ETAT DE LA CORSE, Suivi d'un Journal D'UN VOYAGE DANS LTSLE Et des Mcmo'ues DE PASCAL FAOLI, Par ;J ..vt^ujÀ Mr. JAMES BOS'WEL , ECUYER. Orne d'une Carte nouvelle & exacte de la Corse, de des Manifeftes Originaux, . Traduit de l'Anglais et de l'Italien, Par Mr. S. D. C. Avec une Prcfacc du Traducteur. M. D. CC. LXIX. T Non enim propter Gloriam , divitias aut Honores pugnamtts, Jed propter Ubcrtdtem Solummodo, quam nemo bonus niji Simul cum vita atnittit. Litt. Comit. & Baron. Scotiœ ad Papam. an. Dom. 1320. ■T 1 . Ce n'eft point pour la gloire , pour les ri-chefles , ou pour les honneurs que nous combattons ; mais pour la feule liberté , qu'aucun homme plein de fentiment ne peut fe refoudre à perdre qu'avec la vie. Lettre des Comtes & Barohies cTE-cojjc au Pape y Van 1320. P R E F A CE DU TRADUCTEUR. E n'eft point aux particuliers ^""^ à juger les grandes querelles , quoique chaque individu ait la liberté que donnent la vérité ôc le fentiment. C'eft à l'Univers à prononcer en de tels cas ; c'eft-à-dire , à la pluralité des hommes & des peuples défintérefles ; Ôc en dernier reflbrt, à la pofterité, qui fera toujours moins fervile Ôt moins partiale dans le jugement qu'elle portera des avions des hommes. Ce qui eft de notre reflbrt, c'eft de nous infiruiré, ôc de dé venir meil-Uurs en nous infiruifant ; Ôc que d'inftruclions ne trouvera-t-on pas d.ins fhiftoire quon va lire ! Des fujwts envahis qui brifent leurs fers, prouvent îa figeffe des Souverains qui ne les retiennent que par l'amour.... Un peuple qui fe forme apprend à un peuple déjà formé à fe corriger .... Un Gouvernement dans fon berceau montre la nécefîité de l'union entre les Chefs ôc fes membres; entre tous les Ordres & les individus qui les compofent.... Une réilftance de 40 ans à la Tirannie , eft un garant fur que des hommes généreux & bien unis feront invincibles. En lifant ce livre, on fe convaincra qu'une constitution ancienne ne fe Soutiendra qu'autant qu'elle ne fera point enfrainte , fi elle était jufte ; & qu'une conftitution nouvelle pour êcre Stable chez un peuple libre ôc courageux , doit être dans un équilibre qui ne puiffe être rompu par celai même qui Ta formé. Cet équilibre aura lieu quand Jes loix auront reçu ou acquis une con-fiftance qui ne puiffe être altérée impunément paraucun crédit; quand toutes les volontés auront concouru à en former une feule, que la pluralité aura le plus grand intérêt à ne point enfreindre. On verra dans cette hiftoire l'effet & la nécefiiré de la confiance du Chef pour un peuple qui ne voit en lui qu'un pére, un ami, un Libérateur ; comme la nécefliîé de la confiance d'un peuple pour le Chef qui ne voit dans ce peuple que des frères, des compatriotes & des en-fans. On y fentira le prix inefrirnabte d'une autorite qui n'eil qu'affeclion, que zèle, que dévouement aux plus grands travaux ; comme d'une fou-mifîion qui n'en: que reconnoiffan-ce , & qu'amour de foi - même bien entendu ; de l'une & de l'autre, fondées fur le déiir commun du bien général, fur des Sacrifices réciproques , ôc fur des bienfaits. On y verra le poids impofant d'Une juftice impartiale, défintéreffée & inaltérable, qui n'effraye ôc ne peut effrayer que les méchans ; en même tems qu'elle anime & qu'elle tranquiîlife les gens de bien. On y contemplera dans la fuite avec délices, les effets heureux de l'induftrie, Sollicite'e par l'émulation , excitée par l'honneur , couronnée par les Succès ; jamais ralkn-tie , ni intimidée par les vexations. Quel piaifir nouveau de voir des Finances qui n epuifent Ôc n'enrichif-Sent perfomie ; qui ne nourrirent ni l'orgueil, ni le luxe, ni la rôoîltfflfe effrénée, de cette précieufe fubf-tance des peuples , qui ne devrait circuler que pour fon bonheur , ni être employée que pour la fûreîé , les befoins & l'affermiiTement de L'Etat ! Et que dirons nous de ces troupes nationnales dont la paye feule •eft îa gloire défibrer leur liberté, qu'elles eftiment le premier des biens, & pour qui la vie n'eft que le fécond ; qui ne connaiffent de péril que celui de manquer leur but, ôc qui n'envifagent les fatigues , les bleffures ôc la mort même , que comme de légers ficrifi.es que les cœurs font à la patrie. Si des intérêts contraires à un fî noble inflitut était capables déteindre , ou feulement d'affaiblir l'intérêt que doit infpirer l'humanité , 6c la touchante Situation d'un tel peuple ; tous les efprits Philofophes , tous les hommes dépréocupés Sauront les voir d'un autre œil. Le$ peuples libres, les peuples heureux Sous un Gouvernement jufie ôc modéré Seraient attriftés de voir échouer des vues fi légitimes, un plan fi Sage, & une conduite fi digne d'éloges. Si nous voyons un vaiffeau battu de l'orage , en péril d'être englouti par les flots, ou bnfé contre des x PREF. DU TRAD. rochers; fans favoir de quelle nation i! pourrait êcre, il nous furfî-rait de favoir qu'il porte des hommes , pour en être vivement émus. Et combien cet intérêt n'augmenterait-il pis encore fi nous étions à portée de voir les belles manœuvres du Capitaine, la fage conduite du pilote ôc les travaux intrépides des matelots ! Quels vœux ne formerions - nous pas, pour que le calme fuccédât à la tempête, ôc qu'un vent favorable pût le ramener au port ! EPITRE DEDICATOIRE A PASCAL PAOLI GÉNÉRAL DES CORSES. Monfîeur, L Es Dédicaces font pour la plupart des offrandes ferviles & inte'rejfe'es 9 ou les effufions d\in zèle très partial. Von y voit pour t ordinaire rémunération des vertus d'un homme en qui Ton ne pouvait en appercevoir, ou des prefages de grandeur adreffees à des hommes qui ont tnfuite pajfe leurs jours dans une lèche indolence y * 6 xii E P I T R E çjf qui font morts fans laijfer d\uare monument de leur exiftence qu'une Dédicace, dans laquelle tout hur mérite était célébré à futur , £5 que le tems a converti en un filence équivalent au reproche. Ceux qui ont qnjelqiie connaiffance des hommes > penferom mûrement à qui Us adrejfent des Dédicaces. Donner publiquement dus louanges dont le public ne fnt pas le fondement ou des efpérances qui ne feront, jamais réalifées , dégrade néceffaire-ment le caractère d'un Auteur, qui ne paffera plus dès lors que pour un fade ParafUe , ou pour un aveugle entoufir.fi e. Je nui rien à craindre de pareil, DEDICATOIRE. xin en dédiant ce livre à P a s c a l P a o-li. Ses vertus font généralement reconnues , £«f honporent f Ouvrage que yhax.a-de de lui pr/jemer. C ejl un bonheur Jingulier pour moi, que mon livre fuit lé garant de fa dédicace. En vous fadieffrnt-, Monfeur , mon intention n efi point d'ejfayer de fuire votre panegirique ; il refilera en quelque forte de mon travail im* par fût, mais je fouhaite d'exprimer aux yeux du monde f admiration & la reconnaiffance que vous ni avez infpirée, Cejl tout ce que je p as vous offrir en retour des faveurs dont vous avez daigne mkonnorer, fef je 'vous fupplie de le recevoir comme xiv EPJTRE DEDIC. un témoignage de mes Sentiment. S ai regret de n avoir ni pouvoir , ni influence qui me mette dans le cat de rendre quelque /truffé? ejfentiel à vous, Monfieur, çjf aux braves CorSes. Tout ce que je puis, ejl devons offrir les vœux ardens d?un funpîe particulier ' fai l'honneur d'être avec tout le reSpecl & l'attachement pojjible , Moniteur, Auchinleck Ayrshirc, le 29 Ocîobre 1767. Votre très-humble & dévoué Serviteur , James Boswel. PREFACE DE L'IUTEUR. n'ai point d'Apologie à faire , en préfenfaut au public la Relation de la Corfe. Ou l'attendait de moi depuis quelque tenus > & f avoue que l'ardente cu-ribfitè du public m'encourage en même tems qu'elle m'intimide. A mon retour du voyage que je fis en Corfe ■> je trouvai partout une joule empreffée d'entendre ce que je pouvais avoir appris de cette Isle & de fes habit ans > ennuyé de me répéter par tout , je cms que le mieux était de promettre un Ouvrage qui parlât pour moi. Je ne voulus pas cependant prendre fur mon compte de le faire , jufques à ce que feujfe confulté la-deffus le Général de cette va t ion. Je P informai de mon dejfein , £5? il me fit une réponfe , peut - être trop f.a-teufe pour que je aujfe la rendre publique , mais elle contenait une permi'fon ^§ en quelque forte la fanBion de cet ouvrage. P a g l i daigna rifécrire en ces termes. Non pu à eiïer più generofo il di lei dîfegno di ptibEcax colle Starnpe le ok ferveizioni chc hn fattè fopra la Cordca. Ella ne ha veduto la fiflca fitiiazioiie3 lia potuto ezaminare i collumi degli abi-tanti , e veder dentro le maiîime dell' loro governo di cui conofte la cofti-tuzione. . Quefti popoîi con entufiafmo di gratitudine iiniranno il loro applaufo a quello dell' Eurcpa difingannata. „ Rien n'efi plus généreux , Monfieur , 53 que votre deffein > de rendre publiques „ par Vimprejfwn les obfervations que 3, vous avez faites fur la Corfe. Vous en fy avez, vu la filiation phyfque ; vous ,3 avez pu examiner les mxurs de fes ha-,5 bitans , & vous infruire des maximes „ de leur Gouvernement dont vous cou-3, naiffez la conflitntiou. Ces peuples rem-« plis d'un entoufiafme de reconnaijjance, „ joindront leurs applaudi jfemens à ceux 35 de l'Europe défabrfée. Ma première intention était de ne donner qu'un crayon de l'état aeluel de la Corfe, avec les Mémoires de fou Illuf.re Général: mais par l'avis de quelques amis éclairés dont je refpe&e le jugement, j'ai donné plus d'étendue à mon plan. de l'exécution duquel le public fera le Juge. J'ai entre les mains deux Ouvrages qui Ont été écrits avant le mien fur la Corfe. L'un ejl l'Hiftoire de PIs;e de Corfe par M. G. D. C., imprimé à Nancy en 1749. L'autre , Mémoires Hifroriqucs Sec. par Mr. Jauïïin ancien Apoticr.irc Major, Imprimé à Laufmne en I7>3- J'ai tire de tous deux de très utiles matériaux ,• le dernier contient un [avant détail fur Phif-toire naturelle de l'Isle, avec nombre de lettres, de manifejles & d'autres écrits 5 £5? tous les deux ■ rêiiniffent une variété conjidérable de particularités relatives aux opérations des Français en Corfe. J'ai eu ainfi devant moi un abondante colle&icu de remarques , dont j'ai fait lifage dans ce que j'ai écrit pendant mon féjour dans l'Isle. J'ai trouvé cependant ces matériaux in-fujffans à divers égards , & pour y fu-pléer, j'ai écrit à divers amis étrangers i & en même tems j'ai fait une étude des livres qui pouvaient me fournir des chofes utiles à mon objet. Je me fuis mis ainfi en état de mettre fous les yeux du public une Relation de la Corfe qui donnera quelque fatisfa&ion $ vit que, en comparai/bu du peu que l'on en counaijfait ci- devant , fofe me flatter qu'on trouvera dans ce livre un plus grand nombre de chofes intéreffantes. Il eft étonnant qu'une Isle fi coufiderable, Çj? dans laquelle il s'eft fait tant de belles chofes, ait été fi peu connue. La fuccejjïou mime de fes Chefs ne la point été ; & parce que nous avons lu que P a o l i était depuis plu-fieurs années h la tète des Cor fes, & que Paoli a toujours paru les commander, on a fuppofé qu'ils avaient toujours eu le même homme pour leur Chef. De-là vient que tous nos papiers modernes ont confondu le digne Pafcal Paoli, qui ejl dans toute la vigueur de l'âge , avec fon défunt & vénérable Pére, Hyacinthe Paoli, qui l'avait précédé dans le même Commandement. On voit cette erreur dans l'hiftoire qu'on a publiée £5? quant au Do&eur Smollet, lorfqu'il fait mention de Paoli au fiége de Furiani, qui fut formé il y et peu d'années, /7 dit qu'il avait alors pajjé 40 ans. , Je dois commencer par rendre mes humbles allions de grâces à Pafcal Paoli, des divers Jhours dont il a bien voulu me fa-vorifers ?jj comme j'ai rapporté les chofes remarquables qu'il a dites, je déclare en parole d'honneur que je n'y ai rien ajouté ni diminué. J'ai même été fi fcrupuleux à cet égard , que je n'ai pas voulu y faire le plus léger changement, lors même que mes amis ont cru qu'il pourrait être avantageux. Je favais trop bien avec quel plaifir on lit ce qui eft parfaitement au-. thentique. Le Comte Rivarola a été ajfez obligeant pour répondre complètement Ç$ dijlin&emenf à toutes les queftions que j'ai pris la liberté de lui faire fur divers détails particuliers, dont la Corfe était l'objet. Je lui fuis extrêmement redevable, à cet égard, & jitrtout vît la manière polie dont il a daigné le faire. Le Révérend Mr. Burnaby, Chapelain de la fa&orîe Anglaife à Livourne , fit Un tour en Corfe l'année 1766 , dans le même tèms que l'hounorable & Révérend Mr. Hervey, aujourd'hui Evêque de Cloy-ue. Mr. Buruaby était abfent de Livourne lorfque j'y paffai, enforte que je n'eut pas l'honneur d'être connu de lui perfon-neuement : mais il eut la compfaifahce de m envoyer taie copie de fon Journal, où feus la fatisfatlion de voir que nous étions parfaitement d'accord fur chacune des cho-fes que nous avions obfervèes l'un & Pantre fèparêment. Je trouvai de plus dans fon Journal des obfervations fur diverfes chofes que j'avais omifes ; & fur d'autres que j'avais remarquées, je reconnus qu'il les avait mifes dans un plus grand jour, Mr. Burnaby ayant été ajjez gracieux pour me permettre de faire de fon Journal l'ufage que je voudrais, feu ai employé les matériaux avec une entière liberté dans mon Ouvrage. Je reconnais les obligations que fai à mon ejlimable ami, Jean Dick Ecu-yer, Confia pour S. M. Britannique à Livourne ; à Mr. G i a n q.U i li c o Cas a-bian ca; au Savant Médecin Grec Signor Stephanopoli; au Collonel Buttafuoco, & a l'A b-bé RoSTINI. Ces Mejjieurs ont tous concouru, par les fecours qu'ils m'ont fourni ■> à ériger ce petit monument à la liberté. Je dois aulfi rendre grâces à l'ingénieux Gentilhomme qui m'a fovorifé , par la translation des Epigrammes de Senéque. J'ai reconnu cette faveur dans le Lon-don Chronicle , & je dois dire , four rhonneur de la littérature, que fai trouvé les amateurs très généreux dans leurs libéralités. On mra envoyé divcrfes traductions , entre le/quelles fai pris la liberté de préférer celles qui portaient le nom de Pjitncius , celles d'un autre beau génie correfpondant, Signé Plebeius. Dans la fuite de ce commerce > je demandai à Tatricius la grâce de vie faire connaître à qui fêlais redevable de ces pièces qui-donnaient un fi grand relief à mon Ouvrage , il voulut bien me l'accorder, & je le prie encore de me permettre d'apprendre au public, que je dois ces traductions à Thomas D a y Ecuyer de Bci-ckshire , dont la façon de vivre ejl uujji noble que la fortune. Je dois ajouter que quoique fes vers ayent > avec tout le feu de la jeunejfe, toute la maturité la corretlion de l'âge mur , Mr Day «'fl pas plus de dix-neuf ans. Je ne faurais omettre l'expreffion de ma feufibilitè fur la candeur £f la poli-tejfs avec laquelle Mr. James Stcwart reçut les remarques que fhazardai de faire en qppqjtthn à un paffage concernant les Corfes , dans les recherches fur les principes de l'économie politique. fai fournis mou livre h la révifon de diverfes prrfonnss qui m'honnoreni de leur Vienve\iillance , ) Rc3or of ManJicad in Dcvcnshire. mats je dois beaucoup en particulier à Phi-didgence & à P attention amicale de M y-lord Hayles, qui fous le nom de Sir D a v i d D a l r y m p l e ( a ) a été connu dans le monde comme un très habile Antiquaire, & un élégant Çfj agréable Auteur d'ejfais, à qui le public n\i d'autre reproche à faire que de n'avoir pas donné un plus grand nombre de fes ouvrages y dont il a toujours fait le plus grand cas. Je fouhaite pourtant qu'on fe perfuade que quoique j'aye reçu les corrections de mes amis avec déférence, je n'ai pas toujours-été de leurs avis. Un Auteur doit écouter {a) C'eft la coutume en Ecofle de donner aux Juges de la Cour de la Seflion, le titre de Lords , avec le nom de leur diitrict. Ainfi. Mr. Burnctt eft Lord Monboddo, & Mr. David Dalrymple eft Lord Haiks. avec plaifir toutes les remarques que la fin-cérité lui procure , mais je croirais un homme indigne d'écrire, s'il n'avoitpas la force de fe déterminer par lui-même. Je dis cela pour que le jugement des amis que j'ai nommés, ne j'oit pas cenfé lié à tous les paffages que l'on trouvera dans l'ouvrage qu'on va lire. Il me femble qu'il en eft d'un ouvrage qu'on fe propofe d'écrire, comme d'une maifon qu'on voudrait bâtir. Un homme forme un plan, çff amaffe des matériaux ;"/ compte en avoir affez pour élever un grand & majeflueux édifice : mais lorfque tout eft arrangé , lié & fini , ce grand amas occupe une très petite place. Un Auteur femblable à celui qui bâtit, fçait mieux que perfonne combien fon ouvrage lui a coûté, dès là il y met un prix différent de celui que d'autres perfonne s peufent qu'il mérite. J\-.i tâché d'éviter un étalage fâfueux d'érudition. Chez les perfounes vaines & frivoles un air de j'cieuce pajfe volontiers pour pédanterie : mais je n'éiris pas pour des Udeitrs de ce caractère , & je m'em-barajfe peu de Uv.r ctnfure. Ceux que je fouhaile a'avoir pour juges, approuveront fej'pére que faye donné quelque relief à la Corfe, en montrant en quelle coufidéra-tion elle était parmi les anciens , & ne me fçaurout pas mauvais gré d'avoir quelquefois orné mou ouvrage de citations d'Auteurs clajfiques faites à propos, en nommant ceux qui les ont traduits : Celles qui ne font attribuées à perfonne font mon ouvrage. Je dois nécefjairement dire quelque chofe pour la juf if cation de mon or-tographe j depuis quelque tcms , c'était la mode de rendre notre langue plus fimple & plus douce m fupprimaut le K après le C, & riJ dans la dernière fyllabe des mots terminés en Oui*. L'îllujlre Mr. Samuel Joîlilfbn qui a lui fetd exécuté ce qui eu d'antres pays eut été la tâche de toute une Académie , à confervé foigueufement le K dans fon Di:îio)iuairs comme tin caralUre de l'origine faxonue ; il a eu le même foin de cnnfrz-er (*U dans la pli/part des mots ou on l'employait , en l'omettant feulement dans quelques uns. J'ai retenu le K & ft* Pyis f"y moï ^e fttrore la règle générale à l'égard des mots terminés en Oui*. Lorfqn'un mot originairement Latin nous efl venu par le canal de la Langue Frau-çaifet je l'ai écrit avec l'U caraclériffique. Cette attention pourra fembler bien commune y mais j'avoue que je fuis un de ceux qui fout le plus attentif, à tout ce qui efl entré dans la formation de la langue, je fouhaite que les rapports qu'à l'Anglais avec d'autres Langues ne foicut jamais ou* foliés. Si cet ouvrage -venait h être réimprimé f je fouhaite qu'on y conferve mon ortographe. Il y a des gens , qui , en publiant un livre , ajfeBent de'ne vouloir pas pajfer pour Auteurs , & de profejjer une totale indifférence pour la réputation littéraire. Cette conduite en impojè peut - être au grand nombre, en faifant p enfer que ce titre eft de conféquence : mais pour moi, je peufe différemment, & je fais gloire d'être connu pour Auteur; fai même une ardente ambition pour ce genre de réputation. De toutes celles qu'on peut acquérir y la plus ejlimabls a mes yeux, eft celle que donnent les lettres. Vu homme qui a été capable de donner un livre que le monde approuve, s'ejl fait un caractère refp.->c-table dans les focietés les plus éloignées , fans courir le rifque de voir ce caraSèrc rabaiffé par l'obfervation de fes faibleffes £f? de fes défauts, J'avoue qu'il eft difi-cile de joutenir cette efpke d'honneur parmi ceux qui nous voyent tous les jours en y ajpirant, il faudrait fe mettre dans l'efclavage d'une contrainte perpétuelle. VAuteur d'un livre approuvé peut juivre avec une honnête liberté fes feutimsns y & fe permettre la noble affnrance d'un génie fupérieur, en confidèrant que chez ceux qui le connaiffent uniquement comme Auteur y il ne ce.je point d'être rejpellïé. Un tel homme peut mime, dans fes heures chagrines ou ojfufquées de nuages, avoir la douceur de penfer que fes écrits font l'agrément d'un grand nombre de lecteurs ,* cet Auteur chérit l'efpérance d'être célébré après fa mort, ce qui a été conjlam-ment un grand objet pour les plus beaux génies de tous les fiécles. Cejl au public à juger fi je puis mériter une portion de cette renommée littéraire , & quand mon ambition irait juj'ques là , je crois que ma confiance n'efi pas trop grande , ni mts efpérances trop aitdacieujés. INTRODUCTION. I j A Liberté eft Ci naturelle & fi thére aux hommes , foit qu'on les considère comme individus , ou comme membres de la focieté, qu'elle eft indifpen-fablement néceifaire à leur bonheur j tout ce qu'il y a de grand & de refpec-table en découle. La liberté donne de la « force & de l'élévation à l'elprit,- & nous rend capables d'exercer pleinement nos facultés. Celui qui eft à la chaîne ne peut fe mouvoir avec aifance ni avec grâce. On ne faurait rien attendre de noble ni d'agréable de ceux dont l'ame eft fubjuguée par la Tirannie, ou dont les actions font forcées par la con-, trainte. On voit des gens qui imbus de bas préjugés, ou corrompus par une vénalité fordide, s'efforcent de vaincre chez les hommes cette fenfibilité primitive, & de les porter à fubîHtuer un fend, ment factice à celui que Dieu & la nature leur ont donné. Ils vous aifurc-ront que Pcfclavage devient fupportabie par l'habitude ; que les hommes n'en valent que mieux , lorfqu'ils font contenus & fjumis à la volonté arbitraire du petit nombre qui les gouverne. ' Une telle Doctrine n'aurait jamais pris faveur, ni paru fondée, fi la raifon feule & la raifon calme en avait décidé. Voilà pourquoi fes partifans ont jugé néeellaire d'y intérelfer les pallions, & d'emprunter même de l'imagination les redourecs qu'elle pouvait leur fournir5 c'elt pour cela encore qu'ils ont appelle l'entouflaimc & la fuperltition à leur fccours. Dans quelques pays ils ont cherché à infpircr un amour fans me-fure pour le Souverain ; en d'autres , ils ont fomenté certaines notions mimiques , que l'cfprit humain eft mervcil-leufement difpofé à recevoir, en établif-faut que l'autorité du Prince eft de droit Divin, comme s'il était defeendu du Ciel. Cette dernière idée a été très anciennement reçue , & de PEpithéte Carcc De/nu Soboks, la race chérie des Dieux, on eft venu à tous les titres pompeux que les nations modernes prodiguent à leurs Souverains. Mais quelques fiphifines qu'on ait employés en faveur de l'efclavage , " la „ patience & la docilité à le fourhrir n'a „ jainais pu être que l'effet d'une conf-„ titution affaiblie qui produit un dé-„ counigement &: une lâcheté qui tient 33 les hommes entre la crainte & l'efpé-„ rance, en amortiiFant l'ambition, & 33 en abattant les autres qualités actives 33 que demande la liberté , au lieu de 3, laquelle on ne counait plus que le }, plaifir pefant de l'inertie & de Pin-„ fenfibilité ( a ) ". Il eft vrai & fans aucun doute que les hommes entrant en focieté facriné-rent volontairement une partie de leurs droits naturels , & s'engagèrent à obéir aux loix ; obéiflance qui fut calculée fur le bien général de tous : mais il fout bien diftinguer l'autorité légitime de l'oprelîion ; Sentir la différence qu'il y a entre les loix & des Edits capricieux , & en ne perdant pas de vue l'intention-Originale de l'Inftitut d'un (a) Mylord jïiOLESwORTii' Account &f JDctuna/ck p. 69. Xxxvi INTRODUCTION Gouvernement, nous devons prendre à cœur qu'elle ne reiferre la liberté naturelle, qu'autant que les béions de la focieté & la néeelJité le demandent. Peut-être ne doit-on pas marquer trop exactement les limites entre le pouvoir du Gouvernement & la liberté du peuple : les hommes de goût appellent dure une peinture dont les contours font trop forts , & déterminés avec trop de préciiion. Ils admirent un Tableau dont les couleurs font délicatement fondues enfemble , & dont les teintes qui terminent chaque objet s'adouciilcnt réciproquement par une infenfible gradation. Mais une injufKce palpable d'un ou d'autre côté ne f mrait être adoucie ; & il eft fins contefte que le privilège de la partie îézéc eft de venger l'injure qui lui eft faite. IN TROD UCT ION. xxxvn J'ai été con.iuit à ces réiexions pd la con aléi'uiic n des arguments qu'em-pkiyent des hommes ingénieux d us les raifinements Je la po itiqae, pour tenter d'amufer le genre humain, & détourner fon attention des limples & claires notions de la liberté. La liberté elt réellement la mére du bonheur , des vertus les plus nobles , & même celle des feiences & des arts; quelques efforts que Ton ait lait pour élever ces généreufes plantes fous un Ciel où ropprelîion règne, on n'a Lit que montrer plus évidemment le prix de la liberté. Il n'elt pas étonnant que le monde fe foit réveillé dans tous les tems fur cet important fujet -. que nous linons avec admiration & un vertueux enthoufiaC me les brillans exploits de ceux qui fe font diiiingucs dans la défenfe de cette glorieufe caufe : nous l'admirons dans l'hiftoire des Etats qui ont été" animés par les principes de la liberté, & qui en ont Fait la bafe de leur fage conltitution. Si quelqu'un eut tranfmis à la pofré-rité les annales d'un peuple réduit à Pefclavage, nous nous endormirions au récit de fes humilians détails. Chaque trait ferait (i faible, fi bas & fi mépri-fable, que nous croirions lire les Ré-, gitres d'une maifon de force ou d'une prifon. Nous avons au contraire une fatis-faclion mâle & noble en lifant l'Hilloiro des anciens Romains -, même en faifuit abftraction de leurs liaifons & de leurs démêlés avec les autres Etats. Leurs progrès dans l'intérieur fournilfent feuls une ample matière de fpéculation à un Obfervateur pénétrant & judicieux , qui JNTROD UCTION. xxxix étudie la nature humaine. Nous aimons à voir les premiers principes de fy(terne & de conduite, qui ont fervi à raccroiiïement de leur grandeur. Nous contemplons avec plaiiir les fer it mations qui s'élevaient entre les Patriciens & les Plébéiens ; les nerveux crforrs de ces génies roides ; les ad.es vigoureux & les vertus hardies de ces hommes qui n'étaient point gênés par une fervile fujettion. Ceux qui font profeiiion d'une vénération fans mefure pour l'antiquité, voudraient nous faire croire que le feu Divin de la liberté eft depuis longtems amorti, & que les étincelles qu'on en voiait encore dans les tems modernes , étaient fuis chaleur & fans lumière. Ils voudraient nous perfuader que le mon-de à vieilli, que la nature humaine eft déchue de fon ancienne vigueur, & que nous ne devons plus en attendre ces rcles généreux qui lui failàient tant d'honneur dans les premiers tems. Mais la vérité eft que l'humaine nature eft dans tous les tems la même, & que fi eMe parait fous différents jours, cela ne vient que de la diverfité des circon(tances. Selon le langage de l'é-côle, les accidens varient, mais la fubf-tance refte la même. Rome eft bâtie comme autrefois fur les fept collines qu'habitaient les vainqueurs du monde , & elle eft encore habitée par des Romains : Athènes occupe toujours le même ter-rein que celui d'où la Philofophic & le génie répandaient partout autour d'eux les rayons de la lumière; des Athéniens l'habitent encore : cependant ni l'un ni l'autre de ces peuples n'a confervé de rapport avec fs Illuftres prédécelfeurs. Ce changement eft dû entièrement au cours des événements politiques, qui ont produit une totale révolution dans les moeurs. Que Pefprit de Ui liberté ait fleuri dans les tems modernes , nous en avons des preuves allez frappantes dans rilit-toke de la Stùjfe *Sc dans celle de la Hollande. Nous en trouvons mène dj très confidérablcs dans les Annales de notre patrie. Mais l'exemple le plus diftingué exiitc actuellement dans ITslc de Corfe. Cette brave & réfolue nation fe foutient depuis quarante fix ans dans fa réfiftance inébranlable à roppreiîion des Génois. Ces valeureux Infulaircs ont été regardés pendant longtems , comme une bande méprifable de mécontens, comme une troupe mutinée de rebelles que l'on forcerait aifément à reprendre les chaînes qu'ils avaient (ecouées témérairement. XLii INTRODUCTION. Ils ont cependant perfevéré avec conC tance dans leur deiTein ; la Providence le favorife. L'Europe qui tourne les yeux fur eux, les voit avec étonnement à la veille de s'affranchir pour jamais , d'un joug étranger, & de devenir un peuple libre & indépendant. Libcrtas quae fera tandem refpcxlt —— Kcfpcrdt lamen £•? longopojl tempore venit {d). La petitelfe de l'Etat des Corfes ne doit pas les rendre moins dignes d'admiration: nous devons au contraire les admirer d'avantage. L'ingénieux Mr. Hume (b) a montré que Rhodes, Thé-bes, & nombre d'autres villes fameufes de l'antiquité, étaient moins populeufes que ne l'eit la nation Corfe. Si les dix (a) Virgil. Ecîog. i. (b) Fffai fur. la population des anciens peupler. mille Grecs ont acquis une gloire immortel le en faifant tête aux Armées du Roi de Perfe, ne trouvera-t-on pas les Corfes dignes de gloire pour s'être fou-tenus contre la République de Gènes , quoiqa'appuyée en divers tems par les forces de la France & par celles même de l'Empire. Les Corfes ont été appelles à montrer une grandeur de courage particulière. Les Suilfes & les Hollandais furent affinés par des nations puilîàntes dans le recouvrement de leur liberté (a), mais durant la longue & fanglante guerre que les Corfes ont foutenue, les Puiffances de l'Europe qu'on luppofait leur être favorables , fe font tenues à l'écart ; feule ( a ) Ici l'Auteur fe trompe. L'IIiftoire ne nous apprend rien de pareil à l'égard des Suilfes. Dieu & leur épée : mais nul fecours hu-niain étranger. & fans foutien, la nation Corfe à lutté contre forage , & efl: parvenue enfin à ce de^ré de confidération ou nous la voyons aujourd'hui. L'Hiftoirc de cette Isle efl: ce que je me propofe dans cet ouvrage, la tenta» tive eft fCrrement louable, & je nie per-fuade que mes Lecteurs m'accorderont quclqu'indulgence lorfqu'ils réfléchirent fur la faveur que l'objet mérite. Je les prie d'obferver que je fuis le premier Anglais qui a eu la curiofité de viliter la Corfe, & de prendre toutes les informations néce(faircs pour me mettre en état d'en bien juger. Ils auront fans doute quelque compîaifmce pour l'en-toufiafme d'un homme qui a été chez ces braves Infulaires > dans le tems que leur vertu patriotique était à fon comble, & quia pris dans leur commerce quelque chofe de leur caractère & de leur cfprit. Dans le plan que je me fuis propofé, je donnerai une defeription Géographique & Philiquc de cette îsle, de façon que mes lecteurs puifient être bien lût truits de la nature d'un pays qui a produit une race héroïque de patriotes dans ces derniers tems. Je préfenterai une Hilloire abrégée des révolutions qu'elle a efliiyées dès les tems les plus anciens , pour préparer les cfprits fur tout ce qui a fuivi, & y répandre du jour. Je ferai connaitre l'état préfent de la Corfe ; j'y joindrai le Journal d'un voyage que j'ai fait dans cet Isle ; & à cette occafion je rapporterai beaucoup d'anecdotes, & divers Mémoires précieux de ITlluftrc Général des Corfes. Memorabilu Paoli. J'avoue franchement que je me crois inférieur à la tâche que je me fuis im-pofée, mais j'efpérc que cette efquilfe Xlvi INTROD UCT ION. ne ièra pas fans utilité , & qu'elle en* gagera quelqu'autre écrivain à exécuter un meilleur plan. Je me trouverai futn"-. f imment récompenfé de ma peine, fi j\â réuffi à un certain point à donner une julte idée de la Corfe , $l à inté-re.fer les cœurs généreux en fa faveur. J'adopte pour cet ouvrage une fini pie mais belle infeription qu'on lit fur le frontifpice du Palais Toîomei à Sienne. Qtiod fjoiuï feci i faciant meîiora potentes. TABLE DES MATIERES. CHAPITRE I. De la fitiiation, de P étendue , de Pair, du ter voir & des productions de la Corfe. Page I C H A P. IL Hiftoire abrégée des révolutions de la Corfe dès les tems les plus anciens. 6j C H A P. III. Etat prêfent de la Corfe , h Pégard du Gouvernement, de la Religion , du Militaire , du commerce , des feiences, du génie, & du cara&ère de fes habit ans. 203 ( x lv i iI ) Supplément contenant les pièces ou écrits politiques de Corfe. 119 Journal du voyage fait en Corfe, & des Mémoires de Pafcal Paoli. 159 ^ J minutes. r "1 J ETAT DE LA CORSE- CHAPITRE PREMIER. De la fituation , de P étendue > de l'air , du terroir & des productions de l'Isle de Corfe. LA Corse eft une Isle de la mer Méditerranée '; fituée entre le 41 & 43e degré de latitude-Nord , & entre le 8 & 10 degré de longitude - Eft, en comptant de Londres. Elle a au Nord Tome L \ .% . Etat la nier de Ligurie , & le Golphe de Gc-nés ; à l'Eft la nier de Tofcane ; au Sud un détroit de dix milles qui la fépare de la Sardaigne , & à l'Oueft la Méditerranée. Elle eft à environ 100 milles au Sud de Gènes »»& à 80 au Sud-Oueft de Livourne, d'où on peut lavoir nettement, lorfque le tems eft ferein. Elle a 150 milles en longueur & 40 à fo milles en largeur, prife par fon milieu, Ou lui compte 322 milles en circonfé, rençe : mais cela pourrait aller à 500 milles, fifoncircuit était exactement me-fbré , vu qu'elle eft bordée de quantité de promontoires & d'un nombre de ba, yes qui "en varient beaucoup les contours, Pline l'Ancien nous a donné une courte , mais très exacte defcription Géo, graphique de la Corfe. " La Corfe ( dit, „ il) que.les Grecs appellent Cyruen^ „ eft fituéc dans la mer de Ligurie , plus „ voifinc cependant de la Tofcane ; elle a „ du Septentrion au Midi C L mille pas „ en longueur ; L. dans la plus grande „ largeur , & CCCXXII de circuit. „ Elle contient XXXIII Villes outre la „ Colonie Mariana qui y fut conduite par Marius, & celle qu'on appelle 5J Aleria établie par le Di&ateur S y l-„ la (a). De ces 33 Villes, on ne peut en re-connoitre que cinq ou fix, & les Colonies ne font remarquables que par leurs ruines. Dans cette relation on peut comp- ( a ) In Liyuffico Mari csl Corjîca, quant Grsci Cyrnon appcliavcrc , fed Thitfco pro-pior , a Jïptcntrione in Mcridicm projctfa , lonya paffuwn CL. milHa,- lata majore ex parte L. s Circuitu CCCXXII. Civitatcs habet XXXIII. £sf Colonias Marianam à Mario deduefam , Alcriam a Ditfatore Sylla. P li n. Nat. Hift. lib. II. cap. 6. A ^ ter fur l'exacte fidélité de Pline. Pomponius ME'la (b) décrit la iituation de la Corfe, tout comme le fait Ptolome'e (c). S e n e q_u e le Philofophe nous a îaiffé deux Tableaux horribles de la Coi% fe ; peu fidelles à la vérité, mais frap„ pçs avec une grande énergie d'imagina, tion & d'exprciiion. C'était un Stoïcien d'une conduite grave & févère; il ne pût échapper à la Jaloufie de PEmpc, reur, aceufé d'être du nombre des fu voris de Julie, & complice de fes aduf, tères. Il fut pour cela relégué en Corfe, où il féjourna fept ans. On montre encore dans la Province de Capo-Cor-fo une ancienne ruine, qu'on appelle la Tour de Senéque. C'eft-là qu'il corn-pofafes livres de Confolatione, qu'il adref, < b ) P o m p. M e'l a. lib. 11. Cap. 7. (c) PTOI.O.M. Gcoçjr. lib. III. Cap, 2. la à Polybe, & à fa mére Hehla, avec divers autres. Il foulagea fon imagination chagrine par l'Epigramme fuivante. I. Çorfica Phocœo tellus habitata Colono , Çorfica quA Grajo nomine Cyrnus eras : Çorfica Sarclhiia brevior, poi-retlior Ilvj ; Çorfica pifcofis pervia fluminibus : Çorfica terribilis quant prhnkm incanduit œflas; Sccvior, ojfeudit quum férus ora canis : Parce relegatis, hoc efl, jam parce fepidtis, Vivorum Cineri fit tua terra levis. „ O Corfe , Colonie ancienne des „ Phocéens, & qui fus enfuite appellée J3 Cyrnon par les Grecs ; Corfe phis petite que la Sardaigne , & plus grande „ que l'Isle d'Ilva ; Corfe que traver-„ fent des rivières poiifonneufes ; mais „ terrible quand l'Eté fait fentir fes ar- A 3 „ dentés chaleurs, & que la Canicule 5? brûle les campagnes. Epargne les Re. „ légués qui s'y trouvent dé)a comme enfevelis ; Que ta terre n'accable pas 3, les vivans, ou que du moins elle fuit jj légère à leurs cendres. II. Earhava pr&ruptis inclufa eft Çorfica faxis; Horrida defertis undique vafta locis. Non poma autumnus , fiegetes non éditât &ftas ; Canaque pailadio mimere brama caret} Umbraruni nidlo ver eft Utabile fatU, Nu/laque in iufaufto nafeitur herba folo : Non panis > non hauftns aqiu ? non ultu mus ignis, Hic fila hœc duo fiait 9 exful & exilium. „ La Corfe, terre barbare, entourée „ de rochers, ne préfente de tout côté que de vaftes & d'affreux déferts* de lacorse. g ,5 L'Automne n'y produit jamais de „ fruits, non plus que l'Eté des moif-„ fonsi & l'Hiver n'y .fouffre pas l'oli-J? vier , cet arbre chéri de Parlas. Le „ Prmtems n'y récrée point les yeux par M fes agréables prefents & par fes om-3> brages ; à peine croie-il quelque her7 bage dans cette terre infortunée j à peine y a-t- on du pain : l'eau y man-que & même le dernier honneur du J5 Bûcher. Elle n'offre que deux objets ; „ les exilés & l'exil. C'eft ainfi que ce Philofophe déchargeait fa bile contre le lieu de fon exil, comme il le fait encore de la façon la moins raifonnable dans fon livre De la Confolation : mais il faut Penvifagcr eu cela, malgré fa réputation de Stoïque, comme un homme dont 1'efprit était obfcdé de la plus noire mélancolie, & A 4 qui ne voyait les objets que fous les plus lugubres couleurs. La Corfe eft réellement une Isle très agréable. Les Anciens Grecs la nommèrent Calhjle à caufe de fa beauté, & nous ne pouvons douter qu'elle ne fut en grande eftinie , puifque Calli. ja A Q_u E la met en paralelle avec fou Isle favorite Delos. " Je place volontiers [dit-il] à côté de cette Isle char-„ mante, l'Isle Cyrnos, peuplée par les M Phéniciens, & auffi fertile qu'elle eft „ célèbre (d). Elle eft fituée dans la mer Méditerranée , de la façon la plus agréable j des b ri fes , ces vents frais & légers qui viennent de la mer la rafraichiflent pendant l'Eté > & fes montagnes font tournées de telle forte, qu'elles lui font un abri pendant l'hiver , ce qui rend fon climat ( d) Cal lima q.. Hymn. in ddof. 1.19. l'un des plus tempérés de l'Europe. Son air eft frais & très fain ; excepté dans un ou deux endroits qui font humides , & dont l'air, fur-tout en été, eft fuf-focant & mal-fain j mais en général on peut dire que les Corfes refpirent un air très pur , qui donne à leurs fibres une force qu'on n'attendrait pas d'un climat aufli chaud que celui-là. Il eft vrai que la Corfe a pane généralement pour mal-faine , ce qui vient, je -penfe, des mauvaifes & défavantageufes relations qu'en avaient fait les Romains. L'emplacement qu'ils donnèrent aux Colonies Alerta & Marïana étant très mal choiti pour la falubiïté , occafionna une grande mortalité parmi leurs habitans , de forte que ces établùTemens ne tardèrent pas à dépérir tout à fait : mais tout l'intérieur de l'Isle eft entièrement fa-vorifé par le bon air. A f La Corfe eft très bien fournie de bons Havres, enforte qu'on peut lui ap. pliquer ce que Florus difait de la Campanie ; rien ifeji plus hospitalier que cette mer (e). Elle a au Nord Ceuturi, à l'Oueft San Fioîvnzo , Ifola-rqjfa , Cal-vj, Ajaccio. Au Sud Bonifaccio , & à PLft, Porto-vecchio, Ba/lia & Macci-?iajo, fur chacun defquels j'entrerai dans quelque détail. Centuri, quoiqu'apréfent un pe, tit Port, peut être ccnfidérablement élar, gi, comme fa utuation avantageufe le demanderait. San Fiorenzo eft un Golphe d'une étendue confidérable : il entre environ cinq mille avant dans les terres , & la mer y eft d'une grande profou, ( t ) Wiil hofpitaluis mari Florus lib. I. Cap. i5. deur (/)• Le Golphe lui-môme eft fou-vent expofé aux houles, ou lames de mer, par la violence des vents d'Oucft: mais il a diverfes criques, ou petites bayes qui font des abris, particulièrement dans la partie tournée au Sud , qui elt parfaitement fure pour les bàti-mens. La Baye furtout qui fe forme fous la Tour de Fornali , à deux milles environ de San Fiorenzo, eft très eftimée ; les vaiifeaux marchands les plus confi-dérables par de grolTes cargaifons , peu-veut y être en parfaite fureté. Isola Rossa n'eft qu'un petit Havre , mais il a l'avantage d'être très profond , & il eft deftendu par une petite Isle , contre les vents de l'Oucft. Çk\ (/) Le Texte Anglais porte many fathom deep. Fatliom eft une mefure marine d'environ 6 pieds de Roi ; ainfi pluficurs mefures pareilles font une profondeur confidcrable. A 6 parle d'élever un Mole pour avoir la découverte de tous les côtés. C'eft à pré-fent l'un des ports le plus important pour le commerce, & c'eft les Corfes qui le poffédent. C a L v I ( g ) eft un large & excellent port. CiuviER l'appelle Celeber-rhmis InfuU Tonus (b) , le plus fameux port de PIsle. La feule objection que j'aye ouï contre cette idée, était d'un Gentilhomme Français, qui me dit que fon fond était hérifle de rochers très durs » propres à couper les cables des navires (g ) Posllethwait dans la traduction du Dictionnaire de Savary , a fait une abfurde ob-fervation concernant Calvi. Ses habitans, dit-il, font appelles Calves & qui lui a dit cela ? Quelle liaifon y a -1 - il entre le mot Anglais Calves , & le mot Italien Calvi ? Peut-être a fil voulu plaifanter ; mais en ce cas , c'eft une raillerie grofliere de la part du Lexicographe. ( h ) C LU VIE R, Geocj. Autiq. delà Corse. 13 qui y entraient ; & il en donnait pour ■preuve l'expérience des vaùTeaux Français qni y avaient débarqué des troupes en I76"4. Mais ce qu'ils y fouffrirent fut l'effet d'une méprife; car aiant pris foin de m'informer exactement du fait, j'eus lieu de m'uflurer fur de bonnes autorités , qu'il n'y avait rien à craindre des rocs de Calvi, & que ii le tranfport des Français fouffrit quelque peu , ce fut pour n'avoir pas pris les précautions qui auraient pu leur épargner cette perte. • A j A C c 1 0 eft un port fpacieux & commode avec un bon Mole ; il eft parfaitement fur. Seulement a-t-on négligé d'enlever un petit rocher qui eft au-devant du Mole , ce qui aurait pû s'exécuter avec très peu de dépenfe. La Corfe a ainfi dans ces parages divers petits Havres qui font très utiles pour y recevoir les petits vaiifeaux. Bonifacci o eft un port très avantageux & fréquenté dès les tems les plus anciens pour le commerce. B a s t i a n'eft pas un port de la première confidération, & où les vaiifeaux de guerre puuTent entrer ; mais il a un Mole très utile aux petits vauTeaux, auquel il eft des plus commodes. Les Isles de Gorgona, Capraja, Se Iha ou Elbe font fituées à peu de diftance dans la partie de la mer qui roule entre les côtes à l'Eft de la Corfe & de la Tofca-ne, & celles des Etats du Pape ; en-forte que les petits vaiifeaux ne peuvent jamais manquer de relfources, lorfqu'ils font furpris par les orages, comme cela peut leur arriver aux environs de ces Isles. Macinajo n'eft pas un des Havres principaux de Corfe, quoique très fur & commode pour les batimens de légère conftruction. Je parle de Maci-ncijo , parce que c'eft ce qui fut caufe que l'expédition manqua contre Capraja, comme on le verra dans la fuite. Diodore de Sicile célèbre l'Isle de Corfe pour l'excellence de fes ports. « Cette Isle, dit - il, étant de très „ facile abord , a un port très confidé-}J rable appelle Syracufain ". Celui que les Anciens appelaient ainfi , porte aujourd'hui le nom de Porto-veccbîo , & nous allons en faire une mention particulière. PoRTO-VECCHioeftun port fpa-cieux capable de contenir une grande flotte ; il a cinq milles en longueur ; environ un mille & demi de large, avec une profondeur confidérable-: un bon fond t & couvert par les terres, de façon à être garanti de la violence des orales. J'ajouterai que la Nature a placé près de fon bord un rocher élevé, taillé comme une colomne majeftueufe, qui le fait découvrir de fort loin. En un mot, Porto -vecchio peut être compté entre les ports les plus fameux de l'Europe. Le feul défavantage qu'on lui reproche eft le mauvais air caufé par le fond marécageux des terres de fon voifinage : mais on peut y remédier, tout comme on l'a fait à Livourne. " Le terrein des „ environs de Livourne était ci-devant 3J un marais fangeux , ou plutôt une „ fondrière , dont les vapeurs rendaient n Pair du pays très mal - fain : mais „ Pinduftrie & les travaux d'un Anglais, „ Robert Dudley , fils du Comte de 3J Leicefter, puiiîant favori de la Reine „ Elizabeth, rendit ces terres habitables, 3J l'air beaucoup moins mal fain , & le „ port perfectionné, devhit le meilleur 33 de l'Italie ( i % . (î) Frefcat Sfatç ofEuiope. p. 411. Il doit paraître par la defcription que je viens de donner des ports de l'Isle de Corfe , de quelle grande conféquence pourait être une Alliance avec cette Isle pour l'une des Puiffances Maritimes de l'Europe > vû qu'une flotte qui y ferait reçue pourait donner la loi à la navigation de Gènes , de Tofcane & de l'Etat de l'Eglife , gêner la correfpondance de Naples avec l'Efpagne, prendre une bonne part à celle du Levant, fans compter l'influence qu'elle acquerrait fur celle de la Sardaigne. Il eft très important d'obferver encore que les vaiifeaux établis dans les ports de Corfe pourraient fe rendre très redoutables à la France; la partie de l'Isle qui eft au Couchant étant directement en face des côtes de Provence , fur lefquellcs des vaiifeaux armés en courfe pourraient aifément faire des defeentes. La pointe de l'Isle au Nord s'appelle Capo Corso elle a environ 30 milles de long ; elle eft montueufe, & pleine de roc , mais couverte de vignobles & d'oliviers. Il y a en diverses parties de l'Isle , mais particulièrement dans le Capo Corfo un grand nombre de Tours anciennes bâties depuis.3 à 4 cents ans pour la defFenfe du pays contre les Turcs & les autres Pirates. C'eft dans ces quartiers qu'eft un petit vil, lage appelle Tomino , fort par fa feule Çh tuation, contre lequel les Génois firent diverfes attaques pendant la dernière guerre, fans pouvoir jamais s'en rendre maitres. Les habitans en font très fiers & avec raifon. Ils montrent comme en triomphe une bombe que l'ennemi jetta ( k ) Il y a une place en Guinée qui porte le même nom de Capo Corfo , fans que l'on puilfe en favoir la raifon. CLU VER. Geocj. p. ç 3 7. fur leur village pour l'obliger à fe rendre. Ils l'ont placée dans une niche extérieure de leur Eglife comme un monument de leur délivrance , qui augmente à chaque fois qu'ils s'y rendent leur courage & leur dévotion. De Tomhio tirant à l'Eft du côté de Bajiia , on trouve dans un trajet d'environ 26 milles nn pays très diverfifié en coteaux , & très abondant en four-ces •> fur la côte nombre de petits bourgs qu'habitent de pauvres pêcheurs , & un peu au delfus divers villages ou hameaux très bien fitués. B a s t 1 a eft depuis longtems regardée comme la Capitale de la Corfe. C'eft là que les Génois tenaient le fiége de leur Souveraineté ; & Baftia eft en effet la plus grande ville de l'Isle. Elle a une belle apparence du côté de la mer, étant bâtie fur la pente d'un coteau , quoique %o Etat i dans l'intérieur elle foit aflez mal en ordre,* les maifons font en général mal bâties 4 les rues étroites, & néceflairement efcar-pées. On y trouve cependant quelques maifons de bon goût. Le Château qui commande la ville quoique muni actuellement de chétives fortifications , peut devenir une bonne Forterene , en garnit, fant de redoutes de petits coteaux fL tués derrière , Se en ajoutant quelques ouvrages extérieurs du côté de la mer, elle ferait en état de foutenir un fiége affez long. Le Château eft fitué proprement fur un Territoire diftinct qu'on appelle Terra Nova : il en eft de même de PEglife Cathédrale qui n'a rien de remar-quable,elle dépend de l'Evèché deMariana. L'Eglife de St. Jean qui eft dans la ville n'eft pas tout à fait fans élégance, & appartient aux Jéfuites qui y ont aulfi un Collège. Leur Jardin eft des mieux fitués, fpacieux, & très bien entretenu. On le doit principalement aux Français , qui ont féjourné en Corfe de tems en tems. C'eft d'eux que les habi-tans ont appris une bonne partie de ce qu'ils favent, relativement aux Arts & aux commodités de la vie. Il y a un Couvent de Lazariftes ou Millionnaires qui y ont une grande & magnifique mai-fon, conftruite prefque perpendiculairement fur la mer. Le Couvent des Fran-eifeains & celui des Capucins font fitués fur un terrein plus élevé derrière Baftia. Ce dernier eft dans une très belle pofition, & fon front eft réellement très beau. De Baftia tirant vers le Sud, du côté à'Aléria , on trouve une plaine fuivie de 50 à 60 nulles de longueur, propre à la Culture de toute forte de grains, & excellente pour le pâturage*. Je ne dis rien des ruines de Marîana & d'Alerta, ces deux Colonies Romai, nés qui étaient fituées dans cette plaine : la Corfe aiant été affez dédaignée par les Romains, ils ne la jugèrent pas du gne d'y faire des ouvrages qui puifent laûTer quelque trace de leur goût & de leur magnificence ; ainfi l'on n'y trouve nul vertige de leur ancienne grandeur: cependant comme le rebut même des Romains ne pouvait que fe relfentir de leur goût pour les beaux Arts, on y a trouvé bien des antiques , comme des bagues, des cachets , des pierres pré-cieufes gravées , & d'autres morceaux eflimables. On voit encore les ruines d'une ancienne ville appclléc Nkcza qu'on dit avoir été bâtie par les Etrufques. Les débris fe voient encore dans la plaine , mais fans préfenter rien de remarquable. Au-delà d'Aléria le pays fe forme en petits coteaux très cultives en vignes, oliviers, meuriers & en diverfes fortes de grains. Il eft traverfé par quelques chaînes de montagnes , couvertes, à peu de diftance de Porto-vecchio, de forêts de Chênes de la plus belle efpèce, comme ceux de Campolorol De là le terrein très avantageufement tourné fuit avec quelque interruption le long des côtes à TEft & au Sud , jufques à Bouifacio , ville considérable , très peuplée & très bien fortifiée, d'où il continue jufques à la plaine à? Ajaccio, Ajaccio eft la plus belle ville de Corfe. Elle a plufieurs belles rues , & des promenades très agréables, une Citadelle & un Palais pour le Gouverneur Génois. Les habitans de cette ville font les plus polis de l'Isle par le commerce fréquent qu'ils ont eu avec les Français. 'Il y a à Ajaccio un refte de Colonie Grecque dont nous parlerons dans le Chapitre fuivant. De la plaine d'Ajaccio , après avoir traverfé quelques hauteurs, on avance le long des bords à l'Oueft vers les Provinces de Balagna & de Nebbio, qui font très fertiles , avec de belles fituations , fur-tout à Balagna, qu'on appelle le jardin de la Corfe , comme le plus favo, rifé de la Nature, & celui qui jouit des avantages d'une bonne culture au plus haut degré. De là on arrive bientôt à San-Fiorenzo, pofte peu confidérable & médiocrement fortifié. A un quart de mille environ au Sud de la ville , font quelques bas fonds & marécageux, qui rendent San-Fiorciu 20 fi mal fain, que peu de gens y font leur féjour, & que l'on en change la Garnifou tous les mois. Au de l a C o r s e. ^ Au bord Septentrional du Golphe font deux ou trois villages , dont le principal eft Nonza , qui eft proprement la clef du Capo-Corfo ; parce que depuis le Cap jufques à l'intérieur de l'Isle vers la partie Occidentale , c'eft le feul paffage qui conduife à cette place. Nonza eft un petit village fur un roc élevé, à la cime duquel & à quelques centaines de toi-fes au deflus du Golphe, eft élevée perpendiculairement une Tour ou petite Fortereife qui défend fon avenue. Nonza eft à la lettre ce que Ciceron dit qu'était Ithaque, une efpéce de nid fur la pointe d'un rocher ( / ). C'eft de là que le Cap commence & il finit à Erfa. J'ai parcouru ainfi les ports de la Corfe , & voiagé tout autour, le long de fes bords. ( l ) CI c e r. de Orat. Lib. I. Cap. 44. Tome I. B 26 E t a t Diodore de Sicile décrit la Corfe comme une Isle d'une grande étendue , montagneufe, ombragée de forêts, & arrofée par quantité de rivières & de ruiifeaux ( m ). En effet, les parties intérieures de cette Isle font en général montagiieufes , quoique entrecoupées de vallons fertiles. Elle a un afpect impofant qui lui eft propre, & qui infpire volontiers le gé, nie du pays ; ce caractère indomptable & inflexible qui ne (aurait fe plier à i'opprellion: comme Homère (« ) le dit d'Ithaque; Le cœur de fes en/ans eft tel que fes rucher s. La divifion la plus générale de l'Isle de Corfe eft en pays deçà & de-là les monts : D i q_u a , & di laDei Mon t i. Le pays de côté & d'autre de (m) D i o d. S i c u l. Lib. V. (n)HoM. QdiJ): Lib. IX. 1. 27. la montagne fe compte depuis Baftia. On entend par les montagnes , cette grande chaîne qui s'élève au-delà d'Alé-ria, & qui traverfé l'Isle en croix, en la partageant cependant en deux parties inégales i le pays qu'on appelle Di qua étant d'un tiers plus grand que celui D i la. Une autre divifion ancienne de cette Isle fuppofait une ligne tirée de Forto-Vecchio au Golphe de San Fio-renzo i la partie de l'Eft était appellée Banda di Dentro ou la partie intérieure-, & celle à l'Oueft Banda Di FUORi, ou la partie externe de l'Isle. Je n'ai pû découvrir l'idée eu le fondement de cette diftinclion , fi ce n'eft que peut-être ceux qui habitaient Baftia & la plaine d'Aléria fe regardant comme les plus civilifés, traitaient d'étrangers ceux qui occupaient l'autre partie. B 2 Une autre divifion eft celle des Provinces , dont on compte neuf : car quoiqu'une grande partie du pays ait été longtcms fous la dénomination de F e u-d o s ou de Feux , & foit ainfi marquée dans les Cartes, la Jurifdidion des Seigneurs s'eft infenfiblement affaiblie , & fe trouvera bientôt comme fondue dans le pouvoir général de la nouvelle çoiiftitution. Une autre divifion de la Corfe eft; celle des P i e v e s. La Pieve eft proprement un arrangement ou un Diftrict Eccléfiaftique , contenant un certain nombre de Paroiffes fous l'autorité d'un Pie vano qui eft le Sur - Intendant des Prêtres, & qui jouit à raifon de ce, 1 d'une portion de la Dime : mais cette divifion eft autant ufitée pour les affair res Civiles que pour celles de l'Eglife, Il y a d'aifez vaftes terreins dan? l'Isle qui ne font pas habités, & qui font extrêmement couverts de bois. Les pay-fans fe fervent en Eté d'une partie pour le pâturage de leur bétail, & y recueillent dans la faifon quantité de Châtaignes, en y conftruifant par-ci par-là de petites huttes pour s'y loger. C'eft une chofe très rare, qu'une Ferme ou une Métairie en Corfe , comme l'on en voit par tout répandues en Angleterre. Les Corfes recueillent en commun le produit des terres dans leurs petits vi!*-lages qu'ils appellent P a e s e s ou pays. Je me fouviens que lorfqu'on me dit un jour que je voyagerais plufieurs milles fans voir un feul pays , je n'y compris rien. Les Corfes font par cette Communion en plus grande fureté , & entretiennent en même tems plus de liai-fon entr'eux par cette façon de vivre, fort ulitée du refte en Sunîc , & en B 3 30 E t a t quelques parties de l'Allemagne, comme elle l'était anciennement parmi tous les peuples. Les villages Corfes font la plupart bâtis fur la cime la plus élevée des montagnes y fur des bords fi efearpés 8c d'une telle hauteur , qu'on les apperçoit à peine pendant le jour : mais de nuit, lorfque les bergers allument leurs feux, la réverbération des lumières, éclaire les villages, & en rend l'afpecl très piu torefque. C o r t e eft au centre de l'Isle dont elle eft proprement la Capitale, & fera fùrement un jour une ville d'importan-ce. C'eft là qu'on voit le Palais du Général, le Siège Suprême de la Juftice; c'eft auiiî là que rende conftamment le pouvoir exécutif, & que s'afTemble annuellement la Législation. On y trouve de plus une Univeriité, qui déviendra dans fon tems un Séminaire célèbre pour les fciences : mais je ne me permets pas l'enthoufiafme de croire qu'on voie en Corfe vue Athènes-, auiïi-tôt & auffi facilement qu'une Thébes. Cor te eft fitué en partie au pied d'un rocher & en partie fur fa pente ; dans une plaine entourée de montagnes , d'une hauteur prodigieufe, & au confluent de deux rivières , le Tavignano & la Rejîonica. Cette ville eft entourée d'une grande campagne de champs très fertiles , dans une fituation que la Nature femble avoir fortifiée d'une manière étonnante par des montagnes & des défilés prefque impénétrables ; enfortc qu'une poignée d'hommes peut s'y défendre contre une nombreufe armée. A la pointe d'un roc qui domine fur tout le refte, & prefque de tous côtés perpendiculaire , eft placé le Château B 4 32 Etat ou la Citadelle. Il eft fi tué derrière ]-t ville , & il eft prefque inattaquable •. il n'y a qu'un chemin rapide pour y grirru per; on n'y va qu'en tournoyant , & il ne peut y palfer que deux pcrfon, nés de front : la defcription qu'en fait Mr. De Th ou eft très conforme à la mienne. "Le Château de Corte eft pia_ „ ce , dit-il, fur un roc hérilfé de poin„ ,, tes, & entouré prefque de tous les „ côtés de précipices " ( o ). En i f ^4. [\ fut occupé par les Français. Le Capitaine La Chambre le livra, & fut enfuite pendu à Marfeille pour Là trahifon. Le môme Hiftorien nous aprend (p) que les Corfes aiant ainii recouvré la Citadelle de Corte, elle foutint le fiege qu'y mit le Général Français De Thermes , depuis le mois d'Août jufques en Oclo- ( 0 j T h u a n. lliït. Tom. I. p. 507. (p ) Ibid. delaCorse. 33 bre î & que ce ne fut que la difette d'eau qui fut caufe qu'elle fe rendit. Dans la plaine au Nord de Corte , i! y a un Couvent de Capucms , & du côté du coteau qui eit au Sud de la ville , un Couvent de Francifcains. C'en: là que le Général était logé , tandis qu'on reparait fon Palais ; & c'eft là aulïi qu'étaient logés tous les étrangers de diftindion. De ce Couvent on jouit: d'une vue très agréable fur la ville. Les Savans 8c ingénieux Meilleurs Hervey 8c Bnmaby qui y £rent leur fé-jour, furent très frappés de i'afpecl: extrêmement fmguHer de Corte „ Nous crûmes prefque ( difent ces 3, Meflieurs ) être à Laccdémone, ou „ dans quel qu'autre ville de l'Ancienne ( q ) Les Anglais ont pour l'exprimer , le terme énerçi pie de Romantich , comme on dirait qui n'exiftc que dans les Romans. 5, Grèce. T1t e L i v e parlant iïHeraJ. 3, clea en fait une defcription toute pa-33 reille à celle de Corte. Il femble qu'il w ait voulu parler de cette dernière vil, 33 le ( r ). Quand à Lacédémone, il pa-3, rait par le récit de Pausani as 3, qu'il n'y avait point de Citadelle ou 3, d'Acropolis. On donnait feulement ce 33 nom à la partie la plus éminente, du „ plus difficile accès, & la plus aifée à „ défendre , comme le firent auûT les 33 autres villes de Grèce. Pausanias 3, en parle en ces termes -y Les Lacédé-5J moniens n'ont point confruit de Cita-,5 délie fur une éminence , comme la Cad-33 mea des Thebaifis ou Larijfa des Ar-,3 giens : mais cette ville renfermant du ( r ) Sita est Heraclea in radicibns JEtat mon-tis , ipfa in Campo , arcem imminentcm loco alto & undique praccipiti habct. Ti t. L i v. Lib. LXXXVL c. 22. ^ vers coteaux, ils donnent au pins élevé „ le nom de Citadelle ; & fur celui-ci eji w le Temple de Minerve (j). „ Selon l'Inftitut & les Loix de L Y-„ c u r g tj e , il n'était pas permis aux „ Spartiates d'avoir des fortifications. Le „ fecours pour leur défenle devait être J5 leur feule valeur. Vers le déclin de 55 la liberté de la Grèce, ils érigèrent J5 cependant des murailles pour garantir J5 le côté de la ville le plus expofé. C'eft „ ainfi qu'en parle Tite Live, qui „ ajoute que le refte fut confié à la bra-„ voure des Citoyens ( t ). Malgré cette „ différence, il refte encore bien des „ rapports entre Corte & Lacédémone ; (s) Pausanias Lib. III. Cap. 17. ( t ) Locis patentibus pkrifque objecerunt muros altiora loca £ff diffiàliora aditu iïatio-nibus armatoruni, Jîio munimcnto objeèlis tu-tabantur. T1 t. Li v. Lib. XXXIV. c. 38. B 6 J 3<£ E"t a t même en ce que le Temple de Mi- M nerve tenait dans celle - ci la place de „ la Citadelle. Nous pourrions d'ailleurs „ aider un peu à l'imagination, & dire ,5 là était le Tayjete, & ici VEnrôlas : „ mais la plus grande relfemblance fe- „ rait entre Lycurgue & Pao, „ li («)• La Corfe eft extrêmement bien arro-fée. Ses lacs principaux font ceux d'Ino Se de Crcna, qui font environ à deux milles l'un de l'autre > tous deux firmes fur la plus haute montagne de l'Isle , appellée par les Anciens Mons Anreus > Se aujourd'hui Gradaccio ou Monte-ro-toudo. Elle eft d'une hauteur étonnante , Se pourait très bien être comparée aux Alpes. De fon fommêt on découvre toute la Corfe , la mer , la Sardaigne , avec une vue lointaine & comme perdue de ( h) Journal de Mr. Bu rn a B y. de la Corse. 37 la France & de l'Italie ; toute la Méditerranée, & quantité de petites Isles font en même tems fous les yeux. Mais l'on va rarement jouir de cette fuperbe vue; la partie la plus élevée de la montagne étant coupée prefque à plomb , de façon que pendant environ deux milles de marche , on eft réduit à grimper fur fes mains & fur fes genoux ; & durant la plus grande partie de l'année, cette im-menfe montagne fe trouve couverte de neige. Les deux lacs cVlno & de Crena font d'une alfez grande étendue. Dans la plaine d'Aléria, près de Ma- ■ riana , eft un lac appelle Chhirlina ou Bigtiglia , qui eft. large , & communique avec la mer 3 & près d'Aléria , il y a un autre lac appelle l'Etang de Diane, il Staguo di Diana qui a la même communication. Il eft remarquable qu'en £té, lorfque le Soleil a exalté une par- tie de fon eau , & que l'autre eft ab-forbée par le terrein fabloneux , il refte une efpèce de fel naturel, que les Corfes aiment beaucoup, & dont ils font grand ufage. Les rivières de Corfe font le Golo, large & belle rivière qui prend fa fource du lac Ino, & après avoir traverfé dfver-fes Provinces dans le cours d'environ 70 milles ; elle fe jette dans la mer tout près de Mariana. Le Tavignano eft de même une rivière confidérable qui fort du lac de Créna, & après avoir arrofé un long diftricl; d'un pays fauvage, elle fe vuide dans la mer, tout près de Fan-cienne Alerta. La Rejîonica, quoique petite , eft fameufe en Corfe par une qualité qui lui eft particulière. Son eau eft limpide comme du criftal & très agréable à boire ; d'où il parait que Sene. O.ue n'avait jamais vu la Rejîonica , au- trement il n'eut jamais dit que la Corfe n'avait pas de l'eau à boire, haufim aqu£. Cette rivière eft d'une qualité minérale , & très faîutaire. Elle a de plus la vertu de blanchir très bien. Les cailloux qui roulent dans fon canal font blancs comme de la chaux. Je me fou-viens d'avoir vu dans ma route entre Rome & Naples une four«e d'une eau fulphureufe qui avait quelque propriété femblable à celle-ci: mais elle ne donnait pas le même degré de blancheur que la Rejîonica, qui fait paraitre en peu de tems le fer comme'de l'argent, & l'empêche de fe rouiller. Les Corfes y plongent fouvent les cannes & les platines de leurs fufils par cette raifon. Il y a diverfes autres rivières dont je ne donne pas la defeription ; tels que la Frunella, Yiumorbo, Gravonna, Va* linco, Taiavo, Liamone, noms vraiment poétiques. Il y a aufîi quantité de petits ruiifeaux, qui fervent à fertilifer les terres, & qui confervent toujours leur fraicheur. On dit qu'avec des foins & de la dé-penfe on pourait rendre navigables quelques unes de ces rivières : mais l'idée ferait très mauvaife > leurs cours étant fi rapide , que dans les tems de piques abondantes , les torrents qui tombent avec impétuofité des montagnes , entraînent des pièces de roc qui brife-raient les batteaux qu'ils rencontreraient. On trouve divcrfes fources d'eaux minérales, chaudes & froides, en divers quartiers de l'Isle j les habitans du pays les trouvent très efficaces pour la gué-rifon de leurs maladies ; & les hommes éclairés, en particulier quelques Médecins Français, qui en ont fait Panali-lè, les ont extrêmement approuvées. La Corfe eft très bien pourvue en poiffons ; mais pour ceux d'eau douce qu'on pèche dans les lacs & les rivières, je n'ai ouï parler que des truites & des anguilles. On trouve ceux-là en grande abondance , très gras , & d'une groffeur peu commune. Mais le riche tréfor de la Corfe en ce genre eft dans la mer. Sur toutes les côtes" de cette Isle on a la plus grande diverdté des meilleures efpèces, & en particulier une forte de Thon ou d'E-tourgeon, & la Sardine qui y eft d'un goût exquis. Sur divers bords , on a des lits ou couches d'Huitres remarquables par leur grotte ur. Ils en ont une telle quantité , qu'outre la confom-mation du pays, ils en exportent beaucoup en Italie. La Corfe était déjà fimeufe du tems des Romains par l'excellence de fes poif- fons. Dans la Satyre où Juvekal cenfure l'excès de leur luxe , dans un tems où on leur apportait des pays les plus éloignés tout ce que la Nature avait de délicat & de rare, il parle du Mulet que la Corfe leur fourniifait. Midlus erit Domini quem miftt Corjîca (v). Et puifque j'en fuis aux produits des mers de la Corfe , je dois obferver que fes habitans y pèchent une grande quantité de corail des trois efpèces, le blanc, le rouge & le noir, mais j'en dirai d'avantage fur ce fujet lorfque je parlerai de leur commerce. La Corfe a une aufli grande variété d'animaux que la plupart des pays. Les Chevaux font en ce pays là d'une très petite race. P r o c o p e dans fa guerre des Goths, dit qu'ils vont par trou- O) Ju venal. Sat. V. 1. 29. bela Corse. 43 peaux dans Plsle 3 & qu'ils ne font gué-jesplus grands que des moutons (y): mais ils fe diftinguent par leur hardieC fe & par leur vivacité. Quelques uns ont beaucoup de rapport avec les bidets du pays de Galles , ou avec ceux qu'on appelle Shehies , qu'on trouve dans les montagnes ou dans les Isles d'Ecoffe , quoique j'aye vu des chevaux Corfes d'une taille fort raifonnable. Les ânes & les mulets font de même petits, mais très vigoureux & agiles à monter les lieux rocailleux & efcarpés ; il fer oit très difficile de faire de belles routes dans cette Isle. Mr. 4-lex.anàre Dick très connu de tous fes compatriotes par fon zèle pour en procurer dans fa patrie , ob-ferve que les Corfes ne perdaient rien à cela, pendant qu'ils étaient dans le (y ) Procop. de Bdlo Goth. Lib. III. c. 24. 44 ë t a f cas de défendre leur liberté. Si leur pays eut été ouvert & aceelfiblc, des trou*, pes réglées les eulfent facilement ftibju-gués. Ce fut à la faveur d'un pays nu de & de difficile abord que les anciens Ecoflais confervérent leur indépendance. Le bétail à corne eft plus grand à proportion que les chevaux , mais la plus grande partie du terrein de l'Isle ne peut leur donner un pâturage qui lui convienne 5 de forte qu'en général, les vaches donnent peu de lait, & les bœufs y font maigres & coriaces. Du refte 011 fait peu d'ufage du laitage en Corfe , & l'on y fait très peu de beure, l'huile en tenant lieu, comme en Italie, & dans prefque tous les pays chauds. Cependant on fait une bonne qualité de fromage dans quelques pieves. On y a un très grand nombre de chèvres qui broutent les taillis & la brouf. de la Corse. 4 ^ {aille , dans la pente des coteaux. On fe rappelle en les voiant les Bucoliques de Virgile qui en fait fi fouvent mention. Le mouton y abonde également , & comme il a d'excellents pâturages , fa chair eft très délicate & donne un jus tel qu'on peut le délirer , ce qui compenfe la mauvaife qualité du bœuf. Les moutons de Corfe font généralement noirs ou tannés ; un mouton blanc étant là auffi rare dans les troupeaux qu'un mouton noir l'eft dans les nôtres. La lame eft groffiére & a la ru-delîe du poil, ce que le peuple attribue à ce que leurs brebis font d'une elpèce métice. On avait penfé à corriger ce défaut en faifant venir une meilleure race d'Angleterre ou d'Efpagne : mais ceux qui en nourilfent m'ont affiné que la qualité des laines venait moins de Fefpèce du bétail, que de la nature du pâturage ; vû que les brebis qui ne donnent qu'une toifon grofliére dans une ferme , tranfportée dans une autre où la pâture eft meilleure , donnent une toifon de la plus grande Bnene. Il eft très ordinaire ici de voir des brebis qui ont plus de deux cornes, & plufieurs en ont jufques à fix. Les forêts de l'Isle abondent en bêtes fauves , & l'on y trouve entr'autres un animal curieux qu'on appelle Muffoli. Il reifemble à un cerf, mais il a les cornes d'un bellier , & la peau d'une grande dureté. Il eft extrêmement fauvage & ne quitte guères les monts les plus élevés , où l'on ne peut l'approcher que très difficilement. Il eft d'ailleurs d'une grande agilité, fautant d'un roc à l'autre , à la diftance de plufieurs pieds ; & iorfqu'il eft pouffé jufques au bord d'un roc efcarpé , d'où il ne peut s'élancer fur quelque autre , il fe précipite avec une adrelfe furprenante fur fes cornes, fans fe faire aucun mal. Cependant quand ces animaux font pris jeunes , on les aprivoilè ailement. Mr. De Mar-bœuf qui commandait les Français, dans le tems que j'étais en Corfe , en avait un de cet efpèce. Il s'en trouve deux actuellement à Shugborough dans la Comté de Stafford, terre de Mr. Anfon , qui a fait un riche affemblage de ce qu'il y a de plus curieux dans la Nature, comme de ce qu'il y a de plus élégant dans les Arts. Les animaux Corfes , en général, parafent fauvages aux étrangers. P o l Y-B E en dit la raifon s c'eft que le pays eft fi rude, & les bois fi épais en arbres , que les bergers ne pourraient fuivre partout leurs troupeaux (z). Le (2) Folyb. Ëttt. Lib. XII, fanglier s'y trouve en grande abondance » & le porc^qu'on a de même en quantité , a quelque chofe du goût du fan-glier ; nourri comme il l'cft de châtaignes , il eft d'un excellent goût. Les Corfes font très amateurs de la chalfe du fanglier , pour laquelle ils ontj une très bonne race de chiens. Ces chiens ont le poil doux, & tiennent en partie du mâtin & en partie du chien de berger. Us ont le corps épais, & font extrêmement ners ; mais, lorfqu'une fois ils ont pris de rattachement pour leurs maîtres , ils leur font toujours ridelles , les gardent de nuit & de jour , & fe feraient tuer pour leur défenfe. P r o c o p e nous dit qu'il fe trouvait en Corfe des linges merveilleufement reffemblans aux hommes. Et en effet, cette Isle , comme toutes les autres parties de l'Europe voifnies de l'Afrique, fourmi!- fourmillaient de linges, avant que d'être peuplées : mais il n'y en refte plus à préfent, ce qui prouve que différentes efpèces d'animaux palîent d'un pays à l'autre > & l'on remarque que lorf. qu'une eipèce manque dans quelque partie du Globe , elle abonde ailleurs. Il eft certain que la race de certains animaux qui étaient indubitablement connue en tel ou tel pays, ne s'y trouve plus : cependant, il n'eft pas croyable que le Créateur permette qu'a"HCiine des efpèces de créatures que fa main toute puiifante a formées, foit abfolu-ment éteinte. Il y a beaucoup de lièvres en Corfe , mais non des lapins ; quoique P o-l Y B E parlant des animaux de Corfe , dife qu'il s'y en trouve , & en détaille beaucoup la figure & les qualités. Il dit par exemple, qu'à une certaine diftauce on Tome L C fO E T A T les prendrait pour des lièvres, mais qu'à les examiner de près ils en différent beaucoup & pour la taille & pour lç goût. Il n'y a point de loup dans Plsle , ni aucune bête carnaciére., à moins qu'on ne voulut mettre dans cette claf, fe les renards, qui font à la vérité très grands , & très mal-faifans. On dit que non feulement ils détruifent les brebis, mais qu'ils attaquent même les. poulains. On a une grande variété d'oifeaux en Corfe. L'aigle , le vautour , le ramier , la tourterelle , la grive, le merle , & quantité d'efpèces plus petites. Le gibier y abonde en perdrix, en faifans , en bécaffes, & en toutes fortes d'oifeaux d'eau. Il eft fâcheux que les grives & les merles foient du nombre: mais comme ces efpèces y font en très de la Corse. grande quantité , & que l'arboufier (a) y abonde , elles s'engraiflent extrêmement de fon fruit ; de façon qu'on les eftime beaucoup pour leur goût & pour leur délicateife. Quelle barbarie de détruire pour le luxe de la table , des oifeaux dont la mélodie eft charmante , & qui donnent fûrement plus de plaifir à entendre , qu'on ne peut en trouver à les manger! cependant c'eft un mets très ordinaire dans les pays Méridionaux , & fur-tout en France. En général, c'eft une chofc qui mérite d'être obfervée , que cette Isle a reçu de la Nature le privilège de n'avoir point de bêtes vénimeufes. Quoiqu'il y ait des fcorpions, leur piquure ne porte point de venin. L'infecle de Coife (a) L'arboitjîer eft Varbuius des Anciens, ic le Straivbcrry-Trec des Anglais. C 2 qui approche le plus des animaux véni, meux eft l'araignée, qui eft en ce pay5 là d'une extraordinaire grofïeur. Sa pi_ quure irrite & enflamme à un tel point, que l'enflure qui en réfulte allarme beaucoup ceux qui ne font pas au fait : mais elle eft bientôt paflee , & n'a pas plus de fàcheufe fuite, qu'une piquure d'abeille. Quelques uns de ceux qui en ont parlé l'ont confondue mal à propos nvec la tarentule fî commune dans le Royaume de Naples. Les arbres déviennent très grands en Corfe : il y croit toutes fortes d'arbres de forêts , mais les pins ,' les chênes & les châtaigniers en font le principal ornement. Us y déviennent d'une grau, dcur étonnante, fur-tout les pins qui y ont des tiges d'une prodigietifc élévation, & les châtaigniers, dont la circonférence & i'épaiifeur font peu communes. La Corfe a de très vaftes forêts , & en différents endroits. Celle de Vico elfc l'une des plus remarquables. Cette Isle fournit affez de bois de charpente pour entretenir de nombreufes notes , & il eft d'une dureté qu'on n'attendrait pas dans une latitude aufli méridionnale : on la doit fans doute au fol pierreux du pays, aux courants d'air frais qui circule perpétuellement dans les vallées, & à la température que donnent les montagnes , qui durant la moitié de l'année font chargées de neige ; ce qui eft l'une des principales caufes de la falubrité du climat , qui diftingue fi avantageufe-ment la Corfe de la Sardaigne. Le chêne verd , ou Ilex des Anciens y eft très commun, & donne au payfa-ge un coup d'œil bien agréable au cœiir de l'hiver. Le limonier , 1 oranger , le figuier & l'amandier y font très com- C 3 muns. On y voit peu de noyers. Les pommes , poires , prunes &ceriTes y font très médiocres 5 ce qui vient probablement du peu de foin qu'on prend de les cultiver. Les grenades y viennent en perfection, de même que les figues d'Inde, & l'aloës , qui fleurit là tout aulîî bien que dans l'Orient. Les montagnes de Corfe font couvertes d'arbouliers, qui donnent un air éclatant à la vue, auffi loin qu'elle peut s'étendre. Il eft fur que cette Isle réf. iemble beaucoup au pays que décrit Virgile dans la peinture qu'il fait du bonheur de la campagne. Glancîe fîtes Uti redeunt, dant arbufa W- fyh't 9 Et vc.yios ponit fœtus autumnus , ^ altè Mitis in apricis coqiiiti.r vindemia faxis (b), (fr)VlRGlL. Georg. Lib. IL f, 530« ' d e la Corse. Le meurier croit ici très bien. L'on n'eft point expofé dans cette Isle aux -éclairs & aux tonnerres , comme en Italie ou au Midi de la France, de forte que dès que la Corfe jouira de la tran-quilité , il lui fera très aifé d'avoir en abondance la foye. Je ne dois pas oublier le laurier qui s'y trouve comme dans fon vrai climat. Le buis efl; commun par-tout. En plufieurs pays il eft nain , & on l'employé alfez généralement à former des hayes : mais en Corfe il eft de taille à pouvoir être compté au rang des arbres de tige. B o c H A r T a ingénieufement montré ( c ) que les bancs des navires de Tyr, qui félon la commune interprétation d'EzéchielXXVU. i 6\ étaient d'y-voire apporté de l'Isle de Sittim, n'étaient (c) Bociiart. Geog. Sac. Part. I. C. C 4 ^6 1 Etat probablement faits que du buis de Corfe. Theophraste dans fon-Hiftoi. re des plantes, parle de la groffeur extraordinaire des arbres de Corfe, à l'élévation defquels les pins du Latiuni n'étaient en rien comparables. Il dit de même qu'ils y étaient immenfement épais. Ses expreiîtons là deffus font d'une grande énergie. L'Isle entière, dit-il, femble n'être qu'une forêt & une terre fauvage par l'épaùîeur de fes bois (i). Il rapporte là delfusune finguliére tradition; que les Romains, frappés de la grandeur des bois de Corfe , y Êrent conftruire un vaiffeau qui ne portait pas moins de fo voiles, mais qui périt dans l'Océan. Cet Auteur rendauiliun témoignage bien formel à la bonté du climat, du terroir, & de l'air de cette Isle ,.1 en difant qu'à ces ( d ) T h e o P h|r a s t. Hiïf. Lib. V. -Gap. 9. trois égards, elle l'emportait fur plu. fleurs pays (e ). Les différentes efpèces de grains crue produit la Corfe font le froment, l'orge , le feigle & le millet. Il en croit abondamment dans l'Isle de ces quatre e£ pèces, qui y viennent parfaitement > mais il n'y croit point d'avoine , qui y réuffit difficilement, de même que dans les autres pays méridionaux ; les habitans donnent de l'orge aux chevaux & aux mulets. Le millet eft excellent en Corfe , & lorfqu'on le mêle avec le fégle, il donne un pain favoureux , dont les payfans font très amateurs. Les châtaignes peuvent être regardées en Corfe comme une forte de grain, parce qu'elles en ont tous les avantages. Les Corfes les mangent rôties en guife de pain ; ils les broyent auffi & les réduifent en (e) Ibkl C f farine dont ils font de très bons gâteaux. Il fe fait une grande quantité de miel en Coifr , & cecte Isle a été de tout tems fameufe par fes abeilles. Lorfqu'eile était foumife aux Romains, le tribut qui lui était impoie était de cent mille livres de cire annuellement (/). Le laurier , l'amandier, le myrthe dont les fleurs font li agréables aux abeilles fe trouvent ici partout, & les coteaux couverts de thim fauvage & d'autres herbes odorantes leur font des plus favorables: cependant le miel de Corfe a toujours pafTé pour avoir une certaine apreté, à caufe du buis & de l'if qui y abondent„ comme Diodore (g} & Pline l'obiervent (h). Lycidas dans V i r g u (/) Tit. Liv. Lib. XLII. Cap. 7. ((/) Diod. Sictjl. Lib. V. Cap. 29^ (h) PL in. Lib. XVI. Cap. 16. de la Corse. ^ l e fouhaite que les abeilles les évitent, Sic tua Çyrn&as fugiant examina taxos (i). & M a r t i a l ( k ) dit agréablement > qu'envoyer des vers à l'éloquent Ner-v a , ferait comme il l'on envoyait du miel de Corfe aux abeilles du Mont Hybla , qui n'en dormaient que du plus exquis. Audet facundo qui Carmina mittere Ner- JJybUis api bu s Çorfica mella dabit. Bien des gens trouvent la petite amertume du miel de Corfe agréable i la même raifon que Pline rend de la légère apreté de ce miel , eft la même qu'il donne de la bonté de fa cire. " Après „ la cire de Carthagc, du Pont & de ( i) Virgil. Eclog. ÏX. 30. (h) Martial. Lib. IX. Epigr. 27. C 6 „ Crète , celle de Corfe ,. dit -il, eft ef. 3) timée, parce qu?étant faite, en partie „ du fuc du buis, elle paffe pour avoir „ une vertu mcdecinale (7). La Corfe a quantité i de Mines de plomb , de cuivre , de fer & d'argent. Près de Sun Fiorenzo , il y a une Mine d'argent très riche , puifqu'elîe rend f L. fterlihg par quintal poids du pays. Le fer de Corfe eft d'une bonté fupérieiu. re, étant d'une dureté égale à celle du fer préparé d'Efpagne , oui eft le meilleur du monde. On dit que les vrais canons: 'de fuliis faits en Efpagne, font du fer des tètes des clouds dont les mulets font ferrés. Ce fer, dit-on , s'adoucit extrêmement par leur longue & continuelle marche en des chemins rudes & picr, reux, tels que la plupart des routes qcre ces animaux pratiquent : Mais quelle (f) Plin. Nat. Hiji. Lib. XVI. Cap. kl I proportion y aurait-il entre la petite quantité d'un fer pareil, & la quantité prodigi, • eufe de canons ou cannes d'Efpagne qui fe débitent dans toute l'Europe '< Le métal des canons de Corfe eft tant foit peu inférieur à celui de la généralité des canons d'EJpagnafc & ils commencent à les fabriquer très biei-u On a fait une allufion entre le fer des Mines de Corfe & le nom de cette nation, qui indique en même tems le caractère de fes habitans. J e r o me de Marinis ou Marini de Gène? écrivant fous la domination Génoifè parle de l'Isle de Corfe en ces termes. „ ( m ) Les entrailles de cette terre abon- ( m ) Terrac vjfccraferri fodims qffluunt, naturac cum ipfo Corficac nomine in uno conf-pirantis praejudicio , Corft enfin cor défunt fer-tco , adeoque adficam armaque prono. Geje. VI US Thef Antiq. Vol. I. p.- U.io. a dent en fer i la nature confpirant avec }) le nom des Corfes à les caradtérifer. î5 Les Corfes ont un cœur de fer ( n ) „ également promt à courir aux armes yy & au poignard. Le m a r q_u i s d'Argens applL que à la Corfe ces vers de Crebillon , La Nature marâtre en ces affreux climats froduifait au lieu d'or , du fer & des foldats (o). Je pour rois ajouter, And vertue fpirigïng from the iron foil (p). Et la vertu germant dans un terroir de fer. On trouve auffi en Corfe des mines d'alun, & de falpètre en différents en, droits de cette Isle. ( n ) Çorfica - Çorfica. Cor le cœur, & Sica le ftilet. (o) Lettres Juives, Lettre çç. (p) Home. de la Corse. ^ Il y a une fuite de granité extrêmement dur ; il y en a même dont la qu,;iLee approche de celle du granité Oriental (1 fameux à Rome , & dent il fublilte encore des colomnes , que l'on dit avoir été apportées d'Egypte. Je craindrois qu'il ne fut ridicule de conjecturer que quelques unes de ces belles colomnes fuifent du produit de Corfe ; car outre la perfection des Hiéroglyphes , qui prouve qu'elles ont été travaillées en Egypte, je doute que d'au£ fi grandes pièces euifent pu fortir des carrières de la Corfe. Il s'y trouve auifi du porphyre, & une grande variété de jafpe. La magnifique Chapelle du Grand Duc de Tofcane à Florence, a été finie en jafpc de Corfe, dont on a incrufté tout l'intérieur , ce qui lui a donné un très grand air de beauté. Au bord du lac oVlno on trouve des morceaux de criftal de roche , d'un tranf. parent très net, & tout à cinq faces r comme s'il eut été taillé par un Lapi, daire. On en trouve auifi de pareils dans les montagne d'Iftrie. Il eft fi dur, qu'en le frappant il donne du feu , &, les Corfes en font fouvent des pierres à fufil. Près de Baftia on trouve une forte de minéral que le peuple appelle petva quaàrata , parce qu'on le trouve tou. jour en petits morceaux quarrés. Il a à peu près la dureté du marbre , & la couleur du fer , mais d'un poids égal à celui du plomb. Les Corfes attribuent une vertu miftérieufe à cette pierre comme on le voit par un diftique ancien d'un moine fait à fa louange. Tetrœ quadrata duro de marmore imt£.T Imumieras dotes .nuis numerare poteji ? Il paraîtra par la defcription cftie je viens de faire de la Corfe, que c'eft un pays d'une importance confidérable. Selon les Tables de Mr. Templeman dans fa nouvelle contemplation du Glo-ble , cette Isle contient 2f20 milles quar-rés. Elle a un nombre de très bons ports , un air excellent, & fes productions fout également abondantes & variées. Je conclurai ce Chapitre par la defcription que fait H o M E R E de l'Isle d'il a que , & qui peut très bien être appliquée dans un fens général à celle de Corfe. „ Ce n'eft pas un pays inconnu ( ré-„ pondit Minerve). Il eft célèbre jufques „ dans les climats qui voient lever le fo-„ leil, & dans ceux qui le voient fe pré-„ cipiter dans fonde. Véritablement c'eft „ un pays âpre, & qui n'eft pas propre à fS .Etat „ nourrir des chevaux j mais s'il n'a pas „ de plaines fort fpacieufes , il n'eft puS „ non plus ftérile & fec. Cette terre porte n du froment & du vin en abondance ; „ elle a les pluyes néceïfaires dans les „ faifons , & les rofées qui réjouiifent les „ plantes. Les chèvres & les bœufs y „ trouvent des pâturages excellens ; il „ y a toutes fortes de bois & de forêts, „ & elle eft arrofée de quantité de four-„ ces dont les Nymphes ne laiifent ja-„ mais tarir les eaux dans la plus gran-„ de fécherefle. Enfin, étranger, le nom „ dTtaque eft furtout connu dans les „ campagnes de Troye , quoique cette „ Isle foit fort loin de l'Achaye. H O-„MERE Odyjfêe Lib. XIII. 1. 238. de „ la Traduction de M ad. Dacier. be la Corse. CHAPITRE IL QUoique plufieurs Auteurs diftin-gués aient, félon le goût de leur ficelé, rejette toute recherche fur l'origine des nations , en fe bornant à ne préfenter à leurs lecteurs que ce qui était clairement & exactement attefté ; j'avoue que je ne faurais applaudir à cet excès d'attachement pour la parfaite évidence. Accoutumés à la démonitration ou à ce qui en approche , & à refufer créance à tout ce que nous ne pouvons complet-tement & diftinctement comprendre, nous nous accoutumons à faire de notre entendement un arbitre infolent & audacieux ; l'efprit contracte une dureté & une obftination incompatible avec la vraie deftination de nos facultés dans cet état d'imperfection , & par là même il dévient moins propre a recevoir des vérités de la plus haute importance. Mais pour ne pas nous jetter dans une fpéculation trop métaphyfique, jc dirai feulement que j'ai toujours penfé que les époques obfcures & fabuleufcs de PHiftoire étaient dignes de quelque attention. Les meilleures tètes de Panti. quité penfaient ainfi , & voilà pourquoi leurs ouvrages font plus agréables que s'ils s'en étaient tenus à une rigide au-tenticité. L'origine de chaque peuple, [ dit T1T E LI V E ( r ) ] eft ornée de fables. Elles amufent & récréent l'imagination , lorfqu'elles n'ont rien d'ennui-eux & de contraire au bon fens. Nous aimons à être conduits par une progref. iton graduelle, & à confidérer le vrai fortant de l'obfcurité comme le foîeil perqant un nuage. Cette progreûron eft (/) Tl T. L i v. Proëm. dans le cours de notre nature , qui avan-ee infenfiblement dès l'aurore de l'enfance où l'intelligence commence à poin, dre, jufques à ce qu'elle parvienne à une lumière plus éclatante. Ceux dont le génie eif, porté à l'étude de l'antiquité , outre le plaifir immédiat qu'ils reçoivent de la tradition, font fouvent conduits par des ouvertures que leur donnent des faits détaches & peu importans, à découvrir d'importantes vérités, & à étendre les bornes de nos connailïànces. Très peu d'hommes - ont affez le talent particulier des recherches profondes, pour mériter le nom d'Antiquaires : mais il y a un principe univerfel de curiofité & de refpecT: pour l'ancien tems , qui fait que les conjectures même font reçues avec une forte de complaifante vénération ; & quoique le grand but de l'Hiftoire foit rinftru&ion, je penfe qu'elle mériterait quelque confidération, lors même qu'elle ne ferait que fatisfaire notre curiofité. Je me propofe donc en traitant des révolutions de Corfe , de remonter aufli haut que fes Annales pourront le permettre , quoiqu'en même tems je n'ai deflein de donner qu'un récit très abré-gé, & plutôt le coup d'ceil, qu'un ouvrage complet à mes lecteurs. La plus ancienne relation que nous ayons de la Corfe fe trouve dans H e-r o d o t e. Il nous dit que fes premiers habitans étaient Phéniciens i que Cadmus, fils d'Agénor , cherchant à faire des découvertes en Europe , tomba dans cette Isle , qu'il nomma Callijîa, qu'il y laiffa quelques^ uns de fes compagnons , avec fon coufin Membleareus (s). Il dit encore qu'à leur huitième (j) Hérodote. Lib. IV. Cap. 147. DE LA C 0 R s, E. jj génération , Théras y amena une Colonie de Lacédémone. Ce Théras {t) était originairement de la race de Cadmus, mais étant oncle maternel d1'Eurijlhènes & de Froclés , les deux fils à'Ar/jfodéme > & aiant eu cette qualité gouverné le Royaume comme Tuteur , lorfque par leur majorité ils devinrent Rois de Sparte; Théras dédaignant la \'ie privée & de vivre fous l'autorité de fes Pupilles, ne pût fe réfoudre à refter à Lacédémone , & fe détermina à aller joindre fa parenté établie dans l'Isle de Corfe ap-pellée Callifte. Il y arriva félon fon plan (u) , avec une trouppe d'hommes choifis , non dans le deffein de chafler fes premiers habitans, mais au contraire , de les favorifer & de y ivre aimablement avec eux. (t) Idem. Ibid. («) Ibid. ce, Cap. 14& 72 E t a t Quelque tems après, les Miniens , Tribu errante qui avait été reçue, comme en refuge , chez les Lacédémoniens, leur étant devenus fufpe&s , à raifon de quelques vues ambitieufes, furent mis en prifon & condamnés à la mort. Théras perfuada aux Spartiates de les épargner, en leur promettant de les tranfporter hors du pays -, en exécution de quoi il les fit conduire à l'Isle de. Callifie pour fp joindre à la nouvelle Colonie ; & du nom de ce Prince, l'Isle reçut alors le nom de Théra. Ces Miniens , quoique d'une Tribu errante chez les Lacédémoniens, avaient une illuftre origine, étant de la race héroïque des Argonautes ( x ). Cette relation de la première peuplade de l'Isle de Corfe eft une pièce très cu- rieufe (x) HERODOT. Lib. IV. Cap. i45. ri eufe tic Pandémie hiftoire. Il eft réellement très probable que les Phéniciens ou les Phocéens en furent les premiers habitans , vu qu'ils furent les premiers de grands & hardis navigateurs dans les parties Occidentales du monde , & qu'ils envoyèrent des Colonies en divers pays aflez éloignés. Dans la fuite cette Isle prit le nom de Cyrnus (y) du nombre de fes promontoires , & ISIDORE (z) rapporte ce qui y donna eccafion. Selon lui, Corfa , femme Ligurienne aiant fouvent obfervé qu'un taureau nageant vers cette Isle & en revenait plus gras, eut la curiolité de Ji'y fuivre fur un bateau ; elle en fit la découverte, avec celle de toutes les beautés & de la fertilité du ( y ) En Grec Kurnos. (2 ) Istdor. Oriyin. Lib. XIII. Cm 6. Tome L D terroir. Les Liguriens en étant inftruits y menèrent une Colonie qui donna à cette Isle le nom ç|e Corfa, en mé, moire de la femme à laquelle on était redevable de la découverte. Quoique ce récit ait l'air fabuleux, on peut y voir la trace d'un fait réel qui aura pû faci, lement donner lieu à cette fiction ; fi pon confidére combien il eft probable qu un Peuple de la côte d'Italie & immédiatement en face de cette Isle , tel que les Liguriens , ou les Etrufques , aient pris poifefïion de la Corfe dans les anciens tems. De quelque poids que puiifc être cette conjecture , il eft certain que ceux qui en dévinrent en fuite les maîtres furent les Carthaginois, qui étendirent leurs conquêtes fur toutes les Isles de la Méditerranée. Ari stote rapporte un trait bien extraordinaire de la politique Carthaginoife relativement à la Corfe. Sentans combien il était difficile de contenir ce peuple dans la fujettion, les Carthaginois ordonnèrent que l'on arrachât toutes les vignes & les oliviers des terres de l'Isle , & défendirent à fes ha-bitans, fous peine de mort, d'enlèmencer leurs champs d'aucune efpèce de grains, pour que dès lors ils fuffent réduits à une totale dépendance ; enforte que quoique poifeffeurs d'un territoire fertile, ils fuffent obligés de reffortir à l'Afrique pour leurs plus preflàns befoins. Telle fut de fi bonne heure, la lâche & barbare politique que cette République commerçante mit en œuvre contre ce peuple. La Corfe paffa de ce joug cruel fous la domination des Romains. Dans la première guerre Punique , environ l'an 493- de Rome, Lucius Cornélius Scipcn D % «6 E t a t fit la conquête de l'Isle contre une armée de Sardes & de Corfes commandée par (a) Hanno Général Carthaginois. Il parait cependant que les Corfes ne pouvaient fupporter avec patience leur fujeuion , eV qu'ils firent fouvent des tentatives pour fe mettre en liberté. Nous en avons un exemple dans l'Abrégé du 20e Livre de T i t e L i v e. Nous les voions bientôt fe foulever contre le Préteur M. P marins , qui après en avoir tué 20co les obligea de donner des Otages , & leur impofa un Tribut annuel de rep mille livres de cire (b). En-fuite le Préteur C. Ckereias leur livra bataille, dans laquelle 1700 des leurs furent tués, & plus de 1070 faits pri-fonniers. Ce fut à cette occafion que (a) Tit. Li v- Ub. XVII. Flor. Lib. 11. c. 2. O) ïdem. L?b. XL. 'cap. 34. le Tribut fut doublé & mis à 200 mille livres de cire annuellement (c). Ces exemples nous font connaître que la Corfe était anciennement beaucoup plus peuplée qu'elle ne l'eft aujourd'hui, & qu'elle était en état de fournir une grande quantité de miel. Nous apprenons au refte de Pline, que Papirius v Nafo fut le premier qui triompha des Corfes fur le mont Alban (d). On a.déjà dit que les Romains fondèrent deux Colonies en Corfe ; cette Isle était, comme les autres Provinces, gouvernée par un Préteur. Elle femblait faite pour des exilés, & très propre pour fervir à ce qu'on appellait relegatio in in~ fidam. Mais les Romains n'en eurent jamais la paifible poflefîion , & ne pou- ( c ) Idem. Lib. XVI. cap. 7. {d) Idem. Lib. V. cap. 29. D 3 7$ Êt aï vaient fe flater d'être longtems les mai^ très d'un pays , ou la liberté que les Tyrans appellent rébellion, était tou-jours prête à prendre l'eflbr. A l'époque de l'irruption des nations Barbares , la Corfe partagea le fort des autres Provinces de l'Empire qui tombait en ruines. Elle dévint la proye des. Goths , qui y établirent le fyftème féodal, comme dans les autres pays, ou, leurs armes purent pénétrer. Quelques Auteurs difent qu'elle fut conquife par AlariC) premier Roi des Goths; mais félon P r o c O p e ce fut par un détachement de l'armée de Totila (e). Depuis ce tems là , l'hiftoire de Corfe ne .préfente pendant plufieurs fiécles qu'une fuite de guerres & de ravages, par le nombre de ceux qui s'en dilpu-térent la poflelîion. Nous fommes ici ( e ) P r 0 c 0 r. de Bcllo Goth. III. cap. 24. tomme dans un labyrinthe, fans trouver de fil pour nous en tirer. Nous trouvons à la vérité en plufieurs Auteurs des fragmens concernant cette Isle , mais il eft difficile de les arranger dans un ordre convenable , vu fur-tout que les dates font prefque toujours incertaines. Je ne lailferai pas cependant d'expofer aufii brièvement qu'il fera poflible , ce qu'il parait y avoir de plus affuré fur la chaine des Evénements. Lorfque les Sarazins parvinrent à un degré de puilfance dont les Annales nous racontent des chofes fi furprenantes, ils chafférent les Goths de l'Isle de Corfe, & y maintinrent durant un tems confi-dérable leur domination. Il eft croiable que ce furent eux qui donnèrent les premiers à cette Isle le titre de Royaume , & actuellement on D 4 voit une tête de More fur le champ de leur ccu armonial. On trouve fréquemment de la mon», noye des Mores en creufant la terre, & près & Ajaccio on voit des tombeaux de Sarrazins qui parairfent avoir été dif-tingués. On y trouve des voûtes fou-terraines. foutenues par des pilliers de pierre, & dans les fépulcres même, des Urnes de terre figillée , ou d'une terre pareille à celle des briques. Il parait que le Pape a toujours eu la vue d'annexer la Corfe à fon territoire ; & qu'en différens tems, il a excité les Rois d'Arragon au Ai bien que les Rois de France à fiire à ce pays ce que l'on appellait dans ces tems là une guerre Sainte , mais qui était toujours calculée fur les vues politiques du Saint Père. Enfin, la Corfe fut conquife par un Roi de France,; les uns difent par Vephi, & d'autres par Charles Martel.' Les Cor, fes montrent jufqu'à ce jour une fontaine appellée du nom de Charles ,. dans la piéve ÏÏAlefam ; & à ce qu'on ajoute, dans la place même ou ce vaillant Prince vainquit les Mores.; Ce fut par les Rois de France que la Corfe' fut cédée & remife, à titre - de donation perpétuelle, au Saint Siège. Les Sarazins cependant y .revinrent de tems en tems , enforte que le Pape n'y exerça qu'une faible autorité. Les Génois fe prévalant de l'état agité de cette Isle , tâchèrent de bonne heure d'établir une Colonie à Bonifaccio ; & s'en-. hardiifant par degré , ils débarquèrent des troupes en d'autres endroits du pays, & commencèrent à y figurer d'une façon qui les rendit redoutables. Ce procédé ne manqua :pas d'ennam-D 5 mer la Cour de Rome ; & d'attirer fur eux les foudres du Vatican, que Je St. Pere lançait dans ces ficelés-là , contre les plus grands Potentats de l'Europe, de façon à produire fouvent des effets bien férieux. En conféquence de cette pratique , les Génois furent excommuniés par le Pape Grégoire VIL , ce qui les força à fe défifter de leur projet. ' La Corfe continua d'être dans cette fîtuation notante, jufques à ce qu'un Pape fur le nom duquel les Hiftoriens ne font pas d'accord, y envoya Hugues Colonna Seigneur Romain, accompagné de divers autres Seigneurs de la No-blefte de Rome, avec un corps de troup-pes, pour expulfer les îiifidelles de l'Isle,. Dès que Colonna y eut débarqué , il fut joint par un nombre des naturels du pays » qui durant les troubles dont ils avaient fi longtems reffenti la vio- lence, avaient à diverfcs fois fait des efforts pour maintenir leur liberté, fous la conduite de divers chefs qu'ils avaient élus, & auxquels ils avaient donné le titre de Caporali. Ces Caporali donnèrent à Colonna tous les fecours qui étaient'en leur pouvoir , & par leur influence fur le peuple , ils raffemblérent bientôt un corps d'armée qui mit le Général en état de battre les Sarrazins, & de les dépofféder de cette Isle pour jamais. Les Mores défefperés de cette difgrace imprévue , qui les forçait d'abandonner leur conquête, s'en vengèrent en brûlant tout ce qu'il leur fut poiîîble , avant leur départ, & c'eft à cela qu'on attribue la défolation dont on voit encore aujourd'hui les traces en Corfe ; de même que la deftrudion des anciens Mo-numens & des Archives de fes Villes; D 6 84 E t a t" Hugues Cotomia s'établit en Corfe , où il obtint du Pape des honneurs & des.avantages diftingués. La Maifon Colonna eit une des plus illuftres & des plus anciennes, du monde. Déjà l'an 1200. il eft fait mention d'un Pïetro Colonna, huitième du: nom. La branche établie en.Corfe, continua longtems à y vivre dans lafplendeur T & jouiiîait même du noble Fief de l'I£. trie j mais la confufion & les troubles qui bouleverférent prefque cette Isle ? les fanglans démêlés qu'il y eut toujours entre les patriotes Corfes & les Génois,. £t prodigieufcment fouffrir cette famille y & réduifit fa fortune à. la plus étroite médiocrité. Celui qui en eft aujourd'hui lé Chef eft un digne & vertueux Seigneur, des plus zèles pour cette grande caufc Je fus logé dans fa maifon à Solla-càro, & ce fut là que je rencontrai Pascal Paoli- Il eft probable que les Comtes , Marquis & B lirons Corfes , tirent leur origine de cette Epoque; & je ne vois point de tems plus convenable à alîigner à leur premier établùfemeirt dans ce pays, L'Isle relia pendant quelque tems dans un état fuportable j mais foit. les dilîcntions des différens partis , qui ne pouvaient fe concilier ni fouffrir de contradiction ; foit les attaques réitérées des Génois , toujours paflionnés pour la poffeiîion de ce petit Royaume ; ces défordres , joints au défaut de bon gouvernement , firent penfer au Pape qu'il n'y avait rien de mieux à faire que de les remettre aux Pifans, qui étaient alors puilfans. Cette ceflion fut faite dans les termes les plus avantageux pour le Saint Père , comme tant d'autres infeudationî Elites à divers Princes, pour les rendre Tributaires du Siège de Rome. Un Savant ProfefTeur de PUniverfité de Pife a compofé une Differtation très curieu-fe fur l'ancienne Souveraineté que fes compatriotes avaient exercée fur la Corfe. On la trouve dans le VII. Volume des Eifais de l'Académie de Cortone. Les Pifans, pendant que leur Répu, blique florilfait, & que leurs forces furent confidérables, maintinrent fage-ment leur autofité fur Plsle ; & , autjant que nous pouvons le recueillir des divers Auteurs , la Corfe jouit de plus de repos & de tranquillité durant ce période, qu'elle n'en avoit goûté dans aucun autre. Mais ce calme fut de bien courte durée. Les Génois irrités de fe voir exclus réellement d'une poiTeffion à laquelle ils avaient mis depuis fi longtems leur cœur 5 étant d'ailleurs rivaux dé- clarés de Pife , il s'éleva une guerre également vive & obftinée entre ces deux Etats ; & enfin les Génois remportèrent dans le fameux combat naval àc§AfaIora, qui fe donna près de l'embouchure de l'Arno ; après quoi s'é-tant rendus abfolument les maîtres de Pife, ils fe virent enfin en état de l'être de Corfe, vers le milieu du XIV. fiécle. Ainfi les Corfes furent pour la première fois fournis aux Génois, avec lefquels ils eurent dès lors de continuels démêlés pour cette précieufè liberté qu'ils s'étaient efforcés dans tous les tems de recouvrer. Si je me fuis trompé dans quelque point de ma narration , c'eft certainement fans deffein. Je fais que quelques Ecrivains Génois ont affuré que le Seigneur Adhemar, de leur nation , avait été employé dans la première conquête de l'Isle par le Roi de France : mais j'avoue que je ne connais point d'autorité fuffifinte pour l'établir ; & fuppofé que cela fut, Adhémar pouvait être feijle-ment un Oiïicier dépendant du Roi. Nous fommes très fûrs que le Roi de France fit la conquête , puifqu'il en fit une donation au Pape. Mais je ne m'arrêterai pas longtems à cette difeuffion ; on a nombre de pièces publiées en dernier lieu foit par les Gorfes , foit par les Génois, dans lef-quelles les Auteurs des deux partis s'efforcent avec beaucoup de peine , de fe réfuter les uns les autres, & de ren-verfer les fyftèmes qu'ils établiflent relativement à divers faits de PHiftoire Ancienne de l'Isle de Corfe, Ici en effet tout eft rempli d'écueils pour tous les partis , puifque ces périodes font fi obfcures que chaque Ecrivain croit pouvoir les tourner à fon avantage; pré-cifément comme des gens qui dans une nuit obfcure pourraient avec un égal difcernement & une égale apparence de raifon, affirmer qu'ils voient les objets totalement différens. Que la Corfe ait été le Domaine des Phéniciens, des Etrufques , des Carthaginois, des Romains , des Goths, des Sarazins ; que dès lors elle ait été con-quife par la France, ccdée par cette Couronne au Pape , par le Pape lui-même aux lifans, & qu'enfin les Génois s'en foient rendus mairies ; il faudra toujours en revenir à ce principe firr.ple & fondamental , que ies Corfes étaient des hommes, qui avaient droit à la liberté, laquelle , fi elle avait été ufurpée fur eux par une Puiifance quelconque , ils avaient en tout tems un droit légitime de réclamer. 5)0 ET Af En rcpaflant fur les étranges & rapides révolutions que cette Isle a éprouvées , nous nous joindrons a Sene-ojje (/) , dans les ftges réflexions qu'il fait fur l'inftabilité des chofes humaines , & nous garderons le filence fur les cataftrophes des individus, en voyant les vicilfitudes qui affligent toute une nation. Les Génois étant enfin parvenus à la réelle poilèlîion de la Corfe , furent trop prompts à ufer de leur pouvoir , & crûrent qu'ils ne pouvaient en jouir pleinement qu'en exerçant la plus fevè-re domination. Ce que nous avons défiré ardemment acquiert une valeur excelîive dans notre imagination ; & quand nous en fommes devenus les po£. felTeurs, une jouhTance modérée & rai. fonnable nous parait infipide & impar- Çf) s e x ec. de Confol. de la Corsé. $f foite, relativement à l'idée exagérée que nous eii avions conçue. En joUifTant d'une façon fi bornée nous ferions pre£ que fur le point de douter fi nous pot fédons effectivement. En général nous n'avons point alors de repos jufques à ce que nous abufions de notre pouvoir , & nous détruifons ainfi le bonheur que nous avions mis à un fi haut prix. Un individu qui fait une fortune considérable, & un Etat qui accroit fa domination, peuvent très-bien être comparés ; le parvenu croit ne pouvoir Montrer de combien d'argent il difpofe que par des actes de profufion qui en confument bientôt l'amas ; & l'Etat qui a augmenté fes fujets Se fes domaines, Voirait fa nouvelle domination mal établie fans des actes d'autorité arbitraire qui forcent enfin fes fujets à refufer de Jui obéir. Car quoiqu'un peuple puiffe par indolence, par timidité , ou par quelqu'autre motif, fe foumcttre pendant un tems à un certain degré de tyrannie , il ce traitement dure long_ tems , & que ce peuple foit pouifé à bout , la nature fe révolte, & appelle les droits originaires de l'homme à fe rétablir. Les Génois étaient les plus mauvais maîtres entre les mains de qui les Corfes euffent pu tomber (g). Les Corfes de leur côté étaient un peuple impétueux, violent & intrépide; plufieurs d'entr'eux avaient déjà bravé l'orage. Ils ne pouvaient être gouvernés que par un Etat capable de les contenir dans le devoir , & qui par fon humanité, & par des encouragemens convenables pût fe concilier leur affection. Les Génois étaient une nation de Ré-. ( j7 ) L'original porte the worfl Nation. publicains , voifins de ces infulaires, dont ils avaient toujours été ennemis. Us avaient ufé de touts les ftratagè-nies pour les foumettre, & fait fouvent des entreprifes infructueuiès pour s'emparer de leur Isle j devenus leurs maîtres par des circonltances imprévues , il était impofîible que les Corfes les regardaient de bon œil, ni même avec j une fincére vénération : & comme félon la remarque que l'expérience a i fouvent juftiBée , les fujets étrangers 1 d'une petite République font plus maltraités que ceux d'un Royaume con-fidérable, ils ne pouvaient s'attendre qu'à une tyrannie déclarée'de la part de Gênes. Quant aux Génois eux - mêmes qui fentaient que leur condition relativement aux Corfes était chancellante & périlleufe , réduits à rechercher tantôt la Protection d'un Etat puiifant, & tantôt d'un autre , ils n'ont pas traité les Cor, fes avec ce ménagement & cette con, fonce qui feule pouvait gagner leur au tachement & leur foumiffion , en leur faifant goûter infenfiblement les dou, ceurs de la culture , & le bonheur dç la vie civile . & en les accoutumant ainfi à confidércr les Génois comme fournis à la même autorité , & autant qu'il fe pouvait comme des amis. Ils tinrent une route directement op, pofée , «Se quoiqu'ils n'employaffent pas des moyens auili cruels que l'avaient fait les Carthaginois , ils rendaient du moins leur joug très pefant. Leur fy£ tème était, non de rendre les Corfes heureux & meilleurs, mais de prévenir Jes efforts qu'ils pourraient faire pour s'affranchir, en les tenant dans l'ignorance & la foumiffion la plus abjecte. Gênes privait l'isle de tous les profits delaCor.se. 9? qu'elle pouvait faire , préférant d'en re, tirer moins d'avantages par la tyrannie, a en avoir de plus grands, avec le rifc que de ce qui pouvait en réfulter, s'ils permettaient aux habitans de jouir du bonheur de la liberté. Les Corfes étaient dans cette malheu-reufe fituation, de forte que fouvent ils prirent les armes i mais n'ayant point de chef capable de les conduire, ils étaient bientôt accablés. Les Génois craignaient tellement leur révolte que félon leur propre Hiftorien Philip-p i n i , ils brûlèrent i20* des meilleurs villages de Corfe , & forcèrent par. là plus de 4000. ames d'abandonner l'Isle. Ce qui met dans le plus grand jour la miférablc politique de Gênes , & qui ne pût être que très fenfible pour les Corfes qui réitèrent dans le pays, fût que plufieurs de ceux qui avaient paffé dans le continent, < faifaient une figure diftinguée en divers Etats de l'Europe , foit dans les fciences foit dans les armes. Environ l'an iffo. la Corfe fe ranima fous la conduite d'un Héros qui s'éleva pour la délivrance de fa patrie : Ce fut Sampiero di Bajielica. Il montra de bonne heure de rares talens & beaucoup d'efprit, & eut l'avantage d'être élevé dans la maifon du Cardinal Hyp~ polit e de Médias , neveu du Pape C7 cette téméraire rébellion , comme ils l'appellaient, & toujours en crainte de quelque nouvelle tentative , ils ne penférent qu'à la vengeance , & à rabaiflet toujours plus ce peuple par l'ignorance & par fefclavage. Leur opprefilon fut dès lors plus dure s'il était poinble qu'auparavant. Enflammés d'un plus vif reffentiment, leur tyrannie même devint en quelque forte régulièrement fyftématique. Oubliant abfolument tout ce qui avait été convenu fi équitablement par la médiation de la France , ils exercèrent fans mefure & fans contrainte tout ce que le pouvoir arbitraire a d'odieux. Dès lors ifs ne permirent plus aux Corfes de rien exporter des productions de l'Isle qu'à E f Gênes, où ils étaient forcés de vendre leurs denrées & leurs marchandifes à tin très bas prix. Et dans les années de dif:tte, on dépouillait lTsle des provi-fions qui lui étaient néceffaires , par une efpèce de pillage autorifé. Les habitans. étaient forcés de porter ce néceffaire à Gènes, en forte que fouvent la Corfe fut expofée par là aux horreurs de la famine. j Les Génois ne négligèrent rien de-tout ce qui était en leur pouvoir pour fomenter des dinentiens inteltines en Corfe -3 ce qui leur était d'autant plus aifé, que le peuple y était déjà naturellement porté. Ces diifentions firent verfer des torrens de fang. On compta qu'il "y avait péri plus de 1700. Corfes par des affafFmats dans Pefpace de deux ans. Ces affaiTmats étaient en premier Heu une caufe fùre de haine entre les Corfes , & à conclurre un Traité à fe fujet. Les Génois les envoyèrent en Corfe , où on leur montra un Diftrid de pays appartenant à l'Etat, fituc dans la partie occidentale de l'Isle, & à trois mille environ de la mer. Les Députés en furent très, fatisfaks , & à leur retour à Gènes, ils convinrent des conditions fous lefquelles ils le recevraient de la République. Ces Députés retournèrent en Grèce, où ayant fait rapport de leur commif-iion, le plan approuvé, ces trilles reftes des Anciens Grecs, tri fies r eh qui a Da-namtt, s'embarquèrent au mois d'Oéto- ii4 E t a f bre iô"76"j au nombre d'environ looo ames. La famille de Stephanopoli était l'une des plus diftinguées, & conduifait toute l'entreprife. Ils arrivèrent à Gènes au mois de Janvier 1677 , & y féjournérent jufques en Mars. La République paya tous les frais de leur voyage, & leur accorda le logement & la fubfiftance ju£ ques a ce qu'ils eiuîent débarqué en Corfe. La convention fuite avec eux' portait que les Génois leur accordaient les Territoires de Faonia , Ruvida & Saîogna y qui leur étaient infeudés à perpétuité. On les fournirait de maifons,. de grains, & de bétail. On s'engagea d'entretenir un corps de foldats Génois pour les protéger contre toute infulte pendant le terme d'une année ; favoir, la première de leur réiidence. L'Etat pen- donnait un Noble (Génois avec le titre de Directeur, qui ferait établi en qua-lité de Juge de la Colonie, pour le terme de deux ans j office qui devait cu> culer entre les Nobles Génois. Les Crecs devaient avoir un Vicaire aux fraix de la République , formé à leur langage , pour Vinftruction de leurs enfuis en différentes études : pour célébrer h Melfe , & Prêcher dans la Chapelle àvt Directeur, De leur côté , les Grecs s'obligeaient à cultiver les terres, à acquiter les dettes qu'ils avaient contractées auprès de la République , pour l'avance de tout ce qui était néceffaire à la formation de cet établiifement. Ils s'engageaient de payer 5. L de taxe annuelle pour chaque famille, outre la dixme de tout leur produit , & d'être prêts à fervir l'Etat par mer ou par terre , là où fon ferviee pourrait l'exiger. Ainfi s'établit cette Colonie j elle jouir-fait du libre exercice de fa Religion félon le Rite de l'Eglife Grecque, & avait amené pour cela avec elle l'Evèque de Porto Vitilo , & quelques Religieux de l'Ordre de St. Bazile , le feul Ordre de leur Eglife ; ceux-ci fondèrent d'abord un Couvent dans une vallée folitaire & agréable : mais les Génois ne voulurent pas les y fouifrir, & peu de tems après le Couvent fut démoli. Les Grecs fe trouvèrent beureux pendant un a(Tez grand nombre d'années ; par leur induftrie & leur activité, ils embellirent & bonifièrent colifidérable-ment ce terroir ; ils y bâtirent quantités de maifons , & firent le tout avec un goût qui était très nouveau en Corfe. Mais leurs voifins , les naturels du pays, ne vécurent pas en bonne har- nionie avec eux ; peut - être Penvic y eut quelque part i leurs vins, leurs olives , leurs moiflbns & leurs troupeaux , étant par leur travail & par leur ad relie de beaucoup fupérieurs à ceux des Cbr-fes : mais de plus , les Infulaires regardaient les Grecs comme Auxiliaires des Génois, auxquels ils juraient de tems en tems fidélité , & qu'ils paraiffaient toujours prêts à foutenir. Ils lavaient aulli que les Grecs étaient très bien pourvus d'armes j & tout cela fit qu'il y eut de fréquentes efcarmouchcs en-tr'eux & les payfans de la Province de Vico , dont leur territoire avait fait partie précédemment. Lorfque la nation fe fouleva de nouveau contre les Génois, les Grecs furent férieufement attaqués, & fe défendirent valeureufement. Les Génois en formèrent trois Compagnies réglées , auxquelles ils donnaient une paye , & on les emploia dans les occluons les plus difficiles. Aiant été détachés pour tenter de fe faifir du Château de Corte, tenu par les patriotes , ils furent totalement défaits , & un grand nombre d'entr'eux y périt. Après bien des brouilleries que le plan de cet Ouvrage ne me permet pas xle rapporter, les Grecs furent contraints d'abandonner leurs poifefhons, & de fe retirer à Ajaccio, où ils fe foutiennent aiîez bien par leur travail. Convaincus, comme ils le font aujourd'hui de la ti-rannie des Génois, ils attendent avec impatience leur totale expulllon de l'Isle, & efpérent de la générofité de P a o l i & des Corfes la protection & les enecu-ragemens dont ils font très dignes. Cette Colonie a toujours marqué de la fobrieté, de Pinduftrie & de la vertu : ii elle a quelquefois commis des de la Corse. t19 actes d'hoflilité contre la nation , c c-. tait par un principe qu'on ne faurait condamner; par le motif de la fidélité qu'elle devait à la République, qui lui avait donné un azyle. Elle y aurait même confeamment perfévéré, fi la République ne l'avait enveloppée dans l'o, •Preilion générale. Je dois obfcrver fur cette Colonie qu'elle a eu l'honneur de produire un excellent Médecin , Mr. Gioy&fiji Stefanopoîi, le premier qui a eu la fageife & le génie de mettre en pratique l'inoculation dans l'Isle de Corfe , par laquelle il conferve la vie à un grand nombre d'habitans , ce qui efl un des fer vices les plus dif lingues qu'il eut pû rendre à l'Etat. Les Corfes longtems méprifés, pillés & opprimés, reprirent vigueur en 1729, tems auquel recommença la guerre qui [ avec quelques intcrvales ] a continué jufques à préfent. Après tant de révolutions, de malheurs & de troubles, il eft probable qu'enfin elle donnera à la liberté de ce peuple une bafe qui fera ferme & folide. Il eft furprenant de voir la grandeur & l'importance des événements que peuvent produire de petites caufes. Un Auteur Moderne ( m y nous a donné fur ce fujet un choix très intéreflant d'exemples pris de différentes nations. Le foulévement des Corfes en 1729, fut occafionné par un feul Paoîo , pièce de monnoye valant cinq fols d'Angleterre ( n ). Un Receveur Génois vint à la maifon d'une pauvre vieille femme, & lui demanda cette chétive finance à laquelle elle était taxée, elle répondit que fon ( m ) Mr. R i c h e r. ( n ) Fivc penco. dela C0JR.se. J2l fon extrême pauvreté, la mettait liors d'état d'y fatislaire : le Collecteur commença à la rudoyer, & à failir quelques uns de fes erfets. Elle le fupplia d'avoir patience dans l'efpérance qu'elle Pourrait s'acquiter dans peu de jours? ïl perfiita dans la dureté , & la pauvre femme fit de grandes lamentations. Deux ou trois perfonnes les entendirent, entrèrent dans la maifon, prirent le parti de la femme, & fe récrièrent contre la barbarie du Collecteur. Il les menaça de châtiment, pour l'avoir arrêté dans f exécution de fon orRce : tout cela attira d'autres villageois qui le chalférent à coup de pierres. Les Génois envoyèrent des troupes pour foutenir le Collecteur , & les Corfes s'aifemblérent en grand nombre pour fe défendre; le tumulte alla en croilfant. Une étincelle fuffifait pour allumer cette généreuiè Tome I. F flamme dans te cœur d'un peuple de tout tems patlîonné pour la liberté. Bientôt toute l'Isle fut en rumeur. Les Corfes tombèrent fans héfiter fur la Capitale, & s'en rendirent maîtres fans beaucoup de réfiftance \ ils l'auraient été de même du Château , pour peu qu'ils euflent été bien conduits, Ils fentirent alors combien il leur importait d'avoir à leur tète un Chef habile , & firent choix du Signor Andréa Ceccaldî , de la première No-blcife du Royaume , & le Siguor Luigi Giafferi, qui a la vérité n'était pas du premier rang , mais dont le parentage était nombreux ; génie d'ailleurs animé jufqu'à Penthoufiafme contre la République, & d'une réfolution à toute épreuve. A ceux-là fut joint le Signor DoMHico Raffalli, digne & favant Eccléfiaftique, comme Préfixent de Juftice, capable, par fa làgeC fe ., de maintenir le bon ordre dans leur adminiflration , & dont le caractère religieux pouvait tempérer la violence de leurs mépris par des principes de con£ cience. Dans le commencement de ces troubles , les Génois crûrent pouvoir fou-mettrc les Corfes par leurs feules forces , fans emprunter de fécours , mais fe trouvant bientôt abfolument incapables de le faire , vû que les Corfes fe fortifiaient de jour en jour . taillaient en pièces les petits renforts de troupes Génoifes, fe pourvoiaient d'armes & de munitions de guerre ; la République fe vit dans la néceffité de chercher une afiiftance dans l'Etranger. Gènes s'adreifa donc à l'Empereur Charles VI. qui envoia en Corfe F 2 X24 Etat des troupes auxiliaires , commandées par le Général ¥a chtendouck. Elles haranerent l'Isle, mais fans pou-voir la foumettre. Elles eurent de continuelles rencontres avec les Corfes, qui dans une feule action > en tuèrent 1200. L'Empereur fe détermina alors à y envoyer une armée plus confidéra-ble d'Allemands , aiant à fa tète le Prince de Wurtemberg. Les Corfes n'étant pas en état de réfifter à des forces fi fupérieures , mirent bas les armes, fous condition d'un Traité, avec les Génois, dont l'Empereur fe rendit garant. La République y aiant accédé , les Corfes confentirent à ce que les trois Chefs , avec le Signor A I t e L L i , Chef d'une Piévc, & d'une grande influence , fe rendirent comme Otages 'à Cènes , où ils fe rendirent en effet * fans prcTumer qu'il fut poiEible que l'oit peufat à violer la fureté qui leur avait hé G folemnellement promife. Les Liguriens cependant penchaient à les mettre à mort, & leur Miniftre à Vienne en obtint prefque le confentement de l'Empereur: mais le Prince de Wirtent*-berg, qui fut dans la fuite tué à la bataille de Gnajiatta , Prince d'un grand & généreux caractère , envoya un exprès à l'Empereur, pour lui repréfen-ter combien il ferait de tort à fa gloire , s'il fouffrait qu'on fit périr des gens qui s'étaient remis d'eux mêmes fur la foi de fa facrée protection ; ce qui ayant été fortement appuyé par le grand Prince Eugène de Savoye , les in£ tructions furent données à Gènes pour que les Otages fuifent relâchés. Giaferi & Aiteili retournèrent donc eu Corfe j Ceccaldi pana en Efpagne,. F 3 126* Etat où il mourut avec rang de ColïoneL Rajfalli fe rendit à Rome , où il redit jufques à un âge fort avancé. Alors il fouhaita de finir fes jours dans fa patrie* où il vit encore très refpeété. Le Traité formellement conclu entre les Corfes & les Génois ayant été rompu par ces derniers , ne produilit qu'un court Armiftice, & les hoftilités recommencèrent en 1734. que les Corfes reprirent les armes. Giajferi fut de nouveau élu Général,. & eut pour Collègue Giacinto Paoli , père du Général actuel. Giacinto Paoli était un Gentilhomme Corfe, de très bonne famille : mais fon mérite le diftinguait beaucoup plus encore que fa nainance. C'était un homme favant, religieux & brave , capable de fervir très bien fa patrie dansJ.er/aiEiires politiques & dans de t a Corsé. 127 3a guerre. Ces Chefs étaient afhftés par divers Préfidens de Juilice qui furent elûs fueceflivement. Les Génois avaient payé cher leur3 avantages dans les premiers troubles. On alfurait qu'il leur en coûtait plus de 3 millions de Livres , outre les pré-fens magnifiques qu'ils avaient fait au Prince de Wirtemberg & aux autres Généraux. Le M a r q.u 1 s d'A r g e n s appliquait pîaifamment aux Génois la Fable Françaife du Jardinier qui s'étant plaint " à un Gentilhomme de fon voilinage , qu'un lièvre venait chaque jour dans ion jardin & mangeait lès choux, priant le Gentilhomme d'avoir la complaifan-ce de venir l'en délivrer ; le Seigneur y vint avec une groife meute, & une demi douzaine de Chafleurs , avec le£ quels il fit plus de dégât dans quelques F 4 minutes , que le lièvre n'aurait pû ci faire dans autant d'années ; encore ar-riva-t-il par malheur, qu'après une chaf-fe pénible , le lièvre échappa par un trou &• gagna les champs. Le Seigneur félicita le Jardinier d'être délivré de fon ennmii , & lui confeilla de bail* chérie trou (o). A in fi les Génois après nvoir beaucoup plus dépenfé en troupes auxiliaires , qu'ils ne pouvaient jamais tirer de la Corfe , eurent la mortification de fe trouver au même point où ils étaient avant le f33jurs. Gènes fut donc dans le cas d'enayer de nouveau fes forces contre les Corfes s mais elle ne £t que montrer encore la faiblcne & celle de fa politique. Elle déchût extrêmement par là de l'heureux état dont elle avait joui , &' de (o) Lettres Juives, Lettre 34. Voyés La Fontaine Liv. IV. Fable 4. rinfluence qu'elle avait autrefois portée fi loin : mais il faut l'avouer ; Gènes était miférablement gouvernée. On af. fure que la ville de Savone s'étant à di-verfes fois rebellée , le Sénat avait délibéré , s'il ne devrait pas la détruire abfoiument ? Surquoi un fage Sénateur de la Maifon Doria fe leva & dit, " Sei-„ gneurs , fi c'eft là votre intention, „ vous n'avez qu'à leur envoyer un „ Gouverneur , pareil aux deux der-„ niers ; vous ne fauriez trouver d'ex-« pédient plus fur pour les écrafer. Dans cette occafion, les Corfes déployèrent comme auparavant toute la' conftanec de leur réfolution pour la belle caufe de la liberté. Ils étaient très bien conduits , & remportèrent fouvent l'avantage dans les di verfes rencontres qu'ils eurent avec les Génois. Leur noble enthoufiafme fe foutint F ï toujours malgré les malheureufes divi-fions qui régnaient entr'eux, toujours prêts à repouffer l'ennemi, & formant partout dans l'Isle des bandes intrépides , animées par l'exemple de leurs braves Chefs. Je dois faire mention ici du Comte Doménico Rivarola. Sa famille était une branche de la maifon des Rojjï de Parme ; une des plus illuftres & des plus anciennes de l'Italie. Ses ancêtres avaient abandonné le Fief de Rivarola dans le. territoire de Mantouë , durant les guerres entre l'Empereur & la Comteiîë Ma-thilde > & s'étaient établis dans l'Etat de Gènes , où ils quittèrent le nom de Rofîi , pour celui de Rivarola. Cette famille s'y était eonlidérablement ag-grandie. Dans le XV. fiécle, Francis Rivarola fut élevé, à raifon de fes longs, fervices, à la dignité de Comte Palatin » de la Corse. par VEmpereur Maximilien ; & dès lors ce titre eft toujours relié dans la famille. Divers defcendans de Rivarola s'établirent en Efpagne, en Sicile, & fous la domination du Roi de Sardai-gne ; trois fe fixèrent en Corfe, l'un à Calvi , l'autre à Ajaccio , & un troi-fiéme à Baftia. De ce dernier dépendait le Comte Doménico Rivarola. Ce Gentilhomme avait les terres de Chiavéri, fur la rivière de Gènes ; con-fideré comme ami de la République , elle lui confia le pofte de Commiifaire de Balagna , honneur jflngulier pour un Corfe. Il travailla dans le même tems à mo-ienner un accord raifonnable entre les Corfes Se les Génois ; mais comme il fut fans effet, Se qu'il fe convainquit que la République était déterminée à F 6* perfévérer dans 'fa Tirannie , il embraiîa. le parti des patriotes ; & fut dès. lors toujours invariable dans fon zèle patriotique pour la grande caufe de la liberté. Il quitta l'Isle & fe tranfporta à Livourne', pour pouvoir y négocier avec plus d'aifimee , les intérêts de fa patrie dans le Continent. Les Génois confifquérent aufli - tôt fes terres de Chiavéri ; & comme il avait encore fes terres d'Oietta en Corfe, il y Et paner fa famille qu'il retira de Baftia : mais fa confiance fut bientôt mife à de nouvelles épreuves; car la même année, fon fils Antonio qui étudiait à l'Académie de Sienne, revenant à la maifon , pour y ramener Nicolas fon frère; Comme ils dépanaient Livourne dans un petit bâtiment To£ can, avec paffeport Anglais , ils furent enlevés par ordre de la Républiqu3, transférés à Gènes , & renfermés dans les prifons. La République crût que ce ferait un moyen fur de détourner le Comte Do-menico de continuer à s'unir avec fes compatriotes , & lui fit orfrir de le rétablir dans fes biens, de lui rendre fes fils , & de le faire Général des troupes Corfes qui étaient à fon fervice , s'il voulait y revenir : mais il répondit avec autant de rcfblution que de magnanimité ; Ou fera obligé de me rendre mes fis, malgré qu'on en ait ,* & quant aux autres offres qui me font faites, je les eftime comme un néant > en comparai-fon du jujle engagement dans lequel je fuis entré, £<> dans lequel je perfévére- tant que je vivrai ( 0 ). Des traits {p) I rnici fcjliuoli me li daranno à lor dif-petto : c tutte le altre offerte h Jiimo un 13+ Et a t pareils de patriotique méritent d'être rapportés ; les Annales de Corfe en four-niifent nombre d'exemples. Lorfque les troupes Autrichiennes entrèrent à Gènes , les jeunes Comtes Rivarola furent mis en liberté ; le Comte Antonio , qui eft l'ainé, & mon très bon ami, eft Major au fer vice du Roi de Sar-daigne & Conful Général pour S. M. eu Tofcane ; le Comte Nicolas eft à Oletta en Corfe : mais il eft d'une conftitution fi délicate qu'il ne peut fervir fa patrie comme il le délirerait. Ces deux frères ont le génie & le caractère de leur pére. Le Comte Domenico Rivarola obtint un Régiment au fervice de Sardaigne \ & fon influence à Turin eft telle qu'il nulla à paragont dal ghifio împtgnô ehe ha prefo y t cJic feguiterà fin chc ho vita, ' eut été en état de procurer la délivrance de fon pays, fans le crédit de la .Maifon de Matra en Corfe, qui était attachée à la République , & qui avait un grand intérêt à former dans l'Isle mi parti confidérable. Eans le tems dont je parle , on fai-fait la guerre en Corfe avec chaleur. Quelquefois on s'attendait que le Rci d'Efpagne fe déclarerait d'un ou d'autre côté : mais ce Prince ne voulait pas prendre parti à la querelle, & vraifem-bh-.blemeiit parce qu'il prévoiait qu'elle le mettrait en péril d'en avoir une avec la France. Tandis que les Génois & les Corfes étaient ardemment aux prifes, & que les politiques de l'Europe s'épuifaient en conjectures , il furvint une circonftan-ce extraordinaire qui étonna tout le public s ce fut l'apparition de Théo*- dore dont l'hiftoire finguliére a fait tant de bruit. Les relations qui ont couru fur fon compte aiant été fi diverfes & fi in-certaines, j'ai pris tous les foins pofîi-bles pour m'en inftruire, & j'ai eu beaucoup de peine a obtenir l'exacte con-naiffance que je vais en donner & qui j'efpére fera plaifir à mes lecteurs. Théodore Baron Neuhoff, dans la Comté de La Marck en Weftphalie, fut le perfonnage qui afpira à la Souveraineté de Corfe. Il avait reçu fon éducation au fervice de la France; il paffa de-là en Efpagne , où il reçut quelques marques d'attention du Duc de Riper da 8c du Cardinal AlberOni : mais étant d'un naturel extrêmement inconC tant & homme à projet, il quita l'EC pagne, & entreprit un voyage en Italie, «n Angleterre & en Hollande} cherchant toujours quelque nouvelle avanture» 11 avait fixé fou attention fur la Code, & forma le plan de s'en faire Roi. Il avait de 1 nabileté & de i'adreffe, & après s'être bien mis au fait de tout ce qui concernait cette Isle, il fe rendit à T'unis , où il découvrit des moyens de fe procurer des armes «Se de l'argent , & de là il vint à Livourne, d'où il écrivit une lettre aux chefs Corfes, Giajferi & Paoli, par laquelle il offrait à la nation des fecours confidérables , ii elle voulait l'élire pour fon Souverain. Cette lettre était adrcûee au Comte Domenico Rivarola, qui était employé comme Plénipotentiaire Corfe en Tofcane ; & qui répondit, que fi Théodore était en état de tenir ce qu'il promettait aux Corfes , ceux-ci l'éliraient volontiers pour leur Roi. Làdcffus fans perdre du tems, Théo- 138 Et aï dore mit à la voile , & aborda à Tavai pua , au printems de 1739. C'était un homme d'une riche taille & d'une figure' majeftucufe ; l'habit Turc qu'il portait ajoutait encore à la dignité de fon main-' tien. Il avait peu de fuite avec lui ; fes façons étaient fi engageantes , & fes oifrcs fi plaufibles , qu'il fut proclamé Roi de Corfe avant que les dépèches du Comte Rivarola fuffent arrivées, pour informer les Chefs des termes dans let quels il en était avec lui. Le Baron apportait environ mille Séquins de Tunis , outre quelques armes & munitions. Il fidfait de magnifiques promerfes d'une afliftance étrangère , enibrte que les Corfes , enchantés de cette perfpeclive, donnèrent aifément leur confiance à fes projets , d'autant plus qu'ils ne courraient pas grand rifque à lui donner le titre de Roi, pouvant toujours reftrain-dre fon autorités Théodore prit donc toutes les marques extérieures de fa dignité Roïale, il eut fes gardes & fes Officiers d'État. Il conférait des titres d'honneur, faillit battre monnoye d'argent & de cuivre ; très peu à la vérité de la première,* dont on aurait peine aujourd'hui à trouver des pièces. J'en ai une de cuivre, à fon coin, où on lit d'un côté T. (Théodore Roi) avec deux rameaux croi-fés, & autour cette infcription : Pro bo~ no fublico Re. Co. (pour le bien public du Royaume de Corfe). Au revers eft la marque de la valeur de la pièce, Cinquefoldi (cinq fols). On eut une telle curiofité dans toute l'Europe, que celle d'argent était achetée jufques à quatre Séquins la pièce. Et lorfque la monnoye réelle fut épuifée , on la contrefit à Naples, comme on faifait f antique; ceMe-ci fut encore vendue à 140 Et A T un très haut prix, & gardée foigneufe-ment dans les cabinets des curieux. Théodore s'occupa aufli-tôt à bloquer les places fortifiées des Génois , tantôt il formait un liège & tantôt un autre j ayant toujours un telefcope à la main , comme pour découvrir s'il n'appercevrait point en mer le fecours qu'il difait attendre à tous momens. Il ufait d'un autre artifice, qui était de faire de gros paquets , qui lui venaient fans celle du continent, & qu'il difait être de, divers Souverains de l'Europe , qui reconnais faient fon autorité , & qui le traitaient d'ami. Les Génois n'étaient pas peu conf-ternés de cette avanture inattendue ; ils publièrent un violent manifefte contre Théodore » qu'ils traitaient avec le plus grand mépris ; mais en même tems, ils montraient qu'ils en étaient vérito- blement allarmés. Théodore répliqua par un manifefte , avec tout le calme ce toute la dignité d'un Monarque, marquant beaucoup d'indifférence pour le traitement injurieux de la République, & parailîant très affermis dans l'efpc-rance de vaincre. Le Miniftrc Génois à Londres fit les plus fortes représentations contre les Corfes,; & le 24. Juillet 1736. la Reine régente de la Grande-Bretagne fit faire une proclamation folcmnelle par laquelle il était défendu à tous les fujets de S. Maj. de fournir aucune provilion ni afïiftançc aux mécontens de la Corfe, Théodore s'appercevant au" bout de huit mois de féjour dans l'Isle que le peuple commençait à fe refroidir à fon égard , & qu'il n'agilîait plus avec le même emprenement pour fes intérêts, fe détermina prudemment à s'en rctt- 14-2 Etat rcr pour quelque tems, & à tenter dans le continent une meilleure fortune. Dans ce deffein il laifla un plan d'adminiftra-tion qui devait être fuivi pendant foi> abfence, & quitta la Corfe au mois de Novembre. Il pana en Hollande , où il fut aflcz heureux pour trouver un grand crédit auprès de plufieurs riches négocians , & fur-tout auprès des Juifs qui lui confèrent de l'artillerie, des munitions & d'autres provifions pour une valeur très coniidérable , le tout fut embarqué fous la conduite d'un Supercargo. Avec cela il retourna en Corfe en 1739., & en arrivantîl fît mourir le Supercargo, pour éviter l'inconvénient des queftions qu'on pourrait lui faire. En ce tems là la France, comme on le verra dans la fuite, avait acquis un tel pouvoir dans l'Isle , que quoique Théodore fe fut rendu rccommandable par les fecours qu'il avait apportés pour la guerre , il n'ofa y avanturer fa perfonne j les Génois ayant mis fa tète à un très haut prix. Il préféra d'abandonner le trône , & de facriLer fes vues am-bitieufes à fa fureté i donnant par là un exemple du point de grandeur auquel peut parvenir un génie élevé & entre^ prenant ; car fi Théodore eut eu un peu plus de bonheur & de prudence , Se lui & fes defeendans cuiTent porté la couronne de Corfe, avec le titre glorieux de Libérateur de l'Isle. On a dit fouvent que Théodore était foutenu fecrettement par quelques Pui£ fan ces de l'Europe ; mais par tout ce que j'ai pu en apprendre, ce bruit n'avait aucun fondement. Il eft rare à la vérité qu'un (Impie Gentilhomme s'em-, Marque fur fon propre fond dans une 144 Etat ejitrcprife de cette nature -, mais, pour dire vrai, Théodore était un homme très fingulier , & il fut fi agité par le changement de fa fortune qu'il perdit le fentiment le plus ordinaire aux hommes, & ne vit plus les objets que comme un fou, un homme yvre ou en fièvre peut les voir. Il n'avait rien à perdre & tout à gagner, fon plan était d'amufer les Corfes par l'efpérance d'un fecours étranger, & par la force de cette efpé-rance , de les mener en avant. Ce projet eut pu reufiir , auquel cas il aurait pu, dire aux Corfes , que les étrangers n'auraient pas manqué de les aider s'il eut été néceflaire ; mais qu'ils s'étaient conduits de façon à n'avoir pas befoin de fecours : & s'il eut été heureux il n'eut peut-être pas eu de peine à en obtenir de quelques Puiiîances. Aujourd'hui les Corfes parlent d'une manière 'manière bien différente de Théodore : quelques uns d'eux qui avaient le plus de foi en fes beaux difeours, Pélevent jufques aux nues, pour faire honneur 3 leur propre jugement : D'autres qui le regardaient comme un impoffeur, & qui n'avaient point été fincérement de fon parti, le repréfentaient comme un Roi de halle ou de canaille ; mais les connaiffeurs, & les plus judicieux, le Général même , le voient dans un point de vue plus modéré ; ils avouent que c'était un grand fervice à rendre que de ranimer l'efprit de la nation, qui après plufieurs années d'une guelfe foutenue avec confiance, commençait à s'en lalfer , lorfque Théodore vint relever leur courage & rallumer le feu facré de la liberté. Ceux-là fentirent, à la vérité, l'cfi. pèce de ridicule que fon malheureux Tout. J, G 146" Etat fort répandait fur la nation i lorfqu'011 volait , leur Roi confiné dans les prir foris de Londres 5 comme l'était l'im. fortuné Théodore^ qui après avoir eprou-vé les \dcitlitudes les plus bizares de la fortune, & préféré de finir fes jour? dans notre Isle, qu'il envifageait comme un féjour libre , fe trouvait réduit à l'état miférable de prifonnier pour fes dettes. Mr. Horace Walfole sHntcrcflà génér reufement pour Théodore ; il répandit dans le public un mémoire, écrit avec beaucoup d'agrément & d'cfprit , pour folliciter une contribution en faveur du Monarque malheureux , qui devait être remife à Mr. Robert Dodsley , libraire, comme Seigneur Haut-Thréforier. Cette cottifution rendit une aiTés groife fomme, qui fervit q. le tirer de prifon. Mr. Walpolc u en main Pacte original par lequel Théodore donnait fon Royaume de Corfe en hypothèque à fes créanciers , fcélé du grand fceau de ce Royaume. Mr. Walpole me dit qu'il aVait eu la curiofité de voir le Roi Théodore ; à quel effet on était convenu qu'il fè rendrait chez une Dame de fa connaît, fiance ; mais foit que cela vint d'accablement ou d'orgueil, il n'ouvrit jamais la bouche. Je préfume qu'il était fi abbattu & fi chagrin de fa mauvaife fortune qu'il était dévenu fomhre & indifférent pour tout. Il mourut bientôt après fa fortie de prifon, & fut enféveli dans le cimetière de l'églife de Ste Aime de \v nfr-minfter, où on lui érigea un monument très fimple & fans ornement, fur lequel on lit cette infeription , dent on va lire le texte & l'explication. G z J48 £ T A T Near this place, is iuterred Théodore Kiug of Çorfica ; Who dieâ in this Parish; Dec, JI\ 1756". T- i\ Immeàiately after Leaving The King's bench prifon, By the benefit of the Atl of infolvency s in Confequeuce of wich , . Ue regifiered his Kingdom of Çorfica For the ufe of his Creditors. The Grave Great teacher, to a level brings, Heroes , and beggars, Galley-Slave, and Kings i But Théodore, this moral learrùd, ëer-dead : Fate pour'd its leffon on his living heady Bejiow'd a Kingdom, and denyé'd him bread. Prçs de cette place eft enféveli Théodore , Roi de Corfe, de la Corse. 149 Qui mourût dans cette paroiile le 1 i.Dec. ... , . . Kjtffi sbl '. Immédiatement après être forti des » prifons du banc du -Roi y Ear le bénéfice de l'acte d'infolvabilité i En çonféquence de quoi Il a affecté Ton Royaume do Gorfe.Tur les Regillres pour la fureté-de fes Créanciers.' -_; r;rbii riu n '■ ■ '■ ■ ■' t >-„ Le tombeau elr un grand maître ; „ il met au même niveau' les "Héros 'les mendians, les forçats de galère' « 35 les Rois. Mais "Théodore futinitruit 35 avant fâ mort de "cette importante 33 vérité. Le' Dêftin grava fes leçons A ' r ': rZ b tu'vtuwvàl -1 ^ ...îj.'). 33 iur fi tete encore vivante; il lui 33 donna un Royaume^ & bientôt après 3) il' lui rcfufà du pain. Rêverions aux affaires de lTslc. Les Génois impatiens de- réprimer la reber- G 3 15O E T A T' lion narrante, prirent en t>734. à leur foldc quelques SùnTés , ou Grifons T tjui étant accoutumés au fol raboteux de leur'patrie , furent jugés .propres à être employés d'ans* les montagnes de Corfe ; i mais^ces -foldats ne 'trouvèrent rkn inoins que'facile- de'pénétrer dans ces terrains montueux, ©ù les naturels du."pays falfaienf continuellement feu- fur eux, & avaient une infinité de rou- • n-jm ; ' ' : : '. ' v •. • tes fecrettes pour leur échapper. Ils vi-v. çoiàfl f-' r sn -;' -r--^ rent bientôt qu'ils avaient fait un mauvais marché , &, qu'ils donnaient trop de fang aux Génois pour leur argent. Gènes-eut alors recours ,aux moyens-défefperés de Marins- & de Sytta.. Elle fit publier l'impunité pour les ana(Iins< & les proferits de tout ordre & de toute-condition , qui voudraient combattre en Corfe pour la République.. Les voleurs. & -les aifalfins de Gènes ne fanaient pas pas une fi petite partie de fon peuple. Ces fcélerats vinrent en foule de tous les côtés , & Ton en forma douze compagnies , qui furent jointes aux Suiifes 6c aux Grifons. On croira fans peine qu'une troupe infâme & vénale de criminels abandonnés , ne pouvait être oppofée' avec fuc-cès à une armée de braves citoyens, qui dans la grande caufe de la liberté combattaient pour tout ce qu'ils avaient de plus cher. Mais la France qui a toujours eu l'œil fur cette Isle, commençait à appréhender que les Corfes ne s'affranchuTent tout à fait du joug de Gènes, auquel cas ils auraient formé un État libre,■ qui ferait ou protégé par jaloufie par d'autres puiffances de l'Europe, ou 1b foumettrait de lui-même à quelque grande nation. La France réfolut donc de G 4 les forcer à rentrer fous la domination des Génois , vu. que par des négociations foutenucs avec cette République s elle avait pris un tel afeendant fur elle, qu'elle était en état de lui preferire, lorf-qu'il lui plairait, ce qui convenait à fes intérêts. On £t donc un traité à Verfailies, par lequel S. Maj. Très-Chrètienne s'engageait à réduire les Corfes à l'obéinan-ce, & il fut conçu avec tant d'adrefle qu'il parât être fait à L'infante follicita-tion des Génois ; quoique dans la vérité , la République eut trop récemment éprouvé le danger d'appeller à fon fecours une grande PuùTance , pour fou-haiter de revenir à un tel expédient. Au mois de Mars 1738- le Comte de BoijJ:e:ix fut envoyé en Corfe avec un détachement de troupes Françaifes. Ce Général était un bon Oilicier, mais non pour une grande entrcprife. Il était appuyé dans cette expédition par Mr. de Contades-, depuis Maréchal de France, qui commandait l'armée Franqaife à la bataille de Minden. On débuta par di-verfes conférences avec les Chefs des Corfes Giajferi & Paoli, auxquels fut affocié Lnca di Ormmo , d'une branche collatérale de la grande maifon dont Sampiero di Bajlelica était le chef 3 mais Monficur de Boiifieux trouvant les Corfes peu difpofés à fe foumettre à leurs anciens oppreûeurs , rompit la négociation , & commença les hollilités. Le peuple de Corfe repréfenta à Sa Maj. Très-Chtèticmie par' 1111 mémoire des plus touchants, qui contenait avec beaucoup de détail l'énumération de fes anciens griefs, que comme ci - devant la France lui avait accordé fa protection, il elpérait encore qu'elle ne voudrait pas T^4 E' T a T les contraindre à s'abandonner à la Tu rannie la plus odieufe. A ce mémoire étaient joints quelques articles- tendans à un accomodement que ce peuple fou-mettait à la détermination du Roi. Ces articles- furent jugés trop fiers pour un peuple qui fe trouvait dkhs-; une telle fituation y. & la France donna fon approbation a ceux qui furent pré-fentes par. les. Génois ,. de forte qu'il ne pût en réiulter aucun accomodement,. Giajferi Si Paoli publièrent un Manifefte très animé qu'ils répandirent parmi leurs compatriotes-,,, en le concluant par la généreufe réfolution de Judas Mac-cabée > Il vaut mieux que nous mouvions en bataille y que de voir les maux de notre nation (qf- Mr. de Boijjieux.&t beaucoup de mal aux Corfes ; car quoique fes opérations, ( q J V. Maccabc'c , Chap. III. y. 59. fuffent lentes , elles furent très bien conduites : il eut même recours à une rufe qui lui réulîit } ce fut d'habiller une partie de fes trouppes précifément comme celles du pays ; & par ce ftrata-gème , il en détruifit une multitude , & jetta la plus grande confufion & le plus grand défordre parmi les Corfes j d'autant plus que jufques à ce que les' partis. , qui paraiifaient dans les bois ou fur les montagnes , fuffent près les uns des autres, ils ne pouvaient être fûrs s'ils étaient amis ou ennemis. Cependant on envoiait de nouvelles troup-pe» de France ; mais les vaifieaux de tranf-port ayant été pris d'une violente tourmente, plufieurs furent jettes & brifés fur les côtes de Corfe. Les patriotes firent beaucoup de foldats prifonniers, & fe faifirent de leurs armes. Mr. de Boiffieux ne vécut pas affés pour voir G 6 156" Etat le fuccès de fes'opérations. Il tomba malade à Baftia, où il mourut en Fé-vrir 1739. Les Génois enflés des fuccès de la France contre les Corfes , publièrent un long Mémoire dont le début était véritablement comique. " La douceur & M la modération avec laquelle la Répu-„ blique gouverne fes peuples elt fi „ bien connue de tout le monde , de ,y même que la bonté & l'affection avec w laquelle elle a toujours regardé les ,y Corfes, que &c. " Ils crûrent réellement que ce jargon pourait paffer en Europe , comme fi c'eut été une véri té (r). Les Corfes de leur côté, foutenus par la bonté de leur caufe , demeuraient inébranlables, fans vouloir fe prêter à rien : mais les ennemis avaient une telle (r) Jaussin Tom. I. p. fupériorité de forces qu'il était imposable de leur ré il (1er. En Mars 1739, la France envoya en Corfe le Marquis de Maillehois , propre à tous égards pour une telle expédition, Olficier d'une grande intelligence, & d'une activité peu commune. Il vit que les Corfes n'avaient fait pour ainlî dire, que fe jouer avec Gènes i que même les Français n'avaient pas agi con-tr'eux avec affez de vigueur : il en conclut qu'il était nécciîaire de frapper un coup capable de faire une grande im-preilion fur ces vaillans Infulaires , accoutumés depuis il longtcms aux fcènes fanglantes. Son Maitre lui aiant commis la charge de dompter ce peuple, il rélùiut férieufement de l'exécuter. Tout fut préparé pour cette eutre-prife , pour laquelle il avait à fes ordres 16* Bataillons des meilleures troup- t<)8 Etat pes de France , outre quelques arque-bufiers, & des Béarnais experts à grimper les monts. Ajant formé deux grands corps , & divers petits détachemens , tous com-plettement fournis de munitions & de tout le néceflaire , il pénétra dans l'intérieur du pays le plus reculé , pendant que fes grenadiers conduifaient du gros canon au travers des paflages les plus difficiles. Il fit couper par tout les grains, l'es vignes & les oliviers, mit en feu tous les villages, & fema la terreur & la défolation dans tous- les quartiers. IL fit pendre nombre de Moines & autres qui avaient été les plus échauffés pour la révolte, & fit publier en même tems -, partout où il paffa, en termes précis, la Capitulation qu'il leur offrait, & qui était véritablement le meilleur parti à prendre au milieu d'une telle deftruc- de la- Corse. rfgp tioli. En mettant à part le peu de gé-nérofité d'un procédé femblable, dans une caufe pareille , on ne peut qb admirer l'habileté- martiale de Mr.. de Maillebois. Nous avons vu que Théodore n'ola 'pas débarquer dans l'Isle ; le fecours qu'il lai/Ta ne pouvait être d'un grand ehet. Une boucherie fi terrible, & à laquelle on n'était point préparé, jointe aux menaces d'une vengeance plus terrible encore, de la part d'une nation auiîi formidable pour eux que la France , obligea les Corfes à rendre les armes a la Efl de la campagne de 1739, qui hit des plus chaudes. Sur ces armes, il s'en trouva un millier à la marque des Génois ; la République les reclama, Si cette circonftance leur fit peu d'honneur. Les Généraux Giafferi & Paoli quittèrent l'Isle, & fe retirèrent à Na- i6*o Etat pies -, où ils furent tous deux faits Col-lonels , grade dont ils jouirent jufqu'à leur mort. 4 Il reliait toujours quelques patriotes enthoutiaftes, qui fe cachaient dans les parties les plus fauvages de l'Isle ; nvaiâ tous furent réduits avant la fin de l'année 1740, de même qu'un petit parti de déterminés conduit par le jeune Baron de Neuhof, neveu de Théodore , .qui échappa lougtems à toutes les diligences du Commandant Français. Il fe rendit enfin , à condition que lui & fes partifans feraient débarqués en toute lïireté fur le Continent, ce qui fut fi-dellement exécuté. De cette façon, la Corfe fut entièrement conquife par les armes de la France i ce dont les Génois parurent aufli glorieux, que fi elle l'eut été par leurs exploits. Ils firent des propositions à b ê la Corse. igt Mr. de Maillcbois tendant à maintenir l'Isle dans un perpétuel repos. Ces pro-poiitions ont été confervées par Mr. JauJJïn (j), & elles font telles qu'un Etat devrait en être confus. Entre plu-licurs articles barbares , il y en a un entr'autres, où Ton propofait de tranf. porter une partie confidérablc des habi-tans , de les remettre au Roi de France , pour en peupler fes Colonies les plus éloignées. Pouvait - on imaginer des mefures plus dures & plus abfurdes que celle-là ? Jauflin eft déterminé par-tifan de Gènes ; Dans la totalité de fes deux volumes , il ne lauTe pas cchaper une étincelle de goût pour la liberté, & ne parait pas être entré le moins du monde dans les motifs qui avaient porté les Corfes à combattre ardemment pour elle: cependant en raportant cette pro- (O Javssin. Tom. I. p. 4<58- , 162 E t À f pafition , il ne peut s'empêcher de dirév „ Il femblait par là qu'ils auraient été g contens d'être Souverains des feuls fj rochers de Corfe fans fujets ( t}. La France fe trouvant occupée d'ofo jets plus importans que la Corfe, ou que les intérêts des Génois , ne donna pas longtems fon attention au fort de cette Isle. Toute l'Europe était alors ■en fermentation , de forte qu'elle jugea convenable de retirer les troupes qui étaient en Coriè. Elles la quittèrent à la fin de 1741, la laiffant parfaitement foumijfe & tranquille : c'était à peu près dans le fens que le difait des Romanis l'ancien Chef des Ecoffais nommé GaL gacus dans fon Difcours fur la monta-r gne de Grampian, Ils difent qu'ils don-* {t) Ibid. p. 48I-.. de l a C O * s Ê. 165 A? ^rtix /? 7W pfljtf , quand ils enfoui une folitude ( u ). Les Français connaîtraient trop bien les Corfes, pour croire qu'ils fe fournirent aux Génois , lorfqu'on les laif-ferait à eux mêmes. L'événement le juf-tifia i car à peine les Français furent partis , que les Corfes fe remirent en mouvement avec autant de vivacité que jamais. Plufieurs de leurs compatriotes qui étaient établis en diverfes villes de l'Italie , fe fournirent d'armes > & comme ils l'avaient fait précédemment, ils en prirent une grande quantité des Génois. Tel qu'un arc puiiîant qui aiant été longtems débandé, reprend tout fon reffort, les Corfes longtems opprimés parurent fe relever avec une nouvelle ( u ) Ubi folitudînem faciunt, paeem ap^ Reliant. T a c i t. de vit. agric Cap, jo.. vigueur. Hommcs,femmes & enfans Semblaient prendre les mêmes engagemens ; de très jeunes garçons allaient en campagne , & même quelques unes de leurs femmes, comme celles de Sparte , montrèrent leur valeur dans les combats. Plufieurs de leurs Religieux s'armèrent, Se comme fi une infpiration générale les eut animés , tous avaient la même ardeur contre le Tiran. Gajfori Se Matra obtinrent alors le Gouvernement de Corfe, fous le titre de Protecteurs du Royaume. Garfori était un homme dont les talens étaient diftingués : fon Eloquence était remarquable , Se les Corfes parlent toujours avec admiration des harangues qu'il leur adreflait. Il apprit un jour qu'une bande d'aflaffins était, venue, & fe préparait à le tuer. Il fortit Se alla à leur reu- de la Corse. i6"f contre avec une férénité & une dignité qui les étonna. Il les pria feulement de l'écouter un moment, & leur rit une peinture fi pathétique des malheurs de la Corfe ; il leur infpira même une telle indignation eontre les opreifeurs , que les afTaflins fe jettérent à fes pieds, lui demandèrent pardon , «Se fe rangèrent à l'inftant fous fa bannière. Les Génois étant en poflefiion du Château de Corte , ils y étaient très vivement afïïégés par les Corfes , commandés par GarFori. Par une étrange méprife, il arriva que la nourrice qui prenait foin du fils ainé de Gaifori s'égara en fe promenant, à une petite di£ tance du camp. Les Génois l'appercu-rent & firent une fortie fubite, fe faifi-fent de la nourrice & de l'enfant qu'ils emmenèrent dans le Château. Le Général montra avec beaucoup de décence l'intérêt qu'il prenait à cet accident; qui excita un murmure dans toute l'armée. Les Génois crurent pouvoir être maîtres des Conditions, ayant entre les mains un gage qui lui était fi précieux. Lorfqu'il avança pour faire jouer fon artillerie, ils élevèrent fon fils en l'air, précifément au deffus de la partie du Château contre laquelle le canon portait ; les Corfes s'arrêtèrent & parlaient de le retirer : mais Gaffori, qui avec la réfolution d'un Romain, fe mit à leur tète, ordonna de continuer le feti. Heu-reufement fa fermeté ne fut pas punie par la perte de fon fils qui échapa au danger. J'ai le plaifir de connaître ce jeune Gentilhomme , qui a hérité la place de fon père, & de qui je tiens cette hiftoire , d'ailleurs très connue a qui lui fait autant d'honneur ; je la tiens même de gens qui l'ateftaient fans y avoir le moindre intérêt. Matra, l'autre Général ou Protecteur, paît toujours fufpecl; comme s'il eut favorifé fecrettement les vues des Génois , & qu'il eut été plutôt un fauteur 4e divifions qu'un patron de la liberté. Il eft fur que le grand malheur des Corfes était leur peu d'union , ce qui était caufe que les animolîtés particulières attiraient beaucoup leur attention, & détournait leur zèle des intérêts de-la grande caufe. En 1745. le Comte Dommico Rivarola arriva à Baftia, avec quelques vaiifeaux de guerre Anglais. La Grande-Bretagne avait fait défenfe à fes fujets de donner aucune alhftance aux Corfes ; m:iis par une fuite des variations affez ordinaires aufyftêmc politique, elle consentit à envoyer quelques vaiifeaux contre les Génois; non comme d'elle-mè-me , majs pour complaire au Roi de 16*8 Etat Sardaigne, qui avait pris extrêmement à cœur la caufe des Corfes. Ces vai£ féaux bombardèrent Baftia & San Fio-renzo , & ces deux places leur furent remifcs. Jamais la valeur Anglaifc , ni le grand fcrvice que nous leur rendîmes ne feront oubliés par ces braves Infulaires. Le Comte de Rivarola fut proclamé Générali'fime du Royaume. Garfori & Matra n'étaient pas préfens à cette élection , & mirent tout en œuvre pour s'y oppofer. Ce ne fut plus que des animofitcs cruelles & des dirfentions , & i les Anglais en partirent avec l'idée que ce peuple était encore à demi barbare,. Les informations que nous avons pu prendre & donner à cet égard n'ont pas fuffi pour détruire ces fâcheufes impreffions qui continuent encore , & n'ont eu que trop d'influence en Angleterre. Riva- Rivarola , GaiFori & Matra, ayant repris dans la fuite des fentimens plus modérés les uns pour les autres, les affaires en allèrent un peu mieux ; cependant les Génois ne furent pas longtems '4 recouvrer Baftia & San-Fiorenzo. En 1746'. les Corfes envoyèrent deux Députés avec des propofitions au Comte de Briftol, alors Ambaffadeur de Sa Maj. Britannique à la Cour de Turin. L'intention de ce projet était que la Corfe fe mit entièrement & par fon propre choix fous la protection de la Grande-Bretagne. Les Députés attendirent à Turin jufqu'à ce que Mylord Briftol eut reçu réponfe du Miniftère de Londres, qui leur en fit témoigner fon contentement, efpérant que les Corfes conferveraient les mêmes difpofi-tious ; mais ajoutant que ce n'était pas alors le tems d'en venir à un traité, Tom, I, H Le Comte Domenico Rivarola jugeant qu'il pourrait être d'une plus grande utilité à fa patrie en s'en éloignant, retourna à Turin , où il entretint conf-tamment les gracieufes intentions de Sa Maj. le Roi de Sardaigne pour la Corfe. IL mourut en Avril 1748- avec.rang de Collonel, laiflant après lui la réputation d'honnête homme & de zélé patriote. La même année & le même mois , le vaiflcau Anglais, le Naflau, comman-dé par le Capitaine Holcomb , avec quelques batimens de tranfport, débarquèrent en Corfe deux battaillons, un des troupes du Roi de Sardaigne, & un de celles d'Autriche , pour donner fecours aux Corfes j mais la paix générale s'é-tant conclue à Aix la Chapelle , les États étrangers ne purent plus s'en mêler, & dès là les Corfes & les Génois furpnt laiiTés à eux-n}èmes. Mylord Hailes a dans fa belle collection de manufcripts luftoriques , deux pièces relatives à la Corfe , l'une eft intitulée Information de PEtat dans lequel fe trouve la Corfe, & de ce qiCilfaudrait pour la délivrer de Vefclavage du Gouvernement Génois , traduit de l'Italien du Comte Domenico Rivarola. L'autre eft une relation de l'état de la Cor- ♦ fe , en original Italien , faite par un homme qui parait très inftruit fur ce fujet. Ces deux ouvrages prouvent également les avantages que tirerait une Puiifancc maritime de l'alliance avec la Corfe. Ils furent communiqués par Mr. Carret de Gorrégne au Général ÎVtntword , Ambafladeur de la Grande-Bretagne à Turin ; 8c je crois qu'ils ont beaucoup contribué à difpofer le Roi de Sardaigne & la Cour d'Angleterre en laveur des Corfes. II Z Matra entra au fer vice de Piémont vers la fin de l'an 1748. laiflant Gaffo-ri feul Général de l'Isle. La guerre & les ades d'une valeur intrépide continuèrent jufques en 1753. que Garfori fut affafliné de la main d'un meurtrier entretenu par la République. C'eft du moins mi fait certain que quelques uns de ces fcélérats ont toujours une chétive penfion pour vivre dans l'Etat de Gènes. On voit un pillier d'infamie érige à Corte fur la place où était la maifon du principal adeur de cette fan-glante trahifon. Cette maifon fut brûlée & rafçe jufqu'aux fondemens. Les Corfes différent beaucoup entr*-eux dans leur façon de parler de Gaf-fori félon leurs liaifons de famille , ou la palfion du parti auquel ils font attachés. Quelques uns deux ont crû qu'il çtait trop rempli, d'amour propre * DE LA C Ô R S E. ï-r^ ce de Vues intcreflces , qui le portaient à former des plans indignes, de réconciliation avec Gènes ; mais outre la répugnance qu'aura toujours une ame gé-néreufe à donner créance à d'injurieux rapports , à la charge d'un Héros j qui a donné les preuves que j'ai rapportées, de fa grandeur d'ame 5 ■ tout ce que j'ai ouï dire de Gaifori aux perfonnes les plus impartiales, joint à la vénération que la plupart de fes compatriotes ont encore pour fa mémoire , me perfiuv dent la réalité de fes vertus. L'admiiûflration de l'Isle fut fi bien établie par le Général Gaifori que la Corfe fut en état de fe foutenir pendant deux ans » fans avoir de Chef; & pendant ce tems là la guerre continua avec diiférens fuccès. Les patriotes cependant n'avaient pas prêté le ferment folcmnel de fe jetter plu-H 3 tôt dans les flammes, à l'exemple de* Sagontins, que de fe foumettre à la République. Ce ferment conçu en termes il violents & il énergiques , reflent aifez le ftile des Corfes; mais il eft exagéré : le bruit cependant en a couru dans toute l'Europe , & a été requ généralement comme indubitable. Le Docteur Smoïïet qui a montré fa généreufe-chaleur en faveur des Corfes, a donné au formulaire de ce ferment une place dans fon hiftoire ; mais Paoli (x) m'a aiiuré que c'était une fiction. Je viens préfentement à un événement remarquable dans les annales de Corfes ; un événement qui fait une époque d'où la gloire & le bonheur de l'Isle doivent principalement être datées. C'eft, félon moi, l'élection de PafcalPaoli (y) (.v) Smoll. hift. vol. 16. p. 384. Son nom en Italien eft Pafcale en qualité de Général de Ylsle, Pascal Paoli était le fécond fils de l'ancien Chef Giacinto Paoli. Il fut élevé avec beaucoup de foin par fon pere, qui forma fon goût aux lettres ik le lui infpira avec les plus nobles & les plus vertueux fentimens. Il naquit en Corfe , où il lejourna aflez pour contracter un amour tendre pour fa pa- Paoli. J'écris Pafcal , comme plus agréable à l'oreille. J'ai évité de lui donner aucun titre ; C'eft une idée que je dois à My-lord Huila, lorfque je lui demandai i'i je devais l'appeller Paoli, Signor ou General ; la réponfs fut , Signor vaudroit mieux que Général, mais Paoli eft préférable à l'un & à l'autre. Vous ne diriez pas ; le Roi Alex-andre , mais Alexandre de Maccdoine : un titre n'ajouterait rien à la dignité de Judas Maccabc'c. H 4 i>j6 Etat trie, & pour fentir vivement Poppicf. /ion fous laquelle elle gémiflait. Lorfque fes compatriotes furent totalement écrafés par le Marquis de Maille-bois ; Hyacinthe Paoli emmena le jeune Paoli à Naples , où il eut les avantages que donnait l'Académie , une] com-miifion d'Officier à ce fervicc, & la fréquentation de la Cour. Il y vécut iz ou 13 ans, cultivant les riches taîens que la Nature lui avait donnés , & jettant les fondemens du grand deffein qu'il avait formé de bonne heure pour la délivrance de fa patrie.' Sa réputation devint fi grande parmi les Corfes , qu'il rec;ut les plus prenantes invitations à fe rendre chez eux pour les commander. Il s'embarqua enfin dans cette glorieufe entreprife, animé par la plus généreufe ambition » fans être en aucune façon intimidé par la confidcration des dangers, des travaux Se de l'incertitude de leur fuccès. Il y eut quelque chofe de particulier & de touchant dans ce qui fe pana lorsqu'il fe fépara de fon pere. Ce bon vieillard , dont les cheveux avaient blanchi fous le poids des foucis & des années, fe jetta fur fon col, Pembraiïà en lui donnant fa bénédiction, & d'une voix entrecoupée de fanglots , l'encouragea à fuivre la belle vocation dans laquelle il allait entrer. „ Mon fils [lui „ dit-il ] il eft très-poflible que je ne 55 vous reverrai plus ; mais' par la pen-„ fée je ferai toujours avec vous. Votre „ deffein eft grand & noble , & je ne „ doute point que Dieu n'y répande là „ bénédiction. Le peu qui me refte de vie „ je l'employerai pour votre caufe, en ,3 offrant au Ciel mes prières Se mes „ fupplications pour votre confiervation H S „ & votre profpérité.. Après l'avoir dé „ nouveau embraffé, il partit. PafealP a o l i ne parut pas plutôt dans; l'Isle qu'il attira l'attention de tout le peuple. Son port, fes manières, prévinrent aufli-tôt. en fa faveur, & fon jugement fupérieur joint à fon efprit patriotique lui faifant déployer toute la force de fon éloquence, charma tous fes auditeurs tout cela relevé par fa condefcendan— ce, fon affabilité & la modeffie lui gagna abfolument tous les cœurs; La route au fuprème commandement lui était, ouverte,. & fes compatriotes l'y appelles rent par l'unanimité des fufïrages. On-publia à cette occalion. le Manifefte • fui vaut.. Le Confeil Suprême & Général du Roy au-* me de Corfe , au Corps bien-aimé de s la nation. Très Chers Peuple, et Co m patriotes, „ Les difeordes & les divifîons, qui „ avaient altéré la tranquillité publique „ & particulière de notre patrie, en „ faifant revivre les anciennes & per-„ Tonnelles inimitiés , entre ceux qui „ avaient le moins de crainte de Dieu, 5J & de zèle pour le bien public, ont „ obligé nos principaux Chefs à nous ,3 appel 1er à cette confulte générale pour j, délibérer fur les mefures les plus pref. » fautes & les plus efficaces à prendre ,3 pour opérer le rétabliffement de la j, commune union , en ftatuant les loix » les plus rigides , & leur exécution lai II 6' plus févére contre ceux qui oferaient M la troubler par leurs querelles panées „ ou par leurs difpolitions turbulentes. „ Les moyens qui nous ont paru „ après mûre réflexion, les plus pro-„ près & les plus efficaces pour parve-35 nir à cette fin défirable , ont été d'é-„ lire un Chef ceconomique , politique 3, & Général, rempli de lumières, pour j, commander avec plein pouvoir dans ,3 ce Royaume ; excepté lorfqu'il y au-,3 rait lieu de confulter fur des matié-„ rcs d'Etat importantes , que le dit „ Chef ne pourait traiter fans le con-33 cours du peuple ou de les repréfen-33 tans refpectifs. „ Dans cette vue nous avons élu , „ d'une commune voix , Pascal Paoli 3, que fes vertus Si fon habileté en ren~ „ dent digne. ' .33 Après cette unanime élection j faite „ par les Chefs du Confeil de guerre , j, les députés des Provinces, & les Re-„ préfentans refpe&ifs des Paroiffes con~ « venablement affemblés, ce Gentilhom-3, me a été invité par une lettre à ve-33 nir, & une Commiiîion nombreufe 3, des principaux membres de l'anem-„ blée ont été envoyés dans la. maifon ,3 pour lui marquer le défir que l'on „ avait qu'il acceptât cette charge , & 33 qu'il parût dans dite alfemblée pour y „ être reconnu comme notre Chef, & j, y prêter le ferment folemnel d'exer-„ cer cet office, dont-il a été revêtu , j, avec le plus grand zèle, l'affection & ,3 le défintéreffement convenable ; de ,3 même que pour recevoir le ferment s, de fidélité & d'obéiifancc des Gom-33 mimes. „ Surquoi ayant allégué diverfes raL i, fons contraires, il a montré beau- „ coup de répugnance à prendre fur lui une charge fi importante : mais ayant „ été informé de nos réfolutions & dé-,-5 terminations à cet égard, en cas d'op-,3 pofition ou de refus, il a été obligé ,3 d'y acquiefcer,- y étant comme forcé. 3^ En conféquence de quoi, ayant été „ conduit ici cette nuit, il a prêté & ,, requ les fermens fus-mentionnés. ,3 II prend donc le Gouvernement à 5) fa charge , affilié de deux Confeillers ,3 d'Etat, avec un élu des plus eftimés 35 de chaque Province < qui devra être 3> changé tous les mois: 33 Le 3. d'Août doit être fixé pour 33 une tournée générale tendante à pu-initiés auteurs de divers crimes, par-5> ticuliérement des meurtres derniére-35 ment commis en différens lieux. Cette ,5 tournée fera dirigée par le fusdit Gé-55 néral > avec les Députés, & le nonw n bre d'hommes armés- qu'ils jugeront: » à propos. „ Nous efpérons que ces réfohitions n & délibérations que nous avons pri-« fes, procureront une fatisfaction gé--55 nérale fur tout ce qui intéreffe le bien 53 public , & nous chargeons tous les s, Chefs & Commiflaires prépofés fur 3) les Paroiifes,- d'y concourir autant-;, qu'il fera en leur pouvoir, pour afc-„ fermir la tranquillité publique. Donné à St. Antonio de Cafa Bianca,> le 15. Juillet 1755. Quoique Paolt eut longtems mé--tiité fur l'importance de la charge qu'il': enibralfait, fa vue prochaine le frappa avec raifon. Ses vues étaient étendues,. &s réfolutions magnanimes, & cet of-^ lui parût plus important qu'à tuie perfonne moins pénétrante, & dont les plans euffent été plus bornés. Son héfitation & fa défiance, lorfqu'il fut appelle au commandement fuprè-me , n'eurent rien d'affe&é : Il en pefait les fuites, & ne pût qu'en être férieu-fement émû > car il ne pouvait prévoir avec certitude l'étonnante influence que fon Gouvernement pouvait avoir pour le bonheur de fa patrie : mais les re-préfentations qui lui furent faites furent fi graves, & en quelque forte fi pé-remptoires , qu'il fe crût lui-même tenu par devoir à accepter cette tâche difficile, Lorfqu'il eut approfondi l'état des af-faires de Corfe , il y trouva le plus grand défordre, & une affligeante con-fufion. 11 n'y avait ni fubordination , ni difeipline, ni argent, peu d'armes & de munitions ; & ce qui était pire encore que tout le refte 3 peu d'union î> e la Corse. rs> parmi fon peuple. Il commença d'abord par remédier à ces maux. Son art de perfuader & fon exemple eurent la plus grande force. Tous les ordres de l'Etat s'évertuèrent à fournir tout ce qui était néceflàire pour pouffer la guerre avec vigueur ; de forte qu'en très peu de tems, les Génois furent chaffés & réduits à fe retirer dans les recoins les plus reculés de l'Isle. Après avoir ainfi débufqué l'ennemi du cœur du pays, Paoli eut le loifir de vaquer à la partie Civile de fon admi-niftration. Il y découvrit des talens & une fermeté qu'on eut trouvé difficilement ailleurs. Il redrelfa une infinité d'abus qui s'étaient gliffés d'eux mêmes, dans les derniers tems de troubles. Il y modclla en quelque forte le nouveau régime fur les principes les plus tempe- t%é E t a t rés d'une faine Démocratie , qui avait toujours été fon idée favorite. Les Corfes ayant éprouvé depuis longtems des dénis d'une Juftice légale, s'étaient arrogé le droit de la vengeance privée , & en ufaieiit pour s'affaffiner les uns les autres à la plus légère oc-calion. Il trouva une- grande difficulté à étouffer cet abominable ufage , qui allait li loin, que félon le calcul commun , l'Etat perdait par là annuellement gco fujets. Cette maladie était devenue fî violente qu'elle femblait incurable. Cependant par de férieufes re-préfentations faites à propos, en expo-fant avec force combien cette pratique déteftable était ruineufe pour la caufe de la liberté , dans un tems où elle avait befoin de tous les fecours & de toutes les forces réunies, joint à l'exercice fédère de la Juitice Criminelle, Paolï perfuada peu à peu aux Corfes que le pouvoir de difpcnfer les peines n'appartenait qu'au fupérieur commun, & que fans l'obéiifance aux loix, & un fyftè-me régulier d'adminiftration , jamais ils ne poliraient faire tète à l'ennemi , ni même former un Etat , à parler exactement. Les mefures qu'il prit furent fi juftes & fi efficaces, qu'il paffa une loi qui déclarait capital tout afTafîinat pour quelque raifon , & fous quelque pré--textt que ce pût être. Les Corfes font naturellement humains , mais tels que les Italiens & les autres peuples du Sud, vifs & impétueux de leur naturel. C'eft certainement l'effet d'un climat chaud qui forme le tempérament ou le caractère des hommes, à un degré extraordinaire de fenfibilité ; quoiqu'affurément elle ait 4e grands avantages, Se puiffe en pro-r m £ t a * cmire de confidérables , en rendant le fentiment plus exquis > & toutes les affections de l'ame plus actives & plus fublimes, elle a en même tems le défa-vantage d'être fouvent une fource d'impatience , de pallions foudaines , & d'urt efprit de vengeance , qui met en feu la focieté. Paoli par fa conriainance profonde de la nature humaine, guidait les Corfes à la gloire 9 & tournait leurs dif-.politions impétueufes 6c leur paffion pour la vengeance au grand objet de la liberté & de la vengeance publique de la patrie. Ses fages inftitutions furent d'un il grand effet , que malgré les fréquentes pertes que fit la Corfe en maintes rencontres , la population s'a-crut en peu d'années de I6"ooo. Lorfque le fyftème du Gouvernement fut établi, & que le Générai eut rectifié quelques uns des plus grands abus , il s'appliqua à cultiver & à civilifer les niœurs des Corfes. C'était là une tâche délicate ; ils étaient nés dans l'anarchie , & leur vertu la plus conftamment pratiquée avait été la réfiitance. Tout cela demandait la plus grande circonfc pection, & le ménagement le plus délicat pour leur faire difccrner la diffé-'rence qu'il y a entre une gêne falutaire & une opprefîion tyrannique. Paoli n'était pas Monarque ; il n'était pas né pour les régler ; la nation n'était pas fon héritage, Ainfi il lui eut été inutile de fe propofer de les foumettre par la force, comme le Czar Pierre L l'avait fait à l'égard des Ruifes. Cette conduite n'eut pas été d'accord avec fes vues de former une Nation libre : Mais fuppofé qu'il y eut incliné, aifurément il n'y eut pas réuni. Lui-même était entière^ nient dépendant du peuple , élu par lui, lefponlable à ce peuple de fa conduite» Ce n'était pas une petite affaire de mettre un frein à ceux de qui il tenait fon Autorité : c'eft pourtant ce que Paolï «ut la gloire d'accomplir. Il le fit en préparant infenfiblement les Corfes à fouifrir dès loix, en cultivant leur raifon , & en les conduifant comme de concert avec ,eux, à défirer rétabliiTement de diverfes régies dont il leur fit fentir les grands avantages. Il fonda une Ùniverfité à Corte , & prit foin des enfans en fe donnant toutes les peines pofîibles, pour établir de bonnes écoles dans tous les villages du Royaume, Son dernier éfort fut d'engager les Corfes à s'adonner à l'agriculture, à s'appliquer au commerce & aux autres occupations de la vie civile. La guerre ^yait entièrement ruiné l'induftrie dans cette Isle. Elle avait donné aux Corfes un tel mépris pour les occupations de la paix 3 qu'ils ne jugeaient dignes de leur attention que les armes & les ex-ploits. Les grandes & valeureufes ac? tions que quelques uns d'eux avaient faites , leur donnaient à tous un certain orgueil qui dédaignait toutes les occupations inférieures & moins glo, rieufes. Des Héros ne pouvaient s'a* bailler à n'être que des payfans. Leur vertu n'était pas aufli parfaite que celle des Romains , qui revenaient d'une vk% toire ou d'un Triomphe au travail de la charue. Le pays était par là en danger de réf. ter entièrement inculte, comme le peuple était en péril de devenir une troupe indifciplinable de Bandits. Paoli en fentant la conféquence, chercha férieufement à s'en préferver. en portant par degrés les Corfes à en-vifager le travail avec moins d'averfion, autant du moins qu'il ferait néceifaire pour pourvoir par eux mêmes à leur fiibfiftance & à leur habillement, de même que pour faire un petit commerce du furplus de leurs befoins. Son administration fut à tous égards telle que d'un Etat déchiré par les factions , il en Et une nation folidement unie s de forte que fi la France n'y fut pas intervenue , les Héros Corfes auraient depuis longtems expulfé les Génois de Flsle, Les Corfes fentans leur propre importance , réfolurent de ne plus épargner les Génois par mer , comme ils l'avaient fait jufques là par indulgence pour les individus, dont ils déploraient la malheureufe fituation , qui les forçait à vivre fous un Gouvernement ty- ramiic-ue • rannique : mais voiant que les Génois attaquaient continuellement leurs vai£ féaux, & en faiiàient leur butin, il fut jugé que rien n'était plus jufte que d'u-fer de repréiàille. Ils obfervérent d'ailleurs en tout tems le reipect qu'ils devaient aux autres Pidlîànces maritimes. A cet effet, ils publièrent un Manifefte en 1760. (z). Ces vigoureux & rapides progrès de la nation Corfe firent faire de férieufes réflexions aux Génois , qui en 1761 , publièrent à leur tour un Manifefte en termes ménagés 3c infinuans, pour efi. iayer de porter lesGorfes à une foumiffion pacifique ( a ). Immédiatement après, il fut convo* que une affemblée générale dans l'Evè-ché de Cafinca, dans laquelle les plus ( 2 ) Appendix N'. I. ( a ) Appendix N'\ il. Tome I. I 194 Etat fortes réformions furent prifes de n'accepter jamais aucun accommodement* avec la République , que fous la con, dition qu'elle alfurcrait la liberté , & reconnaitrait findépendance de l'Isle de Corfe ( b ). Les Codes publièrent à ce fujet un Mémoire adreifé à toutes les Puiifances de l'Europe (c), en les conjurant par tous les droits de l'humanité d'interpo-fer leurs bons offices , pour procurer la paix à une nation qui avait fait de fi généreux eïforts pour le maintien de fa liberté. . Dans ces divers écrits , il règne une Eloquence mâle , un fentiment & une réfolution qui font beaucoup d'honneur à. ce peuple. Mais la politique de Verfailles ne ht (b) Appendix III. (ç) Appendix N\ IV. vorifait pas la caufe Génoife. La France avait été alternativement la verge & le bouclier des Génois. Paoli avait prefque achevé complettement fon grand projet d'affranchir de leur domination toutes les parties de lTsie, lorfquil fut conclu un Traité entre la France & la République , par lequel la première s'engageait à envoyer iix Bataillons de troupes en garnifon dans les villes fortifiées de Corfe, pendant le terme de quatre années. Dès que ce Tri ité fut répandu en Europe , tous les cœurs nobles & généreux en furent fincéremant affligés. Chacun crût que la France allait recommencer à porter le fer & le feu en Corfe , & fouffler fur les efpérances de ces braves Infulaircs. Mr. Roujfeau écrivit la delfus, avec fon énergie ordinaire, à fon ami & le mien , Mr. De leyre, I 2 (d) l'un des Auteurs de l'Encyclopédie, homme qui joint à la fcience & au génie, le cœur le plus fenfible & l'âme la plus généreufe. „ Il faut avouer ( dit - il ) que vos ,j Français font un peuple bien fervile, „ bien vendu à la tyrannie , bien cruel, & bien acharné fur les malheureux. „ S'ils Pavaient un homme libre à Pau-„ tre bout du monde , je crois qu'ils „ iraient pour le feul plaifir de l'extcr-„ miner. Cependant, ce n'était de la part de la France qu'une affaire de prudence & de politique. Elle devait aux Génois quelques millions de livres -, fes finances n'étaient pas en affez bon état pour qu'il lui convint de les payer : Mais les Minières de France ne négligent jamais f occafion de faire un Traité avau- ( d ) Son féionr était à Parme. tageux pour leur Monarque. Ils dirent aux Génois ; " Nous ne pouvons pour „ le préient vous livrer une telle fom->j me : mais nous confentons à vous 55 envoyer iix bataillons de troupes au-„ xiliaircs en Corfe, comme un fond 5, d'amortiffcment en acquit de notre dette". Les Génois qui fe rapellaient avec une barbare fatisfacuon, tout ce que la France avait fait ci-devant contre la Corfe, ne doutèrent point que il les Jbldats Français' rentraient dans l'Isle , ils n'y continuaflent les mêmes hollili-tés, & n'y cpmmùTent les mêmes dévaluations. Ils crûrent que la Fiance étant provoquée , une guerre fanglante en ferait la fuite ; que bientôt cette guerre .réduirait de nouveau les, Corfes dans l'efclavage, & ils furent enchantés de ce point de vue. Cependant, les Français prirent foin I 3 de ne s'engager qu'à ta défenlîve, eV.dè "borner le Traité à 4. ans, pour avoir le tems d'éteindre la dette. La France envoya les troupes ftipulées vers la fin-de l'aunée 176*4, & Mr. le Comte Je Marbxtif fut chargé de les commander: en Chef. Mr. deMarbceuf était un Général expérimenté & plein de modération. L'on ne faurait même douter que fes inftruc-tions ne portaffent de traiter doucement les Corfes. Sa comliûuion était uniquement de'prendre loin-que les "chofés-tvcmpirafîent pour les Génois, Se" qu'ils puiTent conferver- les places de Rajlia Sun Fïorenzo , Calvi, • Àlgagliotci Se A-jaccicy.^ - '- "'• « 1/1 : 1 ' - Les Corfes. mêmes fe c'onduiiirent dans cette occafion avec beaucoup de prudence. Ils tinrent un Confeil Général dont ils rendirent publiques les réfolu- i)é t a Corsé. ip9 fions ( e ). Ils y témoignaient ne fie point défier de la France, qui, à ce qu'ils préfumaient , ne commencerait point à commettre contre eux d'hofti-lités. Cependant pour plus grande fureté , il était ordonné que le Confcil de guerre , par ordre du Gouvernement, veillerait fur toutes les infractions que la France pourait avoir promis en fe-cret de faire. Ce Confeil était chargé par ordre exprès , d'obferver qu'il ne fut point permis aux troupes de France d'entrer fur le territoire de la nation ; que le Général garnirait la frontière d'une garde fufhfante ; que fi quelque Officier Français fouhaitait un païTeport , il pût le donner, mais fous l'obligation de rendre compte à la première anent-bléc Générale , de tous les paifeports ( e ) Appendix. N9. V. I 4 qu'il aurait expédiés , & des motifs pour lcfqucls il l'aurait fait , de même que de chaque Traité qu'il aurait conclu avec les Français. Que fur le raport qu'il pourait être fait quelques nouvelles propo fit ions de paix avec la République , elles feraient toutes rejettecs, fi au début elles n'accordaient à la nation , les Préliminaires réfolus dans l'af-femblée générale de Cafmca. Que le Général ferait des remontrances refpechieu-fes au nom de la nation à S. M. T. C. fur la perte conlidérable que caufait à leur Etat l'arrivée de fes troupes ; vil qu'en même tems qu'elle foulageait les Génois des grandes dépences qu'ils étaient obligés de faire pour pouffer la guerre, elle arrêtait les patriotes dans leurs progrès ■> & les empêchait de chaf-fer entièrement de l'Isle leurs ennemis. Que cette Remontrance pourait être plus éficace, il S. E. [ le Comte de Mar-bœuf] voulait bien en même tems employer fes bons offices , pour engager le Roi de France à préferver par fa Médiation gracieufe, les droits , les prérogatives , la îiberté & l'indépendance de la nation Corfe. Cette ailèmblée ajoutait , que comme jufques là chacun avait coupé librement des bois de conftruction dans les forêts de l'Isle , il ne ferait plus permis à l'avenir de le faire fans permhJion du Gouvernement. Ces réglemens étaient figes 8ç modérés. Sans donner ombrage aux Français , ils mettaient à couvert les patriotes des attaques fubites & infidieufes. L'article relatif à la coupe des bois de charpente était très effentiel pour empêcher les Français d'en faire tranfporter à Marfeilles & à Toulon , comme ils l'auraient fait probablement fims cet 1 f EcUt, qui confervait aux Corfes la rcf~ fource précieufe de ces bois de conftriic— tionr foit pour leur propre fervice, foit. pour celui de quelque Puiifance maritime ,. avec laquelle ils poliraient dans la fuite faire alliance. Les opérations de la guerre reliant ainfi fufpendues, Paoli fit fervir fa-gement ce tems de calme à préparer de nouvelles victoires , à perfectionner la: conftitution civile de fa patrie \ & à luh donner plus de ftabîlité ; en quoi il fit. feul ce que les fiécles n'avaient pu faire & donna un exemple illuftre de ce qu'on difait cFEpaminondas , qu'un feul" homme avait été d'une plus grande in*~ fluence que n'avait p Ci. l'être tout le corps: de la nation (/).. (/) Cor.nel. Ne p.. Vïl Èpamik~im fine CHAPITRE III. Etat préfent de la Corfe , relativement au Gouvernement > à la Religion 5 au Militaire , au Commerce 7 aux Sciences , an génie £5? au caractère de fes habitons. À Près avoir parcouru l'hiftoire des révolutions de l'Isle, qui a éprouvé tant de viciifitudes , il fera agréable de confidérer ce qu'ont produit fes efforts vigoureux pour la caufe de la liberté. C'eft donc avec un très grand plaiiir que je vais le préfenter à mes lecteurs, avec l'état préfent de la Corfè. Le Gouvernement de Corfe eft tel que je vais le décrire. Chaque Paéfe ou village élit à la pluralité des- fuflrages un Podeftà & deux autres Magiftrats, qui portent le nom refpectable de pères I 6 de la Communauté , Padri del Commua ne. Ces Magiftrats font choifis annuellement: mais ils peuvent être continués pendant plufieurs années dans leur office j & cela félon le bon plaitir de la Communauté : mais il faut que ce foit chaque année par une nouvelle élection. Le Podeflà peut feul juger les caufes de la Valeur de 10 livres j & avec les pères de la Communauté , il peut juger définitivement jufques à la valeur de 40 livres. Le Podellà efl le repréfentant du Gouvernement, & c'eft à lui que s'adreiTent tous les ordres du grand Con-feil. Les Pérès de la Communauté font les Intendans de recconomie & de la police du village. C'eft eux qui convoquent la Communauté du peuple , Se qui confultent avec lui fur tout ce qui regarde fes intérêts. Dans certains villages j les habitans joignent au Podeftà & aux Pères de la Communauté 12 hommes eftimés, gens de bien, en qui l'on peut fe confier, & auxquels ils délèguent leur pouvoir de régler les affaires de leur public. Ceux-ci font apellés Con-feillers, & iiégent comme Afieileurs avec les trois Magiftrats du village. Les noms de ces Magiftrats doivent être tranfmis, auïïï-tôt après leur élection , aux Magiftrats de la Province, qui ont le pouvoir de contredire ce choix, & d'ordonner une nouvelle Election : mais cela n'arrive jamais lorfque le peuple a été unanime. Quelquefois ils choifiifent un Podeftà & un Pere de la Communauté, & quelquefois plus ou moins de Con-feillers 5 ces irrégularités font permifes , félon le goût ou le caprice de divers villages, comme étant encore dans l'état d'enfance, vu que d'ailleurs ces di-verfités n'entrainent aucun inconvé- Î06* Ê T A Y nient, parce que le degré de pouvoir demeure toujours le même pour chaque office , fans égard au nombre, comme cela fe pratique dans les Etats de Hollande, où ceux qui députent deux ou trois repréfentans , n'ont qu'une voix à donner , comme ceux qui n'en députent qu'un feul. Dans quelques unes des villes confidérables, le Podeftà n'eft pas fubordonné au Magiftrat de Province , mais il eft confédéré comme ayant une autorité égale à telle de ee Magiftrat. Une fois l'an, tous les habitans de" chaque village s'aflemblent eux-mêmes, & choififlent un Procurateur pour les reprélenter dans le Confeil Général qui eft le Parlement de la nation & ( g ) Mr. Boswell apelle cette Âiïem-blée General - Confait a, que nous apellons Confeil Général,. de la Cors e. 207-que l'on convoque annuellement à Corte dans le mois de May. Ce Procurateur efl élu à la pluralité des voix ; il doit avoir un Brevet ou lettre de Créance atteftée par un Notaire public , & à fon arrivée à Corte, il préfente cet Acte au Grand Chancelier du Rfryaume qui fcnregitlre. Chaque Procurateur a de fa-. Communauté une livre par jour d'ap-pointement pour fon office, depuis fon; établilîemcnt jufqu'à fon retour. Ainfi. ce qu'on leur alloue eft très peu de cho-fe, mais doit être bientôt augmenté. Quelquefois les Procurateurs de tou< les villages d'une même Piéve choififfent un d'entr'eux qui va comme repréfen-tant de la Piéve entière , en évitatiorr de plus grands frais aux villages j mais e'eft un abus. Lorfqu'il doit fe traiter des matières importantes , le nombre des confultans- ferait trop petit 5 d'ail- leurs ferait - ce un objet que cette dé-penfe, en comparaifon de l'exercice du droit de fiinrage, lorfqu'il s'agit de faire des loix, ou de régler les affaires les plus importantes de fon pays ? Plus le nombre des voix efl; grand , plus l'afi. femblée approche des Comices & de la majefté du peuple Romain. Celle du Confeil-Général forme actuellement une nombreufe & refpeclable Afiembléc ; Car outre les Procurateurs ordinaires, il eft d'ufage d'appeller plufieurs de ceux qui ont été ci - devant membres du Confeil fuprème, outre plufieurs de ceux qui ont perdu leurs pères ou leurs plus proches parens au fer-vice de la patrie , afin, difent-ils , que le fang des Héros foit diftingué par les honneurs des emplois publics. Les Magiftrats de chaque Province délèguent ainli un Procurateur à l'A£ fcmblée générale ; & lorfque tous les Procurateurs font réunis à Corte , fous les yeux du Général & du Confeil d'État , il efl: recommandé aux Procurateurs de chaque Province de choifir deux d'en-tr'eux , qui avec le Procurateur de leurs Magiftrats procèdent à l'élection d'un Prélident & d'un Orateur du Confcil-Général. Conféquemmcnt les Procurateurs de chaque Province élifent fur leur nombre total , deux fujets qu'ils nomment de vive voix, s'ils font unanimes i & s'ils ne font pas unanimes, à la balote. Ces deux fujets , avec le Procurateur des Magiftrats de chaque Province, pa-raiucnt devant le Confeil fuprème, auquel chacun deux remet un billet cacheté , contenant le nom de celui qu'il eltimc devoir être Préfident ; ces billets font examinés pur le Suprême Confeil ; $10 ÉTAT les trois fujets qui ont le plus de billets* infcrits de leur nom, font fournis a la balotte \ après quoi celui qui a les deux tiers des voix eft fait Préfiderit. Un Procurateur peut inferire fur fon billet le nom d'un parent ou de celui qui lui a été le plus fortement recommandé ; mais à la balotte il peut voter librement pour la perfoftne qu'il en croit la plus digne > en forte qu'il arrive fouvent que celui des trois qui a eu le •moins de voix par les billets eft élu Pré--fident avec une grande fupériorité. Ce qui me parait être un autre abus ; car un Procurateur qui nomme v dans fon billet celui qu'il ne croit pas convenir ■à cette charge , court rifque de mettre en place un homme qu'il eitime moins j outre qu'il ne devrait pas fe laifler gagner par des confidérations de parenta-ge ou de récommendations. Les mem- bres du Suprême Confeil votent ainfi à la balotte pour le Président. L'Ora-teur efl élu exactement en la même forme. Le Préfident gouverne pendant la tenue du Confeil-Général. L'Orateur lit les différons papiers ou mémoires fur îefquels il y a lieu de délibérer. Les pro-pofitions du Gouvernement font adrek fées au Président ; & celles du peuple font remifcs à l'Orateur. Si la proportion du Gouvernement eft approuvée par Ta pluralité des furfrages, elle pane immédiatement en loi \ mais la propofi-tion du peuple, quoiqu'approuvée, peut être laiffée en fufpend par le Gouvernement fans en dire les raifons ; ce qu'il eft cependant indifpcnfablement tenu de faire à la prochaine Affemblée générale. Ce pouvoir de fufpendre fut extrêmement débatu dans le Parlement de Corfe. Le peuple s'y oppofait forte- ment, penfant qu'il ne devait pas avoir lieu dans un tel cas ; mais P a o li toujours prêt à éclairer fes compatriotes-, leur fit voir que dans l'état préfent des affaires , le Gouvernement pouvait avoir divers delfeins , qui n'étaient pas affez meuris pour être communiqués au public , & néanmoins eifentiellement avantageux à la nation ; en forte qu'il importait beaucoup que le Gouvernement eut le privilège de fufpendre l'effet, des propofitions qui pourraient traverfer des . vues d'une telle conféquence 5 outre que le Suprême Confeil, confidéré comme le Grand-Procurateur de la nation , & «en poffefÏÏon de fa plus mtime confiance , devait être fpécialement ouï > & que s'il penfait qu'une proposition fut d'une importance critique il pouvait bien lui être permis de la mettre de côté, jufqu'à ce qu'elle eut été examinée fous toutes fes faces par tous les membres de l'État i qu'enfin ce délai ne pouvait être d'aucune facheufe conféquence , vu que le peuple pourrait enfuite au bout d'un court période donner à fi propoiîtion la force de loi. i Les Procurateurs de chaque Province s'alfcmblent bientôt après, en préfence du Prélident du Confeil - Général , ou d'un Prélident nommé par lui, & chaque Province y préfente les objets qu'el/e fe propofè de mettre fous les yeux du Suprême Confeil l'année fuivante, & là chaque Province détermine les objets de fes représentations au Suprême Confeil. L'un de ces Procurateurs cfè élu Grand-Chancellier. Le Confeil Suprême peut controllcr cette élection , & l'élection de chaque Province doit être confirmée par la pluralité des autres Provinces > pareeque ces Confeillcrs avec 214 E t a t- le General du Royaume conftituent le pouvoir exécutif de la Nation , le Con-feil-Général ou Législatif lui ayant confié cette haute commiifion. Le Général tient fon office à vie. Il eft Prélident perpétuel du Confeil Suprême des Neufs i [ c'eft-à-dire des neufs Provinces ] ; il vote fur toutes les quef. tions, & en cas d'égalité, il a la voix prépondérante. Il eft Commandant ab-foki des troupes de lTsle. Son emploi rciTemhîe beaucoup à celui du Stadhou-der de Hollande. Les Procurateurs de chaque Province élifent les Magiftrats provinciaux pour Tannée fnivante. Cette Magiftrature eft compofée, félon la régie, d'un Préfident, de deux Confulteurs , d'un Auditeur & d'un Chancellier ; mais le nombre varie dans les provinces de la même manière que dans les villages. L'Auditeur & le, Chancellier ont de très petits ap. pointcmcns, & les Magiftrats font de, frayés pour la table, par le Public , avec une garde de foldats qui ont la paye. Les Magiftrats de Province ont l'examen des crimes ; & prononcent leur ientence contre celui qu'ils jugent coupable ,• mais une fentence capitale ne peut être mife en exécution qu'après avoir .été confirmée par le Confeil Suprême. Dans les eau fes civiles, ils peuvent ju-r ger définitivement jufques à la forums de ço. Liv. Dans les caufes qui excédent cette fomme , les parties peuvent appeller à la Rote Civile , qui eft un Tribunal compofé de trois Docteurs ès loix , choitis par le Suprême Confeil, & continués à fon bon plaide. Ce Tribunal juge félon les loix civiles & canoniques, & fpécialemcnt félon les loix particulières de Corfe. Ces dernières font 216" Etat en partie d'ancienne datte , augmentées & modifiées par les Génois, qui les publièrent fous le titre de Statuti Chili e Criminali del ïfola di Çorfica. Ce livre eft devenu très rare ; j'en ai recouvré un exemplaire en petit folio, imprimé à Baftia en 1694. C'eft un très bon petit Code , & qui fait honneur à Gènes. Félix fi fie omnia ; heureux s'ils avaient montré en tout la même équité. Il y a ainfi peu de loix modernes. Quoique la compétance & des Juges de villages & des Magiftrats provinciaux s'étende jufques à la fomme que j'ai indiquée j il quelqu'un s'en trouvait ma-nifeftement grève , il pourrait en demander le redreifement, en recourant au Confeil Suprême ou à la Cour du Syndicat , autre inftitution excellente qui fe dirige de la manière fuivante. Outre les élections qui font faites par le le Confeil- Général, & dont j'ai déjà parlé, les Procurateurs choifiifcnt quelques fujets accrédités & refpcclables en qualité de Syndics. Ceux-ci font le tour de différentes Provinces, comme nos Juges de la Grande-Bretagne font, ce qu'ils appellent le Circuit. Ils entendent les plaintes du peuple contre les diffé-rens Magiftrats , & fi quelqu'un d'eux a transgreifé fon devoir, il en eft fortement repris. Ce Syndicat fait beaucoup de bien. Le Général lui - même eft le plus fouvent de cette importante Com-miilion. Elle évite au pauvre peuple la fatigue & la dépenfe d'aller à Corte , porter fes griefs au Confeil Suprême. Ce Syndicat prend connaiifance chemin faifant de tout ce qui intéreife les Provinces i reconcilie le peuple avec la fii-lutaire févérité des loix 5 encourage l'in-dullric, & toutes les entreprifes loua-Tam. J, K blcs, & porte un efprit d'ordre & d'humanité dans toutes les parties de l'Isle, Tel eft le Gouvernement de Corfe 5 & l'on y trouvera fans doute une Démocratie des mieux entendues. Depuis la jurisdiction du Podeftà & des Pères de la Communauté jufques au Confeil Suprême, il y a une gradation progref-five de pouvoir, qui émane du peuple, 6c que le peuple.peut reprendre à lui à fon bon plaifir , à la fin de chaque année. Enforte qu'aucun Magiftrat, ni Officier du public, de quelque grade qu'il foit, ne peut hazarder dans un terme fi court, d'empiéter fur les droits des Conftituans -, fâchant qu'il doit rendre fans délai un compte exact de fon adminiftration , outre que s'il augmentait le pouvoir de fon office , il ne fcr rait que former un joug qui lui dépendrait onéreux ? au moment qu'en forçant de fon emploi il rentrerait dans la condition de iimple fujet. Il eft même fur qu'à moins qu'un Magiftrat n'ait perdu tout fentiment, il ne fe permettra pas de croupir dans l'indolence , & qu'il exercera fon autorité pour le plus grand bien de fa patrie j qu'il ne négligera rien pour fe rendre recommen-dable à fes concitoyens, & pour être honnoré par des marques ultérieures de fa confiance. Dans le Confeil-Général qui fut tenu en 1754. il fut fait de très figes régle-mens relatifs au Gouvernement, dont je vais donner le précis. Aucune propofition faite au Confeil Général ne doit acquérir force de loi, qu'elle n'ait été approuvée par les deux tiers des fuffrages. Les propofitions approuvées par la moitié des fuffrages, peuvent être réi-K 2 terées dans la même fefïion une féconde & une troifieme fois. Celles qui n'ont pas reçu l'approbation de la moitié des voix , ne peuvent être repropofées dans la même felîion ; mais peuvent y être portées de nouveau dans quelqu'une des feffions fuivantes , avec la permit-fion du Gouvernement. Le Suprême Confeil d'Etat doit être compofé de neuf Confeillers , fix de la partie deçà, & trois de la partie delà des monts -, favoir, un Confeiller pour chaque Province. De ces neuf Confeillers trois doivent réfider à Corte pendant les quatre premiers mois, trois autres pendant les quatre fuivants , & trois pendant les quatre derniers : durant ce terme il doit s'y trouver pour ternaire, deux Confeillers de dcc.i & un de delà les monts -, & durant leut refidence les trois Confeillers en réli-dence doivent avoir l'autorité des neuf membres réunis; mais le Général a le droit d'appeller les neuf Confeillers toutes les fois qu'il le juge convenable félon l'importance des affaires. Aucun des trois Confeillers d'État en réfidence ne peut .s'en abfcnter pour quel cm e caufe que ce puiife être , fins une pcrmillion par écrit du Général ; & ce congé ne peut être accordé pour plus de huit jours, & feulement fur de preifantes raifons. Lorfquc le Général s'abfente de Corte dans le même tems que l'un des trois Confeillers d'État, tous les procès "judiciaires relient fufpendus. Perfonne ne peut être élu Confeiîler d'État qu'il n'ait palfé l'âge de 4?. ans j il faut encore pour cela qu'il ait rempli avec approbation la préfidence d'une-K 3 Magiftrature de Province, on l'office de Podeftà dans l'une des principales villes. Nonobftant cette régie, fi un homme d'un mérite diftingué avait rempli quelqu'autre emploi refpccfcable au fervice de la patrie, quoique ce ne fut pas un des emplois ci-devant marqués, il pourrait être élu Confeiller d'État, pourvu qu'il eut l'âge preferit "par la Loi. Perfonne ne peut être pourvu d'un office de Préfident de quelque Magiftrature de Proviace , avant Page révolu de 40. ans ; il faut de plus qu'il ait rempli deux fois l'office de Confulteur dans la même Magiftrature, ou1 quelqu'autre emploi refpectabie au fervice de la patrie, & qu'il ait acquis les comiaiifan-ces néceflaires pour cet office. L'Office de Podeftà dans les villes n'eft point fournis aux Magiftratures Provinciales , & doit être conféré eu conformité des mêmes régies. La charge de Général du Royaume venant à vacquer par la mort, par ré-fignation , ou par quelqu'autre voye que ce foit, l'autorité fuprème réfide en entier dans le corps du Confeil d'État; le plus ancien defquels doit préfider au Confeil; & c'eft lui qui dans le cours d'un mois après la vacance , doit convoquer le Confcil-Général pour la nouvelle éledlion. •Les Confeillers d'État, les Préfidens des Magiftratures, & les autres Oiîi-ciers & Juges doivent refter dans leurs charges refpeètives , avec un plein exercice de leurs droits , jufques à ce qu'ils foient relevés par leur fuccelfeur légitimement élu. Les Confeillers d'État, les Préfidens des Magiftratures provinciales , & les K 4 Podeftà des grandes villes ne peuvent être élus de nouveau pour la même charge , fans avoir été deux ans hors de cet office , & fans produire des lettres de Créance du Sindicat Suprême, atteftant leur bonne & louable conduite dans l'Emploi qu'ils ont exercé. P A o L i a réuffi d'une manière étonnante à mettre en régie les prétentions des Seigneurs Féodaux. Ces Seigneurs faifaient diverfes repréfentations au Gouvernement, pour la reftitution de leurs anciens droits : C'était une queftion des plus délicates. Leur concéder les privilèges étendus dont ils avaient joui dans les anciens tems, c'était établir des Principautés mdépendantes en Corfe; & c'était renverfer le bel Edifice d'une conftitution libre, que Paoli avait forcée pour rendre permanente la félicité de fa patrie. La plupart des Seigneurs n'avaient pris aucune part à cette glorieufe guerre. Ils avaient beaucoup à perdre, & ne pouvaient prendre les armes contre la République de Gènes, fans s'expofer à la confifeation de leurs terres. Les payfans au contraire, s'étaient jettes dès le premier moment dans tous les dangers. Ils n'avaient que leur vie à perdre , & la vie dans l'efclavage n'eft point à prifer. En réuiîinant, ils étaient animés par une double efpérance ; celle d'être délivrés de la tyrannie d'un Etat éloigné d'eux, & celle d'être a£ franchis d'une oprefiion plus prochaine, celle des Seigneurs Féodaux. Celle-ci leur était fi fenfible, qu'un Corfe rempli de ce fentiment, m'avoua un jour, qu'à fupofer que Gènes eut abandonné •fes prétenlions fur la Corfe, enforte que les payfans n'euffent plus été obli- gés d'agir contre les Génois , ils fé feraient infailliblement foulevés contre les Seigneurs. Il eft donc aifc de comprendre que les payfans n'auraient jamais confenti à retourner fous un pouvoir arbitraire duquel ils s'étaient eux-mêmes délivres par leur courage; & que fi on leur eut propofé un nouvel efclavage, c'en eut été affez pour exciter une révolte, replonger la nation dans les divilions des partis , & donner à leur ennemi commun un moyen de fomenter les hames , la difeorde & les aiTafïmats , jufques à ce que les Corfes fe fuffent fait eux-mêmes tout le mal que la force & les ftratagêmes des Génois avaient effayé inutilement de leur faire. D'un autre côté , il ne fallait pas offencer les Seigneurs, parce qu'on ne pouvait les m'é-contenter fans troubler les opérations du gouvernement. Le mot des fages Hollandais , Nous fiommes brifés fi nous nous hurlons ( h ) , devrait être gravé dans l'efprit de tous les hommes, de tout ordre & de toute nation : mais cette maxime eft d'une beaucoup plus grande conféquence pour un Etat qui commence à fe former. Paoli pouifa la complaifànce pour les Seigneurs au point de permettre qu'ils ne pulfent être afiignés perfou-nellement devant les Magiftrats de la Province dans laquelle ils avaient leur Jurifdiclion ; qu'ils euflent le pouvoir de juger définitivement les cauiès, entre ( h ) C'était la légende d'une Médaille Hol-Jandaife où deux vafes de terre étaient repré-fentcs comme en mouvement pour s'approcher. Frangimur fi Collidimur, pour repré-fenter le péril de l'Etat par le fchifme des partis. les payfans de leurs Fiefs , fans être refponlàble au Magiftrat de la Province de leur jugement , lequel cependant ferait fournis à la revilion du Confeil Suprême , & de la Cour du Syndicat. Par ce tempérament, les Seigneurs a-vaient la flateufe diftiudrion d'un certain degré d'autorité , pendant qu'en effet on ne faifait que foulager d'un devoir pénible les Pérès des Communautés , les Podeftà , & les Magiftrats de la Province. D'un autre côté , ils étaient fournis comme les autres à la connaif-fance des Judicatures fupérieures , & ne pouvaient abufer de leur pouvoir : mais en même tems qu'ils jouiraient d'une prérogative fur les autres Nobles , ils donnaient à l'Etat, fans qu'il lui en coûtât rien de plus, une augmentation de Juges capables de policer & de civilifer un peuple rude & grof. lier. Ainfi le pouvoir des Jurifdictions Féodales & héréditaires fut reftreint en Corfe par l'heureux concours des cir-conftanecs & de la figclTe. Ce fuccès fut en partie l'cifct des troubles & de l'ardeur martiale, & en partie le fruit des prudentes mefures d'un habile Législateur. Le iyftême Féodal avait été tranfplanté du Nord, par de fiers barbares , en divers pays de l'Europe, où il avait jette de profondes racines , & répandu au loin fes branches. Il eut fallu la plus grande violence pour Par-racher , tandis que par un orage iàlu-taire , & par une conduite habile, ce même pouvoir qu'on craignait, fut fournis à l'ordre , & rendu avantageux k l'Isle de Corfè. Lorfque . le Gouvernement lèra par-To.ne I. L État venu à une plus grande maturité , & que le tems aura modéré l'ardeur que l'on a aujourd'hui pour ces ufages, les Seigneurs fe difpoferont d'eux mêmes à réfign r une diuinélion qui a moins d'a-Vantages que d'embarras. J'ai fait connaître comment le Gouvernement) Corfe s'eft étabh, & je ne cloute pas qu'il ne foit fufceptible encore d'un plus haut . degré de perfection, quoique je le regarde déjà comme le meilleur modelle qui ait jamais èxifté dans le genre Démocratique. Sparte avait réellement une conH;i-tution nerVeufe , mais avec le refpcct qui eft dû à la mémoire de l'immortel Lycurgue, Sparte manquait de douceur & d'humanité. Ce renverfement total àes affections humaines, cette extinction de tout fentiment délicat , était line fituation fi forcée, fi vuide de piai- de la Cors t. 23c $rs, qu'elle n'était pas à envier. Noutf admirerons le merveilleux afcendant quar prit fur les efprits le Législateur, mais on nous permettra de penfer que tout ce qu'il obtint n'aboutit qu'à la con-fervation de l'Etat, qui n'eft rien fans le bonheur. Mr. James Stevard eft dans l'idée que fi les Lacédémoniens avaient été fermes dans leurs, principes, & dans i'efprit de leur conft.itiition , elle fub-fifterait peut - être encore aujourd'hui ( i ). Mais fi Lycurgue eut changé fes Spartiates en des hommes de pierre, elle eut duré d'avantage encore. Taiidis qu'on formait la conflitu-tion de Corfe, & que l'on prenait les. plus juftes mefures pour raffermir, les individus avaient la pleine jouiifance de toutes, les douceurs de la vie. Les (i) Inquiry info the principlcs of Polïti* Cùl Occonomy. Book IL Chap. 14. L 2 232 E t a t ■ Corfes étaient hommes aiuTi bien que Citoyens ; & quand une fois ils fe feront complettement délivrés de la tyrannie Gcnoifc, il ne fe trouvera peut-être pas de pays qui foit plus heureux. Animé par cette perfpedtive , P a o L 1 qui y tend fans-cefle , s'infinue dans tous les cœurs ; leur attachement pour lui eft tel, que quoique le pouvoir du Général foit limité, celui de Paoli ne l'cft point. C'eft en quelque forte un crime de haute trahifon , de parler contre lui, ou de le calomnier. Son autorité eft une cfpècc de Defpotifme fondé, contre les principes de Montef-qttieu , fur le fentiment de l'amour. Je finirai l'article du Gouvernement de cette Isle par une anecdote remarquable. ' ; m ' ' y ri Corfe qui avait été- d'abord au 1) E L a C 0 R S e. 235 1er vice de France , où il avait obtenu la Croix de St. Louis, de retour dans fa patrie, entra dans quelques pratiques contraires à fà liberté. Cela le fit foup-çonner d'avoir un delfehi fur la vie du Général, & dans cette idée, il fut arrêté Si envoyé en prilbn , de laquelle cependant il fut relâché quelque tems après, à l'interceilîon du Général Français qui était dans l'Isle. A peu de tems de-là il fut furpris une féconde fois dans une autre trame miftérieufe & criminelle ; il fut de nouveau empri-fonné : Le Commandant Français Sollicita encore fa grâce Se là liberté , qui lui ayant été refuféc , ce Commandant fouhaita de favoir ce qu'il contait do faire du prifonnicr. *( Monficur, lui „ répondit Paoli, je vous le dirai, „ lorfque j'aurai perfectionné l'ouvrage ,j de la liberté de ma patrie, & affermi n la conftitution de l'Etat fur un pied „ que j'efpére de maintenir ; je convo* « „ querai les Etats de fïsle, & j'y pro-yy duirai cet homme. Je lui montrerai ' yy cette liberté, ce "Gouvernement & ce bonheur qu'il a failli de détruire; „ après quoi je le bannirai de l'Isle â „ perpétuité ". Telle fut la manière de p enfer de cet Ihuftre Chef de -la na--tion. EIN de la première Partie. >