DE T T R ES MEMOIRES DU BARON DE PÔLLNITZ, CONTENANT Les Obfervations qu'il a faites dans fe* VOYAGES, ET LE CARACTERE des Perfonnes qui compofent les principale» COURS DE L'EUROPE, TROISIEME EDITION, dtigmmét de dtttx Volumes, <è> d'une Table des Mttuïtf* A AMSTERDAM, (M ÏKANÇOIS CHANGVION* ' MDCCXXXVU, . D U LIBRAIRE. LEs deux Volumes, qui portent dans cette Edition le Titre de Mémoires, ont été com-polés avant ceux que j'ai déjà imprimés deux fois , l'une en trois Tomfs , & l'autre en quatre. L'Auteur en avoit vendu le Ma-nufcrit à Paris, à une Personne, qui le revendit à un Libraire de Hollande. Celui-ci fe préparoit à l'imprimer, lorfqu'il apprit que je venois de publier des Aîémoi-res de Mr. le Baron de T'oll-nitz. La conformité du Titre lui fit croire que c'étoit le même Ouvrage qu'il venoit d'acheter: il crut avoir fait un mauvais marché, & mit fon Manufcrit au rebut, comptant n'en jamais faire fage. Cependant quelques an- * nées AVERTISSEMENT. nées après, s'étant avifë de l'examiner , il trouva que c'étoit tout autre chofe. Il y vit l'Hiftoire de la Vie de l'Auteur; un détail très circonftancié & tout nouveau de la Cour de Berlin, tk deplu-fïeurs autres Cours de l'Europe} divers Voyages, celui d'Efpagne entre autres, dont il n'eft pas dit un mot dans les premiers Mémoires : il s'apperçut enfin , que les Relations qui concernent les mêmes Pays n'avoient d'autre conformité avec les premières ,^que celles qu'elles doivent nécefïairc-ment avoir ; que les deferiptions en étoitnt tantôt plus, tantôt moins étendues ; les réflexions prelquc toujours différentes; en un mot, que c etoient les premiers Voyages de Mr le Baron de T'oll-nitz, , Se que ceux qui avoient paru étoient les derniers. 11 me communiqua fa découverte, &je m'accommodai de ion Manufcrit, pour pour le joindre à la troifième E-dition qiu je publie aujourd'hui des prémurs Mémoires. Comme l'Auteur aToit donné à l'une & à l'autre de fts Relations le titre de Mémoires, il a falu, pour éviter la confufioa, le changer à l'une des deux -, k je me fuis déterminé à donmr le nom de Lettres à celle qui a déjà paru , parce qu'efté&ivement ce font des Lettres , que t'Autcur écrivoit à un de les Ams. J'ai mis à la fin du fécond Volume de ces nouveaux Mémoires la Traduction d'un Ecrit, dont j'ai l'Original en Italien , qui con-tiex t la Profeflion de Foi de Mr. le Baron de cPollnitz, & les motifs qui l'ont porté à changer de Religion. 11 m'en faura gré, fans doute , puifque cette Pièce eft tout à fait propre à détruire les infmuations malignes dont il fe plaint dans fes Mémoires, & à * 2 fai- faire voir que s il n'a pas pris le bon parti, il s'eft du noins donné la peine d'examiier. D'un autre côté , la publicaion de cet Ecrit fera voir aux Catholiques» qu'on ne craint poin, dans les Pays Proteftans3 de mettre au jour les raifons qu'ils employent contre les Chrétiens des autres Communions. MEMOIRES DU BARON DE PÔLLNITZ. A Madame de jDKMRBE fors d'une Maifon qui tire H| t S| fon origine deThuringe. Mon ^ Grand-père, après avoir em-MHBBBiâf braflë la Religion Reformée, vint s'établir dans l'ElectoraC de Brandebourg. Frédéric-Guillaume, qui en étoit pour-lors Electeur, le reçut a-Vec bonté & l'éleva aux premiers Emplois j il le fit Grand-Ecuyer, Miniftrc d'Etat, Chambellan, Maréchal de Camp, Colonel de fes Gardes, &z Commandant de Berlin. Son Frère, qui l'avoit fuivi, fe reffentit aufïi de fa faveur ; il devint Colonel d'un Régiment de Cavalerie-, -Lieutenant- Générai & Gouverneur de Lipfiadt. Tou» deux fe marièrent, mai* Tome L AH il n'y eut que mon Grand-père qui laiffa des En fans mâles. Il avoit époufé E-léonore de Najfau, Fille du Prince Maurice d'Orange 7 dont il eut deux Fils oc deux Filles. Ce mariage fut très mal afforti j ma Grand-mère étoit impérieufe, ceconome & jaloufe ; fon Mari aimoit la dépenfe & le beau-fexe: des humeurs fi oppofées caufèrent entre eux une mésintelligence , qui n'étoit pas fort différente de la haine. Mon Grand-père ne laiffa pas cependant de lui affurer, quelque tems avant que de mourir, la jouif-fance de tous fes biens : il fe repentoit des chagrins qu'il lui avoit donnés , & il crut cette générofité capable de les réparer, mais elle ne fervit qu'à augmenter l'impatience qu'elle avoit d'être Veuve : elle n'eut pas même la complai-iànce de la lui diffîmuler, & les dernières paroles qu'il lui entendit prononcer , ne furent ni confolantes ni Chrétiennes. La mort de mon Grand-père fut fui vie de près de celle de mon Oncle, Frère de mon Père. Il ne laiffa qu'une Fille, qui fut première Fille-d'honneur de la Reine Sopbie-Qharlotte. Les bontés dont cette Pnnceffe l'a honorée, l'ont allez iait connoitre en Allemagne. Mon Père épo\*fa la Fille du Baron D, . . , dont il eut tnon Frère en 1690. Je naquis treize mois après, le 35. Février du BAftOtf de PdLLMiTZ. f vrier 1692, à IJfouin Village du Pays de Cologne: mon Père y étoit en quart ie* d'hiver avec fon Régiment. Madame l'Electrice fut ma Marraine , ôc je fui appelle Charles-Louis. Je n'avois pas encore deux ans accomplis, que j'eus le malheur de perdre mon Père j il mourut a Mafiricbt, & laiffa ma Mère avec* trois En fans & très peu de bien. Ma Grand-mère, comme je l'ai dit, avoit 1* jouiflance de tous ceux que mon Grand* père avoit laiffés : fon extrême cecono* mie ne lui permettoit pas d'en faire part à ma Mère, dont la liruation auroit été des plus trilles, fans la libéralité du Roi (pour-lors Electeur ). Ce Prince la fit revenir à Berlin, & lui donna une Pen-fiom Peu de tems après, mes Parens la remarièrent à Monfieur de M t . < Mi-niftre d'Etat des Affaires Etrangères. Il la laiffa Veuve au bout de dix mois, àC l'avantagea de manière qu'elle put palier pour une des plus riches Femmes de la Cour. Elle crut alors ne pouvoir con-ferver fa Penfion fins abufer des bienfaits de l'Eledteur, au préjudice d'autres perfonnes qui en avoient plus de be-foin. La tendrefTe que ma Mère avoir pouf moi, ne lui permit pas de s'en féparer : je fus élevé auprès d'elle ,& dans une Cour qui étoit pour-lors la plus brillante de l'Allemagne. A a Wrt* Cour de Frédéric - Guillaume avoit Jaifle Cinq 1jkusse. Princes, en mourant; l'Electeur, qu'il avoit eu de Louife-Henriette de Najfau Princeffe cYOrange ; & les Margraves Charles , Philippe , Albert & Chriflian , de Dorothée Princefle de Holjlein, Veuve du Duc de Zell. Ces Princes, dans un âge plus propre aux plaifirs qu'aux affaires, ne fongeoient qu'à plaire. Bons & généreux, ils ornoient la Cour, plus par eux mêmes encore, que par leur magnificence. L'Electeur de fon coté contri-buoit à la rendre brillante , par les fréquentes Fêtes qu'il donnoit. On lui a reproché de les trop aimer , d'être trop fcrupuleux fur les cérémonies qu'il y fai-foit obferver, & d'y faire régner plus de fbmptuofité que de goût. C'eft cependant ce qui frappe le plus les Etrangers , & c'eft dans ces fortes de ipectacles qu'une Cour paroît dans tout Ion luftre. Le véritable ornement de la nôtre étoit FE-lectrice, Fille à'ErneJl-Augufle Electeur de Hanover, & Soeur du Roi d'Angle-, terre George I. L'Electeur, Veuf de la Princeffe de Heffe , l'avoit époufée en fécondes noces le a8 Septembre 1684, n'étant encore que Prince Electoral. Cette Princefle avoit des qualités qui l'au-roient rendue refpectable, dans quelque rang que le Ciel l'eût fait naitre : fa beauté étoit régulière1, & quoique d'une tailla au deflbus de la médiocre, elle a-.. „ ■ voit voit un air majeftueux ; elle parloir, avec Gouk ïte facilité toutes les Langues en ufage dans Crusse* ^'Europe, & elle avoit la bonté d'entre-tçnir les Etrangers, chacun dans la lien-Elle favoit l'Hiftoire , la Phyfique & la Théologie. Mais avec des con-noifTances li étendues, elle apportoit un foin infini à ne point paiïer pour lavante L'amour qu'elle avoit pour la lecture , ne la rendoit point ennemie des plaifirsj elle aimoit la Mufique , la Dan-fe, & les Spectacles j & elle faifoit fou-vent repréfenter des Comédies, dont elle ne dédaignoit pas d'être elle-même quelquefois. L'attention qu'elle avoit pour tous ceux qui exeelloient dans quelque Art, les attiroit dans fa Cour & y faifoit régner autant de politeffe qu'en aucune autre Cour de l'Europe. Elle avoit fur toutes chofes infiniment à cœur L'ér ducation du Prince Electoral fon Fils j elle l'aimoit tendrement , & n'oublioit rien pour lui infpirer tout ce qui pou-voit le rendre un jour auffi. grand par les fentimens, qu'il devoit l'être par fa puif-fance. Le jeune Prince, de fon côté, paroifloit répondre aux foins de la Princeffe. La Cour , ainfi livrée aux plaifirs & aux fêtes, ne prenoit guères de part aux affaires du Gouvernement : tout rouloit fur Dankelman, Prémier-Miniftrc. 11 a-voit alors la confiance entière de VElec-A 5 leur, f!ou« ue teur, & un pouvoir fi abfolu fur fon cf-F&usje. prit, qu'on le croyoit à l'abri des difgra-ces, auxquelles les Favoris font ordinairement expofés. Sa faveur venoit du fcrvice le plus important qu'un Sujet puiffe rendre à fon Souverain. Un jour que ce Prince ( encore Prince Electoral) avoit pris du caffc chez. TElectrice fa Belle-mère, il fe trouva fur le champ fi incommodé, qu'il fut obligé de fe retirer dans fon apartement , où les con» vulfions le prirent, & le mirent en danger de la vie. Le hazard voulut que Dankelman, alors Secrétaire de fes Com-rnandemcns, fe trouva feul à portée de je fecourir: il ouvrit une caille, dans laquelle il y avoit quelques contrepoifons, éc il lui en donna plufieurs prifes; faute de Chirurgien & de Lancette , il lut ouvrit la veine avec un canif; & (es foins eurent un luccès fi heureux,que le Prince , après avoir extrêmement vomi , fe trouva hors de danger. Un événement de cette nature nepou-voit que faire un grand éclat. Le peuple fur-tout, qui n'aime que l'extraordinaire, ne regarda pas rindifpofition fu-bite du Prince comme quelque chofe de naturel, & il crut trouver dans la ten? drefïè de l'Electrice pour les Margraves fes Fils , des raifons fuffifantes pour la foupçonner d'avoir voulu fe défaire du Prince fon Beau-fils: c'étoit aflurément Je buBarok de PÔllnitï. 7 le plus court moyen pour leur donner Cour »* entrée à la Succeffion. Le Prince Elec- Prussk. torai parut autorifer ces foupçons, par fa retraite auprès du Landgrave de Hejfe-Cafîel, à la Cour duquel il demeura quelques années. Ce fut dans le féjour qu'il Y nt, qu'il époufa la Sœur'du Landgrave, dont il n'eut qu'une Fille,qui fut mariée en 1700 au Prince héréditaire de Hejfe, aujourd'hui Roi de Suède. Dankelma» fut donc profiter de cette conjoncture heureufe d'avoir fauve la vie à Ion Maitre ; il s'attacha à lui plus fortement que jamais; & ce Prince recon-noiffant, des qu'il fut Electeur , le fit fon Prémier-Miniftre, & lui donna toutes les marques d'amitié auxquelles un Sujet peut alpirer : jufques- là que Da«-kelman faifant paroitre un jour à l'Electeur la crainte qu'il avoit que fa faveur ne fût pas de durée , ce Prince eut la honte, ou la foibletle, de le raffurer par toute forte de Sermens. * Dankelmait trop crédule fc fia fur ces protcltatiom, & oubliant que l'amitié la plus folide- des Princes ne peut être à l'épreuve de leur inconstance , ou de leur caprice, il fe crut au-deffus de la fortune & fe condui-iït en homme qui n'a rien à ménager. Le * Voyez, au Tome I. des Retires, pagcsîï, VL. M. un trait fingulier qui fc Wi>portc a ce f«iu> « le caiafterc & la fin de ce MiniUtç. À* :«ur de Le peu de foin qu'il prit de fe faire ai-* russe, mer, & les titres toujours odieux de Mi-niftre & de Favori , le firent bientôt haïr de toute la Cour, L'Electeur lui-même commença peu à peu à fe dégoûter de lui. Leurs humeurs étoient incompatibles. Le Miniftre étoit avare, & le Prince ne fe plaifoit que dans le fiifcfl & la dépenfe. Les remontrances perpétuelle* de Dankelman le fatiguoient, & le lui faiioient haïr dans le fond du cœur , longtems avant qu'il ofât le faire paroître. Ce Miniftre, trop prévenu en fà faveur, & moins attentif à plaire à ion Maitre qu'à cenfurer lès actions, fe crut affeT, habile pour conferver le même empire iur fon efprit, ou ne crut pas que l'Electeur le fût affez, pour ofer le perdre. Cette confiance l'empêcha de parer les mauvais offices qu'on lui rendit en fecret, & il fut arrêté à minuit dans fa rnaiion, & conduit à Spandau dans un caroffe de l'Electeur , avec une efeorte de vingt Gardes. Une difgrace fi fubite furprit tout le monde, 6c affligea peu de perlonnes. On remarqua que le jour même que Dankelman fut arrêté, l'Electeur lui avoit parlé en prefence de fa Cour avec tant de bonté, que les plus penétrans étoient bien éloignés de penfer que fa chute fût fi prochaine II y aVoit déjà longtems que chacun chçrchoit, ou kmhaiioic i'occa-\ . fion fion de le perdre. L'inconftance naturelle Cowr rte de l'Electeur pour Tes Favoris, & le peu 1jrvsîb. °e cornplaifance de celui-ci pour l'Electeur, faifoienc bien efpérer de le voir bientôt tomber de cette haute faveur , dont il Jouiffoit avec tant de fécurité: mais il fa-*oit, pour éloigner de la Cour un homme jusqu'alors avoir paru ne chercher que le bien de l'Etat , un prétexte plus fpé-cieux. Il fe préfenta naturellement, dans 1 affaire du Duché de Limbourg. Ce Duché avoit été affigné, par l'Efpagne, pour fureté des lommes confi-dérables que cette Couronne devoit à l'Electeur. Ce Prince, en conféquence, y avoit fait mettre fes Troupes en quartier d'hiver. Les Hollaudois, à qui l'Efpagne devoit également , auroient bien voulu avoir auQî le même Duché pour garantie de leurs dettes ; il faloit pour cela en faire fortir nos Troupes. La choie fut propofee à Dankelman , qui y donna les mains, foit qu'il eût été furpris,ou gagné. On lui en fit un crime d'Etat , d'autant plus conûdérable, que l'Efpagne qui étoit . / {)our-lors prête de conclure la Paix avec a France en conféquence du Traité de Ryswyck, s'embarafïà fort peu de fatisfairc aux prétentions de l'Electeur. Le Miniftre en fut la victime. Heureufement pour lui, il avoit fait paûer dans les Pays étrangers des fomrnes confidérables, qui adoucirent fa disgrâce. Elle eut cela A î de Étem m de fingulier, que ni les trois Frères nf P«us». aucune de fes Créatures ne s'en reflentit ; chacun fut confervé dans fon emploi : tout le changement qu'il y eut, fut que Mr. le Comte de Barfous , alors Feldt-Maréchal, fit pendant quelque tems les fonctions de Prémier-Miniftre. Cependant une autre Idole de la Fortune s'éleva fur les ruines de Dankelman, Ce fut J-ean-Caftmir deKoibe, Gentilhomme originaire du Paîatinat il avoit paru à la Cour , fous Frédéric-Guillaume le Grand, à la fuite de Madame la Princeffe Palatine de Simmeren^ Sœur de la première Eleéfrice. Flic pria l'Electeur de donner quelque emploi à Koîbe : ce Prince le fit Conieiller d'Etat > avec la liberté de demeurer toujours auprès de la Princeffe, qui avoit pour lui des bontés, qu'on lui reprochoit d'avoir pour lui feul. Il la fui vit dans le Paîatinat, où cette Princefc fe étant morte peu de tems après fon arrivée, Kolbe revint à la Cour. Il y étoit Etranger, fans Parens , fans connoiffan-cos, iàns protection: il y fut longtems, fans qu'on fît feulement attention à lui. Mais après la mort de Frédéric-Guillaume, 11 s'attacha à Frédéric fon Fils qui lui avoit fuecédé , & à Dankelman fon Miniftre. Toujours humble,toujours flatteur,il gagna bientôt leur amitié par fes affiduités, & fon affectation étudiée de ne vouloir fe mêler d'aucune affaire. Dankelman, tout tout habile qu'il étoit, ne connut point c.ovn n le piège; & il contribua lui-même le plus Prusse-à la faveur, croyant élever une Créature dont il n'avoit rien à craindre. Mais Kolbe ne s'apperçut pas plutôt du refroidif-«ment de l'Electeur pour fon Miniftre , qu'il réfolut d'en profiter. Il ne changea Point d'abord de batterie, & paroiffant toujours également éloigné des affaires, u ne s'étudia qu'à entretenir & augmenter en fecret les mauvaifes humeurs que l'Electeur avoit fouvent contre fon Favori. Ce Prince étoit inconftant, foup-Çonneux 6c emporté ; ces trois pallions émues & ménagées , on conduifoit fon cfprit où l'on vouloit , fouvent même au-delà. Kolbe, qui depuis longtems fai-foit fon unique étude du Caractère de l'Electeur , connut aifément fon foible ; 11 fut adroitement le ménager , & dans la fuite, s'en fervir utilement pour venir 4 bout de fes defleina. U parvint bientôt au plus haut degré de faveur : l'Electeur le fit fon Grand-Chambellan & fon Premier-Miniftre ; toute la Cour fe vit obligée de plier fous lui; êc, ce qui arrive toujours dans les changemens de Gouvernement j le Miniftre disgracié fut regretté. Ce n'eft pas , cependant , que Kolbe n'eût par lui-même des qualités capables de le faire aimer : mais elles étoient eftacées par le foible fronnanç qu'il avoit pour fa Femme; & fes corn* plai- Cou* t>e plaifances aveugles pour elle le firent Prusse, méprifer & hair de tous les honnêtes-gens de la Cour. Cette Femme a joué dans le monde un rôle trop extraordinaire, pour ne pas vous dire quelque choie de fon origine & de fon caractère. Son Père , nommé Rickers,étoit Batelier \~Ewmerick, Ville du Duché de Clives, & y tenoit une efpèce de Taverne pour pouvoir plus ailé ment fubfifter. Deux Fille* qu'il avoit, & qui pafioicnt pour jolies, y attiraient un monde confidérable ; & dans un voyage que l'Electeur fit à Clèves, Bidtkan Valet de chambre du Prince devint amoureux de l'aimée,qui eft celle dont je parle; il l'époufa , & l'emmena avec lui à Berlin. Elle y inipira une fi forte paf-fion à Kolbe, qu'après avoir été quelque tems fa MaitrcfTe du vivant de fon Mari, elle devint fa Femme immédiatement après fa mort. Ce mariage fe fit chez Covjmejfer , autre Valet de chambre de l'Electeur. Ce Prince y affifta avec fept ou huit perfonnes, & commença dès-lors à donner à cette Femme de li grandes marques de complaifance , que plusieurs perfonnes ont cru qu'elle les devoit à quelque chofe de plus qu'à l'amitié qu'il avoit pour fon Favori. Je fuis cependant très perfuadé qu'on s'eft trompé, & Je me fouviens que lorsque j'étois Gentilhomme de la Chambre d« l'E- d-u BARON DE PbLLNÏTT. ^Electeur, il me die dans un moment CouR de mauvaife humeur contre fon Favori Prusse. , & fa Femme, (c'étoit ordinairement dans ces fortes de momens , qu'il étoit inca-Pab^e de diflïmuler :) Je [ai la prévention où l'on efi que 'fat eu des liaifons avec la Kolbe ; mais il n'en efi rien, & on me Mt plus de tort qua elle. En effet, fans jaiflance, fans efprit, ôc même fans beauté, n'étoit - ce pas aflez. pour elle de devenir la Femme du Miniftre , fans vouloir encore être la Maitrcffe du Souverain? H faut cependant convenir que, foit bizarrerie, foit foiblefle pour le Favori , l'Electeur a accablé cette Fem-me de biens & d'honneurs , jusques à Vouloir qu'elle fût reçue au Cercle del'E-leétrice, qui pour-lors le refufa avec fermeté. En effet, qui n'auroit été choqué du contrafte trop grand qu'auroit fait la Fille du Batelier Rickers , au milieu des Dames qui avoient droit de fe trouver au Cercle? Cependant, longtems après,l'E-ïectrice fe trouva obligée de faire céder les taifons de bienféance , au befoin qu'elle eut du Grand-Chambellan ; & fa Femme eut l'honneur du Cercle. La même année que Kolbe eut été déclaré Premier-Miniftre, l'Empereur v le ftt Comte de l'Empire. Il quitta alors fon nom, pour prendre celui de Comte de Wartemberg , que portoit un Chàteam ruiné qu'il avoit dans le Pulatinat. Sa Fem- Femme, devenue ComteiTe, voulut que !f fes Enfans du premier lit fuiîent Barons, &c ils furent appelles Barons d'Asbacb. Ces nouveaux Titres de Comté & deBa-ronie achevèrent de faire tourner la tête à Mad. de Wartemberg , & elle failbit tous les jours des extravagances , dont plulieurs le trouvoient choqués. Le* plus (âges prirent Je parti d'en rire. Tel étoit, Madame, l'état de notre Cour dans les premières années de mon enfance. Elle cominençoit déjà à faire fentir fa iupériorité fur presque toutes celles de l'Allemagne, par la manière dont elle iniluoit lur les affaires de l'Europe. Mais ce qui lui ajouta un nouvel éclat, fut l'érection du Duché de Frujje en Royaume. L'idée en avoit été donnée paf la France à Frédéric-Guillaume \ mais cet Electeur , foit par les obltacles qu'il / prévoyoit, foit par le peu d'utilité qu'il en pourroit retirer,n'avoit pas voulu exécuter ce projet. Son Fils y auroit peut-être échoué, ians la. fituation des affaires de l'Europe au fujet de la Suceeiïior» d'Elpagne. Kclbc , que je nommerai dorénavant Comte de Wartemberg , eut toute la gloire de cet événement, puisqu'il arriva fous fon Miniitère. C'clt de lui, Madame, que je tiens quelques particularités j qui m'ont paru allez inrèrep fentes pour avoir place dans ces Mémoires. L'aâàirc l'eit fi fort en elle-même? à de très petites chofes. Celui-ci Lourds , . « r Prusse, aucune des railons qui combatteient ion defïèin. il envoya à Vienne Dankelman, Frère de fon Miniftre, pour communiquer à l'Empereur le projet qu'il avoit formé, d'ériger la Prufiè en Royaume. La Truffe eft une Province détachée de la Pologne, & qui appartenoit autrefois aux Lithuaniens. L'Ordre Teutonique la conquit fur eux. Albert Margrave de Bra?idebourg , quoique Grand-Maitre de cet Ordre, ne laiffa pas de la lui ôter, & de s'en rendre maître en 1511. 11 avoit époutë Dorothée, Fille de Frédéric I. Roi de Dannemarc. 11 eut une grande guerre à foutenir contre Sïgismond I. Roi de Pologne , fon Oncle maternel, qui avoit des droits fur cette Province : la guerre dura cinq ans, & fut terminée par un Traité qui portoit, que la Truffe Orientale demeureroit héréditaire à titre de Duché à Albert, qui en feroit , ainli que lès delccndans, foi & hommage au Roi & à la République de Pologne, à qui elle devoit retourner au défaut de mâles dans la Maifon d'Albert. L'Empereur Charles-Quint s'oppofa à cette tranfadfion, prétendant que la PrufTe étant un Fief de l'Empire, Sigismond n'a-voit eu aucun droit d'en djfpofer. Le Décret Impérial qui fut rendu à ce fujet, n'eut cependant aucun effet, à caufe des guerre* que l'Empereur lui-même eut alors à du Baron de Pôllnitz; 17 à foutenir. Albert demeura paihble pof- Courd* fefleur de la PrulTe. Son Fils unique Pavsjb. Albert-Frédéric lui fuccéda, & il en reçut l'inveftirure du Roi de Pologne, pour lui & fes Coufins-germains, en 1569. Ce Prince étant mort fans enfans, Jean-Si-^ismond Electeur de Brandebourg lui fuccéda , & reçut de nouveau l'inveitirure du Roi de Pologne, pour lui & fes trois Frères. Depuis ce tems, le Duché de Prufiè a toujours été dans la Maifon de Brandebourg de Père en Fils : mais l'Electeur Frédéric-Guillaume te Grand, aiant fait la guerre à Charles - Guflave Roi de Suède en faveur de la Couronne & de la République de Pologne , en reconnoif-fance la Souveraineté de la Pruflè lui fut cédée pour lui & pour tous les defcen-dans mâles, par le Traité de Bidgojt en 1659. Au moyen de ce Traité, l'Electeur pré-tendoit que la Pruffe ne relevoit d'aucune Puiffance, & qu'il la tenoit immédiatement de Dieu ; & fur ce fondement, il crut être en droit de s'en faire déclarer Roi. Mais avant que de faire cette démarche, il faloit s'affurer du confentement d'une partie, au moins, des Princes de l'Europe. Celui de l'Empereur étoit le plus important, mais aulli le plus difficile à obtenir; & ce fut à la Cour de Vienne que fe pafla presque tout le fort de cette Négociation. Terne h B Lors- ;<2otwm3 Lorsque Dankelman arriva dans cette Prusse. Cour, il la trouva dans des difpofitions peu favorables. L'auguite titre de Roi donné à un Electeur fut d'abord regardé comme une choie qui pouvoit préjudicier à l'Autorité Impériale, & on crut que ce fbroit en compromettre la dignité que d'acquiefcer à la demande de l'Electeur, avant que d'avoir au moins prefïènti dans quelles difpolkions feroient à ce fujet la plupart des Princes de l'Europe & fur-tout ceux de l'Empire. Le Pape fembloit devoir s'y oppofer fortement, fur le motif de la Religion Proteftante, qui par l'élévation de l'Electeur pouvoit prendre une nouvelle force. Tous les Rois en général avoient intérêt de ne pas permettre un exemple , qui fembloit devoir au-toriiêr chaque Prince à faire les mêmes démarches, fous le fimple prétexte d'un •coin de terre qui ne relèveroit d'aucune PuiiTance que de Dieu. Mais les Electeurs étoient ceux dont on attendoit les plus grandes difficultés ; & en effet ils avoient lieu de craindre, i. que l'Electeur de Brandebourg devenu Roi ne voulût plus les regarder comme fes égaux, ÔC ne prétendît des diftinctions fur eux> dans l'Empire & dans les Diètes, a. Qu'il ne voulût fouftraire les Etats de fon Elec-torat de la domination de l'Empire, Se des Loix auxquelles font lujets tous les autres Electeurs. Cet article leur etoiç de du Bà*. ON de êôlln itz. î$ de la dernière conféquence , fur-tout par Coun »t Rapport au Contingent qu'ils font obligés I'russ*. de fournir dans les Guerres qui regardent l'Empire, 6c qui devient plus onéreux lorsqu'il tombe fur moins de têtes. La Cour de Vienne , dans ces idées , ne donnoit pas de grandes efpéranccs à &*nkelman pour le fuccès de fa Négociation. Cependant elle ne laiffoit pas de ménager toujours l'Electeur, le regardant comme un Allié qu'il lui étoit important de confcrver : peut-être aufli le flattoit-cMc d'en tirer davantage par les promeffcs & les efpérances, qu'en lut accordant ce qu'il demandoit. La mort de Jean Sotieski Roi de Poigne, qui arriva le 17 Juin 1696 , fut ^core un nouveau motif pour l'Empe-, de continuer la même Politique* E Electeur de Brandebourg , par le voi-unage de la Pruffe , pouvoit être d'un grand poids dans l'Election d'un nouveau Roi de Pologne; 6c l'Empereur, qui avoit deûein d'élever fur ce Trône le Margrave Leurs de Badey feignit d'entrer dans les vues de l'Electeur, afin que ce Prince entrât enfuite dans les tiennes dans la jrjète de PEleftion. Pour cet effet les ^miftres de l'Empereur firent entendre à "nkelman , qu'il faloit commencer par •PPJanir les difficultés que les différentes uutances de l'Europe pourraient apporter *u projet de l'Electeur ,ôc que le Congre? B a de Cour de de RyswyckjOÙ touslesMiniftres dévoient Prusse, fe trouver , étoit l'occafion la plus favorable. Sur cela Dankelman fut rappelle de la Cour de Vienne, & envoyé à Rysivyck comme Plénipotentiaire de l'Electeur, conjointement avec Mr. de Schmettau. L'Electeur de fon côté partit pour Ko* nigsberg, Capitale de la Pruffe, pour êirc plus à portée de favorilèr l'élection du Margrave Louis de Bade. Il étoit cependant fortement follicité en faveur des Princes de Pologne Alexandre & Constantin , qui pour cette raifon étoient venus eux-mêmes à Berlin: mais l'Electeur n'avoit garde de rompre les engagemens fecrets qu'il avoit avec l'Empereur. Audi répondit-il aux follicitations de ces deux Princes d'une manière affez. équivoque, ne s'engageant à rien & leur diiant feulement, qu'il alloit en Prufiè pour pouvoir être inltruit plus facilement de tout ce qui fe paffèroit dans la Diète de l'Election. Le befoin que l'Electeur avoit de la Pologne pour réuffir dans fes vues, l'enga-geoit indifpenfablement à fe mêler de cette Election. Il s'attendoit bien que par les droits que cette République préten-doit fur la Pruffe , elle s'oppolèroit avec vigueur à fes delTeinsi & il pouvoit, fur le prétexte de s'intèreffer à l'élection d'un Roi, fe former un Parti,capable de leièr-vir utilement dans la fuite. Ainf^dès qu'il fut arrivé à Kônigsberg, il dépêcha au Car- Cour d* dinal Radziowski, Primat de Pologne, pour I'rvsje. lui faire part de fon arrivée j & il envoya Mr. Dorerbeck Grand-Echanfon de Pruffe, comme fon Ambaftadeur à la Diète de l'Election, avec ordre de foutenir les intérêts du Margrave Louis de Bade, &c cependant de ne rien faire qui pût déplaire aux Polonois. 11 ne fut pas longtems queftion du Margrave Louis de Bade : deux Partis plus forts l'obligèrent de fe retirer, de même que les autres Prétendans à la Couronne. Ces deux Pa.4i« étoient,celui de Frédéric-Augufie Electeur de Saxe, & celui du Prince de Coati. Le Cardinal Primac foutenoit le Parti du dernier, 6c la France paroifïbit avoir fort à coeur fon é-Jection. Cependant le Parti de Frédéric-■^xgufie l'emporta , & il fut proclamé Roi. Le Cardinal Primat foutint toujours avec opiniâtreté le Parti du Prince de Conti. 11 envoya même à l'Electeur un de fes proches Parens , pour le folliciter en fa faveur : mais l'Electeur, à qui le Parti de l'Electeur de Saxe paroiflbit le plus fo-hde 8c d'ailleurs le plus puiffant, ne balança pas à le reconnoitre pour Roi, & *J fit répondre au Cardinal,qu'il lui con-jeuloit, comme au premier Pafteur de Pologne , de maintenir la paix dans fon f roupeau,& de fe foumettre à l'Electeur B 5 de Cour de de Saxe. Le Primat ne fe rebuta point, pKyssE. & il forma un Parti en Pologne , capable d'inquiéter le nouveau Roi. L'Elec-» teur , perfévérant toujours dans les vues qu'il avoit de fe rendre néceiTaire à la Pologne, retourna l'année fuivante à Ké-nigsberg, pour tâcher d'appaifer les troubles que ces deux Partis difrérens y cau-toient. Kolbey qui n'étoit pas encore Comte de Wartemberg, mais feulement Grand-Chambellan, fit pour cet effet un Voyage à Varfovie, de la part de l'Electeur ; il complimenta le Roi fur fon avènement à la Couronne. Le Roi à fon tour envoya à l'Electeur Mr. le Comte de Bilmsky Grand-Chambellan de la Cou-* tonne, pour le complimenter fur ion arrivée à Konigsberg & pour y négocier une Entrevue entre eux. L'Electeur la fou-haitoit trop pour la refufêr, & Frédérics^ hoff, l'une de fes Maifons de plaifance, fut choifie pour ce rendez,-vous. Tout s'y pafla comme il arrive ordinairement dans ces occafions : on y parla beaucoup d'affaires, ôc l'on s'en remit aux Minières pour les conclure. Les deux Princes fe firent réciproquement des préfens magnifiques , ôt fe donnèrent toutes les marques de l'amitié la plus lincère. Cette union pariii encore augmenter par la vente que le Roi de Pologne fit cette même année à l'Electeur, du Droit protectorial fur la. Ville Abbatiale de guedlimbourg. dont nul Electeur de Saxe n'avoit voulu cpuu p*k jusques alors fe défifter , quelques inltan- I'husse.-; tes que leur en eût faite*-la Maifon de Brandebourg. L'Electeur devoit moins qu'aucun de fes prédécelTeurs efpérer de réufïir dans cette alïaiie : la Pologne, outre des railbns d'intérêt, en avoit encore d'autres de retTentiment;&: le procès ( dé de ce Prince dans l'affaire SElking, fembloit devoir brouiller le Roi & l'Electeur. Il s'agiffoit d'une prétention de 400000 écus, que l'Electeur avoit fur la Pologne, pour les fraix de la Guerre que fon Père Frédéric-Guillaume le Grand avoit faite en faveur de la République, contre Charles XI, Roi de Suède. Le Roi de Pologne, dans l'Entrevue de Frédéric s hoff, avoit promis de porter la République à payer cette ibmme. L'Electeur, ennuyé de ne point voir l'effet de ces promettes , n'avait pas laiflé (malgré toutes les rai-fon3 qu'il pouvoit avoir de ménager la Pologne) de faire inveftir la Ville A'El. bing, qui lui avoit été hypothéquée pour cette fomme. Mr. de Btantz, mon Oncle , qui étoit Lieutenant-Général, fut chargé de cette expédition,à la tête d'un Corps de iaooo hommes. Les Polanots , à cette nouvelle,firent beaucoup de bruit, & le Roi fe plaignit hautement du procédé de l'Electeur ^qui étant, difoit-il, fon Parent, fon Ami & fon Allié, auroit dû le ménager davantage. B ^. Ce Ce fut ainfi du moins qu'il s'exprima, dans les Lettres circulaires qu'il écrivit pour affembier la Nobleffe de Pologne. Mais l'Electeur alla toujours fon train, ôc la Villed'Elbing fut prifc, avant que les Po-lonois eulTent feulement penfe à la défendre. Dès que le Roi de Pologne en eut reçu la nouvelle, il ordonna au Rendent de l'Electeur de fortir de la Ville de Thorn où il étoit, en 24 heures, & du Royaume fans différer. Mr. de Reitwitz, Envoyé de Pologne auprès de l'Electeur, craignant le même traitement, s'abfenta de la Cour pendant quinze jours ; il y revint enfuite ,faifant notifier aux Minit très fon retour , non plus comme En-' voyé du Roi de Pologne , mais comme Envoyé de l'Electeur de Saxe. On voit aiiément par cette manœuvre, que le Roi de Pologne ne prenoit pas l'affaire <¥Elbing fi fort à cœur qu'il paroifloit : aufïi s'accommoda-t-elle quelque tems après. L'Electeur confentit à perdre le quart de la dette, que les Polonois promirent de payer au bout de trois mois; & ils donnèrent pour fureté la Couronne de leur Roi L'Electeur de fon côté rendit Elbïng, à condition cependant, qu'il en prendroit poflelfion, fi, au bout des trois mois, il n'étoit pas payé des 300000 écus. Depuis ce tems, cette affaire eft toujours reliée en même étati les Polonois font toujours débiteurs de cette cette fomme, 6c l'Electeur s'eft contenté Cour de de garder la Couronne , qui eft encore à P«u>s«. Berlin dans la Gallerie au-deffus des grandes Ecuries ; elle eft enfermée dans un étui, qui eft fcellé du Sceau du Royaume de Pologne. Cependant la Paix de Ryfwyck venoit d'être lignée ; les facilités, que la France y avoit apportées, l'avoient terminée plutôt qu'on ne l'avoit cru. Perfonne n'ignore ce qui porta cette Couronne à relâcher fi fort de fes prétentions : elle avoit déjà en vue la Succeflion d'Efpagne , 8e il lui étoit abfolument néceflaire de faire la paix avec cette Puiftancc, ôc de desarmer les Alliés. Ainli Mrs. Dankelman 6c Schmettau n'eurent guères le tems de pouffer plus loin la Négociation de l'affaire de Vruffe : ils agirent cependant allez efficacement auprès des Holiandois. L'Electeur avoit envoyé à Vienne, à la place de Dankelman, Bartboldi ; &C Mr. Blafpicl à Dufïeldorff auprès de l'Electeur Palatin, qu'on croyoit devoir extrêmement ménager, autant par rapport à lui-même , que par rapport à l'Impératrice fa Sœur, qui avoit beaucoup de pouvoir fur l'efprit de l'Empereur. Bartboldi, en arrivant à Vienne, trouva cette Cour dans les mêmes idées où elle étoit du tems de Dankelman: on y faifoit montre de beaucoup de bonne volonté , mais on n'avançoit rien, les Minis- ' B j très. Cour d» très de l'Empereur avoient toujours 1jrv*se. quelques raifons pour ne rien conclure. La République de Pologne en fourniifoit d'affez fortes, par les proteftations qu'elle faifoit de ne rien reconnoitre de tout ce qui fe feroit au fujet de l'érection de la Pruffe en Royaume, prétendant qu'elle lui avoit autrefois appartenu, & qu'elle ne l'avoit laiffé entrer dans la Maifon de Brandebourg, qu'à condition de réverfion faute d'enfans mâles dans cette Maifon. L'Empereur difoit ne pouvoir s'empêcher d'avoir égard à ces proteftations, l'Alliance, qu'il avoit depuis longtems avec la République, étant devenue beaucoup plus étroite depuis la levée du Siège de Vienne , où Jean Sobiesky à la tête des Polonois , l'avoit iecouru fi efficacement. Bartboldi, rebuté de tous ces délais, commença a defespérer du fuccès de la Négociation. Il s'étoit flatté, pendant quelque tems, que l'état languiffant de Chartes II. Roi d'Efpagne, qui préfageoit fa mort prochaine, ôc une Guerre cruelle entre la Maifon d'Autriche & celle de Franc* au fujet de la fucceffion de cette Monarchie , feroit réuflir les deflèins de fon Maitre ; &c que la Politique, qui dans cette conjoncture obligeoit l'Empereur à fe faire des Alliés, lui feroit accepter les moyens de retenir dans fon parti un Prince au ffi puiffant Ôc auffi néceflaire à Tes intérêts que l'Electeur. Mais Bartboldi ■ du Baron dePollnitï. 27 s'étoit trompé ; & foit que la Cour de Cock m Vienne fe flattât que l'Electeur n'oferoit Prusse. jamais fe tourner du côté de la France, foit qu'elle crût que fon intérêt le plus preffant étoit de ménager les Puiffances qui s'oppofoient aux deûeins de l'Electeur, elle avoit toujours quelques raifons nouvelles à prétexter. Bartboldi ne put s'empêcher de rendre compte à Y Electeur fon Maître, de ce qu'il penfoit de ces remifes continuelles, & il lui marqua, qu'il n'y avoit pas lieu d'efpérer que l'Empereur le reconnût pour Roi, avant que d'être fur du contentement du Pape & de tous les Princes de l'Empire ; qu'il étoit ailé de voir que c'étoit une défaite honnête , dont l'Empereur fe fervoit pour le refufer, fans cependant l'indifpofer contre lui ; ôc que dans la fituation defefpérée où étoit cette affaire , il ne favoit plus qu'un feul moyen à employer, avant que de fe reti-ter : c'étoit , qu'il écrivît de fa main au Prince de * * * , qui étoit, félon Bartboldi, le feul capable de mettre l'efprit de l'Empereur dans une fituation plus favorable. Sa Dépêche étoit écrite en chiffre, ôc le Secrétaire qui la déchiffra crut trouver le nom du ConfeiTeur de l'Empereur , au-lieu de celui du Prince de * * *. L'Electeur approuva l'idée de fon Miniftre, Se il écrivit fur le champ au ConfeiTeur, qui étoit Jéfuite. Ce Religieux Cour de gieux fe trouva infiniment flatté de fe voir Prusse, recherché par un des plus grands Princes Proteilans, ôc entrevoyant des avantages confidérables pour fa Société dans la réufîite d'une Négociation que l'Electeur avoit fi fort à cœur , & dans laquelle deux de fes plus habiles Miniities avoient déjà échoué, il n'héfita point à l'entreprendre. Dès qu'il eut commencé à s'en mêler, elle prit une nouvelle face ; la Cour de Rome ne fit plus que de foibles oppofi-tions -y celle de Vienne, allarmée par les nouvelles qu'elle recevoit du Comte à'Harrach , fon Ambaffadeur à Madrid, de la roauvaife fanté du Roi Efpagne ôc du penchant des Efpagnols pour le Duc d'Anjou , devint plus traitable ; & les mêmes raifons que Bartboldi n'avoit pu faire goûter , commencèrent à faire im-preflîon lorsqu'elles furent données par le Confeffeur. Ce Jéfuite perfuada à -l'Empereur, qu'étant réfolu de difputer à la France la fuccefïion à la Couronne d'Ef-pagne , un Allié tel que l'Electeur don-neroit un grand poids à celui des deux partis qu'il embrafferoit. Les raifons du Confeffeur furent applaudies par les uns, & foiblement rejettées par les autres j en forte que ce Père fe fervant habilement de la bonne volonté de ceux-ci Ôc de la léthargie de ceux-là, mit en moins de deux mois l'affaire de Pruffe au point Cou* o*. d'être heureufement terminée. m,5S * Pendant qu'on travailloit fi efficacement pour l'Electeur à la Cour de Vienne, on agifïoit avec le même fuccès auprès du Roi d'Angleterre. L'Eledtrice l'étoit venu joindre à Aix-la-Chapelle a-vec rElcctrice de Hanover fa Mère, & ce fut dans cette entrevue , que ces deux PrincefTes portèrent le Roi Guillaume d'Angleterre à reconnoitre l'Electeur de Brandebourg pour Roi de Pruffe ,8c à ap-peller la Maifon de Hanover à la fuc-' ceflion à la Couronne d'Angleterre. Ce qu'il y a de particulier dans ce Voyage fi utile aux deûcins de l'Electeur, ôc que bien des gens ont regardé comme un trait de Politique, c'elt qu'il ne fe feroit point fait, fans l'envie extrême que Mad. de Wartemberg avoit d'être reçue au Cercle de l'Eledtrice. Cette Princeffe, iur la nouvelle qu'elle avoit reçue que l'Eledtrice de Hanover fa Mère alloit à Aix-la-Chapelle, fouhaitoit fort de l'y accompagner ; mais elle ne pouvoit le flatter d'obtenir le confentement de l'Electeur , ni l'argent néceffaire pour ce Voyage, fi le Comte de Wartemberg s'y oppofoit. Mlle, de Pollnitz. ma Coufine fut chargée par l'Electrice de lui en parler. Le Comte de Wartemberg promit non - feulement d'obtenir le contentement de l'Electeur;» mais de donner encore Cour vz a l'EJe&rice un Pouvoir en blanc,de tou* Prusse, cher toutes les fbmmes dont elle auroit befoin , pourvu que cette Princeffe de fon côté voulût lui en marquer fa recon-noiHance en accordant à fa Femme l'honneur d'entrer au Cercle. L'Eleéfrice avoit fi fort à cœur de faire ce Voyage, dans lequel elle favoit qu'elle auroit le plaifir de voir une Mère qu'elle aimoit tendrement , & celui aufïi de s'affranchir du monis pendant quelque tems de la gêne dans laquelle elle étoit obligée de vivre à Berlin , qu'elle confentit à la demande du Comte. Mad. de Wartemberg fut reçue au Cercle, & toute la mortification que l'Eledtrice lui donna fut de lui adref-fes toujours la parole en François, Langue qu'elle ignoroit ; ôc en cela on s'ap-percevoit atlez. de l'obfcurité de la nais-lance de la Comteffe , car dès - lors les perfonnes d'un certain état parloient communément cette Langue dans notre Cour. C'eft la feule chofe qu'on puifïe reprocher à FElectrice, que la condefeendan-ce qu'elle eut dans cette occalion : ce fut un exemple qui autorifa plufieurs perfonnes à demander la même grâce , ÔC qu'on peut regarder comme la fource des rnelalliances que la NoblelTe a faites depuis. Le Comte de Wartemberg, pour obtenir le contentement de l'tleCtcur , lui fit entendre, que la Princeffe ion E- poufe bu Baron de Polï-nitz: 3,1 poufe pouvoit mieux que perfonne por- c qu'elle avoit deux Fils de fon premier Mari, que leurs intérêts 6c fa propre tranquillité ne lui permettoient pas de s'engager une troifième fois. L'Electeur lui répondit, qu'il le fouhai-toit; que fes Enfans , loin d'y perdre, y gagneraient , par le foin qu'il en prendrait: il ajouta, qu'il lui donnoit vingt-quatre heures pour y penfer, 6c il for-tit en lui défendant de l'accompagner , 6c en lui promettant de la revenir voir le lendemain pour favoir fa réponfe. H pafla enfuite dans la chambre de ma Cour de Grand-mère, à qui il dit tant de chofcs Prusse. à l'avantage du Gendre qu'il lui des-tinoit, qu'il la perfuada. Ma Mère demeura fort irréfolue, jufques au lendemain, que l'Electeur revint chez, elle, comme il lui avoit promis Et comme on réfifte difficilement aux ordres de fon Souverain, ma Mère, quoique toujours oppofée à un nouvel engagement, parut cependant confentir à ce mariage , qui fe fit peu de jours après. L'Electeur l'honora de la présence, & il eut la bonté de nous aiîu-reï", mon Frère ôc moi, qu'il ne nous Porteroit aucun préjudice. Cependant , tQus nos Parens fe déchainèrent contre ma Mère, & lorfqu'elle fut de retour à Berlin , aucun d'eux ne la vint voir. Ma Grand-mère du côté de mon Père fit le plus de bruit ; fon grand âge, & l'honneur qu'elle avoit d'appartenir à feue l'Eledtrice Mère de l'Electeur , lui donnoit la liberté de dire à ce Prince tout ce qu'elle penfoit. Elle s'emporta contre lui , jufques à la puérilité, lui difant, qu'elle étoit au defes-poir de n'être pas allez forte pour é-trangler celui qu'il avoit donné pour Mari à fa Bru. L'Electeur, pour l'ap-paifer , lui promit qu'il feroit tant de bien à Mr. de Wefen, que ce mariage, loin de nous faire le moindre tort, nous Cî fe- Cour de feroit avantageux. En effet, au forrir Prusse, chez e]iCj \\ \e déclara Maréchal de fa Cour. Cette Charge obligeant mon Beau-père de fuivre le Prince dans fes Voyages, il lailïà ma Mère à Berlin, & me mena avec lui à Konigsberg , pour me faire voir la cérémonie du Couronnement de l'Electeur. Sa Cour étoit fi nombreufe, que fur la route de Berlin à Konigsberg , où l'on compte 80 milles d'Allemagne, il falut 30000 chevaux de relais, fans compter ceux des Ecuries du Roi & des Princes. Le Roi , qui aimoit extrêmement tout ce qui étoit cérémonie , n'oublia rien de tout ce qui pouvoit augmenter l'éclat de fon Sacre. Cette cérémonie lui coûta des fornmes im-menfes, & elle convainquit les Etrangers que la curiofité y avoit attirés, que notre Cour le cèdoit à peu d'autres pour la magnificence. Quoique les préparatifs d'une Fête fi folennelle parufiènt devoir être longs, l'impatience du Roi les hâta tellement, que tout fut prêt pour le 18 de Janvier, environ quinze jours après l'arrivée de la Cour. La proclamation de l'érection de la Pruffe en Royaume fe fit deux jours avant le Sacre du Roi, au bruit du canon ôc de toutes les cloches de la Ville , par quatre Hérauts - d'Armes, mes , en dalmatique de velours bleu, cout? de fur lefquelles éroient brodées les Armes Prusse. Royales: ils étoient montés fur des chevaux fuperbement harnachés, dont les houlTes étoient de brocard d'argent toutes parfémées d'Aigles & de Couronnes d'or. Us allèrent avec un très nombreux cortège dans les principaux quartiers de la Ville , & y firent la proclamation en ces termes : Comme il a plu à la Divine Providence d'ériger ce Souve -rain Duché de Prujfe en Royaume, & d'élever pour Roi le très haut <& très puis-fant Prince Frédéric ' I. notre gracieux Souverain ; nous en avons voulu donner part au peuple de ce Royaume, afin qu'ils difent comme nous , Vive Frédéric, notre très clément & très gracieux Roi ! Vive Sophie-Charlotte , notre très gracieufe Reine ! Le Roi , pour rendre encore plus augufte la cérémonie de fon Sacre, in-ifitua la veille , * l'Ordre de l'Aigle noir , dont les marques font un Cordon orangé , d'où pend une Croix émr.Uéc de bleu, en forme de Croix de Malthe-dans l'Etoile d'argent qui eft brodée fur l'habit, il y a un Aigle noir, qui tient dans une griffe une Couronne & dans l'au- • Voyez au Tome I. des Lettres, page 41,quelques particularités louchant cet Oïdte. oui ne foot pas ici. 1 Cour de l'autre un Sceptre } 6c autour de l'é-Pkusse.' cuflbn on lit ces mots, SUUM CUI-QUE (A CHACUN LE SIEN.) Les principaux Statuts de cet Ordre font: i°. Que le nombre des Chevaliers ne paffera pas trente , fans y comprendre, cependant, les Princes de la Maifon Royale, & les Souverains. a°. Que les Chevaliers feront preuve de feize Quartiers. 3°. Qu'ils promettront d'être juftes, chattes, de protéger 6c de fecourir les Veuves 6c les Orphelins , fuivant leur Devifè, Suum cuique. Quoiqu'il fût contre l'ufage , dlnftal-ler des Chevaliers avant que d'être couronné, le Roi jugea à propos de ne pas s'y conformer, prévoyant bien que la cérémonie de ion Sacre recevoit un nouvel éclat de cet établiflement. Les Chevaliers 6c les Officiers de cet Ordre n'eurent cependant alors d'autres marques , que. celles du Cordon 6c de l'Etoile brodée fur leurs habits j ôc ce ne fut que deux ans après , que le Roi donna aux nouveaux Chevaliers, pour les jours de cérémonie , un habillement , qui confifte en une vefte de drap d'or, fur laquelle il y a une autre vefte de velours bleu-célefte qui leur defeend jufques à mi-jambe , elle eft doublée de couleur de feu, 6c fermée au-deffèus de la cravatte, avec des cordons couleur de feu ôc or, dont les glands tombent jus- jufques aux genoux. Le ceinturon eft de Cour us velours couleur de feu brodé d'or} leurljRUSSE* manteau eft également d'un velours couleur de feu doublé d'une moire d'or ; & par-defîus eft un Collier d'or émail-lé de bleu , formant ces deux lettres, F- R. pour fignifier, Fredericus Rex. Ce Collier eft ce qu'on appelle le grand Co-lier de l'Ordre. Les Chevaliers portent fur leurs têtes, des tocques de velours noir, avec des plumes blanches. L'habillement du Roi n'eft point différent de celui des Chevaliers ; mais celui du Grand-Maitre des Cérémonies, du Secrétaire & du Tréforier l'eft , en ce qu'ils portent feulement fur leurs habits ordinaires, de grandes robes de velours couleur de feu doublées d'orangé, ôc par-deffus la Croix de l'Ordre attachée feulement à un ruban orangé , qui leur pend au cou. Le Roi, à la première promotion, ou -plutôt le jour de l'Inftitution de 1 Ordre, remplit le nombre des Chevaliers marqués par les Statuts ; il donna aufh le Cordon de l'Ordre au Prince Electoral fon Fils , & aux deux Margraves fes Frères, Cbrijtianàc Albert. Le Margrave Philippe étant refté à Berlin, pour y gouverner dans l'abfcncc du Roi , \Q Cordon lui fut ^envoyé par un Gentilhomme de la Chambre. Le jour du Sacre , h Roi fe fit habil-C + 1er, Cour de 1er ? fur ^es neur" heures du matin, par Prusse, le Grand-Chambellan à la tête de tous les Officiers de la Chambre. Son habit étoit d'écarlare brodé d'or , avec des boutons de diamans brillantes. 11 avoit par-defius, le manteau royal de velours cramoifi , parfemé de Couronnes d'or, double 8c rebordé d'hermine : il étoit attaché fur la poitrine par une agraffe de trois diamans. Dès que le Roi fut habillé , il pafla dans une falle qui fai-foit partie de fon apartement : on y avoit élevé un Trône, aux deux côtés duquel étoient fur deux tables d'argent les Ornemens Royaux, qui dévoient fer-vir au Roi & à la Reine. Le Roi é-tant alïis fur fon Trône, ordonna qu'on les lui apportât: ils lui furent préfentés à genoux. Lui-même prit la Couronne, fe la mit fur la tête , & prenant enfùice le Sceptre de la main droite ôc le Globe royal de la gauche , il reçut dans cet état les premiers hommages du Prince Royal, & de Meilleurs les Margraves, qui fléchirent un genou devant lui. Le Roi fe leva enfuite Ôc palïà à l'apartcment de la Reine , précédé des Chevaliers de l'Ordre , des deux Margraves , du Prince Royal , ôc des Seigneurs qui portoient les Ornemens Royaux dettinés pour ft Reine. Le Roi la trouva à l'entrée de fa chambre. Elle avoit un habit de couleur leur pourpre, & un manteau royal pareil Co à celui du Roi. Elle étoit coiffée en Pw cheveux, ôc fans poudre: cette coiffure brune, jointe à l'éclat des diamans , lui doimoit un air encore plus fier ôc plus majeftueux. Dès qu'elle apperçut le Roi, elle fe mit à genoux. Le Roi l'embrafla dans cette fituation, ôc lui pofa lui-même la Couronne fur la tête. Elle prit le Sceptre ôc le Globe des mains des Seigneurs qui les portoient ; ôc le Roi l'aiant relevée, elle le fuivit dans fon apartement, où elle reçut les hommages du Prince Royal Ôc des Margraves, de la même manière qu'ils les avoient rendus au Roi. Leurs Majeftés fe rendirent enfuite à PEglifc, avec toute la pompe ôc la magnificence (j'aie le dire) des anciens Rois de l'Afie. Le Roi marchoit fous un dais de brocard d'argent brodé d'or, porté par dix Seigneurs Pruffiens de naif-fance ; Ôc à quelque diftance, étoit la Reine fous un autre dais pareil à celui du Roi. Le Grand-Chambellan portoit la queue du manteau du Roi, ôc celle de la Reine étoit portée par Mad. la Ducheflè de Holfiein, Ôc Mesdames de Stingland ôc de Bu/au, l'une Dame-d'honneur de la Reine, ôc l'autre reçue en furvivance. Le Duc de Holfiein faifoit la fonction de Grand-Mairre de fa Maifon, ôc la Princeffe de Holfiein étoit à la tête des Dames de la Cour. Leurs Majeftés furent Cour de reçues par les deux Evêques qui dévoient Prusse, faire la cérémonie du Sacre: ils étoient habillés de velours violet à l'ufage d'An- fleterre , ôc avoient pour Afliflans fîx tfiniftres, trois Calviniftes Ôc trois Luthériens. Ils conduifirent le Roi ôc la Reine à leurs Trônes, qu'on avoit placés aux deux côtés de l'Autel j celui du Roi à la droite, ôc celui de la Reine à la gauche. Quoiqu'il n'y ait point d'Au-te dans les Eglifes Réformées, le Roi en avoit un , ôc avoit même fait préfent d'un magnifique Crucifix pour y être placé, afin de faire voir combien il fou-haitoic la réunion des deux Eglifes Pro-teftantes. Le Prince Royal fe plaça un peu derrière le Roi à fa droite, fur un pliant, aiant derrière lui Mr. le Comte de l)oknay fon Gouverneur. Les Margraves étoient auiïi fur deux plians , aux deux côtés de la Reine. Mad la Duchcffe de Holfiein^ le Duc de Holfiein, ôc Mesdames de St ingland ôc de Bu tau , étoient fur des tabourets, ôc immédiatement derrière la Reine. La Princeffe de Holfiein étoit placée un peu plus loin, ôc avoit aufli également un tabouret. Aux deux côtés de l'Autel étoient deux Tribunes , l'une pour Madame la Ducheffe de Cour-lande Sœur du Roi, le jeune Duc fon Fils, ôc les trois Princeflès fes Belles-filles ; l'autre pour les Ambaffadeurs ôc les Miniftres étrangers. Lors- Lorsqu'il falut recevoir l'Onction la- Cour de crée, le Roi alla fe mettre à genoux au Presse. pied de l'Autel, il donna le Globe & le Sceptre aux Seigneurs qui les avoient déjà portés, & ôta lui-même la Couronne, qu'il mit fur un carreau pareil à celui fur lequel il étoit à genoux : il reçut enfuite trois Onctions, une au front, &z les deux autres aux deux poignets. Le Grand-Chambellan efluya l'huile avec du coton & un linge , qu'un des Mimitrqs lui préfenta fur une atfictte d'or. Le Roi reprit en fuite fa Couronne fans que Perfonne y touchât , & le la mit lui-même fur la tête ; il reprit aufli le Scep-tre & le Globe , & fut fe replacer iur fon Trône. Les mêmes cérémonies s'ob* fervèrent dans l'Onction de la Reine, a-Vec cette feule différence, qu'elle garda toujours la Couronne, & que Madame de Stingland fa Dame-d'honneur lui efluya 1 huilc. Les deux Evêques, avec les fix Mînii-tres , rendirent alors les premiers hommages au Roi & à la Reine. L'Evêque c°nfacrant dit au Roi : Bénédiction <& Profpérjté accompagne FREDERIC Roi 13 K P (t u s s K ! gue le Seigneur , Dieu de f>otre Roi^dije la même chofe;quil continue être avec lui, comme il a fait jus que s à Préjènt y afin que fon Siège Royal agrandijp $U:fiance de jour en jour ! Ee même Evêque dit a ia Pvcine : Bénédiction Cour de diction profpérité foit avec SoPHIE- Prusse. Charlotte Reine de Prus-s e ! Que le Seigneur notre Dieu la co?iferve pour marque de bénédiction fur fon peuple, & qu'elle voye dès maintenant profpérité & falut fe répandre fur fa Maifon Royale, & fur fes Enfans, dans la Paix d'Jfra'él ! Pendant que la Muiîque répétoit à peu près ces mêmes paroles, le Prince Royal & les Margraves vinrent rendre leurs hommages au Roi & à la Reine ; ils montèrent fur le dernier degré de leur Trône, où ils mirent un genou en terre & leur bailèrent la main. L'hommage des autres Seigneurs ne confiif a qu'en une profonde inclination qu'ils firent, fans fortir de letrfs places. L'Evêque confacrant fe tourna vers le peuple, & dit à haute voix : Craignez Dieu, <& honorez votre Roi & votre Reine, car leur puiffance vient du Seigneur qui a créé le Ciel & la Terre. Le même Seigneur veuille être leur conducteur & les garder ; qu'il les couvre de fon ombre, afin que l'ardeur du Soleil & les rayons de la Lune ne les éblouiffent jamais ! Le Seigneur les préferve de tout mal, qu'il conferve leurs ames , & qu'il béniffe leur ejitrée & leur fortie juS' ques dans l'éternité! Après quelques autres prières, le Roi renouvclla les Edits contre les Duels , & en jura l'obiervation fur les faints Evangiles. Ce fut par-là que finit cette longue cérémonie. Le Le Roi eut tout lieu d'en être content, Cour, de par la ponctualité avec laquelle chacun Prvsse, s'acquitta de fa fonction; ce qu'on ne devoit guères attendre dans une occafion où tout étoit nouveau : mais on connoifïbit fa délicatefïe fur tout ce qui s'appelloit cérémonie, Ôc l'envie qu'on avoit de lui plaire fit dans celle-ci, ce qu'auroit pu faire l'expérience la plus coniommée. Il n'y eut que la Reine qui s'attira une petite mercuriale, au fujet d'une prife de tabac. Elle épioit depuis longtems le rnoment de n'être point vue du Roi, dont le Trône étoit vis-à-vis du fien;ôc croyant l'avoir trouvé , elle tira furtivement fa tabatière. Le Roi jetta par hasard les yeux fur elle dans ce moment : die voulut la cacher, mais le regard du Roi lui fit afTez, connoitre qu'il s'en étoit apperçuj ôc en effet ce Prince, qui n'étoit point traitable fur cette matière, ordonna fur le champ à un de fes Gentilshommes qui étoit derrière lui, d'aller demander de fa part à la Reine, fi elle fe fowvenoït de Vendroit ou elle étoit, & du rang qu'elle y tenoit. Le Roi ôc la Reine, au fortir de 1\E-glife, firent jetter pour dix-mille écus de Médailles d'or ôc d'argent, fur lesquelles on voyoit d'un côté leurs Portraits, avec ces mots , Fredericus f.t S o-phia Carolotta,Rex et Re-G1 n a i ôc fur le revers 3 une Couronne 4$ Mémoires Cour de ne avec ces mots,Prima MEjE gen- Prusse. t 1 s. Il n'y eut guèrcs moins de cérémonies à obferver au Fcftin royal qui fui vie le Sacre. Il Te fit dans la grande falle du Palais. Le Roi 6c la Reine s'y rendirent, à peu près avec le même cortège ôc dans le même ordre qu'ils avoient ob-fervé en allant à l'Eglife. En fe plaçant à table, Leurs Majeftés remirent leurs Sceptres 8c leurs Globes entre les mains des Seigneurs qui avoient déjà eu l'honneur de les porter. Ces Seigneurs fe placèrent enfuite aux deux côtés de la table, Ôc y demeurèrent pendant tout le Feftin. Le Prince Royal, les deux Margraves ôc la Ducheiïè de Courlande Sceur du Roi, furent les feuls qui eurent l'honneur de manger avec Leurs Majeftés. De toutes les cérémonies qui s'y obfervèrent , voici les deux que j'ai trouvées n'être connues qu'en Allemagne. Lorsque le Roi 6c la Reine fe furent afiis, les deux Grands-Maréchaux fortirent de la falle 6c dépendirent dans la Cour du Palais, d'où ils lè rendirent à cheval aux grandes Ecuries, accompagnés de timbales, de trompettes, 6c d'un grand nombre d'Officiers de la Bouche du Roi. Ils y trouvèrent un Bœuf entier à la broche, farci de toute forte de Volaille 7 ils en coupèrent un morceau, 6c le portèrent dans un plat cfor du Baron de Pôllnitz: 47 d'or fur la table de Leurs Majeftés. Cour de Le Grand-Echanfon fe rendit enfuite Prusse. avec un cortège pareil aux mêmes Ecuries , où il y avoit deux Fontaines de vin qui coûtaient, du bec de deux Aigles: il en remplit un Gobelet d'or , qu'il vint préfenter au Roi. S. M. le prit, & le lui rendit ; il le préfenta enfuite à la Reine , qui le lui rendit pareillement ; il le porta au grand Buffet qui étoit drelTé à l'autre bout de la falle, vis à vis la table du Roi. On tiroit neuf coups de canon toutes les fois que le Roi ou la Reine buvoit j fix, lorsque c'étoit le Prince Royal j ôc trois pour Mrs. les Margraves, & Madame la DuchelTe de Courlande. Ce repas fut très long j cependant per-fonne de la Cour ne fe mit à table qu'après que Leurs Majeftés fe furent retirées dans leurs apartemens. Sur les neuf heures du foir, on fonna les cloches par toute la Ville : le bruit du canon qui fe fit entendre,joint à celui des timbales ôc des trompettes, fer vit de fignal aux feux de joie qu'on alluma par tous les carrefours. Les Bourgeois illuminèrent les façades de leurs maifons: quelques-uns des plus riches avoient élevé devant leurs maifons des Arcs de triomphe, avec des Emblèmes & des Devifes • d'autres firent couler du vin pour le peuple ; enfin il n'y eut point de Bourgeois qui ne s'efforçât de fignaler fa joie en quelque manière. Leurs Cour de Leurs Majeftés voulurent honorer h Prusse. j0ie publique de leur préfence. Elles for-tirent fur les dix heures dans un caroffe magnifique , accompagnées de toute leur Cour à cheval. Elles furent haranguées devant l'Hôtel de Ville par le premier Bourguemeftre, qui leur préienta la collation dans des paniers d'argent Elles paf-fèrent enfuite devant l'Hôtel du Duc de Holfiein, Gouverneur de Konigsberg. La façade de cet Hôtel repréfentoit le Temple de la Gloire ; les Gentilshommes du Duc repréfentoient les Prêtres du Temple, ôejettoient de l'ambre Ôc de l'encens dans des brasiers qui étoient lur un Autel ; les Enfans du Duc qui étoient au nombre de huit, étoient habillés en Berges & Bergères ; 8c lorsque le Roi & la Reine parlèrent, l'ainé leur prélenta un panier de fleurs, & leur dit en Allemand quelques vers, qui exprimoient les vœux que tout le peuple faiioit pour la durée de leur profpérité. Leurs Majeftés , après s'être arrêtées quelque tems devant cet l'Hôtel, retournèrent au Palais. ' Dans tous les Etats du Roi, on donna de pareilles marques de joie , & le jour de la cérémonie du Sacre fut célébré partout comme un Dimanche. Le Roi 8c la Reine parlèrent tout le Carnaval \ Konigs-berg, ôc y reçurent le Comte de Tobians-ky Grand-Echanfon de Pologne, qui ve-noit, comme Ambaflàdeur du Roi fon Maître, Maître, complimenter Leurs Majeftés fur Cour di leur Couronnement. Il eft cependant à Prusse. remarquer, que la République de Pologne n'a jamais reconnu la Royauté du Roi de Pruffe, quoique deux de les Rois, l'Electeur de Saxe, & quatre ans après, le Roi Stanislas , l'aient reconnue par leurs Ambailadeurs. Le départ de la Cour pour Berlin fut fixé au 8 de Mars. Comme le Roi n'a» voit point fait d'Entrée à Konigsberg , la Ville le fupplia qu'il lui fût permis de l'accompagner jusques fur les limites de fon territoire ; ce qui lui fut accordé. On éleva alors plulieurs Arcs de triomphe, toutes les rues furent tapiffées , & le Roi partit de Konigsberg, accompagné de tous les Corps de la Ville. Sa Majefté étoit à cheval, aiant à fes côtés deux Ecuyers à pied : fon habit étoit de velours cramoifi, doublé d'hermine & brodé d'or, avec des boutons de diamans: il avoit à fon chapeau une agraftè &c un cordon de diamans : fon cheval étoit magnifiquement harnaché j le mors, les étriers & tous les ornemens de la bride étoient d'or mafiif; la houffe de velours cramoifi, toute cou-verte de broderie d'or, & de diamans. Le caroffe de la Reine étoit auffi d'une magnificence extraordinaire. S. M. étoit feule dans le fond, n'aiant que Madame la f^ucheffe de Cour lande fur le devant. Cette lortie de Konigsberg fe fit avec To?ne I, D toute Cour de toute la pompe & tout l'appareil, avec Prusse, lequel les Entrées ont coutume de fe faire. Lorsque Leurs Majeftés furent arri. vées à un quart de lieue de la Ville, elles mirent pied à terre ôc montèrent dans leurs caroffes de Voyage. Ce fut là qu'elles reçurent les derniers complimens, que leur rirent les Echevins , tête nue ôc un genou en terre. Le Roi ôc la Reine rentrèrent enfuite dans la Ville par une autre Porte , ôc ils relièrent dans leur Palais jufques au lendemain , qu'ils partirent pour Berlin. La Cour fut obligée de prendre la route de Dantzick, à caufe du dégel fu-bit de la Vtjlule, qui rcndoit fon paiTage impraticable. La Magiftrature de Dant-xick envoya aufîi-tôt à Leurs Majeftés des Députés pour les fupplier de permettre que la Ville leur fît une Entrée publique; mais le Roi les remercia , ne voulant pas qu'ils fiiTent aucune dépenfe. Cependant, à l'entrée du territoire de Dantzick, deux Bourguemeftres, quatre Confeillers ôc le Syndic de la Ville, à la tête de laJeuneiTe à cheval, vinrent complimenter Leurs Majeftés. Ce fut le premier Bourguemeftre qui porta la parole, ôc qui les fupplia de trouver bon que la Ville les défrayât pendant le tems qu'ils demeureroient fur fon territoire. Le Roi Ôc la Reine dépendirent dans une maifon qu'on leur avoit préparée; cette maifon etoit de bois, ôc rc- repréfentoit le Temple de la Gloire. Leurs Cour r>e Majeftés y trouvèrent une collation magni- Pkvssk,' fique, avec une très belle iymphonie;il y avoit dans d'autres chambres plufieurs tables drefïëes, pour les Gentilshommes de la fuite. Le Roi Ôc la Reine y paflèrent la nuit, &c le, lendemain ils traverfèrcnc Dantzick ÔZ paflèrent la Vifluk, qui étoit encore gelée à cet endroit. Cependant, comme il y avoit lie^u de craindre qu'elle ne le fût pas allez pour qu'on pût la paifer fans danger, la Magiftrature, pour prévenir tout accident, avoit fait couvrir la glace de paille, de poutres & de planches. Vingt-quatre jeunes Hommes Ôc autant de jeunes Filles , habillés à la Matelotte avec des habits de velours & de fatin, fe trouvèrent au paflage du Roi & de la Reine; les jeunes Filles leur prélentèrent ou poiflbn, du fruit , des confitures ôc des fleurs ; & les jeunes Matelots les accompagnèrent au Ion de divers inftru-mens de mufique. Lorfque Leurs Majestés eurent paffé la Rivière, elles congédièrent les Députés de la Ville, ôc leur firent préfent à chacun d'une Chaine ôc d'une Médaille d'or, fur laquelle étoient leurs Portraits. Le 17 de Mars elles arrivèrent, le Roi à *Potzdam> Ôc la Reine 4 f> 2 Lut- * Voyez au Tome I. des Lettres, page 49, la def-«iptioti de cette Ville. C'eft la Garriilon ordinaire r| Primer Bataillon des Grmii Gnn^lm, dont il cil «ot patlt dans l'Etttppe. Cour de Lutzelbourg. Le Roi, qui avoit deffeiri Prusse, de faire une Entrée folennelle à Berlin , féjourna à Potzdam jufques au 6 de Mai, afin que l'on eût le tems de faire les préparatifs néceffaires pour le recevoir; & en même tems parce qu'il fouhaitoit qu'une des façades de ion Palais, qu'il faifoit bâtir, fût achevée pour ce jour. Vers la fin du mois d'Avril , le Roi partit de Potzdam pqur fe rendre à Scbon-haujèn. La Reine vint l'y joindre quelques jours après; ce fut là que Leurs Majeftés fe préparèrent à faire leur Entrée dans Berlin. Cette cérémonie fe fit avec toute la pompe ôc la magnificence pofTible. La Ville avoit fait dreffer fept Arcs de triomphe : la defeription d'un de ces Arcs fuf-fit pour donner une idée du goût de notre Cour pour les Fêtes de cette nature. Cet Arc qui étoit à la barrière, à l'entrée du Fauxbourg, paroiiîbit avoir été con-flruit par des Jardiniers. Il étoit entièrement de verdure, avec des colonnes & des piiaftres garnis de fleurs. Pomone ÔC Flore y ibutenoient le Portrait du Roi ôc de la Reine ; le Printems accompagné des Zépbirs leur préfentoit des fruits ôc des fleurs ; ôc une Allée d'Orangers Ôc de Lauriers, dans des caiffes dorées, bordoit le chemin depuis cet Arc jufques à la Porte de 5. George, que l'on appelle depuis ce jour la Porte Royale, parce que ce du Baron de Pollniti 53 «e fut par cette Porte que Leurs Majeftés couRm entrèrent dans la Ville. Prusse. Le lendemain de l'Entrée, les Députés des Provinces préientèrent au Roi les Dons gratuits, pour fon Joyeux Avènement; & Mr. le Margrave Philippe, Grand-Maître de l'Artillerie, fit tirer un Feu d'artifice, qui repréfentoit le retour du R.oi à Berlin, par celui de Jafon après la conquête de la Toifon d'or. Après quelques autres Fêtes de cette nature, que la joie publiqueoccafionna,la Cour fe fépara ; le Roi partit pour Oran-iebaurg *, & la Reine pour Lutzelbourg. Ee Prince Royal refta à Berlin pour y continuer fes Exercices. On avoit eu foin de lui former une Cour allez, nombreufe, toute compofée de jeunes-gens de fon âge. Ce jeune Prince avoit formé deux Compagnies de toute cette Jeuneffe; il com-^andoit la première, & le jeune Duc de Cour lande la féconde. J'étois de cette féconde Compagnie, & nous allions quelquefois faire nos Exercices militaires à Lutzelbourg devant la Reine,qui aimoità Voir, dans le Prince fon Fils, ces prémices d'une humeur guerrière. Nous repréièn-lbns aulïi quelquefois des Comédies devant cUe. C'eft ainfi que cette Princeiïe tâchoit d'infpirer au Prince fon Fils du goût & de la délicatelTe, jufques dans les plaiiirs. * \r r Ce Voyez, a» Tome I. des Lettre,69, la délation & l'état prient de cette. Maifoa. » Ce fut alors qu'il s'éleva à la Cour un orage contre le Comte de Wartemberg, Grand-Chambellan & depuis peu déclaré Premier-Miniftre, qui fembloit devoir le perdre; mais il n'écrafa que ceux mêmes qui l'avoienc excité. Les principaux auteurs de la Cabale étoient Mr. le Comte de Lottum,Mr. * * * & le Grand-Maréchal , depuis longtems ennemi juré du Grand-Chambellan. Le Comte de Wefen mon Beau-père fut choifi par ces Mrs. pour porter à ce Miniftre les premiers coups dans l'efprit du Roi. J'ai eu l'honneur de vous dire, Madame,que laCom-tefîè de Wartemberg avoit toujours voulu du bien à Mr. de Wefen; le mariage a-vantageux qu'elle lui avoit procuré, en étoit une preuve affez convainquante. 11 fembloit donc, après un fi grand fervice, que la reconnoiflance exigeoit de lui qu'il le dévouât tout entier à la fortune du Comte fon épeux. Mais mon Beau-père, flatté du choix que les ennemis du Comte avoient fait de lui, oublia fon devoir ôc fes intérêts ; Ôc il accepta une com-miffion pour l'entreprife de laquelle il a-voit, à la vérité, toute la témérité nécei-faire:mais il faloit,pour la conduite d'une affaire aufli délicate, plus de jugement ôc plus de faveur qu'il n'en avoit. Mr. de Wartemberg étoit véritablement aimé du Roi; mais pour cela, il n'étoit pas exemt de les mauvaifes humeurs. Ce Prince Prince parut un jour fi animé contre lui Cour d* & en parla avec tant d'aigreur à mon Crusse,, Beau-père, que celui-ci crut avoir trouvé l'occafion favorable de perdre le Comte. 11 dit au Roi, que toute la Cour é-toit furprife des bontés extraordinaires qu'il avoit pour un Miniftre, qui abufoit tous les jours de fon nom pour fouler le peuple, 8c pour commettre mille injufti-ces contre lès fidèles Serviteurs; que fes rapines étoient exceftives, 6c que la dis-fipation de fa Femme étoit ii grande , qu'il pouvoit faire voir par les Mémoires des Contrôleurs de la Bouche, que la table du Grand - Chambellan coûtoit plus que celle de Sa Majefté. Je fiai bien,, a-jouta Mr. de Wefen, que je fuis perdu, fi le Premier-Minifire vient à être informé de ce que fai l'honneur de dire à Votre Majesté; mais en me taifantyje croirois manquer à mon devoir, <& je fuis prêt de prouver ce que fai avancé. Le Roi écouta ce difcours avec aflez d'attention, 6c la vanité de mon Beau-père lui faifoit déjà croire qu'il avoit fait allez, d'imprefllon pour porter coup à la faveur de Mr. de Wartemberg : mais ce Courtifan peu habile ne faifoit pas réflexion qu'un Prince qui fe plaint de fon Favori, n'eft pas toujours difpofé a recevoir les mauvaifes impreffions qu'on lui en veut donner. Soit donc que le Roi penfâtde cette façon,foit qu'il fût frappé D 4 de Cour de de l'ingratitude de Mr. de Wefen qui de-Prusse. voit la fortune à Mr, de Wartemberg, il redit à ce Miniftre la converiation qu'il avoit eue avec lui, l'affûtant, qu'il n'avoit poinr ajouté foi à ce rapport, & que s'il vouloit, il le vengeroit de celui qui le lui avoit fait. Le Miniftre habile afFecla pour-lors un air de modération, qui lui coûtoit d'autant moins, qu'il étoit excellent Comédien. 11 dit au Roi, qu'il étoit fufhTam-ment vengé, par le peu de cas que Sa Majefté raifoit des calomnies que les ennemis débitoient contre lui; & qu'il la fupplioit de pardonner à ceux qui avoient voulu abufer de fa bonté pour l'opprimer. Ce fut ainfi qu'il cacha quelque tems fous les apparences d'une feinte douceur, le plus vif refTentiment; bien rélolu dans le cœur, de perdre ceux qui avoient fait agir Mr. de Wefen, quoiqu'ils fuffent protégés par la Reine; mais fur-tout, défaire lentir à celui-ci tout le poids de fa vengeance. Le Voyage que le Roi fît à Goîtz, l'une de fet, Maifons de Chaflè près de la Forterefiè de Cufïrin, lui en facilita les moyens. Il étoit feul avec le Roi dans le même Caroflè, & il indifpofà tellement fon efprit contre Mr.de Wefen, que lorsqu'il arriva à Goltz, tous ceux qui fe trouvèrent à la delcente de fon caroflè s'ap-perçurent de famauvaife humeur. Contre ion ordinaire, il ne parla à perfonne, & Cour du il ordonna à mon Beau-père de faire fer- Prusse. vir. S'çtant mis à table, il eut à peine touché ion pain, qu'il le trouva mauvais. Il s'en plaignit à Me. de Wejen, comme aiant la direélion de ce qui concernoit la Bouche. Mr. de Wefen dit au Roi, qu'il étoit vrai que le pain n'étoit pas comme à l'ordinaire, parce que la Voiture de la Panneterie s'étoit rompue en chemin; & que le Boulanger, qui étoit arrivé un peu tard, n'avoit pas eu affez de tems. Le Roi, Peu fatisfait de cette réponfe, dit qu'il é-toit las d'être mal fervi, & qu'il préten-doit que chacun fît fon devoir. 11 jetta en même tems fa ferviette à terre. Mr. de Wefen en aiant été prendre une autre, la prélenta au Roi, qui ne la voulut point Recevoir; il lui ordonna de fortir à i'in-ftant de fa préfence. Deux heures après, Mr. âeWe/èn fut arrêté par unExemt des Gardes du Corps, qui le conduire dans J°n caroffe , accompagné de quelques tardes, à Cuflrin Capitale de la Nouvelle Marche, (ituée fur l'Oder. Mon Beau-Père y fut traité en Criminel d'Etat, & le Miniftre envoya ordre au Confeillcr ■Aulique de mettre le fcellé dans la maison de ma Mère fur les effets de fon Ma-ri- Elle étoit pour-lors à la campagne; mon Frère étoit au Sermon, avec notre gouverneur; ainli, je me trouvai feul dans la maifon lorsque ces Melficurs vin-D 5 rent Cour de rcnt pour exécuter leur ordre. Ils me le Prusse, mo-ntrèrent, ôc me demandèrent où étoit Fapartement de mon Beau-père, afin de n'écre pas obligés de mettre le fcellé partout. Je n'héfitai point à le leur montrer, ôc en fe retirant ils me laifïèrent un Ecrit, qui étoit un ordre à ma Mère de ne point paroître à la Cour, & de n'y point folli-cirer la liberté de fon Mari.J'envoyai auffi-tôt chercher mon Gouverneur, qui porta cette defagréable nouvelle à ma Mère. Sa douleur fut égale à fa furpriie : elle avoit une véritable amitié pour fon Mari, ôc elle ignoroit lès complots contre le Miniftre, à qui elle le croyoit toujours dévoué. Comme Tordre du Roi lui lioit les mains ôc l'empéchoit de venir à la Cour, je fus chargé d'y folliciter la liberté de mon Beau-père. Un jour, que la Reine donnoit à Lutzelbourg une Fête au Roi, je lui préfen-tai un Placet au nom de ma Mère, par lequel elle le fupplioit de faire ôter le fcellé de fes effets ôc la Garde de fa maifon ; ôc qu'il plût à Sa Majefté de nommer des LommilTaires pour juger fon Mari, afin qu'il fût puni s'il étoit coupable, ou mis en liberté s'il étoit innocent. Ma jeunefiè, ôc les pleurs dont j'accompagnai cette Requête, attendrirent le Roi: il me dit, qu'il feroit ce que ma Mère fouhaitoit , uniquement par confidération pour elle; qu'il prenoit part à fon cha- grin; mais que fon Mari avoit tellement Cour de mérité fon indignation, qu'il ne pouvoit PRUSSE« s'empêcherde la lui faire reffentir: Qu'au relie, il étoit bien aife de me voir le cœur allez, bon pour folliciter en faveur d'un homme qu'il favoit n'avoir pas bien agi avec mon Fére Ôc moi, malgré les ordres qu'il lui en avoit donnés en lui faifant époufer ma Mère. Je „ lui répondis, que je n'avois aucun fujet de plainte contre mon Beau-père; Ôc que quand j'en aurois, il nie futfifoit de voir le chagrin morte! de ma Mère, pour folliciter la liberté. Je vous fai bon gré, me dit le Roi, de ces fentime?is : allez dire à votre Mère, qu'elle Jira fatisfaite ;<& foyez ajfu-ré que f aurai foin de vous. Ce furent les termes dont iefervit ce Prince, en me mettant la main fur l'épaule dans le tems que je me baifTois pour embraifer fes genoux. Dès qu'il fut parti, la Reine me fit venir dans fon Cabinet, pour lui rendre compte de cette converfatkm. Elle é-tQit couchée fur un lit de repos; Mlle, de Pdllnitz ma Coufine étoit feule, alîife « terre au pied du lit. La Reine s'informa de la fanté de ma Mère, elle m'ordonna de l'afïurer de fon eitime ôc de fon amitié; & fur le récit que je lui fis de ce que le Roi m'avoit dit, elle me. répondit , qu'elle étoit -bien aile des bonnes dilpolitions ' dans1 lftqt^fës le. Roi étoit à mon égard.: Menait-le s, ajotrta- t-elle, Cour de t-elle, appliquez-vous à mériter fes bonnes Prusse, grâces; je ferai de mon côté tout ce qui dépendra de moi pour vous y maintenir , & vous aurez toujours en moi une protection ajjurée. Un accueil fi gracieux de la part du Roi & de la Reine me donna de grandes efpérances, & je retournai à "Berlin, ne doutant nullement que l'effet ne fuivît bien tôt les promefîes qu'ils venoient de me faire. Cependant ce ne fut qu'après de longues iollicitations de la part des A-mis de ma Mère, qu'elle obtint la liberté de fon Mari, après une détention de fept mois, 6c en payant pour lui 10000 écus d'amende. La vengeance que le Miniftre tira de ceux qui avoient fait agir mon Beau-père, eut moins d'éclat : il fe contenta de les faire exiler dans leurs Terres ou dans leurs Gouvernemens, ôc de donner leurs Charges à fes Créatures les plus affidées. Tel étoit le Comte de VPitgen-Jlein, .à qui il fit donner la Charge de Grand-Maréchal. Il étoit homme de naifïànce; mais ni lui, ni fes ancêtres, n'avoient rendu aucun fervice à l'Etat: fon ieul mérite étoit, d'être entièrement dévoué au Prémier-Minilfre, dont il étoit plus l'Efclave que l'Ami. Il fe ibutint à la Cour, tant que le Comte de Wartemberg fut en faveur: mais la chute du Miniftre entraina la fienne. La disgrâce de mon Beau-père ne laiiïà pas de caufer beau- beaucoup de trouble dans ma Famille. Cour de Ma Mère le luivit dans fes Terres au Pays Prusse. de Zell; ôcje fus envoyé avec mon Frère, ious la conduite d'un Gouverneur, à Lunebourg, pour y achever mes Etudes. Toute l'Europe étoit alors en mouvement , & avoit pris part dans la querelle que la Maifon d'Autriche avoit avec celle de France, au fujet de la fuccelfionde la Monarchie d'Efpagne. Philippe a\ An-jou s'en étoit déjà mis en pofieiîion, en vertu du Teftament de Charles IL & du droit qu'il y avoit par Marie-Thérèfe d'Autriche, fa Grand-mère. L'Empereur ton-doit fes prétentions fur la renonciation da cette Princeffe, lorsqu'elle avoit époufé Louis XIV. Presque toute l'Europe, que la trop grande puiffance de la France cornmençoit d'alarmer, fe rangea du cote de l'Empereur, qui s'étoit débité de fos droits en faveur de l'Archiduc fon •rils. Outre l'intérêt commun que l'Europe fembloit avoir, d'empêcher que deux Monarchies comme celle de France ôc d'Efpagne ne fuiïènt gouvernées un jour Par un même Prince, plusieurs Puiiïan-ces avoient des raifons particulières de Profiter de cette occafion pour faire ' la guerre à la France. La Cour d'Angleterre étoit alarmée du procédé de Louis XIV, qui venoit de reconnoitre le Fils de jaques IL mort depuis peu à S. Germain, pour Roi d'Ange Court>e gleterre, fous le nom de Jaques III, Prusse. au préjudice du Roi Guillaume qui avoit été reconnu par le Traité de Ryjvjyck. Les Hollandais (è gouvernaient par les idées du Roi Guillaume, qui étoit toujours leur Stadtbouder. Ils ne pouvoient oublier la Guerre de 1672 , dont les plaies étoient encore fi récentes. Le Roi de Truffe, outre l'intérêt commun qu'il avoit avec les autres Electeurs, que la France ne devînt point trop puif-faute, dans la crainte que dans la fuite cette Cour ne leur donnât un Empereur tel qu'elle le voudroit, avoit encore des en-gagemens avec la Cour de Vienne 6c le Roi d'Angleterre. Ce fut en coniéquence de ces engagemens, qu'il fournit fjooo hommes à l'Empereur , 6c qu'il fit faire dans fes Etats une levée de aooao hommes, que le Roi Guillaume lui avoit demandés , 6c qui furent pendant toute la Guerre à la folde des Provinces-Unies. La France n'eut dans ion parti que l'E-lefteur de Bavière 6c celui de Cologne. Ces deux Princes fe laiilèrent gagner par les promenés de la France, dont la principale étoit, de ne point finir la Guerre, qu'elle n'eût fait déclarer l'Electeur de Bavière, Roi de Souabe. Le Duc de Savoie ne fe laiflà point gagner par les avantages que la France lui offioit : le mariage de fes deux Filles avec le Duc de Bourgogne ôc ie Duc cVÂa- du BaroM de PoLLNITZ. 6% d'Anjou Roi d'Efpagne, ne l'empêcha pas Coun d'être l'Allié le plus zélé contre ces deux Prarsa Couronnes. Il prévoyoit bien , que par la fituation de fes Etats il en feroit esclave, tant qu'elles feroient unies ensemble. Auffi, lorlque la Duchelïe fa Mère, qui étoit toute Françoife , lui demanda ce que deviendroient fes Filles, s'il détrô-noit le Roi d'Efpagne , 6c ruïnoit la France; il lui répondit, Et Jîjene le fais, lue deviendra mon Filï ? Voilà, Madame, à peu près les divers mouvemens qui intèreffoient l'Europe, lorfque Guillaume Roi d'Angleterre mou-rut. Cet événement n'apporta aucun changement: la Princeflè Anne Stuard, lui lui fuccéda fous le nom de la Reine Anne, fuivit les mêmes idées que fon pré-décefleur ; 6c la Guerre des Alliés contre ia France continua avec la même vigueur. Par la mort du Roi d'Angleterre, qui **°it le dernier Prince de la Branche ^Orange , notre Roi devoit hériter de Jpus les biens qui lui avoient appartenu, «on droit lui fut cependant contefte par Jjr frince de Nafau-Frife. Ce Prince et°it moins proche Parent que le Roi; ^ais il avoit i'avantage de l'être par les maies, & d'avoir en fa faveur un Tefta-ment du Roi Guillaume qui l'appelloit à 4 fucceflîon. Comme les Etats-Généraux es Provinces - Unies étoient les Exécu-\«urs dc ce xeftament, le Roi leur fit d'à- Cour de d'abord parc de fes prétentions, de même Prusse. qU'a ja Reine Anne, à qui il les fit communiquer par Mr. de Spavheim fon Am-baffadeur à Londres. 11 fondoit fon droit fur un Teftament de Frédéric - Henri Prince d'Orange , Aieul du Roi Guillaume: ce Prince avoit eu un Fils 6c trois Filles; l'ainée avoit épouic l'Electeur de Brandebourgs Père du Roi; laleconde, le Prince de Shnmeren , Prince cadet de la Maifon régnante Palatine, 6c qui étant mort fans poitérité, avoit laiifé les droits de fucceilion à l'Elcclorat à la Branche de Neubourg; 6c la troifième étoit mariée au Prince d'Anbalt - DeJJau. Le Teftament de Frédéric- Henri appel-loit à la fucceilion les descendans maies, 6c à leur défaut les trois Princcffes fes Filles: c'eft en vertu de quoi le Roi, qui defeendoit de l'ainée, prétendoit être légitime héritier, malgré le Teftament du Roi Guillaume, qui ne pouvoir difpo-fer d'un bien qui étoit fubftitué. Le Roi, pour mieux foutenir fes droits,réfo-lut de faire lui-même un Voyage à La Haie; ôc il partit accompagné du Margrave Albert fon frère, qui le quitta à Wefel, pour aller joindre l'Armée à * Keifersuerdt. Le Roi reçut à t Wefel Mrs. de Linte- b, * Voyez . touchant l'état prêtent de cette Place, IC Torae III. des Lettres, pag. 2°8. -f Voyez le Tome 111. des Lutrci, pag. 208. de Slingeland, & du Tour, Députés Cour de des Etats-Généraux : il leur fît rendre Prusse. les mêmes honneurs qu'aux Souverains, ôc les reçut debout, aiant feulement un fauteuil derrière lui. Ils lui rendirent: compte du Teftament du Rot Guillaume, qu'ils avoient fait ouvrir en préfence de Mr Schmettau fon Ambaflàdcur, de Mr. Sta?ihope Envoyé extraordinaire d'Angleterre-, des Envoyés de Mesdames les Prince (Tes tiAnhalt ÔC de Najfau -Frife, de celui de Mr. le Prince de Najjau-Siegen^ dei Commiftaires de l'Etat nommés à cet effet , & des Confeillers des domaines du feu Roi Guillaume. Ils ajoutèrent, qu'on avoit trouvé dans ce Teftament, que le Prince de'Nal/au, Gouverneur héréditaire de Priie, et oie appelle à cette fucceilion comme héritier univeffeL exhortèrent le Roi à vouloir bien le r<-'connoitre en cette qualité. Ce difcour3 J?e le perfuada point, ■& il fit protefter lc>lcnnellement contre' le Teftament. Il Partit enfuite pour I-.a Haie. Le Roi, en arrivant, defeendit au Palais de la Vieille Cour, qui étoit de fhé-rjtage du Roi d'Angleterre , & dont il s'étoit déjà fait mettre en pollèffion , dé même qye de Hanjlardyck, autre Maifon «u feu Roi d'A ngleterre. Les Hollaridois *uroient bien voulu conferver la fuccef-n°n au Prince de Naffàu - Enfe ; mais ? étoit difficile de îe faire f-ans iè brouH- Tome I. £ 1er Cour de 1er avec le Roi. lia prirent le parti de Fruise. temporifer, ôc ne conclurent rien pendant le féjour que le Roi fit en Hollande. On tâcha de l'amufer en lui procurant tous les plaifirs dont ce Pays eil fuf-ceptible ; mais la grande affaire de lafuc-ceffion du Roi d'Angleterre l'ocupoin uniquement, & il partit très mécontent de la conduite que les Etats - Généraux avoient tenue dans cette circonftanee. Dès qu'il fut de retour à Berlin , il nous fit revenir mon Frère ôc moi de Lunebourg , par la crainte qu'il avoit que ma Mère,qui étoit Luthérienne, ne nous portât à embrafïèr cette Religion. Il établit l'année fuivante une Académie, où il donna ordre que nous entrallions. Le but de cet établifTement étoit d'élever les jeunes Seigneurs de la Cour , d'une manière convenable à leur naifïance. C'é* toit le Roi , qui nommoit ceux qui dévoient entrer dans cette Académie, dans laquelle on avoit eu foin de raffembler les meilleurs Maîtres dans toute forte d'Arts. La penfion que l'on y payoit étoit très modique, le Roi s'étant chargé du furplus de la dépenfe. Cette illuftre E-cole, qui s'appelloit alors VAcadémie des Princes , a bien perdu de fa première îplendeur. Je trouvai la Cour de Berlin dans le même état, où elle étoit quand j'en partis. Le Comte de Wartemtrg étoit toujours jours dans la plus haute faveur; & le Courde Comte de Barfous , le feul qui avoit ofé Prusse. pendant quelque tems tenir tête au MU niitre, avoit enfin été obligé de le retirer dans fes Terres. Sa retraite , cependant , fut un peu adoucie par une peniion de vingt-mille écus que le Roi lui laiffa. Sa Charge de Feldmaréchal fut donnée à Mr. de Wartenfeben , Lieutenant-Général des Troupes de l'Empereur & Général de celles du Duc de Saxe-Gotha. C'étoit encore une créature du Prémier-Minittre , mais qui du moins a-voit allez d'honneur ôc de probité, pour lui réfuter dans les occafions où il cro-yoit qu'il y alloit du bien de l'Etat. Mr. le Comte de Lottum , qui avoit été en-velopé dans l'affaire de mon Beau-père, ôc dont la Charge de Grand - Maréchal avoit été donnée au Comte de Witgenr fiein , conferva dans fa disgrâce , auffi-bien que le Comte de Barfous, un certain air de faveur. Le Roi lui avoir donné le Gouvernement de Wefel, où il s'étoit retiré ; ôc ne pouvant s'empêcher de rendre juftice à fon mérite ôc à fa fidélité , il lui avoit confié le Commandement des Troupes deftinées pour les Pays-Bas. U fut chargé -du Blocus de Rhïnberg Place de l'Ele&orat de Cologne, que les François occupoient alors fous le nom de Troupes auxiliaires de l'Electeur de Cologne. La Ville «'étant rendue en peu de « a tems, Cour uï téms, il fit le biocus de Gueldrc, qui faî-Prusse. f0jt parrie des Pays-Bas Efpagnols & qui nous a été cédée par la Paix à'Utrecht. La prife de ces deux importances Places au milieu de l'Hiver, &la conduite du Comte de Lottum, qui malgré la rigueur de Ja faifon , & les traiterriens qu'il avoit reçus de la Cour, apporta tous fes foins pour la confervation des Troupes du Roi, lui attirèrent de la part de la Cour des éloges, qui mortifièrent le Prémier-Miniftre. La France tâcha de réparer la perte de ces deux Places, en fe îàififlànt de la Principauté ÛOrange, que nous n'étions pas à portée de fecourir. Elle en mit d'abord en pofièiïion Mr. le Prince de Conti. Ce Prince y avoit quelques prétentions, par la Maifon de Cbâlons dont il fe diibit héritier. Peu de tems après, il céda cette Principauté & fes prétentions à Louis XIV y qui y fit auffi-tôt publier un Edit, par lequel on donnoit le choix à tous les Habitans, de fe faire Catholiques, ou de vendre leurs effets & de fe retirer hors du Royaume dans l'ef-pace de trois mois. La plupart de ceux qui ne voulurent pas changer dé Religion , fe retirèrent dans notre Cour, ôc entre autres ceux du Parlement. Le Roi les fecourut autant qu'il put, 6c fit faire dans toutes les Eglifes de fes Etats une Quête, dont l'argent fut diftribué à ccuac qui en avoient le plus preiTant befoin. coun ns Peu de tems après la perte d'Orange, PnvsiSi. le Margrave Albert époufa la Princeffe de Courlande. Ce Prince avoit fuccédé en 1696 au feu Margrave Charles fon Père, dans la Grand-Maitrife de * l'Ordre de S. Jean. Cet Ordre eft le même que celui de Malthe\ il ne s'en eft fépa-ré que depuis Luther. Les Commande-ries fujettes à l'Electeur de Brandebourg, devenues Proteftantes, fe mirent fous la protection de cet Electeur, & choiiirenc un Grand-Maitre, ou pour mieux dire, l'Electeur leur en donna un. Le choix eft toujours tombé fur un Prince Cadet de la Maifon, qui ne fe trouve par-là engagé à aucun Vceu, non plus que les Chevaliers, qui font feulement obligés de faire preuves de Noblefïè, fur lesquelles bien fouvent le Souverain lève les difficultés. La Princeffe de Courtaude étoit l'ainée des trois Filles que le Duc de Courlande avoit eues de fa première Femme. Ce Duc avoit époufé en fécondes noces la Sœur du Roi, & étoit mort quelque tems après. La Ducheffe fa Veuve étoit venue trouver le Roi fon Frère à Konigs-bergj pour affilier à fon Sacre; d'ailleurs, elle avoit été obligée d'abandonner la Courlande que les Suédois, les Polonois, & * Voyez le Tome I. des Lettres .page 39. à la fin. E 3 Coun de & les Mofcovitcs prefToi#nt également: Prusse, elle avoit trouvé auprès du Roi fon Frère l'afyle qu'elle efpéroit, & y avoit épousé l'année précédente le Margrave de Brandeboug-Baireut, Coufm du Roi; & en fuivant ion Mari dans les Etats, elle avoit laiffé l'ainée de fes Belles-filles auprès de la Reine, dans la vue de lui faire époufer le Margrave Albert. La Reine, qui aimoit cette Princeffe, fit en-forte qu'elle obtint le confentement du Roi pour ce mariage, qui fe fit quelque tems après à Lutzelbourg. Nous eûmes à peu près dans le même tems, une Cérémonie nouvelle dans nos climats. Ce fut l'érection d'une * Statue que le Roi fit élever en l'honneur de Frédéric-Guillaume le Grand, Ion Père. Elle eil toute pareille à celle de Louis XIV, que l'on voit à Paris dans la Place de Vendôme. Le piédeftal eft de marbre blanc, de même que la bafe. L'érection de cette Statue fe fit le 12 Juillet 170$; & le Roi, dans la vue de faire plus d'honneur à l'Electeur fon Père, en fit faire la cérémonie avec un appareil magnifique, en préfence de toute la Cour & de tous les Corps de Juftice. L'année fuivante 170+ fut heureufe aux * Voyrz la defeription cornpteue de ce Monument , & de Ion éteihyij, au Toinc I. dti Litirti, H£ÇI3 à- fuir. aux Alliés, par le gain des Batailles de Cour de Donaivert, & de Hochfiet. Les Trou- Prusse. pes que le Roi avoit envoyées en Fran-conie & en Bavière, à l'Empereur & à la Ville de Nuremberg t qui demandoit du fecours contre les Bavarois, ne contribuèrent pas peu au gain de ces Batailles. Le Roi en reçut la nouvelle par un Courier, que lui avoit dépêché le Prince d'Anhalt, fous le commandement duquel ce fecours avoit été envoyé. Ce Courier fut fuivi, quelques jours après, d'un iecond, chargé d'une Lettre du Prince Eugène de Savate', ce Prince faifoit, dans cette Lettre, un éloge magnifique de la valeur des Troupes PrufTiennes. J'ai lté témoin oculaire, dit-il dans fa Lettre, particulièrement à l'égard de l'Infanterie de l'Aile droite, que tant hauts que bas Officiers <&■ ftmples Soldats, ont combattu a-vec la flus courageufe intrépidité, & ont pendant plufteurs heures arrêté l'effort de C ennemi, qui à la fin ne pouvant plus réftf-ter à leur bravoure & mu feu continuel qu'ils faifoient, a été mis dans une telle confufon, qu'il a été obligé de prendre la fuite avec précipitation <& de nous abandonner le Champ de bataille. Le Prince attribue cette action vigoureufe des Soldats Prufliens, aux grands exemples de cou- $ Voyez Tome I. des Lettres, f. 209 é- jmv. Il y a fur «k«Ville,ôtfeshabitans, desoblexvations cuticule*, E 4 Cour de courage & de valeur, que leur donnoît Pxuise. le Prince d'Anhalt qui les commandoir. Il eft bien jufte, continue le Prince Eugène , de donner à Mr. le Vrince d'Anhalt les louanges qu'il a fi bien méritées. Il n'a cherché, dans aucune occafîon^ à épargner fa perfonne, <& peu effrayé du danger auquel fl s'expofoit, je l'ai toujours vu à la tête des Jtens, les menant au combat <& les encourageant par fon exemple ; deforte qu'on peut bien dire à fa gloire, qu'il a contribué pour la plus grande partie au gain de cette Victoire. Eloge d'autant plus flatteur, qu'il partoit de la bouche d'un Prince trop connoilleur pour prendre le change en fait de courage. Au retour de cette Campagne, Mylord Marlborough vint à Berlin, & y reçut du Roi toutes les marques d'eftime qu'il pouvoit defirer. Tout ce qu'il négocia pour l'opération de la Campagne fuivante lui fut accordé ,, & il partit très fatisfait de la Cour. Son départ fut fuîvi de celui de Mon-feigneur le Prince Royal pour Hanover, d'où il fe rendit en Hollande. Son deflèin étoit de palfer en Angleterre; mais l'événement le plus trille pour lui, & pour toute la Cour, l'obligea de revenir à Berlin. Ce fut la mort inopinée de la Reine, qui arriva le I. Février 1.705, après une maladie de quelques jours. Cette Princeffe avoit coutume, depuis quelque tems, daller à Hanover voir l*EleéT:rice fa Mère, re, pour laquelle j'ai déjà eu l'honneur Cour t>k de vous dire qu'elle avoit une tendrcffe I'russe. extrême. Le jour qu'elle devoit partir pour faire ce Voyage, elle fe fentit indis-pofée; cependant,la crainte qu'elle avoit que le Roi ne fe fervît de ce prétexte pour la retenir, lui fit cacher fon îndif-pofition. Elle dura pendant tout le Voyage ôc redoubla à Ion arrivée à Hanover, par les efforts que fe fit cette PrincelTe pour recevoir les Dames de la Cour, ôc pour afliifter à un Bal qui le donna le même jour. Elle en fortit avec un mal de gorge, qui devint li violent que les Médecins & Chirurgiens perdirent bien-tôt toute efpérancc de la guérir. La Reine, quoique dans la fleur de Ion âge, vit les approches de la mort fans frayeur. Elle écrivit au Roi une Lettre pleine de ten-drefiTe, dans laquelle elle le remercioitde l'amitié qu'il lui avoit toujours témoignée, ) 6clui recommandoit (es Domeftiques. Elle confola elle-même le Duc JLrneft-Au-gujie ion Frère, qui étoit dans un véritable delespoir de l'état où il la voyoit. Il n'y a rien de Jî naturel que la mort, lui dit-elle, elle eft inévitable; & quoique mon âge eût dû me faire efpérer de vivre quelques années de plus, je n'ai cependant aucun regret de mourir. Mr. de la Bergerie Miniftre de l'Eglife Françoile, qui l'afiifta dans ces derniers mornens, étoit ii furpris de la force d'ef-E 5 prit Cour uf. prit & du fang-froid qu'elle faifoit paroï-Prvssï. tre, qU']i fongeoit plus à l'écouter qu'à l'exhorter. J ai fait, diioit-elle, pendant vingt ans une étude affez férieufe de ma Religion ; j'ai lu avec trop d'attention les Livres qui en traitent,pour être encore en doute fur ce que je dois penfer. Vous ne pouvez, me dire autre chofe que ce que fai lu, & ce que vous me direz n ajoutera fù* rement rien à mon fentiment. Et fe tournant, enfuite vers ma Coufine qui étoit de l'autre côté de fon lit : Hèlas .'dit-elle, que de cérémonies inutiles on va jaire pour ce corps ! Elle tendit, preique en même tems, la main au Duc Erneft fon Frère, en lui difant : Mon cher Frère , j'étouffe y ôc elle mourut à l'inftant. On dépêcha auflï-tôt un Courier à Mr. le Prince Royal,qui étoit à La Haie; ôc Mr. de Rulau Grand-Maitrc de la Maifon de la Reine porta cette nouvelle au Roi. Il en fut tellement faifi, qu'il en tomba évanoui plufieurs fois. Quand il fut revenu à lui, il donna des marques de l'affliction la plus fmcère, & parut connoitre toute la perte qu'il faifoit. En effet, cette Princeffe méritoit bien fes regrets, 6c ceux de tout l'Etat. J'y perdis en mon particulier, 6c toute ma Famille aufli, une folide & véritable protection. L'idée de faire rendre à la Reine les honneurs dûs à fon rang, fuspendit pour quel- quelque tems la douleur du Roi. Il Cou* de voulut la fignaler par la magnificence Prusse. d'une Pompe funèbre , Ôc il donna lui-même les ordres néceiTaires pour cela. L'Electeur de Hanover ( depuis Roi d'Angleterre) n'oublia rien de ion côté pour marquer la douleur qu'il reffentoit de la perte d'une Sœur fi chère. Son Corps fut plufieurs jours expofé fur un magnifique Lit de parade ; fes Dames ôc les Officiers de la Maifon qui l'avoient fui-vis à Hanover, étoient autour du Lit, ôc les Gardes & les Officiers de l'Electeur demeurèrent auprès du Corps de la Reine, ôc le fervirent comme fi elle eue encore été vivante. Lorfque tout fut prêt pour le porter à Berlin , l'Electeur le fit efeorter par tous fes Gardes , jus-ques fur les frontières du Duché de Zell. Il y fut reçu par Mr. de Buiau Grand-Maréchal de cette Cour, qui le conduisit jusques fur les Terres de Brandebourg, où il fut reçu par M. le Comte de JVit-genjlein, qui l'accompagna jufques à Berlin , où je me fouviens qu'il arriva fur les dix heures du foir, par une pluie effro- Ïable. Le Roi, accompagné du Prince loyal, ôc de Meilleurs les Margraves, en longs manteaux de deuil, Ôc des Dames de la Cour , en grandes mantes, reçut le Corps de la Reine à la defeente du Char mortuaire, Ôc l'accompagna dans la vieille Chapelle , où l'on ayoit Cour de avoit dreffé un Catafalque magnifique." Prusse. Qe Catafalque repréfentoit un Temple d'une forme ovale, dont la voûte étoit foutenue par des colonnes d'un Ordre Corinthien, entre chacune desquelles é-toient des Statues qui repréfentoient les Vertus de la Reine. Au fond du Catafalque on voyoit dans l'élévation une Gloire, dans laquelle le Chiffre de la Reine étoit formé par des Etoiles. Toutes les Statues , qui étoient argentées , jointes aux luftres,bras ôc girandoles,qui étoient d'argent, faifoient un effet magnifique, avec le noir dont les murailles ôc la voûte étoient couvertes. Le Corps de la Reine repofa dans cet endroit, jusques à ce que tout fût préparé pour la cérémonie de fon Enterrement. Je n'entrerai point ici dans le détail de cette cérémonie, qui fut des plus magnifiques. Ce que j'y trouvai d'extraordinaire, c'eft que le Roi voulut que le Parlement d'O-range, dont la plus grande partie s'étoit réfugiée à fa Cour , y parût en robes rouges. La mort de la Reine n'apporta aucun changement dans les affaires : cette Princeffe iè mêloit peu du Gouvernement , elle en laiflbit tout le foin au Roi & à fes Miniftres. Il n'en fut pas de même des plaifirs. Elle les entendoit trop, pour qu'on ne s'apperçût pas bientôt qu'elle n'écoit plus. Les Courtifans faifoient une perte irréparable ; car cette Couh Princeffe qui connoiffoic tout le monde, Prusse. favoit parfaitement la naiffance & le mérite de chacun, Ôc fe plaifoit à les distinguer. Fière ôc polie en même tems, elle favoit mieux que peribnne du monde, ce qui s'appelle tenir une Cour; Ôc vertueufe fans petiteffè , elle favoit, ce qui eft difficile, preferire de juftes bornes à cet air de Galanterie , qui feul peut rendre une Cour agréable ôc y entretenir la Politeife. La feule Princeffe capable de remplacer notre Reine, étoit la Margrave Philippe , qui tint alors le premier rang. Elle étoit Fille du Prince $Anhalt - Dcffau y ôc de la Princeffe d'Orange. Elle étoic douce ôc enjouée, elle aimoic les plailirs, ôc elle en connoiffoit la délicatefle. Elle auroit pu quelquefois nous faire oublier la perte de la Reine, fi l'humeur auftère, ôc peut-être jaloufe du Margrave Philippe fon Mari, n'eût fait préférer à ce Prince le féjour de fa Maifon de Schwedt, à celui de la Cour. La mort de la Reine fut fui vie de près de celle de l'Empereur Léopold. Ce dernier événement nous toucha moins, mais ' il intèreiîa plus le refte de l'Europe. On crut d'abord que cette mort pourroit apporter quelque changement dans les idées que l'on avoit fur la fucceffion d'Efpagne; car l'Empereur Jojèph qui fuccéda à fon Père, Cour de Père, n'avoit point de Fils; l'Archiduc Prusse. fon Frère qui difputoit la Couronne d'Efpagne au Duc d''Anjou, étoit fon unique héritier, & pouvoit un jour par fa mort devenir maitre de l'Empire & des Etats de la Maifon d'Autriche. Ainli il y avoit autant, & peut-être plus à craindre, pour ceux qui redoutotent de voir deux Couronnes fur une même tête, que ce fût l'Archiduc qui fe rendît maitre de l'Efpagne ; le Duc ày Anjou >qui étoit déjà en polfeiïion de cette Couronne, fe trouvant alors bien éloigné de celle de France, par le grand nombre des Princes qui y avoient droit avant lui. Les Puifïan-ces de l'Europe ne furent cependant point émues par ces réflexions , ik la Guerre continua avec un avantage con-fidérable du côté des Alliés. Le Roi de Suède auroit pu , s'il eût voulu, en arrêter le progrès & immor-talifer fon nom en fe rendant l'Arbitre d'une Querelle qui partageoit l'Europe. Le bonheur de fes armes l'avoit rendu la terreur de toutes les Puiflances du Nord: il avoit, dès l'année 1704, ôté à l'Electeur de Sax< la Couronne de Pologne, en faifant proclamer Roi Staniflas Lee-z.însky Palatin de Pofnanie ; & il étoit déjà au milieu de la Saxe , où il rava-geoit tout , & d'où il auroit pu faire pancher la balance du côté qu'il auroit voulu : lorsque le mauvais confeil de • fon dit Baron de Pôllnitï. 79 fon Favori, gagné par Mylord Marlbo- q,v„ ^ r0#g£, fut caufe des malheurs où ce Prusse. Prince fe précipita dans la fuite. Notre Cour a pris allez de part à ces différens évènemens, & peut-être, Madame , font-ils afTez peu connus dans celle où vous êtes , pour mériter votre curiofité. Je ne vous en dirai,cependant, que ce que je trouverai de plus intèrcf-lant. A peine les Suédois & les Polonois avoient pofé les armes, que les différends du Roi de Dannemarc & du Duc de Holfiein leur fournirent une nouvelle occasion de les reprendre. Ces deux Princes , dans les Conférences de Pinneberg commencées en 1696 , avoient donné lieu d'efpérer qu'on les verroit bientôt d'accord j mais ils ne firent qu'une Paix fourrée, qui ne pouvoit durer longtems, à caufe de l'ombrage que donnoit au Roi de Dannemarc l'étroite Alliance du Duc de Holfiein avec la Suède. Les limites de leurs Etats furent le fujet d'une nouvelle querelle. Les Danois furent les aggrefïèurs, & pour fortifier leur parti, ils demandèrent 4000 hommes au Roi de Pologne. Ce Pri.ice, naturellement porté pour ceux qui fe déclaroient contre la Suède, acquiefça avec plaifir à la demande des Danois ; & comme il fa-loit néceffairement faire paffer ces Troupes fur les terres du Roi, (alors Electeur) teur) il envoya à notre Cour le Comte de Flemming > aujourd'hui ion Prémier-Miniltre, pour ibllicirer ce Hallage. On allégua beaucoup de raifons pour s'y op-poferj les plus ipécieufes étoient: Que la Médiation étant encore actuellement occupée à procurer un accommodement jufte ôc équitable > il étoit du devoir du Médiateur d'empêcher la rupture , plutôt que d'y contribuer en favonfant ce paf-iage:Que l'on étoit garant pour le Roi de Suède ôc le Duc de Holfiein, que ni l'un ni l'autre de ces deux Princes ne com-menceroit la Guerre contre le Roi de Dannemarc ; ôt qu'ainfi la Guerre n'étant point déclarée à ce Prince, Sa Ma-jefté Danoilè n'avoit befoin d'aucun fecours étranger : Qu'enfin, en donnant paf-fage à ces Troupes, le Duc de Holfiein auroit un julte fujet d'aceufer la Médiation de partialité. Cependant, aprts toutes ces belles raifons, loit furprife , foit connivence de la part de la Cour, les 4000 hommes paiîèrent. Le Roi de Pologne de ion côté, pour faire une diver-fion confidérable en faveur du Roi de Dannemarc, coraduifit des Troupes du côté delà Livonie, ôc afliégea"Riga , qui alors appartenoit aux Suédois. Cette conduite du Roi de Pologne a été, Madame, comme le lignai fatal qui a donné le branle à cette funefte Guerre, dont les commenccmcns fi glorieux pour le Roi Roi de Suède, fe font cependant termi- Courde nés à la ruine non feulement de fon Ro- Prusse. yaume, mais encore de la Pologne & de la Saxe. Le Czar a été celui qui en a tiré les plus grands avantages. Les Danois , en attendant le fecours qu'ils avoient demandé à la Pologne, afliégèrent la ForterelTe de Tonningue dans le Duché de Sleswkk. Le Roi de Suède & le Duc de Holfiein, avant que de s'op-pofer à cette entreprife, portèrent leurs plaintes à la Diète de l'Empire, & fe mirent enfuite en devoir de repoufTer les Danois. L'Electeur de Hanover & le Duc de Zell fe joignirent à ces deux Princes, & ce dernier s'étant mis en. marche pour aller fecourir Tonningue y eut la gloire de faire lever le Siège de devant cette Place, fur le feul bruit de fon arrivée prochaine. Ce Prince, n'aiant donc rien à faire du côté de Tonningue, vint avec fes Troupes rejoindre l'Electeur de Hanover. Ils rencontrèrent les 4000 hommes que le Roi de Pologne en» voyoit au fecours des Danois : ils le contentèrent de prendre leur bagage & de les defarmer ; du refte , ils leur laiffè-rent la liberté de retourner chez eux. Le Roi de Suède de fon côté porta fes armes contre les Polonois. Ce grand Prince, que les entreprifes extraordinaires n'étonnoient point, aiant déjà rava* gé une partie d« la Pologne , forma le Tome I. F har- êou* dé hàrâi deflèin d'en détrôner le Roi légi-Frusse. time, & d'en faire élire un autre. Il a-voit jette les yeux fur Jaques dè Pologne fils du Roi Jean Sobieski j mais le Roi de Pologne prévint ce coup en fai-ftttt enlever le Prince Jaques & le Prince Conftantiît fon Frère, dans une Terre du'ils avoient auprès de Brejlau. Ces deux Princes furent conduits en Saxe , & ils furent étroitement gardés dans le Château dè Leipzig qui leur fervit de Prifon. La détention de ces Princes empêcha, à la vérité, qu'un d'eux ne fût élu Roi; mais le Roi de Suède perfifta toujours dans fè deflèin qu'il avoit pris dè détrôner le Roi de Pologne, pour fe venger de J* témérité de ce Prince qui avoit olé lui déclarer la Guerre le premier. Il fit tomber l'Election lur Stanijlas Leczinski Palatin de Pofnânie. L'Evêque de Pùs-nauie fit la fonction du Cardinal Primat dans cette Cérémonie, & proclama lé nouveau Iloi. Le Roi de Suède écrivir à tous les Princes, avec qui il étoit en paix, pour leur faire part de cette nouvelle Election, & les exhorter à la reconnoitre. La Lettre qu'il écrivit à notre Roi ne fit aucun effet fur fon efprit : il répondit , qu'il avoit reconnu un Roi de Pologne, & que tant que ce Prince vi-vroit,il n'en reconnoitroit point d'autre. Il écrivit en même tems au Roi de Pologne, pour demander la liberté des deux deux Princes, L'Empereur, de qui l'ainé Cour rit avoit l'honneur d'être Beau-frère, appuya Pavsss* la demande du Roi ; mais les follicita-tions de l'un ce de l'autre n'eurent aucun effet, & les Princes ne furent mis en liberté que longtems après. L'année fuivante, le Roi entreprit de procurer la Paix entre le Roi de Suède & le Roi de Pologne j mais comme le but de cette réconciliation étoit le réta-blifiement du Prince de Saxe fur le Trône de Pologne, le Roi de Suède ne voulut entendre aucune propoiition de Paix, à moins que le Roi détrôné ne renonçât folennellement à fa Couronne. Cependant ce Monarque, pour adoucir un peu le refus qu'il faifoit d'accepter la médiation du Roi, lui envoya un Am-baffadeur extraordinaire pour le reconnoitre Roi de Pruffe. Cet Ambaffadcur a été le premier qui ait fait une Entrée publique à Berlin. Elle fut des plus brillantes, quoique tous les Equipages fufient en deuil, à caufe de la mort de la Reine. C'cfl ainfi que ce Roi habile, en amu-fant ceux qu'il vouloit bien ménager, al-k>it toujours à fes fins. 11 continua de ravager la Pologne, & il en pourfuivit le Roi jusques dans fon Elecforat de Saxe. Ce fut là que les Soldats Suédois prirent leurs quartiers d'Hiver, & qu'ils commirent des excès que l'on n'auroit pas attendu d'une Nation fi fertile en Héros. F 2 Le CounoE Le Prince Suédois fignala fon entrée en Pkusse. Saxe par une action glorieufe: il fit rendre la liberté aux deux Princes de Pologne, qui depuis deux ans étoient détenus avec allez, de rigueur, & même avec af-fez peu de fondement. Il marcha enfuite par toute la Saxe, avec la fierté d'un Conquérant qui vient faire la loi à ceux qu'il a fournis à fon obéilfance. 11 me-noit avec lui, comme un trophée de la gloire, le Roi Staniflas, qu'il avoit fait couronner Roi de Pologne à Varfovie. Ce nouveau Roi s'étant avancé julques fur les Terres de l'Electorat de Brandebourg, pour venir au-devant de la Reine fa Femme qui venoit de Stetin, notre Cour lui fit rendre tous les honneurs dûs à la Dignité Royale , fans cependant l'avoir encore reconnu pour Roi. Le Roi de Suède fut bon gré à notre Cour de la conduite qu'elle avoit tenue, & cette complaifance lui attira l'amitié de ce grand Prince. Cependant, on ne laifiToit pas d'être inquiet du voifinage de ce Monarque , qui portoit le fer 6c le feu par-tout où il palïoit j 6c on fut bien aife de lui voir prendre le defiein de tourner fes armes contre les Mofcovites. Ce furent les Anglois qui le portèrent à prendre ce parti. Depuis quelque tems, ils le foupçonnoient d'être d'intelligence a-vec la France: ils crurent que le meilleur moyen de l'empêcher de fcryir cette te Couronne3 étoit de l'engager dans une £0UR D Guerre avec le Gzar. Mylord Marlbo- p'^yssE,E rough fut chargé de négocier cette affaire. Il vint trouver le Roi de Suède,& il eut en peu de tems tout lieu d'ef-pérer de voir réuffir fa Négociation. Il trouva auprès du Roi un Miniftre aifez lâche, pour n'être pas à l'abri d'une proportion de trois - cens - mille écus , pour trahir fon Maitre en l'engageant dans une Guerre, qui ne pouvoit que lui être fu-nefte; tandis que,s'il eût voulu,il auroit pu du milieu de la Saxe s'acquérir une gloire immortelle, en fe rendant l'Arbitre des deux plus puiffantes Maifons de l'Europe qui fe difputoient la Couronne d'Efpagne. Ce Miniftre, connoiffant le caractère ambitieux de fon Maitre , ne lui propofa pas moins que de détrôner le Gzar. Le jeune Monarque, plein d'ardeur & de courage , ne conçut pas l'impofîibilité qu'il y avoit de détrôner un Prince qui s'étoit retiré derrière des Provinces entièrement défertes, & où la neige laiffoit à peine diftinguer fi c'étoit fur la terre ou fur des Rivières que l'on marchoit. Il fortit donc du Pays de Saxe à la tête de fes Troupes, fur la fin de J707. Jamais Peuple neut de plus jus-tes fujets de donner des marques publiques de réjouiffmee , qu'en eurent les Saxons de voir le Monarque Suédois s'éloigner de chez eux. Ses Troupes avoient F % com- Cour de commis les derniers excès dans l'Elec-Prusse. torat. Cout ]e piat-pays de Saxe étoit entièrement ruiné , 6c à la réferve de quel- aues grandes Villes comme Leipzig, oii s avoient dépcnié avec allez, de facilité une partie de l'argent qu'ils avoient extorqué du pauvre Payfan Saxon , il n'y eut point de Hameau qui ne fût défolé, au point que l'on delèspéra d'en voir li-tôt le rétabliiïement. Au refte , fi les malheurs d'un Ennemi peuvent en quelque façon dédommager des pertes qu'il a caufées, les Saxons eurent tout lieu d'être contens dans la fuite. Les Troupes Suédoifes fuccombèrent toujours fous l'effort des Mofcovites, qui animés par les premières victoires, battirent les Suédois jufqu'à une entière défaite. La plus grande perte que fit le Roi de Suède fut auprès de PaJtaiva. Ce Prince plus ambitieux que prudent s'étant engagé trop avant dans la Mofcovie, ne s'apperçut de la faute qu'il avoit faite , que lorsqu'il n'y avoit plus de remède. Le Czar avoit eu la précaution, en fe retirant un peu avant dans fes Etats, de faire brûler plus de quarante lieues du Pays par lequel le Roi de Suède devoit venir à lui ; en forte que ce Prince fe vit bientôt dans la fituation la plus trille, ne pouvant demeurer dans un endroit où il fe trou-voie dépourvu de tout , 6c d'ailleurs aiant à en venir aux mains avec une Armée mée bien retranchée & de beaucoup fu- ( que lès-Troupes de V. M. ont fi bien a-gi, quelles ont mérité les louanges & l'admiration de tout le monde, &c. Il entre eniiii- enfuite dans le détail de la perte que les Cour de François venoient de faire en effet, elle Prusse. étoit allez conlidérablc. Ce fut dans cette occafion que Mr. le Maréchal de Mar-Jfî» fut bletïe & fait priionnier j & outre 45 pièces de gros Canon & 140 de moindre, pris fur eux, on s'empara encore d'un gros Convoi de deux-mille mulets ôc de mille chevaux, qui étoit efeorté par le Régiment de Dragons de Châtillon. La levée de ce Siège, ôc la réputation que les Troupes Prufïïennes s'y étoient acquife, étoient les nouvelles les plusfen-fibles que le Roi pût recevoir. Toute la Cour étoit encore occupée de cette nouvelle, lorfqu'il en vint une autre qui ne fit pas moins de plaifir. Ce fut la levée du Siège de Barcelone. Cette Ville étoit chai de Tejjë, mais le Roi Charles qui la déféndoit fit une fi vigoureufe réfiftance, & des forties fi ruïneufes pour l'Armée Françoife, que ceux-ci furent obligés de fe retirer. Le Roi en fut informé par un Courier de la part du Roi Charles. Tant de fucces coup fur coup donnèrent aux Alliés de valtes efpérances pour la fuite. On revint bientôt de la terreur que les armes Françoifes avoient depuis longtems imprimée dans les efprits, & par-tout onn'entendoit que des cris de joie de ce que cette Nation fi fière fe voyoit enfin humiliée. Notre Cour fut encore tems par le Maré- F 5 plus Cd.jRDB plus feniiblç que toute autre à ces granit vs se. des nouvelles, & chacun envioit le fort des Soldats Pruffiens, dont on favoit que le Duc de Savoie ôc le Prince $Anha.lt faifoient eux - mêmes les éloges les plus magnifiques. Ce fut dans de fi heureufes cirçonftan-ces, que fe fit le mariage de Mr. le Prince Royal. Ce mariage avoit été conclu à Hanover, dans un Voyage que le Roi y avoit fait avec le Prince fon Fils. Ce jeune Prince avoit depuis longtems, pour la j^rincefle.Fille de l'Electeur, tous les fentimens que peut infpirer le mérite le plus accompli. C'étoit aufifi, de toutes les PnncelfèSj celle qui pouvoit être la plus agréable à fes Sujets : elle nous rap-pelloit l'idée de la feue Rçine, ôc comme elle étoit fa Nièce & deftinée à fuccé-der à fes Etats, il fembloit qu'elle eût, aulïi hérité de toutes les grandes qualités qui l'avoient fait adorer dans notre Cour. Mr. le Prince Electoral cYHanover Tépoufa à Hanover par procuration, en préfence de Mr. le Comte de Fb;ck Ambafladeur du Roi. La Princeffe partit quelques jours après, avec un Train digne de ce qu'elle étoit ôc de ce qu'elle alloit être. L'Electeur fon Père lui avoit donné en habits ôc en bijoux tout ce qu'on avoit pu trouver de plus magnifique. L'emplette en avoit été faite à Paris, par un homme envoyé exprès. Madame la PucheiTed'Or- lians Ifans voulut choifir & ordonner elle-rnê. Cour d» me cous les habirs ; elle les fît voir en- 1j*vm»« fuite à Louis XIV\ qui les trouva fi riches, qu'il dit qu'il feroit à fouhaiteu pour les Marchands de Paris, qu'il y eût ibuvent des PrinceiTes pour qui on voulût faire une pareille dépenfe. Ce fut le 27 Novembre 1706, que cette Princeiîe fit fon Entrée publique à Berlin. Le Roi vint au-devant d'elle, a une demi-lieue de la Ville. Dè? que S. A. R. apperçut le caroife du Roi, elle mit pied à terre ; le Roi defcendit auflt du fien, & alla au-devant de la Princefle. Après l'avoir embraflee, il lui prélenta la Prince Royal, Mrs. fes Frères ôc les deux PrinceiTes. Le Roi remonta enfuite en carofïè : Madame fe plaça à la gauche du Roi, ôc MeiTrs. les deux Margraves fe mirent fur le devant : le Prince Royal ôe les trois Fères du Roi montèrent à che* val. L'Entrée fut des plus magnifiques. Toutes les Troupes qui fe trouvèrent alors à Berlin étoient fous les armes, auifi bien que tous les Bourgeois; ils étoient rangés en haie depuis les dehors de la Ville jusqu'au Palais. Le lendemain de l'arrivée de la PrincelTè, il y eut un Feftin magnifique, auquel le Prince Royal ôc la Princeffe eurent le fauteuil, pour ce jour-là feulement; car dès le lendemain, Leur» A. R. ne furent plus aujfes que 1 far £2 MEMOIRE! CtouR de fur des chaifcs à dos, aux deux extrémi-Prusse. £és de la tab]e Notre Cour étoit alors au (fi brillante que du vivant de la Reine, les plaifirs fe fijccédoient les uns aux autres, tous les jours étoient remarquables par des Fêtes, Bals, Comédies ,&c. Ces réjouifïan-ces durèrent affez. longtems, lorsque tout à coup nous eûmes l'allarme la plus cruelle. Le Roi tomba dangéreufement malade , & les Médecins même commencèrent à defelpérer de le pouvoir tirer d'affaire. Mais Dieu, toujours attentif au befoin de fes peuples, nous fît la grâce de nous le rendre pour quelque tems. Le Roi étant relevé de cette maladie, reçut les complimens de toute fa Cour fur fa convalefcence. Les Princes Alliés l'envoyèrent auffi complimenter; ils recon-noifToient, auffi-bien que fes Sujets, combien fa confervation étoit néceflaire à la Caufe commune. Peu de tems après la convalefcence du Roi, je vis arriver ^Berlin le jeune Comte de Metternich , qui vint apporter au Roi la nouvelle, que les Suides avoient enfin reconnu S. M. pour Prince Souverain de Neufchâtel, préférablement aux autres Princes fes compétiteurs. Mr. le Comte de Mettetnich^ Ambaffadeur du Roi en Suifïe, eut le bonheur de faire réulïir cette affaire, malgré les menaces de la France qui foutenoit les intérêts de Cour de plufieurs de fes Sujets, à la tête desquels Prusse. étoit le Prince de Conty. Ce fut immédiatement après la mort de Mad. de Ne~ mourt, Souveraine de Neufchâtel, que chacun des Prétendans fe mit en devoir d'établir fes droits fur cette Souveraineté. Auffi-tôt que la nouvelle de cette mort eut été confirmée, le Roi envoya ordre à Mr. de Metternkb., fon Ambaffadeur extraordinaire ôc fon Plénipotentiaire en Suiffe, de fe rendre à Neufcbâtel ôc d'y veiller à fes intérêts. Il s'y rendit le de Juin, ôc fit diftribuer à fon arrivée un Mémoire, contenant les droits du Roi fur cette Principauté. Les Prétendans François , de leur côté, en diftribuèrent un ièm-blable pour établir leurs droits ôc réfuter les prétentions du Roi, Il y eut des disputes de rang, entre Mr. le Prince de Conty Ôc i'Ambaflàdeur dePruiïe. Mr. de Puifieux Ambaffadeur de France foutint, comme il le devoit, les intérêts du Prince de Conty,ôc prélenta au Confeilde Neuf-châtel un Mémoire des plus fiers 6c des plus menaçans, tel enfin, que la France viétorieufe auroit pu le donner dans le tems de fes plus belles conquêtes. Il dit dans ce Mémoire} que le Roi fon Maitre ne peut voir avec indifférence que l'on oie dans Neufchâtel manquer de reipecf aux Princes de Ion Sang, qu'il eft de la fa-geae 6c de la prudence de Mrs. duCon- feil Cour St feil de prendre au-plutôt des mefures^ Puusîe. pour que cette prétention du Miniftre de Prufle n'aille pas plus loin: prétention, dit-il, uniquement fondée fur la malice, ou fur l'ignorance, puisque, quand même le nouveau Titre que fe donne l'Electeur de Brandebourg depuis quelques an-ruées feroit univerfellement reconnu, cette même prétention de fes Ambaffadcurs feroit toujours chimérique. Ici Mr. de Puifeux les avertit, que fi dans peu on ne change de conduite, le Roi de France prendra des mefures bien oppofées aux penfées de paix & de douceur qu'il a eues depuis qu'il eft queftion de l'affaire de Neufchâtel. Voilà, Madame, lut quel ton le prenoit le Miniftre François. Ce Mémoire fut fuivi de plufiewrs autres, qui regardoient le fond même de l'affaire ; ôc Mr. de Puifteux, pour engager le Con-feil de Neufchâtel à favorifer les Prétendans François, continua toujours à parler avec une hauteur, qui indifpofa tous les efprits contre le parti qu'il foutenoit. Vous pourrez juger de la manière de négocier de cet Ambaffadeur, par le dernier Mémoire qu'il préfenta vers la fin d'Octobre 1707. Après avoir établi le droit des Prétendans François, toujours en invectivant, voici comme il finit : fil arrivait, contre mon attente, que votre ré-ponfe ne fût pas conforme a ce que je de-mande. . . . fai de nouveaux ordres de S. M. M de vous affurer, que rien lté fera, capa- Coû* r>fe ble d'arrêter tes effets de fon indignation, Prusse. 7!?;' de vous foujlraire à la juftù vengeance qu'il fe propofe d'exercer. Enfuite, pa-reifiant prendre un ton un peu plus doux, il leur dit avec un air de protection, qu'il efpère trouver pendant fon féjourà Neufchâtel, des difpofitions favorables pouf l'entière exécution de ce qu'il fouhaitc. Ceft à ce feul prix (ce font-là les derniers mots de Ion Mémoire ) que vous pouvez, mériter la continuation de la bienveillance de Sa Majefté Je fouhaitë en mon particulier que veus me fourniriez les occaftons de vont aider à vous y maintenir. Toutes ces menaces de l'Ambaffadeur François n'aboutirent à rien, qu'à lui attirer des répon-fes très vives de la part des Ambafla-deurs, tant de Pruffe, que d'Angleterre & de Hollande. On alla toujours fon tram dans le Confeil de Neufchâtel, Se toute cette affaire fe termina à la fatisfaction du Roi, qui en fut proclamé Souverain le 3 Novembre 1707. Dès que le Roi eut été reconnu Souverain de Neufchâtel, le Comte de Met-temhh envoya fon Fils à Sa Majefté avec la Sentence des trois Etats, qui déclaroit le Roi légitime Héritier de cette Principauté, du chef de Louife de Naffau fa Mère, Filleainée du Prince Frédérie-Hen-Jjj» Fils de Guillaume de Naffau, dit le Bel-#fWj en la perfonne duquel ont été transmis Cour de mis les droits de la Maifon de Châlons, à Prusse. qU{ appartenok originairement la Souveraineté & le Domaine de Neufchâtel. La nouvelle de l'acquifition de cette Souveraineté ne pouvoit être que très a-gréable au Roi, auffi fit-il au jeune Comte un accueil des plus favorables : il lui fit des préfens magnifiques, & entre autres, il lui donna la Clé de Chambellan. Peu de jours, après c'eff-à-dire le 33 Novembre 1707, il y eut à la Cour un nouveau fujet de réjouiffance à caufe de la naiflance d'un Prince, que Mad. la Princeflè Royale mit au monde. Le Roi le déclara aulïî-tôt Prince d'Orange, & le fit en même tems Chevalier du grand Ordre. Sa Majeilé dépêcha enfuite des Cou-riers à fes Ambafïadeurs auprès des Princes fes Alliés, pour leur faire part de la naiflance de Ion Petit-fils. Mr. de Span-heim, Ambaffadeur en Angleterre,reçut ordre de prier la Reine d'être Marraine du jeune Prince, & Mr. de Schmettau Ambaffadeur en Hollande, & Mr. de Metter-■nich Ambaffadeur en Suiffe, furent chargés d'inviter pour être Parrains de ce Prince, les Etats auprès desquels ils réfidoient. Outre ces Puifiances, le Roi, & l'Electeur d'Hanover, furent Parrains ,& Madame l'Eledtrice d'Hanover fut Marraine. Le Baptême fe fit dans l'Eglife du Dôme avec une grande magnificence, le 3 Décembre. La joie que l'on eut à la Cour SuBarondePollnitz. 97 de la naiflance de ce Prince,.ne fut pas Cour de longue durée; car il mourut quelques Prusi mois après. La douleur de fa perte fut fbulagée par l'efpéranCe que l'on avoit, que la jeuneffe Ôc lafanté de Mr. le Prince Royal nous donneroit bientôt des héritiers. Ce qui aliarmoit le plus,étoit la fanté peu affinée du Roi. Depuis fa grande maladie, il avoir de la peine à fe rétablir. Les Médecins lui confeillèrenr les Eaux de Carlesbadt en Bohème. Sa Majefté s'y tranfporta au commencement de la belle faifon. Le départ du Roi étant réfolu, je- demandai à Sa Majefté la permillion de faire la Campagne de Flandre en qualité de Volontaire. Je partis de Berlin avec les Gendarmes, dans lesquels mon Frère étoit Cornette. Nous joignimes l'Armée près de Louvain. Mr. le Comte de Lottum me reçut en qualité de Volontaire, & je fus après de lui pendant toute la Campagne, avec beaucoup d'agrément. Peu de jours après que j'eus joint l'Armée, Mr. le Prince Electoral de Hanover (aujourd'hui George II. Roi d'Angleterre) arriva auprès de Mylord Marlborough, ÔC fit l'honneur à ce Général de fervir comme Volontaire. Ce jeune Prince fe dis* tingua beaucoup dans cette Campagne, ôc il fit voir aux Anglois qu'il méritoit de porter un jour leur Couronne. Ce fut dans cette Campagne que fe donna la Tome I. G famcu- Covude fameufe Bataille d'Oudenarde, dans la-Prusse. quelle les François furent encore obligés de céder aux efforts des Alliés. Il faut cependant dire à leur avantage, qu'ils furent obligés de combattre fans Artillerie: ils n'avoient que quatre pièces de Canon,dont ilfalutfe contenter,le refte de l'Artillerie ôc leurs bagages n'étant pas encore arrivés. L'action fut des plus chaudes de part ôc d'autre ; on combattit pendant plulïeurs heures avec la dernière opiniâtreté , ôc toujours avec une perte conlîdérable du côté des Ennemis , dont l'Infanterie fut mile en déroute. Grand nombre d'Escadrons de la Maifon du Roi de France, qui s'é-toient avancés pour foutenir leur Infanterie , furent taillés en pièces ; ôc le desordre devint alors fi grand , ôc le feu porté en tant d'endroits difTérens, qu'il étoit presque impofïible de diftinguer les Alliés d'avec les Ennemis. C'eil pourquoi on donna ordre de ne plus tirer jusqu'au lendemain matin, ôc de laif-fer plutôt échaper les Ennemis, que de rifquer de mettre notre Armée en con-fufion. La nuit étant venue, les François ne firent presque plus de réfiltance en aucun endroit, & fe retirèrent par le chemin qui va d'Oudenarde à Ganâ, par le Village de Heusden. Le foir même de cette Bataille, étant à peu de diôanee des Gardes Prufïiennes avec quelques Officiers aux Coutiti* Gardes, j'appcrçus un Cavalier qui ve- Prusse, noit à nous à toute bride. Il nous dit en arrivant: MeJJteurs, Mr. le Duc de Vendôme vous ordonne de vous retirer vers Gand. Je ne puis vous exprimer quelle fut fa furprife, lorsque nous lui dimespour toute réponfe, qu'il étoit Prilbnnier. Qu'on me tue, s'écria-t-il auffi tôt; je ne veux plus vivre, après ce qui vient de rn arriver,. Nous le confolames le mieux que noua pûmes , & nous le menâmes à Mr. Je Comte âcLottum, à qui il fe fit connoitrc pour M. Duplanti, Aide de Camp de Mr. de Vendôme. Ce qui lui avoit fait prendre le change, étoit l'habillement des Gardes Pruifiennes, peu différent de celui des Gardes Françoifes. La Journée ÏÏOudenarde fut d'autant plus glorieufe aux Alliés, que la Bataille fut gagnée fur Mr. le Duc de Bourgogne, qui commandoit l'Armée de France. 11 avoit avec lui Mr. le Duc de Berry fon Frère, & Mr. le Chevalier de S. George. La préfence de ces Princes fut, dtt-on, contraire à Mr. le Duc de Vendôme, dont les confeils ne furent point écoutés : des Cabales qui s'étoient emparées de l'efprit de Mr. le Duc de Bourgogne, empêchèrent que les deffeins de ce fameux Général ne fuiîent fuivis, & furent caufe de la perte de la Bataille, Le, fur-lendemain fur les, dix heures du G z foir, Cour de foir, Mr. le Comte de Lottum fut détaché Prusse, de la grande Armée, avec quarante Efca-drons & trente Bataillons. Il s'empara fans aucune réfiftance des Lignes du coté cVTpres, & aufïi-tôt elles furent ra-fées. Le 19 de ce même mois, l'Armée célébra un jour d'Action de grâces pour la Victoire qu'elle avoit remportée; on tira tout le Canon, & il fe fît une triple falve de toute la Mousqueterie. Le 26, Mylord Marlborougb, qui n'at-tendoit qu'un Convoi de groffe Artillerie pour commencer le Siège de Lille, envoya un Détachement à Bruxelles où il y en avoit un confidérable, qui venoit en partie du Sas de G and, & de Maftricbt. Cette marche étoit couverte par vingt-deux milie hommes de l'Armée de Mr. le Prince Eugène, qu'il commandoir en perfonne. Ce grand Convoi arriva heu-reufement devant Lille, qui fut inveftie le 13 d'Août. Comme ce Siège étoit un des plus confidérables qui eût été fait depuis longtems, ckque l'ons'attendoit bien à une vigoureufe réfiftance de la part du Maérchal de Boufiers, qui commandoit dans la Place, il vint des Volontaires de tous côtés pour y affilier. Deux grands Princes, tous deux grands Capitaines, le jugèrent digne de leur préfence; ce fut le Roi de Pologne, & Mr. le Landgrave de Hejfe-Çajjei : ils affilièrent à l'ouverture de la Tranchée, qui fe fit la nuit du 22 au 23. ftuel- Quelques jours après, les Ennemis s'ap-Co prochèrent fi fort de nous, que l'on crut Pr que leur deilèin étoit de combattre. Nos Généraux fe trouvèrent à la pointe du jour à la tête de l'Armée. Mr. le Prince Eugène de fon côté vint joindre Mylord Marlborougb avec vingt-fix Bataillons & foixantc-feizc Efcadrons de fon Armée, qui formoit le Siège. L'Armée fut rangée fur trois Lignes, dont les deux premières étoient de Cavalerie. Elle demeura en cet état jusques vers les dix heures du matin; mais alors on reconnut que l'Ennemi ne vouloit point en venir aux mains, &c qu'il ne cherchoit qu'à nous inquiéter: c'eft pourquoi les Généraux firent faire des retranchemens , qui furent achevés dès le lendemain, éc on renvoya le Détachement que Mr. le Prince Eugène a-voit amené, à quelques Efcadrons près qui réitèrent. On craignit alors fi peu d'être attaqué, que la plupart des Généraux quittèrent la grande Armée, pour affilier à l'Àflaut qui fut donné à la Contrefcarpe, la nuit du 7 au 8 Septembre. Nos gens l'emportèrent avec beaucoup de perte des nôtres, & ils y prirent leurs logemens. Cette attaque finie, nous partimes pour retourner à la grande Armée. Malheu-reufement pour nous, le Guide qui nous avoit amené s'étoit enfui; & comme il n'étoit alors qu'une heure ou deux après Cour de minuit, nous nous trouvâmes dans un très Prusse. grand embarras, 6c nous primes jufte-ment un chemin qui conduifoit au milieu des Ennemis. J'étois à cheval, peut-être à cent pas de Mr. le Comte de Lottttm, qui étoit dans fon caroffe. Tout à coup j'entendis crier, Qui va là? Je vous a-voue, Madame, que je fus un peu fur-pris: cependant je me rafliirai, dans la penfée que ce pourroit bien être une Sentinelle de quelque Régiment Wallon des Troupes d'Efpagne, de forte que je répondis, Officiers. Nous étions dans des haies entremêlées d'arbres, qui m'em-péchoient de profiter d'un petit clair de Lune, à la faveur duquel j'aurois pu reconnoitre à qui nous avions affaire. Cela fit que j'avançai toujours. Je ne fus pas plutôt hors des brouffailles, que je me trouvai afJTez près d'un Corps de Cavalerie, pour reconnoitre qu'il étoit impofiî-ble qu'il lût à nous, parce qu'il étoit trop près de la Place, 6c qu'il nous faifoit face. Je connus d'abord le danger où nous étions. Je me retirai le plus doucement qu'il me fut poffiblc vers Mr. le Comte deLottutn, à qui je dis ce que j'avois vu. Mr. de K. .. fon premier Aide de Camp me traita de viiïonnaire. Kraut, fécond Aide de Camp, me traita à peu près de même. Enfin, peu s'en falut que je ne fuflè renvoyé comme un fou. Il n'y eut que Mr. le Comte de Lottum, qui crut qu'il étoit de la prudence de ne point fe cou* r>E hasarder. Il ordonna à fon Cocher de Prusse. rebrouflèr chemin, & l'Officier d'Ordonnance fut détaché pour voir fi je ne m'étois point trompé. La vérité du fait aiant été confirmée, Mrs. les Aides de Camp furent faifis d'une frayeur extraordinaire: ils me firent mille excufes, & promirent de me faire toute forte de réparation , fi nous étions allez, heureux pour nous tirer du péril qui nous mena-çoit. Enfin nous en fortimes, je ne (ai trop comment, car pour peu que les Ennemis fe fuffent avancés , nous étions fûrs de coucher dans la Place. Voilà, Madame , ce qui fe paffi' de plus remarquable depuis l'Afiaut de la Contrefcarpe. Le 11 ,ilfefit quelque mouvement de la part des Ennemis, qui s'avancèrent jufques auprès de nos rctran-chemens. De notre coté nous nous mimes en état de les recevoir. Leur Armée palfa la nuit fous les armes, & le lendemain à la pointe du jour elle fe rangea en bataille,tout cela inutilement, contre notre attente. Les Princes de France, Mr. le Chevalier de S. George, Mr. le Duc de Vendôme , & plufieurs Officiers Généraux fe contentèrent de venir reconnoitre notre Camp, mais comme ils s'ap-prochoient un peu trop près de nos re-tranchemens, on fut oblige de manquer de refpcct pour de fi grands Princes, & Cour ue on leur envoya quelques volées de Ca-Prusse, non, lur quoi ils jugèrent à propos de fe retirer. Mylord-Duc apprit le même jour, que Mr. de Chamillard Miniftre de la Guerre étoit arrivé de Ver [ailles à l'Armée de Fiance, pour affilier à un Conleil qu'on y devoit tenir. Il y fut réfolu, qu'on ne nous attaquèrent pas,& qu'on s'attacbe-roit uniquement à nous couper les Convois qui nous venoient de Bruxelles, Pour exécuter ce projet, ils fe portèrent derrière YEfcaut, où ils nous incommodèrent effectivement beaucoup. Il ne reffoit plus que le paffage d'Ojîende, par lequel Mr, de Web nous amena un Convoi confidé-rablc. Mr. de la Motte , Lieutenant-Général des Armées de France, voulut s'oppofer à ce paflage. Outre un Corps confidérablc de Troupes, il avoit encore l'avantage du terrein. Cela n'empêcha pas qu'il ne fût battu près de WynendaU C'eft. à ce Convoi que l'on peut attribuer la prife de Lille, qui fut enfin obligée de fe rendre le 28 Octobre. Le Maréchal de Boufiers fe retira dans la Citadelle: cependant, quelque brave que fût la Garnifon qui l'avoit fuivi, il ne put y tenir longtems. C'eft ainfi que les Alliés comptoient les jours , par les avantages confidérables qu'ils remportoient. Jamais ils ne firent Campagne plus glorieufe: car, outre la prife oc Lille & de fa Cira-* délie, délie , ils eurent encore la gloire dans Cou* d* cette même Campagne , de faire lever I'kussp. le Siège que l'Electeur c\e Bavière avoir, mis devant Bruxelles ,ÔC de réduire Gan4 & Bruges. J'oubliois de vous dire, que pendant le Siège de Lille ,nous penfames perdre le Prince Eugène. Ce Prince reçut un jour un paquet par le Courier ordinaire, oC l'aiant décacheté, il vit un papier gras qui lui infpira de la méfiance. Il ne fit cependant d'autre mouvement que de le laitier tomber. Une perfonne l'aiant ra-maflè, fe trouva mal , ce qui fit qu'on prit le parti d'en faire l'eflai fur un Chien, à qui on en frotta le nez ; & il en creva à l'inftant. Ce fut ainfi que Dieu voulut bien garantir ce Héros de la plus lâche des trahifons. J'aurois bien fbuhaité pouvoir affilier à la prife de Lille : mais je fus obligé de quitter l'Armée quelque tems auparavant. Mr. Dankelman mon Tuteur avoit reçu ordre du Roi de me faire revenir à Berlin. Le deffein de S. M. étoit de me donner de l'emploi à la Cour, & comme il penfoit à fe remarier,il me deitinoit une place auprès de la nouvelle Reine. Ce fut aux Eaux de Carelsbadt, que l'on parla du Mariage du Roi. J'ai eu l'honneur de vous dire , Madame , que les Médecins ne fâchant plus quel remède employer pour le foulager dans la lan-Q 5 gueut Cour t>E gueur qui lui étoit reliée de fa grande Fausse, maladie de 1707, avoient à tout hazard ordonné les Eaux de Carhsbadt. Le Roi s'en trouva parfaitement bien. Sa fanté re-naiflante rappella les piaifirs à ia Cour : le Courtifan voluptueux, qui n'avoit pas encore oublié ce que peut la préiènce d'une Reine aimable, commença à former des vœux, pour que le Roi fît un choix digne du premier. La choie alla plus loin:on en parla à S. M.,on lui dit que rien n'étoit plus néceffaire que depenfer inceffamment à un fécond Mariage; que le Prince Royal n'aiant point d'Enfans, il étoit à craindre que S. M. demeurât iàns poilérité. Enfin tout le monde o-pina de façon pour le Mariage , que le Roi, qui le fouhaitoit d'ailleurs, déclara qu'il vouloit fe remarier. 11 ne s'agiifoit plus que de lavoir quelle feroit la Princeffe qui feroit élevée lur le Trône. 11 le forma alors des Partis, qui avoient chacun des vues très oppofées. Le Grand - Chambellan étoit pour la Princeffe de Najpiu-Frife, dont il préten-doit que le Mariage termineroit tous les différends pour la fucceflion du Roi Guillaume. Le Roi goûta cet avis, & envoya le Baron de Schalifer pour négocier cette affaire. Vous ne croiriez peut-être fas, Madame, que ce fut la Mère même de la Frincefle , qui, jaloufe de k grandeur de fa Fille , fit échouer cette Négociation.Elle prétexta, qu'elle s'étoit Couht>« déjà vainement flattée de marier fa Fille P*055** au Prince Royal ; qu'on l'avoit leurrée alors, & que la même chofe lui arrive-roit encore. Le Baron eut beau lui donner des aflurances du contraire , & lui repréfenrer les avantages que cette alliance procureroit à fa Maifon; elle demeura inflexible, 6c elle lui dit nettement, qu'elle ne pouvoit fe réfoudre à voir fa Fille fi fort au-deffus d'elle. Le Baron a^nt fait encore quelques tentatives, cette Mère jaloufe porta là Fille à rcfufer le plus grand parti auquel elle pouvoit af-pirer. Nombre de Courtifans ne furent point fâchés de voir manquer ce Mariage. Depuis longtems on étoit jaloux du grand crédit du Prince à'Anhalî, 6c ce Prince étant Oncle de la Princeffe, il etoit naturel de préfumer qu'il deviendroit plus puiffant qu'auparavant,étant d'ailleurs plus uni que jamais avec le Grand-Chambellan, à qui ce Prince auroit obligation de ce Mariage. On propofa enfuite la Princeffe de He/fè, ôc la Princeffe de Cttlmbach. La première eut i'exclufion , à l'inftant même qu'elle fut propofée; ce fut le Roi même qui la lui donna. La féconde étoit con-nue du Roi, qui l'avoit vue à Hall, au retour des Eaux de Carelsbadî, S. M. l'avoit trouvée à fon gré, 6c avoit même P^ru vouloir fe déterminer en fa faveur; lors- Cour de lorsque des brigues oppofées redonnèrent Prusse. tant de mouvemens, qu'elles firent évanouir ce projet. Madame la Ducheffe de Zèitz. , Sœur du Roi, qui avoit époufé en premières noces un Duc de Meekelbourg , propoià au Roi la Princeffe de Meekelbourg. Sa Majefté, peut-être toujours bien intentionnée pour la Princeffe de Culmbach ,ne parut pas goûter d'abord cette proportion ; cependant, fur les inflances que lui fit la Ducheffe fa Sœur, il lui promit de voir la Princeffe de Meekelbourg, a-vant de fe déterminer pour aucune autre. C'eft ce qu'il fit quelque tems après qu'il fut de retour à Berlin : il fut à Schaverin Capitale du Meekelbourg, fous prétexte de vouloir accommoder les différends entre le Duc ôc la Nobleffe. Ce fut là que le Roi vit la Princeffe: elle lui plut, ôc d'ailleurs il en avoit entendu dire tant de bien , qu'enfin il fe détermina pour elle; Ôc aufli-tôt qu'il fut de retour à Oranienbourg, il déclara fon Mariage. Cette nouvelle ne caufa pas dans notre Cour autant de joie que je me ferois imaginé: les Courtifàns commencèrent à faire de férieufes réflexions, fur ce qu'ils avoient paru fouhairer avec ardeur. On fe rappella le tems de la feue Reine. D'ailleurs l'âge & la fanté du Prince ôc de la Princeffe Royale donnoient allez, lieu d'efpérer que la Maifon de Brandebourg bourg ne manqueroit pas d'héritiers. En- Cour de fin la qualité de Belle - mère , de tout Prusse. tems odieufe, faifoit appréhender qu'il n'y eût bien-tôt de la divifion dans la Famille Royale. Pour moi, Madame, je crois que ce qui choquoit le plus les Courti-ians dans le choix que le Roi venoit de faire , c'eft que la Reine étoit dévote : qualité peu capable de faire régner à la Cour cet air de Galanterie qui attache le Courtifan. Le Roi n'eut pas plutôt déclaré qu'il vouloit fe remarier, qu'il y eut une foule de follicitans pour être de la Maifon de la Reine. Un nommé Bajfompierre fe mit fur les rangs, & demanda au Roi la Charge de Chambellan de la Reine. Le Roi lui répondit , qu'il ne vouloit donner à la Reine que les Officiers qui lui conviendraient; & que ce qu'il vouloit bien faire pour lui, feroit de le mettre au nombre de ceux qui feroient pro-pofés à la Reine, auffi - tôt qu'elle feroit arrivée. Bajfompierre crut qu'en prévenant la Reine, il feroit infailliblement reçu; il partit donc en pofte pour l'aller trouver. Il dit à Sa Majefté , que le Roi l'envoyoit pour être fon Chambellan. Le Reine le crut, & le reçut en cette qualité ; elle le chargea même d'une Lettre pour le Roi, avec laquelle BaJ-fompierre revint à Berlin. Il dit au Roi, que la Reine l'avoit nommé pour fon Cham- Cour de Chambellan. S. M. s'imagina aifément Prusse. qUe la Reine avoit été furprife; 8c jufte-ment indigné contre Bajfompierre, il lui fit dire de ne plus paronre à la Cour. Ce Bajfompierre avoit un Frère, qui étoit venu en même tems que lui à Berlin. Ces deux Meffieurs fe difoient de la bonne Maifon de Bajfompierre y dont il y en a encore en Lorraine. Ils avoient paru fous ce nom en 1707 à l'Armée de Flandre. L'ainé fe difoit avoir été Colonel en France , & avoir eu fon Frère le Chevalier pour Capitaine dans (on Régiment. Ils quittoient, difoient-ils s leur Patrie, l'ainé pour s'être battu en duel, & le cadet pour lui avoir fervi de Second. Le Roi les avoit reçus avec bonté, & leur avoit donné des pcnfions,avec promeffe de les placer dans les Troupes, à la premièreoccafion qui fe préfenteroit. Ces deux Frères le trouvoient à la Cour dans une fituation allez agréable } donc ils auroient fans doute joui longtems, lorfque l'ainé entreprit de fe faire Chambellan de la Reine. Peut-être auroit - il été affez heureux pour réuilir , fi l'impatience qu'il avoir d'avoir cette Charge ne lui eût point fair faire la démarche qui lui attira l'indignation de Sa Majefté. Il fut très étonné de l'ordre qui lui fut lignifié de ne point paroître à la Cour,& craignant d'être enfin reconnu pour ce qu'il étoit, il fe retira : il palfa en Saxe avec avec fon Frère, & ils furent reçus l'un Cour d* & l'autre Chevaliers-Gardes du Roi de Prusse. Pologne. Us ne jouirent pas longtems de ce refuge. Madame i'Electrice d'Ha-nover aiant fu leur avanture de Berlin, écrivit en France à Madame , & la pria de lui faire favoir ce que c'étoit que Mrs. de Bajfompierre. Madame, qui ne les con-noiffoit pas, fe douta bien que ce pour-roient être des Avanturiers ; mais pour en être mieux informée , elle en parla à Mr. d'Argenfon Lieutenant de Police, qui, fur les portraits qu'on lui fit de ces Melfieurs, reconnut que c'étoient deux perfbnnagcs dont l'affaire d'honneur auroit été terminée par la fleur-de-lis ôc les Galères, s'ils avoient pu être attrapés en France. Sur ce témoignage, Meiîrs. de Bajfompierre furent cha'ïes de Pologne, Ôc je ne fai ce qu'ils font devenus. Cependant, on faifoit à Berlin tous les préparatifs néceflàires pour recevoir la Reine. Cette Princeffe de ien côté le préparoit à y faire Ion Entrée. Mr. le Duc de Meekelbourg époufa ia Pnûvcffe là Sœur, par procuration du Roi. Le lendemain, la nouvelle Reine partit de Swerin, accompagnée de la Dacheffe fa Mère, du Duc ion Frère, cV ce la Ducheffe de Meekelbourg la Bellè-fôeuri Ce Cortège l'accompagna jusques lur là frott* tière du Meekelbourg, qui touche à l'E-le&orat de Brandebourg. Ce fut là que Cour de la Reine trouva Mr. cVErlach Maréchal Prusse, de la Cour, qui la reçut de la part du Roi , ôc lui préfenta toute fa Maifon. Cette Princeffe, aiant pris congé de tourte fa Famille, monta en caroffe 6c arriva à Oranïenbourg le 14 Novembre. Le Roi alla au-devant d'elle à une demi-lieue de cette Maifon. Aufll-tôt qu'elle apperçut S. M. elle defcendit de caroffe 6c fe mit à genoux. Le Roi la releva ôc l'embraf-fa; il lui préfenta enfuite toute la Maifon Royale ; après cela on alla vers le Château. Le Roi conduitit la Reine dans fon apartement, où elle mangea toujours feule jusques au jour de la célébration du Mariage. Le 27, elle fît fon Entrée dans Berlin, où elle fut reçue avec toute la magnificence poffible. Le lendemain Leurs Majeftés furent mariées dans KEglife du Dôme. Le 29, le Roi ôc la Reine reçurent les complimens de tous les Députés, des Corps de Juftice, ôc des Ministres Etrangers. 11 y eut le même jour grand Spectacle, que Leurs Majeftés honorèrent de leur préfence. Je n'ai point voulu, Madame, vous ennuyer, en vous faifant le détail de toutes ces cérémonies; j'ai déjà eu l'honneur de vous dire que le Roi s'attachoit à ne rien omettre de ce qui pouvoit contribuer à la magnificence d'une Fête. Il y en eut pendant plufieurs jours , 6c toujours plus magnifiques les unes que les autres. Ce que je trouvai digne de remarque,ce fut un Combat de Cour»* Bêtes féroces, où Leurs Majeftés fe trou- ^ssx" vèrent le 17 Décembre; la Reine tua un Ours de fa Loge , d'un coup cTarque-bufe. L'arrivée de la nouvelle Reine n'apporta pas grand changement à la Cour : à la réièrve du premier rang, qu'elle oc-cupa, tout demeura dans le même état* Mad. la Princeffe Royale tenoit la Cour chez, elle deux fois la femaine, c'enSà-dire, les jours qu'il n'y avoit point Cercle chez la Reine;les joursd'Apartemenr, elle le rendoit chez S. M. ; la plupart des Princelfes s'y rendoient aufïi, & y ref-toient à fouper. S. M. accordoit aulïi le même honneur à plufieurs autres Dames , qu'elle faifoit avertir par un Gentilhomme , lorsqu'elles étoient au Cercle. Ce fut dans le tems du Mariage du Roi, que je perdis mon Beau-père. Je fus très touché de fa mort , fur - tout par rapport au chagrin que ma Mère en eut, & dont elle n'a pu revenir le refte de fa vie. Le jour que j'en reçus la nouvelle, le Roi me déclara Gentilhomme de fa Chambre. J'ai eu l'honneur de vous dire, Madame, qu'on m'avoit fait quitter l'Armée , dans l'efpérance d'être placé auprès de la Reine : mais lorsque j'arrivai à la Cour , je trouvai toute fa Maifon nommée,fans y être compris. J'en parlai Tome I, H au Cou*de au Grand-Maréchal, qui me dit de ne Ijrus«e. m'en pas chagriner, & que dans peu il me feroit obtenir une Charge auprès du Roi. C'étoit juftement celle de Gentilhomme de la Chambre, à laquelle je fus nommé quelque tems après, c'eft-à-dire fur la fin de 1708. Vous favez, Madame, & il eft bien difficile de ne pas le reffouvenir du froid prodigieux qu'il fit l'Hiver fuivant : il commença le jour des Rois 1709, & fut univerfel dans toute l'Europe. Les grains & les vignes s'en reflentirent de façon s qu'il y eut une difette qui dura afîez long-tems pour faire périr miférablement nombre de Pauvres,qui ne pouvoient même avoir du pain,parce qu'il étoit à un prix exceffif. Jamais année ne fut plus trifte: il fembloit que la rigueur de la faifon s'étoit communiquée aux cfprits, tant notre Cour fut languiffante & morne pendant tout ce tems. Cependant, la belle feifon étant revenue , on commença à fe réveiller : chacun fe mit en état de partir pour l'Armée. Mr. le PrinceRoyal partit pour faire la Campagne de Flandre comme Volontaire , & Mr. cXArnheint alla rejoindre le Corps de Troupes dont il avoit le commandement en Piémont. Cette Campagne fut très glorieufe aux -Alliés; mais d'ailleurs, très lànglante, La fameufe Bataille de Malplaquet fut pour nous une de ces Victoires qui procurent des lauriers couverts de lambeaux funé- Cour dï, raires; deux Victoires pareilles auroient l'eusse, ruiné l'Infanterie des Alliés. Mr. le Prince Royal fut témoin de la valeur de nos Troupes, qui fe diftinguèrent dans cette Campagne, où elles eurent beaucoup à fouffrir. Les Ennemis de leur côté,outre la Bataille , perdirent encore Mont ôc Tournay. J'aurois bien voulu faire cette Campagne ; mais lorsque je demandai au Roi la permiflion de partir, S. M. me refufa, en me dilant, qu'il me deftinoit à autre chofe qu'au métier de la Guerre-Je me fentis très flatté de cette réponfe, ÔC comme j'etois jeune , ôc par confé-quent affez. porté à la vanité, je fus aiïeï, bon pour me croire pendant quelques jours dans la plus haute faveur. Mais j'eus bien-tôt tout lieu de revenir de mon erreur. Voici ce qui fervit à me détromper. La Charge de Gentilhomme de la Chambre , dont le Roi m'avoit honoré, exigeoit de moi que je fuffe à cheval devant le caroffe du Roi, toutes les fois que S. M. fortoit, ou qu'elle alloit à la Campagne, Je me trouvai, pendant quelque tems, fi incommodé , qu'il me fut impoflible de monter à cheval. Le malheur voulut que le Roi allant de * Çharlottenbourg à J3er//»,s'apperçut que je • * V©ye» le Tome I. des Lenm, page jtx H a Cour de je n'avois point fait ma charge. Cela Prusse. Pindifpofa contre moi au point,que lorsque je me préfentai pour recevoir fon chapeau & fa canne à fon arrivée, il me dit les chofes du monde les plus dures, dont la moindre fut, que fi je manquois encore une fois à mon devoir, il me pri-veroit de l'honneur de le fervir. Jugez, Madame, combien je fus humilié d'une telle mercuriale, faite en préiènce de huit ou dix perfonnes qui étoient dans la chambre du Roi. J'eus, en vérité, bien de la peine à la digérer, & dans le premier mouvement, je penfai d'abord à me démettre de ma Charge. J'en parlai à Mr. le Comte de Witgenftebt, qui calma un peu ma mauvaife humeur; il me fit entrevoir, qu'en me conduifant félon ma vivacité,je n'avois qu'à renoncer en même tems à toute fortune au iervicedemon Roi, fervice toujours préférable à toutes les fortunes que Ton peut trouver chez un Prince étranger. 11 me promit de me remettre bien dans l'efprit du Roi, & il me tint parole; car deux ou trois jours après, le Roi étant retourné à Chartot-tenbourg, je me trouvai ieul dans là chambre avec le Chambellan de fervice. S. M. me fit l'honneur de me demander fi f étais encore fâché7 Je ne répondis que par une proronde révérence. Le Roi me dit une féconde fois: Je vous de-viande fi vous êtes fâché t de ce que je wus ai grondé il y a quelques jours? Je répon- Gourde dis, avec tout le relpect poffible, qu'à la Prusse. vérité, f étais jenfiblement touché d'avoir donné lieu à S. M. d'être indifpofée contre moi; que personne n'avait plus d'envie que moi de la bien fervir ; & que fi j'avais eu le malheur de manquer dernièrement à mon devoir, une indifpofition très férieufe en avoit été la caufe. Mais, dit le Roi, il faloit donc me le dire, je ne vous aurois pas grondé. Après tout, fi je Y ai fait, ce n'a été que pour vous éprouver ; je n'étois pas dans le fond aujfi fâché que je l'ai paru. Jackel, Bouffon du Roi,qui étoit préfent à cette converiation , prit la parole & dit au Roi : Bon, bon, Sire , la maladie qu'il allègue efi une maladie de commande ; la véritable rai/on, c'efi qu'il n'a pas de chevaux de felle, & cela parce qu'il n'a pas dequoi les nourrir. Eh bien, dit le Roi , je lui donnerai dequoi: le Grand-Chambellan, dit-il en s'adrcflant à moi, vous expédiera votre Patente pour cela ; allez-le trouver. Je m'avançai alors pourbailer l'habit du Roi; mais il fe retira, & dans le tems que je me baiifois , il me mit la main fur la tête & me c\k:Vous êtes jeune, foyez Jage, & j'aurai foin de vous. J'eus, quelques jours après, ma Patente expédiée, pour envoyer chercher du fourage au Michlenhojf, où on en diftribuoit aux autres Courtifans qui avoient obtenu la même grâce. H $ Dans Couf de Dans ce même tems , le Duc de Mec-I'iiusse. yibourg Frère de la Reine vint à Berlin, où il fut reçu magnifiquement. Cependant il ne fut pas fort content de fon Voya. ge : ce Prince prétendoit, comme Souverain, avoir le pas fur Mrs. les Margraves Frères du Roi, ce qui lui fut refuié. Il mangea en particulier avec le Roi, mais les Margraves ne s'y trouvèrent point. Il ne demeura que trois ou quatre jours à la Cour, pendant lesquels il fut logé au Pa» lais, & fervi par les Officiers du Roi. Pour notre nouvelle Reine , elle donna peu après fon mariage dans une dévotion, qui furprit tout le monde, ôc qui déplut beaucoup aux Courtifans. On ne parloit devant elle que de Religion, Ôc dès le matin fon antichambre étoit occupée par les Minilfres, par le Dodleur Franck* qu'elle avoit fait venir exprès de Hall% & par Borft fon Confeffeur. On fe feroit plutôt imaginé être dans l'Antichambre de quelque Supérieure de Couvent, que dans le Palais d'une grande Reine. Sous prétexte de prières pour la Pefte qui in-fe&oit quelques unes de nos Provinces, on n'entendoit que Litanies dans les aparte-mens. Toutes ces mommeries déplurent au Roi ; ce Prince avoit beaucoup de Religion, mais il n'aimoit pas la bigoterie. Il fit iemir à la Reine, que fa façon de vivre ne convenoit point a une perfonue ainiè fur lcTrône,Ôc il la fit confentir àé- loigner d'elle ceux qui l'avoient excitée à Cour os embrailer le parti des Piétiftes. Franche Prusse* tut renvoyé à Hall dans le grand Collège que la Reine venoit de fonder pour les Orphelins, & dont ce Docteur avoic la direction. Il n'y eut que Borft Confeffeur de S. M. qui refta à la Cour : mais on lui confeilla de ne pas tant s'embaraffer du fa-lut de la Reine. Cette Princeffe étoit fi Zélée pour fa Religion , qu'elle croyoit qu'il n'y avoit point de falut pour ceux qui en profeilbient une contraire. Je me fou-viens qu'un jour qu'elle parloit de Religion avec le Roi, elle lui dit qu'elle ref-ientoit bien de la douleur de le lavoir Réformé, & par-là >> hors des voies du falut. Le Roi parut étonné de compliment : Comment dit-il, •yo»* croyez, donc que je ferai damnél Et comment direz vous donc, en parlant de moi après ma mort ? Car vous ne pourrez point dire, der S E e lig e Konig (expreffion Allemande qui eit d'ufage en parlant d'une perfonne morte, Ôc qui lignifie, le Roi fauve) La Reine fut un peu embaraffée , ôc après quelques mo-mens de réflexion, elle dit: Je dirai, der liebe verftorbene Konig, (qui lignifie , le cher Roi mort.) Cette réponte fâcha le Roi, qui peu après retourna dans fonapar-tement. J'étois ce jour-là de fervice, Ôc par conféquent dans l'apartement de S. M. avec quelques Seigneurs de la Cour. Le Roi nous raconta avec affez d'émotion la H 4. con- Cour de converfation qu'il avoit eue avec la Rei-Pbusse. ne: il y étoit d'autant plus fenfible, qu'il penfoit alors très férieufement à la réunion des Eglifes Proteftantes, Cependant la Pefte , qui s'étoit déclarée dans quelques-unes de nos Provinces, nous cfffayoit beaucoup. Le Roi agit dans cette occafion en vrai Père du Peuple: il envoya de l'argent ôc des vivres à ceux qui en étoient affligés, Ôc pour demander à Dieu qu'il voulût bien détourner ce fléau de nos Provinces, il fit célébrer un jour de Jeûne ôc dè Prières folennelles dans toutes les Eglifes de fes Etats. De plus, il fit conftruire des Lazarets aux portes de toutes les Villes, pour fervir de lieux de Quarantaine à ceux- qui venoietit de quelque Lieu fufpeéfc Comme tout fepaflbit dans ce tems en Sermons ôc en Prières pour la Pelfe, dont le détail ne feroit pas fort amufant, je crois qu'il ne fera pas hors de propos de vous raconter ici de quelle façon fe faifoit le fer Vice chez le Roi le la Remt*. Je commencerai par vous dire quelque choie dè Berlin*, ôc du Palais f de S. M. C'eft aux François Religionnaires que * Voyez le Tome I. dus Lettres, page 5.&/«>v. Li| description de cette Capitale de l'Electoral de Brande-*»iug y eft fait d'une cxaftùudc » & dans un otdiç admirable. t Voyez aufli, par rapport à ce Palais, le Tome !» its Lettres, pagç J+ juivaniei. la Ville de Berlin * a l'obligation d'être ce Cotm de qu'elle eft aujourd'hui. Ils avoient étére- Prussb. çus avec bonté de l'Electeur Frédéric-Guillaume. Le Roi, aufli généreux que fon Père, prolongea & augmenta même les franchifes accordées aux François ;ôc pour faire voir à ces Exilés qu'il vouloit leur fervir de Père3 il voulut qu'ils ne fuflent plus diftingués de fes Sujets naturels; il leur fit bâtir des Eglifes, dont il entretenoit les Miniftres ; il leur donna un fort beau Collège pour y faire inftruire leurs Enfans; 6c il choifit auffi parmi eux une Compas gnie de Moufquetaires, dans laquelle on ne recevoic que des François. Ces Réfugiés , fenfiblcs aux bontés du Roi, s'empreflèrent à l'envi à lui en témoigner leur reconnoiffance en faifant fleurir le Commerce. Ils travaillèrent avec lé même zèle à l'embelliffement Ôc àl'agran-diffement de la Ville , ôc ils firent bâtir quantité de maifons également propres ôc commodes : ils agrandirent la Ville, de tout le Quartier de la Ville-neuve, qui eft apurement le plus beau Quartier de Berlin. Les rues y font tirées au cordeau. La rue principale eft ornée de fix rangs de Tilleuls qui forment fix Allées, dont celle du milieu eft entourée d'une baluftrade pour garantir des caroffès 6c des voitures. Ces Allées abou- tif- • Voyez encore» poR. 4^ Se 44 du même V«I- la naiure des ulaifus de la Ville 8c de la Cour. H 5 Cour de tifiènt à un Bois percé par une Avenue d'une Prujse. lieue, qui conduit à Charlottenbourg 5 Maifon Royale. A l'entrée de foVille-newve on voitPAr-fenal. * Ce bâtiment peut palier pour un des plus beaux de l'Europe. Il eft quar-ré , ce qui forme au milieu une grande place. Les quatre faces extérieures font toutes femblables , à peu de chofe près. La principale façade eft divifée en trois Corps, dont celui du milieu eft un peu avancé. Le rez-de-chauffée eft compolé d'arcades chargées de boflages ou refends, qui apportent des colonnes pilattrées d'Ordre Ionique. Le corps avancé du milieu eft orné de quatre colonnes , & terminé par un grand fronton. La grande ou principale Porte eft au milieu. Quatre grandes & belles Statues repréfentant les Vertus principales , font aux deux côtés fur des pié-deftaux ; elles femblent porter leurs regards fur le Portrait du Roi, qui eft placé en Médaillon de bronze doré dans le couronnement de la Porte. Au-deflus de ce Portrait on voit le Chiffre de S, M. au milieu d'un Cartouche couronné, foutenu par la Renommée & la Viéïoire : le Cartouche eft comblé par un entablement, fur lequel eft écrite en lettres d'or une Inscription Latine à l'honneur du Roi. Enfin au def- * Voyez Tom. I. des Ltttres, page èr fmv. La dcicriptiofl dc cçi édifice y «il plus deiaiikc. defius de cet entablement eft un grand Cour de, fronton d'un bas - relief d'une beauté par- Prusse.. faite, repréfentant un Mars qui femblefe repofer fur un Trophée, & qui regarde à fes pieds deux Efclaves enchainés. Le tout eft comblé par une baluftrade appuyée fur des piédeftaux qui fupportent des Trophées. Ce fuperbe édifice eft entouré de bornes de fer qui repréfentent des Canons, fur lefquels on voit le Chiffre du Roi, qui eft doré ; ces bornes fervent de fupport à des chaines de fer, qui font tendues en feftons de borne en borne. Les dedans de ce bâtiment font auffi ma- f;nifiques que les dehors. Deux rangs de pi-iers foutiennent la voûte du rez-de-chauffée 3 6c forment trois Allées, dont celle du milieu eft la moins large. Celle-là feule fert de pafTage, les Allées des côtés étant remplies de magnifiques Canons de fonte. Le Roi avoit deffein de faire placer à chaque coin un Canon de cent livres de baie : il n'y en a eu qu'un d'achevé, qui a été nommé YAJle j c'eft une terrible machine, mais plus propre à orner un Arfenal, qu'à aucun autre ufage. On y monte par un degré, parce qu on a été obligé de conftruire raffut à proportion de la pièce qu'il porte. Ce Canon eft tout parlcmé d'Aigles 6c de Couronnes. : les Armes du Roi y font re-préfentées fous un Pavillon Royal, de même que celles du Margrave Philippe Frère au PvoijCommeGrand-Maitrçdc l'Artillerie, Cour de rie. Voilà ce qu'il y a de plus remarqua-pb us se. ble du côté de la Ville-neuve. Le Palais du Roi eft aufïi d'une grande magnificence. Tout y eft majeftueux, ôc le premier coup d'ceil annonce la demeure d'un grand Monarque. Cependant, une chofe que l'on trouve à redire, c'eft la fym-métrie qui n'a pas été fcrupulcufcment ob-fervée; & cela parce que ce bâtiment a-îant été conftruit à différentes reprifes, chaque Architeére a fuivi un plan particulier. Ce Palais eft compofé de quatre grands Corps de logis, ce qui forme au milieu une Cour plus longue que large. La principale façade prélente d'abord un grand Portail fort élevé, avec deux portes en arcades aux deux côtés. Les proportions des colonnes & de l'élévation du Portail ont été prifes d'après l'Arc de triomphe de Constantin, à Rome. Aux deux côtés du Portail, on voit douze grandes croi-fées entourées d'ornemens. Les façades qui font du côté de la Cour, font bien plus magnifiques que ceiies du dehors • mais auffi , elles font plus irrégulières. Les dedans du Palais ont un peu m;eux réuffi. Deux grands Efcaliers conduifent à la Salle des Gardes. L'un eft à la droite, ôc Pautre à la gauche du Veftibule. L'Efca-her de la gauche eft d'un goût particulier il eft en glacis fans degrés, de façon qu'un caroffe peut y monter. La Salle des Gardes eft longue , mais étroite, Ôc elle n'a de jour que par des croifées qui donnent CourmI fur la coupole des Efcaliers. L'entrée eft au Prusse. milieu. L'on tourne fur la gauche, pour entrer dans l'Apartement du Roi, qui prélente d'abord trois Chambres en enfilade. La troifième de ces Chambres fépare le petit Apartement, du grand. Le petit eifc à droite, & le grand à gauche. Je ne vous parlerai que de ce dernier, qui eft le plus magnifique. En tournant donc fur la gauche , on apperçoit une longue enfilade d'A-partemens , qui forment un magnifique point de vue. Les meubles font d'une ri-cheflè furprenantejon ne voit de tous côtés, qu'or,argent, marbre, bronze,peintures, glaces, vafes &c. en un mot, tout ce qu'on peut fouhaiter de plus riche & de meilleur goût. Cette enfilade d'Apar-temens eft terminée par une longue Gallc-rie, dont le plafond , à 1 imitation de celui de Fer/ailles, repréiente les principales aéfions du Roi. Les côtés font ornés de Tableaux des plus fameux Maitres, dont les cadres font de bronze doré. On voyoit autrefois au bout de cette Gallerie un grand Cabinet revêtu d'Ambre, travaillé en bas-reliefs,qui formoienc divers compartimens ; de grandes glaces relevoient la beauté de l'ouvrage, qui pouvoit paflèr pour une pièce unique. Le Roi voulant faire au Czar un préfent digne de lui, a donné ce Cabinet à ce Monarque, avec un Yacht qui avoit coûté 80000 écus. Je Gourde Je ne finirois point, fije voulois entrer Prusse, dans le détail du beau ôc du magnifique qui fe préfente à chaque pas que Ton fait dans ce Palais. Je crois qu'il fuffit de dire que le Roi avoit fait imiter, autant qu'il a-voit été poflible, les dedans du Château de Verfailles. Ce grand Prince avoit pris Louis XIV pour modèle, ôc à fon exemple, il s'étoit attaché à conftruire des édifices magnifiques Ôc à établir différentes Manufactures, dans lefquelles les Pauvres en travaillant gagnent dequoi fe foutenir , 6c dans lefquelles auffi on trouve à un prix raifonnable, ce qu'il faloit autrefois faire venir des Pays étrangers avec beaucoup de dépenfe. Voilà, Madame, à peu près ce qu'il y a de plus remarquable à Berlin. Je vais à préfent, en peu de mots,vous faire le détail *de la façon dont le fervice fe faifoit tous les jours chez Leurs Majeftés. Je commence par le lever du Roi. S. M. fe levoit ordinairement entre cinq ou fix heures du matin, dans le tems dont j'ai l'honneur de vous parler \ car autrefois, il fe levoit dès les trois ou quatre heures. Audi-tôt que le Roi étoit éveillé, le Garçon de chambre qui avoit veillé auprès de & M. alloit avertir les Valets de chambre 6C de la Garderobe. Ils entroient aulîi-tôt, ôc * Voyez au Tome T. des Littnt, page 46 é- f«iv. le caraûcrc du Roi aujourd'hui lecnant, ôc là façon de vivic. & ouvroient les rideaux du lit ôc des fenê- Cour t>« très; enfuite ils fortoient & avertiiïbient Prussï. qu'il faifoit jour chez, le Roi. Alors le Chambellan de fervice, le Gentilhomme de la Chambre, ôc les Officiers du Guet entroient, en faifant une profonde révérence. Les Médecins entroient enfuite, oc Sa Majefté leur difoit comment elle a-voit pavfé la nuit. L'inftant d'après, les Garçons de la chambre apportoient une grande table d'argent, fur laquelle on met-toit le caffé. Le premier Valet de chambre de femaine préfentoit du cafté au Roi fur une foucoupe d'or, ôc les Garçons de la chambre en préfentoient à toutes les Perfonnes de qualité qui fe trouvoient au lever. 11 faloit abfolument en prendre deux talTesj fans cela, on couroit rifque d'eiTuyer une mercuriale. Le caffé pris, on emportoit la table, Ôc le Rois'entretenoit pendant une demi-heure ou trois quarts d'heure avec ceux qui étoient préfens. En-fuite il faluoit du bonnet, Ôc tout le monde fe retiroit. Les Valets de chambre & de garderobe reftoient, pour habiller le Roi. S. M. paiïoit auiïi-tôt après dans un Cabinet où étoit fon Prié-Dieu : il y demeu-roit ordinairement une heure , pendant qu'on faifoit fon lit : il revenoit enfuite dans fa chambre, Ôc alors le Premier-Miniftre venoit lui faire le rapport des dépêches , ce qui duroit jufques à. dix heures ou environ. Après cela, le Roi paiïoit au Con- Cour de Confeil} où il demeuroit un peu plus d'u* Prusse, ne heure. Ce Confeil étoit compofé de Mr. le Prince Royal, de Mr. le Margrave Philippe Frère du Roi, ôc des Miniitres. Au iôrtir du Confeil } le Roi paffoit dans fon Cabinet, ôc y donnoit fes ordres pour fon fervice. Alors deux Timbaliers placés iur deux balcons oppofés , qui don-noient fur la petite Cour, avertiflbient par le ion de leurs timbales les Officiers de la Bouche Ôc du Gobelet de tout préparer pour le fervice du Roi. Auffi-tôt que le couvert étoit mis , les timbales fe fai-foient entendre pour la féconde fois. Pendant ce tems-là , le Roi accompagné du Prince Royal, ôc de Mrs les Margraves Frères de S. M., paffoit par la Salle des Gardes dans l'Apartement de la Reine, où il trouvoit toutes les Princeffes. Quelques momens après , les timbales ôc 24. trompettes féparés en deux Corps avertiffoient que l'on fervît les viandes. En même tems deux Gardes du Corps Ôc fix des Cent-Suiffes de la Garde prenoient poflèfïion de la Salle où le Roi devoit manger. Les deux Gardes du Corps fe poftoient derrière le fauteuil du Roi ôc de la Reine, ôc les fix Suiffes environnoient la table , trois de chaque côté, la pertuifanne en main. Le dîner étant fervi , le Grand-Chambellan fon bâton à la main venoit avertir le Roi, qui fe rendoit dans la Salle , fuivi de la Reine, à qui M. le Prince Royal donnoit îa main. Mrs. les Margraves la donnoient Cour ixr à Madame la Prince fe Royale Ôc à Mcfda- Prusse. mes les Margraves. En entrant dans la SaiIe , le Roi donnoit fon chapeau ôc fa canne, ôc la Reine (es gands ôc fon éven-^il, aux Chambellans de fervice Enfuite deux Gentilshommes de la Chambre leur donnoient à laver dans un grand ballin de Vermeil ■ Leurs Majeftés fe lavoient les mains en même tems j les deux Chambellans leur préfentoient enfuite des ferviet-tes : les deux Gentilshommes de la Chambre préfentoient auffi à laver aux Princes ôc aux Princeffes, mais ils ne l'acceptoient pas. Leurs Majeftés s'etant lavées, le Grand-Maréchal, qui fe tenoit au milieu de la tablé , vis à vis du Roi, frappoit de ion bâton en faifant une profonde révérence : un Page qui étoit à côté de lui, en faifoit u-ne fcmblable, ôc difoit enfuite une courte prière, après laquelle Leurs Majeftés fe pla-çoient dans leurs fauteuils ôc Leurs Alteifes Royales fur des chaifes à dos. L'Ecuyer* tranchant s'aprochoit pour-lors de la table, il faifoit reflài des viandes, ôc fervoit en-fuite LL. MM. ôc les Princes , ïuivant leur rang. LorfqueLL. MM. demandoient à boire, le Chambellan avertifibit un Page-celui-ci avertiffoit le Gentilhomme de la Chambre qui étoit de fervice j ce Gentilhomme alloit au Buffet, ôc y prenoit du vin Ôc de l'eau dans deux carafes fur une Tome I. I fou- Cour de foucoupe d'or. Le Chambellan faifoit l'eA Prusse, fai de l'un ôc de l'autre & enfuite il pré-lëntoit à boire à Leurs Majeftés. Le Roi buvoit toujours à la fanté de la Reine, 6c pareillement la Reine à la fanté du Roi. Enfuite LL. MM. congédioient la Cour par un falut qu'elles faifoient au Grand-Maréchal. La Cour fe retirait alors, 6c il ne reftoit que ceux qui étoient pour fer-vir. Avant que de fortir, le Prémier-Mi-niftre , comme Grand-Ecuyer } s'appro-choit,avec le Grand-Maitre de la Garderobe 6c le Capitaine des Gardes, pour recevoir les ordres du Roi, en cas que S. M. voulût ibrtir. Lorfque l'on étoit prêt de fervir le deflcrt, on venoit avertir le Grand-Maréchal, ou celui qui dans fon abfence portoit le bâton j il retournoit à la table du Roi. Lorfque S. M. s'étoit levée de table , le Chambellan lui pré-fentoit de l'eau pour laver fa bouche ; le Chambellan de la Reine 6c les Gentilshommes de LL. A A. RR. en préfentoient auffi à leurs Princeflês. Enfuite le Roi conduifoit la Reine dans fon apartement, où il demeurait peu de tems : il repaffoit dans le fien , 6c il fe repofoit une heure dans fon Cabinet. 1 e Roi étant réveillé,le Chambellan 6c le Gentilhomme de la Chambre entroient dans te Cabinet de S. M. Quelquefois la Reine lui rendoit vifite, d'autres fois le Pré-mier-Miniftre venoit lui parler d'affaires. du Baron dé Pollnitz. 131 Ln Eté,le Roi fortoit & prenoit le plaifir Covn de delà promenade,011 celui de la Pêche,ou Prusse, bicn il alloit à la Chaile, fur-tout à celle du Héron qu'il aimoit beaucoup. Le loir fur les (ix heures , S. M. paiïoit chez la Reine, ôc y demeuroit environ une heure : enfuite il retournoit dans fon Aparre-ment, dans une Chambre que l'on appellent la Tabarje-, parce que c'étoit là qu'il funioit. Pluiieurs Seigneurs avoient l'honneur de fumer avec lui. Le Roi ne fou-poit jamais, à moins que ce ne fût dans des cas extraordinaires, llb'amufoità jouer aux Echecs. Lortquc la partie étoit finie, il s-entretenoit allez familièrement avec le Chambellan, les Gentilshommes de la Chambre, Ôc quelques Courtiiàns privilégiés. Lorfque le Roi vouloit taire ceflèr la coriverfation , il donnoit fes ordres au Grand-Maitre de là Garderobe touchant l'habit qu'il vouloit mettre le lendemain : alors tout le monde fe retiroit, ôc les Valets de Chambre ôc de Garderobe venoient coucher S. M. Voilà, Madame, de quelle façon le fervice fe faifoit dans notre Cour. Jamais aucune interruption dans les heures que le Roi s'étoit preferites pour les exercices, à moins qu'il ne fût incommodé. J'ai cru que ce détail, quoique peut-être un peu long , feroit toujours moins ennuyeux que celui de toutes les Litanies ôc autres prières, auxquelles la Reine fut très atîidue pendant le relie de cette année. I a Au Au commencement 'de Tannée fuivan-te, c'eft-à-dire le 19 Janvier iio, Mr. le Comte de Lottum préfenta au Roi onze pièces de Canon , & plufieurs Drapeaux & Etendarts,qui étoient échus en partage à S. M, dans la diitribution qui avoit été faite, de ceux que l'on avoit pris fur les François pendant la Campagne. Dans ce même tems , nous perdimes pour toujours le Duc âeCourlande. Ce jeune Prince étoit Neveu du Roi par Vlada-me fa Mère , qui étoit Sœur de S. M. de même Père, mais non pas de même Mère. Il étoit encore enfant dans le tems de la mort du Duc de Courlande fon Père : cette mort avoit été pour lui le plus grand de tous les malheurs, par la mésintelligence que la Tutèle de ce jeune Prince avoit caufée entre ceux qui y pré-tendoient. La DuchefTe fa Mère fouto noit qu'elle étoit de droit Tutrice du Prince fon Fils. L'Oncle du jeune Prince y pré-tendoit auffi. Enfin la Nobleflè de Courlande la difputoit à l'un & à l'autre. Pendant ces troubles domeffiques,les Parties, peu attentives aux démarches de leurs voi* lins, fe virent bientôt de puifTans Ennemis fur les bras. Les Saxons, comme les plus proches, furent les premiers à s'emparer de ce Pays: bientôt les Mofcovitesaccoururent , & de concert avec les Saxons fe jettèrent fur ce qu'ils trouvèrent à leur bienféance. Mais loe uns ôc ics autres fu- rcit rcnt bientôt obligés d'abandonner ce Du- Cour ub ché : le Roi de Suède parut à la tête de Prusse. fes Troupes , ôc fans faire de grands efforts ■ il força les Savons ôc les Mofco-vites à lui abandonner ce Pays. Cependant la fortune s'étant laffée de féconder les armes du Monarque Suédois, il fe vit obligé peu après fon entrée dans la Courlande , de céder ce Duché aux Mofco-vites , qui en demeurèrent feuls poflef-feurs. Tous ces troubles avoient obligé la Du-cheûe de fe retirer avec le Prince fon Fils ; elle étoit venue à Berlin, où elle avoit aflîfté au Sacre du Roi ; Ôc depuis, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, elle avoit époufé le Margrave de Brandebourg-Bar eut b. Cette Princeffe avoit fuivi le Margrave fon Epoux dans fes Etats, où elle avoit mené le Duc de Courlande fon Fils. Ce jeune Prince demeura chez le Margrave fon Beau-père, jufques après la défaite du Roi de Suède à Pultaiva par l'Armée Mofcovite. Ceux-ci s'étant rendus maitres de la Courlande, le Duc fe flatta de pouvoir obtenir du Czar fon rétabliffe-ment dans ce Duché. 11 ne fut point trompé dans fes efpérances; le Czar voulut bien y confèntir, à condition cependant qu'il épouferoit fa Nièce, Fille du feu Czar fon Frère. L'alliance étoit à la vérité très illuftre ; cette PrinceiTe étoit Fille ôc Nièce d'un puiflant Monarque : mais 13 rè- Coup de l'éducation qu'elle avoit eue étoit biendif-Pkusse. férentç de celle du jeune Prince, & il y avoit tout fujet de croire que bientôt les Epoux feraient mécontens l'un de l'autre. Le Duc de Ton côté auroit bien fouhaité rentrer dans fon Duché fous d'autres conditions; mais en fin, fe croyant encore trop heureux de pouvoir à ce prix fe remettre à la tête de fes Sujets qui le fouhaitoient depuis plu (leurs années , il partit pour la Cour du Czar, 6c y époufa la PrinceiTe. Ce mariage, fait avec quelque répugnance de la part du jeune Duc , fembloit ne lui promettre que des jours malheureux; & en effet, à peine fut-il marié, qu'il tomba dangéreufement malade , 6c mourut quelques jours après. La défolation fut générale dans tout le Duché de Courlande; ces pauvres peuples efpcroient qu'enfin la préfence de leur légitime Souverain leur feroit oublier les maux, que des Guerres continuelles leur avoient fait fouffrir depuis plusieurs années. Ce jeune Prince n'étoit, dit-on, tombé malade, que pour avoir é-té obligé de boire avec excès, le jour de fon mariage. Ce fut vers la fin de cette même année que fut difgracié le fameux Comte de IVartanberg, Prémièr-Miniftre 6c Grand-Chambellan. Cet événement, fi fouhaité depuis longtems , furpïit cependant tout le monde. Le crédit 4e ce Miniftre pa-roifToit trop bien établi ; k's premières du Baron dePollnitz. 135 places du Royaume étoient remplies par Cour d*. fes créatures , de la reconnoiifance def- Prusse. quelles il pouvoit tout efpérer : d'ailleurs, on n imaginoit perfonne affez. hardi pour jetter la première pierre ; l'exemple récent du Comte de Wefen étoit une terrible leçon, pour ceux qui dévoient entrer dans un complot auffi hasardeux. Cependant il fe trouva à la Cour deux perfonnes, peu effrayées du danger auquel les expo-ioit une entreprife de de cette nature : ces deux Courtifans fe nommoient Kamcke ; ils étoient Coufins , ôc comme ils portoient le même nom, on ne les diftinguoit que par les noms de grand ôc de petit. Le grand Kamcke avoit été fucceffive-ment Page du Roi, Page de la Chambre, enfuite Favori déclaré, ôc enfin Grand-Maitre de la Garderobe. 11 avoit déjà cette dernière Charge, lors de la difgrace du Prémier-Miniftre. La faveur dont le Roi honoroit ce Courtifan, étoit ce qui le rendoit le plus recommandable : car du refte , on ne remarquoit point en lui ni de ces vertus,ni de ces vices, qui contribuent prefque également à faire de grands Hommes. Il paiToit pour avoir de l'efprit parce qu'il avoit été allez, heureux pour gagner & conferver les bonnes grâces du Roi ; ôc il avoit la réputation d'être bon parce qu'occupant une place dans laquelle il auroit pu faire beaucoup de mal,il n'en faifoit point. Il eit vrai que, d'un autre I 4 CÔ2 Cour de côté, il ne rendoit fervice à perfonne : la Prusse, tranquillité de fon tempérament ne lui auroit pas permis de fe donner ces mouve-mens , également néceffaires pour fervir un Ami, ou pour nuire efficacement à un Ennemi. Le petit Kamcke ton Coufin étoit d'un caractère bien différent. Il joignoit à un cfprit vif & brillant, toute la politeflè du Courtifan le plus rafiné. Ambitieux ÔC vain , mais toujours avec efprit-, il étoit propre pour ces entreprilès délicates qui ne font honneur que lors qu'elles réuffif-fent ; &, ce qui eft rare dans un jeune-homme , il avoit tout le manège & la diflimulation nécelTaire pour l'exécution. Le Comte de Wartemberg l'avoit toujours haï; il le foupçonnoit d'avoir eu part aux Chantons que M.... depuis Miniftre du Roi de Pologne,avoit faites fur toute la Cour, Ôc dans lefquelles le Comte ôc la Com-teffe étoient très maltraités : mais celui-ci, fans perdre jamais l'efpérance de réufîir, avoit toujours continué de faire fa cour au Roi, fans paroître faire attention à la haine du Miniftre. Ses atfiduités furent enfin récompenfées : le Roi commença par lui accorder l'honneur de le faire jouer avec lui aux Echecs, tous les foirs. Ce jeune Courtifan tut habilement profiter de cette laveur, de façon que peu de tems a-pres, S. M. le fit Miniftre d'Etat. Le Comte de Wartemberg fut doublement choqué de l'élévation du petit Kamcke : il Cour m ne croyoit pas qu'une telle grâce pût être Prusse. accordée par un autre canal que par le lien; & d'ailleurs, elle étoit donnée à un Ennemi habile, dont le crédit naiffant pouvoit fai donner de l'ombrage. Kamcke de fon eôtéjfe croyant redevable de fon élévation à fon feul mérite, eut encore moins d'égards qu'auparavant pour le Prémier-Mi-niitre. Us commencèrent à fe regarder l'un l'autre, fans cependant ofer encore s'attaquer; peu à peu on en vint aux paroles; enfin Kamcke fier de fa faveur, & appuyé d'ailleurs de tous les honnêtes gens, réfolut la perte du Prémier-Miniftre, ÔC du Grand-Maréchal fa créature. H fut af-fez adroit pour engager Kamcke fon Cou-fin dans cette affaire. Celui-ci, en qualité de Grand-Maitre de la Garderobe , pouvoit plus aifément qu'aucun autre porter au Prémier-Miniftre le coup fatal: il y réuffit heureufement. Il exagéra à S. M. les plaintes du peuple , ôc le murmure de toute la Cour. La Reine de fon côté, prévenue par les Kamcke, parla fortement au Roi, qui confentit enfin à éloigner un Miniftre, dont il avoit cru jufques alors ne pouvoir le paffer. Cette grande fcène s'ouvrit par la dif-grace du Comte de Witgevfiein, Grand-Maréchal de la Cour ôc créature du Pré-jnier-Miniftre. Il fut arrêté dans fa mai-f°n le 27 Décembre à dix heures >du foir, I 5 par Cous de par un Lieutenant aux Gardes fuivi de dix Prusse. Grenadiers. Le lendemain , fur les neuf heures, Mr. de Gersdorjf Colonel du Régiment des Gardes, accompagné de Stof-fius Tréforier de l'Ordre de l'Aigle noir, vint de la part du Roi lui demander le Cordon de l'Ordre, Il le rendit auiîi-tôt, en les aflurant que c'étoit à tort qu'on le maltraitoit; mais que malgré cela, il ne fe plaignoit point du Roi, & que c'étoient fes Ennemis qui avoient furpris la bonté de S. M pour le perdre. Peu de tems après, un Officier des Gardes entra, & lui dit qu'il avoit ordre de le conduire à Spandau. II répondit, qu'il étoit prêt d'aller par-tout où le Roi l'ordonneroit ; mais il demanda qu'il lui fût permis d'écrire à fa Belle-mère, qui étoit Dame-d'honneur de la Reine. L'Officier lui répondit, qu'il lui é-toit défendu de le laifïèr parler ni écrire à qui que ce fût. Il le fit enfuite monter en caroffe, & s'y plaça avec lui. Le caroffe fut efeorté par douze Gardes du corps. Le bruit de fa détention s'étant d'abord répandu par toute la Ville, il s'afïèmbla bientôt une foule de peuple devant f°n Hôtel; chacun crioit de fon côté, & Wff veclivoit le Grand-Maréchal ; on l'appelloit Sangfue du Peuple , & l'auteur des Impôts dont on étoit accablé. Ces cris redoublèrent , lorfqu'ils le virent monter en carofle pour être conduit à * Spandau ; mais * Voy. lç Tom« I. des Ltttrti, pag. J. mais le Grand-Maréchal, fans s'étonner, cour de baiflà les glaces de fon caroffe & dit à ce Prusse. peuple furieux, qu'il avoit été fidèle fervi-teur de fon Roi, ôc qu'il n'avoit jamais rien fait dans fon Mmiitère qui pût lui ê-tre reproché. Les clameurs du peuple l'empêchèrent de continuer ôc il s'éloigna de la Ville, chargé de malédictions. La haine qu'on lui temoignoit venoit d'un endroit qui touche toujours le peuple très fenfiblcment : on le foupçonnoit d'avoir eu part à la création de plufieurs Impôts, ôc d'avoir été l'auteur de la Chambre des Incendies. L'établilfcment de cette Chambre étoit alfez, bon dans fon principe; car c'étoit elle qui fe chargeoit d'in-demniièr les particuliers de la perte qu'ils avoient pu faire lors de l'incendie de leurs maifons : pour cela on avoit taxé chaque Particulier à donner une certaine fomrne, afin d'avoir toujours un fonds capable de fubvenir aux befoins des incendies. 11 y eut bien - tôt de la fraude dans le maniement des deniers, dellinés en apparence * un très bon ufage ; ôc infenliblement , ee qui aVo.it été établi pour foulager le Peuple dans des befoins preflàns, ne fervit qu'à le vexer. r La difgrace du Grand-Maréchal fut 1 i-tôt fuivie de celle du Premier-Mi ■ \ peux jours après la détention du prie Roi ordonna à Mr. d'I/ge» Mimitra &c premier Secrétaire d'Etat , d\- man- Cour de mander les Sceaux au Prémier-Miniftre y Prusse. & de lui ordonner de fa part, de ne plus fe mêler d'aucune affaire. 11 reçut cette nouvelle avec fermeté , & il dit au Secrétaire d'Etat, qu'il n'avoit jamais eu d'autre volonté que celle de S. M., 6c qu'ainfï il alloit fe préparer à exécuter fes ordres. Le lendemain il reçut ordre de fortir du Palais & de le retirer à là Terre de Wolfersdorjf, à quelques lieues de Berlin. Il fe mit auffitôt en état d'obéir; mais avant que de partir , il fit prier le Roi de lui permettre de l'aller remercier de toutes les bontés que S. M. avoit eues pour lui. Le Roi y confentit, 6c le Prémier-Miniftre parut avec un air convenable à la fituation de fes affaires. Il mit en ufage tout le manège dont peut fe fer-vir un Miniftre qui a une grande routine de la Cour, 6c une connoiffance parfaite du caractère de fon Maitre; il pria,il ver-fa des larmes : mais contre fon attente, 6c celle de toute la Cour, le Roi tint bon, 6c le congédia en lui donnant toutes les marques poflibles d'amitié 6c detendreffe. Lorfqu'il fut près de fortir du Cabinet, le Roi le rappella, 6c ôtant de fon doigt u-ne bague de 20000 écus, il la lui donna en lui difant, qu'il le prioit de la garder, comme une marque de fon eftime. Ce fut ainfi que le Roi congédia, à regret, un homme qu'il ne tenoit qu'à lui de garder. Le Prémier-Miniftre, au fortir de chez le Roi, partit pour Wolfersdorff, d'où il Cour de écrivit à S. M. une Lettre fort touchan- Prusse. te, pour la prier de recevoir en prélènt cette Terre,avec le Jardin de fa Femme, qui eft aujourd'hui à la Reine (on l'appelle Monbijou * ) , Ôc toutes les Porcelaines. Le Roi lui répondit dans des termes très obligeans, Ôc accepta les préfens qu il lui faifoit , à condition cependant de les lui payer. En effet, peu de tem3 après, le Comte de Wartemberg en reçut la valeur. Cependant, malgré cette marque d'eftimc, il fut fur le point d'être arrêté, & T. ... qui étoit auprès du Roi pendant ces jours de crife, m'a ailûré depuis que ç'avoit été \epetit Kamcke qui en avoit détourné le Roi. Les ennemis du Comte avoient tellement indifpofé S. M. contre lui, qu'enfin l'ordre étant prêt dêtre expédié , le petit Kameke reprélenta au Roi, que tout bien confidéré, le Pré-*ruer-IVliniftre n'étoit pas coupable au Point d'être arrêté , que l'exil étoit bien que cependant ,fi S. M. appréhen-jjoit que le Comte fâchant les fecrets de l'Etat, n'en fit part aux autres PuifTances, *1 n'y avoit qu'à fe l'attacher par une bonne penfian, à condition cependant qu'il ûe découcheroit jamais de Francfort furie Main,- que là il feroit près de fes Terres, * h°rs de portée de caufer de l'ombrage. Le * Voy« le Toœc Z, do« Ltttm, pag. 5 & 6- 14.3 Me moires Cour de Le Roi goûta ce confeil, Ôc fit dire au Prusse. Comte, qu'il lui continuerait 24000 écus de penfion pendant fa vie , s'il vouloit promettre de ne point fortir de Framfort. Ce parti étoit très avantageux pour un homme qui à chaque in fiant trembloit pour fa liberté; aulïî ne délibera-t-il pas longtems fur le parti qu'il avoit à prendre ; il ne penfa plus qu'à cmbaler ôc emporter les tréfors qu'il avoit amafies. Le Comte ôc la Com-teffe étoient entrés à la Cour n'aiant pas dequoi fe foutenir, Ôc ilseri fortirent avec des millions : la Comtcffe feule avoit pour cinq-cens-mille écus de diamans. Elle étoit dans des inquiétudes mortelles, qu'on ne la privât de fes tréfors, ôc elle ne commença un peu à refpirer, que lorsqu'elle fe vit hors des Etats du Roi. Sur la route, ils furent joints par un Courier, qui portoit ordre au Comte de Wartemberg de rendre la Clé d'or de Grand - Chambellan , ÔC1 la Patente de Grafid-Maitre héréditaire des Portes & Relais. 11 obéit à l'mitantàcet Ordre, avec beaucoup de fourmilion, ÔC il continua enfuke fa route vers Francfort. Le Roi donna la Clé de Chambellan au grand Kamcke Grand-Maitrc de fa Garderobe , Ôc la Charge deGrand-Maitre des Poftes fut adminiftree par commiffioh par le petit Kamcke Pour la place de Prémier-Miniftre , elle ne fut point remplie : le Roi, ne voulant pas que l'on crût qu'il fe- roît encore gouverné, parce qu'il l'avoit cour de été jufques alors , déclara qu'il ne vouloit Pauss». plus avoir de Prémier-Miniftre. Peu de tems après le départ du Comte de Wartemberg , le Roi fit revenir à Berlin le Comte Chrifiophe de Dohna &z le Comte de B. ... Le premier fit pendant quelque tems une figure affez femblable à celle d'un Prémier-Miniftre, fans en avoir le titre. La Charge de Grand-Maréchal fut remplie par M. de Prhttz : ce choix fut applaudi de toute la Cour. Peu de tems a-près , on rendit la liberté au Comte de Witgenfiem , moyennant 80000 écus qu'il fut obligé de payer au Roi. Voilà, Madame , quelle fut la Cataftrophc des deux premiers Favoris de notre Cour. J'avois quitté Berlin depuis quelques mois, lorfque cette grande révolution arriva. Ce fut à Hanover que j'en appris la première nouvelle : je me trouvât auprès de l'Eledtrice , lorfquelle reçut la Lettre par laquelle Roi l'informoit du changement qu'il venoit de faire dans fa Cour, & du defleia JJ il étoit d'être lui-même fon Prémier-Miniftre. Pour moi, je m'étois éloigné de Berlin dans le defïein de voyager : quelques paroles afTez dures, que le Roi m'a-voit dites un jour que j'avois manqué à faire mon fervice de Gentilhomme de la Chambre, m'avoient déterminé à prendre ce parti. L'affiduité avec laquelle je fai-*ois ma cour au Margrave Philippe m'a- voit Cour de voit attiré une mercuriale affez vive de Prusse.. ]a part du Roi. Voici ce qui y avoit donné occafion. J'étois auprès de Mr. le Margrave le plus fouvent qu'il m etoit poilïble; ôc en vérité, je n'y étois pas aulïï fouvent que je l'aurois fouhaité, car je ne crois pas qu'il y eût un Prince auquel on pût faire fa cour avec autant d'agrément ôc de liberté. Comme le Margrave étoit prefque toujours à Scbwedt, il m'arriva un jour, que devant être de fervice chez le Roi , je m'avifai de relier à la Cour du Margrave , au - lieu de venir remplir ma charge : de forte que celui qui fortoit de fervice fut obligé de continuer encore quelque tems. Le Roi lui en aiant demandé la raifon, le Gentilhomme lui répondit que j'en étois caufe, & que je n'avois pas même eu l'attention d'avertir perfonne de faire le fervice pour moi. J'arrivai deux ou trois jours après, Ôc j'entrai en fervice la femai-ne fui vante. Le Roi, qui favoit bien que je n'avois manqué mon fervice que par attachement pour le Margrave fon Frère, me demanda auffi-tôt que je parus devant lui. Il je fervois fon Frère ou lui, Ôc pourquoi je ne faifois pas mieux mon devoir ? Je fus fi étourdi de la manière avec laquelle le Roi me dit ce peu de paroles, qu'en vérité je ne mefouviens nullement de ce que je dis pour m'exeufer ; mais , foit que le Roi trouvât mes raifons bonnes, ou mau-vaifes, il ne me répondit rien. Je fus fi piqué de cette leçon que le Roi me fit en Courds prélènce de quelques perfonnes, que pour Prusse. digérer mon rcffentiment, je réfolus de m'éloigner pour quelque tems. Je demandai à Sa Majefté la permiflion de voyager: je n'eus pas de peine à l'obtenir, à condition cependant que je n'irois point en France. Le Roi étoit alors en Guerre avec cette Couronne, qui d'ailleurs ne le regardoit encore que comme Electeur, AuffUtôt que j'eus obtenu la permiflion de voyager, je me préparai à partir. Je pris congé de Leurs Majeftés, enfuite j'allai encore palier quelques jours à la-Cour de Mr. le Margrave Philippe. Madame la Margrave m'engagea de palier a Dejjau, pour y rendre mes devoirs aux Princefles fes Sœurs. J'eus l'honneur de les trouver à Oranïebaum, Maifon Orahii-que feue Mad. la Princeffe d'Orange leur »AVta. Mère avoit fait bâtir : c'eft un Château magnifiqUe, digne de la Princeffe qui Fa conftruire. J'y reftai huit à dix jours. Je continnai eniuite ma route vers le Pays de Hanover, où je voulois aller voir tna Mère, avant que de m'engager iî» ■ &znd Voyage que je méditois. U'Oraniebaum je paffai à * Hall en Halî* oaxe. Cette Ville appartient au Roi : elle fait partie du Duché de Magdebourg. Ce- * V°y«- Tom. I. des Un™, p. ii7r Tome L K Kàex, Cétoit dans cette Ville que fe tenoîent autrefois les Cours de Juttice & la Régence du Duché; aujourd'hui tout cela eft trahfporté dans Ja Ville de* Magde-baurg, & Hall n'eft plus cortfidérable que par fon Univerfité fondée en 169^, ôc par fes belles Salines. De Hall je paffai à Halber- Halberstadt, Capitale de laPrin-sadt. cipauté de ce nom. Cette Ville avoit été pendant huit-cens ans au pouvoir de fes Evêques j lorsqu'elle fut iécularifée, ôc cédée par la Paix deWeftphalie en 1648 à la Maifon Electorale de Brandebourg, ta Ville eft d'un commerce peu confi-dérable,à caufe de fa Rivière qui eft très petite. Cependant la Régence de la Principauté ôc les Corps de Juftice qui s'y tiennent , la rendent affez. fréquentée. Son Eglife Cathédrale mérite d'être vue: j: • elle appartient à un Chapitre, dans lequel les Catholiques & les Proteftans font reçus; les uns & les autres peuvent publiquement profeffer leur Religion. Les Catholiques ont plu fleurs Couvens dans 1a Ville, parmi lesquels, celui des Rccol-' lets eft le plus beau. L'Eglife de ce Couvent eft aiTez belle. Ces Religieux prétendent avoir été fondés par les anciens Comtes de Regenfteiti , autrefois Feuda-taires de la Maifon de Brunswick, & dont les Terres appartiennent aujourd'hui * Voyez Tom. I. des Leurct* p«s« m» auRoi, malgré les prétentions afféz vrai- Halbei.-ièmblables de Mrs, les Ducs de Brunsiuick, srm% &c fur-tout de Mr. le Duc de Blan-kenbourg Père de l'Impératrice , à qui ces prétentions font tombées en partage. Ce Prince donna en 1709 une iomrne d'argent aux Religieux, pour rcnouvellcr le Tombeau de leur Fondateur, ce qu'ils ont faitj & de plus ils y ont ajouté une grande Inscription Latine en lettres d'or. Le Roi honora ce Couvent de fa présence, dans un Voyage qu'il fit zHalber-fiadt-.le P. Gardien prêcha devant lui,& donna la bénédiction du S. Sacrement, Parce que Sa Majefté avoit fcyhaité de voir les cérémonies de TEglife Catholique. De Halberjiadt j'allai à W o l f e n b u- Wol-Tt t. * Cette Ville eft la demeure or- £™BU~ binaire des Ducs de Brumivhk. Elle n'eit bâtie que de bots , & n'a aucun bâtiment digne de remarque, que le Palais eft aïîex beau, & la Bibliothèque qui "^rite autant l'attention desSavanscV des Curieux par la beauté de la Salle & par l'arrangement des Livres, que par le nombre desVolumes & des Manufcrits. AulTt-toc que je fus %TIiV^ , j'envoyai favoir fi je pourrais avoir l'honneur de faluêr Mr. le Duc. Ce Prince étoit alors s 8alt%dahi, à «ne lieue de mife»i*ul. Depuis cette Ville * Voyez Tome I. de» Utvti, ?. 104. Ville jufques au Château, le chemin eft bordé d'une très belle Allée. S. A. m'aiant permis de lui aller rendre mes refpe&s, je me rendis auprès d'elle & j'en fus reçu avec une bonté toute particulière. Ce Prince, qui avoit alors quatre-vingts ans, confervoit encore toute la préfence d'ef-prit & tout le feu d'un homme de trente ans. Je crois qu'il eft inutile de vous faire obferver, que c'eft du feu Duc Ati~ toine • XJlric dont j'ai l'honneur de vous parler. Ce Duc joignoit à un efprit fupé-rieur, des connoifTances que les Princes abandonnent volontiers aux perfonnes d'une condition médiocre. Si vous avez lu le Roman d'Oéïavie,Qc les Traductions qu'il a faites de plufieurs Tragédies de Corneille & de Racine, vous conviendrez aifément que jamais perfonne n'a écrit dans notre Langue avec plus de politefîc. Ce Prince poflëdoit encore parfaitement l'Hiftoire Romaine, dont il avoit fait une étude particulière. Il avoit outre cela un goût admirable pour toutes les belles chofes, & particulièrement pour tout ce qui regardoit les Beaux-Arts. On peut juger de la connoiffance qu'il avoit de l'Architecture, par fon Château de Saltz-dahl, ' Ce bâtiment égale tout ce que les Souverains ont jamais fait de plus magnifique. On voit dans le Château, outre des meubles d'une richelTe immenfe, des Tableaux qui, quoiqu'en très grande quan- quantité, font cependant toutes pièces V7ol-choifies. Ils font expofes dans une gran- fenbu-de Gallerie, qui eft une des plus belles TEL pièces de toute l'Allemagne. Le Duc me fit l'honneur de m'y conduire, après m'a-voir fait dîner avec lui. La Maiibn Ducale de Brunswick confis-toit pour - lors dans la perfonne du Duc Antonie-Vlric, qui avoit deux Fils. Le Ouc aujourd'hui régnant étoit l'ainé. Quoique ce Prince ait été marié trois fois, il n'a cependant point eu d'Enfans,de forte eue de toute la Maifon il n'y a que Mr. le Duc de Blankenbourg qui en ait j il a épouféune PrinceiTe tfOetingén, dont il a eu trois Filles. L'ainée porte la Couronne Impériale ; la féconde a été mariée au Prince Czarien ; & la troifième a époufé le Prince de Brunswick-Bevern, héritier préfomptif des Etats de Wolfenbutei. La Maifon Ducale de Brunswick eft toute Luthérienne. Cependant le feu Duc -Antoine mourut Catholique j il s'étoit converti peu de tems avant que de mourir. Les ennemis de fa gloire ont voulu dire qu'il n'étoit rentré dans le fein de l'Eglile ue par des vues d'ambition, ÔC que l'objet e fa converfion n'avoit été que l'Evêché à'Hildesheim ou l'Eledlorat te Cologne, l'un ôc l'autre vacant alors par le Ban de l'Electeur de Cologne. Il eft aifé de s'apper-cevoir que ce reproche n'eft qu'une pure calomnie, û on fait réflexion, que le K 5 Duc Wol^ Duc de Brunswick tenoit par lui-même snbu- un rang a^e2 conflcjérable dans l'Empire pour n erre point flatté de la Dignité Epifcopale ou Electorale, fur-tout à l'âge de quatre-vingts ans, & ne pouvant point d'ailleurs efpérer de faire palier ces deux Dignités à fa Poftérité. Il eft très certain que la converfion de ce Prince a été le fruit d'un long examen,qu'il avoit fait de la Religion. Il y avoit déjà plufieurs années qu'il méditoit ce changement. Lorsqu'il confentit que fa Petite-fille é-poufât l'Empereur, on exigea de la Princeffe qu'elle fît abjuration de la Religion dans laquelle elle avoit été élevée, 11 y eut alors une Affemblée des plus habiles Théologiens de l'Allemagne,qui convinrent, de même que les Miniftres François avoient fait lorsque Henri IV les avoit- confultés fur fa converfion, que l'on pouvoit fe fauver dans la Religion Catholique. Cet aveu des Miniftres raf-fura un peu la Princeffe timide, qui dans une âge peu avancé, & avec une grande tendreffe de conCcience, ne croyoit pas pouvoir faire une pareille démarche fans danger. Le Duc,pour achever de la déterminer, lui promit de fe faire Catholique, ïmhof, qui étoit fon Miniftre, promit auffi de fui vre fon exemple. Ce Miniftre étoit un homme d'efprit,& fa grande probité lui avoit acquis la confiance de ion Maitre j & comme leur principale - ' occu- occupation depuis quelque tems étoit de Wol-' parler Religion, tout bien examiné ylnthoff*1^*^' ne put difconvenir que la Catholique ne fût la feule véritable. Ce Miniftre fit rd-juration quelque tems après la Princeffe. Le Duc demeura encore du tems fans faire cette démarche ; ôc très Catholique dans le cœur, il vouloit doucement préparer les Sujets à ce changement. 11 ne différa plus, lorsqu'il reçut des nouvelles de fa Petite-fille. Cette PrinceiTe étant arrivée à Barcelone, ôc aiant appris que le Duc fon Père n'avoit point encore exécuté la promeffe qu'il lui avoit faite de changer de Religion, elle lui écrivit une grande Lettre, dans laquelle elle lui falloir part de fes inquiétudes au fujet de la Relig on, & de l'appréhenfion qu'elle avoit que celle qu'il lui avoit confeillé d'embrailèr ne fût pas la véritable, puisqu'il diftéroit fi longtems à fe rendre. Le Duc iè déclara alors, ôc fit voir à fa Petite-fi lie qu'en lui faifant avoir une des premières Couronnes de ce Monde, il avoit voulu en même tems travailler à lui en aiTurer une autre plus avantageufe ôc de plus longue durée. Le Duc, après avoir embraffë la Religion Catholique, fit bâtir une Eglifc * Bruns-Brunswick *. Cette ville eft éloi- w»CK-gnée de Wolfenbutel de deux petites K 4 lieues. * Voyez la dcfctiption & cette Ville, Tome I. des Lettrçt, pag, 36. lieues. Le chemin qui conduit de l'une à l'autre eft fort droit, <8c bordé d'arbres. Je m'y rendis, après avoir bien examiné toutes les beautés de Saltzdab/. Je trouvai cette Ville fort inférieure à l'idée que je m'en étois faite : elle eft cependant la Capitale du Duché de Brunswick. On prétend qu'elle a été bâtie en 868 par Brunon, Fils cYAlpbonfe Duc de Saxe, qui lui adonné fon nom. Depuis, l'Empereur Henri lOifeieur l'a beaucoup aug-gmentée. Elle avoit rang autrefois parmi les principales Villes Anféatiqucs, & elle fe gouvernoit en République, prétendant avoir acheté la Liberté, de fes Ducs: ceux-ci s'y font toujours oppofés les armes à la main, & ce n'eft point fans une grande peine, qu'ils font venus à bout de la foumettre. Henri Duc de Brunswick,furnommé le Jeune, i'afliégea trois fois, mais toujours inutilement. Enfin en 1617 la Ville fut contrainte de rendre hommage au Duc Frédéric Ulric, qui rè-gnoit alors; elle confèrva cependant des Privilèges, qui lui donnoient encore un air de Liberté, lorsque Rodolpbe-Augujle Duc deBrunswick-Wolfenbutel s'en rendit le maitre abfolu en 1671. Le Duc Antoine - U/ric avoit eu deffein de faire fortifier cette Place, & le Duc fon Fils avoit paru d'abord vouloir continuer ce projet : mais dans la fuite il a mieux aimé faire conftruire des édifices magnifiques , du Baron de Pôllnitz. 15? ques, parmi lesquels il y a un Palais d'u- Bruns-ne grandeur extraordinaire: dix Souve- wick. rains y logeroient Tans s'incommoder les uns les autres. Le Prince l'avoit fait bâtir pour la DuchelTe fa Femme, en cas qu'il vînt à mourir le premier. On n'avoit rien épargné, pour rendre ce Palais un des plus riches & des plus magnifiques que l'on eût jamais vu; & cela,dans la vue d'adoucir en quelque façon les chagrins du veuvage de la Ducheffe par l'agrément d'une ii belle demeure. Il eft vrai que ce veuvage devoit être d'autant plus trifte pour la PrinceiTe, qu'en perdant fon Epoux elle perdoit auffi la Souveraineté; car ils n'avoient point d'En-fans, & l'âge avancé du Duc ne paroii-foit pas devoir leur en promettre. Ce Palais eft le feul, qui mérite d'être remarqué dans Brunswick : celui de Mr. le Duc de Blankenbourg eft à la vérité aiTcz grand, &c a d'allèz beaux aparte-mens ; mais il eft ancien, & n'a rien que de très ordinaire. Il tient à FEglUe de S. A-laife, qui eft la principale Eglife &le lie» de la fepulture de plufieurs Ducs. On voit fur la Place qui eft vis-à-vis l'Eglife, un Lion de bronze fur un piédeftal fort élevé: ce Lion reprélente celui que le Duc Henri furnommé le Lion avoit, dit-on, apprivoifé, au point que ce terrible animal le fuivoit par-tout. Le Duc étant mort, & aiant été enterré dan« . K 5 TEjli: iî4 Mémoires Bruns- l'Eglifc de S. Aîmifc, le Lion alla vers Vick. la porte de FEglife, & la trouvant fermée, il fit tous fes efforts pour l'enfoncer: quelque chofe que Ton fît, il fut impoflible de le faire retirer; & enfin il mourut à cette même place, de regret d'avoir perdu fon Maitre. Voilà, Madame, ce que j'ai trouvé de plus remarquable dans Erunswick. Zele. Jc P3^' enfuite à Zrll*, & de là à Hanover. La première de ces Villes eft petite, & n'a rien de remarquable. Elle étoit autrefois la demeure ordinaire des Ducs de Zell, qui y avoient un Château allez logeable; mais depuis que ce Pays à paflé par héritage à la Maifon d'Hano-ver, il n'y a plus que les Corps de Juf-Hanc- tlce & 1* Régence. \ Hanover ver. eft la Capitale de l'Elcctorat, & la demeure des Electeurs. Cette Cour a toujours été une des plus polies de l'Allemagne , fur-tout pendant la vie de feue Madame l'Eledtrice Mère. Cette au-gufte Princeffe étoit fortie du plus illustre fang de l'Europe ; elle étoit Fille de l'infortuné Frédéric Electeur Palatin, Se de la Princeffe d'Angleterre Fille de J*- qUff * Voyez la defeription Se l'élit de cette Ville To-"K I Ucs Lattes ,pag. 86. Vous y trouverez une remarque ac-réable, fur les François qui avoient rempli ctttc Ville, du tems de la dernière Duchefle qui doit FrançoiTçj dp la Mailon fQtbremfe. ■> t Voyez Tome I, dçj Lttirts* pâfr °7< & P** ques 1. par qui le droit de fucceilion à Hano-la Couronne d'Angleterre eft venu à la VEK* Maifon à'Hanover. Cette Princeffe à-voit bien quatrc-vingts-ans lors de mon Voyage à Hanover, & cependant elle ne reiTentoit aucune de ces infirmités qui femblent inféparables de ce grand âge ; elle avoit confervé une vivacité d'efprit & une mémoire , qui tenoit véritablement du prodige: elle parloit François, Anglojs 6c Italien > comme fa Langue naturelle: elle avoit outre cela unejufteflè d'efprit admirable, qu'elle avoit eu foin de cultiver par beaucoup de lecture. Cette Princeffe avoit eu plufieurs En-fans, dont il ne lui reftoit que trois Princes; l'ainé qui étoit alors Electeur, 6c qui depuis a été Roi de la Grande-Bretagne; le fécond s'appelloit le Duc Maximilien; ôc le troificme, le Duc Erneft - Augufte, depuis Evcque â'Ofnabrugôc Duc A'Yorck. Des trois Fils de Madame l'Electrice, il n'y a que l'Electeur qui ait eu des En-fans, qui font, le Prince Electoral aujourd'hui Roi d'Angleterre ; ôc Madame la Princefîè Royale, depuis notre Reine. La Famille de Mr. le" Prince Electoral étoit plus nombreufe: il avoit un Fils ôc plufieurs Filles, de là Princeffe de Brandebourg-Anfyack. J'eus l'honneur de faluer les Princes ôc Princefles le lendemain de mon arrivée; ils me reçurent avec bonté, fur-tout Mad. l'Electrice Mère, Hano- Mère, qui, pendant le féjour que je fis à la Cour, parut m'honorcr d'une protection particulière. Je paiTai dans cette Cour tout le tems du Carnaval. L'ouverture s'en fit le fécond jour de Janvier, par une Comédie Françoife, au fortir de laqufclle il y eut Jeu & Apartement chez Madame l'Electrice jufques à dix heures du foir. Le lendemain, il y eut Redoute, à l'imitation de celle de Venïfe; c'eft-a-dire , un Bal public où tout le monde pouvoit entrer, pourvu que l'on fût mafqué & fans armes. Ce Bal fe tenoit à la Maifon de Ville, & il y en eut de deux jours l'un pendant tout le Carnaval. On jouoit à î'Hombre & au Piquet dans la Salle même de la Redoute, & dans une autre on jouoit à la Baffette; il y en avoit une troifième dans laquelle un Traiteur donnoit à manger; ôc enfin cette troifième Salle tenoit à une quatrième, où l'on donnoit du Caire, du Chocolat, des Liqueurs ôcc. Je pris beaucoup de part a tous les di-vertilTemens du Carnaval: j'étois alors dans un âge, où les plaifirs font toujours la principale occupation, fur-tout lorsque l'on a allez d'argent, pour être à l'abri des inquiétudes que caufe néceflai-rement la privation de ce précieux métal. J'en avois fait une proviûon fort honnête, avec laquelle je faifois une figure af- fez brillante ; mais bien tôt je fus obligé Hako-de diminuer mon train ,ôc cela pour avoir VE*' voulu faire une malheureufe expérience, dont je fus la dupe. Je voulus tenter . fortune du côté du Jeu : je jouai d'abord avec affez de bonheur; mais enfuite la chance tourna, ôc je me trouvai bientôt fort embaraffé de ma perfonne, ne pouvant ni continuer mon Voyage, ni retourner fur mes pas, ôc encore moins demeurer à Hanover, où j'avois toujours tint une certaine figure. Je fis alors, ce que les Jeunes-gens ont coutume de faire en pareille fituation; c'eft-a-dire, plufieurs marchés, toujours à mon desavantage. Enfin je me vis obligé d'expolèr ma fituation a ma Mère, fous la Tutèle de laquelle j'étois encore. J'eus bien de la peine à en tirer l'argent qu'il me fa-loit; mais je lui écrivis des Lettres fi touchantes , qu'elle fentit enfin qu'elle étoit Mère, ôc après m'avoir fait attendre un peu de tems, elle eut la bonté de me faire donner les fommes qui m'é-toient nécelfaires. Ce petit dérangement arriva très mal à propos. Madame l'Electrice avoir eu la bonté de demander à feue Madame de France un PalTeport, afin qu'il me fût permis d'aller à Paris; ôc comme tfn'é-foit accordé que pour deux mois, il me mt irnpoiTtble d'en profiter , aiant été obligé d'employer presque tout ce tems- Hano- là, à imaginer des'cxpédiens pour réta* vér. biir mes finances. L'argent que ma Mère avoit eu la bonté de m'cnvoyer, me remit en état de continuer à voyager. La nouvelle de la mort de l'Empereur Jafeph, qui arriva dans ce même tems, me fit prendre la réfolution d'affilier à l'Election d'un nouvel Empereur. Ce grand Prince étoit mort à Vienne le 17. Mai, âgé de 3a ans & neuf mois: il laiffoit le Trône Impérial vacant ; mais les autres Couronnes paflèrent par droit d'héritage fur la tête de fon Frère. Dès que l'Empereur fut mort, l'Impératrice Mère prit les rênes du Gouvernement dans les Royaumes ôc Pays héréditaires , en l'abfence du Roi fon Fils, à qui elle dépêcha un Courier pour lui porter cette nouvelle : elle en envoya pareillement à chacun des Electeurs. Les Electeurs AcSaxe&c Palatin, en qualité de Vicaires de l'Empire, prirent foin du Gouvernement pendant l'Interrègne; & l'Electeur de Maience, comme Grand-Chancelier de l'Empire, écrivit les Lettres circulaires, (que l'on appelle Lettres d'Intimation,) pour inviter les Electeurs à afïîfter à l'Airemblée qui devoit fc tenir à Francfort pour l'Elec», tion -prochaine. Comme cette Alfembée c'étoit indiquée que pour te mois d'Août je profitai du tems qui me reftoit, pour faire un Voya- Voyage en Hollande. Min de n fut la Mindex, première Ville par où je paffai en fortant d,Haii0verf £He eft ficuée fur le Wefcr, ceinte de murailles, 6c couverte de quel-*îufs Demi-lunes, qui n'empêchent pas Qu'on ne voye tout ce qui fe pafiè dans k Place en montant fur une Montagne ^ commande toute la Ville , ôc d'où " eft très facile de la battre en ruine. ^ue étoit anciennement Ville Aniéati* Sue, faifanc partie de la Weftphalie: ^*e avoit toujours eu titre d'Evêché, Jusqu'au tems de la Paix de Munprt Qu'elle a été fécularifée ôc donnée à la Maifon de Brandebourg, qui y a établi Une Régence. On y a toujours confer-vé deux Chapitres, l'un de Chanoines, 1 'autre de Chanoinefles ; les Dames font obligées de faire preuve de NobtelTe Pbur y être reçues. Le fameux Comte de ■Çtyj Général des Troupes Impériales,. Pourfuivant Maurice Landgrave de Hei-k-CaiTel, attaqua cette Place Ôc la prit en *6a6, Çe Général, irrité de ce que ^tc Ville extrêmement affoiblie refu-.lt de fe rendre aux conditions affez. a-vantageulès qu'il lui avoit fait proposer, ht monter fes Troupes à l'aftàut, & s'é-tant par ce moyen rendu maître de la Pla-il fit paflèr au fil de Pépée près de trois mille hommes, tant Soldats qu'Ha* gitans. Eu continuant ma route, je paûai par Her- Hervor- Hervorden. C'eft une Ville alîèz den. mal bâtie, qui fait partie du Comté de ■Raventberg. Elle eft Impériale, & cependant le Roi y entretient garni/on. Il y a un Chapitre de Dames, dontl'Abbef-fe eft PrincefTe-née de l'Empire. C'cil ce qu'il y a de plus remarquable dans cette Ville, qui en elle-même eft peu confidérable ; aufïï - bien que les Vil-Lir- les de L i pstadt & de Ham. El-Ham.' ^cs appartiennent foutes deux au. Roi : la première eft fortifiée, & la Juftice y eft administrée au nom du Roi & du Comte de la Lippe, qui tire la moitié du revenu. Tout ce qui regarde les fortifications, ou la Garnifbn, eft au Roi. Mr. le Baron de Heiden, Général de la Cavalier , en étoit Gouverneur lorfque j'y pafïài. Après ces deux Places,on ne rencontre aucune Ville confidérable jusques à Wesel. Wesel, Ville fituée fur le Rhin, ôc qui fait partie du Duché de Clèves. Elle eft aujourd'hui une des plus fortes Places qu'il y ait en Europe ; car dans le tems que j'y paffai ,1e Roi, qui faifoit alors travailler aux fortifications, avoit recommandé que l'on n'épargnât rien pour conduire l'ouvrage à la dernière perfection. S. M. avoit donné la direction des ouvrages à Mr. Bot, François de Nation, & Commandant de la Place. C'eft un des plus habiles Ingénieurs que nous ayons du Baron de Polln itz. i6*t aujourd'hui. Après m'étre repofé quelques jours à Wefel) je defeendis le Rhin jusques à Nimègue. On voie fur la route EMMERlCK & S C H ■ N K. Emmericu JJJjj*" eft une Ville Anféatique fur le Rhin,qui schenk-. fut prife par les François en 1652, & deux ans après, rendue à l'Electeur de Brandebourg. Schenk eft la première Place de Hollande : elle eft lîtuée à la pointe où le Rhin fe divife en deux bras, dont l'un s'appelle Vahal & l'autre retient le nom de Rhin. Cette Place a été construite en 1586 par Martin Schenk ,Guel-drois, dont elle a pris le nom. N 1 m eg u e *eft bâtie fur un coteau Nimf-qui s'élève peu à peu jusques au centre de la Place: elle fait partie de la Province de Gueldre. Cette Ville eft célèbre pour avoir été prife & reprife pendant la Guerre que les Hollandois ont eue avec l'Efpagne pour conferver leur Liberté. Cette Couronne a été enfui o* bligée de la céder aux premiers, fur qui "Louis XIV la prit durant la Campagne de ï6yz : mais peu de tems après, elle revint aux Hollandois. C'eft dans cette Place que fut conclue la Paix entré la France & les Alliés, en 1678. Au commencement de la Guerre laite pour la Succeilion d'Efpagne, le Duc de Bout* gogm tenta de s'en rendre maitre; mais ce * Voyez le Ton». ÏII. des Ltttrts, p. Hz. Tome I. h ce Prince n'eut pas le bonheur de réunir' Les Hollandois Font très bien fortifiéo Ôc elle leur fert de Boulevard du côté du Duché de Clèves. Pour aller par terre U- de Nimègue à Utrecht, je paiTai le trecht. yahai fur un beau Pont-volant. Je ne vous parlerai point de cette Ville pour le pré-lent, car je ne m'y arrêtai point; jepailài Leyben. siïez promtement à L e y d e n, Ville de la Province de Hollande, célèbre par fon Univerfité fondée en 15 75. * Cette Ville eft fans contredit une des plus belles des Provinces-Unies. Elle eft fituée fur l'ancien lit du Rhin. Les rues, qui font larges ôc fort longues, font extrêmement propres: elles font prefque toutes divifées par des Canaux , ce qui eft d'une grande commodité pour le Commerce , qui conlifte principalement en Draps. La Ville de Leyden en fabrique plus qu'aucune autre Ville de Hollande. Il y a auffi dans cette Ville une Bibliothèque, qui eft très bien compolée: elle renferme nombre de Volumes très curieux, ôc quantité de Manufcrits très rares ôc très anciens. 11 y a aufli un Jardin de Médecine qui mérite d'être vu , ôc lur-tout une Salle d'Anatomie , dans laquelle on voit des raretés de toutes efpè-ces. La Ville de Leyden foutint un Siège en 1574. contre les Eipagnols , lorsque les * Yoytt lç Tôt». III, dçs JLtttres, p. les Hollandois fecouèrent le joug de leurs Maitres: la Ville fe trouva pour-lors réduite à la dernière extrémité, le Siège aiant duré depuis Pâques, jusques au 3 Octobre que les Efpagnols furent obligés de fe retirer. Quoique cette Ville foit très belle, je crois pourtant que ce doit être une des plus trilles demeures de toute la Hollande: il règne par-tout un certain air de maladie, qui infpire de la mélancolie. Ce n'eft pas que les Bourgeois ne foient auffi fains qu'ailleurs : mais l'habitude qu'ils ont d'être toujours en robe de chambre 6c de marcher ainli dans le3 rues,fait qu'on les prend plutôt pour des convalefcens, que pour des perfonnes qui fe portent bien. Après avoir féjourné à Leyden quelques jours, je palïai à * la Haie. Je crois La qu'on peut fort bien Pappeller le premier Village de l'Europe , car on ne voit ni murailles ni remparts: à cela près, c'eft un des plus agréables endroits de toute la Hollande. Son féjour eft fi délicieux, que les Etats-Généraux font choifi pré-férablement à tout autre pour y tenir leur Confeil. C'eft zuiïxaLaHate que demeurent les Miniftres des Cours étrangères. 11 n'eft point d'endroit dans toute la Hollande, qui fourniile d'aufli belles promena- * Voyez la defeription de ce beau fejour, Tome III. «es Lettrts, p. zj8. L 2 Haie, nades. Le peuple y eft poli, & beaucoup plus fociable que par-tout ailleurs. La plupart des gens de qualité s'afTemblent tous les foirs alternativement les uns chez les autres; ces Affemblées feroient beaucoup plus belles qu'elles ne font ordinairement, fi elles étoient moins raclées ; mais la liberté du Pays & la richeffe des habitans met allez fouvent le Bourgeois au niveau, ôc quelquefois même au-des-fus de l'Homme de qualité. Les maifons de La Haie font allez belles: elles iont toutes cependant fans architecture, fans ornement, & presque fans régularité, excepté le Palais de la Vieille Cour y celui du Prince Maurice, ôc la maifon de Mr. tiObdam. Il n'y a point de maifon qui ait l'air d'Hôtel : les dedans font pour l'ordinaire très communs, & allez peu -commodes : on ne fait ce que c'eft qu'Antichambres, les Domef-tiques palfent leur tems dans les cuitïnes, ou dans un veftibule. Pour ce qui s'appelle Suiffe ou Portier , on n'en voit nulle part, excepté chez les Ambafladeurs. 11 y a beaucoup de Juifs à La Haie, qui y font belle figure. Ce font les Juifs Portugais qui y font la plus grande dé-penfe:ces Mrs. ont des Equipages d'Am-haiTadeurs , des Maifons & des Jardins magnifiques ; ils donnent allez fouvent à manger, Ôc cela avec toute la délicatcflè & la magnificence polfible. Us font re- du Baron be Pollnitz. 16c. çus par-tout, ôc ne diffèrent des Chrétiens du Pays qu'en ce qu'ils ont beaucoup plus de richeffes, Ôc qu'ils Font une dépenfe bien plus grande. J'en ai connu un parmi eux, nommé Duliz, qui é-toit très eftimé:il étoit bon ôc généreux, extrêmement charitable, affiliant indifféremment ceux qui étoient dans la mt-fère, fans trop s'embaraffer fi c'étoit le Juif ou le Chrétien qui avoit part à fes largefTes. Je fai même qu'il a donné pour ^entretien d'une Eglife, comme fi c'eût été pour fa Synagogue. Après avoir demeuré environ un mois à La Haie, j'en partis pour aller voir les principales Villes de Hollande. Les deux premières que l'on rencontre font Belft ôc Rotterdam. * Delft eft éloigné Délit» de La Haie d'une lieue, On dit que cette Ville fut bâtie par Godefroi le Bojjlt qui avoir conquis fe Pays, ôc qu'Albert de Bavière s'en étant rendu maitre en renverra les murailles ôc le Château. Elle fut entièrement brûlée par accident en 1536, Ôc rebâtie enfuite. Un pareil accident lui arriva encore en 1654 : le feu prit dans le Magafin à poudre, ôc la Ville ; fans être entièrement brûlée, fut cependant fort endommagée. Elle fut encore entièrement rebâtie dans le goût nétal de toutes les Villes de-Hollande, c'eft- • Voyez Tom. III. des Ltttret, p. 294, h 3 c'eft-à-dire, que Ton y pratiqua des Canaux. II y a à Delft deux belles Eglifes. Dans la première on voie le Tombeau du Prince Guillaume d Or ange , qui fut af-falïïné dans cette Ville en 1584, par Balthazar Gérard, Francomtois. Dans la féconde Eglife on voit le Tombeau du fameux Amiral Hollandois Martin Tromp. Le Tombeau eft de marbre; on y lit une très belle Jnfcription. Il y a auffi des bas-reliefs d'une grande beauté, qui repréfentent les actions principales de ce Grand-homme. C'eft dans cette Ville que demeurèrent les Plénipotentiaires de France, pendant le Congrès de Ryfwyck. Tous les Ambaflàdeurs y font reçus de la part de l'Etat, & c'eft de là qu'ils commencent leur marche pour leur Entrée publique à La Haie. Le chemin qui y conduit eft bordé d'Ormes,& entièrement pavé de brique. Il n'y a pas un endroit dans toute la Hollande, où il arrive & d'où il parte tant de Barques. Toutes les demi-heures il en part pour La Haie, Se toutes les heures pour Rotterdam. Ces barques font la voiture favorite du Pays: auffi eft-ce la plus commode, tant à caufe de la régularité du départ & de l'arrivée , que parce que le prix du voyage eft fixé. J'oubliois de vous dire, que c'eft à Delft que l'on fabrique la belle Fayançe. Pc De Delft j'allai coucher à Rot te R- Rotterdam. * Cette Ville eft fituée fur la DAM-Meufe. C'eft, après Amferdam, celle où le Commerce eft le plus fort, malgré la difficulté de l'entrée de la Meufe, à l'embouchure de laquelle les VaifTeaux font obligés d'attendre la Marée ÔC tin Pilote qui connoiflè la côte. On prétend que Rotterdam tire fon origine de Ruther , Roi des Francs. Cette Ville eft grande & bien bâtie ; elle eft coupée de plufieurs Canaux, ce qui lui procure une communication commode avec toutes les Villes de Hollande. Le feul monument qu'il y ait à Rotterdam, eft une Statue de bronze que Ton voit dans la grande Place: cette Statue repréfente le fameux Erafrne, à qui cette Ville a donné le jour. De Rotterdam, je paffai à Do R t ou Dort, Dor.dr.echt. Cette Ville eft fort ancienne ; elle eft la première en rang dans les Etats de Hollande. Elle eft ficuée dans une Ile, entre les Rivières de Meufe, de Merme, du Rhin 6c de Ling. Elle fut détachée de la terre-ferme en 1411, par un débordement d'eau qui fubmergea presque tout fon territoire ; il y périt environ cent-mille perfonnes. Toutes ces Rivières forment une elpècc de Mer,en forte que de loin la fituation de la Ville a allez de reffemblance avec celle de Ve- nïfi. * Voyez Je Tome III. d« Lettres, pag. 79 c. L 4 nife. Cette Ville étoit anciennement la demeure des Comtes de Hollande, & elle avoit une Eglife Collégiale , fondée en 11,61, par Albert de Bavière Comte de Hollande. Les Réformés y aiïèmblèrent en 1618 ce fameux Synode National, qui ne fe fépara que l'année fuivante, & oui établit la Religion , telle qu'elle eft dans les Provinces Unies. Après m'être arrêté à Dort autant de tems qu'il en faloic pour voir la Ville ôc fes environs , je retournai à Rotterdam, d'où je partis le lendemain dans une bar-. que, pour * Amsterdam. Cette * Ville eft la plus fameufe de toute la Hollande. Sa grandeur, fon immenfe Commerce ,Ôç lès richefies, font l'admiration de tous les Etrangers. Ce qu'il y a de plus furprenant, c'eft que la grandeur de cette Ville s'eft établie d'elle-même, elle n'eit redevable de fes grandes richeffes qu'à fon Commerce. On prétend que cette Ville n'eft connue que depuis 1204 : elle n'étoit, dit-on , alors qu'un petit Château nommé Amfietjdu nom de la Rivière fur laquelle il étoit bâti. Gysbrecht van Amfiel, qui en étoit Seigneur, y attira des habi-tans,la plupart Pêcheurs , qui n'avoient d'abord que de méchantes Cabanes : ces pauvres gens, par le moyen de leur Pêche, f Vcyrj. le Tome Vil. des tmtfï&i du BàRON de Pë llnitz. 160 che, entrctenoient une efpèce de petit Amstir-Commerce avec leurs voilins. Enfin à dam. force de travailler, ils fe virent infenû-blement un peu plus à l'aife qu'ils n'é-toient au commencement : alors Amfiel devint un Village, & quelques années a-près un Bourg aiTez confidérable, qui demeura toujours fournis à fes Seigneurs ; jufques à ce qu'un fécond Gysbrecht fe trouvant enveloppé dans l'aftaffinat de tinrent V, Comte de Hollande , fe vit obligé de s'éloigner pour quelque tems. Cet éloignement fut defavantageux à Amfiel; mais enfin Gysbrecht y étant revenu, commença à faire bâtir dc> Ponts & des Tours; on bâtit auffi,dans le même tems, plufieurs maifons dans la campagne prochaine, & alors on commença à appeler ce Bourg Amfleldam, du nom à'Amfiel qu'il avoit déjà, & de Dam, qui lignifie Digue. Cette petite Ville fut unie enfuite au Comté de Hollande. Guillaume IV, Souverain du Pays, lui donna en plufieurs Privilèges, qu'Albert de Bavière confirma dans la fuite , en donnant auffi aux habitans le pouvoir d'agrandir la Ville. Elle devint bientôt confidérable par fa fituation, & par le foin que les citoyens apportoient à faire fleurir le Commerce. Cependant elle demeura fans murailles jusques en 14.8a. Dans le feizième Siècle, cette Ville augmenta confidérablement là puiûance,- & L 5 dans - dans les troubles qui s'élevèrent au fujet de la Religion , elle eut grand foin de conlèrver la Religion Catholique & la fidélité qu'elle devoit à fes Princes. Elle chaffa plufieurs fois de fon enceinte les Miniftres de la Religion Réformée , & tous ceux qui en avoient embraffé la Foi. Mais enfin voyant fon Commerce s'affoiblir, & que le fecours que le Duc à'Albe Gouverneur des Pays - Bas leur amenoit avoit été difïîpé, elle fut obligée de fe rendre au Prime d Orange en 1587, à condition cependant, que les Catholiques ne feroient point chagrinés. On Je promit,à la vérité; mais les pro-mefiès furent mal exécutées : car peu de tems après on châtia les Eccléfiaftiques & les Religieux, & on démolit les Autels : ce fut ainfi qu'on fit ceiTer entièrement tout Exercice public de la Religion Catholique. La Guerre que les ha-bkans d'Atnfterdam avoient eue à foutenir, & la periecution des Catholiques , a-voient caulé un grand dérangement dans le Commerce; mais le feu des Guerres civiles s'étant allumé dans les Provinces voifines, plufieurs Marchands vinrent fe réfugier à Amjîerdam : il en vint un grand nombre de Bruxelles & d'Anvers. Ces nouveaux citoyens contribuèrent beaucoup à faire refleurir le Commerce, par lequel ils ont rendu cette Ville une des plus belles & des plus riches ,du Monde. r On On l'appelle communément, le Magafin Amsteht de lUmvers. dam, A bien confidércr la fituation d'Amsterdam , on peut dire que c'eft une des Merveilles du Monde. Cette Ville eft bâtie fur un terrein fi bas, qu'il y auroit continuellement à craindre pour elle, fi les habitans n'avoient foin d'oppofer des Digues à la hauteur des flots qui paroif-fent toujours prêts à la fubmerger. La Rivière d'Amfiel, dont à peine on apper-çoit le cours , tant elle eft tranquille, traverfe toute la Ville ôc forme le grand Canal, fur lequel il y a deux Ponts. Celui qui eft à l'embouchure de la Mer, nommé le Pont-neuf, eft des plus beaux, tant à caufe des Eclufes qui y font, que du magnifique fpectacle que forme à chaque inftant le Port, toujours rempli de VailTeaux partans ou arrivans de toutes les parties du Monde. Outre le grand Canal, il y en a d'autres qui méritent d'être remarqués ; tels font le Canal de l'Empereur , celui des Seigneurs, celui du Cingle Ôc celui du Prince. Tous ces Canaux font larges Ôc profonds; ils font bordés de grands quais, de même que le grand Canal. Les bords font revêtus de pierre de taille, ou de brique, ôc embellis de Tilleuls ôc d'Ormes. On a bâti de fort belles maifons fur la plupart de ces quais : les plus belles font fur le quai du Canal des Seigneurs. Tous les jours on en ÏJ2 Memoir es Amster. cn bâtit de nouvelles, qui ne laiflent pis »am. d'être affez belles, quoiqu'elles foient petites, & d'ailleurs fans Architecture. Elles ont un air de propreté qu'on ne trouve point ailleurs ; prefque toutes les maifons ont de très beaux perrons de marbre noir , toujours fort luifant, & des croifëes magnifiques, dont les vitres font très belles; fouvent même on fe fert de glaces au-lieu de verre. Les rues d'Amflerdam font presque toutes affez étroites; mais cependant fort belles & très propres : on a grand foin de les laver certains jours de la femaine. Je vous dirai à propos de cela, qu'il n'y a point d'endroit où on aime tant à laver qu*à Amfterdam ; chaque femaine on ne manque point de laver le dedans des maifons, & tous les ufteneiles de ménager , de forte que c'eft un Lavage qui ne finit jamais. Il eft vrai que fans ce foin , tout fe moifiroit & le perdrait. C'eft ce qu'ont allez fouvent éprouvé les Etrangers, qui voulant fe fouftraire à cette efpècede fervitude, qu'ils regardoient fim-plement comme une mode du Pays, fc font vus bien-tôt obligés de s'y affujettir. Je crois que fans cette nécedité de toujours laver, les Hollandois nè s'amufe-roient pas à y perdre leur tems ; car d'ailleurs, je ne les ai point vu fc piquer de propreté. Ces Meilleurs gardent fort bien «ne chemife quinze jours, fous une du Baron de Pôllnitz; 175 çamifole de laine grafle fort dégoûtante. Amste*» Leur façon de manger n'eft guères plus DAI*» propre. La plupart ne connoilTent d'autres fourchettes que leurs doigts, avec lesquels ils pèchent de la falade nageant dans le vinaigre ; c'eft ordinairement le mets favori. * De tous les bâtimens publics que l'on voit à Amfterdam, la Maifon de Ville eft aflurément le plus magnifique. Ce grand édifice eft conftruit de pierres de taille fort bien mifes en œuvre. Il forme un quarré long. Bien des gens regardent comme un défaut d'Architecture les fept Portiques qui font à la face principale, & que l'Architecte a réduit au nombre de iept, pour défigner les fept Provinces-Unies. Ces Portiques font n étroits ^ que trois perfonnes peuvent à peine y palier de front : ce qui eft véritablement contre les règles de l'Architecture, mais qui n'eft cependant point un défaut dans un bâtiment comme un Hôtel de Ville, très fouvent expofe aux fougues & aux révoltes d'un Peuple auffi turbulent que celui d'Amfterdam. Ces fept Portiques aboutifïent à deux Portes qui fe trouvent * [ Ceux qui connoilTent la Hollande, lavent fi°Am cn il" y a à rabattre du portrait que fait ici «'Auteur: à peine convient-il jux gens de la lie du peuple. Il elt ctonnant 1 que pour donner une idée «es manières du Pays , il ait été choifii i«t Oriji-«aux parmi des gen$ de cet oid*c.} 174 m e moi RE S . vent au pied du grand Efcalier. Je n'erï-treprens point, Madame, de vous détailler toutes les beautés de cet édifice; je fuis trop peu inftruit des règles , &c même des termes d'Architecture, pour ofer entrer dans aucune defeription de cette nature: je m'attacherai feulement à ce qui frappe le plus. Le fronton de la face principale m'a paru d'un très bon goût;il eft orné d'un relief de marbre blanc, où l'on voit une Femme qui foutient les Armes de la Ville. On y voit aufïi un Neptune, quelques figures de Héros , des Lions, des Licornes ;& le tout d'un travail admirable. Ce fronton eft comblé par trois belles Statues de bronze qui repréfentent la Juftice,la Force & l'Abondance. Une Tour en forme de Dôme comble tout cet édifice. Il y a une fort belle Horloge, avec un Carillon qui peut plaire à ceux qui aiment cette lorte de Mufique. Les dedans de l'Hôtel n'ont rien que de très magnifique. La Chambre, dans laquelle on prononce l'Arrêt des Criminels, eft entièrement revêtue de marbre, avec des bas-reliefs qui repréfentent tous les Symboles & les Attributs de la Jufti-ce. Ce qu'on y admire le plus, eft une belle Statue de marbre qui repréfente Thémis. Cette Chambre eft fort exhauf-fée & un peu trop obicure; elle eft placée de façon que tout le peuple qui eft dans du Baron de Polln itz. 17c dans la Place peut voir juger les Crimi- amster-nels. Les trois Portiques de l'entrée ré- dam, pondent aux trois croifées de cette Salle; ces croifées ne font point vitrées, elles font feulement grillées par de magnifiques barres de bronze artiftement travaillées. La grande Salle eft encore une pièce fuperbe. On y monte par un grand Efca-lier , à deux rampes. Tous les murs font revêtus de bas-reliefs de marbre entremêlés de belles peintures. Deux grandes Gallcries, ou Corridors, fe trouvent aux deux extrémités de la Salle, ôc fervent à conduire aux apartemens de la droite ôc de la gauche. C'eft dans ces Chambres que fe tiennent les differens Bureaux concernant les affaires de la Ville: le département de chaque Chambre eft écrit au-deflus de la porte, ôc les affaires qui s'y traitent font repréfentées fur de magnifiques bas-reliefs. C'eft dans une de ces Salles, que ceux qui ne font point de la Religion Réformée, font obligés de s'époufer en préiènee d'un Eche-vin. Ceux qui y manquent, font condamnés à une groflè amende; Ôcmême, félon les Loix, le mariage doit être regardé comme nul. C'eft dans la Maifon de Ville qu'eft la fameufe Banque, qui renferme tant de tréfors. Des voûtes prodigieufes, Ôc des doubles barres de fer d'une groffeur énorme, qui font devant les fenêtres, rendent cet Amster- Cet endroit inaccefïible aux hommes. dam. Les Caves font dignes d'admiration ; elles font conftruites fur pilotis au milieu de l'eau j & cependant elles (ont auffi fèches que fi elles étoient taillées dans le roc. Une partie de ces Caves fert à renfermes des richeffes immenfes, l'autre eft pour les Criminels. J'ai eu la curiofité d'aller voir ces Cachots, qui font tous très clairs, & très proprement entretenus: on peut dire, malgré le Proverbe, que Ce font de fort belles Prifons. Après la Maifon de Ville, j'allai voir la Place où les Marchands s'aiTemblent pour les affaires de leur Négoce, depuis midi jusques à une heure & demie. Cette Place forme un quarré plus long que large, entouré d'une grande Gallerie, ou Corridor ouvert, foutcnu par des piliers de pierre de taille, pour fervir de retraite en cas de pluie. On appelle cet endroit h Bourje. On y voit des Marchands de toutes les Nations du Monde. La di-verfité de leurs habits & de leur Langue ne fait pas moins de plaifir que la beauté du lieu. Rien fur-tout n'eft plus plai-lànt que de voir le mouvement que s'y donnent ceux que l'on appelle Courtiers* Ce font ceux qui agifïent de la part des gros Négocians pour trafiquer les Lettres de change, ou autres effets. A les voir courir de l'un à l'autre par toute cette Pla- Place , il n'y a perfonne qui ne les prît amste**« pour des fous. dam. La Maifon des Indes, 6c celle de mirante, méritent auffi d'être vues. La première fert de Magasin pour dépofer les marchandiies qui viennent des Indes* Dans la féconde on voit tout l'attirail né-ceffaire pour mettre une Flotte en Mer* La Compagnie des Indes a fon Arfenal féparé, qui ne cède en rien à celui des Etats. On voit encore en cette Ville toute forte d'Hôpitaux très bien entretenus, & des Maifons de correction pour les deux fexes. Cette Ville eft le refuge de toutes les Sectes; elles y ont toutes des Chapelles ou des Chambres , où elles exercent leur Religion. Les Réformés & les Luthériens font les feuls qui aient la liberté de l'exercice public. Les Juifs cependant y ont deux belles Synagogues, l'une pour la Nation Allemande, ôc l'autre pour la Portugaiib. Ils font en grand nombre, ôc habitent un quartier particulier, qui n'eft pas le moins confidérable de la Ville. Avec toute cette magnificence de bâ-timens, ôc le concours de tant de Nations , le féjour à'Amfîerdam me paroîc devoir être bien ennuyeux. Tout le monde eft appliqué au Commerce, cha* cun ne cherche qu'à contenter fon avarice. La plupart, avec des biens immenfes, vivent comme des milerables; Tome 2. M tout Amster- tout leur bonheur, leur plaiiîr, leur no-dam. blelTe même confifte à avoir beaucoup d'argent ; ils penfent uniquement aux moyens d'en acquérir; & chez eux, un homme qui fait une dépenfe honnête, eft regardé comme un diffïpateur. Pour ce qui regarde la Liberté Hollandoife, je ne crois pas qu'il y ait d'endroit où elle règne avec plus d'empire qu'à Amfierdam. Il eft vrai qu'allez fouvent cette Liberté tant vantée ne fert qu'à rendre les Citoyens infolens impunément, car il n'eft point de Manant qui ne fe croye autant que le premier du Pays. Les Etrangers ont quelquefois bien à fouffrir; car fouvent on le trouve maltraité fans ofer fe plaindre. La Juftice s'y rend à fi haut prix, qu'on aime mieux méprifer une infulte, que d'en pourfuivre la réparation juridiquement. Les Avocats & Procureurs de cette ViU le entendent beaucoup mieux que par-tout ailleurs, à ruiner tout doucement les Plaideurs: auffi voit-on la plupart de ces Meilleurs faire groffe figure; ils ont des Maifons & des Jardins magnifiques,quelques-uns même ont des équipages fort leftes. Harlem. LyAmfierdam je palTai à HarlëM, * qui n'eft qu'à trois lieues &Amfttrd,dont il avoit hérité du feu Roi Guillaume d'Angleterre. J'y /ui~ vis le Roi, qui y demeura jusques à ce qu'il eut reçu avis que le Prince deN*x-fau Gouverneur de Frife devoit fe rendre de l'Armée de Flandre à La Haie, pour y y terminer les différends , qu'il avoit La Haie. avec Sa Majefté , au fujet de la Suc-cefîïon de la Maifon $ Or ange, dont ce Prince prenoit le titre en vertu du Teftament du feu Roi d'Angleterre , dernier Prince de cette Maifon. 11 y avoit déjà quelques jours que le Roi l'attcndoit, lorsqu'on vit arriver un Courier, qui apporta la nouvelle que te Prince s'étoit noyé au pafTage du Moerdyck. Il s'y étoit embarqué avec tous ceux de fa fuite, pour paiïèr à Stryen-Sas : il n'étoit qu'à trente ou quarante pas de terre , lorfqu'il iur-vint un furieux coup de vent, qui ren-verfà la barque ôc la fit périr. Comme la Mer étoit groflè, ôc que d'ailleurs le Prince ne favoit point nager , il ne put gagner le bord. Le Colonel Hilkes qui Paccompagnoit fe noya avec lui ; il n'y eut que fes Domeftiques qui fe fauvèrent. On vit pendant quelques momens ce Prince infortuné, qui fe tenoit attaché au mât de la barque renvcrfee; on aif-roit encore pu efpérer de le lecourir, larçs une vague qui poullèe par un coup de vent l'arracha de la pièce de bois qu'il tenoit embraflée, ôc le fit périr. Ce Prince fut très regretté. On ne trouva fort corps que huit jours après, à peu près au même endroit où fon naufrage étoit arrivé. On le porta à Dort, où il fut embaumé ; ôc enfuite on le traniporta à M 3 Le- La Haie, Lewarde, pour y être mis dans lcTom^ beau de fa Maifon. Ce trifte événement affligea le Roi, d'autant plus que cette nouvelle lui fut annoncée aifez fubitement, par un Courtifan indifcret , qui ne connoiffant pas la grandeur d'ame de fon Maitre, crut que la nouvelle de la mort du Prince de Frift ne lui feroit pas desagréable. Le Roi témoigna publiquement la douleur qu'il reilentoit de cette perte, & il envoya à Madame la Princeflè de Najfau dernière Douairière un Gentilhomme de la Chambre, pour l'affurer de la part qu'il pre-noit à la perte qu'elle venoit de faire. La mort du Prince de Frije interrompit tout Traité d'accommodement. Ce Prince laiflbit une Fille, & la PrinceiTe fa Femme enceinte. Cette Princeflè écrivit aux Etats, pour les prier de ne rien faire au préjudice de l'Enfant qu'elle efpé-roit de mettre au monde, 6c en qualité d'Exécuteurs Tcitamentaires, de conferver la malle de fon héritage en ion entier; qu'autrement, elle proteftoit hautement contre tout ce qui fe pourrait faire. Cette demande n'empêcha pas les Etats d'accorder au Roi un partage provilîonnel; & il fut arrêté,que Sa Majefté jouiroit, de même que les Héritiers du Prince de Najfau qui venoit de périr, de 150000 florins de Hollande de revenu fur les biens de la (ucceftion d'Orange : Que les Mai- du Baron de Pollnitz,. i8j Maifons du Prince Frédéric-Henri, donc le Roi étoit en pofleffion, lui demeureraient: Que l'ufage de la Maifon de. Dieren feroit commun entre le Roi & les Héritiers du Prince, & que le refte feroit renvoyé à un accommodement définitif. Cet accommodement eft encore à faire. J'eus l'honneur de faire exactement ma cour pendant tout le tems que S. M. pafia à La Haie, lorsqu'elle partit, je l'accompagnai julques à Dieren: Ce fut là que je pris congé du Roi ; je ne croyois pas alors que ce dût être pour toujours. Je pris ma route par * Dusseldorff, Dussei, Capitale du Duché de Berg. . L'Elec- D0RFF* teur Palatin y faifoit alors fa réfidence. Il eft à remarquer qu'il a été le premier des Electeurs Palatins qui y ait demeuré; car anciennement c'étoit Heidelberg ou Manheim ,qui étoit le féjour ordinaire des Electeurs. L'Electeur Jean - Guillaume avoit préféré DuJJèldorff à tout autre endroit, par une ancienne inclination qu'il avoit confervée pour cette Ville, dont il étoit le maitre du vivant même de l'Electeur fon Père. Ce Prince, en mariant fon Fils à la Princcilé Sœur de l'Em- * Voyez Le Tome III. des Lettres, pag. 203. On y trouve un détail curieux des Statues & des peintures des plus grands Maitres, dont le Château de D*ftlint dcfagréable. Vous lavez fans doute que la Maifon deNeubourg n'a fuccédé à la Dignité d'Electeur Palatin, que par .l'extinction de la Maifon Palatine Proteftante : cette Maifon finit en la perfonne de l'Electeur Charles , qui ne laifia qu'une Sceur, mariée à Monsieur, Philippe de France Duc d'Orléans, Frère de Louis XIV. Philippe-Guillaume Duc Dusssl-de Neubourg, Père de celui dont je viens dorff. d'avoir l'honneur de vous parler, fut le premier Electeur de fa Branche. Ce Prince fe voyant Père d'une nombreufe Famille , s'allia aux premières Couronnes de l'Europe. Il avoit quatre Princes & cinq Princeffes. L!ainé des Princes étoit l'Electeur, & règnoit encore en 1711. Il s'appeiloit Je an-Guillaume de Neubourg. Il avoit époufé d'abord une Archiduchefle d'Autriche Sceur de l'Empereur Le'opold, dont il n'avoit point eu d'Enfans. Il s'étoit marié en fécondes noces à Anne-Marie-Louifede Médias, Fille de Corne III. Grand-Duc de Tofcane. Ce Mariage étant lté* rile comme le premier, l'Electeur avoit pris à fa Cour le Prince héréditaire de Sultzbach ; il y étoit élevé comme Héritier de fa Maifon, en cas que lui, & les Princes fes Frères, mouruiïent fans En-fans mâles. Ce jeune Prince étoit regardé alors comme Prince Electeral, 6c il en recevoit tous les honneurs. Le Baron de Seckiugen étoit chargé de fon éducation, 6c on peut dire qu'il apportoit tous fes foins pour en faire un grand Prince. Le fécond s'appeiloit Charles-Louis, aujourd'hui Electeur. Le troifième, François - Louis de Neubourg, Electeur de Trêves , Grand-Maitre de l'Ordre Teuconiquc. Le Dvssei^ Le quatrième, Alexandre-Sigismond, E- dobff. yêque d'Augsbourg. Les PrincefTes furent toutes mariées. L'ainée, qui s'appeiloit Léonore-Magdelei-ne-Thérèfe de Neubourg , époufa l'Empereur Léopold, Père de l'Empereur d'aujourd'hui. Elle eft morte le 19 Janvier 1719, âgée de 74 ans. La féconde a été mariée au Roi de Portugal, La troifième, nommée Marie-Anne de Neubourg, a été mariée à Charles IL Roi d'Efpagne. La quatrième, Dorothée de Neubourg, à. époufé le Duc de Parme, dont elle a eu entre autres Enfans la PrinceiTe Elizabeth Famèfe, féconde Femme du Roi d'Efpagne Philippe V. La cinquième 6c dernière de ces Prin-cefïès, nommée Edwige-Elizabeth de Neubourg , a époufé Jaques-Louis Sobieski, dont elle a eu Clémentine Sobieski, Femme du Chevalier de S. George. Elle eft morte à Olaw le 10 Août' 1722, âgée de 50 ans. Après avoir paffé quelque tems à la Cour Palatine,je partis vers le milieu du mois d'Août pour me rendre à Francfort fur le Main. J'y arrivai peu de jours a-vant l'ouverture des Conférences pour l'Election d'un Empereur. * Francfort eft une des plus confi- déra- • Voyez,1c Tome II. des Lettres, ^ee 4>&J»>V- dérables Villes de toute l'Allemagne;elle Franc-a titre de Ville Impériale , & elle fait fout. partie du Diocèfe de Maience. Le Mai» la fépare en deux quartiers, qui font joints par un beau Pont de pierre. Les fré-quens Incendies que cette Ville a eiTuyés, & fur-tout celui de 1719» n'ont pas peu contribué à fon embelliiïement. Toutes les rnailons ont été rebâties d'un meilleur goûc qu'elles n'étoient auparavant : cependant, la plus grande partie eft encore bâtie de bois, & revêtue de plâtre mis en couleur; peu de particuliers ont fait la dépenfe de bâtir en pierre. Francfort eft redevable de la plupart de ces incendies aux Juifs, qui y font en grand nombre. Ils demeurent dans un quartier qui fe ferme tous les foirs, 3c comme il eft trop étroit pour pouvoir y loger commodément , ils font obligés de s'entaffer, pour ainli dire,les uns fur les autres,dans des maifons fort élevées, qui étant d'ailleurs toutes de bois , prennent feu aifé-ment. Ils ont vu deux fois de fuite tout leur quartier en cendres, Se cela pour a-voir refufé le fecours qu'on vouloit leur donner; car dans la crainte d'être volés, ils ont toujours refufé d'ouvrir les portes de leur quartier; & lorsqu'ils l'ont fait, ce n'a été feulement que lorsqu'ils ont vu qu'on fe mettoit en devoir de les enfoncer. Malgré toutes les raifons que l'on auroit de ne les pas fouftrir à Francfort, ils y font cependant plus tolérés que les Réformés : ils ont de belles Synagogues, tandis que les Réformés ne jouifïent pas du libre exercice de leur Religion. Les Magiftrats & la plus grande partie des habitans font Luthériens. La Ville de Francfort eft une des premières qui ait embraffé les opinions de Luther, ce qui occafionna bien-tôt une révolte; cat les habitans aiant demandé le libre exercice du Luthéranifme, & le Clergé & le Sénat s'y étant vigoureufe-ment oppofés, il y eut une fédition, dans laquelle les habitans aiant eu le deilus,ils dépofèrent le Sénat, & établirent une efpèce de Magiftraturc compofée de vingt-quatre j tirés du Corps de la Populace. Ces violences eurent des fuites fâcheu-fes, jufqu'à ce qu'enfin la Ville embrafla entièrement la Confellion d'Augsbourg en 1530. Elle entra pour-lors dans la Ligue de Sm aie aide , & eut part aux autres malheurs qui affligèrent l'Empire. Elle fut aiïiégée deux fois, en 1552,par Maurice Electeur de Saxe, & par Albert Margrave de Brandebourg lurnommé l'Ai* tibiade d'Allemagne , qui s'en rendit maitre : mais peu de tems après cette Ville recouvra fa liberté. Depuis ce tems, elle s'eft beaucoup augmentée. Les Elections & les Couronnemens des Empereurs la rendent très confidérable. Ces deux grandes Cérémonies fe font dans l'Eglife de S. S. Barthélémy, qui eft un bâtiment aiTeï Franc* vilain, peu grand, & fort obfcur ; enun fort» mot, très peu propre pour de pareilles fo» lennités. Le Feftin Impérial fe donne la jour même du Sacre, dans la grande Salle de la Maifon de Ville. C'eft une pièce très vafte, à la vérité, mais peu régulière. La Maifon de Ville s'appelle Romer : on prétend que c'étoit anciennement la maifon d'un Gentilhomme, qui en fit préfent à la Ville. Si cela eft, on peut dire que ce Gentilhomme étoit largement logé. Il fe tient dans cette même Ville des Foires confidérableSj qui y attirent grand nombre de Négocians, & un très grand concours de perfonnes de qualité. Ce qui facilite beaucoup le Commerce de Francfort, c'eft la Rivière du Main qui fé jette dans le Rhin près de Maience. Voilà, Madame, à peu près ce que c'eft que la Ville de Francfort. Je vais à préfent avoir l'honneur de vous détailler ici les principales circonftances de l'Election 8c. du Couronnement de l'Empereur. Les Conférences pour l'Élection s'ouvrirent le 25 d'Août, depuis neuf heures du matin jusques à midi. Les Plénipotentiaires des Electeurs abfens y com-touniquèrent leurs Pouvoirs, & les refirent à l'Electeur de Maience. Ce Prince fit eniuice un difeours fur le fujet qui jvoic donné Heu à cette augufte AtTern-klée, On réfalut dans cette première Séan* Séance de garder le fecret fur tout ce qui y feroit traité; après cela, on fe fépara. La marche des Electeurs de Maience &c de Trêves , en allant & revenant de la Maifon de Ville, fut des plus magnifiques. Le premier s'appeiloit Lothaire-Franfois de Scbonborn, de la Maifon des Comtes de Schonborn ; & le fécond étoit de la Maifon de Lorraine, il fe nommoit Charies-Jofeph de Lorraine ,& eft mort en 1715, le 4 Décembre. Ces deux Princes é-toient chacun dans un grand caroffe drapé, accompagné par toute leur Maifon & leurs Gardes, tous en grand deuil. Les Equipages des Ambaffadeurs des Electeurs abfens étoient très leftes, fur-tout ceux de Mrs. les Ambaffadeurs de Saxe ; auffi ces Meilleurs avoient-ils l'honneur d'avoir avec eux le Fils de leur Maitre, fous le nom de Comte de Luface. Outre cela, le Roi de Pologne leur a-voit donné de fes Equipages, & leur a-voit auffi permis de faire porter fes livrées à leurs Domeftiques. Les Ambaffadeurs que le Roi avoit envoyés en qualité d'Electeur de Brande* bourg y parurent aufîi avec une pompe digne de celui qu'ils repréfentoient. C'é-toient Mr. le Comte de Dhona & Mr. Henning. Le Comte de Dobm avoit les honneurs de l'AmbafTade. Ce Miniftre parut avec un cortège de 40 Gentilshommes de la Chambre du Roi: il avoit cinq ca- Carottes à fix chevaux de Tes attelages* Franc-huit Pages, trente-iix Valets de pied, 6c *ovt* deux Suiiïès. Mr. Henning étoit deffiné pour vaquer aux affaires : ce dernier n'eut pas la fatisfaction de voir le (ucecs de ces Afîemblèes, car dès la première féance, aiant parlé pour les intérêts de fa Patrie avec beaucoup de zèle , il s'échauffa au point, qu'il le trouva très incommodé, en rentrant chez lui ;Ôc le foir même il fut attaqué d'une apoplexie, dont il mourut le lendemain. Mr. le Comte de Met ter* nich fut nommé pour le remplacer. Personne n'étoit plus propre à lervir le Roi dans l'Affemblée de Francfort, que ce Seigneur, qui avoit acquis dans plufieurs Ambaffades une grande connoiffance des affaires de l'Empire, ôc particulièrement dans l'AmbalTade de llatisbonne, dont il ivoit été chargé pendant longtems. Dès que les Conférences furent ouverts, Mrs. les Miniftres étrangers, favoir, le Nonce du Pape , les Envoyés de Sa> voie ôc des autres Princes d'Italie , l'Envoyé extraordinaire des Etats-Généraux, & ceux des Princes de l'Empire, firent {avoir leur arrivée au Collège.Electoral; ^s envoyèrent leurs Lettres de créance * la Chancellerie qui fe tenoit dans le Palais de l'Electeur de Maience , ce Prince crant Chancelier-né de l'Empire. Il y eut quelques difficultés au commencement de ces Conférences, fur des Tome I, N nré- prétentions du Nonce du Pape. Ce Non? ce, qui étoit Neveu de Clément XI alors régnant, prétcndoit que c'étoit aux Electeurs à lui faire la première vifite, & que quand il la leur rendroit, ils feraient tenus de lui donner la main. Les Electeurs furent très furpris de ce que le Nonce exigeoit d'eux, ils refufèrent hautement de fous crire à de pareilles prétentions; en forte que, départ ni d'autre, il n'y eut point de vifite rendue, ôc le Nonce ne vit les Electeurs que dans un Jardin, où ils fe rencontrèrent comme par hazard. Le Nonce fît mine de vouloir protefter contre le neuvième Elec-torat établi en faveur de la Maifon de Brunfaick-Hanover, ôc contre la Dignité Royale de Pruffe; mais on lui fit fen-tir, que l'une ôc l'autre proteflation n'au-roient aucun effet. Les Ambaffadeurs de Prufïè, de leur côté, lui firent dire que s'il en venoit à protefter contre la Dignité Royale de leur Maitre, le Roi ne manquerait pas de donner ordre à tes Troupes qui étoient en Italie, d'entrer dans l'Etat Ecclcfiaftique ôc d'y vivre à difcrétion, comme en Pays ennemi. Le Nonce, effrayé de ces menaces, croyant déjà voir les Troupes de Prufle fur les Terres de S. S., envoya au-plutôt fon Secrétaire à Mrs. les Ambaffadeurs, pour les affurer qu'il ne protefteroit point, qu'il n'en avoit jamais eu la penfée ni les ordres; que S. S. avoit pour le Roi Franc-leur Maitre toute la confidération & fout* toute l'eftime que méritoit un ii grand Prince, & qu'elle fc feroit un plaifir d'en donner des marques dans toutes les occa-fions qui fe préfent eroient. Les Electeurs de Cologne &z de Bavière firent aulfi des proteilations contre l'Afîèmblée , en cas qu'on refufit de les admettre aux Conférences de l'Election: mais elles ne portèrent pas plus de coup que celles du Nonce. Ces Princes les envoyèrent par la pofee, en forme de Lettres adreflèes au Comte de Papen-ke'm , Maréchal de l'Empire : elles c-toient fous un cachet inconnu. La fituation de ces Electeurs ne leur permet-toit pas pour-lors de faire publier leurs protciïadons avec les formalités requiies: cela n'empêcha pas, cependant, qu'elles ne fulient bientôt rendues publiques. Le refpect. <5c l'amitié que l'on avoit pour frlluftre Maifon de Bavière, fit que tout le monde s'empreffa d'en avoir des copies; mais elles n'eurent aucun effet, ôc Conférences continuèrent. • Le 2 d'Octobre, les Conférences étant finies , les Magiitrats &c les Chefs de la Milice fc rendirent en Corps à la Maifon de Ville , pour y prêter le ferment préfet par la Bulle d'or. Ils y trouvèrent les électeurs qui étoient alors à Francfort, fe les Ambaffadeurs des abfens, tous af-N 2 fis iç6 Memoi r e i fis dans des fauteuils, fous un grand dais de velours noir. On fit la lecture du ferment; les Magiftrats & les Chefs de Milice le prêtèrent, entre les mains de l'Electeur de Maience. La Bourgeoifie & la Garniion prêtèrent aufii le même ferment; mais la cérémonie fut différente. Elle ne fe fit pas dans la Maifon de Ville: on avoit drefïè au-dehors , fur la grande Place, une gallerie élevée, découverte, ôc garnie de draperie. Ce fut là que les Chanceliers des deux Electeurs Eccléfiafti-ques, & les Magiftrats, reçurent le ferment de la Bourgeoifie, en préfence des Electeurs & des AmbafTadeurs, qui étoient placés aux fenêtres de l'Hôtel de Ville. Les Bourgeois, qui étoient au nombre de quatorze Compagnies, prêtèrent ferment les premiers, enfuite les Soldats de la Garnifon. Le 10 d'Octobre, on publia au ion des trompettes, que tous les Etrangers, qui n'étoient point de la fuite des Electeurs ou des Ambaffadeurs Electoraux, euffènt à fe retirer de la Ville avant que le foleil fût couché, jusques à ce que les Electeurs euflènt élu un Empereur. Le Nonce crut d'abord, que fon Caractère, ôc le refpect qu'on devoit au S. Père, l'exem-teroient de la règle générale : mais aiant été informé du contraire, il fe retira à Afchajfenbourg. Le ia, à 7 heures du matin, on fonna toutes toutes les Cloches. Alors la Bourgeoifie p Kfr & les Soldats de la Garnifon s'affemblè- fort.6" rent dans les maifons de leurs Comman-dans, d'où ils furent fe pofter dans les rues qui conduifent de l'Hôtel de Ville à l'Eglife de S. Bartbélemi. Les Bourgeois avoient la droite fur les Soldats. Sur les neuf heures, les Electeurs & les Ambaffadeurs fe rendirent à l'Hôtel de Ville. Ils avoient tous fait quitter le deuil à leur Cour & à leurs Equipages: il n'y eut que les Ambaffadeurs de Bohème, qui ne le quittèrent peint. Un moment après que les Electeurs furent arrivés dans la Chambre ordinaire de l'Affemblée, ils paflèrent dans d'autres Chambres, où ils fe firent revêtir de leurs habits Electoraux. Ces habits font très ma-jeftueux: ce font de grandes robes fort amples & fort pUffées, dont les manches font auffi très longues ; le tout eft doublé & rebordé d'hermine: les Electeurs mettent Par deflus le tout, une efpèce de mante-d'hermine. Ces habits font prefque les mêmes pour les Eccléfiaftiques & les Séculiers; ils ne diffèrent, qu'en ce que les habits des premiers font d'écarlate , & ceux des Séculiers de velours cramoifi. J^eiira bonnets font de la couleur de leurs "abits, ils font auffi rebordés d'hermine. Auffi-tôt que les Electeurs furent ha-pllés, ils reparlèrent dans la Salle de l'Af-ie«ibléc, ils dépendirent enfuite de l'Hô-Nj tel Franc- tel de ViUe dans la Place, avec les Am-fout. bafiadeurs des autres Electeurs. Ils y trouvèrent des chevaux fuperbement harnachés, iur lesquels ils montèrent, &z fc rendirent ainh en Cavalcade à l'Egliie de S. Harthélemi. Les trois Electeurs rnar-choient les premiers fur une même ligne, la tête découverte ; les quatre Ambaffadeurs des Electeurs abfcns marchoient enfuite, félon le rang de leurs Maitrcs. L'Evêque de Neuftadt , à la tête du Chapitre, vint recevoir Leurs Alteffes Electorales 6c les Ambaffadeurs à la porte de l'Eglife; il les conduifit au Chœur, où ils fe placèrent félon leur rang dans les Sièges des Chanoines, qui étoient garnis de velours galonné d'or. L'Electeur de Trêves étoit feul vis à vis l'Autel, à la place du Lutrin, où on lui avoit drcfté un Prie-Dieu & un fauteuil, pareillement garnis de velours cramoifi. Lorsque tout le monde fut placé, l'E-vêque de Neuftadt commença la Meffe. A la première conlëcration , les Ambaffadeurs des Electeurs Proteftans paflèrent dans la Chapelle du Conclave, qui tient au Choeur; après l'élévation, ils retournèrent à leurs places, où ils demeurèrent pendant le refte de l'Office ; après lequel les Electeurs 6c les Ambaffadeurs montèrent à l'Autel. L'Electeur de Maience étoit au milieu des deux autres Electeurs; l'Electeur de Trêves étoit à fa droite ôc l'Electeur Palatin à fa gauche. Les Am- Franc-baffadeurs étoient dans la même ligne, fort. félon leur rang,à la droite 6c à la gauche des Electeurs. L'Eleéleur de Maience prit le Livre des Evangiles, fur lequel il tint la main droite étendue : les Electeurs préfcns 6c les Ambaffadeurs des ablens firent la même chofe, 6c prêtèrent ainli le ferment accoutumé , par lequel ils promettent de n'élire pour Empereur , que celui qu'ils croiront en confcience en être le plus capable. Après le ferment, ils paffèrent dans la Chapelle du Conclave, où ils demeurèrent enfermés près de trois heures. Au fortir de cette Chapelle, les Electeurs 6c Ambaffadeurs rentrèrent dans l'Eglife, 6c fe placèrent fur une Tribune élevée au deilus d^ la Grille qui fépare le Chœur d'avec la Nef: elle étoit garnie d'écarlate 6c entourée de tapifferic; on y avoit placé fept fauteuils de velours rouge garnis de galons ôc de crépines d'or. Les Electeurs ôc les Ambaffadeurs s'étant atïïs, le Chancelier de Maience lut à haute voix l'Acte qui venoit d'être drefiè dans le Conclave, par lequel on proclamoit Empereur, Charles Roi des Romains & d'Efpagne. On entendit alors par toute l'Eglife de grands cris de Vive l'Empereur! Au même infant, le Canon des remparts fe fit entendre, ôc les Bourgeois ôc la Garnifon firent trois falves de Mousqueterie. N + Après Après la proclamation, les Electeurs & les Ambaffadeurs defcendirent de la Tribune, & vinrent reprendre leurs places dans le Chœur. L'Evêque de Neu-fiadt entonna le Te-Denm, après lequel on retourna à la Maifon de Ville dans le même ordre qu'on en étoit forti. Les Electeurs y quittèrent leurs habits de cérémonie , ôc s'en retournèrent chacun dans leurs Hôtels,où ils demeurèrent jufques au foir. Les Ambaffadeurs firent la même chofe. Le foir, ils loupèrent tous chez Mr. le Comte de Wtndisgratz. premier Ambafladeur de Bohème, ôc par conféquent Ambafladeur du nouvel Empereur. Ce Miniftre donna un feltin magnifique, qu'il fit accompagner d'une très belle fymphonic. Cette grande journée finit par le choix que le Collège £-lectoralfit du Prince Char/es de Neubourg, pour porter au nouvel Empereur l'Acte de fa proclamation. Toute cette folennité fe paffa fans le moindre delordre, malgré le concours étonnant de perfonnes que cette augulte Cérémonie avoit attirées de tous côtés. Il y eut feulement un petit différend entre le Prince de la lour Taxis , ôc le Comte de Najfau-H eilbourg. Le premier, quoique d'une Maifon nouvelle en comparaifon du Comte, voulut, à caufe de fa qualité de Prince, prendre le pas fur le Comte; mais celui-ci décida le le différend en un inftant : il prit le Prin- Franc-! ce par le bras, & Paiant pouffé derrière fort. lui 3 il lui dit : Apprenez,, Monfeur^ que des Princes comme vous , marchent après des Omîtes comme moi. Le Prince, fort étonné du compliment, ne jugea pas à propos de pouffer fes prétentions plus loin. Je partis d'abord après la Cérémonie de l'Election, pour aller à Zell. J'avois eu le malheur d'y perdre ma Mère, qui y étoit morte pendant mon féjour à Francfort : cette mort me fut très fenfïble, Ôc d'autant plus,que c'étoit le premier fujet que j'eufle eu de ma vie d'être férieufe-ment affligé. Peut-être qu'aujourd'hui que je fuis familiarité avec les disgrâces, une pareille nouvelle ne me feroit pas autant d'impreflion qu'elle m'en fît dans ce tems-là. Je reitai quelque tems a Zell, pour régler, avec mon Frère, différentes affaires qui regardoient la fucceflïon de ma Mère. On m'écrivit alors, que la cérémonie du Couronnement de l'Empereur étoit fixée au 22 Décembre. Je partis aum-tôt pour retourner à Francfort. Je pris ma route par Hanover, dont j*ai déjà eu l'honneur de vous parler. De Hanover je paflai par Cassel. Cette Cassku ville eft le féjour ordinaire du Landgrave de Hejfe. La Rivière de Fulde la fépare çn deux quartiers. La Ville neuve eft affez. bien bâtie, les maifons en font jo-N y lies, Cassel. lies, les rues font fort droites & très fpacieufes. Le Palais du Landgrave eft ancien; il eft entouré de remparts, dont une partie du côté de la Campagne forme une terraffe plantée d'Orangers, que l'on a foin de couvrir en Hiver d'une maifon de planches. Mr. le Landgrave d'aujourd'hui fe nomme Charles \ il eft né le 3 Août 16*54. N a eu fePc Enfans, de Marie-Amélie de Courlande. X. Le Prince Frédéric, né le 28 Août 16y 6. Ce Prince eft devenu Roi de Suède par fon mariage avec Eléonere Princeffe de Suède, qui à fuccédé à Charles XII. Il avoit époufé en premières noces Louife-Dorothée-Sophie , Fille unique du Roi de Pruffe. Il étoit alors Stathalter de Clèves, ôc il avoit un Régiment d'Infanterie au fervice de S. M. 2. La Princeffe Sophie-Charlotte, Ducheffe Douairière de Meckelbourg-Swerin : cette Princefle demeure dans le Meekelbourg, d'où elle vient fouvent à la Cour de fon Père. 3. Le Prince Guillaume, qui eft Lieutenant-Général des Hollandois, Ôc Gouverneur de Mafiricht. Il a époulé Wil* hebriine de Saxe-Zeitz. 4. La Princefle Marie-Louife, Douairière du Prince de Nafau-Frife, noye au Paffage du Moerdyck. 5- Le Prince Maximilien , marie avec une Princeffe de HeJfe-DarmfadP. 6. Le t>. Le Prince George , Officier-Gêné- Cassel. ral au îervice de Prufle, Colonel d'un Régiment d'Infanterie, Chevalier del'Ot-dre de l'Aigle Noir. 7. Wilhelmine Charlotte , morte il y a quelque tems. C'étoit une Princefle des plus accomplies. Aflèz fouvent ces Princes & Princef-fes fe raffembloient à la Cour du Landgrave leur Père, Ôc la rendoient alors une des plus brillantes de l'Allemagne, non-feulement par leur magnificence, mais encore par les manières affables qu'ils avoient pour tout le monde , ôc fur-tout pour les Etrangers. Je quittai CaJJel avec peine; mais comme le tems du Couronnement de l'Empereur s'avan-Çoit, je ne pus m'y arrêter plus longtems. En effet, je n'arrivai à Francfort que Frano peu d'heure* avant l'Empereur. Les E- fort. lecteurs ôc les Ambafïkdeurs fortirent hors de la Ville ôc allèrent au-devant de S. M. I. Le Magiftrat s'y trouva auffi, avec le Bourguemeitre. On complimenta S. M. ious une Tente, que l'on avoit fait dreflèr hors la Ville. Les compli-mens finis , S. M. remonta en carolfe; les Electeurs ôc Ambafiadeurs firent la même choie , ôc ils entrèrent dans la Ville au bruit du Canon, Ôc des acclamations du Peuple, qui crioit Vive PEmpereur Charles VI ! S. M. I. vint defeen-dJ*c à l'Eglife de S. Barthehm. L'Electeur teur Palatin, qui n'avoit pu aller au-devant de l'Empereur à caufe qu'il étoit incommodé, fe trouva à la porte de l'Eglife pour le recevoir : l'Evêque de Neujladt y é-toit auffi, à la tête du Chapitre. Les E-lecteurs conduifirent S. M. à un Trône qu'on lui avoit dreffé à la droite de l'Autel. L'Electeur Palatin marchoit devant, ôc les deux autres Electeurs étoient aux deux côtés de l'Empereur. Lorfqu'ilfutiur fon Trône, l'Evêque entonna le Te-Deum ôc donna la Bénédiction. L'Empereur fut enfuite conduit avec les mêmes cérémonies dans fon Palais, qui étoit meublé de deuil. Les Electeurs ôc Ambaffadeurs aiant accompagné S. M. I. julques dans fon Cabinet, fe retirèrent chez eux. Le lendemain, & les jours fuivans, l'Empereur reçut la vifite des Electeurs, des Ambaffadeurs & de Madame l'Electrice Palatine; ÔC il les vifita auffi à fon tour. Enfin le 22 Décembre , jour défigné pour le Couronnement, étant arrivé, toute la Bourgeoifie ôc laGarnifonfc mit fous les armes, depuis le Palais Impérial jufques à l'Eglife. La marche commença par les Valets de pied ôc les Pages des Ambaffadeurs, de l'Electeur Palatin ôcde l'Empereur. Ils étoient fuivis des Cour-tifans de l'Electeur ôc de l'Empereur, ôc des perfonnes de qualité qui étoient à la fuite des Ambaffadeurs. Après eux on vit paroitre fix Hérauts-d'Armes, dont l'un por- porroit l'Aigle fimple,le fécond unedou- franc-ble Croix, le troifième un Lion, & les fort trois autres des Aigles à deux têres , le tout à la manière des Enfeignes Romaines. Après les Hérauts, vinrent les Ambaffadeurs, les Vicaires des Electeurs,& l'Electeur Palatin, portant les Ornemens de l'Empire. Immédiatement après parut l'Empereur, qui étoit fous un dais magnifique. Son habit étoit pareil à celui des Electeurs Séculiers, c'eft-a-dire, une robe de velours cramoifi rebordéc d'hermine : il avoit fur la tête une Couronne enrichie de diamans, c'étoit la Couronne de fa Maifon : S. M. montoit un très beau cheval d'Efpagne , dont l'équipage étoit d'une grande magnificence. Derrière l'Empereur marchoient les principaux Officiers de fà Maifon, & le Capitaine des Gardes à la tête de fa Compagnie : les Gardes du corps de l'Electeur Palatin fermoient la marche. L'Empereur étant arrivé à l'Eglife, les Electeurs de Maience ôc de Trêves, vêtus pontificalement, vinrent le recevoir à la porte, Ôc le conduifirent dans le Chœur à fon Prié-Dieu, vis à vis le grand Autel. Ce fut là que S. M. L entendit la MefTe 7 après laquelle on conduifit l'Empereur à la Maifon de Ville,à peu près dans le même ordre qui s'étoit obfervé en venant à l'Eglife, arec cette différence, que l'Empereur étoit revêtu des Ornemens de l'Em- pi- pire, qui confiftent dans la Couronne, \e Manteau & l'Epée de Charlemagne. S. M. étoit à pied, au milieu des deux Electeurs Ecclélïaftiques qui l'accompagnèrent, auffi-bien que 1'Eledteur Palatin , les Vicaires èc les Ambaffadeurs des Electeurs abfens, juiques dans la grand' Salie de l'Hôtel de Ville, où on avoit préparé le Feftin Impérial. L'Empereur le plaça à une des croifées qui donnent fur la grande Place, pour le faire voir au Peupie. Il y avoit tant de fpectateurs, que non feulement la Place &z toutes les fenêtres étoient remplies; il y avoit même du monde jufques fur les toits. Ce fut de cette fenêtre que S. M. vit les Officiers de l'Empire faire leurs tbnc-tions. Mr. le Comie de "Papenheim Vicaire de l'Electeur de Saxe,, comme Grand-Maréchal de l'Empire, fut le premier qui commença la Cérémonie. 11 étoit monté fur un très beau cheval , qu'il pouffa au galop dans un monceau d'avoine qui étoit dans un coin de la Place; il en remplit une mefure d'argent; il revint enfuite jufques au milieu de la Place, où il jetta & l'avoine & la mefure, qui rut abandonnée au peuple; puis il remonta a,ms la Salle du Feitin. L'Electeur Palatin parut après, é-tant entouré de fes Gardes & précédé de fa Cour; il alla à cheval dans une Cuiiine conftruite exprès dans la grand' Place; il y trouva un Bœuf entier à la broche, il en cou- coupa un morceau, & Faiant mis dans un Frahc-plat d'or, il l'apporta fur la table de 1 Em- fort. pereur. Le Comte de Zinzendorjf, comme Vicaire de l'Electeur de Hanover , Tréfo-rier de l'Empire, parut enfuite: il monta à cheval , & étant accompagné de quel- 3ues Gardes de l'Empereur, il fit le tour e la Place en jettant des Médailles d'or & d'argent : il les prenoit dans deux facs de drap d'or qui tenoient à l'arçon de fa felle. Ces Médailles repréfentoient d'un côté le Globe de la Terre, environné de nuages, avec cette Devife Latine, Confiant iâ <& Fortitudine. On lilbit de l'autre côté, Carolus, Hifpaniarum, Hmg.<é* Bohem. Rex, A. A. eleclus in Regem Roman, coronat. Francof. 22. "Dezemb. 1711. Il y avoit au-delTus une Couronne Impériale , femblable à celle de Charlemagne. Le Comte de Dohna, Ambaffadeur du Roi comme Electeur de Brandebourg, fit la fonction de Grand-Chambellan de l'Empire , en l'abfence de Mr. le Prince de Hohenzollem, Vicaire de l'Electeur , qui pour-lors fe trouvok incommodé. Le Comte, précédé de toute fa Livrée & accompagné de quelques Gardes de l'Empereur, fut à cheval vers le milieu de la Place, où l'on avoit dreffé une table, fur laquelle il y avoit un balïin & une aiguière de vermeil pleine d'eau , avec une ferviette mouillée: le Comte prit l'un & l'autre,il por- Franc- porta le tout dans la Salle du Feftin, & fort. il préfenta à laver à l'Empereur. Enfuite le Comte de Kinsky, Ambaffadeur de S. M. I. comme Roi de Bohème, fit pour celui qu'il repréfentoit 3 la fonction de Grand-Echanfon de l'Empire : il prit un gobelet d'or , ÔC alla chercher du vin à une Fontaine qu'on avoit dref-fée au milieu de 1a Place ; cette Fontaine repréfentoit l'Aigle Impériale. Le Comte vint enfuite dans la Salle du Feftin, ôc il préfenta à boire à l'Empereur. Ce fut ainfi que les Officiers de l'Empire s'acquittèrent de leurs fonctions. A-près lefquelles l'Empereur fe plaça feul à une table, qui étoit dreifée fur une Eft rade couverte d'un drap rouge : il y avoit au deifus un dais de brocard d'or. Après que l'Empereur fe fut afîis, les Electeurs fè placèrent aux tables qui leur étoient préparées aux deux côtés de la Salle, fur des Eltrades d'une marche moins élevées que celle de l'Empereur. Il y a-voit au-dcffus de chaque table un dais de velours cramoifi enrichi d'or , avec un fauteuil de la même étoffe. Chaque table avoit à fa droite un magnifique buffet. Les trois Electeurs fe placèrent feuls , chacun à fa table ; ôc les Ambaffadeurs des abfens réitèrent debout pendant un peu de tems derrière les fauteuils de leurs Maitres : ils pafferent enfuite dans une autre Salle. Les jours fuivans, les Electeurs dînèrent chez l'Era- dv Baron de P b l l n i t z. 109 PEmpereur, ôc S. M. vint auffi dîner chez franc-les Electeurs. Enfin , après que l'Empe- fort. reur eut fatisfait à toutes les cérémonies qui s'obfervent aux Couronnemens, il partit de Francfort pour fe rendre dans fes E-tats héréditaires, où fes Sujets l'attendoienfi avec impatience. Lorfque j'étois fur le point de partir de Francfort, je reçus la trille nouvelle de la mort du Margrave Philippe Frère du Roi. Comme j'étois fort attaché à ce Prince, je fus très fenfible à la perte que je faifois. Mrs. les Ambaffadeurs du Roi, pour éviter la dépenfe des équipages de deuil , tinrent Cette mort cachée, ôc ils ne la notifièrent à S. M. I. que la veille de fon départ. Je partis de Francfort, prefque en même tems que l'Empereur. Je paffai par Caf-fil, Hanover, Ôc Dujfeldorf. Le féjour de cette Ville m'avoit paru alfez agréable, pour m'engager à y retourner ; ôc d'ailleurs, c'étoit là que devoit m'être adreffé un Paffeport que je faifois venir de France, afin de me rendre à Paris. Audi tôt que je l'eus reçu , je pris ma route par Minden, dont j'ai déjà eu Fhonneur^de vous Parler : de là, après avoir paffé par Bile-pld petite Ville du Comté de Ravens-berg, j'arrivai à Munster'. Muns- Cette Ville, autrefois Ville Impériale, TKR* eft aujourd'hui le Siège d'un Evêque, Prince de l'Empire, ôc Seigneur de la Ville Ôc de fon Relfort. Elle eft fituée çnWeHpha-Tome I. O /«, Mi;ms- lie, dans une grande Plaine, & fur une pe^ ter. tjte Rivière qui rend cette Place affez forte. Elle a été le berceau du fameux Munt-zery Chef des Anabaptiff.es. Ces Hérétiques devinrent fi puiffans, qu'ils entreprirent de fe rendre maitres de la Ville ôc de fe choifir un Roi. Ce fut vers la fin du feizième Siècle } qu'enfin ils élurent pour Roi un Tailleur nommé Jean de Leyde, fameux pour les excès ôc les cruautés qu'il exerça. Mais le Ciel délivra la Ville d'un pareil fléau; car enfin,après quelque rélif-tance, on vint à bout de la réduire, & Jean de Leyde fut mis à mort par la main du Bourreau. Depuis, cette Ville s'eft en- ■ core révoltée ,• mais enfin l'Evêque la mit à la raifon en 1661, ôc depuis ce tems elle a toujours été foumife à fes Souverains. Ce fut à Munfier que fe tint la fameufè Affemblée de Wefiphalie,qui affura la fortune de beaucoup de Souverains, Ôc la Religion des Peuples. La Paix qui y fut lignée fert encore de bafe à tous les Traités qui fe concluent aujourd'hui. Celui de Munfier portoit en fubftance : Que Maximilien Duc de Bavière demeureroit en poiTeiîïon de l'Eleclorat des Comtes Palatins, que l'Empereur Ferdinand II. lui avoit donne: Que Charfos-Louis Comte Palatin rentre-roit dans fa Principauté ; & qu'il feroit crée un huitième^Eleclrorat pour lui ôc pour les fiens : Que les Proteftans auraient leurs Temples ôc le libre excercice de lcurRe- ligion, fur le pied où ils étoient en 1624; muns-& qu'ils retiendraient les biens Eccléiiafti- ter^ ques dont ils jouiilbient depuis le l Jan^> vier de la même année : Que la Suède aurait la Poméranie Citérieure, une partie'de l'Ultérieure, l'Ile & la Principauté de Ru-gen, la Ville ôc le Port de Wifrtm•', l'Archevêché de Brèmen , l'Evêché de Wer* den, à titre de Duché: Que l'Electeur,de Brandebourg auroit les Evêchés de Halber-fiadt , de Minden ôc de Cumin, avec la Poméranie Ultérieure : Que la France auroit l'entière Souveraineté de Jtfcte, To«/ ôc Verdun, ôc de ce qui en dépend, celle de Pignerol ôc de Briffai, le Landgraviat de la H*»/* Ôc Baffe A/face, ôcc: Que les Confédérés rendraient les Villes qu'ils te-noient, qu'ils licentieroient leurs Troupes; ôc que pour le payement des Soldats Suédois , fept Cercles de l'Empire fourniraient cinq millions de Rifdalcs. Telles furent les conditions de cette Paix, qui ne fut pas fort avantageufe à la Religion Catholique. L'Evêque, qui étoit fur le Siège de Munfier dans le tems que j'y paflai, étoit delà Maifon de Metternich : il étoit en même tems Evêque de Paderborn. Je ne m'arrêtai pas longtems dans cette Ville'; je continuai ma route par Duffeldorff, où je trouvai toute la Cour de retour de Francfort. De là je partis pour * Cologne, C010- O 2 où GIi*' " Voyse U" Tome III, «tes Leur et 7 pag. tifi Cote- où M. Happe, qui étoit nommé par le Roi gnb- pour faire lever les Contributions que le Luxembourg ôc autres Pays voifins étoient obligés de payer , me fît beaucoup d'accueil: il me logea chez lui, Ôc me fit fai- Je reliai quelque tems dans cette Ville, qui eft très floriflante, à caufe de la facilité que les Négocians y trouvent pour leur Commerce. Il y a continuellement de gros Bateaux qui descendent le Bbin jufques en Hollande , & d'autres qui remontent ce Fleuve jufques à Francfort. La Ville eft affez grande , mais toujours très fale & mal pavée. Les maifons y font pour la plupart fort antiques , ôc par coniequent obfcures Ôc peu logeables. Cette Ville eft gouvernée par un Sénat, qui ne dépend point de l'Électeur. Le pouvoir de ce Prince eft très limité ; il n'a d'autorité que pour ce qui regarde le Criminel : il peut cependant commander fouverainement pendant trois jours, après lefqucls, s'il refteà Cologne, il n'eft plus regardé que comme un Seigneur particulier. Cela eft caufe que ce Prince fe tient ordinairement ï Bonn , d'où il fe rend à Cologne les veilles des grandes Fêtes , pour y officier. La Ville , cependant, eft obligée de rendre hommage à l'Electeur ôc de lui prêter ferment de fidélité, à condition que ce Prince confervera les Privilèges dont elle jouit. L*Llecteur ne peut guères manquer à rern- rand'chère. plir cette condition , quand même il le Coi.t»-voudroit; car c'eft 1a Ville qui entrerient GNE-la Garnifon, & qui eft maUreffe de l'Ar-fenal. On ne permet dans Cologne, que l'exercice de la Religion Catholique : les^ Pro-teftans ne peuvent entrer ni dans le Sénat, ni dans aucun Emploi de Ville ; ils vont au Prêche à Mulheim, petite Ville du Pays de Berg, qui appartient à l'Electeur Paiatin. Je n'eus point l'honneur de voir Mr. l'Electeur; les malheur.-, qu il avoit efluyés dans les dernières Guerres , l'obligeoient pour-tors de demeurer en France. Ce Prince s'appeiloit Jafeph-Clément de Bavière. Il polTédoit, avec l'Archevêché de Cologne, les Evêchés de Hildesbeim & de Liège. Il eft mort le 12 Novembre 1723, après avoir fait élire pour Coadjuteur de Cologne fon Neveu le Duc Clément de Bavière, Evêque de Munfter & de Pader-bom. Les Archevêques de Cologne font Grands-Chanceliers de l'Empire en Italie, mais ils n'en font pas la fonction : la plupart des Princes d'Italie prétendent ne point relever de l'Empire, ou fe difent eux-mêmes en erre les Vicaires perpétuels ; en cette qualité , ils font dans f étendue de leur Ju-tifdiction, ce que l'Empereur pourreit faire- Ceci, cependant, ne s'entend que des affaires ordinaires ; car dans les extraordinaires, ils font obligés de fc pourvoir à la O 3 Cour Colo- Cour Impériale. Alors c'eft l'Electeur de et«t Maience, qui , en qualité de Chancelier de l'Allemagne , en fait feul les fondions ; auffi a-t-il la garde des Archives ôc des Titres qui concernent l'Italie. Les Electeurs de Cologne ont encore iong-tems dilputé à ceux de Maience le droit de facrer les Empereurs , quoique les derniers prétendent que cet honneur leur appartient comme Primats d'Allemagne. Les différends entre ces Princes ont été réglés, &ils font convenus que ce feroit celui des deux dans le Diocèfe duquel le Couronnement fe feroit, qui fa-creroit l'Empereur ; ôc que fi le Couronnement fe faifoit ailleurs que dans leur Diocèfe, ou ceux de leurs Suffragans , a-lors ils le feraient alternativement. Cependant , depuis cet accommodement , l'Electeur de Cologne a facré l'Empereur Léopold en 1658 à Francfort, Ville du Diocèfe de Maience; mais ce fut du con-fentement de l'Electeur, Ôc cela fans conféquence pour l'avenir. J'ai remarque, qu'à Cologne la plus grande partie des batimens publics font, ou des Eglifes, ou des Couvens. L'Eglife Métropolitaine feroit une des plus magnifiques de toute l'Allemagne , ii elle étoit finie : on y voit des Tombeaux fuperbes, Ôc entre autres celui des Trois Rois , qui vinrent adorer le Sauveur du Monde. On raconte que leurs Corps, après avoir été por- portés de Confiantinople à Milan, font en- Colo-fin parvenus à Cologne. Tout le peuple a Gf,E* beaucoup de dévotion à ces Reliques. Excepté les Eglifes & les Monaftères, on ne remarque point d'édifices publics, ni des maifons allez belles pour attirer l'admiration d'un Etranger. On voit encore la Maifon où Marie de Médicis Reine de France a vu par là mort la fin de fes malheurs. Elle s'étoit réfugiée à Cologne , pour éviter les perfécutions du Cardinal de Richelieu : ce Cardinal, quoique redevable à cette Princeffe de fa prodi-gieufe fortune , ne fe contenta pas de l'avoir forcée de quitter le Royaume de France, il lui fit encore refufer les fecours les plus néceffaires ; jufques-là qu'on eut affez de peine à trouver un Boucher qui voulût fournir de la viande pour la table de cette infortunée Princefle. Elle mourut le ^ Juillet 164?. Pendant que je m'amufoi6 à voir la Ville de Cologne , je reçus de France le Paf-feport que j'avois fait demander pour aller à Paris. L'envie que j'avois de voir cette Ville tant renommée, me fit partir affez promtement pour m'y rendre. J'ai oublié de vous dire , que les dehors de Cologne y les remparts fur-tout , font très agréables : il y a de magnifiques Allées d'Ormes, qui fervent de promenades, ÔC qui aboutiilcnt à un Quai qui règne le long du Rhin. Ce Quai feroit fort beau, o+ si Cci o- s'il n'étoit pas défiguré par une Demi-Iu-gke- ne, que l'on a pratiquée pour couvrir la Porte du "Rhin , & pour aiïurer le paflage du Pont-volant, En partant de Cologne , je descendis le Rhin èc leYakaljufques à Dort; Ôc delà, A-nvers, j'allai jufques à Anvers * , toujours par eau. Cette Ville eft, félon moi, la plus belle des Pays-Bas. Elle fait partie du Brabanr Autrichien, & eft la Capitale du Marquifat du S. Empire. Elle eft fituée dans une grande Plaine à la droite del'JE/-caut, dans l'endroit où cette Rivière fé-pare le Duché de Brabant du Comté de Flandre. Elle contient nombre d'Eglifês bâties d'un très bon goût,& quantité d'édifices publics très magnifiques. L'Eglife de Notre-Dame, qui eft la Cathédrale, eft un ouvrage qui n'a rien de ièmblable, fi ce n'eft en Italie. Sa longueur eft de plus de cinq-cens pieds , la largeur de deux-cens-quarante, & fa hauteur de trois-cens-quarante Elle contient 66 Chapelles enrichies de colonnes de marbre toutes différentes , & ornées de belles peintures. La Tour qui fert de Clocher, eft très haute Ôl dune beauté achevée, L'Eglife la plus magnifique après la Cathédrale , é oit celle des Jéfuites , que le feu du Ciel a confumée en 1718 , le 18 de Juillet. Le pavé étoit de marbre à com- • Voyez le Tpmç IJI. dts Lettres, pag- eompartimens. Il y avoit deux bas cotes» Anvbus. l'un deftus l'autre , qui étoient foutenus par cinquante-fix colonnes de marbre, les quatre voûtes étoient fermées de trente-huit grands tableaux à bordures dorées, ôc les murs qui étoient percés de quarante croifées, étoient revêtus de marbre. La grande voûte étoit d'une très belle fculp-ture , chargée d'un petit dôme très clair ôc très bien pratiqué. Pour le Maitre-Autel , il auroit falu être bien connoifTeur pour faire une defcription qai fît fentir la beauté de l'ouvrage : pour moi, tout ce que j'en puis dire , c'eft que tout y étoit marbre, jafpe, porphyre, Ôcor. Le Tableau repréfentoit l'Affomption de N. D. C'étoit un morceau achevé. La Chapelle de N. D. qui faifoit partie de la même E-glife, n'étoit pas moins riche que le refte du bâtiment : les côtés ôc la voûte é-toient revêtus de marbre , avec fix Statues d'albâtre. Outre cette Chapelle, il y en avoit encore cinquante autres , toutes de la dernière magnificence. Le Portail de l'Eglife, Ôc la Maifon des Jéfuites qui y tenoit , répondoient à la beauté du bâtiment. Tout ce fuperbe édifice a été entièrement ruiné : ce que l'on regrette le plus, ce font des Tableaux du fameux .R»-dont cette Eglife étoit remplie. Cette perte eft d'autant plus confidérable , Qu'elle eft irréparable; car au refte, on fe O 5 pré- Anvers, prépare à faire rebâtir uneEglife auffi magnifique que la première. Il y a encore à Anvers plufieurs autres beaux édifices, dont je n'entreprens point la defcnption : je dirai feulement deux mots de la Maifon de Ville & de la Bour-fe. La première eft fituée dans une grande Place entourée de belles maifons. Quoique ce bâtiment foit d'un goût tout à fait Gothique , c'eft cependant un magnifique monument de laricheflè de ceux qui l'ont fait bâtir. La Bourfe mérite d'être confi-dérée, par rapport aux Galleries qui environnent la Place où les Marchands s'af-femblcnt, comme à Amflerdam 9 depuis midi jufques à une heure & demie. La Citadelle, ou le Château d'Anvers, paffoit autrefois pour une des plus fortes & des plus régulières Citadelles de l'Europe ; mais les ouvrages que Louis XlV a fait faire dans les Pays-Bas, & (ur toutes les frontières du Royaume, ont beaucoup diminué le prix des anciennes fortifications. Ce fut dans la Place du Château d"Anvers , que le Duc cVAlbe qui l'avoit fait bâtir, fe fit élever cette famcufe Statue de bronze, qui auroit été un monument éternel de fa cruauté & de fon orgueil , fi elle n'eût été renverfée & mite en pièces par le peuple , auffi tôt que ce Duc eut quitté les Pays-Bas par ordre du Roi Philippe H. fon Maitre. On dit que pendant que le Duc commandoit dans les Pays-Bas, il avoit fait paiTer plus de Anvers. 18000 perfonnes par la main du Bourreau. Après la Citadelle, je ne puis m'empê-cher de vous parler du Port. Il eft très beau Ôc très commode. Il y a une Place fort vafle, dans laquelle, avec l'aide d'une machine , on décharge facilement toutes les marchandifes. Une chofe qui eft encore affeT. commode, ôc qui contribue à rendre cette Ville fort marchande, c'eft qu'outre la Rivière, il y a encore huit grands Canaux par lefquels le? Vaiflèaux peuvent entrer dans la Ville. Cependant, malgré toutes ces commodités, le Commerce & Anvers , quoique confidérable, n'cft pas aujourd'hui à beaucoup près auffi floriiïànt, qu'il l'étoit avant les Guerres Civiles ôc les nouvelles Opinions en matière de Religion. Il eft même étonnant que cette Ville ait pu fe relever , après les maux qu'elle a eu à effuycr de la part même de fon Souverain , dont les Troupes brûlèrent en 1576 plus de fix-cens maifons dans Anvers ; ôc tandis que ces malheureux habitans travailloient à retirer du milieu des fiâmes ce qu'ils avoient de plus précieux , les Efpagnols vinrent fondre fur eux , ôc en tuèrent ou noyèrent près de dix-mille. Ce terrible Incendie ruina abfolument Anvers : la Maifon de Ville, ôc plufieurs Palais magnifiques, furent réduits en cendres ; ôc les richcfïès immenfes, qui y étoient renfermées, furent Anvers, rent enlevées par des fcélérats. Le pillage dura trois jours , pendant lefquels il fe commit toute forte d'excès. Cependant cette Ville infortunée , qui paroitfôit devoir relier enievelie fous fes propres cendres , fut relevée quelque tems après par les Confédérés d'alors , qui en relièrent comme Souverains jufques en 1585, que le Prince de Farme la prit fur eux après un Siège qui dura près d'un an , & qui fut un des plus célèbres qu'on eût vu jufques alors , tant par rapport au peu de Troupes du Duc de Farme qui n'avoit en tout que douze-mille hommes, que par cette Digue fameufe par laquelle il ferma le Port de la Ville, & par le Pont qu'il fît jetter fur YEfcaut. Depuis ce terns-là, Anvers efl demeurée fous la domination de la Maifon d'Autriche , jufques à la mort du Roi d'Efpagne Charles IL Alors elle fut obligée de recevoir Garnifon Françoife au nom de Philippe V, que l'Electeur de Bavière Gouverneur des Pays-Bas reconnut pour Roi d'Efpagne. La Bataille de Ramelies remit Anvers & une partie des Pays-Bal fous la puiflance de l'fmpereur. Pendant la Guerre qui fè faifoit pour la Monarchie d'Efpagne , il fe donna une Bataille dan* le v^ifinage d'Anvers , près du ViHage d'Eteren 3 pour laquelle les deux Partis chantèrent le Te-Deum. Je partis t Voyez, le Taroc III. des Lettres, page ^ Bruxel- gens de qualité du Pays y viennent or> les. dinairement paifer l'Hiver , 6c il y a peu de Familles de confiner ation qui n'y aient un Hôtel. Le Palais Royal eft fort grand : les a-partemens en font beaux , quoique très anciens. Ce Palais eft fort élevé au-def-fus de la Ville : il eft iîtué fur une Colline , ce qui lui procure une vue magnifique & très diverfifiée par les Jardins & le Parc qui joint le Palais. Il y a dans ce Parc plufieurs promenades très agréables , ornées de belles Grottes & de plufieurs Fontaines. La Maifon de Ville eft encore un très beau bâtiment. Elle eft lituée fur une Place entourée de magnifiques maifons , bâties après le bombardement que les François firent de Bruxelles, fous les ordres de Mr. le Maréchal de Vitleroy. Ce Quartier fut en particulier très endommagé ; mais au refte il en eft devenu plus agréable, par les maifons magnifiques que l'on a fub-ftituécs aux anciennes. , Je quittai Bruxelles pour paffer à Mons, Mom' Capitale du Hainaut. Cette Ville eft fi-tuée fur une Colline au bord de la petite Rivière de Trouille. C'eft une des plus fortes Places des Pays-Bas. Louis XlV l'affiégea en perfonne & la prit, en 1691'-elle fut rendue à l'Efpagne par la Paix de Ryfwyck j enfuite à la mort de Charles H-Roi d'Efpagne, elle retourna, aufli-bien que du Baron de Pollniti. 223 que tous les Pays-Bas , au pouvoir de la Mons» France. Mais enfin après la Bataille de Malplaquet , elle fut foumife à la Maifon d'Autriche. Il y a dans cette Ville une célèbre Abbaye de Religieufes : c'eft une retraite très honorable pour des Filles de condition qui fe trouvent fans parens, ou qui n'en veulent pas dépendre. Elles font habillées le matin en Religieufes pour affilier à rOfficc , 6c l'après-dînée en De-moifelles : elles ne font aucun Vœu. De Mons je me rendis à * Valën- Vâlen-ciennbs. Cette Ville fait partie du Hai-ciennes* vaut, ôc elle eft la première de la Flandre Françoife. On voit dans fes belles fortifications , la même magnificence qui a toujours été obfervée dans tous les ouvrages conftruirs fous le Règne de Louis XIV, Ce Monarque afliégea Valenciennes en perfonne en 1677 , ce après l'avoir prife d'aflàutj il y fit conftruire une forte Citadelle aux dépens des habitans. Cette Place avoit déjà été affiégée par les Maréchaux de Turenne Ôc de La Ferté, l'an 1656 : mais Dom Jean d'Autriche Gouverneur des Pays-Bas, accompagné du Prince de Condé qui pour-lors portoit les armes contre fon Roi , leur fit lever le Siège. Le Maréchal de La Ferté fut fait prifonnier dans cette expédition. Le feu Electeur de Cologne demeuroit à • Voyez le Tgme III. dc« Ltttrtt,, page lia* V/len- à Valenciennes, lorfque j'y parlai : les évè-ciennes. nemens de la Guerre l'avoient obligé de ?uitter fes Etats. Je fus préfcnté à ce rince par Mr. le Prince de Tingri, S. A. E. me fit un accueil des plus favorables : elle fe fouvint d'avoir connu mon Père ; & je vis bien , dans le cours de la convention , que ce Prince auroit bien autant ibuhaité être dans fa Ville de Bon», que dans une Place de France. Je reliai trois jours Walenciennes ,après lefquels.je partis pour me rendre à * cam- Cambra y. Cette Ville eft Capitale du brav. Cambrefts , & une des plus fortes Places de l'Europe. On lui donne une origine très ancienne : quelques Auteurs prétendent que Camber Roi des Sicambrcs en fut le Fondateur. Les Rois de France , l'aiant conquife , en furent maitres très longtems. Après la mort de Charles le Chaw ve, elle fut pendant quelque tems un fujet de Guerre entre l'Empereur , le Roi de France & les Comtes de Flandre : ces derniers s'en emparèrent, & les Empereurs la déclarèrent enfuite Cité libre de l'Empire. François 1. Roi de France lui accorda la Neutralité ; mais l'Empereur Charles-fjumt s'en rendit le maitre. Depuis, pendant les révolutions des Pays-Bas, elle tomba fous la domination du Duc * Voyez le Tome III. des Ltttru, p. Duc à'Alençon Frère de Henri HT. Ce Ca Duc la remit aux François, par un Trai- bray. té qu'il conclut avec Jean de Mont lue, que le Roi Henri IV fit enfuite Prince de Cambray. Les Efpagnols peu de tems a-près furprirent cette Place & s'en rendirent maitres; elle leur demeura jufques en 1677, que Louis XIV la fournit à fon 0-béiffance. Elle eft reftée à la France , Se cette Couronne en a augmenté coufidéra-blement les fortifications. Cambray a titre d'Archevêché : il fut érigé en 1559 par le Pape Paul IL à la prière de Philippe IL Roi d'Efpagne. On donna pour Sufffagans à cette Métropolitaine, les Evêchés d'Arras , Tourtiay , S. Orner & Namur , anciennement Suffragans de l'Eglife de Reims. L'Archevêque prend le titre de Duc de Cambray, Comte du Cambrefis & Prince du S. En/pire. Ce-lui qui en étoit Archevêque dans le tems que j'y paffai , étoit l'illuftre Mr. de Fe-nelon} Prélat auffi recommandable par fa piété , que par la délicateffe de fa plume. L'Archevêque d'aujourd'hui eft Fils-naturel du feu Duc d'Orléans Régent, il étoit auparavant Evêque & Duc de Laon. Ce Prélat répond parfaitement aux grandes ef-Pçrances que fes bonnes qualités avoient **it concevoir dès fa plus tendre jeuefîê. ^ a fuccédé dans cette Dignité au fameux Cardinal Dubois, Miniftre de France. J'oubliois de vous dire, que la Ville de Tome L P Cam- Cam- Cambray eft encore très célèbre par la fa-bhay. rneufe Ligue qui fut conclue entre le Pape , l'Empereur Maximilicn 3 Louis XII Roi de France , 6c Ferdinand Roi d'Ar-ragon, contre la République de Venife. De Cambray , je paflui par S. Qiten-tin^EN* T1N* ^ecte ^u'e e^ Capitale du Verman-dois : elle cit célèbre par la fameufe Bataille de S, Quentin ou de S. Laurent, ainfi nommée parce qu'elle fut'donnée le 10 d'Août en 155?. La Trêve aiant été rompue entre le Roi de France Henri II. ôc Philippe II. Roi d'Efpagne , Phi/ibert-Emanuel Duc de Savoie , Gouverneur des Pays-Bas , aiïiégca la Ville de S. Quentin , qui étoit dégarnie de Troupes , ôc du refte en très mauvais état. L'Amiral de Coligny fe jet-ta dedans avec quelques Troupes , ce qui donna le tems au Connétable de Mont' morevey de paffer la Somme avec l'Armée Françoife qu'il commandoit , pour jetter dans la Ville quelque fecours. Cela fut véritablement exécuté, mais avec tant de précipitation, qu'à peine y entra-t-il cinq-cens hommes. Le Connétable voyant venir les Efpagnols , ôc d'ailleurs fes Troupes étant embarrafleesd'équipages, voulut lè retirer y mais le Duc profitant de fon embarras, le furprit entre les Villages $F.fltgny ôc de Rizerolles , Ôc le chargeai! brulquemcnt, qu'il n'eut pas le tems de donner les ordres pour la Bataille. Le Connétable ôc fon Fils furent faits prifonniers, avec avec un grand nombre de perfonnes de s Que^-coniidération. Le nombre des morts fur- tin. paifpit encore celui des prifonniers • on trouva parmi eux , Jean de Bourbon Duc à'Anguien Prince du Sang Royal, ôc plus de 600 Gentils hommes. Les Efpagnols ne perdirent qu'environ cent hommes. Philippe il., en reeoiMioiffanee de cette Vidoire, fît le magnifique vœu qu'il a exécuté depuis , de bâtir le Monaltère de S. Laurent de l'Ljïurial : ce qui fit dire à un Ambafladeur de France à qui on faifoit voir ce fuperbe édifice , qu'il faloit que Philippe eût eu grand' peur , pour faire un vœu aulîi confidérable. Après la Bataille , S. Quentin fe rendit aux Efpagnols, qui l'ont gardé jufques à la Paix de Ca-teau-Cambrefis en 1559. De S. Quentin je me rendis à CoM- Compie* piegne, Ville du Diocèfe de Soifons. gne. Elle eft fituée au Couchant de YOyfe ôc de Y Ai/ne. Cette Ville a été caufe de la prife de la fa meufe Pucelle d'Orléans. Cette illuftre Guerrière voulant fecourir Compiegne ,que les Anglois avoient deffem d'affiéger, eut le malheur de tomber entre leurs mains: ils la conduifirent à °û ils la firent brûler comme Sorcière. Ce fut dans le Château de Compiegne que *e Cardinal de Richelieu tint prifonnière Pendant quelque tems la Reine Marie de ■Mfdicls ; mais cette Princefle trouva le saoyen de s'en fauver & de fe retirer en P z Flan.- Comhe- Flandre. J'ai eu l'honneur de vous dii"fc gne. ci-deffus, que cette Reine infortunée é-toit morte à Cologne. Ce même Château a auffi fervi de demeure pendant quelque tems à l'Electeur de Bavière, lorsque les armes viétorieu-fes de l'Empereur privoient ce Prince de fes Etats. S. A. E. y tenoit une Cour fort brillante, qui ne fe relfentoit nullement de fa disgrâce, il y a auprès de Compiegne une Forêt allez étendue , qui rend les environs de cette Ville très a-gréables. Cette Forêt eft entrecoupée par de belles Routes,qui la rendent très commode pour la Chaife. De Compiegne à Paris il n'y a point de Sênus Flace conlidérable que Senlis, qui ne l'eft, après tout, que par fon Evêché: car excepté la fituation, qui eft allez a-gréable à caufe du voifinage de la belle Forêt de Chantilly, Senlis eft fort peu de chofe. On voit près de cette Ville l'Abbaye de N. D. de la Vicloire, que Phi* lippe-Augufte fit bâtir en reconnoiffance de la Bataille de Bouvines , qu'il gagna en perfonne contre l'Empereur Othon IV &c lès Confédérés, le dimanche 27 Juillet 1215. Le même jour , fon Fils gagna une autre Bataille en Anjou contre les Anglois. On prétend que les deux Cou-riers qui portoient la nouvelle du gain de la Bataille d'une Armée à l'autre,' le ren- rencontrèrent à l'endroit où eft aujour- sknlis. d'hui l'Eglife de cette Abbaye. Entre Senlis &z Paris, on voit la petite Ville de S. Deuys, célèbre par la ma- S. De-gnifique Abbaye, qui lui donne fon nom. KYS< C'eft dans cette Eglife que font les Tombeaux des Rois & Fils de France- On y voit des Maufolées d'un riche travail. Il y aauflîun Tréfor,qui renferme quantité de Pièces très curiéufes. L'Abbaye de S. -Denys a auffi donné fon nom à la grande Plaine dans laquelle elle eft iituée. Ce fut dans cette Plaine que fe donna la fameufe Bataille entre les Catholiques & les Huguenots, fous le Règne de Charles IX. Le Connétable de Montmorency âgé de 83 ans, qui commandoit les Catholiques, y fut bleflé , & remporta la Vi&oire contre les Hérétiques. En fortant de S. Denys, j'eus enfin le plaifir de voir ce que je fouhaitois paf-fionnémcnt depuis longtems , je veux dire la fameufe Ville de * Paris. Ce Paris. fut au commencement de 1712, que j'y arrivai. Je ne fais point difficulté de l'ap-peller la première Ville du Monde, comme elle eft la Capitale du premier Royaume de la Chrétienté. L'étendue de fon enceinte, la beauté de fes bâtiraens, ia multitude de fes habitans, l'abord con- ti- „ ! Y°y€z le Tome II. des Ltttrtt, pae. ,qo iur. V« U p. m, d»Tome III. *B ^" ' Tabis. tifiuei & le féjour qu'y font les Etrangers, la variété & l'abondance de toutes fortes de commodités, la rendent la plus belle Ville dé l'Uhivers,& là font regarder avec raifon comme l'ornement, l'ame & la force de l'Empire François. Je ne voulus Cependant point m'arrêter d'abord dans cette Ville- j'avois trop envie de voir le Vfr. fameux' Château de VeRsaillks, il sailles. renommé dans toutes les Cours étrangères. Je m'étùis fait une ft grande idée de ce-Château , & j'étois fi perfuadé que tout y devoit être d'or 6c d'azur, qu'au premier coup d'ceil je ne fus pas frappé de la beauté. L'entrée de Vetfailles tn arrivant de Taris, nehri eft point avan-ta;;eufe, quoiqu'on y arrive par une Avenue de;- plus magnifiques ; mais lorsqu'on eft arrive au Château,-6c qu'on le tourne vers cette grande Avenue, les deux l'a* perbes Ecuries au milieu desquelles elle le trouve, forment un ipecl:acle qui donne une grande idée du Maitre de ces fomp^ tueux édifices. La face du Château qui donne fur les Jardins <, eft la plus belle: C'eft de ce côté là qu'eft la fuperbe Gal-lerie qui fait l'admiration de tous les E-trang£rs. Ce qui m'a cauic le phia d'é-tonnement à Vcrfailles , ce font les dedans du Château : car à les bien examiner, on peut dire que ce font plufieurs Châteaux joints enlemble; La Famille Roya- Royale, qui étoit encore affez nombreufc dans cette année,y étoit logée fort à ion aife : chacun avoit une Salle des Gardes, une Antichambre, une Chambre, une Chambre de Ut, un grand Cabinet, *s plus agréables, fans cependant corr-tenir à beaucoup- près autant de richef-fes que ceux de Verfailles. La grande Cafcade , qui eft toute de marbre de différentes couleurs , forme un afpeér, fuperbc. Lorfqu'on eft au haut de cette Cafcade, ôc que l'on fc tourne du côté de la Maifon, on découvre tous les Jardins, avec une Campagne, a travers ^quelle cm voit ferpenter la Rivière de qui préfente d'un côté le Chùtcaut Germain en Laie , ÔC de Pautre le -hateau de Maifons qui appar Lient auPré- fi- 2\6 Mémoires- fident de ce nom; ce qui forme un point de vue admirable. Louis XIV fe plaifoit à Marly: il s'y dépouilloit volontiers d'une partie de fa grandeur , & il faifoit l'honneur à bien des Dames de qualité de les faire manger avec lui. Voilà, Madame , un léger crayon du fameux Château de Ver failles, &c de fes environs. Je n'ai point cru qu'il fût à propos de détailler ici fcrupuleufement les beautés que l'on découvre à. chaque pas que l'on fait dans ce magnifique Palais: vous en avez fans doute lu la defcription allez, exacte qui en a été faite dans des Livres imprimés à ce fujet. Je vais à préfent vous dire deux mots des Princes & PrincelTes de la Famille Royale. Je ne vous parierai point de l'augufte Chef de cette illuftre Famille ; il faudroit une plume plus formée que la mienne pour traiter avec la dignité qui convient, un fujet fi relevé. Tout ce que j'aurai l'honneur de vous dire de Louis XIV, c'eft que fi la bonne mine eût dû décider de la Couronne de France, ce grand Prince y eût eu de ce côté autant de part que du côté de la naiffance. 11 é-toit déjà avancé en âge , lorfque j'eus l'honneur de le voir en 171a; & il avoit cependant encore plus grand air qu'aucun homme de fon Royaume. Mr. le Duc de Bourgogne , devenu Dauphin de France après la mort de fon Pc- Père Fils de Louis XIV, que la petite vé- Vérole avoit enlevé en peu de jours dans ion «ailles. Château de Meudon Tannée d'auparavant, étoit le premier Prince du Royaume a-près le Roi. Ses grandes qualités raifoient efpérer un Règne très heureux : dévot, fans rien négliger de fes devoirs de Prince , il favoit allier le recueillement du Cloitre avec le tracas de la Cour; 6c toujours appliqué à la grande affaire de fon Salut, il croyoit cependant,Se avec raifon, que l'application aux affaires de l'Etat devoit entrer dans fes exercices de piété. Il avoit époufé une Princeffe , qui par fes grandes qualités auroit fait le bonheur des François, fi une mort prématurée ne l'eût enlevée à la fleur de fon âge. Elle s'appel-^ loit Marie Adélaïde de Savoie. Je puis vous affurer, Madame, que je n'ai jamais vu de port plus noble ôcplus majeffueux, que celui de cette Princefle. Plufieurs Dames qui avoient l'honneur de la voir dans le particulier, m'ont afîuréqu'on ne pouvoit avoir plus d'efprit ni plus d'enjouement. Sa grande jeuneffe lui failoit rechercher les plaiiirs ; mais cependant, fans jamais perdre fes devoirs de vue. Elle a-Voit pour le Roi un refpect & des attentions extraordinaires. Tous les foirs elle fc rendbit chez Madame de Maint enon, aux heures que le Roi y étoit, 6c après la tenue du Confeil, elle employoit tout Cc que l'enjouement de fon efprit pouvoit imaginer j pour Tarnufer- Cette Princeffe avoir aufli des attentions particulières pour le Dauphin fon Epoux; ôt comme ce Prince ne manquoit jamais ni Meffe , ni Vêpres, ni Salut, Madame la Dauphi-ne l'y accompagnoit toujours, & ne falloir point difficulté de faire céder fes plai-iirs à fon devoir. Peu après mon arrivée à la Cour de France, ces deux ih'uilrcs Epoux moururent à peu de jours l'un de l'autre. Ce fut Madame la Davphhie qui la première paya le tribut à la Nature. Cette Princefle tomba malade à Verfailles ; bien-tôt le Pourpre fe déclara, & enfin fa maladie paroiffant desefpérée , on lui fit annoncer qu'il faloit fe préparer à la mort. Elle eut bien de la peine à s'y réfbudre,' on ne renonce pas volontiers à une vie délicieulè, Soutenue par l'efpérance de pofféder biemtôt une des premières •Couronnes du Monde. Cette Princefle mourut presque entre les bras de Madame la Duchcflè d'Orléans, qui ne la quitta point pendant toute la maladie. Madame la Dauphin* avoit demandé que cette Princefle demeurât auprès d'elle. Le Roi fut fenliblement touché de cette mort ; il partit l'inltant d'après pour Marly, où Mr. le Dauphin le fuivit. Ce Prince , connoiflant le prix de l'Epoufe qu'il venoit de perdre, s'abandonna à fa douleur ; il itoeiba malade? prefque auffi- du Baron de PÔllnit£ 2^ tôt qu'il fut arrivé à Marly, de la même ver-»' maladie dont la Princefle fon Epoufe ve- sailles. noit de mourir. Il reçut l'arrêt de fa mort avec une fermeté vraiment Chrétienne ; Ôc dans le fort de là maladie, on lui entendent affez. fouvent faire cette prière : Mon Dieu, fauvez. le Roi & l'Etat ! La veille de fa mort, fur le foir , il eut une extrême envie d'entendre la Méfie : on eut bien de la peine à lui faire entendre que les règles de l'Eglife ne permettoient pas de dire la Meffe à l'heure qu'il étoit. Comme il neceffoitde la demander, auffi-tôt que l'on eut entendu minuit fonner, on dit la MeiTe dans fa chambre fur un Autel que l'on avoit dreflé au pied defba Ut. Depuis le moment de l'élévation, Mr. le Dauphin fut fort tranquille , il ne ceilà de prier Dieu; jufques à ce qu'enfin fes forces diminuant de plus en plus, il Courut. Cette mort arriva le 18 de Février 171a, fix jours après celle de Madame la Dauphine, Le Roi eut befoin de tout fon courage, pour fbutenir tant de malheurs coup fur coup. La Famille Royale étoit dans la dernière confternation. On voulut per-fuader au Roi de s'éloigner pour quelque tems , afin de changer d'air ; mais il répondit avec fermeté , qu'il étoit par-tout etitre les mains de Dieu, Ôc qu'ainfi il Vouloit demeurer où il étoit. Bientôt auprès , ce grand Prince eut, encore un nou- nouveau fujet de douleur , dans la nouvelle qu'il reçut de la mort de Mr. le Duc de Bretagne , déclaré Dauphin depuis la mort de ion Père. Ce jeune Prince mourut à Ver failles le 8 Mars 1711 , âgé de cinq ans. 11 n'y eut jamais de fpcdiracle plus trille , que celui d'une Pompe funèbre que l'on vit cette année fervir en môme tems au Père. à la Mère , ôc au Fils. Il ne reftoit de cette augufte Tige que Mr. le Duc à,A?ijou, aujourd'hui Louis XV. La lanté languilîante de ce Prince, encore enfant, faifoit appréhender qu'on ne le perdît bientôt : il tut alors malade au point, que les Médecins .defeipérèrent de la guérifon. Cependant, il reprit in-fenfïblement des forces, ôc les François voyent aujourd'hui le jeune Monarque jouir d'une fanté plus vigoureufe, que la délicateflè de fon enfance ne permettoit d'efpérer. Je crois qu'ils en font redevables aux grands foins que Madame la Ducheffe de Vantadour a pris de ce jeune Prince. Cette Dame avoit été chargée de fon éducation j ôc elle s'en acquittoit avec tout le zèle d'une perfonne qui connoif-foit le prix du précieux dépôt qui lui étoit confie. Le plus près du Trône après ce jeune Prince, étoit Mr. le Duc de Berry, Frère de Mr. le Duc de Bourgogne. Ce Prince étoit beau de vifage , ôc un peu gros pour fit/ Baron de Pôlln/itz. Sff pour fon âge : il faifoit fa principale oc- ver-cupation de la Chaffe, au retour de la- saille* Îuelle il venoit jouer chez Madame k )uchefTe de Berry fon Epoufe. Cette Princeffe tenoit les Apartemens, depuis la mort de Madame la DucheiTe de Bour* gogne. Le dernier Prince de la Maifon Royale étoit Mr. le Duc ^Orléans , depuis Régent du Royaume. J'aurai occaûon de Vous parler de ce Prince , lorfqu'à la mort de Louis le Grand , il s'agira du Gouvernement du Royaume, pendant la Minorité du jeune Monarque. Le« premiers de la Cour après les Princes de la Maifon Royale, étoient les Princes du Sang. Le premier étoit Mr. le Duc de Chartres , aujourd hui Duc d'Or-teans par la mort de fon Père, Régent de France pendant la Minorité de Louis XIV. Mrs. le Duc de Bourbon, les Comtes de Charolois & de Clermont , compofoient la Branche de Co?idé. Le premier de ces Princes, que l'on nomme iïmplcment Mr. Duc, avoit le port haut, la taille très droite & extrêmement dégagée, Il a eu le malheur de perdre un œil à la Chaffe : du menu plomb qui écarta d'un coup de *ufu que Mr. le Duc de Berry tiroit fur du gibier , a été caufe de cet accident. Les deux autres Princes étoient bien *aits , & très beaux. Comme ils étoient «ncore très jeunes, Us étoient, aufli-bien "Tome L Q que vjEti- que Mr. le Duc de Chartres, entre les ■ailles* mains de leurs Gouverneurs. Mr. le Prince de Conty, Fils de celui qui avoit été élu Roi de Pologne, étoit le ièul Prince de la féconde Branche de Bourbon. Voilà, Madame3 quels étoient les Princes quicompofoicnt alors la Cour de France. Je vais avoir l'honneur à préfent de vous parler des Princeflès, félon leur rang. Je les diftingue, comme les Princes, par les qualités de Princeffes de la Maifon Royale, & de Princeffes du Sang. La première Princefle de la Maifon Royale étoit Madame la Dauphme, dont j'ai çu l'honneur de vous parler. Après Madame la Dauphins , c'étoit Madame la Ducheffe de Berry qui avoit le premier rang. Cette Princefle étoit Fille de Mr. le Duc cYOrUans, depuis Régent. Elle tenoit beaucoup de ion Père, pour Pefprit, 6c fans un peu trop d'embonpoint, elle auroit été une des plus aimables Princeflès de toute la Cour, j'aurai occahon de vous faire connoitre le c** raétère de cette Princeffe. Madame, féconde Femme de ThiiïfPc d'Orléans Frère de Louis XIV, étoit la troifième Princeffe de la Cour, du vivant de Madame la Dauphine. Cette Princefle *'appciloir Elizabeth-Charlotte de &êPJe' re : elle étoit Fille de l'Eleftcur Charles-Louis y & de Charlotte de Heffè , ôf 13 dernière de cette illuffre Branche de la vi«-Maifon Palatine. L'affiduité avec laqucl- saillir le j'ai toujours fait ma cour à cette Princefle , à qui d'ailleurs j'étois bien recommandé par Madame l'Eledtrice de Hanover Mère du Roi d'Angleterre , me met en état de vous rapporter quelques particularités qui vous en donneront une juftc idée. Cette Princeffe étoit très affable , accordant cependant affez. difficilement fà prote&ion. Elle parloit beaucoup, & partait bien : elle aimoit fur-tout à parler la Langue naturelle, que près de cinquante années de féjour en France n'ont pu lui faire oublier; ce qui étoit caufe qu'elle é-toit charmée de voir des Seigneurs de fa Nation , & d'entretenir commerce de Lettres avec eux. Elle étoit très exadte à écrire à Madame l'Eleéfrice de Hanover , & à plulieurs autres perfonnes en Allemagne. Ce n'étoit point de petites Lettres qu'elle écrivoit ordinairement, elle rempliffoit fort bien vingt à trente feuille de papier. J'en ai vu plufieurs qui au-roient mérité d'être rendues publiques ; je n'ai rien vu de mieux écrit en Allemand. Auffi cette Princeffe ne faifôit-elle qu'écrire du matin au foir. D'abord après fon lever, qui étoit toujours vers les dix heures, elle fe mettoit à fa Toilette, de & elle paffoit dans fon Cabinet, où après *voir paifé quelque tems en prières , elle Q..2 fe fe mettoit à écrire jufques à l'heure de fa MefTe. Après la Meffe, elle écrivoit encore jufques au dîner , qui ne duroit pas longtems. Madame retournoit enfuite é-crire, ôc continuoit ainfi jufques à dix heures du foir. Vers les neuf heures du foir, on cntroit dans fon Cabinet : on trouvoit cette Princeffe affifc à une grande table ôc entourée de papiers : il y avoit une table d'Hombre auprès de la fienne , où jouoient ordinairement Madame la Maréchale de Clérembault , ôc d'autres Dames de la Maifon de cette Princeffe. De tems en tems , Madame rcpardoit jouer, quelquefois même elle confeilloit en écrivant; d'autres fois elle entretenoit ceux qui lui faifoient la cour. J'ai vu une fois cette Princeffe s'endormir , ôc un infiant après fe réveiller en furfaut, ôc continuer d'écrire. Voilà , Madame , quelle étoit la vie ordinaire de Madame, lorfqu'elle étoit à Verfailles. Quelquefois cependant elle fuivoit le Roi à la Chaffe, habillée en A-ïnazone , ou bien elle alloit à l'Opéra. Cette Princeffe aimoit beaucoup les Spectacles ; ôc après la mort de Louis XIV, la Cour étant venu demeurer à Paris, elle faifoit jouer fouvent les Comédiens François Ôc Italiens fur le Théâtre du Palais Royal. Pour ce qui étoit du rang, jamais Princeffe ne l'a mieux foutenu que Madame. Elle étoit de la dernière exactitude à fè fai- faire rendre ce qui lui étoit .dû. De fon v*n-côté , elle rendoit à chacun les honneurs sailles* qui leur appartenoient. Je l'ai entendu u-ne fois parler bien vivement à ce fujet à Madame la Ducheffe de Berry , & apurement il n'y avoit que Madame qui pût le prendre fur ce ton avec cette Princefle. C'étoit pendant la Minorité àeLtuis XK Madame la Ducheffe de Berry vint fur le foir chez Madame, en écharpe. A-prcs qu'elle y eut été une demi-heure, elle demanda à Madame de Mouchy quelle heure il étoit. Madame demanda à Madame la Ducheffe de Berry , ce qu'elle difoic à Madame de Mouchy. Cette Princeffe lui répondit , que voulant aller aux Tuileries , elle demandoit quelle heure il étoit. Comment aux Tuileries ? dit Madame ; vous allez donc vous promener aux flambeaux ? Effectivement, il étoit pref-que nuit. Non Madame , dit Madame la DuchelTe de Berry , je vais chez, le Roi. cbe& le Roi ! répliqua Madame : de gra~ ce , permettez-moi de vous en témoigner ma forprife. Chez le Roi, Madame , habillée comme vous êtes ! Je crois que vous favez, *r°p ce que vous lui devez. N"en faites ri€l*, Madame, je vous en prie \ rendez au ^°i les rejbstls que vous lui devez , & al°rs vous ferez en droit de vms faire rendre dun chacun ceux qui vous font dus. Madame la Duchetle de Berry , à qui Ce difeoura ne plaifoit point , voulut y re- Q 5 pu- v»*- pHquer : mais Madame l'interrompit &luf juii4.es. dit : Non, Madame, rien ne peut vous en excufer : vous pouvez, bien vous habiller le peu fouvent que vous allez, chez le Roi, puif-que je tu habille tous les jours, mot qui fuis votre Grand-mère. Dites naturellement que c'eft la parejfe qui vous empêche de vous habiller ; ce qui ne convient ni à votre âge, ni à votre rang. Une Princeffe doit être vêtue eH Prmceffe, <& une Soubrette en Soubrette. Me. la Duehefïe de Berry , peu accoutumée à recevoir des mercuriales, fut extrêmement choquée de ce difeours. Elle fit alors } ce quelle avoit coutume de faire lorfqu'el-le entendoit quelque chofe qui lui déplai-foit, ôc que les bienféances ne lui per-mettoient pas de relever avec une certaine hauteur : elle fe leva , fit une profonde révérence 6c fbrtit. Madame le remit à écrire , fans difeontinuer de parler fur ce même fujet, 6c toujours avec émotion. Elle dit, en regardant tous ceux qui étoient préfens : Mais ai-je tort de parler ainfi à Madame de Berry ? Qu'en dites-vous ? Vous jugez, bien , Madame» que tout le monde garda un profond fi-lence ; 6c comme elle continuoit à parler toujours fur le même ton , ce qui emba-raffbit fort tous ceux qui étoient dans le Cabinet , Madame ia Princeffe de Conty entra; ce qui fit changer la converfation. Depuis la mort de Louis XIV, Madame avoit fuivi la Cour à Paris : elle y de- meu- meuroit en Hiver, & elle paffoit ordinal- virement la belle iaifon à 5. Cloud : de là n&ftht» elle venoit allez fouvent chez le Roi,elle affiftoit au Spectacle , ôc s'en retournoit le loir à S. Cloud. Elle avoit alors avec elle Madmoifèlle, aujourd'hui Abbeffe de Chelks , Ôc Mlle, de Valois , aujourd'hui Princeffe de Modem. Les autres Princeffes fes Petites-filles demeuraient à Parts auprès de Madame la Ducheffe d'Or-léans leur Mère. Cette Princeffe , quoique Mère de Madame la Ducheffe de Berry, n'avoit le pas qu'au-deffous d'elle, elle n'avoit même que le pliant chez fa Fille , pendant que cette PrinceiTe avoit le fauteuil. Madame la Ducheffe d'Orléans étoit la dernière de la Maifon Royale. La première des Princeffes du Sang c-toit la Princeffe Douairière de 'Coudé, Aline Palatine de Bavière , Fille d'Edouard Prince Palatin du Rhin. On l'appclloit Amplement Madame la Princeffe. Elle de-meuroit ordinairement à Paris , où elle menoit une vie très édifiante , par fa piété exemplaire , ôc les grandes aumônes qu'elle faifoit. Elle y eft morte le 23 Fét vrier 1723, âgée de 7 c ans. Madame la Princeffe étoit Mère de Mr. ^c Duc de Bourbon, mort en 1710. Ce Prince avoit époufé Eouife -Francoife de Bourbon , Fille légitimée de Louis XIV. Je puis vous afïurer , Madame , que c>étoit une des plus belles Princeffes de la .0.4 Cour; Ver- Cour, & quoique déjà Mère de huit Erw «ajlLes. fans ^ îj £lQlt beaucoup plus naturel de croire qu'elle en étoit Sceur. Ellejoignoit à tant de beauté , ces grâces qui lui font encore préférables ; & toutes ces qualités extérieures étoient foutenues par un air & un port plein de majefté, qui infpiroit autant de refped pour cette illuff re Princeffe,, que fes manières affables & obligeantes lui attiraient de cœurs. Elle avoit d'ailleurs un efprit vif & brillant, toujours ftire de plaire, foit qu'elle rendît au mérite les louanges qui lui étoient dues, foit que par une raillerie fine elle fît fentir le ridicule qui, malgré le bon goût du Siècle , eût peut-être fait fortune chez le Courtifan toujours flatteur. Après cette Princeffe, le rang appartenoit à Madame la Princeffe de Conty, première Douairière. Elle étoit Fille légitimée de Louis XIV. L'air , la taille , la beauté de cette Princefle ont fait tant de bruit dans le monde , que je crois, Madame , que vous n'ignorez pas qu'elle a paflé pour la plus belle perfonne du Royaume ; & véritablement, quoique d'un âge affez avancé, elle a encore un air de majefté & de modeftie qui tient de la grandeur de fon Père , & de la piété exemplaire des dernières année.' de fa Mère. Depuis la mort de Monfeigneur le Dauphin Fils de Louis XIV, cette Princeffe étoit fort retirée, de forte que je ne l'ai vue vue nulle part ailleurs que chez Madame ; Vek< & depuis la mort du Roi} elle ne paroît saille»» prefque plus. Madame la PrinceiTe de Conty, féconde Douairière, eft née PrinceiTe de Condé. Efle eft Mère de Mr. le Prince de Conty, de Mademoifelle de Conty morte Ducheffe de Bourbon, & de Mademoifelle de la-Roche-Sur-Ton. On peut dire que cette Branche de Bourbon a été bien partagcedu côté de l'efprit èc de la vertu. Madame la DuchelTe du Maine, Ôc feue Madame la Duchefïe de Vendôme, étoient Sceurs de Madame la PrinceiTe de Conty, féconde Douairière, & filles de Henri-Jules Prince de Condé, & de la PrinceiTe Palatine dont j'ai eu l'honneur de vous parler. Madame la Ducheffe du Maine eft une PrinceiTe d'un vrai mérite , & de beaucoup d'efprit. Elle ne dément en rien l'illuffre Sang de Condé, Elle vivoit avec plus d'éclat qu'aucune Princefle de Fran-Ce- Elle demeuroit ordinairement à Seaux, Château magnifique peu éloigné de Paris} fc un des plus beaux que j'aye vu , tant Pour la commodité des Apartemens qui d'ailleurs (ont richement meublés , que P°ur la grandeur du Parc, dans lequel on ^marque, tant en Bofquets qu'en Statues de rnarbre & de bronze, une agréable va-rieté , qui prtlènte aux curieux toujours quelque chofe de nouveau. On peut dire 0,5 qu'a- A^xt- qu'alors les plaifirs avoient fixé leur de* Cilles, meure clans ce charmant endroit. De toutes parts on venoit fe rendre auprès de la Pnncellè , on quittoit avec plaifir la Cour ôc la Ville, fur de trouver à Seaux quelque cbofè de mieux entendu que les Spectacles ordinaires, ôt on n'étoit jamais trompé. Madame la Ducheffe du Maine avoit pour cela un goût exquis : elle at-moit les Beaux-Arts , Ôc lè connoiiToit mieux que perfonne à tout ce qu'on appelle Ouvrages d'efprit. Cette ilkiftre Princefle fe faifoit un plaifir de faire fouvent jouer la Comédie , ôc quelquefois même elle ne dédaignoit pas de fe charger d'un rôle, Le fameux Baron t & la Beauval, avoient fouvent ITion-» neur de jouer avec elle. Ceux qui ont pratiqué le Théâtre François , favent af-fez qu'un tel choix étoit une preuve bien marquée du goût de la Princeffe pour la bonne déclamation. La Comédie étoit ordinairement fuivie d'une partie de Jeu ; enfuite on trouvoit un magnifique fouper , après lequel on tiroit quelquefois un Feu d'artifice. Le pl<-lS fouvent il y avoit Bal, où le nombre des Mafques étoit toujours prodigieux. Cependant, il y avoit un fi bon ordre , que tout le monde y trouvoit des rafraichif* femens en abondance. Voilà, Madame, quels étoient les Princes Ôc Prkceffifc qui formoiem la Cour de France , lorfque j'y arrivai. J'ai cru qu'il étoit à propos de vous en donner une idée, avant que de vous parler de la conduite que je tins à mon arrivée dans cette Cour. Je me fis d'abord préfenter à Madame, à qui d'ailleurs j'étois recommandé par Madame l'Eleétrice de Hanover, Mère du Roi d'Angleterre. Cette Princeffe, qui avoit toujours confervé une inclination particulière pour les Allemans, me reçut a-vec encore plus de bonté qu'elle n'entémoi-gnoit ordinairement à ceux de cette Nation. Elle me fit l'honneur de me préfenter elle-même au Roi , un foir après le fouper de S. M, Ce Prince étoit dans fà Chambre de lit, avec tous les Princes & Princeffes de la Maifon Royale. Le Roi fe fouvint de mon nom, & il me fit l'honneur de me demander fi j'étois Fils d'un Potluitz qui avoit été à fa Cour delà part de l'Electeur de Brandebourg. Et fur ce que je lui dis que j'en étois le Petit-fils, il me dit : Vous meparoijjtez véritablement trop jeune pour vous croire fon Fils. S. M. me demanda enfuite , fi je demeurerais longtems en France. Je répondis, que j'étois fi charmé de me trouver aux pieds du plus grand des Rois , que j'aurais l'honneur de lui faire ma cour le plus longtems qu'il me feroit pofîîble. Le Roi parut fatisfait de ma réponfc ; il fe tourna vers Madame , Se lui dit en parlant de moi : 11 11 parle bien François. Il me fit enfuite ' l'honneur de me faluer , & me dit en fe retirant, qu'il fe feroit un plaifir de m'ê-tre utile. Le lendemain, Madame me préfenta à Mr. le Duc de Bourgogne Dauphin, & à Madame la Daitphine. Ces deux illuftres Epoux moururent quelque tems après, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire. Madame me fit encore préfenter à Mr. le Duc & à Madame la Duchefle de Berry, qui l'un 6c l'autre ne me dirent pas un mot. Je fus très bien reçu de Mr. le Duc ♦3c de Madame la Duchelîè d'Orléans. U étoit difficile de voir ce Prince fans l'aimer; fes manières affables, fou tenues de l'efprit le plus brillant 6c le plus orné, lui attachoient tous ceux qui avoient l'honneur de l'approcher. Ce Prince étoit très afïidu à faire fa cour, 6c il avoit auffi pour Madame des attentions pleines de refpeâ;. Il ne manquoit pas un feul jour de faire la cour à cette Princeffe : tous les fbirs il fe rendoit chez, elle à huit heures 6c demie , il y jouoit aux échecs jufques à l'heure du fouper du Roi : c'étoit pendant le Jeu feulement, que ce Prince etoit aflis; en entrant 6c en fe rcrirant, u baifoit toujours la main de Madame. La Cour de France, quoique très brillante par le nombre des Princes 6c Prin-ceifcs qui la compofoient, n'étoit cependant pas auffi gaie que je me lctois imagine. gîné. La vie que l'on menoit à Verfailles Ver-étoit la plus unie du monde : les heures du Roi étoient réglées , & qui avoit vu un jour, avoit vu une année. Le Roi fe levoit à neuf ou dix heures, les Princes ôc tous les Courtifans fe trouvoient à fon lever : après qu'il étoit habillé, il prioit à genoux fur un carreau de velours noir; il étoit entouré de fes Aumôniers, Se des Evêques qui fe trouvoient au lever, & qui étoient aulfi tous à genoux. La prière finie, le Roi paffoit dans fon Cabinet; quelquefois les Miniftres venoient lui parler d'affaires : en attendant, lesCoutifans fe promenoient dans la grande Gallerie. Le Roi y paffoit pour aller à la Meffe ; c'étoit alors que tous les Courtifans fe préfentoient pour être vus de S. M. Je n'ai jamais vu de Nation plus empreffée à faire là cour que la Françoife ; j'ai même vu plufieurs Courtifans,qui croyant avoir é-chapé aux regards du Prince, le devançaient dans une autre Salle , & cela jufques à ce que le hazard eût fait qu'il eût jette les yeux fur eux. Après la Meffè , le Roi rentrait dans f°n Cabinet ; quelquefois il tenoit Con-fefl i enfuite il dînoit feul. C'étoit enco-re pendant le dîner que l'on pouvoit remarquer le zèle des Courtifans à fe faire ^oir. Le Roi mangeoit de grand appétit > l» rne femble même qu'il mangeoit prodi-fiieufement. Son dîner duroit trois quarts d'heu- 254 Mémoires Vbr- d'heures. Il y avoit des jours qu'il y avoit SAiLhzs. Mulique. Après dîner le Roi defcendoit par un petit degré, «3c montoit en caroffe pour aller à la Chailc dans le Parc de Ver* failles, qui étoit rempli de petit gibier. Il revenoit fur la brune , & paffoit chez, Madame de Maintenon , où il ne fe trouvoit que peu de perfonnes de la vieille Cour. Ordinairement ce n'étoit que des Femmes, comme Madame de Caylus, parente de Madame de Maintenon, & Madame de Dangeau, qui jouoient au Berlan avec le Roi, lorfque les Miniftres ne s'y trouvoient pas ; car dans ce cas, au-lieu de jouer, on parloit d'affaires , «Se c'étoit là ordinairement que tout étoit réglé. A dix heures du foir , on avertiffoit le Roi Les Princes ôc Princeffes ne manquoient jamais de s'y trouver. Les Duchciïès é-toient placées derrière les plians des Princes, aux deux côtés de la table : les autres Femmes de qualité fe tenoient debout à la droite du fauteuil du Roi. S. M. lâ-luoit d'abord les Princes Ôc Princeffes, & toutes les Dames , ôc enfuite fe plaçoit dans fon fauteuil. Alors les Princes ôc Princeffes s'affeyoicnt, de même que les Du-chcfîès. Les Dames de qualité qui n'a voient pas ce titre , paffoient dans un Salon qui étoit tout proche , où elles étoient en liberté de s'alfeoir. Le fouper ne duroit pas plus longtems que le dîner : le Roi Y avoit fervi ; S. M. paffoit à table. par- parloit peu; quelquefois il adreflbic la pa- V*** rôle à Madame, ou à Madame la Duchef- S4*MeM* fe d'Orléans. Je ne l'ai jamais vu parler avec Mrs, les Ducs de Berry & d'Orléans, ni avec Madame la Ducheffe de Berry. Après le fouper, le Roi précédé des Princes paffoit dans fa Chambre de lit, où il trouvoit les Dames qui n'étoient pas Ducheffes : il les faluoit , & puis fe pla-Çoit du côté de la baluflrade qui étoit devant fon lit, où il demeuroit jufques à ce que les Princeflès & les Ducheffes fuf-fent entrées dans la Chambre. J'ai remarqué que les Dames de la vieille Cour fai-foient une profonde révérence au lit du Roi en entrant dans fa Chambre, ce que les jeunes Dames ne faifbient pas : plus fieres apparemment de leur jcuneffe & de leurs charmes , elles fe croyoient obligées à moins de refpecl:. Les Ducheffes qui ^voient affilié au fouper, étant entrées dans la Chambre du lit, le Roi les faluoit, de même que les autres Dames ; enfuite , Précédé des Princes & fuivi des Princeflès qui avoient loupé avec le Roi, il paffoit dans fon Cabinet, où les Princes & princeflès du Sang fe trouvoient auffi, S. M. s'entretenoit quelque tems avec elles : pendant ce tems-ià , les Ducheffes les autres Dames fe retii oient. Enfin le Roi congédioit les riivc,*s & Princef-Wj> & fe couchoiL Les Courtifans fe Partageaient aloj£. là plupart iërearountj quel- 1^6 M £ m o I R É s Veb- quelques-uns alloient au coucher de Mr. *au-LEs. Je J>uc de Berry, d'autres à celui de Mr. le Duc d'Orléans. Ceux qui failbient la cour à ce Prince , en étoient parfaitement bien reçus : pour moi j'y allois le plus iouvent qu'il m'étoit pofïibie , non pas tant pour faire ma cour à Madame, que par une inclination naturelle que j'avois pour ce Prince. C'eft ainfi , Madame , que le Roi paffoit la vie. Les Courtifans de leur côté n'avoient pas des plaifirs bien vifs ; le Jeu faifoit prefque toute leur occupation. On s'affembloit ordinairement chez Mr. le Prince d'Armagnac de Lorraine , Grand-Ecuyei'a où l'on jouoit les après-dînées. Les Etrangers étoient parfaitement bien reçus chez ce Prince , auffi-biefl que chez Mr. le Cardinal de Roban. Ce dernier vivoit avec une grande magnificence ; on voyoic chez ces deux Seigneurs, tout ce que la France avoit de plus diftingué. Font ai- Lorfque la Cour étoit à * Fontai-nebleau. n e b l e a u , elle étoit beaucoup plus gaie qu'à Ver failles: on peut dire qu'elle y paroi ffoit dans tout fon luftre. Fontainebleau n'eft cependant pas à beaucoup près fi magnifique ; mais il a un air de Château, que Verfailles n'a point. D'ailleurs, l'Art èc la Nature lemblent avoir travaillé de con> * Voyez le Tome II. des Lttttts, p. 38*. concert pour former les bâtimens magni- Fow-fiques, que plufieurs Monarques ont fait tainë élever à Fontainebleau : au-lieu qu'à Ver- BLEAU failles , il (emble que la Nature n'y entre pour rien , tout y eit artificiel, Ôc trop peigné. Peut-être ferai-je feul de mon fentiment, mais il m'a toujours paru que le magnifique y étoit trop général. Je me trouvai à Fontainebleau quelque tems après la conclufion de la Sufpenfion d'armes avec les Anglois. La nouvelle de la Paix que l'on étoit fur le point de conclure, ôc le gain de la Bataille de Df-. xain^ paroiflbient avoir rendu à la Cour cet ?ir de gaieté, que l'on n'y avoit point vu depuis plufieurs années. L'Eleéleur de Bavière y étoit alors. On jouoit chez Madame de Berry,&c chez le Duc iïAntin, un jeu qui ne fe rellèntoit point du tout des calamités publiques. La partie étoit de douze Coupeurs au Lanlquenet, qui commençoient d'abord aux quatre Louis, ôc qui fîniiïbient par des rouleaux de 100 Louis d'or. J'y gagnai un foir , en moins d'une heure, à la réjouifiance, 700 Louis : encore Madame la Ducheffe de la Ferté m'en efcamota bien une centaine, outre jio qu'elle m'emprunta ôc qu'elle ne m'a Jamais rendu. Peut-être crut-elle devoir fe payer ainfi de la peine qu'elle avoit bien voulu prendre de placer mon argent fur la table, le grand nombre des Dames qui Tome /. R l'en- Mémoire* Fon l'entouroient m'aiant empêché d'en ap-ta°ine- procher. bleau. Ce fut pendant le léjour que la Cour fît à Fontainebleau , que Mr. de S. Jean, depuis Mylord Bolingbroke, y vint pour régler la Paix, qui fut enfuite conclue à Utrecht. On lui fit une réception, telle qu'on l'auroit pu faire à un Souverain ; le Roi même avoit des attentions extraordinaires pour ce Miniftre. Je me trouvai un jour au dîner de S. M. où il devoit y avoir Mufique : dès qu'elle fe fit entendre, le Roi l'interrompit, & dit tout haut : On ni a dit que Mr. dè S. Jean dîne chez le Duc d'Antin; que ma Mufique y aille, <& qu'on lui dife que c'eft moi qui la lui envoie, & que je fouhaité qu'elle puijfe Vamufer. Vous jugez bien, Madame, qu'à l'imitation du Monarque , tous les Courtifans à l'envi l'un de l'autre s'empreffèrent à faire accueil au Miniftre Anglois, qui de fon côté méri-toit bien les attentions qu'on avoit pour lui-La Cour demeura encore quelque tems à Fontainebleau, après l'arrivée de ce Miniftre. Pendant tout ce tems, on ne fut occupé qu'à fe réjouir; les plaifirs fc fuc-cédoient les uns aux autres. Los Cbaffes fur-tout étoient de la dernière magnificence. Les Dames s'y trouvoient ou à cheval ou en calèche, à la fuite de Madame la Ducheffe de Berry & de Madame. Tant de belles Femmes à cheval, toutes habil-billées magnifiquement, le Roi en cale- du Baron de Polln itz. 2~() che, entouré de toute la Cour à cheval, Folles riches équipages de Chaffe, touç cela taine-formoit dans la belle Forêt de Fontaine- BLEAU* bleau un fpe&acle des plus fjperbcs. Les jours qu'il n'y avoir, point de Chaffe, le Roi (è promenoit en calèche ouverte autour du grand Canal ; les Dames l'accom-pagnoient, ôc on voyoit alors dans leurs habillemens tout ce que le bon goût Ôc la magnificence la plus grande pouvoit inventer de plus beau. Au retour de la promenade, il y avoit Comédie, ouAparte-ment chez Madame la Duchcfiè de Berry, où l'on jouoit au Lanfquenet. Dans la journée,quand onn'étoit point à la Chaffe , on fe voyoit chez Mr. le Grand,àc chez plufieurs autres Seigneurs. J'ai remarqué, que la plupart des Seigneurs étoient plus portés à faire honnêteté à Fontainebleau , qu'à f^ffaSllès: pour peu qu'on fut connu pour homme de condition \ on fourniflbit volontiers des chevaux du Roi pour la Chalïè; ce qui ne pratique guères qu'en France ôc en Lorraine. Quelquefois cependant j'ai vu faire la même choie à la (Jour de Baviè-r'•, mais peu fouvent. Après avoir fuivi la Cour pendant quelque tems à Ver failles ÔC à Fontainebleau, je me rendis enfin dans la fameufe Ville de Paris. Je n'y fut pas plutôt arrivé, Pab„ que j'eus une maladie confidérable, qui me mit à deux doigts du tombeau: jerne R 2 mis i6o Mémoire» Pari*. m|s entre les mains du fameux Hehftiu?} Médecin Hollandois. Cet habile homme me tira d'affaire en aflez. peu de tems ; ôc lorfque je fus en état de fortir, il me recommanda de me promener dans le Jardin du Luxembourg. C'eft l'endroit de Paris, où l'on prétend que l'on refpire le meilleur air. Je ne manquai point de me rendre aux ordres du Médecin -y & je remarquai que véritablement l'air que je refpirois dans ce Jardin m'étoit affez, falu-taire. Mais bientôt, il penfa m'être très pernicieux. Un matin que je m'y prome-nois, je vis venir de loin deux Damesen. deshabillé, qui avoient toutes deux grand air, & un port très noble. Elles prirent le chemin de la TerrafTe fur laquelle je me promenois. Je m'afïis fur un banc, pour les voir paffer. Je vous avoue qu'elles me parurent auffi aimables, que leur deshabillé étoit noble & galant. Lorsqu'elles paflèrent devant moi, il y en eut une qui par hazard laiffa tomber fon mouchoir : je le ramafTai aulïi-tôt & le lui préfentai. Elle le reçut avec beaucoup «le politefle. Je lui fis un compliment, auquel elle répliqua avec efprit. Peu à peu nous entrâmes en converfation , qui ne dura à la vérité qu'un quart-d'heure, mai* qui ne lailTa pas de me coûter cher : je devins amoureux, & plus amoureux que je ne puis vous l'exprimer. Ces Dames me demandèrent mon nom. Vous jugez bien, que je ne me fis pas prier pour le dire, Paru, d'autant plus que j'efpérois qu'en revanche elles voudroient bien auffi fe nommer. Mais, quelques inftances que je leur fiffe là-deffus, elles ne voulurent jamais me fatisfaire. ♦ Celle qui m'avoit d'abord le plus frappé, me dit en très bon Allemand, de ne me mettre pas en peine de favoir qui elles étoient, & que je ne manque-rois pas de les revoir, pour peu que je demeura/Te à Paris. Elle me dit cela en s'en allant. Je lui donnai la main, & la conduifis jufques à fon caroffe , qui me parut bien étoffé. Je vis auffi deu* grands Laquais bien habillés. Tout cela me confirma dans l'idée que je m'étois faite, que c'étoient des Dames de condition , ou du moins des Filles richement entretenues. J'aurois donné tout au monde, pour être informé au jufle de ce que ce pouvoit être ; mais il me fut abfolument impoffible de rien découvrir. Le Laquais que j'avois avec moi étoit un Allemand, encore plus Etranger que moi, & dès-là Peu propre au manège néce flaire pour de pareilles découvertes. Je reliai donc dans une inquiétude mortelle, qui penfa fpe rendre le tranfport au cerveau que j'avois eu pendant la maladie dont je renvois. Tous les jours je ne manquois Pas d'aller au Luxembourg, & j'y reflois depuis neuf heures du matin jufques à h nuit, excepté un inffant que je retour-R 3 nois nois chez moi pour dîner. Toutes ces allées & ces venues durèrent environ quinze jours, au bout deiquels je me trouvai tout aufli avancé que le premier. Enfin , lorfque je defefpérois de pouvoir trouver cette Belle, je fus bien furpris de la voir dans un endroit où je ne m'attendois guères de la rencontrer. Un jour que j'ac- compagnois Mefdames de V____ôc D____ à la Comédie , où on devoit jouer le Cid> Quinaut l'ainé débuta par Rodrigue. jugez, Madame, quelle fut mafurprifè, lorfque je vis l'Héroïne de ma paîlion., être aufli celle de la Pièce, dans laquelle elle jouoit le rôle de Chimhie, De ma vie je ne me fuis trouvé fi embaraflé. Je ne favois, fi je devois luivre une pareille paffion. Je fentois quelque répugnance à m'attacher à une perlonne que je voyois dans une Profelîîon,ordinairement peu fufceptiblc des fentimens délicats que les honnêtes - gens demandent toujours en amour. Le parti que je pris fut vraiment celui d'un homme de dix-neuf ans, c'eft-à-dire, que je fis précifé-ment le contraire de ce que je devois faire. Je me laiffai aller follement à ma atîion j à peine même pus je attendre intervalle qui fe' trouve entre la grande ôc la petite Pièce, pour me rendre dans les Foyers. J'y trouvai ma Belle environnée de plufieurs perfonnes de nia con-noiiïance , que je pris d'abord pour au- tant de Rivaux j de façon que non con- Paris, tent d'être amoureux , je devins encore jaloux. Je parlai à la D— (c'eft ainû que s'appeiloit la Comédienne;; mais je vis bien que mes difcourslembaraffoient, & je remarquai qu'elle avoit des ména-gemens à garder pour un homme de Robe qui étoit auprès d'elle. Je ne me trom-pois point ; c'étoit B... Confeilier au Parlement , qui fourniflbit à la dépenfe de la Dame , ôc qui s'en acquittoit plutôt en Financier, qu'en Magiftrat. J'eus af-fez de vanité pour entreprendre de dé-bufquer cet Amant, ou du moins je me flattai de lui donner de la tablature. Pour y réuflir, je commençai à être très affidu k la Comédie, ÔC j'eus bientôt la confok-tion de ne pas foupircr pour une ingrate. La difficulté étoit de fe voir commodément : l'amour ôc la fortune nous en fournirent bientôt les moyens. La jeune Sceur de la D... ôc qui de- meuroit avec elle, tomba malade de la petite-vérole: le Confeilier, qui l'appré-hendoit extrêmement, fit auflitôt déloger la D... ôc lui donna un apartement à l'Hôtel à'Entragues. La Comédienne me fit avertir de fon nouveau domicile , ôc le même jour je pris une chambre dans le même Hôtel. Je ne pris avec moi S^'un feul Domcftique, Confident de mes petites fecrettes. Ce fut là qu'en dépit ^e l'incommode Argus , il me fut fait 4 ci- cile de voir fa Maitreffe , qui feroit volontiers devenue la mienne, fi j'avois été d'humeur de fournir, auffi-bien que lui, 14000 liv. d'appointemens. Mais j'aimai mieux encore partager avec lui les faveurs de la Belle, que d'acheter ficher l'exclufion d'un Rival. Le Confeilier, de fon côté, ne fut point fi accommodant;& fe doutant de quelque chofe, il mit tout en u-fage pour découvrir au jufte ce qui en étoit. Il ne tarda guères à trouver dequoi fatisfaire fa curiofité. Tout autre, moins amoureux, auroit pu à très peu de fraix favoir à quoi s'en tenir; mais ce Galant peu crédule, & peut-être d'ailleurs trop perfuadé de fon propre mérite & de la vertu de fa Nymphe, pour ofer la foup-çonncr d'aucune infidélité fur de légères apparences , fit de nouvelles épreuves ; il donna de l'argent à une Femme de chambre, qui lui fit voir de fes propres yeux de quoi diffiper entièrement les doutes dont il vouloit bien le leurrer. En un mot, il me vit avec fa chère Maitrelîèjdans un tems auquel on ne s'attendoit à rien moins qu'à être vu. B eit aifé d'imaginer quelle fut là fureur de l'Amant outragé. Il eut, cependant, la prudence de diffimuler fa colère, jusqu'à ce que je me fuffe retiré dans ma chambre. Alors, comme un autre Roland , u fc Yengea de l'infidélité de ion Angélique fur tout ce qui fe trouva fous fa main: il brifa, il rompit tout; il arra- 1 cha même la fontange de fa Belle, & ne promettoit pas moins que de tout exterminer. La Demoifelle ne répondit à tout ce bruit que par des larmes, qui eurent enfin le pouvoir d'appaifer cet Amant irrité. Devenu plus tranquille, il fit des reproches armes , mêlés des plus beaux fentimcns; il fut même prendre fa Maitreffe par fon foible, & lui offrit d'augmenter fa penlîon , fi elle vouloit à ce prix lui promettre une fidélité inviolable. La Belle lui fit ferment, que rien déformais ne feroit capable de la déranger de fon devoir ; ck toute fondante en larmes, elle confentit à recevoir deux mille écus d'augmentation ; de forte que fes appointemens furent alors de 20000 livres. Ce traité fut conclu avec beaucoup de joie de part &c d'autre ; mais cependant, il ne fut point exécuté dans toute la rigueur: je continuai de voir la Demoifelle , jufqu'à ce qu'enfin fa Sceur étant relevée de maladie , celle-ci retourna dans fa maifon. Les difficultés qui fe rencontrèrent alors me rebutèrent, autant que ma propre légèreté. Je n'eus Pas grande peine à me guérir d'une paf. h°n , qui n'étoit nullement fondée fur ^eltime;peut-être même que fans le plai-de faire enrager le Robin, je me ie-roit retiré bien plutôt. R 5 L'a- Paris." L'amour que j'avois eu pour la Comédienne ne m'avoit point empêché de me répandre dans le monde : j'ofe même dire que je paroiffois avec affez d'agrément dans un Pays, où tout ce qui n'eft point François paffe volontiers pour Barbare. Plufieurs Seigneurs , qui avoient vu à Verfailles de quelle façon le Roi avoit eu la bonté de me recevoir, s'em-prelîèrent à nie faire honnêteté. Mr. le Duc D.... Premier Gentilhomme de la Chambre, eut pour moi des attentions, qu'il me ieroit difficile d'oublier. J'avois fait la connoiffance de ce Seigneur à Verfailles ; il m'avoit abordé avec toute la politeiîè polfible , dans la grande Gallerie, le lendemain que j'avois été préfenté à S. M., & il m'avoit dit que je devois être très content de l'accueil que le Roi m'avoit fait, 6c encore plus de ce qu'il avoit dit , lorsque je me fus retiré, que de tous les Etrangers qui lui avoient été préfentés, perfonne ne l'avoit falué de meilleure grâce 6c d'un air moins embarafié, que le Margrave à'Anfpach 6c moi. Ce même Duc me propola d'entrer au fervice de France, 6c me promit même de me faire recevoir Colonel, fi Je voulois me faire Catholique. Je le remerciai des offres obligeantes qu'il me faifoit, 6c je l'afTurai que l'intérêt ne me feroit jamais changer de Religion. Je* tois encore alors rempli des préjugés des Pro- Proteftans contre les Catholiques: d'ail- Paru» leurs j'étois dans cet âge,où les réflexions férieufes parodient n'être point de fai-fon; les plaiiîrs feuls m'occupoient tout entier , &c en vérité il eût été difficile de ne s'y pas livrer; tout le Royaume, Paris fur-tout, refpiroit un air de gaieté, auquel on ne pouvoit fe refufer. La France voyoit la Paix qu'elle fouhaitoit depuis longtems, fur le point d'être con-clue ; les pertes palfées venoient d'être effacées par le gain de la Bataille de De-«ain, ôc par d'autres avantages que les Troupes Françoifes s'étoient procurés, tant par la levée du Siège de Landreey, que les Alliés tenoient invefli , que par ^a prife de Marchienne. ôc de S. Amant. Les Alliés commencèrent donc à pen-*èr à la Paix, & les Anglois voulurent bien enfin y confentir. J'ai eu l'honneur de vous dire, que Mylord S. Jean étoit venu à la Cour de France pour conférer fur les Articles de cette Paix tant délire, ôc qu'il y avoit été reçu comme un homme qui venoit apporter la nouvelle la plus intèrefïante que l'on pût recevoir. Dès que ce Miniftre fut de retour à Londres, le Congrès pour la Paix s'ouvrit * Utrecbt. La France ôc l'Angleterre s'envoyèrent alors mutuellement des Ambaffadeurs. Mr. le Duc cYAumont fut nommé P°ur aller à la Cour d'Angleterre en cette Qualité : le Roi lui donna avant que de par- ?aws. partir, l'Ordre du S. Efirit. Ce Seigneur fut parfaitement bien reçu à Londres par le Parti de la Cour, qui fouhaitoit la Paix : mais très mal par le Parti oppofé, qui ne vouloit point en entendre parler. On in-fulta l'Ambaffadeur François: la violence même alla fi loin , que l'on mit le feu à fon Hôtel. La perte fut très confidéra-bles; ce Duc avoit emprunté de plufieurs perfonnes des meubles très riches, qui furent entièrement brûlés. Mr. le Duc d'Or-léans y perdit une tenture magnifique , & plufieurs tableaux très rares. La Cour d'Angleterre envoya en France , pour Ambafladeur , Mr. le Duc de Shretvsbury. Le Roi, la Cour & tout le Royaume donnèrent afïèz, à connoitre par la réception qu'ils lui firent,combien leur étoit agréable la négociation dont il étoit chargé. Cet Ambafladeur ne fit pas beaucoup de dépenfe à la Cour de France, & fes équipages n'avoient rien de fort brillant. Pour ce qui regarde fa perfonne, il avoit à la vérité beaucoup de mérite, mais bien peu d'extérieur : il étoit Borgne, Se indépendamment de ce défaut, on auroit eu peine à le prendre pour un Seigneur, fans l'Ordre de la Jarretière qu'il portoit. Il avoit avec lui Madame de Sbre...& de V.. . le donnèrent pour moi. Ces Dames m'avoient demandé un Bal en forme. Je m'en étois d'abord difpenfé, fur ce qu'étant Etranger, ce n étoit point à faoi à donner le branle aux Fêtes,fur-tout « l'occafibn d'une Paix qui ne pouvoit me procurer aucun avantage , que celui de vivre à la vérité avec un peu plus d'agrément dans un Pays où elle étoit fouhaitée depuis longtems. D'ailleurs d'autres raifons , affez dans le goût de Mr. de Shrews-*"0S m'empêchoient de confentir à faire *» dépenfe d'un Bal, que je prévoyois de-voir coûter beaucoup. Mes raifons furent aftez écoutées: mais cependant, comme ces Dames vouloient abiblument un Bal, eUes me firent la proportion de leur don-ner feulement dix Louis d'or,aflurant que ^yennant cette fomme,le Bal fe donne- roit Paris, roit fans que j'euflè à me mêler d'aucune autre chofe, que de dire à l'Opéra & à la Comédie qu'il y auroit Bal aux Carneaux, un tel jour. Je n'y manquai pas, & je trouvai par- tout des perfonnes très difpofées à af-liter à cette AÎÎèmbJée. Les Dames de leur côté louèrent la grande Salle des Carneaux, qu'elles firent magnifiquement illuminer: elles y envoyèrent une allez, bonne fym-phonie, ôc rirent ouvrir le Bal par leurs Femmes ôc leurs Valets de chambre. Le foir , je foupai avec les Dames, à qui j'avouai ingénuement que je ne làvois trop quel effet feroit dans Taris un Bal de cette efpèce. Après en avoir longtems badiné , nous nous y tranfportames immédiatement après le fouper, ôc je vous avoue que de ma vie je n'ai vu plus de Mafques. On fe portoit depuis la porte de la Cour jufques dans la Salle, où il faifoit une chaleur à mourir, ians qu'il fût pofïible de favoir à qui s'adrefler pour avoir une goutte d'eau. Chacun peftoit contre le Bai, 6c contre celui qui le donnoit. Heureu-fement, on ignoroit à qui on avoit l'obligation d'une telle Fête. J'avois cependant eu la précaution de faire porter quelques rafraîchi flèmens pour les Dames que j'ac" compagnois, 6c ils ne furent point inutiles. Ce Bal me mit en goût de donner dix ou douze autres Fêtes de même efpèce , 6c aufli dénuées de rafraichiflèmens. Ce- Cependant , malgré la foif qu'on y fouf- ijaki3. froit , & les imprécations que j'entendois faire contre \ Ordonnateur, il y avoit toujours une foule innombrable de Maiques. C'eft ainfi, Madame, que je palfois mon tems à Paris. J'étois répandu dans le plus grand & le plus beau monde; je jouois a-vec affez de fortune, ce qui me mettoit en état, avec ce que je recevois de chez moi, de faire dans cette Ville une dépenfe de Prince. Tous les jours je faifois de nouvelles connoifïances , qui me procu-roient de nouveaux plaifirs ; lorfque je reçus une nouvelle à laquelle je fus bien fen-iible. Ce fut la mort de Frédéric 1. notre Roi, qui arriva le 15 Février de cet-année. Un événement des plus trilles eu fut la caufe. Ce fut la Reine elle-mê-tnejqui, dans un de ces vertiges auxquels elle étoit fujette depuis quelque tems, cau-*a au Roi une frayeur , qui fut fui vie d'une maladie dont il n'a pas relevé. Voici comme cela arriva. II y avoit longtems que la Reine donnoit dans une dévotion extraordinaire, & qu'elle vivoit dans une contrainte peu convenable à fon tempérament. Cette PrinceiTe avoit cru ne pouvoir prendre un meilleur parti, pour ôter tout fujet depar-/er à ceux qui avoient oie avancer qu'a-v3nt fon mariage , la retraite n'avoit pas r°ujoUis été ce qu'elle avoit le plus ai-Itîe* Cette grande retraite , & cette Éê- Tme I. ' S &ne Taris. ne perpétuelle dans laquelle elle vivoitdepuis fon mariage, lui avoient caufé des vapeurs , qui à la fin avoient dégénéré en folie, dont les accès étoient terribles. Le Roi fut longtems fins être informé d'une maladie fi fâcheufe ; mais enfin la Reine fe trouvant un jour dans un accès bien plus violent qu'à l'ordinaire, elle eut affez de force pour fe débaraflèr des mains des Dames qui la gardoient, ôc à moitié habillée , les cheveux épars , elle fut à l'A-partement du Roi,par uneGallcricfecret-te. En entrant dans l'Apartement , elle rompit une porte de glaces, ôc fe mit les bras ôc les mains tout en fang. Dans cet état,elle fe jetta avec furie fur le Roi, en lui faiiànt des reproches , que la pauvre PrinceiTe n'auroit pas été capable de lui faire, fi elle eût été en fanté. Le Roi, qui étoit alors un peu incommodé,fe repofoit dans un fauteuil. Il fe réveilla enfurfaut, ôc s'imagina être entre les mains d'un Spedtre. Tout contribuoit à le confirmer dans l'idée qu'il s'étoit formée. La Reine toute échevelée , n'aiant pout tout habit qu'un jupon ôc un eorfet de toile deMar-feille, ôc d'ailleurs les bras ôc le vifage en-fanglantés, fut prife par le Roi pour la Femme blanche , (c'eft un Fantôme vêtu de blanc, que l'on prétend qui fe montre dans le Palais des Princes de Brandebourg, peu de tems avant la mort de quelqu'un de cette Maifon.) Le Roi s'imagina donc que cette apparition lui prédifoit fâ mort Paris* prochaine : il en fut tellement faifi que la fièvre le prit à l'heure même, il fut obligé de fe mettre au lit, d'où il ne releva pas. Ce Prince fut malade pendant près de fix femaines, & il eut la confolation de voir, pendant fa maladie , combien il étoit aimé de fes Sujets; car un jour fe trouvant un peu mieux, & les Médecins commençant à efpérer un peu de fa gué-rifon , il fe fit porter vers une fenêtre, d'où il vit la Place toute remplie de peuple , qui faifoit des vœux au Ciel pour fa confervation. Il ne put s'empêcher de s'attendrir à ce fpectacle ; & ce Prince généreux ne put refufer des larmes à la tendreffe de fes peuples. Leurs vœux ne furent point exaucés, & ce Prince mourut à Berlin , avec une fermeté & un courage digne de lui, après avoir donné de belles initruéKons au Prince Royal fon Fils. Ce jeune Prince fut fenfiblement touché de la mort du Roi fon Père, & auffi-tôt qu'il eut reçu les premiers hommages de Mrs. les Margraves, Frètes du feu Roi,& de toute fa Cour, il s'enferma dans fon Apar-tement, où il s'abandonna à la jufte c. «.;-leur que lui caufoit la perte qu'il venoit de faire. Ce fut Mr. de Printz Grandi-Maréchal, qui annonça cette mort ,uxCourtifans qui remplifloient les Apartemens. Gn dit que lorique ce Seigneur parut pour Paris, annoncer cette trille nouvelle, il fe trouva tellement faifi, qu'il ne put dire feulement que, le Roi, le Roi, le Roi; les fan-glots l'empêchèrent de dire le refte, & ils en dirent affez. Les Obfèques du Roi furent très magnifiques. Depuis le Palais jufqu'à l'endroit de la fepulture, les rues étoient bordées par plufieurs Régimens rangés en haie. Le nouveau Roi accompagna le Convoi, & lorfque le Corps eut été dépofé dans le Caveau Royal, ce Prince fortit de l'Eglife, & étant monté à cheval, il fc mit à la tête des Troupes, qui firent trois falves de moufqueterie; en même tems on tira le Canon des remparts. Ce fut ainfi, Madame, qu'on rendit les derniers devoirs a Frédéric, notre premier Roi. Pour la Reine, les Médecins crurent que l'air natal pourroit lui faire du bien ; elle fut conduite auprès de Madame fa Mère,à Grabau dans le Meekelbourg,où elle eft encore aujourd'hui, fans avoir jufques à préfent donné aucune efpérance de guérifon. Après la mort de Frédéric I. le Roi ibn Fils congédia toute la Cour, les trois Compagnies des Gardes du Corps furent caf-fées, & les Cent-Suiflès de la Garde renvoyés dans leur Pays; en un mot, tout prit une autre face. Je vis, & véritablement avec chagrin, qu'il n'y avoit plus rien à cf-pérer pour moi dans ma Patrie. Cependant dant ma douleur, quoique vive à Huilant Paris. que je reçus ces trilles nouvelles , ne fut pas de longue durée. Je n'avois pas à la vérité une fortune bien brillante à envifa-ger ; mais ma grande jeunefle me donnoit affez de préfomption, pour croire que jamais je ne pouvois manquer. Ma naillan-ce d'ailleurs ne lai (foit pas de me raflnrcr; & pour vous expofer plus au au naturel la fituation où je me rroUvois alors , j'étois amoureux à Paris , raifon allez fpé-cieufe pour ne pas s'abandoner longtems à la triitefle. Ce fut à la Foire 5. Germain , que je contractai une nouvelle amourette, je n'eus point lieu de rougir du choix que je fis pour-lors ; je pouvois me flatter d'avoir trouvé tout ce qui étoit capable de fixer un galant-homme. Je me livrai entièrement à cette nouvelle paflion , & comme j'aimois naturellement ladépeufe, j'en fis une fi étonnante , que tous mes Amis eu furent effrayés. Equipages, habits , livrée, tout étoit de la dernière magnificence : les préfens que je faifois affez fréquemment étoient très riches. Bientôt je me vis obligé de faire de très fé-rieufes réflexions fur la conduite que je tenois. Je ne pouvois me plaindre que de moi-même , car pour Madlle. de 5... (c'ell ainli que s'appeiloit celle que j'ado-fois) elle fe feroit aflurément contentée d'un Amant moins magnifique ; de forte S 3 qu'a- Paru, qu'avec un peu d'ceconomie , j'aurois pu faire à Paris une figure affez. brillante. Mais ma nouvelle pafïîon ne me permet-toit pas de penfer de fi près à mes affaires. Elles fè dérangèrent cependant au point, que je me vis dans la nécefnté de faire un voyage chez moi. J'eus bien de la peine à fixer le jour d'un départ , auquel je ne pouvois penfer fans chagrin. Ma chère Maitreffe 6c fa Mère, toutes deux fondantes en larmes , m'encourageoient à faire au-plutôt un voyage fi neceffaire : l'une le fouhaitoit pour mon propre bien., Vautre pour celui de fa Fille ; car la bonne Mère étoit aufïî âpre après l'argent, que fa Fille étoit defintèreffée. Enfin ce trifte jour étant venu , je partis de Paris fans dire adieu à aucun de mes Amis : le peu de tems que j'efpérois d'être abfent fit que je pris feulement congé de Madame > & de Mr. le Duc d'Orléans. Je laiffai tous mes gens, 6cje n'emmenai avec moi qu'un feul Domeffique , qui étoit au fait de toutes mes affaires. Le même jour de mon départ, j'arrivai fur les cinq heures du foir à Roye en Picardie , où l'on me dit que je ne pouvois aller plus loin , faute de chevaux de poire, Mr. le Duc d'OJfone , Ambafladeur d'Efpagne pour la Paix ÛUtrecht, les aiant tous enlevés. Je pris le parti de paf* fer outre avec ceux qui m'avoient conduit à Roye. Je m'arrêtai dans un affez. mau- mauvais gîte , entre Roye ôc Péronne. La Paris. première chofe que je fis, fut de me mettre au lit , ôc en vérité j'en avois grand befoin ; j'avois la tête fi embaraflée de mille différentes penfées> que je me trouvai dans une agitation peu différente d'un tranfport au cerveau. Ce fut bien pis lorfque je fus couché : je continuai à m'a-bandonner à mon chagrin. Je voulois retourner à Paris , où mon amour m'ap-pelloit. Je fentois d'un autre côté la trif-te néceffité de continuer ma route : mille penfées différentes fe fuccédoient les unes aux autres. Enfin, après un long débat, je délibérai de retourner à Paris. Ce fut à deux heures après minuit que je pris cette belle réfolution. Je me levai à l'inftanr, ôc j'appellai mon Valet. Comme il étoit dans un corps de logis féparé du mien, je crus quej'aurois plutôt fait d'aller moi-même l'éveiller, que de perdre mon tems à l'appeller. Je fortis donc de ma chambre. Malheureufement pour moi, je n'avois pas remarqué , ou tour mieux dire, l'agitation où j'étois ne me permit pas de me fouvenir , que la porte de ma chambre donnoit fur une Gallerie , qui règnoit autour de la maifon. Cette Gallerie venoit d'être conffruite , ôc on n'avoit pas encore eu le tems d'y mettre unGardcfou-de forte que je n'eus pas fait deux pas , Hue je fis la plus belle culbute que jaye jamais faite de ma vie. Je tombai dans S 4. la la cour, & par bonheur fur un tas de fumier ; ce qui m'empêcha d'être bleffé,ÔC peut-être tué. Je n'eus d'autre mal que celui de la furprife, ôc de me trouver enfoncé dans un matelas aufïï dégoûtant que l'on puiffe s'imaginer. Mon plus grand embaras fut alors d'imaginer un moyen de me tirer d'où j'étois , & de remonter à ma chambre. La nuit étoit fi obfcure, & j'étois fi peu au fait delà maifon où j'étois, que je defefpérai de pouvoir moi ieul fortir d'affaire. Je recommençai donc à appeller mon Valet de toute ma force. Ce coquin n'avoit garde de m'entendre. Je fus quelques mo-mens après, qu'il s'étoit enyvré , ôc qu'il cuvoit ion vin dans un profond fommeil. Voyant que j'avois affaire à un fourd , je {)ris le parti de réciter, toujours en criant, es noms de Marie , Catherine, Jeanne, Ôc autres 3 efpérant que dans la maifon il y auroit quelque Servante à qui du moins un de ces noms con viendrai t. Je ne me trompai point : il en vint une à mon fecours j mais cette Fille me prenant pour un Speéfre, difparut à l'inftant,cn faifant un grand cri de Jéfus-Maria ! Je me trouvai alors très embaraflé : de la façon dont tout s'arrangeoit, je voyois bien que je ferois obligé de palier le refte de la nuit fur mon fumier , & d'attendre patiemment que toute la maifon fût réveillée. J'appréhendois ce contre-tems d'au- tant plus que , quoique nous ludions en pA«u. Ere , le froid fe faifoit femir pendant la nuit, Ôc je n'avois pour tout habit qu'une robe de chambre de taffetas, Je recommençai donc à crier ôc à pefter, tant qu'enfin une partie de la maifon accourut pour voir ce dont il s'agiflbit ; ôc chacun, à l'exemple de la Servante , me prenant pour un Revenant, n'ofoit approcher. Tout ce bruit réveilla enfin mon Valet, qui accourut en chemife. Il s'imagina d'abord qu'on avoit voulu m'aiïaffiner ; mais lorfque je lui dis de faire mettre les chevaux à ma chaifej il crut que la tête m'avoit tourné. Il en étoit bien quelque chofe. Je réitérai l'ordre de faire préparer ma chaife , afin de partir à l'inftant. Mon Valet, qui avoit peine à revenir de la furprifè que lui caufoit un ordre de cette nature, me dit : Hé, Monfieur , tran-quil/ifèz-voui ; il neft encore que deux heures du fntiin^ è cinq heures vous partirez. Je lui répondis qu il étoit un fot, ôc que je voulois partir. Comme il étoit de ces Valets qui fe familiarilènt affez, volontiers avec des Maitres qui les traitent avec bonté, il refufa tout net de m'obéir : il me dit que je n'y penfois pas; que parce que je ne pouvois pas dormir, je voulois empêcher les autres de repofer ; que dans la journée je courois dans une bonne chaife, & lui la plupart du tems fur de très médians chevaux ; qu en un mot , il avoit S 5 be^ befoin de repos, Ôc qu'il ne partirait qu'après avoir encore dormi deux heures, & bien déjeûné. Je voulus me fâcher ; mais voyant que cela n'aurait eu aucun effet, nous partageâmes le différend par la moitié : il m'accorda de ne point fe recoucher , ôc moi je lui permis de déjeûner. Quand il eut jugé à propos de finir , je montai dans ma chaife , ôc j'ordonnai au Portillon de prendre la route de Paris. Ce fut alors que mon Valet s'imagina que j'avois entièrement perdu la tête : il me dit que je me trompois , ôc que c'étoit la route des Pays-Bas qu'il faloit prendre. Je lui ordonnai de fe taire , ôc de marcher. Le pauvre Garçon , encore plus perfuadé qu'auparavant que j'étois devenu fou, étoit dans de grandes inquiétudes ; à chaque Relais il s'approchoit de ma chaife, avec un air chagrin , me demandant toujours comment je me portois , ôc fi je n'avois befoin de rien. Enfin j'arrivai à Paris. Tous ceux qui avoient fu mon départ , furent très étonnés de me revoir. Je feignis de m'être trouvé fort mal , ôc d'avoir rcbrouffé chemin , dans la crainte que j'avois de tomber malade , aimant beaucoup mieux l'être à Paris , que par" tout ailleurs. Perfonne ne voulut me croire, Ôc on crut que des affaires de cceur e-toient l'unique caufe d'un retour fi précipité. Je reftai trois mois ^Paris, ôc pendant tout ce tems je n'allai point à V*~*~ failles. Je redoutois Madame : cette Prin- Fafik, cefle n'aimoit pas que l'on fît des folies ; de mo'> côté je n'aimois point les mercuriales : je trouvai donc plus à propos de me tenir éloigné. Cependant, les mêmes . raifons qui m'avoient déterminé la première fois à faire un tour chez, moi, fubfif-toient toujours : je quittai enfin Paris tout de bon, bien réfolu cependant de n'être abfent que le moins de tems qu'il me feroit poiïïble. Je pris la route ordinaire de Bruxelles, & de là je me rendis par Breda & Gor-cum à Utrecht. J'étois bien aife de voir en pafïant en quel état étoit le Congrès, qui s'y tenoit alors. Br.eda eft une Place de guerre y fituée b*eda. fur la Rivière de Mercke ; elle fait partie du Brabant Hollandois , & eft une des plus confidérables Places des Pays-Bas. Cette Ville & fon Territoire porte le titre de Baronie. Elle a eu plufieurs Mai-tres. Les Princes de Najfau en ont été les derniers poffeffeurs : ils en firent l'acqui-fition en 1404,, Engelbert de Najfau aiant époufé Jeanne , Fille unique du Seigneur de Leck, qui étoit Souverain de Breda. Henri de Najfau fit commencer le Château de cette Ville, où l'on voit le Tombeau de RenéAzns l'Eglife Collégiale de S. Pierre, fondée vers l'an i$ov Cette Vil-Jjs a beaucoup fouffert fur la fin du XVI. Siècle, durant les Guerres de Religion. Breda» Elle fut d'abord foumife aux Confédérés, qui formèrent la République des Provinces-Unies. Le Prince de Parme la leur enleva le 18 de Juin de l'an 15 81 : mais le Prince Maurice d Orange s'en rendit encore maitre en 1590 ; ce fut par le moyen d'un Bateau chargé de tourbes, fous lefquelles il avoit fait cacher environ foixan-te Soldats , qui fe rendirent maîtres du Château, &qui donnèrent par-là moyen au Prince de prendre la Ville par compo-fîtion. On dit une choie allez fingulière, d'un des Soldats cachés dans le Bateau dont je viens de parler : c'eft que ne pouvant s'empêcher de touffer , il pria un de fes Camarades de le tuer , de peur que cette toux incommode ne découvrît l'en-treprife. Ce Soldat méritoit bien que l'on eût confervé Con nom à la Poftérité ; un Romain n'auroit alfurément rien fait de plus beau , & une action d'un moindre courage auroit peut-être été récompenfée d'une Statue. Quelques années après la réduction de Breda, le grand Spinola Général des troupes d'Efpagne l'alliégea , &C la prit après un Siège ou un Blocus de onze mois. Elle repaiïa encore par un quatrième Siège entre les mains des Hollandois : le Prince d'Orange Frédéric-Henri fit cette conquête, après un Siège de quatre mois. Depuis ce tems , les Hollandois en font demeurés les maîtres , ils V ont augmente confidérablement les forti- ftca- fications; & comme cette Place eft fituée Breda, dans un terrein fort marécageux, ils y ont conitruit des Eclufes, par le moyen def-quelles ils peuvent facilement inonder tous les environs. Du refte , cette Ville n'eft pas une des mieux bâties des Pays-Bas , ôc fans fes remparts , ce ne ferait pas un endroit fort confidérable. Le Roi de Pruffe , en vertu de fes prétentions fur 1 héritage de Guillaume III. Roi d'Angleterre , ajoute à lès Titres celui de Baron de Breda. Je pafiài par Gorcum, qui me parut une Ville de très peu de conléquence. J arrivai eniuire à * Utrecht , qui eft une V-desplus fameufes Villes des Pays-Bas. Elle TRELH:i donne fon nom à une des fept Provinces, dont elle eft la Capitale. Elle étoit anciennement un Evêché , ôc les Evêques étoient Souverains de la Province ôc Princes de l'Empire. Les Ducs de Brabant, de C lève s , les Comtes de Hdlande , de Gueldre, Ôc autres Souverains jufques au nombre de vingt-huit, relevoient de l'Evêque. L'Empereur Charlemagne, ce grand Fondateur d'Evêchés , avoit attaché tant de prérogatives à celui-ci, afin d'engager par-là les Evêques à travailler avec ardeur à la converfion des Païens qui occupaient une partie des Pays voifins. Phi-, kppe nm érigea cet Evêché en Archevêché, * Voyc/. le Tome III. des Lettres, pag, zi6. u- ché, en faveur de Schenck deTautcnbourg, ïklcht. qUj ne jouit pas longtems de cette nouvelle Dignité; car dans ce même tems ce Pays le révolta contre l'Efpagne,& la Religion Proteftante s'y étant introduite, l'Archevêque fut chaffe. Henri de Bavière fut le dernier Evêque qui pofféda ce Pays en Souveraineté. Ses Sujets fe révoltèrent contre lui Scie chaffèrent. Ce Prince implora la protection de Charles-Quint, à qui iltranfpor-ta, du confentement de fon Clergé Ôc des Etats, la Domination temporelle du Pays en 1528; & de là il pana à l'Evêché de Worrnes. Ce fut à Utrecht que fe fit la fameufe Union des fept Provinces, le 1^ Janvier 1579; qui eut pour fuite l'établi!1 fement de la République. La Ville d'Utrecht eft encore célèbre par la naiflance qu'elle donna en 1459 au Pape Adrien VI. Ce Pontife étoit, à ce qu'on prétend , d'une baffe extraction. Il ne fut redevable de fon élévation qu'à fon fui confia l'éducation de Charles fon Petit-fils. Il fut enfuite envoyé en Elpagne a-vec titre d'Ambaflàdeur auprès du Roi Ferdinand : ce Prince lui donna l'Evêche de Torto/è. Après la mort de ce Monarque, il partagea la Régence d'Efpagne a-vec le Cardinal Ximénès ; ôc enfuite n retfa feul Viceroidu Royaume. Il fut fait Cardinal le 1. Juillet 1517 par le Pape Léon X, ôc élu Pape le 9 Janvier 15 az- Pendant que je fuis en train de faire des U-digreffions à l'occafion de la Ville d'U- trech» trecht, fouffrez, encore, je vous prie, que je vous dife que cette Ville 'a donné le jour à la fameufe Anne-Marie Schuurmany cette Fille fi fa vante, qui parloit le Latin, le Grec, l'Hébreu J le Syriaque, le Chal-daïque, l'Italien , l'Efpagnol 6c le François , avec autant de facilité que le Hollandois qui étoit fa Langue naturelle. Elle favoit outre cela peindre en mignature, graver avec le burin 6c le diamant fur le cuivre Ôc fur le verre. La Reine Chrif-tiw de Suède lui fit le même honneur qu''Alexandre fit autrefois à Diogène : elle l'alla voir , ôc fut furprife de la beauté des ouvrages de cette illuftre Fille. Elle eft morte en 1678, âgée de 71 ans. Ce fut Balderic de Clèves , quinzième Evêque d'Utrecht, qui fit entourer la Ville de murailles. Charles-Quint y fit construire un Château. Elle a à préfent neuf Baftions , deux Demi-lunes, & un Ouvrage à cornes. On prétend que la grande Egiife dédiée à S. Martin a été bâtie l'an 630, par le Roi Dagobert, ôc après qu'elle eut été ruinée, comme tous les autres bâtimens de la Ville , par les Nor-rnans, Adelbolde 19e. Evêque la fit rebâ-tir ôc la bénit en 1024, en prélence de l'Empereur Henri II. 6c de douze Eve-Sues. Eile fut encore ruinée une féconde fois, mais elle a été rebâtie avec af: 288 M e m o i r es allez de magnificence. Il y a à l'entrée une fort belle Tour , de 388 pieds de haut, d'où l'on peut voir diftincrément quinze ou feize Villes. On refpire un meilleur air à Vtrecht, que dans les Villes de Hollande : le ter-rein y eft beaucoup plus élevé, & par conféquent moins marécageux : la Ville, qui eft fituée fur l'ancien Canal du Rbw, eft environnée d'une Campagne belle & fertile : les promenades des environs font charmantes, & ne le cèdent qu'à celles de La Haie. Les François ont été quelque tems maîtres de cette Place ; mais le 13 Novembre 1673 elle repaffa à fes légitimes Seigneurs. Lorfque j'y arrivai, j'appris que la Paix venoit d'être fignée par les Plénipotentiaires de France & d'Efpagne d'une part, & de l'autre par les Minilires d'Angleterre, de Portugal, de Prufiè, de Savoie & de Hollande. Les principales conditions étoient : Que Philippe V de-meureroit en poffeffion de la Couronne d'Efpagne , à condition cependant qu'il renonceroit à la fucceilion de France pour lui & pour fes Defcendans : Que Y Angleterre auroit Gibraltar en Efpagne , Se Port-Mahon dans la Méditerranée : Qye Dunkerque feroit rafé. La France eut bien de la peine à fe réfoudre à ruiner une Place qui lui avoit coûté plufieurs millions, & dont la démolition demandoit encore une une dépenfe confidérable. L'Electeur de Brandebourg fut reconnu Roi de Pruffe par la France ôc l'Efpagne : on lui donna même le titre de Majefté, que la France ne donne pas aux Rois de Dannemarc ôc de Pologne. On céda encore à ce Prince ce qu'il poilédoit déjà dans la Gueldre Efpagnole, pour équivalent de la Principauté d'Orange que ce Monarque céda à la France. Le Duc de Savoie fut reconnu Roi de Sicile: il obtint quelques Places dans Je Mi lavez. Le Roi de Portugal demeura paifible pof-fefïèur des conquêtes, qu'il avoit faites pendant la Guerre. Les Hollandois furent les moirïs avantagés : peut-être le repenv tirern-ils de n'avoir point fait la Paix lorsqu'elle leur fut propofée à Gertrudenberg. Je ne manquai point, dès que je fus arrivé à Utrecht, de voir Mrs. les AmbaiTa-deurs de Pruffe. C'étoient Mrs. le Comte de Denbof, le Comte de Metternich, Ôc le Maréchal de Biberftein. Ils me reçurent avec toute la politeffe poiîible , Ôc me préfentèrent à tous les Miniftres étrangers. Je trouvai dans cette Ville Madame de Wartemberg : elle étoit venue depuis, peu. Le Comte fon Mari étoit mort à Prancfort ; il avoit demandé en mourant, lue ion corps fût porté à Berlin , ce qui mt exécuté avec allez de pompe. On dit que le feu Roi qui l'avoit tendrement ai-^ > comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, voulut voir le Convoi. Lorfqu'il IN* /. T paf. u- paffa fous les fenêtres du Château, le Roi t reçut» ne put retenir fes larmes. Peut-être fe repentoit-il dans ce moment, d'avoir disgracié ce Miniftre fur des prétextes aff«z légers : peut-être auffi penibir-il alors au terme inévitable , auquel doivent enfin é-chouer & la majefté des Rois & la magnificence du Courtifan. La Comtefle de Wartemberg fut plus ferme : elle n'eut garde de s'abandonner à aucune réflexion affligeante ; au contraire , elle fe vit avec plaifir en poflcf-fion d'un très grand bien , & ce qui la flattoit encore plus, elle fe trouvoit mai* trèfle de fa conduite. Elle quitta Francfort , où elle étoit toujours demeurée depuis la difgrace de fon Mari ; le féjour de cette Ville lui avoit paru trop ennuyeux pour y fixer fa demeure. Elle choifit la Ville cVUtrecht, comme plus gaie que toute autre. Elle n'avoit pas tardé à donner dans les avantures , & lorfque j'arrivai , j'appris que le Chevalier de B. étoit l'ami du cœur. Ce Chevalier venoit de partir pour Verfailles , où il étoit chargé de porter la nouvelle de la ligature de la Paix. Je ne mis pas beaucoup en peine de rendre vifite à la Comtefle : je rcmarquois que tout ceux de notre Cour qui fe trouvoient à Utreeht, la ne-gligeoient fi fort, que je ne crus pas devoir être le feul qui eût quelque attention pour elle. Cependant, malgré la ré- folution que j'avois prife de ne point la y. voir , le hazard fit que je la rencontrai, trecht. Cette Dame avoit amené avec elle une Pemoifelle Françoife , que j'avois fort connue à Berlin : comme elle avoit infiniment d'efprit , & que d'ailleurs j'avois envie de lavoir quelques Hiftoires de la Comteffe , je voulus renouer connoiflan-ce avec elle. La première fois que je lui rendis vifite, elle me propofa de voir Made. de Wartemberg : ce que je refufai de façon, qu'elle ne fit aucune inliance pour me faire faire cette démarche. Mais elle prit le parti de dire à la Comteffe que j'étois depuis peu à Utrecbt , que je lui avois rendus vifite , & qu'elle trouvoit que je reflemblois parfaitement au Chevalier de B . . . Il n'en falut pas davantage pour donner à la Comtefle l'envie de me voir : elle pria fa Demoifelle de me faire aller chez. elle. Mais on eut beau me parler, je demeurai toujours ferme fur la négative. Enfin un jour , que j'étois en vifite chez, la Demoifelle, Made*' de Wartemberg entra dans la chambre où j'étois. Elle me dit, que puifque je faifois le fier avec elle , au point de ne lui rendre aucune vifite, elle avoit pris le parti de me venir voir. Je voulus répondre y mais la Comteffe , fans me donner le tems de parler, médit quelle me trouvait bien changé à mon avantage, que je reflemblois comme deux gouttes d'eau au T 2 Che- Chevalier de B... & qu'enfin tout étoit de la plus parfaite reflemblance , même jufqu'au fon de voix. N'en déplaife à Madame de Wartemberg , il n'y a jamais eu rien de plus faux que cette reffemblance : le Commandeur étoit beau & bien fait, & vous lavez, Madame , que je n'ai jamais eu la fottife de vouloir palier pour tel. Tout ce compliment de la part de la Comtefle me parut fi extraordinaire,qu'en vérité je me trouvai aufli embaraflè que l'auroit pu être un Ecolier nouvellement lorti du Collège. Je repondis pourtant; mais pour parler franchement, je ne fa-vois pas trop ce que je difois. Je lui donnai la main pour la conduire dans fon a-partement, où elle continuoit toujours d'exagérer la reffemblance qui fe trouvoit entre le Chevalier & moi. Enfin je crois pouvoir dire , fans vouloir me donner un air d'homme à bonne fortune , ni paflèr dans votre efpritpour indiferet, qu'il n'au-roit tenu qu'à moi d'être pris en corps & en ame pour le Chevalier ; mais j'eus le bonheur de me voir tirer d'embaraspar un Valet de chambre, qui vint annoncer Mr. Ménager , troifième Plénipotentiaire de France pour le Congrès. Je lui eus l'obligation de me tirer de ce mauvais pas. Cette efpèce de vifite me fit prendre des mefurcs pour éviter d'en rendre d'autres , dans le peu de tems que j'avois à refler dans cette Ville. D'Utrecht je me rendis à Wcfel, & de- Magde-là dans le Duché de Magdebourg , par la bourg, Weftphalie. Magdebourg étoit autrefois un Archevêché, érigé par l'Empereur Othon h Grand, en faveur des Wandales nouvellement convertis ; mais, à la Paix de Weftphalie , tout ce Pays fut fécula-rifé , avec titre de Duché , en faveur de la Maifon de Brandebourg, en échange de la moitié de la Poméranie qui fut cédée aux Suédois. Il y a peu de Villes en Allemagne qui aient effuyé autant de révolutions , que Magdebourg. Cette Ville fut mifc au Bande l'Empire en 1553,par Charles-Quint , pour avoir refufé de fe foumettre à fes ordres. Elle le révolta â-lors ouvertement , de forte que l'Electeur Maurice de Saxe fut chargé de la réduire. Le Siège dura un an , l'Electeur ne fe mettant pas trop en peine d'en prefTer la conquête. Comme l'objet de cette Guerre n etoit que la deftruction du Proteftan-tifme que cette Ville avoit embraffé, l'E- . lecteur , qui étoit lui-même Proteftant, cherchoit en temporifant le moyen de fc raccommoder avec ceux de fa Religion, qui le voyoient avec peine foutenir les intérêts de l'Empereur & des Catholiques. Ce raccommodement fe fit, fur la pro-meffe que fît l'Electeur aux Proteitans de Magdebourg, de fe joindre à eux pour faire la guerre à l'Empereur, auffi-tôt a-Près la reddition de la Place. De part & M.agde- d'autre on agit avec beaucoup de fincé-bourg. rité : la Place fe rendit, & l'Electeur y entra, non en Prince victorieux , mais comme un Allié qui vient apporter du fecours. Il fe fervit de la Garnifon pour renforcer fon Armée , & enfuite il déclara la Guerre à l'Empereur t fous prétexte que la Religion & la Liberté Germanique étoient en danger. Un changement de cette nature étoit trop extraordinaire , pour que l'Empereur pût s'y attendre. Ce Prince avoit lui-même élevé' l'Electeur de Saxe à la Dignité qu'il poilédoit , après avoir dépouillé l'infortuné Frédéric de fes Etats. Un préfent aufïî confidérable ne lui faifoit efpérer de la part du nouvel Electeur, que des marques de reconnoiffance. Bien loin de fe croire obligé de fe tenir fur fes gardes de peur de furprife , il vivoit alors dans une fi parfaite fécurité , que l'Electeur de Saxe pcnfa le furprendre à Infpruck , Capitale du TiroL L'Empereur ne fut la trahifon , que lorfqu'il fut fur le point d'être arrêté. Ce fut avec bien de la peine qu'il évita de tomber entre les mains de fon Ennemi, car alors il étoit incommodé de la goutte, & il fut obligé d'abandonner fes Equipages & fa maifon. H voulut dans cette occafion donner la liberté au Prince Jean-Frédéric ; mais ce Prince ne voulut point l'abandonner dans Cette difgrace , & il l'accompagna jufques en Carinthié à 28 lieues à'injpruck : ce magdk. fut; là que l'Empereur fe retira. bouùg. La Ville de Magdebourg éprouva un fort bien rigoureux , pendant la Guerre que Ton appelle communément la Guerre de trente ans , parce que pendant ce nombre d'années , l'Allemagne fe vit ravagée de tous côtés. Tilly Général de l'Empereur afliégea cette Place en clic fut prife d'affaut, ôc tous les habitans furent paffés au fil de l'épée. Le feu fe mit de la partie ôc fit un tel ravage , que Magdebourg, qui étoit une des plus belles Villes d'Allemagne, fut alors entièrement réduite en cendres. Les Bourgeois furent,, à la vérité, caufe de leur malheur ; car: le Général Tilly ne les fit traiter fi rigou-reufement, que parce qu'ils avoient refufé une Capitulation avantageufe , qu'il leur avoit fait offrir quelques jours avant l'Affaut. On auroit aujourd'hui bien de la peine à prendre cette Ville , depuis qu'elle appartient à la Maifon de Brandebourg: les Electeurs ont eu foin de la faire'fortifier. Le feu Roi y a fait bâtir une Citadelle, qui eft féparée de la Ville par YElbe. Le Roi à préfent régnant y a fait faire des ouvrages confidérables, dans lefquels on remarque autant de magnificence que de folidité. S. M. a auffi fait conftruire fur la grande Place un Arfenal fort beau, qui fans être bien grand, contient cependant T 4 un Màgdb- un nombre confidérable de Canons , & bourg, d'autres armes. Sur la droite de cette même Place, on voit la grande Eglife, autrefois la Cathédrale ; le bâtiment en eft Gothique. C'eft là que s'affemble le Chapitre, qui fubfifte toujours, quoique Pro-tcftant. On a auffi confervé l'ancien ufa- fe de n'y admettre que des gens de qua-té. La fituation de Magdebourg eft des plus belles. On y arrive de tous côtés par de grandes Plaines , très fertiles en grains. L'Elbe qui, comme je l'ai dit, fépare la Citadelle d'avec la Ville, rend aufli fon commerce très facile avec Hambourg, la Saxe & la Bohème. Cela a fait que plufieurs Négocians s'y (ont établis , ôc y ont fait des bâtimens magnifiques. Cette Ville s'embellit encore aujourd'hui de plus en plus, depuis que le Roi y a transféré la Régence du Pays, qui étoit autrefois à Hall: de forte qu'on peut la regarder à préfent comme une des plus belles Villes des deux Cercles de Saxe. De Magdebourg , en continuant toujours ma route vers Berlin , je paflài à Brandi;- Brandrbourg. Cette Ville eft fituée fur ïourg. ia Rivière de Havcl Elle a été bâtie par Brandon Prince deFranconie. C'étoit autrefois un Evêché, mais aujourd'hui tout ce Pays eft fécularhe, ôc fait partie de la Marche de Brandebourg. Le Commerce y eft aflez confidérable. Le Roi y entretient tient une Gamifon, compofée d'un Ba- Brandie taillon des Grands Grenadiers. Vous a- bourg. vez. eu trop fouvent occafion de voir le Régiment dont ce Bataillon fait partie, pour qu'il foit néccflaire de vous en faire l'éloge : c'eft peut-être le plus beau Régiment de l'Europe. % Je ne m'arrêtai point à Brandebourg, afin de me rendre plutôt à Berlin. Le Berlin. jour que j'y arrivai, je me trouvai fi fatigué d'avoir marché nuit ôc jour, que je gardai le lit jufques au foir , que j'eus l'honneur de faluer la Reine. Le Roi n'é-toit point alors à Berlin, il étoit parti depuis quelques jours pour Potzdam. La Reine gardoit encore la chambre ; elle n'étoit pas encore relevée des couches, dans lefquelles elle avoit mis au monde Madame Charlotte-Aîbertine, qui mourut l'année Suivante le iode Juin. Je fus reçu de S. M. avec un froid, qui me fit juger que je ne devois pas me flatter d'être bien à la Cour , ou du moins dans (on efprit. Il n'en fut pas de même de Mesdames les Margraves ; elles me reçurent avec toutes les marques poflibles de bonté. Madame la Margrave Douairière, fur-tout, m'aflura qu'elle me continue-yoit la protection dont elle m'avoit toujours honoré. Pour ce qui regarde la Ville de Berlin, cUe n'étoit pas encore revenue de la per-tc qu'elle venoit de faire à la mort de T 5 Fré- Frédéric. Le Roi fon Fils donnoit, à la vérité 3 de grandes efpérances j mais les changemens qu'il avoit faits dans toute fa Cour, fai fbient regretter le feu Roi. Le nouveau Monarque ne penfoit qu'à entretenir une nombreufe Armée , & afin de le faire fans charger fes Peuples, il a-voit congédié toute fa Cour & la Maifon entière du Roi fon Père, de forte qu'il n'y avoit à la Cour que les Miniftres. La plupart des perfonnes de qualité qui demeuroient anciennement à Berlin, s'étoient retirées , ou dans leurs Terres, ou dans leurs Gouvernemens, ce qui ren-doit le féjour de cette Ville des plus trif-tes. Tous ces changemens me firent affez connoitre qu'il n'y avoit rien à efpé-rei pour moi dans ce Pays. Je pris donc le parti de terminer mes affaires domeftf* qucs avec toute la diligence poffiblc, afin de retourner au-phitôt à Paris Avant que de m'y rendre, j'allai faire un tour à Zell, afin d'y examiner les comptes de celui à qui j'avois confié mes intérêts pour recueillir la fuccefiion de ma Mère. Je n'eus pas lieu d'être fort content : ma Mère avoit donné par Teftament la pluS grande partie de fon bien aux En fans qu'elle avoit eus de fon dernier Mari^ de forte que ce que j'avois à prétendre à la fuccefiion étoit fort au-defïbus de ce que je m'ctois imaginé. n De Zell je fus àHAMnoURG,* u- ham-niquement pour voir cette Ville. J'y a- bourg. : Voir déjà fait un voyage, mais j'étois fi jeune alors , que je n'avois pu faire aucune attention fur ce que cette Ville a de remarquable. Hambourg eft une des plus belles Villes d'Allemagne , faifant partie de la BaflVSaxe. Elle eft fituée fur l'Elbe, à peu de lieues de fon embouchure, ce qui la rend tout à fait propre au Négoce. Avant qu'elle eût trouvé moyen de s'ériger en République , elle faifoit partie du Holfiein, fur le territoire duquel elle eft bâtie ; ce qui fait qu'elle a eu fouvent des démêlés avec les Ducs de Holfiein , & les Rois de Dannemarc, qui font Souverains du Holfiein. Ces derniers, anf-fi-bien que les Suédois , ont tenté plufieurs fois de fe rendre maitres de Hambourg j mais ils ont été répoulTés autant de fois qu'il fe font préfentés. Cette'Vil* le n'eft pas aifée à réduire ; elle a des remparts magnifiques, & des Dehors très fortifiés ; elle a foin aufli d'entretenir une bonne Artillerie , & une Garnifon bien compofée. D'ailleurs elle eft toujours fu-re de la protection des Maifons de Bran-debourg & de Brunswick ; il eft de l'intérêt de ces deux Maifons qu'aucune Puif-fance ne s'empare de cette Place, là fituation eft trop ayantageufe. Ham- • Voyez k Tqhic I. des Lettres , page ji, & Juiv Hambourg eft aufli très confidérable par la richefle de fes habitans. Ils font prefque tous Marchands, & font allez, du caractère des Marchands Hollandois : fort avides de gain , ils ne fonc pas grande dépenfe. Leur plus grande fatisfaclion eft d'avoir aux portes de la Ville, des Jardins allez dans le goût de ceux de Hollande. Les Femmes des gros Marchands font aufli reflerrées à Hambourg, que les Femmes de qualité le font à Venife : cependant , j'ai remarqué que ce n'étoit que pour les Etrangers. On paffe fort bien fon tems dans cette Ville: il y a plufieurs perfonnes de qualité que l'on peut voir, ôc chez lefquelles on eft parfaitement bien reçu. Les promenades de la Ville font charmantes, celle des remparts fur-tout eft magnifique : il y a une double Ailée d'arbres, qui forme un agréable couvert, d'où l'on découvre une belle campagne agréablement diverfifiée par des Maifons magnifiques, des Jardins, Bois, Prés ôcc. au milieu defquels on voit les Rivières à'Elbe ôc cxAlfier, ce qui tout enfemble forme un point de vue charmant. La Rivière à'Alfter entre dans la Ville, & forme un Baflin affez femblable à un grand Etang : il eft bordé d'un beau Quai, planté de plufieurs rangées de Tilleuls , ce qui fait encore une très belle promenade. Près de Hambourg , on voit la Ville Alten*. d'A l t e n a. * Ce nom lui fut donné par un Roi de Dannemarc , pour fe moquer des Députés de Hambourg qui lui firent des remontrances fur ce qu'il faifoit bâtir cette Ville trop près de la leur. Dans leur difcours au Roi, ils dirent plufieurs fois en parlant de cette Ville , fie ift al te na, ce qui en langage du Pays fignifie, elle eft trop proche. Le Roi remarqua le mot d'Altena , & dit aux Députés, que ne pouvant fe difpenfer de continuer le bâtiment de cette Ville , tout ce qu'il pouvoit faire pour eux, c'étoit de lui faire porter le nom d'Altena, qu'ils venoient de lui donner. A la vérité , on ne pouvoit donner à cette Ville un nom plus fi-gnificatif , car elle eft précifément aux portes de Hambourg , & fait partie du Holfiein Danois. Elle étoit autrefois un Lieu de franchife pour les Banqueroutiers, & pour tous ceux qui avoient commis quelque crime dans Hambourg. Le Roi de Dannemarc à préfent régnant n'a pas voulu conferver à cette Ville un Privilège qui la faifoit fourmiller de Fripons & de Vagabonds ; & il fait remettre aux Magiftrats de Hambourg les malfaiteurs, lorfqu'ils les reclament. Aliéna eft remarquable pour la multiplicité des Religions , dont on y fait pu- bli: * Voyez Tome I. des Lettrtf 1 p. 80, t> /»'*. Altska. bliquement exercice. Je crois qu'après Amfierdam , il n'y a point de Ville en Europe où il y en ait autant. Il y a peu deSedtesquin'y aient uneEglife. La proximité cVAltena , & d'ailleurs fa fituation fur YElbe , caufe un grand préjudice à la Ville de Hambourg. Il y a déjà plufieurs années que les Suédois, fous les ordres du Comte de Steinbock, brûlèrent cette Ville. A peine donnèrent-ils le tems aux habitans de fe fauver , ils eurent la douleur de voir confumer leurs maifons & leurs effets ; il y eut même plufieurs Vieillards & nombre d'Enfans qui périrent dans les fiâmes. Je trouvai Aliéna dans ce trifte état, lorfque j'y paffai. Je l'ai revu depuis: on a eu foin de rebâtir cette Ville de façon, qu'elle eft plus belle ôc plus florifïànte que jamais. Je paffai quatre ou cinq jours à Hambourg , après lefquels je partis. Jamais départ ne fut plus à propos que le mien ; car la Pefte s'y déclara peu de jours après, la Ville fut fermée, ôc on ne lui laifïa avoir de relation avec aucun endroit. Je repaflai par Zell, d'où je me rendis Aix-la- fans m'arrêter à * Aix-la-Chapel-Chapel» LEj ViHe impériaie ■ flEuée fur les confins des Duchés de Julien Ôc de Litn* bourg. Elle eft entourée de Montagnes, qui forment un Vallon fi agréable, que Char* * Voyez Tome III. des L*«/f-V 2 trir 308 Mémoire S frir mes fervi ces. J'eus bientôt pris mon parti fur ce que j'avois à faire. J'avois toujours été élevé dans les fentimens, que l'on doit préférer le fervice de fon Souverain à tout autre ; ôc d'ailleurs, je me fuis toujours fenti naturellement attaché au Sang de nos Rois. Je pris donc la réfolution de quitter Paris encore une fois. Du caractère dont vous me con-noiffez, Madame, vous vous doutez bien que je dus relfcntir quelque peine en formant une réfolution de cette nature. Je vous l'avouerai ingénument , je fus fenfiblement touché de m'éloigner d'un endroit où je goûtois des plaifirs , que je favois bien ne devoir pas trouver ailleurs. Mais enfin je n'écoutai que mon devoir ; ôc les larmes que je vis répandre m'attendrirent, à la vérité, mais elles n'eurent pas la force de me faire changer de delfcin. De Paris à Wefeï je tins la même route que j'avois tenue lorsque j'étois revenu à Paris. De Wefèl je palïai à Hanover , où je tombai malade. Mon deffein étoit de garder Y incognito : mais l'état où je me trouvois m'obligea d'avoir recours à la Médecine. Je crus même pendant quelque tems que tous les remèdes que l'on me pourroit faire feroient inutiles, ôc qu'il faloit tout de bon penfer à faire le grand Voyage. Feue Mademoifelle de Pôllnitx. ma Coufine fut bientôt infor- mée de mon arrivée, &c elle en avertit Hano-au(ît-tôt Madame l'Electrice, qui eut la bonté d'envoyer favoir de mes nouvelles , ce qu'elle continua deux fois par jour tant que je fus malade. Cette Princeffe a toujours eu pour moi des bontés, dont je ferai éternellement reconnoiffant. On m'a dit que pendant ma maladie , F... voulant faire l'agréable à mes dépens, dit à la table de l'Electeur , que ma maladie n'étoit pas mortelle, que je l'avois gagnée en France, & qu'il y a-voit à Hanover d'affez bons Chirurgiens pour me tirer d'affaire. Mad. l'Electrice fe fâcha vivement contre lui, & lui dit: Monjkur, vous plaijantez mal à propos j s'il avoit la maladie que vous dites , // fe feroit fait traiter en Franee : il n'ignore pas que les gens de ce Pays-ci y vont pour fe faire guérir, & il a trop d'ejprit pour ne pas imiter leur exemple. Auffi-tôt que je fus en état de fortir, je ne manquai pas d'aller faire me» très humbles remerciemens à Mad. l'Electrice. Cette Princeffe me reçut beaucoup mieux que je n'ofois efpérer. Les bontés qu'elle ms témoigna firent croire à Mlle. de Pollnitz & à Mad. de K____que j'ob- tiendrois aifément d'être reçu à fon fervice, fi je voulois en faire la demande. Ces Dames m'engagèrent donc à faire cette démarche, dans laquelle je doutois fort de réuflir. L'expérience me fit voir V 3 _ , que Hano- que mes doutes étoient légitimes. Je fis ver, ma. demande à la Princeffe par écrit. Peut-être en cela fis-je alors une fbttife, car je lui donnai le tems de fe conful-ter. Elle le fit en effet, & par malheur pour moi, elle s'adreffa à Mad. de B..., Cette Dame ne pouvoit me fouffrir : j'ai fu depuis la caufe de fon averfion pour moi. C'eft que Madame de France a-voit mandé à Madame l'Electrice, que je lui avois dit que Mr.. le Prince E-lectoral avoit pour cette Dame des attentions particulières. C'étoit affez, pour indispofer furieufement contre moi une perfonne, qui à l'extérieur faifoit profef-fion de la vertu la plus auftèrej & elle fut charmée de trouver dans le confeil que l'Electrice lui demanda à mon fujet, un moyen fur de fe venger de moi. Elle fut perfuader à l'Electrice, qu'elle ne devoit point me recevoir à fon fervice, Ôc elle ne manqua pas de raifons pour appuyer fbn avis : l'envie de fe venger fournie toujours abondamment des prétextes fpécieux de nuire à fon ennemi-L'Electrice goûta affez, les raifons qu'on lui allégua pour m'éloigner de fon fervice , 6c elle ordonna à Mr. de P. ^e me dire , qu'elle m'étoit très obligée de l'attachement que je rémoignois a-voir pour fa perfonne ; mais qu'elle ne pouvoit s'imaginer qu'après avoir fervi un Roi, je voulufïè fervir une vieille prin- princefle comme elle; que le fervice de l'Electeur fon Fils me conviendrait mieux, ¥^°" & qu'elle fe feroit un plaifir de m'y faire entrer; que pour elle, elle fe réfer-voit à me recevoir à fon fervice, lorsqu'elle feroit Reine d'Angleterre , parce que fi cela arrivoit, elle ieroit alors plus en état de faire ma fortune. Vous voyez, Madame, que je ne pouvois me plaindre d'un refus comme celui-là -y il étoit aflaifonné de tout ce qui pouvoit en a-doucir l'amertume. Pour moi, je vous avoue que je n'en reflentis aucune. Je n'avois fait cette démarche que par com-plaifance pour Mlle, de Pollnitz, qui fut piquée au vif de ce refus, non pas tant par amitié pour moi, (je favois bien à quoi m'en tenir là-deflus,) que par amour propre : fa vanité en fouff roit beaucoup ; elle fe croyoit fort en faveur , & elle voyoit que c'étoit une faveur fans crédit. Son reffentiment alla fi loin, qu'elle m'empocha de prendre congé de l'Electrice, qui partit peu de jours après pour Gôhr, avec le Prince fon Fils. De mon côté , je partis aufli de Hanover pour me rendre à Berlin. J'y trouvai la Maifon du Roi déjà R toute nommée. Cependant, cela ne m'em- BRL1N* pécha pas de faire demander de l'emploi à S. M. Ce fut Mr. de Frintz Grand-Maréchal qui parla pour moi. Il m'annonça un refus, bien différent de celui V 4 que que j'avois efluyé à Ha?iover. Dans celui-là, je ne pouvois me plaindre de i'£-lcc-trice , qui me refufok avec toute la politeile pofllble , une grâce dont après tout je ne me fouciois que parce que j'avois fait la démarche de la demander. Dans celui-ci, il me falut efluyer un refus donné aflèz, cruemcnt, & le refus d'une chofe pour laquelle feule j'avois entrepris le voyage de Berlin. Je fus fen-fibîement touché de la conduite de la Cour à mon égard : je n'avois jamais rien fait qui dût me priver d'un établifîèment dans ma Patrie: mes Ancêtres y avoient fèrvi, Se y avoient tenu un rang allez, diftingué, pour que je pûffe efpérer que l'on eût pour moi quelque confidération: d'ailleurs, j'avois eu l'honneur d'être Gentilhomme de la Chambre du feu Roi , ronne , & que l'Electeur de Hanover ç-toit un Usurpateur. / Peu de jours après le départ du Roi 'cTAngleterre , je partis de Hanover pour X 5 m© me rendre à Aix-la-Chapelle, où je pris les Bains. Les Médecins me les avoient ordonnés pour fortifier ma jambe. D'Aix je pris la route de Paris. Je paffai à * Mastricht. C?eft une Place forte,qui fait partie du Brabant Hollandois : elle eft iïruée au milieu du Pays de Liège, dont elle a été dépendante pendant longtems. Elle a été auffi fous la puiflance des Efpagnols , jufqu'en 1633, que les Hollandois la prirent. Ils en furent reconnus légitimes poiîèiTeurs par la Paix de Munfter : ils firent alors de grandes dépenfes pour la fortifier , & elle étoit regardée comme une des plus fortes Places de l'Europe, lorfque Louis Xl^s'en rendit maitre en 1673, en 13 jours de tems. Le Roi comman-doit lui-même fon Armée , & il avoit a-■vec lui Monsieur,Frèrede S.M. Trois ans après , les Alliés l'affiégèrent auffi ; mais leurs armes ne furent pas fi heureu-fes que celles de France , ils furent contraints d'abandonner leur entreprife. Enfin par la Paix de Nimègue elle a été rendue aux Hollandois, qui y entretiennent une forte Garnifon. Maftricbt eft allez bien bâti. Son ter- reio • Voyez le Tome III. des Lettres, pag. ip- L'a-vanturc périlleufc du feu Maréchal d'Ouwtrkerie « d« Mademoifelle de Feldtbrutk y eft racontée av« des cirtonttanees ,qui ne font pas ici , comme e»e l'eft ici avec des ciiconftanccs que l'AutciU « tc" fewpoint dans-fc» Lut™. rein eft plat & environné de collines. La Mas-Meufe traverfe la Ville , Ôc on pafîc d'un tricht. côté de la Rivière à l'autre fur un beau Pont de pierre qui eft fort élevé. On dit que feu Mr.le Comte à'Ouiverkerke.ymorz Feld-Maréchal des Hollandois, fit la galanterie à une Demoifelle qu'il aimoit, de fauter à cheval du haut du Pont dans la Meufe. Cette Demoifelle tant aimée étoit Mademoifelle de Feldtbruck. Elle paffoit fur le Pont en caroffe : le Comte d'Ouwer-kerke étoit achevai à la portière,qui l'en-tretenoit de fa flâme. La Demoifelle, peu fenfible aux difeours du Comte , daignoit à peine l'écouter. A la fin , fatiguée d'entendre toujours toucher la même corde , elle lui dit que quand il s'agiffoit de promettre , les Amans ne s'épargnoient point; mais qu'on reconnoulbit le peu de fonds qu'il y avoit à faire fur leur amour, dès qu'on en exigeoit des preuves bien marquées. Par exemple, Monfieur, lui dit-elle , je parie que fi je demandais de vous que vous fautafftez du haut du Pont dans la Rivière , vous n'en feriez rien. Le vif A-mant ne répondit à ce défi qu'en donnant des deux à fon Cheval, qui s'élança de deffus le Pont dans la Meufe. La Demoifelle vit fon généreux Amant prêt à fe noyer : heureufement pour lui , il,ne perdit point l'arçon , ôc fon Cheval qui étoit des plus vigoureux , eut encore après un tel faut allez de force pour porter fon Ca- Cavalier dans une Ile, où l'on vint le prendre dans un bateau. Après une preuve de cette nature, la Demoifelle pouvoit fe vanter, ou d'être bien aimée , ou d'avoir un Amant bien fou. Louvaik, De Maftricht je fus à * L o u v a i N. Cette Ville eft furnommée la pige, apparemment à caufe de fon Univerfité , qui fut fondée en 1426 par Jean IV, Duc de Brabant : c'a été une des plus célèbres Cniverfités de l'Europe, mais aujourd'hui elle n'a plus la même réputation. Lou-vain eft bien plus célèbre par fon antiquité , que par toute autre chofe. On prétend qu'elle a été fondée par Jules-Céfar. Aujourd'hui c'eft, à la vérité, une allez grande Ville , mais mal bâtie. Les feuls édifices que j'ai trouvé remarquables, font l'Eglife Collégiale dédiée à S. Pierre , ôc l'Eglife des Jéfuites. Louvain n'eft pas d'un grand Commerce pour le préfent; une Chauffée allez belle que l'on a conduite jufques à Bruxelles, ôc une autre jufques à Tongres, qui doit être continuée jufques à Liège , augmentera beaucoup fon Commerce, fur-tout avec les Pays-Bas Autrichiens. De Louvain je paffai à Bruxelles, ôc àe Gand. là à * Gamd , qui eft la Capitale de 1* Flandre Efpagnole , ôc une des plus gran- * Voyez le Tome III. des Lettres, page i$o. T Voyez le Tonte III. des Lettres , page des Villes de l'Europe , à quatre lieues de Gard* la Mer. Elle eft arrofée de trois Rivières, de YEfcaut, de la Lys, &de la Life, ôc ornée de belles Places ôc de bâtimens magnifiques. La grande Horloge mérite d'ê* tre remarquée ; c'eft une pièce qui pèfe onze-mille livres : on a mis audeiïus un Dragon, que le Comte Baudouin apporta de Conftantinople. On a pratiqué depuis cette Ville jufques à la Mer , un Canal, qui eft d'une grande utilité pour le Commerce. Ce fut à Gandque naquit Charles-Quint. Cet Empereur combla la Ville de Privilèges magnifiques ; cependant les Gantois peu reconnoiffans fe révoltèrent contre ce Prince , qui fut fi fenfible à l'ingratitude de ce peuple , qu'il réfolut de l'en punir : ôc pour être plutôt à portée de le faire , il s'expofa fur la parole de François I. à traverier la France pour les venir joindre. Il châtia les rebelles , mais avec tant de févérité, que les Gantois n'eurent pas lieu de fc glorifier d'avoir vu naitre l'Empereur au milieu d'eux. Ce Prince fit périr par la main du Bourreau 25 des principaux Bourgeois, il en exila un plus grand nombre , confiiqua leurs biens , ôc leur ôta tous leurs Privilèges. Enfin Gand, qui é« toit une des plus confidérables Villes de l'Europe , fe vit en peu de tems comme un Défert j ôc Char les-Quint, pour lai lier à la poftérité un monument de fa colère, fit Ca*»».- fît bâtir une Fortereflê, qui eft encore là Citadelle 4e cette Place. Elle eft d'une grande conféquence pour l'Empereur, lorfqu'il eft en guerre avec la France: car lorfque les François font maîtres de Gand, la Navigation de YEJcaut eft interrompue; & en cas de Guerre, on aime beaucoup mieux les voir maitres de Bruxelles que de Gand. Je me fouviens qu'en 1708, pendant que les- Alliés tenoient Lille affié^-gée , les François s'étant rendu maitres de Gand, incommodèrent beaucoup leur Armée. Cette Ville s'eft bien rétablie depuis Charles-Quint : les Etats de Flandre y tiennent leurs Afïemblées, ôc l'Empereur leur fait ordinairement lavoir fes volontés par le Gouverneur-Général des Pays-Bas , rélidant à Bruxelles. Lille. De Gand je me rendis à * Lille par Courtray ôc Ménin. Lille eft la Capitale de la Flandre Françoife, ôc une des meilleures ôc des plus belles Villes du Royaume. Elle appartenoit autrefois au Roi d'Efpagne. Louis XIV en fit la conquête en perfonne, en 1667. LaGarnifon qui étoit de fix-mille hommes , ne put arrêter le progrès des armes Françoifes , Ôc en neuf jours de tranchée ouverte la Place fut emportée. Lille demeura à la France par le Traité d'Aix-la-Chapelle en 166*8 i mais en * Voycx le T»me III. des Ltttns, p. 14$. en 1708 , les Alliés s'en rendirent maitres Utt& après un long ôc pénible Siège. Enfin à la Paix à'Utrecbt , cette Ville eft retournée à la France. Les habitans furent fi charmés de ne pas demeurer Sujets des Hollandois, comme ils l'avoient appréhendé ^ que le jour que la Place fut évacuée , ils allumèrent par-tout des feux de joie. Ce n'étoit pas fans raiibn : car depuis qu'ils é-toient fous la domination des Hollandois^ le Commerce n'alloif plus , ces nouveaux hôtes aimant mieux faire venir de Hollande tout ce dont ils avoient befoin , que de fe fervir des Manufactures de cette Ville. Il n'en étoit pas de même des François -y les habitans de Lille vivoient parfaitement bien avec eux , ôc ceux-ci pre-noient dans la Ville tout ce qui leur étoit néceiTaire. Louis XIV a rendu Lille une des plus belles Places de l'Europe. Les rues enlbnt magnifiques , ôc particulièrement la rue Royale ., bâtie fous le Règne de ce Monarque. Elle eft tirée au cordeau , Ôc ornée des deux côtés de fort belles maifons, d'une égale architecture. C'eft dans cette. Ville que réfide le Gouverneur de Flandre. Le jeune Duc de Bouflers a fuccé-dé dans ce Gouvernement au Maréchal fon Père. Lorfque j'y palTai, c'étoit Mr. le Prince de Tingry Gouverneur de Va> lenciennes, qui exerçoit à la place du jeune Duc, qui n'étoit pas encore en âge. pAMSi L'envie que j'avois d'arriver a Tarit } fit que je parcourus affez bruiquement le refte de la route. J'arrivai enfin , & j'allai defeendre chez un Baigneur. Ma première fortie fut dcftinée à aller rendre mes devoirs à Mademoifelle de S.... L'éloi-gnement n'avoit point altéré ma flâme,Ôc li j'étois charmé de revoir Taris, ce n'é-1 toit que dans Pefpérance d'y retrouver celle que j'adorois. Mais quelle fut ma furpri-fe , lorfque la Mère de cette aimable Demoifelle vint me recevoir toute en pleurs, ôc m'annonça qu'il ne faloit plus penfer a fa Fille, qu'elle étoit morte il y avoit déjà un mois, dans une Campagne du Pé-rigord , où elle avoit accompagné une de fes Amies. Je fus fi frappé de cette nouvelle , qu'il me fut impoffible de proférer un feul mot. Je m'évanouis , on me remporta chez moi, ôc à l'inftant je fus fai-gné , fans que tout ce mouvement pû^ me faire revenir de mon évanouiffèment-Je revins, mais après bien du tems, ôcce ne fut que pour m'abandonner à la douleur. Ce n'étoit plus un chagrin renlp* mé au dedans, on n'entendoit de ma par' que des cris entrecoupés de fànglots, enfin cela alla au point que ceux qui m ap-prochoient , crurent que c'étoit fait de moi, ôc que du moins je perdrois l'eiprI.c dans cette maladie. En effet , ils ne le trompoient guères , ôc il y avoit déjà plus de la moitié de l'ouvrage de fait. Je "c" rnctf- meurai cinq jours entiers dans cette fitua- pAtu*. tion , au bout defquels la Mère de S.... vint me rendre vitite , ôc en entrant dans ma chambre, elle me dit que fa Fille n'étoit pas morte , ôc qu'elle venoit d'en recevoir une Lettre , par laquelle elle man-doit que dans peu elle feroit à Paris. Cette efpèce de réfurre&ion fut pour moi une nouvelle auffi agréable, que la première avoit été alfommante ; il fe fit chez moi une révolution étonnante, Ôc je crois que s'il eft poilible que l'on meure de douleur ou de joie , j'en avois eu aïïez en peu de tems , pour n'y pas furvivre. Mais j'étois réfervé à d'autres avantures. En effet, à peine étoit-je remis des dif-férens affauts que j'avois eu à effuyer , qu'il me falut encore en foutenir un tout de nouveau. Ce fut à l'occaiîon d'une Amie de S... que je rencontrai chez une Dame de ma connoifïânce. Cette Amie s'appeiloit Madame de R... Elle s'étoit mariée depuis quelque tems par avis de Pa-rens,à un homme fort âgé. La jeune Dame haïlïoit fon Epoux, un peu plus que ne fait ordinairement une Femme de fei-ze ans qui a un Mari qui paflè les foi-xante. Je l'avois vue autrefois , mais elle étoit fi jeune alors , que je n'y avois pas fait grande attention. Heureux fi je l'euf-fe toujours regardée avec autant d'indifférence ! Mais lorfque je la vis après Ion mariage , fa beauté , fon grand air . les Tom, L Y ma- Paris, manières nobles, me firent une imprci-lion bien fenfible. On me fit jouer au Berlan avec elle , & une autre Dame : pendant toute la partie , elle ne fit que railler fur mon amour pour S.... me repréfentant plufieurs fois , que cette Dame ne méritoit pas l'attachement que j'avois pour elle. Comme je ne favois pas où tendoit tout ce difcou'rs , la partie finie, je fuivis cette Dame dans l'em-brafure d'une fenêtre, & là je lui demandai en grâce de me parler plus clairement. Elle s'en défendit longtems , fous prétexte qu'elle fe trouveroit dans l'obligation de m'apprcndre de fâcheufes nouvelles. Tous ces délais me donnant de plus en plus l'envie de favoir ce que ce pouvoit ê-tre , je la preffai de façon , qu'à la fin elle confentit à me donner quelque éclair-ciflement. Vous le voulez , me dit-elle ; eh bien ! il faut vous jatisfaire. Mais ne vous en prenez qu'à vous , fi je vous dis des chofes qui vous cauferorit un chagrin mortel : car je connais votre humeur , ^* je fai comme vous aimez. Vous croyez , continua-t-elle, que S. ... eft à la campagne ; on vous a trompé : elle eft à Paris, <&> rien eft pas même fortie. Elle aime autant le Marquis de V. . . . qu'elle en eft aimée ; elle ne voit plus que lui ; il y a deux mois qu'elle ri eft fortie d'une maifon du Fauxbourg S. Antoine, oh elle s'eft logée lorfqu'elle a appris que vous deviez arriver, river. Elle ri a pas voulu être expofée à vos p reproches, & comme elle efpère quevous pourrez l'oublier, elle vous a fait dire qu'elle étoit morte. Mais lorsqu'elle a appris que vous vous abandonniez à la triftejfe , vous lui avez fait pitié, & elle vous a fait [avoir qu'elle étoit encore en vie , & qu'elle feroit dans peu de retour à Paris. En effet , vous ne tarderez guères à la voir ; mais ce ne fera que peur recevoir votre congé, pour apprendre d'elle qu'on vous préfère V. . . . . Je fai tout ceci d'une de mes Femmes de chambre , dont la Sœur eft au fervice de Madame S. . . . Car pour moi , depuis que je fuis mariée avec Mr. R. . . . il ne me convient plus de la voir. Vous feriez bien d'y reno?icer , vous trouveriez mieux qu'elle. En prononçant ces paroles , elle jet-ta les yeux fur moi , ôc rougit à l'in-ftant. Je voulus lui répondre ; mais elle me quitta brufquement , & elle eut foin de m'éviter tout refte de la foirée. Je crus du moins pouvoir lui parler lorfqu'el-le s'en iroit ; mais elle fortit avec une autre Dame , de forte qu'il me fut impofli-ble de lui dire un mot. Je me retirai chez moi, l'efprit cruellement agité : la haine, l'amour , la vengeance , le mépris, en un mot toutes les pallions d'un Amant que Ton mépriie d'un côté , & à qui on fait des avances d'un autre , jouèrent parfaitement leur rôle. Jugez , Madame , dans quel état je me T * trou- Paris- trouvai, aiant à foutenir des combats auffi violens. Enfin le mépris triompha de la pafïion que j'avois pour S . . . . Les beaux yeux de Madame de R. . . me firent oublier mon Infidèle. Mais après tout, je reconnus bientôt que je m'étois guéri d'un fol amour , pour en reprendre un autre de même nature. Les dernières paroles de R.... me paroiffoient très flatteufes : je les expliquois à mon avantage, ôc je crus de bonne foi ne lui être pas indifférent. Je me repaiffois de ces agréables idées , ôc je trouvois un plaifir infini à m'enchainer moi-même. Cependant, vous verrez bien-tôt que je fus aufïi-bicn la dupe de cette nouvelle conquête , que de la précédente. Madame de R____é- toit une femme des plus belles, ôc fans contredit une des plus coquettes deP^w: capricieufe avec cela , ôc intèreflee plus que ne le font les Femmes de fon efpèce, elle ne favoit s'attacher à perfonne, mais elle vouloit être aimée. Je donnai tête baillée dans ce nouvel engagement : je me crus quelque tems l'homme du monde le plus heureux; mes Amis en furent la dupe audi'bien que moi , ils me crurent longtems le feul favorifé. Je vous dira» dans la fuite ce qui en étoit : j'interromps pour le préfent le détail de ces ridicules amufemens , pour vous parler de ce qui auroit dû faire l'objet de mes foins. Peu de tems après mon retour à T*W> je fus à Verfailles , où j'eus l'honneur de Pauis. ialuer le Roi ôc les Princes. Madame me reçut avec de li grandes marques de bonté , que je crus pouvoir compter fur fa protection. Je lui fis part du defTein que J avois de demander de l'emploi à S. M. Je la priai de vouloir bien me recommander. Madame me promit de le faire. Elle me tint parole: non feulement elle parla , elle fît encore parler le Duc à'Orléans à Mr. Voiftn , pour - lors Chancelier , Ôc Miniftre de la Guerre. 11 promit à Leurs A A. RR. qu'il penieroit à me placer j mais lorfque Madame me fit préfenter par un de fes Officiers , ce Miniftre me reçut avec un air auffi rébarbatif que j'en cuffe jamais vu. Il étoit enterré dans une perruque immenfe } qui l'empêchoit de voir ôc d'entendre , ce qui, fans cela , lui étoit allez naturel : il m'écouta cependant j par refpeét pour Madame : enfuite il me dit que le Roi avoit fait une Réforme confidérable dans fes Troupes, & que S. M. étoit prête d'en faire une féconde; qu'ainfi il ne voyoit pas que je dulîe elpé-rer d'être employé. Je fus très mécontent de cette réponfe , qui étoit bien différente de la parole qu'il avoit donnée à Madame ôc à Mr. le Duc tfOrka-as. Je fis le rapport à LL. AA. RR. de ce que m'avoit dit le Miniftre, Mr. le Duc dOr-léans me dit : Cela riefl rien, je ht par* forai encore me fois , & je me flatte que Y 3 nous Paris, vous ferez content. Il parla en effet, mais Voifm n'en fit ni plus ni moins. Cependant , plein de reconnoiffance des démarches que Madame & le Duc fon Fils a-voient eu la bonté de faire pour moi, je continuai à leur faire ma cour, Ôc ils me témoignèrent l'un Se l'autre être fenfibles à mes afliduités. Je me trouvois très fouvent au coucher de Mr. le Duc d'Or-léans. Sa Cour n'étoit pas nombreufê dans ce tems-là ; excepté les gens de fa Maifon , j'étois quelquefois feul à lui faire ma cour. J'étois d'autant plus étonné de la conduite des Courtifans à l'égard de ce Prince, qu'il étoit naturel que le Gouvernement du Royaume tombât bientôt entre fes mains. Mr. le Duc de Berry venoit de mourir : le grand âge du Roi ne donnoit pas lieu d'elpérer qu'il dût encore aller loin , & la jeuneffe du Dauphin ne lui permettoit pas de prendre de longtems le maniement des affaires; en un mot, tout promettoit infailliblement à ce Prince la Régence du Royaume. Cependant, prefque perfonne ne le traitoit en Soleil levant ; le refpeét que l'on avoit pour le Roi attachoit auprès de S. M-tous les Courtifans ; un Règne auffi glo-rieux Ôc auflî long leur fembloit ne devoir point finir. Je demeurai à Paris le relie de l'année *7*fj & quelques mois de l'année 171$' L Hiver de cette année procura à Parts un un fpedtacle des plus magnifiques, par p l'Entrée de l'Ambaffadeur de Perfe , ôc encore plus par l'Audience qu'il eut de Sa Majefté quelques jours après. Tout le brillant de ce fpe&acle n'étoit affu-rérrjcnt pas du côté de l'Ambaffadeur , qui ne nous donna pas une grande idée de la magnificence Perfane. Je n'ai de ma vie rien vu de fi pitoyable : tous fes équipages mal en ordre, fes Domeftiques à peine vêtus , Ôc prefque tous d'af-fez mauvaife mine , formoient un fpe&a-cle affez lugubre. D'ailleurs les préfens qu'il apportoit n'étoient en vérité pas dignes du Prince qui les envoyoit , ni de celui qui les recevoit. Cet Ambafladeur, avant que de faire fon Entrée, étoit logé à Charenton , où tout le monde falloit voir comme une merveille. Le torrent m'y entraîna comme les autres. J'y fus en nombreufê compagnie. L'Interprète nous dit avant que de nous faire entrer , qu'il faloit faire un compliment à l'Amba(fadeur : nous tirâmes à la courte-paille pour favoir qui porteroit la parole. Le fort tomba fur moi. Je lui fis une très courte Harangue : je lui dis , après l'avoir félicité fur fon arrivée, que j'efpérois que le féjour qu'il ferott en Europe , ôc fur-tout en France, ne lui déplairoit pas. H me fit remercier par fon Interprète , ôc me fit dire , qu'étant deftiné à voir le plus grand Roi du monde après le Sophi fon Y 4 Mai- 34-4- Mémoires Maitre, il feroit toujours content, quelque chofe qui pût lui arriver , dès qu'il auroit paru devant S, M. 11 nous fit af-feoir, & nous lui fîmes plufieurs queftions touchant fon Voyage , la Cour de Perfe, £c le Sophi. 11 nous dit qu'il n'avoit jamais été à Jfpahan , & qu'il n'avoit jamais vu le Sophi. Au milieu de la con-verfation , il nous fit préfenter du caffé & des confitures, & nous fit beaucoup de politeffes. Il ne fut pas à beaucoup près fi traita-bie , lorfqu'il s'agit de foutenir fon Caractère : il pouffa les chofes jufqu'à l'excès. Il prétendit ne devoir point fe lever lorfque le Maréchal de Matignon, qui venoit .le prendre de la part du Roi pour le conduire à FHôtel des Ambaffadeurs, entre-roit dans fa chambre Le Baron de Bre-îeuii Introducteur des Ambaffadeurs eut beau lui rcpréfènter, qu'il devoit cette déférence à Mr. de Matignon , qui venoit de la part du Roi ; c'étoit parler à un fourd : tout ce qu'on put obtenir de lui, ce fut qu'il promit que lorfque le Maréchal de Matignon entrerait dans fa chambre , il fe lèveroit à l'inftant & for droit tout de fuite. Il y eut encore une fcène à effuyer, lorfqu'il fut delcendu : on lui parla de monter dans le caroûè du Roi ; il dit qu'il n'en feroit rien , que c'étoit une cage , & qu'il vouloir faire fon Entrée à cheval. Pour l'y déterminer , U falut que le Baron de Breteuil lui parlât a- pAKIj, vec fermeté : il le fit aufïï , ôc il en vint même jufqu'à le menacer qu'il ne feroit point d'Entrée , ôc qu'il n'y auroit point d'Audience, s'il ne s'aflujetduoit aux ufà-ges établis en France. Enfin l'Ambaffadeur capitula, le différend fut partagé par la moitié, ôc il confentit à faire une partie du chemin en caroffe , ôc l'autre à cheval. Je n'ai jamais tant vu de monde qu'à cette Entrée; c'étoit un concours é-tonnanc : depuis la première barrière du Fauxbourg S. Antoine , jufqu'à l'Hôtel des Ambaffadeurs, il y avoit de tous côtés des échaffàuts rempli de monde. La même foule de fpe&ateurs le fuivit pendant quelques jours : lorfqu'il fortoit, foit pour les Bains , foit pour la promenade, à peine pouvoit-il palier , tant il y avoit de perfonnes curieufes de le voir. L'Audience que le Roi lui donna fut un fpectacle des plus magnifiques. Louis XIV y parut dans toute la majefté d'un grand Roi, ôc quelque brillantes que foient les Audiences du Grand-Mogol dont Taver-nier nous a fait la defeription , j'ai peine à les croire comparables à la cérémonie dont je vous parle ôc dont j'ai été témoin. Elle fè fit dans la grande Gallerie de Verfailles. Le Trône du Roi étoit au bout, ôc fort élevé ; il étoit à fond d'or , relevé par des fleurs en broderie , ôc par les Armes de France aufli brodées. Le Roi Y 5 avoir, . avoit un habit de velours caffé,enrichi de pierreries pour la valeur de plufieurs millions. Le jeune Dauphin étoit à la droite de S. M. en robe de brocard d'or, enrichie de diamans & de perles. Le Duc d'Orléans étoit à gauche : il avoit un habit de velours bleu , garni d'un point d'Efpagne d'or, parfemé de diamans &c de perles d'une grande beauté. Les Princes du Sang, les Princes légitimés, le Prince de Dombes & le Comte d'Eu, tous deux Fih; du Duc du Maine, étoient fur la même file à droite & à gauche du Roi, tous fui-vant le rang de leur naiflance. Tout le long de la Gallerie, à la droite du Trône, il y avoit plufieurs rangs de gradins, occupés par des Dames richement parées. JMadame la Duchefïe de Berry & Madame étoient les plus proches du Trône, & avoient auprès d'elle le Prince Electoral de Saxe, qui étoit pour-lors à la Cour de France fous le nom de Comte de Lu-face. Le côté de la Gallerie qui donne fur le Jardin étoit occupé par des Seigneurs fuperbement habillés; & l'efpace qui fer-voit de paffage depuis l'entrée de la Gallerie jufqu'au Trône, étoit couvert de ma-nifiques tapis, de même que le refte des Apartemens depuis le degré de marbre jufqu'à la Gallerie. En-bas dans les Cours, les Régimens des Gardes Françoites oc Suifïes, habillés de neuf, étoient ranges en bataille. Les Gardes du corps, les Moufquetaires, 6c toute la Maifon du Roi étoient aufli en ordre de bataille. Ce qui diminua beaucoup de l'éclat de ces Troupes, ce fut une pluie effroyable qui dura prefque tout le jour. L'Ambaffadeur pana au milieu de toutes ces Troupes, fuivi de tout fon cortège, 6c il marcha ainfi jufqu'à la Gallerie. Il monta vers le Trône ; là , il préfenta fa Lettre de créance. Mr. de Tony Miniftre 6c Secrétaire d'Etat la reçut de fes mains, 6c la donna à un Interprète qui en fit la lecture. Il préfenta enfuite à S. M. les Préfens que le Sophi lui envoyoit : c'étoit fi peu de chofe, qu'on fut d'abord porté à douter qu'ils euffent été envoyés par un, des plus pui flans Monarques de l'Afie. Le tout confiftoit en quelques Turquoifes, un Sabre garni de.pierres précieufes, une boîte d'un Baume à qui il donnoit des attributs admirables , & autres chofès de peu de valeur. Après l'Audience, l'Ambaffadeur fut régalé ; on le reconduifit enfuite à l'Hôtel des Ambaffadeurs, où il fut défrayé par la Cour, tout le tems qu'il demeura à Paris. On lui fournit aufli d'abord des chevaux du Roi, pour lui 6c pour fa Suite; mais comme fon féjour fut long, & que d'ailleurs il ruïnoit tous les chevaux du Roi, on ne lui en donna plus que de louage. ^ Quelque tems après cette Audience , l'Ambafladeur parut à l'Opéra. On avoit ôîé , ôté les bancs de l'Amphithéâtre, afin qu'il pût s'y placer commodément avec toute Ta Suite, il ne parut nullement fe gêner : quoiqu'il y eût une foule innombrable de gens de la première qualité , il fut aufli peu embaralfé que s'il eût été dans fa chambre, & il y fuma pendant affez longtems. L'ardeur avec laquelle on couroit après lui, fut bientôt rallentie: on commença peu après fon arrivée à être fortin-différent à fon égard; enfin on s'en ennuya de façon, que chacun iouhaitoit fon départ alTez hautement. J'ai eu l'honneur de vous dire, que le Prince Electoral de Saxe avoit affilié àl' Audience du Perfan. Il y avoit déjà quelque tems que ce Prince étoit en France , Ôc quoiqu'il y fût incognito fous le nom de Comte de Luface, il avoit un train de Fils de Roi. Mr. le Comte de Cojle, mort E-vêque de Var?aie, étoit fon Gouverneur, ôc Mr. le Baron de Hageu fon Sous-Gouverneur. Il avoit encore plufieurs Gentilshommes, des Pages ôc nombre d'Officiers. Ses équipages étoient magnifiques , ôc la table aufli délicate qu'on pût la louhaiter. Ce fut Madame qui le prélenta au Roi : elle l'annonça comme un Gentilhomme Allemand de bonne Maifon. Ce Prince donna un Bal fuperbe àl'Ho-tclde Soijfonfjda.ns le logementquoccupoit Du?nont Envoyé de Holfiein. Il y eut u-nè foule de Mafques étonnante. J'y allral ^ aufli, aufli , Ôc je m'y donnai la comédie avec Pari*. une Dame qui me fit une confidence , qu'elle croyoit faire à tout autre qu'à moi. Comme c'eft une perfonne de confidéra-tion, vous me difpenferez. de vous dire fon nom. Tout ce que j'aurai l'honneur de vous en dire pour le préfent, c'eit que c'étoit une Ducheffe qui aimoit jR. . . .à la fureur. Ce R. . . . l'avoit quitte pour Mademoifelle de S. . . . Elle l'avoit vu entrer au Bal avec V. . . . autrefois Confident de leurs amours, ôc Ami intime de R. ... La Ducheffe étoit malquée en chauve • fouris -7 mais malgré cela , elle fut auifitôt reconnue par fon Infidèle : elle voulut l'arrêter, mais il fut habilement s'efquiver dans la preffe avec fon Ami. Comme il craignoit les reproches de la DuchelTe, il s'avifa de changer de Domino. V. . . . en changea auffi : il prit celui que j'avois, ôc me donna le fien. R. . . . me montra l'endroit où il avoit vu la Ducheffe, ôc me pria de paf-fer devant elle , mais de ne lui point parler, en cas qu'elle voulût m'entretenir. Je promis tout ce qu'on voulut ; j'étois cependant rélblu de caufer , G Toccafion s'en préfentoit. Cela ne tarda pas à arriver. Il faut obferver que j'étois très refïèmblant de taille à Mr. de V. ... de forte que lans héfiter la Ducheffe me prit pour lui. Elle me tira à l'écart, ôc encore toute en colère de ce que R. . . . n'avoit point voulu lui parler, elle me fit une confeflion générale de toute fon intrigue. Pendant qu'elle étoit en fi beau train de me faire difïérens avéus, dont je penfois qu'elle pourrait fe repentir lorfqu'elle fauroit à qui elle parîoit alors , je l'interrompis en lui difànt qu'elle le trompoit, que je n'étois point V. ... A quoi fer-vent ces grimaces, repli-qua-t-elle brufquement? Ecoutez moi jufqu'à la fin ; le badinage eft ici hors de Jaifm. Vous favezj continua-t-elle,^ fai tout accordé à l'ingrat. Je l'interrompis encore, ÔC je lui dis : Ma foi, Madame, je ne fa-vois pas un mot de tout c où il avoit eu l'imprudence de féjourner-On le ramena à Paris, & la Comtefle qui nioit toute ^ropofition de Mariage a-vec ce je une-homme, fe préparoit à lut faire de tacheufes affaires ; mais le Prince électoral de Saxe, qui protégeoit le jeu- dû Baron de Pollnitz; 365 ne Allemand, arrêta toutes les pourfuites qu'on avoit deflêin de faire, & fit rendre les bijoux à Madame de Wartemberg. Elle n'infifta point fur la Promeffe de mariage de ce dernier, car étant d'un caractère à ne pas demeurer oifive, elle a-voit déjà contracté clandeftinement un mariage avec F... Ces différentes affaires arrivées coup fur coup firent tant d'éclat, que la Comteffe jugea à propos de ne pas faire un plus long féjour en France ; elle partit pour la Hollande > où elle eft encore aujourd'hui. * Vers la fin de cette même année, c'eft à dire le 1. de Septembre 1715, la France perdit Louis XW. Ce Prince fit une mort vraiment chrétienne. Il y avoit déjà du tems qu'il s'y préparoit; auffi ne fut-il point lurpris, quand on lui annonça qu'il faloit le difpofer à fortir de ce Monde. Il dit fes derniers adieux à fa Famille, avec un courage digne d'admiration. Il donna fa bénédiction au jeune Dauphin, Héritier de fa Courone, ÔC il l'accompagna de plufieurs avis iraportans : il l'exhorta, fur-tout, à ne point faire la Guerre mal à propos , ôc à ne la pas aimer comme il avoit fait. 11 ordonna enfuite le deuil que devoit porter le jeune Monarque , Ôc il ajouta , que celui qu'il • Voyez l'Hifroke dç fà mon, Tome III, de* Lté pag, 273, 174. Faris. <îu,il ordonnoit, étoit le même qu'il avoit porté à la mort du Roi fon Père. Ce Monarque témoigna beaucoup d'amitié aux Princes de fa Maifon ; il recommanda fortement fon Succeffeur à Mr. le Duc d'Orléans. On dit qu'il tendit la main au Maréchal de Villeroy, & qu'il lui dit, Adieu, mon Ami, il faut nous quitter. Madame de Maintenon reifa auprès du Roi pendant tout le tems de fa maladie , parce que ce Prince l'avoit fouhaité; car elles'étoit retirée à S. Cyr, un jour que le Roi s'étoit trouvé fi mal, que l'on croyoit qu'il n'en reviendroit plus ; mais aufïi-tôt qu'il fut revenu, ne voyant plus Mad. de Maintenu», il l'envoya chercher, & la pria de ne le point quitter. Cette Dame l'affifta jufqu'à la mort, après laquelle, elle fe retira à S. Cyr, où elle a vécu dans une très grande retraite juf-qu'en 1719Î qu'elle y eft morte. Il eft étonnant combien la mort de Louis XIV apporta de changement à la Cour. Les Courtifans lui reftèrenc fidèlement attachés jufques au dernier moment de fa vie; tous les Princes, Mr. le Duc d'Orléans lui-même, étoient extrêmement négligés : mais dès l'inftant de la mort du Roi tout changea de face , on fe jetta du côté du Duc d'Orléans, comme étant le feul difpenfateur des grâces. Ce Prince pafïà chez le jeune Monarque, accompagné de tous les Princes Se des DUBARON DïPÔLLNlTl 367 Courtifans, & il lui rendit les hommages PaM^ qu'il lui devoit. Louis XIV avoit nommé par fon Tef tament le Duc d'Orléans Régent du Royaume ; mais en même tems il lui avoic donné pour Ajoints dans le Gouvernement plufieurs Seigneurs, fans lefquels il ne devoit rien conclure; il lui avoic ôté la Tutèle du jeune Roi , pour la donner au Duc du Maine; en un mot, il lui avoit lié les mains de façon , qu'il ne reftoit à ce Prince que l'ombre de la Régence. Le Duc d'Orléans fut a-droitement fe faire donner ce qu'il pré-* tendoit lui être dû : il conduifit le jeune Roi au Parlement, au milieu d'un très grand cortège ; les Gardes Françoi-fes & SuitTes étoient en haie dans les rues jufqu'aux portes du Palais; les Gendarmes , Moufquetaires , Chevaux-légers , ôc Gardes du corps accompagnèrent S. M. qui fut reçue avec les cérémonies ordinaires, ôc conduite à fon Lit de juftice. Lorsque tout le monde fut placé, le Duc d'Orléans prit la parole, ôc dit, que quoique la Régence lui appartînt par le droit de fa naiflance, il étoit cependant bien aife de faire part à la Compagnie du Codicille du feu Roi II le fit lire, aufli-bien que le Teftament: enfuite il fit fentir les inconvéniens qui pourraient naitre du peu d'autorité qu'on lui donnoit j ôc que ion rang ôç fà naiffance lui lui avoient toujours donné lieu d'en ëfpe-rer davantage. Et tout de fuite, il demanda à la Compagnie, fi on ne le re-connoiiîbit pas pour fouvefain Administrateur du Royaume. Il ajouta, que malgré l'autorité qu'on lui donnerait, il fe* feroit un plaifir de fuivre les avis du Parlement, qu'il partagerait fon autorité a-Vec les Grands du Royaume, & que s'il arrivoit qu'il ne gouvernât pas l'Etat félon la Juftice, il fe feroit alors un plaifir d'écouter leurs remontrances. Il finit ert difant, qu'il vouloit bien avoir les mains liées pour faire du mal, mais aufli qu'il vouloit qu'elles fufîënt libres pour faire le bien. Les opinions lui furent favorables, le Teflament du feu Roi fut caflë, le Duc d'Orléans déclaré Régent du Royaume ôc Tuteur du Roi, ôc on donna au Duc du Maine la Surintendance de l'E" ducation de S. M. Le Duc Régent remercia la Compagnie, ôc il leur dit en même tems, qu'il étoit d'avis de fuivre un plan de Gouvernement qui s'étoit trouvé dans les papiers du Duc de Bout" gogne, Père du Roi d'aujourd'hui. H roiflbit par ce Plan, que ce Prince avoit eu deffein d'établir des Conleils p°_ur chaque Département, ôc de fuivre entièrement ce qui y feroit déterminé à la pluralité des voix. Mr. le Duc du Maine n'eut pas lieu d'être content de cette Afllmblée : car outre? outre la Tutèle du Roi qu'on lui ôtoit , Paris; il eut bien de la peine à conferver les prérogatives que le feu Roiavoit attachées à la qualité de Prince du Sang légitimé. Les Ducs & Pairs fe déclarèrent d'abord contre la préféance qui avoit été accordée à ces Princes; ils portèrent leurs plaintes au Lit de Juftice, & demandèrent qu'ils ne fuffent regardés que comme faifant partie de leur Corps, & qu'ils n'euffent d'autre rang que celui de leurs Pairies. Nous verrons dans la fuite les Princes du Sang fc déclarer auffi contre les Princes légitimés. Cette demande des Ducs n'eut point lieu pour-lors, non plus que celle qu'ils firent encore le même jour, que le Pré-mier-Préfident, en demandant leurs avis au Parlement, les falueroit du bonnet, de même qu'il falue les Princes du Sang. Mr. le Duc d'Orléans les pria de permettre qu'on obfervât ce jour-là les ufages du Parlement, les affinant que dans peu il décideroit cette affaire. Le Préfident de Novion , depuis Premier-Préfident, prit alors la parole, & répondit au Régent, que S. A. R. n'étoit point en droit de décider de cette affaire, qui regardoit directement la perfonne du Roi, que le Parlement avoit l'honneur de repréfen-ter en l'ablènce de S. M. ; & qu'ain-û rien ne pouvoit être changé dans les coutumes du Parlement, que par le Tome I. A a Roi Roi lui-même lorsqu'il feroit majeur. Après le Lit de Juftice, le Roi retourna à Vincennes, où il demeuroit depuis la mort du feu Roi. Il y refta jufqu'à ce que le Palais des Tuileries fût en état de le loger. Mr. le Régent 6c les Princes accompagnèrent le Roi, 6c ils revinrent enfuite à Paris, chacun dans leurs Hôtels. On dit que le Duc du Maine ne fut pas fi-tôt rentré chez lui, que la Ducheffe fa Femme , impatiente de favoir ce qui s'étoit paffé au Lit de Juftice, vint à l'inftant lui en demander des nouvelles ; 6c elle lui fit d'affez vifs reproches, lorsqu'il lui eut dit que le Régent étoit feul le Maitre du Royaume 6c de la perfonne du Roi. Aufïî-tôt que le Louvre fut en état d'être habité, le Roi partit de Vincennes pour s'y rendre. On diftribua aulli des Logemens pour les Princes 6c Princeffes du Sang. Le Palais du Luxembourg fut donné à Madame la Ducheffe de Berry, qui fît de grands changemens dans les Apar-temens. Cette Princeffe avoit un puif-faUt crédit fur l'efprit du Duc cVOrléanS fon Père ; auffi s'en fervit-elle de façon, que tous les jours étoient marqués par de nouvelles faveurs qu'elle obtenoit. Comme elle étoit la première Princeffe du Royaume, n'y aiant point alors de Reine, elle fouhaita d'avoir un Capitaine des Gardes. (11 n'y avoit jamais eu jufques a-lors que des Reines qui euffent eu ce privilège.) Mr. le Duc ^Orléans ne put pA«t*. la refuler, & ce fut le Marquis de la Ko-cbefoucault, qui fut revêtu de cette Charge. Madame n'eut pas plutôt appris cette augmentation d'Officiers dans la Maifon de la Ducheffe fa Fille, qu'elle nomma auffi-tôt Mr. de Harling Capitaine de fes Gardes, (c'étoit un Gentilhomme Allemand qui avoit été fon Page.) Madame la Ducheffe de Berry voulut aufli être appellée Madame, à l'exemple de la Princeife fa Mère. Cependant, a^ fin qu'il n'y eût point de confufionj elle fit (avoir qu'on ne diroit plus en parlant d'elle y Madame la Ducbejfe de Berry, mais Madame , Ducbejje de Berry. De plus, elle prétendit avoir droit defe faire précéder par des timbales & des trompettes , lorsqu'elle fortiroit en cérémonie , (ce qui n'a jamais été obfervé pour aucune autre que pour la Reine.) En effet, cette Princeffe entra une fois dans Par h avec tout cet appareil, en revenant de la Muette. Lorsqu'elle paffa devant le Palais des Tuileries, les Officiers des Gardes furent très étonnés d'entendre les trompettes; ils repréfentèrent qu'il n'ap-partenoit qu'au Roi & à la Reine de marcher avec cette pompe J & Made. de Berry y renonça, mais pour Paris feulement. On s'imagineroit peut-être, que cette Princeffe, avec tant d'amour pour la A a 2 gran^ , grandeur, devoit être inacceffible ôc d'un commerce fort gênant pour les perfonnes qui avoient l'honneur de l'approcher. Cependant c'étoit tout le contraire: j'ai connu plufieurs Dames, qui a-voient l'honneur de l'approcher de très près, elles m'ont toutes allure que c'étoit la meilleure Princeffe du monde. Elle n'étoit point formalifte fur le Cérémonial, avec la plupart des Dames; elle leur per-mettoit volontiers de venir chez elle en écharpe. Il eft vrai qu'elle n'aimoit pas à s'habiller, & qu'ainli il n'auroit pas été féant que les Princeffes, ôc des Dames de la Cour, euffent paru en habit de cérémonie, elle n'y étant prefque jamais. Madame , comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, étoit beaucoup plusexadte; elle étoit toujours en habit de Cour, & ne permettoit qu'à des Dames avancées en âge, ou incommodées, deparoitre autrement. Le Duc Régent, félon la promefïè qu'il avoit faite au Parlement lors de la tenue du Lit de Juftice, établit différens Confeils. Il y en eut un qu'on appella Confeil de Régence, d'autres pour la Guerre, pour les Finances, pour la Marine, pour les Affaires étrangères. Les Miniftres du feu Roi furent congédies, à la réferve du Chancelier Voifin , qui demeura en place. M. Desmaretz & Mr. de Pont- , cbartrain Miniftres, l'un des Finances Ôc Pautrc de la Marine , demeurèrent tous pAias, deux fans emploi. Mr. Desmaretz fut inquiété dans une Chambre que Mr. le Régent établit aux grands Auguftins pour la recherche des Gens-d'affaires. On l'ap-pelloit la Chambre de Juftice ; le Préfident Portail, aujourd'hui Premier-Préfident, étoit à la tête de cette Chambre. On fe promettoit de grands avantages de cet établiffement; la taxe des Gens-d'affaires devoit, difoit-on, non-feulement acquitter les dettes du Roi, mais encore faire entrer des fommes confidérables dans fes coffres : cependant, tout s'évapora eu fumée. La Taxe fe fît, à la vérité, ocelle fut générale; mais comme la plupart des G ens-d'affaires avoient marié leurs Filles aux Grands du Royaume, ils en furent quittes pour peu de chofe: les malheureux payèrent pour tous; les uns furent condamnés aux Galères , d'autres à une Prifon perpétuelle, après avoir été expo-fes au Pilori, où le peuple eut le plaifir de les infulter. Ce fut-là tout le profit qu'il en retira: le Roi de fon côté n'en devint guères plus riche, ôc perfonne n'y gagna davantage que les Dames, qui a-voient follicité pour faire diminuer la Taxe; ce furent elles qui emportèrent pref-que tout le profit. Le Public en fut très incommodé;la plupart, appréhendautd'être taxés, tinrent leur argent caché, ôc ce métal fi nécelfaire devint alors li rare A a 3 dan; 374 Mémoires fARis. dans l'efpace feulement de fix mois, qu'il fembloit que Louis XlVeût emporté avec lui tout l'argent du Royaume. On com>» mença à regretter ce Prince, 6c l'amour du Public pour le Régent s'évanouit bien vite. Un peu auparavant , chacun fè croyoit en droit de médire du feu Roi; & le François naturellement léger s'i-maginoit, fans trop favoir pourquoi, que la mort de Louis XIV alloit être le commencement d'un Sècle plus heureux. On combloit de bénédictions le Prince qui étoit à la tête du Gouvernement, fans qu'il eût encore rien fait qui eût pu lui gagner les coeurs; 6c dans très peu de tems , ce Prince, d'adoré qu'il étoit, fe vit expofé aux traits de la raillerie la plus piquante. Il ne tarda guère à être informé des difpolîtions du Public à fon égard. Je me trouvai chez Madame, un jour que ce Prince en parla hautement. Il y a, dit-il, ftx mois qu'on m'a-doroit dans Paris, fans que feu fie rien fait pour cela : aujourdhui on me hait, je vou-. drois bien favoir pourquoi. Peut-être le favoit-il, ou du moins il devoit le favoir. La rareté de l'argent en étoit l'unique caufe; 6c il parut dans ce tems, par la conduite que tint le Régent, que les coffres du Roi n'étoient pas bien garnis : au-lieu de faire les payemens en argent, On les fit en papier , monnoie toujours équivoque, ce dont les François commen- çoient à fe laffer. Ils avoient vu tant de Paris. fois paroître des Billets fous des nom* dit-férens, les derniers entre autres, que l'on appelloit Billets de Monnaie, venoient d'avoir une fi trifte fin, qu'il étoit prelque impoffible qu'on penfât mieux de ceux qui furent introduits au commencement de la Régence fous le nom de Billets d'Etat. Cependant ils furent admis : on cria beaucoup , mais on les reçut ; & rîous verrons bientôt les François toujours def-tinés à être dupes, donner dans un nouveau Syflème de Papier, peut-être plus fpécieux , mais auffi plus ruineux que ceux qui avoient paru jufques alors. Une autre raifbn, qui indifpofoit encore les efprits contre le Gouvernement, c'étoit l'incertitude du Palais Royal. Rien n'étoit ftable, on détruifoit le jour, ce qu'on avoit fait la veille. Le Régent, qui étoit vraiment un bon Prince & très aflFable, fembloit iè livrer à trop de monde; aucun demandeur n'étoit refufé; fouvent la même chofe étoit promife à deux perfonnes, & un troifièmel'obtenoit. On promettoit Penfions, Gratifications, Emplois, & rarement tenoit-on fa promef-fe. Bien loin de-là, on fupprima plufieurs Penfions; & la mienne, que j'avois eu bien de la peine à obtenir, fut du nombre de celles qu'on retrancha. Je fis quelques mouvemens pour me faire rétablir. Mais tout ce que je pus obtenir, ce fut une A a 4 pro- promeffe que ma Penfion me feroit rendue au-ptutôt. Cette promelîe eft encore à tenir. Tous ces retranchemens de Penfions, joints à la réforme confidérable que l'on fit dans les Troupes, réduisirent bien des perfonnes à la mendicité. Je vis dans ce tems-là des Chevaliers de S. Louis attendre la brune pour demander dans les Places publiques. De cette extrême mi-ière s'enfuivirent, comme on fe l'imagine aifémenr, des vols & des affafîinats; de lorte que dans tout ce teYns-là Paris ref-fèmbloit affez à un Bois. L'appréhen-fion où j'étois de participer à la mifère commune, m'engagea à faire ma cour à Madame plus affidûment que jamais. Je la fuppliai très initamment de m'honorer de fa proteéf ion auprès de Mr. le Régent. Cette Princeffe me répondit, qu'elle a-voit réfolu de ne fe mêler de rien, que cependant je ne devois point être inquiet: qu'il n'étoit pas néceffaire qu'elle parlât pour moi au Prince fon Fils, puisqu'il étoit naturellement porté à me faire plaifir; mais que pour le prélent, il étoit fi accablé d'affaires & de follicitations, qu'il faloit néceffairement que j'euflè encore patience pendant quelque tems. Je lui répondis, que j'attendrois volontiers autant qu'il plairoit à S. A. R.; mais que j'ap-préhendois fort de n'être pas en fituation d'attendre longtems. Madame me ré- pon- pondit: Il y a remède à tout: trouvez-vous Pamï, demain dans mon Cabinet à Pijfue de mon dîner. Je me rendis ponctuellement à fes ordres. Je la trouvai feule ; elle me dit en me voyant: Je fuis une pauvre Veuve qui ne peux pas faire de grands biens ; mais fai intention de vous faire plaifir. Elle m ordonna enfuite d'ouvrir un Bureau dont elle me donna la clé , & d'en tirer un fac qui étoit dans un coin, & dans lequel il y avoit 3000 livres en or. Je les reçus avec toute la reconnoiiTancc poflîble, & cette nouvelle marque de bonté m'attacha plus que jamais à S. A. R. Les Ducs & Pairs renouvellèrcnt dans ce même tems une demande qu'ils avoient déjà faite au Parlement, touchant le falut qu'ils préréndoient devoir leur être donné par le Premier-Préfident , lorfqu'il vient prendre leurs avis : ils demandèrent outre cela plulieurs prérogatives fur la NoblefTe; ces Meffieurs vouloient faire un Corps mitoyen entre les Princes du Sang, & ce qu'on appelle Gentilshommes. Mr. le Régent leur répondit, que pour lui,il n'avoit jamais reconnu que trois Ordres, le Clergé , la Nobleffe, & le Tiers Etat; & que c'étoit à eux de choifir, fans vouloir faire un établiflèment chimérique dont on n'avoit jamais eu d'exemples. Les Ducs deman-doient encore de n'être point obligés dans une affaire de tirer l'épée contre un limplc Gentilhomme, Mr. le Duc de la Feuil-Aa 5 iade 378 Memoirks Paris» **** rcfufâ de figner cette Requête, parce que, difoit-il, il ne vouloit pas êtreexpofé à recevoir impunément une infulte de la part d'un Gentilhomme. Le Parlement ne daigna pas répondre au Mémoire des Ducs ; il fe contenta de fbutenir ce qu'avoit avancé le Préfident de Novion, que c'étoit au Roi feul à décider fur de telles prétentions , & qu'ainfi il fa-loit attendre la Majorité de S. M. LaNo-bldfe ne traita pas la demande des Ducs avec la même indifférence que le Parlement; ils s'affemblèrent pour délibérer fur la conduite qu'ils dévoient tenir: mais il vînt un ordre qui leur défendit de continuer leurs Aifemblécs, Cependant,malgré les défenfes, ils concertèrent entre eux un Mémoire qui fut préfenté au Roi. Leur conduite déplut à la Cour , & plufieurs d'entrés les Nobles que l'on favoit avoir le plus de part au Mémoire , furent arrêtés & conduits à la Bajtiile. Les Ducs s'étoient sailli aflemblés de leur côté chez Mr. l'Ar-chevêque de Reims , depuis Cardinal de Mailly. Enfin le rc/ultat de toutes ces allées éc venues de part & d'autre fut une Délaration que donna S. M. par laquelle il fut réglé que tout demeurcroit dans le même état que du vivant du feu Roi, fans préjudicier aux droits des deux parties. L»n ■z-èlé, Parlementaire , ne pouvant apparein-ment pas digérer que des prétentions auU» frivoles que Celle des Ducs demeuraient • fans fins réplique, publia un Ecrit affez long, pAms. par lequel il prétendoit prouver que plufieurs d'entre les Ducs n'étoient pas Gentilshommes, & que la plupart de ceux qui formoient le Parlement étoient fans contredit d'une naiffance plus diftinguée , que ceux qui étoient décorés du titre de Ducs Je ne fai fi Henri IF eut laiffé in^ décife la prétention des Ducs, lui, qui af-lez fouvent faifoit l'honneur à la Noblef-fe de fe dire Gentilhomme. Ce fut dans ce même tems que les Princes du Sang préfcntcrent une Requête à S. M- Contre les Princes légitimés. Les premiers voyoient avec peine ceux-ci occuper un rangpareil au leur, & partager avec eux le droit de fuccéder à la Couronne. Ils demandèrent donc,que les Princs légitimés, le Duc du Maine & le Comte de Toulon-fi-> & leurs defcendans, fuffent déclarés déchus du rang de Princes du Sang ;&c que l'on biffât des Regîtrcs du Parlement la Déclaration du feu Roi, qui déclaroit ces Princes habiles à fuccéder à la Couronne. Les Princes légitimés préfentèrent de leur côté un Mémoire au Roi, par lequel ils repréfentoient à S. M. que la demande des Princes du Sang étoit contraire à fon autorité ; que les Souverains avoient toujours eu la liberté d'accorder tels honneurs qu'ils avoient jugé à propos, foit à la Cour, foit au Parlcmcnt;& que d'ailleurs le feu Roi, en Pjuis. en les déclarant Princes du Sang, l'avoit fait delà manière la plus authentique, la Déclaration qui leur donnoit cette Dignité aiant été enregîtrée au Parlement en pré-fênce, & même de l'avis des Princes du Sang, & des Ducs & Pairs. Il parut alors différens Ecrits de part &c d'autre , pour prouver la juftice de la Caufe que chacun foutenoit. Les Princes légitimés en revenoient toujours à dire, que les Rois étoient les maitres abfo-ius des grâces , & que les Rois prédécef-feurs de Louis XIV avoient accordé autrefois, fans aucuneoppofition,les mêmes privilèges dont on vouloit les dépouiller. Ils citoient pour exemple la Maifon deLon-guevilky dont les defcendans avoient toujours eu le rang de Princes du Sang. Ils rapportèrent auffi l'exemple de plufieurs Bâtards, qui avoient fuccédé à la Couronne dans la première & la féconde Race; & que fi la même chofe n'étoit point arrivée dans la troifième, c'étoit parce que le cas ne s'étoit point préienté. Les Princes du Sang répliquèrent amplement & folidement au Mémoire des Princes légitimés. Ils avancèrent que le Roi, quelque grande que fût fon autorité, ne pouvoit cependant pas accorder des pérogatives qui étoient attachées à la feule uaiffance : qu'un Bâtard étoit un homme lans Père , fans Mère , fans alliance ôcc. & par conféquent incapable de tenir un rang. rang , que le fang feul peut donner : que pari&: d'ailleurs, la prétention des Princes légitimés priveroit la Nation du droit qu'elle a d'appeller à la Couronne telle Maifon que bon lui fembleroit, en cas que la Maifon Royale vînt à s'éteindre. Ce Mémoire fut réfuté par un autre y & ce dernier eut une Réplique. Enfin les efprits s'échauffèrent au point , que pour éteindre toute querelle , le Roi fut obligé de parler. Il déclara folennelle-rnent, que les Princes légitimés jouiroient pendant leur vie du rang de Princes du Sang ; mais qu'ils ne pourroient fuccéder à la Couronne. Cette déclaration fut en apparence affez bien reçue des deux Parties : mais peut-être auffi fut-elle la caufe de quelques évènemens , qui dans la fuite ne donnèrent pas peu d'inquiétude au Duc Régent. J'aurai bientôt occafion de vous en parler. Dans le tems que ces chofes fe paf-foient en France, il y avoit en Angleterre des mouvemens d'une bien plus grande conféquence. Onsattendoit à une révolution en faveur du Chevalier de S. George. Ce Prince venoit de partir pour l'Ecofle: il fbrtoit de Comptera en Lorraine, où il a-voit pafïé quelque tems chez le Prince de Vaudemont. Il s'embarqua entr Qfiende & Bunker que, & fit heureufement ie trajet. En arrivant, il trouva un Parti confidérable qui s'étoit déclaré pour lui. Tout 3&2 M % u 0 i a e s r^nis. fembloit d'abord favorifer ce Prince ; nombre de perfonnes vinrent le reconnoitre pour Roi , 6c il fut fervi en cette qualité. Mais fon bonheur fut de courte durée, Se il fe vit obligé de fe retirer avec précipitation , d'un Pays où on le menacoit de lui faire un mauvais parti. Bien des perfonnes ont cru que cette cntreprife auroit réuffi, fi ce Prince eût ttémoigné moins de zèlp pour la Catholicité. On lui demartdoit qu'il promît de conferver les Privilèges de l'Ëcoflè en ce qui regardoit les affaires de la Religion ; mais il ne voulut jamais y entendre. Bien plus, il fe leva un jour de table fans avojr mangé, parce qu'un Eccléfiaftique Anglican avoit béni les viandes ; Sç il protefbr dans cette occafîon , qu'il ne mangeroit jamais de ce qu'un Hérétique auroit prétendu bçnir. Ce grand 3èle de Religion* peut-être trop marqué dans des cireonftarwi ces où il pouvoit fe taire fans crime, é-Soigna de lui tous les Proteftans d'Ecoife» dont la plupart s'étoient déjà déclarés en là faveur. J'étois préfèht lorfqu'on fît le rapport de tout ceci à Mr. le Duc à'Qfr ans. Il repondit : Si tout cela eft .... lui répondit , qu'il n'étoit pas é-tonnant de voir répandre des larmes aux perfonnes aufli affligées que l'étoit la Reine. Bon ! lui répliqua Madame, eft-ce y?après trente ans de malheurs on ne doit-pas y être fait ? C'eft ainfi que cette Princefle cffuyoit les larmes qu'elle venoit de répandre abondamment. La belle faifôn étant venue , Madame fut à S. cloud: elle emmena avec elle V)a-demoifellede Chartres, aujourd'hui Abbef-fe de Chelles, & Mademoifelle de Valois , aujourd'hui Princeffe de Modène. Madame paffa tout l'Eté à S. Cloud, ce qui m'y fit faire plufieurs voyages. Je lui parlai de ma fituation, & la luppliai de vouloir intercéder pour moi auprès du Duc fon Fils. Elle me le promectoit toujours, & ne le faifoit jamais ; & cependant elle di-foit à tous ceux qui lui parloient de moi, qu'elle me vouloit du bien ; pendant que d'un autre côté cette Princclle qui haïf-foit mortellement S . . . Gentilhomme PrufTîen , preflbit vivement le Duc fon Fils de lui faire du bien. J'étois préfent un jour quelle fbllicitoit pour lui. Après Tome I. B b Que Paris, que Mr. le Duc d'Orléans fe fut retiré elle m'appella & me dit : Vous avez entendu comme fat pris les intérêts de S. . . cependant je puis vous ajfurer qu'il ne le mérite pas. Madame dit alors des chofes étonnantes au defavantage de S. . . Je pris la liberté de défendre fa caufe , Ôc d'affurer S. A. R. qu'on lui avoit fait de faux rapports. Comment ! me dit Madame , oferiez-vous nier qu'il ait eu le poignet coupé pour avoir contrefait le feing du Roi de Dannemarc ? Comme je favois l'avanture de S ... à la Cour de Dannemarc , & qu'il ne s'étoit agi d'aucune affaire de cette nature, & qu'outre cela je favois qu'il avoit perdu le bras droit d'une chute qu'il avoit faite , je repréfentai à Madame, qu'il me fembloit qu'on fe contentoit de couper le poignet pour le crime dont elle foupçonnoit S. . . Ôc que cependant il avoit le bras coupé près de l'épaule. Ah ! me dit la Princeffe , cefi qu'on le lui a coupé deux fois. Mais, Ma' dame , répliquai-je aufïi-tôt, V. A. protégcroit-elle un homme capable d'unetelb impofture ? J'ai des raifons pour cela , h16 dit-elle. Je n'ofai pouffer plus loin la cu-riofité. Mais enfin Mr. de S . . . extrêmement haï obtint ce qu'il fouhaitoit, e* moi, à qui on vouloit du bien, il me fut impofîîble d'obtenir même un refus po»-rif, qui auroit du moins fêrvi à me des-abufer ôc à me faire jetter les yeux ailleurs, l'en- DU BARON DE POLLNITZ. 387 Pendant que Madame étoit à S. Cloud, pxRIsi * Madame la DuchelTe de Berry faifoit fon féjour à Meudon. Quelquefois elle venoit faire un tour à Paris. J'ai eu l'honneur de faire ma cour affez fouvent à cette Princeffe. Elle étoit bonne , généreufe, & demandoit affez volontiers des grâces au Régent fon Père , qui rarement la re-fufoit ; deforte que d'avoir fa protection, étoit un moyen fur pour aller loin. Le Comte de fi ... . jeune-homme de quarto & qui avoit commencé pai être Lieutenant des Gardes de la Princeffe, fut mieux que perfonne gagner les bonnes grâces de faMaitreife. Je l'ai connu quelque tems avant fa fortune ; il étoit alors Lieutenant dans le Régiment du Roi, affez mal dans fes affaires , & par confé-quent peu en état de voir un certain monde, du moins de la façon dont il l'au-toit fouhaité. Le hazard le plaça chez Madame la Ducheffe de Berry: ellecher-choit un homme de naifîance , qui voulût être Lieutenant de fes Gardes , car julques alors cette Charge n'avoit été exercée que par des perfonnes d'une naifîance ordinaire i ce qui failbit auffi que peu dé gens s'empreffoient à en faire la demande. ît.... crut avec raifon , que fa fituation préfente le difpenlbit de faire attention à de pareils fcrupules ; il parla à fa Sœur qui étoit Dame Ou Palais de Madame dé Bwy, du deflèin qu'il avoit de le préfen-B b 2 ter. JPabis. ter- Il le fie en effet, & fut reçu. lien fit les fondions affez longtems -, fans que la Princeffe le remarquât plus qu'aucun autre de fes Officiers. Voici ce qui commença à le faire connoitre. Un jour que la Princeffe fortoit , elle remarqua que R . , . i fuivant le devoir de fa Charge, n'étoit point à cheval à la portière de fon caroffe. Elle en parla à Mr. de la Rocbe-foucauh Capitaine de fes Gardes. Cet Officier aimoit R . . . & de plus étoit naturellement porté à rendre lervice. Il dit à la Princeffe, que R . . . étoit incommodé j mais qu'indépendamment de cette incommodité , aiant l'honneur d'être Gentilhomme , il avoit peine à faire le galopin à la portière du caroffe , tandis que plufieurs Officiers de la Maifon , qui ne le valoient pas , étoient dans le caroffe de fuite. La Ducheffe de Berry , qui éioit bonne Maitreffe , ordonna fur le champ que fon Lieutenant des Gardes auroit place dans le caroffe de fuite. R,.-la remercia, & fut plus afïidu que jamais à faire fa cour. Mad. de M . . . . dans la fuite parla fi avantageufement de R. que la Princeffe lui parla elle-même plufieurs fois : elle reconnut que Madame de M... lui avoit dit la vérité , & que R. . . méritoit qu'elle lui voulût du bien-II eut bientôt une fortune brillante, meubles , habits, équipages fuperbes j elle lui fit même donner plufieurs Régimens, r dont du Baron de Pôllnitx. 389 dont il fe défaifoit avantageufemcnt. Ce Paris. qui fait l'éloge de R. . • . dans fa fortune , C"eft qu'il ne s'en eft jamais fait accroire : toujours également bon ôc poli, fes anciens Amis l'ont toujours trouvé le même , Ôc allez fouvent il leur a rendu des fervices importons. 11 eut dans la fuite quelque démêlé avec le Duc Régent, qui le fit exiler à fon Régiment. Ce fut Pendant cet exil que la Ducheffe de Berry mourut à la Muette , le 20 Juillet 1719, agée feulement de 24 ans. Cependant le Roi, qui depuis fon retour de Vincenttcs étoit toujours demeuré à Paris, paflà des mains des Femmes entre celles des Hommes. On lui donna pour Gouverneur Mr. le Maréchal de Villeroy. Ce choix fut fort applaudi \ on le connoiffoit pour un de ces Courtifans de la vieille Roche, Ôc tout le monde etoit perfuadé de fon zèle ôc de fon attachement pour la perfonne du Roi. La fanté de ce jeune Prince étoit fi délicate, qu'on ne pouvoit apporter trop de foins pour la fortifier. Le Maréchal, tout âgé qu'il étoit, répondoit parfaitement à ce qu'on attendoit de lui : il s'acquittoit de fa Charge avec une affiduité extraordinaire , ôc il ne quittoit jamais S. M. de vue. Le Pofte qu'occupoit ce Seigneur étant le plus honorable que l'on peut fouhaiter en France, il fe trouva bientôt des envieux qui cherchèrent, mais en-vain , à Bb 3 dè. Paris, détruire dans l'efprit du Public la bonne idée que l'on s'étoit formée du Maréchal. Ils avouoient qu'il étoit très propre à apprendre au jeune Monarque , à marcher ÔC à faluer en Roi , à mettre bien fon chapeau , à aborder poliment une Dame ôc autres chofes de cette nature ; mais qu'il n'étoit nullement propre à bidonner des fentimens convenables à fon rang , ÔC qu'il ne pouvoit jamais le faire penfer en Roi La fuite a fait voir de quoi étoit capable le Maréchal , ôc le jeune Prince donna bientôt des preuves qu'on lui avoit appris non-feulement à marcher, mais ^ penfer en Roi. Je me fouviens d'un trait qui fait bien voir qu'il étoit très perfuadé qu'il étoit le feul Maitre dans fon Royaume , & qu'il n'y avoit perfonne au-deffus de lui. Madame étant venue aux Tuileries pour faire fa cour, ne fit qu'une très courte vifite , parce qu'elle alloit entendre la Meffe : elle dit au Roi en fe retirant, qu'elle alloit voir un plus grand Seigneur que lui. Ce jeune Prince parut un peu furpris ; mais après un moment de réflexion , il répondit à Madame : Sans doute , Madame , que vous allez prier Dieu-Un autre jour, les Comédiens François aiant repréfente devant S. M. la Tragédie à'Athalie , on dit que ce Prince ne put fupporter fans impatience le jeune Joas affîs fur le Trône ; il s'imaginoit que c'étoit un fécond Roi. il ne voulut pas même applaudir l'Enfant qui avoit par- p faitement bien joué le rôle de Joas. Ces traits montrent affez, qu'on lui avoit in-fpiré des fentimens convenables à fa Dignité , ôc que peut-être ne cèdera-t-il en rien à fon augufte Bifaieul. * Pour ce qui concerne mes affaires, j a-vois le chagrin de les voir toujours dans la même fituation. Ce n'étoit aifurément Pas faute de follicitation de ma part, ou de promeffes de la part du Régent ; mais enfin rien ne fînifloit , & j'étois alors aufli peu avancé qu'à mon arrivée en France , à cela près , que j'avois bien moins d'argent. Cependant, la pafiionque j'avois d'entrer au Service m'empêcha de nie rebuter , & fermant les yeux fur le peu d'apparence qu'il y avoit de réufîirje recommençai à folliciter. Le féjour que je faifois à Paris m'etant extrêmement ruineux , ceux qui me connoiflbient particulièrement , ne pouvoient comprendre comment je faifois pour me foutenir. Mademoifelle de Pollnitz apprit bientôt que je n'avois encore rien obtenu en France , ôc que cependant je m'obftinois à y demeurer; elle avoit peine à digérer la dé-penfe qu'elle fentoit bien que j'étois obligé de faire ; ôc comme mes biens lui é-toient fubftitués , elle s'imaginoit que l'argent que je dépenlbis en France étoit un bien que je lui dérobois. Elleréfoluc de me faire fortir de Paris t fâchant bien que Paris, par-tout ailleurs on fc fou tient à moinsde fraix. Pour réuffir dans fon deffein , elle pria la PrinceiTe de G. . . qui étoit en commerce de Lettres avec Madame, d'écrire à S. A. R. & de la prier de ne me plus protéger , parce que je ne méritois pas fes bontés La Lettre fut écrite &c envoyée à Madame, qui m'en dit tout le contenu. Elle étoit aifaifonnée de façon, que ma Couline pouvoit fe vanter d'être bien fervie. S. A. R. m'afTuraque cette Lettre ne feroit point d'impreffion fur fon efprit , & qu'elle continueroit toujours d'avoir des bontés pour moi. Je remerciai très humblement la Princefle , 6c je me retirai vivement piqué contre ma Cou-finc ; & dans mes premiers mouvemens de colère , je lui écrivis une Lettre dans laquellcje ne la ménageai pas. Comme elle avoit véritablement beaucoup d'efprit, elle me répondit fur le même ton. Je répliquai, elle de fon côté fit la même choie, ôcainfi nous entretînmes pendant quelque tems un commerce de Lettres , où nous nous difions de fort jolies chofes. Pour comble de bonheur ,je fus attaque d'un débordement de Bile , qui fut fuivi de la JaunilTe. Cette maladie me mit à deux doigts de la mort. Mes Amis ne m'abandonnèrent point , & entre autres l'Abbé d'^r/H/ fut celui à qui je peux dire avoic le plus d'obligation, il me pria de faire quelque réflexion fur mon état; du Baron de Pôllnïtz. 393 & comme il favoit que je n'étois point pARIt, Catholique , & que les préjugés dans lesquels j'avois été élevé me donnoient beaucoup d'éloignement d'un parti contraire, il me conjura de lui permettre de me parler de Religion, feulement une heure par jour. J'y confentis avec plailir. Tout le monde faic avec quelle force & quelle onérion il en parle. Il continua fes vifi-tès pendant toute ma maladie, qui infen-fiblement fe diffipa. Je fus li touché de ce qu'il me dit, que je lui promis de me faire initruire auffi-tôt que je ferois rétabli. Je lui tins parole , dès que je fus en état de fortir. Il me donna la connoif-fance du P: Denis, Carme déchauffé. Quelques conférences avec ce bon Père achevèrent ce que l'Abbé à'Asfeld avoit commencé ; de façon que peu de tems après je fis publiquement ma Profeiîion de Foi * entre les mains du P. Denis , dans l'Eglife de fon Couvent , en préiènce d'un nombre infini de perfonnes de qualité. Mr. le Marquis à'Asfeld & l'Abbé fon Frère me fervirent de Témoins, ckfignè-rent comme moi ma Profeffion de Foi. La Cérémonie finie , je fus affailli de toutes parts d'embraffades de la part de quantité de perfonnes, dont les trois quarts m'é- toient • [On a inféré à la fin du II. Volume la Profeffion de Foi de l'Auteur, telle qu'il la prélenta qucl- gfint, ôc à Madame. Cette Princefle l'en-, tretint pendant deux heures en Allemand, ÔC le Czar lui répondit en Hollandois. Lorfqu'il fc fut retiré, il dit à Mr. de S... que Madame étoit extraordinairement cu-rieufe, qu'elle vouloit tout lavoir , ôc qu'elle l'avoit trop queitionné; mais qu'après tout, il ne lui avoit dit que ce qu'il youloit bien qu'elle fût. Le Czar examina avec beaucoup d'attention tout ce qui méritoit d'être vu dans Paris , ôc fes environs : il s'informoit de tout, Ôc il avoit foin d'écrire fur des Tablettes ce qui lui paroiiloit digne de re* marque. Il fe levoit dès la pointe du jour, ôc alloit d'un endroit à l'autre jufques au; foir. Pour éviter tout embarras , il ne voulue fe fervir que des caroÛes de Mr. le Maréchal de Teffï. Ce Seigneur fe {e~ mît toit bien paiTé de la préférence , car il ftttlf* eut plufieurs chevaux de crevés ; ôc le pauvre Maréchal lui ' même n'auroit pas pu rélifter aux mouvemens continuels qu'il étoit obligé de fe donner, fi le féjour du Czar eût été de longue durée. Mais ce Monarque ne perdoit point de tems : il examinoit tout avec autant d'ex-aétitude que de rapidité , dans le defteiil de partir aufli-tôt qu'il auroit latisfait fa curiofité. On n'épargna rien à la Cour pour rendre à ce Prince les honneurs qui lui é* toient dus. Mr. le Régent ordonna exprès une Revue générale de toute la Mailbn du Roi -y elle fe fit dans les Allées du Rou~ h* & occupoit encore celles des Chan/ps Elyfées y parce qu'on y avoit joint les Gardes Françoifes ôc Suiffes. Le Czar s'y rendit à cheval. On s'attendoit qu'il feroit préfent à toute la Revue ; maïs il fe contenta de palier allez rapidement devant la première Ligne , fans feulement jetter les yeux fur les Troupes ; enfuite il pouffa fon cheval, Ôc fans faire aucune civilité au Duc Régent, il regagna Paris au grand galop. De là il fut tout de fuite, à S. Ouen, où M. le Duc de Trêmes, Premier Gentilhomme de la Chambre ÔC Gouverneur de Paris , lui donna une Fête , qui parut l'amufer plus que la Revue. Il eut bien de la peine à confentir que les Darnes entraffent dans l'Orangerie où la Paris, table étoit drefïee j il ne parla qu'à Madame de Béthune Fille du Duc de Ttêmcs ; elle fut redevable de cette diftinétion à Mr. de Béthune , qui aiant été longtems en Pologne, parloit très bien Polonois , ce qui lui procuroit l'honneur de pouvoir entretenir S. M Czarienne. Les principaux Seigneurs imitèrent le Duc de Trêmes, ôc donnèrent des Fêtes au Monarque Ruf-lîen. Le Duc Régent lui fit auffi préparer un grand Feftin à S. Cloud ; mais un moment avant que de partir de Paris, le Czar fut attaqué d'une colique violente, qui l'empêcha de fortir. Je ne fai même s'il a vu le Château de S. Cloud. Il parut fe plaire à Verfailles , plus qu'en aucun autre endroit : il en fit lever le Plan , ôc affura même qu'il vouloit faire faire quelque chofe de femblable dans fon Pays. Dans ce deflèin , il fit une levée de toute forte d'Ouvriers , à qui il promit de grands avantages pour les engager d'aller . en Moicovic. Un grand nombre s'y laiffa furprendre , ôc le Régent confentit à les laifler fortir du Royaume. On allure que les effets n'ont point répondu aux promeffes , ôc la plupart le font eftimés très heureux d'avoir pu revenir en France. Ce Prince n'étoit point libéral ; ÔC fes préfens, lorfqu'il en faifoit, n'étoienc précieux , que parce qu'ils venoient d'un grand Prince. J'ai vu un pauvre Soldat des Invalides lui faire préfent du Plan de cet Hôtel : ce Prince parut fenfible à la Paris. beauté de l'ouvrage , qui avoit coûté dix années de travail; cependant le Soldat fut très peu récompenfé. Le Roi de France lui fit voir combien le Caractère François étoit différent du Mofcovite; il lui fit des préfens magnifiques. Le Czar s'en retourna dans fes Etats très fatisfait de la France : il paffa en Hollande, où la Czar inné l'attendoit : enfuite il continua fa route par terre jufqu'à Petersbourg. Le féjour du Czar en France avoit attiré un nombre infini d'Etrangers, de forte que Paris fe trouvant plus peuplé que jamais, on penfa auffi à inventer de nouveaux plaifirs. Un Particulier me fit une propofition , qui m'auroit fait grand bien dans ce tems-là, fi j'euife pu réuffir ; ce fut de me donner une fomme confidérable , fi je pouvois obtenir le Privilège de donner des Bals ôc à jouer dans les Champs Elyfées, où il auroit fait conftmire des Loges pour cela. j'en parlai à Mr. le Régent, qui, félon fa coutume, me promit d'abord ; mais Mr. d'Argenfony qui n'étoit encore que Lieutenant de Police, le fit bientôt changer de fentiment: il repréfenta a S. A. R. que ces Bals attireraient infailliblement de grands defor-dres. L'objection étoit fpécieule , ôc ne manquoit point de vraifemblance ; mais a-près tout , un tel établi il ement n'auroit pas beaucoup augmenté le deiordre, fur-Ce 3 tour, tout dans un endroit où l'on étoit depuis longtems dans le goût de fe promener la nuit, de façon que dhns le Cours il y a-voit fouvent plus de carofïès après minuit, que pendant le jour. D'ailleurs, il y auroit eu moyen d'éviter les delbrdrcs que l'on pouvoit prévoir. Mais Mr. d'Ar*. geufo» n'aimoit ni les nouveautés , ni à faire plaifir. Ce projet me flattoit d'autant plus, que fi l'affaire eût réutîi, je me voyois en é-tat de reffer à Paris, ôc d'y palier encore quelque tems affez gracieufcment. Mais enfin le voyant échouer , je ne penfai u-niquement qu'à partir pour Berlin. Dans le tems que je difpofois tout pour mon Voyage, je vis à Paris le Comte de Ro-thenbourg qui arrivoit de Berlin , ôc qui devoit y retourner dans peu , chargé des affaires de France. Il m'encouragea dans le deflein que j'avois d'y faire un Voyage , il m'alïura que rien ne me feroit plus aife que de vendre mes Terres , que le Roi venoit d'élever des Fiefs , ôc qu'il permettoit à un chacun de difpofcr de fes Terres : bien plus , il m'offrit de me mener avec lui, ôc de m'avançer l'argent dont j'aurois befoin. Toutes ces proportions me parurent très avantageufes ; mais |a réalité n'y répondit pas. Véritablement, il me prêta de l'argent, c'eff-à-dire des Billets d'Etat ; ôc profitant ainfi de la fituation où je me trouvai, il me fit con- du Baron de Pôllnïtï. 407 dure ûn marché dès plus ruineux que j'ayé Paru. jamais fait. J'efcomptai mes Billets, c'eft-à-dire, que je perdis confidérablement ; ôc avec l'argent qui me reftoit., je partis dè Taris pour Strasbourg, où Mr. de Rotken-bourg m'avoit donné rendez-vous Pour lui, il avoit pris fa route par la Bourgogne, où il avoit des Terres. Je l'attendis près d'un mois , ce que je n'euffe finement pas fait , fi j'eulîe été en argent. Lorfqu'il fut arrivé, il m'annonça quil lui étoit impôiïible de me mener avec lui à Berlin, parée qu'il n'avoit point de placé dans fon carOile. Il eft vrai que fon È-quipagc étoit rempli ; mais il y en avoit Ui âuroient plutôt dû être derrière que edans. 11 falut donc néceffairement ref-tôr à Strasbourg , en attendant que l'on m'envoyât de Berlin , de quoi continuer mon Voyage fans avoir obligation à perfonne. Je hë m'ennuyai point pendant le féjour que je fis à Strasbourg : j'y avois déjà été ; mais comme je ne m'y étois jamais arrêté , je n'avois pu remarquer ce qu'il y a de confidérable. * Stras- Stras-BdURG eft une des meilleures Places de «wrq, l'Europe. Elle eft Capitale de l'Alfacej& a été cbnquife par Louis XIV en 1^82, fans qu'il en lui ait coûté autre chofe que des menaces ôc dé l'argent. Ce Monarque l'a * Voyez, Tome L éc s Lettres, pag, a'59. Ce 4 *s- l'a fait confidérablement fortifier, & y a RG* fait confiante une Citadelle ôc un Arfe-nal, qui font des monumcns dignes d'un grand Roi. L'Eglife Cathédrale eft d'unç grandeur ôc d'une magnificence fans égaie. Les portes font d'airain, ôc très bien travaillées. Il y a une Tour pyramidale, d'un ouvrage tout à jour, qui eft d'unç hardieffe extraordinaire: elle eft haute de 5 74 pieds. La grande Horloge eft encore un morceau à voir: j'ai été furpris de la quantité de roues ôc de machines qui font mouvoir toutes les Conftellations, ôc tourper des Aiguilles qui marquent fur des Cadrans de différente efpèce les heures du jour , le cours de la Lune Ôc des autres Planètes. La Sacriftie de cette E-glife eft très riche: on y voit des ornemens d'Autel ôç des Chapes d'une grande magnificence, Le Palais Epifcopal tient à l'Eglife : c'eft un bâtiment fort logeable, à la vérité, mais peu magnifique. II occupe un terrein confidérable, fur lequel on pourrait fajre quelque chofe de beau: mais il n'y a pas d'apparence qu'on y pen-lè fi-tôt. Mr. le Cardinal de Rohany aujourd'hui Evêque de Strasbourg , feroit plus propre que qui que ce foit pour une telle entreprife ; mais il féjourne peu à Strasbourg; il lui préfère, ôc avec rdifbn, le féjour de Saverne , où il a un Palais des plus richcs< Strasbourg étoit autrefois une Ville Im- pé~ pénale , dont le Magiftrat étoit Luthé- Strai^ rien: aujourd'hui les Catholiques font les bourg. maitres, & ont exclus les Luthériens de tout Emploi. Le Roi de France y entretient une forte Garnifon. C'eft le Maréchal du Bourg qui commande dans cette Ville pour le Roi, Ce Seigneur vit dans une plus grande retraite , que les perfonnes en place n'ont coutume de faire. Les Officiers y vont allez fouvent le matin, & le Maréchal les fait affeoir dans un Cercle, où j'ai vu obferver un filence qui auroit fait revenir les Etangers des préjur. gés qu'ils ont, que les François ont trop de caquet. Le Cercle fe tenoit pendant environ une demi-heure ; enfuite chacun alloit dîner où il jugeoit à propos, le Maréchal ne tenant table que les grandes Fêtes, ou lorfqu'il arrive quelque perfonne de diftinction de la Cour de France, ce qui eft affez rare, excepté lorfque le Cardinal de Rohan elt à Strasbourg. Son Eminence y attire bien du monde, & vit avec un air de grandeur convenable à fa naiflance & à fa Dignité. Ajoutez à cela , qu'il n'y a peut-être point de Seigneur qui ait des manières autfi gracieuiès & auffi polies. Lorfque ce Prélat n'eft point à Strasbourg, le féjour en eft affez trille, principalement pour ceux qui ne donnent point dans les débauches ordinaires de la Jeuneffe : car ceux-ci trouvent toujours de quoi s'amufer; & en effet, j'ai vu par Ce 5 moi- 4î« Mémo i r es Stras- moi-même que là JeUheflTe de Strasbourg iôurc eft affez débauchée, ÔC les Bourgeoifes d'un commerce fort facile. Apres avoir féjourné quelque tems à Strasbourg , je reçus enfin des nouvelles de Berlin, ôc de l'argent pour continuer ma route. Je paffai affez rapidement les Villes de * Heidelberg de Darmfad ôt de Francfort. Je m'arrêtai à Hanau , où j'eus l'honneur de faluer le Comte de cé nom, qui fait fa réfidence ordinaire dans Cette Ville. Il a époufé une Princeffe de Brandebourg-Anfpach , Sœur de Madame là Princeffe de Galles , de laquelle il n'à qu'une Fille, mariée à Mr. le Prince héréditaire de Hejfo-Darmjradt;âe; forte qu'il y a grande apparence que la Maifon de Hanau fera éteinte dans la perfonne dû Comte. Une partie de fes Terres, favoir celles qui font Fiefs de l'Empire, retomberont à Mr. le Landgrave de Hef Ji-Cafel, fuivant les conventions que et Prince a faites avec le Roi de Pologne, fui devoit hériter d'une bonne partie dù 'ays de Hanau, en qualité d'Electeur dé Saxe; mais ce Prince a vendu toutes fes prétentions au Landgrave, La Ville de H a n a u f eft fituée près du Main. On la diftingue en Vieille & Nouvelle Ville. Le quartier de la ViU© ncu- ï Y,°yci W Tome t. des Lettres, p. 381. T Voyez le Tome If. dcâ Lttires > pag 34* neuve doit fa fondation aux Walons Pro- St«as-teftans,qui vinrent s'établir dans ceCom- bouug. té pendant les Guerres de Religion dans les Pays-Bas: ce quartier eft le plus joli, les rues en font larges ôc tirées au cordeau, ôc des deux côtés on voit des maifons d'une Architecture prefque égale. On y obferve une Police très exacte, tant pour la propreté des rues , que pour la fureté des habitans. Les Comtes prédécefTeurs de celui-ci ont établi à Hanau plufieurs Manufactures, ôc il s'y fait un Négoce couiidérable en Tabac Ôc en Etoffes de laine. Les François Réfugiés n'ont pas peu contribué à rendre cette Ville beaucoup plus confidérable qu'elle n'étoit. Le Château du Comte eft dans la vieille Ville. Il a encore une autre Maifon aux portes de la Ville; on l'appelle Phi* lips-Rube, Les Apartemens en font très Beaux , Ôc meublés magnifiquement : les Jardins font aufli d'un grand goût, ôc d'une fituation très avantageufe. De Hanau je paffai à F u l » e , Ville Fw^be. Abbatiale de l'Empire. C'eft dans cette Ville qu'eft la fameufe Abbaye de Fulde, de l'Ordre de 5. Benoit. Les Religieux font tous Gentilshommes de feize quartiers. L'Abbé eft élu par fes Religieux, ôc il a le titre de Primat des Abbés,Pri»4 ce de l'Empire, & Chancelier-né de Vlmpé- ra- * Voycs le Tome I, des Ltnrn, p. 19^ Fulde. ratrice. Celui qui eft aujourd'hui revêtu de cette Dignité, eft de la Maifon de Butler: il entretient une groffe Cour, & plufieurs Régimens, de forte qu'il vit ab-lolument en Prince Séculier. J'aurois eu lieu d'être très fatisfait de la réception qu'il me fit, s'il ne m'eût pas fait tant boire j mais en vérité, la chofe alloit à l'excès , & fi j'y étois refté plus longtems, j'aurois bien pu partir pour un plus grand Voyage que celui de Berlin. Je crois, tout bien confidéré, qu'il ne faut pas grande Vocation pour erre Religieux à Fui Je: ces Meilleurs jouiflènt de tout ce que l'on peut fouhaiter pour vivre gra-cieufèment. La maifon qu'ils habitent ref-femble plutôt au Palais d'un grand Roi, qu'à un Couvent. L'Eglife Abbatiale, & une autre Eglife nouvellement bâtie hors la Ville, peuvent être comptées parmi les plus magnifiques bâtimens de l'Allemagne. ElSF. De Fulde je me rendis à * Eisenach, kach. par les chemins les plus abominables que j'aye jamais vu. Eifenach eft fitué iur la Rivière de Nèfe, aux pieds de Montagnes horribles. C'eft la réiidence du Duc de Saxe-Eifenach, delà Branche de Weimar. Comme ce Prince étoit abfent pour-lors, je n'eus point l'honneur de le voir. * VoyeE le Tome L des Lettres, pag 189. TfEifenach, je paffai à * Gotha. C'eft Gothj. dans cette Ville que demeure le Duc de Saxe Gotha. C'eft le plus puiffant Prince de Saxe , après l'Electeur. 11 defcend de l'infortuné Jean-Frédéric Electeur de Saxe, mis au Ban de l'Empire ôc dépouillé de l'Electorat par Charles-guint. Cette Ville eft bien bâtie. Le Palais du Duc , qui en eft féparé, eft entouré de remparts. De Gotha je me rendis à f ErfurT. Erfvut. Cette Ville appartient aujourd'hui à l'Electeur de Maience : elle étoit autrefois dépendante de la Maifon de Saxe, qui la céda par un Traité folennel à l'Electeur de Maience en 1665. Les habitans ont tenté plufieurs fois de fe fouftraire à la domination de l'Electeur , qui de fon côté a pris des mefures pour calmer leurs inquiétudes : il a fait fortifier le Château confidérablement, ôc il y entretient une bonne Garnifon. La Ville eft grande , ôc contient de belles Eglifes, parmi lefquelles la Cathédrale eft remarquable pour là grandeur. Cette Eglife avoit autrefois un Clocher des plus magnifiques, mais il y a quelques années que la flèche fut entièrement confumée par le feu du Ciel. D'Erfurtje paffai à * Leipzig. C'eftune hnivzic des plus confidérables Villes de l'Electorat de * Voyez le Tome I. des Lettres, p, 184. •f Voyez leToinc I. des Lcurts, pag, jg» Vjy« u IVaic 1 . deï Ltttru, p, n $, ' Leipzig, de Saxe. Elle eft célèbre par fon Univef-fité & fes Foires. Frédéric le Guerrier fonda l'Univerfîté en 1408: elle s'çft toujours foutenue avec éclat, malgré le voiiinage de l'Univerfité de Hall. La fituation de Leipzig eft charmante ; de quelque côté qu'on y arrive, on voit de belles Maifons & de» Jardins très bien entretenus, f es Bofes Se Appel, Marchands de Leipzig tanl fait des dépenfes étonnantes dans des Jardins qu'ils ont aux portes de la Ville. Ap' psi fur-tout en a fait faire un , dont un Prince fe feroit honneur. Outre ces Jardins, on trouve des promenades qui, pour être naturelles, n'en font pas moins agréables. Il y a un Bois qui mérite fur-tout d'être remarqué , on l'appelle en Langue du pays jRaJèndabl, c'eft-à-dire , Valon d* rofes. Ce Bois eft formé de quatorze Allées, au milieu delquelles il y a une grande Prairie. Les points de vue des Allées {ont magnifiques, Se tous agréablementdi-verfifiés. Les dedans de Leipzig répondent parfaitement bien aux dehors : les rues font fort droites, & les maifons grandes & bien bâties. Tout le défaut que j'y ai trouvé, c'eft qu'elles font trop chargées de fculp-ture, & qu'elles ne font point affez fym-eaétrifées. Elles font toutes fort élevées, & ont la plupart cinq ou fix étages. Le tout eft loué très cher , Se encore a-ton bien de la peine à s'y loger dans le tems de la Foirç, tant il y a de Marchands qui s'y rendent de toutes parts. Lorfque j'y LBt paffai, la Foire de S. Michel s'y tenoit. Le Roi de Pologne y étoit pour-lors. Ce Prince, lorfqu'il vient à Leipzig, ne loge point dans le Château, où il y a cependant des Apartemens fort commodes ; il demeure dans la maifon d'Appel : c'eft ce Marchand dont je viens de vous parler, qui eft propriétaire d'un des plus beaux Jardins des environs. Le Roi de Pologne préfère fa maifon à toute autre, parce qu'elle eft près de l'endroit où fe tient la Foire. Voilà, Madame, à peu près ce qu'il y a de plus remarquable à Leipzig. Je ne m'y arrêtai pas longtems , j'avois trop envie de revoir Berlin. Lorfque bej j'y fus arrivé , je menai d'abord une vie affez retirée. Je prévoyois le peu d'agrément que j'avois à efpérer dans cette Cour j C'eft ce qui me fit prendre le parti de n'y point paroître. Je ne pus cependant me te» nh longtems caché ; car les bontés, donc Madame la Margrave Douairière m'avoit toujours honoré , m'aiant obligé de lui rendre mes refpeéfs , cette Princefle mç reçut parfaitement bien, & peu après elle parla de moi à S. M. d'une manière fi a-vantageufe , que ce Prince eut envie de me voir. 11 me fit ordonner par Mr. dç Grmnkau de lui aller parler à Charlotte^ bourg, &c de me faire annoncer par Aft un de fes Valets de chambre. J'aurois bien fouhaité pouvoir m diipenfer de me rendre . dre à un tel ordre : mais il étoit trop pré-* cis, S. M. aiant même défigné l'heure à laquelle je devois paroître devant elle. Je me rendis donc à Charlottenbourg au jour marqué. Je fis avertir Afi, qui vint me recevoir Ôc me' conduifit dans une Gallerie , où il me dit d'attendre quelque tems# Je n'y eus pas été un quart-d'heure, que le Roi y entra, fuivi de La Four code, Maréchal de Camp & Commandant de Berlin, S. M. vint droit à moi, ôc elle me demanda avec allez de vivacité , d'où je venois, & pourquoi j'étois revenu à Ber*> lin ? Je répondis, que je venois de France , ôc que mes affaires domeftiques me rappelloient à Berlin. Ce Prince continua de m'interroger fur mes affaires \ il parut allez content de ce que j'eus l'honneur de lui répondre, &fe tournant vers La Four* cade, il lui dit, qu'il ne m'auroit jamais reconnu, s'il n'eût été averti que c'étoit moi. Il me dit enfuite, qu'il ne me re-gardoit plus que comme un François. Je répondis, que je me trouverois bien malheureux , fi S. M. penfoit ainfi ; & que quelque éloigné que je fuffe de fa Perfonne & de fes Etats, je me ferois toujours un honneur de me dire fon Sujet, & que je conferverois toujours pour mon Roi & pour ma Patrie les fentimens de refpect ÔC de fidélité dans lefquels j'avois été élevé-Le Roi me demanda enfuite, fi j'étois dans le deffein de vendre ma Terre ? Je lui a- vouai Touai que c'étoit l'unique moyen qui me Berlik. reitoit pour me mettre en état de fatisfai-re mes Créanciers : je le priai même d'interpoler ion autorité pour faire confcn-tir Mlle, de Pollnitz à cette vente. Le Roi me dit, qu'il donnerait fes ordres à Mr. de C. . . pour qu'il lui fît entendre raifonj &c il me congédia très gracieufement. Je retournai à Berlin, & je ne manquai pas d'aller remercier Madame la Margrave des bons offices qu'elle m'avoit rendus auprès du Roi. Quelques jours après , la Reine étant revenue de Charlottenbourg à Berlin,j'eus l'honneur de la falucr,& j'en fus reçu avec bonté. On fut bientôt de quelle manière j'avois été reçu de L L. MM. c'en fut allez pour engager les Courtifans à avoir pour moi des attentions, que je n aurois ofé efpérer d'ailleurs. Je fus peu lenliblc aux politeffes de ces Meilleurs,6c je me mis en état de finir la grande affaire pour laquelle j'étois venu. Je fis offrir des conditions avantageufes à Mlle, de Pollnitz, pour avoir fon confentement. Le Roi lui fit écrire à Hanover, pour la déterminer en ma faveur, laffurant qu'il trouvoit mes propolitions très raifonnables, & qu'elle lui feroit plaifir de les accepter. Je fis moi-même le voyage de Hanover, pour tâcher de la perfuader. Mais les recommandations les plus refpecfables ne firent pas plus d'effet, que les vifites que je lui rendis à ce fujet; elle demeura ferme dans fon refus. Tome L Dd A A mon retour de Hanover, le Roi mé fit ordonner de lui aller parler. Je fus introduit par un de fes Favoris dans un Cabinet où Sa Majefté a coutume de fumer. Le Roi jouoit alors au Triéf rac , en pré-fence de Mr. le Prince à'Anhalt Feld-Maréchal, ôc de plufieurs autres Généraux Ôc Officiers, Le Roi fe leva, dès que fa partie fut finie j il vint à moi, ôc me parla quelque tems fort gracieufsmenr. En-fuite s'étant alïïs , il ordonna à tous ceux qui étoient prélens de prendre des fièges. Chacun fe plaça, fans obferver de rang. Le Roi fuma, aulli-bien que la plupart de ceux qui étoient dans le Cabinet. Heu-reuièment , on ne me préfenta point de pipe ; ce qui me fit grand plaifir, car de nia vie je n'ai pu fumer. Le Roi me parla beaucoup de mes. affaires, ôc en particulier de la vente de ma Terre. Je ne fus pas longtems à m'appercevoir que ma Cou line avoit mis ce Prince dans fes intérêts i car aulïi-tôt qu'il s'agit de ma Terre , il me dit affez. clairement, que je fe-rois très mal de m'en défaire, quand même ma Coufine y confentiroit ; que, loin de payer mes dettes avec l'argent qui nie reviendroit de cette vente, je le dépenfe-iois pour mon plaifir ; qu'il étoit tems de penfer à faire quelque chofe qui en m'oc-cupant me mît en état de payer mes det-ics, fans pour cela mettre ma Terre en vente. Il ajouta, que fi cependant je per- fiftois à vouloir vendre mon bien, il écri- Berlïï*. roit encore à Mlle, de Pollnitz, pour la porter à y consentir ; que c'étoit tout ce qu'il pouvoit faire pour moi dans ces cir-conitances, ne pouvant fans injullice la contraindre à donner un conientemcnt qu'elle croiroir devoir lui faire tort. A-près avoir encore parlé quelque tems de mes affaires domeltiques, S.. M me parla du- bruit qui s'étoit répandu à Berlin de mon changement de Religion, & me demanda s'il étoit vrai que je fuffe Papille: je lui répondis, que j'étois delà Religion de mes Pères. J avouerai ici à ma honte, que je n'eus pas allez, de force pour pu-, blier hautement que j'étois ■ Catholique. D'ailleurs je crus, dans une ■ circonftance (i pteffante , pouvoir me tirer d'affaire par une équivoque. 11 elf des, Doc-r teurs,che7, qui cette Morale eit aflèz. bien feçue. L'é^ui/oque corriiitoit en ce que, difinr que j'étois de la Religion de mes Pères, j'entendois celle que mon Grand-* père éc mon Bilàieul avoient autrefois pro-feflëe i ôc en effet , tous mes Ancêtres ont été. Catholiques, Mon Grand-père f étoit aufli; mais il cmbratïà.Ia nouvelle Religion, pour fuivre le torrent. Le Roi qui crut par ce que je lui dis que j'étois toujours de là Religion Réformée,n'infif-ta point davantage à me faire parler fur cet article. Le Prince d'Anbalt ne fut pas fi ailé à fatisfaire: il fit connoitre au D<* * Roiy Roi, qu'il ajoutoit affez. de foi aux bruits qui avoient couru de mon changement de Religion : il dit même à S. M. que pour s'affurer davantage de la vérité de ce que je venois de dire , il faloit me faire communier dans l'Eglife du Dôme. Le Roi étoit allez de cet avis : cependant il n'eut point d'effet. Au fortir de chez le Roi , le Prince tfAnhalt, qui apparemment vouloit favoir au jufte ce qui étoit de mon changement, le prit avec moi du côté de la confeience : il me blâma beaucoup de n'avoir point avoué que j'étois Catholique. Comme je ne îavois trop où ten-doient ces remontrances , je n'eus garde de m'ouvrir à ce Seigneur, 6c je demeurai toujours fur la négative. L'Audience que j'avois eue du Roi me mit bien dans fon efprit ; il parla même un jour ii avantagenfement de moi en préfen-ce des Courtilans, que mes Amis me con-feillèrent de failîr ce rayon de faveur, & de demander de l'Emploi. Je fui vis leurs avis, 6c j'écrivis au Roi à Potzdam où il étoit alors. Deux jours après je reçus u-ne Réponfe, lignée de la propre main de Sa Majefté ; elle étoit conçue en ces termes. y ai reçu votre Lettre du 9 Janvier (1718.) Je vous dirai pour réponfe, que je vous accorde la première penfion de Gentil- hom- du Baron de Pôllnitï. 411 homme de la Chambre fui viendra à va- Beumm, quer. Frédéric - Guillaume. Je fus très fenfible à la bonne volonté que ce Prince me témoignoit, & je ne manquai pas, aufli-tôt qu'il fut de retour à Berlin, d'aller le remercier. S. M. eut la bonté de me dire, que ce qu'elle venoit de m'accorder étoit fi peu de chofe , que cela ne valoit pas un remcrciment. Il me femble , Madame , que c'étoit affez bien commencer , pour un homme peu accoutumé à voir fes projets réuffir. Lea Courtifans, à l'envi l'un de l'autre, me firent le plus d'accueil qu'il leur fut poflible ; de toutes parts je reçus des complimens, qui achevèrent de me perfuader que j'étois en faveur. Mais mon Etoile ne me permit pas d'être longtems tranquille,& bientôt il s'éleva une tempête qui me rejetta plus loin du Port que je n'en avois encore été. Voici comme cela arriva. Le Roi fit revenir au commencement de 1718, Mr. de Kniphaufen fon Envoyé en France, dans le deffein d'en nommer un autre. Plufieurs perfonnes follicitèrent ce pofte: je me crus endroit de le demander, oc pour mieux réufîïr , j'offris de le remplir fans être beaucoup à charge à l'Etat & je propofai une diminution de deux cens écus par mois , fur ce qu'on avoit coutume de donner. Cette proportion fut ûd 3 * af- Bïrlin- affez goûtée de Mr. de Grumkau Miniftre d'Etat: il me protégea, & fe chargea d'en parler au Roi. De mon côté j'en parlai à Mr. cYllgen, Miniftre des Affaires étrangères. Ce Miniftre avoit marié fa Fille à Mr. de Kniphaufen, qui étoit celui qu'on venoit de faire revenir. Je fis entendre au Miniftre, que je n'aurois jamais penfé à demander ecte place , fi je n'euflc été perfuadé que c'étoit Mr. de Kritphaujcn qui avoit demandé fon rappel. Je fus reçu de Mr. d'ilgen avec toute la poliref-fe poffible, & il me promit avec ferment de me fervir dans cette occafion. Il ajouta , qu'il étoit trop heureux de pouvoir me témoigner le refpecr. & la vénération qu'il avoit pour ma famille. Ces grandes politeffes dans un Courtifan me firent douter de la fincérité de fes intentions, ôc je fus bientôt que mes doutes étoient bien fondés. Ce Miniftre, mon Audience finie, voulut abfolument me reconduire. Je m'y oppolài autant que je pus; mais enfin voyant que c'étoit peine inutile , je le laiflài faire; il me conduilit jufques à la portière de mon caroflè. Je fus encore aux prifes avec lui fur le perron de fa maifon, je le fuppliai de ne point aller plus loin. 11 faut remarquer qu'il pleu-voit à verfe, ôc que cette raiton lctile devoit l'engager à le retirer. Tout cela fut inutile, il ne voulut rien rabattre de fès politefles, Ôc demeura conftamment à la -ia . por- portière jufques à ce que mon caroffe fut en marche. Ce fut là tout ce qu'il fit pour moi; car du relie, bien loin de me fervir auprès du Roi, j'ai fu de bonne part qu'il avoit fait tout le contraire. On m'a affuré qu'il étoit fâché que j'euf-fe demandé moins d'apointcmens que fon Gendre, qui étant à Paris, écrivoit toujours à Berlin, que ce qu'on lui donnoit ne lui fuffifoit pas pour le faire vivre. Pour furcroit de bonheur , le Roi reçut une Lettre anonyme,dans laquelle on l'affuroit que j'étois véritablement Catholique. On avoit joint à cette Lettre,pour plus grande fureté, une Attefiation authentique du P. Denis , entre les mains duquel j'avois fait ma Profcflïon de Foi. Le Roi témoigna être fâché contre moi : il fe plaignit de ce que je l'avois trompé. Plufieurs perfonnes me donnèrent l'allar-nie bien plus chaude qu'elle n'étoit. Cependant je ne me démontai point d'abord, ôc foupçonnant que la plupart des difcours qu'on tenoit ne tendoient qu'à m'é-ioigner de la Cour , je ne crus pas le Roi fi fâché qu'on me le difoit ; jufques à ce qu'enfin on vint m'avertir que le Roi pourrait bien me faiie arrêter. Ce fut H. . . qUi étoit aiïèz, bien avec M... Favori du Roi , qui vint me donner cet avis; auquel j'ajoutai d'autant plus de foi que je ne croyois pas qu'il pût en honneur travailler à me delTervir. Ce H. . . é-Dd 4 toit toit un miférable , qui après avoir mangé un bien conlidérable , vivoit d'une très petite penlion que le Roi lui faifoit pour avoir fervi dans Straljwd auprès du Roi de Suède, dans une Commiifion que peu de gens auroient voulu accepter. Comme fa penfion n'étoit pas aiïèz forte pour le faire fubfifter , plufieurs perfonnes rafîlf-toient. J'ofe, dire que fans être dans une fituation fort ailée, je lui ai été de quelque fecours, Cependant je puis dire avec vérité , qu'il m'a payé d ingratitude Ce fut lui qui vint m'exagérer une nouvelle, qui dans le fond n'étoit pas fufflfantc pour m'éloigner de la Cour ; mais la façon dont il j'y prit pour me l'annoncer , me fît croire que j étois perdu fans reffburce, fi je m'obflinois à reffer à Berlin. Il entra un jour dans ma chambre , d'un air fort confferné , & me dit qu'il venoit d'apprendre de Mr. de M... que dès que le Roi feroit de retour, je ne manquerois pas d'être arrêté. Ce difcours étoit fou-tenu d'un extérieur fi touché de me voir obligé de fuir, que je pris pour vrai tout ce qu'il me dit. Je réfolus donc de partir. La difficulté étoit d'avoir de l'argent, ce que je ne pus trouver que par le moyen de quantité de mauvais marchés, qui m'ont fort incommodé dans la fuite. Après que j'eus fait de l'argent de tout, je partis de Berlin pendant la nuit. Je dis chez moi que j'allois à Hanover ; mais auffi* auffi-tôt que je fus hors de la Ville , je Berlin. pris la route de Leipzig , où je demeurai quelques jours. Enfuite je paffai à Maience. J'avois un Coufin au fervice de l'Electeur , qui me reçut en bon parent. 11 me préfenta à fon Maitre , qui me fit une réception des plus gracieufes. J'ai eu l'honneur de vous parler des prérogatives de l'Electeur de Maience lors du Couronnement de l'Empereur; il ne me refte qu'à vous parler de fa perlbnne. Il lé nommoit Vrançois-Lotbaire de Schon-bom , de l'illuftre Maifon des Comtes de Schonborn. Outre l'Archevêché de Maien-ce> il avoit encore l'Evêché de Bamberg. Il avoit alors deux Coadjuteurs ; l'Electeur de Trêves Comte Palatin du Rhin, pour Maience; & le Comte de Schonbom Vice-Chancelier de l'Empire, pour Bamberg. L'Electeur pouvoit avoir autour de 7o ans; c'étoit un Prince d'un grand air, affable, adoré de fes Sujets & de fes Domeftiques , & très zélé pour tout ce qui pouvoit contribuer au repos & à la gloire de l'Empire. La Ville de Maience lui eft redevable des ouvrages magnifiques qu'il a fait conftruire pour la fortifier ; on peut dire qu'il n'a rien épargné pour mettre fa Capitale en état de ne rien craindre de la part des Etrangers. ♦Maience eft lituée fur un CA- Maiem-teau ce, • Voyez; le Ttwic fil. des Lettre,, page i96. 4i6" Me m oir e s teau le long du Rhin , dans un des plus beaux endroits de l'Allemagne. Ce n'étoit autrefois qu'un Evêché fufffagant de Trêves: le Pape Zacharie, ou félon d'autres, Grégoire III, l'érigea en Archevêché, & lui accorda en même tems la Primatie des Eglifes d'Allemagne. On dit que l'Evêque de Maience qui a été le premier honoré de la Dignité d'Electeur fe nommoit Willigife: il étoit Fils d'un Charron, d'autres difent d'un Charrier, du Village de Schoningen au Pays, de Brunfwick. Il s'éleva par fon feul mérite à la Dignité de Chancelier des Empereurs Othon III & Henri II. ôc enfin à celle d'Archevêque d Maience Ce Prélat conferva toujours une li grande humilité dans cette haute fortune, qu'il fit peindre des Roues partout dans fon Palais, pour avoir toujours devant fes yeux des marques de la baflef-fe de fon extraâion. On affure que c'eft deJà que les Electeurs de Maience portent toujours dans leurs Armes , de gue-les à une Roue d'argent. Le Chapitre de Maience eft compofé de 42 Chanoines. Le Doyen ôc les 23 premiers Chanoines s'appellent Capitulai' res ,■ les autres fe nomment Domicellaires-Les premiersélifent feulsl'Archevêque, qu» du moment de fon élection devient Electeur de l'Empire. Le Pape confirme fon élection en ce qui regarde le Spirituel, ôc l'Empereur fait la même chofc pour le Temporel. L'Electeur devient en même Maibn-tems Grand-Chancelier de l'Empire d'Al- ce. lemagne, ce qui lui donne la qualité de Doyen perpétuel des Electeurs , & l'in-fpection fur le Conleil Aulique & fur la Chambre Impériale de Wetzlar. Le Commerce eft affez florifïant à Maience, fur-tout en Vins, Les meilleurs Vignobles des Vins du Rhin fe trouvent dans les Etats de l'Electeur, & fur-tout dans les environs de Maience. Ce qui contribue encore beaucoup à y faire fleurir le Commerce , c'eft que toutes les tnarchandifes qui remontent ou delcen-dent le Rhin , s'arrêtent dans fon Port pour y changer de bateau. Je ne m'arrêtai pas longtems à Maience ; Je partis pour * Stutgard, Capitale du Stut-Duché de Wirtemberg. Cette Ville eft fi- GARD* tuée dans un très beau Pays : elle eft fé-Parée en deux quartiers par une petite Rivière que l'on appelle le Necker. Les maifons de Stutgard font communément affez mal baiics ; cependant , comme les fues font larges & bien percées , la Ville eft affez gaie. Le Palais Ducal eft très ancien , & très commode par la grandeur & la quantité des apartemens. Il a un très beau Jardin , dont l'Orangerie eft fans égale. Les arbres y font confervés en pleine terre , /par le moyen d'un toit & * Voyez le Tonw I. de* Lettru, p. ^ Stut- & d'une cloifon à couliiTe, qu'on a foin 6ard. d'échauffer l'Hiver par plufieurs fourneaux , ce qui y entretient un Eté continuel. Le Duc de Wirtemberg ne paffe ordinairement dans ce Palais que le tems du Carnaval; pour la Ducheffe fon Epoufé, elle y demeure prefque toujours. Cette Princefle a fa Maifon féparée de celle du Duc, où elle vit dans une grande retraite. J'aurois fouhaité pouvoir lui faire ma cour; mais je fus privé de cet honneur , parce que je n'avois pas été pré-fente au Duc. Ce Prince fait fon féjour ordinaire à Ludwigsbourg, Maifon de plai-fance qu'il a fait bâtir à quelques lieues de Stutgard ; mais dans le tems que je paffai dans le Wirtemberg, il étoit à Wildftadt, avec toute fa Cour. J'y allai pour avoir l'honneur de le faluer. Wildftadt eft un des plus vilains endroits d'Allemagne : il eft cependant très fréquenté, & caufe de fes Bains d'Eaux minérales, que l'on dit avoir une vertu fouveraine pour quantité de maladies , flir-tout pour le* Sciatiques & les relâchemens de Nerfs» Le Duc y paffe ordinairement un mois ou fix femaines, avec toute fa Cour ; ce qul rend le féjour de Wildftadt affez, gracieux, la Cour de ce Prince étant très nombreufê & d'une grande magnificence. Le Duc avoit avec lui le Prince Héréditaire fon Fils, marié avec Henriette de Truffe, Fille du feu Margrave Philippe. Ce jeune & " Prin- Prince étoit d'une figure très aimable : il Stut-a,aufïl-bien que le Duc fon Père, les ma- gard» nières du monde les plus gracieufes , fur-tout avec les Etrangers, qu'ils reçoivent Pun & l'autre avec de grandes marques de bonté. Les occupations de la Cour à IPïlftadt étoient de prendre les Bains le matin. Le Duc & le Prince fon Fils permettaient aux Gentilshommes de fe baigner avec eux ; car il faut remarquer , Sue dans chaque Bain on peut tenir vingt perfonnes très commodément. Au fortir du Bain , on alloit fe repofer. Vers le midi, on s'affembloit dans l'Apartement du Duc , qui paffoit enfuite chez Madame la Princeffe Héréditaire , qui étoit logée dans une maifon vis-à-vij celle du Ûuc , avec le Prince fon Epoux. Il y avoit là une table de feize couverts, très bien fervie , où les Cavaliers mangeoient avec le Duc & fes Enfàns : il n'y avoit que des Pages pour fervir. Après le dîner le Duc faifoit monter , ou montoit lui -même quelques chevaux de Manège, je n'en ai vu nulle part de plus beaux & de mieux dreflés , que ceux de ce Prince. Sur le foir , on s'alfembloit encore chez Madame la Princefle, où l'on jouoit jufqu'à l'heure du fouper. On m'a dit que lorfque la Cour étoit à Ludwigsbourg, les plaifirs y étoient plus variés : outre le Jeu il y avoit ordinairement Spectacle. Le Duc l'atmoit beaucoup, èz il entretenoic me- Stut- même une Troupe de Comédiens Frari^ card. çois, qui étoit allez, bien composée. En un mot, on peut dire que ce Prince ne négligeoit rien de ce qu'il croyoit pouvoir convenir, à là Digniié , ou rendre Ta Cour plus brillante. Et afin que tout cû: un certain air de grandeur , il a voulu-, à l'exemple des autres Souverains-, établit" un Ordre , dont il cil le Chef. On l'appelle l'Ordre de S. Hubert. C'eft un grand Cordon rouge , duquel pend une Croix émaillée de blanc. On n'y admet que les perfonnes d'une naiflance diltinguée- Le Duc , outre cet Ordre, porte encore celui de Truffe & celui de ha?mcmarc alternativement. Le Prince Héréditaire porte l'Ordre de Truffe en grand , & celui du Duc fon Père à la boutonnière, comme on porte en France la Croix de S-Louis ; excepté cependant les jours de cérémonie de S. H/drrt , qu'il porte- le Cordon rouge en grand. Parmi les perfonnes de diftinefion qu1 avoient accompagné le Duc à tVildfiadt, les plus remarquables étoient le Comte de Grâvenitz & S . . . C'étoient Ces dcuX Meilleurs qui difpofoient entièrement de* affaires. Le premier étoit Grand-Mare-chai de la Cour, & Prémier-Miniftre : if portoit l'Ordre de Truffe , dont le l'avoit honoré au mariage du Prince Pie-réditaire avec la Princeffe de Pruffe. Ce Miniftre, qui avoit toute la confiance du Duc de Wirtemberg , avoit été nommé Stut-pour accompagner le Prince Héréditaire à gud, Berlin. Il méritoit affurément la faveur dont le Duc l'honoroit ; j'ai connu p^u de Seigneurs plus obligeans et plus polis. Il s'en faloit beaucoup que S. . . eût des manières auffi affables ; cependant celui-ci étoit d'une condition bien différente : c'étoit un homme de fortune , qui auroit dû regarder comme le comble du bonheur , d'avoir été Secrétaire de feu Mr. ■B. . . Miniftre d'Etat fous le feu Roi a Berlin. Cependant après la mort de fon Maitre , fon Etoile le conduiik à la Cour de Wirtemberg , où il a amalïé des ri-cheffès immenfes , 6c eft entré dans les plus grands Emplois. Celui ci porte l'Ordre de Dannebrog : ce fut le Rot de Pruffe qui demanda cet Ordre pour lui au Roi de Dannemarc , à la recommandation du . Duc de Wirtemberg , qui étant bien aife de donner à fon Miniftre quelque marque qui pût l'illuftrer, 6c d'ailleurs ne voulant pas avilir fon Ordre de S. Hubert , fit demander pour lui l'Ordre de Dannebrog , qui fe donne indifféremment, fans aucun égard pour la Condition, La Cour du Duc de Wirtemberg eft toute Luthérienne , auffi-bien que le refte de fes Etats. Cependant il permettoic à Madame la Princeffe qui eft Réformée d'avoir une Chapelle particulière pour elle ôc pour toute fa Maifoo. La Comteffe Stut- fe de Grâvenitz Femme du Grand-Maré* 4Ard. chai , qui eft Catholique , avoit auiïi la permilîion d'avoir une Chapelle , où elle faifoit faire l'exercice de fa Religion. J'oubliois de vous-parier de la qualité que prennent les Ducs de Wirtemberg. Ils fe qualifient Forte-Bannière de l'Empire j ils défignent cette qualité par le troifième quartier de leur Ecu, dans lequel ils portent d'azur à la Bannière de l'Empire d'or, chargée d'une Aigle éployée à deux têtes de fable, Ôcpolèeen bande. Les Ducs de Wirte?nberg ont encore une Dignité plus réelle que cette première : c'eft d'être Directeurs du Cercle de Souabe, conjointement avec l'Evêque de Confiance. Le Duché de Wirtemberg fut autrefois confifqué au profit de Ferdinand I. , Frère de l'Empereur Charles-Quint. Il fut enfuite rendu aux Princes de ce nom , à condition cependant de le tenir comme relevant de la Maifon d'Autriche. Cette fujettion féodale fut éteinte en 1631, fous Frédéric Duc de Wirtemberg, à condition que faute d'hoirs mâles , le Duché feroit dévolu à la Maifon d'Autriche. En conféquence de ces Traités, les Princes de la Maifon d'Autriche portent le Titre àt les Armes de la Maifon de Wirtemberg. Pendant le féjour que je fis à cette Cour, une incommodité , qui m'inquié-toit depuis plusieurs années , devint à la fin fi férieufe, qu'au-lieu de continuer mon Yoya- j Voyage à Vienne où j'avois deffein d'aller sTUT. d'abord, je partis pour Strasbourg , dans gard. l'efpérance de trouver des Chirurgiens affez habiles pour me faire l'opération né-ceffaire. 11 y en en eut plufieurs qui voulurent m'entreprendre^mais le Lieutenant-de-Roi m'alfura que je ne pouvois rien faire de mieux' que de prendre celui du grand Hôpital. Je me déterminai donc cn faveur de celui-ci , dont je n'eus pis tfeq d'être fort content. Je ne fai s'il eit habile Chirurgien , mais je puis aifurer que c'eft un très dangereux Médecin. Jl s'avifa de me donner des drogues, (pour n*e préparer, difbit-il, à fupporter l'opération,) qui penlèrentm'envoyer dans l'aube monde. Heureufement , je m'apper-Çus affez tôt de fon ignorance , pour ne ta) pas donner le tems de me tuer, je difeontinuai de me fervir de fes remèdes, & lorfque je me vis affez rétab i pour fup-Porter les fatigues d'un Voyage , je retenus d'aller à Paris9 comme étant lafource des Chirurgiens les plus expérimentés. Je ^'arrêtai quelques jours à Saverne , où il sayek-y avoit très grande compagnie chez Mr. ne. le Cardinal de Rohan. J'eus l'honneur de faire ma cour à ce Prince, ôc il me reçut avec cet air de politeffe ôc de grandeur que vous lui connoiffez. De Saverne je me rendis à Lune ville. Dans toute cette route on ne trouve aucune Place confidérable que Phaltz-Tomel. Ee bourg", Pmaltx- bourg , qui faifoit autrefois partie de h bourg. Lorraine , ôc portoit le titre de Principauté. Aujourd'hui c'eft une Place très régulièrement fortifiée , ôc qui fert à af-furer la route que la France s'eft confer-vée dans la Lorraine à la Paix de Ryf- VJyck. La Cour de Lorraine fait fon féjour or-Lune- dinaire à Luneville, depuis le com-ville. mencement de la dernière Guerre , que les François mirent Garnifon dans Nancy, dont ils font demeurés maitres jufqu'à la Paix de Bade. Cette Ville , qui anciennement étoit très peu de chofe , mérite aujourd'hui d'être vue. Le Duc de Lorraine y a fait faire quantité de bâtimens, qui rembellillènt beaucoup, Ôc qui déterminent le Duc ôc la Ducheffe à y demeurer préférablement à tout autre endroit. Pour la Ducheffe , elle a une raifon particulière qui l'attache à Luneville ; c'eft que cette Ville lui eft affignée pour fôn Douaire. Le Château , qui eft affez, beau , n'a rien de magnifique à l'extérieur. L'entrée ôc la façade ont beaucoup de reffemblance à celles de Fer/ailles du côté de Paris > Je ne puis rien dire de la façade du côte du Jardin, parce que de ce côté-là le Palais n'étoit point achevé lorfque j'y paffâI-Les dedans font des plus magnifiques. Les Apartemens de LL. AA. RR. font val-tes ôc richement meublés. La première Anr du Baron de Pôllniti 43c Antichambre eft un Salon fort grand 6c LtiNtt- f d'une très belle ftructure : il eft boifé,ôc viix*. orné des portraits de la Mailon de Ler-rame. On voit dans l\m , le Père du Duc , faifant une Entrée triomphante : ce Prince eft repréfenié fur un char naine par quatre chevaux blancs ; la Renommée vole devant fon char ; la Paix 6c la Victoire lui préfentent des Couronnes de laurier ; des Turcs enchainés 6c foulés à fes pied.-: fervent de trophée à fon Triomphe : le tout enfemble forme un magnifi-ue tableau , qu'on m'a dit avoir fervi de effein pour des tapiflèries qui font, à ce Îue l'on dit, dans le Gardemeuble du Duc. c ne les ai point vues. Ce Salon fcpare les Apartemcns de LL. AA. RR. d'avec la Chapelle , qui pour l'ordonnance reffemble affez à celle de Verfailles. Elle eft à la droite de l'entrée du Salon , ôc les Apartemcns font fur la gauche. Ceux du Prince donnent fur Luneville ôc fur la Cour des Cuifines, ôc ceux de Madame font fitué3 du côté du Jardin. L'Apartement de Madame eft beaucoup plus vafte que celui du Duc. Lorfque je le vis, il étoit des mieux meublés , enrichi de dorures magnifiques , ds glaces, ôc de peintures des meilleurs Maîtres : mais depuis , cette partie du Palais a été entièrement confumée par le feu On m'a affuré que tout étoit rebâti de même qu'auparavant, ôc que les Aparte-^c ^ mens mens étoient également bien meublés? Voilà pour ce qui regarde le Palais : je vais à préfent vous dire deux mots de LL. A \. RR. & de leur augufte Famille , telle que j'ai eu l'honneur de la voir en 1718. Léopold , Duc de Lorraine & de Bar, étoit le Chef de la Maifon & le Souverain du Pays. Il avoic époufé Mademoifelle de France, Elizabeth Charlotte d'Orléans , Fille de Philippe de France Duc aroiffoit d'une grande conféquence pour es particuliers. S. A. R. en fit enregi-trer l'Edit, &il le fit publier par la Cour des Monnoies,prévoyant bien que lePar-' Jernent îement n'entreroit point dans fes vues. Le Paris. . Parlement s'offenfa vivement de la publication de l'Edit , prétendant qu'il auroit dù lui être communiqué pour être cnre-gîtré. Les Chambres s'allèmblèrent à ce fujet , & il fut arrêté que l'on inviteroit toutes les Cours Souveraines à fe joindre au Parlement , dans une affaire de cette importance. M. L. C. P. P. D. L. C. D. A. profita de la requilîtion faite à fa Compagnie, pour faire fa cour au Régent : il alla prendre langue au Palais Royal fur ce qu'il avoit à faire. Le Régent lui fut bon gré de cette démarche, & S. A. R. envoya fur le champ faire défcnfe à la Cour des Aides , Chambre des Comptes & Cour des Monnoies, de délibérer fur la requilîtion du Parlement. Cependant le Parlement continuoit toujours fes Afïemblées. Il envoya au Palais Royal une Députation , compofée du Prémier-Préfident, du Préfident ftAligre, & de plufieurs Confeillers , pour engager le Régent à révoquer l'Edit en queition. Us repréfentèrent dans un fort long Difcours , que lé hautement des Monnoies ne pouvoit qu'être préjudiciable aux François , &c profitable aux Etrangers, à qui on donneroit 60 liv. d'un Marc d'argent qui dans fa valeur intriièque ne feroit que* de 35 livres ; que cela répandroit dans le Royaume une infinité d'eiptces contrefaites j Fàms. tes> attendu le profit immenfe que les Etrangers y trouveroient. Ils fe plai-gnoient enfuite de ce que l'Edit avoit été enregîrré à la Cour des Monnoies , ôc non au Parlement 5 à qui du moins il auroit dû être communiqué. Le Duc Régent répondit aux Députés , que s'il n'avoit pas envoyé le dernier Edit au Parlement , c'eft parce qu'il avoit cru ne le devoir pas faire } parce que la Cour des Monnoies a été établie Cour Supérieure 6c compétente dans ces fortes de matières; que depuis 16^9 il n'y avoit point eu d'Edit concernant les Monnoies , qui eût été envoyé au Parlement , excepte celui qu'il y avoit envoyé en 1715, uniquement par amitié pour la Compagnie; qu'à l'égard des inconvéniens , il les avoit pelés , mais qu'il n'avoit pu fe difpenfer de donner l'Edit : Quant à la furféancede l'Edit , qu'il ne faloit pas y penfer ; que l'ouvrage étoit trop avancé , y aiant déjà une grande quantité d'efpèces de diftri-buées , ôc d'ailleurs des dettes qu'il faloit néceffairement acquitter. Cette réponfe ne fatisfit point le Parlement. Les Chambres fe rafTemblèrent au nombre de 165 , le lendemain matin 20 Juin , depuis huit heures du matin jufques à deux heures après midi , Ôc rendirent un Arrêt par lequel il étoit dit, qu'il feroit fait de très humbles remontrances au Roi, pour obtenir des Lettres patent bu Baron de Pôllnètz,. 449 tentés adrefTantes du dernier Edit des pitiit Monnoies non enregiltré au Parlement, comme préjudiciable au Rdi , au Corn-* merce, à l'Etat, & à la fortune des Particuliers ; qu'en conféquence , il étûit défendu à chacun de recevoir des eipèces de nouvelle refonte , défenlè à tous Payeurs dé faire aucun payement en autres1 efpéces que celles aiant cours conformément à l'Edit de 17155 défenfe pareillement à tout Notaire de paflër aucun Acte de payement ou de rembourfemeht fait a-< Vec les nouvelles efpèces. Cet Arrêt fut affiché par écrit dans l'intérieur du Palais. Le Parlement eut foin d'en faire difper-fe.r plulieurs copies manuferites , attendu la défenfe qui fut faite à l'Imprimeur du Parlement de le mettre fous la pretfe. Le Régent, qui fentoit Combien cet Arrêt étoit préjudiciable à fon autorité , affembla le Confeil. Il y eut Arrêt qui portoit, que celui du Parlement étoit attentatoire à l'Autorité Royale , que S.M. le calToit & l'annulloit, auffi-bien que toutes les réfolutions prifes dans cette Compagnie. Tout le monde fut en allar-me , on craignoit , & avec raifbn , les fuites d'un procédé fl violent. Le Parlement de fon côté ne diminua rien de fa hauteur , & les Gens du Roi aiant remis iur le Bureau une Lettre de cachet avec P Arrêt du Confeil d'Etat , on contint de renvoyer le tout ians en faire lecture & Tm*h Ff C,que Paris, que l'Arrêt rendu le jour précédent feroit exécuté félon fa forme ôc teneur. Sur quoi le Confeil d'Etat rendit encore un Arrêt 5 par lequel le Roi évoquoit à foi ôc à fon Confeil la connoiffance de tous les différends qui pourraient furvenir au fujet des Monnoies. Le Régent envoya enfuite deux Compagnies des Gardes Fran-çoifes à l'Hôtel de la Monnoie , & un autre Détachement au Bureau de la Banque. Après avoir ainfi tout affuré, il permit au Parlement de venir faire fes remontrances au Roi. Ce fut Mr. de Mef-wes Prémier-Préfident qui porta la parole, à la tête de fept Prélidens à mortier, de trente-deux Confeillers , ôc de Mrs. les Gens du Roi. Son difcours fut long 6c bien conçu. Il commença par l'éloge des qualités qu'on remarquoit dans le jeune Roi. Il dit enfuite, que lorfque le Parlement ne fouhaitoit paraître devant S. M. que pour les admirer, il fe trouvoit forcé de lui faire part des juftes inquiétudes de tous les Ordres du Royaume , au lujet d'un Edit concernant une refonte générale d'efpèces, qui appauvriffoit ce qui refrai t de gens aifés en France , fans que les pauvres qui étoient en grand nombre en fufîent foulages. Ce difcours étoit divilé en deux parties. Le premier re-gardoit la manière dont l'Edit en queftion avoit été diflribué dans le public. Le fécond faifoit un détail de3 inconvéniens que que les différentes difpofitions de l'Edit entraineroicnt , fi S. M. touchée de ces raifons n'en ordonnoit la révocation. Mr. de Mejbies appuya ces deux points par un difcours auffi fort qu'éloquent, & il finit en difant ,que dans les Arrêts que fa Compagnie avoit rendus , on n'avoit fait que fuivre les exemples qu'on avoit trouvés dans les Regîtres. Le Premier Préfident laiffa le Manufcrit de fon Difcours , afin que le Roi pût y répondre. Cette réponfe ne tarda guères à venir. Les Députés du Parlement furent mandez aux Tuileries le 2 Juillet 1718. Le Garde des Sceaux leur dit en préfen-ce de S. M. Le Roi a fait examiner en fon Confeil les Remontrances de fon Parlement 3 & S. M. fera toujours difpofée à les écouter favorablement , quand elles ne tendront pas à partager ou à Imiter fon autorité. 1\ ajouta , que l'Edit en queftion avoit été mûrement examiné, ôcque c'étoit le meilleur moyen d'aquitter les dettes de l'Etat j que cet Edit n'étoit pas fi à charge au Public , qu'il ne l'étoitqu'à ceux qui contrac-teroient à leur profit par des Aétes obligatoires. 11 conclut en di-fant, que le Roi déferidoit toute AiTem* blée tendante au manque de foumiflion, qu'il ordonnoit l'enregîtrement des Lettres patentes fur l'Arrêt du Confeil qui évoque à S. M. la connoiffance des con-teftatiûns mues & à mouvoir au fm'et d« Ff 2 r£- Mémoires l'Edit. Cette réponfe aiant été rapportée au Parlement, il y eut des Commiffaires nommés pour l'examiner , & en même tems pour rechercher dans les Regîtres s'il y avoit quelque exemple de Lettres patentes de cette efpèce, afin de s'y conformer. Les Commiffaires aiant fait leur rapport, la Compagnie conclut de repré-fcnter au Duc Régent, que l'on n'avoit rien décidé fur ce fujet, parce que la Compagnie fouhaitoit auparavant taire de nouvelles remontrances au Roi , & qu'elle fupplioit S. A. R. de leur procurer une Audience. Mr. le Régent fut piqué de l'importunité du Parlement : il répondit aux Gens du Roi qui lui avoient été envoyés , qu'il auroit cru que le Parlement fè feroit contenté de la réponfe que le Roi avoit donnée ; mais que cependant, voyant le contraire , il vouloir bien, non-obftant le dégoût que S. M. témoignoit pour les Remontrances,accorder la liberté d'en préfenter , mais feulement par é-crit. Le Parlement ne fe rebuta point , &C il continua toujours à demander Audience , ce qui fut enfin accordé pour le 26 Juillet, Tout ce qu'il y avoit de perfonnes de diftinction dans Paris fe trouvèrent chez le Roi , pour entendre les Remontrances. Le Prémier-Préfident parla près de trois-quarts d'heure. Son Difcours ne fut qu'une récapitulation de ce du Baron de Pollnitz-. 453 qu'il avoit déjà dit. S. M. repondit : Mon pA Carde des Sceaux vous expliquera mes in-tentions. La réponfe du Garde des Sceaux confifta dans ce peu de mots : Le Roi vous a déjà expliqué fes intentions , & il vous les expliquera encore davantage. Le Parlement, peu fatisfait de cette réponfe , qui lui paroifibit trop concife par rapport à la fituation préfente des affaires, prit feu contre celui que l'on re-gardoit, & avec raifon , comme le premier mobile du dérangement des affaires, je veux dire Jean Law, dont la fortune rapide fournillbit ample matière de parler. On fentoit bien qu'il étoit difficile qu'un Directeur de Banque eut pu acquérir tant de biens , fans qu'un grand nombre de perfonnes euffent fait des pertes confidé-rables. Le Parlement donna donc un a-journement perfbnel contre le Financier j mais il n'eut garde de paroître. Peu de jours après , le Parlement changea le Décret d'ajournement en un Décret de prife de corps. Mais le Duc Régent le mit à couvert par un Arrêt du Confeil. Ce Prince jugea bien qu'il étoit important pour lui de calmer l'inquiétude du Parlement, &c de faire refpecfer l'Autorité Ro» yale dont il étoit le Dépositaire. Pour y réuffir , il indiqua un Lit de Juftice au Palais des Tuileries, pour le 26 Août. Il ordonna à la Maifon du Roi de fe tenir fous les armes 6c de fe rendre chacun à Ff 3 l'on Paris, fon polie. Le même jour, il envoya des Lettres circulaires d'invitation à tous les Ducs & Pairs, aux Maréchaux de France, aux Chevaliers de l'Ordre, aux Gouverneurs 6c Lieutenans - Généraux des Provinces, aux Secrétaires ôc à quelques Confeillers d'Etat, qui furent choifis par le Garde des Sceaux. Les Princes y furent aufli invités. Le Parlement s'y rendit fur les onze heures, à pied, en robes rouges. Le Préfident de Novion étoit a la tête de la Cour, parce que le Prémicr-Prélident fe trouva alors très incommodé de la goutte: il vint cependant aux Tuileries en caroffe. Après le Confeil de Régence , le Roi paffa de fon petit Apartement fur la Ter-rafle , pour aller à fa Tribune. S. M. é-toit accompagnée du Duc Régent , ôc des Princes du Sang, Quatre Préfidcns à mortier ôc fix Confeillers vinrent l'y prendre, ôc le conduifirent jufqu'à fon Lit de Juftice. Le Roi s'étant alfis fur fon Trône, ôc toute la Compagnie étant placée , on commença par la lecture des Lettres patentes qui établi ffoient Mr. tPArgenfo» Garde des Sceaux ; il fut ordonné de les enregîtrer. Enfuite on lut un Arrêt du Confeil , qui dérendoit au Parlement de prendre connoiilance des affaires d'Etat. Sur cet Arrêt, le Prémier-Préfident prit la parole, ôc dit, que le fujet lui paroiffbit de fi grande importance, ce , qu'avec le refpe£t & la foumiffion que la Compagnie avoit pour les ordres de S. M. il la fupplioit de lui permettre de fe retirer pour en délibérer. On prêta aufli peu d'attention à cette Remontrance , qu'aux précédentes. Le Régent s'approcha du Roi, & lui parla a l'oreille ; Ôc le Garde des Sceaux s'étant aufli approché un inftant de S. M. il répondit à la Compagnie : Le Roi veut être 0-béi, <& obéi fur le champ. On lut enfuite une Déclaration qui por-toit, que les Ducs ôc Pairs auroient fé-ance au Parlement immédiatement après les Princes du Sang. Une féconde, qui portoit dérogation à la Déclaration du Roi duc Mai 1694,0c qui reftreignoit les Princes légitimés aux feuls honneurs ôc prérogatives de leurs Pairies. Et enfin une troifième , qui rétabliffoit le Comte de Touloufe dans tous fes droits, rangs ôc prérogatives , pour fa perfonne feulement. Après la le&ure de ces Déclarations, Mr. le Duc prit la parole , ôc repréfenta à S. M. que le feu Roi aiant paru délirer que le Duc du Maine fût chargé de l'Education de S. M., quoique cette place dût lui appartenir par le droit de (3 naiflance, il ne s'y étoit pas oppofé, parce qu'alors il étoit mineur ; mais ces raifons ne fubiîftant plus , il demanda que cet honneur lui fût déféré. Cette demin-Ff* de Pari», de lui fut accordée , auffi bien que celle des Ducs ÔC Pairs, qui demandèrent d'avoir la préféance au Parlement fur les Préfidens à mortier. Ce fut ainfi que finit ce Lit de Juftice, qui fera fans doute célèbre à la Postérité la plus reculée. Le Parlement fut très mortifié de la conduite qu'on tenoit à fon égaid , Ôc s'étant aflemblé dès le lendemain , il déclara par un Arrêt qui fut mis fur les Regîtres, qu'il n'avoit pu, ni dû , ni entendu avoir aucune part à ce qui s'étoit pafïè la veille au Lit de Juftice j Ôc pour que la Poftérité en fût in-ftruite, on nomma des Commiffaires pour dreffer un Procès verbal de la manière dont tout s'étoit pafïé. Le Régent, averti des démarches du Parlement, envoya des Détachemcns des Moufquetaires gris & noirs, commandés par un Brigadier, qui enlevèrent, pendant la nuit du 28 au 29, ceux qui avoient le plus infifté fur cet Avis. Tels étoient Mrs. de Blâmons " Préfident de la quatrième des Enquêtes, Teydeau Confeilier en la même Chambre, ôc de S. Martin Confeilier de la Grand' Chambre. On les fit monter dans trois caroffes, efeortés chacun de huit Moufquetaires avec un Officier à leur tête, ôc on les conduifit dans les endroits que la Cour avoit marqués. En même tems on feiht les papiers des deux premiers. Aufïï-côt que le Parlement eut été m verra verti de cet enlèvement, il s'affembla, & Paris. fit une Députation au Roi, pour le iup» plier de lui permettre de jouir du privilège qu'il a toujours eu 4e juger ceux de fon Corps , de quelques crimes qu'ils foient accules. Le Garde des Sceaux leur répondit : Les affaires qui attirent au Roi cette Députation, font affaires d'Etat, qui demandent le filence & le fecïet ; le Roi eft obligé de faire refpetler fon autorité. La (o?iduite que tiendra fon Parlement , déterminera les fentimens & les difpofttions de S. M. # fin égard. Les Députés allèrent le lendemain au Palais Royal, faire de nouvelles inftances auprès du Régent pour la liberté de leurs Confrères : mais S. A. R. leur fit à peu près la même réponfe qu'ils avoient reçue le jour précédent. Sur cela le Parlement ferma lès Chambres, ôc difcontinua de rendre la Juftice. Cependant les Gens du Roi étoient toujours en action, tantôt au Louvre, tantôt au Palais Royal, fans pouvoir obtenir une réponfe fatisfaifante ; ôc le 5 de Septembre le Marquis à'Effiat, Ecuyer du Duc Régent , notifia à la Compagnie de la part de S. A. R. de r'ouvrir les Chambres Ôc de continuer les Audiences , les aflurant que dans peu on répondrait ^ leurs dernières inllances. Cependant le bruit de la violence exercée à l'égard du Préfident ôc des Confeillers qu'on avojc arrêtés , indiipofa bien du 5 mon- . monde : on regardoic ces Exilés comme des Martyrs de la Liberté publique, & chacun s'imaginoit que cette affaire étoit la tienne propre. Plufieurs Parlemens parurent vouloir foutenir celui de Paris. Le Parlement de Bretagne témoigna plus de Zèle qu'aucun autre ; il écrivit une belle Lettre au Parlement de Paris, pour lui offrir de fe joindre à lui pour demander le retour des Exilés, & il en écrivit une autre à ce fujet à S. M. qu'il adreffa à M. à* la Vrillière Secrétaire d'Etat. Dans ce même tems un événement af-fe2, intèreffant partagea l'attention que les f rançois donnoient à leur3 affaires , 8t fixa les yeux de toute l'Europe. Ce fut l'Expédition que l'Efpagne fit en Sicile, Pour vous mettre au fait de cette affaire , je vais reprendre les choies de plus haut, & vous repréfenter en gros l'état des affaires de l'Europe depuis l'année précédente. L'Empereur, en conféquence de fes Alliances avec la République de Venife, à qui les Turcs avoient enlevé u* ne partie de la Morée , étoit follicité de déclarer la Guerre à ces Infidèles. Le Pape de fbn côté , qui appréhendoit que les Turcs ne priffent pied en Italie, fic agir auprès de S, M I. pour la déterminer à la Guerre. L'Empereur fut quel* que tems fans pouvoir fe réfoudre à rompre avec les Turcs, dans l'appréhenfion que PEfpagne ne profitât de cette ruptu* re pour attaquer fes Provinces d'Italie. Paris. Le Pape raffura ces Princes, fur la parole folennelle que le Roi d'Efpagne lui a-voit donnée, de ne rien entreprendre en Italie. Il lui fit même entendre, que bien loin d'avoir rien à craindre du côté de l'Efpagne, il avoit tout à efpérer de cette Couronne dans la Guerre préfente y puis qu'elle s'étoit engagée de lui envoyer une puiffante Efcadre , & que pour lui en faciliter les moyens , il avoit accordé une levée de deniers fur le Clergé d'Efpagne. Ces repréfentations firent imprelfion fur Pefprit de l'Empereur j mais ce qui le détermina abfolument, ce lut le Traité de Garantie qu'il avoit conclu a-vec l'Angleterre , par lequel cette Couronne s'engageoit de le fecourir de là Flotte, en cas que fes Etats fuiTent attaqués. Il déclara donc la Guerre aux Turcs, & il envoya contre eux une nombreufê Armée, commandée par le Prince Eugène de Savoie. La Campagne fut très g'orieufe pour ce Prince : il commença par gagner une Bataille près de Temef-war; il mit enfuite le liège devant cette Place, & la réduifit en peu de tems. Cependant l'Efpagne armoit , fous prétexte d'envoyer du fecours aux Troupes Veni-tiennes. Mais quelle fut la furprife de toute l'Europe, lorfqu'on apprit que le Prémier-Miniftre d'Efpagne , le Cardinal Aïbêryii 3 ci-devant Aumônier du Duc de Paris, de Vendôme, depuis Agent de Parme à la Cour de Madrid, ôc enfin par la protection de la Reine parvenu au combl» de la grandeur ôc de la fortune, avoit porté le Roi d'Efpagne à employer les fonds levés fur les Biens Eccléfiaitiques, & deftinés à foutenir la gloire du nom Chrétien , pour s'emparer de la Sardai-gne! La conquête en fut affez, facile, ce Royaume, fur la foi des Traités,fe trouvant alors peu fourni de Troupes. L'Em- ?ereur porta fes plaintes au Pape , à la Vance ôc à l'Angleterre , comme Garants de la Neutralité d'Italie. Ces Puif-fanccs firent tous leurs efforts pour engager le Roi d'Efpagne à fe défifter de fes prétentions. Le Duc Régent donna ordre au Duc de S. Aignan, Ambaffadeur de France à la Cour d'Efpagne , de re-préfènter au Roi tous les inconvéniens dans lefquels cette Guerre pourroit le jet-ter ; mais le Miniftre Efpagnol, qui comp-toit fur des intelligences fecrettes qu'il a-voit en France, refufa toutes propofitions d'accommodement , quoiqu'elles fuffent très avantageufes au Roi d'Efpagne. On lui offroit de le (faire reconnoitre par l'Empereur , légitime Poffeflèur des Ëf-pagnes ôc des Indes; ôc de plus, de faire confentir l'Empereur à ce que les Suc-Ceiïions de Parme ôc de Plat faute fuffent affurées aux Enfans de la Reine d'Efpagne : conditions infiniment plus avanta- geufes que celles qui lui avoient été ac- Paris, Cordées par la Paix à'Utrecht, & dont le Roi d'Efpagne avoit tant fouhaité de voir la confirmation l'année que mourut Louis XIV La conduite de la Cour d'Efpagne cau-fa véritablement de l'inquiétude à la Cour de Vienne , mais elle n'empêcha pas l'Empereur de continuer la Guerre avec vigueur contre les Turcs. Le Ciel bénit Tes armes, ôc en 1718 le Prince Eugène remporta près de Belgrade la Victoire la plus fignalée que les armes Chrétiennes puf-fent efpérer. Peu après la Bataille, les Troupes victorieufes réduifirent Belgrade , ôc enfin les Turcs fe virent contraints de demander la Paix. Pendant que tout pa-roiflbit y concourir, l'Efpagne mit en mer la Flotte la plus formidable qu'elle eût é-quipée depuis la malhcureufe Flotte fur-nommée l'Invincible. Elle aborda fur les côtes de Sicile, où elle mit à terre une nombreufê Armée, commandée par le Marquis de Lede. Le Comte de Maffèit Viceroi de ce Royaume pour le Duc de Savoie Roi de Sicile, fit toute la réfiftan-cc que la foibleife de fon Armée lui permettait ; Ôc s'il ne put pas conferver file, du moins il empêcha parla réfiftancel'Armée d'Efpagne de pouffer plus loin fes conquêtes. Il donna le tems à l'Amiral Bing, qui commandoit la Flotte Angloife, d'entrer dans la Méditerranée, ôc de combat- Paris. battre ta Flotte d'Efpagne, fuivant les ordres qu'il avoit. Ces ordres portoient , d'agir comme Ami, en cas que l'Efpagne fe défiftât de fes entreprifes contre la Neutralité d'Italie ; mais de faire une vi-goureufe réfiffance , fi les chofes alloient autrement. L'Amiral Bing communiqua ces ordres au Cardinal Albéroni; qui lui répondit fèchement, qu'il n'avoit qu'à les exécuter. Il les exécuta aufli, mais au defavantage de l'Efpagne. Il livra bataille le 11 d'Août à la Flotte Efpagnole, Ôc la défit entièrement. Dès que le Duc Régent eut appris cette nouvelle, il fit partir un Courier pour l'AmbalTadeurde Frangée à Madrid, avec des Lettres du Comte de S t air s pour le Comte Stanhope Ambaffadeur d'Angleterre. Le defïein de S, A. R. étoit d'engager ce dernier à retourner à Madrid, d'où il étoit parti le 27 d'Août, pour y faire de nouvelles inftances pour la Paix auprès du Cardinal Albéroni,çpà devoit fans doute être un peu étourdi de ce revers de fortune. Ce Comte, ou ne rencontra point le Courier, ou ne jugea pas à propos de retourner en Efpagne : il arriva à paris le 9 de Septembre. Cependant, la Guerre finiffoit alors entre l'Empereur & les Turcs, 6c les ordres étoient déjà donnés pour faire pafïèr des Troupes en Italie. Mr. le Régent, defef-pérant alors de porter le Roi d'Efpagne à la Paix , ordonna à l'Abbé Du Bois Arn- baffadeur de France à Londres-, de ligner Paiul conjointement avec les Ambafladeurs d'Angleterre ôcde l'Empereur,le Traité appelle communément le Traité de la Quadruple Alliante. Il réitéra encore fes ordres au Duc de S. Aignan, d'employer tous les moyens imaginables pour porter le Roi d'Efpagne à entrer dans les conditions qui lui étoient propofées par la Quadruple £ liance ; & enfin le Roi d'Efpagne aiant perfiflé dans fon refus , S. A. R. réfblut de lui déclarer la Guerre, & le Duc de S. Aignan eut ordre de demander fon Audience de congé. Ce fut dans ce tems-là, que le Duc Régent découvrit heureufement une Con-fpiration qui fe tramoit contre lui dans le cœur du Royaume. Le Roi d'Angleterre l'avoit déjà averti qu'il fe machinoit quelque choie; mais on ne favoit ni les noms ces Conjurés, ni la conduite qu'ils dévoient tenir. Cependant, le Régent fe doutant Sue toutes ces intrigues n'étoient fomentées que par le Miniftre d'Efpagne, il fit obferver de près le Prince de Cellamare Ambaffadeur de cette Couronne; & bientôt il fut au fait de tout ce qui fe tramoit contre lui. Il ne s'agiffoit de rien moins ue de lui ôter la Régence. Le Miniftre 'Efpagne , pour réuffir dans fon entre-prife, avoit fait raffcmbler en France un Corps de Troupes, qui rodoient dans le Royaume , comme gens qui trafiquoient du Paris, du faux fcl , ôc autres marchandifes de corn trebande. Ces Troupes dévoient à un jour marqué entrer dans Paris, invertir le Pa-1 lais Royal, ôc s'àffurer de la perfonne du Régent. Le cofnplot fut découvert, pref-que dans le teins qu'il devoit être exécuté. Ce fut le Prince de Cellamart qui en fut caufe en partie;non pas que jelcfoup-çonne d'avoir trahi le Miniftère d'Efpagne, mais peut-être pouf ne s'être pas af* fez défié de ceux qui l'approchoierit : cat on m'a dit que le paquet qui contenoit tout le myflère de la Conjuration ôc les noms des Conjurés , fut remis entre les mains de l'Abbé Portocarrero en préfcn-ce de deux' Domestiques, dont la fidélité n'étoit peut-être pas à l'épreuve des Louis d'or du Palais Royal. D'ailleurs cet Abbé , quoiqu'homme de mérite , n'avoit peut-être pas aiieZ d'expérience ou de prudence pouf fe conduire comme il faloit dans une affaire aufli délicate. Quoi qu'il en foit, il partit pour Madrid, chargé de Dépêches qui renfermoient la fortune de bien du monde. Il n'avoit pas encore fait grand chemin, lorsque fa chaife fe rompit au paflage d'un Gué. Il pen-fa fe noyer: cependant, malgré le danger où il étoit, il parut beaucoup plus appréhender pour fa Cafïétte que pour fa pro" pre vie. Cet empreffement pour la con-fervation de fa Cadette parut fufpecT: a Ceux qui le conduisent : les Surveillais que que le Régent avoit mis auprès de lui, Paru, en avertirent ce Prince allez tôt pour qu'il pût donner fes ordres au Commandant de Poitiers pour le faire arrêter, ôc faifir fa Caffette. L'Abbé fut donc arrêté * & ramené à Paris. Le Prince de Ceîlamare aiant été averti de ce qui fe paiïoit, reclama la Caffette, difant qu'elle contenoit les Mémoires de fon Am-baffade. On lui fit connoitrc qu'on n'étoit pas d'humeur de l'en croire fur la parole, ôc la Caffette aiant été ouverte au Palais Royal , on y vit tout le projet de la Confpiration, ôc les noms de ceux qui y étoient entrés. Ce qui fut le plus fenfible au Régent, ce fut d'y voir les noms de perfonnes qu'il avoit comblées de bienfaits. S. A. R. agit dans des circonftan- ces aufli délicates, avec toute la modéra- , tion pofïible, ôc fa conduite fut en tout fi mefurée, qu'à peine s'apperçut-on qu'il fe fût pafïe en France quelque chofe d'extraordinaire. Il fit relâcher l'Abbé Porto-carrero , comme une pièce inutile. Pour le Prince de Ceîlamare , il fut invité de venir conférer au Palais Royal: il n'y fut pas plutôt arrivé, qu'on envoya mettre le fcellé chez lui. Les Miniftres le conduj-firerut enfuite à fon Hôtel, où il fut fur-pris de trouver une Garde , qu'on chargea de répondre de fa perfonne. Quelques jours après, on examina tous fes papiers ca * Le 1 Décembre 1718. Terne L G g Paris, en fa préfence., ôc on en remplit trois cailles, qui furent cachetées & tranfpor-tées au Louvre , pour y être gardées jufques à ce que le Roi d'Efpagne eût envoyé des perfonnes de confiance pour les retirer. Enfin le 13 de Décembre , le Prince de Ceîlamare partit de Paris avec Efcoite. Pour les Contrebandiers, ils disparurent, dès que la Confpiration fut devenue publique. Tout ceci fe paffa dans le courant du mois de Décembre 1718. Le nj du même mois, le Duc ôc la Ducheffe du Maine furent arrêtés. Le Duc avoit été la veille rendre vilïte à Madame la Ducheffe d'Orléans au Palais Royal, $c il y étoit refte trois heures j enfuite il s'en étoit retourné coucher à Seaux, où le lendemain matin, un Lieutenant des Gardes vint lui annoncer qu'il avoit ordre de le conduire avec un bonne EfcorteauChâ-teau de Dour/ens. Le même jour à 7 heures du matin, le Marquis d'Ancmis, reçu Capitaine des Gardes en furvivance du Duc de Charôt fon Père , eut ordre d'arrêter Madame la Ducheffe du Maine. Il avoit foupé la veille avec cette Princefle, ôc l'avoit quittée fort tard : en rentrant chez lui, il trouva la Lettre de cachet qui le chargeoit d'une commifïion dont il auroit bien voulu pouvoir fe difpenfer j mais comme il feloit abfolument obéir , il vint le lendemain chez la Princefle. Comme elle étoit encore au lit auffi-bien que fes Daines , on fut fort funpris de revoir Mr. DU Ba ROfcï DE pollnitz. 467 à'Ancems de.£ abonne heure, & on fit quel- PAIU&-. que difficulté d'éveiller la Ducheffe : cependant, comme oo jygeoit bien que ce devoit être une affaire de grande conféquence qui amenoit ce Marquis, les Dames le laifluent entrer. La Princeffe le réveilla au bruit que la porte fit en s'ou-vrant , 6c elle demanda qui c'étoit. Mr. tfAiicenis s'étant annoncé, Mon Dieu ! lui dit-elle auffi-tôt, f#e l'Electeur menaça les Habitans de les a-bandonner : ils parurent ne s'en pas .foncier , fe flattant que fi la Cour s'en allait, Ja ilégence du Pays ôc les Tribunaux Hêidel- naux de Juftice leur demeureraient, com-*ERG. me fous je Gouvernement du feu Electeur. Ils fe trompèrent dans leur calcul, & l'Electeur , juftement indigné du peu de refpeét de les Sujets , les a abandonnés , & a transféré fa Cour ôc tous les Tribunaux à Mankeim. De force que les Bourgeois , qui ne vivoient que par le moyen de la Cour, ou des Officiers des Tribunaux de Juftice, fe trouvent à préfent dans une grande pauvreté. Ils n'ont guères tardé à reconnoitre la faute qu'ils avoient faite , & ils font venus fe jetter aux pieds de l'Electeur, pour le prier de revenir ; mais ce Prince ne les a pas é-Coutés, & il a fait rebâtir la Ville ôc le Château de Manheim. Le Château de Heidelberg fe fent encore du defordre que les François y ont tait ; il y en a une grande partie de ruinée, ôc de quatre grands Corps de logis dont ce bâtiment étoit compofé , il n'y en a pas un feul qui n'ait été endommagé. Ce qui refte du Palais eft dans un goût d'Architecture, que j'aurois peine à définir: il n'eft ni Gothique, ni Moderne : c'eft une rapfodie de tous les Ordres, entaffés les uns fur les autres fans goût ni difeernement. Il fcmble que l'Architecte qui a conduit cet ouvrage , n'ait penfe qu'à faire un bâtiment qui coûtât beaucoup , fans s'embaraffer qu'il fût bien ou mal. Ce Palais eft fur une Colline fort élevée; du côté de la Ville il y a une Terrafïe magnifique , d'où l'on découvre Heidel-ia Plaine , ôc d'où la vue s'étend à plu- berc. fieurs lieues. Les dedans du Palais ne font guères plus réguliers que les dehors. L'A-partement de l'Electeur çonfifte en plufieurs pièces d'enfilade, fans proportion ôc fans beauté. La difpofition feule en eft agréable, à caufe de la vue. Les autres Apartemcns font fort petits , & d'un a-bord très incommode; car il faut monter & defeendre quantité de petits degrés , pour y arriver. C'eft dans les Caves de ce Palais, que l'on voit une Tonne fameufe pour fa grandeur énorme : elle tient, dit-on, 750 muids de Paris. Les Electeurs ont fouvent fait.de grandes parties de débauche fur la platte-forme qui eft au-deffus. Je vous avoue que j'ai peine à comprendre qu'on. puiffe trouve du plaifir à faire de ces fortes de parties dans un pareil endroit , où l'on n'eft pas fort à fon aife. Sans être bien grand , on touche de la tête la voûte de la Cave, qui d'ailleurs eft très obfcure. Comme je me préparois à partir pour Vienpe , où favois deffein de demander de l'Emploi , je reçus une Lettre de Paris, par laquelle on me marquoit que l'orage que j'avois tant redouté étoit pafle, ôc que la crainte que j'avois eue étoit très mal fondée, Mr. le Régent ne me foupçonnant de rien ; & au contraire , é-tant porté plus que jamais à me faire fen- Tbme I, H h tir tir les effets de fa protection : fur cela J on m'exhortoit fort à revenir. Comme cet avis me venoit de très bonne part, je ne lis point difficulté de retourner à Paris. Je me préfentai au Palais Royal, comme auparavant. Le Régent me reçut très bien , & Madame me fit un accueil qui me confirma dans l'efpérance Si'enfin j'obtendrois quelque choie à la our de France. Je trouvai les efprits fort partagés , au fujet de la Guerre qui venoit d'être déclarée à l'Efpagne. Les François voûtaient bien la Guerre, mais ils auroient fouhaité ne la point faire contre un Prince, qu'ils avoient vu naitre chez eux, & dont l'établifTement leur coûtoit tant de millions ôc tant de fang. Le Régent eut peine à trouver quelqu'un qui voulût commander l'Armée, plufieurs s'en excuièrent. Le Maréchal de Ber-v)rck9 Fils - naturel de Jaques II. Roi d'Angleterre, préféra le fervice de la Régence aux anciennes obligations qu'il a-voit au Roi d'Efpagne. Ce Duc avoic commandé les Armées de S. M. C. qui Favoit comblé de bienfaits : elle l'avoit tait lui & fon Fils Grands d'Efpagne ; de Î)lus , elle leur avoir accordé à l'un ôc & 'autre la Toifon d'or, ôc le Duché de la-*'* pour le Fils Ôc fes defcendans. Cependant il accepta île Commandement avec plaifir, ôc il ;partit pour fe rendre en Ef-pagne. Le Régent engagea le Prince de Conti à prendre le Commandement de h Cavalerie ; il lui fit fournir cent-mille écus pour fes équipages , & lui accorda foixan-te-mille francs par mois pour tenir table ouverte : outre cela, fes chevaux dévoient être nourris aux dépens du Roi. S. A. R. aiant défigné ces deux Généraux, elle n'eut pas beaucoup de peine à trouver des Officiers fubalternes. Pour les encourager à fervir avec plus de zèle , il fe fit une grande promotion, confiftant en fix Lieu-tenans - Généraux , 72 Maréchaux de Camp , & 196 Brigadiers. Le Régent donna encore des Penfions à plus de 60 Officiers, qui fe rendirent auprès du Maréchal de Bevwick en Navarre , où la Campagne s'ouvrit par le Siège de Fonta-rabie. En même tems le Régent fit publier un Manifefte , conçu dans des termes pleins de confédération pour le Roi d'Efpagne ; on rejettoit fur le Cardinal Albérom tout ce qu'on trouvoit à redire dans la conduite du Prince ; on accufoit ce Cardinal d'être l'auteur de la Guerre entre les deux Couronnes, & d'empêcher le Roi fon Maitre d'accepter le Traité de la Quadruple Alliance , Traité qui n'avoit été conclu, difoit le Régent, que pour le bonheur de l'Europe & particulièrement de la France & de l'Efpagne. S. A. R. proteftoir, que la Guerre ne fc faifoit que pour porter le Roi d'Efoagne à la Paix ; & elle afïuroit que la France ne vouloit faire aucune conquête fur fes H h 2 Etats i 484 Memoir es Etats ; & que n* elle étoit contrainte d'en faire, elle ieroit toujours prête de les ref-tituer à la Paix. Le Cardinal Aibéronï répandit au nom de fon Maitre , plufieurs Ecrits, par lesquels il invitoit les Soldats François à em-braffer le parti de S. M. C. Ce fut pour réufîir dans ce deffein , qu'il engagea le Roi d'Efpagne à paroître à la tête de fon Armée, fe flattant qu'auffi-tôt'que S. M. paroîrroit, la moitié de l'Armée de France viendroit fe ranger fous fes Etendarts. Plein de ces idées chimériques , & inju-rieufes à des Officiers & à des Troupes également incapables de lâcheté & de tra- hifon, il obligea le Chevalier de S..... qui avoit été Colonel en France,& qu'un dérangement d'affaires avoit obligé de paffer en Efpagne , d'écrire à quelques Commandans en Chef, pour les folliciter à pafïer avec leurs Régimens au fervice d'Efpagne. Le Chevalier , qui en-vifageoit une fortune confidérable dans la réuifîtc de ce projet , écrivit au Lieutenant-Colonel de Normandie, & lui envoya la Lettre par un Officier, Gentilhomme à la vérité, mais qui alors faifoit une action qui en étoit indigne. Cet Officier parut à l'Armée de France, 6c rendit la Lettre à celui à qui elle étoit adref-fée. Celui-ci la porta au Maréchal de Berivick , qui fit arrêter &c pendre deux heures après ce malheureux Courier. Le Cardinal fut très mortifié d'avoir échoue dans dans cette tentative ; comme s'il n'eût pas »d'û penfer que ce projet étoit impra-tiquable, la fidélité des Officiers François aiant prefque toujours été hors d'atteinte. Il n'en fut pas alors de même des Soldats; il y en eut beaucoup qui paflèrent dans l'Armée d'Efpagne. Des perfonnes dignes de foi, qui voyoient alors particulièrement le Cardinal Albéroni, m'ont affuré que ce Minirire étoit tellement perluadé que des Régimens entiers paflè-roient au ièrvice d'Efpagne, que lorfqu'on lui rapportoit qu'il venoit d'arriver 50, 100, plus ou moins deDéferteurs,^«'^/?-ce que cela ? difoit-ii : ce font des Drapeaux & des Etendarts que S. M. veut voir arriver , & non pas une poignée de gens. Ce Cardinal avoit autour de lui nombre d'A-vanturiers, qui lui prédifoient toujours ■l'arrivée pochaine de Bataillons entiers ; ôc à l'ombre de ces prédictions, toujours fans effet , ils en tiroient tout ce qu'ils fouhaitoient, le tout pour un mauvais projet hors de vraifemblance, ôc qui ten-doit même quelquefois à tromper ôc à trahir ce Miniftre. On peut juger du caractère de ces Mrs. par celui d'un certain F- • • . qui avoit été Colonel Réformé en France , ôc qui, preffé par des créanciers impitoyables , n'avoit pu trouver, d'autres moyens d'échaper à leur mauvai-fe humeur , qu'en paflant auprès du Cardinal Albéroni. Ce F. . . . avoit un furieux babil ; il favoit faire le Capitan mieux H h 3 qu'hom- ?a*i$, qubomme du monde. Le Miniftre le fît * Brigadier, avec cela il lui fit donner cent piftoles de gratification. Cela ne parut point fuffifant à notre Cavalier, il fe mit en tête d'être Maréchal de Camp. Il im* portuna tant le Cardinal, que celui-ci, pour fe débaraffer de fes pouriùites, fut o-bligé de lui promettre qu'il le feroit dans peu. Mon homme , qui n'avoit pas le tems d'attendre , renouvella fes fbllicita-tions; il fut remis, l'impatience le prit; enfin il déclara qu'il ne ferviroit plus, s'il n'étoit fait Maréchal de Camp. L'Emi-nence fe fâcha, de façon que F. . . . crut qu'il étoit à propos de fe rendre, ou du moins d'en faire la mine. Cependant il médita de fe venger, & il crut que ce feroit un vrai moyen de faire fa fortune en France, que d'enlever le Cardinal, ôc de le conduire au Régent. 11 ne fut plus queftion que de prendre les mefures né-ceiTaires pour réuifir: on dit même qu'il les avoit prifes fi juftes, que fans la trahi-fon d'un des Conjurés qui révéla tout le myftère, l'afFaire auroit réuffi. Le Cardinal fit arrêter F. . . . ôc l'envoya prifon-nier à Famfelune, d'où il le fit transférer au Château de Ségovie , où il lui fit faire fon procès. Il auroit eu infailliblement la tête tranchée ; mais dans ce même tems le Cardinal Albéroni fut difgracié , comme j'aurai l'honneur de vous le dire dans quelque tems. Pendant que ces bagatelles fe pafïoient à l'Armée d'Efpagne, celle de France alloit toujours ion train très férieufement. Vontarabic émit ferrée de près. Le Roi & la Reine firent mine de vouloir fecourir la Place ; mais pendant qu'ils fe conful-toient, le Maréchal de Bervùck l'obligea de capituler. Cette conquête, quoiqu'a-vantageufe à la France , ne diminua rien du dégoût que les François avoient pour la Guerre. Le peuple y contribuoit à regret : cependant l'intérêt du Régent étoit de la continuer , Ôe voyant qu'il ne fàl-loit point penfer à la création de nouveaux Impôts dont on étoit déjà furchar-gé, il imagina de nouveaux moyens de remplir les coffres du Tréfbr. Il fit rendre un Arrêt du Confeil , qui ordonnoit une fabrique confidérable de Billets de Banque , ceux qui avoient déjà été fabri- Ïués aiant été enlevés en peu de tems. f Confeil rendit enfuite un autre Arrêt, qui ordonnoit une diminution fur les efpèces. On ne fauroit imaginer les mou-vemens que cet Arrêt excita dans Paris: chacun fe défit de fon argent, fur lequel on appréhendoit de perdre, ôc on courut recevoir du papier en échange, fur la PromefTÎ que le Confeil avoit donnée que « valeur des Billets feroit fixe , ôc qu'ils ne haufïèroient ni ne diminueraient jamais. Les François furent charmés de cet expédient, qui obvioit à toutes les révolutions d'augmentations ôc de diminutions. Cependant, on ne tarda guères à faire de fé- 488 Mémoires du B. de Pollnitz. I*ar:$. ferieufes réflexions fur le peu de foliditéde la matière en laquelle on transibrmoit fon or Ôc fon argent : la fureur de courir à la Banque fe rallentir. Mais bientôt le Régent trouva un moyen d'y faire porter le peu qui reftoit chez les Particuliers: il fit donner un Arrêt du Confeil, qui défendoit fous peine d'une grofîè amende , d'avoir plus de cinq-cens francs chez foi. En conféquence de cet Arrêt, on recommença à fe défaire de fes efpèces , ôc on prit des Billets de Banque, qui.étoient à la vérité ,. plus commodes que les efpèces, puifqu'a-lors on portoit fur foi la valeur de plufieurs millions. C'étoit un vrai moyen d'être à portée de faire de bonnes affaires , que d'avoir ainfi tout fon bien dans fa poche. Ce fut par ce moyen que le Duc Régent fut fournir aux dépenfes énormes, que lui caufoit la Guerre dEfpagne. On la continua avec vigueur, ôc peu après la prife de Font arable , l'Armée de France fit le Siège de S. Sébafiien, qui ne dura que vingt-cinq jours , au bout defquels la Ville Ôc le Château fe rendirent. FIN DU TOME /.IT*