RENÉ MARTEL LA SLOVÉNIE PROBLÈMES POLITIQUES CONTEMPORAINS Extrait du MONDE SLAVE, n0 5, 1926 LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN 108, Boulevard Saint-Germain, 108 PARIS (VI») àhu /fjiTx 4 La Slovénie et les problèmes politiques contemporains i Des Alpes Carniques aux rives dfc la mer Noire, de la Mur à la mer Égée et aux montagnes de l’Albanie, vivent environ 17 millions de Slaves, que l’on désigne communément par le nom de Yougoslaves, c’est-à-dire Slaves du Sud. La partie nord-ouest de cette région est occupée par les Slovènes. On les trouve dans la Carin-thie méridionale, le centre et le sud de la Styrie, d’où ils ont essaimé dans les districts voisins de Hongrie et de Croatie, dans "toute la Carniole et la majeure partie du littoral adriatique, de la Vénétie au nord de l’Istrie. Ils apparaissent dans l’histoire, avec les autres Slaves du Sud, au vie siècle de notre ère, quand les Lombards quittent les plaines de la Pannonie pour les terres ensoleillées de l’Italie. Remontant les hautes vallées de la Drave, de la Save et de la Mur, ils s’établirent dans les provinces alpines, en Carniole, en Carinthie, en Styrie, sur le littoral de l’Adriatique ; certains groupes poussèrent jusqu’au Tyrol, envahirent la Haute et la Basse-Autriche. Ces éléments avancés ne purent se maintenir et furent assez vite absorbés par les Germains. Les Slovènes furent d’abord indépendants, mais, dès le xe siècle, leur unité politique et territoriale se brisa sous la poussée allemande, qui réussit à lancer certaines de ses tribus au cœur même du pays slave : d’ilot linguistique de Kočevje (Gottschee) en est, de nos jours, le dernier témoin. La germanisation recula au xve siècle, devant les incursions turques : les Slaves, abandonnés par l’Empire, furent en ces temps difficiles, l’unique rempart de la chrétienté. Les Slovènes se rapprochèrent des Croates pour lutter contre l’ennemi commun, et ce rude et long combat a inspiré les plus jolies ballades de la littérature populaire slovène. La Réforme et la Contre-Réforme furent un ferment de vie spirituelle. Quand le péril ottoman eut été complètement écarté, très tard, certaines influences italiennes se firent sentir, tandis que la germanisation reprenait des forces nouvelles. Joseph II en fut, au xvnie siècle, le représentant le plus résolu. Les Slovènes ne cédaient pas cependant, et quand Napoléon, en 1809, créa le. royaume d’Illyrie, leur sentiment national se révéla. La chute de l’Empire les priva de libertés qui leur étaient déjà chères, et la politique de Metternich fit disparaître les derniers vestiges de leur éphémère souveraineté politique. Cependant, en 1848, un no'uvel effort introduisit leur langue dans l’administration et dans les écoles, bien qu’on leur refusât la création d’une unité régionale qui les englobât tous, ou même la reconstitution de la Carinole dans ses frontières historiques jusqu’aux côtes de l’Adriatique. Pendant tout le xixe siècle, l’Autriche s’efforça, patiemment, de les germaniser, essayant de créer des îlots allemands sur les routes de Vienne ou de Munich à Trieste, combattant l’illyrisme, sans obtenir de résultats appréciables. Durant la grande guerre, les Slovènes luttèrent par tous les moyens contre leurs oppresseurs : certains désertèrent, formèrent des corps de volontaires, d’autres servirent adroitement la cause de l’Entente et lui rendirent les plus signalés services. Ce peuple tenace, patient et travailleur vit enfin le terme de ses longues épreuves et rentra dans la grande famille slave en s’unissant à ses frères de race, les Serbes et les Croates, le 1er décembre 1918. L’aspect général du pays est celui des régions alpestres de haut et moyen relief. L’Ouest est barré par le massif rocheux du Krst (Karst, Carso) ; au Nord, sur une ligne Nord-Ouest Sud-Est, se profilent les Alpes de la vallée de Zila-Gail (Dobrac, 2.167 mètres), les Alpes Juliennes (Triglav, 2.863 mètres, Kanin, Menhar), les Karawankcn (Stol, 2.236 mètres), les Alpes de Kamnik (Grintovec, 1.558 mètres), et leurs dépendances. En bordure de la Styrie se dresse le massif primaire du Pohorje. La Styrie, comme, au sud, la Basse Carinole, sont des régions de collines alpestres. Au centre de ce système une seule plaine de quelque importance, le bassin de Ljubljana, et certains plateaux en Styric. De profondes vallées, celles de la Drave, de la Save et de ses affluents, de la Mur, en général très pittoresques, découpent les chaînes de montagnes. Elles sont devenues un centre d’attraction pour les populations. Dans la vallée de la Save un bassin minier important est exploité à Trbovlje (Trifali), Hrastnik, Zagorje, Rajnenburg, où on a découvert des gisements de charbon. Région essentiellement agricole, la Slovénie est devenue peu à peu industrielle et constitue une des provinces les plus riches et les plus commerçantes du nouveau royaume serbe-croate-slovène. Les Slovènes se rencontrent aujourd’hui dans l’ancienne Vénétie italienne, par groupes sporadiques, au nord-est d’Udine. La plus grande partie du comté de Gorica et Gradiška est slovène (62 pour 100). La frontière avec les Frioulains est constituée par une ligne jalonnée par le Kanin, Resiutta, Gcmona, Cividale, Prepotto, Cormons, Gorica, Sagrado, Sv. Ivan près de Devin (Duino). Un tiers de Trieste est slovène : sa banlieue l’est entièrement. On trouve enfin des groupes slovènes au nord de l’Istrie. La Carniole, sauf l’îlot linguistique allemand de Kočevje (Gottschee), est tout entière slovène, comme le sud de la Styric et de la Carinthie. Au delà de la Mur on compte environ 10.000 Slovènes. La frontière ethnographique du côtp des Allemands et des Magyars est à peu près formée par la ligne Pontafcl-Smohov (Hermagor)—Beljak (Villach) — Brentnegel, au nord de Velikovec (Vôlker-markt) avec, au milieu, une pointe vers le sud jusqu’à Celovec (Klagenfurt) Lawamünd, Spielfeld, Radgona (Radkersburg), St-Gothard, Unter Landau, et l’embouchure de la Mur. Si nous consultons une carte de la Yougoslavie actuelle, il nous est facile de constater que ses frontières ne correspondent pas "aux limites ethnographiques et linguistiques. Il faut noter, en effet, qu’en l’absence d’un passé historique véritable les notions de race et de langue, indissolublement liées, constituent à peu près à elles seules l’idée de nationalité chez les Slovènes. La frontière du côté de Г Italie part, au Nord, non loin du Tarvis, de Kranjska Gora et se dirige vers le Sud-Est, après avoir dessiné un saillant qui englobe la région de Bohinj, par Rakek, jusqu’à Fiume (Rijeka). Elle court, du côté de l’Autriche, dans une direction générale Ouest-Est après avoir laissé au Nord le bassin de Klagenfurt, et continue, par une série de saillants (Prevalje, Dravograd, Maribor, Petrovo, Krijevci) jusqu’à la frontière hongroise, où, à part quelques districts de langue slovène laissés à la Hongrie, elle rejoint la ligne linguistique et ethnographique. Il Ce tracé révèle, à première vue, les problèmes extérieurs qui se posent pour la Slovénie. Le pays se trouve sur la route de l’Adriatique, but éternel des migrations germaniques : l’éventualité du rattachement de l’Autriche à l’Allemagne donne au péril qui le menace un regain d’actualité : d’autre part, une forte minorité slovène est restée sous la domination étrangère, en Autriche et en Italie. La question d’Autriche est à l’ordre du jour. Depuis longtemps certaine presse, à Vienne et à Berlin, fait campagne pour le rattachement de la République autrichienne à l’Allemagne. Des manifestations, des incidents soigneusement préparés tiennent les esprits en haleine et s’efforcent de préparer l’opinion à un remaniement prochain de l’Europe centrale. La Yougoslavie ne saurait rester indifférente devant ces menaces. Si elles s’accomplissaient, de fortes minorités slaves passeraient sous la loi de l’Allemagne, en particulier cent mille Slovènes installés en Carinthie. Cependant, en droit, au cas où la République autrichienne disparaîtrait, le traité de Saint-Germain deviendrait caduc et les résultats du plébiscite de Carinthie devraient être annulés. Les accords conclus entre l’Autriche et la Yougoslavie cesseraient, de facto, d’être valables si l’une des parties cessait d’exister. Mais le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne aurait, au point de vue international, de plus graves conséquences. Le bastion slovène, menacé par le Nord-Est et le Nord-Ouest, risquerait d’être tourné. Les Allemands s’introduiraient, à la manière d’un coin, entre les Slaves du Nord, les Tchèques en particulier, et les Slaves du Sud. Le danger de l’ancien Berlin-Bagdad réapparaîtrait sous une nouvelle forme, car les Slaves n’ont pas toute confiance en la Roumanie, celle du Munich — Vienne —Budapest —Bucarest — Constantza — Constantinople. Mais le danger mortel auquel est exposé la Slovénie vient de ce qu’elle se trouve sur la ligne Munich ou Vienne — Trieste. Il est difficile de douter que les Allemands ne reprennent leur marche sur Trieste quand ils seront sur les Karawanken. Le « pont national allemand » vers l’Adriatique était une des idées les plus chères à la diplomatie autrichienne. Elle avait installé, le long des voies de pénétration orientées vers le Sud, vallées, lignes de chemins de fer, de véritables colonies allemandes, solides points d’appui éventuels, arches de ce pont qui lui garantirait l’accès à l’Adriatique. L’Allemagne, installée en Carinthie, serait tentée de reprendre sa politique d’expansion dans les Balkans. Par sa situation géographique, le peuple slovène, qui barre deux directions essentielles, celle de l’Orient et celle de l’Adriatique, serait la première victime : tous les Slaves du Sud se sentiraient menacés avec lui. La présence de l’Allemagne dans le bassin carinthien est aussi une menace directe pour l’Italie. Il n’y a, des Karawanken à Trieste, que quatre-vingts kilomètres à vol d’oiseau, et les voies naturelles d’invasion, largement frayées, sont loin d’opposer des obstacles insurmontables à une action rapide et énergique. Si nous examinons la carte des chemins de fer de Carinthie, nous remarquons trois lignes principales vers l’Europe centrale et septentrionale, en liaison directe avec le réseau allemand. Ces grandes voies ferrées se ramifient, dans les hautes Tauern, en une infinité de petites lignes secondaires qui permettraient d’amener rapidement en Carinthie des forces considérables. C’est à cette redoutable concentration ferroviaire qu’on peut attribuer, dans la dernière guerre, le désastre de Caporetto. La Carinthie, entre les mains de l’Allemagne, deviendrait un centre olïensif dangereux. Elle ferait peser sur le flanc de l’armée italienne une autre menace encore plus grave : car la possession de la Carinthie permettrait de tourner la barrière du Brenner et rendrait difficile la défense du Haut-Adige. Dans cette éventualité, le sud du Tyrol devrait être abandonné. Cette situation géographique explique l’hostilité irréductible de l’Italie à l’idée du rattachement. Si les Allemands s’installent en Carinthie, non seulement toutes les acquisitions de l’Italie dans la vallée supérieure de l’Adige et le sud du Tyrol sont menacées, mais la sécurité même de la péninsule ne peut plus être garantie. La question du rattachement crée donc un péril redoutable pour la Yougoslavie et pour l’Italie. Les fortes minorités slaves restées en Autriche et en Italie ne sauraient être négligées. D’après les. statistiques de l’ancienne Monarchie dualiste, il y a aujourd’hui 100.000 Slovènes en Autriche et 500.000 Slovènes ou Croates en Italie. Le plébiscite de Klagenfurt, en 1920, a laissé la Carinthie à l’Autriche. La majorité de la population étant de race slave, comment expliquer cet étrange accident ? La Carinthie, séparée de la Carinole, par de hautes montagnes, s’ouvre au contraire largement vers les régions allemandes qui constituent pour (die un centre d’attraction économique et politique. Aussi le germanisme y avait-il obtenu beaucoup plus de résultats que dans les autres provinces de la Slovénie. La Yougoslavie disposait de trop peu de temps et de moyens pour favoriser un réveil de la conscience nationale et dissiper des légendes ou des préventions que d’habile propagande de Vienne avait su enraciner dans les esprits. Certains voulurent échapper à l’obligation militaire en votant pour l’Autriche. Tous les fonctionnaires sans exception, et on en comptait 5.000 en 1912, étaient Allemands. Les sociétés pangermanistes, actives et nombreuses, disposaient, de leur propre aveu, de fonds importants envoyés d’Allemagne. Le pouvoir central fit pression sur la conscience des électeurs. Enfin, des considérations de politique locale jouèrent également un grand rôle. En Slovénie, le parti catholique populaire et le parti libéral, unis pendant la guerre, étaient l’un et l’autre des partis nationaux. En Carinthie, le parti catho- \ liquc slovène existait seul : en l’absence d’un parti libéral slovène, les démocrates de race slave avaient pris l’habitude de voter pour les candidats progressistes des partis allemands, dont le programme se rapprochait de leurs convictions. Ils étaient ainsi devenus dmtschfreundlich, et leurs sympathies anciennes l’emportèrent, au plébiscite, sur leur sentiment national. La minorité slovène de Carinthie possède, en théorie, certains privilèges destinés à sauvegarder sa langue et sa culture. En pratique le germanisme continue son œuvre par des voies détournées et s’efforce de rendre illusoires les garanties accordées. Tout son effort porte sur l’enseignement. Les écoles mixtes, dites utraquistes, où le slovène et l’allemand devraient être enseignés, sont en réalité des écoles allemandes. Tous les artifices sont bons pour éliminer le slovène : les heures, qui lui sont consacrées sont coupées,.disposées de façon incommode, l’instituteur ne sait souvent que l’allemand, les livres manquent. Les patriotes cependant ne se découragent pas : soutenus par leurs associations, ils luttent avec persévérance et ténacité, et la seule présence de la Slovénie délivrée, toute proche, est un espoir et un réconfort. A la fin de la grande guerre, au moment où la monarchie des Habsbourg s’écroula, les troupes italiennes occupèrent les pays dont les nationalistes réclamaient l’annexion. La frontière ethnographico-linguistique fut franchie, et l’Italie s’empara de la province de Gorica, de Trieste avec son hinterland, de l’Istrie. Les riches mines de mercure d’Idrija ne furent pas non plus oubliées. Le jeune État yougoslave, encore inorganique, épuisé par la guerre, ne pouvait opposer de résistance. L’armée italienne avait créé un état de fait dont les négociateurs furent obligés de tenir compte. Les Slaves avaient mis toutes leurs espérances dans le principe des nationalités, si souvent affirmé dans les déclarations du président Wilson, mais les principes sont faibles quand ils se heurtent à la force. Avant même que les traités fussent devenus définitifs une politique d’italianisation vigoureuse se révéla. L’enseignement primaire des Slaves fut atteint le premier. Cent quarante-neuf écoles primaires, Slovènes ou croates, •ne purent être rouvertes. Le 1er octobre 1923, le décret connu sous le nom de « réforme Gentile » rendait obligatoire, dès les premières classes, l’enseignement en italien. L’enseignement en langue slave devait être éliminé progressivement. Des heures facultatives, réservées au slovène et au serbo-croate, d’abord tolérées, furent supprimées par la loi du 22 octobre 1925, promulguée le 21 décembre 1925. Les instituteurs, désormais, ne doivent plus employer que l’italien. L’effet pédagogique de cette mesure se conçoit aisément. Dans des pays de pure race slave, maîtres et élèves ne se comprennent pas. Les enfants ne savent ni l’une ni l’autre langue, et le pourcentage d’illettrés, infime sous le régime autrichien, ne pourra que s’accroître. Il y avait, avant la guerre, huit grands établissements d’enseignement secondaire et plusieurs écoles normales d’instituteurs, qui comptaient 2.500 élèves. La réforme Gentile les a supprimés. On a créé, il est vrai, à Udnie, une école secondaire d’un type nouveau, où le slovène est enseigné. Mais Udine še trouve en dehors des frontières linguistiques, et ce collège ne compte aujourd’hui que 14 élèves. .Comme l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire en langue slave a donc été anéanti. Du temps de l’Autriche, les Slaves avaient construit, dans chaque ville importante, un superbe édifice qu’ils appelaient Narodni Dom, le « Foyer national ». C’était un grand bâtiment, souvent somptueux, toujours confortable et bieji aménagé, où on avait groupé tous les organes essentiels de la vie sociale et intellectuelle. On y trouvait un hôtel, un restaurant, un théâtre, une bibliothèque, des salles de lecture, de réunion, dé gymnastique, les bureaux des associations sportives, musicales, des coopératives. L’élément nationaliste italien détruisit méthodiquement, par des agressiojisi systématiques, ces belles organisations. Le 13 juillet 1920, le Narodni Dora de Trieste, dont l’hôtel était occupé tout entier, fut attaqué, pillé, brûlé. Les voyageurs durent fuir par les toits ou sauter par les fenêtres, ce qui causa un accident mortel. Le 27 janvier 1921, à l’occasion de la célébration de la Saint-Sava par les Slaves de Trieste, la salle de lecture serbe est pillée. Le 24 mars, la bibliothèque de Voloska, établie dans le Narodni Dom, est détruite. Le 11 avril, le Narodni Dom de Sveti Ivan, faubourg de Trieste, est attaqué ; le 2 octobre il est complètement brûlé. Le 8 octobre, la coopération de Rojan est incendiée ; le 12 décembre, le Narodni Dom de Barkovlje est livré aux flammes, etc. Arrêtons cette énumération : en 1922 il ne reste plus rien de toutes ces organisations. Après quelques incidents de moindre importance, à la fin de 1925, le journal Edinost, à Trieste, sur le bruit d’un attentat contre le président du Conseil italien, est attaqué et pillé. La vie des associations, très étroitement réglementée par le statut du 26 novembre 1925, les place, en réalité, sous le contrôle permanent du pouvoir, en lui laissant toute latitude pour interpréter les textes. Les dispositions de la nouvelle loi prévoient, en cas d’infraction, des peines d’amende (jusqu’à 5.000 lires) et de prison (jusqu’à un an). Si ces ordonnances sont appliquées strictement, aucune société n’est viable. Il est interdit aux instituteurs, et, en général, aux fonctionnaires, de faire partie des associations slaves. Les anciens fonctionnaires ont d’ailleurs été révoqués ou envqyés en Italie, et remplacés par des Italiens. Toute l’administration judiciaire, en particulier, a été épurée avec soin. Dans les autres services, on compte facilement ceux qui ont été épargnés. La loi du 15 octobre 1925 a rendu obligatoire l’emploi de la langue italienne dans les tribunaux. Tous les actes en une autre langue sont considérés comme nuis et exposent, en outre, les contrevenants à l’amende et à la prison. La langue slave subit, dans tous les domaines, le plus rude assaut. On la pourchasse à l’église, où l’on k’elîoree de remplacer les prêtres Slovènes ou croates par des Italiens, et jusque sur les tombeaux. Les congrégations catholiques, slovènes des Franciscains et des Capucins ont été expulsées et remplacées par des ordres italiens. Le préfet de Trieste, M. Moroni, a défendu les représentations d’amateurs en langue slovène. Il est même interdit, dans l’état civil, de donner des prénoms slaves aux enfants. Mais il serait fastidieux de multiplier les exemples : ceux qui ont été cités suffisent à caractériser la situation. # L’élément slave des provinces italiennes souffre et attend. Il ne réclame pas l’indépendance politique. Il demande seulement que sa langue, sa culture, sa civilisation soient respectées. Un danger commun, le péril allemand, rapproche les États italien et yougoslave, mais les accords entre les gouvernements restent fragiles s’ils ne se fondent pas sur l’estime et l’amitié mutuelle des peuples. La politique actuelle d’italianisation à outrance ne passe-t-elle pas son but quand elle s’exerce contre un peuple pacifique et désarmé, dont le seul désir est de conserver son héritage séculaire ? m ' Les problèmes que soulève la politique intérieure slovène sont moins faciles à exposer que les questions internationales. Les programmes, les directions des différents partis sont souvent assez confus. Efforçons-nous d’y porter un peu de lumière, avec l’objectivité que nous assure une sympathie égale pour tous. Avant la guerre trois grands partis se partageaient la nation slovène. Le plus ancien, le plus nombreux et le plus puissant, le « parti catholique populaire slovène », groupait tous les partis catholiques des différentes provinces slovènes, Carniole, Styrie, Carinthie, Gorica. Ses députés formaient un bloc compact au Parlement de Vienne et constituaient la majorité à la Diète provinciale de Ljubljana. Doué d’une organisation vigoureuse, bien dirigé, ce parti était, en fait, le maître du pays. Il puisait sa principale force dans la masse paysanne toujours docile à la voix de ses pasteurs. Son leader le plus écouté, Ivan Krek, écrivain de grande valeur, esprit hardi, lucide, bien informé, l’orientait vers le socialisme chrétien. Le parti national progressiste slovène se recrutait au contraire dans la petite bourgeoisie et les milieux intellectuels. Il opposait aux doctrines catholiques les principes du libéralisme occidental et luttait contre l’influence de l’Église dans la vie politique. De bonne heure il s’était fait le champion des revendications nationales. C’est à son initiative qu’on doit le développement du mouvement national, auquel le parti catholique, trop occupé, à l’origine, par les questions sociales, n’avait pas, tout d’abord, accordé toute son attention. Un petit parti socialiste et ouvrier, à tendances philosophiques, n’avait encore marqué aucun progrès sérieux. Peu de temps avant la guerre, et dès les premiers temps des hostilités, la jeunesse catholique slovène réclama une impulsion nationale plus énergique. Le chef du parti populaire catholique slovène, M. Ivan Šušteršič, fut remplacé par M. Korošec, qui s’allia aux libéraux pour réaliser l’uriion avec la Yougoslavie. Quand ce but eut été atteint, des difficultés intérieures surgirent : l’unanimité des partis cessa. Le parti populaire catholique slovène, après quelques hésitations, adopta un programme autonomiste, dont l’idéal serait une organisation analogue à celle de la Suisse ou des États-Unis. Le parti libéral, devenu parti démocrate, se rallia aux partis progressistes qui existaient déjà en Serbie et en Croatie. Un nouveau parti, le parti paysan, issu en majorité du parti libéral, après avoir cherché quelque temps sa voie, finit par adopter la doctrine de M. Radie. Signalons, pour ne rien omettre, l’ancien petit parti socialiste et un embryon de parti communiste, très limités par la loi sur la sûreté de l’État, l’un et l’autre sans grande activité. Quels sont les programmes des deux grands partis ? Les autonomistes' s’efforcent de faire revivre une idée politique très ancienne, exprimée pour la première fois, sans succès d’ailleurs, en 1848, la reconnaissance de leur peuple comme nation séparée, indépendante, dans le cadre général d’un royaume dont elle suivrait politiquement les destinées. La politique étrangère, l’armée, la marine seraient communes à tout le pays. Sous cette réserve, rien n’empêcherait les Slovènes d’exister en tant que nation. Ils pourraient ainsi, par exemple, disposer de leurs finances. « La Slovénie », disent les autonomistes, « est la partie du royaume qui paie les impôts les plus élevés. Nous voudrions que nos sacrifices profitent à notre pays. » Ils éprouvent enfin quelque inquiétude pour leur langue elle-même, menacée d’être remplacée, à plus ou moins longue échéance, par le serbo-croate. Cette unification linguistique porterait un coup mortel à leur littérature, fort ancienne et fort belle, il faut le reconnaître, et à un développement artistique original dont ils ont tout lieu d’être fiers. Leur très vieille civilisation, toute baignée d’influences occidentales, risquerait de disparaître. Les démocrates répondent, non sans malice, que la grande pensée politique d’une nation slovène indépendante dissimule mal la déception d’un parti autrefois tout-puissant et dont l’importance s’est vue réduite dans les cadres du nouvel État. Avant la guerre, le parti populaire catholique slovène régnait en maître en Slovénie. Il n’est plus aujourd’hui, à la Skupština, qu’un parti parmi les partis, de faible importance relative — une trentaine de représentants — et incapable d’imposer ses volontés. L’objection financière est plus sérieuse. La Slovénie est, il est vrai, la partie du royaume la plus imposée. Les différences de traitement entre Serbes, Croates et Slovènes sont réelles, car la législation financière n’a pas encore été unifiée : les lois autrichiennes restent en vigueur en Slovénie, les lois hongroises en Croatie et les lois serbes en Serbie. Aussi les Slovènes portent-ils la plus lourde part du fardeau commun. Ils ont, jusqu’à présent, accepté ces charges, car ils ont compris la nécessité de .venir en aide à la Serbie, leur libératrice, dont le territoire avait été ravagé pendant qu’elle luttait, avec le plus admirable héroïsme, pour la délivrance des peuples slaves encore opprimés, Croates et Slovènes. La Slovénie acquitte donc sans murmurer une dette de reconnaissance dont la légitimité n’est pas contestable. Mais elle doit espérer une prochaine unification de la législation financière, qui imposera à, toutes les parties du royaume les mêmes charges fiscales. La solution des difficultés -actuelles doit être cherchée dans une union toujours plus complète des trois fractions du grand peuple yougoslave. Les démocrates ne croient pas que la langue slovène, à laquelle ils sont aussi attachés que leurs adversaires, puisse être sérieusement menacée. Le péril de civilisation dont on affecte de s’effrayer n’aurait jamais existé. Enfin une certaine décentralisation serait désirable pour les questions locales d’importance secondaire, où l’intervention du pouvoir central n’est pas d’une nécessité absolue. Les anciens cadres rigides des provinces ont été brisés ; on leur a substitué des divisions qui rappellent celles des départements français. On pourrait peut-être, dans le même sens, se rallier à la conception française moderne de la « région ». Telles sont les deux thèses en présence. Elles sont, sans doute, très différentes, mais elles ne laissent pas de présenter un certain nombre de points communs. Tous les partis s’accordent sur les nécessités de politique extérieure : tous comprennent les périls qui menacent leur pays. Il convient de retenir cette conclusion essentielle : devant l’étranger, l’union serbe, croate et slovène est parfaite. Restent certains antagonismes inévitables, de méthodes plutôt que de principes. Il est étonnant qu’il n’y en ait pas davantage. Parmi les nouveaux États issus de la guerre, la Yougoslavie est un des plus homogènes. Les Slovènes, travailleurs, méthodiques, et consciencieux, ont déjà su se faire apprécier à Belgrade. Ils constituent, dans le royaume, un élément d’ordre, d’équilibre, d’harmonie, que le jeune État ne saurait négliger. Ils occupent une région d’une importance politique, stratégique et économique de premier ordre. Bastion avancé du slavisme, rempart de l’Europe orientale contre le germanisme, garantie précieuse de sécurité pour l’Italie, la Slovénie a un rôle nécessaire dans l’équilibre européen. Il semble que cette considération doive primer tous les intérêts particuliers des partis. Le souple et intelligent génie serbe saura trouver les modalités heureuses susceptibles de concilier tous les désirs et toutes les revendications légitimes. René Martel. / ! A NARODNA IN UNIVERZITETNA KNJI UNICA llllllElll . > -v:': .7-^" ' S vi; :■■ >< - ,1: :V v"': ", c~yy:t:4i^ vSi:'š5'r- '-"'i ,y;'' ■ 1926 ■ ‘n. Narodna in univerzitetna knjižnica v Ljubljani NARODNA IN UNIVERZITETNA KNJIŽNICA L E a 76 423 MONkjb SLAVE Revue paraissant le 25 de chaque mois en fascicules in-8° de 160 pages TV CONSEIL DE DIRECTION : L. EISENMANN Professeur à l’Université de Paris. E. FOURNOL Vice-président administrateur de l'Institut d’études slaves. J. LEQRAS Professeur à l’Université de Dijon. A. QAUVAIN de l’Académie des sciences morales et politiques. H. MOYSSET Professeur 4 l’Ecole de guerra navale, LE MONDE fi que, littéraire, des pays slaves, ainsi que leurs rapports avec leurs voisins (Allemagne, pays baltes, danubiens, balkaniques, asiatiques). Г liniinr Cl AVE est^a revue encyclopédique de LL mUnUC uLATL l’Europe centrale et orientale, instrument de travail indispensable pour l’historien, le diplomate, l'homme politique, l’homme d’affaires. CONDITIONS D’ABONNEMENT s I. France et pays slaves........................ 60 fr« f 1° Ayant accepté les tarifs de Г Union TT , ) postale (Accord de Stockolm)..... 80 fr. II. Autres pays < , . ... J 2° JN ayant pas accepté les tante de l’union postale............... 85 fr. ■ A Rédaction et Administration: LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN, 108, boulevard Saint - Germain Paris (VIe) (Cbèquci postaux : PARIS 96.61) lmp. des Prate* Universitaire» de Frana, Paris. — 1926. — 0.634