m, D V T T R E S ET OIRES BARON DE PO LLNITZ, CONTE N A N T Les Obfervations qu'il a faites dans fes V O Y AG E S, ET LE CARACTERE des Perionnes qui compofent les principales COURS DE L'EUROPE TROISIEME EDITION, Augmentée de deux Volumes, & d*W* Table des Matières. T O M E PREMIER, A AlSTE R D A M, FRANCOIS CHANGVION. MDCCXXXVIL Chez, PREFACE. JL ny a gueres de Livres qui paroiffhnt fans Préface. Cefi le goût des Librai-tes : ils crojent que c'efi une chofe nécef-faire; & fouvent, ils jugent de la bonté d'un Ouvrage par une Préface ampoulée au un Auteur leur lit d'un ton de voix impofxnt. fai eu le malheur de tomber entre les mains d'un de ces Libraires armateurs de Préfaces ; il en a voulu abfo-ment une a la tête de mes Mémoires, & fai eu beau lui repréfenter , que f ignoro is même ce que devoit contenir une Préface , c'étoit parler k un fourd : il m'a menacé d'en faire compofer une, par un Auteur k gages. Cela ma épouvanté; fai tremble pour mon Livre , & n'ai point douté qu'une Préface écrite par un-Homme de Lettres, & qui fait profeffion de compofer de ces Pièces merveilleufes, ne dût entièrement étouffer le peu de bon qu'il peut y avoir dans cet Ouvrage. Lettres, Tome I. * * 5 Quoi ! Cuoi! me fuis-je dit, on nachètera donc mon Livre que pour la beauté de la Préface ; & ceux qui la liront, la comparant au Livre-même, diront, Ah ! quel Homme admirable , que cet Auteur de Préface ! quel pitoyafle Ecrivain, que ce Compilateur de Mémoires ! Non , ai-je continué a me dire, je veux que la Préface & le Livre aient le même fort ; puifjue le hasard nous a fait Auteur faifons-en tout le perfbnnage. On m'ajfure qu'une Préface eft deftinée a rendre compte au Public , des rai fins qui ont engagé V Auteur a compofer fon Ouvrage. Oh'enfiate il doit avertir §c même Public , que c'eft par complaifance pour fes Amis , & parce qu'il court des Copies très difformes de fon Manufcrit\ qu'il fe réfout de le mettre fous la prejfe. Et qu'enfin il doit conclure par un Placet* dans lequel il demande grâce pour fes productions. Voila ce qu'on m'a affuré être le flan di'une Préface : voyons maintenant fi je pourrai le remplir. Ouant au premier point qui doit trai'* îer~des motifs qui m'ont porté à écrire, j'avoue ingénument, que je n'ai d'abord fongéqu'a m'occuper, jf'étois extrème-Twnt éloigné du f enfer que U démangeai- fin P R E F A C E. vu fin de m'eriger en Auteur me dût prendre un jour, J'écrivais a un de mes A-mis , je cherchais a V amufer par le récit des chofes qui fe préfentotent à ma vue. y ai gardé les Minutes de mes Lettres, X-r infenjiblement j'en ai formé un Volume. L'oijiveté m'a engagé k les augmenter, & à les digérer de la maniere que je les donne au Public. Mes Amis ne m'ont nullement prejfé de le faire imprimer ; & il n'a pu courir de fattjfes Copies de mon Manu fer it , puifque perfonne ne l'a vu, & qu'il »*ft forti de mes mains que pour pajfer dans celles du Libraire. Mais, me dtra-t-on* quelle rage vous a rendu Auteur Ì & pourquoi, emporté par cette frénéfle, mettre votre nom a la tête d'un mauvais Livre ? fe répondrai encore, que c'eft l'oijiveté. Quant a mon mm , il aurait été difficile de le cacher aux ptrfonnes à qui je dois le plus, J'an-rois été foupçonné, dans des Cours que je refpeÛe & par inclination & par devoir , d'être lAuteur de ces Mémoires ;& peut-être que ji je les eujfe abandonnés comme des Enfant perdus , on y aurait inféré des traits , que mon defaveu n'aurait pu empêcher qu'on ne m attribuât. Quant ah Livre même , je m flatte ** ^ qu'il vin P R E F A C E. qu'il ne contient rien qui puìffe ojfcnfer ejfentiellement per fanne. J'y parle des Souverains , avec le refpeùf dû aux Oints du Seigneur ; je tâche de les honorer dans leurs Adinijlres , ma Religion m en feignant que je dois honorer Dieu dans fes Saints, y ai fait mes efforts pour dépeindre le Caratlere de ceux qui font en place ; tir fofe dire que je n'en parle pas fur de fmples ouï-dire , ou fur ce qu'en débitent les Gazettes. Grâces a Dieu , ma naijftnce , & la fortune où je me fuis trouvé, m'ont mis a portée de voir, d'entendre & de connoitre par moi-même. On trouvra peut-être, que je précipite mon jugement, lorfque je parle des Notions en général. Cela peut être, tous les . Hommes ne penfent pas de même, principalement fur cet article. Les Francois fe font une autre idée des Allemands , que les Anglois ; efr les Anglois ne portent pas le même jugement des François , que les Suédois. Il en efl de même des Particuliers; chacun prend l'efprìt de fon état: l'Homme de qualitéle Bourgeois , le Soldat, le Marchand , ont tous des idées différentes. Le Voyageur juge de la Nation où il efl,par la compagnie qu'il voit. XJn François qui ne verra en Allemagne yue que des gens du fécond ordre, dira que les Allemands font honnêtes-^ens, mais grof-Jiers. Un autre, qui fréquentera des per-fonnes dè qualité, ou en Charge, conviendra que les Allemands font plus polis que ne les dépeignent certains Auteurs François, que la mifere ou l'avanture à transplantés en Allemagne. Un Allemand, qui ne verra a Paris que des Marquifes du Faux-bourg S. Germain, croit que toutes les Femmes de la Cour & de la Ville leur ref-femblent. Enfin un Etranger qui habite la Cité de Londres, ne fe fera pas la même idée des Anglois , qu'un autre qui fera logé dans le Quartier S. James. Ce font, pour ainfi dire, autant de Nations différentes dans un même Etat-, qui ont peu de relation enfemble, & qui s'attribuent des vertus & des vices, quelquefois avec ajfez, de légèreté. Un Etranger ne peut donc juger fainement, que fur ceux qu'il fréquente i s'il a le bonheur de tomber bien, il fe fait une idée avant ageufe des gens du Pays, Que ces Etrangers, après avoir fréquenté ces diverfes compagnies, de retour chez, eux, fajfent le portrait des Nations qu'ils ont pratiquées; quelle étrange différence ne trouvera-t-on point dans leurs relations ! Les jugement que je fais des Peuples, * * 5 fi* font donc fondés fut Us compagnies que fai fréquentées , tff fur ce que m en ont dit des perfonnes du Pays mime, qui m ont pam dépouillés de toute prévention ^ejrqui ont bien voulu r»'honorer de leurs lumie* r es. Je ne dis point, qu'après cela je ne ptiiffe encore me tromper : je ne prêteus pas dépeindre les ehofis comme elles font, mais telles qu'elles m'ont paru être. Si toutefois quelqu'un fe trouve apofirophét lorsque je parle en général des Habit ans d'une Pro* vince ou d'une Ville; je le prie de fe fin* venir, * ne je conviens dans met Mémoires, qu'il n'y m peint d'Endroit dans là Monde où il u'yàit des gens de mérite; tf que ce n'efi pus ma faute ,fi fa confidence He Itti permet pas de je mettre du nombre. On me reprochera fans doute , que je rapporte trop de bagatelles * & que je paffe trop légèrement fur les chofesplus import an-tes* Je continuerai de parler avec frunchi-fit & j* rte ferai peint difficulté d'avouer, que fi en cemmenfunt ces Mémoires, j'tuffi cru Us devoir faire imprimer un jour, it deftr di les voir réufftr m'y eût peut-être fuit inférer beaucoup de riens, que fai o-mis ne croyant pas devoir m'en charger lu tété. On ne lit prefque plus que des bagatelles y & une Bifieire féru fortune, non par PREFACE, x* par Us faits infiruclifs an elle pourra contenir , mais par le tour romanefque, que l'Auteur aura fu lui donner. D'ailleurs, je ne fuis point ajfez, vain pour écrire dans U dejfein d'inflruire: ejr qtt'aurois-je pti rapporter dans mes Voyages , que d'autres n'eurent pas dit mieux que moi ? Varier de Savans ; faire un Catalogue des Livres & dp s Manu frit Si qui fe trouvent dans Us Bibliothèques ; aller fouiller dans Us Cabinets de quelque Curieux ; rapporter des Jnjcriptions , parler de Médailles antiques; affurer que fai vu ««Othcm de bronze, que l'on fauroit être d'argent : que de Savans j'aurois vu s'élever contre moi! .Maintenant je ne crains rien, les Hommes doctes ou m lifent point ds bagatelles, ou ne daignent point les critiquer, fe leur demeurerai inconnu , ou du moins ma médiocrité me garantira de Uur courroux. Je voudrais bien être auffi rajfuré contre la Critique de ceux qui lifant pour s'amufer, veulent dans Us bagatelles ce fiile escati, élégant, orné de fleurs <& de guirlandes de Rhétorique. .Mais comment Us gagner ? Leur avouer que je n'ai pu mieux faire, ils me diront, & avec rai-fin , Eh pourquoi donc écrire ? Je Uur répondrai comme fat déjà fait^ que l'oifive- xn PREF ACE. ti m'a engagé a mal faire. Qu'ils me par* donnent d'avoir écrit ;je les ajfure, qu'outre que je ne tomberai pas en rechute, je ne me fâcherai point s'ils dédaignent de jet ter leurs regards fur mon Livre; que fi la lecture de ces Mémoires les excite au fommeil) je me croirai très bien ré-compenfé d'avoir contribué a leur procurer quelque repos\ Après cela, je demande plus particulièrement pardon aux François, qu'aux autres Nations; c'ejl dans leur Langue que j'ai ofe écrire , ils font mes véritables juges. Leur politele, & leur fupport pour /« Etrangers, m'affurent de ma grâce. En reconnoijfance, je leur promets que fi jamais un François daigne écrire en Allemand , je lui pardonnerai toujours les fautes qu'il pourra faire. Il me rejie à avertir mes Lecteurs, que s'ils trouvent que mes Mémoires perdent encore le peu de mérite qu'ils ont, pour n'avoir pas paru plus tôt parce que les changerons arrivés dans bien des Cours rendent certains Articles moins intèreffans, cen'eji point ma faute ; mais celle du Libraire, qui avoit des Ouvrages d'importance a mettre au jour, & quipeut-être a cru que mes Mémoires paro/troient toujours trop tit> quelque tard qu'ils parujfent, LET- LETTRES . • d !: tlon • ... .! iV (& • DU BARON DE PÒLLNITZ, A JVIr. L. CD. S. '< a- R'Si ho unm . ;.;uxi 3ftOi xuiai^iâfci LETTRE h Monsieur, WlW®& e Maurois jamais entrepris de l|g t ^ vous rendre compte de mes SÌ J Voyages, il vous ne me l'euf-§&&££S^ fiez expreflëment demandé. Je vous ai averti, que vous me feriez, faire une chofe qui pourroit vous eau-fer de l'ennui. N'importe , difiez.-vous, ccrivez,-moi toujours. Je vous obéis, c'effc aûez,. Mais avant que d'entrer en matiè* re, foufFrez que je vous donne un fécond Tome I. A avis. avis. Vous ne trouverez pas dans mes Relations , le brillant dont elles pourroient être fusceptibles. Mais vous y trouverez beaucoup de digreiîîons, point de réflexions Litéraires, aucun Conte planant: je ne veux point me brouiller avec mon humeur hypocondriaque j elle tn'eft trop fidèlement attachée, pour que je lui feue infidélité. Vive la Bile noire l Les expref. fions choifies paiTent ma connoiflance, vous n'en trouverez point ici. L'arrangement n'y fera pas plus obfervé : vous fa-vez que je n'en ai jamais eu dans mes affaires; voudriez-vous que j'en eufle dans mes Ecrits? Enfin, mes Relations feront comme ces Bàtimens Gothiques, dont les matériaux font bons, mais où l'on n'a point obfervé les règles de l'Architecture. Voilà mon Avertiflèment fini ; j'entre en matière. De Brejlau à Berfin, il y a quarante milles d'Allemagne. Toute cette contrée eft fort unie, bien peuplée & bien cultivée. Dans la route il y a je ne lai combien de petites Villes, quine méritent pas qu'on en faiTe mention. Crossen eft la première Place d'importance. Cette Ville eft la Capitale du Duché dont elle porte le nom, qui faifoic autrefois partie de la Siléjle, mais qui aujourd'hui eft annexé à l'Electorat de Bran-debourg. Crojfen a des fortifications qui défendent le Pont, fur lequel onpaflèla »u Baron de Pollnitz. 5 Rivière de VOder. Elle eft fituée dans une Campagne agréable & fertile. Les rrtaifons font toutes de brique, ôc d'égale fymmétrie. Les rues font tirées au cordeau. La grande Place eft au milieu de la Vil- ' le; les principales rues y aboutifïent, & on y a placé la Statue du Roi de PrulTc. Crojfen fait un grand Commerce en Toiles tk en Pots de terre. L'Oder facilite beaucoup fon Négoce. On pafle cette Rivière au fortir de Crojjen fur un Pont, & une feconde fois devant Francfort, Ville con-Fran«. fidérable de la Marche de Brandebourg , *°RT* & célèbre par fes Foires & fon Univer-iité. Cette Ville a effuyé diverfes révolutions , fans toutefois avoir été accablée. L'Empereur Charles IV la mit au Ban de l'Empire , pour avoir desobéi à fes ordres. Les Habitans appaifèrent ce Prince en lui payant douze-mille Marcs d'argent, fomme confidérable alors. En 1631, les Suédois l'aiant affiègée, la prirent d'Af-faut ; ils y paflèrent tout au fil de l'épée, en représailles du maiTacre de deux-mille Suédois , que Tilly Général de l'Empereur avoit fait inhumainement égorger' dans la Ville de Brandebourg. La Paix de Mùnjler ou de Wtftphalïe, qui établit le repos de l'Empire, fit palier Francfort à l'Electeur de Brandebourg , fon légitime Maitre. A % Jo*~ Franc- Joachim I. fonda l'Uni verfité de Franc-roRT. fortj en !^0^ £ne eft fort fréquentée par les Siléfiens, & par les Hongrois Pro- teftans. Les Foires qui iê tiennent deux fois l'année à Francfort, rendent cette Ville marchande. Son Commerce confifte en Toiles & en Pelleteries. Il y a dix milles, de Francfort à Ber-Iht. Ce Pays eft plat & fablonneux. On parte par Munchenberg, petite Ville donc les Habitans font prefque tous Fils de François, fortis de leur Patrie après la révocation de l'Edit de Nantes. Plus on approche de la Capitale du Brandebourg, ôc plus on trouve de fables. Cela n'empêche pas que le Pays ne foit fertile en grains & en fruits. erlin. Berlin eft la demeure ordinaire du Roi de Prujfe. Cette Ville eft une des plus grandes , des mieux bâties , & des mieux policées de l'Allemagne Les nies y font larges , droites , propres , & bien pavées. Sa fituation eft avantageu-fe. Quoique dans un terrein extrêmement fablonneux, elle eft entourée de Jardins agréables, qui produifent des fruits & des légumes excellens. La Rivière de SprSe, qui traverfe la Ville, facilite fon Commerce, cette Rivière aiant communication avec le Havel, VOder , ôc l'E/be. Les François réfugiés pour caufede Re- li- du Baron de Pòlln iti. y ligiorijont extrêmement contribué à l'em- berlik. bellifTcment & à l'agrandifïement de Berli», ils y ont établi toutes fortes de Manufactures , ils y ont introduit les Arts; & l'on peut dire d'eux, qu'ils n'ont rien négligé pour témoigner leur reconnoifTan-ce à l'Ele&eur Frédéric-Guillaume & à fa Poftérité, de la manière généreufe avec laquelle il les avoit reçus dans fes Etats. On divife Berlin en cinq Quartiers, (ans compter les Fauxbourgs qui font très vaftes. Je parcourrai tous ces Quartiers, félon l'ordre de leur fituation. Mais a-vant que d'entrer dans ce détail, je vais vous faire connoitre ce qu'il y a de plus confidérable dans les Fauxbourgs. Les maifons y font prefque toutes de bois, mais fi bien revêtues de plâtre, qu'elles paroiflènt être de pierre. Les rues font larges, bien percées , & tirées au cordeau. La Reine a une Maifon & des Jardins dans le Fauxbourg de Spandau. Cette Maifon eft appellée Monbijou. Elle eft très bien nommée, car en effet c'eft un bijou. C'eft un Pavillon dont les aparte-mens font diftribués avec art, & meublés avec beaucoup de goût & de propreté. Les Jardins font charmans, &jouif-fent d'une belle expofition fur la Rivière. Ce fut la ComtelTe de Wartemberg, Femme du Premier-Miniftre du 'Roi Frédéric I., qui fit bâtir cette Maifon. Comme A 9 la la faveur & la puilTance de fon Mari c-' toient fans bornes, tous les Ouvriers & les Architectes du Roi s'empreflèrent à la bien fervir. Elle jouit peu de cette belle Maifon : a peine étoit-ellc achevée, que le Roi démit le Comte de War temi erg de fes Emplois, & le relégua à Francfort fur le Main; moyennant quoi il lui afiura & à fa Femme vingt-quatre-mille écus de Penfion. La Comtefïe en reconnoifiance donna au Roi cette Maifon, qui étoit de toutes les richeflcs immenfes qu'elle a-voit amaffées, la feule pièce qu'elle ne pouvoit point emporter. Le Roi la donna à la PrinceiTe Royale, aujourd'hui Reine. Sa Majeffé y a fait de grands embel-lifïèmens, & l'a conduite au point de perfection où elle eft maintenant. Dans le Fauxbourg de Stralau, il y a la Maifon & le Jardin du Belvedere, appartenant au Roi. Rolle , Surintendant des Finances de l'Electeur Frédéric-Guillaume , a fait faire ce Jardin , qui lui a coûté des fommes confideràbles. Comme ce Miniftre faifbit beaucoup d'autres dépenfes, il dérangea tellement fes affaires, qu'il fut obligé de tout abandonner. Il fe retira en Hollande ; 6c étant refté redevable à l'Electeur, fon Jardin lui fut confifqué. Ce Prince en fit don à Mr. de Fucks, qui étoit un de Ces Minif-tres. Le Roi Frédéric I. l'acheta de ce dernier, & après y avoir fait quelques cm» bel. du Baron de Pollïîitï. 7 belliiïemens, en fit préfent à la Reine fa berli k. troifième Femme. La fanté peu afiurée de cette Princefle l'aiant obligée de fc retirer en Meckelbourg fon Pays natal, le 'Belvedere a demeuré négligé. Près de cette Maifon Royale eft le magnifique Jardin de Craut, qui de Courtaud de boutique a fu par fon induftrie s'élever à la Charge de Tréforier-général de l'Armée, & enfin à celle de Miniftre d'Etat. 11 devoit être recherché dans les derniers tems de fa vie, mais il fut adroitement détourner cet orage en contre-faifant le fou. Enfin il eft mort, laiffant des biens immenfes, dont une partie eft tombée au Roi, par reftitution; & l'autre à fon Neveu, qui fait figure à Paris. Je fois entré dans Berlin par la Porte Royale, ainfi appellée depuis le jour que Frédéric I. y fit fon Entrée, après fon Sacre à Konigiberg en PrufTe. Cette Porte eft défendue par une Demi-lune & deux Baftions revêtus de brique ; elle fait face à la Rue Royale, une des plus longues & des plus fréquentées de toute la Ville. On y trouve de très belles maifons, parmi lefquelles on remarque particulièrement l'Hôtel de Catfib, Miniftre d:Etat- celui de Grumkau, & celui des Portes Royales. Ce dernier bâtiment a été commencé par ordre du feu Roi, pour fon Favori le A 4. Corn- Irrlik. Comte de Wartemberg, qui étoit Grand-Maitre héréditaire des Portes. La Rue Royale eft traverfée par cinq grandes & belles Rues. La première eft la Rue du Cloître, dans laquelle on diftin-, gue l'Hôtel de la Manufacture Royale. Frédéric I. l'acheta des Héritiers du Maréchal de Flemming, & y établit une A-cademie de Nobles : on y payoit trois-cens écus , on y étoit logé , nourri, éc inftruit dans tout ce qu'un Homme de qualité doit naturellement favoir. Cet éta-blifîement a duré quelques années ; mais enfin le peu de foin de ceux qui en étoient chargés, l'a entièrement ruiné. Le Roi régnant a changé cet Hôtel en Manufacture, &• y a donné des logemens à divers Ouvriers en Laine. Joignant la Manufacture Royale, il y a les Magafins publics, qui furent établis Se bâtis par le feu Roi; mais ceux-ci aiant été brûlés, le Roi régnant en a fait bâtir de nouveaux. En face de l'Hôtel des Magafins, eft l'Hôtel de Mr. de Crcutz. Miniftre d'Etat. Cette Maifon a de beaux apartemens, & eft très proprement meublée. En avançant dans la même Rue on apperçoit la Maifon de Mr Duvsine, François de Nation , & Lieutenant-Général des Armées du Roi. Attenant cette Maifon qui eft d'une belle apparence, eft l'Eglife neuve des Réformés, Edifice #evç fur les Defléins de Gru?iberg, Architecte du Baron de Póllnitz. 9 te£e qui avoit acquis de la réputation, & Berlin. qui ne l'a pas mal foutenue dans la conduite de ce grand bâtiment. La façade de l'Eglife a de la magnificence. L'intérieur eft fimple, comme le font toutes lesEgli-fes des Proteftans Réformés , que vous favez ne point admettre d'Images. Les fouterrains, ou les Catacombes pour inhumer ceux qui en ont la dévotion, méritent d'être vus. Quelques Perfonnes il-luftres y ont été inhumées, entre autres, Cafimir de Colbe Comte de Wurtemberg, Premier-Miniftre , Grand-Chambellan y Grand-Ecuyer, Grand-Maitre héréditaire des Poftes, Protecteur de toutes les Académies des Etats de Pruffe, & Chevalier de l'Ordre de l'Aigle noir. Il fut relégué en 1711 à Francfort fur le Main, où il mourut l'année d'enfuite : il ordonna que fon corps ferait porté à Berlin, & fa volonté a été exécutée. 11 avoit été tendrement aimé du Roi Frédéric I. Ce Prince l'avoit éloigné malgré lui, & comme forcé par une Cabale qui s'oppofoit à l'autorité du Miniftre : il étoit d'ailleurs irrité de l'infolence de fa Femme , pour laquelle Wartemberg avoit les plus baffes complai-fanccs. Le Roi lui fit propolér dans la fuite par le Comte Chrijlophe de Dona y ion Ambaflàdeur à Francfort pour l'Election de l'Empereur, de venir reprendre fes Emplois , à condition qu'il n'amene-roit point fa Femme ; mais Wartemberg le A 5 re* Berlin, refufà, difant, que fon honneur étoit engagé à ne point abandonner fon Epoufe. Peut-être fut-il bien aife d'avoir éprouvé une fois* la viciflîtude de la Fortune, & 11 favoit bien qu'il avoit été trop puiflant, pour n'être point haï. Le Roi Frédéric I. voulut voir pafler fa Pompe funèbre : il ne put retenir fes larmes ; & ce fut fans doute le plus gr^nd éloge qu'il pût faire de fon Miniftre. Joignant le Tombeau du Comte de Wartemberg eft celui de Henriette de Pòli-xitz., Femme de François Comte de Duhamel, Généralifftme des Vénitiens. Son Mari étant mort en Morée, cette Dame revint à Vcnifc, comptant d'aller terminer fa vie à Berlin d'où elle étoit native : mais, elle mourut en faifant fa Quarantaine , & elle fouhaita que fon corps fût porté à Berlin ; ce qui fut exécuté par deux de fes Neveux & une de les Nièces, qui ont été fes Héritiers. 11 y a encore le Tombeau du Comte......àeDen- hoff-, Lieutenant-Général des Armées du Roi, Chevalier de fon Ordre de l'Aigle noir , Miniftre d'Etat , Gouverneur de Memel, & Ambafladeur pour la Paix à Utrecht, où il acquit une haute réputation parmi les Etrangers. Mr. le Maréchal de Villars, qui l'avoit connu à Vienne dans le tems qu'il y étoit Miniftre chargé des Affaires de Fiance, me dit un jour en me pariant du Comte de Denbojf, que le du Baron de PoLLMitz. it le Roi de PruiTe ne pouvoit pas par fes bermw. bienfaits égaler le mérite du Comte. S'il avoit voulu me croire, ajouta-t-il, il fer oit au Jervice du Roi mon Maitre. La leconde Rue qui traverfe la Rue Royale, eft la Rue des Juifs. Elle aboutit à la Place du Molcke-Marck, où il y a l'Hôtel de Schierinoci K$t dune belle apparence. A quelques maiibns plus bas eft la Manufacture de Galons d'Or & d'Argent, qu'un nommé Schindler a établie avec fuc-cès. Cette Maifon appartenoit à la Femme de Mr. de Wenfen, Maréchal de la Cour du Roi Frédéric I.: elle la cèda en payement d'une amende à laquelle fon Mari a-voit été condamné par le Comte de Wartemberg alors Premier-Miniftre, quitenoit . Wenfen dans le Château de Cuftrin, parce qu'il avoit ofe repréfenter au Roi, que la table du Prémier-Miniftre, fervie par les Officiers de Sa Majefté, furpaûoit la dcpenfe de la table du Roi. Moyennant cette amende, Wenfen obtint fa liberté, & fut relégué dans des Terres qu'il avoit dans le Pays de Zeli. Au milieu du Molcke-March eft la Statue de Frédéric I., Pere du Roi régnant. Ce Piince eft repréfenté avec la Couronne & le Manteau Royal. Le jet de cette Statue a été fait par ordre de Frédéric I. même. Il vouloit la faire 'placer dans la Cour de l'Arfenal ; mais étant mort avant que ce dejGTein ait pu être exécuté, le Roi Iïrlin. fon Fils l'a fait ériger dans l'endroit où elle eft aujourd'hui, où véritablement elle eft beaucoup mieux placée. La Rue de Spandati, qui eft la troifiè-me Rue de traverfe, contient l'Hôtel de Ville & plufieurs belles Maifons. La Rue du 5. Efprit ne lui cède point en beauté, non plus que le Quai qui eft en face du Château ou Palais du Roi. On diftingue fur ce Qyai la Maifon du Baron de Verne-Jbbre, né de parens Négocians François Réformés, établis à Konigsberg en Pruflè. II s'eft trouvé en France pendant la Contagion du MiJJiJJtpi, qui lui a été auffi fa, vorable, qu'elle a été funefte à d'autres: il y a gagné plufieurs Millions, avec leC-quels il eft venu s'établir à Berlin. Il y a fait bâtir, a acheté la Terre de Hohenfîb* de Mr. de B'srflel, un des premiers Gentilshommes du Pays; s'eft procuré le Titre de Confeiller d'Etat ; & figure aujourd'hui parmi les Gens de qualité. Les Eglifes de Ste. Marie ,de S. Nicolas , & celle de la Garnifon, font auffi magnifiques que le peuvent être des Eglifes Pro-teftantes. Celle de Ste. Marie a une belle Tour. Lcrrfque trederic I. fit fon Entrée Royale au retour de fon Sacre, un Homme monta fur le globe de cette Tour, & falua le nouveau Roi, dun Drapeau. L'E-glife de !i Garnifon a étc fondée par le feu Roi. Elle fut extrêmement endommagée il y a quelques années, par le ravage que fit du B aron de pòllnitz: 13 fit un Magafin de poudre du voifinage, berli* qui fauta dans le tems qu'on en tranfpor-toit les poudres dans un endroit plus écarté. Le Roi Frédéric-Guillaume a fait rétablir cet Edifice avec plus de magnificence qu'auparavant : les Orgues y font très belles, & les Tribunes .très bien ménagées. Le Quartier de Berlin que je viens de parcourir, eft féparé de celui Coin ou Cologne par la Rivière de Sprée, que l'on pas-fe fur quatre Ponts, dont il y en a un de pierre, appelle le Pont-neuf. [A l'imitation du Pont-neuf de Paris, où l'on voit la Sta-tue d'Henri IV,] Frédéric I. a fait ériger far celui-ci, avec beaucoup de pompe & d'éclat, la Statue équeftre de 1 Electeur Frédéric-Guillaume fon Père. [Il n'y a point eu de Prince en Allemagne, qui ait plus tâché que lui de copier en tout Louis XIV, dont la magnificence lui donnoit de l'émulation.] Le Comte de Lottum, qui étoit Grand-Maréchal de la Cour lorsqu'on fit la Dédicace de cette Statue, accompagné de prefque toute la Cour à cheval, & du Corps de Ville, affilia à la Cérémonie , qui fe fit avec un appareil inconnu jufqu'alors en Allemagne en de fembla-bles occafions, mais qui aveit été pratiqué à Paris lorsque la Statue de Louis le Grand y avoit été érigée. Un nommé Jacobi a donné les Deffeins de tout ce Monument, & l'a conduit à l'état •«•run. l'état où il paroit àpréfent, après pluficurs années de travail & de foins allidus. Cet habile Ouvrier y a repréfenté l'Electeur vétu à la Romaine, & de grandeur héroï-que, c'eft à dire,au-deffus de la grandeur naturelle. La Statue eft placée fur un magnifique piédeftal de marbre blanc. Sur les quatre coins du foubafïcment qui fort d'empâtement au piédeftal, on a placé autant d'Efclaves de bronze, qui y parois-lent être enchainés. Après avoir pafïe le Pont, on apper-çoit le Palais du Roi; grand & fuperbe Edifice, que Frédéric I. commença à bâtir en l'année 1699; & digne Monument de la magnificence de ce Prince, qui étoit perfuadé que de toutes les dépenfes que font les Souverains, il n'y en a point de moins fujettes à la critique que celles qu'ils font en batimens. Et véritablement, celi dans cet Art que la magnificence eft dignement employée, & que la profufioa fpmble même être perniile, puiique c'eft çe qui fait le principal ornement d'un Etat. Plufieurs Architectes ont travaillé au Palais. Le premier fe nommoit Schluter. Comme on ne fut pas fort content de lui on le renvoya, & il paflà au (èrvice du Czar Viene Alexioviitz,. Tout ce qu'il» fait eft extrêmement chargé d'ornemens, qui ne font pas tout à fait dans leur proportion. Son SuCCCfleur fut Eojander^ du Baron de Pollnïtz. if Suédois, qui eft Lieutenant - Générai au bekhK» fervice du Roi de Pologne. Il fut obligé, en quelque manière , de fuivre ce que Schluter avoit commencé: ainfi, s'il n'a pas tout à fait bien réuffi, il a du moins une excule à alléguer. Le troisième fut Bot, François, actuellement Officier-Général en Pologne, qui fans contredit étoit beaucoup plus habile que les autres. Tout ce qu'il a fait eft plusfimple, mais plus grand, plus noble, ôc plus parfait. Ces trois Architectes aiant fuivi des idées différentes, il eft facile de vous imaginer que les façades ne font pas tout à fait régulières. Malgré tout cela, fi ce Palais é-toit achevé fur les Deffeins que le feu Roi avoit arrêtés, il n'y auroit que le Louvre de Paris qui le furpafïât en grandeur & en magnificence. Le Roi Frédéric-Guillaume ne fait point continuer ce bâtiment ; il laiffe cet honneur au Prince Royal fon Fils. Vous me difpenferez, sii vous plait,de vous faire le détail de ce vafte Palais. Contentez-vous de favoir, qu'il eft de quatre étages en comptant le rez-de-chaufïèe. Les apartemens font grands, ils ont de riches plafonds, & font meublés royalement. Je n'ai vu en aucun lieu du Monde une fi prodigieufe quantité d'Argenterie; Tables, Guéridons, Luftres, Girandoles, Ecrans, bordures de Miroirs, Canapés, Fauteuils, tout y eft de ce précieux métal. Le feu Roi laiffa pour deux Millions huit-cenc- millc mille écus d'Argenterie, non compris U façon. Dans la Salle nommée la Salle des Chevaliers, eft un Buffet qui occupe tout un côté, où il y a des Cuvettes & des Baflins de vermeil, d'une grandeur extraordinaire. Les meubles du grand Apartement font des plus riches. 11 y a une très belle Gallerie ornée de Tableaux ; le plafond de cette Gallerie eft peint par Peine, François: il y a repréfenté avec art, dans diw vers compartimens, les Actions principales du Roi Frédéric I. Il y avoit autrefois à l'extrémité de cette Gallerie un Sallon lambrifïé d'Ambre, ce qui étoit de la dernière magnificence. Le feu Czar étant venu à Berlin après fon voyage en Hollande & en France, admira particulièrement cet Ameublement, qui étoit unique dans fon efpèce. Le Roi lui en fit prêtent; de forte que ce qui avoit été amaffé avec beaucoup de foin & de dépenfe par plufieurs Electeurs, a palTé dans un jour au pouvoir de gens, qui au commencement du Siècle préfènt étoient encore regardés comme des Barbares. Le Palais étoit autrefois accompagné de Jardins, mais ils font détruits; on une Place-d'armes, où la Garde jries du Roi font près du Palais. C'eft unités grand bu. ir ent, qui fait face dans la ^uid' Rue. L'Architecture extérieure 5x7 Baron de PoLtNtrz; 17 xieure eft Gothique : mais les dedans font Biai.»*! des plus magnifiques. Les Ecuries font vaftes, larges, bien élevées, & bien claires. Les mangeoires font de pierre,* & les piliers qui marquent la place des Chevaux, font de fer, & ornés du Chiffre doré du Roi. Par-deflus les mangeoires il y a divers grands Tableaux, repréfen-tant les plus beaux Chevaux qui font for-tis des Haras de S. M. Le derrière des Ecuries donne fur la Rivière de Sprée, à laquelle on peut mener les Chevaux par un Efcalier fans marches, bâti en fer à cheval. Le Corps de logis de devant contient de grands logemens pour le Grand-E-cuyer, & les Officiers qui font fous fes ordres. Au-deflus des Ecuries il y a de grandes Salles,où Ton conferve avec foin quantité de beaux Equipages de cheval & de mulet ; de magnifiques Traîneaux avec des harnois convenables, garnis de grelots d'argent ou de vermeil,' grand nombre de belles Armes ; & enfin le riche E-quipage de cheval qui a fervi à Frédéric T.' le jour de fon Entrée : tous les ornemens de la bride, du poitral & de la croupière , ainfi que le mords & les étriers, font d'Or, garnis de Diamans brillans. Au delTus du Manège, eft le grand Théâtre, où l'on repréfentoit du tems du feu Roi, les Balets & les Comédies devant toute la Cour. L'Opéra de Roxane Tome I. % B & / e*ALiN. & Alexandre a été le dernier auquel ce Théâtre ait fervi. Il fut repréfenté en 1708, pour le Mariage du Roi Frédéric I avec Sophie de Meckelbourg. En 1706, à l'occafion de l'arrivée de la Princefie Royale aujourd'hui Reine, on y avoit représenté le Balet de la Beauté qui triomphe des Héros. Les Margraves Frédéric-Albert& Chrétien-Louis.,Frères du feu Roi, y dan-ièrent avec toute la Jeunefîe de la Cour. En continuant de defeendre la grand* Rue, on parvient à la Foifonnerie, où eft l'Hôtel de Ville de Cologne, cV l'Hôtel de Dbrfling occupé par le Comte de ÏÏbuà; Cette Maifon doit fon élévation au Maréchal Db'rffling, qui de Garçon-Tailleur, fut par la valeur & fon mérite parvenir aux premiers Emplois de la Guerre. On rapporte, que fortant d'Apprentiflàge à Tangertnunde, & voulant aller à Berlin, il le trouva fur le bord de YElbe, qu'il faloic pafler dans un Bac. Comme il n'avoitpas dequoi payer, les Mariniers lui refufèrent le paflage. Piqué de leur refus, il jetta par dépit fon havre-iâc dans la Rivière, maudiflant le métier de Tailleur; & retourna à Tangermunde, où il fe fit Soldat. La Guerre étant pour-lors allumée dans toute l'Allemagne, il ne fut pas difficile au jeune guerrier de fïgnaler fon courage, il le fit avec diftinc~hon : fes Officiera en furent charmés, ils contribuèrent tous l'avancer, & le firent connoitre à l'Electeur t>ù Bar ©n jje Po%ilwi«atta: Uiir F*ederie-rG$illa*wte. Ce Prince airaoit brrlik* la Valeur, il la récompenfok, & en étoit bon Juge: il ne s'en rapportoit pas à ce qu'on lui en difoit, niais il vòyoit combattre fes Officiers & fes Soldats, & les conduifoit lui-roçme.à l'Ennemi. 11 ne tarda pas à remarquer Db'rffii„g, ji \e vo_ yoit par-tout où il y avoit de la gloire à acquérir: il le reconnut fage, appliqué à fon Métier, & d'un efprit éloigné des brigues & des cabales ; avec cette probité Germanique qui faifoit la Vertu de nos Pères, & que nous nous contentons aujourd'hui d'admirer; L'Electeur recon-noiffant ce fonds de Vertu dans Dorjflìng, le crut digne de là faveur ; il l'eleva aux v premiers Emplois , & lui fit de grands biens. L'Envie a été de tous les tems: 1a fortune de Dorffling, ou plutôt fon mérité, excita la jaloufie de plufieurs Cour-tifans. Il y en eut qui dirent, que le Maréchal avoit beau devenir grand Seigneur, qu'il ne perdroit jamais l'air de Tailleur* Ces difeours lui aiant été rapportés, Oui, dit-il, fat étéTailleur j fai coupé du drap: mais maintenant, continua-t-il en portant la main fur la garde de fon épée, voici Vinflrument avec lequel je coupe les oreilles à eeux qui parlent mal dé moi. Ce brave Homme a fini fes jours dans un âge fort avancé, & a laiiTé un Fils qui eft mort fans poftérité, Lieutenant-Général des Armées du Roi de Pruflè,& B a Co: i6 E ï Tf t % I 5 Berlin. Colonel d'un Régiment de Dragons? B n'avoit pas la vivacité de fon Pére; mai* il en avoit la droiture, & la probité. Au fortir de la Poiflonnerie, en tournant à droite, on apperçoit l'Eglife Luthérienne de S. Pierre *, Edifice considérable; & on entre dans la Rue des Frères dont toutes les maifons font bien bâties' C'eft dans cette Rue qu'eft le Palais où s'affemble le Confeil Aulique, qui eft ce qu'on appelle en France le Parle-vient. C'eft là que fe jugent toutes les Caufes civiles. On en peut appeller au Confeil du Roi. Apres avoir paffé le Palais, on arrive à une Place, à la droite de laquelle eft l'Eglife du Dôme, qui eft Réformée, & regardée comme la Cathédrale de Berlin. Car vous lavez que le feu Roi avoit fait deux Evêques, l'un en PruiTe, & l'autre à Berlin. Ce furent eux qui le facrèrenr. Us font morts, fans que le Roi régnant les ait remplacés. C'eft dans l'Eglife du Dô- • Le ftu du Ciel étant tombé fur cette Eglife en J730, on la rebâtit avec magnificence. [Leu. d'Août 1734, la nouvelle Tour de cette même Eglilè, à 1». cjuclleontrav3illoitdepuis4ans » & qui étoit élevée de 190 pieds oh environ, tomba à 9 heures du foir lm la voûte de l'Eglife, qui a été extrêmement endommagée) ainfi que les mailbns voifincs. On ne (ait Îoint encore à quoi l'on doit attribuer cet accident; es uns veulent que ce foit le Tonnerre qui l'acaule-d'autres* un Tremblement de Tertej & il yen.aqui prétendent que l'Edifice eft tombé d« lui-mèmcj du Baron de Pòllnitz. 2y Dôme, qu'eft le Tombeau de la Famille bb Royale. En face de cette Eglife eft un grand bâtiment, compofc de plufieurs maifons d'égale fymmétrie, qui appartiennent à des Marchands. Ces maifons font foutenues par de magnifiques Arcades , dans l'enfoncement defquelles il y a des Boutiques où l'on trouve toutes lortes de marchandifes. En tournant les Arcades, on trouve un fécond bras de la Rivière, qui féparé le Quartier de Cologne de celui du Werder. La Rivière eft relferrée dans un Canal revêtu de pierre de taille, & formé par deux beaux Quais. On la palfe fur trois Ponts de bois. Les Edifices les plus confidérables dans le Quartier du Werder, lont la Douane Royale, qui a la commodité que les bateaux peuvent y aborder. L'Ecole des François , & leur Eglife deflervie par d'habiles Miniftres , & dont plufieurs, comme Mrs. Lenfant, de Beaufobre & Jacquelot, ont acquis de la réputation dans la République des Lettres. La Vénerie Royale eft un grand & magnifique bâtiment, où loge le Grand-Veneur avec tous les Officiers de la Vénerie. 11 y a auffi le Grand-Chenil, & des Magaiins pour tous les Equipages de Chafle. Près de là eft l'Hôtel des AmbafTadeurs, où font aufli logés les Princes Etrangers qui ne font pas d'un rang à être logés dans le B 3 Palais Palais du Roi. Cet Hôtel appartenoit autrefois à Mr. le Baron de Danckelman, Prémier-Miniftre du Roi Frédéric lorfqu'iî étoit Electeur. Ce Miniftre fit bâtir fà Maifon dans un tems que fa faveur leren-doit le Maitre de l'Etat ; il n'épargna rien pour la rendre digne du Pofte qu'il oc-cupoit. Des gens dignes de foi qui vi-voient alors, m'ont alfuré qu'après que cette Maifon fut achevée, le feu Roi delira de la voir. Mr. de Danckelman lui donna une grande Fête. Pendant que la Reine & toute la Cour danfoient, le Roi fe retira dans le Cabinet de fon Ministre, pour s'y entretenir feul avec lui. JU y confiderà attentivement un Tableau. bleau, & tout ce qu'il voyoit, lui appartiendrait bientôt. Le Roi ne comprenant pas ces paroles, en demanda 1 explication à fon Miniftre ; qui lui dit, „ qu'il favoit devoir encourir inceffam-„ ment fa difgrace, que là chute feroit „ fuivie de la confifcation de tous fes Biens ; qu'il feroit arrêté & conduit à w Spandau, qu'il y demeureroit dix ans, „ au bout defquels fon innocence feroit „ reconnue, que fes biens lui feroient „ r°ftitués, & que le Roi lui rendroit „ tes bonnes grâces ". Le Roi, qui ai-mcit alors fon Miniftre, 6c qui ne cro-yoitpas pouvoir jamais s'en pafïer, traita de viûon tout ce que celui-ci yenoit de lui du Baron de PoLLNiti a$ lui dire,il voulut même jurer furleNou- b*»lih. veau Teftament qui fe trouva ouvert fur une table, que cette funefte prédiction n'aurait jamais lieu. Mais le Miniftre lui arrêta la main, ôç le fupplia de ne point jurer une chofe qu'il ne dépendojt pas dç lui de tenir. Je tiens cette Hiftoire,ainfì que je vous la rapporte, d'une Dame de qualité, à qui le Roi l'avoit contée lui-même. Mais enfin, qu'elle foit vraie ou non, il eft très certain que Mr. de Danckelman fut difgra-cié, conduit prifonnier ïSpandau, & de là à Peitz, aiant pour toute compagnie fà Femme, qui eut la générante de demander d'être enfermée avec lui. Sapri-fon dura beaucoup plus qu'il ne Favore prédit ;& lorfqu'iî obtint fa liberté, il ne fut point rétabli dans fes Biens, On dit que le Roi régnant, qui à fon avènement à la Couronne fit venir Mr. de DanckeL man à Berlin, lui offrit leMiniftère- mais que le Baron s'exeufa fur fon grand âge, & fur ce qu'une trop longue prifon lui a-voit fait perdre le train des Affaires. Ce Miniftre eft mort depuis peu, âgé de quatre-vingts ans. Sa difgrace éclatante, & une prifon de quinze années, n'avoient point diminué la grandeur de fon courage, ni altéré la fermeté de fon efprit; & l'on n'a voit guères vu, avant lui, plus de mérite & plus de mauvaife fortune dans une même perfonne. U aimoit paffion-B 4 né- nément les Savans , & récompenfoit la * Vertu. En un mot, l'Etat perdit dans la difgrace de ce Grand-Homme, un Ministre fidèle & desintèrefle, & les Gens de Lettres, un Mécène plein de zèle & de folides connoiflànces, qui ne manquoit jamais d'appuyer de l'on autorité, 6c de faire récompenfer par fon Maitre, tous ceux qui lui propofoient quelque chofe d'utile & de fingulier. pour aller de l'Hôtel des Ambafladeurs à la Ville-neuve , il faut pafier devant; l'Hôtel du Gouverneur de Berlin *. Ce Pofte eft occupé par le Maréchal Comte de Wartenslcben, Seigneur refpeélable par fes vertus, par les longs fervices, 8ç par fon grand âge. La Maifon qu'il occupe fut bâtie par ordre de l'ElecteurFrv Baron de Pòllnitz. 30 demeure dans le Palais du Roi: mais ce BBRL Prince eft huit mois de l'année à Frede-richsfelde, Maifon de plaifance à une lieue de Berlin. Il eft le fécond Fils de l'Electeur Frédéric-Guillaume ôc de Dorothée de Holfle'm-Glucksbourg. çe Prince eft bien fait, il a l'air noble, & a été très bon Danfeur. 1 II aime la magnificence, & les plaints. Il s'eft beaucoup diftin-gué, au commencement de la dernière Guerre, au Siège de Keifexyjerdt & autres Places où il commandoit les Troupes du Roi fon Frère. S. A. R. eft Gouverneur de Poméranie, Chevalier de l'Aigle noir, Colonel de deux Régimens l'un de Cavalerie & l'autre d'Infanterie, au fer-vice du Roi. Il a aufli un Régiment d'Infanterie au fervice des Provinces-Unies, & il eft Grand-Maitre des fix Comman-deries de l'Ordre de S. Jean de Jérufa-lem, qui dans les changemens de Religion arrivés du tems de Luther, fe font fouftraites du Grand-Maitre de Malte, C 4 s'ar- trifè de l'Ordre de S. Jean, & a eu fon Régiment d'Infanterie au fervice de Pruile. Le Prince Frédéric, fécond Fils de S. A. R. a eu ion Régiment au fervice des Etats-Généraux des Provinces-Unies ; & Je Comte de Trnckfles-Walbmrg , Maréchal de Camp » a eu fon Régiment de Cavalerie. C'eft celui qui a été envoyé en France pour complimenter Louis Xf fur Ion Sacre, & enfuite pour la même commiflion à Prague vers l'Empereur. Les deux Cours ont applaudi à l'on eipfit & à fa politeûc. Berli». «'arrogeant le droit d'élire un Grand-Maitre fous la protection de l'Electeur de Brandebourg. Le Margrave a époufé une PrinceiTe de Cour lande. Héritière des Biens Allodiaux du E>uc Ferdinand fon Oncle, dernier de fa Maifon. Cette PrinceiTe , iàns avoir jamais pu être mife au rang des grandes Beautés, avoit beaucoup de charmes, une grande douceur, beaucoup de modeftie & de politelTe. Leurs AhelTes Royales reçoivent parfaitement bien ceux qui vont chez eux: cela fait que, malgré le peu de part qu'elles prennent aux Affaires, elles ne lailTent pas d'avoir toujours unenombreufe Cour. Elles ont trois Princes & deux PrinceiTes. L'ainé des Fils porte le nom de Charles, Prince très aimable par fa figure, & par fon caractère. L'ainée des Filles eft mariée au Duc de Saxe-Eifenach, Le dernier Prince de la Famille Royale eft le Margrave Chrétien-\_L$uis~] , troi-fième Fils du fécond mariage de l'Electeur Frédéric - Guillaume. Ce Prince eft Gouverneur de la Ville Se Province de Halberftadt, il a un Régiment d'infanterie, & eft Chevalier de l'Ordre de l'Aigle noir, & Commandeur de celui de S. Jean. Il a fait fes Etudes à t-eyde; enfui-te il a fervi avec diftinction eri Italie. Il vit maintenant retiré de la Cour, à Mal-ehau Maifon à un mille de Berlin, que le feu Rei avoit achetée des Héritiers de Mr. du Baron de PÒLLN iTZ. 4* Mr. de Fuchs fon Miniftre d'Etat. C'eft berlim. là que le Margrave, goûtant les piaifirs de la Vie privée, s'occupe à la chafle, à la lecture, & à tout ce qu'une Campagne agréable peut fournir de plaiûrs in-nocens. Ce Prince a été beau & bien fait il avoit l'air^rand, & quelque cho-fe d'héroïque dans la phyfionomie. Dans le fort même de fa jeunelTe, il a toujours aimé la Vertu, & de tout tems il a pu être cité pour un exemple de Sageflè. Son extrême grolTeur fait appréhender pour la durée de les jours *. Tous les Princes de la Maifon Royale portent l'Ordre de l'Aigle noir, qui eft celui de PrufTe j ils le reçoivent en naif-fant. C'eft un Cordon orangé , à l'extrémité duquel pend une Croix émaillée de bleu, faite en [Croix de Malte ; une Etoile d'argent eft brodée fur l'habit : on y voit au milieu un Ecuilbn orangé, fur lequel eft un Aigle noir à ailes déployées, couronné, tenant dans une de fes griffes une Couronne de laurier, 6c dans l'autre un Foudre. On y lit ces paroles en lettres d'or : S u u m cui qjj e. Frédéric I. inftitua cet Ordre le 17 Janvier de l'année 1701, à l'occafìon de fon Sacre à Kònigsberg. Il l'appella l'Ordre de l'Aigle • [ Il eft mort fubitement dans le mois d'Aoâc dernier (175+) à Match*», âgé de J7 ans, éum ne le 14 Mai 1677. Il n'a pas e'té rnarié.J C 5 BE*Liw. gl* noir, parce que c'eft un Aigle noir qui forme les Armes de PrufTej & il choifit le Cordon orangé, en mémoire de l'E-lectrice fa Mère, qui étoit une PrinceiTe d'Orange, du chef de laquelle il a prétendu être le plus proche Héritier de Guillaume III, Ro> d'Angleterre , dernier Prince d'Orange. Les Princes de la Maifon Royale ne font point excmts de palier par les Grades du Service, & ce n'eit point ici comme ailleurs, où ils ont des Régimens & des Gouverncmens en naifTant. Le Roi veut qu'ils fâchent obéir, avant que de commander. C'eft un encouragement pour les Officiers, qui fe trouvent honorés d'avoir pour égaux dans le Service ceux qui font nés leurs Maitres. Le Prince Royal a un Régiment de Cavalerie *. Mr. de Lëpel f Maréchal de Camp le comman-òo'it ci-devant ; mais le Roi l'aiant nommé au Gouvernement de Cuftrin, ce Régiment a pour Colonel Mr. de Wreechy homme de nailTance , de la Nouvelle-Marche. Son Père étoit Lieutenant-Général des Armées du Roi ; il avoit fervi l'E- lcc- * Le Roi a trouvé* bon depuis quelque tems, de conférer ce Régiment de Cavalerie au Prince Ah-lufle-GmlUnmt Ion fécond Fils, &dc donner un Ré-gimcnt d'Infanterie au Prince Royal. f Mr. de L'ópel eft mort au commencement de cette année 1733 » dans fon Gouvernement de Cu/frin. du baron de pòllnitz. 4? lecteur Frédéric-Guillaume, le feu Roi,& berli le Roi régnant. Mr. de Wreech donc je parle, au retour de fes voyages fut nommé Gentilhomme de la Chambre par le feu Roi. Après la mort de ce Prince, le Roi le fit entrer au Service, & lui donna une Compagnie de Cavalerie. Ce Cavalier s'étoic fort diftingué en 1708 à la Journée à'Oudenarde ; il étoit Aide de Camp de Mr. le Maréchal de Natzmer, pour-lors Général de la Cavalerie. Il eut un cheval tué lous lui, ôc fut fait prifon-nier : mais les Ennemis dans leur fuite ne laiant pas bien obfervé , il trouva le moyen de leur échaper pendant la nuit qui avoit terminé la Bataille. Il fe cacha dans un folle, 6c y paffa jufqu'au lendemain, en danger à tout moment d'être tué par nos gens mêmes. Le jour étant venu , il rejoignit fon Général, qui avoit été blefïè légèrement à la tête. Mr. de Wreech eft un des plus riches Sujets du Roi. Il eft digne de fa fortune, & il en ufe en homme de qualité. C'eft afluré-ment un Cavalier eftimable , qui a les fentimens nobles, ôc. qui par fon efprit 6c fe^> connoiffances peut lervir le Roi Ôc l'Etat, 6c dans la Paix 6c dans- la Guerre. Berlia n'eft pas une Ville où l'on doive chercher des plaiiirs bien vifs : le Roi ne les aimant point, chacun fe conforme à fes volontés. Cependant lorsqu'on y ïerlin, J eft connu, on trouve encore à s'amu-fer. Les gens y font affables & civils, on y fait bonne chère, & on y boit de très bon Vin. Lorsque le Roi eft abfent, la Reine tient Apartement tous les foirs, depuis fept heures jufqu'à dix, que Sa Majefté foupe avcc les Princes ôc Princeffes de fa Maifon,& d'autres Perfonnes de diftinc-tion des deux fexes. Mais lorfque le Roi eft à Berlin , la Reine ne tient point d'Apartement, à moins qu'il n'y ait quelque Prince Etranger. Il y a alors des Af-iemblées dans la Ville, alternativement, entre les Perfonnes les plus qualifiées. On dante quelquefois à ces Alfemblées. Le Roi Ôc le Prince Royal les honorent fbuvent de leur préfence. Lorsqu'il n'y a point de grande Affemblée, il y a des porteries particulières, où l'on foupe ôc où l'on joue petit jeu. Les Miniftres les plus accrédités de cette Cour font Mrs. tVllgen, Gr«w-kau ôc Kniphaufèn. * Ce font eux qui traitent les Affaires étrangères , Ôc par les mains de qui paffent les fe-crets de l'Etat. Mais le Premier-Miniftre du Roi, c'eft le Roi lui-même. * [Le premier & le dernier font morts, il y a déjà quelques années, & leurs places font remplies par Mrs. de "Boni & de Podewitx. , qui poflcdcnt à juûc titre toute la confiance du Roi. j me. Ce Prince eft informé de tout, berli». & veut tout lavoir. Il travaille avec une application & une facilité extraordinaire, & rien n'échape à fa pénétration, Ôc à fa mémoire qui eft des plus heureufes. Per-fonne ne connoit mieux que lui le fort ôc le foible de fon Etat. Il n'y a point de Souverain au monde qui foit de plus facile accès: il eft permis même à fes Sujets de lui écrire, fans autre formalité que d'a-dreiTer la Lettre au Roi. En mettant au bas, En main propre de Sa Majejléy on peut être alfuré que le Roi la reçoit, la lit, ôc y faitréponfe l'Ordinaire après qu'il l'a reçue, foit de fa main, ou par le Secretaire de fes Commandemens. Ces réponfes font courtes, mais décifives, ôc elles ne laiifent languir perfonne. Le Roi eft ennemi du falle & de la vaine pompe : on le voit toujours marcher fans Gardes, avec peu de fuite, ôc quelquefois même à pied. Il fait confifter fà grandeur dans une puiffance folide, à avoir des Troupes bien difciplinées, des Places bien entretenues,des ArfenauX bien fournis, ôc des Tréfors pour pouvoir s'oppo-fer à fes Ennemis, en cas qu'il foit attaqué. Son deffein n'eft nullement de troubler fes Voiiins, encore moins de les dépouiller. Je lui ai entendu dire un jour, que fin intention n'étoit pas d'attaquer per» Jimne, ni de commencer une Guerre, mais ytefi on la lui faifoit, il fe défendroit de • , fin 4<î Lettre» fon mieux. Conduite qu'il a religieufè-ment obfcrvée depuis qu'il eft fur le Trône ; même envers Charles XII, Roi de Suède, malgré ce qu'en dit un Auteur, qui fur d'affez mauvais Mémoires a écrit la Vie de ce Prince. Mais je m'écarte de mon fujet. Le Roi de PrulTe n'a point de Ville dans fes Etats, excepté Neufchâtel, où il n'ait été ; point de Province qu'il ne connoiiTe à fond, point de Famille noble dont il ne fâche les revenus, & point de Tribunaux dont il ne connoiffe parfaitement les principaux Membres. Ses mœurs font fimples; il ne connoit point la Galanterie, ôc ne la pardonne pis facilement à fes Officiers. Fidèle à la Reine fa Femme, il veut que tout le monde imite fon exemple, & que chacun vive uniquement avec celle que Dieu lui a donné pour moitié. Ses plaints font la Chaffe; c'eft ce qui lui fait faire fon fé-four ordinaire à Potzdam ou à Wufterhau-fen, Maifons de plaifance à quatre milles de Berlin. Il fe rend néanmoins ordinairement les famedis dans fa Capitale, il y tient le Confeil le dimanche, Ôc s'en retourne le lundi. En Hiver, il fait plus de féjour à Berlin. Mais dans quelque Lieu qu'il fe trouve, il afiîfte journellement à la Parade que fait la Garde montante. Cela fe fait à dix heures. Il donne enfuitc Audience à tes Miniftres, tient le le Confeil, ou va faire quelque tour de bkrlik. promenade. A midi, le Roi paroic dans un grand Sallon où font tous les Généraux & Officiers, les Miniftres étrangers, ôc généralement toute la Cour. Il s'y entretient quelques momens ; enfuite il pafTe dans une autre Salle, où il dîne avec la Reine, les Princes ôc Princeffes de fa Maifon, ôc ceux qu'il a fait inviter. La table eft ordinairement de dix-huit cou-Verts. Après le repas qui dure environ une heure ôc demie, le R.oi fe^retire,& travaille dans fon Cabinet jufqu'à fix heures du foir, qu'il reparoit dans le Sallon où il a été le matin. Sa Majefté y donne l'ordre au Maréchal Wdrtenfleben Gouverneur de Berlin, ôc au Maréchal Natzmer Commandant des Gendarmes. L'ordre donné, il s'entretient encore quelque tems avec les affiftans: enfuite, il paffe dans une chambre écartée de fon Aparte-ment, où la Reine fe rend quelquefois, accompagnée d'une ou de deux Dames. Il y a dix ou douze Officiers que le Roi honore de fa confiance. On y joue au Piquet, à l'Hombre ôc ay Trictrac. L'on y fume, ôc c'eft dans ce lieu que le Roi fait venir ceux à qui il veut parler fur quelque affaire particulière. J'y ai été deux fois à ce fujet. La contrainte en eft bannie, tout le monde y eft affis- le Roi exemte de lui rendre tous les refpe&s qui lui lui font dûs. A onze heures il congédie ' l'AlTemblée, & fe retire. La vie que le Roi mène k Potzdam & à Wufterhaufen ne difïère de celle qu'il mè* ne à Berlin, que par les Parties de Chas-fe. Sa Majefté force le Cerf à Potzdam : elie a fait pour cet effet entourer de palis-fades une grande Forêt, dans laquelle on a pratiqué des Routes magnifiques. Le Château de Potzdam eft très logeable. L'Electeur Frederic+Guillaume qui l'a fait bâtir, y faifoit fon féjour ordinaire ; il y a fini fa glorieufe carrière l'an 1688, le 29 d'Avril. Le Roi Frédéric J. y a fait des embelliflemens confidérables, entre autres, la grande Porte de la grande Cour du Château, qui eft un morceau d'Architecture admirable, dont Mr. Bot, mon Héros en bâtimens, a donné les Deffeins. Mais tout ce que le feu Roi a fait, n'approche pas des travaux qui y ont été faits depuis quelques années. La Ville de Potzdam a été augmentée des deux tiers : les rues y font tirées au cordeau, plantées d'arbres, & percées de Canaux à la manière de Hollande. Les maifons font d'une même fymmétrie, ôc bâties de briques. Le Roi y a fondé un grand Hôpital pour tous les Enfans orphelins de fes Soldats ; & une Fabrique considérable d'Armuriers , de forte que toutes les armes pour les Troupes ôc les Ar: pu Baron de Pollnìtz." 49 Arfenaux, qni fe faiioient autrefois a Lié- bbrli*; ge, fe font à prêtent à Potzdam. C'eft dans cette Ville qu'eft en garnifon le premier Bataillon des grands Grenadiers, dont il eft tant parlé dans l'Europe. Je . vous protette que la vérité palTe la renommée ; c'eft tout ce qu'on peut s'imaginer de plus parfait, de plus.beau, de mieux difcipliné. On y en trouve de toutes les Nations, n'y aiant prefque point de Prince en Europe qui ne fe foit fait un plaiiir d'y envoyer des recrues. H ya des Grenadiers qui ont eu jufqu'à quinze-cens. écus d'engagement. Plufieurs ont deux florins de paye par jour. Il s'en trouve qui font riches, d'autres qui négocient ôc qui ont de bonnes maifons à Potzdam. Le premier & plus grand s'ap-le Jonas * : il travailloit autrefois dans les Mines en Norwège. Le célèbre Hugne-ian, fait Comte de Guldenfiein par Prede-rie IF Roi de Dannemarc, l'en retira, ôc le préfenta au Roi. Il étoit voûté alors, ôc marchoit mal: à force de le drelTer on lui a donné le bon air qui lui man-quoit. Il eft certain qu'il n'y a pas de Troupes au monde, où le Payfan fe dégourdifle plus tôt & prenne plus facilement l'air Soldat. Ce grand Régiment a coûté des pei- Tome I. D ne> * Il eft mort depuis que ceci a été écrit. IW. nés & des fommes confidérables à mettre fur pied, & l'on m'a afl'uré qu'il coutoit plus au Roi que fix autres Régimens. Mais il fait l'unique plaiiir de Sa Majeftéj & c'eft un plaiiir fi noble & fi innocent, qu'on ne peut que louer ce Prince de fe le donner. Vous aiant parle de Potzdam, je dois aufli vous parler de Chariottenbourg, autre jvlaifon Royale à un mille de Berlin. Ce Château eft fur la Spréet de forte qu'on peut y aller par eau. Le chemin ordinaire eft de paffer par le Parc , qui eft a l'extrémité de la grande Allée de la Ville-Neuve. Du tems du feu Roi, lorsque ce Prince étoit à Cbarlottenbourg, tout le chemin depuis Berlin jufqu'à cette Maifon Royale étoit éclairé par des lanternes placées des deux côtés du chemin. Charlottenbourg s'appelloit autrefois Lutze?jbourg. C'etoit un petit Village appartenant à Mr. Dobergixtki, Grand-Maitre de la Maifon de la Reine Mère du Roi. H y avoit fait bâtir une maifon de peu de conféquence. La Reine y fut un jour en fe promenant i la fituation du lieu lui plut, elle l'acheta, 6c y fit bâtir. Cette PrinceiTe mourut avant que tous les travaux qu'elle avoit entrepris fuifent a-chevés. Le Roi Frédéric I. fon Epoux les fît continuer, 6c les augmenta confidéra-blementj 6c pour perpétuer à jamais le nom Dv Baron de P6LLN1T2. ji nom de la Reine, il donna à Lutzenbourg biri.ii* le nom de Char lot tenbourg: la Reine s'ap-pelloit Sophie-Char Ut te. Ce Château eft un des plus confidérables édifices de l'Allemagne. Les apartemens ont de la grandeur & de la magnificence : les meubles font des plus,riches. Il y a un Cabinet garni des Porcelaines les plus rares, & dont l'arrangement furprend. Dans un autre Cabinet, il y a des Luftres , une Table à Cafté, avec les Taffes, la Caf-fetière, & en un mot toute la garniture, d'or mafSf. La Chapelle eft des plus fu-perbes ; l'or & la peinture y brillent de tous côtés. L'Orangerie eft une des plus magnifiques de l'Europe, tant par rapport à la beauté & au nombre des arbres, que par rapport à la grandeur du bâtiment oii ils font renfermés pendant l'Hiver. Je pourrois encore vous parler de plufieurs autres Maifons que le feu Roi avoit aux environs de Berlin j mais comme a-près fa mort elles ont demeuré négligées, je croi qu'il vaut mieux vous entretenir du Caractère des principaux Seigneurs de cette Cour. Le Comte de Wartenjleben eft le plus ancien Maréchal. Ce Seigneur eft Weft-phalien. Il a palTé fa première jeunefTe au fervice de France. Il commandoit en Chef les Troupes du Duc de Saxe-Gotha, lorsque le Roi Frédéric 1. l'appella à fon fervice. Le Comte de Wmenberg étoit P % Pouf~ Bbrlii*. pour-lors Prémier-Miniftre; il vouloir un Chef à la tête des Troupes, qui lui fût entièrement fournis: il ne crut point trouver cette obéifïance dans les Comtes de IsOttum, de Dohna , & de Denhafy ni dans d'autres Généraux qui par leurs longs ferviecs & leur nailTance pouvoient alpi-rer à cette Dignité militaire. Un Etranger qui lu* feroit redevable de fa fortune, lui parut un Sujet plus propre à fe fou-mettre. Ce fut donc lui qui fit donner le Bâton de Maréchal au Comre de Warten-jleben. Celui-ci répondit parfaitement à l'intention du Miniftre fon bienfaiteur. 11 eft vrai qu'il ne feconda jamais fa vengeance; mais il ne s'y oppoia pas aufli. Il faifoit les fonctions de fa Charge, ôc" nefemêloit point des intrigues de la Cour. On peut dire de lui, qu'il ne s'eft jamais écarté du chemin de l'Equité; ôc c'eft lui faire juftice, que de dire qu'il a toujours fait du bien lorsqu'il l'a pu. Son autorité ôc fon crédit font fort diminués, depuis la mort du feu Roi. D'ailleurs, fon grand âge ne lui permet prefque plus de fe mêler d'aucune Affaire. Celui de tous les Généraux dont l'autorité eft la plus reconnue, eft le Prince Lcopold cFAnhalt-Deflau. Sa haute nais-fance, ôc le rang de Souverain qu'il tient dans l'Empire , me l'auroient dû faire nommer le premier ; mais c'eft que le Corn- Comte de Wartenjleken eft plus ancien bbrxiic. Maréchal. LePrince à'Anhalt eft Maréchal, Gouverneur de la Ville " de Magdebourg, Colonel d'un Régiment d'Infanterie, & Chevalier de l'Ordre de l'Aigle noir. Ce Prince eîl d'une taille avantageufe & noble ; fa phyfionomie eft heurcufe ôc fpiricuelle. H eft né avec tous les talens d'un Capitaine, ôc d'un Soldat; il eft vigilant, laborieux , infatigable, fupportant également le chaud 6c le froid, la difette 6c l'abondance ; brave jufqu'à l'intrépidité , ôc n'aiant peut-être jamais eu d'égal en cette vertu, fi ce n'eft Charles XII , Roi de Suède. D'une févérité fans pareille dans la Difcipline militaire, voulant être obéi, mais récompenfant les Soldats lorfqu'jls font leur devoir; fe familiarifant même quelquefois avec eux. Chaud ôc confiant Ami; mais Ennemi implacable, lorsqu'il croit qu'on lui a manqué. Fier avec fes égaux, civil ôc honnête avec fes inférieurs. Il a aimé le Vin ôc la Débauche, dans fà première jeunefïe ; mais on a remarqué que ni le Vin ni les Femmes n'ont pu l'arrêter lorsqu'il s'eft agi d'acquérir de la gloire. Il eft religieux obfervateur de lit parole, 6c ne l'engage qu'après une mûre réflexion. Il eft ennemi du fafte 6c de la contrainte où vivent les Grands :cecono-me, peut-être plus qu'il ne convient à fa dignité; maitre abfolu dans fa Famille6c D 5 dans Ibrlin. dans fon Etat: aiant des Sujets pauvres; mais fournis; avec des Finances en bon ordre. La jeuneûe du Prince dyAnhalt fut confiée à Mr. de Chalifac, Gentilhomme natif de Guienne. Ce Gouverneur trouva dans le jeune Prince un naturel impétueux, qu'il eut bien de la peine à modérer.' Il fit avec lui le tour d'Italie. Le Prince avoit conçu dès-lors pour Madeilo de F'àh/èn, les fentimens de tendreffe qui la lui ont fait époufer depuis. Cette inclination ne plaifoit point à Madame la Mère , née PrinceiTe d'Orange : elle crut qu'en éloignant fon Fils, elle le guériroit de la palîîon. Elle chargea Mr. de Chalijac de le conduire en Italie. Çhalifae, qui a été mon Ami particulier & dont j'honore la mémoire, m'a conté que la vivacité extrême & l'intempérance du Prince, lui avoient fou vent caufé de cuifans chagrins; mais que cependant, dans quelque égarement que le Prince fût tombé, il l'avoit toujours fu ramener par l'honneur & l'ambition. Il me diioit à ce fujet,que s'étant trouvé à Venife, lePrin, ce rentra un matin pris de vin, après a-voir pafle la nuit en débauche. Mr. de Chalifac lui reprocha fa conduite, dans des termes peut-être trop vifs, du moins parurent-ils tels au jeune Prince ; il courut fe faifir d'un piftolet, & revenant fur fon Gouverneur, Ah! Chien ^ lui dit-il, il faut du Baron de Pollniti. jueje te tue. Mr. de Chalifac, lans fe dé- Bïrli* concerter, regardant fièrement le Prince, Allons, tuez-moi , luj répondit-il; mais . Jhngez quel trait ce fera, dans l'Hiftoire , lorsqu'on y lira qu'un Prince d'Anhalt, un prince dune Maifon qui a donné des Empereurs à VAllemagne, a aflajfinéJon Gouverneur. Ces paroles, dites avec autorité, firent imprefïion fur le jeune Prince. Ma foi, vous avez raifon, dit-il en remettant le piftolet;une vilaine atlion. Le Prince étant retourné d'Italie à Def-Jau, fit voir que le tems & l'abfence n'a-voient point fait fur lui l'effet qu'ils font d'ordinaire fur les Amans: il revint aufli amoureux de Madeiie de Fobjen, qu'il pa_ voit été en partant: il l'époufa [en 169BI; & peu de tems après [en 1701], elle fut reconnue Princtfle de l'Empire par l'Empereur [Il en a eu cinq Fils ôc deux Filles, dont l'ainée eft morte. ] Les embraiTemens d'une tendre Epoufè ne purent l'arrêter chez lui. Il étoit né guerrier, il voulut l'être. Comme la Guerre étoit allumée entre l'Empire & la France, il fervit à l'Armée fur le Rhin, & affilia à la prife de Keijèrs-werdt. Quelque tems après, le Roi Frédéric I. lui donna le commandement des fix-mille hommes qu'il envoyoit au fecours de l'Empereur en Italie. Le Prince fe diltingua beaucoup dans les diverfes Campagnes qu'il fit dans ce Pays, mais particulièrement à la D 4 levco îtRLw. levée du Siège de Turin. Le Duc de Savoie, depuis Roi de Sardaigne, avec qui le Prince n'avoit pas vécu en trop bonne intelligence, merâifant l'honneur un jour de me parler de lui, me dit: Le Prime d'Anhalt a trop de feu ; mais lorfque l'â-' fe l'aura mûri, ce fera un grand Général* il efl ne avec les difpoftions d'un Capitaine. Il a contribué à me conferver la Couronne. La Neutralité de l'Italie étant arrêtée entre l'Empereur, fes Alliés Ôc la France, le Prince d'Anhalt fut rappelle. Le Roi lui donna le commandement de fes Troupes en Flandre, il y foutint la réputation qu'il avoit acquife en Italie, ôc conferva le commandement jufqu'à la Paix d'Utrecht. L'opiniâtreté de Charles XII, Roi de Suède, à ne vouloir entendre parler d'aucun Traité pour le Sequeftre de Stette, aiant obligé le Roi de PrulTe à lui faire la guerre, le Prince d'Anhalt fervantious le Roi qui commandoit fon Armée en perfonne, eut la gloire de défendre l'Ile de Rugen contre le Roi de Suède , qui vint l'attaquer avec impétuofité pendant la nuit. Les Suédois furent repouflès , ôc perdirent dans ce combat nombre d'Officiers de diftindfion. S'il avoit fait jour, il eft à préfumer que le Roi ôc le Prince, également braves, fe feroient joints; ils étoient faits l'un pour l'autre. Depuis la du B aron de pòll.nitz. 57 Paix avec la Suède, il n'a plus eu d'oc- b«rlih. cation de fignaler fa valeur. 11 demeure ordinairement iDeJfdu, ou à Magdebourg, & ne vient à la Cour qUC lorsque quelques affaires l'y appellent. Il a trois Fils au fervice du Roi. L'ainé & le fécond ont des Régimens, & le troiueme commande celui de fon Père. Le Roi, qui a une grande amitié pour le Prince d'Anhalt, ne fait aucun Règlement confidérable touchant les Troupes, ou dans ce qui peut être du Département de la Guene, fans le confulter. Sa Majefté lui a donné des Terres confidérables en Pruffe, où l'on dit que le Prince fait bâtir des Villages & des Villes entières. Mr. d'Arnheim eft le troifième Maréchal. C'eft un Vieillard qui a paffé les quatre-vingts ans. Il a appris le métier de la Guerre fous deux grands Maîtres, l'Electeur Frédéric-Guillaume de Brandebourg , & Montecuculli le Rival de Tu-renne. Mr. le Maréchal de Natzmer eft encore un vieux Soldat, qui a fervi avec beaucoup de diftindfion fous divers Capitaines; tels étoient le Prince de Waldeck Général des Hollandois, le Prince ÛOra?/ge Roi d'Angleterre, & enfin Mylord Diîc de Marlborough, & le Prince Eugène de Savoie. Tous ont eftimé fa valeur & fori expérience militaire. Ce Maréchal s'eft D 5 trouve Intuii trouvé dans toutes les Batailles que les Généraux que je viens de nommer ont données dans les Pays - Bas; & il a toujours été bleffé, ou a eu Ion cheval tué fous lui. Après vous avoir nommé les principaux Chefs de l'Armée du Roi, je croi devoir aufli vous faire connoitre les Perfonnes dont le crédit ou les Emplois influent le plus fur le Gouvernement. C'eft en quoi vous trouverez bon que je ne fuive pas plus d'ordre, que j'en ai obfervé dans toute ma Relation. Mr. le Baron on ne peut attribuer ion élévatio» qu'à ion inerite & a là capacité. Berlin. Confeil. 1/gcn fut bien-tôt s'y rendre né-ceiïàire. Le Comte de Wartcnberg,dont les lumières bornées avoient befoin d'un fécond, le trouvant Chef du Confeil, fe rapporta en toutes chofes à ce que lui di-foit Mr. d'Ugen. Après la retraite de Mr. le Comte de Wartenberg^ il eut feul le Département des Affaires étrangères, & l'a toujours conferve depuis. Mr. d'Ugen a l'efprit brillant & folide, l'imagination vive & féconde, la phyfio-nomie belle & pleine de douceur, Il eft extrêmement fbbre, & fort œconome ; ennemi des plaifirs, mais nullement des richeffes. Il eft humble, quelquefois même à l'excès; vindicatif, artificieux; maitre de fon humeur, de fon vifage, de fa langue & de fes yeux, il les accommode à la fituation de fes affaires. Il s'eft élevé par adreflc, & fe foutient par habileté. Seul maitre de fon fecret, il n'a ni Confident ni Ami particulier.- Infatigable au travail , il conçoit & écrit tout lui-même; fes Secrétaires ne font que copier : il travaille comme pourroit faire un Ouvrier à la journée, & fait un métier du Miniftère. Il parle bien , & écrit encore mieux. Il aime à biaifer dans fes réponfes, & fait fe ménager habilement la reffource d'une expreffion équivoque. Peu fcrupuleux en matière de fermens, il les fait légèrement, & les rompt de même. Jamais il ne s'eft fait une Créature j du B aron de pòllnitz. 6*1 ture; mais il a éloigné & humilié tous berun. ceux qui lui ont donné de l'ombrage. Ce qui fait fon éloge, & prouve fon génie, c'eft qu'il fe foutient depuis longtems fans Parens, fans Amis,, fans Créatures, Ôc. peut-être fans être trop honoré de la faveur de fon Maitre. Mr. de Grumkau, Miniftre d'Etat , Lieutenant-Général des Armées , Colonel d'un Régiment d'Infanterie, & Che^ valier des Ordres de S. André de Mof-covie ôc de Y Aigle blanc de Pologne, eft d'une Maifon illuftre de Poméranie. Son Père étoit Grand-Maréchal de l'Electeur Frédéric-Guillaume, ôc eft mort dans cette Dignité au commencement du Règne du feu Roi. Mr. de Grumkau étant refté mineur, fut envoyé allez, jeune en Fran-» ce pour y faire fes Exercices: il s'en acquitta avec application, ôc avec l'approbation de fes Supérieurs. A fon retour à Berlin, Frédéric I. le nomma Gentilhomme de fa Chambre, ôc lui donna une Compagnie d'Infanterie. Il époufà peu de tems après, Mdiie de la Chevalleritù qui étoit Fille-d'honneur de la Reine So~ pbie-Charlotte. Il ne tarda pas à être a-vancé, ôc pendant le cours de la dernière Guerre, il fervoit comme Brigadier dans l'Armée des Pays-Bas. En même tems, il étoit chargé des Affaires du Roi auprès de Mylord-Duc de Marlborough ôc du Prince Eugène de Savoie. La manière dont linux, dont il fe conduifit, fit connoitre qu'il èV toit propre à de plus grandes Affaires : mais le Comte de Wartenberg, Favori & Prémier-Miniftre, appréhendant fon génie le tint éloigné tant qu'il eut de l'autorité; il aima mieux le pouffer par la Guerre, que de l'employer dans le Mi-niftère. Les Favoris • qui fuccèdèrent à War tenberg ,Centznt la fupériorité que Mr. de Grumkau avoit fur eux, ne lui furent pas plus favorables. Il fut fait Maréchal de Camp dans une des dernières Promotions du feu Roi ; & Frédéric - Guillaume étant parvenu au Trône, le fit Lieutenant-Général & Miniftre d'Etat. Mr. de Grumkau eft doux , civil, & affable. Il a les manières & les fenti-mens d'un Homme de qualité, tel qu'il eft: il eft généreux,libéral, aime la magnificence & les plaifirs, mais ne s'y livre point affez. pour négliger les Affaires du Miniftère. Il eft laborieux , a une conception nette & aifée, l'eforit agréable, vif ôc pénétrant; ne haïflant pas la {àtire, lorsqu'elle n'attaque point la réputation du prochain. Comme il eft bien-raifant,il a des Amis,ôc fe fait des Créatures. C'eft de tous les Miniftres, celui qui parle au Roi avec le plus de liberté; & je croi qu'on peut fans fe tromper, le mettre au rang des Favoris. Mr. du Baron de pòllnìtz. 6Ì Mr. le Baron de Kniphaufen, * Miniftre d'Etat & Commandeur de l'Ordre de S. Jean,eft iffu d'une Maifon illuftre en Ooftfrife. Sous le feu Roi, fon Père é-toit Préfident de la Chambre, ce qui eft proprement Surintendant des Finances. Aucun Miniftre n'a été employé en plus d'Ambaflàdes: il a réfidé de la part du Roi, en Efpagne auprès de Charles m, aujourd'hui Empereur: le Dannemarc, la Mofcovie & la France l'ont vu remplir le même pofte, & il a fu par-tout foute-nir la dignité de fon Roi, & faire honneur à fon Caractère. ^ Tant d'Ambafta-des aiant fort dérangé fes affaires , il a époufé la Fille de Mr. d'Ugen. Il me parloir un jour étant à Paris, de fa Femme. Je fai, difoit.il, qu'elle n'eft pas d'une „ condition égale à la mienne, & qu'on „ peut me reprocher de l'avoir époufée. „ Mais je puis répondre ce qu'on fait 9, dire à un Comte du Lude, Gouverneur „ de Gajien de France Frère du Roi Louis „ XIII, qui comme moi, étant ruiné , 3, avoit époufé une Fille de race marchan-„ de. Pouvois-je mieux faire , difoit-il ? „ Pourfuivi nuit & jour par nies Créan-„ ciers, je me fuis fauve dans une Bouti-„ que, pour n'être point traine à l'Hô-„ pitaL Mr. * Il a été difgracié depiv's que ceci eft écrit, & «u mon Ì U Cenruandciic. Berlin. Mr. de Kniphaufen eft né avec un génie admirable, ôc auroit tous les talens convenables à un Miniftre, s'il aimoit un peu plus le travail. Mais parefleux autant que fon Beau-père eft laborieux, les Affaires languiflènt entre fes mains. Ce n'eft pas qu'il ne fâche les expédier; perfonne n'eft'plus vif, ni plus vigilant que lui, lorsqu'il veut bien embrafîer une chofe: mais il eft naturellement indolent, aimant fes commodités.& la bonne chère. Mr. le Baron de Cb'breu dirige la Chambre des Finances & les Poftes. Celi un homme de bonne Maifon, de la Marche de Brandebourg, qui n'eft Miniftre que tlepuis quelques années, & qui a la réputation d'être intègre & incorruptible. XI eft fort réfervé, ôc fe communique peu; ce qui lui donne un air de fierté, qu'on ne lui trouve point lorsqu'on le pratique. Mr. de Creutz a une phyfionomie heu-reufe, pleine de hardiefie, mêlée de douceur, avec un air de probité & de fran-chife, qui de tous les avantages extérieurs eft fans doute le plus grand. Il eft galant & magnifique, aune vivacité extraordinaire, une facilité de s'exprimer admirable; des manières aifées, affables ôc polies. Il ne promet que ce qu'il veut bien tenir, ôc l'on peut compter fur fa parole. Je lui ai toujours trouvé beaucoup de droiture, ôc je ne puis que me louer de lui. Frédéric-Guillaume l'a appelle dans fon du Baron de PòlLNITZ. tf? fon Confeil; il étoit Secrétaire des Com- berli». mandemens de Sa Majefté lorsqu'Elle étoit Prince Royal. Son aflïduité Ôc fon exactitude à remplir les devoirs de fa Charge, lui avoient attiré l'affection du Roi : Sa Majefté continue de l'honorer de fa bienveillance , ôc fait attention à fes repré-fentations *. Mr. de Creutx, eft un des plus riches Particuliers de l'Etat, fa Femme lui aianc donné de très gros biens. Il a une Fille unique, qu'on dit avoir beaucoup d'efprit, ôc qui étant une riche Héritière, ne manquera pas d'être recherchée. Mr. de Viereck eft un homme de qualité, natif du Meckelbourg. Son Père é-•oit Confeiller d'Etat du feu Roi, ôc fon Envoyé Extraordinaire en Dannemarc. Le Fils dont je parle, quitta le fervice du Duc Antoine-Vlric de Brunsvjick-Wolffen-buttel, pour être Gentilhomme de la Chambre du feu Roi. Lorsqu'il vint à la Cour, il n'y avoit point de Parens; mais il lut fe faire des Amis : fon air modelle, fes manières polies ôc humbles, lui attirèrent la bienveillance des Favoris. Corq- * Mr. de Creutx eft mort au commencement do cette année i733-v 11 n'a lailIe qu'une Fille unique, enforte que le Roi de Dannemarc, ne pouvanr réduire les Hambourgiois à faire là volonté, a pouffé les chofes jufqu'à équiper deux Frégates qui enlèvent à l'entrée de l'Elbe tous les Vaiffcaux marchands deftinés pour cette Ville.] f [ II a été établi, entretenu & dirigé par quelques-uns de» Miniftres Etrangers réfidans à Hambourg. Chacun d'eux y avoit un Emploi j enforte qu'on voyoit Mr.d'~4. . . . préfijer aux Répétitions. Mr. de W. . . .régler les Ballets, & Mr. S. . . . ordonner des habillcmcns, des coiffures > du rouge ,0c de? mouches des A&rices.] qu'euf- H a m- qu'euffent toutes les perfonnes de naif-»ours. fance. Tout ce que je trouve à redire en eux, eft qu'ils traitent alfez, leurs Femmes à la manière du Levant , où les Femmes ne vont qu'aux Mofquée* : ici elles ne vont prefque qu'aux Eglifes; ou fi elles fe promènent, c'eft en compagnie de leurs Maris. Un Etranger eft rarement admis dans leurs Alfemblées : lorsqu'il en paroit un, ces pauvres Femmes iont étonnées, comme le pourroit être une Sultane qui verroit entrer un Capucin dans le Serrail. Il y a ici nombre de gens de mérite. J'y ai fait la connoiffance de Mr. Brocksy qui eft dans la Magiftrature, & qui s'eft rendu célèbre par des Ouvrages de Poë-fie qui lui font honneur, ôc qui doivent convaincre les Etrangers qui entendent l'Allemand, qu'on peut dire d'auffi belles chofes dans cette Langue,que dans toute autre *. Mr. Brocks eft d'un caractère aimable, honnête ôc complaifant : il fe fait aimer ôc eftimer de tous ceux qui le connoiiTent. La plupart des Princes ont ici desRé-fidens: ce qui fait que les Catholiques y ont différentes Chapelles, fans quoi ils feroient contraints d'aller à l'Eglife à Aitata , comme font obligés de faire les Ré- * (Il n'y a gueres que le P. Hotibours qui en ait doute. J du Baron de Pollnitz. 7j Réformés, parce que la Religion Luthé- ham-rienne eft la dominante. Les Juifs feuls y ont des Synagogues. Chofe étrange *, établie dans la Chrétienté, contraire à la charité, au bon-fens même, & qui doit faire rire les Turcs ! nous accordons de* Synagogues aux Juifs , aux Ennemis de Jéfus-Chrift, qui le crucifieraient encore, s'ils nelavoient déjà fait: & nous refu-fons des Eglifes & des Temples à ceux qui efpèrent, comme nous , en Jéfus^ Cbrifi ! Non , quand vous devriez, me traiter mille fois d'Hérétique , je vous dirai, Vive la Hollande, où l'on a pour principe, de ne point gêner les confcien* ces ; & où l'on croit qu'il y a de la contradiction à recevoir au nombre des Citoyens, des perfonnes à qui l'on ne veut point permettre de fervir Dieu à leur manière. Le Miniftre de l'Empereur, portant le titre de Plé?iipote?itiaire de Sa Maj, Imp. auprès du Cercle de la Bajfë-Saxe, réfide ordinairement à Hambourg. , Ce pofte a * [Les Hambenrgevs n'ont rien à craindre des Juifs par rapport à leur République ; mais ils ne peuvent pas fe fier de même au genie remuant Se entreprenant du Clergé CathoIique-R.omaiu, qui » des pré, tentions fur leurs Eglitès. Les émotions populaires, qui ne font que trop fréquentes à tfami.»ug, fourni-roient bientôt à ces Meilleurs une occafioa de réveiller de» Droits, qui ne pourroient compatir avec la Liberté préilnic de U Ville. J Ha m» a été occupé en dernier lieu par le Cornac urc. te de Meîfch *, & il n'eft point encore rempli, depuis que ce Seigneur eft devenu Vice-Préfident du Confeil Aulique de l'Empereur, t La Populace de Hambourg, fougueu-fe pour le moins autant que celle d'Am-fterdam, s'étant avifée il y a quelques années de piller la Maifon & la Chapelle du Réfutent.de l'Empereur, par je ne fai quel zèle indiscret de Religion; la Ville, pour réparation de cette infòlence, a été condamnée à bâtir un Hôtel qui fût pour toujours la demeure du Miniftre de l'Empereur. Elle a acheté pour cet effet l'Hôtel du feu Baron de Gortz, homme célèbre dans l'Hiftoire de Charles XII, Roi de Suède, & dont la fortune & la fin tragique méritent bien de vous être rapportées. Henri Baron de Gb'rtz étoit né en Fran-conie, d'une des meilleures Maifons libres de cette Province abondante en No-bleffe diftinguée. Il entra jeune au fervice du Duc de Holfiein-Schlesiuig, dont il • Sa place de Plénipotentiaire du Cercle de la Baffe-Saxe vient [en I7Î3] d'être conférée au Comtc de Secktndorff, Lieutenant General des Armées de l'Empereur} [mais les fon&ions en font exercées par le Baron de Kurtsnk Préfidcnr Impérial.] f [ Il vient d'être inftalle.[ 1734] Vice-Chancelier de l'Empire à la place du Comte de Sfkinbvn Etc« 9«c de %tenbtrg, qui s'eft !«««, du Baron de Pòllnitz. 77 il devint le Miniftre. C'étoit un homme h a m-généreux, noble, & magnifique jufqu'à BO "as-la profufion ; vigilant, plein de projets & de reiTources ; que rien n etonnoit, qui ne s'éçartoit jamais du deflein qu'il avoit formé ; dont l'ambition étoit fans bornes, & qui n'afpiroit qu'à faire parler de lui. Il n'y eut point d'intrigue dans le Nord, où il n'eût part & où il ne fît entrer fon Maitre, à qui il fit perdre fes Etats, en lui faifant entreprendre des chofes que fà foible puiffance n'étoit pas en état defou-tenir. Le Holftein parut au Baron de Gôrtz un trop petit Théâtre; il s'attacha au Roi de Suède Charles XII, après que ce Prince fut revenu de fon long féjour de Bender. Charles étoit un Maitre tel qu'il lefaloit au Baron, & celui-ci étoit un Miniftre tel qu'il le faloit au Roi de Suède. Il n'y eut jamais plus de fympa-thie entre deux hommes. Gòrtz étoit né pour concevoir de grands deffeins, Charles pour les exécuter. Tous deux ne pen-foient qu'à ébranler l'Europe. Le Baron, entre les dons heureux dont l'avoit favorifé la Nature, poffédoit celui de favoir s'infinuer & de plaire. Il fe rendit bientôt maitre abfolu de l'efprit de Charles-, & ce Prince, qui n'a voit jamais écouté les avis de fes * Miniftres , recevoit plutôt des ordres que des avis de celui-ci. Gòrtz épouvantarEurope,&fit trembler la Suède ; il y étoit craint & re- dou- iï a m- douté, autant que le Roi même. Les Sué-bourg, dois voyoient avec peine, un Etranger avoir tant d'autorité ; ils formèrent des brigues ôc des cabales pour l'en dépouil-1er-3 mais ils n'ofèrent.les faire éclater. Le Miniftre connoiiToit leur mauvaife humeur contre lui, ôc s'en mèttoit peu en peine: afluré de la faveur du Roi, la haine du Peuple Ôc des Grands lui parut mc-priiàblc. • Les Suédois furent l'en punir après le décès de Charles XII, qui fut tué devant xJredcrickshall dont il faifoit le Siège au mois de Décembre. Le Baron de Gòrtz fut arrêté immédiatement après la mort du Roi, avant qu'il eût avis du décès de Ce Prince. Lorsqu'on l'arrêta, il dit, Il faut que le Roi foit mort. Depuis on ne lui entendit faire ni plaintes, ni murmures ; fon intrépidité ne le quitta qu'avec la Vie. Il reçut l'Arrêt de fa mort avec une con'tancc admirable: il voulut mourir en Philofophe, & conierver juf-qu'à la mort des fentimens trop libres qu'il avoit fur la Religion. Un Chapelain, qui feft aujourd'hui du Roi deDan- ne- * [ Le Peuple ne pouvoît fût-tout lui patdormcr la maniere avec laquelle il avoit fait lever des Taxes, oui firent entrer dans les coffres du Roi, & tbrtir du Royaume, tout l'argent qui s'y trouvoit j auquel il febititua une inonnoic de cuivre qui perpétuera fa mémoire: iclic lùrtout tur laquelle il fit graver lei fept Pknères, qu'où recherche ik qu'on garde comme des moflotneflî de Ion Miriiflfcîe. ] du Baron de PÔllnitz: 79 nemarc, le fit changer de fentimens, & ham-le porta àreconnoitre que c'étoit la main bôuro. de Dieu qui le frappoit. Il fut conduit au lieu du fupplice, dans un Caroffe drapé, ayant le Chapelain avec lui. Il a-voit une grande robe de velours noir, qui étoit attachée avec des rubans fur les épaules. L'échaffaud étoit tendu de drap noir. Le Baron en y montant apperçuf fon Maitre-d'hôtel, qui étoit un François nomme Duval. 11 lui tendit la main, en lui difant, Adieu, Duval, je ne mangerai plut de vos foupes. Etant monté à l'échaf-faud, un Officier de Juftice lut à haute voix un Papier dans lequel il étoit dit, qu'il étoit dégradé de Nobleffe, & que l'ordre de la Reine étoit qu'il eût la tête tranchée. Ah ! dit-il , je fuis né Baron libre de l'Empire, la Suède ne fauroit m'â-ter ce qu'elle ne m'a pas donné; l'Empereur feul feroit en droit de me dégrader, s'il étoit vrai que je Peuffê mérité. Il fe fit deshabiller par fes Valets de chambre, & remit le Cordon de l'Ordre de l'Aigle noir de Pruffe à un Gentilhomme qui étoit à lui, lui enjoignant de le porter à un de fes Parens, pour qu'il le remit au Roi de Pruffe. Il fe mit enluite à genoux, fans donner la moindre marque de crainte, ôc reçut le coup de la mort avec une confiance qui a peu d'exemples. Sa tête fut montrée au peuple, qui vit avec plaifir le trifte objet de fa haine ôc de fa vengean» ce. H a m- ce. Le corps du Baron fut enterre au bourg. }jeu ju fupplice, d'où un de fes Valets de chambre le tira pendant la nuit; il le mit dans un baril, & le porta à Hambourg, où il fut expofé fur un Lit de parade, ôc enterré avec toutes les formalités convenables au rang qu'il avoit tenu dans le monde. àltena. A une portée de canon de Hambourg eft la Viile d'ALTENA. Elle appartient au Roi de Dannemarc. Stembock, Général Suédois , la mit en cendres la nuit du 9 Janvier, l'an 1712. Il difoit Îue c'étoit en repréfailles de ce que les )anois avoient brulé Stade : mais il y a-voit cette différence, que les Danois a-voient alTiègé Stade dans les formes, ôc favoient détruit par les bombes, au-lieu que Stembock fit l'Incendiaire. Dès qu'il parut devant Altena, il envoya dire aux Habitans qu'ils euffent à fe retirer avec ce qu'ils pourraient emporter : qu'il al-loit détruire leur Ville. Les Magiftrats vinrent en corps fe jetter à fes pieds, ôc lui demander miféricorde. Ils lui offrirent une fomme conûdérable. Stembock en demanda davantage. On lui accorda tout: mais on lui demanda le tems d'aller chercher l'argent à Hambourg. L'impitoyable Général refufa le délai. Les malheureux Habitans furent obligés de for tir: les Mères portoient leurs Enfans;les Jeunes-gens, les Vieillards paralytiques;d'autres i>tj Baron de Pòllnitz. 8i très étoient accablés fous le fardeau des alten*; meubles : tous pleuroient , & jettoienc des cris perçans. Les Suédois les vo-yoient palier; ils attendoient aux barrières, la torche à la main. Les infortuné? Altenois n'étoient pas encore tous fortis quand les Suédois'entrèrent dans la Ville, & mirent le feu par - tout, jufqu'aux Cayes. Jamais défolation ne fut plus grande. Mais ce qui acheva d'accabler les Alte-nois, fut que la néceffité du tems obligea les Hambourgeois à ne les pas recevoir. Plufieurs Auteurs prévenus ont écrit que les Hambourgeois, infenfibles, & peut-être joyeux du malheur de leurs yoifins , avoient tenu leurs Portes fermées afin de les voir périr- Ce qui obligea les Hambourgeois à cette rigueur , étoit que la Pelle ravageant pour-lors le Holftein, l'Electeur de Hanover les avoit obligés d'interrompre tout commerce avec ce Pays , les menaçant que s'il àpprenoit qu'ils euffent la moindre communication avec Altena, il interdiroit le commerce de fes Etats avec la Ville de Hambourg. D'ailleurs, il n'étoit pas trop prudent aux: Hambourgeois d'ouvrir leurs Portes pendant la nuit; l'ArméeSuédoife étoit à ces mêmes Portes; il n'étoit pas fur qu'elles n'entreroient point dans la Ville, de compagnie avec les Altenois. C'eft donc au malheur du tems qu'on doit attribuer la . Tome-I. F dif- ultima, difgrace des Habitans d'Altena, dont la plupart périrent de froid, de mifère & de defefpoir. _ Frédéric IVRo* de Dannemarc, fenfi-bleau malheur des Altenois fes Sujets, les fecourut autant que la néceffité des tems le lui permettoit.' II fit fournir des matériaux aux Habitans, pour rebâtir leurs, maifons. Altena eft maintenant rétabli de fes pertes. Le Roi de Dannemarc lui a accordé beaucoup de nouveaux Privilèges, il y a fait faire un Port, 8c il donne tous fes foins pour y attirer le Commerce. Cette Ville eft un Lieu de ffanchife pour tous les Banqueroutiers : ceux de Hambourg s'y retirent affez volontiers. Toutes les Religions y ont des Eglifes & des Temples. Le Gouverneur du Holftein Danois y fait fa réfidence. C'eft le Comte de Reventlau, Frère de la Reine # de Dannemarc, qui occupe ce Pofte. Je fuis, &c. A Hambourg, ce *o Juin 1729. * [ Seconde Femme du Roi Frtderic TV, mort en Oft. t73©. On fait la faveur où elle «voit été auprès de ce Prince, ce qui fut caule de fa difgrace a-près la mott du Monarque. Elle s'eft rctitec dans file de Fwntn, où elle mene une affet uiftc vit] L E T- du Baron de PôLLNiTZ. 83 LETTRE III. Monsieur, CEtte Lettre vous fera part d'uœ par. har* tie des choies que j'ai pu remarquer v0 v K *' dans ma route de Hambourg ici, & dans cette Ville où je fuis depuis trois jours. Je fuis parti le 22 Juin de Hambourg,. & fuis venu par eau à Harbourq, p£ j'avois envoyé ma Chaife la veille. Cette Ville eft dépendante du Itoché de Lu#e-bourgjèc appartient à l'Electeur àzBruvs-ivick-Lunebourg. Elle n'a pas grand' cho-fe de remarquable, fi ce n'eft fon Château, qui eft un pentagone revêtu d'un bon Chemin-couvert. Mik. d'Olbreuja • t que le Duc de Zeli avoit époufée, porta le Titre de Madame de Harbourg juiqu'à ce qu'elle fut reconnue PrinceiTe de l'Empire par l'Empereur. Car les Loix de l'Allemagne font , qu'un Prince de Maifon Souveraine ne peut époufer qu'une PrinceiTe ou Coratelle. Sii époufe une fimple Demoifelle, il fe mefalhe, fa Fem- * [ Elle fe npmmoit Ekomre d'Emiers, 5c étoit Fille d'~il V Barqn de PÔLLNlTZ,. 01 Il ne dépend point du Confeil d'Etat, & hamo. reçoit immédiatement fes ordres du Roi ve*. par Mr. de Hattorff Miniftre de la Guerre. C eft fur la recommandation de Mr. de Bulau, que le Roi fait les Promotions parmi lés Officiers. C'eft à lui qu'il faut s'adrelîèr pour entrer au Service. Il a fervi avec diftinction dans les Pays-Bas, fous Mylord*Duc de Marlborough. Il a actuellement fous fes ordres dix-huit-mille hommes, à quoi fe montent les Forces du Roi de la Grande-Bretagne comme Electeur. Sa Majefté entretient véritablement encore à fa folde douze-mille Hejfois t «3c quatre-mille hommes de Wotffenbuttel. \\ eft vrai que ces Troupes font payées par l'Angleterre, mais je croi qu'elles ne font que pour défendre les Etats du Roi en Allemagne. Quoique le Maitre foit abfent, on ne laiffe pas de s'amufer ici. Il y a plufieurs bonnes Maifons, & nombre d'aimables perfonnes. Madame la Comteffe de De-Nièce de la Ducheffe de Rendale, auroit bligé le Roi à faire un changement dans le Commandement de fes Troupes. Mr. de Hardenberg , Commandeur Teutoniquc , commande en chef la Cavalerie.i & Mr. de MA-uU, d'une îlluftre Maiibn d'Ecotìc, a ic Commandement de l'Infanterie. Tous les deux font des Officiers de réputation, & ont lervi avec diftinction dans le cours des dernières liuerres. ■f Ces Troupes auxiliaires out été' congédiées. h a k o auroit des adorateurs dans les Pays même vïr. les plus barbares. Cette Dame pollède autant de charmes dans l'efprit, qu'elle a de beauté, de douceur & de grâces. Madame la Baronne de Bulau, Belle-fille du Maréchal & Fille de feue Madame la CorntcfTe de Platea, ne peut être furpaflee pour la bonté du caractère & pour les manières. Son Mari eft un Cavalier de mérite, & tient une très bonne maifon. Le Comte de Platen, Grand-Maitre héréditaire des Poftes, eft un des plus riches Sujets de l'Eleciorat, & un de ceux qui font le plus de dépenfe. Un Etranger aura toujours lieu de fe louer de Mr. de Rheden, Capitaine du Château ; 6c de Mr. de^£e»£«*ra3Grand-Echanfon. Mrs. tfllteu vivent avec éclat : l'ainé eft Colonel aux Gardes : les deux Frères font aimables, 6c ont infiniment de politeffe. Si jamais vous venez ici, vous aurez afluré-ment lieu de vous louer d'eux. La fituation d'Hanover eft aiTez gra-cieufe. On voit dans fes environs quelques jolies Maifons de plaifânce. Herren-baujen ( Maifon du Seigneur ou du Maitre ) eft un Château que l'Electeur Erneft.Au-gufte, Aieul du Roi, a fait bâtir. On y va par une Avenue droite. Cette Maifon n'eft pas proportionnée à la magnificence des Jardins qui l'accompagnent, qui font làns contredit des plus beaux de l'Europe. On du Baron de Pôllnitz. 93 On y voit un Jet-d'eau qui s'élance bien h a n plus haut que le fameux Jet-d'eau de S. v k *. Cloud,- qu'on a toujours regardé comme le plus confidérable qu'il y eût. Entre Hanover & Herrenhaufen il y a deux Maifons de plaifânce, dont l'une eft appellée la Fantarfe, & l'autre Monbril-lant. Elles ont été bâties par deuxBelles-fceurs, Madame de Kilmanfeck ( qui après la mort de fon Mari a été faite Mylady Arlington- par le Roi George I.) & la Comteffe j de Flaten. Ces deux Maifons font foi du bon goût des deux Dames, qui en vérité faifoient honneur à l'Allemagne par leur beauté, leur efprit, leurs manières, & leur caractère. Elles font mortes à la fleur de leur âge, peu de tems l'une après l'autre, Mylady en Angleterre, & la Comteffe à Hanover, dont elle étoit l'ornement & le luftre. Les Etats d'Hanover font confidérables. On m'a affuré qu'ils rendoient fix millions d'écus par année. Je ne fai fi cela eft bien vrai : mais je vous rapporte ce qu'on m'a dit. Hamelen, fur le Wefer, eft la feule Ville qui puiffe paffer pour une Place de dé-fenfe. Hatiover, Zeli &c Lunebourg ont des remparts ; Harbourg un Château, ou Citadelle: mais tout cela eft fi peu de chofe, qu'il ne mérite pas qu'on en parle. Il y a peu de Souverains dont les Finances foient en auffi bon état que celles du n * m o- du Roi-Electeur. C'eft l'heureux fruit » ■ ». de trois Règnes. La fagefle avec laquelle elles ont été adminiftrées par les trois derniers Princes de la Maifon Electorale, a infiniment contribué à la fplendeur où eft aujourd'hui cette Maifon. Cependant malgré ces arrangemens, les Peuples n'ont jamais écé foulés, ôc les Princes ont vécu avec la dignité convenable à leur grandeur. Erntft-Augufte obtint la Dignité JLle&orale, non fans faire de grandes lar-geiTes à la Cour de Vienne, dans un tems où fa puiflànce étoit bornée au Duché d'Hanover ôc à l'Evôché d'Osnabruck. il étoit chargé d'une norabreufe famille, il vi voit avec éclat, il aimoit la magnificence ôc les plaints, il étoit galant, généreux, ôc libéral: en mourant il nelaifla point de dettes, 6c fes Finances étoient en bon ordre. George I. fon Fils & fon Succeffeur, entretenoit un Corps confidérable de Troupes; fa Cour étoit brillante ; il ré-pandoit fes bienfaits dès qu'on lui témoi-gnoit en avoir befoin; il a fait de grandes açquifitions: en parvenant au Trône, il n'a fait aucune réforme dans fa Cour, fi bien qu'on ne s'appercevoit de fon absence, que parce qu'on ne le voyoit plus. A la mort, il a lailfé des fommes immen-fès dans fonTréfor, Ôc fes Sujets béniflènt encore le fouvenir de ion Règtie. George U. ion Fils, Héritier de ftCou- ron- du Baron de Pôllnitz. 9c ronne, de fes Etats, & de fes Vertus, hak©-tient la même conduite. Vivant & agis- v K R-fant en Roi, il ne donne ni dans l'excès d'un vain fafte, ni dans le trop d'œcono-mie qui avilit la Majefté Royale & éteint l'amour des Sujets. Il accumule des tré-fôrs, fans charger fon Peuple: il en eft chéri, & l'on fait des vœux pour lui. J'en fais pour votre confervation,& fais, &C. A Hanover, ce f Juillet 172}». ********************* LETTRE IV. Monsieur, J'Ai mis fix heures à venir d'Hanover à b r u m «. Brunswick, Capitale du Duché de wick. ce nom. C'eft une très grande Ville, dont les maifons font prefque toutes de bois. Elle étoit autrefois Ville Anféati-que, Libre 8e Impériale. Les Princes de la Maifon de Brunswick s'en étant rendus Souverains, font mife au niveau des autres Villes de leurs Etats. Elle appartient au Duc de Bruvswick-Lvnebourg-ltoffinr-buttel. Le Duc Antoine-U/ric avoit commencé à la fortifier • le Duc Auguft^Gufa lau- %mjbHs-laume fon Fils, à préfent régnant *, a wick. achevé ce qui étoit rcfté imparfait àia mort de fon Pere, &a fait de Brunswick une Place qui ne pourra être affiègée que par une Armée nombreufe; mais où il faudra aufli pour Garnifon une Armée, que le Duc ne fauroit y mettre fans le fecours de fes voifins, ôc qu'il ne lui con-viendroit peut-être pas trop d'y introduira Le même Duc a fait bâtir un nouveau Palais, qui eft grand ôc magnifique. Les meubles en font riches, nouveaux ôc d'un excellent choix. On y voit de très beaux Tableaux, ôc un Cabinet rempli de plufieurs Cunofités. Le Duc de Blanckenberg, Frère du Duc de Wolffenbuttel, a un Palais particulier, que Son AlteiTe occupe en tems de Foire. Cette maifon ne m'a pas paru être de con-féquence. ; Les Foires de Brunswick contribuent beaucoup à rendre cette Ville riche & célèbre. Elle en a deux par année, ôc il t'y fait un Commerce confidérable. L'on * [Il eft mort en Mars 1751, fans laiflèr d'Enfans, de trois Femmes, i. Chrifiine- Sophie de "Brunswick , z. Sophie- Amélie de Holjiein-Gottorp , & 3. Elifabeth - Sophie de Holftein-Norbourg, qu'il a laiflé veuve après a ans de mariage. Son Frère Loms-Rodolfe, Duc de "Bruns-wck-Lunebourg &"Blanckenberg, lui a fuccédé. Ileltn* •en 1571. & a époufé en 1690, Chrifiine-Louife d'Oe-tingen , dont ila eu trois Filles jl'ainée, mariée à l'Empereur Charles v% la feconde auCsairjw/rxFilsdc Pierre U Grand ; & la troifième au Duc Ferdinand-Albert-d« "Brmnsmck-Luntbturg & "Btvtm.~\ du Baron de Pôllnitz. 07 L'on fe divertit très bien pendant ces Foires. Toute la Maifon Ducale fe rassemble ordinairement pour-lors à Bru?js-ivick:ï\ y vient fbuvent des Princes étrangers, & toujours un grand concours de NoblefTe. Le Duc fait inviter tous les matins ce qu'il y a de Perfonnes de qualité des deux Sexes. On fe rend au Palais vers midi. Le Grand-Maréchal fait tirer des billets pour appareiller les Dames a-vec les Cavaliers, afin d'éviter toute diC-pute de préféance; & quelquefois il fe trouve que la DuchefTe eft la dernière à table. On y eft fervi avec beaucoup de magnificence & de délicateffe. Lorsqu'il y a trop de monde pour être à une table, les deux Frères en tiennent chacun une dans leur Palais. Le foir on fe rend à l'Opéra Allemand, lequel étant fini, l'on pafle dans des Salles qui font attenant Te Théâtre, où l'on joue & l'on foupe. A-près le repas, l'on danfè. Celui qui a tiré le premier Numéro le matin, ouvre aufli le Bal, qui continue jufqu'au jour. La Maifon Ducale de Brunsuoick-Wolf-fenbuttel ne confifle plus que dans les deux Frères, dont l'ainé, le Duc * Augufte- GuiU * [T.a Branche de Timnswick-'Bevern defcend de Menù de Danneberg , Fils aine du Duc Ermfl Chef de la Maifon de Brunswick. Henri laifla deux Fils dont le cadet Angufte de VVolrFenbutrel eut trois Fils', qui tcimercnt j Branches, 'Brunimclt, WiffmhmtutU Toroe I. G »#- <>3 Lettres brtjks- Guillaume, a eu trois Femmes fans avoir wick. eu de poftérité. Il eft marié avec une PrinceiTe de Holftein-Nor bourg. L'âge avancé des deux Princes fait regarder le Duc Ferdinand-Albert àzBruns-ivick-Lunebourg & Bevern , Gendre du Duc f dé Blanckenhourg , comme leur Héritier préfomptif. L'Europe produit peu de Princes d'un mérite plus diftingué, qui aient autant de connoiifances, plus de ftvoir Se de littérature, plus de droiture d'ame, de valeur & d'expérience dans la Guerre. Il a acquis une haute réputation en Hongrie, & c'eft un des Généraux les plus eftimés de l'Empereur, donc il eft Beau-frère, & au fervice duquel il aun Régiment. $ Sa Hevern. Les deux premières furent réunies en Antoi-ve-Ulric. Ferdinand-Albert A, Chef de la Ligne dc3f ver», a laifle j* Fils & une Fille : 3 de fes Fils lont morts; l'aine au combar de ScheUenltrg en 1704; le ttoifième en 1706, Prévôt de J". Hlaîfe de Brunswick; & le cinquième auffi en 1706, à la Bataille dHTVrin, Il relie deux Fils, le Duc Ferdinand Albert II. & le Duc Emcll-FerdÌH que le Prince filetterai de Saxe fait conftruire à l'entrée d'une Forêt entrecoupée de différentes Routes. Cette Maifon eft à cinq milles de Leipzig, ôc à huit de Drefde. Elle aura de la grandeur ôc de la magnificence, lorfqu'elle fera achevée. On y travaille avec chaleur, ôc le principal Corps de logis eft déjà achevé. Leurs Altefïès Royales , le Prince ôc la Princelfc y chalfent ordinairement le Printems '& l'Automne. L'Equipage de ChalTe pour H 4 for- i2o Le t t r. e » H 0. forcer le Cerf eft d'une grande beauté ; b e r t s* les Uniformes font jaunes, avec des pa-poorg. remens de veiours bleu galonnés d'argent? fur toutes les tailles. Après m'écre promené une heure ou deux \&ubertsboujgi)ù continué marou-M e i s- te & fuis venu dinar à Meissen, Ca- SEN< pitale de la Mifnit. Cette Ville n'a rien de particulier, que fa Fabrique de Porcelaines, qui pour la beauté de la peinture 6c la manière dont l'or y eft incrufté, furpaûe en beauté la Porcelaine du Japon; aum eft-elle beaucoup plus chère. On en doit l'invention à un Alchimifte, ou foi difant tel, qui avoit perfuadé à bien des gens qu'il favoit faire de l'Or. Le Roi de Pologne l'avoit cru, & pour s'aflurer de fâ perfonne, il l'avoit fait mettre au Château de Kb'nigfiei», à trois milles deDref-de. Là, au-lieu de faire de l'Or, ce métal folide & précieux, qui fait faire tant de folies aux hommes, il inventa la fra* gilè Porcelaine j par où en quelque manière il faifoit de l'Or, puifque le débit qui s'en fait, ne laiffe pas d'en faire entrer beaucoup dans le Pays. Après avoir paffé l'Elbe fur un Pont de bois au for tir de Meijjen, je fuis venu en Dresde, moins de trois heures à Dresde, Capitale de l'Electorat de Saxe. Cette Ville eft de moyenne grandeur, fortifiée avec art Ôc régularité, 6c très bien percée. Ses maifons font élevées ôc folides ; fes rues, larges, droites, bien pavées, propres, & bien éclairées pendant la nuit. Il y a de grandes Places, & tout eft difpofé d'une manière," que Dre/de peut être mife au rang des plus belles Villes du monde. L'Elbe la féparé en deux Quartiers, qu'on diftingue par le Vieux & le Nouveau Dre/de ; ils font joints par un Pont de pierre. Pour vous donner une idée plus parfaite de cette Ville, je vais vous indiquer les chofes que j'ai pu y remarquer. Je commencerai par le Quartier du Vieux Drcf. de, parce que c'eft le premier qui fe préfente en venant de Meiffen. D'abord en entrant dans la Ville, on apperçoit à main droite un grand Hôtel, qu'on appelle le Valais des Indes, ou de Hollande. Le Roi acheta il y a quelques années cette maifon, du Maréchal Comte deUlemmingfoti Prémier-Miniftre. Toutes les chambres de ce Palais, qui eft de trois étages, font autant de Cabinets de Porcelaines du^-pon & de la Chine. Je ne croi pas que tous les Magafms enfemble d'Amfterdam puiffent fournir autant de Porcelaines rares & anciennes, qu'il y en a ici. On en fait monter la valeur à un million d'écus. Les meubles de cette Maifòn font des Indes. Il y a un ameublement comme je n'en ai point vu ailleurs: il eft de plumes de différentes couleurs, & toutes naturelles, mifes en œuvre avec tant d'art,qu'on Drude, le prend pour un beau fatin à bouquet». Ce magnifique Palais eft accompagné d'un Jardin, qui a la vue fur VElbe. Il eft orné de Statues de marbre blanc, que le Roi a fait acheter à Rome, des Cardinaux Annibal Ôc Alexandre Albani, Neveux de Clément XI. Ces Statues font fort eftimées ici; elles ne l'étoient pas infiniment à Rome. Près du Palais des Indes, eft l'Hôtel des Cadets; magnifique édifice, que. les Etats de Saxe ont fait conftruire pour y entretenir deux Compagnies de Cadets, tous Gentilshommes du Pays, qui y font initruits dans toutes les Sciences qui conviennent à des perfonnes de qualité. En avançant dans la même rue de l'Hôtel des Cadets, on trouve l'Amphithéâtre ou les Arènes, dans lefquelles fe font les Combats de Bêtes fauvages, qui y font en grand nombre. On y voit des Lions, des Tigres, des Ours, en un mot, de tout ce que les quatre Parties du Monde fourniffent d'Animaux les plus féroces. Le Pont fur l'Elbe, qui joint le Vieux Drejde avec le Nouveau, a peu de pareils, tant pour la longueur que pour la foli-dité. On vient de lui donner plus de largeur, en formant des demi-arches qui fou-tiennent les trottoirs des deux côtés. Les barrières font de fer, bien travaillées. On y doit placer inceffamment la Statue é-queftre du RoL % Le Palais ou Château eft attenant le Pont, à l'entrée du Nouveau Drefde. Cet édifice eft ancien, & n'offre rien de beau à la vue. On dit que le Roi eft dans l'intention de le faire démolir, & d'en bâtir un autre à la place,- & que Sa Majefté delfine huit millions d'écus pour l'exécution de cette entreprile. L'intérieur du Château furpaffe l'extérieur. L'Apartement de parade eft fuper-bement meublé. La grande Gallerie renferme des chofes très rares, en Buftes antiques, Vafes, & Tableaux. Le même Palais contient deux Chapelles, dont l'une eft Catholique, & l'autre Luthérienne. La première étoit autrefois la Salle de l'Opéra: le Roi en fit une Chapelle, à l'occafion du mariage de fon Fils unique avec l'Archiduchefïè, Fille ainée de l'Empereur Jojèph. La feconde a été de tout tems la Chapelle des Electeurs de Saxe. Il auroit dépendu du Roi d'y faire dire la Meffe, mais ce Prince n'a pas voulu donner ce fujet de plainte à fes Sujets: d'ailleurs, la feue Reine fà Femme n'aiant jamais voulu quitter la Religion Luthérienne dans laquelle elle étoit née il lui a laiflè cette Chapelle pour fon ufage. Le Tréfor en eft extrêmement riche £c contient des Vafes, des Chafubles & autres chofes autrefois facrées, & données à cette Chapelle par la piété des anciens Electeurs. Le Tréfor Royal, communément appelle le Grune Geiuolbe (la Voûte verte), eft dans le Palais. Ce font trois chambres voûtées, qui contiennent des riches-fes imrnenfes;l'on ne voit par-tout qu'Or, Pierres précieufes ôc Diamans. C'eft un des plus beaux endroits du Monde. On y voit différentes garnitures de Diamans brillans, de Rubis, d'Emcraudes, de Perles de Saphirs & autres Pierres précieufes. Chaque garniture eft compiette, Ôc confifte en boutons d'habit, agraffes de chapeau, épée, couteau de chaife, canne, boutons de manches, boucles de fou-liers, de manchon, ôc de ceinturon, tabatière, montre, étui, tablettes; enfin, tous les bijoux qu'il eft poffible d'imaginer, jufques^ aux équipages de cheval. §i je vous détailiois tout, j'ecrirois un volume. Toutes ces belles chofes paroiiTent encore davantage, par le goût admirable a-vec lequel elles font rangées q>ns des caif-fes de Cryftal. Le Château eft accompagné d'un Jardin , qu'on appelle le Ziuinger-Garten : ce font les Tuilleries de Dresde. Ce Jardin eft de peu d'étendue, ôc il meparoit que le nom de Place lui conviendroit mieux que celui de Jardin. Il eft entouré de bâ-timens de pierre de taille, qui fervent de Serre aux Orangers. Cet édifice forme un feul plain-pied, for lequel s'élèvent d,u Baron de PoLLtfÌTz. 125 fix gros Pavillons, favoir, trois en face de l'entrée, deux aux côtés,& un audef-fus du Portique de l'entrée. Ils communiquent enfemble par une piatte-forme, bordée de balufbrades ornées de Statues. Il feroit affez difficile de dire quel ordre d'Architecture domine dans cet Edifice, dont la décoration chargée de fculpture auroit été fort approuvée par les Goths, mais qui ne fauroit qu'être blâmée dans notre tems. Près de ce bâtiment eft un Palais de grande apparence, mais dont les aparte-mens peu fpacieux, & écrafés, font regretter les orncmens qui y ont été employés. Le Roi fit bâtir cette Maifon pour Madame la Comtelfe de Co/el, dans le tems que cette Dame étoit au comble de la faveur. Rien n'y fut épargné-mais il auroit été à fouhaiter qu'on eût employé un plus habile Architecte pour conduire cet ouvrage. Il y a encore cinq ou fix Maifons qu'on appelle ici Hôtels, & qui en Italie por-Mtoient aflurément le nom de Palazzo. L^Hôtel de Fubl dans la rue de Pirnitz, eft de ce nombre. Il fut élevé par le Grand-Maréchal de Fubl, qui en mourant le laifïa à fa Femme, de qui le Maréchal Comte de Flemming l'acheta. Ce Miniftre le vendit peu après au Roi. Sa Majefté y fit faire des embellilfemens confidérables, & le meubla fuperbement. Ce Ì2« t E t T R E f Ce fut dans cet état qu'elle le donna, il y a un an, • à Mr. le Maréchal de Wackerbarth, pour le dédommager de la perte qu'il fit par l'incendie du Gouvernement, où il étoit logé comme Gouverneur de Drefde. Le Roi vient encore de racheter cet Hôtel du Comte de Wackerbarth, pour qui on rebâtit le Gouvernement; & Sa Majefté y a placé fon Cabinet de Médailles, celui des Antiquités, & celui des Curiofités. Vous favez fans doute que le feu prit au Gouvernement la nuit, pendant le ié-jour que le Roi de Pruffe a fait ici. Ce Monarque étoit logé au Gouvernement même: il étoit couché, lorfque le feu é-clata avec tant de violence, qu'il eut à peine le tems de prendre fa robe de chambre, & une Caifette dans laquelle il y a-voit des Papiers de conféquence. Le plancher de la chambre enfonça, un moment après que le Roi en fut forti. Il y eut un Officier, fa Femme 6c fa Servante, de brûlés. Le Comte de Wackerbarth ne {àuva que fa Garderobe 6c fa Vaiffelle : fa belle Bibliothèque, & fon magnifique Recueil de Delfeins, un des plus complets 6c des mieux choifis de l'Europe, turent conlumés par le feu. L'Hôtel de Hoyhm eft l'édifice le plus confidérable de Drefde. II.a paifé, dans Tef- * CEd 1718.] du Baron de PoLLNITz: Ï27 l'efpace d'environ fix années, à quatre drksdbî Maîtres. Le Comte de Fitztuhm , * Grand-Chambellan, Miniftre d'Etat, & Favori du Roi, en eft le fondateur. Ce Seigneur aiant été tué en duel à Varfovie par le Comte de S.Gilles Piémontois, qui étoit venu chercher fortune en Pologne , Mme de Fitztuhm fa Veuve vendit cet Hôtel au Maréchal Flemming, qui mourut à Vienne peu de tems après avoir fait cette acquifition. Son Hôtel demeura à fon Fils, foible enfant qui le furvécut de peu. Sa Mère, qui étoit une Radzivil^ lut fon héritière,& fe trouva un des plus riches partis de l'Europe. Elle fut bientôt remariée à un Polonois, qu'elle fui-vit en Pologne. En quittant Dresde, elle vendit la Maifon à Mr. le Comte de Hoyhm, qui l'occupe actuellement. Les Ecuries du Roi ne font pas bien éloignées de l'Hôtel de Hoyhm, & méritent aifurément d'être vues. On y trouve quantité de chevaux, d'une beauté admirable; il y en a de toutes les fortes les plus rares. Au-deffus des Ecuries font des Salles pleines de beaux équipages, con- liftant * [Il avoit été au fenrice du Roi dès le tems qu'il n'étoit que Piiuce de Saxe, ôc avoit toujouts lu fe «ainicnir dans la faveur, étant, de tous les Favoris celui qui poffédoit le plus la confiance de ion Prince* Cependant il dut fon avancement, ôc le Poftc éclatant de Miniftre du Cabinet, à,la Cornicile àcCoM, lorsque celle-ci fit difgracier le Chancelier 3ticMim. ^ui avoit toujouw été le Miniftre favori, j jlvibsdb . Citant en Telles & hou {Tes fuperbes, trai* 'neaux, & harnois magnifiques. Plufieurs de ces équipages font à la Turque j & garnis d'argent mafîif enrichi de pierreries. L'Arfenal, qu'on vante beaucoup ici, ne fauroit être trouvé beau que par ceux qui n'ont pas vu celui de Berlin, auquel il n'eft point comparable. Il y a plufieurs Salles bien remplies d'Armes, de Canons de fonte, de Cafques , & de CuirafTes ; tapifteries d'Arfenaux. Voilà, Monfieur, tout ce que j'ai remarqué dans Drefde. Il me refte à vous dire quelque chofe de fes Fauxbourgs, & des Maifons de plaifânce que le Roi a aux environs de cette Ville. Les Fauxbourgs de Drefde font très é-tendus, mais n'ont d'édifices de conie-» quence que le Palais du grand Jardin du Roi, bâti par la Mère de Sa Majefté; &c le Palais de Turquie, appelle ainfi parce qu'il eft entièrement meublé à la Turque. Le Roi donna dans ce Palais une lete à la PrinceiTe fa Belle-fille , à l'oc-cafion de fon arrivée à Drefde, dont" la fingularité me paroit mériter urie digref-(îon. Le jour de cette Fête, toute la Cour, mafquée à la Turque, s'affembla dans les apartemens du Palais de Turquie. Le Roi, habillé en Sultan , y arriva fans faite. Sa Majefté fut fuivie bien-tôt a- près par la PrinceiTe , accompagnée des Dr Dames de fa Cour. Son AltelTe Royale trouva un Corps de JaniiTaires rangés en bataille dans la Cour du Palais. Le Roi la reçut à l'entrée de fon apartement, & la conduiGt dans une Salle où il y avoit, fur des tapis fuperbes dont le plancher étoit couvert , des carreaux richement brodés. Le Roi & la PrinceiTe s'étant aflïs , vingt-quatre Nègres magnifiquement habillés fervirent dans de grands paniers d'argent maffif, du Sorbet, du Caf> lé & des Confitures : les Eaux de fen-teur, & les Mouchoirs parfumés, ne furent point oubliés. Après cette Colation, on s'approcha des fenêtres, d'où Ton vit diftribuer le Pillau * & payer la montre aux JaniiTaires. Ce fpectacle fut fuivi d'une Comédie , entremêlée de Danfes Turques. Le fouper fuccéda à la Comédie ; il fut fervi félon l'ufage des Orientaux: on étoit aflis fur des,carreaux; des Nègres & de jeunes Turcs fervoient les conviés. Pendant qu'on étoit ainfi à table, des Baladins & des Baladines amu-foient la Compagnie par différens fautsôc poftures. Après le louper on paffa dans le Jardin, qu'on trouva éclairé par plufieurs milliers de lampions de ctyftal. On y rompit des Cannes, & on tira au blanc.' Chaque fois que le coup portoit? il par-toit # Du Rit à ia Turque. Tome l. I b. toit une fufée qui rempliflbit le Ciel de mille étoiles. Apres qu'on fe fut amufé ainfi quelque tems, on rentra dans le Palais. Le Roi & la PrinceiTe y ouvrirent le Bal. On danfa jufques à cinq heures du matin, & le Bal ne finit que par un déjeuner magnifique qui fut fervi fur différentes tables à l'ufage de notre Pays, qui, n'en déplaife à Meilleurs les Muful-mans, vaut bien le leur. LeS plus belles Maifons Royales font f Uniti. & Moritzbourg. Le Roi, qui efl affurément de tous les Souverains le plus magnifique, fait travailler continuellement à l'embellifTement de ces Lieux. C'eft Mr. Bot, félon moi le Bernini du tems, qui a la conduite de ces travaux. Je ne doute pas qu'avec les grandes idées que je lui connois, ôc fe trouvant foute-nu de la magnificence d'un grand Roi, il ne faffe des Ouvrages dignes de fon Maitre , Ôc dignes de lui-même. Je laifTe là la defeription des Palais & des Maifons Royales, dont je me fuis très mal acquitté,ôc qu'en vérité je me ferois très volontiers difpenfé de faire : mais vous l'avez voulu, il a falu vous fatisfai-re. Je pafTe à quelque chofe de plus in-tèreffant; ôc je vais vous donner l'état de la Maifon Royale, ôc vous nommer les Perfonnes les plus qualifiées de la Cour. La Famille Royale confitte en fix Perfonnes, non compris les Princes appana- gés gés de Saxe, qu'on appelle ici Princes du Sang. Frederic-Augufte , Roi de Pologne & Electeur de Saxe, eft le Chef de cette augufte Maifon. Ce Monarque, que nul homme n'a furpafie en force ôc en adref-fe, ôc que peu de Princes égalent en gé-néiohté, eft le.fécond Fils de Jean-George III, Electeur de Saxe. Il fuccéda dans l'Electorat à fon Frère Jean-George IV, & fut élu Roi de Pologne après la mort du grand Sobiesii, malgré les brigues des Emiffaires de France qui s'é-toient déclarés pour le Prince de Conti. Frédéric- Augufte , en montant fur le Trône, y porta toutes les Vertus convenables à un grand Roi. Les agrémens de fa perfonne, fon air majeftueux, fa force héroïque, fa douceur,fa pohteflè,ôc une valeur reconnue, étoient les moindres de {es qualités. Jamais Prince ne fut plus magnifique, ne donna plus, ôc n'accompagna fes dons de plus de grâce. Capitaine ôc Politique, modefte dans la bonne fortune , ferme dans l'adverfité , on l'a vu dans le fort de fes difgraces agir ôc parler, même avec fes Ennemis, d'un air de complaifance ôc de fatisfaction, que les hommes accoutumés aux grandes affaires lavent prendre au milieu des mortifications les plus cruelles. Ce Prince dans fa jeuneflè a vu les principaux Pays de l'Europe: il faifoit par-tout admirer la lk2 for- Drksde. force, fon air, & fon adrefïe. Entre autres avantures, il lui en arriva dans Ces voyages une bien fingulière, à Venife. II y avoit dans cetre Ville un Aftrologue célèbre, qui paffoit pour lire dans l'avenir. Le Roi, pouj-lors Prince,eut lacu-riofité de favoir fon Horofcope. II fut chez l'AftroIogue, accompagné de deux Gentilshommes, ils étoient tous les trois très Amplement habillés. Le Prince,pour être moins reconnu, avoit caché fes cheveux bruns ious une perruque blonde; il fut le dernier à entrer chez l'AftroIogue, & paroiffoit comme le Suivant des autres. Cependant, ce fut à lui que l'AftroIogue adreffa la parole ; il l'appella Monfeigneur & Mteffe. Le Prince lui dit qu'il n'étoit pas d'un rang à devoir être traité ainfi; mais l'AftroIogue répondit qu'il favoit très bien à qui il parloit, Se que ce n'étoit point à un homme comme lui à qui l'on pouvoit fe cacher. Il conduifit le^ Prince & fà petite Suite dans un Cabinet, où il lui fit voir un miroir. Regardez dans ce miroir, dit-il au Prince, & vous y verrez les principaux événement de votre vie. Le Prince y aiant porté la. vue, fe vit d'abord en habit d'Electeur; enfuite avec une Couronne & un Manteau Royal ; & enfin plein de bleffures, & baigné dans fon fang. Cette Hiftoire, que je ne vous donne pour vraie que parce qu'elle m'a été du Baron de Pollniti 135 été contée par un grand Seigneur qui m'a dresdi. dit la favoir du Roi même, n'eft point fans exemple : un Maçon , à ce qu'on prétend, prédit à Madame de Maintenon lorfqu'elle étoit encore Madame Scarron, toute la fortune & le rang qu'on lui a vu tenir en Ftance. Je vous citerois plufieurs autres exemples de cette force, qui tous me furprennent, mais ne me perfua-dent pas. Quoi qu'il en foit,deux points de la prédiction faite au Roi de Pologne font accomplis : veuille le Ciel, quant au troifième , confondre l'AftroIogue ! * Le Roi de Pologne partage fon iejour entre fon Royaume, & fon Elecìorat. Il eft vrai qu'il témoigne fe plaire plus en Saxe * Cette prédiâion n'a poînt eu lieu; le Roi de Pologne eft mort dans fon lit à Varlôvic le i. Février 173 j. Ce Monarque étoit parti au mois de Janvier de Drefde, pour tenir la Diete de Pologne; l'ouverture s'en étoit faite a Varfovie, ôc tout paroif-foit devoir s'y paOer à la fàtisfa&ion du Roi ôc du Royaume; lorlquc ces belles efpérances fe font évanouies par le décès du Monarque, qui dans là dernière maladie a fourenu le Carattere de Héros: il n'a témoigné ni crainte ni foiblcfïè, ôc fon unique defir a été de pouvoir embraiïèr fon Fils. Depuis quelques années, le Roi fc fëotoît périr; la gangrène s'etoit mife à un pied, pendant la dernière Diète de Grodno. Le Sieur Petit , Chirurgien de Paris, que le Roi avoit fait venir exprès, lui a-voit coupé deux orteils, & avoit rétabli Sa Majcftét mais lui avoit propofé un régime de vie, fans lequel il l'avoit afluréc qu'Elle retomberait daus l'accident dont il l'avoit tiré. Le Roi fefentant mieux, a négligé les préceptes du Sieur Petit, ôc eft mort de la gangrène, comme le lui avoit pre'dit le Chirurgien. 1 3 î}4 Lettres Dresde. Saxe, qu'en Pologne. La chofe me paroit très naturelle. La Saxe eft fon Pays héréditaire, il y eft abfolu, fa volonté eft celle de fes Sujets, dont il eft plutôt a-doré , que chéri. La Saxe lui fournit dequoi foutenir fa Dignité, & offre tout ce qui peut contribuer aux plaifirs d'un grand Roi. Sa Cour y eft la plus brillante de l'Europe ; il y trouve grandeur, magnificence, & plaifirs. En Pologne, il n'a que la vaine pompe de la Majefté Royale; il y eft plus borné qu'aucun Souverain du Monde ;la moindre nouveauté, le moindre acte d'autorité, fait crier les Polo-nois, ils fe croyent auffi-tôt difpenfés de l'o-béiffance qu'ils lui doivent. Tout ce qui eft Gentilhomme ,n'y dépend que de foi;les Seigneurs font les Souverains, ôc ne pa-roiffent à la Cour que pour y demander des grâces : s'ils les obtiennent, ils partent ingrats ; s'ils font refufés, ils fe retirent avec l'intention de fe venger à la {cernière occafion. Le climat eft rude, es Peuples font féroces ; Ôc le Roi, adoré en Saxe, eft à peine aimé en Pologne. Le Prince Electoral , Fils unique du Roi, eft grand, beau, & bien fait. Il eft, comme le Roi fon Père , adroit à tous les exercices du corps. Il aime les plaifirs , mais avec modération. Il eft fincèreraent attaché à la Religion qu'il a embraffée. Son air froid ôc réfervé ne dé- dégénère nullement en fierté : il le tient d de feue la Reine fa Mère *, à laquelle il refTemble beaucoup. Lorsqu'on a l'honneur de l'approcher & d'être connu de lui, on le trouve bon, populaire & très civil. Son A. R. a fait admirer les belles qualités de fon ame dans une grande partie de l'Europe , en Allemagne , en France & en Italie, où ce Prince a paf-fé plufieurs années. Son refpeci: pour le Roi fon Père ne peut être furpaffé : on ne l'a jamais vu s'oppofer en rien à la volonté de Sa Majefté, & il a toujours honoré le Roi jufques dans fes Miniftres. De tous les plaifirs, la Chafle paroit l'occuper le plus;cependant il ne s'en fert que comme d'un amufement, & n'en fait pas une paffion. S. A. R, témoigne avoir donné fa confiance à un Cavalier Polo-nois nommé Solckofski, t qui a été fon Page ; & par ce choix , auquel on ne peut qu'applaudir, Elle fait connoitre qu'Elle fait diftinguer le mérite. J'ai eu l'honneur fbuvent de faire ma cour à ce Prince, pendant qu'il étoit à Paris; voici la * Ebtrharàint de Hrandcbiurg-Harcitb, Reine de Pologne & Elettrice de Saxe. Elle eft morte dans ion Château de Pretfch près de YVittenbcrg, [quelques années avant le Roi.J f [Le Prince aiant fuccédé à fon Père fur le Trône Elettoral, & enfuite fur celui de Pologne,à élevé Mr. Solcbofski a la Dignité de Comte, le l'a nomme GuudEcuyci Si Miniftre du Cabinet.] J 4 Dresde, la feconde fois que j'ai le même avantage à Dresde ; je le trouve toujours également gracieux. Lorfque j'eus l'honneur de lui êtrepréfenté la dernière fois, il me parla beaucoup de Paris ,& en me congédiant il me dit, qu'il étoit fâché de ce que je ne trouverois pas à Dresde l'abondance des plaifirs de Paris. Le même jour que je faluai le Prince, je fus aufli pré fente à Madame la PrinceiTe, Epoufe de S. A. R., qui eft la Fille ainée du feu Empereur Jofeph. Il n'y a pas deux voix touchant cette Prin-cefTe ; tout le monde convient qu'elle ne le cède à perfonne en douceur, en piété, en charité, en modeflie, ôc en un mot, dans toutes les Vertus de l'Ame. Son principal foin eft de plaire à fon Epoux, ôc de donner à fes Enfans une éducation convenable à leur naifTancc. On ne peut guère voir une plus heureufe union, que celle qui fubfifte entre Leurs Alteflès Royales. Le mariage, qui ralentit ordinairement les pallions les plus vives, fem-ble au contraire avoir augmenté leur tendre amitié; il peuvent fervir d'exemple à leur Cour. La grande jeunefTe des Enfans de Leurs A. R. fait que je vous en parlerai peu *. Leur * [Le Prince Electoral, à pre'fent E1eûeur,&Roi de Pologne, a maintenant 8 Enfans , 3 Princes & f Princeflcs, qui font efpérer que ia Bianche Electorale ne finira pas encore li tòt. J Leur Fils aîné refTemble beaucoup aux Dresde. portraits que j'ai vus de l'enfance de TEmpereur Jofeph. Ce jeune Prince me paroit bien délicat ; il a une fi grande foiblefle dans les genoux, qu'à peine peut-il fe foutenir. Les Médecins difent que cela fe pallerà: mais chez moi leurs promelTes ne font pas mot d'Evangile. Deux Princes du Sang font leur léjour ordinaire à Dresde. L'un eli Jean-jqdol-fhe de Saxe-Weijfenfeh,* Prince d'un rare mérite, & dont les fentimens & les actions égalent la naiffance. L'autre eft Maurice-Guillaume de Saxe-Zeitz, le dernier de fa Branche. Le feu Cardinal de Saxe fon Oncle lui aiant fait abjurer la Religion Luthérienne, lui a aufli faitembraf-fer l'état Eccléfiaftique. II eft Êvêque de Kb'uigsgratz en Bohème, Prévôt ÛAlten-Ottingen en Bavière, & Chanoine de Cologne, de Liège & tfAichftedt. Il eft à préfumer que fa naifTance le conduira àia Pourpre -j-. Les Enfans légitimés du Roi ont le rang immédiatement après les Princes du Sang. Ils font quatre Fils & trois Filles. Vous ne ferez peut-être pas fâché de fa- voir • [Le Felt-Maréchal Comte de Whikeém éunt mort , l'Elefteur vient de nommer ce Prince, Ctnc-raliffimc des Troupes de l'Elc'ótorat. 1734. f Depuis quelque tems, ce Prince télidc à JCterVc lì Dresde, voir leurs noms. Je vais vous les nommer, & vous dire quelles étoient leurs Mères. Le Comte Maurice de Saxe efl: l'ainé. Il efl: Lieutenant - Général , & Colonel d'un Régiment d'Infanterie, en France. Il eft né d'Aurore Comteffe de Konigs-Tfjarck, la perfonne de l'Europe la plus digne de pofleder la faveur d'un grand Roi: aufli a-t-elle été de toutes les Favorites du Roi , celle dont la faveur a duré le plus, & qui dans fa retraite a fu fe conferver l'eftime & la confidération de Sa Majefté. [Elle vit encore, & a-près avoir été Prieure de l'Abbaye Impériale Luthérienne de Quedlinbourg, elle en eft devenue Abbeffe.] Le Comte Rotofiki, Lieutenant-Général & Colonel des Gardes de la Couronne, doit le jour à la tendrelfe du Roi pour Madame de Spiegel. Cette Dame é-toit Turque : elle fut faite prifonnière très jeune, & [échut en partage à Mr. Schilling , Lieutenant - Général au fervice de l'Electeur de Brandebourg. Il la mena à Berlin , où en la failânt baptiier, il lui lai fia fon nom de Vatipie. MUe. de Flem-v;i?ig, connue fous le nom de Brebentau , aiant époufè le Palatin de ce nom,la prit en affection,l'obtint de Mr. de Schbning, & la conduifit avec elle en Pologne, où d'Eiclave elle devint Favorite du Roi , fans que Madame de Brebentau s'en ap- per- perçût, que lorsque la taille de Patirne la drbsdb. trahit. Elle avoit autant d'efprit que de beauté, &] tout le monde dit qu'elle méritoit cette fortune. Cependant, elle en jouit peu : Madame de Lubomirtki, Femme du Grand-Chambellan de la Couronne, lui enleva le cœur du Roi: c'eft de cette Dame qu'eft né le Prince de Tefchen , ou autrement le Chevalier de Saxe. Elle étoit Nièce du fameux Cardinal Radjouski Archevêque de Gnesne, Primat de Pologne. Après qu'elle le fut donnée au Roi, elle fit diflbudre fon mariage avec le Prince Lubo?nirski3 & elle prit le nom de Princeffe de Tefchen. [Elle a eu du Roi un Fils, à qui elle a fait porter le nom de Prince de Tefchen,dont l'Empereur avoit donné le Titre à cette Favorite. ] Le Comte de Cofèl, quatrième Fils du Roi, eft né de Madame la Comteife de Cojel. Cette Dame eft auffi Mère de Mesdames les Comtefïes de Frife * & de Mofchinska f. Madame de Cofel eft native du Pays de Holftein , de la Maifon de Bruchstorjf. Elle étoit Fille-d'hon- neur r * Morte à Dresde peu de tems après que ceci a été écrit. f Le Comte Moichinskî , Mari de cette Dame é toit Grand - Tréfòrier de [la Cour, eu PoWne'-il" eli Grand-Fauconmex cu Saxe.J IwloSQC< " Dresde neur de Madame la Duchefle de Woiffenbuttel , lorsque le Comte de Hoyhm, Miniftre d'Etat du Roi de Pologne, 1 e-pouia. Ce Seigneur, peu de tems après Ion Mariage, la mena à Dresde. Le Roi la vit, &°en devint amoureux; il parla, & fut écouté. Mr. de Hoyhm fut au def-efpoir ; il demanda à être féparé de fa Femme, Se Madame de Hoyhm confentic à ce qu'il voulut: de forte que le Confif-roire de Dresde déclara leur mariage nul. Mr. de Hoyhm fe remaria, & Madame prit le nom de Comteflè de Cofel. Cette Dame , en perdant la faveur du Roi, a perdu fa liberté; elle eft gardée à vue dans un Château, où elle a tout le tems de faire de trilles réflexions fur les révolutions de fa fortune *. La * Madame de Cofel ne doit (à difgrace qu'à elle-même. Etant en faveur , elle avoit ole menacer fbuvent le Roi, que s'il la quiitoit, elle lui cafiéroit Ja tête d'un coup de piftolct. Le Roi, qui la con-noifloit pour femme à tenir là promcfTe, crut devoir prevenir fes emportemens. Ce ne fut toutefois que quelque teins après, qu'il la fit arrêter. Madame de C'a/*/ s'etoit retirée à feerlin , & n'y difîïmuloit pas fes chagrins. On prétend qu'elle difoit publiquement , que le Roi lui payerait cher fon infidélité j rnenaces que Sa Majefté auroit peut être méprilees, fi Madame de Cofel n'eût refufe de rendre une Promette que le Roi lui avoir faite de l'époulcr en cas que la Reine vînt à mourir. Le Roi demanda au Roi de Prulfc de faire arrêter Madame de Cofel, ce qui fut exécute': elle fut conduite en Saxe, ou elle a demeuré prifonniére juf-'u'à la mort du Roi. Les Nouvelles publiques marquent qu'elle vient d'être rcniife en liberté. { »7Î4-) du Baron de PÔllniTz. 141 La Comteflè Orfelska, que j'aurois dû dresdb. nommer avant Mesdames les Comtefles de Frife & de Moschinska, parce qu'elle eft leur ainée, eft née en Pologne; mais j'ignore qui étoit fa Mère. C'eft de tous les Enfans légitimés du Roi, celle pour qui Sa Majefté fait paroitre le plus de ten-dreff?. Elle avoit d'abord été afTez négligée , & il ne paroifToit pas que le Roi eût deflein de la reconnoitre. Le Comte Rotofski la voyant à Varfovie dans un état peu convenable à fa naifTance , prit la liberté d'en parler au Roi fon Père, & de lui dire qu'elle méritoit bien que-Sa Majefté fît quelque chofe pour elle. Le Roi fouhaïta de la voir. Elle parut devant lui habillée en Amazone, qui étoit fon habillement favori. Le Roi trouva qu'elle lui reffembloit beaucoup. Il ne put réfif. ter aux mouvemens de tendrefïè que la Nature lui infpiroit: il Tembrafïà, & l'appella fa Fille: il ordonna en même tems à toute la Cour de la reconnoitre pour telle; il lui donna un magnifique Palais, des diamans fans nombre, & lui affigna de très groffes penfions. Il eft certain que jamais Fille n'a plus refTemblé à fon Père: ce font les mêmes traits, la même humeur, le même caractère. On nefau-roit être mieux faite, & avoir plus grand air. Elle aime la magnificence , la dépenfe & les plaifirs. Un de fes divertif-femens eft de s'habiller en Homme. C'eft dans 142 Lettres Drejdk. dans cet ajuftement que je la vis pour Ja première fois: elle étoic à cheval, avec un habit pourpre brodé d'argent, & por-toit le Cordon bleu de Pologne. J'étois feul je ne pus m'informer qui elle étoit, & je la pris véritablement pour quelque jeune Seigneur étranger que je n'avois point encore vu. Je n'ai jamais vu personne être mieux à cheval, ni avoir l'air plus aimable ; bien des Dames auraient voulu avoir un Amant fait comme elle. Le même foir je la vis au Bal; elle étoit encore en Homme, mais elle avoit un habit plus riche, fes cheveux étoientépars Se bien frifés : l'Amour n'étoit pas plus beau, lorsqu'il parut devant Pfjiché. Sa bonne mine, & la grâce avec laquelle je lui vis danfer un menuet, me portèrent à demander qui étoit ce beau Jeune-homme. Le Comte Rotofski m'entendit ; il me répondit: Ce "Jeune-homme que vous admirez , ne vous feroit pas grand mal fi vous étiez. Femme ; mais il pourrait bien vous en faire à préfent. Venez , conti-nua-t-il en me prenant par la main , je veux vous le faire connoitre ; vous vous ti-ferez d'affaire avec lui ctmme vous pourrez. Je reconnus à ces paroles, que c'é-toit la ComteiTe Orfelska à qui il alloit me préfenter ; & je fus confirmé dans mon doute, lorsque j'entendis que le Comte Rotofski lui dit , Ma Soeur, voici un Cavalier qui vous rend toute la juflice qui qui vous efl due, & que je vous garantis être prêt à vous fervir en tout ce que vous pourrez exiger de lui. Mlle Orfelska foûrit à ce discours : je la faluai avec le refpecc que je devois à fon rang, & elle me reçut de la manière du monde la plus o-bligeante. Je la vis le lendemain habillée en Femme; je la trouvai encore plus aimable. Je la vois tous les jours, ôc plus je la vois, plus je trouve un Prince cadet de la Maifon de Holftein-Beck, à qui on la dit accordée *, heureux de devenir fon Epoux. Après vous avoir parlé des Princes de la Famille Royale, je vais vous fairecon-noitre le mieux qu'il me fera pofiïble, les principaux Seigneurs de la Cour. C'eft en quoi je n'obferverai pas plus d'ordre que j'en ai obfervé jufqu'ici dans les Relations que je vous ai faites. Monfieur le Baron de Loivendahl eft Grand-Maréchal. C'eft la première Dignité de la Cour de Saxe, parce que l'Electeur eft Archi-Grand-Maréchal de l'Empire. Le Baron eft Danois, & def-cend d'un Comte de Guldenloiue bâtard de * Ce Mariage a e'té* confomme' à Dresde; [mais depuis la mort du Roi , le Prince de Holjfìet» a a-bandonné fa Femme , qu'il n'avoir époufée que dans la vue d'obtenir du Roi quelque Emploi considérable L'EIeÛeur régnant lui a óté la plupart «es nchefles dont le Roi l'avoit comme accablée. 1 Dresde, de Dannemarc. Il eft encore Miniftre d'Etat , & Chevalier de l'Ordre de l'Eléphant de Dannemarc. Ce Seigneur vit a-vec magnificence, il tient une bonne table , ôc eft fort civil envers les Etran- Monfieur le Comte de Wackerbart a fuccédé au Maréchal de Flemming dans le Commandement en chef des Troupes de Saxe. H eft Maréchal, Miniftre d'Etat, Grand-Maître de l'Artillerie, Gouverneur de Dresde , ôc Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc. Ce Seigneur a de la naiflance ; il eft né dans le Meckel-bourg , mais depuis fa jeunefïc il eft attaché à l'Electeur de Saxe. Son mérite & l'amitié du Comte de Flemming, l'ont élevé aux premiers Emplois de la Guerre ôc de la Cour. Il eut le Commandement des Troupes Saxonnes en 1709 devant Tournay, ôc en 1715 devant Stral-fuitd, afîiègé par les Rois de Dannemarc & de PrulTe , 6c défendu par Charles XII Roi de Suède- Mr. de Wackerbart fut fait Comte de l'Empire par le Roi fon Maitre, pendant que ce Prince étoit Vicaire de l'Empire , après la mort de l'Empereur Jofepb. Décoré de cette Dignité , le Comte de Wackerbart fut employé dans diverfes Négociations importantes , principalement à Vienne. 11 é-poufa dans cette Ville une Dame Pié-montoife, qui fe trouvoit Veuve du Margrave DU B ARON DE PoLLN ITÏ. 14c grave Chartes de Brandebourg , Frère de Frédéric L Roi de Pruffe, qui étant, fort jeune à l'Académie à Turin, l'avoit é-poufée de la main gauche, comme vous favez, que cela fe pratique parmi nos Princes, lorsqu'ils fe mefallient. Quand le Comte de Wackerbart l'époufa , elle portoit le Titre de Madame de Brande-bourg , nom qu'elle trouvoit fi beau, qu'elle ne voulut jamais le quitter avant que de s'être remariée, malgré les offres avantageufes que lui fit faire le Roi de Pruffe pour l'engager à y renoncer : ce qui étoit d'autant plus généreux ; qu'elle étoit très peu à fon aife. Elle répondoit toujours, que rien au monde ne la porterait à fe deshonorer ; quelle aimoit mieux être pauvre & paffer pour être Femme du Margrave de Brandebourg, que d'être riche & de pafïer pour avoir été fa Maitreffe. Dans le tems qu'elle devint Madame de Brandebourg , elle étoit Veuve d'un Comte de Sal-mour , dont elle avoit un Fils. En é-poufant le Comte de Wackerbart, elle l'engagea à adopter ce Fils. Le jeune Salmour prit le nom & les Armes de Wackerbart. Cefi lui qui efl Miniflre chargé des Affaires du Roi de Pologne à Vienne , où il eft très eftimi, * Jc n'ai [Le Comte d« Wa.hTb.nt-Satmmr s'eft diûincué Dresde, n'ai point connu Madame de Wackerbart au premier voyage que je fis ici , elle étoit à Vienne; & à préfent elle n'eft plus. On parle encore d'elle, comme de la Femme du monde qui avoit le plus d'efpric. Mais lailfons là Madame Se revenons à Monfieur. Le Maréchal eft très civil, il vit avec beaucoup de magnificence, & fa maifon eft ouverte à tous les Etrangers. Il é-roic étroitement lié avec le Comte de Flemming , Premier - Miniftre Se Favori du Roi* Us démentoient bien le Proverbe, que le Feu & VEau ne s'accordent pas : le Comte Flemming étoit d'une vivacité qui tenoit de la fougue: le Comte de Wackerbart au contraire eft d'un flegme extraordinaire f. Le Comte de Manteufèl eft né dans la Poméranie Pruflienne. Il étoit Gentilhomme de la Chambre de Frédéric I. Roi de Pruffe, lorsqu'il parut à la Cour des Chanfons fur l'Air des Lampons 9 fort l'année dernière 1753 , lorsque le nouvel Eleveur l'envoya Comminane Plénipotentiaire en Pologne , où il ménagea fi bien les intérêts de fon Maure , qu'il fut élu Roi. Ce jeune Comte a fucce'dé aux biens du Général Felt-Marechal. Il eft Miniitrc d'Etat , & très bien en Cour. 11 ctt chargé de l'Educa-liondu Prince Electoral.] . ... , + [ Il eft mort dans le mois d'Août dernier (1734.) Ses Emplois ont été remplis, partie par le Prince de Sa*t • H'vfenftl,, partie pat le Comte de fort infultantes pour le Comte delVarten- Dr*îdi» kerg Prémier-Miniftre & Favori du Roi. On accufa Mr. de Manteuffel d'en être l'Auteur. Comme il favoit qu'on n'offen-foit pas en-vain le Favori, il fe retira en Saxe. Le Comte de Flemming , dès-lors tout - puilTant auprès du Roi de Pologne, le reçut comme fon compatriote, ôc l'employa dans lés Affaires étrangères. Mr. de Manteuffel fe maintint dans la faveur du Favori, fans donner dans l'adulation que ce Miniftre exigeoit de fes Créatures. Pendant le Vicariat de l'Empire, le Roi comme Vicaire fit Mr. de Manteuffel Comte de l'Empire. Sa Majefté l'avoit honoré quelque tems auparavant , de l'Aigle blanc, Ôc lui avoit donné place dans ion Confeil du Cabinet. Depuis la mort du Maréchal Flemming, Mr. de Manteuffel a la principale direction des Affaires étrangères. On dit qu'il eft dans l'intention de fe retirer. Si cela eft *, le Roi perdra un habile Miniftre, & la Cour un de fes principaux orneraens. Ce Seigneur eft d'une taille élevée, il eft bien fait, & a grand air ; c'eft un des plus beaux hommes que j'aye vus. Ses manières font nobles & aifées; il a beaucoup de Littérature, une * Mr. de Manteuffel s'eft retiré en 1730 dans des Terres qu'il a en Pomeranie. 11 conierve une pen-fion de 24000 écus, qui kii a été affiliée par le aow vel Electeur. K 2 Dresde. L e t t r B * une mémoire extraordinaire, & une manière de s'exprimer qui fait qu'on l'écoute toujours avec plaifir. Monfieur le Comte de Lagnano * efl: d'une taille avantageufe. Ses manières font polies ôc honnêtes. Je croi que vous lavez, qu'd eft d'une Mailbn diftinguée de Piémont, & qu'il eft Miniftre d'Etat, Lieutenant-Général des Armées, Capitaine des Chevaliers-Gardes, & Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc. Je ne fau-rois vous dire comment, ni en quel tems, il eft entré au fervice du Roi de Pologne: mais je fai que ce Miniftre a d'abord fu s'inlinuer dans la faveur de fon Maitre par beaucoup d'affiduité , par un efprit agréable, & par fa grande complaifance à entrer dans fes plaifirs. Il s'affermit fi fort dans cette faveur, que le Comte de Tlemming le regardoit comme le feul Rival qu'il eût à craindre. Cela faifoit qu'il n'avoit pas toute la fympathie du monde pour lui. Le Comte de Lagnasco a été employé dans diverfes Ambaflàdes ; il ne fait que de finir celle de Rome; on dit qu'il va remplir celle de Vienne, ôc que le jeune Comte de Wackerbart doit aller à Rome. Je dois vous dire encore, que Mr. de Lagnasco eft heureux en tout, même en mariage : il en eft actuellement à # Le Comte de L*£»*f«> eft mon au mois d'Avril 173*. , à fa feconde Femme, qui lorsqu'il l'épou- Dresde, fa étoit Madame la Comteflè de Tuhn, jeune Veuve riche & fpirituelle. Elle eft Fille du Comte de Waîfieïn, Grand-Chambellan de l'Empereur Jojeph. Mr. de Lagnasco avoit eu pour Femme la Fille de Mr. le Comte de Noyelks, Lieutenant-Général en Hollande. C'étoit une Dame d'une grande vertu, que toute La Haye eftimoit, qui avoit des biens confidérables , & qui mourant jeune & fans Enfans, fit fon Mari fon héritier uni-verfel. Le Marquis de Fleury, Piémontois, é-v toit Miniftre du Roi de Sardaigne,& fon Envoyé à la Cour de Vienne, lorsqu'il entra au fervice du Roi de Pologne, qui l'admit dans fon Confeil, & le fit Chevalier de fon Ordre. Je ne connois pas aflei ce Miniftre , pour pouvoir vous parler de fon caractère *. Mr. le Comte de Hoyhm f, Miniftre d'Etat & du Cabinet, eft d'une des premières Maifons de Saxe. Je l'ai connu particulièrement avant qu'il fût Miniftre, à Paris, à Vienne, & ici. Vous devez, l'a- * Mr. le Marquis de Fleury s'eft retiré depuis l Turin. f H a été disgracié en 17 31, & eft maintenant retiré dans fes Terres. 11 eft Fiere de celui qui a etc Mari de Madame de Cofel. ^ K 3 Dr&sde. l'avoir vu en Siléfie, où il a de très belles Terres. Ceft un des Miniftres de cette Cour des plus civils, qui a le plus d'érudition, & qui Prot*ge le plus les Gens de Lettres. Pendant le long fc-jour qu'il a fait à Paris comme AmbalTa-deur du Roi àc Pologne, fa Maifon é-toit ouverte à tout ce qu'il y avoit de Savans: il en eft de même ici. Aufli lui a-t-on donné le titre magnifique de Mécène de la Saxe. Mr. le Comte de Frife eft Grand-Chambellan , Miniftre d'Etat, Lieutenant-Général des Armées du Roi, &c Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc. Ce Seigneur ( car ce titre lui convient de toute manière) a époufé la Fille du Roi & de Madame de Cofel. 11 joint à une illuftre naifTance, une polirefle infinie, & des manières nobles , & engageantes. Avant que d'entrer au lèrvice du Roi,' il avoit été à celui de Pierre le Grand, Czar de Mofcovie. Le Comte de Frife fe diftingua beaucoup à la Bataille de Fultowa , dans laquelle Charles XII Roi de Suède perdit en peu d'heures le fruit de neuf années de travaux, 6c d'un nombre infini de Victoires. Peu de tems après cette grande Journée, le Comte de Frife fe trouva à l'affaire du Fruth, qui pour n'être point fi glorieufe pour le Czar, n'en fut pas moins du Baron de Pollnitx. i^i moins heureufe, puisque ce Prince écha- dresbi. pa au plus mauvais pas, où peut-être jamais Roi fe foit trouvé. Mr. le Comte de Lutxelbourg, Lorrain de naifTance, Lieutenant-Général des Armées , Chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc, Grand-Maitre de la Maifon du Prince Royal & Electoral, Miniftre d'Etat, eft d'une taille élevée , d'une phy-fionomie revenante, a des manières nobles, aifées, ôc qui reffentent l'homme de qualité. Il eft Catholique - Romain, & eft autant confidéré de Leurs AA.RR. qu'il eft eftimé des Courtifans , & aimé des Domeftiques du Prince qui font fous fes ordres. Mr. le Baron de Bruhl n'eft point encore dans le Miniftèfe ; mais la grande faveur où il eft auprès du Roi, ne me laiffe point douter qu'il n'entre inceffam-" ment dans le Confeil. C'eft un homme de naifTance, Saxon, qui a un Frère Chevalier de l'Ordre Teutonique. Il a été Page du Roi. Son afïiduité lui a mérité l'attention de Sa Majefté. Il en a actuellement toute la confiance, & l'on peut dire que le Roi n'a jamais témoigné plus d'amitié pour aucun de fes Favoris. La faveur ne paroit point l'enorgueillir: il eft doux , honnête, civil, bienfaifant , & porté à rendre fervice. Il aime la dépenfe & la magnificence, il eft desintè-reffé, & ne paroît occupé que du foin K 4. de Dresde, de plaire à fon Maitre, & de fe faire des Amis *. Par le détail que je viens de vous faire, Moniieur, vous devez avoir vu que les premières Charges de la Cour font occupées par des Etrangers , & que les Saxons ont peu de part dans les affaires de l'Etat. C'eft une obligation qu'ils ont au Comre de Flemming. Ce Miniftre, vain, hautain,& impérieux, vouloit que tout fléchît fous lui. Il trouvoit cette obéifïànce bien plus dans les Etrangers, que dans les Saxons, naturellement fiers &c ennemis du joug & de l'efclavage. Le Comte de Flemming étant mort, il y a apparence que les Saxons feront plus employés; & en vérité, ils ne cèdent en capacité à aucune Nation du monde : ils font bien faits, robuftes, agiles , capa-■ bles de grands travaux , bons foldats,fins Ccurtifans ; ils ont naturellement plus d'eiprit que les François n'en accordent aux Allemands ; ils réuffiffent dans les Sciences & dans les Exercices du corps; il y a fur toutes fortes de fujets, de bons Ecrivains parmi eux, témoin les Ouvrages de Mr. Leibnitz fameux Philofophe, Ôc ceux de Thomafiut un des plus habiles ju- * f Après la mort du Roi, il a contern toute fa confiance du Succcûcur, & il occupe la lecondc place dans le Cabinet, ou le Comte Sulhmki rctn^lw, 13 première» j Jurifconfultes du tems. Les Saxons font d adonnés à tout ce qu'on appelle généralement Plaifirs ; mais il n'y en a pas qui leur foient plus chers que ceux du Vin ôc du Jeu. Ils aiment le faite , & la dépenfe; ils font naturellement peu pré-venans, fort cérémonieux, affectant plus que tous les Allemands d'imiter les François , avec lefquels ils fympathifent beaucoup , particulièrement par leur incon-ftance pour les Modes , par la facilité qu'ils ont à faire connoiifance ôc à lier amitié, Ôc peut-être auiîi par la légèreté avec laquelle ils ceffent d'être Amis. Puisque je vous ai parlé des Hommes, il faut bien aufli vous dire quelque chofe des Femmes Saxonnes. Elles font toutes blondes ôc blanches ; ôc l'on y trouve les plus beaux vifages du monde. La plupart ont de la taille, ôc c'eft par oii elles frappent principalement. Elles font grandes ôc menues, elles danfent bien , 6c ont un air de noblelfe qui furprend, ôc qu'elles ont grand foin de relever par une riche parure. Un défaut que je leur trouve, c'eft d'être fort minaudières, ôc de faire trop de geftes en parlant. Quant à leur humeur, elles paffent pour être douces , mais fines ôc rufées. Elles aiment par-deflus toutes les Femmes du monde, l'ajuftement & la parure. Elles font vives , & enjouées, paffionnées pour la danfe ôc les plaifirs. Elles ne paroiflent K 5 pas ÎD*ej»b. pas fort étonnées lorsqu'on leur dit qu'elles font belles, & reçoivent une déclaration comme un tribut qui leur eft dû. Lorsqu'elles font tant que d'aimer, elles aiment avec tendreffe ; il y en a qui ont été des exemples de confiance, auprès desquelles Cléopatre & délie n'auroient fait que blanchir. Elles doivent ces fen-timens héroïques en Amour, à la lecture des Romans qu'elles aiment avec paffion. Il faut cependant dire à leur gloire, que la Galanterie ne les occupe pas affez pour les empêcher de travailler: elles font la-borieufes, adroites, éc s'amufent à faire toutes fortes d'ouvrages : elles font tout avec grâce ; enfin on peut dire à leur louange, qu'une Femme Saxonne pour être aimable n'a qu'à vouloir l'être. Les J eux & les Plaifirs fuivent d'ordinaire de fi près les Dames, qu'en vous parlant d'elles, je me fouviens de ceux-ci; & les Plaifirs occupent fi fort les Habitans de Dresde, que je crois en devoir faire un Article féparé. Lorsque le Roi eft à Dresde, les plaifirs y abondent. Spectacles, Mascarades, Bals, Feftins, Courfes de bagues & de train eaux, Tournois, Parties de ChalTe , tout s'y trouve en abondance : mais lorsque le Roi eft en Pologne , on trouve beaucoup de vuide. Le Prince Electoral & Madame la PrinceiTe font fouvent à Werm-fiorf, autrement Hubert sbourg; lors même me que Leurs AltefTes Royales font en Ville,, elles y font aflez retirées ; on leur fait la cour pendant leur dîner , & le refte du jour il n'y a que les perfonnes qu'elles honorent de leur confiance, qui les approchent. Les autres fe répandent dans la Ville , & c'eft for quoi un Etranger ne trouve pas trop à fe fatisfài-re; il n'y a point de maifòn ouverte ici, ce font des Cotteries où il eft très difficile d'être admis. On eft prié à dîner chez quelque Seigneur de la Cour, on y fait grand' chère; mais lorsqu'on a dîné , on ne fait que devenir. Il n'y a que les maifons de Madame de Breben. tau Veuve du Grand - Tréforier de Pologne , & celle de Madame la Comtef-fe de Lagnasco , où on eft fur de trouver du monde ; mais ces maifons ne font pas toujours ouvertes. Madame de Bre-bentau eft fouvent malade , & Madame de Lagnasco fouvent abfente, ou fe trouve engagée dans les parties de Madame la Princeffe Electorale : alors on ne fait où aller. Il n'y a point de Spectacle , & les Jeunes-gens s'amufent aux plaifirs ordinaires de la Jeunefîè, ils boivent jouent & font quelque chofe de plus. Lorsque le Roi eft préfent, le Peuple participe à presque tous les plaifirs que prend la Cour, la plupart des Fêtes que le Roi donne étant publiques. Les Spectacles & les Mascarades font ouverts içtS Lettres verts gratis à tout ce qu'il y a de gens bien mis; perfonne n'y paye, & chacun s'y divertit à fa manière. Les Bourgcoi-fes font moins farouches ici que dans aucune Ville de l'Allemagne ; elles aiment à faire les Dames, & en font quelquefois d'affez plaidantes copies. Elles aiment extrêmement la parure , & cet amour pour le luxe s'étend juf-ques fur les Femmes d'Arrifans & de Laquais. Un Etranger qui arriveroit ici un Dimanche ou un jour de Fête, auxquels tout le monde eft paré, feroit tenté de croire que Tlutus a répandu fes ri-chefles fur ces Peuples. Un très grand Seigneur , qui apparemment ne connoif-foit pas le Dieu Tlutus, revenant de Dresde , difoit à fa Femme , qu'il venoit d'une Ville où le Diable avoit porté tout l'Argent. Les Prédicateurs ne laiffent pas de crier beaucoup contre ces abus: mais ce qu'il y a de mauvais , c'eft qu'ils font comme le Clergé fait en bien d'autres endroits ; ils prêchent ce qu'ils ne font point ; èc tandis qu'ils fe déchaînent contre le Luxe, & fincònftance des Modes, ils louffrent que leurs Femmes & leurs Filles foient les premières à relever leurs charmes par ce que les Mo-, des produifent de plus galant «5c de plus nouveau. Comme j'en fuis fur les Pafteurs, il faut du Baron de Pôllnitx. 157 faut bien vous en dire quelque chofe de dbes»»: plus particulier. Ces Meilleurs tiennent ici un haut rang dans l'idée du Peuple , ôc eux-mêmes font affez portés à fe croire Evêques. Remplis de ces idées, ils prononcent Anathème contre tout ce qui n'eft point Luthérien. Catholiques ôc Réformés , ou pour parler comme eux , Tapifies ôc Calvinijles, tous les Chrétiens en un mot qui font d'une opinion contraire à celle de ces charitables Ecclé-fiaftiques, font damnés fans miféricorde. Cependant, à voir ces Juges févères, on diroit qu'ils n'annoncent que la Paix & le Paradis. Ils ont un air doux , humble, modelle ôc timide: vous diriez, que ce font des Saints. Il m'eft arrivé ces jours paiTés, avec un de ces Eccléfiaftiques, une avanture que je vous rapporterai, parce que je croi qu'elle pourra vous donner une idée de leur Caractère. Car qui en voit un, les voit tous. Je me trouvois en vifite chez une Dame Luthérienne, qui paffe pour une grande Dévote. 11 y avoit beaucoup de monde , lorfque la Compagnie fut augmentée par un Miniftre qui étoit un Docteur , ôc par conféquent un homme d'importance. Il fut reçu fur ce pied par la MaitrelTe du logis , qui me dit auffi-tôt qu'elle le vit paroitre , Vous allez, voir un faint homme / Lc ya{nt gq ' - (bi . foi difant tel, entra dans la chambre les yeux bailles, en faifiint de profondes révérences, & en fe profternant, comme s'il eût dit, Domine, non fum dignus. Enfin après force complimens, il s'aflït, garda quelques momens le filence, puis il parla. Ses paroles étoient toutes fain-tes; c'étoit le Sage qui parloit par fa bouche. E>ieu étoit beni ^ tout. On l'é-coutoit comme un Oracle. Je fis d'abord comme les autres ; mais enfin je crus qu'il valoit autant parler à une belle & jeune Demoifelle, auprès de qui je me Trouvai placé. Le Docteur, choqué du peu d'attention que je prêtois à ce qu'il difoit, demanda à la Dame du logis qui j'étois? Elle lui apprit mon nom, & lui dit que j'avois été Calvinifte , mais que j'étois devenu Papifte. Quel coup de foudre pour le Docteur ! Il fe laifïa tomber fur le dofijer de fon fauteuil, leva les yeux au Ciel , foupira, & s'écria , Das Gott erbarme ! ( Dieu nous Joit en aide ! ) Puis emporté par fon zèle, il m'adrefîà la parole pour m'interroger fur les motifs de mon changement de Religion, qu'il traita d'Idolatrie. Je lui dis que je ne croyois pas que ma converfion dût l'intè-rcflèr , puifque , fuivant fon Syftème , j'étois damné aufli bien comme Calvinif-te, que comme Catholique. Cela n'eft pas tout à fait égal, me répondit le Miniftre : Mais fe faire Papifte ! s'écria-t-il : adorer DU B A R.p N DE PoLLNlTZ. I59 adorer Bâal ! devenir Difciple de l'Ante-ehrift ! ah ! il vaut encore mieux être damné Calvinifte ! J'avoue que j'eus toutes les peines du monde à m'empêcher de rire du zèle impertinent du Miniftre. J'eus cependant la difcrétion de me retenir ; j'étois curieux de voir-jufqu'oû il porterait fes faintes extravagances. H en débita réellement beaucoup. Comme je ne lui répondois point, il crut m'avoir convaincu , & peut-être touché. Il s'en ap-plaudilfoit, lorfque je lui dis, qu'il nede-voit point conclure de mon filence qu'il m'eût perfuadé; qu'il n'étoit ni de mon caractère, ni de mon humeur, de difpu-ter de Religion ; que je laifTois croire à chacun ce que bon lui fembloit, 6c que je favois à quoi m'en tenir, guel aveuglement ! fe récria encore le Docteur; quel enragé de Papifte êtes-vous donc ? Si vous ne voulez point être de notre Communion, retournez à votre Religion que vous avez abandonnée : il y a du moins quelque ejpérance que Dieu vous fera grâce. Le fanatique Docteur finit enfin fes exclamations par une Prière, dans laquelle il demandoit à Dieu de préferver toute bonne ame Luthérienne des Erreurs du Papifme : il fortit enfuite, & iaiffa la Compagnie plus fcandalifée qu'édifiée de fon zèle. Autrefois les Prédicateurs avoient le plaifir d'épancher leur bile en Chaire ; mais mais le Roi, par une fagc Ordonnance qui devroit bien êcre imitée dans tous les Pays , les a reftreints à prêcher l'Evangile , & à ne parler de Controverfe qu'autant qu'il eft neceflaire pour l'in-ftrucìion du Peuple. Les Prédicateurs au refte ne doivent point craindre d'être fi-tôt fupplantés : les Saxons font Luthériens de bonne-foi, & s'ils tolèrent les Catholiques 3 ce n'eft que malgré eux. Ils les ont exclus des Charges Judiciaires , Se du droit de poflëder des biens en fonds : mais ils n'ont pu les priver de pofieder des places dans le Miniftè-re , dans les Charges de la Cour , ôc d'avoir des Emplois dans les Troupes j trois points allez, attrayans pour faire bien des Profélytes dans la Noblefle. Voilà, Moniteur , tout ce que j'ai à vous dire de Dresde ôc de la Saxe. Il eft enfin tems de finir ma Légende. Je vous embraflè, ôc fuis «Sec. A Vrtfdt, ce 30 Août 1710, L E T- Drbibc. LETTRE VI. Monsieur, AVant que de vous rendre compte de ' ce que je fuis devenu au fortir de Drefde , je vais vous fatisfaire fur ce que vous fouhaitez de favoir du feu Comte de Flemming, Premier-Miniftre & Feldt-Maréchal de Saxe. Ce Seigneur avoit de la naifTance; il étoit d'une Maifon qui prétend tirer fon origine de la Famille Flaminia, & qui depuis long* tems tient un rang diftingué en Ecojfe , en Suède, en Allemagne , & en Pologne, Mylord Wigtbon eft le Chef de la Maifon des Flemmings en Ecoffe. Jaques - Henri Comte de Flemming , dont vous me demandez le Portrait «Se le Caractère, naquit le 8 de Mars 16.57. Son Père étoit Préfident de la Régence de Stargard, Capitale de la Poméranit Vrufftenne. Celui dont je parle fut le fécond des Fils de fon Père: il eut encore un Frère après lui. On lui donna une éducation convenable à fa naifîàn-ce j il fît fes Etudes à Francfort fur l'Oder , & enfuite à Utrecht fous le célèbre Gravius, où il apprit le Latin, qu'il Tome t L parla DftiiDK. parla toujours depuis avec beaucoup d'élégance. Après avoir terminé fes Etudes, il entra au fervice te Brandebourg, où fon Oncle maternel le Baron de Span étoit Feldt-Maréchal. Il commença par un Drapeau : peu de tcms après il eut une Compagnie, à la tète de laquelle il fe trouva à la Bataille d'Orbafan en Piémont. En 1694, il entra Lieutenant-Colonel au fervice de Jean-George W, Electeur de Saxe. Ce Prince étant mort, & Brederic-Augufte lui aiant fuc-cédé, Flemming obtint un Régiment, & accompagna le nouvel Electeur en Hongrie , où il commandoit l'Armée de l'Empereur contre les Infidèles, pendant les Campagnes de 1695 & 1696. flem-tning y tua en duel le Baron de L'ôvel, Lieutenant-Colonel au fervice de Saxe. En 1697 > il fut envoyé en Pologne, où par le crédit de fa Coufine-germaine , Fille du Feldt-Maréchal Span de Berlin, laquelle étoit mariée à Brebentau * Palatin de Marienbeurg, & par celui de Benoit Sapieha , il eut le bonheur de faire élire fon Maitre Roi de Pologne. Cette Négociation lui valut la Charge de Maréchal de Camp, & fit le fondement de fa fortune. En 1700, il fut fait Lieutenant - Général, & en cette qua- • Mon Graad-Tttfoiici de Pologne. du Baron dePòllnitz. lf?3 qualité il fit le Siège de Riga > que ie Roi de Suède lui fit lever. En 1702 il époufa une Sapieha , Fille d'un' des premiers Seigneurs de Lirhuame. La même année, il fut bleue à la Bataille de Clijchhof. Dans ce tems le Roi de Suède étant victorieux par-tout, demanda que le Roi de Pologne lui • livrât Flemming. Celui-ci fe retira en Brandebourg, jufqu'â ce qne le Roi Stanijlas eût appaifé Charles XII. Flemming } je-retour en Saxe , fe battit avec 1 Mr. de Schulembourg , qui le terraffa, & qui prétendit qu'il lui demandât la vie; mais Flemming le tira de ce mauvais pas par une fale plaifanterie , & Schulembourg lui donna la vie. Ce dernier étoit plus jeune Lieutenant - Général que Flemming y mais en tout fon Emule, & auroit été Maréchal, fi la fortune avoit égalé fa valeur. A la Bataille de Frauenftadt, qu'il perdit contre-les Suédois en 1705, Schu-lembourg quitta le fervice de Saxe , <3c paffa. à celui de Venife. Flemming par* là demeura fans Rival, fut fait Màréa chai , & il étoit à Dresde lors de l'étrange vifite que le Roi de Suède fit au Roi de Pologne. Si Augufte n'avoit pas eu plus de généroiïré que Flemmi?ig j Charles étoit arrête. Bien des gens accu-fent Flemming d'avoir porté le Roi ion Maitre à livrer Fatkul. Je ne fai ce qui en eft ; mais il y avoit une grande anti-L 2 pa- Drudi. Patrue entre lui & le Miniftre de Ruine. Ce dernier avoit préfenté un Mémoire au Roi de Pologne , dans lequel il repréfentoit la miftre des Troupes de Moicovie à la Tolde de Saxe. Ce Mémoire finiflbit par ces paroles Latines : DlXI, et salvavi ANIMA M. Flemming l'aiant lu , & ne s'y trouvant pas trop bien traité, prit la plume & é-crivic au bas : Maledixisti, et damnaberis. Après le defàftre de Charles XII près de Fultonva , Flemming contribua beaucoup au rétabliflement àìAugujle en Pologne. Il affermit l'Alliance entre fon Maitre & le Czar, il fit la Paix avec les Confédérés, & conclut l'Alliance a-vec le Dannemarc. Le Czar & le Roi de Dannemarc lui donnèrent leur Ordre; il avoit déjà celui de Pologne. Il paûa Ambaffadeur au Congrès infruc-teux de Brunswick ; enfuite il fut à Hanover, auprès du Roi de la Grande-Bretagne George I. Le Roi de Suède étant rentré en Poméranie, Flemming fe donna de grands mouvemens pour attirer le Roi de Pruffe dans l'Alliance de fon Maitre. Il lui avoit procuré, quelques années auparavant, la Ville de Stetin en fé- féqueftre : il fut allez heureux pour que Dres»e. la hauteur ôc l'opiniâtreté du Roi de Suède obligeaflènt le Roi de Pruffe à fe déclarer fon Ennemi. Flemming faifoit dans ce tems-Ià plutôt le Courier entre Dresde , Berlin , ôc Varfi-vie , qu'il ne faifoit l'Ambalfadeur ôc le Prémier-Mi-niftre, Dignité qu'il remplifibit depuis la mort du Prince de Furftemberg qUi l'étoit avant lui. La Paix du Nord é-tant faite, Flemming fe chargea de l'Am-baffade de Vienne : il y conclut le mariage du Prince Electoral de Saxe, avec l'Archiduchefïe Fille ainée de- l'Empereur Jofeph. Le Comte de Wackerbart avoit déjà arrêté ce marige lorfque Flemming alla à Vienne; de forte qu'on peut dire qu'il eut la peine de le négocier, 6c Flemming la gloire de le terminer. Dans ce tems , le Comte de Flemming avoit renoncé à tous les appointemens de fes Charges en Saxe : il s'étoit Gm-plement conferve les dépenfes fecrettes, ôc la franchife des Poff.es ; ôc les Voyages , qui étoient très fréquens , fe fai-foient aux dépens du Roi. Ce fut environ vers ce tems-là, qu'il fit caffcr fon mariage avec la Sapieha, & qu'il époufa une Radzivil, dont il a eu un Fils qui avoit dix-huit mois quand le Comte de Flemming mourut à Vienne , où il étoit retourné comme Ambaffadeur. U laiffa tous fes biens à cet Enfant, fans rien L 3 fob- Dï. fubftituer à fa Famille: ce qui a fait que ion Fils étant mort peu de tems après lui, fa Succefïïon a pafle à Madame de Flemming, qui en fe remariant en a porté la plus grande partie dans une Maifon étrangère. On prétend que fon héritage fe montoit à feize millions d'écus, fans compter ce qu'il avoit dépcnfé pendane la fplendeur de fa fortune , qui a duré trente ans ou environ. Je ne fai fi Richelieu & Mazarin avoient mieux fait leurs affaires. 11 n'y a point d'exemples en Allemagne, d'une fortune plus promte 3 {,lus éclatante 6c mieux foutenue, que a fienne. Il étoit Premier - Miniftre , Feldt-Maréchal de Saxe , Grand-Ecuyer de Lithuanie , ces Charges lui rapportaient des fommes immenfes. Il avoit acquis des Terres confidérables en Si-léfie , en Pologne , mais fort peu en Saxe. On ne dit pas qu'il ait rien laif. fé au Roi : il lui devoit cependant bien quelque reltitution , & naturellement il auroit dû donner de bonne grâce , ce qu'il pouvoit prévoir qui feroit ôté à fon Héritier. Comme il étoit jufte que fa Succeffion pafîât par le Purgatoire d'une Chambre Ardente, le Roi en établit une. On dit qu'elle a ajugé huit millions à Sa Majefté , & autant à la Veuve. Ce partage eft bien honnête. Le Comte de Flemming étoit d'une taille au-deffous de la médiocre ; mais bien fuit du Baron de Pollnitï. i6j fait. Il avoit les traits du vifage affez, ré- dr.ib». guliers, l'œil vif, un fou rire moqueur Ôc dédaigneux , l'air hautain ; & en effet il étoit fier , ôc d'une ambition démefurée. Il étoit généreux par oftentation, ôc vou-loit que toutes fes actions fiflent de l'éclat. Vigilant, laborieux , infatigable , dormant peu; quelque débauche qu'il eût faite , deux heures de fommeil lui fuffi-foient pour fe remettre. 11 paûoit avec la même facilité,, du travail à la débauche que de la débauche au travail ; 6c travailloit fans fe fatiguer , ôc avec tant d'aifance qu'il fembloit fe faire un jeu des plus grandes affaires. Il aimoit à railler, ôc ne le faifoit pas toujours dans des termes convenables à fon caractère ; fa raillerie tomboit même ordinairement fur des Îierfonnes qui n'ofoient pas lui répond*e. 1 étoit poli, lorfqu'iî vouloit l'être; mais il règnoit dans prefquc toutes fes manières un air bien plus convenable à un Capitaine de Dragons, qu'à un Maréchal ôc à un Prémier-Mfciiftre. Il ne faifoit jamais rien pour perfonne , làns avoir un but; il n'épafgnoit ni la fourbe ni le parjure , ôc pourvu qu'il réuflît dans fes defc feins , toutes les voies lui paroiuoient bonnes. Il a toute fa vie commencé par faire fes affaires, après quoi il faifoit celles du Roi fon Maitre ; ôc je ne fai fi je lui fais tort de dire qu'il étoit bien plus L 4 le DiKSDB. le Miniftre du Roi de Pruflc, que du Roi de Pologne Voilà, Monfîeur, tout ce que je puis yous dire touchant le Comte de Flemming. Je vous ai dit très naïvement ce que je peniois fur fon compte, & je ne croi pas m'être trompé lur Ion Caractère. En tout cas , ma décifion eft trop peu de chofe pour faire du bien ou du mal ; le Public en jugera toujours fuivant fes lumières. Je continue la Relation de mon Voyage. ALtEw- En partant de Dresde, j'ai été à Al-bouro. tïNBOURo,dans l'efpérance d'y trouver la Cour de Gotha , qu'on m'avoit dit y devoir pafTer le refte de la belle faifon. Elle étoit partie la veille pour Gotha , où j'efpère de la voir demain. La Ville à'Altenbourg eft la Capitale du Comté de ce nom, dont le Duc de Saxe-Gotha eft le Souverain. Ce Prince y a un Palais, qui a de l'apparence, mais dont je ne vous dirai rien de plus , parce que j'ai négligé de l'aller voir. Les Pay-fans du Comté SAltenbourg font les plus riches de l'Allemagne,& pourroientpresque aller de pair avec ceux de Hollande. On m'a affuré qu'il y en avoit qui don-noient des vingt & trente-mille écus en mariage à leurs Filles. Us ont, comme les Payfans Hollandois, l'efprit de ne fe point mefâllier,& ne prennent pour Gendres que de bons Payfans. Au fortir d'Altenbourg, j'ai trouvé une Altek-belle Chauflèe bordée d'arbres , qui m'a BOU»a. conduit jufques à la frontière du Comté. Je luis entré enfuite dans de très mauvais chemins , qui m'ont mené jufqu'à Leipzig , où je me fuis arrêté très peu d'heures ; & je me fuis encore rendu le même jour à Me rs e b ou rg. Mmis- Cettc Ville étoit beaucoup plus confi- sov**' dérable autrefois , qu'elle ne l'eft à préfent. Elle étoit le Siège d'un Evêque, & fut féculariiée par le Traité de Pafau> en faveur de la Maifon de Saxe. La fi-tuation de Merfebêurg eft charmante ; ce ne font que Jardins & Prairies au dehors. La Rivière de Sala baigne fes murailles. La grande Eglife , qui étoit autrefois la Cathédrale, eft un bâtiment Gothique ; l'on y voit un fuperbe Tombeau de l'Empereur Rodolphe de Schivarti-bourg , qui mourut après avoir perdu la main dans une Bataille qu'il donna à l'Empereur Henri IV, de qui il étoit le Compétiteur. Ce Prince, peu de mth mens avant que d'expirer, prit là main coupée , & la montrant aux affiftans , Voyez y leur dit-il , cette main ; c'eft elle que fai levé lorjque j'ai promis foi & fidélité a mon Empereur & Seigneur : mais par vos confeils & à votre inftigation, je ne la lui ai point gardée. Vous en rendrez un jour compte à Dieu. Quelque tems après la mort de cet infortuné Prince, l'Empe-L 5 reur Mkask- reur Henri If étant venu à Merfebêurg, wocro. se aiant vu le Tombeau de Rodolphe , il en admira la magnificence. Quelques Fla-teurs lui dirent, qu'il faloit détruire ce Tombeau , comme étant trop fuperbe pour un Rebelle. Mais l'Empereur mé-prifant cette indigne vengeance , leur répondit : Plût * Dieu iue tous mes Enne-» mis fujfent aujfîpompeufement enterrés! La Ville de Merfebourg efl: la Réfiden-ce d'un Duc de Saxe. Ce Prince eft Souverain de tout le Pays qui faifoit autrefois l'Evêché , ce qui le met en état de foutenir une jolie Cour *. Le lendemain de mon arrivée j'eus l'honneur de le faluer , & j'ai lieu d'être très fatisfait de la réception qu'il me fit. Ce Prince me conduifit dans une Salle qui étoit ta-piflee de Bafles de viole, comme le pourrait être un Arfenal de cafques & de çuirafles. Au milieu de la Salle il y a-yoit une Viole , qui fe diftinguoit par deflus toutes les autres. Elle touchoit jufqu'au plancher; on y montoit par un efcalier de plufieurs marches , & c'étoit bien la plus fiere BafTe qui jamais ait été faite. Le Duc me la fit beaucoup, admirer , & fut charmé des applaudidemens que je lui donnai. Il me régala aufli de quel- * Le Duc de Merfiburg eft mort en i7jr. C'eft le Duc de Sfrinberg» ton Oncle, qui lui a fuccéde. quelques Airs, qu'il exécuta fur une Baf- Mersb-lé qu'il appelloit fa Favorite, & qui n'é- boor«. toit qu'un in-quarto en comparaifon de l'autre. Après ce Concert, je dînai avec le Duc & la Ducheffe. Cette PrinceiTe eft Fille du feu Prince de Naflau-ldftein. On ne fauroit être plus aimable. C'eft un air de douceur, de bonté, & de fageffe, répandu dans toute fa phyfionomie. Son efprit eft de la même nature que fa beauté; aimable, fans parade & fans oftenta-tion. Des perfonnes de fa Cour m'ont allure que fon cceur répondoit aux char-; mes de là perfonne. Si cela eft, comme je n'en veux pas douter, cette Princefle méritoit bien un fort plus brillant que celui dont elle jouît. Après le dîner , je fus de la partie de Quadrille de'la Duchefle. Le Toir on danfâ: je n'ai jamais vu danTer de meilleure grâce, que cette PrinceiTe. Le Bal dura fort avant dans la nuit, & ne fut interrompu que par un grand fouper. Lorfqu'iî fut fini, je pris congé du Duc & de la Duchefle, & je me retirai dans mon Auberge, dans l'intention d'en partir peu d'heures après, pour continuer ma route. Je trouvai au logis un Gentilhomme du Duc, qui me dit „ qu'aiant „ vu en paflant mes gens occupés à char-„ ger ma voiture, il étoit entré , dans j, l'intention de me fouhaiter un bon vo- Mrrsk- ,1 yagc. Il m'affura qu'il fe fentoit beau-bovro. 5J coup de fympathie pour moi ; que je „ pouvois l'en croire fur fa parole , qu'il „ étoit la fincérité même , Ôc qu'il vou-„ bit que cinq-cens-mille Diables lui tor-„ diifent le cou , s'il n'étoit pas vérita-„ blement mon Ami. Et pour vous en donner des preuves , continua- t-il , je veux vous régaler d'un petit verre de quelque chofe de léger , de l'Eau " d'Anis, de l'Orange, ou du Perûcot. 'y Ma foi, notre Apothicaire en a d'ex-n cellent; il demeure au bout de la rue. Venez, je vous y conduirai". En me tenant ce beau difcours , il faifoit la Pagode ; il étoit ivre à ne pouvoir fe foutenir. Je le remerciai de l'affection qu'il me témoignoit : je lui dis que je ne buvois point de Liqueurs, mais que s'il en fouhaitoit, je lui en envoierois chercher. J'ordonnai à l'Hôte d'en faire venir. L'Apothicaire, malheureufement, ne fe trouva point encore levé. ,, Hé w bien ! dit mon nouvel Ami, il n'y a , qu'à boire de l'Eau de vie. Hé ! Mr. „ l'Hôte, un verre de Brande vin, des pi-pes, du Tabac. Il faut bien vous amu-, fer avec quelque chofe, me dit-il". On porta tout ce qu'il avoit demandé. Mon homme but deux ou trois verres d'Eau de vie, Ôc fuma autant de pipes de Tabac. J'efperois de le voir tomber par terre , ôc par conféquent d'en être dèli- vré; lorfqu'iî s'avifa de prendre quelques mbrjr-taffes de Thé que je m'écois fait donner, bourg. Elles le defenivrerent fi bien, qu'il reprit fa Raifon. Je profitai de ce bon intervalle, car lui entendant demander de l'Eau de vie, je craignois la rechute. Je le mis fur le chapitre des Baffes de viole de fon Maitre; & lui, fans fe faire beaucoup prier, me dit : „ Vous favez que „ chaque homme a fon goût, les Princes „ comme les Particuliers ; l'un aime la „ Magnificence, l'autre les Troupes, le „ troifième a des Maitreffes. Pour mon „ augufte Maitre,il n'aime que les Baffe* „ de viole , & quiconque veut avoir un „ Emploi ou obtenir une grâce , ne fàu-„ roit mieux faire que d'enrichir fon Ar-„ fenal d'un tel Inftrumcnt. Cette gran-„ de machine que vous avez vue dans la Salle où font toutes fes Violes, lui a ,, été donnée par un homme qui vouloit „ être Confeiller-Privé : il a obtenu ce „ Titre , & auroit obtenu autre chofe, „ s'il l'avoit demandé ". L'officieux Gentilhomme me dit encore bien d'autres chofes , qui me firent connoitre la Chronique de la Cour de Mer/ebourg. Je ne vous en rends point compte, parce que toute chofe n'eft pas bonne à dire. Ma voiture s'étant trouvée prête , je partis pour Naumbourg, où j'arri- Nawm-vai à midi. Cette Ville étoit autrefois le bovrq. Siège d'un Evêque. L'ancienne Cathédrale Naitm- drale fubfifte encore , & conferve quoi. aov*o. qUe Luthérienne un Chapitre de Chanoines , qui doivent prouver feize Quartiers de Noblefle, tant du cote paternel, que du maternel. Lorfque cet Evêché fut fé-cularifé il ftlt dir Qu aucun Prince Catholique* ne pourrait jamais poiféder cet Etat. C'eft pourquoi, quand le dernier Duc de Saxe-Zeitz Adminiftrateur de WauTtibourg fe fit Catholique , le Roi de Pologne comme ainé de la Maifon de Saxe , & Exécuteur des Pactes ou Conventions faites entre les Princes de cette Maifon, fe faifit de Naumùourg. Le Duc eut beau retourner à la Communion Luthérienne , le Roi ne lui rendit point fes Etats. Sa Majefté les poflède encore, quoiqu'elle foit plus Catholique que le Duc de Zeitz ne l'avoit peut-être jamais été. Vous favez que ce Prince a laiifé un Neveu qui aurait été fon héritier, s'il n'avoit point été Catholique ÔC Prêtre. C'eft ce Prince que je vous ai mandé de Dresde être Evêque de Kënigsgratz en Boheme. Il étoit né Luthérien, comme tous ceux de fa Maifon. Son Oncle le Cardinal de Saxe, Frère du Duc de Zeitz, lui fit embrafler fort jeune la Religion Catholique , Ôc l'engagea dans la fuite à prendre le parti de l'Eglife , démarche par laquelle il dépouilloit ion Neveu de la belle prérogative d'être Souverain , & du Baron de Pôllnitz: 175- fit pafier fes droits au Roi de Pologne Navm-fon Cou fin éloigné. »©br«s Naumbourg eft célèbre par fes Foires, qui après celles de Leipzig /ont les pluf confidérables de la Saxe. Les environs de cette Ville iont prefque tous Vignobles, je ne lai pourquoi, car le Vin y eft déteftable , au Hi le donne-t-on prefque pour rien. Ne trouvant ~ien dans Naumbourg qq£ meritar de m'y arrêter , je n'ai fait qu'y changer de chevaux, & je mis venu ici. Les Terres labourées & le Houblon prennent la place des Vignes , en approchant d'ici, & le Pays devient toujours plus montagneux, de forte qu'on ne voit la Ville de Weimar que lorfqu'on eft w «la* prêt d'y entrer. Cette Ville ne vaut pas MA**-mieux que Naumbourg. Elle eft la réfi-dence du Duc de Saxe-Wèîmar. Ce Prince y a un Palais qui n'eft pas dépourvu de magnificence, & qui, quoiqu'impar-fait, ne lailfe pas d'avoir de la grandeur. Les cormoiffeurs en Architecture y efti-ment beaucoup le grand Eicalier, dans lequel deux perfonnes peuvent monter & defeendre en même tems fans fe rencontrer, & en fe voyant toujours. Ce font deux rampes fur un feul noyau, ménagées l'une fur l'autre dans la même cage , de figure quarrée. Les Curieux qui ont vu cette pièce, l'ont admirée > parce qu'il s'en voit peu de pareilles. La grande Salle, de forme ovale, a de la beauté ; mais elle manque de jour, dn Lvoit les Portraits en grand de tous les ucs de Saxe-Weimar, depuis le premier jufqu'au Père du Duc régnant. Ces Princes font repréfentés à cheval, & ne font pas de mauvaife main. Dans le même Palais eft la Bibliothèque du Duc, peu nombreufe, mais comice de divers Livres rares. Elle eft ouverte deux fois la femaine ; il eft permis aux Curieux, non-feulement de parcourir les Livres, mais aufli de les emporter , en raifant un billet au Bibliothécaire. Le Duc de Weimar demeure peu dans fà Capitale ; il fait fon féjour ordinaire dans une Maifon de plaifânce qu'il a fait bâtir à une lieue de Weimar. 11 l'a nommée Belle-vue, parce qu'on découvre divers beaux objets, des apartemens du premier étage. Cette Maifon eft petite & peu logeable; fà principale beauté eft (à fîtuation , qui eft très agréable. Les Jardins auront de la beauté,ils font commencés fur de très bons Deffeins; aufE-bicn que la Faifanderie, & la Ménagerie, où l'on voit toutes fortes de Volailles & d'Oiieaux des Indes. Le Duc de Weimar s'appelle Bmeft-Augufie. Il eft l'ainé de la Branche fir-neftine■, celle qui perdit TElectorat fous l'Empire de Charles- guint. U eft veuf d'une d'une PrinceiTe à'Anhalt-Côthen, qUe l'on vm: m'a dit avoir été une Femme d'un- mé- »* a m rite diftingué. Elle a laifle en mourant un Fils, 6c trois Filles. Le jeune Prince * a dix ans. Il eritënd avec peine, 6c articule de même, Avec cela, il elt d'une Tante très délicate. Les Médecins difènt que ce n'eft rien , 6c qu'avec le tems, la facilité dé parler lui viendra. J'en doute , 6c je croi plutôt que ces DiTcipIes d'ETculape l'envoieront en l'autre Monde. Celi: Tur cet Enfant qu'eft fondée toute la Poftérité maculine de Weimar.Le Duc de Saxe-Eifenàtb f qui en eft le plus proche Parent, n'a point d'Enfans ; de forte que les Etats de Weimar ôc cYEifetiach font fur le point de retomber à la Maifon de Saxe-Gotha: Les Sujets du Duc de Weimar le follicitent beaucoup de fe marier; mais il ne paroit pas que ce Prince penfe à les fatisfâire. Je lui ai ouï dire fouvent, que pour a-voir Ton inimitié, il n'y avoit qu'à lui parler de mariage. Perfonne n'olèroit aller à Belle-vue, Tans y être appelle. Les lundis , feulement, il eft permis aux petites-gens d'y aller préfenter leurs Requêtes au Secrétaire des Commandemens, qui les remet enfuite au Duc. Les Perfonnes de qualité, foit étrangers ou autres, qui veulent * Ce Prince eft mort en \7%J. Tome I, M ïjB Lettre» parler au Duc, fe font annoncer par le WEI* Maréchal de la Cour: il eft rare qu'ils ne 'A *' foient. admis à l'Audience. Le Duc n'a ordinairement pour toute compagnie i\BelIe-vue y que deux Demoi-felles de condition, quii appelle fes Filles-d'honneur , & trois Filles bourgeoises qu'*1 nomme fes Femmes de chambre' un Major de fes Troupes, & l'Officier de Garde, qui efl: un Lieutenant ou un Enfeigne. J'oubliois de vous nommer le Baron de Brubl, Ecuyer & Favori du Duc. C'elt avec ces perfonnes, que le Prince pafie fa vie. Il s'éveille de bon matin , mais fe lève très tard ; il prend fon Thé au lit, & y joue quelquefois du violon ; d'autres fois il fait venir fes Architectes & fes Jardiniers , avec lefquels il s'occupe à deffiner. Ses Miniftres viennent aufli lui parler d'affaires. Il fe lève à midi. Dès qu'il efl habillé, il voit mon-%ey fa Garde, qui eft de trente-trois hommes, commandés par un Lieutenant ou un Enfeigne. Il fait faire l'exercice aux Soldats,& les corrige lui-même lorfqu'ils font quelque faute. Enfuite il fait un tour de promenade, & à deux ou trois heures il fe met à table. Les deux Filles-d'honneur , l'Ecuyer, le Major, l'Officier de Garde, & enfin les Etrangers s'il y en a, font de la partie. Le dîner eft long} on eit quelquefois trois, quatre. du Baron de Pollnîtz. 17^ tre, & cinq heures à table. On y boit We|. affez. copieufement : le Duc y parle beau- mar." coup , mais la converfation roule ordinairement fur des matières peu agréables. Après dîner , l'on prend du Caffé ; le Duc fe retire enfuite pour quelques mo-mens, puis il joue au Quadrille avec fes deux Demoilelles & le Major ; quelquefois aulfi il ne fait que fumer du tabac, & fouvent il fe retire dans fa chambre , où il s'amufe à deffiner, ou à jouer du violon, jufqu'à ce qu'il fe couche. 11 ne fe paffe guère de femaines, où le Duc ne faffe inviter au moins une ou deux fois toutes les Perfonnes de qualité de fa Cour, ôc tous les Officiers de fes Troupes. Il y a pour-lors deux grandes tables, ) On dîne, on joue, on foupe, ôc enfin l'on danfe jufqu'au jour. Lès Troupes du Duc confiftent en un Bataillon de fept-cens hommes,. en un Efcadron de cent-quatre-vingts Maitres, ôc en une Compagnie de Cadets à cheval. L'Infanterie eft compofée d'hommes choifis. Depuis le célèbre Bernard de Weimar, Penfionnaire du Roi de France Louis XUl, aucun Duc de Weimar n'a eu autant de Troupes y & véritablement, elles doivent être à charge au Duc, dont on dit que les revenus n'excèdent pas qua-tre-cens-mille écus. Ce Prince a fait un Traité avec le Roi de Pologne, par lequel il s'engage d'afufter le Roi de fon M 2 Ba- Bataillon, toutes les fois que Sa Majefté le jugera convenable à fon fervice ; & le Roi promet pour-lors de payer ce Bataillon fur le pied de fes propres Troupes. En attendant, le Duc eft obligé de donner des Uniformes félon la montre qui lui en eft envoyée de Drefde. Elles font des plus magnifiques. Les habits des Officiers & des Cadets font tellement chamarrés d'or ôc d'argent, qu'un Etranger qui paffe à Weimar ne peut qu'en être furpris. La Famille du Duc eft affez nombreufe • car outre le Prince fon Fils Ôc les trois Princeffes fes Filles, il a encore u-ne Sœur, & Madame fa Belle-mère, qui eft une Princefïe de Hejfe-Hombourg. Cependant il a une nombreufe Cour, & il peut même fe vanter d'avoir des gens d'un très grand mérite. Celui qui eft à la tête des Affaires , eft le Baron de Reinbabe. Il a le titre de Préfident du Confeil d'Etat. C'eft un homme de naifïance, de Siléfie, qui eft d'une très grande capacité, dont la douceur ôc la modeftie ont peu de pareilles, qui a beaucoup voyagé dans fa jeunefle, & qui a fu s'approprier le bon des Nations qu'il a pratiquées. Il parle bien di-verfes Langues ; il eft grand Hiftorien, lavant Jurisconfulte, & bon Poète. Malgré les Affaires dont il eft chargé, ôc les foins qu'il doit à une nombreufe Fa- mille, il étudie encore fans ceife,ôc n'eft Wn. jamais plus content que lorfqu'iî fe voit mar. entouré de fes Livres. Cependant , il n'eft nullement ennemi des plaifirs, il en jouit fans s'y livrer , & les attend fans les chercher. Pour finir fon portrait, j'ajouterai ce qu'a dit de lui un Prince qui le connoiffoit beaucoup: Si U probité étoit entièrement perdue dans le Mon* de, me difoit-il, 7? croirois retrouver à coup fur dans le Baron de Reinbabe. Le Baron de Schmiedel eft Maréchal de la Cour, Ôc Directeur de la Caiûe Militaire. C'eft un homme d'une grande piété, dont l'abord n'eft pas des plus pré-venans, mais qui eft bon à pratiquer. H eft bon Ami , aime à faire plaiiir , eft exact dans les fonctions de fes Charges, ennemi du Vice, [& fort attaché aux intérêts de fon Maitre, à qui il ne plaie pas toujours. parce qu'il n'a pas le don, û néceffaire à la Cour, de lavoir difii-muler. Le Baron de Studenitz, Siléfien , eft Confeiller - Privé, & Préfident de la Chambre. Il étoit ci-devant au fervice du Duc de Saxe-Barbi, d'où il paffa à celui du Duc de Saxe-Hilburgshaufen. Il dirigea les Finances de ce Prince pendant quelques années, y acquit de la réputation, ôc vint exercer le même Emploi à Weimar. C'eft un Cavalier qui a beaucoup d'érudition, une grande droi-M 3 tu- i82 Lettres Wei. tare d'ame, & qui aiant longtcms voya-mar. gé dans fa jeuneffe, a acquis beaucoup de fa voir-vivre. Mr. de Herivg eft d'une famille noble du Pays & Anhalt-Cbthen. Il eft Confeil-ler-Aulique du Duc. C'eft un Cavalier de mérite, qui a du fa voir & de la po-iiteffe. If eft wr *e Pomt de quitter la Cour. Le Duc fait en lui une perte , qu'il aura de la peine à réparer. Mr. de Bruhl, Ecuyer & favori du Duc, eft Saxon. Sa naifTance, fes bonnes qualités, & fur-tout fon bon caractère, le rendent bien digne de la faveur d'un Souverain. Je doute pourtant, que malgré tant de mérite, il fe maintienne dans l'amitié du Duc : il a trop de candeur, trop de fmcérité, & il aime trop à rendre fervice j peut-être même eft-il trop attaché aux intérêts & à la gloire de fon Maitre. Ces qualités paroiffent être des Vertus ; ce font quelquefois des défauts auprès des Princes. Voilà, Monfieur, les noms des Perfonnes les plus qualifiées de la Cour de Weimar. Je parts demain pour Gotha. Je me fiate de recevoir de vos nouvelles à Wurtz-bourg, & je ne compte pas de vous é-crire avant que de fàvoir fi vous êtes vivant ou mort. Je fuis &c. a Weimar ce s Sept. 1729. LET- LETTRE VIL Monsieur, JE fui parti à cinq heures du matin de Erfort. Weimar. A huit heures j'ai été à E r-f u r t. Je m'y fuis promené une heure, & fuis arrivé à midi à Gotha. Tout ce Pays;eft uni, & abondant en grains. En tems de pluie, les chemins font impraticables, & l'on met quelquefois une journée entière à venir d'JEr-furt à Gotha. Cette première Ville appartient à l'Electeur de Mayence. Elle eft la Capitale de la Thuringe , & peut tenir rang parmi les Villes du fécond ordre en Allemagne Ses Habitans font presque tous Luthériens,' cependant les principales Eglifes appartiennent aux Catholiques. Erfurt eft muni de bons remparts, & d'un Château qui eft fur une hauteur , dont les fortifications font de défenfe, & qui commande la Ville abfa-lument. Il y a toujours dans cette Place une bonne Garnifon., compofée de Soldats Impériaux & de Maience. L'Electeur y tient un Gouverneur , fous le titre de Stadbalter. C'eft lui qui préiide à la Régence. M 4 Go- Gotha eft beaucoup moins grand qu'Erfurt. Cette Ville eft fituée au mi, lieu d'une bèlle & fertile plaine, de forte que de quelque côcé qu'on y arrive, on apperçoit toujours le Château ou le Palais du Duc, qui eft fur une hauteur ifolée • ce qui fait que des apartemens, on découvre une vafte étendue de Pays. JErnefi Duc de Gotha, furnomme le Pieux, fit bâtir ce Château, un des plus grands qui foient en Allemagne, & le fit environner , ainfi que la Ville, de foiTés & de remparts. Çe Prince eut la gloire d'entreprendre & de terminer ces grands travaux, dans un tems que l'Allemagne étoit défolée par des Guerres inteftines, & que peu de Princes étoient en état d'élever des Palais. Comme, de tous les Princes de Saxe de la Branche Erneftine, le Duc de Go-tba eft le plus puiflànt, auffi fa Cour eft-elle de toutes les Cours de Saxe, a-près celle de Dresde, la plus nombreufe, êc où il règne le plus de magnificence. Cependant, les Sujets du Duc de Gotha * font les moins chargés de l'Allemagne. La fagefTe avec laquelle ce Prince régit fes Finances , fait fon bonheur & celui de fes Peuples, dont il eft adoré • & véritablement, il les traite plutôt en'Père, qu'en Souverain: il ne leurfai- con« * Çc Prince eft ffioit en 173*' connoitre fa puiffance, que parlajufti-ce qu'il leur rend. Il efl bon & doux Maitre, de facile accès , réglé dans fes mœurs, fort appliqué aux affaires de fon Etat^ il aime la lecture, fe connoit en Livres, & n'ignore rien de ce qu'un Prince doit fàvoir. Quant à l'air de fa Per-fonne, il efl beau 6c bien fait. Son a<-bord efl civil, mais froid : il ne parle ordinairement aux gens qui lui font inconnus, qu'autant que la bienféance le demande; il cherche à connoitre ceux qu'il pratique, ôc lorsqu'il a reconnu leur caractère, il les entretient des matières qu'il juge être le plus de leur portée^ Ses journées font réglées : il fe lève à fept heures, emploie d'abord une heure à la prière ôc à la lecture de quelque Livre de piété ; il fe fait enfuite habiller, ôc donne audience à fes Miniflres, ou aux perfonnes qui demandent à lui parler. Il dîne à midi, avec la Ducheffe fa Femme, les Princes fes Enfans, ôc d'autres Perfonnes de diftinction ; il demeure une heure ôc demie à table: après le repas, il fe promène dans les Jardins du Palais, ou fi le tems ne lui permet pas de fortir, il travaille dans fon Cabinet, ou s'amufe à lire jufqu'à cinq heures. 11 fe rend alors chez quelque Perfonne diflin- fuée de fa Cour, où s'aflèmble toute la «ToblelTe. 11 y fait une partie d'Hom-brej enfuite il retourne au Palais, fou-M j pe pe de la manière qu'il a dîné, & fe re-; tire à neuf heures. II y a trois fois par femaine Apartement à la Cour. On s'alfemble dans une grande Salle, où l'on joue à l'Hombre ôc au Piquet,' chacun faic fa partie comme il peut. A fept heures on fert une grande table , à laquelle perfonne ne fe met. Va Ecuyer-tranchant découpe les viandes, ôc en fert à toutes les tables de Jeu, fur lefquelles on met des ferviettes. Ceux qui ne jouent point, fe joignent à la table qui leur convient le mieux. Le Duc, la Duchefle, ou les Princes, font ordinairement l'honneur aux Etrangers de les admettre à leur tabie. Pendant le fou-per, il y a Concert ; & à neuf heures, tout le monde fe retire. Le Duc a de fon' mariage avec Ma-ieleine-Augufte £' Anbalt-Zerbfi, fept Fils & deux Filles *. L'ainé eft appelle le Prince Héréditaire; il a été deux fois à Paris, & une fois en Italie, en Angleterre, en Hollande, en Dannemarc, en Suède ôc dans toutes les Cours de l'Allemagne. Ses Voyages lui ont acquis beaucoup de politeflè , ôc bien des belles connoiflances. J'ai eu l'honneur de lui • [U en a eu onze Fils & quatre Filles, mais il ne refte que cinq Fils & deux Filles. Le Prince Héréditaire, qui lut a iuccédé, fc nomme GuilUumt, & eu né en Mars 1701.J lui faire ma cour à Paris & à La Haye, gotha. & je l'ai trouve d'un caractère qui me fait croire que fes Sujets de Gotha ne feront pas moins heureux fous fon Gouvernement, qu'ils le font fous le Duc fon Père. Il a époufé depuis peu fa Coufine - germaine , Louife - Dorothée de Saxe-Meimngen, jeune Princefïe fort aimable , & qui joint beaucoup de modef-tie ôc de douceur à beaucoup de grâces ôc de charmes. Le Duc a tous les Grands-Officiers qu'ont ordinairement les Souverains. Le Comte de Rottavi eft Grand-Maréchal, ôc le premier de la Cour, On lui donne ici le caractère de Favori : je ne fai s'il l'eli, mais je fai qu'il n'ell point indigne de l'être. Je l'ai beaucoup connu à Ratisbonne en 1720 ; il n'étoit point en charge alors, il me témoignoit de l'amitié; je le vois ici en place, ôc je le trouve le même qu'iRatisboufte, toujours Ami de fes Amis. C'eft beaucoup pour un Favori. On fait monter les revenus du Duc à un million d'écus par an, fur quoi ce Prince entretient près de trois-mille hommes de Troupes réglées. Sa Maifon eft grande , ôc fa livrée belle ; fes Gardes font très bien habillés; fa table eft fervie avec plus de délicateffe que de profufion; fon Palais eft bien meublé; tout le monde iS S Lettres de eft exactement payé , & chacun eft content ici. Je ne vous parle point de la Bibliothèque, ni de la Chambre des Raretés, parce que je ne fuis'point encore allez bien informé des chofes qui méritent d'y être obfervées. Je compte de les revoir avant mon départ d'ici, & je ne manquerai pas de vous taire part des obfervations que j'y ferai. En attendant je fuis &c. , A Gotha, ce 9 Septemb. 1731 *. r * Depuis que ces Lettres ont été' e'erires, la Cour jc Gotha a bien changé de face. Le Duc dont ii y cl\ parlé. eft mort. Le Prince héréditaire lui a fuc-cede- La Duchefle Mère s'eft retirée avec les Prin-cefles fes Filles à Altenbourg. Les Frères du Duc ont paflë au fervk'e de l'Empereur» du Roi de Pologne , &c dcHefic-CaiTcl. Quant au Gouvernement ,1c Duc fuit les traces de feu fon Père- Mr. "B*:kever eft fon Chancelier. & le Chef de fon Confeil. Mr. de Her!ng,m. trefbis au fervice du Duc de SaxeìVtìmar, eft Vice-Chancelier. Le Comte de Ronaw eft maintenant Envoyé à la Diète de Ratisbonne. Mr. de Damnitx., ci-devant au fervice du Prince de Rnitlfiadt , eft Grand-Maréchal, & paroît avoir part à la confiance du nouveau Duc : ce Cavalier eft auffi Maréchal de Camp : la Guerre paroit être plus fon fait que la Cour. La Charge de Grand Ecuyer n'eft point encore remplie; Mr. de Wnrm , homme de qualité & de mérite, en étoit en pollcmon du vivant du feu Duc: il s'en eft démis volontairement depuis peu. Mr de Stotterheim doit être nommé Grand-Echan-fon ; il eft encore , je croi, au fervice de quelque Prince Je n'ai point l'honneur de le connoitre. LET- LETTRE VIII. Monsieur, J'Ai eu une extrême fâtisfactfon de trouver ici de vos Lettres, & d'apprendre que vous jouiflez d'une parfaite fante. Continuez, je vous fupplie, à me donner de vos nouvelles; c'eft l'unique moyen par lequel vous puiffiez me perfuader ce que je fouhaite au-delà de toutes chofes, • que mes Lettres vous font agréables. Je viens de faire une des plus desagréables routes de toute l'Allemagne ; & dans les Pays les plus abondans en vivres , j'ai failli à mourir de faim dans les Auberges. De Gotha j'ai étéàEisENACH, dans Eise-l'intention de pafler quelques jours à nacu. cette Cour : mais je trouvai le Duc * malade , ôc le Prince ôc la PrinceiTe f hé- ré- * jean-CuiUamne, Duc de Saxe-Eifènach, eft mort à l'âge de 5i an , peu de tems après s'être marie pour la quatrième fois avec Marie Chrìfiine-Ftiichi % Comteflè de Linange > veuve de Chrétien Margrave de "Bade-Donrltck. * Anne - Sophie Charlotte de Pruffe , Fille du feu Margrave Albert, & Femme de GnHUm^Hemi an- iouid/hiu' phç de SMC-Eifonch. réditaires, abferts ; de forte que j'en ai été pour ma peine. Comme la Ville àiEifinacb n'offre abfolument rien qui mérite l'attention d'un Voyageur , j'en fuis partile même jour pour Fulde, où je ibis arrivé le lendemain. Vous lavez que cette Ville eft la- Capitale de la Principauté de Fulde, dont le Souverain efl Abbé, Prince de l'Empire, & Chancelier de l'Impératrice. Celui qui occupe cette Dignité efl Adolphe Baron de Babl-herg. B a été élu par le Chapitre de l'Eglife Abbatiale en 1726 , à la place de Conftantin Baron de Buthler,vaon fubite-ment & non fans foupçon d'avoir été empoifonné. Fulde efl une petite Ville affez fale. Elle eft ouverte de tous côtés, & n'a de remarquable que l'Eglife Abbatiale & le Palais du Prince , qui font deux Edifices de pierre de taille, de très grande apparence. Les apartemens du Palais font très richement meublés. Le dernier Abbé étant un homme entendu & qui avoit de grandes idées, a fait ajufter ce Palais d'une manière qui mar-queaffez la richeffe de l'Abbaye. Le Prince-Abbé a un Grand-Maréchal, un Grand-Ecuyer , un Maréchal de la Cour, plufieurs Confeillers Privés &Au-liques, nombre de Gentilshommes, une Compagnie de Gardes à cheval bien habillés & bien montés, un Régiment de Gardes à pied, huit Pages, nombre de du Baron de PollnitS: igt Valets de pied,, èc une Ecurie très confi- f^ldE* dérable. Sa livrée eft riche, & en un mot, fa Maifon eft lefte & magnifique. 11 y a très peu de Souverains en Allemagne, dont la table foit mieux fervie:tout y abonde, on y boit des Vins délicieux, mais dans une telle abondance, qu'on n'eft pas iongtems en état de connoitre quel eft celui que l'on boit. Il y a ici, je croi, les plus rudes Buveurs de l'£u. rope. Comme en revanche^ je fuis un des plus mauvais du monde, j'ai jugé que Fulde n'étoit pas un Pays où je dûiTe bâtir des tabernacles. J'ai dîné avec le Prince, je fuis rentré ivre dans mon Auberge, j'ai dormi; & le lendemain je fuis parti pour Wurtzbourg, où je fuis arrivé heureufement, après avoir paffé par des chemins horribles, & trouvé des gîtes épouvantables. Je voudrois que mes Ennemis fulfent condamnés à faire cette route quatre fois par an. Je me dédommage ici du desagrément wtjrtz-que j'ai eu en y venant. Wurtzbouro bourg, eft une Ville conûdérable, quoique de moyenne grandeur. Le Mai» la partage en deux. Elle eft la Réfidence du Prin-ce-EYcque de ÎVurtzbourg, Duc de Fra», ■eonie. Celui qui occupe aujourd'hui cette grande Dignité, eft Chrijlopble-Fran-pis de Houtten *. Il fut élu par leCha- Pi" * II a eu pour Sncccffcur f riderle Charles Comte de w^rtï- pitre pour SucceiTeur à Jean-Philippe-bourc. François Comte de Schonbom, qui fut uri des plus grands & des plus magnifiques Prélats qui ait peut-être occupé le Siège Epifcopal de Wurt^bourg. Ce Prince, dans cinq années d'Episcopat, a fait plus de chofes pour l'cmbelliiTement de Wurtx.-bourg, que «'en ont dix de fes Pré-décefleurs. H a muni une partie de la Ville de nouvelles fortifications , & a fait commencer un fuperbe Palais. A-vant que de pofer les fondemens de ce magnifique Edifice, un des plus grands, des plus parfaits , & des plus réguliers que nous ayons en Allemagne, ila con* fuite les plus habiles Architectes , & a fait venir exprès d'Italie les plus fameux Sculpteurs. Comme il aimoit pafîionné-ment les Beaux-Arts, & qu'il s'y con-noifloit parfaitement,( mais fur-tout en Architecture, ) il a choifi de tous les Defleins qui lui ont été préfentés, les plus belles parties, & en a compofé lui-même le Plan fur lequel il a fait travailler : ce qu'il a exécuté avec tant de chaleur, que dans quatre ans il y avoit les deux tiers du bâtiment fous toit. Sa mort imprévue a fufpendu quelque tems cesgrands tra- de SchonUrn, Evêque de Bamberg, & Vice-Chancelier de l'Empire , qui avoir déjà été fon Compétiteur. [ Il s'eft démis de la Charge de Vjce-Chan-«lier, & s'eft retire «Jan» fon Evechc. 1734.,] travaux. L'Evêque régnant les a fait re- Woriz prendre; & après avoir fait des change- bourg. mens confidérables à ces grands & magnifiques projets, il fait travailler avec tant de lenteur, qu'il n'y a point d'apparence qu'il en voie la fin. Le défunt Evêque Schonborn a encore fait conifruire à côté de la Métropole, une Chapelle revêtue du marbre le plus rare, qu'il a fait porter exprès d'Italie a-vec de très grandes dépeniès. Le bronze, la dorure, & tout ce qui peut rendre une Chapelle magnifique , y a été employé avec art. Ce fuperbe Edifice eft encore imparfait, & ne peut être a-chevé fans une grande dépenfe. Comme il étoit delfine pour la fepulture de VE-vêque & de fa Famille, il eft à préfumer que la Maifon de Schonborn, aujourd'hui li riche & fi puiflante , ne laiffera pas impartait un monument qui doit faire paffer la connoiffance de fa grandeur àia poftérité. Un Edifice qui mérite d'être vu, eft le grand Hôpital, fondé par un Evêque qui fe nommoit Jules. C'eft un bâtiment magnifique, quia plutôt l'apparence d'un Palais de Prince, que d'un Hôpital. On y entretient quatre-cens perfonnes des deux fexes. H y a deux fuperbes Salles qui fervent le Jeudi faint : dans l'une' l'Evêque fait la cérémonie de laver les pieds des Pauvres,qui y font enfuite ma-Tomo L N p-ni- iq| L e t t r. e s Wïrtz- gnifiquemcnt traités: dans l'autre,il réga-tovtLO. le le même jour ion Chapitre, & toute fa Maifon. Le Château eft fur une hauteur, de l'autre côté de la Rivière, qu'on paffe fur un Pont de pierre orné, à l'imitation du tient S. Ange* Rome, de douze belles Statues repréfentant autant de Saints. Ce Château eft une Place forte , & qui commande la Ville abfolument. La figure en eft toute irrégulière : il eft compofé de plufieurs Edifices élevés par dirTérens Evêques. Ces Prélats y ont toujours demeuré jufqu'au dernier , qui faifant bâtir un nouveau Palais dans la Ville , fe logea dans un Hôtel appartenant à un Gentilhomme, d'où il pou-voit voir les travaux qu'il faifoit taire. Les aparteraens du vieux Château font grands & magnifiques. Je les ai encore trouvés tout meublés comme ils l'a-voient été pour y loger l'Archiducheflè Marìe-Elìfabetb, lorsque cette Princcflè paifa à WurtzIfouTg pour aller gouverner les Pays-Bas. Je n'ai point vu de meubles plus riches chez, aucun Prince de l'Empire. Dans le même Château il y a deux chofes qui méritent d'être vues , l'Arfc-aal, & la Cave; l'un eft rempli de tout ce que Mars ôc Bellone ont invente pour la deftruction des Hommes ; 6c l'autre eft pourvue de tout ce qui peut fatisfaire une i>u Baron de Pôllnitz. Armée d'Ivrognes. Si vous venez ja-WuRT& mais ici, ôc que votre curiofité .vous por-r»ouK«. te à voir ces Magafins de Mars & de Bacchus, je vous confeille de commencer par l'Arfenal, fur-tout fi vous êtes accompagné par quelque Cavalier de cette Cour : car ces Meilleurs ^ quoique très polis, font dans la perfuaûon que tout Etranger leur doit au moins, dans cette Cave , la perte de là Raifon. Je. parle par expérience. Il a trois jours que je m'avifai de dire à l'Evêque, que je voulois aller voir le Château. Ce Prince, pour me faire honneur, ordonna à un de fes Gentilshommes de m'y conduire. Cet honnête Cavalier, craignant apparemment qu'un tête-à-tête ne m'ennuyât, rendit la partie quarrée": il choifit deux Buveurs, que Silène n'auroit par desavoué pour fes Enfans. Je ne connoiffois pas les. éminentes vertus de ces Meilleurs : je me livrai entre leurs mains, fans avoir le moindre doute de mon malheur. Ils me firent tout voir, Apartemens, Arfenal, Fortifications. Enfin ils me conduifirent dans la Cave,que je trouvai illuminée comme une Chapelle ardente, qui devoir fervir à mes funérailles. Elles fe firent avec pompe : les verres fervirent de cloches, au-lieu de pleurs on répandit du vin : enfin après que le Service fut fait , deux Heiduques du Prince me portèrent dans un caroffe & N 2 de Wurtz- de là dans mon lit : ce fut mon Tom-booro. beau. J'en fuis relTufcîté hier: mais je ne fai, fi au moment que je vous écris, je fuis encore bien dégrifé. Il efl: vrai que cela ne me fait point de peine, car depuis que je fuis ici, j'ai pris la louable coutume de m'emvrer deux fois par jour. Vous voyez que je profite aiTez bien de mes Voyages, & que je prens les belles manières des Pays où je fais quelque lé-jour. Je me fiate que vous me trouverez très changé à mon avantage. Il n'y a rien qui forme tant, que les Voyages; jugez-en par la vie que je mène ici. Je me lève à dix heures, la poitrine fort échauffée du vin que j'ai bu la veille. Je prends beaucoup de Thé, je m'habille & vais faire ma cour à l'Evêque. Le Baron de Pecbte/sheim y Maréchal de la Cour, m'invite à dîner avec le Prince; il me promet,& me jure même quelquefois, que je ne boirai point. On fe met à table à midi. L'Evêque me fait l'honneur de me porter deux ou trois fan-tés. Le Baron de Zobel Grand-Ecuyer, & le Baron de Pechtelsheim, m'en portent autant; il faut boire à quatorze perfonnes qui font à la table. Je me trouve fubroergé, avant que d'avoir mangé. On fe lève, j'accompagne le Prince jufqu'à la porte de fa chambre, il fe retire, & je compte d'en faire autant ; lorsque je me trouve barré dans l'Antichambre par du Baron de Pollnjtz. io7 le Grand - Ecuyer & le Maréchal de la wortz Cour, qui, de grands verres à la main, bourg. me portent la fanté du Prince, & Véternelle profferite du très louable Chapitre de Wurtzbourg. Je leur protefte que je fuis le très humble ferviteur de l'Evêque, & que j'ai beaucoup de vénération pour le très louable Chapitre; mais que de boire à leur fanté altèreroit la mienne; Ôc qu'ainfi je les fupplie de trouver bon que je ne leur falTe pas raifon. Paroles perdues; il faut boire ces deux fantés, ou palier pour vouloir du mal au Prince & à fon Chapitre. Heureux fi avec cela la tâche étoit finie ! Mais Mr. de Zobel, un des plus intrépides Buveurs de notre Siècle, me faifit par la main , & avec un air ôc un ton de cordialité, me dit: Vous êtes trop dévoué à notre Prince , pour ne pas boire à la profpérité de Pillufire Maifon de Houtteu. Après ces touchantes paroles, il vuide un grand verre, témoin de fon zèle pour le iang de fon Maitre. Un Heiduque officieux me porte un verre , & infpiré de l'efprit qui domine dans cette Cour , il m'afïure que ce vin ne fauroit me faire du mal, parce que c'efl du même dont boit le Prince. RafTuré par une fi juffe conféquenceje bois l'in-ftant d'après je chancelle & je n'en'puis plus : lorsque pour m'achever, Mr. de Plechtelsheim, un des plus honnêtes hommes de notre tems, mais aufli le plus fier N 3 fa- . Tableur de vin que je connoifTe, m'accolte d'un air riant, & me dit, Allons, mon cher Baron, encore un petit verre d'à-mitié! Je le conjure de me donner quartier; il m'embraiïe,mc baife, & me dit, Herr Bruder *. Le moyen de réfifter à de ii tendres paroles ! Enfin je me mets dans un état à ne marcher que par pas de fiffonne. Je trouve le moyen de m'efqui-ver, je defcends l'efcalier comme je puis, je me fourre dans une chaife à porteur, j'arrive chez moi, mes Gens me reçoivent comme un Corps mort, & me mettent iur un lit en attendant mes funérailles. Je dors trois ou quatre heures , je me réveille miraculeufement, je me r'ajufte & vais faire des vilites, ou j'en reçois : mais que j'en faffe, ou que j'en reçoive, je me retrouve bientôt dans un état à ne pouvoir marcher tout feul. 11 n'y a jamais ici de tête-à-tête , la bouteille doit toujours être admife pour tiers. Je fuis tenté de croire que les Habitans de cette Ville font des defcendans de Silène, èc que cet antique Ivrogne leur a laiffé pour héritage le don de boire, corn, me S. Hubert a laiffé à ceux de fa famille celui de guérir de la Rage. Je dînai hier chez les RR. PP. Bénédictins Ecoffois : ils me firent fort bonne chère * M»u thtr Frite* chère, & me donnèrent d'un excellent wvktz Vin qu'on nomme Stein Wein , Vin de >o«r«. pierre; apparemment parce qu'il croît fur un rocher. C'eft la feule fois que je fuis forti du régime que j'obfcrveici, j'entens que je ne me fuis point enivré. La Mai-ion des Bénédictins dont je vous parle , eft une des cinq Maifons qui forment comme une efpèce de République dans leur Ordre, ôc qui, fans dépendre du Général, élifent entre eux un Préfident qui dirige toutes chofes. Ces cinq Maifons font en cinq Villes, fa voir, à Vienne en Autriche, à Ratisbonne, \Wurtzbourgy à Douai en Flandre, ôc à Dieulegardt près de Vont-à-Moujfon en Lorraine. Les Bénédictins me font reflouvenir des RR. PP. Jéfuites: ils ont une très belle Maifon dans cette Ville; ce font eux qui dirigent l'Univerfité, ôc qui in -ftruifent la Jeunelfe, avec une ferveur qui ne peut que confondre leurs Ennemis. Le Prince-Evêque vit avec beaucoup de magnificence : aufli eft-ce un de nos plus puiflàns Souverains Eccléfiaftiques. Son État contient foixante ôc dix Bailliages. C'eft le plus beau & le plus fertile Pays de l'Allemagne. L'argent feul y eft rare, à caufe du peu de Commerce, Ôc de la quantité de Moines ôc de Prêtres qui attirent tout à eux. L'Evêque a cinquante-mille écus tous les ans N 4 pour pour fes menus-plaifirs. La Chambre doit l'entrerenir de tout. Elle fournit fa Garde-robe , fa Table , paye la Maifon & les Troupes. Celles-ci font actuellement au nombre de trois-mille cinq-cens hommes. C'eft le Général Eib, Gouverneur de Wurtzbourg, qui les commande. En tems de Guerre, l'Evêque a eu dix-mille hommes. . £,a Cour eft nombreufe, & je puis vous afturer que les jours de Fête elle eft très magnifique. Le jour de S. gutlian, Patron de Wurtzbourg &c de la Franconiey l'Evêque fe rend en grand cortège à la Métropole. La marche commence par fix Carolfes de l'Evêque attelés à fix chevaux; enfuite paroiffent vingt-quatre Valets de pied, & feize Pages; plus de quatre-vingts Cavaliers richement habillés précèdent à pied le Caroffe de l'Evêque , au milieu de deux files de Hallebardiers. Le Grand-Ecuyer & le Maréchal de la Cour marchent aux deux portières; 1q dernier porte l'Epée de Duc de Franconie, la pointe levée: des Heiduques entourent le Carolfc, qui eft fuivi par la Compagnie de Gardes du corps. L'Evêque de Wurtzbourg a une prérogative très diftinguée par-deffus les autres Evêques : pendant qu'il officie , fon Grand-Maréchal tient l'Epée de Duc de Franconie nue & élevée , jufques à la Confécration ; enfuite il la remet dans le four- fourreau, & la porte la pointe baiiféede- WoKTZ. vant le Prince. Cetre diftinction me pa- bourg. roît moins extraordinaire que celle de l'Abbé-Comte de Gemblours, Premier-Noble des Etats de Brabant , qui a le privilège de dire la Meflb botté & épe-ronné. Le Service ordinaire de l'Evêque fe fait avec toute la dignité convenable à un grand Prince; & la table, qui eft ordinairement de dix-huit couverts, eft fervie avec une magnificence qui va juf. qu'à la profufion. Ce n'eft pas que le Prince aime le fafte, mais il eft obligé de le conformer aux anciens ufâges établis dans fa Cour. Ce Prélat s'applique beaucoup aux affaires de fon Etat : il fe lève pour cet effet de bon matin ; lorsqu'il eft habillé, il emploie quelque tems à fes prières; enfuite il confère avec fes Mi-niftres,ou avec les Chefs des divers Tribunaux. A dix heures il entend la Meffe, il affifte enfuite au Confeil ; il dîne à midi, refte une heure & demie à table, puis fe retire & paffe la foirée dans fa famille, qui eft nombreufe Ôc compofée de perfonnes de mérite. En tems de Carnaval, il donne deux ou trois fois par femaine de grands repas à toute la No-bleffe de Wurtzbourg: il y a quelquefois Bal, & même des Mafcarades, à la Cour. Pendant l'Hiver, les perfonnes de condition fe raffemblent dans des maifons où N 5 l'on l'on joue; & durant le Carnaval il y a trois fois par femainc Bal dans une maifon que tient un Entrepreneur, chez lequel on s'abonne, & où les Etrangers entrent gratis. Tout cela feroit affez joli, fi la compagnie n'étoit pas quelquefois troublée par des Ivrognes. Il eft vrai que ceux-ci n'incommodent pas beaucoup les gens du Pays : leurs yeux y font faits, \cs Dames même, qui par-tout ailleurs fuient ces fortes de gens, ne paroillenc pas ici avoir un dégoût marqué poureur. Les Etrangers ont lieu d'être fatisfaits des politeffes du Prince & des Courtifans. Quant à moi,j'ai fujet de me louer infiniment des égards qu'on veut bien avoir ici pour moi. Le Prince me comble de bontés, & la Noblelfc de civilités. Si ce n'étoit qu'il faut boire, je me plairois beaucoup dans cette Ville. J'en partirai après-demain pour Anjpach , d'où je me rendrai par Nuremberg & Bareith à Prague. Je vous écrirai le plus tôt qu'il mo fera poQîble. En attendant je fuis &c. A Wurcxbourg, ce n Sept. 171*. LET- ********************* LETTRE IX, MoNSI eur, JE me fuis rendu dans un jour àeWarix.- akh bourg à AnspacH. Il y a douze ***** milles d'une Ville à l'autre. J'ai p^ue par deux ou trois petites Villes, qui ne méritent pas qu'on les nomme. A?ijpach eft la Capitale du Margraviat de ce nom, & la Réiidence du Margrave de Brande* bourg, Chef de la feconde Branche de certe Maifon établie en Franconie. Cette Ville eft petite, mais riante, & affez bien bâtie ; dépourvue de fortifications, & fimplement fermée par des murailles entourées d'allées qui forment un boulevart. Le Château ou le Palais du Prince a de la grandeur, & il aura de la magnificence lorsqu'il fera achevé. Le feu Margrave, Père du jeune Margrave régnant, avoit commencé à le bâtir fur les Def-feins d'un Architecte Italien; mais comme celui-ci n'a rien fait qui pût répondre à l'opinion où l'on eft en Allemagne que les Italiens font les premiers Architectes du Monde, peut-être parce qu'on l'a contraint de r'habiller de vieux murs à eau- An,- caufe des chambres que l'on a voulu mc« ta tu. nager; Madame la Margrave Régente, Mère du jeune Margrave, en continuant ce que fon Mari avoit fait commencer, a changé d'Architecte, 6c fe fert pour la conduite de ces travaux de Mr. le Baron de Zochau; qui, quoiqu'obligé de fe conformer à ce qui a été fait par l'Italien, a beaucoup mieux réuffi que cet Etranger. Madame la Margrave Régente a encore fait commencer de magnifiques Jardins, & cette Priuceffe n'omet rien de ce qui peut contribuer à l'embelliffement de la Ville cYAnfpacb. La Margrave Régente * eft de la Maifon de Wurtemberg. Eile le peut difputer en beauté aux plus belles Prin-ceiïès du Monde. Reftée Veuve à ,1'â-ge de vingt-neuf ans , elle a renoncé à tous les plaifirs, pour ne penfer qu'à l'éducation de fon Fils, 6c aux affaires de la Régence dont elle étoit chargée. Cette Princeffe s'acquitte de l'un 6c de l'autre de manière que fes Sujets béniffent fon Gouvernement, 6c que le jeune Margrave ne pourra que lui avoir de très grandes obligations. Ma- * Ckriflint • Charlotte de Wurtemberg t Margrave Douanière de 'Brandebourg-^infpach , Régente pour fon Fils, eft morte à Jlnfjuih en 1730 , peu de tems après avoir remis la Ktgcnce au jeune Margrave , & après avoir marie ce Prince avec Frederi-pue- Lou;Je de PruJJe, iéconde Fille du Roi. / Madame la Margrave joint aux agré- Aks> mens de fa personne, un grand brillant tac h. d'efprit, & un jugement folide, qu'elle a eu foin de cultiver par beaucoup de lecture, & qu'elle foutient par une piété &c une charité vraiment Chrétiennes. Il règne dans fes actions une politeiTe & u-ne douceur , qui lui gagnent les cœurs. Enfin fans trop flater cette Princeife, je puis vous aflurer que fa vie eft un exemple de vertu. Elle eft détachée de toutes les vanités du Siècle ; elle ne porte ni dorure, ni dentelles; elle a donné fes diamans, qui étoient d'un grand prix, à fon Fils. Retirée dans fon apartement , on ne la voit qu'à l'Eglife, à table, ou lorsqu'on lui demande Audience, qu'elle ne refufe jamais à perfonne , à moins qu'elle ne foit trop incommodée. File eft fans ceife occupée, le travail ne lui coûte rien. C'eft elle qui eft fon Minif. tre ; fes Confcillers ne font qu'exécuter les ordres. C'eft dommage que l'Allemagne foie menacée de perdre bien-tôt une Princefle qui lui fait tant d'honneur. Madame la Margrave eft tombée dans une maladie de langueur, fans efpoir d'en pouvoir revenir. Les Médecins lui ont appris cetre trille nouvelle, & cette Princelfe n'a pas paru en être effrayée. Elle l'a reçue en Héroïne Chrétienne. Dieu nia donné la vie, répondit-elle à fes Médecins, il me me Votera quand il voudra; fa volontìfòia faite ! Elle a continué à vivre à fon ordinaire, & rapproche de la mort, qu'elle voit venir à pas lents , ne lui caufe ni trouble ni effroi : foumife aux décrets de la Providence, elle attend avec réfi-gnation ce moment redoutable, qui fouvent a fait trembler les plus déterminés. ■* ij Le jeune Margrave efb a&uellement à paris, de forte que je ne pourrois pas vous parler de ce Prince, fi je n'avois eu l'honneur de le voir il y a deux ans. Il eft né le ia Mai 1712. Il eft beau, bien fait, plein de feu , a une mémoire extraordinaire, & promet d'être un jour un Prince d'une grande élévation , fi l'âge mûrit fon efprit. Il a eu pour Gouverneur Mr. de Bremer , Gentilhomme dé Livonie; & pour Précepteur Mr. Neu-kirch *, célèbre par divers Ouvrages de Poéue. Malgré la réforme que Madame la Margrave a faite dans fa Cour en parvenant à la Régence, cette même Cour ne laifTe pas d'être encore affez nombreufe. Mon- * "Benjamin Neukirch. 11 a mis TtltmatjHt en yers, & a encore fait quantité de beaux Ouvrages , qui font.voir que notre Langue clt aufli capable d'exprimer de belles dioici , que celles dans lesquelles on a le plus cent, il clt mort depuis feu à An; fpath. du Baron de Pòllnìtz. ïbf Monfieur le Comte de Caftel y tient le a premier rang, avec le titre de Grand* * Maitre. Madame fà Femme eft ordinai* rement auprès de Madame la Margrave, &c fait les-fondions de Dame-d'honneur, fans vouloir l'être. Mr. de Bremer , le Baron de Seckendorff, & le Baron de Zo-ch*u, font Confeillers-Privés. Le Baron de Kinsberg eft Maréchal de la Cour. Quant aux Troupes, Madame la Margrave Régente n'en entretient qu'autant qu'il en faut pour fournir le Contingent de l'Empire, & pour faire la garde auprès de là perfonne. Le Margraviat cYAnJpacb eft fort entrecoupé de Bois, ce qui fait qu'il eft extrêmement propre pour la Chaffe. On dit qu'il rend tous les ans cinq-cens-mille écus à fon Souverain. Les principales Villes font Anfpach & Scbwabacb. On y a établi des Manufactures, qui portent un grand préjudice à la Ville de Nuremberg. Je croi ne devoir pas oublier de vous parler de deux chofes, qui occupent beaucoup la crédulité du Peuple, & que le Maitre de l'Auberge où je fuis logé, m'a affurées comme des vérités confiantes. L'une eft, qu'il n'y a pas de R.ats dans tout le Pays à'Anfpach, depuis qu'un des Parens de 5. Hubert y a paffé. L'autre ' eft de la même force, & reçue pour très véritable par tout ce qu'il y a de Sujets dans Ams. dans les Etats de la Maifon de Brande-ta ch. bourg. Ccft que lorsqu'il meurt quelqu'un, foit Prince ou PrinceiTe, de cette Maifon, il apparoir une Femme blanche dans le Palais où la Mort doit porter fa Faux. Je ne fai h vous favez, l'origine de cette Prophétefle de malheur. En tout cas, voici fon Hiitoire. joachim U. Electeur de Brandebourg, voulant agrandir fon Palais à Berlin, eut befoin d'acheter pluiieurs maifons. Une vieille Femme qui occupoit une de ces maifons , ne vouloit jamais la vendre , quelque offre que lui fît faire l'Electeur. Ce Prince , voyant l'obftination xle la Vieille, lui fit payer fa maifon, & la fit déloger. La Vieille , en colère, jura qu'elle tourmenteroit éternellement Joacbim & fa Poftérité. L'on prétend que la bonne Dame tient parole , 6c qu'elle apparoir dans tous les Châteaux de la Maifon de Brandebourg. Cependant, je ne connois perfonne à Berlin qui ait dit l'y avoir vue : c'eft pourtant là: qu'elle devroit naturellement faire fon principal domicile. Mon Hôte ajouta aux beaux contes qu'il me faifoit , que Madame la Margrave vivroit encore quelque tems , parce que la Femme blanche n'avoit point encore apparu à perfonne. Je fuis &c. A Anfpach, ce 19 Sept. 1719. L E T- LETTRE X. Monsieur» J'Ai quitté la Cour cVAnfpach, honore d'une précieufe marque de la bonté de. Madame la Margrave; c'eft une Médaille d'Or d'un grand poids: & me voilà de nouveau en chemin. J'ai mis peu d'heures pour me rendre d:'Anfpach à Nuremberg. Tout ce Pays eft extrêmement fablonneux , cependant très cultivé , & parfemé de grands Villages, qui dans nos cantons palferoient pour des Bourgs. Nuremberg a été tant décrit, Nur1, qu'il me réfte très peu de chofe à ajouter >»»•• à ce qui en a été dit. Je vous donne cette Ville pour un des plus ennuyeux fé-, jours de l'Europe. Les Patriciens y tiennent le premier rang, ôc font les petits; Nobles de Venife. Leur Gouvernement a beaucoup de reffemblance avec celui de cette République ; ils ont une efpèce de Doge; enfin ils imitent affez la Grenouille de la Fable, qui vouloit s'égaler au Bœuf. Parmi ces Patriciens, il y eri a de très riches; mais ils font fi farouches, qu'on ne les voit point: à peine fe yoyent-ils entre eux. Peut-être me de-£ O man- Xvrkm* manderez-vous ce que j'entends par le" iui< titre de Patriciens : le voici. Us font Gentilshommes; il y a des Familles Patriciennes, allez, anciennes pour le difpu-ter à tout ce qu'il y a de Nobleffe, & qui autrefois étoient reçues dans tous les Chapitres, Mais aujourd'hui ce n'eft plus cela ; 1« Noblefîe non-feulement ne les reçoit plus dans les Chapitres, mais de plus leur dispute d'être Gentilshommes, prétendant qu'ils dérogent par les Char* ges de Magiftrature qu'ils poflèdent. Telle eft, comme vous favez, notre vanité Germanique; les chofes qui honorent ailleurs, dérogent chez nous; la Cour, l'Epée , & l'Eglife , font les feuls partis qu'un Gentilhomme puifle prendre: s'il ne fe trouve point de talens propres pour ces chofes , ou que la fortune lui foit contraire , il vaut mieux qu'il périfïe , que de prendre des Charges de Magiftra ture, ou d'entrer dans le Négoce. U vaut bien mieux demander noblement l'aumône, que de fe mefâllier. Mais il n'eft point queftion de faire ici le Cen-feur des Us Germaniques, parlons de Nuremberg. Cette Ville a fix Portes , douze Fontaines publiques, & 118 Puits. Parmi les Eglifes , celle de S. Laurent eft la plus grande: on y voit quantité de Reliques , entre autres , un morceau de la Crèche dans laquelle fut mis Notre Seigneur ; une pièce de fon Habit j & bu Baron de Êôllnitz: aï£ trois chaînons des Chaines qui fervirent Norm|s de liens à S. Pierre, S. Paul, & S. Jean. b»r». ™ Les Luthériens ne failânt pas grand cas de ces Reliques, devraient bien les donner à quelque pauvre Couvent Catholique; il y auroit dequoi l'enrichir bientôt. Vous favez que le Gouvernement'eft ici tout Evangélique, c'eft à dire Luthérien. Les Catholiques ont une petite £-glife dans la Maifon de l'Ordre Teuto-nique; les Réformés vont à l'Eglife dans le Territoire à?Anfpach ; Se les Juifs ne font point foufferts, parce qu'on dit qu'ils ont autrefois empoifònné les Fontaines.' Us demeurent dans un Bourg peu éloigné de Nuremberg,* ils viennent le matin en Ville, & payent quelque chofe pour entrer ; on leur donne un Garde, qui fou., vent eft une vieille Femme , pour les conduire; & il leur eft permis de trafi» quer ou de tromper qui ils peuvent, ju£ qu'au foir, qu'ils font obligés de fe retirer. L'on garde dans l'Eglife de l'Hôpital,-la Couronne de Charlemagne , qu'on dit pefer quatorze livres ; le Sceptre, & le Globe, en un mot tous les Ornemens de l'Empire, à la réferve de l'Epée de Charlemagne qu'on dit avoir été apportée du Ciel par un Ange. C'eft apparemment le même qui a apporté en France la Ste, ÌI3 L E T î* r ES Avipoulle & XOriflamme. Certe Epée eft gardée à Aix-la-Chapelle* Le Commerce de Nuremberg eft fort tombé : car outre qu'on eft revenu dans le monde, & fur-tout en Allemagne, des Babioles & des Colifichets qui fo faifoient dans cetre Ville ; les Manufactures que les Margraves de Bareitb & & Anfpach ont établies dans leurs Etats, portent un préjudice conûdérable à Nuremberg. Les Habitans de cette Ville peuvent être les meilleures gens du monde, du moins je les croi tels ; mais en vérité , ce font les plus terribles complimenteurs que je connoifïe. Je n'ai pu mettre le pied dans une boutique, fans que le Maitre , la Maitrefïe, les Enfans & les Garçons m'aient accompagné jufqucs dans la rue, en me remerciant de l'honneur que je leur avois fait. Mon Hôte même , qui me voyoit fortir & entrer vingt foU par jour, me recevoit toujours avec de grandes cérémonies & me de-mandoit comment je me portois. Quand je fortois , il me prioit de ne point lait-fer longtem>- fa maifon indigne, fans l'honorer de ma préfence. Nuremberg eft , après Hambourg, \x Ville Impériale la plus riche & la plus puiflfante. Le Domaine de Nuremberg eft même beaucoup plus étendu que celui de Hambourg. Mais cette dernière yii- bu Baron dé Pôllnitz. Ville l'emporte pour la richefïè. On dit que Nuremberg a fept autres Villes dan» fon Territoire, avec quatre-cens quatre-vingts Bourgs & Viliages. Malgré tout cela, elle n'eft point riche; les Patriciens engloutifTent tout l'argent, & le Bourgeois eft pauvre. Le lendemain de mon arrivée à Nuremberg, j'en fuis parti pour Christian-Erlangen , Ville dans le Margraviat de \ Brandebourg-Pareith. Elle doit fon élévation à une Colonie de François, forrjj de France pour caufe de Religion. 11 y a quarante ans o^Erlangen étoit un petit Bourg , au milieu d'une Forêt de fapins. Le Margrave Chrifiian recevant; les François qui quitroient leur Patrie a-près la révocation de l'Edit de Nantes, leur alligna Erlangen pour s'y établir. Xle défrichèrent les Bois, Ôc bâtirent la Ville, à qui ils donnèrent le nom de Chrijlian-Erlangen,en mémoire du MargraveChristian leur bienfaiteur. Toutes les rues font en ligne droite. Les François y établirent toutes fortes de Manufactures, & firent de leur Ville, un des plus jolis Lieux de l'Allemagne. Madame * Elifabeth-Sophie de • Ce:te Princefle e'toit Veuve du Duc de Cturhn-Ht, lori Qu'elle e'goufa le Margrave ChriJHan, qui e'toit fcrt âgé. Aptes la mort, elle epoula le Duc de Sjxe-MtiènngiH, dont elle eft Veuve. Elle fait làréfidcnce à Cobou-rg en Franconic. Elle n'a jamais eu qu'un Fils , qui avoit époulé la Czarinc regnante , &i qui eft «non peu éc teins après fon mariage. ai'4 L" f ¥ T S I I Eilait- ^ Brandebourg, feconde Fille de l'Elee-iWt teur Frédéric-Guillaume, & troifième Femme du Margrave Chrifiian Fondateur d'Er-a fait bâtir fur la grande Place de cette Ville, un Palais de beaucoup d'apparence, & qui clt accompagné d» magnifiques Jardins. Il eft actuellement occupé par Sophie de Saxe-Weitfenfeld, Veuve du dernier Margrave de Bareith. Cette PrinceiTe devroit demeurer à Nw-fiadf, qui M a été afïïgné pour Douaire; inais comme c'eft un lieu écarté, trifte & vilain, le Margrave régnant a bien voulu qu'elle demeurât à Erlangen. Madame la Margrave Douairière a été une des plus belles Princeifes du monde j elle en conferve encore de beaux relies, Ôc l'on ne peut avoir plus grand air. Elle vit à Erlangen avec toute la dignité convenable à Ion rang; les Etrangers font très bien reçus à fa Cour, ôc particulièrement de la PrinceiTe elle-même, dont U politefTe a peu de pareilles. De Cbrijlian-Er/angen je me fuis rendu en moins d'un jour à Bamberg; encore me fuis-je arrêté deux ou trois heures à fOK. ForcheiM, Place de FEvêché de Barn-etuziM. berg, dont les Ouvrages m'ont paru an-, Ciens & mal entretenus. bam- L'Evêché de B a m b e r o eft le pré-»**'a," mier Evêché de l'Empire: l'Evêque n'eft fufff agant d'aucun Archevêque ; il relève uniquement, quant au Spirituel, du S. Sie- du Baron de Pollnitz: n£ Siège, & reçoit le Pallium comme un bam} Archevêque. Il a de plus cette dittine-tion, que les Electeurs font lès Grands-Officiers , comme ils le font de l'Empire : il eft en droit de les fommer de venir faire les fonctions de leur Charge, pour le jour de fon Inftallation. Je n'ai pas ouï dire qu'aucun Evêque fe foit jamais prévalu de cette grande prérogative : la Suite qu'amèneroient avec eux ces Grands-Officiers, pourroit bjen lui être à charge. Les grands Privilèges ' dont jouit ce Prélat, font contrebalancés par un desagrément ; car fi les Electeurs ve-noient à élire un Empereur qui n'eût point d'Etats, l'Evêque de Bamberg feroit obli-gé de lui cèder fà Ville Episcopale & fon Palais. On prétend que l'Empereur a le même droit à Rome, & que s'il choifis-foit cette ancienne Capitale du Monde pour fon féjour, le Pape feroit obligé de lui cèder le Palais du Vatican, & de fe retirer dans celui de S. Jean de Latrati. Véritablement, je croi que le S. Père & l'Evêque de Bamberg ne feront pas fi-tôt délogés. Le feu Ele&eur de Maience Lothaire-François de Schonborn, qui étoit aufli E-vêque de Bamberg, a embelli la Ville d'un nouveau Palais Episcopal. C'eft un grand & magnifique Edifice, qui eft fur une hauteur dont la vue s'étend très loin fur diftérens beaux objets. O 4 La Sam- La Ville de Bamberg eft aflez bien basilo* tie, 6c a de belles Eglifes. L'on y voit le Tombeau de l'Empereur Henri II. & de l'Impératrice Cunegonde fa Femme. Cette Princeftè eft à la droite de fon Mari, à caufe qu'elle a conferve fa Virginité jufqu'à & mort. Cela ne s'appel-loit-il point abufer du Sacrement de Mariage ? L'Evêque qui remplit le Siège Episco-pal de Bamberg, eftFrederic-Charles Comte de Schonbom, Vice-Chancelier de l'Empire. Ce Prélat étant Miniftre d^Etat de l'Empereur, demeure ordinairement à Vienne', il y eft actuellement, de forte que je n'ai rien à vous dire de la Cour. Quant à lui, je compte de vous en parler après que je l'aurai falué à Vienne. Les environs de "Bamberg font des plus agréables; mais en y arrivant du côté de . Nuremberg, on eft frappé d'horreur en traverfant un Bois de fapins, d'y trouver une Avenue d'un quart de lieue, formée par des Roues & des Gibets. Cela ne donne pas d'abord une trop haute idée à un Etranger, de la bonté du Peuple; mais on change de fentiment, lorsqu'on vient à favoir que ces Criminels expofés font presque tous Etrangers. L'Evêché de Bamberg eft contigu à fept ou huit E-tats diftérens, & Bamberg eft fur la plus grande route de L'Allemagne : cela fait que les Scélérats y accourent de tous côtés. DU BaRoN DE PëLLNlTZ. lif Du vivant de l'Electeur de Maience , Bam. Bamberg étoit leur Non plus ultra ; ce ber*. Prince ne leur faifoit point de quartier. Ennemi du crime, & un des plus grands Jufticiers que nous ayons eus en Allemagne, il faifoit pendre tous ceux qui méri-toient de l'être. L'Evêque a une charmante Maifon de plaifânce, à une lieue de la Ville. Mais rien n'eft plus magnifique en Allemagne que le Château de i' ommersfeldcn, appartenant au Comte de Scbonbor», à trois lieues de Bamberg. L'Electeur de Maience , Franfois-Lotbaire de Scbonborn, a fait conftruire ce fuperbe édifice. Tout ce bâtiment forme un grand Corps de logis flanqué .de deux Pavillons , avec deux ailes a^ncées. Le tout eft régulièrement conftrait,r 6c décoré d'une Architecture bien entendue. Le Veftibule eft foutenu de plufieurs colomnes ; il prefente d'abord le grand Efcalier, qui eft d'une magnificence extraordinaire & peut-être un des mieux entendus de l'Europe. De ce Vestibule on paffe dans un Salon qui fert de paffage pour le Jardin; il eft en forme de Grotte, orné de différentes Fontaines, de Colomnes 6c de Statues de marbre; le plafond eft peint, ainfi que la Coupole de l'Efcalier,6c les voûtes des principaux apartemens. Toutes ces peintures font de main de Peintres que l'Electeur a fait venir exprès d'Italie. Je ne vous détaille O j poinç 2i& Ç I T ï r I I Sam- point le grand Salon, ni les Apartemensj JtERc. il faudroit vous écrire un volume. Le tout eft diftribué avec art, & meublé a-vee beaucoup de choix, de difcernement & de magnificence. Les Ecuries répondent parfaitement au Château , auquel elles font face. Elles font conftruites en Demi-lune, avec un Pavillon au milieu, qui eft un Salon ovale, d'où l'on voit des deux côtés tous les chevaux. Les mangeoires font de marbre, en forme de coquille; & les râteliers de fer, artiftement travaillés en manière de panier ou de hotte. Le Salon qui eft au milieu des deux Ecuries, eft peint à fresque, & donne d'un côté fur la Cour, & de l'autre fur le Manège, où l'Elecfeur voyoit travailler les chevaux des Haras de fon Evêché près de Bamberg, un des plus beaux de l'Allemagne. Les Jardins de Pommer sfelden accompagnent très bien la magnificence des bâ-timens : en un mot, tout ce qui dépend de cette belle Maifon, en eft digne. Celui qui l'a bâtie, avoit les idées élevées : il n'a rien épargné pour laifler à la Poftérité un monument qui fit foi de fa grandeur & de fes richeffes, & a fait dePom-mersfelden une Maifon qui furpaffe bien des Maifons Royales. Mais il eft tems de vous tirer de ce beau Lieu, & de vous ramener à Bamberg. 11 y a beaucoup de Noblclle établie dans cette cette Ville. Le Chapitre eft compofé de bam-perfonnes de qualité ; ila droit d'élire TE- »e*g. vêque, & c'eft lui qui gouverne en l'ab-fence du Prince. Tout ce concours de Nobleffe fait qu'on pafTe affez agréablement le tems dans cette Ville. On y boit pour le moins autant qu'à Fulde & à Wurtzbourg : il faut bien que ce foit une étiquette attachée aux Cours Eccléfiafti-ques. Comme j'ai des Parens dans cette Ville, je m'y fuis arrêté trois jours. Pendant ce tems-là, j'ai eu le plaiiir de boire journellement chez un de mes Coufins, dans un grand Vafe d'or maffif, du poids de mille ducats. Vous ne fauriez vous imaginer combien le Vin eft bon dans une Coupe de ce prix. J'aurois fort fou-haité que mon Coufin m'eût traité comme Jofeph traita Benjamin, & qu'il eût fait cacher fa Coupe dans mon Equipage , à condition de ne point faire courir après ion Frère; mais c'eft ce que mon cher Coufin n'a pas jugé à propos de faire. Il m'a fait boire beaucoup de Vin, & s'eft contenté de me fouhaiter bien de l'Or: cela s'appelle faire le Parent dans les formes. De Bamberg je fins venu à Bareith, ba-Réfidence du Margrave de Brandebourg, Rina, ainé des deux Branches de cette Maifon établies en Franconie. Ce fut Jean-George Electeur de Brandebourg , qui partagea fts Etats entre fes trois Fils : il laiifa l'Elee* »A< lectorat avec fes Annexes à fon A ine; il -.euh. donna le Margraviat de Culmbach à Chrétien ion fécond Fils, & celui àyAnjpach\ fon troifìème. Chrétien forma deux Branches celle de Bareith ôc celle de Culmbach] La Branche de Bareith s'eft éteinte en 17*6» Par 'a mort ^e George-Guillaume , dont la Veuve demeure à Erlangen. George-Frederic-Charles Margrave deCulm-bacb, fon Coufin, lui a fuccédé. Ce Prince a cinq Enfans, (avoir *, deux princes 6c trois PrincefTcsf. Il a eu pour Femme Dorothée de Holfiein-Bcck , qu'il époufa à Berlin en 1709. J'eus l'honneur de le voir alors ; c'étoit un Prince de grand air, fort civil, doux 6c modéré, qui aimoit la lecture 6c les Gens de Lettres. Il a fait une action de généroûté, qui n'a peut-être point d'exemple, ôcque je vous rapporte comme le témoignage le plus authentique de la bonté 6c de la droiture de Ion Caractère. En parvenant à la Régence, le Margrave trouva que fon Prédécefleur laiffoit les Finances épuifëes, ôc beaucoup de dettes à payer. Lui-même devoit payer au Roi de Prujfe quatre-cens foixante- mil- • * Le îrince héréditaire, qui eft l'aîné-, a époufé «n 1731, la Piioccfle Rojalc de l'ruflc. + L'aince des PrincciTes, Sophie-Lo»ife, a époufé «n »751« le Prince Alexandre de tx Tonr (f TaQu ; «lie Ticmd'cinbuUcc la Religion Romaine, mille florins, moyennant quoi le Roi re- Ba-nonçoit aux prétentions qu'il avoit fur le r"th. Margraviat en vertu de la démiflion des droits de Succeffion, qu'avoit faite en faveur de Frédéric I., Roi de Pruffe, le Margrave de Culmbach, Père du Margrave régnant. Lever cette fomme fur des Peuples déjà accablés par les Impôts ordinaires, c'étoit vouloir leur ruine. Le Margrave, touché de leur miière, aima mieux emprunter cet argent des Etats du Cercle de Franconie, Ôc leur payer un gros intérêt. Se voyant paifible polfes-feur de fes Etats par le payement fait au Roi de Prufïe, il entreprit d'acquitter fes dettes ôc celles de fon Prédéceffeur. Pour fe mettre en état de le pouvoir faire, il commença par congédier la Cour, ne garda qu'un très petit nombre de Con-fèillers & de Gentilshommes, 6c licencia trois-mille hommes de Troupes que le feu Margrave tenoit affez inutilement. Il réduifit fa table à la frugalité la plus grande; fes habits furent fimples; il ne connut ni magnificence,, ni jeux. Quelque tems après, il fit encore une feconde réforme dans fa Maifon, ôc ne conferva qu'un très petit nombre de Domeftiques. Il établit un Confeil de Régence, ôc pour épargner la dépenfe où l'engageoit malgré lui le rang de Souverain, il quitta fes E-tats, 6c fut demeurer incognito avec le Prince Héréditaire fon Fils, à Genève. b*- Je les crois actuellement l'un & l'autre à reith. Montpellier *. Il eft réfolu de ne revenir dans fes Etats, qu'après que toutes fes dettes feront acquittées. Cependant fes Sujets fouhaitent for» retour avec impatience: la bonté qu'il a eue pour eux, & la douceur avec laquelle il les gouverne, font qu'ils le regardent comme leur Père & leur Bienfaiteur. Cette retraite du jvlargrave eft d'autant plus louable, qu'elle eft abfolument volontaire : il n'étoit nullement obligé à payer les dettes de fon prédéceffeur ; elles étoient d'une nature à ne point être miles au rang des dettes de l'Etat. Il l'a néanmoins voulu faire, & a mieux aimé fe retrancher les agrémens de la Souveraineté, que de faire perdre ce qui étoit dû à des gens que leur bonne-foi avoit rendu Créanciers. Une action lì belle me paroît valoir les lauriers de vingt Batailles: elle eft l'effet de la vertu, ôc la Vidtoire l'eft fouvent de la Fortune & du Hazard. Vous jugez bien que le Souverain c-tant abfent, cette Ville n'eft pas des plus animées. Elle m'a paru d'autant plus triste, que je l'ai vue du tems du feu Margrave, à la Cour duquel les feftins & les plaiûrs fe fuccédoient fans ceffe. La * Le Margrave & le Prince font maintenant da retour à 'Bareith, où ils vivent avec tout l'éclat d« U Souverain ;té«j *u Baron de Pòllnitz. La Ville de Bareith vaut moins qu'Er- -,A_ ïangen. Le Palais du Margrave eft grand, »»"*ù mais ancien, peu commode, & très Amplement meublé. Ce Prince a une Maifon très jolie à une lieue de Bareith, qu'on appelle VHermitage. Le dernier Margrave l'a fait bâtir. Elle eft au milieu d'un Bois épais, dans lequel il y a beaucoup de Pavillons bâtis fans fymmétrie,mais dont les dedans font d'une diftribution très in-génieufe,pour l'ufage auquel ils fervoient. Lorsque le feu Margrave venoit à l'Her-mitage, ce Prince & toute fa Cour é-toient habillés en Hermites. Il y avoit des heures auxquelles les Frères Hermites alloient rendre vifite aux Sœurs Hermites, qui demeuroient dans les Pavillons. Les Frères & les Sœurs fe don-noient des Colations; ils étoient fbumisà de certaines Règles, dont ils ne pouvoient être difpenfés que par la permiflïon du Supérieur ou de la Supérieure, qui étoient Monfieur le Margrave & Madame fon Epoufe. Le foir on fe rafïèmbloit dans le Salon du Château; on y mangeoit en Réfectoire; & pour que tout fe paffât dans les règles, au commencement du fouper on faifoit une petite lecture de quelques Vers, ou de quelque Hiftoriettc compofée par quelqu'un des Frères Hermites: enfuite le ûlence ceffoit, chacun difoit fon fentiment fur la lecture qui venoit d'être faite 9 la converfation deve- noit (— Ra„ noir, enfin générale; le fouper étoit pous-*£it*. fé affez loin, ôc fui vi ordinairement d'un Bal. Perfonne ne pouvoir être reçu dans l'Ordre, que par le confentement général du t hapitre. Le Supérieur même Savoir/d'autre droit, que de propofer les Sujets qui demandoient à être reçus. 11 feroit rrop l°ng de vous détailler tous les Statuts de cette Société; d'ailleurs, je craindrois d'y ajouter ou d'en diminuer, parce que je ne les fai que par tradition. Le Margrave a encore Madame fa Mère ; c'eft Sophie Chrifline Comteffe de iPolffenjtein. Cette Princcffc demeure a Coppenhague, auprès de la PrinceiTe Royale * de Dannemarc fà Fille. Le Roi de Dannemarc lui a accordé le Titre à'Altejfe Royale, ôc lui fait rendre les mêmes honneurs qu'aux Princeffes de fa Maifon. Le Margrave a auflî trois Frères ôc deux Sœurs. L'ainé des Frères eft Maréchal de Camp ôc Colonel d'Infanterie au fervice de l'Empereur, les deux autres font au fervice de Dannemarc. Les deux princeffes font mariées, l'une au Prince Royal de Dannemarc, l'autre à George-Albert Prince d'OoJlfrife. De forte que toute la Maifon de Brandebourg-Culmbach efl compofée de douze Perfonnes, tant Princes que Princefles. Les * C'eft la Reine d'aujourd'hui.' Les revenus du Margrave font à peu Ba_ près égaux à ceux du Margrave d'Axf- reith.. fach. Il a pour Fortereife le Château de PlaJJ'enberg. •• / : De Bareith je fuis venu en deux jours à Carlsbadt. C'eft un endroit célèbre carls* par fes Eaux chaudes. 11 y en a de deux badt. fortes, qui diffèrent en force & en chaleur. ' Elles tirent leur fource du milieu d'une Rivière que forment les Torrens des Montagnes voifines, dont les Eaux font extrêmement froides, mais qui n'altèrent en rien la chaleur des Eaux minérales. - On les dit très falutaires pour toutes fortes de maux, mais-particulièrement pour la Gravelle, ôc pour la ftérilité des Femmes. Mr. Hofmau, Profeffeur célèbre en Médecine à Hall, a publié un Traité où il examine la qualité de ces Eaux, ôc enfeigne la manière de s'enfer-vir. Cette manière eft très ennuyante, g 11 faut être enfermé dans une chambre, ôc quelque chaud qu'il faffe, faire chauffer l'Etuve ; fe donner la Queftion avec deux ou trois pots d'eau, qui font à peu près trente taffes à Chocolat ; fe promener beaucoup, ôc fuer à groffes gouttes. L'ennui de la matinée eft réparé par la bonne compagnie , que l'on peut voir pendant la journée. Il vient à Carlsbadt beaucoup d'Etrangers, mais particulièrement des Seigneurs de Bohème ôc & Autriche. ,11 y a une Promenade publique, Tome I. P ôc e ah t*- & une ghinde Salle auprès, oû Ton sV-•apt. femble; on y joue, on y danfe, 6c l'on fe promène jufqu'tu foir. Ceux qui veulent vivre de régime, fe retirent fans f°Pour être bien à Carlsbadt, il faut y apporter trois chofes; un Lit, du Vin, & un Cuihnier. Encore un Garçon peut-il fe pater du Cuifinier, parce qu'il eft prefque continuellement invité par des gcigneurs Bohèmes ou Autrichiens, qui tiennent toujours grande table, & qui font charmés d'avoir du monde. Les Habitans de Carlsbadt font prefque tous Armuriers ; ils travaillent avec beaucoup de propreté , 6c à très vil prix, pendant la laiton des Eaux, il vient des Marchands de tous côtés, 6c Carlsbadt vaut mieux que bien des grandes Villes. Je m'y fuis beaucoup amufé , pendant deux oaifons différentes que j'y ai pafïe : j'y ai fait beaucoup de bonnes connoif. fances, qui,- j'cfpère, me feront utiles à Vra&ue, où je compte d'aller demain. Je fuis, ôcc. A Carisbadt, ce 19 Otofe» 1719. L ET- LETTRE XI. Monsieur TL y â un mois que je fuis dans cette JL Ville, & il me paroît qu'il n'y a qu'un jour. Je m'y amufe infiniment: on y a mille bontés pour moi. Vous feul m'y manquez.. La Ville de Prague eft an. cienne, & a été de tout tems le Siège des Rois de Bohème. G'eft, fans contredit , une des plus grandes Villes de l'Europe. Elle eft ceinte de remparts, & aufli bien fortifiée que le peut être une Place de cette étendue, & commandée par diverfes hauteurs qu'il a été impofli-ble d'applanir. On divife cette Ville en deux Quartiers, le Vieux & le Petit Prague. La Riviere de Molde fait cette fé-paration. Prague a fouffert pendant le cours du dernier Siècle, tout ce qu'une Ville peut éprouver de plus cruel dans une Guerre. L'Archiduc Leopold Evêque de Paffau la furprit, & fàccagea le petit Côté; il en eût fait autant de la vieille Ville, û l'Empereur Matthias Roi de Hongrie ne fût venu à tems au fe* cours de la Place. Neuf ans après, Prague fut encore pillée par ceux qui avoient P % le le plus d'intérêt à la conferver , je veux dire les Impériaux. Ceux-ci, après avoir défait au Weijfenberg près de Prague, Frédéric Electeur Palatin , élu par un Parti Roi de Bohème, entrèrent dans la Ville ôc y firent un butin ineftimable. Prague ne fut pas mieux traitée en kî31 par l'Electeur de Saxe , après que ce Prince fe fut rendu maitre de la Bohème. Le grand yyalftein , fi célèbre par fes actions glo-xieaiés ôc par fa fin tragique , reconquit la Bohème fur le Saxon en 1632 \ ôc prit Prague d'affaut. Quelque tems après, les Suédois attaquèrent cette Place, 6c fe rendirent maitres du petit Côté ; mais ils ne purent forcer la vieille Ville, que les E-tudians ôc les Bourgeois défendirent cou-rageufement. Les Suédois le retirèrent, ôc emportèrent des richeflès immenfes. La Paix de Weflphalie rendit enfin le repos à la Bohème ôc à la Ville de Prague, qui depuis a toujours été foumife à la Maifon A'Autriche , avec la trifte révolution pour le Royaume, que d'électif qu'il étoit, il eft devenu héréditaire. La lituation de Prague eft agréable : ce ne font que Jardins & belles Campagnes au dehors , ôc bâtimens magnifiques au dedans. Les maifons des Comtes T/cher-nin òcSternberg font des plus belles qu'on voie. Dans la première, les meubles font d'une extrême richelfe : il y a une Gallerie ornée d'excellens Tableaux, un Cabinet net de Porcelaines choifies , avec des Pr Services entiers de la plus belle Laque des Indes ; une autre chambre remplie de belles Armes , & d'autres chofes curicu-fes. La maifon du Comte de SternUrg eft moins grande , mais mieux difpofée: elle paiferoit pour belle dans Rome même. Mais le feu Comte de Gallajch y mort Vice-Roi à Naples, en a fait bâtir une qui l'emporte fur toutes les autres. Vous favez, que ce Seigneur étoit puif-famment riche , & d'une magnificence extraordinaire. Il n'a rien épargné dans fon bâtiment. C'eft dommage que cette maffon ne foit pas bien fituée ; il eft vrai qu'elle le feroit , fi le jeune Comte de Gallafch avoit les idées de fon Père , qui vouloit faire démolir cinq ou fix vieilles Tanières qui lui appartenoient,& fe procurer par-là une belle Place. Des Couvens d'Hommes & de Filles embelliffent encore cette grande Ville. La Maifon des R R. P P. Jéfuites eft des plus magnifiques. Ils viennent de faire bâtir une Eglife , qui eft une des mieux décorées que j'aye vu hors de l'Italie. Si vous étiez ici j nous irions voir enfemble tous ces Edifices. Je vous conduirois d'abord à la Cathédrale , qui eft dans le petit Prague , au haut de la Montagne ap-pellée le Ratschin, & de là nous irions voir le Château , qui eft fur la même Montagne. P 3 La 2j0 L e T t K e • E< La Métropole eft un Edifice très ancien , qui a été brulé par les Suédois , ôc qui n'eft rétabli qu'à moitié. Sa magnificence Ôc fa beauté confiftent dans la foli-dite de fes murailles Ôc de fes voûtes. Je croi que l'Architecture de cette Eglife paroiffoit Gothique aux Goths mêmes. C'eft dans cette Cathédrale que l'on facre les Rois & les Reines de Bohème. L'Archevêque de Prague doit faire les deux On crions ; mais l'Abbefle de S. George, dont l'Abbave eft encore fur le Ratschin, doit pofer la Couronne fur la tête de la Reine ; elle eft affiliée dans cette fonction par les Femmes des Grands-Officiers de la Couronne. L'on conferve avec grande vénération dans la Métropole , les Corps de deux Saints extrêmement chers aux "Bohèmes. L'un eft S. Weneeflas Roi de Bohème , l'autre S. Jean Népomucène. Ce dernier vient d'être canonifé depuis peu par le Pape Benoit XIII, à la requifition des E-tats de ce Royaume , qui ont payé les fraix de la cérémonie qui s'eft faite à Rome dans S. Jean de Latran , avec une pompe extraordinaire. L'Hiftoire de ce Saint eft affez, particulière. Il étoit Confeffeur de la Femme du cruel Empereur Weneeflas , que les E-lecteurs dépotèrent. Ce Prince aiant foupçonné la vertu de la Reine , exigea de S. Jean Népomucène de lui révéler les Con-: Confeffions de cette PrinceiTe. Il em- pRA„UB, ploya inutilement pour ieduire le Saint, préfens, prières, menaces; & voyant que tout étoit inutile , il le fit précipiter du haut du Pont dans la Rivière de Molàe. Le Corps fut trouvé à quelque diftance de là, & l'on vit cinq Etoiles brillantes nager fur l'eau. Dès-lors on le mit au nombre des Saints Martyrs : il fut porté avec pompe dans Prague, ôc enterré dans l'Eglife du Vain dans la vieille Ville , de laquelle il étoit Chanoine, Il y a quelques années qu'on trouva fon Corps , où* la Langue étoit encore toute fraiche. On la lépara du Corps, on la mit dans une boîte de Vermeil; le Corps fut enfermé dans un cercueil magnifique; ôç le tout fut porté, en grande cérémonie , dans la Cathédrale. On dreifa un Autel au milieu de l'aile droite du Chœur. Le Saint y fut inhumé dans un Tombeau de Vermeil, 6c la Langue fut mife dans une ef-pèce de Tabernacle , où elle a fait, ôc fait encore de très grands Miracles. On accourt de tous côtés pour invoquer le Saint. Sa Tombe eft chargée de dons précieux. L'ïmpératrice l'a orné d'un riche Dais. Mais perfonne n'a donné des marques plus éclatantes do dévotion pour S. Népomucène, que le Prince de Scbwart-zenherg * Grand-Ecuyer de l'Empereur, P 4 & v* Il a eu le malheur d'être tué à la Chatte cji Bohème , par l'Empereur i co 173a, 232 Lettres Praqvi. & lc Comte de Mattiniti. Maréchal de ' la Cour Impériale. Tous deux attribuent à la protection du Saint, la naifTance des Garçons dont Mesdames leurs Femmes font accouchées. Il me paroît toutefois que la chofe étoit faifable fans miracle. La PrinceiTe de Schavartzenberg, dans les premières années de fon mariage , avoit eu une Fille *. Mr. fon Epoux avoit cef-lé de la voir pendant quatorze ans : durant ce tems-là , elle ne lui donne point d Enfans ; cela eft dans les règles. Us fe rejoignent, & Madame accouche d'un Fils : il n'y a rien que de très naturel en cela. Cependant on cric au miracle, on attribue la naifTance de ce Fils à une Neu-vainc que la Princeffe a faite au Tombeau de S. Népomuccve : on paye le Saint par quantité de Vafes d'argent 6c de vermeil, dont on orne fa Tombe ôc fon Autel. Le Miracle en faveur du Comte de Mertinitz paroît mieux fondé. 11 y avoit quatorze ou quinze ans qu'il étoit marié, làns que Madame de Mart'mitz eût donné le moindre figne de fécondité. Elle avoit beaucoup d'embonpoint;fon Epoux vivoit avec elle ; ils avoient été plufieurs fois enfemble à Carlsbadt : mais tout cela n'avoir fervi de rien. Le Comte délirant paflionnément un Fils, avoit fait plus qu'une * CVft aujourd'hui Madame la Margrave de 3a- qu'une Neuvaine; il étoit allé la dernière pà Année fainte à Lorette & à Rome. Mais le Ciel, lourd à fes cris , ne lui donnoit point d'Héritier. Enfin, ne fachant'plus à quel Saint fe vouer ? Madame de Martinitz propofa d'aller faire une N eu vaine au Tombeau de S. Népomucène. Oh part, on arrive à Prague , on fe profterne devant le Tombeau facré. Peu de tems a-près , Madame de Martinitz fe trouve enceinte , & au bout de neuf mois met un Fils au monde. Vous direz, tout ce ■qu'il vous plaira, mais une telle faveur valoit bien quelques Lampes d'argent maC fif devant le Tombeau du Saint : auffi le Comte de Martinitz, plein de z.èle & de reconnoiffance, en a-t-il donné de très magnifiques. La confiance des Bohèmes envers S. Jean Nepomucène eft fi grande , qu'ils ont prefque oublié Saint Weneeflas leur ancien Patron. Il n'y a point d'Eglife où S. Jean n'ait une Chapelle, point de Pont où fon Image ne foit placée; tout le monde, grands & petits , hommes & femmes, portent fon Portrait, en forme d'Ordre, qui pend à un ruban couleur de feu : vous diriez que tous les Bohèmes font Chevaliers de S. Louis. Enfin, S. Népomucène eft le feul Saint à la mode ; on l'accable de préièns , & pour peu que cela dure, il fera auffi riche que Notre Dame àe Lorette. P 5 Le Le Palais ou Château joint la Cathédrale. C'eft un grand bâtiment que forment plufieurs corps de logis,fans fymmé-trie ni Architecture. Les apartemens font peu élevés, & to ornemens. On y jouit d'une des plus belles vues du mon» de. La grande Salle, où fe fait le Feftin Royal le jour du Sacre des Rois, eft le plus grand vaiflèau qui fe voie dans ce genre, après la grande Salle de Wef miner. Les Jardins qui accompagnent le alais, font grands , mais n'ont de beau que leur expofition. C'eft dans le Palais que s'aifcmblent les Tribunaux de la Régence. Le premier de ces Tribunaux eft compofé des Stadthalters , qui font Con» feillers-Privés de l'Empereur ; ils font au nombre de douze, & repréfentent le Souverain. La plupart des Stadthalters font Grands-Officiers de la Couronne. 11 doit y en avoir toujours deux qui foient (impies Gentilshommes, pour veiller aux intérêts de laNobleffe contre les Seigneurs: car vous faurez que les Princes, Comtes, & Barons, qui font ces Seigneurs, forment ici un Corps féparé , & fe croi-yoient deshonorés fi on les appclloit Gentilshommes ; tandis que Henri IV Roi de France fe faifoit honneur d'être le premier Gentilhomme de fon Royaume ; & que le Roi François I. lorfqu'iî vouloit affurer une chofe, difoit, foi de Gentilhomme. Le Chef du Confeil des Stadthalters ?ragob. porte le titre de Grand-Bui-grave. C'eft"; la première Dignité du Royaume. Il re-prefente la perfonne de l'Empereur , & n'a au-defTus de lui que la Chancellerie de Bohème , qui fuit toujours l'Empereur. Le Pont fur la Molde, qui joint le pe> tit Prague avec le vieux, eft un des plus longs & des plus folides Ponts qu'il y ait en Europe. On a cru l'orner en y mettant, des deux côtés, des Statues de divers Saints; & on y auroit réuffi , fi ces Statues étoient de meilleure main. Il y a auffi un Crucifix qu'on prétend être d'or, & avoir été élevé anciennement par les Juifs , par ordre du Gouvernement, en punition de ce qu'ils avoient crucifié un Enfant Chrétien, un jour de Pâques, pour infulter à la mémoire de la mort de Notre Seigneur. Les Juifs font les feuls Sectaires fouf-ferts en Bohème. Il y a encore quelques Hujjites, mais ils fe tiennent fi couverts ^ que le Gouvernement fait femblant d'ignorer qu'ils y font. On m'a affuré qu'à Prague feul, il y avoit quatre-vingt-mille Juifs : je ne fai fi on ne m'a pas un peu exagéré ; quoi qu'il en foit, ils font en grand nombre. Leur Quartier , dans la vieille Ville, forme une petite Ville fépa-rée. Ils font les maitres du Commerce, ôc exercent toutes fortes de Métiers, 6c com- comme ils reçoivent toutes les vieilles choies en payement , ils coupent la gorge aux Artifans Chrétiens. Comme ce Peuple multiplie autant que les Lapins, on prétend que l'Empereur va faire une Ordonnance, portant, qu'il ne fera plus permis qu'à l'Aine d'une famille de prendre Femme. Ce bruit alarme beaucoup les Juifs; ils donneraient de grolTes femmes pour empêcher que l'Ordonnance n'eût lieu. Excepté Rome , Paris , & Londres , il n'y a point de Ville où il y ait plus de NoblelTe, & une NoblelTe plus riche. Tout le monde fait ici de la dépenfe. Il n'y a point ailleurs de Seigneurs plus magnifiques , & qui fc falTcnt plus honneur de leur bien. Ils font polis 6c civils envers les Etrangers qu'ils connoilTent être perfonnes de qualité. Je n'ai lieu, encore un coup, que de me louer infiniment d'eux , 6c je puis dire avoir connu très peu d'Etrangers qui n'aient penfé de Pr»-gue comme moi. Il n'y a point de Gentilhomme dans ce Pays , qui n'ait au moins vu la Hollande, la France, 6c l'Italie j 6c véritablement , il leur eft néceifaire de voyager, car l'éducation qu'on leur donne n'eft pas des meilleures. Ils ne voyagent pas même comme des gens de leur naiffanec, 6c riches tels qu'ils font, devraient faire. Us ont ordinairement des Gouverneurs, qui qui font métier de parcourir les Pays a- Prague vec de jeunes Cavaliers. La plupart de ces prétendus Gouverneurs font Wallons, Luxembourgeois , Lorrains , ou Liégeois, gens de fortune , fans éducation Ôc fans manières , qui croyent qu'il fuffit que leurs Elèves voyent des Maifons & des Eglifes , & qui n'ofant ni ne pouvant fe produire , ne veulent pas auffi que leurs Cavaliers fe répandent dans le monde. Ils difent que Monfeigneur, le Père du Cavalier qui leur a été confié , leur a recommandé l'ceconomie ; qu'on joue dans les AfTemblées,& qu'il ne fait pas bon jouer en Voyage: Donc il faut que le Jeune-homme refte au logis. Tout au plus, on lui permet d'aller aux Spectacles, encore faut-il que ce plaifir qui demande de l'argent, foit pris avec modération. Le Gouverneur ne penfe qu'à léfiner , ôc à faire là bourfe aux dépens du Cavalier. Cela eft fi vrai, que j'en ai connu qui ne fou-poient jamais, mais qui mettoient les fou-pers en compte. Plufieurs profitoient fur tout ce qu'ils achetoient, & il ne tenoit pas à eux , par la mesquinerie avec laquelle ils marchandoienc les chofes, qu'ils ne volaffent le Marchand auffi-bien que leur Elève. Lorfque le Gouverneur ne fe plaie pas dans un Lieu , il en faut partir, quand ce feroit la Ville du monde la plus propre pour former un Jeune-homme. Le Gouverneur écrit au Père ou à la 2%Ì L E f T R « » fr*A0Wt.la Mère> *iue rair de cettfc v.iU<; û>ai*nfc ' point convenu à leur Fils -, il l'en avoit fait partir. La plupart de ces malheureux Conducteurs foutiennent que fix femaines ou trois mois de féjour fuffifent pour connoitre Paris, quinze jours pour approfondir le ëénit des Awfàs* & un mois pour connoitre Rome ? huit jours pour voir Nappes, & ainfi du refte. ils partent de ces Villes , fort contents d'avoir iàic voir à leur Cavalier, à Paris, l'Anatomie de Cire & l'Obfervatoire ; à Londre» , les Lions de la Tour ; à Rome, les Catacombes, & à Naples j le Mira* cle de la liquéfaction du iang de S. Janvier, 6c le Mont Véfuve. Ils partent ians connoitre perfonne dans toutes ces Cours. Ils ont vu le Roi de France toucher les Ecrouelles, le Roi d'Angleterre aller au Parlement, 6c le Pape affis dans un fauteuil donnant des bénédictions. L'elprit ainfi orné de belles choies, le Jeune-homme revient après dix-huit mois ou deux ans d'abfence. On donne au Gouverneur deux, ou trois-mille florins , fit même davantage , de récoropenfe outre fes gages. Ce digne Mentor trouve aufïï-tôt une autre dupe de Père qui lui confie fon Fils, & le voilà qui recommence fa tournée. Il me paroit qu'au-lieu de voyager de la forte, il vaudroit mieux faire venir les Plans de toutes les Villes : il en coûteroit moins, les Pères auroient la du Baron de PolLNït£ îa confolation d'avoir leurs Fils auprès praov*} d'eux, & ils auroient encore dequoi meubler une Guinguette. Il n'y a point de Seigneurs au monde plus portés à la dépenfe , que ceux-ci. Cela fait qu'avec des revenus immenfes 9 ils fe trouvent quelquefois très obérés. Heureufement, ils ont un EtablhTement qui les empêche de fe ruiner entièrement. La plupart de leurs Terres font fubftituées pour jamais , à l'Aine de la famille, celui-ci ne peut les aliéner , ni les charger, fans le confentement de toute la famille & du Roi même , chofe très difficile à obtenir. Lorfqu'un Ainé de Maifon a diflipé les Biens » allodiaux, & qu'il continue à faire des dettes, les Créanciers, & quelquefois les Parens mêmes, préfentent Requête au Roi, & demandent un Séqueffre. Le Roi, après s'être informé de l'état des dettes & du Majorât y (c'eft ainfi qu'on appelle ici les Terres fubftituées) nomme des Tuteurs pour l'adminiffration des Biens du diffi-pateur , à qui l'on affigne une penfîon, jufqu'à ce que toutes les dettes foient acquittées. Il y a encore un très bon Eta-bliflèment ici pour affûrer la vente des biens-fonds, & les hypothèques. Chaque Noble donne un état de fon Bien à un Tribunal, qu'on appelle la Landtafcl, & qui a foin de tout enregiftrer. Lorlqu'on «lit un emprunt, ou que l'on yeut vendre, r*a«uB. are y celui qui prête , ou qui achète, a recours aux Regiftres de la Landtaffel-il voit là fi les Terres font chargées ; ôc fi les dettes de l'Emprunteur n'excèdent pas les deux tiers du prix à quoi elles font taxées par la Landtaffel, il peut prêter en toute fureté. Quoique les Bohèmes foient braves & bons Soldats, ils n'aiment point à fervir, je parle de la Nobleife : la plupart préfèrent les Charges Civiles aux Emplois Militaires, & la Vie privée aux Emplois de la Guerre ôc de la Cour. Accoutumés à être les Maitres abfòlus dans leurs Terres où les Payfans font Serfs, Ôc d'être refpectés comme de petits Souverains par les Bourgeois de Prague, ils n'aiment point le féjour de Vienne, où, confondus avec les autres Sujets, ils font obligés de faire leur cour au Maitre ôc aux Ministres. Dès qu'un Gentilhomme de Bohème eft en âge de majorité, il eft obligé de faire ferment de .fidélité à l'Empereur, comme à fon Roi , cette Loi eft pour les Seigneurs, comme pour les Gentilshommes. Aucun d'eux n'oferoit fortir du Royaume fans la permilTion exprelfe de l'Empereur , fous peine de confiscation de les Terres. Lorfque les Seigneurs font revenus de leur Voyage de France ôc d'Italie, ils demandent à être Chambellans, plutôt pour procurer un rang à leurs Femmes (car ils fe marient la plupart parc dès qu'ils font majeurs,) que pour pRAOVjà s'attacher à la-Cour, Dans la fuite ils tâchent d'être Confeillers d'Etat, & Stadthalters,, C'eft leur Non plus ultra dans les Emplois. Les Confeillers d'Etat prétendent qu'on leur doit 1!'Excellence. Ceux qui ne le font pas , & qui font d'aullî bonne Maifon qu'eux, le leur difputent^ ainfi il n'y a ordinairement que leurs Do-meftiques & les gens qui ont befoin d'eux , qui leur donnent ce Titre. Gît pourrait dire de | ces Excellences, ce que la Duchetie d'Elkxuf de la Maifon de Lorraine difoit en France des Princes de Bouillon, que c'étoient des Altejfes dovief tiques'-, parce qu'il n'y a que leurs Do^ mèftiques qui leur donnent le Titre d'Af-tefle. l' Dé toutes les; grandes & riches Maifons, celles de Lobkoiuitz, de Kinski,à& Schlieck, de CoUobradt, & de Màrtinitz.', font les feules qui figurent à la Cour Ira* pénale. Il eft vrai qu'il y a encore plufieurs Seigneurs à Vienne , qui ont des Terres en Bohême , mais leurs Maifons ne font point'originaires du Royaume. Là Maifon de Kinski eft celle qui brille actuellement le plus à la Coun Ils font cinq Frères employés.' L'ainé eft Grand-Çhancelier de Boheme *. Le fécond, qu'on * [Sa Cinte chancelante l'a oblige de quitter cet Emploi , dont le Comte de ColUbradt a ué rcvctth Ce dernier étoit Vicc-CKancclicr. Tomi, <± ,nX E qu'on appelle le Comte Etiemie ; eft ' Grand - Maréchal de Bohème, Miniftre d'Etat, ôc Ambafï'adeur de l'Empereur à la Cour de France *. Le troifième, le Comte Philippe, efl Miniftre Plénipotentiaire de l'Empereur auprès du Roi de la Grande-Bretagne. Les deux cadets , qui font encore fort jeunes , font dans les Troupes: l'un eft Lieutenant-Colonel. Le Comte Philippe a été chargé de fon Ambafl'ade, lorfqu'iî n'avoit que vingt-neuf ans : il a fait voir par fa conduite, que la prudence n'attend pas le nombre des années , & qu'il eft digne Fils d'un des plus grands Miniftres f qu'aient eu les Empereurs Léopold Ôc Jofeph. La Ville de Prague perd beaucoup par fon ab-fence ; il y vivoit avec éclat, fa maifon étoit ouverte à tout le monde , mais particulièrement aux Etrangers. J'y ai reçu des politeffes > dont je ne perdrai jamais le fouvenir. Si je vous ai dit que la Nobleffe de Bo-hhne étoit la plus riche de l'Empire , je dois vous dire aulTi que 1er Payfans y font extrêmement miférables. Leur Seigneur eft maitre de leur bien, de leur corps, ôc de leur vie. Ces pauvres gens n'ont fouvent pas de pain à manger, dans un des Pays * Il eft de retour à Vienne depuis l'année 1732. ■f Ce Miniftre étoit Grand-Chancelier de Bohème, ôc Chevalier ek la Toilen d'or. Pays de l'Europe les plus abondans en toutes fortes de vivres. Ils n'oferoient aller fervir d'un Village à l'autre, ni apprendre un Métier, fans le confentement du Seigneur. Tant de fuj'etion fait que ces malheureux font toujours tremblans & humbles, de forte qu'on ne fauroic leur parler fans qu'ils viennent vous bai-fer le bas de l'habit. La rigueur avec laquelle on traite ces gens-là, eft certainement terrible, mais il eft vrai aufli, qu'ils font indomtables par la douceur. ParelTeux & opiniâtres à l'excès, accoutumés d'ailleurs de Père en Fils à être maltraités , les coups ne les épouvantent guères : c'eft cependant le feul moyen d'en tirer parti. Les Bohèmes ont beaucoup de talent pour la Mufique, & réulTifTentparticulièrement à fonner du Cor de ChalTe. Il n'y a pas de fi petit Village, où la Meûe ne fe chante en Mufique. Il eft certain que ce Royaume eft un des meilleurs Pays que poflède l'Empereur, & après la Hongrie, celui qui rend le plus à Sa Majefté Impériale. La Bohème eft un Pays d'Etats. L'Em-pereur-Roi les convoque tous les ans dans la Ville de Prague, Ils font compo-fés du Clergé, des Seigneurs, de la No-blefle, & des Villes. Un Commiflaire nommé par l'Empereur, fait l'ouverture 4 0.2 de 244 L E t t r e * f* 400«. de l'AfTemblée, & lui expofe les deman-dés de S. M. Imp. Les Etats, tournis, zélés, accordent tout ce qu'on leur demande , ce qui ordinairement eft beaucoup. Avec tout cela, les Bohèmes ne fe plaindraient pas des Impofitions , û l'Empereur demeurait parmi eux ; mais ils voyent à regret épuifer leur Pays pour enrichir les Autrichiens, pour lesquels ils ont une averfion naturelle, qui leur eft rendue cordialement par ceux-ci. Je vous avoue que je quitterai Prague à regret. Je trouve les Bohèmes les meilleures gens du monde, & Prague eft une des Villes de l'Empire où on peut choifir Je plus fon monde. Les Dames y font aimables. Le Jeu, qu'on peut appeller le plaifir univerfel, eft pouffé ici auffi loin que l'on veut, dans des maifons de condition , où tous les foirs la Compagnie de l'un & l'autre Sexe fe raflèmble. On y fait bonne chère ; les Faifans & les Ortolans y font en abondance ; & pour les jours maigres , il y a des Truites, du Saumon, & des Ecreviffes. Et afin qu'il ne manque rien, la Bohème fournit nulli de bon Vin. Dans les Terres du jeune Comte Tfchernin, à Me/ueg, il fe fait un-Vin rouge qui ne le cède point au Bourgogne. Avec ces bonnes chofes, on manr ge beaucoup enfemble; & pour moi je vous avoue que je fuis plus iènfible à ce plaiiir qu'aux autres ; parce qu'on le fait durer autant qu'on veut, & qu'il eft pour tous les âges. Il y a ici un Opéra Italien, payable. En Hiver on fait des Courfes de Traîneaux , fuperbes ; l'on masque beaucoup, & l'on danfe à perte d'haleine : if y a pour cela des Bals publics, qui font d'une magnificence extraordinaire, & qui pourraient être comparés aux Bals du Marché au foin à Londres, fi quelque chofe leur étoit comparable. Pendant l'Eté , comme il y a moins de monde en Ville , les Aflemblées ne font pas fi nombreufes. La Noblefîe s'aflemble les foirs dans un Jardin appartenant au Prince de Sckwartzenberg. Là on joue , on caufe , 6c l'on fe promène. Enfuite il y a toujours quelque maifon où l'on foupe. Si l'on veut aller à la Campagne , on eft fur d'être bien reçu j plus on fait de féjour , & plus on fait plaifir à celui chez, qui l'on eft. On s'amufe à chalfer , de toutes les manières. Beaucoup de Seigneurs ont des Meutes , & d'autres ont la Chaffe du Vol. La plupart ont des Muûciens à leur fervice ; de forte que quelque tema qu'il fatte , on peut toujours s'amufer. On y jouit d'ailleurs d'une liberté entière. Ai-je tort après cela, Monfieur, de quitter la Bohème à regret? C'eft pour» CL 3 tant 2±6 Lettres tant à quoi je me prépare : je compte xAcas. d'aije,. à Vienne. Vous ferez très bien de m'y écrire, car franchement, d'écrire trois Lettres pour ^une , c'eft trop. II eft vrai que les vôtres font d'un prix ineftimable, & qu'ainfi vous avez raifon de n'en être point prodigue. Mais moi, par la même raifon, je n'ai pas tort de vous en demander. Adieu , Monfieur , aimez-moi toujours Un peu, & foyez perfuade que perfonne n'eft plus que moi, &c. a Frague» ce Not, 1729.' LETTRE XII. Monsieur, ON ne peut disconvenir que la Cour de V 1 e n n e ne foit la plus grande & la plus magnifique Cour de l'Europe, parle grand nombre de Princes & de Seigneurs qui la compofent. Cependant, les Cérémonies, & l'Etiquette, qui eft le nom qu'on a donné aux anciens Ufâges, lui donnent un air de contrainte que l'on ne voit nulle-part ailleurs. Tout le monde de crie contre cette Etiquette , l'Empereur même paroit quelquefois en être ennuyé ; ôc cependant elle eft obfervée comme un Point de Religion, ôc comme s'il faloit un Concile Oecuménique pour la réformer. Malgré cela , un Etranger de qualité ( car il faut ici de la naifTance ) trouve des agrémens dans cette Cour, qu'il ne trouve ni à Paris ni à Londres: je parle de la facilité de faire des connoiflànces. Après qu'on a falué Leurs Majeftés Impériales, il n'y a qu'à être introduit dans u-ne feule maifon, pour l'être bien-tôt dans toutes les autres, avec l'avantage qu'on y parle par-tout Allemand, François, Italien ôc EJpagnol; au-lieu qu'un Etranger doit néceflàirement parler François à Paris, Se Anglois à Londres. On fe paife fort bien de l'Allemand à Vienne. Les Miniftres ôc les grands Seigneurs de la Cour font civils, honnêtes, ôc de facile accès , fur-tout pour ceux qui ne demandent rien, ôc que la curiolité ou le devoir attirent à Vienne. L'ufage de ces Meilleurs eft de ne point rendre débilites; ils invitent à manger chez eux, ôc comme leurs tables font toujours nom-breufes, on y fait en peu de tems bien des connoiffances. Il eft très aifé de baifer la main à Leurs Majeftés Impériales, ôc même d'en avoir Audience particulière ; il ne s'agit que de Q 4 dire 34-8 Lettres Vjinme. dire qui l'on eft, au Grand-Chambellan de l'Empereur , & au Grand-Maitre de la Maifon de l'Impératrice. En baifant la main, on met un genou à terre: cela le fait ordinairement-lorfquc Leurs Majefté palfent pour fe mettre à table. Quant aux Audiences particulières, il y a plus de cérémonies. Le Grand - Chambellan af-figne l'heure à laquelle on doit fe trouver dans l'Antichambre ; c'eft ordinairement à cinq heures du foir. Il s'y trouve lui-même à l'heure marquée, ôc c'eft lui qui introduit à l'Audience, ou en fon ab-lence , c'eft le Chambellan de fervice; Voici ce qui s'y obfervé. L'Empereur fe tient debout fous un Dais; il eft adofîe contre une table, & a un fauteuil à fon côté. Un paravent de velours rouge à crépines' d'or, eft placé à l'entrée de Ja chambre, de forte qu'on n'apperçoic pas d'abord l'Empereur. C'eft derrière ce paravent, près de la porte, que fe tient le Grand-Chambellan. Dèsqa'on apperçoit l'Empereur, on fait une génuflexion, on is'avance enfuite quelques pas, on en- fait une feconde, ôc enfin une troifième lorf. qu'on eft près de Sa Majefté. A ces génuflexions l'Empereur répond par un figne de tête; il écoute avec beaucoup d'attention celui qui lui parle, ôc répond avec précifion, ôc avec bonté.^ Lorfqu'iî a fini de parler, on baife la main de Sa Majefté en mettant un genou à terre : enfuite on fe recire en reculant, & en faifant trois viehsi» génuflexions , comme on a fait en entrant. Les mêmes cérémonies s'obfervent à l'Audience de l'Impératrice , & cette PrinceiTe fe tient debout comme l'Empereur: toute la différence confifte en ce que le Monarque eft feul, &que l'Impératrice eft accompagnée de fa Dame-d'honneur , qui fe tient néanmoins fi é-loignée qu'elle ne fauroit entendre ce qui fe dit. L'Empereur mange ordinairement a-vec l'Impératrice & les Archiducheffes. Il y a des jours, comme celui de l'Inftal-lation. des Chevaliers de la Toifon d'or, où l'Impératrice même ne fauroit manger avec fon Epoux. L'on dîne dans l'apar-tement de l'Empereur,& l'on foupe chez l'Impératrice. A- dîner, deux Chambellans .préfentent à laver à Leurs Majeftés, & le Grand-Maitre, ou en fon abfence le Grand - Chambellan , leur préfente la ferviette. On les fert àl'ufage d'Efpagne, un genou à terre. Le nombre des plats eft confïdérabie, on en fert quarante-huit à l'Empereur, & autant à l'Impératrice. Quoique Leurs Majeftés mangent enfem-ble, elles font fervies chacune par leurs Officiers & leur Cuifine. Elles boivent ordinairement en j même tems pour la première fois, & c'eft jufqu a ce qu'elles aient bu , que les Ambafïadeurs, les Courtifans &• les-Dames affilient au dî-Q-5 ner* ner. Après que l'Empereur a bu , le Grand - Maitre , le Grand - Ecuycr, le Grand-Chambellan, ôc le Capitaine des Gardes , reçoivent fes ordres. La Dame - d'honneur ôc le Grand-Maitre de l'Impératrice reçoivent ceux de cette PrinceiTe. il ne relie plus dans la chambre que les Officiers nécelfaires pour le fervice , & quelques Curieux , peu accoutumés à voir manger des Souverains. Les Dimanches, les jours de Fête & de Gala, il y a Mufique pendant le dîner. J'oubliois de vous dire, que l'Empereur eft toujours couvert à table : lorsqu'il met fon chapeau, les Ambafladeurs mettent le leur. Au fouper , la Dame-d'honneur préfente la ferviette ; & ce font les Dames du Palais qui fervent les viandes, qui en font l'eiTai , ôc celui du vin. Les Pages portent les plats & les affiettes, vont prendre le vin au buffet, & préfentent le tout aux Dames, & celles-ci à Leurs Majeftés. Pendant le fouper , ainfi que pendant le dîner, tout ce qu'il y a de Cavaliers 6c de Dames fe tiennent debout; ôc ici les Princes ni les PrincelTes n'ont aucun rang, perfonne n'eft affis en préfence du Maitre, tout devient égal > & tous les rangs font confondus. Les jours de Gala, nom qu'on donne ici aux jours de Fête 6c de Cérémonie, la Cour eft extrêmement magnifique. L'on L'on ne voit alors qu'Or & Diamans. vienni, Ceux de ces jours qui font célébrés avec le plus d'éclat , font les jours de S. Charles & de Ste. Elifabeth, Fêtes de l'Empereur & de l'Impératrice. L'Empereur, qui eft ordinairement très Amplement habillé , eft tout couvert de Diamans le jour de Ste. Elifabeth. Pour l'Impératrice, qui eft ordinairement magnifique, elle l'eft tellement le jour de S. Charles, qu'elle a affez de peine à porter fon habit, tant il eft couvert de pierreries. Excepté les jours de Gala, la Cour eft très Amplement habillée. Il eft vrai que ces jours font très fréquens , & qu'ainfi les habits fimples ne font pas fort en ufage; car pour mettre toute la Ville en Gala,. il ne faut que la Fête ou le jour de Naif-iance d'un Miniftre, ou que quelque Dame de diftindi:ion fe foit fait faigner. Ces Gala peuvent être divifées en trois ciaf-fes. Gala de Cour ; elle eft univerfelle, pour les Nobles, comme pour les Roturiers. Grande Gala dans la Ville ; c'eft pour la Fête de quelque Miniftre. Et enfin petite Gala ; c'eft pour les Saignées des Dames. Un Mari lait ici Gala à là Femme, la Femme à fon Mari, les Enfans à leurs Père & Mère, & les Frères & les Sœurs fe la font réciproquement. De forte que les deux tiers de Vienne font toujours en Gala. C'eft ce qui faifoit dire à un Bouffon François, qu'il faudroit bien 25* Lettre* Vienni. bien du Souphrc pour guérir les AutrI- " chiens de la Gale. On a pourtant foin de ne point paroitre dans cette Gala domefti-que, devant l'Empereur, ou l'Impératrice * ce feroit manquer au refpeci qui clt dû à Leurs Majeftés Impériales. Les grands jours de Fête, l'Empereur va en grand cortège à l'Eglife Cathédrale "ètS. Etienne. Il occupe feul le fond du Caroffe; l'Impératrice eft en face fur le -devant. Leurs Majeftés font précédées par les Chambellans & les Chevaliers de la Toifon d'or, à cheval. Les Pages & les Valets de pied marchent tête nue,irn* médiatement après le Caroffe du GrancU Ecuyer. Celui dans lequel font Leurs ■Majeftés Imp. marche^uwnilieu de deux -files des Archers de laTîarde. Il eft fuivi du Caroffe où font les Archiducheffes, & de ceux où font les Dames. Enfuite pa** roiflent les Gardes à cheval, avec leurs timbales (8c leurs trompettes. Le Nonce £c les Ambaffadeurs avec leur cortège, qui eft pour chacun de trois magnifiques Caroffes à fix chevaux, ferment la marche. Le jour de la Fête-Dieu, l'Empereur accompagne le S. Sacrement. Les rues par où paffe la Procefîion, font couvertes de planches. Leurs Majeftés Impériales fe rendent le matin, en grand'Cortège, à l'Eglife Cathédrale de S. Etienne ; elles affilient au Service Divin, & en- fuite à la Proceffion, L'Impératrice fuît viekh** immédiatemeat l'Empereur. Elle efl: accompagnée de toutes les Dames richement parées, ce qui rend cette Proceflìon une des plus magnifiques du monde. L'on rend les mêmes honneurs ôc les mêmes refpedts. à- l'Impératrice. Douairière, qu'à l'Impératrice régnante! Cette PrinceiTe a fa Maifon ôc fes Gardes. Elle a- fon Apartement dans le Palais;, maiselle demeure ordinairement dans un Couvent qu'elle a fondé dans- un des Fauxbourgs, ôc ne vient en Ville que les grandes Fê- ' tes, ou pour quelque fonction extraordinaire. Vous favez fans doute que le£ Impératrices neneuvent jamais quitter le deuil; leurs Af&rt^iens doivent toujours être tendus de noir; leurs Caroffes Ôc zss^leur Livrée font de la même couleur. Elles ne peuvent plus affilier à aucun - Spectacle, Bal ni Concert. Enfin, en perdant leur Mari, elles doivent renon*» cer aux plaifirs de la vie. L'Impératrice Douairière remplit parfaitement ces devoirs rigoureux de Veuve. Retirée dans un ÇoUvent, prefque continuellement proftcrnée au pied des Autelst enoraifort ôc en- prières, elle fait de fl< retraite le féjour de la Piété ôc de la Pkix , ôc ne paroît erj public que lorfque la bienféan-ce l'y oblige. Cette Princeffe a toujours été l'exemple de la plus rare Vertu. Du vivant de l'Empereur Jofyb fon Epoux, 2^4 Lettres clic aimoit les plaifirs, la magnificence & la grandeur: devenue Veuve, elle renonça à tout, 6c ne s'occupa^ plus qu'à des œuvres de Piété, 6c à l'éducation des deux ArchiduchefTes fes Filles *, qu'elle voit aujourd'hui Epoufes de deux puif-fans Princes de l'Empire. Autant de perfonnes qui approchent de Sa Majeité Impériale, autant d'admirateurs de fes éminen-tes qualités. Je n'ai point encore eu l'honneur, ce Voyage , de me préfenter à fes pieds : mais au premier féjour que j'ai fait ici, j'ai joui de l'avantage de lui faire ma cour à Schonbrun, où elle paf-foit pour-lors les Etés. J'en fus reça avec des témoignages de bonté dont je fus pénétré, 6c dont le fou venir me fera toujours aufiï flateur que refpe&able. Cette PrinceiTe eft Fille de Jean-Frederic Duc de Bruns toujours la Vertu i a donné à ce Monar- vi«kn«, que un des plus beaux ôc des plus fortunés Règnes qu'aucun Empereur ait eu ' depuis que l'Empire a pafTéen Allemagne. Il ne manque à fa félicité qu'un Enfant mâle. PuiiTe arriver ce bonheur, fou-haité par les Peuples, par l'Empereur, ÔE par la plus vertueufe Impératrice qui fut jamais! Cette Princeffe eft iflue de l'au-gufte Maifon de Brwasivick, qui donne aujourd'hui deux Impératrices *, un Roi f, & une Reine * à l'Europe. Elle eft Fillede Louis-Rodolphe Duc de Brunswick* Blanckenbourg §, ôc de Chriftine - Louife Princeffe cïOetingen, dont je vous ai parlé dans la Lettre que je vous ai écrite de Blanckenbourg. Le caractère de bonté Ôc d'affabilité de cette augufte Princefle effe fi connu dans lé monde, qu'il eft inutile de vous en parler. Vous favez pareillement, combien elle étoit belle ôc bien faite, lorsqu'elle époufa l'Empereur. Les rougeurs du viiage, ôc l'embonpoint qu'elle a actuellement, n'empêchent pas qu'elle ne puiffe être comptée au nombre des belles Princeffes. Il règne un air de mo-deftie, de douceur, ôc de majefté dans toutes fes actions, qui infpire autant de con- * L'Imperauîce regnante, & la Douairière. ÎLe Roi de la Grande-Bretagne. La Reine de Pruflc S- [A prélcm Duc régnant de Hrmtmçk-Luncboure-Wtlffenkuttel.] * ime J. R HMB. confiance que de rcfpect envers fa perfonne. Son Devoir fait fa Loi. Son principal foin efl de plaire à l'Empereur. Per-fuadée que la fagefle de ce Prince fuffit pour régir fes Etats, elle ne prend nulle connoiffànee des Affaires. On la voit s'employer avec emprefTement pour obtenir des grâces ; c'eft pour elle une félicité que d'en faire, & elle les fait d'une manière qui touche ceux fur qui elle les ré* pand. Cette Princefle eft charitable, généreufe & magnifique. Elle foutient fa .Óignitc , fans en être préoccupée. Sa Piété eli folide, & dépouillée de toute oftentation. Elevée dans leLuthéranifme, qu'elle abjura à Bamberg lorsqu'elle y paffa pour venir être l'Epoufe de l'Empereur pour-lors Roi d'Efpagne, elle eft aujourd'hui bonne Catholique, fans avoir de haine contre les Proteftans; perfuadéeque l'amour du prochain eft une des chofes que Dieu commande le plus aux hommes, êcque la charité & les bons exemples font les meilleurs moyens pour ramener à l'Eglife ceux qui en font feparés. C'eft dans ces hauts fentimens de Vertu , que l'Impératrice élève les Archidu-cheffes fes Filles ;& ces jeunes Princeffes paroiffent y répondre dignement. L'Ar-chiducheffe ainée, Marie>TherèJè3dk élevée dans l'agréable perspective d'être un jour Maitreflc des vaftes Etats que poflède l'Empereur. Cette jeune Princeffe a beau- beaucoup d'air de l'Impératrice fà Mère, viekite. Fafle le Giel, s'il la delfine pour Mai* trèfle à l'Empire , qu'elle lui reflemblc aufli en Vertus ! L'Empereur a encore trois Sœurs. L'ArchiduchefTe Marie-Elifabeth, Gouvernante des Pays-Bas, eft l'ainée; la feconde eft la Reine de Portugal- & ia troifième eft l'Archiducheffe Marie - Madeleine. On dit cette Princeffe deftinée pour être Gouvernante du Tyrol. Tours l'augufte Maifon d'Autriche, conufte acr-ueU lement dans la Perfonne facrée de l'Emi pereur, & en huit * Princefles, donc U y en a crois mariées. 'Dieu veuille l'aug. menter par quelque Prince! car fans faire ici le Sujet Zélé, il me femble que la Maifon d'Autriche &c celle de Bourbon ni devroient jamais finir : l'une & l'autre ont fait la fortune à une infinité d'honnêtes* gens. Le pafle-temsj ordinaire de l'Empereur (lorsqu'il veut fe délafler des Affaires de l'Etat, auxquelles il fe livre avec le ferieux d'un Monarque qui aime fes Peuples) eft d'aller à la Gnaffe, ou bien de tirer au blanc. L'Impératrice eft ordinairement de fes parties. Sa Majefté Impér riale fe rend aufli quelquefois au Manège, & y monte à.cheval. La Mufique l'amu- fe • Il n'y a plus que 7 Archiduchcflcs, depuis 1730Ì « ttoifième fille de l'Empereur .étant morte* R 2 Vienhe. fe d'autres fois, & ce Monarque noni feulemenc accompagne à livre ouvert, mais compofe auffi lui-même. Il y a quelques années, qu'il avoit compofé un Opéra qui rue repréfenré ici. Tous les Acteurs, ainfî que lesDanfeurs & les Musiciens de l'Orcheftre , étoient gens de qualité. L'Empereur lui-même accom-pagnoit, & les deux ArchiduchelTes aidées les Filles y danfèrent. Il y avoit pour fpe&ateurs, les Impératrices régnante & Douairière ;& chaque Acteur pouvoir y mener deux de fes Proches, ou de fes Amis intimes. Quoique Leurs Majeftés Impériales aiment beaucoup la Mufique, il n'y a ordinairement que deux Opéra par année, les jours de S. Charles & de Ste. Elifal beth. Quelquefois on répète les mêmes Opéra pendant le Carnaval. Pendant ce tems delti né aux plaifirs, il y a Bal à la Cour : les jours gras, il y a ordinairement une grande Mafcarade , qui repréfente une Noce de Payfans. Il y a dans le Palais un très magnifique Théâtre, & c'eft prefque l'unique chofe qui mérite d'y ê-tre vue; car le Palais Impérial eft des plus vilains, & de tous les Monarques l'Empereur eft un des plus mal logés. Les meubles même font antiques, & n'ont rien de fort magnifique : je ne fai pourquoi; car affurément les Garde - meubles font pleins de riches Tapifferies, de fu- perbes Tableaux3 & d'autres beaux raeu- Vienks» blés : apparemment l'Etiquette eft de ne s'en point fervir. Les Maifons de plaifânce de l'Empereur ne valent pas mieux que le Palais de la Ville. Le Château de la Favorite eft dans un des Fauxbourgs. C'eft un grand bâtiment conftruit en ier-pentant , comrpe la rue fur laquelle il fait face. 11 a bien plus l'air d'un grand Couvent de Capucins, que de la demeure du Chef de tant de Souverains. Les Jardins ne font pas plus magnifiques que la Maifon; leur étendue fait toute leur beauté. Luxembourg eft encore fort au-deffous de la Favorite, il eft vrai que la Cour n'y eft qu'un mois ou fix femaines, pendant le Vol du Héron. Les Minil-tres qui font obligés d'y fuivre l'Empe-r reur, y ont leurs maifons, qui ne lont pas magnifiques,mais du moins elles font logeables. Lorfqu'on va à Luxembourg taire fa cour , il faut revenir coucher à Vienne, ce qui eft très incommode. L'Empereur Jofepb avoit commence à faire une affez. belle Maifon %Schonbrun, à une lieue de Vienne; mais à là mort, cette Maifon eft demeurée imparfaite." L'Impératrice Amélie, à^qui l'Empereur l'a donnée, loin de faire continuer les. travaux que fon Epoux avoit commencés, lailfe périr ce qui eft achevé. C'eft dommage, car fi cet édifice avoit été fini, l'Empereur n'auroit pas eu un Verfailles, R 3 mais Vienne, mais il auroit au moins été logé convenablement à ("a Dignité. On dit qu'on va bâtir le Pal»*- Impérial. Si cela fe fait, il eft àfoùfratfer qu'on emploie d'autres Ardiitectes'que ceux qui ont eu la conduite des irtoUVcltes Ecuries, & de l'Eglife à& S.-Cforii* , édifices nouvellement élevés 'avec- beaucoup de dépenfe, inais'fans go fi t. i ies Ecuries forment un corps de logis d'une prodigieufe longueur, •jivfifé en ièpt Pavillons, ce qui fait croi-p^d'abord que Ce font autant de Maifons différentes. Le Pavillon du milieu, qui eft-deftiné pour le logement du Grand-Ecayer, eft beaucoup plus élevé que les fix autres, qui vont e» diminuant des deux côtés. Les dedans ne font pas mieux diftribués : les chevaux font fur une file, ôc i'Ecurfereft fi étroite, qu'on n'y eft pas en flitféré contre les ruades des chevaux : pur 'effet-de l'inconfidération de l'Architecte, qui aiant un ample ter-rein à-fa difpofition, ôc rien à ménager,-pouvoit, fans augmenter la dépenfe, faire quelque chofe de grand ôc de magnifique. . Je ne fai fi le même Architecte qui a bâti les Ecuries , a aufli eu la direction deU'Eglife de S .Charles: mais fi ce font deux Hommes difterens , ils fympathi-foient beaucoup. Cette Eglife auroit peut-être été admirée du tems des Goths^ mais dans un fiècle aufli délicat que le nôtre, on DU P ARON DE PoLLNïTZ. Ifj; on ne peut la regarder fans regretter les vienne. fommes qui y ont été employées. Ce mauvais goût en fait de bâtimcns eft alfez. général à Vienne. Ce n'eft pourtant pas qu'il n'y ait des Hôtels ôc même des Palais , où l'ordonnance de l'Architecture foit obfervée ; mais c'eft qu'il s'eft introduit une manière d'orner ôc de charger les maifons de fculpture, très oppofée à la noble fimplicité de l'Architecture ancienne. Le, Palais du Prince Eugène de Savoie eft fuperbe,mais fitué dans une rue étroite, ôc aiant très peu de Cour. L'Efcalier eft d'une belle ordonnance, mais trop refferré. Les a-partemens du premier Etage font nulli bien diftribués que le terrei n l'a permis. On entre d'abord dans un grand Salon, orné de grands Tableaux qui repréfen-tent les principales Victoires du Prince fur les François & les Turcs. Dans deux chambres attenantes, on voit de très riches Tapifferies faites par Devos à Bruxelles, dans lefquelles cet Ouvrier a re-préfenté avec beaucoup de correction les Arts Militaires. La Chambre de lit qui fuit, a un ameublement de velours vert, richement brodé en of & en foye. On voit dans la même chambre un Luftre de Cryftal de roche, qu'on dit avoir coûté quarante.mille florins. Tous les autres meubles font d'une magnificence extraordinaire, ôc feroient applaudis à P*-'R 4 ris Vienne, w même, où il eft indifpurable que regno le goût des beaux' ameubbmens. Le Palais de Lkhte;t(letn eft plus grand que celui de Savoie, & ne lui cède point en magnificence. H mérite d'être vu, à caule des peintures. Je pstfcrai fous fi-lencc les Hôtels de Sehvjartzenberg , de Daun, de piJrithfteiu, de Harracb , & plufieurs autres magnifiques Edifices, parce que ma Lettre deviendroic un petit Volume. Les Palais des Fauxbourgs ont infini-: ment plus de grandeur, que ceux de la Ville; ils ont des Cours & des Jardins. Les plus magnifiques font les Palais Trauts-heim, Rofrano, Schv:artzenkergi Altheim Se Eugène de Savoie. Ce dernier fur-tout eft un fuperbe Edifice, accompagné de magnifiques Jardins, d'une belle O-rangerie,& d'une Ménagerie pourvue de tout ce que les quatre Parties du Monde fournilTent d'Animaux les plus rares. C'eft dans cette grande & belle Maifon que le Prince Eugène de Savoie parte la belle faffon de l'année. Rien n'elt fi beau , que de voir une Aflcmblée chez ce Prince : l'Avant-cour au milieu de laquelle il y a une Pièce d'eau fuperbe, & les Jardins, font illuminés par une infinité de ' Lanternes faites en forme de boule,d'un verre extrêmement blanc; ce qui répand une très grande clarté , & fait un très bel effet. ' Les Aflèuiblées chez le Prince du Baron de Pollnitï. 2^ ce font toujours fort nombreufes fa viehnb. NaifTance, fes Emplois, & fon Autorité lui attirent une groffe Cour. Le Prince Eugène eft d'une taille médiocre, mais bien fait. Il a un air extrêmement férieux, fon abord eft froid & ré-fer vé, mais fa froideur ne l'empêche pas d'être Ami de ceux qui s'attachent à lui, 11 fe connoit en mérite , il l'aime & le diftingue. Il eft honnête & civil, très poli envers les Dames, refpeétueux & fournis envers fon Maitre, mais fans a-dulation ni baffeffe. Il eft généreux, & magnifique en tout, excepté en habits. Il eft ennemi du fafte, des cérémonies & de la contrainte. Dans fa jeunefïe, il a aimé les plaifirs ; mais il a fu y renoncer lorfqu'iî s'eft agi d'acquérir de la gloire. Il eft né en France, & quitta en 1683 ce Royaume, mécontent du peu d'égards qu'on y avoit pour -lui. l\ arriva à Vienne, peu de tems avant que cette Ville fût afïïégée par les Turcs. H fit la Campagne en qualité de Volontaire, ôc le diftingua beaucoup. L'Empe-reur Léopold lui donna au mois de Décembre de la même année, le Régiment de Dragons qui porte encore fon nom. Le Siège de Vienne étant levé, il continua de fervir en Hongrie, fous le Duc Charles de Lorraine, ôc l'Electeur Maxi-milien - Emanuel de Bavière. ]\ obtint pour la première fois le Commandement RS de de l'Armée Impériale en 1697, & débuta par gagner la Bataille de Zenta, dans laquelle 22000 Turcs perdirent la vie;ce qui fut pour eux une perte dont ils ne purent fe relever, & qui les obligea à demander la Paix, qui leur fut accordée à Carloviitz en 1699- Le Prince a commandé depuis en Italie, en Allemagne, en Flandre, ôc en dernier lieu en Hongrie. La Victoire l'a fuivi par-tout. Vous rapporter fes Exploits, ce feroit vouloir anticiper fur l'Hiltoirc qui doit les confa-crer , ôc à laquelle vous trouverez bon que je vous renvoie. Quant aux Dignités ôc aux grands Emplois de ce Prince, il eit Premier Confeiller du Confeil Aulique de Guerre, Chef ou Lieutenant-Général des Armées de l'Empereur ôede l'Empire, Vicaire-Général de Sa Majefté Imperiale en Italie, Colonel d'un Régiment de Dragons , ôc Chevalier de la Toifon d Or. Tous fes Emplois peuvent lui valoir trois-ccns-mille florins par an. Il a avec cela des Terres confidérables en Hongrie de aux environs de Vienne, qui lui rendent autour de cent-mille florins. Il tient fes Terres de la bénéfi-cence de l'Empereur, qui les lui a données en récompenfe de fes importans fer-vices. Le Maréchal Comte Gui dir Staremberg eft encore un de ces Hommes que leur Vertu rend rcfpectabks. Il eft d'une Mai- Maifon qui a donné de grands Capitai- vienne. nés & de fages Miniftres aux Empereurs de la Maifon d'Autriche , & il a foutenu avec éclat la gloire de fes Ancêtres. La Hongrie, l'Italie, ôc l'Efpagne ont été les témoins de fa valeur ôc de fa prudence confommée dans l'Art de commander des Armées , ôc l'ont d'autant plus admiré , qu'on l'a vu prefque toujours remporter des Victoires avec des Armées mal payées ', manquant de' tout, Ôc fort inférieures à celles des Ennemis, Ce Général eft entré au fervice fort jeune, en qualité d'Enfeigne, 8c s'eft pouffé depuis par degrés. Il fut fait Lieutenant-Colonel peu de tems avant l'-entreprife-des Turcs fur Vienne, & il foutint le Siège de cette Place en fervane d'Aide de Camp à fon Coufin Et?ie(l-Rudiger Comte de Staremberg, le Défen-feur de Vienne. Le Comte Gui, après quelques années de fervice, eut le Régiment d'Infanterie dont il eft encore le Colonel. 11 fut fait *ffez jeune, Grand-Commandeur de l'Ordre Teutonique. Je ne vous-parle pas de fes actions , parce que la Renommée les a rendues affez célèbres pour que vous en foyez inftruit. Ce Général, dans un âge affez avancé,, conferve tout le feu dé la jeuneffe , & feroit encore fort en état de commander. Vous aiant nommé les deux fins grands Gé- , Généraux de l'Empereur, vous ne fcrex pas fâché, je penfe, que je vous nomme auffi fçs principaux Miniftres. Us font cinq. On les appelle les Confeillers de Conférence. Le Prince Eugène de Savoie eft le Premier Confciller,fans avoir pour cela le Titre de Premier Miniftre, cette Dignité n'étant pas connue à la Cour Impériale. Le Comte Louis de ZinzendorjfjChin-celier de la Cour & Chevalier de la Toi-fon d'Or , eft le fécond Confeiller de Conférence. Ce Seigneur eft d'une Maifon depuis longtems illuftreen Autriche. $a Mère étoit une Princefle de Holftein. Elle avoir épouié en fécondes noces le Maréchal Comte de Rabutin , Gouverneur de TranfTylvanie. Elle eft morte depuis peu d'années, dans un âge fort? avancé. Je l'ai,connue dans mon précé-» dent voyage ici; là maifon était le rendez-vous de tout çe qu'il y a avoit de gens de la première volée. Le Comte de Zinzcndorff étoit dans le Miniftère dès le Règne de Léopold. Il fut Miniftre Plénipotentiaire de cet Empereur en France, pendant que le Maréchal de Villars occupoit le même pofte pour Louis XIV à Vienne. A la mort de l'Empereur Jo-fepb , Mr. le Comte de Zinzendorjf é-toit Ambaffadeur de ce Prince auprès des Etats-Généraux. Il fut confirmé dans ce Caractère par l'Impératrice Eléó?ior, Régente gerite pendant Fabfence du Roi Charles. Vl 11 quitta La Haye pour fe rendre au Saere de Charles VI à Francfort , où il fit k fonction de Vicaire du Grand-Tréfo-rier de l'Empire, Dignité héréditaire dans fa Maifon. Le Congrès d'Utrecht s'é-tant ouvert peu de tems après, le Comte de Zinzendorf y aflifta comme premier Ambaffadeur de l'Empereur. Dans ces derniers tems il s'eft rendu au Congrès infructueux de Soiffons , & de là à Ver failles, où il a fu maintenir le Cardinal de Fleury dans les idées pacifiques auxquelles les Ennemis de fon repos, & peut-être de la gloire, vouloient le faire renoncer. Le Comte de Zinzendorjf eft de retour ici. 11 y a prefque feul le dé* partement des Affaires Etrangères. Son crédit eft des plus grands : car outre que l'Empereur eftime fà perfonne &fes fer-vices, il eft apparenté à tout ce qu'il y a de plus notable à la Cour, & étroitement attaché d'intérêts au Prince Eugène de Savoie, dont il connoit l'intégrité & l'attachement desintèreffé pour l'Empereur. Le Comte de Zinzendorff eft d'une taille élevée , d'une phyiionomie heureufe & prévenante. Ses manières font nobles; fon abord eft froid, niais civil. H eft très poli envers les Etrangers ; fa maifon leur eft ouverte. Sa table eft la plus grande & la plus délicate qui foit à Vienne. Il eft magnifique dans tout . tout ce qu'il fait, & toutes fes actions ' tiennent du Seigneur. M eft Père d'une nombreufe famille. Le fécond de fes Fils eft Cardinal, & Evêque en Hongrie. * Un autre eft Chevalier de Malte, & Lieutenant-Colonel. Comme ce font les deux que je connois le plus, ce n'eft auffi que d'eux que je vous parlerai. Je ne fai s'il eft poffible d'avoir plus d'ef-prit, qu'il* n'en ont tous deux. Le Chevalier a plus de feu Ôc de vivacité qu'un Gafcon: fes faillies partent brufquement, elles brillent par leur variété, & fur-prennent par leur nouveauté ôc leur juf-teife. ' Le Comte Gundacker de Statemberg , Président de la Chambre des Finances, Ôc Chevalier de la Toifon d'Or , eft le troifième Conieiller de Conférence. On vante fort Ion intégrité. 11 a fu, en dirigeant les Finances, fe garantir de la haine publique. Le Comte de Sck'ônborn , Evêque de Bamberg ôc de Wurtzbourg, Vice-Chancelier de l'Empire , eft le quatrième Confeiiler de Conférence, f Vous favez, * [ Il eft nrc'fenietncnt Evêqut de 'Breflm , ni. gnité qui lui donne un rang diftingué dans ce Du- Ch+ \ Le Comte de Mrtfch, Vice Préfidcnt du Confeil Au'ique de l'Empire , lui a fijecedé dans la Chaigc de Vice-Chancelier î & 'le Comte AloyCiut-TbomatRaimna de Km**- Rokran, ci-devant Virerò i vez, Monfieur, que la Maifon de Schbn- viemne. born nous a donné plufieurs Sujers respectables. Cependant, on peut dire fans blelTer la mémoire de ces Grands-hommes, ni fans trop flater le Vicc-Ciiance-lier , qu'il efl; celui de la Maiiòn oui a le plus de capacité dans les Affaires*, le caractère le plus généreux , 6c les manières les plus engageantes 6c les plus gracieufes. Comme perfonne n'égale à Vienne ce Prélat, en grandeur ôc en ri-cheffes, perfonne n'égale aufli fà magnificence. L'Empereur a pour lui une singulière confédération. Le* Vice-Chancelier a fous lui la Chancelerie de l'empire, Ôc%n'a au deflus que l'Empereur , ôc l'Electeur de Maience Grand- Chancelier de l'Empire. Le Comte de Kb'nigfeck , Vice - Préfî-dent du Confeil Aulique de Guerre, eft le cinquième Confeiller de Conférence. Ce Seigneur, qui eft d'une naifïance dif. tinguée de l'Empire , eft un des plus grands ôc des plus beaux hommes de la Cour. Il eft actuellement Ambaffadeur Extraordinaire de l'Empereur à la Cour à'Efpagne. Sa Famille eft attachée depuis longtems à la Maifon d'Autriche. Lui-roi de Naplcs, Grand-Ecuyer Héréditaire de la Haute & Baile Autriche , Maréchal des Etats du Pays, Chevalier de la Toifon d'Or > a été nomme Conieil-ler de Confcicacçàla place du. Corate de Sthi****'] Lui-même, après avoir fair fes Etudes; à Befançon étant deftiné à l'Eglife , il quitta le Petit collet, prit le parti des Armes, & entra au fervice de l'Empereur Léopold. Après quelques années de fervice il eut un Régiment d'Infanterie, & l'Empereur J°J*p» le fit fori Chambellan. Le même Monarque lui donna le Gouvernement de Mantoue. U en fut rappelle par Charles^ VI, & envoyé dans les Payt-Bas, dont il prit poflèflion au nom de l'Empereur, à qui les PuifTances Maritimes les évacuèrent. Le Comte de K'ànigfèck, pendant fon Adminiftration des pays Bas, conclut le Traité de Barrière avec les Etats-Généraux. Il époufa à Bruxelles MdUe. de Lanoi la Matterie, Fille de naifTance & d'un mérite diftin-gué. En quittant les Pays-Bas, il pafTa Ambafïàdeur de l'Empereur à la Cour de France, oû il fe fit eflimer, mais particulièrement du Duc d'Orléans Régent, Prince qui fe connoifToit en mérite, & qui ne prodiguoit pas fes applaudifTe-mens. Après trois années de féjour à Paris, le Comte de Kïnigfeck revint à Vienne. Il accompagna l'ArchiduchefTe E-poufe du Prince Êle&oral de Saxe, en qualité de Grand-Maitre , à Dresde ; ôc à fon retour, il alla gouverner la Tranf. fylvanie. L'Empereur l'a rappelle de ce pofte, pour l'envoyer fon AmbafTadeur Extraordinaire en EJpagne. Le Comte n'y eft pas moins eftimé, qu'il l'a été à vienn»? Taris. On dit qu'il poiTède toute la con- , fiance de Leurs Majeftés Catholiques. Gè-pendant, il demande inftamment d'être rappelle : on dit qu'il obtiendra fa demande , & que fon Neveu *, qui eft Miniftre Plénipotentiaire de l'Empereur auprès des Etats-Généraux, eft déjà nommé pour le relever f. Le Confeil de Conférence fe tient toujours en préfence de l'Empereur. Il s'y traite des Affaires les plus importantes de l'Empire. Outre les cinq Miniftres que je viens de vous nommer, il y en a encore plufieurs autres, dont le crédit eft plus borné. Chaque Royaume fournis à l'Empereur , Si lì'.» It^iOOtJ 32.3l> *y^Yi'JÎjB• * Le Comte de Ks'ntgfeck-Erps. Il a été effectivement en Efpagnc, dans le deflein d'y relever Ion Oncle; mais comme les.chofes ont changé de face dans cette Cour , ils font revenus tous deux. Le -Comte de iQinìgfcck■ Erps eft à Bruxelles, Conleillcr d'Etat de Brabant. f Le Comte de K^nî^feck eft de retour de Ion Am» talTade d'Efpagne. Il exerce actuellement les Charges de Vice-Prcfidcntdu Confeil Aulique de Guerre» Oc. de Conleillcr Privé de Conférence. Il eft Lieutenant-Général des Armées de l'Empereur, Colonel d'un Régimenc d'Infanterie, & vient d'être créé Chevalier de la Toifon d'Or. [Le Comte de Merci aiaru été tué à la Bataille de Parme le 29 Juin ^^.l'Empereur envoya le Comte de Kgnigjeck en Italie, 8c lui donna le Commandement de fon Armée , qui étoit fort en defordre & que le Comte de K^nigteck a rétabli de manière à inipircr du reipeft à les au-«émis. ] Tome I. S Tienne. reUr> a *°n Miniftre & fa Chancelerid particulière. Le Comte Badiani dirige les Affaires de Hongrie, en qualité de Vice-Chancelier de ce Royaume. Les Affaires de Boheme font du département du Comte dtKinski, Chancelier du Royaume. Ce Seigneur a fous lui un Vice-Chancelier, & nombre d'Af-feffeurs & de Confeillers. Le Confeil tfEfpagne efl compofé d'un ^rendent, d'un Vice-Préfident, ce des Confeillers. Son autorité s'étend fur tous les Royaumes qui étoient autrefois fournis à l'Efpagne , & qui ont été cédés par la Paix à l'Empereur. Le Comte de Monte-fanto, Grand d'Efpagne, Frère du Comte de Cinfuentes Connétable deCa£ tille, eft Prélident de ce Confeil * : il a fu c cédé dans cette Charge à l'Archevêque de Valence, qui avoit quitté fon Archevêché pour fuivre l'Empereur, qu'il avoit reconnu pour fon Maitre en Efpa-gne. De tous les Tribunaux qui font ÌVtenì ne, le Confeil Aultque efl le plus refpec* table, puifqu'il eft le Parlement de l'Empire- Il eft compofé d'un Préfident, ^'eft le Comte de Wurmbrandt ; d'un Vice-Préfident, c'eft le Comte de Metfch; & • [ ïl fc nomme Jofeph de Silva y MeneJJit » Mai» quis àcSiïlUftr, Comte de Monte-Santu & de dix-huit Confeillers, parmi lefquels Vl il doit y avoir fix Proteftans, & parmi ceux-ci, il faut qu'il y ait un Réformé. Ce Tribunal juge toutes les Caufes civiles entre les Princes 6e les Particuliers de l'Empire. Son autorité finit avec la vie de TEmpereur : c'eft pour cela que le Tribunal fuprème de WetxJar , qui fiib-fifte même pendant la Vacance de l'Empire, prétend le pas fur le Confeil Antique. C'eft une erreur de croire, comme font bien des Étrangers, que le Confeil Aidique prend connoiffance des Affaires d'Etat j il eft uniquement occupé à rendre Juif ice ; il n'enregiftre aucun Edit, fi ce n'eft fes propres Sentences * ; 6c il eft beaucoup plus borné que ne le font les Parlemens de France, qui du moins ont le privilège de perdre du tems en Remontrances. Je m'apperçois que je fuis en train de vous en faire perdre beau-Coup , fi je ne mets fin à ma Légende : auffi le vais-je faire, en réfervant pour un autre Ordinaire à vous entretenir de la fuite de mes remarques. Je vous embraf-fe, & fuis &c. oh b;r.:<0 îhû'AtlIA * Lrflnjohjr r£> A Vienne, ce 30 Novcmb. 17*9. * [Qui font Amplement dcsAv't, lcfqiieU ftaflcàt ta Décret par l'appiouation de l'Empereur.] ì-j6 L E T T R « s LETTRE XIII. Monsieur, IL y a encore quelques articles, que je ne puis m'empêcher d'ajouter à ce que je vous ai dit de Vienne. La Police dans cette Ville eft adminiftrée par le Stadthalter. C'eft le Comte de Keven-huiler, qui remplit cette Charge ; il eft aufli Miniftre d'Etat, & Chevalier de la Toifon d'Or. Ses fonctions font les mêmes que celles du Lieutenant de Police à Paris : le Titre feul fait la différence. Il y a pourtant ceci à remarquer, que le Stadthalter eft toujours un Seigneur de naifTance, que c'eft un homme d'Epée; ôc que le Lieutenant de Police de Paris eft fouvent d'une extraction peu diftin-guée, ôc toujours tiré de la Robe. Le Gouverneur de Vienne ne porte d'autre Titre que celui de Colonel de la Ville. Ceft aujourd'hui le Maréchal Comte de Daun, le même qui a défendu Turin, qui a ér ; fix ans Vice - Roi de Naples , fix mo^sGouverneur des Pays-Bât, ôc qui l'eft depuis quatre ans de Milan. \ Son Lieu- # [Pc retour; A Vìtrm après que les François & Lieutenant-Colonel, qui eft le Comte Vienns, Maximilieu- de Staremberg , Lieutenant-Général des Armées de l'Empereur , ôc Colonel d'un Régiment d'Infanterie, commande en fon abfence , ôc a la direction des Fortifications, de l'Arfenal & de la Garnifon. Cette Garnifon confitte dans un Régiment d'Infanterie compofé de vieux Soldats, ou de Bourgeois ôc Ar-tifans de Vienne, d'où ce Régiment ne fort jamais. Les Emplois dans ce Corps font très lucratifs ; mais comme ils ne conduifent pas autrement au chemin de la gloire, ils font peu recherchés par des gens de naifiance. Ce Régiment , tout peu eftimé qu'il eft,n'a pas laiflé de rendre de très bons fervices pendant le Siège que Kara-Muftapha, Grand -Vifir de Mahomet IV, mit devant Vienne. Il a-voit alors pour Chef Erneft-Rudiger Comte de Staremberg, Commandant de la Place. Ce Général Ôc fa Garnifon acquirent beaucoup de gloire par la réfis-tance qu'ils firent. Mais peut-être qu'avec toute leur valeur, ils n'auroient pu empêcher la prife de la Place, fi l'avidité du Grand-Vifir pour fe rendre maitre des richelfes immenfes qu'il favoit être renies Savoyards fe furent empares de Milan en 1733, on a porte contre lui plufieurs chefs d'Accufition ; mais il a fu fe juftifier fi pleinement, qu'jl n'a ùcu perdu de la confiance de l'Empereur, j renfermées dans la Ville, ne l'eût porté à la ménager, de crainte qu'elle ne fût emportée d'aiTaut, & pillée par les Soldats. Le Siège de Vienne n'étant pas de mon fujet je ne vous en dirai rien. Vous lavez qu'il fut levé par le fecours qu'y con-duifit en perfonne le brave Jean Sobieski Roi de Pologne, qui défit les Turcs le 12 Septembre de l'année i68i.Ce Prince, après cette Victoire, retourna chez, lui, chargé de gloire & de butin, s'étant rendu maitre de tous les Equipages du Grand-Vifir. 11 écrivit à ce fujet affez, plaifam-ment à la Reine fa Femme , qui ne fui-voit pas tout à fait les maximes de Sénè-que fur le mépris des Richefles: „ Vous ,, ne direz point à mon retour , ce que „ dilcnt les Femmes Tartares à leurs Ma-ris, lorfqu'elles les voyent revenir de l'Armée fans butin : Tu n'es pas un Homme , puijque tu reviens les mains n vuides, car le Grand-Vifir m'a fait fon „ Légataire univerfel. Vous n'ignorez pas que ce fut pour la féconde fois, que les Tues levèrent le Siège de Vienne. Soliman l'étoit venu affiéger fous l'Empire de Charles V : mais il eut un fort pareil à celui de Kara-Mus-tapha. Il clt vrai que la fuite de fa défaite ne fut pas aufli funefte au Sultan, qu'elle le fut au Vifir de Mahomet IV. Ce Miniftre fut étranglé à Belgrade, où étoit Ma- "Mahomet, Sa tête fe voit dans l'Arfenal Vibmh»J de Vienne, elle y a été portée de Belgrade. La translation de cette Relique Turque s'eft faite affèzs extraordinairement. Quelques années après que Kara Mxfta-pha eut été étranglé , les Impériaux fé rendirent maîtres de Belgrade. Des Soldats , informés de la fepulture du Grand-Vifir, crurent y trouver un Tréfor , ils ouvrirent la Tombe , & n'y trouvèrent qu'un Cadavre revêtu d'une chemife, fur laquelle il y avoit divers caractères Arabes, & un Alcordn. Le Gouverneur de la Place, informé de cette belle trouvaille, fe fouvint que le Grand-Vifir en fai-fant le Siège de Raab qu'il fut obligé de lever, avoit dit que s'il prenoit la Ville, il feroit trancher la tête au Comte Léo-pold de Cotlonitz, qui en écoit Evêque, & l'envoieroit au Sultan, pour punir le Prélat de ce qu'il avoit tiré tout l'argent des Couvens, & en avoit payé la Garnifon, qu'il avoit encouragée par-là à faire une vigoureufe réfiftance. Le Gouverneur de Belgrade fe fouvenant, dis-je , des menaces du Grand-Vifir , crut qu'il feroit un très agréable préfent au Comte de * Collo?iitz. devenu Cardinal , de lui envoyer la Tête & le Corps du Turc, avec * Lç Cardinal de CoUonit?., dont il eft parlé ici, «toit Onde du Cardinal de CoUanitz, qui eft actuellement Archevêque de Vienne. S 4 . avec la Chemife & VAlcoran : il mit le tout bien proprement dans ime Châfïc de cryibl garnie d'argent maiTif, & l'envoya à Son Eminencc; qui ne trouvant pas que cet étrange préiènt fût une Relique pour fa Chapelle, en fit don à l'Arfenal où j'ai vu & manié le Mufulman. J'aurais fort voulu lui arracher quelques poils de la mouflache ; mais le Gardien de ce précieux Tréfor obfervoit trop mes mains. On dit que la corde d'un pendu porte bonheur : il fe pourrait bien que la mouflache d'un Grand-Vifir auroit la même vertu. En tout cas, c'étoit toujours dequoi remplir une place honorable dans quelque Cabinet de Raretés. Depuis le Siège de Vienne, cette Ville eft bien agrandie. On en a tellement augmenté les fortifications, que fi le malheur vouloit que les Turcs vinfïènt encore TaiTiéger, ils trouveraient à qui parler, 6c il y auroit plus de quatre moufta-ches de brûlées. L'Empereur vient de procurer un nouveau luftre à fa Capitale, en la faifant é-riger en Archevêché par le Pape Benoit XIII- Plufieurs Evêques , entre autres celui de Fajfau , ont démembré leurs Diocèfcs pour agrandir la Jurifdidtion du nouvel Archevêque. Celui qui poflède aujourd'hui cette Dignité , eft le Cardinal de Côllonitz. j elle lui donne le caractère Ôc le rang de Prince. du Baron de PoLLtfiTZ.. 281 La Religion Catholique eft la feule vienks, exercée dans Vienne & dans l'Autriche. Les Miniftres des Têtes couronnées Pro-teftantes ont la liberté, comme ailleurs, de tenir Chapelle. Lorfque le S. Sacrement ou le Viatique eft porté à quelque Malade, il eft toujours efcorté par des Gardes, qui ont foin de faire mettre à genoux le Peuple. J'ai vu l'Empereur, rencontrant le Viatique , defcendre de caroffe & l'accompagner à l'Eglife. La dévotion de ce Prince, & de tous ceux de fa Maifon, pour le S. Sacrement de l'Autel, a toujours été très grande. Thi-lippe IV', Roi d'Efpague, en donna une preuve bien édifiante. Ce Monarque é-tant allé le même jour de la mort du Roi fon Père, du Palais de Madrid nu Monaftère de S. Jeronimo del Pajfo, dans un caroffe fermé, pour palfer incognito j il en defcendit pour accompagner le Viatique, qu'on portoit à un Malade. Le Comte-Duc d'Olivarez lui remontra, que la mort récente du Roi fon Père ne lui permcttoit pas de paroitre en public. Comte , lui répondit le Roi, cet ujage ne fauroit me difpenfer de rendre à Dieu l'honneur que je lui dois. On peut dire de ceux de l'augufte Maifon d'Autriche, que fi peu de Princes les égalent en piété, peu auffi les égalent en naiffance. Ce n'eft pas qu'il n'y ait des Maifons plus anciennement décorées du s 5 mz *82 L Ê T T R K * . Diadème; mais c'eft qu'il y en a très peu qui aient de fi grandes alliances : il n'y a poinc de Roi,& rrès peu de Royaumes, à qui la Maiibn d'Autriche n'aie donné des Reines. Il y a trois-cens ans qu'elle eft maitrelTe de l'Empire, & depuis Albert II. elle a donné confécutiveinent treize Empereurs à l'Europe. Il le trouve des qualités réunies dans une Princeffe d'Autriche, que je ne faurois m'empê-cher de vous rapporter. C'eft l'Impératrice Marie , Femme de l'Empereur Ma-ximilien Fils de Ferdinand I Cette PrinJ ceffc étoit Soeur de Philippe il. Roi d'Ef-pagne, & Fille, Femme, Bru, & Mère de cinq Empereurs ; Petite-fille, Fille Sceur, & Tante de quatre Rois d'Efpa' gnej & Belle-mère de deux Rois, lavoir , Charles IX, Roi de France, & Philippe II, Roi d'Efpagne. Un Auteur moderne dit que l'origine & la parenté de cette Princefle furpaffoient infiniment celles d'Agrippine, dont Tacite dit qu'elle étoit Fille de Germanicus, Sceur de Caligula, Femme de Claude, & Mère de Néron. Mais c'eft affez vous entretenir des faits d'Hiftoire & de Généalogie, que je me fuis avifé de vous citer, d'autant plus mal à propos, que vous poffédez fi parfaitement l'un & l'autre. Pardonnez-moi cette incartade. Il me refte à vous communiquer quelques remarques, que j'ai faites fur les-^*- trh trkhïens en général. Je vais commencer vienhr. par les Femmes, & vous les dépeindre, comme dit Burrhus, avec la liberté d'un Soldat, qui fait mal farder la vérité. Les Femmes font belles & laides ici, comme ailleurs : cela eft de tous les Pays. Généralement, elles font plus belles que jolies, car toutes ces beautés ne font point animées. Elles font toutes grandes & bien faites ; elles marchent bien , mais faluent de très mauvaife grâce,- on diroit qu'elles vont s'éreinter , en faiiant une révérence. Elles s'habillent avec plus de magnificence que de goût. A la réferve de deux ou trois, il n'y en a point qui mettent du Rouge, encore moins du Blanc; les Mouches même font peu en ufage; en un mot, elles n'ont rien qui dénote la Coquetterie. Quant à leur humeur, elles paffent pour être franches; ne fe familiarifanc pas aifément; naturellement vaines; afïèz foides, comme le font toutes nos Allemandes ; & donnant beaucoup moins dans la Galanterie, que dans le Jeu, le Luxe Se la Magnificence. Pareffeufes, ne fe mêlant non plus des affaires de leur maifon, que fi elles y é-toient étrangères. Elles ne connoilfent de Livres que leurs Heures, font extrêmement crédules, & donnent dans tous les extérieurs de la Religion. Cela fait que leur converfation n'eft pas* toujours bien animée , 6c qu'à moins que l'Amour mour ne s'en mêle , elles parlent aflez fouvent de la pluie ôc du beau tems. Elles font pour le moins autant prévenues pour Vienne, que les Parifienncs le font pour K-wihors de Vienne, point de falut.Mais tous ces petits défauts font réparés par une grandeur d'ame «Se une générotlté extraordinaires. Elles font bonnes Amies ,& protègent avec chaleur celuiou celle pour qui elless'intèreffent. Lorsqu'elles parviennent à aimer, elles le font de bonne-foi;& loin de ruiner leurs Amans, il y en a qui ont fait la fortune de ceux qu'elles ont aimés. On m'a conté à ce fujet, qu'il y avoit u-ne Dame du tems de l'Empereur Jofeph (fous le Règne duquel la Galanterie étoit plus à la mode qu'elle ne Teff aujourd'hui,) laquelle aimant un Cavalier, Ôc voulant lui faire du bien fans que le Public y pût trouver à redire, s'avifa dans une Aflemhléc où fon Amant tailloit à la Baflètte , de ponter contre lui. Elle fe faifoit marquer, fans dire à perfonne à combien elle jouoit la marque. Voyant entrer fon Mari dans la chambre où elle jouoit, elle fe leva, prit les marques qui étoient contre elle, les jetta par terre, ôc dit au Banquier, affez haut pour être entendue de fon Mari , Je -vous dois, jMonfteur, quarante-mille florins. Le Mari, fort étonné, lui demanda ce que c'é-toit. J'ai fait la fittife, lui dit-elle en montrant le Banquier , de perdre 40000 fio- florins contre Mo?iflenr N. . . . Vous avez. Vienne. fujet de me gronder, mais cependant il faut qne ma dette foit payée. Le Mari gronda beaucoup en effet, & dit qu'il ne paye-roit point. Eh bien, reprit la Femme, vous nè voulez point payer Monfleur, tant pis pour vous, car je fuis réjolue de payer de quelque façon que ce puijfe être. Le Mari vit bien que fa Femme avoit pris fa réfolhtion, & que s'il ne payoit pas en argent, il lui en coûteroit quelque chofe de bien plus précieux. Il aima mieux perdre l'argent, Ôc'n'eut pas lieu de s'en repentir; car la Dame, touchée de fon procédé, renonça à voir fon Amant, ôc fe conduifit avec beaucoup de 'fageffe. Voilà, Monfieur, ce que j'ai à vous dire du Caractère des Femmes. Que je vous dife aufli comment elles paffent leur tems. Elles fe lèvent tard. En ouvrant les yeux, elles demandent du Chocolat, ôc envoyent favoir de leur Mari, qui il a invité à dîner, ôc û les couverts de fà table font remplis. Si la compagnie n'eft pas du goût de la Dame, elle envoie dire à une de fes Amies, qu'elle ira dîner chez elle ; ou s'il y a des couverts vuides, comme un Mari poli en laiffé toujours quelques-uns à la difpofîtion de fa Femme, elle envoie inviter qui bon lui femble. Enfuite elle s'habille, ôc va à la Meffe; car ici la moins dévote entend au moins une Meffe par jour. Là «lies lifent dans cinq ou fix Heures dif- Vienne, férentcs, baiient toutes les Images qui font à la tète des Prières, & jouent fort dévotement du Chapelet. Après l'Office, elles font ordinairement un petit quart-d'heure de converfation dans l'Eglife. Enfuite elles font quelques viiitcs familières, ou en vont attendre chez elles. Ces vifites fe pafïènt à parler des Nou- ' velles de Vienne. Pendant ce tems-là elles ont toutes une petite Cadette de Laque des Indes fur leurs genoux, dans laquelle elles effilent de l'Or , jufqu'à l'heure du dîner. Après le repas, on prend du Caffé, & l'on fè met à jouer au Quinze jufqu'au foir , qu'elles vont à la Cour. Au fortir de chez l'Impératrice , elles paroiffent à l'Affemblée, y jouent au Piquet ou au Quadrille, ôepuis fe retirent, le deshabillent, & foupenc en petite partie de Cotterie. Enfin elles le couchent, très fatisfaites d'avoir palîè la journée dans la nonchalance & l'oitiveté. Les Femmes du fécond ordre, dans lequel jèj comprens les Femmes nobles non titrées, celles des Alïeflèurs, Référendaires, & Agens de Cour, font remarquer un air de profpérité 6c d'abondance qui iurprend. Leurs maifons font richement meublées, & leurs tables bien fervies. Il ne faut pas que.perfonne entreprenne d'emporter un bon morceau fur un Référendaire qui en aura envie: tout tout ce qu'il y a de meilleur eft certaine- vienn* ment pour eux. La table eft une des chofes à quoi les Autrichiens penfent généralement le plus. Il leur faut quantité de mets, & des plats bien remplis. Ils font fi fort accoutumés à cette abondance de viandes, que j'ai connu de jeunes Autrichiens qui foutenoient qu'on ne mangeoit pas bien en France, parce qu'on n'y 1èrvoit pas deux longes de Veau dans un plat. Les différentes fortes de Vins font encore fort en ufage, & c'eft affu-rément une très grande dépenfe, les Vins étrangers payant des entrées confidérables. Cependant il en faut huit ou dix fortes pour le moins : j'ai vu des maifons où il y en avoit jufqu'à dix-huit. On met un billet fous chaque afliette, fur lequel eft marqué les diftérens Vins qui font au buffet. Les Bourgeois & les Petites-gens imitent tant qu'ils peuvent la Nobleffe; & l'on peut dire qu'il n'y a point de Peuple au monde moins raifonnable dans fà décente, que celui-ci. Les Autrichiens font naturellement fiers & fuperbes ; ils veulent que tout fléchiffe devant eux. Comme leur Souverain tient le premier rang parmi les Princes Chrétiens, ils croyent aufli être la première Nation du monde. Rien n'eft plus vain , ni plus infupportable , qu'un jeune Autrichien dont le Père tiene un Vibnnb. un rang à la Cour : ils font ivres d'orgueil & de préfomption; & comme ils ie fentent riches ôc que leurs Pères font de grands Seigneurs , ils croyent qu'ils peuvent méprifer tout le monde, & négliger les manières honnêtes & polies qui feroient fi convenables à leur naif-fance. Ce que je 'vous dis ici des jeunes-gens, n'eft pas une chofe fi généralement vraie, qu'elle ne fouffre de grandes exceptions, comme il en eft de tout ce qui s'étend fur le général. La Cour fournit des Dames extrêmement refpeclables. L'Impératrice régnante honore de fa confiance Madame la Comteffe de Fucbs, dont le Mari de fon vivant étoit Miniftre d'Etat de l'Empereur, 6c fon Miniftre Plénipotentiaire à Hambourg, où il eft mort. Madame de Fucbs efl: Sceur du Comte de Moïard, Grand-Maitre des Cuifines de l'Empereur. Cette Dame eft d'une grande po-liteffe, & loin que (à faveur lui foit enviée, tout ce qu'il y a de gens diftingués conviennent qu'elle la mérite, parce qu'elle la foutient avec modeftie, & qu'elle n'en fait ufage que pour faire du bien. M. George, autorisé par le Pape Benoit XIII. La Cérémonie s'en eft faite avec beaucoup de pompe j l'Electeur de Cologne y a officié à la Grand' Méfie. La Promotion con lifta en trois Grands - Prieurs, fix Grands - Croix, un Commandeur, & fix Chevaliers. Quelque tems après cette première Promotion , l'Electeur en a fait une feconde, dans laquelle il a fait un Grand-Croix & neuf Chevaliers. On dit qu'il y aura in-ceifamment une troilième Promotion de huit Chevaliers, f leur nombre devant ê-tre de quarante. L'intention de l'Electeur eft d'attacher des Commanderies à fon Ordre. Ceux qui y font reçus, doivent faire leurs preuves de feize Quartiers, & cela avec tant de régularité , que S. A. S. E. comme Grand-Maitre de l'Ordre, a renoncé au pouvoir de donner difpenfc à cet égard. Les Statuts de l'Ordre portent, que tous les Chevaliers doivent être Catholiques, défendre la Foi & l'Eglife, protéger les Veuves & les Orphelins , & pratiquer toutes les Vertus Chrétiennes. La marque de + r L'Ordre eft à pre'fent compofé du Grand-Maitre, qui eft l'Electeur; de deux Grands-Prieurs, qui font le Pr. Electoral Se le Duc Ferdinand-, flx Grands-Croix, neuf Commandeurs > & plufieurs CUeralicis.J du Baron de PollîîiTî. 297 de l'Ordre eft un grand Ruban bleu-pâle, 1 bordé de la largeur d'un doigt d'une raie noire ôc blanche ; à l'extrémité du Cordon pend une Croix émaillée de bleu, au milieu de laquelle eft un S. George. L'Eglife ôc la Maifon-ProfeiTe des Révérends Pères Jéjuites, font deux Bâti» mens d'une magnificence extraordinaire. La voûte de l'Eglife, qui eft une feule nef, eft d'un travail lavant ôc ingénieux; les ouvertures y font ménagées avec beaucoup d'art : ce qui eft caule que les Curieux regardent ce morceau comme un çhef-d'ceuvre d'Architecture. L'Eglife des RR. PP. Auguftins, quoique d'une grandeur médiocre, renferme des beautés qui ne fe rencontrent pas toujours dans les plus grandes Fabriques. On eftime beaucoup les Tableaux dont elle eft ornée, ôc les Connoiffeurs conviennent qu'on en voit peu de pareils. Quoique les maifons de Munich foient toutes affez bien bâties, il y en a très peu à qui l'on puiffe donner le nom d'Hôtel. Le Comte Piofas , Piémontois de Nation, en a fait conftruire un dans ces dernières années. C'eft un Edifice con-fidérable par les bonnes proportions de fon extérieur, ôc par la diftribution in-génieufe des Apartemens, qui ont de belles décorations ôc de beaux meubles. La Cour de Bavière obfervé presque T 5 tou- Lettre* , toutes les Etiquettes de la Cour de Vienne, quant aux Cérémonies ; car au refte , c'eft une manière très différente de vivre: il y a plus d'aifânee & plus de divertifîc-ment. L'Electeur Charles - Albert aime les plaifirs ôc les exercices du corps, & s'en acquitte avec grâce. Il eft bien fait ,• fon air eft grave, noble, & majeftucux, ce qui le fait paroître fier. Cependant, peu de Princes font plus gracieux & plus civils envers les Etrangers. 11 eft même de facile accès pour fes Sujets. Il étoit vif & plein de feu, lorsqu'il étoit Prince; ôc il eft devenu doux & modéré Souverain. 11 eft galant, parle bien le François , Vit alien ôc le Latin ; il pofïcde l'Hif-toire, ôc connoit parfaitement l'intérêt des Princes , ôc celui de fa Maifon en particulier. Il s'applique aux Affaires, ôc paroît fur-tout attaché au redrcfîement de fes Finances, qu'il a trouvées dans un grand dérangement en parvenant à l'E-lectorar. L'Electeur eft né le 6 d'Août 1697. II eft Fils de Maximilien-Emanuel, célèbre par fes victoires Ôc par fa disgrâce, ôc de Thérèfe-Cunegondc Sobieski, Fille de Jean Sobieski Roi de Pologne. Lorsque Charles naquit, il avoit un Frère, né de l'ArchiduchelTe Marie première Femme de Maximilien-Emanuel. Ce jeune Prince, que toute l'Europe regardoit comme devant être le Succelîeur de Charles IL, bu Baron de PôllnîtzI 299 IL, Roi d'Espagne, étant mort à Bruxelles en 1699 t? Charles devint Prince Electoral. Il étoit élevé à Munich avec quatre de fes Frères, lorsque la Bataille de Hochfiet, qui fournit la Bavière à l'Empereur, le rendit lui & fes Frères prifonnier de l'Empereur Jofeph. Ce Monarque fit transférer les jeunes Princes à Gratz, & les y fit traiter moins convenablement à leur haute naiûance, que conformément à l'abaiffement de leur fortune. Jofeph étant mort, Charles VI fon Succeiïèur eut moins de rigueur pour les Princes ; il les fit fervir avec dignité, & leur envoya des Maîtres pour les influire. La Paix de Raftadt aiant rétabli l'EleéteUr Maximilien-Emanuel dans fès Etats, les Princes fes Enfans lui furent rendus. Ils achevèrent leurs Etudes à Munich, enfuite l'Electeur envoya les quatre aines à Rome. Le fécond, qu'on nommoit le Duc Philippe, y mourut, peu de tems après avoir été élu Evêque de Munfter & de Paderborn. De retour d'Italie, Charles fut à Vienne. Il fit la Campagne de Belgrade , & époufa quelques années après, Marie-Amélie-Anne d?Autriche , feconde Fille du feu Empereur Jofeph. En 1725, Charles & fes trois Frères affilièrent à Fontainebleau au Mariage de Louis XV. Il fuccéda en 1 y26 à f Le (î de Février. , à fon Père,qui mourut à Munich,regret- ' té & adoré ere fes Courtilâns. L'Electrice eft petite de taille. Elle reffemble beaucoup à l'Impératrice fa Mère, & a plus de vivacité que n'en ont ordinairement les Princes de la Maifon d'Autriche. Elle aime laChaffe par defïus tous les autres plaifirs, & il fe palTe peu de jours qu'elle n'y accompagne l'Elee-* teur, qui, ainfi que les Princes fes Frères, en fait fes délices. L'Electeur a de fon mariage deux Princes f & deux Princefïes. L'ainé des Fils, qui porte lo- Titre de Prince Electoral , s'appelle Maximilien-Jofebh. \\ eft né le 28 Mars 1727. Son Altefìe S. E. a encore trois Frères, favoir, le Duc Fer-dinand, l'Electeur de Cologne, & l'Evêque àcFreifìngen &C de Ratisbonne. De ces Princes, il n'y a que le Duc Ferdinand qui fafle fa rélidence à Munich. S. A. S. eft Lieutenant-Général, & a un Régiment de Cuiraflicrs au fervice de l'Empereur. II eft aufli Chevalier de la Toilon d'Or, & Grand-Prieur de l'Ordre de S. George. Ce Prince à époufé Marie-Anne-Caroline de Neubourg, dont il a deux Fils & une Fille. Je vous ai déjà dit comme il a été élevé avec l'Electeur fon Frère. U a fait la Campagne de Belgrade avec lui, plufieurs Voyages en Italie, & em der- f [Lefécond «ft mort.] »u Baron de PÔllNÏtx: 30i dernier lieu celui de France , où ces M, Princes ont. fait admirer leur magnificence, leur politeffe, leur goût ôc leurs connoiffances pour les belles chofes. On ne peut fe repréfenter rien de plus affable que le Duc Ferdinand; il eft adoré à Munich , & l'Electeur fon Frère lui témoigne une tendrefle particulière. Madame la Ducheffe fa Femme eft la meilleure Princeffe du monde, elle fait fort bien les honneurs de la Cour, & eft particulièrement civile envers les Etrangers. L'Evêque de FreiCingen & de Ratisbonne eft plus à Munich, que dans fon Dio-cèfe. C'eft un Prince d'une grande pé-npeiation, qui a beaucoup de feu 6c de vivacité, qui eft généreux, libéral ôc charitable, extrêmement civil, ôc que l'on ne peut connoitre fans joindre l'amour au refpect ôc à la vénération qu'on doit à fa naiffance ôc à fon Caractère. Ce Prince eft entré fort jeune dans les Ordres : fon Frère, l'Electeur de Cologne, l'a facré E-vêque. On avoit d'abord cru qu'il étoit peu propre pour l'Eglife ; mais il a fait voir qu'il favoit réunir la fageffe d'un Prélat, à la grandeur d'ame d'un Prince Séculier. La Cour de Bavière eft fans contredit la Cour la plus galante ôc la plus polie de l'Allemagne. Nous y avons actuellement Comédie Françoife, Bal & Jeu, tous les jours. Il y a trois fois par fe- maine L E t T R * » maine Concert;. Tout le monde yaflifte masqué. Après le Concert, on joue & Ton darife. Ces AfTemblées publiques, où l'Electeur ôc toute la Cour afliftent, font d'un grand revenu pour les Valets de chambre de l'Eledleur ; car outre que chacun paye à l'entrée, ils ont aufli l'argent des cartes, & ils font intèreffésdans prefque toutes les Banques : de forte que ces Domcftiqucs ont prefque tout l'argent de la Nobleffe,aveç qui ils ne font point fcrupule de figurer. Outre ces plaifirs bruians, nous en avons de plus pailîbles, je veux dire de ceux que procure uneSo-ciété aifée. C'eft ce qu'on trouve plus ici, que dans d'autres Villes d'Allemagn^ mais plus parmi les Etrangers qui font' au fervice de l'Electeur, que parmi les Bavarois. Ceux-ci font généralement fiers : il eft vrai que c'eft plus parce qu'ils cro-yent qu'il eft du bon air de l'être, que parce qu'ils le font de tempérament. Ils deviennent même plus traitables , lorsqu'on leur fait connoitre qu'on n'eft pas étonné de leurs grands airs. Le Titre de Comte eft auffi commun •ici qu'à Vienne, ôc les Comtes Bavarois n'ont pas de plus grands privilèges que ceux cYAutriche : ils {ont Sujets, comme les moindres Gentilshommes. Je trouve ■que les gens en place ôc qui tiennent un rrang à la Cour, Ibnt beaucoup plus polis que les autres. Los Comtes, de Thirheim, Tor- du Baron de Pòllnitz. 30$ Torring, ôc Preifmg, qui occupent les mhkich, premiers Emplois , font d'une politene qui me fait croire qu'il y aura peu d'Etrangers qui ne fe louent de leurs civilités. L'Electeur a une très grande Maifon, & nombre de Grands-Officiers. Je vais vous en nommer une partie. Le Comte Maxi?nilien de Torriug Sfe-feldt eft Grand-Maitre de la Maifon de l'Electeur, Miniftre d'Etat & Chevalier de la Toifon d'Or. C'eft un Seigneur d'un âge avancé,qui eft doux, civil,parlant peu, naturellement froid, qui n'aime point le falle, qui vit dans la retraite au milieu de la Cour; mais qui, lorfqu'iî donne quelque Fête, le fait avec magnificence. 11 n'a jamais quitté l'Electeur Maximilien-Emanuel fon premier Maitre, & l'a fuivi dans la bonne ôe dans la mau-vaife fortune. Le Comte Sigismond de Thirheim eft Grand-Chambellan, Miniftre d'Etat, & Grand-Croix de l'Ordre de S. George. Sa taille eft élevée. Avec un air peu affable , il a des manières honnêtes Ôc civiles. Il vit très noblement, ôc fait très bien les honneurs de ^ la Cour : auffi eft-il généralement aimé ôc confidéré. Il a été Gouverneur de l'Electeur, qui, au contraire de prefque tous les Princes, peu fujets à conferver de la con fidcration peur ceux qui ont été chargés de leur éducation, tion, témoigne en avoir beaucoup pour le Comte de Thirbeim. Le Comte Max'miticn de Pugger eft Grand-Maréchal *- Comme il n'eft point à Munich,je n'ai rien de particulier à vous en dire. , Le Comte Maxtmihen de Preifmg , Grand-Ecuyer, Prclîdent de la Chambre des Finances, Miniftre d'Etat, & Grand-Croix de l'Ordre de S. George, eft un Seigneur d'une très grande politene, mais dont le férieux^ eft d'un froid à glacer. Il eft difficile d'être plus attaché à la Religion, d'avoir plus de candeur, & d'être plus intègre, que ne l'eft ce Miniftre. Sa probité lui attire des envieux, mais elle lui a mérité toute la confiance de l'Electeur: confiance de laquelle le Comte ne le prévaut, qu'autant que le demandent les affaires de fon Maitre. On l'accufe de n'être point libéral, & de détourner l'Electeur de faire des gratifications; cependant, on convient qu'il fait de grandes charités aux Pauvres. Il eft difficile qu'un Miniftre qui dirige les Finances, ■puifle plaire à tout le monde : il eft ordinairement le fujet des critiques publiques. Le Comte de Pechberg, Grand-Veneur + , Miniftre d'Etat, Préfident du Con- * [ C'eft à préfent le Comte Godenti, de Rethberg, Grand-Croix de l'Ordre, qui eft Grand-Marechal.] i [Le Baron de Prtifmg eft à préfem Grand-Veneur. 1 d u Baron de Pollnïtz. 305 Confeil de Guerre, Lieutenant-Général, ôc Grand-Croix de l'Ordre de S. George, commande en Chef les Troupes de l'Electeur. Il avoit accompagné le feu Electeur en France, & il y a acquis la réputation d'un Général expérimenté ôc qui entend fon métier. Ignace Jofeph, Comte de Torring, eft Miniftre d'Etat, Grand-Maitre de l'Artillerie, & Grand-Croix de S. George. Il a fuivi le feu Electeur en France. Après le rétabliffement de ce Prince, le Comte de Torring alla en qualité de Miniftre Plénipotentiaire à la Cour Impériale. Il y négocia le mariage de l'Electeur régnant avec rArchiduchcffe , Fille cadette du feu Empereur Jofeph. Je pourrois vous nommer encore nombre d'autres Perfonnes de diftinction de la Cour de Bavière, mais j'appréhende qu'un trop grand détail ne laflat votre patience. Les Miniftres qui ont le plus d'autorité, font les Comtes Maximilien de Preifmg, & de Torring, ôc Mr. d'Unertel. Le premier dirige les Finances, le fécond a le Département des Affaires étrangères, Ôc le troisième a les Affaires intérieures ôc la Guerre. Ces trois Miniftres font les Arbitres de la Bavière, ôc c'eft à eux que les Tribunaux des Provinces doivent s'adreffer. La Bavière efl partagée en quatre Cantons, ou Provinces, fa voir, les Cantons de Munich, de Burghaufen, Landsbnt, &z lome I. V Strati- Mumcn. Straubmgcn. Chacune de ces Provinces a une Régence, ou Parlement. On peut appcllcr des Sentences qui s'y rendent,au Coniéil d'Etat de l'Electeur Il eft certain que la Bavière eft un des meilleurs Etats de 1 Empire. On prétend qu'elle rend fept millions de florins; & des gens * portée d'être informés des Affaires du Pays, m'ont affuré que le feu Electeur pendant quelque tems en droit onze millions par année. Ce qui fait la ïichefle de la Bavière, eft le tranfportdu Sel & des Grains, & la confommaiion de la Bière du Pays, qui égale en bonté les Bières les plus eftimées. Le Tyrol & le Pays de Saltxbourg tirent prefque tous les Grains qui s'y confomment, de la Bavière. Chaque fac doit un florin de fortie à l'Electeur. Une autre chofe qui eft un Tréfor pour la Bavière, ce font fès Sapins. Ce bois fert à tout ce qu'on peut s'imaginer, tant pour bâtir que pour les uftenfiles de ménage. Il n'y a point de Province dans l'Empire, où les vivres foient à meilleur marché : il s'en fait cependant une grande confommation ; car outre que les Bavarois aiment la bonne chère, le Pays eft fort peuplé : on compte que le nombre des Habitans de Munich feul, pafle quarante-mille âmes. L'Electeur de Bavière eft de tous les Souverains de l'Europe, après le Roi de France, celui qui a les plus belles Maifons fons de plaifânce. Il en a l'obligation à l'Electeur fon Père, qui étoit d'un goût & d'un diicernement admirable. Nymphenbourg , à une petite lieue de Munich, eft un Lieu enchanté. Ce Château fe diftingue de fort loin, étant au milieu d'une grande Plaine; ce qui fait que l'on découvre, des apartemens du fécond étage, une vafte étendue de Pays, & un nombre infini de beaux objets qui fe trouvent aux environs de la Ville de Munich. Marie-Adélaïde de Savoie (Mère de Maximilien- Emanuel) qui aimoit paf-fionnément les Beaux-Arts, & qui s'y connoiffoit parfaitement y- fit jetter les fondepiens du Château de Nymphenbourg. Elle fe fèrvit pour la conduite de cet Edifice, d'un Architecte Italien qu'elle fit venir d'Italie pour cet effet. Mais tout ce Palais étoit feulement compofé d'un» gros Pavillon. Maximilien-Emanuel trouJ vant ce Château trop petit, y fit ajouter différeos Corps de logis, & l'accompagna de belles Ecuries &c de fuperbes Jardins: enfin il mit le tout dans cet état de magnificence où il eft aujourd'hui. C'eft dommage que S. A. S. E. par refpecf. pour la mémoire de fa Mère, ait voulu conferver le Pavillon que cette Princeffe a fait bâtir: il fe trouve beaucoup plus élevé que le refte de l'édifice ,• & ne fait pas une décoration avantageule au corps du bâtimeat. Pour voiw donner une idée' V 2 un 3o8 Lettre* un peu plus parfaite de cette maifon, je vous dirai qu'elle fait face à un grand Se magnifique Canal, terminé à chaque extrémité par un grand Baflin orné de Jets d'eau, & bordé par de doubles Allées d'arbres qui forment des Avenues. On monte un Perron de marbre, pour entrer dans le Château. On y trouve d'abord un très grand Salon fort élevé, orné d'Architecture de fluc, très bien exécutée. Ce Snlon conduit des deux côtés dans divers Apartemens, que je ne m'arrêterai pas à vous détailler, ne croyant pas pouvoir vous donner une idée de la richeffe des meubles, & de toutes les belles chofes qu'on y voit. Imaginez-vous que le feu Electeur, dont le goût étoit exquis, £c qui étoit naturellement magnifique , n'a rien épargné pour l'ornement de ces apartemens. Je pafïc aux Jardins , où fon entre de la grand' Salle en defeen-dant un Perron de marbre. Le premier coup d'ceil préfente d'abord un Parterre de très vafte étendue, à l'entrée duquel il y a un grand Baffin orné d'un groupe de plomb doré d'or moulu, repréfentant Flore à qui des Nymphes & des Amours préfentent des fleurs. Le Parterre eft terminé par un des plus agréables Bois de l'Univers, coupé par trois Allées en patte d'oye. Celle du milieu fait face au grand Pavillon du Château, & elle a un large Canal au milieu, donc la longueur eft à perte perte de vue: il eft terminé par une belle Cafcade, que forment plufieurs napes de marbre, & qui eft ornée de belles Statues. En iuivant la feconde Allée adroite , on parvient au Mail, un des plus beaux & des plus longs que j'aye encore vus : il forme un demi-cercle. A l'entrée de ce Mail, il y a un Pavillon appelle Pagodebourg ( Château de Vagode ). H eft à deux étages, & conftruit en forme de Temple de Pagode. Je croi qu'il n'y a jamais eu rien de plus joli. Tous les meubles de ce petit Palais font à l'Indienne, d'un goût & d'une propreté charmante. Tout y eft fi bien ménagé, que malgré la petitefle de la maifon, l'Electeur y a toutes les commodités defirables. Vis à vis de Vagodebourg, de l'autre côté du Canal dans la troifièrae Allée, eft Baden-bourg {Château des Bains ), qui eft un E-dificeplus confiderable, & tout ce qu'on a jamais fait de plus beau en Bains modernes. Les Bains font vaftes,& revêtus de marbre. Ils font accompagnés d'un Apartement confiftant en plufieurs pièces ornées de ftuc, & de Tableaux repréfen-tant Vénus dans le Bain, Diane dans l'eau avec fes Nymphes, & d'autres fujets de la Fable. Tout reluit d'or dans cet Ar partement; les meubles en font riches, & d'un goût charmant. Cette belle maifon eft entourée de Pièces d'eau,ornées de Cafcades ôc de Statues. Ces Bains V 3 me- mériteroicnt aflurcmcnt une defcriprion particulière : je me veux du mal de n'être point capable dè la faire. 11 eft certain qu'après les Jardins de Verjailles, il n'y en a point qui foient de la magnificence de ceux de Nympben-bourg. L'Art Ôc la Nature femblcnt s'être réunis pour rendre ce Lieu agréable ôc fuperbe. Le Château de Schlcisheim a plus de régularité que celui de Nympbenbourg, ÔC eft un Edifice d'une fi grande apparence, que je ne fâche point de Maifon en Allemagne qui puifle lui être comparée. Le grand Efcalier, Ôc le Salon du grand apartement, font des pièces uniques dans leur genre. Ils font revêtus de marbre, ôc peints avec une grande corredi ion Ôc d'une beauté particulière. Taco, Furjienriet, ÔC Starenberg, font des Maifons dignes de faire les délices d'un grand Prince, Ôc feront des témoignages à la poftérité, de la magnificence Ôc du bon goût de l'Electeur Maxhmlien-JZwanuel. De toutes les Maifons de l'Electeur , Nympbenbourg eft celle où la Cour eft le plus. Le voifinage d'un Parc dont l'enceinte eft de huit lieues,ôc qui et coupé par quantité de belles ôc longues routes, en fait en même tems un Lieu de plaifânce ôc une Maifon de Challè. L'Electeur y torce le Cerf. Le petit Parc qui joint les Jardins, & les Campagnes d'à- Munich. lentour, abondent en Faifans , Perdrix, ôc en toutes fortes de petit Gibier. Lorfque la Cour eft à Nytnphenbourg, l'Electrice y tient Apartement trois fois la femaine. On y joue, ôc après le jeu les Dames foupent avec Leurs Altefles Electorales , qui quelquefois admettent aufli des Cavaliers de leur Cour à leur table: mais ordinairement tous les Etrangers y font admis. Ccuk qui préfèrent la promenade au jeu, trouvent tous les foins des Calèches ouvertes, attelées de deux chevaux, au bas du Perron du côté du Jardin : un Cavalier conduit la Calèche, deux Dames occupent le fond, Ôc un Cavalier fe tient derrière. Ceux qui veulent fe promener fur l'eau, trouvent des Gondoles très propres ôc bien dorées fur le Canal, à leur difpolidon. De forte que rien ne manque, ôc que tous les plailirs le trouvent dans ce Lieu enchanté. Je ne finirois pas, fi j'entreprenois de vous détailler tous les plaifirs différens dç la Cour: je me bornerai à ceux ci, pour le prélent. Je fuis réfolu de partir dans trois ou quatre jours pour Stutgard. Jç coucherai à Ausgbourg ôc à Vita, Une gelée, qui féchc les chemins depuis un mois iàns difeontinuer, me fait efpérer que je roulerai commodément. J'eibère de recevoir de vos nouvelles à Sturgard. Munich. Faites, je vous fupplie,que je ne Cois pas trompé dans mon attente, & croyez que je fuis très fmcèrcmenr, &c. A Munich , ce y Janv. 173°- LETTRE XV. M O N S i EUR, fors- TL n'y a rien à remarquer entre Munich *««• J & Ausgbourg, (i ce n'eft ]a belle Ab-'LLI,T' baye de Fdrstenfeldt, poffedée par des Bernardins. Elle a été fondée par Louis le Sévère Duc de Bavière, en repentante de ce qu'il avoit fair mourir in-juftement Jeanne de Brabant fa Femme. Voici comme PHiftoire de Bavière rapporte ce fait. Jeanne étoit une très belle princefle. Son Epoux qui l'aimoit éper-dument, fe trouvant obligé de faire un voyage, la mit fous la garde d'une de fes Tantes. Jeanne,dans cet intervalle, écri-voit fouvent à fon Epoux. Elle écrivoit auiïi au Prémier-Miniftre & Favori de ce Prince. Un jour elle remit fes Lettres entre les mains d'un Domeftique, & le chargea de les rendre à leur adres-fe. Cet Homme fe méprit, & donna la Lettre qui s'adreffoit au Duc, à fon Favori, 6c celle qui étoit pour ce Miniftre , au Duc. Louis trouva que fa Femme y par- parloit trop obligeamment à un Sujet : il f»rj* en conçut une jaloufie oui dégénéra en fureur. 11 tua lui-même fon Favori, puis montant à cheval, il fe rendit en diligence à Donawerdt où étoit Jeanne. Il arriva de nuit au Château, maflacra de fa main le Portier, fit mourir fa Tante & tous ceux à qui il avoit commis la garde de fa Femme: enfuite, comme un iecond Hérode, il fit trancher la tête à l'infortunée Jeanne. La nuit qui fuivit cette barbare action, les cheveux de Louis blanchirent, quoiqu'il n'eût que vingt-huit ans. Cet accident lui fit reconnoitre fes péchés, & l'innocence de fa Femme. Sa repentance égala fa barbarie: il alla à pied à Reme, pour demander l'ab-folution de fes péchés au Pape. Il l'obtint, à condition qu'il feroit bâtir une Eglife, & qu'il fonderoit un Monaftère dans fes Etats. Louis, de retour de Rome , fonda l'Abbaye de Furftenfeldt. Le premier établiffement ne fut que pour huit Religieux ; mais la piété des Princes de Bavière les aiant portés à répandre leurs bienfaits fur cette Maifon, elle entretient aujourd'hui trente Religieux, & un Abbé, que les Moines ont droit d'élire entre eux. Ces bons Pères font bâ^ tir actuellement une très magnifique E-glife, & jouiffent de toutes les commodités de la vie. Le pays entre Munich & Augsbourg- Av««-V 5 eft ^00j. eft uni, entremêlé de Bois & de Cam-BOURG, pagnes. Augsbourg, Evcché & Ville Impériale, eft la Capitale de Stuabc, & une des plus grandes ôc des plus belles Villes de l'Allemagne. Une petite branche du Leck pafle à travers la Ville, 6c la fournit abondamment d'eau. Les rues d'Augs-bourg ibnt larges, droites 6c bien percées. Les maifons font bien bâ:ics; il y en a beaucoup qui font chargées de peintures. Les I iabitans regardent Augufia comme le Fondateur de leur Ville. H eft vrai que cet Empereur y envoya une Colonie j mais la Ville étoit déjà fondée. On ne dit point quel nom elle portoit avant qu'on lui eût donné celui dAugufia yindelicorum, pour la diftinguer des autres Villes qui portoient le nom d'Au-gufie. Je laiffé aux Antiquaires cette fu-fée à débrouiller , 6c je me renferme dans les faits qui fe font paffés à Augs-bourg depuis environ deux-cens ans. Ce qui rendra cette Ville éternellement célèbre, eft la Confeffion de Foi que les Princes Proteftans y préfentèrent à l'Empereur Charles V, dans l'année 1530. Quoique les Proteftans fe trouvaient oes-lors très puiffans dans Augsbomg ' ils ne purent s'y maintenir ; les Bavarois les en chalfèrent. Mais Gujtave Adolphe les rétablit en 1632 ; ôc depuis ce tems ils y font demeurés, ôc partagent le Gouvernement avec les Catholiques. En 168 7, PEmpereur, YEfpagne, les Provinces-Unies Augj-& les Electeurs de Saxe, de Brandebourg » & Palatin, conclurent à Augsbourg la célèbre Ligue contre Louis XIV, qui commençoit à faire valoir les prétentions de la DucheiTe d'Orléans fa Belle-fceur fur la Succelïïon de l'Electeur Palatin Charles-Louis , Frère de cette Princeffe. En 16903 Jofeph Archiduc d'Autriche, Roi de Hongrie, Fils aine de l'Empereur Léopold, fut facré & couronné Roi des Romains à Augsbourg. L'Empereur, l'Impératrice, les Electeurs de Maience, de Cologne, de Trêves, de Bavière, & Palatin , affilièrent en perfonne à cette cérémonie. En 1703, l'Electeur Maximilien de Bavière fe rendit maitre d'Augsbourg en fept jours. Ceree Ville avoit demandé la Neutralité, qui lui avoit été accordée; mais comme, depuis, elle avoit reçu Garnifon Impériale, l'Electeur prit ce prétexte pour l'alïiégcr. 11 fit démolir les fortifications, prévoyant fans doute qu'il ne pourroit pas conlèrver cette Place. La Bataille de Hochfiedt remit Augsbourg en liberté. Elle en jouit encore fous le gouvernement de fes Magiftrats, l'Evêque n'aiant rien à commander dans la Ville pour le Temporel. Celui qui remplit actuellement cette Dignité, eif de la Maifon de bïeubourg , Frère de l'Electeur Palatin. Ce Prince a le même caractère de bonté, qui Avas- qui eft fi familier à tous ceux de fa Maifon. bouru. Comme fon Evêchén'eft pas des plus confidérables de l'Allemagne, fa Cour n'eft pas des plus grandes ; mais la Maifon eft bien compolée, & tout s'y fait avec ordre ôc magnificence. Le Chapitre de la Cathédrale eft composé de Peribnnes de qualité, qui doivent faire leurs preuves de Nobleffe. Les Chanoines ont droit d'élire leur Evêque, qui eft Souverain, comme tous les Prélats d'Allemagne. Ce Prince demeure à Augsbourg, quoique fa Réfidence doive être à Dillingen. Le Palais Epifcopal eft fort ancien , ôc peu logeable. 11 joint l'Eglife Cathédrale, qui eft un bâtiment Gothique, fombre ôc fans beauté, mais dont les ornerriens font très riches. L'Edifice le plus considérable eft la Maifon de Ville. Ce bâtiment eft très folide, tout de pierre de taille : le Portail eft de marbre. Les chambres font très belles, mais particulièrement la grand' Salle eft extrêmement magnifique. Les murailles en font couvertes de peintures représentant des Emblèmes Ôc des De-vifes qui ont du rapport au Gouvernement. Le plafond eft tout ce qu'on peut voir de plus beau ; il eft à compartimens, dont les cadres font extrêmement fculp-tés & dorés : le tout eft enrichi de Tableaux, ôc autres ornemens parfaitement bien ménagés. De- Devant l'Hôtel de Ville , il y a une AV65- très magnifique Fontaine, où, entre au- bour«. très belles figures de bronze, on eftime beaucoup la Statue à'Augufte, qui eli re-préfenté dans une attitude très noble. La Ville d'Augsbourg me paroît avoir quelque reflemblance avec Anvers, pour la largeur des rues, & la folidité des bâ-timens. Elle lui reflembloit autrefois par le Négoce, lorfque les Vénitiens étoient les maitres du Commerce : Augsbourg é-toit pour-lors le dépôt des marchandifes, & on les tranfportoit de là dans une grande partie de l'Europe. Depuis que Londres & Amfterdam font devenus les Ma-gafins du Monde, & que le Commerce de Venife languit, le plus grand Négoce d'Augsbourg confitte dans les ouvrages d'Orfèvrerie, dont cette Ville fournit toute l'Allemagne, la Pologne, & généralement prefque tout le Nord. Ces ouvrages font à beaucoup meilleur marché ici qu'ailleurs ; & lorfqu'on fournit les modèles, on eft très bien fervi. Malgré la décadence du Commerce, il ne Iaiffe pas d'y avoir encore des Maifons très riches ; mais je doute qu'il y en ait qui puiffent faire ce que fit Fugger à l'Empereur Charles V. Ce Monarque panant par Augsbourg, logea chez Fugger, qui le reçut en Empereur. Le feu dans toutes les cheminées étoit fait avec du bois de Cèdre. Après le repas, qui fuC d'une ma- 5 iS Lettrés Avas- magnificence extraordinaire, Fagger prit louRo. une Obligation d'une fomme trèseonfidé-rable que lui dévoie l'Empereur , Ôc la jetta dans le feu. La NoblelTe s afiemblc ordinairement tous 1« foir» 5 dans l'Auberge des Trois--Rois, où je fuis logé. Il y a une belle Salle bien éclairée: on y joue, enfuite on foupe à pic-nie; 6c après fouper fondante. Ne foyez pas feandalifé que la No-blelfe s'alfemble dans une Auberge; c'eft une des plus belles maifons de l'Allemagne , 6c la plus magnifique Auberge de l'Europe. On y eft très proprement fervi. J'y ai foupe deux fois ; on ne peut être mieux dans quelque maifon que ce foit. jy Augsbourg je fuis venu à U l m , Vlm. Ville Impériale. Quoique tout ce pays foit afièz uni, il ne laiffe pas d'être très incommode pour les Voyageurs, à caufe du pavé des Chauffées; mais grâces à la neige qui avoit appiani les chemins , je n'en ai pas été fort incommodé. En revanche , j'ai failli à périr dans ces mêmes neiges: il en étoit tombé une telle quantité depuis deux jours, qu'on ne voyoit pas les chemins. Je me trouvai à une Pofte, où mon Guide ne fe reconnoif-foit pas, quoique ce fût «n homme qui eût blanchi dans le métier de Poftillon fur la même route. Je me voyois en danger d'être culbuté à tout moment dans quel- bu Baron de PôllnitI 319 quelque foffé, lorfqu'étant arrivé à l'en- tj trée d'un chemin creux, mon Poftiilon fonna du cornet pour faire ranger les Voitures qui pouvoient venir à notre rencontre. Une voix fortit du chemin creux, & cria au Poftiilon , Ejt-ce vous , Ste-fhani Oh! s'écria mon Portillon, ejl-ce vous , Chriftophle ? Dieu foit loué, que je *uous trouve ici ! Puis le tournant vers moi, il me dit d'un air fatisfait: Vous voilà hors de danger ; voici un Aveugle qui nous conduira à la Pofe où nous devons aller. Je crus que le drôle fe moquoit de moi; mais aiant fait encore quelques pas, je vis en effet un pauvre miférable qui n'avoir point d'yeux, ôcqui s'offrit de me fervir de Guide, me promettant qu'il me conduiroit très bien. Je m'abandonnai à lui : il marcha devant ma Chaife a-vec tant de diligence, que les chevaux le fuivoient au petit trot, & me mena ians aucune avanture à la Pofte. II m'y conta , qu'il y avoit quinze ans qu'il avoic perdu les yeux par un abfcès qui étoit crevé , après lui avoir fait fournir pendant deux mois d'effroyables douleurs, de forte qu'il avoit regardé comme un bien de perdre la vue. Et fur ce que je lui demandai fi la perte de la vue ne l'arnVeoit pas beaucoup , il me dit que dans les commencemens cela l'avoit quelquefois attrifté; mais qu'il s'étoit toujours confale, en fe rappeliant le fouvenir des dou- douleurs qu'il avoit fouffert en perdant la vue ; & qu'il s'étoit dit, qu'il valoit encore mieux être aveugle, & fe porter bien, que de voir , ôc fouffrir les maux qu'il avoit foufferts. Que pour le préfent il étoit accoutumé à fon état, & que cela ne lui faifoit aucune peine. Je lui demandai, s'il ne feroit pas bien aife de recouvrer la vue. Il me dit qu'oui, fi cela étoit poffible ; mais que s'il lui faloit fouffrir les mêmes douleurs pour la recouvrer , qu'il avoit fouffertes pour la perdre, il aimeroit mille fois mieux demeurer aveugle. Sur ce que je lui témoignai de la furprife, de ce qu'il avoit fu trouver le chemin mieux que ceux qui voyent ; il me dit que depuis qu'il étoit aveugle, il venoit régulièrement les Dimanches ôc les jours de Fête entendre la Meife à l'endroit où nous étions, qu'airi-li ce chemin lui étoit très familier. Il a-jouta, qu'il alloit quelquefois feul mendier à trois ou quatre lieues de fon Village , qui étoit à un quart de lieue du chemin creux où je l'avois pris. Je renvoyai cet homme, après lui avoir fait quelque charité ;ôe j'admirai la divine Providence, qui en affligeant ce pauvre miférable par ce qui me paroît plus effroyable que kla mort, lui donnoit la force de fupporter Ion mal avec patience. La Ville d'Ulm n'eft pas plus grande que la moitié dAugshnrg j mais elle eft beau- beaucoup mieux fortifiée. Le Danube tj baigne fes murailles. C'eft ici que ce Fleuve devient navigable. Il part toutes les femaines un Bateau de cette Ville pour Vienne : ce qui eft d'une grande ailance pour les gens qui ne font pas en état de faire de la dépenfe. Il en coûte un Creut-zer7 qui eft un fou, par mille d'Allemagne. Quoique la Ville d'U/m entretienne une Garnifon allez nombreufe, & qu'elle foit affez bien fortifiée & fournie d'un bon Arfenal , l'Electeur Maximilien de Bavière la prit parfurprife en 1702, cette Place lui étant néceflaire pour mettre fes Etats à couvert de ce côté-là, & pour faciliter le paffage des Troupes de France qui dévoient joindre fon Armée. Le Général Tbungen lui ravit cette Conquête le 10 Septembre 1704, après huit jours de Siège. Vlm rentra alors fous la puif-fance de fes Magiftrats , qui font tous Luthériens. Les Catholiques ne fauroient entrer dans les Charges, mais ils ont plufieurs Eglifes. Cette Ville fait un grand Commerce en Toile : il y demeure peu de Nobleife, excepté les Patriciens, qui ne font pas plus communicables que ceux de Nuremberg & d'Augsbourg l_,es Bourgeois, & particulièrement les Femmes, vont habillés comme à Augsbourg. Les voir aller & revenir de l'Eglife, p'eft voir une Mafcarade. C'eft auffi ce qu'il y a de plus divertiflant dans Tome L X cet- Vv«. 'cmc Ville, où véritablement je ne me fuis point donné le tems de m'ennuier. J'en fuis parti le lendemain de mon arrivée, & je fois arrivé en cette Ville, où je me repofe depuis deux jours. Stot- Stxjtoard efl: au milieu d'une C4RB' Vallée entourée de Vignobles. Cette Ville eft d'une moyenne grandeur ; fes rues font larges & droites, mais les maifons font de bois. Elle eft la Capitale Princefle eft brouillée avec fon Epoux, gar» * Çe Prince 'depuis vingt ans lui préfère une Maitrefle, à qut aflurément n'a ni la beauté ni le mérite de la Duchef-fe. Cette PrinceiTe fupporte avec patience les froideurs tetc&wn •Suc chacun lui lefalcj LETTRE XVI. Monsieur, Lod- T E Vue de Wurtemberg eft un Prince wicj- d'une moyenne grandeur ; avant fon ,0VR0, embonpoint, il étoit très bien fait. Il eft honnête , affable & populaire ; peu de Princes vivent plus familièrement a-Vec leurs Courtifans. Il a été un des meilleurs Danfeurs de fon tems- il monte encore parfaitement bien à cheval, ôc il a une grâce infinie ôc une adreffe incomparable dans tous les exercices du corps. Il prend plaifir quelquefois à conduire lui-même fes caroffes: je lui ai vu conduire huit chevaux fans Poftiilon, ôc ' leur faire faire le manège comme fi ce n'étoit qu'un feul cheval. Ce Prince aime la magnificence , il eft libéral, galant, ôc amoureux. Quoiqu'il y ait plus de vingt ans qu'il aime une même Maitrefle , fa paflion pour elle n'en eft pas moins violente , ôc il n'en donne pas des témoignages moins éclatans. Son Alteffe Séréniflìme a commandé pendant la dernière Guerre, l'Armée de l'Empire lur le Haut-Rhin. Il a un Fils unique, marié avec Henriette de Prujfe, Fille du Mar- Margrave Philippe Frère de Frédéric I. lud-Roi de Pruffe. Ce jeune Prince eft ap- wios-pellé le Prince Héréditaire. Il eft petit *ot7lu de taille , mais bien fait. Il a un des meilleurs Caractères qu'on puifie defirer dans un Souverain; il eft humain, doux, affable & civil. On peut dire que le Duc fon Père , & lui, font les deux Hommes de la Cour de Wurtemberg qui ont le plus de politeffe. Il a paffé plufieurs années en Hollande , en Lorraine , à Genève, à Turin, en Italie & en France. Au retour de fes Voyages, il fut fe marier à Berlin. Il a une Fille unique , qui eft très aimable. Le Prince Héréditaire aime la magnificence , la Danfe , les Spe&acles & la Mufique, a- v vec palfion ; il fe fatigue beaucoup , Se monte ordinairement fept ou huit chevaux tous les matins. Sa fanté délicate, & le peu de foin avec lequel il la ménage, me font craindre que fa vie ne fera pas des plus longues *. Madame la Princeffe Héréditaire a un air de majefté & de grandeur, convenable à fon rang. Elle eft grande & bien faite : fes manières font nobles ; & quoiqu'elle ne foit pas régulièrement belle, il eft certain qu'elle a beaucoup d'éclat. Elle • Il eft mort à Ludwigsbourg, [ lc 2 ■> Novembre x5 Lud- le eft extrêmement férieufe, & ne 0. wio«- moigne pas prendre grand' part aux piai-»oi/Ro. firs de ja Cour_ La parure me paroît l'occuper le plus : elle eft toujours mife avec beaucoup de goût & de magnificence. S. A. R. car on lui donne ce titre, comme Fille de Frère de Roi, eft extrêmement gracieufc & civile envers tout le monde, mais particulièrement envers ceux qu'elle a connus à la Cour de Pruffe. Elle me fait l'honneur de s'entretenir quelquefois avec moi ; je lui trouve beaucoup de jufteffe dans l'efprit, & des fcntimens très convenables à fa naifTance. Cette Princeffe eft de la Religion Réformée: elle a fon Chapelain, qu'elle fait prêcher dans fon apartement; de forte que maintenant que le Prince A-laxandre de Wurtemberg eft ici, il y a trois Chapelles de trois Religions différentes, dans le Château. La Comteflè de Wurben tient le premier rang à la Cour , après S. A. R. Elle poftède depuis longtems toute la faveur du Duc. Elle eli Gr'dvenitz. de fon nom, & eft ifliie d'une Maifon noble de Meckelbourg. Le Duc a commencé à l'aimer lorsqu'elle étoit encore Fille. Elle eut l'audace, après quelques années de faveur , de prétendre que le Duc répudiât la Ducheffe fa Femme dont il avoit un Fils, pour l'époufer. La Ducheffe, avertie des prétentions de fa fa Rivale, implora la protection de l'Em- Luq_ pereur , ôc l'obtint. Ce Monarque té- WIOj. raoigna au Duc , qu'il feroit bien d'é- *ouro. loigner fa Favorite. Elle fut donc obli-gée de fe retirer en Suifle. Le Duc ne pouvant vivre fans elle , la fuivit ôc demeura quelque tems avec elle ; mais enfin, étant obligé de retourner dans fes Etats, où il ne pouvoir ramener Mdiie. de Gr'dvenitz fans réveiller les juftes craintes de la Ducheffe, il chercha un Mari pour fa Maitreffe. Le Comte de Wurben , homme de naifTance très médiocrement partagé des biens de la fortune , mais en récompenfe animé d'un ardent defir d'en obtenir les faveurs à quelque prix que ce fût, s'offrit pour é-poufer Md[ie. de Gr'dvenitz. Elle lui fut accordée, avec vingt-quatre-mille florins de penfion , ôc le Carattere d'Envoyé Extraordinaire du Duc à la Cour Impériale. 11 s'engagea de ne jamais ufer du droit de Mari, ôc de ne jamais exiger que fa Femme quittât la Cour. Moyennant cela, il obtint encore avant que de partir pour Vienne, la Charge de Landt-hoffmetfler de Wurtemberg, qui eft la première Dignité du Pays. Ce Mariage étant conclu , Madame de Wurben revint à Stutgard, où elle fut logée au Palais. Toute fon attention étoit d'infuker à la Ducheffe, dans l'efpérance de la porter à quelque éclat qui la brouillât X 4 fans Lud- fans retour avec le Duc : mais cette wios- PrinceiTe, auffi fage que vcrtueufe, tou-BOUR0, jours patiente, fupporta fes chagrins fans • murmurer. La Maitreffe ne pouvant la fouffrir dans le Palais, obtint du Duc de lui ordonner de fe retirer dans le Lieu qui lui eft aiïigné pour fon Douai-- re; mais la Duchefle refufa conftamment d'obéir, difant, que n'étant pas aflcz malheureufe pour avoir perdu fon Epoux, elle ne fe retireroit pas à fon Douaire. Ce refus , quelque jufte qu'il fût, offen-fa le Duc : il fit favoir à la Duchefle , qu'il ne la regardoit plus comme fa Femme, & ordonna qu'on ne la traitât plus en Souveraine. Sur ces entrefaites, Madame de Wurben devint Veuve. Toutes les efpérances qu'elle avoit ofé concevoir étant Fille, fe réveillèrent. Elle porta le Duc à quitter Stutgard, ôc à fonder Lud~ tvigsbourg. Dès que cette Maifon fut en . état d'être occupée, le Duc vint l'habiter avec fa Maitreflè. U n'y a forte d'intrigues que la Favorite n'ait employé, pour fe procurer la place de la Duchefle; mais jufqu'à préfent elle n'a pu y réuffir. En attendant, elle jouit de tous les honneurs de Souveraine. C'eft chez elle que fe tient la Cour ; chez elle que le Duc joue ; chez elle qu'il mange. Elle eft traitée d't'gale en tout à S. A. R. Son Excellence, ( c'eft ainfi qu'on nomme cette impéricufe Favorite, qui depuis la mort mort de fon Mari ne porte plus d'autre Lu©, nom,) approche de cinquante ans, ôc wigs-eft extrêmement puiffante. Elle employé B0URG' tous les iecoùrs imaginables , pour effacer les injures que les années ont faites à fon vifage. Son efprit n'eft pas plus naturel que fon teint; l'artifice ôc la dif-fimulation font fon caradfère. Empreffée à amaffer des richeffes , elle en fait là première occupation. En affedlant un grand refpcci: pour le Duc> comme une autre Aftarbé, elle exige que tout trem-ble Ôc fléchiffè devant elle. Comme elle eft la dépositaire des grâces , on lui fait la cour plus qu'au Duc même : malheur à ceux qui ofent lui déplaire ! Je dois convenir pourtant, que c'eft une des Femmes de l'Allemagne qui fait le mieux vivre, lorfqu'elle veut faire ufage de fa politefle. Le malheur eft , quelle ne le veut pas toujours. Accoutumée depuis longtems aux airs de protection, elle s'en eft fait une habitude. Les principales Charges de la Cour font diftribuées entre fes Parens , ou fes Créatures. Son Frère, le Comte de Gr'dvenitz , eft Grand-Maréchal ôc Prémier-Miniftre. Je n'ai guère vu de plus bel homme. Je lui dois même la juftice de dire, qu'il eft autant civil que fa Sœur eft impérieufe. Le Duc a obtenu pour lui, il y a quelques années, la Dignité de Comte de l'Empire ; ce Miniftre a même été reçu X 5 en en cette qualité à la Diète, & il a place fur le Banc des Comtes de Souabe. Son autorité n'eft contrecarrée que par fa Sceur, à qui il ne veut pas toujours o-béir. On dit que leurs divifions font allées quelquefois û loin, que la Favorite a fait tout fon poffible pour éloigner fon Frère,& celui-ci à fon tour pour chaffer fa Sceur : mais le Duc les a toujours raccommodés. Le Premier-Miniftre, ôc fon Fils ajné , font honorés de l'Ordre de Prufie. Il n'y a point de Cour en Europe , où il y ait tant de difîérens Ordres, & de Cordons. Le Duc porte alternativement l'Ordre de l'Eléphant de Dannemarc, celui de l'Aigle noir dePrufi. y?, ôc le fica propre qui eft celui de & Hubert. Le Prince Héréditaire a l'Ordre de PruÛTe, & celui du Duc fon Père. Le Prince Charles - Alexandre * porte la Toi/ou, ôc l'Ordre de Wurtemberg. Le Prince e'toit Fek-Aïarccbûl des Année* de l'Empereur > & Gouverneur de la Servì* & de "Belgradi. C'efttin des grands Généraux de notre Siècle ,& dont le Prince E»g*n» fait un cas tout particulier. Etant parvenu à la fucceuion > il obtint de la Dicte de J'Empire la Charge de Général - Felt - Maréchal » conjointement avec le Duc de "BruninUk - "Bevem ce le Fr. d'Anhalt. Il avoit époufé Marioli ngufle de lu Tour-Tjxh, dont il a des Enfans. 11 a deux frè» tes au fervice de l'Empereur , le Prince Frédéric Se le Prince Lauit> qui le foai diftingues dans la piegate Guerre. ) Prince Louis fon Frère porte l'Ordre de Lvo-l'Aigle blanc de Pologne. wioi- Mr. le Baron de Schunek, ci-devant BOOR* Miniftre d'Etat du Duc, & aujourd'hui Grand-Bailly d'un Bailliage, eft Chevalier de l'Ordre de Danebrog. Je ne finirois pas, fi je vous nommois tous les Chevaliers de l'Ordre de S. Hubert, & de nombre de petits Souverains qui fe font érigés en Grands - Maîtres. Le Confeil particulier, ou du Cabinet du Duc, eft compofé du Prince Héréditaire, & des Comtes de Gràruenitz. Père & Fils, du Baron de Sckmtz,, & de Mr. de PoUnitz. *. Il y a encore cTautreg Confeillers d'Etat, mais qui n'étant na* admis au Confeil de Cabinet, font moins confédérés que les autres. S. A. S. s'eft réfèrvc le détail de fes Troupes. Je croi qu'Elle a à préfent quatre-mille hommes , fans compter fes Gardes du corps qui con fiftent en deux Compagnies, & qui furpafient en beauté tout ce qu'il y a de Gardes en Allemagne. L'une de ces Compagnies eft commandée par le Lieutenant - Général Baron de Phul, & l'autre par un Comte de Witgenfiein. Elles font habillées de jaune, * Mr. de Poltrite a quitte ht Ccmr depuis 173*» & s'clt xcuic dans Tes Terres exi Saxe. 33* Lettres jaune, & ne font diftinguées que par la couleur des paremens Se des bandoulières, dont l'une eft noire, & l'autre rouge. Les habits d'ordonnance font jaune, galonnés d'argent. Le Duc a auffi une Compagnie de Cadets à cheval, tous Gentilshommes ; ils font vêtus de rouge, avec des paremens de velours noir, & galonnés d'argent. Ils montent la garde chez le Duc uniquement ; il y cn a toujours deux en fadtion devant la porte de la Chambre de S. A. La Cour de Wurtemberg eft une des plus nombreufes de l'Allemagne. 11 y a un Grand - Maréchal, qui, comme je yous l'ai dit, eft le Comte de Grave-vitz. Frère de la Favorite. Un Maréchal de la Cour. C'eft le fécond Fils du Grand-Maréchal. • Un Maréchal de* Voyage. Il eft Beau-frère du Prémier-Miniftre. . Un Grand-Echanfbn , le Baron de Franckenberg. Un Grand-Ecuyer. Un Grand-Veneur. Quatre Chambellans. Nombre de Gentilshommes de la Chambre, Se de Gentilshommes de la Cour. Deux Capitaines des Gardes. Un nombre confidérable de Confeillers d'Etat, & de Confeillers Auliques. Vingt Pages, tous gens de naifîance. Et enfin , quantité de Valets de pied, LvD. ôc d'Officiers de la Bouche, de la Pane- wios-terie, ôc du Gobelet. ,0UR< Les Ecuries du Duc font des mieux fournies de l'Europe. On ne fauroit voir de plus beaux chevaux , ôc qui foient mieux dreffés. Les Equipages de Chaffe font encore très magnifiques ,• ôc je ne fâche pas qu'il manque ici quelque chofe. Son Alteffe entretient une Comédie Fran-çoifè, où tout le monde entre gratis. Nous avons fouvent Bal, Mafcarade, ôc Concert. 11 y a tous les jours Apartement chez la Favorite ; on y joue au Piquet , au Quadrille, ôc au Pharaon ; de forte que l'on a tous les plaifirs qui occupent une grande Cour. La table du Duc eft fervie avec beaueoup de magnificence ôc de délicateffe; elle eft ordinairement de feize couverts. Le Duc y eft placé entre Son A. R. ôc fon Excellence. Les Cavaliers font placés fuivant le rang que leur donnent leurs Emplois, ôc les Dames fuivant les Charges de leur Mari. 11 s'obfèrve ici un cérémonial, qui n'eft introduit dans aucune autre Cour. C'eft que les Miniftres du Duc ne cèdent à aucun Etranger, à moins qu'il ne foit Miniftre comme eux auprès de quelque Prince, ou qu'il ne foit Comte de l'Empire.. Ceux-ci ont un rang fi dif-tingué dans cette Cour, que tout ce qui n'eft tuo- n'eft V™ Comte, doit leur cèder. Un wios- Comte de l'Empire, fût-il cadet dans Ja sqvrq. centième génération, Lieutenant ou Enfeigne, comme cela fe trouve quelquefois, au fervice du Duc, prend le pas fur tout ce qu'il y a de Miniftres & de Grands-Officiers qni ne font pas Comtes. C'eft un Règlement que Son Excellence a fait depuis que fon Frère a été fait Comte, a-fin -que les fiens fuilènt plus honorés, Ôz que fa Dignité de Comteflè fans Comté devînt plus refpe&able. Je vous ai dit que le Duc avoit transféré fà Réûdence de Stutgard à Ludwigs-bourg, ôc le fujet qui lui a fait abandonner la Capitale de fes Etats; mais je ne fâurois vous dire quelle raifon lui a fait préférer la fituation de fà nouvelle Ville, i cent fituations plus agréables qu'il auroit pu choifir. L.ud'wigsbourg eft écarté de toute Rivière, des grandes Routes, & des Forêts. Le Duc avoit d'abord commencé par ne faire bâtir qu'un petit Corps de logis, avec deux Ailes avancées, difpo-fees de manière que la Cour étoit entre la Maifon ôc le Jardin. Depuis il y a fait de très grandes augmentations, ôc actuellement il fait travailler à un grand Corps de logis entre Cour ôc Jardin, auquel feront jointes les Ailes du premier Bâtiment. C'eft un nommé Frijoni, italien, lien, qui a k direction de ces travaux, Lu»-dans lefquels il fait remarquer qu'il eft beaucoup meilleur Maçon qu'Architecte. *0V1U Le nouveau Bâtiment eft allez, avancé pour qu'on en puiffe remarquer tous les défauts. La face du Corps de logis a trois étages, y compris le rez-de-chaullée. Du côté du Jardin il n'en a que deux, d'une médiocre élévation , ce qui fait qu'on prendroit ce Bâtiment plutôt pour une Orangerie, que pour le Palais d'un Souverain. Le grand Efcalier eft fom> bre , les Apartemens manquent de jour, les chambres font longues ôc étroites, ôc ont très peu de dégagemens. Ce bâti» ment feul a pourtant été entrepris par Frifom pour iept-cens-mille florins, ou* tre plufieurs fortes de raatériaax qubn \xA fournit. L'ancien Corps de logis, qui eft en face du nouveau , eft beaucoup moins grand, quoiqu'élevé également de trois étages. Les Apartemens en font petits,, peu logeables, & encore moins commodes. On n'a cependant rien épargné pour les décorer: la fculpture, la dorure, ôc la peinture y ont été employées avec plus de prOfufion que d'entente. Les meubles font riches ; mais d'un choix affez, bizarre. La pièce k plus belle de ce Palais eft la Chapelle^ elle pafleroit pour belle Ôc pour magnifique dans tous les Pays. Malgré tous les défauts qu'on remar* Ltjd. marque dans le Palais, il faut convenir wiBJ- que s'il eft un jour achevé, il ne laiifera *0TJR0, pas d'être magnifique. Les Jardins forment diveries Terraffes , qui s'élevant peu à peu , bornent entièrement la vue du Palais. H eft certain que les Architectes du Duc , voyant que ce Prince s'obftinoit à bâtir à Ludwigsbourg , au-roient du moins dû lui confeiller de placer fon Palais là où fe terminent fes jardins : il auroit été au milieu d'une plaine, les apartemens n'auroient pas été bornés par les buttes qui environnent le Palais , & les Jardins auroient eu une douce pente & auroient, avec peu de fraix , pu être terminés par une belle Pièce d'eau, qui l'auroit été par un petit Bois qui eft la Faifanderie. La Ville de Ludwigsbourg n'eft pas plus régulière que le Palais, ôc fa fitua-tion, qui eft des plus desavantageufes, la rendra toujours une Ville très incommode, à caufe de l'inégalité du terrein. La plupart des maifons font de bois, & conftruites à la légère. Ceux qui font bâtir le font à contre-cœur , par néceffité, ou pour complaire au Duc ,qui témoigne délirer qu'on bâtiffe. Ce Prince détruit Stut-gard, ôc ne fera jamais une bonne Ville de Ludwigsbourg. Si la Cour en étoit abfente un an, ce feroit un des moindres Villages du Wurtemberg. Cette Ville en tout n'eft pas fort amufante. La Noblef- bu Baron de Pollnitz. fe ne m'y paroît pas fort empreffée pour lud-î les Etrangers. Il n'y a d'autres plaifirs, WJOS' que ceux que produit le Duc. Perfonne B0URO ici, pas même le Premier-Miniftre, rte tient table; & toute la dépenfe des Cour-tifans confifte en habits & en chevaux. Cependant,il n'y a point de Prince dans l'Empire (excepté les Electeurs) qui donne de plus forts appointemens que le Duc. Auffi eft-ce le contraire ici, de presque toutes les autres Cours: ici on s'enrichit, & ailleurs on fe ruine. Je conqois des gens qui font arrivés très mal dans leurs affaires dans cette Cour, & qui dans peu d'années ont accumulé du bien. Le Duc eft naturellement gé*. néreux, bienfaifant, ôc le feroit encore plus, fi on ne mettoit un frein à fa libéralité; Il a donné à plufieurs Gentilshommes des matériaux gratis, pour faire bâtir. Ces maifons n'étoient pas fi-tôt achevées, qu'il les achetoit,& les payoit aufli chèrement que s'il n'avoit nullement contribué à leur élévation. On m'a af-furé que lés revenus de S. A S. alloient à quatre millions de florins. Il eft certain qu'il poflède un des plus beaux Pays de l'Allemagne. Tout y abonde j mais" l'argent y eft rare, à caufe de la fertilité des Provinces voifines, favoir , le Palatina t, la Bavière ? la Franconie èc \]At-face. Les Peuples défirent la Guerre fur Zow I. Y la LuD- le Haut-Rhin, dans l'efpérance de débi- vies- ter leurs denrées. bouro. La Religion Luthérienne eft la feule tolérée dans le Pays de Wurtemberg. Le Duc a permis à Fri/ani, Directeur de fes bâtimens, àe bâtir une Chapelle Catholique pour l'ufage des Ouvriers qu'il a fait venir d'Italie pour bâtir le Palais : elle doit être démolie aufli - tôt que les travaux du Château feront terminés. Mais je croi plutôt que la Chapelle de la Cour fera un jour aux Catholiques ; car fi le Prince Héréditaire vient à mourir fans poftérité mâle , le Wurtemberg tombera au pouvoir du Prince Alexandre, Coufin-germain du Duc, qui a embraffé notre Religion, & qui aiant des Enfans de la PrinceiTe de la Tour & TaJJis qu'il a é-poufée à Bruxelles , les fait élever dans la Foi Catholique. Je vous cmbraffe,ot fuis &c. A Ludwigsbourg, ce i Février 1730. - Depuis que j'ai écrit ces Lettres, la Comteffe de Wurbe» a été disgraciée. Voici comme on m'a conté que la chofe s'eft paffée. Il y avoit quelque tems que le Duc commençoit à fe refroidir pour fa Mai-trefle, lorfque le Roi de Pruffe vint à Ludwigsbourg, & l'exhorta à fe raccommoder avec fa Femme, pour tâcher d'avoir du Baron de Pôllnî'tz. 339 voir des héritiers. Le Duc ne put dès- un*-, lors fe réfoudre à reprendre la DuchefTe; wigs-mais les repréfentations du Roi achevé- BOURC rent de le dégoûter de fa Maitreffe. Un refte d'habitude l'attachoit uniquement à elle; elle s'en apperçut,& ne fe fit point fêrupule d'employer les voies les plus extraordinaires pour fe maintenir dans la faveur. Le Duc s'étant fait faigner en fa préfence, elle fe faiiitlècrettement d'une ferviette teinte de fon fartg. J'ignore Pufage qu'elle en prétendoit" faire. Elle îa porta dans fon apartement. Les Va-fets de chambre du Duc ne trouvant point cette ferviette, en avertirent leur Maitre. Mr. de Rôder , Gentilhomme de la Chambre & Favori de S. A. dit' qu'il n'y avoit que la Comteffe qui pût l'avoir prife, & que c'étoit fans doute pour en faire un mauvais ufàge. Le Duc ordonna à Mr. de Roder d'aller chez la Comteffe, & de s'informer du fait» Roder demanda la ferviette. La Comteffe nia de l'avoir. Le Favori fou-tint qu'il la lui avoit vu prendre. Elle s'emporta contre lui , & lui dit qu'elle le feroit repentir de lui manquer de refpeót. Roder répondit , que tous ces emportemens étoient hors de faifon , que fon règne étoit paffé , & qu'il fauroit l'obliger à rendre ce qu'on !ui demandoit. La Comteffe , peu ac-Y 2 cou* iVT>. coutumée qu'on lui parlât de la forte, Fut wioj- intimidée: elle rendit la fatale ferviette, B0WR6, par où elle acheva defe perdre. Le Duc, informé par fon Favori de ce qui s etoit palle, fit ordonner à la Comteflè de ne point'fortir de fon apartement. Quelques jours après, ce Prince partit pour Berlin, & chargea le Prince Héréditaire fon Fils, de commander à Me. de Wurben de fè retirer dans fes Terres. La Comteflè obéit. On lui laifla emporter tout ce qu'elle avoit de plus précieux. Elle fe retira dans une Terre immédiate de l'Empire, qu'elle avoit à quelques lieues de Luduigsbourg. Ce fut là qu'elle apprit la réunion du'Duc avec la Duchefle, qui fe fie au retour du Duc de Berlin. Cette nouvelle fut pour elle un coup de foudre : elle s'étoit toujours flattée que le Prince re-tourneroit vers elle. Voyant qu'elle ne pouvoit plus efpèrer de rentrer en faveur par le pouvoir de fes charmes, elle voulut employer je ne fai quel fecret de Magie. Pour le mettre en œuvre, il lui faloit du fang du Duc. Elle écrivit à un Valet de chambre de ce Prince, & lui promit de grandes récompenfes, s'il pouvoit lui en procurer. Ce Domeftique porta la Lettre au Duc, qui donna fur le champ ordre au Colonel Streithorfi d'aller arrêter la Comteflè, & de la conduire en lieu de fureté. Le Colonel prit avec du Bar on dë Polluiti. 341 avec lui un Détachement de Troupes, & htd-règla fi bien fa marche , qu'il arriva la W'G*-nuit au Château de la Comteffe. Il fit BC,VE< invertir auffi-tôt la maifon, frappa lui-même à la porte, mais perfonne ne lui répondit. Il fit tant de bruit, qu'enfin Me. de Sultman Sceur de la Comteflè mit la tête à la fenêtre,ôc demanda qui ofoit frapper de la forte. Slreithorjt fe nomma, & dit qu'il étoit là de la parc du Duc. Me. de Sultman répondit que la Comteflè étoit malade, ôc hors d'état de voir perfonne. Le Colonel, qui étoit informé du contraire , dit que li on ne lui ouvroit point, il feroit enfoncer les portes. Enfin on lui ouvrit. Pendant ce tems-là , la Comteflè s'étoit couchée. Streitborft la trouva avec fa Sceur ôc fes deux Beaux-frères, le Général N. . . ôc Sultman autrefois à Berlin Ecuyer de la Comteflè de Wartemberg,ôc depuis Con-feiller-Privé du Duc de Wurtemberg. Il lui fignifia l'ordre dont il étoit chargé. La Comteffe affectant d'être mourante, dit qu'outre qu'elle n'étoit pas en état de fe lever, elle n'en avoit pas le deflein ; qu'elle étoit chez elle, ôc dans une Maifon libre du Cercle de Souabe,d'où elle ne croyoit pas que le Duc fût en droit de la tirer. Le Colonel la menaça de la faire tirer du lit par fes Grenadiers. La Dame voyant qu'il faloit obéir, fe leva. Elle fe jetta aux genoux de Streitborjl , Y 3 mais mais cet Officier peu tendre fut fxird à fes cris. Il la conduifit dans un Lieu de fureté, où elle eft étroitement rclfcrrée, & où elle reftera, félon les apparences, jufqu a la mort du Duc. LETTRE XVII. Monsieur, c*rlj- ne *-'tre P'us c°ntcnt que je RouuE. le fuis. Vous m'avez, écrit une bel- le & longue Lettre ; vous m alfurez que yous vous portez bien, &que vous m'aimez toujours; en faut-il davantage pour me rendre bien-aife ? Je vais vous récompenfer de mon mieux , Ôc au-lieu d'une Lettre, je vais vous écrire un Volume. Je fuis venu en un jour de Ludwigs-bourg* Carlsrouhe , qui eft le Lieu où le Margrave de Bade-Dourlacb fait fa rélidence. Carlsrouhe veut dire Repos de Charles. C'eft le Margrave Charles de Bade-Dourlacbt à préfent régnant, qui a fondé cette Ville ôc fon Château, fur des Dcflèins que ce Prince a faits lui-même. Rien n'eft fi joli que l'ordonnance de tout ceci; je voudrais bien pouvoir vous en donper une idée. Imaginez-vous que la w i q s • bourg. h Maifon du Margrave eft fituée à l'en- carls-tree d'une grande Forêt, au milieu d'une rouhk. Etoile que forment trente-deux Allées, dont la principale qui eft derrière le Palais, a trois lieues d'Allemagne de longueur. La Maifon eft un Corps de logis avec deux grandes Ailes avancées,qui s'écartent à melUre qu'elles s'allongent, le tout enfemble formant une peripectivc de Théâtre. Une Tour octogone affez, élevée occupe le derrière du principal Bâtiment, & domine fur toutes les Allées. Le tcrrein entre les deux Ailes forme la Cour ; mais enfuite ce font des Jardins & des Parterres qui font terminés par un demi-cercle de maifons d'égale hauteur, bâties en arcades, & élevées de trois étages y compris le rez-de-chauffée. Ces maifons font entrecoupées par cinq rues, dont celle du milieu fait face au Palais. Les trois principales font terminées à l'oppofite du Palais par trois E-glifes, pour l'ufage des Luthériens , des Réformés & des Catholiques ; le Margrave , en fondant fa nouvelle Ville, aiant accordé liberté de confcience à ces trois Religions dominantes dans l'Empire. La principale partie de la Ville eft derrière les maifons qui font face au Palais. Ce n'eft proprement qu'une feule rue , d'une longueur prodigieufe. Toutes ces ' muions, de même que celle du Mar-Y 4 grave, Carls- grave, font de bois;de forte que ce n'eft Kountt. point ia magnificence ni la lôlidité des Edifices,qu'on doit chercher àCarfsrouhet on ne peut qu'en admirer l'ordonnance & la diftribqtion en général. J'ai pris la liberté de témoigner au Margrave, que j'étois furpris qu'il n'eût pas au moins employé de la brique pour la conftruc-tion de fon Palais, & des maifons qui forment la Demi-lune à l'entour de fes Jardins. „ Jai voulu , m'a répondu ce - Prince, me faire une retraite, & bà-£ tir, fans charger mes Sujets. J'ai de ?J plus voulu jouir de ce que je faifois. }J En bâtiflànt de brique, il m'en auroit J? coûté infiniment davantage,& je n'au-' rois pu terminer mes Bâtimens fans "Ì mettre un Impôt extraordinaire fur 3? mon Pays. J'aurois employé bien du - tems, & je n'aurois peut-être jamais 3J eu la fatisfadfion de voir finir mes ?, travaux. Une autre raifon eft, que ?J mon Pays eft fitué d'une manière à SJ être le Théâtre de la Guerre. Je ne ' fuis point en état de faire de ceci une 5, Place forte; je ne faurois même l'en». 5J vironner de murailles. Vous paroît-il après cela bien ra'ifonnable, que j'eufie dépenfe bien de l'argent dans un Lieu que je puis voir brûler, corn-?, me j'ai vu brûler ma Maifon de g Dourlach, & mes autres Maifons j, que les François ont réduites en » cen- cendres? Je fuis un petit Souverain; cari.9-„ j'ai bâti une Maifon félon mon état; r°ui*e< „ & j'aime mieux qu'on dife de moi que „ je fuis mal logé & que je n'ai point de 3, dettes , que fi l'on difoit que j'ai un ,, Palais fuperbe, mais que je dois beau-? „ coup. Je vous ai rapporté le difcours que me fit le Margrave , parce qu'il me paroît être propre à vous donner une idée de fon caractère. Ce Prince, à qui je fus préfenté le même jour de mon arrivée, m'a fait voir lui-même fon Palais & fes environs. La distribution des apartemens m'a paru bien ménagée ,• mais ils ne ne font pas en affez grand nombre pour pouvoir loger le Prince Héréditaire. Son Altefle occupe une des Maifons du demi-cercle en face du Palais. La Faifanderie qui joint le Château^ eft la plus jolie chofe du monde. Cefi; un très grand Enclos, diftribué en différentes Allées, plantées de Sapins taillés en éventail. Au centre il y a un grand Badin, toujours plein de Canards fauva-ges. Il eft environné de quatre Pavillons faits en forme de Tentes à la Turque; deux de ces Pavillons font des Volières , & les deux autres des Cabinets qui fe ferment par des rideaux de drap vere. Il y a des fophas & des oreillers, à la mode des Orientaux. C'eft dans ce lieu de repos & de retraite, que le Mar-J 5 Carlì- grave paffe quelques heures par jour. Il kouhb. eft ordinairement accompagné de jeunes Filles, à qui il a fait apprendre la Mufique , & qui font d'agréables Concerts. Ce n'eft pas fins fondement, que le Mars-rave a donné le nom de Repos de Charles à fa Maifon; il y mène la vie du monde la plus tranquille. Nullement infatué de la vaine grandeur, il en a les agrémens , fans en avoir la gêne 6c la contrainte. Ce Prince eft d'une com-plexion très robufte, ôc quoiqu'il ait beaucoup fatigué dans fa jeunelfe, il eft auffi frais & auffi vigoureux que s'il n'a-voit que quarante ans. Il a voyagé dans fa jeuneffe dans les principales parties de l'Europe; ôc pendant la vie de fon Père, il a été plufieurs années au fervice de la Suède. De retour dans fes Etats, il a fervi dans l'Armée de l'Empire fur le Haut-Rhin , fous fon Coufin le Prince Louis de Bade. Quoique le Margrave foit fort gros,il ne laiffé pas de beaucoup agir. Il fe lè've en Eté à cinq heures, ôc fe promène dans fes jardins jufqu'à ce que la chaleur l'oblige de fe retirer. 11 travaille enfuite avec fes Confeillers, ou bien il s'occupe à faire des Effais de Chymie: quelquefois il delfine. Il dîne ordinairement lui quatrième. Ce font des Femmes de chambre qui fervent; elles font au nombre de foixante, mais il n'y en a jour- du Baron de Pòlln ïtz. 347 journellement que huit de garde ou de CA«t fervice. Lorfque le Margrave fort, elles le fuivent à cheval, habillées en Hufla-res- La plupart de ces Demoifelles fa-vent la Mufique & la Danfè. Elles re-préfentent des Opéra fur le Théâtre du Palais, & font de la Mufique de la Cha ^ pelle. Elles font toutes logées dans le Palais. L'après-dînée, le Margrave donne audience à fes Sujets; il y a des jours dans la fermine,où il écoute tout le monde. Peu de Princes rendent plus prom-tement ôc plus exactementJuftice. Quelquefois il va à la chafle. Il foupe peu, Ôc fe retire de bonne heure. Il fe plaît à l'Agriculture, ôc c'eft un des plus grands Fieuriftes du tems. Ce Prince n'eft jamais désœuvré. Il y a peu de chofes qu'il ignore, ôc beaucoup qu'il fait parfaitement. Sa converfation eft des plus agréables. Il parle bien plufieurs Langues. Ses manières font obligeantes Ôc gracieufes. Il aime avoir desEtrangers, il les diftin-gue , & les comble de civilités. Les Dimanches & les jours de Fête, il mange avec le Prince fon Fils, & la PrinceiTe fa Bru. Sa table eft alors de feize couverts, & eft fervie avec plus de dèli-catelTe, que de profufion. Le Prince Héréditaire, * Fils unique du * Ce Prince eft mort au commencement de l'anace 1751. Il laiile un Fils. Ca«.«- du Margrave, eft d'une taille au defibus rouhb. de la médiocre, & n'a pas le feu & la vigueur de fon Père. Il eft fort honnête & civil, & me paroît incliné à la douceur. Il a été à Paris, en Angleterre, ôc en Hollande, où il s'eft marié avec la Fille de l'infortuné Prince de Najfau, qui fe noya en 1711 au palTagc du Moer-dyck, lorsqu'il venoit à La Haye ajufter avec Frédéric I., Roi de PruiTe, les différends qu'ils avoient pour la Succefiîon du feu Roi Guillaume de la Grande-Bretagne , dont ils prétendoient être tous deux Héritiers. La PrinceiTe Héréditaire me paroît avoir de très belles manières, elle reçoit fort bien fon monde. La Cour s'aiTemble chez, elle journellement, à midi, 6c le foir à cinq heures. On y dîne, on y joue ôc l'on y foupe. Les Etrangers y font très bien reçus, ôc les Cavaliers auffi bien que les Dames font très civils ôc très honnêtes. Le Grand-Maréchal, Ôc le Grand-Veneur fon Frère, font des gens à pouvoir figurer avec diftinction dans les plus grandes Cours, Le premier à époufé une Fille légitimée du Margrave. Le Baron de Ixter, Préfident de la Régence ôc Chef du Confeil, eft un homme d'un mérite diftingué, ôc capable des plus grandes chofes. Généralement parlant, la Cour du Mar-grave eft extrêmement bien compofée, Ce Ce Prince aime la NoblelTe, & cherche à lui faire plaifir: il n'a que des gens de rouhe. naifTance à fon fervice. C'eft dommage que cette Cour ne foit pas rafïemblée: Madame la Margrave, Sceur du Duc de Wurtenbergt fait fon féjour à Dourlach, & ne vient à Carlsrouhe qu'à l'occaiion de quelque Fête, ou lorsqu'il y a quelque Prince Etranger. Cette Princeffe eft actuellement fort incommodée , de/ forte que je ne croi point avoir l'honneur de la fàluer. Le Margrave élève encore à fa Cour trois jeunes Princes fes Neveux, Fils de fon Frère: ils font fous la conduite du Baron de Gemming, qui fe donne beaucoup de foin pour leur éducation. Je ne faurois vous dire rien de pofitif fur les revenus du Margrave : j'ai trouvé les perfonnes qui pouvoient m'en inftrui-re, très divifées là-deffus. Les uns m'ont dit quatre-cens, les autres cinq-cens-mille florins -y d'autres m'ont dit davantage. Quoi qu'il en foit, il eft certain que le Margrave fait une belle dépenfe , que tout le monde eft bien payé, ôc que les Sujets ne font pas extrêmement chargés. Adieu, Monfieur. Je parts demain pour Rajladt. Je vous écrirai auffi-tôt que je le pourrai, ôcc. a Carlsrouhe, oc 15 fenier 1730. LET- LETTRE XVIIL Monsieur, QUarre heures m'ont fuffi pour me rendre de Carlsrouhe à Rastadt. Dès q"e Je fus dans cette Ville, je fis fevoir mon arrivée au Grand-Maréchal, & le fis prier de me procurer l'honneur de taiuer Leurs Altefïes de Bade-Bade, y eus pour réponié, que le Margrave é-tant à ra ChalTe, je ne pourrois pas avoir Audience avant le lendemain. Je pris patience. Heurcufement, j'avois des Livres : je lus tout ce jour-là & le lendemain, fans entendre parler du Grand-Maréchal. Mais comme je n'étois pas renu à Rafiadt pour lire, & que cette Ville n'eft pas autrement amufante, puisqu'un quart d'heure fuffit pour en con-noirre tous les carrefours , Pennui me prit. Je renvoyai un fécond meffage au Grand-Maréchal, qui me fit faire la même réponfe qu'il m'avoit déjà faite. Je crus ne devoir pas infifter davantage, & je tins la Cour de Rafiadt pour vue. Je fus cependant voir le Palais du Margrave , que le feu Prince Louis de Bade fon Père a fait bâtir de fond en comble. Cette te Maifon reiTemble beaucoup à celle de S. Cloud près de Paris , 6c c'eft un Edi- T fice où il parole que la régularité n'a pas été négligée, comme je l'ai remarqué dans plufieurs nouvelles Maifons en Allemagne, que l'on a abandonnées à des Maçons ignorans 6c fans goût,qui prennent hardiment la qualité d'Architedfes. L'Escalier principal eft grand 6c éclair ré. Les apartemens ont toutes les commodités qui peuvent y convenir. Ceux qui font contigus au grand Escalier, font diftribués en plufieurs pièces de parade 6c de commodité. Ils font peints, dorés, ôc meublés fuperbement. Madame la Margrave , Douairière du Prince Louis 3 les a mis dans cet état pour le mariage de fa Fille avec Mr. le Duc d'Orléans. On peut dire que tout s'y trouve, la richeiTe, ôc le bon-goût. Le Concierge me fit voir le Cabinet dans lequel le Prince Eugène de Savoie, ôc le Maréchal de Vtllars, lignèrent la Paix en 1714. C'eft dommage que ce véritablement magnifique Palais ne foit pas accompagné de Jardins. Le terrein eft marqué pour les faire, ôc ils feroient achevés li le Prince Louis avoit vécu. Après avoir vu les Apartemens Ôc la Chapelle, qui eft petite, mais extrêmement ornée ; ne fâchant que devenir, j'allai à un Billard qui étoit en face du Palais. J'y trouvai quelques Cavaliers de 3f2 Lettré* la Cour, qui me parurent auffi defceu-* vrés que moi. Ils me traitèrent en E-tranger, & me firent honnêteté. Un Jeune-homme de bonne mine, & qui me parut avoir un air de politefle, aiant refuféâinfi que moi déjouer à la Guerre, lia converfation avec moi. Infenfible-ment cette fympathie qui ne connoit pas les loix de la Raifon, fit que nous nous parlâmes avec autant de confiance que fi nous nous étions connus depuis longtems. je me plaignis à lui, de ce que depuis trois jours que j'étois à Rafiadt, je n'a-vois pu parvenir à faluer Leurs AlteiTes de Bade. 11 me dit que cela ne devoir pas me furprendre; que depuis la mort du feu Prince Louis, Madame la Margrave fa Veuve, née PrinceiTe de Saxe-Lauenbourg, avoir introduit à fa Cour le Cérémonal des Princes d'Orient, qu'elle ne fe montroit qu'en plein Divan, & qu'elle ne permetioit pas que qui que ce fût approchât de fon Fils, excepté les Bâchas & les Dervis qui avoient entrée dans le Confeil. Cette maniere de s'expliquer du jeune Gentilhomme me fit rire , & m'engagea â lui faire diverfes queftions. „ Eh quoi ! lui dis-je, on m'a fait un portrait de Madame la Mar-3? grave, approchani d'une Femme vrai-„ ment Chrétienne, & de cette Femme forte que le Sage nous eût propolè „ pour modèle, s'il vivoit encore. . . ; » On 5, On ne vous a point fait un faux por- Raj. „ trait, me répondit le Cavalier : Ma- tau t. „ dame la Margrave a de la Piété & des „ Vertus qui la rendent refpectable. Mais » elle a une hauteur & une particularité ,, dans l'humeur, qui a peu de pareilles. „ Par exemple, G elle vous avoit reçu, ,> ç'auroit été debout fous un Dais, un „ fauteuil a fon côté, comme l'Impéra-,, trice. Elle vous auroit fait deux ou „ trois queffions, enfuite elle vous auroit „ affuré de fa protection, ôc vous auroit ,> congédié lâns vous retenir à manger a-„ vec elle, comme font tous les Princes „ de l'Empire. Ce n'eft point l'ufage icL, „ continua le Gentilhomme. Madame ,, la Margrave mange ordinairement à „ fon petit couvert, ôc nous qui fom-,, mes de fa Cour, nous ne la voyons j, qu'à la MeiTe. Le jeune Margrave ,, notre Maitre aimeroit alTez à voir du „ monde, mais Madame fa Mère lui té-„ moignant que cela ne lui fait pas plai-j, fir, il fe conforme à fes volontés. La „ jeune Margrave, Fille du Prince de „ Scbvjartzûnberg, n'a aucun crédit: elle eft naturellement obligeante ôc civile; „ mais èlle n'oferoit faire ufage de kg „ bonnes qualités , parce que Madame. >, la Margrave Douairière lui reproche „ qu'elle ne fait point faire la Souveraine ; j, Ôc cette pauvre PrinceiTe fe voit arnft a» contrainte d'être fière malgré elle* Si Torte I. T* vous 354 Lettres jus- 3> vous la voyiez, vous en feriez char-*A?T- „ mé: elle elt grande 6c bien faite, fort „ blanche, blonde fans fadeur, 6c a un „ air très noble. Lorsque le Margrave „ l'époufa, elle étoit Fille unique, 6c il n'y avoit point d'apparence que Ma-" dame la Princeffe de Schiuartzenberg " fa Mère, qui depuis près de quinze " ans n'habitoit pas avec fon Mari, dût . encore avoir des Enfans. L'événement * nous a fait voir le contraire : Mr. 6c ?> Madame de Schvjartzenberg fe font rac-9 commodes, 6c Madame la Princefle a ^ eu un Fils, qui a fruftré notre jeune 3) Margrave de i'efpérance d'être un jour 3j une des plus riches Héritières de l'Em-5J pire. Cela ne lui a pas fait grand bien n auprès de Madame fa Belle-mère; elle „ en eft fouvent gourmandée : mais com-3) me il n'y a point de remède, la jeune 3} Princeffe effuye patiemment fes mau-3, vaifes humeurs. Comme elle vient j, d'accoucher d'un Fils, nous elpérons yj qu'elle aura plus de crédit. >fous le ?J fouhaitons tous, car c'eft une très bon-3, ne Princefle. 11 n'y a pas un an, con-,} tinua le Cavalier, que notre Margrave eft majeur, mais cette Majorité eft en-li core fi fort limitée par l'afcendant que Madame la Douairière a fu conferver L fur fon Fils, qu'on peut dire que c'eft » toujours elle qui gouverne. Ce Prin-„ ce, accoutumé à obéir, ne connoit ,, pas le plaiiir qu'il y a d'être le Maitre, r „ Il y a même apparence qu'il fera dé-, tadt. 3, pendant, tant que Madame la Mère ; „ vivra; &en effet, il doit ménager cet-„ te PrinceiTe , autant parce qu'elle a-. „ toujours été une bonne Mère pour j, lui, que par les avantages qu'elle peut. „ lui faire: car elle efl: très riche, & „ pofTèdc de très belles Terres en Bohème, „ qu'elle donneroit peut-être à fon Fils „ cadet qui efl: Chanoine de Cologne &ç „ d'Augsbourg, fi le Margrave la chagri-„ noit. Je croi pourtant qu'il faudroit „ que ce Prince l'ofFenfât beaucoup, car „ il a toujours été le plus cher de fes „ Enfans, peut-être parce qu'il lui a été „ le plus fournis. Sa tendrcfle pour ce „ Fils eft allée fi loin, que lorsqu'il s'eft „ agi de le faire voyager, elle l'a .voulu „ accompagner, & l'a fuivi dans toute „ Yltalie. Les malicieux ont dit que ce „ n'étoit pas par amitié pour le Prince, j, mais parce qu'elle avoit peur qu'il ne s'accoutumât à ne là plus troir,&qu'el-„ le craignoit qu'il ne lui échapât... On „ dit pourtant qu'elle va quitter la Cour, „ & fe retirer à Etlingen, Lieu qui lui „ eft afligné pour fon Douaire. Noua „ le fouhaitons tous: ce n'eft pas que „ nous ayons lieu de nous plaindre de „ cette PrinceiTe; mais c'eft que nous „ efpérons que notre Cour fera plus gaie. » Au refte, il faut rendre juftice à Ma- L E T T R e * RAa. „ dame h Douairière: elle a régi l'Etat jtadt. w de fon Fils avec beaucoup de fageflè. „ Lorfque le feu Prince I«w mourut, „ il laiiFa confidérablement de dettes : le „ Pays étoit encore ruiné par la dernière Guerre. Madame la Régente a tout acquitté, & a fi bien rétabli l'Etat ôc 3> les Finances, qu'à la Majorité de fon Fils, elle lui a remis des fommes con-* fidérables, ôc le Pays en meilleur état " qu'il n'a jamais été. " " Le Cavalier finit là fa narration. En le queftionnant fur plufieurs chofes, j'appris que Madame la Duchefle d'Orléans avoit été promife à Mr. le Prince Alexandre de la Tour & Tajjîs *. Les préfens de noces étoient donnés, Ôc le mariage devoiï s'enfuivre dans peu," lorsque Mr. le Duc d'Orléans envoya Mr. d'Argenjo?* fon Chancelier à Rafiadt, demander la Princeffe. Madame la Margrave fa Mère, trouvant ce parti incomparablement meilleur, retira la parole qu'elle avoit donnée au Prince de la Tour, ôc conclut l'affaire avec Mr. le Duc d'Orléans. Le jeune Margrave époufa par procuration fa Sceur, en préfence de Mr. d'Argenfin-y ÔC la Princefle fut conduite à Strasbourg, Là elle trouva fa Maifon, qui avoit été envoyée de Paris pour la recevoir. £ijœ con- * [Il a époufé depuis une Princefle de "Brandeboary-•Bardib, qui a cmbmfls 1« Religion Catholique.] congédiatous fes Domeftiques Allemands, raj-&c continua fon voyage jufqu'à Châlons, tadt Fils unique de Louis XIV. f Madame la Duchefle d'Orléans cfc la Mailôn de 3^c, de Madame la Duchdlc de Hwbon. Stras- nés gens, charmés d'entendre parler leur «owRQ. Langue , oublient d'en apprendre une autre. D'ailleurs , ils font toujours en-femble , & fe communiquent trop leurs Vices & leurs Vertus. Ne fâchant pas trop fe produire , ils paifent leur tems au Billard , au Caffé , & fouvent dans d'autres Lieux moins honnêtes , dont il ne fe trouve qu'un trop grand nombre ici, cette Ville étant une des plus libertines de l'Europe. Je fuis, Ôcc. a Strasbourg, ce 18 Février 1730. cDiftours de Mr. le Cardinal de R o h a n à la Reine, a-vant la célébration du Mariage. M A D A ME, j, Quand je Vous vois dans ce faint ~, Temple, & que Vous approchez de „ nos Autels pour y contracter l'augufte ' Alliance qui va Vous unir au plus 3 grand des Rois & au plus aimable " des Princes , j'adore les deffeins de " Dieu fur Vous, Ôc j'admire avec trant port par quelle route fà Providence „ Vous a conduit au Trône fur lequel ;> VOUS d u Baron dë Pôilkitl' 367 **,. Vous allez monter. Vous êtes, Ma-stras. ,, dame, d'une Maifon illuftre par fon bour«. „ ancienneté , par fes Alliances, & par „ les Emplois éclatans que les Grands-„ hommes qu'elle a donnés à la Pologne „ ont fucceffivement remplis avec tant „ de gloire. Vous êtes Fille d'un Père, „ qui dans les difïérens évènemens d'une „ vie agitée par la bonne & par la mau-„ vaife fortune, a toujours réuni en lui „ l'Honnête homme, le Héros & le Chré-„ tien, Vous avez pour Mère ôr pour Aieu-„ le des PrincelTes qui jfemblables à Judith ,, & à cette Femme forte dont l'Ecriture „ fait le portrait, fe font attiré la véné-„ ration Se les refpeéts de tout le monde, „ par la fidélité avec laquelle elles ont „ toujours marché dans la crainte du „ Seigneur. On voit en votre Perfonne, „ Madame, tout ce qu'une naifTance „ heureufe Se une éducation admirable, „ foutenucs par des exemples également ,, forts & touchans , ont pu former de ,, plus accompli. En Vous régnent cette „ bonté, cette douceur, & ces grâces, y, qui font aimer ce que l'on eft obligé de „ refpe&er j cette droiture de cœur , à ,, laquelle rien ne réfifte; cette fupério-„ rite d'efprit Se de connoiifances, qui „ fe fait fentir malgré Vous, pour ainfi, „ dire, & malgré la modeftie & la noble „ fimplicité qui Vous font naturelles; en-„ fin, Ce c^eft ce qui met ic COmble à „taac 36*8 L k T T n e à „ tant de mérite, ce goût pour la Piété „ & cet attachement aux vrais principe» „ de Religion, qui animent vos actions „ & qui font la règle de votre conduite. „ Ornée de toutes ces Vertus, à quelle „ Couronne n'auriez-Vous pas eu droit „ d'afpirer, fans l'ufage, qui affujettit en quelque façon les Pois à ne prendre " qu'autour du Trône les Princeffes qu'ils * veulent faire régner avec eux ? Celui "qui donne des Empires, met le Scep-" tre de Po'.ogne entre les mains du Prin-t ce de qui vous tenez la vie; ôc par-là ' en décorant le Père, il conduit infen-' fiblement la Fille aux hautes deftinées \\ qu'il lui prépare. Mais, ô mon Dieu ! 5J que vos deffeins font impénétrables, ôc „ que les voies dont vous vous fervez „ pour faire réufïïr les confeils de votre , Sageffe, font au-deffus de la prudence , humaine ! A peine ce Prince eft - il i fur le Trône, où le choix des Grands j, ôc l'amour des Peuples l'avoient placé, „ qu'il fe voit forcé de le quitter ; il eft , abandonné, trahi, perfécuté; un coup j, fatal lui enlève un Héros fon Ami, ôc le principal fondement de fes efpéran-" ces ; il cède aux circonftances, fan* 3 que fon courage en foit ébranlé ; il cherche un afyle dans la Patrie commu-„ nedesRoisinfbrtunés;il vient en Fran, „ ce. Vous l'y fuivez, Madame. Tout „ ce qui Vous y voit, fenfible à vos maU „ heurs, du Baron de Pòllnitz. 3cîc? heurs, admire votre Vertu : l'odeur s'en „ répand jufqu'au Trône d'un jeune Mo- JJ „ narque, qui par l'éclat de fa Couron-,, ne, par l'étendue de fa Puiflance, Ôc „ plus encore par les charmes de fa Per-,, ionne, pouvoir choifir entre toutes les „ Princefles du Monde, Guidé par de ,, fages Confeils , il fixe fon choix fur „ Vous; ôc c'eft ici que le doigt de Dieu „ fe manifefte: il fe fert du malheur mc-„ me qui féparé le Roi votre Père de fes ,, Sujets, Ôc qui Vous enlève à la Polo-,, gne , pour nous donner en Vous une ,, Reine qui fera la gloire d'un Père ôc j, d'une Mère dont elle fait la confolation ,, ôc les délices j une Reine qui rendra „ heureufe la Nation la plus digne de ,, l'être, au moins par ion refpedf. & par 4^ fa fidélité pour fes Souverains ; une „ Reine qui, inviolablement attachée à „ fes devoirs, pleine de tendrefïc ôc de „ refpeét "pour fon Epoux ôc pour fon „ Roi, ôc fagement occupée de ce qui „ peut lui procurer le iolide bonheur , ,, rappellera les tems de l'Impératrice „ Vlaccilky dont l'Hiftoire nous apprend que n'aiant jamais perdu de vue les „ préceptes de la Loi Divine , elle en „ entretenoit affidûment le grand Théodo-nfè? ôc que fes paroles, comme une „ pluie féconde , arrofoient avec fuccès „ les femences de Vertu que Dieu avoit „ mifes dans le cœur de fon Epoux. Ve- Tm§ I, A a „ nez „ nez. donc, Madame , venez à l'Autel, „ Que les engage mens que Vous allez „ prendre, faims par eux-mêmes, (puif-„ que, félon l'Apôtre, ils font le fymbo-„ le de l'union de Jéfus-Chrift avec fon Eglife ) (oient encore fancrifiés par vos „ difpofiti°ns- Pénétrée de ce que Vous allez être, reconnoiffez qu'en couron- nant vos mérites, il couronne fes dons. Et vous, Chrétiens qui m'écoutez, en „ voyant les récompenfes éclatantes qui )} font données dès ce Monde à la vraie „ Vertu , apprenez à la refpccter ôc à J} l'aimer. ïDifcours après la Célébration du Mariage. MADAME) '„ Permettez-moi, à la fin de faugufte ~n Cérémonie qui comble nos efpérances „ ôc nos vœux, de demander à Votre „ Majefté là Protection Royale pour l'£* 9y glife de Strasbourg. Cette Eglife n'a w point oublié ôc n'oubliera jamais les J? bienfaits fignalés qu'elle a reçus de nos „ premiers Rois j mais que ne doit-elle „ point à notre dernier Monarque? Li-„ vrée par le malheur des tems aux fu-„ reurs du Schifine ôc de l'Héréfie, elle „ auroit peut-être péri comme bien d'au- „ très, très, fi ce grand Prince, en rentrant strai-„ dans les droits de fes Ancêtres , n'a- »our*, „ voit pris fa défenfe, & ne l'avoit fou-„ tenue de tout fon pouvoir. Elle lui ,, doit l'avantage de fe voir rétablie dan* „ lapolfeffion de ce faintTemple, dont „ elle avoit été bannie. Tout nous rap-,, pelle ici fa pieufe & royale magnifi-„ cence. Les Temples ornés, les paf. „ teurs libéralement entretenus, les Mi& a, fions fondées, les Nouveaux-Conver- tis protégés & fccourus , font autant „ de monumens du zèle & de la piété „ d'un Roi dont la mémoire ne finira „ jamais. Il n'a pas eu la confolation ,, d'achever l'ouvrage qu'il avoit entre-„ pris, c'eft-à-dire,k réunion de toutes „ les Brebis de cet illuftre Troupeau „ dans un même Bercail : elle étoit ré- fervée au digne Héritier de fon zèle „ & de fa Couronne. Ce fera Vous, >, Madame, qui repréfenterez à votre augufte Epoux ce qu'exigent de lu* „ le fou venir de fon Bisaieul, là propre „ gloire , & nos befoins qui font ceux „ de la Religion. Vous ne demanderez „ point que l'on ait recours à ces voies qui aigriflent fans perfuader , elles ne £ feraient point du goût de Votre Ma-„ jefté ; & à Dieu ne plaife , que nous „ vouluflSons les lui fuggérer ! Ils ibnt a, vos Sujets, Madame, ces Enfans qui » nous raccQûnoilfent ; ôç l'Eglife de A a a „ Stras- Stras- „ Strasbourg , pleine de confiance dans ■oDRO. n la miféricorde de Dieu , fe regarde „ toujours comme leur Mère. Nous „ Vous conjurons donc par les entrailles de Jélus-Chrift, d'employer, pour pro-" curer leur union, tout ce qu'une acti-" ve mais compatifïànte charité pourra " Vous infpirer. Dieu bénira les ioins 5> de Votre Majefté & nos defirs, & il " fe fervira des exemples de votre Piété ? ôc de votre Foi pour confondre en-" fin l'Erreur & pour faire triompher 3, la Vérité. Régnez longtems fur nous 3> Madame, pour le bonheur du Roi, 5J ôc pour la félicité de ce grand Royau-?, me. Que Dieu exauce les prières que ?> l'Eglife vient de lui offrir pour Votre „ Majefté ! ôc daignez nous mettre au 5) rang de vos Sujets les plus zélés ôc les 9i plus fidèles. LETTRE XIX. monsi eur, LE voifinage de S a v e r m e , où eft Mr. le Cardinal de Rohan, m'a engagé d'y aller faire un tour. J'ai l'honneur d'être connu de ce Prélat depuis long- longtems, & j'ai été charmé de lui faire Save ma cour. NE* Armand-Gajton , Cardinal de Rohan, fut élu Evêque de Strasbourg le 10 Avril 1704. * 11 reçue la Barette de Cardinal des mains de Louis XIV, le 1 ï Mai 1711. L'année d'enfuite, il fuccéda en qualité de Grand-Aumônier au Cardinal de Jan-Jon. L'Empereur lui donna l'Inveftiture temporelle de l'Evêché de Strasbourg -j- le iodejuin 1723 jôcen 1734} il obtint féan-ce dans le Collège des Princes à l'Affcm-blée de Ratisbonne. Ce Prélat, refpecta-ble par fa naifTance ôc par fes dignités, l'efl encore plus par l'élévation de fon cœur , par fes manières polies & obligeant * [Le fameux Cardinal Guillaume-Egon de Furflen-berg, Evêque de Strasbourg, eft mort le io Avril 1704. L'Abbé de Rohan lui fuccéda d'abord, aiant été élu Coad/uteur dès le 31 Janvier i7°'-J * [ L'Evêché de Strasbourg fubflfte dès avant l'an 376, puifqu'un Amand Evêque de Strasbourg alitila alors au Concile de Cologne. Le Chapitre eft compote de x4. perfonnes, 11 Capitulaires & 11 Domiciliaires, qui doivent être tous Princes ou Comtes. Depuis if92 , les Chanoines ont été Luthériens & Catholiques, jufqu'cn 1681, que Louis XlV aiant pris Strasbourg , y établit l'Evêque qui (îe. geoit à Molsheim , & fît rendre la Cathédrale aux Chanoines Catholiques > & maigre les difpofitions contraires du Traité de Weftphalie , il dépouilla en 1687 les Chanoines Luthériens du "Brudcridorff& des Canonicats qu'ils avoient confèrve* dans le Chapitre. Cependant la Religion Luthérienne eft peimifc dans cette Ville. A a 3 Savbahi. géantes, & par un air de grandeur quî accompagne toutes fes actions. Il eft beau , ainfi que tous ceux de fa Maifon. Noble & magnifique dans tout ce qu'il fait, il rit par-tout où il eft, en grand Seigneur, mais particulièrement ïSaverne. J'ai trouvé chez lui le Duc & la Ducheffe de Tallard, la Ducheffe de la Meïlleraie, / 2vlad'!« de Melun, le Prince & la Princeffe de Birckenfeldt, Mr. d'Angervilliers Intendant de Strasbourg, le Comte & la Princeffe de Hanau , & enfin nombre d'Officiers de diftinâion Tout ce monde étoit logé dans le Château, convenablement & commodément. On s'y eft très bien diverti ; jeux , promenades , Chaffe, Mufique, & bonne chère, tout cela fe fuivoit fans ceffe. La Maifon de Saverne eft depuis longtems le Lieu où réfident les Evêques de Strasbourg. Elle a toujours été très logeable, mais Mr. le Cardinal de Rohan en a fait une Maifon très confidérable. L'extérieur de ce Château n'a pas autant de magnificence que les dedans. Le Vefti-bule qui conduit au principal Efcalier, eft avantageufement percé par plufieurs ouvertures d'entrée, & de dégagemens, qui fourniffent les commodités néceffaires aux Apartemens d'en-bas , qui font ex-haufïés & fort embellis. Le principal Efcalier eft d'une grande magnificence; \\ conduit à un Salon fuperbe, dont les décora- corations font d'un choix admirable. Il s averne» eft accompagné d'un double Apartement, auquel on a donné de la commodité autant qu'il a été poffible, & dont les meubles en broderie d'or ôe d'argent ne font peut-être que trop riches. La Reine a fejourné chez le Cardinal, lorfqu'elle paf-fa à Saverne. Cette Princelfe admira la magnificence de la Maifon, & l'attention refpectueufe avec laquelle elle y fut fervie. L'intention du Cardinal de Rohan eft, que ces riches meubles reftent à l'Evêché. Son Succeffeur lui aura affurément , de très grandes obligations : Son Eminen-ce n'en a pas tant à fes Prédéceffeurs. Lorfqu'iî fut élu Evêque, il trouva une Maifon très mal ajuftéei à peine y avoit-il une chaife: au-lieu qu'aujourd'hui tout y eft royal. S. Em. fait travailler à de très vaftes & beaux Jardins : ils font fort avancés, & répondent parfaitement à la grandeur & à la beauté du Palais. Ils font terminés par un Canal fuperbe, & qui n'a pu être achevé qu'avec un travail infini & une très grande dépenfe. Tout ceci eft d'autant plus magnifique , que Saverne eft fituée au pied d'affez hautes Montagnes, & qu'en creufant le Canal, on a fouvent trouvé des Rochers qu'il a falu faire fauter. La table de Mr. le Cardinal eft fervie avec abondance & délicateffe. S. £m. A a 4. en Saverne. cn &k ks honneurs d'une manière qui enchante. Tous fes Domeftiques l'imitent, Se il eft certain que tous font remplis d'attention , ôc qu'il n'y a pas de Maifon cn France, ni en Europe, où Ton foit mieux fervi. C'eft l'Abbé de Pavanne, Confciller au Parlement de Paris, qui dirige toute la Maifon,& généralement toutes les Affaires temporelles de Son Em. Mr. le Cardinal eft un des plus riches Seigneurs de France, & fans contredit celui qui fait le plus de dépenfe. Il a bâti un Hôtel à Paris , ôc l'a meublé fuperbement. Il a fait des travaux confidérables à Saverne , ôc de grandes acquittions en Vaiffclle d'argent, Meubles, Tableaux, Vafes ôc Bulles antiques, Médailles ôc Livres, il a acheté depuis quelque tems, du Préfident Ménard, la fa-meufc Bibliothèque des illuftres Mrs. De Tboi/? autrefois une des plus renommées de France, ôc il l'enrichit journellement par tout ce qu'il y a de plus rare ôc de plus fingulier. Malgré toutes ces dépenfes, le Cardinal veut encore faire bâtir un nouveau Palais Epifcopal à Strasbourg, * où véritablement il eft flfièz mal logé. Le Marquis de N. . . . difoit en parlant de la dé- * Ce Palais Grand - Maitre, Prémier-Miniftre, & Chevalier de l'Ordre de S. Hubert. Sa naifTance eft illultre. Il eft intègre & plein de probité, incapable de faire du mal, mais nullement prévenant dans + Aujourd'hui Reine de Sardegne. < ; •4: Le Vncxc'Jr.an-Chrétien eft devenu Prince régnant de Stthz.~iuh, après la mort de fon Père [auquel il n'a pas lurvécu Jongtems, étant mort allez rubi e-ment le ao Juillet 1733: enlbrtc que ,1c Prince ch.tr-let Ion Fils, né le ro Décembre i\7*.4-> à prêtent Prince Palatin de Sutts.bacf>, Marquis dcSBerg-op- Zoom, Se Héritier prélbrnptif de l'Elaâcur. C'eft un Prince fort avaucé pour Ion âge, & 4m promet beaucoup, L'Eledkur l'a fait venir de "Bruxelles à Manheim, malgré tome h réfiftance de la Duchefle d'^retaher^ ïrlàieule maternelle, qui a eu loi» de (a jeuneffé» L'Aiculc de ce jeune Prince eft .la Princefle Douairière d'Auvergne, Sœur du Doc "o? Arembcrg, une des belles Femmes de fon tems. Elle s'eft mile dans 1« Dévotion, §t eft aujourd'hui un des Chers du Parti Janlénifte en Hollande. C'eft une Femme lavante. J * Il eft mort peu de temi apte* que ceci a t« «eni. [Sa place n'a pas ctctémpiic] MÀw- dans fes manières; il eft d'un froid qui HKito. tient de la fierté. Cetf un défaut qui eft né avec lui, qu'il tâche de vaincre, mais dont il n'eft pas le maitre. Lorsqu'on le connoit particulièrement , on le trouve bon Ami, ôc capable de rendre fervice. Jl a de très grolTes penfions de l'Electeur, ôc eft de plus l'ainé de fa Maifon. Cependant, comme il eft chargé d'une nombreufe Famille , il ne fait pas une bien grande dépenfe. Le Baron de Skkingen eft Grand-Chambellan, Miniftre d'Etat, 6c Chevalier de l'Ordre de S. Hubert. C'eft un Cavalier de belle preftance , d'un abord aifé 6c gracieux, quia une profonde érudition, ôc des fentimens convenables à fà nais-fance. Il a été Gouverneur du feu Prince de Suhzbach Gendre de l'Electeur, ôc il avoit infpiré à ce jeune Prince des fentimens qui faifoient augurer avanta-geufement de fon Gouvernement, s'il y fût parvenu. Mr. de Sickingen a été en-fuite Envoyé Extraordinaire de l'Electeur à la Cour Impériale. Je l'ai connu à Vienne; il y étoit extrêmement eftimé. A fon retour, il fuccéda à fon Frère dans la Charge de Grand-Chambellan, qu'il exerce avec l'approbation de toute la Cour. Jean-Frédéric Comte de Globe eft Grand-Maréchal, Miniftre d'Etat, 6c Chevalier de l'Ordre de S. Hubert. \\ eft eft puiffamment riche, & poflède de bel- maw-les Terres en Bohème. Il a été Page de heim. l'Electeur. Ce Prince lui trouvant un grand fonds de probité & d'honneur, a eu foin de fa fortune; il l'a élevé aux premiers Emplois de fa Cour ôc lui a procuré le Titre de Comte. Mr. deG/o-be, depuis quelques années, eft peu à Manheim. C'eft une perte pour cette Ville ôc pour la Cour: il vivoit très noblement, & faifoit fur-tout beaucoup de civilités aux Etrangers. * Mr. le Baron de Woblin .eft Grand-Ecayer. f C'eft un de ces hommes dans lefquels on trouve encore cette probité ôc cette candeur tant vantées de nos Pères. Mr. le Comte de la Tour & TaJJts eft Capitaine des Gardes du corps, Lieutenant-Général, & Chevalier de l'Ordre de S. Hubert, Son air tient du brusque & du fuperbe, ôc cependant il eft familier avec ceux qui font dans fa confiance. Son crédit eft confidérable dans cette Cour, • [Je crois Mr. de Glebe mort, du moins il n'eft plus Grand- Maréchal : ce Poftc eft rempli par le Baron de Heveren Miniltrc d'Etat Prive' , Ôc Président de l'Adminiftration Ecclciiaftique à Heidelberg. Ce Miniftre fait honneur au choix que l'Electeur a fait de la perfonne.] -f [ La Charge de Grand-Ecuyer eft vacante ; le Comte de Nejfelrod en fait les fonctions, cn qualité de Vicc-Giaud-Êeuycr-] Cour, par celui que fa Sceur a depuis longtems auprès de l'Electeur, Jules-Augufle Comte de la Match, Lieutenant-Général, Capitaine des Cent-Suifles, ôc Chevalier de S. Hubert, çft ifl'u d'une Maifon illuftre dans l'Empire, Il a paffé une partie de fa jeuneffe au fervice de France, où fon Ainé eft actuellement Lieutenant-Général,. Colonel d'un Régiment Etranger, ôc Commandeur de l'Ordre du S. Efprit. Il a pris toute la politeiïe Françoife^ fes manière» font d'un homme de qualité: fon efprit eft enjoué: il aime la bonne chère, la joie, ôc les plaiiîrs. Mr. le Comte Edmant de Hatzfeldt y Lieutenant-Général, Miniftre d'Etat ôç de la Guerre , eft dune des meilleures Maifons de l'Empire. Ce Seigneur eft extrêmement civil, fa maifon eit ouverte à tout ce qu'il y a de perfonnes de dif. tinction- il vit avec beaucoup de no-bjeflè, & Madame fa Femme Ôc lui s'em-prelfent fur-tout de faire honneur aux E-trangers. Le Mari ôc la Femme ont été chargés l'un ôc l'autre de conduire en Piémont la PrinceiTe de Sultzbachy première Femme de.Charles , Prince * de Fiémnt. L'un ôc l'autre fe font acquittés de leurs Emplois d'une manière à s'attirer l'approbation générale de la Cour de Sardaigne. Les • Aujourd'hui Roi de Sar daigne. Les Barons de Hildesheim ôc de Beve- Mak-ren font tous deux Miniftres d'Etat. Le heim» premier a acquis beaucoup de réputation dans les Négociations qui furent faites à Heidelberg en 1719, pour l'Eglife des Réformés que l'Electeur avoit voulu rendre Catholique. Le fécond a été Envoyé au- {>rèsduRoide la Grande-Bretagne. Tous es deux font refpeétables par leur mérite; ils vivent très honorablement, & font accueil aux Etrangers. Je pourrais vous nommer encore bien d'autres Perfonnes de naifTance & de mérite, employées dans cette Cour; mais franchement, ma Lettre feroit trop longue. Je ne faurois cependant omettre de vous parler du Baron tfOhfteny que vous avez vu à Brejlau après qu'il eut quitté le fervice du Czar. Il eft ici établi fans Caractère. Il s'eft rendu de notre Communion, lui ÔC toute fa famille. Il a une Penfion confidérable de l'Electeur, & eft généralement très eftimé. Son Fils, qui eft Capitaine, eft un Jeune-homme de mérite; & fes Filles font des Demoifelles fort eftimables pour leurs bonnes manières & leur politeffe. Le Comte de Najfau-Weilbourg demeure encore ici. Sa naifTance m'engageroit à vous en parler , quand je n'y ferois pas porté par la confidération de fon mérite. Ce Seigneur en a infiniment : il eft généreux , magnifique, honnête & civil ; con-Tome 1. Ce noif- Man- noiffant ce qu'il eft né , mais ne le con-heim. noiflant que pour en remplir tous les devoirs. Il fait ici l'ornement de la Cour, bien qu'il ne foie pas au fervice de l'Electeur. Son Père étoit Feldt-Maréchal & Commandant en Chef des Troupes Palatines, fous le Règne du feu Electeur 7««*. Guiilaume. Le Comte dont je parle, fut Envoyé Extraordinaire de l'Electeur à la Cour de France pendant la Minorité de Louis XV Il venoit alors fouvent au Palais Royal, faire fa cour à feue Madame Mère du Régent. C'eft là où je l'ai connu. Madame & toute la Cour de France en fai-foient beaucoup de cas. Cette Princefle me parlant un jour de lui, me dit qu'elle étoit bien aife qu'il fût Comte de Nafïàu : Car en vérité, ajouta-t-elie , il mérite de porter un grand nom.* Il y a ici d'aimables gens, de l'un & de l'autre Sexe ; on y eft affez fociable, de fort- qu'il ne tient qu'à un Etranger de s'y amufer : on leur fait généralement allez de politeffes. Pour moi, en mon particulier, j'ai reçu tant de grâces de l'Electeur, & tant de faveurs dans fà Cour, que j'en con-fçrvcrai une éternelle reconnoiffance. La r# Le GcnéVal ljfe'.baih , Commandant en Chef des Troupes Palatines, & Gouverneur de M*nheim , étant nort au B»'* d'Août I7H> l'Electeur a donné le Commandement de fes Troupes au Comte de ÌJMU*-mv.htmrg ■ & le Ooqvcincmciit de M*tktim au Barou de ZobtW] La NoblelTe entrerient une Troupe de Mak-Comédiens François, quirepréfententtrois HHM* fois par femaine fur un rrès petit Théâtre. Les Bourgeois & les Etrangers payent. Bien que cette Troupe, dont le Comte de la March a la direction, ne foit pas des meilleures , elle ne kiflc pas de faire plaifir, parce qu'elle fait qu'on fe voit & qu'on fe ralfemble. Du vivant de la feue Prince£ fe, on avoit raille plaifirs qu'on n'a plus; cela fait qu'on la regrette encore tous les jours. On taxe les revenus de l'Electeur à deux millions d'écus. Vous les taxerez à plus ou moins, n'importe; pour moi je ne vous alfûre rien, & je ne veux pas imiter le Marquis de Bretonvilliers, qui dans fes Mémoires de la Régence, taxe hardiment les revenus de tous les Princes de l'Univers, comme s'il avoit été Surintendant des Finances de chacun en particulier. L'Electeur a autour de fept à huit-mille hommes de Troupes, non compris fes Gardes. Ses meilleures Places font Manheim,Juliers &C Dujfeldorffi Les trois Religions fouffertes dans l'Empire , ont ici des Eglifes, & les Juifs y ont une grande Synagogue. Ils font en très grand nombre; les deux tiers des maifons leur appartiennent, foit parce qu'ils les ont fait bâtir, ou parce qu'elles leur ont été hypothéquées. Il y a des gens bien riches parmi eux , & qui font un très bon Commerce avec les Juifs de Metz, de Ce 2 Franc Man- Francfort & tVAmflerdam. Ce qu'il y t HEiM. de fur , c'eft qu'ils coupent 'la gorge aux Marchands Chrétiens, & qu'ils n'ont pas plus de bonne-foi ici qu'ailleurs. Ne m'écrivez point, s'il vous plait, a-vant que je vous aye marqué mon Adref-fe; parce que je ne fai point fi je m'arrêterai aiTez ^Francfort, où quelques affaires m'appellent, pour y recevoir de vos nouvelles. Nous venons d'apprendre la mort du Pape Benoit XIII. Comme je n'ai jamais vu de Conclave, & que je fuis en train de voyager, j'ai quelque envie d'aller faire u-ne promenade à Borne. Je prendrai mon parti à Francfort. De quelque côté que je tourne , vous en ferez informé, & je ne manquerai pas de vous demander vos ordres. En attendant, je fuis toujours très fincèrement, &c. A Manheim, ce 17 Mars 1730. FIN DU TOME I.