© RECUEIL DES OEUVRES CHOISIS DES BEAUX ESPR1TS €> DE LA FRANCE TANT PROSAIQUES que POETIQUES. CONTENANT LES OEUVRES DE LA FONTAINE. t i '4 - )' J \ % '4 ’ '• ", %*"* r j o 1 ' t,4 ill A T F XT A/ | I V/ xU r T ET NOUVELLES EN VERS PAR MONSIEUR 33E LA FONTAINE. TOME l /KWS LYCE VBIBLJ01 A»ec Privilege de Sa Majefle Imperiale. A CARLSROUHE, Chez Chretien Theoph. Schmieder, & A REUTLINGUE , Chez Jean George Fleischhauer. MDCCLXXIX. . PREFACE DE L’A UTEUI, Sur le premier Tome de ces Contes. Jf’iavois refolu de ne confentir 'a Vmipreffion de ces Contes quapres que.fy pourrois joindre ceux de Bocace, qui font le plus a mon gout; mass quelquesperfonnes mont confeille de donner d'es a prefent ce qui me rejle de ces bagatelles, afin de ne pas laiffer refroidir la curiofite de les voir qui efl encore en fonpremier feu. fife me fuis rendu a cet avis fans beaucoup de peine; & fat cm pouvoir profiler de I’occafion. Non-feulement a ,3 ' cel a VI PREFACE cela mefil permis, mats ce feroit vaniie a moi de meprifer un tel avantage. 11 me fufifit dc ne pas vouloir quon impofie en ma faveur a qui que ce foit; & de fuivre un chernin contraire a c-dui de certaznes gens, qui ne sacquitrent des amis que pour s acqucrir des fuffrages par leur moyen; creatures de la cabale, bien diffirens de cet Efpagnol qui fe piquoit d’ltre fils de fics propres oeuvres. Qiioique j’aye autant de befioin de ces artifices que pas un autre, je ne faurois me refoudre ci les employer: feulement je mac- commoderai, sil mefil pojfible, au gold de won fiecle, inftruit que je fuis par ma propre expe¬ rience qu’il ny a rien de, plus necejfiaire. En ejfet, onnepeutpas dire que toutesfiaifions fioient favorables pour toutes fortes de livres. Nous avons vu les Rondeaux, les Metamorphofies, les Bouts-rimes regner tom -a- tour: maintenant ces galanteries font hors de mode, &perfionne ne s’en fioucie: tank il eft certain que ce qui plait en un temps, pent ne pas plaire en un autre. II n 'appartient qu’aux ouvrages vrai- ment folides, & d’une fouveraine beaute, d’etre bien re pus de tous les efprits, & dans tons les fiecles, fans avoir d’autre pafifieport que le DE L’AUTEUR. VII le feul merite dont ils font pleins. Comme les miens font fort eloignes d’un fi haut degre de perfection, la prudence vent que je les garde en moil cabinet, a moins que de bien prendre mon temps pour les en tirer. C’efi ce que j’ai fait, ou que fai cru fake dans cette edition, ou je nai ajoute de nouveaux Contes, que parce qu’il m’a femble quon etoit en train dJy prendre plaifr. II ij en a que fai itendus, & d’mitres que j’ai accourcis; feulement pour diverffier & me rendre moins ennuyeiix. Maisje mamufe a des chofes auxquclles on ne prendra peut-etre pas garde, tandis que fai lieu d’apprihender des objections bien plus importantes. On m en peut fake deux principals: l’une , que ce livre efi licentieux; I autre qu’il nepargne pas ajjez le beau fexe. Quant a la premiere, je dis hardi- ment que la nature du Conte le vouloit ainfi; etant une loi indifpenfable felon Horace, ou plutbt felon la raifon & le fens commun de fe conformer aux chofes dont on ecrit. Or qiiil ne tiiait ete per mis d’ecrire de celle-ci, comme tant d’autres l’out fait, & avec fucces, je ne crois pas quon le mette en doute: & l’on ne me fau- roit condamner que I’on ne condanme aufft a 4 tAriofk VIII PREFACE, I’ArioJle devant moi , & les anciens devant TAriofie. On me dira que feujfe mieux fait de fupprimer quelques circonjlances, on tout an moins de les deguifer. It riy avoit rien deplus facile; mais cela auroit affoibli le Conte, & lui auroit 6te de fa grace. Tant de circonfpeffion riefl neceffaire que dans les ouvrages qui pro- mettent beaucoup de retenue des labord, ou par leur fujet, ou par la maniere dont on les traite. fife confeffe quil faut garder en cela des homes, & que les plus etroites font les meilleures: AuJJi faut-il viavouer que trop de fcrupule guteroib tout. Qui voudroit reduire Bocace a la meme pudeur que Virgile, ne feroit ajfurement rien qui vaille, & pecheroit contre les loix & la bienfeance en prenant a tache de les obferver. Car afin que l’on ne s’ijtrompe pas, enmatierede vers & de profe, I extreme pudeur & la bien¬ feance font deux chofes bien diffcrentes. Ciceron fait confifler la derniere a dire ce quil ejl a propos quon dife, eu egard au lieu, au temps, & mix perfonnes quon entretient. Ce principe une fois pofe, ce nefl pas tine finite de jugement que d’entretenir les gens d’anjourd’hui de Contes un pen libres. fife ne pechepas non plus en cela contre DE L’A U T E U R. IX contre la morale. S’ily a quelque chofe dans nos Ecrits qui puijfe fane imprejfton fur les ames, ce n’ef nullement la gaijete de ces Contes, elle paffe leglrement: 0 je craindrois plutSt line douce melancolie , oh les Romans les plus chafes & les plus modefes font tr'es capables de nous plonger, & qui ef une grande preparation pour famour. Quant h la feconde objection, par laquelle on me reproche que ce livre fait tort. aux fem¬ mes; on auroit rai fon fijeparlois ferieufement, mais qui ne voit que ccci ef jeu, & par confe- quent ne pent porter coup ? 11 ne fautpas avoir pair que les manages en foient a PaPenir moins frequens, & les mar is pintfortfur lears gardes. On me pent encore objedter que ces Contes nefont pas fondes, ou qu its ont partout un fondement aife a detruire; enfin qu’il ij a des abfurdites, & pas la moindre teinture de vraifemblance. ffe repons en pen de mots que fai mes gamuts: & puis ce neft ni le vrai, ni le vraifemblable, qui font la beaute & la grace de ces chofes-ci; cejl fculement la maniere de les confer. Voilh les principaux points fur quoi fai cm etre oblige, .de me defindre. ff’abandonne le refe aux cenfeurs ; aujf-bien feroit-ce une entreprife infinie que de a 5 prc- X PREFACE DE L’AUTEUR. pretendre repondre a tout. ^Jamais la critique iie demeure court, ni ne manque de fujets de sexercer: quant ceux que je puis prevoir lui feroient 6tes, elle en auroit bien- toi trouve d'autres. VIE DE LA FONTAINE. Odette courte vie de la Fontaine fefa degagee des contes populaires, finon faux, dumoins in- fipides & meme indecens, dontl’hifioire des hom¬ ines celebres n’eft: que trop fouvent defiguree, Ke peut-on. pas les carach rifer, fans entrer dans des details puerils , qui deshonorent egalement & le pinceau & le portrait. On- ne dira done ici de la perfonne de la Fontaine, que ce qu’on a era vrai & digne d’etre rapporte. L’eloge fingulier, ou plutot la fatyre en forqje d’eloge, qu’on en trouve dans la continuation de l’hi- ftoire de l’Academie Eranqoife par M. 1’abbe d’Olivet, n’eft ni Funique , ni meme la prinei- pale fource oil 1’on a puife ce qu’on en va lire. On s’eft plutot fie a un memoire, fourni par le petit-fils de la Fontaine meme, oil l’on a trou¬ ve des particuiarites qui ne fe rencontrent point ail- Xlt VIE ailleurs, & qui font moins de tort a l’efprit & au bon fens de ce Poete refpe&able, qui certains petits faits qu’on a inconfiderement racontes. Jean de la Fontaine naquit a Chateau-JIhierry le 8 de Juiliet 1621. ( c’eft-a-dire un an apres Ivloliere) de Jean de la Fontaine, Maitre des Eaux & Forets, & de Franqoife Pidoux, fille du Bailli de Coulommiers. On croit qu’il fit fes premieres etudes a Reims, ville qu’il a toujours extremement cherie. A Page de dix-neuf ans il entra chez les PP. de l’Oratoire, qu’il quitta dix- huit mois apres. Cette congregation, rivale d’une Societe feconde en gensd’efprit °out, a ete l’ecole de plulieurs Ecrivains celebres, & elle a donne, comme l’autre , des Membres a PAcademie Franqoife. La Fontaine ignoroit encore a vingt-deux ans fes talens linguliers pour la Poefie, lorfqu’on lut devant lui une Ode de Malherbe. II l’ecouta avec une furprife & une admiration , egales a celle d’un homme qui a l’imagination frappee d’un objefe confus qu’il cherche fans le connoi- tre : s’il vient par hafard a le rencontrer, fes regards le devorent, & fon efprit fatisfait le fai- fit avec tranfport. Telle fut l’impreffion que fit fur la Fontaine la lefture de cette Ode. Son gout fe declara, & fon genie fe developpa auffi-t6t. II fe recon nut en quelque forte dans l’entoufiafme lyrique, dont les vers, qu’il venoit d’entendre, etoient DE LA FONTAINE, xm 4toient animes; & le feu poetique , qu’il ren- fermoit en lui-meme, fembla s’allumer a celui de Malherbe. II fe mit a lire ce Poete, a le mediter, a l’apprendre par cceur, ale declamer, & enfin a Fimiter. II confia les premiers elTais de fa plume a un de fes parens , nomme Pintrel, Procureur du Roi au Prefidial de Chateau-Thier- ry. Celui-ci applaudit aux productions naiffan-® tes du jeune Poete; il l’encouragea, & lui fit lire les meilleurs Auteurs Latins, Horace, Vir- gile, Terence & Quintilien. Pintrel fut done par rapport a la Fontaine, ce que le grand-pere de Moliere a volt ete a Regard de cet ill u lire Au¬ teur : car tout le monde fait que e’eft au gout de l’Ayeul pour la Comedie, que nous devons les charmantes pieces du petit-fils. Nourri de la lecture des Auteurs Latins, la Fontaine pall'a a celle des Auteurs Franqois & Italiens. II fit fes delices de Rabelais, de Marot & de d’Urfe. Le premier le divertiffoit par fon burlefque enjouement; il choilit le fecond pour fon modele en fait de ftyle, comme celui qui avoit attrape le vrai tour du genre naif. Il ti- roit de l’Aftree de d’Urfe ces images champe- tres, qui lui font ii familieres. L’Ariofle & Bocace, oil il a puile la matiere de bien des con- tes, etoient encore au nombre de fes Auteurs favoris; & ce qu’on ne croira peut-etre pas, e’eft que Platon & Plutarque faifoient un des princi- paux XIV VIE panx ornemens de fa Bibliotheque. Ils lui four- niffoient ces belles maximes de Morale & de Politique qu’il a femees dans fes fables. Car, a l’exemple des grands maitres, il n’y avoit point de livre qu’il ne mit a profit; femblable a l’A- beille qui tire du fuc de toutes les fleurs, & bien different de ces Poetes pareffeux & igno- ®rans, qui lies avec un lieureux genie, font me- diocres & fteriles par leur propre faute. L’efprit le plus fecond s’epuife bien-tfit, s’il n’eft fou- tenu par la lecture reflechie des bons Ecrivains. Quoique toute forte de liens fuffent contrai- res au gout de la Fontaine, & que le mariage en particulier dut lui paroitre un engagement bien penible , il s’y determina par complaifance pour fes parens, & il fe laiffa marier. On lui fit epoufer Marie Hcricard, file d’un Lieutenant- General de la Ferte-Milon , patrie du grand Ra¬ cine, dont il fut toujoursl’ami. Safemme avoit de labeaute, & un efprit fuperieur, qui la ren- doient eftimable aux yeux mdme de fon mari. Il ne compofoit aucun Ouvrage qu’il lie la con- fultat. Cependant fon gout pour la capitaie du Royaume, & fon eloignement pour tout ce qui fentoit la gene, ne lui permireiit pas de vivre long-temps en menage. La fameufe DucheiTe de Bouillon, niece du Cardinal Mazarin, ayant ete exilee a Cbateau-Thierry , voulut connoitre la Fontaine. On le lui prefenta, & il en fut goute. DE LA FONTAINE. xv goute. Comme elleavoit 1’efprit badin & enjoue, elle l’engagea a compofer des pieces dans le genre qui la flattoit le pins. Telle fut, dit-on , l’origine des contes. Rappellee a Paris , elle y amena la Fontaine , qui trouva dans cette ville un de fes parens, nomine Jannart, fubftitut & favori de M. Fonquet. Cette' rencontre attacha naturellement le Poete a M. *Fouquet, qui lui fit une penfion. La Fontaine lui prefentoit a chaque quartierTon requ, qui confiftoit en une piece de vers. On a conferve ces quittances poetiques dans l’edition trap ample de fes Oeu¬ vres poithumes. Jannart ayant ete enveloppe dans la difgrace de M. Fouquet, il fut exile a Limoges, ou la Fontaine le fuivit. II nous a laiffe la relation de ce voyage en douze lettres ecrites a fa fqm- me. De retour de Limoges, d’ou Jannart fut bien-tot rappelle , la Fontaine entra chez fa ce- lebre Henriette d’Angleterre, premiere femme de Monfieur, en qualite de Gentilhomme. La mort precipitee de cette Princefle fit evanouir les grandes efperances de fortune, dont d’autres el fa place fe feroient flattes. II trouva de ge- nereux protecteurs dans M. le Prince, M. le Prince de Conti, M. de Vendume & M. le Due de Bourgogne. Mefdames de Bouillon & Maza- rin furent auffi du nombre de fes bienfaiccrices- Madame de la Sabliere, cette femme fi. celebre pour XVI VIE pour qui Bernier fit l’abrege de Gaffendi, fe chargea pour lui des foins domeftiques, en le retirant chez elle. Attache a Paris par les agremens qu’il y trou- voit, & par fes liaifons avec tous les beaux efprits de fon fiecle, il alloit neanmoins tous les ans, au mois de Septembre, rendre une vifite a fa femme, & il menoit avec lui Racine, Def- preaux, Chapelle ou quelques - autres ecrivains de ce nom. Mais comme il ne vouloit pas que ces vifites fuffent fteriles pour lui, il vendoit a chaque voyage quelque portion de fon bien, qui fe trouva entierement diffipe, autant par fa ne¬ gligence que par fa prodigalite. Il ne paffa ja¬ mais de bail de maifon, & il ne renouvella ja¬ mais celui a’une ferme. Sa femme, qui ne s’entendoit pas mieux que lui a faire valoir leurs terres, contribua beaucoup a laperted’un patrimoine afl'ez conftderable, dont une partie tomba par ufurpation dans des mains etrangeres. Le meme efprit de fimpliclte, de candeur & de naivete, que nous admirons dans les Ouvra- ges de la Fontaine, le carafterifoit lui-meme, & jamais Auteur ne s’effc mieux peint dans fes Li- vres. Il etoit plein de probite & de droiture, doux, ingenu, naturel, lincere, credule, facile, fans ambition, fans fiel, prenant tout en bonne part; &, ce qui eft plus rare, eftimant fes con¬ frere# DE LA FONTAINE, xvi* freres les Auteurs, & vivant bien avep eux. II parloit peu , & a moins qu’il ne fe trouvat avec des amis familiefis , on que le difcours ne roulat fur quelque matiere qui fut de fon gout, il ne paroiffoit qu’un homme fort ordinaire. On a toujours remarque que la plupart des fa vans & des fameux ecrivains ne font pas les plus bril- lans dans la fociete, & une converfation en- jouee, toujours femee de traits d’efprit & de faillies, n’eft pas, comme on fait une marque infaillible du genie, ni meme du veritable efprit. L’iiluftre Rouffeau avoit auffi peu de talent que la Fontaine pour la converfation, a moins qu’on ne luiparlat de Belles-Lettres, ou que fon ima¬ gination ne fut echauffee par quelque difpute agreable. Voici un trait qui peint bien le cara- &ere naif & filentieux de notre celebre Auteur. Ayant ete invite- a diner dans une maifon, com¬ me pour amufer les convives, il mangea, &ne parla point. 11 fe leva de table de fort bonne heure, fous pretexte de fe rendre a 1’Academie , ou on l’avoit fait entrer. On lui reprefenta en vain qu’il n’etoit pas encore tempst ilrepondit: Je prendrai le plus long. Ce fut chez un Fer- mier-Generalqu’il fit fi bonne chere, avec fi peu de depenfe d’efprit. Ce qui eft bien digne de remarque, c’eft que malgre l’idee que doivent donner de lui fes f ) M. Zaugeois d'Imbercourt. Tome I. b XVIII VIE fes contes , il avoit les moeurs pures; & on pourroit lui appliquer ce vers d’un ancien Poete: o Lqfciva eji nobis pagina , vita proba eft. II ne laiffoit meme rien echapper de libre ni d’equivoque dans les converfations. On avoit beau l’agacer fur ces matieres ; il etoit toujours plein de refpeft pour les femmes, & ne medi- foit d’elles que dans fes ecrits, & en general. Ce qu’il y a meme de lingulier, c’eft que des meres le confuitoient fur l’education de leurs filles, & de jeunes perfonnes fur la maniere de fe conduire dans le monde. 11 donnoit d'e>_cel- lens confeils, qui s’eloignoient egalement de la farouche aufterite d’un Direfteur peu eclaire , & du reiachement d’un mondain peu fcrupuleux. Il eut un fils en 1660. qu’il garda fort peu de temps aupres de lui. A l’age de quatorze ans , il le mit entre les mains de Monfieur de Harlay, depuis Premier Prelident, & lui recommanda fon education & fa fortune. On rapporte que la Fontaine fe rendit un jour dans une maifon, oil devoit venir fon fils , qu’il n’avoit pas vu de¬ puis long-temps. Il ne le reconnut point, & temoigna cependant a la compagnie qu’il luj trouvoit de l’efprit & du gout. Quand on lui eut DE LA FONTAINE. xix eut dit que c’etoit fon fils, il repondit tranquil- lement: Ah! j’cn fuis him aife. Cette Apathie, fi recherchee par les anciens Philofophes , influoit fur toute fa conduite , & le rendoit queiquefois infenlible aux injures md- me du temps. Comme il etoit neavec un efprit aife, a qui rien ne coiltoit, il n’eut jamais de Cabinet, & travaiiloit par-tout ou il fe fentoit infpire. Madame de Bouillon allant un jour a Verfailles le matin , le vit revant fous un arbre du Conrs. Le foir, en revenant, elle le retrou- va dans le meme endroit & dans la meme atti¬ tude, quoi qu’il fit ailez froid, & qu’il eut tombe de la pluye toute la journee. La Fon¬ taine etoit le feul qui ne s’en appercjut pas, fem- blable en quelque forte au fameux Archimede, qui travaiiloit tranquillement, tandis que les ennemis faccageoient la ville oil il etoit, & avoient penetre jufqu’a fon logis. C’elt a ces poetiques reveries, . qu’on doit attribuer toutes les hiftoires vrayes ou fauffes des diftractions de notre Auteur. Madame de la Sabliere, chez qui il demeuroit depuis vingt ans , etant morte, il fut invite a fe retirer en Angleterre par Madame Mazarin & par Saint Evremond, qui Iui promirent toutes les aifes & toutes les douceurs de la vie. Il y eut meme pluileurs Seigneurs Anglois, qui jaloux b 2 que XX VIE que la France pofledat un li grand homme, Ini offrirent une fortune brillante, dans Pefperance de l’attirer dans leur Isle. La Fontaine ne fut point fourd a leurs follicitations, & il fe mit a apprendre l’Anglois; mais fon genie indolent & ennemi d’un travail penible fe degouta bientot del’etude d’une langue feche & epineufe. 11 re- nonqa done au voyage d’Angleterre. Les bien- faits de Monfieur le Due de Bourgogne ne con- tribuerent pas peu a le retenira Paris, & ce jen- jie Mecene, deja heritier du gout de fon Ayeul pour les Lettres , epargna a fa Patrie la douleur de perdre un de fes plus beaux efprits, & la honte de ne l’avoir pas retenu dans fon fein. II tomba malade fur la fin de l’annee 1662. Le Pere Pouget, de l’Oratoire, alia lui rendre vifite, & lui paria au fujet de la Religion. La Fontaine avoit vecu dans une grande indolence fur cet article, comme fur tout le refte, fe laif- fant guider par une fimple lumiere , qui ne lui decouvroit que la loi naturelle. II n’etoit ni in- credule, ni impie, & jamais il ne chercha dans des paradoxes philofophiques des principes fu- fpects , pour juftifier fon irreligion oufon indif¬ ference. Le Pere Pouget reuffit a le convain- cre des preuves du Chriftianiftne. Il fit une con- feffion generale de toute fa vie; & pret a rece- voir le Viatique, il detefta la fource de fa gloire & de fon immortalite, & demanda pardon a Dieu, BELA FONTAINE. xxi Dien , en prefence de Meffieurs de l’Academie Franqoife, qu’il avoit pries de fe rendre chez lui par deputes ; proteftant que s’il recouvroit la fante, il n’employeroit fon talent qu’a ecrire fur des matieres de morale ou de piete. II vecut encore deux ans apres fa converfion, & il entreprit de traduire les Hymnes de l’Eglife. Mais il n’alla pas loin , & quand meme le cours de fa vie eut ete prolonge, il eft probable qu’il n’y auroit pas beaucoup reuffi. Outre la diffi¬ cult e d’exceller en ce genre, fon feu poetique etoit eteint par Page, par le regime, & plus encore par la vie au ft ere & penitence qu’il s’etoit impofee a lui-meme. Si dans la vigueur de fon age & de fon genie , il s’etoit applique aux cho- fes facrees, il s’y feroit fans doute diftingue, comme notre illuftre Roufleau, qui n’a pas at- tendu fes dernieres annees, pour chanter les louanges divines. La Fontaine mourut a Paris, rue Platriere, le 13 de M®rs 1695', age de foi- xante-quatorze ans. Il fut enterre dans le Ci- metiere de Saint Jofeph, a l’endroit meme ou fon ami Moliere avoit ete inhume vingt-deux ans auparavant. On le trouva convert d’un ci¬ lice, lorfqu’on le deshabilla; ce qui a fait dire a l’illuftre fils du grand Racine: La Fontaine en gemit: a fes remords rebelle Sa main fert inalgre Ini fa plume criminelle: *> 3 Vrai .XXII VIE Vrai dans tons fes ecrits , vrai dans tous fes ilifcours. Vrai dans fa penitence a la fin de fes jours , Du Maitrc qui s’approche, il previent la juftice , Et f’Auteur de Joconde eft arme d’un cilice. II me refte a caracterifer le ftyle de la Fontaine, & a dire un mot de fes compofitions. Jamais hom- ae n’ecrivit avec plus de graces, plus dedouceur, plus denaturel, phis de fmefl'e &p:us de facilite. Cell veritablement le Poete de )a nature. Vous ne fentez mi lie part le travail ni la ger.e: il voyoifc eclore fous fa main cesfleurs. qui coutoientdes veilles aux Boileaux & aux Racines. La Fon¬ taine , plonge dans les douceurs d'un tranquille del ire , n’cprou va certainement jamais ni fureurs, ni tranfports, ni fougueux entoufiafme. On di- roit que fes Fables font tombees de fa plume. II a Jurpaffe l’ingenieux Inveuteurde l’Apologue & fon admirable Copiffe. Auffi.elegant, auffi natu- rel, moins pur a la verite, mais auffi moinsfroid & moins nud que Phedre, il a attrape le point de perfection dans ce gei®re; & ceux qui ont couru la merne carriere, quoiqu’avec beaucoup de me- rite, font relies bien loin derriere lui. Ses Contes font un parfait modele de ftyle hiftorique dans le genre familier. Quelle exaftitude,quelle aifance, quelle vivaclte dans la narration ! On eft cepen- dant oblige de dire qu’il ne met pas toujours la derniere main a unouvrage , qu’il eftquelquefois neglige, & qu’il fe trouve dans cet excellent Au¬ teur des vices de coriftruction & quelques defauts ' de BE LA FONTAINE. xxm delangage. II fautque ceux qni le lifent, fachent difcernerces petites fautes, Sr'neles prennentpas pour des autorites. Mais fa poelie feroit peut-etre moins admirable, ft elle etoit plus travailiee, & cette molle negligence decele le grand Maitre, & l’Kcrivain original. C’eft le caraftere des efprits faciles d’etre ainfi peuchaties, & comme indepen- dans des regies; a 1’exemple de pluiieurs grands Peintres, dont nous n’avons aucun Tableau, ou il n’y aitquelqne petite partie negligee. Chapeiie& Chaulieu ne font pas fur la langue pius exacts & plus fcrupuleux que la Fontaine. Peut-etre aulft que li ce dernier n’avoit pas effaye trop des genres indifterens, il auroit mis plus de correftion dans fes Ecrits. C’eft lui-meme qui nous le dit, & void comme il peint fon inconftance : Papillou du Parnaffe , & femb'lable aux Abeilles, A qui le bon Platon compare nos merveilles ; Je fuis chofe legere , & vole a tout fnjet; Je vais de fleur en fleur, & d’objet en objet: A beaucoup de plaifir je inele un peu de gloire. J’irois plus haut peut-etre au Temple de Memoire, Si dans un genre feul j’avois life mes jours. Mais quoi! je fuis volage en vers comme en amours. Madame de Sevigne etoit fort courroucee de cette legerete de la Fontaine. , Je voudrois, dit- „elle dans une de fes Lettres, faire une Fable qui „lui fit entendre combien cela eft miferable, de „forcer fon efprit afortir de fon genre, & combien „la folie de vouloir chanter fur tous les tons, fait xxiv VIE DE LA FONTAINE. „fait une mauvaife mufique.“ Quelle vivacite cette Dame n’eut-elle done pas montree , li de fon temps il y avoit eu un Poete affez temeraire pour effayer non-feulement tous les genres de Poefie, mais tous les genres de Litterature! La Fontaine du moins n’a ecrit ni fur la Phyfique lii fur PHiftoire. Son ambition fe bornoit a excei- ler dans ion art, fe mettant peu en peine de tous les progres qu’on pouvoit faire dans les autres. La pofterite de la Fontaine fubfifte encore aujourd’hui. Le fils qu’il avoit eu de Marie Heri- card en 1660, eft mort en 1722 , & a laifle un fils & trois filles. La famille jouitd’un privilege bien honorable pour la memoire du Poete, & pour celle du lvlagiftrat qui l’accorda. La femme de la Fontaine ayant etc inquiete apres la mort de fon mari, pour le payement de quelques char¬ ges publiques, Moniieur d’Armenonville, alors Intendant de Soiflbns, ecrivit a fon Subdelegue, qu’il vouloit que la famille de la Fontaine fut exempte a Pavenir de toute taxe & de toute im- pofition. Tous les Intendans de Soiffon fe font fait depuis un honneur de confirmer cette grace, & les defeendans de notre Poete confervent pre- cieufement la Letrre de JV1, d’Armenonville, aulii glorieufe pour ce grand Magiftrat qui proteg*oit les Lettres, que, &c. CONTES CONTES DE LA FONTAINE. JOCONDE, Nouvelle tire'e de tAriofie . TtT ADis regnoit en Lombardie $ Un Prince auffi beau que le jour ? Et tel que des beautes qui regnoienfc a fa Cour, La moitie lui portoit envie, L’autre moitie bruloit pour lui d’atnour. Un jour en fe mirant: Je fais, dit-il, gageure» Tome I, A Qu’il 2 gOCONDE. Qu’il n’eft mortel dans la nature Qui me foit egal en appas; Et gage, fi l’on veut, la meilleure province De mes etats; Et s’il s'en rencontre un, je promets, foi de Prince, De le trailer fi bien, qu’il ne s’en plaindra pas. A ce propos s’avance un certain Gentilhomme D’aupr.es de Rome. Sire, dit-il, fi votre Majefte Eft curieufe de beaute, Qu’elle fafi'e venir iron frere; Aux plus charmans il n’en doit guere: Je m’y connois un peu, foit dit fans vanite. Toutefois en ceia pouvant m’etre flatte , Que je n’en fois pas cru, mais les coeurs de vos Dames: Du foin de guerir leurs flammes II vous foulagera, lx vous le trouvez bon: Car de pourvoir vous feul au tourmentde chacune, Outre que taut d’amour vous feroit importune, Vous n’auriez jamais fait; il vous faut un fecond. La-deffus Aftolphe repond: (C’eft ainfi qu’on nommoitce RoideLombardie) Votre difcours me donne une terrible envie De connoitre ce frere: amenez-le nous done. Voyons fx nos beautes en feront amoureufes, Si fes appas le mettront en credit; Nous en eroirons les connoifleufes, Comme tres-bie» vous avez dit. Le JOCONDE. 3 Le Gentilhomme part, & va querir Joconde. (Celt le nom que ce frere avoit) A la campagne il viyoit, Loin du commerce du monde, Marie depuis peu; content, je n’en fais rien. Sa femme avoit de la jeuneffe, De la beaute, de la delicateffe; II ne tenoit qu’a lui qu’il ne s’en trouvat bien. Son frete arrive, & lui fait l’ambaffade, Enfrn il le perfuade. Joconde d’une part regardoit l’amitie D’un Roi puiffant, & d’ailleurs fort aimable, Et d’autre part auiil fa charmante moitie Triomphoit d’etre inconfolable , Et de lui faire des adieux, A tirer les larmes des yeux, Quoi, tu me quittes, difoit-elle ! As-tu bien Tame affez cruelle , Pour preferer a ma conftante atnour Les faveurs de la Cour? Tu fais qu’a peine , elles durent un jorif Qu’on les conferve avec inquietude, Pour les perdre avec defefpoir. Si tu te laffes de me voir, Songe au moins qu’en ta folitiide Le repos regne jour & nuit, Que les ruiffeaux n’y font du bruit Qii’afin de t’inviter a fermer la paupiere. A 3 , CroL 4 JOCONDE. Croi-moi, ne quitte point les h6tes de tes bois, Ces fertiies vallons, ces ombrages li cois, Enfin inoi, qui devois me nommer la premiere. Mais ce n’eft plus le temps, tu ris de mon amour: Va, cruel, va montrer ta beaute finguliere; Je mourrai, je l’efpere, avant la fin du jour. L’hiftoire ne dit point, ni de quelle maniere Joconde put partir, ni ce qu’il repondit, Ni ce qu’il fit, ni ce qu’il dit; Je m’en tais done aufli, de crainte de pis faire. Difons que la douleur l’empecha de parler: C’eft un fort bon moyen de fe tirer d’affaire. Sa femme le voyant tout pret de s’en aller, L’accable de baifers, & pour comble lui donne Un brafielet de facon fort mignonne, En lui difant: ne le perds pas , Et qu’il foit toujours a ton bras , Pour de refibuvenir de mon amour extreme; 11 eit de mes cbeveux, je l’ai tifi’u moi-meme: Et \ ila de plus mon portrait, Que j’attaclie a ce brafielet. Vous autres bonnes gens, euffiez cru que la Dame Une heure apres eut rendu l’ame; Moi, qui fiiis ce que e’eft que l’efprit d’une femme, Je m’en ferois a bon droit defie. Joconde partit done; mais ayant oublie Le brafielet & la peinture: Par je ne fais quelle aventure, Le ^JOCONDE. 5 Le matin meme il s’en fouvient. Au grand galop fur fes pas il revient, Ne fachant quelle excufe il feroit a fa femme. Sans rencontrer perfonne, & fans etre entendu, Il monte dans fa chambre, & voit pres de la Dame Un lourdaut de valet fur fon fein etendu. Tous deux dormoient: dans cetabordjoconde Voulut les envoyer donnir en l’autre monde, Mrfis cependant il n’en fit rien: Et mon avis eft qu’il fit bien. ' Le moins de bruit que l’on peut faire En telle affaire, Eft le plus fur de.la moitie. Soit par prudence , ou par pitie, Le Romain ne tua perfonne. D’eveiller ces amans il ne le falloit pas; Car fon honneur l’obligeoit en ce cas, De leur donner le trepas. Vis, mechante, dit-il tout bas, A ton remords je t’abandonne. Joconde la-defius fe remet en chemin, Revant a fon malheur tout le long du voyage. Bien fouvent il s’ecrie, au fort de fon chagrin; Encor fi c’etoit un blondin; Je me confolerois d’un fi fenfible outrage; Mais un gros lourdaut de valet! C’eft a quoi j’ai plus de regret; Plus j’y penfe, & plus j’en enrage. Ou I’amour eft aveugle, ou bien il n’eft pas fage, D’avoir aflemble ces amans. A 3 Ce 6 JOCONDE. Ce font, helas! fes divertiffemens ; Et poflible eft-ce par gageure Qu’il a caufe cette aventure. Le fouvenir facheux d’un ft perfide tour Alteroit fort la beaute de Joconde: Ce n’etoit plus ce miracle d’amour, Qui devoit charmer tout le monde., Les Dames le voj-ant arriver ala Cour, Dirent d’abord: Eft-ce la ce Narcift'e , Qui pretendoit tous nos coeurs enchain A' ? Quoi, le pauvre homme a la jaunifle : Ce n’eft pas pour nous la donner. A quel propos nous amener Un galant, qui vient de jeuner La quarantaine? On fe fut bien paffe de prendre tant de peine. Aftolphe etoit ravi; le frere etoit confus, Et ne favoit que penfer la-deffus : Car Joconde cachoit avec un foin extreme, La caufe de fon ennui. On remarquoit pourtant en lui, Malgre fes yeux caves & fon vifage bleme, De fort beaux traits,mais qui ne plaifoient point, Faute d’eclat & d’embonpoint. Amour en eut pitie; d’ailleurs, cette trifteffe Faifoit perdre a ce Dieu trop d’encens & de voeux. L’un des plus grands fuppots de l’Empire amoureux Confumoit en regrets la ileur de fa jeunefle. Le gOCONDE. 7 ILe Romain fe vit done a la fin foulage ! Par le meme pouvoir qui l’avoit afflige: | Car un jour etant feul en une galerie, Lieu folitaire & tenu fort fecret, II entendit en certain cabinet, Dont la Cloifon n’etoit que de menuiferie, Le propre difeours que voici. Mon cher Curtade, mon fouci. J’ai beau t’aimer, tu n’es pour moi que glace; Je ne vois pourtant, Dieu merci, Pas une beaute qui m’efface: Cent Conquerans voudroient avoir ta place, Et tu fembles la meprifer; Aimant beaucoup mieux t’amufer A jouer avec quelque Page Au lanfquenet, Que me venir trouver feule en ce cabinet. Dorimene tantot t’en a fait le mefl’age; Tu t’es mis contr’elle a jurer, A lamaudire, a murmurer, Et n’as quitte le jeu que ta main etant faite , Sans te mettre en fouci de ce que je fouhaite. Qui fut bien etonne, ce fut notre Romain: 3e donnerois jufqu’a demain , Pour deviner qui tenoit ce langage, Et quel etoit le perfonnage Qui gardoit tant fon quant a moi. Ce bel Adon etoit le Nain du Roi, Et fon amante etoit la Reine. Le Romain fans beaucoup de peine, A 4 Les 8 JOCONDE. Les vit, en approchant les yeux Des fentes que le bois laifibit en divers lieux. Ces amans fe fioient au foin de Dorimene; Seule elle avoit tou jours la clef de ce lieu-la. Mais la laiffant tomber, Joconde la trouva; Puis s’en fervit, puis en tira Confolation non petite, Car void comme il raifonna. Je ne fuis pas le feul: & puis que meme on quitte Un Prince fi cliarmant pour un Nain contrefait, II ne faut pas que je m’irrite D’etre quitte pour un valet. Ce penfer le confole; il reprend tons fes charmes, II devient plus beau que jamais: Telle pour lui verfe des larmes Qui fe moquoit de fes attraits. C’eft a qui 1’aimera; la plus prude s’en pique: Aftolphe y perd mainte pratique. Cela n’en fut que mieux; il en avoit affez. Retournons aux amans que nous avons laifiez. Apres avoir tout vu, le Romain fe retire, Bien empecbe de ce fecret. Il ne faut a la Cour ni trop voir, ni trop dire: Et peu fe font vantes du don qu’on leur a fait, Pour une femblable nouvelle. Mais quoi! Joconde aimoit avecque trop de zele Un prince liberal qui le favorifoit, Pour ne pas l’avertir du tort qu’on lui faifoit. Or comme avec les Rois il faut plus de myftere Qu’avec- gOCONDE. 9 Qu’avecque d’autres gens, fans doute, il n’en faudroit, Et que de but en blanc leur parler d’utve affaire, Dont le dii'cours doit leur deplaire, Ce feroit etre mal-adroit; Pour adoucir la chofe, il fallut que Joconde Depuis Porigine du Monde Fit un denombrement des Rois & des Cefars, Qui, fujets comme nous a ces communs hazards, Malgre les foins dont leur grandeur fe pique, Avoient vu leurs femmes tomber En telle ou femblable pratique, Et 1’avoient vu, fans fuccomber A la douleur, fans fe mettre en colere, Et fans en faire pire chere. Moi, qui vous parle, Sire, ajouta le Romain, Le jour que pour vous voir jeme mis en chemin, Je fus force par mon deftin De reconnoitre cocuage, 0 Pour un des Dieux du mariage; Et comme tel de lui facrifier. La-deffus il conta, fans en rien oublier, Tout fa deconvenue; ~ Puis vint a celle du Roi. Je vous tiens, dit Aftolphe, homme digne de foi; JVTais la cliofe, pour-etre crue , Merite bien d’etre vue. Menez-moi done fur les lieux. Cela fut fai t, & de fes propres yeux Aftolphe vit des merveilles A 5 Comme 10 JOCONDE. Comme il en entendit de fes propres oreilles. L’enormite du fait le rendit fi confus , Que d’abord tous fes fens demeurerent perclus: 11 fut comme accable de ce cruel outrage; Mais bientot il le prit en homme de courage, En galant horn me, & pour le faire court, En veritable homme de Cour. Nos femmes, ce dit-il, nous en ont donne d’une; Nous void lachement trains: Vengeons-nous-en, & courons le pays; Cherchons par-tout notre fortune. Pour reuffir dans ce deffein, Nous changerons nos noms, je laifferai mon train; Je me dirai votre coulin, Et vous ne me rendrez aucune deference: Nous en ferons l’amour avec plus d’affurance, Plus de plaifir, plus de commodite, Que fi j’etois fuivi felon ma qualite, Joconde a^prouve fort le deffein du voyage, 11 nous faut dans notre equipage, Continua le Prince, avoir un livre blanc, Pour mettre le nom de celles Qui ne feront pas rebelles, Chacune felon fon rang. Je confens de perdre la vie, Si devant que fortir des confins d’ltalie, Tout notre livre ne s’emplit;, Et li la pins fevere a nos voeux ne fe range. Nous fommes beaux, nous avotis del’efprit: Avec cela bonnes lettres de change: II 30CONDE, ,1 Ilfaudroit etre bien etrange , Pour refifter a tant d’appas, Et ne pas tomber dans les lacs De gens aui femeront l’argent <&la fleurette* Et dont la perfonne eft bien faite. Leur bagage etant pret, & le livre fur-tout, Nos galans fe mettent en voie. Je ne viendrois jamais a bout Denombrerles faveursque l’amourleur envoi© 3 Nouveaux objets, nouvelle proie: i Heureufes leS beautes qui s’offrent a leurs yeux S ! Et pips heureufe encor celle qui pent !eur plairej II n’eft en la plupart des lieux Femme d’Echevin n i de Make, De Podeftat, de Gouveraeur, Qui ne tienne a fort grand honneur * D’avoir en leur regiftre place, Les cceurs que l’on croyoit de glace Se fondent tons a leur abord. J’entens deja maint efprit fort M’objecter que la vraifemblance N’eft pas en ceci tout-a-fait. Car, dira-t-on, quelque parfait Qtte puiffe etre un galant dedans cette fcienee, Encor faut-il da temps pour mettre un coeur a bien, S’il en faut, je n’en fais rien: Ce n’eft pas mon metier de.caj oiler perfonne ; Je le rens comme on me le donne; Et l’Ariofte ne ment pas. Si l’on vouloit a chaqu'e pas Arrd- gOCONDE. 13 Car Jans fe donner de la peine, Et fans qu’aux bals on la promene, On en vient aifement a bout; n lui dit ce qu’on veut, bien fouvent rien du tout, e point eft d’en trouver une qui foit fidelle, Choilifl’ons-la toute nouvelle, lui ne connoiffe encor ni le mal, ni le bien. renons, dit le Romain, la fxlle de notre b6te; Je la tiens pucelle fans faute, Et li pucelle, qu’il n’eft rien De plus puceau que cette belle; Sa poupee en fait autant qu’elle. ;’y fongeois, dit le Roi, parlons lui des ce foir? II ne s’agit que de favoir, |ui denous doit donner a cette Jouvencelle, Si fon cceur fe rend a nos vceux, a premiere lecon du plaifir amoureux. e fais que cet honneur eft ptlre fantaifie; "outefois et ant Roi, l’on me le doit ceder: •u refte il eft aife de s’en ac'commoder. i c’etoit, ditjoconde, une ceremonie, Vous auriez droit de pretendre le pas; Mais il s’agit d’un autre cas. Tirons au fort, c’eft la juftice; Deux pailles en feront l’office. Jela chappe a l’Eveque, helas, ils fe battoient, Les bonnes gens qu’ils etoient. Quoi qu’il en foit, Joconde eut l’avantage Du pretendu pucelage. -a belle etant venue en leur cbambre le foir Pour $OCONDE. 13 Car fans fe donner de la peine, Et fans qu’aux bals on la promene, On en vient aifement a bout; On lui dit ce qu’on veut, bien fouvent rien du tout, Le point eft d’en trouver une qui foit fidelle, ChoiMbns-la toute nouvelle, Qui ne connoiffe encor ni le mal, ni le bien. Prenons, dit le Romain, la fille de notre h6te; Je la tiens pucelle fans faute, Et fi pucelle, qu’il n’eft rien De plus pueeau que cette belle; Sa poupee en fait autant qu’elle. J’y fongeois, dit le Roi, parlons lui des ce foir ; II ne s’a git que de favoir, Qui denous doit donner a cette Jo u yen cell e, Si fon cceur fe rend a nos voeux, La premiere lecon du plaiiir amoureux. Je fais que cet honneur eft pdre fantaifte; Toutefois etant Roi, 1’on me le doit ceder: Du refte il elt aife de s’en ac'commoder. Sicetoit, ditjoconde, une ceremonie, Vous auriez droit de pretendre le pas; Mais il s’agit d’un autre cas. Tirons au fort, c’eft la iuftice; Deux pailles en feront Toffice. Dela chappe a l’Eveque, helas, ils fe battoient, Les bonnes gens qu’ils etoient, Quoi qu’il en foit, Joconde eut l’avantage Du pretendu pucelage. La belle etant venue en leur cbambre le foir Pour i 4 JOCONDE. Pour qiielque petite affaire, Nos deux aventuriers pres d’eux la firent feoir, Louerent fa beaute, taeherent de lui plairej Firent briller uiie bague a fes yeUx* A cet objet fi precieux Son cceur fit peu de refinance: Le inarche fe conclut; & des la meme nuitj Toute l’hotellerie etant dans le lilence, Elle les vient trouver fans bruit. Au milieu d’eux ils lui font prendre place, Tant qu’enfin la chofe fe paffe Au grand plaifir des trois, & fur tout du Romain, Qui crut avoir roinpu la glace. Je lui pardonne, & c’eft en vain Que de ce point on s’embarraffej Car il n’eft fi fotte apres tout Qui ne puiffe venir a bout De trotaper a ce jeu le plus fage du monde: Salomon qui grand-clerc etoit, Le reconnoit en quelque eiidroit, Dont il ne fouvint pas au bon bom me Joconde. II fe tint content pour le coup, Crut qu’Aftolphe y perdoit beaucoup. Tout alia bien, & tnait're pucelage Joua des mieux fon perfonnage, Un jeune gars pourtant en avoit eflayes Ld temps a cela pres fut tres-bien employe, £t fi bien, que la fille en demeUra contente. Le lendemain elle le fut encor, Et meme eneor la nuit fuivante. Le 30CONDE, i 5 Le jeune gars s’etonna fort Du refroidiil'ement qu’il remarquoit en elle: II fe douta du fait, la gueta, la furprit, Et lui fit fort grofle querelle. Aiin de l’appaifer, la belle lui promit, Foi de fille de bien, que fans aucune faute, Leurs hotes deloges, elle lui donneroit Autant de rendez-vous qu’il en denianderoit. Je n’ai fouci, dit-il, ni d’hoteffe ni d’hote : Je veux cette nuit meme, ou bien je dirai tout. Comment en viendrons-nous a bout, Dit la fille fort affligee? De les aller trouver je me fuis engagee: Si j’y manque, adieu l’anneau, Que j’ai gagne bien & beau. Faifons que l’anneau vous demeure, Reprit le garqon tout a 1’heure. Dites-moi feulement, dorment-ils fort tous deux ? Oui, reprit-elle, mais entr’eux II faut que toute nuit je demeure couchee , Et tandis que je fuis avec l’un empechee, L’autre attend fans mot dire, & s’endort bien foti- vent Tantquele liege foitvacant: C’eft la leur mot. Le gars dit a l’infiant, Je vous irai trouverpendant leur premier fomme, Elle reprit. Ah 1 gardez-vous-en bien , Vous feriez un mauvais homme. Non, non, dit-il, ne craignez rien, Et laiiTez ouverte la porte, La i6 JOCONDE. La porte ouverte elle lailTa: Le galant vint, & s’approcha Des pieds du lit; puis fit en forte, Qu’entre les draps il fe gliffa: Et Dieu fait comme il fe placa, Et comme enfin tout fe pafTa: Et de ceci, ni de cela Ni fe doute le moins du monde Ni le Roi Lombard, ni Joconde. Chacun d’eux pourtant s’eveilla, Bien etonne de telle aubade. Le Roi Lombard dit a part foi, Qu’a done mange mon camarade ? Il en prend trop, & fur ma foi, C’eft bien fait s’il devient malade. Autant en dit de fa part le Romain. Et le garcon ay ant repris haleine, S’ea donna pour le jour, & pour le lendemain; Enfin pour toute la femaine. Puis les vovant tous deux rendormis, a la fin Il s’en alia de grand matin, Toujours par le merne chemin; Etfut fuivi de la DonzeLle, Qui craignoit fatigue nouvelle. Eux eveilles, ,le Roi dit am Romain, Frerc, dormez jufqu’a demain: Vous en devez avoir envie, Et n’avez a prefent befoin que de repos. Comment, dit le Romain: mais vous-meme, a propos, Vou« JOCONDE. 17 Vous avez fait tantot une terrible vie. Moi, dit le Roi, j’ai touiours attendu, Et puis voyant que c’etoit temps perdu, Que fans pitie ni confcience Vousvouliez ] ufqu’aubo at tourmenter ce tendron Sans en avoir d’autre raifon, Que d’eprouver ma patience; Je me fuis, malgre moi, jufqu’au jour endormi. Que s'il vous eut plu, notre ami, J’aurois couru volontiers quelque pofte. C’eut ete tout, n’ayant pas la rifpofte Ainii que vous: qu’y feroit-on ? Pour Dieu, reprit foil compagnon, Ceffez de vous raider, & ciiaiigeons de matiere: Je fuis votre vailal, vous i’avez bien fait voir. C’eft affez que tantot il vous ait piu d’avoir La fillette tout entiere. Difpofez-en ainii qu’il vous piaira ; Nous verrons fi ee feu toujours vous durera. II pourra, dit le Roi, durer toute ma vie, Si j’ai beaucoup de nuits telles que celle-ci. Sire, dit le Romain, treve de raillerie; Donnez-moimon conge, quifqu’il vous plait ainii . Aftolphe fe piqua de cette repartie; Et leurs propos s’alloient de plus en plus aigrir, Si le Roi n’eut fait venir Tout incontinent la belle. Ils lui dirent: jugez-nous, En lui contant leur querelle. Elle rougit, & fe mit a genouxj Tome I. B Leur i8 ' gOCONDE. Leur confefia tout le myftere. Loin, de lui faire pire chere, Ils en rirent tous deux: i’anneau lui fut donne; Et maint bel ecu couronne, Dont peu de temps apres on la vit mariee, Et pour pucelie employee. Ce fut par la que nos aventuriers Mirent fin a leurs aventures, Se voyant charges de lauriers , Qui les rendront fameux chez Jes races futures. Lauriers d’autant plus beaux, qu'il neleur en couta Qu’unpeu d’adrefle,& quelques feintes larmes: Et que loin des dangers & du bruit des alarmes L’un & Fautre les remporta. Tout fiers d’avoir conquis les coeurs de tant de belles, Et leur livre etant plus que plein, Le Roi Lombard dit au Rotnain : Re to unions au logis par le plus court chemin: Si nos femmes font infidelles, Confolons-nous ; bien d’autres le font qu’eiles. La conliel lation changera quelque jour: Un temps viendra, qme le flambeau d’amour Ne bruiera les cceurs que de pudiques' flammes: A prefent on diroit que quelque afire maiin Prend plaifir aux bons tours des maris & des femmes. D’ail- 19 3'OCONDE. D’ailleurs, tout UUnivers eft plein De ir,audits enchanteurs, qui des corps & des ames Font tout ce qui leur plait: favon's-noas ft cesgens (Comme ils font traitres & medians , Et toujours ennemis, loitdel’un. foit de i’autre) N’ont point enforcele, mon epoufe & la v6tre, Et fi par queique etrange cas, Nous n’avons point cru voir chofe qui n’etoit pas ? Ainfi. que bons bourgeois achevons notre vie, Chacun pres de fa femme, & demeurons-en la, Peut-etre que Pabfence, ou bien. la jaloulie Nous ontrendu Jeurs cceurs,que1’hymen nous ota. Aftolplie rencontra dans cette prophetic. Nos deux aventuriers cu logis retournes Furent tres-Lden reipis, pourfantun peu grondes, Mais feulement par bienftance. E’un & l’autre fe vit de bailers regale. On fe recompenla des pertes de Pabfence. 11 fut danfe, faute, balle : Et du Nain nullement parle, Ni du valet, comme je penfe. Chaque dpoux s’attachant aupres de fa moitie Vecut en grand foulas , en paix, en amide, Le plus heureux, leplus content dumonde. LaReine a fon devoir ne manqua d’unfeul point : Autant en fit la femme de Joconde : Mutant en font d’autres qu’on ne fait point. 20 LE COCU BATTU, LE COCU BATTU, E T CONTENT. T^’a pas long-temps de Rome revenoit Certain Cadet qui n’y pvofita guere; Et volontiers en chemin fejournoit, Quand par hazard le galant rencontroit Bon vin, bon gite, & belle chambriere. Avint qu’nn jour en un bourg arrete, II vit paffer une Dame jolie, Lefte, pinipante, & d’un Page fuivie, Et la voyant, il en fut enchante, La convoita , comme bien favoit faire. Prou de pardons il avoit rapporte, De vertu peu; cliofe affez ordinaire. La Dame etoit de gracieux maintien, De doux regards, jeune, fringante, & belle, Somme qn’enfin il ne lui manquoit rien, Fors que d’avoir un ami digne d’elle, Tant fe la mit le drole en la cervelle, Qne dans fa peau peu ne point ne duroit Et s’informant comment on Fappelloit, Nouvellc tirce de Bocace. 9 Celt, E T CONTENT. 21 C’eft, lui dit-on, fa Dame du village; Meflire Bon l’a prife en mariage, Quoiqu’il n’ait plus que quatre cheveux gris. Mais comme il eft des premiers du pays, Son bien fupplee au defaut de fon age, Notre Cadet tout ce detail apprit, Dont il conqut efperance certaine. Voici comment le Pelerin s’y prit. Il renvoya dans la ville prochaine Tous fes valets , puis s’en fut au chateau; Dit qu’il etoit un jeune jouvenceau, Qui cherchoit maitre, & qui favoit tout faire, Meffire Bon , fort content de V affaire, Pour Fauconnier 3e loua bien & beau ; Non toutefois fans 1’avis de fa femme. Le Fauconnier plut tres-fort a la Dame, Et n’etant homme en tel pourchas nouveau, Guere ne mit a declarer fa flamme. Ce fut beaucoup; car le vieillard etoit Fou de fa femme, & fort peu la quittoit, Sinon les jours qu’il alloit a la chafl'e. Son Fauconnier, qui pour lors le fuivoit, Eut demeure volontiers en fa place. La jeune Dame en etoit bien d’accord : Us n’attendoient que le temps de mieux faire, Quand je dirai qu’il leur en tardoit fort, Nul n’ofera loutenir le contraire. .Amour enfin, qui prit a coeur 1’affaire, Leur infpira la rufe que voici. 3 La 22 LE COCUBATTU, La Dame dit un foir a fon ®iari: Qui croyez-vous le plus retnpii de zele De tous vos gens? Ce propos entendu, Melfire Bon lui dit: J’ai toujours cru Le Fauconnier garqon fage & fidele, Et c’eft a lui que plus je me fierois. Vous auriez tort, repartit cette belle; C’eft un mechant: il me tint 1’autre fois Propos d’amour, dont je fus li furprife, Que je penfai tomber tout de mon haut; Car qui croiroit une telle entreprife? Dedans l’efprit il me vint aufli-tot De i’etrangier, de lui manger la vue: 11 tint a peu; je n’en fus retenue, Que pour n’ofer un tel cas publier ; Meme, a deflein qu’il ne le put nier, Je fis femblant d’y vouloir condefcendre; Et cette nuit, fous un certain poirier, Dans le jardin je lui dis de m’attendre. Mon mari, dis-je, eft toujours avec moi: Plus par amour que doutant de ma foi; Je ne me puis depetrer de cet homme, Sinon la nuit, pendant fon premier fomme. D’aupres de lui tachant de me lever, Dans le jardin je vous irai trouver. Voila l’etat oil j’ai laifie l’affaire, Meffire Bon fe mit fort en colere. Sa femme dit: Mon mari, mon epoux, Jufqu’a tan tot cachez votre courroux; Dans le jardin attrapez-le vous-meme: ET CONTENT. 23 Vous le pourrez tronver fort aifement: Le poirier eft a main gauche en entrant. Mais il vous faut ufer de ftratageme: t Prenez ma jnpe , & contrefaites-vous; Vous entendrez fon infolence extreme : Lors d’un baton donnez-lui tant de coups, Que le galant demeure fur la place. Je fuis d’avis que le friponneau faffe Tel compliment a des femmes d’honneur. L’epoux retint cette leqcn par cccur. One il ne fut une plus forte dupe Que ce vieili ard, bon homme au demeurant. Le temps verm d’attraper le galant, Meftire Bon fe couvrit d’une jupe, S’encorneta, courut incontinent Dans le jardin, oil ne trouva perfonne: Garde n’avoit; car tandis qu’il frifionne , Claque des dents, & meurt quafi de froid, Le pelerin, qui le tout obfervoit, Va voir la Dame, avec .elle fe donne Tout le bon temps qu’on a, comme je crois, Lors qu’amour feul etant de la partie, Entre deux draps on tient femme jolie, Femme jolie, & qui n’eft point a foi. Quand le galant un affez bon efpace Avec la Dame eut ete dans ce lieu, Force lui fut d’abandonner la place: Ce ne fut pas fans le vin de Padieu. $4 Dans 24 LE COCU BATTU, Dans le jardin il court en diligence. Mellire Bon, rempli d’impatience, A tous momens fa pareffe maudit. Le pelerin , d’auffi loin qu’iJ le vit, Feignit de ,eroire appercevoir la Dame ; Et iui cria: Quoi done, mechante femme, A ton mari tu braffois un tel tour! Eft-ce le fruit de fon parfait amour? Dieu foit temoin que pour toi j’en ai honte; Et de venir ne tencis quafi compte, Ne te crojant le coeur fi perverti, Que de vouloir tromper un tel mari. Or bien, je vois qu’il te faut un nmi: Trouve ne l’as en moi, je t’en allure; Si j’ai tire ce rendez-vous de toi, C’eft feulement pour eprouver ta foi; Et ne Fattens de m’induire a luxure: Grand pecheur fuis; mais j’ai la, Dieu merci, De ton honneur encor quelque fouci. A Monfeigneur ferois-je un tel outrage? Mais, foi de Dieu, ce bras te chatiera, Et Monfeigneur puis apres le faura. Pendant ces mots 1’epoux pleuroit de joie, Et tout ravi difoit entre fes dents: Loue foit Dieu, dont la bonte m’envoie Femme & valet li chaftes, fi prudens. Ce ne fut tout: car a grands coups de gaule Le pelerin vous lui froilfe une epaule, De horions laidement Faccoutra. Jufqu’au logis ainii le convoya. Meffire ET CONTENT. 25 Meffire Bon eut voulu que le zele De fon valet n’eut ete jufques-la; Mais le voyant fi fage & fi fidele, Le bon liommeau des coups fe confola. Dedans le lit fa femme il retrouva, 0 Lui conta tout, en lui difant: Ma mie, Quand nous pourrions vivre cent ans encor, Ni vous ni moi n’aurions de notre vie Un tel valet: c’eft fans doute un trefor. Dans notre bourg je veux qu’il prenne femmq: A l’avenir traitez-le ainfi. que moi. Pas n’y faudrai, lui repartit la Dame; Et de ceci je vous donne ma foi, ^ 5 ^ 26 LE MARI CONFESSEUR. Conte tire des cent Nouvelles nouvelles. IVjLessire Artus, fous le Grand Roi Francois, Alla fervir aux guerres d’ltalie, Tant qu’il fe vit, apres maints beaux exploits, Fait chevalier en grand’ ceremoriie. Son general lui chauffa l’eperon, Dont il croyoit que le plus haut baron Ne lui dut plus con teller le paffage. Si s’en revient tout tier en fon village, Ou ne furprit fa femme en oraifon. Seule il l’avoit laiffee a la maifon : 11 la retrouve en bonne compagnie , Danfant, fautant, menant joyeufe vie, Et des muguets avec elle a foifon. Meffire Artus ne prit gout a l'affaire, Et ruminant fur ce qu’il devoit faire: Depuis que j’ai mon village quitte Si j’etois cru, dit-il, en dignite Pe cocuage & de chevalerie: C’eft moitie trop: fachons la verite. Pour ce s’avife un jour de confrerie, De fe vetir en pretre, & confefl'er. Sa femme vint a fes pieds fe placer. De prime abord font par la bonne Dame Expe- LE MARI CONFESSEUR. 27 Expedies tons les peches menus; Puis a leur tour les grands etant venus, Force Jui fut qu’elle changeat de gamme. Pere, dit-elle, en moil lit font requs Un gentiihomme, un chevalier, un pretre. Si le mari ne fe fut fait connoitre, Elle en ailoit enfiler beauconp plus: Ccurte n’etoit pour fur la Kyrielle. Son mari done l’interrompt la-deffus ; Dont bien lui prit. Ah, dit-il, inlidelle! Un pretre meme! A qui crois-tu parler? A mon mari, dit la faufle femelle, Qui d’un tel pas fe fut bien demeler. Je vous ai vu dans ce lieu vous cooler ; Ce qui m’a fait douter du badinage. C’eft un grand cas, qu’etant homme fi fage, Vous n’ayez fu l’enigme debrouiller. On vous a fait, dites-vous chevalier: Auparavant vous etiez gentiihomme: Vous etes pretre avecque ces habits. Beni foit Dieu, dit alors le bdn-homme: Je fuis un fot, de l’avoir li malpris. LE 28 ^yoo^o '^ < >^'>^'>go*>yo'>vo J ^>r'>\*royon^'>yo'>vo5(j| LE SAVETIER. ^J"n favetier, que nous nommerons Blaife, I’rit belle femme, & fut tres-avife. Les bonnes gens qui n’etoient a leur aife, S’en vont prier un marchand peu rufe, Qu’il leur pretat, deffous bonne promeffe, Mi-muid de grain; ce que le marchand fait. Le terme echu, ce crfancier les preffe; Dieu fait pourquoi: le galant, en effet, Crat que par la baiferoit la commere. Vous avez trop de quoi me fatisfaire, (Ce lui dit-il) & fans debourler rien: Accordez-moi ce que vous favez bien. Je fongerai, repond-elle, a la chofe. Puis vient troubler Blaife tout auiii-tot, L’avertiffant de ce qu'on lui propofe. Blaife lui dit: Parbieu, femme, il nous faut Sans coup ferir, rattraper notre fomme Tout de ce. pas allez dire a cet homme Qu’il peut venir, & que je n’y fuis point. Avant le coup demandez la cedule. De la donner je ne crois qu’il recule : Puis toufferez, aiin de m’avertir; Alois haut & clair, & plutot deux fois qu’une. Lors de mon coin vous me verrez fortir Incontinent, de crainte de fortune. Ainfi LE SAVE TIER. 29 Ainfi fat dit, ainfi s’executa; Dont le mari puis apres fe vanta; Si que chacun giofoit fur ce myftere. Mieux eut valu touffer apres 1’aiTaire, (Dit a la belle uji des plus gros bourgeois ) Vous eulfiez eu votre compte tous trois. N’y manqnez plus, fauf apres minis, Pour fatisfa&ion je veux avoir fa vie. Poignarde la; mais prend ton temps: Tache de te fanver; voila pour ta retraite ; Prend cet or: fi tu fais ce qu’Anfelme fouha'te , Et punis c?tte often fe la , Quelque part que tu fois , rien ne te manquera. Le valet va trouver Argie, Qui parfon cliien eft avertie. Si vous me demandez comme un cbien avertit ■, Je crois que par la jupe il tire, II fe plaint, il jappe, il foupire, 11 en veut a chacun; pour peu qu’on ait d’efprit, On entend bien ce qu’il veut dire. Pavori fit bien plus; & tout bas il apprit Un tel peril a fa maitrefte. Partez pourtant, dit-il, on ne vous fera rien: Repofez-vous fur moi; j’en empecherai bien Ce valet a Fame traitreffe. Dsetoient en chemin , prqs d’un bois qui fervoit Souvent aux voleurs de refuge. Le miniftre cruel des vengeances du juge Envoie un peu devant le train qui les fuivoit; Puis il dit l’ordre qu’il avoit. La Dame difparoit aux yeux du perfonnage; Manto la cache en un nuage. Le valet etonne retourne vers Pepoux, Lui *44 LE PETIT CHIEN. ■ e Lui conte le miracle; & fon niaitre en courroux Valui-meme al’endroit. Oprodige! Omerveilleij II y trpuve un palais de beaute fans pareille: Une heure auparavant c’etoitun champ tout mid, Anfelme a fon tour eperdu, Admire ce palais bati, non pour des hommes, Mais apparemment pour des Dieux: Appartemens dores, meubles tres-precieux, Jardins & bois delicieux : On auroit peine a voir en ce liecle ou nous fommei Chofe fi magnifique & li riante aux yeux. Toutes les portes font ouvertes ; Les chambres fans hote, & defertes: Pas une ame en ce louvre, excepte qu’a la fin Un more tres-lippu, tres-hideux , tres-vilain, S’offre aux regards du juge , & femble la copie D’un Efope d’Ethiopie. Notre magiftrat l’ayant pris Pour le balayeur du logis, Et croyant l’honorer lui donnant cet office: Cher ami, lui dit-il, apprend-nous a quel Dieu Appartient un tel edifice: Car de dire un roi, c’eft trop peu. II eft a moi, repritle more. Notre juge a ces mots, fe profterne, l’adore, Lui demande pardon de fa temerite. Seigneur, ajouta-t-il, que votre Deitd Excufe un peu mon ignorance. Certes tout 1’Uni vers ne vaut pas la chevance, Que je rencontre id. Le more lui repond: Veux- LE PETIT CHIEN. 145 Veux-tu que je t’en faffe un don? De ces lieux enchantes je te rendrai le maitre, A certaine condition. Je ne ris point; tu pourras etre De ces lieux abfolu feigneur, Si tu me veux fervirdeux jours d’enfant d’hon^ neur. . . . Entens-tu ce langage, Et fais-tu quel eft cet ufage? II te le faut expliquer mieux. Tu connois l’echanfon du monarque des Dieux ? Anfelme. Ganimede ? Le more. Celui-la meme. Prend que je fois Jupin, le Monarque fupreme, Et que tu fois le jouvenceau: Tu n’es pas tout-a-fait ft jeune ni ft beau. Anfelme. Ah! Seigneur, vous raillez; c’eft chofe par trop fare: Kegardez la vieillefl'e, & la magiftrature. Le more. Moi railler? Point du tout. Anfelme. Seigneur. Le more. Ne veux-tu point ? K An- Tome I. 146 LE PE T 1 T CHIE N. Anfclnie. Seigneur . . . Anfelme ayant examine ce point Confent a la fin au myftere. Maudit amour des dons , que lie fais-tu pas faire! En page incontinent fon habit eft change: Toque au lieu de chapeau, haut-de-chauffe trouffe: La barbe feulement demeure au perfonnage. L’enfant d’honneur Anfelme avec cet equipage Suit le more par tout. Argie avoit oui Le dialogue entier, en certain coin cachee. Pour le more lippu, c’etoit Manto la Fee , Par fon art metamorphofee; • Et par fon art ayant bati Ce louvre en un moment, par fon art faitun page Sexagenaire & grave. A la fin au pafiage D’une chambre en une autre, Argie a fon mari Semontre tout d’un coup. Eft-ce Anfelme, dit- elle, Que je vois ainli deguife ? Anfelme ? II ne fe peut; mon ceil s’eft abufe. Le vertueux Anfelme a la fage cervelle Me voudroit-il donner une telle leqon? C’eft lui pourtant. Oh, oh! Monfieur notre barbon, Notre legislateur, notre homme d’ambaffade, Vous etes a cet age hornme de mafcarade? Homme de .. . La pudeur me defend d’aci _ ver. Quoi vousjugezles gens a mort pour mon affaire, Vous qu’Argie a penfe trouver En LE PETIT CHIEN. *47 En un fortplaifant adultere! Du moins n’ai-je pas pris un more pour galant: Tout me rend excnfable; Atis, & Ton merite, Et la qualite du prefent. v Vous verrez tout incontinent Si femme qu’un tel don a l’amour follicite , Peut refifter un feul moment. More, devenez chien. Tout auffi-tot le more Redevint petit chien encore. Favori, que l’on danfe: a ces mots favori Danfe, & tend la pate au mari. Qu’on fade tomber des piftoles: Piftoles tombent a foifon. Eh bien, qu’en dites-vous? Sont-ce cho fes fri- voles! C’eft de ce chien qu’on m’a fait don. II a b&ti cette maifon. Puis faites-moi trouver au monde une excellence, Une Altefle, une Majefte, Qui refufe fa jouifl'ance A dons de cette qualite; Sur-tout quand le donneur eft bien fait, & qu’il aime, Et qu’il merite d’etre aime. En ecbange du chien l’on me vouloit moi-meme, Ee que vous poffedez de trop je l’ai donne; Bien entendu, Monfieur, fuis-je chofe ft chere ? : Vraiment vous me croiriez bien pauvre menagere, | Si je laiffois aller tel chien a ce prix-la, Savez-vous qu’il a fait le louvre que voila ? K 2 Le i 4 8 LE PETIT CHIEN. Le louvre pour lequel . . . mais oublions eela Et n’ordonnez plus qu’on me tue, Moi, qu’Atls feulement en fes lacs a fait cheoir Je le donne a Lucrece, &voudrois bien lavoi Des memes armes combattue. Touchez-la, mon mari; la paix; car auffi-bietp Je vous defie ayant ce cliien : Le fer, ni le poifon pour moi ne font a craindre, II m’avertit de tout, il confond les jaloux; Ne le foyez done point: plus on veut nonsj contraindre , 7 * Moins on doit s’affurer de nous. Anfelme accorda tout: qu’eut fait le pauvre fire? On lui promit de ne pas dire Qu’il avoit ete page. Un tel cas etant tu, Cocuage , s’il eut voulu, Auroit eu fes franches coudees. Afgie en rendit grace; & compenfations D’une & d’autre part accordees , On quitta la campagne a ces conditions. Que devint le palais? dira quelque critique. Le palais? Que m’importe? II devint ce qu’il put, A moi cesqueftions ! Suis-je homme qui fe pique D’etre li regulier ? Le palais difparut. Et le cliien? Le cliien fit ce que l’amant voulut, Mais que voulut l’amant? Cenfeur, tu m’ini- portunes. II voulut par ce cbien tenter d’autres fortunes. D’une feule conquete eft-on jamais content? Favori LE PETIT CHIEN. 149 Favori fe perdoit fouvent: Mais chez fa premiere maitreffe Ilrevenoit toujours. Pour elle , fa tendreffe Devint bonne amide. Sur ce pied notre affiant L’alloit voir fort affidument: Et meme en l’accommodement Argie a fon epoux fit un ferment fmcere De n’avoir plus gucune affaire. L’epoux jura de fon cote Qu’il n’auroit plus aucun ombrage; Et qu’il vouloit etre fouette Si jamais on le voyoit page. PATE PATE D ANGUILLE. j^erae beaute , tant foit exquife, R alia tie, & foule a ta fin. II me faut d’un & d’autre pain; Diverfite c’eft ma devife. Cette maitrefl'e un tantet bife Rit a mes yeux ; pourquoi cela ? C’efi; qu’elle eft neuve; & ceUe-Ia Qui depuis long-temps m’eft acquife, Blanche qu’elle eft, en nulle guife Ne me caufe d’emotion. Son coeur dit oui, le mien dit non; D’ou vient? En void laraifon: Diverfite c’eft ma devife. Je l’ai ja dit d’autre fa 9 on, Car il eft bon que l’on deguife, Suivant la loi de ce difton, Diverfite c’eft ma devife. Ce fut celle auffi d’un mari De qui la femme etoit fort belle, II fe trouva bien-t6t gueri De l’amour qu’il avoit pour elle. L’hymen, & la poffefiion Eteignirent fa paffion. Un lien valet avoit pour femme PATE D’ANGUILLE. 151 Un petit bee affez mignon : le maitre ctant bon compagnon , Eat bien-tot empaume la Dame. Cela ne plut pas au valet, Qui les ayant pris fur le fait, Vendiqua foil bien de couchette , A fa moitii chanta goguette, L’appella tout net & tout franc . . . Bien fot de faire un bruit ft grand Pour une chofe fi commune ; Dieunous gard de plus grand’ fortune. II fit a fon maitre un fermou. fflonfieur,. dit-il, chacun la lienne , Ce n’elt pas trop; Dieu & raifon Vous recommandent cette antienne. Direz-vous , je fuis fans chretienne? Vous en avez a la maifon Une qui vaut cent fois la mienne. Ne prenez done plus tant de peine; Celt pour ma femme tr<»'p diionneur; II ne lui faut fi. gros Momieur. Tenons-nous chacun a la notre; N’allez point a l’eau chez un autre, Ayant plein puits de ces douceurs : Je m’en rapporte aux connoiffeurs. Si Dieu m’avoit fait tant de grace, Qu’ainli que vous je difpofafle De Madame, je m’y tiendrois, Et d’une Reine ne voudrois. Mais puis qu’on ne fauroit defaire K 4 Ce 152 PA TE DA NG UIL L E. Ce qui sell fait, je voudrois bien, (Ceci foit dit fans vous deplaire) Que content de votre ordinaire Vous ne goutaffiez plus du mien, Le patron ne voulut lui dire Ni oui ni non fur ce difcours; Et commanda que tous les jours On mit au repas, pres du fire, Un pate d’anguille: ce mets Lui chatoixilloit fort le palais. Avec un appetit extreme Une & deux fois il en mangea; Mais quand ce vint a la troilieme, ^ La feule odeur le degouta. II voulut fur une autre viande Mettre la main; on l’empecha: Monfieur , dit-on, nous le commande: Tenez-vous-en a ce mets-la, Vous l’aimez, qu’avez-vous a dire? M’en voila fou , reprit le lire; Et quoi toujours pates au bee! Pas une anguille de r6tie! Pates tous les jours de ma vie! J’aimerois mieux du pain tout fee. Laiffez-moi prendre un peu du v6tre, Pain de par Dieu, ou de par Fautre: Au diable ces pates maudits; Ils me fuivront en Paradis, Et par de-la, Dieu me pardonne. Le maitre accourt foudain au bruit, PATE D’JNGUILLE. Et prenant fa part du deduit, Mon ami, dit-il, je m’etonne, Que d’un mets ft plein de bonte Vons fcyez fi-tot degoute. Ne vous ai-je pas oui dire Que c’etoit votre grand ragout ? II faut qu’en peu de temps, beau Sire, Vous ayez bien change de gout. Qu’ai-je fait qui fut plus etrange? Vous me blamez, lorfque je change Un mets que vous eroyez friand, Et vous en faites tout autant. Mon doux ami, je vous apprens Que ce n’eft pas une fottife, En fait de certains appetits, De changer fon pain blanc en bis : Diverfite c’eft ma devife. Quand le maitre eut ainfi. parle, Le valet fut tout confole. : Non que ce dernier n’eut a dire Quelque chofe encor la-deflus : Car apres tout, doit-il fuffire D’alleguer fon plaifir fans plus? j’aime le change a la bonne heure, On vous l’accorde: mais gagnez^, S’il fe peut, les intereffes:' Cette voie eft bien la meilleure: Suivez-la done. A dire vrai, Je crois que l’amateur du change De ce confeil tenta l’effai. K 5 153 On 1 54 PATE DEINGU1LLE. On dit* qu’il parloit comme un Ange, De mots dores ufant toujours, Mots dores font tout en amours, C’eft une maxitne conftante. Chacun fait quelle eft mon entente: J’ai rebattu cent & cent fois, Ceci dans cent & cent endroits, Mais la chofe eft ft lieceflaire, Que je ne puis jamais m’en taire, Et redirai jufques au bout: Wots dores en amour font tout. Us perfuadent la Donrelle, Son petit chien , fa Demoifelle, Son epoux quelquefois aufti. C’eft le feul qu’il falioit ici Perfuader; il n’avoit l’ame Sourde a cette eloquence; & Dame Les orateurs du temps jadis E’en ont de telle en leurs ecrits. Notre jaloux devint commode: Weme on dit qu’il fuivit la mode De fon maitre, & toujours depnis Changea d’objets en fes deduits. II n’etoit bruit que d'aventures Pu chretien & des creatures. Les plus nouvelles fans manquer Etoient pour lui les plus gentilles , Par ou le drole en put croquer, Ji en croqna, femmes & Piles , Nymplies, grifettes, ce qu’il put: Toutes LE MA GNIF1Q UE. i 55 Toutes etoient de bonne prife: Et fur ce point, tant qu’il vecut, Diverfite fut fa devife. '■■w “X' 20 •*"52, K»"-Xjo• Wr* wtf j 5<^ri<>r—SOr* s wtf Vc*r*« LE MAGNIF1QUE. U» peu d’efprit, beaueoup de bonne mine , Et plus encor de liberaiite, C’eft en amour une triple machine Parqui maint fort eft bien-t6t emporte; Rocher fut-il; rochers auffi fe prennent. Qu’on foit bien fait, qu’on ait quelque talent, Que les cordons de la bourfe ne tiennent; Je vous le dis, la place eft au galant. On la prend bien quelquefois fans ces chofes. Eon fait avoir neanmoins quelques dofes D’entendement, & n’etre pas un fot: Quant a l’avare , on le ha'it: le magot A grand beloin de bonne rhetorique; La meilleure eft celle du liberal. Un Florentin, nomme le Magnifique, La pofledoit en propre original. Le Magnifique etoit un non de guerre Qu’on lui donna; bien l’avoit merite: Son train de vivre, & fon honnetete, Se dons fur-tout, l’avoientpar toute terre Declare 156 LE MA GN IF IQ UE. Declare tel: propre, bien fait, bien mis, L’efprit galant , & Fair des plus polis, 11 fe piqua pour certaine femelle De haut etat. La conquete etoit belle : Elle excitoit doublement le defir: RIen n’y manquoit , la gloire & le plailir. AldObrandin etoit de cette Dame Mari jaloux, non comme d’une femme, Mais comme qui depuis peu jouiroit D’une Philis. Cet homme la veilloit De tous fes yeux; s’il en eftt eu dix mille , II les eut tous a ce foin occupes. Amour le rend, quand il veut inutile; Ces Argus la font fort fouvent trompes. Aldobrandin ne croyoit pas poffible Qu’il le fut one: il defioit les gens. Au demeurant il etoit fort fenfible A l’interet, aimoit fort les prefens. Son concurrent n’avoit encor fu dire Le moindre mot a l’objet de fes veeux: On ignoroit, ce lui fembloit, fesfeux, Et le furplus de l’amoureux martyre; ( Car e’eft toujours une meme chanfon ) Si l’on l’eut fu, qu’edt-on fait? Que fait-on? Ja n’eft befoin qu’au lecteur je le die. Pour revenir a notre pauvre amant, Il n’avoit fu dire un mot feulement Au medecin touchant fa maladie. Orle voila qui tourmente fa vie, Qui va, qui vient, qui court, qui perd fes pas: Point LE M A GNIFJq UE. I 57 Point de fenetre, & point de jaloufie Nelui permet d’entrevoir les appas, Ni d’entr’ouir ]a voix de fa maitreffe. II ne fut one femblable fortereffe. Si faudra-t’il qu’elle y vienne pourtant. Void comment s’y prit notre affiegeant. Jepenfe avoir deja dit, ce me fembie, Qu’Aldobrandin homme a prefent etoit; Non qu’il en fit, mais il en recevoit. LeMagnifique avoit un cheval d’amble, Beau, bien table , dont il faifoit grand cas; II l’appelloit, a canfe de fon pas, La haquenee. Aldobrandin le loue ; Ce fut affez : notre arnant propofa De le troquer: l’epoux s’en exenfa: Non pas, dit-il, que je ne vous avoue Qu’il me plait fort; mais a de tels marches Je perds toujours. Alors le Magnifique, Qui voit le but de cette politique, Reprit: Eh bien, faifons-mieux, ne troquez ; Mais pour le prix du cheval permettez Que, vous prefent, ‘j’entretienne Madame. Celt un defir curieux qui m’a pris. Encor faut-il 'que vos meilleurs amis Sachent un peu ce qu’elle a dedans l’ame. Je vous demande un quart d’heure fans plus. Aldobrandin , l’arretant la-delifus: J’en fuis d’avis'; je livrerai ma femme; Mafoi, mon cher, gardez votre cheval. Quoi, vous prefent? Moi prefent! Et quel mal Encore i 5 8 LE Mtt G NIFiq UE. Encore un coup peut-il, en la prefence D’un mari fin comme vous, arriver? Aldobrandin commence d’v rever: Et raifonnant en foi: quelle apparence, Qu'il en mevienne en effet moi prefent? C’eft marche fur, il eft fol; a fon dam: Que pretend-il ? Pour plus grande aflurance, Sans qu’il le fache, il faut faire defenfe A ma moitie de repondre au galant. Sus , dit l’epoux, j’v confens. La diftance De vous a nous, pourfuivit notre amant, Sera reghe, afm qu’aucunement Vous n’entendiez. Il y confent encore; Puis va querir fa femme en ce moment. Quand 1’autre voit celle-la qu’il adore, Il fe croit etre en un enchantement. Les faluts faits, en un coin de la falle Ils fe vont feoir. Notre galant n’etale Un long narre ; mais vient d’abord au fait. Je n’ai le lieu ni le temps a fouhait, Commenqa-t-il V puis je tiens inutile De tant tourner, il n’eft que d’aller droit. Partant, Madame, en un mot comme en mille, Votre beaute jufqu’au vif m’a touche. Penferiez-vous que ce fut un peche Que d’y repondre? Ah! jevous crois , Madame, De trop bon fens. Si j’avois le loifir, Je ferois voir par les formes ma flamme, Et vous dirois de cet ardent detir Tout le menu, mais que je brute, meure, Et 159 LA MA GNIFIQ UE. Iftm’en tourmente, & me dife anx abois , I out ce chemin que l'on fait en fix mois, II me convient le faire en un quart d'heure: E t plus encor, car ce n’eft pas le tout. Froid eft l’amant qui ne va jufqu’au bout, El: par fottife en fi beau train demeure. Vitus vous taifez! Pas un mot! Qu’eft-cela? Rt nvovriez-vo.us de la forte un pauvre homme ? Le del vous fit, il ell vrai, ce qu’on nomme Divinite; mais faut-ii pour cela Ne point rcgbndre, alors que Ton vous prie ? Jevois, je vois, c’eft: une tricherie De votre epoux: il m’a joue ce trait; Et ne pretend qu’aucune repartie ! Soitdu marche: mais j’y fais un fecret: Rien n’y fera pour le fur fa derenfe. Je laurai bien me repondre pour vous: Puis ce coin d’ceil, par foil langage doux, Rompt a men fens quelque peu le filence. J’y lis ceci: Ne croyez pas , Monfieur, Que la nature ait compofe mon ccEur De marbre dur. Vos frequentes paffades , Joutes, tournois, devifes , ferenades M’ont avant vous declare votre amour. Bien loin qu’il m’ait en nul point offenfee; Jevous dirai que des le premier jour J’y repondis; & me fentis bleffee Du meme trait; mais que nous fert ceci? Ce qu’il nous fert ? Je m’en vais vous le dire: Etant d’accord, il faut cette nuit-ci Gou- i6o LE MA GNIFiq UE. Gouter le fruit de ce cocimun martyre; De votre epoux nous venger & nous rire; Bref le payer du foin qu’il prend id; De ces fru:ts-la le dernier n’eft le pire. Votre jardin viendra comme de cire: Defcendez-y ; ne doutez du fucces: Votre mari ne fe tiendra jamais Qu’a fa maifon des champs, je vous Failure, Tantot il n’aille eprouver fa monture. Vos douagnas en leur premier fommeil, Vous. defcendrez, fans nul autre appareil Que de jetter une robe fourree Sur votre dos, & viendrez au jardin. De mou cote l’echelle ell preparee. Je monterai par la cour du voifin; Je l’ai gagne: la rue eft trop publique. Ne craignez rien. Ah! mon cher Magnifique, Que je vous aime! & que je vous fai gre De ce defiein ! Venez, je defcendrai. C’eft vous quiparle; & plut au ciel, Madame, Qu’on vous ofat embrafi'er les genoux ! Mon Magnifique, a tantot; votre flamme Ne craindra point les regards d’un jaloux. L’amant la quitte, & feint d’etre en courroux; Puis tout grondant: vous me la donnez bonne, Aldobrandin; je n’entendois cela. Autant vaudroit n’etre avecque perfonne Que d’dtre avec Madame que voila. Si vous trouvez chevaux a ce prix la, Vous le devez prendre fur ma parole. Le LE MJGNIFiqUE. i6t Le mien hennit du moins; mais cette idole Eft proprement un fort joli poiffon. Or fus,* j’en tiens ; ce m’eft une leqon. ® Quiconque veut le refte du quart d’heure N'a qu’a parler ; j’en ferai jufte prix. Aldobrandin rit li fort, qu’il en pleure. Cesjeunes gens, dit-il, en leurs efprits I Mettent toujours quelque haute entreprife. Notre feal, vous lachez trop t6t prife : Arec le temps on en viendroit a bout. J’y tiendraiTceil; car ce-n’eft pas la tout; Nous y favons encor quelque rubrique: Et cependant, Mcnlieur le Magnifique, La haquenee eft nettement a nous: Plus ne*fera de depenfe chez vous. Des aujourd’hui, qu’il ne vous en deplaife, Vobs me verrez deffus fort a mon aife Dans le chemin de ma maifon des champs. II n’y manqua fur le foir; & nos gens Au rendez-vous tout auffi peu manquerent. Dire comment les chofes s’y pafferent, Cell un detail trop long. Lecteur prudent, Je m’en remets a ton bon jugement, La Dame etoit, jeune , fringante & belle, L’amant bien fait , & tous deux fort epris. Trois rendez-vous coup fur coup furent pris: Moins n’en valoit II gentiile femelle. Aucun peril, nul mauvais accident, Bons dormitifs en or comme en argent, Aux douagnas, & bonne fentinelle. Tome I. L Un i6* LE MAGNIFIQUE . Un pavilion vers le bout du jardin Vint a propos; Mefiire Aldobrandin Ne 1’a^oit fait batir pour cet ufage. Conclulion, qu’il prit en cocuage Tous fes degres; un feul ne lui manqua; Tant fut jouer fon jeu la haquenee; Content ne fut d’une feul journee Pour 1’eprouver aux champs il demeura Trois jours entiers, fans doute ni fcrupule. J’en connois bien qui ne font fi chanceux; Car ils ont femme, & n’ont cheval ni mule, Sachant de plus tout ce qu’on fait chez eux. LA LA MATRONE D’E P H E S E> S’il eft un conte ufe, commun & rebattu, C’eitceluiqu’en ces vers j’accommode amaguife, Et pourquoi done le choilis-tu ? Qui t’engage a cette entreprife? N’a-t-eUe point deja produit affez d’ecrits ? Quelle grace aura ta Matrone Au prix de celle de Petrone? Comment la rendras-tu nouvelle a nos efprits ? Sans repondre aux cenfeurs, car e’eft chofe infinie, Voyons li dans mes vers je l’aurai rajeunie. Dans Ephefe il fut autrefois Une Dame en fageffe & vertu fans egale, Et felon la commune voix, Ayant fu rafmer fur l’amour conjugate. II n’etoit bruit que d’elle & de fa chaftete i On l’alloit voir par rarete: C’etoit Fhonneur du fexe. Heureufe fa patrie t Chaque mere a fa bru l’alleguoit pour patron, Chaque epoux la prOnoit a fa femme cberie. D’elle defeendent ceux de la Prudoterie, Antique & celebre maifon. L * Sou i&4 LA MATRONE Son mari l’aimoit d’amour folle. II mourut. De dire comment; Ce feroit un detail frivole; 11 mourut, & fon teftament N’etoit plein que de legs qui l’auroient confolee,] Si les biens reparoient la perte d’un mari Amoureux autant que cheri. Mainte veuve pourtant fait la dechevelee, Qui n’abandonne pas le foin du demeurant, Et du bien qu’elle aura fait lecompte en pleurant, Celle-ci par fes cris mettoit tout en alarme, Celle-ci faifoit un vacarme, Un bruit & des regrets a percer tous lescoeurs; Bien qu’on facbe qu’en ces malbeurs, De quelque defefpoir qu’une ame foit atteinte, La do J eUr ell toujours moins forte que la plainte, Toujpurs un peu de fafte entre parmi les pleurs, Chaeun fit fon devoir de dire a l’affligee Que tout a fa mefure, & que de tels regrets Pourroient pecher par leur exces: Chaeun rendit par-la fa douleur rengregee. Enfm ne voulant plus jouir de la clarte Que fon epoux avoit perdue, Ell# entre dans fa tombe, en ferme volonte D’accompagner cette ombre aux enfers defeendue. Et voyez ce que peut l’exceffive amitie; {Ce mouvement auffi va jufqu’a la folie ) Une efclave en ce lieu la fuivit par pitie, Prete a mourir de compagnie. Prete, je m’entens bien} e’eft-a-dire, en un mot, N’ayant D’EPHESE. , 165 jFayant examine qu’a demi ce complot, Et jnfques a l’effet courageufe & hardie. L’efclave avec la Dame avoit ete notyrie: Toutes deux s’entraimoient, & cette paffion Etoit crbe avec i’age au coeur des deux femelles : I Lemonde entier a peine eut fourni deux modeles D’une telle inclination. Comme l’efclave avoit plus de fens que la Dame, Eile laiffa paffer les premiers mouvemens; Puis tacha, mais en vain , de remettre cette ame Dans 1’ordinaire train des communs fentimens. Aux confolations la veuve inacceffible S’appliquoit feulement a tout moyen poffible De fuivre fe defunt aux noirs & trifles lieux. Le fer auroit ete le plus court & le mieux, Mais la Dame vouloit paitre encore fes yeux Du trefor qu’enfermoit la biere, Froide depouille & pourtant chere. C’etoit-la le feul aliment Qu’elle prit en ce monument. La faim done fut celle des portes Qu’entre d’autres de tant de fortes, Notre veuve choifit pour fortir d’ici bas: Un jour fe paffe & deux fans d’autre nourriture Que fes profonds foupirs, que fesfrequens helas! Qu’un inutile & long murmure Contre les Dieux, le fort, & toute la nature. Enfin fa douleur n’omit rien, Si la douleur doit s’exprimer fi bien. L 3 Encore 166 LA MATRONE Encore un autre mort faifoit fa refidence Non loin de ce tombeau mais bien differemment Car il n’avoit pour monument Que le deffous d’une potence. Pour exemple aux voleurs on l’avoit la laiffe, * Un foldat bien recompenfe Le gardoit avec vigilance. II etoit dit par ordonnance Que fi d’autres voleurs, un parent, un ami L’enlevoient, le foldat nonchalant, endormi Rempliroit aufli-tot fa place. C’etoit trop de feverite: Mais la publique utilite Defendoit que l’on fit au garde aucune grace. Pendant la nuit il vit atix fentes du tombeau Briller quelque clarte, fpeftacle affez nouveau. Curieux il y court, entend de loin la Dame Eempliffant fair de fes clameurs : Il entre, eft etonne, demande a cette femme, Pourquoi ces cris, pourquoi ces pleurs? Pourquoi cette trifte mufique? Pourquoi cette maifon noire & melancolique ? Occup^e a fes pleurs, a peine elle entendit Toutes ces demandes frivoles, Le mort pour elle y repondit; Cet objet fans autres paroles , Difoit affez par quel malheur La Dame s’enterroit ainfi toute vivante. Nous avons fait ferment, ajouta la fuivante, De nous laifler mourir de faim & de douleur. Eneot « UEPHESE. 167 Encor que le foldat fut mauvais orateur, 1 B ]eur fit concevoir ce que c’eft que la vie. la Dame cette fois eut de l’attention ; Et deja 1’autre paifion Se trouvoit un peu ralentie: Le temps avoit agi. Si la foi du ferment, Pourfuivit le foldat, vous defend l’aliment, Voyez-moi manger feulement: Vous n’en mourrez pas moins. Un tel temper rament Ne deplut pas aux deux femelles. Conclufion qu’il obtint d’elles Une permifiion d’apporter fon foupe; Ce qu’il fit; & 1’efclave eut le cceur fort tente De renoncer des-lors a la cruelle envie De tenir au mort compagnie. Madame, ce dit-el«e, un penfer m’eft veuu: Qu’importe a votre epoux que vous ceffiez de vivre ? Croyez-vous que lui-meme il fut homme a vous fuivre, Si par votre trepas vous l’aviez prevenu. Non, Madame , il voudroit aclfever fa carriere. La notre fera longue encor, fi nous voulons. Se faut-il a vingt ans enfermer dans la biere? Nous aurons tout loifir d’habiter ces maifons. On ne meuft que trop tot: qui nous preffe? Attendons. Quant a moi, je voudrois ne mourir que ridee. Voulez-vous emporter vos appas chezlesmorts? L 4 Que 168 LA MATRONE Que vous fervira-t-il d’en etre regardee? Tantot en voyant les trefors Dor.t le ciel prit plaifir d’orner votre vifage, Je difois , helas ! c’eft dommage ; Nous-memes nous allons enterrer tout cela. A ce difcours flatteur la Dame s’eveilla. Le Dieu qui fait aimer prit fon temps; il tira Deux traits de fon carquois: de l’un il entama Le foldat jufqu’au vif; 1’autre elfleura la Dame: Jeune & belle,elle avoitfous fes pleurs de l’eclat, Et des gens de gout delicat Auroient bien pu l’aimer, & meme etant leur femme. Le garde fut epris , les pleurs & la pitie, Sorte d'amours ayant fes charmes: Tout yfit. Une belle, alors qu’elle eftenlarmes En eft plus belle de moitie. Voila done notre veuve ecoutant la louange , Poifon qui de l’amour eft le premier degre; La voiia qui trouve a fon gre Celui quilelui donne. Il fait tant qu’elle mange; Il fait tant que de plaire, & fe rend en effet Plus digne d’etre aime que le mortlemieuxfait. Il fait tant enfin qu’elle change; Et toujours par degres , comme l’on peutpenfer, De l’un a l’autre il fait cette femme pafl'er; Je ne le trouve pas etrange: Elle ecoute un amant, elle en fait un mari; Le tout au nez du mort qu'elle avoit tant cheri. Pendant D'EPHESE. 169 Pendant cette hymenee un voleur fe hazarde D’enlever le depot commis aux foins du garde. 11 en entend le bruit; il y court a grands pas ; Mais en vain, la chofe etoit faite. II revint au tombeau conter fon embarras , Ne fachant oil trouver retraite. L’efclave alors lui dit, le voyant eperdu: L’on vous a pris votre pendu ? Les loix ne vous feront, dites-vous, nulle grace ? Si Madame y confent, j’y remedierai bien. Mettons notre mort en la place, Les paffans n’y connoitront rieru La Dame y confentit. 0 volages femelles ! La femme eft toujours femme. II en eft qui font belles, II en eft qui ne le font pas: S’il en etoit d’affez fidelles, Elies auroient affez d’appas. Prudes, vous vous devez defier de vos forces: Ne vous vantez de rien. Si votre intention Eft de refifter aux amorces, La notre eft bonne auffi: mais P execution Noustrompe egalement*, temoin cette Matrons, Et n’en deplaife au bon Petrone, Ce n’etoit pas un fait tellement merveilleux, Qu’il en dut propofer l’exemple a nos neveux. Cette veuve n’eut tort qu’au bruit qu’on lui vit faire, Qu’au deflein de mourir mal con?u, mal forme*, L $ Car i;o BELPHEGOR. Car de mettre au patibulaire Le corps d’un mari tant aime , Ce n’etoit pas peut-etre une fi grande affaire : Cela iui fauvoit i’antre: &, tout confidere, ffiieux vaut goujat debout, qu’Empereurenterre, of oi k< o/k- of>o ofk- ofc* Jn'Vo ofVo *Ak BELPHEGO R. NouveUe tir'ce dcMachiavd. A MADE -M OISE L L E £> £ C H A M M E L A T. T^> j_J?e votre nomj’ornele frontifpice Des derniers vers que ma mufe a polis. Faille le tout, 6 charmante Philis, Alier fi loin que notre los franchiffe La nuit des temps: nous la faurons domter, Moi par ecrire, & vous par reciter. Nos noms unis perceront Fombre noire; Vous regnerez, long-temps dans la memo ire, Apres avoir regne jufques ici Dans les efprits, dans les cceurs meme auffi. Qui ne connoit l’initimable actrice Feprcfentant ou Pile dr e, ou Berenice, Chitnetie en pleurs, ou Camille en fureur? Eit-il quelqu’un que votre voix n’enchante? S’eu trouve-t-il une autre auffi toucliante? Une BELPHEGOR. 171 Une autre enfin allant 11 droit au cceur ? N’attendez pas que je faffe l’eloge De ce qu’en vous on trouve de parfait; Comme il n’efl: point de grace qui n’y loge, Ce ieroit trop, je n’aurois jamais fait. De mes Philis, vous feriez la premiere, Vous auriez eu mon ame toute entiere , Si de mes voeux j’euffe plus prefume; Mais en aimant qui ne veut etre aime ? Par ces tranfports n’efperant pas vous plaire, ]e me fuis dit feulement votre ami; De ceux qui font amans plus d’a demi: Et plut au fort que j’eulfe pu mieux faire! Ceci foit dit: venons a notre affaire. Un jour Satan, monarque des enfers , Faifoit paffer fes fujets en revue. La confondus tous les etats divers, Princes & Rois , & ia tourbe menue, Jettoient maints pleurs, poulfoient maint <\ maint cri, Tant que Satan en etoit etourdi. H demandoit en paffant a chaque ame: Qui t’a jettee en l’eternelle flamme? L’une difoit, helas! c’eft mon mari; L’autre aulli-tot repondoit, c’efl: ma femmo. Tant & tant fut ce difcours repete, Qu’enfin Satan dit en plein confiltoire: Si ces gens-ci difent la verite, II eft aife d’augmenter notre gloire. Kous 172 BELPHEGOR. Nous n’avons done qu’a le verifier. Pour cet effet il nous faut envoyer Quelque demon plein d’art & de prudence, Qui non content d’obferver avec foin Tous les hymens dont il fera temoin, Y joigne aufii fa propre experience.. Le Prince ayant propofe fa fentence, Le noir fenat fuivit tout d’une voix. De Belphegor aufli-tot on fit choix. Ce diabie etoit tout yeux & tout oreilles, Grand eplucheur, clair-voyant a merveilles, Capable enfin de penetrer dans tout, Et de poufl’er l’examen jufqu’au bout. Pour fubvenir aux frais de l’entreprife, On lui donna mainte & mainte remife, Toutes a vue, & qu’en lieux differens Il put toucher par des correfpondans. Quant au furplus, les fortunes humaines , Les biens, les maux , les plaifirs , & les peines, ■Bref ce qui fuit notre condition , Put une annexe a fa legation : Il fe pouvoit tirer d’affliction, Par fes bons tours, & par fon induftrie , Mais, non mourir, ni revoir fa patrie, Qu’il n’eut ici confume certain temps: Sa million devoit durer dix ans. Le voila done qui traverfe & qui pafle Ce que le ciel voulut mettre d’efpace Entre ce monde & l’eternelle nuit; 11 n’en mit guere, un moment y conduit. Notre BELPHEGOR. *73 Notre demon, s’etablit a Florence, Ville pour lors de luxe & de depenfe: Meme il la crut propre pour le trafic. La, fous le nom du feigneur Roderic, II fe logea , meubla, comme un riche homme; GrolTe maifon , grand train, nombre de gens; Anticipant tous les jours fur la fomme Qu’il ne devoit confumer qu’en dix ans. On s’etonnoit d’une telle bombance. II tenoit table, avoit de tous cotes Gens a fes frais, foit pour fes voluptes, Soit pour le fafte & la magnificence. L’un des plaifirs oil plus il depenfa Fut la louange. Apollon l’encenfa Car il eft maitre en l’art de flatterie. Diable n’eut one taut d’honneurs en fa vie. Son cceur devint le but de tous les traits Qu’amour larxjoit: il n’etoit point de belle Qui n’employat ce qu’eile avoit d’attraits Pour le gagner, tant fauvage fut-elle: Car de trouver une feule rebelle, Ce n’eft la mode a gens, de qui la main Par les prefens s’applanit tout chemin. C’eft un reflbrt en tous defi'eins utile, Je 1’ai ja dit, & le redis encor; Je ne connois d’autre premier mobile Dans FUnivers, que l’argent & que Tor. Notre envoye cependant tenoit compte De chaque hymen , en journaux differens; L’uu, des epoux fatisfaits & con tens, Si EELPHEGOR. 176 Et Ini falloit quelque fimple bourgeoife, Ce difoit-elle: un petit trafiquant Traiter ainfi les filles de mon rang! Meritoit-il femme fi vertueufe? Sur mon devoir je fuis trop fcrupuleufe, J’en ai regret, & li je faifois bien. . . II n’eft pas fur qu’Honefta ne fit rien: Ces prudes-la nous en font bien accroire. Nos deux epoux, a ce que dit l’liiftoire, Sans difputer n’etoient pas un moment. Souvent leur guerre avoit pour fondement Le jeu, la jupe, on quelque ameublement D’ete, d’liyver, d’entre-temps , bref un monde D’inventions propres a tout gater. Le pauvre diable eut lieu de regretter De l’autre enfer la demeure profonde. Pour comble enfm Roderic epoufa La parente de Madame Houefta, Ayant fans ceffe & le pere & la mere, Et la grand’ fceur, avec le petit frere; De fes deniers mariant la grand’ foeur , Et du petit payant le precepteur. Je n’ai pas dit la principale caufe De fa ruine , infa'illible accident; Et i’oubliois qu’il eut un intendant. Un intendant! Qu’eft-ce que cette chofe ? Je definis cet etre un animal Qui, comme on dit, fait pecher en eau trouble, Et plus le bien de fon maitre va mal, Plus le fien croit, plus fon profit redouble: Tant BELPHEGOJR. *77 Tant qu’aifement lui-meme acheteroit Ce qui de net au feigneur relteroit; Done par raifon bien & dument deduite , On pourroit voir chaque chofe reduite I En fob ecat, s’il arrivoit qu’un jour i L’autre devint l’intendant a fon tour; Car regagnant ce qu’il eut, etant maitre, Us reprendroient tous, deux leur premier etre. Le feul recours du pauvre Roderic, Son feul efpoir, etoit certain tfafic Qu’il pretendoit devoir remplir fa bourfe, Efpoir douteux, incertaine reffource. II etoit dit que tout feroit fatal A notre epoux; ainfi tout alia mal. Ses agens, tels que la plupart des notres, En abufoient: il perdit un vaifi’eau, Et vit aller le commerce a vau-l’eau, Trompe des uns , mal fervi par les autres. 11 emprunta. Quand ce vint a payer, Et qu’a fa ports il vit le creancier, Force lui fut d’efquiver par la fuite, Gagnant les champs, cu de l’apre pourfuite Il fe fauva chez un certain fermier, En certain coin rempare du fumier. A Matheo e’etoit le nomdufire, Sans tant tourner , il dit ce qu’il etoit; Qu’un double mal chez lui le tourmentoit, Ses creanciers, & fa femme encor pire; Qu’il n’y favoit remede que d’entrer Au corps des gens , & de s’y remparer, Tome L M D’y 178 EELP1IK g or. D’y tenir bon: iroit-on la de prendre ? Dame Honefta viendroit-elle y pruner Qu’elle a regret de fe bien gouverner ? Chofe ennuyeufe, & qu’il eft las d’entendre, Que de ces corps trois fois il fortiroit, -Si-tut que lui Matheo l’en prieroit; Trois fois fans plus, & ce pour recompenfe De l’avoir mis a couvert des fergens. Tout auffi-tot l’embafiadeur commence, Aver grand bruit d’entrcr au corps des gens, Ce cue le lien, ouvrage fantaftique, Devint alors, l’hiltoire n’en ait rien. Son coup d’effai fut une fille unique Ou le galant fe trouvoit affez bien ; Mais Matheo , moyerinant grofle fomme , L’en fit fortir au premier mot qu’il dit. C’etoit a Naple: il fe tianfporte a Rome, • Saifit un corps: Matlieo l’en bannit, Le chafl'e encore: autre fomme nouvelle. Trois fois enlin, toujours d’un corps femelle Remarquez bien, notre diable fortit. Le Roi de Naple avoit lors une filLe, Lionnenr du fexe, efpoir de fa famille: Maint jeune Prince etoit fon pourfuivant. La, d’Honefta Belphegor fe fauvant, On ne le put tirer de cet afile. Il n’etoit bruit, aux champs comme a la villa Que d’un manant qui chafi'oit les efprits. Cent mi lie ecus d’abord lui font promis. Bien affiige de manquer cetts fomme, (Carles trois fois Pempechoient d’efperer Que 179 BELPHEGOR. / Que Belphegor fe laiflat conjurer) 111 la refufe; il fe dit un pauvre homme, | Pauvre pecheur, qui Ians favoir comment, | fens dons du ciel, par hazard feulement, Dequelque corps a chafle quelque diable, [I Apparemment chetif, & miferable, | Et ne connoit celui-ci nullement. 111 a beau dire, on le force , 0 on l’amene, j On le menace, on lui dit que fous peine D’etre pendu, d’etre mis haut & court I En un gibet, il faut que fa puiffance | Se manifefte avant la fin du jour. Des l’heure meme on vous met en prefence Notre demon & fon conjurateur. j D’un tel combat le Prince eft fpeclateur. ! Chacun y court; n’eft fils de bonne mere Qui pour le voir ne quitte toute affaire. I D’un cotd font le gibet & la hart, I Cent miile ecus bien comptes d’autre part. | Matheo tremble, & lorgne la finance. L’efprit malin voyant fa contenance Rioit fous cape, alleguoit les trois fois ; Dont Matheo fuoit dans fon harnois, Prefl’oit, prioit, conjuroit avec larmes. Le tout en vain. Plus il eft en alarmes, Plus l’autre rit. Enfin le manant dit Que fur ce diable il n’avoit nul credit. On vous le hape, & mene a la potence. Comme il alloit haranguer Faluftance, Neceffite lui fuggera ce tour: M a II BELPHEGOR. 180 11 dit tout; bas qu’on battit le tambour, Ce qui fut fait: dequoi l’efprit immonde Un peu furpris au mauant demanda : Pourquoi ce bruit? Coquin, qu’entens-je la ? L’autre repond : C’eft madame Honefta -Qui vous reclame , & va par tout le monde, Cherchant l’epoux que le ciel lui donna. Incontinent le diablg decampa, S’enfuit au fond des enfers, & conta Tout le fucces qu’avoit eu fon voyage. Sire, dit-il, le nceud du manage Damne auifi dm qu’aucuns autres etats, Votre grandeur voit tomber ici bas, Kon par flocons, mais menu comme pluie, Ceux que I’hymen fait de fa confrerie , 3’ai par moi-meme examine le cas. Kon que de foi la chofe ne foit bonne; Elle eut jadis un plus heureux deftin; Mais comme tout fe corrorr.pt a la fin , Plus beau fleuron n’eft en votre couronne. Satan le crut : il fut recompenfe, Encor qu'il eut fon retour avance; Car qu’eut-il fait? Ce n’etoient pas merveilles, Qu’ayant fans cefi’e un diable a fes oreilles, Toujours le meme, & toujours fur un ton, II fut contraint d’enfiler la venelle : Dans les enfers encore en change-t-on. L’autre peine eft a mon fens plus cruelie, Je voudrois voir quelque faint y durer; Elje eut a Job fait tourner la cervelle. De BELPHEGOR. i8i De tout ceci que pretens-je inferer? Premierement je ne fais pire chofe, ^ Que de changer fon logis en prifon; En fecond lieu , li par quelque raifon !, Votre afcendant a l’hymen vous expofe, N’epoufez point d’Honefta, s’il fe peut; N’a pas pourtant une Honefta qui veut. LA CLOCHETTE. CONTE. combien l’homme eft inconftant , divers, Foible, leger , tenant mal fa parole 3 ’avois jure, me me en afi'ez beaux vers, De renoncer a tout coute frivole; Et quand jure? C’eft ce qui me confond. Depuis deux jours j’ai fait cette promefle. Puis fiez-vous a rimeur qui repond D’un fel moment. Dieu ne fit la fageffe Pour les cerveaux qui hantent les neuf fceurs: Trop bien ont-ils quelque art qui vous peut plaire, Quelque jargon plein d’affez de douceurs; Mais d’etre furs, ce n’eft la leur affaire. Si me faut-il trouver, n’en fut-il point, Temperament pour accorder ce point; Et fuppofe que quant a la matiere M 3 3 ’euffe 182 LA CLOCHETTE. J’eufle failli, du moins pourrois-je pas Le reparer par la forme en tout cas? Voyons ceci. Vous faurez que naguere Dans la Touraine un jetine bachelier (Interpretez ce mot a votre guife : L’ufage en fut autrefois familier Pour dire ceux qui n’ont la barbe grife: Ores ce font fuppots de Sainte Eglife) Le nutre foit fans plus un jouvenceau, Qui, dans les pres, fur le bord d’un ruiffeau, Vous cajeoloit la jeune bacheiette, Aux blanches dents, aux pieds nuds, an corps gent, Pendant qu’Io portant ur,e clochette Aux environs alloit l’herbe mangeant. Notre galant vous lorgne tine fiilette, De celles-la que je viens d’exprimer. Le mallieur fut qu’elle etoit trap jeunette, Et d’age encore incapable d’aimer. Non qu’a treize ans on y foit inhabile; Meme les loix ont avanee ce temps: Les loix fongeoient aux perfonnes de ville , Bien que l’amour femble ne pour les champs. Le bachelier deploya fa fcience, Ce fut en vain: le peu d’experience, L’humeur farouche, ou bien l’averfion, Ou tous les trois firent que la bergere, Pour qui l’amour etoit langue etrangere , Repondit mal a tant de paffion. Que fit l’amant? croyant tout artifice Libre en amours, fur le coi de la nuit, Le LA CLOCHETTE. Le compagnon detourne line genifie De ce betail par la fille conduit. Le demeurant non compte par la belle (Jeunefle n’a les foins qui font requis) Prit auffi-tot le cliemin du logis. Sa mere etant moins oub'ieufe quelle, Vit qu’il manquoit une piece an troupeau. Dieu fait la vie ; elle tance Ifabeau, Vous la renvoie; & la jeune pucelle S’en va pleurant, & demande aux echos, Si pas un d’eux ne fait nulle nouvelle De celle-la, dont le drfile a propos Avoit d’abord etoupe la clochette; Puis il la prit, puis la faifnnt fonner, II fe fit fuivre, & tant que la fillette Au fond du bois fe laiffa detourner. Jugez, lefteur, quelle fut fa furprife Quand elle ouit la voix de fon amant. Belle , dit-il, toute chofe eft permife Pour fe tirer de l’amoureux tourment. A ce difcours la fille toute en tranfe Remplit de cris ces lieux peu frequentes. Nul n’accourut. O belles, evitez Le fond des bois, & leur vafte fdence. 184 == -= |p - -- LE GLOUTON. Conte tire <£Athenec. A JC\_ fon fouper un glouton Commande que l’on aoprete Pour Iuifeul un Eftourgeon, Sans en laiiTer que la tete. II foupe; ii creve; on y court; On lui donne maints clifteres. On lui dit, pour faire court , Qu’il mette ordre a fes affaires. Mes amis , dit le goulu, M’y voila tout refolu; Et puifqu’il faut que je meure , Sans faire tant de faqon, Qu’on m’apporte tout a 1’heure Le reffe de mon poiffon. LES LES DEUX°AMIS. A^iocus avec Alcibiades Jeunes, bien faits, galants, & vigoureux Par bon accord, comme grands camarades, En meme nid furent pondre tous deux. Qu’arrive-t-il? L’un de ces amoureux Tant bien exploite autour de laDonzelle, Qu’il en naquit une filJe ii belle, Qu’ils s’en vantoient tous deux egalement. Le temps venu que cet objet charmant Put pratiquer les leqons de fa mere, Cbacun des deux en voulut etre amant; Pius n’en voulut l’un ni l’autre etre pere. Frere, dit l’un, ah! vous ne fauriez faire Que cet enfant ne foit vous tout crache. Parbieu, dit l’autre, il eft a vous, compere } Je prens fur moi le hazard du peche. 186 ' LE jugI: de mesle. J3 eux avocats, qui ne s’accordoient point, Rendoient perplex un juge de province: Si ne put one decouvrir le vrai point; Tant lui fembloit que fut obfeur & mince. Deux pailles prend d’inegale grandeur, Du doigt les ferre, il avoit bonne pince. La longue echet fans faute au defendeur , Dont renvoye s’en va gai comme un Prince. La Cour s’en plaint, & le juge repart: Ne me blamez, Meffieurs, pour cet egard, De nouveaute dans mon fait il n’eft maille: Maint d’entre vous fouvent juge au hazard, Sans que pour ce tire a la courte-paille. ALIX MALADE. malade, & fe fentant prelfer, Quelqu’un lui dit: Il fe faut confeffer; Voulez-vous pas mettre en repos votre ame ? Oui je le veux, lui repondit la Dame; Qu-a pare Andre on aille de ce pas; Car il entend d’ordinaire mon cas. Un ALIX MALADE. iS7 0 Un meflager y court en diligence, Sonne au couvent de toute fa puifl'ance, Qui venez-vous demander? lui dit-on. Cell pere Andre, ceiui qui d’ordinaire Entend Alix dans fa confeffion. Vous demandez, reprit alors un frere, Le pere Andre, le confeffeur d’Alix ? 11 eft bien loin: Heias! le pauvre pere Depuis dix ans confelfe en Paradis. LE BA1SER RENDU.' \jruiLLOT palToit avec fa mariee; Un gentilhomme a fon gre la trouvant, Qui t’a, dit-il donne telle epoufee ? Que je la baife a la charge d’autant. Bien volontiers , dit Guillot a l’inftant; Elle eft , Monfieur, fort a votre fervice. Le Monfieur done fait alors fon office, En appuyant: Perronnelle en rougit. Huit jours apres ce gentilhomme prit. Femme a fon tour : a Guillot il permit Meme faveur. Guillot tout plein de zele , Puifque Monfieur, dit-il, eft fi fidele, J’ai grand regret, & je fuis bien fache Qu’ayant baife feulement Perronnelle, II n’ait encore avec elle couche. SOEUR 188 SOEUR JEANNE. ,§oeur Jeanne ayant fait un poupon, Jeuno't, vivoit en fainte fille, Toujours etoit en oraifon, Et tou jours fes foeurs a la grille. Un jour done l’abbefie leur dit: Vivez comme feeur Jeanne vit, Fuyez le monde & fa fequelle. Toutes reprirent a l’inftant; Nous ferons aulE fages qu’elle, Quand nous en aurons fait autant. I M 1 T A T 1 0 N D’A N A C R E O N. ^ i^» 1-* « AUTRE IMITATION D’ANACREON. J"’etois couche mollement, Et contre mon ordinaire, Je dormois tranquillenient; Quand un enfant s’en vint faire A ma porte quelqi?e bruit. II pleuvoit fort cette nuit; Le vent, le froid, & forage Contre l’enfant faifoient rage. Ouvrez, dit-il, je fuis nud. Moi charitable & bon homme J’ouvre au pauvre morfondu; Et m’enquiers comme il fe nomme. Je te le dirai tantot, Repartit-il; car il faut Qu’auparavant je m’effuie. J’allume auffi-tot du feu. Il regarde fi la pluie N’a point gate quelque peu Un arc, dont je me mefie. Je m’approche toutefois, Et de l’enfant prens les doigts, Les rechauffe, & dans moi-meme Je 192 AUTRE IMITATION &C. Je dis: Pourquoi craindre tant ? Que peut-il? C’eft un enfant: Ma couardife eft extreme D’avoir eu le moindre efifroi: Que feroit-ce ft chez moi J’avois re<,'U Polipheme? L’enfant, d’un air enjoue, Ayant un peu fecoue Les pieces de fon armure, Et fa blonde chevelure, Prend un trait, un trait vainqueur, Qu’il me lance au fond du coeur. Voila, dit-il, pour ta p°ine. Souviens-toi bien de Climene, Et de l’amour: c’eft mon nom. Ah! je vous connois , lui dis-je, Ingrat & cruel garqon: Faut-il que qui vous oblige Soit traite de la fafon? Amour fit une gambade ; Et le petit fcelerat Me dit: pauvre camarade, Mon arc eft en bon etat; Mais ton coeur eft bien malade. DISSER- *93 DISSERTATION SUR LA 3'OCONDE. A Monfieur B ™ **. Par M. BOILEAU DESPREAUX. Monsieur, Votre gageure eft fans doute fort plaifante, & j’ai ri de tout mon cceur de la bonne foi avec laquelle votre ami foutient une opinion auffi peu raifonnable que la fienne. Mais cela ne m’a point du tout furpris: ce n’eft pas S’aujouvd’hui que les plus medians ouvrages ont treuve de iinceres protecteurs, & que des opiniatres out entrepris de combattre la raifon a force ouverte. Et pour ne vous point citer ici d’exemples du commun, il n’eft pas que vous n’ayez oui par- ler du gout bifarre de cetEmpereur, quiprefera les ecrits d’un je ne fai quel poete aux ouvrages d’Homere, & qui ne vouloit pas que tous les liom- 194 DISSERTATION hommes enfemble, pendant pres de vingt fiecles, euffent eu le fens commun. Le fentiment de votre ami a quelque chofe d’auffi monftrneux. Et certainement quand je j fonge a Ja chaleur aveclaquelle il va, le livrea la main, defendre la Joconde de Monfieur Bouil¬ lon , il me femble voir Marfife dans l’Ariofte (puis qu’Ariofte il y a) qui veut faire confefi'er a tous les chevaliers, que cette vieille qu’il a en croupe, eft un chef-d’oeuvre de beaute. Qnoi quil en foit, s’il n’y prendgarde, fon opiniatre- te lui coutera un peu cher, & quelque mauvais palTe-tems qu’il y ait pour lui a perdre cent pi- ltoles, jeje plains encore plus de la perte qu’il va faire de fa reputation dans l’efprit des habiles gens. Il a raifon de dire qu’il n’y a point de compa- raifon entre les deux ouvrages dont vous etes en difpute, puifqu’il n’y a point de comparaifon entre un conte piaifant & une narration froide; entre une invention fleurie & enjouee, & une traduftion feche & trifte. Voiia en effet; la proportion qui eft entre ces deux ouvrages. Mon- lieur de ia Font a pie a pris a la verite fon fujet d’Ariofte; niais en meme terns il s’eft rendu mai- tre de fa matiere: ce n’eft point une copie qu’il ait tiree un trait apres i’autre fur 1’original; c’eft un original qu’il a forme fur l’idee qu’Ariofte lui a fournie. C’eft ainli que Virgile aimiteHomere; Te- SUR LA gOCONDE. i 9S Terence, Menandre; & le Tafie, Virgile. Au contvaire, on peut dire de Ivlonlieur Bouillon* que c’eft un valet timide qui n’oferyit faire un pas Cans le conge de fon maitre , & qui ne le quitte jamais qne quand il ne le peut plus fuivre. C’eft un traducleur rnaigre & decharne: les plus belles fleurs qu’Ariofte iui fournit deviennent feches entre fes mains, & a tous momens quit- tant Je Franqois pour s’attacher a l’italien, iln’eft ni Italien ni Franqois. Voila, a mon avis, ce qu’on doit penfer de ces deux pieces. Mais je paffe plus avant, & je foutiens que non-feulement la nouvelle de Mon- fieur de la Fontaine eit inflniment meilleure que celle de ce Monfieur mais qu’elle eft meme plus agreablement contee que celle d’Ariofte. C’eft beaucoup dire, fans doute, & je vois bien que par-la je vais m’attirer fur les bras tous les ama¬ teurs de ce polite. C’eft pourquoi vous trou- verez bon que je n’avance pas cette opinion-, fans l’appuyer de quelques raifons. Premierement, je ne vois pas par quelle li¬ cence poetique Ariofte a pu, dans un poeme he- rol'que & ferieux, meler une fable & un conte de vieiile, poor ainii dire . aufii burlefque qu’eft l’hiftoire de Joconde. Je fai bien , dit un poete, grand critique, qu’il y a beaucoup de chofes per- mifes aux poetes & aux peintres; cju’ils pcuvcnt quelquefois donncr carricre a leur imagination , & Tome I. N qu it iq 6 dissertation qdil ne faut pas toujours les reJJ'errer dans les bor- nes dc la raifon etroite & rigoureufe. Bien loin de leur vouloir ravir ce privilege , je le leur accord ; pour eux , £=? je le demande pour moi. Cc n'tjl pas a dire toutefois qu’il leur Jbit permis pour cela de eonfondre toutes chojes , de renfermcr dans un jndme corps mille efpeces djfferentes , aujjl confitjes que les reveries d’un malade , demeler enfcmble des chofes incompatiblcs} d'accoupler les oifeaux avec les ferpens , les tigres avec les agneaux. Comme vous voyez, Monfieur, ce poete avoit fait le proces a Ariofte, plus de mille ans avant qu’A- riofte eut ecrit. En eifet, ce corps compofe de mille efpeces differentes, n’eft-cepas proprement l’image du poeme de Roland le furieux? Qu’y a-t-il de plus grave & de plus heroique que cer¬ tains endroits de ce poeme ? Qu’y a-t-il de plus bas &de plusbouft’on que d’autres? Etfanscher- cher fi loin, peut-on rien voir de moins ferieux que i’luftoire de Joconde & d’Aftolphe? Les avantures de Bufcon & de Lazarille, ont-elles quelque chofe de plus extravagant ? Sans men- tir, une telle baffeffe eft bien eloignee du gout de l’antiquite; & qu’auroit-on dit de Virgile, bon Dieu! fi a la defcente d’Enee dans Fltalie, il lui avoit fait center par un bdtelier, l’hiftoire de Peau-d’Ane, ou les contes de ma mere l’Oye, car l’hiftoire de Jocbnde n’eft gueres d’un autre rang. Que fi Homere a ete blame dans fon Odyffee (qui ell pourtant un ouvrage tout co- mique, SUR LA JO COAWE. i 97 mique, comme l’a remarque Ariofte) ft, dis-je, ii a ete repris par de forthabiles critiques, pour avoir mele dans cet ouvrage l’hiftoire des com-' pagnons d’Ulifie changes en pourceaux, comme etant indigne de la majefte de fon fujet: que di- roient ces critiques, s’ils voyoient celle de jo- conde dans un poeme hero'ique? N’auroient-ils pas raifon de s’ecrier, que fi cela eft requ, le bon fens lie doit plus avoir de jurifdiction fur les ou- vrages d’efprit, & qu’il ne faut plus parler d’art ni de regies? Ainfi, Monfieur, quelque bonne que foit d’ailleurs la Joconde de l’Ariofte, il faut tomber d’accord qu’elle n’eft pas en fon lieu. Mais examinons un peu cette hiftoire en elle- merne. Sans mentir, j’ai de la peine a fouffrir le ferieux avec lequel Ariofte ecrit un conte fi bouffon. Vous diriez que non-feulement c’eft une hiftoire tres-veritable, mais que c’eft une chofe tres-noble, & tres-hero'ique, qu’il va ra- conter, & certes s’il vouloit decrire les exploits d’un Alexandre, ou d’un Charlemagne, il ne debuteroit pas plus gravement. Afiolfo Re dc’ Longobardi , quello A cui lafcio ilfratel monaco il regno , Fit ne la giovaneza fua Jl hello Che mai poch’ cdtri giunfero a. quel fegno. Ffhavria d fatica un talfato a pennello AppeUe, Zeujt, o Je v’e alcun piu degno._ N Le 198 DISSERTATION Le bon Meffer Ludovico ne fe fouvenoit pas, ou plutot ne fe foucioit pas du precepte de foil Horace: Verjibus exponi tragicis res comica non vult. Cependant il eft certain que ce precepte eft fonde fur la pure raifon; & que comrre il n’y a rien de plus froid que de conter une chofe grande en ftyle bas, auffi n’y a-t-il rien de plus ridicule, que de raconter une hiftoire comique & abfurde en termes graves & ferieux, a moins que ce ferieux ne foit affedte tout expres pour rendre la chofe encore plus burlefque. Le fecret done en contant une chofe abfurde eft de s’enoncer d’une telle maniere, que vous faffiez concevoir au le- fteur que vous ne croyez pas vous-meme la chofe que vous lui contez. Car alors il aide luhmeme a fe decevoir, & ne fonge qu’a rire de la piaifanterie agreable d’un auteur qui fe joue & ne- lui parie pas tout de bon. Et cela eft ft -ve¬ ritable, qu’on dit meme afiez fouvent des chofes qui choquent dire&emtent la raifon, & qui ne laiii'ent pas neanmoins de paiTer, a caufe qu’elles excitent a rire. Telle eft cette hyperbole d’un ancien poete comique, pour fe moquer d’un homme qui avoit une terre de fort petite eten- due: ILpoffcdoit , dit ce poete, une terre a la campagne , qui rietoit pas plus grande qiiune cpi- tre de Lacedemonien. Y a-t-il rien, ajoute un ancien rheteur, de plus abfurde que cette penfee? Cepen- SUR LA 30C0NDE. iq 9 Cependant elle ne laiffe pas de pafter pour vrai- femblable, parce qu’elletouche lapaffion, je veux dire qu’ehe excite a rire. Et n’eft-ce pas en ef- fet ce qui a rendu fi agreables certaines lettres de Voiture, comme celle du Brochet & de la Carpe, dont l’invention eft abfurde d’elle-meme, mais dont il a cache les abfurdites par 1’enjouement de fa narration, & par la maniere plaifante dont il dit toutes chofes? Celt ce que M. de la Fon¬ taine a obferve dans fa nouvelle; il a cru que dans un conte comme celui de Joconde , il ne faiioit pas badiner ferieufement. Il rapporte a la verite des aventures extra vagantes: mais il les donne pour teiles; par-tout il rit & il joue; & fi le lecteur lui veut faire un proces fur le peu de vraifemblance qu'il y a aux chofes qu’il ra- conte, il ne va pas comme Ariofte, les appuyer par des' raifons forcees & plus abfurdes encore que la chofe meme : mais il s’eu fauve en riant & en fe jouant du lecteur,. qui eft-la route qu’on doit tenir en ces rencontres. Ridiculum acri Fortius melius inagnas plerurnque Jecat res. Ainfi lorfque Joconde, par exemple , trouve fa femme couchee entre les bras d’un valet, il n’y a pas d’apparence que dans la fureur il n’e- clate contre elle, ou du moins centre ce valet. Comment eft-ce done qu’Ariofte fauve cela ? Il N 3 dit 200 DISSER TA TION dit que la violence de l’amour ne lui permit pas de faire ce deplailir a fa femme. Ma , da Vamor die porta al fuo difpetto, A Vingrata moglier , ft fu interdctto. Voila, fans mentir un amant bien parfait, & Celadon ni Silvandre ne font jamais parvenus a ce haut degre de perfection. Si je ne me trompe, c’etoit bien plutut la une raifon, non-feulement pour obliger Joconde a eclater, mais e’en etoit affez pour lui faire poignarder dans la rage fa femme, fon valet, & foi-meme , puifqu’il n’y a point de palfion plus tragique & plus violente que la jaloulie qui nait d’un extreme amour. Et certainement, li les hommes les plus fages & les plus moderes, ne font pas maitres d’enx- memes dans la chaleur de cette paflion, & ne peuvent s’empecher quelquefois de s’emporter jufqu’a l’exces pour des fujets fort legers: que devoit faire un jeune homme comme Joconde, dans les premiers acces d’une jaloufie auffi bien fondee que la fienne? Etoit-il en etat de garder encore des mefures avec une perfide, pour qui il ne pouvoit plus avoir que des fentimens d’hor- reur & de mepris ? Monlieur de la Fontaine a bien vu l’abfurdite qui s’enfuivoit de-la: il s’eft done bien garde de faire Joconde amoureux d’un amour romanefque & extravagant; cela ne fer- viroit de rien, & une paffion comme celle-la n’a point 201 SUR LA JOCONDE. point de rapport ayec lecarafteredontJocor.de nous eft depeint, ni avec fes aventures amou- reufes. II l’a done reprefente feulement comme un homme perfuade a fonds de la vertu & de l’honnetete de fa femme. Ainfi quand il vient a reconnoitre l’infidelfte de cette femme, il peut fortbien, par un fentiment d’honneur, comme le fuppofe M. de la Fontaine, n’en rien temoigner, puifqu’il n’y a rien qui fafl'e plus de tort a un homme d’honneur en ces fortes de rencontres, que 1’del at. Tous deux dormoient: dans cet abord Joconde Voulut les cnooyer dor/nir en I!autre monde: Alais cependant il n'en fit rien , Et mon avis cjl qu’il fit Lien. Le moindre bruit que Von peut fairc En telle affaire , Eft le plus fur de la moitie. so it par prudence on par pitie , Le Romain ne tua perfonne. Que ft Ariofte n’a fuppofe l’extreme amour de Joconde, que pour fonder la maladie & la maigreur qui lui vint enfuite, cela n’etoit point neefiaire, puifque la feule penfee d’un affront n’iftque trop fuffifante pour fafre tomber malade ur homme de coeur. Ajoutez a toutes ces rai- fois, que l’image d’un bonnete homme lache- msnt trahi par une ingrate qu’il aim a, tel que N 4 Jo- 202 DISSERTATION Joconde nous eft reprefente dans l’Ariofte , a quelque chofe detragique, qui ne vautrien dans un conte pour rire: au. lieu que la peinture d’un mari qui ferefout afouffrir diforettement les-plai- firs de fa femme, comme i’a depeint Monfieur de la Fontaine , n’a i'ien que de p'aifant & d’agrea- ble, & e’eft ie fujet ordinaire de nos comedies. Ariofte n’a pas mieux reulE' dans cetautre en- droit. on Joconde apprend an Foi l’abandonne- ment de fa femme avec le plus laid monftre de fa Cour. II n’eft pas yraifemblable que le Roi n’en temoigne rien. Que frit done 1’Ariofteponr fon¬ der cela? T1 dit que Joconde, aval it que de de- couvrir ce fecret au Foi, le fit jurer fur le Saint Saorement, ou fur 1 'Agnus Dei , ce font fes ter- mes, qu’il ne s’en reffentiroit point. Ne voila- t-il pas une invention bien agn able? EtleSaint Sacrement n’eft-il pas-la bien place? II n’yj que la licence Italienne qui puifi’e mettre une fem- blable impertinence a couvert, & de patalles fottifes ne fe fouffrent point en latin ni en fian- qois. Mais comment eft-ce qu’Ariofte fauvera toutes les autres abfurdites qui s’en fui vent de-fiV Oil eft-ce que Joconde trouve ft vite une hofie facree pour faire jurer le Roi? Et quelle appt- rence qu’un Roi s’engage ainft legerement a in Ample gentilhomme, parun ferment ft execrable? Avouons que Monfteur de la Fontaine, s’eft biei plus fagement tire de ce pas, par la plaifantere SUR LA JOCONDE. 203 de Joconde, qui propofe au Roi, pour le confo- ler de cet accident, • l’exemple des Rois & des Cefars, qui avoient foufFert un femblable mal- heur avec une conftance toute heroique: & peut-on en fortir plus agreablement qu’il ne fait par ces vers ? Jlais tnfin il le prit en horrime de courage , En galant homme £5? pour le faire court , En veritable homme de Cour. Ce trait ne vaut-il pas mieux lui feul que tout le fu'ieux de l’Ariofte ? Ce n’eft pas pourtant qu’Ariofte n’ait cherche Ie piaifant autant qu’il a pii. Et on peut dire de lui ce que Quintilien dit de Demofthene: Non difplicuijj'e illi jocos , fed non conligijje: qu’il ne fuyoit pas les bons mots, mais qu’il ne les trouvoit pas: car quelquefois de la plus haute gravite defon Ryle, il tombe dans des bafleffes a peine dignes du burlefque. En effet: qu’y a-t-il de plus ridicule que cette longue genealogie qu’il fait du reliquaire que Joconde re<,ut de fa femme en partant ? Cette raillerie con- tre la religion n’eft-elle pas bien en fon lieu? Que peut-on voir de plus fale que cette meta- phore ennuyeufe, prife de Fexercice descbevaux de laquelle Aftolfe & Joconde fe fervent pour fe reprocber l’un a l’autre leur lubricite? Que peut-on ifnaginer de plus froid que cette equi¬ voque qu’il employe a propos du retour de Jo- N 5 conde 204 DISSERTATION condea Rome? On croyoit, dit-il, qu’il etoit aile a Rome, & il etoit a Cornetto. Credeano die da lor JifoJJe tolto Per gire a Roma, e gito era a Cornetto. Si M. de la Fontaine avoit mis une femblable fottife dans toute fa piece, trouveroit-il grace aupres de fes cenfeurs ? Et une impertinence de cette force n’auroit-elle pas ete capable de de¬ crier tout fon ouvrage, quelques beautes qu’il eut eues d’ailleurs ? Mais certes il ne falloit pas apprehender cela de lui. Un homme forme com- me je vois bien qu’il Fell:, au gout de Terence & de Virgile, ne fe laiffe pas emporter a ces extravagances Italiennes, & ne s’ecarte pas ainli de la route du bon fens. Tout ce qu’il dit eft fimpie & naturel, & ce que j’eftime fur-tout en lui, c’eft une certaine naivete de langage, que peu de gens connoiflent, & qui fait pourtant tout l’agrement du difcours. C’eft cette naivete inimitable qui a ete tant eftimee dans les ecrits d’Horace & de Terence, a laquelle ils fe font etudies particulierement, jufqu’a rompre pour cela la mefure de leurs vers, comme a fait M. de la Fontaine en beau coup d’endroits. En effet, c’eft ce /nolle & cefacetum qu’Horace a attribue a Virgile, & qu'Apollon ne donne qu’a fes fa- voris. En voulez-vous des exemples? Marie SliR LA JOCONDE. 205 Marie depuls pcu; Content , jc n’en fai rien. Sa femme avoit de le jeunejje , De la beaute , de la delicatejfe ; II nc tenoit qu’a lui qu’il ne s’cn trouvat bien. S’il eftt dit flmplement, que Joconde vivoit con¬ tent avec fa femme, fon difcours auroit ete alfez froid: mais par ce doute oil il s’embarraffe lui- meme, & qui ne veut pourtant dire que la meme chofe, il enjoue fa narration, & occupe agrea- blement le lefteur. C’eft ainfi qu’il faut juger de ces vers de Virgile dans une de fes eglogues, a propos de Medee , a qui une fureur d’amour & de jalouiie avoit fait tuer fes enfans. Crudelis mater magis , anpucr improbus ille? Improbus ille puercrudelis tu quoque mater. Il en ell: de meme encore de cette reflexion que fait M. de la Fontaine, a propos de la def¬ lation que fait paroitre la femme de Joconde, quand fon mari eft pr.'t a partir. Vous autres bonnes gens auriez cru que la dame Une heure apres eut rendu Tame. Moi quifaisce que c’cjl quelefprit d’une femme, &c. Je pourrois vous montrer beaucoup d’endroits de la meme force, mais cela ne ferviroit de rien pour convaincre votre ami. Ces fortes de beau- tes font de celles qu’il faut fentir, & qui ne fe prou- 2o6 DISSERTATION prouvert point. C’eft ce je ne fai quoi qui nous charme & fans lequel la beaute meme n’auroit ni grace ni btaute. Mais apres tout, c’eft un je ne fai quoi; & ft votre ami eft aveugle, je ne m’engage pas a lui faire voir cl?:r: & c’eft aufti pourquoi vous rre difpenferez, s’il vous plait, de repondre a toutes les vaines objections qu’il vous a faires. Ce feroit combattre des fantoir.es qui s’evanouilfent d’eux-memes; & je n’ai pas entrepris de draper toutes les chimeres qu’il eft d’humeur a fe former dans l’efprit. Mais il y a deux difficultes, dites-vous, qui vous ont ete propofees par un fort galant iom- me, & qui font capables de vous embarraffer. La premiere regarde l’endroit ou ce v alet d’ho- tellerie trouve le moyen de coucher avec la commune maitrefl’e d’Aftolphe & de Joconde, au milieu de ces deux galants. Cette avanture, dit-on , paroit mieux fondee dans I’original, par- ce qu’elle fe paffe dans une hotelierie oil Altolfe & Joconde viennent d’arriver fraichement, & d’oii ils doivent partir le lendemain: ce qui eft une raifon fuftifante pour obliger ce valet a ne point perdre de terns, & a tenter ce moyen, quelque dangereux qu’il puiffe etre, pour jouir de fa maitreffe; parce que s’il laiffe echapper cette occafion , il ne pourra plus la retrouver: au lieu que dans la nouvelle de M. de la Fon¬ taine , tout ce myftere arrive cliez un hote oit Aftolfe SUR LA'fiOCONDE. 207 Aftolfe & Joconde font un affez long fejour. Ainli ce valet logeant avec celle qu’il aims . &. etant avec elle tous les jours, vraifemblable- mentil pouvoit trouver d’autres voies plus lures pour coucher avec elle, que celle dont il fe fert. A cela je reponds, que li ce valet a recours a celle-ci, c’eft qu’il n’en peut imaginer de meil- leure, & qu’un gros brutal, tel qu’il nous eft reprefente par M. de la Fontaine, & tel qu’il devoit l’etre en effet, pour faire une entreprife comme celle-la, eft fort capable de hafarder tout pour fe fatisfaire, & n’a pas toute la prudence- que pourroit avoir un honnete homme. II y auroit quelque chofe a dire li M. de la Fontair.e nous l’avoit reprefente comme un amoureux de Roman , tel qu’il eft depeint dans Arioite , qui n’a pas pris garde que ces paroles de tendrefie & de paffion qu’il lui met dans la bouche, font fort bonnes pour un Tircis, mais ne convien- nent pas trop bien a un muletier. Je foutiens en fecond lieu, que la meme raifon qui dans Ariofte empeche tout un jour ce valet & cette fille de pouvoir executer leur volonte; cette meme raifon, dis-je, a pu lubfifter plufieurs jours; & qu’ainfi etant continuellement obfer- ves l’un & l’autre par les gens d’Aftolfe & de Joconde, & par les autres valets de I’hdtellerie, il n’eft pas dans leur pouvoir d’accomplir leur deflein, li ce n’eft la nuit. Pourquoi done, me direz 2o8 DISSERTATION direz-vous, Monfieur de la Fontaine n’a-t-il point exprime cela? Je foutiens qu’il n’etoit point oblige de le faire, parce que cela fe fuppofe ai- fement de foi-meme, & que tout I’artifice de la narration conlilte a ne marquer que les circon- ftances qui font abfolument neceffaires. Ainfi, par exemple, quand je dis qu’un tel eft de re¬ tour de Rome, je n’ai que faire de dire qu’il y etoit alle, puifque cela s’enfuit de-la necefiaire- ment. Dememe, lorfque dans la nouvelie ce M. de la Fontaine, la fille dit au valet qu’elle ne lui peut pas accorder fa demande, parce que ft elle le faifoit, elle perdroit infailliblement l’an- neau qu’Aftolfe & Joconde lui avoient promis; il s’enfuit de-la qu’elle ne lui pouvoit accorder cette demande fans etre decouverte, autrement l’anneau n'auroit couru aucun rifque. Qu’etoit-il done befoin que M. de la Fontaine allat perdre en paroles inutiies, le terns qui eft ft clier dans une narration? On me dira peut- etre que M. de la Fontaine apres tout n’avoit que faire de changer ici Ariofte. Mais qui ne voit au contraire, que par-la il a evite une ab- furdite manifefte, e’eft a favoir ce marclie qu’A- ftoife & Joconde font avec leur hote, par le- quel ce pere vend fa fille a beaux deniers comp- tans. En effet ce marche n’a-t-il pas quelque chofede choquant, ou plutot d’horrible? Ajou- tez que dans la nouvelie de M, de la Fontaine, Aftolfe SUR LA JOCONDE. 209 Aftolfe & Joconde font trompes bien plus plai- famment, parce qu’ils regarden t tous deux cette fille , qu’ils ont abufee, comme une jeune inno- cente a qui ils ont donne , comme il dit, La premiere legon du plaifir amoureux. Au lieu que dans Ariofte, c’eft une infame qui va courir le pays avec eux, & qu’ils ne fau- roient regarder que comme une abandonnee. Je viens a la feconde objection. II n’eft pas vraifemblable, vous a-t-on dit, que quand Aftol¬ fe & Joconde prennent resolution de courir en- femble le pays, le Roi, dans la douleur ou il eft, foit le premier qui s’avife d’en faire la pro- pofition; & il femble qu’ Ariofte ait mieux reufft de la faire faire par Joconde. Je dis que c’eft tout le contraira; &qu’il n’y a point d’apparence qu’un Ample gentilhomme fafle a un Roi une propofttion ft etrange, que celle d’abandonner fon royaume, & d’aller expofer fa perfonne en des pays eloignes, puifque meme la feule pen- fee en eft coupable : au lieu qu’il peut fort bien tomber dans l’efprit d’un Roi qui fe voit fenfi- blement outrage en fon honneur * & qui ne fau- roit plus voir fa femme qu’avec chagrin, d’aban¬ donner fa Cour pour quelque terns, aiin des’oter de devantles yeux un objet qui ne lui peut cau- fer que deTennui. Si 210 DISSERTATION Si je ne me trompe , Moilfieur, voila vos doutes afl'ez bien refolus. Ce n’eft pas pourtant que de la je veuille infdrer que M. dela Fontaine ait fauve toutes les abfurdites qui font dansl’bi- ftoire de Joconde: il y auroit eu de l’abfurditd a lui-meme d’y penfer. Ce feroit vouloir extra- vaguer fagement, puifqu’en effet toute cette hi- ftoire n’eft autre chofe qu’une extravagance afl'ez ingenieufe, continuee depuis un bout juf- qu’a l’autre. Ce que j’en dis n’eft feulement que pour vous faire voir qu’aux endroits oil il s’eft ecarte de 1’Ariofte, bien loin d’avoir fait de nou- velles fautes, il a rectifie celles de cet auteur. Apres tout neanmoins, il faut avouer que c’efl: a l’Ariofte qu’il doit fa principale invention. Ce n’eft pas que les chofes qu’il a ajoutees de lui- meme , ne puffent entrer en parallele avec tout ce qu’il y a de plus ingenieux dans l’hiftoire de Joconde. Telle eft l’invention du livre blanc que nos deux aventuriers emporterent pour met- tre les noms de celles qui ne feroient pas rebel- les a leurs vceux: car cette badinerie me femble bien auiTi agreable que tout le refte du conte. Il n’en faut pas moins dire de cette plaifante con- teltation qui s’emeut entre Aftolfe & Joconde, pour ie pucelage de leur commune maitrefie, qui n’etoit pourtant que les reftes ■ d’un valet. Mais, Monfieur, je ne veux point chicaner mal- a-propos. Dor.nons, ft vous voulez, a Ariofte toute la gloire de l’invention, ne lui denions pas SUR LA JOCONDE. an pas le prix qui lui eft juftement du pour l’dlegance, la nettete & la brievete inimitable avec laquSlle il dit tant de chofes en ft peu de mots; nerabaif- fons point malicieufement, en faveur de notre nation, le plus ingenieui auteur des derniers fie- cles. Mais que les graces, & les charmes de fon efprit ue nous enchantent pas de telle forte, qu'el- les nous empecbent de voir les fautes de juge- ment qu’il a faites en plufieurs endroits; & quel- que harmonie en vers dont il nous frappe 1’oreil- le, confellons que Mr. de la Fontaine ayant conte plus piaifamrrient une chofe tres-plaifante, il a xnieux compris l’idee & le caraftere de la narration. Apres cela, Monlieur, je ne penfe pas que vous voululftez exiger de moi de vous marquer ici exa- ftement tous les defauts qui font dans la piece de Monfieur Bouillon. J’aimerois autant etre con- damne a faire l’analyfe exacte d’une chanfon du Pontneuf, par les regies de la poetique d’Ariftote. Jamais ftyle ne fut plus vicieux que le fien, & jamais ftyle ne fut plus eloigne de celui de M. de la Fontaine. Ce n’eft pas, Monfieur, que je veuille faire paffer ici l’ouvrage de M. de la Fon¬ taine pour un ouvrage fans defaut; je le tiens aflez galant homme pour tomber d’accord lui- meme des negligences qui s’y peuvent rencontrer; & ou ne s’en rencontre-t-il point? Ilfuffitpour moi que le bon y paffe infiniment le mauvais, & c’eft affez pour faire un ouvrage excellent. Tome I. O Ergo 212 DISSERTATION Ergo ubi plura nitent in carmine , non ego pouch Ojfendar maculis. II n’en eft pas de meme deM. Bouillon : cell un auteur fee & aride, toutes fes expreffions font rudes & forcees, il ne dit jamais rien qui ne puifi'e dtre mieux dit: & bien qu’il bronche a ebaque ligne, fon ouvrage eft moins a blamer pour les fautes qui y font, que pour l’efprit & le genie qui n’y eft pas. Je ne doute point que vos fen- timens en cela ne foient d’accord avec les miens; tnais s’il vous femble que j’aille trop avant, je veux bien, pour l’amour de vous, me faire un effort, & en examiner feulement une page. Aftolfe , Roi de Lombardie , A qui fonfrere plein de vie , Laifj'a Fempire glorieux: Pour fe faire reLigicux: Efaquit d’une forme Ji belle , Oue Zeuxis & k grand Apelle, De leur docle & fameux pinceau N’ont jamais rien fait de fi beau. Que dites-vous de cette longue periode ? N’eft- ce pas bien entendre la maniere de center, qui doit etre limple& coupee que decommencer une narration en vers, par un enchaxnement de paroles a peine fupportable dans l’exorde d’une Oraifon ? A qui fonfrere plein de vie. Plein de vie eft une cheville, d’autant plus qu’il n’eft pas du texte. M. Bouillon l’a ajoute de fa grace, SUR LA 30C0NDE. 213 I; grace, car il n’y a point en cela de beaute qui l’y ait contraint. LaiJJ'a Vempire gloricux. Ne femble-t-il pas que felon M. Bouillon il y a un empire particulier des glorieux, ccmme il y a un empire des Ottomans & des Romains ; & qu’il a dit F empire gloricux. comme un autre di- roit I’empirc Ottoman ? Ou bien il faut tomber d’accord que le mot de gloricux en cet endroit-la eft une cbeville,& une cheville grofftere & ridicule. Pour fe fair c religieux. Cette maniere de parler eft bafle, & nullement poetique. Ndquit cTunc forme f belle. Pourquoi Naquit ? N’y a-t-il pas de gens qui naiffent fort beaux, & qui deviennent fort laids dans la fuite du terns ? Et au contraire n’en voit- 011 pas qui viennent fort laids au monde, & que Fage enfuite embellit ? Qite Zeuxis ef le grand Apelle. On peut bien dire qu’ Apelle etcit un grand pein- tre; mais qui a jamais dit le grand Apelle ? Cette epithete de grand tout limple, ne fe donne ja¬ mais qu’a des conquerans & a nos faints. On peut bien appeller Ciceron grand, orateur; mais il feroit ridicule de dire le grand Ciceron; & cela auroit quelque chofe d’eulle & de p iirile. J' ais qu’a fait ici le pauvre Zeuxis, pour demeurer fans O 2 epithe- DISSER TA T10N 214 epithete, tandis qu’Apelle eft le grand Apellel Sans mentir, il eft bien malheureux que la me- fure du vers ne l’ait pas permis , car il auroit ete au moins le brave Zeuxis. De leur dofte & fameux pinceau, 2Pont jamais rien fait de Ji beau. Il a voulu ici exprimer la penfee de l’Ariofte, que quand Zeuxis & Apelle auroient epuife tous leurs efforts pour peindre une beaute doiiee de toutes les perfe&ious, cette beaute n’auroit pas egale celle d’Aftolfe. Mais qu’il y a mal reuffi! & que cette faqon de parler eft groffiere! 2Pont jamais rien fait de Jibeau de leur pinceau. Mais Js fa grace fans pareiUe. Sans pareille eft la une cheville; & le poete n’a pas pu dire cela d’Aftolfe , puifqu’il declare dans la fuite qu’il y avoit un homme au monde plus beau que lui, c’eft a favoir, Joconde. Etoit du monde la merveille. Cette tranfpofition ne fe peut fouffrir. Ni les avantagcs que donne Le royal eclat de fon fang. Ne diriez-vous pas que le fang des Aftolfes de Lombardie eft ce qui donne ordinairement de l’eclat? Il falloit dire, ni les avantages que lui (Lonnoit le royal eclat de fon fang. Dans les Italiques provinces. Cette maniere de parler fent le poeme epique, o'u SUR LA 30C0NDE. 215 oil meme elle ne feroit pas fort bonne; & ne vaut rien du tout dans un conte, oil les faqons de parler doivent etre limples & naturelles. Ekvoient au-dcfjlts des Anges. Pour parler Francois , il falloit dire, ekvoientau - dejfus de' ceux des Anges. Au prix des charmes de Jon corps. De fon corps , eft dit baflement & pour rimer. D falloit dire de fa beaute. Si jamais il avoit vu naitre. Naitre eft maintenant auffi peu necefl'aire qu’il l’etoit tant6t. Rien qui fut comparable a lui. Ne voila-t-il pas un joli vers. Sire i je crois que le foleil Ne voit rien qui vous foit pared , Si ce n’efl mon frere Joconde , j Qui n’a point de pared au monde. Le pauvre Bouillon s’eft terriblement embar- raffe dans ces termes de pared & de fans pared. Il a dit la-bas que la beaute d’Aftolfe n’a point de pareille; ici il dit que e’eft la beaute de Jo¬ conde qui eft? fans pareille: de-la il conclut que la beaute fans pareille du Roi, n’a de pareille que la beaute fans pareille de Joconde. Mais fauf l’lionneur de l’Ariofte que M. Bouillon a fuivi en cet endroit, je trouve ce compliment fort im¬ pertinent , puifqu’il n’eft pas vraifemblable qu’un O 3 cour- DISSERTATION 216 courtifan aille de but-en-blanc dire a un Roi qui fe pique d’etre le plus bel homme de fon fiecle: J'ai unfrercplus beau que vous. M. de la Fontaine a bien fait d’eviter cela, & de dire fimplement que ce courtifan prit cette occalion de loiier la bezute de fon frere, fans l’elever neanmoins au- deiius de celle du Roi. Comme vous voyez, Monfieur, il n’y a pas un vers ou il n’y ait quelque chofe a reprendre, & que Quintilien n’envoyat rebattre fur l’enclume. Mais en voila aflez, & quelque refolution que j’ayeprife d’examinerla page entiere,vous trouve- rez bon que je mefaffe graced moi-meme, &que je ne paffe pas plus avant. Et que feroit-ce, bon Dieu! li j’allois rechercher toutes les impertinen¬ ces de cet ouvrage, les mauvaifesfaqons de par- ler, lesrudeffes, les incongruites, les chofes froi- des & platement dites qui s’y rencontrent par tout? Que dirions-nous de ces muraiU.cs dont les oavertures baiUent ? De ces erremens qu'AJlolfe 8? Jocondc fuivent dans les pays jlamans ? Suivre des erremens! jufte ciel! quelle langue eft-ce-la? Sans inentir, je fuis honteux pour M. de la Fon¬ taine , de voir qu’il ait pu etre mis en parallele avec un tel auteur: mais je fuis encore plus hon¬ teux pour votre ami. Jele trouve bien hardifans doute, d’ofer ainfi hafarder cent piftoles fur la foi de fon jugement. S’il n’a point demeilleure cau¬ tion , & qu’il fafle fouvent de femblables gageu- res, il eft au hafard de fe ruiner. Voila, Mon¬ fieur , SUR LA JOCONDE. 217 ileur, la maniere d’agir ordinaire des demi-criti- ques , de ces gens, dis-je, qui fous l’ombre d’un fens commun, to urn e pourtant a leur mode, pre- tendent avoir droit de juger fouverainement de toutes chofes, corrigent, difpofent, rtforment, approuvent, condamnent tout au hafard. J’ai peur que votre ami ne foit un peu de cenombre. Je lui pardonne cette haute eftime qu’il fait de la piece de M. Bouillon; je lui pardonnememed’a- voir charge fa memoire de toutes les fottifes de cet ouvrage : mais je ne lui pardonne pas la con- fiance avec laquelle il fe perfuade que tout le monde confirmera fon fentiment. Penfe-t-il done que trois des plus galans hommes de France, ail- lent de gaiete de coeur fe perdre d’eftime dans l’efprit des habiie.s gens, pour lui faire gagner cent piftoles? Et depuis Midas , d'impertinente m JLPEaucoup de gens ont une ferme foi Pour les brevets, oraifons & paroles, Je me ris d’eux; & je tiens quant a moi, Que tous tels forts font receptes frivoles: Frivoles font; c’eft fans difficulte. Bien eft-il vrai, qu’aupres d’une beaute Paroles ont des vertus nompareilles; Paroles font en amour des merveilles: Tout coeur fe laifl’e a ce charme amollir. De tels brevets je veux bien me fervir. Des autres, non. Void pourtant un conte, Oil l’oraifon de Monfieur faint Julien A Renaud d’Aft produifit un grand bien. S’il ne l’eut dite, il eut trouve mecompte A fon argent, & mal pafle la nuit. II s’en alloit devers Cbateau-Guillaume, Quand trois quidams (bonnes gens & fans bruit, Ce lui fembloit, tels qu’en tout un Royaume II n’auroit cru trois auffi gens de bien.) C 4 Quand 4 ° UORA ISON Quand n’ayant, dis-je, aucun foupqon derien; Ces trois quidams tout pleins de courtoifie, Apres 1’abord , & l’ayant falue Fort humblement: Si notre compagnie, Lui dirent-ils, vous pouvoit etre k gre, Et qu’il vous pi Lip achever cette traite Avecque nous, ce nous feroit honneur. En voyageant, plus la troupe eft complette, Mieux elle vaut; c’eft toujours le meiileur. Tant de brigands infeftent la province, Que l’on ne fait a quoi fonge le Prince De les fouffrir; mais quoi, les mal-vivans Seront toujours. Renaud ditacesgens, Que volontiers. Une lieue etant faite, Eux difcourans, pour tromper le chemin, De chofe & d’autre, ils tomberent enfin Sur ce qu’on dit de la vertu fecrette De certains mots, carafteres , brevets, Dont les aucuns out de tres-bons effets: Comme de faire aux infectes la guerre, Charmer les loups, conjurer le tonnerre; Ainfi du refte: ou fans paft ni demi (De quoi l’on foit pour le moins averti) L’on fe guerit; l’on guerit fa monture, Soit du farcin, foit de la memarchure; L’on fait fouvent ce qu’un bon medeciu Ne fauroit faire avec tout fon latin. Ces furvenans de mainte experience Se vantoient tous, & Renaud en filence Les D E SAINT fiULIEN. 4 l Les ecoutoit. Mais vous, ce lui dit-on , Savez-vous point auffi quelque oraifon ? Ce tels fecrets, dit-il , je ne me pique; Comme ho mine iimple , & qui vis al’antique: Bien vous dirai , qu’en allant par ehemin, j’ai certains mots que je dis au matin , Ceffous le nom d’oraifon ou d’antienne Ce faint Julien, afiu qu’il ne m’avienne Ce mal giter; & j’ai meme eprouve , Qu’en y manquant cela m’eft arrive. J’y manque peu ; c’eft un mal que j’evite Par-deffus tous, & que je crains autant. Et ce matin , Monlieur, l’avez-vous dite? Lui reparti t l’un des trois en riant. Out, dit Renaud Or bien , repliqua l’autre, Gageons un peu quel fera le meilleur, Pour ce jourd’hui, de mon gite ou du votre ? II faifoit lors un froid plein de rigneur; La nuit de plus etoit fort approchante, Et la coucbee encore'affez di ft ante. Renaud reprit : Peut-etre ainii que moi, Vous fervez-vous de ces mots en voyage ? Point , lui dit Fautre ; & vous jure ma foi, Qu’invoquer faints n’eft pas trop mon ufage: Mais fi je perds , je le pratiquerai. Eti ce cas-la volontiers gagerai, Reprit Renaud, & j’y mettrois ma vie, Pourvu qu’alliez en quelque hotellerie; Car je n’ai la nulle maifon d’ami. Nous mettrons done cette claufe au pari, C5 Pour- 42 LO RAISON Pourfuivit-il, fi l’avez agreable: C’eft la raifon. L’autre lui repondit: J’en fa is d’accord, & gage votre habit, Votre cheval, la bonrfe auprealable; Sur de gagner, comme vous allez voir. Renaud des-lors put bien s’appercevoir Que fon cheval avoit change d’etable; Mais quel remede? En cotoyant un bois, Le parieur ayant change de voix, CJa defcendez, dit-il, mon gentilhomme; Votre oraifon vous fera bon befoin: Chateau-Guillaume eft encore un peu loin. Fallut defcendre. Us lui prirent en fomme Chapeau, cafaque, habit, bourfe & cheval; Bottes aufli. Vous n’aurez tant de mal D’aller a pied, lui dirent les perfides. Puis de chemin , fans quils priffent de guides, Changeant tous trois, ils furent auffi-tut Perdus de vue; & le pauvre Renaud, En cal'egons, en chaufles ,®en chemife, Mouille, fangenx, ayant au nez la bife, Va tout dolent, & craint avec raifon, Qu’il n’ait ce coup, malgre fon oraifon , Tres-mauvais glte, hormis qu’en fa valife ]1 efperoit. Car il eft a noter, Qu’un lien valet contraint de s’arreter, Pour faire mettre un fer a fa monture, Devoit le joindre. Or il ne le fit pas; Et ce fut-la le pis de l’aventure. Le drole ayant vu de loin tout le cas, ( Com- D E SAINT ^ UL JEN. 43 (Comme valets fouvent ne valent gueres) Prend a cute , pourvoit a fes affaires , Laiffe fon maitre, a traA’ers champs s’enfuit, Donne des deux , gagne deA r ant la nuit Chateau Guillaume, & dans l’hotellerie La plus fameufe, enfin la mieux fournie, Attend Renaud pres d’un foyer ardent, Et fait tirer du meilleur cependant. Son maitre etoit jufqu’au cou dans les boues; Pour en fortir avoit fort a tirer. 11 acheva de fe defefperer, Lorfque laneige, en lui donnant aux joues, Vint a flocons, & le vent qui fouettoit. Au prix du mal que le pauvre homme avoit, Gens que Ton pend font fur des lits de rofes^ Le fort fe plait a difpenfer les chofes De la faqon; c’eft tout mal ou tout bien. Dans fes faveurs il n’a point de mefures; Dans fon courroux de meme il n’omet rien Pour nous mater: temoin les aventures Qu’eut cette nuit Renaud, qui n’arriva Qu’une heure apres qu’on eut ferme la porte. Du pied du mur enfin il s’approcba; Dire comment, je n’en fais pas la forte. Son bon deftin, par un tres-grand hazard, Lui fit trouver une petite avance Qu’avoit un toit; & ce toit faifoit part D’une maifon voifine du rempart. Renaud ravi de ce peu d’allegeancfe, Se met deffous. Un bonheur, comme on dit, Ne 44 V OR A ISON Ne vient point feul. Quatre ou cinq brins de paille Se rencontrant, Renaud les etendit. Dieu foit loue, dit-il, voila mon lit. Pendant cela le niauvais temps l’aflaille De toutes parts : it n’en peut prefque plus. Tranfi de froid, immobile & perclus , Au defefpoir bien-tot il s’abandonne, Claque des dents , fe plaint, tremble & frilTonne Si hautement, que quelqu’un 1’entendit. Ce quelqu’un-la c’etoit une fervante, Et fa maitreffe une veuve galante, Qui demeuroit au logis que j’ai dit, PJeine d’appas, jeune & de bonne grace. Certain marquis, gouverneur de la place, L’entretenoit; & de peur d’etre vu, Trouble , diftrait, enfin interrompu Dans 1'on commerce , au logis de la Dame", 11 fe rendoit fouvent chez cette femme, par une porte aboutifl'ante aux champs ; Alloit, venoit, fans que ceux de la ville En fuflent rien , non pas meme fes gens. Je m’en etonne, & tout plaifir tranquille N’eft d’ordinaire un plaifir de marquis : Pius il eft fu, plus il Ieur femble exquis. Or il avint que la meme foiree Oil notre Job fur la paille etendu Tenoit deja fa fin toute afl'uree, Wonfieur etoit de Madame attendu; i- e foupe pret, la chambre bien paree , Bons DE SAINT $ UL IE N. 45 Bons reftaurans, champignons & ragouts; Bains & parfums, matelats blancs &mous; Vin du coueher, toute l’artillerie De Cupidon , non pas le langoureux, Mai S' celui-la qui n’a fait en fa vie Que de bons tours , le patron des heureux, Des jouiffans. Etant done la Donzelle Prete a bien faire , avint que le marquis Ne put A'enir: elle en requt l’avis Par un lien page, & de cela la belle Se confola: tel etoit leur marche. Renaud y gagne: il ne fut ecoute Plus d’un moment, que pleine de bonte Cette fervante, & confite en tendrefie, Par aventure autant que fa maitrefle, Dit a la veuve: Un pauvre fouffreteux Se plaint la-bas; le froid eft rigoureux; II peut mourir: vous plait-il pas, Madame, Qu’en quelque coin 1’on le mette a couvert? Oui, je le veux, repondit cette femme. Ce galetas qui de rien ne vous fert Lui viendra bien : deffus quelque couchette Vous lui mettrez un peu de paille nette; Et la-dedans il faudra l’enfermer: De nos reliefs vous le ferez fouper Auparavant, puis l’envoirez coucher. Sans cet arret e’etoit fait de la vie Du bon Renaud. On ouvre, il remercie; Dit qu’on l’avoit retire du tombeau, Conte 46 LOR A ISON Conte fon cas, reprend force & courage: II etoit grand, bien fait, beau perfonnage: Ne fembloit meme homme en amour nouveau, Quoiqu’il futjeune. An refte, ii avoit honte De fa mifere, & de fa nudite: L’amour eft nud , mais ii n’eft pas crotte. Renaud dedans, la chambriere monte, Et va conter le tout de point en point. La dame dit, regarded li j’ai point Quelque habit d’homme encor dans mon armoire; Car feu Monfieur en doit avoir laiffe. V'ous en avez , j’en ai bonne memoire, Dit ia fervante. Elle eut bien-tot trouve Le vrai balot. Pour plus d’honnetete, La Dame ayant appris la qualite De Renaud d’Aft ( car il s’etoit nomme) Dit qu’on le mit au bain chauffe pour elle. Cela fut fait; il ne fe fit prier. On le parfume avant que l’habiller. 11 monte en haut, & fait a la Donzelle Son compliment, comme homme bien appris. On fert enfin le foupe du marquis. Renaud mangea tout ainfi qu’un autre homme; Meme un peu mieux; la cronique le dit: On peut a moins gagner de l’appetit. Quant a la veuve, elle ne fit en fomme Que regarder, temoignant fon defir: Soit que deja l’attente du plaifir L’eut difpofee ou foit par fympathie: Ou DE SAINT gULIEN. 47 Ou que la mine, ou bien le procede lie Renaud d’Aft euffent fon coeur touche, De tous cotes fe trouvant affaillie, Elle le rend aux femonces d’amour. Quand je ferai, difoit-elle, cetour, Qni l’ira dire ? II n’y va rien du notre. Si le marquis eft quelque peu trompe, II le merite, & doit l’avoir gagne, Ou gagnera ; car c'eft un bon Apotre. Homme pour homme , & peche pour peche , Autant me vaut celui-ci que cet autre. Renaud n’etoit ft neuf qu’il ne vit bien Que l’oraifon de Monlieur faint Julien Feroit effet, & qu’il auroit bon gite. Lui hors de table , on defiert au plus vite. Les voila feuls: & pour le faire court, En beau dbbut. La Dame s’etoit mife En un habit a donner de l’amour. La negligence a mon gre ft requife, Pour cette fois fut fa Dame d’atour. Point de clinquant, jupe fimple &modefte, Ajuftement moins fuperbe que lefte; Un mouchoir noir de deux grands doigts trop court; Sous ce mouchoir ne fais quoi fait au tour: Par la Renaud s’imagina le refte. Mot n’en dirai: mais je n’omettrai point, Qu’elle etoit jeune, agreable & touchante, Blan- 43 L’ ORA IS ON Blanche fur-tout, & de taiile avenante; Trop ni trop peu de chair & d’embonpoint ° A cet objet qui n’efit eu l’ame emued Qui n’eut aime! Qui n’eut eu des delirs! Un philoCophe, un marbre, une ftatue, Auroient fenti comme nous ces plailirs. El!e commence a parler la premiere, Et fait fi bien que Renaud s’enhardit. 11 ne favoit comme entrer en matiere: Mais pour 1’aider la marchande lui dit: Vous rappellez en moi la fouvenance D’un qui s’eft vu mon unique fouci: Pius je vous vois, plus je crois voir auffi L’air & le port, les yeux, la remembrance De mon epoux: que Dieu lui faffe paix! Voila fa bouche, & voila tous fes traits, Renaud reprit: ce m’eft beaucoup de gloire. IVlais vous, Madame, a qui reffemblez-vous ? A nul objet, & je n’ai point memoire D’en avoir vu qui m’ait femble fi doux, Nulle beaute n’approche de la votre. Or me voici d’un mal chu dans un autre: Je traniiffois, je brule maintenant. Lequel vaut mieux? La belle s’arretant, S’humilia pour ctre contredite. C’eft une adreffe a mon fens non petite. Renaud pourfuit, louant par le menu Tout ce qu’ilvoit, tout ce qu’il n’a point vu, Et qu’il verroit volontiers, fi la belle Plus que de droit, ne fe montroit cruelle. Pour DE SAINT JULIEN. 49 Pour vous louer comme vous meritez, : Ajouta-t-il, & marquer les beautes I Dont j’ai la vue avec le coeur frappee, (Car pres de vous l’un & l’autre s’enfuit) j II faut un fiecle, & je n’ai qu’une nuit, Qui pourroit etre encor mieux occupee. Elle fourit: il n’en fallut pas plus. Renaud laifl'a les difcours fuperflus. Le temps eft cher en amour comme en guerre, Homme mortel ne s’eft vu fur la terre ■ De plus heureux; car nul point n’y manquoit. On relifta tout autant qu’il falloit, Ni plus ni moins, ainfl que chaque belle Sait pratiquer , pucelle ou non pucelle. Au demeurant, je n’ai pas entrepris De raconter tout ce qu’il obtint d'elle; Menu detail, baiters donnes & pris, La petite oye ; enfin ce qu’on appelle En bon Francois Je$ preludes d’amour; Car l’un & l’autre y favoit plus d’un tour. Au fouvenir de l’etat miferable Oit s’etoit vu le pauvre voyageur, On lui faifoit toujours quelque faveur: Voila, difoit la veuve charitable, Pour le cbemin, void pour les brigans, Puis pour la peur , puis pour le mauvais temps; Taut que le tout piece a piece s’efface. Qui ne voudroit fe racquitter ainfi? Conclufion, que Renaud fur la place Obtint le don d’amoureufe merci. Tome II. D Les 5 ° L’ ORA ISON Les doux propos recommencent enfuite, Puis les baifers , & puis la noix confite. On fe coucha. La Dame ne voulant Qu’il s’allat mettre aulit de fa fervante, Le mit au lien: ce fut faitprudemment, En femme fage, en perfonne galante. Je n’ai pas fu ce qu’etant dans le lit Us avoientfait; mais comme avecliiabit On met a part certain refte de honte, Apparemment le meilleur de ce conte Entre deux draps pour Renaud fe pail a. La plus a plein il fe recompenfa Du mal fouffert, de la perte arrivee. Dequoi s’etantla veuve bien trouvee, II fut prie de la venir revoir; Mais en fecret; car il falloit pourvoir Au gouverneur. La belle non contente De ces faveurs, etala fon argent. Renaud n’en prit qu’une fomme baliante Pour regagner fon logis promptement. Il s’en va droit a cette hotellerie, Ou fon valet etoit encore au lit. Renaud le rofie, & puis change d’habit, Ayant trouve fa valife garnie. Pour le combler, fon bon deftin voulut Qu’on attrapat les quidams ce jour meme. Incontinent cliez le juge il courut; 11 faut ufer de diligence extreme En pareil cas : car le greffe tient bon, Quand DE SAINT gULIEN. Quand une fois il eft faifi des cbofes: ;l C’eft proprement la caverne au lion; ! Rien n’en revient: la les mains ne font clofes Pour recevoir, mais pour rendre trop bien: Fin celui-la qui n’y laiffe du fien. Le proces fait, une belle potence A trols c6tes fut mife en pleiu marcher L’un des quidams harajngua l’afiiftance Au nom de tous, & le trio branche Mourut contrit & fort bien confelfe. Apres cela, doutez de la puiffance Des oraifons. Ces gens gais & joyeux Sont fur le point de partir leur chevance, Lors qu’on les vient prier d’une autre danfe. En contr’echange un pauvre malheureux S’en va perir, felon toute apparence; Quand fous la main lui tombe une beaute , Dont un prelat fe feroit contents. II recouvra fon argent, fon bagage, Et fon cheval, & tout fon equipage; Et grace a Dieu, & Monfieur faint Julien, Eut une nuit que ne lui couta rien. 52 LE VILLAGEOIS Q VI CHER CHE SON HE A U. Conte tire des cent Nouv(Ues nouvelles, r T N villageois ayant perdu fon veau, L’alla chercher dans la foret prochaine. II fe plaqa fur l’arbre le plus beau , Pour mieux entendre, & pour voir dans laplaine. Vient une Dame avec un jouvenceau. Le lieuleur plait, l’eau leur vient a la bouche: Et le galant, qui furl’herbe la couche, Crie en voyant je ne fqais quels appas: O Dieux, que vois-je, & que ne vois-je pas! Sans dire quoi; car c’etoient lettres clofes. Lors le man ant les arretant tout coi: Homme de bien, qui voyez tant de chofes. Voyez-vous point mon veau? dites-le moi. I,’AN- 53 wvs* •#**&!*&?*##*:%**%* L A N N E A U D’H ANS CARVEL, Conte tire’ de Rabelais , O' A JLAns Carvel prit fur fes vieux ans Femme jeune en toute maniere; II prit auffi foucis cuifans; Car Fun fans l’autre ne va guere. Babeau , (c’eft la jeune femelle , Fille du bailli Concordat) Fut du bon poil, ardente, & belle, Et propre a l’amoureux combat. Carvel craignant de fa nature Le cocuage & les railleurs, Alleguoit a la creature, Et la legende, & l’ecriture, Et tous les livres les meilleurs: Biamoit les vilites fecrettes; Frondoit l’attirail des coquettes; Et contre un monde de recettes, Et de moyens de plaire aux yeux, In vectivoit tout de fon mieux, A tous ces difcours la galande Ne s’arretoit aucunement. Et de fermons n’etoit friande, A moins qu’ils fuffent d’un amant, Cela faifoit que le bon lire L ANNEAU UHANS CARVEL. Ne favoit tant6t plus qu’y dire; Eut voulu fouvent etre mort. II eut pourtant dans fon martyre Quelques momens de reconfort: I/hiftoire en eft tres-veritable. Une nuit, qu’ayant tenu table, Et bu force bon vin nouveau, Carvel ronfloit pres de Babeau, II lui fut avis que le diable Lui mettoit au doigt un anneau; Qu’il lui difoit: Je fais la peine 1 Qui te tourmente, & qui te gene; Carvel, j’ai pitie de ton cas ; Tiens cette bague, & ne la laches; Car tandis qu’au doigt tu l’auras, Ce que tu crains point ne feras, Point ne feras, fans que le faches. Trop ne puis vous remercier, Dit Carvel, la faveur eft grande: Monlieur fatan, Dieu vous le rende , Grand merci, Monlieur l’aumonier. La-deffus achevant fon fomme , Et les yeux encore aggraves, II fe trouva que le bon homme Avoit le doigt ou vous favez. I/HER- L’HERMITE, NouveUe tirec de Bocace. 53 AME Venus & Dame hypocrifie, Font quelquefois enfemble de bons coups ; Tout homme eft homme, & les moines fur toils: Ce que j'en dis, ce re eft point par envie. Avez-vous fceur, fille, ou femme jolie, Gardez le froc, c’eft un maitre gonin: Vous en tenez, s’il tombe fous fa main Belle qui foit quelque peu Ample & neuve. Pour vous montrer que je ne parle en vain, Lifez ceci: je ne veux autre preuve. Un jeune hermite etoit tenu pour faint: On lui gardoit place dans la legende. L’homme de Dieu d’une corde etoit ceint Pleine de noeuds ; mais fous fa houpelande Logeoit le coeur d’un dangereux paillard. Un cbapelet pendoit a fa ceinture Long d’une braffe, & gros outre mefure: Une clochette etoit de l’autre part. Au demeurant, il faifoit le cafard , Se renfermoit, voyant une femelle, Dedans fa coque, & baiffoit la prunelle ; Vous n’auriez dit qu’il eut mange le lard. Un bourg etoit dedans fon voiiinage, Et dans ce bourg une veuve fort fage, r>4 Qui V HE R M I TE. 56 Qui demeuroit tout a Pextremite. El'e n’avoit pour tout bien qu’une fille, Jeune, ingenue, agreable & gentille, Puceile encor, mais a la verite IVloins par vertu que par fimplicite; Peu d’entregent, beaucoup d’honnetete, D’autre dot point: d’amans pas davantage. Du temps d’Adam qu’on naiil'oit tout vetu, Je penfe bien que la belle en eut eu; Car avec rien on montoit un menage, II ne falloit matelats ni linceul; Memele lit n’etoit pas necelTaire, Ce temps n’efi: plus: hymen qui marchoit feul, Mene a prefent a fa fuite un notaire, L’anachorette, en quetant par le bourg, Vit cette fille, & dit fous fon capuce, Void de quoi: li tu fais quelque tour, II te le faut employer, frere Luce. Pas n’y manqua: voici comme il s’y prit, Elle logeoit, comme j’ai deja dit, Tout pres des champs, dans une maifonnette, Dont la cloifon par notre anachorette Etant percce aifement & fans bruit, Le compagnon par une belle nuit, Belle, non pas; le vent & la tempete Favorifoient le deffein du galant. Une nuit done, dans les pertuis mettant Un long cornet, tout du haut de la tete II leur cria: Femmes ecoutez-moi. A . ViII E SMITE. A cette voix, toutes pleines d’effroi, Se blotiffant, l’une & 1’autre eft en trance. II continue, & corne a toute outrance: Reveillez-vous, creatures de Dieu, Toi femme veuve, & toi fijie pucelle, Allez trouver mon ferviteur fidelle, L’Hermite Luce , & partez de ce lieu Demain matin , fans le dire A perfonne; Car c’eft ainfl que le ciel vous l’ordonne. Ne craignez point; je conduirai vos pas, Luce eft benin. Toi, veuve, tu feras Que de ta fille il ait la compagnie ; Car d’eux doit naitre un Pape, dont la vie Reformera tout le peuple chretien. La chofe fut tellement proncncee , Que dans le lit l’une & l’autre enfoncee, Ne laiffa pas de l’entendre fort bien. La peur les tint un quart d’heure en filence. La fille enfin met le nez hors des draps; Et puis tirant fa mere par le bras, Lui dit d’un ton tout rempli d’innocence; Mon Dieu, maman, y faudra-t-il aller? Ma compagnie ? helas! qu’en veut-il faire ? Je ne fais pas comment il faut parler; Ma coufine Anne eft bien mieux fon affaire, Et retiendroit bien mieux tous fes fermons, Sotte , tai-toi , lui repartit la mere, C’eft bien cela; va, va, pour ces lecons 11 n’eft befoin de tout l’efprit du monde: Des la premiere, ou bien des la feconde, D 5 Ta 53 L HERMIT E. Ta coufine Anne en faura moins que toi. Oui? ditla fille, he mon Dieu, menez moi: Partons bien-tot, nous reviendrons au gite. Tout doux, reprit la mere en fouriant, II ne faut pas que nous allions fi vite: Car que fait-on? Le diable eft bien mechant, Et bien trompeur: ft c’etoit lui, ma fille, Qui fut venu pour nous tendre des lacs ? As-tu pris garde, il parloit d’un ton cas, Comme je crois que parle la famille De lucifer. Le fait merite bien, Que fans courir, ni precipiter rien, Nous nous gardions de nous laifl'er furprendre: Si la frayeur t’avoit fait mal entendre: Pour moi, j’avois l’efprit tout eperdu. Non, non, maman, j’ai fort bien entendu, Dit la fillette. Or bien, -reprit la mere, Puis qu’ainft va, mettons-nous en priere. Le lendemain tout le jour fe pafia A raifonner, & par-ci, & par-la, Sur cette voix & fur cette rencontre. La nuit venue arrive le corneur: II leur cria d’un ton a faire peur: Femme incredule , & qui vas a l’encontre Des volontes de Dieu ton createur, Ne tarde plus, va-t-en trouver Thermite, Ou tu mourras. La fillette reprit: He bien, maman, l’avois-je pas bien dit? Mon Dieu , partons ; allons rendre vifite A V H E R MI T E. 59 A l’homme faint: je crains tant votre rnort, Que j’y courrois, & tout de mon plus fort, S’il le falloit. Allons done, dit la mere. La belle mit fon corfet des bons jours, Son demi-ceint, fes pendans de velours, Sans fe douter de ce qu’elle alloit faire: Jeune fillette a toujours foin de plaire. Notre cagot s’etoit mis aux aguets, Et par un trou qu’il avoit fait expres A fa cellule, il vouloit que ces femmes Le puffent voir, comme un brave foldat, Le fouet en main, toujours en un etat De penitence, & de tirer des flammes Quelque defunt puni pour fes mefaits, Faifant fi bien en frappant tout aupres, Qu’on crut ouir cinquante difeiplines. II n’ouvrit pas a nos deux pelerines Du premier coup, & pendant un moment Chacune put l’entreyoir s’efcrimant Du faint outil. Enfin la porte s’ouvre, Mais ce ne fut d’un bon Mifcrere . Le papelard contrefait l’etonne. Tout en tremblant la veuve lui decouvre, Non fans rougir, le cas comme il etoit. A fix pas d’eux la filette attendoit Le refultat, qui fut que notre hermite Les renvoya, fit le bon hypocrite. Je crains, dit-il; les rufes du malin: Difpenfez-moi; le fexe feminin Ne doit avoir en ma cellule entree. Jamais Co THERMITE. Jamais de moi S. Pere ne naitra. La veuve dit, toute deconfortee, Jamais de vous! He pourquoi ne fera ? Elle ne put en tirer autre chofe. En s’en allant la fillette difoit, Helas , maman, nos peches en font caufe. La nuit revient, & l’une & f autre etoit Au premier fomme, alors que 1’hypocrite Et foil cornet font bruire la maifon. 11 ieur cria toujours 'du meme ton: Retournez voir Luce ie faint hermite: Je l’ai change, retournez des demain. Les voila done derechef en chemin. Pour ne tirer plus en long cette liiftoire, II les requt. La mere s’en alia, Seule, s’entend , la fille demeura, Tout doucement il vous l’apprivoifa; Lui prit d’abord fon joli bras d’yvoire; Puis s’approcha, puis en vint au bailer, Puis aux beautes que l’on cache a la vue } Puis le galant vous la mit toute nue, Comme s’il eut voulu la baptifer. O papelards, qu’on fe trompe a vos mines ! Tant lui donna du retour de matines, Que manx de coeur vinrent premierement, Et maux de coeur chafles , Dieu fait comment, Enfin finale, une certaine enflure La contraignit d’alonger fa ceinture; Mais en cachette , & fans en avertir Le V H E R MI T E. 61 Le forge Pape, encore moins la mere. Elle craignoit qn’on ne la fit partir: Le jeu d’amonr commenqoit a lui plaire. Vous me direz: D’ou lui vint tant d’efprit D’ou? De ce jeu, c’eft l’arbre de fcience. Sept mois entiers la galande attendit; Elle allegua fon peu d’experience. Des que la mere eut indice certain De fa groftefie , elle lui fit foudain Trouffer bagage , & remercier l’h6te. Lui de fa part rendit grace au Seigneur, Qui foulageoit fon pauvre ferviteur. Puis au depart il leur dit que fans faute Moyennant Dieu , J’enfant viendroit a bien. Gardez pourtant, Dame, de faire rien, Qui puiffe nuire a votre geniture. Ayez grand foin de cette creature; Car tout bonheur vous en arrivera. Vous regnerez, ferez la fignora, Ferez monter aux grandeurs tous les vfitres, Princes les uns , & grands feigneurs les autres, Vos coufms dues, cardinaux vosneveux: Places, chateaux, tant pour vous que pour eux Ne manqueront en aucune maniere , Non plus que l’eau qui coule en la riviere. Leur ayant fait cette prediction, II leur donna fa benediction. La fignora de retour chez fa mere, S’entretenoit jour & nuit du S. Pere, Prd- 62 M A Z E T Pre'paroit tout, lui faifoit des beguins ; Au demeurant, prenoit tous les matins La couple d’ceufs; attendoit en liefie Ce qui viendroit d’une telle grofl’effe Mais ce qui vint detruilit les chateaux, Fit avorter les mitres, les chapeaux , Et les grandeurs de toute la famille. La iignora mit au monde une Lille. - M A Z E T DE L AMP ORE CHI0. Nouvelle tired de Bocace. T JLfE voile n’eft le rampart le plus fur Contre l’amour, ni le moins acceffible: Un bon mari, mieux que grille ni mur, Y pourvoira, fi pourvcir eft pol’ftble. C’eft a mon fens une erreur trop vilible A des parens, pour ne dire autrement, De prefumer, apres qu’une perfonne Bongre, malgre s’eft mife en un couvent, Que Dieu prendra ce qu’ainft l’on lui donne. Abus, abus; je tiens que le malin N’a revenu plus clair & plus certain. ( Sauf toutefois l’aififtance divine.) Encore un coup, ne faut qu’on s’imagine, Que d’etre pure & nette de peche, Soit DE LAMPORECHIO. Soit privilege a la guimpe attache. Nenni da, non; je pretens qn’au contraire Filles du monde ont toujours plus de peur Que l’on ne donne atteinte a leur honneur La raifon eft, qu’elles en ont affaire, Moins d’ennemis attaquent leur pudeur, Les autres n’ont pour un feul adverfaire; Tentation, fille d’oifivete, Ne manque pas d’agir de fon cote: Puis le delir, enfant de la contrainte. Ma fille eft nonne, Ergo c’eft une fainte: Mai raifonne. Des quatre parts les trois En ont regret & fe mordent les doigts, Font fouvent pis, au moins l’ai-je oui dire Car pour ce point je parle fans favoir. Bocace en fait certain conte pour rire, Que j’ai rime, comme vous allez voir. Un bon vieillard en un eouvent de filles Autrefois fut, labouroit le jardin. Elies etoient toutes affez gentilles, Et volontiers jafoient des le matin. Tant ne fongeoient au fervice divin , Qu’a foi montrer es parloirs aguimpees, Bien blanchement, comme droites poupees, Prete chacune a tenir coup aux gens; Et n’etoit bruit qu’il fe trouvat leans Fille qui n’eut de quoi rendre le change, Se renvoyant l’un a l’autre l’eteuf.;' Huit foeurs etoient, & l’abbefie font neuf; 64 M A Z E T Si mal d’accord que c’etoit cliofe dtfange. De la beaute la plupart en avoient; De la jeuneffe elles en avoient toutes, En cetui lieu beaux peres frequentoient, Comme on peut croire, & tant bien fupputoient Qu’ils ne manquoient a tomber fur leurs routes. Le bon vieillard jardinier defl’us dit, Pres de ces foeurs perdoit prefque 1’eiprit: A leur caprice il ne pouvoit fuffire. Toutes vouloient au vieillard commander; Dont ne pouvant entr’elles s’accorder, XI fouffroit plus que l’on ne fauroit dire. Force lui fut de quitter la maifon; J] en fortit de la meme faqon Qu’etoit entre la-dedans le pauvre homme Sans croix, ne pile , & n’ayant rien en fomme Qu’un vieil habit. Certain jeune ga^on De Lamporech , li j’ai bonne memoire, Dit au vieillard un beau jour apres boire, Et raifonnant fur le fait des nonnains , Qu’il pafleroit bien volontiers fa vie Pres de ces foeurs; & qu’il avoit envie De leur offrir fon travail & fes mains, Sans demander recompenfe ni gages. Le compagnon ne vifoit a Fargent: Trop bien croyoit, ces foeurs etant peu fages, Qu’il en pourroit croquer une en paffant, Et puis une autre, & puis toute la troupe. Nuto DE LAMPORECHIO. 65 Nuto lui dit (c'eft le nom du vieillard) Crois-moi, Mazet, mets-toi quelque autre part. J aimerois mieux etre fans pain ni foupe, Que d’employer en ce lieu mon travail. Les nonnes font un etrange betail. Qui n’a tate de cette marchandife, Ne fait encor ce que c’eft que tourment. Je te le dis, laitTe-la ce couvent; Car d’efperer les fervir a leur guife, C’eft un abus, l’une voudra du mou, L’autre du dur; parquoi je te tiens fou, D’autant plus fou que ces lilies font fottes; Tu n’auras pas oeuvre faite, entre nous; L’une voudra que tu plantes des choux, L’autre voudra que ce foit de carottes. Mazet reprit, ce n’eft pas la le point. Vois tu, Nuto, je ne fuis qu’une bete; Mais dans ce lieu tu ne me verras point Un mois entier, fans qu’on m’y fafle fete. La raifon eft, que je n’ai que vingt ans; Et comme toi je n’ai pas fait mon temps. Je leur fuis propre, & ne demande en fomme Que d’etre admis. Alors dit le bon homme: Au factotum tu n’as qu’a t’adreffer; Allons nous-en de ce pas lui parler. Allons, dit 1’autre. 11 me Vient une chofe Dedans l’efprit. Je ferai le muet Et l’idiot. Je penfe qu’en effet, Reprit Nuto, cela peut etre caufe Que le pater avec le factotum Tom. II. E N’au- 66 M A Z E T N’auront de toi ni crainte , ni foupfon. La chofe alia co'mme ils l’avoient prevue. Voila Mazet, a qui pour bien-venue L’on fait becher la moitie du jardin. II contrefait le lot & le badin , Et cependant laboure comme un lire. Autour de lui les nonnes alloient rire. Un certain jour le compagnon dormant, Ou bien feignant de dormir , il n’importe; Bocace dit qu’il en faifoit femblant, Deux des nonnains le voyant de Ja forte Seul au jardin ; car fur le haut du jour, Nulle des fceurs ne faifoit long fejour Hors le logis, le tout crainte du hale: De ces deux done, l’une approchantMazet, Dit a fa foeur : Dedansoce cabinet Menons ce fot. Mazet etoit beau male, Et la galande a le conliderer Avoit pris gout, parquoi fans differer Amour lui lit propofer cette affaire. L’autre reprit: La dedans? He quoi faire? Quoi? dit la fceur, je ne fais, l’on verra; Ce que l’on fait alors qu’on en elt la: Ne dit-on pas qu’il fe fait quelque chofe; Jesus, reprit l’autre fceur fe fignant, Que dis-tu la? Notre regie defend De tels penfers. S’il nous fait un enfant? Si l’on nous voit? Tu t’en vas etre caufe De quelque mal. On ne nous verra point, Dit DE L A MP 0 RE C{H 10. 67 Dit la premiere; & quant a l’autre point C’ell s’alarmer avant que le coup vienne. Ufons du temps, fans nous tant mettre en peine, i Et fans prevoir les chofes de fi loin. Nul n’ell ici, nous avons tout a point, L’heure, & le lieu li touffu que la vue N’y peut paffer: & puis fur l’avenue Je fuis d’avis qu’une faffe le guet: Tandis que l’autre etant avec Mazet, A fon bel aife aura lieu de s’inliruire: 11 ell muet, & n’en pourra rien dire. Soit fait, dit l’autre: il faut a ton delir Acquiefcer, & te faire plaifir.- Je pafferai li tu veux la premiere, Pour t’obliger: au moins a ton loiiir Tu t’ebattras puis apres, de maniere Qu’il ne fera befoin d’y retourner: Ce que j’en dis, n’ell que pour t’obliger. Je le vois bien, dit l’autre plus lincere: Tu ne voudrois fans cela commencer Allurement, & tu ferois honteufe. Tant y rella cette fceur fcrupuleufe, Qu’a la tin l’autre allant la degager De faction la fut faire changer, Notre muet fait nouvelle partie: II s’en tira non li gaillardement: Cette fceur fut beaucoup plus mal lotie; Le pauvre gars acheva Implement Trois fois le jeu, puis apres il fit chaffe. 68 MAZET Les deux nonnains n’oublierent la trace Du cabinet, non plus que du jardin; II ne falloit leur montrer le chemin. Mazet pourtant fe menagea de forte Qu’a foeur Agnes quelques jours en fuivant II fit apprendre une femblable note En un preffoir tout au bout du couvent. Sceur Angelique & fceur Claude fuivirent, L’une au dortoir, l’autre dans un cellier : Tant qu’a la fin la cave & le grenier Du fait des foeurs maintes chofes apprirent. Point n’en refta , que le fire Mazet Ne regalat au moins mal qu’il pouvoit. L’Abbeffe auili voulut entrer en danfe. Elle eut fon droit, double & triple pitance, De quoi les foeurs jeunerent tres-long-temps. Mazet n’avoit faute de reftaurans ; Mais reftaurans ne fon pas grande affaire A tant d’emploi. Tant prefferent le here, Qu’avec l’abbeffe un jour venant au choc, J’ai toujours oui, ce dit-il, qu’un bon coq N’en a que fept: au moins qiyon ne me laiffe Toutes les neufs. Miracle , dit l’abbeffe , Venez mes foeurs, nos jeunes ont tant fait Que Mazet parle. Alentour du muet, Non plus muet, toutes huit accoururent: Tinrent chapitre, & fur l’heure conclurent, Qu’a l’avenir Mazet feroit choye, Pour le plus fur: car qu’il fut renvoye, Cela rendoit la chofe manifefte. Le BE LAMPOJIECHIO. 69 Le compagnon bien nourri, bien paye, Fit ce qu’il put, d’autres firent le refte. 11 les engea de petits MaziUons, Defquels on fit de petits moinillons; Ces moinillons devinrent bien-tot peres, Comme les foeurs devinrent bien-tot meres A leur regret, pleines d’humilite; Mais jamais nom ne fut mieux merite, LA MANDRAGORE. Nouvdle tiree de MachiaveU A -C&.U prefent eonte on verra la fottHe D’un Florentin. 11 avoit femme prife, Honnete & fage autant qu’il eft befoin, Jeune pourtant, du refte toute belle: Et n’eut on cm de jouifl'ance telle, Dans le pays, ni meme encor plus loin. Chacun l’aimoit, chaeun la jugeoit digne D’un autre epoux. car quant a celui-ci, Qu’on appelloit Nicia Calfucci, Ce fut un fot en fon temps tres-infigne. Bien le montra, lorfque bongre malgre 11 refolut d’etre pere appelle; Crut qu’il feroit beaucoup pour fa pa trie, S’ii la pouvoit orner de Calfuccis: Sainte ni faint n’etoit en Paradis e 3 Qui 7 o LA MANDRAGORE . Qui de fes vceux n’eut la tete etourdie. Tous ne favoient oil mettre fes prefens. II confultoit matrones, charlatans, Difeurs de mots, experts fur cette affaire: Le tout en vain: car il ne put tant faire Que d’etre pere. II etoit bute la, Quand un jeune homme, apres avoir en France Etudie , s’en revint a Florence; Auffi leurre qu’aucun de par de-la; Propre , galant, cherchant par tout fortune, Bien fait de corps, bien voulu de chacune; 11 fut dans peu la carte du pays; Connut les bons & les mechans maris; Et de quels bois fe cbauffoient leurs femelles; Quels furveillans ils avoient mis pres d’elles; Les fi, les car, enfin tous les detours; Comment gagnerles confidens d’amours, Et la nourrice , & le cpnfeffeur meme , Jufques au chien; tout y fait quand on aime: Tout tend aux fins, dont un feul yota N’etant omis, d’abord le perfonnage Jette fon plomb fur Mefl'er Nicia , Pour lui donner l’ordre du cocuage. Hardi defl’ein! L’epoufe de leans, A dire vrai, recevoit bien les gens: Mais c’etoit tout: aueun de fes amans Ne s’en pouvoit promettre davantage. Celui-ci feul, Callimaque nomme, Des qu’il parut, fut tres-fort a fon gre. Le galant done pres de la fortereffe Affiet LA MANDRAGORE. 7 * Afllet fon camp, vous inveftit Lucrece; Qui ne manqua de faire la tigreffe A l’ordinaire, & l’envoya jouer. II ne favoit a quel faint fe vouer, Quand le mari, par fa fottife extreme, Lui fit juger qu’il n’etoit ftratageme , Panneau n’etoit, tant etrange femblat, Oil le pauvre homme a la fin ne donnat De tout fon coeur, & ne s’en affublat. L’amant & lui, comme etant gens d’etude, Avoient entr’eux lie quelque habitude ; Car Nice etoit dofteur en droit canon: a Mieux eut valu l’etre en autre fcience, Et qu’il n’eut pris fi grande confiance En Callimaque. Un jour au compagnon H fe plaignit de fe voir fans lignee. A qui la faute ? II etoit vert galant, Lucrece jeune , & drue & bien taillee, Lorfque j’etois a Paris, dit l’amant, Un curieux y paffa d’aventure: Je l’allai voir ; il m’apprit cent fecrets; Entr’autres un pour avoir geniture; Et n’etoit chofe a fon compte plus fure. Le grand Mogol l’avoit avec fucces, Depuis deux ans , eprouve fur fa femme; Mainte Princefie, & mainte & mainte Dame En avoit fait aufii d’heurcux effais. II difoit vrai ; j’en ai vu des effets. Cette recepte eft une medecine Faite du jus de certaine racine E 4 Ay ant 7 * LA MANDRAGORE. Ayant pour nom Mandragore ; Sc ce jus Pris par la femme opere beaucoup plus, Que ne fit one nulle ombre monachale D’aucun couvent de jeunes freres plein. Dans dix mois d’hui je vous fais pere enfin Sans demander un plus long intervalle: ■Et touchez-la; dans dix mois & devant, Nous porterons au bapteme l’enfant. Difes-vous vrai ? repartit Meffer Nice: Vous me rendez un merveilleux office, Vrai ? Je l’ai vu : faut-il repeter tant? Vous moquez-vous d’en douter feuiement? Par votre foi, le Mogol eft-il homme Que l’on ofat de la forte affronter ? Ce curieux en touch a telle fomme, Qu’il n’eut fujet de s’en mecontenter. Nice reprit: voila chofe admirable, Et qui doit etre a Lucrece agreable. Quand lui verrai-je un poupon fur le fein? Notre feal, vous ferez le parrein 5 C’efl: la raifon: des-hui je vous en prie. Tout doux , reprit alors notregalant; Ne foyez pas fi prompt, je vous fupplie: Vous allez vite: il faut auparavant Vous dire tout. Un mal eft dans 1’affaire; Mais ici bas peut-on jamais tant faire, Que de trouver un bien pur & fans mal? Ce jus done de vertu tant infigne, Porte d’ailleurs qualite tres-maligne : Prefque toujours il fe trouve fatal LA MANDRAGORE. 73 A celui-la qui le premier careffe La patiente; & fouvent on en menrt Nice reprit aulli-t&t, ferviteur; Plus de votre herbe, & laiffons-la Lucrece, Telle qu’elle eft: bien grand-merci du foin. Que fervira, moi mort, ft je fuis pere? Pourvoyez-vous de qnelque autre compere: C’eft trop de peine; il n’en eft pas befoin. L’amant lui dit: Quel efprit eft le votre ? Toujours il va d’un exces dans un autre, Le grand defir de vous voir un enfant Vous tranfportoit nagueres d’allegreffe; Et vous voila, tant vous avez de prefle, Decourage fans attendre un moment. Oyez le refte; & fachez que nature A mis remede a tout, fors a la mort. Qu’eft-il de faire, afin que l’aventure Nous reufftffe , & qu’elle aille a bon port? Il nous faudra choilir quelque jeune homme D’entre le peuple, un pauvre malheureux Qui vous precede au combat amoureux, Tente la voie ; attire & prenne en fomme Tout le venin ; puis le danger 6te, Il conviendra que de votre cote Vous agiifiez, fans tarder da vantages Car foyez fur d’etre alors garanti. 11 nous faut faire in anima vili Ce premier pas ; & prendre un perfonnage Lourd & de pen; mais qui ne foit pourcant Mai fait de corps, ni par trop deg'outant; ES Ni 74 LA MAND R AGO RE. Ni d’un toucher fi rude & fi fauvage, Qu’a votre feijime un fupplice ce foit, Nous favons bien que Madame Lucrece , Accoutumee a la delieateffe, De Nicia , trop de peine en auroit: Meme il fe peut qu’en venant a la chofe, Jamais fon cceur n’y voudroit confentir. Or ai-je dit un jeune homme , & pour caufe; Car plus fera d’age pour bien agir, Moins laifiera de venin fans nul doute; Je vous promets qu’il n’en laifiera goutte. Nice d'abord eut peine a digerer L’expedient; allegua le danger, Et l’infamie ; il en feroit en peine ; Le magiftrat pourroit le rechercher, Sur le foup9on dune mort li foudaine. Empoifonner un de fes citadins! Lucrece etoit echappee aux blondins: On l’alloit mettre entre les bras d’un ruftre! Je fuis d’avis qu’on prenne un homme illuftre, Dit Callimaque, ou quelqu’un qui bien-tot En mille endroits cornera le miftere. Sottife & peur contiendront ce pitaut. Au pis alier, l’argent le fera taire. Votre moitie n’ayant lieu de s’y plaire Et le coquin meme n’y fongeant pas, Vous ne tombez proprement dans le cas De cocuage. Il n’efb pas dit encore Qu’un tel paillard ne relifte au poifon ; Et ce nous eft une double rail'on De LA MJNDRA GORE. "75 De le choiiir tel, que la Mandragore Confume en vain fur lui tout fon venin. Car quand je dis qu’on meurt, je n’entens dire Allurement. II vous faudra demain Faire choiiir fur la brune le fire , Et des ce foir donner la potion: J’en ai chez moi de la confection. Gardez-vous bien au refte, Mefl'er Nice, D’aller paroitre en aucune faqon. Ligurio choilira le garqon ; C’eft-la fon fait: laiffez-lui cet office, Vous vous pouvez her a ce valet, Comme a vous-meme: il eft fage & difcret. J’oublie encor que pour plus d’affurance, On bandera les yeux a ce paillard: II ne faura qui, quoi , n’en quelle part, Nun quel logis, ni ft dedans Florence, Ou bien dehors on vous l’aura mene. Par Nicia le tout fut approuve. Reftoit fans plus d’y dil'pofer fa femme. De prime face, elle crut qu’on rioit; Puis fe facha; puis jura fur fon ame, Que mille fois plutot on la tueroit. Que diroit-on , li le bruit en couroit ? Outre l’offenfe & peche trop enorme, Calfuce & Dieu favoient que de tout temps, Elle avoit craint ces devoirs complaifans , Qu’elle enduroit feulement pour la forme, Puis il viendroit quelque matin difforme L’incommoder , la mettre fur les dents: Suis- 76 LA MANDRAGORE. Suis-je de taille a fouffrir toutes gens ? Quoi, recevoir un pitaut dans ma couche? o Puis-je y fonger qu’avecque du dedain? Et par faint Jean , ni pitaut, ni blondin, Ni roi, ni roc, ne feront qu’autre touche Que Nicia jamais one a ma peau. Lucrece etant de la forte arretee, On eut recours a frere Timothee. II la precha; mais fi Men & fi beau, Qu’elle donna les mains par penitence. On l’affura de plus qu’on choiliroit Quelque garcon d’honnete corpulence; Non trop ruftaut; & qui ne lui feroit Mai ni degout. La potion fut prife, Le lendemain notre amant fe ddguile, Et s’enfarine en vrai garcon meunier; Un faux menton, barbe d’etrange guife; Mieux ne pouvoit fe metamorphofer. Ligurio, qui de la faciende Et du complot avoit toujours ete, Trouve l’amant tout tei qu’il le demande, Et ne doutant qu’on n’y fut attrape, Sur le minuit le mene a Meffer Nice, Les yeux bandes, le poil teint, & fi bien Que notre epoux ne reconnut en rjen Le compagnon. Dans le lit il fe glilfe En grand filence; en grand filence aufli La patiente attend fa dellinee; Bien blanchement, & ce foir atournee. Voire LA MANDRAGORE. 77 Voire ce foir ? Atourn.ee; & pour qui ? Pour qui ? J’entens: n’eit-ce pas que la Dame Pour un meunier prenoit trop de fouei ? Vous vous trompez; le fexe en ufe ainfi. Meuniers ou Rois, il veut plaire a toute ame: C’eft double honneur, ce femble , en une femme, Quand fon merite echauffe un efprit lourd, Et fait aimer les coeurs nes fans amour. Le travefti changea de perfonnage, Si-tot qu’il eut Dame de tel corfage A fes cotes, & qu’il fut dans le lit. Plus de meunier ; la galante fentit Aupres de foi la peau d’un honnete homme. Et ne croyez qu’on employat au fomme De tels momens. Elle dil'oit tout bas: Qu’eft ceci done? Ce compagnon n’eft pas Tel que j’ai cru , le dr61e a la peau fine, C’eft grand dommage, il ne merite, heiasl Un tel deftift: j’ai regret qu’au trepas Chaque moment de plailir l'achemine. Tandis l’epoux enrole tout de bon, De fa moitie plaignoit bien fort la peine. Ce fut avec une fierte de Reine, Qu’elle donna la premiere fa 9 on De cocuage; & pour le decoron Point ne voulut y joindre fes careffes. A ce garqon la perle des Lucreces Prendroit du gout ? Quand le premier venin Fut emporte, notre amant prit la main De 78 LA MANDRAGORE De fa maitrefie; & de baifers de flamme La parconrant: Pardon, dit-il, Madame; Ne vous fachez du tour qu’on vous a fait; C’eft Callimaque : approuvez fon martyre. Vousne fauriez ce coup vous en dedire : Votre rigueur n’eft plus d’aucun effet. S’il eft fatal toutefois que j’expire, j’en fuis content: vous avez dans vos mains Un moyen fur de me priver de vie; Et le piaifir, bien mieux qu’aucuns venins, M’achevera, tout le refte eft folie. Lucrece avoit jufque-la refifte, Non par defaut de bonne volonte, Ni que i’Stmant ne plut fort a la belle; Mais la pudeur & la fimplicite L’avoient rendue ingrate en depit d’elle. Sans dire mot, fans ofer refpirer, Pleine de honte & d’amour tout enfemble, Q Elle fe met auffi-tot a pleurer. A fon amant peut-elle fe montrer Apres cela? Qu’en pourra-t-il penfer? Dit-elle en foi, & qu’eft-ce qu’il lui femble ? J’ai bien manque de courage & d’efprit. Incontinent un exces de depit Sailit fon coeur , & fait que la pauvrette Tourne la tete, & vers le coin du lit Se va cacher, pour derniere retraite. Elle y voulut tenir bon, mais en vain: Ne lui reftant que ce peu de terrain, La LA MANDRAGORE. 79 La place fut incontinent rendue. Le vainqueur l’eut a fa difcretion: II en ufa felon fa paffion: Et plus ne fut de larme repandue. Ronte ceffa, fcrupule autant en fit. Heureux font ceux qu’on trompe a leur profit! L’aurore vint trop tot pour Caliimaque, Trop tut encor pour l’objet de fes voeux. II faut, dit-il, beaucoup plus d’une attaque Contre nn venin tenu fi dangereux. Les jours fuivans notre couple sgnoureux Y fut pourvoir: l’epoux ne tarda gueres Qu’il n’eut atteint tous fes autres confreres. Pour ce coup-lsi fallut fe feparer: L’amant courut chez foi fe recoucher. A peine au lit il s’etoit mis encore, Que notre epoux joyeux & triomphant Le va trouver, & lui conte comment S’etoit pafle le jus de Mandragore. D’abord, dit-il, j’allai tout doucement Aupres du lit ecouter fi le fire S’approcheroit, & s’il en vouloit dire. Puis je priai notre epoufe tout bas, Qu’elie lui fit quelque peu de careffe, Et ne craignit de gater fes appas. C’etoit au plus une nuit d’embarras. Et ne penfez, ce lui dis-je, Lucrece, Ml l’un ni l’autre en ceci me tromper. Je faurai tout: Nice fe peut van ter D’dtre 8o LA MANDRAGORE, D’etre homme a qui Ton n’en donne a garder: Vo us favez bien qu’il y va de ma vie. N’allez done point faire la rencherie: IVlontrez par-la que vous favez aimer Votre mari, plus qu’on ne croit encore: C’eft un beau champ. Que fi cette pecore Fait le honteux, envoyez fans tarder IVL’en avertir : car je me vais coucher, Et n’y manquez : nous y mettrons bon ordre. Befoin n’en eut: tout fut bien jufqu’au bout. Savez-vous bjen que ce ruftre y prit gout? Le drdle avoit tant6t peine a demordre. J’en ai pitie: je le plains apres tout. N’y fongeons plus: qu’il meure, & qu’on Ten- term , Et quant a vous, venez-nous voir fouvent. Nargue de ceux qui me faifoient la guerre: Dans neuf mois d’hui je leur livre un enfant. LES 8i L£S REMOIS. j[l n’eft cite, que je prefere a Reims: C’eft l’ornement & l’honneur de ia France: Car fans compter 1’Ampoule & les bons vins, Charmans objets y font en abondance. Par ce point-la je n’entens, quant a moi, Tours ni porteaux, mais gentilles Galoifes; Ayant trouve telle de nos Remoifes, Friande alTez pour la bouche d’un Roi. Une avoit pris un peintre en mariage, Homme eftime dans fa profefiiou: II en vivoit: que faut-il davantage ? C’etoit affez pour fa condition. Chacun trouvoit fa femme fort beureufe. Le drole etoit, grace a certain talent, Tres-bon epoux, encor meilleur galant. De fon travail mainte Dame amoureufe L’alloit trouver; & le tout a deux fins: C’etoit le bruit, a ce que dit l’hiftoire: Moi qui ne fuis en cela des plus fins, Je m’en rapporte a ce qu’il en faut croire. Des que le fire avoit Donzelle en main, II eJS rioit avecque fon epoufe. Les droits d’hymen allant toujours leur train , Befoin n’etoit qu’elle fit la jaloufe. Tome II. F Meme i 82 LES RE MO IS. Meme elle eut pu le payer de fes tours; Et comme lui voyager en amours ; Sauf d’en ufer avec plus de prudence, Ne lui faifant la meme confidence. Entre les gens qu’elle fut attirer, Deux liens voifins fe laifferent leurrer A l’entretien libre & gai de la Dame; Car c’etoit bien la plus trompeufe femme Qu’en ce point-la l’on eut fu rencontrer: Sage fur tout; mais aimant fort a rire. Elle ne manque incontinent de dire A fon mari l’amour des deux bourgeois, Tous deux gens fots, tons deux gens a fornettes; Lui raconta mot pour mot leurs fleurettes, Pleurs & foupirs, gemiffemens Gaulois. ^ls avoient lu, ou plutot oui dire , Que d’ordinaire en amour on foupire. Ils tachoient done d’en faire leur devoir, Que bien, que mal, & felon leur pouvoir. A frais communs fe conduifoit l’affaire. Ils ne devoient nulle chofe fe taire. Le premier d’eux qu’on favoriferoit De fon bonheur part a l’autre feroit. Femmes, voila fouvent comme on vous traite, Le feul plaifir eft ce que Ton fouhaite. Amour eft mort; le pauvre compagnon Fut enterre fur les bords du Lignon; Nous n’en avons ici ni vent ni voie. Vous y fervez de jouet & de proie A LES REMO IS. 83 Ajeunesgens, indifcrets, fcelerats : Cell bien raifon qu’au double on le leur rende: Le beau premier qui fera dans vos lacs , Plumez-Ie moi, je vous le recommande. La Dame done, pour tromper fes voilins; Leur dit un jour: Vous boirez de nos vins Ce loir chez nous. Mon mari s’en va faire Un tour aux champs: & le bon de l’affaire Cell qu’il ne doit au gxte revenir. Nous nous pourrons a l’aife entretenir. Bon, dirent-ils, nous viendrons fous la brune. Or les voila compagnons de fortune. La nuit venue, ils font au rendez-vous. Eux introduxts, croyant ville gagnee, Un bruit furvint; la fete fut troublee. On frappe a l’huis; le logis aux verroux Etoit ferme: la femme a la fenetre Court en difant, celui-la frappe eu maitre: Seroit-ce point par malheur mon epoux ? Oui, cachez-vous, dit-eile , c’ell lui-mdme. Quelque accident, ou bien quelque foupqon Le font venir coucher a la maifon. Nos deux galants dans ce peril extreme Se jettent vite en certain cabinet: Car s’en aller, comment auroient-ils fait ? Ils n’avoient pas le pied hors de la chambre, Que l’epoux entre, & voit au feu le membre Accompagne de maint & maint pigeon, L’un au hatier, les autres au chaudron. F a Oh, 34 LES RE MO IS, Oh, oh! dit-ii, voila bonne cuifine ! Qui traitez-vous ? Alis notre voifine, Reprit lepoufe, & Simonette auifi. Loue foit Dieu qui vous ramene ici, La compagnie en fera plus complette. Madame Alis, Madame Simonette K’y perdront rien. II fant les avertir Que tout eft pret, qu’elles n’ont qu’a venir. J’y cours moi-meme. Alors la creature Les va prier. Or c’etoient les moities De nos galants & chercheurs d’aventure, Qui fort chagrins de fe voir enfermes, Ne laifl'oient pas de louer leur hoteffe , De s’etre ainfi tiree avec adrefle De cet appret. Avec elle a l’inftant Leurs deux moities entrent tout en chantant: On les falue, on les baife, on les loue De leur beaute, de leur ajuftement: On les contemple, on patine, on fe joue. Cela ne pint aux mans nullement. Du cabinet la porte a demi clofe, Leur laiffant voir le tout diftinftement, Ils ne prenoient aucun gout a la chofe: Mais paffe encor pour ce commencement. Le foupe mis prefque au meme moment, Le peintre prit par la main les deux femmes, Les fit affeoir, entr’elles fe plafa. Je bois , dit-il a la fante des Dames: .Et de trinquer: paffe encor pour cela. On fit raifon , le vin ne dura guere. L’h6 LES RE MO IS. 85 L’hoteffe etant alors fans chambriere Court ala cave: & de peur des efprits Mene avec foi Madame Simonette. Le peintre refte avec Madame Alls, Provinciale affez belle, & bien faite, Et s’en piquant, & qui pour le pays Se pouvoit dire honnetement coquette. Le compagnon vous la tenant feulette, La conduifit de fleurette en fleurette Jufqu’au toucher, & puis un peu plus loin, Puis tout-a-coup levant la colcrette, Prit un baifer dont l’epoux fut temoin. Jufque-la pafle; epoux, quand ils fontfages, Ne prennent garde a ces menus fuftrages, Et d’en tenir regiftre c’eft abus, Bien eft-il vrai qu’en rencontre pareille Simples baifers font craindre le fuvplus; Car fatan lors vient frapper fur i’orcille De tel qui dort, & fait tant qu’il s’eveiile. L’epoux yit done, que tandis qu’ime main Se promenoit fur la gorge a fon aife, L’autre prenoit tout un autre chemin. Ce fut alors, Dame, ne vous deplaife, Que le courroux lui montant au cerveau, II s’en alloit enfonqant fon chapeau, Mettre 1’alarme en tout le voifinage, Battre fa femme, & dire au peintre rage, Et temoigner qu’il n’avoit les bras gourds. Gardez-vous bien de faire une fottife,, Lui dit tout bas fon compagnon d’aniours, F ^ Tenez- 86 LES RE MO IS. Tenez-vous coi. Le bruit en nulle guife N’eft bon' ici, d’autant plus qu’en vos lacs Vous etes pris: ne vous mcmtrez done pas. C’eft le moyen d’etouffer cette affaire: II eft ecrit qu’a nul il ne faut faire Ce qu’on ne veut a foi-meme etre fait. Nous ne devons quitter ce cabinet Que bien a point, & tant6t quand cet homme Etant au lit prendra fon premier fomme: Selon men fens, c’eft le meilleur parti. A tard viendroit auffi-bien la querelle. N’etes vous pas cocu plus d’a demi? Madame Alis au fait a confenti: Cela fuffit, le refte eft bagatelle. L’epoux gouta quelque peu ces raifons. Sa femme fit quelque peu de faqons, N’ayant le temps d’en faire davantage. Et puis ? Et puis, comme perfonne fage, Elle remit fa coeffure en etat. On n’eut jamais foupqonne ce menage, Sans qu’ii reftoit un certain incarnat Deffus fon teint; mais c’etoit peu de chofe: Dame fleurette en pouvoit etre caufe. L’une pourtant des tireufes de vin De lui fourire au retour ne fit faute: Ce fut la peintre. On fe remit en train : On releva grillades & feftin: On but encore a la fante de l’h6te, Et de I’hoteffe, & de celle des trois Qui la premiere auroit quelque aventure , Le LES REMO IS. 87 Le vin manqua pour la feconde fois. L’ll At eft e adroite & fine creature, Soutient toujours qu’il revient des efprits Chez les voilins. Ainfi Madame Alis Servlt d’Efcorte. Entendez que la Dame Pour l’autre emploi inclinoit en fon ame; Mais on l’emmener, & par ce moyen-la De faction Simonette changea. Celle-ci fait d’abord plus la fevere, Veut fuivre l’autre, ou feint le vouloir faire 5 Mais fe fentant par le peintre tirer, Elle demeure, etant trop menagere , Pour fe laiffer fon habit dechirer. L’epoux voyant quel train prenoit l’affair^, Voulut fortir. L’autre lui dit: Tout doux : Nous ne voulons fur vous nul avantage. C’eft bien raifon que Meffer cocuage Sur fon etat vous couche ainfi que nous; Sommes-nous pas compagnons de fortune ? Puifque le peintre en a cardie l’une , L’autre doit fuivre. II faut bongre malgre Qu’elle entre en danfe, & s’il eft neceffaire, Je m’offrirai de lui tenir le pied: Vouliez ou non, elle aura fon affaire. Elle l’eut done; notre peintre y pourvut Tout de fon mieux: auffi le valoit-elle. Cette derniere eut ce qu’il lui fallut: On en donna le loifir a la belle. F 4 Quand 88 LA CO UR TISANE Quand le vin fut de retour, on conclut Qu’il ne falloit s’attabler davantage. II etoit tard; & le peintre avoit fait Pour ce jour-la fuffifamment d’ouvrage. On dit bon foir. Le drole fatisfait Se met au lit. Nos gens fortent de cage. L’hoteffe alia tirer du cabinet Les regardans honteux, mal contens d’elle, Cocus de plus. Le pis de leur mechef Fut qu’aucun d’eux ne put venir a chef De fon deffein, ni rendre a la Donzelle Ce qu’elle avoit a leurs femmes prete: Par confequent c’eft fait: j’ai tout conte. 0 LA COURTISANE AMO U R E USE. TT jj_je jeune Amour, bien qu’il ait la faqon D’un dieu qui n’eft encor qu’a fa leqon, Fut de tout temps grand faifeur de miracles. En gens coquets il change les Catons; Par lui les fots deviennent des oracles; Par lui les loups deviennent des moutons. II fait li bien que l’on n’eft plus le meme. Temoin Hercule, & temoin Polypheme Mangeur de gens. L’un fur un Roc aflis Chan- A MOURE USE. 89 Chantoit aux vents fes amoureux foucis; Et pour charmer fa nymphe joliette Tailloit fa barbe, & fe miroit dans l’eau. L’autre changea fa malfue en fufeau Pour le plaifir d’une jeune fillette. J’en dirois cent. Bocace en rapporteun, Dont j’ai trouve Pexemple peu commun. C’eft de Chimon, jeune homme tout fauvage, Bisn fait de corps, mais ours quant a l’efprit. Amour le leche, & tant, qu’il le polit. Cliimon devint un galant perfonnage. Qul fit cela ? Deux beaux yeux feulemept. Pour les avoir appercus un moment, Encore a peine, & voiles par le fomme, Chimon aima, puis devint honnete-homme. Ce n’eft le point dont il s’agit ici. Je veuS conter comme une de ces femmes Qui font plailir aux enfans fans fouci, Put en fon coeur loger d’honnetes flammes, Elle etoit here, & bifarre fur-tout. On ne favoit comme en venir a bout. Rome c’etoit le lieu de fon negoce. Mettre a fes pieds la mitre avec la croffe C’etoit trop peu: les fimples Monfeigneurs N’etoient d’un rang digne de fes faveurs. II lui falloit un homme du Conclave, Et des premiers , & qui fut fon efclave; Et meme encore il y profitoit peu, A moins que d’etre un cardinal neveu. F 5 Le 9 ° LA COURTISANE Le Pape enfin, s’il fe fut pique d’elle, N’auroit ete trop bon pour la Donzelle. De fon Orgueil fes habits fe fentoient. Force brillans fur fa robe eclatoient, La chamarure avec la broderie. Lui voyant faire ainfi la rencherie , Amour fe mit en tdte d'abaifler Ce cceur fi haut; & pour un gentilhomme Jeune, bien fait, & des mieux mis de Rome, Jufques au vif il voulut la bleffer. L’adolefcent avoit pour nom Camille , Eile, Conftance. Et bien qu’il fut d’humeur Douce, traitable, a fe prendre facile , Conftance n’eut fi-tdt 1’amour au coeur, Que la voila craintive devenue. Elle n’ofa declarer fes defirs D’autre faqon qu’avecque des foupirs. Auparavant pudeur ni retenue Ne l’arretoient; inais tout fut bien change. Comme on n’eut cru qu’amour fe fut loge En cosur fi fier, Camille n’y prit garde. Inceflamment Conftance le regarde; Et puis foupirs, & puis regards nouveaux; -Toujours reveufe au milieu des cadeaux: Sa beaute meme y perdit quelque chofe : Bien-t6t le lys l’emporta fur la rofe. Avint qu’un foir Camille regala De jeunes gens: il eut aufii des femmes, Conftance en fut. La chofe fe paffa Joyeu- AMOUREUSE. Joyeufement; car pen d’entre ces Dames Etoient d’humeur a tenir des propos De faintete, ni de philofophie. Conftance feule etant fourde aux bons mots Laiffoit railler toute la compagnie. Le foupe fait, chacun fe retira. Tout des l’abord Conftance s’eclipfa, S’allant cacher en certaine ruelle. Nul n’y prit garde: & l’on crut que chez ella, Indifpofee, ou de mauvaife humeur, On pour affaire, elle etoit retournee. La compagnie etant done retiree, Camille dit a fes gens , par bonheur, Qu’on le laiffat, & qu’il vouloit ecrire. Le voila feul, & comme le deftre Celle qui l’aime, & qui ne fait comment Ni l’aborder, ni par quel compliment Elle pourra lui declarer fa flatnme. Tremblante enfin, & par neceflite Elle s’en vient. Qui fut bien etonne, Ce fut Camille: He quoi, dit-il, Madame, Vous furprenez ainft vos bons amis ? II la fit feoir; & puis s’etant remis , Qui vous croiroit, reprit-il, demeuree? Et qui vous a cette cache montree? L’amour, dit-elle. A ce feul mot fans plus Elle rougit; chofe que ne font guere Celles qui font pretreffes de Venus: Le vermilion leur vient d’autre maniere, Camille avoit deja quelque foupqon Que 9 2 LA CO UR TISANE Que l’on 1'aimoit: il n’etoit fi novice Qu’il ne connut fes gens a la faqon. Pour en avoir un plus certain indice, Et s’egayer, & voir fi ce cceur fier Jufques au bout pourroit s’hutnilier, II fit le froid. Notre amante en foupire, La violence enfin de fon martyre La fait parler: elle commence ainfi, Jg ne fais pas ce que vous allez dire, De voir Conftanee ofer venir ici Vous declarer fa paffion extreme, Je ne faurois y penfer fans rougir: Car du metier de nyrophe me couvrir, On n’en eft plus des le moment qu’on aims. Puis quelle excufe! Helas, fi le paffe Dans votre efprit pouvoit etre efface! Du moins, Camille, excufez ma francliife. Je vois fort bien que quoi que je vous dife Je vous deplais. Mon zele me nuira. Mais nuife, ou non, Conftanee vous adore: Meprifez-la, chaffez-la, battez-la; Si vous pouvez, faites-lui pis encore; Elle eft a vous. Alors le jouvenceau; Critiquer gens m’eft, dit-il, fort nouveau; Ce n’eft mon fait: & toutefois, Madame, Je vous dirai tout net que ce difeours -Me furprend fort; & que vous n’etes femme Qui dut ainfi prevenir. nos amours. Outre lg fexe, & quelque bienfeance Qu’il faut garder, vous vous etes fait tort. A quel AMO URE USE. 93 A quel propqs toute cette eloquence ? Votre beaute m’eut gagne fans effort, Et de fon chef. Je vous le dis encor, Je n’aime point qu’on me fafl’e d’avance. Ce propos i’ut a la pauvre Conltance Un coup de foudre. Elle reprit pourtant s J’ai merite ce mauvais traitement; Mais ofe-t-on vous dire fa penfee? Mon precede ne me nuiroit pas tant, Si ma beaute n’etoit point effacee. C’eft compliment ce que vous m’avez dit: J’en fuis certaine, & lis dans votre efprit: Mon peu d’appas n’a rien qui vous engage. D’oix me vient-il ? Je rn’en rapporte a vous. fc’eft-il pas vrai que naguere , entre nous, A mes attraits chacun rendoit Hommage? Ils font eteints ces dons li precieux. L’amour que j’ai, m’a caufe ce dommage, Je ne fuis plus affez belle a vos yeux. Si je l’etois, je ferois affez fage. Nous parlerons tant6t de ce point-la, Dit le galant; il eft tard, & voila Minuit qui fonne; il faut que je me couche, Conftance crut qu’elle auroit la moitie D’un certain lit, que d’un ceil de pitie Elle voyoit: mais d’en ouvrir la bouche Elle n’ofa, de crainte de refus. Le compaghon, feignant d’etre confus, Se tut long-terns; puis dit: Comment ferai-jeV Je ne me puis tout feul deshabiller. Et 94 LA CO UR TISANE Et bien, Monfieur, dit-elle, appellerai-je ? Non, reprit-il: gardez-vous d’appeller, Je ne veux pas qu’en ce lieu on vous voie; Ni qu’en ma chambre une fille de joie Pafi'e la nuit au fu de tous mes gens. Cela fufiit, Monfieur, repartit-elle. Pour eviter ces inconveniens, Je me pourrois cacher en la rnelle: Mais faifons mieux, & ne laiflbns venir Perfonne ici: 1’amoureufe Conftance Veut auiourd'hui de laquais vous fervir. Accordez-lui pour toute recompenfe Cet honneur-la. Le jeune homme y confent. Elle s’approche; elle le deboutonne; Touchant fans plus a l’habit, & n’ofant Du bout du doigt toucher a la perfonne. Ce ne fut tout; elle le ddchauffa. Quoi, de fa main ? Quoi, Conftance elle-meme ? Qui fut-ce.donc? Eft-ce trop que cela? Je voudrois bien dechaufler ce que j’aime. Le compagnon dans le lit fe plaqa; Sans la prier d’etre de la partie. Conftance crut dans le commencement Qu’il la vouloit eprouver feulement: Mais tout cela paffoit la raillerie. Pour en venir au point plus important, II fait, dit-elle, un temps froid comme glace; Oil me coucher ? Camille. AMOUREUSE. 95 Camille. Par tout ou vous voudrez. Conjlance. Quoi, fur ce fiege ? Camille. Et bien non; vous viendrez Dedans mon lit. Conjlance. Delacez-moi, de grace. Camille. Je ne faurois , il fait froid , je fuis nud; Delacez-vous. Notre amante ayant vu Pres du chevet un poignard dans fa gaine, Le prend, le tire, & coupe fes habits, Corps pique d’or, garniture de prix, Ajuftemens de Princefl'e & deReine; Ce que les gens en deux mois a grand’ peine Avoient brode , perit en un moment: Sans regretter ni plaindre aucunement Ce que le fexe aime plus que fa vie. Femmes de France, en feriez-vous autant? Je crois que non, j’en fuis fur, & partant Cela fut beau fans doute en Italie. La pauvre amante approche en tapinois, Croyant tout fait; & que pour cette fois Aucun bizarre & nouveau ftratageme Ne viendroit plus fon aife reculer. Camille dit: C’eft trop diilimuler ; c Femme qui vient fe produire elle-meme N’anra q6 LA C0URT1SANE N’aura jamais de place a mes cotes. Si bon vous femble, allez-vous mettreaux pieds Ce fut bien-la qu’une douleur extreme Saifit la belle, & li lors par hazard Elle avoit eu dans fes mains le poignafd, C’en etoit fait: elle eut de part en part Perce fon cceur. Toutefois l’efperance Ne mourut pas encor dans fon efprit. Camille etoit trap connu de Conftance; Et que ce fut tout de bon qu’il eut dit Clrofe li dure, & pleine d’infolence; Lui qui s’etoit jufques-la comporte En homme doux, civil, & Ians fierte, Cela fembloit centre toute apparence. Elle va done en travers fe placer Aux pieds du fire; & d’abord les lui baife; Mais point trop fort, de peur de le bleffer. On peut juger li Camille etoit aife. Quelle viftoire ! Avoir mis a ce point Une beaute li fuperbe & li Here! Une beaute! je ne la decris point; 11 me faudroit une femaine entiere. On ne pouvoit reprocher feulement Que la paleur a cet objet charmant, Paleur encor dont la caufe etoit telle Qu’elle donnoit du luftre a notre belle. Camille done s’etend: & fur un fein Pour qui l’yvoire auroit eu de l’envie; Pofe fes pieds , & fans ceremonie II s’accommode, & s’en fajt un couffin: Puis AMOUREUSE. 97 Puis feint qu’il cede aux charmes de Morphee. Par des fanglots notre amante etouffee Lache la bonde aux pleurs cette fois-la; Ce fut la fin. Camille l’appella, D’un ton de voix qui plut fort a la belle. Je fuis content, dit-il, de votre amour, Venez, venez, Conftance, c’eft mon tour. Elle le glifl'e: & lui s’approchant d'elle, M’avez-vous cru fi dur & fi brutal, Que d’avoir fait tout de bon le fevere ? Dit-il d’abord, vous me connoiffez mal: Je vous. voulois donner lieu de me plaire. Or bien je fais le fond de votre coeur. Je fuis content, fatisfait, plein de joie, Comble d’amour: & que votre rigueur, Si bon lui femble, a fon tour fe deploie: Elle le peut: ufez-en librement. Je me declare aujourd’hui votre amant, Et votre epoux; & ne fais nulle Dame, De quelque rang & beaute que ce foit, Qui vous valut pour maitrefle & pour femme ; Car le paffe rappeller ne fe doit Entre nos deux. Une chofe ai-je a dire: C’eft qu’en fecret il nous faut marier. II n’eft befoin de vous fpecifier Pour quel fujet: cela vous doit fuffire. jVleme il eft mieux de cette faqon-la. Un tel hymen a des amours reffemble; On eft epoux & galant tout enfemble. L’hiftoire dit que le drole ajouta: Tom, II. G You- 98 LA COURTIS ANE AMOUREUSE. Voulez-vous pas, en attendant le pretre, A votre amant vous fier aujourd’hui ? Vons le pouvez, je vous reponds de lui; Son cceur n’eft pas d’un perfide & d’un traitre. A tout cela Conftance ne dit rien. C’etoit tout dire : il le reconnut bien, N’etant novice en femblables affaires. Quant au furplus, ce font de tels myfteres, Qu’il n’eft befoin d’en faire le recit. Voila comment Conftance reuffit. Or faites-en , nymphes , votre profit. Amour en a dans fon academie, Si l’on vOuloit venir a l’examen, Que j’aimerois pour un pareil hymen Mieux que mainte autre a qui l’on'fe marie, Femme qui n’a file toute fa vie Tache a paffer bien des chofes fans bruit, Temoin Conftance & tout ce qui s’enfuit: Noviciat d’epreuves un peu dures: Elle en re La femme eft-elle un cas ii different? Eh pargue non; car Meffire Gregoire Difoit toujours, fi j’ai bopne memoire, Mes brebis font ma femme: cependant II a change : changeons auffi, compere. Tres-volon tiers, reprit Fautre manant; Mais tu fais bien que notre menagere Eft la plus belle : Or qa , fire Oudinet, Sera-ce trop, s’il donne foH mulet Pour le retour? Mon mulet? Et parguenne, Dit le premier des villageois fufdits, Chacune vaut en ce monde fon prix; La mienne ira but a but pour la tienne; On ne regarde aux femmes de fi pres : Point de retour, vois-tu, compere Etienne, Mon mulet, c’eft. . . C’eft le roi des mulets. Tu ne devrois me deman der mon ane Tant feulement: troe pour troc, touche la. Sire Oudinet raifobnant fur cela, Dit: II eft vrai que Tiennette a fur Jeanne Del’avantage, a ce qu’il femble aux gens; Mais le meilleur de la bete, a mon fens, N’eft ce qu’on voit: femmes ont maintes chofes Que je prefere, & qui font lettres clofes; Femmes auffi trompent aflez fouvent; H 3 Ja iig LES TROQUEURS. Ja ne les faut epluclier trop avant. Or fus, voifins, faifons les cbofes nettes. Vous ne voulez chat en poche donner Ni l’un ni l’autre: allons done confronter Vos deux ;moitits, comme Dieu les a faites. ' Inexpedient fut approuve de tous: Trop bien voila Meilieurs les deuxepoux, Qui fur ce point triomphent de s’etendre. Tiennette n’a ni furot ni malandre, Dit Je fecond. Jeanne, dit le premier, A le corps net comme un petit denier; Ma foi e’eft bame. Et Tiennette eft ambroife, Dit fon epoux ; telle je la maintien. L’autre reprit: corripere, tien-toi bien; Tu ne connois Jeanne ma villageoife; Je t’avertis qu’a ce jeu . . . m’entens-tu? L’autre manant jura, par la vertu , Tiennette & moi nous n’avons qu’une noife, C’elt qui des deux y fait de meilieurs tours ; Tu m’en diras quelques'mots dans deux jours: A toi, compere; & de prendre la taffe, Et de tfinquer: allons, fire Oudinet, A Jeanne, top ; puis a Tiennette , maffe: Somme qu’enfin la foute du toilet Fut accordee, & voila marche fait. Notre notaire aiTura l’un & l’autre Que tels traites alioient leur grand cliemin. Sire Oudinet etoit un bon apotre Qui fe fit bien payer fon parchemain. Par qui payer ? Par Jeanne & par Tiennette: II LES TROQUEUES. ii 9 11 ne voulut rien prendre des maris. Les villageois furent tous deux d’avis, Que pour nn temps la chofe fut fecrette; IVlais il en vint au cure quelque vent. II prit aufii fon droit, je m’en allure, Et n’y etois; mais la verite pure Eft que cures y manquent pen fouvent. Le clerc non plus ne fit du fen remife; Fien ne fe perd entre les gens d’Egiife. Les permuteurs ne pouvoient bonnement Executer un pareil changement Dans ce village, a rnoins que de fcandale: Auftl bien-tot l’un & l’autre detale , Et va planter le piquet en un lieu Ou tout fut bien d’abord , moyennant Dieu. C’etoit plaifir que de les voir enfemble. Les femmes meme , a l’envi des maris, S’entredifoient en leurs menus devis: Bon fait troquer, commere, a ton avis? Si nous troquions de valet ? Que t’eu femble? Ce dernier troc, s’il fe ft, fut fecret. L’autre d’abord eut un tres-bon effet. Le premier mois tres-bien ils s’en trouverent: Mais a la fin nos gens fe degouterent. # Compere Etienne, ainfi qu’on pent penfer, Fut le premier des deux a fe laffer; Pleurant Tiennette: il y perdoit fans doute. Compere Gille eut regret a fa foute. Il ne voulut retroquer toutefois. Qu’en avint-il ? Un jour parmi les bois H 4 Etienne 12 © LES TROqUEURS. Etienne vit toute fine feulette Pres d’un ruiffeau fa defunte Tiennette, Qui pa* - hazard dormoit fous la coudrette. II s’approcha l’eveillant en furfaut. Elle du troc ne fe fouvint pour l’heure; Dont le galant, fans plus longue demeure, En vint au point. Bref ils firent le faut. Le conte dit qu’il la trouva meilleure Qu’au premier jour. Pourquoi cela? Pourquoi? Belle demande! en l’amoureufe loi, Pain qu’on derobe & qu’on mange en cachette, Vaut mieuxque pain qu’on cuit, ou qu’on achette, Je m’en rapporte aux plus favans que moi, II faut pourtant que la chofe foit vraie, Et qu’apres tout hymenee & l’amour Ne foient pas gens a cuire en meme four: Temoin l’ebat qu’on prit fous la coudraie. On y fit chere , il ne s’y fervit plat Ou maitre amour, cuifinier delicat, Et plus friand que n’eft maitre hymenee; N’eut mis la main. Tiennette retournee, Compere Etienne, homme neuf en ce fait, Dit a part foi: Gille a quelque fecret; J’ai retrouve Tiennette plus jolie Qu’elle ne fut one en jour de fa vie. Reprenons-la, faifons tour de Normand: Dedifons-nous, ufons du privilege. Voila l’exploit qui trotte incontinent, Aux fins de voir le troc & changement Declare nul, & caffe nettement. Gille LES TRO QUEUES. 1 2 t Gille afligne de fon mieux fe defend. Un promoteur intervient pour le fiege C Epifcopal, & vendique le cas. Grand bruit par tout, ainli que d’ordinaire : Le parlement evoque a foi l’affaire. Sire Oudinet le faifeur de contrats Eft amene : l’on l’entend fur la chofe. Voila l’etat oil l’on dit qu’eft la caufe; Car c’eft un fait arrive depuis peu. Pau vre ignorant que le compere Etienne! Contre fes fins cet homme en premier lieu Va de droit fil; car s’il prit a ce jeu Quelque plaifir, c’eft qu’alors la chretienne N’etoit a lui. Le bon fens vouloit done Que pour toujours il la laiflat a Gille; Sauf la coudraie, oil Tiennette, dit-on, Alloit fouvent en chantant fa chanfon : L’y rencontrer etoit chofe facile ; Et fuppofe que facile ne fut, Falloit qu’alors fon plaifir d’autant crut. Mais allez-moi precher cette doftrine A des manans: ceux-ci pourtant avoient Fait un bon tour, & tres-bien s’entrouvoient Sans le dedit; c’etoit piece aflez fine Pour en devoir l’exemple a d’autres gens. J’ai grand regret de n’en avoir les gands ! 122 y*. V.v-y -vwy. ywv- w ^ -yv^. *w-<- yv ~y^<- -yv ywy • yvy* ■y~ >-*■>-+■<< »>•>-<-<»->-»-<-<• -y»-*-<- ‘y>~<-<-y>--y> ,, y>* ,, <-<- •>->-<-<• >-*-<-<- -y >-> > *■ < -<■ d LE CAS DE CONSCIENCE. J_jes gens du pays des fables L-onnent ordinairement Noms & titres agreables Afl'ez liberalement; Cela ne leur coute guere: Tout leur eft nynaphe ou bergere, Et deefl’e bien fouvent. Horace n’y faifoit faute. Si la fervante de l’hote Au lit de notre homme alloit, C’etoit auffi-tct Hie, ■C’etoit la nymphe Egerie, C’etoit tout ce qu’on vouloit. Dieu, par fa bonte profonde, Un beau jour mit dans le monde Apollon fon ferviteur; Et l’y mit juftement comme Adam le nomenclateur: Lui difant, te voila, nomine. Suivant cette antique loi Nous fommes parrains du Roi, De ce privilege infigne Moi, faifeur de vers indigne , Je pourrois ufer auffi Dans les contes que voici; Et LE CAS BE CONSCIENCE, 123 Et s’il me plaifoit de dire, Au lieu d’Anne, Sylvanire, Et pour Meffire Thomas Le grand druide Adamas , Me mettroit-on a l’amende ? Non: mais tout confidere, Le prefent conte demande Qu’on dil’e Anne & le cure ; Anne, puis qu’ainfi va, paffoit dans Ion village Pour la perle & le parangon. Etant un jour pres d’un rivage, Elle yit un jeune garcon Se baigner nud. La fillette etoit drue, Honnete toutefois. L’objet plut a fa vue. Nuls defauts ne pouvoient etre au gars reproches: Puis des auparavant aime de la bergere, Quand il en auroit eu, l’amour les eut caches; Jamais tailleur n’enfut mieux que luiJa maniere. Anne ne craignoit rien: desfauleslacouvroient, Comme eut fait une jaloufie: CJa & la fes regards en liberte couroient Ou les portoit leur fantailie. CJa & la, c’eft-a-dire aux differens attraits Du garcon au corps jeune & frais, Blanc, poli, bien forme, de taille haute & droite, Digne enfin des regards d’Annette. D’abord une honte fecrette La fit quatre pas feculer, L’amour huit autres avancer: Le fcrupule furvint, & penfa tout gater. Anne 124 LE CAS BE CONSCIENCE . Anne avoit bonne confcience; IVIais comment s’abftenir ? Eft-il quelque defenfe Qui Femporte fur le defir, Qnandle hazard fait naitre un fujet de plaifir? La belle a celui-ci fit quelque refiftance. A la fin ne comprenant pas Comme on peut pecher de cent pas, Elle s’affit fur 1’herbe; & tres-fort attentive Annette la contemplative Regarda de fon mieux. Quelqu’un n’a-t’il point vu Comme on defline fur nature? On vous campe une creature , Une Eve, ou quelque Adam: j’entens un objet nud; Puis force gens affis, comme notre bergere, Font un crayon conforme a cet original. Au fond de fa memoire Anne en fut fort biA faire Un qui ne reflembloit pas mal. Elle y feroit encor, fi Gnillot (c’efl: le fire) Ne fut forti de l’eau. La belle fe retire A propos; Fennemi n’etoit plus qu’a vingtpas, Plus fort qu’a l’ordinaire , & c’eut ete grand cas Qu’apres de femblables idees Amour en fut demeure-la: II contoit pour Fiennes deja Les faveurs qu’Anne avoit gardees. Qui ne s’y fut trompe ? Plus je fonge a cel a, Moins jele puis comprendre. Anne la fcrupuleufe N’ofa, quoi qu’il en foit, le gallon regaler; Ne laifiant pas pourtant de recapituler Les LE CAS DE CONSCIENCE. 125 Les points qui la rendoient encor toute honteufe. Paques vint, & ce fat an nouvel embarras. Anne, faifant paffer fes peches en revue, Comme un paffevolant mit en un coin ce cas; Mais la chofe fat apperque. Le cure Meflire Thomas Sut relever le fait; & comme on le peut croire, En confefleur exact il fit conter l’hiftoire, Et circonftancier le tout fort amplement, Pour en connoirre Pimportance, Puis faire aucunement quadrer la penitence: Chofe on ne doit errer un confeffeur prudent. Celui-ci mal mena la belle. Etre dans fes regards a tel point fenfuelle ! C’eft, dit-il, un tres-grand peche. Autant vaut F avoir vu que de l’avoir touche. Cependant la peine impofee Fut a fouffrir affez aifee. Je n’en parlerai point; feulement on faura Que Meilieurs les cures, en tous ces cantons-la , Ainfi qu’au notre, avoient des devots & devotes, Qui pour l’examen de leurs fautes Leur payoien un tribut: qui plus, qui morns, felon Que le compte a renche etoit long. Du tribut de cet an' Anne etant foucieufe, Arrive que Guillot peche un brochet fort grand: Tout aulfi-tot le jeune amant Le donne a fa maitrefle; elie toute joyeufe Le va porter du meme pas Au cure Meilire Thomas. II 126 LE CAS DE CONSCIENCE. II reyoit le prefen t, II l’admire, & le drole D’un petit coup fur l’epaule La fiUette regala, Lui fourit, lui dit: Voila Won fait; joignant a cela D’autres _petifes affaires. C’etoit jour de caiende, *) & nombre de confreres Devoient diner chez lui. Voulez-vous double¬ men t M’obliger? dit-il a la belle ; Accommodez chez-vous ce poiffon promptement, Puis l’apportez incontinent; Ma fervante ell un peu nouvelle. Anne court; & voila les pretres arrives: Grand bruit, grand cohue,en cave onfe tranfporte. Aucuns des vins font approuves: Chacun en raifonne a fa forte. On met fur table, & le doyen Prend place, en faluant toute la compagnie. Raconter leurs propos feroit chofe infinie; Puis le 1 ectenr s’en doute bien. On permuta cent fois , fans permuter pas une. Santes, Dieu fait combien: chacun a fa chacune But en faifant de l’oeil, nulfcandale: on fervit Potage, menus mets, & meme jufqu’au fruit Sans que le brochet vint: tout le diner s’acheve ' Sans *) C'ejl un jour de chaque mois ou tons les cures da diocefe s’ ajfemblent , four conferer enfemble fur des mu- tier es de religion , chez quelqu’un d'eux qui leur don- ne a diner. LE CAS DE CONSCIENCE. 121 Sansbrochet; pasunbrin. Guillot fachant ce don L'avoit fait retracler pour plus d’une raifon. Legare de brocbet la troupe enfin fe leve. Qui fut bien etonne? Qu’on le juge. li alia Dire ceci, dire ceia A Madame Anne le jour meme; L’appella cent fois fotte, & dans fa rage ex¬ treme ' Lui penfa rep'rccher 1’aventure du bain. Traiter votre cure, dit-il , comme un coquin! Pour qui nous prenez-vous? Pafteurs font-ce canailles ? Alors par droit de reprefailles, Anne dit an pretre outrage: Autant vaut 1’avojr vu, que de favoir mange. LE D 1 ABLE DE P A PE FI G UIE R E. Francois dit que Papimanie Eft un pays , oix les gens font heureux, Le vrai dormir ne fut fait que pour eux: Nous n'en avons ici que la copie. Et par faint Jean, ft Dieu roe prete vie, Je le verrai ce pays oil l’on dort: On y fait plus, on n’y fait nulle chofe: C’eft un emploi que je recherche encor: Ajou- 128 LE D1ABLE Ajoutez-y quelque petite dofe D’amour honnete, & puis me voila fort Tout au rebours, il eft une province o Oil ies gens font ha'is, maudits de Dieu. On les connoit a leur vifage mince , Le long dormir eft exclus de ce lieu: Partant, lecteurs, ft quelqu’un fe prefente A vos regards, ayant face riante, Couleur vermeille , & vifage replet, Taille non pas de quelque mingrelet, Dire pourrez, fans que l’on vous condamne: Cettui me femble a le voir Papimane. Si d’autre part celui que vous verrez N’a l’ceil riant, le corps rond, le teint frais, Sans hefiter, qualifiez cet homme Papefiguier. Papefigue fe nomme L’isle & province ou les gens autrefois Firent la figue au portrait du faint Pere: Punis en font, rien chez eux ne profpere: Ainft nous Pa conte maitre Franqois. L’isle fut lors donnee en appanage A lucifer, c’eft fa maifon des champs. On voit couvir par-tout cet heritage Ses commenceaux, rudes a pauvres gens, Peuple ayant queue, ayant cornes & griffes, Si maints tableaux ne font point apocryphes. Advint un jour qu’un de ces beaux Meffieurs Vit un manant rufe, des plus trompeurs, Verfer un champ dans l’isle deffufdite. *') Rabelais. Bien DE PJPEF 1 GUIERE. 129 Bien paroiffoit la terre etre maudite, Car le manant avec peine & fueur La retournoit, & faifoit fon labeur. Survint un diable, a titre de feigneur. Ce diable etoit des gens de l’Evangile, Simple, ignorant, a tromper tres-facile, Bon gentil-homtne, & qui dans fon courroux N’avoit encor tonne qne fur les choux: Plus ne favoit apporter de dommage. Vilain , dit-il, vaquer a nul ouvrage N’elt mon talent: je fuis un diable iffu De noble race, & qui n’a jamais fu Se tourmenter ainli que font les autres. Tu fais , vilain, que tous ces champs fontn6tres. 11s font a nous devolus par l’edit Qui mit jadis cette isle en interdit. Vous y vivez deffous notre police. Partant, vilain, je puis avec juftice M’attribuer tout le fruit de ce champ: Mais je fuis bon, & veux que dans un an Nous partagions fans noife & fans querelle. Quel grain veux-tu repandre dans ces lieux? Le manant dit: Monfeigneur, pour le mieux Je crois qu’il faut les couvrir de touzelle; Car c’eft un grain qui vient fort aifement. Je ne connois ce grain-la nullement, Dit lelutin; comment dis-tu ? Touzelle? Memoire n’ai d’aucun grain qui s’appelle De cette forte : or emplis-en ce lieu: Touzelle foit, touzelle de par Dieu; Tome II. I J’en LE DI ABLE 130 J’en fuis content. Fais done vite , &travaille, Manant, travaille, & travaille, vilain; Travailler eft ie fait de Ja canaille; Ne fattens pas que je faide un leul brin; Ni qne par moi ton labeur fe confomme; Je fai ja dit que j’etois gentilhomme: Ne pour chommer, &: pour lie rien iavoir, Yoici comment ira notre partage. Deux lots feront; dont l’un , e’eft a favoir Ce qui hors terre & deffus l’heritage, Aura pouffe, demeurera pour toi; L’autre dans terre eft referve pour moi. L’out arrive, la touzelle eft free, Et tout d’un temps fa racine arrachee, Pour fatisfaire au lot du diableteau. II y croyoit la femence attachee, Et que 1’epi non plus que le tuyau N’etoit qu’une herbe inutile & fechee. Le laboureur vous la ferra tres-bien. L’autre au marclie porta fon chaume vendre; On le hua, pas un n’en ofi'rit rien: Le pauvre diable etoit pret a fe pendre. II s’en alia chez fon compartageant: Le dr61e avoit la touzelle vendue, Pour le plus fur, en gerbe & non battue, Ne manquant pas de bien cacher l’argent. Bien le cacha; le diable en fut la dupe. Coquin, dit-il, tu.m’as joue d’un tour: C’eft ton metier : je fuis diable de cour, Qui DE PAPEFIGUIERE. 13 Qui comme vous a tromper ne nt occupe. Quel grain veux-tu femer pour l’an prochain? Le manant dit: Je crois qu’au lieu de grain Planter me faut ou navets ou carottes, Vous enaurez, Moni'eigneur, pleines hottes; Si mieux n’aimez raves dans la faifon. Raves, navets, carottes: tout eft bon, Dit le lutin: mon lot fera hors terre; Le tien dedans. Je ne veux point de guerre Avecque toi, ii tu ne m’y contrains. Je vais tenter quelques jeunes nonnains. L’auteur ne dit ce que firent les nonnes. Lc temps venu de recueillir encor, Le manant prend raves belles & bonnes, Feuilles fans plus tombent pour tout trefor Au diableteau, qui l’epaule chargee Court au marche. Grande fut la rifee: Chacun lui dit Ion mot cette fois-la. Monfteur le diable, oil croit cette denree? Ou mettrez-vous ce qu’on en donnera? Plein de courroux & vuide de pecune , Leger d’argent, & charge de rancune, II va trouver le manant, qui rioit Avec fa femme, & fe folacioit. Ah! par la mort, par le fang, par la tete , Dit le demon, il le payra parbieu. Vous voiei done, Phlipot la bonne bete; Cja, qa galons-le en enfant de bon lieu: Mais il vaut mieux remettre lapartie: J’ai fur les bras une Dame jolie 132 LE DIABLE A qui je dois faire franchir le pas. Eile le veut, & puis ne le veut pas. L’dpoux n’aura dedans la confrerie Si-t6t un pied, qu’a vous je reviendrai, Maitre Phlipot, & tant vous galerai Que ne jouerez ces tours de votre vie. A coups de griffe il faut que nous voyons Lequel aura de nous deux belle amie, Et jouira du fruit de ces fillons. Prendre pourrois d’autorite llipreme Touzelle & grain, champ & rave, enfin tout Mais je les veux avoir par le bon bout, N’efperez plus ufer de llratageme. Dans huit jours d’hui je fuis a vous, Phlipot; Et touchez-la, ceci fera mon arme. Le villageois etourdi du vacarme, Au farfadet ne put repondre un mot. Perrette en rit, c’etoit fa menagere, Bonne galande en toutes les famous, Et qui fut plus que garder les moutons, Tant qu’elle fut en age de bergere. Elle lui dit: Phlipot, ne pleure point: Je veux d’ici renvoyer de tout point Ce diableteau : c’eft un jeune novice Qui n’a rien vu. Je t’eu tirerai hors: Mon petit doigt fauroit plus de malice, Si je voulois, que n’en fait tout fon forps. Le jour venu, Phlipot, qui n’etoit brave , Se va cacher, non point dans une cave, Trop bien va-t-il fe plonger tout entier DE PAPEFIG UIERE. i33 Dans un profond & large benitier. Aucun demon n’eut fu par ou le prendre, Tant fut fubtil; car d’etoles , dit-on , 11 s’affubla le chef, pour s’en defendre, S’etant plonge dans l’eau jufqu’au menton. Or le laiffons, il n’en viendra pas faute. Tout le clerge chante autour a voix haute, Vade retro. Perrette cependant Eft au logis le lutin attendant. Le lutin vient: Perrette echevelee Sort, & fe plaint de Phlipot, en criant: Ah , le bourreau , le traitre, le mechant! II m’a perdue, il m’a toute affolee. Au nom de Dieu Monfeigneur, fauvez-vous, A coups de griffe il m’a dit en courroux, Qu’il fe devoit contre votre excellence Battre tantdt, • & battre a toute outrance: Pour s’eprouver le perfide m’a fait Cette balafre. A ces mots au follet Elle fait voir. . . Et quoi ? Chofe terrible. Le diable en eut une peur tant horrible, Qu’il fe figna, penfa prefque tomber; One n’avoit vu, nelu, n’oui eonter Que coups de griffe euffent femblable forme. Bref, auili-tot qu’il apperqut l’enorme Solution de continuite, Il demeura fi fort epouvante, Qu’il prit la fuite & laijffa la Perrette. Tous les voifins chommerent la defaite De ce demon: le clerge ne fut pas Des plus tardifs a prendre part au cas. FE- F E R 0 N D E i34 F E R O N D E ou LE PUR GATOIRE. . 'SJ 'ers le Levant le vieil de la Montagne Se rendit craint par un moyen nouveau. Craint n’etoit-il pour l’immenfe campagne Qu’il poffedat, ni pour aucun monceau D’or ou d’argent; mais parce qu’au cerveau De fes fujets il imprimoit des cliofes Qui de maint fait courageux etoient caufes. II choiliffoit entr’eux les plus hardis; Et leur faifoit donner du Paradis Un avant gout a leurs fens perceptible, Du Paradis de fon legislateur. Rien n’en a dit ce prophete menteur, Qui ne devint tres-croyable & fenfible A ces gens-la. Comment s’y prenoit-on ? On les faifoit boire tous de fagon , Qu’ils s’enyvroient, perdoient fens & raifon, En cet etat, priVes de connoiffance, On les portoit en d’agreables lieux, Ombrages frais , jardins delicieux. La fe trouvoient tendrons en abondance, Plus que mailles, & beaux par excellence , Chaque reduit en avoit a couper. Si OU LE PURGATOIRE. 135 Si fe venoient joliment attrouper Pres de ces gens, qui, leur boiffon cuvee, S’emerveilloient de voir cette cout*ee ; Et fe croyoient habitans devenus Des champs heureux qu’alligne a fes elus Le faux Mahom. Lors de faire accointance, Turcs d’approcher , tendrons d’entrer en danfe; Au gazouillis des ruiifeaux de ces bois, An fon des luts accompagnant les voix Des roffignols: il n’eft plaifir au monde Qu’on ne goutat dedans ce Paradis: Les gens trouvoient en fon charmant pouvpris Les meilleurs vins de la machine ronde ; Dont ne manquoient encor de s’enyvrer, Et de leurs fens perdre l’entier ufage. On les faifoit auffl-tfit reporter Au premier lieu. De tout ce tripotage Qu’arrivoit-il ? Us croyoient fermement Que quelque jour de femblables delices Les attendoient, pourvu que hardiment, Sans redouter la mort ni les fupplices, Us fiffent chofe agreable a Mahom, Servant leur prince en toute occafion. Par ce moyen leur prince pouvoit dire Qu’il avoit gens a fa devotion Determines,- & qu’il n’etoit empire Plus redoute que le fien ici bas. Or ai-je ete prolixe fur ce cas, Pour confirmer l’hiftoire de Feronde. Feronde etoit un fot de par le monde, 14 Riche 136 F E R 0 N D E Riche manant, ayant foin du tracas, Dixmes, & cens, revenus, & menage D’un abbe blanc. J’en fais de ce plumage Qui valent bien les noirs a mon avis, En fait que d’etre aux maris fecourables, Quand forte tache ils ont en leur logis, Si qu’il y faut moines & gens capables. Au lendemain celui-ci ne fongeoit, Et tout fon fait des la veille mangeoit, Sans rien garder, non plus qu’un droit Apotre; N’ayant autre ceuvre, autre emploi, penfer autre, Que de chercher ou giffoient les bons vins, Les bons morceaux, & les bonnes commeres, Sans oublier les gaillardes nonnains, Dont il faifoit peu de part a fes freres. Feronde avoit un joli chaperon Dansofon logis, femme fienne, & dit-on Que parentelle etoit entre la Dame Et notre abbe; car fon predeceffeur Oncle & parrain, dont Dieu veuille avoir 1’ame, En etoit pere, & la donna pour femme A ce manant, qui tint a grand honneur De l’epoufer, chacun fait que de race Communement fille batarde chafie : Celle-ci done ne fit mentir le mot. Si n’etoit pas l’epoux homme fi fot, Qu’il n’en eut doute, & ne vit en 1’affaire. Un peu plus clair qu’il n’etoit neceffaire. Sa femme alloit toujours chez le prelat; Et pretextoit fes allees & venues Des OU LE PURGjI TOIRE. i 37 Des foins divers de cet economat. Eile alleguoit milie affaires mennes. C’etoit un compte, on c’etoit un achat; C’etoit un rien; tant peu plaignoit fa peine. Bref, il n’etoit nul jour en la femaine, Nulle heure au jour, qu’on ne vit en ce lieu La receveufe. Alors le pere en Dieu Ne manquoit pas d’ecarter tout fon monde: Mais le mari, qui fe doutoit du tour, Rompoit les chiens, ne man qu ant au re tour D’impofer mains fur Madame Feronde. One il ne fut un moins commode epoux. Efprits ruraux volontiers font jaloux, Et fur ce point a chauffer difficiles, N’etant pas faits aux coutumes des villes. Monlieur l’abbe trouvoit cela bien dur, * Comme prelat qu’il etoit, partant homme Fuyant la peine, aimant le plaifir pur, Ainli que fait tout bon fuppot de Rome. Ce n’eft mon gout, je ne veux de plain faut Prendre la ville, aimant mieux l’efcalade; En amour da; non en guerre: il ne faut Prendre ceci pour guerriere bravade, Ni m’enroler la-deffus malgre moL Que l’autre ufage ait la raifon pour foi, Je m’en rapporte, & reviens a l’hiftoire Du receveur qu’on mit en Purgatoire Pour le guerir, & void comme quoi. c Par le moyen d’uite poudre endormante L’abbe le plonge en un tres-iong fommeil. I 5 0n 138 F E R 0 N D E On le croit mort, on l’enterre, I’on chanter II eft furpris de voir a fon re veil Autour de lui gens d’etrange maniere: Car il etoit au large dans fa biere, Et fe pouvort lever de ce tombeau, Qui conduifoit en un profond caveau. D’abord la peur fe failit de notre homme. Qu’eft-ce cela? Songe-t-il? Eft-il mort? Seroit-ce point quelque efpece de fort ? Puis il demande aux gens comme on lesnomme,, Ce qu’ils font-la, d’ou vient que dans ce lieu L’on le retient, & qu’a-t-il fait a Dieu ? L’un d’eux lui dit: Confole-toi, Feronde, Tu te verras citoyen du haut monde Dans mille ans d’hui complets & bien comptes. AuparaVant il faut d’aucuns pechos Te nettoyer en ce faint Purgatoire. Ton ame un jour plus blanche que l’yvoire En fortira. L’ange confolateur Donne a ces mots au pauvre receveur Unit ou dix coups de forte difcipline, En lui difant: C’eft: ton humeur mutine, Et trop jaloufe, & deplaifr.nte a Dieu, Qui te retient»pour milie ans en ce lieu. Le receveur s’etant frotte l’epaule, Faitun foupir: Mille ans, c’eft bien du temps! Vous noterez que l’ange etoit un drole, Un fro re Jean novice de leans. Ses compagnons jouoient chacun un r61e Pareil au lien deflbus un feint habit. Le OU LE PURGATOIRE. 139 Le receveur requiert pardon, dit: Las! fi jamais je rentre dans la vie, Jamais foupqon, ombrage & jaloufie Ne rentreront dans mon maudit efprit: Pourrois-je point obtenir cette grace? On la lui fait efperer; non fi-t6t: Force eft qu’un an dans ce fejour fe paffe; La cependant il aura ce qu’il faut Pour fubftenter fon corps; rien da vantage; Quelque grabat, du pain pour tout potage; Vingt coups de fouet chaque jour, ft 1’abbd, Comine prelat rempli de charite, N’obtient du ciel qu’au moins on lui remette, Non le total des coups, mais quelque quart, Voire moitie, voire la plus grand’ part. Douter ne faut qu’il ne s’en entremette , A ce fujet difant mainte oraifon. L’ange en apres lui fait un long fermon. A tort, dit-il, tu conqus du foup^on. Les gens d’Eglife ont-ils de ces penfees ? Un abbe blanc! C’eft trop d’ombrage avoir; II n’echerroit que dix coups pour un noir. Dtfais-toi done de tes erreurs paffees. II s’y refout. Qu’eut-il fait? Cependant Sire prelat & Madame Feronde Ne laifient perdre un feul petit moment. Le mari dit: Que fait ma femme au monde? Ce qu’elle y fait? Tout bien: notre prelat L’a confolee, & ton economat S’en va fon train, toujours a l’ordinaire. Dans 140 FE R 0 N D E Dans ]e couvent tonjours a-t-e!le affaird? Ou done ? II faut qu’ayant feule a prefent Le faix entier fur foi, la pauvre femme, Bongre malgre leans aille fouvent, Et pins encor que pendant ton vivant. Un tel difeours ne plaifoit point a Fame. Ame j’ai cru le devoir appeller, Ses pourvoyeurs ne le faifant manger Ainfi qu’un corps. Un mois a cette epreuve Se paffe entier, lui jeunant, & 1’abbe Multipliant oeuvres de charite, Et mettant peine a confoler la veuve. Tenez pour fur qu’il y fit de fon mieux. Son foin ne fut long-temps infru&ueux: Pas ne femoit en une terre ingrate. Pater Abbas , avec jufte fujet, Apprehenda d’etre pdre en effet. Comme il n’eft bon que telle chofe eclate, Et que le fait ne puifle etre nie, Tant & tant fut par fa paternite Dit d’oraifons, qu’on vit du Purgatoire L’ame fortir, legere, & n’qyant pas Once de chair. Un fi merveilleux cas Surprit les gens. Beaucoup ne vouloient croire Ce au’ils voyoient. L’abbe pafla pour faint. L’epoux pour fien le fruit pofthume tint, Sans autrement de calcul ofer faire. Double miracle etoit en cette affaire, Et la groflefie, & ie retour du mort. On en chanta Te Dcum a renfort. Steri- OU LE PUR G A TO IRE. 141 Sterilite regnoit en manage Pendant cet an, & me me au voifinage De l’abbaye, encor bien que leans On fe vouat pour obtenir enfans A tant laiiTons l’econome & fa femme; Et ne foit dit que nous autres epoux Nous mentions ce qu’on fit a cette ame , Pour la guerir de fes foupqons jaloux. xit'Tx&f r&'rjp&v jr&r;r‘&T;r&T 7r%T-Jrff*. LE PSEAUT1ER. J_ ^ onnes, foufFrez pour la derniere fois Qu’en ce recueil malgre moi je vous place. De vos bons tours les contes ne font froids, Leur aventure a ne fais quelle grace Qui n’eft. ailleurs : ils emportent les voix. Encore un done, & puis e’en feront trois. Trois ? Je faux d’un; e’en feront au moins quatre. Comptons-ies bien. Mazet le compagnon; L’abbeffe ayant befoin d’un bon garqon Pour la guerir d’un mal opiniatre ; Ce conte-ci qui n’eft le moins fripon; Quant a foeur Jeanne ayant fait un poupon, Je ne tiens pas qu’il le faille rabattre. Les voila tous: quatre e’eft compte rond. Vous me direz; e’eft une etrange affaire, Que nous ayons tant de part en ceci. Que voulez-vous ? Je n’y faurois que faire, Ce 142 LE PSEAUTIER. Ce n'elt pas moi qui le fouhaite ainfi. Si vous tdniez. toujours votre breviaire, Vous n’auriez rien a deraeler ici. Mais ce n’eft pas votre plus grand fouci. Pafl'ons done vxte a la prefente hiftoire. Dans un couvent de nonnes frequentoit Un jouvenceau friand, comme on pent croire, De ces oifeaux. Telle pourtant prenoit Godt a le voir , & des yeux le couvoit, Lui fourioit, faifoit la complaifante, Et fe difoit fa tres-humble fervante, Qui pour cela d’un feul point n’avanqoit. Le conte dit que leans il n’etoit Vieille ni jeune , a qui le perfonnage Ne fit fonger quelque chofe a part foi. Soupirs trottoient; bien voyoit le pourquoi, Sans qu’il s’en mit en peine davantage. Soeur Ifabeau feuje pour fon ufage Eut le galant: elle le meritoit, Douce d’bumeur, gentille de corfage; Et n’en etaut qu’si fon apprentiflage, Belle de plus. Ainfi l’on l’envioit Pour deux raifons ; fon amant, & fes charmes. Dans fes amours chacune l’epioit; Nul bien fans mal, nul plaifir fans alarmes: Tant & fi bien l’epierent les feeurs, Qu’une nuit fombre & propre a ces douceurs Dont on confie aux ombres le myftere, En fa cellule on ouit certains mots, Cer- LE PSEA UTIER. i43 Certaine voix , enfin certains propos Qui 11 ’etoient pas fans doute en fon breviaire. C'eft le galant, ce dit-on, il eft pris. Et de courir, l’alarme eft aux efprits: L’eflaim fremit, fentinelle fe pofe. On va conter en triomphe la chofe A mere abbeffe; & heurtant a grands coups , On lul cria : Madame , levez-vous : Sceur Il’abelle a dans fa chambre un liomme. Vous noterez que Madame n’etoit En oraifon, ni ne prenoit fan fomme : Trop bien alors dans fon lie elie avoit Melfire Jean , cure du voifmage. Pour ne donner aux feeurs aucun ombrage, Elle fe leve, en hate, etourdiment, Cherche fon voile, & malheureufement Defl'ous fa main tombe du perfonnage Le haut de-chaufle afi'ez bien reflemblant, Pendant la nuit quand on n’eft eclairee, A certain voile aux nonnes familier, Nomme pour lors entr’elles le pfeautier. La voila done de gregnes affublee. Ayant fur foi ce nouveau couvre-chef, Et s’etant fait raconter de rechef Tout le catus , elle fit l’irritee: Voyez un peu la petite effrontee, Fille du diable, & qui nous gatera Notre couvent: 11 Dieu plait, ne fera: S'il plait a Dieu bon ordre s’y mettra: Vous la verrez tantot bien cliapitree. Cha- 1 44 LE PSEAUTIER. Chapitre done, puifque chapitre y a , Fut afiemble. Mere abbeffe entouree De fon fenat, fait venir Ifabeau, Qui s’arrofoit de pleurs tout le vifage, Se fouvenant qu’un maudit jouvenceau Venoit d’en faire un different ufage. Quoi, dit l’abbefte, un horome dans ce lieu ! Un tel fcandale en la maifon de Dieu! N’etes-vous point morte de honte encore ? Qui nous a fait recevoir parmi nous Cette voirie? Ifabeau, favez-vous (Car deformais qu’ici l’on vous honore Du nom de foeur, ne le pretendez pas) Savez-vous, dis-je, a quoi dans un tel cas Notre inftitut condamne une mechante ? Vous l’apprendrez devant qu’il foit demain. Parlez, parlez. Lors la pauvre nonnain , Qui jufques-la confufe & repentante N’ofoit branler, & la vue abailfoit, Leve les yeux ; par bonheur appercoit Le haut-de-chauiTe, a quoi toute la bande, Par un effet d’emotion trop grande, N’avoit pris garde, ainfi. qu’on voit l'ouvent. Ce fut hazard qu'Ifabelle a l’inftant S’en apperqut. Auifi-t6t la pauvrette Reprend courage; & dit tout doucement: Votre pfeautier a ne fais quoi qui pend; Racommodez-le. Or e’etoit Peguillette : Affez fouvent pour bouton l’on s’en fert. D’ailleurs ce voile avoit beaucoup de Pair D'un LE PSE A U TIER. MS D’un haut de chauffe: & la jeune nonnette Ayant l’idee encor fraiche des deux, Ne s’y meprit. Non pas que le Melfire Eut chauffe faite ainii qu’un amoureux: Mais a peu-pres; cela devoit fuffire. L’abbefl’e dit: Elle ofe encore rire ! Quelle infolence! Un peche li honteux Ne la rend pas plus humble & plus foumife! Veut-elle point que l’on la canonife? Laiflez mon voile, efprit de lucifer: Songez , fongez, petit tifon d’enfer, Comme on pourra raccommoder votre ame. Pas ne finit mere abbefl'e fa gamme, Sans fermoner & tempeter beaucoup. Soeur Ifabeau lui dit encore un coup: Raccommodez- votre pfeautier, Madame. Tout le troupeau fe met a regarder. Jeunes de rire , & vieilles de gronder: La voix manquant a notre fermoneufe, Qui de fon troc bien fachee & honteufe, N’eut pas le mot a dire en ce moment; L’efl'aim fit voir par fon bourdonnement, Combien rouloient de diverfes penfees Dans les efprits. Enfin fabbefie dit: Devant qu’on eut tant de voix ramafi'ees, II feroit tard. Que chacune en fon lit S’aille remettre. A demain toute chofe. Le lendemain ne fut tenu, pour caufe, Aucun chapitre; & le jour enfuivant Tout auffi peu. Les Pages du couvent Tom. II. K Furent 146 LE ROI CANDAULE Furent d’avis que l’on fe devoit taire; Car trop d’eciat eut pu nuire au troupeau. On n’en vouloit a la pauvre Ifabeau, Que par envie. Ainli n’ayant pu faire, Qu’elle lachat aux autres le morceau, Chaque nonnain, faute de jouvenceau, Songe a pourvoir d’ailleurs a fon affaire. Les vieux amis reviennent de plus beau. Par preciput a notre belle on laiffe Le jeune fils , le pafteur a l’abbeffe; Et Funion alia jufques au point, Qu’on en pretoit a qui n’en avoit point. v>—<-4- >»>-<-<• •>->■ yr » m <» • >*-*-<- ->->->->■ y*- •>->■ <•<• •>•*-»-<■ LE ROI CANDAULE, E T LE M A IT RE EN DROIT. jporce gens ont ete l’inffrumt nt de leur mal: Candaule en eft un temoignage. Ce Roi fut en fottife un trds-grand perfonnage, II fit pour Gyges fon vaffal / Une galanterie imprudente & peu fage. Vous voyez, lui dit-il, le vifage charmant, Et les traits delicats dont la Reine cft.pourvue: Je vous jure ma foi que l’accompagnement Eft d’un tout autre prix, & pafle infiniment; Ce ET LE MAITRE EN DROIT. 147 Ce n’eft rien qui ne l’a vue Toute nue. Je vous la veux montrer, fans qu’elle en fache rien; Car j’en fais un tres-bon moyen: Mais a condition; vous m’entendez fort bien, Sans que j’en dife davantage; Gyges , il vous faut etre fage, Point de ridicule delir. Je ne prendrois pas de plailir Aux voeux impertinens, qu’une amour fotte & vaine Vous feroit faire pour la Reine. Propofez-vous de voir tout ce corps li char- mant Comme un beau marbre feulement. Je veux que vous difiez que l’art, que la penfee, Que mdme le fouhait ne peut aller plus loin. Dedans le bain je fai laiiYee: Vous etes connoifl'eur, venez etre temoin De ma felicite fupreme. Ils vont. Gyges admire. Admirer, c’eft trop peu; Son etonnement eft extreme. Ce doux objet joua foil jeu: Gyges en fut emu, quelque effort qu’il put faire. II auroit voulu fe taire, Et ne point temoigner ce qu’il avoit fenti; Mais fon filence eut fait foupconner du myftere: L’exageration fut le meilleur parti II s’en tient done pour averti; H 2 Et i 4 8 LE ROI CANDA ULE, Et fans faire le fin, le froid, ni le modefte, Chaque point, chaque article, eut fon fait, fut loue. Dieux! difoit-il au Roi, quelle felicite ! Le beau corps! le beau cuir! O ciel! & tout le refte De ce gaillard entretien La Rein® n’entendit rien; Elle l’efit pris pour outrage: Car en ce fiecle ignorant Le beau fexe etoit fauvage, II ne l’eft plus maintenant, Et des louanges pareilles De nos Dames d’a prefent N’ecorchent point les oreilles. Notre examinateur foupiroit dans fa peau. L’emotion croiffoit, tant tout lui fembloit beau. Le Prince s’en doutant, l’emmena; mais fon ame Emporta cent traits de flamme. Chaque endroit lanqa le lien. Helas! fuir n’y fert de rien: Tourmens d’amour font fi bien Qu’ils font toujours de la fuite. Pres du prince, Gyges eut afiez de conduite: Mais de fa paffion la Reine s’apperqut: Elle fut L’origine du mal: le Roi pretendant rire, S’avifa de lui tout dire. Ignorant! favoit-il point Qu’une Reine fur ce point N’ofe ET LE MAITRE EN DROIT. 149 N’ofe entendre raillerie? Et fuppofe qu’en fon cceur Cela lui plaife , elle rie. II lui faut pour fon honneur Contrefaire la furie. Celle-ci le fut vraiment, Et referva dans foi-meme, De quelque vengeance extreme Le defir tres-vehement. Je voudrois pour un moment, Lefteur, que tu fuiTes femme: Tu ne faurois autrement Concevoir, jufqu’ou la Dame Porta fon fecret depit. Un mortel eut le credit De voir de ft belles chofes, A tous mortels lettres clofes! Tels dons etoient pour des dieux, Pour des Rois, voulois-je dire, L’un & Fautre y vient de cire; Je ne fais quel eft le mieux. Ces penfers incitoient la Reine a la vengeance. Honte, depit, conxroux, fon cceur employa tout. Amour meme, dit-on fut de l’intelligence: De quoi ne vient-il point a bout? Gyges etoit bien fait; on l’excufa fans peine: Sur le montreur d’anpas tomba toute la haine. II etoit mari; c’eft fon mal; Et les gens de ce caractere Ne 150 LE ROI CANDAULE, Ne fauroient en aucune affaire Commettre de peche qui ne foit capital. Qu’eft-ii befoin d’ufer un plus ample prologue? Voila le Roi ha'i, voila Gyges aime, Voila tout fait & tout forme Un epoux du grand catalogue: Dignite peu briguee & qui fleurit pourtant. La fottile du Prince etoit d’un tel merite, Qu’il fut fait in petto confrere de Vulcan; De-la jufqu’au bonnet la diftance eft petite. Cela n’etoit que bien ; mais la parque maudite Fut auffi de l’intrigue: & fans perdre de temps, Le pauvre Roi par nos amans Fut depute vers le Cocite. On le fit trop boire d’un coup: Quelquefois, helas! c’eft beaucoup. Bien-tot un certain breuvage Lui fit voir le noir rivage, Tandis qu’aux yeux de Gyges S’etaloient de blancs objets: Car fut-ce amour, fut-ce rage, Bien-tot la Reine le mit Sur le trdne & dans fon lit Mon deftein n’etoit pas d’etendre cette hiftoire: On la favoit aflez ; mais je me fais bon gre; Car 1’exemple a tres-bien quadre: Mon texte y va tout droit: meme j’ai peine a croire Que le docteur en loix dont je vais difcourir, Puiffe ET LE MA 1 TRE EN DROIT 151 Puiffe mieux que Candaule a mon but concourir. Rome pour ce coup-ci me fournira la fcene: Rome, non celle-la que les moeurs du vieux temps Rendoient trifle, fevere , incommode aux galants, Et de fottes femelles pleine; Mais Rome d’aujourd’hui , fejour charmant & beau, Oil l’on fuit un train plus nouveau. Le plailir eft la feule affaire Dont fe piquent fes habitans. Qui n’auroit que vingt ou trente ans Ce feroit un voyage a faire. Rome done eut n’aguere un maitre dans cet art Qui du tien & du mien tire fon origine; Homme qui hors de la faifoit le goguenard; Tout pal'toit par fon etamine: Aux depens du tiers & du quart II fe divertiffoit. Advint que le legifte. Parmi fes ecoliers, dont il avoit toujours Longue lifte, Eut un Francois moins propre a faire en droit un cours Qn’en amours. Le dofteur un beau jour le voyant fombre & trifle, Lui dit: Notre feal, vous voila de relais; Car vous avez la mine, etant hors de l’ecole, De ne lire jamais Bartole. H 4 Que i 5 » LE ROI CANDAULE, Que ne vous pouffez-vous ? Un Francis etre ainfi Sans intrigue & fans amourettes! Vous avez des talens, nous avons des coquettes, Non pas pour une, Dieu merci. L’etudiant reprit: Je fuis nouveau dans Rome: Et puis, hors les b'eautes qui font plaifir aux gens Pour la fomme, Je ne vois pas que les galants Trouvent ici beaucoup a faire. Toute maifon eft monaftere: Double porte, verroux, une matrone auftere, Un mari, des Argus. Qu’irai-je, a votre avis, Chercher en de pareils logis ? Prendre la lune aux dents, feroit moins difficile. Ha, ha, la lune aux dents, repartit le dofteur, Vous nous faites beaucoup d’honneur. J’ai pitie de gens neufs comme vous; notre ville Ne vous eft pas connue, autant que je puis voir, Vous croyez done qu’il faille avoir Beaucoup de peine a Rome en fait que d’aven- tures ? Sachez que nous avons ici des creatures, Qui feront leurs maris cocus Sur la mouftache des Argus. La chafe eft chez nous tres-commune: Temoignez feulement que Vous cherchez fortune. Placez-vous dans l’eglife aupres du benitier. Prefentez fur le doigt aux Dames l’eau facree: C’eft ETLE MA1TRE EN DROIT 153 C’eft d’amourettes les prier. Si l’air du fuppliant a quelque Dame agree, Celie-la fachant fon metier, Vous envoira faire un mefl’age. Vous ferez deterre, logeaffiez-vous en lieu Qui ne fut connu que de Dieu. Une vieille viendra, qui, faite au badinage, Vous faura menager un fecret entretien: Ne vous embarraflez de rien. De rien ? C'eft un peu trop ; j’excepte quelque chofe : 11 eft bon de vous dire en paffant, notre ami, Qu’a Rome il faut agir en galant & demi. En France on peut conter des fleurettes, l’on caufe : Id tous les momens font chers & precieux. Eomaines vont au but. L’autre reprit : Tant mieux. Sans etre Gafcon, je puis dire Que je fuis un merveilleux lire. Peut-etre ne l’etoit-il point; Tout homme eft Gal’con fur ce point. Les avis du docteur furent bons. Le jeune homme Se campe en une Eglife, oil venoit tous les jours La fleur & Felite de Rome, Des Graces, des Venus, avec un grand ccncours D’Amours. C’eft-a-dire en chretien,beaucoup d’anges femelles. Sous leur voile brilloient des yeux pleins d’e- tincelles. K 5 Beni 154 LE ROI CANDAULE, Benitier, le lieu faint n’etoit pas fans cela. Notre homme en choifit un, chanceux pour ce point-la; A chaque objet qui paffe adoucit fes prunelles: Reverences, le drole en faifoit des plus belles, Des plus devotes: cependant 11 offroit l’eeu luftrale. Un ange entre les autres En prit de bonne grace. Alors l’etudiant Dit en fon coeur: elle eft des notres. 11 retourne au logis; vieille vient; rendez-vous. P’en conter le detail, vous vous en doutez tous. 11 s’y fit nombre de folies. La Dame etoit des plus jolies, Le paffe-temps fut des plus doux. II le conte au dofteur. Difcretion Franfoife Eft chofe outre nature, & d’un trop grand effort. Diffitnuler un tel tranfport, , Cela fent fon humeur bourgeoife. Du fruit de fes confeils le dofteur s’applaudit, Rit en jurifconfulte, & des maris fe raille. Pauvres gens , qui n’ont pas l’efprit De garder du loup leur ouaille! Un berger en a cent; des homines ne fauront Garder la feule qu’ils auront! Bien lui fembloit ce foin chofe un peu mal-aifee; Mais non pas impoffible; & fans qu’il eut cent yeux II defioit, graces aux cieux: Sa femme, encor que tres-rufee. A ce difcours, ami lefteur, Vous ET LE MAITRE EN DROIT. r 55 Vous ne croiriez jamais , fans avoir queique honte, Que l’heroine de ce conte Fut propre femme du docfceur. Elle l’etoit pourtant. Le pis eft que mon homme En s’informant de tout, & des ft & des cas, Et comme elle etoit faite , & quels fecrets appas, Vit que c’etoit fa femme en fomme. Un feul point l’arretoit: c’etoit certain talent Qu’avoit en fa moitie trouve l’etudiant, Et que pour le mari n’avoit pas la Donzelle. A ce ftgne ce n’eft pas elle, Difoit en foi le pauvre epoux; Mais les autres points y font tous: C’eft elle. Mais ma femme au logis eft reveufe, Et celle-ci paroit caufeufe, Et d’un agreable entretien; Allurement q’en eft une autre. Mais du refte il n’y manque rien, Taille, vifage, traits, meme poil; c’eftla notre. Apres avoir bien dit tout bas, Ce l’eft, & puis ce ne l’eft pas, Force fut qu’au premier en demeurat le lire. Je laiffe a penfer Ton courroux, Sa fureur , afin de mieux dire. Vous vous etesdonnes unfecond rendez-vous? Pourfuivit’il. Oui, reprit notre apotre; Elle & moi n’avons eu garde de l’oublier, Nous trouvant trop bien du premier, Pour n’en pas menager un autre; Tres- i 5 6 LE ROI CANDAUIE, Tres-refolus tous deux de ne nous rien devoir. La refolution, dit le dofteur, eft belle; Je faurois volontiers quelle eft Cette Donzelle. L’ecolier repartit: Je ne l’ai pu favoir. Mais qu’importe ? H fuffit que je fois content d’elle. Des a prefent je vous reponds Que l’epoux de la Dame a toutes fes faqons; Si quelqu’une manquoit, nous la lui donnerons Demain en tel endroit, a telle heure, fans faute. On doit m’attendre entre deux draps, Champ de bataille propre a de pareils combats. Le rendez-vous n’eft point dans une chambre haute; Le logis eft propre & pare. On m’a fait a l’abord traverfer un palfage, O'u jamais le jour n’eft entre; Mais aufil-tot apres la vieille du meffage M’a conduit en des lieux, oil loge en bonne foi Tout ce qu’amour a de delices; On peut s’en rapporter a moi. A ce difcours jugez quels etoient les fupplices Qu’enduroit le dofteur. II forme le deftein De s’en aller le lendemain An lieu de l’ecolier, & fous ce perfonnage Ccnvaincre fa moitie, lui faire un vaflelage Dont il fut a jamais parle, N’en deplaife au nouveau confrere, II n’etoit pas bien confeille: Mieux valoit pour le coup fe taire: , Sauf ET LE MA1TRE EN DROIT. i b7 Sauf d’apporter en temps & lieu Remede au cas, moyennant Dieu. Quand les epoufes font un recipiendaire Au benoit etat de cocu, S’il en peut fortir franc, c’eft a lui beaucoup faire; Mais quand il eft deja requ, Une faqon de plus ne fait rien a l’affaire. Le dofteur raifonna d’autre forte, & fit tant Qu’il ne fit rien qui vaille. II crut qu’en preve- nant Son parrain en cocuage, II feroit tour d’homme fage; Son parrain, eela s’entend, Pourvu que fous ce galant II eut fait apprentiffage; Chofe dont a bon droit le lectear peut douter. Quoi qu’il en foit, l’epoux ne manque pas d’aller Au logis de l’aventure, Croyant que i’allee obfcure, Son filence & le foin de fe cacher le nez, Sans qu’il fut reconnu, le feroient introduire En ces lieux ft fortunes: Mais par malheur la \deille avoit pour fe conduire 1 Une lanterne fourde, & plus fine cent fois Que le plus fin dofteur en loix. Elle reconnut l’homme; & fans etre furprife, Elie lui dit : attendez-la; Je vais trouver Madame Ellfe, II la faut avertir; je n’ofe fans cela Vous i 5 8 LE ROI CANDAULE, Vous mener dans fa chambre: & puis vous de- vez etre En autre habit pour Taller voir: C eft-a-dire en un mot qu’il n’en faut point avoir. Madame attend au lit. A ces mots notre maitre, Pouffe dans quelque bouge, y voit d’abord pa- roitre Tout un deshabille; des mules, un peignoir, Bonnet, robe de chambre, avec chemife d’homme; Parfums fur la toilette, & des tndlleurs de Rome: Le tout propre, arrange , de meme qu’on eut fait Si Ton eut attendu le cardinal prefet. Le dodfceur fe depouille", & cette gouvernante Revient, & par la main le conduit en des lieux, Ou notre homme, prive de l’ufage des yeux, Va d’une facon chancelante. Apres ces detours tenebreux, La vieille ouvre une porte, & vous pouffe le lire En un fort mal plaifant endroit, Quoique ce fut fon propre empire; C’etoit en l’ecole de droit. En l’ecole de droit! La meme, le pauvre homme Honteux , furpris , confus, non fans quelque raifon, Penfa tomber en, pamoifon. Le conte en courut par tout Rome. Les ecoliers alors attendoient leur regent; Ctla feul acheva fa mauvaife fortune. Gi and eclat de rifee, & grand chuchillement, Univer- ET LE MAITRE EN DROIT. 159 Univerfel etonnement. Eft-il fou V Qu’elt- ce la ? Vient-il de voir quel- qu’une ? Ce ne fut pas le tout: fa femme fe plaignit. Proces. La parente fe joint en caufe, & dit, Que du dofteur venoit tout le mauvais menage; Que cet homme etoit fou, que fa femme etoit fage. On fit caffer le mariage, Et puis la Dame fe rendit Belle & bonne religieufe A faint Croifiant en Vavoureufe: Un prelat lui donna l’liabit. L E DIABLE E N E N F E R. f\ \^ui craint d’aimer, a tort, felon mon fens, S’il ne fuit pas des qu’il voit une belle. Je vous connois , objets doux & puiffans, Plus ne m’irai bruler a la chandelle. Une vertu fort de vous, ne fais quelle, Qui dans le coeur s’introduit par les yeux. Ce qu’elle y fait, befoin n’eft de le dire: On meurt d’amour, on languit, on foupire: Pas ne tiendroit aux gens qu’on ne fit mieux, A tels perils ne faut qu’on s’abandonne. J’en vais donner pour preuve une perfonne, Dont L E DIBBLE 160 Dont la beaute fit trebucher Ruftic. 11 en avint un fort plaifant trafic: Plaifant fut-il, an peche pres, fans faute; Car pour ce point, je l’excepte & je l’ote, Et ne fuis pas du gout de celle-la, Qui buvant frais (ce fut, je penfe, a Rome) Difoit, que n’eft-ce un peche que cela, Je la condamne; & veux prouver en fomme Qu’il fait bon craindre encor que l’on foit faint. Rien n’eft plus vrai. Si Ruftic avoit craint, II n’auroit pas retenu cette fille, Qui jeune & fimple, & pourtant tres-gentille, Jufques au vif vous l’eut bien-tot atteint. Alibech fut fon nom, fi j’ai memoire; Fille un peu neuve, a ce que dit l’liiftoire. Lifant un jour, comme quoi certains faints, Pour mieux vaquer a leurs pieux defteins, Se fequeftroient, vivoient comme des anges, Qui qa, qui la, portant toujours leurs pas En lieux caches; chofes, qui bien qu’etranges, Pour Alibech avoient quelques appas, Mon Pieu, dit-eiie, il me prend une envie D’aller mener une femblable vie. Alibech done s’en va, fans dire adieu. Mere, ni feeur, nourrice, ni compagne N’eft avertie. Alibech en campagne Marche toujours, n’arrete en pas un lieu, Tant court enfin, qu’elle entre en un bois fombre: Et dans ce bois elle trouve un vieillard, Homme pojfible autrefois plus gaiiiard; Mais E N E N F E R . i6e Mais n’etantlors qu’un fquelette & qu’une ombre. Pere, dit-eile, un mouvement m’a pris; C’eft d'etre fainte , & meriter pour prix Qu’on me revdre , & qu’on chomme ma fdte. O quel plaiiir j’aurois, li tous les ans , La palme en main, les ra_) 011s fur la tete, Je recevois des fleurs & des prefens! Votre metier eft-il li difficile? Je fais deja jeuner plus d’a demi. Abaudonn**^ ce penfer inutile, Dit le vieillard; je vous parle euami. La faintete n’eft chofe ft commune, Que le jeuner fuffife pour Pavoir. Dieu gard de mal fille & femme qui jeune, Sans pour cela guere mieux en valoir : II faut encor pratiquer d’autres chofes, D’autres vertus, qui me font lettres clofes, Et qu’un hermite, habitant de ces bois, Vous apprendra mieux que moi mille fois. Allez le voir; ne tardez davantage: Je ne retiens tels oifeaux dans ma cage. Difant ces mots le vieillard la quitta, Ferma fa porte, & fe barricada. Tres-fage fut d’agir ainfi fans doute, Ne fe fiant a vieilleffe, ni goute, Jeune, ni haire, enfin a rien qui foit. Non loin de la notre fainte apperqoit Celui de qui ce bon vieillard parloit, Homme ayant Fame en Dieu toute occupee, Et fe faifant tout blanc de fon epee: Tome II, L C’etoit ibz L E D IA B L E .C’etoit Ruftic, jeune faint tres-fervent; Ces jeunes-la s’y trompent bien fouvent. En pen de mots l'appetit d’etre fainte Lui fut d’abord par ia belle explique; Appetit tel, qu’Alibech avoit crainte Que • quelque jour fon fruit n’en fut marque. Ruftic fourit d’une telle innocence. Je n’ai, dit-il, que peu de connoiffance En ce metier; mais ce peu-la que j’ai Bien volojrtiers vous fera partage: Nous vous rendrons la chofe familiere, Maitre Ruftic evit du donner conge Tout des l’abord a femblable ecoliere, II ne le fit': en voici les effets. Comme il vouloit etre des plus parfaits, II dit en foi : Ruftic que fais-tu faire? Veiller, prier, jeuner, porter lahaire: Qu’eft-ce cela? Moins que rien; tous le font: Mais d’etre feul anpres de quelque belle , Sans la toucher; il n’eft victoire telle , Triomphes grands chez les anges en font: Meritons-les; retenons cette fille: Si je reiifte a chofe ft gentille, J’atteins le comble, & me tire du pain. Il la retint; & fut 11 temeraire, Qu’outre fatan il defia la chair, Deux ennemis toujours prets a mal faire. Or font nos faints loges fous meme toit. Ruftic apprete en ua petit endroit Un petit lit de jonc pour la novice; Car E N E N F E R. 163 Car de coucher fur la dure d’abord, Quelle apparence V Elle n’etoit encor Accoutumee a li rude exercice. Quant au fouper , elle eut pour tout fervice Un peu de fruit, du pain non pas trop beau. Faites etat que la magnificence De ce rc-pas ne conlifta qu’en l’eau Claire, d’argent, belle par excellence, Ruftic jeuna: la fille eut appttit. Couches a part, Alibech s’endormit: L’liermite non. Une certaine bete, Diable nominee, un vrai ferpent maudit, N’eut point de paix qu’il ne fut de la fete. On l’y re$oit. Rufric x'oule en fa tete Tantot les traits de la jeune beaute , Tan tot fa grace & fa naivete, Et fes faqons, & fa maniere douce, L’age, la taille, & fur-tout l’embonpoint, Et certain fein ne fe repofant point, Allant, venant, fein qui pouffe & repouffe Certain corfet, en depit d’Alibech, Qui tache en vain de lui clorre le bee; Car toujours parle: il va,'vient, &refpire: C’ett fon patois; Dieu fait ce qu’il veut dire. Le pauvre hermite emu de paffion Fit de ce point fa meditation. Adieu la haire, adieu la difeipline; Et puis voila de ma devotion; Voila mes faints. Celui-ci s’achemine Vers Alibech , & Reveille en furfaut. L a Ce LE DI ABLE 164 Ce n’eft bien fait que de dormir , Dit le frater : il fant au prealable Qu’on fa fie une oeuvre a Dieu fort agrdable Emprifonnant en enfer le malin, Cree ne fat pour aucune autre fin. Procedons-y. Tout a l’heure il fe glifle Dedans le lit. Alibech fans malice, N’entendoit rien a ce myftere-liJ, Et ne fachant ni ceci, ni cela, Moitie forc«e & moitie confentante, Moitie voulant combattre ce defir, Moitie n’ofant, moitie peine & plailir, Elle crut faire acte de repentance; Bien humblement rendit grace au frater; Sut ce que c’eft que le diable en enfer. Deformais faut qu’Alibech fe contente D’etre martyre, en cas que fainte foit: Frere Ruftic peu de vierges faifoit. Cette lecon ne fut la plus aifee; Dont Alibech, non encor deniaifee, Dit: Il faut bien que le diable en effet Soit une chofe etrange & bien mauvaife: Il brife tout. Voyez le mal qu’il fak A fa-prifon, non pas qu’il m’en deplaife; Mais il merite , en bonne verite, D’y retourner. Soit fait, ce dit le frere, Tant s’appliqua Ruftic a ce myftere, Tant prit de foin , tant eut de eharite , Qu’eniin l’enfer s’accoutumant au diable, Eut eu toujours fa prefence agreable, E N E N FE R. 165 Si l’autre exit pu toujours en faire effai. Sur quoi la belle: On dit encor bien vrai Qu’il n’eft prifon fi douce, que fon hote En peu de temps ne s’y lafle fans faute. Bien-t6t nos gens ont noife fur ce point En vain l’enfer fon prifonnier rappelle; Le diable eft fourd , le diable n’entend point. L’enfer s’ennuye, autant en fait la belle: Ce grand defir d’etre fainte s’en va. Ruftic voudroit etre depetre d’elle. Elle pourvoit d’elle-meme a cela. Furtivement elle quitte le lire; Par le plus court s’en retourne chez foi. Je fuis en foin de ce qu’elle put dire A fes parens; c’eft ce qu’en bonne foi o Jufqu’a prefent je n’ai bien fu comprendre. Apparemment elle leur fit entendre Que fon coeur mu d’un appetit d’enfant L’avoit portee a taclier d’etre fainte. Ou l’on la crut, ou l’on en fit femblant. Sa parente prit pour argent comptant Un tel motif; non que de quelque atteinte A fon enfer on n’eut quelque foupqon; I.lais cette chartre *) eft faite de faqon Qu’on n’y voit goutte; & maint geolier s y trompe. Alibech fut feftinee en grand’ pompe. L’hiftoire dit, que par fimplicite Elle conta la cliofe a fes compagnes. L 3 Befoin ¥ ) Prifon. 166 LE DIAELE EN ENFER. Befoin n’ttoit que votre faintete, Ce lui dit-on , traverfat ces campagnes: On vous auroit, fans bouger du logis, Meme leqon, meme fecret appris. * Je vous aurois, dit 1’une. offert mon frere; Vous auriez eu, dit l’autre, mon coufin; Et Neherbal, notre proche voifin, N’eft pas non plus novice en ce myftere : II vous recherche; acceptez ce parti, ]3evant qu’on foit d’un tel cas avert!. Elle le fit. Neherbal n’etoit homme A cela pres. On donna telle fomrne Qu’aVec les traits de la jeune Alibech, II prit pour bon un enfer tres-fufpecc, Ufant 'ides biens que l’hymen nous envoie. A tous epoux Dieu doint pareille joie! LA LA JUMENT DU COMPERE PIERRE. Qui prechoit peu, iinon fur la vendangc) Sur ce fujet, fans etre prepare, II triomphoit; vous euffiez dit un ange. Encore un point etoit touche de lui, Non 11 fouvent qu’eut voulu le Meffire; Et ce point-la, les enfans d’aujourd’hui Savent que c’efl:; befoin n’ai de le dire. Meffire Jean, tel que je le decris, Faifoit 11 bien que femmes & maris Le recherchoient, eftimoient fa fcience: Au demeurant il n’etoit confcience Un peu jolie, & bonne a diriger, Qu’il ne voulut lui-meme iuterroger : Ne s’en liant aux foins de fon vicaire: Meffire Jean auroit voulu tout faire; S’entremettoit en zele direfteur, Alloit par-tout, difant qu’on bon pafteur Ne peut trop bien fes ouailles connoitre, Dont par lui-meme inftruit en vouloit etre. Parmi les gens de lui les mieux venus, II frequentoit chez le compere Pierre, Bon villageois, a qui pour toute terre, Jean (c’etoit certain cure L 4 Pour j6g LA JUMENT Pour tout domaine & pour tous revenus, Dieu ne donna qne fes deux bras tout nuds, Et fon louchet; dont pour toute uftencile, Pierre faifoit lubiifter fa famille. II avoit femme & belle & jeune encor, Ferine fur-tout: le hale avoit fait tort A fon vifage, & non a fa perfonne. Nous aufres gens peut-ecre aurions voulu Du delicat; ce ruftic ne m’eut plu: Pour des cures la pate en etoit bonne, Et convenoit a femblables amours. Meifire Jean la regardoit toujours Du coin de l’oeil, toujours tournoit la tete De fon c6te , comme un chien qui fait fete Aux os qu’il voit n’etre pas trop chetifs ; Que s’il en voit un de belle apparence, Non decharne, plein encor de lubftance, II tient deffus fes regards attentifs : II s’inquiete, il trdpigne, i1 remue Oreille & queue, il a toujours la vue Deffus cet os, & le ronge des yeux Vingt fois devant que fon palais s’en fente. Meffire Jean tout ainfi fe tourmente A cet objet pour lui delicieux. La villageoife etoit fort innocente, Et n’entendoit aux fa 5 ons du pafteur Myltere aucun; ni fon regard flatteur, Ni fes prefens ne touelioient Madelaine: Bouquets de thym, & pots de marjolaine Tomboient a terre: avoir cent menus foins, C etoit DU COMPERE PIERRE. 169 C’etoit parler Bas-Breton tout au moins. II s’avifa a’un plaifant ftratageme. Pierre etoit lourd , fans efprit: je crois bien Qu’il ne fe fut precipite lui-meme; Mais par de-la de lui demander rien, C’etoit abus & tres-grande fottife. L’autre lui dit: Compere mon ami, Te voila pauvre, & n’ayant a demi Ce qu’il te faut; fi je t’apprens la guife Et le moyen d’etre un jour plus content Qu’un petit Roi, fans te tourmenter tant, Que me veux-tu donner pour mes etrennes ? Pierre repond: Parbleu: Meffire Jean, Je fuis a vous, difpofez de mes peines; Car vous favez que c’eft tout mon vaillant, Notre cochon ne nous faudra pourtant: II a mange plus de fon, par mon ame, Qu’il n’en tiendroit trois fois dans ce tonneau; Et d’abondant la vache a notre femme Nous a promis qu’elle feroit un veau; Prenez le tout. Je ne veux nul falaire, Dit le palteur ; obliger mon compere Ce m’eft affez : je te dirai comment. Mon deffein eft de rendre Magdelaine Jument le jour, par art d’enchantement, Lui redonnant fur le foir forme humaine. Tres-grand profit pourra certainement T’en revenir; car ton ane eft ft lent, Que du marche l’heure eft prefque paffee Quand il arrive: ainfi tu ne vends pas, L 5 . Comme 1 7 o LA JUMENT Comine ta veux , tes herbes, ta denree, Tes choux, tes aulx, enfin tout ton tracas. Ta femme etant jument forte & membrue, Ira plus vite; & fi-t6t que chez toi Elle fera du marche revenue, Sans pain ni foupe, un peu d’herbe menue Lui fuffira. Pierre dit: fur ma foi, Meffire Jean, vous etes un iage homme ; Voyez que c’eft d’avoir etudie ! Vend-on cela? Si j’avois groffe fomme Je vousl’aurois, parbleu, bientot paye. Jean pourfuivit: Or 9a t’apprendrai Les mots, la guife & toute la maniere, Par oil jument bien faite & pouliniere Auras de jour , belle femme de nuit: Corps, tete, jambe, & tout ce qui s’enfuit Lui reviendra; tu n’as qu’a me voir faire. Tai-toi fur-tout; car un mot feulement Nous gateroit tout notre enchantement: Nous ne pourrions revenir an myftere De notre vie; encore un coup motus, Bcuche coufue; ouvre les yeux fans plus ; Toi-meme apres pratiqueras lachofe. Pierre promet de fe taire, & Jean dit: Sus Madelaine , il fe faut, & pour caufe, Depouiller nue, & quitter cet habit: Degrafez-moi cet atour des dimanches; Fort bien. Otez ce corfet & ces manches ; Encore mieux. Defaites ce jupon ; Tres-bien cela. Quand vint a la cbemife, La DU COMPERE PIERRE. 171 La pauvre epoufe eut en quelqQe fa^on De la pudeur. Etre nue ainli mife Aux yeux des gens! Madelaine aimoit mieux Demeurer femme, & juroit fes grands Dieux De ne fouffrir une telle vergogne. Pierre lui dit: Voila grande befogne! Et bien , tous deux nous faurons comme quo! Vous etes faite. Eft-ce par votrefoi De quoi tant craindre? Et la , la, Madelaine, Vous n’avez pas toujours eu tant de peine A tout 6ter. Comment done faites-vous Quand vous cherchez vos puces ? Dites-nous : Mellire Jean eft-ce quelqu’un d’etrange ? Que craignez-vous? He quoi? Qu’il ne vous mange ? qa depechons; e’eft par trop marchande. Depuis le temps Monfieur notre cure Auroic deja parfait fon entreprife. Difant ces mots, il 6te la cheinife, Regarde faire, & fes lunettes prend. Meffire Jean par le nombril commence, Pofe deffus une main , en difant: Que ceci foit beau poitrail de jument; § Puis cette main dans les pays s’avance, L’autre s’en va transformer ces deux monts , Qu’en nos climats les gens nomment tetons; Car quant a ceux qui fur l’autre hemifphere Sont etendus , plus vaftes en leur tour, Par reverence on ne les nomme guere; Meffire Jean leur fait aufft fa cour; Difant I 7 2 LA gUMENT Difant toujours pour la ceremonie, Que ceci foit telle ou telle partie, Ou belle croupe, ou beaux flancs, tout enfin. Taut de faqons mettoient Pierre en chagrin, E.t ne voyant nul progres a la chofe, II prioit Dieu pour la metamorphofe. C’etoit en vain ; car de 1’enchantement Toute la force & l’accomplifl’ement Giffoit a mettre une queue a la bete: Tel ornement eft chofe fort honnete. Jean ne voulant un tel point'oublier, L’attache done: lors Pierre de crier, Si haut qu’on l’eut entendu d’une lieue: Meflire Jean, je n’y veux point de queue: Vous i’attachez trop bas, Meflire Jean. Pierre a crier ne fut ft diligent, Que bonne part de la ceremonie Ue fut deja par le pretre accompiie, A bonne fin le refte auroit ete, Si, non content d’avoir deja parle, Pierre encor n’eftt tire par la foutane Le cure Jean, qui lui dit: Foin de toi! % T’avois-je pas recommande, gros ane, De ne rien dire, & de demeurer coi? Tout eft gate: ne t’en prens qu’a toi-meme. Pendant ces mots l’epoux gronde a part foi, Madelaine eft en un courroux extreme , Querelle Pierre , & lui dit: Malheureux, Tu ne feras qu’un miferable gueux Toute ta vie; & puis vien-t-en me braire; Vien DU COMPERE PIERRE. 173 Vien me confer ta faim & ta douleur. Voyez un peu: Monfieur notre pafteur Veut de fa grace a ce traiue-malheur Montrer de quoi finir notre rnifere: Merite-t-il le bien qu’on lui veut faire? Meffire Jean , laiflbns-la cet oyfon? Tous les matins tandis que ce veau lie Ses choux, fes aulx, fes herbes, fon oignon, Sans l’avertir venez a la maifon; Vous me rendrez une jument polie. Pierre reprit: Plus de jument, ma mie; Je fuis content de n’avoir qu’un grifon. LES LUNETTES. j ’avois jure de laifier-la les nonnes 5 Car que toujours on voie en mes ecrits Meme fujet & femblables perfonnes, Cela pourroit fatiguer les efprits. Ma mufe met guimpe fur le tapis % Et puis quoi; guimpe; & puis guimpe fans ceffe, Bref toujours guimpe, & guimpe fous la preffe; C’eft un peu trop. Je veux que les nonnains Faffent les tours en amour les plus fins; Si ne faut-il pour cela qu’on epuife Tout le fujet. Le moyen? C’eft un fait Par trop frequent: je n’aurois jamais fait: II n’eft grefiier dont la plume y fuffife. 174 LES LUNETTES. Si j’y tachois , on pourroit foupqonner Que quelque cas m’y feroit retourner: Tant fur ce point mes vers font de rechutes; Toujours fouvient a Robin de fes flutes. Or apportons a cela quelque fin: Je ie pretens, cette tache ici faite. Jadis s’etoit introduit un blondin Chez des nonnains, atitre de fillette: 11 n’avcit pas quinze ans, que tout ne fut; Dont le galant paffa pour foeur Colette, Auparavant que la barbe lui crut. Cet entre-temps ne fut fans fruit; le fire L’employa bien: Agnes en profita: Las! Quel profit! J’euffe mieux fait de dire, Qua foeur Agnes malheur en arriva, I lui faiiut elargir fa ceinture, Puis mettre au jour petite creature, Qui reffembloit comme deux gouttes d’eau, Ce dit l’hiftoire, a la foeur jouvenceau. Voila fcandale & bruit dans 1’abb aye: D’ou cet enfant eft-il plu? Comme a-t-on, Difoient les foeurs en riant, je vous prie, Trouve ceans ce petit champignon? Si ne s’eft-il apres tout fait lui-meme. La prieure eft en un courroux extreme. Avoir ainfi fouille cette maifon! Bien-tot on mit l’accouchee en prifon; Puis il fallut faire enquete du pere: Comment eft-il entre? Comment forti? Les LES LUNETTES. *75 Les murs font hauts, antique la tourriere, Double la grille, & le tour tres-petit. Seroit-ce point quelque ga^on en fille ? Dit la prieure, & parmi nos brebis N’aurions-nous point, fous de trompeurs habits, Un jeune loup ? Sus, qu’on fe deshabille: Je veux favoir la verite du cas. Qui fut bien pris ? Ce fut la feinte ouaille: Plus fon efprit a longer fe tn.vaille, Moins il elpere echapper d’un tel pas. Neceffite , mere de ftratageme, Lui fit. . . Eh bien? Lui fit en ce moment Lier.... Eh quoi ? ,Foin. je fuis court moi-meme : Oil prendre un mot qui dife honnetement Ce que lia le pere de l’enfant ? Comment trouver un detour fuffifant Pour cet endroit ? Vous avez oui dire, Qu’au temps jadis le genre humain avoit Fenetre au corps; de forte qu’on pouvoit Dans le dedans tout a fon aife lire; Chofe commode aux medecins d’alors. Mais fi d’avoir une fenetre au corps Etoit utile , une au coeur au contrake Ne l’etoit pas, dans les femmes fur-tout; Car le moyen qu’on put venir a bout De rien cacher ? Notre commune mere Dame nature, y pourvut fagement Par deux lacets de pareille mefure. L’homme & la femme eurent egalement De quoi fermer une telle ouverture. La 176 LES LUNETTES. La femme fut lacee un peu trop dru : Ce fut fa faute; elle-meme en fut caufe, N’etant jamais a fon gre trop bien clofe. L’homme au rebours; & le bout du tiffu Kendit en lui la nature perplexe; Bref le lacet a l’un & 1’autre fexe Ne put quadrer, & fetrouva, dit-on , Aux femmes court, aux homines un peu long. 11 eft facile a prefent qu’on devine Ce que lia notre jeune imprudent; C’eft ce furplus, ce refte de machine, Bout de lacet aux hommes excedant. D’un brin de fll il l’attacha de forte, Que tout fembloit aufti plat qu’aux nonnains; Mais fil ou foye, il n’eft bride aflez forte Pour contenir ce que bien-tot je crains Qui ne s’echappe. Amenez-moi des faints; Amenez-moi, ft vous voulez des Anges; Je les tiendrai creatures etranges, Si vingt nonnains, telles qu’on les vit lors, Ne font trouver a leurs efprits un corps. J’entens nonnains aySnt tous les trefors De ces trois fceurs dont la fille de l’onde Se fait fervir; chiches & fters appas, Que le foleil ne voit qu’au nouveau monde: Car celui-ci ne les lui montre pas. La prieure a fur fon nez des lunettes, Pour ne juger du cas legerement. Tout a Pentour font debout vingt; nonnettes En un habit , que vraifemblablement N’avoient LES LUNETTES. 177 N’avoient pas fait les taiileurs du couvent. Figurez-vous la queftion qu’au fire On donna lors; befoin n’eft de le dire. Touffes de lys, proportion du corps, Secrets ap^ias, embonpoint, & peau fine, Formes tetons , & fembiables reilbrts- Eurent bien-tot fait jouer la machine. Elle echappa, rompit le - fil d’un coup, Comme un Couriier qui romproit Ion licou, Et fauta droit au nez de la prieure, Failant voler lunettes tout a l’heure Jufqu’au plancher. II s’en fallut bien peu Que l’on ne vlt tomber la lunetiere. Elle ne prit cette accident en jeu. L’on tint chapitre, & fur cette matiere Fut raifonne long-temps dans le logis. Le jeune loup fut aux vieilies brebis Livre d’abord. Elies vous l’empoignerent, A certain arbre en leur cour l’attacherent , ' Ayant le nez devers l’arbre tourne, Le dos a l’air avec toute la fuite; Et cependant que la troupe maudite ^ Songe comment il fera guerdonne, Que l’une va prendre dans les cuifines Tous les balais, & que l’autre s’en court A l’arfenal ou font les difciplines, Qu’une troifieme enferme a double tour Les foeurs qui font jeunes & pitoyables; Bref que le fort, ami du marjolet, Ecarte ainfi. toutes les deteftables, Tom. 11. 0 M Viant i 7 8 LES L UNE TTES. Vient un meunier monte fur fon mulet, Ga^on quarre, garijon couru ties lilies, Bon Compaguon, & beau joueur de quilles. Oh, oh! dit-il, qu’eft-ce la que je voi? Le plaifant faint! Jeune homme, je tb prie, Qui t’a mis la ? Sont-ce ces foeurs ? Dis-moi: Avec quelqu'une as-tu fait la folie? Te plaifoit-elle ? Etoit-elle jolie? Car a te voir , tu me portes, ma foi, (Plus je regarde & mire ta perfonne) Tout le minois d’un vrai croqueur de nonne. L’autre repond: Heias! c’eft le rebours : Ces nonnes m’ont en vain prie d’amours, Voila mon mal: Dieu me doint patience, Car de commettre une ii grande offenfe, J’en fais fcrupule, & fut-ce pour le Roi; Rle donnat-on auffi gros d’or que moi. Le meunier rit, & fans autre myfcere Vous le delie, & lui dit: Idiot, Scrupule, toi, qui rfes qu’un pauvre haire ! C’efl: bien a nous qu’il appartient d’en faire! Notre cure ne feroit pas ii fot. Vite, fui-t’en, m’ayant mis en ta place: Car auffi-bien tu n’es pas comme moi Franc du collier & bon pour cet emploi: • Je n’y veux point de quartier ni de grace: Viennent ces foeurs ; toutes, je te repond, Verront beau jeu, fi la corde ne rompt. L’autre deux fois ne fe le fait redire: 11 vous l’attache, & puis lui dit adieu. Larg LES LUNETTES. 179 Large d’epaule, on auroit vu le lire Attendre nud les nonnains en ce lieu. L’efcadron vient, porte en guife de cierges, Gaules & fouets ; proceffion de verges, Qui fit la ronde a l’entour du meunier, Sans lui donner le temps de fe inontrer, Sans l’avertir. Tout beau, dit-il, Mefdames; Vous vous trompez; confiderez-moi bien: Je ne fuis pas cet ennetni des femmes, Ce fcrupuleux qui ne vaut rien a rien. Employez-moi, vous verrez des merveilles: Si je dis faux, coupez-moi les oreilles. D’un certain jeu je viendrai bien a bout; Mais quant au fouet, je n’y vaux rien du tout. Qu’entend ce ruftre, & que nous veut-il'dire ? S’ecria lors une de nos fans-dents : Quoi, tu n’es pas notre faifeur d’enfans? Tant pis pour toi, tu payras pour le fire. Nous n’avons pas telles armes en main, Pour demeurer en un fi beau chemin: Tien, tien; voila l’ebat que Ton defire. A ce difcours, fouets de rentier en jeu, Verges d’aller, & non pas pour un peu; Meunier de dire en langue intelligible, Crainte de n’etre affez bien entendu, Mefdames, je.ferai tout mon poiiible Pour m’acquitter de ce qui vous eft du, Plus il leur tient des djfcours de la forte, Plus la fureur l’antique cohorte Se fait fentir , long-temps il s’en fouvint. M 2 Pendant LE CUVIER. 180 Pendant qu’on donne au maitee l’anguifiade, Le mulet fait fur l’herbette gambade Ce qu’a la fin Fun & l’autre devint, Je ne le fais, ni ne m’en mets en peine: Suffit d’avoir fauve le jouvenceau. Pendant un temps les lecteurs, pour douzaine De ces nonnains au corps gent & fi beau, N’auroient voulu, je gage, etre en fa peau. •y* -y* -y> +.A' >->■*<■<* L E CUVIER. Soyez amant, v vous ferez inventif: Teur ni detour, rufe ne ftratageme Ne vous faudront: le plus jeune apprentif Eft vieux routier, des le moment qu’il aime. On ne vit one que cette paliion Demeurat court faute d’invention: Amour fait tant qu’enfin il a fon compte. Certain cuvier, dont on fait certain conte, En fera foi. Void ce que j’en fais, Et qu’un quidam me dit ces jours paffes. Dedans un bourg ou ville de province, (N’importe pas du title, ni du nom) Un tonneiier & fa femme Nannon Entretenoient un menage affez mince. De Taller voir Amour n’eut a mepris, Y con- LE CUVIER. isi Y conduifant un de fes bons amis. C’eft cocuage: il fut de la partie; Dieux famiiiers, & fans ceremonie, Se trouvant bien dans toute hotellerie; Tout eft pour eux bon gke & bon logis ; Sans regarder ft c’eft louvre ou cabane. Un drole done carefl'oit Madame Anne, Us en etoient fur un point, fur un point.... C’eft dire afiex de ne le dire point; Lorfque l’epoux revient tout hors d’haleine Du cabaret: juftement, juftement... : C’eft dire encor ceci bien clairement. On le nraudit; nos gens font fort en peine: Tout ce qu’on put, fut de cacher l’amant: On vous le ferre en hate & promptement Sous un cuvier, dans une cour prochaine. Tout en entrant l’epoux dit: J’ai vendu Notre Cuvier. Combien? dit Madame Anne. Quiuze beaux francs. Va, tu nesqu’un gros ane, Repartit elle; & je t’ai d’un ecu Fait aujourd’hui profit par mon adreffe, L’ayant Vendu fix ecus avant toi. Le marchand voit s’il eft de bon alloi, Et par dedans le tate piece a piece, Examinant ft tout eft comme il faut; Si quelque endroit n’a point quelque defaut. Que ferois-tu, malheureux , fans ta femme ? Monfieur s’en va chopiner, cependant Qu’on fe tourmente ici le corps & Fame; P faut agir fans ceffe en l’attendant: M3 Je 182 LE CUVIER. Je n'ai goute jufqu’ici nulle joie; J’en gotiterai deformais, attend-t’y. Voyez un peu . le galant a bon foye; Je fuis d’avis qu’on laifle a tel marl Telle moitie. Doucement, notre epoufe, Dit le bon homme. Or fus, Monfieur, fortez; C|a que je racle un peu de tous c6tes Votre cuvier, & puis qne je l’arroufe: Par ce moyen vous verrez s’il tient eau; Je vous reponds qu’il n’elb moins bon que beau. Le galant fort: 1’epoux entre en fa place, Racle par tout, la cliandelle a la main, Deqa dela, fans qu’il fe doute brin De ce qu’Amour en dehors vous lui braffe : Rien n’en put voir, & pendant qu’il repafle Sur chaque endroit, affuble du cuveau, Les Dieux fufdits lui viennent de nouveau Rendre vifite, impofant un ouvrage A nos anians bien different du lien. II regrata, grata , frotta fi bien , Que notre couple ayant repris courage, Reprit auffi le fil de l’entretien Qu’avoit trouble le galant perfonnage. Dire comment Je tout fe put paffer, Ami lecteur, tu dois m’en difpenfer; Suffit que j’ai tres-bien prouve ma thefe. Ce tour fripon du couple augmentoit l’aife: Nul d’eux n’etoit a tels jeux apprentif. Soyez amant, vous ferez inventif. LA 183 w LA CHOSE IMPOSSIBLE. Pour l’amant de certaine belle, Qua la fin celui-ci poffeda fa cruelle. Le pact de notre amant & de l’efprit follet, Ce fut que le premier jouiroit a fouhait De fa charmante inexorable. Je te la reus dans peu, dit fatanfavorable; Mais par tel fi, qu’au lieu qu’on obeit au diable, Quand il a fait ce plaifuvla , A tes commandemens le diable obeira Sur l’heure meme, & puis fur la meme lieure Ton ferviteur lutin, fans plus longue demeure, Ira te demander autre commandement, Que tu lui feras promptement: Toujours ainli, fans nul retardement: Si-non, ni ton corps, ni ton ame N’appartiendront plus a ta Dame: Us feront a fatan & fatan en fera Sur ce penfer-la notre amant S’en va trouver fa belle, en a contentement, Goute des voluptes qui n’ont point de pareilles, n demon plus noir que malin , Fit un charme fi fouverain Tout ce que bon lui femblera. Le galant s’accorde a cela. Commander etoit-ce un myftere ? Obeir eft bien autre affaire. M 4 Se L A CHOSE 184 Setrouve tres-heureux ; horinis qu’inceffamment Le diable etoit a fes oreilles. r r \ f ' '■ Alors 1’amant lui commandoit Tout ce qui lui venoit en tete; De batir des palais, d’exciter la tempete; En moins d’un tour de main cela s’accompliffoit, Mainte piftole fe gliffoit Dans l’efcarcelle de notre homme. II envoyoit le diable a Rome : Le diable revenoit tout charge de pardons. Aucuns voyages n’etoient longs, Aucune chofe mal-aifee. L’amant, a force de rever Sur les ordres nouveaux qu’il lui falloit trouver, Vit bien-tot fa cervelle ufee. II s’en plaignit a fa divinite, Lui dit de bout en bout toute la verite. Quoi, ce n’eit que cela? lui repartit la Dame: Je vous aurai bientot tire Une telle epine de Fame. Quand le diable viendra , vous lui prefenterez .Ce que je tiens , & lui direz: Defrife-moi ceci; fais tant par tes journees Qu’il devienne tout plat. Lors elle lui donna Je ne fais quoi , qu’elle tira Du verger de Cypris, labyrinte des Fees, Ce qu’un due autrefois jugea fi precieux, Qu’il voulut l’honorer d’une chevalerie; llluftre & noble confrerie Moins pleine d’hommes que de dieux. L’amant IMPOSSIBLE. 185 L’amant dit au demon: C’eft ligne cireufaire Et courbe que ceci; je t’ordonne d’en faire Ligne droite & fans nuls retours: Va-t’en y travailler, & cours. L’efprit s’en va, n’a point de cefl'e , Qu’il n'ait mis le fil fous la preffe, Taclie de l’applatir a grands coups de marteau, Fait feiourner au fond de 1’eau, Sans que la ligne fut d’un feul point ttendue: De quelque tour qu’il fe fervlt, Quelque feeret qu’il eut, quelque charme qu’il fit, C’etoit temps & peine perdue : 11 ne put mettre a la raifon La toifon. Elle fe revoltoit eontre le vent, la pluie, La neige, les brouillards: plus fatan y toucboit, Moins l’annelure fe lachoit. Qu’eft-ceci, difoit-il, je ne vis de ma vie Chofe de telle etoffe: il n’elt point de lutin Qui n’y perdit tout fon latin. Meflire diable un beau matin S’en va trouver foil homme, & lui dit: je te laiffe. Apprens-moi feulement ce que c’eft que cela: Je te le rens, tien, le voila; Je fuis victus , je le confeffe. Notre ami Monfieur le luiton, Dit Fhomme, vous perdez un peu trop-tot courage; Celui-ci n’eft pas feul, & plus d un compagnon Vous auroit taille de 1’ouvrage. M 5 Le 186 LE TABLEAU. Ud m’engage a conter d’une maniere honnete Le fujet d’un de ces tableaux, Sur lefquels on met des rideaux. II me faut tirer de ma tete Nombre de traits nouveaux, piquans & delicats, Qui difent & ne difent pas, Et qui foient entendus fans notes Des Agnes meme les plus fottes: Ce n’eft pas coucher gros; ces extremes Agnes Sont oifeaux qu’on ne vit jamais. Toute matrone fage, a ce que dit Catule, Regarde volontiers le gigantefque don, Fait au fruit de Venus par la main de Junon: A ce plaifant objet 11 quelqu’une recule, Cette quelqu’une diiiimule, Ce principe pofe, pourquoi plus de fcrupule? Pourquoi moins de licence aux oreilles qu’aux yeux ? Puifqu’on le veut ainfi, je ferai de mon mieux: Nuls traits a decouvert n’auront ici de place; Tout y lera voile; mais de gafe; & 11 bien, Que je crois qu’on n’en perdra rien, Qui penfe linement, & s’exprime avec grace, Fait tout paffer; car tout paffe : Je l’ai cent fois eprouve: Quand le mot eft bien trouve, Le L E TAB L E A U. 187 Le fexe en fa faveur a la chofe parclonne: Ce n’eft plus elle alors, c’eft elle encor pourtant: Vous ne faites rougir perfonne; Et tout le monde vous entend. J’ai befoin auiourd’hui de cet art important. Pourquoi, me dira-t-on , puifque fur ces merveilles' Le fexe porte l’ceil fans toutes ces faqons ? Je reponds a cela: Chaftes font fes oreilles, Encor que les yeux foient fripons. Je veux, quoi qu’il en foit, expliquer a des belles Cette chaife rompue, & ce ruftre tombe: Mu fes, venez m’aider, mais vous etes pucelles Au joli jeu d’amour ne facbant A ni B. Mufes, ne bougez done: feulement par bonte Dites au dieu des vers, que dans mon entreprife II eft bon qu’il me favorife, Et de mes mots faffe le choix; Ou je dirai quelque fottife, Qui me fera donner du bufque fur les doigts. C’eft affez raifonner; venons a la peinture. Elle contient une aventure Arrivee au pays d’Amours. Jadis la ville de Cythere Avoit en l’un de fes fauxbourgs Un monaftere ; Venus en fit un feminaire, II etoit de nonnains , & je puis dire ainft. Qu’il etoit de galants auffi. En ce lieu hantoient d’ordinaire Gens de cour, gens de ville, & facrificateurs, Et i88 LE TABLEAU. Et docteurs, Et bacheliers fur-tOUt. Un de ce dernier ordre Paffoit dans la maifon pour etre des amis ; Propre, toujours rafe, bien difant, & beau fils: Sur fon chapeau luifant, fur fon rabat bien mis • La medifance n’eut fu m ordre, Ce qu’il avoit de plus charmant, C’eft que deux des nonnains alternativement En tiroient maint & maint fervice. L’une n’avoit quitte les atours de novice Que depuis quelques mois; l’autre encor les portoit; La moins jeune a peine comptoit Un an entier par deffus feize'; .Age propre a foutenir thefe, Thefe d’amour : le bachelier Leur avoit rendu familier Chaque point de cette fcience, Et le tout par experience. Une afiignation pleine d’impatience Fut un jour par les foeurs donnee a cet amant; Et pour rendre complet le divertiffement, Bachus avec Ceres, de qui la compagnie Met Venus en train bien fouvent, Pevoient etre ce coup de la ceremonie. Proprete toucha leule aux apprets du regal; ElJe fut s’en tirer avec beaucoup de grace: Tout pslTa par fes mains , & le vin, & le glace, Et les caraffes de criftal: On s’y feroit mire. Flore a l’haleine d’ambre, Sema de fleurs toute la chambre: EHe LE TABLEAU. i8g Elle en fit un jardin. Sur le iinge ces fieurs Formoient des lacs d’amour, & le chifire des fceurs. Leurs cloitrieres excellences Aimoient fort ces magnificences: Celt un plailir de nonne. Au refte, leur beaute Aiguifoit l’appetit aufii de fon cote. Mille fecrettes circonftances De leurs corps polis & charmans Augmentoient l’ardeur des amans. Leur taille etoit prefque femblable. Blancheur, delicateffe, embonpoint raifonnable, Fermete, tout charmoit, tout etoit fait au tour; En mille endroits nichoit l’amour, Sour une guimpe, un voile, & fous un fcapulaire, Sous ceci, fous cela , que voit peu i’oeil du jour, Si celui du galant ne l’appelle au myftere. A ces fceurs l’enfant de Cythere Mille fois le jour s’en venoit Les bras ouverts, & les prenoit L’une apres l’autre pour fa mere. Tel -ce couple attendoit le baclielier trop lent; Et de lui, tout en l’attendant, Elies difoient du mal, puis du bien, puis les belles Imputoient fon retardement A quelques amities nouvelles. Qui peut le retenir, difoitl’une, eft-ce amour? Eft-ce affaire? Eft-ce maladie? Quil y revienne de fa vie, Difoit rautre il aura fon tour. Tandis qu’ejj es cherchoient la-deffus du rnyftere, Paffe I 9 0 L E TABLEAU. Paffe un Mazet portant a la depolitaire Certain fardeau peu neceffaire. Ce n'etoit qu’un pretexte, & felon q a on m’a dit, Cette depolitaire ayant grand appetit, Faifoit la portion des talens de ce ruftre, Tenu dans tels repas pour un traiteur illuftre. Le coquin, lourd d’ailleurs, & de tres-court efprit » • A la cellule fe meprit, II alia chez les attendantes Frapper avec fes mains pefantes. On ouvre, on eftfurpris, on le maudit d’abord, Puis on voit que c’eft un trefor. Les nonnains s’eclatent de rire. Toutes deux commencent a dire, Comme li toutes deux s’etoient donne le mot: Servons-nous de ce maitre lot, II vaut bien 1’autre, que t’en femble? La profelfe ajouta: Cell tres-bien avife; Qu’attendions-nous ici? Qu’il nous fut debite De beaux difcours? Non, non, ni rien qui leur refl'emble ? x* Ce pitaut doit valoir, pour le point fouhaite, Baclielier & dofteur enfemble. Elle en jugeoit tres-bien. La taille du gallon, Sa limplicite, fa fa^on, Et le peu d’interet qu’en tout il fembloit prendre, Faifoient de lui beaucoup. attendre. C’etoit rhomme d’Efope, il ne fongeoit a rien, Mais il buvoit & mangeoit bien: Et li Xantus l’eut lailie faire, E L E TABLEAU. 191 11 auroit pouffe loin 1’affaire. Ainli, bien-t6t apprivoife, II fe trouva tout difpofe Pour executer fans remife Les ordres des nonnains, les fervant aleurguife Dans fon office de Mazet, Dont il lui fut donne par les fceurs un brevet. Ici la peinture commence, Nous voila parvenus au point. Dieu des vers, ne me quitte point; J’ai recours a ton affiftance. Dis-moi pourquoi ce ruftre affis, Sans peine de fa part, & tres-fort a fon aife, Laiffe le foin de tout aux amoureux foucis De fceur Claude & de fceur Therefe. N’auroit-il pas mieuxfait deleur donner la chaife II me femble deja que je vois Apollon Qui me dit: Tout beau, ces matieres A fond ne s’examinent gueres. J’entens ; & PAmour eft un etrange garqon; J’ai tort d’eriger un fripon En maitre de ceremonies. Des qu’il entre en une maifon, Regies & loix en font bannies, Sa fantaifte eft fa raifon; Le voila qui rompt tout; c’eft affez fa coutume : Ses jeux font violens. A terre on vit bien-t6t Le galant cathedral; ou foit par le defaut De la chaife un peu foible; ou foit que du pitaut I L# L E TABLEAU, iqz Le corps ne fut pas fait de plume; Ou i'oit que fceur Therefe eut charge d’a&ion Son difcours vehement, & piein demotion; On entendit craquer l’amoureufe tribune. Le ruftre tombe a terre en cette occafion. Ce premier point eut par fortune Malheureufe conclufion. Cenfeurs, n’approchez point d’ici votre ceil profane. Vous gens de bien, voyez comme focur Claude mit. Un tel incident a profit. Therefe en ce malheur perdit la tramontane, Claude la debufqua , s’emparant du timon. Therefe, pire qu’un demon, Tache a la retirer, & fe remettre au tr6ne; Mais ,celle-ci n’eft pas perfonne A ceder un pofte fi doux. Sceur Claude, prenez garde a vous; Therefe en veut venir aux coups; Elle a le poing ieve. Qu’elle ait. C’eli bien re- pondre, Quiconque eft oecupe comme vous, ne fentrien: Je ne m’etonne pas que vous fachiez confondre Un petit mal dans un grand bien. Malgre la colere marquee Sur le front de la debufquee, Claude fuit fon chemin, le ruftre auffi le lien; Therefe eft mal contente & gronde. Les plainrs de Venus font fources de debats; Leur fureur n’a point de feconde. * 3’en LE TABLEAU. i93 J’en prens a temoin les combats Qu’on vit fur la terre & fur l’onde, Lorfque Paris a Menelas Ota la merveille du monde. Quoique Bellone ait part ici, J’y vois peu de corps de cuiraffe. Dame Venus fe couvre ainli, Quand elle entre en champ clos avec le dieu de Thrace. Cette armure a beaucoup de grace. Belles, vous m’entendez: je n’en dirai pas plus: L’habit de guerre de Venus Eft plein de chofes admirables. Les Cyclopes aux membres nuds Forgent peu de harnois qui lui foient compa¬ rables : Celui du preux Achille auroit ete plus beau, Si Vulcain eut deflus grave notre tableau. Or ai-je des nonnains mis en vers l’aventure, JVlais non avec des traits dignes de l’attion; Et .comme celle-ci dechet dans la peinture, La peinture dechet dans ma defcription: Les mots & les couleurs ne font chofes pareilles, Ni les yeux ne font les oreilles. J’ai laiffe long-temps au filet Sceur Therefe la detronee: Elle eut fon tour: notre Mazet Partagea ft bien fa journee, Que chacun fut content. L’hiftoire Unit la; Tome II. N Du IE EAST. iq4 Du feftin pas un mot: je veux croire, & pour caufe, Que Fan but & que l’on mangea: Ce fut l’intermede & la pofe. Enfin tout alia bien , hormis qu’en bonne foi L’heure du rendez-vous m’embarrafre.& pourquoi? Si l’amant ne vint pas, foeur Claude & foeurTherele Eurent a tout le moins de quoi fe confoler; S’il vint, on fut cacher le lourdaut & lachaife, L’amant trouva bien-tfit encore a qui parler. l[Jfn pelntre etoit, qui, jaloux de fa femme, Allant aux champs , iui peignit un baudet Sur le nombril, en guife de cachet. Un lien confrere, amoureux de la Dame, La va trouver, & Fane efface net, Dieu fait comment; puis un autre en remet Au mdme endroit, ainfi que l’on peut croire. A celui-ci, par faute de memoire , II mit un baft, l’autre n’en avoit point. L’epouxrevient, vent s’eclaircir du point.' Voyez, mon fils, dit la bonne commere, L’ane eft temoin de ma fidelite. Diantre foit fait, dit l’epoux en colere, Et du temoin, & de qui Fa bate. LE 195 n&'tOr* •Pffc^r* w’ft<*rf* vlter* »^WrW» wvj Or* Cr&r* »>n<*r* •X'sOr*^fo<0r LE FAISEUR D’OREILLES, fiT ££■ RACOMMODEUR D£ MOULES. Conte tire des cent NouveUes nouvelles, & dun Conte de Bocacc. ^ ire Guillaume allant en marchandife, Laiffa fa femme enceinte de fix mois, Simple, jeunette, & d’aflez bonne guife, Nommee Alix, du pays Champenois. Compere Andre l’alloit voir quelquefois : A quel deffein, befoin n’eft de le dire; Et Dieu le fait: c’etoit un maltre fire, II ne tendoit guere en vain fes filets; Ce n’etoit pas autrement fa coutume: Sage eut ete l’oifeau, qui de fes rets Se fut fauve fans laifler quelque plume. Alix etoit fort neuve fur ce point; Le trop d’efprit ne l’incommodoit point: De ce defaut on n’accufoit la belie. Elle ignoroit les malices d’amour. La pauvre Dame alloit tout devant elle, Et n’y favoit ni finefi’e ni tour. N a Son LE FAISEUR 196 Son mari done fe trouvant en emplette, Elle au logis, en fa chambre feulette, Andre furvient, qui fans long compliment La confidere; & lui dit froidement: Je m’ebahis comme au bout du Royaume S’en eft alle le compere Guillaume, Sans achever l’enfant que vous portez; Car je vois bien qu’il lui manque une oreille: Votre couleur me le demontre afl’ez, En avant vu mainte epreuve pareille. Bonte de Dieu! reprit-elle auffi-tot, Que dites-vous ? Quoi d’un enfant monaut J’accoucherois! N’y favez-vous remede ? Si dea, fit-il; je vous puis donner aide En ce befoin , & vous jurerai bien Qu’autre que vous ne m’en feroit tant faire. Le mal d’autrui ne me tourmente en rien, Fors excepte ce qui touche au compere: Quant a ce point je m’y ferois mourir. Or effayons, fans plus en difeourir, Si je fuis maitre a forger des oreilles. Souvenez-vous de les rendre pareilles , Reprit la femme. AUez, n’ayez fouci, Repliqua-t-il, je prens fur moi ceci. Puis le galant montre ce qu’il fait faire, Tant ne fut nice (encor que nice fut) Madame Alix, que le jeu ne lui plut. Philofopher ne faut pour cette affaire. Andre vaquoit de grande affettion A fon travail j faifant ore un tendon, Ore D’OREILLES, &c. 197 Ore tin tempi!, puis quelque cartilage; F t n’y plaignant l’etofe & la faqon. Demain , dit-il, nous polirons l’ouvrage: Puis le mettrons en fa perfection, Tant & li bien qu’en ayez bonne iffue. Je vous enfuis, dit-elle, bien tenue; Bon fait avoir ici bas un ami. Le lendemain pareiile beure venue, Compere Andre ne fut pas endormi. II s’en alia ci ez la pauvre innocente, Je viens, dit-il, toutte affaire ceffante, Pour achever l’oreille que favez. Et moi, dit-elle, allois par un mefiage Vous avertir de hater cet ouvrage: Montons en haut. Des qu’ils furent monies, On pourfuivit la chofe coiSimencee. Tant fut ouvre , qu’Alix dans la penfee Sur cette affaire un ferupule fe mit; Et l’innocente au bon apotre dit: Si cet enfant avoit plufieurs oreilles, Ce ne feroit a vous bien befogne. Rien, rien, dit-il, a cela j’ai foigne: Jamais ne faux en rencontres pareilles. Sur le metier l’oreille etoit encor, Quand le mari revient de fon voyage; Careffe Alix, qui du premier abord, Vous aviez fait, dit-elle, un bel ouvrage; Nous en tenions fans le compere Andre; Et notre enfant d’une oreille eut manque. Souffrir n’ai pu chofe tant indecen’te. N 3 Sire IQ8 LE fAISEUR Sire Andre done, toute affaire ceffante, En a fait une: il ne faut oublier De l’aller voir, & Ten remercier: De tels amis on a toujours affaire. Sire Guillaume, au difeours qu’elle fit, Ne comprenant, comrne il fe pouvoit faire, Que fon epoufe eut eu fi peu d’efprit, Par pluiieurs fois lui lit faire un recit De tout le cas : puis outre de colere Il prit une arme a cote de fon lit; Vouluttuerla pauvre Champenoife, Qui pretendoit ne 1'avoir merite. / Son innocence & fa naivete En quelque forte appaiferent la noife. Helas ! Monfieur, dit la belle en pleurant, En qnoi vous puis-je avoir fait du dom- mage ? Je )Tai donne vos draps ni votre argent; Le compte y eft; & quant au demeurant, Andre me dit quand il parfit l’enfant, Qu’en trouveriez plus que pour votre ufage: Vous pouvez voir; li je ments, tuez-moi; Je m’en rapporte a votre bonne foi. L’epoux fortant quelque peu de colere, Lui repondit: Or bien, ifen parlons plus; On vous l’a dit, vous avez era bien faire, J’en fuis d’accord: contefter la-deffus Ne produiroit que difeours fuperflus: Ne UOREILLES, &c, 199 Je n’ai qu’un mot. Faites demain enforte Qu’en ce logis j’attrape le galant. Ne parlez point de notre differend; Soyez fecrette, ou bien vous etes morte. II vous le faut avoir adroitement; Me feindre abfent en un fecond voyage, Et lui maijder, par lettre ou par meffage, Que vous avez a lui dire deux mots. Andre viendta; puis de quelques propos L’amuferez, fans toucher a l’oreille; Car elle faite, il n’y manque plus rien. Notre innocente executa tres-bien L’ordre donne : ce ne fut pas merveille; La crainte donne aux betes de 1’efprit. Andre venu, l’epoux guere ne tarde, Monte, & fait bruit. Le compagnon regarde Oil fe fauver ; nul endroit il ne vit, Qu’une ruelle en laquelle il fe mit. Le mari ftyppe: Alix ouvre la porte ; Et de la main fait figne incontinent, Qu’en la ruelle ell cache le galant. Sire Guillaume etoit arme de forte, Que quatre Andres n’auroient pu Fetonner. Il fort pourtant, & va querir main forte, Ne le voulant fans doute aflaffiner ; Mais quelque oreille au pauvre hqmme cou- per; Peut-etre pis, ce qu’on coupe en Turquie, N 4 Pays 200 LE FAISEUR Pays cruel & plein de barbarie. C’eft ce qu’il dit a fa femme tout bas: Puis I’emmena , fans qu’elle ofat rien dire; Ferma tres-bien ia porte fur le lire. Andre fe crut forti d’un mauvais pas, Et que l'epoux ne favoit nulle chofe. Sire Guillaume , en revant a fon cas, Change d’avis, en foi-meme propofe De fe venger avecque moins de bruit, Moins de fcandale, & beaucoup plus de fruit. Alix, dit-il, allez querir la femme De fire Andre; contez-lui votre cas De bout en bout; courez; n’y manquez pas. Pour Tamener vous direz a la Dame Que fon mari court un peril tres-grand; Que je vous ai .parle d’un chatiment Qui la regarde; & qu’aux faifeurs d’oreilles On fait fouffrir, en rencontres pareilles, Chofe terrible, & dont le feul penfer Vous fait drefier les cheveux a la tete; Que fon epoux eft tout pret d’y pafier; Qu’on n’attend qu’elle afin d’etre a la fete. Que toutefois, comme elle n’en peut mais, Elle pourra faire changer la peine. Amenez-la , courez : je vous promets D’oublier tout, moyennant qu’elle vienne. Madame Alix bien joyeufe s’en fut Chez fire Andre , dont la femme accourut En diligence, & quafi hors d’haleine; Puis UOREILLES, &c. 201 Puis monta feule; & ne voyant Andre,' Crut qu’il etoit quelque part enferme. Con me la Dame etoit en ces alarmes, Sire Guilianme ayant quitte fes armes, La fait affeoir, & puis commence ainfi: L’ingratitude eft mere de tout vice. Andre m’a fait un notable fervice, Parquoi devant que vous fortiez d’ici, Je lui rendrai, ft je puis , la pareille. En mon abfence il a fait une oreille Au fruit d’Alix: je veux d’uu ft bon tout Me revancher ; & je penfe une chofe. Tous vos enfans ontlenez un peu court: Le moule en eft allurement la caufe. Or je les fais des mieux raccommoder. Mon avis done eft que fans retarder Nous pourvoyons de ce pas a faffaire. Difant ces mots, il vous prend la commere, Et pres d'Andre la jetta fur le lit; Moitie raifin, moitie figue, en jouit. La Dame prit le tout en patience; Benit le ciel, de ce que la vengeance Tomboit fur elle, & non fur fire Andre; Tant elle avoit pour lui de charite. Sire Guillaume etoit de fon cote Si fort emu, tellement irrite, Qu’a la pauvrette il ne fit ncdle grace Du talion, rendant a fon epoux Feves pour pois , & pain bianc pour foiiace. Qu’on dit bien vrai, que fe venger eft doux! N 5 Tres- 202 LE FLEUVE Tres-fage fut d’en ufer de la forte: Puifqu’il vouloit fon honneur reparer, 11 ne pouvoit mieux que par cette porte D’un tel affront a mon fens fe tirer. Andre vit tout, & n’ofa murnnurer; Jugea des coups; mais ce iut fans rien dire; Et loua Dieu que le mal n’etoit pire. Pour une oreilie, il ailrolt compote. Sortir amoins, c’etoit pour lui merveilles , Je dis a molns ; car vaut mieux, tout prife, Cornes gagner, que perdre fes oreilles. LE FLEUVE SCAM ANDRE. JLYie voila pret a conter de plus belle; Amour le veut, & rit de mon ferment: Hommes & dieux, tout eft fous fa tutelle, Tout obeit, tout cede a cet enfant: J’ai deformais befoin en le chantant De traits moins forts, & deguifant la chofe: Car apres tout, je ne veux etre caufe D’aucun abus : que plutot mes ecrits Manquent de fel, & ne foient d’aucun prix. Si dans ces vers j’introduis & je chante Certain trompeur, & certaine innocente; Celt dans, la vue & dans l’intention Qu’on fe meiie en telle occaiion. J’ouvre SC AM ANDRE. 203 J’ouvre l’efprit, & rens le fexe habile A fe garder de ces pieges divers. Sotte ignorance en fait trebucher miile, Centre une feule a qui nuiroient mes vers. J’ai lu qu’un orateur eftime dans la Grece, Des beaux arts autrefois fouveraine maitrefie, Banni de fon pays , voulut voir le fejour Oil fubfiftoient encor les ruines de Troye; Cimon fon camarade eut fa part de la joie: Du debris d’llion s’etoit conftruit un bourg Noble par fes malheurs; la Priam & fa cour N’etoient plus que des noms, dont le temps fait fa Proie. Ilion, ton nom feul a des charmes pour moi; Lieu fecond en fujets propres a notre emploi, Ne verrai-je jamais rien de toi, ni la place De ces murs eleves & detruits par des dieux, Ni ces champs ou couroient la fureur & l’audace, Ni des temps fabuleux enfin la moindre trace, Qui put me prefenter l’image de ces lieux ? Pour revenir au fait, & ne point trop m’etendre, Cimon le heros de ces vers, Se promenoit pres du Scamandre. Une jeune ingenue en ce lieu fe vient rendre, Et gouterla fraicheur fur ces bords toujours verds. Son voile au gre des vents va flottant dans les airs; Sa parure eft fans art, elle a Pair de bergere, Une beaute naive, une taille legere. Cimon en eft furpris, & croit que fur ces bords Venus LE FLEUVE zcq. Venus vient etaler fes plus rares trefors. Un antre etoit aupres: l’innocente pucelle Sans foupqon y defcend , aufli Ample que belle. Le chaud, la folitude; & quelque Dieu malin L’inviterent d’abord a prendre un demi bain. Notre banni fe cache: ilcontemple, il admire, 11 ne fait quels charities elire; II devore des yeux & du coeur cent beautes. Comme on etoit rempli de ces divinites Que la fable a dans fon empire, II fonge a profiter de l’erreur de ces temps; Prend Fair d’un dieu des eaux, mouille fes vd- temens, Se couronne de joncs, & d’herbe degoutante; Puis invoque Mercure. & le dieu des amans. Centre tant de trompeurs qu’eut fait une in- nocente ? La belle enfin decouvre un pied, dont la blancheur Auroit fait honte aGaiatee, Puis le plonge en l’onde argentee , Et regarde fes lys, non fans quelque pudeur. Pendant qu’a cet objet fa vue eft arretee, Cimon approche d’elle : elle court fe cacher Dans le plus profond du rocher. Je fuis, dit-il, le dieu qui commande a cette onde; Soyez-en la deeffe , & regnez avec moi. Peu de fleuves pourroient dans leur grotte pro- fonde Partager avec vous un aufli digne emploi: Men criftal eft tres-pur, mon coeur Fell davantage; Je SCAMANDRE. 295 Je couvrirai pour vcus ds flenrs tout cerivage, Trop heureux, ii vos pas le daignent honorer, Et qu’au fond de mes eaux vous daigniez vous mirer. Je rendrai toutes vos compagnes /■ Nynsplies auili, foit aux montagnes, Soitauxeaux, foit aux bois; car j’etens monpcfti- voir Sur tout ce que votre oeil a la ronde peut voir. L’eloquence du dieu , la peur de lui deplaire , Malgre quelque pudeur qui gatoit le myl’tere , Conclurent tout en peu de temps. La fuperftition caufe milie accidens. On dit meme qu’Amour intervint a l’affaire. Tout tier de ce fucces, le banni uit adieu. Revenez, dit-il, en ce lieu : Vous garderez que l’on ne fache Un hymen qu’il faut que je cache: Nous le declarerons, quand j’en aurai parle Au confeil qui fera dans l’olympe affemble. La nouvelle deeffe a ces mots fe retire , Contente? Amour le fait. Unmoisfepafl'e& deux, Sans que pas un du bourg s’appeiyutdeieurs jeux. O mortels ! eft-il dit qu’a force d’etre heureux Vous ne le foyez plus! Le banni, fans rien dire, Ne va plus viiiter cet antre 11 fouvent. Une noce enfm arrivant, Tous pour la voir palTer fous l’orme fe vont rendre. La belle apperqoit l’homme, & crie en ce moment, Ah! voiia le heuve Scamandre. On 206 le fleuve scamandre. On s’etonne, on la preffe, elle dit bonnement Que fon hymen fe va conclure au firmament: On en rit: car que faire ? Aucuns a coups de pierre Pourfuivirent le dieu, qui s’enfuit a grand’erre. D’autres rirent fans plus. Je crois qu’en ce temps-ci L’on feroitau Scamandre un tres-iRechant *parti. En ce temps-la femblables crimes S’excufoient aifement: tous temps, toutes ma~ ximes. L’epoufe du Scamandre en fut quitte a la fin Pour quelques traits de raillerie; Meme un de fes amans Pen trouva plus jolie: Cell un gout: il s’offrit a lui donner la main: Les dieux ne gatent rien : puis quand ils fe- roient caufe Qu’une fille en valut un peu moins, dotez-la, Vous trouverez qui la prendra, L’argent repare toute chofe. 20 ? LA CONFIDENTE SANS LE SAVOIR, 0 U LE STRATAGEME. r j e ne connois rheteur, ni maitre-es-arts Tel que 1’Amour : 11 excelle en bien dire; Ses argumens, ce font de doux regards, De tendres pleurs, un gracieux fourire. La guerre aufli s’exerce en fon empire: Tan tot il met aux champs fes etendards, Tant6t couvrant fa marche & fes fineffes, II prend des coeurs entoures de remparts. Je le foutiens: pofez deux fortereffes; Qu’il en batte une, une autre le dieu Mars; Que celui-ci faffe agir tout un monae, Qu’il foit arme, qu’il ne lui manque rien ; Devant fon fort je veux qu’il fe morfonde, Amour tout nud fera rendre le lien; C’eft l’inventeur des tours & ftratagemes. 3’en vais dire un de mes plus favoris; J’en ai bien lu, j’en vois pratiquer memes, Et d’affez bons, qui ne font rien au prix. La 203 LA CONFIDENTE La jenne Aminte a Geronte donnee Meritoit mieux qu’un fi trifte hvmenee ; Elle avoit pris en cet homme un epoux Mai gracieux, incommode & jaloux. II etoit vieux ; elle a peine en cet age, On quand un coeur n’a point encore aime, D’un doux objet il ell bien-tut charme, Celui d’Aminte ayant fur fon palTage Trouve Cleon, beau, bien fait, jeune & fage, II s’acquitta de ce premier tribut, Trop bien peut-etre, & mieux qu’il ne faliut: Non toutefois que la belle n’oppofe Devoir & tout a ce doux fentiment; Mais lors qu’Amour prend le fatal moment, Devoir & tout, & rien c’eft meme chofe. Le but d’Aminte en cette paffion Etoit, fans plus, la confolation D’un entretien fans crime, ou la pauvrette Verfat fes foins en une ame difcrette. Je croirois bien qu’ainli l’on le pretend; Mais l’appetit vient toujours en mangeant; Le plus fur eft ne fe point mettre a table. Aminte croit rendre Cleon traitabie: Pauvre ignorante! Elle fonge au moyen De i’engager a ce Ample entretien, De lui laiifer entrevoir quelque eftime, Quejque amitie, quelque chofe de plus, Sans y meler rien que de legitime: Piutot la mort empechat tel abus ! Le point etoit d’entamer cette alfaire. Les SANS LE SA VOIR,&c. 209 Les lettres font un etrange myftere, II en provient maint & maint accident. Le meilleur eft quelque fur confident. Ou le trouver? Geronte eft homme a craindre. J’ai dit tantot qu’Amour favoit atteindre A fes defleins d’une ou d’autre faqon: Ceci me fert de preuve & de leqon. Cleon avoit une vieilie parente, Severe & prude, & qui s’attribuoit Autorite fur lui de gouvernante. Madame Alis (Ainii l’on 1’appelloit) Par un beau jour eut de la jeune Aminte Ce compliment, ou plutot cette plainte; Je ne l'ais pas pourquoi votre parent, Qui m’eft & fut toujours indifferent, Et le fera tout le temps de ma vie, A de m’aimer conqu la fantaifie. Sous ma fenetre il pafle inceffamment: Je ne faurois faire un pas^ feulement Que je ne l’aye auffi-t6t a mes trouffes; Lettres, billets pleins de paroles douces, Me font donnes par une, dont le nom Vous eft connu; je le tais pour raifon. Faites ceffer pour Dieu cette pourfuite; Elle n’aura qu’une mauvaife fuite. Mon mari peut prendre feu la-deffus. Quant a Cleon, fes pas font fuperflus, Dites-le lui de ma part, je vous prie. Madame Alis la loue, & lui promet De voir Cleon, de lui parler ft net, Tome IL O Que 2io LA CONFIDENTE Que de l’aimer il n’aura plus d’envie. Cleon va voir Alis le lendemain: Elle lui parle, & le pauvre homme nie, Avec ferment, qu’il eut un tel defl'ein. Madame Alis Fappelle enfant du diable; Tout vilain cas, dit-elle, eft reniable; Ces fermens vains & peu dignes de foi Meriteroient qu’on vous fit vctre fauffe. Laiffons cela, la cliofe eft vraie ou fauffe, Mais fauffe ou vraie, il faut, & croyez-moi, Vous mettre bien dans la tete qu’Aminte Eft femme fage, honnete, & hors d’atteinte: Renoncez-y. Je le puis aifement, Reprit Cleon. Puis au meme moment Il va ehez lui fonger a cette affaire. Rien ne lui peut debrouiller le myftere. Trois jotirs n’etoient paffes entierement: Que revoici chez Alis notre belle: Vous n’avez pas, Madame, lui dit-elle, Encore vu, je penfe, notre amant; De plus en plus fa pourfuite s’augmente. Madame Alis s’emporte, fe tourmente: Quel malheureux! Puis l’autre la quittant, Elle le mande : il vient tout a l’inftant. Dire en quels mots Alis fit fa harangue, Il me faudroit une langue de fer; Et quand de fer j’aurois meme la langue , Je n’y pourrois parvenir. Tout l’enfer Fut employe dans cette reprimande. Allez , fatan, allez vrai lucifer, Maudit SANS LE SA VOIR, &c. 211 Maudit de Dieu. La fureur fut fi grande, Que le pauvre Jiomme etourdi des 1’abord Ne fat que dire: avouer qu’il eut tort, C’etoit traliir par trop fa confcience. 11 s’en retourne, il rumine, il repenfe, II reve tant, qu’enfin il dit en foi: Si c’etoit-la quelque rufe d’Aminte ? Je trouve, helas! mon devoir dans fa plainte, Elle me dit, 6 Cleon, aime-moi, Aime-moi done, en difant que je l’aime: Je l’aime aufli, tant pour fon itratageme Que pour fes traits. J’avoue en bonne foi Que mon efprit d’abord n’y voyoit goutte} Mais a prefent je n’en fais aucun doute: Aminte veut mon cceur allurement. Ah! fi. j’ofois, des ce meme moment, Je l’irois voir, & plein de confiance Je lui dirois quelle eft la violence , Quel eft le feu dont je me fens epris. Pourquoi n’ofer ? Offenfe pour offenfe, L’amour vaut mieux encor que le mepris. Mais fi l’epoux m’attrapoit au logisV Laiffons-la faire ; & laiffons-nous conduire, Trois autres jours n’etoient paffes encor, Qu’Aminte va chez Alts pour inftruire Son [cher Cleon du bonheur de fon fort. Ilfaut, dit-elle, enfin que je deferte; Votre parent a refolu ma perte; Il ma pretend avoir par des prefens: Moi des prefens ! C’eft bien choifir fa femme: O a Tenei, ai* LA CONFIDENTS, Tenez, voila rubis & diamans, Voila bien pis , c’eft mon portrait Madame. Allurement de memoire on l’a fait; Car mon epoux a tout feul mon portrait. A mon lever cette perfonne honnete, Que vous favez, & dont je tais le nom, S’en eft venue, & m’a laiffe le don. Votre parent merite qu’a la tete On le lui jette; & s’il etoit ici. ... Je ne me fens prefque pas de colere. Oyez le refte: il m’a fait dire auftl Qu’il fait fort bien qu’aujourd’hui pour affaire Mon mari couche a fa maifon des champs; Qu’incontinent qu’il croira que mes gens Seront couches, & dans leur premier fomme, II fe rendra devers mon cabinet. Qu’efpere-t’il? Pour qui me prend cet homme? Un rendez-vous? Eft-il fol en effet? Sans que je crains de commettre Geronte, Je poferois tant6t un ft bon guet, Qu’il feroit pris, ainft qu’au trebuchet, Ou s’enfuircit avec fa courte honte. Ces mots finis, Madame Aminte fort. Une heure apres Cleon vint, & d’abqrd On lui jetta ies joyaux & la boete : On l’auroit pris a la gorge au befoin. Eh bien, ceia vous femble-t’il honnete? Mais ce n’eft rien : vous allez bien plus loin. Alis dit lors mot pour mot ce qu’Aminte Venoit de dire en fa derniere plainte. Cleon SANS LE SAVOIR, &c. 213 Cleon fe tint", pour duement averti: J’aimois, dit-il, ileftvrai, cette belle; Mais puifqu’il faut ne rien efperer d’elle, Je me retire, & prendrai ce parti. Vous ferez bien , c’eft celui qu’il faut prendre, Lui dit Alis. II ne le prit pourtant, Trop bien minuit a grand’peine fonnant, Le compagnon fans faute fe va rendre Devers l’endroit qu’Aminte avoit marque: Le rendez-vous etoit bien explique. Ne doutez-pas qu’il n’y fut fans efcorte. La jenne Aminte attendoit a la porte: Un profond fomme occupoit tous Jes yeux; Meme ceux-la qui brillent dans les cieux Etoient voiles par uue epaifle nue. Comme on avoit toute chofe prevue, II entre vite, & fans autre difcours, II s vont; ils vont au cabinet d’amours, Lk le galant des l’abord fe recrie, Comme la Dame etoit jeune & jplie, Sur fa beaute: la bonte vint apres, Et celle-ci fuivit l’autre de pres. Mais dites-moi, de grace, je vous prie, Qui vous a fait avifer de ce tour ? Car jamais tel ne fe fit en amour, Sur les plus fins je pretens qu’il excelle; Et vous devez vous-meme 1’avouer , Elle rougit, & n’en fut que plus belle; Sur fon efprit, fur fes traits , fur fon zele, li la loua: ne fit-il que louer ? ' O 3 LE 214 LE REMEDE. Si l’on fe plait a l’image du vrai, Combien doit-on rechercher le vrai-meme? J’en fais fouvent dans mes contes l’effai, Et vois toujours que fa force eft extreme, Et qu’il attire a foi tous les efprits. Non qu’il ne faille en de pareils ecrits Feindre les noms : le refte de l’affaire Se pent con ter, fans en rien deguifer; Mais quant aux noms, il faut au moins les taire, Et c’eft ainli que je va|s en ufer. Pres du Mans done, pays de fapience, Gens pefant l’air, fine fleur de Normand, Une pucelle eut naguere un amant, Frais, delicat, & beau par excellence; Jeune fur-tout: a peine fon menton S’etoit vetu de fon premier coton. La fille etoit un parti d’importance: Charmes & dot, aucun point n’y manquoit; Tant & fi bien que chacun s’appliquoit A la gagner: tout le Mans y couroit. Ce fut en vain; car le cceur de la fille Inclinoit trop pour notre jojivenceau: Les feuls parens, par un efprit Manceau, La LE REMEDE. 2*5 La deftinoient pour une autre famille. Elle fit tant autour d’eux, que l’amant, Bongre, malgre, je ne fais pas comment, Eut a la fin acces chez fa maitreffe. Leur indulgence , ou plutot fon adreffe , Peut-etre anl'fi fon fang & fa noblefie Les fit changer: que fais-je quoi ? Tout duit Aux gens heureux; car aux autres tout nuit. L’amant le fut: les parens de la belle Surent prifer fon merite & fonzele: C’etoit-la tout: Eh que faut-il encor ? Force comptant: les biens du fiecle d’or Ne font plus biens, ce n’eftqu’une ombre vaine. 0 temps heureux! je prevois qu’avec peine Tu reviendras dans le pays du Maine: Ton innocence eut feconde l’ardeur De notre amant, & hate cette affaire; Mais des parens l’ordinaire lenteur Fit que la belle, ayant fait dans fon coeur Cet hymenee, acheva le myftere Selon les us de l’isle de Cythere. Nos vieux romans , en leur ftyle plaifant, ^ Nomment cela paroles de prefent. Nous y voyons pratiquer cet ufage, Demi amour, & demi-mariage , Table d’attente, avant gout de l’hymen. Amour n’y fit un trop long examen : Pretre & parent tout enfemble, & notaire, En peu de jours il confomma l’affaire ; L’efprit Manceau n’eut point part a ce fait. O 4 Voila 2l6 LE REMEDE. Voila notre homme heureux & fatisfait, Paffant les nuits avec fon epoufee; Dire comment, ce feroit chofe aifee; Les doubles clefs , les breches a I’enclos, Les menus dons qu’on fit a la foubrette, Rendoient l’epoux jouiffant en repos D’une faveur douce autant que fecrette. Avint pourtant que notre belle un foir, En fe plaignant, dit a fa gouvemante, Qui du fecret n’etoit participante: Je me fens mal, n’y fauroit-on pourvoir? L’autre reprit: II vous faut un remede; Demain matin nous en dirons deux mots. Minuit venu, l’epoux mal-a-propos, Tout plein encor du feu qui le poffede, Vient de fa part chercher foulagement; Car chacun fent ici bas fon tourment. On ne l’avoit averti de la chofe. II n’etoit pas fur les bords du fommeil, Qui fuit fouvent l’amoureux appareil, Qu’incontinent 1’Aurore aux doigts de rofe, Ayant ouvert les portes d’Orient, La gouvernante ouvrit tout en riant, Remede en main , les portes de la chambre : Par grand bonheur, il s’en rencontra deux: Car la faifon approchoit de feptembre, Mois ou le chaud & le froid font douteux. La fille alors ne fut pas affez fine; Elle n’avoit qu’a tenir bonne mine, Et faire entrer l’amant au fond des draps ; Clufe LE REMEDE. 217 Chofe facile autant que naturelle: L’emotion lui tourna la cervelle; Elle fe cache elle-meme, & tout bas Dit en deux mots quel eft fon embarras, L’amant fut fage: il prefenta pour elle Ce que Brunei a Marphife montra. La gouvernante ayant mis fes lunettes, Sur le galant fon adreffe eprouva: Du bain interne elle le regala, Puis dit adieu, puis apres s’en alia. - Dieu la conduife, & toutes celles-Ia Qui vont nuifant aux amities fecrettes. Si tout ceci paffoit pour des fornettes, (Comme il fe peut, je n’en voudrois jurer) On chercheroit de quoi me cenfurer. Les critiqueurs font un peuple fevere : Us me diront: votre belle en fortit En fille fotte & n’ayant point d’efprit j Vous lui donnez un autre cara&ere: Cela nous rend fufpecte cette affaire ; Nous avons lieu d’en douter: auquel cas Votre prologue ici ne eonvient pas, Je repondrai_Mais que fert de repondre ? C’eft un proces qui n’auroit point de fin: Par cent raifons j’aurois beau les confondre; Ciceron meme y perdroit fon latin. Il me fuffit de n’avoit en l’ouvrage Rien avance qu’apres des gens de foi: J’ai mesgarants; que veut-on davantage? Chacun ne peut en dire autant que moi. 0 5 LES LES APEUX 218 LES AVEUX INDISCRETS. Jparis fans pair n’avoit en fon enceinte Rien dont les yeux femblaflent ii ravis Que de la belle, aimable, & jeune Aminte, Fille a pour voir, & des meilleurs partis. Sa mere encor la tenoit fous fon aile; Son pere avoit du comptant & du bien: t'aites etat qu’il ne lui manquoit rien. Le beau Damon s’etant pique pour elle, Elle requt les ofires de fon cceur: 11 fit fi bien l’efclave de la belle, Qu’il en devint le maitre & le vainqueur: Bien entendu fous le nom d’hymenee ; Pas ne voudrois qu’on le crut autrement. L’an revolu ce couple fi cbarmant, Toujours d’accord, de plus en plus s’aimant; (Vcus eufiiez dit la premiere journee) Se promettoit la vigne de l’abbe; Lcrfque Damon , fur ce propos tombe, Dit a fa femme: Un point trouble mon ame; Je fuis epris d’une li douce flamme, Que je voudrois n’avoir aime que vous, Que mon coeur n’eut reffenti que vos coups, Qu’il n’eut loge que vatre feule image, Digne, IND1SCRETS. 2fQ Digne, il eft vrai, de fon premier liommage, J’ai cependant eprouve d’autres feux; J’en dis ma coulpe , & j’en fuis tout honteux, II m’en fouvient, in nymphe etoit gentille, Au fond d'un bois, l’amour feul avec nous; II fit ft bien, ft mal, me direz-vous, Que de ce fait il me refte une fille. Voila mon fort, dit Aminte a Damon: J’etois un jour feulette a la maifon; Il me vint voir certain fils de famille, Bien fait & beau, d’agreable fa^on; J’en eus pitie, mon naturel eft bon: Et pour confer tout de fil en aiguille, 11 m’eft refte de ce fait un garqon, Elle eut a peine acheve la parole, Que du mari l’ame jaloufe & folle Au defefpoir s’abandonne auffi-t6t. Il fort plein d’ire, il defcend tout d’un faut , Rencontre un baft, fe le met, & puis crie: Je Jhis bate. Chacun au bruit accourt, Les pere & mere, & toute la megnie, Jufqu’aux voifins. Il dit, pour faire court , Le beau fujet d’une telle folie, Il ne faut pas que le letteur oublie Que les parens d’Aminte, bons bourgeois, Et qui n’avoient que cette fille unique, La nourriffoient, & tout fori domeftique, Et fon epoux, fans que , hors cette fois, Rien eut trouble la paix de leur famille. La 220 LES AVEUX La mere done s’en va trouver fa fille; Le pere fuit, laiffe fa femme entrer, Dans le deflein feulement d’ecouter. La porte etoit entr’ouverte: il s’approche Bref il entend la noife & le reproche Que fit fa femme a leur fille en ces mots: Vous avez tort: j’ai vu beaucoup de fots , Et plus encor de fottes en ma vie; Mais qu’on put voir telle indiferetion, Qui l’auroit eru ? Car enfin, je vous prie, Qui vous forqoit ? Quelle obligation De reveler une chofe femblable? Plus d’une fille a forligne ; le diable Eft bien fubtil; bien malins font les gens; Non pour cela que l’on foit excufable; Il nous faudroit toutes dans des couvents Claquemurer, jufques a l’hymenee. Moi qui vous parle ai meme deftinee; J’en garde au cceur un fenfible regret. J’eus troxs enfans avant mon mariage. A votre pere ai-jq i dit ce fecret? En avons-nous fait plus mauvais menage? Ce difeours fut a peine profere , Que l’ecoutant s’en court, & tout outre Trouve du baft la fangle & fe l’attache, Puis va criant par-tout : Je fids fangle. Chacun en rit, encor que chacun faclie Qu’il a de quoi faire rire a fon tour. Les deux maris vont, dans maint carrefour, Criant, courant, chacun afamaniere: IN D IS CR B ±S. 221 Bate, le gendre, &JIingle , le beau-pere. On doutera de ce dernier point-ci; Mais il ne faut telles chofes mecroire. Et par exemple , ecoutez bien ceci: Quand Roland fut les plaifirs & la gloire Que dans la grotte avoit eu fon rival, D’un coup de poing il tu^ foncheval. Pouvoit-il pas , trainant la pauvre bete * Mettre de plus la felle fur fon dos ? Puis s’en aller, tout du haut de fa tete, Faire crier , & redire aux echos , Je fuis bate , fangle, car il n’importe, Tous deux font bons. Vous voyez de la forte Que ceci peut cojitenir verite: Ce n’eft affez, cel a ne doit fuffire 5 Il faut auffi montrer l’utilite De ce recit; je m’en vais vous la dire. L’heureux Damon me femble un pauvre lire: Sa confiance eut bien-t6t tout gate, Pour la fottife & la fimplicite De fa moitie, quant a moi, je Fadmire. Se confefi'er a fon propre mari? Quelle folie. Imprudence eft un terme Foible a mon fens pour exprimer ceci. Mon difeours done en deux points fe renferme. Le nceud d’hymen doit etre refpefte , Veut de la foi, veut de l’honnetete: Si par malheur quelque atteinte un peu forte Le fait clocher d’un ou d’autre cote, Comportez-vous de maniere & de forte Que 222 le! contrat. Que ce ferret ne foit point evente. Garde?, de faire aux egards banqueroute: Mentir alors eft digne de pardon. Je donne ici de beaux confeils fans doute; Les ai-je pris pour moi-meme ? Helas! non. ■*<•*>—v.-»•< vw-<- LE CONTRAT. 'S' g ,e malheur des maris, lesbons tours des Agnes Ont ete de tout temps le fujet de la fable: Ce fertile fujet ne tarira jamais} C’eft une fource inepuifable. A de pafeils malheurs tous hommes font fujets: Tel qui s’en croit exempted toutfeul ale croire; Tel rit d’une rufe d’amour, Qui doit devenir a fon tour Le rifible fujet d’Une femblable hiftoire. D’un tel revers fe lailfer accabler, Eft a mon gre fottife toute pure. Celui dont j’ecris l’aventure, Trtnu'a dans fon malheur de quoi fe confoler. Certain riche bourgeois s’etant mis en menage, N’eut pas l’ennui d’attendre trop long-temps Les doux fruits du mariage ; Sa femme lui donna bien-tot deux beaux enfans; Une iiile d’abord, un garqon dans la fuite. Le Ills devenu grand fut mis fous la conduit® D’un LE CONTRAT. 223 D’un precepteur: non pas de ces pddans, Dent i’afpecc eft rude &: fauvage. Celui-ci gentil perfonnage, Grand maitre-es-arts, fur-touten i’art d’aimer, Du beau monde avoit quelque ufage, Chantoit bien , & favoit aimer : Et s’il faut declarer tout le fecret mvftere, Amour, dit-on, l’avoit fait precepteur. II ne s’etoit introduit pres du frere, Que pour voir de plus pres fa feeur, II obtient tout ce qu’il deiire , Sous ce trompeur deguifement: Bon precepteur, fidele amant, Soit qu’il regente, ou qu'il fofpire, B reuffit egalement. Deja fon jeune pupille Explique Horace & Virgile , Et deja la beaute qui fait tous fes defirs, Sait le langage des foupirs : Notre maitre en gaianterie Tres-bien lui fit pratiquer fes lecons. Cette pratique auffi-tot fut fuivie De maux de coeur , de pamoifons ; Non fans donner de terribles foupqons Du fujet de la maladie: Enfin tout fe decouvre, & le pere irrite Menace, tempete, crie, Le dofteur epouvante Se derobe a fa furie. La belle volontiers l’auroit pris pour epoux; Pour 224 LE CONTRAT. Pour femme volontiers il auroit pris la belle: L’hymen etoit l’objet de leurs voeux les plus doux; Leur tendreffe etoit mutuelle: Mais 1’amour aujourd’hui n’eft qu’une bagatelle; L’argent feul aujourd’hui forme les plus beaux nceuds: Elle etoit riche, il etoit gueux: C’etoit beaucoup pour lui, c’etoit trop peu pout elle. Quelle corruption ! 0 liecle! 6 temps ! 6 mceuts! Conformite de biens , difference d’humeurs: Souffrirons-nous toujours ta puiffance fatale, Meprifable interet, opprobre de nos jours, Tvran des plus tendres amours? Mais faifons treve k la morale, Et teprenons notre difcours. Le pere bien fache, la fille bien marrie; Mais que faire ? Il faut reparer Ce malheur, Et mettre a couvert fon honneur. Quel remede ? On la marie , Non au galant: j’en ai dit les raifons; Mais a certain quidam amoureux de tellons, Plus que de fillette gentille, Riche fuffifaminent & de bonne famille; Au furplus bon enfant, fot, je ne le dis pas, Puifqn'il ignoroit tout le cas; Mais quand il le fauroit, fait-il mauvaife em- plette ? On LE CONTRA T. 225 On lui donne ala fois vingt mille bons ducats, Jeune epoufe & befongne faite. Combien de gens avec femblable dot, Ont pris, le fachant bien, la fille & le gros lot? Et celui-ci crut prendre une pucelle. Bien eft-il vrai qu’elle en fit les famous: Mais quatre mois apres la favante Donzelle Montre le prix de fes leqons: Elle mit au monde une fille. Quoi deja pere de famille, Dit l’epoux etant bien furpris! Au bout de quatre mois; c’eft trop-t6t: je fuis pris: Quatre mois , ce n’eft pas mon compte. Sans tarder, au beau-pere il va conter fa honte, Pretend qu’on le fepare, & fait bien du fracas. Le beau-pere fourit, & lui dit: Parlons bas, Quelqu’un pourroit bien nous entendre: Comme vous, jadis je fus gendre, Et me plaignis en pareil cas: Je parlai, comme vous, d’abandonner ma femme; C’eit l’ordinaire effet d’un violent depit. Mon beau-pere defunt, Dieu veuille avoir fon ame, II etoit honnete-homme, & me remit l’efprit. La pillule, a vrai dire, etoit affez amere; Mais il fut la dorer, & pour me fatisfaire, D’un bon contrat de quatre mille ecus, Qu’autrefois pour femblable affaire, Il avoit eu de fon beau-pere, Tom. 11 P B 22b LE CONTRAT. II augmenta la dot: je ne m’en plaignis plus. Ce contrat doit paffer de famille en famille... Je le gardois expres; ayez-en meme foin: Vous pourrez en avoir befoin, Si vous mariez votre fille. A ce difcours, le gendre moins fache Prend le contrat, & fait la reverence. Dieu prelerve de mal ceux qu’en telle occurrence On confole a meiileur march©. LES QUI-PRO-QUO. Jf^ame fortune aime fouvent a rire, Et nous jouant un tour de fon metier, Au lieu des biens ou notre coeur afpire, D’un Qui-pro-quo fe plait a nous payer. Ce font fes jeux ; j’en parle a jufte caufe: II m’en fouvient ainli qu’au premier jour. Cloris & moi nous nous aimions d’amour: Au bout d’un an la belle fe difpofe A me donner quelque foulagement, Foible & ldger, a parler franchement, C’etoit fon but; mais quoi qu’on fe propofe, L’occalion & le difcret amant Sont h la fin les maitres de la chofe. Je vais au foir chez cet objet charmant: L’epoux etoit aux champs heureufement; Mais il revint, la nuit a peine clofe. Point de Cloris : le dedommagement Fut que le fort en fa place fuppofe Une foubrette a mon commandement; Elle paya cette fois pour la Dame. Difons un troc, ou reciproquement Pour la foubrette on employa la femme. De pareils traits tous les livres font pleins: Bien eft-il vrai qu’il faut d’habiles mains. P 3 Pour a*8 LES QUI-PRO-qUO. Pour amerer chofe ainfi furprenante. 11 eft befoin d’en bien fonder le cas, Sans rien forcer , & fans qu’on violent* Un incident qui ne s’attaidoit pas. L'aveugle enfant, joueur de pafie-paffe, Et qui voit clair a tendre maint panneau, Fait de ces tours : celui-la du berceau Leve la paille a l’egard de Bocace ; Car quant a moi, ma main pleine d’audac* En mille endroits a peut-etre gate Ce que la fienne a bien execute. Or il eft temps de finir ma preface, Et de prouver par quelque nouveau too* Les Qiii-pro-quo de fortune & d’amour. On ne peut mieux 4tablir cette chofe, Que par un fait a Marfeille arrive. Tout en eft vrai; rien n’en eft controuve. La Clidamant, que par refpeft je n’ofe Sous fon nom propre introduire en ces vers, Vivoit heureux, fe pouvoit dire en femme Mieux que pas un qui fut en 1’Univers. L’honnetete, la vertu de la Dame, Sa gentillefle, & meme fa beaute , Devoient tenir Clidamant arrete. II ne le fut: le diable eft bien habile $ Si c’eft adreffe & tour d’habilete, Que de nous tendre un piege auffi facile Qu’eft le defir d’un peu de nouveaute. Pres de la Dame etoit une perfonne; Une fuivante, ainfi qu’elle, mignonne, LES QUI-PRO-QUO. 22 9 De tneme tailie & de pareil maintien, Gente de corps: il ne lui manquoit rien De ce qui. plait aux chercheurs d’aventures. La Dame avoit un peu plus d’agrement; Mais fous le mafque on n’eut fu bonnement Laquelle elire entre ces creatures. Le Marfeillois, Provencal un peu chaud, Ne manque pas d’attaquer au plutot Madame Alix; c’etoit une foubrette. Madame Alix, encor qu’un peu coquette , Renvoya l’homme. Enfin il lui promet Cent beaux ecus , bien comptes, clair & net. Payer ainii des marques de tendreffe, En la fuivante, etoit, vu le pays, Selon mon fens , un fort honnete prix. Sur ce pied la, qu’eiit coute la maitrelfe? Peut-etre moins; car le hazard y fait: Mais je me trompe, & la Dame etoit telle, Que tout amant, & tant fut-il parfait, Auroit perdu fon latin aupres d’elle: Ni dons, ni foins, rien n’auroit reuffi. Devrois-je y faire entrer les dons aufli? Las! ce n’eft plus le fiecle de nos peres. Amour vend tout, & nymphes & bergeres: Il met le taux a maint objet divin: C’etoit un Dieu, ce n’efl: qu’un echevin. O temps! 6 moeurs! 6 coutume perverfe! Alix d’abord rejette un tel commerce, Fait l’irritee, & puis s’appaife enfin, Change de ton, dit que le lendemain, p 3 Comme 232 LES QUI- PRO- QUO. Tout doucement le fignal neceffaire. On ouvre, on entre, & fans retardement, Sans lui donner le temps de reconnoitre Ceci, cela, l’erreur, le changement, La difference enfin qui pouvoit etre Entre l’epoux & fon affocie, Avant qu’il put aucun change paroitre, Au dieu d’amour il fut facrilie. L’heureux ami n’eut pas toute la joie, Qu’il auroit eue en connoiffant fa proie. La Dame avoit un peu plus de beaute, Outre qu’il faut compter la qualite. A peine fut cette fcene achevee, Que l’autre acteur, par fa prompte arrivee, Jette la Dan^p en quelque etonnement; Car comme epoux , comme Clidamant meme , II ne montroit toujours fi frequemment De cette ardeur l'emportement extreme. On imputa cet exces de fureur A la foubrette, & la Dame en fon coeur Se propofa d’en dire fa penfee. La fete etant de la forte paffee, Du noir fejour ils n’eurent qu’a fortir. L’affocie des frais & du plaifrr S’en court en haut en certain veftibule; JMais quand l’epoux vit fa femme monter, Et qu’elle eut vu l’ami fe prefenter, On peut juger quel foup§on, quel fcrupule, Quelle furprife eurent les pauvres gens: Ei l’un ni l’autre ils n’avoieiit eu le temps LES Q UI-PR 0 -QUO. 233 De compofer leur mine & leur vifage. L’epoux vitbien qu’il falloit etre fage; Mais fa moitie penfa tout decouvrir. J’en fuis furpris : femmes favent mentir; La moins habile en connoit la fcience. Aucuns ont dit qu’Alix fit confcience De n’avoir pas mieux gagne fon argent; Plaignant l’epoux, & le dedommageant, Et voulant bien mettre tout fur fon compte: Tout cela n’eft que pour rendre le conte Un peu meilleur. ]’ai vu les gens mouvoir Deux queftions ; l’une , c’eft a favoir Si l’epoux fut du nombre des confreres, A mon avis , n’a point de fondement, Puifque la Dame & l’ami nullement Ne pretendoient vaquer a ces myftereS. L’autre point eft touchant le talion; Et l’on demande en cette occalion, Si pour ufer d’une jufte vengeance, Pretendre erreur & caufe d’ignorance, A cette Dame auroit ete permis. Bien que ce foit affez la mon avis, La Dame fut toujours inconfolable. Dieu gard’ de mal celles qu’en cas femblable II ne faudroit nullement confoler: J’en connois bien qui n’en feroient que rire ) De celles-la je n’ofe plus parler, Et je ne vois rien des autres a dire. P 5 AVER* AVER TISSEMENT. uoique les Contes fuivans tiapprochent que mfdiocrement de ceux de M. de la Fontaine , cepen- dant comme depuis long-temps ils paroijjent dans toutes les Editions des Contes de ce Po 'dte inimitable, nousn'avons pasjuge apropos de les fupprimer. LA COUTURIERE. f' ^ertaine fceur dans un comment, Avoit certain amant eii ville, Qu’elle ne voyoit pas fouvent: La chofe, comme on fait, eft aflez difficile. Tous deux euffent voulu qu’elle l’eut ete moins; Tous deux a s’entrevoir apportoient tous leurs foins. Notre foeur en ttrouva le fecret la premiere: Nonnettes en ceci manquent peu de talent. Elle introduiflt le galant Sous le titre de couturiere, Sous le titre, & l’habit aufft. Le tour ayant bien reuffi, Sans caufer le moindre fcrupule, Nos amans eurent foin defermer la cellule, Et paflerent le jour aflez tranquiliement A cou- LA COUTURIERE. 235 A coudre; mais Dieu fait comment. La nuit vint; c’etoit grand dommage: Quand on a le coeur a l’ouvrage, II fallut le quitter. Adieu, ma foeur, bon foir, Couturiere, jufqu’au revoir; Et ma foeur fut au refeftoire Un peu tard; & c’eft-la le facheux de l’hiftoire. L’abbeffe l’apperqut, & lui dit en courroux: Pourquoi done venir la derniere ? Madame, dit la foeur, j’avois la couturiere. Vosguimpes ont done bien des trous, Pour la tenir une journee entiere ? Quelle befogne avez-vous tant chez-vons; Oil jufqu’au foir elle foit necelfaire? Elle en avoit encor dit-elle pour veiller: Au metier qu’elle a fait, on a beau travailler, On y trouve toujours a faire. LE J e foup$onne fort une hiftoire, Quand le heros en eft l’auteur. L’amour propre & la vaine gloire Rendent fouvent l’homme vanteur. On fait toujours li bien foncompte, Qu’on tire de l’honneur de tout ce qu’on ra- conte. A ce propos, un Gafcon l’autre jour, A table au cabaret, avec un camarade, De gafconade en gafconade , Tomba fur fes exploits d’amour. Dieu fait ft la-deffus il en avoit a dire. Une groffe fervante, a quatre pas de-la, Pretoit l’oreille a tout cela, Et faifoit de fon mieux pour s’empecher de rire. A l’entendre conter, il n’etoit dans Paris De Cloris, Dont il ne connut la ruelle, Dont il n’efit eu quelques faveurs. Son air etoit le trebuchet des coeurs: II aimoit eelle-la , pacce qu’elle etoit belle; Celle-ci payoit fes douceurs; Il avoit chaque jour des garnitures d’elle. D# LE GASCON. 237 De plus, il etoit fort heureux ; II n’etoit pas moins vigoureux: Telle Dame en etoit amplement affuree. A telle autre en une foiree II avoit fu donner jufques a dlx afl'auts. Ah ! pour le coup notre fervante Ne put pas s’empecher de s’ecrier tout haut: Malepefte, comme il fe vante, Je voudrois, par ma foi, avoir ce qu’il s en fast, O 238 LA CRUCHE. . "CJn de ces jours Dame Germaine. Pour certain befoin qu’elle avoit, Envoya Jeanne a la fontaine: Elle y courut; cela preffoit. Mais en courant, la pauvre creature Eut une facheufe aventure. • Un malheureux caillou, qu’elle n’apperqut pas, Vint fe rencontrer fous fes pas. A ce caillou Jeanne trebuche, Tombe enfin, & caffe fa cruche; Mieux eut valu cent fois s’etre caffe le cou. Caffer une cruche fi belle! Que faire ? Que deviendra-t’elle ? Pour en avoir une autre, elle n’a pas un fou. Quel bruit va faire fa maitreffe De fa nature tres-diableffe ? Comment eviter fon courroux ? Quel emportement ? Que de coups! Oferai-je jamais me r’offrir a fa vue? Non, non, dit-elle: il faut enfin que je me tue. Tuons-nous. Par bonheur, un voifinpres de la, Accourut, entendant cela; Et pour confoler l’affligee, Eui chercha les raifons les meilleures qu’il put; Mais pour bon orateur qu’il fut, Elle LA C RUCHE. 239 Elle n’en fut point foulagee; Et la belle toujours s’arrachant les cheveux, Faifoit couler deux ruiffeaux de fes yeux. Enfin voulut mourir; la chofe etoit conclue. He bien, veux-tu que je te tue, Lui dit-il. "Volontiers. Lui fans autre faqon Yous la jette fur le gazon', Obdit a ce qu’elle ordonne; A la tuer des mieux apprete fes efforts, Leve fa cotte, & puis lui donne D’un poignard a travers le corps. On a grande raifon de dire Que pour Iff malheureux la mort a fes plaifirs, Jeanne roule les yeux, fe pame, enfin expire: Mais apres les derniers foupirs Elle remercia le fire. Ah! le brave homme que voila! Grand’merci, Jean, je fuis la plus humble des vAtres: Les tuez-vous comme cela? Vraiment j’en caflerai bien d’autres. Lefujet du Conte fuivant a etc pris d’unc Balade faile autrefois pour Mr. Fouquet, & quife trouve dans le Recueil qui aparufousle nom deMr. de la Fontaine , & fous celui de Mr. de Mautroy. PRO- 2 4 o PROMETTRE EST UN, f WWW jtj5fe!^ g , 9 , rtfgaBiiS^tgwngg!g!gS^tgBBaHgi^^^^paguAi&^Lg''KgJip^»^jgiHi £ 3 *-*3Qi£3*-- PROMETTRE EST UN, ET TENIR EST UN AUTRE. Jean amoureux de la jeune Perrette, Ayant en vain aupres d’elle employe Soupirs, fermens, doux jargon d’amourette, Sans que jamais rien lui fut octroye, Pour la flechir, s’avife de lui dire , En lui montrant de fes mains les dix doigts, Qu’il lui pourroit prouver autant de fois Qu’en fait d’amour il etoit un grand lire. De te ! s fignaux parlent eloquemment, Et pour toucher ont fouvent plus de force, Que foins, loupirs, & que tendre ferment. Perrette auffi fe prit a cette amorce. Ja fes regards font plus doux mille fois, Plus de fierte; l’amour a pris fa place: Tout eft change, jufqu’au fon de fa voix. On fouffre Jean, voire tneme on 1’agace, On lui fourit; on le pince par fois, Et le galant voyant l’heure venue, L’heure aux amans tant feulement connue, Ne perd point temps, prend quelques menus droits, Va plus avant, & li bien s’inlinue, Qu’il acquitta le premier de fes doigts: Paffe ET TENIR EST UN AUTRE. 241 Pafle au fecond, au tiers , au quatrieme; Reprend haleine, & fournit le cinquieme. Mais qui pourroit aller toujours de meme! Ce n’eft moi ja, quoique d’age a cela, Ne Jean auffi; car il en refta la. Perrette done en fon compte trompee; Si toutefois e’eft tromper que ceci, Car fen connois mainte tres-haut huppee Qui vouaroit bien etre trompee ainli: Perrette, dis-je, abufee en fon compte, Et ne pouvant rien de plus obtenir, Se plaint a Jean, lui dit que e’eft grand’honte D’avoir promis, & de ne pas tenir. Mais a cela cettui trompeur apotre, De fon travail fuffifamment content, Sans s’emouvoir repond en la quittant, Promettre eft un, & tenir eft un autre. Avec le temps facquitterai les dix, En attendant, Perrette, adieu vous dis. Tome. Ik Q \ LE LE ROSSIGNOL. IPour garder certaine toifon, On a beau faire fentinelle; C’eft temps perdu , lorfqu’une belle Y fent grande demangeaifon. Un adroit & charm ant Jafon, Avec 1’aide de la Donzelle Et de maitre expert Cupidon, Trompe facilement & taureau & dragon. La contrainte eft l’ecueil de la pudeur des filles ; Les furveillans , les verroux & les grilles Sont une foible digue a leur temperament. A douze ans aujourd’hui, point d’Agnes a cet age: Fillette nuit & jour s’applique uniquement A trouver les moyens d’endormir finement Les Argus de fon pucelage. Larmes de crocodile, yeuxlafcifs, douxlangage, Souris, foupirs flatteurs, tout eft mis en ufage, Quand il s’agit d’attraper un amant. Je n’en dirai pas davantage. Lebteurs regardez feulement La fmette Cataut jouer fon perfonnage, Et comment elie met le Roffignol en cage: Apres je m’en rapporte a votre jugement. Dans LE ROSSIGNOL. 243 Dans une ville d’ltalie, Dont je n’ai jamais fu le nom, Fut une fille fort jolie , v Son pere etoit Meffire Varambon. Bocace ne dit pas comme on nommoit la mere; Aulli cela n’eft pas trop utile a favoir: La fille s’appelloit Catherine; & pour plaire Elle avoit amplement tout ce qu’il faut avoir: Age de quatorze ans, teint de lis & de rofes, Beaux yeux, belle gorge, & beauxfiras, Grands prejuges pour les fecrets appas. Le leiteur penfe bien qu’avec toutes ces chofes Fillette manque rarement D’un amant. Auffi n’en manqua la pucelle: Richard la vit, l’aima, fit tant en peu de jours Par fes regards, par fes difcours, Qu’il alluma pour lui dans le coeur de la belle La meme ardeur qu’il reffentoit pour elle. L’un de l’autre deja faifoit tous les plaifirs: Deja memes'langueurs, deja memes defirs; Delirs de quoi? Befoin n’ai de le dire; Sans trop d’habilete l’on peut le deviner; Quand un coeur amoureux a cet age foupire, On fait afl'ez ce qu’il peut defirer. Un point de nos amans retardoit le bonheur: La mere aimoit fa fille avecque tant d’ardeur, Qu’elle n’auroit fu vivre un feul moment fans elle; Le jour l’avoit toujours pendue a fon cote; Et Ja nuit la faifoit coucher dans fa ruelle. Q 3 Un LE ROSSIGNOL. 244 Un peu moins de tendreffe, & plus de Iiberte Eut mieux accommode la belle. Cet exces d’amour maternelle * Eft bon pour les petits fenfans: Mais fiilette de quatorze ans Bien-t6t s’en laffe & s’en ennuie. Catherine en jour de fa vie N’avoit pu profiler d’un feul petit moment, Pour entretenir fon amant: C’etoit pour tous les deux une peine infinie. Quelquefois par hazard il lui ferroit la main, Quand il la trouvoit en ehemin ; Quelquefois un baifer pris a la derobee: Et puis c’eft tout; mais qu’eft-ce que cela? C’eft proprement manger fon pain a la fumee. Tous deux etoienttrop fins pour en demeurerla. Or void comme il en alia. Un jour par un bonheur extreme, Us fe trouverent feuls, fans mere & fans jaloux; Que mefert, dit Richard, helas! que jevous aime ? Que me fert d’etre aime de vousV Cela ne fait qu’augmenter mon martyre; Je vous vois, fans vous voir ; je ne puis vous parler; Si je me plains, ft je foupire, 11 me faut tout diifimuler. Ne fauroit-on enfin vous voir fans votre mere? Ne fauriez-vous trouver quelque moyen ? Helas! vous le pouvez, fi vous le voulez bien: Mais LE ROSSIGNOL. 245 Mais vous nem’aimez pas. Si j’etois moins fin cere; Dit Catherine a fon amant, Je vous parlerois autrement: Mais le temps nous eft cher; voyons ce qu’il faut faire. II faudroit done, lui dit Richard, Si vous avez deffein de me fauver la vie, Vous faire mettre un lit dans quelque chambre -a part. Par exemple, ala galerie, On y pourroit vous aller voir Sur le foir, Alors que chacun fe retire, Autrement on ne peut vous parler qu’a demi: Et j’ai cent chofes a vous dire Que je ne puis vous dire ici. Ce mot fit la belle fourire: Elle fe douta bien de ce qu’on lui diroit; Elle promit pourtant au lire De faire ce qu’elle pourroit. La chofe n’etoit pas facile; Mais l’amour donne de l’efprit; Et fait faire une Agnes habile: Voici comme elle s’y prit. Elle ne dormit point durant toute la nuit, Ne lit que s’agiter & mena tant de bruit Que ni fon pere ni fa mere Ne purent fermer la paupiere Un feul moment. Ce n’etoit pas grande merveille. Q 3 Fille 246 LE ROSSIGNOL. Fille. qui penfe a fon amant abfent, Toute la nuit, dit-on, a la puce a l’oreille* Et ne dort que fort rarement. Des le matin Cataut fe plaignit a fa mere Des puces de la nuit, du grand chaudqu’ilfaifoit: On ne peut point dormir, Maman, s’il vous plaifoit Me faire tendre un lit dans cette galerie; II y fait bien plus frais; & puis des le matin, Du roffignol, qui vient chanter fous ce feuillage, J’entendrois le ramage. La bonne mere y confentit, Va trouver fon homme, & lui dit: Cataut voudroit changer de lit, Afin d’etre au frais & d’entendre Le roffignol. Ah! qu’efl: ceci? Dit le bonne homme, & quelle fantaifie, Allez, vous etes fojle, & votre fille auffi; Avec fon roffignol, qu’elle fe tienne ici, II fera cette nuit-ci Plus frais que la nuit paffee; Et puis elle n’efl: pas, je croi. Plus delicate que moi; J’y couche bien. Cataut fe tint fort offenfee De ce refus; & la feconde nuit Fit cinquante fois plus de bruit, Qu’elle n’avoit fait la premiere, Pleura, gemit, fe depita , Et dans fon lit fe tourmenta, D ’une fi terrible maniere, Que la mere s’en affligea, Et LE ROSSIGNOL. 247 Et dlt a fon mari, vous efces bien mauflade, Et n’aimez gueres votre enfant, Vous vous jouez allurement A la faire tomber malade. Je la trouve deja tout je ne fais comment: Repondez-moi, quelle bizarrerie De ne la pas coucher dans cette galerie, Elle eft tout auffi pres de nous. A la bonne heure , dit l’epoux, Je ne faurois tenir contre femme qui crie; Vous me feriez devenir fou ; Paffez en votre fantaifie; Et qu’elle entende tout fon faoul Le roffignol &lafauvette. Sans delai la chofe fut faite, Catherine a fon pere obeit promptement, Se fait drefler un lit, fait figne a fon amant Pour le foir. Qui voudroit favoir prefentement Combien dura pour eux toute cette journee , Chaque moment une heure, & chaque heure une annee, C’eft tout le moins: mais la nuit vint; Et Richard fit fi bien , a l’aide d’une echelle, Qu’un fripon de valet lui tint, Qu’il parvint au lit de la belle. De dire ce qui s’y pafia, Combien de fois on s’embraffa, En combien de facons l’amant & la maitreffe Se temoignerent leur tendreffe, Q 4 Ce 2 4 S LE R0SS1GN0L. Ce feroit temps perdu: les plus doc res difcours Ne fauroierit jamais faire entendre Le plailir des tendres amours ; Ilfaut 1’avoirgoute pour lepouvoir comprendre. Le roffignol chanta toute la nuit, Et quoiqu’il ne fit pas grand bruit, Catherine en fut fort contente. Celui qui chante au bois fon amoureux fouci; Ne lui parut qu’un ane aupres de celui-ci: Mais le malheur voulut que l’amant & l’amante Trop foibles demoitie pour leurs ardens defirs, Et lafles par leurs doux plaifirs, S’endormirent tous deux fur le point que 1’aurore Commenqoit a s’appercevoir. Le pere en fe levant, fut curieux de voir Si fa fille dormoit encore. Voyons un peu, dit-il, quel effet ont produit Le chant du rofiignol, le changement de lit. II entre dans la galerie, Et s’etant approche fans bruit, II trouva fa fille endormie. A caufe du grand chaud nos deux amans dormans Etoient fans drap ni couverture, En etat de pure nature: Juftement comme on peint nos deux premiers parens , Excepte qu’au lieu de la pomme, Catherine avoit dans fa main Ce LE ROSSIGNOL. 249 Ce qui fervoit au premier homme A conferver le genre humain. Ce que vous ne fauriez prononcer fans fcrupule, Belles, qui vous piquez de fentimens li fiers; Et dont vous vous fervez pourtant tres-vo-j Ion tiers, Si l’on en croit le bon Catulle. Le bon homme a fes yeux a peine ajoute foi; Mais enfln renfermantle chagrin dans fon ame, II rentre dans fa chambre & reveille fa femme j Levez-vous, lui dit-il, & venez avec moi: Je ne m’etonne plus pourquoi Cataut vous temoignoit li grand defir d’entendre Le rollignol; vraiment ce n’etoit pas en vain: Elle avoit defiein de le prendre, Et l’a li bien guette qu’elle 1’a dans fa main. La mere fe leva , pleurant prefque de joie, Un roliignol! Vraiment il faut que je le voie. Eft-il grand ? Chante-t’il ? Fera-t’il des petits ? ^ Helasl la pauvre enfant, comment l’a-t’elle pris? Vous Fa] lez voir, reprit le pere; Mais fur-tout fongez a vous taire: Si l’oifeau vous entend, c’ell: autant de perdu, Vous gaterez tout le myftere. Qui fut furpris ? ce fut la mere, Auffi-tot qu’elle eut apper 9 U Le rolTignol que tenoit Catherine. Elle voulut crier, & l’appeller matine, Chienne, effrontee; enfm tout cequ’il vous plaira, Q q Pent' 2 5 o le rossignol. Peut-dtre faire pis; mais l’epoux l’empdcba. Ce n’eft pas de vos cris que nous avons a faire: Le mal eft fait, dit-il, & quand on peftera , Ni plus ni moins il en fera: Mais favez-vous ce qu’il faut faire ? II faut le reparer le mieux que Ton pourra. Qu’on aille querir le notaire, Et le pretre & le commiffaire, Avec leur bon feeours tout s’accommodera. Pendant tous ces difcours notre amant s’eveilla, Et voyant le foleil: Helas! dit-il, ma chere, Le jour nous a furpris, je ne fais comment faire Pour m’en aller. Tout ira bien , Lui repondit alors le pere; Or qa, lire Richard, il ne fert plus de rien De me plaindre de vous, de me mettre en colere; Vous m’avez fait outrage; il n’eft qu’un feul moyen Pour m’appaifer & pour me fatisfaire: C’efl; qu’il vous faut ici, fans delai ni refus , Sinon dites votre in meatus, Epoufer Catherine, elle eft: bien Demoifelle. Si Dieu ne l’apas faite auffi riche que vous, Pour le moins elle eft jeune, & vous la trou- vez belle. S’expofer a fouffrir une mort tres-cruelle , Et cela feulement pour avoir re title De prendre a femme une iille qu’on aime, Ce feroit a mon fens etre mal-avife. Aufti IE ROSSIGNOL. 251 Auffi dans ce peril extreme, Richard fut habile homme , & ne balanqa pas Entre la fille & le trepas, Sa maitrefl'e ayoit des appas; II venoit de gouter la nuit entre fes bras Le plus doux plailir de la vie , II n’avoit pas apparemment envie D’en partir li brufquement; Or pendant que notre amant Songe a fe faire epoux pour fe tirer d’affaire, Cataut fe reveillant a la voix de fon pere, Lacha le roffignol deffus fa bonne foi; Et tirant doucement le bout du drap fur foi, Cacha les trois quarts de fgs charmes. Le notaire arrive mit fin a leurs alarmes, On ecrivit , & l’on figna. Ainfi fe fit le mariage, Et puis jufqu’i midi chacun les laiffa la, Le pere en les quittant, leur dit, prenez courage, Enfans, le roffignol eft maintenant en cage, 11 peut chanter tant qu’il voudra. £pita^ 252 3EP1TAPHE DE MONSIEUR DE LA FONTAINE. FA1TE PAR LUI-MEME. Jean s’en alia comme il etoit venu, Mangeant fon fonds apres fon re venu; Croyant le bien chofe peu neceffaire. Quant a fon terns, bien Rut le difpenfer? Deux parts en fit, dont il fouloit paffer L’une a dormir & l’autre a ne rien faire. FIN. TABLE 253 w-^ ^ ^ ^ *%& $£ *$£%**$$ **? TABLE D E S CONTES Contenus dans le feconde Tome. *54 Le Cuvier. La chofe impoffible. Le Tableau. Le Baft. Le Faifeur d’Oreilles, & le Raceommodeur Moules. Le fteuve Scamandrc. La conlidente fans le fgavoir, ou le ftratageme. Le Remede. Les Aveux indifcrets. Le Contrail Les qui-pro-quo. La Couturiere. Le Gafcon. La Cruche. Proirfettre eft un, & tenir eft un autre. Le Rnffignol. Epitaphe de Monfieur de ia Fontaine. ISO 183 186 194 de 19; 20a 207 214 218 222 227 234 236 238 240 242 252 Fin de la Table. • - >- ( m- ' - :» /■*'; n‘ t ' ■ ■ , ’• • ;, , ‘i ^fr m w ■ yjv, ■ 'V ^ <* 1 'V. " , i w ■ •> J.' V v Wfl ’ • ' '■ 'ql r j mm. > -j,- 4: 4s.. ■M* ?><./ .. : 0#l!te r :' 0.04 , ■■» ■■=>’ J ;■.'■■■;0 ■■ m :■ v • d ( » - .. ■' V »vr ' v , • • .. • ^ _ 4 -•0: ' . • . . •' . - " - • NRRODNfl IN UNIUERZITETNR KHJI2NICR • H : • »y> ; ’ ;v 't