ETAT DE LA CORSE, Suivi d'un Journal D'UN VOYAGE DANS L'ISLE Et des Mémoires DE PASCAL PAOLI» Par Mr. JAMES BOSWEL, ECU YE R, Orné d'une Carte nouvelle & exrtfe de I* Corse, & des M.milVftes Originaux, Traduit de l'Anglais et de l'Italien, Par Mr. S. D. C {/• Avec une Préface du Traduflcur.J* '-'iZ , TOME II. I-:S^ i-j .... A LONDRES. M. D. CC. LXIX. ETAT DE LA CORSE. SECONDE PARTIE. LA Religion de la Corfe eft la foi Catholique Romaine, pour laquelle ces Infulaires font des plus zélés. Peut-être portent-ils ce zèle à un degré de fuperftition qui eft le meilleur des extrêmes ; car aucune nation ne faurait profpércr fans pieté. Là où elle manque, le zèle pour le bien public, & même tout fentiment noble s'affaiblira. Ce fut la Doclrine d'une Providence qui voit Tome IL A & qui reglô toutes chofes , jointe à celle d'un Etat futur de peines & de récom-penfes , qui rendit le peuple Romain vertueux & véritablement grand. A me-fure que cette Doctrine vint à s'afFai-blir par la faune Philofophie d'Epicu-re, le génie des Romains s'abbatardit, #; leur vigoureux patriotifme fit place à un orgueil efféminé, qui les conduisît au mépris & à la ruine. Quoique fermement attachés à leur Religion, de même qu'à la Révélation envoyée de Dieu, les Corfes confer-vent dans les matières Eccléfiaftiques le même caractère de fermeté & de liberté, qui les diftingue dans les affaires civiles. Ils font ennemis jurés du pouvoir temporel de PEglife. Dans les derniers & très vifs différens que le .Gouvernement national a eu avec les JEvèques, ils ont beaucoup rabattu 4? leurs préjugés, & du refpedl qu'ils avaient pour le Clergé. Les Evèques Corfes, au nombre de cinq , fuffragans de l'Archevêque de Pife , étaient ardemment attachés à Gènes , parce qu'ils tenaient leur avancement de la République. Ils crûrent convenable de prêcher la Doctrine de PeC-clavage & de la plus baiïè fourmilion. ; ils flétrmaient les patriotes comme des rebelles. Le Gouvernement fouhaita qu'ils puffent réfider dans les terres de la nation, & leur promit une garde pour les garantir de toute infulte , mais les Evèques fàchaiis bien qu'ils ne pou-raient prêcher en fureté la Doctrine de la tirannie , refuférent d'y réfider. Le Gouvernement, fur cela, défendit aux patriotes d'avoir aucun commerce avec eux, à quoi ils n'héfitéreut point d'obéir. 4. 1 Etat Le Pape afrligéj de voir les Corfes, comme des brebis fans Pafteur, réfolût rie leur envoyer un Viflteur Général pour officier à la place des Evèques. Les Génois confidérant cette démarche comme une manière de faveur pour les mécontens, adrelférent au Pape une longue remontrance 4ans laquelle ils difaient, " Qu'ils étaient très fenfiblcs; „ à la droiture des intentions de fa ,5 Sainteté , & qu'ils feraient toujours „ prêts à montrer leur dévotion inal-S5 térable pour le Saint Siège ; mais „ qu'ils lui demandaient la permiffion „ de dire qu'aucune provifion donnée „ contre les maux fpirituels de la Cor-„ fe, ne pouvait être sffecluée fans le ,, concours de 1a République. Les Corfes charmés d'être appuyés par i'Egîife , fc moquèrent de la remontrance entortillée & artincieufe de Gènes. " Voilà [ difaient - ils ] la fta-„ tue de Nabucodnofor , la tàte d'or „ & les pieds de terre. On commence „ par un compliment, & l'on finit par „ la menace ( a ). j La Cour de Naples crût devoir s'entremettre en faveur de Gènes. Le Cardinal Or [mi, Miniftre de IN api es , à la Cour de Rome , y donna fes remontrances , & crût employer la plus groilb artillerie en publiant une très longue diïfertation fous le titre de Difcorfo 7hn,~ logico - Canonico -politico , rempli de citations fans nombre ; témoignant ètbe affiné que fon travail ferait fins réplique. Mais le Pape en jugea autrement, s'affermit dans fa réTolution & envoya ( a ) Ecco la fiatua di Nabucco , il Capo d'oro è il pic di crç'ta. Si Comincia dal Complimente: , rji termina nella minaccia. 6 x Etat Movfrptor Cefare Crefcetizio Je Angelis , Evèqfue de Segni, en qualité de Yili-teur Apoftolique de toute la Corfè. Les Corfes acceptèrent fa Million avec la plus grande rcconnaûfance & la plus fîncère joye. Le Signor Bxrbaggi qui avait époufé la niéee de Paoli , le reçut & le complimenta à fon arrivée dans risîc , par une harrangue d'une grande politcife. Ce Prélat était envoyé non feulement pour remplir les fondions des Evèques , mais encore comme Inipecleur Général de tout ce qui appartenait dans lTsle à la Religion. Il avait fous Jui un Vicaire Provincial. C'était un homme de beaucoup de pieté, de grand fens, & d'une conduite engageante qui lui attira l'amour & le re-fpect de tout le peuple. Les Génois ne continuèrent pas leurs feintes & leurs rufes Liguriennes. Ils levèrent le mafque, défendans à tous leurs fujets de Corfe fous les peines les plus févéres, d'obéir aux ordres du Vicaire Apoftolique, & offrans 6 mille écus Romains de récompenfe à quiconque pourrait l'amener] prifonnier dans une de leurs fortereifes. Le Pape annulla gravement, & avec de grandes folemnités cet Edit audacieux : quelques flécles auparavant, il eut fait une cérémonie bien plus éfrayan-te. Le Gouvernement de Corfe de fon côté , rendit public fon déplaitir fur la fcandaleufe témérité de la République , ,„ qui [ difait-il ] avait publié un Edit „ par lequel elle avait non feulement „ violé le refpecl qu'elle devait au St. „ Siège , mais préfumé de remédier aux „ affaires d'un Royaume qui ne la r-e-,3 connaiuait plus pour leur Souveraine. „ C'eft pourquoi, [ continue la Régcn-„ ce de Corfe] nous déclarons cet Ediô „ deftruclif de la Religion & de l'auto-„ rite Apoftolique ; ofTenfant la Majelfc „ du Vicaire de Chrift, féditieux & contraire à la fureté & à la tranquil-,3 lité de notre Etat ; tendant à cor-„ rompre nos loix & bonnes coutumes. „ Partant nous Pavons condamné à „ être publiquement lacéré & brûlé par j5 la main de l'Exécuteur de la haute „ Juftice 5 & ce, pour prévenir de tels „ indignes Mémoires de la part de Gè-„ nés au tems avenir. Cette fentenec fut mife en exécution au bruit du tambour, fous la potence , à Cortc , à la même place où était ci-devant la maifon du fqélerat qui avait ■ afliiflïné Gaffori. C'était une démarche d'une grande politique pour les Corfes ; ils fe recom- mandaient par là au Pape ; ils montraient leur fermeté; ils exerqeaient leur autorité , & aviliflaient leurs ennemis. S'étant ainfi affranchis de la Tyrannie de leurs Evèques , les Corfes commencèrent fagement à confidérer, que ces Eccléliaftiques titulaires refufant de réfider dans leurs Diocèils , & d'y remplir leurs devoirs , il n'y avait pas lieu de leur laiffer parvenir des fomnies con-fidérablcs pour les faire vivre dans l'opulence & di3is la j. refiè , tandis qu'elles pouvaient être beaucoup mieux cSc plus utilement employées. On jugea donc beaucoup plus raifonnable que les dixmes payées ci-devant aux Evèques parvinrent au corps de l'Etat, en con-féquence de quoi il fut ainfi décrété. On peut juger quel cri & quelle rumeur excita cette opération: mais les Corfes foutinrent leur conduite avec toute la force, & même avec tout l'ef-prit poiîible. „ Us ont ufurpé les Dixmcs, & fe 3, font empare du bien des Evèques , „ [difaient les Génois]. Non, repli-. „ quaient les Corfes , l'expreliion v.fur-J5< fé n'eft pas jufte. Nous avouons la „ vérité fins violence, parce que l'on ,y marche en conBance , quand on nvar-,3 che ûms détour Se avec fimplicité. ., Qîii ambiant fimpliciter > ambiJat confia âenter. Le Gouvernement a pris une ,3 portion de la Dixmc Se des biens Epif-:y copaux par de très fortes raifons ; 33 i°. parce qu'il en avait befoin, & ,3 c'eft là un droit fupérieur à tout au-,3 tre. L'état dans lequel nous nous trou-33 vous ne fouffre point de milieu ; où 33 la liberté ou le plus horrible cfclava-3, ge. Pour ne pas tomber dans l'efcla-:, vage, nous fournies forcés de faire „ la guerre ; pour foutenir la guerre , „ il faut des troupes ; les cottifations „ des féculiers ne fumfant pas pour „ payer les troupes, il a été décrété „ par une confulte générale de la na-„ tion, de prendre un fubfide du Clcr-„ gé , à l'exemple de St. Pierre & de „ tous les Souverains : mais [ di'ent les „ Génois ] les Princes ne payent pas w une troupe de rebelles : une troupe „ qui défend la liberté , la vie , Thon-„ neur & la patrie , contre la plus in-juif c de toutes les opprelfions , eft „ plus Sainte, plus refpectable, plus w religieufe qu'une Crcizade. 2°. Parce „ que Benoit XL accorda la dix me pour „ trois ans à Jaques ■> Roi tPArragOH, „ précifément pour fe mettre en état de „ chauer les Génois de ce Royaume. ,3 Que file cas eft le même, le befoin „ plus grand , les circonftanccs plus „ prenantes, pourquoi ne ferait-il pas „ permis de faire aujourd'hui ce qui „ fut permis alors ? 3 °. Parce que per-M fonne n'eft plus obligé que nos Eve-w ques de contribuer aux depenfes de „ cette guerre, dont eux feuls , jufques „ à préfent ont retiré du proft, en ob-„ tenant une mitre qu'ils n'euflènt ja-„ mais obtenue en mille ans de paix. „- Quoi ! les Séculiers ont verfé des 3> ruilfeaux de fang pour fe procurer ce beau capital, dont les Evèques rcti-„ rent les fruits ; ne font-ils pas d'au-,3 tant plus obligés de s'employer pour 33 conferver à la nation ce grand avan-,3 tage, & lui en procurer de plus grands „ encore? 4°. Parce que nos Evèques, 3, au lieu de fe conduire en Parleurs & 33 en pères , les ont traites en vrais ,) adverfaires. Ils ont défcrté leurs Dio- „ cèfes, & fe font retirés fur le terri- 35 toire de nos ennemis. Us leur ont 33 prêté de grandes fournies pour nous ,3 faire La guerre ; ils nous la font eux 3, mêmes cruellement par leurs armes 33 Ipirituelles , & ont refufé obffinément „ de rejoindre leurs troupeaux. Pour 33 les obliger a y revenir , notre Gou- 3, vernement avait mis en œuvre le mè- „ me moyen qu'Àbfilom employa pour ,3 ramener Joab à fon devoir. S'ils ont ,3 été plus obitinés que Joab, qui les ,3 plaindra ? & qui pourra reprendre la 33 conduite de notre Gouvernement ? ,3 Joint à cela, que* les revenus de celui 3, qui ne réfide pas, de celui qui ne 33 fert pas l'autel, & plus encore de celui ,3 qui le trahit, font dévolus aux pau- ,3 vres j & quoi de plus pauvre que „ nos troupes , & de plus épuifc que „ notre Finance? (a) (a) Ufurpate! è mal detto. Noi tonfcfle* remo laverità fcnça Corda,perche, Qui am-bul.it fimpliciter, ambulat confidenter. Il Go-verno a prejb una porzionc dclle décime, c de' i heni de Vcjcovi ; cd ecco perche, rrimo perche ne ha avuto neccjjïtàè qucjlo è un diritto fuperiorc ad ogni altro. Ncllo Jfato in cui Jiamo per noi non vi c mezzo. 0 liber-tà o fchiavith la più orribile. Per non cac'crc nella fervitù, è nc'ceJJ'aria la puer r a : perfof-tenerc la cjuerra , è nc'ccjjuria la truppa mà per pagarla, non baftando h tajje de'i Sc'co-lari, fujlabilito in una conjulta, di prender un fujjidio dagli Ecclcfqjrici ; fui l'eJJ'empio di San Pietro c di tutti i Principi. Mà i Principi, Jf dice , non alimentaho una truppa ribellc. Uaa truppa che diffende la libertà , la vita , Honore è la patria dalla, put iniqua di tutti le opprejjîam , è piu facra, venera-bile è pia di quella duna Cruciata. Sccondo, Les dixmes étaient généralement en Corfe fur le pied du 2ce. des produc- perchè à punto per difcacdar i Genovef da quefto Regno, Bencdctto XL conc.cfje à Gia-como Rè di Arragona, pn tré a uni le décime. Or a ijt il Cafo c lo jicflb , il bifo-gno maggiore, più prejjanti le circojlanzc, perche non fard lecito adtjjb quel ché fit conceduto allora ? Tcrzo perché niuno è più. obliuato dei nqflri Véfcbvî , di contribuirc aile fvefs di quefîa guerra, da cui ejfî foli finora hanno ricavato prof.tto ; ottenendo una facra mitra, che non avrebbe ottenuta , in mille anni di pace. Corne ? i fccolari hanno verfaîo un faune di fangue , per procu-* rar loro un ft bel capitale , cd ejjî Jï faran-no fentire per participante qualchc frutto ; tanto più dovendo impiegarf , per confervare alla 'Nazionc lo Jtcflb vantaggio , c procu-rarglienc dei nuggiori? Qiiarto perché i no-firi Vefcovi, in vece di far la da' Pafîori é da Padri, Ji portan da nemici. Hanno di-fertato dalle loro Dioccji} Jî fon ritiraU rions de la terre. Le Gouvernement en tient actuellement une bonne partie , & prend non feulement le revenu des Evèques, mais encore ceux des mitres bénéfices, dont il a la nomination , qui n'ont point Cure d'ames, avec toutes les penMons que le Pape a coutume d'accorder à des Eccléilafiiques étrangers , pour rendre leur état particulier prejfo à 7icmici ; hanno loro impref.rJc gran fournie , per die f faedano guerra s cela fan-no eglino ficjjï orihilmcnte , coîll armi fpiri-tuali, e Ji fono ojïinati à non volerji ief-tïtuire al fuo gregge. Il noflro Govcrno per obligarli al ritorno jl e fervito dei ripiego, di cuif valfcne per ridurre al dover Gioab. Or fe ejjt fono di Gioab più Caparbii, diè li compatira ? fi aggiunge che i frutti di chi non rifede , di chi non ferve Valtare, c molto più di chi lo tradifee, fon devoluti à poveri. Ora , chi più poverà délia nojlra truppa j+della nojlra jînanza ? & plus riche & plus riant. Lorfqu'une fois les affaires de lTsle feront arrangées , il n'y a pas de doute que le Gouvernement Corfe ne rétabliffe les rentes ?des Evèchés ; mais il fera fait des représentations au Pape pour augmenter le nombre des Evèques , afin que les fonctions Epifcopales foient mieux remplies , & que l'eiprit d'égalité foit mieux obfervé j ce qui n'avait pas lieu lorfque les Evèques jouiifaient de tous leurs revenus, & vivaient en Princes dans l'Isle. Plufieurs des habitans de la Corfe avaient compofé avec l'Eglife pour leurs dixmes ; & les defccndans des Caporalî, qui avaient rendu de fi bons fervices à Hugo Colonna pour chaifer les Sarazins, furent exemptés par un privilège fpéciel de payer aucune dixme. Ce privilège eft fuppofé leur avoir été accordé an- dénuement par le Pape, puifque ce fut pour fa coufe qu'ils montrèrent tant de zélé ; le Clergé de Corfe n'était pas encore lavant ; la politique barbare de Gènes étant de tenir le peuple de l'Isle dans l'ignorance, & nombre d'années de guerres & de troubles aiant d'ailleurs beaucoup nuit à la culture des lettres. Il fe trouve cependant en divers endroits des Prêtres qui aiant reçu une bonne éducation dans le comment, font très bien inftruits, tous ceux-là font pieux & de mœurs irréprochables. Il y a en Corfe 65. Couvents de Moines mendians , fçavoir 34. d'Obfer-vantins, 14- de Reformés de l'Ordre de St. François, & 17. de Capucins. Chacun de ces Couvents a feulement un bois pour des promenades folitaires, un jardin & une petite vigne. Ils font généralement nourris de la charité du peuple. Il y a deux Collèges de Jé-fuites ; deux Couvents de Dominicains y cinq de Servites , & un de Millionnaires. Tous ceux là ont de très beaux fonds. H y a auffi des terres appartenantes ^à d'autres Ordres Religieux, particulièrement aux Chartreux de Pife, qui par la fainte auftérité de leur conduite doivent s'attirer la vénération de tout le monde , & dont les droits ont été inviolablement préfervés dans les tems les plus orageux. On s'attendrait fans doute qu'il y eut dans lTsle, des Monafteres de femmes à proportion du nombre des Couvents d'hommes ; cependant dans le fait il n'y en a pas un feul dans toute lTsle. Pour en rendre raifon, il faut considérer que lTnftitution monaitique a été fouvent pervertie par des vues politiques ; en forte que les maifoiis Nobles dans les pays Catholiques , délirant l'a-grandiflèment de leurs familles , font prendre le voile à leurs filles, uniquement pour que la portion qu'elles devraient avoir aux biens , grofîïfie la fortune de l'ainé. Les Génois ne penfant qu'à retenir les Corfes dans une éternelle fujettion , employaient tous les moyens pofîlblcs pour empêcher que la Nobleife de lTsle ne devint coniidéra-blej ils défendirent pour cela la fondation des Monaftères de filles, pour leur ôter ce moyen de s'enrichir. Us encou-ragaient d'un autre côté les Ordres Mendians pour diminuer la population ; & pour lailïèr , comme un fardeau dans bien des familles , un nombre de filles non - mariées ; rien ne leur étant plus onéreux, comme on l'éprouve dans les pays Proteftans. Les Couvents devraient être fournis à de telles reftrictions , que ce qui eft inftitué pour un but folemnellement religieux ne devint pas aûez commun pour demeurer {ans effet, & pour être regardé comme une profeiîion d'inertie & d'indolence. En les refferrant dans cette vue , il ferait avantageux à la Religion d'avoir un petit nombre de Sanctuaires vraiment relpeclables , pour y recevoir ceux qui aiant rendu leurs devoirs à la focieté , fe font aifez élevé au-deffus des affaires du monde, pour délirer de confacrer le dernier période de leur vie à la contemplation & à la prière , fans parler de ceux à qui de grandes panions ont fait commettre des fautes , pour l'expiation defquelles ils veulent s'efforcer de fléchir la Juftice divine par la retraite , la pénitence & des auftérités volontaires. On a lieu d'attendre de l'attention que Paoli donne au bien de fon pays, qu'il réduira le nombre des Couvents en Corfe. Les Religieux qui s'y trouvent aujourd'hui ont droit à la vérité d'y refter paifiblement jufques à la fin de leur vie; mais on pourrait par de bonnes régies limiter le nombre des Noviciats , & l'âge des jeunes perfonnes qui voudraient le commencer. Le Clergé Corfe, & les Moines en particulier, fe font vivement intéreifés pour les patriotes. Le P. Leonardo , Francifcain, Profelfeur enl'Univerfité de Corte , a publié un petit traité intitulé : Difcorfo Sacro - Civile , dans lequel il foutient que ceux qui meurent à la guerre pour leur patrie doivent être regardés comme des Martyrs (a). Ce (a) On peut lire là-deflus un morqeau d'une grande dignité & pour la Morale & pour la Religion dans le Raniblcr N9 no. difcours a eu le plus grand effet. Nous favons quel courage , quelle grandeur d'ame cette doctrine a infpiré aux Turcs & aux Runes. Ciceron eftimait que le patriotifme était une vertu digne du Ciel. „ Il eft certain [dit-il] qu'il y a „ un lieu dans le Ciel où tous ceux qui „ ont préfervé , foutenu & augmenté J3 la proipérité de leur patrie jouiront „ d'une éternelle félicité. " (a). Les forces militaires des Corfes con-liftent principalement en une milice intrépide. On leur met en main un fufil dès qu'ils ont la force de le porter ; & comme ils ont beaucoup d'émulation , ils deviennent excellents tireurs, & il (a) Omnibus quipatriam , confcrvavcrint, adjuvcrint, auxcrint, ccrtus eji in Cœlo dcfinitus locus, ubi bcati aevo fcmpitern» fruantur. Çi c e R. fomn. Scip. eit rare qu'avec une feule baie ils manquent leur coup , à une très grande diftance , & même fur un fort petit objet. Il y a dans chaque village un Capitaine d'armes, & dans chaque Piéve un CommirTaire d'armes , qui commande tous les Capitaines d'armes de fon dit trict. Ces Officiers font choifis par le Général, avec l'approbation du peuple. Us font toujours prêts à recevoir fes ordres, & à fournir un nombre d'hommes en tout tems pour le fervice de l'Etat. Il n'y a en Corfe que feo foldats qui reçoivent la paye ; 300 pour la garde du Général, & 200 pour celle des Magiftrats des diverfes Provinces, ou pour la garde de quelques petits forts & de certains polies. Une Une bonne milice eft fans doute le vrai rempart d'une nation libre. Rome n'eut point de foldats à la paye jufques à l'an 347 de fi fondation ; & alors cette paye fut introduite par les Patriciens pour fe rendre agréables au peuple, dans un. tcms où ils avaient peine à fe foutenir. contre l'influence des Tribuns (a). P a o l i a imaginé une finguliére & excellente méthode pour augmenter la valeur & l'émulation parmi fes compatriotes , & cela par une lettre Circulaire adrelféc à tous les Curés de chaque Pa-roilfe de lTsle , par laquelle il les chargeait de drelfcr une lifte de tous ceux qui avaient été tués ou bielles en combattant pour leur patrie. La lettre était conque en ces termes. («) Ti t. Li v. Lib. IV. cap. 59. Tome IL 1] PASQUAL DE P AO LI Général du ■ Royaume de Corse. Très Révérend Recteur, „ Défirant de faire connaitre au pu-„ blic la vertu & la pieté de ceux qui „ ont répandu leur fang pour défendre „ les droits & la liberté de la patrie , „ de rendre célèbre leur mémoire , & „ d'en faire reffentir les heureufes in-35 nuences à leurs familles, nous avons 33 arrêté qu'il en ferait dreifé un Cata-„ logue exact & complet, pour êtreim-3, primé Se rendu public , de façon à „ pouvoir fervir à l'hiftoire de la na-3, tion. Et comme en qualité de Rec-„ teur, vous devez être plus qu'aucun „ autre, au fait de ce qui intéreffe vo-„ tre Paroilfe ; vous prendrez je m'af-33 fure volontiers la peine de nous ai-„ der dans ce deflèiu ; Se pour cela vous „ vous en informerez des plus anciens jg & des plus fenfés du village , pour v qu'ils vous indiquent les noms & la M famille de ceux qui ont été tués ou j, bieifés au fervice de la patrie, depuis „ l'année 1729 , en marquant avec la „ plus grande préciiion, le lieu, le mois „ & l'année &c. Ça). (a) PASCHALE DE 5 PAOLI Gênerai dei Rcgno di C 0 r s 1 c a. Molto Reverendo Signor Rettore, Per render al publico nota , la virtû è la pietà di Coloro , che hanno fparfo il fangue per diftender i diritte è la liberté délia patriu, è per contradiftinguere il loro merito , è farne provare la benigna influenza aile loro famiglie, abbiamo ftabilito farne un efatto è compito Catalogo, da darfi aile ftampe, quale ficcome potra giovare ancora alla ftoria délia nazionc. Ella corne Rettore dovendo più dogni altro B 2 Les Curés ont été très réguliers à y fatisfaire. On ne pouvait jamais rien imaginer de meilleur , & cet Inffitut devrait être adopté par chaque nation. Il enflammerait finement les foldats patriotes d'un nouveau courage , parce qu'ils feraient également touchés & du foin qu'on prendrait de leur réputation, & del'efpérance qu'en mourant, ils laif. feraient dans la tendre bienveuillance de l'Etat une elpèce d'héritage à leurs familles. effere al fatto délie coze délia fua Parocchia, fi prenderà volontieri l'incommode- di Coadju-varci in quefto diflegno , è fara contenta in-formandofi da' i più vecchi afiennati dei paëfe, fegnarci i nomi è la famiglia di coloro che vi fono morti , o reftati feriti in fervizio délia patria, dal 1729 à quefta parte, notando colla maggior précifione il luogo, il mefe è l'anno &c. J'ai fou vent admiré combien l'amour de la gloire animait les fimples foldats de nos armées, au milieu des plus grands dangers , quoique tout ce qu'ils font de magnanime foit à peine connu de leurs plus prochaines relations , & prefque jamais du public. Les Corfes ne font pas encore bien formés ; parce qu'ils n'ont proprement été en action que pour fè défendre, & dans une guerre très irréguliérej mais aujourd'hui qu'ils font parvenus à une victoire prefque complette fur leurs ennemis, un certain degré de difcipline ■leur deviendra ncceflaire. Le Corfe eft armé d'un fufil, d'un piftolet, & d'un ftilet. Il porte un habit court d'une étoffe grofliére du pays , de couleur obfcure, avec la vefte & la culotte de même, ou d'un drap de France ou d'Italie pour l'ordinaire écarlate. B 3 Il a une gibecière pour fa munition, attachée autour du corps par un ceinturon. Dans cette gibecière eft la place du ftilet, & au côté gauche du ceinturon pend le piftolet ; le fufil fe jette derrière l'épaule. Il porte des guêtres de peau noire, Se une forte de bonnet d'étoffe noire doublé d'une frife rouge , orné & relevé fur le front, par une pièce d'étoffe plus fine, proprement bordée. Ce bonnet eft particulier aux Corfes , & très anciennement ufité dans la nation. Il a des ailes de chaque côté, & lorfqu'elles font abatues , il a préci-fément la forme d'un cafqne, pareil à ceux qu'on voit fur la colomne de Tra-jan. L'habillement Corfe eft très bien entendu pour traverfer les bois & les montagnes ; il donne d'ailleurs au foldat un air difpos & très militaire. Les foldats n'ont point d'uniforme ; ils n'ufent pas non plus de tambour , de trompettes , de fifres., ni d'aucun autre inicrument de mufique guerrière, excepté une grande coquille de Triton percée au bout, qui rend un fon arfez éclatant pour être entendu de loin. Cette coquille peut être furtout très utile en nier. „ - _ - - Cœrulea Concha Exterrens fréta. JE n e i d. Lib. X. 1. 209. Le Collonei Montgomery m'apprit qu'elle était en ufage en Amérique, & furtout à la Caroline. Le fon qu'elle rend n'eft pas aigre, mais plutôt plein fans parler de divers autres articles , qui ne poliraient que tourner au profit des deux nations. Je fçais que fans cette proclamation , les Corfes , à la fin de la dernière guerre , auraient pris à leur fer vice nombre de nos intrépides Armateurs, qui auraient tenu en refped les Génois, & donné à ces braves Infulaires une auto- rite dans ces mers, qui n'aurait pas manqué de les rendre refpectablcs. Affu-rément il ferait digne d'un peuple, que le bonheur de la liberté à mis en état d'être généreux, d'accorder leur protection à une race de Héros, qui ont tout fait pour s'affurcr le même bonheur , furtout lorfque cet acte de générofité coïnciderait extrêmement avec les intérêts commerçons de ces Royaumes. On a dit que ce fut le Duc de Nivernais qui eut affez d'afeendant fur notre Miniftère pour obtenir en faveur des Génois , cette facheufe proclamation. Quelques Politiques ont témoigné leur furprife , que la Grande Bretagne fe fut portée à favorifer Gènes , toujours affectionnée à la France -, vu qu'il eft connu que fans fon affiftance , la France n'eut pu appareiller à Toulon la flote qui la mit en état de prendre M inorque; delaCorse 41 que les Génois continuèrent à faire conf-truire des vaiffeaux pour ce Royaume pendant toute la dernière guerre , & uni fournit conftamment des matelots ; tandis que les Corfes, amis de la liberté , devaient naturellement refpe&er l'Angleterre , comme elle l'a fait réellement. Nous pouvons efpércr que des vues toutes différentes prévaudront dans le Confeil Général de la nation. Un Souverain qui polféde toutes les vertus, animé des nobles fentimens de la liberté, & qui fent le plaifir de rendre fon peuple heureux, doit naturellement fouhai-ter d'étendre fa bénéneence. L'agriculture eft encore dans un état bien imparfait en Corfe ; leurs inftru-mens de culture font mal faits , & les Corfes ne font pas le meilleur ufage de ceux qu'ils ont. Leur labour ne fuit que grater la fiiperficie de la terre, & a peine conuaiifent-ils les avantages que procurent les engrais, quoiqu'il ne leur foit pas difficile d'en avoir en quantité. Cette obfervation générale n'eft point incompatible avec les récoltes abondantes qui fe font en diverfes parties de fis le ; parce qu'il s'y trouve des terroirs d'une prodigieufe fécondité , & qu'il y régne un peu plus d'attention & d'induftrie qu'ailleurs. Le Confeil Suprême a établi deux Inf-pecteurs ou plus dans chaque Province, qui doivent veiller , comme fur-Inten-dans , à la culture des terres, & prendre les mefures les plus efficaces, pour en hâter les progrès. On en a pris en particulier, pour encourager la plantation des meuriers, vu qu'il eft fur que la Corfe a tout ce qu'il faut pour produire des foyes en grande abondance. Le jardinage y ayant été prefqu'entiérement négligé, il a été publié depuis peu un ordre à chaque poifeifeur d'un jardin ou d'un autre enclos , de femer chaque année des pois , des fèves , & toutes fortes de légumes , au moins une livre de chaque forte , à peine de 4 L. qui doivent être exigées par le Podeftà. Le Suprême Confeil a aufïï établi deux Connais , pour avoir infpection fur toutes les efpèces de marchandifes & leur prix dans lTsle ; & pour veiller à tout ce qui peut tendre à l'avancement du Commerce. Les provifions ou denrées ne font pas chères en Corfe , & voici leur prix moyen. Un bœuf de labourage environ go L. Une vache de 20 à 30 L. Un cheval de la meilleure qualité de 100 à 140 L. Un mulet de 70 à 80 L. Un âne de 2® à 2Ç L. Un mouton environ 4 L. Une perdrix 4 f. Les grives & les merles 2 £ la pièce. La viande de bœuf 2 f la livre. Celle de mouton * f. la livre. Le meilleur poiifon 2 f la livre. Le poiifon ordinaire 1 f la livre. Le vin 4 f la bouteille du poids de 6 livres ; la monnoye de Corfe eft de la même valeur que celle deTofcane. L'huile fc vend par baril du poids de 40 à 50 livre j le baril contient 20 pintes, la pinte tient 4 quarts. Le vin le vend en barils de 12 zu-cli is : le 2ucha contient 9 grands flacons de Florence. Le grain fe vend au boilfeau : le boifi. feau contient 12 baciui 5 le bacino pèle environ 20 livres : le fac ou boiifeau iè vend 18 L. La livre de Corfe eft du même poids que la livre de Tofcane. Le Gouvernement tend infenfiblement & par degré , à -établir l'uniformité des poids & des, mefures. Le gage d'un artifim & la journée d'un laboureur font à 1 L. par jour , & fa nouriture. Si Partifm eft diftin-gué par fes talens, on lui donne quelque chofe de plus. Un moiffonneur n'eft pas payé en argent, mais outre fa nouriture, on lui donne un bacino du grain qu'il a moif-fonné. Les manufactures font encore très imparfaites. J'ai /obfervé que leur laine était très rude, & généralement noire, de forte qu'on n'en fait que de grolfié-res étoffes. Le pur noir eft préféré. Lorf-qu'on y mêle un peu de laine blanche, l'étoife eft moins eftimée, étant alors d'un gris mêle ou d'un brun tanné. On tire du dehors tout ce que l'on a de fin, vû que, outre qu'il n'y a pas afiez de laine pour le fervice de l'Isle, les Corfes n'ont pas appris à faite autre chofe que les étoifes groflicres dont j'ai parlé. On fait en Sardaigne des couvertures de lits , & des tapis de différentes couleurs , outre diverfes étoifes pour s'habiller. Lorfquc les Corfes auront plus de loifir, ils imiteront probablement leurs voifins dans ces divers arts. Il eft vrai que dans la plus grande partie de l'Italie, perfonne, hors les paï-fans, ne porte d'étoffe fûte à la mai-fon ; & fi dans quelques endroits on fait des étoffes plus fines, elles font faites de laines étrangères que l'on y porte de divers pays. Il croit une grande quantité de lin dans lTsle, & il n'eft pas douteux qu'il ne put s'en faire beaucoup d'avantage. Je m'attendais d'y trouver , linon des toiles telles que celles de Hollande , d'Irlande & d'Etoffe, du moins de bonnes & fortes toiles d'ufage pour les familles 5 mais en vérité , les Corfes font fi négligens , qu'il ne s'en fait, à tout ramafler, qu'une très petite quantité , de forte que l'importation de ce feul article coûte beaucoup. Un Gentilhomme Corfe me difait là-deifus, " fi nous avions dans notre Roi-M aume un établiffement pareil à celui „ de la Société de Dublin, & un Doc-„ teur Samuel Madden qui donnât des „ prix à ceux qui fe diftingueraient dans „ les manufactures , comme on le fait „ dans la Capitale de l'Irlande \ nous „ pourions bientôt porter à la perfec-M tion nos toiles de lin, & bien d'au-jj très branches. Les Corfes ont de l'huile en abondance pour leurs lampes, qui font lcur lumiére le phis généralement d'ufage. Ils font auiTi des bougies , & quelque peu de chandelles de fuif j car, comme je l'ai obfervé ci-devant, leur gros bétail eft rarement gras. On trouve des cuirs eu quantité dans lTsle. Les payfans durement les peaux à l'air, en particulier celles du fanglier, dont ils font leurs fouliers fans être tannés. Soit pauvreté , foit parefle , ils ne font pas même tentés de faire ce travail, quoique l'art de tanner leur' foit très bien connu, & qu'ils ayent tout ce qu'il faut pour cela en abondance : Mais une grande quantité d'écorce paffe en Italie. Les Corfes ont une manière de tanner avec les feuilles de laurier fauvage , féchées au foleil & réduites en poudre 5 ce qui donne une forte de couleur couleur verdâtre au cuir. Il eft certain qu'on peut ufer de divers expédients pour remplir le but de la tannerie. Dans l'isle de St. Kilda on tanne avec la racine de Tormentille (a). L'état des fciences en Corfe ne peut être qu'au plus bas degré , comme il eft aifé de le comprendre , vu le iyftème qu'avaient fuivi les Génois de tenir ce peuple dans la plus craffe ignorance , & l'état continuel de trouble dans lequel ont vécu les habitons de cette Isle, qui ne leur laiflait aucun loifir pour s'apli-quer à fétu de ; on fait que les loix même fe taifent parmi les armes. Inter arma filent legcs, fentence bien applicable aux Mufes qui s'enfuient à leur approche. P a 0 l 1 & les plus figes de la na- ( a ) ML Aulay's Hiflonj of St. Kllda. p. 214. Tow. II. C f o Etat tion avec lesquels il confultait, ne tardèrent pas à fe convaincre que pour conduire le peuple de Corfe à l'heureux état d'une liberté bien affermie, à pré-„ fent, dis-je , que vous vivez dans un 5} état qui ne fut jamais fi affermi ni fi „ florifllmt, & qui vous promet, fi vous „ êtes fermes dans votre entreprife, une „ gloire immortelle, une Indépendance „ totale , une félicité confiante ; crain-„ drez vous la vaine, la déplorable , „ la faible pumance de la Républi. » que? (a) Le ( a ) Ecco la potenza che fi voiebbe in-durvi à temere. Voi l'avete fprezzata , e ne avete triomfato nel t-empo délia voftra mag- gior Le langage des Corfes eft un très bon Italien légèrement mêlé d'un refte de gior debolezza, nel tempo ch' cravate fprove-duti d'armi, di munizioni, di baftimenti, di porti, di finanze e di truppa pagata ; nel tempo che i voflri Capi crano novizi nel go-vcmo militare e polirico , civile ed œconomi-co, e chè tutti quefti Governi riufcivano loro gravi è difpendiofi ; nel tempo che i partiti alzavano arditamente la crefta , e da per tutto alla fcoperta feminavano la zizania ; che la parte okramontana era deila cifmontana inde-pendente e divifa ; che il dominio délia na-zione era mal ficuro e mal noto. Ora poi che con un cambiamento felice, fiete proveduti à fopprabondanza, d'armi e munizioni ; à fufH-cienza, di baftimenti e di porti ; che avete Habilita la truppa , ed i fondi per la lua fuC. fiftenza ; liberi percio dagl* incommodi di moite fpedizioni, e da i difordini che la truppa colletiva portava feco ; che avete inftituite le. voftre finanze ; che i voftri capi fi trovano Tome IL D dialecte des nations barbares, & un peu de Génois corrompu , plus pur cependant qu'en plusieurs Etats d'Italie. Leur tnolto meglio iftruiti ; che i Governi più non fono difpendiozi ; che i partiti, fono tutti abo batuti; che il Governo nazionale e ubbidito da tutti ceti délia nazione, e temuto dagli ileflî nemici, e ci comincia a riconofcer dagli eftcri ; che le parti cifmontane ed oltramontanç fono tutte unité fotto a un fol capo , c fotto a un eapo. [ Lo dirô ad onta délia malignità e delf in-vidia, ] che per faviezza e antivedimento , per zélo e difinterefle , per corraggio e valore, per lettitudine d'int.enzione , di fini, e di maflime , lion cedo ad alcune de' più celebri Eroï : Ora difli , in uno ftato che per voi non fu mai fi forte e fi fiorido , e che vi promette , fc farete nel voftro impegno coftnnti, una gloria immor-taie, una indipendenza totale, una perpétua félicita, tcmeretc voi délia Repubiica la vana, la deplorabile , la mefçhina potenza ? prononciation eft à la vérité un peu rude. Ils donnent en particulier un fon ouvert à la voyelle E qui me déplaifait beaucoup. Du refte, ils écrivent parfaitement en Italien comme on peut le fen-tir par divers échantillons que préfente cette relation , & par les Manifeftes que Ton trouvera dans Pappendix. Les Corfes ont tous du goût pour les Arts; je ne puis pas dire ce qu'ils fa-vent faire en peinture , mais ils réuifif-fent très bien en mufique & en poëfie. Il y en a très peu qui ne jouent de la citre ou guitarre ; infiniment anciennement ufité chez les Mores , qu'ils croient être l'ancienne Citbara. Le fon en eft très doux & particulier , & plu-fieurs de leurs airs font tendres & d'une belle compofition. Ils n'ont encore produit aucun poème fini d'une certaine étendue, mais t) ils ont quantité de petites pièces très agréables, dont le plus grand nombre roulent fur la guerre ou fur l'amour. L'ancien Hiacinthe Paoli, père du Général actuel, a lailfé divers Sonnets corn-pofés avec beaucoup d'efprit : j'en ai recueilli pluficurs > & j'en donnerai ici un dont j'ai clfiyé la translation. Il fut compofo à la louange de fon Collègue de commandement , le Général Qicijfcri, & en donnant une preuve des talens de ce vénérable Chef, il montre en même tems la généreufe fatislaclion qu'il éprouvait à la vue des fuccès de celui qu'il aurait pû eiivifager comme fon rival. S O N E T T O. A Çoronar VEroî di Cirno invitto, Morti difeeuda e fe finchini il fitQ E lifofpiri dei Ligure f confit to Tyic.no alla tromba délia Fama il fat o. de laCôrse. 77 Fatto à pena di Golo il bel tragitto, Del nernico efpngna forte jieccato ; Sprezzo perigli i e al difugual conflitto, Virtuprévalfe, ov ' ei comparve armato. Cirno lo fcelfe, eV fuo dejiin Varrife ; E'I gran litigio a cui VEuropa è attenta Al fuo valor, al brando fuo, commife. Il brando , ctt anche il Dejiin fpaventa, AHy ingrat a Liguria il crin recife Ea cirno ilfcettro la fua man prefenta.(a) Les Corfes ont quantité de petites Ballades & de Madrigaux pleins de gentil-lefle, & d'une fatyre piquante contre les Génois , outre diverfes pièces d'un (a) On ne donne ici que le Sonnet jta-• lien, comme un échantillon du goût & de la littérature des Corfes. Le Sonnet Anglais qui en eft la Verfion le rend très heureufement. D 3 ftile plus grave , où fous l'enveloppe de l'allégorie , ils prefentent leur conduite & celle de leurs ennemis. Ils ont en particulier une curieufe paraphrale de rOraifon Dominicale , où toutes les demandes font tournées en aceufations févères contre les Génois. Le caractère des Corfes a déjà été touché dans la comparaifon que nous avons faite des jugemens qu'en portent Strabon & Diodore de Sicile. On ne peut douter que ce peuple ne foit fufcepti-bîe de grandes parlions , par cela même que fon génie eft plein de vigueur & de feu. Ce font là en quelque forte les matériaux dont les hommes font compo-fés , pour être bons ou mauvais au plus haut degré. Je me fouviens toujours d'une obfcrvation que Mr. Roujjeau me fallait un jour au Val de Travers > dans un entretien où nous raifonnions fur le ca- raclère des différentes nations. J'aime [ dit - il ] ces caratlères où il y a de /Y-tojfe : c'était très bien dit. Un pauvre eïprit faible eft incapable de foutenir le poids des grandes vertus. Ce n'eft que là où fe trouve du nerf & du feu, que l'on peut efpérer de former des caractères d'un grand ordre & d'une certaine dignité. Ces Lifulaires ont des qualités & de l'aptitude pour toutes fortes de chofes : niais leur deftinée a été telle qu'ils n'ont été illuftres que par leur courage & leur confiance. Abandonnés par les nations qui les environnaient, à l'oppref-iion du plus dur Gouvernement, i!s n'ont pas été en iituation de montrer leur génie dans les lèiences & dans les Arts i d'exercer leur hofpitalité & leur politelfe, avec les autres qualités aimables , d'une vie paifible & civilifée : mais D 4 ce qu'ils ont été à portée de faire connaître, ils l'ont fait avec gloire, & s y font toujours dilrmgués. Les Auteurs de l'Encyclopédie difent; Les Corfes font remuant, vindicatifs & belliqueux. Leur vive réfiftance aux Ti-rans ne pouvait les produire dans un autre jour. Un Ecrivain du premier ordre, les caractèrife en ces termes ; Les Corfes font une poignée d'hommes aujji braves & aujfî délibérés que les Anglais. On ne les domptera , je crois, que par la prudence & la bonté. On peut voir par leur exemple , quel courage & quelle vertu donne aux hommes Lameur de la liberté, qu'il ejî dangereux & injujle de l'opprimer (a). (a) Efiais de Critique fur le Prince de Machiavel, p. 114» Tous les Souverains vertueux tiennent ce langage. Les mœurs des Corfes ont beaucoup de rapport à celles des anciens Germains, v comme nous les peint Tacite , excepté l'habitude de boire, vu qu'ils font extrêmement fobres. Leur morale eft févére , & leur vie chafte, à un point très peu commun ; ce qu'ils doivent en partie à de très bons principes qui n'ont point été corrompus par le luxe, & en partie à l'habitude de venger fréquemment l'injure faite à l'honneur de leurs femmes & de leurs filles. Ce caractère paraîtra peut-être groi-fierx& barbare: mais pour moi je le trouve fage & vraiment noble. Qu'eft-ce en effet qui doit occasionner plus de meurtres que de fréquens adultères ? Où eft-ce qu'il y a plus lieu de retrancher çà & là des branches pouries, que là où la focieté entière eft généralement corrompue ? Partout où la morale eft intimement liée aux idées de l'honneur, & où les crimes de l'incontinence ne font pas impunément commis , nous pouvons nous attendre que les hommes fe tiendront dans les bornes du devoir; & il nous n'y trouvons pas les agré-mens frivoles d'une galanterie licentieu-fe, nous y ferons affranchis de fes troubles efféminés, de fes paiTions enflammées , de fa fauffeté & de fa diiiimula-tion; tandis que des principes honnêtes, des affections nobles & vertueufes con-ferveront toute leur vigueur. Ceux qui croient que le duel eft né-celfaire pour conferver entre les hommes le décorum de la politefle , rte doivent pas cenfurer les vengeances particulières , ce févère gardien de la vertu qui eft ou qui devrait être la bafe des focietés.. Ce que T a c i t e dit de l'ancienne Germanie peut être dit de la Corfe. Per-fonne n'ofe y tourner le vice en plai-fanterie. Le crime de corrompre ou d'être corrompu , ne s'appelle point l'ufage du monde (a). Les Corfes, comme les Germains de l'ancien tems, font extrêmement indolents. Les femmes y font les ouvrages les plus ferviles , comme c'eft encore la coutume cheï les montagnards d'E-coffe (&). Cependant ils font très actifs à la guerre , comme ces mêmes Germains , dont Tacite dit ; C'ejî un Singulier contrajle que celui qu'on obferve chez tes hommes, amis de Voifivetè & ennemis du repos (c ). Malgré tout ce que Pao- (à) Nemo illic vitia ridet; nec corrumpere Èf corrumpifaeculum vocatur. Tacit. de Morib. Germ. ( b ) Ibid. ( c ) Mira diverjïtatc naturae cùm iidem D 6 Lia pu faire, les Corfes continuent à être indolents, & répugnent au travail. Chaque année on voit arriver dans Plsle 800 ou ioco tant Sardes que Luquois pour y travailler , comme artifans ou comme manœuvres. Mr. De Montesquieu obferve que toutes les nations indolentes font orgueilleufes. C'efr, réellement le cas des Corfes 5 à quoi leurs fuccès à la guerre n'ont pas peu contribué, comme je l'ai déjà remarqué. Mr. De Mcmtefquieu propofe un très bon remède à ce mal. " On pou mit, 3, dit-il, tourner l'effet contre la caufe, }5 & détruire la parcife par l'orgueil. „ Dans le midi de l'Europe, où les peu-33 pies font fi fort frappés par le point „ d'honneur', il ferait bon de donner homincs J:c amcnt ùicrtiam cdcrïnt quietem. Tacit. Ibid. be la Corse gf „ des prix aux laboureurs qui auraient „ porté plus loin leur induftrie. Cette „ pratique a rénfii de nos jours en Ir-„ lande ; elle y a établi une des plus M importantes manufactures de toile 35 qui foit en Europe ( a ). Les Corfes fe plaifent beaucoup à être autour d'un bon feu ; cet ufage femble être particulier aux nations Sauvages, Les Indiens de l'Amérique feptentrionale en ufent ainfi , comme le faifaient déjà les anciens Germains ( b ) i Les Scythes avaient la même coutume. " Ces Scy-„ thes [dit Virgile] enféveîis, „ pour ainfi dire , dans les cavernes „ qu'ils ont creufées, y jouillent d'un „ profond loifir ; là ils roulent des chè-„ nés & des ormes entiers , pour s'y {a) Efprit dés loïx. Lïv. X-IV. cfiap. 9. ( b ) T a c 1 t. Totos Dies juxta fccum au que ir/nem aejunt. de Morib. Gerra. „ rafTembler autour d'un grand feu (a\ Les Corfes avaient diverfes coutumes qui: nous paraîtraient étranges. D i dore nous dit que lorfqu'une femme avait acouché , le mari prenait auffi-tôt foin de l'enfant, fe mettant lui - même au lit comme s'il eut été malade, & dorlotait le nouveau né, -enforte que la mére n'avait autre chofc à faire qu'à lui donner à teter ( b ). Une telle attention pour une femme qui avait autant fouf-fert pour le bien de la focieté, avait ail finement quelque chofe de bien humain ; on rirait aujourd'hui de cette iimplicité : cependant nous pourions dire que ce ( a ) Ipjî in defojfîs fpecubus fecurafub ait à Otia agunt terra, congejiaque robora , totafque Advolvcre focis irfmos, ignique dederc. Virgil. Gcorg. III. L ii6. (b) Diod. Sicul. Wefleling. p. 34I, procédé panait de beaucoup toutes les complaifances de la galanterie moderne, mais cette coutume n'eu: plus en ufage. Pierre Cyrnœus dit que de fon tems le mariage était (i honoré chez les Corfes , que fi une jeune perfonne du fcxc était allez pauvre pour qu'aucun homme ne la demandât en mariage , les voi-lins fufaicnt une contribution entr'eux pour faidcr à fc marier. La générofitc ne pouvait s'exercer plus à propos. Epaminondas l'avait ainfi pratiqué dans le même but ( one honefl y*ish receive ; Tis ail the mufe , and ail thefriend can give. Te who are Slaves of poyr'r , or drones of peace, Ambition's tools, or votaries of eafe, If not quite abject, nor quite lofl £$ shame , Tour hearts canfeele one particleof farne a Stand forîh ; on C o R s i c A refleïï, and fee Not ivhat y ou are, but tvhat youought to be, *' * ' The General good's thehr aim, no sla-vish aive Marks mon front mon, hut Liberty is L a w i No vénal fenates puhlick crédit drain > DE LA COR.SE. $f No king enshmfd by créatures of his Reign. Of publich honours merit is the Tejl, And thofe obtain them who deferve them bejl. In this vile âge, novirtue now rêver'd, No godlike patriot prodigy appeau d, Till one fmall J}ot, ( for in th' A L- Ai I G H T Y' S book , The fmalles Jpot » is never over look'd ) Held forth the wQuder to ail Europe's shame , Froduce'dthe man, and Paoli his name. Go on irnmortal man ! the path purfue Mark'd ont by Heav'n > and dejiin'd but for you ; Fix your firm hope on this, on this your trufi, Tour arms mujl conquer as your caufe is Jujl, By Heav'n / h makes my life's beft blood run cold, Then glow to madnejf rvben thy fiory's told f On thofe vile slave be heav'n's cboice thunder Hurf.d Who cbai/id themfelves, vrould gladly chain a world. Pride a Poème. Les Corfes font généralement d'une petite ftature , & plutôt endurcis, comme les montagnards d'Ecoffe : cependant , comme nous le voyons entre ces derniers , on trouve parmi les Corfes des hommes de belle taille , & de bonne mine. Le nombre des habitans de Corfe n'a pas été récemment calculé, du moins avec préciiîon; on peut cependant tabler bler fur environ 220000 ames , vu que, avant la prife d'armes de 1729, on comptait 40 mille familles payant la taxe aux Génois , & en comptant cinq perfonnes par famille , le total monterait à 200 mille. Quoiqu'on pût traiter de paradoxe ce que je vais dire , il eft certain que le nombre d'habitans s'eft accru durant la guerre, comme cela paraîtra par les con-iidérations fuivantes. Le P. Canceiiotti Jéfuite MiiTioniiaire, qui avait voyagé en Corfe , s'en étant informé avec beaucoup de foin, fit un calcul, par lequel il paraiifait qu'en 40 années du Gouvernement Génois , l'Isle avait perdu par les alfaflinats & d'autres caufes, 28 mille hommes. D'un autre côté, en 47 années de guerre , elle n'en a perdu que 10 mille, Tome IL E compris ceux qui avaient quitté le pays dans des tems de troubles , pour chercher afyle ou fortune dans le Continent, d'où il parait que le dénombrement des habitans actuels eft jufte. Le nombre des Corfes eft cependant moindre qu'il ne l'était dans les anciens tems. Il a été très bien obfervé par un Ecrivain d'une grande capacité, '* Que „ la dépopulation de divers pays paraik ,5 fait avoir été d'abord occaliomiée par « les ravages qu'avaient caufés les Ro, j3 mains dans les villes & dans les petits ,j Etats , avant que leur Empire fut fo-„ lidcment affermi ( a ) ; & cette caule ne pouvait avoir lieu en aucun Etat plus qu'en Corfe , parce qu'en aucun autre , les naturels du pays n'étaient ( a ) V a l L a ç e on the Numbers of Matu kind. p. 106. plus difficiles à fubjuguer. Si l'on ajoute aux ravages des Romains, tous les tumultes & les troubles qui s'excitèrent dane Plsle pendant pluficurs liécles > nous n'aurons point de peine à fcntir combien le nombre d'habitans a dû y diminuer. De 220000 ames que nous comptons en tout dans l'Isle , on peut en cfcomp-ter 10 mille à Baftia, & 2fOOO en tout dans le territoire des Génois i enforte qu'il réitérait environ 200 mille patriotes , dont il peut y avoir 40 mille foldats que Paoli peut mettre en campagne & oppofer à fes ennemis. Il n'en: donc nullement probable , que les Génois puflent réduire à une fou-miiîion aufîi bafle & auiïi abjecte une dation (i confidérable, & des hommes de cette trempe, dont la plupart étaient ^és eu tems de trouble, & avaient été E 2 élevés dans les fentimcns de la haine la plus violente pour cette République i n'y ayant pas un enfant Corfe capable de porter un petit fufil, qui ne le charge , & qui en le tirant ne s'écrie avec des tranfports dejoye, comme s'il était en préfence de l'ennemi, Eccoi Geno-. vefi. Voilà les Génois. Je crois que les plus fages & les meil. leurs des Nobles Génois penfent aujourd'hui , que la République doit renoncer pour jamais à fes prétentions de Souveraineté , fur un peuple qu'une longue expérience a prouvé être invincible par les armes Génoifes, qui a re-pouffé toutes les tentatives que la République a faites contre lui, & qui en, fin eft venu à bout de fe former eu Etat réglé, de façon à pouvoir folide-ment reclamer l'indépendance : Mais les plus fages & les meilleurs des Génois, tels que les hommes les plus luges & les meilleurs des autres Etats, font eux-mêmes dominés par le plus grand nombre ; & la République a jufques ici continué à confumer fes tréfors & à facri-fier fes foldats à de vaines tentatives pour recouvrer la Corfe. L'A b b É Richard ( a ) en a rendu raifon avec autant de jufteHè que d'efprit, & voici comme il s'exprime. M Le Royaume de Corfe, dont la Ré-„ publique pofféde quelques places Ma-„ ritimes, lui coûte prodigieufement ; „ elle n'en retire aucun avantage réel, « & elle a toujours à combattre un peu-« pie indifeipliné armé pour la liberté, s, Mais comme les Nobles Génois fe re-,j gardent tous comme folidairement "'"'■Tiff;' M. ' W^v^TfS^f ? ,3j fu'^'i (a) Richard. Defcript. Hijlor. &? crit. <& VItalie. Tom. I, p. 118. E 3 w Rois de Corfe , cette raifon qui e^ „ très forte fur leur efprit, les détcr. „ minera toujours à ne rien épargner jj pour conferver au moins ce titre. w C'effc l'objet d'ambition qui les totu „ che le plus. Rien n'eft. aufîi intëref, „ fant pour eux que les nouvelles de „ ce pays , furtout -quand la balance „ parait pancher du côté des rebelles. „ Une Dame Génoife fort inquiète „ de quelques fuccès qui femblaient „ anoncer une révolution totale en fiu „ veut des Infulaires, aprenant que les „ efpérances de la République fc réta, „ bliifaient, dit dans un tranfport de „ joye ; Dieu merci, nous fommes donc ',, encore un peu Reines. Pendant que je m'occupais à écrire cet Etat de la Corfe , les braves Infulaires réfolurent de'faire un coup hardi, en faifant la conquête de l'ïsle de Capraja. Capraja ou Caprara eft fituée à PEftde la Corfe, à 2f mille environ du Cap Corfe, & vis-à-vis de la côte de Tofcane. Cette Isle était ci-devant annexée au Royaume de Corfe, & une portion du territoire féodal de la noble famille de Damari qui en avait été dépouillée par les Génois. Capraja a pnviron if mille de circonférence. L'Isîe entière eft extrêmement montueufe ; fon terroir eft fec Si très raboteux. Elle eft tout alentour fi hérilfée de rocs qu'elle eft prefque inac-cefîible de toute part, excepté un feul havre qui eft très bon , & où nombre de Vailfeaux paffant dans la Méditerranée ont accoutumé de fe retirer. On y compte au-delà de 3000 habitans, tous raffemblés dans une ville à l'extrémité de l'Isle au demis du havre. Les Capraens ou Capraejh , comme E 4 on les appelle, font forts & robuftes. Us vont tous en mer , & font eitimcs les plus hardis & les plus experts mariniers de cette partie des mers. Les femmes s'emploient 'principalement à la culture des vignes [qui font très fertiles dans cette Isle. Une forte Citadelle, placée fur un roc très élevé , commande la Ville & le port ; elle eft bien pourvue d'artillerie, & les Génois y ont garni, fon. Il y a outre cela deux tours aux deux extrémités de l'Isle , conftruites plutôt pour découvrir les Corfaires de Barbarie que pour défendre un pays que la nature a Ci bien fortifié (a). (a) Je connais très bien Capraja, y aiant été jette par un orage en m'en revenant de Corfe. J'y fus retenu fix jours, & j'étais logé dans un Couvent de Francifcains , où ces bons Pères me reçurent avec beaucoup d'hof-pitalité. J'emploiui ce tems à écrire de me- Au mois de Décembre 1756 , le Si-gnor Paul Mattel de Centuri, étant allé en France pour quelques affaires parti--culiéres, comme il revenait chez lui, toucha à Capraja, où il pût à grand peine s'informer de l'état de la garnifon, du Port & des côtes, de même que du peu de proviilons , & d'attention que l'on donnait à la fureté de PIsle. De retour en Corfe, il propofa à P a o-l 1 de faire une defeente à Capraja ; fon projet fut fur le champ approuvé , & la conduite de l'entreprife fut confiée au Signor Achilles Murati Commandant à Erbalonga, & au Signor Jean Ratifie Rijiori Commandant à Furiani, qui, le foir du 16" Février 176*7, mirent à la voile du port de Macinajo , accompagnes nus détails fur tout ce qui concernait cette Isle , & je le conferve encore pour m'en amufer. e r du Signor Mattci, & de nombre de 'jeunes & vaillans gentilshommes des principales familles de Capo-Corfo & de Nebbio qui voulurent aller comme volontaires. Ils avaient aulfi quelques Ca-praéfes qui devaient leur fervir de guides. Us abordèrent de nuit à Capraja. Les Commandans Corfes firent fa voir aux habitans qu'ils n'étaient point venus en ennemis contre eux, mais pour les délivrer des Génois, & partager avec eux comme leurs anciens amis , les fruits de la liberté 5 efpcrants que de leur part, au lieu de s'oppofcr à leur deticin , ils les recevraient avec cordialité. Sur cela nombre d'habitans fe joignirent à eux pour faire le iiége de la Citadelle. Les Génois furent piqués au-delà de toute expreifion de voir que ces Infulaires , qu'ils préfentaient toujours com- me une bande de rebelles, & qui ac_ tuellement fe trouvaient, pour ainfi dire , fous le canon des Français , euffent la témérité de fortir de leur Isle pour leur enlever la Souveraineté d'une autre Isle de la Méditerranée ; entreprife qui ne manquerait pas d'être célébrée dans toute l'Europe, & qui en augmentant la gloire des Corfes, ferait une difgracc nouvelle pour la République. Il fut donc réfolu de n'épargner ni foins , ni dépenfe pour faire échouer les braves Corfes. La République fit un armement confidérable fous le Commandement du Signor Augujiin Vinello, homme d'une valeur & d'une activité éprouvée, & actuellement Sénateur de Gènes. Elle envoya en même tems le Collo-nel Antonio Matra avec un corps d'hommes choifis , qui.par Paliiffancc des forçats d'une Galère de Capraja , pullènl E 6 faire une defcente dans un endroit négligé par les Corfes, comme inacceffible. • Tandis que Matra attaquait les Corfes par terre , le Signor Pinelîo les attaquait du côté de la mer , de deux dif, férens côtés , enforte qu'ils eurent une attjque très rude & très difficile à fou-tenir. Malgré cela, Pinello fut battu, & le détachement de Matra fut entièrement défait. Je voudrais pouvoir décrire en détail cette expédition ; j'ai même alfez de matériaux pour cela , mais le plan de cet Ouvrage ne pourrait me le permettre. Je me contenterai donc de dire que le 29 de May, la Citadelle fut rendue. Les Corfes accrurent confidérable-ment leur domaine par cette conquête. Non feulement ils s'attachaient un nouveau peuple qui ne pouvait que leur être d'une grande utilité, mais encore ils rompaient ou rendaient du moins très difficile la communication entre Gènes & fes garnifons de Corf?. Mr. J a m F s Steuart a montré les Corfes dans un jour bien moins favorable , en difant, " Que les Coffés '„ aiant aliéné & vendu la plus grande „ partie de l'Isîe aux Génois, & en aiant „ confumé le prix en habillemens de „ Damas & de Velours, le reprennent „ en s'emparant du domaine des Génois „ qui ont payé l'Isle, dont ils ont ac-„ quité doublement le prix par la ba-„ lance de leur Commerce ( a ). (a) The Corficans hâve exportai, that is, fold the beji pan of their Island to Gcnoa ; and now , after having fpent the priée in wcaring damask an velvet , they ivant to bring it back, by confifeating thc property of thc Genoefc , who have loth paidfor the Mais avec la permiflîon de ce reipec-' table Ecrivain, il n'y avait point là de balance de Commerce , mais une balance de mauvaife fortune, qui avait affu-jetti la Corfe aux Génois ; & la plus grande partie , fi ce n'eft pas la totalité, des terres que les Nobles Génois poiiédaient dans l'Isle , avaient été acquifes unique, ment par la violence ou par la fraude. La depenfe des Corfes en Damas & en Velours eft abfolumentimaginaire: la Corfe eft peut-être le feul pays fur la furface du Globe, où le luxe n'ait jamais pénétré. Les Génois ne peuvent prétendre s'être rendus maitres de la Corfe à la faveur ou par la fupériorité de leur Commer- Island, and draxon back the priée of it, hy the balance of their trade apainjl thçfc Islan-ders. Steuart. Inquiry into the Prince pies of Political œconomy. Book II. chap. 29. ce. Ces Républicains ont trouvé au contraire dans la fertilité de l'Isle quantité de chofes néceuaires à la vie que leur Territoire ingrat & ferré n'était pas capable de leur fournir. Je me fuis crû appelle à re&iner cette méprife dans un livre deftiné à donner -d'importantes leçons aux nations libres, & aux bravjs Corfes en particulier. Il elf inutile aux Génois de vouloir plus longtems faire envifager les Corfes comme des Rebelles. Un Ecrivain Corfe a refuté noblement cette prétenfion, & c'elt par fes expreilions même que je conclurai. „ Rebelles ! [ s'écrie -1 - il ] comment „ ne rougiflent - ils pas de nou* don-„ ner cet odieux titre? à nous quifai-„ fons la guerre avec tant de ménage-„ ment & de douceur ; qui nous fai-„ fons une étude d'épargner le fang , „ les biens & l'honneur de nos Com-„ patriotes ? à nous qui ne cherchons „ qu'à délivrer la patrie de l'efclavage „ le plus injuite , & à qui on ne peut „ donner avec bienféance d'autre titre „ que celui de Libérateurs? Par la gra„ „ ce de Dieu Autour de tout bien, nous „ avons obtenu ce but important ; nous „ fommes déjà parvenus en conféquence „ à former un Gouvernement Souve-„ rain , libre , indépendant, abfolu, „ arbitre de la vie & de la mort de tant 3) de milliers de fujets , qui le recon-„ naiiîènt, & qui s'y foumettent avec „ autant de fidélité que de promptitude. „ Nous avons établi des Jurifdictions „ & des Tribunaux, des Juges & des „ Magiftrats , des Miniftres & des Exé-„ cuteurs de la Juftice, des Secrétaire-„ ries & des Archives, des Imprime, „ ries ouvertes, des Loix & des Sta- ,3 tuts, des troupes & des Finances î „ nous avons en notre pouvoir des „ Tours & des garnifons , des Châteaux „ forts & des prifons, des armes & de „ l'artillerie , des ports & des vaifleaux î ,j nous fommes en poflefnon d'abfoudre „ & de condamner par nos arrêts , fur „ des procédures & fur des fentences „ d'impofer des taxes & des contribu-„ tions , d'appofer nos fceaux, de mar-cher fous nos Bannières, de faire des „ Traités, d'accorder des privilèges, „ de créer des Notaires, de déclarer la „ guerre, de faire des trêves & des ar-« miftices i tous ces actes étant les ca-„ radlèrcs de la vraye Souveraineté, „ comment peut - on encore nous trai-» ter comme des hommes privés qui ne 3, font pas un corps de nation ? ( a ) ( a ) Rcbclli ! Corne non hanno vergocjna di dar a noi quejlo titoïo ? à noi che fac- ciamo la guerra con tanto fpirito di lenità è di dolceffa y che non altro Jt Jiudia die rifl parmiar il fougue , i beni , è Honore de1 nojlri concittaditû ? à noi die non cercando fe non de liberare la patria délia più uniqua di tutte le cattività, altro titolo non con-viene che qucllo di fcdvatori. E poiche lofa à Dio dator dogni bene abbiamo già confe-guito l'intento ,• poiche abbiamo gia formata in fequela un Govemo Sovrano, libero, dependente > ajfoluto, padrone délia vita e délia morte di tante migliaja difudditi, die lo riconofeono , ed ubbidifeono con fcdeltà e tonprcjlezza. Avendo flabilitofuccejjîvamcnte Rota e Tribunali, Giudid c Magiftrati, Mi. nijlri ed Efecutori di giufrizia Secreterie e Canccllerie ,■ apertc Stamperie ,■ Compojk leggi e fiatuti \ Truppe e finanzepoidie fotto al nojlro Dominio abbiamo torri e prcjîdi ,• Caf telli e- Carceri ; armi e ennnoni ; Porti e baf timenti ; poiche ajfolviamo c condanniamo per via di Proceffî e di Sentenze ,• imponiamo tajjc & contribazioni s improntiamo i nojlri JîgilU . Jventoliamo le nojlre bandiere ; Concediamo tratte e licenze ; creiamo Notari}- intimiamo querre ; formiamo AJjediCapdoliamo rejè ed armijlici ; contrajjepni tutti di Sovranità, e di Bominio ? Corne pojfon più. appe.Ua/ei pente privata? APPENDICE Contenant LES PIECES JUSTIFICATIVES DELA NATION CORSE- ( H9 ) MANIFESTE DU GENERAL Et du Souverain Confeil d'Etat Du Royaume de Corse (a). r A Juftice de notre guerre contre la "T-J République de Gènes eft auifi con-» nue de tout le monde , que la néceflité qui nous a fait prendre les armes pour nous fbuftraire à la honteufe & intolérable Tirannie des raviifeurs de notre Isle & de notre liberté. La modération (a) On trouvera à la fin les pièces Originales en langue Italienne , dont celles-ci font la traduction. avec laquelle, malgré cela , nous nous fommes conduits dans une affaire fi jufte & fi louable, n'aiant fait qu'enorgueillir & fendre plus ardens à notre perte tes Seigneurs de Gènes , rend indifpenfable le devoir, dans la pofition où nous fommes , de changer de conduite à leur égard , & d'en manifefter au public les motifs «Se les raifons, pour que chacun puiife fe convaincre de la droiture de nos déterminations, & de l'équité qui forme notre caractère. Depuis trente ans que nous foutenons la préfente guerre pour débufquer de notre Isle la République de Gènes, jamais nous n'avions tenté de troubler en aucune forte le Commerce maritime des fujets de cette Seigneurie, plaignans plutôt leur malheureux fort qui les contraignait de vivre fous un Gouvernement nement que la nature de fa conftitution rend néceflairement tiraimique : mais voyant aujourd'hui avec quelle obftina-tion & quel fuccès la dite République s'éforce de nuire par fon interdiction, au Commerce maritime de notre Royaume , & à lui fermer toutes les routes > non feulement en faifant faifir par fes bâtimens armés en courfe, ceux qu'ils rencontrent portans notre pavillon ; mais encore brûlant ou infultant avec la plus heureufe audace ceux des autres nations les plus refpectables de l'Europe, qui entrent dans nos ports ou en fortent, laquelle faculté nous accorderons auifi volontiers en la même forme & manière à quelque étranger que ce {bit qui voudra nous fervir contre les mêmes Génois nos ennemis & leur Bannière , en leur bonifiant & affinant les mêmes privilèges que l'on a coutume d'octroyer en pareil cas aux Armateurs. Forcés par tant de motifs preflàns à faire encore par mer la guerre à la République notre ennemie , nous protêt tons néanmoins vouloir ufer de nos droits avec le plus grand refpect & tous les égards poifiblcs , pour tous les Princes de l'Europe ; vouloir pratiquer & obferver les loix & coutumes introduites & admifes dans les guerres maritimes, même envers les Génois, quoi- i24 Etat qu'ils ne nous obligent pas à nous y tenir par leurs procédés cruels & irréguliers. Cafinca } le 20 May i76*0. N°. IL LE DOGE, LES GOUVERNEURS ET LES PROCURATEURS DE LA REPUBLIQUE DE GÈNES. DAns la ferme réfohition où nous fommes de donner à nos peuples de Corfe les marques les plus indubitables , & les plus autentiques de notre arfedion paternelle , & du fmcére défir que nous avons de les rendre tranquilles & heureux \ & fur les iuftances d'une grande partie de ces peuples, à nous présentées , nous avons délibéré d'envoyer dans ce Royaume une Illurtre députa-tion munie de tous les pouvoirs convenables , & autorifée par notre Séré-nirlime République à y avancer efficacement , & fixer les moyens d'y opérer une folide pacification, qui fait depuis fi longtems l'objet de nos fouhaits les plus ardens. Dans ce deifein , nous faifons favoir par les préfentes à nos fufdits peuples, qu'ils feront remis, fans exception de qui que ce foit, dans la grâce & faveur de notre dite République, par l'induit de tout ce qui peut être arrivé à l'oc-cafion des troubles paifés. Nous les af-furons en outre de notre infaillible dii-pofition à aflurer leur tranquillité & leur bonheur, par toutes les conceflîons gracieufes qui pourront fervir à confir- mer & éclaircir les précédentes, & en particulier,,- celles qui furent ottroyées dans le tems de lTlluftriflîme Tittro Maria Giujlimano , mais encore la ferme intention dans laquelle nous forâmes d'accorder à la nation Coriè de .plus grandes diftinétions ; d'établir une droite & invariable adminillration de la Juftice Civile & Criminelle ; de fa-Torifer & augmenter le Commerce, en un mot, de procurer à la dite nation, avec le bien de la paix, tous les autres avantages qui ieront en notre pouvoir. C'cft à ces juftes fins que la fufdite Ulultre députation employera tous fes foins. En conféquence de quoi, nous invitons tous les fujets les plus con G, dérables, de même que tous les individus quelconques de ce Royaume , d'y concourir de leur part avec la même affection , application & bonne foi, que le fera finement de notre part la dite Ilîultre Réputation; en procurant d'ailleurs le plus promt & le plus général concours de toutes les Piéves & Provinces , pour que avec la plus grande follicitude, accord & unanimité , onpuif-Se perfectionner un ouvrage qui doit être fi intérelfant & d'une fi grande importance pour nos fufdits peuples. Dans cette vue, nous défendons ex-prelfément à quiconque délirera confer-ver nos bonnes grâces , de caufer aucun dommage aux perfonnes & biens de qui que ce foit, membre de nos fuf. dits peuples j comme nous promettons de reconnoitre les foins & le zèle de tous ceux qui s'employeront effacement à cet objet fi intéreifant pour la République & le vrai bien du Royaume, & qui contribueront avec le plus d'application & d'activité à le procurer k à raffermir. Donné à Gènes dans noire Palais Royal, le 9 May ij6l. Domenico Maria Tatis, Secrétaire d'Etat. N«. IIL Réfidtat du Congrès tenu far les Corfes à Caftnca , à toccafion de la Haute Commijfwn appellée Giunta, envoyée en Corfe par les Génois. LE GENERAL ET LE SUPREME CONSEIL D'ETAT DU ROYAUME DE CORSE. T A République de Gènes connaiflant Pinfuffifance de fes propres forces, non feulement pour nous foumettre à fon joug abhorré , mais encore pour réfifter plus longtems à celles que nous donne notre union , & notre attachement invincible à la liberté ; Elle n'a ceifé depuis quelque tems, mais toujours en vain , de mettre en couvre tout l'art de fes impoltures, pour in-difpofer contre nous quelque Cour Puif. iante de l'Europe, & en obtenir du fecours. Aujourd'hui qu'Elle fe voit trompée dans fes efpérances, & convaincue que l'on regardera comme un devoir de l'humanité de donner une fois du repos à cette nation , Elle craint fortement que dans le futur congrès pour la paix , les confédérations tirées de la juftice de notre caufe , jointes à nos folemnelles réfolutions, & à l'incompatibilité du Gouvernement Génois avec le 'génie de nos peuples, ne portent les Princes de l'Europe à ne pas laider allumée cette étincelle de guerre en Italie > en faifant dé lifter cette République des préteniîons dont elle fe vante , & qu'elle ne voudrait faire valoir fur ce Royaume que pour le remplir de miféres & d'horreur. Dans cette pofition , & en fuivant l'iiiflincl de fa paillon dominante pour la vengeance, elle a cru ne pouvoir s'oppofer plus éScacement à nos entreprifes, qu'en animant, par la profufion de fon argent, par l'offre des grades militaires, & par des appointe-mens confidérables des hommes vils & mercenaires , bannis de leur patrie pour d'énormes crimes , & en les introduis fant furtivement dans notre Etat, pour y exciter le tumulte & la divifion j afin que pendant que nous ferions déchirés par des diviilons inteftines, il de la C o r s fc. leur fut plus aifé de faire valoir les fub-tilités de leurs artifices dans les Cours, ou dans le Congrès. Elle a d'autant plus volontiers formé ce projet, que dans le Congrès d'Aix la Chapelle, lorfque les Miniitres des Puilfances peinaient à mettre la main aux affaires de la Corfe, ceux de Gènes fcurent en éluder l'effet, en alfurant que dans peu ils calmeraient les rumeurs de ce Royaume. Aujourd'hui par la même rufe, voulant prévenir l'attention des Cabinets des Princes , par le moyen de leurs Envoyés , ils publient fans pudeur dans leurs Manifettes , qu'ils ont enfin trouvé le moyen de rétablir la tranquillité en Corfe , & que pour y parvenir, ils ont, à Pinftance de la plus grande partie du peuple, & des Principaux de la nation , nommé une députation de fix fu-jets de l'ordre des Sénateurs, munis F 6 d'amples pouvoirs, pour attirer la confiance & le concours des Piévcs , & mettre la dernière main au Traité de pacification. Pour nous, très chers Compatriotes, qui, à raifon de notre Miniftère, nous appliquons fans-cene avec la plus grande follicitude , & qui veillons avec une attention infatigable à la confervation de votre tranquillité intérieure , comme à déconcerter les projets, & re-poufTcr les tentatives des ennemis de notre liberté; ayant pénétré le plan & l'idée de la République de Gènes, nous ne croions pas pouvoir différer plus longtems la convocation de PAflèmblce Générale & annuelle ; l'expérience nous ayant fait connaître depuis 30 & plus d'années de guerre, combien cet expédient était éficace pour confondre l'orgueil , & rompre les mefures des Gé- nois. Déjà ce Congrès fut intimé Se notifié à tous ceux qui ont voix délibera-tive , comme à ceux qui ont quelqu'au-torité dans les affaires publiques, & fut tenu avec le plus grand concours de tous les Ordres & de tous les Re-préfentans de la nation, dans le Couvent de St. François , de la Piéve de Cafinca , aux Fêtes de Pentecôte. Nos ennemis prévirent le coup fatal que cette convocation porterait à leurs machinations, Se firent tous leurs efforts pour la faire tomber à néant. Dom Philippe Grimaldi, à la tête des bandits, & d'une trouppe de fcélôrats qu'on avait fait paner exprès de Gènes à Baftia, par intelligence avec Marti-netti, foutenu par l'appareil de pîufieurs Bâtimens, fit une defeente àFiumorbo, Se s'établit à l'hôtel de Sardo , d'où par des menaces Se des flatteries, jointes à la propoflticm ç\e lever un Régiment dans ce diltrict, il fe flatta d'épouvanter les bons patriotes ; d'attirer à lui un concours de pluficurs partis , dans le deifein d'interrompre , en nous occupant ailleurs , le Congrès convoqué , & de nous priver par-là de la conjoncture la plus propre à éclairer nos peuples , & à recevoir de leur zèle généreux les fecours convenables aux be-foins communs. La promptitude des me-fures qui furent prifes & oppofées à cette première tentative de nos adver-faires, & la célérité de la prife d'armes dans tout ce département pour la défen-fe de fa propre liberté, vous font également connues , comme la confufion des traitres à la patrie , & des troupes de la République. Le Congrès continua donc avec la plus déiirable unanimité de fentimens ; tout y fut pcfé avec maturité dans ùs diverfes feiîioiis, & pour que les déli-bérations qui y fuient prifcs foiunt connues de chacun , & ponctuellement ob-fervées , nous voulons qu'elles foient lues, publiées & ar.chées dans les lieux acoutumés ; nous réfervauts fur quelques points c'e les émaner avec plus de détail , pour la fdtisfaction «Se inftruclioii de nos ch:rs & amés peuples. I. Il a été décrété qu'il ferait fait un Manifefte par lequel on dédirait formellement ceux de la République , & dans lequel on protégerait que jamais 8c dans aucun tems on ne prêterait l'oreille à aucune propofition d'accord avec les Génois, fi ceux-ci par préliminaire ne reconnaiifent notre liberté , l'indépendance de notre Gouvernement, & s'ils ne lui abandonnent le peu de places qu'ils tiennent dans le Royaume. Ces Préliminaires accordés & exécutés, la nation Corfe, «Se fon Gouvernement adoptera les mefures les plus propres «Se les plus décentes , en montrant fon équité naturelle «Se fa modération , pour indamnifer le Décorum & les intérêts de la République de Gènes. II. Dans la fuppofition» la plus pro. bable, que les Génois aveuglés par leur orgueil, refuferont d'adhérer à ces préliminaires de paix , & pour nous mettre plus en état de leur faire la guerre plus vigoureufement <& avec plus de fuccès, félon le plan convenu pour cette année courante j il a été délibéré, & unanimement déterminé , qu'il ferait levé une contribution extraordinaire, en vertu de laquelle chacun ayant des biens fonds, meubles ou portant rente dans ce Royaume , devra payer une livre par chaque mille qu'il pofledera des fufdits éfets, & ce , feulement pour une fois i & pour collecter cette contribution , les Seigneurs Intendants Généraux , ou les autres Préfidens de la Chambre, munis d'une inftrudlion particulière , fe mettront en marche dans le mois d'Août prochain. III. Pour expédier plus promtement les affaires , & pour être plus à portée de veiller à la tranquillité intérieure du Royaume, il a été conclu & arrêté, que le Gouvernement Suprême fixera fa rélidence dans la Cité de Corte, & qu'il s'y tranfportcra dans les premiers jours du mois de Juin prochain; permettant néanmoins au Seigneur Général de pouvoir s'en abfenter , quand il le jugera à propos , ou pour l'exécution du plan établi des opérations de la guerre , durant cette année , ou pour fane tête à l'ennemi, & s'oppofer à fes tentatives ; auquel cas il réitéra à fa charge & direction, de difpofer des armes , des garnifons, des tours , portes & toute -autre chofe appartenante à la guerre; & pour le refte de l'admhùitration publique , le Confeil Souverain procédera comme à l'ordinaire félon fa fu-prême autorité. IV. Déférants au défir des vrais amateurs de la liberté, qui en toutes cho-fes voudraient qu*elle eut une égale influence fur tous les objets , Se qui fol-licitent avec ardeur la fupreiîton de tout ce qui peut relier de l'ancienne fer* vitude , de même que pour jouir des mêmes bénéfices dont jouiifent les autres Etats , il a été arrêté de faire frapper, aux armes de ce Royaume, une quantité proportionnelle de monnoye de cuivre & d'argent, pour l'ufage cou- rant de l'intérieur ; laquelle monnoye ne pourra être reiùiée de perfonne, & fera feule reçue par la Chambre & par les Tribunaux, pour tous les payemens, taxes ordinaires & extraordinaires, amendes Sec. ; Se pour la plus grande commodité des peuples de chaque Province, Se peut-être encore de chaque Piéve, il fera député une perfonne, à laquelle pourra recourir quiconque ayant un payement public à fiire , aura be-foin de changer , foit de la monnoye étrangère contre de la monnoye du Royaume , foit de celle-ci contre de la monnoye étrangère pour fon commerce ou autres ufages hors de l'Etat. V. Et pour mieux caraètérifer l'indépendance de nos Tribunaux, Se fu-pléer en partie aux dépenfes nécelfaires à leur entretien, il a été réfolu que le Suprême Confeil fera timbrer aux armes de ce Royaume, une quantité fumfante d* papiers , qui feront confignés aux Intendans Généraux des Finances , avec charge d'en diltribuer la quantité convenable à chaque Piéve , où chacun pourra l'acheter à 2 fols , «Se à 8 deniers la feuille, félon fon befoin. Et dès lc moment que cette diftribution fera faite, il fera notifié par voye de publication qu'il ne fera plus reçu aucun papier non timbré comme infiniment ou pa, pier public, mais que tout acte qui ne fera pas écrit en papier timbré, fera confîdéré dans nos Tribunaux comme de nulle valeur. VI. Pour manifefter d'une manière plus fenfible notre jufte indignation contre Dom Philippe Grimaldi, Chef & conducteur des bandits «Se autres fcélé-rats, lequel fes mauvaifes inclinations avaient conduit en galère dans fa jeiu nèfle, & à qui la fréquence des plus énormes délits contre la patrie a fervi d'échelle pour arriver au grade de Col-lonel au fervice de la République de Gènes, dont il a gagné la plus grande confiance ; il a été décrété qu'il ferait fait une figure d'homme de paille, re-préfentant le dit Dom Philippe Grimal-di, qui ferait par le Miniftre de la Juf-tice, pendu publiquement aux fourches patibulaires, pour que venant à tomber entre nos mains , en quelque tems que ce foit, il fubiflè perfonnellement le même fupplice, VIL Attendu les circonftances préfentes, nous avons penfé devoir charger de la manière la plus expreife les Commilfaires, les Capitaines d'armes & les autres Officiers publics de la nation, d'arrêter & configner à la juftice toutes les perfonnes fufpedes, ou qui tien- diront dos difcours féditieux , de mènie que de veiller fur les allures des EmiC faires Génois, pour tâcher de les fur, prendre dans leurs Fiéves & Paroiifes refpectives , à laquelle prenante reconi, ir.andation, venants à contrevenir, -les Loix ffatuées dans le'Congrès de St. Pierre feront rigoureufement exécutées contr'eux. VIII. On a pris en outre les me-fures les plus propres à maintenir le bon ordre dans Fadminiftration de la Juftice, dans la perception & le maniement des deniers publics, ce que nous obferverons fcrupuleufement autant qu'il appartiendra à nos diférens emplois , & nous veillerons aiîidument à ce que les autres rempliJfent avec la même di, ligence & exactitude leurs commiiîions & offices. Enfin, très chers compatriotes, Nous n'eftimons pas moins à propos de vous exhorter à joindre votre conftance à notre follicitude. Votre zèle pour la commune patrie s'en; montré avec trop de diftinction dans le Congrès mémorable qui s'eft tenu dernièrement , foit par votre nombreux concours, foit par l'ar-deur que vous avez témoignée à fou-mettre & à punir l'indigne rebelle Mar-tinetti i vous avez trop bien prouvé votre fermeté à défendre & à maintenir notre liberté pour que nous ne foyons pas remplis de rcconnailfance pour votre fidélité & votre valeur, & pour que l'Europe entière ne foit perfuadée de notre union inaltérable , moyennant laquelle nous affermirons notre bonheur, en augmentant la gloire de la patrie. Donné à Vefcovado* ce 24 May 1761. Gjuseppe Maria M a s s e s i* Grand Chancelier. N°. IV. MÉMOIRE aux SOUVERAINS DE L'EUROPE. La République de Gènes ne devrait pas , certainement fe plaindre , fi les Corfes n'ont pas prêté l'oreille aux promeffes vagues & trompeufes d'affiner leur tranquillité & leur bonheur, contenues dans leur Édit du 9. May, artificieufcment répandu chez les Corfes même. Quiconque eft tant foit peu inftruit des circonftances acceifoires de cet Édit, fera obligé de convenir, ou que cette République a manqué des lumières néceifaires pour fc diriger dans l'entreprife de plier Pcfprit des Corfes ; ou que leurs vues étaient tout autres que que de les rendre tranquilles & heureux. Le débarquement clandefUn de divers criminels bannis de la Corfe ; les fédi-tions inteilines tentées en diverfes parties du Royaume ; l'obligation qu'elle a impofée à quelques Officiers Corfes, à la folde des Génois, de s'y répandre en fecret, pour exciter la nation à fe mutiner; le peu de cas qu'elle femblait faire du Gouvernement en s'adreflant au peuple le moins éclairé ; était - ce des moyens de rappeller la tranquillité & le bonheur , ou de faire répandre des flots de fang en renouvellant l'horreur des guerres civiles? Les maximes actuelles de la République ne différent en rien de celles qui animaient ci-devant leur Gouvernement , qu'elle a rendu fi odieux aux Corfes , comme elle a rendu leur fort digne de toute la compafïioii des Souverains qui ont connu leurs mal-TomcIL G heurs. Qu'on ne penfe donc plus à raf-fujettir une nation qui fent combien la République avait avili tout ce Royau, me, & dans quelle abjection elle avait plongé fes peuples. Elle choifira fure-ment une mort généreufc plutôt que de fc foumcttre de nouveau à rentrer fous l'ancienne fervitude. Il n'eft pas douteux que la violence & la force qui viendrait à l'appui de la République pourait abbattre la valeur des Corfes ; mais les Génois n'attein-droient pas pour cela leur but. Le cœur ne perdrait jamais l'amour de la liberté né avec lui s Se au lieu de mollir, il ne ferait qu'accroitre cette antipatic qui di-vifera éternellement les deux nations. Il n'eft pas croyable qu'aucun Souverain veuille tenir continuellement une armée fur pied en Corfe, pour foutenir les droits d'une République, qui, excep- té l'invafion , n'a aucun titre qu'elle puiffe mettre en parallèle avec ceux des autres Potentats de l'Europe ; foit qu'il s'agilfe de l'Empire par rapport à la ToC-cane , de la France à laquelle elle fut autrefois incorporée, de l'Efpagne re-préfentant le Royaume d'Arragon , ou enfin du Saint Siège Apollolique , dont elle fut tributaire. Mais on ne fçauroit mettre en doute que les Rois modernes , au trône det quels les juftes clameurs des Corfes font parvenues, veuillent négliger le droit de l'humanité qui peut exciter dans leurs cœurs augulles le defir de rendre le repos à la Corfe, en lui procurant la liberté pour laquelle elle a témoigné dans tous les tems un il grand attachement, & pour laquelle elle a foutenu avec tant de confiance une guerre fi defaftreufe , foit «n la mettant fous la protection àc quel- G Z 148 Etat que Prince qui la regarde comme fa fille, & qui veille & influe avec moins de jaloufie que d'autres États fur la Conftitution de fon Gouvernement ; peut-être encore en adoptant quelque autre expédient un peu moins analogue à l'inclination naturelle de ces peuples, & qui par Pindamnité de leurs privilèges , s'oppofe moins encore aux vues politiques & aux prétentions des Puif. lances intéreifées. DÉTERMINATIONS Prifes dans le Congrès de tous les Chefs principaux du Royaume tenu à Corte le 23 , 24 & 25 OBobre 176*4. LEs bruits qui fe répandent fans ce/Te 4e tous côtés, ne nous permettant plus de douter de la venue prochaine des troupes Franqaifes en Corfe ; puif-que nous lifons dans les gazettes publiques , avec le plus grand détail, le nombre de ces troupes, les lieux qu'elles doivent occuper en Corfe, le tems qu'elles doivent y refte'r , & d'autres articles concernant cette expédition. Dès là'le Gouvernement s'eft cru indiipenfable-ment obligé de convoquer un Congrès extraordinaire de tous les fujets qui ont rempli la charge de Confeiller d'État dans le Souverain Confeil, des Préfi-dens de Provinces , des Commifiaires des Piéves , & de tous les autres principaux Chefs du Royaume , aux fins de confulter fur les déterminations à prendre, relativement à cet incident très in-térenant pour la Nation. Et quoiqu'il y ait lieu de croire que les intentions de S. M. Très-Chrètienne G 3 ne tendent point, par cette expédition, à faire ta guerre à une nation qui s'en; fait conftamment une gloire du plus fin-cere & du plus rcfpcctueux attachement pour la Couronne de France, à raifon de quoi elle a mérité en d'autres tems la protection fpéciale de fes glorieux Pré, décelfeurs ; les troupes Franqaifes étant deftinées à garder & défendre les places que les Génois retiennent encore en Corfe; les Corfes ne peuvent les regarder que comme des troupes auxiliaires de la République; quoiqu'ils n'aient pas encore une pleine connaiflànce de tous les articles du traité fraîchement conclu avec la dite République relativement à cette expédition. Néanmoins pour ufer de toutes les précautions poiîibles , & prendre les me-fures les plus convenables à la fureté pu-brique ; on a formé unanimement les réfolutions fuivantes : I. On établira un Confeil de guerre, comporé de divers fujets de toutes les Provinces , qui devront être nommés par le Souverain Confeil , aux fins de veiller à l'exacte & rigoureufe obferva-tion de l'article 34 de la dernière con-fuite générale, défendant tout commerce avec les garnifons ennemies , tant l'accès des nationaux aux dites places & garnifons que l'accès de ceux des dites garnifons aux Echelles de la Nation, & ce pour garantir nos peuples des angoiffes de la cherté qui pourrait en être bientôt la fuite, pareille à celle de l'année dernière j de même que pour maintenir & augmenter le commerce introduit dans les Echelles de la Nation, & pourvoir en même tems au foutien des finances de l'État ; Donnant pour cet effet au dit Confeil de guerre plein pou- G 4 voir de punir irrémifhblement les dé-linquents. IL Quoiqu'il foit très préfumable que les troupes Franqaifes, qui doivent ac-tuellcment paner en Corfe, ne foient pas deftinées à rien entreprendre au préjudice des droits de la Nation, & à y renouveller aucun des attentats qu'elles ont commis autrefois par un manifefte abus de la confiance & bonne foi des Corlès, dans la furprife inattendue de la Paludella d'Akiprato, & en mettant le château de San-Fiorenzo entre les mains de nos ennemis i cependant par furcroit de prévoyance, il fera abfolument défendu aux dites troupes tout accès dans nos villages, fous quelque prétexte que ce puiffe être ; & pour cela S. E. le Seigneur Général aura foin de garnir les polies des frontières ; même pour faire refpecler la Jurifdiction & la Souverai, neté de la nation fur les territoires dès dites places, lefquels ont été confTfqués au profit de la Chambre , comme il a été pratiqué jufqu'à aujourd'hui. Le Confeil Souverain pourra cependant acorder des paffeports à quelques Officiers Français qui le requerraient, fous referve & obligation de les manifefter à la première affemblée générale, avec les motifs de la demande & de Fottroi des dits paffeports , & de tout ce qui pourait être négocié avec les Français. III. Supofé qu'il pût être fait quelque propofition de paix, ou d'accommodement avec la République, on devra le rejetter abfolument , à moins que les articles préliminaires propofés dans l'aifemblée générale de Cafinca en l'année 176*1 , ne foient premièrement accordés & exécutés. L'aifemblée charge S. E. le Seigneur G S 1^4 Etat Général d'adreffer une rcfpectucufe & prenante repréfentation à S. M. T. C. fur les dommages que caufe à la nation l'envoi de fes troupes en Corfe, dans un tems, où les Corfes profitans de la faibleûe de leurs ennemis, étaient finie point de les expulfer abfolument de l'Isle i le chemin à d'ultérieurs progrès leur étant par-là fermé, tandis que la République au contraire y trouve le grand avantage de s'affranchir des dé-penfes très onéreufes qu'elle avait à fup, porter en Corfe , ce qui la met toujours plus en état de continuer la guerre contre la nation. Le dit Seigneur Général mettra en même tems fous les yeux de S. M. le grand tort qui a été fait du pane à la nation , en remettant aux Génois l'importante place de San Fiorenzo, que les Corfes avaient confignée à fes troupes pour la garder , & de requérir fur le tout de convenables dédomagfr* ments. V. Et pour que cette remontrance refpeetueufè foit plus efficace, le dit Seigneur Général s'adreffera aux Puif-fances protectrices & amies de la nation, pour les fuplier de vouloir Papuyer de leur médiation auprès de S. M. Très Chrétienne, «Se de continuer à la nation leur protection puiiTante , pour la confervation de fes droits ,& prérogatives de JiJberte «Se d'indépendance. VI. Etant venu à la connanTance du Confeil Souverain, que des particuliers indifféremment fe étonnaient la licence de dévafter les forêts publiques, «Se de former des chantiers, ou divers genres de conftructions à leur volonté. Il fera défendu très févérement de le faire à l'avenir , & de faire aucun coupage de G 6 quelque efpèce de bois que ce puhTe être es dites forêts , Ci l'on n'en a obtenu la perrniiîîon par écrit du Confeil Sou, verain qui aura feul le pouvoir de l'ao. corder. Giuseppe Maria Massesi, Grand Chancelier, RELATION U UN VOYAGE EN CORSE, Par M*. BOSWELL, Traduit de r Anglais Par MADAME**** RELATION D'UN VOYAGE EN CORSE Par Mr. BOSWELL. A yant pris , autant pour m'inft ruire \ que pour m'amufer , la réfolution de parfer quelques années hors de ma patrie s je conçus le deflein de vifiter l'Isle de Corfe. J'avais un but plus étendu que celui de faire Amplement ce que nous appelions le tour de l'Europe. Je crus trouver en Corfe ce que perfonne n'allait voir, & ce que je ne trouverais en aucun autre endroit du monde ; un peuple combattant actuellement pour fa liberté , & s'élevant par fes propres forces d'un état de banelfe & d'oppreflion à celui du bien-être & de l'indépendance* En partant par la Suiflc, j'allai voir Mr. Rousseau; il vivait alors dans cette folitude romanefque, d'où peut-être il ferait heureux pour lui qu'il ne fut jamais forti. Éloigné de nous, f0ll éloquence finguliere excitait dans nos efprits les plus grandes idées de ce Phi, lophe fauvage ; en le voyant de plUs près , nous avons trop pu voir, hélas ! combien il y avait à en rabattre. Il me reçut poliment, pareeque je hii étais recommandé par mon illuftre ami Milord Marshal, avec qui j'avais eu le bonheur de traverfer une partie de l'Allemagne. Je favais que Mr. Rouf, feau était en correfpondance avec les Corfes , qui l'avaient confulté fur la nouvelle législation qu'ils voulaient établir. Je lui parlai de mon deifein d'aller voir les Corfes, dès que j'aurais achevé le tour d'Italie , & je le priai de me donner une lettre qui put me fervir d'introduction. Il promit de m'en envoyer une dès qu^il fçaurait le tems précis de mon départ pour cette Isle; car il voyoit bien que mon enthoufiafme pour ces braves infulaires ne le cédait pas au fien. Sur cette promelfe je lui écrivis de Rome en Avril 176*5. que j'avais fixé le mois de Septembre pour l'exécution de mon projet pour la Corfe , & que je le priais de m'envoyer la lettre de recommandation qu'il m'avait promife : que s'il me la refufait, je n'en partirais pas moins ; que je ferais probablement pris & pendu comme un ef-pion & qu'il ferait refponfable des confé-quences de fon refus. Ce Philofophe mifanthrope tint fa parole, & je requs en arrivant à Florence au mois d'Août la lettre fuivante. A Mr. B OSWELL, &c. A Motiers le 30 May La. crife orageufe où je me trouve, Moniteur, depuis votre départ d'ici, m'a ôté le tems de répondre à votre première lettre & me lailfe à peine celui de répondre en peu de mots à la féconde. Pour m'en tenir à ce qui prelfe pour le moment, favoir la recommandation que vous défirez en Corfe, puifque vous avez le defir de viiîter ces braves Infulaires, vous pourrez vous informer à Baftia de Mr. Buttafoco, Capitaine au Régiment Royal Italien ; il a fa maifon a Vefcova-do , où il fe tient affez fou vent. C'en: un très galant homme qui a des con-naiifances & de l'efprit ; il fufhra de lui montrer cette lettre, & je fuis fur qu'il vous recevra bien, & contribue!* à vous faire voir l'Isle & fes habitans avec fa-tisfaclion. Si vous ne trouvez pas Mr. Buttafoco, & que vous vouliez aller tout droit à Mr. Pafcal Paoli, Général de la Nation , vous pouvez également lui montrer cette lettre , & je fuis fur, con-naiifant la noblerfe de fon caractère, que vous ferez très content de fon accueil : vous pourrez lui dire même que vous êtes aimé de Milord Maréchal d'Ecoffe , & que Milord Maréchal eft un des plus zélés partifms de la nation Corfe. Au refte vous n'avez pas befoin d'autre recommandation auprès de ces Meilleurs que votre propre mérite, la nation Corfe étant naturellement ii accueillante & fi hofpitaliere que tous les étrangers y font bien venus & careffés. Bons & heureux voyages. Santé, gayeté & prompt retour. j Je vous embraffe , Monficur , de tout mon cœur. J. J. Rousseau. Muni de oette lettre, je m'impatientai d'arriver auprès de Pilluftre Chef des Corfes. Les agrémens & les plaifirs de Sienne m'y retinrent plus longtems que je n'aurois du, & l'air de la Corfe m'était néceffaire pour me fortifier contre les délices delaTofcane. Je me rappelle encore avec furprife , combien le véritable état de la Corfe eft ignoré, même par ceux qui font le plus à portée de s'en inftruirc. Un Officier de marque de la flotte Anglaife , qui avait été dans plufieurs des ports de Cette Isle, me dit que je courais rifque de la vie en allant parmi ces barbares ; que fon garçon chirurgien s'étant un jour fait mettre à terre pour s'amufer à chaffer, avait été à chaque inftant effrayé par l'apparition fubite de quelques Naturels du pays qui fortaient de derrière les builfons avec des fufîls chargés , & qu'ils lui auraient certainement cane la tête fans la protection des guides Corfes qui l'accompagnaient. A Livourne même, qui n'eft qu'à une journée de voile de la Corfe, avec qui cette ville entretient un commerce journalier, j'ai trouvé nombre de gens qui cherchaient à me difluader de faire ce voyage à caule des dangers que j'aurais à y courir. Je ne me fentis pas cependant la moindre crainte en allant en Corfe. Le Comte Rivarola , Conful d'Efpagne , & Corfe lui-même, m'ayant affuré que non feulement la Corfe était alors très-civi-Hfée, mais que, dans le tems même où elle l'était le moins, aucun Corfe n'aurait jamais attaqué un étranger. Le Comte eut la bonté de me donner des lettres pour plusieurs des habitans de l'Isle. J'avais voyagé déjà dans bien des pays diiférens , & fâchant par expé- ricnce que je pouvais m'accommoder avec tous les hommes , quelque fut leur langage & leurs fentimens i je craignais peu de me trouver mal à mon aife au milieu d'un peuple aufïï franc & aulfi généreux que les Corfes. Le feul dan, ger qui me parut à craindre était celui d'être pris par quelque Corfidre de Barbarie , & de faire un effai d'efclavage parmi les Turcs ou les Algériens. J'en parlai à l'Amiral Harrifon qui était alors avec fon vailfeau le Centurion dans le port de Livourne. Il m'alfura que fi les Turcs me prenaient ils ne me garderaient au moins pas longtems. Pour prévenir cet accident cependant, il voulut bien me donner un palfeport très-ample & très-détaillé. J'eus lieu de remarquer avant de quitter Livourne que les Politiques d'Italj* ooniidéraient mon voyage en Corfe dans un jour fort férieux, & comme II j'avais eu une commiiîion réelle de la Cour de négocier un traité avec les Corfes. Plus je m'en défendais, plus ils s'obfti-naicnt à le croire & à me regarder comme un jeune homme bien impénétrable. Je leur laiifai donc faire de moi un Minière , jufqu'à ce que le tems les détrompât. Je m'embarquai à Livourne fur un bâtiment Tofcan qui allait au Cap Corfe pour charger du vin ; je le préférai à un vailfeau qui allait directement à la Baf-tie , parce qu'ignorant les idées du Général Français fur les Corfes , je craignais qu'il ne me permit pas d'aller trouver Paoli. J'aimai mieux par cette raifon débarquer fur les terres de la nation , & après en avoir vu l'illuftre Chef, aller en-fuite rendre mes refpects au Commandant Français, Il je le jugeais à propos. On ne met ordinairement qu'un jour à fe rendre de Livourne en Corfe ; mais le calme nous en fît mettre deux. Le premier de ces deux jours fut le plUs ennuyeux. Il y avait pourtant à bord deux ou trois Corfes, dont l'un m'a, mufa fort en jouant du luth. Au cou, cher du foleil tout l'équipage chanta P4. ve Maria avec beaucoup de dévotion & quelque mélodie, -Je me plaifais à entrer dans l'efprit de leur religion & à les en, tendre offrir à Dieu leurs prières du foir. Le fécond jour nous fîmes un peu connainance , & l'on parut plus vif & plus gai. Ces bons Corfes penferent qu'il était à propos de donner une leçon de morale à un jeune voyageur qui venait d'Italie -, ils me dirent que je ferais traité chez eux avec la plus grande hofpitali, té fi j'étais fage, mais que je pouvais être être fur que la mort la plus prompte ferait la fuite du moindre attentat à la chafteté de leurs femmes & de leurs filles. Je m'occupai pendant pluiieurs heures à ramer; ce qui me donna du courage. Je fentis le plus grand plaifir en approchant d'un lieu qui avait acquis une li grande importance dans mon imagination. D'auiîi loin qu'il me Souvienne , j'ai entendu parler des rebelles de Corfe, & Paoli à leur tète, «Se l'idée que j'allais les voir , m'occupait agréablement. Nous abordâmes fort heureufe-ment à 7 heures du foir à la rade de Century. J'appris en arrivant que le Signor Giacomini , habitant de ce lieu, & à qui j'avais été recommandé par le Comte Rivarola , venait de mourir. Il avait fait une fortune confidérable dans les Indes orientales, «Se s'était diftingué toute fa vie par un zèle pour la liberté Tome IL H de fa patrie dont il donna des preuves dans fon telramcnt. Il laiifa une fournie coHiidérablc & quelques écrits concernant les réglemens politiques, à la mu tion -, & fournit fon héritier à la condition de demeurer en Corfe & de ref-ter toujours ferme dans le parti de lu liberté : mais il l'obligeait fous peine d'être privé de fon héritage , de fe retirer à Livourne avec tous fes effets, fi jamais il arrivait qu'ils furfent forcés de retourner fous la domination des Génois. On me conduifit chez un parent de Mr. Giacommi, dont la maifon était environ à un mille plus loin dans la campagne. Rien de plus agréable que la vue de ces montagnes couvertes de vignes & d'oliviers ; à cet afpecl charmant fe joignait encore le parfum des mir, thes & des autres plantes & fleurs aromatiques, dont j'étais environné, Je vis fouvent, en avançant, des payfans Corfes fortir foudainement de derrière les buùfons, & comme ils étaient tous armés , je n'eus pas de peine à comprendre comment l'imagination eifrayée du compagnon Chirurgien les avait transformés en autant d'anailins. L'homme même , qui portait mon bagage, était armé , & aurait pu me faire peur, fi j'en avais été fufceptible ; mais lui & moi nous fûmes fort fatisfaits l'un de l'autre. Comme il commençait à faire obfcur , je recitais, fouvent en moi-même) ce beau paffage de l'Arioffe. E pur per felve obfcure> e ca% obliqui Infieme van fenza fofpetto averjt. A ri 0 s t. Cant. L y, Par des chemins obfcurs Si des 3ï routes obliques, ils marchaient en- H % „ femble éloignés de tout mauvais foup, „ çon *. Je rendis au Signor Anton, neti ma lettre pour ion défunt parent ; il la lut, & m'accueillit avec une cor, dialité libre & naturelle, en me faifant des exeufes de la frugalité avec laquelle je ferais traité chez lui; mais en m\iC furant en même tems que j'y étais le très bien venu. Il témoigna la même hofpitalité vraiment obligeante à mon domeftique , honnête Suilfe qui aimaii beaucoup à bien boire & à bien man, ger. J'avais cru trouver en Corfe des ufiees abfolument différens de ceux des autres pa^ Je fus bien furpris de voir la maifon du Signor Antonncti entière, rement dans le goût Italien ; de beaux meubles , des eftampes , des tableaux copiés des meilleurs maitrçs. Je fUs frappé fur tout d?y voir une petite co, pie du S. Michel & du Dragon de Ra. de la G o r s e. 173 phael. Ce n'était pas la perfection de la copie qui caulait ma furprife, c'était de la voir dans ce lieu. Le Signor An-tonneti me donna un excellent petit louper & un très bon lit. Il parla avec beaucoup de force de la caufe commune , & avec une grande vénération du Général. Je me trouvai fort à mon aile avec lui , & très content de ce début de mon. voyage en Corfe. Le jour fuivant était un Dimanche, & il plût beaucoup, fur quoi je dois ob-ferver que les Corfes , avec tout leur courage, craignent le mauvais tems à un point qui approche de la puiîllaui-mité. C'ert de quoi l'un d'entr'eux me donna un jour une raifon finguliére ; Monfieur, me dit - il, fi vous étiez aufîi pauvre qu'un Corfe, que vous n'euiïiez qu'un habit qu'il faudrait garder fur le corps lorfqu'il ferait mouillé, faute d'en h a avoir un {ce pour le remplacer, vous craindriez autant que moi d'aller à la pluye. M. Antonneti ne voulait pas me permettre de fortir par la pluye ; car, diiait-il> qnando fi trova■ fiwri5 fatienza > ma di andar fitori è eattivo. j, Si Ton fe trouve dehors, patience, „ mais de fortir par le mauvais tems, „ c'eft: une fottife. Lorfquc le tems fut un peu remis , j'accompagnai le Signor Antonneti & fa famille à la Méfie dans l'Eglife de la Paroiife. C'eft un joli petit bâtiment à environ un mille de chez lui. Le Curé •de la Paroiife du Signor Antonneti de, vait nous prêcher, ce qui me fit grand plaiflr. J'étais curieux d'entendre un Sermon Corfe. Notre Prédicateur fit très bien. Son texte était ces paroles d'un Pfeaume : ils dsfcendsut tous vivais dans l'abime. Après s'être efforcé d'é- mouvoir le fentiment par une defcrip-tion pathétique des horreurs de l'Enfer , il ajouta ; " Ste. Catherine de Sien-„ ne délirait d'être placée à l'entrée de „ ce goufre épouvantable , & de pt>u-„ voir le boucher de façon qu'aucune „ ame infortunée ne pût plus jamais y „ tomber. J'avoue, mes frères , que „ je n'ai pas autant de zèle que Ste. „ Catherine, mais je fais au moins tout „ ce qui m'eft pofîible pour vous fau-„ ver de l'abîme , en vous inftruifant de „ ce qu'il faut faire pour l'éviter ". Après cela , il conclud fon Difcours par des confeils & de fages directions. Le beau tems étant tout à fait revenu, je pris congé du digne homme qui m'avait gardé 11 longtems chez lui, & traité avec tant de bonté. Il me donna une lettre pour le Signor Damiano Tomazi, Pafteur de la Commune de Pino , villa- h 4 ge voilïn. J'engageai un homme avec un âne pour porter mon bagage : mais jamais je n'ai vu un chemin comme celui-là. C'était abfolument gravir le long d'un rocher. Sufpendu fur la mer par un chemin quien bien des endroits, n'avait pas un pied de large, trou, vant que l'âne ne faillit que m'emba-raifer, je perfuadai à mon conducteur de charger fur fes épaules mon portemanteau & mes autres éfets. Si j'avais formé mes idées fur la Corfe d'après ce que je vis ce jour là , j'aurais été d'auili mauvaife humeur con-tre cette Isle que l'était Sénéque, dont les réflexions en profe ne font point inférieures à fes Epigrammes. " Que peut-„ on, dit - il, trouver de plus fauvage, „ de plus flérile que les environs de ce „ Roc? de plus dénué de toute cfpèce » de vivres ? quoi de plus barbare que n fes habitans ? eft-il de fîtuation plus îî horrible, de climat plus intempéré ? » on voit cependant dans ce lieu plus 3> d'étrangers que de natifs i changer de 5J demeure n'eft donc point un malheur, 33 puifque même la Corfe a pu engager 33 tant d'hommes à quiter volontaire-33 ment leur patrie , pour venir l'ha-33 biter ". Je fus fort furpris à Pino de me voir abordé par de jeunes gaillards habillés en matelots Anglais, & parlants paifable-ment cette langue. Ils avaient été plusieurs fois à Livourne avec des char-gemens de vin ,■ c'eft là qu'ils avaient apris l'Anglais qu'ils favaient, «5c pris des habits en payement d'une partie de leur marchandife. Le Signor Tomazi me reçut très bien, & me traita de même. A peine dans toute la Corfe, excepté dans les villes h 5 de ganiifon, trouve-t-on une Auberge. Je n'en ai vu qu'une feule à 20 mille environ de Corte. Avant d'être aecoutu* me à l'hofpitalité des Corfes, il m'eft fouvent arrivé de m'oublier & de m'i, maginer être dans un Logis public. Je demandais ce qu'il me fallait du to» dont on le demande à des valets d'au, berge. C'eit ce que je fis à Pino, où je demandai diverfes chofes toutes à la fois, quand le Signor Tomazi s'aper, cevant de ma méprife, me dit en fotu riant & en me regardant fixement, una cofa dopo un altra , Signore, une chofe après l'autre, Monfieur. En écrivant ce Journal , je ne fati, guerai pas mes Lecteurs par un détail minutieux des événemens de chaque jour en particulier. Une relation libre & fuivie de ce que j'ai vu & ouï, digne d'être remarqué, leur fera plus agréa- de la corse. 179 blc. Je voyageai pendant quelque tems d'une façon ilnguliére ; fouvent à pied, acompagné d'une couple de femmes ro-buftes qui portaient mon bagage fur leur tète. Je ne pouvais m'empècher de rire chaque fois que je me préparais à quitter un village, de voir ces bonnes gens s'empreflcr à arranger mon équipage , & apelier à grands cris ; Le donne, le donne. Les femmes , les femmes. J'ai eu en parcourant l'Isle tout le tems & la commodité néceflaire pour m'inftruire de ce qui la regarde je logeais quelquefois chez des particuliers , d'autrefois dans des Couvens, & toujours bien recommandé de lieu en lieu. Le premier Couvent où je couchai fut celui de Canary. D'abord ce genre de vie me parut un peu étrange , mais j'appris bientôt à me retirer dans le Dor- h 6 180 Etat toir aufTi naturellement que fi j'avais été Moine depuis 7 ans. Les Couvens font de petits bâtimens, décens , pr0-portionnés aux idées (impies .& modérées de leurs pieux habitans ; des Religieux qui travaillent fincérenient à leur falut, en cheminant juftement devant Dieu, font fouvent raillés & mé-prifés par ceux que les plaifirs ou les foucis temporels emp&chent de fonger à l'avenir, & de s'occuper d'objets plUs relevés : Un peu d'expérience de la paix & de la férénité d'ame que l'on trouve dans les Couvens, ferait bien néceflaire aux gens du monde, pour tempérer l'ardeur avec laquelle ils recherchent les plaifirs. Je trouvai à Patrimonio le Siège d'une Magiftrature Provinciale. Le Chef Juge y était & me reçut très bien. En y arrivant , le Capitaine de la garde fortir,, & me demanda qui j'étais. Anglais, lui répondis-je. Il me regarda d'un air férieux, & me dit, d'un ton mêlé de„regret & de reproche , Inglefe ! iferano noftri amici, ma non h fono pin. 3a Les Anglais! ils étaient autrefois nos » amis, mais ils ne le font plus ". Je me fentis confus pour m an pays aux yeux de cet honnête foldat. A Olletta , je fus rendre vifite au Comte Nicolas Rivarola , frère de mon ami de Livourne. Il me requt avec une extrême politeffe, & fit. tout ce qui était poflible pour me faire plaifir. C'eft là que je vis un Corfe qui penfait plus favorablement des Anglais que le Capitaine de la garde à Patrimonio. Il me parla de notre bombardement de San Fiorenzo en faveur des patriotes, & me prêta gracieufement fon cheval pour l'après mictt, ce qu'il n'aurait fait, du fait-il, pour perfonne au monde, qUe pour un Anglais. J'eus le plaifir en arrivant à Morato, de faire connainance avec le Signor Bar-baggi, dont la femme efl: nièce de Paoli. Je lui trouvai des ferftimens, de l'ôf; prit , & de la politeffe. C'eft chez lui qu'eft la monnaye de Corfe. Je pris des échantillons de leurs différentes efpèces en argent Se en cuivre, Se l'on me dit qu'on efpérait dans un an ou deux pouvoir battre des pièces d'or. On réparait alors la maifon du Signor Barbaggi, Cc qui m'obligea de coucher au Couvent, mais j'allais dès le matin déjeuner chez lui avec du chocolat. A diner, nous n'avions pas moins de 12 plats très bien aprètés & fervis en porcelaine de Saxe. Un dclfert & différentes fortes de vins & de liqueurs, tous produits de la Corfe, Le Signor Barbaggi me répétait fouvent que les Corfes habitaient un pays fauvage Se inculte , & qu'ils vivaient comme les Spartiates. Je le priai de me dire dans quel pays on pourrait trouver autant de luxe , que j'en voyais chez lui. Je dirai par tout où j'irai, ajoutai-je, de quelle façon fc traitent les Corfes , malgré la pauvreté & la tempérance dont ils font profelTion. Nous badinâmes beaucoup fur ce fujet. Sa femme me parut jolie & fort aimable, malgré fa grande réferve. Pour aller de Morato à Corte , je traverfai un pays très fiuvagc & montagneux , diverfiné par quelques profondes vallées. Je pris de petites bètes de fomme pour moi & pour mon do-meftique. C'était quelquefois des che- vaux, mais le plus fouvent des mules ou des ânes qui n'avaient point de bri-des , mais de fimples cordes attachées autour du coi avec lefquellcs nous les menions le mieux qu'il nous était pot fible. A Cortc, je fus rendre mes devoirs au Confeil Suprême , pour l'un des membres duquel le Signor Babbaggi m'avait chargé d'une lettre à remettre au Signor Boccociampo. Je fus très bien reçu, & l'on me conduifit au Couvent des Fran-eifeains, où l'on me donna l'appartement même de Paoli, qui était alors abfent pour un voyage , à quelques journées de là , au-delà des monts , où il tenait une Cour Sindicale dans un village appelle Sollacaro. Comme le Général réfidait depuis quelque tems dans ce Couvent, les Moines qui l'habitaient faifaient un peu plus de figure que ceux que j'avais vu jufques alors dans P Isle. Je fus accompagné principalement par le Prieur , Eccléuaitique réfolu, qui avait autrefois fervi dans l'armée, & par le Pére Giulio , homme de beaucoup d'efprit, avec qui j'ai le plaifir d'être encore en correfpondance. Ces Pérès ont une bonne vigne & un très beau jardin. Ils ont entre 30 & 40 ruches d'abeilles dans de longues cames ou troncs d'arbres , avec des couverts d'écorce de liège. Quand ils ont befoin de miel, ils brûlent un peu de bois de genièvre, dont la fumée fait retirer les abeilles > enfuite avec un inftrument de fer, dont l'un des bouts eft armé d'une pointe recourbée & tranchante , ils tirent la plus grande partie du rayon, n'en laif-fant qu'un peu pour les mouches qui fe remettent d'abord à travailler & re- parent bientôt leur perte. En prenant le miel de cette façon, il n'y a jamais une mouche de tuée. Les Moines de ce Couvent paraiffent heureux , & v^ vent dans la paix & l'abondance. Je les badinais fouvjnt du dicton appliqué à leur ordre. Nihil habentes & omnia p0ji ftdentes. Ils n'ont rien & poffédent tout. ]e me rendis avec eux au chœur. Le fervice fut décent. Le Pére Giulio joua de la Harpe. Je vis fur le grand Autel un Tabernacle fculpté en bois par un de leurs Religieux. C'eft une pièce d'un travail exquis. Un Seigneur Génois leur a offert de l'échanger contre un d'argent , mais ils n'ont pas accepté l'échange. La Bibliothèque de ces Pères ne vaut pas la peine d'en faire mention, mais leur Couvent eft bien bâti. Je voulus m'arrèter un peu à Corte, tant pour me repofer de mes fatigues » e la Corse. tgy que pour voir tout ce qu'il y a de remarquable dans cette Capitale de la Corfe. Le lendemain de mon arrivée, trois déferteurs Français demandèrent à me parler. Ces extravagans s'étaient mis en tète que j'étais venu en Corfe pour lever des troupes pour PEcoiîe , & ils venaient me prier de leur permettre d'avoir l'honneur de me fuivre ; fans doute pour avoir auih l'honneur de me planter là, quand je les aurais engagés , comme ils avaient fait à leur Régiment. Je reçus beaucoup de politefle à Corte du Signor Boccaciampo, & du Signor Maneîi, grand Chancelier. Son fils , le Signor Luigi, jeune gentilhomme, qui joignait à beaucoup de vivacité , beaucoup de politeffe naturelle, eut la com-plaifance de m'accompagner par tout. Je Pappellars mon Mentor , & j'étais d'autant plus charmé de lui, que n'é- tant jamais forti de fon pays, fes idées étaient entièrement Corfes. Tous les membres du Confeil Suprême qui réfidaient à Corte, pendant le tems que j'y ai paffé,■ m'ont paru des gens figes & folic^s , qui ont toute l'habileté & la pénétration d'efprit néceflai-re pour aider le Général à former fon plan de Gouvernement Politique , & à tirer tout l'avantage polTible du caractère violent & entreprenant de ce peuple. L'Univerfitc n'était point alors aflem-blée , ainfi je n'en pus voir que les Chambres qui me furent montrées par le Reèteur, l'Abé Valentini. Tous les Proferfeurs étaient abfens , excepté un Père Capucin à qui je fus faire vifife dans fon Couvent. C'eft un bâtiment paiTable. La Bibliothèque eft aifez nom-breufe. Il y a dans l'Eglife un Tabernacle travaillé en bois, dans le même goût que celui des Francifcaiiis , mais fort inférieur. - Je montai au Château de Corte, dont le ! Commandant me fit voir très poliment toutes les parties. Comme je ne. voulais rien laiifer échapper de ce qui pouvait y avoir de curieux en Corfe, je me fis montrer jufques aux malheureux détenus pour crimes. Il y en avait alors trois dans les prifons. Un homme pour le meurtre de fa femme. Une Dame qui avait donné de l'argent à fon valet pour étrangler une femme dont elle était jaloufe, & le malheureux valet qui avait exécuté cette barbare action. On les fortit de leurs cachots pour que je puffe leur parler. L'affauin de fa femme avait un air ftupide & endurci , & me dit que ce qu'il avait fait était à l'inftigation du Diable. Le do-nieffique était un pauvre miférable qui faifait pitié. Il avait d'abord accufé fa Maitreife ; on l'engagea enfuite à fe re-trader , furquoi on l'avait mis à la torture. Des mèches enflamées entre les doigts lui firent renouvellcr fa première aceufation , qui formait une forte preuve contre fa maitrclfe. Ses mains étaient fi écorchées par la torture que c'était un objet d'horreur. Je lui demandai , pourquoi il avait commis ce criifie, il me répondit, perche era fenza fpirito, parce que j'étais fans efprit. La Dame me parut d'un caractère réfolu. Elle nie parla avec beaucoup de fermeté , & niait fon crime, difimt, avec un fouri-re méprifint, en montrant fon valet, ils peuvent obliger ce malheureux à dire tout ce qui leur plait. Le Bourreau de Corfe eft une vraye curiofité. 11 eft fi fort en horreur qu'il ne peut vivre comme un autre habi- tant de l'Isle. Il eft obligé de fe réfugier au Château dans une petite tour du coin, où à peine il a place pour un miféra-ble lit, «Se un petit feu pour aprèter lui-même les vivres qui lui font néceifaires pour ne pas mourir de faim, car perfonne ne voudroit, à aucun prix, avoir affaire avec lui. Je montai pour le voir, mais jamais {peclacle plus ahxeux & plus dégoûtant n'avait frappé mes yeux. Il paraiilàit fenlible à fa fituation , «Se baif-fait la tète comme un homme qui fait qu'il eft un objet d'horreur «Se d'abomination. On avait été longtems en Corfe fans pouvoir trouver de bourreau , auili le fuplice de la potence y était à peine connu. Tous les criminels étaient panés par les armes. A la fin, la malheureufe créature que je vis , Sicilien de naif-fance , fe préfente avec un mciîage pour Paoli. Le Général qui a un talent fur. prenant pour juger les phylionomies, dit d'abord en le voyant, à ceux qui étaient .autour de lui, ecco il boyot, voilà le bourreau. Il donna ordre de deman, der à cet homme, s'il voulait en faire l'office, & fa réponfe fut, mon grand ■père u été bourreau, mon père a été bourreau , fui moi-même été bourreau , ç^f je continuerai volontiers à Vetre. On le revêtit fur le champ de fa charge , & une feule mort ignominieufe infligée par fe$ mains, fit plus d'effet que vingt exé-cotions par les armes à feu. Il eft remarquable qu'aucun Corfe ne voudrait, à quel prix que ce futconfentir à être bourreau. Les plus grands criminels ne rachèteraient pas leur vie à cette condition. Le miférable, qu'un chétif falaire avait engagé a étrangler une femme innocente , n'aurait pas voulu racheter . fon fon fuplice en confentant à faire la mè-nie action pour exécuter Tordre de la loi. Après avoir tout vu avec foin à Cor-te, je me préparai à mon voyage au-delà des monts pour aller trouver Paoli. La veille de mon départ, je me rap-pellai que j'avais oublié de me pourvoir d'un palfeport, ce qui, dans la fi-tuation préfente de la Corfe, était cependant une précaution très nécenaire. Après fouper, le Prieur vint avec moi chez le grand Chancelier pour le lui demander. Il donna ordre de le préparer fans délai, & pendant que fon Secrétaire le dreffait, il m'amufà par la lecture de quelques articles de la con-fulte générale. Quand le paffeport fut achevé & prêt à y mettre le fceau , je fus agréablement frappé par un petit incident bien fimple, mais bien beau. Le Chancelier dit à un petit garçon, Tome IL I qui badinait auprès de nous dans la même .chambre , d'aller dans celle de mère chercher le grand fceau du Royau, me qui y était. Je me crus aflîs dans la chambre de Cincinnatus. Je partis le lendemain matin , & commençai mon voyage en très bon ordre avec d'excel, lentes mules & des guides Corfes actifs & intclligens. Les dignes Pérès qui m'a, yaient traité pendant le féjour que j'a_ Vais fait dans leur maifon de la façon, la plus gracieufe, voulurent encore me munir dé provifions pour la route ; i|s me donnèrent des grenades délicieufes, & une bonne gourde de leur meilleur yin. Mes guides Corfes me piment fi fort que fouvent je defeendais pour mar, cher à pied avec eux 3 comme je les voyais- faire. Si la faim nous prenait, nous jettions des pierres parmi les bran, cljes épauTes des châtaigniers qui nous couvraient de leur ombre ; il en tombait une pluye de châtaignes dont nous , remplilîions nos poches, & quand ce repas nous altérait, nous nous arrêtions près de la première fource pour rafraîchir la bouche , & nous buvions jufqu'à ce que nous en eufîions affez. Je me rappellai dans ces raomens le prifea gens mortalium, cette première race des hommes qui couraient dans les bois, mangeant du gland & buvant de l'eau. Nous nous arrêtâmes à un petit village pour faire rafraîchir nos mules. Tous les habitans m'entourèrent en foule , me croyant un Ambafladeur envoyé à leur Général. Quand ils feurent quel était mon pays , un homme noir & ro-bufte d'entr'eux s'écria: Inglefe fono Bar-bari, non credono in Dio grande ! An-glois î ce font des Barbares , ils ne croy-ent pas au grand Dieu. Pardonnez-moi, Monficur, lui dis-je, nous croyons en Dieu & en Jéfus-Chriir, aulîi. Hain f rcpliqua-t-il, è nel Papa ? & au Pape ? Non. E perché? Et pourquoi? La quef, tion était délicate, car il y avait bien des auditeurs à la controverfe. Je m'a, yifai d'eflayer une méthode de mon invention , & lui répondis fort gravement, Perche fono troppo lontani, parce que nous en fommes trop éloignés. C'était un ar, gument bien nouveau contre Pinfaillibi, lité univerfelle du Pape. Il fut trouvé bon cependant, car mon antagonute, après s'être tu un moment, me dit : Trofpo lêntano ! la Sicilia è tanto lon-tana che Vïnghilterra , e in Sicilia fi credono nel Papa. „ Trop éloignés ! la Si-cile eft aulfi loin que l'Angleterre, ?} & l'on y croit bien au Pape. " Oh ! lui dis-je, Noi fiamo dieci voltepik lontani che la Sicilia ! Nous fommes dix fois plus loin que la Sicile. Ah ! ah ! dit-il, & il parut fort fatisfait. C'eft ainfi que je me tirai d'affaire. Je doute qu'aucun raifomiement lavant de nos Mi-niftrcs Proteftans eut produit un meilleur effet. Mon voyage en paffant les montagnes fut fort agréable. Je paffai d'immenfes vallons & de vaftes forêts. J'étais plein de fanté & de courage , & me fentais très difpofé à entrer dans les idées des hommes fimples & généreux que je trouvai par tout en mon chemin. J'eus à Baftilica, où l'on trouve une race d'hommes graves & fpirituels , une compagnie nombreufe au Couvent. .J'aimais à voir leur franchife naturelle & leurs façons aifées ; car pourquoi les hommes auraient-ils peur de voir leurs fembla-hles ? ils entraient, en me faluant, d'un air libre, fe plaçaient autour de la cham- bre où j'étais aiiis , en s'appuyant fur ieurs moufqucts , & entraient tout de fuite en converfation avec moi. Ils pat. J aient avec beaucoup de fentiment des malheurs que leur pays avait éprouvés, Se fe plaignaient de ce qu'ils n'étaient encore que 'dans un état de pauvreté Se de mifère. Je me trouvai dans ce moment une vivacité d'imagination extraordinaire, Se comme on eft moius timide quand on fe trouve parmi des perfonnes abfolument inconnues Se que ion eft éloigné de fon pays, je haranguai les habitans de Baftilica avec une facilité dont j'étais moi - même furpris. J'exaltai la bravoure des Corfes à la_ quelle ils devaient leur retour à la U, berté , le plus précieux des tréfors, Se qui les avait rendus fameux dans toute l'Europe. On peut, difais-je , remédier •a l'indigence en cultivant avec foin tout le terrein de l'Isle qui peut s'y trouver propre, & en établinant & encourageant le commerce : Mais je les exhortai à fe fouvenir qu'ils étaient beaucoup plus heureux dans leur état préfent qu'ils ne le feraient jamais avec les rafinemens de la volupté qui mènent au vice , qu'ainfi il leur importait fur-tout de fe préfer-ver du luxe. Ce que je dis eut le bonheur de les toucher, & plufieurs d'en-tr'eux répétèrent les mêmes idées avec beaucoup plus de force & de fentiment que moi. Tous exprimèrent leur inviolable attachement à Paoli, & s'écrièrent tous d'une voix qu'ils lui étaient abfolument dévoués. J'aurais eu bien du plaifir à paner quelque tems avec ces braves gens. Je vis à Ornano les ruines du lieu où le grand San Pictro faifait fa réû*-dence. Ces Moines du Couvent d'Orna- jio formaient une focieté aifez fingulicre Quand je leur eus dit que j'étais An, glais , ah î ah î me dit l'un d'entr'eux Anglais, comme difait fort bien un Saint Evêquc en parlant de votre prétendue Reformation : Angli olim Angeli, minc Diaboli. Les Anglais autrefois des an, ges, aujourd'hui des diables. Je regar, dai ce difeours comme une fainte eifu, fion de zèle aportolique. Ces Pères ce, pendant eurent grand foin de moi pour le temporel. Je parvins enfin à la vue de Solla-earo où était Paoli , & je me fentis en approchant rempli de trouble & de timidité. Mes idées fur cet homme cé, lébre avaient été fort exaltées par les converfations que j'avais eues fur fon fujet avec des habitans de l'Isle de tout rang & de tout état, qui tous s'étaient accordés à le repréfenter comme un être au-denus de l'humanité. Je defirais'.avec ardeur pouvoir juger par moi-même d'un caractère aufïi grand , aufli diflingué ; mais je craignais que le motif de ma vifite & la préfomption que j'avais d'aller l'importuner , ne me fit paraitre bien petit à fes yeux. J'eus prefqu'envie de m'en retourner fans le voir. Ce combat de fentimens différens m'agita & m'occupa l'efprit pendant que je traverfai le village & jufques au moment que j'arrivai à la maifon qu'il habitait. Je laiflai mon domeftique avec mes guides , & paffant les gardes , je trouvai quelques-uns des gens du Général qui me conduifirent dans une antichambre, °ù je vis plufieurs Cavaliers Corfes qui l'attendaient. Mr. Boccaciampo lui avait annoncé mon arrivée, & l'on m'intro-duifit dans fa chambre. Je le trouvai fèul. Son air me frappa.. Il eft grand, robufte ? & bienfait. Sa phyfionomiè douce & ouverte annonce de la fenfu bilité & de la grandeur d'ame. Sa dé, marche eft mâle , tous fes mouvcmeiis font nobles. Il était alors dans fa qua, rantieme année r & portait un habit verd & or. Son ufage autrefois.était de por-. ter l'habit ordinaire des Corfes ; mais à l'arrivée des Français-, il crut qu'un peu, d'élégance & de magniFxence extérieure pourrait contribuer à donner au Gouvernement un air plus rcfpedable. Il me demanda ce qu'il y avait pour mon fervice; je lui préfentai la lettre du Comte Rivarola, & quand il l'eut lue , je lui fis voir celle de Rouffeau. 11 fut poli, mais très refervé. J'ai parlé dans ma vie à bien des Princes, mais jamais , non jamais aucun ne m'a fait éprouver ce que je fentis en la préfence de Paoli. J'ai déjà dit qu'il eft grand d- e la Cors e. 205; pnyfionomifte, & par une fuite du danger continuel où il eft d'être trahi ou aflàiîiné, il s'eft fait une habitude d'ob-ferver avec une attention extrême tous les nouveaux virages qui l'approchent. Pendant plus de dix minutes que nous nous promenâmes enfemble en long & en large dans £1 chambre, à peine dîmes - nous quatre mots ; mais il m'examinait d'un œil fixe & perçant comme s'il eut voulu pénétrer jufques au fond de mon ame. J'avoue que cette entrevue me parut pendant quelques moyens très-pénible, & que je fus bien foulage quand, perdant peu à peu fon' air de referve , je le vis commencer à-parler davantage. Je hazardai alors de lui adreffer ce compliment pour les Corfes. Je voyage,- Monfieur, lui dis-je, j'arrive de Rome. Après y avoir vu les ruines du peuple le plus courageux de I C la terre , je viens ici contempler le commencement de l'élévation d'un autre peuple qui ne le cède point aux anciens Romains en valeur. Il reçut mon compliment d'un air gracieux, en obfervant qu'il y avait peu d'apparence que les Corfes puiifent jamais, comme les Romains , devenir un peuple Conquérant, ce que leur fituation & le moderne fvltè-me Politique de l'Europe rendraient im-pouible. Mais rien n'empêche, ajouta-t-il j que la Corfe ne puilfe devenir un Etat heureux & floriffant. Il marqua beaucoup d'admiration pour Roulfeau, que Mr. Buttafoco avait invité à paner en Corfe pour aider la nation à former fes loix ( a}. ( a ) Il femble que Mr. de Voltaire ait ra-porté, d'un air de raillerie, que c'était une efpèce de niche qu'on avoit fuite à RoufTeau, furquoi Paoli me dit que l'ayant apris , il écri- Quelques uns des Nobles entrèrent • dans fa chambre , & peu après on avertit que le diner était fervi. Le Général me fit l'honneur de me placer à fes côtés. Sa table était de 15 ou 16 couverts, ayant toujours plufieurs des principaux de lTsle à manger avec lui. Son cuifi-nier était un Italien qui avait demeuré longtems en France, mais il aimait à n'avoir que peu de plats fimplcs «Se fo-lides, & ne buvait jamais de vins étrangers , évitant avec foin toute efpèce de luxe. Je ne pus me défendre de fentir une forte de gène au milieu de ce cercle de Héros. Le Général parla beaucoup d'hiftoire «Se de littérature, «Se je m'aperçus bientôt qu'il avait fait d'excellentes études. Son efprit eft orné vit lui-même à RomTeau , eu lui réitérant l'invitation. Je donnerai une relation plus complette dans un autre endroit de oe Journal, • d'une grande variété de belles connaiil lances , & fa converfation à table était aufïï amofante qu'inftrwctivc. Avant di, ner, il avait parlé Français; à table il ft fervit de la langue Italienne dans la, quelle il s'exprimait très éloqueinment. Nous nous retirâmes dans un autre ap, partement pour prendre le carTé. Bien, tôt je ne penfai plus à moi-même , & nia timidité fe diifipa à meiure que je fixai toute mon attention fur cet illuf. tre Chef d'une nation entière. Il me recommanda particulièrement aux fohis de l'Abé Roftini qui avait pafle plufieurs années en France. Le Signor Colona, Seigneur de ce lieu, étant alors abfent, fa maifon me fut aflignée pour demeure. On me laiifa à moi-même ju£ qu'à l'heure du fouper que je retournai chez le Général ; je m'inftruifiis par fa converfation ainiî que dans la focieté de la Corse. ^oy de ceux qui étaient autour de lui, avec qui je fis peu à peu une connaiifance plus particulière. Je me fentais tous les jours plus heureux.. Le nom de fujet de la Grande • Bretagne .m'attirait des marques d'attention dont le bruit fe répandit en Italie & confirma l'idée où l'on y était déjà que j'étais réellement un Envoyé d'Angleterre.. Je dinais & foupais conftam--ment avec le Général ; toute la No-bleffe vint me faire vifite ; & quand je voulais faire un tour de promenade , j'étais accompagné par des gardes. Je priai le Général de ne pas me traiter avec tant de. cérémonie, mais il y in— fifta. Mon tems fe palfa de la façon la plus agréable. Je jouiflais d'un fentiment de volupté noble , qui me paraiifait délicieux. Paoli devint plus ouvert & plus affable avec moi. J'oubliai la diflance qu'il y avait entre nous , & j'avais tous les jours quelques heures de converfa, tioh particulière avec lui. Dès le commencement , j'avais pris l'habitude d'écrire tous les foirs ce que j'avais ob-fervé dans la journée qui i fut digne de remarque, fans régie ni choix, dans l'intention d'en extraire enfuite à loifir tout ce qui en vaudrait la peine. Les plus intérelfantes de ces obfervations & pour mes le&eurs & pour moi-même, feront fans doute celles qui ont pour objet la vie de Paoli, & fes difeours que je me fais une gloire de rapeller. En parlant de la guerre de Corfe , Monfîeùr, me dit-il , fi l'événement nous eh: favorable, nous ferons regardés comme d'illuftres défenfeurs de la patrie ; s'il nous eft contraire, nous ne panerons que pour de malheureux rebelles. Des Français lui objectaient que la nation Corfe n'avait pas de troupes régulières. Nous ne voudrions pas en avoir , répondit - il : on parlerait alors de la valeur de tel ou tel Régiment, mais à préfent chaque homme en particulier eft lui-même un Régiment. Si les Corfes étaient formés en corps réguliers s nous perdrions cette bravoure perfonnelle qui a produit parmi nous des actions qui, en d'autres pays, illustreraient un Général. Je lui demandai comment il avait fait pour fe former une ame Ci fupérieure à l'intérêt. Elle n'y eft point fupérieure , dit-il, mon intérêt à moi eft d'acquérir un nom. Je fçais qu'il ne peut manquer à celui qui fait le bien de fa patrie , & je l'attends. Je confentirais ce- pendant à être Oublié , fi à ce prix je pouvais rendre ce peuple heureux. J'ai un orgueil inconcevable, una fttperbia indicibile i l'approbation de mon cœur me fufrit. Il dit qu'il aimerait fort à voir le monde, & à jouir de la focieté des Savans & des gens de mérite de tous les pays. Je lui demandai comment, avec de pareilles difpofitions , il pouvait fou-frir d'être confiné dans une Isle encore fi fauvage & fi peu civilifée ; 8c au lieu de fe livrer à fon goût pour les plaifirs de l'cfprit, & des converfations remplies de fel attique, paffer fa vie dans un cours non interrompu de foins 8c de dangers. Il me répondit par ce vers de Virgile, Vincet amor Patriœ, laudumqns immsnfa cupido. ce qui, exprimé avec cet agréable ac- de t a Corse. %xt cent Italien, & avec la grâce & la dignité qui lui font particulières , me parut d'une noble/Te infinie. Je voudrais avoir de lui une ftatue qui eut été prife dans cet inftant. Je lui demandai s'il fçavait l'Anglais , & fur le champ il me parla cette langue dans laquelle il s'exprimait paffa-blement bien. Il l'avait appris à Naples de quelques Officiers Irlandais qui fer-vaient dans les troupes, Se avec lefquels il était lié ; & comme il a une grande, facilité pour les langues, il apprit d'eux l'Anglais , mais ayant été depuis lors dix ans fins en faire ufage, il ne parlait que fort lentement, on fentait bien qu'il la poiTédait, mais faute de ce que j'appellerais volontiers Vufage mèchânu que, il avait de la peine à trouver les-expreiïïons propres. Sa collection de 11- vrcs Anglais me fit rire. Elle confiftu}t en quelques volumes dépareillés du Spe&ateur & du Babillard, YEJfai [Ur l'homme de Pope, les Voyages de GnllL Ter, une Hijioire de Frayice en vieux Anglais ck l'Apologie des Quakers p^ Bardai. Je lui promis de lui en envoyer un ailbrtiment mieux choifi, & je \u[ ai tenu parole ( a ). J'eus lieu de me convaincre de fa coiuiaùfance de notre (a) Je lui envoyai les œuvres de Harriny. ton, de Sidney, d'AddiJfon, de Trendiard, de Gordon & d'autres Ecrivains en faveur de la liberté. Je lui fis parvenir encore quelques uns de nos meilleurs livres de Morde & de goût, tels que les œuvres de Mr. Samuel John, fon, avec la fuite complette du Speétateur, du Mentor & du Babillard. Et j'envoyai à l'Univerfité de Corte quelques Auteurs Cl uniques Grecs & Latins, des belles éditions de GlaQjow, par Mr. Foulis. &c. de la COR.se. 21% langue en lui faiiant voir un mémoire que j'avais dreifé fur l'avantage que tirerait l'Angleterre d'une alliance avec la Corfe. Il le traduifit fur le champ en Italien avec la plus grande facilité. Il m'en a donné depuis d'autres preuves par fes réponfes aux lettres que j'ai eu l'honneur de lui écrire en Anglais , & en particulier par une critique ingé-nieufe & très jufte de quelques uns des ouvrages de Swift. Il était très bien inftruit de l'hilioire d'Angleterre ; il avait lu plufieurs des débats du Parlement & même quelques N°. du North Britou. J'eus lieu d'obferver combien il cou-Uaiifait notre pays par les anecdotes qu'il en citait, les allulions & les com-paraifons qu'il faifait des chofes qui ont rapport à l'Angleterre. Il me dit que fon objet principal était de former les Corfes, de façon tï4 Etat qu'ils eu fient une conftitution fiable qui put iubfîfter finis lui. Notre Etat eft jeune, difait-il, & ne peut encore fe paffer de lifiéres. Mais je voudrais que les Corfes appriffent à marcher feuls. C'eft pourquoi lorfqu'ils s'adreffent à moi pour favoir quels Magiftrats ils doi-vent choifir, je leur dis ; " Vous ffc „ vez mieux que moi quels font les plus ^ capables & les plus honnêtes gens „ parmi vos voifins. Confidérez les con-„ féquences de votre choix , non feu, „ lement pour vous en particulier, mais „ pour toute l'Isle en général ". De cette façon., je les accoutume à fcntir leur propre importance comme membres de l'Etat. Un jour, après avoir dépeint le trifte état & la cruelle opprefîion fous laquelle la Corfe a fî longtems gémi, il dit ; Nous fommes actuellement étendus fur la patrie pour la ranimer, comme le Prophète Elifée l'était fur le corps du fils de la Sunamite, ceil fur œil & bouche fur bouche î elle commence à reprendre un peu de vie & de chaleur, j'efpére qu'elle recouvrera bientôt entièrement la vigueur & la fanté. Ses progrès font Ci rapides , lui dis - je , que nous verrons bientôt fleurir en Corfè tous les Arts & les Sciences. Un peu de patience, Monfieur, me répondit-il, fi vous voyez un foldat échapé d'une fan-glante bataille, grièvement bleue & pouvant à peine fe relever, ferait-il raifon-nable d'exiger qu'il fut bien coèffé 8ç couvert d'habits brodés? La Corfe vient d'elfuyer un grand combat ; bleflee & abatue, elle ne peut encore fe foutenir. Les Arts & les Sciences font des orne-mens & une parure élégante que vous ne deyez pas vous attendre à voir fitôt chez nous. Mais revenez dans 20 ou 30 ans, & nous vous ferons voir des Arts & des Sciences, des concerts, des Alfemblées , & de belles Dames dont vous deviendrez amoureux. Il fourit quand je lui témoignai nia furprife de le trouver fi poli & fi ainia, ble j car quoique je cruffe bien voir en lui un grand homme , je m'attendais à le trouver fauvage & groilier , tel en, fin qu'un Attila, Roi des Goths , ou Luitprand , Roi des Lombards. J'ai remarqué que , quoiqu'un doux fourire éclaircifle fouvent fa phifiono, mie, il eft rare de le voir rire tout-à-fait. Je ne fçai fi les éclats de rire en compagnie font une marque de faiblefle ou de groiliereté, mais il eft fur que les hommes véritablement grands & les perfonnes qui fe piquent de politeûe & de belles manières en font peu. La La vivacité, ou, fi je puis ' m'expri-mer ainfi , la flexibilité d'efprit de ce grand Homme eft Surprenante. Un jour que je fus chez lui pour lui rendre mes refpects avant diner, je le trouvai au milieu 'd'un cercle de Nobles du pays & dans une grande agitation. Un Corfe était debout auprès de lui dans la pof-ture d'un criminel devant fon Juge. Paoli fe tourna de mon côté ; je fuis charmé, Monficur, me dit-il, de ce que vous êtes venu dans ce moment. Vous autres Proteftans, vous ne croyez pas à la Tranfubftantiation > Soyez cependant témoin de ce miracle dans ce Corfe transformé en Génois. Cet homme indigne que vous voyez eft un Corfe qui a été longtems Lieutenant au fer-vice des Génois au Cap Corfe. André Doria ni aucun de leurs plus fameux Capitaines, n'ont pu combattre avec plus Tom. IL K 2L8 k TA T j de zèle, pour leur République qu'il -combattu contre fa patrie,. Se tournant enfuite vers, lui Montreur , lui dit-il , la Corfe fie lait une loi de pardonner aux plus indignes de fes enfans dès qu'ils fc rendent, même lorfqu'ils y font forcés, comme c'elfc votre cas.. Vous échappez cette fois . .. .mais prenez y garde, j'aurai fur vous un ojil attentif, & fi jamais vous ,rctourncz à vos perfides pratiques......vous fi;avcz que je puis vous punir. Il prononça ces mots avec la fierté d'un lion, & Ton voyait à l'cxpreilion fombre & févére de fa phifionomie que fes idées de vengeance étaient terribles. Cependant, au flï-tôt qu'il eut fini ce difeours , il reprit fon air ordinaire , & s'écria ; allons diner, & fut à table aulfi gai que fi rien ne s'était pane. Ses idçcs fur la Morale font grandes, délicates, & telles qu'il convient à un Pére de la patrie 5 s'il était libertin, fon influence fur les efprits ferait bientôt perdue ; jamais les hommes ne confieront les intérêts importans de la fo-cieté à celui qu'ils croiront capable de faire pour fon plailir des chofes qui pré-judicieraient au bien de cette focieté. Il me contait que fon pére l'avait élevé avec beaucoup de rigidité, & qu'il s'était bien rarement écarté du fentier de la vertu ; que ce n'était pas par infenli-bilité & faute d'être fufceptible de paf-fions , mais que fon ame étant occupée d'objets plus importans , fes pallions s'étaient tournées vers des plaifirs plus nobles que tous ceux que procurent la volupté & la licence. Je vis , dans l'exemple que m'offrait Paoli, le grand art de préfervcr les jeunes gens nés avec de l'elprit & du génie, de la contagion du K % vice, dans lequel il y a une certaine force d'imagination & de fentiment qui touche de bien près aux qualités iiéçcf. fairçs pour acquérir des vertus fublL mes. Sachez convaincre un jeune horru me que la véritable gloire & le courage fe trouvent dans la pratique de la vertu, & vous lui donnerez un frein plus fort contre l'impétuoiité des pariions , dans cet âge où elles font Ci difficiles à vaincre, qu'en prouvant à fou jugement la beauté & l'utilité de la rectitude morale. Un jour pendant le diner, il infifta fur les principales preuves de l'exiilençc Se des attributs de Dieu, Entendre répéter Se preifer ces argumens par l'illuf. tre Paoli ayee pette grâce Se cette énergie qui lui eft particulière, & entouré 4es principaux de ces hommes héroïques qui compofent fa nation, nie pa- tait la chofe du monde la plus belle & la plus admirable. Jamais je ne fentis mon ame auffi élevée qu'elle l'était dans ce moment. Je pris occafiort de lui parler' des ouvrages du R. de P. & entr'autres de l'Epitre au Maréchal Keith. Paoli qui parle fouvent avec admiration de ce Monarque, loin de cen-furer directement ce qu'il trouvait de blâmable dans fes écrits, fe tut un moment , & dit enfuite d'un ton grave & avec un regard expreflif; " C'eft une 3, belle confolation à donner à un vieux » Général mourant, de lui dire ; En peu » de tems vous ne ferez plus Il obferva que la Philofophie djE-picure n'avait produit qu'un feul grand caraclère, au lieu que l'Ecole Stoïque avait été un Séminaire de grands hom-mes. Ce qu'il dit là delTus me rappella K g ce beau paiTage de Lucain ( a ), y0u lez-vous J avoir quels étaient les tuteurs §tt les fentimens de faufiler e Caton ? Obfcy^ ver une mefure une règle certain dans fa conduite j fuivre la nature j fe facrifier pour fa patrie j ne pas fe croire né uniquement pour foi, mais pour tout le genre humain. Quand on lui demanda s'il voudrait abandonner l'Isle qu'il avait entrepris de protéger, fuppofé qu'une PuùTance étrangère voulut l'élever aux plus hauts grades militaires & lui donner le g0lu vernement d'une Province , il répondit; J'efpére qu'on me croira ou plus hon- ( a ) Hi mores , hsec duri impôts Catonis Secta fuit, fervare moduni fmemque tenere Naturamque fequi, patriasque impendere vitam Nec fibi fed toti 'genitum fe credere mundo. de l a' C f/~r S e. hète homme où plus-ambitieux:. - -'Car, ajoutà-t-ilaccepter -mèm'e: les premières charges Tous, un Prince étranger fd-rait toujours le'fervir. Avoir été Colonel \ Général ou Maréchal aurait été plus qu'il n'en aurait- fallu pour fournir à ma table ? à mon habillement ; pour ftittefaire la beauté à laquelle mon rang m'aurait permis de faire ma Cour : mais ce n'aurait pas été aâez pour fatisfaire ■cette-imagination * ce oourage qui1 eft là, 'dit - il,: en portant la .main fur fon -coeur.' : ' Un jour au milieu de fa Nôbleiîc, il agitait la queftion , fi le Chef d'une Nation doit être marié ou non. S'il eft marié, -dit-il,' il rifquc d'être dirait par des foins domeftiques ,• &-dirigé dans fes plans par des inquiétudes fur le fort de fa,-famille. S'il n'eftpas marié, if'eft à. craindre que ntétanfJ'retenu par K 4 2^4 Etat aucun attachement pour une fcmto 0tt pour des ennuis , il ne 'lacrine tout <à fa feule ambition. Quand je lui dis qu'il devrait fe marier pour avoir un fils qui put lui fuccéder ; eh ! qui m'af-furera, Monueur , me dit-il, que mon fils penfera & agira comme moi ? QUci fils eut Ciceron, & quel fut celui de Marc Aurele? Il me difait un jour que j'étais fcil[ avec lui, je ne me marierai jamais, je n'ai pas les vertus conjugales. Rien.ne pourrait me tenter de prendre cet en, gagement qu'une femme qui ferait aflez riche pour me mettre en état de faire le bonheur de ma patrie. Il parlait fouvent cependant à l'honneur du mariage , comme de l'inllitu-tion la mieux calculée pour le lien de la focieté & le bonheur des individus qui la compofent ; s'il n'avait été qu'un de la Corse. Simple particulier , il fe ferait marié, &il aurait été aufîi tendre époux, auih* bon pére qu'il eft aujourd'hui fige Ma-giftrat & habile Général. Mais fa fitua-tion critique & violente ne lui permet pas de fe procurer une félicité domefti-que. Il eft marié à fon pays , & les Corfes font fes enfans. Il m'exhortait fouvent à me marier, en me diiànt que des plaifirs illicites n'étaient jamais qu'il-lufoires & inconftans ; que je ne ferais1 heureux qu'en me mariant, & qu'il ef-pérait peu après mon retour en Angleterre recevoir de mes lettres, qui lui apprendraient que j'avais fuîvi fon confeil , & que j'étais convaincu par mon expérience qu'il avait eu raifon de me le donner. C'eft avec cette aimable con-defeendance que ce grand homme voulait bien s'entretenir avec moi. Que ne puis-je le rendre tel que je le voyais.. Tous mes le&eurs en feraient auffi eru chantés que moi. Son génie eft autîi propre aux. fpécu-lations Pliilofophiques qu'aux affaires d'Etat. Un foir à fouper il nous entretint longtems des curieufes rêveries 5c des différentes conjectures que Ton a formées fur la nature de l'intclligenCe des bètes ; A l'égard de laquelle il 0b-ferva que les connaiffinces humaines font encore bien fables & bien impar-faites. Il témoigna en particulier un dé-fir extrême de connaitre le langage de cette partie de la création. Il remarqua que les bètes fe communiquent clairement leurs idées les unes aux autres comme les chiens , par exemple, qui forment divers fons articulés ; que dans tous les tems on a vu des gens qui prétendaient entendre le langage des quadrupèdes & des oifeaux. Peut - être, di- de la ç Ùi r s e. 227 fait Paoli, que dans mille ans cette con-, naiifance fera auffi. commune que l'eft. aujourd'hui celle de tant de chofes qui autrefois paraiifaient plus difficiles eiu core. Si je ne craignais de paraître ridicule , je dirais volontiers que la con-naiifance du langage des animaux cit une de celles que l'homme devrait le plus délirer d'acquérir , parce qu'elle étendrait beaucoup le cercle de fon commerce focial. Je fus fâché à mon retour en Angleterre de ne rien trouver fur cette matière dans le livre du Docleur Gré-gori, des vues comparatives de l'état & des facultés de ■Vhomms & de celles du monde animal, qui venait d'être publié. Ce qui me confola un peu cependant, fut de trouver dans ce digne & ingénieux Auteur une peinture de la focie-té, très aplicable aux Corfes. " Il y a K 6 i 228 Etat dans les progrès de la focièté un certain période où le genre humain parait dans fon plus grand avantage. Les hommes jouiifent dans ce période de toutes leurs forces corporelles, tandis que les fonctions animales confervent toute leur vigueur. Ils font hardis, actifs , fermes, ardens dans leur amour pour la liberté' & pour la patrie. Leurs manières font Amples, leurs affections pleines de feu , & quoique fortement unis entr'eux partes liens du fang , ils n'en ohfèrvent pas moins Phofpitalité & la générofité envers les étrangers. La Religion quoique déguifée par une multitude de fu-perditions y eft univerfellement refpec-tee & révérée . Paoli fouhaitait fort de me voir étudier & approfondir le caractère des Corfes. Mêlez vous avec eux , me difait- il 3 plus vous leur parlerez & plus Vous me ferez plaifir. Oubliez le peu d'apparence de leur extérieur, écoutez leurs fentimens, & vous trouvère» dans ces pauvres gens beaucoup d'honneur» de bon fens & d'habileté. Son cœur fe dilatait quand il partait de fés compatriotes. Ses grandes qualités brillaient d'un plus grand éclat, quand il dépeignait les vertus de ceux: au bonheur defquels il a confacré fa vie entière. Si je devais , difait-il, conduire une armée de Corfes contre une armée plus forte du double, je n'aurais Çu'à leur dire quatre mots, leur rap-peller l'honneur de leur pays & celui de leurs braves ancêtres. Je ne dis pas qu'ils feraient vainqueurs, mais je fuis bien aifuré qu'aucun d'eux ne quitterait fon poilc qu'avec la vie. Les Cor-frs, difait-il, font d'une fermeté qui Vous furprendrait, je voudrais que vous pufliez être témoin de la mort de qucJ qu'un d'eux. Il y a un proverbe Génois qui dit que , les Corfes méritent la potence & favent la fourfrir. / Qoyfi meritano la furca e la fanno fofrire. Ce dicton oit certainement à notre gloire. Il me contait que les criminels Cor, fes font toujours exécutés 24 heures après que leur fentence eft prononcée. Cette coutume, dit - il, n'eft peut-être pas bien Catholique, mais elle eft humaine. Il continua à me citer divers exemples du courage des Corfes. Tj„ Sergent, dit-il, qui fut bleifé dans une de nos adions meurtrières, m'écrivit en mourant, ces mots ; Je vous faluey prenez foin de mon père, dans 2 heuyss je ferai avec les autres braves qui font morts courageufemeut pour leur pays. Un Gentilhomme Corfe fait prifon-nier par les Génois fut jette par eux dans un cachet , Se enchaîne k tatre*. Pendant qu'il était dans cette arlVeuib fituation , les Génois lui firent offrir un emploi dans leur fervice. Non, répondit - il, fi je l'acceptais, ce ne fierait que dans la ferme réfolution de le attifer pour retourner au fervice de mon pays, mais je ne l'accepterai point 1 p-.rrce que je ne voudrais pas que mes Compatriotes pnffent ms foupronner d'avoir été un feul moment infidèle à ma patrie , & il refta dans fon cachot. Je défie , continua Paoli, Rome , Sparte & Thebes de montrer 30 années de patriotifme comme celui dont la Corfe peut fe glorifier. Quoique l'union entre les parens foit très forte chez les Corfes, ils facrifient leurs parens les plus proches , quand il s'agit du bien de leur pays , Se abandonnent fans hé-fiter ceux qui prennent le parti des Génois. H me donna un exemple bien remarquable de la fenfibilité & de la grandeur d'ame des Corfes. " Un criminel, dït-„ il, était condamné à mort ; le neveu „ du coupable vint chez moi avec une „ Dame de diftinction qu'il avait eu, 33 gagée à venir folliciter fa grâce. L'an, „ goiffe du neveu lui faifànt penfer que cette Dame ne mettait pas dans là M follicitation toute la force & félo, „ quence qu'il aurait voulu, il m'adref. „ fa la parole lui-même. Seigneur, me „ dit - il, m'eft - il permis de folliciter „ la grâce de mon oncle ? comme s'il „ avait fenti que ce qu'il allait me de, „ mander était injufte. Je lui ordonnai „ de continuer. Seigneur , me dit - il „ avec la plus vive affliction, je vous j3 demande la vie de mon oncle ; fi elle „ m'eft accordée, fa famille fera à l'E, „ tat un don de icoo fequins. Nous », fournirons ifo foldats que nous » payerons pendant toute la durée du a» fiege de Furiani. Nous confentirons 55 que mon oncle foit banni, & nous j> nous engageons à l'empêcher de re-» mettre jamais les pieds dans l'Isle. J3 Je connaiiîàis le neveu , & feavais jj que c'était un homme de mérite ; vous » ftjavez, lui dis-je, toutes les circonC-» tances du crime de votre oncle ; 11 x vous pouvez m'aifurer que le pardon » que vous me demandez eft jufte, » utile & honorable pour le pays, je »> vous promets de vous l'accorder. Il » fe tourna, fondant en larmes , & for->5 tit en difant : Non vorrei vendere Pa-» nore délia patria per mille fechini. Je m ne voudrais pas avoir vendu l'hon-» neur de mon pays pour mille féquins, » & fon oncle fut exécuté Quoique le Générai fut membre ac- tucl de la Cour Sindicale, il y prenait rarement la place. Il reliait dans fon appartement , & fi quelqu'un de ceux dont le procès venait d'être jugé était mécontent de la fentence, il demandait •une audience particulière qui nc: man. quait jamais de le convaincre qu'on loj avait rendu jufticc. Cet ufage me parut une indulgence néceîfaire dans l'enfance d'un Gouvernement. Les Corfes ont été :fi longtcms dans un état d'Anarchie qu'il n'eft guère poftible de les foumet, tre tout d'un coup à l'autorité régulière de la juftice. Ils obéiraient implicite, ment à Paoli, parce qu'ils l'aiment & le respectent ; mais une pareille obéif, fance ne ferait au fond qu'être gouvef, né parieurs' propres pallions. Ils fé fou, mettent, il efl vrai, mais c'eft à tm homme pour qui ils ont une eftime per, "fônncilc, & l'on ne pourra les dire par- faitement civilifés que lorfqu'ils fc ftm-mettront à la déciiion de leurs Magif-trats, comme Officiers de l'Etat à qui fadmhûftration de la juftice eft confiée. En les convaincant que ces Officiers ne ugent qu'avec équité & connaiffmec de caufe, Paoli accoutume les Corfes à avoir une conSance falutaire en ceux qui les gouvernent, néceiîaire pour leur infpirer du refpeèt, & pour aifurer la folidité du Gouvernement. Après m'avoir rapporté beaucoup de chofes à la louange de fes compatriotes. Je veux, dit-il, vous donner des preuves de ce que j'avance. Il y a dans la chambre voifine une foule de gens qui attendent que je leur donne audience. Je vais faire entrer le premier que je verrai, & vous l'entendrez. Le premier qui fe préfenta était un vénérable vieillard. Le Général lui prit la main Se lui fouhaita le bon jour avec une bonté aifee qui donna au vieux payfan toute l'affurance nécclTairc pour lui parler librement. Paoli lui dit de ne pas faire attention-à moi, Se de parler hardiment du fujet qui Pamenait. Le vieil, lard lui dit qu'il y avait eu dans le village où il demeurait un malheureux tumulte dans lequel deux de fes fus avaient perdu la vie ; que regardant cette affaire comme un grand malheur, il eft vrai, mais dans laquelle il n'y avait- eu aucune malice de la part de ceux qui avaient tué fes fils, il aurait fouhaité qu'on ne les eut pas recherchés, mais que fa femme, avide de vengeance , s'étant d'abord adreflee à la juftice pour les faire arrêter & punir, il donnait à fon Excellence la peine de l'entendre pour le prier de prévenir par fcsjfoins , que dans la chaleur de la dif. fenfion entre fes voilins ? perfonne ne fut puni comme coupable du meurtre de £s fils, s'il en était réellement innocent. H y avait quelque chofe de fi grand & de fi généreux dans ce procédé d'un pére, qui était cependant pénétré ju£ qu'au fond du cœur du triite fort de fes enfans, que j'en fus touché juù qu'aux larmes. PaoH me jetta un regard de complaisance, rempli d'une forte de triomphe aimable de la conduite de ce généreux vieillard, dont les exprefiions aifées •& la vivacité des geftes juftifiaient bien ce que Petrus Cirneus dit de l'éloquence des Corfes. On dirait que ce font tous des Avocats ptaidans. Je trouvai que Paoli avait bien raifon de fouhaiter que je m'entretins fouvent avec fes compatriotes. Leur converfation augmenta beaucoup la bonne opinion que j'avais de lui & d'eux. De Thou rendit juftice aux Corfes, quand il difait 5 Mobilia Corforum ingénia. L'cf-prit des Corfes eft changeant. Leur attachement pour Paoli cependant eft, après dix ans , aufli fort qu'il l'a jamais été. Il y a même de l'enthoufiafme dans leur admiration pour lui. QiteJIogrand1 uomo, viauàiMo per Dio per liberare lu Varna. Ce grand homme envoyé de Dieu pour délivrer fa patrie. C'eft ainfi qu'ils s'exprimaient quand ils me parlaient de Paoli. Tous ceux qui fervaient Paoli ou qui vivaient avec lui étaient des perfonnes de beaucoup de fens & d'une capacité diftinguée dans leurs différons emplois. Quelques uns même avaient été dans les fervices étrangers. L'un d'eux, il Signor Suzzoni , avait longtems vécu en Allemagne; il me parla Allemand , & me rappella les heureux jours que j'ai palfé chez ce peuple firtiple, brave & honnête, qui le diftin-gue de toutes les nations du. monde par. ki cordialité avec laquelle il reçoit l'es étrangers. ..Signor GUm Qîtiîico Cafa Bianca, d'une très ancienne nobleife Corfe >,. était mon ami particulier. Ii m'inftrui.Gt en détail de tout ce qui. regardait, le Gouvernement , & avait même la patience de relier aifis à mes côtés , pendant que je couchais fur le papier ce que je venais d'en apprendre ,. ce que j'ai dans la fuite corrigé. & encore.augmenté d'après mes converfations avec Paoli. J'ai reçu beaucoup d'honnêtetés de l'Abbé liofiini, homme de Lettres, plus diftin-gué encore par les excellentes qualités de fon cœur que par les lumières de fon efprit. Ce qu'il diflit de Paoli mérite d'être remarqué. Nous ne craignons pas 3 dit - il y 1 ni. que notre .Gé- néral nous trompe, ni qu'il fe laûfc tromper. Je fus encore reçu avec beaucoup d'amitié & de politeffe par le Pére GueL fttcci de l'Ordre des Servites. C'eft un homme que fes talens & fes vertus unies à une décence & une douceur de mœurs ftnguliére ont élevé à l'emploi honora-ble de Secrétaire du Général. Il eft vrai que tous ces Meilleurs me traitèrent avec la plus grande politelfe. J'étais toujours avec eux à la challè , à la promenade à pied comme à cheval. Les payfans comme les foldats font francs, ouverts , vifs & hardis. Ils ont une rufticité dans les manières qui s'accorde parfaitement avec leur caractère, & n'eft pas du tout défagréable. Le Général me donna une preuve admirable de leur bon fens naturel, iimple & fonde. Un jeune Marquis fort riche & fort fort vain arriva en Corfe. Il témoignait un fouverain mépris pour fes barbare* habitans, & en marchant fe donnait des airs d'importance rifibles. Les Corfes , en fouriant de fon ridicule , ne difaient autre chofe , linon: Laijfez le faire , il eJl jeune. Les foldats Se les payfans Corfes fe plaifent beaucoup à faire combattre des bètes à corne contre leurs grands chiens de montagnes. Ces combats les entretiennent dans une habitude de férocité qui bannit entièrement de leurs cœurs la crainte & la timidité. J'ai vù un Corfe s'avancer dans la chaleur du combat fur le champ de bataille, écarter les chiens , faifir l'animal furieux par les cornes Se l'amener dehors. Le commun peuple ne m'a pas paru fort porté à fe divertir. J'en ai vu. dans la grande Tonte IL L fille de la maifori Collona où j'étais toge qui s'amufaient à jouer d'une forte de jeu de Dames Singulier. Ils tracent Sur le parquet avec de la chaux un nombre faihTant de quarrés dont ils^rem-plineïït alternativement l'un avec de la chaux & laiifent l'autre vuide , & au lieu de Dames noires & blanches , i's fe fervent de morceaux de bois & de pierres. Cette façrm de jouer me parut tout-à-fait burlefquc. J'étais très fimilicr avec les foldats & payfans Corfes. Pluficurs d'entr'eux venaient nie voir le matin. Ils entraient & fortaient fort librement. Je faifais tout ce qui m'était pofnblc pour leur infpirer de l'amitié pour les Anglais, ôc leur donnais l'idée & le défir d'une alliance entre nous. Ils me faifaient mille queftions fur mon pays auxquelles je fttisfaiSais de mon mieux. te plus grand praifir de ces Infulai-r'-s, lorfqu'ils ne font ni à la guerre, à la chaife eft de relier couché à leur î'ife Se en plein air , à raconter des hif-toires fur la bravoure de leurs compatriotes L & à chanter des xhanfons à l'honneur des Corfes & contre les Gé-n°îs. Ils relient à l'air & continuent ce divertufement, à moins que la pluye ne les oblige à rentrer dans leurs maifons. ' L'Ambaffadeur Anglais ( c'eft ainfi ^e les foldats & les payfans Corfes me nommaient) devint bientôt leur grand favori. Je me Es faire un habit à la Corfe avec lequel je me promenais d'un ah de fuisf action qui leur faifiit plai-Le Général me £t préfent de fes propres piftolets faits dans l'Isle même. La matière en était aulli du cru du Pays & l'ouvrage excellent. J'avais toutes les autres pièces de l'habillement. Je L 2 me procuirai même une de ces coquilles qui avaient forme fouvent l'allarme pour la liberté. Je conferve, encore tout cela avec beaucoup de foin. Paoli parlait avec beaucoup de gra« deur & de dignité de la confervatL»n de l'indépendance de la Corfe. Nous pou, vous, difait-il, avoir des Puiifances étrangères pour Amies , pourvu que ce foit à une dillance convenable; nous pouvons faire des Alliances, mais nous ne voulons être fournis à aucune nation de PEurope , quelque puilfante qu'elle foit. Ce peuple, qui a fut tant de cho,. fes pour fa liberté , fe laifferait plutôt .hacher en pièces , homme par homme jufqu'au dernier, que devoir la-Corfç confondue avec le territoire d'un autre pays. Il y a quelques années qu'il courut un faux bruit que j'avais deifein de céder la Corfe à ^'Empereur. Un .CorJjs Vint à moi daiis une grande, émotion, & me dit; quoi le lang de tant de lieras qui l'ont répandu fi généreufement pour la confe'rvation de la liberté delà Corfe, ne fervira donc qu'à teindre la pourpre d'un Prince étranger!: Je lui parlai du plan d'une alliance entre la Corfe & l'Angleterre. Paoli détourna ce fujet avec beaucoup de poli-tefle & de dignité, en difant : Moins nous ferons obligés d'avoir recours à des Alliés, plus notre gloire fera grande. Il parut choqué de la façon dont nous avions traité fon pays , & rappella la proclamation injurieufe de la dernière paix, dans laquelle les braves Infulaires étaient appelles les rebelles de la Corfe. Des rebelles! répéta-t-il avec un noble orgueil & le ton de la fenfibilité , c'eft ce que je n'attendais pas de la part des Anglais. Il témoignait cependant un 246 E t a/ t- grand rofpect pour la nation BritMLmL que,;&ii me fut aifç (le voir combien il défirait de vivre en bonne intelligence avec nous. Je lui demandai ce que je pourrais faire pour lui témoigner mu vive rccbnnaiffance de toutes les boutes •qu'il avait eues pour moi. Je ne vous demande-, répondit - il i que .de déu^,-, per votre Cour. Dites à vos compatriotes ce que vous avez vu ici; Ils vous . feront beaucoup de queftions : Un horn, me qui 1 arrive -de la Cor Se fera pour eux comnle [un homme qui vient d&s Antipodes. Je cherchai à lui exprimer les vœux qu'un homme fenfible devait naturellement former à ma, place; Il vit au moins' un Anglais qui lui était fincérenient. dévoué. Je me faifais des idées ''flatteufes des' évenemens iqueie tems pourrait amener. J'imaginai voir • déjà ks Cor Ces & les Anglais, étroite- nient unis, & pour la guerre & pour le commerce. Je me repréfentais la bruf-que cordialité & l'admiration avec laquelle le peuple Anglais , franc & généreux , traiterait les braves Corfes. Je furmontai infcnfiblement fa réfer-ve fur ce fujet. La gayeté de nies idées & mes faillies le firent relâcher de fon férieux ordinaire & éclaircit fon humeur. Vous rappeliez-vous , me dit - il, ce petit peuple de l'A lie toujours en danger d'être opprimé par le grand Roi d'Aiîi-rie jufques au moment où il eut recours aux Romains. Les Romains , avec le noble courage d'une nation grande & libre , déclarèrent qu'ils ne Souffriraient pas que le grand Roi détruifit ce petit peuple, le prirent fous leur protection & firent alliance avec lui. Il ne fit pas d'obfcrvations fur ce beau trait d'hiC-toire y mais il était aifé de voir Fappli- L 4 cation qu'il en faifait à fa nation & à la nôtre. Quand le Général me cita ce trait, je fus affez négligent pour ne pas fui demander le nom de ce petit peuple d'Afic , & ayant à mon retour en Angleterre feuilleté en vain beaucoup de livres pour le trouver, je pris la liberté, en écrivant à Paoli, de le lui demander. Il me répondit que ce peuple était le peuple Juif , que cette Hiftoire était rapportée par divers Hiftoriens, mais que je la trouverais décrite avec beaucoup de j?r:ci£oii & d'énergie dans le premier livre des Maccabées, au Chapitre huitième. Ce livre des Maccabées , quoiqu'il ne foit pas reçu pour Canonique par les Proteftans, eit cependant regardé par tous les Savans comme contenant une hiftoire autentique. J'ai lu depuis, avec plaiMr, cette hiftoire favorite de Paoli, & j'ai trouvé que plu- fieurs des circonftances en font en effet applicables à la Grande Bretagne & à la Corfe , qu'elle efl très éloquemmcnt écrite , & qu'elle peut fournir un beau modèle de traité d'alliance. Voici comment fon Auteur la rapporte. « Or Juda ouit parler de la renom-53 niée des Romains , qu'ils étaient forts 53 & puiffans , qu'ils, accordaient facile-33 ment toutes les chofes qu'on leur 33 propofait, qu'ils faifrient amitié avec ,3 tous ceux qui allaient à eux, & que 3, leur puufaiice était fort grande. 33 2. Car on lui Et récit de leurs ba-33 tailles , & des grandes actions qu'ils >3 avaient faites en Galatie , comment 33 ils avaient conquis les Galates, & les 33 avaient rendus tributaires : „ 3. Et de tout ce qu'ils avaient fait au pays d'Efpagne; comment ils avaient L 5 „ réduit fous leur puiflauce les mincs „ d'argent & d'or qui y four. „ 4. Et comment, par leur confeil „ & par leur grande confiance , i!s s'é-„ taient rendus maitres de tout ce- pais, „ là, quoi qu'il fût fort éloigné d'eux, „ & même des Rois qui étaient venus „ contr'eux du bout de la terre, juf„ „ qu'à les détruire , les ayant frappés de grandes playes : & comment tous ,j les autres leur payaient tribut tous „ les ans, „ Et comment ils avaient défait „ en guerre Philippe & Pcrfée , Roi de „ Kittim, Se tous les autres qui s'é-„ taient élevés contr eux , & les avaient „ fubjugués. „ 6. Et comment le grand Antiochus, „ Roi cPAfic , qui avait fait la guerre „ contr'eux, & qui avait fix vingts éle-„ phauts, & un grand nombre de gens îî de cheval , & de chariots , & une » fort grande armée, avait été défait a par eux : „ 7. Et comment ils l'avaient pris » vif, Se lui avaient ordonné, que lui m Se fus fuccejfeurs payeraient un grand » tribut, & qu'il donnerait des otages, 3j & tout ce dont ils étaient convenus. „ g. Et comment ils donnèrent au » Roi Euménes le pays des Indes, Se „ des Mèdes, & des Lydiens, qui étaient „ les meilleurs pays qu'ils eulfent pris „ de lui : „ 9. Et comment, lors que ceux de 33 la Grèce y voulurent aller contr'eux, 33 Se les exterminer, & qu'ils en furent 33 avertis. „ 10. Ils envoyèrent contr'eux un j) Capitaine, & leur firent la guerre > » en tuèrent un grand nombre, Se en » prirent pluficurs captifs, avec leurs L 6 M cnfaus, & les pillèrent, & poôederent „ leurs pays , & détruifirent leurs for-„ tcrefles , & les réduifirent en fervitu-„ de jufqu'à ce jour. „ il. Et comment ils avaient exter-„ miné les autres Royaumes, & les Isies w qui autrefois leur avaient réfifté , 8c „ les avaient affujettis. „ 12. Mais qu'ils avaient gardé l'a-„ mitié à leurs amis, & à ceux qui fe „ repofaient fur eux , & qu'ils avaient x conquis les Royaumes voifins 8c é'oi-„ gnés ; car tous ceux qui entendaient „ leur nom les craignaient. „ 13. Et que tous ceux à qui ils vou-„ laient donner du fecours pour les faire x régner, régnaient; mais auiîï qu'ils „ tranfportaient l'état de- ceux qu'ils „ voulaient, 8c qu'ils étaient fort exaltés ; „ 14. Et néanmoins que nul d'eux 53 ne portait la couronne , & ne fe. » tait d'écarlate, pour paraitre avec ma-3> gniScence. » if. Pareillement , qu'ils avaient 3, établi un confeil, & que tous les m jours trois cents vingt hommes con-33 fa 1 taient enfemble des affaires du peu-33 pie, pour le bien gouverner : « i6\ Et qu'ils commettaient chaque 33 année à un feul homme l'autorité de s, leur commander, & de dominer fur 33 tout leur pays ; & que tous obéhfàient „ à un feul, & qu'il n'y avait point 33 d'envie, ni de haine entr'eux. „ 17. Alors Juda choifit Eupoiemus, s, fils de Jean , fis d'Accoz r & Jafon 33 fils d'Eléazar, & les envoya à Rome, 33 pour contracter amitié & focieté 33 avec eux. 33 i&. Afin qu'ils ôtaffent le joug de 33 deffus eux; parce qu'ils voyaient que 33 le R.oyaume des Grecs tenait Ifraël 33 en fer vit u de.. „ 19. Ils s'en allèrent donc à Rome, „ ce qui était un fort long voyage ; & ,3 ils entrèrent au Sénat, & ayant ob-„ tenu audience, ils dirent : j, 20. Juda Maccabée, & fes frères , „ & le peuple des Juifs, nous ont en. „ voyés vers vous , pour faire alliance J3 & paix avec vous, & afin que vous „ nous receviés au nombre de vos con-„ fédérés & de vos amis. „ 21. Cette parole leur fut agréable. „ 22. Et c'elt ici la copie de la ré-„ ponfe qu'ils écrivirent fur des tables „ d'airain, & qu'ils envoyèrent à Jéru-„ falem, a£n que ce leur fut un mémo-„ rial de paix & d'alliance. „ 23. Que ceci tourne en bien aux „ Romains, & à la nation des Juifs , „ par mer Se par terre, à toujours , „ & que l'épée & l'ennemi foit loin „ d'eux. ,3 24. Que ii la guerre cir prcirii.rc-3> ment fuite aux Romains, ou à quel-» qu'un de leurs confédérés , qui iônt )j dans toute leur domination > 33 2y. La nation des Juifs leur don-» nera fecours de bon cœur, félon que 33 le tems le requerra. ,3 25. Et ils ne donneront rien à ceux 33 qui feront la guerre, ni ne fourni-33 ront ni froment, ni armes, ni ar-3> gent, ni 'navires, comme il a plû j, aux Romains; & ils garderont leurs 33 conventions & ne prendront rien » d'eux. „ 27. Pareillement, Ci la guerre fur-33 vient à la nation des Juifs, les Ro->3 mains les aideront de bon eccur, fe-53 Ion ce que le tems le permettra; » 28. Et ils ne donneront à leurs 55 ennemis m froment, ni armes, ni 2Ç6 Etat m argent , ni navires, comme il a pj*t „ aux Romains ; xions. Je m'étais fouvent formé l'idée d'un homme qui ferait tel que je le concevais dans mes momens les plus lucides , mais cette idée me paraiifait comme celles que l'on nous enfeigne de former à l'Ecole, de chofes qui font pofiibles mais qui n'exiftent pas, telles qu'une mer de lait, des vaiffeaux d'ambre &c. Mais je voyais dans Paoli mes idées les plus grandes fe réalifer. Il m'était impolPible , quelles que fuffent mes fpéculations * d'avoir en le voyant une idée médiocre de la nature humaine. Je me rappelle un jour, «ù j'entrai le matin dans fa_ chambre &ns cérémonie., pendant qu'on l'habillait j je fus charmé de le furprendre dans un de ces momens d'épreuve , où perfonne , Suivant la Rochefoucault, n'eft im héros aux yeux de fon valet de chambre ; mais cet Obfervateur févère qui trouvait un plailir malin à dépouiller la nature humaine de iii dignité , en exagérant fes défauts & en mettant au jour les vues petites & intéreifées par lef. quelles les hommes font gouvernés , aurait été forcé de convenir que Paoli eft un Héros dans tous les inftans de la vie, Paoli me difait que dès fa plus tendre jeuneffe il avait eu en vue le poftç important qu'il occupe aujourd'hui, Ainfi fes fentimens doivent avoir été toujours grands & élevés. Je lui demandai comment il était polfiblc qu'un homme rempli d'auifi grandes idées ait pu $ii Etat' le Soumettre avec quelque patience aux puériles cérémonies \ à la frivolité des converfations de la focieté que fon appelle le beau monde, qu'il était fins doute obligé de fréquenter, lorfqu'il était Officier à Naples ? Oh ! me dit-il, je m'en tirais facilement, j'étais connu pour un homme lmgulicr; je parlais, Je raillais, je badinais, mais jamais je ii*aî pris Séance à une table de jeu. j'entrais , je fortais quand il me plaifùt. La joye que j'aime eft celle qui eft libre & mfée. Je ne puis fupporter longtcms les difeurs de bons mots. Quoique calmé & fort maître de lui-même, Paoli eft d'une vivacité inconcevable , & à moins qu'il ne foit malade ou extraôrdinairemcnt fatigué, ou ne le voit jamais affis qu'à table. Il eft toujours en mouvement, marchant en avant & en arriére avec une extrême Vivacité. Mr. Samuel Jjhnfon qui parla force de fon génie & une pénétration d'efprit peu ordinaire, eft parvenu, après de longues obfervations , à une connaiifmce parfaite du cœur humain , en traitant de la Biographie, fait cette réflexion. " Il y a mille circonftances délicates & pre'fqu'invifibles qui, fi nous étudions, foit dans nos recherches fur les CôriifèiâanCés naturelles & morales , foit pour fervir à notre inftruc-tion ou pour fortifier notre vertu , font beaucoup plus importantes que ce qui parait à découvert à tous les yeux AiiiQ Sailùftè , ce grand Maitre de la nature , en parlant de Catilina n'a pas négligé de remarquer que fa démarche, ^ntôt lente, tantôt précipitée indiquait cfprit occupé de quelque grand ob-Jet3 & dans un état violent (a), («) Rembler n°. <5o. Prévenu de la lageffc du Rambler & de la juftelfe de fi remarque , je me fuis accoutumé «à obferver les plus petites circonftances dans les caractères. Ainfi en voyant Paoli toujours en mouvement & même dans une fi grande agi. tation que , comme Saliufte le dit de Catilina, iieque vigiliis , neqite qiiietibus fedari f oserai. Il ne peut être tranquille ni quand il veille , ni quand il repofe. Je l'ai jugé au fil actif, aufïi infatigable que Catilina, mais par une caufe bien différente. Le Confpirateur était occupé de projets pour la ruine & la dellruc-tion de Rome. Le Patriote, de projets pour la liberté & la félicité de la Corfe. Paoli difait que la vivacité de fon efprit était au point qu'il ne lui a jamais été poiTible d'étudier pendant 10 minutes de fuite. Il femble, dit-il, que ma tète fe fende , je ne puis tracer moi- moi-même mes idées, en écrivant elles | m'échapent. J'apelle alors l'Abbé Gal-fucci , allons prejlo7 piglïate li penfieri g venez vite, prenez mes penfées, & il les écrit. La mémoire de Paoli eft comme celle de Thémiftocle. On m'a afluré qu'il connaît par leur nom prelque tous les habitans de l'Isle, leur état & leur caractère. Sa mémoire n'eft pas moins forte pour les feiences. Il feait par cœur prefque tous les Auteurs clafliques , & les applique avec une jufteife qui étonne. Le talent il rare de citer à propos n'eft pas toujours une pédanterie ; L'ufage qu'en fait Paoli en eft une preuve. Je l'ai entendu parler des révolutions des divers états anciens avec une énergie & une rapidité qui faifait bien voir à quel point il pofledait la matière, & fa par-, faite connaiifance de l'origine & des ref- Tome IL M forts des différons événemens. Je \u{ ai entendu donner ce que les Français appellent un Catalogue raifonné des hommes- les plus diltingués de l'antiquité. Le portrait qu'il en faifait était concis, jufte & nerveux. Je regrette encore que le feu & la vivacité avec laquelle il patv lait dans ces occafions ne m'ait pas laide le tems de retenir affez fes expreffions pour pouvoir les rappellcr exactement le foir après l'avoir quitté, & les écrire dans les mêmes termes. Sa vie eft celle des Anciens. „ Un jeune homme qui veut former fon a me à la gloire , di fait-il, ne doit pas étudier l'hifloire moderne , mais Plutarque & Tite-Live. " Je l'ai vu dans des efpèces de rêveries dont il fortait dans ce transport du plus grand & du plus généreux cnthoufiafme. Quelle idée que celle de pouvoir faire le bonheur de plufieurs milliers d'êtres ! & fe mettant dans l'attitude d'un homme qui fixe fes regards fur fa montagne de la renommée, & montrant de fa main le fommet, Voilà mon but, s'écriait-il: fi je tombe , au moins je ne puis tomber que là (en marquant une certaine hauteur). Magnit tcimen excidit aufis. Je hazardai un jour de raifonner en libertin, pour être d'autant mieux affermi dans mes vrais principes par un Maitre fi Sage & fi vertueux. Je parlai avec légèreté des devoirs de la.morale. Je Soutins que le Sentiment de la cou-fcience était vague & incertain, qu'il y a peu de vices dont quelques hommes ne Se Soient rendus coupables, Sans éprouver des remords. Mais, me répondit-il » il n'y a pas d'homme qui ne Se fente de l'horreur pour quelques vices en particulier. Certains vices & certaines ver. M 2 tus font plus d'impreifion fur certains hommes félon la différence de leurs caractères i niais la vertu dans le fond eh: la nourriture naturelle de notre ame. En parlant de la Providence , il me dit avec cette chaleur d'expreflion qu'cm. ployé un homme qui veut perfuader. Je vous le jure , comme je fuis un lion, nèce homme, il m'eil impofîible de ne pas croire que Dieu interpofe immé-platement fi puiilance pour rendre la Corfe libre. Un peuple auili iujuire-ment Gpprimé que le font les Corfes eft certainement digne de fa divine ailiftan-: ce. Au milieu des circonftances les plus fàcheufcs & les plus defefpérées où nous nous fommes trouvés , je n'ai jamais perdu courage , parce que je me fuis toujours confié dans la Providence. c* J'objectai pourquoi la Providence avait attendu fi tard à s'en mêler 'i il me ré- pondit d'un air grave, noble & dévot, jj parce que fes voyes font impénétrables. Je l'adore dans ce qu'elle a fait, je la révère dans ce qu'elle n'a pas jugé à propos de faire (a) ". ( a ) L'Auteur fait ici une grande digref-fion dont il fait des cxcufes à fes lecteurs touchant fon ami Mr. Johnfon. Mais comme les ouvrages de cet admirable Auteur, le Rambler , YhUcr &c. ne font point ttaduits en Français, fans doute par la difficulté de rendre dans une langue moins abondante h force du génie, la richeffe des idées & la beauté du ftile de l'original, & qu'il eft par Conféquent peu connu hors de l'Angleterre, j'ai cru que je devais omettre ce que Mr. Boswell en dit dans une relation où Ton ne cherchera que ce qui intérefle Paoli & la Corfe. J'en ai ufé de même dans quelques autres endroits de ce Journr.1 qui m'ont paru ne contenir que des chofes étrangères au fujet, ab- M 3 Il s'cfl fait peu de Loix en Corfe durant le cours de l'adminiltration de Paoli. Il m'en rapporta une pour fur, monter Pefprit vindicatif des Corfes , dont il a éprouve l'efficace. Il y avait* parmi eux une forte de vengeance bien redoutable , appelle? vendetta trafverfa, vengeance collatérale. C'était celle - ci. Si un homme qui avait reçu une injure ne trouvait pas l'occafion de fe venger fur la perfonne même de fon ennemi, il s'en vengeait fur quelqu'un de fes parens. Cet ufage barbare était une fource intariifable d'anafîinats. Paoli con-naiifant le pouvoir de l'honneur fur les Corfes, Toppcfa aux progrès du plus noir des crimes, fortiRé encore par une longue habitude i il fit une loi qui ordon- folument perfonnelîes à Mr. Bofweil qui, j'ef-pére me pardonnera ces omiflions. Note du Traducteur. '■ donnait non feulement que cette vengeance collatérale ferait punie de mort comme le meurtre ordinaire , mais que la mémoire du coupable ferait flétrie à jamais, au moyen d'un pilier d'infamie où leur nom ferait inferit. Il établit encore que cette Loi s'étendrait jufques fur ceux qui auraient violé les fèrmcns de réconciliation. C'eft auifi qu'emplo-iant le choc des pallions oppofées pour combattre ce vice deftrudteur, il eft venu à bout de réduire ces fiers Infulaires à un état de douceur & de modération , & il m'a aifuré qu'ils font tous aujourd'hui convaincus de l'équité de cette Loi. Pendant que j'étais à Sollacaro, on y reçut la nouvelle que le miférable , qui s'était laiifé féduire par la Maitrcflc qu'il fervait, pour étrangler une fem- M 4 me dont-elle était jaloufe, avait con-fenti à recevoir la grâce fous la condition de devenir bourreau. Cet événement fit beaucoup de bruit parmi les Corfes. Indignés contre ce malheureux, ils difaient que l'infamie réjailliilait fur la nation entière. Paoli ne penfait pas de même. Je fuis charmé de cet événement, difait-il, il nous fera utile, & fervira à nous former à une jufte fubordination. Il ne règne déjà que trop d'égalité entre nous , & de même qu'il nous faut des tailleurs & des cor-doniers Corfes , il elt néceif dre que nous ayons un bourreau Corfe. J'avoue cependant que je ne fus pas de fon avis. La profeffion de tailleur ou de cordonnier , quoique baffe , n'eft pas odieufe ; & lorfque , quelque tems après, je vis Mr. Rouffeau en Angleterre & que je lui fis la relation de mon voyage en Corfe, je le trouvai fur ce fujet dans les mêmes idées que moi. Il penfait auiîi qu'il ferait bien noble & bien glorieux pour ces braves Infulaires de pouvoir dire qu'il n'y a pas un Corfe qui n'aimât mieux mourir que d'être bourreau. Il convint encore qu'il lèrait bon que le bourreau en Corfe fut toujours un Génois. Il faut cependant rendre aux Génois la juftice de dire que je fçais de Paoli même qu'un Génois a foufert la mort en Corfe plutôt que d'accepter cet infâme office, & lorfqu'il m'arrivait quelquefois de déclamer contre les Génois avec cette chaleur qui eft naturelle à un Anglais nourri dans la haine & l'éloi-gnement de la tirannie, Paoli me difait avec une modération & une douceur qui doit -le rendre refpechiblc même à cette Ré] - ■ .. ! :•, il eft vrai que les M f Génois font nos ennemis , mais fouve-nous nous cependant qu'ils defcendent de ces grands hommes qui portèrent la gloire de leurs armes au-delà de . l'Hetlefpont. Il y a dans le caractère de Paoli un point que je ne dois préfenter à mes lecteurs qu'avec beaucoup de circonfpec-tion, fâchant combien il paraîtra peut-être ridicule, dans un iiécle où les hommes font Ci portés à l'incrédulité qu'ils femblent fe piquer à l'envi de rétrécir autant qu'il eft poffible le cercle de leurs articles de foi. Mais je penfe que cette fureur d'être Efprit fort n'eft qu'une mode paflagère de Pefprit humain, & je fuis bien perfuadé qu'avant qu'il foit longtems nous reviendrons à une Phi-lofophie plus calme & plus raifonnable. J'avoue que je ne puis m'empècher de penfer que, quoique nous puiiïions; b e la Corse. 37^ .nous applaudir de quelques progrès dans les fciences & de quelques degrés de, connaùlànces de plus dans les chofes auxquelles nos facultés peuvent aifé-nient atteindre, nous ne devons pas cependant préfumer afiez de nous-mê-nies pour croire que notis ayons le jugement plus fain que l'avaient nos pères. J'oferai donc avancer ici que Paoli reçoit quelquefois des impreiïions extraordinaires des événemens futurs & éloignés qui l'intéreifent ; & voici comment je le découvris. L'extrême déiîr que j'avais de connaître à fond un caractère aulîi grand & aufli diftingué , me fit préfumer alfez de fa bonté pour ofer prendre la liberté de lui faire mille qucf-tions relatives aux circonftances les plus détaillées de fa vie. Je lui demandai un jour en préfence de plufieurs de fes Nobles, li un eiprit auili vif, auiîi M 6 a£tif que le fîen n'était pas occupé même dans fon fommeil, & s'il rêvait beaucoup i fur quoi le Signor Cazabiau- • ea me répondit avec un gefte & un ton qui annonçait quelque chofe d'important. Sijfiifogna. Oui, il rêve; & f ur ce que je le priai de s'expliquer plus clairement, il ajouta qu'il était vrai que le Général avait vu fouvent en fonge des chofes qui étaient arrivées après. Paoli lui - même me le confirma, en m'en racontant diverfes circonftances. Je ne puis pas, me dit-il, vous explî- • quer clairement comment cela fe fait, mais je vous rapporte le fait- Quelquefois j'y ai été trompé , mais dans le Général fes vifions fe font toujours vérifiées. Il eft difficile de Savoir quelle eft l'action des efprits invifibles ; ils doivent avoir certainement des lumières plus étendues que les nôtres, & fl. nV a point d'abfurdité à luppofer que Dieu leur permet quelquefois de nous communiquer leurs connaiffanees. Il fit une dider cation très curieufe & bien hitérelfante fur une madère que feu Mr. Baxter, cet Auteur Savant « ingénieux a traitée fi philofophiquc-ment dans fon livre des recherches fur la nature de Panie , livre que l'an peut lire avec un au fît grand plaifir & furement avec plus de profit que ceux qui n'ont pour but que de renverfer & détruire les fondemens de notre foi. La Religion eft néceffaire à l'efprit humain, ne fut-ce que pour l'occuper. Je penfe qu'un incrédule doit être bien tourmenté & beaucoup foufrir par l'ennui. Il y avait peut-être de l'affectation à Socrate de dire que tout ce qu'il avait apris , c'était qu'il ne favait rien ; mais c'eft aiiurément une preuve de fageffe que de ne pas ignorer combien les limites des connaiflances humaines font étroites & bornées -, d'examiner avec reipedl les voyes de Dieu, & de ne pas rejetter prcfompiueufcment des chofes qui ont été toujours reçues comme vrayes par les Savans & les Sages, par la feule raifon que l'artifice s'en eft fer-vi pour couvrir fes tromperies , & la crédulité, pour établir une multitude de fictions. Un ancien Auteur dit ; " On ne doit point croire à tous les fonges , ni les rejetter tous avec mépris. Je ne voudrais être ni un Stoïquè qui les reçoit tous fuperftitieufement, ni un Epicurien qui ne croit à aucun ". (a). Et après avoir obfervé combien les Anciens s'attachaient à l'interprétation des fon- ( a ) Felthams Refolves , Centurie i. Re-folv. 52. de la coxse. 279 ges., il ajoute i fi ce n'était la puiflànçe de l'Evangile qui a voulu détruire tout ce qui pouvait nourrir la vanité des hommes, il paraîtrait furprenant comment une fcience fi intéreifamc, fi fé-duiiante pour l'humanité, eft fi entièrement abandonnée. Le trait fecret & mifiérieux dans le caractère de Paoli, dont je bazarde de fane mention ici, eft généralement cru dans toute la Corfe. Les habitans de cette Isle, comme tous les Italiens, s'expriment beaucoup par lignes. En demandant à l'un d'eux s'il y avait eu plufieurs occafions où le Général avait prévu des événemens à venir , il me répondit en prenant dans la main un gros paquet de fes cheveux, tante Si-gnore. Peut-être penfera-t-on que Paoli a été bien aife d'accréditer une opinion qui ne peut que donner plus de force à fon autorité fur le peuple féroce & fauvage qu'il a entrepris de civilifer. Comme Lycurgue qui s'autorifait de l'Oracle de Delphes, & Numa qui faifait croire qu'il avait de fréquens entretiens avec la Nymphe Egérie, ou Ma-rius qui perfuadait aux Romains qu'il recevait la communication de la volonté des Dieux par un avcrtiffcment fè-cret. Mais je ne puis me réfoudre à penfer que Paoli ait jamais eu befoin de recourir à ces fraudes pieufès. Paoli fans avoir jamais un air de familiarité à les manières du monde les plus aifées , ce qui eft la véritable marque d'un grand caractère. L'air de ré-ferve & de hauteur qu'affectent plufieurs de nos Seigneurs vient fans doute de ce quelaNobleffe n'eft plus guère qu'un vain nom en comparaifon de ce qu'elle était autrefois. Dans les anciens tems les Nobles vivaient fur leurs terres comme des Princes, & faifaient confifter une partie de leur grandeur dans l'hof-pitalité. C'étaient des hommes puiifans, chacun d'eux entretenait des centaines d'hommes qui les fuivaient à l'armée. Us étaient alors ouverts & affables. Nos nouveaux Nobles ne font fi foi-gneux de confèrver l'extérieur de la dignité que parce qu'ils craignent d'être vus de trop près, fcachant bien qu'ils ne pourraient foutenir l'examen. Paoli ne penfe pas ahili. Ceux qui vivent avec lui entrent à toute heure dans fa chambre, l'éveillent, l'aident à s'habiller avec la plus entière liberté. Ils obfervent cependant une grande déférence, & pénétrés de fa grandeur réelle , ils ne perdent jamais le refpeèt qu'elle leur infpire. Mais au milieu de cet accès facile, on prend les précautions les plus exactes contre les attentats que cet Illuftrc Chef a lieu d'appréhender de la part des Génois qui ont fi fouvent employé l'affalfinat dans des affaires de pure Politique , & qui trouveraient un fi grand avantage dans celai de Paoli. Un certain nombre de foldats font fans-ceffe de garde autour de lui, mais il a une garde bien plus lîire encore dans une troupe de fidèles chiens Corfes.. Cinq ou fix de ces chiens font couchés toujours les uns dans fa chambre même , les autres à la porte de fon antichambre. Il les traite avec beaucoup de douceur, & ces animaux lui font extrêmement attachés. Ils ont une intelligence finguliére , & diftin-guent parfaitement fes amis & fes do-meftiques. Si quelqu'un voulait approcher de la perfonne du Général peu- dant la nuit, il ferait dans Pinftant mis en pièces. Ces chiens qui le gardent font encore un trait de relïêmb'ance entre Paoli & les Héros de l'Antiquité. Homère représente Telcmaque Riivi de deux chiens fidèles (a); mais la peinture qu'il fait du ménage de Patrocle qui avait neuf grands chiens parmi lès domcfliques (o), ell plus applicable à Paoli. Mr. Pope dans fes notes fur le fécond livre de POdyflée , dit que cette circonftance des chiens lui plaît infiniment, parce qu'elle donne une idée agréable de la simplicité des Anciens. Il obferve que Virgile fa trouvée digne d'imitation dans la defeription qu'il foit du vieux Evan-dre, Se nous lifons de Siphax Général des Numides. Siphax inter duos canes (a) OdyfTée. Liv. 2. (6 ) Idem. Liv. 2j. fans, Scipionem appellavit. Siphax debout entre deux chiens appella Scipion. En parlant du courage , Paoli raifort une diftinction bien jufte entre le courage de tempéramment & une valeur réfléchie. Thomas Morus , difait-il, n'aurait pas monté la brèche avec le même courage qu'un ferrent qui n'a jamais penfé à la mort. Mais ce ferrent n'aurait pas monté iur l'écbafaut avec cette réfolution calme & réfléchie de Thomas Morus. Il me raconta fur ce fujet une anecdote bien remarquable de la dernière guerre d'Italie. Au fiége de Tortonne , le Général de l'armée, qui était devant la place , ordonna à Carrew, Officier Irlandais dans les troupes de Naples , d'occuper un certain polie avec fon détachement. Après avoir donné cet ordre, il dit à l'oreille à Carrew , Moniteur, je fc/ais que vous êtes un galant homme, c'eft pourquoi je vous ai choifi pour vous envoyer en cet endroit, mais je vous dis en confidence que c'eft à une mort certaine pour vous tous. Je vous y place pour engager l'ennemi à faire hâter l'effet d'une mine qui eft fous vos pieds. Carrew fit une profonde révérence au Général, mena fa troupe en filence au pofte fatal , & y refta avec la contenance la plus ferme. Ayant demandé un verre de vin à l'un de fes foldats, il le but en portant la faute de ceux qui meurent en faifant courageufement leur devoir à la guerre. Heureufcment Tortonne capitula & Carrew fut fauve, mais il eut alors une occafion bien remarquable de donner l'exemple rare d'une intrépidité fi déterminée & réfléchie. C'eft avec plaifir que je rapporte une anecdote qui fait tant d'honneur à un homme d'une nation fur laquelle oit entend faire fi fouvent des réflexions' orfeniantes par des perfonnes de la part» defquelles elle ne le mérite aifurément pas. Quelles que puiifent être les rail-leries groifiéres d'une opulence infolcn-te, ou les envieux farcafmes d'une indigente jaloufie , les Irlandais ont toujours été & continueront à être très efiimés dans le Continent. L'autorité perfonnclle de Paoli fur les Corfes m'a fouvenu étonné. J'ai vu quel-, quefois des foules de gens chercher avec violence & impétuofité à l'approcher , comme s'ils avaient voulu entrer par force dans fon appartement. C'était en vain que les gardes s'efforçaient à les retenir : mais quand Paoli leur criait d'un ton ferme, point d'audience, ils fe retiraient fur le champ d'un air tranquille. Un jour après diner, il nous donna Une diiîertation fur l'ancien art de la guerre. Il obferva que les anciens permettaient peu de bagage , qu'ils appel-laie nt très à propos, impedimenta, tandis que les modernes s'en chargent au point que 50000 foldats aujourd'hui ont autant de bagage qu'il en fallait autrefois à toutes les armées de l'Empire Romain. Il dit qu'il était bon que les foldats fuifent pefamment armés , parce que cela les rend plus forts, & il remarqua que lorfque les Romains\pri-rent des armes plus légères , leurs troupes devinrent plus faibles. En raifonnant fur les diiférens emplois que peut exercer un homme qui a du génie & de l'éducation, je lui parlai de celui de Miniftre dans les Cours étrangères. Il me dit qu'il croyait cet emploi fort agréable pendant quelques années de ta vie pour un homme qui aurait de l'efprit & de l'adreffe. Il peut, dit - il, y acquérir infenfiblement une connaiifance plus parfaite des hommes & des mœurs, & fe rendre familier le fyftème politique de l'Europe. Il fe fe, ra connaitrc par les rapports, qu'il fera à fa Cour, qui doivent être juftes, dif, tincfts, fans feu & fans ornement. H peut y joindre fes propres idées, mais ce doit être avec beaucoup de modeffcie & de réferve. Le Miniftère eft toujours fier. Il difait que ce n'était pas la gloire qui procurait le bonheur , mais la bonté ; & que Pen, en formant dans fon Isle de l'Amérique une Colonie de gens heureux & tranquilles, jouiifait d'un plus grand bonheur que n'en avait jamais eu Alexandre le Grand en faifant périr une multitude d'hommes pour faire Faire ki conquête de Thébes. Il obferva que rhiltoire d'Alexandre était obfcure & incertaine , parce que les Capitaines qui, après lui, fe partagèrent fon Royaume , étaient trop occupés de leurs propres affaires pour fe rappeller & rapporter exactement fes actions & fa vie , & qu'ils étaient d'ailleurs intérefles à rendre à tout prix fa mémoire odieuiè à la poitérité. Le dernier jour que je paffai avec Paoli fut pour moi d'un prix ineftima-ble. Jamais il ne me fut plus cher & ne me parut plus aimable, que lorfque je me vis fur le point de m'en féparer pour toujours. Un petit incident qui arriva le foir, qui précéda mon départ, contribua encore à me le faire voir dans un jour plus favorable. Un des valets qui apportaient le deffert, lahîà tomber un plat de noix. Loin de fe fâ-Tome II N cher contre lui, il dit enfouriant, ce n'eft rien, & fe tournant de mon côté, cet accident eft d'un bon augure pour vous, Monfieur,-me dit-il. Tenu fus ejl fpargere nuces. Il eft tems de répandre des noix , '^'eft un ligne de mariage. Retournez dans votre patrie, choifirfez-y une aimable époufe pour qui vous ayez un véritable attachement. Ce fera avec un plaifir bien grand que j'en recevrai la nouvelle. C'était une jolie allufi'on à la cérémonie des .Romains dans le mariage , de répandre des noix. Je demandai encore à Paoli, comment je pourrais lui prouver mon refpect & mon attachement. Il me répondit ; en n'oubliant pas que je fuis votre ami , & en m'écrivant quelquefois. Je lui dis que j'efpérais que s'il honorait mes lettres d'une réponle , il voudrait bien m'é- crire moins en Général d'armée qu'en Homme de Lettres & en Philofophe , Û* me prit la main, & me dit; en ami. Je n'ofcrais ici tranfcrire de mon Journal le fcntiment que j'éprouvai dans cette dernière entrevue ; je paraîtrais fins «doute trop enthoufiafte. Je pris congé de Paoli avec autant de regret que d'émotion, non fans efpérance cependant de le revoir un jour. La con-nainance que j'ai acquifb d'un caractère fi grand, fi diftingue , a élevé l'opinion que j'avais de la nature^humaine , & fon exemple m'a infpiré une ardeur gé-néreufe & honnête de me diftinguer, en me rendant utile à la focieté, autant que ma fituation & ma capacité pourront me le permettre. Je fuis corrigé Pour toujours de la baffe timidité que m'inipirait la préfence des grands Hom- N % mes ; car où trouverais-je un auffi grand Homme que Paoli ? En partant de Solacaro }e me trouvai très indifpofé. L'ancienne maifon des Colonne ainfi que la famille de fon Maître était tombée dans une grande décadence , & le vent & la pluye s'étaient faits de tous côtés palfage dans ma chambre. J'en pris un gros rhume qui fe termina en fièvre quarte ; que faire ? H fallait bien fouffrir patiemment les in-convéniens d'un lieu où j'avais goûté tant de plaifir. Je fis une partie de la route avec un grand Prêtre bafané qui n'avait jamais été hors de la Corfe. C'était un Hercule pour la force & le courage ; lui & deux autres Corfes s'étaient rendus maîtres d'un Château gardé par 15 Génois. Il eit vrai que les Corfes ont un fi grand mépris pour leurs ennemis , que je leur ai ouï dire ; BaJIerebo le donne contra i Genoefi ,• " des femmes fufEfent contre les Génois ". Ce Prêtre était un gaillard gai & robufte qui ne s'inquiétait ni de feience ni de foucis. Il me faifait fans-cefle remarquer comment fon bidet cabriolait leftement ; il était toujours à quelques pas devant moi, de côté fur la felle Se la main appuyée fur la croupe : dans cette attitude il chantait des ehanfons comiques où le Diable & les Génois failàient toujours un rôle, & qui me faifait rire malgré tout ce que je fiuifrais. Je retournai à Corte, mais je pris un autre chemin pour varier la route , & pour mieux voir le pays Se la côte du côté de l'occident. A Cauro, la vue d'Ajac-cio Se de fes environs eft très belle. ]\Ja fièvre s'était fixée, ce qui me donnait des intervalles de bien - être que j'em- ployais à obferver tout ce qui s'offrait de digne de remarque. Je logeai à Cauro chez le Signor Peraldi d'Ajaccio , qui me reçut avec beaucoup de politeue. J'y trouvai une autre Magiitrature Provinciale. Avant fouper, Signor Peraldi & un jeune Abbé d'Ajaccio, cherchèrent à m'amufer en jouant du violon : après avoir montré leur goût dans la mufique fa van te, ils jouèrent, à ma prière , quelques airs Corfes, & firent entreF quatre gardes de la Magiitrature à qui ils ordonnèrent de danfer quelques dan-fes Corfes , pour m'en donner une idée. C'était véritablement une danfe fauva-ge , dans laquelle ils fautaient fur le bout des pieds , donnaient des talons, remuaient leurs armes, tournaient, courraient avec les monvemens les plus vio-lens. Cette danfe me donna l'idée d'une admirable danfe guerrière. J'effuyai de très mauvais tems pendant ce voyage : je n'oublierai jamais le bon Recteur de Cuttoli qui me-reçut avec tant d'hofpitalité quand, mouillé jufqu'aux os & accablé par un orage que ma maladie me mettait hors d'état de foutenir , je cherchai une retraite dans fa maifon. C'était un Hcrmite vénérable , véritablement comme ceux dont il eft parlé dans les anciens Romains. Sa figure & fes manières m'intérefférent à la première vue. Je trouvai, en effet, que c'était un homme refpecté dans toute l'Isle, & avec qui le Général faifait l'honneur d'entretenir une correfpon-dance régulière. Il me donna une collation fimple compofée d'ccufs, de châtaignes & de vin, & il offrit libéralement du jambon & d'autres vivres plus folides à mon domeftique. L'honnête SuûTe était alors fort content de repren- 2p6" . E T; A T drc le chemin du Continent. Il était très ennuyé de voir des pays étrangers , & ne comprenait pas quel plaifir je trouvais à vifiter une Isle où Ton était (i mal nourri & fi mal couché. " Si jamais je reviens dans mon pays, parmi ...ces montagnes de la Suilfe, dont Mon-fieur.rfait tant de ptaifanteries , me difait - il, je verrai qui pourra m'engager k les quitter ". Le Général, par un excès de bonté, n'avait pas voulu me permettre de voyager fans être accompagné de deux de fes gardes en cas d'accident. J'en fis mes compagnons pour me défennuyer pen-. dant la route. L'un d'eux, nommé Am-. brofio , était un homme noir & hardi .qui faifait peur à voir. Il avait été long-; tems à la guerre ; fe mettait peu en peine de blerTures, & fe préparait à tuer les ennemis avec le plus grand fang froid. de la Cors e. 297 Il me contait comme une très bonne anecdote, qu'ayant eu le bonheur un jour de voir deux Génois poirés exactement fur la même ligne, il les avait fi bien mirés, qu'il leur avait ca/fé la tète à tous deux à la fois. Il parlait de cela , comme on parlerait d'avoir tué deux corbeaux. J'étais bien afluré de n'avoir rien à craindre, cependant je ne fçai pourquoi je priai Am-brofio de marcher devant, afin de l'avoir toujours en vue. Paoli avait eu la bonté de me donner un de fes grands chiens. C'était un animal d'une force & d'une fierté extrême , mais il était trop vieux pour s'a-tacher à moi, & je le perdis entre Lion & Paris. Le Général a promis de m'en renvoyer un jeune pour être de garde à ma campagne. Je repris à Bogognano la même route que j'avais déjà faite en allant à Corte où j'arrivai heureufement après tant de fatigue. Ces bons Pères du Couvent des Francifcains me recurent comme une ancienne connaiïfance, & témoignèrent prendre beaucoup de part à ma maladie. J'envoyai aifurer le grand Chancelier de mes reipects. Il me répondit par un billet, dont je mets ici la traduction , pour faire voir à quel point les plus grands Seigneurs Corfes pouC fent la civilité & la cordialité. „ Mille félicitations à Mr. BofVell s, fur Ion heureux retour des monta-„ gnes, de la part de fon ferviteur MaC w fefi, qui eft en même tems fort fa-„ ché de fon indifpofition, occafionnce fans doute par la fatigue du voyage. ■„ II fe flate cependant, qu'après un peu „ de repos j Mr. Bofwel recouvrera fa de "La Corse. 299 ,5 première fanté : en attendant, il prend ,> la liberté de lui envoyer une -couple „ d'oifeaux qu'il le prie de lui faire j, faire l'honneur d'accepter pour fon » fouper. Il lui fouhaite une • bonne 5, nuit , ainfi que fon petit ferviteur n Luiggi qui aura demain matin l'hon-,5 neur de lui rendre fes devoirs. Ma fièvre m'incommoda fi fort que je fus pendant plufieurs jours obligé de me confiner dans le Couvent, où je ne m'ennuyai cependant pas. Je reçus la vifite du Chancelier & de divers autres membres de la Magifrrature, ainfi que celle du Pére Mariani, Reéleur de PUniverfité. Son féjour à Madrid pendant trois ans, comme Secrétaire du Général des Francifcains, efl: une preuve de fon cfprit & de fon fuvoir. Je me rappelle une de fis exprelfions fur l'état de fon pays qui me parut bien N 6 . 3©o Etat I éloquente. " La Corfe, difidt-il, a peri- . „ dant plu-ficurs années feigne de. tou-„ tes fes; veines. Elles font aujourd'hui „ confolidées, mais-après un fi grand „ épuifement , il faudra bien des an-„ nées avant que fes forces puiifent être „, parfaitement rétablies ". Je reçus auffi la vifite du Père Lconardo , du Bifcours éloquent duquel j'ai parlé dans une première partie de ce livre. ... En vérité je n'aurais pas été à plaindre quand je n'aurais eu d'autre compagnie que celle de ces Révérends Pérès. On ne me regardait point du tout . comme un hérétique ; Phofpitalité faifait difparaitre la différence de Religion; j'agiifais dans le Couvent tout comme j'aurais fait dans ma propre mai-fon , & les Pérès , fans fe livrer à une joye indécente , étaient auffi gais que ]c •pouvaii le délirer. J'étais foigné à Corte par deux Chi, rurgiens , l'un Corfe & l'autre Piémon-tais > je pris un peu de quinquina de - fApoticairerie des Féres Capucins, mais je n'cfpérais pas de me rétablir avant mon arrivée à la Banie, où je trouvai : que je pouvais me rendre en toute fu- - reté. Il y avait une efpèce de trêve en- - tre les Corfes & les Français. Paoli avait eu deux conférences amicales avec Mr, de Mai-bœuf leur Commandant en Chef, . & .il était fi bien avec C3 Seigneur qu'il I me donna une lettre de recommandation pour lui. Je partis' enfin pour Bafria. Je m'arrêtai la première nuit à Roftino efpé-rant d'y trouver il Signor Clément de Paoli , mais il était malheurçufement allé voir fa fdle , ce qui me £t perdre l'occafion de voir cet homme extraordinaire , de qui j'ai donné, dans ma- première partie, un fimple détail qtie je dois en grande partie à Mr. Burnaby. Je vins le jour fuivant jufques à Ve£ covato où je fus reçu par le bignor But-tafôcôo, qui me parut bien fupérieur à l'idée que je m'en étais faite fur la lettre de Mr. Roiufeau. Je lui trouvai, avec l'incorruptible vertu des braves Infulaires , toutes les lumières & la poli, telfc des habitans du Continent. Je vis en lui un homme qui avait des principes , du favoir & des connaiifances, & en même tems un homme du monde. Il efl parvenu au rang de Colonel du Régiment de Royal Corfè » au fervice de France , & il en eft bien digne. Je paffai quelques jours chez Mr. But-tafoco , dont la converfition me fit tant de plaiiir , que j'en oubliai prefque mon maL Comme on a beaucoup parlé en Eu- rope de l'invitation faite à Mr. Rouifeau de fe rendre en CGrfe, & que cette affaire a été conduite par Mr. Luttafocco qui m'a fait voir toute la correfn em-dance entre lui & Mr. RouITcju, je fuis en éti-t d'en donner un détail exact Mr. Rouifeau, dans fon traité Politique intitulé, du Contrait Social, a fait i'ob-fervation fuivance. " Il eft encore eu „ Europe un pays capable de Législa-„ tionj c'eft l'Isle de Corfe. La valeur „ & la conftance avec laquelle ce brave „ peuple a fçîi recouvrer & défendre fa „ liberté, mériterait bien que quelque „ homme fage lui aprit à la conferver. s, J'ai quelque preifentiment qu'un jour „ cette petite Isle étonnera l'Europe. C'eft fur cela que Mr. Buttafocco écrivit à Rouneau. Il le remerciait de l'honneur qu'il faifait à la nation Corfe, & l'hivitait fortement à fe rendre chez eux Se à être cet homme fage qui pouvait éclairer leurs efprits.1 J'eus la permuîion de prendre copie de la réponfe du Philufophe mifantrope à cette invitation. Elle eft écrite avec fon éloquence ordinaire. M II eft furperflu , Monfieur, de „ chercher à exciter mon zèle pour l'en- treprife que vous me propofez. La „ feule idée m'élève Pame Se me tranf-.„ porte , je croirais le refte de mes jours ,3 bien noblement, bien vertueufement „ & bien heureufement employés. Je „ croirais même avoir racheté l'inuti-„ lité des autres, (i je pouvais rendre „ ce trifte refte bon en quelque chofe „ à vos braves compatriotes ; fi je pou-M vais concourir, par quelque confeil „ utile, aux vues de votre digne Chef „ Se aux vôtres. De ce côté là donc „ foyez fur de moi ; ma vie & mon » cœur font à vous. C'étaient là les premières erfufions des fcntimens de Rouifeau. Cependant avant la £11 même de la même lettre , il fallait d'amères plaintes de fes malheurs & des perfécutions qu'il avait eifuyées, & paraiflait découragé par le grand nombre de difficultés qu'il prévoyait dans l'exécution de l'entreprife projettée. La correlpondance fè foutint pendant quelque tems , mais l'enthoufiafme de Rouifeau diminuant toujours par degrés , le projet fut entièrement abandonné. J'ai déjà obfervé que Mr. de Voltaire , pour jetter un ridicule fur le grave Rouifeau, a trouvé bon d'exercer fon talent pour la plaifanterie fur cette proposition. Je me rappelle qu'il ne parlait jamais de Rouifeau qu'avec un fourire fatirique, &;en le nommant ce garçon. Je trouve ceci dans mes notes fur les. conventions que j'ai eues avec Mr. de Voltaire lorsque j'étais chez lui dans fon Château de Ferney, où il me reçut avec toute la magnificence d'un Prince réel, plutôt que d'un Prince des Poètes. Faire voir l'alfertion de Voltaire contredite par une lettre écrite de la propre main de Paoli , eft fans doute une fiitisfaction fuffifante pour Rouifeau. On peut voir par la relation que j'ai donnée, auffi exacte qu'il m'a été pof-fible, de la conftitution préfente de la Corfe & de la perfonne de fon Tlluftre Chef & Général, combien le projet de faire venir Rouifeau en Corfe a été ridiculement rapporté & augmenté au Continent. On a dit que les Corfes le regardait comme leur Solon, & qu'ils étaient ré&lus à accepter implicitement le Code de Loix qu'il dreilerait pour eux. Ce n'était pas du tout le projet. Paoli eft beaucoup trop habile pour remettre la Législation de fon pays à un homme entièrement étranger au peuple , aux ufages , aux manières , à toutes chofes enfin dans l'Isle. Je fçai même que Paoli a beaucoup plus d'égard pour ce qui eft fondé fur l'expérience des tems, que pour les plus beaux fiftèmes idéals, outre qu'il ne ferait pas poffi-ble de mener les Corfes fi facilement, & de les changer tout d'un coup à volonté. Il faut les préparer par degrés, & Pctabliûement d'une loi, fervant de fondement à une autre loi , formera peu à peu un fiftème de Jurifprudence parfait. L'intention de Paoli était de procurer un généreux azile à Rouifeau ; de profiter des talens fupéricurs qui bril- lent dans fes écrits , en le confultant, & en faiilifant les éclairs de cette belle imagination , en tirer des fecours pour perfectionner les plans que lui- même à déjà formés dans fa profonde fagciTc. Mais ce qu'il avait principalement en vue , c'était d'employer la plume de Roufïèau a écrire les actions Héroïques de ces braves Infulaires , & il eft fâcheux que ce projet n'ait pu être exécuté. Le pére du prcfent Colonel But-tafocco en a fait, il y a plufieurs années , des recueils que Ton a foigneu-fenient confervés , & qui joints à ceux de l'Abbé Roftini fournirait une ample matière pour l'Hiftoire de la Coriè. Tout cela embelli par l'efprit & le ftile de Rouifeau, eut été un des plus beaux monumens d'hiftoire moderne. Signor Buttafocco m'accompagna à Baftia. j'avais befoin de trouver un bon gîte après tant de fatigues. Nous fûmes à la maifon du Signor Morelli Confeil-1er de Juftice, où. nous foupâmcs. Je logeai cette nuit là chez un ami' de Mr. Buttafoccô, . dans un autre quartier de la ville. Je fus le lendemain matin rendre mes devoirs à Mr. de Marbceuf, chez qui Mr. Buttafoccô me mena , & je lui préfentai la lettre de recommandation de Paoli. Il me reçut de la façon du monde la plus polie. Le brillant de fon lever me charma. La fcène était bien différente de celle à laquelle j'étais accoutumé depuis quelque tems : c'était paner tout d'un coup de la fimplicité rude & groiîiere des premiers âges, à la politeffe & l'urbanité moderne s je me crus tranfporté du fond des montagnes de la Çorfe, fur les rives de la Seine. Je trouvai dans Mr. de Marbœuf un Français franc & fincére , & d'un mérite diftingné. C'eft une remarque commune , mais très jufte, que rien n'eft plus aimable qu'un Français qui a long-tems fervi & qui eft parvenu à cet âge où le feu de la jeunelfe eft tempéré à un jufte degré. Il eft alors gai fans étourderie, judicieux fans févérité. Tel me parut être Mr. de Marbœuf, d'une ancienne famille de Bretagne, où l'on voit beaucoup plus de ces caractères fimples & fincéres que parmi-les autres Français. - Il a été un des Gentilshommes de la Chambre du refpectable Roi Stanislas. Dès que j'eus repris un peu de force, je fortis pour voir ce qu'il y avait de remarquable à Baftia. Signor Morelli me fit beaucoup d'honnêtetés : il me fit préfent de quelques livres, de quelques antiques & d'autres curiofités rela- tive à la Corfe ; jamais je ne vis un homme plus généreux. Signor Carafra, Officier Corfe au fervice de France avec la Croix de St. Louis, fut aufïî très poli à mon égard. Comme j'avais fait en Corfe un féjour plus long que je ne Pavais projette , l'argent me manqua, & *1 m'en fit trouver autant que j'en voulus. J'eus beaucoup d'obligations encore à Mr. Parle, Secrétaire de Mr. de Mari bœuf. En un mot, je ne fçai comment témoigner affez ma reconnaûTance à tous les braves gens que j'ai vu à Baflia pour tous les fervices qu'ils m'ont reudus. Les Français paraiffent s'accorder très tien avec les Corfes. Les Infulaires ont dix beaucoup autrefois à l'interpofition de la France en leur faveur : mais depuis le tems de San Fierro, ils ont eu fouvent des différeus s il y en eut un fingulier fous le Règne de Louis XIV. La garde Corfe du Pape dans un défor-dre populaire , infulta PAmbarfadeur de France à Rome. Le Monarque offenfé réfolut de vanger cet outrage ; mais le Pape, Alexandre VII, prévoyant les conféquences , confentit à accepter les conditions que la France exigeait , & qui étaient que, les gardes Corfes feraient obligés de fortir de l'Etat de PE-glife ; la nation déclarée pour jamais incapable de fervir le St. Siège, & que l'on érigerait une Piramide vis à vis de leur ancieii corps de garde , fur laquelle la caufe de leur difgrace ferait infcri-te O). Le Brun, dont le génie fupérieur lavait fi bien augmenter & embellir les moindres circonftances qui pouvaient faire (a) Corps diplomatique, anno 1664. foire honneur à fon Souverain , a peint cette hiftoire en médaillon dans un des compartimens de la grande galerie de Verfailles. La France y eft repréfentée d'un air majeftueux. Elle montre à Rome le dehehi de la piramide ; & Rome , quoique portant un Bouclier où l'on Voit les lettres initiales S. P. Q. R. reçoit ce deifein avec l'air de la plus humble foumiliion. Il ferait à fouhaiter que la France n'eut jamais fait un plus grand mal aux Corfes, que de les priver de l'honneur d'être les gardes du Pape. Boiifeux & Maillebois ne feront pas aifément oubliés, & l'on ne peut blâmer ces braves Infulaires quand ils fe plaignent de ce qu'une Puiffancc étrangère s'oppofe à leurs efforts pour fe remettre en pok fetTion de leur pays & de leur ancienne liberté. Mr. de Marbœuf m'a paru Tom. II. Q fe conduire avec beaucoup de prudence & de modération; il*me dit qu'il fou-haitait fort ,de conferver la paix dans la Corfe. Il avait fait une convention avec Paoli pour fe livrer réciproquement les criminels qui fe fauvendent fur leur territoire. Avant ce tems-là, de cent malfaiteurs à peine un feul était puni. Il n'y avait aucune communication entre les Corfes & les Génois, & un criminel n'avait qu'à fe fauver d'une Jurifdiclion fur l'autre pour n'avoir rien à craindre , & rien n'était plus facile : auffi les crimes caiifés par l'impunité étaient-ils très frcquens ; mais depuis cette convention équitable, la juftîce a été exa&ernent adminiftrée. ■ La réûdence des Français en Corfe a été dans le fond , peut - être , un avantagé poinvfes habitans. Il y a eu des marchés établis deux fois par femaine fur les confins de toutes les villes de ganiifon où les. payfans Corfes vendaient de toutes fortes de denrées dont ils emportaient la valeur en bons écus de France qui ont été changés en et pèces Corfes. Une ceflation d'armes d'un petit nombre d'années a été pour la nation un tems de repos, pendant lequel elle a pu fe préparer à faire un effort extraordinaire qui fe terminera probablement par l'expulfion totale des Génois. Une petite partie de ce loifir a été employée à perfectionner le Gouvernement Civil , à quoi l'exemple des Français n'a pas peu contribué. Plufieurs de leurs foldats font d'habiles ouvriers, & peuvent inftruire les natifs du pays dans divers arts fis métiers. Mr. de Marbceuf s'amufait à établir ■différents lieux de plaifancc & des jardins élégants. Et telle était la bonté & O 2 l'humanité de ce refpec"lable Officier ; qu'il obfervait avec foin quelles étaient les chofes dont la Corfe manquait, & il les faifiit venir de France pour en montrer l'exemple aux habitans. C'elr, lui en particulier qui a introduit dans l'Isle la culture des patates que l'on n'y connoiifait pas avant fon arrivée. Cette nourriture fera d'une grande utilité aux Corfes. Elle leur fournira une nourriture variée & falutaire, qui diminuant chez eux la confommation des châtaignes, les mettra en état d'en exporter une plus grande quantité. Mr. de Marbccuf s'amufa beaucoup du bruit qui s'était répandu que j'étais un Mi-niftre de la Cour Britannique. Le Courier d'Avignon nous aprit un jour que les Anglais allaient établir un Bureau de Commerce en Corfe. " Oh î Mon-53 fieur, me dit-il, voilà le fecret décou- M vert : nous favons à préfent le motif 5) de votre voyage dans ce -pays : c'eft ,3 vous qui êtes chargé de l'établifle-« ment du bureau de Commerce ". Quelque peu fondés que fuifent ces bruits, c'eft un fait que, lorfque j'étais à Gènes , le Signor Gherardi, l'un des Secrétaires d'Etat, me dit très fé-rieufement, Monfieur , vous m'avez fait trembler, quoique je ne vous aye jamais vu ; & quand je l'aifurais en fouriant que je n'étais qu'un fimple voyageur , il fécouait la tète en difant qu'il avoit fur mon fujet des informations très authentiques. Il me dit eivfuite avec beaucoup de gravité, que lorfque je voyageais en Corfe je portais un habit écar-late avec de l'or : mais que quand je fus rendre mes refpecls au Confeil Suprême à Corte, je parus avec un fimple habit noir tout uni. Je convins fraa.- O 3 3i 8 Etat chement de ces importantes vérités, &• il me parut en triompher. Je me f entais de plus en plus obligé à Mr. de Marbœuf. Lorfque mon Médecin me permit de manger à la table de fon Excellence , où il y avait toujours grande compagnie Se beaucoup de magnificence, il avait un fi grand foin de ma fanté qu'il ne fouffrait pas que je mangeaffe ou que je bufïe rien que ce qui m'était preferit. Je fuis ici, me difait-il, Médecin & Commandant , ainfi vous devez m'obéir. Il me preffa fort poliment de reffer encore quelque tems chez lui : Nous avons eu foin de vous pendant que vous étiez malade , me dit-il, j'ai droit de jouir un peu de votre fanté. Sa politeffe me fuivit après mon départ ; elle me procura la réception gra-cieufe que me Et Mr. Michel , chargé des affaires de France à Gènes , & je lui dois les politelfies extrêmes que je reçus à Paris de l'Abbé de Marbœuf Conseiller d'Etat, fréYe du Comte, & qui comme lui poflede toutes les vertus de la vie privée. Je quittai la Corfe avec regret en pen-fant à rilluftre Paoli. Je lui écrivis de Baftia, & lui appris ma maladie, que je ne devais , difais-je , qu'à l'honneur qu'il m'avait fait de me traiter en grand Seigneur , en me logeant dans un Magnifique Palais ruiné où le vent & la pluye entraient de tous côtés., au lieu de me donner une petite chambre fimple & bien elefe. La réponfc à ma première lettre eft écrite avec tant dYfprit, que je lui demandai la permilfion de la rendre publique , ce qu'il m'accorda fort gracieu-fement, en difant 5 " Je ne me rappelle >■> pas le contenu de cette lettre, mais O 4 M j'ai tant de confiance en Mr. BofVel, „ que je fuis fur qu'il ne la publierait pas s'il y avait quelque chofe qu'il M ne convint pas de laiffer voir ; ainfi 35 je le lui permets ". Cette permiifion nie met en état de faire part de cette lettre à mes lecteurs. A Mr. Janies Bojîvcl cTAnchinkck en Ecojfc. Moniteur, „ J'ai reçu la lettre dont vous m'a-vez favorifé de Baftia, & fuis bien 3S charmé d'aprendre le rétabliifement ,3 de votre fanté. Il eft heureux pour „ vous d'être tombé entre les mains 33 d'un habile Médecin. Si jamais le dé-,3 goût ' des pays agréables & civilifés j, vous fait revenir dans ces malheu-,3 reufes contrées, j'aurai foin de vous „ loger dans des apartemeiis plus chauds & mieux finis que Ceux de la maifon a Colonna à Soilacaro. Mais vous à vois tre tour, fouvcuez-vous auiii de ne î> pas voy.îger quand le teins & la fai-33 fon demandent que l'on refte chez n foi , en attendant de beaux jours. 33 J'attens avec impatience la lettre que >3 vous avez promis de m'écrire de Gè-,3 ncs, où je foupçonne fort que la dé->3 licatelfe des Dames vous obligera à „ faire quelques jours de quarantaine „ pour vous purifier de la plus légère „ infection que l'air de ce pays aurait ,3 pu vous donner , fur tout fi vous ,3 avez la fantaifie de faire voir cet ha-,3 bit de velours ( a ) Corfe , & ce bon-,3 net que les Corfes difent avoir été s, fait fur le modèle des anciens ca£ ( a ) Par velours Corfe , il entend cette étoffe grofliere fabriquée dans l'Isle, & dont les Corfes s'habillent au lieu du beau velours de Gènes. o s qnes, tandis que les Génois prcten-„ dent que la forme eh a été inventée „ par les voleurs de grand chemin pour „ s'en fervir à fe déguifer ; comme 11 „ fous le Gouvernement Génois les vo-„ leurs avaient eu quelque châtiment 3, à craindre ? Je fuis fur cependant que „ vous prendrez le bon parti avec ces „ aimables & délicates perfonnes, en „ leur infinuant que le cœur des belles „ eft formé pour la compalf on , & non „ pour le mépris & pour la tirannie, & qu'ainfi vous vous rétablirez aifé-33 ment dans leurs bonnes grâces. „ Immédiatement après mon retour 3, à Corte , je fus averti qu'Abbatucci ,„ ( a ) avait fecrettement débarqué fur ,3 la côte de Solenzara. Toutes les apa-33 rences font croire qu'il eft venu avec (.a) Abbatucci, Corfe d'un caractère fort fbfpect 3 5, des de/reins contraires à la tranquillité „ publique ; il s'eit cependant volontai-„ renient rendu prifonnier au Château , „ & Lit de grandes procurations de ré-s, pentance. En partant à Bogognano, jj j'apris qu'un Capitaine reformé Gé-3) nois avait cherché des complices pour 33 m'aifaiîmer j il n'a pas pu réulîir, & « fe voyant découvert, il s'elt caché „ dans les bois où il a été tué par un „ parti que les Magiifrats de la Provin-„ ce avaient envoyé de l'autre côté des „ montagnes pour le chercher. Ces piè-„ ges ne parailfent pas être de bons Pré-35 liminaires pour notre accommodement ,3 avec la République de Gènes. „ Je fuis actuellement occupé à tenir ,3 la Cour Sindicale dans cette Province « de Nebbio. Vers Je 10 du mois pro-33 chain, je me rendrai pour le même ,3 fujet dans la Province de Capo Cor- 0 6 „ fo, & pendant le mois de Février, „ je fixerai probablement ma réfidence „ à Balagna. Je retournerai à Corte au „ printems pour me préparer à Fou-35 verture du Confeil général. En quel-, que lieu que je fois votre amitié me ,3 fera toujours pré fente , & je ferai 33 toujours charmé de continuer notre 3a corrcfpondance , cependant croyez moi Votre affectionné ami, Pascal Paoli. Patrimonio 23 Décembre 1765. Peut-on rien voir de plus gracieux! & rien en même tems qui marque mieux la fermeté d'une grande ame que cette lettre ? Avec quelle agréable plaifanterie ce Chef des Corfes parle de fes ennemis ! On croirait que toutes les ( a ) ( a ) Allufion à une Tragédie Angloife de Rival QuecnSi Reines de Giines vont devenir Reines rivales pour l'amour de Pdoli, & elles le feraient fans doute fi elles pouvaient le Voir. Je prends la liberté de répéter ici une obfervation de ce Miniftre Illuftre que Paoli appelle le Peric/és de P Angleterre. On peut dire de Paoli ce que le Cardinal de Retz difait du grand Montrofe * » C'eft un de ces hommes que l'on ne 33 trouve plus que dans les Vies des 33 Hommes Illuftres de Plutarque. ( 5s« ) APPENDIX, contenant les manifestes PUBLIÉS EN CORSE. N°. L M À N I F E S T O DEL GENERALE, e suprem.o consiglio di s t a t o DEL RE G NO DI COR SIC A. J _j A giufttzia delh nnftra guerra contro la republica di Genova è tanto nota al mondo, quanto la neceiTità che ci ha indotti a prcn-der le armi per fottrarei dalla più obbrobrio- APPENDÏX. 327 fa, ed infofrVibile tiranftia degl' ingiufti occu-patori délia noftra ifola, e de nemici délia noftra libertà. La moderazione, cio non oftan-te, colla quale ci fiamo fempre diportati in quefto si giufto, e lodevoîe impegno, avendo viepiù riempiti d'orgoglio, e fatti ognf giorno più arditi a noftro danno i Signori di Geno-va , rende a noi indifpenfabile il dovere nel punto che fiamo per cambiar di condotta a lor riguardo , manifeftarne al pubblico li mo-tivi, e le ragioni, onde ongnuno fia perfuafo délia retcitudine délie noftre deterniinazioni:, e di quella equità, che forma il caractère délia noftra nazione. Da trenta anni che noi fofteniamo la pre-'fente guerra per ifnidare affatto dalla noftra ifola la republica di Genova, mai in alcun modo avevamo tentato fraftornarc il commef-cio di mare a fudditi di quella fignoria, com-pafïïonando di quelli piuttofto l'infclice fitus-zione, che l'obligava a viverc fotto un go-verno, che per la iftefta fua coftituzione non puô fe non efTer tir.mno. Ma vedcndo ora con quanta oftinazior.e , cd effickcxa la Pre- ,38 A P î E N D I % detta repubblica s'affatichi per interdire , e precludere ogni ftrada al comniercio maritti-mo nel noftro regno , prendcndo non fola-mente co* fuoi Baftimenti armati in Corfo quei-li che loro riefce incontrare di noftra bandie-ra, ma per anche con felice ardimento fi.no-ra abbrugiando, ed mfultando quelli délie al-tre nazioni più rifpettabili deir Europa, che per ragion di trafHco fi portino ad approdare , o partano da porti, e fcali a noi foggetti délia noftra ifola. E vedendo in fine, che quefta noftra lenità, e contegno niente è cor-ïifpofto daili fudditi Gcnovefi, e che anche efTi inftigano il loro principe a privarci dei bénéficie dei commercio con qualunque ban-tliera, lufingandofi con quefto mezzo vedere affatto la noftra nazione {"offrir nelle loro ma-ni il monopolio délie fue foftmze, colle quali fi fono obbligati provedere quei prefidi, che noi teniamo bloccati. Per non mancar quindi di riguardo a noi medefimi, per toglier gli oftacoli,. e proteggere il noftro commercio, c per render fenfibile il noftro rifentimento a coluro , che fui mare impunemente finora ci A P P E N D I X. hanno infukati con tanto noftro prcgiudizio ; prcvalendoci dei dritto , che ci compote, e Perché è infeparabile da quella libertà , che il cielo ha concéda al noftro valore , abbi.iino deliberato concéder la facoltà a qualunque de' noftri nazionali, che volefle armar baftimenti da Corfo contro de Genovefi noftri nemici, e lor bandicra , d'inalberare il noftro padiglione dopo aver prefo perô da noi il paflaporto , e le ift.uzioni opportune; la quale facoltà ncll' ifteflo modo , e forma , volentieri accordere-mo ancora a qualunque ftraniere, che volefle fervirfene contro de' medefimi noftri nemici, e lor bandiera, bonificandogli, ed aflicuran-dogli tutti que' privilegi , che in uguali cir-coftanze fogliono accordarfi agli armatori. Coftretti per tanto da cosi preflanti motivi, e fode ragioni a far la guerra anche per mare alla repubblica noftra n§nica , ci proteltiamo nondimeno voler ufare il maggior rifpetto , ed i riguardi poflibili a tutti i prencipi dell' Eu-ropa, e di voler praticare , ed oftervare le kggi, e confuetudini introdotte, ed ammefle nelle guerre marittime anche verfo de Geno- ?5o A P E E N D I X. vefi, quando i medefimi colle folite loro irrc-golari, ed inumane procédure non ci coftrin-gano ad appartarcene. Cafmca 20. Muggio 1760. N°. IL DOGE GOVERNATORI, e Procuratori DELLA REPUBLICA DI GENOVA. A determinazione , in cui fiamo dî dare a' noftri popoli délia Corfica i contraiTegni più indubitati, ed autentici délia paterha noftra amorevolezza , e dei fincéro defiderio ché abbiamo di renderli tranquilli e feîici ; efien-doci fatte prétend le inftanze di una gran parte di detti popoli, abbiamo deliberato di fpedire in quel noftro regno una ecceîlentaffi-ma depù tazione munita di tutte le opportune APPENDIX. jj,, facoltà , ed autorizzata in nome délia fere-nifllma noftra repubblica a promovervi effi-cacemente, ed a fiflure i mezzi dj quella fta-bile pacificazionc , che fu da tanto tempo l'oggetto délie più vive noftre premure. Notifichiamo quindi coi mezzo délie pre-, lenti a' fopraddetti noftri popoli, che-faran-no eftl, niuno efclufo, piem-mcnte rimeflî nella grazia e favore délia prefata noftra re-, pubblica col générale indulto di tutto ciô che puô effare accaduto in occalïone de' moti. trafcorli : gli accertiamo iuoitre délia imman-cabile noftra difpofizione ad aïlîcurare la cran-qinllkà . e 1, felkàà loro col mezzo di tutte quelle graziofe oortcefiioni, che fervano non folo a confermrrc, e fpiegare le prccedenti , e particolarmente quelle, che furono acco»--date in tempo dell' ilhjftiiiïimo Pietro Maria Giuftiniano, ma ancori la ferma intenzione, in cui fiamo, di concedere alla nazione Corfa diftinzioni maggiori , ft ibilire una retta, ed invariabile amminiftrazione délia giuftizia ci-Vile e crirninale, favorire ed ampliare il commercio , e procurarc in fomma alla predetca fçT, APPENDIX. nazione col bene délia pace ogni altro poffi- bile vantaggio. A quefti giuftiiîlmi fini la prefata eccellen-tiftima deputazione impiegherà ogni fua cura e penfiero \ ed invitiamo perciô non rneno tutti i foggetti più riguardevoli, che qualunque altro particolare dei regno a contribuirvi per parte loro con queila ftefta affezione , impegno , e buona fede , che per parte noftra , e delP ecccUentiiïima deputazione vi fa-ranno certamente apportati procurando altresi il più pronto générale concorfo di tutte le pie-vi, e provincie , onde poflo. colla maggïor follecituJine, concordia, ed unanimità perfe-zionarfi un' opéra, che dev' eftere per i fud-detti noftri popoli di fommo intereiTe, ed importanza. In vifta di quanto fopra proibiamo efprefta-mentc a chi avrà cara la noftra grazia il re-care qualunque danno aile perfone , e bene di chiunque fiafi de' fuddetti noftri popoli ; e ficcomc ci promettiamo, che 1' opéra, e 1© zelo di ognuno îi adopercanno efKcacemente per an oggetto , che tanto intereiTa la repub* APPENDIX. m blica, el vero bene dei regno, cosl avrem» noi prefente il merito di quelli, che con più di attivkà, e d'impegno contribuiranno a pro-muoverlo, e ftabilirlo. Dat. in Genova nel noftro Real Palazzo li 9. Maggio 1761. Domenico Maria Tatis Scgretario di Stato. N°. III. Risultato del çongresso tenuto da' corsi in ca-s i n c a , in occasione del-la g1unta spedita in cor-sica da' genovesi. IL GENERALE, ED IL SUPREMO CONSIGLIO DI STATO DïL REGNO DI CORSICA. I^A repubblica di Genova conofciute in-ûifficienti le proprie fue forze , non che per m APPENDIX. fottometterci alf aborrito di lei dominio, ma ben anche per far più lunga refiftenza a quelle , che ci fornifce la noftra unione , ed il noftro invincible attaccamcnto alla libertà da qualche tempo a qucfta parte , ma fempre in-vano non ha mai ceflafco di tentare con tutta la maggior crficacia délie fue impofture d'in-difporre contra di noi , e ricever foccorfo da qualche gran Cortc d'Europa. Vcdendoli ora deiufa in quefto fuo difegno, e fapendo beniflimo riputarfi da ogn' uno un dritto dell' umaiiità il dare una volta quiete a quefta nazione, fortemente ella terne, che nel futuro cong'relTo di pace confiderata, e la giuftizia délia noftra caufa colle noftro fo-lenni determinazioru, e l' incompatibilità dei fuo governo col genio dei noftri popoli , i Principi d'Europa per non lafeiare accefa in feno ail' Italiaura fcintilla di guerra non pen-fmo a farla defifterc dalle pretenfioni che of-tenta, e che ad altro fine non vorrebbe far valcre fopra quefto regno, che per riempirlo di miferie, e d' orrore. In taie ftato di cofe feguendo 1' impullb délia fua paiTione predo- A P P E N D I X. m minante di ftragi, e di vendette , ella ha ce-duto non poterfi meglio opporre aile noftre intraprefe , che animando colla profuzione di nioko danaro , e coll' offerta di gradi militari , e ftipendi alcuni ,uomini vili, e mercena-ri, efuli daila lor patria per le enormità de' loro delitti ad introdurvifi furrettiziamente per eccitarvi il tumulto, e la difunione ; onde in apprenfîone , o diftratti noi in una guerra civile, aveffe più commodo di far valere il gi-ro-de' fuoi urtiHzi, e nelîe Corti, e nel con-gi'efto di pace. Ed ella tanto più volentieri ha adottato quefto progetto, quanto che nel congreflb di Aquifgrana , allorchc i Miniftri délie potenze penfarono a metter le mani anche agli' arFari di Corfica, aftutamente feppe eluderne la premura coll' aflertiva , che in poco tempo avrebbe quietati i rumori di quefto regno. Coll' iftefla induftria volendo ora prevenire Y attenzione dei gabinetti per mezzo de' fuoi inviati, e con manifefti , impuden-tcmente aflerifce, e dîvulga, avère finalmen-ritrovato il mezzo di ridune alla quiete le cofe di CorXica, ed ayere a taie oggetto fulle 3Î<$ APPENDIX. richiefte délia maggior parte de' popoli, e de' principali délia nazione deftinata una giun-ta di fei foggetti dell'ordine fenatorio munita di ample facoltà, e per attirarfi la confiden-za, ed il concorfo délie pievi nella città di Baftia, e per ultimarvi il trattato di pacifica-zione. Noi amatiftimi compatriotti quali per rag-gione dei noftro miniftero colla maggiore fol-lecitudine, ed indefefta attenzione fiamo con-tinuamente applicati , e vegliamo alla confer-vazione délia voftra interna tranquillità, ed a fconcertare i progetti, e refpingere i ten-tativi de' nemici délia noftra libertà, avendo penetrato quefto piano ed idea délia repubblica di Genova, non credemmo poter più lun-gamente difterire la citazione dei folito an-nuale congreftb , efpediente fperimentato effi-caciflimo in trenta, e più anni di guerra per confondere l'orgoglio, e fraftornar le mifure de' Genovefi. Fu intimato, e notificato a tutti quelli, che hanno voce , ed autorità fu' i pubblici affari, e fu tenuto col maggior concorfo di tutti gli ordini, e rapprefentanti délia APPENDIX. ■ m délia nazione nel convento di S. Francefco délia pieve di Cafinca nelle feflività di pen-tecofte. Previddero il colpo fatale délia lor machina i noftri nemici, e fecero ogni sforzo per farlo cadere a vuoto. D. Filippo Grimal-di alla tefta de' banditti, e facinorofi fatti ve-nire apoftatamente da Genova in Baftia coll' intelligenza dei Martinetti, e coll' apparato di molti baftimenti fece uno fcalo in Fiu-morbo , e ftabilifti a cafa di Sardo , da dove con minaccie e lufinghe, e colla propofizione di levare un reggimento in quella commarca, fi perfuafe fpaventare i buoni patriotti, e ti-rare a fe il concorfo di molti partiti nel di fegno d'interrompere , occupandoci altrove t il citato congreflb , e privarci cosi délia con-giuntura più propria d' illuminare i noftri popoli , e d'eflere afliftiti dal loro zelo , e ge-nerolita nel commune bifogno. L'inftantaneo provedimento, che s'oppofe a quefto primo tentativo degli awerfari, e la prontezza con cui prefe l'armi per difefa délia propria li-bertà tutta quella comarca,-vi fono egual-mente noti alla fconritta de' traditori délia pa^ L Tom. IL P 3Î8 A P P E N D I X. tria , e délie truppe Genovefi. Continua dun-.que il congrefTo colla più defiderabile unanimità di lentimenti , e colla più matura ponderazio-ne délie cofe le fue feflioni, nelle quali fu-rono prefe le qui fotto notate deliberazioni, quali perché iiano a notizia d'ogn' uno , e per la loro intiera oiTervanza, vogliamo ed ordj-niamo che fiano lctte, e pubblicate , ed aflif-fata copia ne' luoghi foMri, e coniueti, rifer-bandoci fopra alcuni punti ad emanar fuori più circoftanziato dettaglio per foddisfàzioné, edintelligenza de'noftri amatiflimi popoli. I. E' ftato decretato che fi faccia un niani-fefco per mezzo di cui fmentire quelli délia repubblica di Genova, proteftando nel mede-•fimo , che in aie un tempo mai noi non fare-mo per dare orrechio a veruna propofizione d'accordo con i Genovefi, fe quelli per preli-•minari non riconofeono la noftra libertà, Y in-dipendenza dei noftro governo , e non cedono al medefimo le poche piazze che ancor ten-•gono nel regno. Quali preliminari accordati, ed efeguiti , la nazione Corfa, ed il fuo governo adotterà le niifure più proprie e decen- APPENDIX. 539 ti, e farà fpiecare la natural fua equità, e moderazione per indennizare il decoro, e gP intereili délia repubblica di Genova. II. Nella più probabile fuppofizione, che i Genoven acciecati dal loro orgoglio non fa-ranno per aderire a quelli preliminari dipace, per metterci maggiormente in iftalb di fargli con più fucccflb , e vigorofa la guerra in con-feguenza dei piano Habilita per 1' anno cor-Tente, è ftato penfato , ed a pieni voti de-terminato , che fi levi una contribuzione ftra-ordinaria, in virtù délia, quale determinazionc ciafcuno che avrà beni flabili, mobili, o fe-moventi fruttiferi nel regno dovià pagare una .lira per ogni mille che ne pofiederà in detti effetti per una fol voira. Per fare quella efi-genza li Signori intendenti generali , o altii prelidenti délia caméra con una particoîare iftruzione fi mcterranno in giro nel proilimo venturo mefe d'Agofto. III. Per la più pronta fpedizicne degli affari, e per eficre nel luogo il più a portato d'km-gilore ail' interna trauquiilità ciel regno è.flato P z }4o APPENDIX. conchiufo, e Habilita, che il governo fupre. mo faccia fiffa la fua refidenza nella città di Corte , c che vi fi debba transferire ne' primi giorni dell' entrante Giugno, col permeflo perô al Sig. Générale di poterfene appartare quando lo giudichi a propofito, o per 1' efe-cuzione cîel piano ftabilito délie operazioni di guerra in quehY anno, o per mantenerfi alla fronte dei nemico, ed opporfi alli di lui ten-tativi. Nel quai cafo refteranno a di lui cari-co, e di fua infpezione particolare il coman-do , e la direzione dell' arml, la guarnigione de' prefidi, torri, e poftamenti, ed ogni altro affare appartenente alla guerra, e nel reliante délie pubbliche incombenze procédera il fu-premo configlio colla folita fua fuprema au-torità. IV. Inerendo al defiderio de* veri amatori délia libertà , quale in ogni cofa vorrebbero ,che avefTe uguale influenza, ed ardentemente follecitano per l'abolimento di ogni qualunque refiduo dell' antica fervitù : ficcome ancora per averne quel profitto che ne ritraggono gli altri ftati, fi è ftabilito di far coniare colle ar» APPENDIX. 141 mi dcl regno una quantità proporzionata di moneta di rame , e d'argento , per fervire agli correnti dentro il regno. La quale moneta non potrà efler rifiutata da alcuno, e nella quale folamente la caméra , ed i tribunali rice-Ycranno i pagamenti, i dazi, le tafle ordinale , e ftraordinarie, condanne , ô altro &c. Per maggior comodo de' popoli in ogni pro-vincia , e forfe anche in ogni pieve farà de-putata una perfona, a cui potrà ricorrere chiun-que per far qualche pagamento pubblico, per cui avrà bifogr.o di cambiar moneta foraftiera colla corrente dei regno, o di quelle colla foraftiera per il commercio , ed ufi fuori di ftato. V. E per viepiù fare fpiccare Y independen-za dei noftri tribunali, e fupplire in parte aile fpefe délia loro manutenzione, c ftato rifo-luto, che il fupremo governo penfi a far bol-lare colle armi dcl regno una quantità di carra, confegnandola agi' intendenti generali délie finanze, coll' incarico ai medefimi di diftri-buirne per ciafcuna pieve a proporzione, perché venga comprata a foldi due , e denari U2 APPENDI X. otto, il foglîo da chimique ne avrà bifogno. Poiché dal momento che farà diftribuità per le pievi, quefta carta cosl bollata , e farà no-tificato a tutti per mezzo d'una circolare , non farà ricevuto corne inflrumento , 6 fcrittura pubblica, ma farà confiderato ne' noftri tribunali corne di niun vigore qualunque atto in avvenire non fcritto fopra quefta carta. VI. E ad oggetto di far più fenfibile , e ma-nifefto il giufto noftro rifentimento contro Don Filippo Grïmaldi, capo e direttore de' facino-rofi felloni, ed emifTari , le di cui malvagie inclinazioni lo condufTero al remo nclla fua gio-ventù , ed a cui la frequenza de' più enormi dclitti contro la patria ha fervito di fcala per arrivare al grado di colonnello délia repubblica di Genova, délia quale or gode la maggior confidenza, fi è ordinato, che debba conftruirli la figura d'un uomo di paglia rapprefentartte efTo Don Filippo Grimaldi, per effere dal mi-niftro di giuftizia aile forche pifeaine pubbli-camente impiccato affinchè venendo in qualunque tempo nelie noftre forze, fi debba efe- APPENDIX; 54r guire il medefimo fupplicio nella di lui propria perfona. VII. Ed attefe le prefenti emergenze, fi è pendto incaricare colle più efticaci premure i commiflari, i capitani délie armi, ed altri pub-blici uffiziali délia nazione d'arreftare, e con-fcgnnre alla giuftizia tutte le perfone fofpette, o che terranno difcorfi fediziofi , ficcome d' invigilare agli andàmenti, e forprendere gli cmifiari dei Genovefi nelle loro refpettive pie-vi, e parrocchie, alla quai premurofa difpofi-zione contravenendo fi efeguiranno rigorofa-mente contro di loro le leggi Habilite nel con-greflb di Santo Pietro. VIII. Si fono prefe inoltre le mifure più proprîe per mar.ter.ere il buon ordine nell' amminiftrazione délia giuftizia , e nella per-cezione , e maneggio dei danaro pubblico, ciocchè noi fcrupolofamente adempiremo in quanto per ragion dei noftro impiego a noi fpetta, ed afliduamente invigileremo , che gli altri ancora efeguifcano colla maggior dili-genza, ed efattezza le loro commiflioni, e incombenze. 344 APPENDIX. Noi per ultimo , amatiifimi compatriotti, non ftimiamo nemmeno opportuno d'eiïbrtarvi ad unire alla noftra follecitudine la voftra eo-ftanza, mentre nell' ulcimo memorabile con-greflb fi è troppo manifeftamente contradiftinto il voftro zelo per la commune patria, e nel concorrere in tanto numéro, e con tanto ar-dore ad abbattere, & punire T indegno ri-belle Martinetti , avère abbaftanza fatta ve--dere la voftra fermezza in difendere , e man-tenere la noftra libertà ; onde noi fiamo pieni di riconofcenza, e di gratitudine per la voftra fedeltà e valore , e P Europa tutta farà quindi perfuafa délia inalterabile noftra unione, me-diante la quale noi aiTicureremo la noftra félicita , ed aumenteremo fempre la gloria délia •patria. Vefcovato 24 Maggio 176^. Giufeppe Maria Massesi Gran - Cancelliere^ APPENDIX, — us N°. IV. M E M O R I A IN On dovrebbe certamcnte lagnarfi la repubblica di Genova , fe dai Corfi non fi è pre-ftato orrecchio aile lufinghevoli, e generiche efpreflioni d'afficurare la tranquillità, e la félicita loro contenute nell' editto dei 9 Maggio, fparfo artinciofamente in più mani dai Corfi medefinii. Chiunque fia per poco informato délie circoftanze foriere di quefto editto, farà aftretto a confeflare , che ô la repubblica non ebbe lumi baftevoli per ben intraprender l'im-pegno di piegar P animo dei Corfi , oppure che le di ki mire erano a tutt' altro dirette, che a renderli tran jLiiîli e felici. Lo sbarco cl indeftino di divexû uomiâi fecinorofi già sban-diti dalla Corfica ; la fecîizioue interna tentata AI S O V R A N I D I E U R O P A. P S 54tf " APPENDIX. in più parti dei regno ; P aver obbligati alcuni uffiziali Corfi, che fono al foldo dei Genoveii, a girare per i luoghiaffine di ammutinar gente ; il non aver fatto jl minimo capitale dei regno , ma foltanto dei popolo mené illumina-to fono forfe me/.zi adattiti per dar princi-pio alla tranquillità, e félicita dei Corfi, ov-vero ad eccitare fra elfi lo fpargltnento dei fangue , e tutto P orrore di una guçrra civile ? Le maflime prefenti délia repubblica niente diflimili fono da quelle che per P avanti hanno animato il di lei govemo, refo tanto odiofo ai Corfi, quanto è ftato il compatimento, con cui ogni fovrano ha riguardato le di loro vi-cende. Nè accade che più fi penfi a rifoget-targli una nazione , la quale ficcome dalla repubblica riconofee P avvilimento di tutto il regno , e l'abieztone de' popoli ; cosi eleggera una morte generofa , piuttofto çhe fottoporre di nuovo il collo ail' antica fchiavitù. Dalla violenza , e dalla forza che potefTe accorrere in ajuto délia repubblica , potreb-be, non vi èdubbio, abbatterii il valôre dei Corfi , ma non'per tanto fi otterrebbe dai Ce- APPENDIX. 347 novefi P intento, perché il cuore di quegli non perderebbe percio quella connaturale li-bertà, con cui fi nafcc, ed in vece di fce-marfi, maggiormente fi aumenterebbe quella antipatia, che dividerà per fempre le due na-zioni. E non è da crederfi, che verun fovra-no voglia continuamente tenere in Corfica un' armata in piedi per foftenere i dricti di una repubblica, che eccetto P invafione, non ha titolo , che pofla cohtrapporfi a quelli che vi hanno gli altri potentat! d'Europa. O fia P impero per rapporto alla Tofcana , o fia la Francia a cui altre voltre fu incorporatû, o fia la Spagna per i re d'Aragona, o fia la Santa Sede Apoftolic i di cui fu tributaria. Intanto perô neppure è da porfi in dubbio che i Re moderni, ai troni de' quali già per-vennero i gii:fti clamori dei Corfi, vogliano trafandare quel dritto d'umanità, che puô iftiî-lare nei di loro animi augura il penfiero di dure una volta la quiete alla Corfica, col laf-ciarle godere la fua libei ta, per cui in ogni tempo ha dimoflrato tanto attaccamento , e per cui ha fofienuta. con tanta coftanza una P 6 ■34g APPENDIX. guerra cosi difaftrofa, o mettendola fotto la protezione di qualche principe , che la ri-guardi corne figlia , e che invigli ed influifca colla minor gelolia degP altri ftati nella con-{Htuzione dei fuo govemo ; oppure adattando qualche altro fpediente poco meno analogo alla naturale inclinazione de1 fuoi popoli, e che colP indennità de' loro privilegi, meno anche s'opponga aile mire politiche, ed aile pretenzioni délie potcnze intereflate. <- .......---------- N°. V. DETERMINAZIONI P R E S E NEL CONGRESSO DI tutti i CAPI PRINCIPALI DEL REGNO Tenuto in CoRTE li 2} , 24 & 2$ di Ot-tobre dell'Anno corrente 1764. <Àï T T E S E le continuate notizie, che fi hant no da tutte le parti, fembri , che non vi fia più luogo a dubitare dell' imminente venuta APPENDIX. m in Corfica délie trappe Franceli , Jeggendufi perfino nelle pubbliche gazette il minuto det-taglio dei numéro di efle truppe, de' luoghi che dovranno occupare în Corfica , dei tempo , che dovranno reftarvi, ed alcuni altri articuli concernent! a quefta fpedizio.ie. Quin-di è che il governo fi è creduto nella indif-penfabile nece!litâ di convocare un partico-lare congreffo di tutti i foggetti, che hanno occupata 1a carica -di configlieri di ftato nel fupremo governo , de' prefidenti délie provin-cie , de' commifluri délie pievi, e di tutti gli altri capi principali dei regno ad oggetto di confultare intorno aile detetminazioni da pren-derlî in rapporto a quefto incidente tropjai) in-tereflànte per la nazione. E febbene vi fia luogo a credere , che le intenfioni di S. Maeftà Chiltiuniiïima non ten-dano con quefta fpedizione a fare dirretamen-te la guerra ad una nazione , che fempre fi è f.itta pre^gio dei più finccro ofie juiofo at-tacc.mento alla corona di Francia, e per cui akie vohe fi merito la fpcc; le protezione de' di lui gloriofi predete.loii ; eflendo perù defti- f$6 APPENDIX. natc le truppe Francefi a munirc, c difen-derc i prefidi, che ancora ritengono in Corfica i Genovefi, non poflbno i Corfi rifguar-darle , cfe come usa fpede di truppe aufi-liarie délia repubblica , finchè fpcciilmente non vengano loro a notizia tutti gli articoli dcl trattato di frefeo conchiufo colla ftefia icpubblica relativo a quefta fpedizione. Affine pertanto di ufare di tutta la pofiibi-le precauzione , e di prenderc le mifure più convenevoli alla pubblica ficurezza, fi fono prefe unanimemente alcune determinazioni contenute ne' fequenti articoli. Primo. Si formera una giunta di guerra comporta di vari foggetti di tutte le provincie, da nominarfi dal fuprenio governo , la quale farà inc iricata d'invigilare per la efatta , c ri-gorofa ofiervanza dell' articolo 34. dell' ulti-ma gênerai confulta , rifguardante la proibi-zione di qualunque fort < di commercio co' prefidi nemici, tanto in riguardo ail' acceffo dei nazion^Ii ri detti prefidi, quanto de prefidia-ni agli fcali délia nazione, ad oggetto di ga-rantire i popoli dalle angtrftie di una vicina APPENDIX. ^r careftia confimile a quella dell' anno feorfo, per mantenere , ed aumentare il commercio in-trodotto negli fc.ili délia nazione, e provve-dere nel temro fteflû, alla fufilitenza deilepub-bliche finanze. Dandofi perciô piena aurorita a detta giunta di punirc irremiifibilmcnte i delinquenti. Sccondo. Quantunque pofTa crederfi , che le truppe Fruncefi dellinate ora in Corfica non fiano per intraprendere cofa alcuna in pregiu-dizio dei diritti délia nazione, e rinnovarvi al-cuno dcgli attentati altre voke commefîi con manifefto abufo délia confidenza, e buona fe-de de' Corfi nella inafpettata forprefa délia Pa-ludélia, e di Alziprato , e nella refa dei Ca-ftelîo di Sanfiorenzo inmanode' nemici; con-tuttociô per maggiormente abbondare in pre-cauzioni, farà loro onv.inamente victato 1' ac-cefib ai paefi fotto qualunque pretëfto. Sarà perciô ifpezione di S. Ecc. il Sig. Générale di tener muniti i poftamenti di frondera , anche per far valere la giuridizione , e il dominio délia nazione fbpra i territori degli fteffi pi'c-fidiï connTcati a favorc délia pubblica caméra js3 appendix. come è ftato praticato finora. Potrà perô il fu-prenio governo accordare il paflaporto a quai-che officiale Francefe , che lo chicdefïe, con obbligo di manifeftare nella prima générale Çbnfulta da tenerfi i motivi délia richiefta, e délia concelPione di t.di padaporti, e di quanto fi fofle trattato con effi Francefi. Terzo. Precorrendo voce, che pofta eiïere fatta qualche propofizione di pace , o di ac-comodamento colla repubblica, dovrà quefta aftblutamente rigettarfi, fi prima non fiano accordât!, ed efeguiti i preliminari propofti nella gênera! confulta di Cafinca dell' anno 1761. Qiiarto. S'incarica S. Ecc. il Sig. Générale di fare a nome délia nazione una rifpettofa, ed efficace remoftranza a fua Maeftà Chriftianiifi-ma in rapporto ai danni, che viene a rifen-tîre la nazione fuddetta per la miflione in Corfica délie fue truppe in un tempo , che profittendo i Corfi délia eftrema debolezza de' lor nemici, erano fui punto di efpcllerli in-tieramente dall' ifola, rcftando percio prechifa loro la ftrada ad ulteriori progreffi, e vantag-giata al contrario la repubblica, che viene APPENDIX. m Con quefto mezzo a rinfrancarîi délie gravifii-me fpefe, che era tenuta fare in Corfica e a metterfi cosi maggiormente in iftato di conti-nuare la guerra contro la nazione. Mettent in vifta nel tempo ftefib a S. Majeftà il grave torto fatto anni adietro alla nazione colla refa in mano de' Genovefi délia importante piazza di Sanfioren/.o, confegnata dai Corfi aile fuc truppe affine di cuftodirla , chiedendo di tutto la convencvole indennizzazionc. Qiiinto. E perché quefta rimoftranza abbia maggiormente il fuo effetto, farà pure incom-benza di efTo Sig. Générale d'indirizzarfi aile potenze protettrici, ed amiche délia nazione, fupplicandole a voleila coadiuvarc colla loro mediazione preffo fua Maeftà Chriftianiflima, e a continuare alla nazione ftefta l'alto loro Padrocinio per la confervazione de' fuoi di-ritti , e prérogative dilibertà, e indipendenza. Scjlo. Eftendo venuto a nctizia dei fupremo governo, che qualunque privato indifterente-mente 11 fuccia lecico di devaftirc i pubblici bofchi, erigendovi fabbriche a fuo talento di qualunque forta di Icgnami , neli' avvenire û m APPENDIX. proibifce rigorofamente a chiunquc ogni nuova erezione di dette fabbrichc, ed il taglio di qualfivoglia forta di albcri ne' bofchi fuddetti, fe prima non ne avrà ottcnutà la liccnza in ifcritto da concédera dal folo fupremo governo, Giufeppe Maria Massesi Grr.n-Caneeiiicrc. N°. VI. GENERA L E, E SUPREMO CONSIGLIO D I S T A T O DEL REGNO DI CORSICA, ai nostr.i diletti popoli. J^Ra le incëflanti graviffime occupazioni,, che feco porta il governo de' popoli alla noftra cura commefli, una délie principali noftre ap-plicazioni maifempre è ftata quella di procu-rare alla gioventu dei noftro regno un pub- APPENDIX. f?i blîco comodo onde poterla iftruire ncgli ftudi délie fcienze divine ed umane , ad oggetto di renderla maggiormente utile al fervizio di Dio , e délia patria. Il governo Genovefe tra le maflirne délia barbara deteftabil politica con cui leggeva quefti popoli, forra ogni altra, fi attenne in-variabilmente a quella di mantenergli nell' in-coltura,- e nella ignoranza ; t per quanto fio-rilTcro le fcienze, e fofTero in pregio prefib le vicine nazioni, ed anche alcuni de' noftri nazionali dalla generofità de' principi d'Itaiia fofTero prefceki a foftenere con alta riputa-zion di dottrina le cattedre più ragguardevoli nelle univerfità di Rorria, di Pifa, e di Pado-va, noi perô eravamo miferamente coftretti a vedere in Corfica i più fublimi e perfpica-ci ingegni, che la natura ha dati in ogni tempo , ed in grèm numéro nel noftro clima, ô a languire fenza cultura, e confumarfi nella ofcurità, e nell' ozio, ô a procacciar con grave difpendio oltremare, e per le contrade d'Europa quel comodo di coltivarfi che non era loro permeffo di rinvenire nella lor patria. ^6 APPENDIX. La Prowidenza perô , che in tante manière ha manifeftati fopra di noi i più fenfi-bili contraflegni délia fua protezione, ha dif-fipata in gran parte quella nuvola di ofeuri-tà , che cotanto ingiuriofumente ci copriva , e noi fiamo a portata di diiingannarc il mon-do , che non era la Corfica quel barbaro pae-fe, che voleafi far credere da' Genoveli, ne-mico dei buoni ftudi, e délie fcienze. L'oggetto pertanto di quefto noftro editto è quello di far noto ai noftri amatiifimi popoli , che P univerfità dcgli ftudi ideata da gran tempo, e fraftornata fin qui dalle circo-ftanze inopportune dei tempi, fi aprirà il giorno tre dei proffimo futuro Gennajo in quefta città di Corte, luogo prefecko nell' ultima gênerai confulta dcllo feaduto Maggio , corne il più comodo a tutta la nazione. Queft' opéra tanto falutare, e generalmente bramata dai noftri popoli , Jion avrà per avventura nel fuo cominciamento tutta quella perfezio-ne, a cui ( corne tutte le altre noftrc cofe, che nate da piccoli principii, perché guida-te dal zelo e dalla giuftizia , hanno avuti APPENDIX. m notabiliftimi accrefcimenti ) potrà pervenirc con qualche tratto di tempo, baftando ora a noi, che vi fiano le fcuole più neceftarie, e le più proporzionate al prefente bifogno de' noftri popoli. A taie cftetto abbiamo prefcelti i più va-lenti ed accreditati profeftbri, che oltre P ef-fere benemeriti délia nazione per molti altri titoli, non per avidicà di lucro , o per alet-tamenti di vanità, ma portati da un puro e fmcero zelo dei pubblico bene, impiegheran-no ora di buon animo le loro ftudiofe fati-che ad iftruire nella maniera più defiderabile la gioventù , infegnando giornalmente nelle pubbliche fcuole dell' univerfità le feguenti facoltà, e fcienze. I. La Teologia Scolaftica Dommatica, ovc i principii délia religione , e le dottrine délia cattolica chiefa faranno fpiegate con brevità e fodezza, e il profeflbre farà altresi una le-zione fra fettimana di Storia Ecclefiaftica. II. La Teologia Morale, in cui fi daran-no i precetti, e le regole più ficure délia Criftuna morale, c in un giorno délia fetti- ;;8 APPENDIX. mana fi farà la conferenza di un Cafo pratico relativamente aile materie infegnate. III. Le Ifticute Civile e Canonica, ove fi 'monftrcrà Y origine e il vero fpirito délie leg-gi, per il miglior ulb délie medelime. IV. L' Etica, fcienza utilifiima per appren-dere le rcgol dei buon cuftum'c, e la maniera di ben guid.uli nci -dilterenti impieghi délia focictà civile, e comprenderà. altresî la co-gnizione dei Diricto deila Natura , e délie Genti. V. La Filoforia fecondo i fiftemi più plau-fibili dei modérai filofofanti , e il profefforc darà altresî i principe délia Matematica. V I. La Rettorica. VII. Vi farà inoltre il comodo di ifttuirfi in lingua volgare nella Pràtica tanto Civile che Criminale. Le ore per le difFerenti fcuole faranno dif-tribuite in maniera, che chi vorrà potrà in-. tervenire lo ftefib giorno à diverfe lezioni, e farà taie il metodo che terranno i profefibri nell' infegnare , che bafterà una médiocre cognizione délia lingua Latina per P intelli- APPENDIX. H9 genza délie materie, aile quali vorranno ap-plicare. Invitiamo pertanto tutti î giovani ftudioli dei noftro regno, tanto ecclefiaftici che fcco-■Iari, a proiîttare di una occafione si vantag-giofa, che loro prefentiamo : e fopratutto vo-gliamo perfbaderd , che con più ardore, ed in maggior numéro vorranno concorrervi i giovani délie famiglie più ragguardevoli e facol-tofe , alla coltura dei quali eflendo principal-mente dirette le noftie lbllecitudini, avremo cura fpeeiale , che vi Ganô* per loro fcuole propor/ionate , ad oggetto di fbrnirli délie neceffarie cognizioni per abilitarli aile pub-bliche cariche di configlieri di ftato, di pre-fidenti , auditori, e confukori délie giurifdi-zioni e provincie , e agîi altri ragguardevoli impieghi délia nazione, ai quali avendo elîi fpeciale diritto di afpirare, devono moftrare nel tempo fteilb un m.iggiore impegno di con-rradiftinguerfi nella coltura de' buoni ftudii, per renderli atti a foftenerli con drgnità: ol-tredichè ritrovandoli eifi in vici.ianza dcl tù-premo governo, e preflb fua eccellenza il Sig. 3 . IV. L'Ethique ou Morale proprement ainfi nommée, feience très'utile pour apprendre les règles des bonnes mœurs , & la manière de fc bien diriger dans les divers emplois de la Société Civile ; ce qui embraflera aum le Droit de la nature & des gens. V. La Philofophie, félon les fyitêmes les plus plaufibles des Philofophes modernes ; & ce ProfefTeur donnera aulli les principes ou élémens des Mathématiques. V I. La Rhétorique. V11. On trouvera en langue Vulgaire tous les fecours que Pon pourra délirer pour s'inf-truire de la pratique en matière Civile & Criminelle. APPENDIX. 3^ Les heures pour ces ciifférens Collèges feront diftribuées de manière que chacun puifle dans un même jon- affilier à plufieurs leçons; & la méthode des Profelfeurs fera telle qu'une connaùTance médiocre de la langue Latine puifTe fuffire pour l'intelligence des fciences auxquelles on délirera de s'appliquer. Nous invitons donc tous les jeunes g ri s ftudieux de notre Royaume , tant Ecclcfi..Triques que Séculiers, à profiter d'une occafion fi favorable qui leur eft offerte. Nous aimont fur-tout à nous perfuader que les jeunes gens des mutons les plus diftinguées 6: les plus riches , à la culture defquelles s'adrefient principalement notre paternelle follicitude, redoubleront leur ardeur à s'en prévaloir. Nous aurons même pour les y porter une at-tention particulière, à ce qu'ils y trouvent des fecours proportionnés à leur état , & toutes les connaiŒmces propres à les rendre capables d'occuper dignement les poftes de Con-feillers d'Etat, de Prélidens , d'Auditeurs,, de Confulteurs des Jurifdictions