m VOYAGE E N SIBERIE. TOME SECOND. VOYAGE f £N v S I BÉRI E5 CONTENANT LA DESCRIPTION des mœurs & ufages des peuples do ce Pays, le cours des rivières confi-dérables, la fituation des chaînes de montagnes, des grandes forêts, des mines, avec tous les faits d'Hiftoire Naturelle qui font particuliers à cette contrée. Fait aux frais du Gouvernement Rujfe , par M. GMELIK, Profejfeur de Chymie & de Botanique. Traduction libre de l'original allemand, par M. de Keralio, premier Aide-Major, à l'Ecole Royale Militaire, 8c charge d'en-feigner la Tactique aux Elevés Ecole. TOME SECOND, w  PARIS, Chez D E S AIN T, Libraire , rue du Fol Saint Jacques. M. D. CC. LXVII. Am Approbation^ Privilège du itaj _______ 3* TABLE DES CHAPITRE S. SECONDE PARTIE. Chapitre LVII. limât. Féte des w Bratskains. Manufacture. Confécration d'un cheval. Dijlillaûon Chinoife de bière & d'eau-de vie. i LVIII. Mifom Chinois. Salines. Mines de fer. Sorcières. Chûtes. 12 LIX. Minés de fer. Rocher peint. Climat des côtes de la mer glaciale. Aurores boréales. 2.1 LX. Cornes de mammont de narvaL Os & dents de vache marine. 52 LXI. Boujfoles des chajfeurs de Sibérie. Obfervationsfur le froid. Jour perpétuel. Oiféaux. 46 LXII. Mangafca. Foire. Déclinaifon de f aiguille aimantée. Orages, &c. 57 JLXIU. Foire d'iénifeisk. Monumens an~ tiques j mines. JO Pour ce chapitre & les fuivans, voyes TErrata. LXIV. Tombeaux , mine , antiquités; forciers. 8 4 xxj Table LXV. Tatares. Sorciers. Supplices. Fêtai des fages-femmes. Autres coutumes. 97 tXVI. Chanfons fibériennes. Printemps, Plantes. Oifeaux. i o 5 LXVII. Environs de Krasnoïark. Raies. Moutons. Effets du tonnerre. 114 LXVIII. Fêtes tatares. Supplices. Ef-pece a" alun nommé beurre de pierre. Expériences fur cet alun. 124 LXIX. Obfervations JHifloirc naturelle. Monument tatare. Beurre de pierre très-beau. Expériences fur cette matière. 140 LXX. Rocher peint. Hyène. Tremblement de terre, Charlatanerie Chinoife. M1 LXXI. Aurore boréale. Mines. Mort de l'Impératrice, &c. 158 !XXII. Maladie des chevaux. Livres de Médecine. 176 LXXIII. Climat de Tara. Pillage des Co- faques. 18.5 LXXIV. Hermaphrodites. Ville de Tiou* menne. I5>£ LXXV. Maladie. Forts. Lacs devenus falés, &c. 204 JLXX VI. Montagne d'Aimant. 2x3 LXXVII. Baçhkires% lac Chlkçum» dis ChapitresJ sxîj Catherinebourg. Prophétie, &c nj LXXVI1I- Fonderies. Eau minérale. Ne-viansk. Anciens croyans. 223 LXXIX. Fonderie. Idole vogoulienne. Montagne oTasbeJle. 228 LXXX. Mines & fonderies. Tatares. Tourinsk. 240 LXXXI. Ohfervallons fur la hauteur du baromètre. Mercure prétendu gelé. Solikamskaïa, &c. 250 Navigations & découvertes faites par les RuJJes dans la mer glaciale , & dans la partie fipuntriona.lt de la mer dufud. 163 Fin de la Table des Chapitres; yOYAGE VOYA GE E N SIBERIE» SECONDE PARTIE. CHAPITRE LVII. Climat. Fêta des Bratskains. Manufac* turc. Confécration d'un cheval. Difil-latlon chinoife de bière & d'eau-de-vie. Ou* continuâmes cle remonter la Lena, & nous vîmes* au village de Kirenga une petite braderie de brande-vin, qui rut établie l'automne dernier par un exilé. La plupart de ceux qu'on envoie en exil dans ce pays, font des marchands ruinés, qui doivent beaucoup ai* Tome II. A 2 Voyage CTOiivernement : on ne leur défend point d'y faire uiage de leur induftrie, & leur banniiîement leur eft fouvenr très-utile. Quand ils ont du fens &c de la probité, ils trouvent ici plus qu'en Ruffie des oc-cafions de faire un gain confidérable, Se de rétablir leur forrune. En palTant au village de Podymachinf-kaïa, je m'entretins avec un homme de quatre-vingt-fept ans, qui étoit encore plein de famé, de jugement & de vigueur. 11 avoit bu toute fa vie du bran-devin , en buvoit encore volontiers, &c atoit eu beaucoup d'enfans dont il avoit vu un grand nombre de petits enfans. Il étoit né goîtteux, & n'avoit d'ailleurs aucun défaut corporel. On voit dans ce pays beaucoup de vieillards, ainfî le climat en eft fain. Nous remontâmes la Léna jufqu'à fa fource, Se nous rendîmes enfuite par terre à la Simovie Ielnikova ; tous les environs étoient brûlés ; l'incendie n'avoit fini qu'au mois de novembre dernier ( 17 3 7 ) : la tourbe dont ce canton étoit couvert, l'avoit entretenu, & rendu en quelque manière avantageux, car les terres marécageufes du pied de la montagne étoient parfaitement delTé- en Sibérie. 3 La Simovie Ouft-ordinskoïe eft fur le ruilTeau de Kouda qui s'y joint à celui d'Orda ; les eaux de l'un & de l'autre ont la faveur &c l'odeur fi défagréables, qu'on ne peut en faire aucun ufage : ces mauvaifes qualités viennent peut-être de quelques riutfeaux falés qui s'y jettent. Nous nous rendîmes bienrôt à Ir-koutsk, &c quelques jours après nous allâmes voir célébrer chez les Bratskains la même fête que nous avions vue l'autre année chez les Iakoutes, celle de l'offrande faite aux dieux pour en obtenir une année heureufe. Deux motifs nous y conduifirent, notre curiofité , &C l'invitation de nos bons amis les Bratf-kains. La cérémonie commença au lever du foleil. Derrière un rang de bouleaux, environ de deux toifes de longueur, il y avoit un peu fur la gauche deux autres arbres de même efpece , &c detriere ceux-ci trois Bratskains, dont l'un un peu plus avancé étoit à genoux. Il te-noit une branche de bouleau horizontalement vers le foleil levant, &c parloir d'un ton élevé on me dit qu'il appel-loit les dieux. Les deux autres étoient debout, &c chacun d'eux tenoit une taffe 4e bois remplie de lait de cavale aigri &c d'eau-de-vie en parties égales. Ils s'avan- 4 Voyage cerent bientôt, jerterent leurs tafïès en l'air, & prononcèrent quelques mots , tandis que celui qui étoit ,1 genoux continuait fa prière. Apres avoir répété trois fois la même cérémonie, ils remplirent de nouveau leurs taifes & les jet-terent en avant. On me dit que le dieu principal , touché des prières ardentes de fes minifrres, venoit d'arriver fur ce ruilîeau pour vifirer fon peuple , & que pour lui témoigner leur refpec-t, on avoit jette trois fois les taiîès en l'air j que fuif-fait de cette offrande il s'étoit retiré , & que pour lui témoigner la joie que fa préfence caufoit au peuple bratskain , on avoit jette les tatîes vers lui. Cependant un homme placé fur la gauche des arbres tenoit un mouron qui devoit être immolé aux dieux. Pour le rendre plus digne d'eux, on lui verfa fur la tête un peu de lait Se d'eau-de-vie mêlés 5 enfuite deux hommes le jetterent par terre 5 un troifieme l'égorgea en fai-lant une incifîon au diaphragme èc rompant l'aorte : dans cette opération il prit garde que le fang ne cou ât pas à terre. Lorfque l'animal fut refroidi, il en 6ta les inteftins, ramalïa foigneufement le fmg dans un plat de bois, ôta la peau , coupa dans l'articulation le pied gauche de de- f. n S i b T. r i e. 5 vant &; le pied droit de derrière ; les deux autres furent auiîi coupés. II enleva dit fternum un petit morceau triangulaire, recouvert de la peau , ôta toute la chair, & la mit dans un chaudron avec les in-tëftins, qui furent auparavant un peu lavés : les os & le fang furent jettes dans une foife, le chaudron mis fur le feu. Le petit morceau du fternum fut grillé fur les charbons , & partagé entre les facrifi-cateurs &c deux autres des plus confidé-rables, qui le mangèrent avec délices. La viande & les inteftins étant cuits, furent mangés avec une vîteiîe inimaginable :, ils furent à peine tirés du chaudron , qu'on ne vit plus que deux os reliés par hafard dans la viande : on les jetta dans la foife, on y mit le feu, de on la couvrit de bois pour btuler les os. La peau de la victime fut fufpendue en témoignage du ficrifice qu'on venoit de faire aux dieux. La fête fut achevée en buvant du brandevin &: du lait aigri : les femmes en eurent leur part, & je ne vis point de perfonnes ivres. Les hommes s'amuferent à courir & fauter, tandis que le beau fexe danfoit & chantoit. On compte en droiture quinze lieues depuis Irkoutsk fufqu'à ces huttes bratf-kaines. Le ruilTeau de Telma qui en eft: A iij 6" Voyage voifîn ne gele jamais en hiver, .8c par conféquent eft le plus propre de tour ce pays aux ouvrages hydrauliques : ainiî lorsqu'on voulut fondre en grand pour l'expédition de Kamtchatka, la mine que l'on travailloit depuis long-temps à Bachmakova dans de petits fourneaux , on ne pouvoit pas choihr un ruiffeau plus avantageux que le Tel m a pour y construire une fonderie. On y bâtit une digue 8c quelques maifons ^ mais quand ces ouvrages furenr achevés, on trouva de mauvaifes qualités nu fer de ce can-ron , de celui de la Lena parut meilleur1 & plus traitable. Au lieu de la fonderie on y a conftruit deux moulins qui dédommagent prefque des frais de la dïgue Se des hâtimens. Quatre ïrkoutfains imaginèrent de tirer de ce lieu des avantages plus confidérables. Ils fe rendirent à Mofcou, 8c obtinrenr du prikas de Sibérie , pour dix mille livres, la propriété des bâtimens faits, Se la permiftion d'y établir une manufacture de draps. Ils ont bien commencé leur entreprife j l'argent ne leur manque point, 8c cette manufacture pourra devenir rlorifTante. On y a fait un troisième moulin j on a commencé l'automne dernier à filer de la laine : à préfent on y fait du drap, 8c on en Sibérie. f l'y foule, mais il y manque un habile teinturier. Il feroir à délirer que le Tel-ma fur un ruiffeau plus confidérable ^ les moulins ne font mis en mouvement que par l'eau qui tombe fur les roues. Les Bratskains nous avoient promis de confacrer un cheval, afin de nous faire voir encore cette cérémonie. Nous ne pûmes arriver à leurs huttes qu'à cinq heures du foir, Se ils croyoient fermement que cette confécration n'avoit de vertu que lorfqu'elle étoit faite avant midi ; mais que ne peut pas la foi fur des aines (impies ? Le chaman leur dit qu'il n'étoit pas midi ; aulïi-tôt ils s'af-femblerent dévotement, Se ne révoquèrent plus en doute la validité de la confécration. C'étoit un cheval gris ( car le blanc a je ne fais quoi de divin ), c'é-toit, dis-je, un cheval gris qu'un homme tenoit, Se fur lequel le chaman prononça quelques mots : enfuire il lui donna un coup de main très léger, Se celui qui le tenoit le fit courir. Un cheval confacré de la forte n'eft jamais ni monté , ni employé à quelque travail que ce foit. Quand fon maître meurt, il eft immolé, mais je ne fais fi c'efl aux dieux ou au diable : quoi qu'il en foit, A iv H Voyage les chamans &c les autres Bratskains le mangent. Après avoir vu cette cérémonie , nous revînmes à Irkoutsk. Les marchandées de Chine y font prefque à aulîï bas prix que fur la frontière. On m'a afîuré que ces fleurs qu'on nomme en Ruffe fleurs de papier, font faites avec la inoele d'un rofeau de Chine. J'y ai vu vendre du taraifon, qui eft une boiflbn fermentée. Les Ruifes le comparent au vin, parce qu'il en a la couleur y mais c'eft plutôt une efpece de bière , car il n'y entre point de rai fin. Cette liqueur enivre, quand on en boit trop , &z quelques verres feulement opèrent cet effet, quand on n'a pas la tête forte. Je ne l'ai pas trouvée agréable, peut-être parce qu'elle eft faite en des vailîeaux mal-propres, ainfï que l'eau-de-vie de Chine, qui a toujours mauvaife odeur • mais le goût «Se l'odorat font différemment affectés en différens hommes : j'en ai vu qui l'é-toient agréablement par la faveur & l'odeur du tarallbn. Les Chinois &c même les Chinoifes fupportent des odeurs qui feraient forr défagréables à tous les hommes d'Europe, &c feroient tomber en foiblefTe toutes les femmes. 11 fe peut ïn Sibérie. <î que l'odeur caulee par la mal-propreté des vafes où l'on fait cette boiflbn, leur plaife beaucoup, parce qu'ils y font accoutumés dès l'enfance. On fait le taraiibn avec du malt d'orge ou de froment greffier, 8c qui reifemble à du gruau. On en verfe dans une cuve , 8z on l'humecte feulement avec un peu d'eau chaude \ enfuite le vafe eft couvert avec foin. Quelque temps après, on verfe feulement un peu d'eau bouillante, on remue en écrafant, afin qu'il ne fe forme aucun grumeau, 8c on recouvre la cuve. On continue de verfer de l'eau bouillante & de remuer, jufqu'à ce que l'eau ait pris aiîés de malt, pour être gluante & très colorée, à peu près comme l'eft la rroifieme cuvée de bière. Cela fair, on lailfe tiédir, enfuite on verfe dans un vafe étroit, qui eft enterré, on y met un peu de houblon chinois , prelfé 8c préparé en tonne de tuiles , on recouvre avec foin le vafe, 8c on laiiïe le tout en fermentation. Le houblon préparé de la forte a déjà reçu l'addition néceifaire à la fermentation : il n'eft donc pas néceflaire d'y joindre , comme on fait en Europe, du houblon bouilli en petite quantité, afin de ne pas donner trop d'amertume, 8c d'y mêler „ ï O V O Y a g S pour hâter l'opération, un peu de pain blanc 8c de lie de bière. Des que la fer-mentation eft commencée, on obferve avec foin fi elle ne cette pas tout-à-coup, ce qu'on reconnoît, lorfque la matière gonflée commence à fe ralfeoir j alors il eft temps de la verfer dans un fac de roile épailfe, 8c de moyenne grandeur. Le fac eft lié, mis fous une preife, la liqueur reçue dans un vafe qu'on bouche bien, & qu'on porte dans le cellier. On voit que cette boiifon eft une efpece de bière qui étant préparée en des vailleaux propres, peut être aulîi bonne que celle de Suéde , ou que la double bière d'Angleterre qu'on porte dans toute l'Europe. Cependant je préférerois l'une 8c l'autre au taraflon , mais fans doure les Chinois ne feroienr pas de mon goût. J'ai appris auiîi comment les Chinois diftillent leur eau-de-vie. Ils prennent du malt d'orge ou d'avoine, ou des deux enfemble, 8c regardent ce mélange comme le meilleur : ce malt doit être grof-iier comme pour faire le taralfon. Il eft verfé dans une cuve, humecté, remué, couvert avec foin. Tandis qu'il refroidit , on fait bouillir du houblon dans peu d'eau , afin qu'il devienne épais : on y met de bonne lie en ailés grande en SlBUlï. Il quantité. Quand cette décoction eft aufli refroidie que le malt, on les mêle en-femble, 8c on les vetfe dans un vafe enterré, que l'on bouche 8c que l'on recouvre aufli exactement qu'il eft poflible. On lailïè le tout ainfi difpofé pendant fix jouts pour le moins ; plus la matière fermente, plus on a de brandevin. Ce-pendanr on prépare le fourneau qui doit lervir à la diftillation : on y maçonne ou du moins on y affermit un chaudron de fer coulé ou forgé. Lorfqu'on juge que la matière a fuffifamment fermenté , on allume le fourneau, & on remplit d'eau le chaudron. Dès qu'elle commence à bouillir , on place fur le chaudron un gril de fer, fur celui-ci un autre gril fait de bois 8c fort ferré j enfin on place fur ces grils un cylindre de bois, affés étroit, eu égard à la capacité du chaudron , & on le lute avec les grils. On met fur les grils le malt fermenté, non \ i r • • ' tout a la fois, mais par lits épais environ d'un pouce &" demi, 8c n'en mettant un nouveau que lorfque les précédens ont été pénétrés par la vapeur. Quand le cylindre eft p'ein, on y adapte un chapiteau qui ferme exactement, 8c on lute bien toutes les jointures. Le chapireau eft garni d'un long bec de cuivre, qui ïi Voyage porte la liqueur en un vafe d'étain place dans une tine remplie d'eau froide, où quelquefois on met de la glace. On entretient le feu, de forte que l'eau bouille modérément, 8c la liqueur coule continuellement comme d'un petit tuyau. Lorfqu'il commence à paffer beaucoup de phlegmes , on défait l'appareil, on remplit l'alembic de nouveau malt, on recommence l'opération jufqu'à ce que tout le malt fermenté foit diftillé , ôc l'on a du brandevin très pur, très fort 8c très bon. CHAPITRE LVIII. Mifom chinois. Salines. Mine de fer.. Sorcières. Chutes. LEs Chinois ont encore une efpece de liqueur qu'ils mêlent à leurs ragoûts, 8c quelquefois aux mets froids. Pour la faire, ils falent fortement une eipece de chou bleu à feuilles très étroites, ôc le biffent dans un pocle : il s'aigrit ôc donne de l'eau. On fait bouillir cette eau jufqu'à ce qu'elle devienne épaiffe comme de la bière non ferrnen- en Sibérie. î j tée. Lorfqu'elle e(t refroidie, on la mer dans des flacons, que Ton expofe au foleil pendant l'été , Se à la chaleur du poêle pendant l'hiver : elle y devient de plus en plus épailTe, Se plus elle l'eft, plus on l'eftime. On peut aufli tirer cette; liqueur du chou ordinaire par le même procédé : notre chou d'Europe croir à la Chine, mais n'y pomme pas, Se ce n'eft. ni l'efpece ni la qualité de la planre quL l'en empêche , c'eft le terrein ou la froideur du climat. 11 en eft de même à Ar-kanghel j. notre chou n'y pomme pas, mais il y croît , & devient une petite plante tendre Se favoureufe , dont la graine femée fous un climat plus tempéré, produit aufli-tôt des choux pommés. 11 notts eft arrive à Iakoutsk , pendant l'automne, lorfque cette plante eft dans toute fa crue, de manger après la loupe un plat de foixante-dix choux , Se quoique nous ne fuiîions pas grands mangeurs , nous n'étions pas raifaiiés. Nous nous préparâmes bientôt à quitter Irkoutsk, Se nous n'eûmes pas de peine à trouver des bateliers : il ne fijftlut qu'aller au marché, Se obliger les étrangers à montrer leurs paffeports : on en trouve toujours quelques-uns qui n'en onr pas, & il y a dans tout l'empire un otdrç 14 Voyage général d'arrêter tous ceux qui n'ont point de palfeports, Se de les renvoyer au lieu d'où ils font : ceux des provinces de Iénifeisk Se de Tobolsk qui étoient dans ce cas, furent charmés de trouver une occafion de revenir dans leur pays, fans faire les frais du voyage. Dans une île de l'Angare , limée au-deffous d'Irkoutsk , il y a deux falines , dont l'une appartient à des moines de cette ville, Se l'autre à la veuve Pivova-rika : elles fournirent toutes deux de rrès bon fel, mais celle des moines eft meilleure, plus grande Se plus abondante. On n'y connoît ni les feux gradués, ni les autres procédés qui pour-roienr doubler le produir j cependant on y fait tant de fel, que tout le diftricr d'Irkoutsk n'a pas befoin d'en tirer d'ailleurs. Dans toutes ces contrées la nature eft riche en fel, mais en cela même dé -.«favorable aux habitans du pays. Dans le bras de l'Angare qui eft fur la gauche 6Vr près des falines, on voit en quelques endroits des eaux falées fourdre dans celles de%i rivière : il y en a fur-tout une remarquable, en ce qu'elle fort d'un rocher qui eft dans l'eau. J'allai vifiter une mine de fer qui eft a deux lieues dans les terres, fur la gau- en Sibérie. 15 che de l'Angare , à hauteur de la Slobode cofaque qui eft fur la rive droite, Se des huttes bratskaines qui font vis-à-vis, fur la gauche. On a trouvé du minerai dans deux montagnes qui font l'une près de l'autre, mais on a donné la préférence a l'une des deux, parce que la mine qu'on en tire eft. plus facile à travailler. J'y trouvai huit puits, dont quelques-uns étoient profonds de dix toiles. Il en par-toit plufieurs atteliers de douze à quatorze toifes. La mine s'y montre en feuilles qui ont quelquefois deux pieds Se demi en quarré : elle eft brune mêlée de jaune, quelquefois pleine de cavités, Se cependant bonne : il y en a une autre, fort tendre , prefque femblabie à l'ardoi-fe, Se une troifieme efpece aufli tendre que celle-ci, mais qui a toute l'apparence d'un bois minéralifé. On y travaille en automne aptes là moiiîon, Se l'on defeend les mineurs par les puits avec des cordes. On n'y a pas pouffé les galeries plus loin que quatorze toifes, de peut que les terres ne s'erfondrenr : il n'y a pas ici un feul ouvrier habile Se qui fâche érayer. 11 eft vrai que jufqu'à préfent on n'en a point eu befoin : dans quelque endroit que l'on fouille, on trouve de bon mi- i G Voyage nerai. Dans Je voisinage de cette mine, on a construit une petite fonderie, où l'on coule des gueules de quatre-vingts à cent vingt livres. Lorfque nous arrivâmes aux huttes bratskaines, qui font au-deifous du fort Balagansk & de la rivière d'Ouga, nous trouvâmes cinq forcieres qui nous atten-doient, Ce n'étoit pas que nous euiîions déliré de voir leurs charmes : nous étions convaincus de leur pouvoir. Elles firent devant nous tous leurs fortileges dans la manière accoutumée : une d'elles fit le tour du couteau avec beaucoup de mala-dreffe, mais les Brarskains aveuglés par îa fuperftition , n'apperçurent pas l'artifice, 8c furent dans le plus grand éton-nement, lorfqu'elle fe découvrit pour faire voir que la peau n'étoit pas feulement entamée. Ils fe fâchèrent un peu de ce que nous plaifanrions fur des preuves au/îi évidentes des opérations du diable , 8c fe flattèrent de nous faire voir un forcier capable de nous convaincre. Le chaman célèbre parut devant nous, & fit en effet fes faurs 8c fes contor/îons avec une activité capable de nous furprendre 8c d'effrayer des efprits. difpofés à croire. Je penfe que fi nos. EN S I B È RTE. ; r joueurs de gobelers travaillqient devant les Bratskains , ils les croiroient plus habiles que les diables mêmes. Nous vîmes ici la fête du Tailga : mon interprète qui étoit un homme intelligent & très verfé dans toutes les cérémonies brarskaines, me dit qu'elle le célébroit en l'honneur des dieux de la terre. Huit moutons & un poulain lurent égorgés & mangés. On but de l'eau—Je-vie de lait & du lait mêlés, dont les femmes eurent leur part. 11 y eut à l'ordinaire des datâtes, des diverti(femens. Les os des victimes ne furent pas jettes dans une folle, mais placés fur un échâ-faud de bois conflruit exprès ck peu élevé : on mit du bois au-delfous, on brûla l'échafaud 8c les os, 8c la fête fut terminée. Nous quittâmes les Bratskains, 6c nous nous rendîmes au village nommé Tal-kinskaïa, du nom du Taikin , ruiffeau qui fe jette dans l'Angare par la rive gauche. Un peu au-delfus , du même côté, il y a une rive élevée de couleur ronge , où l'on trouve de bon plâtre. Ç'eft de-là qu'on a tiré celui dont on a tait ufiige pour les édifices de pierre-conuruits a Irkoutsk, parce qu'il n'y en avoit point qui fût plus près- ! g Voyage Lorfquc nous pafsâmes au fore Bratf-koï, on y détenoit cinquante Bratskains & Tongoufes aceufés d'avoir voulu entreprendre fur ce fort & fur les villages rulfes de l'Angare. On n'en parloit qu'en fecret ; on difoit qu'on avoit trouvé chez eux plus de fulils & de poudre qu'il ne leur étoit permis d'en avoir ; on prétendoit que leur projet devoit s'exécuter en trois différens temps ; c'éroit, difoit-on, un petit garçon bratskain nouvellement baptifé, qui avoit découvert cette confpiration. Les prifonniers qui éroient les chefs de la fédirion, avoient femé l'efprit de révolte parmi les Bratskains d'Oudinsk &c les Ton-goufes d'IIimsk. Deux d'entre eux fe pjndirent dans la prifon. On difoir qu'il y avoit d'autres mécontens parmi les Tongoufes d'ilimsk. En 1755 ^ 7 euc quelque rumeur parmi les Bratskains ; quelques-uns furent arrêtés, envoyés dans les prifons d'IIimsk , & quelque temps après mis en liberté. Une punition fi légère a pu les engager à for-mer de nouveaux projets, dans l'efpoir de n'effuyer, s'ils étoient découverts , que quelques mois de prifon. H me Semble qu'il leur feroit très difficile d'exécuter leurs entreprifes • ils peuvent être s n Sibérie. 19 reflerrés & contenus de toutes parts. Nous parvînmes bientôt à une des chûtes de l'Angare. Au-delTus , la rivière eft calme &c tout-à-fait femblable à un lac, mais vers la chûre elle eft, pendant un demi-quart de lieue, remplie de rochers contre lefquels les eaux fe brifent avec tant d'impétuofiré & de bruit, que le pilote ne pouvant fe faire enrendre eft obligé de commander la manœuvre par des fignaux. Tant que nous fûmes dans le courant le plus rapide, huit hommes ne celferent de ramer, & l'on dit que cette précaution diminue beaucoup le danger. Cette chûre a de grofTes va-gues qui donnent de temps en temps au bâtiment des fecouffès aifés fortes : la rivière y eft extrêmement rapide, mais il eft impoflible d'y appercevoir une véritable chute. Environ une lieue plus bas , on en trouve une autre qui n'a pas plus d'un quart de lieue ; elle n'eft ni remplie de rochers comme la précédente, ni aufli dangereufe , mais les vagues y font plus grottes. Les Cofaques de Iénifeislc qui l'ont patTée pour la première fois, trouvèrent fur les bords de la rivière une plante qui, par fes feuilles & fes fleurs , reflembloit parfaitement à la 10 V O y a G f. pulmonaire j ils en mirent les feuilles dans leur ïoupe , les racines dans une efpece de bouillie, mangèrent l'une & l'autre, & s'enivrèrent complètement: ils nommèrent cette chute pianoï porog ou la chute ivre, 8c parce que le fracas de la précédente fait mal à la tête, ils la nommèrent pokmelnoï porog , ou la chute du mal des cheveux. Je cherchai cette plante qui enivre, 8c je trouvai une belle efpece de jufquiame qui n'é-toit pas encore connue par les botanif-tes ( i). Un verre de bière où l'on a mis des feuilles de cette plante, ou la racine coupée en petits morceaux, fur-tout lorsqu'elle fermente, eft capable d'enivrer un homme , 8c de le rendre comme fou. Elle lui ôte l'ufage des frns j il voit les petits objets considérablement augmentés, une paille groffe comme une poutre, une goutte d'eau grande comme une mer. S'il veut marcher, il lui ïemble que des obftacles invincibles fe préfen-tent à lui. 11 fe fait les plus terribles images d'une mort inévitable qui le menace : enfin fon efprit eft égaré comme (i ) H) ofciamiisfoliis evatis , inregerrimis, ca~ lycibiti ififiuùs Jubglobojïs. Lin. fp. j,p. i8o. en Sibérie. 11 par le plus violent délire. Les marchands ruifes prétendent que la racine de cette plante eft utile contre les hémorroïdes Se le flux de fang. Nos bateaux palTerent enfuite la chiite nommée padounne , que l'on regarde comme la plus con.fîdérable de l'Angare. Elle a rrois faillies ou fauts, Se celui du milieu eft: le plus élevé : fa longueur eft d'un demi-quart de lieue, Se fa hauteur totale eft de deux toifes à deux toifes & demie. L'afpect en eft effrayant, parce qu'elle eft prefque toute couverte d'écume • mais en prenant la précaution de décharger les bateaux, elle n'eft pas dangereufe, Avant ou après celle qu'on nomme Dolgoï ou la longue , la rivière eft large Se remplie d'îles ; dans la chute elle eft étroite , fins îles, Se bordée de rochers efearpés Se pelés. Le courant y eft rapide , mais je n'ai pu y voir aucun faut fenfible : cependant on en compte trois, c'eft-à-dire on regarde comme fauts les endroits où la rapidité eft plus grande. Cette chute a environ deux lieues de longueur j on y voit çà Se là quelques rochers qui dépalfent la fu-rface ; les eaux y font beaucoup de bruit, Se très fouvent de petits tournans. On y a des, il Voyage vagues comme fur la mer quand il vente frais, mais dans aucune chûre elles ne font aufli groifes que dans celle d'O- biemnaïa. CHAPITRE LIX. Mines de fer. Rocher peint. Climat des côtes de la mer glaciale. Aurores boréales. ON fond à Katskaïa des gueufes du poids de quatre-vingts livres, d'une très bonne mine de fer, qu'on trouve dans le ruiffeau de Kata vers l'embouchure des ruiffeaux de Poléva, Mouria & Kopaïéva. Il y a quelques endroits où les eaux du Kata lavent le minerai ; on va les chercher en canot, 5c lorfqu'on les a trouvés, on y conftruit des radeaux fur lefquels on apporte la mine à Katskaïa : elle eft en gros morceaux, très riche, brune, 5c louvent jaunâtre au-«aehors. On en trouve une autre à une lieue 5c demie au-deflbus du Slobode ké-chemskaïa fitué à l'embouchure du ruiffeau Bolchaïa kechma : celle-ci eft par en Sibérie. 25 nids Se en très petits morceaux bruns qui ne font pas des plus riches. Elle eft à découverr, Se remplit rarement un ef-pace de plus de deux toifes en quarré. Le lit qu'elle forme , a environ deux pieds d'épailfeur, Se eft mêlé de beaucoup de petites pierres. Nous apprîmes ici que l'on continuoit d'arrêter les Tongoufes, Se de les tranf-férer à llimsk. Je ne puis pas croire qu'un peuple aufli ruftre puifle former une enrreprife contre le gouvernement; mais au cas que leur rébellion foit véritable , il eft aifé de les contenir par une punition juridique Se févere. Si l'on veut toujours les inquiérer, en relâcher quelques - uns, en arrêter d'autres, punir ceux-ci fans que leur crime foit avéré, abfoudre ceux-là fans examiner à fond leur conduite, on pourra caufer la ruine entière de ce peuple : on dit déjà que les Tongoufes d'IIimsk ne font point à beaucoup près aulfi nombreux qu'ils l'ont été. Après avoir palfé plufieurs chûtes, nous arrivâmes au couvent de Kachinsk qui eft à une lieue au-deflbus du ruilfeau de Chélefnaïa. Le principal bien de ce fcionaftere, qui n'eft habité que par un, 2 4 Voyage pieux économe Se trois ou quatre moines , eit une mine de fer qui n'en eft pas éloignée. A une lieue Se demie au-def-fus de l'embouchure de ce ruiffeau , il y a un iar ou rivage élevé , dans lequel eft un lit épais de trois pieds, qui çft prefque rout de mine de fer : on y trouve feulement çà Se là beaucoup de grais ronds. Cette mine eft de couleur brune mêlée de jaune , ainfi que les précédentes : elle eft quelquefois très dure, quelquefois percée de petits trous; il y en a qui relfemblent iî parfaitement à du bois, qu'il faut, pour les distinguer, -les comparer Se conlidérer avec la plus "grande attention. Les morceaux de cette •mine font peu considérables, Se les cou-•ches n'ont pas plus d'un demi-pied: elles s'étendent horizontalement dans la montagne, Se ne s'écartent nulle part de cette fituation. Au-delà de ce couvent, on trouve encore plufîeurs chûtes , & l'on voit quelques rochers çà & là dans le lie de la rivière, mais à une lieue au-deffous de Siromolotova, près du rocher nommé pop, la rive droite de la Tongouska prend un afpect plus agréable. Il fort une fource falée d'un petit rocher qui eft en Sibérie. 25 eft près du Pop : les payfàns des environs en font ufage, pour faler plulîeurs chofes , &c fur-rout les concombres. A une lieue &z demie au-deiîous de Klimova, on voit fur la rive droite le rocher nomme Pifannoï, où l'on a peint groftierement en couleur rouge deux cavaliers à cheval. Les rochers de ce canton , &c ceux qui font au-deifus du village de Tehadobskaïa étant compoiés de lits perpendiculaires, ont un afpect: qui furprend. Vis-à-vis l'embouchure du ruiffeau de Biéla qui fe jette dans l'Angare par la rive gauche, il y a plufieurs rochers en forme de colonnes, qui s'étendent jufqu'à demi-lieue. Nous pafsâmes enfuite devant la rivière de Tafféevo , qui reçoir vers fa fource le ruiffeau d'Oulfolka, fur lequel il y a deux falines , l'une à quinze lieues de fon embouchure, l'autre un peu plus loin. Avant d'arriver à l'Iénifei, nous pafsâmes une chute dont les vagues n'é-toient pas grolfes, mais dont les bords étoient efearpés Sz fauvages. Cette rivière qui eft plus petite que la Ton-gouska, avant qu'elles foient réunies, confetve cependant fon nom jufqu'à la mer, contre l'ufage ordinaire qui veut que l'on regarde la plus grande rivière Tome IL B 16 Voyage comme la principale , ik que celles qui s'y jertent, s'y perdent avec leur nom. Cet ufage eft fuivi par les peuples idolâtres de Sibérie. Ils regardent comme une feule rivière l'Angare , la Tongouska, l'Iénifei, & donnent à celle-ci le nom de Kern depuis fa fource jufqu'à fon embouchure dans la Tongouska, mais les RuSÏcs de Sibérie ont un autre principe de géographie j ils donnent un troiiîéme nom à deux rivières principales qui fe font jointes : après leur réunion , les rivières d'Ingode ÔÇ d'Onon prennent le nom de Chilka, la Chilka &c l'Argoune deviennent l'Amoure; l'Angare &c l'ilim forment la Tongouska. Au contraire les rivières qui fuivent la même direction depuis leur fource jufqu'à la mer, con-fervenr leur nom : l'Ob, l'Iénifei, la Léna coulent toujours du fud au nord 5 ainli l'Irrich & la Tongouska, quoique plus considérables, l'une que l'Ob, l'autre que l'Iénifei, fe perdent dans ces deux rivières. Dès que nous fûmes entrés dans celle-ci , nous crûmes Sortir d'une grotte obf-cure : nous découvrîmes fur l'une re-préfenta qu'étant allé du fort de Sachver-skoï à la rivière d'iélon, qui fe jette dans l'Indighirka, peu loin de fon embouchure , il avoit trouvé fur une rive élevée une rête de mammont, & qu'il l'avoit détertée, afin de la retrouver plus facilemenr. Il demanda d'y être renvoyé avec un couple d'hommes pour faire de nouvelles recherches : fa demande lui fut accordée. Il retourna fur la rivière d'Iléon , retrouva la tête de mammont, & la fit pot ter à Iakoutsk ; mais quoiqu'il l'eût annoncée comme entière, elle n'avoit qu'une demi-corne. Il fir fçavoir en même temps à la chancellerie , qu'il avoir trouvé fur la même rivière deux cornes entières du même animal, & reçut ordreHeles faire apportera Iakoutsk. Sous le prétexte de chercher des os de mammont , les cofaques de Iakoutsk entreprirent de grands voyages : tandis qu'un feul cheval auroit fufti à chacun, d'eux, on leur en donnoit cinq ou fix , qu'ils chargeoient de leurs marchandi-fes, Cette facilité les encouragea ; ils vouloient tous aller à la recherche de ces os. Avant-ce temps le fquélette du mam- in Sibérie. 15 mont, & même ce qui en portoit ie nom , étoit une chofe facrée que per-fonne n'eût ofé toucher. Les cofaques craignoient de regarder de loin ces reftes finiltres. Dès que l'empereur les eût demandés ils crurent qu'ils feroient coupables du crime de leze-majefté, fi pour quelque raifon que ce fût, ils n'exé-cutoient pas fes ordres. En 1713, le commiffaire Nafar Kolechov fit apporter à Irkoutsk la tête d un animal extraordinaire : elle avoit trois pieds de demi de long, deux pieds de haut, deux cornes, de une dent de mammont. Dans l'année fuivante un cofaque remit aufli à la chancellerie d'Irkoutsk une corne de mammont. La plupart de ces os, de tous ceux qu'on voit à Péterbourg, au cabinet impérial d'hiftoire natuelïe, fous la dénomination d'os de mammont , reffem-blent parfaitement aux os d'éléphant ; (1) mais par ce qui vient d'être dit, de fur tout par le récit de Spiridon Port-niaghinne , il paroît qu'on trouve quelquefois en Sibérie des têtes qui pat leur (1) Ceux qu'on voit à Valence en Daii-phiné j font peut-éue aufli des os d'éléphant. B vj )6 Voyage groiIeur,&par la forme des cornes,appartiennent plutôt au bœuf qu a l'éléphant. J'en vis une à Iakoutsk ; on l'avoit apportée du fort d'Anadirsk , de elle étoit rout-à-fait femblable à celle de Portniag-lùnne : une autre qu'on avoit déterrée au fort Ilghinskoi,relfembloir parfaitement aux précédentes. Enlin j'ai appris qu'aux environs de la Nijnaïa Tongouska, on trouve non-feulement de ces têtes , mais encore d'autres os , des omoplates , des tibia , des os fncrum & innommés , des os des iles trop petits pour appartenir à l'éléphant, &z qui font peut-être de cet animal, qu'il faut nécef-iairement admettre dans la famille des bœufs. J'en ai vu quelques-uns, c'étoient des tibia, & des os des iles, qui m'ont paru extrêmement courts par rapport à leur épailTeur. Il eft donc confiant que l'on trouve en Sibérie des os de deux efpeces d'animaux. On n'a recherché long-temps que ceux d'éléphant, qui avoient donné lieu à la fiible du mammont ; mais depuis les ordres donnés à cet égard par l'empereur , on a raifemblé tous ceux qu'on a pu trouver, ck quoique le plus léger examen eut pu faire appercevoir qu'ils ctoient très différens, on les a tous con- en Sibérie. 37 fondus. Isbrand Ides rapporte un faux bruit, lorfqu'il dir qu'on ne trouve ces os d'éléphant que dans les contrées de Mangaféa , d'Iakoutsk, & les montagnes qui font au nord-eft de la rivière de Ket; il y en a dans toute la Sibérie , foit dans les cantons les plus méridionaux, foit dans ceux du haut de l'Irtich , de laTom, & de la Léna ; il y en a en Ruflie , &£ même en pl ufieurs endroits d'Allemagne, où de même qu'en beaucoup d'autres pays, on les connoît fous le nom d'ivoire foflile. On les nomme ainfi avec raifon , car ils font parfaitement femblables aux dents d'éléphant apportées des Indes , & celles qu'on trouve en Sibérie , & qu'on y appelle cornes , n'en différent en riem Dans un climat un peu chaud ces os samoliffent & fe décompofent , mais dans ceux où la terre efl toujours gelée, vers les cotes de la mer glaciale , lesquelles s'étendent au fud prefque jufqu'à foixante-huit degrés. La Tas fe jette dans la partie orientale , & l'Ob dans l'occidentale. Les rivières de Touroukan & de Iélagoui font voifines de la Tas : il eft donc facile d'aller par celle-ci, de même que par l'Ob , à Iénifei. Les ha-bitans de cette petite ville , ayant trouvé le climat trop rigoureux , fe transportèrent un peu plus haut, &c y bâtirent une ville qu'ils nommèrent la nouvelle Mangaféa. On dit qu'il fe faifoit autrefois un alfés grand commerce , d'Ar-kanghel par Pouft-Ofersk , petite ville limée à l'embouchure de la Petchora , qui fe jette dans la mer du nord par le C v 58 V o v a g e fore d'Obdorskoï & l'ancienne Mangaféa. Les Mangaféens efpéroient de ne pas le perdre, quand même ils fe fe-roient retirés un peu plus à l'elt. Leur nouvelle ville eft plus connue en Sibérie fous le nom de Touroukansk que fous celui de Mangaféa. On y tient tous les ans une roue , ou l'on vend des pelleteries de toute efpece. Les peuples idolâtres des environs chaf-fent durant tout l'hiver le long de la Nijnaïa Tongouska , de la balfe léni-fei, de la Koureika, Kantaïka, Dou-dina, 5c autres rui fléaux 5c rivières, comme la Katanga , la Tas, l'Ob , Sec. Quelques-uns de ces chalfeurs apportent leurs pelleteries eux-mêmes à la foire de Touroukansk , mais la plupart les trafiquent avec les Rufles qu'ils con-noiifent : ils craignent de rencontrer des acheteurs trop au-deiïus d'eux j 5c d'être forcés à livrer leurs marchandifes pour un trop bas prix. Cependant il y a toujours en cette ville quelques hommes des nations voifines , parce qu'on a coutume d'en exiger des amanari , ou otages qu'on ne laiffe en liberté que loriqu'ils font remplacés par d'autres. Les chaiTeurs de Kantaïka étoient arrivés avant nous : ceux de la Katanga avoient e n S 1 b ï r. i e. Confié leurs marchandifes à leur prêtre. Quelques marchands ruffes & tongoufes s'y étoient rendus de lémfeiik ôc difpo-foient déjà leurs boutiques Lorfque tous les chaffeurs . les ôt ges , les marchands, les receveurs du tribut furent raffembîés, le commerce commença , mais fecrétement & comme à la dérobée , foir afin que les marchands rufés puffent mettre à profit la ftupidité des autres, foir de crainte que l'un d'eux connoiflant la richeffe d'un autre n'entreprit de l'afiafliner. Prefque roures les marchandifes que l'on mit en vente étoient des peaux de zibeline , de renard blanc , de renard bleu, de renard noir , gris, &c. de goulu , de loup blanc, d'ours la plupart blanc : parmi ces dernières il y a des peaux d'ourfon de la Nijnaïa Tongouska . qui onr prefque le blanc de l'argent. On apporte auffi d'A-vam des peaux mégiffees de jeune rené, qui font de la plus grande foupleife. Ces pelleteries de 1 îénifei font beaucoup plus eftknées que celles de l'Ob &z de la Léna, patce qu'elles les furpaffenten grandeur; on dit aufli que le poil en eft meilleur oc plus énais : l'Iénifei eft donc la rivière fur laquelle les Ruffes font le plus d é-ïaoliffemens. Depuis Mangaféa jufqu'à do Voyage la mer , delà le long du rivage jufqu'à. la Katanga ôc le long de cette rivière on trouve pat-tout des habitations rulfes : quelques-uns en changent de temps en temps, d'autres y paffent leur vie. Ceux qui n'ont aucun bien , y courent en foule , car la chafïè des animaux que je viens de nommer ,. eft extrêmement avantageufe. Un jeune homme qui vient dans ce pays , fut-il dépourvu de tout, & à demi nud , y ttouve un maître qui le prend , l'habille , lui donne des gages conlidérables ou une part de la chaiie, ôc lorfqu'il n'eft pas prodigue , il peut faire en quelques années une efpece de fortune. On ne peut chaf-fer qu'aux renés durant tout l'été, mais alors on s'occupe de la pêche, ôc quoique l'Iénifei ne foit pas aulîi poilfon-neufe que d'autres rivières , telles , par exemple , que l'Ob, un homme peut y prendre aiîés de poifton pour fournir prefque entièrement à la nourriture de fa famille. Pourroit-on croire qu'à foixante ôc dix lieues au-delfous de Mangaféa, il y ait une paroifterulfePon la nomme Kantaïskoïpogoft, ou paroifte deKan-raïsk: elle eft G tuée\6$ degrés de latitude feptentrionale,&compofée d'une églife, d'un presbytère ôc d'un périt nombre de maifons de payfans , dont quelques-* en Sibérie.' ii unes font vuides; mais les environs font remplis d'habitations de chaifeurs ; ce font ordinaitement des maifons éloignées les unes des autres, afin que les chaifeurs ne piaffent pas fe nuire entre eux : on les appelle fimovies. Je traçai le 11 juin une méridienne, afin d'avoir la déclinaifon de l'aiguille aimantée : je l'obfervai le même jour à différentes heures, ôc je la trouvai de 8 degrés vers l'eft. Le i 9 , elle étoit la même par un vent d'efc affés fort. Ce fut pour moi un phénomène , car dans tous les endroits de Sibérie où je l'avois ob-fervée , je n'avois pas apperçu la moindre déclinaifon. Nous eûmes depuis le zo quelques tonnerres affés forrs. Plus on approche de la mer glaciale, plus ils fonr rares : il faut, pour les y entendre , écouter attentivement , tk l'on diroit que c'eft un bruit fouterrein. Quant à l'éclair on le voit diftinctement du rivage. J'allai voir les tournans qui font dans la Nijnaïa Tongouska , à une lieue ÔC demie au-defliis de fon embouchure. Il y en a beaucoup en cet endroit le long des deux rives , ôc lorfque les eaux font hautes, on ne trouve entre ces courans qu'un paffage large de fix toifes. Si le bateau va fur l'un des côtés, il eft quel- 6i Voyage quefois tourné circulairement pendant l'efpace de foixante toifes, Se ce n'eft qu'à force de rames, Se avec un travail extraordinaire qu'on peut le remettre-dans le courant. Les arbres que la rivière entraîne , font attirés dans ces gouffres, qui , après un quart-d'heure , les rejettent brifés en une infinité de petits morceaux. Quelques pêcheurs voulurent fonder le plus grand de ces tour-nans. lis y jetterent une grofïe pierre attachée à une corde, elle tomba fur quelque chofe Se s'arrêta; maisils ne l'eurent pas plutôt ébranlée de nouveau qu'elle continua de defeendre. Us filèrent la corde jufqu'à quatre-vingt dix roifes y Se n'en ayant plus , ils ne purent pas pouffl-r plus loin l'expérience. Dans cet endroir le mouvement circulaire des eaux eft conîidérable, Se relfemb'e à celui de l'eau que l'on verfe dans un vafe2 Un petit canot que j'y fis conduire fur tourné durant quelque temps Se enfuite emporté plus bas par le courant de la rivière. Cette épreuve m'infpira de l'affu-rance, Se j'efpérai pouvoir pafter un de ces tournans fans y être précipité ; d'ailleurs les bateliers m'afîuroient qu il n'y avoit aucun danger. J'y allai dans un canot ; durant tout le temps que je rusj Sibérie. 6$ fur le tournant, je fentis que le bateata trembloit fortement : les bateliers ra-moientfans relâche } ils prétendent que ce mouvement empêche les eaux de faire tourner le bateau. Les deux rives dans cet endroit font compofées de roc &c de pierres 3 2c le lit y a fans doute une forme Singulière. Je vis enfuite le monaftere de Troïts-koï qui n'eft plus habité que par quelques moines que l'âge a rendu prefque aveugles. Il avoir aurrefois des revenus considérables : tous ceux qui remon— toient ou defcendoient l'Iénifei, y fai-foient dire quelques prières pour 1 heureux fuccès de leur voyage , &c les moines leur diftribuoienr du pain. Certe libéralité apparente rapportoit beaucoup au monaftere , car ce pain donné par de faints hommes avoit un prix infini, & engageoit les voyageurs à une plus grande générofité envers les pieux cénobites. Les chalfeurs y faifoient aufli prier pour le fuccès de leur chaife, ou remercier le tout-puiflant de leur en avoir accordé d heureufes : les religieux leur dorjnoient pareillement à manger 8c à boire , 8c en étoient récompenfés par d'amples préfens. Les dons des laïques ont celle avec la libéralité des moines ; 64 Voyage de plus il femble que leurs prières font deiirées avec moins d'ardeur. Ce monaf. tere avoit autrefois un faint que l'on ré-véroit fous le nom de Bafile de Touroukansk. Vers l'année [720 un archevêque de Tobolsk imagina d'examiner les preuves de la fainteré de ce Bafile, Se ne les trouvant pas furfifantes, il le fit en-terrer. Depuis ce temps le couvent a perdu beaucoup de fon renom , Se les moines voudraient'bien encore avoir leur faint, à qui l'on venoit, même de Iakoutsk, faire des offrandes ; mais l'Archevêque prit la précaution de le faire enterrer fccrétement, de forte que les religieux ne fa vent pas le lieu de fafepul-ture : il n'y a que certaines ames faintes Se privilégiées , qui fe flattent de le con-noître. Les habitans de la Léna prétendent qu'un jour on verra la pierre de la tombe s'élever Se le faint apparoître. On m'avoit dit qu'à l'embouchure du ruiffeau de Pakoulika , on trouvoit beaucoup de pierres figurées. Je m'y rendis avec cinq hommes , Se malgré les recherches les plus exactes, je ne trouvai que quelques cailloux. Je vis alors que les gens qui m'avoienr indiqué ce lieu , nommoient pierres figurées des cailloux de différentes formes. On m'affura qu'il ï k S i b e K ï e. 65 y en avoit en effet fur ia pointe de Kan-gatou : j'y allai avec vingt hommes , &c nous y trouvâmes quatre bélemnites, un corail , une mine de fer ttès riche , per fanre, rouge au dehors, brune au dedans, qui fe montroit fous différentes formes* Elle étoit en morceaux arrondis qui avoient depuis dix-huit jufqu'à trente lignes de diamètre } d'autres reffem-bloienr au hériffon de mer nommé fpa-tagus, &X leur furface inférieure étoit large de deux pouces. Quelques-uns étoient comme des boutons grofliers , un peu relevés par-deffous ; il y en avoit qui n'afreétoient aucune figure régulière, &c qui pefoient depuis quatre onces jufqu'à quatre livres : on en voyoit parmi ce dernier qui avoient la forme d'une queue d'écreviffe, d'autres étoient ovale-allongé. J'en trouvai qui étoient mêlés de gravier & de cailloux ; quelques-uns relfembloient à une hématite par le poli &c la dureté : d'autres étoient comme du bois pétrifié. Je trouvai une autre mine de fer, feuilletée , jaune, tenant ochre , qui tantôt avoit la figure d'un pot de terre, compofé de plufieurs couches minces , tantôt teffembloit d un amas de petits tuyaux creux, courbes,. droits.& de différentes formes, qui naùToieat g£ V Ô Y A G t tous de minces branches de bois autour defquelles une ochte s'étoit dépofée. Cette mine avoit aufli quelquefois juf-qu a fon milieu les écailles minces dont la bélemnite eft formée, de forte qu'on ne pouvoit y voir aucune cavité. Nous y vîmes aufli un talc noir, brillant, dans une pierre noirâtre femblabie à l'ardoife ôc parfemée de veines déliées de foufre cruel : Plulieurs variétés d'une pierre très -dure , rayée de gris & de noir, qui fim artnaao fille tutn. Val-lcr. Mincralog. pag. I63 , fpec. 164. Siotkk, *747» '6% Voyage à la ftruéture & à la dureté aux pierres qui, dans quelques rivières, fe forment de la vafe qui s'y dépofe. Quelques-unes étoient fphériques , d'autres lenticulaires, &c larges de neuf lignes à deux pouces ôc demi : parmi ces dernières , les unes étoient entourées d'un bord quelquefois d'égale largeur en toutes fes parries , ôc quelquefois inégal ; d'auttes étoient comme écailleufes à leur fuperficie : des amas de perites pierres rondes, jointes enfemble , dont l'inférieure étoit la plus grolfe, ôc les autres diminuoient de groffeur en s'éle-vant vers le fommet } elles étoient attachées fur les côtés comme de petits globes : quelques-unes étoient foliraif res, rondes d'un côté, plates de l'autre il y en avoit qui étoient creufées en leur milieu. On en trouvoit çà ôc là rrois ou quatre jointes enfemble, dont l'inférieure étoit plate , 6c la fupérieure, arrondie. J'en vis une formée de fable jaune, pur , Ôz une autre de même matière , qui étoit adhérente à une pierre noirâtre : Plufieurs pierres en forme de rein , de bélemnite, de cloud de girofle, de flacon , de racine ; quelques-unes de ces dernières avoient la furface rude : des en" S i b e R T f 1 bélemnites demi-tranfparentes, &c bi-furquées à la poinre ; clans les plus petites on avoit peine à voir la bifurcation : Un champignon de mer : j'en ai trouvé plufieurs qui m'ont paru être de la même efpece, mais un feu! m'a femblc être certainement une production marine , & je ne cite que celui-là, parce que je crois qu'en pareil cas il faut abandonner ce qui eft douteux : Plufieurs petits rameaux de bois ,J environ de la groffeur du doigt, que l'eau avoit polis & formés ainfi que de vraies bélemnites : une de leurs extrémités étoit comme fi on les eut rompues en deux morceaux, &c ils étoient rayés depuis l'origine jufqu'au milieu. Puifqu'on a ofé dire que les bélemnites n'étoient autre chofe que des dents & des racines, on pourrait avec autant de raifon chercher leur origine dans les rameaux d'arbres, mais il me femble que ces deux opinions trouveront peu de par-tifans. V o r a C e CHAPITRE LXIII. JFoife de Iénifeisk, Monumens antiques. Mines. NOus quittâmes bientôt Mangaféa pour revenir à Iénifeisk. Notre navigation fut affés prompte, malgré les bancs de fable que l'on trouve fréquemment dans l'Iénifei. Je remarquai dans ce voyage que le ruifleau nommé Knia dans les cartes ruffes eft nommé J£ii par les habitans du pays. 11 y a tous les ans une foire à Iénifeisk au commencement du mois d'août. Les marchands ruffes qui reviennent de la frontière par eau , arrivent ordinairement affés tôt, pour vendre quelques-unes de leurs marchandifes chinoifes , avec ce qui leur refte de marchandifes ruffes , & revenir avec des pelleteries inangaféennes : ils apportent donc à la foire des marchandifes de Chine, de Mangaféa &c quelquefois de Ru/lie. D'autres marchands ruffes & tatares viennent de Tobolsk , par l'Irtifch, l'Ob, la Ket & le trajet par terre qui en. Si.b.prie; yt féparela Ker de l'Iénifei. Ils arrivent ordinairement dans les premiers jours d'août ; leurs marchandifes font prefque toutes ruffes ] elles çonfiftent en cuirs , draps, toiles, bas foulés , tabac de Cir-caftïe , couteaux , fourchettes, fouliers, miel, vins , étoffes, uftenfiles Se denrées de toutes les fortes. Quelques marchands de Krafhoïark apportent des zibelines très médiocres. Il y vient aufli de toutes parts des promichlenies 6c la foire eft confïdérable. Nous nous embarquâmes de nouveau fur l'Iénifei. Les chutes allés fréquentes , les bancs de fable , langues de terre qui femblables à des digues s'étendent prefque d'une rive à l'autre } les finuo-iités de la rivière rendirent la navigation difficile Se pénible. Dans une vallée étroite qui eft à quelque diftance du village de Dodonova, je trouvai de la fanguine & de la terre d'ombre. Après avoir remonté l'Iénifei, environ l'ef-pace de foixante Se quatre lieues , nous nous rendîmes par terre â Krafnoïark. Au-delà d'un ruiffeau qui tombe dans le Borfia qui fe jette dans l'Ouïous, nous traverfâmes un défert couvert de plantes rares & très belles : les plus communes étoient celles que nous con- -ri Voyage noiifons fous le nom de croix de Jérula* lem(i) ôc la plante qu'on nomme en Allemagne violette de la pentecôte. (i) Les défetts qu'on trouve au-delà du ruiffeau de Sokfi, font aufli remplis de très belles plantes. Après en avoir palTé plufieurs autres, nous parvînmes au lacfalé, nommé Outcliour : il a environ demi-lieue de long, trente toifes de large, ôc donne de très bon fel. Près de ce lac eft une montagne qui porte le même nom ; quoique nous fuflîons alors à la fin d'août, j'y trouvai de rares ôc belles plantes , ôc j'y fis cinq ou fix lier-borifations. Près du chemin qui eft entre le lac Ôc la rivière d'Outchour, il y avoit plu-lieurs tombeaux qui font peut-être des monumens des anciens Tatares : ils font entourés de grandes pierres pofées debout à quelque diftance les unes des autres, ôc qui forment un quatre long. Le terrein renfermé par ces pierres eft ( i ) Tribulusfoliisfexjugatls 3 fuhaquallbus. Linn. fp. 3 , pag. 387. (i) Je ne fçais fi c'eft une efpece d'Orchis 5c l'on croit que ce fonr les reftcs des fourneaux dont les anciens habitans du pays faifoient ufage. Nous eûmes la curiofité de faire découvrir & nerroyer un de ces trous. Il étoit de forme allongée, 5c revêtu de pierres qui pouvoient avoir deux pieds d'épaiffeur 5c autant de large , fur un pied & demi de longueur. Les jointures étoient remplies de terre 5c de fable, 5c ces fourneaux n'avoient fans doute été conftruits dans la terre , que pour les appuyer extérieurement 5c les rendre plus folides, au défaut d'argille Dv g2 Voyage ôc de ciment. On trouva aux environs plufieurs amas de fcories , donc la plupart font de fer , ôc quelques-unes cle cuivre : on n'a point eifayé fi elles contiennent encore un peu de métal. Entre les pierres dont ces fourneaux ont été confttuits, on voit de groupes racines de pin , qui prouvent qu'un long temps s'eft écoulé , depuis qu'on y a fondu de la mine. Lorfque nous vînmes aux mines de fer ôc de cuivre de l'Irba, tous les préparatifs nécefïaires pour les exploiter n'é-toient point encore achevés : on y conf-truifoit un haut fourneau , des martinets , un moulin à fcier , une digue haute de trois toifes, large de neuf, longue de cent foixante-dix. On avoit commencé les fouilles au fommet de la montagne , mais on s'apperçut bientôt qu'elle étoit prefque toute de mine , ÔC comme elle eft haute ôc efcarpée, on commença des galleries beaucoup plus bas. On voit encore çà ôc là dans cette montagne , plufieurs endroits creufés peut-être par ceux qui habiroient ce canton dans la plus haute antiquité. La mine de cuivre eft dans une montagne fituée fur la gauche de l'Irba vis-à-vis la digue. Dans un petit puits faiç tN Sibérie 8$ Slu fommet, pour fuivre un rameau qui s'étoit montré à la fuperncie , onvoyoit des fleurs de cuivre vertes dans une pierre brune ôc dure , mais ces fleurs s'étoient promptement perdues : elles alloient dans la montagne vers le fud-fud-eft. On avoit retrouvé plus bas de pareilles fleurs qui s'étoient aufli perdues. Le bois eft rare dans ce canton , 5c doit erre tout confommé , fi Ton a fait travailler cinq ans de fuite le haut fourneau conftruit pour la mine. On s'eft peut-être un peu tropprefle d'établir des fonderies foir ici foit au ruiffeau de Lou-calfa j il falloit auparavant s'affurer de la richefle de la mine : que fervent les plus belles appatences, quand le fond n'y répond pas ? Nous fuivîmes enfuite un chemin montagneux , difficile , coupé d'un grand nombre de ruiffeaux, fur lefquel's il y a de très mauvais ponts. On me dit que les Tatares du canton cueilloient au printemps une racine qu'ils faifoienc fécher & mêloient à leur bouillie : c'eft la racine de l'étithronium ou dent de chien. Cette plante croît en abondance chez les Tatares Sagai, &c fur le ruiffeau de Beif qui fe jette dans l'Amoii-l, un ces premiers ruiffeaux qui joignent l&fts 84 Voyage eaux au Tomba. BefTeft le nom tarare de l'érithronium. ( i ) CHAPITRE LXI. Tombeaux. Mine. Antiquités. Sorcier si ON voit un grand nombre d'anciens tombeaux fur la rivière de Teff, qui, de même que celle de Bira , fe perd dans la terre, avant que d'arriver à l'Iénifei. Quelques-uns de ces tombeaux ont beaucoup d'apparence , ôc font nommés maïakes ou monumens. Ils font entourés de grofïès pierres équar-ries k longues; leur circuireft confîdéra-ble. Entre l'enceinte bx le milieu, on voit beaucoup de pierres jettées les unes fur les autres. Au milieu eft le tombeau , entouré de pierres pofées debout. Il n'a prefque jamais qu'une toife de profondeur. On y trouve rarement tous les os du fquélette : ceux de la jambe & des îles font ordinairement le mieux confcrvés tk de la grandeur corn- ti) V. Fl. Sibir, Tom» I, pag. 3?, 40 , 41 £ Tab. 7, en Sibérie. 85 jnune , mais on y en voit aufli qui font extrêmement grands. Dans plufieurs de ces tombeaux outre le fquélette , on trouve à clin que angle un autre corps ou fes cendres. Quelques-uns prétendent qu'il y en a le long defquels on déterre d'autres corps entiers ou brûlés. Un habitant du pays m'a dit avoir trou-vé tout près d'une pierre fépulciale deux niorceaux de cviivre qui avoient la forme d'aile, & fur lefquels on voyoit des figures d'ours. On tire de ces tombeaux des vafes , des ceintures , des pendans d'oreilles & bralfelets d'or ou d'argent : il y a fouvent unegroffe perle jointe aux pendans d'oreilles. Les ceintures font quelquefois de velours verd doublé de cuir , & orné de plaques quarrées. Les petits pots d'argent ronds , avec ou fans couvercle , font les vafes les plus communs , les plus rares font les plats. La plupart font unis , cependant quelques-uns ont des ornemens. Il y en a qui font dorés , &z d'autres d'or pur ; on les trouve toujours auprès de la tête du fquélette. On en tire auffi des pots de terre dort quelques uns rvlfemblent à des creufets , mais font pîars par deffous; d autres font pareils aux grands pots de Chine, qui ont le cou étroit. Ces der- 'S£ Voyage niers font d'une terre très dure ôc tvoé bonne , ôc quelquefois verniifés. On y a même trouve des porcelaines de 1 efpece de celles que nous vîmes à Sempalat, Près de la tête du fquélette , il y a quelquefois fur la droite une tête de chevaL dont le mufeau efl plante en terre, ôc qui a fouvenr dans la bouche une bride à branches, pareille à peu-près aux brides allemandes ôc ornée de bolfettes d'argent. Au lieu de la tête de cheval, c'eft quelquefois celle d'un mouton, qui eft couverte d'une feuille d'or très mince. On y trouve des étriers qui font toujours de fer , ôc faits à peu près comme ceux des allemands : quelques-uns font recouverts de feuilles épailfes d'argent .qui paroiifentn'avoir éréque maftiquées. Un de ceux qui fouillent ces tombeaux, m'affura que pat mi beaucoup d'autres ri-cheftes, il avoit trouvé dans l'un d'eux un couteau déforme chinoife , fur la lame duquel étoit foudée une anguille d'or. Excepté les vafes ôc les têres d'animaux , tous les uftenfiles font placés au pied du fquélette & du côté gauche. Lorîque le corps a éré brûlé , on trouve fou vent parmi les cendres de l'or en petits bâtons, mais quelquefois il eft jette vers le côte gauche ou oriental du tombeau, en Sibérie. 87 Il y a encore une autre efpece de tom-. beaux qu'on nomme flantll : ce mot rulfe fignifie une pierre compolee de couches minces. Ils font couverts de grandes pierres couchées horifontale-ment : on n'en voit pas une feule qui foit dreflée. Sous ces pieires il y a un lit de terre, épais environ d'un demi pied, qui recouvre quelques tombeaux entourés de pierres dreflées & hautes d'un pied ôc demi. Ceux-ci renferment ordinairement des os brûlés s cependant on y trouve quelquefois des fquélettes entiers. Le félenga ou folfoyeur qui m'ac-compagnoit, s'étoit plus attaché à ces tombeaux qu'à tous les autres , parce qu'il y trouvoit plus d'or & d'argejit en petits bâtons coulés 5 & qu'il y prenoit moins de peine.. On y trouve auffi, mais rarement , des vafes Ôc des pots de terre ; les étriers y font plus communs. 11 eft de la plus grande rareté d'y trouver les os brûlés raffemblés dans un mauvais pot. La troifiéme efpece de tombeaux eft nommée femlianie kourganie, ou tombeaux de terre. Ceux-ci font au milieu d'une grande enceinre de pierres très hautes, ôc recouverts quelquefois d'une 8$ Voyage ou deux meules de moulin. Ils ont ordinairement depuis deux jufqu'à quatre toifes de profondeur , Se l'on en a trouvé quelques-uns profonds de douze toifes. Ceux qui ouvrent ces tombeaux 5 prétendent que Iorfqu'ils ont été faits, il y avoit à chaque angle un poteau de bois , que ces poteaux étoient joints par des traverfes qui foutenoient des ccorces de bouleau , Se que la terre étoit mife fur ces écorces : ils affinent avoir vu des traces évidentes de cette ftructu-re. Les corps y font quelquefois dans des bières de bois de melefe, mais on ne trouve jamais d'argent ni au dedans ni autour de ces bières. Plufieurs feuilles d'or quarrées, plus épaiffes que du clinquant , font répandues autour du fquélette ôc la tète en eit quelquefois couverte. On y trouve aufli des moutons de bronze ou de cuivre doré , des chandeliers de cuivre , des plaques de laiton pareilles à celies dont les forciers de Sibérie ornent leurs habits magiques 3 ôc de petits morceaux d'étoffes de foie. Il y a une quatrième efpece de tombeaux appelle tvorilnie kourgani. C'eft un terrein de quatre ou cinq toifes quarrées , entouré de grandes pierres en Sibérie. 85? enfoncées d'une toife en terre , de forte qu'on en voit à peine l'extrémité au-delfus de la furface. Au milieu de cette enceinte eft le tombeau , dont le fond eft a peu pics de niveau avec le bas des pierres qui l'entourent : il eft quelquefois couvert de pierres. Ces tombeaux font très communs fur l'Abakan auprès deTaftip , tk très méprifés par les habi*-rans du pays , parce qu'on n'y trouve gueres que des lances & malles d'armes de cuivre , ck de petits pots de terre faits comme des creufets. La tête eft quelquefois entourée de petites lames d'or, mais elles font trop minces pour dédommager de la peine de les déterrer. Une cinquième efpece eft apncllée Kirghiskie moghili, peut-être parce que l'on croit que ce font des tombeaux de Kirghiliens que l'on regarde corn me une forte de cofaques. D.ms ceux-ci le coips eft couve't de pierres jufqu'à la furhice du terr?in. On y trouve des bottes tk des flèches. Quant à la pofî-tion de tous ces tombeaux , on peurob-ferveï que ceux des pauvres font près des bois , ceux des riches , dans les plaines découvertes 3 & fur-tout vers les V o y a g ï rivières : plus l'Abakan s'approche de l'Iénifei, plus ceux qu'on a enterrés fur fes rives étoient riches. Nous nous rendîmes enfuite aux mines de cuivre qui font entre deux bras du Koxa : nous y vîmes les plus belles fleurs de cuivre , tant vertes que bleues , dans une gangue brun-foncé , rrès dure j mais qui eft en petits morceaux & par conféquent facile à tirer. Un des filons que l'on fuit, eft large de quatre pieds à la furface , ôc prefque perpendiculaire. Il s'incline feulement un peu du nord au fud , ôc diminue beaucoup d'épaiiîeur , ce qui confirme ce que j'ai déjà dit, que dans cette contrée les minéraux font à la furface de la terre, & ne s'y enfoncent que très peu. Il ne faut, pout les tirer , ni conftruire des machines difpendieufes, ni expofer fa vie dans des galleries fouterreines. Cependant il feroit bon de réfléchir mûrement , avant que d'établir de grands bâtimens pour une fonderie, fur-tout dans les endroits où il n'y a pas beaucoup de bois : on n'en voit point auprès de la mine dont je parle ; de plus elle eft dans un terrein qui n'eft pas beaucoup plus élevé que ceux des et*- en Sibérie. virons \ on ne pourroit donc pas y pratiquer une galerie pour l'écoulement des eaux , ce qui feroit d'autant plus fâcheux que le filon eft perpendiculaire. J'appris ici que du côté méridional des montagnes de Saïan , on voyoit quelques monumens antiques. Le Bar-ga eft un ruiffeau qui coule au pied de ces monragnes fi près d'un autre ruiffeau , qu'ils paroiifent fe confondre à leur embouchure dans l'Iénifei. Dans l'efpace qui eft entre eux , on voit deux ftatues d'homme , l'une vis-à-vis de l'autre ; toutes deux font cocffées d'un chapeau rond de chine , ont une mouf-tache noire , les lèvres rouges, ôc tiennent un livre à la main. Aux pieds de chacune eft un grand lion qui lui frappe le dos avec fa queue , ôc près de cet animal il y a encore un petit lion. Au-deflus de l'embouchure du Barga, il y a dans une montagne appellée On-gon-Kaïa , un rocher efearpé dans 1er quel on a creufé une efpece de caverne : on y voit affis fur une table de pierre un Tchar ou kan au pied duquel il y a un coffre de pierre plein de manuferits. A côté du Tchar il y a un homme qui tient un fabre nud a la main , Ôc de chaque côté de l'en- $i Voyage trée il y a aufli un homme dont l'un tient une lance, & l'autre un fabre. ( 1 ) Nous trouvâmes au fort d'Abakansk un chamane de Iarinsk , qui voulut que nous fuflions témoins de fes fortileees : nous eûmes pour lui cette complaifance, 6c" il nous parut n'avoir m plus d'efpric 6c de jugement, ni moins de hardi elfe que tous fes confrères. Nous vîmes encore un de ces forciers Se une forciere aux huttes de Kaftints. Le pere du chaman étoit de la même profeflion ainfi que la grand-mere de la chamane. Ils étoient rrès fiers de leur naiflànce , 6c voulurent nous prouver leur forcellerie de pere en fils jufqu'à la feptieme génération. Parmi ces peuples igno-rans , c'eft un emploi très confîdérable qui ne peut être remnli que par les efprits les plus fublimes , & le fang qui paffe de forcier en forcier les rend d'autant plus capables d'exercer leur art. Le bonnet du chaman étoit couronné de plumes , Se celui de la chamane , d'un grand nombre de fils fi longs, que lorfqu'ils tomboient par devant, ils lui (0 C. F. /Huiler, comment, deferiptis ta.n~ guticisin Sibiria reperds , tom. io commtnt, tecropolit. />^.4J4j45î. en Sibérie. 95V eouvroient le vilage. Les bas de cuir de la femme étoit couverts par devant, d'une étoffe de laine rouge , tk garnis de crins le long de l'étoffe. Ceux de l'homme avoient le même ornement, mais en forme de croix. Ces bas de cuir qui font partie de l'habillement myfté-rieux, ne fervent jamais fans l'habit. Le tambour de la forciere étoit le plus petit, mais l'un &c l'autre étoient plus grands qu'à l'ordinaire, & on les avoit ornés à l'extrémité fupérieure , d'un grand nombre de petits anneaux de fer , qui fetvoient à augmenter le bruit de la ferraille des habits. Leur manière d'opérer fut un peu différente de celle des chamans que nous avions vus. Us travaillèrent l'un après l'autre : tous • deux s'affirentà terre à la manière des tatares & directement vis-à-vis la porte. Ils placèrent leur tambour droit devant eux 5c jouèrent d'abord doucement , en accompagnant ce bruit d'un murmure fourd , qu'ils augmentèrent pat degrés ainfi que le fon du tambour : lorfque l'un & l'autre fut affés fort , la grande fureur commença. Ils fe levèrent tout-à-coup, relièrent debout au même endroit où. ils étoient afiis, jouant fans celle du tambour, &c criant, 94 Voyage fautant, lîfïlant, mugifTant. Enfuite ils fautèrent vers la porte ôc à Pentour de la hutte, ôc ce bruit , ces cris , ces fauts étoient des mignardifes ôc cajoleries faites à deflèin d'attirer le diable. Le plus grand tumulte étoit vers la porte : tout à coup ceux qui le faifoient regardèrent le trou par où pafToit la fumée, comme fi les diables dévoient entrer par ce trou. Les tatares fpeétateurs jet-terent quelques cuillerées d'eau vers la porte, pour régaler, dirent-ils, les diables, & les engager de plus en plus à entretenir leur bon ami le chamane. Les faurs recommencèrent, ôc il fembla que les fauteurs chantoient : ceci étoit l'entretien du fotcier Ôc de la forciere avec les démons. Le chamane imitoit fouvent le cti du coucou, ôc quelques tatares lui répondoient de loin le même cri. Quelquefois un tatare le lui crioit dans l'oreille de toutes fes forces, & il y répondoit auflitôt, mais fi ex-traordinaitcment qu'on auroit dit qu'en effet un diable tendoit ces fons. Il fortit enfuite de la hutte , fans être accompagné , y rentra bientôt, répéta les mêmes lingeries, ôc répondit à ce qu'on lui avoit demandé. La forciere fortit ôc rentra plufieurs fois, ôc chanta ga-Jftounent à i'aflèmblce qu'elle continue. en Sibérie. 9'$f toit fes fortileges , tant qu'ils pour-roient lui-être agréables. Elle jetta dans le feu une efpece d'ablinthe , dont la bonne odeur parut aux fpeétateurs erre d'un augure favorable ; elle but fept talfes de l'eau qui relie après la diliil-lation du lait, fortit fept fois de la hutte , fuma fept pipes de ganfa ou tabac chinois , fortit autant de fois , parut enfuite tomber en foiblelfe, fut foutenue Se revint promptement. Elle fe plaignit qu'on lui avoit pris fa pipe , ôc voulut découvrir avec fon tambour il ce n'étoitpas quelqu'un des fpeétateurs, mais ne l'ayant pu trouver , elle dit que c'étoient les diables qui lui avoient fait ce tour, le leur reprocha tendrement , Se la retrouva dans fon tambour où ils l'avoient rapportée : cet événement a dû mérirer à la pipe une certaine vénération de la part des tatares. Enfuite la forciere avala fept petits copeaux de bois allumé , mit fon tambour à terte, fauta en le roulant autour de la hutte , Se chantant qu'elle vouloit être gaie cette nuit avec la permiilion de l'aliemblée. Elle pria un tarare de danfer avec elle ; il vinr fe placer à la droite vis-à-vis Se près de la danfeufe. Tous deux levèrent les mains, fe les *>£ Voyage donnèrent, palferent trois fois fous les bras l'un de l'autre, comme on fait dans les allemandes j enfuite le danfeur fit trois fois le tour de la chamane Se fe retira. Elle danfa de cette manière avec iîx autres hommes, Se avec fept femmes: il n'y en avoit pas autant dans l'aifem-blée mais elle danfa deux fois avec quelques unes , afin qu'il y eut fept danfes. Quelques-uns de ces danfeurs Se dan-feufes étant fort malhabiles, la chamane un peu déconcertée cacha fon embarras par des lingeries aifés amufantes, car la nouveauté des farces afiatiques pour-roit dérider le plus grave européen. A-près ces danfes, elle jetta de ï'ablîrithe dans le feu, préfenta fon tambour Se fes habits a la fumée, fauta, chanta , prophetifa ; mais enfin voyant que fon jeu commençoit à nous fatiguer, elle quita fes habits magiques. Quoiqu'elle eut été durant quatre heures dans un mouvement continuel, on n'apperce-voit en elle aucune lafiitude. Nous vîmes quelque temps après un autre forciere kaibalienne , qui chanta devant nous en langue tatare en jouant du tambour : fes chanfons étoient des invitations faites aux diables , mais ils ne voulurent pas cette fois lui obéir, EN S i b SRtî. 97 & nous n'en fumes pas fâchés. Nous continuâmes notre route & arrivâmes bientôt â Krafnoïark , après avoir fait depuis le fort Kirenskoï environ 1310 lieues. CHAPITRE LXIII. Tatares. Sorciers. Supplices. Fêtes des figes femmes. Autres coutumes. AU printemps de 1739 nous vîmes un grand nombre de Tatares. Leur figure en général ne peut pas déplaire aux européens : ils n'ont ni les yeux enfoncés, ni le nez applati, ni le vifage plat Sz latge, mais ils reifemblent beaucoup aux hommes d'Europe. Leur taille eft alfés belle ; il eft rare d'en ttouver qui foient boiteux ou très gros : la plupart font maigres j vifs , laborieux , affables , liants , alfés grands parleurs , cependanr vrais & finceres. Il faut s'en défier dans le commerce j la tromperie en ce genre eft pour eux fimple finelfe : ils difent que ceux qui n'entendent pas un commetce ne doivent pas le faire , que lorfqu'ils croient Tome II. E tj$ Voyage 1 entendre , ils ont des yeux comme ceux avec lefquels ils traitent, ôc qu'alors il faut être imbécille pour être dupé. D'ailleurs tout vol , 6c toute violence font parmi eux des crimes inouïs. Le libertinage 6c l'ivrognerie n'y font pas communs, cependant ils ne font pas exempts de ces deux vices. Us ont beaucoup de chevaux , diftillent du lait de cavalle , 6c ne peuvent pas s'empêcher d'en boire plus qu'il ne faudrait. Lorfqu'ils viennent dans les villes ou villages rulîes, ils fréquentent les cabarets ou les maifons de leurs amis qui ont de la bière 6c de l'eau-de-vie. Cependant on peut dire en général qu'ils ne font pas intempérans. Les hommes 6c les femmes tatares aiment beaucoup à fumer du tabac , 6c commencent à prendre cette coutume dès leur dixième ou douzième année. Le tabac chinois eft pour eux le plus agréable ; il n'y a que les pauvres qui f.ilfent ufagë de celui de Circaiîie : ils y mêlent de petits copeaux très minces d'écorce de bouleau , tant par épargne que pour en diminuer la force. Les morts & furrout leurs compatriotes font à leurs yeux des objets d'une fainte vénération. Quoiqu'ils fâchent qu'on en Sibérie. 99 a trouvé beaucoup de richelTes ckns les tombeaux de leurs ancêtres, & qu'ils demeurent, pour ainfi dire, parmi ces tombeaux , aucun d'entre eux n'a tenté de s'entichir par cette voie. Quelques-uns ont quatre femmes , les pauvres, une feule. Ils font peu de cas de la propreté ; cette négligence diminué l'agrément de leur figure : les femmes qui palfent pour les plus belles, refi-femblent beaucoup à nos paftourelles en habits des dimanches, les hommes aux valets de nos payfans. Aucune religion n'a pu pénétrer parmi eux ; ils n'ont voulu recevoir ni les dogmes chrétiens, ni les rêves de Mahomet, ni les fuperftitions mongoliennes. Lorfqu'on les entretient de ces matières, ils montrent les tombeaux, de leurs ancêtres , en difant qu'on a vu par les richelfes qu'on en a tirées, qu'ils abondoient en biens temporels, qu'ils en ont joui dans cette croyance qu'ils leur ont tranfmife , &C que l'on voudrait changer : que les tatares d'aujourd'hui ne pofiedent pas les mêmes biens , parce qu'ils n'ont pas confervé rigoureufement leurs anciennes mœurs, mais qu'ils courraient à une ruine totale, ioo Voyage s'ils entreprenoient des changemens aufîï cônfidérables. On nous amena dans cette ville un forcier ôc une forciere de Katchinsk. Ils nous donnèrent rendez-vous dans une hutte, où nous trouvâmes une grande aifemblée tatare. La chamane étoit alfés âgée , ôc pour cette raifon très refpeéiée " du chaman ; il lui céda les honneurs du pas. Elle ôta fes habits ordinaires , ne laiiianr, pour ne pas blelfer la pudeur , qu'un vieille chemife ôc fes culottes, ôc prit fes habits magiques. C'étoit un corps de jupe de kitaïca bleu, bordé de kitaïca rouge. Sur les épaules étoient attachés quelques longs fils de couleur, auxquels pendoient de petites coquillages de porcelaine. Elle mit une efpece de ceinture de cuir qui n'eft portée parmi les tatares que par les hommes ôc les fer vantes , ôc des bottines de cuir teintes en rouge avec de l'écorce d'aune , fans talons Ôc fans or-nemens. Son bonnet étoit rond, pointu par le haut , fait de peau de linx , garni de zibeline , ôc terminé par une touffe de plumes de hibou. Le tambour étoit fait à l'ordinaire , ôc la baguette, recouverte de peau de çaftor. en Sibérie. toi Elle fit fes forcileges comme tous les forciers ôc forcieres que nous avions vus. Tandis qu'elle chantoit, un chien entra dans la tente j elle ordonna de le chalfer, parce que le fortilege , ou pour m exprimée comme eux, l'œuvre fainte feroit profanée. Il eft alfés dit-ficile de connoître les idées qu'ils fe font de rous ces objets : ils paroilfent faire peu de cas de l'être fuprême &c croire qu'il a donné aux diables le pouvoir de faire aux hommes toutes' fortes de biens 6c de maux. Ils difent aux étrangers que leurs offrandes & leurs facri lices font faits en l'honneur de Dieu , mais je foupçonne que c'eft en l'honneur des démons , ÔC qu'ils ne tiennent ce langage que pour ne pas donner d'eux aux Ruffes & aux étrangers une idée défa-vantageufe. Us fe font peut-être des médians efprits une idée aufli grande que celle qu'ils ont des bons, &c le fortilege alors eft pour eux une œuvre fainte. Les enfans tatares qui font préfens aux forcelleries, ne témoignent point de frayeur j ils font accoutumés dès leur enfance à refpecter les démons. J'ai vu un enfant de trois ans regarder ces opérations magiques avec autant d'attention que fi c'eut été le fpe&acle loi Voyage le plus amufant, 6c fans être épouvanté par le bruit du tambour 3c des ferrailles. Le 14 novembre (1759) une femme convaincue d'avoir affaffîné fon mari fut enterrée vive jufqu'au cou. La terre fut peu foulée autour d'elle , patce qu'on efpéroit qu'elle recevroit fa grâce. Elle étoit depuis douze ans en prifon , 6c avoit eu des protections alfés puif-fanres pour faire différer aufîi longtemps fon jugement} mais enfin elle le fubit 6c fut condamnée â la peine portée par les loix ruffes. Pierre le grand î'avoit étendue aux femmes qui tuoient leurs enfans , 6k peu de temps avant fa mort il y en eut un exemple. Je n'avois jamais vu cette efpece de fup-plice : j'allai de temps en temps obfer-ver 1 état de cette femme. On y avoit mis un fentinelle qui devoit empêcher furtout qu'on ne lui donnât ni à manger ni à boire , mais je m'ap-perçus plufieurs fois que des ames charitables lui apportoient quelques tafïes de brandevin 6c de bière 3c même quelques alimens. Cependant fes forces diminuerenr, 3c je foupconne que ces fecours, loin de rendre fes douleurs plus fupportables , ne firent en Sibérie. io? que les prolonger. Quelques jours avant fa fin , elle devint infenfible , & à fa mort qui arriva le treizième jour, il fembla qu'elle s'endormoir. J'appris quelque temps après qu'une femme avoit bu tant d'eau-de-vie qu'elle en étoit morte fubitement. J'avois entendu parler en plufieurs endroits de ce genre de mort , Se j'en avois même été témoin. On dit qu'il eft alfés commun en Pologne , Se un écrivain polonois prétend qu'avant la fin de ceux qui fe font enivtés avec cet excès, il fort de leur bouche une flamme bleue qui dure encore quelque temps aprèsleur mort.On mei'avoit aufli affûté en Ruflie Se en Sibérie , mais quelque peine que j'aie prife, quelque attention que j'aie apportée en obfervant ceux qui mouroient ainfi , je n'ai point vu la flamme bleue. Ce feroit en effet une chofe extraordinaire que l'inflammation d'une eau-de-vie aufli foible que celle qui eft en ufage parmi le peuple ruffe. Si elle étoit occafionnée par un feu électrique, il faudrait qu'il fut d'une grande force , ou qu'il y eut dans les vifeeres une chaleur incroyable. Le lendemain de Noël , toutes les fages-femmes de la ville Se des envi- E iv iû4 Voyage rons affilient à l'office divin dans une cglife de Ktafnoïark, ôc fe réjoui fient enfuite. Elles difent que ce jour doit être en effet pour elles un jour de fête, puifque c'eft la veille que le Sauveur du monde a pris nailfànce, ôc que les fages-femmes de fon temps ont fait l'opération la plus importante. Elles célèbrent donc l'heureux Caccès de leurs devancières de Bethléem , ôc rentrent chez elles le foir paffablement ivres. Depuis la fête de Noël jufqu'à celle des Rois, jout auquel l'églife grecque renouvelle folemnellement le baptême dans le Jourdain , il y a , tant pour les hommes que pour les femmes de Kraf-noïark, des diverriffemens continuels, de grandes afTèmbiées , des chants , des promenades foit à pied, foit en traîneau. Mais la veille du jour des Rois, au foir ôc de nuit, il fe pafie entre les filles ôc les garçons une cérémonie qu'on nomme en ruffe flouchit , ou l'écoute. Les filles vont , deux ou trois enfemble , aux carrefours ou dans un lieu obfcur , comme un grenier ou une cave-, là, elles prêtent attentivement l'oreille, pour entendre quelque chofe de leur deftinée : elles croient fans doute que celle de chaque homme , en Sibérie. 105 & furtovrt des filles & des garçons, fe déclare en cette nuit. Celles qui veulent paffer pour pudiques, vont feules à l'écoute , mais lorfque les jeunes gens peuvent favoit l'endroit où elles ont réfolu d'aller , ils s'y cachent > leur font peur & badinent avec elles : celles qui font moins fcrupuleufes conviennent avec ceux qu'elles connoiflent de l'endroit où elles iront. Les filles &c les garçons ont aufli une efpece de divination ufitée dans plufieurs endroits d'Allemagne. La nuit de Nocl ou des Rois, ils verfent de l'étain dans de l'eau & par les différentes figures & couleurs qu'il y prend , ils conjecturent qui fera celui ou celle qu'ils épouferont : ils devinent aufli de même la durée de la vie des hommes. CHAPITRE LXIV. Chanfons Jibérlennes. Printemps. Plantes. Olfeaux. LEs peuples de Sibérie ont des chanfons d un goût tout particulier : elles doivent être en forme d'é- Ev io5 Voyage nigme, ôc font par conféquent difficiles à entendre. Chanfon Bratskaine ( v. la mufique ) Kemnikhé (r) borgofliné nakolkadfi bainetfé ; Kallebakhem bécmmcnd arikhin dogalfaba. Dallanaïen adon doni tfara ferdi bélélé : Abc, tccné baritché5 Koargauchiné mordonaï, Ourtou tsakaï termédené epfinoulam Kou-iagbé , Edche, tocne baritché j Koacgxtchiné mor-donaï. Barjon tala ollotonc tscrenfibé bélélé, Abé tonc gargaïdché i Koœga:tchinc mordonaï. Sur la rivière des branches fe meuvent çà ôc là ; je fuis un jeune homme ivre de brandevin. Parmi cent cinquante chevaux il y a un ambleur couleur de renard : mon pere, prends celui-là y le fils y monte. Dans le coin de devant, derrière le treillis, il y a parmi les draps une ceinture rouge } ma mere , prends celle-là ; le fils monte à cheval. (1) La fillabe khe doit fe prononcer à peu p'cs comme le cà dur des italiens. Airs Tartares Air Bourcrfc ou Brabfkaiti . Kent - nî J^/ié éa?y on voit un folié fec , couvert çà &c là de petits fapins ôc dirigé aulîi vers le Tanaï. Les af-faniens prétendent que fous ce foifé il y a un ruilfeau fouterrein , &c qu'on trouve dans leur canton plufieurs ruiffeaux de cette efpece. On y voit aufli beaucoup de râles : lorfqu'on les pourfuit, ils ne prennent point le vol, & ne cherchent à fe dérober que par la courfe. Je demandai aux tatares comment cet oifeau ne pouvant voler fe reti-roit en hiver : ils me dirent que tous les tatares & les alfaniens favoient bien qu'il ne pouvoit par lui même palfer dans un autre pays, mais que lorfque les grues fe retirent en automne, chacune prend un raie fur fon dos &c le porte en un pays plus chaud. L'eau du ruilfeau d'Ouffolka gele en hiver prefque jufqu'au fond , 6c le peu qui relie fluide , prend un fi ti6 Voyage mauvais goût, qu'on ne peut la boire : elle rend le bétail malade & lui caufe quelquefois la mort. Les environs font agréables ; la terre y eft graine, propre à la culture j le feigle y réulîîc , mais le froment ôc l'orge n'y viennent que-médiocrement : les pâturages y font excellens j les beftiaux de route efpece y vivent très bien. Les moutons kal» moukes ( i ) y multiplient abondamment ôc ne dégénèrent point. Leur laine eft plus grofliere que celle des moutons de Ruiîie qui eft elle-même alfés dure, mais ceux-là font beaucoup plus gros, ont la chait plus favouteufe, Ôc font plus utiles aux propriétaites. Les payfans des autres cantons de Sibérie ont eftayé d'élever cette efpece, ôc n'y ont jamais réufli : ils dégénèrent ou meurent , ôc l'on a lieu de penfer qu'ils ne peuvent vivre en un pays plus découvert ou fupporrer un plus haut degré de chaleur. Leur abatardiffement pourroit être caufé par leur mélange avec l'efpece ordinaire, car les payfans de Sibérie n'y font pas attention ; mais (i) Ovis Uti-cauda, Raj. Syn, anim. qmr. érvp. p. 74. ! n Sibérie. r t/ un habitant de Tobolsk m'a allure qu'il en avoit élevé en Ruiîîe , qu'il avoit pris les plus grands foins, afin qu'ils ne fe mêlaffent pas avec les moutons communs, Se qu'il avoit vu peu à peu leur corps diminuer Se leur queue devenir plus mince. La différence du terroir , des plantes qu'il produit, de la Situation des lieux Se de la chaleur, peut caufer ces variétés dans les animaux. Les vaches de Suilfe Se d'Allemagne font de la même efpece : cependant on a éprouvé que celles qu'on amené de Suiffe en Allemagne , dégénèrent après quelques porrées, Se deviennent enfin pareilles à celles du pays. Je vis auprès du bourg de Kochdefvenf-koie cinq arbres frappés de la foudre , d'une manière extraordinaire. L'un qui étoit un gros bouleau, avoit été coupé en deux à deux toifes de la racine ; environ les deux tiers de la partie inférieure du tronc étoient hérilfés de grands éclats. Cette partie avoit été dépouillée de fon écorce , qui étoit répandue en une infinité de petits morceaux à quatre toifes autout de l'arbre. A peu de diftance vers le fud-oueft, un autre bouleau un peu plus élevé que le précédent avoit été frappé au tronc, tIg Voyage & comme applani jufqu'à la racine ; {e tronc étoit un peu penché vers le fud Se fendu au milieu , de forte qu'on voyoit le jour à travers. A l'extrémité fupérieure de la partie endommagée lecorce avoit été emportée , 6V plu, fieurs petits copeaux y étoient encore comme plantés dans le bois. Ces deux arbres étoient tombés vers l'endroit d'où le tonnerre étoit venu. Un peu plus loin vers le fud , deux autres avoient été frappés plus haut Se coupés en deux , un troifieme plus éloigné avoit eu feulement une branche coupée à peu près à même hauteur que celui du milieu. Ces bouleaux occupoient un efpace d'environ vingt toifes. Lorfque le tonnerre tomba , quelques payfans la-bouroient aux environs j ils ont dit qu'il croit venu du fud, que ces cinq arbres avoient été frappés d'un feul coup , 6c prétendent que ce dernier a été plus endommagé , parce que le tonnerre fait toujours fon plus grand efforr à l'endroit où il finit; lis efperent aufli trouver après trois ans la flèche du tonnerre, laquelle , par fa vertu propre , ou par celle de la terre qui ne peut fouffrir dans fon fein cet étrange infiniment, doit en fortir dans cet efpace de temps. en Sibérie. 119 Cette opinion des flèches de tonnerre eft répandue en Ruflie parmi le peuple comme elle l'eft en Sibé.ie. On m'en a fait voir quelques-unes : ce font des pierres radiées en fo.me de flech.s , dont les anciens habitans de Sibérie fe fervoient fans doute à la guei rc au défaut de celles de fer. Les Sibériens font cas de ces pierres, &z les gardent foigneu-fement, parce qu'ils les regardent comme un fpécifique courre le poinr de côté : on met la pierre infufer pendant quelque temps dans l'eau-de-vie , on boit cette eau, &c l'on guérit, quand on a de la foi. Dans ce canton marécageux le tonnerre eft fréquent ôc fort. Il y a peu de temps qu'il y tomba une grêle dont les grains étoient aufli gros qu un jaune d'œuf. Ceux qui habitoient autrefois aux environs du fort Tafleevskoi, étoient ex-pofés au pillage des tatares errans; mais l'établiifement de ce fort les mit en fureté , ôc je ne crois pas que déformais on y falfe ufage des deux canons de fer Ôc des moufquets qu'on y voit : les tatares . en Sibérie. î5$ cantons qui font entre Irkoursk ôe Krafnoïark , tels que Bargouiinsk , Sélen-ghinsk , Nertchinsk , Argounsk ôe les environs du lac Baikal , on a des fe-coufles alfés fortes pour répandre l'eau qui eft dans les vafes. Elles arrivent indifféremment dans tous les temps de l'année, excepté celles du tremblement de terre que j'ai dir être particulière à la province d'Argoune ôe que les Sibériens distinguent de tous les autres. Ils font extrêmement rares fur la Lena ôc la Nijnaïa Tongouska ; cependant quelques-uns fe font fentir au' llobode de Virimsk, & même plus bas, jufques' à Tchetchouisk. Un ancien habitant de Vitimsk m'a dit qu'on y en fentit trois il y a environ cinquante ans, ôc un autre , il y a cinq ans ; mais le plus con-fidérable ne dura pas dix minutes , Se ne renverfa point de cheminées ; la feule trace que lailfa l'un d'eux , qui arriva au mois de Mars , fut la rupture de la glace qui couvroit la rivière. Il femble que l'origine de tous les tremblemens de terre de Sibérie , eft fous le lac Baikal ôc les environs. On ne les.fent que dans les endroits qui en- font voiiins , ôe plus on eft éloigne du rivage, plus ils font foibles. Il y G vj i56 Voyage a aux environs de ce lac , des fontaines fulphureufes : on en trouve auprès du fort Bargouim , au ruilfeau de Kabania , ôe dans le lac même auprès du ruilfeau de Tierka , dans un endtoit où les eaux font chaudes. Le lac jette aulîi en grande quantité, aux environs de la rivière de Bargoufïn , une efpece de bitume nommé Maltha ( i ) , que les habitans du pays brûlent dans les lampes. Il eft en morceaux de la groffeur d'une tête d'homme , ôc toujours mêlé avec une matière blanche qui ref-femble extérieurement au champignon des melefes. On l'en fépare aifément, en mettant le bitume dans une poêle fur un feu doux. Cette matière blanche, fumage comme une écume , ôc on l'ôte avec une cuillier. Isbrand-Ides rapporte qu'il y a dans une plaine au-deffus d'Irkoutsk vers l'orient, près du couvent qui eft vis-à-vis l'embouchure de l'Irkout, une grande crevaffe d'où il for-toit autrefois du feu. Il remarque que de fon temps , lorfqu'on en remuoit les cendres avec un bâton, on fentoit encore un peu de chaleur. Quelques perqui- ,( i ) Uitumcn tenax nigrura, Linn. Syjï. na« Jr*, p. 168. en Sibérie. 157 (irions que j'aie pu faire au fujet de cette crevaife , je n'ai pu la voir. Ceux que j'ai queftionnés à cet égard, m'ont dit en avoir entendu parler. M. Langhé gouverneur d'Irkoutsk m'a dit qu'on la lui fit voir en 1717 , mais qu'alors on y diliinguoit à peine un enfoncement , & qu'on n'y fentoit aucune chaleur. On m'a d'ailleurs alfuréqueles circonliances rapportées par Isbrand - Ides avoient exifté. A Iakoutsk & depuis cette ville, jufqu'à l'Océan oriental, de même que dans la pattie de la Sibérie qui eft à l'occident de l'Iénifei , on ne connoît pas les tremblemens de terre; mais on en éprouve de très violens dans le Kamtchatka qui a de grands volcans. II eft vraifemblable que tout le pays qui eft entre cette prefqu'île & le Japon, eft fou-vent expofé à de fortes fecouffes, car il y a plufieurs volcans dans la ehaine d'îles qui borde ces côtes. Celui qui m'envoya la relation dont je viens de patler , y joignit un mémoire d'un charlatan chinois dans lequel étoient fpécifiées toutes les vertus du bezoar de Goa , nommé en chinois Boo Sin-Chi, c'eft-à-dire , pierre cordiale. Lorfqu'on veut en faire ufage > i^g Voyage il faut en râper un peu dans de l'eau ou du rarafon. Il guérit toutes les efpeces de fièvres chaudes & froides, emporte les foiblelles ôe palpitations , chalfe la mélancolie , divife le venin de la petite vérole, guérit toutes les maladies qui ont de la malignité, ou qui proviennent d'épuifement, purifie les eaux, arrête le vomilfement, eit utile contre le cours de ventre , chaife de l'eltomac les acides fuperflus, rétablit les forces, guérit les maladies vénériennes ; les femmes ne doivenr pas en faire ufage avant cinquante ans, ôec. On voit qu'il n'y a aucune différence entre le ftile des charlatans chinois, ôc celui des européens. CHAPITRE LXIX. Aurore Boréale. Mines. Mort de l'Impératrice , &c. JE partis bientôt de Krasnoïark pour aller voir quelques endroits qui font entre cette ville ôc Tomsk. Le 9 fep-tembre à onze heures ôc demie du foir , je vis un nuage clair, au nord , près de l'horifon qui étoit obfcur, ôc quoique peu auparavant le ciel fut ferein , il fut en Sibérie. 15^ bientôt couvert cle nuages noirs. Le nuage clair qui étoit encore petit, devint couleur de feu : peu après il fe changea en une efpece d'amas de petites nuées lumineufes, s'étendit vers l'eft Se devint pâle , mais il refta au nord une clarté qu'on auroit pu prendre pour celle de la lune. Enfuite le ciel fe couvrit de nuages, ôc il s'éleva une grande tempête qui dura deux heures. J'allai vifiter une mine qui eft une des plus anciennes de Sibérie , ôc qui fut long-temps regardée comme une mine d'argent; j'y fis faire quelques fouilles , ôc continuer celles qui étoient commencées. On y trouve d abord une couche d'une marne gralïe , rouge , jaune, quelquefois brune ôc ver-datre , en gros ôc petits morceaux , la plupart informes, prefque toujours mol-^ 5 quelquefois dure ôc femblable a ^e l'ardoife ; cette couche a environ deux pieds d'épaiffeur. Au-delfous eft une glaife jaunâtre qui compofe toute la montagne. On voit au pied deux rochers de pieir1 calcaire très dure , ôc 1 on y trouve aulfi quelques fpaths. On peut tirer la mine avec le hoyau feulement. M. Martini & moi nous Teffiiyâ-mes , ôc n'y trouvâmes que du plomb. Je vis fur le ruilleau de Kochouk i6o Voyage une habitation tatare d'une ftructure particulière y c'éroit une petite baraque couverte de foin : une famille entière y logeoit, Ôc il y avoit jour ôe nuit un feu devant la porte. Les Rulfes appellent ces baraques chelach , ôc en font ufage à la chalfe des zibelines , même dans les hivers les plus rigoureux , 6c dans les lieux les plus fauvages. Sur la rive orientale du Kochouk, je vis une colline qui paroiifoit verte de loin , 6c dont les lits épais d'environ deux pieds , étoient mêlés l'un dans l'autre ; quelques-uns font horifontaux, d'autres perpendiculaires ou obliques à l'orient. Cette colline eit haute de dix à douze toifes , 6c longue de cinquante ou foixante. A la diftance d'un quart de lieue en remontant le Kochouk , on trouve l'oulfoun - tach ou la haute montagne. La colline verte eft d'une pierre dure ôc noire, mêlée d'un fpath rouge , ôc de petites veines pyriteufes qui ont la couleur du mispickel ( i ). On voit? fut cette pierre 6c entre les lits des fleurs vertes de cuivre, pareilles au verd de montagne , 6c qui font peut-être une ( 1 )^Arfenicum album fragmentas planiî> £inn. Syji, nat, p, 170. en Sibérie. i£i production des veines pyriteufes. Il eft donc vraifemblable que le minerai ne contient pas beaucoup de cuivre, Se je crois que le cent n'en rendroit pas une demi-livre. Je vifitai les fouilles commencées, je détachai de la mine en plufieurs endroits , Se je vis qu'elle étoit pat-tout également pauvre. Je m'arrêtai dans un gros bourg nommé Nikolskoïé-Selo qui polfede une célèbre image de Saint Nicolas. Tous les ans, au printemps, le clergé de Tomsk , les principaux des habitans Se les ames dévotes viennent la chercher , & la portent en proceflion dans leur ville : ceux qui ont le plus de zele Se de refped, vont à pied du village à Tomsk. Lorf-que chacun a farisfait à fa dévotion , l'image eft reportée en fon domicile ordinaire avec les mêmes cérémonies. II y avoit peu de temps que 'fézo'is en cette ville lorfqu'on y apprit que la princefte de Braunfchweig Lunebourg , nièce de fa majefté impériale, étoit accouchée d'un prince nommé Jvan , Se déclaré prince héréditaire , auquel il étoit ordonné de faire rendre hommage par tous les habitans de l'empire rufte. Environ vingt jours après, on reçut la trille nouvelle de la mort de l'impéra- iCi Voyage trice Anne Joannovna de l'avènement au rrône du nouvel empereur Jvan Fédérovitch , &: de la nomination du duc dé Courlatide , comme'régent du royaume pendant la minorité. Il fallut de nouveau prêter ferment de fidélité : on voyoit fur les vifages que ces difpo-fitions ne plaifoient pas ; cependant les murmures étoient fecrers , ôc tout fe palfa fans contradiction publique. Vingt jours après on fut que le duc de Cour-lande étoit dépolfedé de la régence , ôc envoyé en Sibérie. Dès que cette nouvelle eut été .publiée dans l'églife , les habitans tomskains reprirent leur féré-nité accoutumée , ôc les murmures cef-ferent. J'accompagnai le voivode de cette ville en la tournée qu'il fit aux environs dans les villages rufles , ôc les habitations tatares de fon diltrict : ces Tatares font mahométans. Celles de leurs maifons où j'entrai , étoient extrêmement propres. 11 y avoit toujours dans la cheminée un feu grand ôc clair : ils l'entretenoient ainfi jufqu'à ce qu'on leur dit qu'on vouloit fe coucher ; alors ils ceiîbient d'y mettre du bois , ôc laiffoient brûler jufqu'à ce qu'on n'y vit plus aucune flamme bleue : alors ils bouchoient la cheminée avec un gros en Sibérie. tg fac de laine qu'ils y enfonçoient à force de bras : ainfi toute la chaleur reftoic dans la chambre. ôe l'on n'y fentoit aucun froid. Durant cet hiver il y eut au moins dans la ville de Tomsk fix incendies , dans l'un defquels une églife , la mai-fon marchande , rrois cabarets publics , deux magafîns de fel , un bain public, 5c deux cents quarante maifons furent con fumées. Le huit mai, l'image de Saint Nicolas fut apportée du village de Nicolskoïe dans la cathédrale ; elle étoit accompagnée d'un grand nombre de perfonnes qui félon le degré de la dévorion qui les animoir, étoient allées la recevoir à* plus ou moins de diftance : quelques-unes s'eftimoient heureufes de la porter quelque temps , Se s'approchoient le plus qu'il leur étoir polîïble , des principaux du clergé afin d'en obtenir cette grâce. Elle relia long-temps dans la ville , 6V ceux qui fe croyoient plus importans qu'elle, ou qui étoient malades , fe la faifoient apporter dans leurs maifons , foit pour la fanciifier, foit afin d'en recevoir quelque foulagement a leurs maux. Le printemps fut extrêmement beau. ï£4 . Voyage Dès le milieu d'avril l'air étoit lec, chaud Se agréable j mais il changea tout à-coup vers le quinze de Mai: nous eûmes des neiges , des pluies , du verglas , Se un jour de froid inoui dans cette faifon. Il y eut encote une allarme pour le feu : on croyoit qu'il étoit dans un couvent , parce qu'on y voyoit une grande clarté , mais on apprit bientôt qu'on y bralfoit de la bierre, Se qu'on avoit allumé un grand feu pour faire rougir des pierres que l'on jettoit dans l'eau verfée fur le malt } afin de la faire bouillir Se de la rendre plus propre à fe charger de malt : cette méthode eft une des plus ufitées dans toute la Sibérie , aux endroits où il n'eft pas néceffàite d'épargner le bois. Quelques-uns fe fervent de boulets au lieu de pierres , Se prétendent que le fer rend la liqueur plus faine. Après le froid dont j'ai parlé , le beau temps revint j Se la campagne fe couvrit de fleurs. Je partis pout vifiter le grand pays nommé Baraba , qui eft entre l'Ob Se Plrtich , depuis Tara juf-qu'au fort Tchanskoï. Je paifai auprès d'un grand bois nommé 1k Karagai : les Tatares difent qu'on y faifoit auttefois de gtandes chalfes à l'élan , Se qu'on le en S i r e r i e. nommoît alors Kik K'aragaïj le mon ta-tare Kik lignifie élan. Après avoir trnverfé un autre grand bois nommé or Karagaï , nous trouvâmes Or-Aoul ou Orkie Iourti qui eft le long du botd oriental de la rivière d'Ob : c'eft un village tatare très confi-dérable , compofé de trente familles bratskaines , ôc de quinze barabines : Celles-ci payeur le rribut \ douze des autres font à la folde du gouvernement. Leur mofquée eft au milieu du village, ôc leur cimetière ou mafarer , loin du Village, au milieu de l'Or Karagaï (i). Ces Tatares prennent dans l'Ob beaucoup d'éturgeons : ils s'en nourriflent, $c en vendent aux habitans du fort 1 chanskoï : le prix d'un éturgeon long de quatre pieds, &z qui fouvent a trois livres d'œufs , eft de cinq ou fix fous. Depuis le gué de l'Ob jufqu'à celui de la rivière d'Ouïenne , les terres font fi baffes qu'elles font ordinairement inondées tous les printemps : il faut ( ] ) A cet egard les Tartr.rcs agîiTcnr en hommes civilifés, & parmi nous, epux i]ui ayant en main l'autorité , laifîcm nos villes (è remplir de cimetières , & pour fuivre des vues JotérafTécs, r.éc;li2ent défaire à cet égard leur 'eit & k bien public 3 font des barbares. 166 Voyage cependant excepter les bois de fapin, le village tatate ôc la Simovie Abakans-koié. Mais ces terres font très utiles aux Tatares ; lorfque les eaux fe font retirées, ils y fement toutes fortes de bleds, qui y viennent promptement ôc très bien. Nous vînmes enfuire à un endroit nommé Pifannaïa Béréfa. Lorfque les cofaques voleurs infeftoient ce canton , on envoyoit du fort Tchanskoï , toutes les femaines , trois cofaques pour avoir avis de leur marche , ôc afin d'être af-furé que ces rulfes faifoient leut devoir , & alloient jufqu'à l'endroit où il leur étoit prefcrit d'aller , ils étoient obligés de mettre dans le creux d'un bouleau un cerrain écrit, que ceux qui venoient en-fuite, prenoientôe remplaçoient par un autre : c'eft: de cette circonftance que cet endroit a tiré fon nom. J'y fus étrangement tourmenté par une armée innombrable de coufins : ce font des ennemis plus redoutables que la horde cofaque j on peut fe défendre contre celle-ci, mais il n'y a contre l'autre aucune efpece de défenfe : on en tue mille ôc cent mille, ôc il ne paroît pas que l'armée foit affoiblie. Nous parvînmes an ruilfeau de Tchou- en Sibérie, lime , qui eft fi plein de poiflons , nommées Tçhébaki (i) que nos voituriers en prirent beaucoup en le fervant, au lieu de filets , des capotes qu'ils portoient pour le garantir des confins. Le paff Oubins-koï qui eft une efpece de fort, eft à. vingt lieues du Tchoulime, ÔC à cinquante du fort Tchanskoï : c'eft un endroit de figure ronde, ôc de quatre-vingt-trois toifes de circuit, qui eft entouré d'un petit foiïé peu profond, au delà duquel il y a un nadolobi, Ôc des chevaux de frife. En dedans du folle eft un fort quarré dont le rempart fait de foliveaux très minces, eft de la hauteur d'un homme : on y tient une gar-nifon de quinze hommes, partie ruiTes ôc partie tatares. Ce paff eft dépendant de celui de Kaïnskoï, il eft fi-tué dans une plaine très découverte , où l'on n'a que de l'eau de puits qui eft un peu falée ôc fulphureufe , ôc du bois de bouleau qu'il y faut apporter de deux lieues. Les Cofaques ont demandé la permiflion d'établir ce fort fur la rivière de Margat où ils auroient du bois ôc des vivres en abondance , mais ( i ) Cyprinus quincuncialis pinnarum o(Ti« culorum viginù. An;d,Jp. p. 17, a. 7. 16*8 Voyage^ on n'a point encore répondu à leur pro-pofition. Us vivent ici depuis fix ans loin de leurs femmes, de leurs enfans, Se de leurs troupeaux, fe nourrilfanten été de leur pêche , Se en hiver de leur chaffe. Je crois que le nom de palf vient de c; qu'il faut palfer par les forts pour aile' dans le Baraba : i's font éra!>lis pou illui ''i' 'es Cofi'ques voleurs le. :hemii ; ce ce canton , 6: les village:- fitués fur la n.ve occidentale de lob. A demi-lieue plus loin, on trouve les Tatares du Voioft ou diftrict. bara-bin , qui ont le bonheur d'avoir un Kam ou forcier : c'eft un homme a cheveux gris, dont le temps a, pour ainfi dire, confumé tout le vifiige. Il a trois diables principaux qu'il nomme Prodaï, Alting-Kan , Se Akinek : il les con-fulte fur fes affaires Se celles de fes compatriotes , Se fe vante de les faire venir quand il veut , quelque nombre de croix qu'il y ait dans le voiiinage. Lorfqu'il veut les attirer , il les appelle , leur parle, leur fair de profondes révérences , paffe les pieds nuds fur des charbons allumés, 6c dit que cela réjouit fes diables. Ce forcier avoit de fon métier les mêmes e n S t b e k i s. mêmes idées que tous ceux dont j ai fait mention , mais il avoit auiîi fes opinions particulières. Il croyoit que les diables venoient de toutes les parties du monde , ôe non pas de l'occident feul , qu'ils fe montroient fous la forme d'homme , de quadrupède ou d'oifeau , mais qu'ils avoienr le corps tout couvert de poil, quoiqu'ils apparuiTent en hommes. Les environs du paff Kainskoï font fertiles , découverts , 6c Pafpecr en eft agréable. On y a beaucoup de bois, mais ce ne font que des bouleaux, ôe les habitans prétendent qu'ils pourriffent promptement, quoique le bois en foit plus dur que celui des bouleaux ordinaires : ce défaut paroît contraire aux loix de la nature, mais je n'ai pas pu éprouver s'il ne viendroir pas de ce qu'ils le coupent dans un temps qui n'eft pas propre à cet ouvrage. C'eft le feul inconvénient que les peuplades pourroient trouver dans le canton barabin , 6c il n'eft peut-être pas impoffible d'y remédier. D'ailleurs on y trouve affez de tourbes polir compenfer le manque de bois. Le terroir eft propre à l'agriculture : ce qu'on ne cultiveroit point, pour-roit être mis en prairie ; on y auroit de très beaux troupeaux, ôc l'on n'y man-ffome II. H ïyQ V o y a g e queroit d'aucune des chofes néceflaires d ja vie. On y trouvèrent beaucoup de lacs abondans en poi(Ton , excepté celui d'Ouloukrou, dans lequel on en pour-roit mettre à peu de frais. Il eft vrai qu'on n'en auroit pas beaucoup d'efpeces différentes ; on n'y trouve gueres qu'une efpece de carpe nommée en Allemagne karauche ( i ). Les tatares en font fécher Ïtendant l'été , ôc lorfque durant l'hiver , eur chaffe ne fuffit pas pour les nourrir, ils y fuppléent par ce poiifon. Vers la fource des ruiffeaux , on y trouve des clans Ôc des daims en alfés grande quantité : enfin ce défert eft plein de renards, mais tous ces animaux y fe-roient en un moindre nombre , fi le pays étoit plus habité. Je vis chez les tatares barabins, un devin iakoute qui faifoit fes divinations par le moyen d'un arc. Je lui demandai fi la horde çofaque viendroit en ce canton dans l'automne prochain ; aufti. tôt il prit la corde de l'arc avec le pouce ôc le doigt fuivant , la tint près de lui ôc donna du mouvement à l'arc : lorf-qu'après avoir balancé quelque temps de côté ôc d'autre , il revient vers le (i) Carafiius. Linn. Syji. nat. p. 45». en Sibérie. t^r prophète , c'eft un ligne heureux , niais s'il ne fe meut que vers le côté, ou s'il telle fans mouvement, l'augure eft défavorable. Il fe meut ordinairement comme celui qui a fait la queftion le defire, mais quelquefois aulîi d'un fens contraire à fa volonté. S'il avoir toujours le même mouvement, le devin perdroit fon crédit. Les forciers peuvent exercer la divination par l'arc, mais ils regardent prefque tous cet art comme indigne d'eux : ils difent qu'un commerce intime avec les diables eft bien plus puilfant pour découvrir les chofes cachées, qu'une vertu occulte , qu'un Ia-kouterêtre met en ufage, fans favoir précifément jufqu'oii elle peut s'étendre. Les Tatares barabins font un peuple errant, comme tous les Sibériens idolâtres : ils n'habitent point durant l'été les mêmes endroits qu'ils ont habité f hiver : cependant ils font dans l'ufage de revenir aux lieux où ils ont palfé l'été ou l'hiver précédent. Ils ont des troupeaux de bœufs Se de chevaux qui ne font pas très nombreux : leurs alimens font le lait, le poiftbn qu'ils prennent: dans les lacs du défert Baraba , le gibier, ce fur-tout les canards Se les plongeons qui abondent en ce canton. On die Hij j7x Voyage qu'Us convertillent peu à peu a la religion mahornétane par les foius de leurs voifms, les Tarares , qui leur envoient en fecret des prêtres. Au printemps de 1740 il vint fur la rivière d'ichime une bande de voleurs cofaques, qui emmena beaucoup de beftiaux , 6e environ vingt hommes. On envoya contre ces brigands une troupe de fept cents hommes j mais pendant le féjour que je fis à Tara , on n'eut aucune nouvelle de leur expédition. Le voivode de cette ville iniommo-dé par ma préfence m'envoyoit tous les jours différentes perfonnes me dire que la maladie ordinaire dans ce canton commençait à s'y répandre , 6c qu'elle attaquoit plus vivement les étrangers que les naturels du pays. Il eft vrai qu'il y avoit une maladie parmi les chevaux , mais elle n'attaquoit point encore les hommes. Aux mois de juin 6c de juillet, tous les habitans de ce pays fans diltinclion de fexe ni d'âge , font fujets à un mal qui commence par une tache de trois lignes de large : elle paraît indiftindie--ment fur toutes les parties du corps, 6c eft de couleur blanchâtre : quelques-uns dirent l'avoir vue rouge , d'autres préten- en Sibérie. j%y dent avoir apperçu au milieu un petit point noir. Elle eft dure , infenfible, peu élevée , croît promptement, 6c devient en quatre ou cinq jours grofle comme le poing , fans que la douleur °u la dureté varie. Dès qu'elle croît, le malade reflenr une grande laflirude &C une foif extraordinaire ; il perd l'appétit , eft fort alfoupi , fujet aux tour-Jioiemens de rête , dès qu'il veut fe lever , 6e a la poitrine opprelîée. La l'eîpiration devient difficile , l'haleine puante , le teint blême ; le malade ref-fent de vives douleurs intérieures qui ne lui permettent pas de tefter longtemps dans la même fituation la foif augmente toujours : enfin une fueur abondante annonce la mort. Elle arrive dans les fujets forrs le dixième ou l'onzième jour , 6c plutôt dans les fujets foiblés. Les malades fe plaignent fur-tout de mal de rête; la langue n'enfle point , la couleur ne devient point mauvaife, la falivation 6c les autres écoulemens paroiflènt narurels , 6c l'on ne remarque dans l'efprit aucun aftoibliflementV Telle étoit cette maladie , lorfque la caufe 6c le remède en étoient encore peu connus , mais il eft aujourd'hui fins exemple qu'elle fafle des progrès aufli H ii; V o y a g 1 rapides. Elle règne à Tara, dams tous les forts de l'irtich , dans la Kalmoukie , ôe dans les provinces de Tobolsk ôe d'Ifisk : comme elle eit épidémique, on lui a donné en Rallie le nom de tumeur peftilentielle. Cependant elle eft fort différente de la pefte , ôe le traitement en eft une preuve. Dès qu'on ap-perçoir fur fon corps la tache blanchâtre, on a recours au chirurgien qui eft ordinairement un cofaque ou un maréchal. 11 mord la tache ou la tumeur tout autour jufqu'au fang , ou il y enfonce une aiguille au milieu , ôc de côté dans qua-rre endroits également diftans entre eux, jufqu'à ce que le malade en fente la pointe : alors il mord tout-au-rour, mais non pas aufli profondément qu'il auroit fait, s'ii n'eut pas fait ufage de l'aiguille. Enfin il mâche un peu de tabac de cir-caflie, le faupoudre de fel ammoniac, rétend fur la plaie Se le recouvre d'un emplâtre , lorfqu'il en a. Cet appareil eft renouvelle deux ou trois fois dans vingt-quatre heures , ôc félon que le mal eft grand, il faut depuis deux jours jufqu'à fept, pour que la tumeur ôc la dureté foient diflipées. 11 n'y a point à craindre que la maffe totale des hume uts en foit infeétée : la plaie fe gué- en Sibérie. ffy* ht, Ôe la partie malade reprend fa couleur naturelle. Le malade doit s'abfte-nir de boire autant qu'il eft pofîïble , 6c il ne faut lui donner , pour calmer un peu la foif, que du quouas tiédi : l'eau crue, le thé , le brandevin lui feroient nuifibles. 11 ne faut manger ni fruit lé-gumineux , ni lait, ni pâte fans levain : °n permet feulement du pain trempé dans le quouas , ou dans le bouillon de coq ou de karauche, ôe le raifort rouge. Toute viande, excepté la chair de coq, feroit nuilible ; le brochet feroit fur-tout dangereux , mais la karauche féchée ôe mangée féche ou cuite eft falu-taire. Les chirurgiens que j'ai interrogés, m ont dit que la chair infenfible étoit bleuâtre , ôê à peu près comme la viande defféchée à Pair. En Rulfie comme en Sibérie , il eft plus ordinaire de fécher la viande à l'air qu'à la fumée. Lorf-qu'elle n'eft pas trop vieille , elle n'a point mauvais goût, mais après deux mois feulement elle devient rance ôe: infupporrable à ceux qui font habitués! la viande fumée , ôe celle-ci piéparée à riotte manière déplaît au peuple rulfe 9 a caufe du fel auquel il n'eft pas accoutumé. H iv CHAPITRE L X X. Maladie des chevaux. Livres de médecine. DAns les mêmes mois les chevaux font fujets à une épidémie à peu près femblable. Elle commence par une tumeur qui eft rarement moins grofle que le peùng , mais beaucoup moins-dure que celle des hommes. Cette tumeur, croît très vite : dans une ou deux fois vingt-quatre heures , elle devient plus grolfe qu'une tète de mouton : l'animal a la tête bade , paroît trtfte & ne mange plus. S'il eft en libetté , il court à l'eau ôc boit beaucoup : quelques-uns s'y jettent à la nage , ôc fe noient alfés fouvent,peut-être par défaut de forces. Lorfque l'abcès a mûri , ce qui arrive dans une ou deux fois vingt-quatre heures, il eft un peu plus mou, mais n'aboutit point de lui-même ,( ôc le cheval meurt ordinairement, quoiqu'on perce l'abcès avant la mort. On a effayé plufieurs traitemens. Quelquefois on fait dans la tumeur , qui eft infenfible comme dans les hommes, une incifion avec en Sibérie. iyy un couteau , ôc l'on y enfonce un fer rouge jufqu'au vif, ou bien on enfonce dans l'abcès un fer pointu jufqu'à ce que l'animal le fente. On palfe aufli à ttavers la tumeur un fil par le moyen d'une grotte aiguille , on l'y lailfe ôe on le rire de temps en temps d'un côté à l'autre , jufqu'à ce que l'animal meure ou guériffè. La tumeur eft quelquefois fî groffe , qu'il faut enfoncer le fer d'un demi pied pour atteindre le vif. L'intérieur en eft jaunâtre ôc tout femblable à du lard. La poitrine ôc les parties font dans les chevaux plusfujettesàcet abcès, ôe celui de la poitrine eft moins dangereux. Durant le traitement on tient le cheval dans une écurie obfcure , on ne lui donne point d'eau , mais feulement quelquefois du quouas , ôc autant de foin qu'il eft néceffaire pour qu'il ne meure pas de faim. On guérir ainfi beaucoup de chevaux , ôc même prefque tous ceux que l'on traite alfés à temps. Mais comme on ne prend pas la peine de renfermer ces an'imaux , plufieurs meurent au pâturage , avant qu'on ait eu connoiffance de leur maladie , ou l'on s'en appetçoit fi tard que le remède n'a aucun effet. Dès qu'un cheval eft attaqué , on le fépare du troupeau , ôc l'on Hv ;i78 Voyage en fait de même à l'égard des hommes affligés de ce mal. Depuis le temps où il parut en Sibérie pour la première fois, on y a toujours penfé qu'il étoit épidémi-quej mais cette opinion n'a pas de fondement alfés folide , pour qu'il foitinfenfé d'en douter. Il y a encore dans cette maladie une parricularité qui mérite quelque attention, (i elle eft véritable : on prérend que dans les deux mois où cette maladie règne, tous les jours ne font pas également dangereux : il y en a deux ou trois qui emportent beaucoup de chevaux ; dans ceux qui fuivent, il en meurt peu : ainli le mal eft lent ou vif alternativement , comme fi l'air avoit la hevre , & de bons ou de mauvais jours. Dans les jours où le mal s'anime , les habitans prennent plus de foin de leurs chevaux ; quelques-uns prétendent qu'il eft plus ardent, quand la chaleur eft plus grande : ainli le degré de chaleur peut être la caufe de l'alternative dont j'ai parlé , & l'on trouve en effet qu'il l'eft en d'autres climats. Les bêtes à cornes font peu fujettes à cette maladie, &z les moutons le font moins que les vaches : cependant ils en font quelquefois attaqués , ck la laine empêchant que l'on ne voie la tumeur en Sibérie. 17^ ailés promptemenc, ils meurent avant que l'on s'apperçoive qu'ils font malades. On distingue avec raifon dans ce pays les autres maladies des vaches 6c* des moutons qui différent de celle-ci, 6c ne paroiifent qu'en automne ôc durant l'été. 11 y règne fouvent des épidémies qui n'attaquent pas un feul cheval, Ôc ne fe déclarent par aucune tumeur. Les animaux paroiffent triftes , font conftipés , 6c quelques momens avant de mourir font couverts de fueur : on n'y a point encore trouvé de remède. Les Tongoufes 6c Bourœres qui habi-tenr au delà du lac Baïkal, peuvent feuis fe vanter que leurs troupeaux n'éprouvent jamais d'épidémies. Quant à la pefte , elle eft inconnue en Rufîie ôc en Sibérie. J'avois entendu les tatares parler fou-vent d'un livre de médecine intitulé Jofeph. C'étoit le nom de l'auteur , ôc il en eft parlé dans l'Alcoran. J'en reçus un exemplaire à Tara : il avoit appartenu à un kan ierkéniféen de la petite Boukarie ; on voyoit fon cachet au commencement Ôc vers le milieu du volume : lors de la conquête de ce pays les Kalmoukes l'avoient pris ôc l'avoient porté à Tobolsk. Je ie fis voit à un des H vj iSo Voyage plus célèbres mulla ou prêtres mahomé-tans du pays, lien parut furpris & médit qu'il ne pouvoit pas le traduire, parce qu'il étoit prefque tout en langue perfe. J'alfemblai donc le clergé mahométan de Tara , &c j'en tirai tous les éclairciffemens nécelfaires. Le volume eft un gros in-8°. de forme longue. L'ouvrage contient différens livres: le premier eft en langue perfe, écrit entre des lignes bleues Se d'or , & de quarante-deux feuilles. Il y a en tête un cartouche peint en rouge , bleu Se or : l'auteur eft le philofophe Abil , fils d'Abdullétif. Le fécond livre eft de fep-rante-fîx feuilles. Il a été compafé par le médecin Jofeph fils de Mahomet fils de Jofeph. Ce livre eft aufîi en perfan , mais il n'eft ni écrit entre des lignes ni aulîi beau que le précédent. Les caractères font noirs, enttemêlés de quelques caractères rouges. On y a joint onze feuilles que Jofeph donna lui-même à un mulla chaban. Ces deux livres font fuivis de deux feuilles où chacun eft exhorté à les lire Si à méritet de cette manière la grâce de Dieu. On trouve enfuite un phal écrit en langue perfe , qui remplit trois feuilles. Un phal eft une efpece de roue de fournie, qui fert en Sibérie. jgj & découvrir l'avenir. On y voit en effet des roues, telles que dans nos livres de cette efpece , fur lefquelles il y a quelque chofe d'écrit. Chacun ne fait pas faire ufage de ces roues de fortune. Le clergé que je confultois, m'alfura que le fecret en étoit réfervé à un akoune très-favanr. Nous trouvâmes enfuite fix feuilles en perfe 6c en arabe qui contenoient un fou hait pour obtenir de Dieu la grâce de devenir puifîanr en biens 6c en autorités , avec Paffurance que lorfqu'on auroit lu ce fouhait mille quatre-vingts fois , il feroit accompli : une feuille collée , de formar plus petit que le livre,, avec les noms perfans de quelques drogues de ce pays, 6c une autre feuille contenant l'éloge de celui qui a écrit ces noms. Cheikhoulifiam , ou Phermite au peuple. Dans cet ouvrage un fainr her« mite infiruit ceux qui viennent à lui , 6c leur apprend des remèdes : je vais en dire quelques-uns. Pour la morfure d'un chien , brûlez des cheveux d'homme , prenez-en la cendre , 6c répandez-la fur la blefiure. Dans toutes les bleifures , quelque anciennes qu'elles foient, & quelque iSi Voyage nom qu'elles aient, ces cendres mêlées avec du vinaigre font falutaires. Elles font bonnes aufli contre la moifure des chiens faite aux beftiaux. Les mêmes cendres mêlées au vinaigre adouciflent la douleur des dents. Un maniaque recouvre le jugement en buvant du lait de femme mêlé à de l'urine d'homme. Les afcarides féchés , mis en poudre Se foufllés dans l'œil, diiîipent la cataracte. Plufieurs autres remèdes de cette efpece , font dus au fage Boukerat fur-nommé Mahamet fils de Zacharie , 6c d'autres encore au fage Tchalinous. Il fuir une prière nuptiale en langue perfe mêlée d'arabe , des remèdes en perfe 6c en turc , dont* l'un eft le fang de grenouille contre les taies des yeux, Se le fuc de fumier de cheval contte la furdité •, un phali en langue perfe pour favoir s'il tombeta de ia pluie ou de la neige, ou fi le ciel fera clair 7 une prière perfanne , 6c un mor que Mahomet a prononcé, un éloge de l'auteur qui étoit un fage , 6c qui a prouvé fa fagefle par plufieurs écrits philofophi-ques. On trouve enfuite un écrit de Ma- en Sibérie. 183 hamet fils de Zacharie cité ci-deflus-11 y compte fept maladies de la tête , 6c traite aufiî de celles du nez, des oreilles, des yeux , des dents , de la bouche , du cou , de la poittine , du ventre , 6c en particulier de celles qui viennent d'un excès de chaud ou de froid. Une feuille en langue perfe, qui contient quels jours fonr bons ou mauvais , 6c ceux où il faut voyager. Dans un autre livre écrit en tatare , le mardi &c le famedi font décriés : une féconde feuille qui indique les mauvaifes heures ; une troiiîéme qui inftruit du jour où il eft bon de tailler un habit & de le mettre pour la première fois : un phal pour favoir fi l'on mourra d'une maladie , quelle elle eft 6c quelle aumône il faur faire pour recouvrer la fanté : enfin deux recettes, qui peuvent guérir la galle la plus invétérée. Ce livre rempli des fuperftirions de l'antiquité ne hâtera poinr les progrès de la médecine : il peut fervir rout au plus à flatter la curiofité des Arabes ôc des Perfes qui font aujourd'hui plus igno-rans qu'ils ne l'ont jamais été. Les Tarares mahométans qui ne font pas plus éclairés , embraflent toutes leurs fuperf-tirions&y joignent les leurs. J'ai trouvé ig4 Voyagé Uri petit livre tartare où étoient les remèdes ci-joints. Ce qui eft coupé du nombril d'un enfant, étant féché, mis en poudte 6c répandu fur une blelfure, la guérit, mais il faut que l'enfant foit né d'une vierge. Lorfqu'un homme eft malade depuis long-temps fans être en danger , ôe que fon mal eft inconnu, prenez une ttanche de raifort, percez-la , mettez dans le trou fept grains de poivre, 6e une poignée de karni atik ( épicerie chinoife ) : recouvrez cette tranche avec le refte du raifort , mettez le tout dans un pot rempli de fumier de cheval, verfez-y un peu d'eau, 6e obfervez bien Imitant où quelques vapeurs commenceront à s'élever. Dès que vous les appercevrez , introduifez les par le bas dans le corps du malade de forte qu'il ne s'en échappe rien j alors il guérira. CHAPITRE LXXI. Climat de Tara. Pillage des Cofaques. LEs premiers jours d'août ( 1741 ) furent très fereins & rrès chauds* Je vis dans la nuit du deux au trois une aurore boréale qui ne fut fuivie d'aucun changement de temps. L'année fut très abondante en foins & en grains de toute efpece. Vers le milieu de ce mois toutes les herbes de la campagne étoient deiféchées. Une h grande chaleur auçr-menta dans la ville &c dans les villages des environs la violence de la maladie dont j'ai parlé ci-delfus. Les habitans de Tara aiment beaucoup le brandevin , & quoiqu'il ne leur foit pas permis d'en diftiller , le gouverneur le permet en fecret, parce qu'il en retire quelque avantage. Ceux qui lui font des préfens diftillent tant qu'ils veulent, mais il fe fâche 8c févit contre ceux qui prétendent diftiller Se ne rien donner. Il y a dans cette ville un alfés grand nombre de maifons commodes qui font prefque toutes neuves » j86 Vo y AGE parce qu'on y éprouve fouvent des incendies. On n'y fait prefque point de commerce j il n'y a que les habitans riches , qui puifiènt y faire venir des marchandifes étranger-es , & ils les vendent au prix qu'ils veulent , parce qu'ils font toujours d'accord entre eux , 6c que le prix de tous eft le même. Ils font leur plus grand commerce au forr lamicheve 6c à la foire d'Irbit : ils y échangent des matchandifes rulfes conrre celles des Kalmoukes qui s'y rendent en été. En partant de Tara pour me rendre auprès de M. Muller qui étoit malade d Cathe-rinebourg , 6c avoit befoin de mon fecours , je paifai par les villages de Soudilova 6c de Tchernolourskaïa, ÔC je les trouvai déferts. Un détachement de la horde cofaque y avoit pillé, brûlé ôc emmené tous les habitans qu'il n'a-voit pas malfacrés. Ceux qui s'étoient oppofés à leur violence avoient éré tués, ou brûlés : un petit nombre échappé d leur fureur apporta la nouvelle de leur irruption , 6c s'érablir enfuite plus bas fur l'Aïev. Suivant les relations, ces brigands tuèrent trois hommes , un petit garçon 6c une femme : ils brûlèrent trois hommes , huit petits garçons , huic femmes, 6c neuf filles, 6c emmenèrent e Sibérie. 187 mu homme quatre petits garçons, trois femmes, rrois filles ôc cinq perites filles avec quatre-vingt-dix chevaux ôc cent foixante-trois bêtes à cotne. Un vieillard s'étoit caché fous le plancher de fa chambre ; ils le cherchèrent long-temps , mais enfin ayant mis le plancher en pièces, ils le traînèrent dehors, ôc lui déchiquererent les mains ôc les pieds de telle forte qu'il perdit tout fon fàng ôc la vie. Un détachement d'environ cent dragons & trois cens foixante-dix cofaques vipifnie les pourfuivir. 11 trouva dans le défert trente-cinq bêtes à corne qu'ils avoient abandonnés , ôc ayant rencontré la bande même près d'un lac au pied d'une montagne, dans le canton de Saraï-bor, il l'attaqua, mais le pofte étoit fi avantageux qu'on ne put les y forcer. Cinq hommes ôc quinze chevaux furent tués, dix-huit hommes ôc dix chevaux blelfés : on n'a point fu la perte des ennemis : ils abandonnèrent quatre cents vingt-fept chevaux ôc dix rulfes prisonniers. On dit qu'ils n'avoient aucune connoiifance de la marche des Rufies , qu'ils furent complètement furpris, ôc qu'on auroit eu le temps de s'emparer de leurs armes, mais qu'on arriva fur e«x avec un tel bruit qu'ils fe réveille- ï^g Voyage rent & ie mirent en défenfe. Ils font armés d'une efpece de carabines nommées Tourki, qui portent environ trois fois plus loin que les fufils rulfes. Lorf-qu'ils furent attaqués, ils envoyèrent la plupart de leurs prifonniers dans la montagne fous efcorte , Se après s'être oppo-fés au premier effort des rulfes , ils fe rerirerent. Plufieurs cofaques demandèrent à les pourfuivre , parce qu'il y avoit apparence qu'ils étoient prefque tous à pied } mais le commandant fÈ le voulut pas : il craignit qu'il n'y eut dans la montagne un plus grand nombre de ces brigands , & qu'ils n'exterminafîent ceux qu'il enverroit à leur pourfuire. Il revint donc avec tour fon détachement le long de la rivière d'Ichim au village de Korkine. Depuis 1718 les frontietes de Rufiie ont beaucoup fouffert des incurfions de ces voleurs. Le canton barabin , les villages de l'Irtich au-deffus de Tara, ceux de l'Och , de l'Aïev , de la Vagai, de Plamourtla , de la haute Tobol ont tous été dévaftés, Se fi l'on vouloit fe donner la peine de compter les troupeaux Se les biens enlevés , les perfonnes de l'un Se de l'autre fexe tuées ou emmenées pri-fonnieses, on en feroit étonné. On faic en Sibérie. iSc, des traités avec ces brigands, mais il y en a piutieurs bandes fous différens chefs, fans qu'il y ait entre elles aucune différence. Lorfqu'on fe plaint à l'un de ces chefs, il dit que ce n'eft pas lui qui a commis le défordre dont on lac-cufe , mais que c'eft fans doute une autre horde fur laquelle il n'a aucun pouvoir. Ainfi ni les rraités ni les otages ne peuvent arrêter leurs violences, Se l'on ne pourra les réprimer que par la vigilance , Se par le fupplice de ceux que l'on prendra au pillage. Il eft à craindre que ce mal n'augmente, fi on n'y apporte pas un prompt remède. Parmi le grand nombre de ruifesque ces brigands onr emmenés prifonniers, il y en a qui fe font faits voleurs , & ne fe font aucun fcrupule de pillet leurs concitoyens, Autrefois les villages dont je viens de parler n étoient jamais attaqués ; il eft vraifemblable que quelque rulfe y a conduit la bande dont il étoit : fi l'on en croit les prifonniers qui fe font échappés , ces voleurs onr pour guide un ta-tare tributaire qui s'eft enrollé parmi eux. On dit auîfi que plufieurs tatares bnrabins fe font joints à eux , & que chaque horde a des guides ruffes. A quelque diftance du fort Ialouto«! i r>o Voyage rouskoï, je rencontrai M. Muller qui étoit en meilleure fanté, ôc nous nous rendîmes enfemble à ce fort : on y tra-vaiiloit à un ouvrage confîdérable. Le bras principal de la Tobol palfoit autrefois auprès du village, mais depuis le printemps de 1741 , les eaux y avoient beaucoup baiifé 5 elles étoient croupif-fantes , on y pouvoit paifer à pied en plulieurs endroits , ôc les habitans du fort étoient obligés d'aller chercher l'eau à un quart de lieue. On avoit entrepris de ramener la rivière à fon ancien lit, ôc l'on conftruifoir une digue à cet effet; mais ceux qui conduifoient cet ouvrage ne purent jamais la fermer, &c il fallut envoyer chercher des ouvriers plus habiles. Je vis le 21 feptembre vers dix heures du foir une aurore boréale fous la forme de quelques colonnes de feu immobiles. Une heure après on apperçut au nord-oueft une colonne très rouge , ôc toutes étoient vers minuit claires ôc fans rouge. Peu auparavant une partie obfcure de l'horifon étoit devenue claire. Lorfque l'aurore boréale avoit le plus grand éclat, le ciel fe couvrit tout-à coup au fud ôc à l'ouelt de nuages épais : mais il s'éleva ptefque en même en Sibérie. 191 temps- un vent d'oueft affez violent, qui diflipa ces nuages. Plus le ciel deve-noit clair, plus l'aurore boréale paroif-foit pâle y cependant on apperçut ju£ qu'à la pointe du jour quelques colonnes blanchâtres. Le temps du jour fui-vant fut mauvais , le vent, fud - oueft 6c médiocte. Les environs du fort Ialoutorovskoï font agréables : ils font compofés de quelques bois & de gtandes plaines qui s'étendent le long de la Tobol, 6c fet-vent de pâturages à un gtand nombte de chevaux. Les fréquentes inondations que ces campagnes éprouvent, empêchent qu'on ne lçs cultive : mais on trouve alfés de terres labourables à l'occident 6c au nord du village. Les habitans de ce canton font riches en chevaux , cependant il eft rare qu'il s'écoule une feule année, fans qu'une maladie à-peu-près femblable à celle qui règne vers l'Irtich , n'emporte une parrie des troupeaux. Le bled y réuftit alfés bien ; un poud ou quarante livres de farine ne coûte ordinairement que de fix à dix fous. On y a des bêtes à corne en alfés grand nombre , mais les moutons y font fujets à des épidémies fi rapides qu'elles enlèvent quelquefois un trou- \<)i Voyage peau entier. La tête & les parties enflent , ôe l'animal meurt en moins d'une demi heure. 11 n'y a pas un feul endroit de Sibérie, où le vol foit auili commun. Durant les premiers cinq ou lix jours que j'ai paffés dans ce village , on y a volé toutes les nuits. Les jours fuivans on prir plus de précaurions, ôc l'on fir pendant la nuit une patrouille : le mal diminua, mais ne cella pas. On amena aufli au village pendant le jour plufieurs voleurs qui avoient dérobé dans les environs. Voici la caufe de cette efpece de pillage. La plupart des habitans ont des habitations d'été où ils demeurent jufqu'à ce que la jmoiifon foit faite , quelques-uns même y relient jufques vers noël , ôe les voleurs profitent de cette abfence. D'ailleurs ce diftrict eft plein de gens oififs qui ne vivent que de rapines , ôc tous les fripons qui partagent avec les corn-mandans ôc gouverneurs font aifurés de leur protection. Le diftrict du fort laloutorovslcoï relevé ainfi que celui d'Ichim de la chancellerie de Tobolsk : le fort a fous lui onze bourgs dont chacun eft comme la capitale d'un alfés grand nombre de villages. Tous les commiffaires des bourgs ou en Sibérie. ou ilobodes font fubordonncs au commandant. Ce canton a beaucoup fouf-fert des incurfions des Bachkires & de la horde cofaque , mais depuis quelques années ils n'y ont fait que des vols peu* confidérables. CHAPITRE LXXII. Hermaphrodites. Fille de Tioumennc. NO us apprîmes qu'il y avoir deux: hermaphrodites au fort Iferskoi, ôe deux autres encore en un village voi-fih : nous voulûmes les voir. Ils étoient encore enfans , 6c l'on dillinguoit a peine à quel fexe ils appartenoient : on auroit volontiers penfé que c'étoit une efpece d'homme particulière. Le prêtre du lieu les avoit mis au rang des hommes, 6c leur avoit donné des noms mafeulins. J'en lis la defeription aufli exactement qu'il me fut pcflible , je l'accompagnai de delfeins , 6c l'envoyai à l'académie des feiences de Péterbourg. Le fénac impérial ordonna qu'ils fufient amenés dans cette ville. Lorfque je les vis au fort Ifetskoï , ils me parurent être des femmes manquées. Quand ils arrivèrent à Tome II, l 194 Voyage faint Péterbourg, M. Veitbrekt Ôc Vil-de penferent que c étoient des hommes, ôc les obfervations exactes de M. Kaav-Boerhave anatomifte ont prouvé d'une manière inconteftable que c'étoient en effet des hommes. Nous nous rendîmes à Tioumenne, ville fituée fur la rive méridionale de la Toure dans une plaine agréable , élevée environ de dix toifes au-delfus du lie de la rivière. Elle eft travetfée par un ruiffeau nommé Tioumenka, dont les bords font très élevés. On y voit des couvents, des églifes, un fort, une mai-fon de ville ôc plufieurs autres bâtimens publics. En remontant le Tioumenka , on trouve un b urg nommé Imskaïa qui a deux cents quarante maifons , & des habitans de tous les états. Sur la rive feptentrionale de la Toute, vis-à-vis la ville, il y aune efpece de fauxbourghabité par des Ruffes, des Boukares ôc des Tatares mahométnns : les Rulfes y ont cent quinze maifons ôc une églife ; les autres , vingt-fept maifons & une mof-quée : mais cette rive eft balfe ôc fujette à de fréquentes inondations. On voit encore fur le Tioumenka des reftes d'une ancienne foi tereffe tatare, 6c un des points les plus connus ôc les plus e n S i b e r ii. i incontestables de l'iiiftoire de Sibérie , c'eft qu'il y a eu dans le canton de Tiou-menne une ville tatare. Nous arrivâmes bientôt à Tobolsk, ôe le 18 décembre (1741), y fut un jour de grande réjouilTance. On entendit plu-lieuts décharges d'artillerie , ôc le bruit de toutes les cloches de la ville. Nous fûmes invités par le gouverneur à nous rendre à l'églife, ôe nous y apprîmes que l'impératrice Elifabeth étoit montée fut le trône. Le peuple prêta hommage à fa nouvelle fouveraine avec une joie qui préfageoit la douceur de fon gouvernement , ôc ce préfage a été pleinement accompli : c'eft elle qui a voulu qu'aucun criminel ne perdit la vie fous fon règne ; c'eft elle qui a donné ce glorieux exemple à tous les princes : la mémoite vivta fans doute éternellement chez tous les peuples alfés heureux pour connoîrre le prix de cette loi, la plus humaine , la plus fage ôc la plus belle des loix. M. Muller eut occaiion de voir â Tobolsk l'enterremenr d'un boukare. ïl voulur aller à la maifon du mort, afin d'être témoin de toute la cérémonie * mais il fut prié de n'en rien faire , parce que cette maifon étoit remplie de 'Voyage femmes qui pleuroient le mort, Se au-roient été feandalifées par fa préfence y que de plus il lui falloir la permiflîon de la fociété kalmouke. 11 fut donc obligé d'attendre dans la mofquée tatare, où l'akoune Se fon clergé , Se un grand nombre de Boukares Se de Tatares étoient ralfemblés. On y apporta le corps, vers dix heures du matin j il étoit enfe-veli en deux pièces de drap de tchaldar , dont le premier étoit blanc , Se celui de delfus étoit jaune. Il faut que ces draps aient été apprêtés par des mufulmans , pour être dignes d'entourer ceux qui ont vécu dans la loi mahomérane. On mec de plus fur le drap de delfous, un petit morceau de tchaldar blanc plus lin , long environ de iix pieds , Se percé au milieu d'un trou dans lequel on palfe la tête du mort. Cet appateil eft parfumé durant la prière avec de l'eau camphrée Se d'autres odeurs fortes , enfuite coufu comme un fac, Se lié aux deux extrémités , de forte qu'il relfemble à un porte-manteau : il eft aufli lié vers le milieu. On y avoit attaché une demi-feuille de papier fut laquelle une prière tatare étoit écrite : elle l'eft ordinairement fur le drap de tchaldar jaune, mais les prêtres s'étoient fervi de papier pour e n Sibérie.' i 97 plus de commodité. Avant que d'enfe-velir le corps, on le lave : les femmes ôe les hommes rendent ce devoir aux: perfonnes de leur fexe. On l'apporte dans une bière à l'entrée de la mofquée feulement, car elle feroir profanée par la préfence d'un cadavre. La bière eit laite de planches jointes enfemble avec de l'écorce ôc couverte d'un tapis. L'ako line, fes prêtres Ôc les alliftans dirent quelques prières à la porte de la mofquée : enfuite on mit la bière fur un traineau , ôc on la rranfporta au cimetière à une lieue de Tobolsk. La foife ne doit point être faite à prix d'argent \ c'eft une œu-tre pie à laquelle tous les alliftans doivent travailler. Elle eft longue, quarrée, & dirigée vers la Mecque , comme le font aulîi les mofquées, ôc allés profonde pour qu'un homme étant allïs , fa tcte ne dépalfe point la furface de la terre. Avant qu'on mît le corps dans la foife, tous ceux qui l'accompagnoient , prirent un peu de terre remuée , prièrent à très balfe voix , fouftlerent deifus légèrement, ôe un homme ayant reçu ces petits morceaux de terre dans le pan de fa robe les mit dans la foife aux pieds du mort : cette cérémonie eft inftituée pour obtenir le pardon des péchés. Le 19S Voyage corps fut apporté au bord de la foïîe , on ota le tapis qui couvroit la bière , on coupa l'écorce qui tenoit les planches jointes enfemble , 6c deux nommes ayant pris le drap , chacun par une extrémité , dépendirent le corps en terre , la tête vers la Mecque. Alors on délia les draps mortuaires, 6c l'on découvrit le vifage du mort. Un moulla, ( car l'a-koune A caufe de fon grand âge , étoit relié dans la ville ) avoit écrit une prière fur une feuille 8° : on la mit au bout d'un bâton fendu que l'on planta dans la foife à la droite du corps , près de la poitrine, comme fi le mort avoit du la lire, 6c on lui tourna aufli la tête vers cette feuille. En effet c'eft fon paffeport, ou plutôt une prière qu'il doit lire, au, moment qu'il eft réveillé pour fubir fon jugement. On mit dans la foife des arbres coupés exprès , puis les planches dont la bière avoit été faite , fur ces planches quelques braffées de foin , 6c toute la terre tirée de la foffe. Enfuite avec un arrofoir on jetta par trois fois de l'eau pure fur la tombe , en commençant pat le côté droit, continuant par le gauche, 5c puis fur la foife même, de travers, en allant de la tête aux pieds : enfin tous les alliftans aflis prièrent à en Sibérie. rpp baffe voix , ôc la cérémonie fut faite. Je ne fais pas ce que lignifie l'arrofemenr, mais j'ai appris qu'on ne couvre le corps fi foigneufement avec les planches ôc le foin , que pour empêcher la terre de pénétrer entre les arbres , ôc de couvrir immédiatement le corps. Les Tatares croient que lorfque ceux qui onr accompagné le convoi , font environ à quarante pas du tombeau , deux anges y defcendent, éveillent le mort, l'interrogent fur fa foi, fa vie ôcfes mœurs, ôc lui déclarent fon jugement. Us difent que le mort fe levé &c s'aiîied durant cet interrogatoire : c'eft pourquoi la foffe eft aifez profonde pour qu'un homme y foit afïis. Ils ajoutent qu'il eft ordonné dans leurs écritures de faire une foife perpendiculaire , ôc de creufer en-fuite en un des côtés un efpace afiés con-fidérable pour conrenir le corps , de l'y placer , d'en fermer Pennée avec des briques ôc de remplir le refte de terre. Cette manière eft employée en Bouka-rie où la terre eft ferme , mais elle ne l'eft point affés en Sibérie , ôc dans le diftrict de Cafan où elle l'eft encore moins , on eft obligé d'étayer avec des planches les quatre côtés de la foife. Nous quittâmes peu après Tobolsk, Iiv loo Voyage Se continuâmes notre voyage. Depuis le 22 février ( 1742 ) jufqu'au trois de mars, nous vîmes une comète qui pa-roiifoit ordinairement depuis onze heures du foir jufqu'au matin. Nous paifâmes au bourg Kamenskoïe, célèbre pour le commerce du linge de table ôc du fa von. Outre le favon commun on y en fait une autre efpece nommée malien-noïé-milo , ou ftivon de beurre , parce qu'il n'y entre aucune autre fubftance graifeque le beurre. On le regarde comme meilleur que le favon commun , pour blanchir le linge fin, ôc on le vend un peu plus cher. Dans toute la Sibérie , Ôc même en Ruine dans quelques endroits le favon de Tioumenne eft renommé , mais il faut entendre par-la celui du bourg Kamenskoïe. Nous nous rendîmes enfuite à Tou-rinslc , ville fituée fur la Toura : on la nomme plus communément dans ce pays Iépantchin , parce qu'au remps de la conquête un petit prince nommé Ié-pantcha y faifoit fa réfidence. Dans l'année 1704 , cette ville fut réduite en cendres par un incendie : on n'y compte aujourd'hui que trois cents trente neuf maifons. En 1740 le quattiet des voi-turiers fut brûlé de nouveau. Plufieurs en Sibérie. 201 Tourinskins ruinés par ces acctdens fe font répandus dans les villages voi-fins , ôe ailleurs , de forte que cette ville a moins d'habitans que par le palfé. Je réfoïus ici de vifiter la province d'Ifetsk, ainfi que toutes les mines ôe fonderies impériales du diftrict de Cathe-rinebourg, ôe toutes celles de Démidov. Je me mis donc en route ôe paifai Kras-noflobotsk , où je mangeai beaucoup d'afperges : elles y font abondantes, ÔC longues environ de trois quarts d'aune ; il eft vrai que leur groffeur ne furpalïe pas celle du petit doigt, mais la faveur en eft douce , ôc le goût exquis. Les habitans de cet endroit me virentmanger ce mets fans envie : ils s'étonnoient même que je vouluffe me nourrir de la tige des baies de grue 3 ( c'eft ainli qu'ils nomment cette plante ) , ôc difoient qu'il n'y avoit que les vaches qui puf-fent s'en accommoder. Je me rendis enfuite au monaftere Dalmatovskoï Ouspenskoï : il eft iïtué fur la rive feptentrionale de l'ifet dans unel plaine très agréable. Quelques Rulfes s'établirent autrefois dans cet endroit, y bâtirent une chapelle ; mais leur habitation étant fans défenle, les i v lot V or age Tatares l'attaquèrent ôe la brûlèrent. On retrouva dans les cendres une image de la Vierge qu'un moine nommé Dalmat avoit peint fut bois ; elle étoit feulement brûlée par un coin : c'en fut alfez pour confacrer à Dieu cet endroit, 6c y bâtir un monaftere. Les commence-mens en furent petits , comme ceux de tous les établiifemens monaftiques. Un peu au-deifus de l'endroit où le couvent eft aujourd'hui, le moine Dalmat fe fit une caverne , où il habita quelques années avec deux autres moines. Enfin il obtint la permiffion de bâtir un monaftere , 6c de le fortifier, parce que le lieu étoit peu fur. Le couvent 6c les remparts furent promptement élevés , mais pour lors en bois feulement. Les environs étoient fertiles , les vivres abondans , la dévotion des voifins étoit ardente ; le nombre des moines augmenta rapidement ; les revenus devinrent confidérables, on y cultiva les -champs d'alentour, on y eut des troupeaux nombreux , on érablit aux environs plufieurs villages : on y jouilfoit de tous les biens 6c de toutes les profpé-rités, lorfqu'un incendie réduific fubi-tement le couvent en cendres. Mais la calife étoit remplie , 6c l'on y rebâtit eh Sibérie. zo; dans peu une maifon magnifique , qui ne le cède à aucun monaftere de Sibérie. Je fis quelque féjour en cet endroit, parce que je defirois fur-tout d'y voir f oifeau dont les nids font rénommés tant en Ruifie qu'en Sibérie , pour leur forme particulière , leur molleiïe ôe leur ufage médicinal. On le nomme ici ré-mès ; il eft extrêmement rare , ôe peu de perfonne en ont vu. On m'en apporta deux en vie, l'un mâle 6c l'autre femelle. Cet oifeau relfemble au roitelet, & a léchant femblable à celui de laméfan-ge. Le mâle a la tête blanche, la femelle l'a un peu grife , avec un bandeau noir qui palfe fur les yeux. Le dos eft brun , 6c la région qui eft entre le dos 6c le cou eft dans le mâle châtain 6c affez large , dans la femelle moins brun 6c plus petit. Le bas du corps eft blanchâtre, également tacheté , ôc quelquefois rouge fur la poitrine. La queue eft longue ôc brune, les ailes font aufiî prefque toutes brunes, les pieds gris de plomb comme dans la méfange , les œufs blancs comme la neige. Le nid eft fait avec les aigrettes des graines de faule : il a la forme d'une cornemufe applatie , avec une ouverture ou efpece de cou : il eft fortifié avec du chanvre ou de l'ortie, I vj 2©4 Voyage &c fufpendu à une branche de faule oit de bouleau , dans un endroit où elle fe divife en deux. La chancellerie du diftriét d'ifetsk ré-ilde depuis quelques années au bourg de Tetchinsk. Cet endroit a été fouvent attaqué par les Bachkires , ôc ils n'ont pas encore oublié la manière dont ils y furent reçus une fois. Ils éroient environ huit cents hommes : les cofaques qui dé-fendoient le retranchement les laiffe-rent venir très près, ôe firent une décharge de moufqueterie prefque à bout touchant : plufieurs furent tués , ôc les autres fi épouvantés qu'ils ptirent la fuite, Ôc ne voulurent point courir les rifques d'une féconde décharge. CHAPITRE LXXIII. Maladie. Forts. Lacs devenus falés , &ci LA maladie dont j'ai parlé ci-deffus durant mon féjour à Tara , s'étoit répandue depuis quelques années dans ce canton , ôc dans les forts nouvellement conltruits pour contenir les bachkires. Un jeune payfim en fut attaqué : EN S i b ! r i ïi 20j 3 fe fentit au menton une dureté la perça comme à l'ordinaire avec une aiguille , la couvrit de fel ammoniac & de tabac de Circafïïe , contint l'emplâtre par un bandage ôc n'interrompit pas fes rravaux à la campagne. Ses compagnons dirent qu'il avoit fait une faute en ce point , Sz que ce mal exige que depuis le commencement jufqu'à la fin de la cure on fe tienne en un lieu obfcurj mais ils le dirent, lorfque le mal eut fait de rrès grands progrès. Il eft pofli-ble que la chaleur du foleil ait enflammé la plaie. Quelques jours après le premier panfement, la partie malade enfla ôe devint douloureufe. Le jeune homme fe rint pour lors en fa maifon , ôe obferva la diète accoutumée dans cette maladie. 11 n'eut ni foif ni aucun des accidens ordinaires , mais l'abcès enfla beaucoup , ôe vers le douzième jour il étoit h gros que le malade ne pouvoit plus ni avaler ni prefque refpi-rer. Un bachkire lui confeilla d'y mettre de la fiente de porc : en effet l'abcès diminua un peu , ôe la douleur étoit lus fupportable ; mais lorfqu'on levoit appareil , il augmentoit promptement. Vers le quinzième jour l'appétit fe perdit entièrement, la poitrine étoit op- iooiifon. Tout ce canton eft rempli de acs dont la plupart font poilfonneux, Ôc quelques-uns falés. Il y en a un nommé Vo-orovoïe , dont autrefois les eaux étoient douces : on y trouvoit alors des coralîins ôc des rotaughes ; mais elles font devenues un peu falées , ôc Ton n'y trouve plus que des coralîins. Le lac Treuftan a éprouvé des changemens plus confidérables. Il y a environ quarante ans qu'il étoit très grand ôc fort poilfonneux : depuis ce temps il a diminué ; fes eaux font devenues ameres j falées, fentant le foufre , ôc l'on n'y voit plus aucun poiifon. A quelque diftance de ce lac , on trouve celui qu'on nomme Kou-Iat. Il eft de figure triangulaire , l'eau en eft amere 6c falée : depuis quelques années il n'a plus qu'environ deux pieds de hauteur. On n'y trouve qu'une grande quantité de vers qui attirent beaucoup d'oies 6c de canards. Parmi les efpeces d'oies qui s'y ralfemblent, il y en a une de groffeur moyenne , 6c de couleur blanche, qui a les ailes noires 6c la poitrine brun rouge ; les Bachkires la nomment l'oie d'Italie. Près du ruilfeau de Tchoumliak, on trouve un marais qui a in Sibérie. 209 (quatre lieues de long & plus d'une lieue de large, dans lequel il y a plufieurs lacs très poiffonneux. Il y a, dir-on, huit ans que ce terrein étoit à fec. Les change-niens fréquens qui arrivent dans ce canton font très remarquables. Un lac fale devient doux j celui qui étoit doux , devient amer & fulphureux. Les uns fe déficellent, ôc d'autres paroiffent où il n'y en avoit point encore eu. Ces effets tiennent fans doute à la ftruéture intérieure de notre globe , ôc peuvent contribuer peut-être à nous en donner quelque çontioifïance. Le lac Tehébar mérite aufiî que l'on en falfe mention. Il a près de quatre lieues de long, Ôc prefque autant dans fa plus grande largeur. L'eau en eft pure claire ôc de très bon goût. Il a plufieurs efpeces de poiffon. Les rives font élevées , Ôc du côté du nord-eft on voit des plaines fertiles, au fud- oueft Se à l'on eft une petite chaîne de montagnes, au fud-oueft du fort , ôc à la diftance d'environ quatre lieues , une très haute montagne nommée Imen-tau qui s'étend par la Mias jufques à l'Argaffé-kouï. La fituation du fort Tchébarkoulskoï eft agréable : les environs font peu fertiles , parce qu'une couche de terre affés 1ïo Vo y agi mince y couvre un fond de rocher : mais a la diftance de cinq lieues, on trouve des terres abondantes. L'air paroît y être fain : la maladie du diftrict de Tara n'y a point encore pénétré. Le lac Tché-bar Se plufieurs autres y fournilfent plus de poilfon que n'en a tout autre fort du pays. Depuis plufieurs années, Se même avant que les Rulfes y fulfent établis , quelques Promichlénies trouvèrent du talc près du lac Dzélantfik , à quelques lieues du fort, vers le mont Imen. Il eft très beau, mais petit : on en trouve rarement des morceaux d'un demi-pied quatre. La rivière de Mias eft peu éloignée Se l'on y prend des caftors, ainfi que fur les ruilfeaux qu'elle reçoit : ils font alfés noirs Se de bonne efpece. Il y a peu d'années que les Bachkires habitoient encore ce pays en très grand nombre. Ils l'avoienr pris en affection , mais leur opiniâtreté les en a fait chalfer. Les Rulfes les traitoient avec douceur : eux, au contraire , étoient en fureur , dès qu'on approchoit de leurs frontières, &: menaçoient de porter par-tout le fer & le feu , faifoient des irruptions fur les établilfemens ruffes , attaquoient les fotts, étoient quelquefois vainqueurs, Se fouvent repoulfés avec perte. On en Sibérie. ni exigea d'eux qu'ils payafTent à la couronne un certain tribut, mais ils ne ce-doient qu a la force , & ni repréfenta-tions ni menaces ne purent les peifua-der. Dans Tannée 1734 le gouvernement voulut envoyer une compagnie au midi de Samara : elle étoit obligée de traverfer le pays des Bachkires. On leur lit demander la liberté du partage ; ils la promirent , & même envoyèrent des otages à Péterbourg. On avoit fait à peine quelques préparatifs pour ce voyage, que leur efprit turbulent fe réveilla : ils fe préparèrent à défendre le partage de leur pays, &z cette infidélité eau fa la guerre d'Orenbourg qui dura quelques années. On forma enfin le projet de les alfujettir : on entra dans leur pays de tous côtés , on s'en empara entièrement, & l'on y conftruifit plufieurs forts, afin,de contenir par la force ce peuple féroce. Les environs du forr Tchébarkoulskoï font pleins de couleuvres qui appartient à Démidov , &c fut commencée en 1720. J'y vis une place à griller & deux fourneaux courbes pour le cuivre noir tiré de Koli-van. On y a différentes machines -pour couper les baires de fer, préparer l'acier , faire du fil de métal : elles font mifes en mouvement par les eaux de la rivière de Taghil , qui font refferrées par une digue. On y fond aufli des cloches & toutes fottes d'uftenfiles de cuivre, qui font tranfportés à Tobolsk & dans toutes les autres villes de Sibérie. La plupart de ceux qui travaillent aux fileries , fonr des enfans de dix à quinze ans, qui s'en acquittent aufli bien que des hommes le pourroient faire. Démidov fait travailler tout ce qui en eft capable. J'ai vu à Néviansk des en-fans de fept à huit ans qui faifoient très bien des .talfes de laiton & d'autres vafes en Sibérie. 229 de ce métal. Ils font payés félon la nature de l'ouvrage auquel ils s'adonnent, font accoutumés de bonne heure à l'occupation , 6e deviendront fans doute ouvriers habiles. 11 y a près de cette fonderie plus de iîx cents maifons de particuliers dont la plupart font fur la rive occidentale. La montagne d'où l'on tire la mine , n'eit pas à plus d'un quart de lieue : elle en a environ rrois quarts de circuit, Se trente toifes de hauteur. Depuis le fommet jufqu'au pied, ce n'eft qu'une mine très riche , qui donne le fer le plus-liant. On l'a fuivie jufqu'à deux toifes Se demie au deifous du pied de la montagne , 6e-à cette profondeur elle s'eft perdue. Enrre les riions 5c fur-tout au haut de la montagne , on a quelquefois trouvé de très bons aimans. Démidov en a un qui pefe rreize livres , 5c foutient quarante livres rulfes. Parmi le minerai de fer , on en a trouvé qui contenoit du cuivre 5c paroilfoit alfés bon , mais à l'épreuve , il fut rebelle à la fonte , 5c l'on n'en tira qu'un cuivre très aigre. Les galleries font au midi , au nord Se à l'occident de la montagne : il y a quarante ans qu'on en tire de la mine » z$o Voyage ôc avant i'établiftement de cette fonderie de Kirghil, on la portoit à Néviansk. La manière dont on y travaille, paroît étrange à ceux qui la voient pour la première fois. Quelques hommes détachent la mine , 6c un grand nombre de filles & de garçons depuis huit jufqu'à vingt ans , la mettent par tas. La fonderie de Vouiskoï eft fur le ruilfeau de Vouia qui fe jette dans le Taghil du coté de l'occident. On l'a établie pour exploiter une mine de fer qui forme une montagne entière à une lieue à l'occident de la fonderie , 6c au nord du Vouia : on y trouve aufli une belle mine verte de cuivre , que l'on a exploitée long-temps, parce qu'elle étoit très bonne , 6c qu'on a abandonnée, lorfqu'elle a celfé de payer les frais. Afin que la fonderie de cuivre ne relie pas inurile , on y grille 6c on y travaille du cuivre noir de Kolivan. Le fer crud pour les martinets eft apporté de Nyno-Taghilskoi. On voit ici environ deux cents maifons répandues çà 6c là fur les deux bords du ruilfeau. J'y vis une poudre pour l'écriture , qui eft de couleur d'or, Ôe faite avec ime efpece de mica en Sibérie. 251 nommée talc d'oi ( 1 ). On le pile, enfuite on le crible afin d'en féparer la terre & i'argille qui s'y font attachées. On le prend à une lieue de la fonderie fur la gauche du Taghil , & l'on y trouve ca ôc là de gros grenats très médiocres. Je paifai enfuite à la montagne nommée en rulfe Medviedka , ou Medvé-chei-Kamen , qui eft à l'orient du Ta-ghil. Les Rullès nomment ainli toutes les montagnes que le Vogouliens appellent Hoba klping , ou Ielping-Koue. Ceux-ci leur adreffoient autrefois des prières , leur faifoient des offrandes ôc peut-être le font-ils encore en fecret , quoiqu'ils profeftent publiquement le chriftianifme : le mot vogoulien hoba fignilie un ours. Blagodat eft le nom d'une montagne qui fournir du minerai à la fonderie de Kouchvinskoï établie en 1735 fL,r le ruilfeau de Kouchva , aux frais du gouvernement Elle eft à d: mi-lieue au iud-eft de la fonderie , ôc de même Ci) Mica particulis lamellatis , ad angu-lum acuruin ftilacis. Linn. Syji, p. 1; j, fp. j. 2ji Voyage qu'elle furpalTe en circuit &c en hautenr toutes les montagnes des environs , la mine de fer dont elle eft compofée prefque en entier v eft fi riche & fi excellente qu'on l'a nommée Blagodat ou bon préfent. Elle a environ cinquante toifes de hauteur perpendiculaire. On y trouve en quelques endroits des aimans d'une affés bonne qualité : les meilleurs font près de la cime un peu vers le midi. Cette mine eft plus riche que celle du Taghil, & Ton prétend que le fer en eft de meilleure qualité. On me fir voir à cette fonderie deux moulins à fcier , dont l'un eft eonitruit à l'ancienne manière , <3e l'autre à la faxone : Ce dernier peut faire en un jour ce que l'autre fait feulement en huit. $£ Au printemps de 1741 on entreprit une mine qui eft au nord du ruiffeau de Polovinnaïa. Après plufieurs recherches on trouva une mine de cuivre alfés riche, &c un peu de cuivre natif, parmi plufieurs veines alfés courtes d'un minerai tougeâtre ( 1 ) , qui condui- ( 1 ) Cuprwm purpurafcens. Linn. Syft. f. ?. p. 178. Cuprum mineraiifatum, minera, fractura obfcuiè intente, molli. Cuprum vitrcum, minera cupri viuea. Wall. p. a81-, U 6, foient quelquefois à de belles pyrites. Toute cette montagne eit percée çà ôc là fans ordre ; il lemble que ces cavités aienr été remplies de mine. Celle qu'on y trouve eit félon la ftrucrure de la cavité quelquefois en perites veines , courtes ou longues, & quelquefois en filons interrompus. 11 n'eit pas pollible d'imaginer ici des lits iiorifontaux , ôc il paroît qu'on ne peut y travailler félon les règles ordinaires des mineurs allemands. Au fommet d'une montagne qui eft à. l'occident du Kouchva, on a trouvé une efpece de fourchette à trois pointes , qui eft du cuivre le plus pur, ôc ornée de quelques figures. Elle eft épaiffe à-peu-près comme le dos d'un couteau. Le manche eft rond un peu appiati, plus épais que le refte , & terminé par un bouton. Une autre fourchette toute pareille fut trouvée auprès de la fonderie Tcherno-lftorchinslcoï. Au haut d'une autre montagne que l'on vifitoit , on apperçut une pièce de cuivre pur, ovale , mince , à peine large comme la main , femblable à un petit bouclier un peu convexe d'un côté 6c légèrement concave de l'autre. 234 Voyage Sur la cime du mont Blagodat on trouva une idole vogoulienne , laite de fer, longue enviton de vingt pouces , parce qu'ils commercent beaucoup avec les Rulfes} la plupart des marchands de cette nation qui vont en Sibérie ou qui en reviennent , paifent l'hiver à Verkotourie , pour y attendte la fonte des glaces 6e la liberté du cours des rivières. Cependant on y trouve encore quelques hommes demi - fauvages qui croient à peine qu'il y a des humains hors de l'enceinte de leur ville. Le foir du premier décembre je vis; en Sibérie. 24? Urî très beau paraféiene : de chaque côtd de la lune il y avoit un crohTant; celui qui étoit à la droite du fpectateur , avoit beaucoup plus d'éclat } il étoit coloré comme l'arc-en-ciel, & jettoit à l'extérieur des rayons très lumineux parallèles à l'horifon. Celui de la gauche étoit pareil , mais beaucoup moins éclatant. On voyoit un cercle autour de la lune, environ â la diftance de quinze ou feize de fes diamètres, Se au-delfus, un arc lumineux , environ à vingt diamètres. Le paraféiene fut dans cet état durant trois quarts-d'heure : enfuire les deux; croidans devinrent très vifs , ôc les rayons qu'ils jettoient prirent les couleurs prifmatiques. Il parut un nouvel arc qui touchoir le cercle de la lune d la partie fupérieure, mais il étoit extrêmement pâle. Les rayons qui partorent des deux croilfans s'étendoient fuis cef-fe , de forre qu'embraifant tout le ciel ils formèrent un nouveau cercle dont la circonférence paffoit par la lune, ÔC étoit toute entière au delfous de cet aftre. L'arc qui touchoit le premier cercle paroilfoit être une image du fécond , ôc l'arc fupérieur, une image du premier. Il y avoir aufli à la circonférence du fécond ôc plus grand cercle , deux L 17 14$ V o * À g 1 images de la lune , qui paroiflToîent formées par la réflexion des deux premières imiges, ôc étoient précifément au-deflbus d'elles, ôc à même diftance. Tout le côté du paraféiene qui étoit à la droite du fpe&ateur, fut toujours beaucoup plus brillant. Ce nouveau fpeéta-cle dura une demi heure , enfuite il s'affaiblit peu à peu , & il ne refta autour de la lune qu'un ce* de blanchâtre qu'on voyoit encore à onze heures du foir. Nous eûmes enfuite pendant quatre jours un vent de n?rJ affés doux } le froid augmenta continuellement , de forte que le huit décembre , le thermomètre de Delifle marquoit i 90 degrés , c'eft à-dire treize degrés au-deflbus de o félon la divifion. de Fahrenheit. En quittant Verkotourie nous voulûmes mefurerj parle moyen du baromètre , la hauteur des montagnes voifines , qu'on nomme montagnes d'Oural , ou montsRyphées. Dans le village de Kyria qui eft à l'oueft de la montagne, mais non pas au fommet, M. Mutiler obfer-va le 4 décembre ( 174- ) que depuis huit heures du matin jufqu'à deux heures après midi, la hauteur du baromètre fut de 16 pieds de Paris ôc ffa te- en Sibérie. 249 même jour, aux mêmes heures , elle fuc à Verkotourie de 2763 à 2753. Nous nous rendîmes à la fonderie de Lialinsk , fituée fut le ruilfeau de Liala , & fur celui de Kamenka , qui s'y jette : on y fait du vitriol de cuivre. Il y a aux environs deux mines éloignées Tune de l'autre de cenr roifes feulement ; on n'y peut pas travailler en hyver , mais , on en apporre le minerai â la fonderie pefldant cette faifon : il rend environ deux pour cent. La mine relfemble a une belle pyrire jaune : elle fe montre en petites veines fans ordre, mêlées d'un quarts noirâtre quia une propriété toute particulière} il devient peu-à peu gris comme une argille , enfuite blanc Ô£ diaphane comme l'eau , ôc femblable à une blende. Cette mine étant fondue contient une autre matière qui relîemble au volfram ( 1 ), mais eft plus pefante que cette mine de fer ôc que le cuivre : on n'en connoît point encore les propriétés. A douze lieues de cette fonderie. (1 )Ferrum intiadabile fîbris planiufcuîis senttalibus candidis. Linn, fy/t. Nai. fp, 5 y 25o Voyage on a trouvé une autre mine verdâtre * Se rrès'Temblable à une argille pétrifiée , qui eft cendrée, rougeâtre, ôc trouée par endroits. On l'a nommée mine deNias-minsk, parce qu'elle eft au voifinage du runTeau de Niafma : elle donne à la fonte peu de feories ôc beaucoup de cuivre noir. On en a ttouvé une autre près du village de Laptiev, au mont ragoufin,. qui tient du fer ôc un peu de plomb , mais le manque d'ouvriers empêche qu'on ne l'exploite. ^ipiiiiiiMnnfnin..... i 'i " '""I " ' il r—iTTrriTrr-Ti-M » \nm CHAPITRE LXXIX. Obfervatlons fur la hauteur du baromètre. Mercure prétendu gelé. Solikams-kaïa &c. J'Obfervai au village de Spaskoï-Selo la hauteur du baromètre , Ôc je la trouvai de 16 pieds de Paris ôc En-fuite ayant gagné la cime du mont Pavda qui eft environ le tiers de la montagne d'Oural en hauteur, le baromètre marqua durant deux heures 253:. Il n'y eut dans tout ce jour ni auctin vent, ni le moindre changement dans l'air, mais il faifoit ejttrêmeawnt froid : « e n Sibérie. 25 i thermomètre de Delille étoit à 201 , c'eft-à-dire, à vingt-fix degrés au-deffous de o félon la divilion de Fahrenheit. Je continuai de monter , Se parvins au village de Kyria. Depuis quatre heures jufqu'à la nuit le baromètre fut à 1601. Je paffai enfuite au village de Koftios, 8e j'y obfervai mon thermomètre à 214 degrés, ou 41 degrés au-deffous de o. Ce village eft compofé de-dix-huit maifons. Les payfans qui l'habitent , fe plaignent beaucoup du grand froid , 6c diïent que le bled y mûrir rarement. Leur principale nourriture eft le gibier qui eft ailés commun dans les environs 5 on y trouve fur-tout beaucoup d'élans : en moins d'une demi - heure on m'en offrit une douzaine. Le raufeau & la langue de cet animal paffent dans le pays pour un manger délicat. Au-delà de Koftios le chemin eft très-montagneux , Se le grand froid nous le' rendit extrêmement pénible. Au village de Kofva mon thermomètre mar-quoit 2 3 3 degrés, ou félon Fahrenheit p 69 degrés ^~ , au-deffous de o : il y avoit continuellement un léger brouillard tel que je l'avois fouvent obfervé pendant les grands froids. A deux lieue* & demie au-deifus de ce village, il y ai 252 Voyagé une haute montagne appellée Voftrï Kamen, ou le rocher pointu : on y trouve encore plus d'élans qu'à Koftios, ôc les payfans des environs préfèrent la, chaffe à l'agriculture. Je paifai enfuite une montagne nommée Koffaïa Gora , 6c gagnai le village" de Tchikman fur le ruilfeau de même" nom , qui fe jette à quatre lieues delà dans la rivière de laïva. Autant qu'on pouvoit en juger , il fembloit que le froid n'avoit pas celfé d'augmenter , 6c le thermomètre l'indiquoit : le mercure s'étoit retiré tout entier dans le grand cylindre inférieur} cependant les divisions du petit tuyau alloient jufqu'à 26a ou 9 5 7V0 au-deffous de o félon Fahrenheit. Quand même mon infiniment n'auroit pas eu toute la jufteffe poftible, il ne feroit point defcendu aufli bas par tin froid ordinaire , 6c l'on ne peut pas douter que celui-ci ne fut des plus vifs. II me fait reflouvenir que durant mon féjour à Iakoutsk un homme qui s'eft acquis quelque réputation dans le monde favant par fes obfervations météorologiques , m'écrivit que le mercure de fon baromètre étoit gelé. Je me rendis auf-li-tôt chez lui , pour voir ce phénomène jufqu'alors inoui. Quoique mon loge- e # Sibérie^ ftient fut afTés éloigné du lien, je ne fentis point dans ee trajet un froid extraordinaire , & je commençai à douter de cette congélation. J'arrivai & vis en effet que le mercure n'étoit plus continu , mais' flottoit çà &c là dans le tuyau en petits cylindres qui paroiffoienr gelés. En regardant plus attentivement, j'ap-percus entre les cylindres un peu d'hu-midiré congelée. J'imaginai aufîi-rôtque ce metcure ayant été lavé avec du fel & du vinaigre , n'avoir pas été fufrifam-ment féché , & mon obfervateur m'avoua qu'en effet il avoit été lavé de cette manière, mais qu'il ne favoit pas s'il avoit été bien féché. Pour fe convaincre du fait & de l'erreur , on expofa du mercure long-temps à l'air libre , par le plus grand froid & du côté du nord , dans des vaiffeaux plats , &c l'on n'y ob-ferva pas la moindre congélarion. On ota aufli de fon tuyau le mercure prétendu gelé; après l'avoir fait fée lier avec foin, on le remit dans le même tuyau , & quoique le froid augmentât beaucoup», il ne gela plus. Je m'arrêtai quelque temps à Solîw fcamskaïa , ville confidérable , fituée fur les deux rives de la rivière d'Ouffol-fcaj elle a environ fix cents maifons bâ- at 5 4 Voyage ties en bois, donc la plupart font tre$ commodes, ôc plufieurs bâtimens publics , tels que des églifes , un hôpital pour les hommes , un autre pour les femmes , des bains , des falines. Les habitans font accoutumés à commercer avec les Rulfes : leur fociété ne nous déplut pas , mais nous fûmes fur-tout fatisfaits des procédés de Démidov fils du chancelier d'état. Sa femme n'a pas moins de civilité que lui -, leurs enfans font élevés d'une façon rare en ce pays y par leurs manières, leur politelfe, leurs connoilfances ôc leurs talens , ils font fort au-deifus de ce que font ordinairement les enfans de leur âge. Ce Démidov eft verfé dans l'hiftoire naturelle , & fur-tout dans la botanique : il a un très beau jardin ôc une orangerie vraiment royale, eu égard à la rigueur du climat. Nous vîmes dans la même ville-un autre homme très eftimable nommé Fourtchéninnov. Il avoit autrefois un emploi dans les douanes , mais un riche mariage lui a procuré un état plus avantageux. Il poflëde plufieurs falines» mines ôc fonderies , tant aux environs de Solikamskaïa que plus loin dans la Permie , ÔC venoit d'obtenir un privilège pour faire ôc mettre en œuvre un me- !m Sibérie-.. taî malléable , de couleur d'or. Il en fît un effai devant moi, ôc m'affura qu'il, n'entroit dans certe compolirion que cia-cuivre & du zinc , ôc qu'elle ne devoir la malléabilité qu a un tour de main qu'il falloir employer durant la fufion* En effet le laiton ne doit fa couleur qu'au zinc , puifque la cadmie n'eft qu'une efpece de mine de ce métal, ôc que le laiton eit malléable. Mais après en avoir fait plufieurs elfais , je regarde comme très difficile d'employer ce tour de main de manière qu'au gré de l'ar-tifte , le mélange du zinc avec le cuivre donne un métal malléable , ôc jaune-foncé : j'y ai réufli quelquefois fans en> appercevoir la caufe. Le fel fourni à la Rufîîe parles falines de ce canron , & en général par celles, de laPermie,ett regardé comme le meilleur. II y en a un très grand nombre ,, ôc celles qu'on nomme Novo-Ouffolie , font les plus confidcrables. Lorfque l'on creufe des puits pouf les falines, fi l'on rrouve une argille grife, c'eft un très bon figne. Dans celles de Solikamsk a cette argille contient de petites marcaf-fites cubiques , ]e couleur d'er prie : a Stro^anov &c Piskore elle eft enr;ere-*nent j. ure , quoiqu'elle ait une odeuc 2,$6 Voyage de foufte plus forte qu'à Solikamsk. L* terre grife eft un figne certain de la, proximité des fources falées , mais on-regarde aufli comme une marque alfés fûre celle qui devient laiteufe pendant la chaleur , de quelque couleur qu'elle foit. La terre rougeâtre indique qu'on eft loin des fources falées. La terre de Soli-kamsk étant fort légère, il eft facile d'y creufer des puits , mais les parties de cette terre ayant entre elles peu de cohérence , elle tombe facilement, bouche les canaux des fources, ôe fouvent il en coûte beaucoup pour les nettoyer. Celles de Stroganov 6c de Piskore étant au contraire en un tetrein ferme n'ont pas le même inconvénient, 6c peuvent être en bon état durant cinq ou fix années. On remarque aufli en général que les puits ont d'autant plus d'eau , de fel ôc de dutée qu'ils font plus profonds. 11 y en a qui ont jufqu'à trentre-trois toifes de profondeur. On voit aufli à Piskore une fonderie de cuivre , où le minerai eft apporté de huit mines différentes. Depuis le village de Vilvinskoï juf-ques à Kaigorodok nous traverfâmes un défert couvert de bois de fapins ôc de peupliers : plus près de ce dernier en- în Sibérie. 277 droit on trouve des pins Ôe des meleïes. Dai s tous les fuifleaÛX que nous trouvâmes fur cette route, il y avoit des écre-viffes longues environ de quatre ou cinq pouces. Kaigorodok elf une petite vdle de la province de Viark & du difrndt de Caian : elle eit fur la rive gauche dut Kama , Ôe traverfée par un petit ruiffeau qui n'a pas paru mériter qu'on lui donnât un nom. Il eft rare que les étrangers y foient bien traités : fur le plus léger Sujet les habitans leur cherchent querelle ôe fe font tout payer quatre ou cinq fois. Ouftioug Vélikoï eft une ville du diftrift d'Ârkanghel : elle eft fituée fur la rive gauche de la rivière de Soukone, environ un quart de lieue au - deifus de fon embouchure dans l'Ioug. La communication qu'elle a par eau avec les villes d'Arkanghel 8e de Vologda , rend fa pofition très favorable au commerce : la plupart de . fes habitans font marchands , & quelques-uns ont fait une grande fortune. La Dvina rivière formée par la réunion de celles d'Ioug ôe de Soukone fe jette dans la mer glaciale à fept lieues au-defïbus d'Arkanghel, Ôc porte par-tout les plus grandes barques. La Soukone a toujours ailés d'eau, fur- i$8 Voyage tout au printemps , 6k porte bateau jufqu'à Vologda, On defcend ces rivières fur des barques , 6c on les remonte fur des dotchennikes : leur cours eft fi rapide 6c le corps des barques eft fi large , qu'elles ne pourroient pas les remonter. Quelques habitans de cette ville font allés riches pour ne boire que du vin. Le poiifon y eft abondant ; mais on y a fur-tout de très belles brèmes 6c des ttui-tes fuimonées , 6c l'on y apporte d'Arkanghel > des ftokfiches , des faumons, des éperlans , des harengs , des turbots. La Soukone 6c la Dvina fourniffent aufli des écrevifles : les fruits n'y mûriffent pas tous les ans , 6c cela ne doit pas fur-prendre j la hauteur du pôle y eft de 6i degrés quinze minutes. La ville de Vologda , de laquelle je viens de parler , étoit autrefois ap-pellée Nafon : elle eft fur les deux rives de la Vologda. On y voit encore fur la rive droite les rcftes d'un château de pierre que le czar Jvan Vafilovits lit élever , lorfqu'il forma le deffein d'établir, fa réfidence en cette ville. On y compte feize cents foixante 6c quatorze maifons , qui occupent le long de la Vo-Jogda environ une lieue 6c demie : elles ! n Sibérie. font prefque toutes habitées par des marchands, 11 fe faifoit autrefois dans cette ville un très grand commerce, mais elle n'en fait plus qu'avec Arkan-ghel. On y defcend fur de grolfes barques qui portent ordinairement du chanvre , du goudron, du talc, de la po-talfe , des nattes d'écorce de tilleul , & l'on en rapporte des marchandifes étrangères que l'on revend à bas prix ; cependant elles ne font pas communes ici, parce qu'il eft rare que chaque marchand en rapporte plus qu'il n'en faut pour fon ufige Se celui de fa famille. 11 y a toujours eu dans Vologda , un quartier ou fauxbourg habité par des Allemands Se des Hollandois , Se il augmenta confidérablement, lors de la prife de Nerva. Prefque rous les habitans de cette ville ayant été transférés ici , culriverent la terre , acquirent peu-à-peu plus de liberté , rirent des érabliffemens , Se obtinrent enhn un prêtre luthérien , pour célébrer avec lui l'office divin. Pierre le grand ayant pen-fé qu'il feroit plus avantageux de repeupler Nerva , leur permit d'y revenir : mais , comme ils s'étoient accoutumés a leur nouveau féjour , la plupart n'ufe-rent point de la peimilîion qui leur étoiç %6o Voyage accordée ; il fallut les y forcer : quelques ramilles obtinrent avec peine de lutter à Vologda. On y avoit encore trente maifons habitées par des Allemands , lorfquun incendie les réduiftt en cendres avec plufieurs maifons rulfes. La plupart y perdirent tout ce qu'ils avoient, 6c il n'en refte aujourd'hui que quelques familles qui occupent fix maifons. Après avoir palfé devant quelques lacs , nous arrivâmes à celui qu'on nomme Bieloie ofero, ou lac blanc. Il s'étend de l'orient à l'occident, ou de la rivière de Chokfna jufqu'à celle de Kovcha, environ fur douze lieues de long de fix de large. Il reçoit un grand nombre de ruiffeaux , 6e la rivière de Chokfna eft la feule qui en forte. Lorfque l'air eft calme , l'eau de ce lac eft fi pure que l'on diftingue les pierres du fond, quoiqu'il ait beaucoup de profondeur ; mais dès qu'il y a un peu de vent, il s'y délaye une argille fine qui rend l'eau blanchârre , de forte que la Chokfna qui fe jette dans le Volga , en fait paraître les eaux toutes noires, 8e forme long-temps entre elles une trace blanche. Ce lac eft fort poiiTonneux : les plus petits poiffons qu'on y prenne fonr les fnetki, que l'on tranfporte en hyvec en Sibérie. 2£r dans coure la Rullie , ôc qui font Lm affés bon manger. On y trouve de plus différentes efpeces de poifïbn , & entre autres d'excellentes perches : il eft aufli très riche en écreviffes. La ville de Bie-lofero s'étend le long du lac fur un quart de lieue de longueur : elle a environ cinq cenrs maifons, Ôc prefque tous fes habitans font marchands. On la nommoit autrefois Sofnovets , ôc l'on dit qu'elle a été fituée en trois endroits différens. La premier ville, où Sinéus a rélîdç, étoir fur le bord feptentrional du lac , vis-à-vis l'endroit où elle eft actuellement , à la diftance de douze lieues. Vladimer le grand la fît rebâtir à l'embouchure de la Chokfna, d'où elle fut tranfportée, il y a environ rrois cenrs ans , à l'endroir où elle eft aujourd'hui. La pofirion en eft affés agréable , mais certe ville ôc fes environs font un peu incommodés par les garnifbns des cofaques ôc des kalmouckes , dont les lifages ôc les mœurs foldatefques à l'excès ne s'accordent point avec ceux des hommes civilifés. On trouve à quelque diftance le mo-naftere de Novof-tsk, dont les moines font accroire aux payfans de leur voifi-aage que les lacs du Novoïe, Dolgoïq i6i Voyage ôc Siévernoïe s'enflent quelquefois de forte que la fut lace cle leuts eaux vient au niveau des toits des maifons , fans qu'ils s'étendent dans la campagne Se l'inondent, quoique leurs bords foient ttès bas : ils ajoutent que ce prodige la-lutaire efl: du au bon faint Nicolas à qui leur églife efl: dédiée. Je paifai enfuite plufieurs bourgs ôc villages , ôc j'atteignis la Kirpichnie Sa-vodi, ou Briqueterie. Enfin après dix ans de voyage , pendant lefquels j'ai fait près de huit mille lieues , j'arrivai à faint Péterbourg , le 17 février 1743, Ôc je rendis au ciel les plus finceres actions de grâces, de m'avoir confervé durant un voyage fi long, fi pénible Ôc quelquefois u dangereux. en Sibérie. Navigations & découvertes, faites par les Ruffes dans la mer glaciale j & dans la partie feptentrionale de la. mer du fud. LA partie feptentrionale de TAlie, étoit à peine connue, quand Pierre I. mon ta fur le trône : on la comprenoit toute alors fous le nom deTartarie, Ôc l'on n'avoir efïayé d'y pénétrer qu'à def-fein de forcer les peuples de ces contrées à payer un tribut. Il parut important au czar de connoître cette partie de la terre, ôc de s'affurer fi l'Amérique 6c la Sibérie ne formoient qu'un feul continent. Deux vaiffeaux équipés pour cette entreprife partirenr d'Arkanghel, paf~ ferent de la mer blanche dans la mer du nord, ôc delà dans la mer glaciale. Un d'eux fut arrêté par les glaces : on n'a point eu de nouvelles de l'autre qui, fans doute, périt. Au commencement de 1719 , le czar envoya deux gcodefiftes ou arpenteurs, à la prefqu'île de Kamtchatka. Il leur donna une inf-tmétion que lui-même avoit dreffée, & qui demeura fecrete. Tous les ofi- a£4 Voyage^ ciers commandans en Sibérie eurent ordre de leur fournir les fecours qu'ils demanderoienr. Ces deux hommes ayant pris terre à une des îles kouriles revinrent à Okhotsk y l'un d'eux s'étant mis en route pour fe rendre auprès du czar, ôc l'ayant trouvé à Cafan, au mois de mai 1721» lui rendircompte de fa com-milîion,ôc lui préfenta une carte des îles kouriles dont il avoit longé la côte. Le czar parut fatisfait , mais on ne fut point l'objet de ce voyage. Quelques-uns ont cru que c etoit la reconnoif-fance d'une de ces îles où l'on difoit que les Japonois alloient prendre une terre métallique. Toujours occupé de fon projet , le czar lit donner ordre a M. Béering, capitaine de vailfeau , de fe .rendre à Kamtchatka , avec deux lieu-tenans de vaifleau , ôc des ouvriers, d'y faire conftruire deux bâtimens , de naviguer delà vers le nord , en fuivant les côtes > d'y mettre à terre pour les recon-jioître, ôc d y chercher quelque port appartenant aux Européens : mais la mort enlevant ce grand homme aux Rulfes, interrompit ces préparatifs. L'impératrice , fon époufç , monta fur le ttône : animée par le même efprit, elle voulut remplir les vues de ce prince. Peu en Sibérie. zgj-Peu de temps après fa mort ôc dans le même hiver, les mémoires qu'il avoit dreifés, furent remis à M. Béering, avec un ordre -de fe rendre à Kamtchatka. II partit de Péterbourg au commencement de 1725 , féjourna un an dans la Sibérie pour y ralfembler des ouvriers & des vivres, ôc s'étant mis en route au printemps de l'année fuivante , il arriva le icr. Janvier 1717a Okotsk , ôc fe rendit peu de temps après à l'embouchure de la Kamtchatka. Il y fît conftruire une chaloupe , de l'efpece des paquebots en ùfage dans la mer baltique , fit voile au nord-elr,pafia devant l'Anadir, ôc ne perdit pas de vue les côtes de Kamtchatka : il en dreifa une carte qui paffe pour la meilleure qu'on ait de ces côtes. Le huitième août, à la hauteur de £4 degrés trente minutes, on apperçut du bâtiment huit Tchouktchis dans un canot de cuir. Le capitaine leur fit parler par un interprere koriaque , ôc les fit invitera venir abord; un deux s'y rendit à la nage , foutenu par d'eux outres de peau de chien marin , attachés à une perche, ôc peu après le canor aborda. M. Béering apprit d'eux qu'en fuivant la côte il trouveroit une île peu éloignée du continent, ôc que plus loin la côte Tome IL M i£6 Voyage tournoit à l'oueft. En effet il eut le i o août la vue de cette île, ôc n'y apperçut que de chétives cabanes de pêcheurs, tchouktchis. Lorfqu'il fut à foixante-fept degrés ôc demi de latitude , il vit un cap derrière lequel les cotes s'étendoient vers l'oueft, 6c croyant qu'elles continuoient dans la même direction , ôc qu'il étoit parvenu à l'extrémité de l'Alie au nord-eft, il crut avoir exécuté les ordres qu'il avoit reçus ôc s'occupa de fon retour. De fortes raifonsl'y déterminèrent. S'il eut continué de courir au nord, les glaces pou-voient le furprendre, les brumes l'empêcher de voir, les vents l'éloigner du Kamtchatka , ôc l'expofer foit à fe brir fer fur une côte où il ne connoilfoit ni port ni rade , foit à périr à terre ou faute de bois , ou par la main des Tchoukchis que les Rulfes n'avoient pu foumettre. Il aurait fallu fans doute , pour braver ces dangers , un courage ex-craordinaire. M. Èéering ne voulant point expofer fon équipage , revira donc, ôc reprît la route du Kamtchatka. Il fut rencontré par des Tchouktchis , qui lui ayant fait un préfent de chair de rené, de poilfon , ôc de dents de cheval marin, reçurent de lui des ai- en S I b£Kf 1». xC)y guilles, des briquets, du fer ils y reconnurent i73 Voyage aufluôt leur pays qu'ils nommèrent Ni-phon. En fe retirant ils fe courbèrent de nouveau , & donnèrent toutes les inarques de fatisfaction qui étoient en leur pouvoir. Delà , courant au nord-elt, il mouilla devant une grande île à 45 de- frés 50 minutes. Les habitans relfem-loient aux Kouriles , ôc parloient la langue de ce peuple , mais tout leur corps étoit couvert d'un poil alfés long. Ils portoient des habits d'étoffe de foie de plufieurs couleurs , qui leur tom-boient jufqu'aux pieds. Quelques - uns étant venus fur le vaiffeau fe mirent à genoux les mains jointes fur la tète ôc s'inclinèrent devant les préfens qu'on leur ht, ainli que devant un coq qu'ils apperçurenr à bord. Le capitaine croyant t-tre allé jufqu'au Japon , ôc avoir déterminé la pofition de ce pays, pat rapport au Kamtchatka , vint défarmer à Okhotsk , ôc palfa l'hiver à Iakoutsk. Mais lorfqu'on eut vît fon journal à Pé-terbourg, on foupçonna parla route qu'il avoit tenue, qu'il pouvoit avoir mis à terre aux côtes de Corée , parcequ'on attribuoit alors au Japon , à peu près la même longitude qu'au Kamtchatka. O» lui ordonna de faire un fécond voyage §n corûirmation du premier. 11 l'entre- en Sibérie. xvcy prit en 1741 & 174* ? mâiS f°n vanTeau confirme à la hâte avec du bois qui n'étoit pas fec, ht eau & l'obligea au retour. Le bâtiment qu'une tempête avoit fcparé de Spanghenberg, étoit commande par le lieutenant Vairon. Celui-ci réioiut de faire voile vers le Japon, 3c apperçut cette terre le 16 août à 53 degrés 17 minutes. De la première des îles kouriles jufqu'au point où il étoit , il trouva en longitude une différence de 11 degrés 45 minutes. Le 17 juin Val* ton apperçut trente-neuf bàtimens japo-nois à voiles droites, de toile de coton , dont les unes étoient bleues, d'autres bleues & blanches, quelques-unes toutes bleues. Il en fuivit un dans l'efpérance d'être conduit à un port. En effet il eut bientôt la vue d'une ville qui s'é-rendoit fur le rivage , l'efpace de demi-lieue. Un bâtiment japonois s'étant approché , ceux qu'il portoit , invitèrent les rufies à venir à terre. Valton y fin paifer (on fécond pilote nommé Kr./imé-rov , & fon quartier-maître avec fix fol-dats armés.. Lorfque la chaloupe approcha de terre , un grand nombre de petits bàtimens l'entoura : les rameurs japonois , nuds jufques à la ceinture , mon-ttoient aux Ruffes des pièces d'or, fans i8o Vôtagb-doute pout exprimer qu'ils defiroient des marchandifes. Le peuple étoit accouru fur le rivage } il s'inclina tout entier , quand les étrangers arrivèrent. Deux tonneaux vuides que portoit l'ef-quif, furent mis à terre par les Japonois même, ôe rapportés pleins d'eau. Kafime-rov entra dans la maifon où fes tonneaux furent portés. On l'y reçur avec beaucoup de politelfe , 6c on lui lit préfenter dans des vafes de porcelaine du vin, des raifins , des pommes, des oranges 6c des raiforts confits dans le fucre. La même collation lui fut offerte avec du riz cuit, dans une autte maifon. Tout lui parut dans cette ville, propre ôe bien réglé : dans la campagne on cultivoit du froment ôe des pois. Kafimérov étant de tetour au rivar/e vit devant fa chaloupe deux hommes qui avoient le fabre à la main. Ceci lui parut fufpecT; , ôe lui fit hâter fon retour. Cependant c'étoit fans doute la même ptécaution que le capitaine avoit prife en envoyant à terre fix hommes armés. Un grand nombre de bàtimens entoura de nouveau la chaloupe, Dans l'un d'eux il y avoit un homme vêtu d'une riche étoffe de foie. Le refpec"t que tous les autres lui témoignoient firent penfer qu'il étoit le gouverneur de la ville. Il vint à bord du vaiffeau, Ôc fit préfentà Valton d'un vafe rempli de vin. Valton fit offrir à boire ôc à manger à lui Ôc à tous fes gens , ôc l'eau de vie parut être ce qui leur plaifok le plus. Les Japonnois achetèrent tout ce que les Rulfes voulurent leur vendre, même de vieux ha-billemens, ôc payerenr en leur monnoie de cuivre, percée au milieu ôc enfilée. Le gouverneur s'érant retiré , Vairon qui voyoit le nombre des bateaux augmenter fans ceffe autour de lui , fit lever l'ancre ôc mettre à la voile. Après avoir mouillé , ôc fait eau en quelques endroits de la même côte, il courut à l'eft, pour eifayer d'y voir quelque terre 'y mais n'en découvrant aucune , il reprit la route d'Okhotsk, où il rendit le bord le 21 août. Son voyage confirmant les ré-fultatsdeSpanghenberg, qui ont été fortifiés d'ailleurs par de nouvelles preuves on ne doure plus que ces deux navigateurs n'aient déterminé avec jufteffe la pofition du Japon. Béering ôc Tchirikov partirent d'Okhotsk le 4 feptembre 1740.Ils dévoient faire la même route , ôc montoient chacun un vaiffeau , afin de pouvoir en cas d'accident 5 fe donner des fecours plus lîi Voyage prompts. Ils n'entrèrent point dans la Bolchaïa, comme on a coutume de le faire en venant d'Okhotsk , mais fans s'arrêter, ils doublèrent la pointe méridionale du Kamtchatka , en palfant entre cette pointe Se la première des îles Kouriles. Dans ce détroit dont le fond Se les bords font de roc , Béering eut une forte marée qui le mit en grand danger : une heure Se demie plus tard Tchirikov le palfa fans peine. Us relâchèrent à un golphe nommé Souatchou par les Kamt-chatkains , Se Avatcha par les Rulfes. On y trouve trois porrs très grands : le plus périt qui fut choifi pour y mettre les navires , fut nommé Petro-Paulovs-ka, ou port de faint Pierre Se de faint Paul , Les capitaines commandans la flotte rirent tranfporter des vivres à Bol-cheretskoï , mais ce ne fut pas fans peine : dans ce pays, faute des chevaux , on attelé aux traîneaux les chiens , Se il en faut huit ou dix pour fuppléer à un cheval. Ils y palferent l'hiver Se fe préparèrent à faire voile au printemps. Cependant Béering , incertain de la route qu'il devoit tenir, alfembla le 4 mai 1741 , tous les officiers de marine qui l'accompagnoient. La carte de Delifle , que le fénat leur avoit remife, pour les en Sibérie. guider , ne préfenroit aucune terre à l'eft, mais feulement au fud-eft, les prétendues terres vues par Juan deGama: ils réfolurent de les chercher vers cette latitude , Ôc de fuivre enfuite les cotes au nord : funefte réfolution , qui fut caufe de leur défaftre. lis ne réfléchirent pas qu'en cherchant les côtes d'Amérique que les Kamtchatkains difoient être voifînes de leur pays, & les fuivant en-fuhe à l'eft & au fud , ilsauroient trouvé un climat d'autant plus doux , ôc une mer d'autant moins dangereufe qu'ils avanceroient davantage. Béering avoit à fon bord un adjoint de l'académie desfeiences, ôc Steller médecin ôc naturalifte. Delïlle de la Croie-reétoit avec Tchirikov. Les deux capiraines mirent à la mer fe 4 juin 1741. Ils portèrent au fud-eft ôc continuèrent par même air de vent , jufqu'au 4réfenterent avec leur calumet deux de euts bonnets ôc une figure humaine faite d'os. Le vent ayant augmenté les obligea de retourner promptement à terre. Béeting leva l'ancre le 6 feptem-bre , ôc eut d'abord un alfés bon vent : on a obfervé que celui d'oueft règne conftamment en automne dans ces parages, Le ciel étoit toujours embrumé. On (i) Un des Ruffes a prétendu qu'en pronon» çant à ces Américains les noms de l'eau & du bois, qui font dans le recueil de la Hontan, il s'en étoit fait entendre, & qu'ils lui avoient montré aullitôt de l'eau & du bois. Ce fait n'eft point avéré, & Muller qui le rapporte, a rai-Ion de le révoquer en doute : mais les rajfon-nemens par lefquels il cllaie de le détruire , font peu convainqtians. La Kontan peut en avoir impofé fur plufieurs faits, & avoir donné les véritables noms américains de l'eau Se du bois, & je ne vois pas pourquoi un Européen , & fur-tout un François , concevroit & ccriroit plus difficilement qn'un autre homme, quelques mots de la Langue américaine. Tome II. fi j^o Voyage étoit quelquefois deux ou trois femainetf fans voit le foleil Se les étoiles , Se Tonne trouvoit par-tout vers le nord, qu'îles ôe côtes. Béering voulut les éviter en tirant davantage au fud. En effet y durant quelques jours , la mer parut libre. Ce bonheur eut peu de durée. Le 24 ieptembre à la hauteur de 51 degrés 27 minutes , & à 21 de longitude d'Avat-cha, il apperçut dans les terres, de hautes montagnes , Se une côte bordée d'un grand nombre d'îles. Peu après il s'éleva une rempête furieufe qui dura dix-fept jours, Se le repoufla quatre-vingt milles en arrière. Un vieux pilote qui i'ervoit depuis cinquante ans, dit que c'étoit la plus terrible qu'il eut elfuyée. Le calme revint le dix-huitieme jour 5 on n'étoit alors qu'à moitié chemin , à compter depuis le terme de la courfe à l'eft jufqu'au port d'Avatcha. Quelques-uns confeilloient d'hiverner en Amérique y d'autres furent d'avis de faire un dernier effort pour gagner le Kamtchatka , difant que lorfque l'efpérance en, feroit perdue, on auroit le temps d'aller ailleurs. Le mois d'octobre s'écoula aufli in-fructueufement que les précédents. Le 25 & le 30 de ce même mois, Béering en Sibérie. eut la vue de deux îles : s'il eur continué de courir à l'oueft , il arrivoit au port en deux jours : mais croyantrecon-noîrre les deux premières des îles Kouriles , il porra au nord. Les provilions de bouche étoient extrêmement diminuées, l'eau près de manquer , les voiles rompues , la moitié des agrêts hors de fervice. Les matelots les moins malades traînoient ceux qui pouvoient à peine fe foutenir à l'endroit où ils pouvoient être de quelque utilité. Les pluies , la grêle en Sibérie. 2^ Le fcorbut ôc le manque d'eau en firent périr vingt ôc un, enrre autres, deux lieu-tenans dont Tchirikov faifoir cas, Likat-chov ôc Plautin. Lorfque l'eau douce diminua , on voulut deilaler l'eau de rner en la diftillant, ôc l'on y réuiîit ; mais cette opération ne lui ôtapointfon amertume. Cependant on fut obligé d'en faire ufage , ôc de la mêler par moitié à l'eau douce qu'on avoit encore. Les pluies étoient pour l'équipage le plus précieux de tous les biens. L'ufage de l'eau de mer augmenta la maladie. Tchirikov en eut des fymprômes dès le 20 feptembre , mais la diene ôc l'air de terre le rétablirent. La Croyere n'eut pas ce bonheur ; après avoir fupporté toutes les fatigues du voyage avec une force ôc une fanté furprenanre , i! mourut le dix octobre en entrant au port d'Avatcha. Dès l'année 1636, les Rulfes avoient commencé à naviger fur la mer glaciale. Ils s'avancèrent peu à peu vers l'eft , ôc commercèrent avec les Tchouktchis. En 1^48 quelques petits bàtimens allèrent jufqu'au cap Tchoukotskoï ; fe perdirent de vue , ôc l'un d'eux fut jette par la tempête au fud de l'A nadir. Ceux qu'il portoit, remontèrent cette rivière, Se trouvèrent un petit peuple, qu'ils voulu- N vj 'aoo Voyage rent obliger à payer un tribut. Les Anau-jis , ( c'étoit le nom de ce peuple) , re-fuferent de donner ce qu'ils ne dévoient pas j mais comme ils croient peu nombreux ôe moins forts, les Rulfes les exterminèrent, Se crurent avoir fervi leur patrie. La nation rulfe n'étoit point inconnue aux Kamtchatkains , lorfqu'en 1697 Voledimer Atlaifov fit la conquête de leur pays, llsditent alors que long-temps auparavant , il y étoit venu un Rufte nommé Fédotov , avec quelques autres, qu'ils s'étoient matiés 6c avoient vécu parmi eux , mais qu'il n'en exiftoit plus. Ce Fédotov montoit un des petits bàtimens dont je viens de parler. Quelques Rulfes ont prétendu avoir découvert une grande île dans la mer glaciale , mais tout ce qu'ils en ont dit, eft fabuleux, Ôc les dernières navigations faites dans cette mer par des officiers habiles 6c dignes de foi , ne permettent prefque plus de croire que cette île exifte. LesCofaques envoyés de temps en temps aux Tchouktchis , pour les engager au payement d'un tribut, en ont rapporté les particularités fuivantes, 6c quelques hommes de cette nation , venus au fort d'Anadirsk ont confirmé leur récit. / en Sibérie. ^of n'ont ni loix ni magiftrats , jurent par le foleil j ou parleurs chamanes ou devins, vivent prefque tous errans , parce qu'ils ont des troupeaux de renés. Ceux qui n'en ont point, habitent fur les bords de Ja mer des cabanes couvertes de terre, & mangent du gibier, du poilîbn , des herbes Se des racines. Vis-à-vis de leur promontoire , il y a une île habitée par un peuple dont les mœurs Se la langue différent des leurs. Les Tchouktchis font fouvent la guerre à ces infulaires. Les armes de ces deux peuples font l'arc & les flèches. Ceux-ci ont les joues percées , Se y pafTent des dents de vache marine. Du promontoire des Tchouktchis , on peut aller à cette île en un demi-jour pendant l'été , en des baidars ou barques faites de côtes de baleine Recouvertes de peau de chien marin. On peut aulîi durant l'hiver s'y rendre en un demi-jour dans un traîneau tiré par de bons rennes. Quand le ciel eft fercin, on apper-çoir à l'orient de 1 "île une grande terre. Elle eft couverte de vaftes foyers de pins, de fapins , de mêlefes Se de cèdres, Se traverfeepar de grands fleuves Ceux qui l'habitent, parlent une langue différente de celles des Tchouktchis, fe nourrif-fent de chalfe & de pêche, ont des de- i02 V o Y a g e meures fixes, entourées de murs de terre, $c< s'habillent de peau de renne, de renard & de zibeline. On ne trouve point ce dernier animal dans l'île qui fépare les deux continens. Ces relations dcpofées dans les archives de Iakoutsk, étoient inconnues aux Rulfes. On les ignoteroit encore , fi lors du fécond voyage dit de Kamtchatka , Millier ne les eut pas découvertes. Des relations plus récentes les ont confirmées. On a appris en 1765 que des bàtimens rulfes partis de la Kolima, ( nommée mal-à-propos Kovima dans l'atlas rulfe ) ont doublé le cap Tchou-kotskoï par 74 degrés, 8c établi un commerce de pelleteries avec les habitans des îles 8c terres qui font vis-à-vis ce cap. H n'eft donc plus douteux que l'Afie 6c l'Amérique foient féparées par un bras de mer. Le capitaine Béering qui le crut dès fa première navigation , le déduifit d'une opinion faillie. Il avoit vu les terres tourner à l'oueft à la hauteurde C-j degrés 8c demi , 6c s'étoit imaginé qu'elles continuoient dans cette direction j mais fous cette latitude il n'y a qu'un promontoire appelle Serzé-Ka-menne par les Rulfes d'Anadirsk : la partie des côtes qui eft au delà , reprend en Sibérie. en fe courbant la direction vers le nord laquelle eft propre à ces côtes depuis Kamtchatka. Au delà du grand cap de Tchoukoskoï, elles courent en effet a l'oueft, & forment dans cet endroit l'extrémité de l'Afie, vers le 74c. degré de latitude. Nous avons encore appris par ces navigations que le détroir qui fépare les deux continens a peu de largeur ; ainfi l'Amérique s'étend jufqu'auprès du Kamtchatka , & cette contrée qui, pour le moins , eft auiîi grande que l'Europe, nous eft encore inconnue. Il fera peur-être polîible d'établir un commerce par les grandes rivières dans tout le nord de l'Amérique, & les Ruffes & les Japo-nois pourront y porter leurs richelfes. Il feroir à délirer qu'une des nations d'Europe , fit au pôle auftral , ce que les Rulfes ont fait au nord. Il y a peut-être vers ce pôle des continens auilî granlds que tous ceux qui nou$font connus : la découverte d'une de ces terres caufe-roit à l'efpece humaine des avantages infinis , & couteroit moins qu'une feule de fes petites & miférables guerres qui l'énervent & l'épuifent. Chercher de nouvelles tetres, pour y porter nos con-noiffances, nos lumières, nos richelfes. 304 Voyage ën Sibérie: & les y échanger contre celles de leurs habitans, travailler ainfi à réunir tous les hommes par les liens d'un commerce libre , ce fera faire leur plus grand bonheur. Mais fi nous devons porter ou entretenir chez eux les trois fléaux du genre humain , l'ignorance , l'erreur & l'ef-clavage, pour leur bonheur 6e le nôtre , relions dans nos ports. Duquel pouvons-nous attendre plus de fervices, du barbare ou de l'homme éclairé ? jufqu'à quand ferons-nous foibles de raifon, dépourvus de connoiflances au point de chercher notre bien dans le mal d'autrui, dans le mal de ceux dont la bienveillance 6c les travaux doivent faire tous nos biens? Agilfons humainement avec tous les hommes , li ce n'eft par fenriment, du moins par amour-propre : la terre eft une patrie commune , les intérêts de fes habitans font tous liés \ les travaux du Japonois y fes mœurs , fes loix , fa population intérelTent l'Européen , les rivalités , les différends, les haines entre nations , font d'odieufes querelles de 'frères , chetives auprès du bien général: c'eft ignorance, défaut de lumières.) véritable barbarie. F 1 N. *<♦ «f! rit TABLE MATIERES. Le chiffre romain I. indique le premier Volume , II. le deuxième : on cherchera fous les noms généraux d'animauxf plantes, Sec. ce qu'on ne trouvera pas fous les noms particuliers. ABalak , (Vierge d') efl célèbre. I. V5f Page flgn{; «f- Abdal, ce que c'eft. I 77. I. 21. Ahis ^ Prêtre Tatare (v. Tatares.) Ab lai-Kit. 1. 113 1. 14. Aimant, ( Montagne d') II. 113. f. io, Aïou, Village. 1. 84. 1. 3. Akhoune, ce cjue c'efl I. ^9. 1. 15. Aliment^ gelés I. j8y.l. i. Alun. v. Beurre de pierre. Amérique, les Capitaines Béering & Tchiri-Icov, y abordent II, 284. & fuiv. tçjé. \. 15,. & fuiv. féparée de l'Aile. 301. 1. 23. par un détroit peu large. 303. 1. 14. Amulette. I, page 4c. 1. J7. f f. 1, 5. i6y, 1. 19, aoo- Table Animaux I. 90. 1. 11. 103. I. 17. ut; 1. 23. 1 itf-1. 2i- 113. 1. 7' 190. 1. 8. 107, 1, j. 267. 1. 5. 268. 1. 2}. 287. 1. 3. 8c iuiv. 302. 1. 10. 315. 1. 3. 378. 1, 10. II. 59. 1. 15. Il6. 1 9. 1)0. 1. 14. ici. 1. 19. 170. 1. 1.1. 211. 1. 14. 217. I. 24. 293. 1. 11. a94- t. 12. & fuiv. voyez Oifeaux, PoiiTons, In(ed:es , &c. Antiquités. I. 107. 1. 14. &.fuiv. 110.I.14. & fuiv. in 1. 25. 8c fuiv. 112. L28. 113.I. 14. 8t fuiv. 117.1, 16. 1 <: 2 l. 19. 189.I. 4. Z4X. I.27. a5.1.1. 23. 8c fuiv. 277.1. 18. II. 25.1. 4. & fuiv. 73.I. 17. 76.I. 4, 8c fuiv. 77.I. : 1. 8c fuiv. 551. 1. i 2. Se fuiv 84. 1. 91. 1. 7. 2J3. 1. 15. Antoine f Saint) Reliques Se Miracles. I. a, 1. 1 6. 8c fuiv. Arbres de Sibérie. I, 89. 1. 10. 90. I. 14. I03. 1- 19. 11 S. 1. 8. 129.I. 17. 203. 1. 2.2. ajj. 1. 3. 8c luiv. 303,1. 1. & fuiv. II. 114. 1. 11. 8c fuiv. ArgaLiy (efpece de cetf) I. ntf. 1. 2j. & fuiv. 190. 1. K. Armes des Votiakes. T. J 4.1. 31. des Kaf-rnouk.es. 5 3- 1. 1 tf. des Bachkires, Cofaques , ibid. Arts. v. diftillation. Art de fondre le fer chev, les Ta.ares de Kondoma. I. 139.Lu. Vêche dans les rivières glacées. 159.1. 3. Art de dantafquiner. 209.1. 30. 8c fuiv. Afbejîe , ( montsgne d') il. 235.1. 14. Afcandes. I. 258.']. 4. & &tiv. ÀJJemblle. v. Kafan. Aurore boréale. I. 41I. 1. 10. II. 31. 1, 4, 15::. 1. i2. 190. 1. 20. Bachkires , leurs armes ,1. 53. I. \6. .lcuis pays conquis. 210. 1. 19. Baclans. I, 242. 1. 2. des Matières. ^„ Bains, I. 160. ]. 14. ' Balakna , ville. I. 8.1. 9. Se fuiv. Baptême, reçu par quelques Tatares pour des vues intérefTées. I. 81.I. 7. Les fait mé-prifer des autres. 1. 8. Conféré fingulierement. 170.1. 19. 8c fuiv. II. 14f• 1« 1 o. Baromètre, fa hauteur en différens endroits. II. 148. 5c fuiv. Beurre de pierre, efpece d'alun. II. 118. & fuiv. Bichbarmak. T. 93.1. p. & fuiv. Bielaïa ribitfa, Poiflon. I 407.1. il, B.ere, faite fans houblon. II. 113. I. i£« Bornes de Chine & de Rufiic. I. 1. 30. I6u !. 2 1. 15. Lac Baikal. m. 1. 17. regardé comme faint. 1. 23. Lacs. 254.1.17. i6r,. 1. 12. Lac Baikal. 282.1. 25 Se fuiv. Lacs toujours glacés. 418. 1. 10. II. Lac Tcliébar. 209. 1. 15. Lac bicloïe ou Lac blanc. 260. 1. 12. Lacs falés. I. 87. 1. 10 5c 13. loi, 1. 7. 103.1. 8. 167. 1. 23. 343.1. 11. H. 7i> 1. 8. 74, 1. 19. 207. L 24. Ladoga, (v. Lac.) Laity (dccavalle) on en tire de l'eau-de-* vie, v. Diftillation. Lifchi, ce que c'eft 3 5c fables à ce fujet. I. y. 1. 5. & fuiv. Makaiiov. ( vin de ) quel il eft. I. 16* 1. ir. Malde Naples, communà Tobolsk. I. 67. 1. 16. à Tomsk. 157. 1- 12. Maladies. I. 17J. 1. 2.6. 1 y6. I. f. 282. 1. 8. Tj;ard. 1. 14- & fuiv. Mangaféa. II. f 4» 1. 13. $y. 5c fuiv. Manufactures de draps. I. 27. 1. 6 & 7, d'uftcniiles* de cuivre. 41. 1. 28. II. 6. 1. 24. 238. Se fuiv. Manufcriis trouvés à Ablai-Kit. I. 114. I.21. & fuiv. 11 y. 1. 17- Marali,zmmaly de quelle efpece. I. 25.1. 21. & fuiv. 1J 6. 1. 15. Marchandifes apportées à Tomsk, & leur Des Matières; prix. I. ie7. 1. i.& fuiv. Chinoifcs Se Kuffcs qui fe vendent à Kicekta. 231. 1. ^ lakomks. 287. 1. 23- & fuiv. de Chine. II. 8.1. 4. Mariage Tatare. I. 1. 23.Tomskain. i6*T 1. 4. & fuiv. Tongoufe. 309. 1. 6. Marie, ( fête de Sainte) v. Kafan. M armoce. v. Iévrachka. Médecine, I. 174. 1. 13. fièvre guérie par î'arfenic. 234. 1. y. & fuiv. Médecin. 2(59. 1. 7. Médecine 2S2. 1. 10. remède contre le fcoibut. 369. I. ii. guérifon des membres gelés. 38 I. 1. 20. Se fuiv. 174.I. 10. livre de Médecine. 179. i* 20. Mer glaciale , couvroit autrefois plus de terres en Sibérie. I. 362. 1. S• fes côtes. II. 27. 1. 4. Se fuiv. preuves de Ion féjour fur les terres. 28. 1. 4. Se fuiv. quand elle dégelé. 29. I. 1, climat de fes côtes, Se fon flux & reflux. 30. Météore. I. 268. 1. 18. Meule ( de moulin) qui fervit de barque à S. Antoine. I. 2. 1. 19. fes vertus. 1. z6. Se fuiv. Mica, voyez mines de talc. Mines de fer. I. 160. 1. 10. 241. 1. 22. 292. I. 11. 293. 1. 8. 3 14. 1. 14. 3 5 5 - 1' SH' 1. 28. 393. 1. 7. II. 6. 1. 5. 14- 1- 2-9- 22. 1. I I. & 2 2. 24. I. 2. 65. 1. 4. 82. 1 II.232. Mines de cuivre. I. page 118. 1. 20. & fuiv,' ii9. \. 20. tk fuiv. Silandovo. Couvent. I. 19. I. 8. école établie pour des enfans. Ibid. J. 10. ils font enlevés à leurs parens. 1. 1 S.inlhuits du Chriftianifme. l.ir. Simovie, ce que c'eft. I. 172. L 5". 311» 1.4- Slobode, ce que c'eft. I. 73.1. 6. Slouchivies. I. 85.1. il. Soleil, cefte de paroître fur l'horifon, I. 3 1- 11. 181. 1. S, 18j. 1. Supplice. Iî. toi. !. 4- & fuiv, Taïchi , Prince de la Religion mongalienne, I. il5.1. 10. i 19. !. 4. Tdiig.i, ce que. c'eit. T. ï 3 4. !. 2. & fuiv. T.:lc , voyez Mines. Le plus eftimé. I. 1. 2C. grandeur des feuilles iciJ. fou prix. iZ/t/. uf.i.^e qu'on en f.-.ir. 337. L & fuiv. rù/w«>w,'magïque. I. 141.1.4. voyez Kara, Chamane.- 1 45. 1 1 8. ¥d/;a.i. 84.1. S. & fuiv. II. 1^5. & fuiv. Tarahanes. infecte. I. 12. 1. 10, où l'on celle d'en trouver. 85. I. 6. Tarajjbii} liqueur cliinoife. II. 9. 1. 10. Se fuiv. Tatarestl&xt mofquée. I. 19.1. iy Se fuiv.lcur office & leur prières. 1.24 & fuiv.l.^.leot ferment militaire. 2y. combien de fois ils y vont chaque jour. 24. 1. 29 combien ils peuvent avoirde femmes.23.1.7 Se fuiv.femmes tatares, leur habillement.28.1.22 & fuiv.préfens quils font pour époufer une femme. 29. 1. 15 leur civilité. 1. 2 y & fuiv. hommes tatares,leur habillement. 29.1. 29. leurs maifons. 30.1. y. ce qui leur tient lieu de vitres. 1. 11. leurs qualités. 1. 15 & fuiv. inftrument de mufique. 1, %6. Tatares tobolskains, leur manière de vivre. 55.1. 4. & fuiv. leurs mariages. y 6. 1. 21. d'où defeendent. 76. !. \ 6. & fuiv. leurs mœurs, h 21. & fuiv leur religion. 1. 28. leur circoncifion. 77. & fuiv. boifîon qu'ils préfèrent, 80,1, ï?, quand prient Dieu, h 30. bapti- des Màtieîies; ^ 2 r fés en horreur aux autres. 8r. J. s. fe font chrétiens par intérêt. 1. 12. 3c fuiv. leurs fé-pulchtes. 82/I. 2. & fuiv. leurs habitations cPhyver tk d'été. 83.1. 16.leurs qualités. 91. 1. <<. & fuiv. leur figure, g2. 1. 24. leur nourriture. 92.I. ly.Théléitiches. 129.!. 8.baptiics. 1. 12. femme théléitiche. 13c I. 13. fon habillement. I. 27. 3c fuiv. leurs cabanes. 132. 1. i£. leur diftillation d'eau-de vie. 133. h 3. &: fuiv. leur religion. 13?. I. ? 5.. & fuiv. leurs prêtres ou forciers. 135.1. 22. leurs mœurs & llfages. : 3 ^. I. 15. Tatares abinrfiens.. 1 37. I. 28. Tatares de Kondoma comment fondent le fer. 139J. 12. leur Kam. 141.!. 3. leurs fu- Eerftinons. 143. 1. 3. & fuiv. comment leur led fe moud. 143.1. 28. leurs uiages. 144.1, 10. & fuiv. fânâuaire des Tatares touliber-tiens. 149. I. 22. leur opinion fur Dieu & Je diable. 150. J. 18. 169, I. 7.8,' fuiv. Tarares Soïetes. 189. K4. figure des Tatares. IL 97. J. 10. leur caractère, religion, idem. & fuiv. leurs fêtes. 125. & fuiv. Tatares Barabins, 171.1.18. Tchaldarvoyez Tchandar. Tchandar\ efpece de drap. I. $7.1. io. JS; 1.4. TchèrimîJJes , leur habillement. I. 3 r. 1.10. quelles langues ils parlent. 3 8.1.2c. Tchouktchis, peuple de la Sibérie Orientale, 1.416". I. 2. IL 44.1. 16. 265.I. 11. 270. 1. 1 & fuiv. 360. I. 30 & fuiv. Tchouvaches, peuple de Sibérie. I. 9. leur: facrificc & offrandes, io. 1. 8 & fuiv. leurs Prêtres & PrêtrçlTes. 1. 17. leur autorité. 1. 23. fupcrflition des Tchouvachcs. 1. 15 & fuiv. Tronc où ils mettent de l'argent. 11. I. y. leur croyance, i.14. leurs idoles, 1, 20. leurs quali- *j ^2 "T" A B L E tés. 1- 2.5?. peuple fort nombreux. 15.I. i& fuiv. inftruits du ChrifHanifme avec peu de fuccès. 1. 18 & fuiv. s'abifiennent de travail le vendredi. 14. 1. 22. ont une fête dans l'année 3 Jbid. 1. 24. Tempête. 1.327. 1. 9, II, 120.1. 3 & fuiv; i$o. I. 14. Thé cuit à la tatare. I. 80.1. 2 y. Tioumenne. II. 194. 1. 7. Tobolsk, mœurs de fes habitans.I.6ft f.rj. 73.1. 27 & fuiv. fa fituation. 70. 1. 1 & fuiv. par qui eit habitée. 7;. 1. 20. vivres peu chers. 1. 23. parefle des habitans. 1. z6. fon gouvernement. 74.1. 12 8c fuiv. Tombeaux. I. m. 1. 2^.112. 1. 2.8. 117. I. \6. 242.1. tf. 2-77. li 18. II, 72. 1. 18. 78.1. 30 & fuiv. 84.I. 6. Tomsk , Ville. I.lf c;l. 2 & fuiv. Marchan-dite qu'on y apporte, ôc leur prix. 167.1. a Se fuiv. Tongoufes, fe tracent fur le vifage des figures déliées, de couleur bleue. I. 2f. 1. 7" Se fuiv. coufues avec du fil. l.i 9 5c 10.leurs coutu-mes.172.hf 9 8c fuiv.304.1. 3 & fuiv. mœurs de ceux de la Tongouska. 3 30.1.1 8c fuiv. leur caractère. 414- 7 comment tracent les figures bleues fur le vifage. 428. 1. 10 8c fuiv. aceufés de fédition.IL 18.I.1 8c fuiv. de l'Ona,quelles langues ils parlent. 124J. 6. Tonnerre, (effets fmguliers du) , II. 114; j.*aj. 117.1.17 Se fuiv. fuperftiiioti à cet égard* 318.1.15. Topafes, voyez pierres précieufes. Torjok, 1.4.1. 27. Tourinsk, II. 243. 1.10. Tournans des rivières , 11. 61.1. 23; Touroukansk, voyez Mangaféa. ï51 s Matières.' 9 4 « Tourpctn , L 118.1.19. Tremblement du terre, périodique, I. 250; 1. y & fuiv. II. 1 y 5-1. 5 & fuiv. 7W, ville , 6.1. 8. Tverja, rivière, fa communication & navigation, I. 4.1. 20. peu poilïonneiifes, idem. 'Vache marine. 11. 27. 1. iy. 44.1. 8. ufages que les Tchouktchis font des dents de cet animal.44J. 16 Se fuiv. comment fe vendent» 4j. 1. 4 & fuiv. Verkotourie y II. 244.1. 21 & fuiv. Verfie, fa valeur, I. 2.1. 11. Vel'iki Novgorod, voyez Novgorod. Vibom, ce que c'ett, I. 4.1.1. Viande fichée , I. 90.1. r. Vierges y voyez Abalak, Vierge de Bogo? rodskoïe. 1 y 8. 1. 7. Vitres,et qui en tient lieu aux Tatares, 1.3 oi j. 11. inconnues à Sempalat. 110. ]. 1. Vivres (à bas prix), voyez Vychnei volot-chok , Torjok, Tver, Tobolsk , Aïou; fort de Sempalat, Tomsk. Voïvodes y leurs coneuflions, I. 'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Fer mi (lion pour ce néceflaires. A cls causes , voulant favorablement traiterl'ExpoIànr, Nous lui avons permis & permettons par ces préfen-rcs , de faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois qtut bon lui femblcra, Se de le faire vendre &c débiter par tout notre Royaume pendant le tems de trois années confécutives, à compter du jour de la date des Prcfentes. Faifons défen- fes à tous Imprimeurs, Libraires & autresper-fonnesde quelque qualité & condition qu'elles foient, d'en introduire d'impreflion étrangère dans aucun lieu de notre obéiiîance. A la ch'atge que ces Préfentes feront eniégiitrées tout au long fur le regiftre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d'icelles, que l'hnprçflion dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume & non ailleurs , en bon papier & beaux cara&ères ; que l'Impétrant fc conformera en tout aux Régie-mens de la Librairie , & notamment à celui, du 10 Avril 1715 , à peine de déchéance de la pvéfcnte Pcrmiflion qu'avant de l'expofer en vente, le Manufcrit qui aura fervi de copie à l'impic-Hion dudit Ouvrage , fera remis dans le même état où l'Approbation y aura été donnée, ès mains de notre très-cher & féal Chevalier, Chancelier de France , le Sieur de LAmoignon, & qu'il en fera entuite remis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique , un dans celle de notre Château du Louvre, un dans celle dudit Sieur de Lamoignon , & un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier, Vice-Chancelier , & Gatde des Sceaux de Fiance , le Sieur de Mai'r ton : le tout à peine de nullité des Préfemcs. Du contenu dcfquellcs vous mandons & enjoignons, de faire jouir ledit Expofant &c fes a/ans caufes, pleinement & paifiblcmcnt , fans foufTrir qu'il leur foit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu'à la Copie des Pré-fentes qui fera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage , foi foit ajcutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huifïierou Sergent fur ce requis de faire pour l'exécution d'icelles, tous actes requis S: nécelfaires, fans demander autre per-miffion > & nonobftant Clameur de Haro, Charte Normande 3 & Lettres à ce contraires : Car tel eft notre plaifir. Donné à Paris !c vinet-reuvicme- jour du mois d'Avril, pan mi] Ç^pC cent foixante-fept, & de notre règne Je cinquante-deuxième. Par le Roi en fon ConfciJ, LE BEQUE. Regiftre furle Regiftre XVIIde la Chambre Royale 6-Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris, n?. 887 > fol. 206. conformément au Règlement de 172.3. A Paris ce z May 1767. Signé 1 G a n e a u , Syndic» ERRATA. PREMIER VOLUME. Page i. ligne i. Voulant faire, Hfe^ voulant: faire faire. 4. j. Kouchaukina ,///f{ Kouchankin.1. 6. 14. Trois quarts de copeke , ou un fol quatre deniers de France,///^ ou un fol de Franee. 69* 10. Il eft, life{ elle eft. 1^8, 8. d'Odéitria , life^ Ocléitria. 11. Abalat, lijeç Abalak. 16. Idem. toy. i<>. Borete, Life\_ Bourete. 138. 10 & 14. Tailcha, /^^Taïcha. 140. 3. Idem. %6 6é 9. Tongoutes, life{ Tangoutes. SECOND VOLUME. 31. Chapitre LVIII, Chapitre LX. '44. 16. Choutchi , Hfe^ Tchouktchis. y6. z6. Mina, life^ Mine. Jd. z$. Couvert, Ltfe^ ouvert. 84, Chapitre LXI , Hfe^ Chapitre LXIV. 57, Chapitre LXIII , Hfe^ Chapi-« tre LXV. Nota, Il y a même erreur dans les chiffre» de touslesChapitresfutvans, c/elVà-dire deux Unités de moins. <