FM FlLOZOJ-SKI t e s t n i k 2/1995 ETHIQUE ET POLITIQUE ETHICS AND POLITICS~ ETHIK UND POLITIK SLOVENSKA AKADEMIJA ZNANOSTI IN UMETNOSTI ZNANSTVENORAZISKOVALNI CENTER S A Z U FILOZOFSKI INŠTITUT ISSN 0353-4510 FILOZOFSKI VESTNIK/ACTA PHILOSOPHICA Volume / Letnik XVI, number / številka 2/1995 FILOZOFSKI VESTNIK/ACTA PHILOSOPHICA is included in: Art & Humanities Cit. Index, Current Conts. /Arts & Humanities, Bulletin signalétique - Philosophie, Internationale Bibliographie des Zeitschriften (IBZ), The Philosopher's Index, Sociological Abstracts. Editorial Board / Uredniški odbor Aleš Erjavec, Vojo Likar, Oto Luthar, Tomaž Mastnak, Neda Pagon, Rado Riha, Jelica Šumič-Riha, Alenka Zupančič International Advisory Board/Mednarodni uredniški svet Alain Badiou (Paris), Bohdan Dziemidok (Gdansk), Manfred Frank (Tübingen), Martin Jay (Berkeley), John Keane (London), Ernesto Laclau (Essex), Steven Lukes (Firenze), Chantal Mouffe (Paris), Ulrich Müller (Kassel), Herta Nagl-Docekal (Wien), Aletta J. Norval (Essex), Nicholas Phillipson (Edinburgh), J.G.A. Pocock (Baltimore), Françoise Proust (Paris), Ernst Vollrath (Köln) Editor-in-Chief / Glavni urednik Boris Majer Managing Editor / Urednik Vojo Likar FILOZOFSKI VESTNIK is a journal of philosophy with an interdisciplinary and international orientation. FV is published in association with the Slovenian Academy of Sciences & Arts. The Journal is edited by members of the Institute of Philosophy in the Centre for Scientific Research of the Slovenian Academy of Sciences & Arts. Editorial correspondence and enquiries, business correspondence and books for review should be addressed to the Editorial Office, FILOZOFSKI VESTNIK, ZRC SAZU, Gosposka ul. 13, 61000 Ljubljana, Slovenia. Tel.: + 386 61 125 6068 - Fax: +386 61 125 5253 - E. Mail: FI@ZRC-SAZU.SI The Journal is published semi-annually, two issues constitute one volume. Annual subscription: 18 $ for individuals, 36 S for institutions. Single issue: 10 $ for individuals, 20 S for institutions. Back issues available. Send cheques payable to: ZRC SAZU, Ljubljana. Access / Master Card / Eurocard and VISA accepted. Credit card orders must include card number and expiration date. FILOZOFSKI VESTNIK is published with grants from The Ministry of Science and Technology and The Ministry of Culture of the Republic of Slovenia. Printed in Slovenia by VB&S d.o.o., Ljubljana SLOVENSKA AKADEMIJA ZNANOSTI IN UMETNOSTI ZNANSTVENORAZISKOVALNI CENTER FILOZOFSKI INŠTITUT FILOZOFSKI VESTNIK ACTA PHILOSOPHICA 2/1995 LJUBLJANA Sommaire 7 Etique et politique - Colloque international 9 Alain Badiou, Ethique et politique 15 Egid E. Berns, Politique et justice dans un style déconstructif 23 Chantai Mouffe, Justice et rationalité: les impasses du »libéralisme politique« 33 Françoise Proust, Résistance 43 Rado Rilia, L'horreur du moraliste politique 53 Je lica Sumič-Riha, La politique existe-t-elle sans éthique? 67 Alenka Zupančič, Kant: la loi et ses ricochets Ethics and Politics /Ethique et politique /Ethik und Politik 81 Simon Critchley, The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Politi- cal, the Economic, the Technological - On Derrida's Specters of Marx 109 Ernesto Laclau, »The Time is out of Joint« 125 Guy Lardreau, Habent sua fata 135 Thanos Lipowatz, Ethics and political discourse in democracy 145 Ludwig Nagi, Läßt sich Recht legitimieren? (Habermas, Rawls, Dworkin) 159 Oliver Marchart, On the Final (Im-)Possibility of Resistance, Progress and Avant-Garde Terreur, tyrannie, état d'exception 175 Jorge E. Dotti, Some Remarks on Cari Schmitt's Notion of »Exception« 187 Jacob Rogozinski, Le corps abject du roi: la Terreur et son Ennemi 203 Notes on Contributors 205 Abstracts PRÉSENTATION Le présent numéro de Filozofski vesttiik est consacré au thème »Ethique et politique«. Dans la première partie, nous publions les travaux du colloque international »Ethique et politique« que le Collège international de Philosophie, Paris (responsable Françoise Proust) et l'Institut de Philosophie ZRC SZU, Ljubljana (responsable Rado Riha) ont organisé à Ljubljana du 9 au 13 novembre 1994. Certains auteurs ont, pour la publication, en partie remanié leur contri- bution. Quant à celles de A. David, E. Laclau et J. Rogozinski, elles sont parues entre temps dans d'autres revues, ce qui explique que nous ne les publiions pas ici. Dans la deuxième partie sont publiées les contributions d'auteurs qui ont aimablement répondu à l'invitation de la rédaction de Filozofski vestnik à prêter leur concours en donnant leur point de vue sur le thème choisi, enrichissant ainsi son traitement. Dans la troisième partie sont publiés deux articles liés au thème central du présent numéro, même si ce n'est qu'indirectement, puisqu'ils concernent directement la pensée du seul politique. Ils ont été présentés au cours du collloque international »Terreur, tyrannie et état d'exception« organisé par le Collège international de Philosophie, Paris (respnsables: Jacob Rogozinski, Gérald Sfez, Françoise Proust) en collaboration avec l'Institut de Philosophie de l'Académie des Sciences de la République Tchèque. La rédaction remercie les organisateurs du colloque qui ont autorisé la publi- cation de ces deux articles. Ethique et politique COLLOQUE INTERNATIONAL Organisé par le Collège international de philosophie et Filozofski institut ZRC SAZU (Ljubljana, 10 au 12 novembre 1994) Avec le soutien du: Ministère de la recherche et de la technologie de la République Slovène, Service Culturel et Scientifique de l'Ambasade de France en Slovénie et L'Académie Libérale, Ljubljana En cette fin de siècle où le cynisme politique se déchaîne conjointement à une moralisation de la pensée et de l'existence, il est plus que jamais urgent de (re)penser ce que peuvent signifier »éthique« et »politique«, si l'on veut bien éviter et les appels à la morale et les injonctions au consensus démocratique. Le combat s'avère plus que jamais nécessaire non seulement contre les praticiens et les théoriciens du pouvoir sous toutes ses formes, mais encore contre le retour aux »valeurs«, qu 'elles soient »négatives« ou »positives«, qu 'elles soient »constitutives« ou »régulatrices«. Le colloque se propose de travailler des catégories telles que: la Justice (justice et justesse, justice et vérité, justice-liberté, justice et droit, justice et loit, etc.), la Réstis tance (»ne pas céder sur«, l'indestructible, guerre et paix, posture et position, latéralité et frontalité etc...), la Pratique (vertu et virtuosité, excellence et style, ruse et ingéniosité, réponse, correspondance et responsabilité, vérité et véracité, etc...). Ethique et politique Alain Badiou 1. D ans la question de la politique, il y a toujours trois éléments: - Il y a les gens, avec ce qu'ils font et ce qu'ils pensent. - Il y a les organisations: les syndicats, les associations, les groupes, les comités. Et les partis. - Il y a les organes du pouvoir d'État, les organes officiels et constitutionnels du pouvoir. Les assemblées législatives, le pouvoir présidentiel, le gouvernement, les pouvoirs locaux. Toute politique est un processus d'articulation de ces trois éléments. On peut les appeler simplement: le peuple, les organisations politiques et sociales, l'État. Une politique consiste à poursuivre des objectifs, en articulant le peuple, les organisations et l'État. 2. Il y a une conception classique de cette articulation. Cette conception dit ceci: - Dans le peuple, il y a différentes tendances idéologiques, plus ou moins liées au statut social, à la classe, à la pratique sociale. Ces tendances ont des objectifs différents. - Ces tendances sont représentées par des organisations et des partis. - Ces partis sont en conflit pour occuper le pouvoir d'État, et l'utiliser pour les objectifs. A partir de là vous avez quatre grandes orientations: révolutionnaire, fasciste, réformiste, conservatrice. La conception révolutionnaire, et aussi la conception fasciste, diront que le conflit est forcément violent. Les conceptions réformistes et conservatrices diront que ce conflit peut rester dans des règles constitutionnelles. Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 9-31. 10 Alain Badiou Mais ces quatre politiques sont d'accord sur un point: la politique est la représentation, par des organisations, du conflit des intérêts et des idéologies. Et cette représentation a pour but de s'emparer de l'État. L'articulation entre peuple, organisations et État passe par l ' idée de représentation. 3. La forme moderne de cette idée est le parlementarisme. C'est le régime formel de la France et de la Slovénie aujourd'hui. Quelle est l'idée générale du parlementarisme? C'est d'organiser la représentation à tous les niveaux. Avec l'élection comme mécanisme central. D'abord, les tendances présentes dans le peuple peuvent s'organiser librement en associations. Elles sont représentées, dans les différents aspects de leur pratique, par ces associations ou syndicats. Elles expriment ainsi leurs idées, leurs revendications, leurs volontés, y compris par des actions publiques (droit de grève, droit de manifestation, droit de publication). Parmi ces associations, il y a les partis politiques. L'aspect très particulier dans partis politiques est qu'ils sont les seuls à être directement représentés dans l'État. Car l'Etat est construit à partir du mécanisme électoral; et un candidat se réclame d'un parti. Donc, la parti est ce qui fait le lien représentatif entre le peuple et l'État. 4. Dans le parlementarisme, la politique est entièrement subordonnée à l'État. Pourquoi? Parce que la seule articulation complète entre les trois termes: peuple, organisation, Etat, se réalise au moment du vote. C'est à ce moment que la représentation du peuple dans les partis devient aussi une représentation des partis dans l'État. Mais le vote est réglé, organisé, par l 'État lui-même dans un cadre constitutionnel. On suppose que tout le monde accepte ce cadre. On suppose donc un consensus politique sur l'idée de représentation. Et au coeur de ce consensus, il y a l'État. Les mobilisations populaires ne sont que les moyens de pression. Parce qu'elles sont des articulations incomplètes. Elles ne touchent pas directement à la représentation dans l'État. Elles acceptent fondamentale- ment le consensus. Le parlementarisme est dons une forme politique qui exclut les ruptures. Parce qu'il y a une chose au moins dont la continuité est garantie: c'est l'État et son Ethique et politique 11 mécanisme représentatif. Au niveau de l'État, le parlementarisme est conservateur. 5. Pourquoi le parlementarisme est-il aujourd'hui dominant? Parce que les politiques de rupture ont échoué. Qu'il s'agisse des dictatures révolutionnaires ou des dictatures militaires. Mais attention! Ces tentatives avaient en commun de maintenir l'idée de la représentation. Les partis communistes prétendaient représenter une classe, le prolétariat. Les partis fascistes prétendaient représenter la communauté nationale. Et d'autre part, ces tentatives plaçaient, elles aussi, la politique sous l'autorité de l'État. Il s'aggissait de prendre l'État, et d'agir sur la société de façon autoritaire avec les moyens de l'État. 6. Le parlementarisme a finalement gagné pour ceci: il est la meilleure politique possible, si on admet trois choses: a) que la politique est d'abord un mécanisme de représentation; b) qu'il y a des organisations spéciales, les partis, qui représentent les tendances de la société dans l'État; c) qu'il doit y avoir un consensus organisé à partir de l'État. Que l'État est donc ce qui assure la continuité politique. Ces trois conditions étaient acceptés aussi bien par les révolutionnaires que par les conservateurs. Mais le parlementarisme est la forme la plus souple et la plus efficace d'organisation de ces trois conditions. Au fond, il limite le conflit. Il laisse s'affronter les réformistes et les conservateurs, et il exclut les révolutionnaires et les fascistes. C'est ainsi qu'il élargit le consensus. 7. Le problème est aujourd'hui de savoir s'il faut penser la politique dans le cadre des trois conditions. Si, oui, il faut accepter le parlementarisme. Ceci veut dire qu'un parti progressiste aura deux fonctions contradictoires: - Il devra animer les associations populaires, ce qui suppose l'indépendance à l'égard de l'État, l'autonomie politique par rapport au consensus. - Il devra en même temps se présenter aux élections, occuper les postes de pouvoir, donc adopter les règles du consensus et gérer l'État. Dix ans de pouvoir de la gauche en France on fait éclater cette contradiction. 12 Alain Badiou Le nombre des chômeurs a doublé. Le syndicalisme est en crise. La figure populaire et ouvrière est absente des représentations politiques. Beaucoup d'intellectuels sont passés à droite. Le parti d'extrême-droite a triplé ses voix. C'est un échec total. 5. Il faut repenser entièrement la politique. A partir de quatre idées: - Indépendance totale du processus politique organisé par rapport à l 'État. Ce qui implique une pensée-prat ique en rupture avec le consensus constitutionnel et formel. - Abandon de l'idée de représentation. Une politique ne représente personne. Elle ne s'autorise que d'elle-même. - Conception de l'action militante détachée de toute perspective d'occupation de l'État. Il s'agit de produire et d'organiser dans le peuple des ruptures subjectives. Et ainsi d'engager, ici et maintenant, le dépérissement de l'État. - L'organisation politique n'est pas un parti, car tout parti est déterminé par l'État. La politique doit être une politique sans parti. C'est seulement maintenant que je vais parler de l 'éthique. Je pense qu'aujourd'hui, seule une politique nouvelle peut prétendre être aussi une éthique. Il y a à cela deux raisons. Première raison: dans les politiques de représentation, il ne peut y avoir d'éthique. Car pour un Sujet, l'action éthique est justement celle qui ne peut pas être déléguée ou représentée. Dans l'éthique, le sujet se présente lui- même, décide lui-même, déclare ce qu'il veut en son propre nom. Deuxième raison: dans les politiques ordinaires, le centre de la politique est l'État n 'a aucune éthique. L'État est responsable de deux choses: - Le fonctionnement minimum de l 'économie et des services collectifs. L'État est fonctionnel. - Un minimum de paix civile, un minimum d'accord entre les gens. L'État est consensuel. Mais ni le fonctionnel ni le consensuel ne sont des règles éthiques. L'objection est la suivante: il y a une différence énorme entre un état dictato- rial et criminel, et un État constitutionnel qui admit les élections. L'expérience historique est, sur ce point, douloureuse et considérable. Oui, c'est vrai, il y a une différence énorme. Mais cette différence n 'a rien à voir avec l'éthique. C'est une différence juridique. Dans l 'État dictatorial et Ethique et politique 13 criminel, le droit est supprimé pour certaines actions ou certaines personnes. Dans l'État constitutionnel, le droit est général. La cause de cette différence est dans le choix du réfèrent principal de la politique d'État. Dans l'État dictatorial, le réfèrent est la sécurité de l'État lui-même. Le centre de l'activité de l'État est la destruction de ses adversaires. Ceci entraîne la suppression du droit et le terrorisme d'État. Dans l'État parlementaire, le réfèrent est l'économie concurrentielle, la libre circulation des capitaux, le marché mondial. Or, l'économie capitaliste a besoin du droit. Elle a besoin de la liberté de choix et de circulation des consommateurs. Mais bien entendu, elle libère le droit dans la mesure où il y a un accord général sur les règles de l'État. L'État parlementaire est un État de droit, pas du tout pour les raisons éthiques, mais parce qu'il y a un grand consensus autour de son réfèrent central, qui est l'économie de marché. Il n'y a donc pas besoin de prendre la sécurité de l'État comme réfèrent principal. Le droit est alors favorable à l'économie, donc favorable à l'État, qui a l'économie comme réfèrent principal. Finalement, il faut absolument distinguer quatre termes: 1. L'État, qui a toujours un réfèrent principal. Par exemple, dans la guerre, ce réfèrent est la nation, le territoire. Dans une dictature, c'est la sécurité de l'État. Dans le parlementarisme, c'est le marché mondial. 2. Le droit, le juridique. C'est une forme sociale fixée par l'État. Son exist- ence et sa généralisation, sont strictement liées au réfèrent principal de l'État. Quand c'est la nation, la sécurité, ou, comme en Union Soviétique, la classe et le Parti, il n'y a presque pas de droit. Quand c'est l'économie de marché, il y en a. 3. La politique. Dans son modèle classique, ou représentatif, elle est liée à l'État, elle tend à se confondre avec lui. Elle discute donc de questions étatiques, comme; faut-il du droit ou non? Faut-il ou non s'intégrer au marché mondial? Dans le modèle nouveau de la politique, l'auto-organisation politique du peuple vaut pour elle-même. Elle est une pensée agissante et collective qui ne veut pas occuper l'État, mais le contraindre à faire ceci ou cela. Ce n'est pas une activité de pouvoir, c'est une libre activité. C'est une subjectivité qui se présente, sans se représenter. 4. L'éthique. L'éthique est sans aucun rapport avec l'État. Certes, un État peut commettre des crimes. Mais le jugement sur ces crimes n'est pas d'ordre éthique. Il consiste en fait, à refuser le réfèrent principal au nom duquel ces crimes ont été commis; et à proposer un autre réfèrent, donc une autre 14 Alain Badiou forme de l'État. C'est la raison pour laquelle, quand un État succède à un autre, en général il ne punit pas les crimes, ou très peu. Précisément parce que le jugement n'est pas d'ordre éthique, pas même d'ordre politique. Il relève de l'État, qui est fonctionnel et consensuel, et cherche donc la continuité plutôt que la rupture. L'éthique n'a pas non plus de vrai rapport au juridique. Car le juridique est destiné à assurer un fonctionnement correct de la situation collective. Le juridique dépend des rapports entre l'État et l'économie concurrentielle. Si par exemple les Américains ou les Européens envoient des troupes pour »rétablir les droits de l'homme«, cela veut seulement dire qu'ils veulent imposer un État conforme aux règles du marché mondial. Ils veulent imposer à l'État un changement de réfèrent principal. L'éthique n'est là-dedans qu'un discours de propagande. L'éthique, enfin, n'a rien à voir avec les politiques de la représentation. Le point principal est que ces politiques sont dominées par un principe d'intérêt. Le parti représente les intérêts de ceux qui votent pour lui. Et il a son propre intérêt, qui est de s'installer dans l'État. Tout le problème pour les politiciens est de lier ces deux intérêts: l'intérêt de leur clientèle, et leur propre intérêt dans l'État. L'expérience montre que l'intérêt lié au pouvoir, à l'État, l'emporte toujours. Mais de toute façon, ce jeu des intérêts et des opinions réglé par l'État n'a rien à voir avec l'éthique. Quand celle-ci apparaît, elle est cette fois un thème idéologique. Finalement, si on appelle »éthique« une maxime subjective, une action strictement liée à des principes universels, alors il faut dire ceci: ne peut être considérée comme relevant de l'éthique qu'une politique qui a quatre caractéristiques: - Elle n'est pas représentative, elle se présente directement. - Elle ne cherche pas le pouvoir l'État, elle veut seulement le contraindre. - Elle n'est pas juridique, elle est subjective. - Elle n'a pas de réfèrent particulier, elle n'est pas liée aux intérêts d'un groupe, d'une communauté, d'une nation ou d'une classe. Elle est universelle et désintéressée. Est-ce qu'une telle politique existe, ou peut exister? C'est tout le problème. Cela dépend du hasard de l'événement. Mais peut-être la première exigence éthique est-elle la suivante: désirer qu'une telle politique existe. Et, comme le dit Lacan, ne jamais céder sur ce désir. Politique et justice dans un style déconstructif Egid E. Berns Savoir si un concept spécifiquement politique peut être introduit dans une pensée de style déconstructif est loin d'être clair. Ce n'est pas un hasard si Derrida utilise peu ou pas le terme »politique«, seul, dans ses écrits. Si ce terme apparaît, c'est toujours en association avec celui d'»éthique« ou dans des expressions comme »quasi politique«' ou »politiques de l'amitié«2. Il semble que le terme »politique« n'apparaît comme tel que depuis 1993 avec la publication de Spectres de Marx. Ce qui fait ici obstacle est le concept même de »différance«: »Nous touchons ici au point de la plus grande obscurité, à l'énigme même de la différance, à ce qui en divise justement le concept par un étrange partage. Il ne faut pas se hâter de décider. Comment penser à la fois la différance comme détour économique qui, dans l'élément du même, vise toujours à retrouver le plaisir ou la présence différée par calcul (conscient ou inconscient) et d'autre part la différance comme rapport à la présence impossible, comme dépense sans réserve, comme perte irréparable de la présence, usure irréversible de l'énergie, voire comme pulsion de la mort et rapport au tout-autre interrompant en apparence toute économie? Il est évident - c 'est l'évidence même - qu 'on ne peut penser ensemble l'économique et le non-économique, le même et le tout-autre. Différance relie donc deux différances qui ne peuvent l'être. La première est le mouvement circulaire qui clôture. Sa figure paradigmatique est le détour économique du retour à la maison. La seconde est la relation à l'extériorité, y compris, comme nous le verrons encore, à l'extériorité de l'autre mettant en jeu une notion de justice. Une pensée de style déconstructif n'a donc pas à choisir une des deux différances ou à subordonner l'une à l'autre mais à tenir tête aux deux à la fois. La logique de l'itérabilité ou de l'indécidabilité a à penser les deux simultanément. En le faisant on pense, cela dit d'une manière très crue, trop crue même, l'économie et l'éthique ensemble. Ici le moment politique a disparu et n'a pas de place. 1J. Derrida, L'autre cap, Paris, 1991, p. 42. Derrida emprunte ce terme à P. Valéry. 2 C'est le titre du livre publié à Paris en 1994. 3 J. Derrida, Marges de la philosophie, Paris, 1972, p. 20. Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 15-31. 16 Egid E. Berns Cependant cette conclusion n'est peut-être pas nécessaire, car elle repose sur une définition préconçue de l'économie et de la politique. Ici le problème subjacent est que les vieilles distinctions aristotéliciennes entre économie et politique, poièsis et praxis, privé et public, intérêt particulier et bien commun ainsi que ce qui est devenu avec Hegel la relation dialectique entre société civile et état, particularité et universalité, font obstacle. La mise en question de ces oppositions me semble être la condition de toute pensée politique de style déconstructif. Elle produira peut-être le déplacement de leurs délimitations et l'impossibilité de leurs relèves dialectiques. Si cela peut être effectivement produit, la politique, ou plutôt le politique, ne sera toujours que le moment antagoniste, dans la figure de la circularité clôturante de la différence économique qui domine la déconstraction. Moment sans doute primordial, car trace de l'impossibilité de cette clôturation et donc ressort de l'itérabilité et de l'indécidabilité de celle-ci, mais néanmoins toujours déjà moment de cette clôture et à ce titre déconstructible. C'est seulement pour autant que le politique est relié à l'autre différance, celle de la relation à l'extériorité comme son moment indéconstructible et dont il est la trace dans la clôture économique, qu'il est pensé dans une style déconstructif. Ceci implique une référence à la loi, la responsabilité ou la justice. Pour cette raison Derrida relie souvent les termes de politique et d'éthique et introduit les expressions comme »quasi politique« et »politiques de l'amitié«. Car le politique comme tel reste relié avec le pouvoir comme l'articulation clôturante de l'indécidabilité sociale. Mais c'est justementà cause de cette indécidabilité, qui est le niveau d'analyse déconstructive tenant tête aux deux différences à la fois, que cette articulation déconstructible est toujours hantée par la justice. Si ce cadre pour une confrontation dans un style déconstructif entre politique et justice est adéquat, deux points doivent être examinés. D'abord l'usage de la notion du politique dans une pensée de style déconstructif; ensuite la relation de cette notion avec la normativité. Ce deuxième point concerne le statut de la décision politique. Pour bien faire ressortir l'articulation de ces deux points, il peut être intéressant de comparer le travail de Derrida à celui d'Ernesto Laclau en cette matière. Le concept central chez Laclau est celui d'hégémonie. Derrida lui-même y fait référence dans une note de Spectres de Marx4: »Sur une nouvelle mise en oeuvre, dans un style »déconstructif« du concept d'hégémonie, je renvoie aux travaux d'Ernesto Laclau«. Bien que Derrida dise dans le contexte de cette note que l'hégémonie organise toujours une répression, il y ajoute qu'elle confirme aussi une hantise. La notion d'hégémonie et celle de répression qu'elle implique, suivent donc ici la logique spectrale, exposée dans Spectres de Marx. Cette logique n'implique pas »que la frontière entre le fantôme et l'effectivité devrait être franchie (...) par une réalisation, c'est-à- 4 0 . c„ p. 69. Politique et justice dans un style déconstructif 17 dire par une révolution«5. Derrida ici n'utilise donc pas la notion d'hégémonie comme un autre mot pour répression qui peut être relevée et que Laclau récusé. Au contraire elle concerne une répression qui reste saisie par la logique spectrale du supplément.Il y a donc tout lieu de penser que le concept d'hégémonie tel qu'il est mis en oeuvre dans les travaux de Laclau s'accorde au style déconstructif. Or ce concept exprime le politique comme tel. Si le cadre que nous avons esquissé dans cette introduction est correct, ce concept d'hégémonie, pour autant qu'il soit accordé au style déconstructif, ne peut être que débordé par la question de la justice. 1. Hégémonie et déconstruction Quand il indique son point de départ, Laclau invoque explicitement Derrida en disant qu'un »dehors constitutif est inhérent à toute relation antagoniste«6. Par cette expression »dehors constitutif«, Laclau vise à résumer ce qui apparaît chez Derrida au titre de supplément, de remarque, de trace etc7. Il résulte de ce point de départ que les relations sociales »ne peuvent plus être fixées a priori dans une théorie générale de l'histoire, mais (...) deviennent contingentes et basées sur le pouvoir«8. Dès que le social est caractérisé par un manque constitutif de complétude, »la nature antagoniste des alternatives ne peut être résolue qu'à travers des relations de pouvoir«9. Et »si la décision en est une, entre. indécidables structurels, prendre une décision ne peut signifier que réprimer les alternatives possibles qui ne sont pas mises en oeuvre«10, mais dont la puissance réprimée reste ménaçante. »La marque de la contingence dans la décision, voilà ce qu'est le pouvoir«11. »Aussi le politique est une catégorie ontologique: il y a politique parce qu'il y a dislocation [ou indécidabilité] du social«12. Sans le politique ainsi défini la société ne tiendrait pas debout. L'hégémonie maintient les mouvements de dispersion et de rassemblement dans un ensemble plus ou moins stable. Il est important de noter que cette conception du social implique sa nature discursive parce que tous ses éléments sont exclusivement relationnels. Ils renvoient toujours les uns aux autres à l'intérieur de la clôture d'un système donné. Cependant, »avancer la nature discursive du social est montrer que la sO. c.,p. 71. 6 E. Laclau, New Reflections on the Révolution of our Time, London-New York, 1990, p. 9 et note 5, p. 84. 7 C. Mouffe, Le politique et ses enjeux: Pour une démocratie plurielle, Paris, 1994, p. 13. sO. c., p. 7. 9 0 . c., p. 35. 10 O. c.,p. 30. 11 O. c., p. 60. 12 O. c., p. 61. 18 Egid E. Berns nature purement différentielle (non-positive) des identités n'est pas une caractéristique du langagier dans un sens étroit, mais le principe véritable inclus dans la constitution de toute identité sociale13. Ce principe général permet de comprendre l'hégémonisation selon une logique spécifique basée sur la métaphoricité et métonymicité fondamentale de tout système discursif et dont Laclau donne des exemples en analysant les mythes, l'imaginaire social, le sujet etc.. De ce fait, l'hégémonie peut être définie comme l'implémentation d'un signifiant vide en tant que signifiant du manque de complétude. Un signifiant vide renvoie aux limites ou à la clôture que chaque système de signification implique comme une condition de sa possibilité: »Seulement si les signifiants se vident de leur attachement aux signifiants particuliers et assument leur rôle à représenter l'être pur du système - ou plutôt le système de l'être pur - une telle signification est possible«14. La possibilité d'un tel signifiant vide est est donc requis par la systématicité du système. Il ne peut toutefois être signifié qu'avec les moyens de ce système, donc à l'intérieur de ce système et par conséquent sans signifier ces limites ou cette clôture. Bienque présupposé, l'être représenté à travers le signifiant vide est constitutivement inaccessible et inadéquat. »Hégémoniser quelque chose est exactement la mise en oeuvre de cette fonction d'implémentation« 15. Dans sa préface, intitulée »Scribble«, à l'édition française de Y Essai sur les hiéroglyphes de Warburton16, Derrida donne l'esquisse d'une théorie du pouvoir proche de la théorie du social de Laclau. Dans cette préface, le point de départ est l'écriture. Mais Derrida utilise cette notion pour des raisons stratégiques et les caractéristiques d'itérabilité propre à l'écriture peuvent être généralisées à »la totalité de Inexpérience« en tant qu[e celle-ci] ne se sépare pas de ce champ de la marque«17, ou, dans la terminologie de Laclau, de ce champ de la discursivité. Le pouvoir ne survient pas par rapport à ce champ mais est lié au caractère différentiel de ce champ, dans sa possibilité même. Chaque marque est un supplément par rapport à ce à quoi elle réfère. Elle est un substitut, de l'extérieur, de ce qui a, de l'intérieur, un manque constitutif de présence. Ceci ouvre la métaphoricité et la métonymicité, propres à la marque, à une historicité et à des contraintes économiques et techniques à travers lesquelles les relations signifiantes deviennent indécidables, arbitraires et exposées à l'usure. Ces relations ne peuvent être résolues que par pouvoir, la science venant par- dessus le marché servir ce mouvement de la marque au lieu d'être servi par 13 O. c., p. 207. 14 E. Laclau, Why do Empty Signifiers Matter to Politics? In: J. Weeks (éd.), The lesserEvil and the greater Good. The Theory and Politics of social Diversity, London, 1994, p. 171. 15 O. c., p. 176. 16 Paris, 1978. 17 Signature contexte événement, in: J. Derrida, Marges de la Philosophie, Paris, 1972, p. 378 et aussi p. 392. Politique et justice dans un style déconstructif 19 lui18. Dans cette approche, le pouvoir est lié au champ différentiel de l'expérience comme un supplément: il ne peut pas être évité mais est néanmoins extérieur. Il est un »accident non accidentel«19, quelque chose »qui arrive si cela arrive, autrement dit [un] événement«20 ou une décision. 2. La décision On peut conclure, de ce qui précède, que Laclau et Derrida ont beaucoup en commun, en particulier leur logique de la différence et leur insistance sur la décision comme ultime instance de la solution de l'indécidable. Aussi le concept d'hégémonie peut-il contribuer à étoffer la pensée politique dans un style déconstructif. Mais il reste une difficulté: comment une même concep- tion d'un dehors constitutif conduit-elle Laclau à une ontologie politique dont la décision est l'ultime instance sans aucune passivité et Derrida à une la pensée de la décision politique qui reste toujours liée à une éthique ou du moins à une passivité? En d'autre mots: pourquoi les décisions sous condition d'indécidabilité sont-elles dans un cas sans appel et dans un autre matière à responsabilité? La position de Laclau semble évidente: quand nous sommes dans une situation d'indécidabilité, les décisions ne peuvent par définition pas être prises conformément à quelque règle que ce soit. Elles sont seulement aux prises avec des rapports de forces. Elles ne peuvent prendre en considération que le contexte - contingent et fini, avec l'inégalité de pouvoir qui lui est inhérent - dans lequel les décisions doivent être prises et argumentées. Nous nous trouvons en face d'un pur décisionisme ontologique. Mais dans un style déconstructif, l'indécidabilité n'implique pas un décisionisme. Au contraire, une analyse plus approfondie de l'indécidabilité - cela même donc qui débouchait sur le concept d'hégémonie, du politique et de l'événementialité de la décision - nous conduit »devant la loi«21. Derrida et Laclau sont d'accord sur ce que ce dernier appelle »le dehors constitutif«. Laclau insiste, comme je l'ai déjà indiqué, sur le fait que l'»être ou la systématicité du système, qui est représenté à travers le signifiant vide, n'est pas un être qui n 'a pas été actuellement réalisé, mais qui est constitutivement inaccessible«22. Nous sommes toujours en face d'un manque ou d'un dehors constitutif. Selon Derrida ce point inaccessible conduit »devant« 18 Voir: J. Derrida, Scribble, o. c., p.36. 19 O. c., p. 24. 20 O. c„ p. 28. 21 Titre d'un article de J. Derrida, publié dans Philosophy and Literature, Cambridge, 1984. 22 E. Laclau, Why do Empty Signifiers Matter to Politics, o. c., p. 171. 20 Egid E. Berns la loi. Je dis bien »devant« la loi. Non pas »dans« la loi. Nous ne parlons pas ici d'un contenu quel qu'il soit, de la loi. Nous parlons de ce qui précède toute loi, qu'elle soit morale, juridique, politique. Pour cette raison, Derrida préfère parler de »la loi des lois«. Aussi, être »devant« la loi »ne signifie pas qu'elle interdit mais qu'elle est elle-même interdite, un lieu interdit«23. La loi n'est donc pas une contrainte impérative. Elle signifie que l'inaccessibilité d'un lieu est liée à toute possibilité de sens: »L'origine de la différance, voilà ce qu'il ne faut pas et ne se peut pas approcher, se présenter, se représenter et surtout pénétrer. Voilà la loi dé la loi, le procès d'une loi au sujet de laquelle on ne peut jamais dire »la voilà«, ici ou là. Et elle n'est ni naturelle ni institutionelle. On n'y arrive et au fond de son avoir-lieu originel et propre, elle n'arrive jamais«24. Il faut cependant préciser deux points - concernant le double bind et la singularité - , afin de comprendre pourquoi le rapport à l'inaccessible a nom de loi. Il ne s'agit pas ici d'une nouvelle transcendance. L'»être pur du système« est inaccessible bien qu'il soit une condition du système. La réalité, s'il y a quelque chose de tel, n'est pas de l'ordre de la présence. Elle contient un pli, une place vide, une dislocation, une différance afin d'être présente et ce pli est absolument inaccessible. Il entretient vis-à-vis du système un rapport sans-rapport25. Il ouvre l'espace d'une décision possible, d'un événement. En fixant un contenu au signifiant vide, la décision a toujours déjà emprunté à la rationalité du système. En ce sens le pli a un rapport. En même temps cependant et à cause de cet emprunt, la décision n'a pas accès à l'être pur du système. En ce sens le pli est un sans-rapport. La différance est les deux à la fois comme je le disais dans mon introduction. Elle est simultanément économique et non- économique, relation de ce qui est séparé. Elle est double bind. La loi n'est pas inaccessible comme telle mais l'inaccessible qui doit être atteint, déterminé, décidé hinc et nunc. Jusqu'à maintenant, j 'ai utilisé, for the sake of the argument, exclusivement l'expression »dehors constitutif«. Autrement dit, je me suis limité à la notion de l'»altérité« et j 'ai évité d'utiliser la notion de l'»autre«. Derrida fait usage des deux et sa formulation de la loi le requiert, bien que dans un sens très spécifique. Une situation d'indécidabilité est un double bind: il faut décider à cause de l'inaccessible. C'est pour cette raison qu'il n 'y a pas en dernière instance une règle disponible et qu'il faut précisément une décision. Mais aucune décision ne peut éviter d'emprunter à la rationalité du système. Il faut décider, mais on ne peut décider que ceci ou cela. L'inaccessible, le dehors constitutif, est par conséquent ce qui résiste à cette clôturation de la raison, 23 J. Derrida, Devant la loi, o. c., p. 183. 24 O. c„ p. 184. Politique et justice dans un style déconstructif 21 autrement dit une singularité. Celle-ci est par conséquent ce qui excède toute rationalité, voire toute phénoménalité, même celle de l'humanité. La singularité est seulement ce-qui-résiste-à-la-systématicité-à-travers-la-systématicité. Cette résistance peut-elle être nommée un appel à la justice pour autant que la justice prête justement attention à la singularité du cas à travers l'universalité du droit? La singularité est alors ce qui échappe à toute calculation tout en appelant à la calculation, rendant celle-ci sans fin, responsable devant un avenir toujours ajourné. En cela la justice est appelée par Derrida »messianique«26. Il faut comprendre cette qualification en opposition avec »messianisme«, car non seulement aucun droit ne peut accomplir la justice, mais, surtout, celle-ci oblige au droit tout en lui résistant. Les deux faces, irréductibles l'une à l'autre, de la différance restent liées dans sa logique de l'itérabilité. Dans une situation d'indécidabilité, seule une décision peut apporter une solution. Mais le statut d'une telle décision ne peut être décisioniste. Une décision emprunte toujours au système et est de ce fait clôturante. C'est en cela qu'elle est politique. Mais cette décision sous condition d'indécidabilité implique plus. Il y a à décider à cause d'un dehors constitutif. A cause de cela une décision comme telle est, qu'elle a à atteindre ce qu'elle ne peut pas atteindre. Pour cette raison le politique est toujours déconstructible. Déconstructible au nom de quelque chose d'indéconstructible que j 'ai appelé, suivant Derrida, justice et auquel je faisais référence dans mon introduction comme le »quasi politique«, parce qu'il est quelque chose d'inscrit dans le politique tout en l'excédant. 25 Voir o. c., p. 202. Il est à noter que Laclau rejette explicitement la possibilité d'une relation sans relation. Faisant référence au modèle discursif qu'il utilise, il conclut: »si les identités peuvent être dites exclusivement relationelles, alors toute relation doit être par définition interne. Le concept d'une »relation externe« m'est toujours apparu inconsistant. En effet, c'est précisément de cela dont parle la conception saussurienne de la langue: affirmant que les identités linguistiques sont exclusivement relationnelles« (New Reflections on the Révolution of Our Time, p. 207). Malgré l'insistance de Laclau sur la constitutivité d'un dehors, la valeur (ontologique, logocentrique?) de la »consistance« semble ici faire barrage. 26 J. Derrida, Spectres de Marx, Paris, 1993, p. 102. Justice et rationalité: les impasses du »libéralisme politique« Chantai Mouffe On parle beaucoup aujourd'hui d'un »retour de la philosophie morale« et nombreux sont ceux qui espèrent trouver, grâce à cette discipline, un remède au malaise dont souffrent nos sociétés démocratiques. Il est urgent, nous dit-on, de renouer avec toute une série de questions fondamentales qui ont été écartées par les tenants de l'»anti-humanisme«. En discréditant la morale, ces derniers auraient, paraît-il, sapé les bases mêmes du vivre en- semble et mis en péril la démocratie. D'où la nécessité de rétablir le lien entre morale et politique à travers une réflexion qui s'inscrit à la fois dans le champ de la philosophie morale et de la philosophie politique. C'est un tel effort qui caractérise le nouveau paradigme de »libéralisme politique« élaboré par John Rawls et Charles Larmore et c'est pourquoi il est considéré par certains comme le modèle de la philosophie qui nous fait défaut.1 Le problème, c'est que le type de réflexion que nous proposent ces auteurs n'a de politique que le nom. La philosophie politique n'est pour eux qu'un domaine spécifique de la philosophie morale; la seule différence concerne le champ d'application qui est restreint aux institutions de base de la société. Quant au type de raisonnement, il est le même dans les deux cas: c'est la recherche d'un mode de justification impartial en vue d'un consensus rationnel. Ils s'imaginent que faire de la philosophie politique consiste à importer en politique des notions provenant de la moralité kantienne comme »impartialité«, »universalité« et »unanimité«. Leur objectif est de prouver que les institutions libérales ne relèvent pas seulement de la »prudence« mais qu'elles peuvent être justifiées en termes impartiaux et qu'elles ont donc un caractère »moral«. Cela les conduit à envisager la résolution des problèmes liés à la nature conflictuelle des rapports humains sur le mode d'un accord »rationnel« entre personnes »raisonnables«. Sans tenir compte du fait que les rapports de pouvoir sont constitutifs de tout ordre social, ils évacuent tout ce qui touche au différend et à l'indécidable afin de postuler un consensus sans extérieur et sans exclusion. ' Je me référé aux ouvrages suivants: 1) de Charles Larmore, Patterns of Moral Complexity, Cambridge University Press, Cambridge 1987; Modernité et morale, Presses Universitaires de France, Paris 1993; 2) de John Rawls, Théorie de la justice, Le Seuil, Paris 1987; Justice et démocratie, Le Seuil, Paris 1993;Political Liberalism, Columbia University Press, New York 1993. Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 23-31. 24 Chantai Mouffe Ce qui est ainsi oblitéré c'est la question proprement politique: celle de l'antagonisme. Une philosophie politique sans politique Le cas de Rawls est particulièrement représentatif de cette tendance à faire de la philosophie politique »sans politique«. Dans ses écrits postérieurs à Théorie de la justice, abandonnant le cadre de la philosophie morale où il avait d'abord situé sa théorie, il insiste dorénavant sur le, caractère politique et non métaphysique de sa théorie et déclare qu'elle s'inscrit dans le champ de la philosophie politique. Ce changement a un objectif précis, celui de détacher la philosophie politique du libéralisme de toute théorie morale spécifique afin de pouvoir en faire le point de convergence d'un »consensus par recoupement« pour tous ceux qui adhérent à des »conceptions compréhensives raisonnables«. C'est une tâche essentiellement pratique que Rawls assigne maintenant à sa théorie de la justice comme équité. Elle doit résoudre le problème que la »fait du pluralisme« pose aux sociétés démocratiques modernes: comment établir les bases d'une coexistence stable et juste entre des individus qui sont profondément divisés sur la nature de la vie bonne. Une nouvelle fonction est ainsi attribuée aux principes de justice qu'il avait dérivé dans son livre de 1971 de la position originelle sous le voile d'ignorance. Ceux-ci ne sont plus présentés comme constituant une doctrine »compréhensive« à laquelle tous les citoyens d'une société bien ordonnée devraient souscrire, mais comme procurant le socle d'entente nécessaire pour organiser une société pluraliste. Rawls renonce à l'ambition de formuler des principes qui seraient reconnus comme vrais par tous les citoyens pour se contenter de fournir une vision capable d'obtenir l'accord d'une diversité de doctrines compréhensives. Le problème de la coexistence dans une société pluraliste est certes loin d'être nouveau et on pourrait même dire qu'il s'agit là du problème libéral par excellence. C'est la solution proposée qui est différente. Alors que beaucoup de libéraux la voient dans la création d'un modus-vivendi, ou suivant Schumpeter d'un »modus-procedendi« qui permette de régler les conflits entre les différentes conceptions. Rawls ne se satisfait pas d'un tel compromis. Il estime qu'un consensus guidé par la simple prudence n'est pas assez solide et qu'une société libérale démocratique a besoin d'un consensus plus fort, d'essence morale. D'après lui, le problème relève de la justice politique et sa solution requiert l'établissement de termes équitables de coopération entre des citoyens envisagés comme libres et égaux. D'où sa quête d'une moralité minimale qui puisse être partagée par tous, au-delà de leurs désaccords sur les questions religieuses, philosophiques ou morales générales. S'il qualifie cette conception de Justice et rationalité: les impasses du »libéralisme politique« 25 »politique«, c'est parce qu'elle se garde de prendre position sur les questions controversées dans le domaine philosophique, moral ou religieux. Celles-ci sont reléguées dans la sphère du »privé« afin de permettre l'instauration d'un espace public »neutre« où un consensus par recoupement s'établira autour des principes libéraux de la justice. Ce que Rawls désigne par »politique« s'entend donc en deux sens: en premier lieu comme neutre par rapport aux valeurs en conflit et en second lieu comme spécifiant un type particulier de moralité qui s'applique aux institutions politiques, sociales et économiques. Il indique à plusieurs reprises qu'il veut trouver une position intermédiaire entre le libéralisme de type hobbésien qui n'est, selon lui, qu'instrumental et le libéralisme »compréhensif« comme celui de Kant ou de Stuart Mill qu'il estime incompatible avec le pluralisme. Ce qu'il recherche, c'est un point de vue qui, tout en allant au-delà de la simple poursuite de l'intérêt propre, reste cependant neutre par rapport aux différentes conceptions du bien. Une justification neutre de la neutralité de l'Etat La même démarche d'évitement caractérise le libéralisme politique de Charles Larmore, professeur de philosophie à Columbia, dont une série d'articles viennent d'être traduits sous le titre Modernité et Morale. Son ambition - déjà formulée de manière explicite dans son livre Patterns of Moral Complexity — est fournir une justification de la neutralité libérale qui, tout en n'étant pas limitée à des considérations stratégiques, soit néanmoins neutre par rapport aux conceptions du bien-vivre. Comme Rawls, il envisage le libéralisme politique comme une conception morale minimale qui puisse gagner l'assenti- ment de tous les êtres raisonnables, tout en respectant les divergences qu'ils peuvent avoir quant à la définition de la vie bonne. C'est pour cette raison que le neutralité politique doit être justifié sans faire référence à des valeurs controversées. Dans le cas de Larmore, l'accent est mis, non sur l'accord sur des principes de justice, mais sur la justification des institutions libérales. La solution qu'il propose consiste dans les deux normes de dialogue rationnel et de respect égal des personnes; comme elles constituent des éléments fondamentaux de la pensée occidentale, elles ne peuvent pas, dit-il, être accusées d'avoir un caractère partisan. A partir de leur association, il déduit ensuite le principe de la neutralité politique de la façon suivante: »si l'on veut déterminer les principes de l'association politique et si l'on est résolu à se respecter l'un l'autre en tant que personne dans ce processus, alors les principes à établir devront être justifiables aux yeux de tous ceux à 2 6 Chantai Mouffe qui ils s'imposeront. Si, dans cet effort de justification, l'on se heurte à désaccord raisonnable, il nous faudra revenir à une base commune et déterminer quels principes l'on peut dériver de cette base. Pour être acceptable, tout principe politique doit donc être conforme au principe cardinal de neutralité envers les conceptions controversés de la vie bonne«.2 La forme de justification procédurale que propose Larmore est basée sur une norme de dialogue rationnel qui s'inspire de l'éthique communicationnelle de Habermas. Il faut cependant remarquer que son approche est plus contextualisée que celle de la »situation idéale de discours« habermasienne car ses conditions idéales de justification ne sont jamais complètement séparés de notre contexte historique et de notre conception générale du monde. C'est ce qui l'amène à revendiquer l'autre norme, celle de respect égal, car il considère que la simple idée de rationalité n'est pas suffisante pour garantir que les participants auront la volonté de poursuivre le dialogue lorsque des désaccords surgiront. Cette deuxième norme permet à Larmore d'introduire une dimension historique dans son modèle, mais c'est au prix de la circularité de son argument. C'est parce qu'il existe dans les sociétés libérales un certain ethos de respect et de tolérance que les institutions libérales peuvent être justifiées à ceux qui en participent. Quant à ceux que n'intéressent pas le débat rationnel ou qui ne reconnaissent pas la norme d'égal respect, Larmore déclare qu'il va de soi qu'il ne faut pas tenir compte de leurs objections; ce n'est pas la peine d'argumenter avec eux, il suffit de les mettre hors d'état de nuire.3 Formulé de telle manière que la justification du libéralisme politique ne s'avère nécessaire qu'envers ceux qui ont déjà intériorisés les valeurs libérales, le problème est évidemment facile à résoudre. Mais Larmore est loin de fournir des arguments convaincants en ce qui concerne la prétendue neutralité et le caractère non- controversé de telles valeurs! Quel pluralisme? Un problème similaire se pose à propos de la distinction entre »pluralisme simple« et »pluralisme raisonnable« que Rawls vient d'introduire dans son dernier livre Political Liberalism. Il s'en sert pour distinguer entre la simple reconnaissance empirique de conception opposées du bien, indépendamment de leur caractère moral, et ce qui constitue, à ses yeux, la véritable défi auquel est confronté le libéralisme politique: comment obtenir l'appui d'une pluralité de doctrines qui, bien qu'incompatibles entre elles, sont néanmoins »raisonnables«. 2 Larmore, Modernité et morale, p. 180-181. 3 Larmore, Patterns of Moral Complexity, p. 60. Justice et rationalité: les impasses du »libéralisme politique« 27 A première vue cela semble aller de soi. Pourquoi devrait-on s'efforcer de convaincre ceux qui ne sont pas raisonnables? Pourtant quand on examine les choses de plus près, on constate que cette distinction apparemment anodine dissimule un enjeu stratégique. Elle permet en effet à Rawls de faire passer comme exigence morale ce qui est en fait une décision politique et de présenter comme »neutre« une démarche qui est loin de l'être. L'intention déclarée, c'est d'assurer le caractère moral du consensus sur la justice; ce qui exclut que le libéralisme politique soit tenu de gagner l'assentiment de ceux qui rejettent les principes de base de la moralité politique. D'après Rawls, des personnes raisonnables sont celles »qui ont suffisamment développé leurs deux pouvoirs moraux pour être capables d'agir en tant que citoyens libres et égaux d'un régime constitutionnel, et qui ont la volonté permanente d'accepter des termes équitables de coopération et de coopérer à part entière en tant que membres de la société«4. Qu'est-ce-à dire, sinon que la qualité d'être raisonnable est pratiquement identifiée avec l'acceptance des principes fondamentaux du libéralisme. Autrement dit, la distinction entre »pluralisme simple« et »pluralisme raisonnable« sert à tracer la frontière entre les doctrines qui reconnaissent la priorité du juste sur le bien qui caractérise le régime libéral et celles qui s'y opposent. Cela signifie que sa fonction est éminemment politique puisqu'elle vise à établir un critère de discrimination entre les conceptions religieuses, morales ou philosophiques qui - pour autant qu'elles acceptent d'être cantonnées dans le domaine du »privé« - seront considérés comme légitimes à l'intérieur du consensus pluraliste et celles qui ne peuvent pas y trouver place car elles mettraient en question la prééminence des principes libéraux. Au fond, c'est une façon détournée d'affirmer qu'il est nécessaire d'établir des limites au pluralisme et que les demandes de ceux qui voudraient mettre en question les bases mêmes de la démocratie libérale doivent être considérées comme illégitimes. Je n'ai bien entendu aucun désaccord avec Rawls à ce sujet. Mais j'estime qu'il est crucial de reconnaître qu'une telle exigence est de nature politique et non morale. S'il faut exclure certaines conceptions, c'est parce que des principes antagonistes de légitimité ne peuvent pas coexister à l'intérieur d'une même association politique sans mettre en cause la réalité même de l'Etat. Néanmoins, une thèse de cet ordre ne peut être formulée de manière adéquate que dans une problématique qui affirme le caractère constitutif du politique. Or c'est précisément ce que le libéralisme nie. C'est pourquoi Rawls doit avoir recours à la moralité pour fonder la légitimité des limites qu'il veut imposer au pluralisme. 4Political Liberalism, p. 55. 28 Chantai Mouffe La primauté du politique Les problèmes avec le »libéralisme politique« tant de Rawls que de Larmore proviennent de leur incapacité à penser la primauté du politique et le fait que toute société est politiquement constituée. C'est ce qui les empêche de reconnaître dans la priorité du juste sur le bien la matrice symbolique qui est propre au régime libéral-démocratique et qui commande ce qu'on pourrait appeler en suivant Wittgenstein sa »grammaire«. En tant qu'elle spécifie le mode de coexistence qui caractérise ce type de société, la priorité du juste sur le bien y joue un rôle fondamental; elle permet de déterminer les limites du juste et de l'injuste, du raisonnable et du non-raisonnable, du légitime et de l'illégitime. De telles limites sont nécessaires car toute mise en forme politique des rapports sociaux repose sur une décision qui en instaurant un ordre symbolique en détermine aussi les frontières. Tous ceux qui n'acceptent pas les principes politiques sur lesquels est fondé le régime libéral-démocratique seront donc qualifiés de »non-raisonnables«. Mais cela procède d 'une décision qui relève d'une certaine configuration de pouvoir même lorsqu'elle est présentée comme l'exercice de »la raison publique libre«. Bien entendu c'est ce que Rawls ne peut pas voir. Il s 'efforce grâce à sa distinction entre »pluralisme simple« et »pluralisme raisonnable« de penser les limites du pluralisme mais sa notion de »raisonnable« ne permet pas de saisir la nature de ces limites car elles ont à voir avec le frontières du régime. Or ces frontières ne peuvent être appréhendées qu'à partir d 'une vision qui restitue la dimension proprement politique de la société. Lorsqu'on présente les limites du consensus libéral comme des obligations morales, on escamote une dimension cruciale, celle des rapports de forces qui déterminent les contours de l'ordre libéral-démocratique. C'est ce qui permet à Rawls d'affirmer que, puisque dans la société libérale bien ordonnée les exclusions sont uniquement dictées par l'exercice de la raison, le phénomène de l'oppression y a disparu. Mais c'est parce qu'il a été rendu invisible par l'identification entre raisonnable et libéral. Un consensus »rationnel« Si ce libéralisme »soi-disant« politique fait l 'impasse sur tout ce qui relève de l'institution politique du social ce n'est certes pas par inadvertance puisque c'est sur cette dénégation même que la pensée libérale s'est constituée. Malgré ses références de plus en plus nombreuses au »politique« et à son »domaine« la position de Rawls ne contribue en rien à une meilleure intelligence de ces questions. On pourrait même dire que, d 'un certain côté, elle représente un recul par rapport au modèle du »modus vivendi« car les conséquences de son »utopie« libérale« peuvent être néfastes pour la politique démocratique. Justice et rationalité: les impasses du »libéralisme politique« 2 9 Un examen attentif de la solution qu'il prône: un consensus par recoupement sur la théorie de la justice comme égalité révèle en effet un dangereux pen- chant unanimiste. On l'a vu, ce consensus est à distinguer d'un simple modus vivendi-, mais Rawls veut aussi se démarquer d'un type de consensus limité aux principes de la constitution. Ce consensus »constitutionnel« qui garantit les libertés et les droits fondamentaux et établit des procédures démocratiques pour régler les rivalités politiques est, d'après lui, insuffisant car il laisse place au désaccord sur le status et le contenu des principes qui concernent les inégalités sociales et économiques et cela est cause d'hostilité et d'insécurité dans la vie publique. C'est pourquoi il insiste sur l'importance d'aller au-delà d'un simple accord sur les principes de la constitution et d'arriver, grâce à un consensus par recoupement, à créer l'unanimité sur des principes de justice. Ce n'est qu'à partir de ce moment qu'une société pourra être dite »bien- ordonnée«. Rawls reconnaît certes qu'il est probable que différentes concep- tions de la justice seront pour longtemps encore en compétition et qu'il sera difficile que la sienne parvenienne à s'imposer complètement, mais il n'a aucun doute sur le fait que l'unanimité serait souhaitable. Une telle affirmation devrait nous inquiéter. Elle indique que l'idéal de Rawls c'est la création d'une société où le conflit aura été éliminé de la sphère publique et où il sera illégitime de metre en question non seulement les principes de la constitution - ce qui est normal - mais aussi l'interprétation généralement admise du contenu et des limites des différents droits. Etant donné qu'un accord y a été établit sur des principes de justice (ceux de Rawls, évidemment) qui procurent la réponse correcte et définitive à la question de comment organiser les institutions de base de la société, toute cause de rivalité aura disparu. Ces principes sont en effet indépendants de tout intérêt, ne sont influencés par aucun compromis et doivent donc être acceptés comme l'expression de la »raison publique libre«; seules des personnes qui ne sont pas »raisonnables« pourraient donc vouloir les mettre en question. Dans la perspective rawlsienne, la société bien ordonnée est donc une société où le dissensus a été extirpé de l'espace public et où la politique a été éradiquée. Le pluralisme y est certes toléré, mais uniquement dans la sphère privée. Comme vision de la société »bien-ordonnée«, il faut dire que c'est plutôt effrayant. Comment Rawls en est-il arrivé là? L'explication est à chercher, il me semble, dans la façon dont il réduit la politique à l'allocation entre des intérêts en compétition pour les biens premiers. Selon lui, bien qu'ils aient des conceptions différentes de la vie bonne, »tous les citoyens ont un projet rationnel de vie qui exige pour sa réalisation à peu près le même genre de biens premiers«5. La question de la répartition de ces biens premiers constitue, à ses 5 Rawls, Political Liberalism, p. 181. 30 Chantai Mouffe yeux, le problème central de la politique et un tel problème devrait être susceptible d'une solution rationnelle. C'est pourquoi il s'imagine que les conflits politiques pourraient être éliminés grâce à l'accord sur une conception de la justice qui fait appel à l'idée d'avantage rationnel à l'intérieur des contraintes du raissonnable. Une fois que la réponse juste au problème de la distribution des biens premiers a été trouvée, la rivalité qui existait jusqu'alors dans le domaine politique disparaît. Alors qu'il considère qu'il n'y a pas de solution définitive au désaccord entre doctrines religieuses, morales et philosophiques, Rawls croit qu'une telle solution est possible en ce qui concerne les questions politiques; elle consiste à créer un consensus rationnel sur la justice. Ce scénario présuppose, bien sûr, que le seul mobile des acteurs politiques soit la recherche de leur avantage rationnel et que celui-ci puisse se faire dans un cadre »raisonnable« fourni par les valeurs libérales. Tout ce qui touche aux passions est évacué du champ de la politique afin d'en faire un terrain neutre où l'on ne trouve que des intérêts en compétition. On peut constater, une nouvelle fois, que ce que ce libéralisme »politique« forclôt c'est la dimension du politique qui concerne l'antagonisme, le pouvoir et les rapports de force. C'est une démarche qui les rend proprement impensables.6 Démocratie et dissensus Qu'il soit nécessaire de distinguer le libéralisme politique des différentes conceptions philosophiques auxquelles il a été intimement lieé, cela ne fait aucun doute. Il y a là un enjeu de toute première importance pour penser les conditions d'une démocratie pluraliste. D'autre part, il est incontestable qu'une société libérale-democratique ne peut pas faire l'économie d'un consensus sur un certain nombre d'institutions fondamentales. De ce point de vue, un grand nombre des questions que posent Rawls et Larmore sont tout à fait d'actualité. Un des principaux problèmes auxquels sont aujourd'hui confrontées les sociétés démocratiques, c'est celui des limites du pluralisme. Un pluralisme total mettrait en danger les institutions libérales qui constitutent la condition de possibilité du pluralisme. Il est cependant erroné de vouloir présenter ces limites comme relevant de la moralité ou de la rationalité. Aucun ordre politique ne peut éviter d'exclure certains points de vue et la démocratie pluraliste n'échappe pas à cette exigence. Sa spécificité ne réside pas dans l'absence de domination et de violence mais dans l'instauration d'institutions qui permettent de les limiter et de les contester. Mais cela requiert de reconnaître 6 Un examen plus approfondi de cette question est proposé dans mon livre Le politique et ses enjeux, Editions de la découverte, Paris 1994. Justice et rationalité: les impasses du »libéralisme politique« 31 les formes d'exclusion pour ce qu'elles sont avec la violence qu'elles impliquent, au lieu de les dissimuler sous le voile de la rationalité. Le faux-semblant de la neutralité sert en fait à placer les rapports de force dominants hors d'atteinte du débat public et à rendre leur mise en question illégitime. Il est profondément anti-démocratique de vouloir mettre fin à la contestation dans le domaine public par l'établissement d'un consensus dont la nature soit telle qu'elle disqualifie toute tentative pour le déstabiliser. En éliminant la place de Y adversaire, un tel consensus, loin de contribuer à la construction d'une société plus démocratique, serait en réalité la négation du pluralisme. C'est dans la tension entre consensus - sur les principes - et dissensus - sur leur interprétation - que s'inscrit la dynamique agonistique de la démocratie pluraliste. Son objectif c'est de donner au conflit la possibilité de s'exprimer à l'intérieur d'un cadre institutionnel que tous sont tenus de respecter et qui garantit le respect de l'adversaire. Pour autant que celui-ci adhère aux principes de la constitution, son droit à questionner l'interprétation dominante de ces principes ne doit jamais être mis en cause. Dans le domaine politique et en ce qui concerne la question de la justice, il ne peut donc pas exister de réponse définitive, rationnelle et impartiale. Toute perspective qui vise à produire l'unanimité dans le champ politique ne peut que masquer la réalité du conflit et nier la contingence qui est au coeur de tout ordre politique. Pour pouvoir véritablement articuler une réflexion sur Véthique propre au politique - au lieu de proposer ce qui n'est en fait qu'une moralité publique - il importe de refuser la perspective kantienne qui prétend couper complètement la moralité de la prudence et postule une illusoire neutralité. Contre toutes les tentatives pour réduire la philosophie politique à un simple champ d'application de la philosophie morale - faisant ainsi l'impasse sur ce qui constitute la spécificité du politique - l'exigence à laquelle doit faire face une pensée libérale réellement politique est de ne pas se dérober au caractère inévitable du conflit et au moment inéluctable de la décision. FILOZOFSKI VESTNIK / ACTA PHILOSOPHICA regularly devotes one issue per year to a single topic selected in advance by the Editorial Board. Special issues planned for 1996 and 1997 are: Vol. XVII, No. 2 (Autumn 1996) Editor: Aleš Erjavec Vol. XVIII, No. 2 (Autumn 1997) Editors: Oto Luthar and Jelica Šumič-Riha Authors wishing to contribute should write to editors for further information. Questions or correspondence should be directed to: Filozofski vestnik, ZRC SAZU, Gosposka ul. 13, 61000 Ljubljana, Slovenija - Fax:+386 61 125 52 53, E.Mail: FI@ZRC-SAZU.SI Résistance Françoise Proust On connaît le texte que Kant consacre à la Révolution française, événement historique dont il fut le contemporain: »La révolution d'un peuple spirituellement (geistreich) riche, que nous avons vu se produire de nos jours, peut bien réussir ou échouer; elle peut bien être remplie de misères et d'atrocités au point qu'un homme réfléchi, s'il pouvait, en l'entreprenant pour la seconde fois, espérer l'accomplir avec succès, ne se déciderait cependant jamais à tenter l 'expérience à ce prix; cette révolution, dis-je, trouve cependant dans les esprits de tous les spectateurs (qui n'ont pas eux-mêmes été impliqués dans ce jeu) une prise de position, au niveau des souhaits, qui confine à l'enthousiasme, et dont l'extériorisation même comportait un danger, prise de position donc qui ne peut avoir d'autre cause qu'une disposition morale dans l'espèce humaine«1. Ce qui témoigne qu'il s 'est produit un événement, c'est la Begeisterung des témoins; or ce pourquoi le Geist des témoins s'exalte, ce n'est ni pour le bouleversement politique comme tel (le renversement de l'Ancien régime) ni pour la »cause morale« du phénomène: ni pour le »phénoménal«, ni pour le »nouménal«, mais pour l 'intersection des deux, pour l'intervention du »nouménal« dans le »phénoménal«. Comme le précise Kant un peu plus loin, les témoins s'enthousiasment pour l'Idée ou l'Idéal du Droit, c'est à dire pour l 'Idée de liberté publique. Ce qui exalte, c'est le fait que la liberté publique, régulièrement oubliée et mise à mal, enfin et pour une fois, paraisse et s'impose, c 'est le fait que sa résistance tenace et farouche, enfin et pour une fois, s'avère efficace, voire pour quelques instants, victorieuse. La Révolution française est le témoignage de la résistance invincible, fût-elle vaincue, de la liberté publique. Qu'elle soit, finalement et en fait, écrasée et qu'elle le soit par les forces politiques auxquelles elle a elle-même donné naissance, qu'elle ait, en ce sens, »échoué«, comme dit Kant, qu'elle doive rentrer dans la clandestinité et se retirer dans l'obscurité, ne porte pas atteinte à l'Idée de liberté. Car la liberté n'est pas une Idée, si l 'on entend par là un être de raison, une fiction, une chimère; elle est, comme l'indique le § 91 de la Critique de la faculté de juger, un fait, c'est à dire un objet d'expérience, un exercice expérimental. Que la 1 Conflit des facultés, A. K. VII, p. 85 (Pléiade III, p. 895). Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 33-42. 34 Françoise Proust liberté (publique) soit là et éternellement là, qu'elle soit à chaque fois nouvelle et en même temps immémoriale, voilà qui fait la sublimité de son apparition et qui suscite l'enthousiasme. Ce qui fait la génialité d'un événement historique, c'est sa capacité à inventer de nouvelles formes politiques, c'est à dire son aptitude à présenter sous de nouvelles formes (sous des formes nécessairement sensibles puisque politiques) l'Idée immémoriale de liberté publique et, ce faisant, à la réveiller et à la vivifier. En ce sens, il faut sans doute repenser le rapport traditionnellement établi chez Kant entre le droit et la république. On a coutume de faire de la république la traduction politique du droit et d'identifier la république à l'Etat de droit, sous prétexte que la république est dite par Kant, »la seule constitution qui tire la pureté de son origine de l'Idée même du droit«2. Mais on oublie, ce faisant, un point fondamental. Kant distingue »les formes d'Etat« (forma imperii) et les »formes de gouvernement« (forma regiminis). Une forme d'Etat est un type de constitution, une forme juridique qui détermine le mode de souveraineté de l'Etat. La démocratie qui affirme la souveraineté du peuple est une forme d'Etat. Mais la république, elle, est une forme de gouvernement, un »régime« comme on dit, c'est à dire une forme politique. C'est une manière d'user du juridique (de la loi ou du droit) ou d'exercer le pouvoir défini et réglé par la loi. C'est une manière de gouverner les hommes et on comprend qu'elle excède »par en bas«, mais aussi »par en haut« la simple application des lois, fondamentales (constitutionnelles) ou pas. Entendons donc par »gouvernement«, non l'institution gouvernementale, mais un régime de gouvernementalité, un régime auquel les hommes en général sont soumis dans leurs rapports publics. La république désigne alors le mode d'existence de la liberté publique, c'est à dire le mode d'existence de la chose publique. La chose publique est ce »trésor« dont parle H. Arendt3 dont la trouvaille se confond avec l'expérience et qui peut se perdre ou se reperdre s'il n'est pas réapproprié, c'est à dire s'il ne donne pas naissance à de nouvelles formes politiques de coexistence, à la manière dont une trouvaille ou un coup de génie conceptuel se perdent s'ils ne s'incorporent pas au langage et n'en font pas une oeuvre qu'ils désorganisent en même temps. La république est donc le nom d'une expérience politique: c'est la présentation singulière et exemplaire d'une Idée politique (ou la présentation politique d'une Idée). Cette Idée se nomme, chez Kant, l'Idée de Droit. Une Idée ne préexiste cependant pas à sa présentation: elle surgit au cours et grâce à son expérimentation. Le droit est une Idée: il ne saurait se confondre, par conséquent, avec un phénomène juridique quelconque, mais il n'est pas non plus un être de raison ou une figure éthique. Comme toute Idée, le droit n'est vivant que dans 2 Vers la paix perpétuelle, A. K. VIII, p. 351. 1 La crise de la culture, Préface, trad. franç. P. Levy et alii, Gallimard, coll. Idées, 1972, p .13. Résistance 35 le moment de sa manifestation. Le droit se clame, se réclame, se déclame. Il ne se constate pas (il n'est pas de l'ordre du constatif), il n'oblige pas (il n'est pas de l'ordre de l'impératif), il se déclare (il est, si nous osons inventer le terme, un »déclaratif«): il se découvre et se reconnaît, il s'invente et se présente dans un seul et même geste. Ce geste est le geste républicain. La république est l'expérience d'une maximisation des possibilités de coexistence des libertés. Un maximum n'est, jamais, par définition, prédéterminé. Chaque expérience consiste à repousser imperceptiblement les limites qu'on croyait à jamais posées, à dérégler d'une manière infime les règles qu'on croyait à jamais fixées. Toute expérience républicaine réveille l'Idée de droit qui s'était endormie et affaissée dans les formes juridiques instituées et, la réanimant, il la maximise, la renouvelle et l'étend tant en extension qu'en intensité. Comme le dit Kant, »il n 'y a qu'un unique droit inné: la liberté«4. Le droit, c'est le droit à la liberté (expression, il est vrai, tautologique) et, inversement, être libre, c'est avoir droit de ou à. Encore, le »avoir« est-il inexact. Il faudrait plutôt dire: être libre, c'est affirmer son droit irrépressible et irrésistible d'être ou d'exister. Ce droit est »inné«, comme on le voit chez l'enfant qui crie dès sa naissance. »Même l'enfant, à peine sorti du sein maternel, semble, à la différence de tous les autres animaux, entrer dans ce monde en criant pour cette seule raison: c'est qu'il tient pour contrainte son impuissance à se servir de ses membres et proclame aussitôt sa prétention à la liberté ( dont nul autre animal n 'a de représentations)«5. La liberté s'écrie. Le cri de l'enfant est un cri de protestation contre la résistance qu'il rencontre dans l'exercice de son libre mouvement. C'est un cri de colère contre Vinjustice qui lui est faite, c'est une déclaration de guerre à la situation qui le met dans l'impossibilité d'exercer son droit à se mouvoir librement. Mais, en même temps, ce cri est l'épreuve par lui de son pouvoir. L'agitation et la mise en mouvement non seulement de ses cordes vocales, mais de tout son corps lui permettent de tester ses possibilités. Il éprouve ses capacités en luttant avec les résistances qu'il ressent, voire en résistant aux contraintes, c'est à dire aux résistances qui l'empêchent d'agir librement. Bien loin, en tout cas avant, de devoir ère entendu comme une règle régulant et réglant l'exercice des arbitres, le »droit« est un affect, une passion, »la plus violente des passions«, dit Kant. Le droit est l'expression de la demande de reconnaissance de son »droit« à l'existence, demande qui ne s'éprouve et ne se formule que dans la résistance à la résistance. On connaît la célèbre définition kantienne du droit, plus exactement de la force du droit (de la contrainte nécessairement liée au droit). C'est »l'obstacle à l'obstacle à la liberté«6. On 4Doctrine du droit, Division de la doctrine du droit, A. K. VI, p. 237. 5 Anthropologie au point de vue pragmatique, §. 82, A. K. VII, p. 268. 6 Doctrine du droit, op. cit. Introduction E, p. 231. 36 Françoise Proust peut bien sûr entendre cette formule d'une manière libérale. Le droit est alors une règle purement formelle et, pour cette raison, négative, qui n'intervient pas dans la détermination des maximes des actions. Il se contente d'édicter des règles reconnues par toutes les parties et ayant force de loi, qui empêchent que des arbitres fassent obstacle au libre exercice d'autres arbitres. Le droit est donc l'ensemble des règles juridiques. Mais on peut l'entendre autrement: le droit est négatif parce que l'affirmation inconditionnée de son existence s'éprouve dans le tort qui lui est fait. C'est en résistant aux résistances qui lui sont opposées que le droit s'éprouve comme force et demande de justice. Le droit est bien une Idée: non pas, cependant, en ce qu'il serait une Idée régulatrice, mais parce qu'il s'éprouve à travers ou à rebours, à même des situations de tort ou de non-droit (Unrecht) et qu'il doit, pour cela, être clamé et réclamé, être demandé et affirmé. A vrai dire, ces deux lectures ne s'excluent pas, elles s'impliquent plutôt mutuellement. Comme la république, le droit est »phénoménal« et »nouménal« à la fois. »Phénoménal«, il désigne les règles de droit valant dans un Etat de droit et qui garantissent les libertés individuelles. De même, la »république phénoménale« (respublica phaenomenon) désigne un Etat de droit dont le Chef gouverne les institutions dans un »esprit« républicain. Mais le »phénoménal« n'est que le dépôt et le précipité d'expériences républicaines à la fois antérieures et postérieures à lui et qui viennent le hanter et le rappeler à sa tâche. Ces expériences peuvent être appelées »nouménales«, non pas parce qu'elles se feraient en »esprit« ou en »idée« (en rêve), mais parce qu'elles suspendent les institutions comme elles suspendent les représentations qu'on peut s'en faire. C'est pourquoi elles sont »négatives«: elles sont précaires et fugaces, elles savent que, dès l'origine, leur sens est derrière elles, qui à la fois leur rend hommage et les recouvre. Ces expériences (à vrai dire, ce sont des expériences qui font l'expérience d'une impossibilité d'une expérience du- rable et vivante) sont des expériences de la justice. Antérieures et postérieures au droit, elles le rappellent à sa provenance et à sa tâche. Toujours déjà passées et toujours déjà à venir, elles ne sont jamais »vivantes«, »présentes« et, pourtant, ce sont elles qui font vivre le droit (Recht) et lui donnent sa teneur, si elle existe, de justice (Gerechtigkeit)1. La justice ne se vit jamais comme telle, elle est soit en retard, soit en avance, elle s'éprouve dans la résistance à l'injustice, c'est à dire dans le tort ou la résistance à la justice. La passion de la justice n'est pas la passion d'une institution, d'un droit ou d'un Etat justes, c'est la passion messianique d'un monde (mais le monde est une Idée) juste. La »république nouménale«, si ce nom doit être gardé, est cette expérience politique où la justice croise le droit. Une intervention politique républicaine révèle l'envers et les ombres du droit et fait simultanément entrevoir un monde 7 W. Benjamin, Critique de la violence, G. S. IV , p. 190. Résistance 37 de justice. Mais cette entrevue est instantanée. Déjà, le suspens est suspendu, le temps reprend son cours, les synthèses reprennent leur droit. Et, pourtant, il y a trace et trace immémoriale: un autre rapport au droit s'est institué et, de cette altération irréversible, nous sommes redevables aux inventions politiques »géniales« qui, si elles sont exemplaires et sont reprises en héritage par d'autres, font ce qu'on appelle justement l'histoire. * * * De même que la »théorie du génie« peut se relire comme des prolégomènes à une nouvelle pensée de l'histoire, de même il nous semble possible de trouver dans la »théorie du sublime«, qui fait couple avec elle, une nouvelle pensée éthique. Cette proposition peut paraître paradoxale, voire absurde. Kant a lui-même rattaché, semble-t-il clairement, sa pensée du sublime à la Critique de la raison pratique. Le sentiment du sublime n'étant jamais, Kant y insiste, le sentiment d'une grandeur ou d'une force extrêmes d'un objet, mais le senti- ment de notre absolue petitesse (ou faiblesse) conjointe au sentiment de notre absolue grandeur (ou force), il suppose une destination suprasensible de l'homme. Car si la nature est naturellement plus grande que nous, nous sommes, à l'inverse, en vertu de notre capacité suprasensible à nous élever au- dessus de notre nature, plus grande qu'elle. Au § 27 de la Critique de la faculté de juger, Kant se croit autorisé à écrire: »Le sentiment du sublime dans la nature consiste en un respect pour notre propre destination, respect que, par une certaine subreption (substitution d'un respect pour l'objet au respect pour l'idée de l'humanité présente en nous comme sujet) nous témoignons à un objet de la nature qui nous rend en quelque sorte intuitionnable la supériorité de la destination rationnelle de notre pouvoir de connaître par rapport au pouvoir maximal de la sensibilité«8. A vrai dire, cette affirmation soulève plus de problèmes qu'elle n'en résout. Comment une telle subreption, contradictoire et impensable en matière de moralité (témoigner du respect à autre chose qu'un homme, par exemple à un animal, est un acte quasi immoral), est-il ici possible? La subreption est d'ailleurs double. Il y a substitution d'un objet à une Idée et d'un sentiment d'étonnement à un sentiment de respect: il serait en effet absurde d'imaginer que nous témoignons du respect à la nature immense et déchaînée, mais nous sommes frappés d'étonnement et de stupeur face à la possibilité d'une telle grandeur et d'une telle force. Le sublime n'est pas un sentiment moral (au mieux, il le présuppose), mais un sentiment spirituel. Comme tout sentiment, il est séparé de sa cause: tout affect est l'effet privé de la connaissance de ce qui le détermine. C'est cette ignorance qui fait son archaïsme, sa brutalité et, 8C. F.J. §.27, A. K. V. p. 257. 38 Françoise Proust en tout cas, son »incompétence«. Le sentiment ne dit rien sur l'objet, il se contente de signaler un type de rapport et de rencontre entre soi et tel objet. Le sentiment du sublime déclare incommensurable le rapport entre soi et tel objet qui le dépasse. Pour déclarer incommensurable tel objet, il faut bien sûr avoir l'Idée d'une mesure, c'est à dire de ce que devrait mesurer ou peser telle grandeur ou telle force. C'est pourquoi le sentiment du sublime est un senti- ment spirituel. Il exige »une réceptivité aux Idées«9, c'est à dire, comme le précise Kant, une culture. De fait, regarder ce rocher nu non comme un objet de la nature grossier ou dangereux, mais comme sublime, demande que nous en fassions image, que nous le montions, comme Friedrich, en un tableau, et que nous y voyions une scène, ne serait-ce qu'en imagination. A ce titre, le sentiment du sublime est à la fois antérieur (plus jeune) et postérieur (plus vieux) que le sentiment moral (sentiment du respect): plus jeune, car il n'est pas (pas encore?) déterminé comme culpabilité et réceptivité à la loi, il est pur sentiment, pur sensus, pure surface de frappe, il est libre sentiment et il témoigne non de l'aptitude morale de l'homme, mais de sa capacité à recevoir un donné et s'orienter selon un sentiment, voire une émotion. Mais il est, en même temps, plus vieux, car il suppose une réceptivité aiguisée et cultivée aux Idées, alors qu'une telle culture n'est pas exigée de la conscience morale à laquelle tout enfant, dès l'âge de sept ans, est accessible10. C'est cette culture »de la réceptivité aux Idées« qui rend capable d'une attitude éthique par-delà la loi morale. C'est peut-être le sublime dynamique qui permet d'élaborer une telle éthique. Est »sublime-dynamique« ce qui manifeste une puissance qui, alors même qu'elle semble irrésistible, suscite la plus grande résistance. »La puissance est un pouvoir supérieur à de grands obstacles. La puissance est dite violence lorsque la violence est supérieure à la résistance de ce qui est aussi doté de puissance. La nature dans le jugement esthétique, considérée comme une puissance qui n'exerce pas une violence sur nous, est sublime-dynamique«11. Reprenons. La nature, comme nous l'avons déjà noté, n'a rien de sublime. Elle n'est autre qu'un pur rapport de forces où c'est la force la plus forte qui l'emporte. De ce jeu, l'issue est prévisible: les corps les plus faibles (les corps les plus légers, les plus lents etc....) sont vaincus (dominés, écrasés, détruits etc...) par les plus forts. Il s'agit d'une loi dynamique (ou de mouvement) de la 9C. F. J. §.27, A. K. V. p. 257. 10 A vrai dire, l'homme moral se reconnaît à sa conscience morale (à sa mauvaise conscience) et àson insensibilité (Affektlosigkeit) (cf. C. F. J. Remarque générale sur lesjugements réfléchissants, A. K. V. p. 272), alors que, face à un spectacle sublime, l'homme est ému (bewegt) et "nous disons de celui qui reste insensible (unbewegt ) face à ce que nous jugeons être sublime, qu'il n'a aucun sentiment" (C. F. J. A. K. V. p. 265). " C . F. J. §.28, A. K. V.p. 260. Résistance 39 nature (et donc de l'histoire en tant que nature) à laquelle aucun corps, fut-il au repos, ne saurait se soustraire. On peut donc dire de la nature qu'elle est violente. La nature est violente lorsqu'une force ne laisse pas une autre force se maintenir face à elle, lorsqu'elle l'empêche de se manifester et lorsque l'équilibre des forces est rompu. De fait, l'équilibre l'est toujours, au moins virtuellement. C'est pourquoi, pour favoriser le commerce équilibré des forces humaines, les sociétés ont mis en place des règles de droit destinées, comme nous l'avons vu, à empêcher qu'une force empêche la libre manifestation d' une autre force. En d'autres termes, le droit est destiné à prévenir la violence. Pourtant, alors même qu'elle est l'échec du droit, la violence peut être source, comme dans les révolutions, d'un autre droit ou d'une autre Idée du droit et, en cela, révéler un caractère sublime. Ce qui, en elle, est sublime n'est certes pas sa violence comme telle, c'est à dire sa violation du droit en cours. La force de négation ou de négativité n'est jamais sublime. Sa sublimité provient de sa puissance que l'emballement de la violence écrase plus qu'elle ne la favorise. La violence est négative, la puissance est affirmative. La violence est mouvement, la puissance est arrêt et mise au repos. La puissance résiste aussi bien à la force (au faux équilibre des forces) qu'à l'irrésistible violence. Elle résiste à la force en se dressant contre elle, en s'élevant et en se soulevant contre elle, en s'insurgeant et en refusant de lui céder. La puissance est toujours emportement, protestation, tempête, et c'est cette force d'insurrection qui peut lui donner une allure violente. Mais la puissance résiste également à la violence: elle s'emporte mais ne se porte pas »vers«, elle s'émeut mais ne se mobilise pas, elle proteste, mais ne »prend« pas un pouvoir, elle s'indigne mais ne lutte pas »pour«, elle se bat mais ne combat pas. La puissance s'interrompt dans son mouvement, elle s'arrête et, dans cet apparent retrait, dans ce faux aveu de défaîte et de faiblesse, elle découvre et manifeste sa force infinie de résistance à l'irrésistible: »Le surplomb audacieux de rochers menaçants, des nuées orageuses s'amoncelant dans le ciel et s'avançant parcourues d'éclairs, de fracas, des volcans dans toute leur violence destructrice, des ouragans semant la désolation, l'océan sans limites soulevé en tempête, la chute vertigineuse d'un fleuve puissant etc... réduisent notre faculté de résistance à une petitesse insignifiante comparée à leur force. Mais le spectacle n'en devient que plus attirant dès qu'il est plus effrayant, à la seule condition que nous soyons en sécurité; et c'est volontiers que nous appelons sublimes ces phénomènes, car ils élèvent les forces de l'âme au-delà de leur niveau habituel et nous font découvrir en nous une faculté de résistance d'une tout autre force qui nous donne le courage de nous mesurer à l'apparente toute-puissance de la nature«12 12 C. F. J. §.28, A. K. V. p. 261. Je me permets, sur ce point, de renvoyer à mon ouvrage, Kant, le ton de l'histoire, Paris, Payot, 1991. 40 Françoise Proust Nous avons là une éthique de la résistance, de l'éthique de la résistance suscitée et appelée par l'irrésistible13. Résister n'est pas un acte de volonté, c'est une attitude, une conduite qui se tient à hauteur d'une situation. Faute de place et de temps, on se contentera de poser ici les prolégomènes d'une Analytique de la résistance. 1 - Placés, voire jetés, dans une situation (et les situations sont à la fois absolument prévisibles au vu des situations passées, et absolument imprévisibles, car une situation est toujours singulière et est toujours un hic et nunc), nous sommes toujours placés par une situation. Nous n'avons jamais un pouvoir de juridiction ou de législation, nous n'avons jamais le pouvoir d'ordonner quoi que ce soit à la mise en place, au déroulement et à l'issue d'une situation. En ce sens, nous n'expérimentons jamais le pouvoir de la volonté (le »sic jubeo, sic vo/o«), mais au contraire l'impuissance dans laquelle nous place une situation. Une situation est toujours déterminée (histoire, rapports de force) et, dès lors, elle nous détermine au moins partiellement. Résister nomme ce type de conduite qui nous reste quand nous savons qu'une situation nouvelle ne peut naître d'un coup de ciseau, d'un coup de couteau, d'un coup de marteau. Résister, c'est toujours résister depuis des murs qui nous enserrent, des limites qui nous contraignent. Nous résistons toujours le dos au mur. ce dos, c'est notre avenir qui, à la fois, est derrière nous et, pourtant, nous pousse et nous enjoint. La résistance est ce qui reste aux abandonnés (aux abandonnés de l'histoire présente et de l'histoire future) qui ne veulent pas s'abandonner à l'abandon. 2 - La résistance n'est donc pas passivité, comme en témoigne l'attitude nommée »résistance passive« qui est totalement active par les forces tenaces qu'elle mobilise et les effets irrésistibles qu'elle induit. La résistance est en- deçà du couple disjonctif activité-passivité. Ni active, ni passive, elle est plutôt négative, au sens où Deleuze interprète la »volonté négative« nietzschéenne à travers le Bartleby de Melville par exemple. Il ne s'agit pas de nier, de ne pas voir ou de condamner, il ne s'agit bien sûr pas non plus de consentir, d'accepter et de céder. Il s'agit plutôt de se déplacer par rapport aux règles en cours, de se décaler par rapport à un jeu truqué, non pas au nom d'un autre jeu à venir, mais pour affirmer un inacceptable et un intolérable. Car, dire »non« n'est pas une négation: Ou plutôt, cette négation est un mode d'affirmation. Le dos au mur, la résistance pratique l'immobilité (d'où le reproche fréquent d'archaïsme, de corporatisme, de crispation sur un passé qu'on sait à jamais disparu. La résistance est toujours une conduite archaïque: elle réagit, et, à ce titre, elle est toujours en retard par rapport à son adversaire. Mais c'est précisément sa chance: n'être pas ajustée à son temps lui offre l'occasion, si elle la saisit, 13 On pourra penser au fameux " Ne cède pas sur ton désir" de Lacan. Résistance 41 d'agir à contretemps et de prendre l'histoire à revers14) L'immobilité est un exercice qui requiert une énergie tenace, une persévérance à toute épreuve, une tension maintenue et retenue. C'est l'affirmation d'un refus d'avancer. Car résister, c'est toujours résister au cours des choses, au monde tel qu'il va, aux choses telles qu'elles tournent, bref à la pente naturelle du temps. Résister, c'est toujours résister au temps soit-disant irrésistible. 3 - En ce sens, résister est toujours équivoque. Il y a toujours de la résistance à ce qu'apporte le temps. La résistance est-elle alors ce à quoi on résiste ou ce qui résiste? Il est d'autant plus difficile d'en décider qu'on peut résister à la résistance. Ainsi, la maladie est-elle résistance à la santé (à la guérison) ou la santé est-elle résistance à la maladie (à la possibilité de devenir-malade)? La formule de Bichat: »La vie est l'ensemble des forces qui résistent à la mort« est ici trompeuse, car elle laisse supposer que la résistance est un principe de vie (et que ce à quoi on résiste est la mort) alors qu'elle est bien plutôt un bloc opaque, mixte indèmêlable de vie et de mort, une force aveugle et intraitable qui ne cherche ni à surmonter un quelconque obstacle ni à triompher d'un ennemi, mais à s'affirmer telle quelle. C'est pourquoi si le sens de la résistance reste ambigu, sa teneur, elle, ne l'est pas. Toute position suscite, certes, une opposition (une position inverse), mais plus profondément, une résistance à toute prise de position. La résistance est toujours résistance au présent qui a l'histoire (le passé ou le présent ou l'avenir) pour lui. Minorité qui ne demande pas la majorité pas plus qu'elle ne demande à la majorité de la reconnaître comme minorité, elle existe par elle-même sans se demander de quelles valeurs elle est porteuse, parce qu'elle est une force qui s'affirme dès que d'autres forces (une ou plusieurs) occupent un terrain et délimitent des règles, prennent forme, s'érigent, se tiennent et se maintiennent, se coagulent en un »étant« (état de choses ou Etat) 4 - La résistance est une pratique purement immanente. Attitude mimétique, elle répond au coup par coup (donc au cas par cas). Elle est donc théorique et pratique en même temps. Toute situation appelle une réponse. Répondre (correspondre) à une situation, ce n'est pas la dépasser ou, a fortiori, la nier. C'est en sortir, en en déplaçant les règles et en en faisant apparaître des issues jusqu'alors inaperçues. Toute situation est un labyrinthe et les justes possibilités sont les possibilités ajustées à la situation. Une action juste est une réponse, une réplique, une riposte, une rétorsion. Rétorquer, c'est renvoyer à l'adversaire son propre coup, c'est lui tendre un miroir grossissant, grimaçant, médusant. C'est doubler (ou mimer) une situation, se loger dans sa doublure, la hanter partout où elle se manifeste, la suivre dans ses plis et replis pour, quand 14 La résistance engage une Analytique de la temporalité que nous avons commencé à élaborer dans notre L'histoire à contretemps, le temps historique chez W. Benjamin, Paris, Ed. du Cerf, 1994. 4 2 Françoise Proust l'occasion est favorable, la provoquer et l'amener à faire sortir de leurs cachettes des possibilités inexploitées. Bref, c'est jouer les règles du jeu pour, in extremis, lorsque le moment ultime est venu, se jouer d'elles et les déjouer. 5 - Résister est donc affaire de temps, de tempo, de rythme. Et ce rythme est double, bifide, biface. D'un côté, résister, c'est ralentir le temps et cultiver la lenteur. Non pas qu'il s'agisse de temporiser et d'empêcher que le temps ne déroule son cours - ce qui serait absurde. Non pas qu'il s'agirait de penser qu'on a et qu'on aura toujours le temps: illusion qui naît de la pensée d'un temps étale, d'un temps à disposition et à portée de main et dont Kant, en faisant du temps une forme, a ruiné les prétentions. Il s'agit plutôt d'immobiliser le temps par une obstination à rester sur place, par une ténacité forcenée à refuser de se laisser emporter par le cours du temps et à »changer« avec lui. Mais d'un autre côté, résister, c'est accélérer le temps et cultiver la précipitation. C'est doubler le temps de manière continue, c'est gagner sur lui en vitesse et avoir, à chaque instant, un temps d'avance sur une situation. C'est précipiter le temps en le portant à une vitesse extrême et en prenant ainsi le risque (et la chance) de l'affoler et de le dérégler. Résister, c'est donc, d'un seul et même geste, dans le même temps, obstinément se tenir (ou revenir) à la même place et se situer aune autre place, à une place imprévue et imprévisible par le temps présent. Une telle attitude commande à la fois la plus grande patience et la plus grande impatience. La plus grande patience, la patience la plus minutieuse, la plus tenace, parce qu'il s'agit de rester insensible aux circonstances changeantes, de résister au nouveau mensonger, aux fausses solutions, aux pseudo-alterna- tives et de rester prudent voire impassible face aux promesses qui se succèdent avec le temps. Une telle vertu de patience se nomme encore vertu d'attente. L'attente est, d'une certaine manière, toujours vaine: elle n'attend rien, elle se méfie même de ce qui arrive et de ce qui se présente. Elle est pourtant la condition pour que se donne un »imprévisible« et un »inattendu«. Car attendre, c'est se tenir prêt pour »au cas où«, c'est être là et toujours là, si une occasion se présente. C'est pourquoi la patience est en même temps la suprême impa- tience: vigilante, elle attend son heure, elle guette les moindres signes et les alertes les plus ténues pour bondir et intervenir à l'improviste quand le présent ne s'y attend pas et prendre à revers une situation. Elle sait attendre parce qu'elle sait que la justice n'attend pas. Patience et impatience, ou encore, sens de l'attente et de l'urgence, sont des vertus, éthique et politique, de résistance à l'irrésistible. Elles peuvent, avec Benjamin, se résumer ainsi: »confiance, courage, humour, ruse et inébranlable fermeté«15. 15 Thèses sur le concept d'histoire, Thèse IV, G. S. I. p. 694. L'horreur du moraliste politique Rado Riha / Je commencerai par la question suivante: »Qu'est-ce qui me permet de prendre part au débat philosophique sur les problèmes de la politique, auquel participent les philosophes de l'Ouest et ceux de l'Est, plus exactement qu'est-ce qui me permet d'y prendre part d'égal à égal? Puis-je effectivement, moi qui reconnais la situation politique est-européenne comme la mienne et qui pose ici et maintenant, hic et nunc, cette question de l'égalité, puis-je parler comme un égal parmi des égaux?« Qu'est-ce donc qui permet une discussion sur un pied d'égalité sur les problèmes de la politique entre ceux qui vivent dans la réalité des vieilles démocraties et ceux qui vivent dans la réalité de soi- disant nouvelles démocraties? Je donnerai tout de suite ma réponse: c'est le premier terme du titre de notre colloque, l'éthique, qui rend possible l'égalité dans notre débat. Mais il n'y a pas d'éthique en-soi. L'éthique ne rend possible un débat philosophique égalitaire entre l'Ouest et l'Est que si ce débat est déjà sous la condition de la politique. Cette condition, j'essaie de la saisir dans et avec ma question de l'égalité, ou se mêlent deux énoncés, l'énoncé politique et l'énoncé philosophique. L'éthique intervient alors deux fois, en deux lieux différents et de deux manières distinctes. C'est l'irréductible dualité de cette intervention qui rend possible le débat égalitaire entre nous. La question de l'égalité, je l'entends alors de deux façons. Premièrement, comme une question portée et déterminée par un intérêt politique. C'est qu'à mon avis une discussion philosophique entre l'Ouest et l'Est traitant des problèmes politiques n'est - comme discussion égalitaire - guère possible, du moins pas au début. Une telle rencontre égale est rendue impossible précisément par l'événement qui nous a tous placés dans une situation égale de principe, à savoir la victoire et l'universalisation de l'ordre démocratique. Notre situation à tous, aussi bien ceux de l'Est que ceux de l'Ouest, assujettis que nous sommes, dorénavant, au régime de la démocratie, ôte, semble-t-il, aux acteurs politiques de l'Europe de l'Est leur indépendance et leur égalité. Je me réfère au dilemme du »Trop« et du »Trop-peu«, dans lequel se trouvent les acteurs politiques est-européens. Pour certains, ces acteurs sont encore »trop peu Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 43-31. 44 Rado Riha démocrates«, ne se trouvant qu'au début du chemin démocratique suivi depuis déjà deux siècles par les démocraties réelles et développées. Pour les autres ils sont par contre »trop démocratiques«, c'est-à-dire qu'ils sont considérés ou bien comme des naïfs ou bien comme des adeptes de l'ordre existant du capitalo-parlementarisme. Bref, il semble qu'à l'Est, on ne soit pas encore sorti d'un état de tutelle. Je considère ici le dilemme évoqué du »Trop« et du »Trop-Peu« seulement comme une indication du fait que ce n'est pas simplement la prétendue universalité de la démocratie elle-même qui assure l'égalité des participants à notre discussion. Pour atteindre l'égalité, il faut encore un acte supplémentaire, un acte lié au lieu singulier de l'énonciation. En l'occurrence, il consiste à décider, dans une situation supposée égalitaire, c'est-à dire dans la situation démocratique, de soulever encore une fois la question de l'égalité. Ainsi, pour que la situation de l'égalité soit véritablement égalitaire il faut y rajouter la question de l'égalité. Ou encore: la voie vers l'égalité de tous ne passe que par le lieu singulier de l'énonciation. L'énoncé politique qui vise l'égalité n'aboutit à l'universalité et ne vaut pour tous que s'il reflète le lieu singulier de son énonciation. A ce point, nous pourrions nous rappeler la figure kantienne du moraliste politique qui apparâit dans »La Paix perpétuelle«. Kant y traite d'une politique qui croit considérer l'homme »tel qu'il est«1, et qui affirme que cet homme dominé par le mal, c'est-à-dire par ses intérêts égoïstes, ne sera jamais capable de réaliser les principes de »l'être-ensemble« que la raison prescrit comme devoir. Quel est, si l'on simplifie un peu le propos de Kant, le reproche principal qu'il adresse à cette politique? Il se contente en somme de constater que, bien qu'elle se prétende une approche réaliste et modeste, elle est inacceptable, »parce qu'une théorie aussi corrompue produit elle-même le mal qu'elle prédit«2. La politique moralisante se prend pour une sage acceptation de la nature humaine »telle qu'elle est« mais c'est en vérité elle-même qui crée le mal, essayant ensuite de la maîtriser avec les »simples artifices de la prudence« (Kant). Son approche réaliste repose en effet sur un élément qui n'est pas déduit de la réalité empirique mais que le moraliste politique introduit lui- même subrepticement. Il s'agit du jugement implicite selon lequel les individus, dominés parleurs intérêts pathologiques, ne seront jamais capables de réaliser dans leur vie en commun les principes de la raison. On pourrait alors décrire la 1 Cf. E. Kant, Vers la paix perpétuelle et autres textes, B 75/A 70, trad. par J.-F. Poirier et F. Proust, Flammarion, Paris 1991. 2 Ibid., B 92/A 86. L'horreur du moraliste politique 4 5 politique moralisante ainsi: il s'agit d'un énoncé politique qui vise l'universalité, mais ne prend pas en considération le fait qu'un moment constitutif de cet énoncé est le lieu singulier de son énonciation. C'est pourquoi elle manque l'universalité et ne réalise qu'un intérêt particulier. A vrai dire, il ne serait pas trop difficile de trouver aujourd'hui maints exemples de politique moralisante3. Une discussion à ce propos serait certainement animée, mais je laisse ces problèmes-là de côté. Cependant, je ne comprends pas la question de l'égalité seulement d'un point de vue politique. Je la comprends en même temps d'un point de vue philosophique. A cause de la coïncidence de ces deux dimensions, la question interroge du point de vue philosophique le rapport singulier entre la politique et la philosophie. Elle se pose sous la forme suivante: »quel rapport existe-t-il entre philosophie et politique pour qu'on puisse entendre une question politique comme étant en même temps une question philosophique?« Du point de vue politique, la question de l'égalité exigeait que l'énoncé politique universel réfléchisse le lieu singulier de son énonciation. Du point de vue philosophique, elle demande à la philosophie de penser son lieu d'énonciation dans l'acte même de penser la politique. Ce lieu de l'énonciation de la pensée philosophique de la politique est philosophique et rien d'autre que philosophique. Ce qui veut dire que cette pensée philosophique de la politique pense le rapport entre politique et philosophie comme un problème immanent de la philosophie. Donc la pensée philosophique de la politique ne pense pas son appartenance à une situation politique réelle. En pensant la politique elle doit plutôt penser en même temps sa définition de la politique. Elle doit la penser parce que cette définition est un élément constitutif de la philosophie même. Le rapport entre politique et 3 Quant à la figure contemporaine de la politique moralisante est-il possible de ne pas penser à la politique de soi-disant grandes puissances européennes, notamment la France et la Grande- Bretagne, envers l'état bosniaque? D'une part l'aide humanitaire »à tous les belligérants«, selon l'expression cynique de la Realpolitik officielle, semble bien constituer la forme actuelle du jugement qui prétend qu'il n'est pas possible de l'emporter sur le mal dans les relations humaines, qu'on ne peut que le limiter par les différents »artifices de la prudence«. D'autre part le besoin accru de protéger militairement des soldats qui ne font eux-mêmes que »protéger la paix« montre bien que la position d'observateur neutre n'est en réalité guère tenable. La tentative de renvoyer dos à dos ceux qui s'efforcent de libérer leur propre ville et ceux qui assiègent cette ville, nous montre que la prétendue neutralité à été, dès le début, un élément constitutif de la crise en ex-Yougoslavie. Le mot d'ordre d'aide humanitaire n'a jamais été autre chose que le soutien caché de la politique obscurantiste actuelle de la Serbie et du Monténégro - politique qui n'a nullement commence avec la Bosnie. Bref »l'aide humanitaire« des Occidentaux a contribué au mal contre lequel elle prétend se battre. 4 6 Rado Riha philosophie n'est un problème proprement philosophique que s'il se fonde sur la pensée de la définition philosophique de la politique. En résumé: premièrement, pour qu'on puisse poser la question de l'égalité en tant que question politique, il faut qu'il y ait un acte de réflexion concernant la manière dont l'énonciation est inscrite dans l'énoncé. Cette réflexion est néces- saire pour pouvoir aboutir à des énoncés valables pour tous. Deuxièmement, pour qu'on puisse affirmer que la question politique de l'égalité est en même temps une question philosophique il faut supposer que l'acte d'inscription de l'énonciation dans l'énoncé, pris comme critère, comme »norme« de l'énoncé politique censé être valable pour tous, est une définition philosophique de la politique. La question de l'égalité est donc une, mais elle se manifeste sous deux formes radicalement différentes. Dans le cadre de cet exposé, je définirai le point de rencontre de ces deux formes comme étant la dimension éthique. La politique conforme à son concept, c'est-à-dire la politique d'émancipation, est toujours supplémentée d'une dimension éthique que je nommerai ici de la façon suivante: c'est une politique qui travaille à partir de l'Idée. Ce qui ne veut pas dire une politique exercé au nom de l'Idée. C'est plutôt une politique supplémentée de l'Idée. Et l'Idée trouve sa place, comme nous le savons, dans la philosophie. Ce qui veut dire aussi qu'une politique supplémentée de l'Idée est la seule possibilité pour la philosophie de penser son rapport à la politique comme un rapport entièrement philosophique. II De quelle Idée s'agit-il? En répondant à cette question j'aborderai la deuxième partie de mon exposé. Cette partie est, il faut le dire, d'orientation kantienne. On pourrait dire que l'orientation de Kant est trop importante pour qu'on puisse la laisser aux projets philosophiques qui se réclament d'un retour à Kant. Je ne considérerai la morale kantienne que sous sa forme élémentaire, c'est-à- dire comme règne inconditionnel de la Loi morale universelle. L'essentiel, dans ce cas, est que sa constitution coïncide avec le rejet de toutes les inclina- tions pathologiques du sujet, avec le sacrifice de tout ce qui est le plus intime et le plus cher au Moi.4 La pureté de la Loi morale s'établit dans une simultanéité absolue avec le sacrifice de l'ensemble du pathologique. Comme principe déterminant de la volonté, cette Loi n'est pas séparable du mouvement inces- sant de rejet du pathologique. 4 C'est cette coïncidence du sacrifice du pathologique et de la constitution de la loi morale qu'évoque l'énoncé célèbre de Lacan, suivant lequel »la loi morale..., à l'examiner de près, n'est rien d'autre que le désir à l'état pur«, J. Lacan, Séminaire XI, Seuil, Paris 1974, p. 247. L'horreur du moraliste politique 4 7 Il faut se garder de considérer ici qu'on a d'un côté affaire à la disposition naturelle de l'homme et de l'autre à la Loi pure et intelligible qui l'assujettit inconditionnellement. Pour éviter ce genre de malentendus j'entendrai l'événement conjoint du sacrifice du pathologique et de la constitution de la Loi morale comme un processus de symbolisation de la nature pathologique de l'être humain. Quant à ce processus de symbolisation du pathologique, l'éthique kantienne nous apprend vraiment quelque chose de surprenant: le résultat du processus en question est que le pathologique, exclu de la Loi, n'en est pas exclu une fois pour toutes. Tout au contraire, il y a un reste du pathologique qui surgit au sein de la Loi universelle. La Loi universelle dans sa pureté même, affranchie de tout contenu particulier, bref, la Loi morale en tant que Loi et rien d'autre, est une Loi au sein de laquelle persiste un reste du »pathologique« irrésoluble: une altérité, une singularité irréductibles, la singularité propre de la Loi. Il ne s'agit pas de cette altérité contre laquelle la Loi affirme son universalité, il ne s'agit pas de la particularité de la nature empirique de l'homme. Il s'agit plutôt d'une singularité que la Loi ne peut jamais absorber car elle en est constitutive. Tout en transcendant la Loi la singularité en fait partie L'acte moral ne se dirige pas simplement contre la nature humaine empirique. Il demande plutôt un mode d'agir qui ne la prend pas en considération. La Loi morale n'existe qu'autant qu'existe ce quelque chose dont la Loi fait abstrac- tion en se constituant dans sa pureté. Le sujet de la Loi morale ne lutte pas contre sa nature naturelle. Si nous utilisons le terme »lutte«, il faut signaler qu'il ne s'agit pas d'une lutte contre; c'est plutôt une lutte pour. Le sujet de la Loi morale lutte pour la reconnaissance d'une singularité irréductible au sein de la Loi universelle. Il lutte pour qu'un »pathein non pathologique«, pour reprendre le terme de F. Proust5, soit reconnu comme son élément constitutif. Le rejet du pathologique n'est pas une attitude ascétique, c'est plutôt un geste actif, un acte de création au sens propre du terme: creatio ex nihilo. La Loi morale n'exige pas de l'homme qu'il renonce, au nom de l'intelligible, à ce qu'il est, à son intérêt empirique. La Loi morale fait quelque chose va bien plus loin qu'une construction du monde intelligible: par son action elle crée pour l'homme une disposition »naturelle« qui est faite seulement et uniquement à sa mesure, à la mesure de l'homme en tant qu'être raisonnable. Cette disposition, bien que »naturelle«, n'appartient pas à ce monde, elle n'est pas vraiment naturelle. C'est justement à cause de ce »pathein non pathologique« que la loi morale peut être exprimée sous la forme: »Ne pas céder sur«. Mais il faut qu'on prenne des précautions en utilisant ce mot d'ordre. Ici encore, il ne s'agit pas de se battre contre l'intérêt naturel au nom du désir pur. L'attitude de »ne pas céder 5 F. Proust, Kant, le ton de l'histoire, Payot, Paris 1991. 4 8 Rado Riha sur« est principalement l'attitude du courage. Le courage de lutter, non pas contre sa nature, mais au contraire, le courage d'affirmer quelque chose de »naturel« qui n'est propre qu'à l'homme en tant qu'être raisonnable. Il s'agit pour le sujet d'affirmer en soi quelque chose qui n'est rien d'autre que la présence massive, matérielle d'une pure absence. III Ici je voudrais proposer la thèse suivant laquelle cette coïncidence immédiate du singulier et de l'universel, que nous considérons comme le noyau conceptuel de l'éthique kantienne, n'est pensable qu'à partir de la troisième Critique, la Critique de la faculté de juger. Je ne peux pas justifier plus en détails cette thèse, je me contenterai d'en faire l'esquisse la plus élémentaire possible. Pourtant, je voudrais bien remarquer qu'elle s'oppose à une lecture de la troisième Critique qui interprète l'usage régulateur des Idées de la raison comme un »horizon d'attente«, comme une »exigence de rationalité« jamais atteinte. La troisième Critique est trop précieuse pour qu'on la laisse au »Schulbegriff« de la philosophie. La nouveauté de la troisième Critique par rapport aux deux premières consiste, dans ma perspective, en ce que dans cet ouvrage deux notions kantiennes - la notion de sensibilité et la notion d'Idées régulatrices - font noeud, c'est-à-dire qu'elles n'ont de sens, qu'elles n'existent que de leur rapport réciproque. On pourrait résumer cette nouveauté en deux points. Premièrement, la troisième Critique arrive à réaliser le but de l'esthétique transcendantale. Elle réussit à définir »tous les principes de la sensibilité«6. Elle ne définit pas la sensibilité seulement dans sa dimension objective, comme la première Critique, mais aussi dans sa dimension irréductiblement subjec- tive. Celle-ci est, comme nous le savons, définie chez Kant comme la sensibilité du sentiment. Mais le résultat de cette réussite, de cette définition complète de la sensibilité, est une découverte surprenante: la sensibilité du sujet c'est-à-dire sa réceptivité et sa passivité originaire, s'avère, tout en étant réceptivité et passivité, déjà choisie et posée. En d'autres termes: la sensibilité du sentiment est, en tant que dimension la plus subjective de la sensibilité, d'après Kant inaccessible à la connaissance objective. Cependant, ce tréfonds de la subjectivité n'est pas défini par Kant comme un domaine qui échappe à toute dénomination et qui se situerait pour ainsi dire au-delà de toute pensée. Il est défini comme quelque chose qui, dans son indicibilité même, est articulé à la pensée, comme quelque chose qui n'est indicible que dans la mesure où il est entièrement saisi par la pensée et en relève. 6E. Kant, Critique de la raison pure, B 64/A 47 et B 35. L'horreur du moraliste politique 49 Deuxièmement, l'usage régulateur des Idées de la raison se trouve redéfini par la notion de sensibilité du sentiment. Dans la première Critique, cet usage signifie que les Idées n'ont qu'une fonction hypothétique, problématique. Par exemple, l'idée de l'unité systématique de la connaissance empirique n'est pas un véritable universel, car nous ne pouvons que nous en approcher indéfiniment. Dans la troisième Critique, par contre, son principe fondamental, le principe d'une finalité formelle de la nature, n'est plus fondé sur l'idée de l'unité systématique de l'expérience. Il est fondé sur le fait que le jeu spontané de ses facultés de connaître produit d'une manière contingente l'effet de connaissance. Il s'agit bien sûr d'une connaissance étrange, car elle s'exprime et se transmet par le sentiment. On aboutit à une problématique complexe. Je n'en garde ici que l'essentiel: l'unité systématique de l'expérience, immanente à l'idée de raison, n'est justifiée que par l'intermédiaire, »vermittelst«, de la contingence. En d'autres termes, la contingence est introduite dans le noyau même de l'idée inconditionnélle de raison, elle est devenue la caractéristique essentielle de l'idée de raison. Dans la troisième Critique l'usage régulateur des idées ne signifie donc plus une fonction hypothétique mais une limitation interne, un blocage intérieur à la raison et à son exigence d'universalité. Le déplacement qu'opère la troisième Critique en comprenant l'idée de raison comme lieu d'articulation de la nécessité et de la contingence, est le déplacement vers le concept de totalité non consistante, vers une totalité »pas-toute« exactement parce que rien n'y manque. Inconsistante, l'idée de raison n'est plus seulement le lieu vide d'un sens à jamais absent. Cette absence de sens est présente en tant que telle. Elle est présente dans la sensibilité du sentiment, dans quelque chose qui n'est qu'un sens sans signification. L'affirmation que la sensibilité et la raison font noeud doit donc être comprise de la façon suivante: la raison réussit à accomplir son exigence de totalité mais en devenant inconsistante parce que le point de cet accomplissement est le sentiment, un sens sans signification. La sensibilité du sentiment, elle, en tant que limitation intérieure de la raison, est une chose qui, bien qu'insensée, passive et réceptive n'en est pas moins produite par un acte de spontanéité. IV Je reviendrai, pour conclure, à la question de l'égalité. J'ai essayé de décrire la dimension éthique en utilisant la catégorie de l'Idée. La politique et la philosophie, comme je les entends ici, sont la politique et la philosophie avec l'Idée. 50 Rado Riha Ce qui signifie, en ce qui concerne la politique, que celle-ci n'agit pas au nom de l'Idée, mais que l'Idée est immanente à la situation politique sans y être représentée. £>z ce qui concerne la philosophie, l'Idée est un moyen de déliaison, elle permet à la philosophie de rompre son lien avec la situation politique réelle et d'exister en rupture avec elle. Cette Idée se manifeste de deux façons: en politique elle se présente comme le choix d'analyser concrètement des situations concrètes. Par cela je n'entends pas une politique réaliste ou pragmatique. Je la définirais comme une politique qui trouve la norme de son action dans sa propre pratique, la politique où le cas de la règle se constitue en même temps que la règle elle-même. Une telle défi- nition implique qu'il s'agit d'une politique singulière, indéterminée et de con- tingence, d'une politique qui risque d'être indiscernable du Mal. Il s'agit d'une politique qui se développe non seulement indépendamment de l'interprétation philosophique, comme le savait déjà Marx, mais indépendamment de toute philosophie. Ou bien aussi: il s'agit d'une politique que Kant appelait la politi- que morale. Par conséquent d'une politique qui suit la maxime: Fiat iustitia, pereat mundi. Mais avec cela Kant était loin d'anticiper la république des juges, et loin aussi de n'importe quelle politique jusqu'au-boutiste. Dans cette maxime il s'agit avant tout d'une coupure radicale, d'une rupture absolue avec la situation. La politique morale parie, dans une situation réelle, sur le moment qui est radicalement hétérogène à cette dernière, sur le moment qui n'existe pas dans cette situation. C'est une politique à partir de l'Idée dans la mesure où l'Idée est ce qui transcende la situation de l'intérieur en y inscrivant un vide. La politique d'émancipation n'a pas besoin de la philosophie pour se développer comme politique d'émancipation. Mais, malgré cela, la philosophie est utile à la politique. C'est la philosophie qui rend possible la transmission intégrale de la singularité de la politique d'émancipation. La tâche de la philosophie est de présenter in actu la transmissibilité intégrale d'une singularité irréductible. C'est même sa contribution à la politique d'émancipation. La philosophie accomplit cette tâche en trouvant et en déterminant à l'intérieur d'elle-même un élément catégoriel - nous l'appelons l'Idée - qui interrompt sa relation à la situation politique réelle. Ce moment constitue le rapport entre la politique et la philosophie comme un rapport de non-rapport. La découverte et la détermination de ce moment font partie de la définition philosophique de la politique mentionnée plus haut. Il s'agit donc d'établir une catégorie comme moment de dé-liaison. Dans ce cas, la réflexion philosophique procède de telle manière qu'elle vide une catégorie de tout son contenu historique. De cette façon la catégorie surgit comme une Idée, c'est à dire comme ce qui est au dessus de tout transformation historique, comme ce qui reste le Même. Une telle Idée peut être, disons, la notion kantienne de la politique morale. L'horreur du moraliste politique 51 Mais ce peut être aussi la notion des droits de l'homme. Bien évidemment, les droits de l'homme ne peuvent jouer le rôle d'Idée qu'à condition que la philosophie réussisse à les penser comme ce qui n'est situable dans aucune situation politique réelle. Car en faisant partie d'une situation politique réelle, comme par exemple en Bosnie, les droits de l'homme sont vraiment le Mal dans sa forme pure. Ils sont ce peu d'humanité qui reste aux exclus comme le résultat du consensus des riches et des puissants. Ici, cependant, il faut faire un pas de plus. Que la politique d'émancipation soit une politique à partir de l'Idée, qu'elle soit à chaque fois singulière, radicalement ouverte, aléatoire, qu'elle ne trouve la norme de son action qu'en-soi - toutes ces définitions font déjà partie de la définition philosophique de la politique. Mais sur quoi se fonde cette définition philosophique même de la politique? Sur quoi se fonde l'acte de détermination d'un élément catégoriel de la philosophie comme l'Idée? Eh bien, cette décision, cet acte d'établir l'Idée n'est pas fondé dans la réalité elle-même. Son seul appui est l'acte singulier dénonciation dans lequel la philosophie déclare qu'il y a de la politique d'émancipation; l'acte où la philosophie prononce le jugement réfléchissant: »C'est le cas«, »Cette donnée- là peut être considérée comme un cas de politique d'émancipation«. Cet acte d'énonciation ne détermine pas quelque chose de particulier, il ne soumet pas le particulier au règne de l'universel. Le jugement »c'est le cas« s'appuie bien sûr sur du particulier, sur une quelconque donnée de la situation, mais ce n'est pas cette donnée elle-même qui est le cas. Le cas c'est plutôt ce qui dans la donnée est plus cette donnée que la donnée elle-même. Celle-ci ne fait que montrer le cas de la politique d'émancipation, elle n'est qu'un point de repère pour le jugement réfléchissant toujours renouvelé »c'est le cas«. Le cas ne réside dans la donnée qu'en tant que subversion de sa réalité et identité empirique, qu'en tant que modification de sa place particulière dans la situation réelle. Le cas est alors ce qui maintient ouverte, dans la donnée, la place pour que surgisse quelque chose de radicalement autre. Et l'acte d'énonciation philosophique, le jugement réfléchissant »c'est le cas« n'existe qu'en tant que fidélité au cas, c'est-à-dire à un événement qui n'est pas, n'était pas et ne sera pas mais consiste dans le statut immuable de quelque chose qui »aura été«. Cet acte d'énonciation ne représente rien mais persiste seulement comme moment d'un sens sans signification. Il est en soi insensé mais il est possible de le transmettre à tous. J'ai dit, au début, que la dimension éthique fonctionne comme condition de l'égalité entre nous. Maintenant je pourrais ajouter que ce n'est pas l'égalité qui nous unit. La reconnaissance de l'égalité n'est possible que comme énonciation toujours singulière »c'est le cas« (de l'égalité). Par conséquent, ce qui nous unit 52 Rado Riha est ce qui nous sépare radicalement: un consensus impossible, comme cela a été dit lors de la première journée, aujourd'hui je dirais un Même. Et la dimension éthique est justement l'affirmation du Même7. 7 Cf. A. Badiou, L'éthique. Essai sur la conscience du Mal, Hatier, Paris 1993. La politique existe-t-elle sans éthique? Jelica Sumic-Riha Le thème de notre rencontre: »Ethique et politique« signale, par la copule »et«, qu'un rapport entre éthique et politique est (toujours déjà) instauré. Chacun est donc invité à méditer pour son propre compte sur les modalités de la relation entre les deux vocables. Or, toute la question est de savoir si, en acceptant de placer ses réflexions sous le thème proposé, on ne s'interdit pas de discuter sa pertinence, ou plus précisément, de mettre en cause la conjonction entre éthique et politique. On pourrait se demander, par exemple, si cette conjonction ne vaut pas comme rappel qu'il n'y aurait pas, pour nous, de politique sans éthique. Dans la suite de mon propos, j'essaie de mettre en relief cette conjonction et d'en tirer quelques implications politiques. Il va de soi que le rappel: pas de politique sans éthique, ne trouve en lui-même aucune garantie. En effet, si on ne croit pas au métalangage, rien ne nous assure que la politique rejoint l'éthique, sinon la supposition que la politique n'est digne de ce nom et pensable qu'en faisant noeud avec l'éthique. Essayons de mesurer la portée de cette supposition qui, d'ailleurs, n'est pas nouvelle. On a toujours demandé à la politique d'être liée à l'éthique et déploré que ce ne soit plus le cas. Tout de même, il importe de savoir si aujourd'hui ne se cache pas, sous cette forme d'homologie, une homonymie, une équivoque, plutôt que la répétition d'une requête ancienne. En effet, on peut constater que ces deux vocables, politique et éthique, sont devenus pour nous opaques. Qu'on leur attribue plusieurs sens, qu'ils sont même contradictoires, c'est-à-dire ouverts à toute interprétation, cela témoigne du fait qu'aujourd'hui on ne comprend pas très bien ce que veulent dire politique et éthique, même si elles ne parlent plus grec. Suivant Lacan, on peut dire qu'il n'est pas d'autre communauté pour l'homme que de langage et que, dans le langage, seul le discours fait lien entre les êtres parlants. D'où suit que le nom de politique désigne depuis toujours les rassemblements d'êtres parlants, et plus précisément, que la politique désigne, pour nous ainsi que pour les Grecs, le lieu où se produisent les effets matériels du discours. A vrai dire, la politique, prise comme un fait de langage, ne serait pas en mesure d'agglomérer les semblables, de fonder leur être-ensemble, de constituer pour eux la réalité et d'en assurer la permanence, si le discours n'était effectif Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 53-31. 54 Jelica Sumic-Riha en tant que tel, si le dire ne coïncidait avec l'être. Et c'est justement par rapport à cette effectivité inhérente au discours, à cette autonomie performative du langage, que le monde grec se sépare du nôtre. Le fait que le discours en tant que tel fait le lien entre les parlêtres, qu'il crée le monde en le nommant, n'indique nullement, pour nous, la nécessité que la politique entretienne des rapports avec l'éthique. Chez les Grecs, par contre, la seule politique digne de ce nom s'inscrit au registre du vrai, du juste et du bien. Autrement dit, n'est effectif que ce qui est qualifié de vrai, de juste ou de bon.1 Ce n'est seulement que l'éthique, prise en tant que jugement sur notre action, n'est pas disjointe de la politique, c'est aussi qu'elle est appelée à ordonner les rassemblements, ou plus précisément, les modes de gouvernements, à l'idée du Bien.2 Si la politique désigne la recher- che du meilleur mode de gouvernement, on peut conclure que, chez les Grecs, il n'y avait pas de politique sans éthique. Or, rien n'est plus suspect à nos yeux que l'idée d'un jugement qui porterait sur les rassemblements, les communautés ou les modes de gouvernements (les Etats) au nom de quoi que ce soit: aujourd'hui, on a du mal, même, à envisager un tel jugement. J'entends pour ma part que - si rien ne s'impose comme mesure à l'égard de la constitution du »corps social«, ni la vérité, ni le Bien, ni la justice, ni la liberté, ni l'égalité - rien n'est moins évident que la conjonction entre politique et éthique que j'ai prise comme point de départ. Pour autant que je tienne à problématiser l'idée selon laquelle la politique serait inséparable de l'éthique, voire soumise à l'éthique, il me parait néanmoins ici opportun de donner quelques précisions sur le sens dans lequel l'éthique, à mes yeux, touche à la politique. J'avancerais donc l'hypothèse suivante: réunir politique et éthique n'est aujourd'hui possible que sous le signe de l'impossibilité. Plus précisément, elles ne se rejoignent que, d'une part, par leur commune mise en cause et, d'autre part, par leur commune référence au réel que j'entends, dans son acception lacanienne, comme impossible. Dire que toute conjonction entre politique et éthique est frappée de l'impossibilité n'est rien d'autre qu'une manière d'affirmer sa contingence radicale. Le caractère hasardeux de cette conjonction se manifeste sous une double forme: l'ouverture sur un vide, d'une part, et, d'autre part, l'engluement dans quelque matérialité contingente. La conséquence en est que la rencontre entre politique et éthique - mais rien ne garantit qu'une telle rencontre aurait lieu - toujours précaire parce que 1 Voir sur ce point, J.C. Milner, Constat, Ed. Verdier, 1992, p. 12. 2 II faut néanmoins noter que la sophistique fait exception à cette règle. Les sophistes, comme on le sait, étaient les partisans acharnés de l'autonomie performative du langage, les défenseurs d'une "constitution esthétique du sens" contre une "législation éthique du sens" telle que la pratiquaient les philosophes et, notamment, Platon et Aristote. Voir la remarquable analyse philologique de Barbara Cassin, L'effet sophistique, Gallimard, Paris 1995. La politique existe-t-elle sans éthique ? 55 dépendante des situations, des conjonctures singulières, n'est pensable qu'à partir du particulier et même du fragmentaire. Même si l'on insiste sur le caractère précaire, incertain de leur rapport, la question, malgré tout, se pose: comment mettre en évidence ce qui, de la politique, touche à l'éthique? Deux voies s'offrent alors pour penser ce noeud que la politique fait avec l'éthique. L'une manifeste une nostalgie de leur réconciliation; l'autre essaie de penser l'incidence de l'éthique dans la politique et, ce faisant, de manifester que l'hétérogénéité et la multiplicité sont inhérentes à la rencontre entre politique et éthique. Parler d'éthique à propos de la politique peut sembler paradoxal, même si la référence à l'éthique se présente aujourd'hui comme une expérience commune. Ainsi, on parle de bio-éthique, d'éthique de la communication, d'éthique de l'être-ensemble, d'éthique des droits de l'homme et ainsi de suite. Or, que signifie cette »inflation socialisée de la référence à l'éthique«,3 évoquée par exemple par A. Badiou? Pendant longtemps, l'éthique a été bannie du domaine publique (politique, droit, science). Elle a été réduite à une sorte de morale privée. Ce qui veut dire que les réflexions sur la politique se caractérisaient par la suspension, la mise entre parenthèse de l'éthique. Il apparaît donc que, dans ce contexte, toute éthique comme doctrine des valeurs était complètement superflue. Aujourd'hui, par contre, l'éthique, me semble-t-il, revient comme une mauvaise conscience de partout où elle avait été autrefois proscrite. De sorte qu'on pourrait même parler d'une »vengeance de l'éthique«. Prenons l'exemple de l'intervention de l'éthique dans le domaine de la science. La science par définition va trop loin. Or, la question qu'on se pose aujourd'hui est de savoir s'il faut aller plus loin encore. Ce questionnement n'est, bien évidemment, pas nouveau. Ce qui est nouveau, et d'une certaine manière caractéristique de cette époque, c'est un déséquilibre entre, d'une part, la progression de la science, et, d'autre part, la conscience que, pour la science, le bien-être humain n'est pas une fin, un telos. On pourrait dire, avec J.C. Milner, que »si l'éthique existe, la science n'a rien à en dire et, sans doute, en tant que science, elle n'a rien à en faire.«4 Pourtant, ce décalage entre le bien-être humain et la progression de la science a déjà provoqué une réaction, à savoir l'exigence de limiter les recherches scientifiques considérées comme non- éthiques. Ce qui est inquiétant, à mon avis, c'est justement ce retour spontané du Bien au nom duquel on intervient dans le domaine de la science. La science s'expose à la censure et, même, à l'autocensure. Ainsi, on assigne aux scientifiques une magistrature morale: c'est à eux qu'il appartient de s'exprimer 3 A. Badiou, L'éthique. Essai sur la conscience du Mal, Hatier, Paris 1993, p. 5. 4 Voire J.C. Milner, L'oeuvre claire. Lacan, la science, la philosophie, Seuil, Paris 1995, p. 55. 56 Jelica Sumic-Riha sur l'expansion effrayante de la science. Or, ce qu'ils pensent n'est que la répétition de ce que pense n'importe qui au moment où justement, comme le dirait Lacan, il ne pense pas. L'éthique s'identifie donc ici à la non-pensée. Cette représentation débile qu'on se fait actuellement de l'éthique ne serait pas inquiétante si la référence à l'éthique, ou plutôt au Bien, n'était pas devenue le moyen de justifier tout ce qui se passe, de justifier chaque action. Ainsi, c'est au nom de la bio-éthique, comme en témoignent par exemple les mouvements dits »pro-life«, qu'il est possible de traiter les femmes comme des machines à produire des enfants; au nom de l'éthique de la différence qu'il est possible de refuser à l'Autre les droits et les privilèges que l'on réclame pour soi-même; au nom de l'éthique des droits de l'homme qu'il est possible d'intervenir militairement là où les violations des droits de l'homme s'accordent avec les intérêts de la Realpolitik. Cependant, ce »retour à l'éthique« vulgaire et quotidien ou plutôt, ce »retour de l'éthique«, pris dans le sens d'un »retour du refoulé«, ne nous intéresse pas en tant que tel. Il ne nous intéresse que dans la mesure où il s'agit là d'une réponse, d'une réaction à une insuffisance fondamentale des réflexions actuelles5 sur l'effondrement du communisme, sur l'échec de toute politique d'émancipa- tion, ainsi que sur le sens de la démocratie. Dans la perspective de ces réflexions, les sociétés contemporaines, démocra- tiques ainsi que post-socialistes, privées du communisme qui jouait le rôle de l'Autre de la démocratie, semblent témoigner d'une nécessité: celle de réaffirmer leur légitimité. La conséquence en est que ces réflexions ramènent, pour l'es- sentiel, l'extrême variété des problèmes discutés (elle va des problèmes écologiques aux morosités économiques en passant par le souci de maintenir la cohésion sociale) à une seule question: celle de la relégitimation. Même si cette compulsion à la relégitimation prend des formes assez différentes selon les spécificités des constellations politiques, culturelles, théoriques, on ne peut manquer de noter une certaine autosatisfaction provoquée par l'effondrement de la seule alternative contemporaine à la démocratie parlementaire. En effet, il apparaît, dans la perspective de ces réflexions, que la démocratie parlementaire se trouve auto-légitimée par le fait même de la disparition de son adversaire.6 5 Ces réflexions, qui d'ailleurs se distinguent par un souci de redéfinition conceptuelle, témoignent de nombreux malentendus liés aux spécificités des scènes nationales. En effet, il y a des différences considérables entre les "communitauriens" anglo-saxons, soucieux de la cohésion des communautés locales, les néokantiens français ou américains, ou les partisans allemands de la démocratie délibérative. Pourtant, ce qui domine, c'est une perspective d'inspiration kantienne universaliste et rationaliste. Une perspective, donc, qui se présente comme la seule alternative au relativisme et au nihilisme. Voir Ch. Mouffe, TheReturn of the Political, Verso, London, New-York 1993. 6 Sur ce point, voir J. Rancière, Les Mésententes, Galilée, Paris 1995. La politique existe-t-elle sans éthique ? 57 Pour mieux situer l'enjeu de ces réflexions, c'est-à-dire la rélégitimation de la démocratie parlementaire par rapport à toute forme de totalitarisme, je me pose la question de savoir si, en acceptant la démocratie parlementaire comme la seule réalité politique, on n'est pas condamné à assumer cette position politique que Lacan qualifie de knavery: »Chacun sait qu 'une certaine façon de se présenter qui fait partie de l'idéologie de l'intellectuel de droite est très précisément de se poser pour ce qu'il est effectivement, un knave, autrement dit, de ne pas reculer devant les conséquences de ce que l'on appelle le réalisme, c'est-à-dire, quand il le faut, s'avouer être une canaille.«1 Ce réalisme se fonde sur le postulat d'existence selon lequel n'existe que ce qui est capable d'exister. De cela découle que la preuve suprême de la légitimité du mode de gouvernement qu'on appelle démocratie libérale ou parlementaire n'est constituée par rien d'autre que par son existence. Mais si la démocratie s'auto-légitime, si aucun effort supplémentaire n'est requis pour la justifier, alors, conséquemment, on aboutit à l'équation de la Realpolitik et de la politique. Cette équation qui va presque de soi, surtout dans les sociétés post-socialistes, témoigne d'une double absence: d'une part, de l'absence de toute politique d'émancipation et, d'autre part, de l'absence du désir sur lequel, comme le dit Lacan, il ne faut pas céder. Au lieu de la foolery, plus précisément, au lieu d'une vérité qui est tolérée seulement si elle est revêtue des insignes du fooP - c'est sous cette forme, en effet, que se présente, dans le domaine politique, le désir de ne pas accepter ce qui est, de se révolter contre la réalité - s'instaurent la bêtise et la canaillerie, pour emprunter les termes à Lacan, donc, une sorte de lâcheté morale qui demande le renoncement à son désir, à la liberté rebelle, et qui commande d'accepter ce qui est comme ce qui, seul, doit être. Ne vouloir rien d'autre que ce qui est toujours déjà là, ne croire qu'à la réalité, aux liens établis depuis toujours, cela n'est que la conséquence radicale de la créativité du discours, car c'est le discours lui-même qui crée cette illusion du »toujours-déjà-là«. Pour autant il ne suffit pas de dire que la réalité, ou plutôt »l'effet-monde«, témoigne de l'efficacité du discours, comme le veut B. Cassin. Pour que cet effet-monde se produise, il faut aussi qu'on y croit, tout bêtement: si le discours rassemble, fait d'une multiplicité hétérogène un Un et finalement un corps social, la bêtise, en revanche, lui confère la permanence et se constitue pour lui en garantie, si le discours fait le lien, la bêtise le consolide à jamais, si le discours crée la réalité, la bêtise la confirme. Dire que l'effet-monde repose sur la bêtise, c'est-à-dire sur la croyance aux 7 Voire J. Lacan, L'éthique de la psychanalyse. Le séminaire VII, Seuil, Paris 1986, p. 215. "Ibid. 58 Jelica Sumic-Riha liens et à la réalité que le discours lui-même crée, c'est affirmer qu'on est tombé dans le piège de cette configuration discursive que Lacan appelle discours du maître: »Pour désigner l'être qu'il/Aristote/oppose au tô ti esti, à la quiddité, à ce que ça est, il va jusqu'à employer le tô ti en einai — ce qui se serait produit si était venu à être, tout court, ce qui était à être. Il semble que, là, le pédicule se conserve qui nous permet de situer d'où se produit ce discours d'être - c'est tout simplement l'être à la botte, l'être aux ordres, ce qui allait être si tu avais entendu ce que je t'ordonne. Toute dimension de l'être se produit dans le courant du discours du maître, de celui qui, proférant le signifiant, en attend ce qui est un de ses effets de lien à ne pas négliger, qui tient à ceci que le signifiant commande. Le signifiant est d'abord impératif.«9 Or, toute la question est de savoir s'il est possible de transgresser ce discours, de rompre avec le lien social qu'il établit. Cl. Lefort a bien montré les enjeux politiques et théoriques que soulève la question de la rupture. Cette question motive, comme on le sait, la modernité et l'invention démocratique dont parle Lefort. La modernité prise en tant que rupture s'instaure, selon Lefort, par un effondrement du corps social ou, pour utiliser sa définition, par une dissolution des repères de certitude sur lesquels reposait la société de l'Ancien Régime. Ce qui constitue la modernité, c'est d'avoir exposé la société à ce »lieu vide«: la société s'ouvre sur un vide, et cette ouverture la frappe d'une indétermination radicale. Or, cette indétermination de la société n'est pas le signe d'une impuissance, c'est la preuve que la société se sait, comme le dit Lefort, énigme et non réponse. Ce qui se joue ici, ce n'est rien d'autre que la question de la démocratie. Car ce savoir du non savoir n'immunise cependant pas la société moderne contre les incertitudes: l'invention démocratique ne renvoie ni à un dehors, assigné à une transcendance, ni à un dedans, identifié au corps social. Cette invention a rendu impossible toute figure de l'Autre, médiateur avec la transcendance, toute figure de l'Un, incar- nation du corps social, par exemple dans le corps du roi. C'est pour cette raison que la société démocratique, selon Lefort, est »sans détermination positive, irreprésentable dans la figure d'une communauté«10 La société s'organise autour du clivage irréductible qui la sépare de son unité, de son identité. Par conséquent, là où la société est censée se représenter son unité, s'institue un différend, un conflit: »L'aménagement d'une scène politique, sur laquelle se produit une compétition, 9 Voire J. Lacan, Encore. Séminaire XX, Seuil, Paris 1975 p. 33. 10 Voire C. Lefort, Essais sur le politique. XIXe-XXsiècles, Seuil/Esprit, Paris 1986, p. 265. La politique existe-t-elle sans éthique ? 59 fait apparaître la décision, d'une manière générale, comme constitutive de l'unité même de la société. Ou, en d'autres termes, la légitimation du conflit purement politique contient le principe d'une légitimité du conflit social sous toutes ses formes.« 11 Dans cette perspective, la politique ne se défait plus de la confrontation de la société à sa propre immanence. En d'autres termes, la politique est le lieu d'une interrogation que porte la société sur sa propre ouverture, sur son propre sens, une interrogation qui, selon Lefort, ne peut se satisfaire d'aucune réponse. En revanche, si cette interrogation, à laquelle la société est vouée, apparaît comme insupportable, immaîtrisable, c'est parce qu'elle est motivée par une perte irrémédiable. Or, cette perte des fondements traditionnels est une véritable obsession pour des philosophes politiques comme J. Habermas ou J. Rawls, c'est-à-dire pour les penseurs décidés à la combler en faisant appel au consensus. Car, pour Habermas (et pour Rawls), consolider la cohésion sociale est dicté par la nécessité de surmonter la fragmentation du social. Habermas, aussi bien que les postmodernistes, diagnostique l'effondrement des idéologies, la disparition des »grands récits«, si je reprends la notion de Lyotard, le scepticisme à l'égard de la politique d'émancipation. Or, à l'inverse des postmodernistes, il maintient que la modernité garde encore une force d'émancipation qu'il s'agirait aujourd'hui de renouveler et de relancer. En d'autres termes, ce qui est en jeu dans la théorie de Habermas, c'est l'éthique universaliste ainsi que les valeurs politiques qu'on en déduit. Si Adorno, Lyotard et Lacan ont ceci en commun de critiquer une telle éthique universaliste et les valeurs politiques des sociétés modernes qui n'ont pas su empêcher les effets désastreux de l'universalisme moderniste - cet universalisme s'identifie soit à un conventionnalisme purement formel soit à une forme de violence - ce qui caractérise, en revanche, l'approche de Habermas et de Rawls, c'est l'attachement à un tel universalisme, compris comme le fondement de la reconnaissance réciproque et, de ce fait, comme la base de tout consensus. Celui-ci se présente, dans cette perspective, comme une compensation rationnelle de la perte: »L'autorité du sacré sera remplacée par l'autorité d'un consensus qui sera à chaque fois reconnu comme fondé.ce12 L'effondrement des repères de certitude se trouverait donc comblé par la force de consensus inhérente à toute communication, plus précisément, à tout partage public de la parole. En faisant appel au consensus, Habermas impose la solution moderniste au problème des rapports entre éthique et politique. Cette 11 Ibid, p. 28. 12 Voire J. Habermas, Theorie des kommunikativen Handelns, Suhrkamp, Frankfurt/M, 1981, t. II, p. 118. 60 Jelica Sumic-Riha solution consiste à poser qu'il est possible de bâtir des normes éthiques pour le jugement politique à partir de la simple idée d'une communication ou d'une délibération entre citoyens: »Ce que l'impératif catégorique devait réaliser peut se faire en projetant une formation de la volonté grâce aux conditions idéalisées d'une discussion universelle. Le sujet capable de jugements moraux ne peut examiner seulement pour lui-même, mais uniquement dans la communauté de tous les autres participants, si une norme existante ou proposée l'est dans l'intérêt général et si elle doit éventuellement avoir une validité sociale.«12 Ce qui caractérise cette perspective, c'est la prétention à fonder la politique sur la raison, c'est-à-dire la supposition selon laquelle les sujets autonomes et rationnels, en discutant, peuvent juger leurs arguments, leurs demandes et leurs actes à partir de normes qui seraient des normes universelles. De cela découle que les cas du désaccord, du différend ainsi que ceux de l'inégalité ou de l'injustice se traitent, dans cette perspective, à partir des normes et des règles de validité universelle. Dans la mesure où Habermas, ainsi que d'autres partisans de la »démocratie délibérative«, ramène toutes les questions qui travaillent la société contemporaine à une discussion soumise aux règles universelles, on peut dire qu'il méconnaît la politique proprement dite. Ce qui caractérise la politique proprement dite, c'est le fait que le lieu commun dans lequel s'inscrit la discussion sur tout désaccord possible, donc ce prétendu cadre universel que Habermas présuppose comme toujours déjà donné, n'existe justement pas. Ce n'est pas que ce cadre »universel« n'est pas reconnu d'avance par les participants et qu'il ne se constitue que dans le cours de la discussion elle-même; c'est qu'il est, lui-même, l'objet du désaccord ou du différend.14 Autrement dit, si l'argumentation, rationnelle ou irrationnelle, fait effet dans le domaine politique et éthique, cela n'est pas parce qu'elle respecte des normes communes, comme le suppose Habermas; l'argumentation fait effet parce que tous les constituants de la discussion (le lieu, l'objet et les participants) sont, comme le dit justement Rancière, contestés, demandant, de ce fait, qu'on en fournisse la preuve: »Avant toute confrontation d'intérêts et de valeurs, avant toute soumission d'affirmations à des requêtes de validité entre partenaires constitués, il y a le litige sur l'objet du litige, le litige sur l'existence du litige et des parties qui s'y affrontent.« 15 13 Ibid., p. 107. 14 On pourrait dire, avec Rancière, que ce lieu commun, ce cadre universel "...y est toujours enjeu singulièrement, sous la forme de cas où son existence et sa pertinence sont en litige." Voire J. Rancière, op. cit., p. 86. 15 Ibid., p. 85. La politique existe-t-elle sans éthique ? 61 Suivant Rancière, on pourrait reprocher à Habermas d'avoir présenté une conception qui non seulement fait tort à l'argumentation, mais aussi dissimule ses implications politiques. La question alors se pose de savoir d'où vient cet aveuglement à l'égard du rôle que joue la discussion dans le domaine politique, cet aveuglement qui, à nos yeux, caractérise la perspective habermasienne. Le péché originel de l'approche habermasienne se cache, comme on l'a vu, dans son éthique communicationnelle, plus précisément, dans sa conception universaliste. Nous avons signalé en passant que cet horizon universaliste de l'éthique est aujourd'hui mis en cause, surtout grâce aux élaborations critiques d'Adorno, Lyotard, Lacan, et Badiou. En résumant ces réflexions, on peut dire que, pour nous, il n'y pas d'éthique en tant que telle, c'est-à-dire d'éthique pour tous.16 Plus encore: il n'est d'éthique que relative, c'est-à-dire spécifique au discours, comme le dit Lacan.17 Donc l'éthique dont parle Lacan ne s'inscrit pas dans le registre de l'universalité; elle ne repose pas sur des règles, car toute règle est, par définition, universalisable. Au contraire, cette éthique ne prescrit rien, plus encore, elle se tait: »Une éthique s'annonce, convertie au silence par la venue non de l'effroi mais du désir.«18 Si ce qui est en jeu dans l'éthique, c'est bien le désir et, de ce fait, la position du sujet, alors il importe de savoir où se décide la position subjective. Selon Lacan, cette position se décide dans cette dimension impensable qu'il appelle le choix: un choix préalable, un choix forcé, selon lequel le sujet se pose, s'impose ou s'effondre. La conséquence en est que, pour Lacan, l'éthique consiste essentiellement en la confrontation du sujet à son propre désir, donc à ce qui cause sa division. Si la psychanalyse touche à l'éthique, c'est parce qu'elle ramène le sujet au choix qui détermine sa position subjective, autrement dit, parce que l'analyse autorise le sujet à remettre en cause sa position. Cependant, dire qu'il y a de l'éthique, au sens lacanien, là où un sujet remet en jeu sa position n'exclut nullement une pluralité de modes d'une telle mise en cause. La trahison de son désir au profit des demandes de la réalité, ce qui caractérise précisément la position "éthique" d'une canaille, pourrait bien être l'un de ces modes suivant lequel le sujet a la possibilité de se constituer en tant que sujet éthique. Toute la question est de savoir dans quelle mesure l'éthique de la discussion échappe à la position de la canaille. Plus généralement: qu'est-ce qui caractérise, 16 Sur ce point, je renvoie à l'Éthique de Badiou selon qui "l'éthique doit se prendre au sens supposé par Lacan quand il parle, s'opposant ainsi à Kant et au motif d'une morale générale, d'éthique de la psychanalyse. L'éthique n'existe pas. Il n'y a que l'éthique-t/e (de la politique, de l'amour, de la science, de l'art), (ibid. p. 28) 17 Voire J. Lacan, Télévision, Seuil, Paris 1974, p.65. De cela découle le pluralisme des positions éthiques: L'éthique de l'universitaire n'est pas celle de l'analyste, l'éthique du maître ne se confond pas avec celle de l'hystérique. 18 Voire J. Lacan, Ecrits, Seuil, Paris 1966, p. 684. 62 Jelica Sumic-Riha du point de vue lacanien, l'éthique conforme à la conception habermasienne de la communication? Quelle peut être l'éthique soumise aux conditions d'une délibération publique et raisonnée? Il est bien évident que l'éthique de la discussion n'est pas assimilable à l'éthique du désir, dans la mesure où la compulsion au consensus efface le décalage entre l'énoncé et l'énonciation, donc ce lieu où s'inscrit le désir. Ce choix pour l'éthique du consensus instaure, dans la perspective habermasienne, la communication comme force constitu- tive. Elle est constitutive dans la mesure où des sujets (en l'occurrence, des citoyens) ne sont formés que par leur reconnaissance mutuelle au sein d'un espace commun. De même, c'est à travers l'institution du consensus que se forme la communauté elle-même. On voit bien que, dès qu'on se place du point de vue du dialogue, c'est la réciprocité qui vaut. Habermas le dit tout ouvertement. Pour lui, toute interac- tion repose sur cette symétrie stricte entre le sujet et l'autre. De ce fait même, l'autre sujet n'est qu'une pure fonction de reconnaissance. C'est un sujet qui vaut un autre sujet. En d'autres termes, dans cette perspective, il n'y a de sujet que pour et par un autre sujet. L'autre sujet est là, d'emblée, en tant que destinataire. L'autre est déjà là pour comprendre le sens de ce que je dis. L'autre me reconnaît dans mon statut de sujet dès qu'il sanctionne mon dit. Ce sujet de reconnaissance, Lacan le caractérise de la manière suivante: »Le sujet strict, c'est quelqu'un à qui nous pouvons imputer quoi? Rien d'autre que d'être comme nous cet être ... qui s'exprime en langage articulé, qui possède la combinatoire, et qui peut à notre combinatoire répondre par ses propres combinaisons, que nous pouvons donc faire entrer dans notre calcul comme quelqu'un qui combine comme nous.«i9 Ainsi, dans la perspective habermasienne, l'accord, le consensus universel, est toujours en instance de s'établir. Le désaccord, par contre, n'est qu'un accident, un malheur. Habermas, par contre, ne nie bien évidemment pas le désaccord. Le désaccord, ou plutôt le différend, pour emprunter le terme à Lyotard, manifeste sa présence dans une communauté quand il y est question de son identité, plus précisément, quand, par exemple, il s'agit de maintenir la mémoire des crimes et de la souffrance des victimes - des Juifs - comme partie intégrante de l'être et de l'identité de la communauté allemande. Pourtant, ce désaccord n'est reconnu ou admis, dans la perspective habermasienne, que dans la mesure où il est soumis à la réconciliation, à la compulsion au consensus. La présence d'un désaccord est donc bien marqué, chez Habermas, mais la compulsion à la réconciliation finit par la réintégration de ce désaccord, ou plutôt par sa dissipation, c'est-à-dire par la dissipation de ce qui, par définition, se manifeste 19 J. Lacan, Le transfert. Séminaire VIII, Seuil, Paris 1991, p. 174f. La politique existe-t-elle sans éthique ? 63 comme quelque chose de récalcitrant à tout consensus. Ce qui revient à dire que le consensus n'est possible qu'au prix de l'effacement de ce moment de trouble, de ce moment dérangeant. Il apparaît que, dans la perspective habermasienne, le différend est tout à la fois reconnu et réduit; il n'est donc qu'un état provisoire, dépassante. Habermas, comme je le disais, ne nie pas le différend. Seulement, il ne l'explique pas. Il ne l'explique pas parce qu'il ne sait pas d'où il vient. Pour qu'il y ait un différend, il faut le disparate, le discordant, l'hétérogène. Or, au niveau de la relation réciproque entre le sujet et l'autre sujet, donc dans l'empire où règne le sujet du signifiant, le sujet omnivalent (omnivalent précisément dans la mesure où toutes ses particularités sont universalisées et, de ce fait, annulées), il n'y a absolument rien qui pourrait donner lieu au différend. Le différend au sens radical est, dans la perspective habermasienne, non seulement impossible mais, plus encore, inadmissible. Il est inadmissible précisément dans la mesure où l'autre, en sanctionnant mon dit, me reconnaît comme sujet. Dénier à l'autre le droit de sanction revient donc à détruire mon propre statut de sujet. C'est pourquoi on sent que Habermas est mal à l'aise quand on lui demande d'expliquer la montée de la xénophobie, de l'antisémitisme, du nationalisme et du racisme, donc de tous ces mouvements post modernes qui dénoncent le principe de la reconnaissance, des mouvements qui dévalorisent l'horizon d'universalité en mettant en valeur le particulier en tant qu'irréductible à l'universel. Confronté à l'hostilité dirigée contre l'autre, le discours habermassien, tout comme le discours universel en général, se désoriente complètement. Il ne trouve d'autre recours pour expliquer ce phénomène que celui de l'irrationnel, de l'obscurantisme, de la chute dans les discours et les pratiques prémodernes. Ce qui désoriente le discours universaliste, qui se veut d'ailleurs humaniste, donc le discours qui ne reconnaît l'autre que sous la forme du pareil, c'est le moment où l'autre se manifeste comme pas pareil, comme complètement différent, bref, comme Autre tout court. La question est donc de savoir si, au-delà de la modernité habermasienne, ne se cache pas une »autre« modernité, une modernité qu'on peut nommer avec Lyotard la post-modernité qui ne repose pas sur l'illusion du consensus, de la société réconciliée avec elle-même. Une modernité, donc, qui reconnaîtrait le différend, ou le tort comme ce qui_ reste, par définition, intraitable par toute politique rationaliste et universaliste, parce que c'est précisément cette politique universaliste et rationaliste qui les engendre. Cette »autre« modernité, que les post-modernistes caractérisent comme ouverture à l'autre, à la singularité, à l'inconnu, est, bien évidemment, disruptive à l'égard de la modernité telle que Habermas la défend. Ce avec quoi elle veut rompre, c'est justement cette modernité consensuelle, commune. 64 Jelica Sumic-Riha L'ambition de mon propos a été de montrer que Habermas avait eu tort de placer la réconciliation de l'éthique et de la politique sous l'horizon universaliste. En effet, cette réconciliation ne s'établit que sous la condition d'esquiver le moment du tort, de l'instabilité et de la dissension, toujours singulier, qui témoigne pour la société moderne de la rencontre toujours manquée entre éthique et politique. Or, la société moderne, pour reprendre mon hypothèse de départ, n'est pensable qu'à travers l'asymétrie constitutive du rapport entre éthique et politique. La politique touche à l'éthique quand la société s'expose à l'indétermination, à sa propre différence, à sa propre étrangeté, sans qu'on puisse envisager le moment où elle se réconciliera avec elle-même. Ce n'est pas parce que le moment de la réconciliation est retardé, différé indéfiniment, que la société contemporaine ne peut s'appréhender comme unité et identité. C'est plutôt parce que le conflit originaire autour duquel la société moderne s'organise est irréparable que l'idée même de la réconciliation n'est qu'une illusion, mais une illusion nocive, qu'il faudrait tout simplement abandonner. Si la politique n'est pas porteuse d'une promesse de réconciliation avec l'éthique, comme le veut Habermas, l'idée d'un rapport entre politique et éthique fondé sur la fidélité au différend, à l'intraitable, à l'irréconcilié, n'en est pas moins illusoire. En effet, on ne peut partager la conviction d'Adorno ou de Lyotard qui maintiennent qu'après Auschwitz et le Goulag tout projet politique est désormais suspect, et que toute politique d'émancipation est vouée à l'échec et donc impossible. Par conséquent, une éthique digne de ce nom doit rester en retrait de la politique, elle doit se réfugier dans un hors-politique. On ne manquera pas de voir le point faible de cette position: Il ne suffit pas de dire qu'une telle éthique, obsédée par le différend, par le tort intraitable, bref, une éthique radicalement pessimiste n'est pas réalisable - on imagine mal qu'elle puisse être adoptée par un sujet ou une communauté quelconque. Le problème réside plutôt dans le fait qu'elle dissimule son rapport avec la politique. Les partisans de cette éthique ont beau signaler le lieu d'incidence de l'éthique dans la politique (les cas du litige, du tort, de l'injustice), ils en méconnaissent la portée: Si l'éthique fait effet dans le domaine politique et social du fait qu'elle met en évidence un tort, un litige au sein de la communauté, si l'éthique a pour effet le différend politique, la contestation de ce qui se présente sous la forme d'un consensus - d'un sensus communis - c'est parce que, déjà, la politique est le lieu où se rencontrent deux logiques hétérogènes: d'une part, une logique du symbolique, c'est-à-dire de la loi universelle, du droit, et, d'autre part, une logique du Réel, c'est-à-dire du tort, de la résistance, de la liberté sauvage. Aux partisans de cette éthique disjointe de la politique, si rigoureuse, si radicale que leur position apparaisse à première vue, on pourrait reprocher le La politique existe-t-elle sans éthique ? 65 fait, qu'au contraire, elle n'est pas assez radicale. Animée par le désir de préserver la pureté de l'éthique à tout prix, ce qui d'ailleurs commande le recul devant toute rencontre entre politique et éthique, cette position aboutit à la trahison du désir même sur lequel, comme le dit Lacan, il ne faut pas céder. Si le sujet est rappelé d'agir en conformité avec son désir, c'est précisément parce qu'il n'est que trop facile de succomber aux demandes de la réalité, comme en témoigne la position de la canaille. C'est aussi la raison pour laquelle le désir est à la base de toute éthique de la résistance, de cette éthique qui, de ce fait même qu'elle est envisageable, qu'on peut énoncer ses »maximes« comme par exemple: »Ne pas céder!« »Continuer!« ou tout simplement »Ne pas accepter ce qui est!«, ouvre la possibilité d'une politique plus égalitaire, plus démocratique. Pourtant, ce n'est pas la résistance elle-même qu'il faut défendre à tout prix. On peut bien imaginer une résistance à ce qui est au nom d'une idée raciste, intolérante, bref, au nom d'une vision non-démocratique de la société. Il s'agit plutôt de préserver la possibilité même de l'éthique du désir. Or, pour préserver cette éthique, il faut garder ouvert ce gouffre, ce vide, duquel elle sort comme un choix pur, infondé. S'il faut défendre la résistance, c'est parce que la possibilité de dire non à ce qui se passe, finalement, à la réalité, creuse un trou, ouvre un espace dans lequel s'inscrivent les »maximes« de l'éthique du désir. Le rappel qu'il n'y a pas de politique sans éthique qui m'a servi de point de départ est, donc, tout à fait pertinent. Or, ce qu'elles ont en commun n'a, à mon sens, rien de positif. Ce qui les lie, c'est plutôt ce que les deux positions éthico- politiques que Lacan caractérisait comme bêtise et canaillerie excluent: la possibilité de l'impossible, d'un événement inouï qui soumettrait ce qu'on appelle la réalité ou l'ordre social au hasard. Ce qui les lie, c'est précisément ce que la Realpolitik et le moralisme larmoyant refusent d'assumer, à savoir le choix hasardeux dont les deux noms sont: contingence et liberté. La liberté sauvage et rebelle, c'est le seul fondement de ce qu'on appelle la politique du Réel, la politique qui se fonde sur l'éthique du désir. Le fait qu'on ne puisse pas montrer du doigt cette politique du Réel ne veut pas dire qu'elle n'a pas existé, ni n'existe, ni n'existera jamais. Ces traces fragiles, qu'on déchiffre ici et là, ne témoignent que de sa contingence radicale. • Kant: la loi et ses ricochets Alenka Zupančič Quand on parle aujourd'hui de l'éthique kantienne et de sa pertinence théorique pour notre temps, on commet souvent un geste que nous pourrions qualifier de »problématique«. Ce geste prend, dans les différents discours qui se réfèrent à Kant, des formes et des nuances diverses, mais globalement il se laisse résumer ainsi: Si on ne veut pas penser l'éthique kantienne comme une éthique qui reste, en dernière analyse, liée à l'horizon religieux, on doit se »débarrasser«, d'une façon ou d'une autre, de ce que Kant appelle les »postulats de la raison pratique«. Ces postulats sont, on le sait, au nombre de trois: la liberté comme expression de l'inconditionné, l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu. Dans le geste qu'on vient d'évoquer, il s'agit de souligner que les postulats ne sont pas la condition de l'éthique mais qu'ils ont une importance secondaire. De là, on tire la conclusion qu'on peut, à la limite, s'en passer. Dans les écrits de Kant, il y a plusieurs passages sur lesquels on peut s'appuyer pour effectuer ce geste d'amputation des postulats du corps éthique, ou plus exactement, de la loi. Cependant, il y a aussi beaucoup de passages qui interdisent un tel geste. Dans la Critique de la raison pratique, dans le chapitre consacré aux postulats, Kant affirme à plusieurs reprises leur réalité objective. Il est vrai que cette »réalité objective« est un peu spéciale, dans la mesure où elle ne se réfère pas aux objets de l'expérience possible, ce qui nous conduira plus tard à examiner son statut particulier. Le fait même qu'on trouve chez Kant matière à justifier les deux interprétations des postulats - appelons-les l'interprétation faible et l'interprétation forte - témoigne d'un certain embarras dans lequel il s'est lui-même trouvé. C'est cet embarras qui sera l'objet de notre examen. Notre point de départ est alors la question suivante: peut-on penser l'éthique sans les postulats qui l'accompagnent, autrement dit, peut-on envisager la loi sans ses »ricochets«? Et ensuite: est-ce vraiment l'horizon religieux qui est impliqué par les postulats, ou s'agit-il plutôt d'une chose beaucoup plus générale, pour ne pas dire »fondamentale«? Commençons par la Critique de la raison pure, en exposant brièvement un certain nombre de traits qui déterminent le statut des idées régulatrices et qui sont pertinents quant à la discussion des postulats. Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 67-123. 68 Alenka Zupančič On pourrait dire d'abord que le problème principal auquel répond la théorie des idées transcendantales est le problème de l'infini. Dans tous les cas, et sans considérer les objets divers des différentes idées transcendantales, la logique sous-jacente est de pouvoir penser une série complète, c'est-à-dire un concept entièrement déterminé. Pour compléter une série, il faudrait conduire son examen à l'infini, ce qui ne nous est pas possible. Le rôle de l'idée transcendantale est justement d'effectuer »la synthèse d'une série, en tant qu'elle n'est jamais complète«1, c'est-à-dire d'introduire un point de vue qui constitue, pour ainsi dire, une totalité »pas-toute«: une totalité où se situent ensemble ce qui est et ce qui n'est pas (encore). La synthèse constitue un infini, cependant, l'infini dont il s'agit ne peut être, selon Kant, qu'un infini »idéal«; il n'est jamais »réel«. On dirait aujourd'hui que l'idée transcendantale a le statut d'une »fiction symbolique«, c'est-à-dire qu'elle est quelque chose qu'on ne rencontre nulle part dans la réalité, mais dont les effets sont bien visibles dans cette réalité même. Il est important de noter que pour Kant, ce dont il s'agit dans cette affaire, c'est essentiellement de la question du point de vue (au sens spatial du terme). Chaque fois qu'il veut illustrer le statut et le rôle des idées régulatrices, il utilise une métaphore visuelle. Considérons le passage suivant: »On peut considérer chaque concept comme un point qui, semblable au point où se trouve tout spectateur, a son horizon, c'est-à-dire une multitude de choses, qui de ce point, peuvent être représentées comme parcourues des yeux. (...) Mais à divers horizons ...on peut imaginer un horizon commun d'où on les embrasse tous comme d'un point central... jusqu 'à ce qu 'on arrive enfin ... à l'horizon général et vrai, qui est déterminé du point de vue du concept le plus élevé.«1 Le concept »le plus élevé« n'est alors pas un cadre contenant tous les points d'un univers, mais un point de vue d'où on les voit tous et d'où ils forment une unité. Selon la conviction de Kant, le sujet de la connaissance ne peut jamais accéder directement à ce point de vue, il ne peut pas - si on file la métaphore visuelle — se voir voyant. On sait que chez Kant, l'action de créer les concepts et celle de leur procurer une unité systématique sont deux tâches distinctes qui se distribuent entre l'entendement et la raison. L'entendement se trouve absorbé par le travail de création des concepts ou des séries (des concepts) et comme tel »il n'a jamais en vue leur totalité« (Kant). C'est du point de vue de la raison que la totalité et la cohérence d'une série se rendent visibles. Cependant, pour que le point de vue de la raison puisse avoir une influence sur la connaissance (et il l'a toujours, même si ce n'est que sous une forme »régulatrice«), la 1 Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, PUF, Paris 1990 (1944), p. 383. 2Ibid., p. 461. Kant: la loi et ses ricochets 69 conception de ces deux points de vue comme s'excluant l'un l'autre ne suffit pas. Au contraire, l'entendement devrait effectuer son travail comme s'il partageait, avec »un de ses yeux«, le point de vue de la raison. Si la raison est supposée exercer une influence sur le travail de l'entendement à travers des idées régulatrices, celles-ci ne peuvent être autre chose que la façon dont l'entendement voit qu 'il est vu par la raison. Poursuivons. Nous avons affaire à un point qui se présente d'un côté (du point de vue de l'entendement) comme situé quelque part dans l'infini, et de l'autre côté (du point de vue de la raison) comme cet infini même. Parce que nous sommes, en tant que sujets de la connaissance, bornés au point de vue de l'entendement, ce point de l'infini ne peut avoir pour nous qu'un statut virtuel, le statut de la fiction. L'infini lui-même reste pour nous l'infini virtuel et n'autorise aucun jugement existentiel. Quelle peut être la signification de la thèse kantienne selon laquelle les idées transcendantales ont la structure de la fiction, qu'elles sont »des fictions heuristiques«? En dépit de l'insistance avec laquelle Kant ne cesse de souligner leur statut régulateur, il ne peut pas éviter d'admettre, au moins de façon implicite, qu'elles jouent quand même aussi un rôle »constitutif« par rapport à la connaissance: »Comme tout principe qui assure a priori à l'entendement l'unité totale de son usage s'applique aussi, quoique indirectement, à l'objet de l'expérience, de même les principes de la raison pure ont une réalité objective par rapport à celui-ci, non pas, il est vrai, pour déterminer quelque chose, mais seulement pour indiquer le procédé suivant lequel l'usage expérimental empirique et déterminé de l'entendement peut être entièrement d'accord avec lui-même, par cela seul qu 'on le fait s'accorder, autant que possible, avec le principe de l'unité universelle et qu 'on l'en dérive.«7' Ce passage dans lequel Kant parle de la réalité objective des idées de la raison par rapport à l'objet de l'expérience, confirme notre suggestion selon laquelle il s'agit d'une fiction symbolique ayant un effet considérable sur la réalité. En insistant sur le fait que l'idée transcendantale est une »apparence«, Kant tente d'éviter le piège idéologique qui consiste à présenter l'idée comme quelque chose qui résulte de cette réalité, ou dont cette réalité est la preuve. Dès le moment où nous avons affaire à un rapport entre les deux, c'est plutôt la réalité — ou plus exactement, la façon d'envisager la réalité - qui résulte de l'idée. L'idée de la raison, pour ainsi dire, »surdétermine« la réalité. Par rapport aux idées régulatrices, les postulats introduisent un certain déplacement. Parmi les idées transcendantales, trois sont pourvues d'un objet. 3 Ibid., 465. 70 Alenka Zupančič Comme le dit Kant, les concepts de la raison pure sont maintenant »assertoriquement reconnus pour des concepts auxquels correspondent réellement des objets«4. On pourrait dire que leur existence n'est plus virtuelle ou »fictive« mais axiomatique. Le point de départ de la deuxième Critique se trouve résumé dans l'énoncé qui porte sur la capacité pratique de la raison pure elle-même, et le déplacement en question est, encore une fois, essentiellement un changement de point de vue: »Si la raison pure peut être pratique par elle-même et l'est réellement ...ce n 'est toujours qu 'une seule et même raison qui, soit au point de vue théorique, soit au point de vue pratique, juge d'après des principes a priori ,..«5 Essayons d'abord de préciser la différence entre l'idée et le postulat. Quelle est la différence entre les deux points de vue dont parle Kant? Nous avons un X qui se présente dans l'horizon théorique comme idée et dans l'horizon pratique comme postulat. La meilleure façon d'envisager le rapport entre les deux est peut-être la suivante : L'idée est toujours quelque chose, elle est un contenu conceptuel qui n'a pourtant pas d'existence, ni sous la forme empirique, ni sous la forme axiomatique. L'idée est quelque chose qui n'existe pas, mais qui est néanmoins »quelque chose«. Contrairement à cela, le postulat n'est pas »quelque chose«, il n'a aucun contenu, il n'est que la nomination d'un vide. En parlant de Dieu comme postulat de la raison pratique, Kant souligne que »si l'on en abstrait tout élément anthropomorphique, il ne nous reste plus que le simple mot, sans qu'on puisse y relier le moindre concept«6. On purrait dire alors que Dieu comme idée transcendantale est un concept (concept de la raison), tandis que Dieu comme postulat est un simple mot, ein blofie Wort. Cependant, continue Kant, »au point de vue pratique, il subsiste encore, de ces propriétés appartenant à un entendement et à une volonté, le concept d'un rapport auquel la loi morale (...) donne de la réalité objective«. A la différence de l'idée qui est (quelque chose), mais n'existe pas, le postulat n'est pas (quelque chose), mais existe, ou, comme le dit Kant dans la traduction française - qui, sans être fausse, grossit un peu le trait - il subsiste. On pourrait dire que l'idée est un concept sans lieu dans la réalité qu'il conceptualise, tandis que le postulat est un lieu sans concept. Pourtant, et on pourrait dire, malheureusement, la théorie kantienne des postulats n'est pas si univoque, elle nous confronte pleinement à l'ambiguïté dont nous avons parlé au départ. D'une part, nous avons des passages qui confirment l'interprétation que nous venons de proposée. D'autre part, les développements de Kant suivent souvent la même logique que celle qui opère dans sa théorie 4 Critique de la raison pratique, Gallimard, Paris 1985, p. 182. 5Ibid., p. 165-6. 6 Ibid., p. 186. Kant: la loi et ses ricochets 71 des idées régulatrices, ce qui conduit à la conclusion que les postulat sont identiques aux idées, avec une réalité objective en plus. En effet, on voit Kant s'empêtrer dans maints paradoxes. Ceci est vrai surtout pour le postulat de l'immortalité de l'âme et on y reviendra tout à l'heure. On doit pourtant ajouter que le postulat de la liberté fait exception, puisqu'il est immédiatement pris dans le sens fort, c'est-à-dire reconnu comme »constitutif«. A la différence des deux autres postulats développés dans la dialectique de la raison pure pratique, la liberté se présente comme condition et partie intégrale des développements dans Y analytique. De plus, contrairement aux deux autres postulats qui - comme Kant l'affirme au début de la dialectique - n'entrent pas dans le principe déterminant de la volonté, la liberté, liée inséparablement à la loi morale, est ce principe déterminant même. On a affaire alors à deux types de postulats qui n'ont pas du tout le même statut. Dans un certain sens, la Critique de la raison pratique pourrait se conclure avec l'analytique. Mais elle ne s'y cantonne pas. Kant se sent obligé de lui adjoindre le domaine des »apparences transcendantales«, avec cette remarque importante que ces apparences sont des apparences douées d'une réalité objec- tive. Avant de répondre à la question »pourquoi faut-il une dialectique de la raison pratique?«, examinons la logique et les paradoxes du »second type« de postulats et prenons comme exemple l'immortalité de l'âme. Le récit de Kant censé montrer la nécessité de ce postulat est le suivant: La condition de possibilité du souverain Bien est la sainteté, définie comme »entière conformité de la volonté à la loi morale«. Celle-ci est une perfection dont aucun être raisonnable appartenant au monde sensible n'est capable à aucun moment de son existence. On ne peut trouver l'entière conformité de la volonté à la loi morale que dans un progrès allant à l'infini vers cette entière conformité. Or, ce progrès infini, ou plutôt »indéfini«, n'est possible que dans la supposition d'une existence et d'une personnalité indéfiniment persistantes du même être raisonnable, c'est-à-dire l'immortalité de l'âme. Kant conclut: »Pour un être raisonnable, mais fini, il n'y a de possible que le progrès à l'infini des degrés inférieurs aux degrés supérieurs de la perfection morale. L'Infini, pour qui la condition du temps n 'est rien, voit dans cette série, sans fin pour nous, le fait entier de la conformité de la volonté à la loi morale. «7 Ce passage contient au moins deux paradoxes éclatants. Le premier8 nous frappe dans l'énoncé affirmant que pour un être fini, il n'y a de possible que le progrès à l'infini. Si l'âme est immortelle, elle n'est plus, après la mort du 1 Ibid., p. 168. 8 Ce paradoxe était déjà souligné par L. W. Beck dans son Commentary on Kant 's Critique of Practical Reason, The University of Chicago Press, London & Chicago 1984, p, 170-1. 72 Alenka Zupančič corps, »l'habitant« d'un monde déterminé par le temps et l'espace. Et si l'âme n'est plus captive de la logique du temps, que veut dire alors, et à quoi sert le »progrès allant à l'infini... des degrés inférieurs aux degrés supérieurs«? On se demande aussi, concernant l'âme délivrée de ses liens corporels, pourquoi elle aurait besoin d'un tel progrès, puisque la »sainteté de la volonté« pourrait s'accomplir instantanément. Et si ce n'était pas le cas, si alors la supposition de l'éternité impliquait des changements incessants (allant vers le mieux), nous n'aurions pas affaire à l'éternité, mais bel et bien à la temporalité. La notion de changement n'a de sens que sous l'aspect du temps. Que pouvons nous donc penser de ce statut paradoxal de l'immortalité de l'âme? Il n'y a qu'une réponse, d'ailleurs assez évidente, à ce paradoxe: le postulat dont Kant a besoin pour assurer la possibilité de l'existence du souverain Bien, n 'est pas celui de l'immortalité de l'âme, mais celui de l'immortalité du corps. Le présupposé du »progrès à l'infini, des degrés inférieurs aux degrés supérieurs de la perfection morale« - comme s'exprime Kant - ne peut pas être l'âme immortelle, mais un cops immortel, indestructible, bref: sublime. Ce corps existe dans le temps, se transforme dans le temps et approche de sa fin, de sa mort, dans un mouvement asymptotique à l'infini. En d'autres termes, ce serait le corps des héros sadiens. Nous n'exploiterons pas ici la lecture de »Kant avec Sade« qui pourrait être développée à partir de ce point, contentons-nous d'en indiquer la possibilité. On voit alors que, dans son sens classique, l'âme immortelle ne peut contribuer en rien à la réalisation d'un acte éthique, de l'acte avec lequel se réaliserait la coïncidence de la volonté et de la loi. Et ceci n'est pas le seul paradoxe présent dans le texte kantien en question. Considérons encore une fois cette phrase: »L ' Inf ini , pour qui la condition du temps n'est rien, voit dans cette série, sans fin pour nous, le fait entier de la conformité de la volonté à la loi morale.« Le postulat de l'immortalité, ou d'une existence infinie, bascule tout à coup dans le postulat de Dieu, de l'être infini qui voit ce que nous ne voyons pas. L'infini se trouve relégué au degré suivant: de l'âme immortelle, où il reste encore virtuel, à Dieu, où il devient réel. En d'autres termes, la situation est identique à celle qui se présente à propos des idées régulatrices. Nous avons affaire à deux points de vue qui s'excluent l'un l'autre. L'analytique établit la possibilité de l'acte éthique, tandis que la dialectique - au lieu d'y ajouter un savoir portant sur l'éthique - aboutit au résultat contraire : d'après ce que nous, êtres sensibles, pouvons savoir, les actes humains ne peuvent jamais être qualifiés d'éthiques. Il faut un tout autre point de vue pour conclure différemment. Ce qui s'en suit de l'analytique et de la façon dont y est traitée la liberté, c'est Kant: la loi et ses ricochets 73 que le sujet éthique agit du point de vue de l'inconditionné, de l'infini. Ceci fait plus qu'accomplir le projet pratique de Kant; rien n'y manque. La destitu- tion de la fonction de l'Autre (de l'hétéronomie) paraît complète, et le sujet éthique accède à l'autonomie. La question se pose alors de savoir pourquoi Kant a écrit la dialectique si, dans l'analytique, rien ne manque? Notre réponse à cette question est la suivante: ce n'est pas un manque dans l'analytique qui rend nécessaire la dialectique, mais plutôt un »trop«. Comment définir ce quelque chose »en trop«? Pour répondre à cette question, nous pouvons évoquer le paradoxe d'Achille et de la tortue comme le formule J. Lacan9: Achille ne peut que dépasser la tortue, il ne peut pas la rejoindre; il ne la rejoint que dans l'infini. C'est une structure similaire qui gouverne la logique de l'acte (éthique). Ces deux aspects (le dépassement et l'impossibilité de la rencontre réussie) sont perceptibles chez Kant dans la manière dont il choisit de penser l'éthique suivant deux perspectives très différentes. D'une part, nous avons la perspective d'une réforme successive et graduelle qui, pourtant, n'atteint jamais son but mais s'en approche à l'infini. D'autre part, nous avons la perspective »révolutionnaire« ou »créationniste« que Kant formule le plus explicitement dans le passage célèbre de la Religion dans les limites de la simple raison: »... c 'est ce qui ne saurait résulter d'une réforme successive, tant que demeure impur le fondement des maximes, mais bien uniquement d'une révolution dans l'intention [Gesinnung] de l'homme ...et il ne peut devenir un homme nouveau que par une espèce de régénération [Wiedergeburt], en quelque sorte par une nouvelle création [gleich als durch eine neue Schôpfung].«10 Si la première conception de l'éthique implique un »pas encore assez«, un manque, la deuxième produit un »déjà trop«, un surplus. Qu'est-ce qu'il y a en »trop« dans la conception »créationniste« de l'acte éthique? La réponse se trouve dans la formulation: »entière conformité de la volonté à la loi morale«. Puisque nous sommes des êtres sensibles, quoique raisonnables, l'écart entre la volonté et la loi est irréductible. Pour un acte éthique, il est obligatoire que la volonté »rejoigne« la loi morale. Ce qui serait en »trop« dans cette perspec- tive, ce serait que la volonté »dépasse« la loi, et c'est bien ce qui se produit dans tout acte éthique. Un acte éthique n'est pas seulement conforme au devoir - remarquez que Kant emploie le même mot que dans l'expression »entière conformité à la loi morale« - il est accompli, de plus, uniquement par devoir [aus Pflicht]. La question se pose alors de savoir où situer ce surplus que j'appelerais le »plus-de-forme«. La réponse est très délicate. Bien sûr, c'est le sujet qui doit s'y reconnaître, mais cela entraîne beaucoup de choses. Cela 'Voir Jacques Lacan, Encore, Seuil, Paris 1975, p. 13. 10 E. Kant, La religion dans les limites de la simple raison, Vrin, Paris 1983, p. 88-9. 74 Alenka Zupančič implique d'abord que »l'Autre n'existe pas«. Tout le monde sait aujourd'hui que »l'Autre n'existe pas«, mais est-ce que nous y croyons vraiment? Est-ce que nous pourrions vivre en y croyant vraiment? J. Lacan étant celui qui a lancé cette formule célèbre, nous pouvons nous adresser aux analystes lacaniens pour la réponse. J.-A. Miller la donne dans un de ses cours de l'année 1993/94. Le passage à l'acte qui détermine la fin de l'analyse nous introduit dans un »univers« où l'Autre n'existe pas. Or, remarque Miller, cela entraîne une solitude cynique qui peut conduire à un état d'enthousiasme. De là résulte la nécessité de recomposer un Autre pour un analyste analysé. Dans le cas contraire, l'analyste ou bien deviendrait fou, ou bien aurait l'idée qu'il est l'Autre. Chaque fois, conclut Miller, que se pose la question de la fin de l'analyse, il y a cette dimension de la recomposition de l'Autre. A la fin de l'analytique Kant s'était trouvé dans la même impasse. L'autonomie, le postulat de la liberté pris au sérieux, fonde bien le réel d'un acte éthique, mais rend en même temps impossible l'existence de son sujet. On le voit de façon très claire dans la dialectique. On pourrait même dire que c'est là la raison pour laquelle Kant écrit la dialectique. La notion de Dieu, qui se trouve »expulsée« de l'analytique à cause de l'hétéronomie qu'elle implique, est »reintroduite« dans la dialectique. Cependant, Dieu, ou l'Autre, a encore une autre fonction chez Kant. Il n'est pas seulement le lieu où se situe le »plus-de-forme«, c'est-à-dire le souverain Bien, il est aussi le lieu d'énonciation de la loi. Ce qui n'implique pas qu'il soit l'Auteur ou le Sujet de la loi. Le cas de figure en question peut être plutôt formuler ainsi: Même si Dieu, même si l'Autre, n'est pas l'auteur de la loi, celle-ci ne peut pas nous atteindre directement, mais seulement par ce biais de l'Autre sur lequel sa voix - autrement inaudible et incompréhensible pour nous - fait écho et se rend audible. A la fin de la lecture de la Critique de la raison pratique, nous nous trouvons alors confrontés à deux affirmations qui semblent contradictoires: 1. Le sujet éthique est autonome. 2. Dieu existe. Pourtant, Kant était convaincu que les deux affirmations ne s'excluaient pas l'une l'autre et qu'il fallait les penser ensemble. Ce qui est très intéressant, c'est qu'on trouve exactement le même cas de figure chez Lacan. L'éthique du désir balance entre deux points ainsi formulés: 1. Le désir est le désir de l'Autre, il est »toujours désir au second degré, désir de désir«. 2. Le fameux impératif éthique: ne pas céder sur son désir! La dimension de l'Autre n'exclut pas l'authenticité du désir du sujet. Com- ment envisager la possibilité d'une telle chose? En admettant que le désir de Kant: la loi et ses ricochets 75 l'Autre ne se présente pas au sujet sous la forme d'une réponse ou d'un commandement (je veux ceci ou cela!), mais - comme le souligne Lacan - sous la forme d'une question ou d'une énigme, comparable à celle que le sphinx pose à Œdipe. C'est le sujet qui va répondre et qui, en répondant d'une façon ou d'une autre, écrira le destin de son propre désir. Lacan remarque qu'il aurait pu y avoir beaucoup d'autres réponses à la question du sphinx, il en propose même quelques unes, par exemple: »Deux pattes, trois pattes, quatre pattes, c'est le schéma de Lacan« - avec cet ajout que cela aurait donné un tout autre résultat. Œdipe répond d'une certaine façon, et c'est comme cela qu'il devient Œdipe.11 L'énoncé: »le désir est le désir de l'Autre«, postule que l'Autre est le lieu où se pose originellement la question du désir. Chez Lacan il ne s'agit pas d'un désir de l'Autre qui existe quelque part, que le sujet connaît, et dont il fait le modèle de son propre désir; et on pourrait dire la même chose pour Kant. Le sujet éthique ne sait pas ce que veut la loi. Ce qui nous atteint de la loi n'est jamais autre chose qu'une énonciation énigmatique: »Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse en même temps toujours valoir comme principe d'une législation universelle«. En fin de compte, il n'y a pas de différence importante entre cette énonciation et celle du sphinx. Dans les deux cas, c'est à nous d'en faire l'énoncé. Considérez ce passage qu'on trouve dans L'envers de la psychanalyse: »Si j 'ai longuement insisté sur la différence de niveau de l'énonciation à l'énoncé, c'est bien pour que prenne sens la fonction de l'énigme. L'énigme, c'est probablement cela, une énonciation. Je vous charge de la faire devenir un énoncé. Débrouillez-vous comme vous pouvez - comme fit Œdipe - , vous en subirez les conséquences.«12 Voilà, ajoute Lacan, ce dont il s'agit dans l'énigme. Voilà, ajouterons nous, ce dont il s'agit dans la loi morale. Jusqu'ici nous avons parlé de l'éthique, mais je voudrais quand même finir sur une question politique. Il faut signaler pourtant qu'on traitera cette question d'une manière très générale, voir généralisante. On peut reconnaître dans les deux »figures de la conscience« qui prédominent dans la politique »occidentale« contemporaine - le cynique et le moraliste politiques - une pâle réplique des deux figures dont nous avons parlé par rapport à la fin de l'analytique (et de l'analyse). Les répliques sont faibles, puisqu'il leur manque de la rigueur. Le cynisme politique n'est pas le »cynisme hyperbolique« qui conduit à la folie (à la conviction d'être l'Autre) et qui montre très bien que les deux figures en question n'en font qu'une. Le cynique et le moraliste politiques restent deux figures séparées qui, pourtant, ont 11 Cf. Jacques Lacan, L'envers de la psychanalyse, Seuil, Paris 1991, p. 39. 12 Ibid. 76 Alenka Zupančič besoin l'une de l'autre. C'est bien cela qui constitue l'impasse de la crise politique dont on parle aujourd'hui. Que les exclamations des moralistes qui présentent leur »programme« comme une délivrance et une échappatoire au cynisme politique ne nous trompent pas! Le moraliste n'est l'autre du cynique qu'à l'intérieur de la même logique, celle du double. On devrait dire que le moraliste est l'alter ego du cynique. Par rapport à la crise de la démocratie où avancent, la main dans la main, le cynisme politique et la »marche à vide« de la forme démocratique d'un côté, et les appels aux valeurs fermes et à une conception substantielle de la démocratie de l'autre côté, notre discussion à propos de l'éthique peut nous servir de point d'orientation. Si on est d'accord sur le fait que la solution ne peut pas être de remplir la forme pure et vide de la démocratie avec un contenu complémentaire, avec des valeurs qui y manquent, si on considère que ce n'est pas son »intérieur« qui manque à la démocratie formelle, il faut se demander si ce n'est pas alors plutôt son »extérieur« qui fait défaut. Ce qui manque au dispositif en question, qui tend à se refermer sur une logique imaginaire du semblable où la »différence« devient le mot d'ordre de l'unification politique, c'est - pour le dire de façon un peu grossière - le point de vue du grand Autre. Et la question la plus délicate est celle de savoir comment envisager ce »point de vue du grand Autre«. Il ne peut pas être question d'agir ni de parler au nom de Dieu, comme le font les moralistes qui veulent transformer leurs »lois non écrites« en »lois écrites« pour les autres mortels. Je dirais qu'il est plutôt question d'être capable d'agir et de parler, non seulement dans la coulisse, »dans la cantonade«, mais aussi à la cantonade, c'est à dire pour l'oreille et le regard de personne. Et si »personne« est bien un des noms de Dieu, de l'éternité, cela n'implique pourtant pas qu'on est entré dans le domaine de la religion. On n'entre pas dans le domaine de la religion - ni dans un autre mode de saturation du vide par un contenu anticipé - si on insiste sur le fait que »Dieu« n'est qu'une nomination du vide qui donne à ce vide de la réalité. Par rapport au texte kantien, cela implique qu'on devrait faire une toute autre coupure que celle qui détache les postulats de l'éthique. Ce n'est pas la notion de postulats en tant que telle qui est problématique. Le problème se pose au niveau de la conceptualisation des postulats. In faudrait retenir la notion de postulat, tout en renversant le statut qu'elle a chez Kant. Au lieu de concevoir les postulats comme quelque chose qui est nécessaire à supposé parce que les actes humains ne sont jamais éthiques au sens stricte du terme, il faudrait les penser comme quelque chose dont la nécessité résulte du fait même qu'il y a des actes éthiques. Pour un acte éthique on pourrait dire qu'il rompe avec l'horizon de sens donné, établi. Un acte éthique se présente toujours comme quelque chose qui n'a pas de sens. Dans cette perspective, la Kant: la loi et ses ricochets 77 fonction du postulat serait de postuler un sens là où il n'y a pas de sens, c'est- à-dire de conférer une dignité à l'insensé. En termes lacaniens on pourrait dire qu'il s'agit non pas de »symboliser le réel«, de le rendre sensé, mais de faire place, au sien du symbolique, pour le réel en tant que réel, impossible, insensé. C'est-à-dire: même si un acte éthique n'a pas de sens (s'il parait insensé), le fait même de faire un acte éthique a un sens. Et si »l'essence de la terreur est d'anéantir ce qui n'est pas«13, on peut dire que la façon d'envisager les choses que nous venons de proposer, fait du postulat la meilleure défense contre la terreur (politique). 13 Alain Badiou, L 'éthique. Essai sur la conscience du Mal, Hatier, Paris 1993, p. 229. Ethics and Politics Ethique et politique Ethik und Politik The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political, the Economic, the Technological* On Derrida's Specters of Marx Simon Critchley »1 once said, perhaps rightly: The earlier culture will become a heap of rubble and finally a heap of ashes, but spirits will hover over the ashes.« Wittgenstein, Culture and Value To begin with, let us try to be quite clear about what Derrida is affirming in Specters of Marx (SdM1). Although he claims from the beginning to the end of SdM that Marxism is plus d'un (both more than one and no longer one), and that deconstruction has neither been Marxist nor non-Marxist (SdM 126- 7/75), and that, as Marx said before him, »What is certain is that I am not a Marxist« (SdM 145/88), Derrida's affirmation in this text is the following: »Deconstruction has never had any sense or interest, in my view at least, except as a radicalization, which is also to say in the tradition of a certain Marxism, in a certain spirit of Marxism.« (SdM 151/92) Although Derrida has understandable reservations about the felicity of the word 'radicalization', he elsewhere speaks, to use another word he has problematized, of the position (SdM 92/53) he is going to defend in terms of assuming the Marxist heritage, »one must (il faut - with all the force that the il faut commands in a whole series of Derrida's texts, s.c.) assume the heritage of Marxism...« (SdM 93/54). * The following is the text of a lecture delivered in October 1994 to the meeting of the Society for Phenomenology and Existential Philosophy in Seattle. I would like to thank John D. Caputo for giving me the occasion to prepare this lecture. It was subsequently presented, in various guises, to a conference on 'Deconstruction and Politics' at the University of Essex (October 1994), to the Cambridge Graduate Seminar in Literary Theory at King's College (November 1994), to the Amsterdam School of Cultural Analysis (February 1995) and to the ' Spectres of Derrida' conference at Birkbeck College, London (May 1995). An abriged version of the present text appeared as 'On Derrida's Specters of Marx', in Philosophy and Social Criticism, Vol.21, No.3 (1995), pp. 1-30. 1 References to SdM will be given to the pagination of the French Text (Galilée, Paris, 1993) followed by a reference to the extremely accurate English translation (trans. P. Kamuf, Routledge, London and New York, 1994). Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 81-123. 82 Simon Critchley Deconstruction is marxism, it would seem. A formula that we will have to put alongside Derrida's other hyperbolic formulations, that »deconstruction is justice«, or, more awkwardly, »America is deconstruction«2. I don't know how shocking this identification of deconstruction with Marxism might ap- pear. To Derrida-watchers it shouldn't exactly come as news, particularly regarding a number of elements in his career: his early interest in Tran Due Thao's attempted reconciliation of phenomenology and dialectical material- ism, his radicalisation of the thought of economy from his earliest work, particularly in his essay on Bataille, and his revealing comments on Marxism during the 'Political Seminar' of Les fins de l'homme1. However, if deconstruc- tion is a certain reception, continuation and continued radicalization of the Marxist heritage, then we are still no closer understanding what this might mean. To do this I would like to begin by briefly discussing the hypothesis advanced in SdM and making a couple of remarks about the context for the book. I will then go on to discuss what I see as the central theme of SdM: the messianic. As a way of unpacking this theme, I will address a number of sub- themes in SdM: the injunction ofdi f férance, democracy to come (la démocratie à venir), justice, religion and the es spukt (it spooks). As a consequence of this discussion, I would like to turn to the theme of the political and address the sub-themes of hegemony, the decision and the New International. I conlcude, more speculatively, with brief discussions of two more themes: the economic, specifically the relation of deconstruction to capitalism, and the technological, where I focus on some of Derrida's hints on the relation of spectrality to technicity and try to approach Derrida as a thinker of originary technicity. 2 Derrida momentarily ventures this hypothesis in Mémoires for Paul de Man (Columbia University Press, New York, 1986, p. 18) before quickly dismissing it. As Stanley Cavell points out, America is, »the anti-Marxist country« (Must We Mean What We Say, Cambridge University Press, Cambridge, 1969, p. 345-46). But if America were deconstruction, then what spirit of Marxism would haunt it? I am referring to work in preparation on Cavell and in particular to his extraordinary discussion of the Marx Brothers in 'Nothing Goes Without Saying' (London Review of Books, 6 January, 1994, pp. 3-5), where, in the final paragraph, and in a clear allusion to Derrida, Cavell suggests that, better even than Emerson or Thoreau, access to »that tangle of American culture« might best be had by »a few days immersion in half a dozen Marx Brother's films«. What is the specter of Marx for America? Is it Karl-o or Groucho? 3 On the influence of Tran Due Thao's Phénoménologie et matérialisme dialectique (Editions Minh-Tan, Paris, 1951), see Derrida's remarks in an interview with Le Monde in 1982 (Entretiens avec 'Le Monde ' [Editions la découverte, Paris, 1984], p. 79); and remarks in the 'Avertissement' to Le problème de la genèse dans la philosophie de Husserl (Presses Universitaires de France, Paris, 1990), p. vii. On economy, see 'From Restricted to General Economy: A Hegelianism Without Reserve', in Writing and Difference, trans. A Bass (Routledge, London and New York, 1978), pp. 251-77. On politics, see Les fins de l'homme. A partir du travail de Jacques Derrida (Galilée, Paris, 1981), p. 526-27. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 83 The Hypothesis Derrida's hypothesis in SdM has a structure that will be extremely familiar to readers of his work. He spells it out schematically in the concluding pages of the text, »On the one hand (D'une part), Marx insists on respecting the originality and the proper efficacity, the autonomization and automatization of ideality as finite-infinite processes of différence (phantomatic, fantastic, fetishistic, or ideological)...But, on the other hand (d'autre part)...Marx continues to want to ground his critique of his exorcism of the spectral simulacrum in an ontology. It is a - critical, but pre-deconstructive - ontology of presence as actual reality and as objectivity. This critical ontology means to deploy the possibility of dissipating the phantom, let us venture to say again of conjuring it away as the representative consciousness of the subject, and of bringing this represen- tation back to the world of labor, production and exchange, so as to reduce it to its conditions. Pre-deconstructive here does not mean false, unnecessary, or illusory.« (SdM 269/170) D'une part... d'autre part - this is the double gesture, the rhythm of double or what I call elsewhere clôturai reading that has haunted Derrida's work since the 1960's, of which the examples are legion, and which is the most distinctive motif of deconstruction as a way of reading4. As always, Derrida reads with two hands, following assiduously and indefatigably the unstable limit that divides what we might call the logic of a text, its fundamentally aporetic or undecidable basic concepts and distinctions, from the intentions that attempt to govern that text, the author-ity that tries dissolve or control those aporias. As is so often the case, Derrida focuses this double gesture in the ambivalent usage of a specific word by the author he is considering, in this case Spectre, Gespenst. Previous examples, of course, are Geist in Heidegger,pharmakon in Plato, supplément in Rousseau, and so on. So, at the formal level at least, SdM »c'est du bon Derrida, n'est-ce pas?« Always the same, yet always different in each particular instance of reading; a singular event and the eternal return of the same. But, after all, could we or should expect Derrida not to be Derrida? However, to operate strategically with a pre-deconstructive distinction, if the double gesture gives us the form of Derrida's reading of Marx, then what of the content to his hypothesis? To introduce detail that will only become clear later on, the basic claim that Derrida makes is that, on the one hand, Marx respects the spectrality of diffèrance at the basis of any conceptual order, political regime or mode of economic organization. For Derrida, this is exem- 4 See The Ethics of Deconstruction: Derrida and Levinas { Blackwell, Oxford, 1992), pp. 20-31 & 88-97. 84 Simon Critchley plified in a number of specific ways: in Marx's treatment of technology and the media, his thinking of the spectrality of communisn (»A spectre is haunt- ing Europe - the spectre of communism«), and the spectrality of capital itself: the fetish character of the commodity form, the non-phenomenologizable mystery of exchange value, and the subtle evasiveness and tendency-to-invis- ibility of ideology. This leads Derrida to one side of his hypothesis, that the figure of the spectre or phantom is not just one figure amongst others in Marx's text, it is rather »la figure cachée de toutes les figures« (SdM 194/120). The basic task of Derrida's reading in SdM is to survey thisphantomachiaperi tes ousias that runs through Marx's texts, which is traced through a partial reading of the Communist Manifesto, the Second Chapter of Volume I of Capital and, most impressively, a reading of Marx's critique of Stirner in The German Ideology. This leads Derrida to the claim that there is, to use his neologism, a hantologie in Marx's text, a certain irreducible spectrality and différance at work, a logic of haunting that, for Derrida, is the condition of possibility and impossibility of any conceptual order5. One of the crucial distinctions in SdM turns, charac- teristically for Derrida, on a homonym, namely the difference between ontologie and hantologie, a difference that can only be marked grammatologically in writing, that by-passes phoneticization. I will specify ontology in a moment, but let it be noted that Derrida's claim early in the book is that this hantologie is not only more powerful and ample than any ontology or thinking of Being, i.e. Heidegger's, but contains within it, as a secondary effect, any eschatology or teleology linked to such ontology, whether that be an eschatology of Being, of class struggle, of divive revelation, or whatever (SdM 31/10). In a gesture that will be familiar to Derrida-watchers, ontologie is a apocalyptic discourse on or of the end, whereas hantologie is a discourse on the end of the end6. Marx is therefore, according to Derrida, a hantological thinker. This is what his texts say. This is the logic that governs them, that makes them possible, despite themselves. However, following the other side of the double gesture - d'autre part- if Marx's texts respect a logic of spectrality that is, as Derrida implies in the above quote, deconstructive, then, as Derrida makes crystal clear in his reading of the critique of Stirner in The German Ideology, Marx also wanted to be rid of phantoms and spectres. Of course, Marx shares this tendency with the Young Hegelians (Bauer, Feuerbach, Stirner) - and, I would claim, with Hegel himself - insofar as they wanted to free philosophy and consciousness of the illusions to which it had subjected itself in history, in 5 On hantologie, see SdM 31, 89 & 255/10, 51, 161. 6Cf. 'Of an Apocalyptic Tone Recently Adopted in Philosophy', trans. J.P. Leavey, Oxford Literary Review, Vol.6, No.2 (1984), pp. 3-37. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 85 particular the illusory spectrality of religion. However, as is well known, the young Marx's problem with the Young Hegelians was that they concerned themselves with 'German philosophy and not German reality', and restricted their critique of spectrality to the realm of consciousness and its objects. However, Marx's discourse was not only directed against the spectrality and Vorstellungsdenken of the Young Hegelians, but also against the spectre of ideology, that is, »the legal, political, religious, aesthetic or philosophical«7 forms through which the ideas of the hegemonic class become the ideas of the epoch, and also against the spectrality of bourgeois economy characterized by the fetish character of the commodity form and the phantom nature of ex- change value. Furthermore, Marx wanted to found his critique of spectrality on what Derrida refers to as an ontology, which is critical but pre-deconstructive. Why pre- deconstructive? Because, to echo Derrida's words, it is a critique of political economy that has as its horizon or foundation a conception of presence as effective reality or objectivity, what Derrida elsewhere refers to as the living present of life, praxis, production and labour. The unstable limit that Marx's text criss-crosses at various points is that between the deconstructive and the pre-deconstructive, between hantologie and ontologie. Thus, the general hy- pothesis here is that Marx's analysis and critique of the Young Hegelians, of the German Ideology, and of bourgeois political economy is deconstructive and hantological, but it becomes pre-deconstructive when that critique is referred to or founded upon an ontology of presence, effectivity, praxis and objectivity. Derrida's characteristically quasi-transcendental claim is that hantologie is the condition of possibility for ontologie, that is, although Marx makes a decision to refer the critique of capital to an ontology of presence, this decision cannot repress what we might call the spectral drive or differance which would ruin any such ontology avant la lettre. Thus, although Derrida is reading with two hands, his reading is not even-handed, he is not offering an even choice between hantologie and ontologie, rather he is showing how this ambivalence is structured or staged in Marx's text, but hantologie has theoreti- cal priority, it is from this spectral drive that something like thought is born (SdM 260/165) (I have a parenthetical worry here about what counts as Marx's ontology: Derrida refers to an ontology of presence in Marx but how are we to under- stand this? I take it that Marx's 'ontology' is located in what, at the beginning of The German Ideology, he refers to as the »presuppositions« of his approach, namely that »we begin with real individuals, together with their actions and 7 Cf. 'Preface to a Contribution to the Critique of Political Economy', Marx/Engels Selected Works (Lawrence and Wishart, London, 1968), p. 182. 86 Simon Critchley the material conditions of life, those in which they find themselves, as well as those which they have created through their own efforts«8. That is, we begin with an insight into the fundamentality of the social production of life - »As individuals express their life so they are« - in terms of a dialectic between individual forces of production and the arrangement of the relations of produc- tion into which those forces are born, and which constitutes the economic structure of society. I take it that Marx's ontology is located in his insight into the dialectic of forces and relations of production, which generates both the materialist conception of history and an agenda for political action, let's call it communism. Two thoughts on this: is this an ontology? To my knowledge, Marx doesn't use this word in this sense and I imagine that many scholars of Marx would be suspicious of this terminology. For example, J. O'Malley in his recent helpful edition of Marx's Early Political Writings calls this 'ontol- ogy' a »materialist guideline«9. Thus, the notion of ontology here would seem to presuppose the hermeneutic grid of a Heideggerian conception of meta- physics which is not, as Derrida has shown better than anyone, exempt from deconstruction. Secondly, and more importantly, if the elements of Marx's 'ontology' are somehow 'pre-deconstructive', then what does this mean? Derrida is careful to point out in the above quote that pre-deconstructive does not mean »false, unnecessary or illusory«, but presumably neither does it mean 'true, necessary or real'. If the elements of Marx's 'ontology' are pre- deconstructive, then what remains that we might call (pre-deconstructively) substantive or at the level of content in a deconstructive Marxism? What force does Marxism retain if we set to one side its materialist account of life, production, praxis and history? I completely agree with Derrida that there are certain ontologies that we can do without, for example the Marxist-Leninist economic determinism of dialectical materialism, and we must constantly resist the temptation to ossification and dogmatism into which Marx's dis- course can fall, but does this qualification disqualify all ontologies? Can we do without ontology or, better, an ontological moment if we are Marxists, even deconstructive Marxists? And what remains of Marxism when we set to one side this ontological baggage? I will return to this question below in my discussion of the political.10) 8 The German Ideology (Lawrence and Wishart, London, 1970), p. 42. 9 (Cambridge University Press, Cambridge, 1994), p. xv. 10 A permanent risk of SdM, I feel, is its tendency to attempt to reinvent the wheel with respect to Marxism by ignoring the attempts, within the Marxist philosophical tradition itself, to refine and revise Marx's work and to save it from its theoretical and practical distortions, whether we think here of Lukacs, Gramsci, or Adorno and Horkheimer. Might we not ascribe this tendency to what one might call an Althusserian 'tic' in SdM (Althusser is clearly a specter thoughout this text, SdM 147/89), that is, that one can bracket out the previous history of Marxist philosophy insofar as that has somehow been contaminated by »la grande dérive soviétique« and return to Marx's text, and, literally, lire le Capital. The only real exception to this rule is Benjamin, who The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 87 The Context However, if Derrida's hypothesis in SdM claims a theoretical argument for the primacy of spectrality, then is this Derrida's only reason for writing SdM? Is there not, to use another pre-deconstructive paleonym, a normative claim running through SdM which allows us to establish something like the context for this text. Why read Marx now? In the paragraph that follows the statement of the hypothesis that we have been commenting on, Derrida makes the following remark, »That the ontological and the critical are pre-deconstructive, has political consequences that are perhaps not negligible. And they are doubtless not negligible, to say it too quickly here, as concerns the concept of the political, as concerns the political itself.« (SdM 270/170-71) To express a thought telegraphically and in a way that I will try to make good below, the normative drive of SdM, and what I find so impressive about the text - so urgent and so clear — is its attempt at a politicization or, better, re- politicization (SdM 144/87) of deconstruction, an attempted reinvention of the political in terms of a Marxist hantologie. But what is Derrida arguing against? That is, what are the political consequences of a pre-deconstructive ontology and critique? They are twofold, or rather there are at least two elements to the context for SdM, one within Marxism, one outside of Marxism, the latter being much more important for Derrida. What they have in common is a refusal of spectrality. 1. Within Marxism, a strong point of Derrida's reading is the link he draws between what he rather euphemistically calls »the totalitarian heritage of Marx's thought« (SdM 170/104) and the refusal of spectrality. Totalitarian- ism, or what Jean-Luc Nancy calls 'immanentism', in all its recent and less- recent guises, is a political form of society governed by a logic of identifica- tion, where 'everything is political' that is, where all areas of social life are claimed to represent incarnate power: the proletariat is identified with the people, the party with the proletariat, the politburo with the party, the leader with the politburo, and so on. Totalitarianism is the phantasy of a completed and transparent social order, a unified people among whom difference or social division is denied. In terms of SdM, totalitarianism is premised upon a is a decisive specter in SdM. But why is Benjamin accorded this unique state of exception? For the most part, Derrida's scholarly sources on Marx (excluding references to external classical sources, like Freud and Heidegger) are exclusively French-Etienne Balibar is treated very well, Michel Heniy less so, and Blanchot's piece 'Les trois paroles de Marx' is the intellectual framework for Chapter 1. Indeed, SdM could be seen as a contemporary rewriting of Blanchot's essay, particularly if we take seriously Derrida's extremely astute remarks on the analogies between the 1950's 'end of ideology' thesis and the 1989 'end of history' thesis. 88 Simon Critchley refusal of spectrality, it is, as Derrida puts it, a »panic before the phantom in general«, that is, before something which escapes, transcends and returns to haunt the social order. Although totalitarianism is a grotesque distortion of Marx's thinking, particularly of what I would see as its fundamentally demo- cratic ethos (which is, of course, powerfully and rightly critical of the formal- ism of bourgeois liberal democracy, of the latter's attempt to have political equality without economic equality), it is clear how totalitarianism inherits a certain conception of 'the end to politic's within Marx's text, what he called the abolition of the state and which Engels referred to as its 'withering away'. Against the troubling tendency to subordinate the political to the socio-eco- nomic within Marx's 'ontology', which was transformed into the economism of the Second International, Derrida's argument for a logic of spectrality within Marxism can be linked to the claim for the irreducibility of the political understood as that moment where the sedimented meanings of the socio- economic are contested. Following Ernesto Laclau's radicalization of Gramsci, one might link the logic of spectrality to the logic of hegemony; that is, if one renounces - as one must - the communist eschatological 'a-theodicy' of the economic contradictions of capitalism inevitably culminating in revolution, then politics and politico-cultural-ideological hegemonization is indispensable to the possibility of radical change. I will come back to this below11. 2. Outside of Marxism, and here we come to the real context for SdM, if there is a refusal of spectrality within totalitarianism, then there is an equal refusal of it in that anti-Marxist consensus that celebrates the 'collapse of commu- nism' in terms of the uncontestable triumph of liberal democracy. The context for SdM is the hegemony of the teleological discourse on the death or end of Marxism, which, as I mentioned above, Derrida rightly sees with a sense of déjà vu, as a rehearsal of the 1950's end of ideology thesis. Derrida detects a three-fold thread to this hegemony in the recent behaviour of the political 11 Laclau has responded to the reading of Specters ofMarx attempted here in his review essay' The Time is Out of Joint', to appear in Diacritics, which offers some important critical clarification of Derrida's arguments, particularly on the question of necessity for discourses of incarnation and the irreducible teleology of the classical discourse of emancipation that Derrida supposedly wants to endorse. However, Laclau is unconvinced of the necessity for the move from a notion of messianic promise to an ethico-political inj unction in the way I develop it in the present essay and in my other work. For Laclau, no ethical injunction of a Levinasian kind flows from undecidability and democratic politics does not need to be anchored in such an injunction. He concludes by focussing what he sees as an ambiguity in Derrida's work, between undecidability as the terrain of radicalization of the decision and undecidability as the source of an ethical injunction. If this is indeed an ambiguity in Derrida (and I am not wholly convinced of this), then Laclau and I stand at opposing poles of this ambiguity. However, my ambition in the discussion of the political given below is to show how these two poles can enter into some form of productive tension. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 89 class, the media and intellectuals (SdM 91-92/52-53). As an example of this anti-Marxist hegemony, Derrida chooses Fukuyama's The End of History and the Last Man, which is the focus of the engaging second chapter to SdM. Derrida quite rightly and very persuasively places Fumuyama's end-of-history thesis in the tradition of Americian Straussianism continued by Fukuyama's teacher, Allan Bloom, and going back, via Leo Strauss, to Kojeve's interpreta- tion of Hegel. In a way that recalls Derrida's discussion of an apocalyptic tone in philosophy, he shows how Fukuyama's neo-liberal euphoria of the end of history is essentially a Hegelian-Kojevian theodicy where liberal democracy, allegedly rooted in a recognition of the dignity of human beings and economic effectivity, is the realization of the kingdom of God on earth. Thus, the end of history would be the final eradication of the spectre of communism and the universal incarnation of liberal democracy. Thus, Fukuyama opposes the spectre of Marxism with a certain Hegelian/Kojevian Christian logic of incar- nation as the end of history. Although seemingly diametrically opposed, both elements of the context for SdM (and these two elements by no means exhaust its context) follow a logic that is premised upon a refusal of spectrality; they are both discourses on and of the end: apocalyptic discourses. We could go further and claim that both discourses are Christian in Hegel's sense of the word, that is, discourses of incarnation12 and revelation, ultimately the incarnation of community, abso- lute knowing as community, the system as socio-political comedy (of course, there are other, and perhaps more persuasive, readings of Hegel than the comic reading). This thought can be linked to an opposition that runs throughout SdM, and which is particularly important in the final chapter, between spectrality and phenomenology. The specter is precisely that which refuses phenomeno- logization, that retreats before the gaze that tries to see it, like the ghost of Hamlet's father. The specter is the apparition of the inapparent13. Phenomeno- logy is here conceived in its Hegelian rather than Husserlian sense14, as that 12 On incarnation, see Laclau 'The Time is Out of Joint', op. cit. 13 Which still leaves open the question of whether there can be a phenomenology of spectrality, a phenomenology ofthe inapparent, to take up Heidegger's phrase from the Zâhringen seminar in 1973. As the title of the final chapter of SdM suggests, 'L'apparition de l'inapparent: l'«escomatage« phénoménologique', Derrida is here alluding to debates about the status of French phenomenology and its alleged theological turn. On this debate, see Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française (L'éclat, Combas, 1991) and Jean-Luc Marion, Réduction et donation. Recherches sur Husserl, Heidegger et la phénoménologie (Presses Universitaires de France, Paris, 1989). 14 On Husserl, see the intriguing and slightly hurried note (SdM 215-16/189), where Derrida, pondering the question of the specter in Husserlian phenomenology, focuses on the notion of the noema, as that »intentional but non-real component of phenomenological lived experi- ence«, which would be »the condition of any experience...«. 90 Simon Critchley active experience (Erfahrung) where objects become objects for conscious- ness. In this sense, phenomenology is always a phenomenology of spirit (subject becoming spirit and spirit becoming subject), or a becoming- phenomenologizable of the specter, in a logic which is both Christian, insofar as Christ is the phenomenologization of the speciality of the divine, and, as the Young Hegelians were perfecty aware, post-Christian insofar as Christian- ity is the self-alienation of consciousness or human essence. For Derrida, the irreducibility of the spectral is thematically linked to the irreducibility of the religious. But, in order to understand what this means we must turn to the central theme of SdM: the messianic. The Messianic First, a word on ghosts. In the characteristically elliptical opening to SdM, entitled 'Exordium' (possibly an allusion to Kierkegaard's Fear and Trem- bling), Derrida suggests that without speaking to and of ghosts we would not be able to be responsible either to the living or to the not-yet or no-longer living. Thus, the discourse on specters is the condition for what, with Ben- jamin, we would call an anamnesic solidarity with the dead of history and for those as yet unborn15. Thus, the discourse with and on specters proceeds in the name of justice, as this word is presented in the essay 'Force of Law', which is in many ways the Ur-text for SdM, although the former presents the barest bones of the latter16. Indeed, in SdM - as in 'Force of Law' - Derrida cites Levinas and employs the latter's conception of justice from Totality and Infinity to illustrate his own account (SdM 48-49/23)17. Justice here defines and is defined by the ethical relation to the other, »la relation avec autrui - c 'est a dire la justice«. In Derridian terms, Justice is the undeconstructable condition of possibility for deconstruction, the 'for-the-sake-of-which' deconstruction takes place, »but«, Derrida notes, »we can call it by other names«. The messianic will be one of those other names. Thus, SdM proceeds in the name of justice, whether ethical or political, and speaks of specters in order to try and do justice to the living, the dead and the unborn. Running through Derrida's opening remarks is a critique of any ,s A view perversely paralelled in the Mormon doctrines of baptism for the dead and spirits for the unborn as described by Harold Bloom in The American Religion (Simon & Schuster, New York, 1992), pp. 112-28. 16 'Force ofLaw: The Mystical Foundation of Authority', in D.Cornell et all. (eds.), Deconstruction and the Possibility of Justice (Routledge, London and New York, 1992). 171 discuss this in more detail in 'Deconstruction and Pragmatism - Is Derrida a Private Ironist oraPublic Liberal?', European Journal of Philosophy, Vol.2, No.l (April 1994),pp. 1-21,see esp. pp. 14-16. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 91 account of justice that would restrict responsibility only to the living, to the presently living, or to the living present. In a manner that is difficult to present cogently outside the dense allusiveness and performative compression of the opening pages of SdM, Derrida is weaving together his account of justice with his early deconstruction of the lebendige Gegenwart in Husserlian phenom- enology, to suggest that justice is somehow constituted by différance. Before unpacking this claim, we should note that there are two prime candi- dates for accounts of justice that would restict responsibility to the living. Firstly in Marx himself, recall the famous words from The German Ideology cited above - »as individuals express their life, so they are« - where Marx's thinking would seem to be rooted in an ontology of life. Secondly, we can also note an oblique debate with Michel Henry's reading of Marx, for whom life, for Henry the subjective praxis of living individuals, is the foundation upon which economic and meta-economic reality can be constructed18. Against Marx's and Henry's primacy of la vie, an approach that the latter would call phenomenological, Derrida posits a notion of la sur-vie (living-on, sur-vival), which one could trace back to his readings of Blanchot19. This notion, which only occurs, to my knowledge, on three occasions in the text (SdM 17, 179 & 235-6/xx, 187, 147), plays a quiet but organizing function. The nearest one gets to an explanation of sur-vie is when the debate with Henry surfaces in a long footnote (SdM 177-79/186-88). For Henry, Marx's metaphysical deter- mination of reality in terms of praxis, production and, ultimately, life, gives rise to an entirely novel conception of subjectivity as »une puissance immergée en soi et qui s'éprouve soi-même sans distance«20; that is to say, as radically immanent subjectivity constituted through affectivity. Although Derrida might be said, in principle, to grant the ontological plausibility of Henry's reading of Marx, as »the hyper-phenomenological principle of the flesh-and-blood pres- ence of the living person...« (SdM 230/191), Derrida opposes this reading with his own hauntological approach. After posing some persuasive critical ques- tions to Henry, Derrida writes revealingly, » We are attempting something else. To try to accede to the possibility of this very alternative (life and/or death), we are directing our attention to the effects or the petition of a living-on or survival [une sur-vie] or of a return of the dead (neither life nor death) on the sole basis of which one is able to speak of 'living subjectivity' (in opposition to its death).« (SdM 179/187) 18 Cf Marx, 2 Vols.: 1. Une philosophie de la réalité. 2. Une philosophie de l'économie, (Gallimard, Paris, 1976). For an abridged introduction to Henry ' s reading of Marx, see his essay 'Marx', to appear in Blackwell's Companion to Continental Philosophy, ed. S. Critchley (Blackwell, Oxford, forthcoming). 19 See, in particular, 'Sur-vivre' in Parages (Galilée, Paris, 1986), pp. 117-218. 20 In Henry, 'Marx', op. cit. 92 Simon Critchley By following the path of the specter and the logic of spectrality in Marx's text, Derrida is obviously seeking to deconstruct the limit between the living and the non-living and show that the seeming priority of life in fact presupposes a sur-vie that undermines this priority. We speak of ghosts in the name of justice. However - and this is an extremely difficult thought to get to grips with, but it is a capital idea - to claim that justice is constituted by différance is not to imply that justice is deferred, delayed or indefinitely postponed: »demain on rase gratis«, »it's jam tomorrow«. Différance is falsely accused of procrastina- tion or of evading the pressing needs of the present with the so-called luxury of undecidability. On the contrary, Derrida's whole effort in SdM is in thinking the injunction, be it the injunction of Marx (the title of the first chapter) or the injunction of différance. As Derrida remarks in an interview given at the time of the publication of SdM, »There would be no différance without urgency, emergency, imminence, precipitation, the ineluctable, the unforseen arrival of the other, to the other to whom reference and deference are made«21. With an urgency and precipitation that marks the whole tone of the book, making its prose restless and light22, Derrida writes, and I quote at length, »In the incoercible différance the here-now [l'ici-maintenant] unfurls. Without lateness, without delay, but without presence, it is the precipitation of an 21 Derrida, 'The Deconstruction of Actuality', Radical Philosophy, No.68 (Autumn 1994), p. 32. 22 Mention ofthe restlessness and lightness of Derrida's prose in SdM can be related to a common complaint one often hears in circles otherwise highly sympathetic to Derrida's work. It is claimed that Derrida's early work, in particular La voix et le phénomène, is philosophically decisive in the deployment of deconstruction and that it possesses a rigour sadly lacking in his later work, which too often seems to have been written in undue haste. Perhaps there is some truth to such a claim. However, what such a complaint consistently overlooks is precisely the question of the urgency, or the injunction that drives Derrida's later work, and its relation to what one might call the performativity or event-character of deconstruction. Specters of Marx is clearly not La voix et le phénomène. It is a text that was written with enormous urgency to address a specific context at a specific historical moment, to make an intervention at once theoretical, cultural and political. As such, I think that Specters of Marx should be viewed as a certain enactment of the injunction that the book seeks to describe or prescribe. Might we not view Specters ofMarx'm terms of what it says about the event (SdM 125-26/74-75), namely the event ofthe injunction of différance happening here and now without presence? Specters of Marx is an event, a performance, a staging which, as Samuel Weber has shown (I refer to an unpublished paper, 'Piece-Work', given at the University of Essex in October 1994), is utterly pervaded by its own theatricality, most obviously in Derrida's deployment of Hamlet as a frame for his reading. A serious question arises for me at this point, however: ifwe take on board Derrida's remarks on the need for a non-negative, non-reactive thinking of tele-technology and the media, might one not have doubts about whether the book - however staged, however theatrical, however performatively conceived - is the most felicitous medium for the enactment of such a singular event? How about the use of other media: theatre, television, compact disc, internet? The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 93 absolute singularity, singular because differing, precisely, and always other, binding itself necessarily to the form of the instant, in imminence and in urgency: even if it moves toward what remains to come, there is the pledge [le gagé] (promise, engagement, injunction and response to the injunction, and so forth). The pledge is given here and now, even before, perhaps, a decision confirms it. It thus responds without delay to the demand of justice. The latter by definition is impatient, uncompromising, and unconditional. No différance without alterity, no alterity without singularity, no singularity without here-now.« (SdM 60/31) A full commentary on this compressed and rich passage would constitute a separate lecture in itself. It would at the very least cause us to link the urgency and injunction of Marx to the theme of le gage which, as I have shown elsewhere, is the key to an understanding of Derrida's reading of Heidegger in De l'esprit23. However, the central thought here is that the injunction of SdM - of différance and Marxism - is l'ici maintenant sans présence, that is, the absolute singularity of justice happening now without presence. We should hear in the 'here and now' both the classical and theological hic et nunc and the semantic richness of the maintenant, understood both as the now, but also as the 'maintaining', that is, the act of maintenance or maintaining/sustaining/ bearing, where the present participle connotes an act of presencing irreducible to the present (Gegenwart). We might even hear the thought of the hand- holding (manutenere - manus, tenere) of the now which appears in Derrida's reading of Heidegger24. For Derrida, the ethico-political imperative of Marxism happens now, it is maintained at this very moment and is not postponed to a Utopian future.25 It would seem to me that the entire plausibility of SdM rests upon this difficult thought of the here and maintaining-now without presence as an impossible experience of justice. If this thought proves absolutely unintelligible, then one can perhaps follow Derrida no further. Derrida associates the injunction of différance, or the injunction of Marx, with his notion of democracy to come (la démocratie à venir), which has been an increasingly persistent theme in Derrida's recent work (SdM 110-111/64-65). Once again, Derrida is anxious to distinguish la démocratie à venir from any idea of a future democracy, where the future would be a modality of the lebendige Gegenwart, namely the not-yet-present. Derrida's discourse is full 23 Cf. 'The Question of the Question: An Ethico-Political Response to a Note in Of Spirit', in The Ethics of Deconstruction, op. cit. pp. 190-200. 241 owe the last two sentences to a conversation with Samuel Wcbcr. On the hand in Heidegger, see 'Geschlecht II: Heidegger's Hand', in Deconstruction and Philosophy, ed. J.Sallis (Chicago University Press, Chicago, 1987), pp. 161-96. 94 Simon Critchley of negations at this point: democracy is not to be confused with the living present of liberal democray, lauded as the end of history by Fukuyama, neither is it a regulative idea or an idea in the Kantian sense, nor even a Utopia, insofar as all these conceptions understand the future as a modality of presence (SdM 110/65). It is a question here of linking la démocratie à venir to différance understood in the above-mentioned sense as l'ici maintenant sans présence, as an experience of the impossible without which justice would be meaningless. In this sense, la démocratie à venir does not mean that tomorrow (and tomor- row and tomorrow) democracy will be realized, but rather that the experience of justice as the maintaining-now of the relation to an absolute singularity is the à venir of democracy, the temporality of democracy is advent, it is arrival happening now. As I have hypothesized elsewhere, democracy is the future of deconstruction, but this future is happening now, it is happening as the now blasting through the continuum of the present.26 In this sense, we might speak of la démocratie à venir not as a fixed political form of society, but rather as a process of democratization. Although, I cannot go into the requisite detail here, it would be a question of developing at least three further points: 1. To show how the time of justice, that is, the time of the injunction of différance, of Marxism and la démocratie à venir, can be understood as messianic time in the sense developed by Benjamin in the 'Theses on the Philosophy of History'27; that is, as that Jetztzeit, which Derrida translates as »l'à-présent« (»the at-present« SdM 96/181), that now which is not the empty and homogenous flow of objectivist history governed by the Gegenwart, and which Benjamin assimilates to a notion of historical materialism. 2. To show how the Benjaminian notion of messianic time can be thought in relation to Levinas's notion of ethical time or the temporality of what he calls, with great discretion in the Preface to Totality and Infinity, messianic 25 In some improvised remarks on deconstruction and pragmatism, Derrida distinguishes the thought of the messianic, as the here and now of justice, from the conventional meaning of Utopia (which does not exclude the possibility ofother meanings for Utopia). See Deconstruction and Pragmatism, ed. C. Mouffe (Routledge, London and New York, forthcoming). I quote: »The messianic experience of which I spoke takes place here and now; that is, the fact of promising and speaking is an event that takes place here and now and is not Utopian. This happens in the singular event of engagement, and when I speak of la démocratie à venir this does not mean that tomorrow democracy will be realised, and it does not refer to a future democracy, rather it means that there is an engagement with regard to democracy which consists in recognizing the irreducibility of the promise when, in the messianic moment, it can come (ça peut venir). There is the future (ily a de l'avenir). There is something to come (ily a à venir). That can happen...that can happen, and I promise in opening the future or in leaving the future open. This is not Utopian, it is what takes place here and now, in a here and now that I regularly try to dissociate from the present.« 26 See The Ethics of Deconstruction, op. cit. p. 241. 27 In Illuminations, trans. H. Zohn (Fontana/Collins, London, 1973), pp. 255-66. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 95 eschatology28. Levinas opposes the time of justice to the ontological or eco- nomic notion of time and history that reduces and reifies individuals, deter- mining them in terms of their works, relations of exchange and productivity. When Levinas claims that »When man truly approaches the Other he is uprooted from history«29,1 think »history« here refers to the objective history of the victors, or »barbarism« in Benjamin's sense of the word. At least on my reading, Levinas's work attempts to rub history against the grain, to find the »ruptures in history«30, to produce a history for those without works or texts, what I have elsewhere called ethical history.31 The historical materialist, in Benjamin's sense, blasts open the continuum of objectivist history in the name of another history, in the name of justice, which would not be - for Benjamin, Levinas or Derrida - an end to history, but the continual working over of history as a work of infinite mourning, a politics of memory, the insomniac experience of being haunted by the specters of the past. Levinas writes, »Of peace there can only be an eschatology. (...) That peace does not take place in the objective history disclosed by war, as the end of that war or as the end of history.«32 3. To show how the time of justice in Derrida, as the maintaining-now without presence, can be productively linked to the temporality of the ethical relation in Levinas. Levinas's later work proceeds from a distinction between two orders of time: synchrony and diachrony. Synchronic time is a linear, infinite series of punctual moments spread along the axes of past, present and future - what one might call, with Bergson, the spatial representation of time or, with Heidegger, the vulgar Aristotelian concept of time. Diachrony, on the other hand, is - literally - the coming apart of time, it is time as the punctual present falling out of phase with itself (le déphasage de I 'instant) or the time of the lapse (le laps). In Bergson's sense, diachrony is the real time of subjectivity: the unique, unrepeatable and mobile temporality of la durée; in Heidegger's sense, it is the temporalisation of time (die Zeitigung der Zeit), the authentic experience of time from which the inauthentic time of synchrony is derived. Levinas's basic and astonishing claim is that the concrete case in which time temporalizes itself as diachrony is in the everyday event of my reponsibility for another33. Time is accomplished in a relation to the other. This relation is 28 Totality and Infinity, trans. A. Lingis (Duquesne University Press, Pittsburgh, 1969), pp. 22- 24. 29 Totality and Infinity, op. cit. p. 52. 30 Ibid, p. 52. 31 The Ethics of Deconstruction, op. cit. p. 30. 32 Totality and Infinity, op. cit. p. 24. Incidentally, if this view of Levinas's conception of history is right, then it makes little sense to claim that Levinas is an anti-historical thinker, as Derrida appears to do in 'Violence and Metaphysics' (in Writing and Difference, op. cit. p. 94). 33 Otherwise than Being or Beyond Essence, trans. A. Lingis (Kluwer, Dordrecht, 1981), p. 10. 96 Simon Critchley not an experience of presence for Levinas, but is rather a relation to the other that is underwritten by an experience of the trace, the trace of the infinite as that past which has never been present. For Levinas, the essence of time is temporisation: postponement, patience, the undergoing of time as senescence, the passivity of ageing. Time establishes a relation to the future that is not achieved through laying hold of the future, as Heidegger attempts in his analyses of Verstehen and Entwurf, but in a »lack of any hold upon the future«34. The enigma of time - the time of justice - for Levinas lies in an experience of time that differs from the present, both as an absolute past and an ungraspable future, precisely as trace and as différance. And yet, this experi- ence of time happens now, blasting through the contiuum of the present in a relation to the other, the experience of justice. Interestingly, this temporal and ethical structure is what Levinas would call (and would Derrida call it?) témoignage: testimony or witness35. However, we are still a little distant from the theme of the messianic, although it has been presupposed in everything that has been said in the last few pages. Something is rotten in the state of Denmark, the time is out of joint. The lesson that Hamlet learns from the political assasination of his father, according to Derrida, is that the order of law, of the state, is based on violence, vengeance and injustice. Given this identification of law and violence — which, Derrida rightly claims, is Shakespere's question before it is Nietzsche's, Heidegger's or Benjamin's (and whose is it before Shakespere? Homer's?) - how is one to think of justice at this time of disjuncture? Derrida asks, and it is here that the messianic in introduced for the first time, qualified by a characteristically coy 'quasi', »If right or law stems from vengeance, as Hamlet seems to complain... can one not yearn for a justice that one day, a day belonging no longer to history, a quasi messianic (my emphasis, s.c.) day, would finally be removed from the fatality of vengeance.« (SdM 47/21) In these fascinating pages, Derrida is weaving together a dense fabric of allusion and argument, where he associates (i) the experience of disjuncture (a crucial word in these pages), of Hamlet's sense of the time being out of j o i n t - the order of law as vengeance - with (ii) the disjuncture of the ethical relation in Levinas, which is precisely that which cannot be assembled into a totality and (iii) Heidegger's meditation on time and justice in Der Spruch der Anaximander, where dike is translated as jointure or Fug, and which is thought together with a-dikia as Unfug or dis-juncture. Although I cannot go into the 34 Time and the Other, trans. R. Cohen (Duquesne University Press, Pittsburgh, 1987), p. 80. 35 In this regard, see Levinas's 'Vérité du dévoilement et vérité du témoignage', Archivio di Filosofla( 1972), pp. 101-10. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 97 detail of Heidegger's text here36, what interests Derrida is Heidegger's at- tempt, firstly, to suspend all traditional conceptions of law as calculative, metaphysical and deconstructable, and to seek to think justice in relation to the donation of time, namely the presencing of the present (das Anwesende des Anwesen), and to think something like Being non-metaphysically in relation to this presencing. However, and in a way that will be familiar to Derrida-watchers, he poses the following critical question to Heidegger. Namely, »Once one has recognized the force and the necessity of thinking justice on the basis of the gift, that, beyond right, calculation and commerce... is there not a risk of inscribing this whole movement ofjustice under the sign of presence, albeit the presence to meaning of the Anwesen, of the event as coming into presence, of Being as presence joined to itself, of the proper of the other as presence?« (SdM 55/27). Thus, if Heidegger thinks justice in relation to the presencing of the present, that is, in terms of a jointure that gathers and harmonizes, Derrida's question is to whether justice, understood with Levinas as a disjunctive relation to the other, »supposes on the contrary the irreducible excess of a disjunction or an anachrony, some Un-fuge, some 'out of joint'...« (SdM 55/27) In the inter- rogative mode (but does a question, or a series of questions, constitute an argument? Is it enough? Is one persuaded? A vast question), Derrida engages in a reversal of Heidegger where he hypothesizes that justice as disjuncture - »the de-totalizing condition of justice« (SdM 56/28) - is the condition for the presencing of the present. It is in this way (and Derrida recognizes the hasti- ness and provisionality of his formulations at this point) that the relation of deconstruction to the possibility of justice can be thought, where justice - »that which must (without debt and without duty) render itself to the singular- ity of the other« (SdM 56/28) - is the undeconstructable condition of possibil- ity for deconstruction. Although the way in which Derrida links his argumentation to Heidegger and Shakespere is novel, the above conclusion - deconstruction is justice - will hardly be surprising to readers of 'Force of Law'. However, what is novel are two subsidiary claims that Derrida tags on to the above argumentation: firstly, this account of justice is called a »desert-like messianism« by Derrida, »the messianic: the coming of the other, the absolute and unpredictable singularity of the arrivant as justice« (SdM 56/28). Secondly, this notion of the messianic is interpreted as »an ineffaceable mark... of the heritage of Marx« (SdM 56/ 36 'The Anaximander Fragment', in Early Greek Thinking, trans. D. Krell & F. Capuzzi (Harper and Row, New York, 1975), pp. 13-58. 98 Simon Critchley 28). Thus, combining the two claims, the heritage of Marx that Derrida wants to endorse is that of a messianic appeal for justice. The theme of the messianic, allied to the name of Marx, recurs at crucial points in SdM. After stating that he endorses the kind of critical analysis (of ideology and capital) that we have inherited from Marxism, Derrida links this to the »schwache messianische Kraft« of Benjamin's 'Theses on the Philosophy of History', what he calls, emphasizing the adjectival rather than substantive usage, a »messianique sans messianisme« (SdM 96/181, & cf. 103/59,112/65). (A further parenthetical worry begins to take shape here: namely, if this messianic appeal for justice is the way in which the heritage of Marxism is to be assumed, then, Derrida goes on, »Failing which (Faute de quoi) one would reduce the event-ness (1 evenementa- lite) of the event, the singularity and the alterity of the other. Failing which (Faute de quoi) justice risks being reduced once again to juridico-moral rules, norms of representations, within an inevitable totalizing moment...« (SdM 56-57/28). My question would be: is the passage from the messianic appeal for justice to laws, norms and rules always a fault (une faute), always in default? If so, why is it a fault and what sort of fault is it? Clearly for Derrida, to refer the messianic appeal for justice to moral and legal conditions is a transgression of the apparent priority, or indeed apriori antecedence of the messianic - what Derrida elsewhere calls »the universal dimension of experience«37 - but is this transgression not also a necessity? Is it not the most necessary of necessities, namely the moral-legal-social instantiation of justice, the aposteriori and particular instance of the apriori status of the messianic? To employ the language of the above quote, is not totalization inevitable? Isn't the question not whether to totalize, but how to totalize, that is, how to link the apriori and the aposteriori, the universal and the particular, the transcendental and the empirical? As we will see below, the notion of the New International recog- nizes the necessity of instantiation, totalization, the aposteriori, the particular and the empirical, but I have two further telegraphic thoughts in this regard: 1. Is not this faulty move from justice to law precisely that which is thought by Levinas in terms of the move from the other (autrui) to the third party (le tiers), from ethics to politics? It might also be noted that, in 'Ideologie et idealisme', Levinas also defines Marxism as an ethical »prophetic cry...the revolt of Marx and of Marxists beyond Marxist science«38, but that, for 37 See, 'The Deconstruction of Actuality', op. cit, p. 36. On the apriori, see ibid, p. 32. 38 In De dieu qui vient à l'idée (Vrin, Paris, 1986), p. 19. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 99 Levinas, politics would be the measure brought to the ethical relation to the other, without which the latter would risk being »angelic«, »the spirituality of angels« (if not specters) that is the source of his critique of Buber's I-Thou relation. How is one to combine (is one to combine?) the thought of justice with the thought of measure, which, of course, also entails the question of judgement? 2. In a recent debate with Axel Honneth, I have, with some significant and important reservations, attempted to support and amplify his attempt to show the possible compatibility or mutual supplementarity of Derrida's recent re- flections on ethico-political issues with the Habermasian programme of dis- course ethics, in order to show how the messianic appeal for justice conceived as a relation to the irreducible singularity of the other might be combined with a broadly Kantian and procedural theory of justice, capable of testing the validity of moral-political norms. The question here is: if it can be shown that the reciprocity and symmetry axiomatic to Habermasian discourse ethics stand in need of supplementation by a non-reciprocal, asymmetrical appeal to justice or the messianic, then is not the same true vice versaV9 However, on the question of Marxism and messianism, are we not evading a rather basic and crude question? Marx had many swingeing and unkind things to say about the Young Hegelians, but what he endorsed in their approach was their critique of religion, writing famously that, »Religion is the sigh of the oppressed creature, the feeling of a heartless world and the soul of soulless circumstances. It is the opium of the people.«40 As the Theses on Feuerbach make clear, the problem with the Young Hegelians is that their concept of alienation is restricted to the critique of religion, a critique which is »essen- tially complete«41. So, against Marx, Derrida would seem to want to maintain the irreducibility of the religious in its 'desert-like' form. Is this plausible? At least four features can be noted here: 1. The irreducibility of the spectral is linked to the irreducibility of the religious for Derrida, where Marx's critique of religiosity would be part and parcel of his ontological approach. Hantologie is premised upon the irreduc- ibility of forms of non-identity and alterity, where the religious is a privileged form of such alterity. 2. More specifically, in Derrida, the irreducibility of the religious is the desire to maintain the sublimity of the religious, which is expressed in Benjamin's messianism and elsewhere (in Levinas, in negative theology). Derrida op- 39 C£ 'Habermas und Derrida werden verheiratet: Antwort auf Axel Honneth', Deutsche Zeitschrift fur Philosophic, Vol.42, No.6 (1994), pp. 981-92. 40 Cf. David McLellan, The Thought of Karl Marx (Macmillan, London, 1971), p. 23. 41 Ibid, p. 22. 100 Simon Critchley poses, and this is a theme one can find dealt with at great length in Glas, any notion of religiosity rooted in what I called above a phenomenology of incar- nation (which one might also call a phenomenology of the beautiful), the incarnation of the living presence of the divine in the form of the person of Christ and, ultimately, in the spiritual form of the community in Hegel and the material form of communism in Marx. 3. In opposing this logic of incarnation in religion, Derrida works to under- mine (i) the historical teleology of religion in Hegel which leads irresistably to Christianity, the revealed religion; (ii) the Aufhebung of religion in philosophy found at the end of the Phenomenology of Spirit and one condition (only one, the other being the becoming-spirit of the subject) for the possibility of Absolute Knowing; and (iii) the Aufhebung of the Young Hegelian critique of religion into the critique of political economy in Marx. All of these gestures would be ontological for Derrida. 4. Is one lead to conclude from the above that the irreducibility of religious sublimity in Derrida's notion of the messianic allows one to identify his position with that accorded by Hegel to Judaism, as an abstract and formalistic religion of duty, where justice is placed above love? Is hantological Marxism a continuation of what we might call 'philosophical Judaism' by other means? And is this justifiable? Derrida goes some way to addressing this question in his most revealing discussion of the messianic which comes close to the end of SdM (SdM 266- 67/167-69). Derrida asks: what is the relation between Marxist messianism, as »a universal structure« (SdM 266/167), and that other desert-like Abrahamic messianism of Judaism? Having set up the question nicely, Derrida doesn't really give a satisfying response, asking himself whether Abrahamic messianism would a préfiguration or (to use Levinas's word, which is how he refers to the divine as the trace of illeity42) »prénom« of Marxist messianism. Why not, perhaps. Nonetheless, and always in the interrogative mood, Derrida asks, »Can one conceive an atheological heritage of the messianic?« (SdM 266/168) and suggests a few lines later that »One may always take the quasi-atheist (my emphasis, s.c.) dryness of the messianic to be the condition of the religions of the Book...« (267). Derrida goes on to qualify the messianic in terms which recall my discussion of différance and la démocratie à venir in terms of »imminence« and »urgency«, and calls it »a 'messianism' that despairs« (SdM 268/169). A religion of despair, then? Perhaps. However, taking as a cue Derrida's qualification of the messianic as 'quasi- atheist' (although what exactly does the coy 'quasi' mean here?), another 42 Otherwise than Being or Beyond Essence, op. cit. p. 185. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 101 avenue can be briefly pursued. In his reading of The German Ideology, Derrida comes across Marx's citation of Stirner's words »Ja, es spukt in der ganzen Welt«, poorly rendered into French as, »Oui, le monde entier est peuplé de fantômes« (SdM 216/136). What holds Derrida's attention is the phrase es spukt, het spookt, ça spectre, it spooks. Derrida comes back to this phrase right at the end of SdM (SdM 272/172); what interests him is the way in which the logic of spectrality is expressed verbally (es spukt from spuken), that is, as a movement, what Derrida calls the »passive movement of an apprehension«. This passive movement is the very movement of haunting, of the ghost, of the ghosting of the ghost, la revenance du revenant. Derrida makes an interesting paralell between the spookiness of haunting and the experience of Unheimlichkeit in Freud and Heidegger (SdM 273-77/173-75). However, spe- cifically in relation to the question of religion, I would like to associate the es spukt with the uncanniness of the il y a as this is figured in the work of Levinas and Blanchot. Although I cannot go into detail here43, the il y a should not be confused with the Heideggerian es gibt (might one link the es spukt with the es gibt: es spukt Sein, es spukt Zeit?), for it is both Levinas's word for Being and his attempt to ruin the Seinsfrage. With the il y a, Levinas asks us to undertake a thought experiment, »Let us imagine all beings, things and persons, reverting to nothingness?«. But what would remain after this annihiliation of all Seiendenl Nothing? Levinas claims that this very nothingness of all existents would itself be experienced as a kind of presence, not the presence of the lebendige Gegenwart, but what he calls elsewhere »An atmospheric density, a plenitude of the void, or the murmer of silence«44. To compress to the point of incompre- hensibility, the experience of the il y a, is what Blanchot would call le neutre which is opened in the experience of writing and literature. I have claimed that the il y a is the secret of Blanchot's work, its primal scene, which is an experience of dis-aster, of the night without stars45. What interests me here is the way in which the experience of the es spukt, that is, the impossible experience of spectrality (i.e. the ghost is there, but does not exist; it is neither present nor absent) shares certain features with the il y a. The latter is an experience of the night, the night of imsomnia for Levinas or what Blanchot calls the other or essential night towards which the desire of the writer tends. It is also, crucially, an experience of haunting, it is the night of ghosts, which Levinas illustrates with the example of Banquo's ghost which returns after death to haunt Macbeth46. In the night of the il y a, which is also the space of 43 For a much fuller discussion of the il y a, see 'A Dying Stronger than Death (Blanchot with Levinas)', The Oxford Literary Review, Vol.15 (1993), pp. 81-131. 44 Cf. Existence and Existents, trans. A. Lingis (Kluwer, Dordrecht, 1978), pp. 57-64. 45 'A Dying Stronger than Death', op. cit. pp. 119-20. 46 Existence and Existents, op. cit. p. 62. It might be recalled that it is Levinas who writes in Time 102 Simon Critchley many of Blanchot's récits, the frontier between the living and the dead is criss- crossed: the living are unable to either live or die and the dead refuse to lie down. The il y a is an experience of the impossibility of death - horror of horrors - which Derrida has himself explored in his recent Aporias47. Death is the impossibility of my possibility which outstrips my powers, it is that of which I am ultimately unable (je ne peux plus pouvoir). With this in mind, we might explore some of the specters in Levinas's text, particularly his discus- sion of the return of le revenant of scepticism after its refutation, which, it has been claimed, is the specter of Derrida in Levinas's Autrement qu'être4S. However, the thought that I would like to pursue here is the following: might not the »quasi-atheist« messianism of SdM be linked with the es spukt and the il y a, not as a religious messianism, but precisely as an experience of atheistic transcendence? Does the impossible experience of the es spukt, the speciality of the messianic, look upwards to a divinity, divine justice, or even the starry heaven that frames the Moral Law, or rather does it not look into the radically atheist transcendence of the il y a, the absence, dis-aster and pure energy of the night that is beyond law? The Political I suggested above that what is perhaps most impressive and most urgent about SdM is its call for a re-politicization of deconstruction in terms of a Marxist hantologie. I also indicated two of the political consequences of a pre- deconstructive Marxist ontologie, and suggested that the logic of spectrality in Derrida could be linked to the neo-Gramscian logic of hegemony in the work of Ernesto Laclau. It is time to try and make good on these suggestions. In what we might justifiably refer to as his deconstruction of Marxism - that is, a reading that identifies a double gesture within Marx's texts - Laclau radicalizes Gramsci's critique of the economistic stagism and historical determinism of traditional Marxism.49 Roughly and readily, Laclau opposes the almost mecha- nistic vision of historical materialism advocated in the Second International and in certain Marxist texts (the example given is the Preface to the Contribu- andthe Other (op. cit. p. 72) that »it sometimes seems to me that the whole of philosophy is only a meditation on Shakespere«. 47 Trans. D. Dutoit (Stanford University Press, Stanford, 1993). 48 Robert Bernasconi, 'Skepticism in the Face of Philosophy', in Re-reading Levinas (Indiana University Press, Bloomington, 1991), pp. 149-61. 49 My brief presentation of Laclau's work is based on the eponymous opening essay from New Reflections on the Revolution of our Time (Verso, London, 1990, pp. 3-85), rather than Laclau and Mouffe's Hegemony and Socialist Strategy (Verso, London, 1985), which presents the same deconstruction of Marxism from within a genealogy of the concept of hegemony. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 103 tion to the Critique of Political Economy), with an account of history based on the irreducibility of class struggle and antagonism, a tendency that one can also find within Marx's texts, for example at the beginning of the Communist Manifesto. Thus, although Laclau would endorse the traditional Marxist ac- count of capitalism in terms of its often pernicious dislocatory effects, he does not think that these dislocations can simply be referred to the alleged eco- nomic and historical objectivity of contradictions between the forces and relations of production, the effects of the infrastructure on the superstructure, but are rather the consequence of continual 'hegemonic articulation's (for me, the key concept in Laclau's work), of incursions of the political and the ideological into the socio-economic-historical realm, where infrastructure and superstructure form what Gramsci would call a 'historical bloc'. Such hegemonic articulations temporarily fix or stabilize the meaning of social relations in a transient equilibrium. Such a 'hegemonic equilibrium' of the social is not to be transcended in a communist society free from power, contingency, antagonism and politics itself - the millenarian vision of commu- nist society that sometimes gets the better of Marx and which, with the privilege of hindsight, it is all too easy to confuse with the totalitarian myth of social transparency. In contradistinction to the traditional Marxist theodicy that would claim that the dislocations of capitalism lead inexorably to the simplification of the class structure, and the emergence of the proletariat as the revolutionary class and privileged agent of history, Laclau argues that the very dislocatory effects of late capitalism - what we might think of as the phenom- enon of combined and uneven development - lead instead to a progressive fragmentation of the social and a proliferation of social actors (for example, the decline in the organizing power of the state and in the credibility of traditional political parties and the increasing prominence of ethnic, national, sexual or ecological protest movements). Perhaps Laclau's most challenging and controversial thesis is that these phenomena of dislocation and fragmenta- tion lead not only to a proliferation of political possibilities, but are also the conditions under which something like freedom is possible; that freedom is a consequence of dislocation. The democratic transformation of society - what I still want to call socialism - is one of these political possibilities (and only one, there are others, particularly on the radical right, which have been signifi- cantly more successful at hegemonizing in recent decades), but there is no economic or historical inevitability to such an outcome. Socialism will only be the consequence or, better, the permanent activity of intense hegemonic articu- lation and political effort. It is, to say the least, unclear whether the traditional notion of the political party, confined within the nation state is adequate to such a task. An expanded notion of hegemony becomes a way of arguing for the primacy 104 Simon Critchley of politics over socio-economic relations, although the former can in no way proceed without continual reference to the latter and the former is done for the sake of the latter. As such, the concept of hegemony points in two different temporal directions at once: first, with regard to history, hegemony is a way of explaining how certain social relations became fixed, and shows that such fixing is not the consequence of the 'objective' contradiction of forces and relations of production, but rather is the product of contingency, antagonism and power, that is to say, it is the consequence of a decision (i.e. the transfor- mation of history into genealogy). Second, the concept of hegemony leaves the future radically open and indeterminate, which means that nothing is guaran- teed, but neither is anything lost, at least not yet. On this view, rather than standing at the end of history, it might be said that we stand at some sort of beginning, at the point when we can recognize the radical contingency and limitedness of our finitude. Such a situation need not lead to the pessimism of an Adorno or the passivity or the resignation of a later Heidegger, but can also be the condition for a »new militancy and new optimism«50. If deconstruction is the attempt to show the constitutive undecidability, radical incompletion or untotalizability of textual, institutional, cultural, social and economic structures, then hegemony is a theory of decisions taken in the undecidable terrain opened up by deconstruction, and which, in my view, is precisely the way in which we might begin to think about the politics of deconstruction51. The burning question here is whether and how we can com- bine the logic of deconstruction with the logic of hegemony: does undecidability paralyze the possibility of the decision or does it, on the contrary, enable it? With regard to SdM, the fate of the question of deconstruction and hegemony, to my mind, turns on how we interpret the following thought: in relation to the generalized dislocation of the contemporary world, Derrida claims, the messi- anic hesitates, it trembles; he writes, »This messianic hesitation does not paralyze any decision, any affirmation, any responsibility. On the contrary, it grants them their elementary condition. It is their very experience.« (SdM 269/169). Is messianic hesitation the experience of the decision? That is the question, as Hamlet might soliloquize. If our response is positive, then we might be able to solder the logics of deconstruction and hegemony at this point. In SdM, Derrida indeed speaks of hegemony, using the word - which is, to my 50 New Reflections on the Revolution of our Time, op. cit. p. 82. 51 In this regard, see Laclau's short article 'Discourse', in The Blackwetl Companion to Contemporary Political Philosophy, eds. R. Goodin & P. Pettit (Blackwell, Oxford, 1994), pp. 431-37. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 105 knowledge, relatively new to his vocabulary52 - on at least eight occasions (SdM 69[x2], 73[x2], 90, 91, 96-7, 149/37[x2], 40[x2], 51, 52, 55, 90), mostly during the discussion of Fukuyama and the so-called death of Marxism. The first time he uses the word, he even refers to Laclau's work, making the interesting and valid point that »Haunting belongs to the structure of every hegemony« (SdM 69/37). However, rather than viewing hegemony as a theory of the decision and the positive possibility of politicization, Derrida (mis)understands hegemony negatively in its traditional sense as domination. He writes, for example, that, »...a dogmatics is attempting to install its world- wide hegemony in paradoxical and suspect conditions. There is today in the world a dominant discourse...etc.« (SdM 90/51) This is unfortunate. However, if the concept of hegemony is (mis)understood traditionally in SdM, there is nonetheless, I believe, a logic of hegemony at work in the text. This logic turns around a phrase that forms part of the book's subtitle, and which, in Georges Sorel's terminology, we might describe as the mobilizing 'myth' of SdM: The New International571. In many ways, this is the key to SdM, but my worry is whether the key fits the lock of the present political situation. Derrida lists what he calls the ten afflictions of the 'New World Order' in a kind of tableau noir (SdM 134-39/81-84). After listing unemployment, homelessness and other woes, the final item on his list, which is privileged above the other terms {»surtout, surtout«, he writes, SdM 138/83) is the present state of international law, which he rightly sees as being dominated by the interests of certain 'hegemonic' nation states. In contradistinction to this, Derrida suggests that we require a New International that, »is being sought through these crises of international law, it already denounces the limits of a discourse on human rights that will remain inadequate, sometimes hypocriti- cal, and in any case formalistic...« (SdM 141/85). This reference to the formal- ism of human rights, echoing the Hegelian-Marxist critique of their abstrac- tion and one-sidedness, is illuminating and is followed by some qualifications of the New International. He writes of the bond around which something like solidarity might form, »It is a link of affinity, suffering and hope, a still discreet, almost secret link, like that around 1848, but more and more visible - we have more than a sign of it.« (SdM 141/85) Thus, the New International would be focussed around a common bond or link, that - at this point in history at least - is almost secret. Derrida goes on to claim that this bond would be, »...without party, without country, without national community (International before, across, and beyond any national determination), without co-citizen- 52 Although Derrida speaks of »l'hégémonie centralisatrice« and »l'hégémonie nationale« in L'autre cap (Minuit, Paris, 1991), pp. 45 & 48. 53 This notion is first introduced in Chapter 1 (SdM 58/29), but receives a fuller discussion as the centrepiece of Chapter 3. 106 Simon Critchley ship, without common belonging to a class.« (SdM 142/85) A strange bond, then: without reference to the figures of community, class, party, nation or the other traditional means of collective identification or hegemonization. Yet, Derrida insists, this bond of the New International is inspired by at least one of the spirits of Marxism. Which one? Clearly not the ontological Marxism of the proletariat, the party and the revolution characterized above as ontological. Derrida continues in a luminous passage, which I quote at length, »Now if there is a spirit ofMarxism which I will never be ready to renounce, it is not only the critical idea or the questioning stance (which Derrida qualifies on the previous page as the spirit of the Enlightenment, s.c.)...It is rather a certain emancipatory and messianic affirmation, a certain experience of the promise that one can try to liberate from any dogmatics and even from any metaphysico-religious determination, from any messianism. And a promise must promise to be kept, that is, not to remain 'spiritual' or 'abstract', but to produce events, new forms of action, ofpractice, of organization, etc. To break with the 'party form ' or with such and such form of the State or the Interna- tional does not mean to renounce every form ofpractical or effective organiza- tion. It is exactly the contrary that matters to us here.« (SdM 146-47/89) I couldn't agree more. The New International must be in the spirit of the Marxist idea of critique (critique of ideology and of capital) and the quasi- atheist notion of messianic affirmation or promise that we discussed above and which proceeds in the name of justice and emancipation. Furthermore, such critical and messianic promises must be made with the intention of being kept, and thus the promise of the New International must in its turn give rise to new forms of organization, activism and political aggregation. In relation to what I said above about the injunctions of différance and la démocratie à venir, the urgency of the New International cannot be deferred or postponed indefinitely; it must be approached in messianic terms as / 'ici maintenant sans présence. The New International is happening now, at this very moment; Derrida writes, »And there are signs. It is like a new International, but without a party, or organization, or membership. It is searching and suffering, it believes that something is wrong, it does not accept the 'new world order'...«5* To my mind, Derrida would here seem to be trying to sketch the preconditions for a new socialist hegemonic articulation, a political decision taken in the name of justice and in the face of the world's afflictions. The only question I have here is the following: how is the New International to be hegemonized? What forms and means should it employ? Around what 54 'The Deconstruction of Actuality', op. cit. p. 39. The Hypothesis, the Context, the Messianic, the Political. 107 figures should it agitate? Should it agitate around figures? Who does it in- clude? Who does it oppose? Does it oppose? Does it exclude? I do not have convincing answers to these questions and I am not really in the habit of delivering prophecies to the masses, but, in closing, let me hasard three critical thoughts. 1. I find Derrida's suggestions on the subject of the New International a little vague, suggesting that, »...the new International belongs only to anonymity.« (SdM 148/90) He goes on, in the same paragraph, to suggest that within the academic and intellectual world, the New International includes those who have resisted the anti-Marxist dogma of recent years and remained hyper- critical in the Enlightenment spirit, without renouncing the ideals of democ- racy and emancipation. Who does Derrida have in mind here? Jiirgen Habermas? 2. Also, the limits of the New International begin to look a little vague when Derrida writes that, »Whether they wish it or know it or not, all men and women, all over the earth, are today to a certain extent the heirs of Marx and Marxism.« (SdM 149/91) Perhaps this is right. But so what? Couldn't the same be said - perhaps with even greater justification - about Adam Smith or John Locke? Are we not all heirs to their marketing strategies? Thus, there is the risk of a rather empty universalism on Derrida's part at this point. 3. Finally, on the question of organization, although Derrida is rightly dubious of the idea of a communist party as the privileged and sole means for revolu- tionary transformation, he tends to link this to a rather questionable historical positivism which claims that, »What tends perhaps to disappear in the political world that is announcing itself, and perhaps in a new epoch of democracy, is the domination of this form of organization called the party...« (SdM 167/102) Again, on the next page, he says of this hypothesis »...that this mutation has already begun; it is irreversible.« (SdM 168/103) Derrida tags two claims onto this hypothesis: (i) that the correlate of the party, i.e. the state, is also ex- hausted; and (ii) that the notion of the party cannot adapt to the exigencies of the contemporary public space with its domination by the media and tele- technology. In relation to this second point, I have two words to offer: Forza Italia. If Derrida is right, how does one explain the brief but stunning electoral success of this alliance which would seem (entirely cynically, to my mind) to combine a fairly classical party structure with the exigencies of the televisual media forms? An analysis of the 1994 elections in South Africa, although with a more progressive outcome, might also consider this question of the relation between the party form (in this case, the ANC), the media and the democratic process. However, to return to the first point, my question is the following: if the political party is not an adequate vehicle for promoting something like a New International, which might be justified although I have my (doubtless 108 Simon Critchley nostalgic) doubts about this, then how does one hegemonize something like the New International outside of traditional party structures? What means of identification, figuration and hegemonization are available? Furthermore, how does one work outside traditional party structures without collapsing into a 'divide and rule' designer politics of individualism or confining oneself to the always modest socio-economic changes of single issue politics, or, worst of all worlds, devoting oneself to an intra-academic politics of vacuous radicalism and reaction? »The Time is out of Joint« Ernesto Laclau »Comme cette fin singulière du politique correspondrait à la présentation d'une réalité absolument vivante il y a là une raison de plus pour penser que l'essence du politique aura toujours la figure inessentielle, l'anessence même d'un fantôme« Jacques Derrida, Spectres de Marx. Halfway, in Spectres de Marx, Derrida links the concept of production to that of trauma and speaks of »la spiritualisation spectrale qui est à l'oeuvre dans toute 'tekhne ' (SM, p. 16). He connects immediately this asser- tion to Freud's remarks concerning the three traumas inflicted to the narcis- sism of the de-centered man: the psychological trauma derived from the psychoanalytic discovery of the unconscious, the biological trauma resulting from the Darwinian findings about human descent, and the cosmological trauma proceeding from the Copernican revolution. To this Derrida adds the decentering effects coming from Marxism which, according to him, accumu- late and put together the other three: »le siècle du 'Marxisme' aura été celui du décentrement techno-scientifique et effectif de la Terra, du géopolitique, de Y anthropos dans son identité onto-theologique, de Y ego cogito - et du concept même de narcissisme dont les apories sont, disons pour aller trop vite et faire l'économie de tant de références, le thème explicite de la déconstruction« (SM, pp. 161-162). So, deconstruction inscribes itself in a secular movement of de-centering, to which Marxism itself belongs. Even more, at various points of Spectres de Marx, Derrida insists that deconstruction would be either inconceivable or irrelevant unless it is related to the spirit or the tradition of a certain Marxism. And, however, deconstruction is not just Marxism: it is a certain operation practised in the body of Marxism, the location, in Marx's texts of an area of undecidability which, in Derrida's terms, is that circumscribed by the opposi- © Johns Hopkins University Press. Reprinted by permission of the Johns Hopkins University Press. Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 109-123. 110 Ernesto Laclau tion between spirit and spectre, between hauntology and ontology. The per- forming of this deconstructive operation - to which the last two chapters of the book are devoted - is far from being a purely academic exercise: the very possibility of justice - but also of politics - is at stake. Without the constitutive dislocation that inhabits all hauntology - and that ontology tries to conceal - there would not be politics but just a programmed, predetermined reduction of the other to the same. (»On passe facilement du désajusté à l'injust. C'est notre problème: comment justifier ce passage du désajustement (valeur plutôt technico-ontologique affectant une présence) à une injustice qui ne serait plus ontologique? Et si le désajustement était au contraire la condition de la justice? Et si ce double registre condensait son énigme, justement, et potentialisait sa sur-puissance dans ce qui donne sa force inouïe à la parole de Hamlet: The time is out of joint?« (SM, p. 44).) To find a double logic in Marx's work, to detect in the Marxian texts a double gesture that the theory makes possible but that it is unable to conceptually control in a credible synthesis: all this looks rather familiar. Since the end of the XlXth Century, this duality, deeply inscribed in Marx's work, has been the object of countless analyses. The duality between determinism and ethical orientation of socialism, between economism and the primacy of politics, even between the »scientific« and »ideological« components of the theory, have been not only recurrent themes in Marxist discussions but the very issue which has made possible a history of Marxism. However, none of these apparent reformulations of the terms of a widely perceived dualism has been similar to the others. We are not dealing with a purely nominalistic operation of re- naming: the displacement that these reformulations operate, the logics of the social that they imply and, above all, the political strategies that they make possible, are radically different. Derrida does not trace the genealogy of his intervention in the Marxian text. This is regrettable, among other things because its specificity, originality and potentialities do not come sufficiently to the light. In what follows, I will try to stress some of these specific features, as well as their originality vis-à-vis other comparable attempts. To this effect, I will refer to what I think are two central theoretical points in Derrida's book: the logic of the spectre (the hauntology) and the category of messianism. The Logic of the Spectre »(L)e spectre est une incorporation paradoxale, le devenir corps, une certain forme phénoménale et charnelle de l'esprit. Il devient plutôt quelque 'chose' qu'il rests difficile à nommer: ni âme ni corps, et l'une et l'autre. Car la chaire et la phénomenalité, voilà ce qui donne à l'esprit son apparition spectrale, mais disparaît aussitôt dans l'apparition, dans la venue même du revenant ou le »The Time is out of Joint« 111 retour du spectre. Il y a du disparu dans l'apparition même comme réapparition du disparu« (SM, p. 25). Anachronism is essential to spectrality: the spectre, interrupting all specularity, desynchronizes time. The very essence of spectrality is to be found in this undecidability between flesh and spirit: it is not purely body - for in that case there would be no spectrality at all; but it is no pure spirit either - for the passage through the flesh is crucial if we are going to have a spectre. »Car il n'y a pas de fantôme, il n'y a jamais de devenir-spectre de l'esprit sans au moins une apparence de chaire, dans un espace de visibilité invisible, comme dis-paraître d'une apparition. Pour qu'il y a du phantôme, il faut un retour au corps, mais à un corps plus abstrait que jamais. Le processus spectrogène répond donc à une incorporation paradoxale. Une fois l'idée ou la pensée (Gedanke) détachées de leur substrat, on engendre du phantôme en leur donnant du corps« (SM, p. 202). From this point onwards, Derrida makes a classic deconstructive move: the spectre being undecidable between the two extremes of body and spirit, these extremes themselves become contaminated by that undecidability. Thus, hav- ing showed how, in Marx's analysis of commodity, exchange value depends for its constitution on a spectral logic, Derrida concludes that this logic is not absent from use value either: »Ladite valeur d'usage de ladite chose sensible ordinaire, la hylè simple, le bois de la table de bois dont Marx suppose qu'elle n'a pas encore commencé à 'danser', il a bien fallu que sa forme même, la forme qui informe sa hylè, la promette au moins à l'iterabilité, à la substitution à l'exchange, à la valeur, et qu'elle amorce, si peu que ce soit, une idéalisation qui permette de l'identifier comme la même à travers des répétitions possibles, etc. Pas plus qu'il n'y a d'usage pur, il n'y a aucune valeur d'usage que la possibilité de l'échange et du commerce ... n'inscrive d'avance dans un hors- d'usage - signification débordante qui ne se réduit pas à l'inutile« (SM, p. 254). In the same way, if the spirit is something whose invisibility has to produce its own visibility of the invisible, nothing is more difficult than to keep a strict separation between spirit and spectre. Once this point has been reached, the conclusion follow quickly. We find in Marx an hauntology, an argument about spectrality being at the very heart of the constitution of the social link. Time being »out of joint«, dislocation corrupting the identity with itself of any present, we have a constitutive anachronism which is at the root of any identity. Any »life« emerges out of a more basic life/death dichotomy - it is not »life« as uncontamined presence but »survie« which is the condition of any presence. Marx, however, attempted the critique of the hauntological from the perspective of an ontology. If the spectre inhabits the root of the social link in bourgeois society, the transcendence of the latter, the arrival to a time which is no longer »out of joint«, the realization of a society fully reconciled with itself, will open the way to the »end of ideology« - i.e. to a purely »ontologi- 112 Ernesto Laclau cal« society which, after the consummation of the proletarian millennium, will look to hauntology as its past. Hauntology is inherent to politics - so, the transcendence of the split between being and appearance will mean the end of politics. (We could, actually, put the argument in Saint-Simonian terms: the transition from the government of men to the administration of things.) If, however, the deconstructive reading shows that »ontology« - full reconcilia- tion - is unachievable, that time is constitutively »out of joint«, that the ghost is the condition of possibility of any present, politics becomes also constitutive of the social link. We could say of the spectre what Groucho Marx said about sex: it is going to stay with us for a while. This contamination of presence by the spectre can be considered from the two perspectives involved in a double genetive. There are, in the first place, spectres of Marx, as far as Marx himself - an abbreviation for communism - is haunting us today as a horizon preventing the possibility of being finally exorcised by the apparently triumphant capitalist »democracies« (here the main reference is Fukuyama). But there are also spectres of Marx, as far as they were those that visited Marx himself and prevent him from establishing a non-haunting ontology. Thus, the ground that we reach - that of a present never identical with itself - is the very terrain of this phantasmatic, non- essential practice that we call politics. What to comment about this Derridean sequence? A first remark - first both temporally and logically - is that I have nothing to object to. The deconstructive operation is impeccable, the horizons that it opens are far reaching and the intertextuality within which it takes place is highly illuminating. However, as any deconstruction worth of the name, there is a plurality of directions one can move out of it, and it is to consider this plurality that I would like to pause for a moment. My own work has largely concentrated on the deconstruction of Marxist texts and I could, prima facie, relate what I have called hegemonic logic1 - which silently deconstructs Marxist categories - to the logic of the spectre as described by Derrida. Not only me - there have been several recent attempts to link »deconstruction« and »hegemony«. Simon Critchley, for instance, in a recent piece, has asserted: »Against the troubling tendency to subordinate the political to the socio-economic within Marx's »ontology« ... Derrida's argument for a logic of speciality within Marxism can be linked to the claim for the irreducability of the political understood as the moment where the sedimented meanings of the socio-economic are contested. ' The basic formulation concerning the concept of »hegemony« can be found in E. Laclau and C. Mouffe, Hegemony and Socialist strategy, Verso, London 1985, chapters 3 and 4. I have reformulated the basic dimensions of this concept, linking it more closely to the category of »dislocation« in New Reflections on the Revolution of our Time, Verso, London 1990. »The Time is out of Joint« 113 Following Ernesto Laelau's radicalization of Gramsei, one might link the logic of spectrality to the logic of hegemony; that is, if one renounces - as one must - the communist eschatological »a-theodicy« of the economic contradic- tions of capitalism inevitably culminating in revolution, then politics and politico-cultural-ideological hegemonization is indispensable to the possibil- ity of radical change«.2 I hesitate, however, before entirely endorsing such an apparently obvious assimilation. The reason for this is that, although there is no incompatibility between hegemony and spectral logic as far as the latter goes, a hegemonic logic presupposes some further steps beyond spectrality which I am not sure that Derrida is prepared to take: These steps are essentially two: 1. Spectrality presupposes, as we have seen, an undecidable relation between spirit and flesh which contaminate, in turn, these two poles. It presupposes, in that sense, a weakened form of incarnation. Weakened because a full incarnation - an incarnation in the Christian sense - transforms the flesh into a purely transparent medium through which we can see an entirely spiritual reality without any connection with its incarnating body. God's mediation is what establishes the link between spirit and flesh as far as He is at an infinite distance from both. So, the lack of natural connection between both poles is what transforms the flesh into the medium through which the spirit shows itself, but, at the same time, it is this lack of connection which prevents the contamination of one by the other. No doubt that Christian polarity can be deconstructed in turn, but the important point is that this deconstruction will not pass through the collapse of the frontier between spirit and spectre. For in the spectre the relation between spirit and flesh is much more intimate: there is no divine mediation which both sanctions and supersedes the essential heterogeneity of the two poles. Now, a hegemonic relation is one in which a certain body presents itself as the incarnation of a certain spirit. The hegemonic relation is certainly spectral: a certain body tries to present its particular features as the expression of something transcending its own particularity. The body is in an undecidable point in which universality and particularity get confused, but the very fact that other bodies compete to be the incarnating ones, that they are alterna- tive forms of materialization of the same »spirit«, suggest a kind of autonomization of the latter which cannot only be explained by the pure logic of spectrality. 2. Of what does this autonomization consist? This is our second step. Let us remember that any step which is taken out of the logic of spectrality cannot 2 S. Critchley, »On Derrida's Spectres of Marx«., paper delivered in October 1994 to the meeting of the Society for Phenomenology and Existential Philosophy in Seattle. 114 Ernesto Laclau be in contradiction to the latter but has, on the contrary, to presuppose it. If the autonomization of the »spirit« is to take place within spectrality, »au- tonomy« cannot mean identity with oneself, self-representation, because that would, precisely, restore a rigid frontier between »spirit« and »spec- tre«. But autonomy does not require full identity as its precondition: it can also emerge out of a constitutive impossibility, an absolute limit whose forms of representation will be necessarily inadequate. Let us suppose a situation of generalized social disorder: in such a situation »order« be- comes the name of an absent fullness, and if that fullness is constitutively unachievable it cannot have any content of its own, any form of self- representation. »Order« becomes thus autonomous vis-à-vis any particular order as far as is the name of an absent fullness that no concrete social order can achieve (and the same can be said of similar terms such as »revolu- tion«, »unity of the people«, etc.). That fullness is present, however, as that which is absent and needs as a result to be represented in some way. Now, its means of representation will be constitutively inadequate, for they can only be particular contents which assume, in certain circumstances a func- tion of representation of the impossible universality of the community. This relation, by which a certain particular content overflows its own particularity and becomes the incarnation of the absent fullness of society is, exactly, what I call a hegemonic relation. As we can see, it presupposes the logic of the spectre: the fullness of the »spirit«, as it has no content of its own, can only exist through its parasitic attachment to some particular body; but that body is subverted and deformed in its own particularity as it becomes the embodiment of fullness. This means, inter alia, that the anachronistic language of revolutions, which Marx refers to and Derrida analyses is inevitable: the old revolution is present in the new one, not in its particularity but in its universal function of being a revolution, as the incarnation of the revolutionary principle as such. And the Marxian aspira- tion of a revolutionary language which only expresses the present, in which the »content« overcomes »phraseology« is a pure impossibility. If the fullness of the revolution - as all fullness - is unachievable, we cannot have but a dissociation between the revolutionary content and the fullness of a pure revolutionary foundation, and this dissociation will reproduce sine die the logic of spectrality and the split between »phraseology« and »content«. What precedes is an attempt at showing the type of move that I would make out of the logic of spectrality. But, as I said, it is not the only move that one can make. The steps which lead from the logic of spectrality to a hegemonic logic are steps which the former logic makes certainly possible, but not necessary corollaries derived from it. But what political consequences does Derrida himself draw from his »The Time is out of Joint« 115 deconstruction of Marx's texts? Although these consequences are not entirely developed in his book, we can have a broad hint of the direction that Derrida is taking, if we move to our second theme: the question of the messianic. The Question of the Messianic Let us quote Derrida again. After having indicated that both Marxism and religion share the formal structure of a messianic eschatology, he asserts: »Si elle [the messianic eschatology] leur est commune [to Marxism and religion], à la différence près du contenu ... c'est aussi que sa structure formelle les déborde ou les précède. Eh bien, ce qui reste aussi irréductible à toute déconstruction, ce qui demeure aussi indéconstructible que la possibilité même de la déconstruction, c'est peut-être une certain expérience de la promesse émancipatoire; c'est peut-être même la formalité d'un messianisme structurel, un messianisme sans religion, un messianique, même, sans messianisme, une idée de la justice - que nous distinguons toujours du droit et même des droits de l'homme - et une idée de la démocratie - que nous distinguons de son concept actuel et de ses prédicats déterminées aujourd'hui« (SM, p. 102). Here Derrida summarizes themes that he developed in full in Force de loi3. These themes and concepts require, however, that they are reinserted in the various discursive contexts within which they were originally formulated, firstly because these contexts considerably diverge between themselves and, secondly, because the high metaphoricity of some of the categories employed - such as the messianic - can lead to an undue association of those categories with the concrete phenomena to which they are usually applied. I cannot properly do this job in the limited space of a review, but let us, at least, make some precisions. By the »messianic« we should not understand anything directly related to actual messianic movements - of the present or the past - but, instead, something belonging to the general structure of experience. It is linked to the idea of »promise«. This does not mean this or that particular promise, but the promise implicit in an originary opening to the »other«, to the imprevisible, to the pure event which cannot be mastered by any aprioristic discourse. Such an event is an interruption in the normal course of things, a radical dislocation. This leads to the notion of »justice« as linked to an absolute singularity which cannot be absorbed by the generality of law. The chasm between law and justice is one which cannot be closed. The existence of this chasm is what makes deconstruction possible. Deconstruction and justice - or, rather, deconstruction as justice - is that which cannot be deconstructed. Deconstructing law - which is finally what politics is about - is possible 3 J. Derrida, »Force of Law: The 'Mystical Foundation of Authority'«, in D. Cornell et al. (ed.), Deconstruction and the Possibility of Justice, Routledge, New York and London, 1992. 116 Ernesto Laclau because of this structure of experience in which the messianic, the promise and justice are categories in a relation of mutual implication. On the basis of these promises Derrida elaborates his concept of »democracy to come« (»démocratie à venir«). This »à venir« does not involve any ideo- logical assertion - not even the limited one of a regulative idea - but simply the continual commitment to keep open the relation to the other, an opening which is always à venir for the other to which one opens oneself is never already given in any aprioristic calculation. To summarize: the messianism we are speaking about is one without eschatology, without pre-given promised land, without determinate content. It is simply the structure of promise which is inherent in all experience and whose lack of content - resulting from the radical opening to the event, to the other, is the very possibility of justice and gives its only meaning to the democracy to come. Singularity as the terrain of justice involves the radical undecidability which makes the decision possible. »11 s'agissait alors de penser une autre historicité ... une autre ouverture de l'événementalité comme historicité qui permît de ne pas y renoncer mais au contraire d'ouvrir l'accès à une pensée affirmative de la promesse messianique et émancipatoire comme promesse: comme promesse et non comme programme ou dessein onto-théologique ou téléo-eschatologique ... Mais à un certain point la promesse et la décision, c'est-à-dire la responsabilité, doivent leur possibilité à lépreuve de l'indecidabilité qui en restera toujours la condition« (SM, pp. 125-26). What to say about the various theoretical operations that Derrida performs starting from this conceptual construction? I think that we can distinguish here three levels. The first refers to the deconstruction of the concept of messianism that we have inherited from the religious but also from the Marxist tradition. This deconstruction proceeds by showing the contingent character of the articulations which have coalesced around the actual historical messianism. We can do away with the teleological and eschatological dimensions, we can even do away with all the actual contents of the historical messianisms but what we cannot do away with is the »promise«, because the latter is inscribed in the structure of all experience. This, as we have seen, is not a promise of anything concrete, it is some sort of »existential«, as far as it is what prevents any presence from being closed around itself. If we link this to the relation law/justice, undecidability/decisions, we can see the general movement of Derrida's theoretico-political intervention, which is to lead back the historico- political forms to the primary terrain of their opening to the radically heteroge- neous. This is the terrain of a constitutive undecidability, of an experience of the impossible which, paradoxically, makes possible responsibility, the deci- sion, law and - finally - the messianic itself in its actual historical forms. I find myself in full agreement with this movement. »The Time is out of Joint« 117 Derrida's argument, however, does not stop here. From this first movement (and, for reasons that will become clear presently, I keep this »from« deliber- ately vague, undecided between the derivative and the merely sequential) he passes to a sort of ethico-political injunction by which all the previously mentioned dimensions converge in the project of a democracy to come which links with the classical notion of »emancipation«. Derrida is very firm in his assertion that he is unprepared to put at all the latter into question. But we have to be very careful about the meaning of such a stand, because the classical notion of emancipation is no more than another name for the eschatological messianism that he is trying to deconstruct. We have to differentiate here between various aspects. If by reasserting the classical notion of emancipation Derrida does not mean anything beyond his particular way of reasserting messianism - i.e. doing away with all the teleo- ontological paraphernalia of the latter and sticking to the moment of the »promise« - then I would certainly agree with him, but in that case the classic idea of emancipation, even if we retain from it an ultimately undeconstructible moment, is deeply transformed. I find it rather misleading to call this operation a defence of the classic notion of emancipation. But - second aspect - the classic notion of emancipation was something more than the formal structure of the promise. It was also the crystallization and synthesis of a series of contents such as the elimination of economic exploitation and all forms of discrimination, the assertion of human rights, the consolidation of civil and political freedom, etc. Derrida, understandably, does not want to renounce to this patrimony and it would be difficult not to join him in its defence. The difficulty, however, is that in the classic notion of emancipation the defence and grounding of all those contents were intimately connected to the teleologi- cal eschatology that Derrida is deconstructing. So, if he wants to maintain the results of his deconstruction and, at the same time to defend those contents, as the ground of the latter can no longer be an eschatological articulation, there are only two ways opened to him: either to show that those contents can be derived from the »promise« as a general structure of experience; or to sustain that those contents are grounded in something less than such a general struc- ture - in which case the »promise« as such is indifferent to the actual nature of those contents. There is, finally, a third aspect to be distinguished. The previous distinctions have to be put against the background of what is the real target of Derrida's discussion in Spectres de Marx: the exposure of a prevalent common sense (that he exemplifies through his brilliant critique of Fukuyama) according to which the collapse of the communist regimes would have meant the entering of humanity in a final stage in which all human needs will be satisfied and in which no messianic consummation of times is any longer to be expected. 118 Ernesto Laclau Derrida reacts against this new dominant consensus and its Hegelo-Kojevian grounding by showing, at empirical level, the gap between historical reality and the satisfied image of itself of the capitalist West and, at the theoretical level, the inconsistencies of the notion of an end of History. It is against the background of this polemic that the whole discourse about the always return- ing spectres of Marx has to be understood. What Derrida is finally saying is that isolated demands, grievances, injustices, etc. are not empirical residues of an historical stage which has - in all essentials - been superseded, but that they are, on the contrary, the symptoms of a fundamental deadlock of contempo- rary societies that pushes isolated demands to some kind of phantasmatic articulation which will result in new forms of political reaggregation. The latter are not specified beyond Derrida's quick allusions to the historical limits of the »party« form and to a »New International« in the making. It is however clear that any advance in formulating a theory of political reaggregation cru- cially depends on how the transition between the general structure of experi- ence - the promise - and the contents of the classical emancipatory project is conceived. This is the third level at which the argument of Spectres de Marx can be considered: the type of link which it establishes between the promise as a (post-) transcendental or (post-) ontological (non-) ground and the ethical and political contents of an emancipatory project. This is the level at which I find the argument of Spectres less convincing. For here an illegitimate logical transition can easily be made. I am not necessarily asserting that Derrida is making that transition but, at any rate, it is one frequently made by many defenders of deconstruction and one to which the very ambiguity of the Derridian texts gives some credence. The illegitimate transition is to think that from the impossibility of a presence closed in itself, from an »ontological« condition in which the openness to the event, to the heterogeneous, to the radically other is constitutive, some kind of ethical injunction to be respon- sible and to keep oneself open to the heterogeneity of the other necessary follows. This transition is illegitimate for two reasons. Firstly, because if the promise is an »existential« constitutive of all experience, it is always already there, before any injunction. (It is like the voluntaristic argument criticised by Ortega y Gasset: on the one hand it asserts that life is constitutive insecurity; on the other, it launches the imperative Vivere pericolosamente, as if to do it or not to do it was a matter of choice). But, secondly and most importantly, from the fact that there is the impossibility of ultimate closure and presence, it does not follow that there is an ethical imperative to »cultivate« that openness or even less to be necessarily committed to a democratic society. I think that the later can certainly be defended from a deconstructionist perspective, but that defence cannot be logically derived from constitutive openness - something »The Time is out of Joint« 119 more has to be added to the argument. Precisely because of the undecidability inherent in constitutive openness, ethico-political moves different or even opposite to a democracy »to come« can be made - e.g. that as there is ultimate undecidability and, as a result, no immanent tendency of the structure to closure and full presence, closure has to be artificially brought about from the outside. In that way a case for totalitarianism can be presented starting from deconstructionist premises. Of course, the totalitarian argument would be as much a non sequitur as the argument for democracy: the decision to move in one or the other direction are equally possible given the situation of structural undecidability. We have so far presented our argument concerning the non-connection be- tween structural undecidability and ethical injunction, starting from the »onto- logical« side. But if we move to the »normative« side, the conclusions are remarkably similar. Let us suppose, for the sake of the argument, that open- ness to the heterogeneity of the other is an ethical injunction. If one takes this propositions at face value, one is forced to conclude that we have to accept the other as different because she is different, whatever the content of that hetero- geneity would be. This does not sound very much like an ethical injunction, but as ethical nihilism. And if the argument is reformulated by saying that openness to the other does not necessarily mean passive acceptance of her but rather active engagement which includes criticizing her, attacking her, even killing her, the whole argument starts looking rather vacuous: what else do people do all the time without any need for an ethical injunction? And, however, I think that deconstruction has important consequences for both ethics and politics. These consequences, however, depend on decon- struction's ability to go down to the bottom of its own radicalism and avoid becoming entangled in all the problems of a Levinasian ethics (whose pro- claimed aim: to present ethics as first philosophy, should look from the start suspicious to any deconstructionist). I see the matter this way. Undecidability should be literally taken as that condition from which no course of action necessarily follows. This means that we should not make it the necessary source of any concrete decision in the ethical or political sphere. That is, that in a first movement deconstruction extends undecidability - i.e. that which makes the decision necessary - to deeper and larger areas of social relations. The role of deconstruction is, from this perspective, to reactivate the moment of decision which underlie any sedimented set of social relations. The political and ethical significance of this first movement is that by enlarging the area of structural undecidability it enlarges also the area of responsibility - that is, of the decision. (In Derridean terms: the requirements of justice become more complex and multifacetic vis-à-vis law.) 120 Ernesto Laclau But this first movement is immediately balanced by another one of the oppo- site sign, which is also essential to deconstruction. It would be wrong to think of undecidability as a bottomless abyss which underlies any self-sufficient »presence«. This approach still maintains too much of the imagery of the »ground«. The duality undecidability/decision is simply something which belongs to the logic of any structural arrangement. De-grounding is, in this sense, also part of an operation of grounding, except that grounding is no longer to refer something back to a foundation which would act as a principle of derivation but, instead, to reinscribe that something within the terrain of the undecidables (iteration, re-mark, differance, etc.) which make its emergence possible. So, to go back to our problem, it is no longer a question of finding a ground from which an ethical injunction should be derived (even less to make of undecidability itself such a ground). We live as bricoleurs in a plural world, having to take decisions within incomplete systems of rules (incompletion means here undecidability) and some of these rules are ethical ones. It is because of this constitutive incompletion that decisions have to be taken, but because we are faced with incompletion and not with total dispossession, the problem of a total ethical grounding - either through the opening to the otherness of the other, or through any similar metaphysical principle - never arises. »The time is out of joint«, but because of that there is never a beginning - nor an end - of time. Democracy does not need - and cannot be - radically grounded. To move to a more democratic society we can only do through a plurality of acts of democratization. The consummation of times - as Derrida knows well - never arrives. Not even as a regulative idea. This leaves us, however, with a problem: how to conceive of emancipation within this framework? What kind of collective reaggregation is open to us once we have moved away from the eschatological dimension of the classical emancipatory model? This will be my last discussion and I will broach it by locating Derrida's intervention within the tradition of critique and reformula- tion of Marxism. The Question of the Tradition Derrida very cogently sustains that one only thinks from within a tradition and shows that this thinking is only possible if one conceives one's relation with that past as a critical reception. Now, the reception of Marxism since the turn of the century has turned, in my view, around the discussion of two capital and interrelated issues: 1) how to make compatible - if it can be done at all - the various contradictory aspects of Marx's thought - as, in Derrida's version the relation between the »ontological« and the »phantasmatic«; 2) how to think forms of reaggregation of political wills and social demands once the obvious- »The Time is out of Joint« 121 ness of the identification of the working class with the emancipatory agency started to dissolve. It is my contention that the deconstructionist intervention represents a crucial turn in connection with both issues. To show it, let us recapitulate the broad lines of the main classical attempt at recasting Marxism. 1) A first tendency represents the accentuation of the ontological dimension (in the Derridean sense) of Marx's thought. The absolute reconciliation of society with itself will arrive as a result of the elimination of all forms of distorted representation. The latter will be the consequence of the proletar- ian revolution. This tendency can be found in a vulgar materialist version (e.g. Plekhanov) or in an apparently more »superstructuralist« one, cen- tered in the notion of »false consciousness« (as in Lukacs). There is here no reaggregation of collective wills (the revolutionary agent is the working class) and human emancipation is fixed in its contents by a fully fledged eschatology. 2) The various forms of »ethical« socialism, to be found in Bernstein and in some currents of Austro-Marxism. The common feature of all these ten- dencies is a return to a Kantian dualism. Here the ontological dimension becomes weaker: the »necessary laws of history« become more erratic, the agent of emancipation becomes more contingent and indeterminate and the Endziel loses most of its eschatological precision. However, the determinacy which has been lost at the level of an objective history is retrieved at the level of an ethical regulative idea. The moment of the political decision is as absent as in Marxist orthodoxy. 3) The Sorelian-Gramscian tradition. It is here that the phantasmatic dimen- sion finally takes the upper hand. The anchorage of social representations in the ontological bedrock of an objective history, starts dissolving. The unity of the class is, for Sorel, a mythical unity. For Gramsci, the unity of a collective will results from the constitutive role of an organic ideology. History becomes an open and contingent process which does not reflect any deeper underlying reality. Two aspects are important for us: a) the link between concrete material forces and the function that they fulfil in the classical Marxist scheme become loose and indeterminate. »Collective will«, »organic ideology«, »hegemonic group«, etc. become empty forms which can be filled by any imaginable political and social content. They are certainly anchored in a dialectics of emancipation, but as the latter is not necessary linked to any particular content, it becomes something like an »existential« of historical life and is no longer the announcement of a concrete event. Now, is this not something like a deconstruction of eschatological messianism, the autonomization of the messianic promise from the contents that it is attached to in »actually existing« messianisms? b) the distinction between the ethical and the political is blurred. The 122 Ernesto Laclau moment of the ethico-political is presented as a unity. This can, of course, be given a Hegelian interpretation, but my argument is that this would be a wrong reading for what is really at stake in Gramsci's intervention is a politization of ethics as far as the acts of institution of the social link are contingent acts of decision which presuppose relations of power. This is what gives its »ontological« primacy to politics and to »hegemony« as the logic governing any political intervention. I have said enough to make clear that for me it is only as an extension and radicalization of this last tendency that deconstruction can present itself both as a moment of its inscription in the Marxist tradition as well as a point of turning/deepening/supersession of the latter. My optimistic reading of Spec- tres de Marx is that it represents a step forward in the prosecution of this task. The main stumbling block that I still see for this to be accomplished - at least as far as Derrida is concerned - is that the ambiguity previously pointed out between undecidability as a terrain of radicalization of the decision and undecidability as the source of an ethical injunction is still hovering in Derrida's texts. As far as this ambiguity is, however, superseded deconstruction can become one of the most powerful tools at hand for thinking strategically. This rethinking of politics in a deconstructive fashion can (if we start from the Marxist tradition) produce three types of effect. In the first place, if we are thinking in our third tendency within Marxism, we can recast and extend its system of categories far beyond the intellectual tools to which Sorel or Gramsci had access. This recasting in terms of the logic of differance can open the way to much more refined forms of strategic thinking. Secondly, the logics of hegemonic reaggregation face, in the contemporary world, much more serious challenges than those that a Gramsci was con- fronted with. Our societies are far less homogeneous that those in which the Marxian models were formulated and the constitution of the collective wills take place in terrains crossed by far more complex relations of power - as a result, inter alia, of the development of the mass media. The dissolution of the metaphysics of presence is not a purely intellectual operation. It is profoundly inscribed in the whole experience of the last decades. Deconstruction, as a result, faces the challenge of reinscribing the Marxian model in this complex experience of present day society. Finally, operating deconstructively within Marx's texts can help in a third vitally important task: reinscribing Marxism itself and each one of its discur- sive components as a partial moment in the wider history of emancipatory discourses. Derrida is quite right in combating the current amnesia of the Marxist tradition. But let us not make the opposite mistake and think that the history of Marxism overlaps with the history of emancipatory projects. Many »The Time is out of Joint« 123 more ghosts that those of Marx are actually visiting and re-visiting us. Benjamin's angel should become a symbol constantly reminding us of our complex and multi-layered tradition. I remember that during my childhood, in Argentina, in the cinemas of continuous performance there was an announce- ment saying »The performance begins when you arrive«. Well, I think that »emancipation« is the opposite: it is a performance to which we always arrive late and which forces us to guess, painfully, about its mythical or impossible origins. We have, however, to engage ourselves in this impossible task which is, among other things, what gives its meaning to deconstruction. A significant contribution to one of the most important strains of current political theory... R E C O N S I D E R I N G T H E P O L I T I C A L Edited by David Howarth and Alet ta J. Norval Department of Government, University of Essex, United Kingdom Reconsidering the Political centres on a rethinking of the political in late modernity from a poststructuralist perspective. I t includes international contributions dealing with the form and character of political spaces and institutions in the present; contemporary theoretical debates concerning the relationship between state and civil society, and politics and ethics; as well as more concrete historical analyses. Reconsidering the Political provides an ambitious contribution to a recasting of traditional problematics of political philosophy and the development of political analysis in terms of the insights of poststructuralist theory. C O N T E N T S | Politics, Ethics, Identity: Reconsidering the Political, David Howarth and Aletta ). Norval | Tracing the Political, Benjamin Arditi | Enacting the Political, Michael Cholewa-Madsen | Negotiating the Paradoxes of Contemporary Politics, Interview with Ernesto Laclau | Herculean Tasks, Dionysian Labor, Timothy S. Murphy | Postmodern Law and the Wi ther ing of Civil Society, Antonio Negri and Michael Hardt | Civil Society: The Traumatic Patient, Yael Shalem and David Bensusan | Curiosity, Sue Golding | Fascination with Foucault: Object and Desire of an Archaeology of Knowledge, Rudi Visker | Agonal Thought: Reading Nietzsche as Political Thinker, David Owen | Rorty's Pragmatism: Argument and Experience, Michael Reid | The Reinvention of Democracy in Eastern Europe, Jelica Sumic and Rado Riha | The Politics of Homecoming: Contending Identities in Contemporary South Africa, Aletta ). Norval | Post-Democracy, Politics and Philosophy, Interview with Jacques Ranciire | The Aims of Radicalism, Michael Reid SPECIFICATIONS Reconsidering the Political (Angelaki Vol. I, No. 3 ISSN: 0969-725X) January 1995 200 pages Softbound ISBN: 1-899567-02-X Price (inc. p+p*): Individuals: US$l0.00/£5.00 • I n t e r n a t i o n a l o r d e r s s e n t b y a i r Institutions: US$ I 5.00/£8.00 Send your order with payment to: Angelaki 44 Abbey Road Oxford O X 2 OAE United Kingdom Habent sua fata Guy Lardreau »Les symptômes aussi ont leur destin.« Charcot Cet énoncé de Charcot toujours m'a fait songer; l'avoir remâché m'a en tout cas suggéré qu'il n'y avait nulle raison pour qu'il n'en aille pas des philosophèmes, des arrangements de notions qu'ils ménagent, des questions mêmes qu'ils rendent accessibles, comme il en va du symptôme: juste retour, somme toute, puisque Charcot concluait du sort des livres à celui du symptôme, et que je conjecture à rebours, de l'historicité du symptôme, l'évanescence des pensées publiées. Car le problème dont s'oriente le recueil ne me paraît en rien éternel, mais proprement situable, au contraire, en sorte qu'il ne se saurait réclamer de la seule histoire de la pensée (à supposer qu'il en soit une qui se puisse raisonnablement articuler), mais convoque encore l'histoire empirique, en sa positivité: celle en l'occasion qui voulut, de façon probablement contingente, qu'il y ait un Etat moderne. Pour que la rencontre de l'éthique et de la politique, en effet, devienne déjà simplement problématique, deux axiomes au moins devront être reçus dont, loin qu'ils s'imposent à la pensée quelconque, c'est le propre de la pensée qualifiée comme moderne de les avoir clairement et distinctement affirmés, de les avoir, davantage, ensemble énoncés, inventions qui me semblent inséparables de l'émergence d'un exercice nouveau des rapports de pouvoir, d'une nouvelle »technologie« politique, comme eût dit Foucault. On formulera ainsi ces deux axiomes: 1— l'intérêt théorique et l'intérêt pratique de la raison sont absolument dis- joints; 2 - au sein même du second, éthique et politique désignent des domaines d'application, et des régimes, essentiellement hétérogènes. Et l'on avancera alors quatre thèses qui, des axiomes, se laissent assez aisément atteindre: Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 125-133. 126 Guy Lardreau 1 - puisque le problème n'a sens qu'à reconnaître la raison divisée selon des intérêts, non pas nécessairement conflictuels mais du moins autonomes, il ne saurait en avoir aucun pour Platon; 2 - s'il est, chez Aristote qui produit la division, de quelque façon formulable, il n'y trouve cependant de réponse qu'instable; 3 - le premier axiome n'a pas rencontré, avant Kant, sa frappe finale; 4 - le second, en revanche, dés Machiavel, Bodin, Botéro - voire Dante - reçoit une expression adéquate (et la chicane n'est pas indifférente, qui veut qu'ait été longtemps différée la perfection du premier, en droit préjudiciel, précoce en fait, sinon prématuré, l'achèvement du second, quand même il ne pouvait pas, bien sûr, ne pas se trouver alors refondu; désordre que nous devrions rendre, dans la suite, mieux explicable). Mais aucune de ces propositions, que j'estime triviales, ne va de soi absolument, j 'en conviens. En sorte qu'il importe sans doute de les défendre, de les illustrer au moins, avant de prétendre offrir l'esquisse même d'une réponse au problème demandé. C'est un grief majeur d'Aristote à l'endroit de Platon, que d'avoir confondu les intérêts. Même, je penserais volontiers que la ritournelle où généralement on précipite leur opposition: »il a séparé les idées« n'est au vrai qu'une formulation possible de ce grief plus décisif, et que c'est de lui, en tout cas, qu'elle tire sa nécessité. Car si l'on résorbe l'intérêt pratique, qui commande ce qu'il faut faire pour vivre heureux, dans l'intérêt théorique, qui veut savoir d'où vient, et à quelles marques s'assure la connaissance1, on ne peut que manquer la dimension spécifique de la pratique, tout en contaminant la théorie, où ni l'une ni l'autre des facultés en quoi la raison se sépare ne saurait trouver son content, atteindre sa forme pure. Qu'on épouse ou non la conclusion à laquelle le constat mena Aristote, qu'on juge Platon en pouvoir ou non triompher, la critique, comme telle, n'en sera pas moins irrécusable. Il est vrai que Platon, en effet, suspend le bien-agir à la connaissance du bien, ainsi qu'exige la nature séparée de l'idée (où l'on retrouve la ritournelle, et ce qui la noue à la reconnaissance d'intérêts sui generis: on ne sépare les idées qu'à mélanger les intérêts, ne divise les intérêts qu'à engager les idées). Vrai encore qu'il ne peut a fortiori accorder à l'éthique un régime propre, à la politique un mode spécial d'usage de la pensée. Pour quoi, à la fin des fins, il n 'y a, chez Platon, ni éthique ni politique, mais une proposition seulement touchant la possibilité même d'une connaissance en général, ce qu'elle implique de la nature de l'âme, qui davantage l'apparenterait peut-être aux exigences du discours spirituel qu'aux réquisits normaux d'un discours de savoir2. Et qu'en est-il chez Aristote lui-même qui, disions-nous, fit sur Platon point d'attaque de l'invention des intérêts, et sut en effet rigoureusement séparer Habent sua fata 127 théoria, praxis, poïesis, (inscrivant en outre, au sein de cette dernière, la différence que commande le concept de mimésis, entre beaux-arts et fabrica- tions)? D'une part, il est douteux qu'il parvienne à isoler de la théoria la praxis, sauf à rendre celle-ci dangereusement voisine de la poïesis - en dépit du statut, immanent ou transcendant, qu'il accorde à l'objet que respectivement elles travaillent - , à couper de la poïesis, sinon au péril d'une excessive accointance de la praxis à la théoria, comme en témoigne le livre X de VEthique à Nicomaque qui, à la fin des fins, suspend le succès de celle-là à l'actualité de celle-ci, en faisant impératif de vivre en immortel, en retrouve ainsi la leçon du platonisme. D'autre part, on voit mal qu'il puisse soutenir la fonction architectonique de la politique pour l'éthique, comme d'ailleurs qu'on entende l'expression, qui se peut dire en plusieurs sens et n'assure pas de la préséance de l'un sur l'autre discours3, sans en tout cas refuser d'envisager la possibilité d'un conflit entre ces régimes distincts de l'intérêt pratique. Bref, l'on soutient que la problématisation du rapport entre éthique et politique devait attendre que ces termes apparussent évidemment disjoints, c'est-à-dire le moment où la politique acquiert sa stricte autonomie. Instant qu'on s'accorde classiquement à épingler du nom de Machiavel. Affirmation certainement disputable, aussi bien pour le nom dont elle fait ainsi emblème, que pour la chronologie que par là elle impose4. Quoi qu'il en soit, de quelque nom qu'on la marque, à quelque date exacte qu'on la situe, une rupture moderne sera reconnue. Si celle-ci, cependant, emporte les conditions suffisantes de notre problème, elle ne le rend nullement nécessaire: bien au contraire, exigeant l'indépendance de la politique au regard de toute valeur qui la prétendrait surplomber, elle l'annule aussitôt qu'elle le rend accessible. C'est qu'il fallait, pour qu'il devienne proprement un problème, soit un conflit où la raison s'intéresse parce qu'elle s'y éprouve partagée, qu'elle connût à la fois, comme d'emblée nous disions, la différence des intérêts qui l'animent, spéculatif et pratique, et la division de celui-ci, selon qu'une Loi absoment y commande ou qu'une régie conditionnellement s'en suppose. Noeud pour quoi l'on dût attendre Kant. Car il est tout à fait possible d'avoir conçu la différence des intérêts, d'avoir même rapporté l'ordre qui l'engendre à l'hétérogénéité de deux facultés, entendement et volonté, d'avoir enfin connu ce qui sépare la politique de l'éthique, et de n'avoir su entrelacer ces découvertes, comme il fit en effet. La distinction nécessaire, que les grecs ont ignoré, de la volonté et de l'entendement, n 'y suffit pas; il faut un troisième terme, qui des deux se contre-distingue, la raison. Trois questions, du coup, non pas deux5. Dés lors, cependant, c'est de morale qu'il s'agit, non plus d'éthique, et il conviendra de dire qu'il n'y a que pour la morale que la politique devient 128 Guy Lardreau réellement problématique, quant au rapport qu'elle entretient à la vocation suprasensible du vivant mortel appelé à vivre en immortel6. Car au regard de la morale, il est bien clair que la politique ne saurait jamais commander absolument, mais toujours seulement »en vue de«, qu'elle ne connaît d'impératifs qu'hypothétiques, conseils de la prudence, voire régies de l'habileté, qu'elle a toujours de quelque façon affaire à Vespoir. Il faut alors qu'elle s'inscrive du côté de la troisième question, quand même celle-ci n 'y trouverait que sa réponse la plus faible, en retour de l'expression dégradée qu'elle y revêt7, et se situe à l'improbable jointure des deux premières; que la politique, bref, puisse indiquer un certain savoir qui me dicterait ce que je dois faire: demande paradoxale, qui explique que l'autonomie du politique par rapport à la morale ait été gagnée avant qu'ait été pensée la distinction rigoureuse des intérêts: davantage, et contre l'étonnement qu'au départ nous feignions, sans doute cette autonomie voulait-elle, en fin de compte, que la distinction restât incertaine. Kant seul, d'avoir inventé la morale, put donc énoncer en rigueur le problème qui nous occupe, s'il est vrai du moins qu'on n'entend pas généralement demander par lui, autant que réellement il nous habite, quel lien se tisse de la politique au bonheur d'un individu déterminé, mais quelle relation des impératifs hypothétiques, qui ne valent que d'une fin particulière, et requièrent ainsi le savoir spécial qui permet de l'atteindre en sa particularité, peuvent entretenir à l'impératif catégorique qui, de n'espérer aucun effet s'il ordonne sans condi- tion, n'exige aucun savoir. La solution kantienne me semble donc indépassable, puisque je juge qu'aucun philosophie ne sut modeler le problème avant lui, et qu'aucun n'eût à s'y affronter après lui. Certainement pas Hegel, qui le dissout en faisant de l'Etat, c'est-à-dire de la figure la plus haute que la philosophie se soit donnée du politique, la réalisation de l'idée éthique, ni Marx, a fortiori, que sa pensée oblige à n'envisager le problème moral que comme un accident du politique. Je sais qu'il y eut, dit-on, des philosophes depuis ceux que j 'ai nommés: mais il faudra me montrer qu'ils n'aient ni épousé la solution kantienne, bien sûr souvent en lui apportant quelque modification (où irait, sans cela, le narcisse se nicher?), ni choisi le parti de Hegel et de Marx, le parti qui refuse qu'il y ait, l'être au devoir être, du réel au rationnel, quelque béance que ce soit8. Cette solution, on la peut estimer suffisamment connue pour la ramasser en quelques mots. La politique n'existe à la pratique qu'autant qu'elle se propose des fins si déterminées que leurs moyens requièrent, comme déjà l'on a dit, des savoirs spéciaux. Suivent deux conséquences, également obligées: - il y a une autonomie du politique, qui se fonde sur la possibilité d'énoncer Habent sua fata 129 des régies qui, communes à la nature humaine, empiriquement constatables, permettent aussi bien de comprendre pourquoi l'espèce humaine non seulement tolère, mais exige encore de se plier à des régies communes, historiquement attestables. Ce que cette autonomie alors suppose, c'est précisément qu'on ne puisse relever, en aucun des sujets où la nature humaine se distribue, l'autonomie par où il se séparerait de la règle pour se donner à soi-même la Loi. Il n'y a, bref, de liberté que celle de tournebroche, et le savoir politique est un mode sui generis de la mécanique. - Soutenir, inversement, l'autonomie du sujet, la possibilité qui le fonde de reconnaître sa volonté sujette à une Loi que sa raison seule, hors tout mobile empirique, lui dicte, ce qui est une même chose avec la conscience de son caractère suprasensible, implique qu'une limite soit à la politique prescrite, que la gestion raisonnée des intérêts sensibles tolère de se subordonner à un impératif raisonnable, à une Loi que la sensibilité jamais ne saurait rencontrer. Bref, l'autonomie du politique et l'autonomie du sujet ne se peuvent dire qu'en sens hostiles, et si c'est pour la seconde qu'on décide, il faut qu'on suspende de quelque façon la première. Si l'on tient, en outre, que ce choix n'est pas accidentel, mais consubstantiel à la philosophie pour autant qu'elle se résume à convoquer chaque homme à son immortalité ou, si l'on préfère, à avoir souci de soi, il ne saurait y avoir de philosophie politique, mais seulement une politique philosophique, c'est-à-dire telle qu'elle accepte la négation que la philosophie représentera auprès d'elle. Kant ne dit rien d'autre lorsqu'il op- pose l'insanité d'une morale politique à la légitimité d'une politique morale. Affirmer le caractère indépassable de la solution kantienne ne signifie pas, cependant, qu'on l'épuisé sans réserve, et qu'on ne puisse aucunement y toucher. - D'une part, je crois qu'on la peut déployer, renforcer, épurer de ce qu'elle offre parfois encore de positif, pour en manifester plus évidement la simple négativité. C'est, en tout cas, ce à quoi je me suis efforcé dans l'une des sections de La Véracité. - D'autre part, et surtout, il va de soi qu'elle n'est indépassable que sous la condition qu'il y ait un problème auquel il faille nécessairement répondre. Or, si le problème, comme on a dit, est né, si d'ailleurs, comme Goethe donnait à penser, tout ce qui est né mérite de périr, il se pourrait qu'il ne soit pas davantage sempiternel qu'éternel. Qu'il soit clair, alors, que c'est par simple »provision« que j 'ai dit la solution »définitive«. A la vérité, je ne suis pas du tout certain que le problème mérite encore d'être posé, ni qu'il puisse admettre aujourd'hui, tel quel, d'autres réponses que fournit la doxa: journalistes, médecins humanistes, essayistes de tréteaux. Je suis même convaincu que, si la philosophie n'a pas de réponse neuve à lui 130 Guy Lardreau apporter (et peut-être était-ce déjà une mauvaise chose, pour son destin, qu'elle d'y fiât un jour intéressée, en sorte qu'on puisse invoquer ses anciennes réponses), il est en tout cas, de son côté, incapable de lui fournir une matière neuve. La philosophie n'a rien à espérer de ce problème passé, si elle doit, comme je crois, subsister quelques temps encore à figurer l'amour de la vérité. Si, comme toujours je crois, elle doit pour cela persévérer à entretenir un lien, énigmatique, paradoxal, mais fondateur, à la politique, il lui faudra méditer de tout autres objets que ceux, médiocrement humains, que lui réservait l'assemblage problématique des termes éthique et politique. Alors elle ne ferrait que revenir à sa source, et l'heure peut-être viendrait-elle, pour parler avec Nietzsche, de la Grande Politique. NOTES 1. La question grecque touchant la connaissance, celle où l ' intérêt théorique se présente à lui-même, ce n'est pas celle en effet qui s 'inquiète de ses limites (du moins comme depuis Locke nous l'entendons), mais celle qui s 'étonne de ce qu 'on commence à connaître: origine aussi »insondable« que celle du mal - pour reprendre le mot dont Kierkegaard, Kant d'abord, en indiquèrent le mystère. Une première connaissance n'est pas mieux intelligible qu 'un premier péché (le parallèle n 'es t pas frivole, puisque le théologoumène du péché originel assigne justement à l 'une et à l 'autre conjointe origine). Reste à conclure qu 'on a toujours déjà connu: ce qu 'en des guises adverses également relèvent la doctrine de la réminiscence, pour Platon, la théorie de la sensation, chez Aristote. La note pourra sembler digressive. Mais si, comme on prétend, le problème posé ne saurait être désaccordé de l 'interrogation sur les intérêts de la raison, sur l 'actualité de leur séparation, il est clair qu 'on ne lui jugera pas indifférente d'orientation que fixe, à une théorie de la connaissance, la question qu'elle élit. 2. Qu'il n ' y ait, chez Platon, ni étlùque ni politique, comme savoirs qui légitimement revendiqueraient une autonomie, a fortiori au titre de modes selon lesquels l 'être raisonnable rencontrerait, non pas même sa perfection, mais l 'une du moins des perfections dont il est capable, c 'est une thèse que j e soutiendrais sans scrupule ni réserve, ainsi d'ailleurs que celle de son affinité au discours spirituel. Qu' i l n 'a i t rien voulu savoir, en revanche, d 'une distinction entre le bien agir et le juste agir politique, je le feins par commodité, et pour me conformer au platonisme standard, sans y croire un instant. Du Ménon au Politique, et aux Loi s (ce qui montre assez qu' i l ne s 'agit pas seulement d 'une coupure horizontale, d 'une refonte, mais d 'un fil qui traverse l 'oeuvre, verticalement), le souci est trop prégnant du kaïros, précisément repris aux sophistes ennemis, trop surdéterminé encore le status de l 'opinion droite, cette grâce qui le peut seule saisir, pour qu 'on se satisfasse de la position étroite où le ramène la doxaantidoxique,syntagme bien superficiellement paradoxal, chacun y reconnaissant ce qui majoritairement s 'offre d 'un »enseignement« philosophique. Habent sua fata 131 3. Ce que démontrent les chicanes où conduit I'élucidation du concept de Justice. Celle- ci, en effet, est envisagée d 'abord comme une espèce de la légalité, vertu particulière se découpant sur cette vertu complète que serait (du moins pour ce qui touche au rapport entre sujets) l 'obéissance à la loi, en général; l'égalité, à son tour, ne peut être conçue que comme une forme spéciale de la Justice, n'apportant à celle-ci qu'un tempérament. Si la Loi, pourtant, en raison de l'universalité même qui la fait loi, ne suffit pas à définir cette vertu particulière qu'est la justice, qui ne se rencontre qu'aux actions de l ' homme juste, si la justice, enfin, exige qu'on reconnaisse, par l'équité, le particulier qui lui échappe, leur perfection se réalisera dans l 'homme équitable, soit dans l 'homme qui sait juger du singulier, capacité qui s'appelle prudence, vertu propre de l ' intellect pratique, en tant qu'il s 'affaire au contingent. En sorte que la division se laisse descendre ou monter, selon qu' on épouse la généralité ou l'excellence. La chicane, au reste, est celle à peu prés qui embrouille la définition du gouvernant: pour que celui-ci soit seulement possible, il faut qu'il y ait ordre politique, qui suppose la réciprocabilité des places; il n ' y a cependant gouvernant qu'autant qu 'un sujet ait pour vertu politique celle de l 'homme de bien, la prudence, par où il s 'excepte de l 'ordre qu ' i l instaure. 4. On sait qu'Althusser, par exemple, retardait jusqu'à Montesquieu l 'achèvement de cette autonomisation, qu' il voulait solidaire de l 'importation du concept newtonien de loi. 5. On a compris que c 'es t l 'étrange position de Descartes qu'évoquent ces quelques lignes. Qu ' i l ait en effet divisé les deux intérêts, reconnu l 'entendement et la volonté comme les principes auxquelles respectivement ils s'ordonnent, nul ne le niera. Il demeure qu 'en droit la volonté pourrait être de part en part éclairée, et soumettre sa décision au jugement droit. Qu 'en fait la vie, catégorie qui fait constellation avec celles de volonté et de pratique, impose le plus souvent, sa marque étant l 'urgence, de renoncer à un jugement exact, parfois même à tout jugement, en ce confiant alors au seul critère de la joie intérieure, où le juste du moins se sait en face de son style propre, de l 'heur qui naturellement lui échoit, l 'obscure et sèche décision valant mieux toujours que l ' indécision où l ' âme se nie, assurément; mais cela n 'empêche qu'une morale achevée serait une science. Que celle-ci s'avère enfin, comme on sait bien, inconstructible, et non point seulement pour des raisons accidentelles, mais parce qu'el le ne peut pas ne rencontrer pas l '»union«, c'est-à-dire une nature qui s'éprouve plutôt qu'elle ne se conçoit, en sorte que la morale provisoire reçoive en quelque sorte valeur définitive, ne suffit pas à rompre l'ombilic qui rattache la morale à la connaissance, puisque ce n 'es t qu 'à pouvoir se fonder sur les vérités métaphysiques les plus originaires que les règles provisoires du Discours trouvent, aux lettres à Elisabeth, leur sûreté définitive. Si la politique, en revanche, représente un régime spécial de l'intérêt pratique, c'est dans la mesure où elle n 'es t pas susceptible d'idées claires et distinctes. Par où le »conformisme« de Descartes n 'es t l 'effet ni d 'une disposition naturelle de l 'âme, ni d 'une décision de prudence - au sens vulgaire du mot - , mais la conséquence rigoureuse d 'une thèse qui soumet le philosophe à l 'ordre politique pour celà même qu' i l l 'y soustrait, ordre ne se prenant pas, dans l 'un et l 'autre syntagmes, équivalemment. 132 Guy Lardreau On voit alors que la morale, sans doute pour avoir manqué son autonomie par rapport à la connaissance, n 'a r ien à représenter auprès de la politique, sauf ce conseil politique qu'il est périlleux d'être immortel, soit celui même de Machiavel, sur qui le jugement de Descartes est, au reste, bien ambigu. Je ne vois quant à moi qu 'un texte où Descartes semble envisager que la morale puisse faire limite à l 'exercice régulièrement brouillon (ce pourquoi seules les humeurs brouillonnes se mêlent d ' y changer quelque chose) du politique, et qui n 'y envisage encore qu 'un cas, celui où l 'amitié est abusée (à Elisabeth, sept. 46). C'est, me semble-t-il, que l 'amitié est mal discernable de la générosité, en sorte qu'une politique offensant l 'amitié brimerait immédiatement, aussi bien, le libre arbitre dont chacun jouit, par nature, dans la gestion de ses puissances particulières. 6. La distribution des termes peut certes paraître aléatoire, sinon arbitraire, éthique et morale faisant proprement doublet, l 'origine linguistique seule distinguant entre ce qui toujours d'abord désigne la simple conformité aux moeurs normées; qui plus est, on pourrait objecteur qu'au regard de notre choix, il y a des »morales« qui sont des »éthiques«, vice-versa. L'usage, pourtant, s 'est largement répandu de dire »éthique« une doctrine du souci de soi, offrant à u n suje tune règle telle qu ' i l en réalise le meilleur de lui-même, épouse au plus haut son style singulier, comme à peu prés dit Foucault, fasse, bref, son bonheur; »morale« une théorie qui impose, au dessus et éventuellement au mépris de l'intérêt que tout individu se porte, une Loi, c 'est-à-dire un intérêt autre, à quoi, comme sujet, il se soumet. Quoi que vaillent les mots qui les épinglent, les concepts ne se contredistinguent pas moins. Il paraît clair, alors, que la morale se prévalant d 'une Loi universelle, ne voulant rien savoir de quelqu'intérêt particulier que ce soit, peut et doit prescrire à la politique, non pas des règles, puisqu'el le n 'existe qu 'à se connaître d'elle séparée, mais des bornes en tout cas, qu'elle dit »non«, dira- t-on encore, à plusieurs des maximes que celle-ci sait pour soi valides. Si l 'éthique, en revanche, n'obéit elle-même qu 'a la loi particulière q u ' à u n chacun fixe la conduite de la vie, s'il l 'estime synonyme d 'un bonheur singulier, on voit mal qu'el le trouve en elle la force d'exiger de la politique quelque chose, sinon l 'assurance qu'el le n ' en offusquera pas la simple possibilité: d 'Epicure à Spinoza, c 'est , j e crois, la demande où l'éthique résume sa pression, dont j ' imagine difficilement qu 'un mode quelconque de despotisme ne s 'accommode volontiers, en dépit des postures de résistance que l 'éthique parfois aime à prendre. 7. Ce n'est pas dans lapolitique, en effet, que Kant situe l 'unedes réponses vraisemblables - à côté de celles que l'art ou la religion p roposen t - à la question de l 'espérance, mais dans Vhistoire, ce qui est tout autre chose. Aussi n 'est-ce pas à l 'action délibérée des hommes, aux savoir-faire dont elle se guide, qu'il confie l 'éventuelle réalisation d 'une société administrant le droit universellement (société où la raison reconnaîtrait cette compénétration de l'intelligible et du sensible dont le propre de l 'espérance est précisément d 'affirmer la simple possibilité), mais à \aNature, poursuivant son plan dans l'espèce humaine. On n'entendra pas par là, bien sûr, qu 'une politique décidée n 'y puisse contribuer: elle sera même requise, selon le même tour (ou la même ruse) qui veut qu'enpostulant une Histoire qui se laisserait écrire sous l ' Idée d 'un progrès de la Raison on favorise le dessein de la Nature, qui comptait sur cette tentative, l 'ayant suscitée. En sorte que tous les gouvernements ne se valent pas, et qu'écartant le Habent sua fata 133 sophisme paresseux on jugera parfois souhaitable une révolution. Il n'empêche que 1 ' avènement du monde que l 'espérance réclame, où 1 ' intelligible serait immédiatement sensible, le sensible immédiatement intelligible, on ne l'attendra pas de la politique en tant que telle, mais pour autant seulement qu'il arrive que l'histoire la saisisse, c'est-à-dire le dessein de la Nature, s'expliquant, à travers notre espèce, sur un mode sui generis. On se souvient, au reste, que ce que Kant retient de la Révolution Française comme témoignant de la vocation suprasensible, et de la puissance de l'espérance, ce n 'est justement pas elle, mais Y accueil qu'elle reçut: trop d'intérêts sensibles pouvaient être e n j e u chez qui, directement acteurs, acceptaient d 'en courir le risque, pour que celui-ci fit critère sûr; qui, en revanche, le revendiquait sans aucun espoir politique immédiat, attestait la véritable espérance. 8. On éprouve ici un scrupule comparable à celui qu'on éprouvait, plus haut, touchant Platon. Car pas plus qu'on n'estimait satisfaisante la version standard du platonisme qu 'on se donnait commodément, on n'épouse l'interprétation triviale du célèbre logion où communément l 'on résume la philosophie hégélienne. »Réel« et »rationnel« sont alors entendus (en méprisant tous les énoncés de Hegel) comme définissables séparément: après quoi, une relation est introduite entre eux, telle que l 'un ajoute à l 'autre une qualification. Si »réel« doit signifier ce qui est donné, »raison« la capacité, à lui extérieure, d ' y découvrir des lois, la maxime commandera la justification la plus basse de ce qui est, pour ce qu'i l est. Mais Hegel y définit seulement l 'Idée, soit le concept réalisé, envisagé comme engendrant la réalité: n' est reelque ce qui est produit par le concept, n 'est concept que ce qui génère un réel. Loin de rabattre le rationnel sur le donné, la formule exige la différence du réel et de la réalité - qui comprend aussi bien Y apparence. Certes, seul le concept produit, en sorte que l 'apparence, ce qui, de la réalité, n 'étant pas rationnel n 'est pas réel, est nécessairement, en ce sens, un enfant du concept. Mais ne s'objective, en elle, qu'un côté du père: abstraction qui s 'autonomise, et par là se retourne contre lui. Il faut dire, dés lors, que non seulement »tout ce qui existe« n 'a nullement dans la raison sa légitimité, mais qu'il y a encore des existences qui répugnent à la raison. Il y a, par exemple, des Etats déraisonnables, mutilés, grimaciers, où il serait vain, voire criminel, de vouloir déchiffrer la réalité de l 'Idée éthique. Hegel ainsi n'interdit en rien la protestation contre l'état des choses - comme Marx a vu suffisamment. En revanche, ce ne saurait être la morale qui fournisse à la dissidence point d 'appui raisonnable, puisque l'impératif est un flatus vocis. Par où ma proposition brusquée me paraît grossièrement vraie, comme je pensais de celle qui réduisait Platon. Social Theory and Practice An International and Interdisciplinary Journal of Social Philosophy Volume 21, Number 1 Spring 1995 Full-Information Theories of Individual Good Don Loeb The State's Dr. Death: What's Unethical About Physicians Helping at Executions? Michael Davis Selective Conscientious Objection and the Right Not to Kill G. Albert Ruesga Liberal Education Is Moral Education David McCabe Politics and Manipulation Claudia Mills The Disputation of Hate: Speech Codes, Pluralism, and Academic Freedoms Phil Cox Subscriptions (3 issues): Individuals $12; Institutions $33; Foreign postage $4 Department of Philosophy, Florida State University, Tallahassee, FL 32306-1054 Ethics and political discourse in democracy Thanos Lipowatz To begin with, politics is constituted by the everpresent unity of Law and Power, insofar as speaking and desiring subjects have to deal with each other within a group. However, this definition is not sufficient because politics is also a historical category, i.e. etymologically speaking, bound to the polis. Certainly a relation between Law and Power exists also in archaic and tradi- tional societies, as well as in interpersonal relationships (of erotic, friendly, or other kind). But prepolitical relations and micropolitics cannot replace politics in the proper sense. The latter is organized around power games and struggles, but, what is more, it requires Law and Reason, i.e. the existence of public, violence-free situations, which are mediated by speech, whereas the actors involved must be individuals, emancipated from exclusive family and particu- laristic loyalties. These struggles vary and they often imply some degree of unequality between conflicting actors. This unequality, whether of real or imaginary nature, re- quires rationalization and justification patterns. Yet in comparison to unequality, the concept of exclusion seems to be more important; so there are many degrees of exclusion; to make history and to simultaneously be the subject suffering from history, requires from the subject a continuous effort to over- come the exclusion (which is a social symptom). It should be noted that it is above all the will to overcome exclusion, which characterizes democratic politics. Yet this cannot be done at any price; what is at stake is the way, the »how«, a group or a society tries to overcome exclusion, the point being that another exclusion may thus brought about. Besides, to overcome the exclusion means to eliminate the excluded rest by an appropriate symbolic operation, which substitutes the rest for the acceptance of the lack. It also means an endless process which does not sweep away the symbolic differences; for they persist and we know that there is no lucky end of the lack. But struggle must be distinguished from war: struggle carried out with means implying the symbolic order is possible and cannot be eliminated from history, whereas war, often practically unavoidable, is however eliminable and it always represents a cultural regression. On the other side an adequate formulation of the Law would be: »Not anything Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 135-133. 136 Thanos Lipowatz is possible«, i.e. psychoanalytically speaking, that the Mother is for all men and women the supreme Good as well as the impossible, forbidden Thing. Thus the Law protects the subjects from depression and selfdestruction, inso- far as they are confronted with the hole of the Real. It means that they are also protected by the symbolic Difference in opposition to the imaginary polarity as well as to the equally imaginary totality/unity. As a consequence, Law is not identical with Power and political conflict (antagonism). Politics can be just determined by the tension between Law and Power: the former stems from the Symbolic, the latter from the Imaginary. Concrete, positive law is always overdetermined by power relations, but this does not exhaust the situation, nor does it occur without contradictions. Be- sides, there always exists a »struggle for Right«, i.e. the struggle for the realization of human rights. The latter can only be grounded on a concept of Law and Justice as well as on its difference with Power; on the other side they (the rights) cannot be reduced to interests. Obviously we reject here the position of Carl Schmitt, from whom politics is defined as the relation between friend and foe/enemy, i.e. through a pure imaginary relation. However the space of politics is always constructed by power antagonisms and contingen- cies. This concept of Law and politics brings to the fore the question of their absence in Marxian theory. On the one side, Marx has not developed an adequate concept of Law and human subject; on the other side, he oscillates between an economistic determinism and a political historicism. The refusal of economism, however, should not lead to the opposite error: to an onesided »politicism« and a voluntaristic absolutedness of politics. Economics cannot be reduced to politics and vice versa. This hangs on the concept of contradic- tion', since Lacan we are no more obliged to interpret this concept in a usual Hegelian manner, i.e. no final conciliation in human history is claimed. But no antagonistic, violent, dualistic war is fatal as well. Contradiction and media- tion are categories of the Symbolic, which always occurs on a real back- ground. However, it is not necessary for Symbolic and Real to regress back to imaginary forms of polarity, so as to destroy an entire society. According to an onesided and absolutistic interpretation of politics, as a form of antagonism, violence might be thought of as harmless. But it is just the myth of violence that marks the problematic aspect of the positions of Marx, Sorel and Lenin, since it revealed their apocalyptic-manichean character. A radical democratic politics cannot rule out Reason; so far this has been the core problem of all revolutionary politics, especially when the deified »Reason« (like the terror dominated period during the French revolution). In this case voluntaristic politics substituted for religion, whereas the revolutionaries' desire was suffocated within perverse enjoyment during the decapitation ritu- Ethics and political discourse in democracy 137 als. The same occurred during the era of Stalin, Pol Pot and occurs nowadays with the »shining path«. The »new social movements« can be perceived as a form of an actual radical democratic politics; the traditional class question is not as manifestly relevant as in the past, but it has not disappeared in the developed countries, it must only be reformulated. The significance of these movements does not stem from their value relativism and the contingency of their forms. In fact they didn't arise out of thin air, since they are bound to traditional emancipatory movements through an interplay of continuity and distanciation. So they are marked through ambivalences and contradictions. The social movements should not be overestimated and idealized; insofar as they are driven by antagonistic, particularistic interests and fundamentalisms, they are repeating the »errors« of older movements. Their pluralism is not a sufficient criterion, whether they have overcome the blindness of a supposedly integrated subject. The social movements which have always raised radical democratic demands, have also insisted on the right of being different. Yet, for the most part, they have an empiristic conception of difference, which implies ambiguities and ambivalences; for instance blacks often stand against whites, women against men, homosexuals against heterosexuals and vice versa. It is true also that extreme rightist and xenophobic movements are also insisting on the right of being different; but they mean the war of one race against the other race and of one nation against the other. Thus everybody is defending its own particularis- tic interests against all the other. In this case we have to do with imaginary differences (in plural). What is overlooked is that other Difference (in singu- lar), which stems from the Symbolic and splits every subject. The subject can articulate its own discourse only within the psychoanalytic setting (and its equivalents), because it must first resign from putting always the blame on the other in order to explain its own discontent. The difference between the Right and the Left in political discourse stems from the symbolic language of the French Revolution, but one can apply this difference retrospectively to those cases which concern the political straggles between dominant and dominated groups. The political struggle between the right and the left is not primary; it has always something imaginary, due to the dualistic conflict between the two groups. But it is the difference which arises from the exclusion of various groups and individuals that is primary. This difference will remain relevant, as long as such exclusions persist. On the other side there exist also concurrential conflicts within rightist and leftist groups themselves: they have to be considered as pure imaginary duels. In an imaginary way, the excluded (whether they are the majority of the 138 Thanos Lipowatz population, or minorities, or a single individual) represent on the social level that real rest, which everybody has to confront subjectively. Conversely the excluded may also project their own exclusion phantasmatically on the other: to every racism corresponds an inverted racism. It is not easy to speak correctly about politics, at last because there exist other fields of human activities as well, though involving it; voluntarists have always tried to expand politics everywhere and so to discover it at all places; the same occurs with the difference between the right and the left. But if all our actions have some political consequences, it is not true that every action is intrinsically »political«: this is an important distinction. A section of the left has traditionally developed a totalitarian relation to political action, insofar it repeatedly propagated the slogan »anything is politi- cal«, i.e. power games. This fundamentalist left is totalitarian, because it identifies politics with a total super-ego; but this is a demand which necessar- ily destroys both politics and ethics. Here a question arises: from which point of view do we want to evaluate left actions and attitudes, from a political or from an ethical point of view? Besides, there is also another question: does there exist »pure« politics and »pure« ethics? Since antiquity, these two fields are related in a contradictory and »impos- sible« way. To be sure, efforts were made often to overcome the tension between ethical and political discourse through causal reductionism. So in classical antiquity: ethics was a duplication of politics, an ethics of civic virtues. But the opposite was also to the fore: a politicization of ethics or rather of religion. Jewish and Christian currents and sects tried to impose a theocratic or apocalyptic politics, in order to equalize various differences under a com- mon denominator, an attitude which implied fanatism and violence. Tradi- tional left reproduced these two reductions, dominated as it were by a tyranni- cal super-ego. However there is no politics without intrigues, power games and the pleasure taken out of them, polemics, lovelessness and the primacy of activism (if not actionism): all these features are imaginary, phallic attributes. In opposition to these the ethics of love ought to be mentioned, i.e. to listen to the word of the Other, to be ready to accept his own weaknesses and his desires. This also implies a keeping clear from such statements as »everything is possible to be done by action«, »act self-consciously!«, »realize yourself!«. As to the first question, one can begin with saying that the political difference between the right and the left has ceased to play a central role since left wing party politics has assimilated right wing party politics and vice versa. Another reason has been the undetermining of traditional class division in the devel- Ethics and political discourse in democracy 139 oped countries through the upward mobility of various social strata. Our theses here are the following: 1) Politics cannot exist without one (or more) visible difference, which con- stitutes it, otherwise it would disappear in an imaginary »unity of the people«. But, in opposition to what has happened until now, this difference should not be constituted as an imaginary polarity. As we mentioned above, this difference by itself does not define politics. 2) In the living political culture there exists a difficulty to define a new visible political difference. Many people think they could substitute for political differences a moral criterion. So they believe that a »true leftist« is a »moral man or woman«. Despite the fact that no politics is possible on a pure moral level, such an assertion promotes furthermore the traditional self-deification of the left. On the other side, many conservatives and liberals could quite rightly assert the same about themselves. 3) Today we all seek the differentia specifica of politics. If we are not willing to assume the solution of Carl Schmitt (decisionism and nihilism), we must at least accept the contingent character of the political attitude that certain social strata adopt. History teaches us that there were times where the rightists were following a rationalistic line of thought, whereas the leftists were following a romantic one, and vice versa. 4) In their mutual opposition both attitudes constitute a splitted unity, which is a trace of the impossible harmony, i.e. the Real. Confronted with the Real, the subjects have to choose between two possibilities: either to assume a defensive neurotic or perverse attitude, or to recognize the radical lack and not try to avoid it. Politically speaking, the first position is reactionary and antidemocratic, whereas the second one implies a continuous awareness of the openness of society and historical innovation. This distinction displaces the right-left difference by the difference between democracy and non democracy; perhaps this is the content of today's politics. Christians, Jews, liberals and socialists can belong to the democratic camp, whereas reli- gious fundamentalists, extreme leftist sectarians and populists do not be- long to it, because through their aggressive strategies they are refusing to recognize the Impossible. So they meet here extreme rightists, reactionary conservatives, nationalists and social darwinists. The framework within which politics should be practiced today, ought to be guaranteed from the democratic left together with democratic and liberal right. Needless to say that we understand ethics in a non-traditional way. Following Lacan the definition of ethical Law is: »You are not allowed to give way on your desire«, i.e. you must get repeatedly through the proof of symbolic 140 Thanos Lipowatz castration and lack. This means also that the above mentioned desire is neither a perverse nor a neurotic one. So, one cannot eliminate the Difference and the lack, in order to instaure purity, harmony and allmightiness. The difference between politics and ethics must remain; politics can only partially be oriented towards the Categorical Imperative; but the presence of the latter cannot dispense with power games, it can only preserve the hope that those games shall be realized without violence and permanent exclusion, and by public and reasonable means. Desire itself cannot choose in an abstract manner between war and peace, women and men, economy and ecology, national identity and international- ism, representative and direct democracy, market and welfare state, state apparatus and public space, risk society and insurance society, enlightenment and romantics, a.s.o. All these differences are both necessary and uncom- pleted, whereas their forms can be contingent and historically modified. A feature of traditional, metaphysical thinking was the tendency to find its origins in static dichotomies and polarities, instead of understanding that behind the Difference still exists the Impossible Real, which would annihilate any effort to overcome or to fixate this difference. Usually leftists and alterna- tive movements think in traditional categories. This is because they have beeing always perceiving themselves as the one side of an imaginary di- chotomy: it always has been some manicheanism in this position. Undoubtedly, it is difficult to develop a conception of left politics based on the Unconscious; this is because the Unconscious lays simultaneously on this side and beyond politics, so that the latter in the most cases must repulse and deny the Unconscious in order to exist. Perhaps political discourse will be always dominated by a binary code, which repulses and denies Death, i.e. the Third, the symbolic Father and the Law, and this is valid also for the left discourse. Apart from this, there is a tendency to play down the sexual difference as well as to dissolve any institution into »communicative acts«; moreover desire is reduced into »needs« very often. This attitude of »levellers« and »political correct« people is however very »in« and is based on the denial of the Real. Left politics could be defined negatively as the avoidance of all point previ- ously criticized; it cannot be defined solely by power games, nor through the mere cult of ethical values; as we said, the recognition of Law and its tension with Power is the constitutional element of politics. It was especially the Law which was never »popular« among the leftists, because they stood within a Gnostic and apocalyptical tradition, for which the Law was meant to be a mere instrument of domination of the Evil. So they understood the Law (in all of its forms) in an empiristic and positivistic manner, whereas the Utopians dreamed of the »totally other« Law, which revealed itself in reality to be a totalitarian Law, since it eliminated every distinction, difference and lack. Ethics and political discourse in democracy 141 Democracy is the authentic form of politics, but always in an imperfect way; in everyday life it often means the sweeping away of the Law and the accep- tance of the war of all against all. It is a form of social Darwinism which is at stake here as well as a variant of »aesthetic Darwinism«, especially wide- spread among left intellectuals. On the other side democracy stays and falls with the chance for Truth to find its place within it. Empirists use to deny this question and they are mentioning the catastrophic consequences of the dicta- torship of the »one«, orthodox truth. But this is not a valid argument against the existence of a partial, historical truth, and this is our question here. Traditional leftist have always oscillated between a tactical denial of the truth and its dogmatic reification, so as to be unable to discover a third solution. This is also connected with their relation to institutions, always rejected by them. The latter attitude led them to a total, idealistic refusal of power (as long as they were in the opposition) and to the denial of the difference between democracy and totalitarian institutions. As far as the intellectuals are concerned, it is very problematic from them to be assumed as »mythmakers«, in the sense of Sorel. Quite the opposite is rel- evant: critical intellectuals should not invent any myths, even if the latter were serving democracy. We know how ambivalent and dangerous the democratic and the socialist movements can be, because they often spread populist, nationalist, fundamentalist and antisemitic ideas against the »other«. So, it depends upon historical contingencies whether these tendencies will be real- ized; but this by no means implies a sort of fatalism. It is only the actuality and the will of the opposite forces, which can keep those destructive tendencies unrealized. We must insist on the ideas of Reason and human rights, even if, for many postmodernists, they are not fashionable today. They just forget that one must not give way on his Rights according to Reason. But we would not speak about the »myth of Reason«, which is a nonsense; »Mythos« and »Logos« are not identical with each other, so the question arised here obliges us to take a position against the confusion of concepts. Myths and ideologies are inevitable. But what does this mean? An anticipated absolution of all our errors? Fantasy and the Imaginary are not in themselves ideology; they are a necessary support of splitted subjects, confronted as they are with the unbearable radical lack of the Real. The function of ideology goes beyond fantasy because it makes for a duplication: it represents the illusion of an illusion. But the aim of culture and critique is to overcome ideology again and again, and always partially. If individual everyday fantasies represent an inevitable support of man's and woman's desire (that is the basic illusion), ideology signifies a supplementary collective illusion regarding the function- ing of those fantasies. Every subject is interpellated to live without ideology; but it cannot live without any fantasies at all, which are supporting its desire. 142 Thanos Lipowatz There is a double role to be realized by intellectuals and generally people creative in culture (art, religion, philosophy and science); this means a division between creative and critical tasks. Philosophy and psychoanalysis are those discourses which are radically questioning myths, as well as everyday ideolo- gies produced by all social groups. If this critical function is missing its goal, then we have to do with »ideologists«, i.e. producers of ideology, who repro- duce existent power relations and illusions. This is true also if these people seem to be »progressive« or »alternative«. Critique always means selfcritique too (which of course reaches the limits of politics and goes beyond it). Furthermore, persons who are dealing with culture are creative. One can be creative in two senses: either in an analytical or in a metaphorical sense; in the first case we have to do with Logos, in the second one with Mythos. Analytical discourse becomes manifested as the critical theory of the values, whereas the metaphorical discourse is manifested itself in fiction and poetry. Here the concepts of mythos and logos should be liberated from a secular and sterile controversy which put them in opposition to each other. This controversy occurs insofar as reason and poetry can drift in the imaginary, when they establish a lack of freedom. In this case we are speaking of »instrumental« instead of critical reason; besides, there exists a radical difference between »obscurantistic« and violent myth, which seduces the subject into the belief in fetishes, masters and enemies, and poetical myth. Of course all these forms can coexist. Here we have to do with a double distinction; between these four ideal typical cases there exists a transition. Psychoanalysis itself teaches us how to deal with Logos (theory) as well as with Mythos (the laws and formations of the Unconscious). In the cultural field artists and writers are producing myths, but not ideology, insofar as they are not totally dependent on the mass media. But these myths are circumscribing the real lack without making a fetish out of it. Therefore ideology is that discourse which is reproducing violent and obscurantistic myths as well as the instrumental rationality of modernity, precisely both on the right and on the left side of the political spectrum. Finally, we must proceed towards the actual postmodern crisis of politics as well as of the Law. There are a lot of reasons for it and we would like to mention some of them. The domination of the discourses of knowledge under the form of developmental, productivist and consumerist ideology implies the repulsion of non material and non utilitarian values. Politics is here reduced to objective administration of interests, so that the symbolic dimension of the Law has disappeared from the terrain of politics; thus the latter is loosing its aura and is becoming banalised. Moreover, a certain leftist, antiauthoritarian, hysterical critique led to a denial of the Law, because it rejected every demand for certain rules and differences as authoritarian. Ethics and political discourse in democracy 143 At the same time the symbolic function of the Father, the Name-of-the-Father has been discredited. These tendencies have been diffused at the level of everyday ideologies and mentalities, both from liberals and leftists, whereas the mass media popularized them. This didn't remain without consequences. People, especially the young people, do not expect a change in their life from the political groups and the trade unions. The crisis of the Law and of the name of the father implies also a general increase of anomy, criminality and cyni- cism. So, many people are taking refuge into a defensive attitude, which favorizes anew hard ideologies like mysticism, nationalism, racism and funda- mentalism. There is a danger here for politics to disappear through the rise of a new discourse of the master and of hysteria, thus reproducing obscurantistic and violent myths. The way out of this blind alley is a detour: politics cannot be understood out of itself, it exists only through its symbolic difference from culture; actually we are lacking a new, persuasive definition of Law. What we need is a non violent cultural revolution or reformation. The difference between politics and culture is important in order to avoid politics to become a substitute for religion. Still we must not forget the middle ages division between the state and the church, which has been the first condition of England's and Europe's freedom. So »politics is not all« and »not everything is politics«, there still exists something »else«. soc Just how strung out are we? I Can single parents make ends H meet? Can our government H i afford our social security program? Is your lover going to give you AIDS? The complexity of sociology and the policy sciences is reflected in Sociological Abstracts' family of databases. With our eclectic classification system, encompassing both broad and highly specialized fields, SA and SOPODA are the only comprehensive sources of information about how our global society works Or doesn't. Grab On. 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Dieses Grunddilemma konstituiert in Faktizität und Geltung (1992)' jene Problemlage, auf die eine »Diskurstheorie des Rechts« die Antwort sucht. Die Lage ist, so Habermas, »paradox« (FG 56): denn unter modernen Bedingungen unterliegt das Recht einerseits, soll es als gerecht gelten können, nicht nur der Kondition »legaler Rechtssetzung«, sondern überdies - mit Kant gesprochen - auch der »Idee der Selbstgesetzgebung«: Legitimes Recht unterstellt somit die »politischen Autonomie der vereinigten Staatsbürger, die den Legitimitätsanspruch der Regeln... einlöst und rational akzeptabel macht« (FG 58). Damit legales Recht als gerecht gelten kann, bedarf es nicht nur der »prozedural stimmigen« Einführung, sondern auch der legitimitätssichernden Zustimmung. Denn der Zwang, den jedes Recht mit einschließt, kann erst dann als nicht bloß gewaltförmig erfahren werden, wenn er auf Prinzipien beruht, die jeder »gegen sich gelten lassen muß«, wenn also die rechtsgaran- tierenden Grundsätze - aus einsichtigen Gründen - zustimmungsfahig sind. Diese Zustimmung kann aber - und das macht die Situation »paradox« - nicht realiter empirisch, d.h. nicht in dauernder »entgrenzter« Kommunikation eingeholt werden. Denn das zu erwarten hieße, dem Dissenspotential öffentlicher Diskurse zu wenig Rechnung tragen und die deliberative Kapazität der Staats- bürger massiv überfordern. Sucht die Legitimationstheorie also unmittelbar *Eine englischsprachige Fassung dieser Arbeit erschien unter dem Titel »(How) Can Law be Legitimated? Habermas, Rawls, Dworkin« in Norms, Vahles, and Society. Vienna Circle Institute Yearbook2, Edited by Herlinde Pauer-Studer, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht/ Boston/London 1994, p. 131-142. 1 Im folgenden zitiert als FG. Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 145-133. 146 Ludwig Nagi auf »kommunikatives Handeln« zurückzugreifen, dann steht sie vor einem Dilemma: denn »entschränktes kommunikative Handeln« kann, wie Habermas sagt, »die ihm zufallende Bürde der sozialen Integration... weder abwälzen noch ernstlich tragen.« (FG 56) Das moderne Recht sucht dieser Paradoxic durch charakteristische Qualitäten zu entgehen, die, so Habermas, nicht nur jenseits dessen liegen, was ein bloßer Rechts»objektivismus« für Rechtsfaktizität hält, sondern auch jenseits des freigesetzten normenreflektierenden und normengenerierenden Potentials der »entgrenzten Kommunikation«. Modernes Recht operiert auf einer eigentümlich strukturierten Zwischenebene zwischen Faktizität und Geltung. Habermas bestimmt diese Zwischenebene, in partiellem Rückgriff auf Kants Rechtsbe- griff, als die Ebene der »auf Dauer gestellte[n], positivierte[n] Diskursivität« (FG 56?); Recht fungiert »als Transformator im gesellschaftlichen Kommuni- kationskreislauf zwischen System und Lebenswelt« (FG 108). Alles gesatzte, Rechtssicherheit garantierende moderne Recht ist demnach vom »lebens- weltlichen« Modus »moralischen« Kommunikation dadurch unterschieden, daß es eine äußerliche Dauerhaftigkeit hat, die sonst im weichen Medium des Diskurses nicht gegeben ist. Trotz seiner positiven Gesatztheit bleibt das moderne Recht freilich zugleich auf die moralische Reflexion hin offen: denn es ist einerseits ein »artifizielles Normengefüge«, ein faktisches Gesetz, das zwangsbewehrt ist und unabhängig von den Intentionen seiner Adressaten gilt; zugleich existiert dieses objektive Gesetz jedoch nicht wirklich als ein Faktum, sondern vielmehr bloß »auf Widerruf«, d.h. diskursiv. Die faktisch-systemische Struktur des Rechts geht ein Bündnis ein mit dem - umgangssprachlich z.B. im Rechtsprotest und in der Zustimmung zum Recht artikulierbaren - Anspruch auf »Legitimität«: das posttraditionale Recht stellt sich so als ein »Mechanis- mus« dar, der einerseits »die überforderten Verständigungsleistungen der kommunikativ Handelnden von Aufgaben der sozialen Integration entlastet«, ohne andererseits »im Prinzip die Entschränkung der Kommunikations- spielräume rückgängig zu machen.« D.h., so Habermas, »das Recht entlehnt seine bindende Kraft...dem Bündnis, das die Positivität des Rechts mit dem Anspruch auf Legitimität eingeht.« (FG 57 f.) Dieses Bündnis ist jedoch nicht stabil, sondern bleibt gefährdet, denn das moderne Recht ist, eben weil es Faktizität und Geltung auf die erwähnte Weise aneinanderbindet, für Habermas »ein zutiefst zweideutiges Medium der gesell- schaftlichen Integration«: steht es doch einerseits »unter dem profanen Druck der Funktionsimperative der gesellschaftlichen Reproduktion«, gleichzeitig aber »unter der »idealistischen Nötigung, diese zu legitimieren.« (FG 59 f.) Beim Versuch, die Frage zu beantworten, wie das zweite, nicht-instrumentelle Potential des modernen Rechts zu denken und zu begründen sei (die in meinen (Wie) läßt sich Recht legitimieren? 147 Erwägungen analytisch separiert werden soll von der Habermaschen Grundfrage, auf welche Weise die internen Legitimitätsbedingungen des Rechts in der Auseinandersetzung mit den eher ernüchternden sozialwissenschaftlichen Einsichten über die Rechtsrea/zYäi plausibel gemacht werden können), grenzt Habermas seine eigene diskurstheoretische Option von anderen kantianisch (und postanalytisch) inspirierten Theorien ab. Er bezieht sich kritisch erstens auf John Rawls" »Theorie der Gerechtigkeit« (die bei der »original position« ansetzt, methodologisch durch ein »reflective equilibrium« stabilisiert wird und in einem Theorem des »overlapping consensus« Stützung sucht); und zweitens grenzt er sich ab von Dworkins Rechtskonzeption (welche auf der den Rechtspositivismus [H.L.A.] Harts distanzierenden Prämisse beruht, »daß in der Rechtssprechung moralische Gesichtspunkte eine Rolle spielen, weil das positive Recht unvermeidlicherweise moralische Gehalte assimiliert hat.« (FG 250) Vor diesem Hintergrund wird uns zunächst die Frage beschäftigen, wie Rawls und Dworkin selbst die (auf Gerechtigkeit bezogene) Begründung des Rechts denken. (Abschnitte 1.2 und 1.3) Wir werden dabei auch einen kurzen Blick darauf werfen, wie Rawls sich von jenen Rechtstheorien abgrenzen, in denen gesatztes Recht - seinen rationalen Komponenten nach - primär auf die »objektive« Kalkülsphäre des Faktisch-Instrumentellen limitiert werden soll (ein Anspruch, der rechtspositivistische Theorien ebenso wie Machttheo- rien oder auch die Luhmannsche Systemtheorie bestimmt). Sodann werden wir fragen, wie schlüssig der Habermassche Versuch ist, Rechtsnormativität diskurstheoretisch, d.h. unter »Aufhebung« der »categorical force« einer »praktischen Vernunft im Singular«, grundzulegen. 1.2 Der Versuch, gerechte Rechtsprinzipien aus dem » Urzustand« zu gewinnen und im Rekurs auf das »Uberlegungsgleichgewicht« plausibel zu machen (Rawls 1) Rawls unternimmt in der »Theory of Justice« den Versuch, die Grundsätze der Gerechtigkeit, die Recht legitimieren können, durch das Gedankenexperiment einer hypothetischen Wahl im »Urzustand« festzulegen. Bei dieser Wahl wird einerseits das (auf material-partikularen Egoismus bezogene) kalküllogische Modell des »Nutzenmaximierens« durch die Einfüh- rung eines Informationsdefizits, das ein »Schleier der Unwissenheit« sicherstellt, systemisch verunmöglicht. Zugleich aber trägt die Entscheidung in der »origi- nal position« Züge einer »rationalen Klugheitsdezision«. Denn die obersten Gerechtigkeitsprinzipien, so Rawls, lassen sich in der »orginal position« ohne direkten Appell ans Ethische, d.h. aus formal-rationalem Selbstinteresse ableiten: »The aim is to replace moral judgments by those of rational pru- dence.« (ToJ 94) Rawls versucht, in einem darüber hinausgehenden Schritt, die im Urzustand gewählten Prinzipien (und die vorgängige Wahl, in den Urzustand überhaupt einzutreten) durch ein methodologisches Vorgehen, das er »Überlegungsgleichgewicht« nennt, zu rechtfertigen (TOJ 19), d.h. durch 148 Ludwig Nagi einen Prozeß der wechselseitigen Anpassung wohlüberlegter normativer Urteile an normative Grundsätze und umgekehrt. Obwohl Rawls seine Theorie als kantianisch und antiutilitaristisch konzipiert [denn der Urzustand kann ja, wie Rawls im Paragraph 40 der TdG schreibt, gesehen werden »as a procedural interpretation of Kant's conception of autonomy and the categorical impera- tive«] bleibt die ToJ methodisch zugleich in manchem der - von Rawls distanzierten - Tradition des Utilitarismus verpflichtet. Kritische Rawlsleser wie Ernst Tugendhat und Otfried Höffe haben schon früh daraufhingewiesen, daß aufgrund dieser Ambivalenz die Kraft der Rawlschen Rechtfertigungsargu- mentationen an Schlüsselstellen zu versagen droht. Schwierigkeiten macht nicht nur die Abklärung des Status des »Urzustandes« selbst (sowie der Vorteile, die dieses Modell im Vergleich mit der alltäglichen moralischen Urteilsbildung bietet), sondern auch das Konzept des »Überlegungsgleichge- wichts« (vor dem das im »Urzustand« Gewählte zuletzt bestehen soll). Rawls versteht das »reflective equilibrium« als einen Prozeß des Sicheinpendeins, d.h als eine wechselseitige Anpassung von »wohlüberlegten Urteilen« und »Grundsätzen«. Er wählt dabei den Einstieg beim »moralischen Urteil«, d.h. - wie man mit Blick auf Kants »Grundlegung« sagen könnte - bei der »populären sittlichen Weltweisheit«, versteht diesen jedoch, anders als Kant, nicht als einen bloß heuristischer Zugang, der in einer begrifflich vorgeordneten Theorie der »guten Handlung« seine Dimensionierung und Gültigkeit erst erfahren muß. Für Rawls wird, ganz umgekehrt, das »moralische Urteil« selbst (im »Überlegungsgleichgewicht«) immer aufs neue zur Appellationsinstanz gegen die »Theorien« und Prinzipien der Moral. Das ist in einiger Hinsicht sympa- thisch. Denn zweifellos gibt es rigide Moralkonzepte, die relativiert werden müssen an den Intutionen der moralischen Alltagspraxis. Dennoch bleibt Rawl's Versuch, die im Urzustand gewählten obersten Rechtsgrundsätze in einem »reflective equilibrium« zu rechtfertigen, problematisch. Denn Rawls gleicht in seiner Strukturbeschreibung des »Überlegungsgleichgewichts«, wie Tugendhat zeigt2, die Moraltheorie, aus der die Grundsätze der Gerechtigkeit ihre Rechtfertigung erfahren können, auf fragliche Weise anderen Theorien an, in denen Meinungen über Tatsachen (Theorien) sich durch den Rekurs auf Beobachtungen als richtig erweisen lassen: »Moralische Urteile« können aber, so Tugendhat, »wenn sie überhaupt gerechtfertigt werden können - und sie geben zumindest vor, einer Rechtfertigung fähig zu sein nur durch Grund- sätze« (nicht aber durch ein offenes Hin-und Hergehen zwischen Tatsachen- vermutungen und Beobachtungen) gerechtfertigt werden. (Ebd.) Rawls sucht dieses - auf stärkere Abklärung drängende - Fundierungsproblem pragmati- stisch zu umgehen, d.h. er streicht die Frage nach einer rationalen Rechtfer- 2 Ernst Tugendhat, »Bemerkungen zu einigen methodischen Aspekten von Rawl's Eine Theorie der Gerechtigkeit«, Probleme der Ethik, Stuttgart 1984, S.16 (= Tugendhat 1984). (Wie) läßt sich Recht legitimieren? 149 tigbarkeit jener wohlerwogenen moralischen Urteile, die die Gerechtigkeits- theorie speisen, schon in der ToJ »von der Tagesordnung«. Als Konsequenz dieser Argumentationsstrategie, die die Doppelfunktion erfüllen soll, unnötige metaphysikinduzierte Konflikte abzubauen, zugleich aber die Grundcharakte- ristika eines liberalen Personenbegriffs außerhalb, ja oberhalb des möglichen Streits anzusiedeln, öffnet sich in der Rawlsschen Theoriebildung eine Schere. Denn einerseits enthält Rawl's Kritik am utilitaristischen Nutzenkalkül viele der Motive, die für eine von Kant inspirierte Prinzipientheorie der Verfassung zentral sind. Andererseits schreckt Rawls aber zurück vor einer begriffsanaly- tischen oder gar »transzendentalen« Explikation (bzw. »defensio«) dieses Impliziten. Werfen wir einen kurzen Blick aufsein Dilemma: Rawl's Einspüche gegen jene utilitaristischen Gerechtigkeitskonzeptionen, die das Gerechte im Blick auf die Summe des Wohlergehens aller Betroffenen durch ein Theorem des maximalen Gesamtnutzens zu bestimmen suchen, setzen einerseits substanzielle, auf den Begriff der Person bezogene Annahmen (wie sie beispielsweise im Paragraphen 40, ToJ, genannt werden) voraus. Sein Einspruch gegen jeden Verabsolutierungsversuch des Nutzenkalküls sind bestimmt von der Einsicht, daß Gerechtigkeit unverzichtbar miteinschließt, daß die Grund- rechte einer jeder einzelnen Person unverletzbar sind. Gerechtigkeit impliziert für Rawls das Konzept individueller Autonomie, über die nicht aus externen Gründen »funktionell« verfügt werden darf. Seine Distanznahme vom Utilitarismus kreist also dauerhaft, aber doch nur auf implizite Weise, um jene »Selbstzweckformel«, die seit Kant das unentfaltete Zentrum posttraditionaler ethischer Reflexion bildet. Rawls, so könnte man - ihn systematisch überinterpretierend - sagen, unterstellt in allen Modi seiner Utilitarismuskri- tik, daß nur derjenige gut handelt (bzw. - auf die Zwischenebene des Rechts projiziert - nur derjenige eine gerechte Verfassung wählt), der dabei »die Menschheit sowohl in seiner Person als in der Person eines jeden anderen jederzeit zugleich als Zweck, niemals bloß als Mittel« gebraucht.3 O. Höffe brachte dieses latente Motiv der Rawlschen Utilitarismuskritik auf die knappe Formel: »Der Utilitarismus läßt sich [von Rawls her gesehen] als ein Kollek- tiv-Egoismus interpretieren, der seiner Tendenz nach einzelne oder Gruppen zu Mitteln der anderen degradiert.«4 Rawls erörtert jedoch, zweitens, diese - seine Theorie bestimmende - Hintergrunddannahme weder sprachanalytisch noch transzendental (um zwei der möglichen Optionen zu nennen), sondern bleibt - auf eigentümliche Weise - an einer genaueren philosophischen Erkundung derjenigen Prinzipien, die seine Utilitarismusdistanz motivieren, uninteressiert. Daraus resultieren Schwierigkeiten und Ambivalenzen. Zwar 3 Immanuel Kant, Grundlegung zur Metaphysik der Sitten, Stuttgart 1967, S.79. 4 Otfried Höffe, »Kritische Einführung in Rawl's Theorie der Gerechtigkeit«, Ethik und Politik, Frankfurt 1979, S. 171. 150 Ludwig Nagi geht Rawls - wie alle postmetaphysischen Denker - davon aus, daß uns die Grundsätze des Guten und Gerechten nicht einfachhin intuitiv »gegeben« sind, sondern erst »konstruiert« werden müssen. Dies, so Rawls, geschieht in einer rationalen Wahl, die im reflektierenden Prozedere des »Überlegungsgleich- gewichts« plausibel werden soll. In jedem dieser Rechtfertigungsschritte wird zwischen »vernünftigeren« und »weniger vernünftigen« Optionen unterschie- den. Die positive Entfaltung der Kriterien für die Distinktion »vernünftig/ weniger vernünftig« freilich (für jene Unterscheidung also, die nicht nur die Wahl von Grundsätzen aus der - historisch aufgerafften - Optionenliste in der »orginal position« bestimmt, sondern bereits die vorgelagerte Wahl auf der - von Tugendhat sogenannten - »O-Stufe«, d.h. auf jener Reflexiousebene, auf der entschieden wird, in die »original position« überhaupt einzutreten) wird im Einpendelungsprozeß des »Überlegungsgleichgewichts« nirgendwo explizit thematisch. Was Kant z.B. in seiner »Grundlegung« beim Versuch, von der »populären Weltweisheit« zu einer »Metaphysik der Sitten« überzugehen, unternahm: Begriffe wie Autonomie, Achtung, Würde im Unterschied von Preis, die Selbstzweckstruktur des Subjekts und ihren Bezug auf ein »Reich der Zwecke« abzuklären, sowie die Strukturlogik derjenigen Imperative zu erkunden, die es erlauben, Klugheit stimmig von Moral zu unterscheiden: all das wird bei Rawls zwar immer wieder zum Gegenstand kürzerer historischer Exkurse oder psychologischer Reflexionen, bleibt zugleich aber - wohl als allzu metaphysikgefahrdet - seiner Tiefenstruktur und seinem Zusammenhang nach unerörtert. Dieser Argumentationsverzicht leitet sich letzlich her von Rawl's Entschluß, trotz der allseitigen kantianischen Grundinspiration seiner Theorie einem »methodischen Utilitarismus« anzuhängen, d.h., wie Höffe sagt5, der »Klugheitswahl« vor der »Vernunftwahl« in jenem Spiel um die Verfassungsregeln, das in der »original position« gespielt wird, Priorität einräumt. Auch Tugendhat sieht hier Probleme: »Ich glaube«, so schreibt er, »daß die Verlagerung der ursprünglichen moralischen Wahlsituation in eine eigennützige Wahlsituation... Konsequenzen hat, die zeigen, daß [in der Rawlschen Theorie (L.N.)] etwas von der moralischen Substanz verlorengeht« (1984, 32). Beispielsweise wird Rawl's Argumentation für die Gewissensfrei- heit durch die Entscheidung problematisch, die Begründung basaler Rechte in einem Verfahren anzusiedeln, das von alltäglicher moralischer Reflexion dadurch unterschieden ist, daß es diese in zwei Komponenten zerlegt: a) in eine eigennützige Entscheidung und b) in die Unkenntnis der eigenen Identi- tät. Denn »warum sollen Leute, die nur eigennützig sind«, fragt Tugendhat, »überhaupt so etwas wie ein moralisches Gewissen schätzen?« (Ebd.) 1.2.1 Rechtfertigung der grundlegenden Rechtsstrukturen durch einen »over- 5 Höffe, »Kritische Einfuhrung«, Abschnitt V, »Klugheitswahl oder Vernunftwahl«, a.a.O., S. 185-189. (Wie) läßt sich Recht legitimieren? 151 lapping consensus« (Rawls 2) Der Vorwurf, daß die ToJ methodologisch und begriffsanalytisch instabil sei, hat Rawls nicht dazu bewogen, den latenten Kantianismus seiner Theorie stärker zu extrapolieren, im Gegenteil. Seine neueren Schriften suchen dem Begründungsproblem anders zu Leibe zu rücken. Rawls hält aus gutem Grund den Pluralismus divergenter »Konzeptionen des guten Lebens« in posttraditionalen Gesellschaften für unverabschiedbar und versucht, die Minimalstruktur jener gerechten Verfasssungform, die einen solchen Pluralismus allseitig garantiert (und den die ToJ »freistehend« zu etablieren suchte), durch einen »overlapping consensus« abzusichern, dessen Struktur in einiger Hinsicht durch Wittgensteins Konzept der »Familienähn- lichkeit« inspiriert sein dürfte. Kants Philosophie wird im Rahmen dieses modifizierten Ansatzes selbst nunmehr insgesamt den »umfassenden religiö- sen, philosophischen oder moralischen Lehren« zugeordnet, die in Konkurrenz zu anderen religiösen oder metaphysischen Weltbildern stehen und somit nicht den neutralen Bezugspunkt bilden können, in dem Rechtslegitimierung terminiert. Rawls schlägt in seinen Aufsätzen der 80er Jahre den Weg ein, die Rechtsgrundsätze einer »Justice as Fairness« (die inhaltlich überwiegend mit jenen der ToJ übereinstimmen) methodologisch »bescheidener« als in der ToJ zu fassen. Diese Selbstbescheidung äußert sich in mindestens zweifacher Weise: erstens dürfen sich die in einer Gerechtigkeitstheorie gewählten Grundsätze nicht auf eine »umfängliche« Version von Moral beziehen, sondern nur die basalen Gesellschaftsstrukturen betreffen (in diesem Punkt, meint Rawls, war die ToJ nicht immer eindeutig); und zweitens darf die gesuchte Begründung von Gerechtigkeit nicht als ein seinem Wesen nach wahrheitsbe- zogener Prozeß, sondern bloß als ein Prozeß der »pragmatischen Stützung« verstanden werden: diese Stützung erfolgt durch einen »overlapping consen- sus«. Der Idee dieses Überlappungskonsenses zufolge werden die Grundkonzeptionen politischer Gerechtigkeit, die die Verfassungsgerechtigkeit definieren, durch die pluralen, einander widersprechenden religiösen, philosophischen und moralischen Doktrinen, welche die modernen Gesellschaften prägen, bei aller Differenz affirmiert. Inhaltlich betrachtet trägt dieser Konsens jene Züge, die schon fur die Prinzipien der ToJ charakte- ristisch waren: er besteht in der Übereinstimmung darüber, daß Freiheit und Gleichheit die Grundwerte einer modernen Gesellschaft sind, und dies obwohl tiefe Uneinigkeit darüber herrscht, wie diese Werte in der Grundstruktur der Gesellschaft am besten verwirklicht werden können. (PJ 227) Trotz der »rea- sonable disagreements«, die für den Pluralismus moderner Gesellschaften charakteristisch sind (Rawls erörtert die Struktur dieses unaufhebbaren und tiefen vernünftigen Dissenses eindrucksvoll unter dem Titel »The burdens of reason«) konvergiert der »overlapping consensus« in einem liberalen Personenkonzept, das u.a. durch jene Charakteristika gekennzeichnet ist, die Kants »Selbstzweckformel« zum Ausdruck bringt. »Auf die Tagesordnung« 152 Ludwig Nagi einer analytischen Begriffsklärung oder einer begründungstheoretischen philosophischen Reflexion kommen diese inhaltlichen Bestimmungen freilich auch diesmal nicht, im Gegenteil. Rawls richtet gegen die Forderung, Erörterung dieser Art durchzuführen, Sperrprämissen auf, die über diejenigen der ToJ hinausgehen. Das geschieht einerseits unter dem Prätext, alle »metaphysi- schen« Ideen seien zu vermeiden, weil sie unnötigerweise Dissens generieren, andererseits durch den eher unvermittelt wirkenden Rückgriff auf die in der modernen Moral gut verankerten Toleranzintuitionen, die - obzwar erst mühsam historisch errungen - in unseren Gesellschaften, wie Rawls hofft, weitgehend außer Streit stehen. Diese neue, »weiche« Argumentation zur Stützung der basalen Verfassungsgrundsätze (in der die methodologische Denkfigur der ToJ, das Überlegungsgleichgewicht, durch Elemente einer praktisch-politisch gedeuteten Familienähnlichkeitstheorie pluraler »Ideen des guten Lebens« substituiert wird) sieht sich Einwänden u.a. aus zwei Richtungen ausgesetzt: Erstens scheint fraglich, wie plausibel empirisch (und historisch) in modernen Gesellschaften - die ja manche Identitäts- und Lebensformen einschließen, für die Toleranz kein absolut vorrangiger Wert ist - ein »overlapping consensus«, der den liberalen Personenbegriff affirmiert, wirklich ist. Manche Gruppie- rungen, die sich auch gegenwärtig zu Wort melden, sind, wie es scheint, wenig gewillt, all jenen rigiden Ansprüchen, die sich aus religiösen, philosophischen oder wissenschaftlichen Überzeugungen ergeben können, auf der Linie des Toleranzgedankens der Aufklärung abzuschwören. Angesichts des »funda- mentalistischen« Potentials, das auch in modernen Gesellschaften schlum- mert, kann zweitens gefragt werden, ob Rawl's Selbstbescheidung auf einen »overlapping consensus« - dessen Leistung es sein soll, alle »stärkeren moral- philosophischen und metaphysischen Annahmen und Diskurse«, die komplexere Rechtfertigungen der Grundstruktur versuchen, von der Tagesordnung zu nehmen - wegen der nicht gänzlich auszuschließenden, gefährlichen Möglich- keit von Dissensen selbst über die basale Rechtsstruktur, in der Tat das ge- eignete Mittel ist, legitimes Recht öffentlich argumentativ zu sichern. Ist die Rawlsche Position, wie Habermas in »Faktizität und Geltung« fragt, nicht nur sehr weit entfernt von den ernüchternden sozialwissenschaftlichen Einsichten in die empirische Rechtsrealität, sondern auch auf eine Weise theorie- und argumentationsdistant, die Rawl's als »politisch« konzipierten Begriff der Gerechtigkeit »political in the wrong sense« werden lassen könnte? 1.3 Rechtsfundierung im Rekurs auf die »categorical force« einer liberalen Ethik (Dworkin) Ronald Dworkin versucht, einen anderen Weg zu gehen. Seine Erwägungen zum Rechtsbegriff erkunden - riskanter als diejenigen von Rawls - den kantianischen Hintergrund der Legitimationstheorie des Rechts. Dworkin will die Frage der moralischen Rechtfertigbarkeit des modernen Verfassungsstaats nicht jenen, wie Habermas (FG 86) sagt, »kontingenten (Wie) läßt sich Recht legitimieren? 153 Einbettungen« überlassen, die in einem »overlapping consensus« artikuliert werden können. Er möchte »die Wirksamkeit liberaler Prinzipien auf keinen Fall« [ - etwa entlang der Linie von Rortys Rawlsinterpretation, in der die weiche Rawlsche Position nochmals dekonstruktiv aufgeweicht wird - ] »von latenten Potentialen abhängig machen, die wir aus glücklicherweise angetroffe- nen Traditionen erwecken können.« (Ebd.) Eine schlüssige Theorie des Rechts muß, so Dworkin, ihre moralischen Grundsätze präzis zu artikulieren suchen. Dworkin »mutet deshalb der Theorie nicht nur die Begründungslast für abstrakte, gleichsam in der Luft hängende Gerechtigkeitsprinzipien zu, sondern stellt ihr die Aufgabe einer ethischen Fundierung dieser Grundsätze.« (Habermas, Ebd.) Darum wendet er sich gegen die - für das Rawlssche Projekt zentrale - Ent- koppelung der (rechtstheoretischen) Sphäre des Gerechten von der (moral- philosophischen) Sphäre des Guten: denn die Sphäre des Rechts kann ja, so Dworkin, bei allem Unterschied, der zwischen Moral und Recht besteht, nicht zur Gänze von den Entwürfen eines »gelungenen« Lebens abgetrennt werden. Dworkin vertraut im Unterschied zur Rawls darauf, daß auch unter postme- taphysischen Konditionen eine Ethik entwickelt werden kann, die dem Liberalis- mus Genüge tut und zugleich »categorical force« besitzt. In seiner »Tanner Lecture« artikuliert er dieses starke, von der methodologischen Selbstbe- scheidung des späten Rawls strikt unterschiedene Begründungsprogramm wie folgt: »Liberal philosophers who... adopt the restricted view that liberalism is a theory of the right but not the good face the problem of explaining what reasons people have to be liberals...« Die Antworten, die auf diese Frage dann gegeben werden, wenn man mit Rawls zwischen Gerechtem und Gutem strikt unterscheidet, sind für Dworkin unbefriedigend. Er schlägt einen anderen Zugang vor: »I argue that liberals should reject this restricted view of their theory. They should try on the contrary to connect ethics and politics by constructing a view about the nature of the good life that makes liberal poli- tical morality seem continuous rather than discontinuous with appealing philo- sophical views about the good life.« Und mit Blick auf den Rawlschen »over- lapping consensus« fügt er hinzu: »We need more from a theory of justice than consensual promise; we need categorical force. Liberals insist that political decisions be made on liberal principles now, even before liberal principles come to be embraced by everyone, if they ever will be.« (Tanner Lectures, p.17). Wie aber, so wendet Habermas hier ein, kann dieses regulative Potential einer liberalen Ethik, die, Dworkin zufolge, jede konsistente Rechtsinterpretation in letzter Instanz stützen soll, heute noch artikuliert und verteidigt werden? Habermas sieht ein Dilemma enstehen: Solange Dworkins liberale Ethik »substantielle Aussagen macht, bleiben ihre Prämissen dem Entstehungskon- text bestimmter historischer oder gar persönlicher Selbst- und Weltdeutungen 154 Ludwig Nagi verhaftet«; sobald sie aber »hinreichend formal ist, besteht ihre Substanz... nur noch darin, das Verfahren ethischer Selbstverständigungsdiskurse zu erläutern.« Führt somit Dworkins Versuch, eine Theorie des Guten und Legitimen »aus einem Guß« zu entwerfen - gegen seine Absicht - bei genauerer Betrachtung direkt in den Formalismus einer »Diskurstheorie des Rechts«, die alle substanzielle »categorical force« in das Verfahren der Verständigung einarbeitet und dadurch die »praktischen Vernunft im Singular« überwindet? Dworkin, so scheint es, würde dieser Habermasschen Lesart seiner Theorie kaum zustimmen. Er könnte versuchen, angesichts des interpretativen Zugriffs der Diskurstheorie den Spieß umzudrehen und gegen Habermas geltend zu machen, daß auch ein »prozedural« gedeuteter Kantianismus - im Rekurs auf jenes regulative Poten- tial, das die defekten empirischen Diskurse kritisierbar macht - eine residuale »categorical force« beanspruchen muß, deren - letzlich individuumsbezogene - Geltungslogik in der Diskurstheorie freilich - aufgrund ihres theorienstra- tegisch motivierten Abschieds von der Subjektphilosophie - Anathema bleibt. Habermas hofft, daß, nolens volens, alle Wege der post-analytischen Rechts- theorie auf eine Theorie der diskursiven Prozeduralität zulaufen. Hat hier aber nicht doch eher Dworkin recht, wenn er - ähnlich wie Rawls dies aufgrund der dissensproduzierenden »burdens of reason« tut - der inhaltlichen Leistungskraft des Konsenses in vieler Hinsicht mißtraut, und deshalb - anders als Rawls - die Konstruierbarkeit »kategorischer Prinzipien des Liberalismus« postuliert? Diese Frage nötigt uns - zum Schluß - nochmals einige Erwägungen zur Habermasschen Theorie des Rechts anzustellen. 2. Schwierigkeiten beim Versuch, die Gerechtigkeit des Rechts aus den »diskursiven Praktiken der staatsbürgerlichen Kommunikationen« zu rechtfertigen (Habermas) Auch wenn Recht und Moral, »the right« and »the good«, nicht strikt voneinander separierten werden können (Habermas stimmt Dworkin - belehrt durch Kant - in diesem anti-Rawlschen Punkt zu), ist ihre Verknüpfung unter postmetaphysischen Konditionen nicht so dicht wie Dworkin das hofft. Denn die Ethik nach Kant sieht sich, so Habermas, - aufgrund der modernen, durch Expertenkulturen vorangetriebenen Ausdifferenzierung der Vernunft in unterschiedliche Rationalitätsformen oder »Vernünfte« - , vor gravierende Probleme gestellt. Die »Einheit der praktischen Vernunft« ist in der Moderne irreparabel zerfallen. Schon das Vernunftrecht der Neuzeit hat auf diese Situation reagiert, dabei aber, wie Habermas meint, die intersubjek- tive Natur der modernen kollektiven Willensbildung verkannt. Die Diskurs- theorie des Rechts will deshalb »die subjektphilosophischen Prämissen des Vernunftrechts aufgeben.«6 Denn erst eine nicht mehr subjektphilosophisch 6 J. Habermas, »Vom pragmatischen, ethischen und moralischen Gebrauch der Vernunft« (= GV), Erläuerungen zur Diskursethik, Frankfurt 1991, S. 117 (Wie) läßt sich Recht legitimieren? 155 argumentierende Kommunikationstheorie des Rechts und der Politik greift die Frage nach der rechtslegitimierenden »praktischen Vernunft« auf sophisti- zierte Weise auf. Erst sie nämlich stellt sich jener Frage, die der Frankfurter »Intersubjektivismus« ins Zentrum rückt, ob wir heute »von der praktischen Vernunft noch im Singular sprechen dürfen, nachdem sie unter Aspekten des Zweckmäßigen, des Guten und des Gerechten in verschiedene Formen der Argumentation zerfallen ist?« (GV 117) Habermas erläutert die Grund- konstellation der Moderne, die durch einen unaufhaltsamen Dezentrierungs- prozeß, aus dem sich u.a. gravierende Auswirkungen für die moralische Legitimierbarkeit des Rechts ergeben, gekennzeichnet ist, wie folgt: Zwar beziehen sich - selbst unter den Konditionen der Moderne - die Argumente für das Zweckmäßige, das Gute und das Gerechte weiterhin »auf den Willen von möglichen Aktoren; aber ... mit dem Typus der Fragen und Antworten [verändern] sich auch die Konzepte des Willens ... Die Einheit der praktischen Vernunft läßt sich nicht mehr nach dem Kantischen Vorbild der Einheit des tranzendentalen Bewußtseins in der Einheit der moralischen Argumentation begründen. Es gibt nämlich keinen Metadiskurs, auf den wir uns zurückziehen könnten, um die Wahl zwischen verschiedenen Formen der Argumentation zu begründen. Bleibt es dann nicht«, so fragt Habermas, »dem Belieben, bestenfalls eine prädiskursiven Urteilskraft des Einzelnen anheimgestellt, ob wir ein gegebenes Problem unter Gesichtspunkten des Zweckmäßigen, des Guten oder des Gerechten auffassen und behandeln möchten? Der Rückgriff auf eine Urteilskraft, die es den Problemen 'ansieht', ob sie eher ästhetischer oder öko- nomischer, eher theoretischer oder praktischer, eher ethischer oder moralischer, politischer oder juristischer Natur sind, muß für jeden unbefriedigend sein, der mit Kant gute Gründe hat, das unklare Aristotelische Konzept der Urteilskraft fallen zu lassen.« (GV 118) Habermas will diese offene Grundfrage der Moraltheorie, wie er im folgenden sagt, »an die Rechtsphilosophie weiterreichen«. Denn »auf unmißverständliche Weise«, so argumentiert er, »kann sich die Einheit der praktischen Vernunft nur im Netzwerk jener staatsbürgerlichen Kommunikationsformen und Praktiken zur Geltung bringen, in denen die Bedingungen vernünftiger kollektiver Willensbildung institutionelle Festigkeit gewonnen haben.« Dieser offenkundig vom Institutionenbegriff Hegels inspirierten, objektivistischen Tieferlegung der Legitimation des Rechts könnten Rawls und Dworkin vielleicht sogar über einige Strecken zustimmen: denn auch bei ihnen geht es ja - zumindest in Teilen ihrer Theorie - um das Gewicht der Institutionen. Dennoch bleibt in der Habermasschen, neohegelianischen Transformation der »diskursi- ven Moraltheorie« in die »diskursive Rechtsphilosophie« die Frage unerörtert, ob nicht auch im Zentrum der kommunikativ dimensionierten staatsbürgerli- cher Praktiken (vor allem, wenn man die »Logik des staatsbürgerlichen Wider- 156 Ludwig Nagi stands« zu erkunden sucht) das Problem des - zuletzt aufs Individuum bezogenen - »Kategorischen« wiederkehrt. In keiner Institution, so scheint es, ist nämlich die Nötigung, das Recht unter Rekurs auf das Gerechte immer aufs neue zu reflektieren, in einem sicheren, empirisch-institutionell befestigten Modus, und seis auch der Intersubjektivität, »aufgehoben«. Gerade das Beispiel der Hegeischen Rechtsphilosophie lehrt (aufgrund der schweren Defizite, die sich dort einstellen, wo Hegel den Versuch unternimmt, »Moralität« in »Sittlich- keit« aufhebend zu überwinden), daß eine - mit Blick auf die Realität der Institutionen erfolgende - Dekonstruktion der »praktischen Vernunft im Sin- gular« (des »individuellen Gewissens«, in Hegels Terminologie), und seine Abwertung als »bloß« moralisch, das heißt, wie Hegel schreibt, als »auf dem Sprung, ins Böse umzuschlagen«, sowie die Delegation des objektiven »guten Gewissens« an das funktionierende Netzwerk der institutionellen Praktiken, bei genauerer Überlegung nicht nur nicht befriedigt, sondern - zumindest in bestimmten Lesarten - auch gefährlich ist. Die Verantwortung fürs Handeln, die im alltäglichen Verständnis dem Individuum zugeschrieben wird, kann nicht durch den Rekurs auf diskursive Praktiken quasi»objektivistisch« »auf- gehoben« werden. Wie wir alle (die Diskurtheoretiker inclusive!) wissen, enden viele der öffentlichen Diskurse unbefriedend: nicht selten werden sie in der Folge extradiskursiv, d.h. durch die Einzelnen, die privat und »monologisch« weiter- und »nach«-denken, zuende gebracht (wofür diesen dann auch die Verantwortung zugeschrieben wird): dieses antizipatorische Ausphantasieren, Zuendedenken und verantwortende Entscheiden praktischer Fragen geschieht, wenn es rational geschieht, im Rekurs auf die - im Individuum beheimatete - moralischen Urteilskraft. Solch ein Rückgriff aufs »Monologische« impliziert jedoch keineswegs jene Art von aristotelischer »Beliebigkeit«, gegen die sich Habermas verwehrt. Denn, so kann man mit Kant sagen: wir sind auch als einzelne, und nicht bloß aufgrund glückender intersubjektive Beratung, der praktisch-vernünftigen Allgemeinheit fähig. Zwar ist der Diskurs, die »mora- lische Freundschaft«, wie Kant ihn nennt, erstrebenswert, ja in gewisser Weise selbst ein moralisches Ziel, weil er unserer Motivendifferenzierung dienen kann (nicht freilich: muß); er ist, wie schon diese letzte Erwägung zeigt, zu- gleich aber nicht unverzichtbar. In vielen Situationen und nahezu allen Grenz- situation sind wir gezwungen, »monologisch« zu entscheiden. Ja, so könnte man im Anschluß an Kant fragen (und dabei die Prioritätsansprüche der Dis- kurstheorie umkehren), ist zuletzt nicht jene vernünftige Allgemeinheit, die zu erkennen ich auch als einzelner fähig bin, das, wodurch ich - im glückenden Fall des moralisch-praktischen (wie auch des die Grundrechte erwägenden rechtlichen Diskurses) - die Ergebnisse einer Beratung »akzeptabel« finde? Wenn dem aber so ist, dann kann es nicht ganz aussichtslos sein, die diversifi- zierten, institutionell ausgefächerten »Vernunftansprüche« der Moderne u.a. (Wie) läßt sich Recht legitimieren? 157 im Rückgriff auf die »categorical force« einer »praktischen Vernunft im Singular« kritisch zu reflektieren. Wahrscheinlich gelingt es dabei nicht, die diversiflzierten Vernunftformen dauerhaft zu »synthetisieren«. Jeder kritische Versuch, die »Vernünfte« in ihrem jeweiligen Geltungsbereich zu re-evaluieren, wird freilich Momente der Imperativenhierarchie Kant reaktivieren, derzufolge die hypothetischen (d.h. technisch-instrumentellen, ökonomischen, kalkulato- rischen, klugen, Lust-Unlust-bezogenen) Imperative, wenn sie mit jenen Imperativen kollidieren, die kategorisch-praktisch sind, d.h. um die Selbstzweckformel kreisen, einen nachrangigen Status zugewiesen erhalten. Hat somit Dworkin, zumindest in einigen Hinsichten, einen spannenderen Ansatz als Habermas, weil er im Zentrum der Legitimationsfrage des Rechts vor dem expliziten Rekurs auf die »categorical force« einer liberalen Ethik nicht zurückschreckt (einer Ethik also, deren Prinzipien sich 1. herleiten von einer - die kantische Selbstzweckformel ausdifferenzierenden - »praktischen Vernunft im Singular«, die 2. versucht, die »Sphäre des guten Lebens« - liberalen Prinzipien folgend - im Rekurs auf inhaltlich weiter »konstruierte« Grundrechte neu zu organisieren und dabei 3. zu den zeitgebundenen »Moralurteilen« des historischen Kant die gebotene Distanz hält)? Mir scheint, daß das neohegelianisch dimensionierte Projekt von »Faktizität und Geltung« - ein Projekt, in dem Habermas aufgrund seiner »objektiv- institutionellen« Lesart der Diskursivität dem entrinnen möchte, was er als die bloßen Fallen der »Subjektphilosophie« qualifiziert - jenem »experimentum crucis« aus dem Weg geht, das darin bestünde, die zuletzt im Individuum verankerte Kapazität zu denjenigen »idealen Präsuppositionen« zu erkunden, die das Ungenügen an den »schlechten« empirischen Übereinkünften dauerhaft speist. Dworkin ist, zumindest was diese Frage betrifft, konsequenter als Habermas: denn er blockt jene rechtsphilosophischen Erwägungen, die die Leistungskraft der Diskurstheorie selbst nochmals problematisieren, nicht ab. Auslegung a journal of philosophy AUSLEGUNG is a journal published two times a year at the University of Kansas. The journal is a forum for the expression of any and all philosophical perspectives. The editors are primarily interested in publishing the work of new Ph.D.'s and students pursuing the Ph.D. degree, bu t all papers of philosophical interest will be considered. AUSLEGUNG gratefully acknowledges the financial sup- port which it receives f rom the Student Senate and the Graduate Student Council of the University of Kansas. Yes! I want to subscribe to Auslegung. Student $8.00 Individual $10.00 Institution $20.00 Enclosed is my check for: Name Address City State/Zip AUSLEGUNG Department of Philosophy University of Kansas Lawrence, Kansas 66045 On the Final (Im-)Possibility of Resistance, Progress and Avant-Garde Oliver Marchart (New) order Today, nothing seems more out-dated than the idea of progress and the concept of avant-garde. However, we want to show that probably there is a chance left for avant-garde politics under the conditions of impossibility of avant-garde. Before being able to reflect on the (im-)possibility of radical, dissident or avant-garde politics, we have to clear the field of hegemony theory along the lines of the following questions: What exactly is the function of politics and on what kind of terrain does it operate? How are political operations related to the logics of discourse and of signifying practices in general? How, in particular, does Laclau's and Mouffe's concept of radical and plural democratic politics relate to other modes of »post-structuralist« politics (Althusserian jacobinism, Lacano-Hegelian monarchism, Derridean messianism, Lyotardian pluralism, etc.)? With Hegemony and Socialist Strategy Ernesto Laclau and Chantal Mouffe developed a whole new perspective on Marxisan political theory. This »post- marxist« perspective lead especially Ernesto Laclau's work into a field of considerably high abstraction, where political theory turns into a general theory of signification, which in our view is ready to be applied to other areas as well. (Non) order If we start from the Saussurian assumption that meaning is produced in a system of differential relations, then we immediately confront the following problem: What is beyond this system and what is the nature of the frontiers encircling that system? If the outside of the differential system was simply another difference, then we would not be in a position to distinguish between the system and its beyond. In this case, the outside is simply part of the inside - which amounts to saying that there is no outside at all. This leads to the conclusion - given that whatever lies beyond the system cannot be part of the system - that this outside must be of a radically different nature. For only as far as the outside is a radical outside we can speak about an outside at all. Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 159-133. 160 Oliver Mar char t Now, for the sake of saving time and space I do not hesitate to set the wheels of definition going - a more elaborate summary of Laclau and Mouffe would clearly be beyond the scope of this paper. Politics we call the process of »coming to terms« with the radical outside of the social. The outside of the social we can also call the Political With a capital P - another name for antagonisms: »antagonisms are not internal but external to society; or rather they constitute the limits of society, the latter's impossibil- ity of constituting itself« (Laclau/Mouffe 1985, 125). Therefore by refering to antagonisms as the instance which threatens the systematicity of the social system, we should rather speak about Antagonism with a capital A in order to indicate the radical and non-differential character of the exterior. Because of this, Antagonism has been compared to the Lacanian Real. Antagonism, however, is inflected into the system through politics. Hence, the work of politics is to establish discursive antagonisms by inflecting Antago- nism into the social, so that the latter becomes internally criss-crossed by antagonisms and therefore never reaches final stability. Politics can do so because every system is dislocated in the first place. (There would be no politics in a closed stabilized system without any constitutive outside). Dislo- cation we call »the disruption of a structure by forces operating outside it«(Laclau 1990, 50). Although the constitutive outside of the structure/system necessarily escapes signification, it is nonetheless revealed and signified as the instace of (non-)order as such. In the first case we may speak about the outside as the event (»This 'experience' of the limit of all objectivity does have a form of discursive presence, and this is antagonism«. Laclau 1990, 122), in the second case it is the empty signifier which points at the outside from the inside. Hence, the only thing the empty signifier (the signifier without signified) signifies is the very instance of (non-)signification. The struggle for the temporary incarnation of this empty signifier of the (absent) order we name hegemony. Now - somewhat speeding down - we can drive by and have a closer look at some of these concepts. Everything boils down to the process of fixation and de-fixation of meaning. It is precisely because a signifying system can never entirely stop the flux of meaning that the temporary fixation or pragmatic construction of meaning becomes possible: »if all objectivity is systematically overflown by a constitutive outside, any form of unity, articulation and hierarchization that may exist between the various regions and levels will be the result of a contingent and pragmatic construction, and not an essential connection that can be recognized« (Laclau 1990, 186). Laclau calls the outcome of the articulatory practice - the fixation of meaning - space, while on the other hand he sees a temporal phenomenon in the On the Final (Im-)Possibility of Resistance, Progress and Avant-Garde 161 dislocatory effects to which every structure is subjected to. This is because the very idea of a structure implies spatiality resp. topography (otherwise, simply spoken, the structure is not structured at all). Establishing a topography there- fore implies the effort of transferring time into space (Laclau calls this the »hegemonization of time by space«), decreasing the dislocatory »destructuring« effects to a minimum and fixing the flux of meaning, essentially through repetition (the mythical figure of the eternal return of the same is in this sense spatial — for it describes a circle - and not temporal). The sedimented social customs and traditions are nothing else than a result of repetitive practices. (»Any repetition that is governed by a structural law of successions is space«, Laclau 1990, 41). But they have lost their contingent origin in the course of this repetition so that we now perceive them as necessary, uncontestable, eternal etc. But as far as these sedimented layers of repetitive practices can be reactivated, Laclau maintains that »there is a temporalization of space or a widening of the field of the possible (...)«. We can call this the process of de-fixation of meaning. More and more elements, layers and places are going to be perceived as contingent in their relational nature. A fixed topography vanishes into a fluctuating wave. As the dislocatory effects in a structure are often experi- enced as a threat which simply demands their fixation and arrest, we can detect two counter-rotating movements: both fixation of meaning (hegemony) and de-fixation of sedimented meaning (reactivation1), both on the basis of the general un-fixity of meaning (dislocations). It should have become possible now to understand the three main Laclauian categories of the social, the political, and politics. Again let us depart from a quote: »The sedimented forms of 'objectivity' make up the field of what we will call the 'social'. The moment of antagonism where the undecidable nature of the alternatives and their resolution through power relations becomes fully visible constitutes the field of the 'political'. (...) The distinction between the social and the political is thus ontologically constitutive of social relations. It could be called, to use a term from Heidegger, an 'existential'. But the boundary of what is social and what is political in society is constantly displaced« (Laclau 1990, 35). Since social relations »can be radically trans- formed through struggle« (Laclau 1990, 36) we can identify behind this boundary the category of politics. There we have the three registers or in- stances in the Laclauian conception: first, the Political as governed by the logics of the Antagonism (pure »temporality«), second, the social in the sense ' Reactivation means the political shaking up of the sedimented layers of the social: »Reactiva- tion does not therefore consist of returning to the original situation, but merely of rediscovering, through the emergence of new antagonisms, the contingent nature of so-called 'objectivity'« (Laclau 1990, 34) 162 Oliver Mar char t of sedimented forms of objectivity (pure »spatiality«) and third politics (reac- tivation of social sediments). table 1: the Political politics the social Antagonism antagonisms society as horizon temporality hegemonization of time by space spatiality collapse of signification empty signifier signifying system undecidability decisions forgotten origins of decisions constitutive outside of every objectivity reactivation sedimented forms of objectivity event fidelity (Badiou), dogmatism (Althusser) presence (Derrida) New (order) Hopefully the remarks given above have prepared the terrain and the tools for a discussion of how avant-garde politics (or arts) may to work under condi- tions of a growing impossibility of avant-garde. Obviously there is a whole bunch of different ideas about what exactly avant-garde is. We concentrate on three major attributes. Avant-garde is - in its own view - new (»progressive«), sectarian (»particularistic«) and dogmatic (»universalistic«). Our thesis is that these three attributes are closely interconnected in classical avant-garde, and the only way to rescue some ideas and practices of avant-garde as pcwi-avant- garde depends on our ability to establish the interrelated paradoxes of a non- teleological progressivism, an empty und relative universalism and an asym- metric particularism. We will dwell on this later. First, let us have a look on the central category of the avant-garde, the New. Nothing seems more dépassé than the New. After everything said before, we must claim that the New is a concept of radical exteriority, of something that doesn't exist, but under certain circumstances may create a myth, i.e. a space of inscription, which is ordered around precisely this empty signifier of »the New«. But what required of »newness« in order to become an empty signifier? If a given system heavily relies on notions like »tradition«, »customs«, »un- contested rules«, »the glorious past«, etc., then, in a moment of crisis and growing dislocation, the resistant factions will start signifying their opposition in terms of »the new« and a rhetorics of »novelty«, »unprecedence«, »rup- On the Final (Im-)Possibility of Resistance, Progress and Avant-Garde 163 ture«. We are facing a phenomenon of absolute sublimity, as it was the case in the French Revolution. The problem is that, according to the the significatory logics, as soon as we can sufficiently describe what the new thing is, then it is not new anymore - it is already part of the known, »the old«. Thus, »the New« points at the outside of signification, it is the name for the instance of tempo- rality in the Laclauian sense. So we can claim that newness has no object. What does it mean to say that - in a »modernist«2 conjuncture - the event will be conceived as sublime. It is not for nothing that the French revolution has been experienced according to the aesthetics of the Sublime. The whole metaphoric arsenal of the Sublime - descriptions of the revolution as storm, hurricane, maelstrom, landslide, earthquake, volcanic eruption - can be found in the reports of visitors (revolutionary »tourists«) of the events of 1789. Laclauian political theory may help us to understand the close relationship between the revolution and the Sublime. If we see sublimation as a process of emptying out centred around the category of the empty signifier then we can give it a discourse analytical theorization starting from - the both necessary and seemingly contradictory assumption - that an empty signifier must be radically empty and »more or less« empty at the same time. On one hand, during the process of its hegemonization/universalization/ puri- fication any political signifier (like »democracy«, »freedom«, »revolution« etc.) gradually loses more and more of its specific content. This is the problem of any alliance or coalition: the more social groups join in their articulation of certain demands the smaller is the extent of demands which all participants are prepared to endorse (this may be called the logics of compromise). Here, floating signiflers - more or less empty - simply indicate antagonisms which are criss-crossing the political field. But on the other hand, though, the empty signifier is not simply evacuated of its specific signifieds step by step, it also »signifies« that which lies beyond signification, its constitutive outside. It is precisely because of this sublime 2 Laclau speaks of »democratic struggles where these imply a plurality of political spaces, and of popular struggles where certain discourses tendentially construct the division of a single political space in two opposed fields. But it is clear that the fundamental concept is that of 'democratic struggles', and that popular struggles are merely specific conjunctures resulting from the multiplication of equivalence effects among democratic struggles.« (Laclau/Mouffe 1985,137) Revolutionary or popular struggles are clearly accompanied by a certain rhetorical pathos (as we find it in manifestos). The »emptier« a signifier is the more struggles it can unite under its banner. It is in this sense that we speak about a modernist conjuncture. Although the »conditions of political struggle in mature capitalism are increasingly distant from the nineteenth-century model of a clear-cut 'politics of frontiers'« (Laclau/Mouffe 1985,133) the empty siginifier appears as truly sublime signifier only in a modernist conjuncture, in a situation of a »politics of frontiers«. The pathos of decision and revolutionary rhetorics are necessary to emotionalize and motivate people during a popular struggle. 164 Oliver Mar char t signification of the absent fullness, of the outside of the signifying system as such, why the empty signifier is able to sew the political field. As we said, in Laclau this outside of signification is conceived as something which threatens the signifying system, as Antagonism. This profound Antagonism can only show or reveal itself as an event (because the collapse of signification can't be a part of signification, in this case it would be no collapse: »if the event was not essentially exterior to the structure, it could be inscribed as an internal moment of the latter«, Laclau 1990, 44). While the gradual sublimity belongs to the order of politics, the absolute Sublime belongs to the order of the Political. Hence, the Political is the name for the very moment of »openness«3, when the sedimented structure of society is radically questioned, as it usually happens in the case of revolutions. So we can say - with Kant - that what is »represented« in the Sublime is unrepresentable formlessness as such, and we can say - with Laclau - that what is »represented« in the revolution is not the one or the other specific demand but the entirely empty concept of (new) order as such. It is the very systematicity of the old signifying system (of the ancien régime) which is under assault. Hence, the empty signifier »revolution« »symbolizes the very principle of spatiality and structurality«, that is, the proposed (new) order. But as far as this order is diametrically opposed to the existing (old) order, it symbolizes the very principle of temporality, the proposed new or «orc-(order), even chaos and destruction. This new order has no content and no object. It is precisely because of their objectlessness why avant-garde movements are dogmatic - dogmatic in the Althusserian sense. For Althusser, a true philoso- pher of avant-garde, philosophy has no object either. Marxism and psycho- analysis are radically opposed to a hostile outside - »bourgeois« ideology. This outside is inflected into the inside in form of revisionisms (Jung, Adler etc.), and thus it becomes inevitable to draw a line of demarcation between dogmatism and revisionism. Philosophy is even reduced for Althusser to the mere performative act of drawing this line of demarcation by declaring a 3 As Pierre Bertaux mentioned, one could see even the Heideggerian category of Openness through Hölderlin 's eyes as a revolutionary category: »Die Revolution ist Offen-barung und umgekehrt. Der Begriff des 'Offenen' wird später in Hölderlins Dichtung eine bedeutende Rolle spielen; er kommt etwa zwanzigmal in der Lyrik nach 1800 vor: Das 'Offene' enthält an sich schon den Inbegriff des Revolutionären, nämlich daß die Welt nicht mehr als ein Abgeschlossenes, sondern als ein Offenes erscheint, als ein Augenblick, in dem plötzlich alles möglich ist oder möglich scheint, was sonst unmöglich war« (Bertaux 1990, 66). The same holds for all the famous young pupils of the »Tübinger Stift«, who felt more than enthusiastic about the French Revolution. Hegel's philosophy, as the conservative philosopher Joachim Ritter has noticed, is revolutionary in its innermost motives: »es gibt keine zweite Philosophie, die so sehr und bis in ihre innersten Antriebe hinein Philosophie der Revolution ist wie die Hegels.« (Ritter 1977, 192) On the Final (Im-)Possibility of Resistance, Progress and Avant-Garde 165 thesis. So it is, in its very essence, a thetical declamation without any object. The resemblance between artistic and political avant-garde practices is strik- ing. Not by accident the manifesto, a mere gesture of declaration, became the genre of every vanguard movement. So we are confronted with the strange case of an empty and anti-essentialist dogmatism that keeps faith in its own objectlessness, and by defending the very principle of temporality against spatiality, avant-garde dogmatism opens a place for the myth of modernity/emancipation/enlightenment. The second table shows how this idea of avant-garde as political principle structurally relates to immanentism, monarchism and the project of a radical and plural democracy. First, an avant-garde concerned with the New, works on the backround of an empty dogmatism since the New itself has no object. Second, classical avant- garde still sees itself as being in a symmetric, that is, necessary relation to the empty universalism of newness: a privileged particularity ready to incarnate this universality. However, an asymmetric dialectics between particularism and universalism, between politics and the Political, between the empty signifier and the (absent) fullness, between the signifying system and its constitutive outside, in fact became feasible after the democratic invention. table 2: full universalism (=foundationalism) empty universalism (=anti-essentialist »dogmatism«) »expressive« incarnation immanentism avant- garde/j acobi ni sm asymmetric incarnation monarchism democratic pluralism Let us concentrate on the right side of this table. A good example for an empty universalism might be democracy in the Lefortian sense, where, after the decorporation of the king, the place of power became empty. There is no essence of democracy, precisely because democracy is lacking any grounding by a transcendent power. But how to keep the place of power empty? Jacobinism Now, jacobinism and its avant-garde successors adopted the role of the expres- sive (that is necessary) incorporation of the universalism of the empty place of democracy or the impossible »newness« of revolution. The avant-garde, thus, is positioned in a non-contingent relation to the empty signifier, while at the same time accepting the radically empty character of this signifier und keep- 166 Oliver Mar char t ing it empty »by all means necessary«. Thus, it is on the one hand opposed to any form of immanentism which doesn't accept the empty character of its foundations. Immanentism - following Jean-Luc Nancy - quite on the con- trary, supposes the essential identity between universality and incarnatory object, the junction of outside and inside, or the »communion« of community and leader. But on the other hand avant-garde is also opposed to monarchism, where a contingent, particular object (the hereditary monarch) represents universality. However, even if their relation is an asymmetrical one, the place of power is not empty in monarchism - we will come back to that later. Given that the Jacobin particularism »expresses« the emptyness of the empty place of power by occupying it, we will encounter a first problem with jacobinism. For under conditions where the public sphere is not one but multiple we can't anymore speak about the unique empty place of power. There will be a multiplicity of empty power places4 (to be occupied/con- structed or not) on every single level of society. Under these conditions the instance of power is still empty, but it is not unique, that is to say, we will neither find nor be able to construct the one and single nodal point which has the capacity to suture society as a whole. This was part of the Jacobin fantasy. Therefore it doesn't suffice to save the empty universalism of democracy on the parliamentary level alone. To suppose such an »expressive« and non-multiple empty universalism can even get us into a deadlock resembling a systems theoretical paradox, as it is the case with the Algerian experiment. A paradox arises if we look at the very distinction between the two terms of the basic binary code of a system through the eyes of one of these very terms. Supposed the Algerian code reads »de- mocracy vs. fundamentalism«: Is it democratic or is it fundamentalistic to draw a line of demarcation between democracy and fundamentalism? Is it democratic to abolish democracy - if there is majority in favour of fundamen- talism? Or is it fundamentalistic to stick to democracy against the will of an anti-democratic majority? If we restrict our notion of democracy to a representational majority principle (thereby excluding the questions of human rights, of an open public sphere, etc.), that is to the battle for the single empty place of representational power, then the Algerian military junta and its fight against immanentism is a modern example for the (strategic) Jacobin paradox: In order to save democracy we 4 »Social dislocation is therefore coterminous with the construction of power centres. But given that the possibility of resistance to that power means that the latter is not a total power, the vision of the social emerging from this description is that of a plurality of power centres, each with a different capacity to irradiate and structure. That is what is meant by a decentred structure: not just the absence of a centre but the practice of decentring through antagonism« (Laclau 1990, 40). On the Final (Im-)Possibility of Resistance, Progress and Avant-Garde 167 have to abolish democracy. The rousseauesque idea behind the dictatorship of freedom is that the only way to build a reign of freedom is to force people to be free. Jacobinism defends the empty universalism of democracy by expres- sively incorporating it. Fundamentalism, on the other hand, perceives itself as the incarnation of a supposedly coherent body of holy texts, rules, customs and traditions - parts of a full universalism - and uses democratic elections strategically in order to overcome democracy. From this point of view fundamentalists don't face a paradox since for them there is no empty place of power to be protected. The place of power is already occupied by the transcendental body of the Lord as well as by His direct and symmetric earthly incarnation - the fundamentalist religion. The immanentist has not yet experienced the simultaneous decorpo- ration of the King's two bodies. S/he takes the empty signifier for a »full« signifier - overflown by a transcendental signified. The conclusion we draw from this example is that we should avoid both the idea of a single place that has or has not to be occupied by an avant-garde party with an intrinsic and privileged relation to this place, and, as a consequence, the idea of a single place that has to be occupied by a particularism which relates to this place in an asymmetric and purely particular way, as it is the case with the Hegelian monarch. For Hegel, the physical body of the heredi- tary monarch is thought as the material complement to rational universality precisely because it is alienated of any universal grounding. It is in this sense that Slavoj Žižek could propose a kind of Lacano-Hegelian monarchism. For Žižek, the monarch defends the emptyness of democratic power by reversing the Jacobin strategy and occupying the empty place with its own contingent, non-necessary body. However, it is rarely more than a Hegelian joke to take the monarch as representative of an empty universalism. The only universality represented by the monarch is the principle of monarchy; the only thing the particular, contingent body of the monarch does point at is the transcendental body of the monarch - and not the principle of democracy. In this sense the empty signifier »monarch« is nothing else than the - however asymmetric ^biologi- cally contingent) - incarnation of the transcendental signifier »monarchy« (or »rationality« in Hegel), but there is no way for »monarch« to signify »democ- racy«. Only a monarchy without monarch could do so. But such a monarchy without monarch, in which a plurality of social actors - each of them being equally entitled - compete in order to temporarily signify the empty places of power, cannot be called a monarchy anymore - it would simply be a democ- racy. What remains now is the quite ordinary idea of democratic pluralism. But here 168 Oliver Mar char t we arrive at the whole point of our argument. In what follows we will claim that there is no feasible democratic pluralism without an element of avant- garde jacobinism. In the course of our argument we will focus on the right side of table 2, the side of empty universalism or dogmatism, and we will split up both the categories of jacobinism and pluralism into two tendencies each: a pragmatic or strategic dogmatism on the one side, and a theoreticist dogma- tism on the other. What we will get is table 3: table 3: pragmatism (strategic dogmatism) theorism (»dogmatic dogmatism«) avant-garde democracy Leninism (Necaev) démocratie à venir (Derrida) post-avant-garde democracy hegemonic pluralism (Laclau/Mouffe) dispersive pluralism (Lyotard) The content of the whole table is dogmatic in the Althusserian sense: it is faithfully oriented towards a universality without object. This universality is just a name for the event. In the case of »dogmatic dogmatism« we may speak about an event to come, in the case of strategic dogmatism we may speak about an event to be produced. These are the two extremes on the modernist horizon- tal axis: here the avant-garde is confronted with democracy as an impossible task, an impossible object or good, that is never fully realized. This contraction of both a Lacanian and a Derridian concept is a strong element in Laclau/ Mouffe: »Central to this approach is the awareness that a pluralist democracy contains a paradox, since the very moment of its realization would see its disintegration. It should be conceived as a good that only exists as good so long as it cannot be reached. Such a democracy will therefore always be a democracy 'to come' (...)« (Mouffe 1993, 8) This we may call a jacobinism without blood on its gloves. But this »negative« jacobinism that merely concentrates on the emptyness of the place of power without protecting it, without constructing new power centres, remains to a considerably high de- gree politically impotent5. It may be a highly ethical stand, but it is not a political one. 5 An Althusserian would claim at this point that the empty act of drawing a line of demarcation in the realm of theory certainly produces effects in politics. Even if we concede that - what we do - it is only under the assumption of a deterministic relationship between theory and the realm where the effects are going to emerge that we are able to foresee the kind of effects being produced. For example, our »correct« intervention in theory could have entirely counterpro- ductive effects elsewhere. On the Final (Im-)Possibility of Resistance, Progress and Avant-Garde 169 On the other end of the modernist scale, though, we may find a purely strategic jacobinism: this is the Jesuit and Macchiavellistic tradition that leads to Blanqui, to Lenin, and later to urban guerrilla (the guerilla fighter as Jesuit of warfare6), the Black Panther Party, the Red Army Faction, and so on. Here, nearly everything is allowed in order to defend or construct the empty signifiers »revolution«, »freedom« or »equality« - all of them synonyms for the radical »new«, the sublime event. One of the best examples for such a stand is Sergej Necaev, the Saint-Just of 19th century anarchism. It would be difficult to find a concept more unspecified and empty than the notion of »revolution« in his »Revolutionary Catechism«. Almost nothing can be said about the revolution - it was Bakunin who called Necaev a believer without God and a hero without phrases. Revolution is not much more than the principle of the entire destruc- tion of all traditions, laws and classes of the state. The revolutionary, accord- ing to Necaev, knows only one science: the science of destruction. Applying Saint-Just to Necaev we could paraphrase: What constitutes the empty signifier of »revolution« (the New) is the total destruction of what is not empty (the old). However, it is quite clear that Necaev's conspirational vanguard associa- tion stands in an »expressive« and necessary relation to this negative principle. Post-Avant-Garde While in this Jacobin trend the idea of a strategy which allows everything in order to achieve the goal7 may lead in the last instance to decisionism, the idea of la démocratie à venir on the other hand doesn't explain why democracy should be constructed at all (and not be simply awaited). The same with dispersive pluralism. It supposes a play or flux of signifiers without delivering 6 For Che Guevara the »guerilla band is an armed nucleus, the fighting vanguard of the people« (Guevara 1970,15). The guerilla soldier can be called a Jesuit because of his »elastic positions«, which reminds to the »revolutionary elasticity« (Hannes Meyer) of Leninism. It is expressed in his »flexibility, his ability to adapt himself to all circumstances, and to convert to his service all of the accidents of the action. Against the rigidity of classical methods of fighting, the guerilla fighter invents his own tactics at every minute of the fight and constantly surprises the enemy« (Guevara 1970, 25) 7 As an example we quote paragraph 22 from the German edition of the »Revolutionary Catechism«: »Die Assoziation hat kein anderes Ziel als vollständige Befreiung und Glück des Volkes, das heißt, der leidenden Menschen. Aber davon überzeugt, daß diese Befreiung und dieses Glück nur auf dem Wege einer alles zerstörenden Volksrevolution erreicht werden können, wird die Assoziation alle ihre Mittel und alle ihre Kräfte darauf verwenden, die Leiden und das Unglück zu vergrößern und zu vermehren, die schließlich die Geduld des Volkes erschöpfen und es zu einem Massenaufstand veranlassen muß« (Bakunin/Necaev 1980, 123). And paragraph 4: »Moralisch ist für ihn (the revolutionary, O.M.) alles, was den Sieg der Revolution unterstützt, unmoralisch, was sich ihm in den Weg stellt« (Bakunin/Necaev 1980, 118). 170 Oliver Mar char t any concept of how they are going to agglomerate. Lyotard's »minoritarian patchwork« is one example, Deleuze's »micropolitics« is another one. Thus, the concepts of the right vertical axis of table 3 are, in a way, purely theoreti- cal. They can't account for the articulatory process of fixation of meaning, the only thing they can account for is un-fixity. But if Laclau is right in his assumption that the »way to overcome the temporal, traumatic and unrepresentable nature of dislocation is to construct it as a moment in permanent structural relations with other moments, in which case the pure temporality of the 'event' is eliminated« (Laclau 1990, 72), and if Mouffe is also right in her assumption that the democratic »coming to terms« contains the paradox of the absent event - insofar as every real event is an event 'to come' - then we have a situation of mutual contamination between a strategico-pragmatic jacobinism and a theoretical messianic without messianism. But there is the third term that has to be included: pluralism. Although we must say that a dispersive pluralism would be a self-defeating enterprise, pluralism as regulative idea can and must be maintained, since it disperses the »expressive« relation of the avant-garde party to the empty universalism - no single movement can claim to have privileged access to the latter. Quite on the contrary, a plurality of movements compete in order to incarnate the empty place of power, that is, to construct power centres. Democratico-hegemonic pluralism is therefore not only adjacent to the other three boxes, it is even nothing without these elements. 1. Hegemonic pluralism acknowledges the emptiness of the universal. 2. Hegemonic pluralism remains oriented towards dispersive pluralism, since it doesn't believe in an a priori privileged role of any single element in politics. It is because of this neighborhood to a range of other particularisms that hegemonic pluralism keeps the possibility open to build a common chain of equivalence, while at the same time acknowledging that any incarnation will always be insufficient and asymmetric in relation to what- ever universality incarnated. 3. However, hegemonic pluralism accepts the constant competition or power- struggles amongst the political actors in order to take the lead. Any single movement may temporarily take over the lead according to the logics of hegemony. Hence, it has to open itself to a kind of »dirty realism«. So we actually can speak about avant-garde. An avant-garde, though, under conditions of the general impossibility of avant-garde. An avant-garde amongst other competing movements - none of them standing in the pole position of history. The direction has still to be negotiated. But different to other compet- ing groups, this post-avant-garde has not yet lost any concept of the New. Progress towards the New, though, should only be negatively defined as a On the Final (Im-)Possibility of Resistance, Progress and Avant-Garde 171 movement away from the heap of ruins of history - not according to the apocalyptic picture as it was drawn by Walter Benjamin, rather in the sense of the pragmatic words of Bert Brecht: »Wirklicher Fortschritt hat als Ursache die Unhaltbarkeit eines wirklichen Zustandes und als Folge seine Veränderung« (Hecht 1986, 346). Otherwise post-avant-garde would have to claim a superior knowledge about the future - what would clearly be absurd. Post-avant-garde, thus, doesn't anymore occupy a privileged position but simply a position that keeps faith in the entirely empty and groundless event of the New as opposed to the old. Post-avant-gardists would have to reformulate Alain Badiou's hypothèse fondatrice (»II y a une capacité politique ordonné à la non-domination«, Badiou 1985, 61) into: Il y a une capacité politique ordonné au non-passé8. This hypothesis is what it is, a hypothesis, an assump- tion. Not more. And since the possibility of emancipation (= non-domination) is hypothetical, engagement cannot logically be derived either: »L'engagement est axiomatique« (Badiou 1985, 76). Considering the axiomatic character of every engagement, be it radical, resistant or avant-garde, we can only repeat the poignant words coined by »Nike« for their sneaker-ads: »Just do it«. References Althusser, Louis (1974), Philosophie et philosophie spontanée des savants, Paris Badiou, Alain (1985), Peut-on penser la politique?, Paris Badiou, Alain (1993), L'éthique. Essai sur la conscience du Mal, Paris Bertaux, Pierre (1990), Hölderlin und die Französische Revolution, Berlin/ Weimar Brecht, Bertolt (1986), Einige Grundbegriffe zur Theorie des epischen The- aters, in: Werner Hecht, Brechts Theorie des Theaters, Frankfurt am Main 8 If we were traditionalists we would obviously inforce a kind of »politique ordonné à la tradition«. But usally traditionalists don't formulate their politics as a mere hypothesis. Post- avant-garde, which is »non-passé«, is entirely non-grounded, an empty universalism, while the sedimented forms of tradition fill the traditionalistic universalism. Traditionalists - despite the empty character of the signifier »tradition« - will always be prepared to give en exhaustive description of the contents of their traditions. They can do so because they assume a symmetric, that is non-hypotheticahs\aüon of their particular traditions to the universalism of »tradition«. The average traditionalist doesn't keep his/her universalism open as an empty place. Quite on the contrary, s/he is eager to fill it up with a whole bunch of supposedly eternal, sedimented particular customs. On the other hand it is true, that a traditionalism without traditions - resp. with »traditions to come« - would exactly be the same as a messianic without messianism in the sense Derrida, Benjamin or Russian cosmists have in mind. This goes for every signifier we may put into the slot. It is simply a question of the structural relation between particularism and universalism, and not of the specific signifiers we use. 172 Oliver Mar char t Bakunin, Michael; Necaev, Sergej (1980), Gewalt für den Körper. Verrat für die Seele?, Berlin Derrida, Jacques (1993), Spectres de Marx, Paris Guevara, Che (1970), Guerilla Warfare, Harmondsworth Laclau, Ernesto; Mouffe, Chantal (1985), Hegemony and Socialist Strategy, London/N.Y. Laclau, Ernesto (1990), New Reflections on the Revolution of Our Time, London/N.Y. Laclau, Ernesto (1994), Why do Empty Signifiers Matter to Politics?, in: Jeffrey Weeks (ed), The Lesser Evil and the Greater Good. The Theory and Politics of Social Diversity, London Lefort, Claude (1981), L 'invention démocratique, Paris Mouffe, Chantai (1993), The Return of the Political, London/N.Y. Nancy, Jean-Luc (1986), La Communauté désoeuvrée, Paris Ritter, Joachim (1977), Metaphysik und Politik, Frankfurt am Main Terreur, tyrannie, état d'exception Some Remarks on Carl Schmitt's Notion of »Exception« Jorge E. Dotti If metaphysics constitutes itself from the question Why is there being rather than nothing?, Political Theology does it from the question Why is there order rather than chaos? The notion that determinates the idea of sovereignty in Carl Schmitt, express subject of his Politische Theologie, is that of exception, which acquires a central significance in all his thought. This is evident already in the proposi- tion which opens the famous text of 1922 and anticipates its logic and conclu- sions with the strength of an apothegm: »Sovereign is he who decides on the exception«1. To act as a sovereign amounts to conceptualize as »exceptional« a state of affairs that is reluctant to be constrained by the normal rules and, simultaneously, to overrule it through measures which in turn end up being exceptional vis a vis the rules prescribed by the legal system under normal conditions. Sovereignty indicates a specific form of action, that is, of the behaviour of the human being thought of as an ethical subject, free and responsible, in precise circumstances. »Sovereign« rather than a noun is an adjective that qualifies the agent, insofar her action is irreducible to, although not contradictory with, moral and economic behaviours. The Schmittian discourse, in terms which seem antimodern but that are significant only if contextualized from moder- nity, makes of the exception the condition of possibility for the sovereign action and seeks to found the primacy of the political over the abstractions of rationalistic ethics and the utilitarianism of liberal political economy. Let us analyze some connotations of this concept. 1. The first explanation to be offered is that we ought not to justify the decision on the state of exception through the appeal to a cognitive procedure, as if the decision were dependent upon a proper empirical observation, com- patible with value neutrality. The sovereign decision belongs to the universe of practice, not to the universe 1 All the quotations are from Schmitt; Carl, Political Theology: Four Chapters on the Concept of Sovereignty, Schwab, G., tr. from German, MIT Press, 1988. Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 175-133. 176 Jorge E. Dotti of knowledge, and does not get its legitimacy from ist submission to a scien- tific opinion, but from ist political function. Independently from the fact that the parts in struggle for dominating the exception and thus founding a new order might agree in judging the situation as exceptional, the judgement that counts is the one of the sovereign, that is, the judgement of he who imposes his interpretation and his way of dealing with the exception, according to a criterion which doesn't rely on gnoseological requirements. The »objectivity« of the political is a construction of the will, and it is based on conflict. Neutral observation and epistemological impartiality suppose, on the contrary, the absence of the political, the uncontested validity of universals which remain out of the range of the conflict of opinions. The exceptional case, then, finds its justification not in a cognitive procedure of verification and corroboration of different points of view, but in the displacement of the argument towards metaphysics, because it is from metaphysics that the politi- cal acquires its essential meaning. In a few words: the question of the excep- tional presupposes a philosophical or metaphysical anthropology, an image of what the human being »is« in her deepest »nature«. This image is prior to any empirical observation, given that it determinates the interpretation of any data. The antagonists on the exception face one another over the power of creating an order, and this is a conflict concerning the criteria for interpreting reality. In this sense, Schmitt teaches that politics and hermeneutics are deeply intertwisted. The fact of assuming the »nature« of human being either as an objective truth or as a fiction does not alter the conceptual nerve of this reading. More over we should not pay great attention to Schmitt's innermost position regarding this matter. What really counts is that, for the sake of his argument, the judgement on human nature is a fundamental ethical assumption for any political attitude. In other words, Schmitt takes an a priori metaphysical stand on the intrinsic capacity or incapacity of human beings regarding the possibility of a peaceful living together with their neighbours, and therefore, on the necessity of sub- mitting or not submitting themselves to a structure of command and obedi- ence. To assume human nature as good or evil is a basic existential choice, which cannot be ignored or postponed invoking pedagogical motives (like the enlighted belief in the power of education for overwhelming evil, or at least for keeping it at bay), or economic grounds (like the liberal and marxist belief that the system of productive and distributive relations makes up the locus from which the progress of mankind is determined). It 's rather a choice which comes out in the metaphysical dimension which provides the legal universe with its essential meaning. Before the dilemma, Schmitt picks out its negative side. The unavoidability of evil is the fundamental premise of the political, and every notion of authority must presuppose it in order to provide the command/obedience link with a Some Remarks on Carl Schmitt 's Notion of »Exception« 179 strictly juridical meaning in lieu of a sheer force and violence relationship. His political theology is prompted by a negative view on »human nature«, thus his polemic not only against the liberal but also against the hegelian-marxist and anarchic belief in a final conciliation of conflicts, that is, in the worldly realization of a harmonic and conciliated sociability once the mechanisms of authoritarian intervention or of alienation (through which human nature has been harnessed and distorted) have been got rid of, be it by freeing the market, be it by tumbling down the old institutions. To Schmitt, on the contrary, such harmony is impossible because the human being suffers from an ontological shortcoming, from a metaphysical lack which constrains her to surrender her actions to a vertical structure, that is, to the sovereign authority. This is the source of the decision to which the excep- tion has conferred its promptness. Thus the content of the exceptional decision has become secondary: »a decision is inherent in the mere existence of a governmental authority« - writes Schmitt in illustrating and sharing in De Maistre's thought - »and the decision as such is in turn valuable precisely because, as far as the most essential issues are concerned, making a decision is more important than how a decision is made« (p. 47). Some commentators hold that Schmitt's position matches up a reactionary traditionalism. But we think it is precisely the opposite. This Schmittian formalism is the rigorous conclusion to the emptying of legitimacy due to the secularizing and secularized reason; a conclusion - so modern in its antimoder- nity — that shows the magnitude of Schmitt's theoretical effort in re-reading metaphysics from a formal, that is, groundless, abysmal, (abgründig) concep- tion of the political. We will retake this issue later on. Let us emphasize now that if our interpretion is right, the conceptual genesis of the Schmittian idea of the political rests on that transcendental (in Kantian sense) judgement on human being as a being hopelessly suffering from an ontological imperfecton, which in terms of practical philosophy means to suffer from an unchangeable inclination to- wards evil. In the »natural wickedness« of human being is the matrix of the everlasting attempts to undermine any normative structure or legal system, which men cannot help making. It is from this metaphysico-ethical deficit or shortcoming of »human nature« that both the state of exception and the exceptional decision spring. Both poles of the existentially conflicting condi- tion of men refer to a common transcendental origin: the unavoidable irruption of the exceptional into what is normally and normatively ruled. From this standpoint, we can find in the Politische Theologie two main features of Schmitt's thought. First, the fascination for vanguardism, his attraction/repulsion relationship with the moments of breakdown, precisely 178 Jorge E. Dotti because they represent the condition of possibility for the creation of an order ex novo. Secondly, evil as the ethical expression of the human imperfection or metaphysical finitude is the Schmittian reinsurance for human freedom, in so far as the exception and the consequent decision represent the outburst of what is new, of what is reluctant to any predetermination. In sustaining the absolute character of the exception (be it as a state of affairs, be it as a sovereign decision), Schmitt - without thematizing it expressis verbis in the terms of our description - calls for an idea of liberty that, although it has its roots in the Christian tradition of free will, it nevertheless incorporates the distinctively modern marks of formalism, vanguardism and even relativism. Thus his work remains rooted in the cultural atmosphere of Europe after the First World War, and increases the controversial function against the liberal neutralization of the political. It is about time for us to sum up what we have said so far, in order to continue the mainstream of our thought. By referring to the metaphysical dimension, Schmitt avoids the scientificist dismantling of an existential challenge and gives a political answer to evil. The dynamics of breakdown and building of order, that the state of exception brings along, has thus a metaphysical root: that ontological fault, which comes to the light in the unavoidable tension between the rebellion against rules and universal systems (which pretend to be definitely valid only because they ignore what puts them into question, that is, the exception), on the one hand; and the also unavoidable necessity of constantly attempting rebuildings of a legal order, on the other. 2. Let us analyze now more in detail the Schmittian category of »exception«. To take into account evil (a metaphysical fiction) as a transcendental apriori of the political, amounts to be unable to conceptualize the exception in terms other than negative ones, because if we did use positive terms we would fall into the contradiction of offering the regularity that explains the exceptional and makes it predictable. Thus Schmitt deals with the case of exception only arguing from what the exception is not, from its contrast to what is normal and regular. The Schmittian exception could not be explained in terms of any of the categories with which the positive legal system describes any situation that threatens its efficacy and which it hopes to put under control through the constitutional procedures. Rationalism, according to Schmitt, is afraid of the exception and seeks to neutralize it; in doing so it both ignores the metaphysics of evil on which the exceptional rests (and this means that rationalism sets off from a different ethical approach: the »goodness of human nature«), and also fails to see the legal bearing or intrinsecal legal condition of the exception. In order to prevent Some Remarks on Carl Schmitt 's Notion of »Exception« 179 himself from loosing ground vis a vis the theoretical positions he is fighting against (Kelsen's particularly), Schmitt emphasizes expressly that the couple exception/decision belongs to the realm of Law. Of course, he is thinking of the Law not only as a mere system of legality, but as the fundamental structure of order which carries in itself the voluntarist element that warrants efficacy to all positive norms and, in this sense, is prior even to constituional rules (Verfassungsgesetze), because it gives birth to the conditions under which any legal system fulfils its task. This intrinsically juristic apriori is, thus, the sovereign decision, that guaran- tees peace and freedom, and grounds itself on a mixture of consent and coercion, which is constantly recreated from the political. As we will see, the Law, in this sense at a time transcendental and concrete, is identified by Schmitt with the »State«. The feature of belonging to Recht of both the abnormal exceptional case and the extra-normative exceptional decision that puts an end to it, is stated in the following definition: »The exception is that which cannot be subsumed; it defies general codification, but it simultaneously reveals a specifically juristic element: the decision in absolute purity« (p. 13). But what is Schmitt thinking of when he refers to this key expression: »that which cannot be subsumed«? First of all he alludes to the impotence of the rule before what is radically new, or, rather, to the fight between the exceptional and the law in force, so that the exceptional might free itself from the rule and thus found from itself a new legality. The unforeseen (the vanguardist moment of the exception) brings the standards of normativeness to a crisis. The legal categories turn out to be unable to grasp the meaning of what is new, the specificity of the excepetional which bursts out in the system and puts into question the hegemony of the legal patterns in force upt to this point, because these legal categories cannot go further than conceptualizing through abstract statements and identifications with what is already foreseen and ruled. The whole Schmittian set-up is moved by his critique of liberal rationalism, which is in turn charged with pretending to legitimate the institutions of the rule of law (Rechtsstaat') through the presumed reason's capacity of self- foundation. The positive legal order is thus presented as the result of an act of self-realization that reason works within itself, making itself up through its own logic as an objective and self-sufficient structure. The liberal legal sys- tem, according to Schmitt, adjusts itself always without making any reference to anything alien to the dynamics of ist own development in conditions of normality. From this absolutely abstract perspective, the law is a set of rules, which has no ontological debts to anything but its own logic, in a closed 180 Jorge E. Dotti completion. This allmighty system foresees, then, all type of cases, and pre- dictability is its main feature. It is the empire of the instrumental logic (the means/end pattern), that makes it possible for the calculation of utilities to exist: the economic neutralizes the political. In the realm of law thus under- stood, what disobeys this paradigm is ejected from the normative universe, becomes juridically meaningless and is confined within the psycho-sociologi- cal, historical or »political« dimension and, as such, alien to any juridically scientific discourse. The first step of this Schmittian rejection of the rationalistic pretension of legal self-sufficiency and completion, is the proposal of an alternative view, that he calls - along rather too general lines - »philosophy of the concrete life«. This proposal seems to be an appropriate theoretical position in order to make sense of »that which cannot be subsumed« (p. 13). We cannot analyze in this paper the heterogenous elements of an idea so rooted in its cultural milieu (Catholic renouveau, Kierkegaard's existentialism, Nietzsche's philosophy, French and German vitalism, dadaism). Let us simply bring out the common feature of them all: the dismissal of the abstract and, let us say, imperial nature of modern ratio. With his critical remarks on the procedure of subsuming what is new under abstract universals, Schmitt makes his idea of »exception« tanta- mount to what is unforeseenly threatening, to what crashes into the system of concepts and categories already set up, in order to work out a new interpreta- tion of the leading principles of the legal order. We read, thus, in the Politische Theologie that: »The exception confounds the unity and order of the rationalist scheme« (p. 14), that is, it defies the stability based on the submission of what is given (the state of affairs) to an universal that is valid just for being too vague. The ordering function of the liberal legal categories cannot make sense of the exception in its specificity, in its refusal to fall under the sway of normal - and normalizing - typologies. The exception opens the political (not war- like) struggle for the hermeneutical hegemony, from which depends the mean- ing of legal principles and standards. The issue of »that which cannot be subsumed« is the issue of the application of a principle to a reality marked out by antagonisms, by the lack of harmony. This application is always a creative political gesture, a decision. This does not mean irrationalism at all, but only the fact that all sort of predetermination or rationalist predictability becomes useless when the exceptional case breaks through. The exception unchains the crisis of the rule and of all mechanic inference of the particular case from the universal category through a syllogis- tic procedure. Therefore, the key to the conflicting interhuman dynamics does not rest on the ruled and relatively stable functioning of the normal legal paradigm, but in the Some Remarks on Carl Schmitt 's Notion of »Exception« 181 moment of breakdown of this structure through the irruption of the exceptional and the consequent decisionist answer thereto. Schmitt defines the exceptional moment as the extreme situation where the standards of interpretation become useless and the order is brought to a crisis. The decision as an answer to the conflict cannot be based in anything but itself qua self-founding free action. It is the imposition of a new semantic principle that is at issue, since the universals demand to be interpreted in order to be valid for the concrete cases, and the hermeneutic code, which has been valid so far, has been turned off precisely by the exception. Schmitt is aware that in the modern world, secularized and relativistic, the conflicts and disagreements about the interpretation of ethical and legal principles cannot be worked out by an objective criterion, acknowledged by everybody as unquestionably valid, but only in a political way. The collapse of such classical universality (that is, of the objective validity of ethical principles) has experienced a continous acceleration since the religious civil wars of the sixteenth and seventeenth centuries. The Schmittian definition of sovereignty aims at, precisely, making clear the logic of the working out of the antagonisms in an age which has made of the individual conscience the »natural« and »rational« judge of the decisive practical criteria, under such conditions, we must appeal to authority as pure form, as a function of order tout court, which carries in itself - according to Schmitt - the guarantee of applicability, rather than to focuse on the legitimat- ing contents, on which discussion is never ending and, thus, inappropriate for the tempo of the political. 3. This leads us towards a third aspect. The form »authority«, the decision as form or function of order as such, implies the personalization of sovereignty, against its reduction to an impersonal and bureaucratic administrative proce- dure under conditions of normality. Schmitt links the personal character of sovereignty with the peculiar formalism of decision, correspondigly to an exercise of the will in the age of modern secularization and relativism. The focusing of the problem of sovereignty on the issue of the sovereign is the reverse of the impossibility of subsuming mechanically the exceptional case under predetermined universals. Neither the exception nor the decision, with which the sovereign tries to cope with the exception itself, can be categorized under any of the rules regularly in force, because they represent the creative moment of action, which stands out of the range of predictability. And what we have presented as the problematic ontology of the exceptional (which could be defined only negatively) has its correlative side in the ambiguous or dual subjectivity of the sovereign person. On the one hand, it is defined by a certain external position in relation to the positive legal order: the sovereign is exempted from any check or control, 182 Jorge E. Dotti since it is the source of law and only in the absence of limits it can recreate the conditions proper to the rule of law. On the other, the Schmittian sovereign keeps on being a juridical figure, it belongs intrinsecally to the realm of Law, though not to the positive legal system in conditions of normality. In our opinion, the ground for saying that the sovereign decision belongs to the juristic universe rests on its goal: to recreate the situation in which a new juridical system may develop itself undisturbed. And this means that peace and protection of human rights are (or should be, according to this decisionist logic) the goals of the absolute monopoly of decision, when exception must be faced and overwhelmed. The political is, precisely, this surplus that exceeds the rule, the free decision about the exceptional. If the goal were not to mend the rule of law, the whole argument would fall outside the realm of the political itself, since the result would be necessarily chaos and/or despotism. Therewith, be it from the conceptual point of view or from the sociological perspective, we would have to face a situation of sheer force or violence. And this waterdown of politics to a conflict between - let us say - material forces struggling for rulership (something similar to what Arendt calls Gewalt) is expressly rejected by Schmitt. 4. We reach now a fourth aspect. The priority of Law (including decision as its creative moment) over positive and legal norms and constitutional regula- tions doesn't shift to a panegyric of mere force, in Schmitt's arguments, because of the distinction between »State« and »Law«. But in this way, this latter notion acquires, then, an ambivalent meaning, which we must try to clear up. Until now, »law« meant the general juristic structure of life in common, including two inner moments or elements: norm and decision, being the latter the transcendental condition of the former. But now, with the same word (Recht), Schmitt means only the set of positive rules that are efficient only in so far the context of their aplicability is a normal situation. Only under regular and predictable conditions can law be put into practice. »State«, on the other side, takes - in this step of the reasoning - the place »decision« had before. It is the location of the necessarily personalized exer- cise of sovereignty that brings forth the normal and regular situation, which law needs in order to be applied in accordance to constitutional procedures. The State is the basis of law, the political and cultural context within which all kind of behaviours can be legally ruled and become, thus, predictable. Before the incapacity of the normally functioning system of rules to face the exception, the suspension of it does not amount to leave the solution of the Some Remarks on Carl Schmitt 's Notion of »Exception« 183 crisis up to a sheer conflict of forces, as if the only element of the juristic universe were normal law. Schmitt expresses his thought with the - as usually, pregnant - proposition: »The State remains, whereas law recedes«. What he is aiming at is to emphasize the existential dependence of the rule upon the decision. The addressee of the critique is modern rationalism because it forgets this origin and believes in the completion and self-sufficiency of reason, be it in the form of logos that realizes itself (as in Hegel or in economic liberalism), be it in the form of a »pure« and »neutral« scientific discourse about the regular functioning of the rule, as in Kelsen. Once again, Schmitt criticizes both the denial of the juridical identity of the decision (that is, of the transcendentally a priori moment of Law) and the belief that we can infer analitically our concrete actions from universal premises, as though they would carry in themselves the particular deontic indication, waiting for a syllogism that makes it explicit through an objective deduction. The exception, on the contrary, carries the question bach to the nothingness of the beginning and to the free act of creation of the State (I mean: to the Hobbesian moment of the political creation ex nihilo). Therefore, the excep- tional represents the maximum of tension between a juristic order without further qualifications, that is, the State, and a system of positive laws, or regular order based on predictability. »Legal order« is, then, the formula that expresses the tense conjunction be- tween the terms that define the realm of Law. The Schmittian opposition to normativism, which he blames for taking for granted the solution to the problem of how is it possible to the first rule to be efficient, consists in denying the rule the ontological capacity of giving birth to itself. On the contrary, a vital act of liberty is necessary to mediate between ideality and efficacy, that is, a decision with the performative force that an abstract statement cannot have. Schmitt links sovereign decision and law in a multiform way. a) From a transcendental or »genealogical« point of view, their relationship is that of the condition to the conditioned; b) from a structural perspective, both moments need each other, because decision, even though the a priori condition of law, acquires its proper sense from its juridical goal: to make possible the State of law; c) finally, in their specifically political synchronization, they are oppo- sites in everlasting antagonism. They cannot coexist pacifically side by side and each of them obeys two different patterns: exception in one case, normal- ity in the other. Law in its most complex meaning, das Juristische, turns out to be a sort of compound of elements that both complete and repulse one another at a time. However, Schmittian decisionism does not match both moments. Ex hypothesi, 184 Jorge E. Dotti the logic and dynamics of exception and decision are prior to those of the regular functioning of the positive legal system. The guiding thread of decisionism comes to the light in the following reflexion: by making the decision on the exceptional prior to the rule, Schmitt holds tight his justifica- tion of the mastery of the political over the economic. 5. A last comment. The ground upon which this sphere of free and creative action is built is not an ontology, as it was the case in the classical thinkers. Modernity has brought the via antiqua to a close, and Schmitt is far indeed from ignoring this historical result or from trying to revive the traditional theory of legitimacy. His critique to the antipolitical inner nature of modern rationalism should not make us forget that he is conscious of - and thinks within the frame given by - the lack of an ontological fundament of the political. In a nutshell: Schmitt's thought bears the very epochal signs of the modernity he is fighting against. Schmitt's way is the one open by (his) Hobbes: before the abyssal or ground- less dimension of the political, given the breakdown of the universals and the death of God, and facing the fact that the bellum omnium contra omnes (which results from the symbiosis between relativism and natural wickedness) is always threatening us, he teaches that there is no other solution than to appeal to the formalism of decision as mere function of order. Decision as a form, then, that unlike the abstract formalism of the rule, penetrates in the concrete nature of the situation and is able thus to put an end to the existential conflict. Provisionally, at least. Thus Schmitt plays in a decisionist key the dividing cut vis a vis the horizontal and immanent nature of legal normativism and economic utilitarianism, and so he appeals to a transcendental dimension. While liberal rationalism ignores the opening to the other, the constitutive remission to otherness, which any system needs in order to get efficacy (in so far it is neither self-founding nor self- sufficient), Schmitt opens his argument towards theology and in this way completes the dependence of the juridico-political on metaphysics, already stated with the premise that »human nature is evil«. But at this point the paradoxical modernity of the antimodern Schmitt be- comes clearer. The remission to theology counts less because of the kind of metaphysical, religious or axiological content that might be given to the transcendental itself (Schmitt knows that every individual conscience is sover- eign in its beliefs), than because of the discursive function it performs as rejection of any immanentism and utilitarianism. If the decision is form of order, the theological invoked by Schmitt is form of transcendence, remission to an empty alterity, justified only as an alternative cultural pattern to that of the logic of the economical. His political theology does not provide dogmatic Some Remarks on Carl Schmitt 's Notion of »Exception« 185 contents; it is just the discipline that deals with the analogies and shiftings from one »central realm« (Zentralgebiet) to the other: from theology to meta- physics, to ethics, to economy. As knowledge of the analogies and the intertwist between theology and poli- tics all along secularization, the Schmittian discipline is a »sociology of juristic concepts« (p. 44). But this presupposes having already made meta- physics the founding dimension of every theoretical and practical challenge to the mercantile functioning of the rule, because absolute horizontality, self- regulation, predictability, these are the features of the exchange of commodi- ties. In other words: in order that political theology may be regarded as a most peculiar branch of sociology, it must have become before the discursive realm where the decionist mediation is justified. That is, decision as a type of Vermittlung between the universal and the particular, in opposition to both the economical and the dialectical synthesis between the immanent (whose pre- tended completion and self-sufficiency have been eroded by the exception) and a transcendental that is nothingh but a mere ad quem, an empty theological referent whose content is continously provided by political decision. r i N f i L O G í n Revista de Filosofía. ANALOGIA es una revista de investigación y difusión filosófi- cas del Centro de Estudios de la Provincia de Santiago de Méxi- co de la Orden de Predicadores (Dominicos). ANALOGIA publica artículos de calidad sobre las distintas áreas de la fi- losofía. Director: Mauricio Beuchot. Consejo editorial: Ignacio An- gelelli, Tomás Calvo, Roque Carrión, Gabriel Chico, Marcelo Dascal, Gabriel Ferrer, Jorge J. E. Gracia, Klaus Hedwig, Eze- quiel de Olaso, Lorenzo Peña, Philibert Secretan, Enrique Vi- Uanueva. Colaboraciones (artículos, notas, reseñas) y pagos enviarse a: Apartado postal 23-161 Xochimilco 16000 México, D.F. MEXICO Peridiocidad semestral. Suscripción anual (2 números): 35 US dls. Le corps abject du roi: la Terreur et son Ennemi Jacob Rogozinski urgeons le sol des patriotes/Par des rois encore infecté;/La terre de la liberté/ Rejette les os des despotes./ De ces monstres divinisés/ Que tous les cercueils soient brisés. / Que leur mémoire soit flétrie/ Et qu 'avec leurs mânes errans/ Sortent du sein de la patrie/ Les cadavres de ses tyrans«. C'est en ces termes que le poète Lebrun, quelques jours après l'exécution de Louis XVI, appelle à achever l'oeuvre purificatrice du régicide en l'étendant symboliquement à toute la lignée des rois de France. Sur ordre de la Conven- tion, leurs tombeaux seront détruits en août 1793 dans la nécropole royale de Saint-Denis, puis leurs cadavres exhumés en octobre, alors que la Terreur vient d'être décrétée »à l'ordre du jour«: »Rien n 'a été remarquable dans l'extraction des cercueils faite dans la journée du mardi 15 octobre 1793: la plupart de ces corps étaient en putréfaction; il en sortait une vapeur noire et épaisse, d'une odeur infecte (...). Suite du mercredi 16 octobre 1793. A onze heures du matin, dans le moment où la reine Marie-Antoinette d'Autriche, femme de Louis XVI, eut la tête tranchée, on enleva le cercueil de Louis XV (...). Le corps retiré du cercueil de plomb, bien enveloppé de linges et de bandelettes, paraissait tout entier et bien conservé; mais, dégagé de tout ce qui l'enveloppait, il n'offrait pas la figure d'un cadavre; tout le corps tomba en putréfaction, et il en sortit une odeur si infecte qu 'il ne fut pas possible de rester présent«\ La froide neutralité du procès-verbal en atteste assez: »rien de remarquable« ne se passe lorsque les dépouilles des anciens monarques revèlent soudain leur réalité de charogne avant de sombrer dans l'anonymat de la fosse commune, comme si la majesté qui s'attachait au corps des rois s'était depuis longtemps enfuie, et que leur exhumation n'avait fait que sanctionner une inévitable désacralisation. La Révolution française marquerait-elle l'avènement d'une société démystifiée, désincorporée, enfin délivrée de l'antique sortilège qui asservissait les hommes au mystère d'un Corps Souverain? Rien n'est moins sûr. D'abord parce que l'acte même de la profanation, le désir de »purger« le »sein de la patrie« de tout vestige des »monstres divinisés« témoigne encore 1 Rapport sur l'exhumation des corps royaux à Saint-Denis en 1793, par Dom Germain Poirier, cité par Alain Boureau, Le simple corps du roi, Editions de Paris, 1988, p. 80-81. Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 187-133. 188 Jacob Rogozinski de la vénération sacrée qu'ils inspiraient jadis. Et il se trouve que ces mêmes pierres, arrachées aux tombes des rois, allaient servir à ériger un monument à la mémoire de Marat. Exposé tout sanglant aux Cordeliers après son assassinat, son corps avait été promené en procession à travers Paris, puis exhumé auprès de Voltaire et de Rousseau, tandis qu'une urne contenant son coeur restait offerte à la vénération des Sans-Culottes. De Saint-Denis au Panthéon, il semble bien que l'on assiste à un transfert de sacralité où le cadavre embaumé du Martyr de la Liberté prend la relève des restes décomposés des rois. Comment apprécier cette re-sacralisation républicaine du corps? S'agit-il d'un phénomène marginal sans conséquences, ou de l'indice d'une rechute, au moins partielle, dans l'imaginaire monarchique? Qu'en est-il du corps et des figurations du corps politique dans la Révolution? Question qui engage le sens de cet événement nommé »Révolution Française«. En nous invitant à congédier l'histoire »commémorative« qui adhère à la représentation que les acteurs se faisaient de l'événement, en mettant l'accent, avec Tocqueville, sur la continuité essentielle du processus historique, l'orien- tation aujourd'hui dominante chez les historiens tend à remettre en cause la notion même de »révolution«, l'idée d'une rupture radicale, d'un re-com- mencement de l'histoire humaine. La critique (parfois justifiée) du »catéchisme révolutionnaire« d'inspiration néo-jacobine ou marxiste alimente ainsi une vulgate libérale qui occulte encore plus sûrement l'énigme de l'événement. De l'Ancien Régime à la République, une même configuration politique, un même modèle de souveraineté persisterait, auquel l'ensemble des courants révolutionnaires resteraient soumis. La moindre trace d'une discontinuité historique, d'un conflit réel entre tendances opposées se trouve alors effacé: la Terreur n'aura été qu'une »régression« funeste, un »dérapage« provisoire, vite rectifié, ce qui souligne encore la continuité profonde de l'évolution historique. On mesure alors l'enjeu de travaux comme ceux de Lefort repérant dans les révolutions démocratiques des temps modernes une mutation sans précédent des représentations du Corps politique, l'amorce d'une désincorporation du social où le pouvoir et la Loi cessent de s'incarner dans le corps du Souverain, tandis que la place de la souveraineté devient un lieu vide, foyer d'une altérité radicale et objet d'une interrogation continuée. On renoue ainsi avec la vérité de la Révolution, comprise comme fracture irréversible, événement de liberté. Cela suppose toutefois que la désincorporation initiée par la Révolution ne soit pas aussitôt contrée par une tendance inverse qui la recouvre et l'annule. Or, plusieurs travaux récents insistent précisément sur la permanence des représentations »organiques« qui réapparaissent dans le discours républicain, mais aussi dans les emblèmes de la Révolution, dans ses monuments et ses fêtes et d'innombrables estampes et pamphlets2. La révérence attachée au 2 On pense notamment au livre de Lucien Jaume, Le discours jacobin et la démocratie, Fayard, Le corps abject du roi: la Terreur et son Ennemi 189 corps du roi n'aurait disparu que pour laisser la place à un nouveau culte du Corps Souverain, celui de la Nation ou du Peuple »regénéré«. Doit-on en conclure, comme nous y appelle le catéchisme libéral, que la nouveauté de l'événement, sa puissance d'effraction et d'invention seraient purement apparentes? Que la Révolution se réduirait à une simple transition entre deux figurations du Corps politique? Ou bien n'a-t-on affaire ici qu'à l'ultime survivance d'une représentation exténuée, incapable d'endiguer la dynamique de désincorporation amorcée par la Révolution?. »Le mort saisit le vif« »Le roi, déclarait le légiste Guy Coquille à la fin du XVF siècle, est la tête et les peuples des trois ordres sont les membres; et tous ensemble sont le corps politique et mystique dont la liaison et l'union est indivise et inséparable. Et ne peut une partie souffrir mal que le reste ne s'en ressente et souffre douleur«3. Ainsi s'énonce la version française de la doctrine classique du Corpus Mysticum Reipublicae, transposant sur le plan politique la conception théologique de l'Eglise comme un corps dont le Christ est la tête afin de justifier l'autorité souveraine du monarque. Ce qui suppose un dédoublement du corps du roi, dont le corps de chair exposé au péché et à la mort se distingue de son »Corps mystique« qui »ne peut mal faire« et ne meurt jamais. Ce n'est pas le lieu d'évoquer la formation de cette doctrine, analysée par Kantorowicz. Sous ses différentes variantes, elle présente en tout cas une solution très remarquable à l'aporie constitutive du »corps politique«. Celui-ci s'édifie selon nous à partir d'une hypostase du corps singulier, dissociée de son assise de chair et vouée par là-même à la désincarnation, à une idéalisation toujours plus abstraite qui ne lui permettrait plus de figurer le lien charnel de la communauté. C'est à ce défaut d'incarnation que répond la doctrine des deux corps en offrant chair et vie au Corps Mystique hypostasié, en le donnant à voir dans le corps concret du monarque. Ainsi se constitue le »mystère de l'incarnation monarchique« dont parlera Michelet, le culte du Roi-Christ investi par l'onction du sacre, capable de guérir par son toucher les plaies des écrouelles, de conjurer par sa seule existence les divisions du corps politique. De cette matrice théologico- politique découlent les traits fondamentaux du pouvoir monarchique: son unicité - »il est impossible, écrivait par exemple Bodin, que la République qui n 'a qu'un corps ait plusieurs têtes«; la perpétuité de son Corps immortel - »le Roi ne meurt jamais«; et son infaillibilité - »le Roi ne peut mal faire« - où se 1989, et à celui d'Antoine de Baecque,Z,e corps de l'histoire, Calmann-Lévy, 1993. Il faudrait également se référer aux travaux un peu plus anciens d'historiens américains comme L. Hunt, D. Outram, etc. 3 Guy Coquills, Discours des états de France, cité par Jean-Marie Apostolidès,Le roi-machine, Minuit, 1988, p. 13. 190 Jacob Rogozinski fonde son pouvoir d'énoncer le vrai et le juste, sa puissance de faire loi - »que veut le Roi, si veut la Loi«. L'hypostase du Corps est censée répondre ainsi aux question ultimes de l'existence collective: assigner une origine à la Loi, un critère à la vérité et, tout en promettant de vaincre le mal et la mort, renouer l'unité fragile du lien social. Or, ce sont les mêmes caractères d'unicité, de perpétuité, d'infaillibilité qui chez Bodin et ses successeurs définissent la »puissance absolue et perpétuelle d'une République«, la souveraineté politique. Et il se pourrait qu'elle parvienne à s'affranchir de son modèle théologique, de son incarnation monarchique et même de toute référence explicite au corps, tout en conservant sa matrice cachée. Ce fut le génie de La Boétie que d'avoir rapporté l'énigme de la servitude volontaire à une capture dans le Corps-Un, dans ce »grand colosse« auquel les corps de chair singuliers font l'offrande de leurs innombrables yeux, de leurs perceptions et de leurs désirs, de leur vie4. L'érection du Corps Mystique ne saurait se maintenir sans ce transfert secret où la chair, captivée par l'image de son corps, se laisse asservir à sa propre hypostase. A cette chair qui, constamment, se fragmente et se rassemble, et se meurt à chaque instant pour renaître aussitôt, l'incorporation confère unité, cohésion et durée, l'insère dans un espace objectif et une continuité temporelle. C'est la même fonction qu'est censée assurer l'hypostase du Corps politique: au prix de sa servitude, elle prétend donner à la communauté humaine une ordonnance stable, une pérennité »mystique«, apaiser son angoisse de mort, sa hantise de retomber dans le chaos de sa chair. »Le mort saisit le vif«: c'est par cette formule que les juristes d'Ancien Régime entendaient justifier la perpétuité et l'absolue continuité de la puissance souveraine lors de sa transmission à l'héritier du trône, quand le roi, à l'instant de sa mort, »saisit«, investit immédiatement son successeur de la dignité royale. Formule équivoque cependant, censée célébrer la permanence du Corps Mystique, la victoire réitérée de sa Vie, et qui peut aussi signifier une défaite de la chair vive, toujours »saisie« à nouveau, transie par la mort. Entendue ainsi, elle décrirait bien la manière dont l'hypostase du Corps politique s'empare de la chair et lui dérobe sa puissance, en exposant les individus qui s'y soumettent à sacrifier leur vie »pour le roi« ou »pour la patrie«. Le mort »saisit le vif« en un autre sens encore: en tant que la captation charnelle qui la constitue ne réussit guère à réincarner durablement l'hypostase, que celle-ci, inévitablement, s'exténue, se change en une allégorie abstraite, incapable d'entretenir l'adhésion fascinée des sujets. Il en va forcément ainsi, s'il est vrai qu'elle répète sur le plan collectif la genèse transcendantale du 4 »D'où a-t-il pris tant d'yeux dont il vous épie, si vous ne les lui donnez? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper s'il ne les prend de vous? (...) Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous?«. La Boétie, Discours de la servitude volontaire (1548), Payot, 1978, p. 115. Le corps abject du roi: la Terreur et son Ennemi 191 corps individuel, avec la tendance à la désincarnation qui le caractérise. A ceci près que le corps singulier se recrée et s'anime à chaque instant par la grâce du chiasme qui rend vie à sa chair décharnée - et qu'une telle ressource fait défaut au pseudo-corps de la communauté qui, en l'absence de tout chiasme, n'engendre qu'une hypostase exsangue, toujours plus étrangère à son assise charnelle. Il ne »tient« en effet que par son ancrage dans le corps visible du roi, par la capacité du monarque à représenter, à mettre en scène constamment l'unité »indissoluble« des deux corps. Or, les rites de la religion royale n'y suffiront guère: entre le corps de chair du monarque et son Corps Mystique, graduellement les liens se distendent jusqu'au moment où le roi ne parvient plus à incarner le royaume, où son corps désacralisé apparaît désormais semblable à ceux de ses sujets, tandis que le grand corps de la Nation, libéré de son union à la personne du roi, peut se chercher un autre support d'incarnation. On reconnaît là le premier acte de la Révolution, consommé dès juin 1789 lorsque, sous l'impulsion de Sieyès, les délégués des Etats Généraux s'érigent en »Assemblée Nationale Constituante«, désignée comme la représentation »une et indivisible« de la Nation. »Le député, déclare signifïcativement un proche de Sieyès, doit se considérer sous deux aspects, comme membre du corps de l'Assemblée qui délibère, comme membre du corps de la Nation pour laquelle il se prononce«5, comme s'il reproduisait le dédoublement corporel du monarque d'Ancien Régime. Ainsi l'Assemblée déloge-t-elle le roi de la place souveraine, se réapproprie sa fonction d'incarnation, tout en conservant les attributs essentiels de la souveraineté monarchique et la figuration du double corps qui la sous-tendait6. Par ce transfert de souveraineté, qui coïncide avec un transfert de corporéité, l'ensemble des déterminations traditionnelles du Corps-Souverain se trouvent maintenues, son unité - ou, pour reprendre l'expression théologique de Sieyès, son »adunation« - son pouvoir d'énoncer la Loi et les Droits et sa perpétuation continuelle, assurée dorénavant par la »regénération« électorale de la représentation. Sans oublier cette prérogative plus secrète mais décisive de la souveraineté, le privilège de désigner l'Ennemi, de nommer l'élément étranger et hostile - en l'occurrence la caste des privilégiés comme »peuple à part« opprimant le vrai peuple - que Sieyès, fidèle aux métaphores organiques, décrit comme une »excroissance« parasitaire, une »humeur maligne« dont le corps des citoyens doit se retrancher pour renaître7. On assiste donc à une simple passation, au transfert du schème organo- politique sur un nouveau pôle d'incarnation, laissant intacte la structure de ce 5J. A. Cerutti, cité par A. de Baecque, p. 124. 6Cf. en ce sens Marcel Gauchet, La révolution des droits de l'homme, Gallimard, 1989, p. 23- 28. Sur la théorie du corps politique chez Sieyès, cf. les belles analyses d'A. de Baecque, p. 99- 102 et 122-129. 7 Cf. Sieyès, Essai sur les privilèges et Qu 'est-ce que le Tiers Etat? (1788), rééd. PUF-Quadrige, 1982, p. 4 et. 192 Jacob Rogozinski schème: transfert pacifique et intégral qui conserve d'ailleurs la forme monarchique de l'Etat, mais dépossède le roi de sa puissance souveraine. Il ne s'agit pas de sous-estimer la rupture qui s'accomplit alors: pour la première fois depuis les Grecs, une légitimité purement immanente, issue de la communauté humaine elle-même, se substitue au fondement religieux de la souveraineté. Une configuration neuve apparaît, où le Corps de la Nation ne s'incarne plus en un homme ou une caste oligarchique, mais dans une instance de pouvoir collective, impersonnelle, périodiquement renouvelée par le suf- frage populaire. De sorte que le lieu du pouvoir et de la Loi se présente désor- mais comme une place vide qu'aucun homme ne saurait occuper de manière »naturelle« et permanente. Il revenait là encore à Sieyès d'esquisser les traits de ce nouveau champ politique: il le dépeint comme une sphère dont les cito- yens, tous à égale distance du centre, forment la circonférence, tandis que son foyer central vide symbolise la souveraineté de la Loi8. Pourtant, aussi novatrice soit-elle, la première phase de la Révolution n'en perpétue pas moins l'hypostase du Corps politique et l'asservissement de la multitude qu'elle implique: celui de la masse des »citoyens passifs« exclus de toute participation à la vie politique par le suffrage censitaire et par la volonté du gouvernement de réprimer les »clubs« et les »sociétés populaires« nées au cours du processus révolutionnaire. C'est l'invention d'un nouvel espace public de liberté et d'action qu'il veut entraver. C'est la chair du social, son irruption »sauvage«, éclatée en d'innombrables pôles, en quête de nouveaux modes d'incarnation, que le Corps hypostasié s'efforce comme toujours d'assujettir, de résorber en l'incorporant. Le mort tente de saisir le vif, mais cette fois la partie n'est pas jouée, et le conflit persiste et s'aggrave de 1789 à 1792. A travers une série de crises, ponctuée de »journées« révolutionnaires, une autre configuration se dessine, soutenue par les éléments les plus radicaux des Jacobins et des Cordeliers, qui ne se bornerait plus à reconduire l'antique hypostase en remplaçant la captation monarchique par une captation parlementaire: qui saurait faire place à la »démocratie sauvage« des sociétés populaires et des sections sans-culottes, inventer de nouvelles institutions n'occultant plus la chair vive de la communauté9. Esquisse d'une alternative à la réappropriation 8 »Je me figure la loi au centre d'un globe immense; tous les citoyens, sans exception, sont à la même distance sur la circonférence et n'y occupent que des places égales; tous dépendent également de la loi«. Sieyès, op. cit. p. 88. 9 Nous reprenons ce concept de »démocratie sauvage« à l'oeuvre de Claude Lefort, où il désigne l'»essence« même de la démocratie, sa dynamique instituante, en tant qu'elle excède tout régime, toute norme, toute forme politique instituée, et en particulier celle de l'Etat libéral- parlementaire. »Sauvage« faisant signe, chez lui, vers »l'être brut ou sauvage«, vers »l'esprit sauvage« de la communauté évoqués dans Le visible et l'invisible, il nous paraît possible d'envisager la »démocratie sauvage« comme l'expression de cette chair du social dont parlait Merleau-Ponty. Sur tout ceci, cf. Miguel Abensour, »Démocratie sauvage et principe d'anarchie«, Les Cahiers de Philosophie n°18, 1994-95. Le corps abject du roi: la Terreur et son Ennemi 193 étatique et parlementaire, dont nous pouvons repérer les traces dans les discours, les théories politiques ou les représentations esthétiques. Alors que les Anglais avaient formulé la doctrine du double corps en termes juridiques, la monarchie française l'aura mise en scène plastiquement, exhibée dans les effigies funéraires de ses rois, dans leurs emblèmes, leurs médailles et leurs fêtes. On a pu ainsi décrire le portrait de Louis XIV comme un »corps sacramentel« où se noue, sur un mode analogue au mystère de l'Eucharistie, l'unité de son corps physique et de son Corps symbolique10. Or, à partir de 1791, une mutation imprévue va affecter la figuration esthétique du roi. Le transfert de souveraineté opéré en 1789 l'avait dépouillé de sa dignité mys- tique pour lui conférer le statut de »premier fonctionnaire de l'Etat«. Certaines gravures contemporaines prennent acte de cette désacralisation, en montrant par exemple »le roi piochant au Champ-de-Mars« lors des préparatifs de la Fête de la Fédération: il y apparaît comme un citoyen parmi d'autres, privé de la stylisation et de la distance qui caractérisaient ses représentations traditionnelles". Ce qui confirmait que le roi »avait déjà perdu l'un de ses deux corps«12, qu'il ne conservait plus que sa seule existence mortelle et se trouvait ainsi placé sur le même rang que les autres citoyens. Tout va changer, soudainement, après la fuite à Varennes. En quelques semaines, paraissent plusieurs centaines de caricatures où il est présenté comme un ivrogne ou un fou dangereux, comme un Janus hypocrite, un Gargantua vorace (c'est »l'ogre Capet«) et, le plus souvent, comme un cochon ou un monstre hybride mi- homme mi-porc13. Nous sommes trop familiarisés aujourd'hui avec les carica- tures d'hommes politiques pour prendre toute la mesure de ces attaques visant un personnage révéré des siècles durant comme l'image même de Dieu. Inédite - au moins depuis les Guerres de Religion et l'Ane-Pape de Durer - l'assimilation du chef de l'Etat à un animal ignoble atteste à elle seule d'une mutation majeure dans l'imaginaire du pouvoir14. L'imagerie édifiante du »roi-citoyen« cède la place à un autre mode de figuration, où il n'est plus 10 Cf. Le portrait du roi àa Louis Marin, Minuit, 1981. Sur les effigies et les cérémonies funéraires, cf. Ralph Giesey, Le Roi ne meurt jamais, Flammarion, 1987 et Cérémonial et puissance souveraine. France, XV-XVIIsiècles, A. Colin/EHESS, 1987. 11 Gravure reproduite dans Le roi décapité d'Annie Duprat, Cerf, 1992, p. 56. 12 Pour reprendre l'expression de Lynn Hunt commentant ce genre de représentations — cf. Le roman familial de la Révolution Française, Albin Michel, 1995, p. 67-68. 13 Cf. l'étude déjà citée d'A. Duprat, ainsi que La caricature française et la Révolution, Grunwald Center, UCLA, Los Angeles, 1989 (avec une intéressante analyse de L. Hunt) et Antoine de Baecque, La caricature révolutionnaire, Presses du CNRS, 1988, p. 40T44 et 173-193. 14 Peut-être s'inscrit-elle aussi dans une transformation profonde, entamée à la fin du XVIII siècle, de la représentation de l'homme dans son rapport à l'animalité. Cf. Jurgis Baltrusaitis, Physiognomonie animale, 'm Aberrations—les perspectives dépravées1,1957, rééd. Flammarion, 1995. 194 Jacob Rogozinski considéré comme un membre parmi d'autres de la communauté nationale mais comme un corps étranger à la nation et à l'humanité. Corps monstrueux par sa difformité, sa bestialité, dont la caricature privilégie les fonctions »basses« (engloutir, vomir, déféquer...) et qui apparaît étrangement ambivalent, à la fois grotesque et menaçant, exclu de la nation et prêt à la détruire, à l'instar de ce porc paré d'un insigne royal qu'une gravure montre en train de dévorer un gâteau fleurdelysé. Corps-déchet excrémentiel, comme le suggère une carica- ture où Louis XVI rampe dans la fange de »l'égoût royal«, tandis que l'on défèque sur lui. Corps morcelé enfin, par la brisure de l'image spéculaire dont le reflet composait l'unité hypostasiée de son corps: c'est ainsi qu'une estampe le dépeint en fou furieux cassant de son sceptre-marotte un miroir dont les fragments réfléchissent son visage éclaté, de sorte, précise la légende, que »chacun des morceaux multiplie sa folie«15. Au-delà des intentions explicites de leurs auteurs, ces représentations procèdent d'un même phantasme, mettent en scène le corps du roi comme un corps abject, un élément hétérogène, mauvais objet dangereux ou mauvais reste immonde qui menace l'homogénéité du corps de la Nation et qu'il importe d'éliminer. Ainsi ces caricatures de 1791 préfigurent-elles la chute de la monarchie et la mise à mort du roi, et les préparent même activement: il suffira qu'un discours politique cohérent ravive ce phantasme d'expulsion-purification que véhiculaient les imagiers, et appelle à passer à l'acte... Il y a bien désincorporation du Corps Mystique, puisque le corps du roi censé l'incarner se morcelle et se défigure, qu'il se trouve violemment retranché du corps politique dont il assurait naguère l'unité, et qui risque lui-même d'apparaître comme un corps mutilé, privé de sa Tête royale. Désincorporation partielle cependant, qui s'accompagne d'un mouvement inverse où, dans le geste même d'expulser le déchet, le grand Corps reconstitue son unité menacée. La figure colossale d'un Corps regénéré prend alors la place du corps royal et s'empare des insignes de son pouvoir. Ce qu'illustre par exemple une curieuse gravure de 1791 intitulée L'Idole renversée, où une France géante au manteau fleurdelysé, surmontée d'une couronne portée par les piques des sans-culottes et les baïonnettes des soldats, jette au bas de son piédestal le buste de Louis XVI et le brise16. Après l'instauration de la République, ces emblèmes de la monarchie vont disparaître et le Peuple-Souverain sera le plus souvent dépeint sous les traits d'un Hercule armé de sa massue. A cette »image du peuple géant, du peuple français«, la Convention ordonnera, sur une proposition de David, d'ériger une statue: portant le mot de »vérité« gravé sur sa poitrine, »lumière« sur son front et »force« sur ses bras, elle aurait reposé sur les »débris tronqués«, »confusément amassés«, des statues des rois17. Cet imaginaire 15 Ces gravures sont commentées par A. Duprat, op. cit., pp. 186-187, 155-160 et 88-90. 16 Cf. Duprat, p. 201-204. Le corps abject du roi: la Terreur et son Ennemi 195 de la souveraineté fait sens: il révèle que la désincorporation du Corps monarchique coïncide avec un geste opposé de réincorporation: qu'elle est indissociable de l'avènement d'un nouveau Corps-Souverain dont l'érection se soutient de ses débris mutilés. La même vision inspire le décret de la Convention ordonnant d'utiliser les pierres des sépultures royales pour édifier un cénotaphe à Marat. Lorsqu'elle intègre ces misérables reliques dans le socle de son Colosse ou le monument de son Martyr, la République figure symboliquement le transfert de corporéité qui lui donne l'assise de son pouvoir. En profanant les vestiges du corps mortel des rois et en brisant leurs effigies, elle se réapproprie la souveraineté de leur Corps glorieux immortel. Et peut-être ce geste atteste-t-il aussi d'une sourde hantise: car ces dépouilles dérisoires que le géant républicain foule aux pieds ne demeurent pas inertes. Autant qu'un signe de victoire, la figuration du Corps regénéré est un appel au combat contre un ennemi défait mais toujours renaissant. Dans un discours à la Convention où il a d'ailleurs recours au même symbole - »le peuple français va reprendre l'attitude d'Hercule« - Billaud-Varenne s'en prend aux survivances de »l'usurpateur colossal«, du Corps monarchique décapité dont l'»essence despotique«, »corrosive«, menace de l'intérieur l'organisme de la République18. Pour le courant qu'il représente, il semble que le transfert de souveraineté du corps royal à celui de la Nation ait en partie échoué, puisque la réincorporation républicaine laisse subsister au coeur de ses institutions de dangereux résidus de l'ancienne puissance souveraine. La visée d'une re-fondation radicale se heurte ainsi à l'inquiétante persistance d'un mauvais reste. Sans doute est-ce un sort commun à toute constitution d'un corps, au niveau de la communauté comme à celui de l'individu, qu'elle doive toujours partiellement échouer, qu'elle bute sur le résidu irréductible de son incorporation, lambeau d'une Chose sans nom où nous reconnaissons la trace défigurée de sa chair primordiale. Car la chair, en se précipitant en un corps, résiste néanmoins à son incorpora- tion, inquiète et altère constamment l'image de son corps. Le corps éprouve ainsi sa chair comme un élément hétérogène, un objet étranger interne, inclus dans le corps total et pourtant détachable de lui (comme le sont pour la psychanalyse les »objets« du phantasme - le sein et l'excrément, le pénis, le regard et la voix...). Et c'est le trait essentiel de cet hétérogène qu'il condense les significations ambivalentes du propre et de l'impropre, de l'intime et de l'étranger, du sacré et de l'impur, de la souveraineté et de l'abjection19. Voilà 17 On trouvera le projet de David et le décret (jamais exécuté) de la Convention dans l'étude de Judith Schlanger, »Le peuple au front gravé«, in Les fêtes de la Révolution française, Société des Etudes Robespierristes, 1977, p. 387-395. 18 Rapport fait au nom du Comité de Salut Public sur un mode de gouvernement provisoire et révolutionnaire (18 novembre 1793). Nous allons revenir sur ce texte essentiel. 19 Sur l'élément hétérogène comme »corps étranger« et son ambivalence, sur le rapport entre la souveraineté royale et l'abjection et l'application de cette »hétérologie« à la question de la 196 Jacob Rogozinski qui éclaire cet étrange renversement évoqué par Michelet, où »le roi, ce dieu, cette idole, devient un objet d'horreur«20. Dans une configuration où c'est le corps du souverain qui donne chair au Corps du royaume, où il apparaît à la fois comme la chair de ce Corps et comme un élément hétérogène de nature sacrée ou divine, on peut comprendre que, lorsque le Corps de la nation le rejette ou l'exclut, il lui revienne d'occuper désormais la place de l'Abject. En un sens, le corps royal s'était toujours déjà exclu, retranché, par sa »majesté«, du reste de la communauté: il y appartenait sans y appartenir vraiment, à la fois immanent au grand Corps et extérieur à lui, puisqu'il s'identifie à la totalité de ce Corps qu'il incarne, tout en se présentant comme sa »tête« mystique, séparée des autres organes. Cette structure paradoxale du Corpus Mysticum se maintient donc à travers l'»inversion« subversive où la Tête glorieuse se change en déchet. On peut se demander alors ce qu'il advient au Corps politique lorsqu'il se décapite lui-même, qu'il élimine comme un mauvais reste excrémentiel ce qui lui donnait naguère son unité et sa vie. Pour les révolutionnaires, cette »épuration« du grand Corps serait la condition nécessaire de sa »regénération«. Billaud-Varenne ira même jusqu'à comparer la Révolution à l'enchanteresse Médée »qui, pour rendre la jeunesse au vieil Eson, a besoin de dépecer son corps usé avant de le rejeter en fonte«: c'est ainsi que »la destruction et la mort ont ouvert de leurs mains ensanglantées les portes de la reproduction et de la vie«21. Ce qui nous confronte à nouveau à l'énigme de la réincorporation, de ce double mouvement où l'hypostase du Corps Mystique ne se décompose que pour céder la place au Corps regénéré de la République. La Révolution se réduirait-elle à cette passation, ce transfert de souveraineté entre deux variantes de la même hypostase? Un corps infigurable On peut remarquer que ces références »organiques«, absentes chez Saint-Just ou Robespierre, occupent en revanche une place de choix dans les écrits de Billaud-Varenne22. Il est significatif que ces thèmes apparaissent chez lui à révolution, on lira les pages superbes que leur a consacrées G. Bataille- cf. notamment Oeuvres Complètes, Gallimard, 1972, t. II, p. 58-69 et 216-232. 20 Introduction à V Histoire de la Révolution française (1848), rééd. R. Laffont, 1988,1.1, p. 75. 21 Billaud-Varenne, Principes régénérateurs du système social (1795), rééd. Publications de la Sorbonne, 1992, p. 116. 22 Nous comprenons pas bien pourquoi Claude Lefort, lorsqu'il repère, dans le discours révolutionnaire, le phantasme d'une »grande amputation qui rendrait la santé au corps social«, l'assimile aussitôt à ces »rationalisations« qui »masquent, plus qu'elles ne révèlent, le fond de la Terreur«... Cf. son étude sur La Terreur révolutionnaire, in Essais sur le politique, Seuil, 1986, p. 103. Le corps abject du roi: la Terreur et son Ennemi 197 partir de l'automne 1793, de son entrée au Comité de Salut Public, et surtout dans des discours destinés à justifier la Terreur et des circulaires chargées de la mettre en oeuvre. La résurgence du vieux schème organo-politique a bien partie liée avec la proclamation de l'état d'exception: au défaut de la Loi, c'est le Corps qui s'impose. Pourtant, sur ce point capital, le discours jacobin ne sera jamais homogène et les tensions qui le traversent l'empêchent de développer une conception cohérente du »corps politique«: soit qu'elle reste absente, soit qu'elle se répande, comme chez Billaud, en une profusion de métaphores floues et contradictoires. Quelques traits s'en dégagent néanmoins, où s'esquisse l'image jacobine du corps. Rien de plus classique, semble-t-il, que la figura- tion du corps politique exposée par Billaud, notamment dans les circulaires de décembre 1793 qu'il rédige au nom du Comité de Salut Public23. On y retrouve les principaux attributs du Corps monarchique, l'unité du principe souverain- »le corps politique, comme le corps humain, devient un monstre s'il a plusieurs têtes« - et la hiérarchie de ses organes - »vous êtes, écrit-il aux Comités de surveillance, comme les mains du corps politique dont (la Convention) est la tête et dont nous sommes les yeux«. L'infaillibilité qu'il lui prête, celle du Regard qui perce l'apparence, est ce qui l'autorise, comme sous l'Ancien Régime, à énoncer la Loi. On reconnaît enfin le caractère fondamental de la souveraineté monarchique, sa perpétuité, dans l'idéal qu'il nous propose d'une »démocratie impérissable«24. Dans la conception classique, cette pérennité reposait toutefois sur la transcendance du Corpus Mysticum, garantie par la succession héréditaire de ses incarnations. Pour Billaud-Varenne, le Corps immortel de la République ne se perpétue que par la Terreur, en se regénérant constamment par l'élimination de la »gangrène« qui le ronge: »le seul plan qui puisse assurer la durée indestructible de la République est celui qui attaque du même coup les égarements de l'esprit et du coeur; c'est la gangrène politique qu'il faut extirper jusque dans ses moindres ramifications«25. Ce qui confère sa puissance souveraine au Corps républicain est donc sa capacité de désigner l'Ennemi, c'est-à-dire (c'est pour Billaud la même chose) l'expulsion toujours réitérée de l'Abject, de ces éléments hétérogènes qui »semblables aux têtes de 23 Textes analysés par Jaume, op. cit. p. 341 -347. On notera que ces circulaires dominées par une conception »organiciste« du social ont été contresignées par l'ensemble des membres du Comité, y compris Saint-Just et Robespierre. 24 Principes régénérateurs du système social, p. 94. Sur ce point décisif, Billaud s'oppose donc à Machiavel et Rousseau, à la reconnaissance de la jinitude politique, des limites temporelles de toute fondation politique. 25 Op. cit. p. 81. Cf. aussi p. 117, ce texte qui appelerait de longs commentaires: »une constitution ne peut être que le résultat de la volonté générale (...). D'où il résulte que tout ce qui n'est pas intimement uni à la cause nationale devient un hors-d'oeuvre dans un Etat. C'est un cancer dangereux qu'il en faut retrancher. C'est l'amputation prompte et indispensable d'un membre gangrené pour sauver le malade«. 198 Jacob Rogozinski l'hydre renaissent sans cesse de leur tronc commun«26. A vrai dire, ces exhor- tations à »extirper la gangrène« du corps politique sont tout à fait courantes dans la littérature révolutionnaire, et nous les avions déjà pointées chez le très libéral Sieyès. Mais elles s'accompagnaient chez lui de la détermination précise d'un ennemi réel (la caste des privilégiés) qu'il ne s'agissait pas d'anéantir mais de soumettre à la Loi. Alors que Billaud l'identifie à l'Ennemi Absolu sans visage et toujours renaissant: il devient alors impossible de circonscrire ce »dangereux cancer« qui prolifère de partout, de distinguer le membre malade des parties saines. En fin de compte, c'est le corps social tout entier qu'il faudrait, à l'instar du vieil Eson, démembrer et »rejeter en fonte« dans le chaudron de Médée... Où l'on retrouve, sur le plan du phantasme, l'aporie majeure de la politique jacobine, sa tendance à étendre indéfiniment le cas d'exception, à rendre la Terreur interminable. Cette confusion panique où vacille toute démarcation entre l'ami et l'ennemi, l'intérieur et l'extérieur, le propre et l'étranger va affecter profondément l'image jacobine du corps, jusqu'à le rendre infigurable. Que l'on relise ce discours de Billaud-Varenne à la Convention où, au début de la Terreur, il tente de justifier l'organisation de l'état d'exception: »11 est temps, s'exclame- t-il, de rendre au corps politique une santé robuste aux dépens des membres gangrenés«27. Mais il ajoute aussitôt que »tout s'engorge autour de vous ou s'engloutit dans l'éloignement«; que, »de tous côtés«, »les membres veulent agir sans la direction de la tête« et font sombrer le corps dans les »déchirements« et le chaos. Corps morcelé, en lutte contre lui-même, où tout ce qui échappe à l'autorité du Centre »devient exubérant, parasite, sans unité«; où tous les membres semblent menacés de gangrène; où la Tête elle-même doit se retrancher du corps et combattre »de tous côtés« la »coalition dangereuse« de ses membres. A cette Tête sans Corps, ou qui s'acharne contre son propre corps, se super- pose l'image inverse d'un Corps sans Tête, du corps difforme de la monarchie vaincue qui continue de menacer la République - car »la tête du monstre est abattue, mais le tronc survit toujours avec ses formes défectueuses«. On comprend dès lors ce qui déforme et altère le Corps jacobin. Dans la perspec- tive de Sieyès ou des Girondins, la souveraineté s'était transférée intégralement du corps royal au »grand corps des citoyens« et plus rien ne subsistait de l'hypostase monarchique. Dans celle des Jacobins, on n'a affaire qu'à un transfert partiel, inachevé, où le Corpus Mysticum mutilé survit à l'abolition de la monarchie et à la mort du roi. A lire Billaud-Varenne, on croirait assister au conflit de deux Corps Mystiques, de deux figurations rivales du corps politique s'affrontant sur le même terrain. Au moment où il réaffirme l'unité indivise du Corps Souverain - »le corps politique est un dans les démocraties«28 - ce Corps-Un lui apparaît aux prises avec un autre Corps qui le pénètre et le 26 Op. cit. p. 76. Le corps abject du roi: la Terreur et son Ennemi 199 ravage de l'intérieur. C'est l'impossibilité de se représenter ce Corps à la fois un et double, total et partiel, luttant contre son Autre au-dedans de lui-même, qui interdit aux Jacobins d'élaborer une conception cohérente du corps politique. Elle leur est interdite pour une autre raison encore, qui tient à la visée même de la révolution démocratique, à ce qui la rend incompatible avec une représentation organique du social. Car le schème du corps politique tend nécessairement, sous toutes ses variantes, à justifier l'inégalité hiérarchique des organes, à distinguer des simples membres une Tête souveraine, un Centre du pouvoir, détenu »naturellement« par celui qui occupe la place de la Tête. A cela s'oppose la visée égalitaire de la démocratie moderne, son exigence de »placer la Loi au-dessus de l'homme«, de laisser vide le lieu du pouvoir - en faisant, s'il le faut, monter à l'échafaud celui qui prétendrait se l'approprier. C'est cette passion de l'égalité qui alimente la méfiance des Jacobins envers tout détenteur d'une autorité (»le peuple, disait Saint-Just, n 'a qu'un ennemi dangereux: c'est son gouvernement«29), envers tout individu hors du commun, vite soupçonné d'aspirer à la dictature, et ce fut l'habileté de Robespierre que de gouverner en retrait, sans jamais accepter de titre légal ou symbolique qui l'aurait fait incarner le pouvoir suprême. Dans ces conditions, le schème organique s'avère inadéquat et ne pourra être maintenu qu'au prix de distorsions qui achèvent de le rendre infigurable. Ainsi lorsqu'un obscur député montagnard présente à la Convention un projet d'Art social d'inspiration organiciste: tout son discours en appelle à un chef tout-puissant, à l'institution d'un »président de la souveraineté«, puisqu'»il faut aussi nécessairement un chef qu'il faut une tête à un individu pour en faire un homme«. Mais il essaye aussitôt de faire coïncider cette structure hiérarchisée avec l'idéal démocratique d'égalité: dans cet organisme républicain, »tout ne peut pas être tête, bras et jambes à la fois«, et pourtant »toutes les parties en sont mobiles« et »chacun doit pouvoir aussi devenir tête, bras ou jambes et redevenir corps à son tour«30. Sous l'effet de cette double injonction contradictoire, la représentation jacobine du corps sombre dans l'incohérence, et l'on conçoit que Robespierre ou Saint-Just aient cru possible de s'en passer, bien qu'elle anime secrètement leur pensée et lui donne sa charge phantasmatique. A ce déni, où le discours jacobin méconnaît ses propres conditions d'intelligibilité, on préférera la prose tourmentée de Billaud-Varenne, dont les 27 Rapport fait au nom du Comité de Salut Public sur un mode de gouvernement provisoire et révolutionnaire, discours du 18 novembre 1793, Archives parlementaires, t. LXXIX, pp. 451- 457. 28 Principes régénérateurs, p. 90. 2'' O. C. p. 170. Plus brutalement, Hébert déclarait dansée Père Duchesne que »celui qui voudrait s'élever d'une ligne au-dessus des autres (est) un monstre à étouffer«... 3(1 Seconds, De l'art social (avril 1793), cité et commenté par Jaume, p. 349-357. 200 Jacob Rogozinski constructions successives et les revirements mettent à nu l'aporie de ce discours, témoignent de son impuissance à faire tenir ensemble la Tête et le Corps, la hiérarchie organique et l'exigence égalitaire. S'il commence en 1791 par jouer le Corps contre la Tête, en esquissant l'idéal d'une société acéphale, d'une »acéphocratie«31, il en vient sous la Terreur à jouer la Tête, le Centre dirigeant, contre le Corps et ses organes malades. Pour en finir, après Thermidor, par s'élever contre la prééminence excessive du Centre et la menace que les chefs font peser sur une démocratie »dont l'égalité forme l'essence«32. Or, cette défiance envers la Tête de l'Etat se double d'une défiance plus profonde envers le Corps, c'est-à-dire le peuple, dont Billaud dénonce les »fluctuations continuelles«, sa fascination pour les simulacres de la richesse et du pouvoir, son étrange désir de servitude. Et cela le ramène inévitablement vers l'autre pôle de l'antinomie, vers cet éloge quasi-hobbesien du Maître, seul capable de faire consister une multitude dispersée en un peuple: »Avec un chef, le peuple est capable des plus grands efforts; le perd-il, ce n'est plus qu'un troupeau, qu'un rien épouvante et disperse dans un instant«33. Surprenant aveu où, après tant de discours sur la »bonté« et la force natives du Peuple, se dévoile tout à coup le versant caché de la Terreur jacobine: derrière le culte du Peuple-Idole, un mépris sans fond pour le peuple réel, auquel on dénie toute consistance propre, toute capacité de s'unir et d'agir par soi-même, sans se lier aussitôt à un maître. Ce qui correspond à la pratique politique effective des Jacobins qui, après s'être appuyés sur le mouvement populaire pour conquérir le pouvoir, feront tout pour le soumettre, le briser, en exécutant ses porte-parole les plus radicaux et en démantelant les sections sans-culottes34. Son soutien, on le sait, fera défaut à Robespierre au moment décisif, le 9 Thermidor... Si la Terreur procède bien d'un mouvement de réincorporation, si elle vise à reconstituer une nouvelle hypostase du Corps, celle-ci repose sur le déni, l'oubli de sa chair: de cette chair sauvage de la communauté, libérée de sa capture dans le Corps monarchique et qui transparaît dans l'effervescence des journées révolutionnaires et des assemblées des sections. Une chair plurielle, rebelle à 31 Cf. Billaud-Varenne, L'Acéphocratie, ou le gouvernementfédératif démontré le meilleur de tous pour un grand Empire, 1791, rééd. EDHIS, 1977. 12 Principes régénérateurs, p. 89. Cf. aussi p. 120, 143, etc. 33 Eléments de républicanisme, 1793, rééd. in Cahier du Collège International de Philosophie n" 7, Osiris, 1989, p. 22. 34 Sur le plan historique, on peut s'appuyer sur Daniel Guérin, Les luttes de classes sous la Première République, 1946, rééd. Gallimard, 1968, t. II, pp. 72-147; ainsi que sur l'étude classique d'Albert Soboul, Les sans-culottes parisiens en l'an II, Clavreuil, 1958. L'enjeu du conflit entre les Jacobins et les sociétés populaires a été remarquablement analysé par Hannah Arendt dans son Essai sur la Révolution, 1964, Gallimard, 1967, pp. 354-367. Pour elle, en ouvrant un nouvel espace d'action politique, les sections sans-culotte fondent la »tradition révolutionnaire« moderne, celle des Soviets et des Conseils Ouvriers, alternative possible au système des partis. Le corps abject du roi: la Terreur et son Ennemi 201 toute hiérarchie, mais hautement instable, prête à se laisser captiver par l'attrait de l'Un et le désir de Terreur, à se précipiter en une nouvelle hypostase - à laquelle, à nouveau, elle résistera sourdement jusqu'à une nouvelle surrection. Cette chair apparaît au corps hypostasié comme un élément chaotique et aveugle, un reste hétérogène troublant l'ordre et l'unité de l'organisme. Lorsqu'il tente d'»extirper la gangrène« qui le dévore, c'est sa propre chair que le Corps veut anéantir, sans s'apercevoir qu'en s'acharnant ainsi il se mutile et se tue. Nous nous demandions si la Révolution n'aura fait que remplacer une hypostase du Corps par une autre; et si cela signifie que toute communauté humaine doive se figurer inévitablement sous l'apparence d'un corps. Peut-être apercevons-nous quelques éléments de réponse. Il nous semblait en effet que les Jacobins, sourdement fascinés par la figure du Corps Souverain, se soient efforcés, au prix de la Terreur, de réincorporer la chair du social. Nous comprenons maintenant que leur effort échoue, qu'il n'engendre qu'un corps infigurable, à la fois requis et aussitôt dénié, incapable de se laisser représenter et de se maintenir de façon stable. Comme si un point de non-retour avait été atteint et qu'il devenait désormais impossible de contenir durablement la dynamique de désincorporation initiée par la Révolution. L'échec des Jacobins préfigurerait alors celui de toutes les entreprises ultérieures visant à »refaire du corps«, à asservir de nouveau la chair de la communauté à une hypostase du Peuple, de la Nation ou de la Classe. Encore faudrait-il éviter de méconnaître l'ambigu'té de la position jacobine, qui ne se limite pas à cette visée avortée d'une réincorporation terroriste. Lorsque Saint-Just écrit que »la révolution doit s'arrêter à la perfection du bonheur et de la liberté publique par les lois«3S; lorsqu'il affirme que »les lois animent le corps social, inerte par lui-même«36, il laisse entrevoir, au-delà de l'»inertie« des vieux schèmes organiques, un nouveau principe de liberté, l'idéal d'une République qui mettrait »la Loi au- dessus de l'Homme« et de toutes les hypostases du Corps politique. Ces hypostases se fondent en effet sur un double geste d'incorporation: de la chair primordiale, aliénée à l'image de son corps, et de la Loi, assujettie au savoir infaillible de la Tête et à sa volonté toute-puissante. Chair et Loi se révèlent ainsi solidaires, asservies toutes les deux à l'hypostase du Corps Souverain, dont la destruction devrait les délivrer, quand la stature du grand Corps s'effondre, irrévocablement. Les révolutions démocratiques nous lèguent ainsi un double héritage: l'idéal républicain d'une souveraineté de la Loi - progressivement concrétisé dans nos institutions - et ce »trésor perdu« de la tradition révolutionnaire, cette démocratie sauvage des sections, des com- munes, des conseils ouvriers où la chair vive du social affleure, brièvement, et 35 Institutions républicaines, O. C. p. 330 (nous soulignons). Nous ne pensons pas que le motif de l'Institution, si important chez Saint-Just, s'oppose forcément à celui de la Loi. 36 Discours sur la Constitution à donner à la France, O. C. p. 118. 202 Jacob Rogozinski se mobilise en-dehors de toute réincorporation étatique. Jamais jusqu'à présent les deux versants de cet héritage n'ont pu se rejoindre, ajointer durablement le pôle de la Loi et celui de la chair. Sans doute est-ce la tâche, encore neuve, que la Révolution aura légué à l'avenir. Notes on Contributors ALAIN BADIOU is Professor of Philosophy at the University of Paris-VIII - Vincennes- Saint-Denis and is the author of Théorie du sujet (1982), Peut-on penser la politique? (1985), L'être et l'événement (1988), Manipheste pour la philosophie (1989), Le Nombre et les nombres (1990), D'un désastre obscur. Droit, Etat, Politique (1991), Conditions (1992), L'éthique. Essai sur la connaisance du Mal (1993). The frame- work of his explorations is the problem of relationship between philosophy on the one hand and mathematics, politics, poetry and psychoanalysis on the other. EGID E. BERNS (1939) is professor of social philosophy and social ethics at Tilbug University, The Netherlands. His research focuses on philosophy of economy, history of economic thought especially in relation to the history of philosophy and contempo- rary philosophy. He has published on Aristotle, Adam Smith, Marx, modern economic theoty, Heidegger, Derrida, Foucault and Althusser. He is currently working on a philosophy of economy in a deconstructive style. SIMON CRITCHLEY is Lecturer in Philosophy at the University of Essex. He is the author of the The Ethics of Deconstruction: Derrida and Levinas, Blackwell, Oxford 1992. JORGE E. DOTTI teaches at the University of Buenos Aires. He has published a book on Carl Schmitt. He is working in the field of political philosophy. ERNESTO LACLAU is Professor of Politics in the Department of Government, University of Essex. He is the author of Hegemony and the Socialist Strategy (Verso, 1985) and New Reflections on the Revolution of our Time (Verso, 1990.) GUY LARDREAU est né à Paris, en 1947. In est professeur de philosophie en Première Supérieure (classe préparatoire à l 'Ecole Normale Supérieure), à Dijon, et directeur de programme au Collège International de Philosophie. Il a notamment publié: Le Single d'or, essai sur le concept d'étape-du-marxisme (1973), L'Ange (1976) Le Monde (1978 - ces deux livres, avec Christian Jambet), Discours philosophique et discours spirituel (1985), Fictions philosophiques et science-fiction (1988), la Véracité (1993). CHANTAL MOUFFE is member of the Collège International de Philosophie, Paris. She is the author of The Return of the Political, Verso, London 1993; Le politique et ses enjeux, Editions de la découverte, Paris 1994. 204 Notes on Contributors OLIVER MARCHART, Born 1968 (Vienna), Mag. Phil., Co-editor of the Austrian journal of philosophy Mesotes. Zeitschriftfür philosophischen Ost-West-Dialog, Vienna. Works as an art critic and free lance journalist. 1991: Austrian special state award for literary criticism. In academoland diverse texts and projects in the fields of political philosophy, art and media theory. First half of 1995: research fellow at the Centre for Theoretical Studies in the Humanities and Social Sciences at the University of Essex. Currently preparing a book on art and dissident subcultures. LUDWIG NAGL (Jahrgang 1944) ist tit.Ao.Univ.Prof. am Institut für Philosophie der Universität Wien. Er lehrte an den Universitäten Klagenfurt und Jena, sowie in Lancaster, Pennsylvania, USA, und war Visiting Scholar am Philosophy Department der Harvard University. Er publizierte u.a. folgende Bücher: Zur Kantforschung der Gegenwart (mithg) (1981); Gesellschaft und Autonomie. Historisch-systematische Studien zur Entwicklung der Gesellschaftstheorie von Hegel bis Habermas (1983); Wo steht die Analytische Philosophie heute (mithg.) (1986); Die Philosophen und Freud (mithg.) (1988); Philosophie und Psychoanalyse (mithg.) (1990), Charles Sand- ers Pence (1992); Textualität der Philosophie - Philosophie und Literatur (mithg.) (1994). FRANÇOISE PROUST est directeur de programme au Collège International de Philosophie, Paris. Elle a publié Kant, le ton de l'histoire, Payot, Parisl991, et L'histoire à contretemps, le temps historique chez W. Benjamin, Editions du Cerf, Paris 1994. RADO RIHA is Research Fellow at the Institute of Philosophy in the Centre for Scientific Research, SASA, Ljubljana. He is the author of Philosophy in Science (Ljubljana 1982), Law and Judgement (Ljubljana 1994) with Jelica Sumič-Riha and Reale Geschehnisse der Freiheit. Zur Kritik der Urteilskraft in Lacanisher Absicht (Kant und Thuria Verlag, Wien 1993). JACOB ROGOZINSKI a été directeur de programme au Collège International de Philosophie. Il est actuellement maître de conférences au département de philosophie de l'Université de Paris-VIII. Il a publié plusieurs études sur Kant, Marx, Heidegger, Arendt, ainsi que sur la philosophie française contemporaine. Il travaille maintenant dans la perspective d'une phénoménologie du corps et de la chair. JELICA ŠUMIČ-RIHA is Senior Research Fellow at the Institute of Philosophy in the Centre for Scientific Research, SASA, Ljubljana, also Fellow at the Centre for Theo- retical Studies, Essex University; visiting lecturer at Essex University. She is the author of The Real in the Performative (Ljubljana 1988) and (with Rado Riha) of Law and .Judgement (Ljubljana 1994). ALENKA ZUPANČIČ is Research Assistant at the Institute of Philosophy in the Centre for Scientific Research, SASA, Ljubljana. She is the author of Die Ethik des Realen (Wien 1994). She also published several articles on Kant and Lacan. Abstracts EgidE. Berns POLITIQUE ET JUSTICE DANS UN STYLE DÉCONSTRUCTIF The paper »Politique et Justice« firstly explains how politics as hegemonic articulation of the social as conceptualized by Ernesto Laclau can be understood from a Derridean point of view, which is dominated by economic circularity. Secondly, by comparing the political conceptions of Laclau and Derrida, especially on the question of decisions in the terrain of undecidability, it criticizes Laclau's pure decisionism and tries to establish how in a dcconstuctive style of thinking political decisionism is always caught up in an appeal for justice, which nevertheless exceeds it. Rado Rika LA TERREUR DU MORALISTE POLITIQUE La politique moralisante, on pourrait la décrire, suivant Kant, comme une politique qui vise l 'universalité, mais ne prend pas en considération le fait qu 'un moment constitutif de l 'énoncé politique est le lieu singulier de son énonciation. C'est pourquoi elle manque l 'universalité et ne réalise qu 'un intérêt particulier. La politique morale, elle est par contre, une politique qui suit la maxime: Fiat iustitia, pereat mundi. Dans cette maxime il s 'agit avant tout d 'une coupure radicale, d 'une rupture absolue avec la situation. La politique morale parie, dans une situation réele, sur le moment qui est radicalement hétérogène à cette dernière. Alenka Zupančič KANT: LA LOI ET SES RICOCHETS In his Critique of Practical Reason, Kant introduces the postulate of the immortality of the soul, arguing that it is a necessary condition of »continuous and unending progress from lower to higher stages of moral perfection«. Yet, if the soul is immortal, it is - upon the death of the body - no longer a denizen of the world of space and time; and if the soul is no longer under the temporal condition, how are we to understand »continu- ous and unending progress«? Is it not that Kant actually needs to postulate the immortality of the body, rather then the immortality of the soul? - A body which exists and changes in time, yet approaches its end, its death, in »endless« asymptotic movement. The paper deals with this and other paradoxes of the Kantian theory of the postulates - in relation to the moral law. 206 Abstracts Simon Critchley THE HYPOTHESIS, THE CONTEXT, THE MESSIANIC, THE POLITICAL, THE ECONOMIC, THE TECHNOLOGICAL - ON DERRIDA 'S SPECTERS OF MARX In this paper I give a detailed critical discussion of Derrida's important 1994 book Specters of Marx. I begin by discussing the hypothesis advanced in the book and then make a number of remarks about its context. I then go on to discuss the central theme of Specters of Marx: the messianic. As a way of unpacking this theme, I address a number of subthemes in Specters of Marx: the injunction of différance, democracy to come, justice, religion and the es spukt (it spooks). As a consequence of this discus- sion, I turn to the theme of the political and address the subthemes of hegemony, the decision and the New International. I conclude the paper with a discussion of two more speculative themes that arise out of Specters ofMarx: the question of the economic and the technological. Guy Lardreau HABENTSUA FATA L'on fait souvent comme si le caractère problématique de l 'alliance entre »éthique« et »politique« valait sub specie aeternitatis. Il nous semble pourtant qu ' i l a pour condi- tions quelques postulats, dont l 'évidence est historiquement inscrite, par là probablement mortelle. Rien n'interdit de penser qu 'on puisse bientôt dire de ce couple étrange, et plagiant Mallarmé: adieu! Je vais voir l 'ombre que tu devins. Ludwig Nagl (WIE) LÄßT SICH RECHT LEGITIMIEREN? (HABERMAS, RAWLS, DWORKIN) Jürgen Habermas sieht im modernen Recht »ein zutiefst zweideutiges Medium der gesellschaftlichen Integration«, das einerseits »unter dem profanen Druck der Funktionsimperative der gesellschaftlichen Reproduktion steht«, gleichzeitig aber »unter der idealistischen Nötigung, diese zu legitimieren.« (Faktizität und Geltung, Frankfurt 1992, S. 59 f.) In der Frage, wie das zweite, nicht-instrumentelle Potential rechtstheoretisch zu bestimmen sei, grenzt Habermas seine eigene diskurstheoretische Option von anderen kantianisch (und postanalytisch) inspirierten Theorien ab, vor allem von John Rawls ' »moral cons t ruc t iv i sm« und von Rona ld D w o r k i n s Rechtskonzeption, die einem konstruktiven Kohärenzprinzip verpflichtet ist. Vor diesem Hintergrund werden zwei Fragen behandelt: 1) wie argumentieren Habermas, Rawls und Dworkin gegen jene (analytischen) Rechtstheoretiker, die das Recht - in seinem rationalen Komponenten - ausschließlich auf die Sphäre des Faktisch-Instrumentellen begrenzen wollen? Und 2) wie stimmig ist derHabermassche Versuch, Rechtsnormativität diskurstheoretisch grundzulegen, vor allem angesichts jener Erwägungen, die Rawls mit Blick auf die dissensgenerierenden »burdens of reason« und Dworkin unter Rekurs auf den hermeneutisch-konstruktiven Modus der Bildung von Rechtsurteilen angestellt haben? Abstracts 207 Oliver Marchart ON THE FINAL (IM-)POSSIBILITY OF RESISTANCE, PROGRESS AND AVANT- GARDE The category of political resp. artistic avant-garde - as being progressive, sectarian and dogmatic - is under assault. However, there is no emancipatory politics feasible without any Jacobin element. In order to develop a post-avant-garde (as opposed to both avant-garde and non-avant-garde) democratic strategy everything depends on our ability to establish the paradoxes of a non-teleological progressivism, an empty and relative universalism and an asymmetric particularism. This search for a political stand, which has not yet lost any idea of the New as the empty signifier of (Non- )Order, may lead us to what Laclau and Mouffe have called »radical and plural democracy«. Such hegemonic pluralism might be the alternative to muddy strategical pragma (Lenin), clean messianic theory (popularized Derrida) and po-mo happy dispersion (Lyotard, et alii). Jacob Rogozinski LE CORPS ABJECT DU ROI: LA TERREUR ET SON ENNEMI On aborde ici la question du statut du corps et des figurations du corps politique dans la Révolution française. Il s'agirait de savoir si les révolutions démocratiques des temps modernes amorcent un processus de désincorporation du social où, à partir du régicide se défait l'hypostase du Corpus Mysticum - ou si l'on assiste à une mouvement inverse de reincorporation, à un simple transfert de souveraineté du corps déchu du monarque au Corps régénéré du peuple ou de la Nation. On examinera ainsi, à travers l'analyse des figurations du corps, la question du régicide à la Terreur et les fondaments du discours et de la politique des Jacobins. ACTA PHILOSOPHICA / FILOZOFSKI VESTNIK Recent special issues: Vol. Xm, No. 2 (Autumn 1992) The Actuality of Kant Contents: André Berten, Kant et la question de la République universelle, Hanno Birken- Bertsch, The closure of experience - Kant, Goodman, and the aesthetic approach, Paul Crowther, Authentic moral commitment - Kant's phenomenology of respect, Manfred Frank, Die Kritik der Urteilskraft als Schluß- stein des kantischen Systems, Zdravko Kobe, Das Problem des inneren Sinnes - Das Innere, das Äußere, lind die Apperzeption, Gorazd Korošec, Hobbes and the theory of social contract as the context for Kant's political philosophy, Tomaž Mastnak, Kant eirenikós: republicanism, commerce and the law of na- tions, Frangoise Proust, L'Idée de Kant,Rado Riha, Kant in praktischer Absicht, Jelica Sumič-Riha, On the in-ex-sistence of the Cri- tique of political reason, Ernst Vollrath, Handeln und Urteilen - Zur Problematik von Hannah Arendts Lektüre von Kants Kritik der Urteilskraft unter einer politischen Per- spektive, Véronique Zanetti, La théorie kanti- enne du vivant./l/e/ifcj Zupančič, Num propter vitam vivendi perdere causas, Slavoj Žižek, Kant: the subject out of joint. Vol. XIV, No. 2 (Autumn 1993) Questioning Europe Contents: Hauke Brankhorst, Staatsbürgeruniversalis- mus contra Nationalstaat, Aleš Erjavec & Ma- rina Gržinič, Mythical Discoveries, Utopian Spaces and Post-Socialist Culture, John Keane, Nations, Nationalism and European Citizen, Gorazd Korošec, Social Contract and Public Opinion - Two Political Con- cepts of the Enlightenment, Tomaž Mast- nak, The Birth of War out of the Spirit of Peace, Ale t ta J. Norval, Minoritarian Poli- tics and the Pluralisation of Democracy, J.G.A. Pocock, Vous autres Européens - or Inventing Europe, Rado Riha, Europa und wir Anderen, Braco Rotar, Le revers de l'Europe, Jelica Sumič-Riha, Liberalismus und Partikularismus im neuen Europa. Vol. XV, No. 2 (Autumn 1994) Fictions Contents: Ernesto Laclau, Subject of Politics, Poli- tics of the Subject, Aletta J. Non>al, The Politics of Homecoming: Contending Fic- tions of Identity in Contemporary South Africa, Kate Nash, Women and the Fictive Individual of Liberalism, 5«e GoIding, Vir- tual Derrida, Jelica Sumič-Riha, Fictions of Justice, Alenka Zupančič, La logique de l'apparence, Peter Klepec, Kant's Transcen- dental Ideal as Fiction, Steven Lukes, Five Fables About Human Rights, Tomaž Mastnak, Fictions in Political Thought: Las Casas, Sepûlveda, the Indians, and the Turks, Gorazd Korošec, The Role of Fic- tions in Law: Hume, Adam Smith and Bentham, Peter Burke, Historical Facts and Historical Fictions, Oto Luthar, »White Men Can't Jump...«: Objectivity and Fic- tion, Paul Crowther, The Logic Structure of Pictorial Representation, Aleš Erjavec, Mountain Photography and the Constitu- tion of National Identity, Marina Gržinič Mauhler, Fiction Re-constructed; Entretien avec Jacques Ranci ère. All communications should be addressed to the Editorial Office, Filozofski vestnik, ZRC SAZU, Gosposka ul.13, 61000 Ljubljana, Slovenia (Fax: +386 61 125 52 53). Annual subscription: 18 $ for individuals, 36 $ for institutions. Single issue: 10 $ for individuals, 20 $ for institutions. Back issues available at reduced rate of 8 $ per copy. Send cheques payable to: ZRC SAZU, Ljubljana. Access / Master Card / Eurocard / Visa accepted. Credit card orders must include card number and expiration date. FY IN PREPARATION Vol. XVII. No. 2 (Autumn 1996) The Seen • Le Vu • Das Gesehene Vol. XVIII. No. 2 (Autumn 1997) Power and Resistance • Pouvoir et Résistance Macht und Widerstand Printed in Slovenia