft majeftueux 6c modefte, elle eit blonde , fort blanche , 6c a le teint très beau. Elle eft d'une piété fo-Jide , charitable envers les pauvres, 6c portée à faire du bien à tout le monde, mais particulièrement à fa famille. Elle eft Mère de deux aimables Princes, 6c d'une Princeffe *. Sa Majefté paroît fore attentive à leur donner une éducation conforme à leur naifiance. Le Cérémonial de cette Cour eft affez celui que l'on obferve à la Cour de France. Le Roi 6c la Reine mangent toujours enfemble, fans qu'il foit permis à d'autres qu'aux Officiers de leur Mai-ion , de les voir manger. Les Dames ne peu*- [Elle n'a a préfent qu'un Prince,le fécond étant t; Se ims Piiucattes* J fnprt; Zl peuvent parokre au Palais, fans être en habit de Cour ; la Reine feule eft en manteau. Sa Majefté a fix Dames du Palais ôc fix Filles-d'honneur : les premières doivent toutes être Femmes. Elle tient Cercle tous les foirs: la Reine eft aflife alors dans un fauteuil ; la jeune Princeffe de Carigvan, ôc la Sœur cadette de la Reine , font affifes fur des plians, fur deux files avancées, à côté du fauteuil de la Reine ; les Dames fe tiennent debout, ôc les Hommes fe placent derrière les Dames. Ce Cercle dure environ une heure : la Reine en {e levant falue les Princefïes ôc les Dames , ôc fe retire. Toute la Nobleffe fe rend enfuite dans quelque maifon où eft l'Affemblée. Le plus beau monde eft chez. Madame la Marquifc de Prié, dont le Mari a été Vice - Gouverneur des Pays - Bas. Elle donne fouvent le Bal, auquel le Roi affifte quelquefois. On reipire dans cette Ville un air d'au fance ôc de liberté, dont on ne jouit point en Italie: auffi les Piémontois ne fe croycnt-ils pas Italiens. On me demande fouvent fi je viens d'Italie, ou bien fi j'y vais. Je me plairois plus dans cette Ville, que dans aucune autre: ce mélange des manières Françoifes avec les Italiennes me paroît convenir parfaitement, ôc rencontrer le vrai. On mange ici. il y a plufieursSeigneurs qui tiennent lient très bonne table, Ôc qui font hon- Tu neur aux Etrangers. Mr. le Maréchal de Rebinder fe diftingue particulièrement par-là. Ce Général eft natif de Livonîe: il commandoit ies Troupes de l'Ele&eur Palatin en Italie, lorfqu'il pafla au fervice du Duc de Savoie en qualité de Lieutenant-Général Ôc de Colonel d'un Régiment Etranger d'Infanterie. Le Roi Viclor l'a fait Feldt-Maréchal, Ôc il commande actuellement en Chef les Troupes du Roi de Sardaignê, Mr. le Marquis dOrmea eft le Chef du Confeil, Premier Secrétaire d'Etat, ôc Principal Miniftre. II étoit ci-devant l'homme de confiance du Roi Viclor: ce Prince l'avoit envoyé à Rome, où Mr. le Marquis cYOrmea obtint du Pape Be-noit XIII de grands avantages pour le Roi fon Maitre, entre autres, la nomination à tous les Bénéfices. Ce Miniftre fut rappelle la première année du Pontificat de Clément XII, lorfque Sa Sainteté fit l'adfion peu clémente de révoquer-tout ce que fon PrédéceiTeur avoit accordé. 11 revint à Turin peu de tems avant l'Abdication du Roi Viclor. Le Roi Charles fe repofe entièrement fur lui poulies affaires. C'eft un homme d'un caractère doux, qui eft ennemi des détours, ôc dont la parole eft facrée. Je l'ai con- . nu à Rome, ôc j'ai l'honneur de le voir ici auffi fouvent que les affaires dont il Z 4 eft eft accable lui permettent de me rcce-, voir. Tout le monde ici s'en loue ôc en dit du bien : on ne parle pas toujours de même ailleurs, de ceux qui font en place. Ce Miniftre a un Frère * Cardinal; ôc un Fils unique qui eft un jeune Cavalier fort aimable, & né avec toutes les difpofitions pour marcher un jour fur les traces de Mr. fon Père. Les jeunes-gens me paroiffent moins évaporés ici, qu'ailleurs: je ne fai s'ils font en effet plus fages, mais ils paroif-fent du moins tels en public. Si j'avois à donner un avis à un Père de famille, ce feroit de mettre ici fes Enfans à l'Académie ; je doute qu'il y en ait une meilleure en Europe, tant par rapport aux Maîtres d'Exercices, que par rapport à la manière dont les jeunes-gens y îbnt tenus. Ils font logés, nourris & inftruits en toutes fortes de Sciences ôc d'Exercices. Us font divifés en deux Clartés , dont l'une étudie fimplcment le Droit ; ceux-ci payent moins: mais tous doivent être Gentilshommes. Us ne peuvent fortir . qu'à certains jours de la femaine ; main alors ils peuvent paroître à la Cour, ôc aller par-tout où ils veulent, excepté dans les maifons de Jeu. Les dehors de Jur'm ont des agrémens in- ; * Mr. le Cardinal Ttmm [Kvcque de Vckù\.\ infinis. La Campagne eft ornée d'un Turin, grand nombre de belles Cajjines, qui ne font féparées que par des Prairies, que quantité de petits Ruifleaux ne ceflent d'arrofer. Je me promène tous les jours fur l'Efplanade entre la Ville ôc la Citadelle, où il y a de très belles Allées, ôc où l'on rencontre fouvent de très jolies perfonnes. Le fang eft ici parfaitement beau, & toutes les Piémontoifes ont beaucoup de vivacité Ôc font nées avec de l'eiprit. Je fuis très fâché de les quitter; mais c'eft un mal néceffâire, il faut partir quand l'ordre preffe. Je compte d'être en dix ou douz-e jours à Lyon, fi je ne m'arrête pas à Chkmkèri. C'eft ce que vous apprendrez par la première Lettre que je vous écrirai. Ne manquez, pas de m écrire à Paris, Ôc croyez-moi, ôcc A Timn, ce 28 Novembre 1731. % 5 LE T. LETTRE XXXVIL Monsieur, OUoique j'euffe déjà paflé deux fois le Mont Cents ôc traverfé la Savoie, ce paflage des Alpes ne m'a pas paru moins desagréable; & franchement, je fuis très aife d'être arrivé dans cette Ville, qui vaut mieux que toute la Savoie enfecrible. De Turin j'ai été coucher à la Nova-laife. J'ai paffé au pied du Château de Rivoli, qui eft fitué fur une hauteur : on s'y rend de Turin par une Avenue en droite ligne, de trois lieues de longueur. Enfuite j'ai traverfé Sufe, qui, par paren-thèfe, eft une très vilaine Ville, fur les bords d'une Rivière que forment les Torrens des Montagnes voifines, qui tiennent Suje comme enfevelie. Cette Ville, ôc la Vallée où elle eft bâtie, La Bnu- font commandées par le Fort de la nette. gRUNfiTTEj place d'importance,que le Roi Viclor- Amédée a fait élever pour la défenfe du Piémont. La Nature ô£ l'Art ont également contribué à la fortifier. Elle eft pourvue d'une bonne Gar-nifon, & de toutes les chofes néceffaires pour foutenir un Siège. Si cette Place La Bru* eût été bâtie du tems de Louis XIII, je nette. doute que ce Roi, ôc le Cardinal de Richelieu fou Miniftre , euffent fi facilement paffé les Monts, La Novalaise eft un mauvais Bourg, l,a }$0. avec une exécrable Hôtellerie; ce qui eft valaise. d'autant plus desagréable, que les Étrangers font contraints de s'y arrêter pour faire démonter leurs voitures, qu'il faut charger fur des mulets, pour les porter au-delà de la Montagne. J'ai paffé le Mont en me faifant porter dans un fauteuil de paille, par quatre hommes, qui fe relevoient de diftance en diftance, ôc qui fouvent me portoient fur les épaules. Pour peu que j'enfle été enclin à la chimère, je me ferois cru Pape. Au iommet de la Montagne il y a un Lac, ôc un Hôpital qui m'a paru avoit un air très pauvre. On y reçoit les Pèlerins ôc autres gens à pied,_ôc on les y garde trois jours. Il y a deux Prêtres qui font chargés de recevoir les paffans, & de deffervir l'Eglife. Cette fondation eft très louable, dans un Pays pauvre ôc miférable, ôc où malgré cela il ne laifjfe pas de périr encore fouvent du monde dans les neiges. Ces pauvres Prêtres peu« vent fe vanter d'habiter un des plus trif-tes lieux du Monde; voir neiger, ôc fouf-fler dans les doigts, neuf mois de l'année, eft leur plus grand amufement. Li deî- dcfcente du Mont Cents du côté de la Sa* voie eft beaucoup moins rude : en Hiver, on a le plaiiir de pouvoir faire cette defcente en traineau, ce que les gens du Pays appellent fe faire ramajfer. Cette manière d'aller eft très commode,& fort divertiflante ; il n'y a point de trait d'arbalète qui aille plus vite. Je connois un Gentilhomme Anglois qui a demeuré huit jours à ~Lanebourg, ôc qui ne celfoit de remonter la Montagne après qu'il l'avoit defeendue, & le tout pour avoir le plai-fir de fe faire ramajfer. Lanebourg ôc fon Auberge ne valent pas mieux que ha Novalaijé .- on eft encore obligé d'y attendre que les voitures (oient remontées. Ceux qui fe •fervent de Voituriers deTurin ou deCham* beri, ne font point ordinairement dans cette obligation, parce que la plupart de ces gens ont des voitures des deux côtés de la Montagne, ôc ne font que faire rraniporter les bagages, qui font bien vite chargés. Depuis Lanebourg à Cham-béri, Ton eft toujours enfèveli dans les Montagnes ôc les Rochers, Ôc l'on voit fouvent des précipices qui font frayeur. On y a véritablement des barrières, mais elles font fi foibles, qu'elles ne peuvent point arrêter une voiture. J'ai vu tomber une charette attelée de quatre chevaux, dans un de ces précipices: les chevaux fe tuèrent, la voiture ôc toute it char^ bu Baron de PÔllnïtz: 365; charge, qui confiftoit en porcelaines ôc Lanb-en glaces appartenant à Mr. le Prince de bourg. Carignan, furent brifées en mille pièces. Le Voiturier, qui ne perdoit cependant pas fa voiture par fa faute, voulut fe tuer j il tira fon couteau Ôc s'en feroit poignardé, fi mon Poftillon ôc d'autres gens ne l'euffent empêché. J'ai paffé par plufieurs petites Villes, qui ne méritent pas d'être nommées. S. s. Jean Jean db Maurienne eft la prin- ^J*™ cipale , parce qu'elle eft le Siège d'un Evcque, ôc la Capitale de la Province de Maurienne. C'eft un très ancien Comté, ôc le premier héritage des Princes de Savoie. Cette Vallée s'étend depuis les Alpes jufques à la Rivière àTJère d'un côté , ôc depuis la Tarantaife jufqu'au Dauphin/. Chamberi, Capitale de cha^^ la Savoie, n'eft pas une Ville où on doi- bi:ri* ve chercher de ibmptueux édifices , les maifons y font de peu d'apparence. Mais le féjour n'en eft pas moins agréable. Elle eft fituée fur la Rivière (ÏOrbanney dans... une fort petite Plaine entourée de Collines. Les promenades y font gra-cieufes, ôc on y a très bonne compagnie. Il y a une nombreute Nobleffe, qui à la vérité n'eft pas des plus pécunieufes, mais qui ne laiffe pas de faire bonne chère ôc de fè beaucoup voir. Les Daines y (ont belles, ôc les hommes bien faits-le Peuple eft doux ôc civil j ôc en général 3 366 , Lettres Cham- ral > les Savoyards font de très bottneU jBBiii. gens. On les accufe d'être trop ceco-nomes; mais ils le font peut-être plu» \ par nécefîité, que par inclination. Lorf-qu'avec peu de bien on eft obligé de foutenir Nobleffe , il faut ufer de ménage malgré qu'on en ait. A cinq lieues de Chamberi j'ai defcen-du une haute Montagne, qu'on a percée pendant une demi-lieue de chemin. Une Infcription Latine qui fe trouve au pied de la Montagne, &c que je n'ai pas eu le tems de copier, m'a appris que les Romains avoient entrepris autrefois de faire ce chemin, mais qu'aiant jugé l'en-treprife impoffïble, ils y avoient renoncé: que Charles-Emanuel IL avoit, pour le bien de fes Peuples Se du Public, entrepris cet ouvrage, Ôc eu la gloire de le conduire à là fin. Ce Prince a fait en ceci, tout ce qu'un grand Souverain pouvoir faire de plus utile ôc de plus magnifique. Je doute qu'il en fût venu à bout, fi, comme les Romains, il n'a-voit pas eu l'ufage des Poudres. Il a fa-lu faire fauter des Rochers d'une hauteur prodigieufe, pour établir le lit de la Chauffée, qui eft bordée, des deux côtés, par des Rochers taillés en manière de murailles, dont la hauteur s'élève jufqu'à la cime. Ce chemin creux eft fu-jet à de grands brouillards. Lorfque jô l'ai paffé, il faifoit le plus beau tems du mon» Hionde dans la Plaine : en encrant dans Cham-le Défilé , j'ai trouvé un brouillard é- ukr:. pais, qui m'empêchoic de voir mon Portillon. Ce brouillard m'a conduit jufqu'au Bourg de L'Echelle, qui eft au pied CHelle. de la Montagne, à l'entrée d'une Plaine qui conduit jufqu'à Lyon. J'ai paflé encore au Pont de Bonvoisin , petite Pont de Ville partagée entre les Rois de France ôc ^ï^01" de Sardaigne. Les deux Princes y ont leurs Bureaux d'entrée ôc de (ortie, dont les Commis font peu traitables. Le Roi de France tient un Commandant ôc deux Compagnies franches dans la part deBott-vo/fm qui lui appartient. C'eft la première Ville de Dauphiné, qui n'eft pas une des moindres Provinces du Royaume. Elle fut donnée à Philippe de Valois par Humbert de la Tour, dernier Prince Souverain de Dauphiné, qui portoit le Titre de Dauphin de Viennois. L'Hiftoi-re rapporte, qu'Humbert fe voyant fans Enfans, fit une donation de fa Principauté au Roi de France, & qu'il em-braifa à Lyon la Vie Monaftique foua la Règle de S. Dominique, dans laquelle il vécut fort eftimé des gens de bien. jj fut enfuite choifi pour être Prieur de ce Couvent, ôc nommé Patriarche d'Alexandrie. On raconte qu'il "avoit caufé innocemment la mort de fon Fils unique ôc qu'il en fut u vivement touché, que'de des- 36*8 Lettres i'ont de defefpoir il fe réfolut d'embraffer la Vie Bonvox; ReHgieufe. Mais d'autres difent, qu'a-iant une fecrette haine contre le Duc de Savoie, à qui il ne pouvoic tenir tête, il s'accommoda avec le Roi de France, pour donner au Duc un voifin puiïfant, très capable de lui réfifter & de le met-rre à la raifon. II faut avouer que iî cela eft vrai, c'eft une trifte manière de fe venger, que de fe dépouiller d'une Souveraineté pour faire du mal à fon ▼oifin. Peu de Princes feroient d'humeur, je penfe, de fe venger de la iôr-te. Le même Humbert exigea, que le Fils ainé de France porteroit le titre de Dauphin. C'eft ce qui lui fut accordé, & qui s'eft toujours obfervé depuis. Le Duc dOrléans, Premier Prince du Sang de France, eft Gouverneur du Dauphiné* Cette Province a un Parlement, qui fe tient à Grenoble. Les anciens Dauphins rehdoient à Vienne, qui eft un Archevêché. Ce fut aux environs de cette Ville, que furent relégués Hérodç 6c Pilate, les Juges du Sauveur. jyon. Lyon eft une Ville fi considérable, que les François dilent communément, Après Paris, Lyon *. Cette Ville eft tra- ver- * [Ce ne font pas les feuls François, qui vantent la grandeur & les autres avantages de Lyon, comme il paroît par cette Epigramme de Scaliger: Vbtmimh Rhodarw > quaU/nm im'ttHs, ttsdis, verfée par la Saône, ôc le Rhône baigne Lyon. fes murailles. Elle eft grande, & opulente. Ses Habitans font induftrieux, laborieux^ adonnés au Commerce. C'eft la Ville de France, ôc peut-être du Monde, où il fe fabrique les plus belles E-tofîes. On tâche de les imiter à Turin, en Hollande, ôc ailleurs, mais on ne fàu-roit parvenir à les égaler. La Ville de JLyon eft le Siège d'un Archevêque. C'eft Mr. de Rochebo7ine qui occupe cette place: il a fuccédé à feu Mr. de Villeroi, Fils du feu A4aréchal de ce nom, Gouverneur de Louis XV. La Maiion de Villeroi eft en poiîèfïïon depuis longcems du Gouvernement de Lyon, ôc des premières Dignités de la Province. Le feu Maréchal obtint le Gouvernement de Lyon ôc du Lyonnois du Roi Louis XIV. Ce Monarque lui accorda auffi la furvi-vancc de ce Gouvernement pour fon Fils ainé, l'Archevêché pour fon fécond Fils, ôc l'Abbaye de S. Pierre dans Lyon pour fa Fille. Le Duc d'Orléans, Régent du Royaume, lui conféra de plus la furvi-vance du Gouvernement de Lyon pour fes Petits-fils le Duc de Retz. ôc le Marquis Qfta^ut pi;r» Jubilât flumint mîtis lArar, ^■ugàiitinm jactt » antique nov.ii a bis i/i orbi, Lugdunumqnt vcttis orùis in orbe uovo, nain alibi qusTit ,l>lc quart qttnjoptas ; Aux hic t aut nusqunm , vincerc vota potts '■>' Tome IL A a 57© L B- t1 tres quis d? Alincourt, & nomma ce dernier Lieutenant-Général de la Province. L'autorité, qui fait ordinairement haïr ceux qui en font pourvus, n'a point attiré cette fatalité à Mrs. de Villeroi: il eft vrai qu'ils ont toujours agi avec beaucoup de modération. Ces Seigneurs (ont bienfai-faus, honnêtes, civils , 6c magnifiques. Ils font fort aimés dans Lyon. Le feu Maréchal y étoit refpeclé comme le Roi même. Il a procuré de grands avantages à la Province, 6c particulièrement à la Capitale. [On raconte un trait fort joli, touchant l'admilïion du premier Villeroi à la Dignité Archi -épifcopale de cette Ville. Le Chapitre de Lyon eft un des plus fiers de toute la Chrétienté, 6c ce n'eft pas fans rai fon , il eft fondé fur le fang de plus de ao mille Martyrs, & il a toujours paiïë pour le Séminaire des Papes , des Cardinaux , des Evêques , qui en ont été tirés pour gouverner l'Eglife. La Nobleffe y eft inféparable du Sacerdoce, &c divers Auteurs remarquent, que clans le troifièmc Siècle , le Chapitre é-toit compofé de 7+ Chanoines, dont l'un étoit Fils d'Empereur, 9 Fils de Rois, 14 Fils de Ducs, 30 Fils de Comtes, 6c 20 Barons. On ne fera donc, pas étonné que Mrs. tes Comtes de Lyon > car on ne les nomme pas Chanoines, aient fait difficulté d'admettre comme Ar- Archevêque Camilk de la Neuville , qui ly n'étoit pas de leur Corps, ÔC que le Roi Louis XIV avoit nommé à cet Archevêché. Neuville, comme on fait, eft le nom de la famille de Villeroi. Le , NI-aieul de ce Prélat éroit le premier de cette Famille qui fe fût fait connoitre ,. il avoit été Tréfbrier de l'Ordinaire des Guerres, Ôc Prévôt des Marchands de h Ville de Paris , ion Aieul Nicolas d-: In. Neuville avoit éré Secrétaire d'Etat, Ôc fon Pere Charles de la Neuville éroit le premier de la famille qui eût été titré , aiant pris le nom de Marquis d'Alincourt, Sieur de Villeroi, Terre que Pierre le Gendre Tréforier de France avoit donnée à fon Aieul. Le Marquis iïAlincourt étoit Gouverneur de Lyon ôc du Lyonnais ; & étant mort en fervent le Roi Ambaffadeur à Rome , Sa Majeilé donna à l'on Fiis l'Archevêché de Lyon, lorfqu'il vint à vaquer. Le Chapitre refufa de l'admettre, parce qu'il netok'pas d'un rang convenable , ôc qu'il n'étoit pas de fon Corps: mais le Roi trouva moyen de fe faire o-béir, ôc lorfque l'Archevêque harangua le Chapitre , il prit pour Texte ces paroles du Pfalmiite: Lapis quem reprob'averunt œdijïcantes hic faélus ejl in caput a-mli, ( La pierre que ceux qui bâtijfoieut avoient rejettée , a été placée à la tête de l'angle. ) Le difcours fut, dit-on, aufïi iniuftant pour le Chapitre, que le promaîtolt le A a 2 choix choix du Texte, Le Doyen , par une préfence d'efprit qui fut applaudie, ne répondit à Mr. l'Archevêque qu'en récitant la fuite du verfet, dont le Prélat avoit feulement pris le commencement, & dit : Hoc faclum eft à Domino, & efl mirabile in oculis noftrts. C'eft à dire; C'eft le Sei-gneur (le Roi) qui a fait cela, <& c'eft ce qui pa-roit à nos yeux digne d'admiration. Cela n'a pas empêché que le nouvel Archevêque n'ait trouvé le moyen de devenir Gouverneur Ipirituel & temporel de cette Ville , car il fut fait Lieutenant-Général au Gouvernement du Lyonnois, jufqu'en 1691, qu'il eut pour Succeffeur le Fils du Maréchal de Villeroi fon Neveu , auquel Mr. de Rochebonne a fuccé-dé.] Ln l'abfence du Duc de Villeroi Gouverneur de la Ville , c'eft le Prévôt des Marchands qui commande ; Ôc ce n'eft pas ce qu'il y a de plus gracieux pour un Etranger qui arrive en pofte. On eft conduit chez lui , ôc examiné comme fi on étoit fur la fellettc. J'ai été obligé de me conformer à l'ufage. Il m'a fait attendre longtems dans une Antichambre remplie de toutes fortes de gens ; il a paru enfin avec un air d'importance, pour lequel il n'étoit point né. Les questions qu'il m'a fait, ôc mes réponfes, ont été des plus laconiques : je m'imagine qu'il n'eft pas plus fatisfait de moi, que Lyon» je le fuis de lui. Le Prévôt des Marchands doit être changé tous les trois ans ; mais lorfqu'il eft agréable à Ja Cour , il eft ordinairement confirmé. La grandeur paflàgère de ces Meilleurs dcvroit naturellement les rendre moins fiers. Dépouillés de leur Emploi, ils font ce qu'eft un Comédien qui vient de quitter fon habit à la Romaine , dans lequel il a repréfenté Mi-thridate ou Pyrrhus. J'ai lieu d'être aulîî content de Mr. Poultier Intendant , que je le fuis peu de Mr. Péricbon Prévôt des Marchands. J'ai été lui faire vifite, il eft venu chez, moi; ôc depuis quatre jours que je luis ici, je vais tous les foira chez, lui, & j'y vois ce qu'il y a de meilleur dans cette Ville, où il y a bonne compagnie, mais peu de Nobleffe. Les Négocians du premier ordre vivent en petits Seigneurs, Ôc ont de belles maifons à la Ville ôc à la Campagne. Pour peu qu'un Etranger foit connu , il trouve à s'amufer : Içs Lyonnois font prévenans Ôc honnêtes, ôc ne font poine affez, attachés au Commerce pour négliger les bonnes manières. Ils me font force politefles, Ôc excellente chère. Ils aiment le Jeu, ils ne font pas indifferens pour le beau Sexe, ôc encore moins pour Je Vin. La Comédie eft palpable, ôc autant fuir Aa 3 vie vie que fi elle étoit bien bonne. Les Comédiennes font prefquc toutes fortune en cette Ville, & ii elles n'y- amatiènt point des riebefiès, elles s'y forment du moins une belle Garderobe. A la Toilette de ces Demoifelles, un Capitaine eft obligé de cècicr le pas à un Courtaud de boutique, il y a ici une vieille Comédienne, «tu depuis quarante ans fait les délices du gros de Lyon. Les gens de bon goût vou-droient 1a favoir bannie du Théâtre; mais il n'y a pas moyen de porter cette Beauté furannée à ne plus étaler fes antiques appas. Elle a la direction de la Comédie, ce qui lui vaut vingt-mille livres de rente. On a voulu lui retrancher cette penfion, qui véritablement pourroit être mieux employée; mais Mdlle Marez., c'eft le nom de la Matrone , a repréfenté qu'elle ne pouvoir pas vivre à moins de trente-cinci-mi!!c livres de rente, que fon Amant n'étoit pas en état de lui en fournir plus de quinze, mille, qu'elle n'avoit point de bien, & qu'elle étoit une fille perdue fi on touchoit à fa penfion. De fi juftes raifons ont prévalu, & on n'a point jugé devoir pouffer à bout la pauvre Mdlle Marcz.. Une Dame de Province qui é-toit ici, entendant dire que l'Amant de la Marez lui faifoit quinze-mille livres de rente, s'écria plaifammem: Ah la coquine ! il faudroit la brûler : elle Ste le pain * plus de quinze honnêtes femmes. Je me promène beaucoup ici à la Place ly( de Belle-Cour, ou de Louis le Grand. J'y rencontre toujours bonne compagnie , beaucoup de Femmes très aimables, bien miles , & qui contrefont allez bien les femmes de qualité. Mais je vous parle de la promenade de Belle Cour, fans vous a-voir dit ce que c'eft que cette Place. Elle eft beaucoup plus longue que large. Les maifons des deux extrémités font d'une égale Architecture, ôc d'une belle décoration: il feroit àfouhaiter que celles des deux côtés fuflent de la même fymmétrie. Cette Place n'eft point pavée, ôc eft bordée d'un côté par une Allée d'arbres. Au milieu eft la Statue équeifre de Louis XIV. Ce Monarque y eft repréfenté à cheval , fur un piédcftal de marbre blanc, où pour toute Infcription il y a le nom de Louis XIV ,* qui après tout renferme bien des. éloges , Ôc que feu le Maréchal de Villeroi, qui a engagé Mrs. de Lyon à faire cette dépenfe, a regardé comme tout ce qu'il pouvoir nommer de plus grand ôc de plus rcfpcétable. Une féconde Place,, qu'on nomme les. Terreaux, mérite d'être confidérée. L'Hôtel de Ville y fait face : c'eft un Edifice de pierre, qui a de la grandeur ôc de la magnificence. Louis XIV à cheval eft repréfenté en bas-relief au deffus de la porte. A la gauche de la Maifon de Ville, fur la Place des Terreaux, elt l'Abbaye A a 4. de 37 cjue Mademoifelle inftitua le Duc du Maine fon héritier. Bombes a un Parlement j & Trévoux eft célèbre par le Journal Litéraire qui s'y imprime , & qui caufe fouvent des difputes parmi les Sa-? vans. Après avoir paffé Trévoux, nous avons vu encore diffèrens Bourgs 3 Villages & Châteaux, dans un des plus beaux payfa^ ges qu'il eft poliible de fe repréfenter. Nous avons dîné fort à la hâte dans un Village, £c nous fommes venus coucher à Maçon, Ville Epifcopale. Les Chanoines de la Cathédrale, y portent le Ti-tre de Comtes, comme font les Chanoines de l'Eglife de S. Jean de Lyon. Cette Ville ne ma pas paru avoir rien de remarquable, & je ne me fuis point allez arrêté pour lavoir s'il y a bonne compagnie. Chalons sur Saône eft encore le Siège d-un Evêque , & ne m'a pas Cha-paru plus coniidérable que Alâcon J'ai I-ONS a a , ' J, , SUR A a 5 Cte Saône. été voir le Château , qui répond fort à la Ville. On m'y a montré l'Apartemeut où la Ducheflè du Maine a été détenue prifbnnière pendant la Régence du Duc ètOrlfam. Il faut avoir toute la fupcrioritc d'efprit qu'a cette Princeffe , pour n'avoir pas fuccombé à une difgrace pareille à la fienne. Elle avoit vu peu de tems auparavant,' toute la France empreiTée à lui faire la cour ; fa magnificence n'étoit égalée par aucune PrinccJfe du Sang,- elle étoit 'fuperbcmcnt logée ; ÔC tout d'un coup elle .s'eft vu déchue de toutes fes grandeurs , ôc réduite à vivre dans un vilain Château, fans autre compagnie que les Femmes qui lui étoient néceflaircs pour la fervir. * Je vous parlerai dans la fuite plus particulièrement de cette Prin-. celle j- maintenant, je continue ma route. Djjok. De Châlons je fuis venu à Dijon , après * [Ce revers n'arriva au Duc du Maine 8c a fon Epoufe , que fur un feupçon qu'eut Mr. le Régent, que ce Prince avoit part a la prétendue Conspiration du Pnncc de Ct'iamare Ambafladeur d'Efpagnc, dont le but étoit , di(oit-on i d'ôrer la Régence au Duc à'Orlfans. pour ta donner au Roi d'Efpagnc, qui auroit mis le Duc du Maine en (à place, fuivant la dernière volonté de Louis XIV. Ce foupçon fuffit pour rendre ce Prince coupable, & tout ce qui lui appar-tenoit. Il fcroit à fouhajtcr , que quelque témoin oculaire de tout ce qui f« paflà alors à Ja Cour & m Bretagne, en donnât une fidèle relation a» Public] après avoir paffé par Beaune , & côtoyé les meilleurs vignobles qui ïbient dans la Bourgogne. A vous parler avec franchife, je m'étois fait tout une autre idée de Dijon , que je ne l'ai trouvée en effet. Cette Ville efl ancienne , & la plupart des maifons font vieilles ôc de peu d'apparence, quoique très commodes ôc très logeables. Il y a la rue de Condé, qui eft nouvellement bâtie ; les maifons y font d'égale fymmétrie : le bas forme des boutiques, & au deflus font les logemens des Marchands ; les fenêtres ont des balcons de fer , ce qui feroit un bel effet, fi les maifons étoient plus élevées. Cette rue conduit à la Place Royale , où. l'oruvoit la Statue équeftre du feu Roi. Louis XtV: elle eft placée fur un piédef-tal fi élevé, que la Statue eft plus exhaus-fée que les maifons qui environnent la Place. Cette Place, d'ailleurs, eft beaucoup trop petite pour contenir un fi grand Monument. Actuellement , les maifons font trop balles \ 6c fi on leur donne de l'élévation , la Statue paroitra être dans une cage. Cette malle de bronze a été jettée k Paris; on fa tranfportèe par eau à Auxerre, où elle elt demeurés très longtems, fbn exceifive pefanteur oC fa grandeur la rendant immuable. Elle a été enfin tranlportée par charroi à Dijon, non fans beaucoup de peine ôc une très grande dépenfe. Il me paroît que c'eft une une des moindres Statues du Royaume. Elle fait face à la Maifon du Roi , où loge Mr. le Duc de Bourbon Gouverneur de la Province, C'eft un afiez grand bâtiment j avec deux ailes avancées ; mais qui ne fauroit pafler que pour un Edifice très irrégulier. Je n'ai point été voir les Apartemens , parce qu'on m'a dit qu'ils étoient démcublés , ôc qu'ils ne vàloient pas la peine d'être vus. Le Palais où s'afTemble le Parlement, eft très ancien, & un des plus vilains du Royaume. Je ne fai fi c'étoit là que réfi-doient anciennement les Ducs de Bourgogne : en tout cas ils n'étoient pas magnifiquement logés. Dijon vient d être érigé depuis peu d'années en Evêché, par le feu Pape Benoit XUIy à la requifition de Mr. le Duc de Bourbon, qui a été bien aife de procurer cet honneur à Ja Capitale de fon Gouvernement. Le Cours de Dijon eft tout cç qu'il y a de plus beau autour de cette Ville, qui, fincèrement parlant, n'eft ni belle ni a-gréable. Le Peuple y eft peu civil , ôc les perfonnes de qualité font fort entêtées de leur Nobleffe. Lifez , je vous prie, Jes Lettres de Bujji-Rabutin, ôc vous con-noitrez tous les Gentilshommes Bourguignons; ils font tous, comme lui, gonflés de leur naiflànce. Le Parlement de cette Pro- Province eft prefque tout compofé deper- Dijon, fonnes de qualité. Mr. le Duc de Bourbon eft le quatrième Gouverneur de Bourgogne, de la Maifon. de Condé : c'eft comme un appanage de cette Maifon. Ce Prince ne vient à Dijon que pour y tenir les Etats. Mr. le Comte de Tavannes, qui eft Lieutenant-Général delà Province, y commande en l'abfence de S. A. S. Il y a un intendant, ôc toutes les Cours Souveraines. Malgré tout ce monde, Dijon m'a paru trifte, & j'ai vu beaucoup de Villes moins conndé-rablcs en France , qui m'ont paru être plus gaies ôc plus agréables. 11 y a un Concert public, où on m'a fait aller malgré moi : j'avois un preffentiment qu'il ne ieroit pas des meilleurs, & cela ne s'eft trouvé que trop véritable. La Salle étoit magnifique , l'Aûemblée belle 6c nom-breufe ; ôc le Concert auroit été fort beau, s'il y avoit eu des Muficiens. On pou-voit dire que c'étoit un Charivari noté. De Dijon j'ai été à Auxsrre ôc à Auxer. Sens. Cette dernière Ville eft un Ar- re. chevêche. C'eft tout ce que je puis vous S£NS* en dire; je ne m'y fuis arrêté que pour changer de relais. En arrivant à Auxerre, j'ai trouvé toute la rue dans laquelle eft la maifon de la Pofte, remplie de Populace, ôc entre autres d'un grand nombre de Femmes, qui paroiffoient toutes fort animées. Cela venoit de ce que, la nuit pré- 382 L E T T R ES précédente, la Femme d'un Boulanger a-voit mis fon Mari dans un état qui le ren-doit propre à occuper une des premières Charges dans le Serrait. La jaloulie lui avoit fait commettre cette action barbare. Son Mari qui avoit vingt ans, 6c qui étoit de très bonne mine, voyoit un peu particulièrement (du moins ainfi le difoit la Chronique fcandaleufe cYAuxer-re) une Pâtifïiere jeune Ôc jolie. Madame la Boulangère , qui étoit vieille ÔC laide, ne pouvant fupporter l'infidélité de fon Mari , eut foin de mettre un rafoir fous le chevet de fon lit, ôc dans le tems que fon Mari lui donnoit des marques de fi tendreffè , elle en avoit fait un fécond Abailard. Cette Tragédie venoit de fe palier lorfque je fuis arrivé à Au-xerre ,dont ies Habitans étoient tous fort animés contre la Boulangère. On venoit de conduire cette malheureufe en prifon. Les Femmes fur-tout la maudiffoient, ôc faifoient contre elle des imprécations qui, quoique dites très férieufement , avoient quelque chofe de tout à fait comique. Si elles l'avoient «ue à leur difpofition, elles l'auroient mife en hachis. Fontainebleau, Maifon Royale par où j'ai paffé, eft éloigné de quatorze lieues de Paris. Le Château eft accompagné d'un gros Bourg, au milieu d'une grande Forêt coupée par quantité de longues Routes , pour la commodité de la Chafie. Il eft fans régularité ï par- r? 1 r» ■ 1 . 5 " Montai- ce que tous les Rois, depuis François J. njebleau jufqu'à "Louis XIV, y ont fait des augmentations très confidérablcs. Cependant les Apartemens ont de la grandeur 6c de la magnificence. On y voit quantité de plafonds peints par des Maitres renommés, que François-1. fit venir exprès d'Italie. La Gallerie des Cerfs eft célèbre par l'action cruelle que Chrifline Reine? de Suède y commit, en faiiant afîàlfiner en fa préiènee Monaldefchi ion Grand-Ecuyer ÔC fon Favori , après lui avoir montré quelques Lettres qu'il avoit eu l'imprudence d'écrire, Ôc lui avoir reproché fon infidélité en préiènee du Mr-niftre * de l'Ordre de la Sainte Trinité , qu'elle avoit fait appeller pour confèllèr ce malheureux , dont il follicita inutile, ment la grâce. Louis XIV fut extrêmement indigné de cette exécution , faite dans fon Palais, ôc prefquc à fes yeux: il garda néanmoins un profond filence, pour n'être pas obligé de faire éclater ion mécontentement; mais il ne diffimula pas fi bien , que Chriftiiie ne s'apperçût qu'elle étoit de trop à fa Cour. Elle prit le parti de fe retirer à Rome, où elle eft morte en 1689. Un * [C'eft ainfi qu'on nomme dans cet Ordre, mieux connu en France fous le nom de Mathurlns, le Reli- ficux qui ilçat la place dç Prieur dans les autres Or-tes.] Fon ta i- Un fpedtacle plus riant, plus grand J *ii:bl£au. & plus glorieux pour Fontainebleau, eft la cérémonie du Mariage du Roi Louis XV. Le Duc d'O rléans avoit époufé par Procuration la Reine à Strasbourg. Cette Princeffe étant venue à petites journées jufqu'à une lieue de Moret , le Roi, accompagné des Princefiès du Sang, alla jnfques-là au-devant d'elle. J'ai été témoin de cette entrevue. Les deux caroffes du Roi ôc de la Reine étant à vue l'un de l'autre, avancèrent au trot quelques pas, puis arrêtèrent. Leurs Majef-tés mirent pied à terre , Ôc s'avancèrent l'un vers l'autre, marchant fur des tapis dont la terre étoit couverte, La Reine étant près du Roi, fe mit à genoux fur un carreau de velours bleu , parfemé de fleurs-de-lys d'or. Le Duc d'Orléans ÔC le Duc de Bourbon la relevèrent. Le Roi la falua, mais ne lui dit rien. Les Princes & les Princefiès la faluèrent aufïi, & en furent reçus avec un air de douceur, de bonté ôc de modeftie, qui prévint toute la Cour en fa faveur. Le Roi monta enfuite dans ion caroffe ; la Reine s'y plaça à fa gauche, les Princes ôc les Princefiès s'y placèrent félon leur rang, ôc l'on fut ainii à Moret. J'ai ouï dire à feue Madame la Ducheffe d'Orléans , qu'on avoit d'abord obfervé un très grand filencc dans le carofle: tous ceux qui y étoient, par refpect pour le Roi, attendoient qu'il parlât le premier,- Fontai-mais comme il ne dit rien , Madame la nebleav» Duchefie d Orléans, qui avoit vu la Reine en Allemagne ôc à Metz, fut la première à parler. Infeniïblement, la conversation devint générale. On arriva à Moret. Le Roi Ôc la Reine, fuivis des Princes Ôc Princeiïès, paifèrent dans le Cabinet de la Reine. Le Roi y parla, ôc y demeura une heure. Il s'en retourna enfuite à Fontainebleau, accompagné du même cortège avec lequel il en étoit parti. Le lendemain, la Reine arriva à huit heures du matin à Fontainebleau. Elle n'avoit d'autre efeorte que celle qu'elle avoit eue pendant tout fon voyage. Comme elle étoit en deshabillé, elle alla droit à fon Apartement, elle s'y mit à la Toilette, ôc lorfqu'elle fut habillée, on lui annonça le Roi. Ce Prince parut quelques momens après; il avoit un habit à manteau de brocard d'or, garni de point d'Efpagnc d'or ; le tout étoit enrichi de diamans. Sa Majefté falua la Reine, ôc en même tems commença à marcher vers, la Chapelle. La Reine marchoic immédiatement après le Roi ; elle étoit appuyée fur Mr. le Duc d'Orléans ÔC Mr. le Duc; elle avoit un habit de velours bleu parfemé de fleurs-de-lis d'or, la jupe Ôc la queue de fa robe étoient rebordées d'hermine, ôc garnies de dia- Tome II. B b mansj Lettre * FoMTAt- mans '■> & Mante Royale étoit pareille à webleau*l'habit, elle étoit portée par les Prin-celTes du Sang. Sa Majefté avoit la Couronne Royale. Il eft certain que tout ce qui environnoit la Reine étoit d'une grande magnificence, & formoit un très grand fpectacle. La Chapelle étoit tendue de riches tentures de velours bleu, en broderie d'or. L'Electeur de Cologne, le Prince Electoral de Bavière aujourd'hui Electeur , le Duc Ferdinand, ôe l'Evêque de Frcijingue <& Batisbonne, affilièrent incognito à la cérémonie. Ce fut le Cardinal de Bohan qui donna la bénédiction nuptiale à Leurs Majeftés. La Reine fe trouva mal, pendant la Meffe. Mr. le Duc, qui s'en apperçut, lui donna de l'Eau de Méliffe, 6c la Reine fe trouva d'abord foulagée. Après la MelTe, on retourna en grande cérémonie dans l'Apartement de la Reine, 6c bien-tot après fe fit le Feftin Royal. Les Princes ôc Princefles du Sang mangèrent avec Leurs Majeftés. Tout cela étoit fort beau: mais la falle étoit trop petite, on y étouftoit, ôc les trois quarts des perfonnes ne purent entrer. Après le Feftin, Leurs Majeftés changèrent d'habits, & firent un tour de promenade autour du grand Canal. Tous les Seigneurs de la Cour, ôc la Maifon du Roi, précédoient la calèche où étoient Leur* Majeftés ôc la Famille Royale, ôc les Dames fuivoient dans des caroffes à Fontai-ilx chevaux II eft certain que ce qu'il y neblea-j. avoit de plus magnifique en ceci, étoit le nombre des perfonnes, ôc les habits; car quant aux Equipages,ils étoient très ordinaires, pas un feul caroffe neuf, des livrées vieilles, ôc les Seigneurs affez mal montés. Le Roi Ôc la Reine étant retournés au Palais, il y eut Apartement. Leurs Majeftés foupèrent eniuite avec les Princef-fes du Sang, ôc il y eut Concert pendant le fouper. Leurs Majeftés étant levées de table, s'approchèrent des fenêtres, Ôc virent le Feu d'artifice ôc l'Illumination du Parc, qu'on admira beaucoup , mais qui véritablement parurent peu de chofe à nos Allemands, accoutumés à voir des Feux d'artifice qui coûtent des fommes immenfes , ôc dont l'exécution furpaflc tout ce qu'on fait ailleurs dans ce genre. Voilà à quoi fe terminèrent toutes les réjoufiTances à l'oç.cafion du Mariage du Roi. On dit qu'il y eut de grandes Illuminations ôc de grands Fenx de joie £ Paris- comme j'étois à Fontainebleau, je ne les ai pas vus. Ce qu'il y a de certain , c'eft que quelque iatisfaction qu'euf-fent les François du mariage de leur Roi, ils n'avoient pas trop envie de rire; la livre de pain cou toit onze fols, ôc peu de gens en mangeoient tout leur faoul. On ne rit guère, lorfque les boyau* crient. 8 b 2 Mais Fontai- Mais je laiiïe là cette longue digreflïon* ^ebleau. & je reprens le fil de ma narration touchant la defcription de Fontainebleau. Cette Maifon Royale eft accompagnée d'un beau Parc, qui, bien que beaucoup moins orné que celui de Ver [aille s , ne laiffe pas d'avoir des beautés remarquables qu'on ne trouve pas dans celui - ci. Le grand Canal eft fuperbe; & généralement parlant, le Château de Vont aine-bleatty avec tout ce qui l'environne , a bien plus l'air d'une Maifon Royale, que Ver failles & que Marly. Le Bourg ou la Ville de Fontainebleau, car je ne fai comme il faut l'appeller , * eft a fiez bien bâti. La plupart des Seigneurs y ont des & leurs Domeftiques ; car l'ufage de la Cour de France eft, que tout ce qui eft Seigneur attaché à la Cour , doit être logé dans le Palais du Roi ; & les François font tellement infatués de cet ufage, qu'un Seigneur préfère d'être logé dans une Ratière au Palais, à un Apartement commode & magnifique qu'il aura dans fon Hôtel à Verfailles ou à Fontainebleau. Le chemin de Fontainebleau à Taris eft entièrement pavé. On paifc auprès de quantité de belles Maifons > entre au- Hôtels, où ils mettent très, * [C'eft un Bourg.] très, devant la Grille de Petitbourg Pet appartenant au Duc iïAntin, par fuccef- B°u lion de la Marquife de Montefpan fa Mère. Il y a élevé, depuis peu d'années, de très grands édifices, où il paroît de la magnificence ôc de la grandeur; fans parler des riches meubles, des agrémens du Parc, ôc de plufieurs autres chofes qui fatisfont infiniment parle choix ingénieux ôc par leur bel arrangement. Choisy, qui appartient à Madame choi la Princeffe de Conti première Douairière , Fille de Louis XIV Ôc de Mlle, de la Valière g eft félon moi une des plus belles Maifons du Royaume. Elle eft toute bâtie à la moderne, ôc (ituée fur le bord de la Rivière. Les Apartemens (ont fort ornés. Le Jardin qui l'accompagne eft fpacieax,ôc coupé par diverfes Allées qui fournifîent de très belles promenades, ôc rendent Choijy un Lieu enchanté. Je ne finirais pas, fi je vous nommois toutes k\s autres belles Maifons qui font fur cette rpute. Si vous en voulez favoir le nom Ôc la fituation, liiez les Délices de la France, vous trouverez toutes ces Maifons amplement décrites. Pour moi, je me trouve un fi grand mal de tète, qu'il m'eff impoifible de vous ci? dire davantage pour cette fois. Dans peu de jours, vous aurez encore de mes nouvelles: je vous parlerai alors de Paris. En atten-\ Bb 1 dant, dant, croyez-moi toujours entièrement3 vous. A Paris, ce 20 Mars 173a. LETTRE XXXIX. M o n ! 1 eur, NE penfez pas que j'aille vous donner une defcription exacte de la Ville de Paris: ce feroit une entreprife aufïi inutile, qu'elle feroit au deffus de mes forces. Parts a été taftc décrit, 6c on en entend tant parler, que la plupart des gens favent comme elt faite cette Ville , ia'ns l'avoir jamais vue. Pluiieurs Auteurs fe font difputés fur l'antiquité de Paris, mais ils n'ont pu Convenir des faits; ainfi je n'ai rien de pofitif à vous dire fur ce fujet. Céjar en parle affez avantageufement dans fes Commentaires, 6c dit que de fon tems cette Ville s'appelloit Lutetia. Les Savans font encore très peu d'accord fur l'origine de ce nom * : je les laifTe difputer tant qu'ils vou- * [ Le nom Latin Lutttia vient. lèlon toutes Joe apparences 1 de Lencothecia, qui lignifie Ville blanche, nom que Straboudonne à cette Ville, dont les mailbns étaient revêtues de plâcrcj par abbr^viation » on en voudront, & je vous aiîure que je ne prends point parti dans leur querelle. Selon le Père Daniel, la Ville de Paris eft devenue Capitale ibus le Règne de Clovis, vers l'an 507. Mais alors Paris étoit encore très peu de chofe, & à le bien confidérer, on ne peut mettre cette Ville au rang des grandes Villes, que depuis le Règne de Philippe-Augufie. Ce Prince prit à tâche de l'embellir , & y fît des Ouvrages qui pailbient alors pour très magnifiques. Depuis ce tems-là, Paris a toujours été la demeure des Rois, &C n'a ceffé d'augmenter en grandeur & en beauté. Mais aucun Roi n'a tant contribué à la magnificence de Paris, que celui qui y a le moins demeuré, je veux dire Louis XIV. Ce Prince y a fait faire des travaux dignes du plus grand Monarque du Monde. Je pourrai vous parler plus particulièrement de quelques-uns de ces Ouvrages. Les François prétendent que Paris eft la 3 fait LutetU. Quant au nom Paris, il eft certain qu'il vient de Para-Ifîs, c'eft-à-dire pris-d'IJis ,Deefle allez connue, &c qui avoit plulieurs Temples dausce Canton,ou elle ctoit li particulièrement adorée, que les Peuples en étoient appelles de Ion nom Paraljîeus, voifins d'ifis. Ceux qui ont examiné avec attention le Portail de l'Egliie des Carmélites, & la conftruc» tion de cette Chapelle, avoueront que c'étoit le Temple de cette Dcefle, dont la ftatue tenant une poignée d'Epis, de fer,eft encore au deflus de k façade de ce bâtiment. ] Bb4 Lettres la. Ville de l'Europe qui éontient le plu$ grand nombre d'Habit:ans", ôc les Anglois difent que c'eft Londres. Je ne balance point à décider pour la dernière de ces deux Rivales. Voici ma raifon. A Paris il meurt dix-huit à vingt-mille perfonnes tous les ans; & à Londres il en meurt vingt - trois à vingt - quatre - mille. Je ne difpute pas pourtant que Paris ne paroiffe plus peuplé. Tout le monde y va à pied, ou en caroffe, tout eft dans les rues : à Londres au contraire l'on defcend & l'on remonte la 7 ami je , ôc cette Rivière eft rarement fans porter quarante ou cinquante-mille perfonnes, qui répandus dans les rues les rendroient plus peuplées que celles de Paris. D'ailleurs , ce qui fait que la Capitale de la France paroît encore plus peuplée, c'eft qu'il y a plus de caroffes ôc plus de cha-rettcs: à Londres, tout defcend ou remonte la Rivière, de forte que les cha-rettes y font moins en ufage; ôc la plupart des Dames, au-licu de carolfe , fe fervent de chailè à porteur. Mais, me dira un Fïançois , à Paris vous voyez cinq ôc iix familles dans une maifon; au-lieu qu'à Londres on en voit rarement deux. A cela je répondrai, qu'il eft vrai qu'à Paris on eft plus les uns fur les autres; mais cela ne dit rien , Ôc ne fiiit que prouver qu'il y a plus de maifons à Londres. Paris a nombre dPlôtels, de DU BA..R.ON DE PoLLNITZ. 395 Couvents, de grands Jardins, des Places Par**, publiques, des Quais ck une Rivière qui palTe au milieu : tout cela emporte bien du terrein. Dans plulieurs Fauxbourgs même, qui après tout font la grandeur de Paris, il y a des Marais entiers. Tout cela ne fe trouve pas à Londres. Les Hôtels y lônt rares, & très peu de maifons y ont des cours. Toutes font fore refferrées, & fouvent une maifon à Lon* dres n'eil pas de la grandeur de bien des fallons que l'on voit dans beaucoup d'Hôtels à Paris. Mais qu'importe que Londres foit plus pu moins,grand que Paris ? parlons de cette dernière Ville , non comme de la plus grande, mais comme de la plus belle Ville, de l'Europe. On compte dans Paris plus de vingt-mille maifons, parmi lesquelles il y en a 4000 à porte cochère, formant en tout neuf-cens ïû£$- Le nombre des habitans monte à plus de 800000, entre lefquels on doit mettre cent-cinquante mille Domeftiques. Il y a vingt-nulle caroffes au moins,; près de cent* vingt-mille chevaux pour toutes fortes de voitures, & dont il en. périt dix-mille par a/i. : Enfin la ieule dépenfe des Lanternes qui font allumées neuf mois de l'année» va au moins à deux-cens-mille écus. On fait état que les Revenus ordinaires que fa Ville de Paris produit, montent du moins à vingt-huit millions de livres. Il Bb 5 y Paris, y a, je penfe , plus d'un Royaume qui n'en produit pas tant. Paris jouit de toutes les Prérogatives dont peut jouir la Capitale d'un puiffant Royaume. Cette Ville eft réputée être la demeure des Rois. Elle a un Archevêque, un Parlement, [[une Univerjtté,^ un Intendant, un Gouverneur, & routes les Cours Souveraines qui fe trouvent dans l'Etat. Sa Métropole eft dédiée à Notre-Dame. Cette Eglife n'étoit autrefois qu'un fimple Evêché, fuftragant de l'Archevêque de Sens. S. Denys, qui vi-voit dans les premiers fiècles du Chriftia-nifme, en eft reconnu pour Fondateur, ou du moins pour premier Evêque. François de Gondy en fut le premier Archevêque; il obtint cette Dignité par une Bulle du Pape Grégoire XV en 1622; Ôc depuis cette érection il y a eu fept Archevêques. L'Archevêque porte le Titre de Duc de S. Cloud, ôc en cette qualité il eft Duc ôc Pair. L'Archevêque d'à préfent lë nomme N. N. de Vint/mille, des Comtes du Luc. Il a fuccédé à Louis-Antoine Cardinal de Noailles, ôc comme lui, il trouve fon Diocèfe peu fournis à fes Mandemens. Le bon Prélat fait tout ce qu'il peut pour ramener * fes Ouailles, * [L'Auteur ne dit pas e-à , ni d'où ces Ouailles fc font écartées. Toutes ces Ouailles font dans les mêmes pâturages, ou fpenfable, Pour qu'un Saint fuit cMonift', D'entendre l'Avocat 4» ùinV.z. J Ennemis des Jéfuites ont inventé *,quë le P. Jean-Baptifte Girard, natif de Dole en Franche-Comté, a féduit la Cadière fa Pénitente : ils ont porté cette Fille à l'ac-cufer de crimes dont l'idée feule fait horreur , & que le fcélérat le plus déterminé n'oferoit peut-être point mettre en pratique, à plus forte raifon le P. Girard, qui jufqu'à cette accufation avoit toujours paffé pour homme de bien , & dont la conduite & les bonnes moeurs avoient fervi d'exemple aux endroits où il avoit été & particulièrement à Toulon, où cependant on lui fait commettre toutes les horreurs les plus énormes. La Cadière s'eft dédite ; le Parlement Aix, devant qui cette Caufe a été plaidée, a déclaré le P. Girard innocent. Les Janfénijles crient, ôc veulent que le Roi faflè pendre le Parlement de Provence, parce qu'il n'a pu trouver le P. Girard coupable. Voici une Epigramme, qu'on vient de publier contre ce Parlement. Pour avoir immolé le Fils du Tout-Vuif-fant, Pilate moins que vous nous parut détef-table; II * [C'eft ce qui eft en queftion, & dont la négative paroît allez prouvée par les opinions des Con-fcillers du Parlement, cens irréprochables, qui v°" terent pour condamner le R. P. a rnoit.J d\j Baron de Pollnitz. 397 II ne reçut point d'or pour punir l'innocent, Mais vous en recevez pour fauver le coupable. [J'ajouterai à cette Epigramme une lotte, & une Fable, qui viennent de tom ber entre les mains. LE DOS A DOS du Pa rlement de Provence. De par le Dieu des Turlupins, Frondeurs de mauvaifes manoeuvres 7 Nous Général des Calotins, Aux gens curieux de nos Oeuvres, Salut. Nos bien-amés Sujets, Et Juppôts du Parlement d'Aix, N'ignorant pas que notre Empire Ne fleurit qu'à proportion Que la malice ou le délire Empiète fur la Rai fon, Viennent en ce genre d'efcrime A tel point de fe fignaler , Que d'un de nos plats, par ejlime, 11. eft bon de les régaler. \ Quel jugement ! l'Aréopage Qui faifoit f fort l'entendu , 398 Lettres Retrouvoit-il un "Pucelage A file qui r avoit perdu ? Non, rien n'égale ce Chef-d'œuvre', Salomon même n'y fit œuvre. Chez, eux PimpoJJible efi aifé: L'accufateur & l'accujé T font traités de même forte, Et fortent par la même porte. Le vieux Bon tems juge d'abord G^ue Vun des deux doit avoir tort $ ( C'eft ainfi quepenfent les autres.) Mais admirez tefprit des nôtres l L'expédient feul à propos, Pour ne laijfer aucune prifè A les accu fer de fottife, Eft de les mettre dos d dos ! Oui : mais que devient t ancien crime ? Ce qu'il devient ? il fert de rime. Pourfuivez donc, Couples Béats: Le grand intérêt de la Bulle, Du Bûcher, comme du fcrupule, Affranchit vos joyeux ébats. Livrez-vous, Filles, laijfezfaire-y Lorfque c'eft avec votre Père, Le mal n'eft qu'un mal-entendu: Sans porter ailleurs votre offrande, Tout eft permis, <& tout eft dû, Quand c'eft le Papa qui demande. C'eft être /impie, c'eft niaiferx Part.?; De trouver du mai à baifer : Car oit peut être la débauche, Lorfque ce n'eft qu'au teton gauche; Et qu'aux curieux & jaloux, On oppofe un doigt de verroux ? Sur ces points dans l'erreur plongée, Far un étrange aveuglement} La France penfoit autrement : Mais c'eft une chofe jugée, Et par Jugement fans appel ; ( Car pour la Bulle il le faut tel. ) Il feroit par trop ridicule, Qu'un des Arcboutans de la Bulle Fût vu, conduit avec éclat Au bûcher, comme un Scélérat-, Et qu'on eût donné pour contrafte, Au corps qui git à S. Medard * Les cendres du Père Girard. Quel cancan dans un tel dejaftrel Quel nouveau relief c'eût été Pour ceux de la vieille Morale ^ Dont le Ciel paroît entêté Au point d'entrer dans leur cabale \ Sans voir combien il fe ravale^ Par * Le Bienheureux Tfou. t 400 Le t t r es Par cette partialité! Partant FOULONS pour notre gloire, Qu'aux Archives du Régiment, Un fi burlesque Jugement Soit mis à côté du Grimoire; Et qu'on y grave fur l'airain, Ce naïf & petit Quatrain ; Girard, dans l'ardeur de fa flamme ■ D'une file a fait une femme : Le Parlement d'Aix plus habile, D'une femme a fait une fille. La Colombe et le Corbeau^ FABLE. On raconte que par le monde Efi un Pays, oit des Corbeaux L'engeance cruelle <& féconde Infulte impunément au refte des Oifeaux j Que dans l'excès de leur haine, L'Aigle même leur Souveraine Se voit parfois en butte aux traits De fes redoutables Sujets. C'eft dans cette contrée indigne, Qu'une jeune Colombe auffi blanche qu'un cigne7 D'un D'un de ces Oiféaux dangereux, Paris. Tort âge', mais plus cauteleux, A fes avis trompeurs s'étant abandonnée, Devint la proie infortunée; Et de fes jeunes ans oubliant la candeur, Bientôt du vieil Oifeau prit toute la noirceur. La blancheur de votre plumage Ma Bille, difoit-il, eft un ftgne certain Que la faveur du Ciel, dans votre premier Vous prépare un heureux deftin. Ces rares qualités dont vous êtes comblée, Vont voir à quel bonheur vous êtes appellée. Voulez,-vous cultiver ces beaux commence-mens ? Ayez foin de répondre d mes emprejfemens. Une Colombe jeune <& belle A befoin d'un Ami fidelle, Qui toujours l'encourage, & borne fes deftrs Aux foins de modérer fes timides foupirs. Gardez-vous d'écouter le funefte ramage Des hôtes féduifans du plus prochain bocage; Leurs accens dangereux, dans votre jeune coeur, Jetteroient furement le poifon de l'erreur. Libre de tout fouci, tranquille & folitaire, Ecoutez feulement la voix de votre Père^ Tome II. Ce A 402 Lettres Fahis. di fa tendre amitié, ma Fille, livrez-vous. Vous Vaimez, il vous aime : cftM rien de plus doux ? La Colombe à ces mots , fimple autant que foumife, De ce vieux Papelard ignorant l'entreprife, Sans contrainte à fes yeux découvre fes attraits; Elle s:'expofé a tous fes traits. Mais bientôt connoiffant le mal qui la pof-fede, La Colombe en gémit, en cherche le remède; Tandis que ce Trompeur rit de fes vains efforts , Et cache adroitement fa honte & fes remords . Cependant un Ramier ami de la Colombe , Voyant qu'avec regret la pauvrette fuc-combe, L*anime, l'encourage à quitter ce féjour Où le Courbeau rufé la traitait en Vautour. Quelle fut fa douleur, quand rendue à foi-même , Rappellant du Corbeau le cruel firatagême , Ses noirs empreffemens, fes foins inf dieux, Sur fon illufion elle jet ta les yeux ! Elle vit que de fin plumage La du Baron de Pollnitz. 403 La beauté, la blancheur, n'étaient pks h pA partage. Sa plainte aigriffant fes foupirs, Vainement elle veut cacher fes déplaifirs : Les Bois voifins en retentijje?tt ; Les fidèles Echos à leur tour en gémijfcnt ; La Renommée infiruit de ces forfaits nouveaux L'Aréopage des Oifeaux. A l'infiant leur zèle s'anime, Et des Dieux outragés demande la vicJime. La Colombe n'a pour appui, Que /es larmes & fon ennui. Le Corbeau plus rufé fait agir fes Confrères, De la faible Vertu terribles adverfaires; Le Crédit, la Faveur , marchent devant leurs pas. La Colombe fe plaint, on ne l'écouté pas ; Les Oifeaux affembles l'accufent de folie, Sa plainte n'eft que calomnie ; Et Thémis fur fes yeux appuyant fon ban. de au, Voit la Colombe noire, & blanchit le Corbeau. Je parle à vous, Sexe débile, Qui cherchez les Sentiers que montre l'E* vangile. Ce 2 A» Au choix d'un Conduclèur réfléchirez beau* coup : Sous la peau de l'Agneau fouvent on trouve un Loup, j L'avanture du P. Girard me rappelle, que dans le quatrième fiècle il fe commit un grand fcandale, à l'occafion de la Confeiïion d'une Dame ôc d'un Diacre, ( pareil à celui du P. Girard avec la Cadière : ) ce qui obligea le Patriarche Nec-tarius d'abolir la Confeiïion auriculaire dans tout l'Orient, ainfi qu'on le voit dans le quatrième Tome de l'Hiftoire Eccléfiaftique de Fleuri. Le même Auteur , dans fon feizièrae Tome, dit qu'au douzième fiècle il y avoit des AbbefTes en Efpagne, qui prêchoient, donnoient la bénédidfion, ôc entendoient la Confeffion des perfonnes de leur fexe. Si cette méthode étoit rétablie, on n'auroit pas lieu de craindre des defordres Ôc des fcandales femblables à ceux qui font arrivés en Provence. Le fécond point qui occupe beaucoup les Parifiens, font les Miracles prétendus du Sieur Paris. On court à fa Tombe, comme on pourroit faire au S. Sépulcre. La curiofité m'y a attiré comme les autres. J'y ai trouvé un monde innombrable , Ôc ce n'a été qu'avec bien de la peine que j'ai pu approcher de la pierre qui couvre le Bienheureux du Peuple. pARiS, Dans le tems que je coniidérois cette pierre, on cria , place , gare. Je crus que c'étoit quelque Prince du Sang j mais je vis arriver un homme d'aifez mauvaife mine , qui avec un air fort contrit fe coucha lur la Tombe. Quelques momens après , je le vis tourner les yeux, grincer des dents, écumer de la bouche, ôc faire des contorhons qui tenoient plutôt du Pofledé , que d'un homme qui devoit être dans la grâce d'un Saint. Ces agitations durèrerat tant que l'homme eut des forces : on l'emporta enfuite , ôc je vous promets qu'il avoit l'air bien plus malade en quittant la Tombe, qu'en y arrivant. Cependant le Peuple- crioit au Miracle , ôc j'entendois qu'on fe difoit, Mais après une guéri fon Ji manifefte , peut-on douter un moment que Mr. Paris ne foit un Saint ? Il fe fait journellement des Miracles pareils à celui que je viens de vous dire. On ne fauroit mettre le pied dans une maifon, fans entendre quelque nouvelle Hiftoirc fur le compte de l'Abbé Paris. Cependant je vous protefte qu'il rie s'eft pas vérifié un feu! Miracle ; Ôc j'ai ouï dire à Mr. Hérault Lieutenant-général de Police, à qui tous ces Miracles font rapportés, qu'il n'y en avoit aucun de vrai; que c'étoit une fourberie manifefte, qu'on toléroit encore pour mieux remonter à Ce 3 la la fource, 6c pour pouvoir mieux defa-bufer le Peuple. Je croi qu'on aura bien de la peine , tant je trouve les efprits prévenus. Le feul moyen feroit, que le Pape canonifât le Sieur Taris ; je fuis perfuadé qu'alors tous les Adhérans du nouveau Saint l'abandonneroient, pou* n'avoir rien de commun avec le S. Père. Mais je laiile là le P. Girard & l'Abbé Paris j- je trouverai peut-être occasion de vous faire part de tout ce que j'appren+ draî d'eux, quand je le jugerai digne:éà votre attention. Mais je n'ai garde de vous envoyer toutes les impertinences qui fe débitent fur leur compte. Je pqnfe qu'on formeroit plusieurs Volume»»i de toutes les Çhanfons 6c de tous les Vctt qui fe font faits fur ces liijets. Celi con;-tinuera ainfi, jufqu'à ce que quelque nQUr veauté fafTe oublier ces deux fujetç de« conventions préfentes. J'avoue que je fuis fort en pejne de ce qui pourrai, a-mufer les François à l'avenir ; leur génie demande à être occupé : heurpufement pour eux, un rien leur.Suffit;, & ce rie.8 eft toujours tra^é.en-affaire ferieufe, & devienp pour eux un fonds inépuifable. I Pe tou§ les Vers ■ qu'on a faits û\t l'Abbé Paris, je ne yous envoie qu'une G** lotte :■ ejle me paroît valoir la peine d'é*-tre lue. B R E- du Baron de Polliïitz. 4.07 B R E V ET de Patron du Régiment de la Calotte, Pour l'Abbé Par 1 s. De par le Dieu de la Marotte, Salut à la Troupe dévote Qui fait finner haut dans Paris, Les Miracles de St. Paris. Aux Chapelier es, aux Ducheffes , Aux Meffalines, aux Lucre ces, Qui vont avec dévotion, A fa tombe en Proceffion ; Aux Témoins fùrs & indiques De la vertu de fes Reliques -7 A ceux qui les croyent fans voir , A ceux qui les voyent fans croire , A^ ceux qui vont de leur manoir, A S. Médard comme à la Foire ; A tous les Impôtens guéris, A tous Mécréans convertis, A VArchevêque qui s'en cffojue y A la Canoûe qui s'en moque, Tandis que par tout l'Univers Ils Jont trompés par lés Fraters ; A Fille à fon Tombeau guérie. Ce 4, A 408 L e t t R es Après neuf mois d'hydropifie; Aux Malades defefpérés, Et des plus grands maux délivrés , Comme femelles ternelle, ôc de leur entendre répéter fans Celle, On ne fait pas cela à Taris, On ne voit pas-.'cela m France. Ici ils font polis, doux,, humains, civils , Ôc preve^ nans j &■ lin Etranger qui iaura fe prêter un peu à leur manière d'agir, de pen-r fer, ôc de parler, les quittera toujours à regret. Mais ce n'eft pas le portrait desFran^. çois, que je dois vous faire ; je dois vont dire comment je vis parmi eux. Je tâche , dans une vie affez dérangée , de me former un arrangement. Je me lève fort tard , parce que je ne me couche guère avant les deux, ou trois heures. Lorfque je (fui» habillé » je vais voir quel* que Cabinet- de Guriofités , quelque Bi» bliothèque y bu quelque Edifice que j'ai vu cent fois 94 mais que je revois" avec pUiflr^. iparçé que je le trouve beau. Tel? font l'Hotol des Invalides, fondé Ôc bâti par Louis XIKaïla Val de Qtace, Eglite où font dépofést les cœurs &z les enrtail-1 les des Rois Ôc des Princes de la Mate fon Royatey & qui a été rbodée par Anl ne ne d'Autriche Mère de Louis XIV : le Chœur de Notre-Dame, décoré de marbre & de bronze par Louis XIV; ' pour fatisfaire à un vœu du Roi- Louis XIII £or\ Père : le Louvre , avec toutes les beautés qu'il renferme : & enfin nombre d'autres fuperbes Edifices que je ne vous nomme ni ne vous détaille , parce que mille Auteurs en ont parlé mieux que je ne pourrois faire. Après avoir fait ainfi le badaud pendant quelques heures , je m'en reviens dîner chez moi ; car rarement je dîne ailleurs. Après le repas,fi je fuis feul, je lis une heure ou deux. Enfuite je fors, foit pour faire des vifites, ou pour aller à la promenade. Je vais fouvent aux Spectacles, tant par goût, que pour éviter de jouer ; caj vous ne fauriez entrer dans une maifon, fans qu'on vous préfente des cartes. Au iortk de la Comédie, que je préfère le plus que je puis à l'Opéra , je vais dans iquêlque maifon, & là il nty a pas à s!en dédire, il faut faire la partie de Quadrille, pour mon argent, car j'ignore ce que c'eft que de gagner. On me donne ■ bien à fouper ; je fais enfuite une.féconde re-prife de Quadrille , & quelquefois une troifième, & je me retire la bourfe vui-de à trois heures, du matin. On peut regarder cette fureur du Jeu, qui s'eft emparée de préfque tous les François, comme un des fléaux de la Fran- France. Je ne fai comment des gens qui Pauii. à peine peuvent refter un quart - d'heure en place , & qui s'ennuyent ordinairement par-tout où ils font, peuvent refter cinq ou fix heures aftis à manier des cartes. C'eft pourtant un mal néceflaire, fur-tout pour un Etranger, qui fans cela eft réduit à faire une très fotte figure, tant qu'il n'eft pas encore touï à fait initié dans les ufages du Pays. Les Dames difent d'un Homme qui ne joue point, que c'eft un meuble inutile. Les Amans même les plus paffionnés ceflent de faire l'amour, dès qu'ibs'agit des cartes. On a pourtant des maifons où cette fureur du Jeu eft moins répandue, on dit même que les maifons de Robe font moins fujettes à la contagion ; je ne les pratique pas allez, pour en connoitre la différence. Il eft certain qu'à la Cour on joue plus qu'ailleurs, & beaucoup de Seigneurs fe font dérangés pour avoir eu l'honneur de faire la partie du Roi. Sa Majefté joue ordinairement au Lansquenet. La partie eft de douze Coupeurs, à un Louis d'or fur la carte. Le Roi & les principaux Joueurs, comme le Comte de Touloufe, le Duc cPAnt'm, le Duc de Grammont, vont aux deux Louis d'or, & quelquefois aux quatre. Le Roi paflè pour être le plus heureux dans cette partie, qui fe fait toujours dans l'Apar-tement de la Reine. 11 elt permis à tout ce 414 lettres Paris. ce 9U'^ Y a de 6ens biert mis> d'entrer, & de mettre à la réjouiffance. Cela forme une greffe Cour, mais une AlTem-blée fort mêlée. Toutes les Dames font affifes autour de la table du Jeu, ôc les Hommes fe tiennent debout. Les François prétendent que le Jeu égaie tout le monde. J'ai vu un nommé S. Rémi, qui avoit été Laquais de la Maréchale d'Ef-tréet, enluite de Mr. le Duc qui l'avoit fait enfin fon Valet de chambre, ôc qui à l'arrivée de la Reine lui avoit donné une Charge dans la Maifon de Sa Majefté, qu'il exerçoit en même tems que celle de Valet de chambre de Mr. le Duc : ce S. Remi fait hauffer ou baiffer la partie du Roi, félon fon bon-plaifir. Il eft vrai qu'il ne coupe point, mais il va de toutes les cartes ôc met gros à la réjouiifance. A Fontainebleau je lui entendis un jour propofer au Roi vingt Louis de fa carte à la fienne : le Roi répondit froidement, Non, Marquis ; c'eft un fobriquet que ce Prince lui a donné, ÔC qui pourroit toutefois bien pafler à la poftérité de & Remi, d ailleurs affez. fat pour méritei .être Marquis. Ce mêlante de perlonnes au Jeu,a été ufité de tout tems en France, je me fruviens d'avoit ouï dire à feue Madame Mère du Régent , que feu Monjieur, fon Mari, ôc Frère de Louis XIV,étant allé palier quelques jours à S. Cloud, elle fut le voir de Ver failles où elle étoit de- pARII, meurée avec le Roi. Elle trouva Monfieur jouant au Laniquenet de douze Coupeurs ; elle n'en connut que deux. La partie finie, elle demanda à Monfieur% qui étoient les gens avec qui il avoit joué. Ce font de fort honnêtes gens, répondit ce Prince, de bons Marchands de Paris, qui jouent gros jeu & noblementé Madame ajouta à ce récit, qu'il n'y avoit pas longtems alors qu'elle étoit en France, ôc qu'elle avoit été tellement choquée de trouver Monfieur fon Mari en,; pareille compagnie , qu'elle n'avoir put s'empêcher de lui en faire des reproches; mais que ce Prince n'avoit fait que rire, ôc lui avoit répondu, qu'elle avoit là «» refte de fierté Allemande, qui lui paffcroit avec le tems. Il eft certain pourtant, que cette liberté qu'ont toute forte de gens de ca,-rabiner, les rend infolens. Baron ce céV lèbre Comédien, ôc le plus fat des hommes avant qu'il y eût des Quinault, fe trouva un jour chez Mr, le Prince de Conti, celui qui avoit été élu Roi de Pologne. On y jouoit au Lanfquenet.; Baron tirant nonchalamment ià bourfe, Dix Louis au Vakt, Monsde Coati, dît-il à ce Prince. Tope, Britannicus, répondit le Prince de Conti, qui favoitque Baron venoit de repréfenter ce rôle. Il eft certain que chez* bien, dea Femmes, les les Joueurs font dorlotés comme unCon-feflèur l'eft chez une Dévote. Beaucoup de maifons fublïilent ici des émolumcns du Jeu ; fans l'argent des cartes, on y fouperoit très frugalement, & il y auroit bien des Equipages à bas. Le Duc de Gêvres Gouverneur de Paris, & le Prince de Carïgnan , qui ont la permifîion de donner à jouer à toute forte de Jeux, en ont fait une Ferme, & en tirent chacun cent-vingt-mille francs , tous fraix faits & rabattus. C'eft ce qu'on aura de la peine à trouver dans aucune Ville du Monde. Le Jeu me fait fouvenir d'une Loterie qui fè fait ici tous les mois, & qui eft bien un Jeu où le Banquier gagne le plus. C'eft le Curé de S. Sulpce, qui pour bâtir fon Eglife a établi ces Loteries, dont les billets font de vingt fols. C'eft une ruine pour les Laquais & les Servantes. Un de mes Amis difoit, que par recon-noiffance de ce que les Domeftiques mettent leurs gages dans la Loterie de S. Sulpce y Mr. le Curé devroit du moins les enterrer gratis. Cette Loterie vaut autour de vingt-mille francs par mois au Curé , outre les fommes qu'il tire des pieufes libéralités de plufieurs perfonnes zélées pour la Maiîon de Dieu. Cependant ces travaux vont très lentement,& il paroît que Mr. le Curé jouera encore longtems de la truelle. Si jamais fon E- glife eft achevée , elle fera la plus grande paris. % ôc la plus belle du Royaume. Tous le nouveaux travaux font du deffein de Gilles-Marie Oppenordy premier Architecte du Duc A'Orléans , & un des plus habiles hommes de France. La Cure de S. Sulpice eft la plus confi-dérable , non feulement de Paris , mais peut-être de l'Europe. Elle rend au Curé autant qu'un bon Evêché rend à fon Eve-que. Cette Cure eft à la nomination de l'Abbé & des Religieux de l'Abbaye de S. Germain. Elle a aujourd'hui pour Curé Mr. Langues de Gergy, qui a un Frère Evêque de Soiffons *, ôc un autre Ambaffadeur à Venife f. On ne peut que louer la vigilance du Pafteur , Ôc des Prêtres qu'il emploie pour l'adminiftration des Sacremens. Ceux-ci forment une nombreufe Communauté, & vaquent à leur devoir avec application ; Ôc le Service Divin fe fait dans cette Eglife avec beaucoup d'édification. La Communauté , ôc plu Meurs Séminaires qui lui font joints, compofent enfemble le plus nombreux Clergé de tout le Royaume. Le Séminaire de S. Sulpice eft des plus fréquentés , parce que la Difcipline Ec^ * [Il eft \ préfent Archevêque de Sens ■> & très connu par la fameufe Hiftoire de Marie jilacoqm, célèbre Béate de û façon.] T [1-e Comte de Gergy , mort en 173^ dans cette Ambailade , où il a, eu pour iucccûçur le Comte de Tome, Ils Dd 4i 8 Lsttr.es du B* de Pôllhitï; Paru. Eeeléfiaftique y eft enfeignée ôc pratiquée avec foin: peut-être aufii parce qu'on en tire fouvent des Sujets pour remplir les premières Dignités de l'Eglife. Rien n'eft plus édifiant, que de voir la Procefïïon dé cette Paroiffe, le jour de la Fête-Dieu. Le nombreux Clergé y paroît en Chapes magnifiques. Le Dais fous lequel eft porté le S.Sacrement, eft d'unericheffe extraor-. dinaire. Vingt-quatre jeunes Eeeléfiaftique». précèdent le S. Sacrement, fie douze marchent toujours en reculant Ôc enencenfartt le Vénérable avec desËncenfoirs d'argent. Il n'y a point de Proceffion dans le Royaux me , qui marche avec plus de dignité &t d'ordre *. Vous voulez, bien que je lïnif-fe pour cette fois ma Lettre, par le récit de cette fainte Cérémonie. Je compta d'aller demain à Ver failles, & je ne manquerai pas de vous écrire ce que j'y aurai remarqué. Je luis, ôcc. A Fins, ce i. Avril * [Cotnrhe le Cyré de S* Suflkt imagine tout f* qui peut attirer ta fovilfc cheç lui , il à enchéri cette jTrifi/A-êi {ifU) rur cfc qu'il a fait les âUff« aHh«s5 « là PîoçciïldH relîcmbldU plMIdt i 13 marche d'un* Armée» cjU'à toute autre ehofe , pat le nombre d«!c trompettes, timbales, cors de chatte &c. qdifaiiôient retentir l'air de leurs fanfares, Il pourroit peu à peu en faire une Proceffion fcinblable à celles de Cambra/, cr,«4Mtf#H, de 'Brnxtltci & autres Villes tles l'âys-lïiS. (on , 4 la hDiite du Ghnrtianlfm*, On *8lt tehûUtf«U«r ' twtci les impertinences du Paginifttiti] FIN DU TOME tl.